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Droit européen des affaires

Introduction

I. Introduction générale

Le droit européen des affaires est une matière qui recouvre de nombreux aspects du droit de
l’union, c’est en soi une subdivision du droit de l’union qui a pour objet de traiter des règles
de fond. En effet, à la différence du droit institutionnel de l’Union européenne qui porte sur
les aspects formels ou fonctionnels de l’Union européenne en tant qu’organisation
internationale, le droit européen des affaires s’intéresse aux règles de fond. Il a souvent pour
autre appellation le droit matériel de l’Union européenne. En fait, il y a à cet égard quelques
nuances à établir. Certains auteurs, au sein de la doctrine, lorsqu’ils entendent droit
européen des affaires ne traitent que des règles de concurrence. Une autre partie de la
doctrine, et notamment ceux qui sont de tradition publiciste, intègrent dans le droit
européen des affaires toutes les règles relatives au marché intérieur. Cela semble
extrêmement évident puisque les liens extrêmement étroits entre le marché intérieur et les
règles de concurrence sont de plus en plus affirmés, rappelés par la CJUE, par le juge de
l’union, de sorte qu’aujourd’hui, il est difficile d’établir la dichotomie entre ces deux aspects.
C’est cette approche que nous adopterons, en abordant à la fois les règles relatives au
marché intérieur et les règles relatives à la concurrence. Comme nous allons le voir, les liens
sont étroits entre ces deux notions. Ce droit substantiel, tantôt appelé droit européen des
affaires, tantôt appelé droit matériel de l’Union européenne, présente deux caractéristiques
majeures aujourd’hui. D’une part, on peut observer une très forte densification normative
de cette grille de la matière, c'est-à-dire que depuis quelques années, on a assisté à une très
grande production de droits qui régissent différents objets auxquels l’union s’attèle. Cette
densification renvoi concrètement à l’adoption de règlements, de directives, mais aussi de
décisions. Décisions qui peuvent s’adresser à des États ou à des opérateurs économiques,
personnes physiques ou morales. Donc une très forte densification qui est en réalité pour
l’essentielle drainée par des règlements cadres qui sont véritablement les textes fondateurs
de tel ou tel aspect de la matière, ou alors des directives, mais dans une moindre mesure
pour la concurrence. On retrouve surtout des directives dans le cadre des personnes. Pour la
concurrence en elle-même il s’agira de règlements. On a aussi des décisions qui sont
applicables aux États ou aux personnes morales comme nous le disions. Une très forte
densification qui rend la matière ardue pour les citoyens ordinaires. Il est vrai que cette
densification entraine une aridité de la matière et finalement une certaine défiance par
rapport à ces règles qu’on ne maîtrise pas. Souvent lorsqu’on ne connait pas, on craint, et
donc il y a une certaine appréhension parce qu’on a du mal à lire correctement cette
matière. Cette raison est liée à la densification. Cette densification doit être liée à un autre
processus qu’on observe, la ramification. La ramification est un processus beaucoup plus
subtil qui renvoi à l’idée de diversification de la matière. Une diversification, c'est-à-dire
qu’au fur et à mesure, le législateur de l’union a abordé des domaines différents dans le
cadre du droit substantiel. Alors qu’au départ les règles de fond en matière de concurrence
étaient plutôt limitées, essentiellement procédurales, au fur et à mesure de l’évolution de la
construction européenne, le législateur de l’Union européenne, conseil et parlement mais
aussi la commission puisqu’elle détient le pouvoir d’exécution en la matière et un pouvoir
délégué, dans ces domaines-là, ces trois protagonistes ont adopté des règles qui
concernaient de plus en plus des domaines assez éloignées du droit de la concurrence pur
pour s’intéresser à d’autres aspects (aides d’état, entreprises publiques, monopoles
nationaux à caractère commercial). Ces nombreux domaines n’ont pas nécessairement un
lien avec la concurrence, on pense aux politiques qu’on peut considérer comme citoyennes,
liées à la qualité de la vie, la santé publique, la protection des consommateurs, l’éduction, la
politique culturelle, l’environnement. Le droit de l’environnement est essentiellement irrigué
par le droit de l’union. Les États s’intéressent bien évidemment au droit de l’environnement,
mais les premiers textes en la matière sont nés de la construction européenne, et remontent
aux années 1970. Donc diversification pour aborder des champs beaucoup plus proches des
citoyens et donner ce visage humain à la construction européenne. Nécessairement, il y aura
des interactions entre ces champs, qui au départ n’apparaitront pas de manière manifeste,
mais qui vont se révéler par la suite, soit au fur et à mesure de l’action normative, soit au fur
et à mesure du contrôle contentieux. On a donc deux tendances majeures à souligner dans
le cadre du droit substantiel, d’une part une densification normative, une forte production
d’actes normatifs qui ont pour objet de régir l’espace concurrentiel et l’espace de libertés, et
d’autre part une ramification qui est portée par différents domaines désormais régis, et qui
vont entretenir des interactions ou avoir une incidence sur le droit des libertés ou le droit de
la concurrence. Autre observation en guise d’introduction, qui a déjà été relevé dans le cadre
du droit institutionnel, ce qu’on constate toujours cette idée dans la construction
européenne, celle de dépassement. Le dépassement que l’on observe de manière générale
dans le cadre du fonctionnement de l’Union européenne et qui a pour corollaire l’effet de
cliquet, vise autant le champ institutionnel que le champ substantiel. On retrouve cette
même dynamique, le fait qu’il y ait cette arborescence fonctionnelle, cette structure si
compliquée pour une organisation internationale, ces pouvoirs importants. Cette dynamique
se retrouve notamment en droit européenne des affaires, dans le domaine de la
concurrence, de telle sorte que la commission est pointée du doigt par certain qui font valoir
qu’elle est omniprésente et qu’il y a un pouvoir excessif des autorités de l’union en matière
de concurrence. On a cette même dynamique et cette même recherche donc, tant dans le
champ fonctionnel avec la recherche du perfectionnement des institutions, que dans le
champ substantiel avec ce besoin de régir de nombreux domaines. Cela parce que nous
sommes dans une logique d’intégration, et il y a donc nécessairement une interpénétration
des champs, des domaines, et donc au fur et à mesure de l’action normative, le législateur
de l’union a dû aborder de nouveau champs. A partir de là s’est posée la question des limites
de cette action normative. Troisième point en guise d’introduction générale à cet
enseignement, la question liée à la mutation du projet européen. Depuis un certain nombre
d’années on observe qu’il y a ce souci de la part des autorités de l’union de donner à l’Union
européenne une autre configuration, une autre image, un autre visage, l’exemple le plus
symptomatique étant l’affermissement de la citoyenneté européenne. On a dans le cadre de
l’action du législateur de l’union cette volonté constante du législateur depuis la décennie
1980, de faire évoluer les règles de l’union qui étaient essentiellement des règles
économiques vers un champ plus ouvert, moins circonscrit, moins économique, et sociétal
ou social. C’est donc la citoyenneté, la santé publique, la protection des consommateurs,
l’éducation. Cette recherche constante du rapprochement des citoyens à la construction
européenne. A partir de là, de ce levier, on va assister à une mutation du projet européen. Il
faut bien comprendre que le droit de l’Union européenne, de manière constante, est un
droit essentiellement économique, donc pour l’essentiel le marché intérieur et la
concurrence. Il aborde évidemment de nombreux champs étrangers à ces questions-là
(santé publique, protection des consommateurs, politique industrielle, etc.), mais c’est tout
de même un droit qui est d’essence économique. Les raisons sont historiques, parce que la
construction européenne est née d’une communauté économique européenne, c’est le
principe de l’antériorité économique sur le processus politique. Il fallait d’abord commencer
par une solidarité économique pour parvenir à une solidarité politique et institutionnelle.
Mais progressivement, cette prééminence du champ économique va déplaire aux citoyens,
parce qu’il ne faut pas oublier que la construction européenne a été créée pour répondre
aux besoins des citoyens, il y avait une recherche de protection, de garantie des droits, ce
qui se lit dans le préambule, mais il fallait commencer par le processus économique. Au fur
et à mesure de la construction européenne il y a donc eu une désaffection des citoyens, liée
à une union qui apparaissait essentiellement économique, technocratique. Le point
culminant de cette crise du projet européen apparaîtra avec le traité constitutionnel. Le
traité constitutionnel avait pourtant pour ambition de rapprocher les citoyens de la
construction européenne. Plusieurs dispositions étaient de véritables leviers pour cela, à cet
égard, voir le cours sur le droit institutionnel. Dans ce cadre-là, il y avait la quête d’un
rapprochement, mais cette ambition n’a pas été comprise ainsi par les citoyens qui l’ont
rejeté, et de manière flagrante en France et aux Pays-Bas. L’échec du traité constitutionnel a
été un réel traumatisme au sein des institutions, qui ont alors saisi qu’il y avait une réelle
méfiance à l’égard du projet européen, qui est pourtant un projet fondamentalement
humaniste. Cette défiance est aujourd’hui portée par les mouvements populistes. A partir de
cette considération il faut essayer de comprendre pourquoi il y a eu cet échec du traité
constitutionnel, parce qu’il y a un lien étroit avec la concurrence. Une des raisons majeures
de cet échec est l’aridité du texte lui-même, qui n’a pas l’envergure d’une constitution, qui
est plutôt un texte vif, court, alerte. Là c’était un texte de 350 pages, très difficile pour les
non-juristes. Mais surtout, il y avait une disposition de ce traité qui érigeait la concurrence
au rang d’objectif. C’est une maladresse importante de la part des rédacteurs du traité, qui a
eu des conséquences fâcheuses, puisqu’elle a été saisie par les opposants au traité
constitutionnel, faisant valoir que la construction européenne a pour objectif majeur la
concurrence, alors que comme nous allons le voir, il est clair que dans les traités fondateurs
ou de révision, la concurrence est un moment et jamais un objectif en soin. C’est un moyen
pour parvenir à une société de progrès, qui parvient à établir une croissance durable, des
ressources équitables. Cette maladresse a eu des conséquences néfastes, et sera corrigée
par les rédacteurs du traité de Lisbonne, qui relègue à son rang légitime et ordinaire la
concurrence, qui n’est qu’un moyen. Ultime observation en guise d’introduction, il s’agit de
la difficulté pour le droit européen des affaires, et de manière générale pour le droit
substantiel de l’union, à pénétrer les ordres juridiques nationaux, et surtout des ordres
comme celui de la France, qui est de tradition publiciste, porteur d’une théorie du service
public, et d’une doctrine relative au service public, et donc un droit plutôt rétif à ce type de
mécanismes propres à l’espace concurrentiel, aux mécanismes de concentration. Il y a donc
des systèmes juridiques nationaux qui sont récalcitrants dans leurs mécanismes internes à
l’application de telles règles. Il faut bien comprendre que la concurrence dans le cadre de
l’Union européenne n’est qu’un moyen, mais pour parvenir à cette société de progrès, la
concurrence va devenir un outil optimal, un outil important, majeur, qui peut parfois
sembler excessif, mais il est majeur. Progressivement, cette utilisation de la concurrence
comme moyen pour parvenir à une société de progrès va se heurter à des lectures beaucoup
plus classiques de l’action économique que nous avons en droit interne, et qui sont tout à
fait différentes. En droit interne, l’action économique est plutôt portée par les pouvoirs
publics dans un objectif de satisfaction des intérêts des usagers et du service public, et là
nécessairement, comme nous allons le voir dans le cadre de l’application des règles de
concurrence au service public, on va avoir une conflictualité immanente, puisque d’un côté,
les règles du traité établissent que les règles de concurrence sont applicables à l’entièreté
des secteurs dans la limite du respect d’une mission de service public, mais on va le voir sous
conditions, et d’un autre côté, on a une lecture interniste plutôt guidée par la satisfaction de
l’intérêt général. L’impact du droit économique de l’union sur le droit national sera
extrêmement sensible, et d’autant plus que le droit matériel, et de manière générale le droit
substantiel est porté par deux grands principes portés par le juge de l’union, la primauté et
l’effet direct. La conjugaison de ces deux principes dans leur application fait qu’il est difficile
pour les autorités nationales de se départir des règles de concurrence. Elles doivent les
appliquer. Des aménagements sont possibles pour le secteur public et les services publics,
mais il y a une application à laquelle sont liés les États membres. Très rapidement on s’est
aperçu qu’il y avait cette conflictualité immanente à l’application des règles de concurrence
de l’union, qui vont se heurter aux règles nationales, notamment à celles issues du droit
français. A partir de là, depuis un certain nombre d’années, et cela a plutôt coïncider avec
l’échec du traité constitutionnel, se dessine au sein de la société civile une volonté de
donner une autre dimension au projet européen, beaucoup plus citoyenne. L’idée que le
projet européen soit uniquement économique est aujourd’hui dépassée, l’Union
européenne doit s’atteler à d’autres chefs de compétence. Cette idée s’est déjà essoufflée et
autodétruite. Mais l’autre idée de plus en plus partagée est de réfléchir aux moyens de se
libérer du seul cadre économique et de dépasser cela et d’atteindre de nouveau chefs de
compétence plus intéressants, et qui puissent rapprocher les citoyens de la construction
européenne. De ce point de vue-là, la concurrence et l’espace de liberté doivent maintenir
leur rang, être des moyens pour parvenir à ces différents objectifs. On assistera
progressivement à un approfondissement de la construction européenne sous le prisme de
l’approfondissement des libertés et de la concurrence. On peut considérer que la
citoyenneté est l’une des réponses face à la critique relative à l’objet économique. Ultime
point sur ce droit européen des affaires, comme on le disait, la doctrine est plutôt partagée
ou nuancée sur ces points là, mais il peut soit faire l’objet d’un traitement parcellaire, à
savoir uniquement l’examen des règles de concurrence (entente, abus de position
dominante, concentrations, aides d’état, entreprises publiques), ou bien, dans une approche
beaucoup plus novatrice, plutôt contemporaine, s’intéresser à l’entièreté du champ, à savoir
à la fois l’examen des libertés et de la concurrence. Dans l’examen des libertés, pour
l’essentiel les 4 libertés, marchandises, personnes, capitaux et services. Ceci apparaissait
déjà dans les traités, mais c’est rappelé par le juge, il y a une interaction, un rapport très
étroit entre le marché intérieur et l’espace de concurrence, donc il est important d’avoir
cette dualité toujours à l’esprit, cette lecture binaire, et finalement c’est écarter une grande
partie de la matière que de n’aborder que les règles de concurrence pures. Dans le droit
européen des affaires, il faut aborder les libertés et les règles de concurrence. Quel sera
notre propos ? Le cours va s’articuler autour de deux grandes trames. Dans un premier
temps, la constitution de l’espace de libertés, mais eu égard au nombre d’heures imparties,
nous ne le verrons que dans le cadre des marchandises, qui un pan très important de la
matière. Pour les services et les capitaux, il faudra se référer au manuel. Dans un deuxième
temps, nous attaquerons le droit de la concurrence et la constitution de l’espace de
concurrence, et là on a une double articulation. D’une part, l’opposabilité des règles de
concurrence aux opérateurs économiques de type ordinaire, à savoir les personnes
physiques ou morales, donc à la fois l’application des règles de concurrence relatives aux
ententes, l’abus de position dominante et les concentrations, et dans un deuxième temps,
l’opposabilité des règles de concurrence aux autorités nationales. Se pose alors la question
des aides d’État, celle relative aux entreprises publiques, la transparence qui est voulue
entre l’État et ses opérateurs publics ou privés, et troisième élément dans cette deuxième
déclinaison, celle des monopoles nationaux à caractère commercial (article 37, TFUE). Cet
article a aujourd’hui une application parcimonieuse de la part du juge de l’union, mais c’est
une disposition intéressante qui a permis de libéraliser de nombreux champs (gaz,
électricité). L’opposabilité des règles de concurrence aux opérateurs ordinaires et aux
autorités nationales donc. En ce qui concerne l’espace de liberté, nous le verrons d’abord à
travers la constitution de l’union douanière dont nous verrons les éléments essentiels, puis
la question relative à la libre circulation des marchandises, les différents régimes juridiques
applicables et les différents aspects liés à l’interdiction d’opposer des obstacles à ces
échanges.

II. Un espace de libertés

L’un des moyens proposés par les Traités fondateurs pour parvenir à une société de progrès,
comme nous disions en préambule de cet enseignement, s’appuie sur la réalisation,
l’accomplissement d’un espace territorial qui présente une intégration économique très
poussée, intense, plutôt inédit en Droit international : on parle d’interpénétration des
marchés nationaux. C’est un marché qui se veut très ouvert, qui présente un très haut
niveau d’intégration sur le plan économique, mais aussi un haut niveau d’intégration dans
l’économie mondiale (nous sommes dans un contexte de mondialisation), et c’est un marché
qui repose principalement sur deux instruments : on a d’une part une intégration douanière
et un espace concurrentiel. Dans l’intégration douanière, on a cet espace de libertés. C’est
un corollaire d’union douanière. On va expliquer les différents concepts qui sont en jeu.
Aujourd’hui, toujours en guise de préliminaire, on peut faire observer que l’Union
européenne est une grande puissance économique mondiale. D’abord l’Union européenne
est la première puissance économique mondiale. Une première puissance économique
mondiale qui nous permet de souligner son asymétrie par rapport à son rang politique,
diplomatique. Elle est en effet la première puissance économique mondiale, mais son rang
politique et diplomatique ne correspond absolument pas à son rang économique.
Concrètement qu’est-ce que ça signifie, quels sont les chiffres avancés par l’OMC ? D’abord
l’Union est le premier exportateur mondial des biens et de services, et la première source
d’investissements directs étrangers (IDE). Ce sont ces chiffres-là qui lui permettent de
bénéficier de ce premier rang sur l’échelle mondiale. Elle représente près de 15% des
exportations mondiales, au niveau des marchandises, et près de 25% des exportations en ce
qui concerne les services. Concernant les flux d’investissement, qui s’opèrent à l’étranger,
elle est à hauteur de 57% de ces flux. Donc plus de 60% des exportations de l’Union sont
intra-communautaire. C’est très important, ça prouve que ça fonctionne. Que dans le cadre
du marché intérieur il y a une très forte activité. Plus de 60%, c’est intra-communautaire,
c’est entre les États membres. Alors les produits manufacturés, pour moitié des machines et
du matériel de transport, représentent 80% des exportations de l’Union. Le reste est
constitué par les produits énergétiques et également les produits d’extraction et les produits
agricoles. Néanmoins ces importations constituent une part importante de l’économie
européenne, on peut considérer que c’est un bémol, une limite. Une part importante, de
sorte que la balance commerciale européenne (la différence entre les exportations et
l’importation) est déficitaire. Elle est à hauteur d’une centaine de milliards d’euros. Cette
balance commerciale n’enlève rien à ce statut, ce rang de première puissance économique
mondiale évidemment. Sur le plan agricole l’Union européenne est également la première
puissance mondiale, puisqu’elle est le premier exportateur, le premier exportateur et
importateur de produits agro-alimentaires, ce qui place l’agriculture européenne en
concurrence directe avec les États-Unis et l’agriculture américaine. L’essentiel des relations
qui sont établies par l’Union sont des relations qui sont établies avec deux autres pôles
dominants sur le plan économique à l’échelle mondiale, on a les États-Unis et le Japon. On a
également des liens assez resserrés qui sont établis avec les nouveaux pays industrialisés, les
pays émergents, vous avez dans une moindre mesure des accords avec les pays de l’Est. En
dépit de cette place majeure, sur le plan économique à l’échelle mondiale, première
puissance économique mondiale, l’Union présente une balance commerciale déficitaire, et
surtout présente un handicap majeur très important qui a des conséquences sur les
ressortissants de l’Union, c’est le taux de chômage, un taux de chômage très important par
rapport à la scène internationale. Autre remarque qu’on peut faire, c’est qu’effectivement
cette place majeure de l’Union sur le plan économique nous permet de souligner cette
asymétrie avec son rang politique. Sévère asymétrie au regard de son rang politique,
diplomatique, puisque ce rang politique et diplomatique ne correspond absolument pas à
cette puissance économique. Des progrès cependant ont été accomplis (cf. cours de droit
institutionnel), des progrès notables ont été accomplis en la matière depuis le Traité de
Maastricht, le Traité de Lisbonne, puisque nous avons effectivement des efforts faits par les
Traités dans le cadre de l’action extérieure de l’Union, qui est une action assez dense, décrite
avec précision, qui donne des outils institutionnels à l’Union. Mais il demeure que l’Union est
composée de 28 États qui ont leur propre histoire, leurs propres traditions politiques, leurs
propres intérêts stratégiques et géopolitiques, ce qui fait qu’une politique extérieure
commune de l’Union est très difficile malgré tout à mettre en œuvre, il faut bien être réaliste
de ce point de vue-là. On note bien la forte asymétrie entre ce rang économique
extrêmement important et ce qui explique l’intérêt des États membres de rester au sein de
L’Union, puisque l’Union protège ces États avec ce rang économique mondial majeur,
prééminent, et ce rang politique qui est bien sûr complètement asymétrique par rapport à
son action économique. Toujours dans le cadre de ce préliminaire sur les libertés, il y a deux
notions, et surtout une que nous avons énormément manier dans le cadre des libertés, ce
sont la notion de marché intérieur, et celle marché commun.

Section 1 : Notion de marché commun

Le terme de marché commun est celui qui était inscrit par les Traités fondateurs, tandis que
le terme de marché intérieur fera son apparition avec l’Acte Unique Européen en 1986. Le
marché commun c’est quoi ? C’est précisément un des moyens préconisés par les Traités
pour parvenir à la société de progrès. L’idée de convergence économique et concurrentielle
repose sur cette idée de la constitution d’un marché commun, qui demeure toujours un
moyen pour parvenir à ce progrès économique et social. Et on s’est aperçu progressivement
de nouveau que la notion de marché commun qui était inscrite dans les Traités fondateurs
en 1957, s’est prêtée progressivement à une construction intellectuelle, aussi
jurisprudentielle, particulière, fortement évolutive, de sorte que la notion de marché
commun va évoluer en notion de marché intérieur.

Section 2 : Notion de marché intérieur

La notion de marché intérieur fera son apparition en 1986. Ce n’est pas simplement un
changement sémantique, ce n’est absolument pas simplement une question de vocabulaire,
c’est vraiment une mutation conceptuelle. C’est que la notion de marché intérieur va
recevoir une densité beaucoup plus importante, un champ beaucoup plus important. Il y
aura en fait à la fois la nécessité d’agir pour abolir les frontières aux échanges, ce qu’on
appelle le démantèlement des obstacles, l’obligation de faire ou de ne pas faire, et l’autre
grand aspect, c’est en cela qu’il y aura une densité de la notion, c’est l’obligation qui pèsera
sur les États de mener à bien des politiques qui soient proches des citoyens ou de manière
générale des politiques qui puissent porter le projet européen, à savoir la santé publique, la
protection des consommateurs, l’environnement, l’éducation, la culture. Des politiques qui
sont menées effectivement par les États membres mais qui sont également développées au
sein de l’Union.
Donc vous aurez cette double articulation dans le cadre de la notion du marché intérieur.
Parce que, très rapidement, le législateur, de l’Union, comme d’ailleurs les États membres de
l’Union, vont s’apercevoir que, en droit, jamais aucun domaine n’est vraiment cloisonné : il y
a des interactions normatives importantes. Les interactions par exemple entre le droit de
l’environnement et le droit de la concurrence sont évidentes. Les interactions entre le droit
de la consommation et la santé publique et la circulation des marchandises sont des
interactions manifestes. Donc il faut mener à bien ces deux actions, à la fois l’action sur le
marché en lui-même, à savoir démanteler les obstacles aux échanges, ce qui était l’action
première dans le cadre de la notion de marché commun, et donc établir un espace de
libertés, pour les quatre libertés, et, parallèlement, mener à bien des politiques qui soient
proches des citoyens et qui permettent évidemment d’accélérer le processus d’intégration.
Ce n’est donc absolument pas une évolution sémantique uniquement, c’est une évolution
sémantique mais c’est surtout une évolution conceptuelle majeure. Il faut savoir que, malgré
tout, la notion de marché commun perdurera jusqu’au Traité de Lisbonne : c’est Lisbonne
qui va procéder au nettoyage du texte initial et qui va substituer systématiquement le terme
de marché commun par le terme de marché intérieur.

Section 3 : Les libertés énoncées par les traités

Et donc à cet égard de l’espace de liberté de ce marché commun devenu marché intérieur à
partir de 1986, et vraiment consacré en 2007 par le Traité de Lisbonne, vous avez des
libertés de mouvement qui sont valorisées, mises en avant, et il y a cette injonction à
l’adresse des États de favoriser ces libertés de mouvement. Vous avez en fait quatre libertés
énoncées par les Traités : liberté de circulation des marchandises, que nous allons analyser,
liberté de circulation des personnes, des capitaux et des services. Entre ces quatre libertés, a
priori, il n’y a pas de hiérarchie. Dans les textes, il n’y a pas de hiérarchie entre ces quatre
libertés qui sont énoncées par les Traités. Mais en réalité, si on examine un peu plus près les
dispositions des Traités, on observe une relative hiérarchie qui n’est pas dite textuellement
bien entendue, mais c’est une relative hiérarchie. Pourquoi peut-on considérer qu’il y a une
relative hiérarchie ? Plusieurs facteurs expliquent cette hiérarchie. D’une part vous avez
l’ascendant que constituent les marchandises sur le plan historique par rapport aux autres
libertés. En effet en 1957, quand sont mises en place les Communautés, le premier champ
auquel s’attaque à l’époque le législateur de l’Union, le législateur communautaire comme
on disait, ce sont les marchandises, la libre circulation des marchandises. Les produits
industrialisés sont les premiers à circuler librement au sein du marché commun à l’époque,
marché commun qui était naissant. Donc les marchandises ont un ascendant historique sur
les autres libertés. Et à partir de là les premiers textes interviendront très vite, à partir de
1961 on a les premiers textes qui tombent en la matière, qui permettent de démonter les
obstacles aux échanges, les produits industriels, les produits manufacturés, vous avez après
l’agriculture qui suivra mais les premiers produits en la matière circulent librement. Autre
raison qui peut expliquer cette prééminence des marchandises sur les autres libertés, c’est la
place de la jurisprudence dans l’accomplissement de cette liberté. A la différence des autres
libertés, et notamment les services et les capitaux, et dans une moindre mesure les
personnes, la libre circulation des marchandises a fait l’objet d’une construction
jurisprudentielle très intense, très riche : on va observer qu’il y a une conceptualisation de
notions importantes, notamment les mesures d’effet équivalent, les taxes d’effet équivalent,
les exigences impératives, des théories qui seront mises en avant, des notions, des
théorisations qui seront mises en avant par le juge de l’Union ou le législateur. Cela, on le
trouve moyennement, modérément dans le cadre des services et des capitaux : pour les
services et les capitaux, je vous invite à lire le manuel sur ce point, c’est plutôt des éléments
qui sont décrits par les textes d’application et on n’a pas ce travail conceptuel mené à bien
par le législateur ou le juge de l’Union. Dans le cadre de la citoyenneté, c’est différent : on a
là aussi un effort de conceptualisation mais qui interviendra tardivement. Les premiers
textes en la matière interviennent en 1990 et vous avez tout ce travail d’interprétation du
droit etc. qui intervient en 1990-2000. Mais les marchandises précocement, les premiers
grands arrêts illustres en la matière, c’est 1970, donc précocement on a cet ascendant
jurisprudentiel qui se dessine, et qui va expliquer qu’une hiérarchie va s’établir, implicite, qui
n’est pas dite, mais une hiérarchie en faveur des marchandises. Et l’autre point important, le
troisième facteur et le dernier, c’est que, dans les Traités, malgré tout, même si nous
n’avons pas une hiérarchie, les marchandises ont une place privilégiée, les marchandises
pourraient bénéficier des dispositions particulières, c’est-à-dire des dispositions spécifiques,
elles ont un titre à elles seules, ce qui signifie qu’il y a une prééminence même si la
hiérarchie n’est pas établie concrètement. Premier point qu’il convient de voir, la première
déclinaison sur laquelle nous allons nous pencher dans le cadre de l’espace de libertés, il
s’agit de l’instauration de l’union douanière.
Droit européen des affaires
Les marchandises

I. L’Union douanière

Donc la mobilité des biens repose dans les traités sur un principe général d’interdiction des
obstacles aux échanges, ce qui permettra donc d'assurer l’effectivité du mouvement des
marchandises. C’est le point de départ : principe général d’interdiction des obstacles aux
échanges. Ce principe comme le reconnaît la doctrine n’est pas posé en tant que tel dans les
traités, il résulte en réalité de l’économie du traité, de l’économie des dispositions de fonds
qui imposent aux États membres une interdiction de taxe d’effet équivalent aux droits de
douane et de mesure d’effet équivalant à des restrictions quantitatives. A cela s’ajoute
également l’extrême vigilance de la Cour sur les comportements attentatoires des États, et
un contrôle vraiment constant et également un contrôle très aiguisé de la part de la
Commission qui a un rôle majeur en la matière lorsqu’elle poursuit les comportements
illicites en sa qualité de gardienne des traités (cf. droit institutionnel). Ces différents facteurs
confèrent au principe de libre circulation des marchandises une densité, un statut, qui
autorise les observateurs à l’ériger au rang de principe général et de liberté fondamentale
comme le rappelle régulièrement la Cour. On peut citer un arrêt en ce sens, l’arrêt
Rosengren de 2007 où la Cour parle de principe général de libre circulation des
marchandises.

Chapitre 1 : L’approche horizontale : La mise en place de l’union douanière

Alors en matière de mouvement des marchandises, on l’observe dans le cadre de l’OMC au


niveau du droit international économique, il est possible de concevoir de manière alternative
la mobilité des biens, soit au moyen d’une union douanière, c’est une notion présentant un
degré d’intégration normative très élevé, et c’est une notion qui met à la marge l’initiative
étatique, soit au moyen d’une zone de libre-échange, c’est un concept économique
permettant d’être plus attentif aux attentes des États, aux prérogatives nationales. Le droit
de l’Union Européenne lui a opté pour l’outil économique le plus performant, le moyen le
plus performant, le plus efficace en termes d’intégration économique : l’union douanière.
C’est pour ça que nous avons un système extrêmement intégré, c’est que l’union repose sur
une union douanière, nous n’avons pas de zone de libre-échange. C’est sûr que dans le cadre
d’une zone de libre échange les états membres seraient beaucoup plus souverains, il y aurait
des prérogatives nationales qui seraient maintenues. Là dans le cadre d’une union
douanière, vous avez une intégration normative très poussée, des interdictions, des
obligations, de sorte qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Et ça c’est le concept même de
l’Union douanière en droit économique, et l’Union a opté pour le concept le plus utile, le
plus performant en termes de résultat, à savoir l’union douanière. L’union douanière à cet
égard, est un exemple unique au monde, on a qu’un seul exemple celui de l’Union, la plupart
des ensembles d’États épousent plutôt la logique de la zone de libre échange où les États
demeurent souverains. L’Union douanière est un exemple unique au sein duquel les États
signataires appliquent un système uniforme pour le mouvement des marchandises, à la fois
en ce qui concerne l’importation et l’exportation mais également le transit (marchandises
qui traversent le territoire douanier). Cet ensemble met en œuvre un ensemble de règles
communes par l’adoption d’un Code des Douanes. Quelques mots sans rentrer dans les
détails : une révision importante de ce Code des Douanes aboutissant à la nouvelle mouture
qui va être adoptée et rentrera en vigueur en 2016, il régit le mouvement des marchandises
au sein de l’Union. D’abord les éléments de définition de l’union douanière.

Section 1 : Les éléments de définition de l’union douanière : une double composante

L’union douanière présente dans ses éléments de définitions une double composante : une
composante interne : obligation faite aux 28 États membres de supprimer les entraves, à
l’intérieur de la zone concernée, à l’occasion des échanges de marchandises, les échanges
intra-communautaires, les échanges commerciaux ; et une composante externe : mise en
place d’un TDC, tarif douanier commun, qui deviendra un des instruments de la politique
commerciale commune vis-à-vis des États tiers.

I. La composante interne

C’est l’une des composantes de la notion d’union douanière, c’est pour cela que c’est une
notion très intégrative. Elle permet à l’Union de se définir dans un premier temps comme un
ensemble homogène, c'est-à-dire qu’on a la suppression de tous les obstacles douaniers aux
échanges à l’intérieur des 28 États. Les 28 États constituent une entité unique, une entité
homogène au sein de laquelle, au niveau intra, au niveau interne, au sein de laquelle tous les
obstacles aux mouvements des marchandises disparaissent, les obstacles techniques,
douaniers (également personnes et capitaux mais on en reparlera). C’est pour ça qu’en tant
que citoyens, lorsque nous circulons dans l’Union nous ne voyons plus les frontières
physiques que constituent la douane car elles n’existent plus, elles reculent aux frontières
externes de l’Union pour les produits émanant des États tiers. C’est la conséquence de
l’Union douanière l’abolition des frontières physiques au sein de l’Union. Ces obstacles
traditionnellement en droit économique sont tarifaires (droits de douanes et taxes d’effets
équivalents) ou non tarifaires (quotas ou restrictions quantitatives et les mesures d’effets
équivalents). Ces obstacles doivent disparaître dans le cadre de l’union douanière. Il faut
préciser que la notion de mesures d’effets équivalents et de restrictions quantitatives
relèvent de la libre circulation des marchandises tandis que la notion de droits de douanes et
taxes d’effets équivalents relèvent plutôt de la notion d’union douanière. Mais il y a une
interaction entre les deux champs de sorte que cet ensemble renvoi à la fois à la suppression
des droits de douane et aux restrictions quantitatives. Donc c’est pour ça que c’est un
système extrêmement performant et intégratif c’est que vous avez une abolition de toutes
les frontières physiques à l’intérieur de la zone. Voyons la composante externe maintenant.

II. La composante externe

C’est cette fois par rapport aux États tiers. Dans ce cadre-là, au démantèlement interne
s’ajoute un processus externe à l’entité territoriale que constitue l’Union (Là sont visés les
États aux frontières externes de l’Union, c’est la question du franchissement des
marchandises, mais aussi des personnes, capitaux et services). C’est une composante
externe qui permet la définition homogène (mais pas nécessairement uniforme, chose que
nous allons revoir) des conditions d’entrée et de sortie des marchandises en provenance ou
à destination des États tiers. Dans le cadre de l’union douanière et à travers le système
économique proposé par l’union douanière, les États membres peuvent ainsi constituer une
force économique puissante, unique, uniforme et solidaire face à l’extérieur. Pas
nécessairement uniforme mais homogène car en effet contrairement à ce qu’on pourrait
croire la politique commerciale commune de l’Union dans laquelle s’insère la politique
douanière et l’union douanière, n’est pas nécessairement uniforme mais est homogène : on
essaye d’harmoniser au maximum les règles en la matière mais pas d’uniformité imposée.
Ainsi l’union douanière, eu égard à cette composante interne et externe, offre un contenu
beaucoup plus large que la zone de libre-échange. Cette dernière se caractérise par une
dimension interne uniquement, à savoir l’abolition des droits de douanes et des taxes
d’effets équivalents ou quotas et mesure d’effets équivalents à l’intérieur de la zone. Mais
dans la zone du libre-échange, les États demeurent pleinement souverains quant à leur
relation avec les États tiers, il n’y a pas de politique commerciale commune. Les États sont
souverains, ils décident de leur politique commerciale extérieure, c’est une compétence qui
relève des autorités nationales et il n’y a pas nécessité pour eux de définir une politique
commune. A titre d’exemple, on pourra citer l’AELE (Association Européenne de Libre
Échange) instituée par la convention de Stockholm en 1959, elle est précisément une zone
de libre-échange. Chacun des membres est pleinement compétent pour ce qui concernent
leurs relations avec les États tiers tandis qu’en interne ils établissent des obligations de ne
pas entraver les échanges. Il est indéniable, et tous les auteurs en conviennent, que la
conjugaison des deux dimensions (interne et externe) comme c’est le cas dans le cadre de
l’union douanière constitue un atout majeur et un facteur de stimulation du processus
d’intégration économique. Les conditions de convergence créées à l’intérieur du territoire
douanier sont applicables également, il faut le souligner, aux produits originaires des États
tiers qui circulent sous un régime de libre pratique. Le grand intérêt de cette logique
douanière, de cette logique économique, c’est que lorsqu’un État, un opérateur
économique, importe des produits, des marchandises d’un État tiers (que cet opérateur
économique soit situé au sein de l’Union ou à l’extérieur peu importe) donc lorsqu’il y a
franchissement de marchandises et donc pénétration sur le territoire de l’Union, ces
marchandises peuvent recevoir différents régimes douaniers et notamment un régime
extrêmement intéressant : le régime de la libre pratique. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que
si l’opérateur économique s’affranchit de toutes les taxes douanières à l’entrée, au
franchissement de la frontière et accomplit les formalités douanières requises (contrôles
sanitaires, vétérinaires, phytosanitaires, contrôles techniques etc.), à l’issu de ces contrôles
et de l’acquittement des formalités et taxes douanières, la marchandise est
communautarisée. Elle rentre dans le régime de la libre pratique, elle est considérée comme
une marchandise de l’Union et elle circule librement. Alors vous allez me dire que c’est ça
qui constitue une concurrence extrêmement difficile avec les produits que nous avons au
sein de l’Union, certes mais ça crée également un ressort économique formidable. C’est que
vous avez précisément une compétition qui s’instaure mais aussi pour l’historien que nous
sommes, on en a vu les conséquences et que nous avons évidemment une concurrence
intéressante et donc nécessairement un abaissement des prix notamment pour des
marchandises dont les prix étaient toujours très élevés. Donc il a quand même une
conséquence importante pour les consommateurs en ce qui concerne leur pouvoir d’achat.

Section 2 : La typologie des barrières douanières aux échanges

Alors dans le cadre de l’Union douanière, il convient également d’examiner la typologie des
barrières douanières aux échanges. On va en dire quelques mots sans rentrer dans le fond
du droit douanier car ce n’est pas l’objet du cours. Classiquement les barrières douanières
reçoivent plusieurs expressions, elles sont polymorphes ce qui explique dans une large
mesure la difficulté pour le droit de les saisir, de les appréhender. On a dans les barrières
douanières une neutralité qui est trompeuse car en réalité il y a une très grande complexité
à l’intérieur de ces barrières et une subtilité au niveau des circuits économiques que
traversent les marchandises. Classiquement en droit économique, on distingue les barrières
douanières selon qu’il s’agit de barrières tarifaires ou non tarifaires.

I. Les barrières tarifaires

Dans les barrières tarifaires, on a tout d’abord le prélèvement d’un droit. C’est la mesure
tarifaire par excellence, traditionnelle. C’est une mesure douanière qui permet de prélever
une taxe lorsque la marchandise entre dans l’Union à l’importation, ou à l’exportation
lorsqu’elle quitte l’Union. Le droit est prélevé sur le produit, le prix est fixé par l’autorité
douanière évidemment, et à partir de là, la marchandise sera affranchie de ce droit. Il existe
par ailleurs, dans le cadre de ses mesures tarifaires, des contingents tarifaires qui sont la
combinaison d’un quota et d’un tarif. Cela veut dire qu’au-delà d’une certaine quantité il y a
paiement d’une mesure tarifaire, d’un droit tarifaire.

II. Les barrières non tarifaires

Autre type de droit qui existe dans les barrières douanières, dans le droit économique de
l’Union, il s’agit des mesures non tarifaires. Il a trois appellations en la matière : le quota, le
contingent et la prohibition. Les mesures non tarifaires dites également quantitatives, sont
régies par l’union douanière, se définissent comme des mesures ayant le caractère de
prohibition, totale ou partielle, à l’importation, à l’exportation ou au transit (qui peut faire
l’objet également de restriction aux échanges et qui peut être source de contentieux devant
le juge comme dans le cadre d’un système de contingent par exemple). Alors ce sont des
restrictions quantitatives qui sont appliquées dès l’instant que certains plafonds
d’importations ou d’exportations sont franchis, à partir de là est activé l’application d’un
droit. Il convient de souligner que l’article 34, TFUE, qui régit les mesures d’effets équivalents
vise les contingents qui n’ont pas un caractère tarifaire tandis que les contingents tarifaires
sont régis par l’article 30, TFUE, sur lequel on reviendra. Les instruments de restrictions
ordinaires, poursuivent un objet identique aux précédentes barrières, à savoir de restreindre
les échanges.

A. Le quota

D’abord le quota, qui a souvent pour synonyme le contingent, c’est la forme la plus classique
de restriction quantitative, il vise une limitation de la quantité autorisée à l’importation et à
l’exportation et qui peut aboutir dans certaines hypothèses à une prohibition. On a le
mouvement inverse pour l’exportation.

B. Le contingent

Il faut cependant distinguer comme on le fait en droit économique le quota qui limite en
pourcentage une catégorie de marchandises dont l’exportation ou l’importation est
annuelle, du contingentement qui est une limitation quantitative annuelle des marchandises
qui sont importées. Il y a donc une nuance entre les deux notions.

C. La prohibition

Autre remarque concernant la prohibition, elle vise un nombre limité de marchandises. Dans
le cadre de l’Union certaines marchandises font l’objet d’une prohibition ce sont des champs
très limités, on va donc citer les stupéfiants, les objets à caractère pornographiques ou les
espèces animales ou végétales, qui font l’objet de prohibition pour des raisons de police. Il
existe d’autres instruments de restrictions dans cette catégorie des barrières non tarifaires,
on va simplement les citer : les dépôts préalables permettant d’obtenir des autorisations ou
encore les licences. Alors tous ces obstacles douaniers tarifaires et non tarifaires sont dans le
cadre de l’Union douanière supprimés sous certaines réserves (pornographie, stupéfiants,
espèces animales etc.).

Section 3 : Le caractère attractif de la notion de marchandise

Autre observation concernant l’Union douanière, il s’agit de la notion de marchandise et de


son caractère attractif. Alors que le traité interdit toute forme d’entrave lors des échanges
de marchandises, la notion de marchandise n’est pas définie par les traités. C’est souvent
une démarche plutôt classique du législateur et des rédacteurs des traités qui s’abstiennent
de définir les notions pour permettre aux juges de l’Union mais aussi au législateur lui-même
de les conceptualiser. La disposition qui régit le marché intérieur, l’article 28, TFUE, dispose
sommairement que « l’Union douanière s’étend à l’ensemble des échanges de marchandises
» tandis que dans d’autres dispositions du traité le terme de marchandises est également
utilisé mais aussi le terme de produits. Vous avez donc une double terminologie
produits/marchandises dont use la Cour de justice de manière aussi indifférente mais aussi
le législateur. En fait la formulation de l’article 28 TFUE démontre qu’en fait la notion de
marchandises vise tout type de marchandises à l’exception des armes qui font l’objet d’un
régime spécifique visé aux articles 346 à 348, TFUE. A l’exception des armes toute forme et
tout type de marchandises est visé dans le champ d’application matériel de la notion de
marchandise. Comment expliquer ce laconisme propre à la notion de marchandise ? De
nouveau, c’est la volonté des rédacteurs des traités de donner une large assise à la notion et
donc pas se limiter à des définitions préétablis, formalisés qui pourraient effectivement
restreindre la portée de cette disposition. Il vaut mieux s’abstenir de définir la notion ou le
concept dans le cadre des dispositions des traités pour permettre au législateur une plus
large marge d’action mais aussi aux juges de l’Union dans le cadre de l’action contentieuse.
Alors à cet égard bien sûr, le juge de l’Union ne s’en privera pas puisqu’il y aura un arrêt de
principe important : l’arrêt Œuvre d’art. A l’occasion de cet arrêt, vous avez un apport
jurisprudentiel important quant à la définition de la notion de marchandises. La Cour de
justice a donc précocement libéré de toute contrainte textuelle, puisqu’on n’avait pas grand-
chose (l’article 28 donnait deux mots sur la notion de marchandises). La Cour de justice
s’inscrira dans une démarche pragmatique, certains diront mercantiles (les opposants) mais
on le verra c’est en fait une démarche très pratique qui souligne une conception extensive
de la notion c’est pour cela qu’on parlait de caractère attractif. C’est dans le célèbre arrêt
Commission c/Italie, Œuvre d’article, du 10 décembre 1968, communément appelé l’arrêt
œuvre d’art, que la Cour définira la marchandise comme « tout produit appréciable en
argent et susceptible comme tel d’être l’objet de transactions commerciales ». En ce sens on
peut considérer donc que la notion de marchandise est attractive puisqu’elle vise à la fois les
objets qui sont régis par les règles de l’union douanière mais aussi tout objet quelle que soit
sa nature, son caractère matériel ou immatériel, quelle que soit sa destination. Alors on va
donner quelques exemples. Concernant la nature de l’objet nous avons le cas des animaux
domestiques ou sauvages (Commission c/Belgique, 2009), on va citer également le cas du
sang humain considéré comme une marchandise en droit de l’union (Human Plasma, 2010),
les déchets sont considérés comme marchandises (Commission c/Belgique, 1992), donc la
nature de la marchandise est indifférente pour emporter qualification de la marchandise.
Concernant le caractère matériel ou immatériel, citons l’exemple de toutes les formes
d’énergie (eaux, gaz, électricité) toutes les énergies sont considérées comme des
marchandises. Concernant la destination, quelle que soit sa destination on peut à nouveau
citer l’arrêt Commission c/Belgique de 1992 sur les déchets. On a donc une appréhension
extrêmement large des marchandises. C’est ainsi que sont considérés, autre exemple,
comme marchandises les œuvres d’art (Arrêt Commission c/Italie de 1968). Autre arrêt
intéressant sur les œuvres d’art, l’arrêt Thompson de 1978 sur les pièces d’argent qui n’ont
plus cour légale et qui sont considérés comme des marchandises. Si la pièce d’argent a cour
légale, elle rentre dans la libre circulation des capitaux donc d’une manière ou d’une autre, il
y a une libre circulation qui s’impose. Également les billets de banques et les chèques, sont
considérés comme des marchandises s’ils ne sont pas au cour légal également les déchets
s’ils ne sont pas recyclables dès lors qu’ils font l’objet d’un échange. En revanche,
l’attractivité de la notion est inopérante lorsqu’il s’agit d’appliquer le régime juridique propre
aux marchandises aux autres libertés. En effet, de manière systématique le traité fait la
distinction entre la notion de marchandises (certes très large) et la notion de services. Alors
vous me direz mais de toute façon, in fine il y a une liberté de circulation qui s’applique, libre
circulation totale. Certes, mais le régime juridique est différent. La Cour et le législateur
s’attache à établir cette distinction entre marchandise et service afin de différencier les
régimes juridiques. Citons un exemple de la Cour qui a été amenée à se prononcer sur des
litiges qui mettent en présence à la fois le principe de libre circulation des marchandises et
celui des services et également des personnes dans certaines affaires et elle a insisté
énormément sur ces affaires pour faire valoir qu’il faut distinguer les deux. On ne peut pas
considérer que parce que ces régimes sont guidés par un principe de liberté on peut les
appliquer de manière indifférenciée. Seules les marchandises sont soumises au régime de
libre circulation des marchandises et en aucun cas aux autres libertés, sauf s’il ressort que les
marchandises en cause constituent un accessoire nécessaire à une autre liberté. Ainsi
peuvent être considérées comme marchandises les signaux de télévision, les droits de
pêches et les permis de pêche parce qu’il y a un élément accessoire indispensable à
l’accomplissement de la liberté principale.

Section 4 : La mise en place progressive de l’union douanière

Quelques mots sur le calendrier, pour savoir un petit peu comment historiquement l’Union
s’est constituée. On va voir que très rapidement ça a été une réalisation progressive certes
mais qui a donné lieu à des résultats très probants. Alors le principe de l’Union douanière,
ayant été arrêté dans les traités à la faveur de l’article 28, TFUE, dans sa version originaire le
traité CE indiquera avec précision (donc je dis bien dans sa version originaire puisque les
dispositions on va le revoir on toutes étaient abrogées, certaines étant caduques il était
nécessaire de les abroger) et donc le traité dans sa version originaire indiquera avec
précision la procédure à suivre et ce à la faveur d’un calendrier. Ce qu’on appellera le
calendrier de désarmement ou démantèlement douanier, en application des articles 9 à 35
(ces dispositions ont été abrogés puisqu’elles étaient caduques par le traité d’Amsterdam).
Alors le calendrier était très précis, très technique et effectivement il a fonctionné. La
démarche était habile, d’accompagner ce démantèlement sur un calendrier avec des dates
butoirs car s’il fallait s’en tenir aux États il était certain qu’il y aurait une mauvaise volonté ou
une désinvolture dans l’action à accomplir, il valait mieux donc encadrer cette action à partir
d’un calendrier. L’instauration de l’union douanière reposera sur 4 leviers, qui vont se
révéler pertinents puisqu’ils permettront la réalisation de l’Union douanière avant
l’échéance prévue. Il faut le souligner car c’est assez rare, en droit de l’Union les États
membres trainent un peu des pieds, avant l’échéance prévue l’union douanière était
constituée et les produits, les marchandises circulaient librement au sein de ce marché
commun à l’époque au nous étions que six évidemment. Premier ressort, le maintien des
situations existantes.

I. La mise en place de l’union douanière en 4 leviers

A. Le maintien des situations existantes


C’est assez classique en droit économique, il faut geler des situations existantes. Les États
membres étaient liés par l’obligation de respecter un statu quo, un gel, au travers d’une
clause, clause de gel ou stand still, c’est un processus qu’on appelle en droit économique
effet de blocage, et ce tant en matière de droit de douane que pour les restrictions
quantitatives pour les quotas, aussi bien à l’importation qu’à l’exportation. Cette mesure les
obligeaient implicitement à maintenir ces droits de douane au même niveau, l’intérêt c’est
qu’avec ce gel on maintenait les droits au même niveau. C’était donc le premier levier, la
première mesure, très bien menée, pendant un certain temps les États ne pouvait plus
toucher à leurs contingents ou à leurs droits de douane. Deuxième levier, l’élimination
progressive des droits de douane et des restrictions quantitatives.

B. L’élimination progressive des droits de douane et des restrictions quantitatives

Le traité établissait un calendrier précis qui s’étalait sur une période de transition composée
de trois étapes. La première étape commençait le 1er janvier 1958, date de l’entrée en
vigueur du traité, au 1er janvier 1970. En réalité cette étape a été terminée en 1968 ou en
1969 tant la réalisation du traité était un succès. Pour chaque étape de la période de
transition il y avait un dispositif de mesures. A l’intérieur de ces trois phases il y avait à
chaque fois un arsenal de mesures définis avec les dates butoirs et un calendrier de
réalisation précis. La définition de l’échéancier était une approche probante et utile
puisqu’elle a été couronnée de succès avec la réalisation de l’union douanière 18 mois à
l’avance par rapport à la date butoir fixée au 1er janvier 1970. Quel est l’intérêt du
calendrier en matière douanière ? Un calendrier, c’est-à-dire un système d’échéancier avec
des dates butoirs, permet aux États membres de s’adapter en douceur aux nouvelles règles
et de les rendre compatibles avec leur ordonnancement interne, c’est-à-dire avec l’ordre
juridique interne. C’est pour cette raison qu’à l’occasion de chaque élargissement un traité
d’adhésion qui lie l’État entrant à l’Union précise une période de transition qui permet à
l’État de mettre à jour son ordonnancement interne par rapport aux règles douanières qui
sont très intégratives, c’est d’ailleurs une des conditions fixées pour l’entrée au sein de
l’Union, l’État doit être en mesure de se conformer aux dispositions juridiques de l’Union
douanière. L’élimination programmée des droits de douane et des restrictions quantitatives
selon un calendrier a bien marché.

C. L’accélération du calendrier

Troisième levier, l’accélération du calendrier. Les États-membres avaient en fait la faculté, en


application des articles 9 à 35, aujourd’hui abrogées, d’accélérer, au regard des progrès
accomplis, le processus de désarmement douanier, c’est la clause d’accélération, de sorte à
ce que l’union douanière a pu être achevé au 1er janvier 1968. Les États membres ont activé
cette clause, c’est un fait assez rare, et donc au 1er janvier 1968 l’union douanière était
achevée pour les produits industriels et au 1er janvier 1970 pour le reste, pour les produits
agricoles, etc.
D. La mise en place du tarif douanier extérieur commun (TDC)

Quatrième clause, la mise en place du TDC ? C’est un règlement historique du Conseil de


1968 qui établira le TDC aux frontières extérieurs de l’union douanière. Il a été établi par une
moyenne arithmétique ayant pour objectif un rapprochement des quatre tarifs douaniers
qui étaient en vigueur. En effet, il n’y avait que quatre tarifs douaniers parce qu’on avait la
France, l’Allemagne, l’Italie, mais le Benelux était déjà une union douanière, moins intégrée,
mais il y avait déjà un tarif douanier qui les liaient. Après la constitution de cette union
douanière avec cette définition du calendrier, parallèlement l’ouverture des contingents se
mettait en place.

II. L’ouverture parallèle des contingents (des restrictions quantitatives)

Avant la date d’entrée en vigueur du traité du Rome, c’est-à-dire le 1er janvier 1958, les
États membres maitrisaient pleinement les contingents nationaux. Les États membres
pouvaient établir des quotas, des restrictions, pour les marchandises qui entrait sur leur
territoire ou le quittait. La maitrise des contingents nationaux relevait de la compétence des
autorités nationales, qui exerçaient un contrôle ainsi dû dans la matière, en exigeant par
exemple des documents particuliers, comme une licence d’importation ou tout autre
document qui avait un caractère obligatoire. A partir du 1er janvier 1958, la politique des
contingents prendra fin de manière progressive, à l’instar de ce qui va se produire pour le
désarmement douanier. Les États membres seront tenus en effet aux termes des articles 31
et suivants, plus précisément pour le contingent ce sont les articles 31 et 32, dispositions
aujourd’hui abrogées, de s’abstenir d’introduire de nouvelles restrictions (c’est ce qu’on
appelle l’effet de blocage, de gel), à partir duquel nous assisterons de manière presque
mécanique à l’ouverture des contingents. Les contingents vont s’ouvrir au début de manière
bilatérale et après de manière multilatérale, c’est ce qu’on appelle l’élargissement des
contingents, jusqu’au 31 décembre 1969. En 1970 les contingents ont complètement
disparu.

III. L’union douanière et les élargissements

En somme, au premier janvier 1970, l’union douanière était constituée tant pour les produits
industriels que pour les produits agricoles et les contingents. Il n’y avait plus de barrières
douanières entre les six, il n’y avait plus de tarifs douaniers, de contingents, de restrictions
etc., aux frontières intérieures sous réserve de dérogations, on examinera plus tard les
dispositions juridiques à cet égard, et aux franchissements externes un TCD était mis en
place.
A chaque élargissement, lorsque l’Union s’élargira deviendra une Union à 9, à 12, à 15, à 25,
27 et aujourd’hui à 28, à chaque élargissement il y a des traités d’adhésion qui appliquent
ces règles douanières à l’État entrant ou aux États entrants. C’est pour cela que de nouveau
il faut souligner la capacité d’intégration de cette nomenclature douanière et c’est une
condition et d’ailleurs c’est un des chapitres les plus ardus dans l’adhésion d’un État, c’est
d’être capable d’intégrer cette réglementation douanière et de supporter la pression
concurrentielle. En effet, dans la logique néolibérale de l’union il y a une très forte pression
concurrentielle entre les entreprises et il faut que les entreprises puissent la supporter. Il
s’agit en effet d’une condition dans le cadre de l’arrivée d’un État, cet État doit avoir une
économie libérale et cet État doit avoir des infrastructures économiques, industrielles, qui
puissent supporter la pression concurrentielle et s’adopter aux règles douanières qui sont
très denses et très importantes. Donc l’union douanière avait été constituée au 1er janvier
1970.

IV. L’union douanière aujourd’hui

Aujourd’hui l’union douanière s’étend sur un territoire composé de 28 États, d’où son
exceptionnalité dans l’ordre international. La gestion matérielle est en bloc, il y un
dessaisissement total des compétences nationales, tout est au profit de l’autorité de l’union.
La réglementation douanière est dense et elle s’articule à la faveur d’un tarif douanier
extérieur commun. Quelques mots sur le territoire douanier commun.

A. Territoire douanier commun

L’union douanière réponse sur un territoire à l’intérieur duquel circule les biens. La
délimitation du territoire douanier est une source de complexité et source de contentieux au
niveau de l’union. En fait le droit de l’union, les traités, n’alignement pas les limites du
territoire douanier sur les frontières physiques, géographique, ce n’est pas du tout la même
délimitation, et donc les traités n’alignement pas le territoire sur les frontières physiques des
États. La raison est évidente : on ne voulait pas froisser les sensibilités des uns et des autres
et il y avait des intérêts géopolitiques des uns et des autres. Pour ne pas remettre en cause
les particularismes géopolitiques de certains États, déjà à 6, mais aujourd’hui à 28, les traités
ne s’alignent pas sur des délimitations physiques. De sorte qu’aujourd’hui le territoire
douanier est défini par les traités, c’est le territoire des 28 États, à l’exception de certaines
îles ou de certains territoires, mais qui sont définis textuellement par les traités.

B. La gestion en bloc

Rappelons que le droit de l’Union est régi par un principe d’administration indirecte, c’est-à-
dire que dans les chefs de compétences qui sont complètement exercées par l’autorité de
l’union il existe malgré tout une intervention des États membres. En effet, l’Union ne dispose
de voies d’exécution. Certes ses compétences sont entières c’est le cas de l’agriculture, dans
le cadre de la PAC il n’y a pas de compétences nationales, tout est décidé au niveau de
l’Union, c’était un transfert de compétences total, c’est également le cas pour l’union
douanière qui est régie par le droit de l’union, donc les États membres ne peuvent pas agir
de manière unilatérale, c’est toujours dans le respect des règles des traités, c’est également
le cas dans une moindre mesure dans la concurrence, cela dépend de domaine, mais en
matière de concentration, d’aide d’État, dans le cadre d’entente à position dominante ce
sont les compétences exclusives de l’UE. Il existe donc des domaines entièrement régis par
le droit de l’Union. Dans ces domaines c’est bien sûr l’Union qui agit, mais l’Union n’a pas de
voies d’exécution et donc par ce fait là nécessairement elle ne peut agir que par l’entremise
des États membres, c’est ce qu’on appelle en droit international le principe d’administration
indirecte. On utilise en fait l’appareil administratif, policier, donc répressif et judiciaire de
l’État pour agir. Dans le cas de l’Union douanière les États sont dessaisis de certaines de leurs
compétences, mais la compétence d’exécution est exercée par les autorités nationales parce
qu’elles ont l’appareil administratif (douane, etc.) nécessaire pour agir dans ces domaines.

C. L’évolution de la codification douanière

Aujourd’hui dans le cadre de cette gestion en bloc nous avons un code des douanes de
l’Union, le CDU, qui l’instrument majeur de l’intégration douanière. Le code des douanes
constitue donc un instrument important puisqu’il permet de rassembler en un seul
document assez dense l’ensemble des règles en matière douanière. Ce sont donc les règles
applicables, les régimes applicables aux marchandises et les procédures applicables à ces
différentes marchandises dès l’instant que la marchandise entre ou sort du territoire des 28
États.

1. La création du code de douanes communautaire CDC

L’intérêt du code des douanes qui a été consacré dans les années 90, qui est aujourd’hui un
outil indispensable, est de codifier dans un texte unique le champ d’application, les
définitions, les notions, les dispositions de base qui constituent ce droit douanier. Quelques
mots sur la codification douanière. Le code de douane communautaire (le premier), le CDC, a
été adopté par un texte historique en 1992, par le règlement du Conseil du 12 octobre 1992.

2. Le code de douanes modernisé CDM

Il y a eu une première révision en 2008 qui a bien modernisé ce code des douanes, révision
intervenue et adoptée par le Conseil et Parlement dans le cadre de la procédure de
codécision (procédure législative ordinaire) pour épouser l’évolution de la réalité les
opérations douanières d’aujourd’hui. Ce code des douanes, qui a été appelé le code des
douanes modernisé, le CDM, a été adopté en 2008 par le parlement et le conseil. Le CDM
avait pour ambition d’opérer à la fois une modernisation du droit douanier et une
simplification de certains aspects du processus douaniers. L’idée c’était, parce que dans les
années 1970-80 il y avait une frénésie de production, de produire une législation douanière,
textes, moins complexe, moins aride, pour les opérateurs économiques qui vont être
amenés à être saisis de ces différents aspects-là. Une législation moins complexe, plus
simplifiée et moderne pour permettre une accessibilité au droit et aux normes. Il y une
véritable volonté du législateur de rendre le droit de l’Union, qui est l’ossature de la
construction européenne. La construction européenne a été véritablement guidée par la
construction d’un droit. Le droit on le constate au quotidien, il y a une production dans la
matière qui est importante et objectivement, on peut le voir en tant que juriste, dans les
années 1970-80 il y a eu une frénésie des textes, des textes très techniques, très arides et
difficiles d’accès pour le justiciable ordinaire, ce qui renforçait la méfiance vis-à-vis de la
construction européenne. Donc à partir de 1990-2000 il y a eu une prise de conscience réelle
de la nécessité de moderniser cet ensemble législatif, le rendre plus accessible et plus
simple. La norme n’a d’intérêt que si elle est appliquée, mais avec la connaissance du texte, il
n’est donc pas utile de faire des normes techniques, complexes, que personne ne comprend.
Il y a eu donc une véritable volonté de la part du législateur de simplification du droit et de
clarification afin de rendre la législation moins complexe et plus accessible aux justiciables.

3. Le Code des douanes de l’Union (CDU), révolution informatique du droit des douanes

Récemment, le code des douanes, le CDM, a de nouveau été réformé, le 9 octobre 2013 par
un nouveau règlement qui établit le nouveau CDU, le code des douanes de l’Union. Mais le
code des douanes de l’Union n’est pas encore applicable, pour l’instant c’est encore le CDM,
le CDU sera applicable le 1er juin 2016. Certaines dispositions, assez marginales, sont
entrées en vigueur en 2013, mais le CDU sera applicable pleinement en 2016. Parce que le
CDU a introduit une révolution quasi technologique et informatique au niveau douanier
entre les 28, de sorte à ce qu’il faille une nécessité d’adaptation à ces nouvelles
technologies. Le grand intérêt, c’est qu’il abroge l’ancien code des douanes, le CDM de 2008,
il réforme également le CDC de 1992. Le CDC sera donc pleinement abrogé en 2016. Le CDU
s’inscrit dans cette logique de modernisation, de simplification, de la transparence de droit
pour les opérateurs économiques qui sont confrontées aux échanges à l’importation ou à
l’export, puissent comprendre les textes. La mise aux normes du nouveau règlement dépend
des procédés informatiques et technologiques assez pointus, d’où son applicabilité
uniquement en 2016, c’est un ensemble de traitements de données qui se fera de manière
informatique, les systèmes informatiques sont entièrement révisées au niveau de la
commission. La refonte des instruments de données électroniques doit être mise en place au
plus tard avec l’entrée en vigueur du nouveau code pour 2020, qui est la date butoir de la
mise en place complète de ces règles nouvelles en matière douanière, c’est ce qu’on appelle
le programme douanes 2020, à la faveur de CDM qui sera applicable en 2016.

D. Les principes de l’exécution par les États des compétences douanières de l’Union
européenne

1. Principe de l’administration indirecte

Sur cette exécution nous avons le code des douanes, mais l’exécution matérielle repose sur
les États membres à la faveur du principe de l’administration indirecte. L’union douanière
constituée, elle est en marche depuis 1970, repose donc dans son application sur les États
membres, nécessairement, parce que ce sont uniquement les États qui disposent de
l’appareil administratif, judiciaire et répressif pour agir. Il faut cependant souligner qu’au fur
et à la mesure des traités de révisions, notamment d’Amsterdam, de Nice et dans une
moindre mesure Lisbonne, il y a eu la volonté de communautariser l’exécution de ce droit
douanier. A chaque fois les traités rappellent que l’exécution n’est que déléguée, elle est
confiée à l’autorité nationale parce que celle-ci dispose de l’appareil dans la matière, mais il
demeure que concrètement l’application des règles repose sur les États. L’efficacité du
système ne peut reposer que de manière intégrale sur les autorités nationales parce que le
droit douanier requiert un fonctionnement, une application quotidienne et matérielle très
pointu et il a donc que des États qui peuvent le faire de manière quotidienne parce qu’ils ont
les moyens logistiques et notamment des administrations qui sont dotées à cet effet.

2. Principe de coopération loyale

A cela nous ajouterons également qu’à côté du principe de l’administration indirecte, les
États membres sont liées par le principe de l’obligation de coopération loyale entre eux,
mais aussi à l’égard de l’Union. C’est ce qu’on appelle la clause de coopération loyale, la
solidarité entre les États. Les États membres ne doivent pas constituer des entraves,
s’opposer, au contraire ils doivent faciliter l’application du droit de l’Union (article 4 §3 du
TUE). Il s’agit d’une disposition majeure qui permet, en la conjuguant au principe de
l’administration indirecte, de s’assurer que le droit de l’Union est exécuté au niveau national.

E. Double étape requise pour l’entrée de la marchandise dans l’union douanière

Toujours dans le cadre de l’Union douanière, on fera valoir que lorsqu’une marchandise
entre dans l’Union elle doit faire l’objet d’une taxation et ensuite elle est soumise à
l’accomplissement des formalités douanières. C’est au gré de cette double étape, la taxation
et les formalités douaniers, que la marchandise est communautarisée, lorsqu’elle entre dans
l’Union, elle entre dans le régime de libre pratique.

II. L’éradication des obstacles aux échanges

Chapitre 2 : L’approche verticale : l’éradication des obstacles aux échanges

L'union douanière étant achevée, il convient de s'attacher à l'éradication des obstacles aux
échanges qui sera notre propos à venir, obstacles persistants en réalité, en dépit de l'union
douanière. En effet on s'apercevra assez rapidement que l'intégration douanière allait
rapidement apparaître comme une première étape du processus. Une étape réussie, en effet
quelque chose comme je vous l’ai dit tout à l'heure couronnée de succès, mais une première
étape d'un processus beaucoup plus ample, plus dans la durée, un processus, un dispositif
d'ensemble qui vise à l'approfondissement économique. En réalité dans le cadre du dispositif
législatif mis en place, les États membres étaient tenus de supprimer les droits de douanes
ainsi que les restrictions quantitatives, c'est-à-dire les droits de douanes, les contingents et
les interdictions d'importation et d'exportation, exportations dont l'élimination fut acquise
comme pour les droits de douanes avec la même diligence au cours de la période de
transition soit au 1er juillet 1968. Au 1er juillet 1968 et au 1er janvier 1970 les contingents et
le droit de douane étaient supprimés. Mais l'achèvement du marché commun ne pouvait pas
se contenter de ce seul désarmement douanier et de l'abolition des contingents, car très
rapidement à ces obstacles traditionnels du droit économique qui sont familier du droit
international économique, vont surgir de manière beaucoup plus subtile d'autres formes de
résistance aux échanges. Celles-ci ont pour caractéristiques communes d'agir de manière
déguisée sur les échanges et d'avoir des influences beaucoup plus importantes, plus
prépondérantes, sur les mouvements des marchandises. Le caractère non exposé, c'est à
dire dissimulé des obstacles, accentue toujours d'une manière systématique sa portée
restrictive sur les échanges. Évidemment les rédacteurs des Traités n'étaient pas indifférents
à ce type de mesure, bien au contraire, ils avaient prévu une union douanière, l’abolition des
droits de douane et des restrictions quantitatives et l'abolition de ces autres formes
insidieuses. En effet évoqués d'une manière sommaire par les Traités dans les articles 30, 34
et 35 du TFUE, les taxes d'effet équivalent à des droit de douanes (article 30) et les mesures
d'effet équivalent à des restrictions quantitatives (articles 34 et 35) connaitront un essor au
lendemain de la constitution de l'union douanière au 1er janvier 1970. Ces obstacles feutrés,
déguisés constituent en réalité le seul ressort, le seul moyen efficace pour contourner
l'interdiction des obstacles aux échanges et pour demeurer sur des postures néo
protectionnistes. Pendant de longues années ces obstacles seront un frein sensible à
l'achèvement du marché commun et c'est pour cela que peu avant l'adoption de l'Acte
Unique européen en 1986 (cf. l'enseignement du droit institutionnel ou est évoqué la
question des traités de révisions), la Commission sous l'égide du président Delors adoptera
un livre blanc dans lequel elle dressera un bilan sévère sur l'état des obstacles aux échanges
qui demeurent. Jacques Delors ancien ministre français de l'économie et des finances est
nommé président de la commission, et là il dit qu'il faut faire un audit de la situation du
marché commun. Ce marché commun s'essouffle ne fonctionne pas, s’essouffle. Notre union
douanière est bien constituée, elle marchait très bien au départ, il se passe donc quelque
chose. La commission Delors dresse un constat extrêmement sévère des obstacles et dans ce
rapport qui sera publié sous la forme d'un livre blanc, le célèbre livre blanc de la commission
Delors de 1985, faisant valoir qu’il y a des obstacles techniques persistants, des barrières
sournoises aux échanges et qu'il convient nécessairement d'agir de manière impérative pour
les démanteler. Ce livre blanc ne sera pas un document anodin, c'est un document quasi
historique de la construction européenne, puisque ce livre sera l'une des sources
d'inspiration, une des plateformes pour l'Acte Unique européen (cf. cours sur le droit
institutionnel). Mais parmi les éléments instigateurs de l'acte unique européen qui vont
insuffler la dynamique il y aura ce livre blanc de la commission 1985. Dans ce document, ce
constat fait valoir qu'il faut agir. Les réponses institutionnelles à cette demande
interviennent dans le cadre de l'acte unique européen puisque je vous rappelle que l'Acte
Unique européen étendra le champ d'application du vote majoritaire, et permettra ainsi de
recourir au vote majoritaire dès l'instant est en cause une harmonisation entre les États
membres. À cet égard dans le cadre de l'éradication des obstacles aux échanges, on
observera très rapidement qu'il y a 2 formes d'entraves sournoises aux échanges, qui sont au
demeurant évoquées textuellement dans les traités mais comme vous pouvez le supposer
sommairement : d’une part les taxes d'effet équivalent et d'autre part les mesures d'effet
équivalent.
III. Les taxes d’effet équivalant à des droits de douane

Section 1 : Les taxes d’effet équivalant à des droits de douanes


Il convient dans un premier temps pour nous d'examiner la taxe d'effet équivalent à un droit
de douane (TEEDD) parce que finalement lorsqu'on regarde un petit peu l'histoire de ces
droits douaniers, c'est la taxe d'effet équivalent à un droit de douane et la mesure d’effet
équivalent qui vont être des éléments perturbateurs lorsque l'union douanière a été
constituée. Ce sont vraiment les obstacles les plus persistants qui vont bien entendu mettre
à mal l'intégration économique. Les traités fondateurs et les traités de révision ne donnent
aucune définition de la taxe d'effet équivalent à un droit de douane. Ils se contentent
simplement d'en interdire la pratique. En effet, nous rappellerons que l'article 30, TFUE, sur
la taxe d'effet équivalent à un droit de douane l'évoque sommairement, laissant ainsi une
relative incertitude. Elle est simplement citée en fait. L'union douanière interdit les droits de
douane et taxes d'effet équivalent. Elle est simplement citée, donc évoquée, laissant ainsi
une relative incertitude quant au contenu de la notion. Cette incertitude deviendra
rapidement un atout car elle permettra aux juges de l'Union de disposer d'une marge de
manœuvre appréciable pour surmonter le silence des traités.

I. Une appréhension extensive de la notion

Première observation que l'on peut faire, c’est que la taxe d'effet équivalent à un droit de
douane s'est prêtée comme on peut s'en douter à une appréhension extensive, à un contenu
très large, voulu par le juge de l'Union. La Cour de Justice en effet définira de manière
précise la taxe d'effet équivalent à un droit de douane comme une charge pécuniaire qui,
quelle que soit son appellation et sa technique, constitue un droit imposé de manière
unilatérale à une marchandise nationale ou étrangère à l'occasion du franchissement de la
frontière. C'est le célèbre arrêt Commission contre Luxembourg du 14 décembre 1962.
Depuis cette célèbre définition donnée par la Cour, il est bien expliqué que, qu'il s'agisse
d'importation ou d'exportation, ce type de droit est qualifié de taxe d'effet équivalent.
Indépendamment quant à la charge pécuniaire, indépendamment du lieu où est perçue
cette charge dès l'instant où il y a franchissement de la frontière et qu'on perçoit un droit.
Mais la Cour ira beaucoup plus loin dans son appréhension de la taxe d'effet équivalent à un
droit de douane, pour lui assurer une large assise. Premier critère de qualification donc, le
franchissement de la frontière.

A. Fait générateur de la taxe : le franchissement de la frontière

On observe que la Cour en fait, et c’est pour cela qu'elle va donner une force à cette notion
et une assise très large, la Cour ne retiendra en fait comme seul élément déterminant dans
la qualification que le fait générateur, qui est le franchissement de la frontière. Elle reste en
revanche parfaitement indifférente au mode ou au lieu de perception de la taxe, à sa nature
ou à son montant. Ce sont des éléments qui ne sont pas important dans la qualification de la
taxe d'effet équivalent à un droit de douane. Ce qui est important, lorsqu'on examine un
droit perçu, c'est le franchissement de la frontière. S'il y a franchissement de la frontière et
droit perçu, c'est qu'on est face à une taxe d'effet équivalent à un droit de douane.

B. Critères auxquels la Cours est indifférente

1. La perception ultérieure de la taxe

A cet égard, la taxe pourra évidemment porter sur une perception qui aurait lieu soit au
moment de l'importation, soit ultérieurement, c'est-à-dire ultérieurement à l'intérieur d'un
État membre, dès l'instant que c'est le fait générateur, le franchissement d'une frontière.
Évidemment, les juges de l'Union ne sont pas dupes, on sait très bien que les États membres
peuvent très subtilement retarder la perception de la taxe pour éviter que le critère du
franchissement de la frontière soit opérant. Donc la Cour n'est pas dupe, elle a fait valoir très
rapidement que même la perception peut avoir lieu ultérieurement. C'est bien le fait
générateur qui doit être le franchissement d'une frontière.

2. L’absence de discrimination

Autre intransigeance de la Cour qui démontre cette large assise de la notion, la Cour est
indifférente au fait que le droit donc perçu n'a pas un effet discriminatoire ou
protectionniste. Même si le droit est indifférent, il n'est pas discriminatoire. Le fait que le
droit ne frappe pas que les produits importés ou exportés, ce n'est pas un problème dès
l'instant qu'il y a un droit perçu. Là aussi, on connait trop bien les mesures dites neutres (on
en reparlera pour les mesures d’effet équivalent) : les mesures qui ont une neutralité
apparente. En réalité derrière cette neutralité se cache une discrimination. Dès l'instant
qu'une mesure frappe un produit, même si ce n'est pas de manière discriminatoire,
uniquement le produit importé, il y aura taxe d'effet équivalent à un droit de douane
qualifiée. C'est le cas des produits qui ne sont pas en concurrence. Un État membre peut
faire valoir devant la cour que ce n'est pas une taxe d'effet équivalent à un droit de douane
puisque ce n'est pas discriminatoire, le produit n'étant pas en concurrence avec d'autres
produits nationaux. C'est un moyen irrecevable, la Cour dira qu'il y a taxe d'effet équivalent à
un droit de douane parce qu'il y a eu un élément déclencheur, générateur, le franchissement
de la frontière. La Cour considère en effet qu'il n'est pas déterminant pour emporter la
qualification de taxe d'effet équivalent à un droit de douane que le produit soit en
concurrence directe ou indirecte avec un autre produit sur un État membre.

3. L’indifférence au montant

La Cour n'exige pas non plus un certain montant, la charge pécuniaire étant indifférente.
Une taxe d'effet équivalent à un droit de douane peut être minime. C'est ainsi que la Cour
considère qu'une taxe qui est pourtant perçue de manière indistincte, indifférente, non
discriminatoire, sur les produits nationaux et les produits importés peut être considérée
comme une taxe d'effet équivalent à un droit de douane si la charge qui pèse sur les produits
nationaux est compensée (voyez le cheminement subtil). In fine, la charge perçue sur le
produit national est compensée intégralement, de manière directe ou indirecte, par l'État,
c'est-à-dire que sa recette est destinée à financer des activités dont bénéficient les seuls
produits nationaux, alors que le produit importé ne bénéficie pas de tels avantages. A cet
égard, la Cour se montre très vigilante quant aux taxes dissimulées qui subsistent sur
certains régimes nationaux en dépit de leur apparente neutralité comme on le disais plus
haut. La qualification de la taxe d'effet équivalent à un droit de douane repose véritablement
sur un critère, le franchissement de la frontière. Voyez les autres éléments sont
parfaitement indifférents aux yeux de la Cour qui est extrêmement intransigeante sur cette
qualification. Toujours dans le cadre de la notion de taxe d'effet équivalent à un droit de
douane, il convient d'examiner le principe consacré par la Cour et qui souligne à nouveau
cette intransigeance, cette sévérité, le principe du remboursement des taxes indument
perçues.

C. Le principe du remboursement des taxes indument perçues

La sévérité de la Cour se mesure dans le cadre de la qualification de la taxe d'effet équivalent


à un droit de douane, mais également quant à l'application de l'article 30, TFUE,
particulièrement rigoureuse. En effet, la Cour a posé le principe assez précocement de
remboursement des taxes indument perçues dont elle n'a toutefois pas défini le régime
jusqu'à présent. La Cour considère en effet que la répétition de l'indu appartient aux
juridictions nationales, au regard du principe d'autonomie institutionnelle et procédurale des
États membres, dans la limite que soient respectés les principes d'équivalence et
d'effectivité (cf. cours de L3). En vertu des principes d'équivalence et d'effectivité, la Cour
s'assure que les modalités procédurales ne sont ni moins favorables que celles régissant les
recours similaires au niveau interne, ni aménagées de sorte qu'il devient impossible pour le
justiciable de mettre en pratique l'exercice de ses droits devant les juridictions nationales. Ce
sont des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder. La Cour, de manière
régulière, rappelle dans sa jurisprudence la nécessité de respecter l'autonomie procédurale
et institutionnelle des États, mais la nécessité de voir respectée l'obligation de
remboursement qui pèse sur les États. L'État est tenu de rembourser les sommes indûment
perçues auprès des opérateurs économiques et de prévoir les conditions de recours
équivalentes à celles qui existent au niveau interne.

II. Les tempéraments apportés par la jurisprudence

Cependant, face à cette intransigeance, la jurisprudence elle-même a dégagé des


tempéraments qui permettent de nuancer un peu cette conception rigoureuse de la taxe
d'effet équivalent à un droit de douane. Le Cour a été amenée à préciser davantage la
portée de sa jurisprudence en y apportant deux tempéraments majeurs, qui permettent de
faire la distinction entre les impositions intérieures et la rémunération d'un service rendu. Il
convient de souligner que l'imposition intérieure constitue un instrument de politique fiscal
des États, tandis que la rémunération d'un service rendu épouse la réalité du franchissement
d'une marchandise aux frontières, qui peut dans la pratique procurer un certain nombre de
services aux opérateurs. Ces deux limites font l'objet d'une interprétation restrictive par la
Cour qui n'accepte de les reconnaitre que de manière parcimonieuse. D’abord donc, les
impositions intérieures non discriminatoires.

A. Les impositions intérieures non discriminatoires

Au regard de la souveraineté fiscale nationale, encore préservée compte tenu de la lente


avancée de l'harmonisation fiscale, il est possible pour les États membres de frapper un
produit d'une imposition intérieure. Au niveau de la politique fiscale, ça relève encore des
États parce qu'il n'y a pas d'harmonisation à ce niveau-là (ou très faible). Donc les États
peuvent frapper un produit d'une imposition intérieure à caractère fiscal. Elle doit
cependant, et c'est une condition nécessaire, viser à la fois les produits importés et
nationaux. Aussi, on s'apercevra très vite que les États membres seront tentés d'utiliser cette
fiscalité intérieure à des fins protectionnistes, puisque l'exercice de la compétence fiscale est
parfaitement toléré par le droit de l'Union, dès l'instant que la politique fiscale ne tend pas à
contourner l'interdiction des taxes d'effet équivalent à un droit de douane. Très rapidement,
la Cour fera valoir qu'il existe vraiment 2 régimes distincts, les taxe d'effet équivalent à un
droit de douane et les impositions intérieures. La Cour fera valoir ainsi, qu'à la différence de
la taxe d'effet équivalent à un droit de douane, qui relève d'un régime juridique distinct,
celui de l’article 30, TFUE, l'imposition intérieure discriminatoire tombe sous le coup de
l'article 110, TFUE, qui interdit aux États membres de se livrer à de telles pratiques fiscales, à
raison du fait que le produit est d'origine étrangère, qu’il s'agisse des modalités de l'assiette
ou des conditions de recouvrement de l’impôt. En effet, l'article 110 du TFUE dispose
qu'aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits d'un autre État
membre d'imposition intérieure, de quelque nature qu'elle soit, supérieure à celle qui frappe
directement ou indirectement les produits nationaux similaires. La Cour développe une
approche fonctionnelle de l'imposition intérieure (cf. manuel pour l'explication de cette
approche fonctionnelle mais elle est bien le départ entre les deux notions, l'imposition
intérieure et la taxe d'effet équivalent à un droit de douane). Autre élément de distinction
dégagé par la Cour, hormis celle relative aux impositions intérieures et donc l'approche
fonctionnelle qu'elle développe, autre élément, la contrepartie financière d'un service
déterminé rendu à l'opérateur. C’est le deuxième tempérament que la Cour a dégagé au gré
de sa jurisprudence féconde en la matière. La jurisprudence douanière, peu connue des
citoyens ordinaires est pourtant très fertile. Comme on le disait en préambule, la question
des marchandises a produit une jurisprudence féconde. Le deuxième tempérament est lié à
la contrepartie financière d’un service rendu à l’opérateur.

B. La contrepartie financière d'un service rendu à l'opérateur

La Cour en effet considère que toutes les charges pécuniaires à l'entrée ou à la sortie d'une
marchandise ne sont pas contraires à l'article 30 du TFUE si celles-ci ont pour objet la
rémunération d'un service rendu à l'opérateur économique. En effet, de jurisprudence
constante, la Cour admet qu'une charge qui frappe les marchandises en raison du fait
qu'elles franchissent la frontière échappent à la qualification de taxe d'effet équivalent. On
observe à nouveau que la Cour a été amenée à interpréter de manière restrictive cette
faculté reconnue aux États, puisqu'elle l'entoure de nombreuses conditions et exigences.
Définition donnée par la Cour de la contrepartie : la charge pécuniaire admise doit constituer
la contrepartie d'un service déterminé, effectivement rendu, individuellement rendu à
l'opérateur économique d'un montant proportionné au service rendu (chaque mot pèse ici).

1. Première condition : Le service effectif rendu à l'opérateur

Il va sans dire que les États membres font valoir systématiquement ce tempérament dès
l'instant que la Cour l'a dégagé. La Cour a du nécessairement restreindre le champ d'action,
d’interprétation de ces différentes dérogations. La taxe d'effet équivalent ne sera tolérée
que si elle correspond à l'accomplissement d'un service qui doit être effectif. Il appartient
alors à l'État membre de démontrer que l'administration par la perception de cette taxe
procure un véritable avantage à l'opérateur économique, ce qui revient à considérer que le
service doit conserver un caractère facultatif, et ne doit surtout pas être obligatoire. C'est un
service effectif et facultatif.

2. Deuxième condition : un service individuel

Pour être licite, la taxe pour service rendu doit concerner de manière individuelle l’opérateur
économique. Il doit s'agir d'un avantage spécifique ou individualisé, procuré à l'opérateur
économique. Autrement dit, la taxe ne doit pas viser la généralité des opérateurs, sans
distinction aucune. Il est essentiel que la taxe revête un caractère personnel et spécifique.

3. Troisième condition : un service d'un montant proportionné

La charge doit présenter un montant proportionné au service qui est rendu à l'opérateur,
c'est-à-dire que le montant de la taxe doit être calculée de manière précise en fonction du
service. Le calcul ne peut être fait ad valorem, il doit être affiné, précis par rapport au service
rendu. Telles sont les trois conditions dégagées par la jurisprudence pour circonscrire cette
dérogation relative aux services rendus, une dérogation aisément invocable par les États
mais effectivement souvent écartée par une fin de non-recevoir. Il est très difficile pour les
États de démontrer le bien-fondé de cette dérogation qu'ils invoquent. Conclusion : La
détermination de l’origine du produit. Pour clore la définition de la notion de taxe d'effet
équivalent, j'aimerais aborder de manière conclusive la question de la détermination de
l'origine du produit. On observe aisément que l'origine d'un produit, dès l'instant qu'il entre
ou sort de l'Union, est importante. C'est important de l'établir de manière appropriée parce
que l'origine en droit douanier, en droit économique, se distingue de la provenance. La
provenance ne revêt qu'un caractère géographique dans la mesure où elle désigne un État,
l'État membre ou l'État tiers dans lequel et par lequel est acheminée une marchandise. La
provenance n'emporte pas de conséquences juridiques sur la tarification du produit, et donc
sur la taxation possible. En revanche, l'origine entraine des conséquences. L'origine n'est pas
une notion géographique, contrairement à la provenance. L'origine est un critère
déterminant qui va désigner en fait l'État au sein duquel la marchandise a été produite. C’est
à partir de là qu’elle est produite, construite, fabriquée ou composée. A partir de cette
origine étatique, le produit sera ainsi considéré comme originaire de tel État et supportera
telle ou telle taxation douanière. Souvent l'origine ou la provenance se confondent, parfois
elles sont différentes. C'est dans ce cas-là que se pose la difficulté de la détermination de
l'origine du produit. A cet égard, lorsque l'origine est différente de la provenance, et ce pour
différentes raisons, le législateur de l'Union a prévu des mécanismes pour permettre aux
autorités douanières d'appliquer telle ou telle taxation douanière. Pourquoi l'origine et la
provenance sont de plus en plus aujourd'hui différents ? En fait, il y a une différence dans la
détermination de l'origine et de la provenance parce que tout simplement dans le cadre de
la mondialisation et de la globalisation, notamment du droit, on assiste à une ramification
des circuits de production, des circuits de distribution, qui aboutissent nécessairement à des
différences dans l'origine du produit et sa provenance, amenant des montants de taxation
différents. Il faut préciser et affiner l'origine du produit pour pouvoir lui reporter la taxation
qui soit adéquate.

A. Origine préférentielle

Autre élément qu'il faut souligner, c'est que le tarif douanier commun (TDC), tarif au
franchissement des 28, ne s'applique qu'à l'égard des États tiers, puisqu'à l’intérieur de
l'Union, nous n'avons pas de droits de douane, interdits. C'est à l'égard des États tiers que
s'applique le TDC. Les États tiers sont multiples, hétérogènes et parmi les États tiers qui
entretiennent des relations avec l'Union, on a des États ou des groupes d’États qui
bénéficient de régimes préférentiels. Des régimes préférentiels qui nécessairement attirent
vers eux des opérateurs économiques, puisqu’ils savent que tel État par exemple, a des liens
préférentiels avec l'Union. Ces opérateurs sont guidés par l'unique motivation de tirer profit
du régime préférentiel et donc de ses tarifs favorables, en finalisant le produit dans cet État
et échapper à l'application des règles non préférentielles. L'origine préférentielle confère
ainsi des avantages tarifaires importants à certains produits et donc tentent les opérateurs
économiques qui veulent détourner les règles de codification douanière.

B. Lois anti-dumping

Hormis la question du bénéfice des régimes préférentiels, la question de la délocalisation de


la production soulève des difficultés parce que la délocalisation effectivement conduit à ce
que l'Union nécessairement va adopter des mesures anti-dumping, notamment en matière
sociale, environnementale, pour éviter que de nouveau les opérateurs économiques
finalisent un certain produit dans un État pour échapper donc à des règles
environnementales ou des règles sociales impératives. Nous rappellerons que les droits anti-
dumping sont des droits de douane, situés sur un produit particulier, importé d'un ou de
plusieurs États tiers déterminés et qui s'ajoutent au droit normal, au droit préférentiel. Ce
droit anti-dumping permet ainsi de contrer les opérateurs économiques qui veulent
simplement tirer profit d'États où la législation sociale est très faible pour produire à bas
coût, ou alors la législation environnementale qui en Europe est très importante concernant
la fabrication des produits. L'Union contre-attaque en adoptant des lois anti-dumping et en
les appliquant au droit classique. L'Union, hormis la question des droits anti-dumping, a dû
effectivement œuvrer et surtout mener un combat contre ce qu'on appelle les "usines
tournevis", ces usines qui sont installées dans des États tiers, par des opérateurs
économiques uniquement pour composer ou finaliser le produit, non originaire de cet État,
mais pour bénéficier des liens privilégiés (Les États ACP, les États-Unis, la Turquie, le
Canada...) avec l'Union. Vous avez une règle établie par l'Union dans le cadre de son
règlement 68, selon laquelle le produit est considéré originaire d'un État dès l'instant qu'il
est entièrement fabriqué dans cet État. C'est la règle de la détermination de l'origine qui
permet ainsi de contrer ce phénomène d’« usine tournevis ».

IV. Les mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives

Section 2 : Les mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives (MEERQ)

Nous allons maintenant aborder l’autre obstacle auquel s’attèle l’Union Européenne après
les taxes d’effets équivalents, les droits de douanes, l’autre type de mesure feutrée,
déguisée, sournoise : la mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives (article 30 :
les taxes d’effet équivalent et les taxes de douane sont interdits, cet article est très
sommaire comme allusion). La notion de mesure d’effet équivalent a été premièrement
évoquée par le traité qui se contente là aussi d’en prescrire simplement l’interdiction. Ce
sont les termes des articles 34 et 35 du TFUE concernant respectivement le mouvement des
marchandises à l’exportation et à l’importation. Il n’y a pas dans ces articles d’effort de
définition non plus, cela est simplement évoqué. Or on constatera, comme on l’a dit
précédemment, qu’au lendemain la période de transition et donc au 1er janvier 1970 va se
développer une nouvelle forme d’obstacles aux échanges et à la réalisation de ce marché en
voie d’unification au travers de la notion générique de mesures d’effet équivalent à des
restrictions quantitatives. Le traité a certes révélé l’existence de ces obstacles sournois mais
n’a pas mesuré pourtant l’ampleur de ces obstacles. C’est la pratique des États qui va révéler
l’ampleur de ces obstacles. En fait on observera, qu’à partir de l’instant où les États
membres ne pourront plus recourir aux instruments classiques de protectionnisme
économique (à savoir les droits de douane ou les restrictions quantitatives) alors
nécessairement ils vont redoubler d’efforts pour régénérer une autre forme d’entraves : les
mesures d’effet équivalent. C’est parce qu’ils sont privés d’obstacles directs (droits de
douane et quotas), qu’ils vont régénérer, faire revivre une autre forme d’obstacle qui était
jusqu’à présent sourde et endormie, à savoir les mesures d’effet équivalent. Ces mesures
ont pour distinction majeure avec les instruments classiques d’avoir un caractère déguisé.
C’est là finalement la grande distinction entre le droit de douane et de telles mesures. Cela
rend d’autant plus difficile la lutte contre l’adoption de telles mesures restrictives. On voit
cette résurgence des pratiques néo-protectionnistes. En effet, on a réellement une volonté
des États de conserver de manière assez assidue un contrôle sur leurs échanges
commerciaux, dont ils ne sont plus véritablement maîtres du fait de l’Union douanière.
Cependant il convient dans le cadre de ce préambule, de relever les éléments de distinction
assez pertinents qui existent entre la taxe d’effet équivalent et la mesure d’effet équivalent.
Alors que l’interdiction des taxes d’effet équivalent demeure absolue, l’interdiction posée
par l’article 34 quant à l’établissement d’une mesure d’effet équivalent jouit de dérogations.
C’est la première distinction. Dans le cadre des taxes d’effet équivalent il n’y a pas de
dérogations possibles. C’est une interdiction absolue. Évidemment on a vu tout à l’heure des
tempéraments apportés dans la jurisprudence mais ce sont des tempéraments extrêmement
cadrés tout d’abord et ensuite dégagés par la jurisprudence. Dans le cadre des articles 34 et
35, TFUE, on a des dérogations posées par les traités et notamment par l’article 36, TFUE.
Cet article énumère un certain nombre de situations qui peuvent se prêter à des dérogations
mais ce sont des dérogations qui se prêtent elles aussi à une interprétation très restrictive.
On va l’étudier, mais on a une interprétation très serrée de cet article 36 de sorte que les
États effectivement sont prompts à invoquer l’article 36 mais ils reçoivent rarement grâce
aux yeux du Juge de l’Union. Parce qu’il est très difficile de démontrer le bien-fondé de
l’article 36 devant le Juge de l’Union. Pourquoi une telle différence entre la taxe d’effet
équivalent et la mesure d’effet équivalent ? Pourquoi pour l’un il n’y a pas de dérogation et
pour l’autre il y a une dérogation ? La différence notable s’explique par la difficulté pour les
auteurs du traité de Rome de dessaisir de manière drastique et brutale et immédiate les
États membres de leur compétence en la matière (lorsque l’on compare cela aux droits de
douane par exemple). En matière d’échanges commerciaux les États membres sont
compétents dans de nombreux domaines en ce qui concerne donc la fabrication, la
commercialisation des produits, qui sont plutôt symptomatiques des traditions de
consommation propres aux États ou alors en matière de santé publique. Donc on voit bien
que les échanges commerciaux se prêtent à des réglementations très denses qui concernent
de nombreux champs. Donc même si le traité appelle à une certaine fermeté au travers de
l’article 34, au démantèlement de tels obstacles, il prévoit cependant des dérogations pour
tempérer cette interdiction qui ne doit pas être drastique et aussi brutale. Les États
membres pourront ainsi invoquer certains intérêts, de manière très restrictive, pour
s’opposer à l’entrée ou à la sortie d’une marchandise ; et donc pour poser un obstacle aux
échanges. Cela est la justification que l’on peut apporter, car juridiquement il n’y a pas de
raisons que pour les taxes d’effet équivalent et les mesures d’effet équivalent il y ait cette
différence. C’est plutôt sur le plan pratique et technique : la taxe d’effet équivalent ne draine
pas autant de domaines, de réglementations que la mesure d’effet équivalent. La mesure
d’effet équivalent, qui vise les échanges commerciaux comme la taxe d’effet équivalent, vise
aussi nécessairement les réglementations commerciales et donc on a de nombreux champs
drainés, et on ne peut pas dessaisir les États de ces champs, et il faut y aller doucement et
donc on prévoit cette porte de sortie pour les États. Mais bon la jurisprudence va en donner
une lecture tellement restrictive qu’effectivement il est très difficile pour les États
aujourd’hui d’échapper à l’application des articles 30, 34 et 35. La seconde différence
majeure qui oppose la taxe d’effet équivalent à la taxe d’effet équivalent repose, c’est un
peu lié à ce que nous avons dit précédemment, repose sur le développement jurisprudentiel
qui connaîtra un essor important avec la mesure d’effet équivalent. Dans le cadre de la taxe
d’effet équivalent, nous avons, comme je l’ai dit tout à l’heure, une jurisprudence douanière
intéressante et foisonnante mais pas du tout comparable à ce que nous avons en matière de
restriction quantitative et de mesures d’effet équivalent. Dans le cadre des mesures d’effet
équivalent, la jurisprudence est très dense car d’assemblée les États membres se sont rendu
compte qu’ils pouvaient invoquer certains intérêts essentiels, ils vont le faire et l’invoquer
très rapidement et à cet égard invoquer des intérêts qu’ils vont considérer comme
prééminents. Les mesures d’effet équivalent vont donner lieu dès lors par le prisme de
l’article 36 à un contentieux nourri, signe de la persistance des entraves. Face à cela on aura
une très grande sévérité de la Cour de justice quant à la validité des comportements
attentatoires. Ce contentieux ne sera pas anodin parce qu’on va assister, par ce contentieux,
à un élargissement de la notion de l’article 34 et 35. Non seulement la Cour va interpréter de
façon très restrictive l’article 36, de sorte que la porte de sortie va être difficile à traverser
pour les États, mais surtout la Cour va se livrer à un élargissement de la notion de mesure à
effet équivalent. Elle va se saisir de cette occasion pour élargir la notion. Ce foisonnement
jurisprudentiel est donc lourd de conséquences : un élargissement de la notion qui va
sanctionner les velléités des États, et attribuer un caractère très résiduel aux dérogations
textuelles. On a donc un double cheminement : d’une part une lecture très restrictive de
l’article 36, et d’autre part un élargissement de la notion de MEERQ Tout ceci permettant
d’appréhender les comportements auxquels se livrent les États. Premier point à observer
donc, la dualité des approches qui permettent de définir les mesures d’effet équivalent.

I. La dualité des approches

La notion de mesure d’effet équivalent peut faire l’objet de deux lectures. L’une issue des
différents textes de la Commission, tandis que l’autre est issue de la jurisprudence. Et on va
voir qu’on a une relative dualité de ces deux approches. On observe que ces deux approches
ne sont pas nécessairement antinomiques et même à certains égards ils sont
complémentaires puisque tous deux intègrent, avec quelques nuances, dans la qualification
de mesures d’effet équivalent, outre les mesures discriminatoires, les mesures
indistinctement applicables. Toutefois, on perçoit dans l’approche jurisprudentielle une
volonté plus grande de qualifier la notion de mesure d’effet équivalent dans le cadre des
mesures indistinctement applicables. On a une plus grande sévérité dans le cadre de
l’approche jurisprudentielle puisque même les mesures neutres, indifférentes, même ces
mesures tombent dans la qualification de mesures d’effet équivalent. Mais sur le fond, on
n’a pas de grande différence ; seule l’intensité du contrôle varie et est beaucoup plus
appréciable pour la Cour. D’abord l’approche de la commission, qu’on pourrait qualifier de
textuelle.

A. L’approche dite textuelle

Elle résulte principalement d’une directive historique : la directive 7050 de la Commission


adoptée le 10 décembre 1969. Cette directive est caduque aujourd’hui et ne produit pas
d’effets juridiques mais elle présente un grand intérêt sur le plan doctrinal et théorique au
regard du contenu de la notion qu’elle donne. Ce sera la première directive. Nous aurons les
premiers textes du Conseil en 1961 qui établissaient les calendriers sur les restrictions
quantitatives etc., et donc la Commission devait recenser les mesures qui persistaient et
s’obstinaient, et dans ce cadre-là elle adopte cette directive où elle va conceptualiser et
formaliser la notion de mesure d’effet équivalent. Donc sur le plan intellectuel cela a un
grand intérêt. Les articles 2 et 3 de cette directive sont les plus intéressants. Ce sont les
articles liminaires. Ils sont fortement explicatifs et énumèrent de manière très méthodique
les différents types de pratique susceptibles de tomber sous le coup de l’article 34 TFUE.
Cette directive opère la distinction entre deux catégories de mesures, celles qui sont
ouvertement discriminatoires (celles qui opèrent une discrimination entre produits importés
et non-importés, donc celles qui visent de manière exclusive les articles importés, c’est
l’article 2) et celles qui visent de manière neutre, de manière indistincte ; les produits
importés et nationaux et susceptibles d’avoir des effets restrictifs sur les échanges, c’est
l’article 3

1. Mesures ouvertement discriminatoires

Pour la première catégorie de mesures, celles visées par l’article 2, la directive 7050, recense
par exemple la fixation de prix maxima ou minima, les mesures qui excluent totalement ou
partiellement les seuls produits importés ou l’imposition de conditions portant sur la forme
(dimension, poids, composition, conditionnement, identification, etc.). Ces exemples de
mesures ouvertement discriminatoires sont passibles de l’article 34. Le fait d’avoir défini ces
différents types de mesures est un travail immense et mené depuis 1961 jusqu’en 1969. Ces
mesures sont donc passibles de l’article 34, car tout simplement, elles établissement une
discrimination, des conditions d’exportation ou d’importation qui sont plus difficiles (article
35) ou impossibles ou onéreuses à satisfaire que pour les conditions des produits nationaux.

2. Mesures indistinctement applicables dites neutres

Intéressons-nous à l’article 3 relatif aux mesures indistinctement applicables. Pour les


mesures indistinctement applicables, dites neutres, on vise les mesures relatives à la
commercialisation des produits (forme, dimension, composition, conditionnement) dès
l’instant qu’elles visent les produits importés. Ces mesures-là tombent sous le coup de
l’article 34 ou 35 (on a une condition) si les effets restrictifs sur la circulation des
marchandises dépassent le cadre des effets propres d’une réglementation de commerce.
Donc à cette condition-là, ces mesures sont passibles de l’article 34 ou 35. Pour caractériser
la mesure, la directive aura recours à deux moyens d’analyse qui visent à vérifier d’une part
si les mesures restrictives sont hors de proportion, disproportionnées (critère de
proportionnalité) et d’autre part si l’objectif peut être atteint par d’autres moyens moins
sévères et restrictifs (critère de substitution). Au travers de cet article 3, la Commission
anticipera en réalité sur la jurisprudence de la Cour qui interviendra en 1993. On va le voir et
cet important revirement jurisprudentiel au travers de l’arrêt « Keck et Mithouard ». Dans
cet arrêt, on va resserrer la notion de mesure d’effet équivalent qui avait été élargie. Et elle
va revenir en fait à l’interprétation donnée par la Commission. La Commission donnera dans
cette directive 7050 cet élément d’interprétation, cette théorie selon laquelle sous certaines
conditions, les mesures neutres indistinctement applicables tombent sous l’application de
l’article 34 ou 35. Donc la Commission anticipera sur la jurisprudence de la Cour qui
interviendra des années plus tard. Cet arrêt aura aussi pour apport de faire la distinction
entre les mesures qui affectent les caractéristiques intrinsèques du produit et les mesures
qui affectent sa commercialisation. Et cela sera le point de départ de l’interprétation donnée
par cet arrêt. On reviendra sur cet arrêt, très important dans cette matière, notamment en
termes d’explications doctrinales. C’est un arrêt très important qui donna même lieu à ce
qu’on appellera la keckomania, et à des explications doctrinales extrêmement denses.
L’autre approche est l’approche jurisprudentielle.

B. L’approche jurisprudentielle

La Cour, elle, fut assez précocement aussi, saisit de la notion de mesures d’effet équivalent.
Elle va saisir cette occasion pour élargir les contours de la notion et offrir une définition fine
de la notion. Dans le célèbre arrêt Dassonville rendu le 11 juillet 1974, relativement tôt, à la
suite d’un litige opposant un opérateur économique et un État membre, la Cour, dans cette
affaire ne se limitera pas au caractère discriminatoire de la mesure. La mesure n’avait d’effet
discriminatoire, la Cour ira donc beaucoup plus loin. La Cour fera valoir qu’elle considère
comme mesure d’effet équivalent toute réglementation commerciale des États membres
susceptibles d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le
commerce intra-communautaire. C’est donc vraiment une conception extrêmement large.
Par ce considérant, la Cour retiendra une conception extensive de l’atteinte aux échanges,
dans la mesure où il peut s’agir d’une atteinte directe ou indirecte, actuelle ou potentielle.
Au regard de cette approche extensive prônée par la Cour, il sera possible d’appréhender
une très grande variété d’obstacles, qui résultent du maintien de dispositions nationales,
législatifs ou réglementaires, ou des pratiques administratives si elles sont réputées. Ainsi la
jurisprudence qualifiera comme mesures d’effet équivalent, les mesures régissant le
conditionnement ou la présentation du produit, ainsi que celles établissant une
réglementation nationale de prix, ou prescrivant des normes de production. Donc à partir de
cet arrêt, on va assister à un élargissement de cette notion. Attention, en 1993, il y aura un
coup d’arrêt partiel porté par la jurisprudence Keck et Mithouard parce qu’effectivement on
a eu un élargissement trop important de sorte que les opérateurs économiques, de manière
systématique invoquaient l’article 34 et 35 pour invoquer n’importe quelle réglementation.
Donc dans le cadre des mesures d’effet équivalent, après l’examen de la dualité des
approches, il convient de voir la qualification des mesures d’effet équivalent. Parenthèse
d’abord, la Cour n’est aujourd’hui plus liée par la directive 7050, cette dernière étant
caduque. Mais cette directive a apporté des éléments d’interprétation intéressants.

II. La qualification de mesure d’effet équivalent

De la combinaison de ces deux approches, de cette dualité, il apparaît que la qualification


des mesures d’effet équivalent doit répondre à deux conditions : l’une tenant à l’origine de
la mesure, nécessairement imputable à l’État, et l’autre relative à la nature de la mesure, qui
doit être restrictive sur les échanges. Ces deux conditions sont cumulatives, et emportent
qualification de la mesure d’effet équivalent au sens de l’article 34 TFUE pour les échanges à
l’importation, et son corollaire l’article 35 pour l’exportation. Cependant il faut souligner,
qu’en débit d’un libellé presque similaire, les articles 34 et 35 sont distincts. L’un vise
l’exportation et l’autre l’importation. Et l’un vise davantage les mesures faisant obstacle aux
échanges, la différence de traitement entre commerce intérieur et commerce extérieur,
mais les deux régissent en fait les mesures d’effet équivalent. Première condition, celle
relative à l’auteur de l’acte.

A. Une condition relative à l’auteur de la mesure : une limitation aux actes et


comportements étatiques

La mesure doit nécessairement être limitée aux actes et comportements étatiques. Il doit
être imputable à une autorité ou un organisme public, en excluant de principe tout acte
émanant d’une personne privée. Même là on va voir qu’il y a des tempéraments à
introduire.

1. Imputable à une autorité ou à un organisme public

La qualité de l’auteur, de la mesure revêt un caractère déterminant : il s’agira de l’État mais


entendu de façon large, cela comprend les autorités d’un État membre que constitue le
pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, qu’il s’agisse de juridictions (sur l’autorité judiciaire,
arrêt WVR de 1987), qu’il s’agisse d’autorité administrative (arrêt Commission c/ Belgique de
2008), qu’il s’agisse d’autorités de pouvoir central, d’un État fédéré ou d’autorité territoriale.
Même les autorités infra-étatiques sont concernées par cette imputabilité. On vise
également tout organe constitué en tant qu’organisme public et dès lors rattaché à l’État par
des liens étroits, même s’il dispose d’une existence juridique propre. En outre, les
déclarations publiques d’un fonctionnaire, même si celles-ci n’ont pas valeurs déclaratoires
ou contraignantes, sont imputables à l’État membre. C’est donc extrêmement large. Donc on
a imputabilité à l’autorité publique mais aussi possible imputabilité à une personne de droit
privé.

2. Agissements d’une personne privée imputable à l’État

En effet, on peut penser que seuls les comportements émanant de personnes publiques
tombent sous le coup de la qualification mais on observe que certains comportements
émanant de personnes privées peuvent être qualifiés de mesures d’effet équivalent. En
principe de tels agissements relèvent des règles de concurrence puisque nous sommes face
à des personnes privées (article 101 et suivants). Toutefois cette réserve ne revêt pas un
caractère systématique, de sorte que l’imputabilité à une personne privée peut être établi.
Par exemple, la Cour a estimé que les activités d’organisme de droit privé qui ont été
constituées par une loi et principalement financées par l’État ou par des contributions
obligatoires acquittées par les entreprises d’un secteur, sont désignées par les autorités
publiques ou contrôlées par celles-ci, sont considérées comme des actes imputables à l’État.
Dans ces cas-là on a un certain nombre d’indices qui prouvent qu’il y a rattachement très
étroit avec l’État. La Cour a considéré également que dans le cadre d’une campagne
publicitaire en faveur de produits irlandais conduite par un organisme (personne morale de
droit privé), qu’un simple lien de rattachement à la puissance publique, suffit à établir la
responsabilité et qu’elle peut bénéficier de qualification de mesure d’effet équivalent. C’est
le célèbre arrêt Commission contre Irlande de 1982. La responsabilité de l’État a été établie
par le fait que vous aviez dans le Comité directeur de la campagne publicitaire, des membres
rattachés au gouvernement. Cette campagne avait été dans une large mesure décidée par le
gouvernement, et les subventions étaient accordées par le gouvernement. On avait donc un
lien très étroit avec l’État en l’espèce. Dans le même sens la Cour qualifie de mesures d’effet
équivalent les actes émanant de professionnels, même de droit privé, lorsqu’ils sont investis
de pouvoir étendus. Il en va de même des organismes de certification, des organismes
professionnels car ceux-ci ont un pouvoir disciplinaire ou le pouvoir d’éditer une déontologie
donc la Cour considère à partir de là qu’il y a des liens importants avec l’autorité nationale.

3. Imputabilité aux autorités de l’Union

En ce qui concerne l’imputabilité aux autorités de l’Union, la Cour retient également la


qualification de mesures d’effet équivalent pour des mesures imputables aux autorités de
l’Union. En effet, la réglementation adoptée par les autorités de l’Union peuvent tomber
sous le coup de l’article 34. La Cour l’a reconnu dans certaines circonstances même si cela
peut être étonnant. De même, les institutions peuvent invoquer les intérêts tirés de l’article
36.

B. Une condition relative à la nature de la mesure : un effet restrictif sur le mouvement des
marchandises ou l’examen attentif porté à l’entrave

Concernant la condition relative à la nature de la mesure, cette condition porte sur la


nécessité d’avoir un effet restrictif sur l’échange de marchandises. Il s’agit d’un examen très
attentif porté à ce qu’on appelle l’entrave. Qu’est-ce que l’effet restrictif ? C’est une
condition essentielle énoncée de manière sommaire par les articles 34 et 35, TFUE, et une
condition qui va donner lieu à une jurisprudence dense et florissante, comme nous l’avions
dit en préambule. En fait, ce qui est examiné par le juge de l’Union c’est l’intensité de
l’entrave dans l’accès au marché. Cela va se prêter à un examen très appuyé, très minutieux
de la part du juge de l’Union afin d’en déterminer en fait deux aspects, la nature et
l’intensité de cette entrave. A cet égard on peut souligner que cet examen transforme un
petit peu l’office du juge, car aujourd’hui au sein de l’Union le juge est davantage un juge
économique sur ces questions-là et en matière de marchandises particulièrement parce que
pour examiner l’intensité de l’entrave quant à l’accès au marché cela requiert des
compétences économiques. Les critères requis pour considérer qu’il y a une entrave
effective sur l’accès au marché. D’abord, le premier critère est l’effet sur les échanges à
l’importation ou à l’exportation - L’effet direct ou indirect, potentiel ou actuel, ensuite l’effet
ouvertement discriminatoire ou déguisé, et enfin l’effet sur les situations extranationales

1. L’effet sur les échanges à l’importation ou à l’exportation

Ce qu’on appelle l’atteinte aux flux des échanges. Nous devons considérer que le
mouvement des marchandises vise tout autant l’entrée que la sortie, c’est-à-dire
l’exportation ou l’importation. Et à cet égard il doit y avoir une restriction à l’accès au
marché interne ou externe par des comportements et postures protectionnistes. De plus,
toujours dans l’examen de cette atteinte au flux des échanges, quand un produit entre sur le
territoire de l’Union au gré de l’accomplissement des formalités douanières et
l’acquittement des droits de douane alors le produit est communautarisé et pour cela il
rentre dans un régime douanier qui se nomme la libre pratique. Donc si on a une entrave au
sein du marché à l’encontre de ce produit, il n’y a plus applicabilité de l’article 35 puisque cet
article concerne l’exportation mais il y aura applicabilité de l’article 34. En ce qui concerne
l’ampleur de la mesure, la Cour considère que même un effet minime sur les échanges est
suffisant pour mettre en œuvre les articles 34 et 35 TFUE. Autrement dit ici, nous sommes
indifférents à l’intensité de l’entrave, au principe de minimis appliqué en matière de
concurrence.

2. L’effet direct ou indirect, potentiel ou actuel

Autre critère requis, il s’agit de l’effet direct ou indirect, potentiel ou actuel sur les échanges
et l’inapplicabilité ici d’un principe de minimis. La condition de l’effet restrictif sur les
échanges fait l’objet d’une lecture très étendue de la part du juge de l’Union qui est attaché
à appréhender les situations les plus diverses. En effet, l’effet restrictif sera retenu donc qu’il
soit actuel ou potentiel (arrêt Dassonville). A cet égard, le principe de minimis est
inapplicable en ce qui concerne les dispositions relatives aux marchandises, à la grande
différence du droit de la concurrence que nous allons étudier. C’est ainsi qu’une mesure
nationale n’échappe pas à l’interdiction (posée par les articles 34 ou 35 indifféremment) du
seul fait que l’entrave à l’importation est d’une faible intensité ou qu’il existe des mesures
de substitutions, si cette mesure revêt aux yeux du juge de l’Union une importance
économique limitée certes mais importante quant à ses effets. Même si la mesure par
exemple est applicable que sur une partie limitée de l’Union peu importe. Également si la
mesure vise un nombre limité d’opérateurs économiques, là aussi c’est indifférent et ce n’est
pas déterminant. On a donc une lecture extrêmement sévère de la nature de l’atteinte. On
n’a pas de principe de minimis qui permettrait d’exonérer certains opérateurs. Cette
inapplicabilité du principe n’est pas dégagée par le TFUE, mais par la jurisprudence même.
Aussi suffira-t-il pour le Juge de l’Union de constater qu’en l’absence de la mesure
incriminée, les échanges de marchandises ne seraient pas remis en cause sauf dans le cas où
l’effet restrictif revêt un caractère excessivement aléatoire ou hypothétique. On retrouve
des affaires où le principe de minimis était appliqué mais entre guillemets diront nous car
l’effet était tellement aléatoire et hypothétique que le Juge a écarté l’application des articles
34 ou 35. Et donc ce n’est pas une application de la règle de minimis en soi. L’effet est
tellement aléatoire ou hypothétique ici que le juge ne considère pas qu’il y a une entrave
aux échanges.

3. L’effet ouvertement discriminatoire ou déguisé

Troisième critère, l’effet ouvertement discriminatoire ou déguisé. Relèvent des articles 34 et


35 du TFUE les mesures ouvertement discriminatoires, c’est-à-dire celles visant
expressément les produits importés, introduisant de la sorte un régime de faveur, une
discrimination pour la production nationale. La Cour se montre encore plus exigeante. En
effet, elle considère qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un objet nécessairement
discriminatoire de manière ouverte. Elle est indifférente à la neutralité de la mesure
puisqu’elle considère que tombent également sous la qualification des articles 34 ou 35 les
mesures qui ont un effet discriminatoire déguisé (mesures dites indistinctes ou neutres qui
sous leur neutralité apparente dissimulent une discrimination). Le fait qu’une mesure soit
apparemment neutre n’a aucune importance, la Cour va examiner s’il y a une entrave aux
échanges. Comme on peut le souligner, ces mesures visent en réalité, au-delà de leur
neutralité, à favoriser la production nationale. Donc là de nouveau, on mesure pleinement la
sévérité de l’approche de la Cour car pour elle tombe sous le coup des articles 34 ou 35 tant
les mesures discriminatoires que les mesures indifférentes ou neutres.

4. L’effet sur les situations extranationales

Autre élément nécessaire, autre considération importante, l’effet sur les situations
extranationales. Les situations doivent être exclusivement extranationales. C’est ce qu’on
appelle la conditionnalité transfrontalière. En effet au regard de son libellé, l’article 34, TFUE,
n’est applicable que dans de situations qui met en cause le commerce entre États membres.
Il ne doit pas y avoir de commerce extra-européen. Sont dès lors écartés les échanges qui
n’ont qu’une configuration interne. Dans ce cas-là elle ne donne nullement lieu à un flux de
marchandises. Elles échappent alors à l’application des articles 34 ou 35 qui ne peuvent
connaître que des situations liées à un franchissement de la frontière. L’existence d’un
élément transfrontalier est nécessaire afin d’emporter qualification de l’article 34 ou 35. Les
mesures purement internes et nationales, parce qu’elles n’affectent pas le flux circulatoire
ne relèvent pas du champ d’application des articles 34 à 35. L’exigence d’un élément
transfrontalier est satisfaite en revanche dès lors que la mesure en cause est susceptible
d’entraver directement ou potentiellement le commerce intra-communautaire. Que se
passe-t-il s’il s’agit d’une mesure interne alors dans ce cas ? C’est une application du droit
national tout simplement en matière de réglementation commerciale ou du droit de la
concurrence. Cependant, la Cour a apporté des tempéraments a ce qui pouvait apparaître
comme une certaine tolérance de sa part. En effet rapidement on s’est rendu compte que
souvent les États membres déguisaient leurs mesures sous un apparat relatif au droit interne
et la Cour a été immédiatement saisie de ce type de litiges et a considéré finalement que
l’inapplicabilité systématique des articles 34 ou 35 aux situations internes peut se heurter
dans certaines circonstances à la réalité du terrain économique qui met en scène des
règlementations commerciales qui, certes, ne visent pas des situations externes,
transfrontalières, mais des situations uniquement internes, mais en réalité qui ont des effets
sur les courants d’échanges. De ce point de vue-là, dès 70 on a eu une jurisprudence
importante. Cette impossibilité juridique, à savoir le fait que les articles 34 et 35 sont
inapplicables en présence de situations internes car il faut nécessairement des situations
transfrontalières, cette impossibilité doit être nuancée. On voit que c’est beaucoup plus
subtil. En effet, on a une impossibilité de principe nuancée par la Cour et donc la Cour
n’hésitera pas, dans certaines espèces, à préciser que la qualification d’une mesure à effet
équivalent, autrement dit l’application de l’article 34 ou 35, ne peut être écarté « pour la
seule raison que dans le cas concret soumis à la juridiction nationale, tous les éléments sont
cantonnés à l’intérieur d’un seul État membre ». C’est l’arrêt de 2005, Commission c/
Autriche. Donc la Cour ne se livre pas à un raisonnement systématique mais c’est un
raisonnement au cas par cas. Pour le Juge de l’Union, les potentialités de la mesure sont
susceptibles de viser le territoire extranational et donc le flux circulatoire d’où application de
l’article 34 ou 35, indifféremment. Voilà concernant l’autre condition. Conclusion : La
qualification de MEERQ à l’importation ou à l’exportation requiert deux conditions
essentielles : Une condition relative à l’auteur de l’acte qui doit être l’État ou l’autorité
nationale (entendus très largement puisque même les organismes professionnels dans la
mesure où ceux-ci sont investis d’un pouvoir disciplinaire peuvent être assimilés à une
autorité publique) et l’autre condition requise est celle relative à la nature de la mesure (tout
se porte sur l’entrave au marché, l’entrave dans l’accès au marché, et là l’intensité et
l’étendue ne sont pas si importants pour la Cour qui examine vraiment si il y a une entrave).
A partir de ces considérations on s’aperçoit aisément que la Cour a été portée par son
interprétation téléologique, systématique, de sorte que peu de marche de manœuvre a été
laissée aux États. Pourtant dans un champ nous avions en effet l’article 36, TFUE, qui permet
des dérogations en la matière et donc nous revenons à ce resserrement opéré par la Cour à
la suite de l’arrêt Dassonville qui a donné lieu à une jurisprudence abondante et qui a élargi
les contours de la notion de mesure d’effet équivalent, et la Cour a été amenée à procéder à
un revirement partiel, à un resserrement de la notion de MEERQ par l’arrêt Keck et
Mithouard.

III. Le resserrement de la notion de mesure d’effet équivalent : l’arrêt Keck et Mithouard

On s’est aperçu aisément au travers des propos que nous avons tenu, que le caractère
extensif de la notion de MEERQ, que le juge lui-même a finalement conforté au travers de sa
jurisprudence, en tirant profit du laconisme des traités, ce caractère extensif a été endigué
par la Cour. Cette dernière a porté un véritable coup d’arrêt à cette extension des contours
de la notion de MEERQ à travers cette jurisprudence Mithouard et a resserré les contours de
la notion.

A. Les raisons de ce revirement

Les raisons de ce revirement sont assez pratiques : il s’agit simplement de la frénésie des
recours. En effet, la justification avancée factuellement par la Cour dans l’arrêt Keck et
Mithouard est tirée de la multiplication des recours par les opérateurs économiques à
l’encontre de mesures qui ne concernent pas ou très peu les échanges commerciaux. En
effet la Cour souligne que compte tenu du caractère extensif de la notion de MEERQ
dégagée par les articles 34 et 35 mais surtout portée par la jurisprudence, on s’est aperçu
qu’à partir de la décennie 80, donc après Dassonville qui a été l’arrêt fondateur de la notion,
les opérateurs n’hésitaient pas à invoquer l’article 34 ou 35, mais surtout 34, pour contester
de manière quasi-systématique, l’application de législations dont l’objet très éloigné des
courants d’échanges visait davantage à régir l’intérêt public ou une préoccupation nationale
à caractère social ou culturel comme par exemple la fermeture dominicale des magasins. La
fermeture dominicale des magasins, c’est un choix culturel, un choix politique, mais à
caractère culturel et les opérateurs économiques ont commencé à contester cette fermeture
dominicale sous le prisme de l’article 34. Aussi la Cour a préféré réexaminer le contenu et la
portée de la notion afin de rompre avec cet usage abusif des recours contre les dispositions
nationales, sans lien véritable avec les échanges commerciaux. On a eu une systématisation
des recours, à partir de 1980-90, portée par cette jurisprudence très favorable, de fait que la
Cour a préféré resserrer la notion à travers le célèbre arrêt Keck et Mithouard du 23
novembre 1993.

B. Un revirement partiel

Cependant il s’agit d’un revirement partiel. En effet, Keck et Mithouard en fait n’opère pas
un revirement absolu mais met en place une dichotomie des mesures. Deux types de
mesures seront désormais distingués. La Cour énoncera que contrairement à ce qui a été
jugé jusqu’ici, « il convient de faire la distinction entre deux types de mesure. Celles relatives
aux conditions auxquelles doivent répondre les produits il s’agira alors par exemple de la
dénomination, la forme, le poids, la composition, la présentation ou l’étiquetage et celles
relatives aux modalités de vente ».

1. Les mesures concernées par le revirement

a. Celles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre les produits

Pour celles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre les produits, elles sont
susceptibles, comme la Cour l’a toujours considéré, de constituer des MEERQ. Elles peuvent
tomber sous le coup de l’article 34 ou 35, même si elles sont indistinctement applicables
(arrêt Dassonville) et a fortiori si elles sont discriminatoires. Cette interprétation de la
mesure d’effet équivalent rejoint parfaitement la jurisprudence classique et la directive
clas705sique.

b. Celles relatives aux modalités de vente

En revanche, pour celles relatives aux modalités de vente : cette nouvelle catégorie naît avec
l’arrêt Keck et Mithouard, celles-ci ne tombent plus sous le coup de l’article 34 ou 35, à la
condition cependant qu’elles soient indistinctement applicables et qu’elles ne soient pas de
nature à gêner en fait ou en droit davantage les produits exportés/importés que les produits
nationaux. Cela veut dire si en fait ou en droit il n’y a pas un effet discriminatoire à l’égard
des produits nationaux. Ce sont les deux conditions requises. Il apparaît donc que les
modalités de vente n’entrent plus dans le champ d’application des articles 34 ou 35 s’il est
démontré qu’elles n’affectent pas les échanges. La Cour range ici les dispositions relatives
aux conditions et aux méthodes de commercialisation, les horaires d’ouverture des
magasins, l’endroit de vente de certains produits notamment les produits sensibles, les
contrôles des prix, les règles relatives à la publicité, notamment à destination du public
jeune, ou encore le monopole destiné à certaines activités comme les officines. L’un des
critères déterminants, sans être nullement remis en cause, se trouve néanmoins affaibli par
cette jurisprudence puisque sont désormais admises des mesures qui affectent les échanges
de la même manière que les produits nationaux. C’est pour cela que l’arrêt Keck et
Mithouard a donné suite à une importante doctrine parce qu’on a considéré qu’on avait une
régression sur le plan du droit de l’Union car on accepte désormais certaines entraves aux
échanges. Juridiquement, il est vrai que cet arrêt affaibli le critère lié à l’entrave, puisque
certaines mesures seront acceptées. Mais ce n’est pas réellement une régression parce que
simplement, la Cour a considéré que certaines réglementations n’étaient pas véritablement
liées aux échanges commerciaux (fermeture dominicale, lieux obligatoires de vente...).
Certaines activités commerciales, certaines réglementations n’ont pas de liens directs avec
les échanges commerciaux mais reposent sur d’autres considérations, d’autres fondements
liés à l’intérêt général, à l’intérêt public, la sauvegarde de la santé publique, de la sécurité
publique, etc. qui ont argumenté en faveur de la constitution de ces réglementations. Donc
la dichotomie entre les deux types de mesure que dégage le Juge dans l’arrêt Keck et
Mithouard s’explique par cette considération. Le fait que certaines réglementations
commerciales n’aient pas vraiment de liens avec les flux, les échanges commerciaux mais
sont portées par des considérations plus grandes, publiques, et liées à l’intérêt supérieur.

2. Les effets du revirement : la complexification de la notion

En dépit de ce resserrement de la notion, d’une meilleure visibilité de la notion de MEERQ et


de la fin de la frénésie des recours contre n’importe quelle réglementation, le contre-effet
de cette approche jurisprudentielle a été de rendre la notion de plus en plus complexe et
opaque. Tout d’abord, on a du mal véritablement à distinguer entre les deux types de
mesure parce que la différence entre les modalités de vente et les conditions relatives aux
produits ce n’est pas toujours aisé. On avait eu un exemple dans l’arrêt Mars, il y avait une
restriction portée sur l’emballage de cette barre chocolatée qui disait « réduction moins 10%
» en fonction de la teneur en chocolat et on s’est demandé si cet étiquetage portait sur la
composition ou simplement un simple étiquetage. La lisière entre les deux types de mesure
n’est donc pas du tout évidente. Et je dirai que cette distinction n’a pas été éclaircie par la
Cour, au contraire elle a été plutôt rendue plus opaque au gré d’une jurisprudence
tâtonnante. Le fondement de l’arrêt Keck et Mithouard était louable : ralentir les recours
déconnectés des échanges commerciaux, mais in fine on a abouti à une densification de la
notion, à un manque d’éclaircissement de sorte que c’est une jurisprudence très contestée
par la doctrine aujourd’hui. Déjà au départ elle a été mal perçue parce qu’on a considéré
qu’elle était une régression. Mais aujourd’hui, au gré de cette jurisprudence tâtonnante qui
a suivi, le juge de l’Union s’est aperçu que finalement il s’est lancé dans une perspective qui
n’était pas réellement fondée et que donc cela est très contesté par la doctrine mais ce ne
sont pas les auteurs qui font le droit, ils l’analysent. Il s’est produit qu’après Keck et
Mithouard on a eu quelques arrêts confirmatoires et ensuite à partir de 1996-1997 on a eu
des arrêts tâtonnants, fluctuants et où on n’avait pas une bonne visibilité de la notion de
MEERQ. Aujourd’hui on assiste à un retour de l’effet restrictif, c'est-à-dire un retour de
Dassonville. Quelques arrêts qui confirment ce retour. En effet, depuis l’émergence de la
jurisprudence Keck et Mithouard, les applications sont aléatoires, fluctuantes, pas
convaincantes, et donc des tendances se dessinent dans la jurisprudence pour revenir à
examiner de manière approfondie l’effet sur les échanges. De fait, mécaniquement cela
annule Keck et Mithouard. On peut essentiellement citer l’arrêt Ker Optica du 2 décembre
2010 dans lequel la Cour va essayer de revenir sur l’arrêt Keck et Mithouard. On peut aussi
citer l’arrêt du 10 février 2009, Commission c/ Italie, arrêt dans lequel la Cour semble
appliquer la jurisprudence Dassonville sans prendre en considération l’arrêt Keck et
Mithouard. A cela, il faut également ajouter qu’outre la critique doctrinale, on a de
nombreux avocats généraux (notamment Bouaud) qui plaident pour un retour à la
jurisprudence Dassonville. On a un travail de fond également développé par les avocats
généraux qui rendent leurs conclusions, et participent à la formation du droit de l’Union.

Section 3 : Les dérogations au libre mouvement des marchandises ou les multiples


expressions de l’intérêt général

Voilà en ce qui concerne la qualification de la notion de MEERQ. C’est un point important de


la matière qu’il faut bien connaître en ce qui concerne les conditions. On terminera sur ce
point en ce qui concerne les marchandises en évoquant les dérogations possibles après la
qualification de la MEERQ. Les dérogations acceptées au libre mouvement des
marchandises. Comme nous l’avons dit, lors de la rédaction des traités, il était peu
concevable de mettre en place un système entièrement répressif des entraves aux échanges.
A la différence des droits de douane et des taxes d’effet équivalent, dans le cadre des
MEERQ on a tout de même une marche de manœuvre, à la faveur des articles 34 à 36. Les
rédacteurs des traités fondateurs en 1957 ont considéré qu’il fallait laisser un peu de
souplesse dans l’application des articles 34 et 35. Et ce sera chose faite avec l’article 36,
TFUE, qui permet aux États de protéger un intérêt essentiel au prix d’une entrave au
commerce intracommunautaire. Progressivement, ce socle textuel de dérogations évoluera
et permettra d’aborder de nouvelles dérogations.

I. Un socle initial de dérogations : l’article 36, TFUE

Nous allons voir le socle initial de dérogation : l'article 36, TFUE. L’article 36, TFUE, énumère
un certain nombre d'intérêts à caractère public, qui revêtent un caractère éminent. Ces
intérêts permettent d'être invoqués par les États membres, par les autorités nationales, pour
pouvoir aboutir à une application des articles 34 et 35. La liste est assez longue. Il est rare
que dans les traités nous ayons des dispositions très longues puisque le traité TFUE est un
traité cadre, ce n’est pas un traité loi à la différence CECA. C’est un traité cadre où les
prescriptions finalement sont assez sommaire mais nous avons quelques dispositions,
notamment en matière d’accord extérieur, en matière d’harmonisation, qui sont étoffées,
denses. C’est le cas de l'article 36 qui énumère des intérêts essentiels de l'État que celui-ci
peut invoquer devant l'autorité de l'union afin donc de déroger à l'application de l'article 34
et 35 TFUE. Les intérêts essentiels sont ceux relatifs à la protection de la moralité publique,
l’ordre public, la sécurité publique, la santé et la vie des personnes, la préservation des
végétaux, la protection des animaux, la protection des trésors nationaux ayant une valeur
artistique, historique ou archéologique et la protection de la propriété industrielle ou
commercial. Ces intérêts ainsi énumérés sont invocables par les États.

A. Champ d’application

L’article 36 TFUE cependant, ne peut être invoqué à tout bout de champ. Il est enserré dans
des conditions très restrictives. Conditions déjà rappelées par l’article 36 en lui-même, mais
surtout des conditions très enserrées par la jurisprudence. La jurisprudence a développé une
interprétation très restrictive de l’article 36 de telle sorte qu’il est difficile d'obtenir gain de
cause devant le juge de l'Union Européenne. Sur son application, nous observeront que les
mesures qui sont invoquées par l'État au titre de l’article 36, ne doivent pas avoir un
caractère économique. Elles doivent se reporter uniquement à l'application d’une mesure
relative aux échanges. C’est-à-dire véritablement viser les articles 34 et 35 TFUE. Les
mesures nationales invoquées par les États sont limitées aux seuls intérêts visés l’article 36
TFUE. On ne peut pas invoquer d’autres intérêts. Exemple, dans un arrêt Commission c/
Irlande, l’Irlande invoquait la protection des consommateurs. Or, dans le cadre de l’article 36
TFUE, ce qui est invoqué c’est la protection de la santé publique. La nuance est très
importante. La cour a considéré l'argument irrecevable. Il est important de se limiter
véritablement, textuellement, expressément aux intérêts visés par l’article 36 TFUE. On a
donc un champ d’application large, mais dont l’interprétation est restreinte.

B. Conditions d'invocabilité

Celles-ci sont tout aussi sévères. Elles ont été dégagées par le juge de l'Union Européenne
selon une échelle de sévérité assez importante.

1. Rapport de causalité

Ce qui est requis c'est un rapport de causalité entre la mesure et l'intérêt invoqué. C’est un
contrôle de causalité assez classique. Dans le cadre de l'article 36, c’est vraiment très
appuyé. Le juge de l'union exige une causalité entre la mesure invoqué et l'intérêt qui le
sous-tend, et l’interdiction avancée par l’État.
2. Nécessité et proportionnalité

Autre contrôle exercé par le juge de l’union, autre rapport exigé : un rapport de
proportionnalité et de nécessité de la mesure invoquée. Il faut que la mesure soit nécessaire
et qu'elle soit proportionnée. Les deux contrôles sont souvent adjoints. De manière générale
en matière de liberté, les deux contrôles sont adjoints. La Cour veille à ce que la mesure soit
nécessaire. Juste après est activé le contrôle de proportionnalité sur les mesures adoptées
par l’État. Elles doivent être équilibrées par rapport à l'objectif visé. Ces contrôles adjoints
permettent de s'assurer du bien-fondé de la mesure.

3. Contrôle de substitution

Autre condition requise : c’est l’examen d’un rapport de substitution qu’on appelle le
contrôle de substitution. Cela veut dire que le juge de l'union va s'assurer qu’il n’existe pas
de mesure moins restrictive pour pouvoir satisfaire l'objectif invoqué par l’État. Aux deux
contrôles précédents, la Cour ajoute le contrôle de substitution. Le contrôle de substitution
est un contrôle que la doctrine appelle également contrôle de l'entrave minimale. On va
s'assurer que l’entrave est minime. Même si la mesure est considérée comme proportionnée
et nécessaire, on a eu des affaires ou cette mesure tombait sous le coup de l'article 34 parce
qu’elle était considérée comme excessive. L’entrave minimale n'a pas été respectée (c’est
l’arrêt Rau du 10 novembre 1982). Concrètement, la Cour vérifie simplement l'existence de
mesures de remplacement. Elle va faire preuve d’imagination. Elle va faire valoir qu'il peut y
avoir des mesures de remplacement qui restreigne beaucoup moins fortement les courants
d’échanges. Régulièrement la Cour affirme que des mesures nationales ne satisfont pas, ni
au teste de proportionnalité, ni au test de nécessité et ni au teste de substitution. Toutefois
si un État membre parvient à démontrer que l'adoption d'une mesure de remplacement
aurait un effet négatif sur d'autres intérêts supérieurs de l'État (en termes de santé publique,
sécurité publique...), cette réserve ne sera pas prise en compte. Il est possible d’écarter le
contrôle de proportionnalité.

4. Une compétence résiduelle

Autre condition requise que la Cour l'examine à travers un rapport de cause à effet.
Lorsqu’elle examine la mesure, elle s'assure que l’État l’a bien entendu comme l’exercice
d’une compétence résiduelle. Il ne faut surtout pas que l'État interprète l'article 36, TFUE,
comme une clause de sauvegarde. La clause de sauvegarde par définition vise un l'intérêt
économique. Là ce n’est pas le cas, les intérêts sont non-économiques. L’État ne doit pas
considérer que cette compétence est permanente et absolue. Au contraire la compétence
qui se dégage de l'article 36, TFUE, est une compétence résiduelle et précaire. Elle n’est ni
exclusive ni définitive, permanente, dans la mesure où cette compétence ne peut être
exercée entièrement au niveau national que si l'autorité communautaire n'a pas agi en la
matière. C’est ce qu’on appelle le principe de préemption communautaire. En effet, la Cour
de justice réfute de manière constante l'exercice de la compétence nationale afin de
protéger le dit intérêt visé par l'article 36 si l’autorité communautaire a agi. Si l’autorité de
l’Union a agi pour protéger la santé publique, la préservation des végétaux, la protection des
consommateurs, la moralité publique, il n'y a pas lieu à ce que l'autorité nationale le face.
L’autorité nationale ne pourra agir qu’à défaut de compétences communautaires. La Cour
peut être amenée à qualifier une réglementation nationale de mesure d’effet équivalent en
présence d’une mesure d’harmonisation. On peut trouver des arrêts où, en présence d’une
autorité de l’union qui n’a pas agi, c'est-à-dire que l’autorité communautaire n’a pas adopté
de texte, il peut y avoir qualification de MEERQ si les tests de nécessité, proportionnalité et
substitution ont abouti à des résultats positifs. C'est une compétence qui est extrêmement
résiduelles, qui est précaire. La Cour tient de manière régulière à le souligner. Ce caractère
précaire peut donner lieu parfois à une substitution partielle ou totale de la compétence
nationale par la compétence communautaire, mais c’est assez limité. Cela parce qu’à partir
de 1960, on a toute une réglementation au niveau de l'Union pour préserver de nombreux
intérêts, essentiellement la protection de la santé publique, la protection des végétaux, des
animaux, de l’environnement, puisqu’il n’y a plus de barrières au sein de l’union. Les
marchandises circulent librement c'est un enjeu sanitaire très important. Dès l'instant que
les marchandises viennent des États tiers, il faut s'assurer qu'elles répondent à des critères
sanitaires et environnementaux importants. C’est une question de santé publique majeure.
Les contrôles sont drastiques aux frontières externes l'Union Européenne. Si l'opérateur
économique s’acquitte des droits de douane et accomplit les formalités douanières, le
produit circule librement. C’est très important de s’assurer de la protection de ces intérêts.
C’est pour cela qu’à partir des années 80, on a eu une prolifération des textes en la matière
pour s'assurer que les importateurs qui apportaient des marchandises d’États tiers
respectaient véritablement ces contrôles sanitaires. La marge de manœuvre au profit des
États est aujourd'hui très mince. Il est très difficile pour un État de démontrer auprès du juge
de l’Union l’inexistence d’une règlementation communautaire en matière sanitaire ou
environnementale, parce que les textes sont nombreux en la matière.

5. Charge de la preuve

La charge de la preuve, selon une jurisprudence établie, appartient aux autorités nationales.
En effet lorsqu’un État membre invoque l’article 36 pour justifier une restriction aux
échanges, il lui appartient d’apporter la preuve de l'utilité de la mesure. Comme l'énonce la
Cour de manière régulière dans un considérant qui est systématique, « il doit toujours
incomber à l'autorité nationale de démontrer que la mesure satisfait aux critères de l'article
36, TFUE. »

C. Principaux motifs de dérogations

Pour terminer sur l’article 36, quelques mots sur les principaux motifs de dérogations. On ne
va en dire que les éléments essentiels. On observe que de nombreux intérêts sont énumérés
par l'article 36. Ils visent souvent à protéger des personnes vulnérables. Il est possible de
retenir trois axes jurisprudentiels, au regard du contentieux dense que génèrent ses intérêts,
qui sont liés toujours à la préservation de l’intérêt général : les intérêts liés à la moralité
publique (ordre public et sécurité publique), la protection de la santé et de la vie des
personnes, et la protection industrielle et commerciale. En revanche certains intérêts sont
vraiment marginaux, comme celui de la protection de trésors nationaux. Il y a pas mal de
texte au niveau de la protection des trésors nationaux mais il y a peu d’entrave en la matière
donc la jurisprudence est plutôt sommaire

1. La moralité publique (ordre public et sécurité publique)

On a une perception très large de ces notions par la Cour. La Cour les rattache à la notion
d’ordre public. Le problème c’est que dans le cas de l'Union Européenne nous n'avons pas de
définition de l'ordre public, donc c’est toujours par défaut.

a. La moralité publique

Concernant la moralité publique, la Cour considère qu'il appartient souverainement aux


États de déterminer les exigences en la matière (en matière de moralité publique) selon leur
propre échelle de valeur. La cour s’interdit de s'immiscer dans cette échelle de valeur. On n’a
pas de définition d'un ordre public européen bien qu’il y ait des travaux doctrinaux. La Cour
considère que les États membres peuvent, selon leur propre échelle de valeur, définir la
moralité publique. La mesure en cause fera certes l'objet d'un examen in concreto. Elle
n’échappe pas au contrôle sévère de la Cour. Mais le niveau de protection est laissé à la
discrétion des États selon leur échelle de valeur parce que la moralité publique renvoie à la
manifestation d'intérêts essentiels à l'État selon sa propre histoire, sa propre tradition. La
notion de moralité publique revêt par définition un caractère contingent que la Cour se
refuse de remettre en cause en l’inscrivant dans une définition préétablie. Mais pourtant on
a une jurisprudence assez importante dans la matière. L’exemple le plus topique est en
matière d'entrée de marchandises à caractère pornographique. Selon les circonstances, la
Cour examinera si la mesure restrictive est justifiée au regard des exigences avancées par
l’État qui s'oppose à l'entrée de tel ou tel objet pornographique. La moralité publique pourra
être admise seule ou en tant que justification suffisante, concernant que les marchandises
qui sont qualifiées par le juge de l'union d'obscène ou d’indécent. Dans d'autres affaires elle
sera associée à d'autres considérations. Par exemple, les considérations liées aux jeux de
hasard ou la protection des mineurs pour ce qui concerne le marquage de vidéogrammes et
de DVD. On a donc des arrêts qui montrent que la Cour n’hésite pas à sanctionner si elle
considère que l’État est allé trop loin dans l’interdiction d’entrée ou de sortie de
marchandises.

b. L’ordre public

Dès l’instant qu’un autre motif de dérogation est prévu par l’article 36 et qu'il est applicable,
la Cour s'efforce d'y recourir et de l'associer à l’ordre public, de sorte que lorsqu’il y a
moralité publique et sécurité publique, on trouve juste à côté l’ordre public. La Cour
fonctionne par association. Par exemple, la Cour a été amenée à prendre en considération à
titre exclusif le motif tiré de l’ordre public à l’occasion d’un arrêt qui portait sur les
restrictions nationales d’importation et d’exportation de pièces d’or de collection. La Cour
vise uniquement l'ordre public (ce qui est assez rare) pour protéger le droit de frappe des
États (avant la mise en place de l’euro). Le droit de frappe est un droit essentiel de l’État.
Pour le protéger, la Cour avait invoqué l'ordre public de manière exclusive.

c. La sécurité publique

Ce motif peut être invoqué par les États. On a des arrêts assez intéressants, dans le domaine
énergétique essentiellement, quant à la nécessité de maintenir la capacité d'installation de
raffinerie par exemple. La Cour a également retenu les raisons de sécurité publique à propos
de commerce de marchandises stratégiques, à propos de marchandises à double usage. La
Cour estime également que l'article 36 en ce qui concerne cet intérêt est applicable, à la fois
en ce qui concerne sa sécurité intérieure, par exemple en ce qui concerne les recherches
criminelles, ou encore la prévention routière (domaine où on a de nombreux arrêts
importants), la sécurité routière apparaît aujourd'hui comme un intérêt lié à la sécurité
publique de l'article 36, et également de toute la réglementation relative à la circulation, et
la règlementation relative à la sécurité extérieure également.

2. La protection de la santé et de la vie des personnes

Quelques mots concernant la protection de la santé et de la vie des personnes. Elle contient
la protection de la santé et de la vie des personnes, la préservation des végétaux et la
protection des animaux. C’est un argument, un intérêt essentiel. C’est très important. Cet
argument est invoqué la plupart du temps par les autorités nationales lorsqu’elles entendent
justifier des mesures restrictives, sous la forme essentiellement de contrôle à vocation
sanitaire. C'est-à-dire qu’à l’entrée de marchandise sur leur territoire, les autorités
nationales opposent des contrôles sanitaires. Là on va tout de suite vérifier d’abord si ces
contrôles n’existent pas à l’entrée de l’Union. Si on a un contrôle sanitaire équivalent, l’État
tombera sous le coup de l’interdiction. Les contrôles sanitaires et vétérinaires qui ont pour
fondement légitime la protection de la santé publique sont autorisés à conditions qu’ils ne
soient pas déjà mis en place par l’Union. De ce point de vue-là, la Cour ne manque pas de
souligner que parmi les biens ou les intérêts protégés par l’article 36, la santé et la vie des
personnes occupent le premier rang. Il appartient aux États membres, dans les limites
imposées par les traités, de les protéger. Pour les autres motifs, renvoi au manuel. Les motifs
les plus importants demeurent cependant la santé publique et la moralité publique.

II. Un socle supplétif de dérogation

Après l’article 36, TFUE, il y a un autre socle supplétif dont on va dire quelques mots : le
socle supplétif de dérogations. En effet, comme nous l’indiquions en préambule, les
dérogations se sont prêtées finalement à une dualité : un socle initial apporté par l’article 36,
TFUE. Socle appréciable mais qui se prête à une lecture très restrictive de la part du juge de
l’Union, et va se dégager un socle supplétif qui va se densifier au fur et à mesure. C’est un
socle supplétif dégagé plutôt par les traités de révisions et la jurisprudence. En dépit du
champ d’application appréciable de l’article 36, il demeurait finalement assez difficile aux
États, devant le juge de l'Union Européenne, et eu égard à sa sévérité, de répondre aux
situations dans lesquelles substituaient des atteintes au principe de circulation pour des
raisons tirées de l’intérêt général. Aussi donc à ce socle initial, à ce socle premier, il saurait,
dirons-nous, s’est greffé un socle supplétif de dérogations qui ont une double source : les
traités et la jurisprudence.

A. Les dérogations introduites dans le traité : L’article 114 TFUE

Dans la perspective du marché unique au 1er janvier 1993, nous rappellerons, puisque c’est
un point que vous avez certainement vu dans le cadre du droit institutionnel, que l’acte
unique européen a introduit une série de dérogations, dans le cadre d’une nouvelle
disposition : l’article 114, TFUE. C’est une disposition très importante. C’est une disposition,
qui, en établissant une nouvelle procédure d’harmonisation, prévoit, au sein de deux
paragraphes (les §4 et 5), un certain nombre de dérogations. Ces dérogations seront à
nouveau modifiées par le traité de révision ultérieur : le traité d’Amsterdam. Ces dérogations
se présentent en fait sous la forme de véritables clauses de sauvegarde. Ce sont des clauses
de sauvegardes qui, en fait, permettent aux États membres d’échapper à la mesure
d’harmonisation en invoquant une raison d’intérêt général. Pourquoi clause de sauvegarde ?
Tout à l’heure on a dit effectivement que normalement il n’y a pas de clause de sauvegarde
dans les traités en ce qui concerne les marchandises. En effet, l’article 36 n’est pas une
clause de sauvegarde. Là, c’est une interprétation doctrinale, de certains auteurs, qui est
reprise ici. On considère que c’est une clause de sauvegarde parce que la marge de
manœuvre est très importante pour les États en matière économique. On se rendait compte
que finalement cette clause de sauvegarde apparait comme le tribut à payer, à verser, par
l'Union Européenne pour faire accepter aux États l’extension du vote majoritaire. Comme
vous le savez très bien, dans le cadre de l’acte unique européen on a assisté à une extension
importante notable du champ d’application du vote majoritaire. C’était la contrepartie. La
contrepartie c’était de permettre aux États d’échapper à certaines mesures d’harmonisation
parce qu’ils perdaient énormément sur le vote majoritaire. C’est pour ça que certains
auteurs, notamment je reprends Blumann et Dubouis, parlent de clause de sauvegarde, et
effectivement à raison me semble-t-il. C’est vraiment une clause de sauvegarde. Le recours à
ces dérogations constitue pour les États le seul paravent possible pour la maitrise des
intérêts essentiels de l’État puisqu’ils ne peuvent pas s’opposer à une mesure
communautaire en faisait valoir un droit de véto, puisque le droit de véto n’existe pas dans
le cadre du marché intérieur. Il disparait complètement avec l’acte unique européen.
L’article 114§4 autorise tout État membre, après l’adoption d’une mesure d’harmonisation,
à maintenir une législation nationale plus restrictive, fondée sur « les exigences importantes
visées à l’article 36, TFUE, ou relatives à la protection du travail ou de l’environnement ». Le
paragraphe 4 autorise le maintien de telle type de mesure. En ce qui concerne le paragraphe
5, celui-ci autorise l’introduction de mesures nationales, uniquement, en revanche,
uniquement en matière de protection de l’environnement ou du travail. L’introduction n’est
pas possible par rapport à l’article 36 TFUE. C’est uniquement en ce qui concerne le milieu
du travail ou la protection de l’environnement. Les paragraphes 4 et 5 sont d’une grande
utilité pour les États membres. Cependant, il faut nuancer le propos. On observe qu’en fait le
recours à ces dispositions est soumis à une procédure très contraignante. C’est assez lourd. Il
y a des garanties procédurales importantes. La procédure est contraignante puisque la
mesure doit avant tout faire l’objet d’une notification auprès de la Commission, qui lui
accordera, au cours d’un examen approfondi au fond, ou non une validité. Au niveau des
délais, c’est extrêmement rigoureux. Les délais sont très précis. Régulièrement, les États
entrant, notamment les États de la vague de 2004, ont été souvent censurés parce qu’ils
notifiaient à la Commission sans prendre connaissance des textes et des délais. Les délais
sont très contraignants, il faut véritablement respecter le délai de notification. La
Commission statue dans un délai de 6 mois à compter de la notification, en application de
l’article 114§6, TFUE. Le paragraphe 10 de l’article 114, TFUE, ouvre la possibilité pour les
États, lors de l’élaboration d’un texte d’harmonisation, d’invoquer les raisons « non
économiques » de l’article 36 TFUE, tant que la mesure restrictive ne revêt pas un caractère
excessif et qu’elle a un caractère provisoire. L’article 114, TFUE, est venu effectivement
densifier le socle de dérogation à titre supplétif. Ce n’est pas évidemment systématique.
C’est lorsque les circonstances le permettent et au grès de ses conditions. Voyons
maintenant le dernier élément de ce socles supplétif.

B. Les dérogations issues de la jurisprudence : Les exigences impératives

Les dérogations tirées de la jurisprudence : c’est la théorie des exigences impératives. Au


côté de ce socle textuel résultant de l’article 36 TFUE s’est ajouté un socle supplétif, tiré
d’une part par l’article 114 TFUE et d’autre part par la jurisprudence. Ces nouvelles
dérogations énoncées par le juge de l'Union Européenne présentent une grande similarité
avec l’article 36 TFUE.

1. Fondements théoriques

Quels sont les fondements théoriques de ces exigences ? En fait, c’est à l’occasion d’un
célèbre arrêt, l’arrêt communément appelé Cassis de Dijon du 20 février 1979, que la Cour
consacrera cette nouvelle dérogation sous cette appellation : exigence impérative, au travers
d’une construction jurisprudentielle très précise qui apparait dans les considérants de l’arrêt.
Dans un premier temps, la Cour affirme le droit, dont dispose tout État, de régir la
production et la commercialisation des produits accédant à son territoire et circulant,
évidemment à la condition suprême qu’il n’existe pas d’harmonisation dans le domaine en
cause (principe de préemption). Toutefois, dit-elle, au regard de la reconnaissance mutuelle,
du principe de la reconnaissance mutuelle, qu’elle va dégager (il y avait déjà des ferments de
ce principe dans les travaux des communautés), les contrôles exercés sur les marchandises
bénéficient d’une reconnaissance entre États membres. Tout produit légalement fabriqué et
commercialisé dans un État, en conformité avec la règlementation nationale, peut
également pouvoir l’être dans les autres États membres. C'est-à-dire que la Cour impose aux
État l’application d’un principe de reconnaissance mutuelle. S’il y a des contrôles dans un
État membres, ceux-ci seront considérés comme valables, valides, dans l’autre État membre.
Néanmoins, la Cour admet la possibilité pour un État membre d’introduire ou de maintenir
une entrave si elle est, et c’est là que nait l’exigence impérative, justifiée par des exigences
impératives tenant notamment « à l’efficacité des contrôles fiscaux, à la protection de la
santé publique, à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des
consommateurs ». Dans ce cas l’apport de la Cour est double : Consécration d’un principe de
reconnaissance mutuelle et consécration de l’exigence impérative.

2. Conditions de ces exigences impératives

Il va sans dire que ces conditions sont extrêmement restrictives. Les États doivent se plier à
des conditions très sévères : Application d’un contrôle de nécessité, d’un contrôle de
proportionnalité, d’un contrôle de substitution (critère de l’entrave minimale). Ce sont les
mêmes conditions que celles qui sont applicables dans le cadre de l’article 36 TFUE. La Cour
se montre extrêmement sévère de ce point de vue-là. L’article 36 TFUE se livre à un contrôle
in concreto. C’est le cas de l’exigence impérative, de sorte qu’elles sont rarement recevables.
Les arguments des États sont rarement recevables pour le juge de l'Union Européenne.
Cependant, on assiste au fur et à mesure de l’application de cette jurisprudence à des
extensions régulière de la liste des intérêts (ce qui ne signifie pas nécessairement que les
États obtiennent gain de cause) des exigences impératives. Ceci a été plutôt suggéré à
travers l’emploi du terme « notamment » dans l’arrêt Cassis de Dijon (considération numéro
8). La liste n’est pas fermée. La qualification d’exigence impérative sera étendue à d’autres
intérêts, là aussi fortement portés par l’intérêt général, supérieur, éminent que peut
poursuivre un État. C’est un élément de distinction avec l’article 36 TFUE qui est
d’interprétation stricte. De nombreux intérêts ont été consacrés, parmi lesquels on va citer
les plus important : la protection de l’environnement (Arrêt Commission c/ Danemark,
1988), la défense du cinéma d’auteur et la protection de la culture. C’est l’arrêt Cinéthèque
de 1985 qui concernait la France. En France il y avait une règlementation qui ne permettait
pas de commercialiser les films au-delà de 2 ans à la diffusion en salle. Le film avait été
diffusé dans des salles par des opérateurs qui n’avaient pas leur siège en France. Ils ont été
poursuivis. La France a contesté cette possibilité pour l’opérateur de diffuser le produit alors
que les 2 ans n’étaient pas écoulés. Effectivement la France a obtenu gain de cause. Sa
règlementation a été maintenue. Elle a été réduite un peu par la suite dans sa durée.
Aujourd’hui, cette réglementation n’est plus vraiment adaptée avec les nouvelles
technologies. Toute personne peut consulter aisément les films au-delà de ce délai légal. Il
existe un commentaire de la prof sur cet arrêt dans les revues LGDJ. Autre intérêt dégagé
par la jurisprudence, le pluralisme de la presse. C’est l’arrêt Familiapress à propos de
publicité qui était en fait dans des revues à destination de jeunes enfants. C’était la question
de la protection de l’enfant et du pluralisme de la presse. Également, le choix de la politique
économique et sociale. C’est la question de l’amélioration des conditions de travail. C’est
devenu une exigence impérative que l’on peut invoquer. C’est aussi l’équilibre financier d’un
système de sécurité sociale, la protection des travailleurs, la défense des consommateurs (à
distinguer de la protection de la santé publique), la protection du bien-être des animaux. On
a la protection de la vie des animaux dans l’article 36, TFUE, mais là c’est du bien-être des
animaux dont il est question. On a aussi la sécurité routière. Une jurisprudence est très
abondante sur le sujet (la garantie de la sécurité routière) puisque les règlementations sont
très importantes au niveau européen. Au niveau de l'Union Européenne, on a des
règlementations mais les règlementations sont surtout importantes au niveau national,
notamment pour les États qui sont confrontés à ce fléau. C’est aussi la protection de
l’enfance et la lutte contre la criminalité. Plus récemment, la Cour a considéré que des motifs
d’ordre éthique et religieux pouvaient justifier une entrave aux échanges de marchandises.
Pour l’heure la Cour ne l’a pas admis, ne l’a pas érigé au rang d’exigence impérative.
Toutefois, l’arrêt ouvre la possibilité pour la Cour d’un jour considérer cela comme une
exigence impérative. En fait, il s’agissait de la Pologne. C’est l’arrêt Commission c/ Pologne
de 2009 à propos de l’interdiction des OGM qui est posée par la Pologne. La Pologne, devant
la Cour, faisait valoir des motifs étiques et religieux qui faisaient en sorte qu’elle n’acceptait
pas la commercialisation de produits OGM. La Cour n’a pas validé son motif mais elle l’a
accueilli dans le cadre de l’argumentaire. On peut considérer qu’à termes on aboutirait vers
une telle considération. Pour l’instant ce n’est pas encore le cas. Voilà sur ce socle supplétif
né de la jurisprudence. Finalement, contre toute attente, la démarche de la Cour à travers
Cassis de Dijon, n’a pas été un tremplin au comportement protectionniste mais a permis aux
États de mieux intégrer la législation communautaire. On s’est rendu compte qu’avec les
intérêts qu’ils ont invoqué, ils prenaient le temps de s’adapter à l’ordonnancement de
l'Union Européenne, aux contraintes lourdes de l'Union Européenne. Le fait que les États
puissent invoquer ces intérêts est important. Cela leur permet de s’adapter de manière
progressive à l’ordonnancement de l'Union Européenne. Il ne faut pas non plus avoir une
lecture extrême. Souvent dans la doctrine communautariste on a finalement deux grandes
tendances. La tendance de ceux qui sont plutôt extrémistes, qui veulent appliquer
immédiatement l’entièreté du droit de l'Union Européenne. Notre tendance à laquelle je me
range. Il faut effectivement de manière modérer avancer dans l’intégration. Il faut permettre
aux États certaines soupapes de sorties. Contre toute attente, l’arrêt Cassis de Dijon a été
bénéfique et a permis à des États de s’adapter progressivement aux exigences de
l’intégration européenne qui en termes de nomenclature normative est assez dense. La
question des marchandises est donc traitée. C’est un point effectivement essentiel pour
pouvoir appréhender maintenant les personnes. Pour conclure sur les marchandises, il faut
retenir les différents points que nous avons vus dans la perspective de l’examen, à savoir, la
question relative aux droits de douane et aux taxes d’effet équivalent, et la lecture rigide,
sévère à laquelle se prête ces notions. La question relative aux MEERQ, point central des
libertés de circulation, les conditions de qualification de la MEERQ, les critères qui sont
retenus et les dérogations qui sont autorisées, tantôt le socle initial, tantôt le socle supplétif,
nous l’avons vu sous un regard extrêmement vigilant de la part de la Cour.
Droit européen des affaires
Les personnes

I. Les personnes – Introduction

Parallèlement à la libre circulation des marchandises, il existe une autre liberté, celle des
personnes, qui dispose d’un statut équivalent dans nos traités puisqu’il s’agit d’une liberté
fondamentale. Mais, à la différence de la mobilité des biens, plutôt homogène dans son
contenu (nous l’avons examiné), la circulation des personnes a connu une évolution
profonde au travers de textes dérivés importants, au travers de la jurisprudence (et
notamment de certains grands arrêts que nous allons examiner) et au travers du traité de
Maastricht. Ces différentes sources ont permis de distinguer clairement deux types de
liberté qui sont désormais consacrés. D’une part, la libre circulation des personnes à des fins
professionnelles. C'est-à-dire celle des agents économiques, sous l’angle distinct du
travailleur salarié, de l’établissement et de la prestation de service. D’autre part, la liberté de
circulation et de séjour des personnes à des fins personnelles. Ce sont des personnes qui ne
sont pas guidées par des motivations économiques. A cet égard, cette évolution a permis de
rendre ces deux libertés complètement autonomes ce qui n’était pas le cas au départ. C’est
pour ça qu’il y a une transfiguration, une transformation de cette liberté par rapport aux
marchandises. Il n’y a pas de transformation de la liberté de circulation des marchandises
alors que là il y a une véritable transformation de cette liberté. Ce processus
d’autonomisation s’est produit avec le traité de Maastricht. Auparavant, les traités
inscrivaient jusqu’à 1992 la liberté de mouvement dans une perspective purement
économique, compte tenu des objectifs qui étaient les leurs, mettant en avant une
conception économique des personnes, sous l’angle tantôt de l’agent, tantôt de l’opérateur.
Il en résultait que la liberté accordée était éminemment de nature économique puisque les
personnes visées étaient des agents économiques. Elle portait donc concrètement sur la
possibilité, à titre exclusif, de se déplacer et de s’établir sur un territoire (le territoire d’un
État membre) afin d’y exercer une activité salariée ou non salariée. C’est ainsi qu’avec
l’affermissement de la citoyenneté européenne, dans le sillage du traité de Maastricht, la
liberté de mouvement à des fins personnelles prendra une densité nouvelle et bénéficiera
d’un statut autonome véritablement distinct de celui de la liberté professionnelle. Ce statut
autonome a pour socle formel le traité de Maastricht qui consacre le droit de circuler et de
séjourner librement pour tout citoyen de l'Union Européenne à l’intérieur du territoire
duquel il relève et d’y vivre indépendamment de toute considération économique. C’est
vraiment là le point de distinction majeure. Dans la liberté professionnelle, c’est à des fins
économiques et professionnelles. C’est une liberté guidée par des considérations
économiques (à titre d’activité salariée ou non salariée). Dans le cadre de la mobilité à des
fins personnelles, les considérations économiques n’entrent absolument pas en jeux. Ce sont
des considérations liées à la volonté de tout ressortissant d’un État membre de l'Union
Européenne qui a le statut de citoyen de l'Union Européenne de pouvoir quitter son
territoire, résider dans un autre État membre et s’y installer. Plus tard, d’autres textes
viendront consolider l’autonomie de la liberté personnelle par rapport à la liberté
professionnelle. Notamment, on pense à la Charte des droits fondamentaux, qui va insister
sur ce point-là. Il faut bien comprendre cette évolution profonde qu’a traversé la liberté de
circulation des personnes. Initialement, nous n’avions finalement qu’une lecture
économique de cette liberté. Seuls étaient visés les agents économiques, soit à titre salarié,
soit à titre non salarié. Ceux-ci, pour des raisons économiques, pouvaient quitter leur
territoire, se rendre dans un autre État. Ils pouvaient par exemple quitter le territoire
français et se rendre en Espagne ou au Portugal pour s’y installer, pour travailler. La
motivation économique était essentielle pour pouvoir bénéficier du statut de travailleur
salarié ou non salarié au sein de l'Union Européenne. A partir de 1986 et surtout 1992 (traité
de Maastricht), la citoyenneté qui sera ainsi consacrée va ouvrir le champ à une nouvelle
liberté qui va voir le jour : la liberté de circulation des personnes à des fins non
professionnelles, à des fins personnelles. Ce sera la citoyenneté qui permettra donc à tout
ressortissant de l'Union Européenne, dès l’instant qu’il a la citoyenneté d’un État membre de
l'Union Européenne, de quitter son territoire pour le territoire d’un autre État membre. C’est
un droit fondamental qui est reconnu par les textes fondamentaux. Le droit pour toute
personne de quitter son territoire pour le territoire d’un autre État membre afin de s’y
installer est un droit essentiel. Cela va être une installation durable. Ce n’est pas une
installation de 6 mois. On peut résider durablement dans un autre État membre de l'Union
Européenne en tant que citoyen de l'Union Européenne. A partir de là, d’autres droits vont
venir se greffer : les droits aux membres de la famille, les droits politiques également (droit
de vote, d’éligibilité...), les droits consulaires et diplomatiques, etc. De nombreux droits vont
venir densifier cette citoyenneté. C’est très important de faire la distinction. Évidemment eu
égard au champ de la matière (droit européen des affaires), on va surtout s’attarder bien sûr
sur la liberté professionnelle, la liberté des agents économiques. On dira quelques mots
assez sommaires sur la liberté personnelle. Dans le cadre de l’examen, il pourrait y avoir un
lien avec cette question-là mais la liberté personnelle ne fera pas véritablement l’objet d’un
contrôle sur ce point parce qu’elle sort du champ de la matière. Il faut en dire au moins les
mots essentiels.

II. La mobilité à des fins professionnelles

Nous allons aborder la mobilité, la liberté de circulation à des fins professionnelles, celle qui
vise l’agent économique. C’est une liberté qui revêt un caractère historique. Au sein de la
libre circulation des personnes, la liberté à des fins professionnelles n’a eu de cesse
d’évoluer elle aussi, de se développer. Elle a conquis une place significative, à la faveur de
certains textes. Les chartes sociales tout d’abord, la première charte sociale européenne
signée à Turin en 1961, et la seconde la charte communautaire des droits sociaux
fondamentaux signée en 1989. Ces textes reconnaissent le droit de toute personne
d’accéder aux professions et de les exercer. Ce sont des textes importants. Puis bien sûr, la
charte des droits fondamentaux en 2001 viendra appuyer l’attachement aux droits de la
personne lorsque dans son article 15 paragraphe 1 il est dit que toute personne a le droit de
travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée. C’est un droit
fondamental protégé par les textes qui est celui de pouvoir travailler, de choisir l’activité
professionnelle que l’on veut et de pouvoir l’exercer. La mobilité économique, la liberté
économique prendra ainsi une certaine épaisseur à partir de ces textes, notamment au
regard de la question relative au droit du travail, le droit au travail auquel est rattaché
l’exercice de l’activité professionnelle. Chaque personne bénéficie de ce droit fondamental,
du droit au travail. Les traités originaires reconnaissent aux ressortissants européen un droit
de circulation et de séjour lorsqu’eux ceux-ci sont des personnes physiques, travailleurs
salariés ou non-salariés, et personnes morales. L’objectif est de faciliter les destinataires de
la liberté professionnelle, l’accès aux territoires des États membres, il ne doit pas y avoir
d’entrave, d’obstacle. Le contenu de cette liberté sera guidé, présidé par un principe de non-
discrimination. C’est vraiment l’axe, le principe cardinal de la liberté de circulation des
personnes. On en a déjà parlé dans le cas des marchandises, on parlait des mesures
discriminatoires ou non. Mais là dans le cas de la liberté de circulation des personnes le
principe de non-discrimination était vraiment un axe fondamental. Dans le cadre de l’Union
la discrimination se fait à raison de la nationalité bien entendu. Le droit de l’Union impose
aux autorités nationales d’appliquer une égalité de traitement entre ressortissants nationaux
et extranationaux. Ce principe de non-discrimination, outre l’égalité qu’il insuffle dans les
rapports entre ressortissants rattachés à un État membre de l’union, donc entre les 28,
permet de constituer également progressivement un lien de solidarité entre ces mêmes
ressortissants. Dernier point avant d’aborder la première sous partie, concernant ce principe
de non-discrimination : j’ai bien précisé que la non-discrimination s’opère à raison de la
nationalité. Par exemple un ressortissant français qui subirait une discrimination à l’accès à
l’emploi ou à l’accès à telle activité précise ou alors pour entrer dans un territoire à des fins
professionnelles de la part par exemple des autorités italiennes. Il existe d’autres formes de
discrimination qui existent, par exemple les discriminations majeure à raison de l’origine,
origine ethnique, de la confession, des croyances religieuses ou philosophiques, à raison du
sexe, ou encore à raison de l’âge, à raison du handicap (il existe de nombreux arrêts en la
matière) Ce sont des discriminations qui sont liés à des libertés fondamentales et droits
fondamentaux : le respect et la dignité humaine, et ces discriminations sont à appréhender
sous l’angle de la charte des droits fondamentaux de l’Union également, qui depuis le traité
de Lisbonne fait partie des sources du droit de l’union donc occupe une place majeure. Cette
charte a été donc intégrée au droit de l’Union et elle protège les ressortissants de l’Union de
toutes ces formes de discriminations dès l’instant cependant qu’est mis en l’œuvre le droit
de l’Union clairement. Si c’est le droit national, nous avons d’abord des textes nationaux qui
protègent contre ces discriminations, notamment en France on a tout un arsenal en la
matière. Mais dès l’instant que le droit de l’union est mis en œuvre et qu’apparaît une
discrimination à raison de l’origine, de la confession philosophique ou religieuse, du sexe, de
l’âge du handicap etc., dans ce cas on peut invoquer le droit de l’Union et la charte des droits
fondamentaux. Dans le cas de la non-discrimination à raison de la nationalité, le premier
propos que je voulais tenir en ce qui concerne la liberté à des fins professionnelles est qu’il
s’agit précisément d’examiner de manière approfondie ce droit de circuler, d’accéder à une
activité professionnelle, salariée ou non salariée.
III. La liberté professionnelle

La liberté à des fins professionnelles revêt trois dimensions, qui coexistent sur le territoire de
l’Union européenne : le droit d’accès à un emploi salarié, le droit d’accès à une activité non
salariée, c’est-à-dire indépendante et enfin le droit d’offrir ses services sans directement
s’établir dans l’État membre La directive Services du 12 décembre 2006 est venue régir de
manière globale la prestation de services et la circulation de services, afin d’en faciliter
l’exercice.

I. Le droit de circuler et d’accéder à une activité professionnelle salariée

Tout travailleur salarié au sein de l’Union européenne dispose, en vertu de l’article 45, TFUE,
du droit de circuler sur le territoire de l’Union européenne et d’accéder librement aux
emplois salariés. C’est une liberté fondamentale, aucun État ne peut lui opposer une
restriction. Le travailleur salarié est selon la jurisprudence celui qui exerce une activité
contre rémunération, dans le cadre d’un rapport de subordination avec son employeur
(arrêt du 3 juillet 1986, Lawrie Blum posant la définition du salarié en droit de l’Union
européenne). Selon les termes de l’article 45, TFUE, paragraphes 2 et 3, l’accès à l’emploi
des travailleurs salariés implique la mise en œuvre d’un principe de non-discrimination à
raison de la nationalité, et la mise en œuvre du droit primaire de circuler et de séjourner
librement sur le territoire de l’Union européenne. En outre, l’article 45 paragraphe 2 dispose
que la libre circulation du travailleur impose « l’abolition de toute discrimination fondée sur
la nationalité, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail
». Par ailleurs, pour pouvoir accéder à un emploi et l’exercer sur le territoire de l’Union
européenne, le travailleur doit au préalable disposer au préalable d’une liberté de circulation
et de séjour. Ce sont des éléments nécessairement étroitement liés : pour pouvoir exercer
un travail en Espagne, il faut d’abord que je puisse quitter mon territoire national, la France,
et partir en Espagne. Autrement dit, le droit de circuler et de séjourner, d’une part, et le
droit d’accès à une activité salariée et de l’exercer, d’autre part, sont intimement liés et
concourent à l’application et à l’effectivité de l’article 45, TFUE. De nombreuses nuances,
subtilités dans l’exercice de cette liberté professionnelle. Concernant l’applicabilité de
l’article 45 TFUE, nous rappellerons que selon une jurisprudence constante, tout
ressortissant de l’Union européennes, indépendamment de son lieu de résidence et de
nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une
activité professionnelle à cet égard, relève du champ d’application de l’article 45, TFUE. Il n’y
a pas de justification, d’éléments formels à apporter, il s’agit tout simplement d’un
ressortissant d’un État membre, et en tant que ressortissant, il relève de l’article 45, TFUE.
En outre, l’ensemble des dispositions du traité relatives aux personnes visent à faciliter,
rappelle la Cour, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de
toute nature, la Cour insiste bien là-dessus, et s’oppose aux mesures de toute nature qui
pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité
économique sur le territoire d’un autre État membre. Elle s’oppose également à ce que l’État
d’origine entrave la libre acceptation et l’exercice d’un emploi par l’un des ressortissants.
Ceci est extrêmement surveillé. Dès l’instant qu’il est établi qu’un État, lorsqu’il offre un
emploi, établit des restrictions, on peut bien sûr tout à fait le poursuivre devant la CJUE, il y a
une atteinte à la libre circulation et la liberté d’exercice d’une activité salariée. De même, les
dispositions du droit de l’Union européenne relatives aux travailleurs s’imposent pour une
appréciation de tous les rapports juridiques, dans la mesure où, en fonction du lieu où ils
sont établis ou ont leurs effets, ils peuvent être localisés sur le territoire de l’Union
européenne. Cela signifie que les dispositions du droit de l’Union européenne peuvent
s’appliquer à des activités professionnelles exercées en dehors du territoire de l’Union
européenne, c’est-à-dire dans des États tiers, dès l’instant que la relation de travail garde un
rattachement suffisamment étroit avec le territoire. Un tel principe doit s’entendre comme
visant également les cas dans lesquels la relation de travail est rattachée de manière
suffisante au droit d’un État membre et aux règles pertinentes du droit de l’Union. Voilà en
ce qui concerne la liberté dont dispose tout opérateur, qui a un statut de salarié.

II. La liberté d’établissement

Concernant la liberté d’établissement, deuxième liberté envisagée par le traité, cette liberté
est régie par l’article 49, alinéa 2, TFUE. Elle ne doit pas se voir opposer une quelconque
restriction. Elle s’entend comme l’accès aux activités non salariées et leur exercice, accès
dont dispose tout ressortissant de l’Union européenne, ainsi que la constitution et la gestion
d’entreprise. Le travailleur indépendant doit être en mesure d’accéder à une profession et
de l’exercer librement, sans subir une quelconque discrimination en raison de la nationalité.

III. La libre prestation de services

Troisième liberté, la libre prestation de services. Elle constitue le troisième mode de libre
circulation des travailleurs, dans la mesure où, dans ce cas, le travailleur fournit librement
une prestation. Il peut décider ou non de franchir les frontières, de s’installer dans un État
membre. La difficulté de la qualification réside dans son opposition à la liberté
d’établissement. Aussi, il faut donc bien définir la notion de service ainsi que les contours de
la prestation de service. C’est toute la difficulté de cette liberté : il y a le risque de confusion
entre liberté d’établissement et liberté prestation de service.

A. La notion de service

Eu égard à la jurisprudence, a notion de service sera établie, comme le précise l’article 57,
TFUE, dans la mesure où le prestataire n’entre pas dans une catégorie relative aux
dispositions propres à la libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes.
Dans ce cas-là, par élimination, on est dans les services. En outre, la notion de service
implique l’exercice d’une prestation, c’est-à-dire une rémunération, cependant entendue
largement. L’exigence d’une rémunération est essentielle pour pouvoir emporter la qualité
de service. A partir de ces considérations, dès lors que l’activité revêt un caractère
économique contre rémunération, et qu’elle échappe au champ des 3 autres libertés, elle
relève de la prestation de service et de l’article 57, TFUE, c'est-à-dire de la prestation de
service. Il en va ainsi du mouvement des capitaux et des activités qui ont un caractère
industriel, commercial, artisanal, libéral, énoncées par l’article 57, TFUE. Cette énonciation
n’est pas exhaustive, il peut aussi s’agir de la diffusion de messages télévisés. Dans ce
domaine, il faut bien distinguer les activités qui relèvent des marchandises (fabrication de
films ou de certains éléments matériels) de celles qui relèvent de la libre prestation de
service, que constitue l’émission audiovisuelle. Voilà concernant la notion de service, elle est
clairement délimitée, et toujours par opposition aux marchandises, personnes et capitaux.

B. La prestation de service

1. Franchissement de la frontière

Concernant la prestation de service, elle doit nécessairement impliquer un franchissement


de la frontière, qui ne peut être marqué que par la mise en œuvre de la liberté de
circulation. L’auteur du franchissement est variable. Il pourra s’agir d’un prestataire de
service, ou du destinataire, mais également la prestation de service elle-même ou son
support (l’exemple le plus flagrant est celui d’une émission audiovisuelle).

2. Provisoire

Par ailleurs, la libre prestation de service s’oppose à la liberté d’établissement au regard du


caractère permanent que revêt le droit d’établissement. En effet la prestation de service
n’est pas durable, elle est seulement provisoire le temps du franchissement de la frontière. Il
n’est pas toujours facile de distinguer les deux dans la pratique. In fine, c’est la liberté qui
préside, mais le régime juridique est différent, bien entendu. Si un ressortissant est
considéré comme établi dans un État membre, il relèvera de la législation applicable aux
nationaux, ce qui n’est pas le cas d’un prestataire de service. Les conséquences juridiques
sont donc différentes. La Cour s’est efforcée de dégager une orientation. En l’état actuel des
choses, deux approches sont développées. Dans une première démarche, elle considère que
l’activité correspond à une prestation de service lorsque l’entreprise n’a pas de présence
permanente. Inversement, lorsqu’il y a une présence permanente, il s’agira d’un droit
d’établissement. Le débat porte sur ce qu’est un établissement : ce peut être une succursale
ou une agence, dans le cas du droit d’établissement, mais cela peut être également « un
simple bureau géré par le personnel », ou même une personne sur place, mandatée pour
gérer la permanence, donc c’est vraiment très ouvert. C’est la première approche, celui du
caractère permanent. La seconde approche repose sur la possibilité pour le prestataire de
services de se doter d’infrastructures au sein de l’État, sans pour autant basculer dans un
régime du droit d’établissement, parce que la Cour considère que de tels moyens sont
considérés comme nécessaires pour exercer l’activité en cause. Vous avez donc deux
approches qui se conjuguent, la première étant plus proche. Cela peut sembler acrobatique,
mais ce sont ces deux approches qui se conjuguent dans la jurisprudence pour distinguer.
Section 2 : La qualification professionnelle

Toujours dans le sillage de ces questions relatives aux trois formes de liberté, consacrées par
le traité, progressivement est venue se greffer la question de la mobilité professionnelle sous
l’angle des diplômes. A un moment donné, il a fallu s’interroger sur la manière dont les
personnes qui se déplacent pour travailler dans un autre État peuvent faire valoir leur
qualification et surtout la manière dont elles pouvaient se défendre face à un refus d’une
autorité nationale de reconnaître leur qualification. En fait, on observe aisément que la forte
disparité des conditions d’accès aux professions, salariées ou indépendantes, parmi
lesquelles les professions règlementées, constitue un frein important à la mobilité
professionnelle pourtant voulue par les traités. Originellement, dans les années 1960,
évidemment, cela n’apparaissait pas de manière flagrante, mais c’est progressivement, au
fur et à mesure de la construction européenne, au fur et à mesure que les ressortissants se
sont rendu compte qu’ils pouvaient quitter leur pays et s’installer dans un autre État
membre et travailler, s’est posé la question des qualifications et des exigences posées par les
États. On s’est rendu compte assez rapidement que cela pouvait constituer un frein pour
certaines personnes pour se déplacer dans un autre État. Il peut s’agir d’un obstacle sérieux,
qui remet en cause l’accès à un grand nombre de professions, pourtant au cœur des traités,
puisque le contenu de la formation revêt un caractère contraignant. Face à ce constat, les
outils n’étaient pas immédiats, ils vont être développés par la suite. Les rédacteurs des
traités étaient conscients de cette entrave, nous avons l’article 53, paragraphe 1,
anciennement article 47, relatif au droit d’établissement et également, l’article 102 TFUE,
anciennement article 55, sur les prestataires de service. Ces deux dispositions prévoient
respectivement « qu’afin de faciliter l’accès aux professions salariées et à leur exercice, ou
aux activités salariées et non salariées, le Parlement et le Conseil arrêtent une première série
de directives, visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres
requis, et une seconde série de directives qui visent à faciliter l’accès aux activités et à
l’exercice de celles-ci. » A l’appui de cet outil, de cette double base juridique, se dégageront
deux types de directives, qui vont traduire deux approches différentes du législateur. La
première au départ sectorielle, par profession, et la seconde, qui lui succèdera et reposera
plutôt sur un système général de reconnaissance des diplômes. Il faut préciser que la
reconnaissance des diplômes s’est toujours opérée au profit de la prestation de service, ce
qui exclut la reconnaissance à des fins exclusivement académiques, c’est-à-dire qu’on
reconnaîtra les diplômes à des fins d’exercice de la liberté professionnelle. Mais ces propos
ne tiennent longtemps pas la route, puisque dans le cadre de la citoyenneté, les étudiants
bénéficient de la reconnaissance des diplômes. Sur le fond, il est établi que les traités ne
s’opposent pas à ce que les autorités nationales adoptent des règlementations pour la
qualification professionnelle, dès l’instant cependant, est-il dit par la jurisprudence, que
cette règlementation répond à une raison d’intérêt général, et n’est pas disproportionnée
par rapport à l’objectif adopté. La liberté accordée aux États peut aussi être une raison
supplémentaire pour que l’Union européenne s’engage dans ce domaine et parvienne à une
coordination des qualifications professionnelles, et on a aujourd’hui une réelle
reconnaissance des diplômes dans le cadre de l’activité professionnelle. Présentons les
éléments essentiels en la matière.
I. Approche sectorielle, spécifique ou verticale

Les premières directives en la matière sont intervenues en 1970, et elles ont été
symptomatiques de la démarche sectorielle. Elles ont eu pour objet de mettre en place un
système de reconnaissance mutuelle des diplômes, c’est-à-dire que la reconnaissance est
automatique. Cela signifie qu’un État membre auprès duquel est invoquée cette
reconnaissance ne peut en aucun cas refuser l’accès à l’emploi. Il ne peut qu’appliquer la
reconnaissance des diplômes et donc reconnaître la qualification requise. Trois grands
secteurs, qui présentent une grande variété, ont fait l’objet de cette approche sectorielle (ou
approche verticale) : les professions médicales (domaine de la santé), les architectes, les
avocats. Les directives visent : les médecins, les infirmiers, les dentistes, les sages-femmes, -
les vétérinaires et les pharmaciens. Ce sont les toutes premières directives en la matière.
Cette démarche sectorielle met en avance un principe de reconnaissance mutuelle des
diplômes et une reconnaissance par profession. Un État membre ne peut en aucun cas
refuser l’exercice d’une activité médicale dans un autre État membres. On notera cependant
que dans le cadre de la reconnaissance des professions de santé, le législateur a scindé son
approche en deux démarches. Une reconnaissance automatique des diplômes et en amont
une action plus subtile qui vise à harmoniser la formation pour l’accès à une formation. On
établit un ensemble de normes relatives à la durée de la formation, la formation
complémentaire, la formation pratique ou la spécialisation. C’est pour cela qu’au sein de
l’Union européenne les études de médecine sont fortement harmonisées, et il y a eu une
réforme importante en France. Cela permettra au titulaire d’un diplôme bénéficiant de la
reconnaissance mutuelle de s’établir dans un État membre, sans aucune entrave, dès
l’instant qu’il présente aux autorités nationales son diplôme ou sa formation, et que les
obligations sont respectées (déontologie, etc.). On tolère les procédures d’inscription à
l’ordre professionnel.

B. Les architectes

Concernant les architectes, la profession a fait l’objet d’une directive unique du 10 juin 1985.
Cette directive n’opère pas une harmonisation aussi pointue que pour les professions de
santé, pour lesquelles l’harmonisation a été vraiment drastique, radical, pour les architectes
cela été plus nuancé. C’est un mécanisme de reconnaissance mutuelle, pour un certain
nombre de formations de niveau universitaire, c'est-à-dire des formations qui requièrent
une durée minimale et contiennent un certain nombre de matières, dont la liste est publiée
au JO de l’Union européenne. L’architecture est un secteur fortement harmonisé
aujourd’hui, mais cela été plus progressif et nuancé.

C. Les avocats

Pour la profession d’avocat, elle a constitué un terrain d’application de l’approche


sectorielle. Elle a fait l’objet de deux directives importantes en 1977 et 1998.
1. Directive du 2 mars 1977

La directive du 2 mars 1977 vise uniquement la profession d’avocat, en tant que libre
prestataire de service. Ainsi, elle ne s’attache pas au diplôme et ne vise que la qualité
d’avocat en tant que prestataire, et la qualité d’avocat fait l’objet dans cette directive d’une
reconnaissance mutuelle, c’est important. Un avocat établi dans un État membre pour
effectuer sa profession est en mesure, en vertu de cette directive, de représenter et
défendre un client résidant dans un autre État membre, sans obligation de résider dans cet
État membre ou d’être inscrit au barreau. La seule obligation, comme pour les médecins, est
le respect du code déontologique du pays d’origine et bien entendu de celui où il exerce sa
profession.

2. Directive de 1998

La seconde directive, en 1998, mettra en évidence les insuffisances de celle de 1977, et


désormais, un avocat est habilité à s’établir et exercer de manière permanente, avec son
titre professionnel national, dans un autre État membre, dès l’instant qu’il est inscrit auprès
des autorités compétentes de l’État qui l’accueille. Il suffit simplement d’une inscription au
barreau, et à partir de là, on peut exercer l’activité d’avocat. Il est lié bien sûr au code de
déontologie de l’État et de son État d’origine. Au terme d’une période de 3 ans d’exercice -
l’exercice doit être effectif et régulier selon la jurisprudence - l’avocat sera également en
mesure de demander son intégration à la profession d’avocat dans l’État membre d’accueil,
sans être soumis à une épreuve d’aptitude quelconque.

D. Autres secteurs

En dernier lieu, d’autres secteurs ont profité de cette approche verticale, on citera
simplement le secteur industriel, le secteur commercial, la restauration, l’hôtellerie ou
l’automobile. Ce sont domaines qui présentent l’intérêt de regrouper un grand nombre de
professions, donc il était important d’agir en la matière. Les directives qui régissaient ces
secteurs étaient cependant nombreuses, c’était l’obstacle, il y avait 35 directives sectorielles,
qui ont été abrogées et ces secteurs sont désormais régis par une directive unique. La
directive du 7 janvier 1993 retient à titre principal un principe de reconnaissance mutuelle
des qualifications professionnelles et à titre incident un système de reconnaissance des
diplômes. La reconnaissance des diplômes n’est pas automatique, et l’État peut demander
un stage ou une épreuve d’aptitude pour pouvoir entrer dans la profession. Cette directive a
été remplacée par une directive en 2007.

II. Approche générale

Concernant l’approche générale, elle est plus vouée à la reconnaissance générale des
diplômes et des qualifications, et de manière générale et non sectorielle. On s’est aperçu
que compte tenu de la variété des professions et de la difficulté de trouver un accord, il
fallait revoir le système et réfléchir à une autre manière d’appréhender les qualifications
professionnelles et les diplômes. Il est apparu nécessaire d’adopter un mécanisme beaucoup
plus général, d’une plus grande ampleur, qui permettrait une reconnaissance mutuelle des
diplômes et plus largement des qualifications professionnelles. Le processus en faveur d’une
telle reconnaissance sera un véritable levier pour le mouvement des personnes. C’est un
élément déclencheur pour l’intensification du mouvement des personnes. Il s’est opéré en
deux temps. D’une part au travers de deux directives générales et d’autre part par la
directive du 7 septembre 2005 qui consolide le système de reconnaissance mutuel.

A. Deux directives générales

Quelques mots sur les deux textes. Ce sont des premiers pas accomplis en la matière,
adoptées en 1988 et 1992. La première directive de 1988 concerne les professions
règlementées, directive du 21 décembre 1988 à l’exception de celles qui relèvent des
directives sectorielles. Les professions règlementées sont des professions dont l’accès est
subordonné, directement ou non, à l’acquisition d’un diplôme. Les formations visées sont le
fruit de cursus post secondaires, qui s’étalent sur une durée d’au moins 3 ans. La directive du
28 juin 1992 vise quant à elle les formations professionnelles, sur une durée plus courte, au
moins 12 mois. Ces directives générales s’opposent aux directives sectorielles citées
précédemment dans la mesure où elles n’imposent pas de reconnaissance mutuelle. En
effet, dans les deux cas, la reconnaissance ne revêt pas de caractère automatique. La
reconnaissance résulte d’une simple présomption. Si l’État membre qui va accueillir des
ressortissants estime souverainement que la formation reçue dans l’État d’origine est
équivalente à celle dispensée dans le pays d’accueil, il pourra procéder à cette
reconnaissance, donc ce n’est pas automatique, c’est au cas par cas. A l’inverse, s’il estime
que les formations ne sont pas comparables, il est dans son droit absolu d’imposer une
formation dite complémentaire, sous la forme d’une épreuve d’aptitude ou d’un stage, dont
le choix est laissé à la discrétion du ressortissant, sauf les missions de conseil et d’assistance,
à savoir pour les professions juridiques. Dans l’hypothèse d’une formation qui ne relève pas
de ces deux directives générales, il n’y a pas de reconnaissance mutuelle des diplômes, c’est
le vide juridique. Peu d’activités sont visées puisque l’action de l’Union européenne a été
plutôt générale de ce point de vue-là.

B. Directive de septembre 2005

Concernant la directive de septembre 2005 qui vise la confortation et l’extension de la


reconnaissance mutuelle, on s’est aperçu qu’en dépit des deux directives de reconnaissance
mutuelle générales, de nombreuses entraves se maintenaient insidieusement et que ces
directives n’obligeaient pas les États à appliquer la reconnaissance mutuelle, puisque c’était
sur simple présomption. Les États pouvaient exiger une expérience, une formation
supplémentaire, considérant que la formation initiale n’était pas suffisante ou comparable à
la formation acquise sur le territoire d’accueil. Pour contrer cela, le Parlement et le Conseil
ont adopté cette directive du 7 septembre 2005, qui est vraiment aujourd’hui le socle en la
matière relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Elle est entrée en
vigueur en 2007 et a fait l’objet d’une révision en vue d’une modernisation le 20 novembre
2013. Elle présente un double intérêt : un champ d’application étendu et un mécanisme de
reconnaissance de diplômes.

1. Champ d’application étendu

D’une part, son champ d’application est étendu, beaucoup plus étendu que celui des
directives précédentes. En effet elle vise les qualifications requises pour l’exercice
permanent d’une activité, soit à titre indépendant, soit en qualité de salarié, mais de
manière formelle elle ne vise que la liberté d’établissement. Hormis les avocats, les autres
professions régies par une directive spécifique sont aujourd’hui régies par cette directive
générale. Pour les avocats, il y a toujours les deux directives dont on a parlé. Citons les
autres professions régies par des directives spécifiques : agents commerciaux, contrôleurs
légaux des comptes, intermédiaires d’assurance, transporteurs de marchandises et de
voyageurs. Sinon, la directive concerne l’ensemble des professions règlementées, pour
l’accès et l’exercice de la profession.

2. Mécanisme de reconnaissance des diplômes

D’autre part elle rénove le mécanisme de reconnaissance des diplômes. En effet, elle
reprend le système de reconnaissance automatique, établi pour les professions de la santé,
d’architecte et d’avocat. Elle impose l’examen de correspondance et l’application de la
reconnaissance mutuelle par l’État. Si le niveau de qualification du demandeur n’est pas
équivalent à celui de l’État d’accueil, il faut examiner au fonds la demande et le rejet doit
être dûment motivé. Avant d’arriver au rejet, l’État doit proposer des mesures de
compensation, c’est-à-dire des mesures qui permettent de compenser la différence
d’équivalence de qualification. C’est proposé lorsqu’elle porte sur une durée de formation
beaucoup plus courte dans sa mise en œuvre, et s’il y a des formations substantiellement
différentes, donc on ne peut pas imposer des compensations à tout bout de champ. La
compensation s’applique dans deux cas : Durées de formations différentes, ou différence
substantielle au niveau de la nature ou la qualité de la formation. Si in fine l’État refuse, le
ressortissant peut l’attaquer. A l’exception des professions juridiques, pour lesquelles
l’hypothèse d’une dérogation est admise par la Commission, il appartient toujours au
demandeur d’opter pour l’une ou l’autre des propositions de compensation. En dernier lieu,
il est prévu la mise en place par les autorités nationales de plateformes communes qui
regroupent un ensemble de matières reconnues communes afin d’éviter une trop grande
disparité entre les formations délivrées par les États. Un État membre qui présente cette
plateforme commune est dispensé de se soumettre à une quelconque procédure de
compensation. Ces plateformes sont pratiques, le ressortissant peut s’y référer. Conclusion :
Voilà pour les libertés professionnelles. Il s’agit d’un droit très étendu, droit de quitter son
territoire, en tant qu’agent économique salarié ou non salarié, d’entrer dans un autre
territoire, et de s’y installer pour exercer une activité professionnelle, et nous avons
uniquement la prestation de service. Nous avons bien vu que cette liberté professionnelle
est fortement soutenue par la Commission et fortement accompagnée, avec ce processus de
reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications professionnelles, qui est un
levier pour permettre à chacun de quitter son pays d’origine et d’aller dans un autre pays de
l’Union européenne exercer une activité professionnelle, puisque c’est une liberté
fondamentale.

IV. Les activités exclues

En dépit de son importance, la libre circulation des travailleurs, qu’elle soit salariée ou non
salariée n’est pas absolue. Outre la limite générale relative à la mesure d’ordre publique,
limite que l’on trouve classiquement, dans tous les ordres juridiques nationaux et également
dans le cadre de l’Union, la liberté professionnelle se heurte à un obstacle spécifique qui est
relativement ordinaire dans les ordres juridiques nationaux. Il s’agit en effet de
l’impossibilité pour les non ressortissants nationaux d’accéder aux activités marquées par un
lien fort avec la citoyenneté nationale et qui renvoie aux emplois dans la fonction publique.
Cette exclusion de l’emploi dans la fonction publique s’explique par l’existence d’un lien
considéré comme un lien de solidarité étroit entre l’État et le citoyen national. Cette idée
sera reprise par le traité et ce sous 2 angles : L’accès aux emplois salariés et l’accès à
certaines professions indépendantes. Le fil conducteur demeurant le même. C'est-à-dire que
c’est la nature même de certaines activités professionnelles qui est prééminente et qui
expliquera le choix des autorités nationales de réserver ces emplois dans la fonction
publique aux seuls ressortissants nationaux. Et c’est lié à ce rapport de solidarité qui lie le
citoyen à son état de rattachement. Ainsi, l’art 45 § 4, TFUE, oppose une restriction
importante selon laquelle les 10 dispositions relatives à la libre circulation des personnes et
des travailleurs particulièrement, ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration
publique. On peut considérer aisément qu’il s’agit d’une expression étonnante. Pour la
définir, il s’agit de la fonction publique. La formulation de cette restriction n’est pas précise
et peu heureuse. La question s’est posée de savoir aussitôt vu le caractère assez abscons de
la formulation, quel contenu accorder à la notion d’administration publique, qui pourrait
recevoir une interprétation sans limite, si les États s’y attelaient et s’il était reconnu possible
à leur niveau d’établir eux même, selon leur propre conception les emplois qui en relèvent. Il
y a donc une difficulté quant à la définition et à la délimitation de cette notion. De nouveau,
comme on peut s’y attendre, il appartiendra au juge de l’Union de donner un contenu à la
notion, et, comme à son accoutumé, il s’y livrera avec grande sévérité et selon une approche
restrictive. En fait, il y a 2 approches dégagées dans la jurisprudence : une approche
exclusivement fonctionnelle : c’est l’article 45 § 4 TFUE, et une approche relative à l’exercice
de l’autorité publique.

I. Une approche exclusivement fonctionnelle de l’article 45§4, TFUE

A. De la CJUE
Dans son arrêt de principe, arrêt du 17 décembre 1980 « Commission c/ Belgique », la Cour
retiendra un approchez restrictive, de l’article 45 § 4n TFUE, faisant valoir une interprétation
fonctionnelle au détriment d’une autre interprétation, dite institutionnelle ou organique. La
Cour n’est pas dupe. Elle s’est rendu compte que s’il fallait laisser le choix aux États, ceux-ci
auraient laissé libre cours à leur imagination et aurait écarté tous les emplois de la fonction
publique aux ressortissants non nationaux. Il fallait donc nécessairement resserrer la notion,
la définir avec justesse et précision et surtout définir le critère déterminant pour pouvoir
considérer qu’il y a emploi dans l’administration publique. A la différence de l’approche
institutionnelle qui a été défendue par les États et qui tend à fonder le raisonnement sur la
nature de l’autorité de l’organe en question, l’approche fonctionnelle sera portée par la
Commission dans cet arrêt, et sera entériné par la Cour, la Cour tranchera en faveur de cette
approche. Cette approche fonctionnelle repose sur l’appréciation du type d’emploi ou de
fonction qui est exercé. Le juge de l’Union considère ainsi que relèvent de l’administration
publique les emplois qui comportent une protection directe ou indirecte à l’exercice de la
puissance publique ou aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux
de l’état et des autres collectivités publiques. Ce sont des fonctions qui sont symptomatiques
de l’intérêt général. Seules les activités qui répondent à l’approche fonctionnelle sont
considérées comme réservées aux nationaux. La raison en est que les titulaires de ce type
d’emploi sont liés à l’État par un rapport étroit de solidarité, de réciprocité des droits et
devoirs qui fondent le lien de nationalité. A la lumière de la conception fonctionnelle, la Cour
déterminera alors, mais toujours au cas par cas, les emplois qui échappent ou non à l’article
45 § 4. En revanche, eu égard à ce caractère, à ce critère, seront offerts aux non nationaux,
des emplois par exemple dans l’enseignement, la recherche, la santé, les transports, les
postes, les télécommunications, le secteur de la TV, les médias, la distribution d’eau, de gaz,
d’électricité. Ce sont des emplois qui ne rentrent pas dans la catégorie réservée, et la
catégorie des emplois dans l’administration publique.

B. De la Commission

Pour sa part, la Commission, hormis le cadre contentieux, et donc notamment l’arrêt


Commission c/ Belgique, a explicitement pris position sur le sujet à l’occasion d’une
communication rendue le 5 janvier 1988, de nouveau elle s’inscrit dans le sillage de la
jurisprudence, elle fait valoir cette opposition fonctionnelle/organique ou institutionnelle.
Elle insiste sur l’idée que certains emplois visent des activités ordinaires autour d’un pouvoir
juridique publique de l’état ou d’« une autre personne morale de droit publique ». Ce sont
des emplois qui peuvent être encadrés et qui nécessitent un contrôle particulier. Ces
emplois sont ceux des forces armées, de la police, de la magistrature, de l’administration
fiscale qui échappe à la liberté professionnelle, la diplomatie, et également tout emploi dans
l’administration, ou plutôt dans l’éducation qui répond à cette définition. Notamment le
poste de recteur. La Commission rejoint en somme point sur point la Cour puisqu’elle
considère que ces emplois sont exclus de la liberté professionnelle car il y a ce rapport de
solidarité très étroit avec l’État.

C. Principe de non-discrimination
En dernier lieu, au regard du principe de non-discrimination, un ressortissant ne pourra pas
se voir opposer le fait d’avoir obtenu ses diplômes ou d’avoir une expérience professionnelle
différente dans un autre État membre. Ceci n’est pas possible car nous sommes dans un
principe de libre circulation et nous ne pouvons pas tirer profit de ce principe pour opposer à
un ressortissant la non-obtention de diplôme. A cet égard, citons le célèbre arrêt Burbaud de
2003 à propos de l’accès à la haute fonction hospitalière. Il s’agissait d’un recteur d’hôpital,
et là en l’espèce d’une directrice d’hôpital, en France l’accès à la profession est règlementé.
Madame Burbaud avait obtenu les diplômes nécessaires mais au Portugal. Le litige portait
sur la reconnaissance du diplôme.

II. La participation à l’exercice de l’autorité publique

L’autre point à voir concernant cette dérogation, il s’agit de la question relative à la


participation à l’exercice de l’autorité publique. Le droit d’établissement lui aussi souffre de
cette même limite, selon laquelle la liberté d’établissement n’est pas applicable aux activités
participant à titre occasionnel à l’exercice de l’autorité publique. C’est la même exception
mais transposée dans le cadre de la liberté professionnelle indépendante. Là aussi la Cour
optera pour une logique plutôt fonctionnelle et non institutionnelle ou organique.
Conclusion : Dernier point concernant cette liberté professionnelle, en guise de conclusion, il
est important de garder à l’esprit que cette liberté professionnelle est régie par ce principe
de non-discrimination et plus précisément par l’égalité de traitement. En effet, dès l’instant
que le ressortissant de l’Union bénéficie de la liberté professionnelle, il jouit alors d’un
certain nombre de droits, initialement consacrés par les traités et qui ont été ensuite
enrichis par les textes dérivés à la jurisprudence. Ces droits constituent les règles de fonds de
la liberté professionnelle, salariée ou indépendante. Ces droits visent l’accès à l’emploi, ou
l’exercice de l’activité (du salarié, du non salarié ou du prestataire de service). Ces droits se
déclinent différemment, l’idée de ne pas rompre l’égalité de traitement entre le
ressortissant national et le ressortissant d’autres États membre. Et il en va de même pour
l’exercice de la profession, dominé par un principe de non-discrimination en termes de
rémunération, de licenciement, de réintégration professionnelle, de réemploi si la personne
se retrouve au chômage, il y a vraiment une prohibition de toute forme de discrimination à
cet égard. Non seulement en ce qui concerne l’action des autorités publiques mais aussi en
ce qui concerne les conventions qui visent à régler de façon collective le travail salarié, ou
encore les contrats conclus entre particuliers. Il y a vraiment un droit anti-discrimination qui
a été étoffé par l’Union en la matière. Également le droit syndical est visé, qui entre plutôt
dans la catégorie des droits sociaux, ou là la Cour fait valoir une jurisprudence très favorable
en la matière. Plus précisément sur le droit syndical, le ressortissant de l’Union lorsqu’il est
installé autre part, a le droit de s’affilier à une organisation syndicale, dispose du droit de
vote, du droit d’éligibilité à, un poste d’administration ou de direction du syndicat. En
revanche, le ressortissant non national peut être exclu de la participation à la gestion
d’organisme de droit public ou à l’exercice d’une fonction de droit public. Sur les droits
sociaux de manière plus générale, le champ est là aussi très étendu, les travailleurs salariés
ou non-salariés bénéficient de nombreux droits sociaux, protégés, garantis par la
jurisprudence de l’Union. Il faut garder à l’esprit la dynamique que constitue cette liberté
professionnelle, la dichotomie entre liberté à des fins professionnelles et non
professionnelles. Cette dynamique a été garantie par le législateur de l’Union au travers la
reconnaissance des diplômes, et qui est véritablement, dans son application, présidée et
dominée par un principe de non-discrimination, c'est-à-dire l’interdiction absolue des États
de rompre l’égalité de traitement qui doit régner dans une situation comparable entre le
ressortissant national et le ressortissant non national.

V. La mobilité à des fins personnelles

Voyons maintenant la question de la mobilité à des fins personnelles et celle de la


citoyenneté. Cette question n’entrera pas dans le champ de révision de la matière parce
qu’elle est un tout petit peu à la marge du droit européen des affaires. Mais c’est important
malgré tout de savoir que cette liberté à des fins non professionnelles appartient au corpus
juridique de l’Union et qu’elle est également une déclinaison de la liberté de circulation de
manière générale. Il faut donc en avoir un minimum d’éléments malgré tout, même s’ils sont
sommaires, pour pouvoir comprendre l’essentiel de cette liberté. On s’en tiendra aux
grandes lignes en rappelant la naissance de la dichotomie entre les deux libertés et le
dépassement de l’approche économique du ressortissant essentiellement à partir des
chartes sociales et aussi à partir de l’Acte Unique Européen et du Traité de Maastricht avec
la notion de citoyenneté européenne. La libre circulation à des fins non professionnelles vise
à la fois le droit d’accès et de séjour et le droit de résider dans l’État. Le droit d’accès au
territoire d’un État membre et celui d’y séjourner était régi par un certain nombre de textes
qui témoignaient tous de l’évolution de fond qui traversait la libre circulation des personnes.
Cette réglementation dense, on avait en fait 1 règlement et 9 directives. Ce qui était énorme.
Cette évolution a été consolidée dans un texte unique : la célèbre directive 2004-38 du 29
avril 2004. C’est un texte important qui abroge les 9 directives précédentes et qui a pour
ambition d’étendre le bénéfice de la libre circulation et de séjour.

Section 1 : L’évolution textuelle du droit d’accès et de séjour : un long cheminement

Sur l’évolution textuelle de cette liberté, nous rappelons qu’il y avait une dimension
économique de la liberté de circulation au départ. Le législateur, inhibé par cette dimension
économique a initialement entretenu une vision pragmatique du ressortissant
communautaire, qui faisait de lui un opérateur exclusivement économique. Une telle
perception des ressortissants européens ressortait essentiellement des textes dérivés
initiaux qui ont régi la libre circulation des personnes. Nous citerons les textes essentiels : La
directive du 25 février 1964 relative aux travailleurs indépendants, et la directive relative aux
motifs d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique de 1964 et remplacée par
une directive de 1973. Ce sont des directives qui avaient bien une approche économique sur
la libre circulation des personnes. En écho à la volonté d’étendre voire de généraliser le droit
d’accès et de séjour à l’ensemble des ressortissants communautaires, indépendamment de
leur statut économique, le Conseil adoptera trois directives fondamentales, majeures le 28
juin 1990 : La directive 90-3-64 : vise le droit de séjour ; la directive 90-3-65 : vise le droit de
séjour des travailleurs salariés et non-salariés qui ont cessé leur activité professionnelle (les
personnes qui sont au chômage) ; La directive 90-3-66 vise le droit de séjour des étudiants. Il
a fallu de longues années d’âpres négociations pour obtenir ces directives. Ces directives ont
évolué au fur et à mesure, mais surtout elles vont être abrogées par la directive du 29 avril
2004 qui sera le point d’orgue de l’évolution qui a débuté à partir de 1990. Elle a pour
conséquence majeure de parfaire le statut du citoyen européen qui était ébauchée par les
textes précédents. Elle considère le doit d’accès au séjour comme intrinsèque à la qualité de
citoyen européen. C’est très important, le droit d’accéder au territoire d’un État de l’Union
est un intrinsèque à la citoyenneté. Cette directive majeure en matière de mobilité des
personnes abroge plusieurs directives précédentes et apporte également des innovations
pertinentes pour la société contemporaine notamment les nouvelles formes de partenariat
commun. C’est le cas du PACS ou encore la question du divorce. La nouvelle directive régit le
droit de tout citoyen de l’Union et des membres de sa famille de circuler et de séjourner
librement sur le territoire de l’Union et en favorisant l’exercice de ce droit en procédant à
une réduction des formalités administratives.

Section 2 : L’évolution jurisprudentielle du droit d’accès et de séjour : L’utile reconnaissance


de l’effet direct de l’article 21 TFUE

Il faut bien comprendre que ce droit de circuler et de séjourner librement pour tout citoyen
de l’Union, indépendamment de son statut économique (salarié ou non salarié), est lié à
l’application de l’article 21, TFUE, qui effectivement pose le principe selon lequel tout
citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire de l’Union.
Il est régi par un principe de non-discrimination. Il faut rappeler que dans la jurisprudence, et
de manière constante, la Cour de l’Union rappelle l’immanence de ce droit de circuler et de
séjourner dans la notion de citoyenneté. C’est une notion immanente à la citoyenneté, c’est
parce que nous sommes citoyens de l’Union que nous avons ce droit fondamental de circuler
et de séjour dans un autre État de l’Union. Il est régi par le principe de non- discrimination.
C’est un point important. Il faut rappeler que dans la jurisprudence, la Cour rappelle
l’immanence de ce droit de circuler et de séjour et cette immanence est liée à la notion de
citoyenneté. C’est un droit identifiable, dit souvent la Cour. Il revêt un caractère autonome,
directement applicable. On n’a pas besoin de transposer quoi que ce soit. Il est directement
applicable. Tout ressortissant peut l’invoquer indépendamment des motifs qui sous-tendent
son séjour. Il y a une fondamentalité de ce droit.

Section 3 : L’approche élargie des bénéficiaires

Un autre point important : l’approche élargie des bénéficiaires. Le droit de circuler et de


séjourner à l’intérieur des États est reconnu aux ressortissants qui sont citoyens de l’Union.
Mais qu’est-ce qu’un citoyen de l’Union ? Selon les termes de l’article 21 TFUE, le citoyen de
l’Union est celui qui relève de la nationalité d’un État membre. Ce qui veut dire que le droit
de nationalité continue de relever de la compétence des États. Les États demeurent
souverains sur le droit de nationalité. Sont dès lors exclus du champ d’application de la libre
circulation et de séjour les ressortissants qui ont une nationalité d’un État tiers sous réserve
des liens conjugaux avec les ressortissants et sous réserve de la conclusion d’une convention
entre l’Union et l’État tiers concerné. C’est le cas des ressortissants turcs. Il y a de
nombreuses conventions avec la Turquie, et surtout ces dernières années avec une volonté
de pacification des relations entre les deux ensembles, des conventions sont intervenues en
ce sens. Il y a une volonté d’étendre et de généraliser les bénéfices du droit d’accès et de
séjour, qui a donné lieu à la directive de 2004. Concernant la citoyenneté et la question des
membres de la famille, le droit fondamental de quitter le territoire, de circuler et de
séjourner, renvoi à la nécessité souvent d’être accompagné de sa famille, et le juge ainsi que
le législateur de l’Union protègent fermement ce droit de pouvoir exercer ce droit au
regroupement familial. Le législateur de l’Union définit les membres de la famille de manière
large. Les résidents ressortissants de l’Union peuvent être accompagnés des membres de
leur famille (conjoint, enfants mineurs, enfants de leur conjoint). Ce sont des droits garantis
par à la fois par le juge et le législateur de l’Union.

Section 4 : Le contenu des droits

Un autre point important, les délais ou plutôt les durées durant lesquels le ressortissant de
l’Union peut s’établir au sein d’un territoire d’un État membre. On a évidemment le droit
d’accès au territoire, le droit de séjour, mais qui est court. En dessous de 3 mois c’est un
séjour. Au-dessus de 3 mois c’est un long séjour. De 3 mois à 5 ans c’est une résidence. Au-
delà de 5 ans c’est le droit de résider durablement (droit de séjour permanent) au profit du
ressortissant.

I. Le droit de se déplacer

A. Le ressortissant d’un État membre

Soulignons que le droit de se déplacer est un droit fondamental. Le droit de quitter un


territoire (article 2 du protocole numéro 4 de la CEDH), notamment le sien (arrêt du 12 mai
1998, Martinez Sala). Le droit de se déplacer est à plus forte raison reconnu aux
ressortissants de l’Union tant pour les citoyens de l’Union que pour les membres de leur
famille. De jurisprudence constante, les libertés fondamentales garanties par le droit de
l’Union européenne seraient vidées de leur substance si l’État membre d’origine pouvait
sans justification valable interdire à ses propres ressortissants de quitter son territoire en
vue d’entrer sur le territoire d’un autre État membre. Aux termes de l’article 4, §1 de la
directive 2004-38, le citoyen de l’Union doit être simplement muni d’une carte d’identité ou
d’un passeport en cours de validité. Les autorités nationales sont alors tenues de délivrer à
leurs ressortissants des documents adaptés à cet effet, carte d’identité ou passeport, pour
leur permettre d’exercer ce droit, ce qui leur permet d’entrer ou de séjourner. L’accès à un
territoire de l’Union s’opère sur simple présentation d’un des documents en cours de validité
s’il y a contrôle puisqu’il n’y a plus de frontière physique aujourd’hui. La législation
communautaire interdit évidement l’obligation d’un quelconque visa pour les ressortissants
de l’Union, d’entrée ou de toute forme d’obligation équivalente et ça, s’il y a contrôle. Il y a
une interprétation très libérale des conditions d’entrée aux ressortissants de l’Union,
différente de celle applicable aux ressortissants des États tiers qui relèvent eux d’une
législation qui relève du droit des étrangers, et notamment en situation administrative
irrégulière, avec des conditions très drastiques, ce sont deux régimes fondamentalement
distincts.

B. Les membres de la famille relevant d’un État tiers


Concernant les membres de la famille, dont la nationalité relève d’un État tiers (lorsque cela
relève d’un État de l’Union il n’y a aucune difficulté), il peut leur être imposé, outre un
passeport en cours de validité, un visa d’entrée, c’est possible, considérant cependant que
les États membres s’efforcent de faciliter son obtention sachant qu’évidemment on est face
à un conjoint ressortissant de l’Union européenne. De même, le ressortissant d’un État tiers
non marié ou lié par un partenariat enregistré à un travailleur ressortissant ne peut se
prévaloir du règlement relatif à la circulation des personnes, ou alors des avantages sociaux
sauf si ce ressortissant d’un État tiers est considéré au sens de la législation nationale et pour
l’application de celle-ci, comme membre de la famille. Dans ce cas-là, il peut bénéficier des
avantages sociaux et évidemment de différentes garanties qui sont liées. Qu’est-ce qu’un
membre de la famille au sens du droit de l’union ? Le membre de la famille d’un travailleur
ou d’un citoyen qui va bénéficier de ce mouvement et de ce droit d’accès et de séjour. Il est
défini par le droit de l’Union comme toute personne désignée comme telle, comme membre
du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies. Si la législation
en cause ne considère comme membre de la famille ou du ménage qu’une personne vivant
sous le toit du travailleur, salarié ou non salarié, ou du citoyen, cette condition est réputée
remplie lorsque la personne est véritablement à la charge du ressortissant. Vous avez quand
même une interprétation très large.

II. Le droit de demeurer

Ultime point sur les durées de séjour, le droit de demeurer ne répond pas aux mêmes
conditions que le droit de séjour puisque le droit de demeurer est beaucoup plus long donc
je vous rappelle que la directive 2004-38 définit 3 types de séjours : le séjour inférieur à 3
mois, le séjour supérieur à 3 mois et le séjour permanent. Alors on parle de séjour de longue
durée lorsqu’il est supérieur à 3 mois mais il doit répondre à un certain nombre de modalité.
Il est de courte durée s’il est en deçà de 3 mois.

A. Le séjour d’une durée n’excédant pas 3 mois (courte durée)

Pour les séjours en deçà de 3 mois, la seule formalité imposée, par exemple si je veux me
rendre en Italie, la seule formalité imposée est la possession d’un document d’identité ou
d’un passeport en cours de validité. Donc au franchissement de la frontière il n’y a pas de
contrôle mais si je veux m’y installer, c'est la seule exigence qu’il y ait : que j’aie une pièce
d’identité ou un passeport en cours de validité. Ce sont des conditions très libérales qui
s’alignent sur le droit d’entrée du territoire, donc présentation d’une pièce d’identité ou
d’un passeport, aucun visa d’entrée évidement, aucun visa de sortie n’est imposé.
Cependant, il est toléré que le membre d’accueil puisse demander à l’intéressé de signaler sa
présence sur le territoire dans un délai raisonnable et non discriminatoire. Dans l’hypothèse
où le citoyen en question ne dispose pas de document de voyage, par exemple un passeport
qui n’est pas en cours de validité, l’État membre d’accueil fournit à la personne concernée
tous les moyens raisonnables pour obtenir ces documents et se faire parvenir les documents
requis. Donc il n’est absolument pas question pour l’État membre de reconduire le
ressortissant qui n’a pas sa pièce d’identité ou qui n’a pas le passeport en cours de validité, il
doit lui laisser un temps raisonnable pour s’enquérir et obtenir lesdits documents.
Concernant les membres de la famille qui sont rattachées à un État tiers, ceux-ci bénéficient
du même droit que celui du citoyen qu’ils accompagnent. Ils peuvent être soumis cependant
à l’obligation de visa de court séjour, c’est possible. A cet égard, la détention d’une carte de
séjour sera considérée comme équivalente à un visa de court séjour.

B. Le séjour d’une durée supérieur à trois mois (longue durée)

Au-delà de 3 mois, ça correspond à une longue durée aux yeux du législateur de l’Union. On
a deux grandes séries de conditions essentielles qui ne sont pas cumulatives mais
alternatives. D’une part, exercer une activité économique, en qualité de travailleur ou non
salarié, et d’autre part de disposer de ressources suffisantes. En deçà de 3 mois, on ne vous
demande absolument rien. Mais au-delà de 3 mois, il faut exercer une activité salariée ou
non salariée, ou alors, et c’est alternatif, avoir les ressources suffisantes. Tout ceci afin de ne
pas constituer une charge supplémentaire pour les finances publiques de l’État d’accueil.
Donc le ressortissant communautaire qui entend séjourner durablement sur le territoire au-
delà de 3 mois, devra exercer une activité professionnelle ou alors démontrer qu’il a les
ressources bien sûr suffisantes. Peuvent aussi bénéficier du droit de séjour durable, au-delà
de 3 mois, celui qui n’exerce aucune profession, c’est-à-dire l’inactif, mais il ne peut le faire
que s’il ne dispose des ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète dans
l’État membre d’accueil. A cet égard, est visé également l’étudiant. Pour lui, il suffit
simplement pour lui de démontrer qu’il a une inscription dans un établissement
d’enseignement et d’une assurance maladie complète, c’est suffisant, de nouveau afin
d’éviter qu’il devienne une charge pour le système social de l’État. Concernant le montant
des ressources requises, les États membres ne pourront pas fixer de montant de ressources
qu’ils estiment comme suffisantes. En effet, l’État membre d’accueil ne peut exiger un
montant supérieur à celui qui correspond au niveau national, donc il n’y a pas un montant
spécifique pour les ressortissants qui s’installent dans un État, c’est le montant minimal qui
est requis au niveau national, en vertu duquel les ressortissants nationaux bénéficient d’une
assistance sociale. Donc par exemple en France, le décret qui est passé faisait en sorte
d’aligner ce montant sur le montant du RSA, donc ce sont les minima sociaux qui permettent
une subsistance digne. De plus, les autorités nationales doivent tenir compte de la situation
personnelle de la personne concernée. Les éléments personnels sont par exemple le fait
qu’il s’agisse d’un étudiant qui veuille vraiment s’installer et étudier dans l’État d’accueil, le
fait également que la personne ait à charge des enfants en bas âge, différentes
considérations qui rentrent en ligne de compte. Concernant les documents exigibles de
nouveau comme nous l’avons dit précédemment, les États membres sont en droit de
demander aux citoyens de procéder à un enregistrement auprès de l’autorité nationale en
leur donnant le temps de procéder à cet enregistrement, qui ne doit pas être inférieur à 3
mois. Donc les ressortissants ont le temps d’être enregistrés dans un délai de 3 mois.
L’attestation d’enregistrement doit être immédiatement délivrée au ressortissant sur
présentation de la carte d’identité ou du passeport. Pour les membres de la famille du
citoyen de l’Union, qui sont ressortissants d’un autre État tiers, ce délai est porté un peu plus
largement mais en tout cas, il a également la possibilité de bénéficier de cet enregistrement.

C. Le droit de séjour permanent (au-delà de 5 ans)

Au terme de 5 ans de présence ininterrompue sur le territoire de l’État d’accueil, les


ressortissants de l’Union ainsi que les membres de la famille (qu’ils soient ressortissants ou
non de l’Union) ayant résidé 5 ans avec un citoyen de l’Union, acquièrent un droit de séjour
permanent. Le droit de séjour permanent n’est soumis à aucune condition. La continuité de
la résidence doit être prouvée cependant, il faut que ça soit sans discontinuer. Il faut que ce
soit une résidence permanente pendant 5 ans donc l’exigence est que cela doit être prouvée
par le citoyen par tout moyen de preuve en usage dans l’État membre d’accueil. Il n’est nul
besoin de justifier de ressources financières en revanche ni d’assurance maladie. Une fois
acquis, le droit de séjour permanent ne se perd que dans quelques hypothèses. Par exemple
en cas d’une durée d’absence supérieure à 2 ans consécutives dans l’État membre d’accueil.
Les citoyens de l’Union qui en font la demande se voient délivrer un document attestant de
leur droit de séjour permanent. En ce qui concerne les membres de la famille ressortissants
d’un État tiers, les États membre leurs délivre également à compter des 6 mois du dépôt de
la demande, une carte de séjour permanente d’une durée limitée, et renouvelable de plein
droit tous les 10 ans. Mais le droit de séjour en ce qui concerne le ressortissant lui-même
n'est soumis à aucune condition et il peut au-delà des 5 ans rester dans le pays membre
d’accueil. Conclusion : Voilà ce que nous pouvons dire sur la citoyenneté et la circulation à
des fins non professionnelles. Donc vous aurez bien compris dans le cadre de cet axe relatif
aux libertés, l’essentialité des marchandises, la nécessité de la construction d’un marché
commun, qui deviendra un marché intérieur avec ces 4 libertés et au principal, la libre
circulation des marchandises au gré de l’interdiction des droits de douanes et taxes d’effet
équivalant, au gré de l’interdiction des mers qu’il faut bien maitriser, et au gré évidement de
la liberté de circulation des personnes qui ont un statut de travailleur salarié ou non salarié,
et liberté à laquelle s’est adjointe une autre liberté extrêmement bien sûr pertinente pour
les ressortissants que nous sommes, la liberté de pouvoir se déplacer et de s’installer dans
un État en tant que citoyen de l’Union. Donc ces libertés, essentiellement économiques sont
un levier important du droit économique de l’Union aujourd’hui. Il faut savoir que le
contentieux qui se présente devant les cabinets d’avocats est extrêmement nourri par la
remise en cause, surtout avec la libre circulation des marchandises est des personnes, c’est
un contentieux dense en la matière, il faut bien connaitre les mécanismes, bien maitriser la
jurisprudence et surtout les raisonnements applicables. Au fur et à mesure de la
jurisprudence, on se rend compte que le juge de l’Union insiste beaucoup sur le caractère
fondamental de ces libertés et qui dit fondamentales dit interprétation restrictive des
dérogations donc ce sont des marchandises qui doivent circuler librement, parce que ce sont
des leviers pour la croissance économique, ce sont des personnes qui doivent circuler
librement à des fins professionnelles ou non, parce que ça fait partie de ce concept de
citoyenneté alors essentiellement à des fins économiques mais également à des fins
économiques dans le cadre la liberté professionnelle.
Droit européen des affaires
Un espace de concurrence

I. Introduction

La deuxième partie de cet enseignement porte sur l’analyse de la concurrence en droit de


l’Union européenne, à savoir la mise en place d’un espace de concurrence. On a pu
constater que c’est un point important de cette matière. On a une sorte de binarité, de
dualité, entre d’une part l’espace de liberté qui s’articule autour des quatre facteurs de
production d’un marché (marchandises, personnes, services, capitaux), et nous avons
surtout axé notre propos sur les marchandises, et l’autre élément de la binarité est l’espace
de concurrence qui constitue un corpus de règles très important et dense. Il convient donc
de bien maîtriser ces deux éléments de la binarité. L'espace de concurrence constitue le
deuxième versant du droit européen des affaires puisque nous avons pu considérer que les
libertés, notamment économiques constituaient l'un des versants de la matière.

Section 1 : Spécificité de l’espace de concurrence européen

Sur le fond, l'idée de concurrence renvoie à l'idée d'un développement économique intense
et d'une certaine prospérité. Mais cet espace doit en même temps demeurer les vecteurs
d'une société de progrès. En ce sens, depuis un certain nombre d’années, l’Union s’attache à
mettre en œuvre les instruments qui pourraient installer une économie sociale. Ce discours
est de plus en plus important depuis l’accession à la présidence de la Commission de Jacques
Delors, qui a insufflé cette vision d’économie sociale et pas seulement libérale. Comment on
le sait, l’Union repose sur un schéma néolibéral, incontestablement, mais qui depuis les
années 1980-85 met en relief la question sociale, de sorte qu’on s’achemine vers la volonté
d’instaurer une économie sociale. Aussi toute la difficulté de l'exercice pour l'Union est de
concilier l'approfondissement sur le plan économique, notamment sous le prisme de la
question monétaire, et dès lors une intensification de la concurrence sur cette espace et la
préservation, sinon l'amélioration, des acquis essentiels qui forment le socle du progrès
social. L'Union a toujours eu le souci d'établir cet équilibre précieux mais fragile.
Parallèlement au démantèlement des obstacles limitant les échanges qui sont les principaux
facteurs du développement d'un marché et la consécration corollaire d'un espace de liberté,
nous avons ce souci de mettre en place un espace de concurrence qui s'associe pleinement
aux libertés de mouvement, comme en témoignent à cet égard les conditions d’interdiction
de certaines pratiques anticoncurrentielles, qui rappellent singulièrement celles des
marchandises. Toujours dans le cadre de cette introduction, quelques éléments
préliminaires. On ne peut pas entrer dans le droit de la concurrence d’emblée, il faut
prendre des précautions sur le plan conceptuel, des mécanismes applicables, de la
jurisprudence, et donc il faut prendre des précautions avant d’entrer dans ce droit. A
certains égards, il ressemble au droit français de la concurrence, mais sur d’autres aspects, il
y a des grandes différences. Première observation à titre liminaire, c’est ces doubles
prescriptions, d’une part la prescription relative aux règles protectrices de la concurrence et
les autres qui visent davantage à stimuler la concurrence. L’espace de concurrence dans le
cadre de l’Union européenne se veut libre, et cet espace érige nécessairement autour de lui
un certain nombre de règles protectrices de la libre concurrence qui présentent une binarité
de plus en plus saillante au travers des prescriptions opposables de manière classique aux
entreprises privées, invitées à participer à cet espace concurrentiel (les prescriptions
s’adressent ici aux opérateurs qui ont un statut de droit privé, et ces entreprises sont
invitées à accéder et participer à cet espace de concurrence, ce qui est tout à fait ordinaire
dans une économie libérale), et, dans un autre temps, aux opérateurs publics, c'est-à-dire les
entreprises qui ont un statut de droit public et qui se voient davantage soumises à cette
lecture économique. C’est pas du tout le même paradigme que pour les entreprises privées
qui s’inscrivent dans une logique économique. Les entreprises publiques vont également
être sollicitées pour participer à cet espace de concurrence en construction, à la faveur des
prescriptions qui leurs sont opposées, et elles vont être soumises à une logique économique
qu’elles méconnaissent souvent. Il y en a qui maîtrisent cette logique économique, mais en
général ce sont des entreprises mues par l’accomplissement de missions d’intérêt général, et
là elles vont devoir intégrer cette logique économique et l’apprivoiser. On a donc une
binarité, une double déclinaison des prescriptions. Tantôt des prescriptions opposables aux
opérateurs de droit privé qui sont invités à accéder à cet espace de concurrence et le
stimuler, et tantôt des prescriptions qui sont applicables, opposables aux opérateurs de droit
public, qui de manière ordinaire sont moins familiers à la question économique, et plus dans
une logique d’accomplissement de services publics. Ça c’est un préambule qu’il faut bien
garder à l’esprit. Autre élément à titre introductif, la place qu’occupe la règle de raison en
droit de l’Union européenne. La question qu’il convient de se poser est celle de savoir s’il y a
une règle de raison en droit de l’Union européenne.

Section 2 : La règle de raison et son applicabilité en droit de l’Union

En effet, selon une jurisprudence établie (arrêt de la CJUE, M6 c/ Commission du 18


septembre 2001), le juge de l’Union européenne considère qu'il n'existe pas de règle de
raison en droit européen de la concurrence, laquelle règle conduit à un examen au cas par
cas. La règle de raison en droit s’oppose à une autre règle, la règle percée, qui établit au
préalable, en amont, une liste de pratiques considérées comme interdites. C’est la grande
différence. La règle de raison conduit soit l’autorité investie du pouvoir de décision, soit la
juridiction, à se livrer à un examen in concreto, au cas par cas, au regard des conditions de
licéité posées, tandis que la règle percée établit une liste de comportements prohibés et
considérés comme illicites et applique la règle de droit. L'intérêt incontestable de la règle
percée est qu'elle assure une sécurité juridique certaines aux opérateurs économiques dans
l’exercice de leur activité, même si l’écueil majeur d'une telle application systématique des
règles percées est de ne pas tenir compte précisément des aspects positifs de l’intégration
économique, et de l’opération en cause pour l'économie. A cet égard, la doctrine s’est
interrogée sur la question de savoir quelle est la position du juge de l’Union européenne sur
la règle de raison. Le juge de l’Union européenne considère de manière constante, et
soutient véritablement que l'interprétation de l'article 101 paragraphe 1, du TFUE,
disposition de fond sur l’interdiction des ententes, ne conduit à une mise en balance des
effets pro et anticoncurrentiels d'un accord, afin de déterminer si celui-ci tombe ou non sous
le coup de l’interdiction. Le juge de l’Union européenne soutient dans son argumentaire
qu’une telle approche, qui conduirait à évaluer l’opération et mettre en place une règle de
raison, n’est pas conciliable avec la structure normative de l’article 101. Il faut bien dire
qu’au regard de la jurisprudence on s’interroge sérieusement, puisque les arrêts de la Cour
appliquent vraiment la règle de raison. Pour autant, le juge de l’Union européenne fait valoir
cette interprétation, et de plus il pose que l’article 101, TFUE, prévoit dans son paragraphe 3,
la possibilité d’exempter des accords restrictifs de concurrence lorsque ceux-ci satisfont à un
certain nombre de conditions, notamment lorsqu’ils sont indispensables à la réalisation de
certains objectifs, et ne donnent pas à des entreprises la possibilité d’éliminer la concurrence
pour une partie substantielle des produits en cause. Aussi, à la lumière de ce paragraphe 3,
combiné au paragraphe 1, le juge de l’Union européenne considère que ce n’est que dans le
cas précis de cette disposition, qu’une mise en balance des aspects pro et anticoncurrentiels
d’une restriction peut être établi, uniquement dans ce cas. L’article 101, paragraphe 3 du
TFUE perdrait tout son effet utile si une règle de raison devait être effectuée. Toutefois, au-
delà de cette affirmation première de l’argumentation du juge de l’Union européenne, qui
récuse l’application de la règle de raison, il est légitime de s’interroger sur cette affirmation.
Il semble bien que souvent le juge de l’Union européenne se livre à l’application d’une règle
de raison, comme en témoigne la jurisprudence. Nombre d’arrêts (notamment parmi eux, 30
juin 1966, Société technique minière ; 6 octobre 1982, Koditel ; 28 janvier 1986, Pronuptia ;
8 juin 1982, Nungerzer) sont une application de la règle de raison. Ce sont des arrêts qui
mettent en avant une méthode qui s’assimile à la règle de raison, et pourtant, le juge de
l’Union européenne récuse cette méthode, faisant valoir qu’elle n’est pas applicable dans le
droit de l’Union européenne, et que c’est une règle percée qui trouve à s’appliquer. Ces
arrêts, n’hésitent pas à mettre en balance les différents arguments et à épouser une
approche au cas par cas, or cette approche n’est-elle pas le propre de la règle de raison, d’où
les interrogations sur la position du juge. Le juge de l’Union européenne fait valoir que ces
interprétations s’inscrivent plutôt dans un courant jurisprudentiel plus large, qui repose
moins sur l’analyse de manière abstraite et indistincte, pour tenir compte davantage du
cadre concret dans lequel l’accord déploie ses effets, et notamment du contexte
économique et juridique dans lequel opèrent les opérateurs concernés (nature des produits,
des services visés par l’accord, ou encore les conditions de fonctionnement réelles du
marché). Le juge explique donc que c’est tout simplement l’examen et l’évaluation de
l’opération qui conduit à un examen au fond, à une appréciation in concreto. Selon la Cour, il
s’agit d’une lecture souple de l’article 101, et non d’une application de la règle de raison.
C’est pour cela qu’il parle de courant jurisprudentiel plus large. Toutefois, il reste que selon
de nombreux auteurs, aujourd’hui l’analyse économique occupe une place très importante
en droit de l’Union européenne, non seulement par les secteurs concernés. Certains auteurs
s’interrogent d’ailleurs sur la qualité du juge de l’Union européenne, est-il un juge à
compétence générale ou un juge à compétence économique ? L’analyse économique occupe
donc bien une place importante dans la mise en œuvre de la politique de concurrence, ce
qui conduit presque mécaniquement à une analyse au cas par cas des effets économiques
des pratiques incriminées devant le juge, et ce pour en établir la licéité, même si le juge
maintient qu’il n’existe pas de règle de raison en droit européen de la concurrence. Cette
affirmation est donc contredite par la pratique contentieuse, mais il ne faut pas oublier que
la dimension économique du droit de l’union est telle qu’on ne peut pas échapper à une
règle de raison.

Section 3 : La dimension concurrence/moyen en droit européen de la concurrence

Troisième observation liminaire, il s’agit de la place pragmatique qu’occupe la concurrence


en droit de l’Union européenne. Cette dimension pragmatique et cette vision utilitariste de
la concurrence. La spécificité du droit de l’Union européenne réside effectivement dans la
place pragmatique et utilitaire qu’occupe la concurrence, qui n’est nullement appréhendée
comme une finalité en soi, mais seulement comme un moyen (théorie de la concurrence
moyen) pour parvenir à la réalisation d’un espace économique intégré et prospère, et plus
généralement en vue d’atteindre des objectifs socio-économiques énoncés par les traités.
L’ex-article 2, CE, dispose sans aucune ambiguïté que par l’établissement d’un marché,
notamment un certain nombre d’objectifs devront être atteints. L’ex-article 3 fait valoir qu’à
cette fin, l’action de la communauté européenne comporte de nombreux moyens parmi
lesquels un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur. Il
y a véritablement une place pragmatique de la concurrence, ce qui est très important.
Contrairement aux réfractaires à la construction européenne qui font valoir de manière
infondée que la concurrence est un objectif en soi de l’Union européenne, ce n’est pas du
tout le cas. Dans les textes, les traités, la concurrence n’est qu’un moyen pour parvenir à cet
espace économique intégré, et à cette société de progrès. Pour autant, cette place
pragmatique, cette vision utilitariste de la concurrence, a été brouillée par le traité
constitutionnel. En effet, le système communautaire a toujours accordé à la concurrence ce
rang de moyen. Cette place pragmatique a été brouillée, remise en cause par l’article 1-3,
paragraphe 2, du traité constitutionnel, lequel érigeait la concurrence en objectif de l’Union
européenne, et ce en totale rupture avec la doctrine de la Commission, l’approche
jurisprudentielle, les textes, et l’approche de mise jusqu’à présent. Cet article prévoyait que
l’Union européenne offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice dans
les frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. Il
va sans dire que cette maladresse textuelle n’a pas échappé aux réfractaires de la
construction européenne, et il est inutile de préciser qu’une telle promotion a suscité de
vives critiques à l’occasion de la ratification des traités constitutionnels, et ce qui a conduit à
son rejet. C’était une des raisons du rejet, mais fondée et légitime. Evidemment, conscient
de cette limite sérieuse dans l’avancée du processus, les auteurs du traité de Lisbonne ont
redéfini à sa juste place la concurrence, au rang de moyen, aux termes de l’article 3, TUE, où
il est expliqué que la concurrence n’est qu’un moyen. De même, on a un protocole pour
rassurer les citoyens, numéro 6 sur le marché intérieur et la concurrence qui établit aussi
qu’elle n’est qu’un moyen. On a donc un effort textuel dans le traité de Lisbonne qui montre
cette volonté de rassurer et de montrer que la concurrence a été maladroitement hissée au
rang d’objectif, et qu’elle n’est en réalité qu’un seul moyen, et qu’il y est maintenue. Autre
observation liminaire, l’approche du juge de l’Union européenne quant aux notions, aux
concepts nationaux relatifs au droit de la concurrence. On observe de la part du juge de
l’Union européenne principalement, et de la commission également, un processus de
différenciation pour aboutir à une autonomisation des notions au regard du droit européen
de la concurrence. En effet, il apparaît que nombre de notions en droit économique de
l’union, en droit européen des affaires, comme l’entreprise, le marché, l’entreprise publique,
le monopole ou encore le service public (service d’intérêt général ou mission d’intérêt
général), ces différentes notions ont été d’emblées différenciées avec les qualifications
internes. Différenciées d’abord en amont par le législateur (conseil et parlement) et bien sûr
par la commission dans sa pratique décisionnelle, mais aussi par le juge de l’Union
européenne. Différencié au regard des qualifications du droit interne, à l’égard desquelles le
législateur et le juge de l’Union se montrent indifférents, ce qui est dit et redit dans les
textes. Le droit de l’Union européenne n’est pas prisonnier des qualifications nationales, ce
qui serait embêtant puisqu’il y a 28 États. Dès les années 1960, il y a une indifférence et une
volonté de forger sa propre interprétation et conceptualité. Un tel processus de
différenciation a démontré une constance depuis les années 60, de sorte qu’est né un autre
processus. A force d’opérer cette différenciation des notions, les notions sont devenues
parfaitement autonomes du droit national. C’est un processus beaucoup plus subtil, et on
assiste à une autonomisation, c'est-à-dire un détachement de ces notions au regard des
qualifications internes, de sorte que parfois on a des notions qui n’ont rien à voir avec les
notions françaises. On a vraiment au départ une différentiation (première étape) diligentée
par le législateur et le juge dès les années 1960. De cette différentiation est né subtilement
un autre processus plus complexe qui aboutit à un détachement de ces notions des ordres
juridiques nationaux. Ces deux processus successifs et gradués se vérifient avec relief dans le
cas du droit de la concurrence. On retrouve ces deux processus dans maints domaines de
l’Union européenne. Ces deux processus se vérifient avec relief dans le cadre du droit des
affaires. L’une des notions la plus symptomatique à cet égard est celle d’entreprise. Cette
notion est porteuse de ce double processus. Ce double processus est intéressant pour le
législateur de l’Union principalement et pour la Commission puisque c’est un ressort efficace
quant au respect des obligations qui pèsent sur les États, résultant aussi du droit de la
concurrence. L’indifférence des qualifications du droit national et l’appropriation de notions
par la Commission principalement, permet d’élargir le champ des comportements ou actes
considérés comme répréhensibles, d’élargir l’assise des dispositions de l’union. C’est donc
une méthode, une approche, une technique extrêmement adroite menée par la Commission
essentiellement sur le plan de la conceptualisation, et qui permet de se libérer des carcans
nationaux. On trouve toujours ce double processus en droit de l’Union européenne.

Section 4 : Rapport entre concurrence et marché intérieur

Autre observation liminaire, toujours pour installer ce chapitre, les rapports


qu’entretiennent la concurrence et le marché intérieur. On l’observe, ce sont des rapports
indissociables, c'est-à-dire que les deux notions sont indissociables. En effet, la Commission
joue un rôle très en relief dans l’application des règles de concurrence, et ceci lui a permis de
développer une certaine constance dans la pratique décisionnelle. La Commission est
partout dans le cadre de la concurrence. Cette présence de la Commission lui permet de
développer une doctrine constante, une conceptualisation des notions. Il y a également
l’appui de la jurisprudence qui a également fortement mis en exergue des éléments
constitutifs communs de certaines infractions entre la concurrence et le marché intérieur.
L’agrégation de ces deux facteurs, à savoir la prédominance de la Commission qui a pu
développer toute une théorie constante, une pratique décisionnelle constante, de même
que l’autre élément est l’appui de la jurisprudence qui a mis en exergue des éléments
communs entre le marché et la concurrence. Ces éléments ont créé presque
mécaniquement un lien étroit, indissociable entre le marché intérieur et la concurrence, a
fortiori dans une économie globalisée comme c’est le cas aujourd’hui. On a donc ce lien très
étroit, qui était déjà perceptible au travers de la définition du marché intérieur. Dans le
cadre du marché intérieur, ce que nous avions souligné, c’est un espace au sein duquel la
liberté économique est assurée au profit des 4 facteurs de production, et cette
préoccupation est également confortée par le fait que la concurrence et le marché
constituent des moyens que promeut l’Union européenne pour parvenir à un certain
nombre d’objectifs à caractère socioéconomique. Là-aussi, la concurrence et le marché ont
rang de moyen. A cet égard-là, on a également une identité de statut, qui conforte ce lien
contigu. Plusieurs auteurs ont écrit sur la question. On pourrait penser que la proximité est
évidente mais en réalité non puisque dans le cadre du marché intérieur, on ne parle pas
simplement d’un marché mais de flux circulatoires, de croisements d’échanges, on est
vraiment dans une libre circulation, et donc pas nécessairement dans la concurrence. C’est
une précaution à prendre dans l’appréhension de la matière. Les puristes diront que la
concurrence est vraiment à part, mais en réalité il y a des interactions entre les deux
champs.

Section 5 : La définition de la concurrence

Il convient enfin de s’interroger sur la notion de concurrence. Il est nécessaire pour bien
comprendre le champ de la matière quelle est la définition qu’on peut prêter à la
concurrence. En réalité il est possible de se livrer à trois lectures pour ce terme, de donner
trois interprétations, qui peuvent être alternatives ou complémentaires.

I. Un mode d’organisation de l’économie

Tout d'abord, la concurrence peut être perçue comme un mode d'organisation de


l'économie. Dans cette première approche, la concurrence est alors un des fondements du
système capitaliste libéral. Dans ce cadre-là, la concurrence se définira alors par opposition à
la planification qui procède, en économie, à une répartition selon un mode vertical sinon
autoritaire des produits et des services. C'est à l'opposé de la concurrence, qui est un mode
d'organisation horizontal des centres de production et de consommation et c'est une
hypothèse dans laquelle la concurrence commandera nécessairement une indépendance des
acteurs, ainsi qu'une forte décentralisation. Cela répond pleinement à ce que nous avons
dans le schéma de l’Union européenne.

II. Une structure du marché

Ensuite, la concurrence peut être définie comme structure du marché, par opposition au
monopole puisque par définition la concurrence suppose l’élasticité de la demande, qui est
d’ailleurs un critère de la Cour dans son examen. Elle suppose aussi un nombre suffisant
d'opérateurs que sont les offreurs et les demandeurs, ainsi que la substituabilité des
produits et des services et un accès libre aux marchés pour les nouveaux opérateurs. C'est-à-
dire que les opérateurs ne doivent pas être confrontés à des barrières invisibles, en termes
de technologie, etc., dans l’accès au marché pour les nouveaux opérateurs. Il y a non
seulement ces barrières à l’entrée, mais il y a aussi la question du maintien des opérateurs
nouveaux sur le marché. Cette deuxième lecture de la concurrence reçoit néanmoins des
tempéraments dans la mesure où le marché peut présenter des situations de concurrence à
caractère monopolistique. Cela peut sembler ubuesque mais c’est le cas. C’est des situations
au sein desquelles on a des éléments soit isolés soit combinés, comme la forte diversification
des produits ou la diversité des localisations. Ces éléments combinés ou isolés octroient à
des entreprises des positions dominantes qu’elles vont exploiter de manière abusive. On est
dans un système ouvertement concurrentiel, mais par plusieurs biais, des entreprises
occupent une position dominante qu’elles vont exploiter de manière monopolistique, et ce
indifféremment quant à leur nombre sur le marché. Il faut donc nuancer cette définition.

III. Un type de comportement

Enfin, la concurrence peut être définie comme un type de comportement sur le marché. En
effet, elle décrit un comportement qui se situe à l’opposé de la collusion. Elle vise la
détermination notamment des parts de marché, des prix, du niveau de production ou encore
du niveau de fabrication de tels ou tels produits. Elle peut encore décrire un comportement
à l'opposé de la domination qui a pour objet l'acquisition d'un monopole ou le renforcement
abusif d'une puissance économique sur le marché aboutissant à ce que l'opérateur
bénéficiant de cette puissance parvienne à renforcer sa position par des moyens autres que
le fonctionnement normal du marché. La concurrence est donc un comportement qui
s’oppose à la collusion ou à la domination. C'est ainsi que l'exploitation ou l'abus d'un
pouvoir de nature économique qui serait concentré de manière excessive sur une seule
entreprise par une puissance commerciale ou économique, ou alors une puissance
financière, démontre une atteinte sérieuse à la concurrence qui fausse les mécanismes du
marché. Ceci est très contrôlé on le verra. On peut donc avoir une lecture un peu générale
au départ pour ensuite, avec un effet d’entonnoir, aboutir à l’examen d’un comportement.
Telles sont les trois définitions que l’on peut livrer de la concurrence : un mode
d’organisation de l’économie, la structure du marché et les types de comportement. Au côté
de ces observations, il convient également de souligner que les atteintes peuvent émaner
non seulement des opérateurs économiques mais aussi des autorités nationales, des États
membres. En effet, les États peuvent, en violation de l'équité économique qui doit régner au
sein du marché intérieur et de l'espace concurrentiel, être tentés de privilégier certains
opérateurs en les plaçant dans des conditions préférentielles. Précisément, le droit prévoira
des dispositions visant à réprimer ou à prévenir ce type de distorsion de concurrence, c'est le
régime des aides d’État qui répond pleinement à cette demande, l’aménagement des
monopoles nationaux à caractère commercial et le contrôle des droits accordés aux
entreprises publiques. A cet égard, on peut s’interroger sur l’objet du droit de la
concurrence. A la faveur de cette triple déclinaison, de cette triple lecture, il est possible de
définir la concurrence, et à partir de là le droit qui régit la concurrence. Ainsi, le droit de la
concurrence aura pour objet de faire adopter par les entreprises un comportement
concurrentiel afin de maintenir les structures concurrentielles du marché et assurer un
meilleur fonctionnement des mécanismes du marché. L'idée est qu'il importe de garantir par
l'application de règles déterminées la plus grande liberté de choix sur le marché au profit des
consommateurs et des utilisateurs, une plus grande autonomie des entreprises pour les
entreprises quant à la détermination de leur comportement et de la politique qu'ils
entendent mener et notamment au regard du choix de leurs destinataires de leurs produits.
Le droit de la concurrence est donc un ensemble de règle qui va régir la concurrence mais
afin de faire adopter un comportement concurrentiel ou du moins respecter les positions
concurrentielles de opérateurs économiques. Le maintien de la concurrence sur le marché
s'expose à des menaces émanant tant d'opérateurs économiques que des autorités
nationales. A travers l'objet que poursuit le droit de la concurrence, on relève de nouveau le
lien irrésistible entre concurrence et marché intérieur. Le marché intérieur a pour objet de
mettre en place un espace de liberté, mais également un fonctionnement très libéralisé de
ce marché. Voilà les différents éléments liminaires qu’il convenait d’établir pour comprendre
le sens de ce cours. Dans un premier temps nous allons étudier les entreprises privées face à
la concurrence et l’idée de cette facilitation de l’accès à l’espace concurrentiel. Dans un
second temps nous étudierons l’opposabilité des règles au secteur public.

II. Les entreprises privées face à la concurrence

Nous abordons maintenant la question relative aux entreprises privées face à l’espace
concurrentiel, et cette facilité qui leur est accordée de l’accès à l’espace concurrentiel. Nous
allons observer très rapidement que les règles européennes de concurrence constituent un
ensemble de normes dense, qui évolue principalement sous l’effet de réformes de
procédure et moins de réformes de fond (prévalence qui peut s’expliquer par des règles de
fond originaires moins nombreuses). Une telle densité a aussi pour explication que les
auteurs du traité ont tenu à soumettre par le biais de plusieurs procédures, à la juridiction de
l’Union, l’ensemble des pratiques déloyales qui résultent du comportement d’un opérateur
économique de statut de droit privé. Donc une large appréhension des comportements
économiques sur le marché par le prisme procédural. Cette large appréhension aura pour
conséquence de faire naitre, dès les premiers temps de la construction européenne, un
premier ensemble de règle qui viendra compléter les textes fondateurs. Voyons d’abord
quels sont les comportements interdits ou contrôlés en droit de l’Union. En droit de la
concurrence on a un certain nombre de dispositions applicables aux entreprises privées. A
cet égard, deux types de comportements sont décrits, familiers en droit français, et qui ont
pour effet de fausser ou de restreindre la concurrence. Il s’agit de l’entente (article 101
TFUE) et de l’abus de position dominante (art. 102 TFUE). A ces infractions ordinaires très
classiques, que l’on retrouve en droit des affaires national (aujourd’hui, le législateur français
a quasiment fait un copier-coller des dispositions des traités : qualification de l’infraction,
conditions d’application, responsabilité mise en œuvre, etc.) vient s’ajouter l’opération de
concentration, qui n’est pas interdite par le traité en tant que telle parce qu’elle peut être
source de progrès, mais elle fait l’objet d’un contrôle et d’un encadrement très sévères.
L’entente et l’abus de position dominante sont deux infractions qui sont fondamentalement
distinctes. En effet, l’entente naît d’un comportement bilatéral ou collectif, elle est le fruit
d’une concertation entre entreprises à des fins déloyales pour nuire au marché, tandis que
l’abus de position dominante est un comportement unilatéral, isolé (sans pour autant
exclure une configuration multiple, on peut avoir le cas d’abus de position dominante
collective) qui se suffit à lui-même pour remettre en cause les règles du marché. Ces deux
infractions renvoient ainsi à des réalités économiques différentes. Dans les deux cas, le traité
réprime des effets analogues (c'est-à-dire une atteinte à l’espace concurrentiel) mais ce sont
des postures économiques différentes. Les deux comportements entretiennent un rapport
de complémentarité, qui n’est pas explicite mais suggéré par le traité et surtout conforté par
la jurisprudence. En effet, la complémentarité a été précocement affirmée par la Cour dans
l’arrêt « continental Kahn » (21 février 1993). Le juge de l’Union appuie sur un tel rapport de
complémentarité lorsqu’il estime notamment que sur des plans différents, les articles 85 et
86, aujourd’hui 101 et 102, tendent au même objet, à savoir le maintien d’une concurrence
effective sur le marché commun .il y a une lecture combinée des articles 101 et 102 qui
implique que la mise en œuvre de l’une des dispositions n’est pas exclusive de l’autre. Le
juge fait valoir qu’au contraire, la mise en œuvre d’une disposition peut être inclusive de
l’autre disposition, comme a pu le démontrer l’arrêt Ahmed Saed, dans lequel la Cour fait
valoir qu’une entreprise en situation de position dominante peut aussi tomber sous le coup
de l’article 101. De même, il est possible de mettre en œuvre les articles 101 et 102
invariablement dans le cadre d’une entreprise en position dominante qui se trouvait être un
participant à l’entente. Il y a également une autre hypothèse, mais plus difficile à établir,
celle d’une position dominante collective. C’est très difficile à caractériser, mais dans cette
hypothèse, on peut faire valoir une lecture combinée des articles. La position dominante
collective prendrait sa source dans la constitution d’une entente dont les auteurs ne
détiennent pas pour autant de manière individuelle une position dominante sur le marché. Il
y a donc vraiment une complémentarité entre les deux dispositions qui puise en réalité sa
source dans l’identité de l’objet, comme se plait à le souligner la Cour : « toutes deux [les
dispositions] poursuivent une même finalité, le maintien d’une concurrence, qui doit être
effective au sein du marché ». L’objet transparait également de manière assez nette dans
l’une des conditions communes aux articles 101 et 102, à savoir l’affectation du commerce,
ce prêtant au demeurant au même examen. C’est vraiment le même examen. L’affectation
du commerce qui est une condition de mise en œuvre de l’article 101 et de l’article 102, se
prête de surcroît au même examen. On a donc une identité dans l’objet et l’examen pour
l’une des conditions. A cet égard, les comportements visés dans les deux dispositions sont
similaires. La complémentarité peut également être appréciée au travers de l’applicabilité
directe reconnue à l’interdiction établie par ces deux dispositions. En effet, comme l’article
101, l’article 102, TFUE, pose une interdiction sans qu’il soit nécessaire pour les autorités
communautaires ou nationales de prendre une décision préalable. Il en résulte que l’article
101, paragraphe 1, TFUE, et l’article 102, TFUE, ainsi que la règle de nullité de l’article 101,
paragraphe 2, sont directement applicables. L’effet direct de ces interdictions peut être
soulevé en tant que moyen de défense par les justiciables. Néanmoins, même si ce rapport
de complémentarité existe, est suggéré les traités et conforté par la jurisprudence assez
précocement, il n’est pas intangible. En effet, on peut trouver des entorses à ce rapport.
Tout d’abord, on constate qu’alors que l’article 101, TFUE, énumère un certain nombre
d’hypothèses qui peuvent constituer des exemptions au principe d’interdiction des ententes,
le principe d’interdiction de l’abus de position dominante est d’une portée absolue. On a
donc une première limite du raisonnement. L’article 101 n’est pas exclusif dans sa portée,
tandis que l’abus de position dominante ne connaît aucune exemption possible, ce qui
dénote une lecture sévère, rigide de ce type de comportement, qui ne pourra en aucun cas
échapper à la censure. Cette approche restrictive reçoit tout de même des tempéraments,
tenant au fait que l’article 102 n’interdit nullement la détention d’une position dominante,
mais seulement une pratique abusive qui en ressort. Le fait qu’il n’y ait pas de dérogation
possible à l’article 102 peut également s’expliquer par cela. C’est qu’il n’est pas
répréhensible d’avoir une position dominante, ce qui l’est c’est de l’exploiter abusivement.
De plus, autre limite à ce raisonnement, il reste possible au juge de considérer certaines
conditions relevant de l’intérêt générale susceptibles de justifier le comportement abusif
d’une entreprise sur le marché à la lumière d’un bilan avantages/inconvénients.

III. L’entente

Chapitre 1 : Les comportements interdits ou contrôlés

Section 1 : La pratique déloyale née d’une concertation : l’entente

Nous allons examiner dans un premier temps l’entente, c'est-à-dire la pratique déloyale née
d’une concertation. Elle est décrite par l’article 101 TFUE. L’article 101 TFUE pose un principe
général d’interdiction de ce type de comportement, un comportement qui ne connaît pas, à
la différence de l’abus de position dominante une application absolue, puisque sont tolérées
certaines formes d’ententes qui contribuent au progrès économique. Aussi, l’article 101
TFUE ne se prête pas à une lecture exclusive. C’est un aménagement qui est prévu par le
paragraphe 3. L’article 101, paragraphe 3, cet aménagement n’est nullement un artifice : il
constitue un appui important pour certaines entreprises, un certain nombre d’opérateurs au
sein de l’Union, des entreprises qui sont soucieuses d’accomplir des innovations et des
progrès, notamment en matière technologique (notamment les nouvelles technologies, ou
encore la recherche médicale), et qui ont besoin de procéder à des concertations. Il y a donc
des ententes mais qui vont être considérées comme licites. Je pense aux technologies mais,
également, au domaine de la recherche. Le domaine de la recherche requiert des
investissements très lourds et donc, effectivement, la réunion de plusieurs opérateurs
économiques et, dans ce cas-là, il faut activer ce type de procédures : la possibilité d’avaliser
ces ententes parce que les investissements sont extrêmement lourds et on ne peut pas agir
isolément, il faut agir collectivement. Dans la mesure où de tels projets requièrent de lourds
investissements et d’importants financements, ils nécessitent des rapprochements de
plusieurs entreprises et, dès lors, une concertation. A cet égard, il convient de souligner que
l’article 101, paragraphe 3, participe au développement substantiel de la notion d’entente.
On a eu grâce à cet article, une forte conceptualisation de la notion, à la faveur d’une
intervention régulière de la part de la Cour et également d’une interprétation donnée par la
commission. Alors, nous noterons également que la notion d’entente n’est pas
expressément évoquée par l’article 101, assez étrangement, elle n’est pas explicitement
indiquée, elle se déduit en fait d’une lecture de l’article 101. Il est dit, tout simplement que
l’entente, la qualification d’entente, doit satisfaire un certain nombre de conditions afin de
relever du principe d’interdiction. L’article 101, paragraphe 1 énonce ainsi le principe
d’interdiction des ententes est applicable à tout accord entre entreprises, toute décision
d’association entre entreprises et toute pratique concertée. Donc, pour être interdite,
l’entente doit être susceptible d’affecter le commerce et de porter atteinte à la concurrence
entre États membres. Ce sont deux conditions cumulatives. L’affectation ou l’atteinte
potentielle sont retenues, c’est vous dire à quel point il y a une sévérité de l’interdiction à la
lumière de la formulation qui est énoncée par l’article 101, paragraphe 1. La sanction à toute
violation de ce principe d’interdiction est sévère car de tels accords ou décisions sont, aux
termes de l’article 101, paragraphe 2, nuls de plein droit. La nullité rendra l’accord non
opposable aux tiers, elle revêt, de surcroît, un caractère rétroactif. Compte tenu de la
généralité des cas, à laquelle renvoie l’article 101 TFUE, la jurisprudence a dû définir
davantage le régime de nullité, parce que le régime de nullité était défini en une ligne, au
paragraphe 2. Donc, la jurisprudence contribue fortement au développement de ce régime
de nullité auquel s’exposent les ententes conclues en violation du traité. De nouveau, il
appartient au droit national de définir les conséquences relatives à une violation de l’article
101 TFUE comme, par exemple, l’obligation de réparer le préjudice causé à un tiers ou
l’obligation de contracter. Ceci relèvera du droit national. Le régime de nullité est d’autant
plus conforté que l’article 101, paragraphe 1 est doté d’effet direct. Donc l’article 101 TFUE
énonce trois conditions spécifiques, et une de portée générale. Il doit s’agir d’une collusion
entre entreprises qui peut prendre plusieurs formes. Autre condition, elle doit porter
atteinte à la concurrence. Deux premières conditions dont la réunion constitue l’infraction à
la libre concurrence. Troisième condition, l’entente doit affecter le commerce entre États
membres. A ces trois conditions, on peut en ajouter une quatrième, l’auteur doit être une
entreprise.

I. Les auteurs de la collusion : Les entreprises

Il est impératif que les auteurs de l’entente soient des entreprises : il s’agit là d’une
condition générique qui se rattache à l’ensemble du régime en matière de concurrence.
Précisément, quels sont les auteurs de la collusion ? Ce sont les entreprises. Pour emporter
qualification d’entente, les auteurs de l’entente doivent être des entreprises,
impérativement. De nouveau, l’approche communautaire de la notion d’entreprise
démontre une très grande liberté prise par la juridiction de l’union quant aux qualifications
nationales dont elle veut s’affranchir. Eu égard à cette indépendance, la notion d’entreprise
fera l’objet d’une lecture extensive, dans le souci constant d’appréhender un large éventail
de comportements économiques répréhensibles. Là, on note une démarche classique en
droit de l’Union, une démarche que nous avons déjà relevée dans le cadre des
marchandises, c’est que le juge est affranchi des qualifications nationales, il s’en libère, il
n’est absolument pas lié par les qualifications nationales, notamment celles données par le
législateur interne. Et donc, c’est sa propre interprétation qui prévaut dans le cadre du
traitement du contentieux ; ce qui est source de conflictualité avec certains ordres juridiques
nationaux et notamment avec le droit français. Autre élément constant, l’entreprise ne fait
l’objet d’aucune définition dans les traités, qui se gardent, eux aussi, d’entrer en conflit avec
les conceptions nationales. Et donc, la notion d’entreprise, telle qu’elle est aujourd’hui
solidement ancrée en droit de l’Union (on a aujourd’hui une définition bien claire), cette
notion d’entreprise est le fruit de la jurisprudence
Dans les traités, on n’avait rien. Par contre, le terme d’entreprise est fortement utilisé mais il
n’y a pas d’effort de définition et bien sûr, c’est volontaire, pour ne pas entrer en conflit avec
les conceptions nationales et, parallèlement, pour donner une large assise à la Commission
et au juge de l’Union dans l’application et l’interprétation des textes. La définition
d’entreprise ressortira formellement du célèbre arrêt Höfner et Helzer du 23 avril 1991, c’est
un grand arrêt du droit de l’Union : un arrêt qui définit l’entreprise comme toute entité
exerçant une activité économique indépendamment du statut juridique de cette entité et de
son mode de financement. Cette notion doit être comprise comme désignant une unité
économique, même si du point de vue juridique, cette unité est constituée de plusieurs
personnes physiques ou morales distinctes. Aussi, lorsqu’une telle entité enfreint des règles
de concurrence, ou des règles relatives à la concurrence, il lui incombe, selon le principe de
la responsabilité personnelle, de répondre à cette infraction. Cette définition insiste sur deux
éléments majeurs qui permettent d’apprécier la qualité d’entreprise. D’une part, l’obligation
d’exercer une activité économique. D’autre part, deuxième élément qui permettra
d’emporter qualification d’entreprise, l’existence d’un degré d’autonomie suffisant au profit
de l’entreprise concernée.

A. La poursuite d’une activité économique

D’abord, le premier critère requis pour emporter qualification d’entreprise : la poursuite


d’une activité économique. En droit de l’Union, l’entreprise se définit en fonction de
l’activité qu’elle poursuit : il s’agit de ce que l’on appelle une approche fonctionnelle et ce
n’est absolument pas une approche organique, que nous avons, par exemple, en droit
français. L’approche organique est un trait distinctif en droit français, en droit français, nous
avons plutôt, davantage, une approche organique de l’entreprise. En droit de l’Union, c’est
une approche fonctionnelle. Comment se manifeste l’approche fonctionnelle ? D’abord, on
peut relever une indifférence quant à la forme et à la place de l’entreprise sur le marché. Le
droit de l’Union ne s’attache nullement, en effet, à la forme de l’entreprise. La Cour précise,
de manière régulière, que l’entreprise doit être entendue comme désignant une unité
économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause, même si, du point de vue
juridique, cette entité est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales.
L’élément déterminant est, dès lors, l’existence d’une unité économique indépendamment
de sa forme juridique. Point sur lequel insiste notamment, autre arrêt intéressant et
important, l’arrêt Hydrotherm.

1. Nature de l’activité économique

Alors, quelle est la nature de cette activité économique tant demandée, tant requise, qui
doit être exercée pour justifier la qualité d’entreprise ? C’est l’activité économique qui prime
et absolument pas la forme de l’entreprise. L’activité économique doit être menée en
matière de production et de distribution de biens et de services sur un marché donné : c’est
la seule condition requise et vous conviendrez que c’est une condition extrêmement
extensive, très large. Donc, l’activité est menée dans un secteur de la production ou de la
distribution de biens ou de services, sur un secteur donné. De surcroît, le juge de l’Union
considère qu’il n’est pas requis, pas nécessaire, que l’entreprise soit présente sur le marché,
dès l’instant qu’elle a joué un rôle dans la constitution de l’entente. Là, on note bien la
sévérité de la démarche du juge. En effet, il fait valoir que le fait qu’une entreprise, la
circonstance, qu’une entreprise ne soit pas active sur le marché sur lequel la restriction de
concurrence se matérialise et a été constatée, avérée, n’exclut pas sa responsabilité pour
avoir participé à sa mise en œuvre (la mise en œuvre de l’entente). Toute entreprise qui
participe à une entente interdite aux termes de l’article 101 TFUE, même si elle joue un rôle
mineur, est responsable de l’infraction. De même, de jurisprudence constante, peu importe
qu’une entreprise affectée par une entente opère sur le marché en cause de façon
prétendument illégale lors de la conclusion de cette entente. Là aussi, c’est un élément qui
n’est pas recevable pour la Cour : ce caractère illégal du comportement de l’entreprise
affectée est sans incidence sur la constitution de l’infraction (sur l’existence et constitution
d’infraction). Pour sa part, la Commission qualifie, elle aussi, l’entreprise comme toute entité
exerçant des activités de nature commerciale indépendamment de toute autre
considération.

2. Indifférence au regard du statut juridique de l’entreprise

Autre élément qui démontre une indifférence quant à l’approche organique et plutôt
effectivement une adhésion à l’approche fonctionnelle, qui est développée par la
jurisprudence, c’est l’indifférence au regard du statut juridique de l’entreprise. Le droit de
l’Union est à nouveau indifférent au statut juridique de l’entreprise, c'est-à-dire à son
organisation formelle, comme nous l’avons dit précédemment. Il pourra s’agir d’une société
commerciale, mais aussi d’une personne physique qui sera qualifiée d’entreprise, comme un
inventeur qui concrétise son invention par la concession d’une licence de brevet, ou il pourra
s’agir d’un groupement économique, ou d’un syndicat professionnel, c’est tout à fait
possible. En outre, l’article 101 TFUE est également applicable aux entités qui bénéficient
d’un statut droit public. Nous reviendrons sur ce point largement plus tard mais ça ne pose
absolument aucun problème dès l’instant que ces entités publiques, ces entreprises,
n’agissent pas dans le cadre des prérogatives dont elles sont investies mais en tant
qu’opérateur économique. Aussi, l’État lui-même ou une entité étatique peut agir en tant
qu’entreprise. A ce propos, dans le célèbre arrêt Höfner et Helzer, à propos d’un office public
allemand de placement des travailleurs, ce qui correspond à ce que nous avons en France, à
Pôle Emploi, la Cour estime qu’indépendamment du statut juridique de l’entité, et de son
mode de financement, l’activité de placement est une activité économique. Donc, elle avait
évidemment un statut de droit public. L’élément essentiel qui a été considéré par la Cour est
la contrepartie de la prestation, à savoir l’existence d’une rémunération, donc ça c’est la
grande différence avec ce que nous avons en France pour Pôle Emploi. La même approche,
affranchie de toute considération liée au statut de droit public, sera appliquée, peu de temps
après, dans l’arrêt Albanie (21 septembre 1999), également à propos d’un fond de pension
qui appliquait le principe de capitalisation, et là aussi la Cour a considéré qu’il y avait
rémunération contre prestation. Autre exemple, l’arrêt Compass de 2012 où on a eu cette
même approche, qui permet d’identifier la logique économique, lucrative. Dès l’instant qu’il
y a contrepartie financière, rémunération d’une prestation, recherche d’une activité
lucrative, on est dans une activité économique, et donc là, il y a qualification d’entreprise.
Néanmoins, sur la question de la rémunération, le fait qu’un produit ou un service fournit
par une entité se rattachant à l’exercice de la prérogative de puissance publique soit fourni
contre une rémunération prévue par la loi et non déterminée par l’entité ne suffit pas pour
autant à faire qualifier l’activité d’activité économique, et à emporter la qualification
d’entreprise. D’autres éléments peuvent donc entrer en ligne de compte. A contrario, en se
fondant sur les critères de de l’arrêt Höfner et Helzer, nous avons bien sûr le célèbre arrêt
Poucet et Pistre de 1993 (17 février 1993) à propos des caisses d’assurance maladie en
France. En l’espèce, la Cour fait valoir que les caisses d’assurance maladie qui relèvent de
l’État (en l’espèce la France), où les organes qui participent à la gestion du service public de
la sécurité sociale remplissent une fonction de caractère exclusivement social. Il s’agit, dit la
Cour, d’une activité qu’il ne poursuit pas un but lucratif. Pourquoi ? Parce que le régime de
sécurité sociale en France est régi sur un principe de solidarité nationale, c'est-à-dire que les
assurés ne remboursent pas en fonction de ce qu’ils versent, il y a une égalité dans le taux de
remboursement, il n’y a pas de disparité en fonction du niveau de versement. Et donc, ça
c’est un point fondamental, c’est régi par un principe de solidarité nationale. Et au regard de
cette exigence majeure qui est liée à la solidarité nationale, les prestations visées sont, en
droit français, des prestations légales et indépendantes du montant des cotisations. Aussi,
nécessairement, il ne s’agit pas d’une activité économique, il n’y a pas de contrepartie. C’est
ainsi que ce type d’activité ne peut pas présenter un caractère économique justifiant
l’application des règles de concurrence. Il est vrai que si la Cour s’était livrée à une autre
interprétation, ce qui aurait été difficilement tenable juridiquement puisque, si on se place
dans son raisonnement, cette activité ne peut pas être considérée comme lucrative mais, si
une autre interprétation avait prévalu : on aurait une libéralisation de ce secteur ! Donc,
c’est important, évidemment de le souligner : ce n’était pas tenable juridiquement. Si on
s’aligne sur l’arrêt Höfner et Helzer, effectivement, l’activité qui est menée par les caisses
d’assurance maladie en France, ce sont des activités qui sont guidées par un principe de
solidarité nationale et absolument pas des activités économiques puisqu’il n’y a pas la
recherche lucrative qui guide leur action. J’avais également noté, comme autre exemple
illustratif, l’exemple des centres d’accueils pour les personnes âgées, c’est une affaire qui
concernait la Belgique (Fédération des maisons de repos de Belgique, 2003), à propos
desquels, la Cour énonce qu’il convient d’être attentif à la recherche d’un juste équilibre
entre l’objectif d’éliminer les obstacles aux échanges et les exigences de sauvegarder les
spécificités de certaines activités sensibles et, notamment, celles liées à la protection de la
santé humaine (notamment la protection des personnes âgées). A cet égard, la Cour se livre
à une approche effectivement nuancée de la jurisprudence Höfner et Helzer, considérant
cependant que, au départ, elle est affranchie des qualifications nationales. Également, on
observera que la jurisprudence, afin de cerner d’avantage la qualité d’entreprise, peut être
amenée à insister sur le caractère vraiment lucratif de l’activité. On a toujours cette
nécessité de contrepartie financière et de rémunération de la prestation. C’est vraiment
l’élément déclencheur. Autre grand arrêt ici, l’arrêt Eurocontrol du 19 janvier 1994, où il
s’agissait d’une organisation internationale européenne qui assure pour le compte des États
partie une mission d’intérêt général, la sécurité de la navigation aérienne. Elle avait pour
mission de veiller à cette sécurité, et de ce point de vue, eu égard à la mission qui lui est
dévolue, elle ne pouvait pas être considérée comme une entreprise. La Cour n’a donc pas
prononcé l’applicabilité de l’article 101 à son encontre. Nous relèverons également que
toujours selon la jurisprudence, un sujet de droit, et notamment une entité publique, peut
être considérée comme une entreprise uniquement en ce qui concerne une partie de ses
activités. On peut détacher une partie des activités du principale, et certaines activités
pourront être considérées comme économiques et d’autres non. Par exemple, dans la
mesure où une entité publique exerce une activité économique, qui peut être dissociée de
l’exercice de ses prérogatives de puissance publique, cette entité agit en tant qu’entreprise
pour ces activités-là. On fera la distinction entre activité économique et activité liée à ses
prérogatives de puissance publique (cf. arrêt Intégrative de 2009).

B. L’existence d’une autonomie suffisante

1. Principe

Autre point important concernant l’activité qui est menée par l’entreprise (l’entreprise doit
mener une activité économique), l’autre considération qui est requise pour emporter la
qualification d’entreprise : il s’agit de l’existence d’une autonomie suffisante. L’entente ne
sera caractérisée que si ses auteurs sont des personnes physiques ou morales distinctes,
jouissant d’un degré d’autonomie suffisant entre elles. C’est ce qu’on appelle l’autonomie
suffisante. Aussi, les accords conclus entre filiales appartenant à une société mère, c'est-à-
dire à un même groupe, ne relèvent pas de l’article 101, TFUE, car la filiale ne dispose pas
d’une autonomie quant à son comportement sur le marché et surtout, en amont, au regard
de sa stratégie commerciale. Car la filiale est soumise à la société mère en termes de
stratégie commerciale. L’entreprise doit disposer d’une marge de manœuvre suffisante et
effective sur le marché à défaut de laquelle l’entente ne sera pas constituée. Ce point est
issu de la fécondité de la jurisprudence, parce que le contentieux a connu de nombreuses
affaires liées aux filiales. La société mère se défaussait sur la filiale, tandis que la filiale disait
suivre les instructions de la société mère. La jurisprudence a donc dû s’interroger sur
l’autonomie de l’entreprise. La Cour est extrêmement exigeante sur cette indépendance du
comportement, comme le souligne la jurisprudence Akzo de 2009, en vertu de laquelle il est
établit que le comportement d’une filiale, qui pourtant est indépendante juridiquement, car
elle possède une personnalité juridique propre, peut relever, même dans ce cas, de la
responsabilité exclusive de la société mère. En effet, son comportement peut être imputé à
la société mère, même lorsqu’il y a une personnalité juridique distincte. Car finalement, si au
gré de l’examen au fond du juge, il apparait que cette filiale, même si elle a une personnalité
juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché,
mais applique pour l’essentiel des instructions qui lui sont données par la société mère (eu
égard, notamment, aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces
deux entités) et ce, à la lumière des examens attentifs des éléments de faits. Pour cela, le
juge et la Commission dans la phase précontentieuse, doivent se plier à un examen attentif
des éléments de fait, et voir si celle personnalité juridique distincte n’est pas qu’un artifice.

2. Appréciation in concreto

En ce qui concerne le critère de l’autonomie suffisante et le cas particulier des filiales, le


raisonnement du juge ne revêt pas un caractère systématique. On observe, en effet, qu’au
gré de la jurisprudence, le juge se livre à un examen au cas par cas du comportement de
l’entreprise afin de déterminer l’imputabilité de l’infraction et également afin de déterminer
les rapports de la filiale avec la société mère. Il existe des éléments d’appréciation
importants : l’exercice effectif du pouvoir de direction : la Cour avait examiné quel était
véritablement l’exercice effectif de ce pouvoir de direction. Elle peut l’examiner à la lumière,
par exemple, de la composition du CA (Conseil d’Administration) qui démontre l’exercice du
pouvoir réel et le rôle joué par la société mère dans sa nomination. Le juge s’attache donc à
préciser in concreto si la filiale dispose d’une réelle autonomie dans la détermination et la
conduite de sa ligne d’action sur le marché, qui lui permettra de prendre part à un accord
restrictif ; donc, ce n’est pas systématique, c’est au cas par cas. La jurisprudence de principe
c’est que les sociétés mères et filiales sont étroitement liées et donc, en contrepartie de
cette considération, c’est la société mère qui est responsable mais le juge ne s’abstient pas
de se livrer à un examen au cas par cas en la matière. Le juge va donc s’assurer qu’il s’agit
bien simplement d’une répartition interne des tâches, dans ce cas-là, c’est effectivement la
société mère qui est responsable. Autrement, évidemment, le propos sera beaucoup plus
nuancé. Exemple : Ce sera par exemple le cas pour les représentants de commerce dont les
contrats les lient à leurs mandants : donc, dans ce cas-là, c’est une répartition interne, des
plus classique, des tâches. S’il y avait entente, elle serait entièrement imputable au
mandant. C’est également le cas des courtiers et des agents commerciaux : ils agissent
toujours au nom de leur mandant et pour le compte de l’entreprise qu’ils représentent. A la
différence, d’autres intermédiaires commerciaux peuvent disposer d’une autonomie réelle
sur le marché en termes de stratégie commerciale. On ne peut donc pas leur imputer une
entente. En revanche, certains intermédiaires commerciaux disposent d’une autonomie
importante, réelle, et on a un exemple sur les concessionnaires. Les concessionnaires sont
rattachés à une société mère, ce sont des filiales mais ce sont des intermédiaires
commerciaux qui jouissent d’une très grande liberté commerciale, une indépendance dans le
comportement sur le marché etc., de sorte qu’il est difficile d’envisager pour eux
l’imputabilité d’infractions sur la société mère : ce sont ces intermédiaires commerciaux qui
verront leur responsabilité engagée.
Voilà pour la notion d’entreprise, c’est la première étape, établir qu’on est face à une
entreprise, avec ce double critère, la poursuite d’une activité économique dont on a vu que
la Cour a une interprétation large, mais dont l’élément principal est la contrepartie
financière, l’activité lucrative, et l’autre critère est l’autonomie suffisante, et là on se heurte
réellement à la question des sociétés mères et de leurs filiales. Ces deux critères étant
satisfaits, on a une entreprise qualifiée, c’est la première étape. La deuxième étape amène à
s’interroger sur les différentes formes de collusion que revêt l’entente.

II. Les différentes formes de collusion

Après avoir examiné la qualification d’entreprise, il faut voir maintenant quelles sont les
différentes formes de collusion. Selon les termes de l’article 101 TFUE, l’entente vise tout
accord entre entreprises, toute décision d’association d’entreprises, et toute pratique
concertée. La commission et la Cour n’ont pas tenu, comme à leur accoutumée, à se limiter à
une lecture formelle de ces différentes formes de collusion. Elles se sont prêtées à une
lecture finaliste du comportement litigieux, classiquement, en s’attachant peu au formalisme
juridique de la pratique en cause. Ce comportement tombe sous le coup de l’article 101,
TFUE, tout simplement si le comportement témoigne d’une volonté commune de
restreindre la concurrence. C’est l’élément essentiel à retenir : c’est la volonté de restriction
de la concurrence. Dès que la Cour et la commission, dans la phase précontentieuse,
relèvent la volonté commune de restreindre la concurrence, il y a de fortes chances que
l’infraction soit constituée, il n’est pas nécessaire d’aller beaucoup plus loin dès l’instant qu’il
y a une volonté commune de restreindre la concurrence. Donc, l’article 101, paragraphe 1,
TFUE, opère alors la distinction entre 3 types d’entente : l’accord, la décision d’association
d’entreprises et la pratique concertée. Alors, 3 comportements qui impliquent un concours
de volonté qui peut être exprimé de manière formelle, sous une forme juridique ou de
manière informelle, et dont l’objet est de restreindre la concurrence. Trois comportements
que nous retrouvons en droit français. Première observation concernant l’exigence d’un
concours de volonté pour caractériser l’entente. La notion d’entente impose ce concours de
volonté, ce qui exclut le comportement individuel d’une entreprise comme le pose la
jurisprudence Parc Davis, arrêt Parc Davis du 29 février 1968. C’était sous-entendu par
l’article 101 mais c’est l’arrêt Parc Davis qui va consacrer cette exigence de volonté
commune, cette nécessité d’exprimer, de manière tacite ou implicite, cette volonté
commune. L’élément contractuel ou de concertation est impératif pour mettre en œuvre
l’article 101 TFUE. Cependant, on a un arrêt qui démontre que la démarche peut être plus
nuancée, c’est l’arrêt Sandoz, dans l’arrêt Sandoz du 11 janvier 1990, à propos de factures
faisant figurer la mention « exportation interdite », la Cour précise que la stipulation mise en
cause pour être constitutive d’un accord ne doit pas nécessairement instituer un contrat
valide et obligatoire selon le droit national. Elle peut même être informelle : il suffit que la
stipulation soit l’expression de la volonté des parties. Le fait que les opérateurs économiques
en cause n’aient pas contesté cette stipulation suffisait pour démontrer leur adhésion. Il faut
donc simplement un concours de volonté et l’expression d’un consentement. Autre
remarque concernant la typologie des ententes qui existent, il en existe 2 grandes familles :
les ententes horizontales et les ententes verticales. L’entente est considérée comme
horizontale lorsqu’elle intervient entre des concurrents réels ou potentiels qui se situent au
même niveau de la chaîne économique et qui l’exploitent. Ce sont alors des sociétés
indépendantes qui s’unissent afin de fixer les prix, limiter la production, se répartir les
marchés ou les clients entre elles. Ces ententes sont qualifiées de cartels (emprunt au droit
antitrust américain), interdits en vertu du droit de l’Union, et à l’égard desquels la
commission impose de lourdes amendes aux entreprises impliquées dans le cartel. Les
cartels font l’objet d’un traitement spécifique en droit de l’Union, en droit de la concurrence,
parce qu’ils préoccupent énormément la commission : les cartels nuisent fortement à
l’espace concurrentiel et surtout le cartel, par définition, s’inscrit dans une culture du secret.
De manière générale le monde des affaires cultive beaucoup le secret et les cartels sont faits
dans la clandestinité et donc il est très difficile de les détecter et d’en prouver l’existence. Il y
a plusieurs techniques qui sont délivrées par la commission pour détecter les cartels et
poursuivre leurs auteurs, c’est vraiment une préoccupation majeure de la commission. Dans
la mesure où ils sont illégaux, les cartels sont constitués dans le secret, dans la clandestinité,
de sorte qu’il est très difficile pour la commission de prouver leur existence, de les détecter
et ensuite de prouver leur existence devant le juge. Tout est fait dans le secret et de manière
extrêmement subtile et implicite. Aussi, la commission a décidé de mener une politique de
clémence (j’essaierai d’en parler si j’ai le temps, sinon, je vous renvoie au manuel) c’est une
politique qui a été menée depuis un certain nombre d’années. C’est une politique qui
permet, à l’instar du droit américain, qui encourage vivement les entreprises à lui remettre
des preuves de telles ententes (des entreprises auteurs dans le cartel, qui sont dans le
cartel), ce qui conduira à une réduction de leurs peines : c’est une réduction de l’amende qui
leur est infligée, comme en droit américain. Il apparaît qu’au cours des dernières années, la
majorité des ententes ont été détectées par la commission à la faveur de ce programme de
clémence, après qu’un membre de l’entente a avoué et demandé la clémence. Donc ça
fonctionne très bien, même si la Commission s’appuie également sur ses propres enquêtes.
Au départ, quand le programme de clémence a été adopté, il y a eu un débat doctrinal
important, de nombreux auteurs faisaient valoir qu’on s’alignait trop sur le droit anti-trust
américain et on était très sceptiques sur le succès de ce programme de clémence. En fait, ça
a énormément marché, de nombreuses entreprises qui étaient dans des cartels, des
entreprises membres, ont décidé de saisir la commission et, en échange de la remise des
documents, ils voient leurs sanctions diminuées. Donc, la majorité des ententes ont été
détectées par le programme de clémence par la commission : c’était des membres, des
entreprises au sein de ces cartels et en demandant la clémence, ils allaient ainsi fournir des
documents à la commission. La commission également, pour détecter des cartels (très
difficiles à recenser), s’appuie sur ses propres enquêtes pour des détecter ces postures
anticoncurrentielles. Les entreprises, détectées par la commission pour avoir participé à une
entente (indépendamment du cartel) peuvent, en reconnaissant leur participation à
l’entente, obtenir en retour une réduction de l’amende. On a donc une très grande sévérité
dans le cadre des ententes horizontales. A l’inverse de l’entente horizontale, nous avons
l’entente verticale. L’entente verticale intervient entre des opérateurs économiques situés à
différents niveaux comme entre un fabriquant et un distributeur. Cette catégorie d’entente,
que l’on retrouve notamment dans les contrats de distribution (contrats de franchise,
contrats de concessions, contrats de distribution sélective : ce sont des accords verticaux), se
prête à une lecture plutôt bienveillante de la part des autorités de l’Union et souvent ce sont
des accords qui sont exemptés, on en reparlera.

A. L’accord

La première forme d’entente évoquée par le traité est donc l’accord. La forme de l’accord
est indifférente. L’accord reçoit une interprétation extensive de la part des autorités
communautaires. L’accord peut viser toute forme de convention en vertu de laquelle deux
ou plusieurs entreprises ont décidé d’organiser leurs comportements sur le marché.
L’élément déterminant c’est l’existence d’une volonté commune de se comporter de
manière précise sur le marché ; il pourra ainsi s’agir de conventions expresses ou tacites, de
conventions bilatérales ou multilatérales, de conventions qui engendrent des obligations
simples ou complexes. L’essentiel est la volonté d’agir ensemble. De manière générale, il
s’agit d’un contrat qui génère, à la charge des parties, des obligations. L’entente peut
également résulter d’une ou plusieurs clauses du contrat : il suffit que le juge relève le
concours de volonté entre opérateurs économiques visés, concernés. Néanmoins, il n’est pas
nécessaire que l’accord institue un contrat valide et obligatoire selon le droit national ; c’est
l’arrêt Sandoz sur cette stipulation « exportation interdite », il n’y a pas nécessairement de
contrat valide et obligatoire. La notion d’accord sera étendue à de simples manifestations de
volonté qui peuvent être des actes préparatoires de contrats tels que, par exemple les
contrats types (qui ne sont pas acquis bien sûr puisque ce sont des contrats types) ou
encore, autre exemple, les conditions générales de vente (ce ne sont pas, au sens juridique,
puisqu’il n’y a pas encore l’assentiment des parties, mais la Cour les perçoit comme tels car
elle considère que ces actes sont appelés à devenir des contrats après l’assentiment des
parties). Autrement dit, l’accord n’implique pas nécessairement l’existence d’un acte formel
générateur de droits et d’obligations. La Cour va beaucoup plus loin puisqu’elle considère
également que les engagements d’honneur, qui sont fréquents dans le monde des affaires,
constituent un acte qui peut être qualifié d’élément d’entente puisque l’engagement
d’honneur constitue une décision de la part de l’entreprise qui peut lui faire encourir une
responsabilité et peut tomber sous le coup de l’article 101, paragraphe 1. Dans la mesure
évidemment où l’engagement d’honneur contient des clauses qui supposent l’existence
d’une entente. Ils constituent selon la Cour l’expression fidèle de la volonté des parties.
Néanmoins, c’est en cela que c’est assez nuancé, le consentement simple ne suffit pas à
caractériser une entente. En effet, le consentement simple doit être suivi d’un
comportement effectif évidemment, qui confirmera la volonté des auteurs de l’entente
d’adhérer à une stratégie commerciale commune. Enfin, l’accord peut être caractérisé
même en présence d’un acte ou comportement apparemment unilatéral mais qui, en réalité,
est l’expression de la volonté concordante de deux parties, au moins. La forme de cette
concordance est à nouveau, ici encore, parfaitement indifférente (en ce sens, on peut noter
l’arrêt sur les ententes pour lesquelles on a l’impression d’être face à un comportement
unilatéral, mais qui en réalité repose sur une concordance mais très informelle, CJCE, 9 juillet
2009, Peugeot).

B. La décision d’association d’entreprises

Deuxième forme d’entente, la décision d’association d’entreprise. La décision d’association


d’entreprise vise la constitution d’un groupement volontaire qui doit répondre à certaines
conditions, ce sont des conditions nécessaires. La décision doit être adoptée par l’organe qui
agit dans le cadre de sa compétence, et est investi d’un pouvoir de décision, et ce, afin de lui
conférer un caractère contraignant. Donc ça c’est un point important, il faut vraiment que ce
soit l’organe décisionnel au sein de cette structure qui prenne la décision parce que c’est
ainsi que l’on saura si l’acte revêt un caractère contraignant. Cependant, la décision
d’association, comme l’accord entre entreprises, peut ne pas reposer sur un acte formel
générateur d’obligations. En fait, il pourra s’agir, comme le précise le célèbre arrêt Fédétab,
arrêt du 29 octobre 1980, d’une simple recommandation qui sera constitutive d’une décision
dès l’instant qu’elle est adoptée par des organes compétents (en l’espèce c’était des organes
de direction). Aussi, un acte peut être qualifié de décision d’association d’entreprises, au
sens de l’article 101, sans nécessairement avoir un caractère obligatoire pour les membres
concernés dans la mesure où, les membres visés se conforment à ladite décision. C’est
l’exemple même de la recommandation. Concernant le groupement lui-même, la forme est
là aussi indifférente. Il pourra s’agir d’une société commerciale, une association, une
coopérative, un ordre professionnel (comme l’organe de régulation d’une profession parce
que l’exercice de cet organe constitue une activité économique même si l’organe est régit
par un statut de droit public). C’est sans incidence sur l’application de l’article 101. Partant
de là, dès l’instant qu’une décision est adoptée par un groupement d’entreprises, et que la
décision a pour objet de porter atteinte à la concurrence, cette décision d’association sera
caractérisée. Nous rappellerons que le droit de l’Union n’appréhende pas le fait de mettre en
place une association d’entreprises, c’est un fait licite bien évidemment et louable, mais le
droit de l’Union appréhende le fait de lui conférer, par voie de décision (à vocation
obligatoire), un objet anticoncurrentiel. Indifféremment quant à la question de la nature
juridique du texte en cause, l’acte devra refléter l’expression fidèle de la volonté
d’association d’entreprise qui consiste à coordonner les comportements sur le marché pour
se partager ce marché. L’acte doit décrire de façon précise le comportement des membres
sur le marché. Il est impératif cependant que l’acte, comme une recommandation, soit suivi
d’un comportement effectif et collectif des membres. A cet égard, on peut citer un arrêt de
2005, l’arrêt concernant la FIFA. En effet, à la lumière de ces critères, la Cour a considéré que
le règlement adopté par la FIFA pour gouverner l’activité des agents des joueurs, qui ont un
statut assez particulier (activité économique de prestation de services qui ne relèvent pas de
la spécificité sportive et aurait alors pu avoir un statut dérogatoire), cette activité d’agent de
joueur constitue une décision d’association au sens de l’article 101. Donc, l’acte qui avait été
adopté par la FIFA pour régir les agents de joueurs a été considéré comme une décision
d’association au sens de l’article 101. La Cour fait observer dans l’arrêt que : il a été adopté
par la FIFA, de sa propre autorité, et non en vertu de pouvoirs normatifs qui lui auraient été
déléguées par les autorités publiques dans le cadre d’une mission reconnue d’intérêt général
(visant l’activité sportive), et d’autre part, vu son caractère obligatoire pour les associations
nationales membres de la FIFA qui sont tenues d’établir une réglementation analogue,
approuvée par la fédération ensuite puisque soumises à la FIFA, ainsi que pour les clubs
également qui sont liés : les clubs sont liés, les joueurs sont liés et également les agents de
joueurs. Donc, ce document, cette recommandation, traduit expressément la volonté de la
FIFA de coordonner les comportements de ses membres à l’égard de l’activité des agents de
joueurs. Et donc, c’est tombé sous le coup de l’article 101. C’est une pratique moins
récurrente en contentieux que l’accord.

C. La pratique concertée

Troisième forme d’entente, la pratique concertée. La pratique concertée est certainement


l’une des qualifications les plus ardues à établir. Elle vise une discipline de comportements
qui sont acceptés par les entreprises concernées. Pourquoi est-ce difficile à prouver ? Parce
que la difficulté de cette qualification réside dans le fait que la pratique concertée n’implique
pas nécessairement une manifestation de volonté explicite, c’est pour ça que c’est difficile à
prouver. Dans un tel cas (formalisation explicite de l’entente), nous sommes en présence
d’un accord ou d’une décision d’association. Là ce n’est pas le cas, d’où la difficulté à
démontrer. Tout d’abord, la question de la discipline des comportements, théorie
développée par la Commission essentiellement. L’élément déterminant c’est d’examiner s’il
y a une discipline de comportement. En fait, pour la pratique concertée, on va examiner s’il y
a une volonté commune d’adopter un certain type de comportement sur le marché ; des
entreprises se réunissent pour adopter un certain type de comportement sur le marché sans
que cette volonté se traduise, de manière très subtile, par un acte formel. Ils vont agir,
évidemment, très subtilement. Le comportement doit être coordonné, au travers de
méthodes commerciales. Donc, on va examiner les méthodes commerciales qui seraient
adoptées simultanément par les différentes entreprises. Par sa nature même, la pratique
concertée ne réunit pas tous les éléments d’un accord, puisqu’elle n’est pas explicite. Elle
peut notamment résulter d’une coordination qui s’extériorise par le comportement des
entreprises. C’est une coordination entre entreprises qui vont avoir une discipline de
comportement sur le marché mais c’est difficile à prouver parce qu’on n’a pas d’élément
formel. Si un parallélisme de comportement ne peut être à lui seul identifié à une pratique
concertée, il est cependant susceptible d’en constituer un indice sérieux dit la Cour, lorsqu’il
aboutit à des conditions de concurrence qui ne correspondent pas aux conditions normales
du marché compte tenu de la nature des produits, de l’importance et du nombre
d’entreprises et du volume du marché concerné, c’est un indice important. Également, le
comportement parallèle est susceptible de permettre aux intéressés la recherche d’un
équilibre au niveau des prix. Là-aussi, il y a véritablement un comportement concerté de la
part des entreprises. Selon la jurisprudence, une violation de l’article 101 paragraphe 1 peut
résulter non seulement d’un acte isolé mais également d’une série d’actes ou d’un
comportement continu et ce même si un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de
ce comportement continu pourraient constituer, eux- mêmes, une violation de l’article 101.
1. Parallélisme des comportements

En fait, la Cour observe principalement le parallélisme des comportements incriminés qui


reposent, dit-elle, sur des éléments de coordination et de coopération. Pour retenir cette
qualification de pratique concertée, il faut observer attentivement si la pratique est fondée
sur un élément matériel. C’est quoi l’élément matériel ? C’est un agissement de ces
entreprises, un agissement qui mène sur le marché à la constitution d’une pratique
restrictive. Mais, aussi, il faut un élément intentionnel qui repose sur la volonté commune,
collective, d’agir ensemble. Néanmoins, dans l’arrêt Pâte de Bois du 31 mars 1993, le juge
communautaire fait valoir une approche non systématique d’un tel raisonnement puisqu’il
considère que la circonstance pour les entreprises de faire preuve d’intelligence et d’adapter
leurs comportements à celui des concurrents, ce qui peut les conduire à adopter un
comportement parallèle, comme une hausse des prix, n’est pas nécessairement constitutif
d’une pratique concertée. En effet, des entreprises peuvent se livrer à un tel comportement
mais sans le vouloir, ce que l’on appelle l’intelligence économique, pour s’adapter aux
concurrents. Ce sera par exemple une hausse des prix ou un marché réparti. Dans l’arrêt
Pâte de Bois, le juge va nuancer son approche initiale mais la pratique concertée, en réalité,
sera essentiellement explicitée dans l’arrêt communément appelé « l’affaire des matières
colorantes » du 14 juillet 1972, c’est un grand arrêt. Arrêt dans lequel la Cour fera valoir que
les entreprises mises en cause, productrices de matières colorantes (c’est un secteur, avec le
textile, extrêmement concurrentiel, comme le café, le chocolat, la brasserie : ce sont des
secteurs très concurrentiels et donc un contrôle extrêmement sévère de la part de la
commission) avaient procédé, de manière substantielle, et à plusieurs reprises dans l’année,
à des augmentations de prix identiques. Il y avait là un parallélisme des comportements
anormal. Or, l’obstacle auquel se heurtait la commission à l’époque, et également la Cour,
par ricochet, dans le cadre du contentieux, était précisément de relever l’existence d’un
échange de communications, ce qui aurait permis d’affirmer l’existence d’une pratique
concertée. On n’était pas à l’époque d’internet ou à l’époque des technologies nouvelles que
nous connaissons, c’était les années 70, il n’y avait même pas le fax, il n’y avait absolument
rien, que le téléphone et donc aucun échange d’informations n’a pu être prouvé : aucun
document, aucun procès-verbal, et aucun échange de communication téléphonique. Donc,
c’était très difficile d’avoir des éléments prouvant la raison pour laquelle tout avait été
augmenté, au même moment, par ces entreprises productrices de matières colorantes.
Toutefois, cet obstacle n’a pas été insurmontable. En effet, la commission est parvenue à
démontrer que le comportement de ces entreprises est la conséquence de comportements
implicitement consentis par les auteurs de l’entente. Le marché est tellement concurrentiel
qu’il ne pouvait pas aboutir à une telle situation, et que nécessairement il y avait en amont
une stratégie commerciale implicite arrêtée dans une réunion clandestine ou autre. Dans cet
arrêt, la Cour, faisant écho à la démonstration menée par la commission, souligne,
clairement, que l’intérêt de la distinction opérée par l’article 101 entre les trois formes
d’ententes est précisément d’approcher une forme de coordination entre entreprises qui,
sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue
sciemment une coopération pratiquée entre elles au risque de la concurrence. La Cour dit
clairement que l’intérêt d’avoir une pratique concertée c’est lorsqu’on est confronté à ce
type d’affaire où l’élément matériel est difficile à caractériser. Donc, ce n’est pas la peine
d’apporter des éléments de preuve qui soient extrêmement étendus dans la mesure où,
justement, on a une distinction parce que les rédacteurs des traités ont fait valoir l’idée qu’il
faut marquer la distinction entre les différents types de comportements où on a des
pratiques qui sont beaucoup trop implicites, beaucoup trop subtiles pour pouvoir les
démontrer clairement. Un peu plus tard dans l’arrêt Zücker, c’est un arrêt du 6 décembre
1975), la notion de discipline de comportement sera étayée. La Cour fera valoir qu’un
parallélisme de comportements ne peut être considéré comme apportant la preuve d’une
concertation que si la concertation en constitue la seule explication possible. Donc il faut en
fait, à chaque fois pour la commission, et ensuite pour la Cour, vérifier s’il y a un parallélisme
de comportements constaté, ne peut pas, compte tenu de la nature des produits, du marché
en cause, des entreprises, du volume du marché, s’expliquer autrement que par la
concertation. Alors si des éléments du comportement parallèle constituent un faisceau
d’indices sérieux, précis et concordants d’une concertation préalable, là c’est certain que
l’entente est caractérisée. Mais, voyez, donc là aussi on n’a pas un raisonnement
systématique de l’approche première. La Cour va d’abord examiner s’il ne peut pas y avoir
de raisons inhérentes à ce marché en cause pour faire valoir l’idée que, finalement, ce n’est
pas nécessairement un parallélisme de comportements. Il faut vraiment qu’il y ait des
critères de coordination et de coopération autonomes, qui n’exigent pas l’élaboration d’un
véritable plan et sont compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du
traité.

2. Une activité clandestine

Autre point concernant la pratique concertée, autre difficulté : le fait que ce soit une activité
clandestine. L’établissement de la pratique concertée n’est pas, évidemment, sans soulever
de sérieuses difficultés de preuves parce que c’est une activité clandestine. Le juge de
l’Union s’appuie essentiellement sur les preuves matérielles qui doivent être apportées par
la Commission dans la phase précontentieuse. Alors quelles sont ces preuves matérielles ?
Vous avez donc les documents, notamment internes, la tenue des réunions (évidemment si
ces réunions sont assorties de procès-verbaux), les échanges téléphoniques et les
témoignages qui comptent énormément. Tous ces éléments pourront irriguer le
raisonnement du juge. Il est de jurisprudence constante qu’il suffit que la Commission
démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des
accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus et que cette entreprise ne s’est pas
manifestée, voyez, qu’elle ne s’y est pas opposée de manière expresse. Ceci, suffit pour
prouver que, donc insuffisance de droits, pour prouver que l’entreprise est concernée. Donc
il faut vraiment que l’entreprise, lors de la réunion en cause par exemple, ou la conversation
téléphonique, fasse véritablement état de son opposition formelle à telle ou telle pratique.
S’il n’y a pas cette manifestation, s’il y a un silence de la part des entreprises, il y a une
adhésion à la constitution de l’entente.

3. Connaissance des associés


Autre point, pour clore cette question sur la pratique concertée, l’application de l’article 101
TFUE suppose non pas une action mais une connaissance des associés également fait valoir
la Cour ou des gérants principaux de l’entreprise concernée, même si l’action d’une
personne qui est autorisée à agir pour le compte de l’entreprise est prise en considération
bien entendu. A cet égard, comme le rappelle souvent la Cour, la participation des ententes
interdites constituent le plus souvent une activité clandestine qui n’est pas soumise à des
règles formelles. Aussi est-il rare dit la Cour, non sans humour, qu’un représentant d’une
entreprise participe à une réunion en état muni d’un mandat aux fins de commettre une
infraction, c’est une petite ironie que l’on note souvent dans les arrêts de la Cour. Par ce
considérant, elle explique que la personne qui doit être auteure d’une infraction ne va pas
explicitement être munie d’un mandat lors de la réunion pour commettre une telle
infraction. La Cour est très à l’aise sur la clandestinité de l’initiative, et cela rejoint son point
sur la formalité de l’accord. La Cour est consciente de la clandestinité des pratiques dans le
monde des affaires, et elle est consciente que l’entente et notamment la pratique concertée
se prêtent à la clandestinité. Elle n’attendra pas un mandat de la part de l’entreprise, la
participation à la réunion clandestine suffira, à moins qu’elle ne manifeste publiquement son
opposition ou qu’elle ne dénonce la pratique. Il en ira de même pour la personne qui
représente l’entreprise.

III. Les conditions d’interdiction

Nous en venons aux conditions d’interdiction qui permettent de faire tomber l’infraction en
cause sous le coup de l’article 101, TFUE. Pour relever de l’article 101, paragraphe 1,
l’entente doit répondre à deux conditions explicitement établies et qui doivent être
cumulativement satisfaites, à défaut l’entente ne sera pas prohibée. Ce sont donc deux
conditions de fond requises. D’une part, l’entente doit avoir pour objet ou pour effet de
restreindre ou de fausser la concurrence à l’intérieur du marché commun. D’autre part,
l’entente doit être susceptible de porter atteinte au commerce intra-communautaire. Au
regard de ces conditions, il convient d’établir plusieurs éléments. Tout d’abord, la restriction
de concurrence.

A. La restriction de la concurrence : l’atteinte

Il doit s’agir d’une atteinte caractérisée. En effet, par sa jurisprudence, la Cour, et la


Commission par sa pratique décisionnelle font valoir effectivement qu’il faut identifier de
manière fine l’atteinte à la concurrence qui repose sur deux considérations. D’une part la
dimension territoriale de l’atteinte, et d’autre part sa gravité. Mais avant de caractériser ces
deux éléments, il faut bien sûr établir en amont s’il y a un objet anticoncurrentiel ou un effet
anticoncurrentiel. Il s’agit d’une dichotomie de l’atteinte établie par le traité, qui a son tour a
été développée par la jurisprudence. Pour être condamnée, l’entente doit en effet avoir
pour objet ou pour effet de constituer une restriction à la concurrence. Ceci signifie que la
Cour ne retiendra la qualification d’entente qu’en présence d’un accord qui nuit à la
concurrence, indépendamment de la question de savoir s’il est suivi d’effets. Inversement,
l’entente sera retenue dans l’hypothèse d’un accord dont l’objet n’est pas de porter atteinte
à la concurrence, mais qui en a l’effet. L’objet et l’effet anticoncurrentiel d’un accord sont
des conditions non pas cumulatives mais alternatives. La prise en considération des effets
concret d’un accord est superflue s’il apparaît que celui-ci a pour objet de restreindre ou
d’empêcher le jeu de la concurrence. L’article 101, TFUE, vise à protéger non seulement les
intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais également la structure du marché, et
ce faisant, la concurrence en tant que tel. Pour relever de l’interdiction énoncée à l’article
101, paragraphe 1, un accord doit avoir pour objet ou pour effet d’empêcher ou de
restreindre le fonctionnement concurrentiel du marché. Ainsi, lorsque l’objet
anticoncurrentiel d’un accord est établi, il n’y a pas lieu d’aller plus loin et de rechercher ses
effets sur la concurrence. Cependant, dans l’hypothèse où l’analyse de la teneur de l’accord
n’est pas suffisante, ne souligne pas un degré suffisant de nocivité du comportement, alors il
est nécessaire d’en examiner les effets, et pour le frapper d’interdiction, d’exiger la réunion
des éléments qui établissent que le jeu de la concurrence a été empêché, restreint ou
faussé. Voilà pour la distinction entre infraction par objet et infraction par effet, qui tient
finalement à la circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent
être considérées par nature même, comme nuisibles au fonctionnement normal de la
concurrence. Notons également que pour déterminer si un accord contient une restriction
de concurrence par objet, il faut observer la teneur de ses dispositions, il y a vraiment un
examen au fond, il faut observer également les objectifs qu’il vise à atteindre, ainsi que le
contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. De même, nous noterons toujours
dans ce sillage que bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire
pour emporter la qualification d’entente, pour déterminer notamment le caractère restrictif
d’un accord, rien n’interdit à la Commission et aux juridictions d’en tenir compte au moment
de l’appréciation de l’opération. Enfin, soulignons qu’un accord peut être considéré comme
ayant un objet restrictif même s’il n’a pas pour seul objectif de restreindre la concurrence,
mais poursuit également d’autres objectifs légitimes. En effet, la Cour a qualifié des accords
visant à cloisonner des marchés nationaux ou rendant l’interpénétration des marchés plus
difficile, alors qu’étaient invoqués des intérêts légitimes comme la protection des
consommateurs. Voilà pour cette distinction nécessaire, préalable nécessaire.

1. La territorialité de l’atteinte

Concernant la territorialité de l’atteinte, l’effet de l’entente doit se produire de manière


localisée à l’intérieur du marché intérieur. Ce qui exclut bien sûr les ententes dont les effets
ne se produisent que dans des pays tiers. Toutefois, au regard du principe de territorialité du
droit de l’Union, le juge retient l’effet anticoncurrentiel pour des ententes qui sont conclues
par des entreprises dont le siège se situe à l’extérieur de l’Union : c’est l’exemple de Google,
de Microsoft, qui ont leurs sièges à l’extérieur de l’Union et sont poursuivis parce qu’on a
une application extraterritoriale du droit de l’Union. En fait, les entreprises sont considérées
comme avoir conclu une entente produisant son effet sur le marché interne,
communautaire, ce qui fonde l’application territoriale du droit de l’Union. En droit de l’Union
européenne, ce qui est déterminant, ce sont les effets du comportement, donc l’entreprise
peut avoir son siège ailleurs, mais les effets de ses pratiques sont sur le territoire de l’Union
européenne. Ce type de comportement est appréhendé par le droit de l’Union.
2. La gravité de l’atteinte

Concernant la gravité de l’atteinte, nous avons une application du seuil de sensibilité de la


pratique litigieuse. La théorie du seuil de sensibilité est un élément de la qualification de la
restriction de concurrence mais ce n’est pas une règle d’opportunité des poursuites. Ce n’est
pas parce qu’on est en dessous du seuil de sensibilité que la Commission ne va pas
poursuivre. Quelques mots sur l’origine de ce principe de minimis. Pour être caractérisé et
reconnu, l’atteinte à la concurrence doit être sensible, c'est-à-dire que la restriction de
concurrence doit répondre à un certain niveau de gravité au regard du fonctionnement
normal de la concurrence et du marché ; ce qui est généralement dénommé l’effet de
sensibilité ou on l’appelle également, on l’avait vu dans le cadre des marchandises : le
principe de minimis. C’est la Cour qui a consacré ce seuil de sensibilité de l’atteinte qui
n’apparaissait au départ dans aucun texte. C’est dans le célèbre arrêt Volk du 9 juillet 1969
que le juge fait précocement valoir qu’un accord ne tombera pas sous le coup de l’article
101, TFUE, s’il n’affecte le marché que de manière insuffisante, compte tenu de la faible
position qu’occupent les intéressés sur le marché en cause. Aussi, un accord d’entreprise
échappe à la prohibition s’il affecte le marché de manière insignifiante. On avait examiné
dans le cadre des marchandises, que nous n’avions pas une application du principe de
minimis (la Cour est indifférente à l’effet, ou non, sérieux de l’atteinte), alors que là on
examine la gravité de l’atteinte. L’interprétation du juge sur la sensibilité de l’atteinte a été
par la suite relayée par la Commission mais le point de départ c’est l’arrêt Volk. Ensuite, ça a
été relayé et étayé par la Commission à l’occasion de la communication concernant les
accords d’importance mineure du 22 décembre 2001. C’est un texte qui date de 2001, un
texte important et communément, dans le monde des affaires, dans les cabinets d’affaires,
on l’appelle la communication de minimis. Compte tenu de la difficulté de déterminer la
sensibilité de l’atteinte, la commission est venue établir un certain nombre de critères
permettant d’exclure certaines ententes et pratiques qui, en dépit de leurs effets
anticoncurrentiels avérés, ne satisfont pas au seuil de sensibilité. La communication établit
notamment qu’échappent à la qualification d’entente les ententes horizontales ou mixtes.
Ce sont les ententes dont les auteurs ne dépassent pas 10% des parts des marchés cumulés,
ou alors 15% pour les ententes verticales. C’est une application du principe de minimis parce
qu’elles ne sont pas suffisamment significatives dans leur portée pour être condamnées au
titre de l’article 101. Sont cependant exclus de ce principe de minimis certains accords dont
l’effet anticoncurrentiel est établi. C’est le cas des accords horizontaux qui ont pour objet de
fixer les prix (qui tombent systématiquement sous le coup de 101), la limitation de la
production ou des ventes, les accords relatifs à la répartition des marchés ou des sources
d’approvisionnement, ou encore les accords verticaux qui ont pour objet de fixer les prix de
revente ou les accords qui assurent à leur auteur une production territoriale. Mais afin de
promouvoir les PME, les accords conclus par ces entreprises dont le CA est inférieur à 40
millions euros, ayant en moyenne moins de 250 salariés, bénéficient d’une présomption de
conformité avec l’article 101, car, de par leur taille, ces entreprises ne présentent pas un
intérêt communautaire suffisant. De plus, nous noterons que pour déterminer le caractère
sensible ou non d’une atteinte à la concurrence, l’autorité de la concurrence d’un État
membre peut prendre en considération les seuils établis par la communication de minimis,
sans pour autant être obligée de s’y tenir. Revenons sur ce point car un arrêt a perturbé les
opérateurs en la matière. En effet, cette communication qui faisait l’objet d’une pratique
établie, pour la première fois la communication a fait l’objet d’une interprétation plutôt
ambiguë de la part de la Cour dans l’arrêt Expedia qui a été rendu le 13 décembre 2012.
L’arrêt livre une approche très extensive de la notion de restriction par objet retenue déjà
par un arrêt T-Mobile, mais qui surtout limite la portée de la communication de minimis.
Dans le monde des affaires, c’était la référence en la matière lorsque les entreprises se
livraient à des accords. Dans cette affaire, la question qui était posée était celle de savoir si
une autorité nationale de concurrence est en droit de poursuivre sur le double fondement
(européen et national), des accords ou des pratiques concertées susceptibles d’affecter le
commerce entre États membres, alors que la part de marché cumulée de ces entreprises ne
dépassait pas les seuils des 10 ou 15% retenus par la communication ? A priori, ces pratiques
devaient échapper à l’application de l’article 101 du fait qu’elles entraient dans le champ de
la communication. Le juge de l’union a considéré que les instances nationales peuvent
sanctionner une entente sur le fondement du droit de l’Union européenne même si les
parties possèdent des parts de marché inférieures à ces seuils. On se demande alors à quoi
servent ces seuils ? Il est dit qu’il est possible de poursuivre tant que les autorités nationales
compétentes ou la Commission, constatent une restriction sensible de la concurrence. Il
suffit, dit le juge, que l’accord résulte en une restriction sensible pour qu’elle soit
répréhensible. Les objectifs poursuivis par la communication n’ont vocation à lier les
autorités de la concurrence et les juridictions des États que de manière relative, c’est ce
qu’on comprend de l’arrêt. La communication vise à exposer de manière objective la façon
dont la Commission agit en tant qu’autorité de la concurrence, et la Cour considère que la
communication est dépourvue de force obligatoire à l’égard des autorités de concurrence et
des juridictions nationales. Alors, on l’a dit en droit institutionnel, on sait très bien qu’on a
une hiérarchie des normes, bien sûr, et, dans le cadre de cette hiérarchie des normes en
droit de l’Union, vous avez des actes obligatoires et des actes non obligatoires :
recommandations, communications ou avis. Vous avez des actes qui sont dénués de portée
juridique, de portée obligatoire, qui ne sont pas créateurs de droits et d’obligations et,
précisément les communications. Mais, dans certains cas, la Cour fait valoir que certaines
communications peuvent avoir force obligatoire et produire, créer, des droits et des
obligations dans certaines hypothèses et c’est le cas des communications en matière de
concurrence. C’est de la soft law mais qui a une portée obligatoire. Et donc, jusqu’à présent,
la communication de minimis c’était vraiment une communication qui liait les autorités
nationales et, dans l’arrêt Expedia, on a un raisonnement un peu plus nuancé faisant valoir
que ce n’est pas nécessairement une obligation pour les ANC (Autorités Nationales de
Concurrence) d’appliquer le seuil de minimis qui est simplement une indication. La Cour
explique donc que seule la Commission est liée par ce texte, aussi en deçà des seuils, la
commission a posé une présomption de défaut d’incidence, sensible de la pratique, au
regard de laquelle elle s’est engagée à ne pas poursuivre. Le trouble a été jeté d’autant que
les seuils indiqués dans la communication ne sont que des indices jetés parmi d’autres pour
apprécier le caractère sensible ou non d’une restriction de concurrence, et une autorité
nationale de concurrence peut tout à fait ne pas s’y référer. Même si la communication n’est
pas contraignante pour les autorités nationales, ces autorités doivent pourtant identifier une
restriction sensible pour savoir s’il y a applicabilité de l’article 101. Actuellement, comme je
l’indique, il y a un projet de révision de la communication de minimis. En fait, l’arrêt Expedia
a un petit peu déstabilisé les opérateurs économiques qui considéraient jusqu’à présent
qu’ils bénéficiaient de la zone de sécurité qui était dans la communication et que, s’ils
entraient dans le cadre, c’était bon, ils pouvaient procéder à l’entente parce qu’ils avaient
cette zone de sécurité en deçà des seuils. Apparemment, ce n’est pas la lecture qu’il fallait
livrer et donc il y a un problème de lisibilité du principe aujourd’hui qui est affecté et pour
procéder à la clarification de la communication de minimis, notamment au regard de son
opposabilité vis-à-vis des ANC et surtout des entreprises, la commission a lancé en juillet
2013 une consultation publique pour une révision de la communication et donc les travaux
sont en cours puisque les consultations sont en cours. Le projet a été adopté en 2014, et
finalement la Commission conforte la Cour et fait valoir que cette zone de sécurité n’est
opposable que pour la Commission, c'est-à-dire qu’elle se reconnaît le droit de ne pas
poursuivre, mais elle reprend vraiment le propos de l’arrêt, et fait valoir qu’en dehors de la
zone de sécurité les autorités nationales de concurrence, eu égard à la jurisprudence,
peuvent se livrer à des poursuites dès l’instant qu’il y a un comportement litigieux. Il y a
donc depuis cet arrêt pas véritablement de clarification à cet égard et toujours une
confusion qui règne pour l’application du principe.

B. L’affectation du commerce entre États membres : le cloisonnement des échanges

Deuxième condition qui doit être satisfaite à titre cumulatif, l’affectation du commerce entre
États membres. Il s’agit ici pour le juge et la Commission d’apprécier une atteinte aux flux
circulatoires, c'est-à-dire une atteinte au mouvement des échanges, au cloisonnement des
échanges. L’article 101 TFUE requiert que l’entente ait pour effet d’affecter les échanges
entre les États au sein de l’Union. Dans le cas contraire, s’il ne s’agit que de flux nationaux,
dans ce cas-là l’entente n’est pas répréhensible au regard de l’article 101, mais simplement
au regard du droit national, c’est le droit interne qui s’applique. Il faut vraiment qu’il y ait un
comportement transfrontalier. Toutefois, dans certaines hypothèses, une entente qui
pourtant relève du droit interne peut affecter le commerce entre États membres en raison
du cloisonnement du marché intérieur qui en résulte. La Commission et la Cour se livrent
alors à un examen au cas par cas de ce type d’ententes limitées au droit interne. De
nouveau, pour éclaircir cette condition d’affectation, la Commission a adopté une célèbre
communication du 26 avril 2004 relative à l’affectation du commerce, au sein de laquelle la
Commission dresse un certain nombre de lignes directrices. Par la notion d’affectation du
commerce, il convient de se pencher sur le cloisonnement du marché, le fait d’empêcher le
flux circulatoire au sein du marché. Il faut aussi se pencher sur la sensibilité de l’affectation.
En fait, ce qui est apprécié par la Commission et la Cour, c’est que le mouvement des
marchandises entre États membres est perturbé. Il doit être établi que l’entente conduit à
un repli des courants d’échanges au sein des couloirs nationaux. La Cour évoque le fait que
l’entreprise engendre une difficulté d’interpénétration économique. Dès l’instant que cette
notion immanente au marché intérieure est remise en cause, c’est qu’on est face à un repli
des échanges, c'est-à-dire un cloisonnement. Ce n’est donc pas acquis d’avoir ces deux
conditions. La Commission éprouve parfois des difficultés à les démontrer. L’atteinte à la
concurrence est immanente à la constitution de l’entente, mais l’affectation des échanges
est plus subtile, et les opérateurs économiques parviennent souvent à contester cela. Il faut
savoir que la Cour et la Commission retiennent l’effet réel mais aussi potentiel, parce que de
fait c’est une condition difficile à satisfaire, donc elles retiennent une appréciation extensive.
De même, l’entente est constituée même si elle est conclue entre des opérateurs
économiques situés au sein d’un même État membre. Comme pour l’atteinte à la
concurrence, l’affectation du commerce doit présenter un caractère sensible comme nous le
disions. Il doit s’agir d’une influence sensible sur le commerce intracommunautaire, ce qui
permet d’exclure les accords d’une portée modeste car ils ne portent pas atteinte de
manière notable au commerce. Le courant d’échange dès l’instant qu’il est affectée ne vise
pas que les marchandises. C’est le cas prédominant mais pas le seul. Quand les traités
parlent de courant d’échanges, il peut aussi s’agir de l’examen des autres libertés comme la
prestation de services ou les mouvements de capitaux.

IV. Les exemptions

Toujours dans le sillage sur les ententes, il faut savoir qu’il existe des exemptions. En effet, le
principe d’interdiction des ententes posé par l’article 101, paragraphe 1 n’est pas absolu. Le
droit de l’Union reconnaît son inapplication et dès lors la licéité de certaines ententes dès
l’instant que celles-ci répondent à certaines conditions. On avait souligné ce point par
rapport à l’abus de position dominante qui lui est exclusif, son interdiction est absolue. Dans
le cadre de l’entente, l’interdiction ne connaît pas ce caractère. Il y a des raisons à cela. En
effet, il est admis qu’il peut exister des ententes qui poursuivent un objectif louable, pour
des raisons objectives, notamment celui de développer le progrès technique ou
technologique, elles constituent en ce sens un apport important dans la réalisation d’une
société de progrès, notamment sur le plan technologique. Ce type d’entente ne peut, dès
lors, être combattu car le condamner serait parfaitement contre-productif. Au contraire,
c’est la constitution d’ententes qui sont utiles au progrès économique et social et donc, vous
avez des exemptions possibles prévues par l’article 101, paragraphe 3. C’est notamment le
cas en matière de recherche médicale où des investissements lourds sont nécessaires, et dès
l’instant que des laboratoires, des centres de recherche ou des CHU veulent coopérer de
manière étroite, il y a une mobilisation financière importante, et donc à cet égard, dans ce
domaine, on a ce type de consortiums qui sont admis. L’article 101, paragraphe 3, prévoit la
possibilité d’exempter ces ententes, tantôt sous une forme individuelle, tantôt sous une
forme collective. A. cet égard, pendant longtemps, la procédure d’exemption était dominée
par une concentration excessive au profit de la Commission, alors qu’elle était la seule
compétente pour apprécier le bien-fondé de l’opération. Seule la Commission de manière
exclusive octroyait une exemption, tantôt de manière individuelle, tantôt de manière
collective. Cette compétence quasi-monopolistique au profit de la Commission, c’est elle qui
examinait les demandes et appréciait s’il y avait la nécessité d’exempter, résultait du
premier règlement d’application des articles 101 et 102, le règlement 1762, qui dans un
souci d’application efficace et diligente du droit de l’Union européenne conférait à la
Commission de larges pouvoirs d’appréciation. C’était au début de la construction
européenne, donc on n’allait pas déléguer aux autorités nationales l’application du droit de
la concurrence. C’est donc une explication historique qui justifie ce pouvoir. De surcroît, le
contexte économique de l’époque qui se caractérisait par un cloisonnement économique
très important des marchés expliquait également une volonté de la part du législateur
communautaire de garantir une application effective et prompte du droit en assurant le
contrôle des ententes par la seule commission, gardienne des traités. Mais la lourdeur du
système a justifié son abandon au fil du temps, à la faveur du célèbre règlement n°1/2003
qui assouplira notamment la procédure d’exemption en opérant une réelle décentralisation
au profit d’autorités dites nationales de concurrence (ANC), structures internes créées par
les États qui seront en charge de l’application du droit de la concurrence désormais. Les ANC
mais également les juridictions internes, compétentes en cas de contentieux, et donc en
charge de l’article 101, paragraphe 3. Le principe de l’exemption n’est nullement remis en
cause, mais il perdure sous une autre forme. Désormais, il y a un système d’exceptions
légales et non plus d’autorisations. En effet, désormais, il est considéré que les ententes sont
en conformité avec l’article 101, sauf démonstration contraire. Il y a désormais une
présomption de conformité. C’est vraiment un système d’exceptions légales, et plus un
système comme avant par exemption par catégories ou individuelles. Désormais, les
juridictions nationales ou les ANC sont liées par ce système. Toutes les ententes sont
réputées compatibles avec l’article 101, présomption de légalité, sauf preuve contraire. Il
reste que les exemptions ne peuvent être pour autant établies. En application de l’article
101, paragraphe 3, certaines ententes peuvent être individuellement exemptées si elles
satisfont à certaines conditions. Jusqu’à l’application du règlement 1/2003, la Commission
était seule compétente. La fin du monopole de la Commission à partir du règlement au profit
d’un processus de décentralisation a entraîné de fait la suppression de la notification. Avant
1/2003, puisque la Commission était seule compétente, lorsque deux opérateurs
économiques voulaient constituer une entente, elles devaient notifier leur opération pour
savoir si elles pouvaient bénéficier d’une validité. Elles notifiaient donc la Commission en
faisant une demande extrêmement lourde, suivi d’un examen appuyé, et la Commission
rendait alors son exemption individuelle. Le principe de l’obligation de notification était donc
posé du fait de cette saisine de la Commission. Désormais, la notification n’existe plus du fait
du système d’exception légale. Ce sont les ANC qui se sont vues reconnaître le pouvoir
d’appréciation, s’il est démontré devant elles, ou si elles se saisissent, et considère que
l’entente n’est pas compatible avec l’article 101. A noter également que si l’entente n’est
pas conforme au paragraphe 1, elle tombe sous le coup d’une interdiction. Le principe de
présomption de validité établi par le règlement 1/2003, ne vaut que pour les ententes qui
répondent aux conditions résultant de l’article 101, paragraphes 1 et 3, sinon l’ANC ou la
Commission s’autosaisissent. Les conditions auxquelles doit répondre l’entente qui prétend
à l’exemption sont cumulatives, et décrites sommairement au paragraphe 3. On peut les
distinguer de la manière suivante, deux sont positives, tandis que les deux autres sont
négatives. C’est surtout la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence qui
ont affiné le contenu de ces conditions, et la réunion de ces 4 conditions est à la fois
nécessaire et suffisante selon la jurisprudence. Sur les conditions positives, elles sont
relatives à l’apport de l’opération. En effet, concernant la première condition positive,
l’article 101, paragraphe 3 insiste sur la nécessité pour l’entente de constituer un progrès. En
fait, il faut que l’entente, de manière objective, contribue au progrès technique ou
économique, il faut qu’il y ait un bienfait pour la société. C’est un critère d’une très large
étendu, qui a notamment permis à la Commission d’apprécier de manière positive certain
apports comme l’amélioration de la production, l’amélioration de la distribution des
produits, les chaînes écologiques, responsables. On a également les accords dans le domaine
des services ou de la protection de l’environnement. De manière générale, on observe que la
Commission portera un regard bienveillant sur les accords de spécialisation en matière de
production et de distribution, sur les accords en matière de R&D, notamment en matière
médicale. On a également les accords en matière de distribution exclusive ou sélective, les
accords de franchise parce qu’ils améliorent la distribution des produits. Comme deuxième
condition positive, l’entente doit réserver une partie équitable au profit des parties
prenantes mais aussi des utilisateurs. L’idée majeure est que l’entente ne doit pas bénéficier
exclusivement à ses auteurs. Par utilisateurs, la Commission entend les tiers à l’accord. Ce
sera donc par exemple le consommateur final ou les acteurs intervenant dans le circuit
économique (travailleurs, distributeurs, producteurs). Concernant les conditions négatives,
elles sont relatives à l’impératif maintien de la concurrence. Il faut qu’il y ait un maintien de
la concurrence. La troisième condition porte donc sur l’absence de restriction à la
concurrence, qui doit gouverner à la conclusion de l’entente. La Commission exerce un
contrôle affiné sur l’absence de restrictions. Elle n’avalisera aucune entente, s’il apparaît
qu’au terme du contrôle de proportionnalité et d’adéquation, que l’entente porte une
atteinte excessive à la concurrence. La Cour relayée par la Commission ne retiendra l’accord
que s’il maintient un niveau minimum de concurrence. En dernier lieu, comme quatrième
condition, la Cour veille à ce que la mise en œuvre de l’entente ne conduise pas à un
effacement total. Non seulement il faut que la concurrence subsiste, mais en plus qu’il
subsiste une dose normale. C’est un impératif absolu, terme que reprend souvent la Cour.
Ainsi, il sera vérifié que l’entente ne conduit pas à la disparition pure et simple d’un circuit
de distribution, d’un produit comparable en concurrence. Voilà pour les critères permettant
de considérer que l’entente peut être exemptée. Qui va démontrer le manquement ? Ce
sont les ANC maintenant à qui il revient de poursuivre, sauf dans les affaires présentant un
intérêt communautaire important pour lesquelles la Commission peut s’autosaisir. A cet
égard, en guise de conclusion sur l’entente, nous rappellerons la mise en place de ce
système de présomption légale établie par le règlement 1/2003. De manière générale, ce
règlement a opéré une importante décentralisation de la prise de décision en faveur des
autorités nationales. Nous rappellerons que l’exemption individuelle s’opérait par le biais de
la notification qui s’ouvrait à l’initiative des opérateurs économiques qui étaient auteurs de
l’entente. La procédure était décrite par le règlement 1762, et octroyait donc une
compétence exclusive à la Commission. Les auteurs de l’entente devaient saisir cette
dernière et l’informer du contenu de l’opération qu’ils voulaient valider. Ce n’est qu’au gré
d’une procédure laborieuse et qui menait à un examen au fond, que la Commission statuait
au terme de plusieurs mois, et pouvait le cas échéant reconnaître la validité de l’entente au
travers de ce que l’on appelait une attestation négative. Elle permettait aux opérateurs de se
livrer à la pratique concernée. L’attestation constatait en fait l’absence d’infraction à l’article
101, paragraphe 3, et le maintien d’une exemption individuelle. La lourdeur du processus
conduira la Commission à opérer une révision compète de ce système de contrôle, remplacé
par un contrôle désormais assuré par les ANC et les juridictions nationales depuis le 1 er mai
2004. La notification est désormais supprimée par un système de présomption légale. Il
appartient aux ANC et aux juridictions nationales de mettre en œuvre l’article 101,
paragraphe 3, et de l’appliquer aux cas individuels. Au côté de ces exemptions individuelles,
nous avons les exemptions par catégorie. Elles sont établies par la Commission au gré de la
pratique décisionnelle. Elles existent encore, mais il y a un renversement de cette approche
compte tenu du système de présomption légale. Nous soulignerons également que ce
système de présomption légale établi par 1/2003 a induit une autre conséquence, à savoir la
responsabilisation des opérateurs économiques. En effet, lorsque des opérateurs
économiques vont se livrer à une pratique concurrentielle, ils doivent s’autoévaluer, ce qui
n’est pas chose aisée. Pour le faire, ils ont des sources informatives, la documentation
formelle et informelle qui émane de la Commission. Il y a des guides, des orientations, des
lignes directrices, sources qui permettent aux opérateurs économiques de jauger leur
comportement et de l’inscrire dans une grille de lecture normative. A cela s’ajoute
également la jurisprudence, autre source d’information importante, et surtout la soft law qui
émane de la Commission. L’autoévaluation est désormais nécessaire et automatique du fait
de la responsabilisation des opérateurs. On a suffisamment avancé depuis 1960 pour que les
opérateurs soient capables de savoir s’ils sont dans une posture ou un comportement
infractionnaire. Au regard de ces éléments, ils doivent se livrer à l’autoévaluation, chose
délicate pour les PME, raison pour laquelle de manière inattendue la notification existe
toujours. Elle n’est plus obligatoire, mais certaines entreprises craignant d’aller à l’encontre
de l’entreprise saisissent la Commission à des fins de notification pour s’assurer qu’elles sont
dans leur bon droit. Ceci est tout à fait possible et toléré. La procédure est supprimée, mais
une entreprise peut tout à fait saisir la Commission ou une ANC.

IV. L’abus de position dominante

Section 2 : La pratique déloyale née d’une supériorité économique : l’abus de position


dominante

Nous en venons aux deux autres pratiques anticoncurrentielles, l’abus de position


dominante et la concentration. Cette dernière fera l’objet d’un traitement particulier parce
qu’elle n’est pas interdite contrairement à l’entente ou l’abus de position dominante, elle est
contrôlée, encadrée. Deuxième comportement économique appréhendé par le droit de
l’Union donc : l’abus de position dominante. C’est une pratique déloyale née d’une
puissance économique que nous allons maintenant examiner. L’article 102, TFUE, disposition
de fond en la matière, vise un second type de comportement contraire au traité qui, à la
différence de l’entente que nous venons d’étudier, évoque une pratique qui se constitue de
manière unilatérale. En effet, le comportement litigieux n’est pas le fait de plusieurs
entreprises mais d’un seul opérateur qui exploitera de manière abusive sa position sur le
marché, sous réserve des cas d’abus de position dominante collective. Que dit le traité  ? Le
traité déclare ainsi incompatible avec le marché intérieur, et dès lors interdit, le fait pour une
ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché
ou dans une partie substantielle de celui-ci. Comme il est d’usage dans les traités qui
demeurent précautionneux quant à la définition des concepts afin d’éviter des conflits
d’interprétation mais aussi pour donner une large assise aux cas d’application, l’article 102 à
l’instar de l’article 101 à propos de l’entente, et de nombreuses dispositions dans le traité,
ne définit nullement la position dominante ni l’abus dont le contenu a été de nouveau forgé
par la pratique décisionnelle de la commission et l’œuvre créatrice de la cour. Premier
élément qu’il convient de caractériser, la puissance économique de l’opérateur.

I. La supériorité économique

Premier point qu’il faut observer, il faut d’abord analyser la puissance économique qui est
requise pour emporter qualification d’abus de position dominante. L’article 102, TFUE,
demeure silencieux sur la notion de position dominante qui fait en revanche l’objet d’une
approche précise et circonstanciée dans le traité CECA. En effet, l’article 66 paragraphe 7 du
traité CECA caractérise la position dominante comme celle qui permet de soustraire
l’entreprise à une concurrence effective dans une partie importante du marché commun.

A. La capacité de détachement économique de l’entreprise

S’inspirant de cette définition, la Commission et la CJUE face au traité qui ne disait mot,
insisteront sur cette approche du traité CECA, c'est-à-dire variablement sur la capacité de
détachement de l’entreprise vis-à-vis du jeu concurrentiel, autrement dit sur la faculté à se
soustraire de cette pression concurrentielle. On observe que dans sa pratique, la
Commission met davantage en avant l’indépendance économique de l’entreprise, tandis que
le juge, lui, souligne la capacité économique de l’entreprise c’est-à-dire sa puissance sur le
marché. C’est légèrement distinct. Donc, cette capacité de détachement économique de
l’entreprise, la Commission et la CJUE ont offert assez tôt une définition de la position
dominante en présentant quelques nuances toutefois dans leur approche respective. Toutes
deux appréhendent la domination économique, la puissance économique, sur le marché
dans ses expressions les plus diverses et toujours selon une lecture finaliste de l’article 102.
Dans le cadre de la Cour et de la Commission, ce sont des qualifications autonomes. On l’a
dit à plusieurs reprises, la Cour et la Commission ne s’attachent nullement aux qualifications
nationales. Ce qui compte c’est l’objet ou l’effet anticoncurrentielles. La Commission insiste
dans sa pratique décisionnelle sur l’indépendance de l’opérateur et son détachement qui lui
permettront d’adopter certaines postures sur le marché. Le fait qu’il soit effectivement
affranchi de toutes contraintes qui va lui permettre d’adopter des postures sur le marché et
des positions anticoncurrentielles. Dans sa célèbre décision Continental Can du 9 décembre
1971 (c’est la décision et non l’arrêt), la Commission fait valoir la circonstance que les
entreprises en position dominante ont une possibilité de comportement indépendant qui
leur permettra d’agir sans tenir compte véritablement de leur concurrent, des acheteurs ou
des fournisseurs. C’est cela qui gêne la Commission. Elle relève l’indépendance du
comportement qui n’est que la résultante d’une puissance économique de l’entreprise,
élément sur lequel la Cour préfère insister. En réalité, lorsqu’on observe cette nuance entre
leurs deux positions, on observe que la Commission et la CJUE soulignent la proximité de
deux aspects dans le comportement litigieux, dans l’appréciation de la domination. La
puissance économique permettant de faire obstacle à la concurrence, et l’indépendance du
comportement qui en fait est irriguée par cette puissance, qui se nourrit de cette puissance
économique. Au-delà de l’apparente distinction, il y a une proximité entre les deux
approches. Dans le célèbre arrêt « United brands » de 1978, la CJUE définira la position
dominante comme une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui
lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché
en cause, en lui fournissant la possibilité du comportement indépendant dans une mesure
appréciable vis à vis des autres opérateurs, de son concurrent et des consommateurs.
L’existence d’une position dominante, la Cour le fait valoir, résulte en général de la réunion
de facteurs divers qui, pris isolément, ne seraient pas déterminants. La CJUE n’exclut
nullement l’existence d’une position dominante en l’absence de monopole. Elle peut naitre
naturellement du fait de l’existence de monopole mais également à défaut de monopole. La
position dominante est caractérisée lorsque l’entreprise est en mesure de décider,
d’influencer les conditions dans lesquelles cette concurrence se développe. Comment dès
lors analyser une position dominante ?

B. L’analyse d’une position dominante : de multiples éléments déterminants

Concernant l’analyse de la position dominante, il y a des éléments déterminants qui sont


requis pour qualifier le marché pertinent. Pour établir la position dominante, il est essentiel
de déterminer l’existence d’une domination économique sur le marché, qui est qualifié de
marché pertinent. Un faisceau d’indice s’impose et une analyse in concreto. La
détermination de la position dominante sur le marché requiert une analyse fine des
éléments du marché. C’est une approche in concreto de plusieurs indices dont l’agrégation
permet d’affirmer l’existence d’une position dominante. Pour ce faire, la Commission et la
Cour ont pu dégager un faisceau d’indices. La communication de la Commission sur la
définition du marché en à cause a permis de définir la méthode à laquelle a recours la
Commission pour définir un tel marché, le marché en cause, et ce toujours un examen au cas
par cas. Comme le souligne le juge dans ses arrêts, de tels éléments prix isolément ne
seraient pas déterminants dans la qualification d’abus de position dominante. La Cour fait
régulièrement valoir que l’article 102 du TFUE n’introduit aucune distinction ni aucun degré
dans la notion de position dominante. En effet, dès l’instant que l’entreprise dispose d’une
puissance économique sur un marché déterminé, sa conduite doit être appréciée au regard
de cette disposition. Toutefois le juge souligne que le degré de pouvoir du marché a des
conséquences sur la portée des effets de la conduite de l’entreprise. Le marché pertinent est
la combinaison d’un marché de produits et d’un marché géographique. En fait, le marché en
cause combine le marché de produits et le marché géographique, le premier étant constitué
de l’ensemble des produits ou services que l’utilisateur considère comme un substitut à
l’autre en raison de leurs caractéristiques, prix, qualité et leurs usages, etc. Le marché
géographique comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées
dans l’offre de biens et de services en cause, sur lesquels les concurrents sont suffisamment
homogènes. La définition du marché pertinent est essentielle pour établir l’existence d’une
position dominante, qui ne peut exister que sur un marché particulier, d’où l’importance de
leur définition en amont par la Commission ou la Cour. En effet, dans le cas d’une infraction
présumée aux règles de concurrence, au préalable la commission devra se livrer à une telle
analyse, c’est le point de départ comme en droit français d’ailleurs, le point de départ est la
qualification du marché pertinent. Le marché pertinent est caractérisé, il permettra de
déterminer s’il existe des concurrents réels qui sont en mesure d’agir sur le comportement
de l’entreprise en cause et permettra également de voir s’il est possible de restaurer le degré
de concurrence effectif sur le marché. Concrètement la définition du marché pertinent
renvoie à la délimitation du cadre à l’intérieur duquel s’appliquent les règles de concurrence
relatives aux ententes, mais également relative à la position dominante et à la
concentration. Le marché pertinent permet d’apprécier de manière homogène le niveau des
conditions de concurrence du marché et de s’attacher à l’examen du jeu de la puissance
économique de l’entreprise intéressée. Il s’agit là d’une étape préliminaire, indispensable
pour déterminer si le produit fait partie d’un marché propre. Trois aspects sont examinés.
D’abord le produit, le marché lui-même, et ensuite l’appel à des éléments corroboratifs, des
indices.

1. Le produit

Concernant le produit en cause qui renvoie à l’analyse préliminaire, la Commission et la Cour


tentent de délimiter le marché des produits en vérifiant si un produit A et un produit B
appartiennent ou non au même marché de produits. C’est à dire déterminer dans quelles
mesures les produits présentant un tel degré d’interchangeabilité sur un marché ont ce
degré, ce qui permet de circonscrire le marché pertinent. Les produits doivent être
substituables, interchangeables. La Commission se montre exigeante quant aux éléments qui
permettent de démontrer le degré d’interchangeabilité des produits, car les entreprises qui
sont dans un système concurrentiel, par définition, sont soumises à une double obligation, il
faut qu’il y ait une forte interchangeabilité des produits (caractéristique essentielle de la
concurrence), au niveau de la demande et de l’offre. Un marché sera considéré comme
concurrentiel si le client a la faculté de disposer du choix au sein d’une gamme de produits
plus ou moins vaste. Les produits doivent avoir les mêmes caractéristiques, être similaires, et
les fournisseurs ne doivent pas opposer d’entraves à la fourniture du produit ou du service
sur un marché donné. Cela permet de délimiter le marché, déterminer ses limites, et les
produits interchangeables qui seront affectés par la posture adoptée par l’entreprise. Il faut
donc déterminer le marché de produit à cet égard. La Commission fait souvent valoir dans
ses décisions que le marché de produit se définit comme celui qui comprend tous les
produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables. Pour elle,
c’est le critère essentiel. L’interchangeabilité d’un produit se définit au regard de la pratique
décisionnelle de la Commission au regard de trois éléments : les caractéristiques propres du
produit, le prix et les usages. A cet égard, la Commission ne doit pas s’abstenir d’être
suffisamment précise dans ses motivations et circonstanciée, notamment quant à l’existence
de produits interchangeables. Si cela n’apparaît pas de manière distincte, c’est un argument
qui peut être récusé par la Cour. Pour cela, elle va effectuer une étude très approfondie au
niveau des clients et des fournisseurs.

2. Le périmètre géographique du marché


Concernant le périmètre géographique la position dominante peut être une détenue sur le
marché commun ou sur une partie substantielle de celui-ci. Et donc le marché intérieur
depuis 1986 et marché commun depuis Lisbonne, puisque Lisbonne a substitué marché
commun par marché intérieur. Il s’agit là d’examiner l’entendue géographique du marché
pertinent du point de vue de son périmètre. La définition du périmètre prend en
considérations des éléments telles que les habitudes de consommation d’une région, d’un
périmètre géographique. Elle prend aussi en compte les possibilités économiques des
vendeurs et des acheteurs, c'est-à-dire le niveau du pouvoir d’achat des clients. Elle intègre
la répartition des parts de marché détenues par les parties en cause et par leurs concurrents,
les prix et les écarts de prix pratiqués par les entreprises en cause, la densité de la
population au sein de la zone en cause, le niveau de vie de la population, ainsi que
l’homogénéité des conditions de concurrence qui doivent être homogènes aussi. Il y a
plusieurs critères qui permettent de définir le territoire. Il pourra s’agir du territoire d’un
seul État, notamment une partie de son territoire qui constituerait une partie substantielle
du marché commun. Les autorités de l’Union retiennent comme élément déterminant en
pareil cas le flux du produit. C'est-à-dire qu’elles vont apprécier le flux des échanges qui sont
opérés entre ledit État et les autres États membres. De nouveau ce qui est important c’est
non pas le lieu où est détenu la position dominante (ex : Microsoft, Google) mais c’est le lieu
où se vérifient les effets de l’abus de position dominante sur le marché commun. Si la
Commission a pu poursuivre Microsoft, c’est parce qu’on a des effets sur le sol européen, ce
n'est pas en raison du lieu où se trouve le siège de l’entreprise en cause. Le marché commun
est perçu comme un territoire homogène. De même la jurisprudence admet que l’entreprise
puisse déterminer une position dominante sur le marché commun même si son siège est
situé dans un État tiers dès lors qu’elle exerce une activité sur le territoire de l’Union, dans
l’un des États membres.

3. L’appel à d’autres indices

Après la question du marché et du périmètre géographique, il est possible pour la Cour de


faire appel à d’autres indices pour conforter l’existence d’une puissance économique
puisque l’établissement de la puissance économique est le point de départ. Ces éléments
corroboratifs ont été clairement énoncés par le juge dans le célèbre arrêt Hoffman Laroche
du 13 février 1979 à propos de l’absence de concurrence potentielle. Il y a plusieurs indices,
qui seront repris par la suite par la Commission.

a. Le calcul des parts de marché

L’indice principal est le calcul des parts de marché de l’entreprise en cause. Comme nous
avons pu l’observer précédemment par la définition du marché en cause, tant au niveau du
produit que de sa dimension géographique, il est possible de connaitre les opérateurs, les
fournisseurs, les clients qui agissent sur le marché, et à partir de là, il est possible de calculer
la part de marché. On a une connaissance fine de ces éléments. A travers ces éléments, il est
possible de calculer pour chacun des opérateurs, la taille totale du marché et les parts
détenues par les opérateurs sur ce marché, sur la base du chiffre d’affaires des produits en
cause vendus sur le territoire visé. C’est pour cela l’étude des parts de marché dans
l’entreprise constitue un instrument de mesure pour la Commission, instrument pertinent de
ce qu’on appelle l’occupation économique du marché par l’entreprise, donc ceci était
étoffée par l’arrêt Hoffman Laroche. Dans cet arrêt, la Cour établit explicitement le lien étroit
entre le nombre de parts de marché et la détention d’une position dominante lorsqu’elle
déclare que « la détention d’une part marché d’une grande ampleur est un indice
hautement significatif de l’existence d’une position dominante ». A la lumière de la pratique
de la commission, plus la part de marché, et plus la part de temps dans laquelle elle est
détenue, est étendue, plus l’opérateur est susceptible effectivement d’être en position
dominante. Quels sont les chiffres ? Au demeurant c’est comme en droit français, nous
avons les mêmes parts. Si l’entreprise a une part de marché de moins de 40%, il est peu
probable qu’elle soit en position dominante sauf à faire appel à d’autres indices. En revanche
si l’entreprise détient environ 80% sur l’ensemble du marché commun, elle est en position
dominante. Exemples rares mais il y en a avec Google, Microsoft. Hypothèse qui demeure
rare. Entre 40 et 80%, la Commission se livre à un examen en fonction des critères que nous
avons souligné. La Cour considère que si la signification des parts de marché peut différer
d’un marché à l’autre, la possession dans la durée d’une part de marché extrêmement forte
constitue, sauf circonstance exceptionnelle, la preuve de l’existence d’une position
dominante. De même les parts de marché de plus de 50% constituent des parts de marché
élevées considérées comme importante. Afin d’établir la part du marché et les parts de
marché tenues sur ledit marché, pour chacun des opérateurs, la Commission se fonde sur
des éléments extrêmement techniques. Tout d’abord, il y a les estimations qui sont
apportées par les entreprises, la Commission demande aux entreprises selon elles quelles
sont leurs estimations ; les études commandées à des sociétés de conseil ou à des
associations professionnelles ; les chiffres d’affaires des entreprises qui sont objectifs ; mais
également certains types de produits ou des industries spécifiques qui donnent un savoir-
faire très particulier ; la capacité et le nombre d’opérateurs dans l’offre de marché. Plusieurs
éléments qui permettent donc de dire les parts de marché détenues par les entreprises.

b. Autres indices

Les autres indices auxquels peut faire appel la Commission et la Cour lorsqu’elles examinent
le contentieux. Dans les hypothèses où les parts de marché sont moindres et n’atteignent
pas un tel niveau (80%, ou au-delà de 50%), la Commission et la Cour se pencheront alors sur
l’examen d’autres éléments qui permettent de s’assurer de l’existence d’une position
dominante. Il s’agit notamment des conditions d’accès au marché par les concurrents
particulièrement au regard des difficultés qu’ils peuvent rencontrer pour pénétrer le marché
et s’y maintenir. Si le marché est cloisonné, c’est un signe qu’il existe sur ce marché une
position dominante. C’est ce que l’on appelle les barrières invisibles qui posent une double
difficulté. Les opérateurs concurrents ne peuvent pas entrer sur le marché et surtout ne
peuvent pas s’y maintenir. Parfois dans les barrières invisibles, l’opérateur semble ouvrir la
barrière, mais l’entreprise ne pourra pas rester compte tenue de la pression concurrentielle.
Autres indices, la taille de l’entreprise par rapport à ces concurrents, l’avance technologique
de l’entreprise qui permet de mesurer la suprématie économique. Ce sont également les
mécanismes de fidélisation des clients. Si ce mécanisme est très poussé, c’est un signe de
détention d’une position dominante parce toutes les entreprises ne peuvent pas procéder à
cette fidélisation, permettant aux fournisseurs d’évincer les concurrents en aspirant à son
profit la partie disputable de la demande. On a aussi des mécanismes de prix, les prix
prédateurs, qui permettent de capter la clientèle, et ensuite les prix redeviennent normaux.
On a également tout ce qui concerne l’accès au marché des capitaux. D’autres indices
permettent donc d’étayer l’affirmation de la Commission selon laquelle il y a une position
dominante. Généralement, on observe que les rapports entre les parts de marché détenues
par une entreprise et celle des autres opérateurs permet d’évaluer la capacité d’action des
concurrents, tandis que l’avance technologique ou le réseau commercial, la Commission cite
systématiquement le réseau commercial, et s’il est très étendu, c’est un signe. Le réseau
commercial et l’avance technologique, là aussi, portent sur les avantages techniques que
peuvent apporter l’opérateur et peuvent de manière insidieuse instaurer des barrières à
l’entrée du marché à l’encontre des nouveaux concurrents (même s’ils sont sur le marché, ils
ne pourront pas s’y maintenir). Ce marché étant constitué, la position dominante étant
établie au regard de ces éléments, il convient désormais de voir s’il y a exploitation abusive,
car il n’est pas en soi répréhensible d’avoir une position dominante, c’est le fait d’abuser de
cette position qui constitue une infraction.

§2 : L’exploitation abusive de la supériorité économique

La question relative à l’exploitation abusive de la supériorité économique. Nous avons dit


que le traité ne donnait pas une définition de la position dominante, là non plus, en ce qui
concerne l’exploitation de la position dominante, le traité se garde tout autant d’apporter
des éléments de définition de l’abus de position dominante. L’article 102, TFUE, donne des
exemples, il illustre davantage qu’il ne définit. L’abus de position dominante est appréhendé
au travers de 4 types de comportement constitutifs de pratiques déloyales. Il s’aligne dans
une large mesure sur les comportements évoqués par l’article 101. On peut remarquer une
grande analogie textuelle entre les deux dispositions. 4 types de comportements constitutifs
de pratiques déloyales : L’imposition de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de
vente ou d'autres conditions de transaction non équitables ; la limitation de la production,
des débouchés ou des développements techniques au préjudice des consommateurs ;
l’application de conditions discriminatoires entre les partenaires commerciaux pour des
prestations pourtant équivalentes ; l’introduction dans les contrats de prestations
supplémentaires sans lien avec l’objet des contrats. Cette liste de pratiques abusives n’est
pas exhaustive mais indicative. De surcroit, la Cour comme on peut s’y attendre donne une
interprétation très large de l’exploitation abusive. Elle considère que ce ne sont que des
exemples. Elle considère que l’exploitation abusive est une notion objective qui ne requiert
pas la preuve d’une faute ou d’un élément intentionnel. Elle vise les comportements d’une
entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché
ou plus précisément compte tenu de la présence de l’entreprise en cause le degré de
concurrence est affaibli. Contrairement au droit français où on a souvent la notion de faute,
où les infractions ne sont pas justement des notions liées à l’absence de faute, dans le cadre
du droit de l’Union européenne, c’est vraiment indépendant de toute notion de faute. Cela
veut dire qu’il n’est pas nécessaire pour l’auteur de l’abus d’avoir eu l’intention d’agir.
Toutefois, on observe que dans la pratique décisionnelle, la Commission est tenue de
considérer l’ensemble des circonstances. Dans son travail d’enquête, elle peut prendre en
considération l’ensemble des circonstances factuelles, pertinentes entourant le
comportement de l’entreprise. Elle peut apprécier la stratégie commerciale poursuivie par
l’entreprise et elle est en droit d’évoquer des facteurs de nature subjective comme les
mobiles qui peuvent sous-tendre la stratégie commerciale. Mais la Cour statue sur une
infraction qui revêt un caractère objectif. Il ressort de cette approche deux comportements
majeurs du comportement abusif sur un marché pertinent : l’abus de comportement et
l’abus de structure.

A. L’abus de comportement

L’abus de comportement permet de mettre en cause un comportement abusif de


l’entreprise à l’égard de ses partenaires commerciaux. Il doit s’agir d’un comportement
économique qui présente un caractère anormal car ce comportement ne serait pas rendu
possible dans le cadre d’une concurrence saine. Cette qualification ne vise pas seulement les
concurrents mais l’ensemble des partenaires économiques sur le marché, sont visés les
clients dans l’hypothèse de transaction inéquitable. Il peut s’agir d’une influence néfaste
exercée sur les concurrents, hypothèse ordinaire, mais aussi sur les partenaires de
l’entreprise que sont les cocontractants et ce afin de les dissuader d’établir des relations
commerciales avec des concurrents. On retrouve les hypothèses posées par l’article 102,
TFUE, comme en matière de prix, ou de conditions de transactions inéquitables, ou de
conditions discriminatoires pour des prestations équivalentes, en ce qui concerne la
limitation de la production des débouchés, les atteintes au développement technique au
préjudice des consommateurs. Ce sont des abus de comportement.

B. L’abus de structure

A l’inverse, on a l’abus de structure qui est une forme de pratique abusive qui vise le cas
dans lequel l’entreprise en domination économique exerce une influence sur la structure du
marché, ce qui aboutit à un rétrécissement de l’espace concurrentiel. De ce point de vue, on
ne se situe plus dans un rapport opposant un opérateur économique et un concurrent ou à
un autre opérateur mais plutôt à une configuration qui permet à une entreprise dominante
d’agir sur les conditions de concurrence, sur la structure concurrentielle et la structure du
marché qui sont affectés par la pratique abusive en cause. On citera par exemple la pratique
des prix prédateurs, l’acquisition de parts de marché, la prise de participation majoritaire
dans le capital d’une entreprise, l’avance technologique et également l’existence d’un
réseau commercial très perfectionné. Effectivement, on peut considérer que l’abus de
structure a des effets beaucoup plus profonds que l’abus de comportement sur le marché.
Voilà donc les deux types d’abus de position dominante. Il faut garder à l’esprit que n’est
nullement répréhensible la détention d’une position dominante, ce qui est même plutôt
bénéfique pour l’entreprise, mais c’est le fait que par la puissance qu’elles détiennent, elles
cloisonnent le marché au détriment des opérateurs économiques et des consommateurs,
qui en paieront le prix. Ensuite, la difficulté pour la Commission est de démontrer les
conditions permettant de caractériser l’abus, mais dès l’instant que la puissance économique
est au-delà des 80% de parts de marché, on s’achemine aisément vers un abus de position
de dominante, parce que la Commission démontre aisément que par une telle détention,
des barrières sont mises en place nécessairement.

V. Les concentrations

Le troisième type d’opération qui est appréhendé par le droit de l’Union est la
concentration. La concentration, à la différence des cas précédents (l’entente et l’abus de
position dominante qui sont formellement interdits), n’est pas interdite mais simplement
encadrée, contrôlée. A l’origine, le traité ne contient sur le fond aucune disposition qui régit
de manière spécifique les opérations de concentration. La raison en est simple :
l’encadrement de telles pratiques était jugé prématuré à l’époque de la signature des traités
en 1957, car interdire ou encadrer les concentrations aurait pu ruiner l’objectif de mise en
place d’un espace économique ouvert et concurrentiel. Or on sait bien que les
concentrations et les grands consortiums participent à cette stimulation économique, à cette
vivacité, et donc à un espace concurrentiel. Ainsi, il y avait là une omission volontaire. Cette
omission volontaire pouvait également s’expliquer par la volonté des États fondateurs de
s’épargner, puisqu’ils étaient souvent détenteurs de grands groupes industriels. A cette
époque les États membres étaient prompts à opérer – à leur profit – d’importantes
concentrations. C’était même une pratique relativement courante. Ainsi, les États n’étaient
pas du tout disposés à céder le contrôle de ces opérations aux instances communautaires.
Aussi les rédacteurs en 1957 opteront avant tout pour une démarche précautionneuse sur le
sujet. Cette discrétion tranchera sensiblement avec le traité CECA de 1951, qui sera plus
explicite sur le sujet, et met en place un mécanisme de contrôle vigoureux des
concentrations dans les domaines du charbon et de l’acier (qui étaient alors pourtant des
domaines hautement stratégiques). Le traité CECA organise le contrôle des concentrations
dans le cadre de l’article 66, mais dans un champ d’application restreint, qui étaient
cependant deux secteurs industriels en plein développement. On notera ici la différence de
libellé entre le traité CECA et le traité CE. Comment va s’acheminer l’action vers
l’encadrement des concentrations ? Il y a plusieurs étapes.

A. Le mémorandum du 1er décembre 1965

La première initiative de la Commission en ce sens est le mémorandum du 1er décembre


1965. On peut considérer que c’est l’acte fondateur en la matière. En dépit du silence des
traités (principalement du traité CE), la Commission se montrera hardie sur la question,
puisqu’elle fera valoir en 1965 sa position dans un mémorandum sur les concentrations dans
le marché commun. La Commission se dit d’emblée favorable aux opérations de
concentration puisqu’elles participent à la pression concurrentielle et au développement
économique. Elle nuance néanmoins son propos en mettant en avant la nécessité d’instaurer
un contrôle sur celles qui revêtent à terme un caractère monopolistique. Donc sur le fond
elle dit « bien entendu, les concentrations sont positives », mais il faut être également
prudent quant à leurs pratiques et il faut faire attention à ce qu’elles ne procèdent pas d’une
volonté de recloisonner le marché. La Commission se montre déjà préoccupée par le
développement des opérations de concentration qui se sont opérées dans les décennies
1960 et 1970 en France notamment. Ces concentrations tirent alors profit de l’essor du
marché commun, et se produisaient dans le cadre de stratégie de grands groupes industriels
qui entendaient d’une part développer leur position sur le marché et d’autre part faire face à
la concurrence extérieure qui ne cessait de s’affermir (notamment celle venant des États-
Unis ou du Japon). Les opérations de concentration connaitront un véritable essor durant
cette période, et un suivant - un nouveau dynamisme - lors de la mise en place de l’union
économique et monétaire (UEM) à partir de 1989-90. Sur le fond, en effet, il est
inconcevable de freiner de telles opérations qui stimulent parfaitement la logique
concurrentielle. Néanmoins la Commission, dans le mémorandum de 1965, fera valoir l’idée
d’un meilleur encadrement de ces opérations. Ces opérations ne doivent pas aboutir – in
fine - par la constitution de grands consortiums au résultat inverse que celui escompté par le
marché intérieur, à savoir une remise en cause de l’équilibre concurrentiel et un
recloisonnement des marchés. De nouveau, le droit de l’Union est convoqué afin de
restaurer, sinon parfois instaurer un équilibre entre la liberté économique des entreprises et
un encadrement de leurs initiatives ou activités qui peuvent révéler des effets néfastes sur le
marché concurrentiel. Au début ce sera un peu du bricolage pour la Commission, parce que
dépourvue de dispositions dans les traités. Les outils juridiques qui seront mobilisés par la
Commission seront au départ extrapolés.

B. La question de l’applicabilité des articles 101 et 102

Deuxième étape dans ce cheminement de l’encadrement des concentrations : la question de


l’applicabilité des articles 101 et 102. En effet, on s’apercevra rapidement que les outils
juridiques initiaux étaient inadaptés. Les outils juridiques d’encadrement seront au départ
insuffisants et par la suite extrapolés.

1. La position de la Commission

La Commission considérera que l’article 101, TFUE, relatif aux ententes est inapplicable dans
le cadre d’une concentration, parce qu’elle fait valoir que c’est une opération différente de
l’entente, qui ne conduit pas à une fusion des entreprises concernées (qui demeurent
parfaitement indépendantes). Alors que dans le cas de la concentration, l’autonomie n’est
pas de mise. En revanche, l’article 102, TFUE, peut être mis en œuvre s’il s’agit d’une
opération de concentration ayant pour effet de renforcer la position dominante d’une
entreprise. Dans ce cas, la concentration est alors constitutive d’un abus de position
dominante et la concentration peut tomber sous le coup de l’article 102 TFUE. La
Commission, dressant le constat de la difficulté d’accepter sans mettre de limite les
opérations de concentration, avance ainsi quelques outils. L’article 101 n’est pas suffisant
(car il n’y a pas de concentration), mais l’article 102 peut être invoqué et revendiqué parce
qu’une concentration peut à terme aboutir à renforcer la position dominante.

2. La position de la Cour

Pour sa part, la Cour de justice conclura non seulement à l’applicabilité de l’article 102,
TFUE, en reprenant l’argumentaire de la Commission, mais aussi à celle de l’article 101,
TFUE, dans le cadre d’une entente qui aurait pour conséquence de modifier la structure de
l’entreprise, comme dans le cadre d’une prise de participation dans le capital d’une
entreprise. Dans ce cas-là, on peut aboutir à une situation monopolistique, et il y a donc un
renforcement de la puissance économique de l’entreprise, et à un abus de position
dominante. On peut trouver cela exagéré, mais la Cour fait avec les outils de l’époque. Voir
l’arrêt American Tobacco de 1987 et l’arrêt Continental Can de 1973. Dans ces arrêts-là, la
Commission fera valoir la possibilité d’appliquer les articles 101 et 102 quant à la
constitution d’une concentration. A partir de cet aval jurisprudentiel, la Commission sera
pourvue de ce double instrument (les articles 101 et 102, TFUE) pour opérer un contrôle
pertinent sur les opérations de concentration. Mais ces dispositions n’avaient pas
expressément vocation à s’appliquer aux opérations de concentration. Elles se révèleront
modestes quant à leur portée, certainement face à l’ampleur des opérations de
concentrations qui sévissait durant les premières années de la construction européenne. Ces
outils étaient certes, au départ utilisé à l’appui des traités, mais ils étaient évidemment
inadaptés et insuffisants. Il devenait alors nécessaire de réfléchir à un dispositif propre aux
opérations de concentration. Ce nouvel instrument prendra la forme d’un règlement
directement applicable au sein des États, donc doté d’une forte normativité, adopté par le
conseil au terme d’âpres négociations, puisqu’il sera adopté le 21 décembre 1989.
C. Le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des
opérations de concentration entre entreprises

On aura donc un dispositif de contrôle et d’encadrement propre par ce règlement (pas


d’extrapolation des articles 101 et 102). Ce règlement sera l’outil satisfaisant. Il faut
constater qu’il n’est adopté qu’en 1989, donc les négociations ont été extrêmement
difficiles. L’adoption fut rendue laborieuse par la résistance/réticence des États membres à
conférer à la Commission le pouvoir d’appréciation exclusif des opérations de concentration
et leur contrôle. Il y a deux phases : L’appréciation de la dimension communautaire de
l’opération et ensuite l’application du contrôle. Ceci, au profit de la seule Commission. Ce
sont des compétences exclusives. Les États avaient du mal avec cette idée là, ce qui explique
les négociations ardues. Entré en vigueur le 21 septembre 1990, le règlement 4064/89 a fait
l’objet d’une révision (prévue par le règlement lui-même au demeurant), le 30 juin 1997.
Dans le cadre de cette révision, la Commission adoptera également une nouvelle révision du
règlement d’application. Le règlement 4064/89 au gré de cette révision établira désormais
l’obligation de notification préalable pour les opérations de concentration. La concentration
doit avoir nécessairement un caractère communautaire selon les seuils établis. Ce règlement
fera l’objet d’une importante révision substantielle par le règlement (CE) n° 139/2004,
adopté le 20 janvier 2004 (qui est toujours celui qui met en œuvre le régime en la matière
aujourd’hui). Le régime de concentration demeure inchangé au regard de l’obligation de
notification et des règles générales et des principes. Il y a cependant des innovations très
intéressantes sur le plan procédural pour accroitre l’efficacité du contrôle, mais aussi au
regard des garanties procédurales pour permettre aux intéressés (les entreprises) de faire
valoir leurs droits lors d’une procédure précontentieuse. Selon les termes du règlement n°
4064/89, remplacé depuis le 1er mai 2004 par le règlement 139/2004 (qui fait au demeurant
actuellement l’objet d’une évaluation) seules sont concernées par le contrôle les opérations
de dimension communautaire. Les éléments essentiels de ces opérations communautaires :
pour relever du contrôle communautaire, deux conditions sont requises. Il doit s’agir d’une
opération de concentration et d’une opération de nature communautaire. Ce sont deux
conditions indispensables pour mettre en œuvre le règlement n°139/2004.

I. Notion de concentration

L’opération de concentration fait l’objet d’une définition précise établie par deux règlements
(ceux de 1989 et 2004) au terme de son article 3 et propose de distinguer deux types
d’opérations : La fusion et la prise de contrôle. Cette approche sera explicitée par une
communication de la Commission relative à la notion de concentration et qui permettra
d’étayer le règlement n°4064/89.

A. La fusion

La fusion est une notion qui peut recevoir deux expressions. Soit il s’agit de la création d’une
nouvelle entreprise au terme d’une opération de concentration, laquelle fera disparaître les
entreprises existantes au profit de l’entité nouvellement constituée. Soit il s’agit d’une
fusion-absorption, c’est-à-dire que l’entreprise est absorbée par une autre entreprise en
raison de la concentration à la faveur de ladite concentration. Elle entre donc pleinement
dans le domaine des concentrations.

B. La prise de contrôle

A la différence de la fusion, la prise de contrôle présente un contenu plus complexe. Le


règlement définit la prise de contrôle tantôt par l’exercice d’une influence déterminante,
tantôt par la création d’une entreprise commune.

1. La prise de contrôle par l’exercice d’une influence déterminante

En l’application de l’article 3-1, la prise de contrôle se caractérise comme la possibilité pour


une ou plusieurs entreprises d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une
entreprise. Ceci est perçu comme une concentration. Cette influence peut revêtir plusieurs
formes, notamment la prise de participation dans le capital de l’entreprise, ou par l’achat
d’éléments actifs, ou encore par l’existence d’un contrôle ou de contrats liant cette
entreprise avec d’autres entreprises. Il peut aussi s’agir de l’exercice d’un contrôle unique ou
commun. Il peut aussi s’agir de manière plus subtile d’un contrôle de fait, par un droit de
veto. En effet, en dépit d’une prise de participation qui n’est que minoritaire, il peut arriver
qu’une entreprise exerce un contrôle important, une influence déterminante, sur
l’entreprise en cause dans l’hypothèse de l’acquisition d’un droit de veto au sein du conseil
d’administration (CA) sur un certain type de décisions. Ce sont les décisions qui engagent
l’avenir de l’entreprise, notamment les décisions stratégiques. Dans ce cas, la notification de
concentration est requise. Remarque : on peut très bien ne pas être majoritaire au sein du
CA mais avoir ce droit de veto. L’exercice de ce droit de veto a des conséquences notables. A
cet égard-là, il y a concentration parce qu’il y a derrière cela une influence déterminante.
Dans sa communication de 1998, la Commission faisait valoir expressément que le contrôle
d’une entreprise peut être obtenu par une entreprise minoritaire si celle-ci dispose d’une
majorité au sein de l’assemblée générale du fait d’une dissémination des voix. Encore un
autre cas de figure encore plus sophistiqué. En effet, c’est une position minoritaire, mais par
un calcul arithmétique/ addition de la somme des voix, on se rend compte en fait que
l’entreprise en cause dispose d’une position dominante, majoritaire, car les voix étaient tout
simplement disséminées. Donc c’est un nombre important d’actionnaires au sein de
l’assemblée générale qui explique cette configuration.

2. La prise de contrôle par la création d’une entreprise commune

La prise de contrôle par la création d’une entreprise commune permet d’acquérir le contrôle
commun de deux ou plusieurs entreprises, qui sont communément dénommées filiales.
Pendant longtemps, a régné une distinction majeure entre deux types d’entreprises
communes. Une première forme de nature coopérative visant les entreprises instaurant
entre elles un certain mode de coopération dont l’objet ou les faits reposent sur la
coordination de leurs comportements, même si elles demeuraient indépendantes. Il
s’agissait d’entreprises coopératives, qui travaillaient ensemble. Elles relevaient de l’article
101, TFUE, car ce cas de création d’entreprise peut représenter une forme d’entente. La
seconde forme de concentration vise l’hypothèse où une entreprise commune accomplit de
manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome, opérant de la
sorte une modification de nature structurelle au sein du marché. Dans l’ancien dispositif, les
entreprises communes à caractère coopératif étaient exclues du contrôle communautaire.
Elles pouvaient ne pas être notifiées. Lorsqu’on procédait à la mise en place d’entreprises
coopératives, on ne le notifiait pas. Il était considéré que cette configuration n’était pas
nuisible au marché commun. Tandis que pour les autres, le règlement de concentration était
applicable et devait être mis en œuvre. Pourquoi parle-t-on d’ancien régime ? Parce que
depuis le règlement du 30 juin 1997, il y a une modification substantielle du règlement
4064/89 en l’application de l’article 3 paragraphe 2. La modification porte sur la suppression
de cette différentiation, de sorte que désormais, sont considérées comme des entreprises
communes de plein exercice celles qui opèrent sur le marché en y accomplissant des
fonctions qui sont normalement exercées par les autres entreprises présentes sur ce
marché. En somme, ce sont tout simplement des entreprises autonomes. Ces entreprises
sont dotées de manière durable des moyens nécessaires pour exercer leurs activités en
termes de financement du personnel ou d’actifs. Sont donc visées les entreprises communes
qui ont pour objet ou effet une coordination des comportements. La distinction n’existe
plus. Si on est face à l’ancienne forme d’entreprise coopérative, on va procéder à un examen
au fond pour voir si en vérité il n’y a pas derrière ça une entreprise commune.

II. La dimension communautaire de la concentration

Toutes les opérations de concentration ne sont pas soumises à un contrôle de l’Union


européenne. En effet, seules s’y prêtent les opérations qui répondent à un critère précis : la
dimension communautaire. Il s’agit là d’un critère déterminant car il permettra de répartir
les compétences entre l’échelon national et communautaire. En deçà des seuils, c’est
l’autorité nationale qui est seule compétente.

A. Les seuils requis

1. Seuils initiaux

Le critère de dimension communautaire repose sur des éléments concrets et factuels. Il


renvoie à la détermination de seuils à partir desquels s’apprécie l’opération de concentration
(comme en droit interne). Les seuils ont été établis par le règlement historique de 1989 et
ont été confortés par le règlement de 2004. On a des seuils relatifs au chiffre d’affaires des
entreprises concernées. L’opération de concentration est soumise à des seuils qui feront
l’objet par la suite d’un abaissement. Une opération doit ainsi répondre à une double
exigence pour être réputée avoir une dimension communautaire : le chiffre d’affaires total
réalisé au niveau mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant
supérieur à 5 milliards d’euros et le chiffre d’affaires total réalisé individuellement au sein de
l’Union européenne, par au moins deux des entreprises concernées représente un montant
supérieur à 250 millions d’euros, à moins que chacune des entreprises concernées réalise
plus des 2/3 de son chiffre d’affaires total dans l’Union, à l’intérieur d’un seul et unique État.
Dans ce cas-là, il y a un abaissement. On échappe à la notification. Ces seuils ont pour intérêt
de s’assurer de la dimension transnationale de l’opération et de son impact sur l’espace
concurrentiel communautaire. En revanche, le contrôle de la Commission n’est pas
opposable aux opérations qui n’ont qu’un impact national. C’est le cas lorsque les opérations
de concentration sont menées par des entreprises qui réalisent chacune dans un seul État
membre, plus des 2/3 de leur chiffre d’affaires total à l’échelle de l’Union. Elles relèvent dans
ce cas-là du droit interne. Il y a plusieurs dispositifs de compensation (cf. manuel).

2. Abaissement des seuils initiaux

Nous avons assisté à un abaissement des seuils initiaux pour les opérations de
concentration, afin d’enserrer davantage les opérations de concentration à l’échelle de
l’Union. C’est un abaissement qui vise certains cas de figures (sur au moins 3 États
membres). Aux seuils initiaux, le règlement du 30 juin 1997, applicable depuis le 1er mai
1998 introduira de nouveaux seuils. Des seuils supplémentaires qui conduisent en fait à un
abaissement du niveau, dans le but de cerner davantage le champ de compétences
nationales et communautaires. Derrière ce texte, en vérité, s’est engagé un bras de fer
difficile entre les États membres et la Commission. La Commission était appelée, en vertu du
règlement 4064/89, à réviser le seuil tous les 4 ans. A cette occasion, celle-ci était favorable
à un abaissement des seuils afin d’appréhender un large éventail de situations. En revanche,
les États membres étaient plutôt rétifs à l’idée d’une telle extension du champ de
compétences de la Commission (puisque abaissement des seuils veut dire intervention de la
Commission au travers de son contrôle). Les États craignaient de voir échapper un certain
nombre d’opérations au niveau national du fait de ce basculement dans le champ
communautaire. Les opérations menées au titre de concentrations auraient un caractère
transnational à la faveur de ces nouveaux seuils. Or, l’abaissement des seuils présente un
intérêt au niveau de l’Union mais également au niveau des États. En effet, dans le contexte
des seuils précédents, les autorités nationales étaient confrontées à une multiplication des
notifications par les opérateurs. Étaient concernées par les notifications au niveau national,
les entreprises qui n’étaient pas tenues de notifier auprès de la Commission, et dont
l’opération de concentration ne correspondait pas aux seuils établis par les textes
communautaires. Abaisser les seuils permettait ainsi de soulager les autorités nationales. Par
conséquent, pour surmonter ce phénomène d’ « amplification administrative » des
opérations de concentration, le règlement de 1997 établira des seuils abaissés dans
l’hypothèse où l’opération de concentration intervient sur le marché d’au moins 3 États.
Dans ce cas, les seuils sont abaissés de 5 à 2,5 milliards d’euros pour le chiffre d’affaires
mondial ; les seuils sont abaissés de 250 à 100 millions d’euros pour le chiffre d’affaires
réalisé individuellement par au moins 2 des protagonistes.

B. La répartition des compétences entre autorités nationales et autorités communautaires

Nous retiendrons que s’exerce une répartition des compétences entre autorités nationales
et communautaires. L’idée majeure est que, dès l’instant qu’une entreprise répond à la
définition donnée par les législateurs de l’Union dans le cadre du règlement 139/2004 (c’est-
à-dire quand l’entreprise entre dans les seuils établis), elle doit le notifier si elle est en deçà
des seuils, elle notifie à l’échelon national ; si elle est au-delà des seuils elle notifie à
l’échelon communautaire.

1. Les assouplissements : Les renvois possibles

A savoir (cf. manuel) qu’il y a des possibilités de renvoi avant et après notification. C’est-à-
dire qu’on peut procéder à des assouplissements de l’obligation de notification. Dans
certaines hypothèses, si la notification doit avoir lieu auprès de la Commission eu égard à
certains éléments, cela peut être renvoyé au niveau national, et inversement. Mais il
demeure que la notification est obligatoire quelle que soit la situation.
2. L’appréciation de fond de l’opération de concentration

Sur l’appréciation de fond de l’opération de concentration, la notification étant faite à


l’échelon communautaire, comment la Commission va-t-elle apprécier la validité de
l’opération au regard des prescriptions communautaires ? L’appréciation portée sur
l’opération de concentration consiste à examiner sa compatibilité avec le marché commun
(cf. règlement de 2004). L’examen porte sur l’atteinte à la concurrence, au regard d’un bilan
concurrentiel. Il s’agit d’une évolution que laissait présager la pratique décisionnelle de la
Commission, qui repose sur ce type de bilan. Les articles 2 et 3 du règlement 139/2004,
décrivent en des termes assez généraux les conditions de fond en vertu desquelles
l’opération de concentration est considérée et réputée compatible avec le droit de l’Union.
Sont incompatibles les concentrations qui entraveraient de manière significative une
concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci,
notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante. Donc le
critère d’analyse majeur est la création ou du renforcement d’une position dominante.
L’opération de concentration est considérée comme compatible, et peut ainsi être mise en
œuvre, si elle ne crée pas ou ne renforce pas une position dominante ayant pour
conséquence de remettre en cause ou d’entraver la concurrence effective. L’article 2 insiste
spécifiquement sur l’existence ou le renforcement d’une position dominante à laquelle
aboutirait l’opération de concentration comme tend à le réprimer l’article 102. En d’autres
termes, le fait d’instaurer ou de renforcer une position dominante entraine l’incompatibilité
de l’opération. Sur ce point, la Commission a toujours fait valoir devant les entreprises et les
opérateurs économiques la proximité des deux infractions à travers précisément
l’applicabilité du règlement en cas de position dominante collective. La Cour rejoindra la
Commission dans cette approche, dans l’arrêt de 1998, France c/ Commission. Elle
considèrera que la notion de position dominante collective fait partie de la notion de
position dominante telle qu’elle est évoquée par le règlement de concentration. Concernant
l’examen du bilan concurrentiel diligenté par la Commission, le bilan concurrentiel de
l’opération est passé au crible par la Commission. Ce bilan concurrentiel est distinct du bilan
économique qui commande un examen d’ensemble, notamment le progrès économique ou
technique et l’intérêt des consommateurs. On retrouve le bilan économique dans le cadre
des ententes, dans le cadre des exonérations qui sont possibles où on se livre à un examen
d’ensemble de la situation économique, etc. Le bilan concurrentiel est différent. Il vise
véritablement les concentrations. Le mode d’appréciation de la Commission revêt un
caractère plutôt familier de manière générale (on le retrouve également dans le cadre de la
délimitation du marché en cause). Elle apprécie les effets des opérations sur l’équilibre
concurrentiel du marché en raison d’une atteinte sensible à la concurrence sur le marché ou
sur une partie substantielle. Pour ce faire, elle aura à sa disposition de nombreux éléments
d’appréciation tels que les parts de marché détenues par les auteurs de la concentration qui,
si elles sont égales ou dépassent 50%, emporteront une incompatibilité. Dans le cadre des
ententes, c’est un bilan économique où plusieurs paramètres entrent en ligne de compte,
tandis que pour le bilan de concentration, c’est délimité à l’examen de l’équilibre
concurrentiel. L’examen diligenté par la Commission européenne souligne un contrôle de
légalité très étendu et de manière corollaire la nécessité de mettre en place des garanties
procédurales. Les termes généraux employés par les dispositions de fond permettent de
conférer à la Commission un large pouvoir d’appréciation dont elle ne se prive pas ce qui
irrite les États membres. Cela laisse place, dans la phase contentieuse, à un contrôle de
légalité interne très étendu de la part du juge de l’Union qui se montre intransigeant quant à
la motivation de la décision au regard des éléments de preuve qui permettent de soutenir
l’appréciation de la création ou du renforcement de la position dominante. Le renforcement
et la création de la position dominante est l’élément déclencheur de l’incompatibilité, tout
repose sur cet élément-là. Il faut vraiment que la décision soit dument motivée. Certes, le
contrôle et l’appréciation diligentée par la Commission lui offre un champ extrêmement
large puisque c’est elle qui va apprécier s’il y a ou non création ou renforcement de la
position dominante dans l’opération de concentration, mais ce pouvoir d’appréciation est
contrebalancé par des garanties procédurales dans la phase contentieuse, notamment
l’obligation de motivation qui pèse sévèrement sur la Commission. La Commission doit
avancer des motifs sérieux, substantiels, décrits avec précision, afin d’assoir son
argumentaire. A défaut d’une motivation suffisante et établie de manière exhaustive, le juge
de l’Union n’hésitera pas à censurer la Commission. Le juge peut, comme le démontre la
jurisprudence de manière régulière, annuler cette décision. La pratique décisionnelle de la
Commission, toujours eu égard au pouvoir d’appréciation de celle- ci, a fait ressentir la
nécessité d’une concertation appuyée entre l’autorité communautaire et les participants à la
concentration. Depuis un certain nombre d’année (décennie 2000) s’est mis en place un
dialogue direct entre la Commission (chargée d’examiner le dossier) et les opérateurs
économiques, qui peuvent ainsi présenter les aménagements possibles → sorte de
négociation qui se met en place, afin d’atténuer la verticalité de ce contrôle des
concentrations. Dès l’instant qu’une entreprise envisage avec une autre entreprise de
procéder à une concentration (fusion ou prise de contrôle), elles doivent s’assurer en tant
qu’opérateurs économiques que les seuils qui sont établis par le règlement (CE) n°139/2004
du 20 janvier 2004 (pour savoir si la concentration est ou non de dimension européenne)
sont respectés : Si elles sont en deçà du seuil au regard du chiffre d’affaires (mondial ou au
niveau de l’UE), elles doivent uniquement saisir les autorités nationales : le droit interne est
alors applicable ; Si elles sont au-delà du seuil, elles doivent saisir au gré d’une procédure
assez simple (notification) la Commission européenne, qui va être s’investir de l’examen du
dossier. Si une décision d’incompatibilité est rendue : La concentration ne peut avoir lieu ; Si
la concentration a été menée alors que la notification avait été adressée mais que les
protagonistes n’ont pas attendu la décision de la Commission, la concentration est
démantelée (et les opérateurs encourent d’autres types de contentieux) ; Lorsque les
auteurs d’une concentration reçoivent une décision d’incompatibilité, ils ont la possibilité de
la contester devant le juge de l’Union (droit de recours par l’action en annulation de la
décision – la décision de la Commission est un acte contraignant donc susceptible de
recours). La légalité externe ou interne de la décision peut donc être contestée. Les chiffres
montrent que la Commission n’est pas véritablement sévère dans son appréciation de la
compatibilité ou de l’incompatibilité d’une concentration. Le contrôle est effectivement
poussé mais le nombre de décisions de compatibilité est supérieur à celui des décisions
d’incompatibilité. Mais focalisation des médias sur les décisions d’incompatibilité.
VI. L’encadrement du secteur public

L’autre grand champ de la matière, en droit européen des affaires, porte sur l’opposabilité
des règles de concurrence aux opérateurs publics, et il s’en dégage une certaine forme
d’encadrement du secteur public. Donc le droit de l’Union européenne présente un élément
particulier, un trait particulier, nous avons eu l’occasion de le dire : il étend les règles de
concurrence au secteur public avec toutes les incidences qu’une assimilation de l’opérateur
public à un opérateur ordinaire peut emporter sur l’exercice des missions de service public.
Les opérateurs publics sont entendus largement, puisqu’ils renvoient à l’État, œuvrant dans
le cadre de ses prérogatives économiques au travers de l’entreprise publique ou du
monopole national. Toutes ces entités participent à la promotion d’un secteur public qui se
voit traditionnellement accordé un statut spécifique. Or, ce statut dérogatoire, commun au
secteur public bouscule la logique d’intégration des marchés nationaux voulus par les traités
qui défendent l’application d’un principe de non-discrimination, je vous le rappelle, en
imposant un traitement identique pour les entreprises en situation comparable. En matière
économique le principe de non-discrimination reçoit deux expressions majeures. D’une part
il renvoie à un principe d’égalité de traitement entre les opérateurs économiques, formulé
indirectement au travers des dispositions du traité, en matière de concurrence, aux
principaux articles 101 et 102, mais surtout de manière explicite au travers de l’article 106,
TFUE, que nous allons étudier. Et donc les droits ou les obligations résultant du droit de
l’Union, primaires ou dérivés, deviennent opposables aux opérateurs publics. D’autre part, le
principe de non-discrimination s’exprime en vertu de l’article 345, TFUE, à travers la volonté
des auteurs du traité de ne pas préjuger le régime de propriété des États membres. En fait
l’article 345, TFUE, peut se prêter à deux lectures. Il peut être interprété comme une
indifférence du droit de l’Union à l’égard des interventions économiques qui émanent de la
personne publique, notamment par voie de nationalisation ou de privatisation, dans la
mesure où de telles interventions n’enfreignent pas les règles de concurrence posées par le
Traité ; et les interventions publiques internes dans le champ économique sont autorisées
avec pour limites, le respect des règles communautaires. Mais l’article 345, TFUE, peut
recevoir une autre interprétation plus subtile qui postule l’indifférence du statut des
opérateurs agissant sur le marché, statut motivé par une mission de service public. Cette
indifférence du régime de propriété a alors pour conséquence de les soumettre aux règles de
concurrence. C’est ce que nous appelons l’assimilation de l’opérateur public, pourtant
juridiquement et historiquement lié à la personne publique, à un opérateur ordinaire. C’est
un processus qui se heurte aux droits dont bénéficient ces entreprises qui ont toutes un
statut particulier, comme nous allons le souligner, et qui fait naître naturellement de
sérieuses résistances, notamment dans les États porteurs d’une tradition de service public
comme la France. Aussi, le principe de non-discrimination, qu’il s’agisse de l’égalité de
traitement ou de la neutralité du régime de propriété des États, constitue le fil conducteur
d’encadrement du secteur public et, à cet égard, il y a trois domaines, trois aspects, qu’il
convient d’examiner de manière attentive : La question de l’encadrement des aides d’État ;
La question relative à la transparence des relations entre l’État et ses entreprises publiques ;
La question relative à l’aménagement des monopoles nationaux à caractère commercial.
VII. Les aides d’État

Il y a là une véritable maitrise de l’initiative publique au travers de l’encadrement des aides


d’État. Jusqu’en 1957, les États membres étaient souverains pour décider de l’opportunité
d’apporter un soutien financier, principalement sous la forme d’une aide d’État à un
opérateur économique interne qu’il soit au demeurant de statut de droit public ou de droit
privé. En ce sens, l’aide a toujours constitué un instrument classique d’intervention de l’État
pour redresser certains secteurs industriels souvent dans un contexte de crise et de repli
économique. Or, l’on constate aisément que l’aide d’État génère en soi une rupture de
l’égalité de traitement au travers de la discrimination qu’elle instaure (une rupture entre les
uns et les autres) et au travers de la faveur ou l’avantage qu’elle procure à son destinataire.
Aussi, le traité ne pouvait que régir cette question en n’abandonnant pas pour autant,
comme le démontre l’existence des dérogations, la nécessité dans certaines circonstances
de soutenir des entreprises lorsqu’une telle action répond à un intérêt supérieur dépassant
le strict cadre national pour profiter à l’ensemble des États. Donc l’encadrement des aides
d’État par le droit de l’Union marque ainsi la fin de la souveraineté nationale sur ce point. Au
lendemain des traités, les autorités nationales seront tenues de rompre avec la pratique qui
était la leur et ne plus octroyer de leur propre chef de telles aides. Au contraire, elles seront
tenues de solliciter l’autorisation auprès des instances communautaires. Le deuxième point
qu’il convient de voir, c’est la verticalité du contrôle des aides d’État. La Commission fait
preuve de constance dans la surveillance qu’elle mène dans le domaine du contrôle des
aides d’état. En effet, elle est extrêmement sévère, sévérité qui est constante. Comme dans
de nombreux domaines qui concernent le droit éco de l’Union et compte tenu de sa porosité
avec le droit interne, le droit des aides repose sur un contrôle soutenu, constant au point
qu’il ait permis d’évoquer une véritable maitrise de l’initiative publique. On relève en fait
deux tendances majeures qui caractérisent ce contrôle, défendues par la Commission et la
Cour. On relève tout d’abord une forte sévérité dans l’encadrement de l’aide d’état, dans le
contrôle qui est diligenté dans le domaine d’aide d’état, notamment au regard de ses
modalités et dans la conceptualisation en amont de certaines notions. Une autre tendance,
cette conceptualisation de nombreuses notions, des notions qui sont au cœur de l’ensemble
du dispositif, des notions qui sont pourtant sommairement évoqués par le traité mais qui
sont développés par la jurisprudence et la pratique décisionnelle. Autre élément en guise
d’introduction sur les aides d’État : on a constaté que dans le cadre de la crise économique
et financière depuis 2008, la Commission a accepté d’assouplir quelque peu son contrôle
même s’il reste encore vif dans plusieurs aspects mais elle accepte d’assouplir ce contrôle à
travers des dispositifs d’urgence qui sont mis en place. Dernier point relatif aux dispositions
relative aux aides d’état : relatif aux articles 107 à 109 du TFUE et s’appuie aujourd’hui sur
un dispositif dont trois ressorts essentiels en assurent l’efficacité. D’une part une approche
élargie de la notion d’aide d’État. D’autre part l’affirmation par le traité d’un principe
d’incompatibilité des aides d’État avec le droit de l’Union qui peut connaître quelques
dérogations sous des conditions très restrictives et en dernier lieu une procédure de
contrôle des aides d’État fortement centralisée et focalisée sur la Commission. Le premier
point sur cette notion après l’introduction portera donc sur l’examen de la notion d’aide
d’État qui est caractérisé par une approche extensive et qui constituera en réalité le support
de l’encadrement communautaire. Selon une méthode devenue familière, le traité ne définit
nullement la notion d’aide d’État et se contente d’en établir l’incompatibilité. En effet,
l’article 107 paragraphe 1, TFUE, qui est la première disposition de fond en la matière,
énonce que sont incompatibles les aides accordées par les États ou au moyen de ressource
d’État sous quelque forme que ce soit. Cette définition sommaire, heureusement enrichie
par la jurisprudence et la pratique de la Commission, impose pour emporter qualification de
l’aide un double critère. On a un premier critère relatif à l’origine de l’aide : critère
extrêmement large pour saisir le plus grand nombre de situation. Un deuxième critère
rattaché à la forme de l’aide.

Section 1 : L’origine de l’aide

Comme c’est le cas dans de nombreux domaines en matière concurrentielle, l’origine de


l’aide est indifférente, l’élément pertinent réside dans la circonstance que l’aide doit avoir
une origine étatique c'est-à-dire qu’elle doit être financée par l’État ou au moyen de
ressources d’État. L’aide doit entrainer une charge pour les finances publiques sous la forme
d’une dépense ou d’une réduction de recette, elle est considérée comme accordée au
moment où le droit de la recevoir est conféré au bénéficiaire étatique en vertu de la règle
nationale applicable. Les seules ressources qui échappent à la collecte de la puissance
publique et dès lors à la qualification d’aide d’état, sont des ressources d’ordre
communautaire. Sur l’origine étatique, c’est assez large, les autorités de l’Union étaient
amenées à interpréter largement cette notion d’État qui comprend l’administration centrale
des États membres, mais aussi les démembrements territoriaux c'est-à-dire les collectivités
locales, régions, départements, communes. Les aides accordées par les entités régionales et
locales (entités infra étatiques) quel que soit leur statut et la désignation de celles-ci, sont
soumises à l’examen de conformité (article 107, TFUE). Ce que retient la Cour et ce qu’elle va
examiner pour savoir s’il y a applicabilité de l’article 107 c’est le degré de l’autonomie de
l’entité régional ou locale. Si le degré est faible, c’est l’État qui est réputé responsable. Il
s’agira également des entreprises publiques ou privés si elles sont investies d’un service
d’intérêt économique général, mais aussi de toutes entreprises indifféremment quant à son
statut (entreprise de droit privé ou public) dès l’instant que l’autorité publique exerce cette
influence déterminante. De nouveau, le juge s’attachera à examiner le degré d’autonomie
dont se prévaut l’entreprise par rapport à l’État (idem que les collectivités). Tout dépend de
l’entité qui est poursuivi, elle dira que le degré d’autonomie est très faible donc que l’action
est imputable à l’État et inversement. Donc il y a une appréhension très large de l’origine
étatique. Néanmoins selon la jurisprudence, seuls les avantages accordés directement ou
indirectement au moyen de ressources d’État sont considérés comme des aides d’État au
sens de l’article 107, TFUE.

I. Notion de ressource d’État


Qu’est-ce que cette expression « ressource d’État » ? On s’aperçoit très vite, au gré de la
jurisprudence et de la pratique décisionnelle que les rédacteurs, les juristes qui ont travaillés
sur les traités fondateurs ont eu cette idée habile, cette référence habile à la ressource
d’État. Au travers de la ressource d’État, il n’y a pas lieu de distinguer l’aide octroyée
directement par l’État de celle accordée par des organismes publics ou privés que l’État
institue. Il n’y a pas lieu de distinguer ces deux types d’opérations dès que l’aide est financée
par la puissance publique et émane de ressources d’État, sa mise en œuvre est subordonnée
à l’approbation des pouvoirs publics, dans ce cas elle correspond pleinement à une aide
étatique ordinaire. Donc il y a une référence habile à l’article 107, TFUE, aux ressources
publiques. Une référence « habile » car c’est la possibilité d’élargir notablement la notion
d’aide d’État. Ce type d’aide qui s’oppose aux aides d’États au sens strict du terme est
soumis in fine à un régime équivalent et tombe sur le coup de l’article 107, TFUE. Aussi la
distinction établit par le paragraphe 1 du TFUE, entre les aides accordées par les États et les
aides accordées au moyen de ressources d’État ne signifie pas cependant que tous les
avantages consenties par un État constituent des aides, qu’il soit ou non financés au moyen
de ressources étatiques, mais « vise seulement à inclure dans cette notion les avantages qui
sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui sont accordés par l’intermédiaire
d’un organisme privé ou public désigné ou institué par cet État » (extrait d’un considérant
utilisé par le juge de l’Union). Donc même si ces aides sont financés par des fonds privés,
elles sont cependant accordées par l’État ou sur intervention de celui-ci donc il y aura
qualification d’aide d’État. Il peut aussi s’agir d’un transfert de fonds privés mais qui auraient
été prélevés par un acte de puissance publique ou affectés au moyen d’un acte de puissance
publique (c’est l’exemple de la taxe et de la redevance ; dans ce cas, il n’y a pas pour l’État
de dépense ou de diminution de recette mais il y a un acte de puissance publique qui a pour
objet d’ordonner un prélèvement ou une redistribution par le biais d’un organisme de droit
public ou droit privé qui est affecté, institué à une telle fonction). La seule présence de la
puissance publique dans la collecte de fond est suffisante pour emporter qualification d’aide
d’État (cf. arrêt Commission c/France du 30 janvier 1985 sur la question des fonds
(structures) institués afin de gérer une aide d’état et la cour a considéré que ces structures
mettaient en œuvre des aides d’État). Ainsi, l’interdiction de l’article 107, paragraphe 1,
TFUE, peut en principe englober des aides accordées par des organismes publics ou privés
dès l’instant qu’ils sont institués à cet effet, c'est-à-dire afin de gérer une aide par exemple.
Donc le critère pertinent afin d’apprécier l’existence de ressources publiques est bel et bien
celui du degré d’intervention de l’autorité publique. De même, la notion de ressource
étatique englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent utiliser
pour soutenir les entreprises sans qu’il soit pertinent, que ces moyens appartiennent ou non
de manière permanente au patrimoine de l’État. En conséquence, même si les sommes
correspondantes à la mesure en cause ne sont pas de façon permanente en possession des
états publics, le fait qu’elles restent sous contrôle public et à disposition des autorités
nationales compétentes suffit pour remporter qualification d’aide d’État. Exemple : le cas
des sommes qui correspondent au produit de l’augmentation du péage, elles transitent
directement ou exclusivement entre une société privée sans qu’un quelconque organisme
public en acquière ne serait-ce que de manière passagère la possession ou le contrôle, ces
sommes ne peuvent être qualifiées de ressources étatiques car aucune intervention même
de manière passagère de l’autorité publique, ce sont des sommes gérées entre sociétés
privées uniquement.

II. Imputabilité de l’aide à l’État

Autre question, toujours eu égard à l’origine de l’aide, celle de l’imputabilité de l’aide à


l’État. Pour que des avantages puissent être qualifié d’aide d’état au sens de l’article 107,
paragraphe 1, ils doivent être accordés directement ou indirectement aux moyens de
ressource d’État et être imputable à l’État, le financement au moyen de ressource d’État
étant un moyen constitutif de la notion d’aide d’État. À cet égard se pose la question avec a
complexification des circuits financiers, la question de l’imputabilité de l’aide à l’État qui est
un point très difficile à établir. La Cour dans sa jurisprudence n’hésite pas à considérer qu’il
n’est pas nécessaire de démontrer notamment par les soins de la Commission lors de la
phase précontentieuse que les autorités publiques ont incités concrètement les entreprises
publiques à prendre les mesures d’aides en cause. C’est un premier élément. Il n’y a pas lieu
de démontrer que l’État a agi de manière très factuelle, pas besoin de démontrer que les
autorités publiques ont incités concrètement. En effet, selon la Cour, lorsque les relations
entre l'État et les entreprises publiques sont étroites, il existe un risque réel que des aides
d'État soient octroyées par l’intermédiaire de celle-ci. Il ne faut pas être dupe, en d'autres
termes, des aides sont octroyées par l'intermédiaire de celle-ci de façon peu transparente et
en méconnaissance du régime des aides d’État. C’est le premier argument qu'avance la cour.
Autre argument : Il est très difficile pour un tiers, dit la Cour, souvent dans ses arrêts,
précisément à cause des relations privilégiées, étroites entre l'État et l'entreprise publique,
de démontrer dans un cas concret que des mesures d'aide d’État prises par l'entreprise ont
été effectivement adoptées sur instruction d’une autorité publique. C'est difficile pour un
tiers de le démontrer parce que les relations sont privilégiées entre l'État et une autre
entreprise. Elles sont étroites, souvent opaques donc c'est difficile de le démontrer. Ce sont
deux considérations, plus ou moins factuelles qui effectivement peuvent expliquer que la
cour ne charge pas la commission et ne lui demande pas de démontrer de matière précise
l'imputabilité. Ainsi, la Cour pourra prendre en considération le fait que l'organisme en
question ne pouvait pas prendre en compte la décision contestée sans tenir compte des
exigences des pouvoirs publics, ça c'est un élément pertinent. Le fait que de manière
objective on fasse valoir devant la Cour que concrètement, eu égard à l'organisation de cette
entreprise, il n'était pas possible pour elle de bénéficier d'une aide sans savoir le
comportement de l'État, sans connaître ce comportement. La Cour fera valoir que
l'organisme en cause a pris la décision de verser une aide à l'entreprise sans tenir compte
des orientations et/ou des exigences posées par l'État ou alors, autre élément avancé par la
Cour, outre des éléments de nature organique qui lient l'entreprise publique à l'État, ces
entreprises publiques par l'intermédiaire desquelles les aides ont été accordées, doivent
nécessairement tenir compte des directives émanant d'un comité interministériel. Donc de
ce fait, il y a qualification d'aide d'État. Hormis cet examen organique pour les rapports
privilégiés entre l'État et l'entreprise qui effectivement soit verserait une aide à une autre
entreprise, entreprise publique qui verserait à un opérateur privé ou publique une aide
d’État, hormis ce cas de figure, la Cour fait valoir également le fait qu'on peut faire appel à
d'autres indices pertinents qui permettent de conclure à l'imputabilité à l'État. Je vous
rappelle que l'État, pour sa défense, va toujours faire valoir un degré d'autonomie élevé que
ce soit à l'égard d'une collectivité ou à l'égard d'une entreprise publique. Il fera valoir qu'il y
a un degré d’autonomie élevé et qu’il n’a pas pu intervenir, qu’il n’était pas au courant de
cette aide d’État etc. pour se désengager de sa responsabilité. La Cour fera appel à d’autres
indices pertinents qui permettent de conclure à l'imputabilité à l'État d’une mesure d’aide
prise par une entreprise publique tel que notamment son intégration dans les structures de
l'administration publique, indice important ; la nature de ses activités et l’exercice de celle-ci
sur le marché dans les conditions normales de concurrence ; évidemment le statut juridique
de l'entreprise qui va être examiné de manière attentive (entreprise relevant du droit public
ou du droit commun des sociétés) ; l'intensité de la tutelle exercée par l'État, par les
autorités publiques sur la gestion de l'entreprise ; et tout autre indice en fait qui va pouvoir
indiquer une implication des autorités publiques ou alors l'improbabilité, c'est un terme
qu'utilise souvent la Cour, d'une absence d'implication qui est mise en avant par l'adoption
d'une mesure. Voilà ce qu'on peut dire sur l'origine de l'aide. Donc voyez, une approche
extrêmement large, une appréhension très large et une imputabilité finalement
pratiquement devinée par le juge de l'union, qui finalement est déductive et qui se déduit de
la relation organique qui lie l’État à l'entreprise ou l'État et une collectivité etc. Donc l'intérêt
de l'État, ça sera toujours de faire valoir un degré d'autonomie mais lorsqu'il n'est pas
suffisant, il y a imputabilité à l'État. Donc, voilà, une origine très large. C’est l'État ou moyens
de ressources d'État. Cette référence habile aux ressources de l’État permet de se saisir de
nombreux cas de figure.

Section 2 : La forme de l’aide

Autre critère requis, la forme de l’aide. On constate aisément là aussi que l'intervention
économique des états par le biais des aides d'État, particulièrement dans un contexte de
globalisation, donc de mondialisation et de forte sophistication technologique, qui dit
sophistication technologique dit diversification des circuits financiers et donc cette
intervention est aujourd'hui polymorphe. Elle reçoit dès lors de nombreuses et subtiles
expressions car précisément les circuits financiers sont ramifiés et surtout ils sont
dématérialisés à l’heure de la haute technologie. Aussi, il n'est pas toujours aisé pour la
commission de définir avec justesse la forme de l’aide qui est appréhendée dans le cas de
présomption d’aide d’État. Toutefois la jurisprudence constante considère, à l'instar du
critère de l'origine, que la forme de l'aide là aussi est indifférente. Surtout qu'on est
conscient qu'on est aujourd'hui dans une société de haute technologie et que les circuits
financiers sont abstraits. Ce n’était pas du tout la même position il y a une vingtaine
d'années dans les années 70, 80, 90, mais à partir de 2000, le juge de l’union est conscient
que la commission se heurte à une dématérialisation des circuits financiers et que c'est
difficile pour elle de se saisir de circuits financiers de manière concrète. La forme de l'aide
est indifférente dès l'instant qu'il s'agit d'un acte de puissance publique, c’est l’élément
essentiel, acte de puissance publique dans le secteur économique apportant une faveur,
créant un déséquilibre au profit d'une entreprise. C'est le critère essentiel à retenir quant à
la forme afin de qualifier l'aide et de se saisir au mieux des différentes situations. On se rend
compte que, en effet, la forme de l'aide est un critère mais finalement paradoxalement la
formativité de l'aide est indifférente. La formativité de l’aide ne revêt pas un caractère
déterminant dans la qualification de l’aide d’État. Alors, aujourd’hui, concrètement
comment se présentent les aides d'État dans la forme par laquelle elles sont mises en
œuvre. En fait, la forme de l'aide peut être effectivement binaire. L'aide d'État peut se
présenter sous une forme active ou sous une forme passive. En effet, à la différence du cas
précédent, on a eu quand même des apports jurisprudentiels qui essaient de préciser au
maximum cette forme, même si la formativité n’est pas déterminée. En dépit de
l'indifférence à la forme dans la qualification de l'aide, il est pertinent cependant, à la
lumière de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence, de distinguer selon que l'aide, au
travers de l'avantage qu'elle procure à son bénéficiaire, s'opère de manière active ou
passive. D'abord la question de l'octroi d'un avantage économique. Afin d'apprécier si une
mesure étatique constitue une aide, il convient, selon une jurisprudence constante, de
déterminer si l'entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique. C’est le point de
départ : il faut voir si elle a un avantage économique de l’opération qu'elle n'aurait pas reçu
dans des conditions normales de marché. Donc il est important pour la commission d'établir
et de démontrer l'existence d'un avantage. Alors la nuance entre avantages et subventions :
dans la pratique décisionnelle, mais aussi selon la jurisprudence, l'aide en fait est plus
générale que la subvention, dans la mesure où l'aide comprend non seulement des
prestations positives que nous allons décliner telles que les subventions elles-mêmes
précisément mais également des interventions d'État qui sous des formes diverses (des
prestations négatives, passives) allègent les charges qui normalement pèsent sur une
entreprise. Là, c’est une forme passive. Donc c'est beaucoup plus large : l'aide est beaucoup
plus extensible que la notion de seule subvention qui est la forme active de l'aide.

I. L’aide sous sa forme positive ou négative

A. La prestation positive/active

La première hypothèse : le transfert de ressources publiques, ce qu'on appelle la prestation


positive ou prestation active. La prestation positive ou active consiste ordinairement en
l'octroi d'une subvention ou en différentes formes d'interventions qui allègent les charges
pesant normalement sur le budget d'une entreprise. Il s'agit d'un avantage consenti par les
autorités publiques qui sous des formes diverses fausse ou menace de fausser la
concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Donc en fait le
caractère sélectif de la mesure est un élément déterminant de la qualification d'aide d'État.
Dans ce premier cas de figure, l'État intervient de manière active au travers d'une dépense,
et il opère comme on le dit précédemment un transfert des ressources publiques au profit
d'opérateurs économiques. La Cour insiste énormément sur le fait, sur la circonstance que la
commission doit établir véritablement afin de pouvoir constater l'existence d'une aide, un
lien suffisant direct entre d'une part l'avantage accordé au bénéficiaire et d'autre part une
diminution du budget étatique voire un risque économique suffisamment concret en ce qui
concerne les charges dont est affranchie l'entreprise. En revanche, il n'est pas nécessaire
qu'une telle diminution ou un tel risque corresponde ou soit équivalent de manière
arithmétique à l'avantage. Ceci, la Cour ne l'exige pas. Il n'est pas nécessaire non plus que ce
dernier ait pour contrepartie une telle diminution ou un tel risque. Il ne faut pas
nécessairement une équation ou une équivalence absolue. La Cour n'exige pas cette
symétrie absolue. Alors quels sont les exemples de forme active ou positive ? On peut citer,
les exemples sont nombreux car il y a une jurisprudence florissante en la matière et je vais
donner les exemples les plus symptomatiques : tout d'abord, nous avons l'exemple typique
de la bonification d'intérêt sur prêts bancaires. Les intérêts sont bonifiés et donc il y a
présomption d'aide. La bonification d'intérêt sur prêt bancaire est une forme active et donc
il y a un transfert de ressources publiques, bonification d'intérêt. La remise d'arriérés
également. La prise de participation tacite dans le capital d'une entreprise, la subvention à
fonds perdus, la souscription au capital. On peut également donner comme exemple la
transformation d'un prêt en subventions. En fait il y a transformation d'un prêt en
subventions si l'État cesse d'en demander le remboursement total. Dans le cas de figure, il y
a un prêt qui se transforme en subventions et donc en aide d'État si l'État fait preuve d'une
mansuétude anormale dans le recouvrement des créances. Exemple : On a eu un exemple
dans ce sens, qui concerne la France qui effectivement avait octroyé un prêt à Air France et
qui faisait preuve d'une mansuétude très importante quant au recouvrement de la créance.
Donc là, l'État français a été poursuivi. Autre exemple qui concernait EDF, là carrément il y a
eu une transformation en aide, en subvention c'est-à-dire c'était un prêt qui a été
transformé formellement en subventions. Autres exemples, l'octroi d'un tarif préférentiel
pour les matières premières, le prix préférentiel pour le rachat d'un terrain, le régime
d'avantages fiscaux, là les arrêts sont fort nombreux en la matière, la location en dessous du
prix du marché cela aussi c'est assez classique. Voilà, dès qu'il y a un transfert de ressources
publiques, on agit de manière active.

B. La prestation passive/négative

La seconde hypothèse n’est pas un transfert, c’est une diminution des ressources publiques
et là, on a ce qu’on appelle une forme passive ou négative de l’aide. Donc, là, l’aide
s’exprimera autrement. Elle ne va pas s’exprimer sous la forme d’une dépense, ce n’est pas
une forme active, mais sous la forme d’une diminution des ressources publiques. Alors, vous
me direz, le résultat est le même. En effet, mais la démarche, la méthode employée par
l’État n’est pas la même. Il s’agira par exemple de la réduction des charges sociales,
normalement supportées par les entreprises, la réduction d’impôts divers et ceci est très
surveillé par la commission, de taxes comme des droits d’assise, une garantie implicite et
illimitée accordée à une entreprise. J’avais également cité un régime de réalignement fiscal
pour certains établissements bancaires, la location, la vente de terrains à un prix inférieur au
prix du marché, etc. Donc différents cas de figures qui soulignent la forme passive.

II. La question de l’agissement de l’État en tant qu’actionnaire privé

Dans le cadre de la qualification de l’aide et de l’examen de la forme de l’aide, se pose une


question à laquelle il est difficile de répondre, la question de la position à adopter face à
l’État quand celui-ci agit en tant qu’actionnaire privé. En fait, l’État agit comme un opérateur
ordinaire, un administrateur privé et investit dans le capital d’une entreprise.

A. Principe : Définition de l’État en tant qu’actionnaire privé

1. Position de la Commission

Comment le droit doit régir cette posture, cette position économique ? Est-ce que ça tombe
sous le coup de l’article 107, ou est-ce une prérogative classique inhérente à l’État. A partir
de là, la Commission dégagera la théorie de l’État en tant qu’investisseur privé ou le critère
de l’opérateur rationnel (autre expression). Donc au regard du critère de la forme de l’aide,
s’est posée le fait de manière délicate, la prise de participation des autorités publiques dans
le capital des entreprises. En fait, à l’examen de chaque cas d’espèce, il conviendra
d’apprécier de manière précise, si dans des circonstances similaires, un opérateur classique,
ordinaire, qui a un statut de droit privé, aurait été conduit à opérer un tel apport en capital
dans l’espoir raisonnable d’un profit dans le cadre de politique structurelle, et un opérateur
qui était guidé par des perspectives de profit, de rentabilité à plus long terme, et ce, même
dans le cadre d'une économie sociale de marché. Donc il faut que la Commission,
systématiquement, se pose cette question : est-ce que c’est une attitude qu’aurait un
opérateur de droit privé ? Dans ce cas-là, ça ne tombe pas sous le coup de l’article 107.
Inversement, il y a une présomption d’aide. Aussi, en cas de prise de participation dans le
capital d’une entreprise, prévaut une présomption d’aide. Donc cet examen implique une
analyse fine et une interprétation des circonstances économiques dans lesquelles agit la
personne publique. Il faut prendre en considération la situation économique de l’opérateur,
destinataire de l’aide, par rapport à ses concurrents ; il faut prendre en considération
l’ensemble des circonstances qui entourent l’espèce ; il faut prendre en considération
également les caractéristiques du marché ou les perspectives d’évolution. Alors c’est vrai
que sur le fond, il est parfaitement concevable que dans une économie de marché, l’État soit
en mesure, comme tout opérateur économique, de se comporter comme un investisseur
privé. Ça c’est dans une économie de marché, c’est quelque chose qui est concevable. L’État
peut se comporter comme un investisseur privé dans le cadre d’une entreprise. Néanmoins,
et c’est là que se tapit évidemment la tentation de l’infraction à l’article 107, c’est que sous
couvert de vouloir se comporter comme un simple investisseur, investisseur ordinaire qui
touche des dividendes et qui entre dans le capital d’une entreprise donc, l’État est
susceptible en réalité de dissimuler des aides d’État, dissimuler des aides d’État ayant
vocation à extirper lesdites entreprises de leurs difficultés financières. C’est pour ça qu’il faut
bien regarder l’État financier d’entreprise. A cet égard, la Commission apportera comme on
peut s’en douter assez précocement des éléments de réponse. Mais c’était ça la
problématique dès le départ : c’était comment réagir face à un État qui est actionnaire en
fait, qui agit dans le capital d’une entreprise ? Donc les autorités de l’Union ont dès lors
adopté une position ferme, très ferme, sur les interventions des États dans le capital des
entreprises privées ou publiques. En effet, par la célèbre directive « Transparence »,
directive 2006-111 du 16 novembre 2006 relative à la transparence des relations financières
entre les États membres et les entreprises publiques, ainsi que la transparence financière
dans certaines entreprises, la Commission recense et isole des situations, elle recense
également certaines relations financières qui appellent particulièrement une vigilance du
comportement de l’État, et dont il faut assurer la transparence. Elle applique bien entendu le
principe de l’investisseur privé en économie de marché. Quelles sont ces situations qui sont
répertoriées normalement ? Ce sont des situations qui renvoient à la compensation des
pertes d’exploitation, en ce cas-là il y a présomption d’aide d’État, à la renonciation à une
rémunération normale des ressources publiques engagées, aux apports en capital ou en
dotation, aux apports à fond perdu ou les prêts à des conditions privilégiés (donc là aussi
application du principe de l’investisseur – on va l’examiner : est-ce que l’État ou un
investisseur ordinaire aurait réagi comme cela, de manière normale, etc.). Autre situation
recensée isolée : l’octroi d’avantages financiers sous forme de non-perception de bénéfice
ou de non-recouvrement de créance ou la compensation de charges imposée par les
pouvoirs publics. Ces situations étant isolées, elles sont, dès l’instant où ces situations sont
constituées, ces faits sont constitués, il faut nécessairement appliquer le principe de l’État en
tant qu’investisseur privé. Parallèlement à cela, les entreprises concernées sont tenues de
tenir des comptes séparés. En effet, la Commission pose une obligation pour certaines
entreprises de tenir ses comptes. Doit être ainsi rendue transparente par le biais de
l’obligation de maintenir des comptes séparés la structure financière – si vous voulez par les
comptes séparés on a vraiment une vision claire, nette, de la structure financière de
l’entreprise, la structure financière de l’entreprise, la structure organisationnelle de
l’entreprise visée, publique ou privée d’ailleurs, auxquelles sont accordés ces avantages,
souvent des droits en réalité spéciaux exclusifs. La Commission s’attachera à vérifier qu’il n’y
ait pas de surcompensation des coûts de la mission de service d’intérêt d’économie
générale. Nous noterons que la directive prévoit cependant des exemptions dans certains
domaines. Outre l’obligation de tenir des comptes séparés pour les entreprises, par rapport
bien évidemment à l’État, il y a l’obligation de mettre à la disposition de la Commission des
données détaillées également. La Commission doit disposer de données détaillées lui
permettant de s’assurer que les États membres n’accordent pas aux entreprises, tant
publiques que privées, des aides incompatibles avec le marché intérieur. De même, les États
membres doivent prendre des mesures nécessaires pour que les données relatives à la
structure financière et à l’organisation de l’entreprise restent à la disposition de la
Commission. Pour le cas des entreprises publiques, donc là comptes séparés obligatoirement
par rapport à l’État comme ça on a une vision claire de la structure financière et de
l’organisation. Pour les entreprises privées, c’est bien logique qu’il y ait un compte séparé
puisqu’il n’y a pas de rapport avec l’État. Mais également pour les entreprises privées qui
sont investies d’un service économique d’intérêt général. C’est tout à fait possible. Dans ce
cas-là elles ont un statut de droit privé mais elles ont un tel service à gérer, dans ces cas-là il
y a également obligation d’avoir des comptes séparés. Donc les documents comptables sont
différents et vous avez leur organisation qui est également claire.
Donc les États membres sont vraiment dans l’obligation de favoriser cela. Ils sont également
dans l’obligation de lui communiquer toutes données relatives à la structure financière et à
l’organisation des entreprises qui ont un statut de droit privé, investi d’une mission d’intérêt
général ou un statut de droit public. A cet égard, tous les ans, les États membres sont tenus
de fournir, pour toute entreprise concernée par l’article 107, le rapport de gestion, les
comptes annuels, les convocations des assemblées des actionnaires et toute autre
information qui soit pertinente. De plus, chaque année, au plus tard le 31 mars de l’année en
cours, les États membres doivent, par exemple le gouvernement français doit transmettre
nécessairement à la Commission la liste de toutes les entreprises concernées. Il y a un
recensement de toutes les entreprises qui sont visées par le principe de l’investisseur privé,
et dans ce cas-là il faut transmettre cette liste à la Commission. Donc l’intérêt des comptes
séparés et de l’organisation également qui soient présentés de manière distincte est que ces
comptes séparés peuvent refléter ainsi les différentes activités diligentées par l’entreprise.
Ces comptes séparés font ressortir les produits et les charges associés à ces activités et la
manière dont il y a imputation ou répartition des charges ou des activités. A la lumière de
ces différents éléments mis à sa disposition, la Commission considérera, s’il y a une action de
l’État évidemment car s’il n’y a rien qui se fait il n’y a pas de problème, la Commission
considérera qu’il n’y a pas d’aides d’État si l’apport en capital est réalisé dans des
circonstances qui sont tout à fait acceptables pour un investisseur ordinaire, dans des
conditions normales de marché comme le veut l’expression. En revanche, tel n’est pas
précisément le cas lorsque la structure et le volume de l’endettement, c’est pour ça que
c’est important d’avoir les comptes séparés, sont tels qu’il n’est pas raisonnable d’escompter
un rendement normal en dividende ou en valeur des capitaux investis dans un délai qui soit
raisonnable. Donc voilà, la directive Transparence va véritablement rationnaliser la position
de la Commission et des autorités de l’Union de manière générale quant à la question de
l’État lorsqu’il investit dans le capital d’une entreprise, lorsqu’il agit ou entre dans le capital
d’une entreprise.

2. Apport de la jurisprudence

A cet égard, autre point qu’il convient de souligner au regard de la théorie de l’État en tant
qu’investisseur privé, c’est l’apport de la jurisprudence, et l’apport du grand arrêt, l’arrêt
Intermills. La Cour effectivement confirmera l’analyse de la Commission dans un célèbre
arrêt : l’arrêt Intermills de 1984 où l’on trouve trace effectivement de cette théorie. On
trouve également trace de cette théorie dans un arrêt qui remonte un peu plus loin où il est
également fait état de la théorie de l’État en tant qu’investisseur privé. Vous avez l’arrêt
Commission c/ Belgique de 1986, là aussi vous avez une référence à la théorie de l’État en
tant qu’investisseur privé. Mais vraiment, l’arrêt en la manière est quand même l’arrêt
Intermills. Dans cet arrêt, que dit la Cour ? La Cour confirmera l’analyse de la Commission
puisqu’elle reconnaitra à son tour qu’une prise de participation publique dans le capital
d’une entreprise peut être constitutive d’une aide d’État ou contenir un élément d’aide.
Dans l’arrêt Intermills, dans lequel la Cour rejoint clairement la position de la Commission,
elle considère qu’une prise de participation ou un apport en capital sont des aides dès
l’instant qu’ils ont pour objet d’apporter un soutien financier à l’entreprise bénéficiaire,
privée ou publique peu importe, indifféremment. La circonstance qu’un investisseur privé
placé dans les mêmes circonstances n’aurait pas procédé à un tel investissement constitue
en ce sens, dit la Cour, un indice majeur. Donc c’est vraiment la théorie de la Commission, la
théorie de l’État en tant qu’investisseur privé. Pour apprécier, dit la Cour, si la même mesure
aurait été adoptée dans des conditions normales de marché, par un opérateur privé, un
opérateur ordinaire, se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’État,
seuls les bénéfices et les obligations liés à la situation de ce dernier, en qualité d’actionnaire,
sont à prendre en considération. Donc l’applicabilité du critère de l’investisseur privé pour
l’État dépend dès lors de ce que l’État membre concerné accorde en sa qualité d’actionnaire
et non pas en sa qualité de puissance publique. Donc vous voyez on va examiner l’État en
tant qu’actionnaire, donc accordant un avantage économique à une entreprise lui
appartenant. Ce n’est pas du tout dans le cadre de son exercice d’autorité publique de
puissance publique. C’est dans le cadre de l’exercice de son actionnariat. De nouveau, c’est
l’avantage qui est ici apprécié et non pas sa forme qui est indifférente. De ce point de vue-là,
Intermills confirme la position de la Commission. Il faut savoir qu’avant Intermills, la
Commission, qui travaillait déjà sur cette question, sur cette problématique, avait adressé en
1984 une lettre aux États membres leur faisant valoir cette position. Une lettre plutôt
informelle puisque ce n’est pas un acte contraignant. Une lettre aux États membres faisant
valoir que dorénavant la Commission allait appliquer ce critère etc. etc. Et donc Intermills est
venu dans le sillage à la suite d’un contentieux pour confirmer cette position. Donc la
position est décrite déjà dans l’arrêt Intermills. Mais elle avait été déjà avancée par la
Commission dans cette lettre adressée aux États membres. Dans un arrêt du 5 juin 2012,
Commission c/ EDF, la Commission avait considéré que lorsqu’un État membre confère un
avantage économique à une entreprise lui appartenant, le caractère fiscal, puisque c’était
l’argument avancé par la France en fait, le caractère fiscal du procédé employé n’est pas de
nature à écarter d’emblée l’applicabilité du critère de l’investisseur privé. Puisque tout à
l’heure je vous ai expliqué que dans le cadre de ce critère, où on envisageait l’État en tant
qu’actionnaire et non pas en tant que puissance publique, et donc dans cette affaire la
France faisait valoir que non, justement, il y a un caractère fiscal dans j’agissais en tant
qu’autorité publique, en tant que puissance publique. Dans cet arrêt, la Cour dit donc que ce
n’est pas nécessaire, lorsqu’un État membre confère un avantage économique à l’entreprise,
le caractère fiscal du procédé employé n’est pas de nature à écarter d’emblée l’applicabilité
du critère de l’État en tant qu’investisseur privé. Aussi, il est possible de conclure à
l’applicabilité de ce critère dans l’affaire en cause, dans le cadre de moyens de nature fiscale,
malgré l’emploi de tels moyens qui relèvent évidemment non pas de l’actionnariat mais de la
puissance publique. Donc la Cour a encore plus enserré l’application de ce critère de l’État en
tant qu’investisseur privé.

B. La jurisprudence Altmark et le paquet législatif post-Altmark

Toujours au regard de l’État qui agit en tant qu’investisseur privé, j’aimerai insister sur la
jurisprudence Altmark et le paquet législatif post-Altmark. Nous rappellerons que ce critère a
donné lieu à une jurisprudence importante et qu’il a permis d’encadrer l’action des États dès
l’instant que ceux-ci agissent, interviennent plutôt dans le capital d’une entreprise. Dans la
pratique, on s’est aperçu que le critère de l’investisseur privé peut rencontrer, dans
certaines circonstances, des limites et n’avoir qu’une portée relative. Aussi, ce raisonnement
ne peut pas être systématisé, tant par la Commission que par la Cour. En effet, il va de soi
que l’État ne peut pas être complètement assimilable à un opérateur économique ordinaire
car il peut, et souvent il doit opérer un investissement dans un objectif, dans une ambition
d’intérêt général, un objectif supérieur à des considérations purement marchandes. Donc
cette logique de l’État agissant comme un investisseur privé connait nécessairement une
limite d’ordre pratique. Donc les limites du critère de l’État agissant comme un investisseur
privé seront incarnées dans la jurisprudence Altmark, l’arrêt Altmark du 24 juillet 2003.
L’important arrêt Altmark du 24 juillet 2003 a révélé ainsi les limites de ce critère de l’État
qui agit en économie de marché au regard de certaines entreprises, notamment les services
d’intérêt économique général qui sont dans une relation d’étroite proximité avec l’État. La
Cour a ainsi considéré dans ce célèbre arrêt, c’est un grand arrêt, que la compensation
financière par l’État de l’exécution de missions de service public auprès du prestataire n’est
pas constitutive d’une aide d’État et n’est pas dès lors une surcompensation, c'est-à-dire une
aide d’État, si l’octroi répond à certaines conditions qui sont au nombre de quatre. Ces
quatre critères sont cumulatifs dans l’appréciation de la compensation. Donc il faut avoir la
satisfaction de ces quatre critères pour pouvoir savoir s’il y a aide d’État ou non. Quels sont
ces critères énoncés par l’arrêt Altmark ? D’une part, les obligations de mission de service
public doivent précisément et clairement être établies. D’autre part, les conditions de la
compensation en faveur des entreprises ou de l’entreprise bénéficiaire doivent être établies
de manière objective, transparente et en amont, c'est-à-dire au préalable, pour permettre
de discerner l’existence d’un avantage économique. Par ailleurs, le financement public doit
répondre à un principe de nécessité, c'est-à-dire qu’il doit s’élever à ce qui est strictement
requis pour couvrir les coûts de l’exécution des obligations de service public, même s’il est
concevable évidemment que l’entreprise puisse tirer un profit. Mais si vous voulez, ce profit
doit rester mesuré au regard de l’exécution des obligations dont il a la charge. En outre,
l’entreprise doit faire supporter son service au moindre coût. C’est un critère important. Au
moindre coût pour qui ? Pour la collectivité. En prenant pour élément de comparaison, en
fait la Commission et le juge vont véritablement examiner cet élément de comparaison. Quel
est-il ? Il s’agira d’une entreprise moyenne du même secteur qui est correctement gérée,
correctement équipée et qui remplirait les mêmes missions. Donc eu égard à ces quatre
conditions dont la satisfaction est requise, dans ce cas-là, le juge et la Commission, chacun
dans leur champ respectif, dans la phase précontentieuse et dans la phase contentieuse,
observeront s’il y a ou non surcompensation, autrement dit s’il y a aide d’État. Il convient
également de souligner qu’en cas de compensation nouvelle à celle qui existe, il s’agira dans
le cas d’aide d’État classique considérée comme nouvelle évidemment. S’il y a
surcompensation, c’est qu’il y a au préalable déjà une aide d’État. Mais sinon, si c’est une
aide nouvelle, il n’y a pas d’aide antérieure, c’est une aide d’État tout simplement. Alors à la
suite de l’arrêt Altmark, la Commission a adopté en 2005 trois textes qui prendront le nom
de « paquet Monti Kroes », du nom des commissaires qui étaient en charge de la
concurrence, communément appelé le « paquet Altmark ». C’est un ensemble de textes qui
sera bien sûr très important. Cet ensemble de textes aura pour objet d’encadrer avec
précision, avec acuité, les financements qui sont versés à certaines entreprises par les États
en compensation des charges de services d’intérêt économique général afin d’éviter
précisément la surcompensation qui serait alors qualifiée d’aide d’État et donc soumise à
réglementation. Donc on n’est pas tombé sous le coup de l’article 107, TFUE, toute
entreprise qui bénéficie d’un financement de la part de l’État pour mener à bien des
missions d’intérêt général doit dans ce cas-là répondre aux quatre critères Altmark. Donc ce
paquet législatif établit donc une compensation de service public, ne sera pas considérée
comme une aide d’État si elle répond précisément aux quatre critères requis dégagés par
Altmark. Vous voyez donc l’importance de cette jurisprudence. Elle a forgé un texte législatif,
le paquet Altmark.

C. La révision du paquet Altmark : Le paquet Almunia

Sachez, sans entrer dans le détail technique, que le paquet Altmark a fait l’objet d’une
révision il y a quelques temps. En effet, la Commission a adopté un nouveau paquet législatif
appelé dorénavant « Almunia », qui était le nom du commissaire chargé de la concurrence.
C’est un nouveau paquet composé là aussi de plusieurs textes et qui a adapté, notamment
au niveau des seuils, les modalités des aides d’État qui sont accordées au profit d’entreprises
en charge de mission d’intérêt général à caractère économique. Si la question vous
intéresse, je vous renvoie au manuel où je décris cette révision.

Section 3 : L’incompatibilité des aides d’État avec le droit de l'Union Européenne

L’autre point qu’il convient de voir dans le cadre des aides d’État, après la qualification de
l’aide, en quelques mots, nous allons voir la question de l’incompatibilité des aides d’État, en
quelques mots, c'est-à-dire à grand trait. Mais dans la mesure où nous allons voir les
éléments essentiels. En effet, nous aurons compris que, dans un premier temps, le juge et la
Commission procèdent à la qualification de l’aide, et ensuite le juge et la Commission
observeront s’il y a ou non compatibilité avec le droit de l’Union.

I. Principe d’incompatibilité

A. Incompatibilité et interdiction

Donc nous observons que, à la différence des dispositions de fond en matière d’entente et
d’abus de position dominante, l’article 107, §1 ne pose pas un principe d’interdiction. Assez
étonnamment en fait. En effet, lorsqu’on lit l’article 107, on s’aperçoit que les auteurs du
traité ne pouvaient pas adresser en fait une injonction aussi ferme, aussi brutale, dans un
domaine aussi sensible, les aides d’État. On avait expliqué qu’il y avait une souveraineté
étatique importante en la matière et donc que les auteurs des traités se sont gardés de se
livrer à une telle injonction et ont préféré effectivement dans un domaine où régnait la
pleine souveraineté des États procéder par effectivement un principe d’incompatibilité. Mais
c’est la doctrine, comme on va l’observer, qui va, à partir de ce principe d’incompatibilité
dégager un principe d’interdiction. Et au demeurant, même le juge et la Commission bien sûr
dans leur pratique décisionnelle ou contentieuse. Donc ce qui ressort de cet article 107, §1,
est le principe d’incompatibilité. Donc le traité pose un principe d’incompatibilité des aides
d’État qui dissimulent en fait, de manière fine, une interdiction.

B. Incompatibilité et illicéité
Il convient cependant de faire la distinction entre l’aide incompatible, dans la mesure où
celle-ci ne répond pas aux conditions de fond requises, et l’aide illicite, qui est qualifiée
comme tel, si elle a été accordée en violation des règles de procédure. Vous voyez, c’est
différent. L’aide incompatible parce qu’elle ne va pas répondre aux conditions que nous
allons énumérées, en vertu de l’article 107, §1, et l’aide illicite c’est tout autre chose, c’est
l’aide effectivement qui n’a pas respecté les règles de procédure, c'est-à-dire la notification
près de la Commission etc. Donc là c’est une aide illicite. C’est une aide qui a été octroyée
avant l’accord de la Commission et qui aurait dû effectivement faire l’objet d’un examen au
fond par les gens de la Commission au terme duquel la Commission aurait dû rendre une
décision de compatibilité ou d’incompatibilité. Alors il va de soi que pour les aides illicites,
celles qui effectivement ont méconnu les règles de procédure, pour ces aides-là, la question
de la compatibilité ne se pose absolument pas. Donc à cet égard, dans sa jurisprudence,
nous retiendrons que la Cour met en avant la notion d’opérateur diligent, qui viendra
consolider l’obligation de remboursement qui pèse sur ce dernier. L’opérateur diligent.
Qu’est-ce que ça signifie ? Cela veut dire tout simplement que la Cour insiste sur le fait qu’un
opérateur qui bénéficie d’une aide d’État ne peut avoir une confiance légitime dans le
caractère licite de l’aide sauf vraiment s’il est assuré, s’il s’est assuré d’ailleurs, qu’elle a été
octroyée dans la régularité. Donc c’est un élément important que met en avant la Cour et
qu’elle réitère souvent dans les arrêts en matière d’aide d’État. Dans sa jurisprudence,
souvent elle dit ce critère effectivement de l’opérateur diligent, il faut faire attention quand
un opérateur bénéficie d’une aide d’État. Nous noterons également que compte tenu de
l’effet direct reconnu par le juge à l’article 108, §3 dernière phrase, les juridictions nationales
peuvent également qualifier une aide d’aide illicite si celle-ci a été octroyée sans attendre
l’accomplissement de la procédure établie par les articles 107 et 108. Également, la
reconnaissance de l’effet direct autorise la juridiction nationale à considérer que la mesure
présente ou non les caractéristiques d’une aide au sens de l’article 707, c'est-à-dire que le
juge national peut procéder à la qualification, il peut qualifier une aide d’État, et déterminer
dans quel cas, dans quelle hypothèse celle-ci requiert ou non une notification au terme de
l’article 107 ou 108 selon les dérogations. Mais il n’y a pas obligation pour le juge interne de
sursoir à statuer et de poser la question à la Cour. Il peut le faire de son propre chef.
Cependant, le juge interne ne peut bien sûr prononcer l’incompatibilité ou la compatibilité.
Ce n’est pas possible juridiquement. Seul le juge de l’Union en cas de contentieux ou la
Commission au préalable peuvent le faire, mais le juge interne peut simplement procéder à
la qualification et on sait la disposition qui est applicable. Mais il faut savoir qu’en fait, dans
le cadre d’une collaboration juridictionnelle très intensifiée, la Commission encourage,
notamment au gré de communications, la collaboration justement avec les juridictions
nationales, et vraiment elle insiste sur le fait que les juridictions nationales ne doivent pas
hésiter à la solliciter pour avoir des informations.

II. Conditions d’incompatibilité

A. L’affectation des échanges et l’atteinte à la concurrence


Les deux grandes conditions d’incompatibilité, nous allons les citer (je vous renverrai au
manuel pour davantage d’explications) : les aides d’État sont réputées incompatibles si elles
répondent à deux conditions qui sont extrêmement classiques en droit économique de
l’Union, deux grandes conditions que nous retrouvons au demeurant en matière d’entente
et d’abus de position dominante puisque nous les avons étudiées : L’affectation des
échanges et l’atteinte à la concurrence. Quelles sont ces conditions qui sont cumulatives ?
L’affectation des échanges et l’atteinte à la concurrence sont deux conditions que nous
avons étudiées, dans le cadre des pratiques anticoncurrentielles. En effet, pour être déclaré
incompatible, l’aide doit avoir pour effet d’affecter les échanges entre les États membres et
porter atteinte à la concurrence. Même si l’effet doit être réel, l’effet potentiel peut être
retenu par la Commission ou le juge dans la phase contentieuse. En effet, de jurisprudence
constante, afin de qualifier une mesure nationale d’aide d’État, il n’est pas nécessaire pour la
Commission d’établir une incidence réelle. L’incidence potentielle est retenue. Donc
l’incidence réelle n’est pas requise pour emporter qualification d’aide d’État, ni la distorsion
effective, ce n’est pas requis non plus. Cela peut être une distorsion potentielle. Mais en fait,
ce que fait la Commission dans le cadre de l’instance et le juge dans l’examen contentieux,
on va examiner si l’aide est susceptible d’affecter les échanges. Si elle est susceptible
d’affecter les échanges, donc il y a une potentialité de l’affectation et de fausser la
concurrence. C’est ainsi qu’une aide accordée par un État membre qui renforce la position
d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises sera considérée comme une aide
effectivement au titre de l’article 107.

B. Motivation de la décision de la Commission

De manière générale, concernant les deux conditions, on observe que la Cour se montre
d’une grande intransigeance sur un point quant à la motivation des décisions de la
Commission. Si vous voulez, dans la mesure où on a bien observé que c’était quand même
un régime répressif et marqué par une grande sévérité, tant de la part de la Commission que
de la Cour, ceci est contrebalancé par des garanties procédurales. Et dans les garanties
procédurales, c’est l’obligation de motivation qui pèse sur les actes de la Commission. Aussi,
quand celle-ci adopte une décision de compatibilité et a fortiori d’incompatibilité, elle doit
véritablement être extrêmement claire dans sa démonstration substantielle, limpide, elle ne
doit pas se livrer à une motivation succincte, ni sommaire. Et donc la Commission doit
démontrer avec précision les effets de l’aide, donc à la fois sur les échanges et sur la
concurrence. Elle ne peut pas non plus omettre l’examen d’une de ces conditions. Il y a des
arrêts dans le manuel, vous verrez : il y a des affaires où la Commission se limite par exemple
à insister sur l’affectation des échanges, donc ça n’est pas possible. Il faut à la fois qu’elle
examine l’affectation des échanges, et donc parallèlement la concurrence. D’autre part, la
Commission ne peut pas se contenter de faire un copier-coller de l’article 107, évidemment.
Elle ne peut pas se contenter de reproduire le libellé, l’énoncé de l’article 107, §1. On a des
affaires où la Commission fait effectivement un copier-coller de l’article 107. Donc là
évidemment ce n’est pas possible. Elle doit être précise dans la formulation des griefs, elle
doit se livrer à un examen in concreto, bien sûr, de l’aide en cause et de ses effets, sinon la
décision encourt tout simplement le risque d’être censurée par le juge de l’Union pour
défaut de motivation substantielle. La Cour exerce un contrôle réel sur cette motivation, et
donc la Commission doit par exemple décrire les caractéristiques de l’aide, elle doit décrire
le secteur, les concurrents, pour apprécier la pertinence de l’aide sur le marché et la
pertinence de ses effets.

C. Règle de minimis

Toujours au regard de ces deux conditions cumulatives, il y a un point sur lequel j’aimerais
revenir. On en avait parlé dans le cadre de la concurrence, les pratiques concurrentielles en
ce qui concerne l’entente et l’abus de position dominante. Il s’agit de la question de
l’application du principe de minimis. Donc toujours dans l’examen de validité de l’aide, la
Cour et la Commission ne retiennent que l’effet sensible sur les échanges de la concurrence.
Nous avons dit que la Cour et la Commission retiennent l’effet potentiel, ce qui est une
marque de sévérité. Ceci est contrebalancé par une exigence de motivation substantielle.
Mais autre contre poids, la Cour et la Commission retiennent uniquement effectivement
d’effet sensible sur les échanges et la concurrence. En effet, le principe de minimis est
applicable au droit des aides. Il a été établi en application d’un texte de la Commission de
2006, concernant l’application des articles 107 et 108, aux aides de minimis. Ce règlement
est entré en vigueur en 2013 et la Commission, depuis, a effectivement adopté là aussi un
nouveau règlement qui concerne toutes les catégories d’entreprises, pas simplement
certaines aides d’État.

1. Principe de la règle de minims

Alors en vertu du nouveau règlement de minimis, les aides dont le montant est inférieur à
200.000 € (alors précédemment c’était 100.000, c’est pour ça qu’il y a eu cette révision,
désormais c’est 200.000 €). Donc en deçà de 200.000 €, dès l’instant qu’une entreprise
bénéficie de 200.000 € en deçà sur une période de trois exercices fiscaux, donc sur trois ans,
auprès d’une même bénéficiaire, donc ces aides-là ne sont pas qualifiées d’aide d’État. Elles
ne sont pas qualifiées d’aide d’État au sens du droit de l’Union dans la mesure où elles
n’auront pas, eu égard à leur montant, dans le cadre du marché, elles n’auront pas une
incidence réelle sur la concurrence, ni sur les échanges au sein du marché intérieur. Alors
sauf une hypothèse qui est écartée dans ce cas-là, c’est dans le cadre des aides qui sont
cumulatives, c'est-à-dire un cumul d’aide. Dans le cadre d’un cumul d’aides pour une même
entreprise bénéficiaire, ou alors dans le cadre de plusieurs activités ou branches d’activités
qui sont bénéficiaires d’une aide d’État, dans ce cas-là on se livre à un examen au cas par
cas.
Mais sinon, en dessous de 200.000 €, l’aide ne tombe pas sous le coup de l’article 107, elle
n’est pas qualifiée d’aide d’État tout simplement.

2. Limite à la règle de minims

Autre élément du règlement de 2013 sur l’application du minimis, le règlement s’applique


aux aides octroyées aux entreprises de tous les secteurs dont la transformation et la
commercialisation des produits agricoles sont établies. De même, compte tenu de leur
impact sensible sur le marché, ils ne sont pas visés par le règlement de minimis certains
secteurs : la pêche, l’aquaculture, la production primaire des produits agricoles. Donc dans
ce cas-là la règle de minimis n’est pas applicable, quel que soit le montant. On procède à la
qualification de l’aide et à l’examen de validité. C’est aussi les transports, les aides liées à
l’exportation, celles-ci sont très mal vues, elles sont vraiment extrêmement serrées. Ces
aides-là évidemment, il n’y a pas à revendiquer un principe de minimis. Quel que soit le
montant, les aides à l’exportation, lorsqu’un gouvernement, par exemple si le gouvernement
français envisage des entreprises qui travaillent à l’exportation, donc c’est extrêmement
surveillé. Donc ces aides-là, quel que soit le montant, même si c’est 50.000 €, 100.000 €, on
est obligé de procéder à la notification auprès de la Commission etc. Et ce sont des aides qui
sont systématiquement invalidées par la Commission parce qu’il y a une appréciation très
sévère sur ces aides là car elles faussent la concurrence. C’est aussi les aides soumises à la
préférence de produits nationaux. Ce type d’aide est indifférent à l’application du principe
de minimis. Les mesures qui remplissent ces critères posés par le règlement 2013 sur
l’application de minimis donc n’ont pas à être notifiées à la Commission, vous l’aurez
compris. Il y a une dispense de notification pour approbation et elles peuvent être
directement mises en œuvre. Alors que dans le cadre de la procédure de droit commun, il
faut bien sûr avant tout versement auprès du bénéficiaire procéder à la notification auprès
de la Commission (je vais en parler). Le règlement également simplifie le traitement des
aides de minimis sur le plan administratif. Il y a des contraintes administratives qui sont
écartées. Toutefois, la règle de minimis n’exonère pas non plus le bénéficiaire de l’aide à une
obligation d’information. Donc ce n’est pas parce qu’effectivement on n’a pas à notifier etc.
qu’on n’est pas lié par un devoir ou plutôt une obligation d’information. Donc l’entreprise
bénéficiaire doit se soumettre à cette obligation d’information. Il s’agit simplement d’une
transmission de rapports réguliers, c’est annuel, auprès de la Commission sur la mise en
œuvre de l’aide.

D. Procédure de contrôle

1. Notification à la Commission et décision de compatibilité/incompatibilité

Donc l’aide étant ainsi validée ou invalidée, l’aide sera ou non versée. Mais nous retiendrons
bien évidemment puisqu’on ne peut pas, eu égard au temps imparti, entrer dans le détail de
la procédure de contrôle des aides d’État. Mais nous aurons bien compris que dès l’instant
qu’un gouvernement, une autorité nationale, envisage de verser une aide, elle doit d’abord
procéder effectivement à la notification eu égard au principe de minimis, si c’est au-delà de
200.000 €, elle doit procéder à la notification auprès de la Commission. Donc c’est un
formulaire très précis mais l’aide doit être bien sûr bien décrite. Donc elle procède à la
notification, la Commission qui est ainsi saisie et se livre à un examen au fond, mais vraiment
très pointilleux des caractéristiques de l’aide. Et au terme de cette procédure d’examen, la
Commission statue. Elle statue par voie de décision. Décision de compatibilité, c'est-à-dire
que c’est bon, l’aide est valide au regard du droit, elle ne soulève pas d’éléments liés à la
distorsion de concurrence ou l’affectation des échanges, ou décision d’incompatibilité où, au
contraire, là l’aide est incompatible avec le droit de l’Union donc il ne faut pas la verser.
Donc voilà la procédure. Donc si c’est une décision de compatibilité, l’État destinataire de la
décision de compatibilité peut verser en toute légalité l’aide auprès du bénéficiaire et
aucune difficulté n’est soulevée. Et d’ailleurs à cet égard, il y a là aussi une obligation
d’information, de manière régulière, l’État doit informer la Commission de la mise en œuvre
de l’aide. En revanche, si c’est une décision d’incompatibilité, l’État évidemment doit
s’abstenir de verser une aide d’État auprès du bénéficiaire. L’aide est considérée comme
invalide.

2. Voies de recours

Dans ce cas-là, quelles sont les voies de recours ? Il y a des voies de recours évidemment,
que ce soit une décision de compatibilité ou d’incompatibilité.

a. Qualité à agir

Dans une décision de compatibilité, l’opérateur concurrent peut considérer qu’il y a au


contraire atteinte à la concurrence. Donc les concurrents peuvent tout à fait agir. Surtout
que c’est une décision qu’on peut contester devant le tribunal. Donc l’action en annulation
est introduite devant le tribunal de l’Union et ensuite il peut y avoir un pourvoi devant la
Cour. Et si c’est une décision d’incompatibilité, l’hypothèse la plus fréquente, c’est plutôt
l’État et l’entreprise qui devait être bénéficiaire qui contestent cette décision. Là aussi c’est
une action en annulation qui peut être introduite devant le tribunal. Donc on peut tout à fait
contester le fondement de la décision prise par la Commission.

b. Question de la récupération des aides d’État

A cet égard, s’est posé la question de la récupération des aides d’État. En effet, on s’est
aperçu assez rapidement que les États membres, en dépit de l’obligation qui pesait sur eux,
versaient les aides avant d’attendre la décision de la Commission. C'est-à-dire que les États
membres notifiaient à la Commission ou ne notifiaient pas du tout, donc là double violation
du droit, et donc procédaient au versement de l’aide. Donc la Commission a été confrontée à
cette difficulté majeure, d’autant que dans les textes, il n’y avait pas grand-chose. Les
dispositions étaient plutôt sommaires sur le sujet. Dans le Traité CE, on n’avait pas
d’obligation ferme là-dessus. Et c’est la Commission avec la Cour, elle s’est vraiment adossé
une jurisprudence favorable à son égard, qui a dégagé ce principe de la récupération des
aides d’État. Alors il va sans dire que ce principe de récupération des aides d’État, de
restitution de l’aide d’État, a été évidemment très mal perçu par certains États membres et
au premier chef la France et l’Allemagne, mais surtout la France qui a énormément contesté
cette obligation donc qui est dégagée de la pratique, c’est la Commission qui l’a dégagée, et
ça été avalisé par la Cour. Mais la Commission et la Cour à la fois fondaient leur argument, et
à raison, sur l’effectivité de l’article 107, sinon ça n’a plus de sens, si les États notifient
uniquement de manière formelle et versent l’aide, ça n’a aucun sens si l’aide évidemment
est irrégulière. Donc la France, principalement, et l’Allemagne un peu moins, ont
énormément contesté, mais ça a été de vaines contestations puisque de toute façon le
principe de la récupération des aides illicites a été forgé par la jurisprudence et aujourd’hui
c’est un élément établi. C’est un grand risque véritablement pour l’État aujourd’hui de verser
une aide, donc avant notification ou alors même pendant la notification, sans attendre la
décision de la Commission. C’est un grand risque parce qu’ensuite, il est difficile de réparer
les conséquences sur le plan du droit et sur le plan financier. Donc il faut véritablement
attendre la décision de la Commission. Et en plus, non seulement il faut récupérer l’aide,
mais en plus il y aurait un manquement à l’article 107. Donc il pourrait y avoir là aussi une
condamnation pécuniaire, et notamment une amende ou une astreinte, puisque comme
vous le savez, dans le cadre de l’action en manquement, on a un mécanisme financier pour
contraindre les États à obtempérer. Donc voilà sur la procédure. Là aussi, je vous renvoie au
manuel où on peut être beaucoup plus précis. Je terminerai sur ce point donc en évoquant
les dérogations au principe d’incompatibilité. Ce sera le dernier élément de ce propos relatif
aux aides d’État.

III. Dérogations au principe d’incompatibilité

Nous rappellerons que l’article 107, §2 et 3 tempère de manière sensible le principe


d’incompatibilité puisqu’il prévoit un certain nombre de dérogation. C'est-à-dire que les
aides seront considérées comme compatibles. Donc elles sont qualifiées d’aides d’État, mais
elles seront considérées comme compatibles avec le marché intérieur. Donc ces aides se
distinguent selon qu’il s’agisse d’aides compatibles de plein droit, sans examen au fond, ou
d’aides susceptibles d’être déclarées compatibles au terme d’un examen approfondi et
minutieux de la Commission et selon des conditions précisées par la même disposition. La
première catégorie d’aides couvre un champ plutôt résiduel. Ce sont des aides qui sont
automatiquement validées, mais qui sont assorties d’un examen préalable et formel pour
s’assurer que les conditions de dérogation sont réunies. Et la seconde catégorie vise des
aides qui sont compatibles de manière exceptionnelle. Donc là c’est extrêmement difficile
d’avoir l’accord de la Commission à la faveur d’un examen préalable appuyé et dont le
contenu tend à se densifier. Donc ces deux catégories d’aides présentent des éléments de
distinction majeurs, qui se rattachent au fond et à la procédure.

A. Les aides compatibles de plein droit : Les aides liées à la solidarité nationale

Concernant la première catégorie d’aides, les aides compatibles de plein droit, ce sont des
aides qui sont liées, on peut le considérer, à la solidarité nationale. C’est l’article 107 §2, qui
les décrit. Il répute compatible de plein droit donc avec le droit de l’Union trois catégories
d’aides spécifiques. Et vous verrez qu’il y a un rapport avec l’expression d’une solidarité
nationale. Toutes trois se distinguent des aides qui peuvent être compatibles de manière
exceptionnelle, au regard à la fois de leur objet et de leur destinataire. Donc ces aides
effectivement ne viennent pas soutenir des entreprises en difficulté, ce sont des aides qui,
dans des circonstances particulières aident des groupes au sein de la population. Ce sont des
populations, des consommateurs ou des citoyens qui ont pour caractéristiques communes
d’être en difficulté économique ou sociale. Il ne s’agit pas d’aide apportée aux opérateurs
économiques, qui requièrent de la part de la Commission un examen plus appuyé.

1. Aides à caractère social

Alors la première catégorie d’aides vise les aides à caractère social octroyée au
consommateur individuel, à condition qu’elle soit accordée sans discrimination liée à
l’origine du produit, puisqu’on est dans une logique d’intégration économique et de marché
intérieur. Donc il s’agit dans ce cas présent d’une aide apportée, non pas à des entreprises
comme je le disais précédemment, mais à des consommateurs qui sont en situation de
difficulté. En France, c’est l’exemple des réductions accordées dans les transports publics aux
familles nombreuses, ou encore l’octroi de bons alimentaires pour les populations qui sont
en précarité. Ce sont des exemples types d’aides qui sont accordées, eu égard à l’expression
d’une solidarité nationale, et là il n’y a pas lieu de notifier, elles sont compatibles de plein
droit.

2. Aides en réparation d’évènements extraordinaires

Deuxième catégorie d’aides, les aides destinées à aider, à remédier plutôt aux dommages
causés par les calamités naturelles, ou par d’autres évènements extraordinaires, comme par
exemple les tremblements de terre ou les inondations. Pour les évènements extraordinaires,
la Cour tient une appréciation plutôt large, plutôt extensive. Nous retiendrons ainsi que dans
un arrêt de 2008, elle intègre dans les évènements extraordinaires, par exemple les
conséquences financières des attentats du 11 septembre 2001 sur les compagnies aériennes
qui avaient effectivement subi, eu égard aux attentats, des effets importants. Et il y a eu
surtout les assurances qui, par la suite effectivement, se sont livrées à une augmentation de
leur taux de manière assez symptomatique. Et là donc compte tenu du caractère
extraordinaire de l’évènement, la Cour a considéré que, effectivement, les conséquences
financières des attentats du 11 septembre entraient dans cette catégorie des évènements
extraordinaires.

3. Aides régionales

Autre type d’aide qui s’inscrit dans la solidarité nationale et qui sont automatiquement
validées, ce sont les aides octroyées à l’économie de certaines régions de l’ex-RFA, l’ex-
République Fédérale d’Allemagne, qui ont été affectées à la suite de la division de
l’Allemagne, lorsque l’Allemagne a été divisée. Donc effectivement, toute cette région
limitrophe, de part et d’autre, a été affectée par cette division et la réunification allemande a
donc rendu cette disposition caduque, puisqu’après la chute du mur de Berlin en 1989,
ensuite la réunification allemande rendait bien sûr cette disposition sur le plan du droit
complètement dépassée, complètement caduque. Pourtant, la disposition n’a pas été
abrogée. Sachez que le Traité de Lisbonne a prévu que, dans un délai de cinq ans à compter
de l’entrée en vigueur de Lisbonne, donc le 1er décembre 2009, cette disposition serait
examinée en vue de son éventuelle abrogation. A ce jour il n’y a pas d’évolution, mais c’est
une disposition qui sera bien sûr abrogée eu égard à sa caducité évidente. Donc voilà pour
ces trois catégories d’aides. L’examen de la Commission dans ces cas-là sera formel dans la
mesure où elle doit simplement s’assurer que les conditions sont réunies. Elle n’a pas à se
prononcer sur le fond, c'est-à-dire sur la compatibilité de l’aide.
B. Les aides exceptionnellement compatibles : Les aides vouées à une destination spécifique

Concernant la deuxième grande catégorie d’aides, les aides exceptionnellement


compatibles, celles-ci sont vouées à une certaine destination. Évidemment, elles requièrent
un examen au fond. Nous citerons simplement que ces aides visent certains champs. Ce sont
des aides qui concernent par exemple les aides à l’environnement, les aides au profit d’un
projet européen d’intérêt commun, les aides encore pour surmonter une perturbation grave
de l’économie. Ces aides sont déclinées à l’article 107 §3. Elles ont toutes une destination
spécifique, et c’est cette destination spécifique qui préside à l’examen de validité de l’aide. A
cet égard, la Commission publie régulièrement des lignes directrices pour orienter les États
et pour leur permettre de savoir si ces aides sont valables. Mais gardez bien à l’esprit que ce
sont des aides eu égard à l’article 107 §3 qui répondent à de grandes destinations,
essentiellement environnement, emploi, perturbation grave de l’économie, projet d’intérêt
commun. Ce sont des grands thèmes qui vont guider l’action des États qui ont besoin
d’allouer des subventions à des entreprises pour agir. Eu égard à cet article 107 §3, la
pratique décisionnelle de la Commission, mais aussi la jurisprudence qui souvent la conforte,
ont permis de dégager des critères de licéité. Ces critères n’apparaissent pas dans l’article
107 §3, sont simplement cités les objets spécifiques de ces aides qui peuvent être réputées
compatibles. En fait, ces critères de licéité, comme je l’explique dans le manuel, sont nés de
la pratique de la Commission essentiellement. Donc lors de l’examen de l’aide, la
Commission s’attachera à apprécier certains aspects de l’aide qui, effectivement, vont
ensuite devenir des conditions de compatibilité d’une certaine manière.

1. Premier critère : une aide transparente

Donc avant tout examen, il est requis des États membres de faire preuve, dans la demande
de compatibilité, et la constitution de dossier d’aide, de la plus grande transparence. C’est ce
qu’on appelle les aides transparentes. C'est-à-dire que l’État membre ne peut pas
transmettre un dossier confus, opaque ou alors subtilement succinct, sommaire, pour en
dire le moins possible. Ce n’est pas possible. Il faut vraiment que l’État soit clair, transparent,
qu’il édicte toutes les conditions de l’aide, qu’il soit vraiment transparent au regard des
modalités de l’aide. C’est un point très important. La Commission démontre de manière
systématique qu’elle n’accorde le bénéfice des dérogations qu’aux aides transparentes. Les
aides dites, à l’inverse opaques, sont systématiquement récusées. Ce sont des aides dont
l’auteur présente des éléments sans opacité, avec clarté, avec transparence. La transparence
doit surtout viser les modalités de l’aide, c'est-à-dire les modalités de mise en œuvre, les
caractéristiques de l’aide. Par exemple l’intensité financière, la durée de l’aide également, le
plan de financement. Tous ces éléments techniques, qui peuvent sembler excessivement
techniques, doivent être décrits avec précision auprès de la Commission. Donc les aides
opaques sont systématiquement évidemment invalidées par la Commission. Donc premier
critère qui s’est dégagé de la pratique, il faut une aide transparente.

2. Deuxième critère : aide répondant à un intérêt européen

Deuxième critère de licéité qui ressort de la pratique : l’aide doit avant tout viser un projet
destiné à l’ensemble de l’Union. Il y a toujours cette idée de projet d’ensemble européen,
projet qui concerne la collectivité. En effet, l’État membre ne peut pas invoquer un régime
dérogatoire pour son seul profit. Ce n’est pas possible. On est dans une logique d’intégration
donc il y a une logique de solidarité, de collectivité, de commun. Et donc l’État ne peut pas
invoquer le régime de l’article 107 §3 pour un projet d’aide qui vise uniquement la
promotion d’intérêts nationaux, la promotion exclusive d’intérêts nationaux. Cela n’est pas
possible. Donc seules seront appréciée de manière valables les aides qui répondent à un
intérêt communautaire, à un intérêt européen. Et ce dans une approche d’ensemble de
l’objectif invoqué. L’exemple le plus topique est par exemple le cas de la stratégie
industrielle. Généralement, les aides en matière de stratégie industrielle reçoivent un écho
favorable de la Commission. Ils sont vus avec bienveillance parce que la stratégie
industrielle, nécessairement dans le cadre du marché intérieur et de l’Union économique et
monétaire, c’est un projet d’ensemble qui concerne l’ensemble de l’Union. Donc il est clair
que l’intérêt en cause invoqué par l’État, revendiqué par l’État, ne pourra pas se prêter à une
lecture uni-nationale. Ce n’est pas possible. Il faut que ce soit une lecture transnationale.
Donc cette condition est examinée avec beaucoup de précision, dans le cadre notamment
des aides régionales. Les aides régionales sont précisément des aides qui sont prévues par
l’article 107 §3. C’est un des objets spécifiques, les aides régionales. Et également les aides à
un secteur de production pour lesquels la Commission là aussi est extrêmement sévère. La
Commission est sévère pour les aides régionales et les aides à la production. Les aides à la
production est un domaine très sensible. C'est-à-dire que l’État, tout simplement, par
exemple la France, veut aider un secteur de production. Donc là c’est extrêmement surveillé
parce que le risque des aides à la production est que celles-ci opèrent un transfert de
difficulté d’un État à l’autre, c'est-à-dire que la France va aider une entreprise interne, mais
ceci va tout simplement transférer les difficultés de cette entreprise vers un autre partenaire
européen, un autre État membre. Donc pour éviter le transfert des difficultés, il faut
effectivement exiger une lecture transnationale de l’intérêt commun.

3. Troisième critère : la nécessité et la proportionnalité de l’aide

Ensuite, la Commission, comme autre critère – donc là c’est plutôt classique, nous l’avons vu
dans le cadre des marchandises – exerce un contrôle classiquement de nécessité sur le
projet en cause. En effet, elle s’assure qu’à défaut de l’aide, l’objectif invoqué ne peut pas
être satisfait sans l’apport de l’État qui est déterminant. Ce contrôle de nécessité, que nous
retrouvons dans le cadre des mesures d’effet équivalent que nous avons étudié, conduit la
Commission à vérifier en fait s’il existe un lien de causalité. Donc cause à effet entre la
mesure et l’objectif. Dans la même lignée, est adjoint à ce contrôle de nécessité un contrôle
de proportionnalité sur la nature de la mesure en cause. Donc là la proportionnalité va
conduire la Commission à examiner les modalités de l’aide, du projet d’aide, pour que celle-
ci soit strictement proportionnée à l’ampleur de l’objectif poursuivi. La Commission va se
pencher sur les caractéristiques de l’aide (intensité, durée, degré d’affectation des échanges
ou d’atteinte à la concurrence). Voilà sur la proportionnalité. Alors à cet égard, on peut
observer dans la pratique décisionnelle que, pour mesurer davantage la proportionnalité de
l’aide, la Commission s’attarde souvent sur ce qu’on appelle la dégressivité du projet. La
dégressivité du projet qui permet en fait de garantir que l’aide sera précaire. C’est important
que l’aide soit précaire, c'est-à-dire qu’elle soit vraiment pour une durée déterminée. Donc
ça on peut le mesurer avec la dégressivité. En effet, une aide dégressive a vocation à décliner
au fur et à mesure de l’accomplissement des objectifs par l’État et les entreprises
bénéficiaires. Ainsi, les aides dégressives se prêtent plutôt une lecture bienveillante de la
Commission. Si ce n’est pas une aide dégressive, c'est-à-dire que si dans le plan de
financement on ne voit pas effectivement une régression des financements, c’est compliqué
pour l’État auteur de l’aide pour démontrer à la Commission le bienfondé de son action, etc.
Parce que normalement, si on avance dans la mise en œuvre du financement, on commence
à satisfaire certains objectifs et donc le financement est moins important au fur à et mesure.
Donc il faut vraiment que les aides soient dégressives.

4. Quatrième critère : Un programme de restructuration

En dernier lieu, dernier critère de licéité qu’on peut retenir : la Commission fait valoir que,
afin de rétablir la viabilité du secteur concerné, du secteur en cause, ou de l’entreprise en
cause également, la pratique de la Commission met en avant l’exigence d’une
restructuration de l’entreprise. La restructuration de l’entreprise est étroitement liée à
l’aide, et aujourd’hui c’est pratiquement systématique. Par le passé, ce n’était pas aussi
régulier, mais aujourd’hui la Commission exige systématiquement, lorsqu’une aide est
allouée, que l’État concerné mette en avant un programme de restructuration.
Concrètement, ça veut dire que la Commission proscrit les aides qui ont pour seul effet de
maintenir l’entreprise en vie, de manière artificielle, dans des secteurs qui sont considérés
comme condamnés et dont la conséquence ne sera pas précisément de rétablir la
concurrence. Et inversement, la Commission rejettera les aides dans les secteurs qui
connaissent une prospérité. Car là c’est l’inverse, l’octroi de l’aide n’est nullement fondé.
Donc les secteurs condamnés ou les secteurs prospères, dans ces cas-là, il n’y a pas de
justification théorique ou pratique pour allouer une aide. Donc voilà sur ces critères qui sont
dégagés de la pratique. Dans les textes on n’avait pas grand-chose et c’est la pratique qui
nous a permis finalement un peu de décrire ces différents critères qui président à
l’appréciation de validité.

Conclusion
Pour conclure sur ce sujet, sur les aides d’État, qu’il faut bien étudier car c’est un point
évidemment central de la matière, et dans la mesure où on ne peut pas aller au fond, eu
égard au nombre d’heures qui nous sont imparties. Alors on insistera en guise de conclusion
sur le pouvoir effectivement de la Commission dans le cadre de cette procédure de contrôle.
Donc effectivement, la Commission est au cœur du dispositif. Il y a un processus de
centralisation qui s’est produit dès le commencement de la mise en œuvre des dispositions
des Traités, dès 1957, de sorte qu’aujourd’hui, la Commission dispose d’un pouvoir quasi-
monopolistique en la matière. Ce pouvoir a été conforté par les textes, c'est-à-dire que la
procédure de notification l’a hissée à ce rang là, au cœur de la procédure, puisque tout est
adressé à la Commission. Lorsque par exemple, si la France envisage d’aider, actuellement
par exemple Air France est en difficulté, parce que par le passé on avait déjà eu une aide
octroyée à Air France, donc si la France décide d’aider Air France et d’allouer une aide, point
de départ : elle monte son projet, et elle doit l’adresser à la Commission, notification à la
Commission. C’est le point de départ. Donc vous voyez que la procédure fait en sorte que la
Commission soit au cœur du dispositif. La Commission examine au fond, elle rend sa
décision. Donc il y a une centralisation des pouvoirs. Des pouvoirs très importants, elle a des
pouvoirs d’investigation également, à l’instar de ce qu’elle a en matière de concurrence. Ce
qu’on peut dire est que ces pouvoirs effectivement, fortement exclusifs monopolistiques,
sont contrebalancés cependant par des garanties procédurales. C'est-à-dire qu’au fur et à
mesure de la mise en œuvre de ce contrôle, le juge de l’Union a effectivement dégagé des
garanties procédurales, notamment l’obligation de motivation, notamment la possibilité
effectivement pour les États de démontrer le bienfondé des projets. Donc il y a des garanties
procédurales cependant qui enserrent la pratique de la Commission. Mais il demeure que
c’est un contrôle qui place la Commission au cœur du système, qui s’expose à de
nombreuses critiques. Ceci a été surtout caractéristique lorsque la Commission a dégagé au
fur et à mesure de sa pratique le principe de la récupération des aides d’État. Cela a été
effectivement mal perçu. C’est un point important. Cette procédure de contrôle place
véritablement la Commission, à la lecture des textes, au cœur du dispositif puisqu’il n’y a
qu’elle qui peut effectivement procéder à l’appréciation de l’aide. Je vous rappelle que le
juge national n’est pas habilité à procéder à cet examen de validité. Il peut procéder à la
qualification mais il ne peut pas valider ou invalider l’aide. Et donc cette répartition des
compétences qu’on a par exemple en matière de concurrence entre les juridictions
nationales et la Commission, entre les ANC et la Commission également, nous ne l’avons pas
dans le cas des aides d’État. Donc les aides d’État n’ont pas connu une telle réforme. Je ne
sais pas si à l’avenir on peut avoir une telle réforme car c’est vraiment un domaine
extrêmement sensible et la Commission évidemment conserve la main mise sur le sujet.

VIII. Les entreprises publiques

Nous allons maintenant examiner la question du rapport, des relations, entre le secteur
public et les États membres. C’est-à-dire les relations, très étroites, qu’entretient l’État-
membre avec ses entreprises, qu’elles soient publiques, mais aussi privées (il est tout à fait
possible que l’État entretienne des relations financières avec des entreprises qui ont un
statut de droit privé). Il s’agit dans ce cas, donc, de l’encadrement du secteur public, qui
porte sur la surveillance des comportements sur le marché. On observe en fait que la
régulation de l’action économique par les autorités nationales, qui est induite par les Traités,
ne se limite pas à l’encadrement des aides d’État. Elle aborde un autre champ, qui est
beaucoup plus sensible et sujet à controverse, à savoir les rapports avec l’entreprise
publique et l’État. Ce champ d’action impose une surveillance acérée du comportement de
l’État et de ses rapports avec les entreprises, principalement publiques (pas simplement
publiques, mais principalement publiques), dès l’instant que ces entreprises entretiennent
des rapports étroits avec l’État. Dans ce contexte, le Traité propose en fait certains
instruments qui, selon une intensité variable, sont des leviers à l’encadrement du secteur
public, à l’encadrement des actions de l’autorité nationales dans le secteur public. Les
autorités de l’Union exercent cet encadrement, exercent ce contrôle sur les autorités
nationales. Pour s’assurer de l’assimilation de l’opérateur public à l’opérateur ordinaire, le
Traité énonce deux obligations majeures. L’une est inscrite à l’article 37, TFUE, l’autre à
l’article 106, TFUE. Ce sont ces deux dispositions que nous allons étudier. D’une part l’article
37 qui est relatif à l’obligation d’aménagement de certains entités économiques qui sont
effectivement symptomatiques d’un statut privilégié au regard des opérateurs ordinaires, et
d’autre part l’article 106, TFUE, qui vise l’obligation de traitement équivalent entre les
opérateurs publics et privés. Il faut bien comprendre que ces deux dispositions sont
fondamentalement distinctes. La première disposition, l’article 37 TFUE, est d’une portée
plus limitée, car elle vise un type d’entreprise et est mise en œuvre par des actions
ponctuelles, comme nous allons l’observer. Il s’agit de l’obligation établie par les Traité
d’aménager des monopoles nationaux présentant une activité commerciale. C’est un champ
très précis, autrement dit ceux qui ont un impact direct sur les échanges
intracommunautaires. Dans ce cas-là il y a un encadrement très précis, donc, par exemple en
ce qui nous concerne il s’agira du gaz ou de l’électricité, qui ont été libéralisés, C’est
l’aménagement des monopoles nationaux à caractère commercial. Cette obligation posée
par l’article 37 TFUE trouve sa place dans le cadre des marchandises. En fait elle clôt, donc,
toute la question de l’élimination des entraves aux échanges. La seconde obligation, d’une
portée beaucoup plus étendue, selon moi, vise l’entièreté des entreprises publiques et est
posée par l’article 106 TFUE. Que dit cette disposition ? Cette disposition, en fait, permet à
l’État-membre d’entretenir des relations avec des entreprises publiques ou privés, mais dans
la mesure où celles-ci ne portent pas atteinte aux intérêts de l’Union, aux objectifs posés par
l’Union. Et dans ce cas-là, il y a, bien sûr, un encadrement posé par le droit de l’Union. A
travers cet instrument, l’article 106, vous avez une véritable régulation sur l’action diligentée
par les États-membres. L’article 106 est sans commune mesure, un levier beaucoup plus
puissant que l’article 37, on va l’expliquer. Tout d’abord, voyons l’obligation de soumission
des opérateurs publics aux règles de concurrence, dictée par l’article 106 TFUE.

Section 1 : Une obligation de soumission des opérateurs publics aux règles de concurrence

L’article 106 TFUE se compose de plusieurs paragraphes. Il forme le socle de la


réglementation applicable aux entreprises publiques, c’est vraiment la disposition phare en
la matière. Cet article s’articule autour de trois considérations, qui ont toutes pour objet
d’imposer à l’État de soumettre les opérateurs relevant du secteur public à un régime de
concurrence, tel que celui établi par le Traité. L’idée générale c’est ça : mettre en place un
régime de concurrence. D’une part, l’article 106 §1 établit que les règles de concurrence
énoncées par le Traité sont opposables aux entreprises publiques au même titre que les
entreprises privées : « égalité de traitement ». Et ceci afin d’endiguer toute volonté de l’État
d’utiliser de manière détournée certains modes d’intervention économique, comme par
exemple, au principal, les nationalisations ou encore, à l’inverse, les privatisations, pour
échapper aux prescriptions posées par le droit de l’Union. L’article 106 §1 pose donc un
principe d’égalité de traitement entre entreprises publiques et privées, qui doivent se
soumettre de la même manière aux régimes de concurrence. Et ceci parce que l’on sait très
bien que s’il n’y avait pas ce principe d’égalité de traitement, les États-membres seraient
tentés de détourner ces règles et, par le jeu des nationalisations, des privatisations, etc.,
d’établir un régime de faveur au profit des entreprises publiques, ce qui va à l’encontre du
principe d’égalité. Un deuxième enseignement se dégage d’autre part, il réside dans le
premier paragraphe toujours, qui définit l’opposabilité du droit de la concurrence à un
ensemble d’opérateurs publics, mais c’est un ensemble qui n’est pas monolithique. C’est un
ensemble plutôt varié. Il se décline en fait en deux catégories. D’abord les entreprises
publiques, qui sont visées en tant que telles, et ensuite les entreprises dotées de droits
spéciaux et exclusifs. Ce sont deux sous-ensembles du secteur public qui vont être définis au
gré de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle, que nous allons éclaircir. Enfin
troisième considération, l’article 106 §2 souligne qu’une application aride, trop rigide du
principe de non-discrimination, du principe d’égalité entre entreprises privées et publiques,
du principe de soumission aux règles de concurrence, peut conduire à des difficultés
d’application, notamment chez les États porteurs d’une tradition de service public. Aussi, il
convient de prévoir un régime particulier, qui nuance le principe de soumission en faveur
des entreprises investies d’une mission d’intérêt général. Il est dit « mission d’intérêt
économique général ». MIEG, c’est une notion que les autorités européennes vont définir au
fil du temps, et le juge également va l’approfondir. L’article 106 §3 pour sa part, décrit
l’ensemble des dispositions de mise en œuvre et dans ce cas-là on va apprécier le rôle de la
Commission, qui va se voir confier l’application de l’ensemble des dispositions. C’est une
mission un peu redondante, puisqu’elle est déjà investie par les traités d’une mission
générale de surveillance. Mais en fait on comprend que cette redondance n’est pas fortuite,
car les rédacteurs du Traité ont tenu à placer la Commission dans une mission au cœur du
dispositif d’application et de surveillance, notamment avec la faculté d’adresser, si besoin
est, des directives ou des décisions appropriées aux États-membres, sans recourir à une
habilitation du Conseil. L’article 106 requiert une étude approfondie pour savoir quelles
entreprises entrent dans son champ d’application.

I. Les entreprises visées

L’article 106 TFUE, oppose l’application des règles de concurrence à deux catégories
d’entreprises, les entreprises publiques, et les entreprises auxquelles les État accordent des
droits exclusifs ou spéciaux. Il va sans dire que les Traités se gardent bien d’énoncer une
quelconque définition de ces notions. Ils ne le font pas, pour ne pas entrer en conflit avec les
qualifications nationales. Les Traités, démarche familière, ne définissent pas, et c’est donc la
Commission et la Cour qui vont définir ces différentes notions. La contribution la plus
importante émanera, certainement, de la Commission, et l’approche de la Commission sera
confortée par la Cour.

A. Les entreprises publiques

Quelle définition au sens de l’Union ? Démarche coutumière, la Commission va être


indifférente aux qualifications nationales comme le juge également l’est. La Commission fera
valoir très tôt que la notion d’entreprise publique est véritablement une notion propre au
droit de l’Union, qui ne s’aligne pas sur les conceptions internes. La notion d’entreprise
publique exige de prendre soin de définir d’abord la notion d’entreprise et ensuite bien sûr
la notion d’entreprise publique.

1. Notion d’entreprise

Nous rappellerons, puisque nous l’avons déjà vu, que l’entreprise, au sens du droit de
l’Union, repose sur une approche économique. Il s’agit de toute entité, qui poursuit une
activité de fabrication, de vente, de distribution de produits ou de services, et ce
indépendamment de son statut juridique ou de son mode de fonctionnement ; sauf lorsque
cette entreprise exerce des activités qui résultent de prérogatives de puissance publique, là
évidemment il ne s’agit pas d’une entreprise au sens du droit de l’Union.

2. Notion d’entreprise publique

Mais pour tomber sous le coup de l’article 106, et être régi par cet encadrement des
relations entre l’État et l’entreprise, l’entreprise en cause doit être une entreprise publique,
évidemment. Seules les entreprises publiques sont visées. Les entreprises publiques sont
définies par la Commission dans une directive, la directive du 5 juin 1980, communément
appelée directive Transparence, qui sera abrogée et remplacée par une directive
Transparence du 16 novembre 2006, qui est celle aujourd’hui en vigueur. Dans cette
directive, la Commission retient une notion extensive de la notion d’entreprise publique,
puisque l’élément qualificatif réside dans l’existence d’une influence directe ou indirecte,
même potentielle, mais dominante, de l’État, qui est visé au travers de l’expression
extensive « pouvoirs publics ». On ne peut pas faire plus large, plus extensif. Donc c’est la
prépondérance des pouvoirs publics qui préside à la qualification de l’entreprise publique.
Cette prépondérance, cette influence notable est établie au travers de trois critères, des
critères alternatifs : la propriété, la participation financière ou les règles qui régissent
l’entreprise eu égard à son fonctionnement. Ce sont donc ces trois éléments qui dénotent
d’une influence dominante ou non de l’État sur l’entreprise. Outre ces trois critères
alternatifs, la directive Transparence établit les cas précis de présomption. Les cas sont
décrits par la Commission dans cette directive : la détention par les pouvoirs publics de la
majorité du capital souscrit ; la détention par les pouvoirs publics de la majorité des voix
rattachées aux parts émises par l’entreprise ; la possibilité pour l’État de désigner plus de la
moitié d’un organe directeur : conseil d’administration, de direction ou de surveillance. La
jurisprudence est venue conforter l’approche extensive adoptée par la directive, d’autant
que le juge de l’Union insiste beaucoup, de manière classique, sur l’indifférence du droit de
l’Union quant aux différents formalismes juridiques internes, quant aux qualifications
nationales. Le seul critère qui compte, c’est vraiment ça, c’est l’influence dominante de l’État
sur l’entreprise, au gré de certains critères. Au regard de la nature juridique de l’entreprise, il
n’est pas nécessaire que l’entreprise soit dotée d’une personnalité juridique distincte de
celle de l’État, l’entreprise peut être personnalisée ou non-personnalisée, il n’est pas
nécessaire qu’elle soit indépendante de l’État, elle peut être intégrée aux organes de l’État,
cela ne pose aucun problème pour appliquer l’article 106 en dépit de cela.

B. Les entreprises destinataires de droits exclusifs ou spéciaux

Ce droit exclusif et spécial requiert d’être analysé, d’être défini. Il est source en fait d’une
influence déterminante de l’autorité publique sur l’entreprise, dont le comportement
contrevient aux règles de concurrence. Généralement on observe que ce sont des
entreprises de statut de droit privé qui se voient investies d’une prérogative de puissance
publique : comme une concession de service public, par exemple le service des pompes
funèbres, c’est l’exemple type ; ou encore la concession d’ouvrage public, comme
l’occupation exclusive d’une dépendance domaniale.

1. Notion de droits exclusifs

Plus attentivement, au gré de la pratique toujours, car il n’y a pas grand-chose dans les
textes, au gré de la pratique décisionnelle et la jurisprudence, on observe que la notion de
droit exclusif vise en fait l’octroi, sur le fondement des règles de droit public, d’une faveur ou
d’un bénéfice, qui présente la caractéristique, comme le nom l’indique, d’être exclusif au
bénéficiaire. Ce que d’ailleurs, nous avons en droit interne. C’est un droit, c’est une faveur
ou un bénéfice, accordé à une entreprise, mais à titre exclusif ; c’est ça le droit exclusif. Et
ce, donc alors évidemment exigence informelle, c’est sur assentiment de l’autorité publique
interne, sur son accord. Un tel droit sera conféré à l’entreprise dans l’objectif de fabriquer
ou de vendre un produit ou un service, mais toujours de manière exclusive, sur un territoire
national ou local déterminé par l’autorité nationale. Ce droit, autrement dit, s’il est exclusif,
ne peut être exercé par d’autres entreprises.

2. Notion de droits spéciaux

Pour sa part, la notion de droits spéciaux est plus difficile à saisir, elle diffère du droit exclusif
dans la mesure où le droit spécial, précisément, n’est pas accordé de manière exclusive à un
bénéficiaire, mais à plusieurs bénéficiaires, mais malgré tout il conserve un caractère
spécifique. Donc il n’y a pas de généralité, c’est un droit spécial, mais ce sont plusieurs
bénéficiaires, en vue de l’exercice d‘une activité déterminée, toujours sur le fondement des
règles de droit public interne. Il s’agira principalement d’une autorisation, d’une concession
ou d’une licence octroyée à plusieurs bénéficiaires. Toutefois, la jurisprudence se montre
vigilante sur le nombre de bénéficiaires du droit spécial. Comme je l’ai dit précédemment,
une telle qualification de droit spécial ne sera pas retenue si le droit est accordé, bien sûr, à
l’entièreté de la population de manière indéterminée, de manière impersonnelle. Il faut que
ce ne soit pas un droit exclusif, sinon on tombe dans la qualification de droit exclusif, mais
que cela concerne quelques bénéficiaires au moins, mais pas un nombre conséquent. Le
droit est accordé en fait à quelques entreprises, et si la Cour ou la Commission se rend
compte que c’est un droit accordé en fait à l’ensemble des entreprises, qui ne bénéficient
pas précisément d’un droit, mais que c’est une faculté ouverte à tout le monde, à tout
intéressé, donc là on n’est pas dans le droit spécial. La nuance, la lisière doit être respectée
entre les deux types de droits.

II. Le régime dérogatoire : Les monopoles fiscaux et les services d’intérêt économique
général

Troisième catégorie visée par l’article 106, mais en son paragraphe 2, le cas des monopoles
fiscaux et les services d’intérêt économique général, mais là qui entrent dans le cadre d‘un
régime dérogatoire. En effet l’article 106 §2 établit un régime dérogatoire au regard de deux
d’entreprises, les entreprises détentrices d’un monopole fiscal et celles qui sont en charge
de la gestion, d’un service d’intérêt économique général. Alors le dispositif est décrit de
manière sommaire, et on voit bien qu’il y a une double logique, une logique économique et
une logique qui veut qu’il y ait une protection du service public économique. Ceci est
notamment clair dans le paragraphe 2. Quelles sont ces entités bénéficiaires de cette
dérogation, dans laquelle ne s’appliquent pas les règles de concurrence ?

A. Le monopole fiscal

D’abord le monopole fiscal, ne se prête à aucune difficulté au niveau de sa définition. Il s’agit


une entreprise qui, en vertu d’exploitation exclusive de certaines activités, a pour mission de
dégager des recettes de nature fiscales au profit de l’État. Ce seront des activités de
fabrication, la vente d’un produit, ou la prestation de services. Ces fabrications ou ventes
sont réalisées de manière exclusive et cela permet donc de dégager des recettes fiscales.
Toutefois l’application de l’article 106 §2 nous invite à distinguer le monopole fiscal, qui
relève à titre exclusif de la présente disposition, l’article 106 §2, et le monopole commercial,
qui est lui régi par l’article 37 TFUE que nous allons étudier ultérieurement, c’est un autre
régime.

B. L’entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général

Autre entreprise qui peut échapper aux règles de concurrence et bénéficier du régime
dérogatoire, selon le 106 §2, ce sont les entreprises qui sont chargées d’un SIEG. A la
différence du monopole fiscal, cette deuxième catégorie d’entreprises, qui bénéficie du
régime dérogatoire, sont plus difficiles à déterminer. Elle n’est pas symétrique à la notion
que nous avons en droit interne de service public, elle n’épouse pas pleinement cette notion,
elle est un peu plus nuancée, au gré de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle –
c’est surtout la Commission qui a œuvré à l’édification de la notion : nous retiendrons qu’il y
a une approche restrictive, évidente car la Commission veut un large spectre quant à
l’application du droit de la concurrence, donc elle se livre plutôt à des interprétations
restrictives et une approche exigeante dès lors qu’il s’agit d’une régime dérogatoire aux
règles de concurrence. Indépendamment de la condition invariable relative à la condition
d’entreprise, qui renvoie à une entité économique poursuivant une activité de production ou
de services sur le marché, sans égard quant à son statut juridique, la Cour et la Commission
ont dégagé d’autres critères pour emporter la qualification de SIEG. Il faut l’existence d’un
acte de puissance publique et la délimitation très précise de la mission d’intérêt général qui
est dévolue

1. Un acte de puissance publique

En effet, l’entreprise concernée doit être légalement chargée de la poursuite d’une mission
particulière pour invoquer ce statut. Cette charge doit être décrite de manière formelle, au
travers d’un acte de puissance publique, un acte unilatéral ou une concession de service
public, peu importe. Le régime de dérogation ne pourra pas s’appliquer en présence de
relations très ténues, extrêmement discrètes. Il faut vraiment que ce soit des liens
spécifiques, étroits, clairement énoncés par le législateur entre l’État et l’entreprise
bénéficiaire.

2. Une mission précise d’intérêt général

Le deuxième élément qualificatif concerne le caractère impérativement particulier de la


mission, une mission d’intérêt économique général qui doit être assignée à l’entreprise, et il
ne faut pas que cette entreprise soit ordinaire, c’est une mission particulière dont elle est
investie. C’est par exemple le cas, dira la Cour, de La Poste, ou encore les entreprises qui
sont en charge de la distribution de l’électricité, du gaz, ou de l’eau ; ce sont des entreprises
particulières qui se sont vu reconnaitre la qualité de SIEG. Pour mener sa mission de SIEG,
l’entreprise doit bénéficier de prérogatives de puissance publique, qui lui permettront de se
démarquer d’un simple opérateur ordinaire dans une situation de marché. A partir de ces
deux éléments, s’opère un examen au cas par cas pour savoir si effectivement ces
entreprises peuvent bénéficier d’une dérogation aux règles de concurrence. Premier temps
donc, qualification des entreprises qui entrent dans le cadre de la notion de SIEG, et
deuxième étape, on procède à l’examen pour savoir si elles peuvent revendiquer un statut
dérogatoire. Donc là aussi, classiquement la Commission et le juge de l’union s’appuieront
sur un contrôle de proportionnalité, entre le montant d’apport financier sous forme d’aide
et les obligations de service public ; on va examiner la proportionnalité de la compensation,
et évidemment là on va rejoindre la jurisprudence Altmark.

Section 2 : Les obligations imposées aux États : une banalisation de la relation privilégiée
entre l’État et l’opérateur public ou assimilé
A cet égard, l’article 106, paragraphe 1 décrit la nature des obligations qui pèsent sur l’État,
dès lors qu’il entretient des relations avec des entreprises publiques. Entreprises publiques
ou entreprises qui sont bénéficiaires de droits exclusifs ou spéciaux.

§1 : La nature des obligations

L’État n’a plus le droit d’édicter ou de maintenir des mesures contraires au Traité,
notamment en matière d’égalité de traitement entre entreprises publiques et privés, en
matière de passation des marchés publics par exemple, régie par cette question, en ce qui
concerne les ententes, l’abus de position dominante, les concentrations. Tout est régi à la
lumière des règles de concurrence, pour les entreprises publiques et les entreprises en
charge de droits exclusifs et spéciaux. Concernant la nature des obligations, il pourra s’agir
de n’importe quel type d’actes, dès lors qu’il émane d’une autorité publique : acte à
caractère législatif ou réglementaire, il peut s’agir d’une décision bilatérale, comme une
convention d’occupation du domaine public. Dès l’instant que la mesure a pour objet
d’instituer une relation privilégiée avec l’État, sous la forme notamment d’un droit exclusif et
spécial.

§2 : Les comportements symptomatiques d’une pratique anti-concurrentielle : ententes,


abus de position dominante et aides d’État

Les comportements qui seront recensés et surveillés sont les comportements qui sont
symptomatiques d’une pratique anti-concurrentielle : l’entente, l’abus de position
dominante et l’aide d’État. Comme nous l’avons largement étudié, ces questions-là sont
présentes dans l’examen de la mise en œuvre de l’article 106 §1 qui vise trois types de
comportements, familiers aux opérateurs présents sur un marché. La relation privilégiée
entre l’autorité publique et les entreprises ne doit pas aboutir à la constitution d’infractions
au titre de l’article 101 (entente), 102 (abus de position dominante) ou 107 (aide d’État).

§3 : L’aménagement des règles de concurrence applicables au secteur public à l’aube de


l’intérêt général

A cet égard, un aménagement des règles de concurrence est prévu, en ce qui concerne le
service public. Très rapidement on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas appliquer
aveuglement ce régime concurrentiel aux entreprises publiques et aux SIEG, surtout dans le
cadre d’États qui sont, comme la France et l’Italie, porteurs d’une tradition de service public.
Très rapidement, il y a eu une réaction hostile des États, notamment la France et l’Italie sur
ce sujet, qui a conduit l’Union à mettre en œuvre plus modérément l’article 106, mais c’est
vrai que les premières années, notamment dans les années 70-80, la décennie 80, il y a eu
une grande vague de libéralisation de certains secteurs, à la lumière de l’article 106. Du fait
de l’hostilité manifestée par certains États, la Cour et la Commission ont plutôt développé,
comme je l’explique dans le manuel, une approche plus modérée, plus nuancée, en faisant
valoir qu’il y a des secteurs d’activité qui mettent en présence des entreprises investies d’un
SIEG c’est le cas des transports, notamment maritime ou routier, du service postal, de la
distribution de l’eau, du gaz et de l’électricité. Des régimes dérogatoires sont établis à leur
profit.

Section 3 : Des pouvoirs étendus au profit de la Commission

Dans ce cadre-là, il convient d’apprécier les pouvoirs étendus au profit de la Commission. La


Commission prend activement part à l’application de l’article 106 §3. Elle veille à
l’application de cet article et adresse en tant que de besoin des directives ou décisions. Cette
disposition, à la formulation, au libellé très ouvert permet à la Commission d’en prôner une
interprétation très large, puisqu’elle a toujours considéré, et ce depuis toujours, que l’article
106 §3 la place au centre, au cœur du dispositif de surveillance. La Commission, au gré de
l’article 106 §3 exerce deux types de pouvoirs. Le premier, plutôt classique dans le cadre de
ses attributions, c’est un pouvoir de surveillance. Nous savons tous qu’elle en un pouvoir de
surveillance de manière générale ; dans le cas présent, il est exacerbé, beaucoup plus mis en
relief. Le deuxième est inhabituel, il est inédit, il s’agit d’un quasi pouvoir normatif propre,
qui ressort d’une interprétation extensive de l’article 106 §3.

§1 : Un pouvoir ordinaire : La surveillance

Nous savons qu’elle est amenée ordinairement à exercer un tel pouvoir pour l’ensemble de
l’application du droit de l’Union, primaire ou dérivé, et la Commission s’est vu confier
expressément par le §3 une mission de surveillance dès l’instant que l’État entretient des
relations avec des entreprises publiques ou à droits exclusifs et spéciaux, SIEG et donc selon
les cas soit on va les faire rentrer dans le régime dérogatoire, soit non. Surveiller des
secteurs : une mission de surveillance spécifique qui porte sur l’application des règles de
surveillance à ces secteurs. Lorsqu’elle constate une infraction à l’article 106 TFUE, par une
autorité nationale ou un opérateur public, elle doit notifier par voie de décision à l’État
auteur du manquement les mesures nécessaires qu’il doit prendre pour se conformer aux
obligations résultant de l’article 106. Ce pouvoir de la Commission, de surveillance, permet
d’établir trois observations.

A. Interprétation finaliste

Tout d’abord on observe que la lecture de l’article 106 se prête à une interprétation finaliste.
Lecture finaliste à laquelle adhère la Commission, qui fait toujours valoir l’article 106 §3,
cette lecture finaliste est bien sûr pertinente pour la Commission qui peut ainsi intervenir en
adoptant des actes de portée normative, de portée impérative, comme la décision (donc
c’est très intéressant pour elle), à l’encontre d’un État qui s’expose à une violation de
l’article 106 §1. La Commission, du fait de l’article 106 §3, est reconnue pleinement
compétente pour constater de son propre chef – il n’y a pas de phase contentieuse, là – de
son propre chef donc, elle constate la violation d’une prescription du Traité, l’article 106 §1 ;
elle prescrit les mesures à l’État, qu’il doit adopter pour se conformer à ses obligations
communautaires et lui fait valoir qu’en cas de violation, de persistance de la violation, il
s’expose à de nouvelles sanctions. Il s’agit d’un acte obligatoire, c’est une décision, une
décision susceptible de recours ; le destinataire, l’État, peut ainsi contester la légalité devant
la Cour par une action en annulation.

B. Opportunité de la procédure d’action en manquement

D’autre part, autre élément pertinent, par ce pouvoir de surveillance (ça rejoint le point
précédent) la Commission n’est pas contrainte d’ouvrir la procédure d’action en
manquement, la procédure contentieuse d’action en manquement. L’action en
manquement, comme nous l’avons étudié en droit institutionnel, est une procédure qui est
exigeante elle est quand même entourée d’une certaine lourdeur, et ce n’est pas du tout le
cas, là, de l’article 106 §3. Celui-ci permet à la Commission d’adopter un acte unilatéral, une
décision. Donc vraiment il n’y a aucune comparaison. Évidemment c’est un gain de temps
énorme des démarches qu’elle écarte bien volontiers et il suffit pour elle d’adopter un acte
unilatéral. Dans le cas présent, il s’agit d’un mode d’application alerte au profit de la
Commission, qui s’affranchit ainsi des contraintes qui sont, bien sûr, inhérentes à la
procédure contentieuse.

C. Saisine

Enfin, troisième observation que nous pouvons émettre, comme pour la surveillance des
autres dispositions communautaires, la Commission peut non seulement s’autosaisir,
classiquement, mais aussi être peut-être saisie par des particuliers. Des particuliers, ou des
associations de défense d’intérêts collectifs, et l’opportunité des poursuites appartient,
ordinairement, à la Commission. La Cour, dans sa jurisprudence, a dans une très large
mesure, conforté le pouvoir de surveillance de la Commission, elle considère que celle-ci est
amenée à exercer en effet un contrôle sur le comportement des États et dispose du pouvoir
d’indiquer les mesures que l’état destinataire doit adopter pour se conformer à ses
obligations. Et ce, de sa propre initiative, sans devoir former un recours en manquement.
Cependant, pour contrebalancer ces exigences, le juge de l’Union a consacré des garanties
de procédures dans l’exercice de ce pouvoir de surveillance : garanties assez classiques que
nous avons déjà observées en droit de la concurrence, qui sont opposables aux autorités de
l’Union et aux États-membres. Classiquement, comme par exemple le principe du respect du
droit de la défense.

§2 : Un pouvoir inédit : La règlementation

La dernière attribution c’est un pouvoir quasi normatif, propre. La Commission,


effectivement, est investie d’un pouvoir d’édiction de règles générales, ce qui est inédit dans
le cadre des Traités puisque seul le législateur peut le faire, c’est inédit dans le cadre de la
répartition des pouvoirs dans le système institutionnel de l’Union. Et elle va user de ce
pouvoir avec régularité, avec constance. Selon les termes de l’article 106 §3, la Commission
est investie du pouvoir d’édicter des règles générales, qui précisent les obligations, est-il dit,
incombant aux différentes catégories d’entreprises visées par l’article 106 etc. Il s’agit d’un
pouvoir propre de nature normative. Cette compétence a fait l’objet de nombreuses
critiques, il va sans dire, nombreuses critiques de la part des États-membres et au principal la
France. Les États-membres et principalement la France estimaient qu’il n’appartenait pas à
la Commission d’avoir un tel pouvoir général, normatif, mais uniquement un pouvoir
d’exécution, à la lumière de la répartition des pouvoirs, elle ne peut avoir qu’un pouvoir
d’exécution. D’autant qu’elle intervient dans des domaines en proie aux sensibilités : la
transparence des relations entre l’État et les entreprises. En dépit de ces contestations, de
ces critiques, en dépit des recours formés par les États et notamment la France, à l’encontre
des actes adoptés par la Commission, la Cour a conforté le pouvoir quasi normatif de la
Commission, en faisant valoir que le pouvoir général du Conseil n’était nullement remis en
cause par ce pouvoir de règlementation de la Commission qui est malgré tout plus qu’un
pouvoir de réglementation, c’est un pouvoir quasi normatif. La Cour fait valoir que les deux
pouvoirs ne sont pas antinomiques. Le pouvoir de la Commission et du Conseil ne sont pas
antinomiques ni exclusifs l’un de l’autre. La Commission peut adopter des actes pour affiner
les mesures générales arrêtées par le Conseil ou pour compléter des actes adoptés par le
Conseil et le Parlement. Donc il n’y a pas de raison d’écarter ce pouvoir. On citera
essentiellement : France/Commission 19/3/1991, France/Commission 4/2/1990, Pays-
Bas/Commission 1992. En vertu de cette compétence, la Commission fût donc amenée à
adopter de nombreux textes, des textes très importants en matière de libéralisation de
certains secteurs, d’une portée considérable dans le cadre de l’ouverture des marchés parce
qu’elle avait ce paragraphe 3 qui lui permettait d’adopter des décisions ou des directives,
c’est à dire des actes unilatéraux pour régir un domaine, un champ. C’est un pouvoir propre,
de portée considérable en ce qui concerne l’ouverture de secteurs qui étaient détenus
jusqu’alors de manière exclusive par les États, c’était vraiment des situations
monopolistiques, par l’entremise des entreprises publiques évidemment, ou des entreprises
qui bénéficiaient de droits exclusifs et spéciaux. Ces textes déterminent, selon une logique
de libéralisation, les nouvelles conditions d’accès aux marchés, à certains marchés en faveur
des opérateurs économiques ordinaires. L’article 106 §3 deviendra l’instrument décisif, dès
le départ, de la politique d’ouverture des marchés. La Commission a ainsi adopté un texte de
portée plus générale, la directive Transparence dont nous avons parlé tout à l’heure qui va
aussi appuyer ce paragraphe 3 et des textes beaucoup plus spécifiques, qui vont viser des
secteurs de manière technique, on va citer par exemple la directive concurrence dans les
marchés de terminaux de télécommunications, c’est à partir de là qu’on a pu avoir toute la
concurrence en ce qui concerne : les opérateurs téléphoniques, c’est un texte qui datait de
1988, le temps de la mise en œuvre la concurrence s’est installée dans ce secteur. Autre
domaine majeur où il y a pu y avoir ouverture de marché, la Poste, possibilité d’avoir
d’autres opérateurs. Loin d’être imperméable aux critiques, la Commission a manifesté ces
dernières années des signes pour rassurer les États, en fondant des libéralisations de
secteurs, non plus sur le seul article 106 §3, qui pouvait effectivement sembler extrêmement
brutal dans sa mise en œuvre, puisque c’est un article qui lui confie un pouvoir normatif,
mais sur l’article 114 TFUE, en matière d’harmonisation de législations, avec un pouvoir de
codécision donc procédure législative ordinaire entre le Parlement et le Conseil, plus
classique comme c’est le cas par exemple pour la libéralisation du marché de l’électricité qui
est aujourd’hui en vigueur, et le marché du gaz, également, à la faveur de l’article 114. Pour
l’électricité, directive de 2003, Et pour le gaz, directive du 26 juin 2003. Il fallait le
consentement du Conseil et du parlement, donc une procédure qui équilibre davantage les
pouvoirs. Également, toujours pour manifester son intérêt porté aux activités d’intérêt
général, la Commission parallèlement à la diversification des outils sur lesquels elle se
fondait, la Commission a également adopté une communication, notamment celle du 11
septembre 1996 dans laquelle elle faisait valoir son intérêt, son attachement au service
public, qu’elle érigeait au rang des valeurs de l’Union. Il faut noter également que le Traité
d’Amsterdam a érigé le SIEG parmi les valeurs communes de l’Union, ce qui a été conforté
par le Traité de Lisbonne. En effet nous rappellerons qu'à la demande de la France, le Traité
de Lisbonne (c’est l'article 3 TUE) n’énonce plus que la libre concurrence est un objectif de
l’Union, on en avait parlé dans le préambule de cet enseignement, nous avions expliqué que
le Traité constitutionnel avait commis une maladresse, il avait inscrit la concurrence parmi
les objectifs de l’Union. Une maladresse qui a fait naître de graves critiques, des résistances
dans les populations et qui a certainement expliqué dans une large mesure le rejet du Traité
constitutionnel. Les rédacteurs du Traité de Lisbonne ont réparé cette maladresse et ont
relégué la concurrence au rang de moyen. Dans le cadre des négociations du Traité de
Lisbonne, la France avait beaucoup insisté sur ce point, en faisant valoir qu’il n’était pas
question de remettre encore, à nouveau, d’insérer à nouveau cette erreur, et qu’il fallait
vraiment reléguer la concurrence au rang de moyen.

Conclusion
Voilà ce que nous pouvons dire sur l’encadrement du secteur public à la faveur de l’article
106, il faut bien maîtriser cet outil, c’est un outil très important, c’est l’un des outils les plus
performants, un des leviers les plus importants en ce qui concerne l’encadrement du secteur
public. Nous aurons bien compris le paragraphe 1, qui décrit les catégories auxquelles
s’opposent l’article 106 (entreprise publiques et entreprises à droits exclusifs et spéciaux) ; le
paragraphe 2 relatif au régime dérogatoire et le paragraphe 3 qui décrit les pouvoirs
importants au profit de la Commission, effectivement un pouvoir normatif propre. C’est
important car c’est cet article 106 qui a libéralisé des secteurs qui étaient tenus de manière
exclusive par certaines entreprises publiques.

IX. Les monopoles nationaux à caractère commercial

Dernier chapitre qui clôt cet enseignement. C'est un point important là aussi mais comme
nous l'avons souligné l'article 37, TFUE, est beaucoup moins porteur aujourd'hui que l'article
36 TFUE. Il exige toutefois évidemment une analyse. Le second grand instrument prévu par
les traités qui permet d'assurer un encadrement des interventions publiques, qui était
jusqu'à présent comme nous l'avons dit à maintes reprises, affranchi de tout contrôle est bel
et bien l'article 37, TFUE. Il s'agit donc de l'obligation établie par le traité d'aménager les
monopoles nationaux présentant une activité commerciale, c'est-à-dire qui ont un impact
direct sur les échanges intracommunautaires. Tout d'abord la question du monopole d’État.
Il s'agit en fait à la lumière de l'article 37, TFUE, que nous allons analyser attentivement
d'une obligation d'aménagement et non pas d'une suppression évidemment de ce monopole
(Pas de suppression car ce monopole est nécessairement investi d'objectifs d'intérêts
publics). Qu'est-ce que le monopole d’État ? Dans l'histoire des États membres on observe
que le monopole d’État a souvent des racines historiques. Il a dans la plupart des États
membres été instauré afin de sauvegarder les intérêts essentiels de l’État comme par
exemple, on peut citer la sécurité intérieure ou encore l'indépendance énergétique. Sur la
sécurité intérieure j'avais par exemple noté que pour la France, nous avions le monopole des
poudres et des explosifs qui a été créé en 1797. Concernant le monopole des hydrocarbures,
il remonte à 1928. Vous voyez, ce sont des monopoles anciens qui répondaient à des
intérêts stratégiques ou des intérêts liés à la sécurité intérieure. Ce sont des monopoles qui
ont donc vraiment une spécificité importante, qui ont une historicité et un enjeu important.
Ces intérêts supérieurs ne pouvaient pas bien sûr être soumis à un régime de droit commun
eu égard à leur élément stratégique qui devait être régi par l’État. Néanmoins leur place et
leur légitimité rendaient leur suppression inconcevable, on ne pouvait pas autoriser les
auteurs des traités à envisager leur suppression mais simplement formuler un tempérament
à leur exclusivité au travers d'une obligation d'aménagement. Dès lors il ne s'agit pas de
mettre un terme au monopole mais de les aménager de manière à éliminer toute possibilité
de discrimination, l'objectif en fait est vraiment sur le plan économique de rendre les
conditions d'exercice des monopoles moins restrictives sur les échanges de marchandises et
la mise en place de l'espace concurrentiel. La jurisprudence insiste beaucoup sur ce point en
indiquant que l'article 37, TFUE, n'exige pas l'abolition totale des monopoles nationaux
présentant un caractère commercial mais prescrit un aménagement de façon que soit assuré
dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés l'exclusion de toute discrimination
entre les ressortissants des États membres. Sur le fond l'article 37, TFUE, a pour objet de
concilier la possibilité pour les États membres de maintenir certains monopoles à caractère
commercial en tant qu'instrument de la poursuite d'objectifs d'intérêts publics avec les
exigences du marché intérieur au regard de son établissement et de son fonctionnement. A
partir de ces considérations, l'article 37, TFUE, impose que l'organisation et le
fonctionnement du monopole soient aménagés de façon à exclure toutes discriminations
entre ressortissants dans les conditions d'approvisionnement et les débouchés. D'une
manière générale, l'article 37, TFUE, qui est doté d'effet direct, il faut le souligner, est
applicable directement lorsque l’État accorde des droits d'achat ou de ventes exclusifs. Il
permet ainsi de contrôler les importations ou les exportations. En revanche l'article 37,
TFUE, n'est pas applicable à d'autres champs que celui des marchandises, il ne vise que les
marchandises, il ne vise pas la libre circulation des services ou des capitaux. Autre point en
guise d'introduction, hormis la question de la distinction entre aménagement et suppression,
la question relative à l'applicabilité simultanée des articles 37 et 34. Il est apparu en effet
qu'il n'était pas suffisant de proscrire des restrictions quantitatives et des mesures d'effet
équivalent pour tout ce qui concernait les marchandises pour instaurer un espace de liberté
car on s'est aperçu que bon nombre d'entreprises détentrices d'une exclusivité de
production, de distribution, d'importation ou d'exportation exercent notamment au travers
de l'attractivité d'un produit sur lequel donc ils détiennent un monopole, une influence sur le
marché : une influence sur le marché et sur le mouvement des marchandises en favorisant
des comportements protectionnistes. Aussi l'obligation d'aménagement est posée à cet
égard par l'article 37, qui trouve donc sa place rappelons-le dans le titre relatif aux
marchandises. Il clôt le chapitre consacré à l'élimination des restrictions quantitatives aux
échanges. A cet égard, la Cour assez précocement a reconnu qu'un monopole pouvait faire
l'objet d'une condamnation sur le fondement cumulatif de l'article 37 et 34, TFUE. Dans
l'arrêt FRANZEN, la Cour visait le monopole suédois des ventes au détail des boissons
alcoolisées et dans cet arrêt elle fera valoir qu'il résulte tant de l'article 37 que de sa place
dans le système du traité que cet article vise à assurer le respect des règles fondamentales
de libre circulation des marchandises etc. Et donc la Cour fait bien le lien entre l'article 34 et
37 dans cette affaire. La Cour considère que les règles relatives à l'existence et au
fonctionnement du monopole visées par l'article 37 sont véritablement décrites par cette
disposition tandis que l'incidence des autres dispositions de la législation nationale qui sont
détachables du fonctionnement du monopole même si elles ont une incidence sur ce dernier
sont examinées sous l'angle d'une autre disposition et donc là en espèce l'article 34, TFUE. Il
est donc tout à fait possible d'appliquer ces deux dispositions au regard des particularités de
l'espèce. Cette interprétation sera conférée par l’arrêt (ANNAIR ?,) qui concernait le
monopole suédois de vente au détail des médicaments, arrêt dans lequel la Cour a estimé
que l'article 37 TFUE vise l'élimination des entraves à la libre circulation des marchandises à
l'exception toutefois des effets restrictifs sur les échanges qui sont inhérents aux monopoles
en cause, donc cela veut dire qu'il peut y avoir deux dispositions applicables. Dans
l'hypothèse d'une application simultanée, articles 34 et 37 (rappel: l'article 34 vise les
mesures d'effet équivalent), il convient dans un premier temps d'examiner une
réglementation relative aux monopoles d’États au regard de l'article 37, donc il faut d'abord
faire cet exercice-là. Si la réglementation en cause est qualifiée de discriminatoire au regard
de l'article 37 un examen au regard des articles 34 et 35 (importation/exportation) n'est pas
alors nécessaire. Il n'y a pas lieu de s'y livrer. En revanche s'il est établi que la réglementation
ne revêt pas un caractère discriminatoire au regard de l'article 37, TFUE, il sera nécessaire de
l'examiner au regard des dispositions générales régissant la libre circulation des
marchandises. Cependant, la Cour peut ne faire valoir que la seule application de l'article 34,
TFUE, lorsque les mesures restrictives en cause ne se rattachent pas au monopole propre
ayant des implications sur la libre circulation des marchandises. Plus précisément, selon la
jurisprudence, lorsqu'il s'agit de règles relatives à l'existence, au fonctionnement d'un
monopole national de nature commercial, l'article 37 TFUE est applicable au regard des
règles en matière de droit d'exclusivité. La Cour reconnaît donc bien au gré de sa
jurisprudence l'applicabilité des deux dispositions et donc l'article 37 sera vraiment examiné
en ce qui concerne le monopole lui-même et l'article 34 au regard des règles du marché
intérieur (règles de libre circulation des marchandises). Nous noterons également que dans
chaque espèce, on va examiner si la mesure constitue en fait une règle relative à l'existence
ou au fonctionnement du monopole. Pour l'existence ce sera l'article 37 et pour le
fonctionnement ce sera l'article 34 ou 35. Sinon de manière générale, on observe que
l'aménagement des monopoles et l'obligation qui pèse sur ces monopoles dépassent en
réalité le chapitre relatif aux marchandises, cela semble évident, pour s'inscrire donc en tant
qu'instrument dans une logique concurrentielle. Il est vrai qu'en 1957 les auteurs des traités
ont mis cette question dans le cadre des marchandises pour clôturer le chapitre des
marchandises mais aujourd'hui dans un contexte de mondialisation il est évident que la
question de l'aménagement des monopoles entre pleinement dans le champ concurrentiel.
On peut faire observer que le monopole national peut par son maintien affecter non
seulement le mouvement des marchandises mais aussi constituer un obstacle sensible à la
mise en place d'un marché concurrentiel ouvert et accessible car par définition, lorsque vous
observez le fonctionnement d'un monopole, le monopole opère naturellement une
concentration du pouvoir économique au profit de quelques opérateurs, donc
nécessairement il y a une atteinte au flux certes circulatoire mais également à l'espace
concurrentiel. Dès lors l'article 37, TFUE, épouse pleinement l'application des règles de
concurrence au secteur public et aux interventions publiques. Nous noterons également,
élément important, (on y reviendra) que l'article 37, TFUE, s'inscrit dans une temporalité
puisqu'il contient des dispositions qui ne sont pas appliquées pendant un certain temps.
L'article 37 n'est applicable que durant la période de transition donc aux paragraphes 3, 5 et
6 et ces dispositions ont par la suite été abrogées par Amsterdam car elles étaient caduques
et d'autres paragraphes ont été ensuite maintenues au-delà de la période de transition. Il y a
donc une temporalité dans son application.

Section 1 : Champ d’application de l’article 37, TFUE


I. La notion de monopole national de caractère commercial
A. La nature de l’activité
Le premier point qu'il convient d'observer après ce préambule : il s'agit de la qualification de
monopole national à caractère commercial (bien sûr tout l'enjeu est là). Pour pouvoir
échapper ou non à l'article 37 il faut savoir si on est face à un monopole national à caractère
commercial. Donc l'article 37, TFUE, énonce une obligation d'aménagement aux monopoles
nationaux à caractère commercial qui sont définis par le traité comme tout organisme par
lequel un État membre de droit ou de fait dirige ou influence sensiblement directement ou
indirectement les importations ou les exportations entre les États membres. Donc une telle
définition est à l'évidence inclusive, elle impose en fait de distinguer la nature de l'activité en
cause et l'organisme investi d'un monopole. Donc premier examen qu'il faut faire : examiner
la nature de l'activité en cause et là on observe en fait qu'il y a une double exigence qui est
posée par l'article 37, TFUE. La qualification du monopole doit répondre à une double
exigence relative à la nature de l’activité en cause : Cette activité doit être de nature
commerciale et cette activité doit être intracommunautaire (intra-Union européenne). Ce
sont deux exigences qui sont posées par l'article 37 TFUE à la lecture du libellé.
1. Une activité de nature commerciale
Première condition : l'exigence d'une activité de nature commerciale. L'article 37, TFUE,
n'est applicable qu'aux monopoles qui exercent une activité commerciale. Selon la Cour,
cette activité doit avoir pour objet des transactions commerciales sur un produit entre les
États membres et jouer un rôle effectif sur les échanges. Ceci ressort du célèbre arrêt Costa
c/ Enel de 1964 qui portait sur l'ordre juridique de l'Union et en l'espèce il s'agissait
également du monopole. Cette approche donc qui en fait est plutôt suggérée par
l'emplacement de la disposition dans le cadre des marchandises centre, on l'observe bien,
l'obligation sur les seuls échanges de marchandises et permet ainsi d'écarter les activités de
production et de services qui sont exercées sous forme de monopoles. La production et les
services sont écartés, c'est le cas par exemple de l'émission de publicités commerciales qui
ne relève pas de l'article 37, TFUE, mais de la prestation de service sauf s'il est démontré que
de telles activités ont indirectement ou directement une incidence néfaste sur les échanges
intracommunautaires ou si elle instaure des discriminations selon l'origine du produit.
Toutefois, la Cour retient une définition très large de la notion de marchandise qui est
entendue comme tout bien susceptible de faire l'objet d'une transaction commerciale (je
vous renvoie au célèbre arrêt Commission c/ Italie œuvre d'art mais aussi bien sûr l'arrêt
Commune d’Almelo). Conclusion : l'article 37 TFUE est opposable aux activités de nature
commerciale et ici est visée la libre circulation des marchandises. En revanche les activités de
production et de services échappent à l'aménagement du monopole.
2. L’exigence d’une activité intra-communautaire
Deuxième condition : l'exigence d'une activité intracommunautaire. L'approche de la Cour
induit que la notion de monopole ne vise que les échanges intracommunautaires étant
exclus dès lors les échanges avec les États tiers. Le monopole doit avoir pour objet
d'instaurer des obstacles aux échanges de marchandises uniquement entre les États
membres de l'Union européenne. Il doit également avoir pour objet de porter atteinte aux
conditions de concurrence entre les différents opérateurs économiques des États membres.
Dans l'hypothèse d'un monopole qui instaure des discriminations ou de manière plus
générale porte atteinte aux échanges avec des pays tiers, dans ce cas-là ce n'est pas l'article
37 TFUE qui est applicable, cela relève dans ce cas des dispositions relatives à la politique
commerciale commune (arrêt Hansen C.J.C.E., 10 octobre 1978). Néanmoins, relève de
l'article 37 TFUE les activités qui affectent les échanges de produits entrés en libre pratique
et qui ont fait l'objet d'une communautarisation qui se verront opposés dès lors des entraves
lors de leur circulation dans la zone intracommunautaire du fait de l'existence de monopoles
nationaux. Je vous rappelle que lorsqu'une marchandise vient d'un État tiers et entre sur le
territoire douanier communautaire, elle doit faire l'objet de deux procédures : d'une part
l'opérateur économique qui importe la marchandise doit s'acquitter des droits de douanes
établis par la nomenclature communautaire. Il doit par ailleurs accomplir les formalités
douanières requises qui sont évidemment importantes pour déterminer le circuit qu'a
parcouru la marchandise. Au regard de ces deux procédures la marchandise ensuite entre
dans un régime douanier que l'on appelle la libre pratique comme nous l'avons étudié. Et
dans le cadre de cette libre pratique le produit est considéré comme communautaire. On dit
qu'il est communautarisé. Et il peut dès lors circuler librement sans rencontrer d'entraves de
la part des États. Et dans ce cas-là on voit bien qu'un produit venant d'un État tiers s'il est
communautarisé il se voit appliquer l'article 37 TFUE, on ne lui opposera pas d'entraves, il
pourra circuler librement.
B. Informalisme : la question de la nature juridique de l’organisme
Deuxième point qu'il convient d'observer après la question relative à la nature de l'activité :
l'article 37, TFUE, soulève la question de la nature juridique de l'organisme qui est visé et là
de nouveau on va observer qu'il y a une forte indifférence aux critères organiques. Selon la
définition extensive de l'article 37, TFUE, il s'agit de tout organisme qui se voit investi par
l'autorité publique de la gestion d'un monopole. De nouveau, la nature juridique n'est pas
déterminante. (Ceci est assez classique en droit de l'Union, nous l'aurons compris). Ce n'est
pas déterminant dans la qualification du monopole commercial et dès lors dans la mise en
œuvre de l'article 37, TFUE, puisqu'au-delà des qualifications juridiques, l'obligation
d'aménagement détachée de tout formalisme est opposable aux organismes par lesquels un
État membre de droit ou de fait, contrôle, dirige, ou influence. Il pourra s'agir autrement dit
d'un monopole sous la forme d'une administration centrale de l’État (hypothèse vraiment
ordinaire). Par exemple : en France le monopole des alcools est rattaché à une
administration centrale, au service des alcools. Celui-ci appartient au Ministère de
l’Économie et des Finances. Il peut également s'agir d'un monopole délégué au travers d'une
personne morale qui a un statut de droit privé et qui est investie par l’État d'un pouvoir
particulier, le pouvoir d'exercer de manière monopolistique certaines activités comme
l'évoque l'article 37, paragraphe 2. Par exemple pour la France on peut citer le monopole
des hydrocarbures qui est un monopole délégué par l’État depuis 1928. Il peut également
s'agir d'un établissement public ou d'une société nationale. La forme juridique, vous voyez,
ne pose pas de difficultés pour le droit de l'Union. Il y a une indifférence par rapport au
formalisme dès l'instant qu'il y a l'exercice d'une activité commerciale de manière exclusive
et qui est déléguée par l’État ou exercée par l’État lui-même.
II. Monopoles exclus de l’article 37, TFUE
Troisième point : La question des monopoles exclus de manière définitive ou temporaire de
l'article 37, TFUE. Ce régime dérogatoire est une réponse à leur spécificité. En dépit de sa
formulation très large, généreuse, l'article 37, TFUE, exclut deux catégories de monopoles
parce que, si vous voulez, lorsqu'on les observe ils répondent à de fortes spécificités. Il s'agit
tout d'abord du ou des monopole(s) relatif(s) au secteur agricole (un ou plusieurs selon les
États) et ceux résultant des accords internationaux.
A. Le monopole relatif au secteur agricole
Pour le monopole relatif au secteur agricole, on notera aisément l'influence de la France car
je vous rappelle que lorsque la France en tant que membre fondateur a mené ce processus
d'intégration et de construction européenne avec le plan Schuman etc., le secteur agricole
était particulièrement prospère à ce moment-là en France, c'était un secteur très important,
et d'ailleurs lorsque le Général De Gaulle est revenu au pouvoir, il avait accepté la
construction européenne comme je vous l'avais expliqué, surtout par rapport au secteur
agricole. Il n'avait pas fait partie des négociations du traité de Rome et lorsqu'il est arrivé, le
traité était signé mais il acceptera la construction européenne par rapport à la politique
agricole commune qu'il voulait vraiment mettre en place, qui était intéressante et très
importante pour les agriculteurs français et la contrepartie c'était la libéralisation des
produits industriels. Donc il va accepter à contrecœur cette libéralisation sachant qu'il y avait
la PAC (Politique agricole commune) qui allait être mise en œuvre. Le secteur de l'agriculture
en France étant un secteur florissant, cela va sans dire que pour la signature des traités en
1957, on a écarté soigneusement ce secteur sensible, on ne pouvait pas toucher au
monopole qui est relatif au secteur agricole.
B. Les monopoles résultant des accords internationaux
1. Le monopole temporairement exclu : le monopole agricole
L'article 37 paragraphe 3 effectivement vise les monopoles relatifs aux produits agricoles. Ce
sont des monopoles pour lesquels sont établis des régimes particuliers. En effet, il est prévu
qu'en cas d'aménagement d'un monopole commercial comportant une réglementation
destinée à favoriser l'écoulement ou la valorisation des produits agricoles, il faut s'assurer
qu'il y ait des garanties pour les agriculteurs, c'est ça l'idée. Il faut s'assurer que des garanties
équivalentes pour l'emploi et le niveau de vie des agriculteurs soient mises en place. A
l'évidence, cette disposition ne peut pas être interprétée comme une dérogation pleine et
entière à l'obligation générale d'aménagement mais c'est plutôt un tempérament que la
doctrine considère comme temporaire. En effet, l'article 37 paragraphe 3 autorise les États
membres à adopter des mesures protectrices au profit des agriculteurs si on est face à un
monopole commercial dans ce secteur qui est démantelé (enfin démantelé dans le sens de
l'aménagement important) et ceci afin de compenser donc cet aménagement du monopole
agricole par rapport à leur niveau de vie et aux avantages qu'ils pouvaient en tirer. A cet
égard je vous renvoie à l'arrêt de 1976, l'arrêt (MERITZ ?). Mais l'article 37 TFUE prévoit
parallèlement un aménagement effectif du monopole. L'aménagement n'est pas
complètement interdit dans ce domaine-là mais effectivement il est ralenti, contrebalancé
par des garanties apportées à la population agricole. Dès l'instant qu'une organisation
commune de marché est instaurée dans le cadre de la PAC, les autorités nationales ne
peuvent plus alors invoquer l'article 37 paragraphe 3. Elles ne peuvent pas invoquer cette
clause car il est établi que s'il y a une organisation commune de marché, il y a
nécessairement des mesures protectrices pour les agriculteurs qui existent déjà et donc
celles qui seraient ajoutées au titre du paragraphe 3 ne reçoivent plus de fondement, il n'y a
plus de justification à cela parce que précisément il y a une réglementation au sein de
l'Union qui met en place un régime en faveur des agriculteurs et nous rappellerons qu'au
regard du principe de préemption communautaire dès l'instant que l'Union intervient dans
un champ, l’État membre est dessaisi à cet égard (dans le cadre de compétences
concurrentes bien évidemment ; c’est le principe de préemption communautaire). De plus,
nous rappellerons également que la Cour considère que le principe de libre circulation des
marchandises est applicable aux produits agricoles (c'est peut être évident de le dire mais il
faut le rappeler : la Cour de jurisprudence classique a fait valoir qu'il y a application des
règles de libre circulation de marchandises aux produits agricoles même dans l'hypothèse où
ceux-ci ne sont pas sous le régime d'une organisation commune de marché (célèbre arrêt
CHARMASSON, CJCE, 10 décembre 1974)). Cette approche limite sensiblement la portée
dérogatoire, mais on l'avait dit ce n'est pas vraiment une dérogation, enfin c'est une
dérogation mais temporaire mais la portée dérogatoire de l'article 37 TFUE, paragraphe 3
n'établit pas véritablement un régime dérogatoire mais un régime transitoire dirons-nous au
profit des monopoles agricoles. Deuxième type de monopole qui échappe temporairement
ou définitivement à l'article 37 : le monopole résultant d'un accord international existant.
Dans ce cas précis, ce monopole échappe définitivement à l'article 37.
2. Le monopole définitivement exclu
Cela devient un peu compliqué en fait pour l'Union. Dans le cadre du paragraphe 5 de
l'article 37 (c'est un paragraphe qui est aujourd'hui abrogé quand vous lisez les traités vous
ne le trouvez plus). Ce paragraphe en fait vise le cas des monopoles résultant des accords
internationaux qui ont été conclus antérieurement à 1957, c'est-à-dire avant l'avènement
des communautés le 1er janvier 1958. Les obligations posées par l'article 37 TFUE, ne sont
valables autrement dit que dans la mesure où elles demeurent compatibles avec les
engagements internationaux contractés isolément par les États membres à l'époque car
avant 1957, il n'y avait pas encore de communauté européenne. Ce sont des accords
internationaux qui sont existants, qui liaient les États membres individuellement avec
d'autres États parties dans l'ordre international et en application d'une disposition du traité
en l’occurrence l'article 351 TFUE, les obligations des États à cet égard doivent être bien sûr
préservées et donc avec les traités. On va observer les obligations qui découlent du traité de
Rome et faire en sorte qu'elles ne remettent pas en cause les engagements internationaux
auxquels ont souscrit les États de manière individuelle avant l'avènement des communautés.
Dans ce cas-là c'est nécessairement une dérogation de manière définitive. Donc l'article 351
TFUE établit que les droits et obligations résultant de conventions conclues avant le 1er
janvier 1958 pour les États adhérents, antérieurement à leur adhésion, entre un ou plusieurs
États membres d'une part ou entre un et plusieurs États tiers d'autre part, ne sont pas
affectés par les dispositions des traités. De manière mécanique ces accords sont protégés.
Mais il est également précisé que dans la mesure où ces conventions ne sont pas
compatibles avec les traités, le ou les États membres concernés recourent à tous les moyens
appropriés pour éliminer les incompatibilités. Le paragraphe 5 a été abrogé par le traité
d'Amsterdam et donc il n'a été valable que pendant un certain temps. Ce fut le cas pour l'ex-
RFA liée en 1930 par un accord. Il y a une durée de validité des accords internationaux et
donc depuis 1957 certains accords ont été reconnus caduques. Dans le cas de l'ex-RFA en
1930 liée par un accord à une entreprise suédoise qui concernait le monopole des
allumettes, et les recettes de ce monopole des allumettes au profit de ces entreprises
suédoises qui étaient en Allemagne ex-RFA permettait de rembourser un emprunt contracté
auprès d'un groupe néerlandais. L'obligation d'aménagement ne concernait donc pas ce
monopole qui était né d'un accord existant parce que ce monopole tout simplement fut
supprimé en 1983 après le remboursement de la dette. Le monopole avait disparu de fait,
avec le remboursement de la dette. De même, la Grèce n'était pas liée par l'obligation
d'aménagement quant au monopole de l'opium car la Convention de New York de 1961 sur
les stupéfiants obligeait tout État partie qui autorisait le monopole de l'opium à mettre en
place un organisme d’État pourvu d'un droit exclusif d'importation, d'exportation et de
commercialisation de l'opium. La Grèce était liée par cette Convention de New York de 1961
et la Grèce est entrée dans l'Union en 1981 donc c'était un engagement international
antérieur à son adhésion donc elle ne pouvait pas respecter son obligation d'aménagement
posée par l'article 37 en ce qui concerne le monopole de l'opium qui est bien sur possible là-
bas et donc le monopole de l'opium n'était pas visé par cette obligation.
Section 2 : L’obligation d’aménagement
I. Nature de l’obligation d’aménagement
L'obligation pesant sur les États membres, de quelle nature est-elle ? Il s'agit comme nous
l'avons dit d'un aménagement des monopoles. L'obligation d'aménagement est formulée par
l'article 37 paragraphe 1. On observera que l'article 37, paragraphe 1, contraste avec la
terminologie, le vocable utilisé dans les autres dispositions du traité où les libellés sont
beaucoup plus prescriptifs, là il s'agit d'une prescription qui est beaucoup plus enrobée
dirons-nous. En fait, par rapport à la libre circulation des marchandises ou à la libre
concurrence où les dispositions sont édictées avec fermeté (on a des principes d'interdiction,
d'incompatibilité etc.), dans le cadre de l'article 37 c'est beaucoup plus nuancé. Il s'agit en
effet d'une obligation essentiellement forgée par la jurisprudence. De manière assez
succincte, l'article 37, TFUE, évoque effectivement l'obligation d'aménagement qui se définit
comme la suppression de droits exclusifs d'importation, d'exportation et de
commercialisation des produits. La jurisprudence de la Cour donne un contenu plus précis à
cette obligation en faisant valoir l’exigence du respect de la libre circulation de marchandise,
parallèlement l’interdiction de pratiques discriminatoires entre les produits provenant des
États membres. Tout d’abord, le monopole d’importation.

A. Le monopole d’importation et d’exportation


L’arrêt Manghera de 1976 porte sur le monopole en Italie des tabacs que la Cour s’emploiera
à définir le monopole comme étant le droit à l’importation exclusive d’un produit au profit
d’un organisme. Le monopole d’importation est par définition constitutif d’une
discrimination entre opérateurs économiques, ce qui est contraire au traité. L’obligation
résultant du paragraphe 1 implique dès lors l’aménagement d’un tel droit qui est source de
pratiques discriminatoires. Par analogie aux mesures d’effet équivalent à l’importation et à
l’exportation, l’obligation d’aménagement vise également le mouvement inverse des
marchandises c'est-à-dire le droit exclusif que détient l’État d’exporter (un État, c'est-à-dire
un organisme qui se voit accorder un droit en la matière) à destination d’États membres car
seul le flux intracommunautaire est concerné par l’article 37, du TFUE. Néanmoins, la
jurisprudence de la Cour, notamment dans les arrêts du 23 octobre 1997 relatifs à plusieurs
monopoles d’exportation et d’importation du gaz et d’électricité (Commission c/ France,
Espagne, Italie) va tempérer la portée de l’obligation d’aménagement. Ceci renvoie sur le
fond du débat concernant la nécessité de conjuguer les impératifs d’intérêts généraux aux
contraintes liées à l’espace concurrentiel. Ainsi, la cour fait valoir que certains monopoles
peuvent subsister à l’importation et l’exportation (cas du gaz et de l’électricité en France par
exemple). Ces monopoles sont préservés mais la production et la distribution sont
libéralisées. La Cour expliquera que certains monopoles peuvent subsister s’ils présentent
les conditions requises pour la qualification d’un service d’intérêt économique général en
application de l’article 106, paragraphe 2, et ont vocation d’accomplir une mission
particulière. La combinaison des deux articles devient un support et un outil pertinent pour
que les États membres invoquent devant la Cour le maintien de certains monopoles
d’importation et exportation avec plusieurs arguments comme un service d’intérêts général,
leurs intérêts stratégiques, etc. Rappelons que le monopole de production est écarté
d’emblée par l’article 37. Les États membres doivent cependant établir la qualité de service
d’intérêt général, c’est le minimum. Notion plutôt resserrée même si la Cour fait un effort en
la matière.
B. Le monopole de commercialisation et de fabrication
A. Le monopole de commercialisation
Le monopole de commercialisation, dans la mesure où il peut être le prolongement d’un
droit d’importation ou d’exportation, il doit donc être aménagé. Cette thèse est défendue
par la Commission, qui dès le départ a étendu l’obligation d’aménagement pour le
commerce en détail. La Cour est plus mesurée quant à la surpression du droit exclusif de
commercialisation. Elle se livre à un examen au cas par cas en appréciant l’engagement de
l’État au regard de l’application des règles de concurrence et des conditions qui entourent
cet exercice. Elle retient également l’attachement de l’État à ne pas instaurer des pratiques
qui remettent en cause l’égalité de traitement des produits nationaux et originaires des États
membres. Ce n’est donc pas systématique de ce point de vue-là, et il n’y aura pas forcément
obligation d’aménagement.

2. Le monopole de production
Il est établi que le monopole de production ne rentre pas dans l’obligation d’aménagement,
et ce depuis toujours. Le monopole de production confère à un organisme le droit exclusif de
fabrication d’un produit. La raison sur le plan du droit en est que le traité, en vertu de
l’article 345, TFUE, ne préjuge en rien le régime de propriété des États membres, qui
disposent d’un pouvoir discrétionnaire entier à cet égard. Les traités ne remettent pas en
cause le droit de propriété. Il faut bien comprendre que les traités ne remettent pas en
cause la propriété, les États peuvent opérer à des confiscations ou octroyer un droit de
production exclusif à un opérateur. En revanche, la mise en œuvre sera encadrée par l’article
36. Voyons donc cette mise en œuvre.
II. Mise en œuvre de l’article 37
Le paragraphe 6 de l’article 37, aujourd’hui abrogé, a instauré une procédure
d’aménagement progressif sans calendrier précis. C’était plutôt progressif, à la différence du
démantèlement des entraves aux échanges, où c’était extrêmement méthodique, avec un
calendrier et des leviers. On sent donc les pressions nationales dans le cas présent. Il était
sommairement indiqué que la Commission fait dès les premières étapes des
recommandations au sujet des modalités et du rythme selon lequel l’adoption prévue doit
être réalisée. Le paragraphe 3 est très ouvert également. Il est aujourd’hui abrogé. Il
indiquait que le rythme des mesures doit être adapté à l’élimination des restrictions
quantitatives pour les mêmes produits. La seule contrainte qui pesait sur les autorités
nationales reposait sur le fait que l’obligation d’aménagement devait être effective au
lendemain de la période de transition. Il y avait donc une date butoir. Cela devait être le cas
au 1er janvier 1970, mais ca ne sera pas le cas compte tenue de la lenteur dans la réactivité
des États. Il y avait donc un contexte bienveillant qui entourait la rédaction de l’article 37. La
Commission agira précocement, à partir de 1962, la Commission opère par voie de
recommandations. La recommandation ne revêt qu’un caractère déclaratoire, pas normatif
ni contraignant. C’est un acte modeste. Pourtant, la Commission va recourir régulièrement à
la recommandation aux États de recourir à l’obligation d’aménagement. Ceci sera qualifié
comme « l’interventionnisme de la Commission ». Cet interventionnisme n’aura cependant
pas raison de la faible portée des recommandations, puisque c’est un acte qui n’est pas
contraignant. Il y a avait 18 monopoles lors de l’arrivée des communautés recensés au titre
de l’article 37, TFUE : 8 en France, 8 en Italie et 2 en Allemagne. Au 1er janvier 1970, il fallait
tirer un bilan et seul 1 monopole fera l’objet d’un aménagement. Les États membres n’ont
fait aucun aménagement ou les ont faits tardivement. La France va supprimer par voie
législative certains monopoles. Par exemple les droits exclusifs d’importation ou exportation
du tabac originaire des autres États membres en 1979. Beaucoup d’aménagements au fur et
à mesure des élargissements ont eu lieu et surtout dans les États méridionaux comme la
Grèce, l’Espagne ou le Portugal. En revanche aucun monopole commercial n’a été recensé
au Royaume-Uni, Irlande ou Danemark. A cette occasion, la Commission a redoublé de
prudence et de fermeté dans les recommandations qu’elle adressera. Elle sera même
beaucoup plus précise. Les traités d’adhésion seront très précis sur le sujet. Face à l’inertie
persistante des États, la Commission va introduire des recours en manquant contre les États
peu réceptifs à cette obligation d’aménagement au nom de la violation de l’article 37,
puisque la recommandation est insusceptible de recours et qu’elle n’est pas contraignante
juridiquement. Hormis le cas de l’élargissement en surveillant les nouveaux adhérents, la
Commission cessera au lendemain de la fin de la période de transition de recourir à la
recommandation. En fait, l’article 37, TFUE lui attribuait cette compétence uniquement
durant la transition. Surtout, la procédure de recommandation ne sera plus nécessaire par la
suite car la Cour consacrera assez précocement l’effet direct de l’article 37, paragraphe 1.
L’arrêt Manghera a consacré l’applicabilité directe de l’article 37. Tout opérateur pouvait
alors contester devant la Cour l’existence de tel ou tel monopole. Cette reconnaissance
permettra après la période de transition à la Cour de maintenir un contrôle ainsi qu’à la
Commission. Cet effet direct permettra à tout justiciable de se prévaloir de cette disposition
devant une autorité nationale qu’elle soit juridictionnelle ou non dans le cas d’une pratique
discriminatoire imputable à un monopole. Cette reconnaissance va instaurer une dynamique
de l’obligation d’aménagement qui connaissait un certain enlisement. Cependant, pour
conclure on peut noter un certain effacement de l’article 37 TFUE dans le dispositif de
surveillance du secteur public et des comportements étatiques dans le secteur économique.
Il est certain que cet article occupe une place en retrait par rapport à d’autres mécanismes
de surveillance comme ceux résultant de l’article 106 paragraphe 2, qui accorde des
pouvoirs quasi normatifs à la Commission. Cet effacement peut s’expliquer par deux raisons.
Tout d’abord, on peut relever une raison d’ordre pratique, à savoir la disparition effective
des monopoles nationaux à caractère commercial. Ils sont aujourd’hui aménagés et d’autres
ont disparu. Il n’y a donc pas lieu de mettre en œuvre systématiquement l’article 37. De plus,
cette surpression rend moins pertinente le recours à l’article 37 mais il a été jugé utile de
conserver une telle disposition, qui a été uniquement amendée, pour dissuader les membres
de réinstaurer de tels monopoles ou pour les nouveaux membres. Aussi, l’application
effective de l’article 37 a progressivement éteint les cas de contentieux et limite l’intérêt de
son invocabilité. L’autre raison est liée aux autres mécanismes. En effet, on observe que le
fort dynamisme de certaines dispositions comme l’article 106 paragraphe 2 en matière
concurrentielle ou encore les articles 34 et 35 en matière de marchandises ont focalisé
l’attention des institutions sur la surveillance de ces comportements et ont marginalisé le
recours à l’article 37. Portés par un contentieux constant et nourri, ces différents dispositifs
ont conquis une prévalence sur l’article 37, TFUE, dont le champ matériel est circonscrit,
même s’il s’est à un moment donné prêté à une interprétation extensive de la jurisprudence.
L’effacement de cet article reste néanmoins relatif car cette disposition se maintien au gré
des révisions. En effet, il est indispensable de rappeler aux États leur obligations spécifique
en la matière dans ce champ, parce qu’ils seraient tentés de maintenir des monopoles ou de
les reconstituer. Il est vrai qu’il s’agit d’une disposition mineure toutefois.
Conclusion générale
Au regard de l’examen, il faut bien maitriser les grandes trames du cours. Tout d’abord, la
constitution d’un espace de liberté avec les marchandises comme point central de cette
question, bien comprendre les mécanismes applicables, la forte importance de la
jurisprudence et le rôle de la Commission. L’autre grand champ est la constitution d’un
espace de concurrence avec une binarité qui s’établie. D’un côté l’opposabilité des règles de
concurrence aux opérateurs ordinaires, aux entreprises, qu’elles soient de droit public ou
privé à travers des pratiques anticoncurrentiels, comportements imputables aux différents
opérateurs. D’un autre côté, l’opposabilité visant les autorités publiques. Là, on observe un
encadrement plutôt sévère du secteur public, à la faveur d’un encadrement des aides d’État,
avec un pouvoir très centralisé autour la Commission, une procédure de notification en
amont, etc. C’est donc un pouvoir très important. A la faveur aussi de l’article 106 qui est
devenu un outil important pour ce contrôle et permet de surveiller les relations financières
entre les États et les entreprises publiques et celles privées avec des missions d’intérêt
général. Il y aura aussi la dérogation possible au gré du paragraphe 2, du maintien de ces
activités sans qu’il y ait une surcompensation, mais dès l’instant que les critères d’Altmark
sont respectés. Enfin, la question des monopoles nationaux à caractère commercial,
disposition aujourd’hui plutôt effacée, mais qui reste vivace parce qu’il faut continuer
d’enserrer les comportements des États.

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