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Introduction :
Partie 1 – Définition
I. Définitions générales
A. Définition de l’inégalité
B. Définition de l’égalité
C’est cette caractéristique qui entraîne plusieurs définitions de l’égalité qui peuvent être contradictoires
1. Le principe
Cette distinction porte sur le moment choisi pour mesurer l’égalité ou l’inégalité : au
départ ou à la fin.
1. L’égalité de départ ou égalité des chances
Consiste à traiter tous les individus de la même manière au départ et à accepter les
différences de situations .Aussi cette forme d’égalité s’en prend elle d’abord aux
diverses modalités de l’héritage, non pas seulement au patrimoine, mais aux divers
avantages que les privilégiés souvent dans leur berceau.
Consiste à traiter les individus de la même manière à l’arrivée. R Boudon écrit ainsi :
« aujourd’hui , ce n’est pas seulement l’égalité de départ qui est revendiquée , c‘est
aussi l’égalité des résultats. Ce n’est plus seulement le privilège de la naissance qui
est scandaleux, c’est l’existence même d’un écart entre les performances des divers
concurrents qui est tenue pour suspecte. ».
Cela a donné naissance à deux conceptions de l’égalité : l’égalitarisme et l’égalité libérale ou méritocratique
C. Egalitarisme-méritocratie
Toute la difficulté vient de ce que, comme Aristote l’avait noté, les deux formes sont
difficilement conciliables.
1. L’égalitarisme
a. Définition
L’égalitarisme est :
• fondée sur l’égalité de situations. Les différences doivent être rejetées quelles
que soient les origines et les institutions doivent, autant que possible,
rapprocher la situation des hommes sans se soucier de leurs actes.
• Chacun doit disposer de ce dont il a besoin et cela indépendamment de son
activité
• Le principe est donc« à chacun selon ses besoins »
•
d. Critiques de l’égalitarisme
Selon Boudon :
• « une stricte égalité des résultats, avant ou après redistribution, ne peut être obtenue
que moyennant une organisation sociale extrêmement contraignante, que les
idéologies solidaristes cherchent à légitimer par l’invocation de l’intérêt général.
• L’égalitarisme des résultats conduit à une réduction parfois dramatique des libertés
individuelles. Il ne limite pas seulement la liberté de ceux au détriment desquels le
transfert de ressources est opéré. Il institue aussi une sorte de tutelle sur ceux pour le
bénéfice desquels il a lieu »
2. L’égalité libérale
a. Définition
Le principe est :
• « à chacun selon ses mérites ».
• L’égalité consiste à mettre les individus dans la même situation de départ. C’est
une égalité des chances : deux enfants disposant de talents identiques et
fournissant un même effort, obtiendront des récompenses égales.
• Il y a égalité des chances au départ, mais à l’arrivée inégalités de situations.
b. Application du principe
Cette conception, que R Boudon qualifie de m érit ocr ati que, prétend établir une
correspondance rigoureuse entre les contributions des individus et leurs statuts :
• Elle compte sur une mobilité sociale accrue pour extirper les privilèges une fois
qu’auraient été instituées dans la concurrence entre les membres de la société
des conditions égales pour tous. Une fois tout le monde mis sur le même pied,
on fait l’hypothèse que les gagnants ne peuvent être que les meilleurs .
• La méritocratie accepte des disparités éventuellement très fortes dans la
hiérarchie statutaire .La question est de savoir dans quelle mesure les
disparités sont équitables et justes
D. Egalité et équité
• L’équité est une notion ancienne : elle est, selon Aristote, le principe qui
caractérise la justice distributive, c’est-à-dire donner à chacun son dû selon sa
situation particulière, sa valeur, son mérite.
• Le principe d’égalité ou d’équivalence (selon Aristote), en revanche, s’applique
en matière de justice commutative, c’est-à-dire dans les échanges privés fondés
sur la réciprocité, l’échange ne devant pas modifier la position relative des
classes de citoyens.
• En matière de justice sociale et de répartition, l’équité conduit donc à
proportionner des rétributions à la situation des individus en fonction des
critères de justice. Cela conduit nécessairement à considérer que des
distributions inégales peuvent être plus justes que des rétributions égales.
Cette notion est devenue ambigüe, car elle est utilisée de manière contradictoire par :
• les auteurs libéraux qui préconisent au nom de la justice sociale et de l’efficacité une distribution inégale des
richesses proportionnée aux mérites des individus
• les auteurs défendant des politiques de discrimination positive, celle-ci consiste, au contraire, au nom de
l’équité à moduler les droits afin de donner plus à ceux qui ont moins ou souffrent de handicaps (naturels et / ou
socio-culturels ) ou de discriminations . Il s’agit donc d’une inégalité juridique compensatrice (exemple : la
politique d’affirmative action aux EU ou les ZEP , la parité en France )
A. La disparité
D éfi nit ion : . On parle de disparité lorsqu’on mesure l’écart qui existe entre les
valeurs moyennes de deux groupes différents
Méthodologie :
• Il a donc fallu au préalable classer la population étudiée :
• Par exemple si l’on veut mesurer la disparité des salaires entre les ouvriers et les cadres supérieurs, il faut au
sein de la catégorie salariée opérée une distinction entre les membres des deux catégories.
• On calcule ensuite le salaire moyen de chaque catégorie.
• Enfin pour comparer les revenus moyens on calcule :
B. La dispersion
D éfi nit ion : On parle de dispersion lorsqu’on mesure l’écart qui existe entre les
valeurs extrêmes prises par une série de grandeurs.
Méthodologie :
- Dans ce cas, on peut utiliser les déciles ou les quartiles :
• les quartiles correspondent aux valeurs du caractère observé qui partagent l’effectif en quatre parties égales, les
valeurs étant classés par ordre croissant.
• Les déciles partagent l’effectif en 10 groupes égaux.
C. La concentration
• la mesure des inégalités n’est pas unique , elle dépend de l’indicateur choisi .
•
• comment mesurer les inégalités qualitatives qui par définition sont difficilement mesurables par une analyse
statistique,
• comment prendre en compte les nouvelles inégalités qui sont apparues depuis l’entrée en crise pour
lesquelles l’appareil statistique habituellement utilisé semble peu adapté : P Rosanvallon et JP Fitoussi : « la
société française aujourd’hui confrontée à deux types d’inégalité , qui s’expriment dans des termes différents :
- les inégalités structurelles mises en évidence par l’intermédiaire de l’immense corpus de statistiques
publiques sur la répartition du revenu , des logements, etc. . Elles correspondent de la vision que l’on
avait de l’inégalité quand ces systèmes statistiques ont été construits. C’est à dire à un moment où , le
risque de chômage était mineur, l’inégalité dans les probabilités de trouver un emploi ne venait pas
perturber l’interprétation que l’on pouvait faire des données sur la répartition des revenus ou des
richesses. La statistique publique se réfère ainsi à l’ancienne économie , c’est à dire aux anciennes
catégories. (...)Ces distorsions multiples font que les catégories socioprofessionnelles, qui donnaient
hier une bonne représentation de la société, en raison de leur homogénéité interne, perdent peu à peu de
leur pertinence .
- on assiste au développement de nouvelles inégalités, mises en oeuvre par la dynamique du chômage ou
celles de l’évolution des conditions de vie: inégalité devant l’endettement, la sécurité, les incivilités, ou
même inégalités devant certaines nuisances quotidiennes, comme le bruit par exemple »
- Enfin les inégalités se cumulent, il semble donc nécessaire d’avoir une vision globale des inégalités.
L Maurin écrit : « Liberté, Egalité, Fraternité " : notre pays ne saurait déroger à son idéal républicain. Pourtant, sa
devise est de plus en plus souvent bafouée sans qu'on en fasse grand cas. Premier responsable, l'appareil statistique. Les
données les plus récentes concernant la distribution des revenus des ménages, revenus du patrimoine inclus, remontent à
1996. Le dernier état des lieux des inégalités de revenus ne peut donc être dressé que pour le gouvernement d'Alain
Juppé (lui-même en partie le reflet de la politique d'Edouard Balladur)... Le coupable est pourtant moins l'institution que
le politique : l'Insee dépend du ministère de l'Economie et il ne tient qu'au ministre de faire accélérer les choses »
Une étude de longue période montre que la hiérarchie des salaires a été affectée par une succession de mouvements
contraires qui se sont compensées pour maintenir une disparité des salaires relativement importante en France :
T.Piketty constate que les inégalités face au travail n’ont pas réellement diminué sur longue période :
• ainsi, la part des 10 % des mieux rémunérés a oscillé aux alentours de 25 – 28 % de la masse salariale tout au
long du XX° siècle
• la part des 1 % les mieux payés (le centile supérieur) a été stable aux alentours de 6 – 7 %
• la part des 10 % les moins bien rémunérés (décile inférieur) a quant à elle toujours gravité autour de 4 à 5 %
Pour développer :
• « le pouvoir d’achat des salaires a été multiplié par 5 au cours du XX° siècle , mais la hiérarchie n’a pas
changé : les ouvriers agricoles et les domestiques , qui , il y a un siècle , constituaient la masse des salariés les
moins bien rémunérés ont quasiment disparu , mais la dispersion des salaires n’a pas diminué pour autant ( … )
Cette stabilité montre que le salariat a toujours constitué un monde fortement stratifié , bien avant qu’on le
caractérise comme tel » .
• « on constate certes , en France , comme dans tous les pays une réduction substantielle du rapport entre le
salaire moyen des cadres et celui des ouvriers sur longue période ( de 4 en 65 , on tombe à 2,5 en 98 ) en dépit
du fait que l’écart entre les 10 % des salariés les mieux payés et les 10 % les moins bien payés est globalement
stable . Ce paradoxe s’explique simplement par le fait que les effectifs de la CSP des cadres augmentent
régulièrement au cours du temps ( alors que le nombre d’ouvriers diminue depuis les années 70 ) si bien que
l’évolution du rapport entre le salaire moyen de ces deux groupes est artificiellement tiré vers le bas ( cadre
moyen devenant de moins en moins supérieur) . » Ainsi , apparaît une hyper classe de cadres ( un cadre sur
1000 environ) dont la rémunération peut-être 5 , parfois dix fois plus forte que ses pairs .
Remarque : Il faut noter de plus que les inégalités de salaire entre les hommes et les femmes sont restées à peu près
stable sur la période, les hommes gagnent en moyenne 28 % de plus que les femmes.( doc 2 et 3 p 186-187)
b. Les inégalités de revenu d’activité.
Remarque : On introduit maintenant les professions indépendantes qui bien évidemment n’avaient pas été retenues dans
l’étude des inégalités de salaires.
Constat : le rapport entre le revenu d’activité moyen des indépendants non agricoles et celui des ouvrier s’établit à
2,47. Ces inégalités pourtant non négligeables ne sont rien par rapport aux inégalités de revenu de la propriété.
Remarque : L’activité professionnelle n’est pas la seule source de revenus pour un ménage, certains éléments du
patrimoine dont le ménage dispose produisent des revenus, qui viendront s’ajouter à ceux engendrés par les activités
professionnelles de ses membres, pour constituer la totalité de son revenu primaire.
Constat : Les inégalités de revenus de la propriété sont très importantes. Elles le sont d’autant plus que si sur la période
1990-1996 les revenus fiscaux ont en moyenne augmenté de 0,5 % (1 % pour le décile le plus riche , mais ont baisse de
2,5 % pour le décile le plus pauvre) , la performance réelle des placements a été de 10 % , les actions françaises ayant
même gagné sur la période 25 % . La très forte valorisation du patrimoine financier résultant de la dérégulation des
marchés financiers a ainsi contribué à creuser les inégalités de revenus durant les années 90
T.Piketty écrit : « L’inégalité séparant les détenteurs de patrimoine de ceux qui n’ont hérité que de leur force de travail
est la plus criante et la plus difficile à accepter des inégalités sociales. Il n’est donc pas étonnant que les critiques les
plus virulentes du capitalisme se soient concentrées pendant longtemps sur cette opposition capital-travail, notamment
depuis les travaux de K.Marx .( …)L’inégalité est ainsi décrite comme une opposition entre ceux qui possèdent le
capital et ceux qui n’en possèdent pas et qui doivent donc se contenter des revenus de leur travail . La source
fondamentale de l’inégalité serait donc l’inégale répartition de la propriété du capital , les deux termes de cette inégalité
fondamentale , capitalistes et travailleurs , sont d’abord conçus comme des groupes homogènes comparés à tous ceux
qui les opposent : l’inégalité des revenus du travail ( pourtant très importante ) est considéré comme secondaire .
Constat :
• au niveau macro-économique, les revenus du capital représentent la même part du revenu national qu’il y a un
siècle. Cette stabilité macro-économique de la part du capital s’observe dans tous les pays sur longue période .
Elle était d’ailleurs considérée par Keynes comme la régularité la mieux établie de toute la science économique
• par contre, la concentration des patrimoines a fortement évolué : ainsi , si l’on prend la part des 1 % des décès
les plus fortunés dans le total des successions , ils représentaient :
- 55 % du total entre 1900 et 1914
- ont baissé de 55 à 42 % entre 1914 et 1920
- se sont stabilisés aux alentours de 42 % durant l’entre-deux guerres
- ont chuté durant la guerre pour atteindre 35 %
- se sont stabilisés entre 45 et 65 aux alentours de 35 %
- pour chuter continuement jusqu’à 18 % aujourd’hui
- donc entre 1914 et 2000 , la part du 1 % des décès les plus fortunés a été divisé par 3,5 .
• cela a conduit , selon Piketty , au passage : « d’une société de rentiers à une société de cadres au cours du XX°
siècle qui représente un bouleversement d’une importance comparable au passage de la société aristocratique à
la société bourgeoise qui avait totalement restructuré le corps social et les perceptions des inégalités »
• Piketty peut alors en conclure : « le fait que les personnes vivant de revenus de patrimoines accumulés dans le
passé n’aient plus aujourd’hui qu’une importance symbolique et ne constituent plus un groupe social en tant que
tel explique dans une large mesure pourquoi le capitalisme ne connaît plus les contestations radicales exprimées
il y a un siècle . La fin des rentiers a fortement contribué à légitimer les inégalités et à les rendre moins
inacceptables : les inégalités passent aujourd’hui principalement à l’intérieur du travail et peuvent être plus
aisément justifiées par des considérations méritocratiques que par le passé » .
Il n’en reste pas moins que les inégalités de patrimoine demeurent très fortes , beaucoup plus importantes que les
inégalités de revenu :12 p 185
• Ainsi quand on établit le rapport entre le patrimoine moyen d’un indépendant non agricole et celui d’un ouvrier ,
on obtient 6, 14.
• Si l’on fait une étude en terme de concentration :
- on constate que les 10% les plus riches transmettent 51,2% du patrimoine total ( les 1% 20%),.
- Par contre les 10 % les plus pauvres transmettent seulement 0,7% du total (les 50% les plus pauvres
transmettant 12,6% du total , c’est à dire presque deux fois moins que le 1 % le plus riche).
• La part des revenus tirés du patrimoine dans le revenu des ménages après être resté stable aux alentours de 4 %
entre 70 et 98 , a fortement augmenté durant les années 90 pour atteindre 10 % en 82 , ce qui traduit la très
forte augmentation de la rémunération du capital , en particulier sous forme d’actions , alors que les salaires qui
avaient fortement augmenté pendant les 30 Glorieuses ( multipliés par plus de 6 en francs constants )
progressent maintenant très lentement .
La politique de redistribution des revenus opérée par l’Etat a donc pour objectif de réduire ces inégalités.
Le système de protection sociale français relève principalement d’une logique d’assurance, pour percevoir des
prestations sociales, il faut au préalable avoir acquitté des cotisations. Le montant de la prestation (retraite, chômage)
sera fonction de la contribution de l’individu. Cela va avoir deux effets :
• Tous ceux qui n’ont pu acquitter des cotisations se trouvent dépourvus de toute protection sociale. A Bihr et R
Pfefferkorn écrivent « la protection sociale risque de manquer à ses plus élémentaires devoirs et de ne plus
même mériter son nom ».
• le montant, et la durée de prestations telles que les allocations chômage peuvent varier dans des proportions
importantes , ce qui risque d’accroître les inégalités . En effet ceux qui sont les moins bien insérés ont cotisé
moins longtemps bénéficient donc de droits réduits dans le temps, ce qui risque de les faire tomber dans
l’exclusion.
Conséquences : Pour pallier ces insuffisances, l’assurance maladie a été généralisée et de prestations de solidarité ont
été instituées (minimum vieillesse, RMI, etc.). Relevant explicitement d’une logique de solidarité, répondant au principe
: « à chacun selon ses besoins » A Bihr et R Pfefferkorn se posent deux questions :
• ces prestations couvrent-elles les besoins des populations concernées ?
• leur montant est-il suffisant ?
Constat : Si l’on prend en compte les prestations familiales, logement, RMI, et minimum vieillesse la redistribution
n’est pas négligeable :
• En effet les 10% des ménages déclarant les revenus fiscaux les plus faibles voient grâce aux prestations citées
, leur revenu s’améliorer de 83,6 %, le chiffre n’est que de 1,1% pour les 10% les plus riches .
• Si l’on prend en compte tous les revenus de transferts opérés par l’Etat , on constate que l’écart interdécile en
1970 après redistribution était de 4,8 ( il était de 10 si l’on mesure les inégalités de revenus fiscaux ) , en 97 il
n’est plus que de 3,4 ( 6,5 si l’on mesure les revenus fiscaux ).
Relativisation : A Bihr et R Pfefferkorn considèrent que le montant des prestations sociales relevant de la solidarité (tel
le RMI) est nettement insuffisant pour assurer une couverture convenable des besoins des populations concernés. La
logique de l’assurance semble donc l’emporter sur celle de la solidarité.
• La fin des rentiers que nous avons expliquée plus haut et la forte chute de la concentration des patrimoines
constatée depuis le début du XX° siècle s’explique essentiellement par l’introduction d’une fiscalité
progressive : en 1914 , l’impôt sur le revenu n’existe pas , le taux d’imposition sur les successions est
extrèmement faible : 1 % tout au Long du XIX° siècle .. Mais dès 1924 , le taux marginal supérieur de l’impôt
sur le revenu atteint 90 % et se maintient tout au long des 30 Glorieuses aux alentours de 70 % .
• Mais Piketty poursuit : « La fin des rentiers est due à des circonstances historiques particulières et à des
institutions spécifiques . Si ces circonstances changent et si on revient à fiscalité du XIX°siècle , alors il est fort
probable que l’on revienne à des inégalités du XIX° siècle .De fait , à l’aube du XXI° siècle , plusieurs facteurs
contribuent à remettre en cause le compromis fiscal du siècle précédent .La faillite du communisme a jeté le
discrédit sur l’intervention de l’Etat dans l’économie en général , y compris sur les formes d’intervention
publique qui ont relativement bien fonctionné . Ce retournement idéologique est particulièrement marqué aux
EU . Après avoir fortement abaissé l’impôt sur le revenu pour les contribuables aisés , le président Bush a
décidé en 2002 de supprimer purement et simplement l’impôt sur les successions , impôt qui avait vu le jour en
1916 outre-Atlantique et qui avait été longtemps plus progressif que son équivalent français . La mondialisation
et la concurrence fiscale croissante que se livrent les Etats pour attirer les investissements accentuent cette
évolution et contribuent à la propager en Europe , dès lors que la politique fiscale continue d’être déterminée à
l’échelon national . Si un tel mouvement devait se confirmer , il serait fort étonnant que l’on ne voit pas
réapparaître terme une classe de rentiers » .
A Bihr et R Pfefferkorn constatent quand ils dressent le bilan que « dans leur ensemble les prélèvements
obligatoires sont bel et bien dégressifs en France. Autrement dit moins on gagne, plus on paie ,
proportionnellement parlant . L’arbre de l’IRPP (impôt sur le revenu) masque ici la forêt des impositions directes
et surtout des cotisations sociales. »
Constat : Le droit au logement a mis du temps à être reconnu en France , il a fallu attendre 1990 et la loi Besson pour
que « le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation . ».Mais A Bihr ET R
Pfefferkorn constatent que « sur ce point comme sur bien d’autres la solidarité nationale est bien défectueuse » :
On comptabilise ainsi en France en 2000 850 000 personnes qui vivent dans des habitations sans confort et insalubres
.Plus de la moitié des ménages à faible revenu ne dispose pas d’un logement pourvu des commodités indispensables
( toilettes et salle de bains )
Pour développer :
• Dans le même temps il existe en France 2 OOO OOO de logements vacants : « autrement dit de quoi loger ou
reloger la totalité des sans-abri et des mal-logés.
• Les pouvoirs publics possèdent bien un droit de réquisition des logements vacants pour y loger des familles sans
toit, droit que la loi Besson a réaffirmé, mais dont il est manifestement peu fait usage. Il est vrai qu’il faudrait
alors violer le sacro-saint droit de propriété, l’un des piliers de notre organisation sociale et de notre constitution
politique, face auquel le droit au logement ne pèse pas lourd » (A Bihr et R Pfefferkorn).
• Le risque de se retrouver mal logé ou sans logement est d’autant plus fort que l’on est locataire, la propriété
protège . Or le taux de possession d’une résidence principale varie énormément en fonction de la CSP : 77 %
des agriculteurs , 66 % des professions indépendantes mais seulement 45 % des ouvriers 35 % des employés
possèdent une résidence principale.
• Les années 90 marquent d’ailleurs une rupture dans l’évolution des loyers dont la libération a entraîné une forte
hausse : entre 1990 et 99 , la valeur locative des logements a augmenté de 70 % alors que l’indice des prix ne
progressait que de 44 % , ce qui au moment où le chômage augmentait a aggravé les difficultés de logements
pour les ménages les plus pauvres .
On a vu dans le cours sur la mobilité sociale qu’elles restent importantes en France malgré la démocratisation qui s’est
développée depuis 40 ans , mais en plus on constate que ces dernières années les disparités semblent à nouveau
augmenter .
Pour développer :
Citant A henriot van zanten , A Bihr et R Pfefferkorn soulignent : « le risque d’une dualisation du système éducatif, :
• où « l’un des secteurs verrait ses conditions matérielles, les attentes des élèves et des parents et la motivation
des enseignants se dégrader ».
• L’efficacité de l’ autre secteur s’améliorerait, mais « au prix d’un renoncement à l’idéal de l’école démocratique
et intégratrice » .
Conclusion : En somme ,la déréglementation accentue les inégalités en augmentant la distance sociale entre les écoles
ghettos et les pôles d’excellence ».
- Les familles populaires ont un usage du temps libre qui est plus centré sur le foyer et la famille que les
cadres qui ont plus d’activités en couples, solitaires et culturelles
Pour développer :
• La télévision est omniprésente, mais sil les ouvriers passent en moyenne 22 heures par semaine devant la télé,
les cadres y passent seulement 14 heures. De plus les émissions regardées sont très différentes :
- les agriculteurs et les ouvriers plébiscitent les émissions de divertissement et les feuilletons populaires.
- Les cadres supérieurs regardent eux les émissions estampillées culturelles : apostrophes (puis bouillon
de culture), le cercle de minuit, ou le ciné club, Arte.
• cela se retrouve dans la lecture : en France:
- 83 % des agriculteurs ont lu moins de 10 livres dans l’année ( 1% plus de 50),
- le chiffre est de 28 % pour les cadres (17% plus de 50).
- Plus inquiétant encore la pratique de lecture a mieux résisté dans les milieux diplômés que dans les
classes moyennes et populaires pour les quelles le recul est important.
• les activités d’auto production (bricolage , couture, jardinage) sont avant tout des activités populaires. Mais
si les classes populaires bricolent ce n’est pas d’abord pour le plaisir . On bricole toujours et d’abord par
nécessité économique.
- Le passage aux 35 heures ne paraît pas avoir permis de réduire les inégalités, il peut même les avoir
accrues car :
• avec le développement de l’annualisation du temps de travail , la réduction du temps de travail s’opère souvent
en fonction des impératifs des entreprises pour les ouvriers et employés. Ainsi les ouvriers auront du temps libre
durant les temps morts des entreprises qui ne correspondent pas forcément aux périodes qu’ils souhaiteraient
(vacances des enfants). Inversement pendant les périodes de forte production les horraires peuvent aller jusqu’à
45 heures par semaine, des week-ends sont alors consacrés au travail.
• Pour les cadres la réduction du temps de travail se traduit par une multiplication des week-end à la montagne,
en Europe, artistiques ou gastronomiques.
Pour développer :
• Pour les activités sportives on note une augmentation générale de la pratique sportive pour toutes les catégories
depuis 30 ans (plus encore pour les femmes que pour les hommes. Mais elle demeure très inégalitaire :
- 82 % des cadres supérieurs pratique une activité sportive ,
- c’est le cas de 47% des ouvriers et
- 31% des agriculteurs.
- De plus les sports pratiqués sont très différents : surtout le football pour les classes populaires, les
classes supérieures pratiquent elles , des sports distinctifs tels que le tennis, le ski, la randonnée, etc.
Pratique sportive des jeunes selon le diplôme et le revenu des parents
Unité : %
Garçons
Filles
Ensemble
Sans diplôme
64
44
52
Inférieur au bac
71
55
65
Bac
77
71
75
Supérieur au bac
92
76
83
Ensemble
77
60
69
Cette inégale participation à la vie politique n’est pas répartie de façon équitable dans les différentes catégories de la
population : ainsi la participation à la vie politique augmente si l’on passe
• des femmes aux hommes,
• des jeunes aux personnes âgées,
• des sans diplômes aux diplômés de l’enseignement supérieur,
• des ouvriers agricoles , des classes populaires aux cadres supérieurs,
• des célibataires aux mariés,
• des individus qui ne participent pas à la vie associative ou syndicale à ceux qui y participent.
Conclusion :
A Bihr et R Pfefferkorn constatent à la fin de leur ouvrage déchiffrer les inégalités que : « les inégalités s’établissent
généralement aussi bien à l’avantage qu’au détriment des mêmes catégories. (...) :
• les catégories ouvrières apparaissent bien les plus défavorisées de toutes : sur les 40 indicateurs de l’inégalité
retenus, elles se trouvent en position défavorable à 36 reprises, soit dans la quasi-totalité des cas, et elles
occupent la position la plus défavorable 24 fois !
• Inversement elles ne sont en position favorable que 4 fois, dont 3 grâce au mécanisme de redistribution des
revenus. (..)
• Avec les cadres et professions libérales on aborde les catégories situées au sommet de l’échelle sociale. Seul le
mécanisme redistributif leur est défavorable. (...)
• La situation des commerçants, artisans et chefs d’entreprise apparaît à peine moins enviable. Sans doute leur
situation est elle moins brillante dans le bas du tableau (école, santé, culture),mais elle est plutôt meilleure dans
le haut du tableau(revenus et patrimoine) ».
La construction d’indicateurs de synthèse paraît nécessaire afin de mesurer la réalité des inégalités et de la pauvreté
.Ainsi a été établi le BIP 40 qui est une référence ironique au PIB et au CAC 40. Il vise à quantifier les différentes
dimensions de l’inégalité et de la pauvreté. 6 principales dimensions ont été retenues :
• emploi et travail qui retient 4 rubriques :chômage , précarité , conditions de travail , relations professionnelles
• revenu qui retient 4 rubriques : salaire, pauvreté , consommation , inégalités et fiscalité
• santé : 5 indicateurs retenus
• éducation : 5 indicateurs
• logement : 5 indicateurs
• justice : 4 indicateurs
Pour établir le BIP , on attribue à chaque indicateur partiel une note comprise entre 0 et 10 ( 0 pour les meilleurs
résultats , 10 pour les pires ) .L’indice progresse donc quand les inégalités et la pauvreté s’accroissent . Dans un second
temps , on agrège les notes obtenues en tenant compte du fait que certains indicateurs sont plus importants que d’autres
. On va donc calculer une moyenne pondérée ( par exemple , les coefficients de pondération de l’emploi et du revenu
sont les plus élevés ) .
Les résultats obtenus sont qu’entre 82 et 2000 le PIB / habitant a augmenté de 38 % , mais que cet enrichissement
moyen de la population n’a pas permis de réduire les inégalités qui ont , au contraire , fortement augmenté , puisque le
BIP se situait à 3,5 sur 10 en 82 et qu’il atteint en 2000 une note de 6 . Les inégalités de travail , d’emploi de logement
et de justice sont celles qui ont le plus fortement augmenté .
• La pauvreté, a priori, peut se définir en termes exclusivement économiques . On retiendra , alors comme
critère l’insuffisance globale de revenu (en particulier à partir de la définition d’un seuil de pauvreté.
• Mais rapidement cette définition semble insuffisante: la pauvreté est une réalité multidimensionnelle, qui
ne se réduit pas à la seule insuffisance de ressources. La pauvreté concerne l’ensemble des aspects de
l’existence individuelle : forte instabilité professionnelle, faiblesse des revenus primaires, dépendance
importante à l’égard des revenus de transfert, insuffisance des revenus disponibles par unité de
consommation, faiblesse du patrimoine, difficulté de logement, morbidité et mortalité élevées, faible
niveau de formation générale et professionnelle, peu de loisirs et de détente , manque d’ouverture à la culture
savante, faible capital de relations sociales. La pauvreté peut alors se définir par le défaut :
- d’avoir : expropriation à l’égard des moyens de production et de consommation, revenus insuffisants et
/ou irréguliers, absence de réserve et de fortune (patrimoine).
- de pouvoir : c’est à dire l’absence de maîtrise sur les conditions matérielles et institutionnelles de sa
situation, la précarité, et la dépendance institutionnelle (à l’égard des organismes de protection sociale )
qui en résultent, la fragilité des réseaux de socialisation ( milieu professionnel , voisinage, association)
souvent limités à la famille, l’absence surtout de capacité politique ( de capacité conflictuelle, de
capacité à transformer sa propre situation par la lutte collective et/ou les médiations organisationnelles
ou institutionnelles: cf l’exemple des chômeurs)
- de savoir, c’est à dire non seulement la disqualification scolaire, le défaut de capital scolaire (absence
de diplômes) et culturel (l’extranéité à la culture savante) , mais plus fondamentalement encore la faible
capacité à symboliser, à se construire une représentation cohérente du monde, à s’y repérer et à s’y
orienter de manière à pouvoir le transformer à son avantage.
Conclusion : Si la pauvreté est multidimensionnelle, c’est qu’elle relève d’un processus cumulatif :
• Nous la définirons par l’accumulation de handicaps résultant d’inégalités tendant à se renforcer réciproquement.
• Au bout de cette accumulation se profile l’exclusion des modes de vie plus ou moins considérés comme
normaux par notre société, qui marque le degré extrême de la pauvreté. Le CERC a distingué 3 types de
population:
- une population intégré économiquement grâce à un emploi stable, mais aussi socialement, grâce à
un revenu régulier, ainsi qu’à un capital social et culturel bien constitué. Cette population représente
80,3 % des actifs.
- une population fragile formée d’individus marqués par une forte instabilité professionnelle et par des
liens sociaux qui restent faibles, il s’agit pour l’essentiel de jeunes en attente d’une meilleure insertion.
Cette population représente 14,5 % des actifs, dont la fragilité s’accroît au fur et à mesure que perdure
leur situation d’instabilité professionnelle.
- Une population en situation de retrait du marché de l’emploi qui est composée principalement de
travailleurs âgés qui connaissent simultanément une forte pauvreté matérielle mais aussi relationnelle.
Cette population défavorisée représente 5,2 % des actifs.
Remarque : Selon le CERC ces 3 populations ne présentent pas la même probabilité d’être frappée par l’exclusion :
• si l’on approche l’exclusion en présupposant que le risque est d’autant plus fort que l’individu accumule plus de
handicaps (on retient seulement deux critères : la pauvreté économique et la vulnérabilité sociale. On peut alors
constater que le risque d’exclusion , et donc de plongée dans la misère et la pauvreté , s’accroît
quantitativement au fur et à mesure qu’il s’aggrave qualitativement : plus ce risque est lourd de
conséquences, plus sa fréquence est grande , dit autrement : on risque d’autant plus de s’appauvrir (de cumuler
des handicaps et des handicaps de plus en plus lourds) que l’on est déja pauvre (c’est à dire frappé par des
handicaps) .
• S Paugam, l’auteur de l’étude conclut ainsi : « le cumul de handicaps est donc aussi cumul de risques de
disqualifications sociale ».
Constat : Pas plus que son contraire (la pauvreté) , la richesse ne se réduit à la seule dimension économique : elle se
présente aussi comme une réalité embrassant l’ensemble des aspects de l’existence individuelle et collective. . Nous
pouvons donc construire une définition multidimensionnelle de la richesse analogue à celle de la pauvreté. :
• la richesse c’est tout d’abord la fortune : non pas tant la perception de revenus élevés, assurant l’accès à une
consommation somptuaire, que la détention et l’accumulation de droits de propriété sur la richesse sociale, plus
exactement sur les sources de cette richesse, la nature et le travail; c’est la capacité de s’approprier de manière
privative aussi bien l’une que l’autre.
• La richesse est plus fondamentalement encore, le pouvoir: la maîtrise sur les conditions matérielles et
institutionnelles de reproduction non seulement de sa propre situation mais aussi de la société globale, la
stabilité et la pérennité de sa propre situation et de celle des siens qui en résultent, l’ampleur et la diversité d’un
réseau de relations sociales, dans lequel on occupe le plus souvent la position de dominant que d’obligé, par
lequel on étend le champ d’exercice de son pouvoir personnel; et ,bien évidemment, la capacité d’infléchir les
décisions et action des pouvoirs publics dans le sens de ses intérêts propres.
• C’est enfin le prestige: non pas seulement , ni fondamentalement l’accumulation de titres culturels ou scolaires,
alors simple procédure de légitimation des positions de pouvoir déjà déjà occupées dans les champs
économiques et politiques, mais encore le contrôle sur les organes d’élaboration et de diffusion du savoir et de
l’information; et surtout la possibilité d’imposer comme culture dominante (officielle) sa propre culture (ses
goûts, son style, ses moeurs et ses valeurs), de diffuser comme allant de soi sa propre vision du monde au sein
de l’ensemble de la société.
Conclusion : On peut donc en conclure que comme dans le cas de la pauvreté, ces multiples dimensions de la
richesse font système, en se renforçant réciproquement en un processus cumulatives m^mes enchaînements et
rétroactions entre les inégalités, qui conduisent à l’accumulation de handicaps à l’un des pôles de la hiérarchie sociale,
produisent en effet une accumulation d’avantages et de privilèges à l’autre pôle.
• Comme l’écrivent A Bihr et R Pfefferkorn : « parler de système des inégalités, c’est présupposer que celles ci
tendent à se reproduire de génération en génération
• A cette idée s’oppose l’idée encore communément répandue que notre société serait une société ouverte: le destin
d’un individu n’y serait pas tracé d’avance, chacun y aurait des chances d’améliorer sa situation sociale de
départ, en accédant à une catégorie sociale supérieure celle de ses parents (..).
• Certes notre société n’est pas une société de castes : la situation sociale de chacun n’y est pas strictement
déterminé par sa naissance, puisqu’elle n’interdit en principe à personne de quitter sa catégorie sociale
d’origine, ni d’en changer en cours d’existence. Mais les développements antérieurs laissent en même temps
deviner qu’elle n’est pas cette méritocratie que certains se plaisent à dépeindre ». Pour une analyse approfondie
de la reproduction sociale et de la mobilité sociale on se reportera au chapitre sur la mobilité sociale.
Partie 2 – Les inégalités dans l’Union européenne
L Chauvel constate :
• Lorsqu'elle était comparée au reste du monde, l'Europe des Quinze apparaissait comme un club de nations
riches et relativement égalitaires.
• L'entrée de nations comme la Pologne, tout à la fois très pauvre - le revenu moyen est cinq fois plus faible qu'en
France, quand on le mesure selon le taux de change, - et de grande taille a considérablement changé
l'architectonique sociale de l'Europe.
• Avec l'élargissement à vingt-cinq pays, et peut-être bientôt plus encore, l'Europe actuellement en construction
s'éloigne durablement de la réalité initiale faite d'abondance et d'homogénéité relatives. Sans condamner pour
autant d'emblée le processus en cours, il faut bien comprendre la profondeur de ce changement et ses
conséquences possibles : l'élargissement économique sans approfondissement social pourrait en effet conduire le
projet européen vers de lourdes contradictions.
Pour un développement :
• L'Europe des Six s'était constituée autour des pays les plus développés du Vieux Continent. Quand l'Espagne, le
Portugal et la Grèce sont entrés à leur tour dans l'Europe, ces pays étaient beaucoup moins riches que les autres
partenaires, mais ils ne différaient pas très nettement de l'Italie d'un point de vue économique et social. Le plus
gros pays, l'Espagne, avait un revenu moyen inférieur de 33 % à celui de la France au taux de change+ courant,
et de 20 % en termes de parité de pouvoir d'achat. L'entrée de ces pays dans l'Union n'a pas profondément
perturbé la configuration européenne. Le rapport interdécile de l'Europe des Six était de 3,7. Avec douze ou
quinze membres, ce même rapport avait un peu augmenté : il était de l'ordre de 4, soit autant qu'au Canada. En
outre, les mesures de ce rapport au taux de change courant et selon les parités de pouvoir d'achat donnaient des
résultats proches. L'Europe de l'époque, sans être le royaume de l'égalité, affichait des rapports interdéciles très
inférieurs à ceux des Etats-Unis, par exemple.
• Les nouveaux membres modifient cette image, non pas parce qu'ils sont plus inégalitaires (les rapports
interdéciles internes à chacun de ces pays sont souvent inférieurs à ceux des pays de l'Europe à quinze), mais en
raison de la faiblesse de leur niveau de revenu moyen.Le nombre d'Européens à très faibles revenus se trouve
ainsi mutiplié. Au taux de change courant, le revenu moyen des Hongrois était 3,7 fois inférieur à celui des
Français en 2002, celui des Polonais 5 fois, et 6 fois pour les Lituaniens. A comparer avec celui des Espagnols
qui, rappelons-le, était un tiers inférieur à celui constaté en France au moment de leur entrée dans l'Union. Pour
les candidats suivants, ce rapport est de 1 à 9 avec la Turquie, 1 à 12 avec la Roumanie et la Bulgarie.
• Evidemment, ces inégalités sont plus limitées quand on les mesure en parité de pouvoir d'achat, c'est-à-dire
quand on compare les biens et les services que peuvent acquérir les habitants des différents pays, dans la
mesure où les niveaux de prix sont aussi significativement plus bas dans les pays les plus pauvres. Il
n'empêche : dans de nombreux cas de figure, comme par exemple pour la question des délocalisations
d'entreprises, ce sont bien les écarts de revenus aux taux de change+ courants qui sont les plus significatifs. Les
taux de change+ courants reflètent également en partie des politiques dont le rapport aux " fondamentaux "(c)
économiques n'est pas toujours direct, mais le précédent de l'Europe du Sud indique que ce rapport monétaire
tend à se cristalliser assez vite.
• Au taux de change courant, le rapport interdécile a bondi de 4,2 à 7,4 quand l'Union est passée de quinze à
vingt-cinq. A comparer aux 5,5 des Etats-Unis, aux 10 de la Russie, aux 12 du Mexique et aux 25 du Brésil.
L'Europe à vingt-cinq est donc clairement devenue plus inégalitaire que les Etats-Unis, même si ce constat peut
être nuancé. En effet, cette croissance des inégalités intra-européennes est moins nette si on mesure les inégalités
en parité de pouvoir d'achat+ - l'indicateur passant alors de 3,9 à 4,7 -, car les niveaux de prix sont nettement
plus homogènes à l'intérieur des Etats-Unis. Si on va plus loin pour évaluer le niveau d'inégalités d'une Europe à
vingt-huit, intégrant les trois candidats suivants que sont la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie, - ce dernier
pays ayant évidemment l'impact le plus lourd sur les évolutions du fait de sa taille démographique -, le rapport
interdéciles au taux de change courant passerait de 7,4 à 16,9. L'Europe à vingt-huit serait alors bien différente
du groupe de départ et commencerait à ressembler furieusement aux pays les plus inégalitaires de la planète :
Brésil, Mexique et Russie.
A. La théorie de Kuznets
Dans les années 50 , S.Kuznets a établi une loi selon laquelle l’évolution des inégalités aurait
la forme d’une courbe en cloche .Suivant le stade de croissance et de développement , les
inégalités passeraient par 3 phases :
• dans les sociétés sous-développées et traditionnelles, le niveau des inégalités est
relativement réduit : excepté une minorité peu représentative, la majorité de la
population travaillant dans l’agriculture est pauvre
• lors de la phase d’industrialisation, les écarts s’accroissent entre les régions et les
catégories qui restent dans le modèle traditionnel et ne bénéficient pas des retombées
de la croissance et celles qui , suite à un exode rural , migrent vers les secteurs les plus
dynamiques de l’économie . Cette augmentation des inégalités ne signifient pas une
augmentation de la pauvreté, mais un enrichissement de certains et une stagnation
des autres
• les bénéfices de la croissance et le développement se généralisent à l’ensemble de
l’économie : les secteurs en retard disparaissent (destruction créatrice ) ou se
modernisent et toutes les catégories voient leur niveau de vie s’accroître . Un
rattrapage des catégories les plus favorisées s’opère aussi
Conclusion :La thèse de Kuznets a été particulièrement bien étudiée et vérifiée dans les cas
anglais et américain . Ainsi , aux EU , « la part du patrimoine total possédé par les 10 % les
plus riches est passée d’environ 50 % vers 1770 à un maximum d’environ 70-80 % vers 1870
, avant de retrouver en 1970 un niveau de l’ordre de 50 % , typique de l’inégalité
contemporaine des patrimoines » ( T.Piketty )
Ce resserrement de la hiérarchie des revenus est une tendance de long terme qui contredit la
thèse marxiste de la paupérisation de la classe ouvrière.
Conclusion : A.Lipietz en conclut : « la distribution des revenus prend ainsi la forme d’une
mongolfière ventrue (peu de riches, peu de pauvres, beaucoup de moyens) qui s’élève
régulièrement et avec ensemble. La hiérarchie des salaires est en effet rigidement corsetée
par les conventions collectives : classes aisées, classes moyennes, classes populaires,
accèdent successivement à une même structure de consommation, qui s’élève selon des
trajectoires décalées dans le temps mais semblables. Le mode de vie de l’ingénieur précède
de quelques années celui du technicien, celui-ci éclaire l’venir de l’ouvrier professionnel, qui
montre le chemin à l’OS. Si l’on veut une autre image, la société est emportée par un escalier
mécanique où les distances sociales restent stables mais où tout le mode s’élèv . Les
nouveaux venus de l’exode rural et de l’immigration prennent place sur la dernière marche ».
Mendras opère le même raisonnement en parlant de toupie
• T ;Piketty écrit : « Pendant longtemps , la loi de Kuznets est apparue comme la fin de
l’histoire de l’inégalité , même si le fait que de nombreux pays tardaient à rejoindre le
monde enchanté , où croissance et réduction des inégalités iraient main dans la main ,
a toujours suscité des doutes légitimes .
• Mais c’est surtout la constatation, dans les années 80 , que l’inégalité avait
recommencé à augmenter dans les pays occidentaux depuis les années 70 qui a porté
le coup fatal à l’idée d’une courbe reliant inexorablement développement et inégalité .
Ce retournement de la courbe de Kuznets marque la fin des grandes lois historiques sur
l’évolution des inégalités, au moins pour un certain temps, et incite à une analyse
modeste et minutieuse des mécanismes complexes qui peuvent faire que l’inégalité
augmente ou diminue à différents points du temps ».
La question que l’on va tenter de résoudre dans cette partie est la relation qui existe entre développement et démocratie :
le développement est-il un préalable à la démocratie ou est-ce le contraire ?
Partie 1- Selon les libéraux, les inégalités sont nécessaires pour assurer croissance et développement
a. Postulat de base
Cette conception insiste sur la liberté permanente dont disposent les participants à
l’économie :
• Si une personne choisit de travailler et d’échanger, alors qu’elle vit dans une société
basée sur la liberté et l’égalité de droits, c’est forcément qu’elle y trouve son avantage.
• On ne peut donc intervenir dans le jeu des échanges et de la production que si l’on ne
lèse personne et que si certains s’en trouvent mieux: c’est l’idée de l’unanimité comme
point de repère fondamental.
b. Conséquences
Dans cette perspective, la vision des inégalités est beaucoup plus tolérante :
• si une personne travaille beaucoup et accumule des capitaux pour finalement retirer
beaucoup de profit de ses affaires, c’est parfaitement juste pour peu qu’elle ait conclu
des accords de plein gré avec ses partenaires.
• Si quelqu’un travaille peu ou ne travaille pas et n’obtient donc que peu ou pas
d’argent, la chose n’est pas scandaleuse. Sa situation résulte de ses choix.
c .Conclusion
Ainsi seule la liberté des échanges concurrentiels mène à un résultat souhaitable : l’équilibre
général des marchés est en même temps un optimum au sens de Pareto, c’est à dire une
situation dans laquelle il n’est pas possible d’accroître l’utilité d’un agent sans diminuer celle
d’un autre. Le principe sur lequel repose cette théorie est le suivant :
• compte tenu de ce qu’ils avaient à leur disposition avant que les échanges
commencent (leurs dotations initiales) les agents ont procédé à des échanges libres et
ont fait du mieux qu’ils ont pu, c’est à dire que les deux coéchangistes y ont trouvé
leur intérêt.
• En quelque sorte la traduction concrète de l’unanimité est le marché concurrentiel, et
toute tentative pour en modifier les résultats ( produire autrement , modifier certains
prix , redistribuer), se ferait au détriment de certains agents, ce que l’on ne veut pas
envisager car cela conduirait à une situation sous optimale et serait à l’origine de
conflit : comment justifier une redistribution des plus riches vers les plus pauvres ,
alors que la pauvreté relève de la responsabilité individuelle. Cela générerait des
conflits entre les divers groupes sociaux pour accroître leur part du gâteau, et serait
désincitatif au travail.
• Comme l’indique Smith , l’aiguillon de l’intérêt suffit à rendre une société performante
et juste par la main invisible , le marché attribuant à chacun ce qui lui est dû : la justice
est donc incluse dans l’échange .
• F .Von Hayek ira encore plus loin en démontrant que l’existence de gagnants et de
perdants dans l’échange , pour injustes qu’elle puisse paraître , est nécessaire au bon
fonctionnement du marché , puisqu’elle indique les impasses qu’ils doivent éviter et les
avenues qu’ils ont à emprunter .
J Rawls a déplacé le débat en proposant une définition originale de la justice sociale. Sur quoi
doit porter l’unanimité? Non sur les résultats des interactions économiques, mais sur les
règles de fonctionnement de la société
Pour voir son analyse de la démocratie de propriétaires :
Le rejet du libéralisme sauvage et du socialisme autoritaire: Rawls exclut deux types
de sacrifices qu’une société pourrait être amenée à exiger d’une partie de ses membres :
• Rawls condamne le libéralisme sauvage puisqu’il rejette le sacrifice des plus
défavorisées au nom de l’efficacité économique.
• Mais il refuse d’accepter le socialisme autoritaire qui sacrifierait les plus
favorisés au nom de la justice sociale.
Présentation de la démarche :
• L’hypothèse du voile d’ignorance : Rawls part d’une position imaginaire dans
laquelle les individus prêts à discuter des principes de justice, appliqués dans la société
où ils seront amenés à vivre ensemble, ignoreraient tout ce qui les différenciera
concrètement. Ainsi ils ne connaissent pas ce que seront leurs familles, leurs classes
sociales, leurs fortunes, leurs aptitudes, etc.. .
• Les répercussions du voile d’ignorance : Situés de la sorte en position de
négociation collective, équitable et égale, les individus s’accorderont d’après Rawls, sur
deux principes fondamentaux :
- le principe de liberté : qui permet à chacun d’entreprendre ce que bon lui
semble pour obtenir la réalisation des fins qu’il se propose : « chaque personne
doit avoir le droit à la plus grande liberté fondamentale compatible avec une
liberté semblable pour tous ». Ainsi les droits de vote, de propriété privée, les
libertés d’expression, d’opinion et de réunion seraient assurés en application du
premier principe.
- Mais ces avantages étant reconnus, il se trouve que des inégalités vont se
manifester : les plus forts , les plus doués… vont s’imposer progressivement, de
sorte que les inégalités vont se renforcer mutuellement, puis se perpétuer.
- D’où l’affirmation d’un second principe : le principe de différence : « les
inégalités économiques et sociales doivent être aménagées de telle sorte
qu’elles soient :
a - assurer en dernière analyse pour le plus grand profit des plus
défavorisés
b - attachées à des emplois et à des postes accessibles à tous dans les
conditions d’égalité équitable des chances «
- Mais selon Rawls le premier principe (le principe de liberté) prime sur
le second (le principe de différence) : dés lors, on ne doit pas, pour
combattre les inégalités , aller à l’encontre des libertés fondamentales.
Conclusion : Rawls considère donc que :
• du point de vue économique et social l’état le plus juste d’une société est celui qui,
parmi tous les états possibles, assure au membre le plus défavorisé une position
maximale
• Mais il peut arriver que s’améliore la situation des plus défavorisés sans que se réduise
l’écart les séparant des plus favorisés.
Rawls dans une optique différente de celle de Tocqueville, plus moderne, est alors amené à distinguer deux formes de
démocratie :
1 ) La démocratie de propriétaires ;
• L’individu étant, dans ces conditions, parfaitement conscient du fait qu’il pourra
occuper, dans la société réelle, n’importe quelle position parmi toutes celles qui
correspondent à la répartition des revenus sera naturellement incité à adopter une
attitude d’impartialité. En effet, un comportement de prudence élémentaire fait que
comme personne ne sait qui sera le plus défavorisé (voile d’ignorance), tous
recherchent une société qui soit juste.
Remarque : Toutefois, le premier principe primant le second, on ne doit pas, pour combattre
les inégalités, aller à l’encontre de libertés fondamentales.
J Rawls considère que :
• du point de vue économique et social, l’état le plus juste d’une société est celui qui,
parmi tous les états possibles, assure au membre le plus défavorisé une position
maximale. Au demeurant, il peut arriver que s’améliore la situation des plus
défavorisés sans que se réduise l’écart les séparant des plus favorisés.
• Dés lors il peut être utile d’appliquer une politique de discrimination positive qui
favorise les individus les plus défavorisés. Cette politique inégalitaire semble plus
équitable que la politique de l’égalité des chances.
a. A court terme
- Pour assurer un décollage économique, il est faut accroître très fortement le taux
d’investissement (cf la thèse de Rostow) , ce qui nécessite « au départ pour
que cette accumulation fut possible, une extrême inégalité des richesses, seule à
même de dégager l’épargne nécessaire ». Or ce sont les plus riches qui ont la
propension à épargner la plus forte
- Les inégalités produisent des incitations qui poussent les individus à faire des
efforts. C’est en effet un système méritocratique où le revenu dépend du travail
et des mérites. Comme tous les individus adoptent le même comportement, la
croissance apparaît. C’est donc conforme à la main invisible d’A.Smith.
b. A moyen terme
Ainsi il semblerait que plus d’inégalités aujourd’hui assure plus de croissance économique
demain, « l’inégalité sert au mieux les intérêts, sinon des plus pauvres d’aujourd’hui, du
moins des plus pauvres de demain ».C’est en tout cas la thèse développée par Kuznets qui
avait établi une courbe en cloche reliant croissance et inégalités (fiche2 plus chapitre
croissance et développement
Dés lors une réduction des inégalités, en particulier dans les PVD, entraverait le décollage
économique. Une redistribution des revenus n’handicaperai pas seulement les plus riches,
elle détériorerait la situation des plus pauvres : la taille du gâteau n’est pas indépendante de
la manière de la partager (cf. la théorie de Laffer, chapitre : les politiques économiques )
2. Et le développement
• Si l’on s’intéresse maintenant non plus seulement à la dimension économique et sociale , mais l’on intègre la
démocratisation des sociétés , on peut constater que les libéraux considèrent généralement avec B Russet qu’il
existe une corrélation entre un grand nombre d’indices d’ordre économique et un nombre plus réduit d’indice
politique. Ceci permettrait de corroborer une relation entre le développement économique et une démocratisation
des sociétés
1. Constat
La plupart des études semblent montrer qu’ une répartition inégalitaire des revenus ne favorise pas la croissance
économique :
• JP Fitoussi écrit : « parmi les NPI, ceux dont la croissance fut la plus élevée sont aussi ceux dont le degré
d’inégalité dans la répartition des revenus a décru le plus vite. (...) Il semble ainsi exister une corrélation
inverse dans les PVD entre inégalités de revenu et croissance, c’est à dire une corrélation directe entre cohésion
sociale et performance économique »
• Si l’on construit un graphique mettant en relation la croissance de la productivité du travail entre 1979 et 1990
et le degré d’inégalité des revenus : on constate pour les pays développés qu’il existe une relation de corrélation
entre une forte croissance de la productivité et une répartition plus égalitaire des revenus. Ainsi les pays
connaissant les taux de croissance de la productivité les plus forts sont le Japon, la Finlande, la Belgique et la
France qui se caractérisent par une répartition plus égalitaire des revenus, à l’autre extrémité on trouve les pays
anglo-saxons.
2. Explications
B. Et le développement
1. Constat
Si l’on s’intéresse maintenant à la démocratisation politique et le décollage économique, on constate que :
Contrairement à ce qu’affirme B Russet il n’existe pas de corrélation montrant que la démocratisation nécessite au
préalable un développement économique . On constate ainsi :
- qu’avec un PNB faible les Etats-Unis sont devenus une démocratie des la fin du 18 ème ,
- alors qu’avec un PNB plus élevé le Guatemala des années 60 était une dictature.
a. Constat
Cette dimension constructive de la démocratie vaut pour tous les pays, quel que soit leur
niveau de développement. Sen donne l'exemple de l'Inde, où les Etats les plus démocratiques
sont aussi ceux qui réussissent à faire émerger de nouvelles valeurs plus respectueuses des
individus. Ainsi, l'Etat du Kerala est parvenu à faire baisser les taux de natalité sans recourir
à la contrainte, grâce à la discussion démocratique, qui a débouché sur la formation de
nouvelles valeurs.
b. Explications
• La démocratie est également appelée à déployer ses effets dans le temps: Sen ne
défend pas une conception ponctuelle de la démocratie, où une décision prise à la
majorité suffirait à trancher les problèmes une fois pour toutes. Au contraire, sa vision
va de pair avec une construction permanente de la société, de ses attentes et de ses
valeurs. On le voit, la capacité constructive de la démocratie réelle chez Sen est très
étendue: elle n'englobe pas seulement le choix des valeurs et des normes, mais aussi
la question très pratique de leur faisabilité sociale, qui évolue avec la discussion
publique.
• Sen adopte donc une conception très exigeante de la démocratie, selon laquelle les
aspects formels (égalité des participants ou des représentants et application
mécanique de la règle de la majorité) sont appelés à déboucher sur une démocratie
délibérative réelle et permanente.
• La démocratie n'est pas une question mécanique de procédure d'agrégation des
opinions individuelles, mais un processus de délibération auquel chacun est appelé à
apporter sa contribution active et informée à tout moment. Dans ce cadre, la validité
des normes et valeurs sociales ne dépend pas de la qualité de leur contenu, mais de
leur capacité à résister et à se maintenir face à un examen public informé et sans
concession
Sen s’oppose donc à la conception de la démocratie développée par les économistes néo-
classiques :
• L'apport principal de l'approche par les capacités réside dans l'accent mis sur la liberté
réelle, et cette insistance la démarque clairement de l'approche néoclassique+ pure,
dans laquelle des individus censés disposer du même degré de rationalité optimisatrice
cherchent à maximiser leur intérêt en écrivant un accord complet prenant en compte
tous les événements possibles.
• Chez Sen, ce n'est pas l'intérêt égoïste, mais la liberté réelle de chacun qui doit être
maximisée. De plus, il ne cherche pas à éradiquer l'incertitude inhérente à l'action
collective, mais s'efforce de la respecter et de toujours composer avec elle. L'objectif
est donc fondamentalement différent:
- de la maximisation de l'intérêt égoïste par la volonté de maîtrise totale des
processus,
- on passe à la promotion de la liberté réelle de tous par la reconnaissance de la
pluralité des points de vue légitimes.
Ce n'est pas le contenu ou la substance de l'idée de marché, que Sen rejette, mais la volonté
de l'imposer toujours et partout, envers et contre toutes les circonstances et tous les acteurs
locaux.
Introduction :
Constat : La conception traditionnellement dominante de la démocratie considère que la démocratie désigne en premier
lieu un état politique : l’on opposera alors :
• les sociétés démocratiques
• aux sociétés monarchiques (gouvernement d’un seul : roi)
• aux oligarchiques(gouvernement de quelques-uns uns : noblesse)
• aux sociétés totalitaires.
Critiques : Mais cette conception semble trop restrictive à Tocqueville qui va introduire deux nouvelles dimensions :
• la démocratie est aussi un état social c’est à dire que les différences entre les ordres, classes sociales
s’atténuent avec la démocratisation des sociétés
• cela d’autant plus que nos sociétés démocratiques développent, selon Tocqueville, un état d’esprit démocratique
qui rend les sociétés de plus en plus sensibles aux inégalités aussi bien objectives que subjectives.
Partie1 – La conception traditionnelle : la démocratie, un état politique ( cf cours de première)
I. Définition traditionnelle
La démocratie désigne :
• le pouvoir du plus grand nombre ou le gouvernement du peuple, par le peuple et
pour le peuple.
• Les formes constitutionnelles prises par les régimes démocratiques sont diverses,
mais elles obéissent toujours à un fonctionnement au centre duquel figure les
citoyens
Constat : La démocratie est née dans les cités grecques, Athènes en particulier, aux VI°
et V°avant J.C.
Caractéristiques : La démocratie antique est : une démocr ati e limit ée et di r ect e. Elle
oppose au pouvoir d’un seul le pouvoir des citoyens libres et égaux. C’est l’assemblée
du peuple qui décide après que chacun a pu s’exprimer et la décision est prise à la
majorité des voix.
• C’ est une démocr ati e di r ecte car c’est l’Assemblée du peuple qui décide
directement et non des intermédiaires représentant les citoyens.
• Mai s c’ est une démocr ati e limi tée : en sont exclus les femmes, même
grecques et libres, les esclaves et les étrangers (métèques).
Exemple : C’est sur ce modèle que fonctionne aujourd’hui encore certains cantons suisses.
La d émocr ati e moder ne est au c ont r ai r e ill imi tée m ais i ndir ecte :
• il limit ée puisque Grâce à l’instauration progressive du suffrage universel, tous
les individus disposent, dans les pays occidentaux au moins , des droits
politiques élémentaires ( droit de vote , éligibilité , liberté d’expression , liberté
d’opinion , droit de réunion , liberté d’association ) .
• Mais l’extension des droits politiques à l’ensemble de la population s’est révélée
immédiatement incompatible avec les principes de la démocratie directe qui ne
peut fonctionner que dans des collectivités restreintes et pour des questions
simples. Les démocr ati es m oder nes sont des dém ocr ati es
r epr ésent ativ es puisque les citoyens élisent des représentants qui exercent
au nom de la nation toute entière les responsabilités politiques.
Conséquences : Ainsi pour éviter les déviations d’un système où le peuple ne peut pas lui-
même « gouverner » au sens précis du terme, certaines mesures sont mises en place :
• certaines formes de démocratie directe peuvent s’instaurer. C’est le cas du
référendum qui est la consultation des électeurs sur une question ; un vote
majoritaire entraîne une adoption définitive.
• la séparation des pouvoirs : énoncée par Montesquieu, la séparation des pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire signifie que chaque pouvoir doit être confié à des
organes distincts. Selon lui, « seul le pouvoir arrête le pouvoir ».
A- le régime présidentiel
Il caractérise le système américain actuel :
• les pouvoirs législatif et exécutif sont indépendants.
• Le président, qui est à la fois chef de l’Etat et chef du gouvernement, dispose
d’une autorité considérable :
- il nomme et révoque les ministres comme il l’entend ( indépendamment de
la majorité des assemblées qui peuvent être d’orientation politique
différente de la sienne ).
- En revanche, les assemblées disposent pleinement du pouvoir législatif
.Le président, élu au suffrage universel, ne prend pas à l’activité
législative tandis que les assemblées ne s’occupent pas de pouvoir
exécutif.
- Le président ne peut dissoudre l’assemblée tandis que les assemblées ne
peuvent mettre en cause sa responsabilité.
2 - le régime parlementaire
Mais Tocqueville considère que l’on ne peut appréhender une société démocratique par la seule étude du domaine
politique, la démocratie c’est aussi un état social.
A - Définition
Tocqueville donne au terme démocratie un sens plus large que celui qui lui est généralement
donné par les politistes :
Il désigne par ce terme un état de la société et non une forme de gouvernement.
Selon lui, la démocratie se caractérise par une égalisation des conditions .
Mais qu’entend-il par-là ?
• Cela signifie t’il que dans les sociétés démocratiques tous les individus sont
intellectuellement égaux ? Non cela serait absurde.
• Alors peut on considérer qu’il existe une égalité économique ? Cela parait impossible à
Tocqueville pour qui « il se rencontre toujours des citoyens très pauvres et des
citoyens très riches » (3 p525).
- Par démocratie il entend donc la disparition des ordres ou des classes
héréditaires qui caractérisaient les sociétés d’ancien régime .Dés lors
qu’il n’y a plus de différences héréditaires de conditions toutes les occupations,
toutes les professions, toutes les dignités, tous les honneurs sont accessibles à
tous les individus et non plus à une élite se les transmettant de père en fils. Cela
va avoir deux conséquences essentielles :
- Contrairement aux sociétés d’ancien régime on peut certes observer
des pauvres mais ceux ci ne représentent plus la majorité de la
population : avant 1789 la noblesse qui était la classe dominante pesait moins
de 5 % de la population.
- Au contraire dans la société démocratique « de même qu’il n’y a plus
de race de pauvres , il n’y a plus de races de riches » , les riches et les
pauvres qui n’ont pas disparus sont devenus minoritaires et « entre ces deux
extrémités de sociétés démocratiques se trouve une multitude d’hommes
presque pareils, qui, sans être précisément ni riches, ni pauvres, possèdent
assez de biens pour désirer l’ordre, et n’en n’ont pas assez pour exciter l’envie.
Conclusion : Tocqueville considère donc que la classe qui est dominante du point
de vue du nombre et qui est représentative des sociétés démocratiques est la
classe moyenne, qui n’est pas une classe au sens marxiste du terme (il vaudrait
mieux parler de strate) , mais le groupe central par rapport auquel va se définir la
société. Avec la démocratie on peut donc parler d’une moyennisation de la société.
Remarque : On trouve ici une première ébauche de la célèbre théorie développée par
l’économiste et sociologue italien Vilfredo Pareto de la circulation des élites :
• Dans les sociétés industrielles les élites ne sont pas aristocratiques parce qu’elles sont
en perpétuel renouvellement .
• Dés lors « la classe riche n’existe point, car les riches n’ont pas d’esprit ni d’objets
communs (Tocqueville fait ici référence au mode de vie noble), de traditions ni
d’espérances communes, il y a donc des membres mais point de corps ».
Comme J.L. Fabiani l’écrit « la multiplicité des critères et des échelles de stratification
sociale est pour Tocqueville une caractéristique distinctive de la société démocratique :
• Dans les sociétés d’ordres ou de castes, la position de l’individu est toujours clairement
définie et aisément reconnaissable à un certains nombres d’indices matériels et
symboliques.
• Il n’en est pas de Même dans la société démocratique . »
CONCLUSION :
Tocqueville considère donc que dans les sociétés démocratiques sont impliquées à la fois :
• l’égalité sociale
• et la tendance à l’uniformité des modes de vie et des niveaux de vie, tous les individus
y étant à peu près égaux en lumière et en biens .
Il reste néanmoins une question essentielle : comment expliquer cette égalisation des modes
de vie ? Tocqueville considère qu’elle résulte d’un état d’esprit qui est spécifique aux sociétés
démocratiques .
Conclusion : R Boudon en conclut : « l’égalitarisme est une idéologie qui , parmi les valeurs
entrant dans la formule de légitimité en vigueur dans les sociétés industrielles occidentales,
accorde à l’égalité prise dans l’un ou l’autre de ses sens la place prépondérante. Tocqueville
voit dans la marche vers l’égalité des conditions une tendance de longue durée » .
Tocqueville distingue les 4 formes que prend cette tendance qui sont selon R Boudon :
• « Les statuts juridiques des personnes sont rendus égaux avec la liquidation de
la féodalité. Ainsi les individus sont reconnus également aptes à contracter, à acheter
et à vendre (ce qui est à la base d’une économie de marché), à se marier
• Vient ensuite, ou concurremment, un processus d’égalisation des droits
politiques. A tous les hommes puis à tous les adultes de l’un et l’autre sexe, se
trouvent ouvert l’accès au suffrage.
• En troisième lieu , nos sociétés devenant plus productives et plus riches, les
disparités extrêmes entre l’abondance et la pénurie se trouvent
graduellement comblées, ou plutôt perçues comme devant être comblées .
• A ce tableau très optimiste, on peut ajouter un dernier trait. Les inégalités de
participation aux biens publics comme l’éducation, la santé et aux diverses
aménités de la vie en société, seraient , elles aussi, progressivement réduites
, au point qu’à la limite tous les membres de la société moderne pourraient prétendre à
la jouissance d’un même trésor culturel ».
Constat : Dans les sociétés démocratiques , selon Tocqueville , la recherche d’une plus
grande égalité est l’objectif principal des individus ( section I , III ). Cette recherche aura deux
conséquences :
1 - l’individualisme
selon Tocqueville :
• l e système d’Ancien Régime avec l’aristocratie permettait la constitution d’un lien
social puissant (cf chapitre lien social) :
- il y avait des individus puissants , unis par des liens de famille et de vassalité et
par une tradition .
- Les individus se sentaient dépendants de leurs concitoyens : « comme dans les
sociétés aristocratiques , tous les citoyens sont placés à poste fixe , les uns au-
dessus des autres , il en résulte que chacun aperçoit toujours plus haut que lui
un homme dont la protection lui est nécessaire , et plus bas il en découvre un
autre dont il peut réclamer le concours . »
- Ils se sentent aussi responsables des générations futures puisque les familles
restent plusieurs générations dans le même lieu : leurs actions vont avoir une
influence pour leurs descendants
• Or , en démocratie cette dépendance entre individus et générations n’existe plus :
- Une des caractéristiques de la démocratie est, selon Tocqueville, qu’il n’existe
plus de classe de riches et de pauvres , c’est-à-dire de classes stables ,
constituées sur le long terme : les individus ne sentent donc pas responsables de
leurs des descendants .
- A mesure que l’égalité progresse , il y a un nombre de plus en plus grand
d’individus , qui ont assez de revenus et de connaissances pour se suffire à eux-
mêmes .Ils considèrent alors qu’ils ne doivent rien à personne et n’attendent
rien de personne .
les individus n’ont plus qu’un objectif , la satisfaction due à la possession de biens
matériels .
Explications : Car les peuples démocratiques ont un goût naturel pour l’égalité , et pour
éviter une inégalité des conditions , ils préféreront sacrifier la liberté :
• pour obtenir l’égalité des conditions , vont se mettre en place des réglementations
• qui freinent la marge de manoeuvre des individus et donc les empêchent de s’élever
au-dessus des autres .
Remarque : Cette tentation est d’autant plus forte en démocratie, selon Nisbet et le risque
du despotisme est d’autant plus marqué que :
• La démocratie est apparue à la suite d’une révolution ( on peut ici opposer le
cas de la France à celui des USA où la démocratie est apparue progressivement ) , car
alors les classes dirigeantes locales ayant disparu dans la tempête qui en a résulté, les
masses n’étant pas habituées à se prendre en charge, les individus vont alors penser
que seul l’Etat peut se charger de tous les détails du gouvernement.
• Une partie importante de la population est analphabète . En effet « en raison de
la disparition des pouvoirs intermédiaires : l’ignorance dans laquelle est plongé le
peuple le place plus directement sous la coupe du pouvoir central »
• selon Tocqueville la personnalité du dirigeant qui détient le pouvoir est
essentielle : en effet « les hommes ne sont jamais si heureux de transférer le pouvoir
à leur chef que lorsqu’ils ont le sentiment que celui ci est en tout point semblable à
eux » . On peut ainsi selon certains auteurs expliquer les tendances démagogiques qui
caractérisent les dirigeants des démocraties , qui cherchent absolument à se
rapprocher du peuple , à faire peuple.
• La disparition des corps intermédiaires est très dangereuse. « l’égalité a
entraîné la disparition des corporations, des classes des rangs et de toutes les
associations qui, en vertu de l’inégalité des conditions qu’elles instauraient,
constituaient une limite au pouvoir royal. (...) A la force quelque fois oppressive, mais
souvent conservatrice d’un petit nombre de citoyens, a donc succédé la faiblesse de
tous ».
Les solutions préconisées : Nisbet écrit : » il ne faut pas réduire la pensée de Tocqueville à
des considérations pessimistes sur l’évolution inéluctable de la démocratie vers un régime
tyrannique et plébiscitaire » Tocqueville essaye alors de mettre en évidence les moyens qui
ont permis aux Etats- Unis de mettre un frein à la tyrannie (8 p 527); il en distingue au moins
6:
• l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique,
• la séparation de l’Eglise et de l’Etat,
• l’autonomie et le statut élevé des professions libérales,
• l’autorité de la communauté locale,
• l’existence d’une frontière qui à l’époque de Tocqueville était toujours ouverte. la
liberté de la presse.
• Tocqueville est donc opposé à une intervention trop importante de l’Etat. Lors
d’un discours à l’Assemblée sur le problème du chômage et de sa prise en charge par
l’Etat , Tocqueville indique :
- « le droit au travail implique que l’Etat fasse en sorte qu’il n’y ait pas de
chômage. Cela le mène forcément à distribuer les travailleurs de manière à ce
qu’ils ne se fassent pas concurrence, à régler les salaires ,tantôt à modérer la
production, tantôt à l’améliorer, en un mot, il devient le grand et unique
organisateur du travail.
- Et au bout qu’aperçoit-on ? le socialisme, c’est à dire l’idée que l’Etat ne doit pas
être seulement le directeur de la société, mais le maître, le percepteur, le
pédagogue de chaque homme. Qu’est ce que le socialisme ? C’est la nouvelle
formule de la servitude. (...) Est ce que la démocratie consisterait à créer un
gouvernement plus tracassier, plus détaillé , plus restrictif que tous les autres,
avec cette seule différence qu’on le ferait élire par le peuple ? Mais alors,
qu’aurez vous fait que donner à la tyrannie un air légitime qu’elle n’avait pas?
- La démocratie libérale étend la sphère de l’indépendance individuelle, le
socialisme la resserre. Il n’y a rien dans le message de 1789 qui force l’Etat à se
mettre à la place de la prévoyance individuelle. Il n’y a rien qui autorise l’Etat à
s’entremettre au milieu des industries, à leur imposer des règlements ».
• On se rend bien compte à la lecture de ce passage que Tocqueville est favorable à
la conception libérale de la démocratie qui met en avant la liberté par rapport à
l’égalité. Il souhaite donc une limitation des pouvoirs de l’Etat, il appelle de ses vœux
un Etat gendarme.
Conclusion : Sur ce point Tocqueville entre dans la logique des économistes libéraux qui
considèrent qu’ un certain niveau d’inégalité est nécessaire pour assurer un développement
économique ,mais que cette inégalité est juste et équitable si elle améliore le sort des plus
pauvres.