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Les deux options de Ségolène Royal

Article paru dans l'édition du 23.11.06


La victoire de la candidate est une défaite de la gauche de la gauche.
Mais par quoi remplacer les votes des antilibéraux ?

a victoire de Ségolène Royal transforme profondément la situation politique au Parti socialiste


(PS), et la gauche du non ne se relèvera pas de sa défaite. Ségolène Royal a cassé le vase de
Soissons. Cette victoire peut cependant déboucher sur deux orientations différentes.

La première est d'en finir avec une rhétorique d'extrême gauche détachée de la réalité. La
gauche parle depuis très longtemps, et en particulier depuis 1981, le langage le plus radical et
le plus anticapitaliste qui soit. La victoire du non au référendum sur la Constitution
européenne a été accompagnée, y compris au PS, de commentaires violents affirmant que
l'économie de marché et la justice sociale sont incompatibles, qu'il faut donc renforcer
l'emprise de l'Etat et du secteur public sur l'économie.

Cette position est surprenante dans un continent où l'économie de marché n'empêche pas un
fort prélèvement de l'Etat sur le revenu national, et en particulier au service d'un système de
sécurité sociale très développé. Cette tendance radicale a conduit le PS à chercher des
alliances avec tous les groupes qui se trouvent à gauche de la gauche ou même dans l'extrême
gauche. Cette orientation, ou au moins cette apparence d'orientation, est responsable de
l'affaiblissement du PS. Non seulement parce que sortir de l'économie de marché est un
objectif privé de tout sens concret, mais aussi parce que le PS n'est pas le parti du prolétariat,
mais au contraire un parti où les cadres sont plus nombreux que les petits salariés. La seule
explication de ce paradoxe est que ce sont les salariés du secteur public, et en particulier les
cadres, qui ont construit cette idéologie, qui rend une victoire de la gauche de plus en plus
impossible.

Si on accepte cette analyse, la grande question qui se pose aux membres du PS, anciens et
nouveaux, est : comment sortir de cette impasse ? Comment revenir à une politique réaliste ?
Dominique Strauss-Kahn (DSK) là-dessus a dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : il
faut devenir social-démocrate comme tous les autres partis socialistes en Europe. Mais, s'il a
bien défini l'objectif à atteindre, il n'a pas trouvé de réponse à la question plus concrète :
comment y parvenir ? C'est-à-dire comment gagner l'élection sans se laisser entraîner par un
électorat d'extrême gauche qui venait de montrer sa force en obtenant la victoire du non.

Il est indispensable et urgent que la gauche française se définisse par rapport à des situations
réelles et non pas par rapport à un héritage idéologique, tout comme il est indispensable
qu'elle comprenne les problèmes d'une société où la diversité culturelle augmente et où le
vocabulaire républicain aboutit à accroître les inégalités.

Les premières déclarations de Ségolène Royal sur ce point marquent une heureuse liberté de
pensée et de décision. Mais l'échec de DSK peut conduire à la seconde hypothèse : la
candidate Ségolène Royal correspond à un mécontentement profond de l'opinion publique.
Dans cette perspective, elle est une candidate « antiparti » et doit donc chercher des appuis
dans toutes les directions, y compris l'extrême gauche ; elle doit aussi s'écarter le plus
clairement possible de tout ce qui évoque le marécage centriste où la gauche n'a jamais trouvé
la victoire.

Le phénomène Ségolène serait une nouvelle version du phénomène Mitterrand. Cette seconde
hypothèse, parce qu'elle est plus simple que l'autre, semble conduire plus facilement à la
victoire. La première au contraire se heurte à la difficile question : comment remplacer les
votes de l'extrême gauche ? Ségolène Royal est-elle capable d'attirer une partie importante de
la gauche de la gauche, en même temps que des secteurs les plus variés de l'opinion ?

La difficulté de choix entre ces deux politiques vient de ce que les conditions qui ont permis à
Ségolène Royal de gagner facilement le premier concours risquent de l'empêcher de gagner le
second, face à la légion romaine commandée par Nicolas Sarkozy.

Cette comparaison des deux sens que Ségolène Royal peut donner à sa victoire impose
comme conclusion que, pour gagner l'élection présidentielle, elle doit combiner les deux
chemins. Elle doit continuer à apparaître comme une représentante directe du peuple, celle qui
fait pénétrer la démocratie participative dans un système politique dont la représentativité a
gravement diminué. Elle doit aussi choisir une politique qui combine ouverture économique
et réformes sociales.

Si elle parvient à combiner ce changement de forme avec ce changement de fond, elle vaincra
Sarkozy. Car toute la France se sent coupée de la « classe politique ». Si elle se laisse
entraîner, par son désir de trouver partout des soutiens, à redonner vie aux vocabulaires et aux
doctrines politiques de l'extrême gauche, elle ira vers la défaite. Gageons toutefois que les
chances de succès sont les plus fortes. Beaucoup de pays espèrent que Ségolène Royal saura
utiliser sa victoire pour redresser une France paralysée par la stagnation, les préjugés et
l'absence de confiance en elle-même.
Alain Touraine

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