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Fiche Méthode Sujet Traité Discours de Gisèle Halimi Lors Du Procès de Bobigny (Question d'Interprétation) (1)
Fiche Méthode Sujet Traité Discours de Gisèle Halimi Lors Du Procès de Bobigny (Question d'Interprétation) (1)
Fiche Méthode Sujet Traité Discours de Gisèle Halimi Lors Du Procès de Bobigny (Question d'Interprétation) (1)
Document de référence :
FIN DE LA PLAIDOIRIE DE GISÈLE HALIMI, avocate, lors du procès de Bobigny, en 1972.
Document de référence :
FIN DE LA PLAIDOIRIE DE GISÈLE HALIMI, avocate, lors du procès de Bobigny, en 1972.
Question : « Comment ce discours se caractérise-t-il par sa force de conviction ? »
Corrigé rédigé
Le texte qui nous est donné à étudier est un extrait de la plaidoirie prononcée à la fin du célèbre procès de Bobigny
en 1972. Gisèle Halimi défend une jeune femme poursuivie pour avoir avorté à la suite d’un viol, l’IVG étant alors
considéré comme un crime en France, et dans la plupart des pays du monde. La particularité de ce plaidoyer est qu’il
élève le cas particulier de la jeune femme à défendre, à une dimension universelle : l’avocate ne va pas seulement
plaider la cause de cette jeune femme, mais va plaider pour le droit à l’avortement et pour un changement de la loi.
Qu’est-ce qui donne à son discours sa force de persuasion et de conviction ?
Tout d’abord, nous allons voir que c’est l’implication personnelle de Gisèle Halimi en tant que femme qui rend le
discours persuasif. Puis, nous montrerons que l’ambition de l’avocate est, au-delà du cas particulier de sa cliente, de
faire le procès de la loi contre l’avortement. Puis, nous montrerons le caractère résolument féministe de ce discours.
Avant d’aborder ici la manière dont l’argumentaire de Gisèle Halimi va se développer dans sa plaidoirie, il nous faut
rappeler les faits : en 1972, la France ne reconnaît pas la légalité de l’avortement, considéré comme un crime depuis
1942, et de nombreuses femmes se font avorter clandestinement dans des conditions d’hygiène douteuses. Pour faire
pression sur l’appareil législatif et dénoncer ce qu’elles considèrent comme une privation de leur liberté à disposer de
leur corps, des femmes célèbres, actrices et intellectuelles, ont alors rédigé un manifeste afin d’alerter l’opinion
publique. Elles y avouent publiquement avoir eu recours à l’avortement. Après les formules d’usage de la première
ligne de cette plaidoirie, le découpage du texte a pris soin de proposer à notre lecture la captatio benevolentiae, qui
n’en est pas vraiment une. Loin de ne chercher qu’à capter l’attention de l’auditoire, cette partie du discours sert
donc surtout à l’oratrice à s’affirmer en total accord avec l’exercice professionnel de la plaidoirie au sens où elle va
défendre sa jeune cliente, mais aussi se défendre elle-même et sa condition de femme. Pour cela, elle a recours à
des formules hyperboliques comme « jamais connue à ce jour » ou encore « un accord parfait » qui fait écho au terme
« plénitude ». La première forme de persuasion repose ainsi sur sa posture d’avocate et de femme.
Puis, l’avocate va se focaliser sur le fait qu’elle appartient à la communauté des femmes : elle va passer d’une
implication personnelle avec un emploi très présent du pronom personnel de la première personne « je » à une
expression et à un verbe soulignant la sororité, comme « une solidarité fondamentale » et « je m’identifie ». Elle a
aussi recours à la répétition de la préposition « avec » dans l’expression « avec ces quatre femmes, et avec les autres »
et à l’anaphore de « Elles sont » dans « Elles sont ma famille. Elles sont mon combat. Elles sont ma pratique
quotidienne ».
Nous allons désormais montrer que la force de conviction de ce discours tient au fait que Gisèle Halimi cherche à
faire de ce procès un tournant dans la dénonciation d’une loi inique, la loi sur l’avortement. Certes, le mot n’est pas
prononcé pour ne pas heurter les sensibilités mais il est présent à l’esprit de tous. La thèse de l’avocate est
explicitement énoncée : « J’en arrive à ce qui me paraît le plus important dans la condamnation de cette loi. Cette loi,
Messieurs, elle ne peut pas survivre et, si l’on m’écoutait, elle ne pourrait pas survivre une seconde de plus ». La
répétition du verbe « survivre » est une marque d’oralité mais est également choisi à dessein pour contraster avec le
thème. La structure du raisonnement est très pédagogique : la question rhétorique du « Pourquoi » et sa réponse
permet de décliner les différents arguments.
Gisèle Halimi développe deux grandes idées pour venir étayer sa thèse. D’abord, elle retrace, sur le plan historique,
l’évolution de la position de la femme aux yeux de la loi et le statut qui lui est accordé dans la société. Les deux
éléments sont, en effet, liés. L’objectif est de faire reconnaître par la loi que certaines libertés garanties pourtant aux
citoyens par la Constitution, ne sont pas respectées et qu’il est donc nécessaire de modifier la loi. Ainsi, le recours à
l’argument de la servitude historique des femmes, soutenu par de nombreux exemples, permet de donner à cette
plaidoirie une réelle force de conviction. Le premier argument est que l’avortement est contraire à la liberté de la
femme. Le recours à des exemples historiques introduit une stratégie déductive : il s’agira dans toute la suite du
paragraphe de présenter une vision historique de l’oppression des femmes et de leur insignifiance, à travers des
portraits plus ou moins précis : la femme médiévale comme esclave, « serf », avec l’image métaphorique de la « bête
de somme », la femme des révolutions, la Grande Louise Michel et la moins connue, Hortense David, auxquelles le
droit de vote est refusé malgré leur implication.
Le second axe de réflexion que développe Gisèle Halimi tient à l’affirmation que l’égalité entre hommes et femmes
arrive avec l’ère industrielle, mais de façon ironique : la femme est exploitée comme l’homme, mais plus encore, car
elle est exploitée par l’homme. Elle fait ce constat : « Mais à l’exploitation dont souffre le travailleur, s’ajoute un
coefficient de surexploitation de la femme par l’homme, et cela dans toutes les classes ». Elle ajoute : « L’oppression est
dans la décision vieille de plusieurs siècles de soumettre la femme à l’homme. […] On fabrique à la femme un destin : un
destin biologique, un destin auquel aucune d’entre nous ne peut ou n’a le droit d’échapper. Notre destin à toutes, ici,
c’est la maternité. » L’argument historique intègre des arguments d’autorité : le discours en sort ainsi légitimé, car il
est renforcé par des éléments empruntés à une figure reconnue par tous. Ici, il s’agit de Simone de Beauvoir, qu’elle
cite et dont elle rappelle qu’elle est venue témoigner en faveur de sa cliente.
En conclusion, il s’agit d’un vibrant plaidoyer pour la défense des femmes et d’une revendication de leurs droits .
En démontrant que la loi les prive de leurs libertés fondamentales, l’avocate réussit à nous convaincre qu’il devient
nécessaire urgent de modifier l’appareil législatif.
La jeune femme qui a avorté sera condamnée à une amende mais le ministère public laissera volontairement passer
les 3 ans de prescription. L’avorteuse sera condamnée à un an de prison avec sursis et une amende. Les autres seront
relaxées. Trois plus tard, Simone Veil fera adopter la loi sur le droit à l’avortement devant un parlement hostile mais
qui pliera finalement. Cette plaidoirie est donc un discours historique et politique qui défend, au-delà des plaignantes,
une cause qui permettra d’abord de sauver des milliers de femmes d’avortements illégaux mais surtout dangereux.
Elle puise sa force de conviction dans un argumentaire féministe mais aussi dans la posture particulière de l’oratrice
qui s’expose au nom du droit des femmes.
Mme TETARD. Enseignement de spécialité : Humanités, littérature et philosophie.
Première. Année scolaire : 2023-2024.
Document de référence :
FIN DE LA PLAIDOIRIE DE GISÈLE HALIMI, avocate, lors du procès de Bobigny, en 1972.