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LARGUMENTATION ET LE RAISONNABLE DANS UNE PHILOSOPHIE. DU SENS COMMUN Evelyne GRIFFIN-COLLART Le Professeur Perelman a congu la nouvelle rhetorique comme une théeerie de la preuve mon contraignante. Cet, de son propre aweu, Vinsatisfacion qu'il a ressentic. en tant que logicien, devam bes li- mitations impostes par lempirisme logique a la notion de raison qui Ia Poussé a chercher avec sa collaboratrice, M™* Ollbrechts-Tyteca, 2 il était possible d'¢laborer une logique des jugements de valeur pluto que d'abandonner ceux-ci a Tarbitraire dans la mesure ou ils ne sont pas susceptibles d'idire démontres ni sujets a verification. Le résultat a eté la redécouverte, pour compliter be raisonnement déeductifet inductif. de ba rheterique. Avec son riche eventail de methodes diverses pour argumenter en faveur du préférable, la nouvelle rhéwrique s‘appuie, quand elle sadresse & Vauditeire universel. sur ce que M. Perelman appelle le oraikonnables, ce qui et Communément admis dans un Muliew donne a une époque déterminge. Elle vse a emporier ou a renforcer l‘adhésion 4 des théses prenant le wraisonnables pour point de depart, La philosophic éocssaise du sens commun qui conmul son heure de ghoire au svn ct ou début du xi siecle ef dont la reputation dépassa les fronti¢res de Ecosse puisqu'elle fut admirée de Frangais comme Victor Cousin et exerga une influence sur la pense ameéricaine, presente avec Ventreprise de M. Perelman certains traits communs, malgre des différences flagrantes. Confrontes au scepticisme de Hume. a Vaccusation de faillibilite irrémédiable de toutes les sources de connaissance. perception, mémoire, temoignage, a Vimpuissance de ta Faison elle-merme ainsi qu'au caractere bogiquement illegitime de Vinduction. les philosophes ¢cossais cherchent 4 rétablir la conflance en fos faculiés: de connaitre et de juger et allaguent comme fondement le ARGUMENTATION ET LE RAISONNABLE 203 «sens commune, Ce sens commune est congu a la fois comme la facule commune 4 tous les hommes de discerner des véritées evidentes. Premiéres. antérieures a la raison discursive, déductive. telle que les Philosophes du xvii’ sigcle. et notamment Hunve. la définissajent generalement. cf comme Vensemble de oes vérites qui constituent le fondement siir de toute connaissance. modélent notre langage ct informent metre achon. Ce sont les creyances naturelles de tout homme raisonmnable. Dans les deux cas. il sagit de sopposer & une conception trop ‘triquée du rationnel. Dune part, Veffort de dissolution de Hume fait hasculer igutes nos croyances naturelles dans lirrationnel, de autre, Ventreprise ascétique de l'empirisme logique méne 4 renoncer 4 la justification des jugements de valeur par la raison. Cependant. on voit dts Vabord tout ce qui separe le eraisonnables, tel que le congait M. Perelman, du «sens commune de la philosophic écossaise. Ce qui est COMMUACHENL ads J Une Epoque ct dans Un Certain Sonlete est juge raiscnnable et re fait pas Vobjet de discussions. Towielois, le philosophe He Sunde Considérer COMME NeCeSLInEMeNs vrai Ti comme certain, PuQUE Cela PEL dire FEMS en Question 42 une époque ou dans tin contexte différenis. Les principes de sens commun. par conine, Présentent aux yeux des philesophes écossais un caneclére dewidence incontestable pour tout dire sense: [Is constituent bes bases ow lex cadres de reference de toute pensée, s¢ trouvent 4 un miveau profond imbriqués dans be langage et impliqués par towte notre action. Si le smisonnables fournit pour M, Perelman un point de depart pro Viscirement accemté et qui n'a dene pas besoin de justification, il ne re- vendique en rien pour lui le prestige de evidence inréfragable et im- muable du fondement de sens commun. Remanquons que lorsque ke sens commun est considert comme Pétal Presreflexif de la pensee. il et Vapanage de la foule. du ovulgairen. comme le souligne Kant dans ses Prafarandnes a tne melaplysique Jutvre (9, Comme tel, il est objet de meépris pour le philesophe lequel jUge que son acliVité se situe 4 un niveau infinineent supénicur 4 celui. ‘Quasi instinciif. du séns commun. Le philosophe sé veut donc Peneralement ecritiques & épard du sens commun. UH analyse les connaissances dimentaines. les croyanees vagues. be réalisme naif de 0) Trad F Gitehin, Pars, Wrin, 1965, p 2 204 E, GRIFFIN -COLLART homme de la rue et démontre leur insuffisance du point de vue d'une sinicte rationalite, Tovtefois, dans la mesure of Ie sens commun est non seulement commun mais encore fondamental, originaire, if s'idemtifie aussi au «bon sens et a la raison, de sorte que s'en écarter apparaiina insensé, 4 moins que lon me puisse fournir une justification valable, laquelle par un juste renversement dialectique. sera contraime de Brendre appul sur le sens commun. pourvoweur des eriteres de base pour largumentation. Pour Reid. le chef de file de Méoole écossane du sens commun, bes crovances naturelles (4 lexistence dun monde extérieur indépendant de nes perceptions, & Midentite du moi. a Vexistence d'autrui. etc.) n'ont Sle mises en doute que par des philasoples qui, tout en sombrant eus- mémes dans la perplexité. le sceplicisme e1 la meélancolie, me sont en fen parvenus a ¢beanler les certitudes de "homme de la rue. Nos philosophes écossais considérem d‘ailleurs déia que la perplexis Philcsophique résulte dabus de langage et prénent la réference au Lingage ordinaire pour purifier le langage philosaphique. Corstitutives de la raison a son état originaire. les croyances naturelles ne sauraient étre sujeties au doute, Moderne a cet ¢gard, Reid souligne que le doe absalu est impossible, que les philosophes CORSETVEM (OUjOUTS UNG CroyEnce HON Critique en quelque chose, ba conscienee, et que Vaclivite dé dower ext subordonnée a Vadhésion 4 quelque cenitude. Le doute demeure dailleurs le plus souvent ariificiel (paper doubt. dira Peirce) Le philosophe de sens commun s'adresee a l'auditoire universe! par excellence. a Vensemble des hommes jugés raisonnables ou de bon sens ()), Dans la perspective de la philosophie écossuise, c¢ sont ceux qui partagent les opinions qualifiées par Reid de principes de sens commun, par Stewart. son disciple. de lois fondamentales de croyanee. Les philosopies sont disqualifiés dans la mesure od ils metient en question ces premiers principes ou cadres de référence. soit qu'ils Prétendent révoquer owl en doute et ne partir que dune sewle evidence. fondant toute connaissance sur des déductions 4 partir de celle-ci, soit quills sombrent dans le sceplicieme parce que les sens et la raison ne leur paraissent pas capables de fournir des assises solides permeviant de juger ces croyances naturelles fondécs. ARGUMENTATION ET LE RAISONNABLE 208 La eroyance 4 existence de nos faits de conscience. d'un monde extéricur autonome. 4 Videntité de noire moi. a Pexistence Sautrui. a Vuniformité du cours de la nature. etc. repose sur Tevidence, Cest Pourqued Reid reproche 4 Descartes d'avenr tout voulu fonder sur le cogiio. Les autres eroyances naturelles sont tout aussi eviderbes ce qui rend tout doute a leur égard futile. Toutefois. le recours a Tevidence. M. Perelman la mairites fois souligne ("h réduit a rien Ie role die besoin ni de pretve, mi de justification. elle s'impose 4 esprit comme la lumiére aus sens. Pour Reid. les principes de sens commun sont alfuire de raison de maniére plus fordamentale que les deductions a partir de Prémisses sires. Comparables pour luia dex axiomes de mathemaique, Penguk immedialerment comme vrars, ce sont en fait bes prémisses Mémes de oul rasonnemerit. Tout semble done dit. La philosophic du sens commun sé veut une Philosophie premiere. Et pourtant, il semble bien qu'il n'y ait pas de Philosophie qui puisse enti¢rement se passer de la rhétorique. d'une argumentauion & caractére mon contraignant. Dans son anicle «Phi- losophies premi¢res ef philosophies régressiveset"), M. Perelman soulignail di que les philosophies premieres qui Sappuient sur des évidences et préetendem en déduire logiquemem et inéluciablement des conclusions indériables adaptent néanmoins la methode regressive. critique. ne fiitce qui leur début, pour rejeter les propositions considérées Comme lauses OU Conte de simples opinions au regard de Vevidence len va ainsi de la philosophic coossaise de sens commun. Cherchant 4 dégager tes fondements stirs de tout savoir et de toute pensee, elle a recours 4 argumentation tant pour confondre ses adversaires que pour Persuader ceux qui, de toute borne foi, contesserabent evidence de tel OU tel Principe Ou Verte premicre. tout en dian generalement daccord sur la plupart des autres. Remarguons qu'une telle possibilit de contestation aiteste bien que Pévident me est pas toujeurs ni pour tout le monde. Ceci est manifeste pour qui admet qu'en fin de compte et malgré des prétentions a Timenutabiliié et a Puniversaline. Vevident 1) efvidence et presees, in dvuvor of Hater Bruvdies. Preses Uniwersiaares, (1 206 EB, GRIFFIN-COLLART fHapparait tel que dans un certain contexte a une période déterminéc et pour un auditoire donnée (fit-il qualifie d'universel) La difference avec le raisonnable ne consiste plus dés lors quien une affaire de degre. Mais on congoit mal les philosophes ¢cossnis faisant une telle concession. eux qui. dans lesprit du xvi’ siecle, demeurent atiaches a Vidée dune Halure humaine preseniant des constantes indéniables el a la conviction qu'il existe une correspondance entre lesprit conmaissant et le monde Mais revenons-en aun premicr usage de Vargumentation par Reid Qui Ses livre A Une allaque én régle contre la «théorie des idéess dont les partisans madernes vont pour lui de Descartes 4 Hunts. Ce faisant. il Sest montré tres severe a Végard de procédés argumeniatifs tels que la metaphore ef Vandlogic. plus aptes. selon lui. a tromper qu’a eclairer. Toutefois, comme nous tenterons de le montrer plus. loin, i ne renonga Pas. pour autant 4 faire & son tour largervent usage de ces mémes Procedes, Pour ce qui concerne a athéorie des idéess, il s'est effereé de MOMIer Que Celle EpMemelogie aux consequences absurdes pour le Sens GOMmUA part d'une terminologie pour le moins ambigue et Sappuie sur un wage meaphorique du langage. Le moyen pour sortir de Verreur passe done 4 ses yeux par la purification du langage Philosophique grace 4 une confrontation avec le langage ordinaire. Il Sagit de montrer que c'est en détournam subrepticerment de leur usage habituel des termes dont le sens courant est. selon Reid, dépourvu dambiguilé, comme le mot vidéen, que ces philosophes sont parvenus a ‘tlaborer une théorte de la connaissance qui aboutit 4 mer le réalisme de sens commun Reid dénonce donc lusage abusif du terme «idéen comme entité mentale médiate entre le sujet conmaissant et objet conmu, Pour Vhomme de la rue, savoir une idée» signifie «penser. concevoir, imaginer quelque choses, non avoir dans esprit une image destinés a servir de médiaion entre une réalité extéricure hypothetique et notre ‘esprit, la connaissance Cham censee ne POUVOIr se produine sans. contact cognitif. Les cidéess représentatives de Locke et les widtes-chosess de Berkeley, si différentes soient-elles. sont responsables de Pabandon du réalisme et du sceplicrime qui en a résullé, Le philosophe devrait Suviser que existence de ces cmtinés mentales fa jamais ete prouvee, quill ne s‘agit que d'une hypothése gratuite dont les consequences frappemt homie de la re comme parfaitement ridicules. ARGUMENTATION ET LE RARONN ABLE OT Les partisans de La eihéorie des idéess sont prompts a révequer en doute les croyances naturelles let plus fermement admises, Que ne Soumeticnt-ils aussi au doute les sidéess sur lesquelles repose lewr theorie de la conmassimce ? Certes, i] faut un point d'appai pour douter, encore est-il raisonnable d'en cloisir un qui me soit pas lui- Meme supe 4 cauthon. On ne saurait donc stloigner du sens commun. seule garantie de raisonnable. En tout cas. les conséquences absurdes auxquelles conduil Vadoption de Vhypothese des idees mediates militent contre cellesci; le monde extércur qui nous semble bien visible. Lingible, etc., au bien n'exisie pas. ou bien est inconnaissable. Comme on fe voit, Reid use volonticrs de la valeur persuasive de argument Pragmatique () Tl ne se nontre pas seulememt méfiant a légard de ce qu'il considére comme des hypotheses invérifiables et absurdes, mais encore a legard dimages. de maélaphores qui ne réussissent selon lui qua dearer Pesprit. La sabhle rase ot viendront sinmserire les impressions provenant des seme lui parait une image dangerense dans la mesure of elle conduit ala passivité de Vesprit. Or, pour lui qui rejette Pempirisme conceptuel. esprit est éminemment actif dans la connaissance, De méme. il repudie l'analogie du contact cognitif. Pas plus quill n'est besoin de contact pour diner. il wen faut pour perceveir ou pour penser, Esprit et maticre étint pour Reid de nature radicalement diflérente. une analogie qui lex place sur le méme pied est & coup sir source erreur. Lors de sa critique dela morale de Hume, Reid dévoile ct condamne la technique a laquelle se livre Hume pour reéduire le role de la raison face a celui des passions. Le paradoxe de Hume qui fait de la raison ta servante des passions ne tient que grice di un albus. flagram du langage ordinaire. En effet, Hume inclut une partie de ce qui a toujours ae qualifié de «ranonn dans les passions etexclut du mot araisone la partic quien constitue I'élément le plus important, la faculte de discerner er de wiser notre plus grand bien dans Tensemble. En termes de Vanalyse perelmanienne du discours persuasif (4, nous dirons que Reid reproche a Hume de renverser la dissociation habituellement admise de ces dows notions, dinverser be couple passions/raison oO la muison constitu élément predominant pour faire place a tin couple raison/ passions oti 208 EB. GRIFFIN-COLLART le terme second Vempeorte sur le premier puisque peur Hume les passions délerminent! nos fins, la raison se bornam a tous fournir Jes moyens pour les ateindre. La cagacité de Reid démasquant he procédé argumentatif s'exprime ainsi : «... si nous demons le nom de pando a chaque principe dlaction a ious les degrés. et que nous Gonrins ke mem de raison uniquement mu pouvoir Ge disterner La convenanes des movers aun fins. il sera vrai que Pusage de la raison sera svbordoane aux passions (7) ans be cas d'absurdites aussi flagrantes. le recours au sens commun et la confrontation aves Ie langage ordinaire suffisent selon Reid a convaincre le philosophe d'erreur ou mime de mauvaise foi et a montrer quil sest écané du raisonnable. Gn le constate, be critere auquel Reid fait appel est toujours le sens commun. ce qui est communtment admis. Mais son auditoire est manifestement réduit 4 CHUN Qui partagent les opinions qui atiribue ainsi au sens Commun. Pour lui il va de sof que tout homme raisonnable est persuade que ba raison jowe un role dans la déterminaiion de nos fins et qu'elle ext Capable de freiner les passtons non sculement par simple prodence. mais par le souci proprement humain de agent d'éire veriueux, de faire son devoir. Quy a-t-il la de si evident? Ceres. largument du langage est probant et Reid s'en sent adroitenvent. mais il ne semble pas voir que le langage ext susceptible devolution. fit-elle lente. tout comme les opinions de sens commun dailleurs. Cest notamment ba conviction que celles-ci comme celui-li sont immuables qui explique Son dogmatisme: Jusqu'icr notre auteur ne Veal donc dams les procédes argumentatifs comme la mitaphore. Panalogie et la dissociation de notions que des Moyers pour tenter de faire accepter des theses absurdes ct detourner Vattention des évidences de sens commun. Cest la rhétorique sous son Bpect pejoratil de créatrice de sophiames qui est condammde chez sex ndversaires philosophiques. Mais quand il sagit de largumentation destinge 4 comvaincre ceux qui née Voment pas que bel ou tel principe est evident ef fail partie du corps des croyances naturelles, Reid est persuade qu'un homme honnéte et de bonne foi n‘offrira pas de résistance a une bonne L'ARGUMENTATION ET LE RAISONNABLE 209 argumemation. Il appose donc & une rhétorique sophistiique une thétorique digne des hommes raisonnables ; #.. encore qu'il sf conuaire & la nature dex premiers principe: dadmetirne une preuve directe ou apodicihgme. il existe néanmoins cerlaines manietes de raonner mene A leur prapos qui permenent de confirmer Gtus qui SoM jusics 1 fermes ct de detecter ceux qui sont fauno fh, Ainsi. il considére comme wn bon argument ad Jronrinenr de montrer dun homme qui accepts un principe premier quill me saurail sans Inconséquence en rejeter un autre qui se trouve sur le mime pied. Comme toutes nos faculeés viennent de ba nature. on ne peut aocepter be timcignage de lune. par exemple la conscience. et refuser celui des autres. par exemple des sens ow de la memoire. Reid allégue aussi volortiers Jargument ad absiurdivt. prenam pour mode bes mathematiques. || s'aght de supposer vrabe la proposition contraire de celle que Von veut prouver pour souligner que les consequences auxquelles elle conduit sont absurdes @ inaoceptables. Cet argument se combine done avec argument pragmatique. Enfin, if use aussi de Targument que les premiers principes reposent sur un large consensus : eQuand mows trouvons parnti les hommes un acoond général sur dew Principes concernanl la Vie InimMine, cel accord dol avoir une grande AUMOTILE Pir FOUL PTL SercUN Qua aime la werite= ("), Et il souligne combien Berkeley s‘etait efforce de monirer que son immatérialisme mail pas én opposition avec les convictions du vulgaire mais bien avec celles des philosophes. Le sens commun, déclare M. Perelman dans le Trafre (0, ext le liew de la quamivé. Cest Vaflirmation de ce qui est aims par le plus grand nombre, Cependant, pour Reid, Ces parce que ce que croit le plus grand nombre lui est inspiné par wine Faculte intuitive qui permet de distinguer ke vrai du faux comme le bien du mal, de discerner les vérités premieres, quil faut lui donner la préférence sur les whypothéses» fantaisistes des philosophes, Pour lui. est «sens commune mon sim- tt Pee oe he tation! Foor ef bos Wor Ion 2 210 E. GRIFFIN -COLLART Plement ce qui el communémem admis, mais est communément ad- mis ce qui Savere sens commune. Cest-a-dire les croyanees naturelles, Oniginaires. antérieures a la orason» et a lexperience, pounts de dépan de notre possibilité de penser. critéres pour determiner le vrai et le faux, ce qui vaui et ce qui me vaut pas. Reid se situe donc dans une Problématique de la vérité. ci. dans cetic mesure. il est plus proche de ses adversaires que de i pensée moderne de M. Perelman, Les croyances naturelles paraissent aux philosophes du sens commun évidentes et vraies absolument. tandis que pour leurs adversaires elles ne semblent correspondre qu’a des opinions sans Fondement en raison, Toutefois, si Reid a raison de souligner limportance de fondements que Von ne saurait fonder, i] ne leur accorde aucun caructére ewolutil, Les Principes de sens commun quil dégage fournisent un scherna conceptuel inaltérable & ses yeux puisqu'il est soutenu par la garantie divine. Une for les principes premiers recommus tls, argumentation a accompli sa tache. car Ie fait de voir leur évidence les met 4 Vabri de tout dowle, Doune maniere générale donc, Reid répudic la rhétorique ei ses procédés, se situant dans la tradition cartéesienne de levidence ef de la wérité déduite. Pourtant. il me se fait pas fawie d‘awoir luieméme recours 4 Targumenuuion pour montrer. notamment. la supeériorié du sons commun sur la raison deductive. Aunsi, il me dédaigne pas de ressasser la metaphore deulée du sens commun comme lumiere intéricure. ni d'utiliser une analogie curieuse Pour montrer que le sens commun est plus originaire. plus fondamental que ia raison discursive. En effet, juger par le sens commun est compare a avaler, ce qui se produit sponlaniment. dis quil y a vie, Landis que raonner est comparable 4 marcher, activité pour laquelle AOUS aVORS. certes. une aptitude naturelle, mais qui ne se développe Héanmoins qui la suite dun apprentissage, De méme. il reprend 4 son compte Tanalogie du langage de la Nature et du langage humain. distinguan un langage humain naturel (pestes. ton de voix, etc) qui et Hu langage naturel des percephons «originales» (sensations directes! ce que le langage conventionnel est aux perceptions wacquiatss (certaines inferences a partir des sensations), L'unalogie entre bes deux langages tS Conaidinée comme particuliérement eclairante dans la mesure ou les Sensations sont. comme bes mots. des otignes» qui renveient 4 des signifies. be lien Wetant jamais entierement conventionnel. LARGUMENTATION ET LE RAGONNABLE Zl Enfin, il fait appel lui aussi au procédé de dissociation de notions, Instaurant un nowveau couple philesophique qui oppose la raison au sens commun, mais. ne voulant pas perdre le benefice du préjuge favorable qui s‘attache 4 la notion de raison, il dissecie cette motion en Line raison intuitive, prembtre, quill idemifie avec le sens commun, et une raison déductive. dérivée. qui dépend de la premitre pour les prémisses dont elle devra tirer ses conclusions. Mais c'est surtout, et c'est bien naturel, dans le domaine de la morale qu'il fait usage de argumentation. notamnent pour défendre be libre- arbiire ou «pouveir des contraines. par des arguments qui sont. une fois encore. fomdés sur Vusage linguistique. ou pour clablir une anilogic. Cailleurs comestable, entre les sens externes et be sens moral, en vue de soutenir objectivite du jugement moral. Dans le Traie, M. Perelman affirme : a Le sens commun oppose réguliérement les faits aux theories, bes verités aux Opinions, ce qui ext objectif 4 ce qui ne Ves! pas. en signalant par la quelles opinicns il aul préferer 4 dwitres. que cote prefteenes sou fonder OU fon sur des criteres gonralement ascepiees ("1 Reid oppose effectivement des faits, notamment des faits de langage censés refléter des convictions profondes ef inaltérables concernant la réalité, ace quill considére comme bes hypotheses en |'air, gratuives, & la base de la wihéorte des iddes». Tam au point de vue grammatical que lexical. le langage ordinaire fournit bes ekéments pour jeter le discredit sur cette théorie. En effet. elle ne tient aucun compte de La structure aliributive de la plupart des propositions exprimant des jugements Percepuifs et confond substantifs ct attributs. identifiant la pensie ct Vobjet de pensée. te fait de sentir ef la chose sentie. Sil est vrai que be langage ordinaire laisse parfos subsister des ambiguités (vear une vue), homme de sens commun fait parfaitement la distinction entre ba sensation subjective et la perception de Vobjectif. Toute philosophie du Sen Commun insiste sur le caractére indéniablement réaliste de ba conception du monde de Mhomme de sens commun. Toutefois., si les faits somt des fans dans la mesure of ils sont communément admis, lorsqu'ils se irouvent mis en question, par des. Philosophes par exemple. qu'est-ce qui empéche quills retombent au niveau de simples opinions 7 Les jugements percepiils dont Reid assure CEN Op. qe, Tome fp be 212 EB. GRIFFIN -COLLART quils reposent sur des données d'observation, des faits que le langage ordinaire refléte et que la conduite humaine confirme se révélent susceptibles d'une interpretation différente qui rend «naive la vision du monde du sens commun, Reid se contente de declarer bes fits et les Principes qu ‘il juge de sens commun évidents dans leur interprewation courame. Il en résulte que celui qui bes met en dowe se place pour lui en marge de la communauté des hommes raisonnables et que le fardeau de la preuve doit reposer sur tui. Aisi, malgré sa tendance absoluiste, sa prédilecuon pour les Principes évidents et pour les mathémaliques comme modele de raisonnement déductif. Reid nhésite pas a recourir 4 des notbons et 4 des procédés juridiques pour étayer ses theses (", par exemple la Présomption favorable qui s‘atlache & Vinterprétation courante des termes. L'iinertie, dont M. Perelman souligne le réle marquant en droit ("), sert aussi d'argument au philosophe du sens commun quand son adversaire n'est pas pret a reconmaitre fa verite de oe qui est communément admis de longue dave. Si Von addict quill faut des points de dépan. que l'on ne saurait Metre keaul én question en mime temps. faute de pouvoir entamer la discussion, le probléme denseure du statut de certitude que la Philosophie du sens commun accorde, sur foi de Pévidence subjective. a cenlaines croyances naturelles et 4 certaines notions communes ides Holmment a la perceplion et a la memoire. Ceres. le doute parait futile eC anificiel lorsque le langage ordinaire charrie de maniere explicite ou implicite les prises de position du sens commun, obligeamt les phi- losophes a commettre ce que Reid qualifiait déja de multiples albus de langage pour pouvoir exprimer leurs theories de maniére intelligible. Toutefois. comme I'a fait remarquer M. Perelman dans le Trai’, ale langage fait partie des traditions d'une communautés ("4 et s'il n'est pas Normalement sujet 4 des changements révolutionnaires, il se trans- forme néanmoins lentemem. Reid. qui est partisan de ce qui fut par la Suite appelé la theorie du langage-reflet ef pour qui la pensde. gréce a la correspondance établic par Dieu entre nos faculeés ec la anature des 118 Oe connait Diestnét de M. Rerciman pour fea technique de raisonmenest en droit dant beaucoup powraien & ses yeux de appligaies avec bonkper, eutsnis mune, dans dius domains. aoumment en phiinsopitee 110 Gp or. Tome hp 1a (14 Diag, Tore Ep. GHD L'ARGUMENTATION ET LE RAISONNABLE 213 choses, présente une adéquation au monde, he peut concevair quill est COMME nous be savons maintenant. imprégné de théoric. que les. notions sont tribuiaires dun contexte. des conditions historiques ct sociales de la connaissance, «Mais les idées ne sont pas des objets, déclare M, Perelman dans «Ce qu'une réflexion sur le droit peut apporter au philosophes ('") «car elles présupposent toujours un lan- gage, expression d'une culture, et. par essence, extrapolation par rap- port a Pexperiencen, On peut encore dire tenté de distinguer le niveau des principes de Sons COTITMUn ef celui des notions communes. les premiers présentant un caractére de gpénéralité qui semble les metire a Vabri de la cControverse, kes seoomiles parwissanl, toul a mans & un certain moment, sujettes a verification ou a refutation grace 4 des crithres ginéralement accepeés. Toutefois. la chose est moins simple qu'il n'y paralt. Une notion commune telle que ala terre est plates, quoique de nature empirique, a résiste longlemps méme lorsque lex possibalités de Verification pour la mettre em question existaient. Il est clair que d'autres facteurs entraient en jeu pour influencer bes esprits. Au niveau des principes. towte verification est exclue, paisque. comme Fa montre Carnap. celle-ci ne peut éire realisée qu'd Vinterieur d'un scheme Concepiuel ¢l qué les primcipes de sens commun qui englobent «la Vision du meande du sens connie, constituent ce schéme conceptuel lui-méme. est pourquoi. Sir A. J. Ayer le souligne dans Metaphysics anf! Convmon Sense ("| on ne saurait refer le sceptique qui met en question ce schéma lui-méme. Remarquons que la fronti¢re entre principes premiers ef notions communes est indécise et que Witlgenstein a défendu Tidee que cerlaines Propositions, en apparence empiriques, telles que «oeci est une main humaines ou ala tence existe depuis longtemps, mentionnées par G. E. Moore dans «A Defence of Common Senses (!") sont des pro- Positions logiques ou grammaticales et done non sujettes & verification mais faisant partic du «jeu de langage. Pour M. Perelman. le probleme s¢ pose plusdt en termes de notions Claires ou vaguies. Dans ba tradition cartésicnne. Reid est persuade que les notions communes ef les principes de sens Commun sont clairs of UE In deuce or Meavson, Proaes, Universiesioes de Brunetb. 1964, p. 245 118) Londion, Macmilinn, 1969 117) fn Philsopbical Pipers, Landen, Alles & Wnwaa Lia, 1939. 4 EB. GRIPTIN -COLLART distines, Les premiénes se ratachent a des points fixes de croyance innée. Mest ainsi que pour Reid et Stewart. son disciple. notre monde West pas concevable hors des structures spatiotemporelles de la geometric euclidienne et de la physique newtonienne. Ceci peut ailleurs paraitre curieux lorsque l'on salt que Reid a élabore, avant les géomeétriciens professionnels et pour répondre ala théore de la vision de Berkeley. une géométrie 4 dewx dimensions. Toutefois, il sagit pour lui non de proposer une muniére alternative de conceveir ke monde. mass, dans le cadre des discussions ef thtories sur la vision, de decrire ce que alcell seul peut voirn. le sens commun percevam indéniable- ment le monde en trois dimensions grice a Vadjonction indispensable du towcher, Cette nouvelle vision raltére donc en ren le sens ordinaire des notions. Or, comme be fail remarquer M. Perelman dans «De Vévidence en métaphysiques("), les termes communs de wdrottew et dwespaces ne sont clairs que dane la mesure ou ils sont envisages dans un contexte, Si le comexte change, be sens s'en trouve modifie, Séparés de lout comexte, ils ne suggerem que des notions vagues. Quant aux Principes. is comiennent eux-mémes des notions communes vagues telles que le monde. be noi. autrui. la causalite, ete. Des lors. comment Pretendre quils sont clairs 7 Le philasophe du sens commun nanive done a soustrairé 368 averitéce Gg la controverse quien les maintenant au niveau d'idees Vagues, indétermanées, en refusant de les clarifier. de bes expliciter. les jugeam’ claires et distinctes au départ, tout en reconmaissant tres généralement qu'elbes sont indéfinissables. Em particulier. la perspective Cartésienne de Reid exclut l'interprétution. Couverture. le pluralisme Pour tomber dans le dogmatisme. aLe raisonnable d'une époque n'est pas le raisonmable d'une autre ; il peut varier comme le sens commun, fait remarquer M. Perelman dans. «Le rationnel et le raisonnables ("). Vouloir que le sens commun soit immuable, ¢'est vouloir le rattacher a un idéal de rotbonaliné que Ml. Perelman condanine 4 juste tire comme Wop ctriqué. Si Reid a voulu échapper a la raison prise dans un sens trop restreint par Hume. c'est Pour remonter 4 des principes de sens commun intuitifs, evidents of immuables. Ce faisamt. il est tombe dans le dogmatism. dans une {0 In be Chomp ie Rereeewaries, Brevis, Prem Universitaires, 1970. p. 244 119) Communication as Sympeuum en [henneue de Profeaqur | Recasers-Sites. a Menino en 19S L'ARGUMENTATION ET LE RAISONNABLE 218 Philosophie «premitres, fermamt la voile 4 des changements qui ne soient pas de nviure puremem cumulative. Cest price 4 Taccent mis sur le caractere wague. indeterminé des notions que M, Perelman réintraduit le meuvenient, la possibilite devolution. de progres dans le sens commun. 5'il est vrai. comme Reid Vaffirmait avec foros. que le née] commun doit servir de point de départ au philosophe. Jui fournissint. souligme M. Perelman. des eritéres: indépendants des autres systemes philosophiques, ce reel conumiuin nest ni clair, ni immuable, mais sujet 4 inverprétation et 4 évoludon. C'est en posiulant une adéquation parfaite, de par la volonté divine. entre les structures de lesprit humain connaissant et celles du monde que Reid a ferme la voie wu changement, $i lon renonce 4 ce postulat en méme temps qué la quete de certitude fondde sur lévidenoe et que l'on insiste, comme le fait M. Perelman. sur le caractére social et historique de la connaissance. l'on peut parfaitement repousser comme déraisonnable le doute qui ne tient pas compte des croyances du sens commun él prendre Pune de celles

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