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Selon Christopher Rother, «Volkswagen a
gagné» le dieselgate en Europe
PAR THOMAS SCHNEE
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 25 JANVIER 2018
Alors que les clients américains et canadiens ont été
dédommagés par Volkswagen, l’immense majorité
des clients européens n’aura rien. À peine 100 000
plaintes devraient être déposées en Europe, sur près
de 8 millions de voitures Volkswagen équipées du
fameux logiciel truqué. « C'est un scandale », dénonce
l’avocat Christopher Rother dans un entretien à
Mediapart. Explications.
Berlin (Allemagne), de notre correspondant.–
Spécialiste des plaintes collectives, l’avocat
Christopher Rother est associé berlinois du cabinet
américain Hausfeld, lui-même connu pour les succès
obtenus contre les multinationales du pétrole (Exxon
et Texaco), les grands fabricants de cigarettes ou
encore les banques suisses et les grandes entreprises
allemandes qui ont profité de l’holocauste pour
s’enrichir.
C’est en partie grâce à son action et à celle
de quelques collègues américains que le Fonds
de dédommagement des travailleurs forcés sous le
nazisme, doté de 5 milliards d’euros, a été créé. Dans
l’affaire du Dieselgate, Hausfeld défend plusieurs
dizaines de milliers de plaintes de clients allemands et
suisses.
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Quelle est la situation de Volkswagen aux États-
Unis, concernant les dédommagements liés à la
manipulation des gaz d’échappement par un
logiciel sur les voitures Volkswagen ?
L'avocat Christopher Rother © DR.
Christopher Rother. Aux États-Unis,
580 000 véhicules diesel équipés d’un logiciel
frauduleux sont concernés. Là-bas, Volkswagen a
choisi de plaider coupable pour ne pas risquer de
perdre ses licences de commercialisation, mais aussi
pour mettre fin à la procédure pénale et limiter les
peines. L’entreprise a reconnu qu’elle avait enfreint
des lois sur l’environnement et la santé. Elle a enfin
admis qu’elle avait menti aux administrations et à ses
clients.
Elle a donc livré toutes les preuves de sa
culpabilité. Les clients ont reçu un dédommagement
financier de 5 000 dollars en moyenne [environ
4 000 euros – ndlr]. Ils ont ensuite eu le
choix entre deux options : rendre la voiture en
récupérant une grande partie du prix d’achat, ou
faire mettre le moteur aux normes. Outre les sommes
dépensées pour ces opérations, Volkswagen doit
aussi s’acquitter d’amendes auprès des autorités
régionales et fédérales. L’entreprise doit enfin verser
des dédommagements aux concessionnaires. Soit une
somme totale d’environ 22 milliards d’euros.
Le dossier américain est donc bouclé.
Oui, même si toutes ces opérations vont encore durer
un certain temps. Par exemple, les tribunaux ont
interdit à Volkswagen de vendre à l’étranger les
milliers de voitures qui seront reprises. Il faudra donc
les modifier ou s’en débarrasser. C’est une opération
longue et complexe.
Combien coûterait la même opération de
dédommagement en Europe ?
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Il y a chez nous près de huit millions de véhicules
concernés. Si l’on ne compte que le dédommagement
financier des clients, on arrive à une somme d’environ
50 milliards d’euros.
Comment les autorités américaines ont-elles obligé
Volkswagen à coopérer ?
En Europe, quelqu’un qui prétend avoir été lésé ou
trompé doit apporter la preuve de ces accusations.
Aux États-Unis, c’est l’accusé qui doit prouver son
innocence. Et si on ne le fait pas, on devient coupable
d’avoir entravé la justice. Cela peut coûter très
cher. Dans le cas de Volkswagen, il y a une autre
particularité. Comme l'entreprise a plaidé coupable,
elle n’est plus poursuivie pour cela. L’accord de
dédommagement des clients négocié avec le tribunal
a surtout été conditionné, non par la faute de
Volkswagen, mais par le niveau du dédommagement
et par la manière dont Volkswagen tente de minimiser
les dommages causés à la santé publique et à
l’environnement.
Autre détail spécifiquement américain : la justice
américaine permet les recours collectifs, ou “class
actions”. C’est-à-dire que le tribunal se prononce sur
quelques plaintes seulement, mais que le jugement
est valable pour toutes les personnes dans la
même situation, qui obtiennent le droit au même
dédommagement. Un tel dispositif – qui existe à
peine en Europe [notamment en France – ndlr] et
pas du tout en Allemagne – facilite grandement le
dédommagement de tous les clients.
Un logo de Volkswagen en octobre 2016 © REUTERS / Michaela Rehle
Mais en Europe, Volkswagen refuse
catégoriquement de dédommager ses clients.
À égalité de traitement, la somme que Volkswagen
aurait à payer dans l’UE est énorme. La stratégie
adoptée a donc été de gagner du temps et
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d’attendre la prescription des plaintes. Soit fin 2018
pour l'Allemagne. C’est ce qui explique pourquoi
Volkswagen affirme depuis le début que le logiciel
utilisé n’est pas illégal en Europe, alors que c’est faux.
En Europe, les autorités nationales de certification
des véhicules qui délivrent les autorisations pour
les voitures du groupe allemand, comme l’Agence
fédérale allemande pour l’automobile (KBA), sont
toutes arrivées à la même conclusion. À savoir qu’il
s’agit bien d’un logiciel illégal, conçu pour manipuler
les échappements et le niveau des émissions de gaz.
Elles ont donc demandé à Volkswagen d’enlever ce
logiciel et de remettre les voitures aux normes.
Donc Volkswagen est fautive ?
C’est là que le comportement de Volkswagen devient
contradictoire. Quand une entreprise est attaquée de
la sorte, la direction est légalement obligée de porter
plainte pour défendre les biens de ses actionnaires. Et
pourtant, la direction de Volkswagen n’a pas réagi.
Ce qui veut dire que les avocats de Volkswagen sont
arrivés à la conclusion que l’entreprise avait tort et
qu’une action en justice serait vouée à l’échec. Malgré
cela, Volkswagen maintient qu’elle n’a rien fait
d’illégal. Cette attitude est essentiellement destinée à
faire peur et à décourager les plaignants. Et il faut bien
admettre que la stratégie a été absolument couronnée
de succès.
« Si peu de plaintes, c'est un scandale »
En quoi les autorités allemandes sont-elles
complices ?
La KBA dépend du ministère des transports et exécute
ses ordres. Or le ministre fédéral des transports
de l’époque, le conservateur bavarois Alexander
Dobrindt, voulait lui aussi faire traîner l’affaire. Ainsi,
la KBA a signifié que le logiciel de Volkswagen
était illégal. Mais elle a toujours refusé de nous
fournir la motivation de cette décision et ce, malgré
l’existence d’une loi fédérale qui autorise les citoyens
à accéder aux documents administratifs. Des députés
ont demandé au ministère de livrer ces documents dans
le cadre de la commission d'enquête sur le scandale du
diesel. C'est par ce biais que nous avons pu obtenir les
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décisions et ses motivations. Sans ce document, nos
chances de pouvoir défendre nos clients avec succès
seraient quasiment nulles.
Combien y a-t-il de plaignants en Europe ?
Fin 2018, date de la prescription des faits en
Allemagne, je pense que la somme de toutes les
plaintes européennes sera autour des 100 000. Ce qui
représente un peu plus de 1 % des 8 millions de
véhicules concernés. C’est un scandale. Mais si j'étais
le président de Volkswagen, je penserais que c'est un
énorme succès pour mon entreprise.
Connaissez-vous la situation en France ?
Nous avons pris contact avec Que Choisir pour savoir
s’il y avait un intérêt à travailler ensemble. La France
a bien une loi qui permet les actions collectives, mais
seulement si l’on prouve qu’il y a bien eu un préjudice
patrimonial. C’est-à-dire si le bien acheté a perdu de
la valeur du fait de la manipulation. Or dans le cas
du logiciel de Volkswagen, l’une des difficultés est
justement de déterminer s’il y a eu préjudice vis-à-vis
du client, qui utilise sa voiture tout à fait normalement.
Ce n'est pas facile. Et il n’y a donc pas d’action
collective menée en France.
Et en Allemagne ?
Dans le droit allemand, quand quelqu’un est soumis
à des versements de dommages et intérêts, il doit
remettre le bien dans un état identique à ce que serait le
bien si les actions illégales n’avaient pas été réalisées.
En bref, la valeur des dommages doit permettre de
retourner à une situation où le fautif se serait conformé
aux lois.
Or la raison qui place Volkswagen en situation de
devoir payer des dommages et intérêts au client, c’est
que l’entreprise a menti en signant un acte de vente
où elle assure que le véhicule acheté est en tout point
conforme aux lois en vigueur dans l’UE. Selon le droit
allemand, la situation initiale serait donc que le client
allemand puisse récupérer le prix d'achat neuf et que
Volkswagen récupère la voiture.
Des fondations ont aussi été créées aux Pays-Bas
pour porter les plaintes contre Volkswagen…
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Aux Pays-Bas, la situation est encore différente.
Le droit autorise un accord à l'amiable entre une
entreprise fautive et une fondation qui représente un
nombre plus ou moins grand de plaignants. Mais cet
accord ne se fait que sur une base volontaire. Or
Volkswagen n'a pas l'intention de reconnaître ses torts
en Europe. Il ne peut donc y avoir d'accord à l'amiable.
Et le droit hollandais précise que ses fondations ne
sont pas habilitées à mener une action en justice pour
leurs membres. Tant que Volkswagen bloque, c’est
sans espoir.
Qu’en est-il des plaintes pour interdire les diesels
trop polluants dans les centres-ville ?
C’est pour ainsi dire un autre théâtre d’opérations,
sur lequel nous ne sommes pas directement impliqués
mais qui a un rapport avec le scandale Volkswagen.
Ce sont les plaintes qui ont été déposées par les
associations de protection de l’environnement comme
le Deutsche Umwelt Hilfe contre la KBA, pour avoir
donné un agrément de rouler à des voitures qui ne
répondent pas aux normes, et contre les villes qui
présentent les plus hauts taux d’oxyde d’azote, ou
NOx, dans l’air.
Nous avons plusieurs millions de véhicules qui
expulsent en moyenne dix fois plus de NOx qu’ils ne
devraient. Ce qui fait que les mesures de l’air des
vingt plus grandes villes allemandes montrent que
les limites autorisées pour le NOx sont dépassées en
permanence. Une étude de 2014 montre qu’il y a
eu cette année-là près de 2 500 décès prématurés en
Allemagne, dus à cette pollution. Après la dimension
“protection du consommateur” du scandale, voici la
dimension “environnement et santé publique”.
Et l’interdiction va arriver ?
Le premier jugement sera prononcé à Düsseldorf [lire
la Boîte noire de l'article]. Sur dix procès et dix juges,
il est fort possible qu’un juge applique la loi à la
lettre, à savoir interdise certains modèles diesel ne
correspondant pas aux normes dans les centres-ville.
Et notamment les modèles illégaux de Volkswagen.
Aucun homme politique n’ose faire cela. Il faudra voir
si l’un des juges a le courage de le faire. C’est une
énorme responsabilité. Mais ce n’est pas exclu. Bien
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sûr, un tel jugement en première instance sera contesté
et ira en appel. Cela veut dire qu’il s’écoulera au moins
deux ans avant que le cas ne soit définitivement réglé.
Boite noire
Cet entretien a été réalisé le 11 janvier à Berlin, avant
le jugement du tribunal administratif de Düsseldorf –
dont il est question en fin d’entretien. Le tribunal a
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Société des Amis de Mediapart.
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jugé, le 24 janvier 2018, la plainte irrecevable. Les
juges estiment que l’ONG Deutsche Umwelt Hilfe
(DUH) n’a pas été elle-même lésée, mais aussi que
les mesures de rééquipement lancées par Volkswagen
devraient permettre aux voitures de respecter les
normes. La DUH a annoncé qu’elle irait en appel.
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