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Cheb Hasni, Oran D'idole
Cheb Hasni, Oran D'idole
On ne saura jamais. Les deux balles qui fauchèrent au seuil de chez ses parents Cheb Hasni,
le 29 septembre 1994, ont laissé un trou béant dans l’histoire du raï, et une page blanche
dans la biographie de celui qui était alors à l’aube d’une carrière internationale. Officielle-
ment le GIA revendiqua l’assassinat du gamin de Gambetta, le faubourg populaire d’Oran
où était né le 1er février 1968 Hasni Chakroun. Le même qui après avoir rêvé de devenir
footballeur choisit une tout autre voie : la musique, dans un pays longtemps plombé par le
parti unique et bientôt miné par l’irruption du Front islamique du salut (FIS), laquelle per-
mit à beaucoup de s’échapper, malgré tout. Au milieu des années 80, le futur «rossignol du
raï» apprend le métier dans les mariages et cabarets qui allument sa ville natale. Il ne va
pas tarder à se révéler, quand il s’embarque dans El Baraka, un duo avec son aînée Chaba
Zahouania qui suinte le sexe et la sueur. Une telle odeur de soufre saura séduire la jeunesse
qui veut encore croire à l’insouciance, alors que les islamistes radicaux ne l’entendent pas
de cette oreille et que le Front de libération nationale (FLN) reste sourd à ses attentes.
Pléthorique. Cette histoire d’amour sera le tube de l’été 1987, célébrant l’entrée en piste
d’Hasni. Le chantre du raï love ne va plus lâcher le micro, enregistrant selon Michel Lévy
pas moins de 450 chansons en tout juste sept ans de carrière. Celui qui gère désormais ce
catalogue, comme celui d’autres icônes du raï, aime à citer cette blague qui tournait à Bar-
bès dans des multiples échoppes qui diffusaient à cette époque du raï : «Quand on deman-
dait la dernière cassette d’Hasni, le vendeur répondait : “Laquelle ? Celle du matin ou celle
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15/04/2023 17:19 Cheb Hasni, Oran d’idole
de l’après-midi ?” Du coup on avait l’impression qu’il avait toujours un succès qui tour-
nait.» Même si le producteur de la maison Saâda Hafsi Sid-Ahmed le lança et publia un bon
nombre de ses cassettes six titres, Hasni n’avait aucun contrat d’exclusivité. «On tapait
dans les mains et on citait le nom de la production au début de la chanson, pour sceller
l’engagement», reprend Michel Lévy. Ce qui permettait d’essaimer à tout va. C’est dans
cette aussi pléthorique que chaotique production qu’a puisé Cheb Gero – nom de DJ du
Français Fabrice Géry par ailleurs fondateur et tête chercheuse du label Akuphone – pour
composer trois disques au format vinyle, sous étiquette Outre National. Il raconte :
«L’objectif est de permettre à la musique d’Hasni d’atteindre d’autres publics. Il y a un vrai
décalage entre sa popularité en Algérie et sa notoriété dans le reste du monde, un fossé que
l’on essaie de combler. C’est aussi pourquoi on a choisi de réaliser des couvertures origi-
nales qui attirent l’oeil.» Et de citer le marché américain où le séminal apôtre du raï senti-
mental demeure trop méconnu. Et pourtant. «Cheb Hasni reste le numéro 1 en streaming,
surtout sur YouTube, notamment au Maghreb», reprend Michel Lévy, expert en la matière.
Au Maroc comme en Algérie, ou sein de la diaspora, la popularité de Chab Hasni a survécu,
le hissant audessus de tous les autres, Khaled et Mami compris. Il est une légende toujours
aussi vibrante pour les jeunes générations qui se reconnaissent dans ses paroles, des mots
simples, des phrases à double sens aussi, ancrés dans le quotidien, avec son lot de galères.
«J’allais partir voir ma chérie/Et vous me privez du visa /Vous voulez me tuer ! /Je vais
boire à tout casser.» A l’image de la bien nommée El Visa, une chanson qui s’écoulera fissa
à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, une thématique qui trente ans plus tard
reste d’actualité, le charmant chanteur pouvait sous les mots doux avoir le verbe amer.
Alors que la décennie noire a débuté, poussant au départ artistes comme intellectuels,
Hasni va néanmoins demeurer auprès des siens. «Il n’a jamais voulu s’exiler, il venait en
Europe juste pour les concerts. Il restait très attaché à son quartier», se souvient le journa-
liste Rabah Mezouane, érudit spécialiste du raï qui lui-même le programma au New Raï,
une discothèque du VIe arrondissement, et l’accompagna notamment en Norvège. «Il
n’avait pas encore franchi le cap des festivals, il n’a pas eu le temps de faire une carrière
internationale comme certains de ses aînés», analyse Michel Lévy.
Tournoyantes. Un peu avant sa mort, un projet de disque avec une major de ce côté de la
Méditerranée avait été évoqué, ce qui aurait sans doute constitué le premier pas vers un
crossover, pour celui dont la production fut jusqu’au bout garantie sans aucun additif
made in France susceptible de le rendre admissible aux ondes hexagonales.
Paradoxalement, c’est cette sophistication tout sauf policée qui trente ans plus tard devrait
lui permettre d’atteindre enfin d’autres rivages, alors que la vague Acid Arab inonde les
pistes de danse. Les dix-huit titres sélectionnés, et dûment remasterisés, sonnent comme
tels, comme s’ils surfaient sur cette tendance de fond qui cherche à mixer l’esprit DIY et
l’âme profonde du bled. Aujourd’hui peut-être encore plus qu’hier, la musique d’Hasni,
aussi imparable qu’incomparable, a tout pour plaire : une voix envoûtante, des ballades
séduisantes, des sons de synthé entêtants, des rythmiques tournoyantes, et ainsi de suite.
«Il ne fait aucun doute que sa musique était super moderne, nourrie de nombreuses
influences et en même temps très typique de la musique locale. De par sa manière d’enre-
gistrer, où tout allait très vite, Hasni favorise l’expérimentation, dans un registre pop bien