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DROIT DES AFFAIRES

DE L’UNION EUROPÉENNE

Par Abdelali ABBOUR

Docteur en droit de l’Université de Toulon (France)


Professeur-Habilité à la Faculté de droit de Meknès
(Ex. enseignant de la Faculté de droit de Toulon).
Membre du Centre de Droit et de politiques Comparés Jean-Claude ESCARRAS de la Faculté de droit
de Toulon (France). Laboratoire de l’UMR n°7318 DICE, Groupement de Droit Comparé CNRS 119.

******

Année universitaire 2021-2022


2

INTODUCTION GÉNÉRALE
Si le droit des affaires de l’Union européenne apparaît comme un droit

régissant les rapports économiques de ses Etats membres, il mérité d’être enseigné

dans les facultés de droit marocaines en raison du statut spécifique accordé du Maroc

dans le domaine politique et économique. D’abord, dans le domaine politique, le

renforcement de l'architecture institutionnelle s’est traduit par l'installation d'une

commission mixte paritaire « Parlement marocain-Parlement européen » et


3
l'obtention par le Maroc du statut d'observateur à l'Assemblée parlementaire du

Conseil de l'Europe.

Ensuite, c’est certainement le domaine qui nous intéresse dans le cadre de ce

cours, le domaine économique où le statut comporte un rapprochement du cadre

législatif du Maroc à l'acquis de l’Union européenne et la possibilité d'approfondir

les relations commerciales à travers un « Accord de Libre-Échange Approfondi

(ALEA) » qui couvrira un nombre important de domaines à savoir un accès aux

marchés publics, une facilitation de l'accès au marché pour les produits industriels,

des mouvements des capitaux et paiements, des droits de la propriété intellectuelle et

industrielle, et une politique de la concurrence. C’est cette politique qui nous

intéresse dans ce cours et qui plus particulièrement les juristes d’affaires marocains.

Au Maroc, comme dans les autres systèmes juridiques étrangers, le droit des

affaires apparaît comme le moyen d’adapter le droit de l’entreprise aux nécessités de

la vie économiques contemporaine. Compte tenu des vastes champs disciplinaires de

cette matière, il n’est pas question dans ce cours de les aborder toutes de manière

critique. Plus modestement nous accorderons une place non négligeable au droit de la

concurrence. Envisagé sous ses aspects économiques, ce droit, composante

essentielle du droit des affaires de l’Union européenne a pour objet l’organisation des

structures des entreprises et les comportements des entreprises sur le marché. C’est
donc un droit de régulation des activités concurrentielles par les pouvoirs public et

privés. Il réglemente les formes juridiques de l’économie. Cependant, ce droit est un

droit qui dérange les juristes des États membres de l'Union européenne et oblige à

remettre en cause les habitudes de pensée traditionnelles. Les juristes privatistes

n'échappent pas à cette situation et pensent que les rapports entre le droit de l’Union

européenne et le droit privé soient sensiblement différents selon qu'il s'agît des
4
rapports économiques où la diversité des droits nationaux est un obstacle à la

réalisation de l’Union européenne.

Cette situation a fait que le droit des affaires de l’Union européenne est le

fruit d’une longue et lente construction progressive et chronologique. Aujourd’hui,

ce droit a principalement pour source les traités fondateurs, la jurisprudence de la

Cour de justice, une multitude d’instruments de droit dérivé et aussi d’une certaine

manière des ordres juridiques des Etats membres. Au sein de l’Union européenne ce

corpus juridique a pour principaux destinataires les agents économiques. En intégrant

l’ensemble des droits des Etats membres, le droit des affaires de l’Union européenne

devient ainsi une composante essentielle du droit interne de ces Etats. A l’instar du

droit interne, comme au Maroc, le droit des affaires est l’ensemble des règles

relatives à l’activité économique. Mais pour l’Union européenne, ce droit s’inscrit

dans le cadre d’une réglementation régionale, comme c’est le cas en Afrique pour

l’OHADA1, ou Mercosur en Amérique du Sud.

Ce droit présente plusieurs particularités. Il comporte, d’abord, un ensemble

de règles relatives au développement des échanges, comme la liberté de circulation et

l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles, mais aussi des règles applicables aux

opérations sur le marché intérieur, comme par exemple la distribution, la propriété

1
Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, comprenant 17Etats membres.
intellectuelle, le commerce électronique et l’espace judiciaire européen. Il comporte,

ensuite et enfin, des règles relatives au développement des entreprises comme le droit

européen des sociétés et le contrôle des concentrations. Ce droit des affaires de

l’Union européenne est destiné d’une certaine manière aux relations d’affaires, c'est-

à-dire les rapports entre les agents économiques sur le marché de l’Union

européenne. Il regroupe donc toute une réglementation à vocation purement


5
économique. Ce droit procède, comme en droit marocain, par une appréhension

d’une situation de fait et dans une situation particulière pour lui donner un régime

propre. Ce droit des affaires de l’Union européenne présente l’avantage de tenir

compte de l’évolution économique.

Il est certainement réducteur de présenter le droit des affaires de l’Union

européenne comme émanant de la seule sphère des institutions de l’Union. Il est

aussi le fruit d’un dialogue : dialogue entre les États membres, dialogue entre

l’échelon national et l’échelon européen. Ce dialogue contribue à l’élaboration et

l’affirmation du droit des affaires de l’Union européen. En ce sens, la concurrence

entre les ordres juridiques des États membres constitue un facteur possible de

rapprochement.

Si l’histoire de la construction de ce droit des affaires de l’Union européenne

est aujourd'hui plus que cinquantenaire, les États membres n’ont pas renoncé

totalement à légiférer en la matière. Certains volets demeurent avant tout tributaires

du droit interne comme l’illustre ce que l’on désigne sous le vocable de droit des

pratiques restrictives de concurrence ou le droit de la concurrence déloyale. Il n’en

demeure pas moins que l’opérateur économique européen reste toujours confronté à

l’existence d’une intégration juridique inachevée et donc incomplète.


Si comme en droit interne l’expression « droit des affaires » paraît incertaine,

on peut lui préférer celle de droit commercial. Sans entrer dans le débat, il faut

souligner que le droit commercial, en tout cas pour les juristes marocains, ne régit

pas toutes les activités économiques. Or, ainsi qu’il sera vu par la suite, le droit

européen et singulièrement le droit européen de la concurrence s’attachent à l’activité

économique et ce, quelle que soit la forme prise, commerciale ou non. Le vocable de
6
droit professionnel a pu être adopté, englobant ainsi l’activité économique des non-

commerçants. Mais, l’expression « droit des affaires » semble recouvrir le contenu

de ce droit des activités économiques. Au point d’ailleurs qu’il serait peut-être

préférable de parler de droit économique européen. Mais finalement, il a été choisi de

maintenir le terme de droit des affaires, défini comme le droit des relations d’affaires,

que ce soit du point de vue des structures ou des opérations. Ou plus exactement,

d’expliciter le contenu de ce droit des affaires au regard des deux grandes branches

qu’il recouvre aujourd'hui du point de vue de l’agent économique, de l’opérateur

économique, de l’entreprise à savoir la libre concurrence et la libre circulation.

Certains choix délibéré sont été volontairement opérés dans ce cours. Il ne

s’agit ici nullement, comme nous l’avons déjà souligné, de couvrir tous les domaines

de ce que l’on a longtemps désigné par l’expression, plus vague, de droit

communautaire matériel, par opposition au droit communautaire institutionnel. On ne

trouvera donc pas de développements autres que très généraux et dans la mesure où

ils contribuent effectivement à l’étude du droit des affaires, objet de notre cours.

L’originalité de l’ordre juridique européen notamment les principes de

primauté et d’effet direct qui le caractérisent, conduisent à faire des juridictions et

autorités nationales les acteurs en première ligne du droit des affaires de l’Union

européenne. Le droit des pratiques anticoncurrentielles en est l’illustration la plus


parfaite. Afin de bien percevoir ce phénomène, il a été choisi d’illustrer les aspects

majeurs du droit des affaires de l’Union européenne par des décisions prononcées par

les juridictions et autorités françaises.

Le droit des affaires de l’Union européenne est pour l’essentiel construit par

des acquis jurisprudentiels de la Cour de justice qui fonde l’ordre juridique de

l’Union européenne et l’ordre juridique national. Une étape décisive de cette 7


construction résulte d’un arrêt de première importance en date du 5 février 1963 dit

« Van Gend en Loos », qui a institué dans l’ordre juridique de l’Union européenne le

principe de l’effet direct. Selon cet arrêt « le droit de l’Union européenne,

indépendamment des législations des Etats membres, engendre des droits au profit

des ressortissants qui entrent dans leur patrimoine juridique. Est donc instituée une

voie de droit à l’initiative des particuliers qui peuvent agir devant leurs juges

nationaux en invoquant ces droits ce qui, indirectement, peut avoir pour effet de faire

sanctionner les manquements des Etats ». Ce principe de l’effet direct de l’ordre

juridique, signifie que les Etats membres ont accepté la limitation de leur

souveraineté, et que leurs citoyens ont désormais la possibilité de s’appuyer sur les

Traités pour faire valoir leurs droits devant les juridictions nationales.

Un an plus tard, le 15 juillet 1964, un autre arrêt important, dit « Costa contre

ENEL » pose le principe de primauté du droit européen sur les législations

européennes des Etats membres. Enfin, l’arrêt dit « Simmenthal » en date du 9 mai

1978 consacre le juge national comme le juge de l’Union européenne. Le juge a

l’obligation d’appliquer le droit de l’Union européenne dans l’ordre juridique interne.

Mais pour le cas où le droit de l’Union européenne ne serait pas clair, le juge national

peut saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle au sens de l’article 267 du

Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.


La Cour de justice interprétera le droit de l’Union européenne et le juge

national devra suivre cette interprétation. C’est le cas par exemple lorsqu’une loi

nationale est contraire au droit de l’Union européenne.

Par tous ces arrêts, les juges imposent que le droit de l’Union européenne

constitue un ordre juridique propre, ce qui signifie qu’il est autonome des droits

nationaux. De plus, ce droit est intégré dans les droits nationaux. Dès lors, ces droits 8
nationaux deviennent eux-mêmes une part du droit de l’Union européenne. Il est

remarquable de noter que c’est une juridiction et non les Traités fondateurs qui a

opéré une avancée considérable de l’intégration européenne et donc une base du droit

des affaires.

Au sein du marché de l’Union européenne, il y a la mise en place de libertés

économiques et des principes fondamentaux comme la libre concurrence. Mais,

comme pour toutes les libertés, il y a pour certaines d’entre elles des limites non

seulement à l’échelle de l’Union européenne mais aussi à l’échelle des Etats

membres qui elles sont toutefois soumises au contrôle de l’Union européenne. Toutes

ces libertés et aussi leur restriction sont donc réglementées par ce droit des affaires

de l’Union européenne.

Mais, l'application la plus significative du droit des affaires de l’Union

européenne est certainement le droit de la concurrence par les autorités de la

concurrence, au premier chef desquelles la Commission européenne, qui rend la prise

en compte de cette réglementation indispensable par les entreprises. Le droit de la

concurrence de l’Union européenne est d'autant plus important qu'il s'impose, en

droit ou en fait, aux autorités et juridictions nationales et s'applique donc, en

pratique, à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.


Sa compréhension et sa mise en œuvre peuvent néanmoins s'avérer délicates,

car il s'agit d'un droit très empreint d'économie, et dans lequel la pratique

décisionnelle et la jurisprudence tiennent une place particulièrement importante. Pour

autant, s'il constitue une contrainte pesant sur le comportement des entreprises, sa

connaissance fine peut également permettre de s'en servir comme d'un outil dans les

relations commerciales et industrielles entre les entreprises.


9
Cette réglementation vise à permettre un contrôle tant des comportements des

entreprises, a posteriori comme par exemple le droit des ententes anticoncurrentielles

et des abus de position dominante, que de leurs opérations significatives de

croissance externe, a priori par exemple le droit des concentrations. À cet égard, il

convient de prendre garde à la signification de certaines notions cardinales du droit

de la concurrence telles que celles d'entreprise, ou de marché, qui diffère de celle qui

est la leur dans d'autres réglementations nationales.


10

Prolégomènes
Quelques propos sur le processus de
convergence règlementaire du Maroc : Vers la
consécration de l’acquis de l’Union européenne
dans le cadre du statut avancé.
Politiquement, l’histoire des relations de partenariat entre le Maroc et l’Union

européenne n’est pas récente. A partir de 1963, il y a eu d’intenses négociations.

Celles-ci vont porter leur fruit à partir de 1969 où un premier accord a eu lieu. Sa

vocation première était purement commerciale. En 1976, cet accord fut remplacé par

un accord de coopération entré en vigueur en 1978, contenant cette fois des

dispositions commerciales, économiques et sociales. C’est à partir de cet accord de


11
coopération, qu’en 1984, le Maroc avait sollicité son intérêt d’adhérer à l’Union

européenne. A la grande surprise du Maroc, quelques années plus tard, en 1987, cette

demande fût simplement rejetée par le Conseil européen. Ce refus fût essentiellement

fondé par la condition sine qua none d’appartenir au continent européen. C’est cette

condition qui permet à un Etat d’être éligible à l’adhésion. Ce n’est donc pas le cas

du Maroc, en raison de situation géographique.

A partir des années 90, il y a eu une volonté de mettre en place un partenariat

euro-méditerranéen. Cette volonté s’est traduite en 1995 par le processus de

Barcelone. Il avait pour objectif de créer un ensemble régional intégré auquel

participeraient les pays membres de l’Union européenne et tous les pays partenaires

du bassin méditerranéens. Cette proximité géographique avec ces Etats va permettre

à l’Union européenne de mettre en place à leur égard des stratégies politiques,

économiques et sociales. Sur le plan économique cela s’est concrétisé par

l’instauration d’une zone de libre échange euro-méditerranéen. Cette instauration a

été réalisée en 2010.

Mais dés 1996, le Maroc a procédé à la conclusion d’un nouvel accord euro-

méditerranéen d’association permettant de nouvelles relations bilatérales axées cette

fois sur des principes et des valeurs universels. Tout en abrogeant l’accord de 1976,

celui de 1996 a étendu la coopération dans d’autres domaines comme le


rapprochement du cadre législatif marocain avec celui de l’Union européenne. Ce

rapprochement est connu aujourd’hui sous l’appellation de « l’acquis de l’Union

européenne ». Tout en faisant du Maroc un partenaire privilégié, cet accord a permis

la mise en place d’une certaine homogénéité entre le Royaume et l’Union

européenne dans tous les domaines et plus particulièrement dans le domaine

juridique.
12
Dans son volet économique, cet accord de 1996 a permis de mettre en place

une zone de libre échange notamment pour les produits industriels. En contre partie,

le Maroc, devait procéder non seulement au démantèlement des obstacles tarifaires,

mais également entreprendre toute une série de réformes relatives aux structures

économiques et sociales. Afin de réaliser toutes ces réformes structurelles, le Maroc

a reçu un financement de l’Union européenne. Ce sont essentiellement les fonds

structurels européens. Ils constituent un instrument européen de coopération

financière qui se concrétise généralement dans un programme appelé MEDA.

2003 a été l’année de la mise en place de la politique européenne de voisinage

dont l’objectif était d’instaurer des nouvelles règles de coopération fondées sur le

principe de différenciation. La finalité de cette politique était de prévenir les effets de

rupture entre l’Union européenne et les Etats n’ayant pas vocation à adhérer.

Avec l’adoption d’un plan d’action de la politique européenne de voisinage

pour la période de 2005 à 2010, le Maroc s’était engagé d’entreprendre toute une

série de réformes indispensables à sa modernisation tant au niveau politique,

sécuritaire, économique, social, culturel et scientifique.

Mais, historiquement, l’année 2005 a été d’une particulière importance pour

le Maroc dans le processus de convergence règlementaire. Année qualifiée


d’amorçage de ce processus qui se traduisait par le renforcement institutionnel des

administrations publiques dans les domaines relatifs au commerce extérieur, la

douane, le transport, l’environnement ou encore la migration. Comme toujours, ce

renforcement était financier par l’instrument européen de coopération financière,

MEDA.

2007 a été aussi une année d’élargissement du processus avec un 13


renforcement de la coopération mais cette fois dans d’autres domaines qui n’étaient

prévus précédemment comme par exemple la protection du consommateur,

l’agriculture, la lutte contre le blanchiment des capitaux, la concurrence ou encore la

décentralisation.

2008 a été une année d’une extrême importance pour le Maroc. En effet, sous

la présidence française de l’Union européenne, le Maroc s’est vu reconnaitre un

partenariat privilégié par le statut avancé. Ce statut est une reconnaissance par

l’Union européenne de l’importance des réformes entreprises par le Maroc dans le

cadre se coopération bilatérale. Par ailleurs, il important de le souligner, le Maroc a

été le premier pays arabe du bassin de la méditerranéen à bénéficier de ce statut

privilégié. Incontestablement, ce statut avancé a permis au Maroc de bénéficier de

plus grandes opportunités de coopération. Cela s’est traduit non seulement par un

renforcement des échanges économiques, financiers et sociaux, mais également de la

possibilité de pouvoir accéder à certains programmes de l’Union européenne. Pour

pouvoir en bénéficier, le Maroc s’est engagé dans un rapprochement de son arsenal

règlementaire qui doit et devra tenir absolument des législations et des standards

européens.

Ce statut avancé est aussi un moyen permettant un développement

économique durable mais aussi un rapprochement politique. Dés le début de sa mise


en ouvre, l’Union européenne a engagé au profit du Maroc un certain nombre de

programmes d’appui au développement dans les secteurs comme la santé,

l’éducation, l’énergie….etc.

2010 a été une année politiquement importante pour le Maroc. Dans le cadre

de la consolidation du dialogue politique et du développement des relations

économiques, le Maroc a été le premier pays du Sud de la méditerranéen qui a 14


participer au sommet de l’Union européenne qui s’était tenu à Grenade, en Espagne.

Aussi, tous les objectifs prévus dans le statut avancé ont été concrétisés par

un programme appelé « Réussir le Statut avancé ». Pour le Maroc, ce programme

constitue une véritable force d’accompagnement en permettant une meilleure

émergence sur le plan économique. Perçu comme un partenaire privilégié, le Maroc

souhaite profiter de la puissante position de l’Union européenne. Celle-ci est la

première puissance commerciale et la seconde puissance économique mondiale.

2010 a été aussi une année où le plan d’action de la politique européenne de

voisinage était arrivé à expiration. Ainsi, cette année a connu la signature entre le

Maroc et l’Union européenne d’un nouveau plan d’action pour la mise en œuvre du

statut avancé. Prévu pour la période de 2010-2013, ce plan avait pour objectif

d’instaurer et d’insuffler une nouvelle stratégie au processus de rapprochement du

cadre législatif et réglementaire marocain vers l’acquis de l’Union européenne. La

seule insuffisante de ce plan résidait dans le manque de véritable outil de sa gestion.

C’est vraisemblablement cette insuffisance qui justifie aujourd’hui un certain retard

dans ce processus de convergence règlementaire.

Pour le Maroc, il est aussi certain que la mise en œuvre de la convergence

règlementaire lui est parfaitement bénéfique et profitable. Elle lui permettra de


renforcer son dispositif juridique et institutionnel par l’acquis de l’Union européenne.

Ce renforcement a pour principal avantage, et pas des moindre, d’accélérer

l’intégration économique du Maroc au marché intérieur de l’Union européenne.

Mais, cependant cette intégration exige que le Maroc dispose de normes juridiques

identiques à celles de l’Union européenne et plus particulièrement dans le domaine

du droit de la concurrence.
15
Pour atteindre cet objectif, l’Union européenne encourage le Maroc à

entreprendre au plus vite une vaste réforme réglementaire consistant en une

convergence vers l’acquis de l’Union européenne. Contrairement à d’autres pays

africains du bassin de la méditerranée, le statut avancé donne une position

particulièrement privilégiée. Ce privilège réside dans une coopération bilatérale.

Mieux encore, le statut avancé est plus qu’un simple stade de coopération. Il permet

au Maroc d’être dans une situation similaire à d’autres Etats à l’adhésion à l’Union

européenne.
16

PREMIÉRE PARTIE

LE DROIT DE LA CONCURRENCE DE
L’UNION EUROPÉENNE
17

Chapitre 1.

Les grands principes du droit de la concurrence


de l’Union européenne
La logique du droit de la concurrence est l’élimination des frontières entre les

Etats membres. C’est la raison pour laquelle l’action du droit de l’Union européenne

s’est concentré dans l’élimination des barrières et autres entraves aux échanges de

nature étatique afin de réaliser un espace sans frontières intérieures. Dans le domaine

économique, cette logique exprime l’idée de compétition entre les entreprises sur un

marché définie.
18
Historiquement, le droit concurrence est né avec le Traité de Rome du 25

mars 1957. Ses anciens articles 85, 86 et 90, devenus après les articles 81, 82 et 86,

puis aujourd’hui les articles 101, 102 et 106 suite à l'entrée en vigueur du Traité de

Lisbonne, respectivement consacrés aux ententes anticoncurrentielles, aux abus de

position dominante et à leur application aux entreprises titulaires de droits spéciaux

ou exclusifs, n'ont connu aucune modification de texte depuis leur origine. Cette

réglementation a été complétée toutefois en 1989 par un règlement du Conseil

européen2 établissant un contrôle des concentrations.

Dès son origine dans le domaine économique, le processus d'intégration

européenne a fait le choix de l'économie de marché. C’est la cas de l’économie

marocaine. Cette économie a besoin d'être encadrée, protégée contre elle-même et

ses effets de domination.

Justement, pour garantir une économie de marché ouverte où la concurrence

est libre, le droit de la concurrence demeure un outil au service de la réalisation des

objectifs généraux du droit des affaires de l'Union européenne 3. À cet égard, il vise

notamment à éviter le rétablissement par des entreprises privées des barrières aux

échanges intra-européens supprimées au niveau étatique et, de manière plus générale,


2
Cons. UE, règl. n° 4064/89, 21 déc. 1989. - auquel a succédé Cons. UE, règl. CE n° 139/2004, 20
janv. 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises : JOUE n° L 24, 29 janv. 2004, p.1
3
par exemple TPICE, 30 avr. 2009, aff. T-12/03, Itochu Corp c/ Commission des Communautés
européennes, Contrats, conc. consom. 2009, comm., 172 ; Europe 2009, comm., 243.
que des entreprises, en restreignant la concurrence entre elles ou avec des tiers,

réduisent le bien-être du consommateur final4. Dans ce contexte, le droit européen de

la concurrence vise à protéger non pas uniquement les intérêts directs des

concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la

concurrence en tant que telle 5.

Il convient de s’intéresser aux notions fondamentales du droit de la 19


concurrence de l’Union européenne (Section 1) avant de voir son articulation avec

les droits nationaux (Section 2).

Section 1. Les notions fondamentales du droit de la concurrence de


l’Union européenne.

Deux notions fondamentales sont consacrées en droit des affaires de l’Union

européenne. La notion d’entreprise (§1) et la notion de marché (§2).

§1. La notion d’entreprise

En droit des affaires de l’Union européenne, la notion d’entreprise est un

concept important. Il permet de préciser le champ d’application du droit de la

concurrence aussi bien national que celui de l’Union européenne. Ce droit de la

concurrence vise particulièrement les comportements d'entreprises sur le marché.

Si l’entreprise est une notion qui reste intrinsèquement liée aux sciences

économiques et de gestion, elle demeure rebelle à une appréhension par le droit. La

notion d’entreprise s’est largement développée en droit des affaires de l’Union

européenne. En effet, afin de réaliser pleinement son objectif d’intégration

économique, l’Union européenne a rapidement compris qu’elle devait compter sur


4
Par exemple TPICE, 27 sept. 2006, aff. T-168/01, GlaxoSmithKline Services Unlimited c/
Commission des Communautés européenne.
5
Par exemple TUE, 16 sept. 2013, aff. T-386/10, Aloys F. Dornbracht GmbH & Co. KG/Commission
européenne, point 176.
des acteurs directs du marché qui peuvent se déplacer et pénétrer d’autres marchés

étrangers. Le droit des affaires de l’Union européenne ne pouvait ignorer l’entreprise.

Cette notion d’entreprise apparait dans le droit de la concurrence de l’Union

européenne par la consécration de la jurisprudence. C’est par un arrêt en date 23 avril

1991, dit « Hofner », que la Cour de justice a adopté une conception fonctionnelle et

extensive de la notion d’entreprise fondé sur le critère de l’activité économique.


20
Selon cet arrêt, une entreprise « s'entend de toute entité exerçant une activité

économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de

financement »6. Cette définition de l’entreprise permet une réduction de divergences

entre les formes légales d’entreprises existantes dans chaque Etats membres.

L’entreprise comme sujet de droit est une véritable nécessité juridique pour garantir

l’effectivité du droit de l’intégration. Le droit des affaires de l’Union européenne ne

pouvait concevoir l’entreprise que comme sujet de droit.

Pourtant, si l’on se réfère au droit des affaires marocain, l’entreprise n’est

portant pas un sujet de droit. En réalité, l’entreprise devient sujet juridiquement à

partir du moment où elle opte pour une forme déterminée de société. Le mot renvoie

au contrat qui lie les associés en un objet social, lequel génère une activité

commerciale, selon la logique de l’article 982 du Dahir des Obligations et Contrats.

La seule personne, sujet de droit, est donc bien la personnalité morale, condition

existentielle de sa naissance en tant que sujet de droit. Cette personnalité permet de

distinguer l’entreprise des parties au contrat, lesquels peuvent en conséquence limiter

leur responsabilité. C’est d’ailleurs la même situation en droit français.

Mais, contrairement au droit des affaires marocain et français, l'entreprise au

sens du droit européen de la concurrence se définit donc par son activité et non par

6
Par exemple TUE, 15 juill. 2015, aff. T-436/10, HIT Groep BV/Commission européenne, point 117.-
CJUE, 10 avr. 2014, Siemens AG Österreich, aff. C-231/11, point 43
son statut ou sa structure. Cela est d'ailleurs encore plus manifeste en droit des

concentrations puisqu'il s'agit alors, non seulement de toute structure ou partie de

structure constituée sous une forme juridique par une société, mais, plus

généralement, de tout actif, corporel ou incorporel, auquel peut être rattaché un

chiffre d'affaires.

L'activité économique consiste dans le fait d'offrir des biens ou des services 21
sur un marché donné, activité de fabrication, de vente ou de distribution de produits

ou services, peu importe le type de biens fournis 7.

Il arrive que certaines entités ne sont pas qualifiées d'entreprises car les

activités qu'elles exercent ne sont pas considérées comme des « activités

économiques ». C’est le cas par exemple des organismes remplissant une fonction à

caractère exclusivement social, fondée sur le principe de solidarité nationale et

dépourvue de tout but lucratif. Tel est notamment le cas en matière de régimes

d'assurances sociales8, ou encore, des entités gérant une activité consistant dans

l'exercice de prérogatives de puissance publique. Il s'agit là d'une notion distincte de

l'exercice d'une mission de service public, qui peut se définir comme une mission

d'intérêt général qui relève des fonctions essentielles de l'État 9.

Si le fait qu'une entreprise soit publique et/ou en charge d'une mission de

"service public" ne la fait pas échapper pour autant au droit de la concurrence, un

aménagement à l'application de celui-ci est cependant prévu. En effet, s'agissant des

entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général, le droit

7
Par exemple CJCE, aff. C-113/07 P, 26 mars 2009, Selex Sistemi Integrati SpA : Contrats, conc.
consom. 2012, comm. 263 ; Contrats - Marchés publ. 2009, comm. 152 ; Rev. dr. transp. 2009,
comm. 106 ; Europe 2009, comm. 198.
8
Par exemple CJUE, 3 mars 2011, aff. C-437/09, AG2R Prévoyance c/ Beaudout Père et Fils Sarl . :
Contrats, conc. consom. 2011, comm. 124 ; Europe 2011, comm. 180.
9
Par exemple CJCE, 26 mars 2009, aff. C-113/07 P, Selex Sistemi Integrati SpA , Contrats, conc.
consom. 2012, comm. 263 ; Contrats - Marchés publ. 2009, comm. 152 ; Rev. dr. transp. 2009,
comm. 106 ; Europe 2009, comm. 198.
de la concurrence ne leur est applicable que dans les limites où l’application de ces

règles ne fait pas échec à l’accomplissement de la mission qui leur a été impartie 10.

Les entreprises sont donc les sujets du droit de la concurrence de l’Union

européenne. A côté de cette notion d’entreprise, il y a aussi une autre notion

importante, celle de marché.

22
§2. La notion de marché

Comme en droit interne, le droit de la concurrence s'applique dans un

contexte juridique et économique donné qu'est le marché. Cette notion va permettre

de définir tout à la fois les rapports de concurrence entre les entreprises en cause, leur

puissance de marché (c'est-à-dire la capacité d'une entreprise à limiter les débouchés

et/ou à augmenter les prix au préjudice des consommateurs) et les effets de la

pratique incriminée ou de l'opération de concentration envisagée. La délimitation

d'un marché ne constitue donc pas une fin en soi, mais un moyen 11.

En droit des affaires de l’union européenne, cette notion de

« marché commun » correspond à un espace économique commun à plusieurs États

dans lequel les échanges s'effectuent dans les mêmes conditions que dans

un marché intérieur.

Comme en droit interne, le point de départ pour toute analyse de la

concurrence est la définition du marché à prendre en compte. C’est le marché dit

marché de « référence » ou marché « pertinent ». La définition du marché en cause

permet d’identifier et de définir le périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la

10
Par exemple TPICE, 24 mai 2007, aff. T-289/01, Der Grüne Punkt - Duales System Deutschland
GmbH c/ Commission des Communautés européennes : Contrats, conc. consom. 2007, comm. 177 ;
Europe 2007, comm. 188.
11
Par exemple TUE, 16 sept. 2013, aff. T-396/10, Zucchetti Rubinetteria SpA/Commission
européenne, point 28.
concurrence entre entreprises. Elle permet d’établir le cadre dans lequel la

Commission européenne applique la politique de la concurrence. Son objet principal

est d’identifier de manière systématique les contraintes que la concurrence fait peser

sur les entreprises.

La définition du marché permet, entre autres, de calculer les parts de marché,

qui apportent des informations utiles concernant le marché afin d’apprécier une 23
position dominante des entreprises. Le marché comprend au moins deux facettes : le

marché de produit et le marché géographique.

D’abord, le marché de produit (ou du service) englobe les produits ou les

services qui sont substituables ou suffisamment interchangeables avec ceux proposés

par le(s) entreprise(s) concernée(s), en fonction non seulement de leurs

caractéristiques objectives mais également des conditions de concurrence ainsi que

de la structure de la demande et de l’offre. Il peut être déterminé à partir de méthodes

économiques ou d'un faisceau d'indices matériels relatifs aux préférences des

consommateurs12.

Ensuite, le marché géographique s'entend de l'espace dans lequel deux ou

plusieurs entreprises vont se trouver en situation de concurrence. Dans le cadre de la

définition du marché géographique, il convient de tenir compte de plusieurs

éléments, tels que la nature et les caractéristiques des produits ou des services

concernés, l’existence de barrières à l’entrée, les préférences des consommateurs

ainsi que l’existence, entre le territoire concerné et les territoires voisins, de

12
Par exemple TUE, 25 mars 2015, aff. T-556/08, Slovenská pošta a.s/Commission européenne,
points 111 s. - CJUE, 28 févr. 2013, aff. C-1/12, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas/Autoridade
da Concorrência : Contrats, conc. consom. 2013, comm. 85 ; Europe 2013, comm. 175.
différences considérables de parts de marché des entreprises ou de différences de

prix substantielles13.

Incontestablement, le marché constitue donc le cadre du droit de la

concurrence de l’Union européenne.

Mais alors comment ce droit s’articule avec les droits nationaux ?

24
Section 2. L’articulation du droit de l’Union européenne avec les droits
nationaux

Le droit de l’Union européenne de la concurrence n'est applicable que lorsque

le commerce entre États membres est affecté ou susceptible d'être affecté de façon

sensible par le comportement ou l'opération en cause. C’est le principe. Cette notion

d'affectation sensible du commerce entre États membres est l’élément important de

répartition des compétences entre droits internes et droit européen14.

Hormis dans le cas particulier du contrôle des concentrations, où cette notion

est définie par des seuils chiffrés, l'affectation du commerce entre États membres est

une question de fait. Sa caractérisation en a été facilitée par l'adoption par la

Commission européenne d'une communication15. Pour que soit caractérisée une

altération du commerce entre États-membres, « l'accord dont il s'agit doit, sur la

base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager

avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou

indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États

13
Par exemple TPICE, 7 mai 2009, aff. T-151/05, Nederlandse Vakbond Varkenshouders (NVV),
Marius Schep et Nederlandse Bond van Handelaren in Vee (NBVH) c/ Commission des Communautés
européennes.
14
Par exemple TUE, 13 juill. 2011, aff. jtes T-144/07, T-147/07, T-148/07, T-149/07, T-150/07 et T-
154/07, ThyssenKrupp Liften Ascenseurs NV, ThyssenKrupp Aufzüge GmbH, ThyssenKrupp
Fahrtreppen GmbH, ThyssenKrupp Ascenseurs Luxembourg Sarl, ThyssenKrupp Elevator Ag,
ThyssenKrupp Ag, ThyssenKrupp Liften BV/Commission européenne.
15
Comm. CE, n° 2004/C 101/07, Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce
figurant au Traité CE, art. 81 et 82 : JOUE 27 avr. 2004, n° C 101, p. 81.
membres »16. Cette influence peut être positive ou négative, se traduire par une

modification des échanges entre États membres ou une affectation de la structure de

la concurrence dans le marché commun, voire même ne concerner qu'un seul État

membre dès lors qu'il s'agit d'une partie substantielle de l'Union européenne. En

revanche, il est nécessaire que cette affectation soit suffisamment sensible 17.

Il existe un principe de cumul entre les droits des affaires nationaux et le droit 25
des affaires droit de l’Union européenne. À l'exception du droit des concentrations,

les droits européen et nationaux de la concurrence peuvent s'appliquer

cumulativement à des mêmes faits, dès lors que la condition d'affectation du

commerce est satisfaite.

Cependant, le principe général de primauté du droit européen s'applique

également pour le droit de la concurrence 18. En application de ce principe, le droit

national ne peut autoriser une pratique illicite en vertu du droit européen. Le droit

national ne peut quant à lui interdire un accord jugé licite au plan européen.

Toutefois, le droit national peut être plus strict que le droit européen

s'agissant des comportements unilatéraux. A ce sujet, il est prévu une règle de conflit

prévue à l'article 3 du Règlement de 89 qui n'interdit pas « l'application de

dispositions de droit national qui visent à titre principal un objectif différent de celui

visé par les articles 81 et 82 du Traité ». C’est le ca par exemple « des dispositions

qui interdisent aux entreprises d'imposer à un partenaire commercial d'obtenir ou de

16
par exemple CJUE, 16 juill. 2015, aff. C-172/14, ING Pensii – Societate de Administrare a unui
Fond de Pensii Administrat Privat SA/Consiliul Concurentei points 48 s..
17
par exemple CJUE, 16 juill. 2015, aff. C-172/14, ING Pensii – Societate de Administrare a unui
Fond de Pensii Administrat Privat SA/Consiliul Concurentei points 48 s..
18
CJCE, 14 déc. 2000, aff. C-344/98, Masterfood) et a même été renforcé par l'article 3 du règlement
CE n° 1/2003 (Cons. UE, règl. n° 1/2003, 16 déc. 2002, art. 3 § 3, consid. 9, relatif à la mise en œuvre
des règles de concurrence prévues au Traité CE, art. 81 et 82 : JOCE n° L 1, 4 janv. 2003, p. 1 .-
CJUE, 13 déc. 2012, aff. C-226/11, Expedia Inc./Autorité de la concurrence ; Contrats, conc.
consom. 2013, comm. 140 ; Comm. com. électr. 2013, comm. 28 ; Contrats, conc. consom. 2013,
comm. 41 ; Europe 2013, comm. 88 ; JCP E 2013, 1020.
tenter d'obtenir de lui des conditions commerciales injustifiées, disproportionnées ou

sans contrepartie ».

A ces grands principes, il y a ceux qui concernent les libertés économiques au

sein du marché intérieur de ‘Union européenne.

26
27

Chapitre 2.

Les principes de la libre circulation au sein du


marché intérieur de l’Union européenne
L’originalité de la construction de l’Union européenne repose principalement

sur l’affirmation de plusieurs libertés. Sur un plan formel, le Traité sur le

fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) aborde en premier lieu les libertés de

circulation. Sont ensuite évoqués, successivement, la libre circulation des

marchandises et la libre circulation des personnes, de services et des capitaux. Toutes

ces libertés sont qualifiées par la Cour de justice comme étant des libertés
28
fondamentales constitutives du marché intérieur européen.

Ce marché se fonde sur un principe d’efficacité économique qui suppose la

disparition progressive de toutes les entraves susceptibles de freiner les échanges

commerciaux entre les États membres. En ce sens, est affirmée ces quartes libertés.

Cette liberté de circulation est donc la clef de voûte du marché commun, aujourd'hui

appelé marché unique. Afin d’assurer la mise en œuvre effective des quatre libertés,

le marché unique requiert des règles de concurrence commune à tous les Etats

membres et un rapprochement des législations nationales. C’est ce que les

institutions européennes entreprennent depuis les années 1970 notamment par une

intense activité normative du législateur de l’Union européenne, associée à des arrêts

majeurs prononcés par la Cour de justice.

Mais, parler de libre circulation des marchandises, des personnes, des services

ou des capitaux ne doit pas conduire à penser qu’il s’agit de libérer les activités

économiques de toutes les contraintes juridiques qui les organisent. En droit des

affaires de l’Union européenne, il préférable de raisonner en termes d’égalité de

traitement. Ce que d’ailleurs les articles du Traité tendent à promouvoir. C’est le cas

par exemple l’égalité de traitement entre les marchandises fabriquées et

commercialisées dans les États membres, ou encore assurer l’égalité de traitement

entre opérateurs économiques nationaux et européens.


L’affirmation des quatre libertés constitutives du marché intérieur procède de

la conjonction de supports textuels (Section 1) et de supports jurisprudentiels

(Section 2).

Section 1. L’affirmation par les textes

Permettre la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et


29
des capitaux suppose deux actions différentes mais complémentaires de la part de

l’Union européenne. Il convient, d’une part, de démanteler les barrières étatiques de

toute nature qui peuvent entraver la libre circulation. D’autre part, il est nécessaire

d’adopter des mesures favorisant le rapprochement des législations nationales dans

une optique, là encore, de libre circulation des marchandises ou des opérateurs

économiques.

Le démantèlement des barrières nationales susceptibles d’empêcher l’accès

aux différents marchés nationaux est expressément prévu en tant qu’obligation à la

charge des États membres. Que cela touche les marchandises, les personnes, les

services ou les capitaux, l’action de l’Union européenne doit conduire à « l’abolition

des obstacles à la libre circulation »19. Si, les États membres ont progressivement

fait disparaître les barrières tarifaires et techniques existant entre eux. Ils sont tenus

de ne pas en ériger de nouvelles. En ce sens, il est expressément prévu, par exemple

en matière de marchandises, que les États membres « s’abstiennent de toute mesure

nouvelle […] qui restreint la portée des articles relatifs à l’interdiction des droits de

douane et des restrictions quantitatives entre les États membres ».

Le Traité de l’Union européenne prévoit cependant la possibilité de

réinstaurer des « barrières » dans une hypothèse qui tient à des considérations de

19
art. 3 c) CE.
nature non économique. L’invocation de cette clause de sauvegarde par les États

membres est cependant très strictement encadrée 20.

Afin de garantir la libre circulation, l’Union européenne agit aussi dans le

rapprochement des législations nationales 21. Ainsi, sont envisagées « des directives

pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et

administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement 30
ou le fonctionnement du marché commun »22 et les « mesures relatives au

rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des

États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché

intérieur »23. Il s’agit de rapprocher les législations nationales selon une logique

d’harmonisation qui contribue à une homogénéité des règles sur le marché. Elles

deviennent alors équivalentes.

C’est ainsi qu’ont été adoptées de très nombreuses directives d’harmonisation

qui ont eu un impact sur le marché intérieur. On peut ainsi évoquer les textes

élaborés en matière de propriété industrielle et intellectuelle. Comme au Maroc, un

droit de brevet ou un droit de marque offre un monopole territorial à son détenteur

qui peut, dès lors, porter atteinte à la libre circulation des marchandises. Pour ne

prendre que l’exemple des marques, une directive du 21 décembre 1988 est venue

rapprocher les législations des États membres en cette matière. Selon cette directive «

les législations qui s’appliquent actuellement aux marques dans les États membres

comportent des disparités qui peuvent entraver la libre circulation des produits ainsi

que la libre prestation des services et fausser les conditions de concurrence dans le
20
. L’article 114 TFUE prévoit ainsi qu’après l’adoption par l’Union d’une mesure d’harmonisation,
un État membre peut notifier à la Commission le maintien de dispositions nationales, fondé sur des
considérations relatives à l’ordre public, la protection de l’environnement ou la protection du milieu
de travail.
21
C’est l’objet des articles 114 à 118 TFUE.
22
art. 115 TFUE.
23
art. 114 TFUE.
marché commun ». Cette directive a pour objectif d’harmoniser le droit des marques.

Toute la logique de l’harmonisation est d’assurer une équivalence entre les règles

nationales.

C’est cette logique qui existe pour le Maroc dans le cadre du processus de

convergence réglementaire qui permet une harmonisation du droit marocain avec les

acquis de l’Union européenne. 31

Qu’en est-il de l’affirmation jurisprudentielle ?

Section 2. L’affirmation par la jurisprudence

Le principe de reconnaissance mutuelle des règles et des normes nationales a

reçu une pleine et entière consécration jurisprudentielle. Pour la Cour de justice de

l’Union européenne, il s’agit d’une logique de confiance mutuelle entre les États

membres. Ce principe traduit en termes concrets un autre principe, le principe de

subsidiarité.

Ce principe est dégagé d’une solution jurisprudentielle qui constitue l’un des

arrêts fondamentaux de la construction économique européenne. Il s’agit de l’affaire

dite du « Cassis de Dijon »24. À l’occasion de cette affaire, la Cour énonce qu’en

l’absence de réglementation commune, c’est--à-dire d’harmonisation, les États

membres gardent la compétence de régler sur leur territoire tout ce qui concerne la

production et la commercialisation des marchandises, ici, des boissons alcoolisées,

mais que ces marchandises, dès lorsqu’elles sont légalement produites et

commercialisées dans l’un des États membres, doivent pouvoir être introduites dans

tout autre État membre. Cet arrêt pose le principe de la reconnaissance mutuelle

comme expression de la confiance mutuelle entre les Etats membres.

24
CJCE 20 févr. 1979, Rewe Zentral, aff. 120/78, Rec. CJCE 649.
Cette reconnaissance mutuelle comme base de la libre circulation des

marchandises a été reprise pour les opérateurs économiques que ce soit en matière

d’établissement ou de prestation des services.

De même un État membre ne saurait restreindre l’accès à son marché d’une

marchandise légalement fabriquée et commercialisée dans un autre État membre. Il

ne saurait, non plus, restreindre, entraver, sans motif valable la fourniture d’un 32
service sur son territoire par un prestataire qui exerce légalement son activité dans

l’État membre de son établissement d’origine. Ainsi, il a pu être considéré qu’en

matière de prestation de services, la reconnaissance mutuelle emportait « la

suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux

prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature

à prohiber ou à gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre État

membre, où il fournit légalement des services analogues »25. La solution a été

étendue au droit d'établissement par un arrêt « Ramrath » qui affirme que « la libre

circulation des personnes, en tant que principe fondamental du Traité, ne peut être

limitée que par des réglementations justifiées par l’intérêt général et s’appliquant à

toute personne ou entreprise exerçant les dites activités sur le territoire de l’État en

question, dans la mesure où cet intérêt n’est pas déjà sauvegardé par des règles

auxquelles le ressortissant communautaire est soumis dans l’État membre où il est

établi »26.

Parmi ces quartes libertés, seule la liberté de circulation des marchandises

fera l’objet d’un développement dans ce cours.

25
CJCE 25 juill. 1991, Säger, aff. C-76/90, Rec. CJCE I-4221.
26
CJCE 20 mai 1992, Ramrath, aff. C- 106/91, Rec. CJCE I-3351.
33
Chapitre 3. 34

La libre circulation des marchandises

Comme pour les accords de libre échange conclus entre le Maroc et d’autres

Etats, cette liberté s’est traduite concrètement par la suppression progressive des

droits de douane et autres restrictions quantitatives à l’entrée et à la sortie des

marchandises.
En droit des affaires de l’Union européenne, l’article 28 Traité fondateur de

l’union européenne prohibe les droits de douane à l’importation et à l’exportation

ainsi que toutes taxes d’effet équivalent. Ses articles 34 et 35 quant à eux interdisent

les restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation ainsi que toutes

mesures d’effet équivalent. Cette interdiction n’est cependant pas absolue. Une

dérogation est toutefois autorisée lorsqu’il y a des justifications tirées de la moralité


35
publique, de l’ordre public ou de la protection de la santé et de la vie des personnes,

ou encore, de la protection de la propriété industrielle et commerciale. Cependant,

cette dérogation ne doit pas constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni

une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.

Il faut retenir que l’idée centrale est celle naturellement d’assurer un libre

accès des marchandises au marché intérieur de l’Union européenne. C’est ce que

confirme, d’ailleurs, la reconnaissance du « principe de libre pratique » qui conduit à

ce que des produits en provenance d’États tiers à l’Union européenne, comme par

exemple le Maroc, mais ayant subi les formalités douanières prévues puissent aussi

librement circuler sur l’ensemble du territoire européen.

Mais, avant d’aborder la libre circulation des marchandises, il est nécessaire

de préciser le sens du terme « marchandise ». Les auteurs du Traité fondateur de

l’union européenne, dès sa version d’origine, n’ont pas fait le choix de recourir à une

notion juridiquement connotée, comme celle de « bien », que l’on retrouve d’ailleurs

en droit marocain, susceptible de soulever des difficultés de qualification. On

observe encore que le droit primaire envisage indifféremment les marchandises ou

les produits27, tandis que le droit dérivé semble également les tenir pour synonymes.

27
Art. 28 § 1 et 2 TFUE, art. 29, 37 § 2et 110 TFUE.
Quoi qu’il en soit, la définition de la notion de marchandise doit certainement

s’entendre de façon large et revêt, à cet égard, un caractère extensif. Ainsi, la

directive européenne n° 85/374/CEE relative à la responsabilité du fait des produits

défectueux28 propose comme une définition du produit comme étant « tout meuble,

même s’il est incorporé dans un autre meuble ou dans un immeuble. Le terme […]

désigne également l’électricité » révélant l’indifférence du caractère immatériel aux


36
fins de la définition de la notion de marchandise.

Par ailleurs, la jurisprudence confirme cette souplesse de la notion en

affirmant que les marchandises s’entendent des produits agricoles 29, ou en révélant

qu’elles peuvent être des déchets30, comme des œuvres d’art 31. De jurisprudence

constante, le juge de l’Union européenne se borne à définir les marchandises, au sens

du Traité de l’Union européenne, comme des « produits appréciables en argent ou

susceptibles, comme tels, de former l’objet de transactions commerciales » sans

davantage de précisions. Sont, comme en droit marocain, dès lors exclus les produits

hors commerce, comme les stupéfiants32. En revanche, les produits du tabac doivent

être traités comme des marchandises33. En réalité, en retenant une acception large de

la notion qui nous intéresse, le droit des affaires de l’Union européenne s’inscrit dans

une logique de pragmatisme non tributaire des éventuelles divergences de

qualifications retenues par les droits nationaux.

Il paraît dès lors utile de s’attacher d’abord à la nature des entraves (section

1), puis aux moyens de les éradiquer (section 2).

28
JOCE L 210 du 7 août 1985.
29
CJCE 20 avr. 1978, Société des Commissionnaires réunis SARL c/Receveur des douanes ; SARL
Les fils de Henri Ramel c/ Receveur des douanes, aff. jtes 80/77et 81/77 Rec. CJCE 927.
30
CJCE 8 nov.2007, StadtgemeindeFrohnleiten et GemeindebetriebeFrohnleiten, aff. C-221/06,
Rec.CJCE 9642.
31
CJCE 10 déc. 1968, Commission c/ Italie, aff. 7/68,Rec. CJCE 617.
32
CJCE 26 oct. 1982, Wolf, aff. 221/81,Rec. CJCE 3681.
33
CJUE 14 mars 2013, Commission c/ France, aff. C-216/11, Rec. 2013.
Section 1. La nature des entraves à la libre circulation

Le Traité de l’Union européenne envisage la libre circulation des

marchandises en énonçant deux séries d’entraves à supprimer à savoir les droits de

douane et les restrictions quantitatives. Ainsi, sont prohibés non seulement les droits

de douane (§1), mais aussi les autres taxes d’effet équivalent et les restrictions

quantitatives (§2). 37

§1. Les droits de douane et autres taxes d’effet équivalent

Le Traité de l’Union européenne énonce l’interdiction des droits de douane et

des taxes d’effet équivalent à des droits de douane, que ceux-ci soient perçus à

l’importation ou à l’exportation. Les droits de douane peuvent être définis « comme

des charges pécuniaires frappant un produit parce qu’il franchit une frontière ».

Sont donc interdits par le Traité de l’Union européenne dès lors que la frontière en

cause est commune à des États membres. Plus précisément, le Traité a posé

l’interdiction de leur perception et, surtout, a obligé les États à s’abstenir d’en

introduire de nouveaux.

En revanche, il est toujours nécessaire de s’attacher à l’autre hypothèse

d’interdiction qui touche les taxes d’effet équivalent à des droits de douane (TEE).

L’expression laisse supposer vise toutes les taxes qui, bien que non qualifiées de

droit de douane, sont susceptibles de frapper des produits essentiellement, importés

et donc d’avoir un effet dissuasif et de rendre difficile, voire, impossible, leur

pénétration sur le marché d’un État membre.

Dans cette interdiction, il revient à la Cour de justice de l’Union européenne

de proposer une définition des taxes d’effet équivalent. C’est très justement dans un

arrêt dit du « Pain d’épices », que la Cour énonce qu’« est une taxe d’effet
équivalent, un droit, unilatéralement imposé, quelles que soient son appellation et sa

technique, soit au moment de l’importation, soit ultérieurement et qui, frappant

spécifiquement le produit importé à l’exclusion du produit national similaire, a pour

résultat, en altérant son prix, d’avoir sur la libre circulation des produits la même

incidence qu’un droit de douane »34. Cette définition a été complétée par une autre

aux termes de laquelle la Cour a insisté sur l’indifférence, d’une part, du caractère
38
minime de la taxe perçue, d’autre part, du fait qu’elle n’exerce aucun effet

discriminatoire ou protecteur et que le produit imposé ne se trouve pas en

concurrence avec une production nationale 35. C’est tout logiquement que les

opérateurs économiques ont pu très justement contester toute une variété de taxes,

soit en saisissant la Commission européenne de plaintes de nature à la conduire à

engager un recours en constatation de manquement de l’État membre concerné, soit

alors en invoquant directement les dispositions du Traité de l’Union européenne

devant le juge national en vertu de l’effet direct des articles reconnu par la

jurisprudence « Van Gend en Loos ».

Mais, deux précisions doivent cependant être apportées. En premier lieu, il

faut se garder de croire que toutes les taxes perçues par un État membre sur une

marchandise importée constituent immanquablement des TEE. En effet, la Cour de

justice de l’Union européenne admet deux justifications de l’entrave résultant de

l’interdiction des droits de douane. D’une part, elle rappelle régulièrement que ne

constitue par une TEE une charge financière exigée lors d’une importation ou d’une

exportation de marchandises qui s’analyse en la rémunération directe d’un service

rendu à l’importateur ou à l’exportateur. La contrepartie financière exigée doit être

34
CJCE 14 déc. 1962, Commission c/ Luxembourg, aff. 2 et 3/62, Rec. CJCE 813.
35
CJCE 1erjuill. 1969, Commission c/ Italie, aff. 24/68, Rec. CJCE 193.
proportionnée au service rendu, celui-ci s’entendant d’« un avantage, spécifique ou

individualisé, procuré à l’opérateur économique »36.

La Cour observe cependant que ces conditions sont d’interprétation stricte du

fait de leur caractère dérogatoire. Ainsi, dans son arrêt « Denkavit », elle considère

par exemple que le fait de percevoir une taxe non en raison d’un service rendu mais

dans le but de subvention des productions nationales relève de l’interdiction des 39


TEE37. D’autre part, l’obligation imposée par une réglementation européenne 38 ou

par une convention internationale appliquée par l’ensemble des États membres, qui

vise à favoriser le commerce entre ces derniers au moyen d’un système de contrôle

qu’ils reconnaissent mutuellement 39, peut également justifier l’entrave découlant de

l’interdiction des taxes d’effet équivalent.

En second lieu, il faut bien distinguer les taxes d’effet équivalent de l’article

30 Traité de l’Union européenne des impositions intérieures. Les unes et les autres

sont complémentaires mais ne se confondent pas, les qualifications de taxe d'effet

équivalent et d'imposition intérieures étant d’ailleurs exclusives40. C’est ainsi que

l’article 110 Traité de l’Union européenne vise à maintenir la neutralité de l’impôt au

regard de la concurrence entre produits importés et produits nationaux. Il dispose en

ce sens qu’« aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits

des autres États membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles

soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits

nationaux similaires ». Le juge de l’Union européenne rappelle régulièrement que

cette disposition, qui est, rappelons-le, d’effet direct, « a pour objectif d’assurer la

36
CJCE 30 mai 1989, Commission c/ Italie, aff. 340/87, Rec. CJCE 193.
37
CJCE 31 mai1979, Denkavit, aff. 132/78, Rec. CJCE 1923.
38
CJCE 25 janv. 1977, W. J. G. Bauhuis c/ État néerlandais,aff. 46/76, Rec. CJCE 5.
39
CJCE 12 juill.1977, Commission c/ Pays-Bas, aff. C-89/76, Rec. CJCE 1355.
40
CJCE, 8 nov. 2007, aff. C-221/06, StadtgemeindeFrohnleiten, Rec. I - 09643 ; CJUE, 7ech., 2
oct. 2014, aff. C-254/13, Orgacom, Rec. 2014.
libre circulation des marchandises entre les États membres, dans des conditions

normales de concurrence » et vise « l’élimination de toute forme de protection

pouvant résulter de l’application d’impositions intérieures discriminatoires à l’égard

des produits originaires d’autres États membres »41. On comprend immédiatement

que les impositions intérieures reposent sur l’exigence de caractérisation de la

discrimination. Le régime de la fiscalité indirecte prévue par l’article 110 TFUE


40
nécessite l’existence de produits nationaux similaires taxés, pour pouvoir statuer sur

l’absence de discrimination fiscale entre ces derniers produits et les produits importés

taxés. C’est d’ailleurs ce que la Cour a rappelé dans une importante décision relative

« aux postes émetteurs »42. Dans cette affaire, était en cause une taxe perçue en

France au moment de la livraison de ce matériel. Le juge administratif français saisi

d’une contestation, a interrogé la Cour sur la nature exacte d’une telle taxe. La Cour

a répondu en estimant que la taxe qui frappe ces postes doit s’analyser non comme

une imposition intérieure, mais comme une TEE.

En effet, constatant l’absence de production nationale, il était impossible de

caractériser une discrimination. En revanche, parce que la taxe ne s’appliquait qu’à

des produits importés de la Communauté Européenne, elle constituait une TEE qui,

elle, ne suppose pas nécessairement de caractériser une discrimination, mais

seulement de relever que le produit est frappé du seul fait qu’il franchit la frontière et

ne peut s’analyser en la rémunération directe d’un service rendu à l’importateur. Si

les solutions sont aujourd'hui bien acquises, la Cour de Justice de l’Union

européenne procède encore à quelques rappels pédagogiques sur les éléments

constitutifs des deux notions taxe d’effet équivalent/imposition intérieure.

41
CJUE 7 avr. 2011,Tatu c/ StatulromânprinMinisterulFinantelor si Economiei, aff. C-402/09, Rec.
CJUE I-2711 ; CJUE, 3ech., 17 déc. 2015, aff. C- 402/14,Viamar, Rec. 2015.
42
CJCE 22 avr. 1999, CRT France international SA, aff. C-109/98, Rec. CJCE I-2266.
Ainsi, dans un arrêt dit « Orgacom », la Cour de Justice de l’Union

européenne souligne que, dans un système d'imposition intérieur, le prélèvement

doit affecter des produits identiques (importés, exportés, nationaux), au même stade

de commercialisation, avec un fait générateur identique.

Constitue alors une taxe d’effet équivalent, au sens des articles 28 et 30 du

Traité de l’Union européenne, toute charge pécuniaire, fût-elle minime, 41


unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et

frappant les marchandises en raison du fait qu’elles franchissent la frontière,

lorsqu’elle n’est pas un droit de douane proprement dit. Ainsi, « la caractéristique

essentielle d’une taxe d’effet équivalent, qui la distingue d’une imposition intérieure

de nature générale, réside dans la circonstance que la première frappe

exclusivement le produit qui franchit la frontière en tant que tel, tandis que la

seconde frappe à la fois des produits importés, exportés et nationaux »43.

Sans multiplier les exemples, on peut évoquer une affaire qui a longtemps

occupé le devant de la scène judiciaire française et européenne l’affaire dite de la «

supervignette». De longue date, le législateur français avait institué une vignette

majorée pour les véhicules automobiles de plus de seize chevaux fiscaux. Or, il

s’avérait qu’aucune production automobile nationale ne faisait plus de seize chevaux.

Seuls les véhicules importés et notamment, certaines berlines allemandes étaient

donc concernés. La Cour de justice de l’Union européenne à l’époque, dans un arrêt

a pu conclure que la règle nationale était manifestement discriminatoire et donc

contraire à l’article 110 Traité de l’Union européenne 44.

43
CJUE, 7ech., 2 oct. 2014, aff. C-254/13, Orgacom, Rec. 2014.
44
CJCE 9 mai 1985, Humblot, aff. 112/84, Rec.CJCE 1367.
Sur le plan interne, la Cour de cassation française a rapidement tiré les

conséquences de cette jurisprudence et, s’appuyant expressément sur cet arrêt a

affirmé au visa de l’article 110 Traité de l’Union européenne que « la taxe instituée

[…] est une taxe spéciale dont le montant n’est pas déterminé selon un barème

progressif mais, au contraire, est fixé à une somme forfaitaire unique constituant une

charge spécifique qui, par son importance, peut influer sur le choix des
42
consommateurs entre des véhicules dont la puissance fiscale se situe soit en dessous

soit en dessus du seuil fixé pour l’application de cette taxe ; que, dès lors, ladite taxe,

frappant les seules voitures importées en France, notamment d’autres États membres

de la Communauté, comme cela résulte des énonciations du jugement, tombe sous le

coup de la prohibition découlant du Traité tel qu’interprété parla Cour de justice

»45.

§2. Les restrictions quantitatives et autres mesures d’effet équivalent

La libre circulation des marchandises vise de manière globale à l’élimination

des obstacles à la fluidité des échanges au sein de l’Union. Si le Traité de l’Union

européenne ne définit pas délibérément les restrictions quantitatives et les mesures

d’effet équivalent à une restriction quantitative (MEERQ), le droit dérivé s’en est

partiellement chargé. Mais cette approche textuelle (A) n’a que de peu de poids par

rapport à l’approche jurisprudentielle (B).

A. L’approche textuelle

Les institutions européennes et au premier rang la Commission européenne

ont tenté de donner une définition des mesures d’effet équivalent à des restrictions

45
Com. 11 févr. 1986, Bull. civ. IV, no7.
quantitatives. Dans une directive européenne n°70/50/CEE du 22 décembre 1969

relative à la suppression des MEERQ, la notion est présentée comme incluant les

dispositions législatives, réglementaires et administratives, les pratiques

administratives, ainsi que tous les actes émanant d’une autorité publique qui font

obstacle à des importations qui pourraient avoir lieu en leur absence, y compris celles

qui rendent les importations plus difficiles ou onéreuses que l’écoulement de la


43
production nationale. Il existe une liste non exhaustive de MEERQ. Il peut s’agir par

exemple des conditions de paiement pour les produits importés différentes de celles

imposées aux produits nationaux et difficiles à satisfaire ou encore des conditions

portant sur la forme, les dimensions, le poids, la composition, la présentation,

l’identification, le conditionnement pour les seuls produits importés plus difficiles à

satisfaire que pour les produits nationaux…

Une étape supplémentaire a été franchie et qui s’est traduite par l’abandon de

la notion de MEERQ au profit de celle, plus générale, d’entrave. Dans un règlement

de la Commission européenne du 7 décembre 1998 relatif au fonctionnement du

marché intérieur pour ce qui est de la libre circulation des marchandises entre les

États membres, l’entrave est définie comme « une entrave à la libre circulation des

marchandises entre les États membres, qui est imputable à un État membre du fait de

son action ou de son inaction, qui est susceptible de constituer une violation des

articles 30 à 36 du Traité (art. 34 à 37 TFUE) et qui provoque une perturbation

grave de la libre circulation des marchandises en empêchant, retardant ou

détournant, physiquement ou autrement, l’importation ou le transit de marchandises

». Et en cas de caractérisation d’une telle entrave, une procédure est prévue qui

associe la Commission européenne et lui permet de demander à l’État membre


concerné de « supprimer l’entrave dans un délai qu’elle fixe en fonction de l’urgence

de la question en cause ».

B. L’approche jurisprudentielle

Complétant les directives et règlements européens, la Cour de justice de

l’Union européenne a très rapidement été saisie de la question de savoir ce qu’était


44
une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative. Elle en a proposé une

définition dans des termes larges, de façon à appréhender une grande variété de

restrictions imputables aux États membres. Dans un célèbre arrêt « Dassonville »46,

elle explique ainsi que constitue une MEERQ « toute réglementation commerciale

des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement

ou potentiellement le commerce intracommunautaire ».

Quelques années plus tard, la Cour de Justice de l’Union Européenne

souligne expressément dans un arrêt important, dit « Cassis de Dijon »47, que la

MEERQ vise les mesures discriminatoires, mais également les mesures

indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés. Les

opérateurs économiques ainsi que la Commission européenne sont alors partis à

l’assaut de toutes les pratiques, mesures, réglementations nationales susceptibles

d’entraver la libre circulation des marchandises sur le territoire européen. Le

révélateur de ce phénomène a notamment été l’explosion du contentieux devant la

Cour, mais aussi devant les juridictions nationales. C’est ainsi que, sans prétendre à

l’exhaustivité, ont été contestées des règles nationales imposant un conditionnement

particulier pour le produit importé48 ou un étiquetage du produit exclusivement dans

46
CJCE 11 juill. 1974, Dassonville,aff. 8/74, Rec. CJCE 837.
47
CJCE 20 févr. 1979, Rewe-Zentral, aff. 120/78, Rec. CJCE 649.
48
CJCE 20 févr. 1979, Rewe-Zentral, aff. 120/78, Rec. CJCE 649.
la langue nationale49, des lois nationales imposant le principe du repos dominical50

ou soumettant le remboursement de lunettes à une autorisation préalable 51.

C’est alors que les juridictions françaises, notamment répressives, ont connu

aussi un contentieux abondant. Ainsi, la chambre criminelle a affirmé qu’« en

réservant l’utilisation de la dénomination de fantaisie “montagne” aux seuls

produits fabriqués en France à partir de matière première française, la loi du 9 45


janvier 1985 et le décret du 26 février 1988 instituent une discrimination, entre

produits nationaux et non nationaux, constitutive, au sens de l’article 30 [désormais,

article 28] du Traité, d’une entrave actuelle ou potentielle aux échanges

intracommunautaires »52.

Le seul fait de restreindre la liberté commerciale des entreprises a

progressivement semblé suffisant pour contester les réglementations des différents

États membres. La généralité de la définition des mesures d’effet équivalent à des

restrictions quantitatives retenue par la Cour a ainsi amené cette dernière à une

tentative de réaction : un troisième arrêt important est intervenu c’est l’arrêt « Keck

et Mithouard »53. À l’occasion de cette affaire relative à une procédure pénale

engagée contre deux commerçants français pour avoir revendu à perte des produits

importés, la Cour se situe explicitement en rupture par rapport à sa jurisprudence

antérieure. La Cour admet tout d’abord, de façon surprenante, « que les opérateurs

économiques invoquent de plus en plus l’article 30 du Traité pour contester toute

espèce de réglementations qui ont pour effet de limiter leur liberté commerciale,

même si elles ne visent pas les produits en provenance d’autres États membres ».

49
CJCE 12 sept. 2000, Geffroy, aff. C-366/98, Rec. CJCE I-6579.
50
CJCE 23 nov. 1989, Torfaen Borough Council,aff. C-145/88, Rec. CJCE 3885.
51
CJCE 28 avr. 1998, Decker, aff. C-120/95, Rec. CJCE I-1831.
52
Crim. 18 sept. 1997, Bull. crim. No305.
53
CJCE 24 nov. 1993, Keck et Mithouard, aff. C-267/91 et C-268/91, Rec. CJCEI-6126.
Puis elle procède à une véritable redéfinition de la MEERQ et décide que,

contrairement à ce qui a été jugé jusqu’ici, ne sont pas « aptes à entraver directement

ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce entre les États

membres au sens de la jurisprudence « Dassonville », des mesures qui limitent ou

interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu’elles s’appliquent à tous les

opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu


46
qu’elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation

des produits nationaux et ceux en provenance d’autres États membres ». A la suite

de cet arrêt, il convient de bien distinguer deux situations. Si une mesure nationale

est discriminatoire, elle constitue quelle que soit sa nature ou son objet une MEERQ.

Si une mesure nationale est indistinctement applicable aux marchandises importées

et aux marchandises nationales, elle ne constitue une MEERQ qu’à la condition de

ne pas être assimilable à une modalité de vente. Les réglementations limitant ou

interdisant certaines modalités de vente, en effet, n’apparaissent a priori pas

incompatibles avec les échanges entre les États membres. Aussi bénéficient-elles

d’une présomption de conformité aux dispositions du droit européen, à condition,

cependant, qu’elles s’appliquent à l’ensemble des opérateurs concernés exerçant leur

activité sur le territoire national et qu’elles atteignent de la même manière, en droit

comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et celle des produits en

provenance d’autres États membres54.

Sur le plan national, le juge français a apparemment bien intégré cette

distinction. A propos d’un contentieux relatif à l’étendue du monopole de vente

reconnu aux pharmaciens, dans un premier arrêt du 9 juillet 1996, la Haute

juridiction retient que la réglementation est susceptible de s’analyser en une entrave

54
CJCE 30 avr. 2009, Fachverband der Buch– undMedienwirtschaft c. LIBRO
HandelsgesellschaftGmbH, aff. C-531/07, Rec. CJCE I-3717
mais qu’elle n’est « contraire à aucune disposition du Traité instituant la CEE dès

lors que cette réglementation s’applique sans distinction tant aux produits nationaux

qu’à ceux importés des autres États membres et que les restrictions aux importations

qui pourraient en résulter sont justifiées par des raisons de protections de la santé

publique et des consommateurs »55.

La Cour de cassation applique la jurisprudence « Keck et Mithouard », en 47


retenant que « les dispositions de l’article L. 512 du Code de santé publique

s’appliquent sans discrimination tant aux produits nationaux qu’à ceux importés des

États membres. Cette réglementation échappe au domaine d’application de l’article

30 [désormais, art. 28] du Traité instituant la Communauté européenne et, ne

constituant pas une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à

l’importation, il n’y a pas lieu de rechercher, pour écarter l’exception prise de

l’incompatibilité du monopole avec ce texte, s’il est justifié, conformément à l’article

36 [désormais, art. 30] ». Concernant les modalités de vente la Cour n’en estime pas

moins que dans certaines hypothèses, elles puissent être de nature à empêcher l’accès

au marché des produits en provenance d’un autre État membre ou à les gêner

davantage qu’elles ne gênent celui des produits nationaux.

Section 2. Les régimes d’élimination des entraves à la libre circulation


des marchandises

Les marchandises doivent pouvoir circuler sans entrave sur l’ensemble du

territoire européen. Ce principe, rappelé avec force à de très nombreuses reprises par

la Cour, ne signifie pas pour autant que les États membres n’ont aucune possibilité de

s’opposer à l’entrée sur leur territoire national de telle ou telle marchandise importée

depuis un autre État membre. La meilleure preuve en est que, dès l’origine, les

55
Crim. 9 juill. 1996, Bull. crim. No288.
rédacteurs du Traité ont prévu que les États membres pouvaient interdire ou

restreindre les importations et les exportations dans la mesure où ces restrictions ou

interdictions sont « justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de

sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes […] » (art. 30

CE, désormais art. 36 TFUE).

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne, en posant le principe 48


de reconnaissance mutuelle des produits, dans son arrêt « Cassis de Dijon » a

reconnu que « les obstacles à la libre circulation intracommunautaire résultant des

disparités de législations nationales relatives à la commercialisation des produits

[…] doivent être acceptés dans la mesure où ces prescriptions peuvent être

reconnues comme étant nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives,

tenant notamment à l’efficacité des contrôles fiscaux, à la protection de la santé

publique, à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des

consommateurs ». Ces deux approches complémentaires donnent un rôle décisif aux

juridictions nationales et européennes qui, chargées de l’application et de

l’interprétation du droit de l’Union, vont donc être amenées en présence d’entrave à

contrôler les éventuelles justifications présentées par les États.

L’élimination des entraves est donc judiciaire et doit être rattachée à

l’affirmation du principe de reconnaissance mutuelle. Cette élimination peut aussi

procéder de l’intervention du « législateur » européen qui, constatant l’existence

d’entraves, va estimer opportun et nécessaire d’harmoniser les législations et

réglementations nationales afin de les supprimer.

L’élimination des entraves à la libre circulation des marchandises peut

résulter par la jurisprudence et par l’harmonisation.


Parallèlement à l’œuvre d’harmonisation, la jurisprudence a contribué de

deux manières à l’éradication des entraves à la libre circulation des marchandises.

D’une part, elle a précisé le régime de l’article 30 CE, désormais article 36 TFUE, en

en délivrant une interprétation. D’autre part, elle a élaboré une théorie des exigences

impératives qui a donné lieu à une jurisprudence riche et complexe.

Il s’agit dans les deux cas d’encadrer strictement la compétence reconnue aux 49
États membres de s’opposer à l’entrée sur leur territoire de produits importés depuis

un autre État membre.

Les mesures tombant a priori sous le coup de l’interdiction de l’article 34

Traité fondateur de l’Union européenne peuvent être validées si elles sont

susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’article 36 Traité fondateur de

l’Union européenne. Ce dernier dispose très exactement que « les dispositions des

articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation,

d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre

public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et

des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux

ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la

propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne

doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction

déguisée dans le commerce entre les États membres ». Ainsi le Traité permet aux

États membres de justifier certaines entraves (voire, d’en créer) pour des raisons que

l’article 36 énumère.

D’après le Traité fondateur de l’Union européenne parmi les moyens mis en

œuvre par l’Union pour assurer la réalisation des objectifs du Traité, l’harmonisation

des législations nationales doit contribuer à l’édification du marché intérieur. La


suppression des entraves à la libre circulation des marchandises passe donc aussi par

une harmonisation des législations et des spécifications techniques applicables aux

marchandises.

Un rapprochement des législations nationales n’est ainsi entrepris que lorsque

la reconnaissance mutuelle des produits est insuffisante pour parvenir à l’objectif de

leur libre circulation. L’article 114 du Traité fondateur de l’Union européenne 50


permet aux institutions d’arrêter « les mesures relatives au rapprochement des

dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont

pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur ». En

harmonisant par exemple les dispositions nationales relatives aux règles de

conditionnement, d’étiquetage, les entraves sont donc censées disparaître. Ainsi les

États membres sont tenus d’accepter l’entrée sur leur territoire de marchandises dès

lors que ces dernières sont conformes aux normes techniques visées par les

directives.

L’existence d’une directive d’harmonisation est donc une redoutable arme

aux mains des plaideurs ou de la Commission européenne.


51

Chapitre 4.

Les grands principes du contrat de vente


commerciale en droit comparé
Depuis l’apparition du négoce, la vente commerciale a toujours constitué l’une des

relations commerciales les plus connues et pratiquées par la vie économique. Dans le cadre

de la distribution des biens et des services, elle occupe incontestablement une place de

premier ordre. A son sujet, pour certains augures, « l’homme rêve par le marché. Un individu

égoïste, hédoniste et dont la seule préoccupation serait sa liberté de tout faire, de prendre

tous les risques, de construire son destin sans être entravé. L’homme du marché serait ainsi

un être libre, libre notamment de conclure des contrats »56. Justement, dans le domaine 52

économique, cette liberté contractuelle est indissociable de la notion de marché. A suivre les

économistes, le marché n’est rien d’autre « qu’un lieu de rencontre réel ou fictif entre des

offreurs et des demandeurs »57. Plus précisément, ce marché se définit « comme le lieu de

rencontre d’une offre et d’une demande à partir duquel se forme le prix du bien échangé »58.

Or, juridiquement, cet échange, cette rencontre d’une offre et d’une demande se réalise par le

biais du contrat, qui est alors appréhendé comme un instrument de circulation des biens et

des services. Dans cette perspective, l’épanouissement du marché est directement fonction de

la faculté accordée aux agents économiques de procéder librement à ces échanges.

Vecteur d’échanges de biens ou de services, le contrat de vente commerciale a

depuis toujours incarné cette idée de liberté59. Manifestation de l’individualisme, on a

56
B. Edelman, « La Cour européenne des droits de l’homme et l’homme du marché », D. 2011, p.
897.
57
Ph. Maddalon, La notion de marché dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, t. 253, 2007, p. 2.
58
J.-S. Berge et S. Robin-Olivier, Droit européen – Union européenne, Conseil de l’Europe, PUF,
Thémis, n° 126, 2011, 2ème ed., p. 90.
59
O. Azziman, Le contrat, vol.1, Editions Le Fennec, 1995 ; Ph. le Tourneau (dir.), Droit de la
responsabilité et des contrats, 11e éd., « Dalloz action », 2018/2019, nos 010.15 et 3223.11 s. ; D.
Mainguy, Contrats spéciaux, Droit privé, 11e éd., 2018 ; P. Puig, Contrats spéciaux, Droit privé,
8e éd., 2020; P. Malinvaud/P. Jestaz/P. Jourdain/O. Tournafond, Droit de la promotion immobilière,
Droit privé, 9e éd., 201 ; Répertoire civil, « Bail », par C. Aubert De Vincelles, C. Noblot, oct. 2018 ;
« Contrat » d'entreprise, par B. Boubli, nov. 2016 ; « Contrat : généralités », par M. Latina, mai
2017 ; « Vente : structure », par O. Barret, actualisation par P. Brun, juil. 2019.
longtemps considéré qu’il ne pouvait mal faire, « qui dit contractuel dit juste »60, le contrat

ne faisant que cristalliser un accord de volontés. Au-delà de sa nature juridique comme acte

créateur d'obligations, le contrat se caractérise donc par sa fonction d'échange. On a pu

d’ailleurs très justement écrire que « le droit des contrats serait défini de façon plausible

comme le droit de l'échange »61. En matière commerciale, l'action c'est l'échange et toute

l'économie repose sur des échanges 62, et les échanges sont organisés par des contrats63.

53
Le contrat, et particulièrement le contrat de vente commerciale 64, se présente comme

l'accord de deux agents économiques sur la manière de régler certains flux entre eux. On

rencontre le contrat à chaque étape, depuis l'approvisionnement en matières premières ou la

conception du produit, jusqu'à l'organisation de la distribution et l'acquisition du produit que

ce soit un bien ou un service par le destinataire final. La vie économique semble donc être

impensable sans le contrat et c’est là d’ailleurs qu'il manifeste le plus évidemment son

existence. De manière générale, tout contrat possède une double nature. Il est d’abord un lien

entre des personnes créant des normes juridiques entre elles. Mais le contrat constitue

également une opération économique, un échange de valeurs entre des patrimoines qu’il

organise. Par cette double nature, le contrat présente un aspect dynamique. Cet aspect se

traduit nécessairement par des obligations de faire et/ou de ne pas faire65.

60
A. Fouillee, La science sociale contemporaine, Paris 1880, p. 410 ; sur cette citation v. J.-F. Spitz, «
Qui dit contractuel dit juste: quelques remarques sur une formule d'Alfred Fouillée », RTD civ. 2007,
p. 281.
61
P. Atiyah, Atiyah's Introduction to the Law of contract, 6ème éd., par S.A. Smith, 2005, p. 28.
62
On ne peut lire le droit des contrats sans garder présente à l'esprit cette considération qui, non
seulement explique les évolutions du droit des contrats, mais permet au praticien de mieux percevoir
les limites du permis et de l'interdit pour les clauses qui se situent dans des zones d'incertitude :
respecter la logique de l'échange.
63
La fonction d'échange qui inspire tout véritable contrat ne signifie pas que chaque contrat opère un
échange ; mais tout contrat de la vie économique a au moins pour fonction d'organiser un échange.
64
M. Drissi Alami Machichi, Droit commercial instrumental au Maroc, Rabat 2011, p.16.
65
V. en ce sens, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, F. Chénedé, Droit civil Les obligations, Précis
Dalloz, Droit privé, 12e éd., 2018 ; A. Bénabent, Droit des obligations, 15ème éd., LGDJ, 2016 ; G.
Chantepie, M. Latina, La réforme du droit des obligations, Dalloz, 2016; J.-B. Seube et Alii,
Pratiques contractuelles, ce que change la réforme du droit des obligations, Ed. Législatives, 2016.
Les contrats commerciaux répondent donc à des besoins économiques. La vente

commerciale devient donc un instrument par excellence de toute activité économique 66. Dans

l'ordonnancement juridique marocain, le contrat de vente commerciale est une sphère

particulière que les parties organisent en principe avec autonomie, parce que l'échange, est

l'univers propre des parties. Celles-ci connaissent leurs besoins, elles choisissent le moment

d'échanger, et elles règlent les modalités exactes de l'échange en fonction de leurs ressources.

Le Dahir des Obligations et Contrats, comme d’ailleurs le code civil français, reconnaît aux 54

parties cette liberté contractuelle très concrète, qu'on a intellectualisée sous l'appellation

« d'autonomie de la volonté », et qui dans la pratique permet aux parties de jouir d'une

grande liberté dans l'organisation de leurs échanges commerciaux67. Cet échange devient

alors la rencontre de besoins complémentaires. Toutefois, cette logique invite à deux

remarques additionnelles. Tout d'abord, puisqu'il y a besoins complémentaires, il y a une

communauté d'intérêts dans laquelle la structure fondamentale de l'échange doit s'épanouir 68.

Ensuite, la fonction d'échange commande l'impératif de sécurité juridique. Justement, dans le

contrat de vente commerciale, comme dans tout contrat, on trouve « la rencontre de deux

besoins qui se sont jugés adéquats, chacun des acteurs doit pouvoir compter sur l'autre,

c'est-à-dire sur celui dont l'action permet de répondre à son besoin. Les parties

n'accepteront volontiers d'échanger que si, d'un côté, elles peuvent avoir suffisamment foi en

la parole donnée, ce que l'ordre juridique vient garantir par sa présence, et si, d'un autre

côté, ce même ordre juridique ne vient pas bouleverser ce dont elles sont convenues. Cela

66
Justement, cette fonction d’échange commande alors que le contrat de vente commerciale témoigne
d'une réalité de l'échange, ce qui se traduit, dans la théorie générale des contrats, par certaines
exigences en matière par exemple de cause, de respect de l'obligation fondamentale, voire de révision
du contrat. La fonction d'échange explique également l'importance de la loi privée en matière
contractuelle.
67
Cette liberté est beaucoup plus enracinée dans notre tradition juridique que la tendance inverse du
contrôle par l'État des échanges au niveau singulier illustrée aujourd'hui par le droit de la
consommation où la loi a dû intervenir pour assurer un minimum de garanties dans l'échange, là où les
forces en présence étaient radicalement différentes.
68
Tout praticien est à même de constater que les contrats du moins les contrats opérationnels dont la
durée s'étale dans le temps qui vivent le mieux sont ceux dont l'élaboration ne s'est pas faite de
manière conflictuelle, mais par la recherche bien comprise d'un intérêt commun.
encore aide le rédacteur à mieux situer les limites du possible : certaines contraintes

contractuelles méritent d'être mises en place, et trouvent leur légitimité lorsqu'elles assurent

une sécurité juridique d'intérêt commun »69. D’un point de vue pratique, le contrat offre aux

entreprises une sécurité, une visibilité et une possibilité de prévoir, sans lesquelles il serait

extrêmement laborieux de mener un projet à bien. Il résulte alors que la vente commerciale

s’insère dans un processus de circulation des biens dans le cadre d’une véritable organisation

de l’entreprise. 55

Dans le domaine économique, le droit des contrats est un facteur important

d’efficacité. La sécurité offerte par le contrat provient du fait qu’il n’est pas simplement une

promesse ou un engagement moral : la loi oblige les contractants à le respecter. C’est ainsi

que l’on peut affirmer que le contrat est, avec la loi, la technique juridique la plus

importante. Par rapport aux autres contrats de droit commun, le contrat commercial conserve

néanmoins une certaine spécificité qui se manifeste par l’objet et la qualité des contractants.

Cette spécificité marque un mouvement de spécialisation qui le caractérise en contrat spécial.

Dans le cadre des dispositions générales du code de commerce marocain, la vente

constitue le but de l’achat et en même temps la condition sine qua none du caractère

commercial de l’opération qui repose sur des principes gouvernant à la fois le contrat de

vente commerciale (I) mais également une phase importante, celle de la négociation (II).

I. Les grands principes gouvernant le contrat de vente commerciale

Il n'existe pas, du moins dans les textes, de principes directeurs du droit des contrats

à l'image des principes directeurs du procès civil. Mais parmi les principes gouvernant le

droit des contrats, traditionnellement on trouve toujours des valeurs fondamentales que sont

« la liberté contractuelle », « la bonne foi » et « le respect de la parole donnée »70 traduisant

une manière particulière de penser le droit. Ces trois éléments fondamentaux « structurent le

69
F. X. Testu, Contrats d'affaires, Dalloz référence, 2010, n°10.
70
M. Fabre-Magnan, « Réforme du droit des contrats : un très bon projet », JCP G, 2008, Doctr.199.
droit des contrats et en constituent même sa charpente »71. Alors, le moins que l’on puisse

dire à propos du contrat de vente commerciale est qu’il est certainement un acte que l'on peut

placer au cœur même de l'activité économique. Pour autant, il doit rassembler les éléments

essentiels que la loi met à la validité de tout contrat. En droit civil marocain, le contrat de

vente est particulièrement réglementé par les articles 478 à 618 du Dahir des Obligations et

Contrats. Pourtant, à son sujet, on constate que le code de commerce est particulièrement

discret, pour ne pas dire muet. Les raisons de cette discrétion semblent être justifiées par la 56

conclusion instantanée du contrat qui s’effectue en un trait de temps par la rencontre

simultanée d’une offre et d’une acceptation.

En droit marocain, la vente est définie à l’article 478 du Dahir des Obligations et

Contrats comme « un contrat par lequel l’une des parties transmet la propriété d’une chose

ou d’un droit à l’autre contractant, contre un prix que ce dernier s’oblige à payer », et pour

qu’un contrat soit qualifié de contrat de vente, il faut donc qu’il ait pour objet le transfert de

propriété d’une chose contre le versement d’un prix. La vente est donc un contrat translatif

de la propriété d’un bien moyennant une contrepartie monétaire. C’est un contrat par lequel

l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer. Par là, la vente commerciale est

essentiellement liée à la monnaie. Contrat synallagmatique, la vente met des obligations à la

charge des deux parties. Elle est aussi un contrat consensuel bien souvent conclu à l'issue

d'une négociation elle-même gouvernée par quelques principes. Cette négociation doit être

menée librement entre les parties (A) et de bonne foi (B). Ce sont là les principes gouvernant

la négociation de la vente commerciale.

A. Le principe de la liberté contractuelle

Dans sa présentation classique le droit marocain des contrats est fondé sur le primat

de la liberté contractuelle et l’autonomie de la volonté. Ce primat suppose que les individus

doivent être libres de conclure ou de ne pas conclure un contrat, mais aussi la liberté de

71
M. Latina, Répertoire de droit civil, « Contrat : généralités. Principe directeurs du droit des
contrats », Mai 2017 (actualisation février 2020).
choisir son cocontractant. La liberté de déterminer le contenu du contrat désigne, quant a

elle, la liberté accordée aux contractants « de définir ce a quoi ils s’obligent »72. Le principe

de la force obligatoire du contrat, formalisé à l’article 230 du Dahir des Obligations et

Contrats, dispose que « les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de

loi à ceux qui les ont faites, et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou

dans les cas prévus par la loi », s’impose aux parties elles-mêmes. Mais également sur ce

point, il fat révéler que l'une des traditions juridiques marocaine est l'abstention du juge 73, 57

qui évite absolument d'interférer dans le contenu du contrat tant que l'existence même d'un

échange ne peut être mise en doute

Cette liberté contractuelle implique la liberté de négocier tout en gardant la

possibilité, en fin de compte, de conclure ou non le contrat. C'est le principe. Mais, cette

liberté s'exprime à travers une triple faculté. D’abord, comme nous l’avons déjà souligné, les

parties sont libres de contracter ou de ne pas contracter. Il n'y a pas d'obligation juridique de

contracter, et le refus de contracter n'est qu'une manifestation de la liberté. Ensuite, chaque

partie doit librement choisir le cocontractant et nul n'est forcé d'entrer en relations avec ses

semblables. Enfin, il appartient aux cocontractants, à l'issue d'un libre débat, de définir ce à

quoi elles s'obligent.

Constituant l’un des principes généraux du droit des contrats, la liberté contractuelle

peut se décomposer « en deux éléments : la liberté de contracter et la liberté de déterminer

le contenu du contrat »74. C’est pourquoi, dans certaines ventes commerciales complexes, il

y a une nécessité pour les parties de discuter de certaines modalités de leur futur contrat.

Cette discussion peut donner lieu à différents accords précontractuels ou accords de

72
Fr. Terre, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, 2009, 10ème ed., no 24, p. 31.
73
V. sur la question, L. Aynès, « Le juge et le contrat : nouveaux rôles ? », RDC 2016, n° Hors-série
d’avril 2016, p. 14 ; N. Blanc, « Le juge et les standards juridiques », RDC 2016/2, p. 394. ; Ph. Brun,
« Rapport de synthèse » (colloque « Le juge, auteur et acteur de la réforme du droit des contrats »),
RDC 2016/2, p. 416. ; D. Mazeaud, « La place du juge en droit des contrats », RDC 2016/2, p. 353. ;
B. Sturlèse, « Le juge et les standards juridiques », RDC 2016/2, p. 398.
74
L. Leveneur, « La liberté contractuelle en droit privé », AJDA, 1998, p. 677.
négociation. C’est cette phase, qui permet au contrat, suivant son importance, de se former

par étapes successives, demeure une période particulièrement très importante, car c'est

finalement là que les attentes de chacune des parties sont arrêtées. Dans le domaine

commercial, elle est très importante, voire primordiale, dans la mesure où elle permet, entre

autres, d’établir un rapport de confiance entre les futurs cocontractants.

Pendant cette phase précontractuelle75, les contacts sont pris en fonction de leur
58
importance, des intérêts et des envies des protagonistes. Mais, bien qu’il existe une véritable

liberté dans la conduite des différentes étapes de cette phase76, les parties gardent

naturellement toute liberté de rompre. Mais, pour la majorité des ventes commerciales, cette

période est inexistante ou tout au moins réduite, soit parce que l'un des contractants n'est pas

en position de négocier, soit parce que les relations d'affaires antérieures et la confiance qui

en résulte limitent l'utilité de telles négociations. Mais, lorsque la vente envisagée constitue

un enjeu important, les négociations deviennent alors une phase particulièrement décisive

pour l'économie du contrat. Ici, il y a alors « une montée par étapes progressives vers

l'accord contractuel »77. A cet égard, une partie de la doctrine qualifie ces négociations

précontractuelles de "fait ayant déjà une valeur juridique"78.

Dans la phase de négociation du contrat, il n’y a pas faute en soi à rompre. Mais

cette faute sera toutefois constituée en cas de déloyauté commise lors de l’initiative, du

déroulement ou lors de la rupture des négociations. Ainsi, l’une des parties sera de mauvaise

foi lorsqu’elle entame ou poursuit des négociations alors qu’elle n’a pas l’intention de

parvenir à un accord ou n’est pas sincère79 et continue des négociations dans le seul dessein

de dissuader son partenaire de négocier avec un tiers80 ou dans le but d’obtenir des

75
P. Puig, « La phase précontractuelle », Dr. et Patrim., mai 2016, n° 258 p. 52.
76
H. Muir-Watt, Les pourparlers : de la confiance trompée à la relation de confiance, ss. la dir. de
D. Fenouillet et P. Rémy-Corlay, Les concepts contractuels français à l'heure des Principes du
droit européen des contrats, Dalloz, 2003, p. 53.
77
J. Cedras, « L'obligation de négocier », RTD com. 1985, p. 273, n° 9.
78
R. Saleilles, « De la responsabilité précontractuelle », RTD civ. 1907, p. 7120.
79
J. Mestre, « La période précontractuelle et la formation du contrat », LPA 5 mai 2000, p.7.
80
Paris 19 janvier 2001, D. 2001, IR 677.
informations confidentielles 81. Cette faute peut aussi tenir à la brutalité de la rupture ou à sa

trop grande tardiveté. Ainsi, la règle selon laquelle « tout engagement doit être exécuté de

bonne foi » issue de l’article 231 du Dahir des Obligations et Contrats permet au juge de

sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, mais elle ne l’autorise pas à

porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les

parties ni à s’affranchir des dispositions impératives.

59
Ainsi, si la liberté des négociateurs demeure le principe, en matière

commerciale la bonne foi en constitue alors une limite.

B. Le principe de la bonne foi contractuelle

S’il y a un thème actuel en droit marocain des contrats, c’est bien celui de la

bonne foi. Elle est dans le processus contractuel « l’âme du droit des contrats »82,

gardienne de la loyauté et de la morale, mais aussi « de l’esprit du contrat et de sa

pérennité »83. « La bonne foi est l’un des moyens utilisés par le législateur et les

tribunaux pour faire pénétrer la règle morale dans le droit positif »84, nous pouvons

prétendre que la règle morale et la bonne foi en particulier imprègnent

indéniablement la phase précontractuelle. Elément d’une certaine éthique

contractuelle, la bonne foi n’est pas réservée au stade de l’exécution des contrats

seulement, elle doit être aussi étendue dans la phase de négociation.

Plus que tout, elle devient une directive d’interprétation des contrats au sens

des articles 461 et suivants du Dahir des Obligations et Contrats. Si en principe les

parties sont libres de contracter ou de ne pas contracter, c'est à la seule condition que

81
Com. 3, oct. 1978, Bull. civ, IV, n° 208.
82
M. Mekki, « Principes généraux du droit des contrats au sein du projet d’ordonnance portant sur la
réforme du droit des obligations », D. 2015, 816, n° 22.
83
Ph. Le Tourneau, M. Poumarede, Répert. Civ. Dalloz, Bonne Foi, n° 21.
84
G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 3ème éd., Paris, L.G.D.J., n° 157
leur choix soit empreint justement de bonne foi. C’est d’ailleurs de ce qui ressort de

l’article 231 du Dahir des Obligations et Contrats selon lequel « tout engagement doit

être exécuté de bonne foi et oblige, non seulement à ce qui y est exprimé, mais

encore à toutes les suites que la loi, l'usage ou l'équité donnent à l'obligation d'après

sa nature ». Ce texte « rayonne comme un principe général »85du droit des contrats,

mais cette exigence de la bonne foi n’est prévue qu’au stade de l’exécution du
60
contrat. Comme la liberté contractuelle, la bonne foi, en tant que principe général du

droit de contrats, ne peut en l’état actuel du droit positif marocain être limitée à la

seule phase de l’exécution. Cet article 231 du Dahir des Obligations et Contrats

ignore, nous emble t-il, malheureusement l’analyse économique du droit notamment

dans la phase de négociation du contrat. Il ouvre donc la voie à de multiples

interprétations et transforme par la même occasion le juge en une véritable troisième

partie au contrat. De plus, ce texte ne règle pas la question difficile de la définition de

la bonne foi. Entre l’approche minimale de la condamnation des comportements

déloyaux et l’approche maximale de l’exigence d’agir au mieux des intérêts du

contractant, le débat est ici très délicat, donnant alors matière à réflexion.

En matière commerciale, la sécurité des transactions ne peut être acquise sans

la loyauté contractuelle. C’est la raison pour laquelle la bonne foi insuffle toujours un

même esprit celui d’un « comportement honnête que doit avoir un contractant »86.

Alors cette consécration en droit civil marocain de la bonne foi comme principe

général ne sera pas neutre ni inutile. Il fera certainement peser sur « les contractants

une responsabilité, une direction éthique et morale »87. Cette consécration aura aussi

85
N. Dissaux, C. Jamin, « Réforme du droit des contrats, commentaire des art 1100 à 1386-1 du code
civil », D. 2016, p. 10.
86
M. Mekki, « Les principes généraux du droit des contrats au sein du projet d’ordonnance portant la
réforme du droit des obligations », D. 2015, 816, n°41.
87
P. Dupichot, « Les principes directeurs du droit français des contrats », RDC, 2013/1, p. 387, n°12.
un aspect positif impliquant une obligation d’information ou de coopération. Principe

directeur, la bonne foi ne jouera pas seulement un rôle de sanction mais aussi un rôle

d’incitation. Ainsi, en apparaissant comme un simple tempérament à la force

obligatoire de l’article 230 du Dahir des Obligations et Contrats, la bonne foi se

présentera alors comme une directive à part entière du droit des contrats88. Véritable

fil conducteur, elle s’appliquera alors à toutes les phases du contrat y compris dans la
61
phase précontractuelle, alors même que les négociateurs ne sont pas encore

cocontractants. Ainsi, du point de vue de sa nature, la bonne foi apparaitra davantage

comme un devoir général que comme une obligation. Il est important de relever que

la bonne foi n’est pas une obligation au sens d’une prestation que l’une des parties

devrait à l’autre. Il s’agit plutôt d’une exigence générale entre les parties qui

imprègne toutes leurs relations sans qu’elles puissent y déroger.

La bonne foi apparaitra aussi comme un principe protecteur du consentement

en fondant la sanction du dol, cause de nullité du contrat. Le dol est la sanction, au

moment de la conclusion du contrat, de la mauvaise foi de l’un des contractants. La

mauvaise foi est de l’essence même du dol qui suppose une intention de tromper.

Enfin, la bonne foi pourra parfois jouer un rôle de protection de l’équilibre du

contrat. A ce sujet, nous pouvons citer un arrêt de la chambre commerciale de Cour

de cassation française où les juges se sont fondés sur la bonne foi pour mettre à la

charge de l’un des contractants une obligation de renégociation du contrat devenu

déséquilibré, en cas de changement de circonstances imprévisible89. Aujourd’hui, le

détour par la bonne foi n’est plus nécessaire puisque en droit français des contrats

l’article 1195 du Code civil consacre une procédure autonome de renégociation et la

88
F. Terrè, P. Simler, Y. Lequette, F. Chénedé, Les obligations, Dalloz, 2018, n°128.
89
Com., 3 nov. 1992, RTD Civ. 1993.124 ; J. Mestre ; 15 mars 2017, D. 2018, 371, M. Mekki.
possibilité pour le juge de réviser le contrat en cas d’imprévision. Ce n’est

absolument pas le cas en droit marocain des contrats.

Alors, comme principe directeur du contrat et protecteur du consentement et

du contrat, une réforme du Dahir des Obligations et Contrats est donc souhaitable.

Toujours est-il que cette réforme doit naturellement se faire à la lumière du droit

français des contrats et notamment à partir du nouvel article 1104 du Code civil qui a 62
ajouté l’obligation de négocier de bonne foi90. En termes de lisibilité des règles et de

protection de la partie faible, cet article 1104 codifie des solutions jurisprudentielles.

Cette réforme est plausible dans la mesure où le droit marocain présente un certain

mimétisme avec le droit français.

Incontestablement, la bonne foi reste au cœur de la négociation contractuelle.

II. Les principes gouvernant la négociation contractuelle

En droit marocain, le moins que l’on puisse dire est que le Dahir des

Obligations et Contrats est particulièrement discret sur la négociation contractuelle.

Cette discrétion semble être justifiée par le fait que le contrat, dés qu’il présente une

certaine complexité91, se forme très rarement en un trait de temps, par la rencontre

immédiate d’une offre et d’une acceptation. Si négociations il devait y avoir, celles-

ci relevaient en quelque sorte de la vie privée des partenaires dans laquelle le

législateur et le juge n’avaient pas à s’immiscer. Il suffisait donc de laisser « la

90
Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ; P. Grossier, « La négociation dans l’ordonnance du 10
février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations »,
AJCA, 2016, 270.
91
D. Voinot, « La négociation des contrats de la grande distribution », AJCA, 2016, 316.
liberté contractuelle qui, entre partenaires d’égale puissance économique et

technique, ne pouvait conduire qu’à la conclusion d’un contrat équilibré »92.

Constituant l’une des facettes de notre droit des contrats, la multiplication des

contrats non négociés a progressivement remis en cause le modèle contractuel

classique du Dahir des Obligations et Contrats. A cela le développement économique

et technologique a aussi favorisé l’émergence de contrats complexes, aux enjeux 63


financiers souvent considérables, conclus notamment entre grandes entreprises. Pour

ces contrats, le modèle du Dahir des Obligations et Contrats est, nous semble t-il,

devenu inadapté car leur conclusion ne peut se faire en un trait de temps. Elle

nécessite une longue période de négociation qui doit être contractuellement organisé.

Pour le moment et dans le silence du Dahir des Obligations et Contrats, il revient à la

jurisprudence de se faire le miroir de ces phénomènes de conclusion progressive du

contrat, avec notamment le développement du contentieux de la rupture des

négociations.

Tout ce droit des contrats négociés (A) et non négociés (B) s’est cependant

construit en dehors du Dahir des Obligations et Contrats, rendant le silence de celui-

ci sur la négociation de plus en plus problématique.

A. La négociation commerciale contractuelle

Négocier est parfois une obligation, et en tant que processus la négociation

occupe dans le domaine des affaires une place importante. Elle peut être définie

comme la pratique consistant pour des personnes intéressées à s’engager

contractuellement, à discuter le contenu d’un éventuel contrat en restant libres de ne

pas conclure. Ici la liberté contractuelle, c’est d’abord la liberté de négocier. Chacun

92
M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t.1, Contrat et engagement unilatéral, 3ème éd., PUF,
2012, p.231.
peut alors entamer des discussions avec qui il veut et les mener comme il l’entend.

C’est ainsi que la négociation a ainsi pu être qualifiée par la doctrine dominante de

« figure de proue de la liberté contractuelle »93.

En droit marocain, le Dahir des obligations et contrats, comme d’ailleurs le

code de commerce, ne comprend guère de dispositions sur le processus même de

négociation du contrat de vente commerciale. Il s'intéresse seulement au contrat une 64


fois conclu pour vérifier seulement qu'il a bien été formé. Mais tout ce processus a

connu en revanche une consécration en droit français des contrats. L’article 1104,

nouveau, du Code civil français énonce comme principe que « les contrats doivent

être négociés, formés et exécutés de bonne foi ». Ce texte présente la particularité

d’être d’ordre public et les parties à la négociation ne peuvent déroger au fameux

principe de bonne foi, et notamment l’aménager, le cantonner ou l’exclure par une

clause contractuelle94. Avant la réforme du droit des contrats par l’ordonnance du 10

février 2016, seules « la formation et l’exécution » étaient expressément soumises au

principe de bonne foi. Nous pouvons considérer que le terme « formation » était

suffisamment large pour englober et la validité et la négociation. Cette bonne foi

dans la négociation commande un minimum de confidentialité sur son contenu. Elle

interdit aux partenaires d’utiliser sans autorisation une information confidentielle que

l’un aurait obtenue de l’autre lors de la négociation. En droit français, il y a

désormais une place à la négociation comme préliminaire à la conclusion de rapports

contractuels. Cette étape préalable à la conclusion du contrat est généralement

ignorée par le Dahir des Obligations et Contrats. Face à cette réalité juridique, les

juristes marocains s’accordent pour dire que les négociations sont sous la coupe et la

93
J. Ghestin, G. Loiseau et Y.M. Serinet, La formation du contrat, t. 1, Le contrat-le consentement,
4ème éd., LGDJ, 2013, n°685.
94
V. Y.-M. Laithier, « L’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi est-elle susceptible de clause
contraire ? Réflexions comparatives », D. 2014.33.
surveillance du droit. Alors, nous semble t-il qu’« une déontologie de la négociation

doit donc être assurée, afin que la période précontractuelle n’obéisse pas à la seule

loi de la jungle »95. Débat donc à suivre.

Dans la pratique, ce processus de négociation nécessite souvent la conclusion de

contrats préparatoires 96 ou d’avant-contrats qui ont pour objet de les organiser et de les

réguler. L'objet des contrats régulant la relation précontractuelle et, plus généralement, des
65
documents échangés pendant cette période est extrêmement divers. Il peut s'agir, pour les

parties à la négociation, de mettre sur le papier les points sur lesquels elles sont d'ores et déjà

parvenues à un accord lors de leurs différentes rencontres. Plus fréquemment, il s'agit pour

les parties à la négociation de préciser les règles qui devront régir les négociations, voire de

définir le comportement que chacun devra adopter lors de ces négociations. Plus ambitieux,

car tournés vers l'avenir, ces contrats sont sources d'obligations à intensité variable. Il ne sera

pas ici question des engagements d'honneur au sens strict qui, selon la jurisprudence

française, « ne font naître que des obligations morales et non civiles »97. Ces engagements

d'honneur sont à distinguer des lettres d'intention qui, selon les termes utilisées, et eu égard à

la volonté des parties, peuvent faire naître des obligations civiles 98.

Seront envisagés les contrats qui restreignent la liberté d'interrompre les négociations

en faisant naître, pour le moins, une obligation de négocier, à savoir l'accord de principe (a),

le pacte de préférence (b) et la promesse unilatérale de vente (c).

95
J. Schmidt « La négociation du contrat international », Droit et pratique du commerce
international, 1983, 239, p. 251.
96
M. Geninet, Théorie générale des avant-contrats en droit privé, thèse Paris II, 1985 ; J. Schmidt-
Szalewski, Les accords précontractuels en droit français, in Les principales clauses des contrats entre
professionnels : PUAM, 1990, p. 9.
97
CA Bordeaux, 16 oct. 1985, D. 1989, p. 438 ; CA Paris, 4 mai 1993, Bull. Joly Sociétés 1993,
n° 312, note Ph. Delebecque ; B. Oppetit, « L'engagement d'honneur », D. 1979, chron. 107 ;
D. Ammar, Essai sur le rôle de l'engagement d’honneur, thèse, Paris I, 1990 ; F. Labarthe, La notion
de document contractuel, LGDJ, 1994, n° 267, p. 168 ; A. Laude, La reconnaissance par le juge de
l'existence d'un contrat, PUAM, 1992, n° 662, p. 400.
98
J. Mestre, « Les lettres d'intention, une zone d'aménagement contractuel », Dr. et patrimoine janv.
1999, p. 62.
a. L’accord de principe

La définition de l'accord de principe semble difficile de prime abord. En effet, la

pratique utilise le terme d'accord de principe pour désigner des situations diverses 99et la

doctrine en propose parfois une définition très générale. Elle le définit « comme

l'engagement contractuel de faire une offre ou de poursuivre une négociation en cours afin

d'aboutir à la conclusion d'un contrat, dont l'objet n'est encore déterminé que de façon
66
partielle et en tout cas insuffisante pour que le contrat soit formé »100. À s'en tenir toujours,

et nous le regrettons, à la jurisprudence française, l'accord de principe est « un contrat par

lequel les parties s'engagent à négocier de bonne foi un contrat dont l'économie reste à

préciser »101. L'effet principal de l'accord de principe est donc de faire naître une obligation

de négocier, sans obligation d'aboutir à la conclusion du contrat 102. Cette obligation de

négocier implique nécessairement une obligation de loyauté dès la phase précontractuelle qui

ne va pas jusqu'à une obligation d'exclusivité par laquelle les négociateurs s'interdiraient de

mener des négociations avec des tiers. Il est donc conseillé d'envisager expressément, dans

l'accord de principe, cette question des négociations parallèles pour les interdire ou les

autoriser après accord du partenaire.

b. Le pacte de préférence

Le pacte de préférence est « un contrat par lequel une personne, le promettant,

s'engage envers une autre personne, le bénéficiaire, à ne pas conclure une vente avec un

tiers sans lui avoir préalablement proposé la conclusion »103. Cet avant-contrat est

notamment utilisé pour préparer des ventes d'immeubles, des cessions de fonds de

99
L. Rozès, « Projets et accords de principe », RTD com. 1998, p. 501, spéc. p. 506 ; I. Najjar,
« L'accord de principe », D. 1991, chron. p. 57.
100
J. Ghestin, Traité de droit civil. Les obligations. Le contrat : formation, op. cit., n° 241
101
Cass. soc., 24 mars 1958, JCP G 1958, II, 10868, obs. J. Carbonnier; Cass. 1ère civ., 8 oct.
1963, Bull. civ. 1963, I, n° 419.
102
Cass. com., 2 juill. 2002, RTD civ. 2003, p. 76, obs. J. Mestre et B. Fages.
103
M. Dagot, Le pacte de préférence, Litec, 1988 ; P. Voirin, « Le pacte de préférence », JCP G 1954,
I, 1192, Ch. Paulin, « Promesse et préférence », RTD com. 1998, p. 511 ; L. Rozès, « Pacte de
préférence et notions voisines », Dr. et patrimoine janv. 2006, p. 38.
commerce, d'œuvres de l'esprit ou de titres de sociétés. Le pacte de préférence peut être un

contrat autonome ou l'accessoire d'un autre contrat, Dans ce cas, on parle alors de « clause

de préférence » ou « clause de préemption ». À la différence du promettant de la promesse

unilatérale de vente, le promettant du pacte de préférence ne donne aucunement son

consentement définitif à la vente envisagée. C'est pourquoi ni la fixation d'un prix, ni la

détermination d'un délai ne sont des conditions de validité du pacte de préférence 104. En

revanche, dès lors que le promettant décide de vendre, il doit adresser au bénéficiaire une 67

offre de vente, ce qui implique que le prix soit déterminé. Le promettant s'engage

simplement à proposer prioritairement la vente au bénéficiaire, dans l'hypothèse où il

déciderait de vendre. Ici, seule sa liberté de choisir son cocontractant est donc affectée par le

pacte. Quant au bénéficiaire du pacte de préférence, à la différence du bénéficiaire d'une

promesse unilatérale, il ne dispose pas d'un droit d'option lui permettant de décider seul de la

formation du contrat puisque le bénéficiaire n'est titulaire que d'un droit de priorité de

destination de l'offre éventuelle de vente. Bien évidemment, il est libre d'accepter ou de

refuser l'offre qui lui est faite en exécution du pacte. S'il accepte, la vente est formée105. S'il

refuse, il perd nécessairement son droit de priorité et ne peut en conséquence reprocher

ensuite au promettant de ne pas lui avoir présenté l'offre de vente faite ultérieurement à un

tiers. Cette dernière solution ressort notamment d'un arrêt de la troisième chambre civile de

la Cour de cassation française en date du 29 janvier 2003106.

De plus, lorsque le pacte organise les modalités d'exercice du droit de

préférence notamment le délai ou la forme, le bénéficiaire du pacte doit veiller à ce

que ces modalités soient scrupuleusement respectées. À défaut, sa réponse peut être

104
Cass. 1ère civ., 6 juin 2001; Bull. civ. 2001, I, n° 166 ; JCP G 2002, I, 134, obs. F. Labarthe ; RTD
civ. 2002, p. 88, obs. J. Mestre et B. Fages, et p. 115, obs. P.-Y. Gautier ; Cass. 3e civ., 15 janv. 2003 ;
JCP G 2003, II, 10129, note E. Fischer-Achoura ; LPA 1er sept. 2003, n° 174, p. 3, obs. F. Breluque ;
Contrats, conc. consom. 2003, comm. 71, note L. Leveneur ; D. 2003, jurispr. p. 1190, note
H. Kenfack, Sur les conditions de validité du pacte, H. Kenfack, « Les conditions de validité du pacte
de préférence », Dr. et patrimoine janv. 2006, p. 43.
105
Cass. 3ème civ., 22 sept. 2004, Bull. civ. 2004, III, n° 142 ; Contrats, conc. consom. 2005, note
L. Leveneur ; JCP E 2005, 446, obs. J. Raynard.
106
Cass. 3ème civ., 29 janv. 2003, n° 01-03707 ; JCP E, 2004, 384, n° 1, obs. P. Mousseron.
ignorée par le promettant et n'emporte donc pas formation de la vente. Par exemple,

si le contrat prévoit une réponse du bénéficiaire par la lettre recommandée, l’acte

introductif d’instance du promettant, pour demander qu'il soit jugé que la vente est

parfaite, ne remplacera pas cette lettre recommandée.

c. La promesse unilatérale

68
La promesse unilatérale de vente désigne « le contrat par lequel une personne, le
promettant, s'engage à vendre un bien déterminé à un prix déterminé à son cocontractant, le
bénéficiaire, si ce dernier décide d'acheter »107. À l'égard du promettant, la promesse fait
naître une obligation de faire, c'est-à-dire vendre au bénéficiaire, qui a pour corollaire une
obligation de ne pas faire, c'est-à-dire ne pas vendre à un tiers. Par la promesse, le promettant
exprime son consentement à la vente dont la conclusion dépend de la seule volonté du
bénéficiaire. En conséquence, la capacité à vendre ou acheter du promettant s'apprécie à la
date de la promesse108. En outre, la chose doit y être désignée et le prix déterminé. À l'égard
du bénéficiaire, la promesse ne fait en principe naître aucune obligation. Elle lui confère un
droit, le droit d'option d’acheter ou de ne pas acheter, qui lui donne la maîtrise de la
formation de la vente, tout en lui garantissant l'immobilisation du bien pendant la durée de la
promesse.

Mais la promesse peut imposer au bénéficiaire le versement d'une somme


d'argent souvent nommée « indemnité d'immobilisation ». Cette somme d'argent est
aujourd'hui analysée par la jurisprudence notamment française comme le prix du
droit d'option109. Aussi, reste-t-elle par principe acquise au promettant lorsque la
vente ne se réalise pas. Sauf si la promesse le prévoit expressément, le juge ne peut
donc pas réduire cette somme compte tenu de la durée effective de l'immobilisation
du bien. Il ne peut pas non plus la réduire sur le fondement de son pouvoir
modérateur des clauses pénales. En effet, nous savons que la clause pénale vise à
sanctionner uniquement l'inexécution d'une obligation. Or en décidant de ne pas
acheter, le bénéficiaire ne fait qu'utiliser son droit d'option et ne manque à aucune
obligation110. L'existence de cette obligation de verser une somme d'argent ne suffit

107
F. Bénac-Schmidt, Le contrat de promesse unilatérale de vente, LGDJ, 1983.
108
Cass. 2ème civ., 30 nov. 1971, JCP G 1972, II, 17018.
109
Cass. 1ère civ., 5 déc. 1995, Bull. civ. 1995, I, n° 4.
110
Cass. 3ème civ., 5 déc. 1984, Bull. civ. 1984, III, n° 207; RTD civ. 1985, p. 472, note J. Mestre;
Cass. 3e civ., 24 sept. 2008, D. 2008, p. 2497, obs. G. Forest.
pas à disqualifier la promesse unilatérale en promesse synallagmatique 111. La
promesse reste unilatérale malgré l'existence d'obligations réciproques. En effet, la
qualification de promesse synallagmatique ne saurait être retenue, faute d'un
engagement corrélatif de vendre et d'acheter puisque le bénéficiaire ne s'engageant
pas à acheter, mais à verser une somme d'argent. Pour traduire l'existence
d'engagements réciproques, une partie de la doctrine parle de contrat synallagmatique
de promesse unilatérale de vente112.

69
Qu’en est-il du contentieux de la négociation, et notamment celui de sa
rupture ?

B. Le contentieux de la négociation commerciale

Si la période précontractuelle est dominée par la liberté contractuelle113, chacun peut

alors décider de mettre un terme aux négociations. Toutefois, cette liberté trouve ses limites,

comme nous l’avons vu, dans cette « exigence de la bonne foi » qui impose à chaque partie

d’adopter un comportement loyal vis-à-vis de son partenaire pendant les négociations. La

négociation doit avoir pour objet réel d’aboutir à un accord, même si le principe de liberté

contractuelle rend impossible de créer une obligation d’aboutir. En pratique, la mauvaise foi

d’un partenaire se manifeste généralement au moment où il rompt les négociations, ce qui

génère un contentieux sur la question de la rupture des négociations.

Au regard du droit marocain, on constate qu’à défaut de règles juridiques les

encadrant, les négociations peuvent par principe être interrompues tant que la vente

commerciale n'est pas formée. Ce silence semble parfois être partiellement comblé par la

111
Cass. com., 9 nov. 1971, JCP G 1972, II, 16962, note P.L. ; RTD civ. 1972, p. 391, obs.
Y. Loussouarn.
112
V. C. Bacrot et P. Berger, « Peut-on distinguer promesses synallagmatiques et promesses
croisées d'achat et de vente d'action ? », Bull. Joly Sociétés 1998, p. 822 ; Cass. com., 18 juill.
1989, RTD civ. 1990, p. 66, obs. J. Mestre ; Cass. com. 16 janv. 1990 ; RTD civ. 1990, p. 462, obs.
J. Mestre ; Cass. 3e civ., 26 juin 2002 : RTD civ. 2003, p. 77, obs. J. Mestre et B. Fages ; Cass.
com., 22 nov. 2005 ; D. 2006, act. jurispr. p. 149, A. Lienhard ; D. 2007, p. 267, obs.
E. Lamazerolles ; RTD civ. 2006, p. 302, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP E 2006, n° 1463, note
A. Constantin ; J. Moury, « Menaces sur les promesses unilatérales de vente et d'achat croisées » ;
D. 2006, p. 2793.
113
F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 9ème éd. 2005, n° 185 ;
J. Schmidt, « La période précontractuelle en droit français », RID comp. 1990, p. 545; J. Ghestin,
Traité de droit civil, Les obligations. Le contrat : formation, LGDJ, 3e éd. 1993, n° 329; Ph. Malaurie,
L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 3ème éd. 2007, n° 464, p. 217.
jurisprudence marocaine. Cela a été d’ailleurs le cas en droit français jusqu’à la réforme du

10 février 2016. Vis-à-vis du vide juridique en droit marocain, nous pouvons donc apporter

quelques éléments de réponses au regard de ce contentieux de la négociation. Ces éléments

se trouvent donc dans le système juridique français qui considère désormais que la liberté de

rompre les négociations est devenue une liberté surveillée. Plus la négociation avance, « plus

l’exigence de loyauté s’affermit cependant que la liberté est contrôlée »114. L’avancement de

la négociation suscite en effet une confiance légitime chez le partenaire. D’ailleurs, ce 70

dernier peut légitimement croire que la négociation ira jusqu’à la conclusion d’un contrat. La

liberté de rompre ne peut alors être que totale. Elle doit être contrôlée pour protéger cette

confiance légitime du partenaire.

Désormais, en droit français l’article 1112, alinéa 2, nouveau, du code civil dispose

qu’ « en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en

résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat

non conclu ». Ce texte évoque une « faute commise dans les négociations ». La faute dans la

rupture des négociations fait l’objet, en France, d’une abondante jurisprudence 115. S’il existe

un droit de rompre, ce droit est susceptible d’abus. Dans ce cas, les juges semblent faire une

application classique de la théorie de l’abus de droit. A cet égard, la Cour de cassation parle

de « faute commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers

précontractuelles »116. Autrement dit, le droit de rompre la négociation subsiste, mais le juge

vérifiera que ce droit n’a pas été exercé de façon abusive. Un tel abus de droit sera

caractérisé soit par la mauvaise foi du responsable de la rupture, soit, à défaut de déloyauté

caractérisé par son absence motif légitime. Il a ainsi été jugé que « si la liberté est le principe

dans le domaine des relations précontractuelles, y compris la liberté de rompre à tout

moment les pourparlers, il n'en reste pas moins que lorsque ces derniers ont atteint en durée

et en intensité un degré suffisant pour faire croire légitimement à une partie que l'autre est

114
J. Ghestin, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, La formation du contrat, t.1, Le contrat-Le consentement,
4ème éd., LGDJ, 2013, n°712, p.513.
115
Com. 16 févr. 2016, n°13-28.448.
116
Com. 16 févr. 2016, n°13-28.448.
sur le point de conclure (...), la rupture est fautive ».117 Cependant, la loyauté dans les

négociations connaît certaines limites118. Tout d'abord, en l'état actuel du droit positif, cette

loyauté implique ni un devoir d'exclusivité c’est-à-dire mener des négociations parallèles

n'est pas fautif119, ni a fortiori un devoir d'information sur l'existence de négociations

parallèles.

Cependant, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation française que le


71
contrôle des motifs de la rupture dépend étroitement de l’état d’avancement des

négociations. Si la négociation a été simplement ébauchée, chacun des partenaires est,

comme nous l’avons souligné, libre de rompre, sans avoir à fournir de motif légitime 120. En

revanche, si la négociation est déjà bien avancée, la rupture est fautive dès lors qu’elle n’est

pas justifiée par un motif légitime121. Plus la négociation avance et plus le partenaire peut

croire légitiment à la conclusion du contrat. Seul donc l’abus dans l’exercice du droit de

rompre les négociations peut donner lieu à indemnisation. Une certaine analyse de l’article

1112, nouveau, du code civil permet de constater qu’il a créé un cas de responsabilité né par

exemple de l’utilisation des informations confidentielles obtenues à l’occasion des

négociations122.

Enfin, dans la période précontractuelle, les fautes relèvent logiquement de la

responsabilité délictuelle et non de la défaillance contractuelle123. À supposer caractérisée

une faute dans la rupture des négociations, reste à préciser le préjudice réparable. On sait que

la responsabilité délictuelle, telle qu’elle est prévue par les articles 77 et 78 du Dahir des

Obligations ou encore l’article 1240 du Code civil français, permet une réparation intégrale

117
CA Riom, 10 juin 1992, RTD civ. 1993, p. 343, obs. J. Mestre.
118
Y. Neveu, « Le devoir de loyauté pendant la période pré-contractuelle », Gaz. Pal. 2000. 2.
Doctr. 2112 s.
119
Cass. com., 26 nov. 2003, Bull. civ. 2003, IV, n° 186 ; JCP G 2004, I, 163, n° 18, obs. G. Viney ;
D. 2004, p. 2922, obs. E. Lamazerolles ; RTD civ. 2004, p. 80 et 85, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC
2004, p. 257, obs. D. Mazeaud, CA Bordeaux, 11 juin 1996, JCP E 1997, I, 617.
120
V. Par ex. Civ. 1ère, 20 déc.2012, 11-27. 340.
121
V. par ex. Com. 11 juill. 2000, n°97-18. 275.
122
M. Jaouen, « Négociations et obligation de confidentialité », AJCA, 2016, 275.
123
J. Ghestin, « La responsabilité délictuelle pour rupture abusive des pourparlers », JCP 2007. I. 155.
du préjudice, qu'il résulte de pertes subies ou de gains manqués 124. La réparation des pertes

subies par la victime de la rupture, à savoir les frais de négociation n'est guère discutée en

jurisprudence125. Elle l'est davantage par une partie de la doctrine qui estime que ce type de

pertes est inhérent à toute activité économique et n'a donc pas vocation à intégrer le préjudice

réparable.

Affaire à suivre du côté du droit civil marocain…


72

124
O. Deshayes, « Le dommage pré contractuel », RTD com. 2004, p. 187.
125
Cass. soc., 22 mars 1972, D. 1972, p. 468, Cass. 3e civ., 9 oct. 1972 , Bull. civ. 1972, III, n° 491 ;
CA Paris, 10 mars 2000, JCP E 2000, p. 422, note Violet.
73

SECONDE PARTIE

LE CONTROLE DES COMPORTEMENTS


DES ENTREPRISES

Traditionnellement, le droit de la concurrence est susceptible de recevoir deux

définitions très différentes. La première, extensive, propose de voir dans le droit de la

concurrence l’ensemble des règles juridiques gouvernant les rivalités entre agents
économiques dans la recherche et la conservation d’une clientèle. La seconde, plus

restrictive, conçoit le droit de la concurrence comme l’ensemble des règles visant à

éviter, et le cas échéant, à réprimer les pratiques de nature à fausser le jeu de la

concurrence. Cette dernière définition semble la plus à même de répondre au contenu

du droit des affaires de l’Union européenne alors que la première recouvre bien

certaines données notamment du droit marocain de la concurrence.


74
Tout comme la libre circulation, la libre concurrence entre les entreprises est

un instrument permettant de contribuer à la création de ce marché intérieur au sein de

l’Union européenne, et donc, aboutir à un développement harmonieux, équilibré et

durable des activités économiques. Ce constat est important en matière de liberté de

circulation, le droit de la concurrence apparait comme un ensemble de dispositions

juridiques au soutien d’une politique économique. Cette remarque est essentielle en

ce sens que la règle de droit de la concurrence a bien une double dimension, une

norme de comportement et une norme économique.

Cependant, le droit des affaires de l’Union européenne de la concurrence

s’est, en effet, essentiellement développé à propos de pratiques anticoncurrentielles

collectives ou individuelles au travers les anciens articles 81 et 82 du traité CE,

désormais articles 101 et 102 TFUE, qui insistent, l’un et l’autre, sur l’idée de fausser

le jeu de la concurrence. Ce sont là ce qu’on appelle les pratiques

anticoncurrentielles. Le contrôle des concentrations, apparu explicitement plus

tardivement, ne dément pas cette approche pas plus, d’ailleurs, que le volet consacré

aux aides d’État. On retrouvera en droit interne marocain des concepts et

constructions proches à l’exclusion, logique, du contrôle des aides d’État.

D’inspiration libérale, la construction économique européenne a fait le choix,

comme d’ailleurs le Maroc, dès l’origine, de l’économie de marché ouverte où la


concurrence est libre reposant donc sur un ordre concurrentiel. A ce sujet, les États

membres de l’Union européenne ont peu ou prou emboîté le pas, parfois assez

tardivement comme la France qui ne s’est dotée d’un droit moderne de la

concurrence qu’en 1986. Au Maroc, ce n’est qu’à partir des années 2000, par la loi

06-99 du 6 juin 2000 relative à la liberté des prix et de la concurrence qui a été

réformé en 2014 à travers deux lois, la loi 104-12 du 30 juin 2014 et la loi 20-03 du
75
30 juin 2014. Toutes ces lois ont créés un droit matériel de la concurrence destinées à

s'appliquer aux pratiques susceptibles de porter atteinte à la concurrence

Ce droit est divisé en deux branches sous l’appellation des pratiques

anticoncurrentielles parmi lesquelles on trouve les ententes et l’abus de position

dominante. Ce droit est applicable dès lors que la pratique en cause est d’affecter le

commerce entre États membres et de restreindre ou de fausser le jeu de la

concurrence à l’intérieur du marché commun.

Les règles de ce droit qui s'adressent aux entreprises concernent les ententes,

l'exploitation d'une position dominante et les opérations de concentration.

L'ensemble des règles concernant ces pratiques est l'expression de l'objectif général

qui est celui de l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas

faussée dans le marché intérieur.

L'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée

dans le marché intérieur de l’Union européenne, veut que les conditions des échanges

et de la compétition économique ne soient pas aussi altérées artificiellement par des

mesures étatiques de soutien aux entreprises. Mais, les aides d'État sont un des

instruments des politiques économiques nationales. Elles peuvent être,

temporairement au moins, indispensables à l'adaptation des entreprises au

changement des conditions de la concurrence, au développement de la capacité


concurrentielle de certains secteurs. C’est le cas au Maroc de la compagnie aérienne

nationale Royal Air Maroc.

Incontestablement, l’une des particularités du droit de la concurrence de

l’Union européenne est de s'appliquer à toute entreprise quel que soit le lieu où elle

est établie et que les effets des pratiques anticoncurrentielles qui lui sont imputables.

Ce n'est pas la localisation des entreprises qui est déterminante, mais la localisation 76
des effets des pratiques en cause. Des entreprises dont le siège ne se situe pas dans

l’espace de l’Union européenne se sont vu appliquer le droit de la concurrence de

l’Union européenne.

On sait que l’internationalisation des échanges est une réalité palpable,

notamment en matière d’interaction de commerce et de la concurrence. À défaut d’un

droit de la concurrence international, les enjeux se situent au niveau d’entités

régionales, comme le continent africain et donc le Maroc et le continent européen, et

passent par une coopération internationale entre autorités de la concurrence.

Différents principes sont alors mis en œuvre, qui permettent d’assurer tout à la fois la

coexistence des règles de concurrence entre elles et de favoriser leur application.

La coopération internationale dans le domaine de la politique de concurrence

peut être bilatérale ou multilatérale. Elle prend parfois l’aspect d’accords de

coopération. Dans tous les cas, cette coopération vise à l’échange d’informations sur

des affaires individuelles en matière d’entente ou de concentration qui présentent un

intérêt commun pour les autorités respectives, mais aussi, à coordonner l’application

des mesures de sanction en se prêtant mutuellement assistance au stade du contrôle.


77
Chapitre 1.
78
Les ententes anticoncurrentielles

En droit des affaires de l’Union européenne l’article 101 du Traité fondateur

de l’Union européenne, tout comme d’ailleurs l’article 6 de la loi marocaine 104-12,

pose le principe d’interdiction de tout accord ou pratique entre entreprises

indépendantes ayant pour objet ou pour effet actuel ou potentiel, de limiter la

concurrence sur le marché. Une entente anticoncurrentielle peut se définir comme


une concertation entre plusieurs entreprises, ayant un objet ou un effet restrictif de

concurrence. À la différence des abus de position dominante, il s’agit donc d’une

pratique collective.

La simple lecture de l’article 101 Traité fondateur de l’Union européenne 126

permet de relever qu’il n’a aucune définition des ententes. Selon ce texte sont

interdits « tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations 79


d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le

commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de

restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun ».

C’est donc la Cour Justice de l’Union Européenne qui a été conduite,

progressivement, à caractériser les contours de la notion d’entente sans pour autant

en offrir une définition unique. Un même constat peut être formulé à propos de

l’article 6 de la loi marocaine 104-12.

De manière nette, la jurisprudence a retenu que l’entente est constituée par la

réunion de trois éléments cumulatifs à savoir la collusion d’entreprises entraînant une

restriction de concurrence. Chacun de ces éléments a donné lieu à une abondante

jurisprudence de nature à en cerner le sens.

Section 1. Les ententes prohibées

§1. Les formes des ententes

126
D’un point de l’analyse juridique, l'article 101 du TFUE a une structure tripartite. Son paragraphe 1
pose le principe de l'interdiction de certaines ententes en ce qu'elles portent atteinte à la concurrence.
Son paragraphe 2 énonce une sanction qui s'attache à cette prohibition, à savoir la nullité de plein droit
des accords en cause. Son paragraphe 3 établit une dérogation au principe d'interdiction posé par le
paragraphe 1er, en énonçant que cet alinéa peut être déclaré inapplicable aux accords qui remplissent
quatre conditions (deux négatives et deux positives) cumulatives.
Du point de vue juridique, le droit des affaires de l’Union européenne

distingue trois catégories d'ententes que sont les accords (A), les pratiques concertées

(B) et les décisions d'associations d'entreprises (C)127.

A. Les accords

Un accord se définit comme une rencontre de volontés en vue de se


80
comporter sur le marché d'une manière déterminée. L'expression de cette volonté

commune, par écrit ou simplement par le comportement adopté, est indifférente 128.

Sont de même indifférents :

• le support de l'accord, contrat, Code de déontologie, consignes,

conditions générales de vente, mentions sur facture, circulaire à des

concessionnaires […] ;

• le niveau des opérateurs dans la chaîne de mise sur le marché

du produit ou service (l'entente peut être horizontale et/ou verticale) ;

• son caractère juridiquement contraignant ou non.

B. Les pratiques concertées

Il s'agit d'« une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été

poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue sciemment

une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence »129 . Par cette

coopération, les entreprises portent atteinte à l'incertitude concurrentielle devant

prévaloir sur le marché, en influençant le comportement d'un concurrent actuel ou

127
Par exemple CJUE, 11 sept. 2014, Mastercard, aff. C-382/12 : Contrats, conc. consom. 2014,
comm. 251.
128
Par exemple TUE, 16 juin 2015, aff. T-655/11, FSL Holdings e.a./Commission européenne, point
412.
129
Par exemple TUE, 16 juin 2015, aff. T-655/11, FSL Holdings e.a./Commission européenne, point
414.- CJUE, 5 déc. 2013, Solvay SA, aff. C-455/11, point 36.
potentiel et/ou en lui dévoilant le comportement que l'on est décidé à tenir soi-même.

La notion de pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises,

un comportement sur le marché y faisant suite et un lien de cause à effet entre ces

deux éléments (qui peut néanmoins être présumé dans certaines circonstances 130.

C. Les décisions d’associations d’entreprises

81
Comme cela ressort de cette dénomination, constitue une entente au sens de

l'article 101 du Traité fondateur de l’Union européenne l'expression, par un organe

commun, de la volonté collective de ses adhérents131. La forme de cette expression

de volontés est indifférente comme les statuts d'association, règlement intérieur,

décision, recommandation. Il est de même inutile que celle-ci soit obligatoire en

droit ; il peut s'agir, par exemple, d'une simple recommandation suivie par ses

adhérents. Il suffit qu'elle ait été adoptée avec l'objet ou l'effet d'influencer le

comportement commercial de ses membres 132.

En droit des affaires de l’Union européenne, comme d’ailleurs en droit

marocain des affaires l’expression d’entreprises est utilisée sans pour autant être

définie. Les organes en charge du droit de la concurrence n’ont pas non plus adopté

de réelle définition commune. Ils ont davantage cherché à dégager certains critères,

selon eux, caractéristiques de l’entreprise.

Une synthèse jurisprudentielle permet de mieux cerner ce qu’il faut entendre

par entreprise. D’abord, la jurisprudence du Tribunal de Première Instance de

l’Union européenne a ainsi proposé de voir dans les entreprises « des entités

130
Par exemple TUE, 16 juin 2015, aff. T-655/11, FSL Holdings e.a./Commission européenne, point
417.- CJUE, 5 déc. 2013, Solvay Solexis SpA, aff. C-449/11.
131
par exemple CJUE, 11 sept. 2014, aff. C-382/12, Mastercard , préc. .- CJUE, 4 sept. 2014, aff. C-
184/13 , API: Contrats, conc. consom. 2014, comm. 249 point 41.
132
Par exempleTPICE, 26 janv. 2005, aff. T-193/02, Piau , Contrats, conc. consom. 2005, comm. 119
; Europe 2005, comm. 93.
économiques consistant chacune en une organisation unitaire d’éléments personnels,

matériels et immatériels, poursuivant de façon durable un but économique déterminé

». De son côté, celle de la Cour de justice a, elle, adopté une définition un peu plus

extensive en ne s’attachant pas forcément à la présence d’éléments matériels et

immatériels. Il ressort de la confrontation de ces différentes propositions

jurisprudentielles qu’un élément déterminant et commun semble se profiler qui est


82
celui de la poursuite d’une activité économique. Dès lors « la notion d’entreprise

comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut

juridique de cette entité et de son mode de financement »133.

§2. La nécessité d'une rencontre de volontés entre entreprises


indépendantes

La collusion s'entend d'un accord de volontés entre (au moins) deux entités

autonomes. Ce caractère d'autonomie de volontés fait défaut dans deux hypothèses

principalement, excluant la qualification d'entente aux décisions mises en œuvre.

Si un accord est passé entre deux entités d'un même groupe et que l'une ne

dispose d'aucune autonomie commerciale et financière vis-à-vis de l'autre, il ne

relèvera pas du droit des ententes. Il n'y aura pas une rencontre de volontés

autonomes, mais un accord intra-groupe ; vont être concernées, en particulier, les

relations entre une société mère et sa filiale, si elle exerce un contrôle sur celle-ci et

que cette dernière ne dispose pas d'autonomie financière ou commerciale 134.

Il est également admis que dans certaines conditions, les relations entre une

société commettant et son agent échappent au droit des ententes. Tel est le cas

lorsque l'agent ne supporte pas de risques financiers ou commerciaux significatifs ; il

133
CJCE 23 avr. 1991, Höfner, aff. C-41/90, Rec. CJCE I-1979.
134
Par exempleTPICE, 15 sept. 2005, aff. T-325/01, DaimlerChrysler c/ Commission : Europe 2005,
comm. 391 ; JCP E 2007, 179.
est alors considéré comme une continuation de l'entreprise commettant et non

comme un opérateur indépendant avec lequel l'entreprise pourrait mettre en œuvre

une entente135.

§3. L’objet ou l’effet restrictif de concurrence

Selon l’article 101 § 1 Traité fondateur de l’Union européenne,


l’incompatibilité avec le marché commun est tributaire du fait que les accords, les 83

décisions d’associations d’entreprises ou les pratiques concertées « sont susceptibles


d’affecter le commerce entre États membres et ont pour objet ou pour effet
d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du
marché commun ». De cette affirmation, il découle que toutes les ententes
communautaires ne sont pas prohibées. Deux conditions expresses et cumulatives
doivent donc être remplies. D’une part, il convient que l’entente restreigne le jeu de
la concurrence à l’intérieur du marché commun et d’autre part, il convient que
l’entente européenne soit susceptible d’affecter le commerce entre États membres.
Une entente peut être anticoncurrentielle de par son objet ou de par son effet
(effectif ou potentiel), eu égard à son contenu et à son contexte économique. La
distinction entre « infractions par objet » et « infractions par effet » tient à la
circonstance que certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être
considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu
normal de la concurrence 136. Constituent ainsi, par exemple, des ententes
anticoncurrentielles par objet, des accords de fixation de prix, de partage des marchés
ou destinés à empêcher un opérateur d'entrer sur le marché, des impositions de prix
de revente minimum aux revendeurs de ses produits, etc.

Comme l'usage de la conjonction de coordination « ou » (« objet ou effet »)


dans l'article 101 du Traité fondateur de l’Union européenne l'indique, ces deux
termes sont alternatifs. Dès lors, la prise en considération des effets concrets d’un

135
Par exemple CJCE, 11 sept. 2008, aff. C-279/06, CEPSA , Estaciones de Servicio SA/LV Tobar e
Hijos SL : Europe 2008, comm. 382 ; Contrats, conc. consom. 2009, comm. 17 ; TUE, 15 juill.
2015, aff. T-418/10, voestalpine AG/Commission européenne, points 134 s.
136
Par exempleCJUE, 16 juill. 2015, aff. C-172/14, ING Pensii – Societate de Administrare a unui
Fond de Pensii Administrat Privat SA/Consiliul Concurentei, points 31 s. .- CJUE, 11 sept. 2014, aff.
C-67/13, Groupement CB,: Contrats, conc. consom. 2014, comm. 250, point 48.
accord est superflue, lorsqu’il apparaît que celui-ci a eu pour objet d’empêcher, de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun137.

La restriction de concurrence résultant d'un accord, d'une pratique concertée


ou d'une décision d'association d'entreprises doit cependant être suffisamment
sensible pour que l'article 101 du Traité fondateur de l’Union européenne soit
appliqué. Ce caractère sensible s'apprécie en fonction des parts de marché des parties
à l'accord.
84

§4. La typologie des ententes

L'article 101 du Traité fondateur de l’Union européenne ne fixe pas de liste

exhaustive des ententes pouvant être anticoncurrentielles. Eu égard à la souplesse de

la notion d'entente, la variété des pratiques susceptibles de tomber sous le coup de

cette disposition est grande.

À titre indicatif, les manifestations les plus fréquentes d'ententes

anticoncurrentielles peuvent être les suivantes.

Les ententes horizontales

Vont être fréquemment condamnées :

• les ententes tarifaires entre entreprises concurrentes138 ;

• les ententes tarifaires via diffusion de barèmes,

recommandations et directives par des organismes professionnels ;

• les échanges d'informations139;

• les ententes de répartitions de marchés140 ;

137
Par exemple CJUE, 16 juill. 2015, aff. C-172/14, ING Pensii – Societate de Administrare a unui
Fond de Pensii Administrat Privat SA/Consiliul Concurentei, aff. C-172/14, points 31 s. .- CJUE, 11
juill. 2013, aff. C-440/11, Commission européenne, point 97.
138
Par exemple, TUE, 16 juin 2015, aff. T-655/11, FSL Holdings e.a./Commission européenne.
139
Par exemple, TUE, 9 sept. 2015, aff. T-82/13, Panasonic et Matmut Picture Display/Commission.-
CJUE, 19 mars 2015, aff. C-286/13, Dole Food Company Inc.)
• les pratiques de boycott.

Les ententes verticales

Font régulièrement l'objet de sanctions :

• les pratiques de prix de revente imposé aux distributeurs ;

• les clauses d'exclusivité et/ou de non-concurrence excessives. 85

Section 2. Les sanctions des ententes prohibées

§1. Les sanctions pécuniaires

En cas d'entente anticoncurrentielle, la Commission européenne peut

prononcer une amende d'un montant pouvant atteindre jusqu'à 10 % du chiffre

d'affaires consolidé du groupe auquel appartient l'entité responsable 141.

Les juridictions nationales peuvent prononcer l'octroi de dommages et intérêts

au bénéfice de la victime d'une telle pratique, selon les modalités de leur droit

national.

§2. Les sanctions non pécuniaires

La principale sanction des ententes anticoncurrentielles réside dans la nullité

des accords conclus. Il s'agit d'une nullité de plein droit et absolue, c'est-à-dire

rétroactive, dont la portée (accord en entier ou seules clauses illicites) va dépendre du

droit national.

§3. Les dérogations à l’interdiction des ententes

140
par exemple, CJUE, 16 juill. 2015, aff. C-172/14, ING Pensii – Societate de Administrare a unui
Fond de Pensii Administrat Privat SA/Consiliul Concurentei.
141
Sur la méthodologie de détermination du montant de l'amende, cf. par exemple TUE, 15 juill. 2015,
aff. T-389/10 et T-419/10, Siderurgica Latina Martin SpA (SLM), Ori Martin SA/Commission
européenne.- CJUE, 5 déc. 2013, aff. C-449/11, Solvay Solexis SpA, point 75.
Le droit des affaires de l’Union européenne prévoit que certaines restrictions

de concurrence peuvent être « rachetées » si elles répondent à certaines

caractéristiques. Deux modalités de « dérogation » au principe de prohibition

existent. Les exemptions catégorielle (A) et individuelle (B).

A. Les exemptions par catégorielle

86
Les règlements d'exemption sont des textes en application desquels, si les

parties à un accord ne détiennent pas une puissance de marché trop importante et que

leur accord ne comprend pas certaines restrictions caractérisées, il est alors présumé

que les quatre conditions posées par l'article 101 § 3 du Traité fondateur de l’Union

européenne sont satisfaites et que l'article 101 § 1 du Traité fondateur de l’Union

européenne n'est donc pas applicable. Cet accord doit en principe avoir pour effet

d'améliorer la production ou la distribution et de réserver aux consommateurs une

part équitable du profit qui en résulte, sans pour autant imposer aux parties des

restrictions excessives ou éliminer la concurrence pour une partie substantielle des

produits en cause.

Il n'est dès lors pas nécessaire de faire la démonstration que ces conditions,

requises pour une exemption, sont effectivement satisfaites. Pour autant, un

règlement d'exemption n'est qu'un « moyen » offert aux entreprises pour assurer la

conformité de leurs accords aux dispositions du droit des ententes. Il ne leur est pas

imposé de se conformer à ses dispositions, qui ne peuvent être interprétées comme

étant obligatoires. Le fait qu'un accord tombe dans le champ d'un règlement existant

ou qu'il ne puisse en bénéficier, n'entraîne pas une présomption d'illicéité. Enfin,

dans certaines circonstances, la Commission européenne est en droit de prononcer le

retrait d'un règlement à un accord donné (de même que les autorités de la
concurrence nationales) ou de décider qu'il ne sera pas applicable à une catégorie

d'accords donnée.

B. Les exemptions individuelles

Si un accord ne peut se prévaloir des dispositions d'un règlement

d'exemption, soit parce qu'il n'entre pas dans l'une des catégories d'accords couvertes
87
par ces règlements, soit parce qu'il n'en satisfait pas les conditions, il peut en tout état

de cause bénéficier d'une exemption individuelle, s'il remplit les quatre conditions

cumulatives posées par l'article 101 § 3 du Traité fondateur de l’Union européenne.

Selon cet article, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées

inapplicables à tous accords, décisions d'associations d'entreprises et à toutes

pratiques concertées qui :

• contribuent à améliorer la production ou la distribution des

produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique ;

• tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit

qui en résulte ;

• sans imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne

sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs ;

• et sans donner à des entreprises la possibilité, pour une partie

substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.

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