LE SENS COMMUN CONTRE LE DETERMINISME
11 est impossible de faire une inférence sans prendre quelque
‘chose pour accordé. En d'autres termes, toute inférence repose sur
ce qui no peut étre inféré, toute inférence présuppose une croyance
en une these qui n'est pas susceptible de démonstration, et qu'on
peut appeler une donnée naturelle. Les mathématiques, par exemple,
font pour base une chose qui ne peut étre inférée, une chose indé~
montrable, & savoir ces données naturelles cohérentes qu’on nomme
les axiomes. De méme a Ja base de toute autre science, en prenant
ce mot au sens strict, se trouve ce qui ne peut étre inféré, ce qui ne
peut étre prouvé : par exemple, existence du Moi et de quelque
chose de différent da Moi, & savoir univers matériel extériour au
Moi. Toutes les théses yui arrivent % notre connaissance par Tex-
perience sont des données inaccessibles & l'inférence : les sciences
inductives n'ont d’autre fondement que de pareilles theses. L'expé-
vience d’od Descartes tira son fameux « Cogito » envelope une
donnée qui ne doit rien a Vinférence. (Pour le dire en passant, Des-
cartes s'est trompé en prenant le « Cogito » pour une évidence d’ot
il pouvait inférer Pexistence du Mol. Le « Cogito » enveloppait la
connaissance du Moi aussi bien que celle d'une certaine pensée; il
ne pouvait done servir & établir par voie d’évidence, de preuve, la
connaissance du Moi. L’argumentation de Deseartes n'est qu'un
simulacre de démonstration.)
Toute explication, comme toute inférence, repose sur des données
naturelles. En tant qu'une donnée naturelle a la vertu de nou
inciler & croire vraies certaines autres theses, on dit qu'elle pos-
séde une puissance d'explication. Il y a deux sortes d'explications :
@abord les données naturelles elles-mémes; puis les theses aceré—
ditées dans notre esprit par vole d’inférence, les conclusions. Une464 REVUE puiLosoPaiQUE .
explication de la seconde sorte présuppose une donnée naturelle
dont la puissance explication est la condition sine qua non de la
‘Sienne propre. C'est ainsi que toufe explication en mathématiques
Aépend des axiomes mathématiques. Quant aux sciences inductives,
{leat de Pessence de toute expérience d’envelopper quelque donnée
naturelle, et c'est sar ces données que reposent toutes leurs expli-
‘cations. La preuve par laquelle Galilée renversa cette donnée, que
ja terre est immobile, tire sa puissance d'explication de celle meme
des données naturelles qu'elle presuppose. Semblablement, la preuve
par laquelle Vhypothése darwinienne a renvers6, ou peu sen faut,
Ja donnée de Timmutabilité des espéces, doit toute sa puissance
explication celle des données naturelles qu’elle-méme présup-
pose. Quand une hypothése révolutionnaire renverse une donnée
haturelle, la victoire de celle-ci est due surtout & Ja puissance supé-
Tieure d'explication qui eppartient & certaines données naturelles.
‘Telle est la dépendance de toute inférence et de toute explication &
Yégara des données naturelles. Maintenant il arrive souvent quel'es-
pnit, en tant que source de données naturelles, en produit qui sont
Jncchérentes, comme celle de Vimmobilité de la terre; et alors la
Raison, intolérante de toute incohérence, exige la suppression de ces
données. Placé devant ce dilemmne, esprit n'a que le choix de prendre
Je gouvernail, ou d’eller 2 la dérive. Mais la Raison, le sens commun,
te sentiment de la dignité humaine, nous interdisent de nous laisser
Aériver. Or gouverner, iei, c'est avoir recours & une innovation cho-
{quanto + il ne s'agit de rien moins que d'une intervention arbitraire
Gang les démarches de V'entendement, dune irruption de l'arbitraire
dans Vintinité, jusqu‘ici sacrée, ot sélabore la connaissance,
une mainmise arbitraire enfin sur les matériaux de cette con
haissance. Or qu’est-co que cela, sinon le scepticisme méme &
Poouvre, fabriquant des contrefacons de croyances, et les affublant
du nom de connaissance? Ce n'est en effet guére que cela, si Yon
‘compte pour rien la foi : ot esprit humain est un si misérable pis
aller, il est si désespérément incapable de toute certitude légitime
selon la logique, qu'il Ini faudrait bien, ayant & choisir de deux
‘maux le moindre, s'accommoder méme de ce peu. Le sens commun
survient alors, appuyé sur la foi, — 1a foi en Pesprit humain et par-
ticulierement en Ia faculté morale; — il offre de prendre en main lo
‘gouvernail, et d’en user conformément & une méthode de recherche
dont la régle capitale est de respoctar les données naturelles fonda
‘mentales quand elles sont cohsrentes. (F'appelle fondamentales les
données qui servent de base & une portion considérable du systéme
des croyances humaines.) Cette régle capitale s'applique méme auxCLAY, — Le SENS COMMUN cONTRE Le DETERMINISWE ABS
données qui ne sont cohérentes qu’en partic : en pareil cas, Ie sens
commun s‘attache & la partie de la donnée qui est cohérente, et fait
bon marché du reste. Exemple, cette donnée, que homme est une
chose durable : on vient & s'apercevoir qu'elle est fausse au regard
du corps humain; mais elle n’est pas nécessairement fatisse en tout
point, puisque Thomme peut étre, en l'une de ses parties, cette
chose durable qu’on_appelle I’amo; cela étant, le sens commun, sur
Yantorité de la donnée en question, tiendra que Thomme est en
partie une ame, et par Ia une chose durable, De méme, quand on
S‘apercoit que la donnée naturelle relative & notre libre arbitre est
incohérente au regard d'une certaine espdce d'actes jusque-Ii con-
sidérés comme volontaires, elle ne devra pas moins étre tonue
our valide au regard d'autres actes, & propos desquels il n’a pas été
prouvé qu’elle fat incohérente. Crest IA une innovation surprenan te
sans doute, mais on la trouvera fort prudente si l'on veut. bien con=
sidérer Yautro branche du dilemme,
Cela dit, exposé qui va suivro, concernant la volonté, est valable
exclusivement aux yeux de ceux qui subissent assez 'empire du
sens commun pour accepter 1a régle capitale de la méthode de
recherche qui lui est propre, la régle du respect pour les don-
nées naturelles cohérentes,
Parmi les données naturelles fondamentales, 'une des plus impor
tantes est que nous sommes des agents libres, doués du pouvoir de
choisir, de préférer entre deux motifs le plus faible. Si nous ne
sommes pas des agents libres, Ia faculté morale n'est qa’une men-
tense, les idées de droit et de tort me sont que des mensonges. Si
nous sommes de simples jouets de la Nature, et par Ia da Destin, le
meurtrier est aussi innocent de son mourtre que le couteen méme
dont il se sert.
\Nier que nous soyons das agents libres, c'est ruiner en nous tous
les éléments qui tendent a faire que l'individu s'accommode, sincere-
Fement et avec abnégation, au bien de la société; e'est obliger la
société de ne compter pour sa protection que sur un régime de ter~
reur. Tout ce quill y a d'infernal dans la nature humaine ne demande
qu’a secouer la chaine du libre arbitre; a Ven eroire, la donnée qui
eoncerne notre liberté Waction serait frappée d'incohérence. Sup-
posez que cette incohéronce vienne & étre prowvée : la cause de la
donté morale, de la dignité humaine et du bien-étre des hommes,
fest une cause perdue, Au cas contraire, ce quill y a de divin dans
Vhomme s‘attachera & la donnée contestée, et anra pour s'appuyer la
logique, c'est-A-dire la Raison et le sons commun; le principe divin
ura alors & sa charge de réfuter tout argument tendant & prouver
‘rows xvi. — 1889, 30368 REVUE PHILOSoPsIOUE
Vincohérence, mais il n’aura pas & démontrer antrement notre
liberté : en effet, vouloir prouver une donnée naturelle cohérente,
c'est vouloir dorer de Yor fin, Maintenant, quand on accuse une
donnée dinechérenee, on suppose par la méme qu'il est impossible
@imaginer une hypothdse ot Ia donnée serait cohérente; et pour
rréfuter 'acensation, il sufft de produire une telle hypothése. Tl est
‘vrai qu'il peut y avoir plusieurs hypotheses répondant & cette con-
ition, ot celle qu’on produit pent n’etre pas la vraie, ou n’étre qu'en
partie’ vraie. Mais vraie ou non, elle réfute Vaccusation, et elle
Aovrait suffire & rétablir la donnée dans ses droits. Toutefois ici inter-
‘vient une Joi “dont personne jusqu’a ce jour n'a fait mention. Les
croyances primaires, celles qui ont trait aux données naturelles, ne
se remettent jamais tout & fait du choc que leur imprime un doute
sérieux. Elles perdent pour toujours cette ferme certitude qu’elles
possédaient. ‘Tout ce que peuvent faire pour elles la Raison et le
Sens commun, crest de leur donner pour appui une opinion forte.
Et cest ici qu'un acte d’arbitrage peut leur venir en aide et les:
Stayer. Ainsi done, on a beau repousser 'assaut que le déterminisme
dirige contre la donnée du libre arbitre, cette donnée n’en perd pas
moins sans retour son erédit primitif, et ce qui aggrave cette dé-
chéance, cest que argument dont on so sert pour repousser T'at~
taque substitue une hypothése & ce qui était une certitude; ot ce qui
‘est bien pis encore, cette hypothése, on peut considérer quelle est
seulement une des hypothéses multiples également propres a cette
réfutation, et qui forment comme une région des possibles, ob Yes~
prit est libre de vagabonder & son caprice. La Raison et le sens
Commun avouent quills ne peuvent se passer d'un arbitrage pour
Gtablir ce quils déclarent étre Popinion préférable, & savoir celle-ci,
{que la donnée contestée est vraie. Aussi, en fait de choses prouvées,
je m'en tiendrai ici & démontrer que la donnée relative au libre
arbitre est cohérente et A réclamer qu'elle soit en conséquence tenue
pour vraie; pour le surplus, je ne propose rien de définitif et je me
Thorne & présenter ce qui mo paralt dans les circonstances actuelles
la meilleure théorie provisoire de la Volonté.
uw
La volition ou ce qui s'offre & nous sous ce nom, est la seule espéce
action qui nous apparaisce, dans une donnée naturelle, comme
n’enveloppant aucune passivil6. En toute autre action, Vagent est
‘aussi pationt. Un corps qui en choque un autre est, a "égard du choc,CLAY. — Ux SENS commun coxTRE LE DéremumIsME 467
patient aussi bien qu’agent. Quand la poudro en faisant explosion
‘chasse lo boulet, elle n'est pas moins passive qu’active. Un corps qui
se meut, mais sans en choquer un antre, est uniquement patient, et
n'est nullement agent. Nous appellerons activité pure celle qui nvim-
plique aucune passivité, et activité impure celle qui implique quelque
passivité. L'activité pure, si toutefois la chose existe, appartient en
propre A la volonté : elle est la différonce spécifique de la volition,
Toute action pure est volition; toute volition est action pure. Sup-
posez qu'il n’existe aucune volition: il n'existera aucune action pure.
Lid6e de volonté et celle de volition se trouvent par Ih bien définies,
nettement sépardes de toute autre idée : l'une est l'idée du ponvoir
ou de la faculté d'agir de Ia fagon appelée action pure; autre est
idée de Vaction pure elle-méme. Ces définitions ne souldvent nulle
question : elles n'impliquent en effet pas qu'il y ait des réalités cor-
respondant aux idées définies.
‘Naintenant la donnée d’aprés laquelle ily aurait parmi les activites
humaines une espace qui serait activité pure, cette donnée, & sup-
poser méme qu’elle contienne du vrai, n'est pas vrale entiérement,
On a confondu avee les actions dont on peut sans ineohérence sou-
tenir qu’elles sont pures, d'autres actions qui sont certainement
impures, et la donnéo n’a pas distingué ot exclu ces dernitres. Je
les mets & part sous le nom d’actes d’instinct intentionnel, Pour jus-
tifier analyse que je ferai de ces actes, je dois d/abord expliquer o2
que jfentends par instinct, par intention, et par instinct intontionnel,
Par instinct, jfentends Yattribut propre aux étres animés et que
présupposent des actions qui semblent étre volontaires et ne Ie sont
pas : la différence spécifique des actes instinctifs, c'est d'étre pseudo-
volontaives.
Une intention, c’est une tendanco normale et non morhide * de
Yesprit, qui détermine le sujet a agir ou s'ebstenir en telle ou telle
occasion conformément & une idée donnée. Une intention n'est pas
un acte; elle n'est pas une volition. Liée par un lien intime avec la
volonté, et aussi avec une espéce dinstinct qui a jusqu’ici passé pour
de la volonté, intention est exposée & étre prise & tort pour un acte
volontaire. En tant qu’elle est fendance ot non acte, elle differe de
Ia résolution, avee laquelle on la confond communément, Une réso-
lution est un acte de la volonté, ou d'un instinet qui passe pour étre
Ja volonté, acte qui a ordinairement, sinon invariablement, pour
effet immédiat * et antérieur & toute réflexion philosophique, une
4. Les mols « normal » ou « non morbide », dans fe sens oils sont pris il,
seront tout 2 Theure Fobjot dane explication.
2: Pour fe iomentyity auralt quelque violence & rhdure le sens du mot volition408 REVUE ParcosoPmrquss
intention. La tendanee qu'on appelle intention semble faire suite &
acte qu’on appelle résolution : de Ia la confusion établie entre T'in-
tention d'une part, et de Pautre 'acte, la volition, la résolution. Ce
‘qui favorise cette confusion, c'est que Vintention est Ja différence
dune cerisine espéce dactes : on confond aisément les actes aveo
leur ativibut spéeifique.
‘Nous savons maintenant ce que c'est que Vintention. Je poursuis,
ot je remarque que les actes instinctifs sont tantdt intentionnels et
tantOt non intentionnels; que parfois ils procédent d'une intention
t parfois non. Quand enfant tette pour la premiére fois, il accom-
hit un acte instinetif qui est non intentionnel; mais les actes ulté-
Heurs du méme ordre procédent chez lui d’une intention : ce sont
des actes instinctifs intentionnels. L'instinet, quand il est source
@actes intentionnels, peut s'appeler instinct infentionnel; quand il
fest source dactes non intentionnels, il est instinet aveugle. Jus-
‘qu’lci on @ cra h tort que cette dernidre espéce, instinct aveuglo,
fenveloppait le genre tout entier. Généralement, on n’a pas rangé
‘parmi les instincts nos penchants, tels que nos appétits et nos pas-
Sions. Il arrive quelquefois, mais ce n'est pas une regle générale,
jqu’on les range parmi les instincts, par voie d’allusion et implicite-
‘ment. Lorsque les penchants entrent en action, c'est tantot en agis~
‘sant comme forces instigatrices, et tantOt comme sources de motifs.
Dans ce dernier cas, ils déférent aux ordres dela volonté qui peut
soit leur opposer un refus, soit acquiescer et les transformer pour
‘ainsi dire en intention, Eh bien! le penchant, sous Ia forme de force
{nstigatrice, et non de simple source de motifs, voila précisément
Tespéce du genre instinct qu'on a jusqu’ici confondue avec la volonté.
‘La cause de cette confusion, c'est que d'une part le penchant est
intentionnel, et d’autre part’ on confond ordinairement T'intention
avec la volition. Il y @ une telle convenance, une utilité si capitale,
| élargir ainsi l'idée d'instinct jusqu’a y englober 'espéce que j'ap-
pelle instinct intentionnel, que jen’ai pas besoin, je pense, de justifier
cette opération.
‘Les actes intentionnels peuvent etre ou volontaires ot instinetifs
tis sont volontaires quand ils'ont pour cause une volition; instinetits,
tus volitons dans le eens sine, et & on exelore tes actas instincts gut, & cause
{Is lout resemblance avee 1a volition, oat ble considérés comme dee valltons
Seltabless Assurement, est deja chogaant de dogner le nom de desselo & ce
[golnous appersitnettement comme dant ue simple contrefon de la volition,
{pose cornie tlle & Tosprit par Tiastlaet; mats Ie seait plas encore, pour le
moment de violent outes niewire Phebitude mentale qui nous fltairibuer le
‘om de deseein& cersigescon(refacons Ge la valllon Ga serat écorcher vive une
peau quisJans Pordre de la antare,devra taller delle-ntae et tombe.CLAY, — Ls SeNS coumUN coNrBE Le pévennmsHe — 469
quand ils ont pour cause un instinct. Il importe de distinguer entre
les actes intentionnels volontaires et les volitions : Ies uns comme
les autres sont des effets de la volonté, mais les premiers en sont des
effets éloignés, les autres des effets directs; ceux-l’ sont les effets
une intention, ceux-ei ne le ont point. Un homme forme le dessein
@accomplir par obéissance au devoir yne certains action qui est
pénible; ce dessein est une volition; il a pour effet une intention
@accomplir Paction pénible dont il s'agit; cette intention, en tant
quielle procéde d'une volition, est volontaire, et en tant qu'elle pro-
cade d'une intention, elle est intentionnelle.
Il arrive, pour beaucoup dentro nos actes intentionnels, que nous
sommes mus pat wne force instigatrice, par un instinct intentionnel :
c'est ce qui apparait clairement, quand V'acte se produit en dépit
done décision prise de Marréter. Ainsi nous prenons la résolution de
nous défaire d'une mauvaise habitude, et nous sommes nonobstant
amends & y céder, et les actes par lesquels nous y cédons sont des
actes intentionnels. Nous prenons la résolution dene pas nous laisser
aller & Ja colére dans une conversation & laquelle nous nous atten
dons, et voila que la eolre éclate on dépit de notre surveillance, et
* en des actes intentionnels. Nous décidons den finir avec toute affec-
tation, avee toute vanterie; et nous nous surprenons en train de
donner carridre & l'une et & autre. Nous nous apercevons parfois
‘que nous subissons une intention que, d'aprés le témoignage de
notre mémoire, nous n’avons pas formée volontairement. La colére
fn particulier sait engendrer de ces intentions involontaires. Mal~
hheureusement, nous sommes si oblus quand il s'agit de nous exa~
miner nous-mémes, que la découverte d'une intention involontaire
fest un fait d'expérience fort rare. Rien pourtant qui jette un jour
plus vifsur linstint et sur la volonté, rien qui les metie en un reliet
plus marqué
‘Nous avons une tendance A admettre que l'acte de choisir est un
6lément essentiel de Ja volition; quo vouloir, c'est choisir. Mais une
‘chose ost manifeste, c'est que, pour qu'ily ait choix, la condition sine
‘qua non est la présence de deux motifs pesant en sens opposés sur
esprit, et eréant ce qu'on peut appeler en termes techniques une
alternative pratique. Et ce qui est également manifeste, c'est que la
tres grande majorité de nos volitions ou de ce qui nous paralt en
tre, a lieu en absence de toute alternative pratique, et & la suite
de motifs qui n’ont pas été combattus. Done la trés grande majorité
de ce qui nous semble étre nos volitions exclut toute espéce de choix.
‘Sensuit-il que co sojent 1& des actes instinetifs? En aucune facon.
Ii n'y a pas d'incohérence & concovoir un acte intelligent qui n'est ni40 SYUE PEHLOSOPAIOUE
intentionne! ni accompagné de choix, et i est probable quiici la réa-
Jité correspond & la conception. Nous avons des raisons pressantes,
bien plus, concluantes, de croire que l'homme est un composé de
corps et dame que dans les actes produits par V'nstinet intention-
nel, le corps agit. sur lame, lame étant ici le patient, et le corps
Yagent; tandis que, dans Paction pure ou volition, c'est V'ame seule
qui est agent‘. Et ce n’est pas seulement dans 'acte de choisir qu'elle
‘eat seule agent, elle peut V’étre aussi quand elle céde & un motif que
rion ne combat. Cela posé, admettre lnypothése que le choix est un
Alément essentiel de Ia volition, c'est sous-entendre que T'amo est
incapable d'ectivité pure sauf quand elle @ Voccasion de choisir, et
ue par suite, en dehors des occasions de ce genre, elle est simple-
‘ment un jouet que fait mouvoir le corps, que dirigent les forces phy-
siques inconscientes. L’hypothése au contraire que 19 choix n'est
pas indispensable dans la volition, sauve do ce péril la dignité hu-
maine, et nous permet de eroire& Ja possiblité, pour ame, darriver
A prendre sur le corps assez d’ascendant pour substituer en beaucoup
de cas la volition a Faction de Tinstinct intentionnel, si bien que ce
qui n'est actuellement qu'en apparence activité personnelle le de~
vvienne en réalité pour sa presque totalité. Je forai voir que, selon la
raison et le sens commun, cette hypothése est vraie, ou da moins
que opinion d'aprés laquelle elle est vraio est Yopinion préférablo,
Mais avant den venir Ih j'ai d'abord & réfater le Déterminisme, et
pour cola & montrer que Tidée de ce choix est cohérente, et que
‘cohérente aussi est la donnée naturelle oi nous nous apparaissons &
nous-mémes comme accomplissant l'acte de choisir.
Qu’est-ce done que choisir? Jusqu'iei_ nous n’avons examiné cot
acte qu’a travers Midée vague que sen fait le vulgaire. Maintenant il
agit de la mettre dans lalambic du philosophe, de la distiller, et
en extraire une idée précise du choix. La diflgrence qu'il y a entre
choix et préférence a jusqu‘iet échappé & tout le monde; autant que
je peux savoir, elle na jamais 616 mentionnée au cours de Ia discus-
sion si longue pourtant & laquelle @ donné liew I question du libre
arbitre, La préférence est le geure; le choix n'en est qu'une espéce.
Le genre se diviso on deux sous-gonres : la préférence affective ot
Ja préférence pratique. On dit que nous préférons une chose quand
nous la trouvons meilleure, ainsi quand nous trouvons ce tablean
meilleur que cet autre, ee podme meilleur que celui, le boeuf me
leur que le mouton. Cette appréciation n’est pas un acte : elle n’a rien
de pratique, elle est purement affective. De son c6té, la préférence
4. Voir Pltematic, live I, ehapitee wy.CLAY, — ts sexs couMun contre LE vérsnmusus 474
pratique est une espéce du genre action, Lorsque, dans une bouti-
‘gue, jo compare deux ou plusieurs objets, avec la pensée d’achetor
Gelui qui me convient le mieux, que jfachéte Tun et que je laisse
autre, fexerce Ia une préférence qui est bien un aote: c'est une pré~
ference pratique. Je fais quelque chose, je me mets en possession
aun objet et je Te paye, et jen rejette un autre. Ce genre d'acte nous
‘offre un exemple de la préférence pratique. Le sous-genre, préfé~
rence pratique, se divise en deux espéces : colle oit agent est dans
ta nécessité de préfirer ce qu'il préfére, et l'autre. Crest cette der
nnitre que, dans les disoussions sur le libre arbitre, on désigne sous
e nom de choix. Maintenant considérez au milieu de quelle confa~
sion s'agitaient ces discussions, tant qu’elles se fondaient sur T'idée
Vulgaive de choix. D’apris cette idée, I'acte de l'schoteur de tout &
Theure est un choix; il y a choix tout aussi bien & adopter un raban
_qa's adopter le dessein @obeir au devoir plutot qu’a un désir con
fraire et plus fort. Iln'est pas étonnant aprés cela que tout le monde,
saut peuteétre quelques gens qui ne sont pas du monde, soit sur Te
chemin du Déterminisme. Si Yon part de la notion confuse du choix,
“qui ost celle de tout le monde, si l'on est avec lui Fesclave du désir
te plus fort, on devra invariablement, done néoessairement, choisir
ce quion désire Je plus; tout choix supposera auparavant un désir
supérieur en force, qui aura ea pour objet Ia chose méme qu’on
‘choisit. Lo monde navait pas fait 'expérience de cette chose si rare,
Te choix au sens strict da mot, ee qui Ini ett été nécessaire pour arrd~
ter au passage T'idéo qu’il se faisait du choix et pour la purger de
‘tout alliage : en effet, choisir c'est étre capable d’abnégation, de 'ab-
négation quil y a & repousser Ie motif le plus fort; et cest de quot
bien pou d°hommes ont été capables jusqu‘ici.
‘Oui, le pouvoir de choisir repose sur le pouvoir de se dévoucr, de
sinfliger la douleur de rejeter le motif le plus fort. Quiconque ne
posséde pas ce pouvoir n'est pas capable de faire un choix. Quand il
.se figure avoir choisi, ila tout simplement exercé ce que j'appellerai
le pouvoir de préférer sans choisir. Je ne veux pas dire que tout
choix implique nécessairement abnégation; un mauvais choix au
‘contraire exclut toute abnégation : je dis simplement que choisir
Gest avoir le faculté do faire abnégation de soi-méme. Si toute
‘Gémarche humaine était nécessairement conforme au désir le plus
fort, le choix, au sons strict du mot, serait chose impossible.
‘Est-ce que les acies au sujet desquels I'agent a eu envisager une
alternative pratique, les actes qui semblent par suite étre les résul~
fats d'un choix, sont tous volontaires? Nullement. Dans toute alter~
native pratique ob nee trouvent pas opposésl'un &Y'autre la dignité2 REVUE PEosoPmOUs
une part, principalement sous la forme du devoir, et autre part
tun objet supérieurement désirable, il n'y a aucune place pour un
choix. Je m'explique. D'abord il existe deux sortes, opposées entre
elles, de raisons de préférence. Quand un motif de prudence a &
Jutter contre un motif de Pordre de la passion ou de Pappétit, les rale
sons de préférence, contraires entre elles, et que les motifs impli
quent respectivement, sont de la méme sorte : au fond, de part et
autre il s'agit d’éviter 1a douleur. Mais quand la dignité, et spéciale-
‘ment Ie devoir, est une des raisons en présenee, et que autre est un
objet supérieurement désirable, alors los raisons contraires ne sont
plus de la méme sorte : la premiére implique, au moins comme un
de ses éléments, comme élément essentiel, quelque chose qui n'est
pas un péril & éviter. Dans le premier des deux eas qui viennent
d'etre exposes, Ja lutte des raisons de préférence ne laisse pas place
pour une intervention de la Volonté : il n'y a pas matiére & choisir
quand il n'y a en présenco qu'un objet moins désirable et un plus
Aésirable, celuici accompagné de la raison qui doit le faire prétérer,
Une peut pas y avoir de débat sérieux sur le point de savoir si nous
ferons ce qui est moins désirable ou co qui Vest plus. Sidone il ne
ouvait exister d’autre raison de prélérence qu’une douleur & éviter,
ni choix ni volonté par conséquent ne seraient possibles. Je ne m'at~
réte pas A la question oiseuse de savoir si des motifs opposés ot
égeux ne donneraient pas lieu & un choix, et si Pesprit ne pourrait
[pas étre suspendu entre deux motifs opposés, comme Pane de Buri
dan entre ses deux bottes de foin. Je poursuis. Est-ce que ce qu'il
Y¥ a de désirable dans la dignité est le seul titre qu'elle ait & devenit
‘uno raison de préférence? Il est essentiel& Jn dignité d'etre agréable
cet par la désirable : ne peut-on dés lors présumer — nous devrions
dire, tenir pour accordé — que quand la dignité est préférée, c'est
quelle est plas désirable que ne le sont les objets des passions qui
constituent les motifs contraires? Pour résoudre cette question, on
nofpeut recourir au critérium qui consiste & constater Vincohérenco
dela thése contradictoire; le critérium de la vraisemblance ne pax
rait pas non plus & premigre vue nous conduire & la solution la meil-
eure. Mais le principe du respect qu'on doit aux données naturelles
‘ohérentes réclame du sens commun un acte d’arbitrage en faveur de
Ia solation Ia meilleure : en effet il n'y a pas d'autre moyen de maine
tenir cette donnée, que "homme a un pouvoir de eboisir. En outre
nous avons, en faveur de cette solution, le témoignage de quiconque
‘a véou selon le devoir. Celui-la sait, par son expérience intime, que Ie
Gevoir, en dehors du caractére désirable qu'il peut avoir, est une raic
son suffisante de préférence. C'est 1A un fait manifeste. Quand, dansCLAY. — LE SENS COMMUN coNTRE Le DérEMUNISME — 473
Je cceurde "homme du devoir, la passion, Vappétit, atteignent A leur
comble, et quand Ie sentiment du devoir devient si faible que lui-
‘méme s’étonne comment il peut y demeurer attaché, c'est alors qu'il
s'apercoit quill a affaire a une raison do proférence qui n'est pas sim-
plement une peine & éviter. Voici une preuve plus forte encore : It
arrive qu'un homme parvenu au milieu do sa vie, exempt dailleurs de
toute croyance& un chatiment aprés la mort, s'arréte sur la mauvaise
route, s'engage & vivre désormais solon les principes chrétiens, et les
suit en effet jusqu’d Ia fin do ses jours. Il n'est pas croyable qu’a
partir de sa conversion jusqu’au terme de sa vie il n’a jamais été solli-
cité par un motif mauvais et supérieur en force au motif chrétien, que
malgré cela il préfére. Liinduction attest que cela est en effet fort
improbable. Ilsemble doncbien qu'il soit dans essence du choix, que
esprit qui choisit se place en fave d’un couple de raisons contraires,
dont l'une est la dignits inséparable du devoir, V'autre la supériorité,
au point de vue de nos désirs, de l'acte que le devoir défend, ou de
abstention & l’égard d’un acte que le devoir commande. Ainsi done
Ia volonté, comme pouvoir de choisir, a affaire uniquement aux
alternatives pratiques dans lesquelies le symbole mental du devoir
figure & titre de motif et de raison de préférence.
‘Tout choix suppose : 4° une personne, un agent personnel; 9° un
pouvoir de choisir qui appartient & cette personne; 3° chez Ta per-
sonne, la conscience de deux motifs opposés constituant ce que
nous appelons une alternative pratique. Ce sont 1a trois choses que
le choix suppose manifestemont; et il y faut ajouter les diverses
circonstances que ces trois choses supposent a leur tour : ainsi le
temps, espace, un univers extérieur & Ja personne. Il est une autre
condition que le choix suppose encore, mais d'une manidre qui n'est
plus manifeste : & savoir Vintention, imposée & la personne par les
conjonctures ott elle est, de prendre une résolution conforme & l'un
ow autre des motifs opposés : entender bien, a un ow & Pautre, ot
nhon A celuizci ow & celui-id. Cette intention n’est pas tun choix : c'est
lune tendance de esprit. Tels sont les divers éléments qui compo-
sent T'antécédent direct et voisin du choix: il se peut d'ailleurs que
‘cet antécédent comporte encore d’autres éléments. La personne qui
est supposée comme antécédent immédiat du choix, est inactive
ce qui semble impliquer qu’elle ne peut pas étre cause du choi
car comment une chose inactive serait-elle cause? Nous aurons &
revenir sur cette importante question. Choisir, c'est & Ia fois préférer
tun des deux motifs opposés, former la résolution de se comporter
conformément au motif préféré, c'est aussi pour esprit en tant que
volonté se déterminer et devenir cause dune intention. Ce ne sont44 ALYOE PHILOsoPAIOUE
Ih @’ailleurs que les aspects multiples d’une seule et méme chose,
comme Ia montée et In descents sont les deux aspects d'une pente.
La résolution de se comporter conformément au motif préféré est
tun choix, car la personne qui forme la résolution n'est pas nécessitée
& préférer tel ou tel des motifs contraires; elle est aussi la cause
une tendance de Vesprit & agir selon une idée donnée, tendance
ou intention qu’on a jusqu‘iei prise & tort pour une volition, parce
qu’on la confondait avec la résolution facultative dont elle est seule
ment Veffet. Le choix, remarquez-le bien, résulte immédiatement,
non d'un événement, d'un changement qui en serait antéeédent
direct, mais d'une qualité : cette qualité, c'est la Volonté, Ainsi,
préparé par la considération d'une alternative pratique comportant
des raisons opposées de préférence, excité par un conflit entre ses
propres désirs, l'agent volontaire rompt son inaction, et cela par
tun acte qui est & la fois une résolution, une préférence et un choix;
exempt de toule nécessité de préférer tel ou tel des deux motile
ccontraires, il en préfere un, et sa résolution n'est point un événe-
‘ment cause, elle est seulement un événement oceasionné. Notez
ici que le choix se produit & une place intermédiaire entre deux
intentions : one, Cest intention examiner, ne fit-ee qu'un
instant, une alternative pratique qui se présente, et cela en vue
Gaboutir 4 une préférence; Vautre est Veffet au choix, et doit par
suite étre regardée comme une intention voloniaire. Ces deux
intentions n'ont pas été jusqu’ici distinguées du choix ou volition :
Vane en est pourtant Vantécédent; ot Yautre, lo conséquent.
‘Nous possédons maintenant une idée dédinie du choix, et il nous
¥ apparait comme étant une espace de volition. Toute volition est
‘ou n'est pas une préférence. La volition-prélérence est ou libre ou
néeessitée: elle est libre quant agent n'est pas nécessité a préférer
ce quill préfére. Un choix est une volition-préférence qui est libre,
une libre préférence. IL n'y a rien au monde do plus intelligible,
je ne me trompe, que Tidée de libre préférence ou de cholx. Pour
‘ce qui est de Ja cohérence et de la clarté, Vidée de choix est une
idée sans défaut. En analysant, nous avons réfuté une des princi-
ales objections qu’éléve contre elle le Déterminisme, & savoir
ceolle-ci, que tout choix serait un acte irrationnel, Nous avons fait
voir au contraire qu'il est essontiol au choix de se référer & des rai-
sons opposées. Poursuivons : Je vais maintenant réfuter toutes les
autres objections dont Jai connaissance, La donnée naturelle qui
nous aecorde le pouvoir de choisir est Te fondement duno parti
‘capitale des croyances humaines. Il est déraisonnable de la contester
tant quill ne séléve contre elle aucune accusation dineohérence,CLAY, — Un SENS COMMUN cORTRE LE oérenmivsMe ATS
Si je réfute toutes celles qu'on a formulées, j‘aurai fait tout ce que le
Raison exige pour la restauration de la doctrine du libre arbitre.
um
Dans son traité bien connu sur ta Volonté (2° partie, sect. 4-2),
Jonathan Edwards objecte a la doctrine du libre arbitre, que tout
‘ehoix suppose une détermination de Vesprit, en tant que Volonté,
par lui-méme ; que toute détermination, étant un événement, suppose
tun autre événement qui est sa cause, celui-ci un autre, et ainsi de
‘suite & V'inflni, Cette objection se trouve implicitement réfutée par
notre analyse de l'acte de choisir: nous y avons vu, en effet, que
‘choisir est, pour lesprit en tant que Volonté, se déterminer soi-
méme; ce ne sont la que deux aspects d’une seule et méme chose.
Une autre objection au libre arbitre repose sur cette idée pré=
congue, que la Volonté est simplement le pouvoir de causer une
action conforme au jugement final de Ventendement; chaque fois
quil y a volition, Mentendement formerait un jugement final, décla-
‘rant que tel ou tel des deux motifs en présence est préférable, aprés
quoi la volonté préférerait nécessairement le motif désigné. Un
‘motif préférable! A quel point de vue, préférable? D'abord, il est
rare qu'un jugement serve d’antéeédent voisin et direct & un acte de
chois. Le plus gouvent, bien avant de faire un choix, nous savons
tout ce que nous avons besoin de savoir sur les raisons de préférenc
de chaque motif. Nous savons que, @aprés un certain criterium, il
est préférable de régler nos préférences sur le devoir, et que, d’aprés
‘un autre, il est préférable d'éviter la douleur qui accompagne T'ac~
‘complissement du devoir. Nous avons done & choisir, non seulement
centre des motifs contraires et des raisons de préférence opposées
‘entre elles, mais aussi entre des critéres opposés de ee qui est pré-
férable, le critére moral et Je critére du plus désirable. Entre le
Aevoir et le plus désirable il n'existe pas de commune mesure, pas
de balance pour déterminer lequel des deux est plus désirable que
Yautre, II n'y a pas place pour un jugement final capable de réduire
Ja Volonté & opter pour T'un des deux termes de Valternative pra-
tique. Sans doute, il y a une question qui doit étre résolue par une
référence : mais ce n'est pas & la faculté de juger que cette ques-
tion s‘adresse, La question n'est pas en effet : « Qu’est-ce qui est
préférable? » mais bien : « Faut-il, oui ou non, m’exposer a la dou-
leur d'accomplir mon devoir? » Le plus souvent « nous voyons ce
qui serait le meilleur parti, et nous suivons Je pire ». Nous savons416 EVE PmILOsoPMIQUR
co qui est préférable au meilleur sens du mot, et nous faisons le
contraire. En voila assez, je crois, pour écarter cette objection, que.
Ta Volonté, dans Vacte de choisir ow qui nous paralt tel, est com-
‘mandée par le jugement final de Ventendement,
On oppose encore & la doctrine du libre arbitve qu'elle est incom-
patible avec Ja théorie de la conservation de la force. Si Yallégation
Gtait vraie, eh bien! ce serait la théorie de 1a conservation de la
force qui devrait succomber. Et en effet elle repose sur une évi-
dence qui n’est pas démonstrative, et il y a absurdité & prétendre:
qu'une évidence de cette sorte peut renverser une donnée naturelle
fondamentale. Mais d'ailleurs le théoréme qu’on pout établir &
aide de cette évidence, ce n’est pas que la quantité de force existant
dans Je monde est toujours la méme, mais bien que la quantité de
pouvoir est toujours la méme : ce qui n'est nullement en désaccord
avee la doctrine du libre arbitre.
La foree, c'est Je pouvoir en activité. Le pouvoir du charbon,
quand il n’est pas enflammé, son pouvoir de devenir feu et par Th
force, est un pouvoir inactif: ce n'est pas encore une force. Le pouvoir
d'une pierre placée au-dessus d'un précipice, sa puissance de deve-
nir en tombant Je sujet de tel ou tel moment mécanique, est un
pouvoir inactif, non une force. C’est par une confusion entre le pou-
voir inactif et la force, qu’on a cru pouvoir utiliser I'évidence qui
sert a établir le théoréime de la permanence de la force, en vue de
prouver que la quantité de force existant dans le monde est toujours,
Ja méme . Tant que la Volonté a été confondue avee Tinstinet inten-
4. Clst 10 un sujet cond, a qui merite plas de dévaloppemeants que en com=
erie coun du tase, Pour dont adoro qu le gant dunes xi
feat 46 quil existe um univers
exlésieur fondamentale ne peut étro bi produto oi
‘toninilge naturallement; 2+ quit y a une realle, dont Tudee e pouvete est le
Symbote meatal, ct qa! est do atlribut de eeite partie fondemental
Gh peat ddaioatoe qi celta paste oa fae Watomos, eerie dive
‘impes, en d'autres termes non compostes eller memes
fn ovlre, que ces stomes sont, sit eolement, sit par Tear
feraters’ do tous ies airibytay que les quelice des sobetances compact
{es composts dos qualltés des atomos: ct quenin cess do eas qualtce qul sont
fea pouroirs, sont ou bien les pouvotrs des alomes, et par site des pouvolssim-
ples; od bien des composée da ces pauvoirs. Perm ik posvotre eo trouve le pou
Yotrde choisir. eat simples it me pout ttre of produit ni sonhilé par es vo
haturelies; ce qul revient hire quit est cine), non dérivé, absolut est ube
Feot colt 8 eerisinsalowes, soit & tous, mals rans pouvoir deven tne force tant
{que som sojet nest pas placé dans lasiuatfon d'une dave par rapport un of
fleme; encore foul ql’alors l'y solt provoque par uno alleralive pratiga
Une fois mis en relation, dela manitre qui il est néeessare, aves une alterna
ligue, lo pouvoir peut detanit Une Toree. Le pouvoir de cholsie ne eaura
leurs nt aecrolire nf diminuer la quantité de pouvoir qut esista dens
‘monde. il peut aire varie la quantile de force, a quanti de mouvement,GLAY, — uf SERS COMMON coNTRE LE DéremmUNIsME ATT
tionnel, on ponvait trouver une sorte de réfutation du libre arbitre
dans les faits oit Yactivité humaine apparait comme sujette & des
lois. Dissiper cette erreur, c'est aussi expliquer comment il n'y a pas
incohérence & admettre & In fois que 1a conduite des hommes soit
conforme & des régles et par IA accessible & la prévision, ot qu’ils
sojent des agents libres, leur conduite n°étant pas pour autant sou
‘a aucune loi. Si jusqu’a présent la conduite des hommes a été
eonforme a des rbgles ot accessible 2 la prévision, c'est qu’elle a &té
surtout affairo d'instinet. Les interventions de la Volonté ont été si
faibles, qu'il n'y a pas Ben tenie compte. Quand elles ont été diri-
‘gées dans le sens du mal, elles n’ont fait que ce que I'instinct meme
‘20t fait, intervention & part ; et quand elles ont ét dans le sens du
bien, elles n'ont pas altéré sonsiblement 1a ligne de conduite des
hommes. Si la Volonté devait un jour, détrdnant Instinct, établir
‘son empire surla race ou sur une société d’hommes, elle ne ferait
que rendre leur conduite plus régulidre et plus accessible a la prévi-
sion :car la volonté ne saurait régnersi la conduite des hommes n'est,
‘vertueuse, et une conduite vertueuse a pour atteibut le maximum de
régularité, Une conduite volontairement manvaise est chose incom-
patible avec Ie régne de Ja volonté, parce qu'elle ruine la faculté
morale, et avec elle certaine condition organique sine qua non de la
volition. Le régne do la Volonté est nécessairement Ie régne de la
sagesse. Pour Ia Volonté, Ia mauvaise conduite équivaut au suicide.
Elle est libre toutefois de s0 conduire bien ou mal, mais non dem-
‘pécher que sa conduite ne soit régullére et accessible & la prévision.
Se conduitelle bien : elle substitue & Ja régularité instinctive une
régularité volontaire ; mal, elle fait surgir une sorte d'image symé-
trique de la régularité instinctive. On le voit done : parce que la
‘et de pression, esla en convertinagnt cortine mouvoments do masse en monve-
fhents moldculaies, et en subsiityant 8 Tégullbre eautique To. mouvement:
‘tins! quand le shatbon ‘vient a Otro enflammé ou quvun support vient a ere
Tire peut faite que des atomes deviennent dev Ames, el par 18 des esprts
Er des aghuts volontaives, cela en amenant la eonpération nécessaire doe sexes.
Ii peat dgelement réduire des Ames Vetat atomes ou causaal leur mort. Male
centoat cala il Welt fquantié de pouvolr esistant dans fe monde.
onside de ee point ire arbilee ne sauralt guidemment (roubler la
Science 4 aneun Wogts il ne'yae point aes preisionsy il esl en harmonle par
fhite ave is lois de la nature. Sans doute les démarches de la volontd, en tant
‘Que eellec eat une faalte do choinr,Sehappeot au caleul ct yar fa ellee ne sont
{fas objet de science sla acience en elet ne cnuntit quo le nécosulo, at la volonte,
Comme feonite do eholsn, est pes aujete a Ta aéeessilay mais la stienee ne pros
{cod point former de provision que ne puisse déranger une action aebitraie, Au
ond, e qu'on appalla Ses prévision, vest un simple ealul da probebilté. Autant
{que ot eopable de prévoi, e Cormos Tui apparait comme pouvant a chaque
‘stant tomber Feta es chads, Comment da for sontiendeaiton que le sconce
porate tne réritable prévoyaace?418 REVUE PuILosoemIQUE
‘conduite des hommes est conforme & des régles et accessible & la
révision, co n'est pas & dire qu’elle soit soumise & une loi; et nous
avons Id un exemple remarquable de ce fait, que se conformer & une
ragle n'est pas nécessairement se conformer & une loi
Les faits d°hypnotisme ont, eux aussi, comme la possibilité de pré-
dire la conduite des hommes, para constituer une réfutation du libre
arbitre. Ils sont parfaitement compatibles avec la liberté. Ils pronvent
seulement existence d'un homie purement instinctif, jouet des
forces inconscientes ; ils s'accordent ailleursaveccelle de homme
nouveau, de I'homme de la Volonté, lequel doit jusqu’acertain point
remplacer, et pour le surplus conduire, homme du pur instinct.
‘Maintenant, fai détruit tous les arguments avec lesquels le Déter-
jnisme a donné lassaut au libre arbitre, en essayant d’en prouver
Vinoohérence. Fai fait voir qu’en ce qui regarde la cohérence, la
donnée naturelle fondamentale, selon laquelle homme est un agent
tibre, échappe & tout reproche. Par conséquent, si la Raison n'est
‘pas dénuée de tout erédit,— ce qui arriverait au eas ot les données
naturelles fondamentales cesseraient d’étre valables, — il faut con
clure que l'homme est parfois un agent libre.
Ww
La Volonté a été définie le pouvoir de choisir. Selon cette défini-
tion, il n'y a d'autres volitions que les actes par lesquels nous faisons
‘un choix : une volition qui n'est pas un choix n’existe point. Pour-
tant, il n'y a pas d'incohérence dans 'idée dune volition qui n'est
ppas un choix, et rien dans l'ensemble des connaissances humaines
he vient nous autoriser & croire qu’ cette idée ne correspond au-
cane réalité. Un homme pout se trouver sollieit6, par un motif de
Yordre du devoir auquel nul autre motif ne s‘oppose, de prendre Ia
résolution de conformer la conduite de toute sa vie au principe de
Ja bonté morale ; il peut prendre en effet cette résolution et y obgir
jusqu’a la fin de sa vie. Si sa résolution a procédé d'une délibéra-
tion calme, il est au moins probable que c'est 18 chez lui une action
pure, que agent n'a pas obéi & une force instigatrice, que le motif
tiré du devoir a agi sur lui comme une sollicitation, non comme
‘une impulsion instinctive. En fait, sll faut en eroire lexpérience de
‘ceux qui pratiquent la vie spirituelle, Yabsence de toute force ins
gatrice est co qui caractérise la présence du sentiment du devoi
Le simple novice au contraire est visiblement ma comme par un
instinet, il est porté, pour ainsi dire, sur une vague de marée, c'estCLAY, — ux sexs coMMUN conte LE DérEnMiNswE 470
’ savoir une exaltation de Yamour de Dieu, qui ost une variété de co
que les profes appellent la grdce ; mais le profes lut-méme, "homme
avanoé dans la vie spirituelle, n'a plus & sa disposition co support :
il semble qu'il soit abandonné & ses propres ressources, réduit, &
accomplir par lui-méme le devoir, et 4 faire eo que In grace opérait
2 elle seule chez le noviee. « Tis chevauchent & aise, ceux qui sont
portés par la grace », dit avec une aimable ironic Vautour de I'Tmi-
ation, voulant opposer au sort de ceux qui sont ainsi portés par la
‘grice Ia rude et pénible condition vers laquelle Ia grace les porte,
et oft elle ost sur Ie point de les abandonner. En ce dernier état,
Yobéissance au devoir est attribuée i ce qu'on appelle, dans le lan=
gage de la vie spirituelle, la vertu solide, et par vertu solide on
entend esprit qui se manifeste par uno obéissance porsévérante au
devoir, obéissance qui ne tire aucun principe a’émotion sensible,
ni aide, ni consolation. Nous savons tous combien il nous répugne
de nous exposer & 'ennui dobéir & une simple velléité de pradence:
Ja vertu solide a pour ceractéristique une répugnance analogue.
Lagent se fait & lul-méme effet d'etre indifférent au devoir : sa con-
duite lui comble mécanique et sans but. Cette indifférenee apparent
fait méme naltre en lui cette question : Pourquoi estes que je per-
siste? Cortes, les faits ne sont pas en faveur de Vhypothése qu'en
obéissant au devoir nous eéderions & des forces instigatrices. Liagent
ici semble étre son propre moteur bien plutdt que recevoir son
mouvement. Et sila grice, comme Yappellent les adeptes de la vie
spirituelle, est de ordre de Ia nature, comme il est extrémement
probable, 'a grce nous révéle dans la nature l'équivalent d'une in-
tention tendant d exviter Phomme d exercer ea faculté d'uetivité ure
dans Vintérét du développement de 1a bonté morale. Cette indication
si importante est fortifige par une autre : c'est & savoir qu'il y a dane
Ja nature Féquivalent d'une intention de développer un régne du
dyes, d'un Aéyos fait de Volonté et de Bonté morale, et que j'appelle
Adyos parce qu'il est & la fois la manifestation et le produit ou le
Fils du principe inconscient et divin qui est dans la Nature, Ce qui
prouve Vexistence de ce second équivalent, c'est I'état de dépen-
Gane mutuelle ol sont la Volonté et la Bonté morale que la Volonté
éveloppe. La Bonté morale est ou instinctive ow volontaire : elle
‘est volontaire quand elle est le produit commun de la Bonté morale
instinctive et do la Volonté. Elle différe de la Bonté morale instine-
tive sur trois points : 4° elle se connatt ello-mémo ot sait son origine ;
2 elle implique des motifs raisonnés, d’ot. elle proctde ; 3° elle
‘oxclut toute impulsion, elle défére & Ia volonté, alle n’obéit 4 aucune
foree instigatrice. La Volonté, quand elle n'est pas protégée480 [REVUE POILOSOPRIQUE
ppar la‘Bonté morale, est exposée & devenir la proie du principe in-
fornal qui est dans la Nature ; par ses permissions mauvaises, elle
livre sa propre citadelle aux mauvais instincts, & Y'égolsme, & Ta sen-
ssualité et aux autres. Par son inconduite, elle tend & déraciner non
soulement la Bonté morale volontaire, mais la Bonté morale ins~
tinctive, Vues 2 la lumitre de Vespbce de phénoméne merveilleux
‘que nous considérons, la Volonté et la Bonté morale semblent étre
‘mutuellement causes finales l'une de V'autre : il semble que la caus.
finale de la Volonté, ce soit de développer et de conserver la Bonté
‘morale; et il semble que In cause finale de 1a Bonté morale, ce soit,
de fortifier et de conserver 1a Volonté. Mais 14 ot apparatt mieux
ce qu'il y a de merveilloux dans Péquivalent ‘intention que nous
considérons, c'est quand ill dispense la Volonté de s'occuper de
tout co qui n'est pas du domaine du devoir. instinct, un instinet
natif ou peut-ttre acquis, semble suffire & cos accessoires.
Pour le dire en passant, fl convient de noter ici que le Christ
connaissait déj ces équivalents d'intention, et qu'il a été seul jus-
quiici & les connaitre. Il mit ces forces naturelles en liberté ot il
Jes mit en ceuvre, et dans le plan qu'il traga de la vie chrétienne, il
ssut leur donner un but et une direction : si aujourd'hui nous en.
faisons la découverte, nous Ie devons a Vexpérience des ames cbré~
tienes.
Un autre argument en faveur de Vexistence dune volition sans
option, c'est qu'elle s'accorde excellemment avee cette these, que
Ja Volonté et la Bonté morale sont cause finale Tune de-Pautre. On
cexplique ainsi comment la volition sans option peut, aussi bien que
Je pouvoir de choisir, travailler au service de la Bonté morale, ot
comment, dans le rude et sec labour de la vertu solide, alors qu'il
n'y a en perspective aucune alternative pratique, cest la Volonté,
non VInstinct, qui s‘emploie et qui produit Ja volition sans option,
On explique encore ainsi comment Vobéissance su devoir, prise au
‘sons strict, est possible & la seule Volonté, et n'est pas de la com-
ppétonce de Instinct. On explique enfin par Ia comment Vobéissance
Vimpératif moral est chose impossible & Instinct, comment la
‘déférence instinctive n'est pas Vobeissanee ; que obéissance est Je
fait de Ia Volonté exclusivement, et que do toute nécessité Vimpé-
ratif moral s'adresse toujours & ame en tant que Volonté, en tant
quiactivité pure, et ne peut rencontrer d'obéissance que Ia. Le Christ
1 utilisé la force instigatrice de Pamour et de la crainte de Dieu pour
produire en homme une sorte de contrefagon de Pebéissance vraie,
destinge & servir de modéle et dattrait 4 la Volonté, afin de Tamener
a pratiquer la véritable obéissanee, ot par Ik de favoriser le déve-CLAY, — us SENS coMMUN cONTRE LE DETERMINISME —48L
Ioppement de esprit chrétien. L'Tnstinet peut avoir des intermit
‘ences, et pendant ces interimittences, obsession dont nous sommes
Yobjet de la part du devoir peut persister : c'est alors que la Volonts
trouve Toecasion de s'exereer ; et quand enfin, en présence du mal,
fen face de la découverte de ee qu'il y a d'abject et de cruel dans la
condition humaine, notre foi en un principe divin surnaturel se
trouve ruinée, alors la Volonté, fortifiée par esprit chrétien, se voit
capable de travailler seule et sans aide & leuvre du devoir.
I n'est pas du ressort dela Volonté d’étre la cause directe d'une
modification du corps, telle que T'acte de regarder, d'écouter, de
marcher, de parler, de mouvoir nos membres en quelque fagon que
ce soit. Ce sont d'autres forces qui se chargent d'exéeuter ses des-
seins. On @ parfois représenté Dieu sous la figure d'un vieillard ports
sur les épaules de jeunes anges robustes qui exéoutent ses desseins,
Gest la Timage du rapport qu'il y a entre la Volonté dune part,
Pintention et les forees musculaires de l'autre. La Volonté forme
Yintention, et elles Yexécutent. 11 nous arvive parfois @essayer de
lever notre main et de n'y pos réussir. Gest qu’a notre insu, le pou
voir chargé de lever notre main s'est trouvé paralysée. Les puis-
ssances musculaires, qui sont les auxiliaires de la Volonté, no tombent
‘pas sous I'intuition : on ne les peut connaitre que par inférence, et
cette inférence elle-méme n’était pas possible avant que la science
et atleint un degré de développement oit elle est parvenue récem-
‘ment, Ces forces inconseientes servent de ministres & Instinct in-
tentionnel aussi bien qu’a la Volonté; ellos savent aussi bien produire
en nous les signes naturels de la colére et du mépris que ceux de la
vénération réfléchie (laquelle est un hommage preserit par la
‘YVolonté). Elles font leur besogne sans le secours de la connaissance,
ct leur sujet ne sait rien des organes complexes et délicats par les~
quels elles s'exercent.
Si Ton considére la relation de Snalité réciproque qui lie entre
elles 1a Volonté avec 1a Bonté morale, il semblera que la conduite
de notre vie soit la seule affaire de la Volonté; et, par conduite, jfen=
tends une suite de démarches conformes & un art de vivre. L'impé-
ratif moral, en effet, ne nous enjoint pas soulement telle démarche
‘une fois faite, il nous 1a commande comme étant conforme & un
certain art de vivre : ce que jappelle conduite consiste & obeir a cet
ordre. Les régles de cet art peuvent étre, soit créée par Vagent Jui-
‘méme, qui se les impose, soit imposées par antrui, ainsi par Moise
ou Je Christ parlant au nom de Dieu. Co qui s‘oppose directement &
Ia conduite, c'est une suite de démarches spontanées et intention
nelles. La conduite a sur notre vie une action analogue & celle du
‘ome xxv, — 1889. ao482 AEVUE PRILOSOMOLE,
gouvernail, et somblablement subordonnée & celle dune foree aifé-
rrente, qui ést une foree de propulsion. On voit par I& que Toffee de ta
‘Volontd, c'est celui d'un gownernail, non d'un propulseur. Les forces
de propulsion auxquelles est subordonnée Vaction direetrice de la
Yolonté sont nos penchants, c’est-A-dire nos appétits, nos passions,
nos gouts, ele. Elles commencent par agir & titre d'instinets, d'ins-
tinets intentionnels. Opposées entre elles, elles donnent naissance &
des conflts de motifs, par 1a la délibération et & des actes de choix
‘apparent. Jusqu’au moment oi: limpératit moral apparalt dans une
alternative pratique dont il est Yun des termes, la Volonté demeure
inactive, Quand la Volonté se montre, le penchant cesse d'agir
comme force instigatrice, et n’est plus qu'une simple source do
‘motifs, de motifs que la Volonté peut, si elle les sanctionne, convertir
‘en intentions. L'intention, soit instinctive, soit volontaire, est Ia cause
prochaine qui met en jeu les forces musculaires, ot eelles-ci sont la
cause prochaine du changement corporel visé par Vintention. La
volition, qu'elle soit ou non sans choix, se borne & étre cause de
Yintention, Elle est objet d’aperception, non de perception. Dans
Yordre des causes, elle est séparée par un intervalle de trois rangs
des démarehes corporelles qu'elle contribue & produire. Entre cet
effet et elle-méme interviennent deux eauses : V'intention et Ia force
musculaire.
Tei encore j'introduis une remarque : le stofcisme, ignorant que
supprimer les penchants c’est supprimer la Volonté méme, projeta
de fonder sur la ruine de nos penchants Je régne de 1a Volonté. De
son cdté, l'ascétisme risque de tomber dans une erreur toute pa-
reille : parfois, dans un élan passionné de bassesse implorante, i
‘semble prét & abolir en nous et Volonté et penchants, pour y substi-
tuer une piété sans cesse en adoration. On a trouvé en Egypte des
‘momies de tauroaux en priére, les genoux pliés, les yeux tournés
‘vers le ciel et adorant : Pascétisme dont je parle ict iralt volontiers
jusqu’a vider l'étre conscient de tout ce qui le constitue, sauf le sen-
iment qu'exprime ce symbole; nul mouvement de Tintelligence,
nulle variation dans l'émotion ne viendrait jamais troubler ’éternelle
monotonie de adoration oi il tend. Si le chrétien sait bien com-
prendre la dépendance do Ia volition & Iégard des penchants,
Evitera dans la pratique la déviation ascétique, et la vie chrétienne
reprendra cette largeur et cette aisance dont nous donna exemple
celui qui a voulu traverser 1a vie, mangeant, buvant, allant aux
rrepas de noces, iréquentant toutes les réunions gaies et innocentes,
La conduite est réguliére ou irrégulire : réguligre quand agent
se réfere a une régle applicable & tout un genre d’occasions ; irrégu-CLAY. — Lb soNs commun conrRe rz piramanisun 483,
igre, quand il borne ses regards & occasion présente, Selon le
Christianisme, le but essentiel d'une conduite réguliére, c'est la ré=
forme de nos penchants, — la « sanctification »; — et le but secon-
aire, c'est la conformité de notre vie pratique avec la dignité morale
et le bien do la société. La différence Ia plus grave peut-étre qui soit.
entre Rome et le Protestantisme, tient & cei, que Rome conserve la
‘eroyanee, Ia ferme espérance, que la sanctification doit résulter
une conduite chrétienne ; au contraire, le Protestantisme s'est
aiss6 aller & considérer cette hypothése comme une utopie.
La délibération, c'est 'étude de la question : que faire? Elle
suppose un certain élan de Tesprit vere Vaction, Considérer ce que
Je sujet pourrait faire, mais sans avoir d’élan vere action, ce n'est
pas la délibérer. La délibération peut étre expectante ou éleclive,
selon qu’elle se borne & chercher une idée d'une chose & faire et
qui puisse étre agréée, ou qu'elle aboutit & un choix. La délibération
élective n'est qu'un nom différent, pour désigner 'étade des motifs,
‘suppose par le choix.
IL y a des contref acons de le délibération élective. Un hommepeut
‘chercher instinctivement une idée d'action qui le satisfasse, qui Ie
Aécharge du soin de décider, en décidant pour ainsi dire en son lien
ct place ; une idée qui, si elle etait offerte & Jui dés quiila discerné
une occasion d'agir, aurait aussit0t conquis son adhésion et par Ia
exclu toute délibération. Il pout s‘offrir 4 lai quatre ou cing idées de
choses & faire, sans que pas une possdde cette force instigatrice qui
satisfait et décide esprit; & la in une cinguiéme ou sixiéme, quia
cotte propriété, se présente & lui et d’emblée enléve la décision, tout
en lui donnant cette illusion de croire que c'est lui qui a pris parti,
qui a choisi. N'était cette propriété, nous aurions un signe distinctit
pour discerner Yacte de choisir d'avee tous ceux qui
passer & tort pour tels : dans I'acte de choisir, pourrait-on dire, le
sujet se fait A Ini-méme sa décision; dans tout autre, elle lui est
fournie toute faite. Malheureusement pour le erédit de la doctrine
du libre arbitre, ce caractére n’est pas propre & la seule volition; il
n'y améme aucune marque accessible & ‘intuition pour distinguer
Jes actes de la Volonté. C’est Ia une sérieuse concession que nous
devons faire au Déterminisme.
Toute tendance de T'esprit, conforme & une idée directrice pré=
sente, n'est pas une intention. Quand une étude nous fatigue et nous
surexcite, parfois elle nous impose une tension ou tendance qui
contraint esprit & demeurer appliqué au sujet qui le fetigue. En
vain alors esprit a le dessain de se débarrasser de ce cours de pan-
sées qui Fexetde. Or, peut-on soutenir qu’en de pareilles occasions488 [REVUE PINLOSOPaIOUR
esprit ait intention de se lasser Ini-méme, que la tension dont it
est excédé soit une intention? Assurément non. Ce que esprit, en
‘un pareil embarras, peut comporter intention, est tenu en échec et
vaincu par la tension d'ou résulte 1a fatigue. Nous voyons 1a en
‘confit deux tendances de esprit, l'une qui appartient & Pesprit en
tant que personne, au moi, autre & Tesprit en tant qu'impersonnel :
colle est une intention ausens propre du mot; celle-ci une contre~
facon d’intention, D'autre part, on peut déduire, de certains faits de
Yordre mental, qu'il existe dans Vesprit une partie inconsciente, et
nous avons la preuve conclaante, abord que cette partie incon-
sciente consiste principalement dans le cerveau, et ensuite que
toute conscience est Melfet d'un événement corporel inconscient,
Cos fails nous poussent vers cette conclusion, que T'ntention est le
produit d'une fonction du corps & l'état normal, et que la contre-
fagon de Vintention, la pseudo-éntention, résulte d’un fonetionnement
cérébral morbide ; qu’enfin ce qu'on désigne par le pronom je ou
‘moi n'est point un étre humain sans rapport avec aucune fonction
organique, mais bien I’étre humain en tant que sujet de l'organisme
Tonctionnant d'une maniére saine. Ce qui mautorise & définir Vine
tention « une tendance normale de lesprit ».
‘Voild done la délibération, l'intention, Yattention, distinguées et
‘mises hors da genre volition : c'est I& toute une révolution. La voli~
tion présuppose les trois autres opSrations et doit par cela méme etre
‘ifférente de chacune des trois. Si l'on considére que le moi est une
substance simple, une monade apte & devenir un sujet de conscience
‘et qui le devient & Ia favour de certaines actions inconscientes exer-
‘cées sur elle par un organisme qui y ost lié; qu’en un mot, le mot
fest une ame ; alors on devra dire quo dans les états de délibération,
@intention ou d'attention, il est passif, bien qu'il s'spparaisse & lui-
‘méme comme actif; il peut bien sembler actif, mais en dehors de Ia
volition il ne Vest jamais il est, & Pégard de toute autre démarche
humaine, aussi passif, aussi inerte que «la motte de terre sur la
beche du Jaboureur, ou qu'un cadavre souris & une action galva-
nique >. Il est ainsi misérablement passif, aux moments oi i lui
semble quill exeree une activité magistrale, quand, sous l'empire de
processus corporels inconscients, il sert d'instrument & prononcer
es commandements sur Je champ de bataille, & produire ces effets
@loquence qui entrainent « les sénats attentifs », & proférer des
cits despotiques, ou qu'il sert dintermédiaire pour lenfantement
une idée poétique, d'un trait desprit, une invention queleonque,
d'un sentiment religieux et moral de ordre le plus haut: oui, les
sentiments les plus saints, les plus nobles sont, aussi bien que leurs