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PLAN Université

Caio Vinicius Martins Lumière Lyon 2

François Martin-Vallas
Résumé contato@caiomartins.psc.br
Ce travail, qui s’inscrit dans le cadre de la psychologie analytique développée par Jung, propose d’introduire le concept de chimère transférentielle comme
dimension du transfert qui ne peut être assignée ni à l’un ni à l’autre des deux protagonistes d’un travail analytique, bien que les concernant tous deux. Cette
Éducation, Psychologie, Information, Communication
Hypothèses
dénomination repose autant sur le travail de Michel de M’Uzan que sur le champ sémantique complexe associé au mot chimère.
La méthodologie de ce travail est celle, théorico-clinique, développée par Widlocher sous le nom de cas singulier. Elle conduit à la recherche d’une preuve
Centre de Recherches en Psychopathologie et Psychologie Clinique
d’existence, et non à une preuve d’universalité.
Une première partie propose une discussion épistémologique qui prenne en compte les changements profonds des paradigmes scientifiques résultant du
Ce travail soutien l’hypothèse selon laquelle la situation analytique est propice à l’émergence d’une néo réalité psy-
développements de la physique depuis le début du XXe avec l’avènement de la relativité restreinte, rapidement suivie de la relativité générale et de la mécanique
chique, puisici
de appelée lasystèmes
chimère transférentielle, néoduréalité
chaos. Ilpsychique encepartie autonome vis-à-vis du psychisme des

La Chimère Transférentielle
quantique la théorie des complexes, aussi appelée théorie est soutenu dans travail qu’une révision des positions épistémologiques
fondées sur le travail de Popper, et une meilleure prise en compte d’approches telles que proposées par Adorno ou Morin, est nécessaire. Cette discussion conclut à
deux protagonistes de la situation analytique. Ainsi les dynamiques de transfert et contre-transfert ne sont plus
l’importance de notions telle que celles d’émergence ou d’énaction, en ce qu’elles rendent compte du fait que ce qui apparaît à un moment donné de l’expérience ne
envisagées
préexiste commeà saseul
pas nécessairement espace inter projectif entre analyste et analysant, mais aussi comme système dynamique
manifestation.
complexe entre trois systèmes tente
Enfin cette discussion épistémologique psychiques
d’éclairer la:profonde
analyste, analysant
divergence et chimère
entre les approches transférentielle,
de Freud et de Jung, divergencece quidernier
apparaît iciinfluençant,
comme
résultant principalement d’une différence de point de vue épistémologique. Là aussi, le recours à la physique, précisément à la notion de section de Poincaré, permet
tout autant qu’étant influencé,
que par unepar lesopposition.
deux autres.
d’éclairer cette divergence autrement simple Cela permet de comprendre pourquoi, dans le champ de la psychologie clinique autant que dans
celui de la psychanalyse, des théories divergentes, parfois opposées, peuvent et doivent coexister afin de pouvoir construire une représentation aussi exhaustive que Proposition épistémologique, neuroscientifique et clinico-théorique
du transfert psychanalytique comme système complexe
possible de la réalité.
Méthodologie
Dans une seconde partie l’hypothèse de la chimère transférentielle est abordée au regard des neurosciences. Il est ainsi proposé une représentation
neuroscientifique de la relation analytique. Cette représentation n’a aucunement pour objet de se prétendre vraie, mais, plus modestement, possible. Elle vise à
proposer une1nouvelle
Historique
manière de ce travail
d’articuler neurosciences et théories psychanalytiques, postulant que l’expérience de la clinique psychanalytique est un niveau de
complexité très2 Quelques concepts
supérieur à ce qui est jungiens
aujourd’hui accessible aux neurosciences, ce qui permet de rendre compte de l’existence de dynamiques propres au processus
analytique du fait de leur émergence entre les niveaux de complexité accessibles à la recherche neuroscientifique et celui de l’expérience psychanalytique.
Par François Martin-Vallas
Enfin,3dans
La une
notion departie,
complexité

La chimère transférentielle
troisième ce travail aborde différents aspects de la chimère transférentielle telle qu’elle est se manifeste dans la clinique psychanalytique.
Un premier cas 4 clinique
Les neurosciences
est exposé en détail afin d’apporter une preuve d’existence de cette dimension. D’autres cas cliniques suivent, centrés sur une dimension ou un
moment particulier de la cure, afin d’apporter la preuve de cette existence dans d’autres contextes, et avec des patients dont le fonctionnement et la structure psychique
5 du
diffèrent autant Retour
premierà caslaexposé
clinique
qu’entre eux. Enfin, chacun de ces cas a été l’occasion de focaliser la discussion théorico-clinique sur un aspect particulier, saillant
dans le cas considéré.
Sont ainsi discutées l’adéquation de l’hypothèse avec la théorisation jungienne de la dimension archétypique du transfert, l’articulation possible de cette
La “chimère” transférentielle
théorisation avec la théorisation freudienne, à partir de la séduction originaire proposée par Laplanche, puis la dimension de contenance psychique de la chimère,
toujours au regard de la théorie jungienne.
1 La Chimère dans la mythologie
Quatre autres approches de la chimère sont, ensuite, proposées à la discussion :
-2 lesLa chimèrededu
mouvements langage courant du soi en rapport avec la constitution et les dynamiques de la chimère, à partir des propositions de
déintégration/réintégration
3Fordham
La chimère
; des biologistes
- les rapports de la chimère avec les temporalités psychiques, telles qu’abordées dans la théorie jungienne et telles qu’il est possible de les aborder aussi à
4partir
La des
chimère en zoologie
travaux de Laplanche ;
-5 Synthèse
la possibilité de voir la chimère selon le concept de synchronicité développé par Pauli et Jung ;
- enfin l’importance de l’éthique comme garante de la dimension psychanalytique de la chimère et du processus analytique en général.

Épistémologie
Mots clefs : CG Jung, Chimère transférentielle, Émergence, Énaction, Épistémologie complexe, Neurosciences, Psychanalyse, Psychologie Analytique, Transfert.
1 Définition de l’épistémologie
2 Épistémologie scientifique « classique »
3 L’épistémologie d’aujourd’hui Abstract
This thesis, intended as a contribution to analytical psychology as developed by CG Jung, proposes the notion of a transferential chimera as a dimension
4 Épistémologie
of the transference des neurosciences
which may not be assigned to either one of the protagonists in the analytic dyad, while still attached to them both. This denomination draws as
5 Épistémologie deas la
much on the work of Michel de M’Uzan psychanalyse
it does on the complex semantics associated with the term chimera.
The methodology used here is the clinical and theoretically underscored approach to the single case. It is predicated on the search for a proof of existence,
and not a proof of universality.

Neurosciences
The first part is devoted to an epistemological discussion which takes account of the fundamental changes in theoretical understanding brought about in
the field of physics since the beginning of the XXth century. This encompasses restrained relativity, quickly followed by general relativity and, laiter, by the theory of
complex systems 1 Épistémologie
and chaos theory. It isde la démarche
contended that Carl Popper’s position on epistemology is in need of revision and that account needs to be taken now of the
developments put forward by Theodore Adorno and Edgar Morin. The present discussion concludes that ideas such as emergence and enactment are central to the
2 La chimère transférentielle
proposition in that they explain how events that occur in experience at a given time do not necessarily exist prior to their manifestation. Finally, this epistemological Jean Fontaine : Luth pour la vie - Grès - 1996
discussion seeks 3 Les hypothèses
to throw neuroscientifiques
light on the profound divergence between proposées
the approaches of Freud and Jung that appear to stem from a difference in their particular
epistemologies. Here again, reference to physics, specifically to Poincare’s map, allows this divergence to be understood as other than a simple opposition. It assists Jean Fontaine : Luth pour la vie - Grès - 1996
4 Lecture clinique
in the understanding why in clinical psychology as in the field of psycho analysis, divergent and sometimes opposing theories, can and need to co-exist in order to
5 Conclusion
construct as exhaustive a representation of reality as may be possible.
In part two the chimera hypothesis is examined in the light of neurosciences. An attempt is made to represent the analytic relationship in terms of
Thèse de doctorat de psychologie
neurosciences. In no sense is such a representation to be taken as real, merely as possible. The aim is to postulate a new method of articulating neuroscience
Cliniques
and psychoanalytic theory, whereby the experience of psychoanalytic practice is at a far greater level of complexity than it is currently possible to express Psychologie clinique
neuroscientifically. This enables an account to be given of the existence of dynamics inherent in the psychoanalytic process from their observed emergence between
1 Brigitte
the levels of complexity that are amenable to neuroscientific research and being experienced during psychoanalysis.
2 Séductiondifferent
Finally, in part three, et chimère
aspects of the transferential chimera will be examined as it manifests in psychoanalytic practice. With the aid of a detailed
clinical example an attempt is made to establish the existence of this phenomenon. Other clinical cases will centre on an aspect or a specific moment during
Directeur de thèse : Bernard Chouvier
treatment, in 3 Lestocontenants
order support the proofde laexistence
of its chimère transférentielle
in other contexts, that is, with patients whose functioning and psychic structure contrasts as markedly from
the first case as4 Mouvements déintégratifs du soi
they do amongst themselves. Finally, each case dethelaopportunity
gives chimèretotransférentielle
focus the theoretical and clinical discussion on a salient feature of each case.
Présentée et soutenue publiquement le 21 avril 2015
Thus the working potential of this hypothesis shall have been informed by the archetypal nature of the transference according to Jungian theory, by the
5 Temporalité
potential connection between it and deFreudian
la chimère transférentielle
theory, starting with primary seduction as envisaged by Laplanche, followed by the containing function of the chimera,
6 Chimère
still in the context et synchronicité
of Jungian theory.
Devant un jury composé de :
Four other aspects of the chimera are proposed for further consideration:
7 L’importance de l’éthique
- Based on Fordham’s perspective, the ebb and flow of deintegration and reintegration of the self in relation to the constitution and dynamics of the chimera;
8 Discussion
- The chimera in relation to psychic temporalities as envisaged in Jungian theory and those suggested in the work of Laplanche.
Thèse Anne Brun, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2
- The possibility of examining the chimera in the light of the concept of synchronicity as developed by Pauli and Jung. Université Bernard Chouvier, Professeur émérite à l’Université Lumière Lyon 2
Lyon 2 Denise Gimenez Ramos, Professeur à l’Université Catholique Pontificale de São Paulo
Conclusion
- In conclusion, highlighting ethics as a guarantor of the psychoanalytic functioning of the chimera and of the psychoanalytic process in general.

Key words: Analytical Psychology, CG Jung, Emergence, Enactment, Complex epistemology, Neuroscience, Psychoanalysis, Transference, Transferential Chimera. EPIC Pascal
Texte Roman,
original Professeur
de la thèse, réservé à l’Université
aux deduLausanne
professionnels soin psychique, à ne pas diffuser sans l'autorisation de l'auteur

CRPPC
Caio Vinicius Martins contato@caiomartins.psc.br

Université Lumière Lyon 2


Éducation, Psychologie, Information, Communication
Centre de Recherches en Psychopathologie et Psychologie Clinique

La chimère transférentielle
Proposition épistémologique, neuroscientifique et clinico-théorique
du transfert psychanalytique comme système complexe.

Par François Martin-Vallas

Jean Fontaine : Luth pour la vie – Grès - 1996

Thèse de doctorat de psychologie


Psychologie clinique
Directeur de thèse : Bernard Chouvier
Présentée et soutenue publiquement le 21 avril 2015
Devant un jury composé de :
Anne Brun, Professeur à l’Université Lumière Lyon2
Bernard Chouvier, Professeur Émérite à l’Université Lumière Lyon2
Denise Gimenez Ramos, Professeur à l’Université Catholique Pontificale de São Paulo
Pascal Roman, Professeur à l’Université de Lausane
Si vous souhaitez une version imprimée de ce travail, vous pouvez commander une impression A4, 400 pages couleur, reliure dos carré
collé, pour le montant de l'impression, soit 25 € + le port. Voir : http://chimere.martin-vallas.fr

Texte original de la thèse, réservé aux professionnels du soin psychique, à ne pas diffuser sans l'autorisation de l'auteur
Caio Vinicius Martins contato@caiomartins.psc.br

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À ma femme

REMERCIEMENTS!

Au Professeur Bernard Chouvier qui a eu la générosité de m’accueillir au CRPPC et de


m’accompagner dans ce lent travail d’élaboration et de synthèse de 30 ans de pratique et de
recherches cliniques et théoriques.

Au Professeur Anne Brun ; la confiance dont elle m’a témoigné m’a soutenu tout du long de
ce travail.

Au Professeur Denise Gimenez Ramos ; à nos nombreuses rencontres, aussi amicales que
riches, dans les Congrès de l’International Association for Analytical Psychology, ainsi qu’à
l’occasion du notre travail au Comité Scientifique de la Revue de Psychologie Analytique.

Au Professeur Pascal Roman ; qu’il soit remercié de la simplicité avec laquelle il a accepté de
siéger au jury de thèse d’un inconnu de lui.

À Didier Anzieu qui a accepté de me prendre en supervision, et dont le travail avec moi,
autant que la profonde humanité, ont depuis, et sans discontinuer, nourri ma pratique clinique.

À mes nombreux collègues avec qui j’ai pu échanger et approfondir ma compréhension de


l’analyse, en particulier Hester Solomon, Ann Addison et George Bright mes compagnons de
quinze ans d’échanges cliniques, ainsi qu’Ann Kutek, ma fidèle traductrice, et à l’occasion très
pertinente critique de la plupart de mes publications en anglais.

À Henry et Madeleine Vermorel qui m’ont permis d’organiser avec eux des échanges cliniques
et théoriques entre le CEPS et le GRAEPAJ, et à tous ceux qui ont participé à ces fructueux
échanges.

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Caio Vinicius Martins contato@caiomartins.psc.br

À tous mes collègues de feu le PARI, centre intersectoriel de consultation psychanalytique du


Centre Hospitalier de Saint Égrève, récemment fermé à l’initiative d’une direction sourde aux
besoins psychiques des patients.

À tous mes collègues et ex-collègues des IME de Saint Chef et de Meyrieu les Étangs, des
Ateliers Nord-Isère et de l’inter-secteur de psychiatrie infanto-juvénile du Nord Isère.

Enfin, et surtout, à mes patients qui ont payé pour m’instruire, comme le disait si justement
Winnicott (1971, p. 1). Je suis évidemment particulièrement reconnaissant à ceux d’entre eux
dont j’ai pu utiliser ici le matériel clinique.

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PLAN!
Hypothèses!
Méthodologie!
1" Historique"de"ce"travail"
2" Quelques"concepts"jungiens"
3" La"notion"de"complexité"
4" Les"neurosciences"
5" Retour"à"la"clinique"

La!“chimère”!transférentielle!
1" La"Chimère"dans"la"mythologie"
2" La"chimère"du"langage"courant"
3" La"chimère"des"biologistes"
4" La"chimère"en"zoologie"
5" Synthèse"

Épistémologie!
1" Définition"de"l’épistémologie"
2" Épistémologie"scientifique"«"classique"»"
3" L’épistémologie"d’aujourd’hui"
4" Épistémologie"des"neurosciences"
5" Épistémologie"de"la"psychanalyse"

Neurosciences!
1" Épistémologie"de"la"démarche"
2" La"chimère"transférentielle"
3" Les"hypothèses"neuroscientifiques"proposées"
4" Lecture"clinique"
5" Conclusion"

Cliniques!
1" Brigitte"
2" Séduction"et"chimère"
3" Les"contenants"de"la"chimère"transférentielle"
4" Mouvements"déintégratifs"du"soi"de"la"chimère"transférentielle"
5" Temporalité"de"la"chimère"transférentielle"
6" Chimère"et"synchronicité"
7" L’importance"de"l’éthique"
8" Discussion"

Conclusion!

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Hypothèses"

HYPOTHESES!
Ce travail soutien l’hypothèse selon laquelle la situation analytique est propice
à l’émergence d’une néo réalité psychique, ici appelée la chimère transférentielle, néo
réalité psychique en partie autonome vis-à-vis du psychisme des deux protagonistes de la
situation analytique. Ainsi les dynamiques de transfert et contre-transfert ne sont plus
envisagées comme seul espace inter projectif entre analyste et analysant, mais aussi comme
système dynamique complexe entre trois systèmes psychiques : analyste, analysant et chimère
transférentielle, ce dernier influençant, tout autant qu’étant influencé, par les deux autres.

Cette hypothèse est née d’une pratique clinique principalement orientée sur des
“cas difficiles”, autrement dit “borderline”, et elle se veut congruente tout autant avec
l’approche théorique de Carl Gustav Jung qu’avec les données neuroscientifiques actuelles.
Elle vise à décrire, dans un cadre théorique cohérent, les multiples phénomènes d’intrication
psychique pouvant survenir au décours de ces cures, phénomènes dont un certain nombre de
concepts psychanalytiques (identification projective, communication d’inconscient à
inconscient, chimère des inconscients, notamment) cherchent à rendre compte, sans pour
autant englober l’ensemble de ces phénomènes, ni, parfois, être suffisamment cohérents avec
l’épistémologie des systèmes théoriques au sein desquels ils sont utilisés.

1. Cette hypothèse se fonde sur une approche du psychisme humain comme système
complexe, au sens de la physique des systèmes. Elle nécessite donc une épistémologie
adaptée, épistémologie complexe, à la suite notamment des travaux d’Edgard Morin
(1977, 1990). Il sera donc développé l’hypothèse que l’épistémologie des sciences
sociales en général, de la psychologie comme part de celles-ci et, plus spécifiquement
encore, de la psychanalyse et de la psychologie analytique doit aujourd’hui s’étayer sur
les données scientifiques concernant les systèmes complexes et leurs qualités propres.
Parmi ces qualités, les plus pertinentes pour cette recherche semblent être la sensibilité
aux conditions initiales, qui rend ces systèmes imprédictibles et non reproductibles,
ainsi que les phénomènes d’auto-organisation et d’émergence qui les caractérisent.
2. De plus, cette hypothèse peut ouvrir sur une mise en rapport des hypothèses
neuroscientifiques et psychanalytiques, sans que ni l’une ni l’autre de ces deux

1
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La"chimère"transférentielle"

approches scientifiques n’y perde l’identité épistémologique, méthodologique et


théorique qui lui est propre. Ici, l’approche selon une épistémologie complexe autorise
la coexistence, au sein d’un même édifice théorique, de données hétérogènes qui
interagissent les unes avec les autres ; la cohérence ne résulte alors plus de
l’homogénéité de l’ensemble, mais de la pertinence des liens qui peuvent être faits
entre ses différents éléments.

Les notions neuroscientifiques retenues seront :

• l’Interactive Brain Hypothesis de Dipaolo et De Jaegher (2012), hypothèse qui ouvre sur des
notions habituelles pour la psychanalyse, notamment celle d’objet interne ;
• les neurones miroirs (Rizzolati, 1996), notion largement commentée par de nombreux
psychanalystes, mais ici abordée principalement sous son angle inter et rétro actif ;
• la neuroplasticité et les nouvelles modélisations de la mémoire que cette notion permet,
notamment la mémoire à long terme particulièrement sollicitée dans l’analyse ;
• l’affect tel qu’abordé par Damasio (1999, 2006, 2010), et ses rapports avec la conscience ;
• la construction des représentations par le cerveau, et les différents niveaux d’interactions de
cette construction avec tant l’affect que la mémoire ;
• enfin le langage, non seulement dans ses dimensions usuelles de diachronie et synchronie,
mais aussi dans ses effets inter et rétro actifs sur le locuteur et son auditeur.

Il s’en suit la construction d’un système complexe d’interactions et rétroactions à


différents niveaux, très hétérogènes et fortement intriqués entre eux, et, qui plus est, très
asymétriques de par le cadre analytique au sein duquel ces interactions se déroulent.
L’hypothèse est là que cet ensemble constitue un système complexe émergent qui sous-tend
l’ensemble des dynamiques transférentielles de la cure analytique. Dès lors, cette dynamique
n’est plus seulement le résultat de ce qui est dit et vécu dans ce cadre, mais elle en est tout
autant une condition auto-organisatrice.

3. Cette hypothèse est une élaboration de l’approche jungienne du transfert (Jung 1944),
ainsi que les notions jungiennes de participation mystique que Jung a reprise de Levy
Brühl (1912, Jung 1916) et de psychoïde (Freud-Jung 1906-1914, lettre du 7 avril 1907).
Concernant le transfert, l’approche de Jung se différencie de celle de Freud en ce qu’il
considère ce processus d’un point de vue essentiellement impersonnel. Pour lui, ce
processus résulte de la rencontre de l’analyste et de l’analysant, dans le cadre
spécifique de l’analyse, et sa dynamique ne peut a priori être assignée à l’un ou à l’autre
des deux protagonistes. L’hypothèse est là que cette dynamique résulte de l’émergence

2
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Hypothèses"

d’un néo-système complexe, la chimère transférentielle, résultant de la rencontre des


deux protagonistes de la cure, considérés chacun comme système complexe.

Concernant la notion de participation mystique, elle vise à rendre compte du fait que
la représentation que l’on peut avoir de l’objet (ici l’autre de la cure) est toujours
indissociablement liée, et pour une part non définissable a priori, à ce que l’on perçoit de soi
en l’objet. Cette notion ne recouvre pas la notion freudienne de projection, puisque la
participation mystique est, pour Jung, la condition première de la conscience, et non le résultat
d’un mécanisme de défense d’une instance psychique déjà établie. Dans le cadre de la cure
Jung parle aussi de commune inconscience et pose cette commune inconscience comme origine des
dynamiques transférentielles. L’hypothèse est là que cette participation mystique est l’une des
conditions, sinon la principale, de l’émergence de la chimère transférentielle.

Concernant le psychoïde, mot que Jung avait proposé à Freud en lieu et place du
mot “inconscient”, il s’agit pour Jung de désigner ainsi cette zone de l’âme où psychique et
biologique se confondent, et d’où peut émerger la conscience, où aussi elle peut se perdre.
L’hypothèse est là que les définitions très différentes que Freud et Jung donnent de
l’inconscient résultent de prémisses épistémologiques quasi-opposés, et qu’il convient de se
référer à une épistémologie complexe pour qu’elles puissent coexister au sein d’un même
édifice théorique, cohérent, bien qu’hétérogène.

4. Enfin, cette hypothèse tente de répondre au Deo Concedente par lequel Jung exprime que
le destin d’une cure ne dépend pas seulement du travail du couple analytique, formule
reprise par Lacan d’une manière plus “moderne” : La guérison vient de surcroît. Si
l’hypothèse de la chimère transférentielle ne rend pas cette “guérison” moins divine
ou mystérieuse, elle pourrait avoir le mérite de proposer une représentation mieux à
même de répondre aux critères actuels d’une approche scientifique de la psyché
humaine. Cette hypothèse pose en effet que le transfert est une dynamique émergente
auto organisatrice de la rencontre analytique, que, certes, ses contenus relèvent des
processus bien connus de projections et contre-projections, mais que sa dynamique,
elle, est relativement autonome vis-à-vis des deux protagonistes de la cure. Cela ouvre
sur la notion jungienne d’archétype. Aborder cette dynamique sous l’angle des
systèmes complexes permet alors de poser que sa destinée est, par nature,
imprévisible, et que sa visée, la “guérison”, ne peut jamais n’être ni décidée ni garantie.
Cependant, de même que l’auto-organisation de l’univers a abouti à l’émergence de
dynamiques de plus en plus complexes, au premier rang desquelles peut être placé le

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La"chimère"transférentielle"

psychisme humain, de même la dimension auto-organisatrice du transfert peut


déboucher sur de nouvelles formes d’organisations intrapsychiques pour l’analysant, et
parfois aussi pour l’analyste. Et de même que le processus d’évolution a sélectionné et
conservé les dynamiques et formes émergentes les plus adaptées, de même les
différentes dynamiques et formes émergentes au décours de la cure pourront être
sélectionnées en fonction de leurs qualités adaptatives, l’adaptation étant ici tout
autant adaptation au monde externe qu’interne. Ici, la finalité psychique, conçue par
Jung en complémentarité de la causalité psychique de Freud, obéit aux lois de la
sélection naturelle posées par Darwin, et non à une quelconque forme de
créationnisme.

L’objectif de ce travail est ainsi d’offrir une hypothèse qui ouvre sur différentes
dimensions de la clinique psychanalytique, dans une approche théorique au sein de laquelle ces
mêmes dimensions, avec leurs dynamiques propres, aient chacune une place qui ne gomme
pas leurs différences de nature et de dynamique vis-à-vis des autres.

4
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Méthodologie"

METHODOLOGIE!
1 Historique!de!ce!travail!

1.1 Genèse!

Ce travail est le fruit d’une trentaine d’années d’expérience clinique, et a


principalement été motivé par des situations où l’analyste s’est trouvé l’acteur d’interventions
parfois très peu “orthodoxes”, voire tout à fait à l’opposé de ce qu’il convient de faire, mais
ayant souvent été à l’origine de conséquences très positives sur les suites du déroulement des
cures concernées. De ce point de départ a suivi une réflexion sur d’autres situations cliniques,
beaucoup plus usuelles, mais où il est apparu assez rapidement à l’analyste qu’il n’était,
finalement, que fort peu auteur de ses propres interventions au décours de la cure. Bien plus
encore, il se rendit compte que ses propres pensées ne lui étaient peut-être pas si propres que
cela, et lui revint en mémoire une phrase de Jung (1928c, p.172) disant que nous sommes tellement
habitués à nous identifier à la pensée qui sourd en nous que nous supposons toujours implicitement que nous
l’avons fabriquée1. Il réalisa alors que, dans sa position d’analyste, il était bien plus l’acteur que
l’auteur de ses interventions dans la cure, sans qu’il ne puisse dire quoi que ce soit de pertinent
sur l’auteur. Évidemment, parler ici de l’inconscient était tentant, mais cela revenait surtout à
nommer un inconnu sans que ce nom n’éclaire en rien sur la nature de cet inconnu.

Ce fut là la référence à Jung qui permit de lier cette expérience de la clinique avec
les dynamiques transférentielles, le transfert étant abordé par Jung non seulement dans ses
dimensions projectives de l’analysant sur l’analyste, et contre-projectives de l’analyste sur
l’analysant, mais aussi dans sa dynamique propre, telle qu’elle est susceptible d’émerger de la
rencontre singulière entre un analyste et un analysant. L’image de la chimère, animal
mythologique composite, lui vint alors à l’esprit pour désigner cette dimension particulière des
dynamiques transférentielles.

1 : La traduction anglaise de 1953 est significativement différente : s (CW 7, §323) trad. personnelle.

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La"chimère"transférentielle"

L’auteur de ce travail étant, durant les années 1990, en cours de formation à la


psychanalyse auprès de la Société Française de Psychologie Analytique, il a choisi de rédiger
son mémoire de fin de formation à partir d’une de ces situations, et de proposer une première
élaboration clinico-théorique de ce qu’il a alors nommé chimère transférentielle. Ce premier travail
(1997), plutôt intuitif, cherchait à articuler son expérience clinique avec les concepts jungiens,
principalement à partir du livre que Jung (1944) a consacré au transfert. Puisqu’il s’agissait d’un
mémoire de fin de formation, il s’agissait évidemment de démontrer sa capacité à penser au
sein de l’édifice théorique jungien, référence de la Société devant laquelle il se présentait.

Par ailleurs, l’auteur de ce travail avait été interne en psychiatrie au Service


Médico-Psychologique Régional de la maison d’arrêt de Varces (1984-1985), sous la chefferie
de service de Claude Balier, membre de la Société Psychanalytique de Paris. Il en avait gardé,
outre un profond respect pour les qualités et la compétence professionnelle de Claude Balier,
une amitié non moins profonde avec cet homme. Il lui proposa donc, peu avant de rendre son
mémoire à la SFPA, de le lire et de lui en faire un retour. C’est ainsi que Claude Balier lui fit
faire connaissance avec le travail de Michel de M’Uzan (1976), et ses concepts de pensée
paradoxale et de chimère des inconscients. Devant les grandes similitudes des situations
cliniques qui l’avaient amené à faire ce mémoire et celles décrites par Michel de M’Uzan, il a
envoyé son mémoire à ce dernier afin de connaître son point de vue sur ces similitudes.
Michel de M’Uzan lui confirma bien reconnaître le genre de situations cliniques qu’il abordait
lui-même dans son travail, mais, bien évidemment, dans une perspective théorique tout à fait
différente.

Le mémoire fut bien accueilli par la Société à laquelle se présentait son auteur,
puis fut aussi vite oublié par lui-même que par ses pairs.

1.2 Intermède!

Cependant, la clinique, elle, ne se laisse pas facilement oublier de celui qui la


pratique 12 heures par jour. Et les situations entraînant l’analyste à tenir des positions qu’il
n’aurait jamais choisies de tenir si une forme de nécessité intérieure ne les lui imposait se
répétaient. Il avait évidemment travaillé nombre de ces situations en supervision, y compris
avec un analyste freudien, Didier Anzieu, qui avait eu l’amabilité d’accepter être son
superviseur deux années durant. Et c’est avec ce dernier, malgré les références théoriques
radicalement différentes, qu’il s’est le plus senti cliniquement en phase, comprenant enfin une
phrase que lui avait dite, une dizaine d’années auparavant, un autre superviseur, Gabriel

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Burloux de la SPP, à qui il s’était adressé dans le cadre d’une pratique d’animation de groupes
Balint : je ne prends jamais de notes de mes séances, je fais confiance en mon inconscient.

Le travail avec Didier Anzieu avait porté sur une patiente particulièrement
difficile, un cas lourd, comme celui-ci avait conclu la première séance de supervision, un de ces
cas où aucune position orthodoxe de l’analyste ne peut tenir tant l’inanité de telles positions
apparaît clairement dès que l’on tente de s’y réfugier. Cela rejoint ce que Fordham avait écrit
en 1974 (p.195-196)2 :

Il est intéressant de reprendre les théories qui disent que le transfert psychotique est le
résultat d’erreurs de l’analyste, avec le contre-transfert à l’esprit.
1. Le diagnostic était erroné et le patient n’aurait jamais dû être pris en analyse.
2. La technique a été erronée, en particulier :
(a) Les interprétations ont été dirigées vers les mauvais objets du patient et traitées par
l’analyste comme s’ils étaient des bons objets réels. Ainsi l’analyste est devenu “l’avocat du
diable’.
(b) En conséquence de ces erreurs les défenses du patient n’ont pas été suffisamment prises en
compte, voire pas du tout.
(c) Les interprétations de toutes sortes ont été si excessives qu’elles ont fini par persécuter le
patient. Ce qui le conduit à perdre espoir, voir au désespoir ; ou encore
(d) L’analyste a fait tellement d’interprétations erronées que le patient a perdu sa confiance en
lui.
[…] La caractéristique du syndrome ainsi décrit, qui invalide ces arguments au sujet d’erreurs
techniques, est que le patient ne part pas ; au contraire, il exprime explicitement, ou plus souvent
implicitement que toute sa vie dépend de la poursuite de l’analyse et de son succès.

Évidemment, il ne suffit pas d’invalider les arguments attaquant la position de


l’analyste pour justifier cette proposition. Fordham a, de son côté, développé la théorie de la
déintégration et réintégration du soi pour rendre compte, entre autres, de l’intrication des
mouvements transférentiels et contre-transférentiels de cette clinique. C’est probablement ce
qui m’a le plus rapproché de mes collègues anglais, alors que nombre de mes collègues français

2 : Trad. personnelle

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La"chimère"transférentielle"

considéraient ce type de transfert comme témoignant des erreurs de l’analyste. Aujourd’hui


encore c’est une position fréquente au sein de la Société Française de Psychologie Analytique.

C’est ainsi que j’ai publié quelques articles clinico-théoriques sur des situations
cliniques de transfert difficile (ce qu’il était convenu d’appeler les transferts psychotiques),
tentant de théoriser cette dimension de ma clinique. Mais tout ce que je tentais d’avancer ainsi
me paraissait insatisfaisant : ce que j’en comprends aujourd’hui c’est que l’appellation
“transfert psychotique” est, en elle-même, très paradoxale. Qu’est-ce qui est ainsi qualifié de
“psychotique” ? S’il s’agit de l’analysant, alors ce n’est pas le transfert qui est psychotique, mais
bien l’analysant. Et s’il s’agit du transfert lui-même, alors le qualificatif “psychotique” ne peut
ici concerner qu’une certaine dynamique du transfert, non le transfert en lui-même. La
question se pose alors : existe-t-il un transfert qui ne serait aucunement “psychotique” ? Ce
que l’on nomme “transfert psychotique”, ne serait-ce pas uniquement la prédominance d’une
certaine forme de dynamique transférentielle, courante par ailleurs, mais qui, quand elle
devient prédominante, déstabilise l’analyste ?

1.3 Retour!à!la!chimère!

C’est dans le courant de ces questions que m’est revenue, avec un certain
sentiment d’évidence, mon idée première de chimère transférentielle. Il m’a semblé que le
qualificatif “psychotique”, appliqué au transfert, vient surtout désigner cette dimension du
transfert qui n’est assignable ni à l’un ni à l’autre des protagonistes de la cure et qui, de ce fait,
peut entraîner des épisodes de dépersonnalisation plus ou moins intenses et durables chez
l’analysant, mais aussi chez l’analyste ; De M’Uzan développe bien ce point, insistant sur la
nécessité que l’analyste accepte ces expériences de dépersonnalisation. J’ai donc repris mon
travail antérieur, et en ai proposé une nouvelle lecture clinique et théorique dans deux papiers
parus en anglais (2006, 2008).

À la différence de mon premier travail, cette nouvelle lecture théorique s’appuyait


non seulement sur deux situations cliniques compliquées, de celles qui seraient habituellement
qualifiées de “transferts psychotiques”, mais aussi sur deux autres beaucoup plus classiques. Il
me semblait, en effet, que cette notion de chimère transférentielle, si elle apparaissait avec une
certaine évidence dans les situations cliniques les plus difficiles, n’en était pas moins présente
dans toutes les situations analytiques, agissant comme en sous-main dans le transfert.

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Il s’agit là, en fait, de la notion jungienne de participation mystique, notion


que Jung (1916) a reprise à Levy-Bruhl (1912), et qui désigne une modalité de perception du
monde qui ne différencie pas le monde intérieur et le monde extérieur. Ainsi ce qu’un
observateur extérieur appellerait les objets internes est perçu comme objets externes, réels, et
inversement les objets réels peuvent être perçus comme objets internes. Il est évidemment
tentant de parler ici de projection, ou d’identification projective, mais ces deux termes
présupposent l’existence d’un interne et d’un externe déjà différenciés. Or, dans les situations
cliniques abordées ici, comme dans les observations qui ont conduit Levy-Bruhl à proposer ce
concept de participation mystique, cette différenciation ne peut être affirmée que pour coller à
nos présupposés culturels. L’expérience, au contraire, est celle d’une non-différenciation.

Afin de pouvoir représenter cette participation mystique, cette indifférenciation


entre deux personnes pourtant différentes et physiquement différenciées, j’ai alors fait appel à
des modèles de représentation en usage dans les sciences physiques, modèles qui nous
permettent de nous décaler quelque peu de notre vision dite rationnelle du monde, telle
qu’issue du travail de Descartes (1637). Cela m’a naturellement amené à la réflexion
épistémologique qui introduit ce travail.

2 Quelques!concepts!jungiens!

2.1 Les!sources!

Si les principaux concepts jungiens utilisés dans ce travail sont introduits, pour la
plupart, au décours du texte, il peut sembler important d’en regrouper ici une première
approche. En 1920, dans Les types psychologiques, Jung a proposé un glossaire des principaux
concepts qu’il utilise (Jung, 1920, p.401-477). On y trouve ainsi la définition de 58 termes. En
1977, André Virel a proposé son vocabulaire des psychothérapies, où il définit à son tour un certain
nombre de concepts jungiens (environ 70), tout en donnant leur définition dans le champ
freudien ou adlérien si le même mot est utilisé par ces différents auteurs. Puis en 2002, Alain
de Mijola a dirigé la rédaction du Dictionnaire international de la psychanalyse, où un certain nombre
de concepts jungiens ont trouvé une place. Enfin, en 2005 est paru un ouvrage dirigé par
Aimé Agnel, le Vocabulaire de Carl Gustav Jung, avec 54 entrées.

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Il faut ajouter à ces ouvrages, le Jung, d’Élie Humbert (1983) et le Que sais-je ?
JUNG, de Christian Gaillard (1995), et qui définissent assez précisément l’essentiel des
concepts jungiens, chacun du point de vue spécifique de leur auteur.

2.2 Un!concept!selon!Jung!

Il convient tout d’abord de préciser que, pour Jung, un concept n’est pas un objet
intellectuel parfaitement défini, mais avant tout un objet d’expérience — d’expérience
subjective — que le concept ne vise pas à expliquer, mais à représenter, donc sans perdre la
dimension de complexité et d’indétermination de tout ce qui touche à la subjectivité humaine.
De ce fait, les concepts jungiens peuvent facilement apparaître comme ambigus, paradoxaux,
contradictoires en eux-mêmes, comme si Jung cherchait à leur faire dire tout et son contraire.
Ainsi, pour certains, Jung serait bien plus mystique et/ou idéologue que scientifique, mais c’est
une lecture unidimensionnelle, booléenne pourrait-on dire, de son œuvre qui peut conduire à
une telle position.

Dans un travail récent (Martin-Vallas 2013b) j’ai tenté de montrer, en appliquant


ma démarche à la notion d’archétype, que cette approche conceptuelle de Jung peut, au
contraire, être considérée comme beaucoup plus scientifique que bien des approches
apparemment plus rationnelles, mais qui payent le prix de leur rationalité d’une simplification
si excessive de leur objet que celui-ci disparaît avant même d’avoir été décrit. Ce débat sera
repris dans ce travail.

2.3 Les!notions!de!conscient!et!d’inconscient!pour!Jung!

Les mots sont facilement trompeurs, surtout quand ils désignent tout à la fois une
modalité d’expérience et un concept théorique. Si, pour Freud, les mots conscient et
inconscient désignent d’abord un concept théorique, et plus précisément une topique
psychique, il n’en est pas du tout de même pour Jung. En effet, celui-ci s’est toujours référé à
Pierre Janet (1909), et à son idée d’abaissement du niveau mental, pour différencier
conscient et inconscient. La notion freudienne de refoulement n’était, pour Jung, qu’une
modalité parmi d’autres de cet abaissement du niveau mental qui différencie ce qui peut être
conscient de ce qui ne le peut pas.

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En fait, là où Freud cherchait à mettre en évidence l’existence de l’inconscient et


de ses dynamiques, Jung, de son côté, se posait bien plus la question de l’existence du
conscient, de la conscience et de sa capacité à un certain libre arbitre (Martin-Vallas 2013c).
Dès son plus jeune âge, Jung, en effet, a été confronté à des dynamiques psychiques qui lui
paraissaient comme venues d’ailleurs, autant pour lui-même que pour ses parents, sa mère en
particulier. Cela sera repris plus loin. Ainsi l’existence de l’inconscient n’était, pour Jung, que la
désignation d’une forme de réalité psychique autonome vis-à-vis du conscient et dont il avait
fait l’expérience de tout temps. Par contre la permanence d’un moi conscient, capable de
conserver une identité et une volonté propre, était pour lui une question, avec par moment,
comme dans les années qui suivirent sa rupture avec Freud, une forte incertitude quant à sa
capacité à pouvoir conserver un tel moi conscient. Cela apparaît clairement dans son
autobiographie3 (Jung, 1961).

2.4 Les!notions!d’archétype!et!de!complexe!;!le!moi!comme!
complexe!et!le!soi!comme!archétype!

Nous n’avons ainsi pas de topique, au sens freudien, chez Jung qui définit le moi
comme le centre du champ de conscience. Et il le définit aussi comme complexe, c’est-à-dire un
ensemble de représentations liées entre elles par un même état émotionnel, au sein d’un même
réseau associatif. Et, surtout, il pose d’emblée que les dynamiques internes aux complexes sont
autonomes vis-à-vis de la conscience, faisant de chaque complexe comme une sorte de
personnalité secondaire potentielle. La spécificité du moi est ainsi sa relative permanence et sa
place comme centre du champ de conscience.

Parler de réseaux associatifs conduit immédiatement à évoquer la dissociabilité


psychique, qualité de la psyché essentielle pour Jung qui suit, là aussi, les idées de Janet.
C’est la dissociation qui, pour Jung, est le pendant du refoulement de Freud, une dissociation
qui peut toucher aussi bien le complexe moi que tout autre complexe. Ainsi la dissociabilité
psychique peut conduire au refoulement, au clivage du moi et/ou au clivage de l’objet ;
poussée à l’extrême elle peut déboucher sur l’éclatement schizophrénique de la personnalité.

3 : Il convient de savoir que cette autobiographie a été rédigée par sa secrétaire, Agnela Jaffé, sur la base
d’interviews de Jung. Il en a relu et probablement corrigé les 5 ou 6 premiers chapitres, mais est décédé
avant l’achèvement de l’ouvrage. La tonalité rédactionnelle de la seconde partie devient ainsi fort différente,
parfois même quasi hagiographique.

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C’est aussi elle, quand elle touche aux dynamiques constructrices/destructrices de l’archétype,
qui conduit à la désintrication pulsionnelle. Enfin, la dissociabilité psychique n’est pas, pour
Jung, nécessairement une défense du moi ; elle est une dynamique psychique naturelle et
spontanée.

L’archétype a été défini par Jung pour rendre compte de son expérience avec
les psychotiques, et du constat qu’il a fait alors, de nombreuses analogies entre les fantasmes et
délires de ces patients d’une part, et les motifs mythologiques d’autre part. Il a aussi constaté
que ces fantasmes exercent une influence fascinatrice sur la conscience, qualité qu’il nomme
numinosité4, et en déduisit qu’ils étaient chargés d’une forte quantité d’énergie. Il en déduisit
que l’archétype est à la fois en rapport étroit avec l’instinct et avec l’activité symbolique de
représentation (Jung, 1956 § 550) :

Je considère les motifs archétypiques comme la matrice de tous les énoncés


mythologiques. Ils n’apparaissent pas seulement dans des circonstances hautement chargées en
émotion, mais semblent souvent en être l’origine. Ce serait une erreur de les considérer comme des
idées héritées, alors qu’ils sont bien plus des conditions nécessaires à la formation des
représentations en général, tout comme les instincts sont les conditions dynamiques nécessaires aux
divers modes de comportement. Il est même probable que les archétypes soient l’expression ou la
manifestation psychique de l’instinct.5

Ou encore (Jung, 1919 p.102-104) :

De même qu’il nous faut poser le concept d’un instinct réglant et déterminant notre
action consciente, de même il nous faut poser aussi, pour la constance et la régularité de
l’intuition, le concept, corrélatif de l’instinct, d’une grandeur qui détermine le genre de conception.
C’est justement cette grandeur que j’appelle archétype, ou image primordiale. On pourrait dire de
cette image primordiale qu’elle est comme l’intuition qu’a l’instinct de lui-même ou la
copie qu’il donne de lui-même6, par analogie avec la conscience, qui n’est elle-même pas
autre chose que l’intuition intime du processus objectif de la vie. Tout comme la conception
consciente donne à l’action forme et fin, la conception inconsciente détermine par l’archétype la
forme et la fin de l’instinct. […] Il est, à mon avis, impossible de dire laquelle est première de la

4 : terme repris à Rudolf Otto (1917)

5 : trad. personnelle

6 : souligné par l’auteur

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conception ou de la tendance à agir. Il me semble que toutes deux sont une seule et même chose,
une seule et même activité vitale que, afin de mieux la comprendre, nous devons imaginer
démontée en concepts.

Ainsi l’archétype peut être considéré comme tout autant instinctuel que
symbolique ou spirituel (au sens premier de ce mot : qui relève de l’esprit, c’est-à-dire de la
psyché).

De ces archétypes, l’un a une place particulière dans la pensée de Jung, le soi :

Le terme « Soi » m’a semblé être une désignation adéquate de cet arrière-plan
inconscient dont l’exposant dans la conscience est toujours le moi. Le moi se trouve à l’égard du
Soi dans un rapport de patient à agent ou d’objet à sujet, car les décisions qui émanent du Soi
englobent le moi et, par suite, le dominent. De même que l’inconscient, le Soi est la donnée
existant a priori dont naît le moi. Il préforme en quelque sorte le moi. Ce n’est pas moi qui
me crée moi-même : j’adviens plutôt à moi-même. (Jung 1942, p.281)7

Le soi est vécu à la fois comme centre et comme totalité. Il est autonome, échappe au
contrôle de la raison et de la volonté, est sur ordonné au Moi. Il se représente dans des symboles
unificateurs tels que les mandalas. Il agit soit par compensation, soit par l’effet de centrage. La
relation au Soi fait sens. (Humbert 1977a) La totalité n’est pas la somme des possibles, mais
le principe vivant de leur organisation. Ce qui se projette dans la relation primaire avec la mère,
puis dans les fantasmes de toute-puissance et leurs variantes, se met en place comme structure des
rapports conscient-inconscient, selon lesquels le Moi est simplement le centre du conscient, articulé
sur le centre de la psyché inconsciente, le Soi. La totalité rend compte du fait que le psychisme ne
vit pas du perfectionnement de ce qui existe déjà, mis se développe par formation d’opposés,
différenciation, conflit et conjonction. Sa dynamique est celle de la compensation et aboutit à
instaurer la fonction transcendante. (Humbert 1977b)

En tant que principe de totalité le soi se rapproche de ce qu’en dit de M’Uzan


(2005, p.37) : Ce principe [de totalité], Deleuze voudrait, je crois, qu’on le cherchât naturellement du côté du
père, du père symbolique, alors qu’à mon sens, on l’a deviné, il procède des dispositions premières mises au
service du dégagement identitaire, dans le sens où je l’entends.

Ainsi entendu le soi est à l’origine des dynamiques associatives et dissociatives, de


liaison et de déliaison, de créativité et de destructivité. Et cette polarité est aussi présente pour

7 : souligné par l’auteur

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toutes les dynamiques archétypiques, de telle sorte que, finalement, on peut se


représenter les dynamiques archétypiques selon une double polarité,
instinct-esprit (ou agir-penser) d’une part, créativité-destructivité (ou
liaison-déliaison) d’autre part.

Une autre conséquence de cette approche de Jung est que la dynamique


archétypique ainsi décrite est conflictuelle par essence et non uniquement par introjection
d’une image paternelle interdictrice.

Cette notion d’archétype sera questionnée plus avant dans ce travail, dans une
discussion orientée sur ses soubassements épistémologiques. Une discussion concernant les
rapports entre cette notion jungienne et des notions freudiennes similaires, en une première
lecture à tout le moins, pourrait être souhaitable, mais elle ne peut entrer dans le cadre
restreint de ce travail. Il suffira, ici, de noter une certaine parenté avec ce que développe Kaes
(1976, 2005) en terme de groupalité psychique interne, et sa notion d’organisateurs
inconscients. L’exemple publié par Roman (2002) pourrait illustrer une telle réflexion du côté
du groupe institutionnel et ouvrir sur les groupes internes.

2.5 Les!notions!de!compensation,!de!fonction!transcendante!et!
de!dynamique!des!opposés!

La notion de compensation est, pour Jung, au fondement des dynamiques


psychiques ; on peut y voir une analogie avec de nombreuses fonctions physiologiques qui, par
feed-back, s’adaptent les unes aux autres, de telle sorte que l’augmentation de l’une entraîne la
diminution de l’autre, et réciproquement. C’est en 1907 que Jung utilise ce concept pour la
première fois, dans le sens qu’il conservera toujours dans sa pensée. Et cette définition se
réfère à Freud et à ses études sur l’hystérie (1895b) :

Dès 1893 Freud commençait par montrer comment un délire hallucinatoire provient
d’un affect insupportable pour la conscience, et comment ce délire représente une compensation
pour des désirs non satisfaits, comment l’être humain se réfugie en quelque sorte dans la psychose
pour y trouver dans le délire onirique de la maladie ce qui lui a été refusé par la réalité
(Jung 1907, §61).

Chez les sujets normaux, la tâche principale de l’inconscient consiste à exercer une
action compensatrice et à établir un équilibre. Toutes les tendances conscientes extrêmes sont
atténuées et adoucies par une impulsion de sens contraire dans l’inconscient. Cette action
compensatrice s’exprime […] dans certaines activités inconscientes, apparemment absurdes, que
Freud a qualifiées très justement d’actions symptomatiques. (Jung 1914, §449)

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La notion de fonction transcendante (Jung 1916b) est directement articulée à


celle de compensation. Ce terme a été choisi par Jung en référence à la fonction homonyme
des mathématiques, qui articule les nombres rationnels aux nombres irrationnels ; il désigne
ainsi, pour Jung, la capacité qu’a la rationalité consciente de se mettre en relation avec
l’irrationalité de l’inconscient. Le terme de transcendance n’est donc pas utilisé par Jung en
référence avec une quelconque transcendance métaphysique, mais bien en référence avec
l’hétérogénéité fondamentale des dynamiques conscientes et inconscientes qui interdit à une
part de ces dernières de se représenter dans la conscience8, imposant donc une transformation
de leur nature afin d’accéder malgré tout à une forme de représentation consciente. C’est là
l’objet de la fonction transcendante.

Enfin, la dynamique des opposés résulte d’une part de la structure


doublement polarisée des archétypes, et d’autre part des dynamiques de compensation : le
premier couple d’opposés est l’opposition entre conscient et inconscient. Cette dynamique
nécessite une différenciation suffisante entre les opposés, différenciation qui permet la mise en
tension. Le maintien de la tension entre les opposés permet, de manière imprévisible, la
résolution de l’opposition, et des conflits y attenants, par l’apparition d’un troisième terme.
C’est une part de ce qui a conduit Jung à proposer un point de vue téléologique, point de
vue qu’il opposait au point de vue causal de Freud. Les mots, là, peuvent être trompeurs, le
point de vue téléologique de Jung n’ayant rien à vois avec le finalisme comme souvent opposé
au darwinisme (Martin-Vallas 2013b). Bien au contraire, Jung (1928b p.42) note que son point
de vue téléologique est présent chez Darwin, le but de la sélection naturelle étant l’adaptation,
ce qui peut être considéré comme finalité ; cela rejoint, d’un tout autre point de vue, les
hypothèses avancées par Kupiec (2012) concernant ce qu’il appelle l’ontophylogénèse.
Inversement, le point de vue téléologique de Jung peut être considéré comme résultant d’un
processus de sélection naturelle opérant entre les différents destins possibles des dynamiques
psychiques.

2.6 L’ombre,!l’anima/animus,!et!l’éthique!selon!Jung!

Des opposés que Jung met en exergue, deux couples sont particulièrement
importants : le couple moi/ombre d’une part, et le couple anima/animus d’autre part.

8 : Et il apparaît là, clairement, la référence de Jung à Kant dans son usage du terme transcendance et de ses dérivés.

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L’ombre est, pour Jung, constituée de tous les aspects de la personnalité dont le
moi ne veut pas entendre parler. Il y a ainsi une forte similitude entre l’ombre jungienne et
l’inconscient freudien tel que constitué par le refoulement sous l’égide du surmoi, et Jung note
à plusieurs reprises cette similitude. Mais, pour Jung, ce qui est inconscient ne l’est pas
nécessairement du fait d’un refoulement. L’inconscient est aussi constitué de tout ce qui n’a
pas encore été activé, c’est-à-dire de tous les possibles qui ne disposent pas de suffisamment
d’énergie pour devenir conscients. Il est aussi dans un rapport de compensation avec le
conscient, de telle sorte que ce qui est contraire aux positions conscientes sera
particulièrement investi par l’énergie disponible. Concernant l’ombre, plutôt que de parler de
retour du refoulé, Jung pose la nécessité pour le moi de se confronter à ses contenus (ce qui
présuppose donc le retour du refoulé), mais toujours en maintenant sa position propre, donc
en tenant l’opposition entre sa position et celle de l’ombre, jusqu’à ce que, deo concedente, un
troisième terme apparaisse. C’est là, pour Jung, une question d’éthique, l’éthique n’ayant
alors que fort peu à voir avec la morale, mais bien plus avec la vérité la plus subjective (celle
du soi, donc). Jung note, par exemple, que l’on trouvera certainement des figures d’anges dans
l’inconscient du criminel ; par contre, ce n’est pas en devenant un ange que le criminel
évoluera psychiquement, mais bien plutôt en se confrontant à ces figures d’anges, tout en
maintenant la position éthique de son identité de criminel, que peut-être émergera une
troisième voie respectueuse tout à la fois de son identité de criminel et de son potentiel à
devenir un ange. Il donne ainsi, à plusieurs reprises, l’exemple de la conversion de Saint Paul
sur le chemin de Damas comme renversement énantiodromique des valeurs du sujet, en lieu et
place d’une confrontation à lui-même.

L’anima/animus désignent pour Jung la position sexuelle opposée à la position


consciente, tout à la fois selon l’idée d’une bisexualité fondamentale de l’être humain et le
principe de compensation. Ce sont ces figures qui, pour Jung, donnent leur charge érotique
aux rapports sexués entre les humains. En effet, la libido n’est pas, pour Jung, a priori
sexuelle. Il s’agit de l’énergie psychique, qui naît d’une opposition entre deux termes : il n’y a,
pour Jung, d’énergie que dans une différence de potentiel, que dans une opposition, comme
cela est le cas en physique, à son époque tout du moins.

3 La!notion!de!complexité!

C’est en réfléchissant aux rapports entre les théories jungienne et freudienne, et en


m’appuyant sur le travail de Laplanche (1987) que j’en suis arrivé à m’intéresser aux systèmes

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complexes de la physique (Martin-Vallas 2005 & 2005b). Il m’est, en effet, apparu une certaine
similitude entre la polarité instinctuel/spirituel de l’archétype selon Jung, et l’effet de la
séduction originaire de Laplanche, à savoir le détachement d’une part de l’énergie de l’instinct
qui devient ainsi sexuelle, au sens de l’humain : la culture. De la logique binaire, en tout ou
rien, de l’instinct, apparaît ainsi une complexité liée à l’influence d’un tiers, et une nouvelle
dynamique en émerge, comme il en est en physique dès lors que l’on applique les lois
newtoniennes non à deux corps interagissant entre eux (par exemple la terre et la lune), mais à
trois corps (par exemple la terre et la lune, elles-mêmes en interaction avec le soleil). Tout cela
sera repris et développé dans la partie épistémologique ; en effet, les systèmes complexes de la
physique partagent avec le psychisme humain de nombreuses qualités, celles-là mêmes qui
font dire à certains partisans de la seule épistémologie poppérienne que la psychologie clinique
en général, et la psychanalyse en particulier, ne sont pas scientifiques.

4 Les!neurosciences!

Très vite, il m’est apparu que cette notion de complexité ouvrait sur la possibilité
d’aborder les rapports de la psychanalyse avec les neurosciences bien différemment de ce que
j’avais pu lire jusque là (Martin-Vallas 2009b, 2014). Là, il ne s’agit plus de chercher des
correspondances terme à terme, comme de proposer la localisation cérébrale ou
hémisphérique de telle fonction ou dynamique psychique (au sens de la psychanalyse), mais il
s’agit de proposer un modèle d’organisation complexe des fonctions neurocognitives connues,
modèle qui soit susceptible d’être le lieu d’émergence des fonctions et dynamiques psychiques
telles que décrites par les théories psychanalytiques. Il y aurait ainsi, entre les neurosciences et
la psychologie, un saut épistémologique du même ordre que celui qui différencie la physique
quantique de la chimie, et, entre la psychologie et la psychanalyse, un saut du même ordre
qu’entre la chimie et la biochimie. Entre chacun de ces niveaux émergent des qualités
nouvelles qui font du niveau supérieur de complexité un domaine scientifique différent par
nature de celui qui le précède.

Et, de même qu’il est possible de faire de la biochimie sans rien connaître à la
mécanique quantique qui décrit le comportement des particules au sein de l’atome, de même il
est possible de faire de la psychanalyse sans rien connaître au fonctionnement
neurophysiologique de l’intimité cellulaire du système nerveux. Cependant, de même que
certaines propriétés biochimiques ne peuvent être abordées qu’avec les outils de la mécanique
quantique, de même il est probable que certaines dynamiques psychiques ne peuvent se

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comprendre qu’en relation avec des phénomènes neurocognitifs. C’est, croyons-nous, le cas de
la chimère transférentielle, émergence d’une néoréalité psychique intersubjective dont il sera
proposé une représentation neuroscientifique dans ce travail, cette représentation ayant pour
but, notamment, d’invalider autant les représentations magiques de cette dimension clinique
(comme la trop fameuse communication d’inconscient à inconscient) que ses représentations
rationalisantes et réductrices (ce ne serait “que” des projections et fantasmes, et leurs
rencontres ne seraient “que” le fruit du hasard).

5 Retour!à!la!clinique!

Enfin, tout le travail décrit ci-dessus a été confronté à la clinique, en reprenant à la


lumière des notions ainsi dégagées un certain nombre de situations cliniques déjà travaillées et,
pour beaucoup, déjà publiées. Il s’agit là de la démarche théorico-clinique classique en
psychologie clinique et en psychanalyse. Mais, avant ce retour, l’ensemble de la démarche
décrite ci-dessus a eu pour effet de modifier quelque peu mon attitude dans ma clinique
psychanalytique. L’idée de la chimère transférentielle a ainsi favorisé une écoute centrée sur
cette dimension du transfert, écoute qui, à son tour, a conforté tout à la fois l’idée de la
chimère transférentielle et la position clinique qui lui est associée. Ainsi cette méthodologie est
devenue elle-même complexe, au sens qui sera développé dans la première partie de ce travail
sur l’épistémologie, chacune de ses dimensions venant (inter) agir sur chacune des autres.

5.1 Méthode!du!cas!singulier!

Concernant la démarche théorico-clinique, Widlocher (1990, 1999) a déjà


clairement dégagé les éléments de cette méthode qui, à partir d’un cas unique, ou de quelques
cas restreints en nombre, peut permettre la construction et/ou la discussion d’éléments
théoriques applicables à un grand nombre de situations cliniques. Cette méthode a, depuis, été
largement débattue et approfondie, notamment par Roman (2014). Widlocher différencie la
méthode du cas unique de celle du cas singulier, et remarque, pour cette dernière, que le cas
clinique représente le passage obligé entre l’expérience singulière et la démonstration scientifique
(Widlocher 1990, p.286). Plus spécifiquement, il note que la méthodologie dépend,
nécessairement, du public auquel s’adresse la démonstration, et il cite Freud dans L’homme aux
loups (Gardiner 1988, p.177) :

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Méthodologie"

On ne publie donc pas de telles analyses pour susciter la conviction chez ceux qui,
jusqu’à présent, se sont comportés de façon rétive et incrédule. On espère apporter quelque chose
de neuf qu’aux chercheurs qui se sont déjà acquis des convictions par leurs propres expériences au
contact du malade.

L’enjeu, ici, se limite, en effet, à proposer une lecture du processus transférentiel,


complémentaire de celles déjà partagées au sein de la communauté psychanalytique. La preuve,
s’il y en a, se limitera donc à porter un jugement d’existence, et à le discuter. Comme le dit
encore Widlocher (1990, p.288) : montrer par un cas exemplaire l’existence d’un état mental ou d’un
mécanisme jusqu’alors inconnu ou insuffisamment pris en considération.

Les critères de validité de cette méthodologie ont été décrits par Edelson (1990) et
synthétisés par Widlocher, qui y ajoute la prise en compte du public à qui la démonstration
s’adresse (1990, p.298-300) :

Un des principes fondamentaux, qui n’est d’ailleurs pas toujours respecté, consiste à
confronter la théorie proposée à une ou plusieurs autres théories qui auraient été susceptibles de
s’appliquer aux mêmes données cliniques. […] Bien entendu, la théorie rivale n’est pas
nécessairement une théorie que l’on juge fausse, elle peut aussi être tenue pour simplement
incomplète ou insuffisante au regard de celle qui est proposée.

Un deuxième principe technique consiste à choisir ce qu’Edelson appelle une hypothèse


à risque. […]

Il est clair que, plus encore que les études répétées sur un individu unique,
l’observation d’un fait singulier sur un seul individu nous permet seulement un jugement
d’existence. […]

[…] La méthode devrait donc servir plus le progrès interne de la psychanalyse qu’à
apporter aux épistémologues et aux historiens des sciences des arguments de scientificité. Le cas
unique nous confronte à la capacité d’appréhender la réalité clinique elle-même. Répliquer une
observation de cas singuliers, c’est pouvoir, ou croire pouvoir, développer la même compréhension.

Dans ce travail, cette méthodologie sera appliquée à un premier cas clinique,


développé en détail, et sera reprise pour d’autres cas cliniques, limités alors à une partie plus
ou moins restreinte de l’analyse, ceci afin de dégager l’applicabilité de l’hypothèse proposée à
différentes situations cliniques, avec des patients de fonctionnements et structures psychiques
très différents ; il s’agit bien de pouvoir, ou croire pouvoir, développer la même compréhension. Il n’en
reste pas moins que la multiplicité des cas cliniques ne concerne, dans ce travail, que les

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patients, et non l’analyste qui reste ici unique. Il est ainsi probable que la description théorico-
clinique de la chimère transférentielle soit, en partie au moins, un effet du fonctionnement
psychique particulier de cet analyste-là. Il s’agira donc de porter un jugement d’existence, et
non d’universalité.

5.2 Effets!de!cette!recherche!sur!ma!pratique!clinique!

Concernant l’effet que cette recherche a eu sur ma position clinique, il me paraît


aujourd’hui certain qu’elle m’a permis de me défaire de nombre de mes préjugés techniques et
théoriques concernant ce que devait être une cure psychanalytique, prenant la pleine
dimension des propos de Jung en 1924 (trad. et cit. par Moser, 1994, p.105) :

La médecine pratique est toujours un art. Il en est de même du travail analytique.


L’art vrai est quelque chose de créatif et la créativité est au-delà de toute théorie. C’est pour cela
que je dis à chaque débutant “apprenez votre théorie aussi bien que vous le pouvez, mais laissez-
là de coté quand vous touchez au miracle de l’âme vivante. Ce n’est pas la théorie, mais
uniquement la créativité de votre personnalité qui est décisive.”

Et c’est aussi l’effet de ce travail qui m’a conduit à me différencier de la seconde


proposition de Jung dans ce passage : de plus en plus, il m’est paru probable que ce n’est pas le
seul effet de la “créativité de la propre personnalité de l’analyste” qui peut être décisive, mais
bien plutôt celui de la créativité de la rencontre avec chacun de ses analysants. C’est ainsi que,
petit à petit, j’en suis arrivé à plus me laisser conduire par le transfert qu’à conduire moi-même
la cure. Cela signifie un changement sur deux plans :

- Sur le plan de la position de l’analyste il s’agit alors moins d’être celui qui conduit la cure, que
de se mettre au service d’un processus qui émerge entre lui et son analysant, processus qui est
susceptible de l’inviter, le conduire, voire parfois même le projeter, dans une place ou un rôle
qu’il n’aurait jamais délibérément choisi.
- Sur le plan de la nature de ses interventions, il s’agit alors de laisser place à l’expression
spontanée d’interventions “non orthodoxes” à l’adresse de l’analysant. L’expérience décrite
dans ce travail montre que ces interventions, dont la forme est, prise isolément, d’apparence
non analytique (voire anti-analytique), peuvent, sur le coup ou a posteriori, apparaître comme
ayant effet d’interprétation, d’amplification, ou plus simplement de contenance.

Ces transformations de ma pratique m’ont évidemment conduit à me poser


nombre de questions quant à ma position éthique ; plus précisément, en fait, c’est l’émergence

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Méthodologie"

de ce type d’intervention, et plus particulièrement de celle décrite dans le cas clinique initial,
qui m’a questionné sur la différence possible entre spontanéité et passage à l’acte. Le travail
clinique avec mes pairs et mes références théoriques m’ont permis de la repérer et de la
différencier dans ma pratique, puis d’en proposer une lecture théorique ici développée.

Au total, c’est cette réflexion associée à son effet sur ma clinique qui me permet,
aujourd’hui et comme le disait Bion (1970 cité par Duparc (2004 p.32), de savoir être sans
mémoire ni désir, ou plutôt savoir laisser ma mémoire et mes désirs à la disposition du patient et
du processus transférentiel afin qu’émerge, avec la mémoire et les désirs du patient, une
nouvelle narration de l’histoire : un squiggle psychique, donc (Winnicott 1971b).

Cet ensemble, je le crois aujourd’hui, et tenterai d’en amener des éléments de


preuve dans ce travail, est devenu dans ma pratique la condition d’un changement en
profondeur tout à la fois du processus transférentiel et de la psyché de l’analysant, et tout
autant, parfois, de celle de l’analyste, comme le montrera le premier cas clinique rapporté ici.

5.3 Éthique!de!la!publication!

Les cas cliniques présentés ici se répartissent, dans ma pratique, au cours des vingt
dernières années. Ils ont, pour beaucoup, déjà fait l’objet de publication, de telle sorte que les
descriptions cliniques ont été écrites très peu de temps après la fin du travail analytique. Ces
descriptions cliniques n’ont pas fait, ici, l’objet d’une réécriture, afin d’éviter toute distorsion
de la narration initiale.

La publication de ces situations cliniques s’est faite, pour la plupart, avec


l’autorisation du patient concerné. Quelques patients, cependant, n’ont pu être contactés, faute
de connaître leurs coordonnées actuelles. Tout ce qui pourrait permettre de les reconnaître a
été modifié, noms de personne, de lieux, dates, etc. De plus, quelques détails ont été ajoutés,
notamment concernant l’entourage social de ces analysants, afin d’ôter au lecteur toute chance
de reconnaître l’un d’eux par recoupements.

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La"“chimère”"transférentielle"

LA"“CHIMERE”!
TRANSFERENTIELLE!
Les travaux concernant le transfert sont parmi le plus nombreux des travaux
psychanalytiques, et couvrent largement le champ des différentes situations de la clinique
transférentielle que l’on peut rencontrer. De plus, ceci est vrai au sein des différentes
approches théoriques de la psychanalyse. Il peut donc paraître aussi inutile que prétentieux de
vouloir apporter une pierre supplémentaire à cet édifice déjà lourdement chargé. Pourtant il
est peut-être nécessaire, justement pour tenir compte de cette profusion de postulats et de
discussions théoriques, de tenter de resserrer quelque peu les débats, ce que ce travail se
propose, non pas en tentant une quelconque synthèse ou vision exhaustive du transfert en
général et/ou en particulier, mais en s’intéressant spécifiquement à la dimension
interpersonnelle de ce processus.

Il apparaît, en effet, qu’après la conceptualisation du transfert par Freud (1900),


puis du contre-transfert (1906-1914, lettre du 7/06/1909), de nombreux auteurs, après Jung
(1935c), ont ressenti la nécessité d’aborder la dimension interpersonnelle du transfert. Jung
(1935c, p.88) note que En d’autres termes : le thérapeute n’est plus le sujet agissant, mais un coparticipant
à un processus de développement individuel.9 Il convient cependant de marquer que, hors du champ
jungien, et à l’exception notoire de Nicolas Abraham (1961) et de son concept de résonance,
et surtout de Michel de M’Uzan (1976) et de son idée de chimère des inconscients, la plupart
des auteurs cherchent à conceptualiser cette dimension interpersonnelle en tentant d’en
dégager une vectorisation principale, la réduisant ainsi à une combinatoire du transfert et du
contre-transfert. Récemment, cependant, les choses semblent être entrain de changer, comme
en témoigne l’article écrit conjointement par la psychanalyste Cohen et le neuroscientifique
Varela (Cohen & Varela 2000).

9 : Souligné par l’auteur

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C’est pourquoi il peut sembler nécessaire de nommer différemment cette


dimension interpersonnelle du transfert, non qu’une telle combinatoire n’y participe pas (bien
au contraire), mais que, de cette combinatoire, émerge un processus qui a ses qualités et
dynamiques propres, en relative indépendance des dynamiques à proprement parler
transférentielles et contre-transférentielles. Le terme de chimère, repris à de M’Uzan, paraît le
mieux adapté à la qualification de cette dimension interpersonnelle : il ajoute au terme
résonance, qui se réfère à un phénomène physique par nature passif et totalement dépendant
de ses stimuli, une dimension d’altérité plus ou moins subjective et autonome. Voici ce qu’en
dit de M’Uzan (1978, p.93) :

L’analysé et son analyste forment aussi une sorte d’organisme nouveau, un monstre en
quelque sorte, une chimère psychologique qui a ses propres modalités de fonctionnement. De
par la nature même des conditions de leur rencontre, l’analysé et son analyste ont, à leur insu,
donné naissance à un enfant fabuleux, un être puissant qui œuvre dans l’ombre, mais dont la
croissance peut être plus ou moins affectée par toutes les influences provenant de ses créateurs.

1 La!Chimère!dans!la!mythologie!

D’après le Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine :

La Chimère est un animal fabuleux, qui tenait de la chèvre et du lion. Tantôt, on lui
donne un arrière-train de serpent, et une tête de lion, sur un corps de chèvre, tantôt elle a
plusieurs têtes, une de chèvre, une de lion. Elle souffle des flammes. Elle est le produit de l’union
de Typhon et de la « Vipère » Echidna. Elle a été élevée par le roi de Carie Amisodarès et vit à
Patéra. Le roi de Lycie, Lobatès, ordonna à Bélléphoron de la tuer parce qu’elle se livrait à
maintes déprédations sur son territoire. Avec l’aide du cheval ailé, Pégase, Bélléphoron y parvint.

Echidna, monstre au corps de femme se terminant par une queue de serpent —


déjà une chimère, donc — avait coutume de dévorer les passants. Elle eut plusieurs autres
descendants avec Typhon : Orthros, Cerbère et l’Hydre de Lerne. Avec son fils Orthros, elle
engendra le Sphinx de Thèbes, lui aussi une chimère. Selon d’autres sources (Les mythes grecs,
p.297), le Sphinx est directement issu de l’union d’Echidna et de Typhon, et se retrouve donc
sœur de la Chimère.

D’après Graves (idem, p. 110), la Chimère était associée au calendrier triparti, les
trois animaux qui la composent étant chacun associés à une des trois saisons de ce calendrier.
Il note aussi (idem, p. 199) que la Chimère, comme Méduse, est associée à l’usurpation du

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La"“chimère”"transférentielle"

pouvoir de la déesse Lune, la mise à mort de ces monstres, respectivement par Percé et
Bélléphoron (le premier grâce à ses sandales ailées, et le second son cheval aussi ailé) mettant
fin à cette usurpation.

L’ensemble de la parenté de la Chimère, comme la Chimère elle-même, se trouve


ainsi constitué d’êtres fabuleux et composites, tous descendants de cette « Vipère », femme-
serpent. Le monde pulsionnel archaïque est ici richement représenté.

2 La!chimère!du!langage!courant!

Selon le Robert (2014), une chimère est une Vaine imagination. Synonyme
de fantasme, illusion, mirage, rêve, songe, utopie, vision.

3 La!chimère!des!biologistes!

3.1 Généralités!

En biologie aussi on parle de chimères, désignant ainsi des êtres biologiques


constitués de tissus portant des génotypes différents. L’exemple le plus ordinaire est
probablement la greffe d’un arbre fruitier sur un porte-greffe, généralement de la même
espèce, ou approchant, le greffon apportant la richesse et/ou la qualité de sa fructification,
alors que le porte-greffe garantit la vitalité de l’ensemble. Cet exemple peut être complexifié
comme en greffant des greffons d’espèces différentes sur un même porte-greffe. Il est ainsi
possible, par exemple, d’avoir, sur un même arbre, des branches portant des pommes, alors
que d’autres portent des poires. Ce type de chimère artificielle se retrouve chez l’homme après
transplantation d’organe et parfois aussi après transfusion sanguine, certaines cellules
transfusées n’étant pas détruites par le système immunitaire hôte et pouvant ainsi donner
naissance à des lignées cellulaires porteuses du génome du donneur.

Ce phénomène, artificiel en ce qui concerne les greffes végétales, peut aussi


apparaître de manière naturelle, y compris chez l’homme. Trois types de chimérismes peuvent
se rencontrer.

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La"chimère"transférentielle"

3.2 Chimérisme!complet!

Le premier, dit chimérisme complet, extrêmement rare — moins de cent cas


décrits (Wolinski 2007) — se forme par réunion, aux tout premiers stades du développement
embryonnaire, de deux embryons hétérozygotes. Ainsi certains organes du corps de l’adulte
porteront un génome, alors que d’autres en porteront un autre, différent. Une femme peut
ainsi produire des ovules porteurs de deux génomes différents, de telle sorte que ses enfants
n’auront pas tous la même « mère génétique ».

3.3 Chimérisme!hématopoïétique!

Le second, dit chimérisme hématopoïétique, a été décrit dès 1954 (Dunsford & co
1954). Il se forme par contact et connexion circulatoire au niveau du placenta entre deux
jumeaux hétérozygotes. Il peut alors se faire un transfert de cellules souches d’un jumeau à
l’autre, de telle sorte que ce dernier sera porteur de deux lignées de cellules sanguines, l’une de
son propre génome, et l’autre de son jumeau, pourtant hétérozygote. Ce phénomène se
présenterait dans 8 % des grossesses gémellaires (Barski & co 2014) et n’est donc pas, tant s’en
faut, exceptionnel (sachant que 0,85% des grossesses donnent naissance à des jumeaux
hétérozygotes, ce phénomène doit donc toucher environ 0,07% de la population, soit environ
42 000 personnes en France).

3.4 Microchimérisme!

Le troisième enfin, dit microchimérisme (Nelson 2010), est le plus fréquent ; il est
même probablement la règle pour tous. Il résulte du fait que, au cours de la grossesse, le sang
du fœtus et celui de la mère sont au contact l’un de l’autre au travers du placenta. Ce dernier,
qui permet de nombreux échanges entre le fœtus et la mère, est aussi partiellement perméable
aux cellules, de telle sorte que quelques cellules de la mère passent directement dans le sang du
fœtus, et réciproquement. Chez l’un comme chez l’autre certaines de ces cellules survivent et
donnent lieu à des lignées génétiquement différentes des cellules de l’hôte. C’est ainsi que l’on
peut retrouver, chez la femme, des cellules génétiquement identiques à celles de chacun de ses
enfants et/ou de sa mère, voire sa grand-mère. Une hérédité génétique directe de la lignée
maternelle est ainsi possible, venant compléter une autre lignée génétique maternelle directe en
provenance de l’ADN mitochondrial. Il semble aujourd’hui que ce microchimérisme peut être
à l’origine de certaines pathologies, et aussi de certains processus de régénération cellulaire :

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La"“chimère”"transférentielle"

Résumons-nous. Le microchimérisme peut affecter l’organisme de plusieurs façons. Des


cellules immunitaires transférées peuvent attaquer les tissus, comme dans la dermatomyosite
juvénile. Des cellules « adoptées » par l’organisme hôte, c’est-à-dire différenciées, peuvent
déclencher une attaque immunitaire ; c’est vraisemblablement un mécanisme en jeu dans la
sclérodermie et le lupus néonatal. Autre possibilité, aux effets inverses : les cellules étrangères
migrent vers des tissus lésés, et les aident à se régénérer et à restaurer leur fonction, comme cela
semble être le cas au cours du diabète de type 1. (Nelson 2010, p.63)

Cela conduit les biologistes à s’interroger sur la notion d’identité génétique, l’idée
selon laquelle chacun n’est porteur que d’un seul bagage génétique étant mise à mal par ces
découvertes. Et cette question est amplifiée par la découverte de cellules étrangères au sein
même du cerveau :

Une autre interrogation a surgi lorsqu’une équipe de l’Université de Singapour, en


2005, et celle de D. Bianchi, en 2008, a mis en évidence un microchimérisme fœtal et maternel
dans le cerveau de souris. Les cellules maternelles implantées dans le cerveau fœtal influent-elles
sur le développement cérébral ? Pourrait-on exploiter le microchimérisme fœtal pour traiter des
maladies caractérisées par la dégénérescence de certaines régions du cerveau ? Et si notre cerveau
n’est pas exclusivement composé de nos propres cellules, qu’est-ce qui définit le « moi » et le
psychisme ? (Nelson 2010, p.63)

Enfin, cette question de l’identité touche aussi à l’identité sexuelle, certaines


cellules porteuses du chromosome Y pouvant se retrouver au sein du sang de la femme, alors
que certaines cellules de sa mère, double X, peuvent se retrouver chez l’homme.

3.5 Perspectives!de!recherches!

Le chimérisme est actuellement un champ de recherche en plein développement,


d’une part comme cause de certaines pathologies, et d’autre part comme thérapie potentielle.
La plus connue de ces pistes de recherche concerne les cellules souches, cellules ayant la
capacité se différencier en à peu près n’importe quel type de cellule mature, donc susceptible
de régénérer un organe défaillant, mais dont le potentiel tumoral — donc le risque de cancer
iatrogène — est très important.

Ces recherches soulèvent de nombreuses questions éthiques, ce qui fait dire à


Gilgenkrantz (Barski & co 2014) :

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Ainsi, on le voit, à l’instar de la Chimère de la Grèce antique, dont le nom rappelait


l’hiver, mais dont le souffle était brûlant, les recherches sur le chimérisme soufflent aujourd’hui le
chaud et le froid. Elles n’en sont pas moins passionnantes.

4 La!chimère!en!zoologie!

Les chimères, ou chimaéroïdes, sont une famille de poissons très répandus du


dévonien au permien (-400 à -250 millions d’années), famille dont il ne reste que 33 espèces
(Janvier 2014), les chimères. Il y a là, comme en mythologie, référence à une période bien
antérieure à l’humain, une période dont seules quelques traces subsistent aujourd’hui.

5 Synthèse!

Le mot chimère se trouve ainsi au croisement d’un réseau sémantique


complexe [Figure 1] :

Figure 1 : Champ sémantique de la chimère

C’est l’ensemble de ce champ sémantique qui justifie la notion de chimère


transférentielle. L’espace interpersonnel du transfert, tel qu’il est étudié ici, semble, en
effet, constituer une dimension spécifique du transfert, au même titre que le transfert et le
contre-transfert. Et au sein de cet espace se déploient, comme il sera démontré à partir des

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La"“chimère”"transférentielle"

exemples cliniques étudiés dans ce travail, les différentes dimensions du champ sémantique de
ce mot chimère.

Un point mérite probablement d’être mis en exergue : la notion de chimère


transférentielle a un objectif clinique principal, qui est de poser qu’une dimension essentielle
du transfert ne peut, et ne doit, pas être assignée à l’un ou l’autre des protagonistes de la cure.
Il en est là de même que pour la relation entre la mère et son nourrisson, à savoir que l’un ne
peut exister sans l’autre, et que ce qui se construit entre les deux provient autant de leur
rencontre que de l’un et/ou de l’autre.

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Épistémologie"

ÉPISTEMOLOGIE!
Il paraît nécessaire, dans un travail se situant aux confins des théories
psychanalytiques autant qu’à leur interface avec les neurosciences, de discuter quelque peu
son fondement épistémologique possible. En effet, les épistémologies qui fondent les
neurosciences paraissent si éloignées de celles de la psychanalyse que le résultat de
rapprochements entre ces champs de la recherche risque fort de se retrouver comme
dépourvu de tout fondement. De plus, ces épistémologies semblent hétérogènes,
différentes selon le champ des neurosciences ou l’approche psychanalytique concernée. Les
neurosciences, en effet, forment elles-mêmes un champ très hétérogène qui s’étend des
biologie et biochimie pures à un cognitivisme qui pose l’existence de l’esprit comme objet
de son étude. De son côté, la psychanalyse s’organise autour de plusieurs écoles de pensée
qui, chacune, théorise le psychisme à sa façon, sans qu’il soit toujours possible de
« traduire » les propos de l’une dans la terminologie de l’autre, du fait de présupposés
philosophiques, idéologiques et/ou épistémologiques différents. Il convient donc en
premier lieu de retracer rapidement les différentes épistémologies scientifiques, leur histoire
et évolution, afin de pouvoir situer ces approches, et ce travail qui tentera d’en proposer
une articulation, au sein de ce domaine, fondement de tout savoir humain.

1 Définition!de!l’épistémologie!

D’après Le Robert (2012), l’épistémologie est soit l’Étude critique des sciences,
destinée à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée, soit la Théorie de la connaissance et de
sa validité. Ces deux définitions dépendent en fait du mot grec επιστήµη, selon qu’on choisit
de le traduire par « science » ou « connaissance ». La tradition philosophique française
relève plutôt de la première définition, alors que l’Anglo-saxonne relève plutôt de la
seconde.

Ces deux définitions posent une question quant à celle du mot « science ». Là,
on se retrouve, toujours avec Le Robert 2012, avec quatre définitions :

• Connaissance : Connaissance exacte et approfondie ou Ensemble de connaissances, d’expériences.


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La"chimère"transférentielle"

• Savoir-faire : Savoir-faire que donnent les connaissances (expérimentales ou livresques), l’habileté ou


Art ou pratique qui nécessite des connaissances, des règles.
• Ensemble de connaissances — une science, les sciences : Ensemble de connaissances ayant
un objet déterminé et reconnu, et une méthode propre ; domaine organisé du savoir (opposé à art) ou
Ensemble de connaissances, d’études d’une valeur universelle, caractérisées par un objet et une méthode
déterminés, et fondées sur des relations objectives vérifiables.
• Ensemble de connaissances – la science : Ensemble des travaux des sciences ; connaissance
exacte, universelle et vérifiable exprimée par des lois, qu’elle soit obtenue par hypothèse et déduction, par
observation et induction ou par un « aller et retour » entre les deux.

De ces quatre acceptions du mot « science », il semble que seules les deux
dernières intéressent notre propos. Nous y retrouvons déjà des présupposés
épistémologiques importants : corps de connaissance, objet déterminé, méthodes déterminées, relations
objectives vérifiables, connaissance exacte, universelle et vérifiable exprimée par des lois. Il apparaît ainsi,
au regard de ces définitions, que faire entrer dans un champ scientifique un objet tel le
psychisme humain, subjectif par essence, risque d’être fort compliqué. C’est là un problème
auquel de nombreux philosophes et scientifiques du XXe siècle ont tenté d’apporter une
réponse. Nous nous appuierons surtout sur l’article de Gilles Gaston Granger (2008) dans
l’Encyclopédie Universalis pour rendre compte de ces évolutions.

2 Épistémologie!scientifique!«!classique!»!

2.1 L’épistémologie!«!postcartésienne!»!

Le point de départ de la science telle que nous la connaissons aujourd’hui est la


distinction que fait Descartes (1637) entre le cogito, le chercheur qui pense sur l’objet de sa
recherche, et la res extensa, univers objectif que le chercheur doit pouvoir considérer et
étudier sans que sa subjectivité « dérange » son étude.

Descartes a disjoint d’un côté le domaine du sujet, réservé à la philosophie, à la


méditation intérieure et, d’autre part, le domaine de la chose dans l’étendue, domaine de la
connaissance scientifique, de la mesure et de la précision. (Morin 1990, p.103)

Pour Descartes, dont le travail a longtemps conditionné la philosophie et les


méthodologies scientifiques, la science se définit par une rationalité de l’étendue, matière et
étendue ne faisant qu’un pour lui. Ainsi la science est métaphysiquement fondée. À ce

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Épistémologie"

principe de base s’ajoute un idéal exprimé par sa devise : se rendre maîtres et possesseurs de la
nature. Cet idéal, longtemps resté dans l’ombre, est aujourd’hui patent et toujours moteur de
l’essentiel de la recherche scientifique ; il en conditionne souvent les financements. Pascal
(1657) exprime, quant à lui, une conception de la science déjà bien différente, puisqu’il la
présente comme schéma hypothético-déductif, confirmé, mais non démontré par les résultats de
l’expérience (Granger 2008). Leibniz conserve l’idée d’une science métaphysiquement fondée,
mais qui ne peut nous faire connaître que la structure du réel, au travers des systèmes de
symboles qu’elle utilise.

Cette épistémologie « postcartésienne » ainsi comprise comme faisceau de problèmes


situe donc la question de la connaissance scientifique essentiellement comme conflit, ou
conciliation, entre un réalisme qui majore la valeur absolue des idées scientifiques et une
philosophie qui insiste sur leur caractère de symboles. (Granger 2008)

2.2 L’épistémologie!«!post]kantienne!»!

Kant (1781) décrit la science comme prolongement de la perception de l’objet,


tel qu’il est constitué par les catégories a priori qui permettent sa perception. Sans ces
formes a priori de la perception, il ne pourrait, selon lui, y avoir d’objet, et donc de science.
Mais la remise en question du monopole de l’espace euclidien, entre autres évolutions de la
science, allait remettre en question l’a priori transcendantal de Kant. Pour Poincaré (1905),
par exemple, la géométrie qui détermine a priori notre description des objets physiques ne
résulte pas d’a priori transcendantaux, mais d’un choix. Cette position peut probablement
être mise en relation avec ses travaux sur la relativité restreinte qu’il a développée
conjointement à Albert Einstein.

Les phénoménologues, de leur côté, ont aussi critiqué les a priori kantiens,
cherchant à décrire les a priori de la pensée scientifique, et posant que c’est la perception de
l’objet, perception directe ou indirecte, qui délimite le champ du possible scientifique. C’est
là le caractère phénoménal de son objet. Ainsi les a priori kantiens n’auraient aucune
validité intrinsèque.

D’un autre côté, le monopole de ce que Kant appelle « entendement » dans la


construction de la science rencontrait déjà une limitation à l’intérieur de la philosophie
critique : les sciences de la vie, dont il est question dans la Critique du jugement, font appel à
la notion de finalité, qui se place sur un autre plan que les principes constitutifs de l’objet

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La"chimère"transférentielle"

scientifique par excellence, qui est celui de la physique. Ainsi, une science biologique et,
naturellement, a fortiori une science des actes humains ouvre-t-elle un problème
épistémologique particulier dans la postérité kantienne […]. (Granger 2008)

2.3 Y!a]t]il!une!épistémologie!contemporaine!?!

Paul Granger note qu’il est impossible de parler d’un état de la science au
présent, celle-ci étant toujours en évolution, cheminant selon des rythmes propres dans de
nombreuses directions, et formant ainsi un ensemble dont on ne peut, en fait, faire état que
par un regard lancé a posteriori. Et c’est un tel regard qui a conduit Gaston Bachelard
(1934, 1938) à décrire le travail de rationalisation d’un domaine scientifique comme
conduisant à une unité de conception qui, à une époque donnée, peut finir par s’imposer si
fortement aux esprits scientifiques qu’elle fasse obstacle à toute recherche qui risquerait de
rompre cet édifice. Il s’en conclut que :

Partant de ce constat des obstacles que rencontre la recherche scientifique, Thomas


Kuhn (1962) note que ces obstacles se stabilisent à certaines époques et constituent ainsi un
paradigme qui définit autant le champ de la science que ses procédures d’investigation. Ce
paradigme est alors porté par les institutions, autant par le pouvoir qu’elles exercent sur la
réputation des scientifiques que par les moyens financiers qu’elles leur permettent, ou non
d’obtenir pour conduire leurs recherches. Ainsi un changement de paradigme implique, à ses
yeux, une révolution qui implique une remise en question tout autant des pensées que des
pouvoirs. Granger discute le poids accordé par Kuhn aux pouvoirs des institutions, mais note
que le besoin de cohérence de la démarche scientifique conduit nécessairement à une certaine
normalisation de la démarche scientifique. (Granger 2008)

Il est cependant patent que, au sein d’un domaine scientifique donné,


l’existence d’un paradigme, au sens de Kuhn (1962), peut être mis en évidence dès lors que
la poursuite de la recherche arrive au point où certains « fondamentaux » de ce domaine
risquent une remise en question importante. L’histoire de Bowlby et de sa mise au ban de la
psychanalyse, du fait que son insistance sur les facteurs exogènes, développementaux,
comme éléments essentiels de la structuration psychique pouvait remettre en cause le
modèle essentiellement intrapsychique de la psychanalyse à cette époque, donc aussi son
orientation clinique, en est un exemple. Il fallut que cet aspect fût repris par le Middle
group pour trouver une place au sein de l’édifice théorique et de la pratique clinique de la

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Épistémologie"

psychanalyse, une place sans laquelle les nombreuses discussions, qui se poursuivent
aujourd’hui encore, n’auraient pu avoir eu lieu.

Il n’est pas certain que les approches psychanalytiques et neuroscientifiques de


la psyché ne soient pas, chacune de leur côté, concernées aujourd’hui par un même genre
d’obstacle quand il s’agit de les faire se rencontrer et, si possible, dialoguer : chacun se sent
alors comme menacé — non sans raison d’ailleurs — dans son identité propre autant que
dans ses idéaux, et il devient difficile, sinon impossible, d’envisager ce dialogue comme
potentiellement enrichissant pour les différents partis. Alors, comme le dit Bachelard (1938,
p. 16, cit. par Granger 2008) : Par les révolutions spirituelles que nécessite l’invention scientifique,
l’homme devient une espèce mutante, ou pour mieux dire encore une espèce qui a besoin de muter...

2.4 Le!paradigme!copernicien!

Si l’on s’en tient à la définition d’un paradigme scientifique comme étant ce qui,
à un moment donné, fait consensus quant aux champs et procédures d’investigation d’un
domaine de recherche, on peut alors repérer la révolution copernicienne comme étant
fondatrice de notre science moderne. Ce furent Copernic et Newton qui posèrent les bases
de cette révolution, Copernic (1543) en décrivant une mécanique astronomique, et Newton
(1687) en la traduisant en termes mathématiques.

Ce nouveau paradigme établit durablement tout à la fois le champ de la


physique (l’espace euclidien, espace absolu du « réel » physique), sa méthode (l’observation
et sa reproductibilité, l’expérience étant alors une modalité de l’observation), son outil
théorique (les mathématiques), et la relativité galiléenne (Galilée, 1632) qui pose que les
vitesses sont relatives à un espace absolu, donc qu’elles s’additionnent, ce qui implique que
leur mesure est relative à la vitesse de l’observateur vis-à-vis de son objet d’observation. Il
resta inchangé durant plus de deux siècles, devenant l’idéal vers lequel les autres domaines
de la science se sont mis à tendre.

2.5 Les!nouveaux!paradigmes!du!XXe!siècle!

Le XXe siècle vit tout à la fois l’extension du paradigme newtonien dans des
domaines où il n’était pas attendu, par exemple la biologie, et sa profonde modification
dans son domaine de prédilection, la physique. Nous retiendrons trois champs de la
physique qui virent ce paradigme profondément remanié.
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La"chimère"transférentielle"

2.5.1 La"relativité"de"Poincaré"et"Einstein"

Les équations de Maxwell (1865) posèrent l’absolu de la vitesse de la lumière,


remettant ainsi profondément en question le principe de la relativité galiléenne (absolu de la
vitesse d’un corps) : la vitesse de la lumière ne peut plus s’additionner à celle de
l’observateur et/ou du corps qui l’émet. Ce point fit l’objet de nombreux travaux qui
tentèrent de trouver une interprétation de ces équations en conformité avec les données
considérées à l’époque comme certaines en physique, notamment l’absolu de la vitesse d’un
corps, et il fallut attendre 1905 pour que Poincaré (1905) et Einstein (1905) publient,
chacun de leur côté, les bases de ce qui est aujourd’hui connu comme étant la relativité
restreinte.

Dans cette théorie seule la vitesse de la lumière garde sa qualité d’absolu, toutes
les autres vitesses d’un corps devenant relatives à celle-ci : la mesure de la vitesse d’un
faisceau lumineux issu d’un corps en mouvement est toujours très exactement la même
quelle que soit la direction de l’espace vers laquelle il se dirige, et, quelle que soit la vitesse
de l’observateur qui effectue la mesure. De plus, cette théorie mit à mal un autre absolu,
celui du temps et de l’espace : le temps ne peut plus être appréhendé comme indépendant
de l’espace et devient une dimension de celui-ci.

Peu après, avec la relativité générale, Einstein (1916) mit à mal l’espace
euclidien comme référentiel absolu de l’espace réel : la présence de matière (ou d’énergie,
ces deux grandeurs ayant été rendues équivalentes par la relativité restreinte) déforme la
portion de l’espace-temps où elle se trouve, espace-temps qui devient alors courbe « à
proximité » de cette matière/énergie. Ainsi la gravitation n’est plus une force, comme
Newton l’avait posée, mais un effet de cette déformation de l’espace-temps.

2.5.2 La"mécanique"quantique"

Si les théories de la relativité sont habituellement attribuées à un homme, il


n’en est pas de même de la mécanique quantique qui vit le jour progressivement entre 1900
et 1930. Le premier nom associé à cette naissance est Max Planck (1901), qui fit l’hypothèse
fondatrice de manifestations discrètes des quantités d’énergie, afin de résoudre le problème
posé par le rayonnement des corps noirs. Ce fut une transformation profonde du
paradigme de la physique qui avait toujours considéré, jusque là, l’énergie comme quantité
continue. Cette hypothèse mit au travail de nombreux physiciens, et s’avéra d’une très

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Épistémologie"

grande fécondité. Les principaux d’entre eux furent, après Planck, Nil Bohr, Albert
Einstein, Louis de Broglie, Erwin Schrödinger, Werner Heisenberg, Paul Adrien Dirac,
Max Born, Wolfgang Pauli, etc.

La mécanique quantique n’a pas seulement mis à mal l’idée de la continuité des
quantités d’énergie. Elle a aussi introduit les probabilités en lieu et place d’un principe de
causalité jusqu’alors tenu comme un absolu indissociable de la démarche scientifique ; c’est
la notion même de déterminisme qui fut là remise en question. Et, peut-être plus important
encore, elle s’est avérée impossible à concilier avec la théorie de la relativité générale,
malgré un travail intense de très nombreux physiciens qui tentèrent l’élaboration d’une
théorie unifiée. La science physique, qui, jusqu’alors pouvait apparaître comme un tout
cohérent10, a été profondément clivée par ces deux théories qui, chacune dans son domaine
d’application, se sont pourtant révélées confirmées par l’expérience avec une précision
jusqu’alors jamais égalée. Ainsi se pose la question de savoir si c’est la réalité elle-même qui
obéit à des lois différentes (dans leurs formes autant que dans leurs natures) selon l’échelle
à laquelle elle est observée, ou si c’est uniquement l’insuffisance de nos outils théoriques
qui nécessite l’utilisation de lois différentes.

L’interprétation de cet écart donna lieu à de nombreuses hypothèses, allant de


ceux qui, à la suite d’Einstein et son fameux Dieu ne joue pas aux dés, croient que la
mécanique quantique ne peut être considérée que comme théorie, non comme
représentation de la réalité, à ceux qui flirtent sans vergogne avec la science-fiction. En tout
cas, qu’il s’agisse de la relativité générale avec son espace-temps flexible, ou de la
mécanique quantique avec ses fonctions d’onde, ces deux théories se sont radicalement
éloignées du monde sensible, nécessitant une différenciation entre les modèles (ici
mathématiques) et la réalité. Ainsi la transcendance (au sens de Kant) ne s’applique plus à
l’objet et sa perception (les a priori), mais au modèle scientifique lui-même, puisqu’il n’est
plus une représentation d’une réalité perceptible, mais qu’il se limite à en représenter ses
dynamiques ; la particule telle que définie par la mécanique quantique est inaccessible à une
représentation (autre que mathématique) qui serait cohérente avec la fonction d’onde qui
en décrit les dynamiques.

10 : L’exemple le plus connu de l’expression de cette croyance est le discours de Lord Kelvin (1901) où il
estimait que ne persistait, dans le ciel serein de la physique théorique, que “deux petits nuages”.

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La"chimère"transférentielle"

Nous verrons ultérieurement que plusieurs des concepts introduits par la


psychanalyse, au premier rang desquels le concept d’inconscient, désignent aussi une
hypothétique réalité transcendante dans le but de décrire des phénomènes qui en seraient
les effets. De même que la fonction d’onde de la mécanique quantique qui permet de
rendre compte en un modèle cohérent des données de l’expérience, cette notion
d’inconscient à permis d’intégrer dans un modèle cohérent de nombreux phénomènes
psychiques dont les dynamiques ne pouvaient, avant, faire l’objet d’une représentation
globale au sein d’un système théorique cohérent.

2.5.3 La"théorie"du"chaos"

Quand Newton (1684) développa sa mécanique céleste, il remarqua qu’il ne


pouvait ainsi rendre compte à la fois des mouvements relatifs de la terre, du soleil et de la
lune. Les outils mathématiques à sa disposition étaient insuffisants à résoudre les équations
décrivant ces mouvements. Pourtant ce problème, dit « problème des trois corps », était
d’une importance considérable, puisque nécessaire pour calculer précisément les horaires
des marées sur un long terme, et la connaissance de ces horaires était nécessaire aux marins,
donc au commerce international qui avait déjà pris une grande ampleur. Enfin, il s’agissait
de démontrer la stabilité du système solaire, ce qui impliquait de résoudre non seulement le
problème à trois corps, mais aussi celui à n corps, afin de pouvoir inclure l’ensemble des
planètes dans le calcul. La seule solution que trouva Newton fut de poser que la stabilité de
l’univers était l’œuvre de Dieu.

Ce fut Laplace (1796) (Costabel 2008) qui résolut ce système d’équations, et


démontra ainsi la prévisibilité et la stabilité du système solaire et, par extension, de l’univers.
Ou plutôt, il crut avoir résolu ce problème, car, un peu plus d’un siècle plus tard, Poincaré
(1905a) démontra, entre 1889 et 1899, que les approximations mathématiques utilisées par
Laplace n’étaient pas applicables en l’état au problème des trois corps. Ce faisant, Poincaré
démontra que le système solaire présentait une caractéristique nouvelle pour l’époque, sa
sensibilité aux conditions initiales. Il en déduit que la stabilité du système solaire ne pouvait
être affirmée, et que nul ne pouvait savoir si, dans quelques millions d’années, les orbites
qui sont aujourd’hui celles de ses planètes seraient conservées. Il avait ainsi jeté les bases
mathématiques de la théorie du chaos, théorie qui ne fut reprise par la communauté des
physiciens qu’à partir des années 1960-1970 (Gleick 1997).

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Épistémologie"

Les systèmes complexes, ou chaotiques, ou non-linéaires, posent deux


problèmes majeurs au paradigme scientifique du XIXe et du XXe siècle :

• Ce sont bien des systèmes déterministes, mais ils ne sont pas prévisibles, leur sensibilité
aux conditions initiales rendant impossible d’espérer pouvoir prévoir leur état au-delà
d’un temps calculable (l’horizon de Lyapounov11). En effet, la marge d’erreur inhérente à
toute mesure, donc à la définition de l’état du système à un temps donné, va en
s’accroissant de manière exponentielle avec le temps jusqu’à ce qu’elle soit si élevée que
la connaissance de l’état initial ne soit plus d’aucune utilité12. Ces systèmes sont donc,
au-delà de cet horizon, en apparence aléatoires, et en tout cas imprévisibles.
• Cette sensibilité aux conditions initiales produit en outre trois autres conséquences :

o Ces systèmes sont non reproductibles, car toute différence minime dans l’état initial
du système peut produire des effets tels que son évolution soit radicalement différente.
o L’effet quantitatif d’un évènement sur leur évolution n’est absolument plus corrélé à
l’intensité de l’évènement, ou, pour être plus précis, cette corrélation n’est ni prévisible
ni constante. « L’effet papillon », discuté plus loin, en est aujourd’hui l’exemple princeps.
o Les limites spatiales de ces systèmes sont floues, la sensibilité à l’effet d’un
évènement les rendant toujours susceptibles de modifier leur destinée à la suite d’une
interaction, fût-elle minime, avec leur environnement.

Sachant que l’étude de ces systèmes complexes est toute récente (moins de
cinquante ans pour ses pionniers, et moins de trente ans pour l’ensemble de la
communauté scientifique), et qu’il est aujourd’hui établi que la plupart des systèmes réels
sont des systèmes complexes (les mouvements des masses d’air conditionnant l’évolution
météorologique, la conduction électrique dans le muscle cardiaque, l’excitabilité d’un
neurone, etc.), il est probable que les communautés scientifiques et philosophiques soient
encore loin d’avoir pu en tirer toutes les conséquences. Il semble cependant possible
d’affirmer que la vision simple d’une science expérimentale qui reposerait notamment sur

11 : plus précisément il s’agit de l’exposant de Lyapounov, dont l’inverse est l’horizon. (Lyapounov, 1892)

12 : p.ex. : Imaginons un système dans un espace de 100 mètres de coté dont nous connaissons avec une
précision millimétrique la position initiale de chacun de ses constituants. Cette imprécision augmentant
de manière exponentielle au fur et à mesure de l’évolution du système, elle finira par atteindre une valeur
supérieure aux 100 mètres de la taille du système, de telle sorte que la connaissance que nous avions de
l’état initial ne sera plus d’aucune utilité.

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La"chimère"transférentielle"

sa reproductibilité et sa capacité à prévoir l’avenir d’une dynamique est fort mise à mal, sauf
à exclure du champ de la science la réalité même du monde qui nous entoure. Cela,
évidemment, s’applique tout particulièrement à l’étude du psychisme humain et de la
subjectivité qui le caractérise.

2.5.4 Le"paradigme"scientifique"mis"à"mal"au"XXe"siècle"

De Copernic, Galilée et Newton au début du XXe siècle le paradigme


scientifique était « simple » : l’Univers est un tout stable dont il suffirait de découvrir les lois
pour pouvoir, sinon le dompter, du moins le prévoir. Par exemple, en 1814 Laplace (cité
par Wikipedia.fr, Théorie du chaos, consulté le 18/05/2011) écrivait :

Nous devons donc envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état
antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui pour un instant
donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres
qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ses données à l’analyse,
embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux
du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent
à ses yeux.

L’esprit humain offre, dans la perfection qu’il a su donner à l’Astronomie, une


faible esquisse de cette intelligence. Ses découvertes en Mécanique et en Géométrie, jointes à
celle de la pesanteur universelle, l’ont mis à portée de comprendre dans les mêmes expressions
analytiques les états passés et futurs du système du monde. En appliquant la même méthode
à quelques autres objets de ses connaissances, il est parvenu à ramener à des lois générales les
phénomènes observés, et à prévoir ceux que des circonstances données doivent faire éclore. Tous
ces efforts dans la recherche de la vérité tendent à le rapprocher sans cesse de l’intelligence que
nous venons de concevoir, mais dont il restera toujours infiniment éloigné. Cette tendance
propre à l’espèce humaine est ce qui la rend supérieure aux animaux, et ses progrès en ce
genre distinguent les nations et les siècles et font leur véritable gloire.

De son côté, un siècle plus tard, Poincaré (1912, cité par Wikipedia.fr, Théorie
du chaos, consulté le 18/05/2011) tint une tout autre position, dans sa discussion sur la
nature du hasard :

Comment oser parler des lois du hasard ? Le hasard n’est-il pas l’antithèse de
toute loi ? Ainsi s’exprime Bertrand, au début de son Calcul des probabilités. La probabilité
est opposée à la certitude ; c’est donc ce qu’on ignore et, par conséquent semble-t-il, ce qu’on ne

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Épistémologie"

saurait calculer. Il y a là une contradiction au moins apparente et sur laquelle on a déjà


beaucoup écrit.

Et d’abord qu’est-ce que le hasard ? Les anciens distinguaient les phénomènes qui
semblaient obéir à des lois harmonieuses, établies une fois pour toutes, et ceux qu’ils
attribuaient au hasard ; c’étaient ceux qu’on ne pouvait prévoir parce qu’ils étaient rebelles à
toute loi. Dans chaque domaine, les lois précises ne décidaient pas de tout, elles traçaient
seulement les limites entre lesquelles il était permis au hasard de se mouvoir. […]

Pour trouver une meilleure définition du hasard, il nous faut examiner quelques-
uns des faits qu’on s’accorde à regarder comme fortuits, et auxquels le calcul des probabilités
paraît s’appliquer ; nous rechercherons ensuite quels sont leurs caractères communs. Le
premier exemple que nous allons choisir est celui de l’équilibre instable ; si un cône repose sur
sa pointe, nous savons bien qu’il va tomber, mais nous ne savons pas de quel côté ; il nous
semble que le hasard seul va en décider. Si le cône était parfaitement symétrique, si son axe
était parfaitement vertical, s’il n’était soumis à aucune autre force que la pesanteur, il ne
tomberait pas du tout. Mais le moindre défaut de symétrie va le faire pencher légèrement d’un
côté ou de l’autre, et dès qu’il penchera, si peu que ce soit, il tombera tout à fait de ce côté. Si
même la symétrie est parfaite, une trépidation très légère, un souffle d’air pourra le faire
incliner de quelques secondes d’arc ; ce sera assez pour déterminer sa chute et même le sens de
sa chute qui sera celui de l’inclinaison initiale. […]

Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous
ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. Si nous
connaissions exactement les lois de la nature et la situation de l’univers à l’instant initial,
nous pourrions prédire exactement la situation de ce même univers à un instant ultérieur.
Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrions
connaître la situation qu’approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation
ultérieure avec la même approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous disons que le
phénomène a été prévu, qu’il est régi par des lois ; mais il n’en est pas toujours ainsi, il peut
arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes
dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme
sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit.

Le fait que la science mit près d’un siècle à intégrer ce nouveau paradigme, tel
qu’exposé par Poincaré, après le travail de quelques pionniers dans les années 1960 et 1970,
est un exemple remarquable de la notion d’obstacle telle que définie par Bachelard (1938).
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Cela permet aussi de penser cette notion comme pouvant s’appliquer, non seulement à
l’approfondissement des connaissances scientifiques, mais aussi à la modification de
l’étendue de leurs champs d’application qui peut en découler. Ainsi la notion d’obstacle
peut se représenter comme le relief terrestre qui, avec les rivières, a longtemps prédominé
dans le tracé des frontières entre les pays, ce qui comptait là étant non le fait que ces
obstacles soient infranchissables, mais que leur franchissement soit suffisamment difficile
pour 1°) qu’elles soient facilement défendables et 2°) que l’on sache immédiatement, à
quelques mètres près, de quel coté de l’obstacle/frontière on se trouve. Mais, contrairement
à la géographie politique, dont les évolutions ne modifient pas le relief ou l’écoulement des
cours d’eau, la géographie scientifique modifie le terrain de sa recherche au fur et à mesure
que celle-ci surmonte les obstacles épistémologiques, méthodologiques et techniques
qu’elle rencontre.

Ce point est développé d’une autre façon par Granger (1995) :

Un état de la science […] se définit surtout par un système de concepts dont la


cohérence maintient le développement de la recherche et de l’invention dans une certaine sphère,
système s’étendant souvent fort au-delà du domaine d’objets pour lequel il a été conçu. […]

Les ruptures lui [l’épistémologue apparaissent alors] comme des réponses aux
obstacles qui mettent en cause l’ensemble d’un système conceptuel. Il s’agit non pas des
difficultés particulières, problèmes pour ainsi dire quotidiens, dont le système lui-même fournit
justement le cadre et l’outillage permettant de les résoudre, mais de contradictions globales,
d’impossibilités de poursuivre les conséquences impliquées par le système ou de donner un sens
à des résultats d’expérience qu’il a pourtant permis d’imaginer. C’est donc une réflexion, une
reconsidération du système lui-même qui, tout en maintenant la visée fondamentale de la
science, conduit alors à une refonte des manières de décrire les objets et d’en formuler les
déterminations mutuelles. La mécanique relativiste est ainsi née d’une réflexion suscitée par la
difficulté d’embrasser en un même système unifié les phénomènes décrits par la mécanique
classique et les phénomènes de mouvement dus aux forces électromagnétiques ; la biologie
moléculaire s’est constituée à partir d’une critique des théories de la fermentation ; le calcul
infinitésimal lui-même rompt avec l’analyse cartésienne en donnant droit de cité aux objets
mathématiques produits par la considération de séries infinies et de courbes géométriques
impossibles à définir et à traiter par l’algèbre ordinaire. De telles ruptures se produisent à
l’intérieur d’une organisation de connaissance déjà caractérisée par la visée que nous décrivions
plus haut. Ce sont des restructurations d’ensemble, mais des restructurations internes. Le

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système antérieur qu’elles détrônent se trouve réinterprété, resitué, dans la nouvelle perspective.
Une partie du nouveau système apparaît en général comme « image » de l’ancien système, à la
façon dont les entiers naturels réapparaissent comme fractions de dénominateur unité dans le
système des nombres rationnels. Cette transposition, qui en conserve les propriétés décisives,
permet assurément de dire qu’à la rigueur l’ancien système a disparu et que le nouveau
n’opère plus avec les mêmes concepts. Mais il est clair que se trouvent réalisées les conditions
d’une traduction naturelle. Bien plus, une restructuration réussie apporte une explication
critique des succès – limités – du système antérieur et la raison de ses échecs.

Il semble aujourd’hui que les modèles de la relativité, de la mécanique


quantique et des systèmes complexes remettent en cause tout à la fois l’identité de la
science et son territoire. En effet, les modèles de la relativité mettent à mal l’idée d’un
univers inscrit dans un espace et une temporalité : l’espace-temps lui-même est devenu une
propriété de l’univers ; le modèle de la mécanique quantique met à mal la notion même de
déterminisme comme absolu des relations entre les « objets » du monde physique ; et le
modèle des systèmes complexes met à mal l’idée que tout serait reproductible et, dans
l’idéal, prévisible. Ce modèle des systèmes complexes met aussi à mal un autre présupposé
essentiel de la recherche scientifique : la connaissance que nous pouvons avoir d’une partie
d’un système ne peut nous être utile pour connaître ni les autres parties de ce système ni
l’ensemble du système, dès lors que ce système est complexe13. C’est là toute la démarche
expérimentale qui est remise en cause et qui doit être repensée au cas par cas, selon l’objet
de l’étude. Il est probable que, de même que la révolution copernicienne mit plusieurs
siècles à porter ses effets — pour autant qu’ils soient épuisés —, ces révolutions du XXe
siècle aient elles aussi des effets sur la science que nous ne pouvons ni mesurer ni prévoir
aujourd’hui.

Dans le champ de la clinique psychanalytique, ces données relèvent pourtant


de l’évidence à tous ceux qui en ont une pratique. La connaissance de quelques parties ou
fonctions du fonctionnement psychique, tel qu’elle est développée par les cognitivistes
expérimentaux, nous apporte des connaissances précieuses quant au fonctionnement de
chacune de ces parties ou fonctions, mais ne nous éclaire guère sur le fonctionnement de
l’ensemble, sauf dans les cas particuliers où les dysfonctionnements d’une partie sont tels
que la complexité de l’ensemble en soit mise à mal, situation qui, dans la clinique

13 : Cette caractéristique des système complexes s’appelle une brisure de symétrie.

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psychanalytique, reste tout à fait exceptionnelle. Malheureusement, l’ignorance de cette


complexité du psychisme peut aboutir, quand le clinicien s’en tient sans plus de réflexion
aux données cognitives et applique les recettes qui en découlent dans les manuels
aujourd’hui à la mode, à des catastrophes dont les patients font les frais. Les enfants trop
rapidement diagnostiqués « multi-dys » et/ou TDAH, avec pour conséquence une simple
prescription de rééducations diverses associées à de la Ritaline, en sont souvent de tristes
exemples. L’erreur est là de croire qu’il y aurait une cause originaire unique aux troubles de
l’enfant (ici les dysfonctionnements cognitifs et/ou neurobiologiques) et qu’il suffirait de
supprimer cette cause pour que ses effets se résorbent. En effet, même s’il peut être vrai
qu’une cause originaire a existé, les effets de cette cause sur le système psychique auront
nécessairement entraîné une modification de l’ensemble du système autant que de la cause
elle-même, de telle sorte que l’éventuelle disparition de cette cause aura bien peu de chance
d’aboutir à la restauration du système.

3 L’épistémologie!d’aujourd’hui!

3.1 Sciences!formelles!et!sciences!empiriques!

Une conséquence essentielle de la révolution épistémologique consécutive au


travail de Newton sur la mécanique céleste fut l’avènement d’un formalisme mathématique
des modèles et théories scientifiques. Depuis lors, l’étende du champ d’application de ce
formalisme, ou plutôt ces formalismes (les mathématiques s’étant elles-mêmes
profondément transformées et multipliées), n’a cessé de s’accroître, jusqu’à aboutir à la
situation très particulière de la mécanique quantique où le formalisme mathématique est
devenu exclusif de toute autre forme de représentation possible des données scientifiques.
Il reste cependant impossible d’appliquer un tel formalisme dans l’ensemble des champs de
la recherche scientifique, ce qui conduit à une situation présente où les sciences formelles et
empiriques sont dans un rapport d’opposition apparemment de plus en plus marquée.

L’avènement de la relativité, de la mécanique quantique, et d’une autre façon,


de la théorie des systèmes complexes (Gleick 1977), a été le résultat des progrès des
mathématiques. Mais, comme le notent les mathématiciens, les mathématiques ne se
justifient que de leur propre jeu, le choix des axiomes et des règles qui les fondent étant
libre, selon un arbitraire qui n’est limité que par l’imagination du mathématicien et la
cohérence du système ainsi construit. Et les mathématiques n’obéissent pas seulement à la

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nécessité de la cohérence logique interne. Elles obéissent aussi, et c’est pour nombre de
mathématiciens leur essence même, à une esthétique : entre deux démonstrations, toutes
deux justes d’un point de vue logique, celle qui sera la plus condensée, dont le formalisme
sera le plus simple, le plus « évident » pour le mathématicien, sera considérée comme
« belle » et acquerra ainsi une valeur de vérité supérieure à la première. Le physicien aussi
sera sensible à ce critère esthétique, auquel il demandera, en plus du mathématicien, de
rendre compte d’un domaine aussi vaste que possible de la réalité physique. Par exemple si
l’équation fameuse e=mc2 eut un tel succès, c’est parce qu’il s’y trouve condensé une
propriété de la matière universellement valable. Il en est de même de l’équation de
Schrödinger [Figure 2], très simple à qui sait la lire, qui rend compte, en une seule équation,
de la fonction d’onde d’une particule. Qu’un tel critère esthétique, qui paraît subjectif par
essence (même s’il s’agit là d’une subjectivité partagée, donc d’une intersubjectivité), a une
place si importante dans le champ de la science dont la visée est l’objectivité, peut paraître
très paradoxal.

Figure 2 : Équation de Schrödinger

À l’inverse l’empirisme pose que la connaissance ne peut se fonder que sur


l’expérience et s’oppose, sinon au formalisme construit à partir des résultats de celle-ci,
mais du moins au primat du formalisme sur l’expérience. Il y aurait donc d’une part les
sciences qui, aujourd’hui, déduisent leur champ d’expérience à partir des conclusions de
leur formalisme, et d’autre part les sciences qui, à l’inverse, formalisent les résultats de leurs
expériences. De nombreuses approches épistémologiques sont nées pour tenter de
dépasser cette opposition, et il n’est pas certain que l’épistémologie de la psychanalyse ne
soit pas l’une d’elles. Le formalisme de ses théories ne peut, à première vue, être comparé à
celui des mathématiques. Pourtant ses concepts ne se justifient pas, pour la plupart d’entre
eux, des résultats d’expériences qui auraient mis en évidence leur réalité, mais bien de la
cohérence de la théorie qui en découle et les organisent et qui, elle, est à même de rendre
compte des résultats de l’expérience complexe et globale de la pratique de cette discipline.

Il peut ainsi être soutenu, et cela sera développé plus loin, que les théories
psychanalytiques sont bien plus formelles qu’empiriques. Il n’est que de prendre l’exemple
de la notion de pulsion de mort, et des débats qu’elle a suscités parmi la communauté
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psychanalytique — débats qui portaient, pour l’essentiel, sur la question de son existence
— pour constater que la seule véritable question porte en fait sur la pertinence clinique
qu’il y a d’introduire ce concept dans la théorie afin de rendre compte de façon pertinente
et économique (esthétique) des phénomènes psychiques concernés. De même que la valeur
de vérité de l’équation de Schrödinger ne se mesure pas à l’existence réelle de chacun de ses
termes, de même celle des théories psychanalytiques ne peut se mesurer à l’aune de
l’existence supposée vraie ou fausse de la réalité recouvrée par chacun de ses concepts.

3.2 L’épistémologie!de!Karl!Popper!et!sa!controverse!avec!
Theodor!Adorno!

Karl Popper développa son épistémologie pour répondre à deux questions qui
se trouvent contenues dans cette opposition apparente entre le formel et l’empirique. La
première de ces questions est celle de l’induction, ou comment, à partir de l’observation des
phénomènes, nous pouvons en déduire des lois universelles. Sur ce point, il note que
l’universalité des lois que nous déduisons par induction à partir de nos observations ne peut
jamais être prouvée (Popper 1935). Le fait que tous les cochons qu’il m’a été amené de voir
sont roses ne peut suffire à en déduire que tous les cochons sont roses. Il peut toujours y
avoir des conditions inconnues de moi (ici, un voyage en Corse) qui seraient susceptibles
de m’amener à une observation différente de celles que j’ai effectuées jusqu’à ce jour. Ainsi
toute vérité scientifique peut être amenée à être invalidée par une nouvelle expérience.
Autrement dit, la vérification d’une hypothèse (tous les cochons sont roses) ne peut suffire
à en assurer la véracité.

La seconde question contenue dans l’opposition entre formalisme et


empirisme est celle de la délimitation du champ de la science : où s’arrête la connaissance
scientifique, et où commence la métaphysique ? Il n’y avait en effet, au début de la réflexion
de Popper, fidèle en cela à Descartes, que deux possibilités de part et d’autre de la ligne de
démarcation qu’il traça : la science dont le modèle était la physique, et la connaissance non
scientifique, métaphysique. Il importe toutefois de noter que pour Popper, en opposition
forte sur ce point avec l’école de Vienne14, la métaphysique avait sa place pleine et entière
dans l’élaboration des connaissances humaines : il y consacra une partie importante de son

14 : il s’agit là de l’école philosophique. Pour eux la métaphysique n’est que “pure vanité” (Schlick 1937).

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œuvre (Popper 1982). Ceci étant, une fois affirmé que la vérification d’une hypothèse ne
peut suffire à en assurer la vérité, il posa le postulat que, pour être scientifique, une
hypothèse doit donc pouvoir être réfutée. Il doit pouvoir exister des conditions
d’expérience susceptibles de prouver la non-validité de l’hypothèse considérée, ce qui
implique qu’une hypothèse qui échapperait à toute expérience permettant de la réfuter ne
pourrait être considérée comme scientifique.

C’est ainsi, par exemple, qu’au regard de ce critère de démarcation, la


psychanalyse ne peut, pour Popper (1982), être considérée comme domaine de la science.
L’hypothèse de l’inconscient ne peut, en effet, être réfutée par l’expérience, sa non-mise en
évidence pouvant toujours être expliquée par une propriété dudit inconscient. Mais Popper
n’a jamais pris position pour dire que ces domaines de la connaissance, qui ne peuvent être,
à ses yeux, qualifiés de scientifiques, relèveraient du charlatanisme. Il croyait au contraire
que l’évolution des connaissances et techniques permettrait, à un moment ou un autre, de
valider ces domaines comme scientifiques, ou au contraire de les invalider. La question est
là de savoir si la notion d’inconscient doit être considérée comme hypothèse, ou comme
concept nécessaire au formalisme de la théorie. Et surtout, la question peut aussi se poser
quant à savoir s’il doit y avoir une délimitation franche entre une hypothèse scientifique
(qui devrait donc être réfutable), et un concept formel nécessaire à l’élaboration d’une
théorie.

Cela conduit au travail de Theodor Adorno et à la fameuse controverse qu’il


eut avec Popper (1979). Adorno y défend l’idée que, à défaut de pouvoir poser des
hypothèses réfutables, ce qui est le cas dans les sciences humaines, il est tout de même
possible d’avoir un critère de criticabilité : il ne s’agit plus de poser des hypothèses
réfutables par l’expérience, mais, partant d’un problème posé (écart entre observation et
théorie), de construire et proposer un essai de solution pour le soumettre ainsi à la critique
de la communauté des scientifiques. Et une hypothèse sera considérée comme valide si sa
critique est positive, invalide dans le cas contraire. Nous voyons ici que le but est de
démontrer la validité de l’hypothèse, et non plus sa vérité.

Adorno développe son argumentation en s’appuyant sur l’exemple des sciences


sociales. En voici les grands traits. Tout d’abord, il affirme que les méthodes empiriques de
la recherche sociale ne sont, le plus souvent, objectives qu’en ce qui concerne leur
méthode, et non leur objet. Par exemple, l’analyse statistique d’une population en vue d’une
étude de marché va mettre en évidence telle ou telle orientation de la population étudiée,
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sans jamais s’intéresser à la structure même du marché, ses lois, son organisation, etc. Pour
lui ce qui fait « l’objectivité sociale » c’est l’ensemble de tous les rapports, institutions,
forces, dans lesquelles les hommes agissent, et non simplement les opinions exprimées par
ces hommes. De plus, il remarque que, si les statistiques peuvent donner l’impression que
la population étudiée est un objet à part entière, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit que
d’un ensemble d’individus, dont chacun porte en lui les déterminations générales, pour
lesquelles une approche quantitative est valable ; mais chaque individu entretient des
rapports qui lui sont propres, qualitatifs, avec ces déterminations. Ainsi il dit que la
sociologie ne peut se réduire à l’analyse quantitative de qualités particulières, mais qu’elle
doit se fonder tout autant sur l’analyse des rapports qualitatifs entre ces données générales
et les individus particuliers. À défaut, la sociologie passerait, selon lui, à côté de son objet,
qui est la société.

Il s’en déduit que c’est ce point qui différencie la sociologie des sciences de la
nature, sciences où l’observation d’un individu peut donner lieu à des résultats
généralisables à l’ensemble des individus. Par exemple, l’observation des propriétés d’un
échantillon d’eau peut éclairer sur les qualités de l’eau en général, alors que celle des qualités
d’un individu humain ne nous renseigne que peu sur celles des autres individus, et encore
moins sur celles de la société. Nous verrons que c’est là ce qui différencie les systèmes
physiques linéaires des systèmes complexes, différence qui porte le nom de brisure de
symétrie.

Et Adorno va encore plus loin dans sa critique d’une épistémologie unique de


la science, en affirmant que, dans les sciences humaines, le fait que l’essence des choses soit
inaccessible à la méthode (expérimentale et/ou statistique) ne justifie pas que cette question
doive être rejetée. Pour Adorno, les contradictions qui émergent des études sociologiques
ne résultent pas d’un mauvais jugement du sujet chercheur, mais sont inhérentes à l’objet
social étudié. Elles sont donc insolubles, sauf à avoir construit un principe de contradiction
au sein même de la pensée rationnelle qui organise la théorie. C’est ce que fit Freud en
introduisant un principe de non-contradiction comme inhérent au fonctionnement de
l’inconscient, ou que fit Jung en dotant l’archétype de dynamiques conjointes bien que
contradictoires en logique : destructivité versus créativité, indissociables l’une de l’autre.

Un dernier point de ce très intéressant débat : Adorno note que, la théorie


portant sur le sens caché, elle est nécessairement en contradiction avec une partie des
phénomènes observés. Il s’en déduit qu’une critique de cette théorie ne se peut au seul

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regard des phénomènes observés, et que celle-ci se doit d’être théorique. Ici, la théorie est
une fin, non un moyen. Ainsi la critique et la tentative de réfutation ne sont pas
équivalentes et, dès lors que la théorie est théorie du sens caché, c’est la critique qui peut et
doit s’exercer. On peut ajouter que, si la théorie est théorie du sens caché, alors ses objets
(les concepts qu’elle utilise et articule ensemble) doivent nécessairement être tout à la fois
des concepts formels et des représentants de cette réalité cachée : c’est l’opposition entre
formalisme et empirisme qui, là, se trouve fortement mise en question : l’émergence d’une
complexité.

L’ensemble des débats qui animent la communauté des psychanalystes, tant au


sein d’une même école qu’entre les différentes écoles, semble bien répondre au critère de
criticabilité posé par Adorno, et il est difficile, sur de nombreux points, de constater un
accord unanime de la communauté. Ainsi ce qui, aux yeux de nombreux détracteurs de la
psychanalyse, à savoir les querelles internes du mouvement psychanalytique, témoigne de sa
non-scientificité, apparaît, au regard de ce critère, comme preuve de son caractère
scientifique, à tout le moins celui de sa démarche.

3.3 Le!théorème!de!Gödel!

Un autre bouleversement épistémologique a résulté, en 1931, des théorèmes


d’incomplétude de Gödel, dont le second intéresse l’ensemble des épistémologues. Celui-ci,
qui découle d’un premier théorème intéressant l’arithmétique, stipule que, pour tout
système théorique cohérent, il existe un énoncé de cette théorie qui démontre cette
cohérence, mais que cet énoncé n’est pas démontrable au sein du système en question. Dès
lors, il faut, pour démontrer cet énoncé, se placer dans une théorie seconde qui inclut la
première, théorie seconde dont l’énoncé de cohérence ne pourra, à son tour, être démontré
sans recourir à une théorie tierce, et ce jusqu’à l’infini.

Les conséquences de ce théorème peuvent se résumer en une phrase très


simple : la cohérence logique de la rationalité est indémontrable. Ou, si l’on préfère, la
rationalité d’un énoncé ou d’un système théorique ne peut se démontrer qu’en recourant, in
fine, à de l’irrationnel. C’est là le fondement que Descartes avait donné à la science qui se
trouve invalidé, puisqu’il devient impossible de faire de la science sans que celle-ci repose
sur des prérequis métaphysiques. La science et la métaphysique sont alors indissociables, et
la frontière absolue que Popper avait tenté de lui donner devient relative. Certes, il ne s’agit

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pas de dire que la science s’en trouve invalidée, mais, plus simplement, que toute théorie
scientifique est un système cohérent, mais ouvert sur un inconnu dont on il ne peut rien
dire, bien que sa cohérence en dépende.

3.4 Quelques!conséquences!épistémologiques!des!systèmes!
complexes!

De son côté, la théorie des systèmes complexes ouvre à des conséquences


épistémologiques tout à fait remarquables, celles-ci formant elles-mêmes un nouveau
système complexe, avec de nombreuses boucles rétroactives entre l’épistémologie et les
avancées scientifiques dans le champ de ces systèmes complexes. Ces théories ont
commencé à être connues des scientifiques français non spécialisés à la suite d’un premier
article publié dans Pour la Science en 1987 (Crutchfield, J. — Farmer D. — Packard M. &
Shaw R.). La même année, Gleick (1987) publia son livre de vulgarisation qui fait encore
aujourd’hui autorité. Il fut traduit en français l’année suivante. Très vite, un certain nombre
de psychanalystes en notèrent tout l’intérêt pour notre domaine (Pragier & Faure-
Pragier 1990, Fogel 1990, Mosher 1990, Grotstein 1990, Moran 1991, Hoffman 1992,
Spruiell 1993, Quinodoz 1997).

Il semble donc nécessaire de commencer par une description des données


scientifiques concernant ces systèmes, sans lesquelles leurs conséquences épistémologiques
pourraient paraître très abstraites.

3.4.1 Définitions"

• Un système est un ensemble cohérent de composants en interaction.


• Un système est dit complexe quand il est constitué de différents systèmes interagissant
localement les uns avec les autres, de manière non homogène, et qu’il présente des
propriétés qui ne peuvent se déduire des propriétés de ses parties.
• Ces propriétés sont alors dites émergentes.
• Un système peut être compliqué sans être complexe, dès lors qu’il est prédictible : la
plupart des systèmes techniques sont conçus pour ne pas être complexes, au moins dans
leur champ d’application, ce sans quoi ils seraient imprévisibles et inutilisables.

L’une des hypothèses qui sous-tendent ce travail, déjà soutenue par divers
auteurs (p.ex. Butz 1997), est que le psychisme humain ne peut s’aborder scientifiquement

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qu’en le considérant comme système complexe, au sens de la physique. Nombre des


propriétés de ces systèmes, en effet, sont déjà connues des cliniciens comme étant des
propriétés du psychisme humain.

3.4.2 Propriétés"

Ces systèmes complexes présentent des propriétés générales, chaque système


pouvant présenter tout ou partie de celles-ci :

• Un système complexe est sensible aux conditions initiales : cette propriété des systèmes
complexes est souvent utilisée pour les définir. Cela résulte du fait que la marge d’erreur
inhérente à toute définition de l’état d’un système physique n’est pas, dans les systèmes
complexes, conservée, mais qu’elle est, au contraire, amplifiée de manière exponentielle
au fil du temps. Ainsi, partant de deux états initiaux quasi identiques, deux systèmes
complexes verront leurs dynamiques diverger très rapidement.
• Cette propriété implique que ces systèmes sont non prédictibles. Concernant le
psychisme humain nul ne niera l’imprédictibilité du destin psychique d’un individu, et
ceux pour qui cette imprédictibilité relève de l’insupportable ne peuvent la réduire qu’en
faisant appel à des mesures coercitives (état policier dans le champ de la collectivité,
défenses obsessionnelles ou paranoïaques dans celui du sujet) ; ces mesures coercitives
ont alors pour fonction de réduire la complexité du système en le réduisant de force à
un système aussi simple et prévisible que possible, au risque de le voir s’effondrer.
• Ce sont des systèmes hétérogènes et auto-organisés : les interactions qui se produisent
en leur sein sont locales, de proche en proche, et nombre de ces interactions reviennent
en boucles rétroactives. Il se constitue ainsi des zones locales d’interactions privilégiées
(sous-systèmes), zones locales qui interagissent entre elles selon les mêmes modalités et
génèrent un nouveau niveau de sous-systèmes, avec de nouvelles propriétés émergentes,
qui interagissent entre eux, etc. Il s’en déduit qu’un système complexe présente des
dynamiques, propriétés et organisations différentes selon la partie observée ou l’échelle
spatiale et/ou temporelle de l’observation. Nous avons déjà vu que l’approche
expérimentale du psychisme ne peut rendre compte de son fonctionnement global. Il
n’est pas non plus sans intérêt de constater que les théories psychanalytiques reposent
sur l’idée d’une hétérogénéité du psychisme, ses parties ne répondant ni aux mêmes
dynamiques ni aux mêmes lois. Dans la théorie freudienne, les deux topiques posent des
fonctionnements différents de ses parties, ainsi que des principes régissant ces
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fonctionnements eux aussi différents. Dans la théorie jungienne, quoi que ce soit
nettement moins formalisé, il en est de même entre l’inconscient personnel d’une part,
et l’inconscient impersonnel, ou collectif, d’autre part.
• On parle alors de brisure de symétrie : connaître l’état d’une partie (spatiale, temporelle
ou fonctionnelle) du système permet ni de déduire ni de prévoir l’état de l’ensemble.
• Chacun des sous-systèmes composant un système complexe peut être un système
complexe, ou non. Par exemple, le sous-système idéal de la lune tournant autour de la
terre considérée comme immobile est un système simple, alors que le système réel de la
lune tournant autour de la terre, qui tourne elle-même autour du soleil, est un système
complexe (il s’agit du problème des trois corps).
• Le plus souvent, les systèmes complexes sont des systèmes ouverts, interagissant avec
leur environnement, et se transformant au fil de ces interactions, tout en transformant
leur environnement. Il se constitue ainsi des boucles rétroactives entre le système et son
environnement : c’est un nouveau niveau de système complexe qui en émerge. Il est
évident que le psychisme humain est en permanence en interaction avec son
environnement, et que ces interactions ont un effet sur lui. Dans la situation analytique,
ce système d’interactions a pris le nom de transfert/contre-transfert (dans le champ
freudien), ou plus simplement de transfert pour les jungiens. L’intérêt de cette dernière
formule réside dans le fait que, dès lors qu’il y a interaction, il n’est plus possible de
déterminer ce qui vient de l’un ou de l’autre des deux systèmes en présence : c’est un
métasystème qui émerge de ces interactions, ce pour quoi j’ai proposé de l’appeler la
chimère transférentielle.
• De ce fait, les frontières d’un système complexe sont floues, mal définies, variables. Ceci
est vrai à la fois dans le temps et dans l’espace. Deux exemples pour illustrer cette
propriété :

o Si je considère les limites de mon corps du point de vue de l’anatomie


macroscopique, alors je dirai que l’air que j’inspire devient partie intégrante de mon
corps dès qu’il a franchi mes narines. Mais si je considère ces limites d’un point de vue
histologique, alors je dirai que seules les molécules de gaz qui ont franchi une barrière
tissulaire en font partie.
o Si j’utilise une échelle temporelle dont la résolution est de l’ordre d’une minute, alors
je saurai précisément l’heure de la mort de quelqu’un. Mais si je veux utiliser une échelle
temporelle d’une résolution inférieure (la seconde suffit), alors il m’est impossible de
dire l’instant exact de cette mort. Quiconque a assisté un mourant sait bien que celui-ci

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va arrêter de respirer, reprendre son souffle, arrêter de respirer, etc. jusqu’au moment où
l’on constate qu’il ne reprend plus son souffle : il est donc mort, mais quand ?

Dans les deux cas, on s’aperçoit que c’est l’usage d’une faible résolution de la
mesure qui permet d’avoir l’impression de limites claires du système, alors que, quand la
résolution devient plus fine, la limite devient floue, indécidable.

Le transfert, au sens où Jung l’a développé (1944), peut être compris comme
effet d’un effacement partiel des limites psychiques entre analyste et analysant (Martin-
Vallas 1998, 2006, 2008, 2009b). Georges Bright (1997) avec son usage du concept de
synchronicité, Joe Cambray (2006) avec son usage du concept de co-construction
développé par le Boston Change Process Study Group (2004), Jan Wiener avec son idée de
la matrice transférentielle (2009), et Claire Raguet (2012) sont arrivés à des conclusions
similaires. On y retrouve, par exemple, une caractéristique essentielle de la relation mère-
bébé, ou encore de la relation amoureuse, c’est-à-dire des relations à forte tonalité
archétypique.

• Les systèmes complexes sont des systèmes robustes, et fragiles : la multitude d’inter et
rétroactions qui les composent et les entretiennent les rend peu sensibles aux données
entrantes et sortantes. Mais leur sensibilité aux conditions initiales laisse à tout instant la
possibilité qu’une entrée ou sortie de faible intensité ait des conséquences importantes
sur la dynamique du système ; Lorenz (1972) a résumé cette propriété par une question
devenue célèbre : Le battement d’aile d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au
Texas ? 15
• Les dynamiques internes d’un système complexes peuvent être linéaires et/ou
chaotiques, une dynamique chaotique étant une dynamique d’apparence aléatoire, mais
obéissant en fait à une loi mathématique définie (déterminisme). Le plus souvent, la
dynamique globale du système est à la frontière entre ces deux types de dynamiques.
C’est ainsi que les cardiologues ont constaté que la dynamique des battements
cardiaques est à la fois régulière et chaotique, la mise en évidence de ces dynamiques
dépendant de la résolution spatiale et/ou temporelle utilisée. Cela semble aussi vrai du
tissu cérébral. L’idée de certains est de contrôler le chaos du tissu cardiaque ou cérébral
pour le maintenir à un faible niveau, afin de prévenir le risque de fibrillation ou

15 : trad. personnelle

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d’épilepsie. Le William Ditto (1995), du Georgia Institute of Technology, dit : L’idée est
qu’une petite quantité de chaos peut être bonne pour vous, alors qu’une forte quantité peut être très
mauvaise.16 En d’autres termes, dans le champ de la biologie, un système complexe qui se
maintient à la frontière entre le chaos et la régularité semble plus robuste qu’un système
simple purement régulier. Dans le champ du psychisme, nous savons bien, aussi, à quel
point les structures rigides sont plus à risque d’effondrement que les structures souples,
même si ces dernières s’accompagnent souvent d’un sentiment de vulnérabilité, voire de
fragilité.
• La notion d’émergence découle des propriétés d’auto organisation des dynamiques des
systèmes complexes : l’auto organisation d’un système complexe peut donner naissance
à de nouvelles formes d’organisation et de dynamiques dudit système, avec apparition de
qualités nouvelles, et qui ne peuvent se déduire des qualités des éléments du système.
Ces émergences de qualités nouvelles du système se produisent plus fréquemment
quand sa dynamique se situe à la frange d’une dynamique linéaire et chaotique. De
nombreux neuroscientifiques pensent aujourd’hui que la conscience est une qualité
émergente du fonctionnement neuronal du cerveau voire, pour Damasio (1999), de la
cellule elle-même.

Certaines de ces propriétés, particulièrement difficiles à se représenter, sont


pourtant importantes pour le développement de notre propos. Il convient donc de les
détailler.

3.4.3 La"courbe"de"bifurcation"

La dynamique d’un système complexe peut être représentée par une courbe qui
traduit l’évolution d’une variable en fonction d’une autre, tout autres choses égales par
ailleurs. Pour certains de ces couplages, la courbe obtenue est tout à fait classique, linéaire,
alors que pour d’autres elle se révèle très surprenante. L’exemple le plus connu est
l’évolution d’une population animale, dans un écosystème défini, en fonction de son taux
de reproduction. L’intuition première voudrait, en effet, que plus le taux de reproduction
augmente, plus la population augmente, avec une courbe asymptotique qui serait limitée
par les conditions de l’écosystème considéré (quantité de nourriture, espace vital, etc.) Or,
ce qui apparaît est bien différent [Figure 3].

16 : trad. personnelle

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Figure 3 : Courbe de bifurcation (Gleick 1997, p.100)

Dans la première partie de la courbe, on a bien le début d’une courbe linéaire


qui tendrait à rejoindre une asymptote, avec, pour chaque valeur du taux de reproduction,
une valeur d’équilibre unique de la population. Mais, à une certaine valeur du coefficient de
reproduction, cette courbe bifurque en deux, indiquant qu’il y a là deux solutions possibles
à l’équation étudiée. Sur le terrain, cela se traduit par une alternance d’une valeur haute de la
population les années paires et basse les années impaires. Puis, le taux de reproduction
continuant à augmenter, ces deux courbes bifurquent à nouveau, l’alternance se faisant
alors sur quatre ans. Puis idem avec une alternance sur huit ans. Ainsi, dans cette seconde
partie de la courbe, nous avons une dynamique cyclique.

Le taux de reproduction continuant à augmenter, il se produit soudainement


un autre phénomène imprévu : la dynamique devient chaotique ; pour une valeur donnée
du taux de reproduction, il n’y a plus de valeur d’équilibre. La population varie
aléatoirement (en apparence) d’une année sur l’autre. Plus étrange encore, il y a, au sein de
cette zone de dynamique chaotique, des valeurs du taux de reproduction pour lesquelles la
dynamique redevient cyclique (les verticales blanches, au sein de la zone chaotique, sur la
Figure 3).

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La"chimère"transférentielle"

Dans cet exemple, la variable mesurée est la population animale, et la variable


en fonction de laquelle la mesure est effectuée est le taux de reproduction. Cette dernière
est appelée variable de contrôle, puisque c’est en fonction de ses variations que l’on peut
faire passer l’état dynamique du système de linéaire simple à cyclique, puis de cyclique à
chaotique. C’est en jouant sur cette (ou ces) variable(s) de contrôle que, dans de nombreux
domaines, les chercheurs tentent aujourd’hui de pouvoir réguler des systèmes complexes,
par exemple en neurologie pour prévenir l’épilepsie, ou en cardiologie pour prévenir la
fibrillation cardiaque (Ditto 1995).

Cette notion de bifurcation est importante, car elle représente un aspect de la


réalité qui échappe à la représentation rationnelle classique à laquelle nous sommes
habitués. Toutes choses égales par ailleurs (ce qui est déjà impossible dans la réalité), un
système complexe peut, dans les conditions de la bifurcation, à un moment donné, être
dans deux, quatre, huit, etc. états différents : l’équation mathématique représentant la
dynamique du système accepte différentes solutions et, si l’on peut prévoir que celles-ci
alterneront de manière cyclique, rien ne permet de savoir laquelle sera effective là
maintenant si on ne connaît pas celles qui précèdent. Et si, comme c’est le plus souvent le
cas dans la réalité, ce système est en interaction avec d’autres, une seule bifurcation peut
entraîner des destins très différents des systèmes voisins et, par rétroaction, du système qui
a bifurqué : le mouvement cyclique n’a alors pas l’occasion de se manifester. Les exemples
historiques sont nombreux où une situation donnée apparaît avec le recul comme résultant
d’un choix unique, devenu déterminant avec le regard a posteriori que l’on peut avoir, alors
qu’en situation initiale rien ne permettait de prévoir que ce choix, parfois tout à fait anodin,
aurait d’importantes conséquences. Edgar Morin (1990) donne l’exemple de Calvin qui, en
dénonçant les dérives du clergé, pensait travailler pour le Vatican ; il ne pouvait
aucunement prévoir que son action déboucherait sur le plus grand schisme de l’Église et,
de ce fait, sur une série de massacres que seul le régime nazi a depuis surpassés. Rien ne
permet de penser qu’il en serait différemment en ce qui concerne les dynamiques
psychiques, ce qui, sans invalider l’influence déterminante de l’environnement dans la petite
enfance et l’enfance, la relativise, un choix apparemment anodin de l’enfant pouvant influer
de manière déterminante sur le reste de sa vie. Il en est de même au décours d’une cure
analytique, notamment en ce qui concerne les dynamiques transférentielles auxquelles
s’intéresse ce travail.

Au-delà de la bifurcation, et de sa dynamique cyclique, la dynamique devient


chaotique, c’est-à-dire en apparence aléatoire. L’important ici est de bien comprendre que

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Épistémologie"

le caractère aléatoire de cette dynamique n’est qu’apparent. Outre le fait que l’équation
mathématique décrivant cette dynamique est toujours parfaitement déterministe, on
constate que la structure interne du chaos est de type fractal, c’est-à-dire qu’elle garde une
même organisation, quelle que soit l’échelle à laquelle elle est considérée. Il s’agit donc d’un
désordre apparent qui cache une structure ordonnée. Ici, ce n’est pas Dieu qui joue avec les
dés, mais ce sont les limites de notre perception qui ne nous autorisent pas à percevoir
l’ordre caché de la nature.

3.4.4 Les"attracteurs"étranges"(Gleick,"1997"–"Bergé"&"Dubois,"2008)"

La notion d’attracteur représente, en physique, ce qui attire la dynamique d’un


système, c’est-à-dire ce que sera l’état d’équilibre du système, indépendamment de ses
conditions initiales. Par exemple si un objet tombe, il sera attiré par le point situé sur le sol,
à sa verticale17. C’est là le plus simple des attracteurs possibles. Si un pendule est lancé en
mouvement circulaire, il décrira un cercle de diamètre de plus en plus petit, jusqu’à
s’arrêter. Là encore, l’attracteur est un point. Et si le mouvement de ce pendule est
entretenu, il décrira un cercle constant : ce cercle représente l’attracteur du mouvement de
ce pendule.

Tous ces attracteurs sont dits simples dans la mesure où ils décrivent
précisément la ou les positions d’un système à l’état d’équilibre ; par exemple dans le cas du
pendule entretenu ce n’est pas son point de départ qui déterminera le diamètre du cercle
qu’il parcourt, mais ce sont ses différentes caractéristiques physiques. Dans un système
dont la dynamique est chaotique, l’attracteur devient étrange. Cela signifie qu’il délimite une
portion de l’espace au sein de laquelle la dynamique restera (comme le pendule reste sur
son cercle), mais sans jamais que le système ne repasse par un point qu’il a déjà fréquenté.
Dans ce cas, en effet, le mouvement serait périodique, et l’attracteur redeviendrait simple.

Un exemple d’attracteur dans le champ psychique est la pulsion telle que


définie par Freud (1905) : dès lors qu’elle a un but et un objet, elle tend à réaliser son but
avec son objet, cette tendance étant son attracteur qui, dans une première approximation,
peut paraître simple. Mais l’objet de la pulsion étant, in fine, un objet interne, alors que sa

17 : C’est là, bien évidemment, une approximation “réaliste” ; le véritable attracteur est alors le centre de
gravité de la terre, et le point sur le sol est la limite non franchissable du trajet de l’objet qui tombe vers
le centre de gravité de la terre.

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réalisation passe par la rencontre d’un objet externe, se constitue, dès l’origine de l’humain,
une dynamique complexe entre trois objets : le sujet, son objet interne, et ses objets
externes. Il paraît vraisemblable de penser que le destin de cette dynamique, quand les
défenses du moi le permettent, est de devenir chaotique, de telle sorte que se constitue un
attracteur étrange qui définit les limites, tout à la fois, de la satisfaction pulsionnelle du sujet
et de l’espace de liberté au sein duquel celle-ci peut se déployer. En l’absence d’un tel
attracteur étrange, cette dynamique (re) devient contraignante, imposant une satisfaction
pulsionnelle soit toujours et encore la même, soit cyclique et non moins contraignante. Les
exemples cliniques ne manquent pas, tant ils sont souvent ce qui conduit le sujet à venir en
analyse.

Le moyen le plus aisé de fabriquer un attracteur étrange est de réaliser un


pendule double, soit un pendule sur la masse duquel on fixe un autre pendule. On constate
alors, si le pendule est entretenu, que le mouvement devient désordonné, imprévisible, non
reproductible, chaotique. Ce pendule double est facile à simuler par ordinateur, et l’on peut
en trouver de nombreux exemples sur internet. Celui du site de l’École Nationale
Supérieure de Techniques Avancées est intéressant, car il permet de comparer la destinée
de deux pendules doubles identiques partant de la quasi même position initiale : les
mouvements des deux pendules sont rapidement très différents, comme en témoignent les
courbes dessinées par leurs extrémités inférieures [Figure 4].

Figure 4 : Mouvement de deux doubles pendules partis d’une position initiale quasi identique
(Perez 2003)

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Cet exemple permet de comprendre qu’un système peut devenir chaotique,


donc imprévisible, dès lors qu’il est soumis à au moins deux attracteurs simples (ou, ce qui
revient au même, dès qu’il a au moins trois espaces de liberté). Mais cette condition n’est ni
nécessaire ni suffisante : elle est simplement une des modalités de constitution d’un
système complexe. Ce double pendule montre bien qu’un système complexe peut ne pas
être compliqué, ce qui est essentiel à la compréhension de la notion de complexité, notion
qui diffère de celle de complication : de nombreux systèmes compliqués, comme ceux que
produit notre technologie, sont linéaires et non complexes, tout au moins dans les limites
de leur champ d’application (ils seraient, sinon, inutilisables).

Un autre exemple connu est l’équation mathématique xn+1=kxn (1-xn),


équation qui permet de calculer très simplement la valeur de xn en fonction de celle de xn-1.
Pour certaines valeurs de k, pourtant, les valeurs de y deviennent erratiques, rapidement
imprévisibles. On peut aussi, facilement, vérifier là la sensibilité aux conditions initiales :
pour deux valeurs très proches de y, le calcul montre que l’évolution de leurs valeurs
divergent rapidement. Les Figure 5 et Figure 6 représentent les 50 premières itérations de
cette fonction pour quatre valeurs de départ très proches et k=4 ; avec une erreur d’un
pour cent des valeurs de départ (x1=0,1 et x’1=0,101), les courbes divergent
considérablement dès la huitième itération. Pour une erreur d’un pour mille (x’’=0,1001) il
suffit de onze itérations, et de vingt-deux pour une erreur d’un pour un million
(x’’’=0,1000001). Cela revient à dire que pour augmenter la durée de prévision d’un tel
système de seulement vingt pour cent il faut une précision dix fois meilleure, et pour
doubler cette durée il faut multiplier la précision de la mesure initiale par mille. Autant dire
que l’augmentation de la précision de la mesure initiale n’est pas susceptible d’améliorer
significativement la prédictibilité d’un tel système.

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!! x! !x'! !!x''! !!!x'''!


valeur!1! 0,1" 0,101" 0,1001" 0,1000001"
!! 0,36" 0,36" 1%" 0,36" 0%" 0,36" 0%"
!! 0,92" 0,93" 0%" 0,92" 0%" 0,92" 0%"
!! 0,29" 0,28" c4%" 0,29" 0%" 0,29" 0%"
itération!5! 0,82" 0,80" c3%" 0,82" 0%" 0,82" 0%"
!! 0,59" 0,64" 9%" 0,59" 1%" 0,59" 0%"
!! 0,97" 0,92" c5%" 0,97" 0%" 0,97" 0%"
itération!8! 0,11" 0,28" 146%" 0,13" 12%" 0,11" 0%"
!! 0,40" 0,80" 100%" 0,44" 10%" 0,40" 0%"
itération!10! 0,96" 0,63" c35%" 0,99" 3%" 0,96" 0%"
itération!11! 0,15" 0,93" 531%" 0,05" c67%" 0,15" 0%"
!! 0,50" 0,25" c50%" 0,19" c63%" 0,50" 0%"
!! 1,00" 0,75" c25%" 0,61" c39%" 1,00" 0%"
!! 0,00" 0,74" 302245%" 0,95" 386312%" 0,00" c17%"
itération!15! 0,00" 0,76" 77111%" 0,18" 18548%" 0,00" c17%"
!! 0,00" 0,73" 18410%" 0,60" 15138%" 0,00" c17%"
!! 0,02" 0,79" 4944%" 0,96" 6023%" 0,01" c17%"
!! 0,06" 0,66" 971%" 0,15" 148%" 0,05" c16%"
!! 0,23" 0,90" 287%" 0,52" 124%" 0,20" c15%"
itération!20! 0,71" 0,37" c48%" 1,00" 40%" 0,63" c12%"
!! 0,82" 0,93" 14%" 0,01" c99%" 0,93" 14%"
itération!22! 0,59" 0,24" c59%" 0,02" c96%" 0,25" c57%"
!! 0,97" 0,74" c24%" 0,08" c92%" 0,76" c22%"
!! 0,13" 0,77" 511%" 0,30" 139%" 0,74" 485%"
itération!25! 0,44" 0,70" 60%" 0,84" 91%" 0,77" 75%"
!! 0,99" 0,83" c16%" 0,53" c46%" 0,71" c28%"
!! 0,05" 0,56" 940%" 1,00" 1754%" 0,83" 1447%"
!! 0,20" 0,99" 385%" 0,01" c93%" 0,56" 176%"
!! 0,65" 0,05" c92%" 0,06" c91%" 0,99" 52%"
itération!30! 0,91" 0,21" c77%" 0,22" c76%" 0,06" c94%"
!! 0,32" 0,66" 105%" 0,69" 116%" 0,22" c31%"
!! 0,87" 0,90" 3%" 0,85" c2%" 0,69" c21%"
!! 0,45" 0,36" c20%" 0,50" 11%" 0,86" 92%"
!! 0,99" 0,92" c7%" 1,00" 1%" 0,48" c52%"
itération!35! 0,04" 0,30" 641%" 0,00" c100%" 1,00" 2395%"
!! 0,15" 0,83" 443%" 0,00" c100%" 0,01" c94%"
!! 0,52" 0,55" 6%" 0,00" c100%" 0,04" c93%"
!! 1,00" 0,99" c1%" 0,00" c100%" 0,15" c85%"
!! 0,01" 0,04" 608%" 0,00" c91%" 0,51" 7917%"
itération!40! 0,03" 0,17" 581%" 0,00" c90%" 1,00" 3882%"
!! 0,10" 0,57" 479%" 0,01" c90%" 0,00" c99%"
!! 0,35" 0,98" 178%" 0,04" c89%" 0,00" c99%"
!! 0,91" 0,07" c92%" 0,15" c84%" 0,01" c99%"
!! 0,31" 0,26" c17%" 0,50" 58%" 0,04" c87%"
itération!45! 0,86" 0,77" c10%" 1,00" 16%" 0,16" c82%"
!! 0,47" 0,70" 48%" 0,00" c100%" 0,53" 13%"
!! 1,00" 0,84" c16%" 0,00" c100%" 1,00" 0%"
!! 0,01" 0,55" 4817%" 0,00" c90%" 0,02" 59%"
!! 0,04" 0,99" 2151%" 0,00" c90%" 0,07" 58%"
itération!50! 0,17" 0,04" c79%" 0,02" c90%" 0,26" 54%"

Figure 5 : Valeurs de x pour xn+1=4xn (1-xn), avec erreur de 1%, 1‰ et 1 pour un million

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Figure 6 : Graphe de x pour xn+1=4xn (1-xn)

Ces courbes montrent aussi l’imprévisibilité du destin d’une telle dynamique,


qui semble n’obéir à aucune loi ordonnée. Habituellement, si un résultat d’expérience
montre des résultats de cette nature, l’interprétation eut été de dire que la répartition est le
fait du hasard, qu’il s’agit d’un phénomène aléatoire. Pourtant, si nous traçons maintenons
un graphique avec, en ordonnée les valeurs de xn+1 et en abscisse celles de xn [Figure 8],
nous obtenons une courbe qui démontre très clairement le caractère ordonné de la
dynamique. Dans le cas présent, ce n’est évidemment pas une surprise puisque nous
sommes partis d’une équation simple pour obtenir ces résultats. Mais dans le cas d’une
expérience, un tel procédé peut permettre de mettre en évidence l’existence d’un ordre
sous-jacent au désordre apparent, donc d’un attracteur qui maintient la dynamique du
système dans un ordre mathématiquement définissable.

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Figure 7 : Évolution de x au fil des itérations

Figure 8 : Relation entre les valeurs successives de x

Conformément à la définition d’un attracteur, l’attracteur étrange est le destin


prévisible d’un système chaotique, et, là, parler de prévisibilité revient à prédire
l’imprévisible : on peut savoir entre quelles limites le système évoluera, mais, à l’intérieur de
ces limites, on ne peut rien dire de son destin. Dans la nature, on rencontre de nombreux
attracteurs de ce type, comme, par exemple, la forme des nuages dans un ciel de traîne

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(tous les mêmes sans que deux soient identiques), le tourbillon dans l’eau du fleuve au
voisinage d’une pile de pont (qui restera semblable à lui-même, sans jamais être identique
d’un instant à l’autre) ou les volutes d’une fumée dans une atmosphère calme, pour prendre
quelques exemples simples à observer.

Il a été noté que dans le champ psychique les dynamiques pulsionnelles


peuvent être considérées de même. J’ai développé (Martin-Vallas, 2005), en m’appuyant sur
les travaux de Jean Laplanche (1987) cette même idée concernant la notion jungienne
d’archétype, notion qui diffère de celle d’instinct dès lors que ces derniers se trouvent
intriqués avec la sexualité humaine de l’autre. Dans tous les cas, c’est un attracteur étrange
qui émerge de l’intrication de dynamiques différentes par leur nature et/ou leur but, ce qui
fait de ces dynamiques pulsionnelles et/ou archétypiques des dynamiques autant prévisibles
— car cantonnées au sein de l’attracteur étrange ainsi constitué — qu’imprévisibles — car,
au sein de l’attracteur étrange leur évolution peut prendre des formes et valeurs très
différentes. Tout ceci sera repris et discuté plus loin.

Mais avant d’être des objets d’observation, les attracteurs étranges sont une
notion mathématique. Le plus connu d’entre eux est l’attracteur de Lorenz, dit en ailes de
papillon [Figure 9]. On voit que le système peut osciller entre deux « états » relativement
bien différenciés (d’une « aile » à l’autre), mais, à la différence d’un système à la dynamique
linéaire qui oscillerait périodiquement, il n’est jamais possible de prévoir quand le système
passera d’un état à un autre ni combien de temps le système restera dans un état avant de
passer à l’autre.

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Figure 9 : Attracteur de Lorenz


http://logicaltightrope.com/2013/08/29/edward-lorenzs-strange-attraction/ consulté le 26/11/2014

L’ensemble de ces considérations peut laisser perplexe quant à leur utilité dans
le champ de la psychologie et de son épistémologie. Il semble pourtant que la pensée elle-
même puisse suivre un tel cheminement organisé par un attracteur, voire même qu’il ne
puisse pas en être autrement. Si l’on pose, comme il est d’usage de le faire depuis
Descartes, que la pensée scientifique doive être logique (condition nécessaire, mais non
suffisante), alors ce qui s’applique aux suites ou fonctions mathématiques doit pouvoir se
retrouver au sein même de la pensée scientifique. Il s’en déduit que celle-ci n’est pas
nécessairement une pensée linéaire, une pensée dont l’attracteur est simple, et que l’on
devrait pouvoir retrouver des cheminements de pensée, parfaitement logiques, mais qui,
telles les fonctions de Lorenz, semble chaotique, cheminant sans raison immédiatement
visible entre des positions d’apparence contradictoire. Ce point sera discuté plus en détail
en ce qui concerne les théories psychanalytiques, mais il nous faut d’abord exposer
brièvement le travail d’Edgar Morin qui aborde la complexité dans le champ de
l’épistémologie.

3.5 La!pensée!complexe!selon!Edgar!Morin!

Edgar Morin a, depuis le premier volume de sa méthode (1977), sans cesse


travaillé à fonder une nouvelle épistémologie qui intègre la complexité du monde, à la
manière des systèmes complexes en physiques. Il se situe en cela dans la ligne de nombreux
philosophes et scientifiques du XXe siècle qui, chacun à sa façon, avaient relevé les limites

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de la démarche scientifique telle que pratiquée alors. Il sera plus loin question de
Schrödinger et Von Neumann concernant ces scientifiques. Concernant les philosophes,
l’un des plus illustres d’entre eux est Bachelard (1938) qui a relevé que la science doit
simplifier son objet pour pouvoir l’étudier, mais, le simple n’existant pas, la science est
donc une simplification nécessaire pour dégager certaines propriétés et lois de la réalité.
Heidegger (1927), de son côté, notait que la science s’intéresse à son objet sans jamais
poser la question de son rapport à celui-ci, ce qui l’a amené à dire que : « la science ne pense
pas, et ne peut pas penser ; et c’est même là sa chance, je veux dire ce qui lui assure sa démarche propre et
bien définie » (Heidegger 1952). À partir, entre autres, de ces questions, Edgar Morin s’est
proposé de travailler à fonder une épistémologie qui ne soit ni analytique ou simplificatrice,
ni holistique ou généraliste.

L’approche analytique, en effet, qui correspond à la science classique telle


qu’elle a été fondée par Descartes (séparation de l’objet res extensa et du sujet res cogitens, qui
fonde l’objectif et le subjectif), puis Newton (formalisme mathématique des lois de la
nature) et Laplace (tout est déterminé, donc potentiellement prévisible), étudie une partie
simple de la réalité, partie simple qui a été isolée afin de rendre cette étude possible, en
partant de l’idée que connaître les différentes parties simples qui constituent la réalité dans
son ensemble nous permettra de connaître cet ensemble. L’approche holistique, quant à
elle, nie toute pertinence aux études faites dans le cadre analytique, sous prétexte que celles-
ci sont par trop isolées de la réalité pour en rendre compte. Il est aujourd’hui clair que la
première démarche se heurte à ses limites dans le champ scientifique, c’est-à-dire de
l’étendue de la connaissance scientifique. Dans le champ des techniques, où la conception
d’un appareil nécessite de ne prendre en compte que son domaine d’application, cette
démarche reste valable, mais rencontre toutefois, par exemple dans le processus d’une
miniaturisation de plus en plus poussée, ses limites18. Cependant, les limites que rencontre
la recherche technique ne sont elles-mêmes que des limites techniques, et elles ne remettent
pas en question l’ensemble de la démarche. Tout au plus, elles suggèrent que ces limites ne
pourront être dépassées, si elles le peuvent, qu’après qu’une démarche différente aura été
inventée et validée. Les recherches de certains cardiologues et neurologues, dans le champ

18 : p.ex. la fabrication des microprocesseurs atteint aujourd’hui une miniaturisation telle qu’il devient
nécessaire de tenir compte des effets quantiques, donc probabilistes, pour que ceux-ci n’entraînent pas
de dysfonctionnements.

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des systèmes complexes, afin de pouvoir agir sur une variable de contrôle du système
chaotique (fibrillation cardiaque ou crise d’épilepsie) pour modifier sa dynamique jusqu’à ce
qu’elle redevienne compatible avec le maintien de la vie, sont un exemple de ces nouvelles
voies de la recherche technologique.

Dans le second cas, la pensée holistique, on débouche sur une démarche de


connaissance qui est incompatible avec les exigences de la rationalité, car à s’arrêter à la
considération que tout est dans tout (ce que les théories de la complexité démontrent en
partie, mais en partie seulement), on perd toute faculté de percevoir les articulations qui
existent entre les éléments du tout. Et l’on perd tout autant la possibilité d’étudier ce qui
fait l’hétérogénéité du système, alors même que cette hétérogénéité est essentielle à la
nature complexe du dit système. Il convient donc de construire une pensée qui soit elle-
même complexe, et qui ait ainsi quelque chance de refléter la complexité de la réalité. En
d’autres termes, comme le dit Edgar Morin (1990, p.74) : l’objet ne doit pas seulement être
adéquat à la science, la science doit aussi être adéquate à l’objet. Autant dire, pour revenir à
Heidegger, qu’une science qui ne pense pas ne peut adéquatement s’intéresser à la pensée,
donc à l’humain, en tout cas si l’on accepte l’idée qu’il ne peut être imaginé une étude de
l’humain qui ne prenne en compte sa capacité à penser.

Une telle épistémologie complexe a aussi été développée, et appliquée aux


champs des sciences psychologiques et sociales par de nombreux auteurs (p.ex. Butz 1997,
Kiel & Elliott 1997, Blackerby 1998, Chamberlin & Butz 1998, Stern & Garène 2003,
Gottman & Murray & Swanson & Tyson & Swanson 2003, Leffert 2010).

3.5.1 Entropie"et"néguentropie"

Le second principe de la thermodynamique, celui de l’entropie croissante,


stipule que, dans tout système physique, le désordre ne peut aller que croissant. Or, depuis
sa formulation par Rudolf Clausius (1865), les astronomes ont découvert le rayonnement
fossile, donc une preuve assez convaincante de la validité de la théorie du big bang. Selon
cette théorie, l’univers s’origine d’une formidable explosion qui a donné naissance, non
seulement à toute la matière que nous connaissons, mais aussi à l’espace dans lequel nous
vivons, et au temps qui s’écoule depuis. En d’autres termes, c’est ce désordre maximal (que
nous ne pouvons nous représenter que comme tel) qui a conduit à l’organisation de
l’univers, telle que nous la connaissons pour en faire partie. Il y a là, indéniablement, un fait

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Épistémologie"

qui semble remettre en question ce principe d’entropie, ou, tout du moins, son champ
d’application.

Un autre domaine où ce principe d’entropie croissante est discutable est le


domaine du vivant. C’est Schrödinger (1946) qui relève que le vivant ne semble pas obéir à
ce second principe de la thermodynamique, puisque le vivant, depuis son origine, ne cesse
de complexifier son organisation, d’accroître son ordre. Et chaque être vivant maintient en
lui-même un niveau croissant ou constant d’organisation. Il y aurait donc là un principe
opposé à l’entropie, que Schrödinger a nommé néguentropie. Il faut tout de même noter
que, en ce qui concerne le vivant, le principe de néguentropie ne contredit pas celui
d’entropie, mais il le complète. En effet, le principe d’entropie ne peut s’appliquer qu’à un
système fermé, alors que le vivant est par essence un système ouvert. On peut donc penser
que le prix à payer pour que le vivant augmente sa néguentropie est une augmentation de
l’entropie de son milieu de vie, pour autant que celui-ci puisse être considéré comme un
système clos. Mais le moindre écosystème de vie, fut-il totalement isolé des écosystèmes
qui lui sont proches, est nécessairement ouvert à la fois sur l’atmosphère et sur l’espace :
c’est de la première qu’il tire ses ressources en eau et oxygène, et c’est du second que lui
vient l’énergie du soleil, lumière et chaleur. Tout écosystème clos, par exemple un aquarium
opaque et étanche à l’air ambiant, aboutirait rapidement à la fin de toute vie en son sein,
respectant ainsi le second principe de la thermodynamique. Ce raisonnement s’applique
aussi à l’univers, l’ouverture du vivant sur le système solaire, sans la mécanique duquel il ne
serait pas possible, ouvrant à son tour sur l’ensemble de la mécanique astrologique, dans
l’espace autant que dans le temps, de telle sorte que l’on doive remonter jusqu’au big bang
si l’on veut poursuivre le raisonnement à son terme. Et la question de la création de
l’univers, et de sa progressive organisation qui vit l’émergence des particules quantiques,
suivies des noyaux atomiques, puis des atomes, des molécules, etc. jusqu’à l’apparition et le
développement du vivant, au moins sur notre planète terre, peut-être ailleurs aussi, cette
question de la néguentropie dans l’univers nécessite elle aussi de garder en mémoire que les
principes de la thermodynamique s’appliquent à des systèmes fermés, alors que l’univers est
constitué de systèmes ouverts, interpénétrés et/ou interdépendants les uns des autres, et
que nul ne peut dire si l’univers est lui-même un système fermé ou non19. Il apparaît ainsi

19 : La réponse est d’autant plus impossible que parler d’un système fermé nécessite évidemment que ce
système soit inscrit dans un espace temps. La physique actuelle, depuis la théorie de la relativité générale,

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La"chimère"transférentielle"

que penser qu’entropie et néguentropie s’opposent et pourraient s’invalider réciproquement


est probablement erroné. Le principe de néguentropie, qui s’applique au vivant, et aussi à
de nombreux systèmes complexes auto organisés, ne serait en opposition au principe
d’entropie que s’il existait un système fermé au sein duquel il puisse être constaté.

Von Neumann (Morin, 1990), à qui nous devons l’architecture de la quasi-


totalité des ordinateurs actuels, ainsi que les automates cellulaires, distingue la machine
auto-organisatrice (vivante) et la machine artéfact (simplement organisée). La seconde, tel
un moteur de voiture par exemple, est constituée de pièces fiables, mais la fiabilité du
moteur dans son ensemble est très inférieure à celle de ses pièces, une petite défaillance de
l’une d’elles pouvant entraîner rapidement la rupture d’une autre, et la panne du moteur.
Dans un tel système, la fiabilité de l’ensemble est inférieure à la fiabilité du moins fiable de
ses constituants. À l’inverse, un système vivant est constitué de pièces (organes, cellules,
constituants cellulaires, molécules organiques) peu fiables : les molécules organiques se
dégradent rapidement et les cellules meurent. Mais celles-ci sont constamment synthétisées,
de telle sorte que leur fonction est maintenue en dépit de leur dégradation. De même, les
cellules se renouvellent, de telle sorte que la mort cellulaire n’entrave pas le maintien de la
fonction de l’organe qu’elles composent. Ainsi la fiabilité de l’organisme vivant est
nettement supérieure à celle de ses composants. De cela, Morin (1990, p.44) conclut :

Cela ne montre pas seulement la différence de nature, de logique entre les systèmes
auto-organisés et les autres, cela montre aussi qu’il y a un lien consubstantiel entre
désorganisation et organisation complexe 20 , puisque le phénomène de désorganisation
(entropie) poursuit son cours dans le vivant plus rapidement encore que dans la machine
artificielle ; mais, de façon inséparable, il y a le phénomène de réorganisation (néguentropie).
Là est le lien fondamental entre entropie et néguentropie, qui n’a rien d’une opposition
manichéenne entre deux entités contraires ; autrement dit, le lien entre vie et mort est
beaucoup plus étroit, profond, qu’on n’a jamais pu métaphysiquement l’imaginer. L’entropie,
dans un sens, contribue à l’organisation qu’elle tend à ruiner et […] l’ordre organisé ne peut
se complexifier qu’à partir du désordre…

Et il poursuit plus loin (Morin, 1990, p.49)

ne considère plus que tel soit le cas pour l’univers, mais, au contraire, que l’espace temps que nous
connaissons est lui-même une qualité de l’univers auquel nous appartenons.

20 : Souligné par l’auteur.

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Épistémologie"

La complexité est donc liée à un mélange d’ordre et de désordre, mélange intime, à


la différence de l’ordre/désordre statistique, où l’ordre (pauvre et statique) règne au niveau des
grandes populations et le désordre (pauvre, parce que pure indétermination) règne au niveau
des unités élémentaires.

Ce qui l’amène à prendre une position que certains jugeront radicale (Morin,
1990, p.48, note 7) :

Aussi, paradoxalement, des études naïves, au ras de phénomènes, étaient-elles


beaucoup plus complexes, c’est-à-dire finalement « scientifiques » que les prétendues études
quantitatives sur bulldozers statistiques, guidées par des pilotes à petite cervelle.

Il est difficile, au regard de cette citation, de ne pas penser à certaines études


statistiques, prétendument scientifiques, telles celles dont nous abreuvent les politiques afin
de justifier leurs décisions, par exemple dans le domaine de la santé psychique.

3.5.2 La"science"comme"système"complexe"

Si la science de Newton pouvait paraître relativement cohérente et simple (à


ceci près, tout de même, que Newton, qui avait compris les limites de son formalisme
mathématique, devait faire appel à Dieu pour s’assurer de la bonne application de ses lois),
et si les scientifiques, tel Laplace, ont longtemps pu croire que la science parviendrait, au fil
du temps, à devenir un corpus qui englobe en une unité théorique cohérente l’ensemble des
lois de la réalité, l’histoire semble bien en avoir décidé tout autrement.

En effet, si l’on reste dans le champ de la physique, dès l’apparition des


équations de Maxwell (qui démontrait la vitesse constante de la lumière, donc
l’inapplicabilité de la relativité galiléenne à celle-ci) elle est devenue multiple. Et si
l’électromagnétisme a pu être réintégré dans un édifice unique et cohérent de la physique
(ce que réalisa la relativité restreinte), cela fut concomitant de la rupture de ce même édifice
avec l’apparition quasi conjointe de la relativité générale et de la mécanique quantique. Et
ce n’est pas l’apparition des nombreuses applications de la théorie des systèmes complexes
qui arrange les choses. Nous pouvons ainsi affirmer que l’apparente unité et cohérence du
corpus de la physique de Newton et Laplace résultait autant du champ homogène (en
matière d’échelle et de non-complexité) de son application que de son épistémologie
exclusivement analytique ; il s’agissait plus d’un leurre que d’une propriété intrinsèque de la

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La"chimère"transférentielle"

réalité qui obéirait toujours, dans tous les systèmes existants et à toutes les échelles
possibles, aux mêmes lois.

Ce qui peut paraître remarquable c’est que c’est en suivant le cheminement de


son épistémologie analytique, purement logique et rationnelle, que la science débouche
aujourd’hui sur une situation structurelle de complexité. Elle est devenue hétérogène,
chaque système théorique étant, certes, ouvert sur d’autres, mais tout en conservant sa
cohérence interne. Que l’on songe, par exemple, à des domaines si différents que
l’histologie, la chimie organique et la biologie : ces trois domaines sont relativement bien
définis, et en interaction réciproques les uns avec les autres. Nous avons là un exemple
évident d’un système complexe, chaque sous-système étant à la fois défini, ouvert, et en
interactions rétroactives avec les autres, le tout formant un ensemble hétérogène. Voici ce
qu’en dit, par exemple, Edgar Morin (1990, p.139)

[…] en dépit de son idéal simplificateur, la science a progressé parce qu’elle était
en fait complexe. Elle est complexe parce que sur le plan de sa sociologie même il y a une
lutte, un antagonisme complémentaire entre son principe de rivalité, de conflictualité entre
idées et théories et son principe d’unanimité, d’acceptation de la règle de vérification et
argumentation.

La science se fonde à la fois sur le consensus et sur le conflit. En même temps, elle
marche sur quatre pattes indépendantes et interdépendantes : la rationalité, l’empirisme,
l’imagination, la vérification. Il y a conflictualité permanente entre rationalisme et empirisme ;
l’empirique détruit les constructions rationnelles qui se reconstituent à partir des nouvelles
découvertes empiriques. Il y a complémentarité conflictuelle entre la vérification et
l’imagination. Enfin la complexité scientifique, c’est la présence du non scientifique dans le
scientifique qui n’annule pas le scientifique, mais au contraire lui permet de s’exprimer. Je
crois qu’effectivement toute la science moderne, en dépit des théories simplifiantes, est une
entreprise très complexe.

C’est ainsi que la science, et son épistémologie avec elle, est devenue un
ensemble hétérogène dont on peine à trouver une cohérence unique et certaine, comme
Descartes et Popper avaient pu le croire possible et nécessaire. Et c’est ainsi, aussi, qu’elle
s’est auto organisée, une auto organisation d’où ont pu émerger de nouveaux paradigmes
qui lui permettent de progresser tout en remettant en question ses fondements mêmes,
exigeant donc une auto réorganisation d’elle-même. Beaucoup distinguent aujourd’hui les
sciences dites « dures », qui seraient scientifiques sans aucun doute, et les sciences

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Épistémologie"

« molles » dont le caractère scientifique est mis en doute, quand il n’est pas purement et
simplement nié. Pourtant ces sciences « dures » ne sont dures que par leur formalisme
mathématique, lui-même considéré comme une forme d’absolu de la Vérité, alors que, les
scientifiques qui les pratiquent le savent fort bien, elles ne sont pas moins faillibles que
toute autre approche théorique. Nombre de modèles mathématiques n’ont jamais trouvé de
confirmation expérimentale, et n’en trouveront jamais. Par exemple, aucune des théories
des cordes, censées réconcilier relativité générale et mécanique quantique, n’a encore eu la
moindre confirmation expérimentale, malgré une proportion considérable de physiciens
ayant travaillé dessus, avec des budgets non moins considérables. Il est possible qu’une telle
confirmation advienne, ou non, nul ne peut le dire.

À côté de ces sciences dites dures se trouvent les sciences expérimentales,


nombreuses et aux méthodologies diverses. Leur point commun est de vouloir répondre
aux exigences posées par Popper, notamment des hypothèses réfutables, des expériences
reproductibles, et une théorie qui tente de rendre compte des résultats de ces expériences.
Puis viennent les sciences empiriques, au premier rang desquelles on peut situer la
médecine. Il s’agit là de classifier la réalité des observations (diagnostic), avec une tentative
de plus en plus prononcée d’objectiver ces observations (analyses et imageries médicales).
Malgré ces tentatives d’objectivation, il est clair pour tous ceux qui ont fréquenté un ou des
médecins, que celle-ci est, là, relative, la compétence du médecin ne pouvant reposer
uniquement sur son savoir. L’intuition et l’expérience jouent un rôle au moins aussi
important, par exemple dans des situations d’urgence ne permettant pas de prendre le
temps des nombreux examens complémentaires réputés aujourd’hui nécessaires pour
assurer un bon diagnostic. Ce qui se produit là est la mise en évidence de la place
prépondérante de l’observateur dans la recherche du diagnostic et du traitement adapté : la
subjectivité commence à s’affirmer, sans pour autant, sauf à faire de l’intégrisme scientiste,
que l’on puisse dénier à cette démarche un caractère réellement scientifique.

Viennent enfin, dans cette liste à la Prévert qui n’a pour but que d’exemplifier
le propos, et non d’être exhaustif, ni de proposer une nouvelle classification des domaines
scientifiques, les sciences dites « de l’homme » (sociologie, pédagogie, psychologie, histoire,
etc.) qui ont pour particularité que leur objet est, par essence, sujet : étudier le sujet comme
objet, donc sans tenir compte de sa qualité de sujet, reviendrait à le dénaturer avant de
l’étudier, donc à produire des résultats ne pouvant lui être appliqués. Ici, la question devient

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cruciale : comment une objectivité peut-elle avoir quelque chose à dire sur un sujet, en tout
cas quelque chose qui concerne la subjectivité de ce sujet ?

Ce qui apparaît avec cette question est une opposition relative et non absolue :
le sujet est subjectif par certains de ses traits et dynamismes, et objectif par d’autres. De
plus, l’observateur est lui-même sujet, et susceptible d’être influencé dans son observation
par la subjectivité de son objet. Il est en même temps, par sa multiplication dans la
communauté scientifique, objet. Ou plutôt, cette multiplication tend vers l’émergence d’un
observateur virtuel qui ne garderait que les traits objectifs de l’observation. Évidemment, il
s’agit là d’une intersubjectivité, non d’une réelle objectivité, pour autant qu’une pure
objectivité existe. L’importance que la science accorde depuis longtemps au consensus, à la
reproductibilité des expériences, aux procédures de vérification, témoigne d’ailleurs de son
souci d’une objectivation de plus en plus poussée, souci qui témoigne a contrario du fait
que celle-ci ne peut jamais être considérée comme absolue.

À cette question épistémologique de la nécessaire subjectivité, au moins


partielle, de l’observation et de l’expérience dans les champs scientifiques regroupés sous
l’appellation « sciences de l’homme », certains, à la suite de Popper vont répondre que, dans
ces conditions, il ne peut être question de science. D’autres, au contraire, tentent d’éluder la
question en affirmant que la science recouvre l’ensemble du domaine de la connaissance,
dont la subjectivité est partie intégrale. Là encore, dans ce débat, Morin apporte une
perspective qui se veut n’être ni l’une ni l’autre, mais qui tente de construire une possibilité,
non de surmonter les contradictions, mais de les intégrer au sein même de la démarche
scientifique : c’est là un aspect de l’épistémologie complexe qu’il propose, une
épistémologie qui se doit de penser une théorie, fondée sur un corpus d’observations et/ou
d’expériences, comme un ensemble logique cohérent qui puisse admettre en lui-même les
incohérences et contradictions, autant celles de son objet que celles qui émergent de la
relation entre l’observateur et l’objet. En d’autres termes, il pourrait être tenté, face à la
linéarité d’une théorie fondée exclusivement sur la logique aristotélicienne du tiers exclu, de
construire une théorie non linéaire, au sens des théories des systèmes complexes. Une telle
logique ne pourrait décider qu’une proposition serait vraie ou fausse en elle-même, mais
qu’elle pourrait l’être, ou non, selon l’état du système qui se crée dans la relation qu’elle
entretient avec son objet. Edgar Morin (1990, p.135) dit :

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Épistémologie"

La complexité c’est l’union de la simplicité et de la complexité. […] et c’est


d’échapper à l’alternative entre la pensée réductrice qui ne voit que les éléments et la pensée
globale qui ne voit que le tout.

Comme le disait Pascal : “Je tiens pour impossible de connaître les parties en tant
que parties sans connaître le tout, mais je tiens pour non moins impossible la possibilité de
connaître le tout sans connaître singulièrement les parties”.

3.6 Prévisibilité,!déterminisme,!causalité!et!liberté!

3.6.1 Définitions"

Selon Le Robert (2012) :

• La causalité est le Rapport de la cause à l’effet qu’elle produit […] Caractère d’une cause, de ce qui
agit en tant que cause. et le principe de causalité : axiome en vertu duquel tout phénomène a une
cause.
• Le déterminisme est 1°) l’Ordre des faits suivant lequel les conditions d’existence d’un phénomène
sont déterminées, fixées absolument de telle façon que ces conditions étant posées, le phénomène ne peut
pas ne pas se produire. ou, 2°) la Doctrine philosophique suivant laquelle tous les évènements de
l’univers, et en particulier les actions humaines, sont liés d’une façon telle que les choses étant ce qu’elles
sont à un moment quelconque du temps, il n’y ait pour chacun des moments antérieurs ou ultérieurs,
qu’un état et un seul qui soit compatible avec le premier.
• La prévisibilité est le Caractère de ce qui est prévisible, prévisible signifiant : ce qui peut être
prévu, facilement prévu, donc, toujours selon Le Robert, en lien avec le probable et la
connaissance de l’avenir
• La liberté admet, quant à elle, de plus nombreuses acceptions, sous un chapeau
commun : État d’indépendance, d’autonomie par rapport aux causes extérieures ; absence,
suppression ou affaiblissement d’une contrainte. Ne sera retenu ici que ce qui concerne cette
notion du point de vue épistémologique, c’est-à-dire : 1°) État, situation d’une personne qui
n’est pas sous la dépendance absolue de quelqu’un, ou 2°) Caractère indéterminé de la volonté
humaine ; libre arbitre

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La"chimère"transférentielle"

3.6.2 Discussion"

Les théories des systèmes complexes remettent profondément en cause


l’équivalence habituelle entre déterminisme et prévisibilité. Remettent-elles pour autant en
cause le déterminisme lui-même ? Sont-elles susceptibles d’ouvrir quelque peu celui-ci sur
une notion de liberté ?

Du point de vue de la logique pure, la réponse est assurément non,


l’imprédictibilité des systèmes complexes étant liée à leur sensibilité aux conditions initiales
autant qu’à leurs nombreuses interactions avec leur environnement, et non à une forme
d’indéterminisme. Bien au contraire, ce sont les équations mathématiques qui règlent le
déterminisme absolu de ces systèmes qui démontrent leur imprédictibilité. Cependant, le
théorème de Gödel rend la chose plus complexe, puisque le recours à la logique pure et/ou
aux équations mathématiques devient incertain. Les systèmes logiques et/ou
mathématiques étant non démontrables in fine, il s’en suit une certaine porosité de la limite
entre le logique et le non-logique, de telle sorte que l’idée selon laquelle tout est déterminé
par des relations causales ne peut plus être affirmée avec une certitude absolue. Si, pour
Laplace, la toute-puissance de Dieu avait quitté le ciel et intégré la science, les nouveaux
paradigmes scientifiques ont en partie rétabli l’ordre ancien selon lequel la toute-puissance
n’est pas du domaine des humains.

De plus, il y a là autre chose concernant le rapport entre déterminisme et


prédictibilité : la mécanique quantique a dû renoncer au déterminisme pur et faire appel aux
probabilités pour conserver sa capacité de prédictibilité. Inversement, dans la physique des
systèmes complexes, la conservation du déterminisme se fait aux dépens de la prédictibilité.
Dans les deux cas, c’est la notion même de causalité qui s’en trouve profondément
transformée, sans pour autant être invalidée. En effet, les probabilités de la mécanique
quantique ouvrent sur une notion de causalité globale concernant le système étudié, une
causalité qui ne peut s’appliquer à un élément en particulier, mais qui reste valable pour
l’ensemble du système. Il y a là une scission entre une causalité du particulier, qui disparaît
ou devient inaccessible (le choix entre ces deux possibilités relevant alors d’une position
métaphysique), et une causalité du général qui, elle, reste aussi absolument valable qu’elle
l’est dans les autres domaines de la science classique21. Du côté des systèmes complexes, la

21 : L’exemple de la radioactivité permet d’illustrer cette différence : si l’on prend un corps radioactif, il est
possible de dire avec certitude que n% des atomes qui le composent vont se scinder durant le laps de

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dissociation entre déterminisme et prédictibilité entraîne une scission entre une causalité
rétrograde et prédictive. Il est toujours possible (au moins théoriquement) de déterminer la
chaîne de causalité qui fut à l’origine d’un état du système, compte tenu d’un état antérieur
et d’un état actuel tous deux connus. C’est là une causalité rétrograde dans le sens où elle ne
peut être mise en évidence que dans l’après-coup de l’évolution du système. La causalité
prédictive, qui consiste à pouvoir déterminer l’état futur du système grâce à la connaissance
de l’état actuel et des lois qui régissent son évolution a, elle, disparu. Ce dernier point
semble particulièrement important dans le champ des sciences de l’homme, l’une des
critiques récurrentes qui leur sont adressées, tant par des scientifiques d’autres champs que
par les politiques, étant que leur incapacité à déterminer les chaînes de causalité autrement
que dans l’après-coup démontrerait leur non-scientificité.

Il semble que cela puisse ouvrir la discussion autour de la notion de liberté. En


effet, celle-ci est apparemment opposée au déterminisme, et son existence dans le champ
des sciences humaines est, toujours apparemment, la cause de l’imprédictibilité à laquelle
celles-ci se heurtent. Il y a au moins deux niveaux où cette question de la liberté peut se
poser autrement que dans une telle opposition logique. Le premier est celui de la
mécanique quantique, puisque le déterminisme ne paraît pas pouvoir s’appliquer à l’échelle
des particules. Et le second, qui nous intéresse ici, est celui des systèmes complexes,
puisque leur destinée semble pouvoir être considérablement transformée par des causes
imperceptibles. Mais il reste l’idée d’une causalité, donc d’un déterminisme.

Cependant, la notion de liberté n’a de sens qu’en rapport avec un être doué de
pensée, la liberté étant alors l’expression, dans les actes et choix de cet être, de sa pensée.
Or nul ne peut, aujourd’hui, dire quoi que ce soit de pertinent, d’un point de vue
scientifique, sur ce qu’est la pensée, sur son essence. Il est probable, comme il sera discuté
plus loin, qu’il s’agisse d’une qualité émergente du fonctionnement neuronal du cerveau,
mais on ne peut rien affirmer quant à la nature de cette qualité. On peut seulement
constater que la pensée est en capacité de produire un effet sur la matérialité de notre

temps t. Il est par contre totalement impossible de savoir si tel atome en particulier va se scinder tout de
suite ou dans 10 000 ans.

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corps22, c’est-à-dire que cette qualité émergente a des effets rétroactifs sur le cerveau d’où
elle a émergé. En d’autres termes, le sentiment de liberté, sentiment auquel s’applique la
notion de liberté, peut être considéré comme étant lui-même une qualité émergente de la
pensée, elle-même qualité émergente du fonctionnement neuronal du cerveau23. Il paraît
ainsi raisonnable de dire que la liberté est une qualité émergente de systèmes déterministes
tel le cerveau, ce qui, comme il en est pour la pensée, ne dit rien de son essence, mais qui a
le mérite de ne plus la mettre en opposition absolue avec le déterminisme. Il y a bien
entendu un paradoxe à penser qu’un système déterministe puisse être à l’origine de
l’émergence de liberté, mais admettre ce paradoxe semble nécessaire au regard de
l’expérience subjective que tous les êtres humains ont d’une certaine liberté de penser et
d’agir. Ce point, essentiel à l’épistémologie de ce travail, sera repris et développé
ultérieurement.

22 : Les mots sont des objets de pensée, sans matérialité spécifique, en tout cas sans matérialité aujourd’hui
connue. Le seul fait de pouvoir transmettre une consigne à un sujet et, pour ce sujet, de pouvoir la
réaliser, prouve que la pensée a bien un effet sur la matérialité du fonctionnement neuronal du cerveau.

23 : Un cerveau humain qui n’est ici isolé que très artificiellement. D’une part il n’existe pas de cerveau qui ne
soit partie d’un corps biologique vivant, et d’autre part il n’existe pas non plus de cerveau sui ne soit en
interrelation avec d’autres, ce sans quoi il serait simplement impossible d’en parler. Voir p.ex. les travaux
de De Jaegher et Di Paolo (2007, 2012)

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Épistémologie"

4 Épistémologie!des!neurosciences!

Les neurosciences recouvrent un vaste domaine de recherches très hétérogènes


dans leurs méthodes, autant que dans les épistémologies qui les fondent. Il ne semble donc
pas possible d’en avoir une vue unique ni d’en dégager une épistémologie qui serait leur
fondement commun. Pourtant les chercheurs de ces différents domaines n’hésitent pas,
pour nombre d’entre eux, à croiser leurs résultats comme s’ils relevaient d’une démarche
d’ensemble cohérente, fondée sur une même approche épistémologique, leurs différences
n’étant alors que d’ordre méthodologique et technique.

Francisco Varela (1993, p.33) propose une classification des sciences cognitives
en cinq domaines [Figure 10].

Figure 10 : Carte polaire de sciences cognitives, d’après Varela

Ces domaines ne sont pas, dans la représentation qu’il propose, des domaines
fermés et clairement différenciés, mais forment un continuum. Il y ajoute trois types de
modèles apparus au décours de leur évolution : le cognitivisme, les modèles liés à la notion
de l’émergence (ou connexionnisme) et ceux qui sont liés à celle de l’énaction ; ce dernier
terme est la traduction du mot anglais « enaction », qui est tiré du verbe « to enact » dont la
traduction est « susciter, faire émerger, faire advenir ». Selon lui, si le cognitivisme est le
noyau des sciences cognitives, les deux autres modes d’approche répondent à des critiques
formulées à l’encontre du premier : d’une part le fait que le traitement symbolique pourrait
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ne pas être une représentation appropriée du traitement des représentations, et d’autre part
le fait que la notion même de représentation pourrait ne pas être appropriée au
cheminement des sciences cognitives.

Ce travail s’intéressera plus particulièrement aux neurosciences, mais il faut


tout de même considérer les sciences cognitives dans leur ensemble, tant les interrelations
et interactions entre leurs domaines sont importantes. D’ailleurs, pour de nombreux
neuroscientifiques, les sciences cognitives sont parties intégrantes des neurosciences (et
non l’inverse). Du point de vue de l’épistémologie, cette différenciation du fondement des
modèles construits par les sciences cognitives met bien en évidence qu’une telle
construction repose nécessairement sur un parti pris théorique, parti pris qui peut
ultérieurement être mis en question par les chercheurs afin d’en construire de nouveaux
mieux à même de rendre compte de la réalité de leurs observations et expériences, comme
en témoignent les trois niveaux d’évolution relevés par Varela, trois niveaux qu’il convient
de détailler afin de comprendre l’évolution des soubassements épistémologiques dont ils
témoignent.

Selon Varela, le cognitivisme s’est fondé sur la métaphore de l’ordinateur, un


ordinateur alors capable non seulement d’effectuer des calculs sur des nombres, mais aussi
des computations, c’est-à-dire des traitements de symboles24. Ainsi en simplifiant […] on peut
dire que le cognitivisme consiste en l’hypothèse selon laquelle la cognition — humaine comprise — est la
manipulation de symboles à la manière des ordinateurs digitaux. (Varela, 1993, p. 32) On voit bien là
la fascination de la science par la technologie qu’elle a produite, fascination qui se révèle
dans l’affirmation que ce produit est à l’image de son producteur. L’homme aurait ainsi
produit l’ordinateur à l’image de lui-même. Chassez Dieu par la porte, et le voilà qui revient
par la fenêtre…

Le connexionnisme, quant à lui, a remis en cause l’idée que le traitement


cognitif puisse s’appréhender comme traitement de symboles (toujours au sens où la

24 : Il importe de noter que le mot “symbole’, tel qu’utilisé par les neuroscientifiques, signifie le plus souvent
ce que les psychanalystes appellent des “signes’. Pour le cognitivisme et les computationisme en tout
cas, un symbole est univoque ; le mot table p.ex. désigne uniquement l’objet caractérisé par un plateau
posé sur des pieds, et le lien avec le souvenir de la difficulté qu’il y a eu à apprendre les tables de
multiplications, ou avec la rigueur morale des tables de la Loi, donc la polysémie du mot, n’est pas pris
en compte. Il en est de même pour la dimension synchronique du discours qui repose sur l’associativité
psychique.

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Épistémologie"

psychanalyse parlerait de signes). Il a construit un modèle de traitements parallèles,


distribués, de différents aspects du symbole. Il y aurait ainsi un grand nombre de composants
simples qui, quand ils sont connectés selon des règles appropriées, donnent lieu à un comportement global
correspondant à la tache désirée.25 (Varela, 1993, P.34) Avec le connexionnisme, le modèle des
systèmes complexes fait son entrée dans le champ des neurosciences, le comportement
global, tel qu’il peut être éprouvé ou observé, en étant une émergence. Il s’agit là d’un saut
épistémologique de la première importance, d’autant qu’il a pour conséquences immédiates
de rompre avec le localisationnisme (à chaque tâche cognitive correspond une partie
précise du cerveau), puisque seuls les éléments de traitement distribués peuvent, non
nécessairement, être localisés, et non la globalité du traitement.

Le connexionnisme, néanmoins, garde le présupposé d’un monde prédonné


dont l’esprit, grâce à ces traitements distribués, serait à même de se construire une
représentation. Il reste dans une approche très cartésienne où, comme il a été discuté, le
domaine de l’objet et celui du sujet observateur/chercheur sont présumés indépendants
l’un de l’autre. Avec la notion d’énaction, Varela va plus loin : pour lui, ce qui émerge de la
globalité des traitements distribués, c’est tout à la fois le monde et sa représentation. Le
monde dont il parle là n’est pas le monde de la physique classique (le monde idéalement
objectif de Descartes), mais le monde dans lequel s’inscrit le vécu, à la fois subjectif,
intersubjectif et objectif, de tout un chacun, un monde qui ne peut être le même selon l’état
du sujet, de son environnement, de son histoire, et pourtant un monde qui reste aussi le
même. En d’autres termes, il n’y a de perception objective du monde qu’au sein du vécu
subjectif de l’observateur, et vouloir étudier séparément les mécanismes cognitifs et/ou
neurophysiologiques de la perception objective et du vécu subjectif serait aussi vain
qu’impossible. Et ceci, évidemment, est tout aussi vrai pour le sujet observé que pour le
scientifique qui l’observe.

On peut tout de même être réservé quant au continuum que propose Varela.
Du point de vue de l’épistémologie des trois niveaux, il y a plutôt rupture entre ceux-ci que
véritable continuité. Le modèle cognitiviste est purement linéaire, à l’image des ordinateurs
qui sont sa référence. Même dans le cas où une information est traitée par le module A,
puis par le B, pour revenir vers le A, la rétroaction reste linéaire et ne concerne que
l’information, non les modules qui la traitent. De plus, les informations sont

25 : On voit là, de suite, la limite d’une telle affirmation : une tâche désirée, certes, mais par qui ?

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nécessairement traitées de manière séquentielle et, si plusieurs informations sont traitées en


même temps, elles ne le sont chacune que de manière séquentielle, sans interférer les unes
avec les autres avant la fin de leur traitement. Enfin, les informations traitées sont
univoques, comme il a été vu de la définition du symbole par les sciences cognitives. Le
modèle computationnel ouvre sur la complexité, mais une complexité qui reste cantonnée
au traitement d’informations qui sont encore considérées comme univoques et
objectivement fondées sur la perception du monde. Il n’y a ainsi pas de rétroaction entre la
construction de la représentation du monde et sa perception. Pour l’énaction, la complexité
interne du cerveau est en interaction complexe avec le monde et sa perception. Il n’y a plus
de différence radicale entre le sujet et l’objet. Il paraît ainsi difficile d’envisager un
continuum entre ces épistémologies comme le fait Varela : ce sont de véritables sauts
épistémologiques qui différencient ces niveaux, ce qui implique qu’un même fait ne pourra
pas être défini semblablement selon que l’on se situe dans l’un ou l’autre de ceux-ci.

De même, penser qu’il y aurait un continuum entre les neurosciences et la


psychologie cognitive, ou entre les neurosciences et l’intelligence artificielle, par exemple,
supposerait qu’ils partagent les mêmes objets, qu’ils auraient la faculté de délimiter les faits
de la même façon, ou que, à tout le moins, il y aurait un continuum dans la façon de
délimiter ces faits. Il est possible d’envisager une telle identité au niveau du cognitivisme, le
symbole étant suffisamment univoque pour rester le même, quelle que soit son approche
technique. Cela peut rester plausible au niveau du connexionnisme, puisque le monde
extérieur est encore considéré comme pré donné, objectif, et donc définissable a priori,
sans nécessairement tenir compte de la façon dont il est appréhendé par l’observateur.
Mais, dès lors que l’on aborde le niveau de l’énaction, il est impossible d’envisager qu’un
fait puisse être le même, indépendamment de la façon dont l’observateur choisit de
l’observer. Il est donc difficile d’imaginer un continuum entre neurosciences et psychologie
cognitive et, a fortiori, entre neurosciences et intelligence artificielle. Il est même difficile,
comme cela sera repris plus loin, d’imaginer qu’au sein des neurosciences les différentes
techniques utilisées puissent délimiter leurs faits d’expérience semblablement, et donc que
les résultats obtenus puissent facilement se transférer d’un domaine à l’autre.

4.1 Le!behaviorisme!

Il peut, à ce point de la réflexion, être nécessaire de relever l’absence des


sciences comportementales (behaviorisme) comme partie des sciences cognitives telles que

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Épistémologie"

présentées par Varela. Il semble y avoir à cela une raison épistémologique sérieuse : bien
que le cognitivisme ait émergé, dans les années cinquante, à partir du comportementalisme,
cette émergence a été l’effet d’une rupture fondamentale du projet de celui-ci, qui était
fondé sur la notion de la boîte noire ; il s’agissait de ne considérer que les entrées et les
sorties, afin de répondre a priori aux critiques de subjectivité qui pourraient être faites à
ceux dont l’intérêt se porterait sur ce qui se passe à l’intérieur de la boîte noire. Or le
cognitivisme est né du fait que des chercheurs ont pu commencer à s’intéresser à l’intérieur
de la boîte noire, trouvant des méthodologies suffisamment précises pour que différents
observateurs puissent faire le même constat à propos de la même expérience
(reproductibilité). Ainsi, aujourd’hui, la seule parenté qui semble rester entre
comportementalisme et cognitivisme est le fait que leurs théories semblent construites sur
des modèles similaires de linéarité logique, avec un langage qui utilise souvent les mêmes
mots. Mais peuvent-ils parler de la même chose ? Une réponse positive à cette question
semble difficile puisque, précisément, les cognitivistes parlent de ce à quoi les
comportementalistes ont délibérément renoncé de parler, et dont la connaissance leur
paraît rendue inutile par leur concept de boîte noire. Dès lors le mariage de ces deux
démarches dans ce qui se veut être une méthode thérapeutique, les thérapies cognitivo-
comportementales26, semblent plus proche d’une démarche commerciale que scientifique.
Serait-ce à leur sujet que l’affirmation de Morin (1990, p.48, note 7) Aussi, paradoxalement,
des études naïves, au ras de phénomènes, étaient-elles beaucoup plus complexes, c’est-à-dire finalement
« scientifiques » que les prétendues études quantitatives sur bulldozers statistiques, guidées par des pilotes à
petite cervelle pourrait s’appliquer ? Si l’on qualifie de naïf l’exposé de faits non intégrés dans
une formulation empirique cohérente, donc sans lien avec une théorie elle-même cohérente
qui justifie leurs délimitations en tant que faits, alors assurément oui. Car comment un fait
pourrait-il être délimité semblablement au sein d’une démarche épistémologique qui pose
comme inaccessible l’intérieur de la boîte noire, et d’une autre démarche qui, au contraire,
s’intéresse à cet intérieur ? Le fait comportemental et le fait cognitif ne peuvent être
similaires qu’en apparence, alors que l’objet qu’ils délimitent ne peut être le même. Et que
cette similitude puisse être pertinente dans certains cas (tel le bateau ivre de Rimbaud (1871),

26 : C’est en 1991 que l'Association Française de Thérapie Comportementale, créée en 1972, devient
Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive (Vittet, 2009)

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La"chimère"transférentielle"

qui, à l’époque où il rédigea ce poème, n’avait encore jamais vu la mer) ne saurait justifier
qu’une démarche scientifique la tienne pour vérité27.

C’est pourquoi il ne sera pas abordé, dans ce travail dont une part repose sur
une mise en perspective de différentes approches théoriques et méthodologiques du fait
psychique, la question du behaviorisme et des thérapies dites cognitivo-comportementales.

4.2 Neurosciences!biologiques!et!médicales!

4.2.1 Généralités"

L’épistémologie des neurosciences biologiques et médicales se nourrit tout


autant de l’épistémologie expérimentale que de l’empirisme médical, bien que ceux-ci
s’opposent sur bien des points. Cependant, il est fréquent que ces deux approches se
retrouvent au sein d’un même laboratoire, et au fil des recherches d’un même chercheur, ce
qui impose de les étudier conjointement. De plus, il est tout aussi fréquent qu’un même
chercheur élabore, sur la base des résultats ainsi obtenus, une théorie de l’esprit qui peut
s’inscrire, selon ses goûts et orientations, dans l’un des trois niveaux décrits par Varela. Cela
pour dire qu’il y a là, d’emblée, un champ épistémologique hétérogène dont les différents
pôles sont en interrelations et interaction les uns avec les autres : il s’agit d’un système
complexe. De là, une critique fondamentale peut être adressée à la plupart des travaux
neuroscientifiques, à savoir qu’ils n’intègrent pas au sein de leur théorie cette dimension de
complexité, pourtant présente autant dans leur objet que dans leur démarche. De ce point
de vue, la psychanalyse semble mieux répondre à l’un des critères essentiels définissant les
théories scientifiques : la cohérence de la théorie avec son objet d’étude.

Il peut, par exemple, être difficile d’imaginer une parenté entre la recherche
biomoléculaire au niveau de la synapse, et celle, clinique et macroscopique, portant sur les

27 : Nombre d’études pharmacologiques prétendant prouver l’efficacité d’un médicament, surtout dans le
domaine des psychotropes, reposent sur un même type de non sens épistémologique. Il en est de même
des diagnostics DSM qui se fondent sur un consensus de praticiens ne partageant pas nécessairement
une même approche théorique, et non sur des hypothèses théoriques permettant une délimitation
empirique des faits cliniques ainsi classés. Ici la démarche scientifique a été remplacée par celle de
l’opinion majoritaire, oubliant que, si le consensus est un outil de la science, il ne participe qu’à
l’évaluation des théories, et des méthodologies que celles-ci produisent, et n’a aucune pertinence dans la
délimitation des faits.

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Épistémologie"

accidents cérébraux. Il y a là des différences méthodologiques telles que les faits étudiés ne
peuvent être tenus pour équivalents dans l’un et l’autre domaine, ce qui ouvre à la question
des rapports entre méthodologie et épistémologie. Au-delà de cet exemple caricatural, on
retrouve cette question dans un domaine pourtant considéré comme homogène : celui de
l’imagerie cérébrale.

Il s’agit, en effet, de deux sortes de techniques, les unes dérivées de l’électro-


encéphalogramme, et les autres du scanner et de l’IRM. Dans les deux cas, ces techniques
permettent une image du cerveau in vivo, et en activité. Mais l’homogénéité s’arrête là, car
d’une part ces techniques ne révèlent pas les mêmes évènements, et d’autre part elles
diffèrent de plusieurs ordres de grandeur quant aux échelles spatiales et temporelles de leur
observation.

Les techniques dérivées de l’EEG mesurent l’activité électrique des neurones,


avec une excellente résolution temporelle, de l’ordre de la milliseconde, et une exécrable
résolution spatiale, de l’ordre du centimètre. Celles dérivées du scanner (petScan) et de
l’IRM (IRMf) mesurent la vascularisation locale des structures cérébrales, avec une
résolution temporelle de l’ordre de la minute, et une résolution spatiale de l’ordre du
millimètre. Il y a donc une première approximation, qui considère que l’activité du cerveau
s’accompagne nécessairement, et concomitamment, d’une activité électrique et d’une
augmentation localisée de la vascularisation ; rien n’étant, à ce jour, venu contredire cette
approximation, elle est acceptée par la communauté scientifique. Et une seconde
approximation veut que l’activité électrique mesurée sur le scalp soit corrélée avec les
images de la vascularisation, alors même que les échelles de ces observations sont
totalement différentes.

Cela, qui pourrait être considéré en première estimation comme une faiblesse
des neurosciences, peut, en fait, être une de leurs forces. En effet, il apparaît que l’activité
du cerveau elle-même repose sur des phénomènes dont les échelles de temps et d’espace
sont fort différentes comme en témoignent par exemple l’action des neurotransmetteurs : si
ceux-ci sont libérés dans l’espace intersynaptique et ont un effet extrêmement rapide et
localisé au niveau de la membrane post synaptique, une part peut ne pas être dégradée sur
place ; elle diffuse ainsi aux structures cérébrales proches, et parfois même à l’ensemble du
cerveau. C’est d’ailleurs ainsi qu’agissent les psychotropes actuellement utilisés en
psychiatrie et/ou en neurologie. Ce second mode d’action des neurotransmetteurs agit
donc selon une échelle temporelle et spatiale d’un ordre tout à fait différent du premier,
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La"chimère"transférentielle"

constituant une boucle rétroactive sur celui-ci extrêmement complexe : la rétroaction


intervient après que l’action soit finie depuis longtemps, ce qui implique que l’action
rétroagisse non sur elle-même, mais sur les actions ultérieures. Nous retrouvons ainsi le
même type de complexité par interactions entre des systèmes d’échelles temporelles et
spatiales fortement différentes. Reste qu’à l’heure d’aujourd’hui ce type de complexité ne
semble pas intégré dans la plupart des théories produites par les neuroscientifiques, ni au
niveau de l’analyse de leurs expérimentations ni à celui de la théorisation de leurs résultats.

4.2.2 Le"voir"et"l’entendre"

Une façon de comprendre cette difficulté des neurosciences biologiques et


médicales à intégrer la complexité de leur objet et de leur démarche au sein même de leurs
théorisations découle du constat du primat du « voir » sur « l’entendre » dans leurs
méthodologies. On parle d’ailleurs de « l’imagerie cérébrale » pour regrouper la majeure
partie des techniques qui ont permis, ces dix dernières années, des progrès majeurs dans
leurs domaines. Or l’une des différences fondamentales entre le voir et l’entendre est le
caractère univoque du voir, alors que l’entendre est par nature polysémique.

Si un chercheur voit une image cérébrale, il peut la montrer à ses collègues sans
risque majeur que ceux-ci voient autre chose que lui. Et il peut tout aussi bien leur décrire
la technique qui lui a permis la réalisation de cette image, afin que ceux-ci, utilisant la même
technique que lui, aboutissent au même résultat. C’est là ce qui permet de parler
d’objectivité. Certes, il peut y avoir différentes interprétations de la même image, mais ce
sera toujours la même image qui sera interprétée.

Dans le champ de l’entendre, et principalement s’il s’agit d’entendre un


discours, une parole, il en est tout autrement, chacun pouvant entendre différemment un
même énoncé. Plus précisément, un même énoncé pourra être entendu de plusieurs façons,
y compris sur une dimension « objective », c’est-à-dire sans que la subjectivité de l’auditeur
soit impliquée. Les nombreux faux-sens et contresens des traductions automatiques
auxquelles Google nous a donné accès en sont un des effets, les machines, si sophistiquées
soient-elles, ne pouvant aujourd’hui avoir accès, au mieux, qu’à une analyse très grossière
de cette polysémie. Cela n’a rien d’étonnant si l’on considère que la structure du langage
humain est celle d’un système complexe, et que le sens qui en émerge est directement
corrélé, non seulement aux mots employés, non seulement à la structure de la phrase, mais

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aussi aux interrelations des mots entre eux, des mots avec les phrases et des phrases entre
elles, idem au niveau des paragraphes, des chapitres, de l’ensemble du contexte, donc.

La définition du symbole, tel qu’elle a été développée dans le champ des


sciences cognitives, c’est-à-dire comme renvoyant à un sens univoque, est évidemment un
moyen d’échapper à cette complexité du langage, et de l’objet/sujet, humain. Un langage
qui ne serait qu’univoque donnerait d’ailleurs beaucoup plus à voir qu’à entendre,
l’expression « donner à entendre » renvoyant directement à cette polysémie. Il semble donc
possible de poser que les sciences cognitives — à l’exception de l’énaction proposée par
Varela — et les neurosciences s’intéressent prioritairement à ce qui est donné à voir, alors
que la psychanalyse oriente son intérêt vers ce qui est donné à entendre.

4.2.3 Le"voir"estcil"fiable"?"

Derrière l’apparente objectivité des sciences cognitives et neurosciences


apparaît donc le risque qu’elles éludent radicalement, non seulement la subjectivité de leur
objet, mais aussi son humanité même, telle qu’elle s’exprime par l’usage d’un langage qui
donne souvent plus à entendre qu’à voir.

Mais un autre biais risque de se fait jour, dès lors que l’on interroge ce qui est
ainsi donné à voir. Concernant les techniques dérivées de l’EEG, il s’agit de l’activité
électrique du cerveau, activité électrique dont nous avons de bonnes raisons de penser
qu’elle est directement consécutive des excitations neuronales au sein de cet organe.
Cependant, comme toute mesure électrique, ce n’est pas l’activité neuronale qui peut ainsi
être mise en évidence, mais la différence d’activité entre deux points : une mesure
électrique évalue une différence de potentiel, non un absolu.

Les techniques d’imagerie dérivées du scanner et/ou de l’IRM présentent la


même caractéristique : elles mettent en évidence le flux sanguin et ses variations dans les
différences zones du cerveau. Il y a, là encore, de bonnes raisons de penser que les
variations du flux sanguin sont directement liées aux variations d’activité neuronale, et que
l’on mesure ainsi la consommation d’énergie par les neurones « actifs » du cerveau.
Pourtant il apparaît que, si on convient que la consommation énergétique du cerveau « au
repos » est de 100, alors la consommation énergétique des zones « en activité » sera
mesurée à 125. Autant dire que ce que les neurosciences sont amenées à considérer comme
un cerveau « au repos » est un cerveau dont l’activité est aux quatre cinquièmes de celle

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d’un cerveau « en activité ». En d’autres termes, pour « voir » l’activité du cerveau il faut
commencer par négliger 80 % de celle-ci… La question de la complexité, que certains, tels
Paul Rapp (1995), Henry Korn (2002, _ & Faure 2003), ou encore Clancy (2014), pour ne
citer que quelques-uns, tentent de ramener au sein des neurosciences biologiques, se
retrouve ainsi derrière l’apparente objectivité des techniques d’imagerie cérébrale.

Enfin, un dernier biais d’importance semble pouvoir être relié au primat du


voir qui fait aujourd’hui l’essentiel des travaux des neuroscientifiques : il s’agit de la
vectorisation cerveau → pensée. Par exemple, de nombreuses études se font jour afin
d’étudier par imagerie cérébrale l’activité du cerveau de différents patients atteints d’une
pathologie psychiatrique. L’intérêt de ces études ne peut être contesté. Cependant, leurs
conclusions relèvent souvent d’un présupposé qui ne manque pas d’étonner : si une
différence peut être mise en évidence entre le fonctionnement cérébral de sujets malades et
de sujets sains, alors il est souvent affirmé que cela indiquerait une origine biologique à la
pathologie concernée. Pourtant une telle conclusion ne peut être valablement soutenue qu’à
la condition de poser que l’activité du cerveau, telle que révélée par imagerie cérébrale, ne
peut être que d’origine biologique. Outre le fait qu’une telle affirmation est, en l’état actuel
de la science, de nature métaphysique, elle est en elle-même en contradiction avec les
données des expériences ainsi menées qui, le plus souvent, se déroulent avec des consignes
cognitives données aux patients. Or ces consignes ne peuvent être données au patient qu’au
travers des processus de pensée de l’expérimentateur, processus qui s’adressent à ceux du
patient : dès lors, constater que la consigne entraîne des modifications visibles de l’activité
du cerveau devrait faire conclure que cette activité est au moins en partie soumise aux
processus de pensée. Et si tel est le cas, comment conclure des modifications visibles de
l’activité cérébrale qu’elles sont la cause des modifications pathologiques des processus de
pensée plutôt que leur conséquence ?

Il semble en fait que ce biais épistémologique, souvent retrouvé dans des


publications de neuroscientifiques, prenne son origine dans la distinction de nature
effectuée par Descartes entre la res cogitans (psychique) et la res extensa (biologique),
distinction qui impose aux chercheurs de vectoriser une causalité de l’un vers l’autre, ou
inversement. Une démonstration par l’absurde de la non-validité de cette bipartition
cartésienne est ici possible. Si un expérimentateur E demande à un sujet S de lever le bras
droit, alors le S lève son bras droit et, grâce aux techniques d’imagerie, on voit s’allumer le
cortex moteur du cerveau gauche de S. On pourrait alors imaginer que c’est parce que le
cerveau de S a initié l’action de lever le bras droit que S lui-même a pensé qu’il allait lever

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Épistémologie"

son bras. Une telle hypothèse conserverait ainsi la vectorisation exclusive cerveau →
pensée. Mais, si l’on veut conserver cette hypothèse, il convient alors d’imaginer que
l’allumage du cortex moteur de S a aussi été la cause de l’action de E quand il a donné la
consigne à S. Cela bien évidemment est impossible, d’une part parce que ça contredirait
l’irréversibilité du déroulement temporel, et d’autre part parce qu’il n’y a pas de lien
matériel entre les cerveaux de S et de E. Le seul lien entre E et S est ici le langage qui,
certes, repose sur des mécanismes neurophysiologiques complexes, mais qui, par nature, est
pensée ; il en est une des formes les plus évoluées. On doit ainsi considérer que la pensée,
évidemment liée au fonctionnement du cerveau, a elle-même des effets sur le
fonctionnement cérébral. Cohen et Varela (2000) défendent une position similaire, à partir
d’une argumentation directement liée à la notion même d’émergence.

Là encore, la question d’une épistémologie de la complexité redevient


essentielle si l’on veut échapper à ce présupposé cartésien qui, ici, ne peut conduire qu’à
l’affrontement stérile de thèses biologisantes versus psychisantes, affrontement
scientifiquement stérile, car il ne peut alors s’agir que d’un débat métaphysique, et non
scientifique. Il semble donc qu’il conviendrait d’aborder les résultats du « voir » (imagerie
cérébrale) et ceux de « l’entendre » (processus de pensée) conjointement, comme deux
points de vue sur un même phénomène, puisqu’il ne saurait y avoir de processus de pensée
sans cerveau (les nombreuses études cherchant à prouver le contraire n’ayant, à ce jour,
jamais été concluantes), ni de cerveau en activité consciente sans processus de pensée. Et
même si le premier de ces postulats, selon lequel il ne peut y avoir de processus de pensée
sans l’activité d’un cerveau vivant, peut être considéré comme métaphysique et non
scientifique (il est non réfutable), c’est en tout cas un postulat qui semble aujourd’hui
indispensable à la démarche scientifique.

4.2.4 Approches"localisationistes"et"holistiques"

En plus de la question de la complexité, et en complément à celle-ci, les


neurosciences sont confrontées à deux présupposés de base de leurs épistémologies, deux
approches a priori opposées. La plus ancienne est l’approche localisationiste qui, depuis le
XIXe siècle, cherche, au sein du cerveau, à mettre en évidence la zone corticale et/ou le
noyau cérébral correspondant à une fonction donnée. Cette approche est née des
techniques d’autopsie de patients ayant présenté des troubles neurologiques avant leur
décès. Elle a permis de nombreux progrès de la neurologie, notamment en permettant la

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La"chimère"transférentielle"

constitution des cartes corticales, à chaque zone du cortex étant attribuée une fonction
spécifique.

Mais cette approche a montré ses limites avec l’avènement des techniques
d’imagerie cérébrales, techniques qui ont permis d’étudier beaucoup plus finement les
relations existant entre les lésions cérébrales et les symptômes neurologiques constatés.
Elles ont, de plus, permis aux chercheurs de s’intéresser au fonctionnement du cerveau non
lésé, et de mettre en évidence les zones corticales et noyaux impliqués dans les différentes
tâches cognitives. De là sont apparues deux démarches d’interprétations divergentes : les
unes ont poursuivi la description et différenciation des noyaux cérébraux et zones
corticales, tandis que les autres ont développé une démarche holistique, démarche selon
laquelle l’ensemble du cerveau est impliqué dans toutes les tâches qu’il réalise. Ainsi tandis
que les premiers recherchaient à préciser les localisations de la mémoire, les autres
développaient des modèles de la mémoire comme non localisée.

Ces deux démarches, apparemment opposées, correspondent à ce qu’Edgard


Morin décrit des démarches analytiques et holistiques de la science. Et dans les deux cas, ce
qui est en jeu est la modélisation sous forme simple d’une réalité complexe : les premiers
construisaient des modèles déterministes linéaires, tandis que les seconds développaient un
modèle dont le déterminisme était rendu inaccessible, sinon hypothétique.

Ces approches semblent aujourd’hui laisser la place à une approche de nature


complexe, notamment avec la notion de réseaux neuronaux distribués (Laroche 2004). Il
s’agit là de considérer que, s’il existe bien des zones corticales et noyaux cérébraux dédiés à
une tache spécifique, la réalisation d’une tâche réelle nécessite la participation d’un
ensemble de ces zones et noyaux, avec des interrelations entre eux, l’ensemble constituant
un réseau neuronal distribué. Il s’agit là d’un véritable système complexe, constitué d’un
ensemble de parties hétérogènes, avec des interactions multiples et hétérogènes entre ces
parties. La réalisation de la tâche étudiée est alors considérée comme émergence de
l’activation de ce système. Plus généralement, il semble aujourd’hui admis par un grand
nombre de neuroscientifiques, à la suite, entre autres, des travaux de Damasio (2000, 2010),
que la qualité même de la conscience peut être considérée comme une qualité émergente
des dynamiques et structures complexes du fonctionnement cérébral. Beaucoup,
cependant, semblent être encore rétifs à envisager que cette qualité qu’est notre conscience
puisse avoir des effets rétroactifs sur le cerveau.

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Épistémologie"

5 Épistémologie!de!la!psychanalyse!

5.1 Généralités!

Comme il a déjà été fait remarquer, toutes les théories psychanalytiques


actuelles intègrent en leur sein une caractéristique essentielle de la complexité, à savoir
qu’un élément peut être tout à la fois vrai et faux ou, si l’on préfère, qu’il peut avoir
différentes valeurs concomitantes. Il a ainsi été noté que la définition du symbole par la
psychanalyse est multivoque, le sens d’un symbole pouvant être différent selon les
circonstances, et pouvant aussi être multiple dans une circonstance donnée, cette
multiplicité pouvant aller jusqu’à intégrer un sens et son contraire, tous deux vrais à un
moment donné, parfois même concomitamment. Et il ne s’agit pas là d’une faiblesse de
leur théorisation ni d’une incohérence, puisqu’elles théorisent, chacune à sa façon, cette
caractéristique en apparence illogique, comme propriété même de leur objet, à savoir
l’inconscient. Pour Freud, l’inconscient ignore la contradiction, pour Jung il porte tout à la
fois les dynamiques de créativité et de destructivité (Jung 1912), ce que Freud reprit en
conceptualisant les pulsions de mort versus pulsions de vie (Freud 1920).

De plus, les modèles psychanalytiques, depuis la première topique de Freud


(1900) ou la première théorie des complexes de Jung (— & Ricklin 1904), décrivent un
système hétérogène, lui-même constitué de sous systèmes en interactions réciproques
permanentes, sous-systèmes n’ayant pas les mêmes règles dynamiques internes : l’ensemble
forme ainsi un système complexe au sens de la physique, posant l’imprédictibilité de son
destin comme propriété du système, et non comme insuffisance de sa théorisation. Il en est
de même de la causalité, nécessairement rétrospective, une causalité prospective étant
interdite du fait même de la complexité du système.

Enfin, les théories psychanalytiques sont aussi des théories du sujet,


appréhendé comme unité psychosomatique complexe : le déterminisme n’y exclut pas le
libre arbitre, mais tente d’en délimiter tout à la fois les conditions et les limites. Pas plus
Jung que Freud n’ont jamais cru à un psychisme indépendant du biologique. Bien au
contraire, ils ont tous deux affirmé l’ancrage du psychique dans le biologique, Freud avec
son concept de pulsion, et Jung avec celui de psychoïde (Addison 2009). Et ils ont tout
autant affirmé l’étayage nécessaire du conscient sur le corps, ce qui a été développé par

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leurs successeurs, p.ex. Didier Anzieu dans le champ freudien avec le moi-peau (Anzieu
1985), ou Neumann dans le champ jungien avec le Soi-corps (1949).

5.2 Espace!des!phases!et!section!de!Poincaré!

Malgré ces similitudes structurelles, les théories psychanalytiques peuvent


apparaître comme très différentes entre elles, voire contradictoires sur bien des points dont
certains sont pourtant essentiels. L’exemple le plus évident d’une telle contradiction est
probablement la notion même d’inconscient, inconscient qui, pour Freud, résulte de l’effet
du refoulement, alors que pour Jung il s’étend à tout ce qui n’est pas conscient. Jung se
situe là dans la filiation de Pierre Janet, alors que Freud poursuit l’approche de l’hystérie par
Charcot. Un autre exemple fut le point de la rupture théorique entre Jung et Freud, c’est-à-
dire la question de la castration et du sacrifice sur laquelle ce travail reviendra longuement,
car, en deçà de la question théorique formelle, s’y découvrent les orientations
épistémologiques très différentes de ces deux hommes.

Mais avant d’aborder cette différence, il est d’abord nécessaire de pouvoir


représenter comment il se peut que des théories d’un même système complexe, ici le
psychisme humain, et des théories qui abordent un même ensemble de phénomènes, soient
si fondamentalement incompatibles entre elles. On retrouve d’ailleurs de telles
incompatibilités au sein même des théorisations de Freud (première et seconde topique par
exemple) et de Jung (ses différentes façons de définir l’archétype par exemple). Il sera ici
proposé de se tourner vers la théorisation mathématique des systèmes complexes par
Poincaré, dans une exploration des outils qu’il construisit afin d’obtenir une représentation
utilisable de ces systèmes.

Le premier de ces outils est l’espace des phases, un espace dont chaque
variable nécessaire pour décrire la dynamique d’un système est une de ses dimensions.
Ainsi, dans l’espace des phases, chaque état du système est représenté par un point, et un
seul.

Par exemple pour décrire la dynamique d’un système à trois corps, il


conviendra de construire un espace mathématique de dimension 12 : chaque corps y étant
défini par sa position dans l’espace (donc trois dimensions pour chacun, soit neuf
dimensions en tout) et sa quantité de mouvement (donc une quatrième dimension pour
chacun soit douze dimensions au total). Dans cet espace, l’état dynamique du système
constitué par les trois corps peut ainsi être représenté, à tout instant, par un point unique.

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Épistémologie"

Nous relèverons ici que cet espace des phases n’a pas pour objet de représenter une réalité
perceptible du système28, mais sa réalité dynamique.

Cependant, travailler dans un espace à de multiples dimensions est fort


difficile, et cela ne permet pas d’en avoir une représentation « naturelle ». L’idée de
Poincaré fut là de définir une coupe, c’est-à-dire de ne considérer que les points
d’intersection de l’évolution du système dans un espace des phases de dimension n avec un
espace de dimension inférieure (n-x), ceci permettant une modélisation mathématique plus
accessible de l’évolution de la dynamique du système, ainsi qu’une représentation de cette
dynamique. Il convient de bien différencier une telle coupe d’une projection qui, d’une
autre façon, réalise aussi le passage d’une espace de dimension n à un espace de dimension
inférieure [Figure 11]. Là où la projection « aplatit » la représentation, condensant plusieurs
informations en une seule, la coupe au contraire isole certaines informations en en oubliant
d’autres.

Sphère creuse

Projection Coupe

Figure 11 : Projection et coupe d’une sphère creuse

Ainsi une projection et une coupe sont deux formes possibles de


représentation simplifiée d’un espace de dimension n, toutes deux vraies au regard de ce
qui est ainsi représenté. L’intérêt de la section de Poincaré réside dans le fait qu’en ne
retenant qu’une part des données de la dynamique, elle permet, notamment dans les cas de
mouvements chaotiques, d’en repérer la structure. C’est ainsi qu’ont été mis en évidence les

28 : Que cet espace des phases ne se confonde pas avec l’espace perceptible, qu’il soit un espace construit, ne
signifie pas nécessairement qu’il soit moins réel que l’espace perçu qui, comme il sera développé plus
loin, est lui aussi un espace construit : la perception est le résultat de la construction d’une
représentation. La différence tient uniquement au fait que l’espace perceptible se construit à partir des
données de nos sens, alors que l’espace des phase se construit mathématiquement.

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attracteurs étranges. Mais il faut pour cela que la coupe soit pertinente et, dans l’infinité de
coupes possibles, seules certaines le sont. Si l’on reprend l’exemple du pendule de la
[Figure 4], faire une section de Poincaré pourrait consister, entre autres exemples, à éclairer
le pendule avec un stroboscope. Il serait alors possible de faire varier la fréquence du
stroboscope (le plan de coupe) jusqu’à pouvoir repérer quelque dynamique organisée
(l’attracteur étrange). L’intérêt serait de pouvoir constater que l’attracteur ainsi mis en
évidence est, contrairement au mouvement du pendule lui-même, invariant, quelle que soit
la position initiale du pendule.

Un autre exemple d’une section de Poincaré peut être donné, concernant le


problème des trois corps (Martin-Vallas, 2013b). Prenons l’exemple de la trajectoire d’un
satellite en orbite autour de la terre. Il est soumis à l’attraction terrestre, mais aussi à
l’attraction lunaire, et il n’est pas simple de déterminer si son mouvement va être linéaire et
prévisible, ou au contraire chaotique. Une des manières de résoudre ce problème est de
définir un plan sur lequel la terre et la lune sont situées, et qui sera perpendiculaire à la
trajectoire du satellite29. Ce plan va donc se déplacer avec la rotation de la lune autour de la
terre et la trajectoire du satellite va couper ce plan, à chacune de ses rotations, en un point.
Cette méthode a pour but d’obtenir des équations du mouvement d’un corps par rapport
aux deux autres qui puissent être mathématiquement résolues. Elle a pour effet, comme le
montre la [Figure 12], de représenter graphiquement l’ordre qui se cache dans le chaos.

29 : On voit là une difficulté du fait qu’il faut considérer qu’il y aurait un plan perpendiculaire à la trajectoire
du satellite, ce qui revient à considérer que cette trajectoire s’inscrit sur un plan. Cela évidemment ne
peut être le cas que si cette trajectoire est régulière, non chaotique. Cet exemple repose donc sur une
nécessaire approximation, mais nécessaire uniquement pour rendre représentable ce qui peut être
mathématiquement modélisé de manière rigoureuse.

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Épistémologie"

Figure 12 : Exemple d’une section de Poincaré

Si la trajectoire du satellite est régulière, l’ensemble de ces points va former une


figure finie et simple (un seul point, un segment de droite, un cercle ou une ellipse). Mais si
la trajectoire est chaotique, alors il se formera un ensemble de points qui restent groupés et
dessinent une figure « étrange ». C’est ce qu’on appelle un attracteur étrange, attracteur
parce que les points ne sortent jamais de cette figure (qui révèle donc un ordre sous-jacent),
et étrange parce qu’il n’y a aucune position d’équilibre, la trajectoire ne repassant jamais
deux fois par le même point (ce qui est une caractéristique du chaos).

Nous voyons dans cet exemple qu’il ne s’agit pas de faire abstraction d’une des
dimensions de l’espace des phases, mais plutôt d’utiliser une propriété constante ou
périodique d’une des dimensions (ou d’une combinaison des dimensions) pour la réduire à
une fonction simple qui permet de mettre en évidence une structure de la dynamique du
système (l’attracteur étrange) qui n’aurait pu être perçu directement.

En d’autres termes, et c’est là que la notion de section de Poincaré intéresse


l’épistémologie des systèmes complexes, en faisant abstraction d’une part choisie des
informations concernant la dynamique d’un système, la section de Poincaré permet la mise
en évidence d’un ordre sous-jacent au chaos apparent de cette dynamique. Et une telle
coupe ne se justifie pas de son caractère de vérité, car toute section de Poincaré
correctement effectuée est vraie, mais bien de sa pertinence dans l’analyse d’un système

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donné (ou d’une des dynamiques d’un système donné), et, là, toutes les coupes ne se valent
pas.

Appliquée à l’étude du psychisme humain, cette démarche permet de se


représenter comment les théories qui ont tenté de rendre compte de ses dynamismes, dont
la psychanalyse, ont du, chacune à sa façon, simplifier la complexité de leur objet pour être
à même d’en construire une théorie représentable par notre esprit.

Ceci a pu se faire en ignorant purement et simplement certaines données


(certaines dimensions de l’espace des phases), par exemple la subjectivité (la boîte noire des
comportementalistes, les statistiques objectivantes de certains cognitivistes, etc.). Il a ainsi
pu être représenté quelque chose de la dynamique psychique humaine après en avoir
éliminé le caractère de système complexe, donc en donnant à leur théorie une apparence de
prévisibilité, mais on peut considérer que ce fut en éliminant son l’objet de l’étude : le
psychisme, ce qui le caractérise en propre, sa subjectivité et sa complexité.

Mais ceci a pu aussi se faire — et c’est, comme il a déjà été avancé, le cas de la
psychanalyse — en conservant le caractère complexe du système étudié, selon une modalité
qui peut paraître semblable à une section de Poincaré, c’est-à-dire en réduisant les
dimensions de l’espace des phases — ici devenu un espace des variables, puisqu’une
modélisation mathématique est encore loin d’être à notre portée30 — grâce à un repérage de
certaines caractéristiques répétitives du système. Cette thèse a déjà été exposée, avec un
formalisme mathématique adapté, par Atmanspacher 31 & Graben 32 (2007) pour rendre
compte de la conscience comme phénomène émergent du fonctionnement neuronal, et
aussi de la multitude des théories en psychologie (Atmanspacher 2014).

30 : Il faudrait, pour pouvoir modéliser mathématiquement le psychisme humain, pouvoir y déterminer


suffisamment de variables mesurables. Or, s’il est possible de mesurer quelques-unes des caractéristiques
de ce psychisme, il est quasi-impossible de savoir ce qui est effectivement mesuré. La mesure du QI en
est un exemple évident.

31 : Harald Atmanspacher est physicien spécialiste de mécanique quantique ; il dirige le Département de


Théorie et Analyse de données de l’Institute for Frontier Areas of Psychology and Mental Health de
l’Université de Fribourg.

32 : Peter Beim Graber est neuroscientifique ; il travaille à l’institut de linguistique de l’Université Humboldt
de Berlin, où il aborde la question de la psycholinguistique computationnelle sous l’angle de la
complexité.

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Épistémologie"

Nous pouvons ainsi comprendre que, à partir de partis pris différents, donc de
sections de Poincaré différentes, Freud et Jung, et leurs descendants (dans l’élaboration de
leurs modèles), ont construit des théories qui ne peuvent s’évaluer selon leurs caractères
supposés de vérité, mais uniquement selon leur pertinence dans l’étude d’une situation
donnée.

Cela a aussi conduit la psychanalyse et ses différentes théorisations (freudienne,


jungienne, kleinienne, lacanienne, pour citer les principales), à reposer sur des prémisses
épistémologiques très différentes. Ne seront développés ici que ces prémisses freudiens et
jungiens, non seulement parce que l’auteur de ce travail est peu compétent dans les champs
kleinien et lacanien, mais aussi parce qu’il semble aujourd’hui admis par tous, ou presque,
que les élaborations kleinienne et lacanienne ont été rendues nécessaires pour répondre à la
nécessité de théoriser les problématiques prégénitales que Freud avait laissées de coté pour
pouvoir élaborer une théorie suffisamment cohérente, pour effectuer sa « section de
Poincaré ». Or ce fut le point de divergence qui a opposé Jung à Freud dès le début de leur
relation, et qui a conduit les deux hommes à la rupture théorique après la publication de la
seconde partie des Métamorphoses de Jung, en 1912, seconde partie où il développait, dans
un chapitre lui étant consacré, sa notion de sacrifice, et à laquelle Freud répondit avec son
Totem et tabou (Freud 1913a-c). Jung était conscient de ce que cette publication allait sceller
leur rupture, car, probablement, avait-il l’intuition que le fossé qui le séparait de Freud sur
ce point essentiel, n’était pas simplement théorique, mais plus profondément
épistémologique : c’est le rapport intime des deux hommes au savoir qui était, ici, engagé.

Pour résumer notre thèse sur ce point, théoriser le psychisme humain, du fait
de son extrême complexité, nécessite d’effectuer une « section de Poincaré », seul moyen,
dans un espace des phases (ou des variables) de trop grande dimension, de mettre en
évidence un aspect de l’ordre qui sous-tend sa dynamique. Mais réaliser une telle section de
Poincaré ne se peut qu’en choisissant le ou les présupposés qui serviront à la déterminer.
Ici, ces présupposés sont de nature épistémologique et il convient donc d’explorer ceux qui
ont structuré les approches de Freud et de Jung.

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La"chimère"transférentielle"

5.3 Les!prémisses!épistémologiques!qui!ont!conduit!aux!
points!de!vue!divergents!de!Freud!et!de!Jung!

5.3.1 La"question"sexuelle"

Il est classique de dire que Jung ne s’intéressa pas à la sexualité, voire qu’il
dénia tout déterminisme sexuel aux dynamiques psychiques, et il serait facile de croire que
c’est le point qui a entraîné leur divergence et leur rupture. Dans son autobiographie, Jung
(1961, p.196) écrit :

Quand je regarde en arrière, je puis dire que je suis le seul qui, selon l’esprit, ait
poursuivi l’étude de deux problèmes qui ont le plus intéressé Freud : celui des « résidus
archaïques » et celui de la sexualité. L’erreur est très répandue de penser que je ne vois pas la
valeur de la sexualité. Bien au contraire, elle joue un grand rôle dans ma psychologie,
notamment comme expression fondamentale — mais non pas unique — de la totalité
psychique. Mais ma préoccupation essentielle était d’approfondir la sexualité, au-delà de sa
signification personnelle et de sa portée de fonction biologique, et d’expliquer son côté spirituel
et son sens numineux, et ainsi d’exprimer ce par quoi Freud était fasciné, mais qu’il fut
incapable de saisir.

Dès leur premier entretien, en février 1907, Jung eut l’impression que Freud
était fasciné par la question de la sexualité, ce qui lui fut confirmé par la suite (1961,
p. 177) :

De toute évidence, Freud avait à cœur — et de façon peu ordinaire — sa théorie


sexuelle. Quand il en parlait, c’était sur un ton pressant, presque anxieux, tandis que
s’estompait sa manière habituelle, critique et septique. Une étrange expression d’agitation,
dont je ne pouvais m’expliquer la cause, animait alors son visage. J’en étais fortement frappé :
la sexualité était pour lui une réalité numineuse. Mon impression se trouva confirmée par une
conversation que nous eûmes environ trois ans plus tard (1910), de nouveau à Vienne.

J’ai encore un vif souvenir de Freud me disant : « Mon cher Jung, promettez-moi
de ne jamais abandonner la théorie sexuelle. C’est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons
en faire un dogme, un bastion inébranlable. » Il me disait cela plein de passion et sur le ton
d’un père disant : « Promets-moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches à l’église ! »
Quelque peu étonné je lui demandai : « Un bastion — contre quoi ? » Il me répondit :

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Épistémologie"

« Contre le flot de vase noire… » Ici il hésita un moment pour ajouter : « … de


l’occultisme ! »

Il convient malgré tout de noter que, tout du long de leur correspondance


(Freud, Jung, 1906-1914), Jung ne s’est jamais caché de sa réticence à considérer que la
libido soit exclusivement sexuelle et que, si Freud n’a, de son côté, jamais cessé de tenter de
convaincre Jung de la justesse de son point de vue, ce n’était jamais agressif de sa part. La
qualité affective de leur relation n’était pas altérée par ce désaccord, alors même que leur
rupture, en 1912, se déroula dans un climat pour le moins haineux (Jones 1955, p.134-178).
Affirmer que leur rupture découla de leur désaccord sur la nature exclusivement sexuelle,
ou non, de la libido, semble donc par trop schématique : un peu comme si, là où Freud
disait qu’il y a du sexuel en tout, Jung lui répondait que tout n’est pas sexuel.

5.3.2 Castration"et"sacrifice":"deux"prémisses"épistémologiques"
divergentes"

C’est la publication, par Jung (1912a), de la seconde partie de ses Métamorphoses


et symboles de la libido, en 1912, qui scella cette rupture, et, selon Jung (1961, p.195), c’est
spécifiquement le chapitre qu’il écrivit sur le sacrifice qui en fut le déclencheur.

Lors de mon travail sur les Métamorphoses et symboles de la libido, vers la fin, je
savais par avance que le chapitre sur « le sacrifice » me coûterait l’amitié de Freud. Je devais
y exposer ma propre conception de l’inceste, de la métamorphose décisive du concept de libido
et d’autres idées encore par lesquelles je me séparais de Freud. Pour moi l’inceste ne constitue
que dans des cas extrêmement rares une complication personnelle. Le plus souvent il
représente un contenu hautement religieux et c’est pourquoi il joue un rôle décisif dans presque
toutes les cosmogonies et dans de nombreux mythes. Mais Freud, s’en tenant fermement au
sens littéral du terme, ne pouvait pas comprendre la signification psychique de l’inceste comme
symbole. Et je savais que jamais il ne l’accepterait.

Cela est d’ailleurs confirmé par les lettres qu’Emma Jung écrivit à Freud en
1911 (Freud-Jung 1906-1914 : 30 octobre, 6, 14 et 24 novembre), ainsi que par la réponse à
la publication de la seconde partie des métamorphoses qu’écrivit Ferenczi (1913) et dont
Freud parle à Jung dans sa lettre du 27 janvier de la même année (Freud-Jung 1906-1914).
La question se pose donc de comprendre ce qui, dans cet écrit de Jung sur le sacrifice, a

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motivé la rupture définitive entre Jung et Freud autant qu’entre l’école de Zurich et le reste
du mouvement freudien naissant.

On aurait pu s’attendre à trouver une réponse chez Freud, mais, comme le


note Norbert Chatillon (2010a), si Freud a exposé sa vision des choses dans Totem et Tabou
(1913 a-c), à aucun endroit de cet ouvrage il ne répond, ni se positionne, en regard de la
thèse de Jung. Il semble en fait qu’il ait laissé à Ferenczi (1913) le soin de répondre à Jung,
mais il est étonnant que ce dernier passe le plus clair de cette réponse à critiquer vertement
la définition que Jung donne de la libido, étonnant puisque Jung a, sur ce point, simplement
maintenu la position qui fut toujours la sienne et dont il ne s’est jamais caché auprès de
Freud. Et la question de la nature de l’inceste n’est qu’évoquée, et non élaborée, par
Ferenczi dans ce texte. Peut-être une critique sur le fond de la différence entre la thèse de
Jung et celle de Freud, concernant cette question, était-elle trop difficile à développer ?

Pour Jung, l’interdit de l’inceste est la conséquence, non la cause, de l’horreur


qu’il suscite, ce qui fait du complexe d’Œdipe lui-même une structure intrapsychique avant
que d’être une organisation des relations familiales. Ce sont les bases de son concept
d’archétype que Jung pose dans ce livre, concept selon lequel c’est la structure même de la
psyché qui implique tout à la fois la structure des représentations que nous pouvons avoir
du monde et celle des relations qui peuvent se mettre en place entre les humains. Si
Ferenczi note bien que c’est de l’histoire de la poule et de l’œuf qu’il est question dans le
livre de Jung, il ne paraît pas prendre la mesure que, en prenant le parti inverse de celui de
Freud, Jung tente d’ouvrir la réflexion psychanalytique à la dimension du maternel :
l’intrapsychique du bébé et de la mère ne pouvant être différenciés 33 , poser la cause
première de son coté est équivalent à mettre le maternel en place première par rapport au
père.

Nous avons donc là, devant le système de la poule et de l’œuf — système qui
devient complexe dès lors qu’on y introduit le coq sans lequel il ne peut y avoir d’œuf
fécond, coq qui, lui aussi, doit provenir d’un œuf, etc. — deux possibilités de l’aborder,
deux « sections de Poincaré » possibles. La première, freudienne, pose l’interdit de l’inceste
comme résultant de l’interdit paternel, et la seconde, jungienne, pose l’interdit paternel
comme résultant de l’horreur de l’inceste et des préstructures psychiques qui permettent d’y

33 : Mais cela, qu’il est facile d’énoncer aujourd’hui, après le travaux de Bion et Winnicott notamment, était
rien moins qu’évident en 1912.

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répondre en préorganisant les structures familiales. Dans le premier cas, Freud pose une
dimension du paternel, définie par l’interdit de l’inceste énoncé par le père qui en est le
garant, comme constante permettant de définir et d’organiser la section qu’elle permet de
réaliser. Dans le second cas Jung pose la dimension du maternel, avec l’horreur que le désir
d’y revenir suscite, horreur alors assimilable à l’horreur de la mort, comme constante dans
la réalisation d’une section de Poincaré alors nécessairement tout à fait différente de la
première.

Deux manières quasi opposées, donc, de poser l’interdit paternel, et la


structuration œdipienne qui en découle, comme fondement de la capacité symbolique du
psychisme humain : de premier et fondateur pour Freud, l’interdit paternel devient chez
Jung conséquence structurante et organisatrice de l’horreur première de l’inceste.
Cependant, comme dans tout système complexe, cette opposition n’est pas symétrie, et les
théories qui en découlent sont divergentes sur bien des points. Mais — ce qui ne pouvait se
conceptualiser à l’époque de Freud, Jung et Ferenczi — les divergences entre deux théories
sur un système complexe ne préjugent en rien que l’une au moins soit fausse, dès lors que
ces divergences résultent de deux partis pris de départ différents, ce qui est le cas ici.

5.3.3 Le"sexuel"et"l’inconscient,"selon"Freud"et"selon"Jung":"castration"et"
sacrifice"

Dans sa critique du livre de Jung, Ferenczi note que celui-ci ne reconnaît de


sexuel que ce qui est, pour Freud, le sexuel génital. Il note aussi que Jung semble ignorer la
définition de l’inconscient selon Freud, tout particulièrement le fait que Jung omet toute
référence au subconscient. Il s’agit évidemment de critiques de fond, qui posent la question
de la cohérence, ou non, des positions de Jung au regard de son parti pris initial, à savoir de
poser l’horreur de l’inceste comme préalable à son interdit, donc de poser l’intrapsychique
comme structurant le rapport au monde (ici le père) préalablement à l’avènement de celui-
ci.

Concernant la définition de l’inconscient, poser l’horreur de l’inceste comme


premier vis-à-vis de son interdit, conduit Jung à ne pas suivre Freud dans sa définition de
l’inconscient comme résultant du refoulement, puisque celui-ci est la conséquence directe
de l’interdit de l’inceste posé par le père. Dès lors, la distinction que Freud fait entre Ics et
Pcs n’a plus de pertinence, alors que la théorie des complexes et de la dissociabilité

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psychique que Jung développe depuis plus de dix ans à l’époque (elle est antérieure à sa
découverte de l’œuvre freudienne) est parfaitement cohérente avec son approche.

En ce qui concerne la définition du sexuel selon Freud, un sexuel qui inclut


l’ensemble des stades prégénitaux, le travail de Laplanche (1987) en explicite fort bien la
cohérence avec sa théorie de l’inconscient : le sexuel naît chez l’infant du refoulement
originaire qui, lui-même, est une réponse nécessaire du psychisme enfantin à la dimension
sexuelle de l’investissement que les adultes ont de lui. Le sexuel là, comme l’interdit de
l’inceste, s’impose de l’extérieur.

Pour Jung le désir d’inceste est premier, désir de retour au ventre maternel, au
néant ou au non-être connu. Voici ce qu’il écrit en 1912 (1912a, p.337-338) :

Au matin de la vie, l’homme s’arrache douloureusement au sein de la mère, au


foyer pour s’élever vers son apogée, luttant sans répit contre un cruel ennemi qui lui dispute le
terrain pas à pas, tout en restant invisible, car il le porte en lui-même ; contre cette tendance
mortelle vers son propre abîme, ce désir maladif de se noyer dans sa propre source, d’être
englouti par sa mère. Durant toute sa vie, il doit se défendre contre la mort et, s’il parvient à
lui échapper, cette liberté n’est chaque fois qu’éphémère, car la nuit le guette partout et
toujours. Cette mort n’est pas un ennemi extérieur, mais un pressant besoin de silence en soi,
de profond repos dans le néant, de sommeil sans rêve dans le flux et le reflux de l’océan, du
devenir et de la disparition.

Et voici ce qu’il reprend dans son édition de 1950 (p.591-592) :

Au matin de sa vie le fils se sépare douloureusement de sa mère et du foyer de son


pays pour s’élever en luttant jusqu’à la hauteur à laquelle il était destiné, s’imaginant avoir
devant lui son pire ennemi, alors qu’il le porte en lui-même : aspiration dangereuse vers sa
propre profondeur, aspiration à périr dans sa propre source, à être attiré vers en bas dans le
royaume des mères. Sa vie est lutte continuelle avec la disparition, délivrance violente et
momentanée de la nuit continuellement aux aguets. Cette mort n’est point un ennemi
extérieur, mais une aspiration personnelle intérieure vers le silence et le calme profonds d’un
non-être connu, sommeil clairvoyant dans la mer du devenir et du disparaître.

Il est clair, là, que, près de quarante ans plus tard, sa position est demeurée
inchangée : avant (et après) d’être sexuelle, l’aspiration de l’enfant à l’union à la mère est
désir de retour à l’origine, et le père, là, est comme support nécessaire du sacrifice de la
satisfaction de ce désir. Nécessaire, mais non indispensable, comme nous le verrons ci-
dessous.

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C’est bien, entre Freud et Jung, leurs paradigmes épistémologiques fondateurs


respectifs qui les conduit à des points de vue inconciliables sur le psychisme, sans que ni
l’un ni l’autre, pas plus d’ailleurs que leurs disciples 34 , n’ait pu comprendre que la
profondeur de leur désaccord ne signifiait pas que l’autre se fourvoyait. Cela ne signifie pas
plus que les deux approches sont équivalentes et d’égale valeur, mais bien que leur
pertinence est relative à chaque situation étudiée : telle est la mesure de la pertinence d’une
section de Poincaré.

On notera tout de même, comme le remarque Laplanche (1997), qu’en


définissant le but de la pulsion sexuelle comme étant la suppression de l’état de tension,
puis en définissant la pulsion de mort par sa tendance à la réduction des tensions, Freud
assimile de fait pulsions sexuelles et pulsion de mort. De son côté, Jung, en assimilant le
désir d’inceste à un désir de retour au non-être, ne paraît pas très éloigné de ces définitions.
La différence, ici, semble plus résulter de l’origine de la tension à résoudre que du but
pulsionnel. Chez Freud, c’est à l’évidence une excitation érotique, alors que chez Jung ce
serait plutôt la séparation d’avec la mère. La question qui se pose ici serait ainsi bien plus
du côté du maintien d’un narcissisme suffisant (Freud) ou d’un moi conscient (Jung) que
du côté de la définition même de la sexualité.

5.3.4 L’inconscient"selon"Freud"et"selon"Jung"

La définition de l’inconscient selon Freud est la conséquence logique de ses


prémisses épistémologiques, à savoir la préexistence du désir sexuel de l’enfant pour la
mère, et l’interdit posé par le père, interdit qui impose à l’enfant le refoulement de ses
désirs sexuels à l’égard de la mère. C’est cet interdit qui est l’origine du refoulement, et c’est
le refoulement qui est l’origine de l’inconscient. Ainsi défini, l’inconscient est secondaire au
conscient qui, nécessairement, lui préexiste. La notion de refoulement originaire, puis le
travail de Laplanche (1987) sur la séduction originaire, ne changent pas fondamentalement

34 : À l’exception de quelques uns, comme p.ex. Charles Baudoin (1950), qui tenta une synthèse des deux
approches, mais, de mon point de vue, sans pouvoir prendre la mesure de la nécessité de prendre en
compte les différentes épistémologies de ces deux hommes. Une autre exception, partielle, est Jacques
Lacan (1966, p.685 et suivantes) qui définit la castration symbolique comme la reconnaissance de la
castration de la mère : reconnaître la non-toute puissance de la mère, et renoncer à satisfaire au désir de
retourner en son sein, peuvent paraître comme l’envers et le revers d’un même mouvement, celui que
Jung nomme sacrifice.

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La"chimère"transférentielle"

cette préexistence du conscient : la séduction originaire ne se peut qu’avec une certaine


perception consciente de la mère par l’infans.

Pour Jung, la question est toute autre : cela apparaît dans nombre de ses écrits,
et l’un d’eux (1928) a particulièrement attiré notre attention (Martin-Vallas 2013c), du fait
notamment qu’il s’agisse d’une conférence que Jung a donnée en français ; ce point permet
de s’affranchir d’une traduction et des dérives de sens que ce processus peut entraîner. La
connaissance de la langue française par Jung était suffisante pour être certain que le texte
français est fidèle à sa pensée. Il apparaît là très clairement que la question de Jung n’est pas
de comprendre comment peut s’originer l’inconscient, mais bien au contraire comment il se
peut que la conscience existe et se maintienne. Son expérience première de la psychose au
Burghölzli, son travail de thèse sur les phénomènes spirites et le dédoublement de la
personnalité qu’il y a mis en évidence, autant que son expérience personnelle, faisaient que,
pour lui, cette question était bien plus essentielle. L’existence de dynamiques inconscientes
influant sur la conscience était pour lui une évidence, pas une question.

On peut ainsi, très schématiquement, représenter les logiques des deux


hommes.

• Désir sexuel du fils pour la mère → Interdit du père → Peur de la colère du père →
Peur du désir sexuel pour la mère → Refoulement de ce désir sexuel → Émergence de
l’inconscient
• Premières émergences de conscience → Désir de retour à l’inconscience → Peur de ce
désir ressenti comme risque d’anéantissement → Projection de cette peur sur le père →
Assimilation du désir sexuel du père pour la mère au désir de retour à l’inconscience (c.-
à-d. émergence du désir sexuel proprement dit) → Refoulement de ce désir →
Émergence de l’Ombre

Il s’en déduit une opposition des deux démarches, opposition qui, pour de
nombreux auteurs, conduit à une incompatibilité des théories qui en découlent. D’autres,
cependant, comme Winnicott (1964) par exemple, pensent au contraire que cette
opposition est source de complémentarité et regrettent que l’héritage de Jung se soit perdu
à la suite de la rupture entre les deux hommes. Voici ce qu’en dit Winnicott :

D’une certaine manière, Jung et Freud se révèlent complémentaires ; ils sont comme
la face et l’envers d’une pièce […] En d’autres termes, ces deux hommes, chacun possédé par
un « daïmon », pouvaient seulement se rencontrer, communiquer sans fondamentalement se
comprendre, puis se séparer. […] Il est réellement difficile, pour une personnalité intégrée et

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Épistémologie"

saine, d’avoir de l’empathie pour ceux dont le soi dissocié est une source constante de
problèmes. Jung a beaucoup apporté dans ce domaine […]

5.3.5 La"nécessaire"dimension"subjective"d’une"théorie"psychanalytique"

Cette discussion semble permettre de comprendre le désaccord théorique


profond qui sépara les « Viennois » et « l’école de Zurich ». Mais cela ne permet nullement
de comprendre l’intensité affective qui accompagna cette séparation, et qui se fait encore
entendre de ci et de là au sein de la communauté psychanalytique. Il convient donc d’y
regarder de plus près, ce qui est possible au travers de la correspondance entre les deux
hommes, à ce sujet, en 1912 (Freud & Jung, 1906-1914) :

Jung 17/05/1912 : […] En ce qui concerne la question de l’inceste, je crains de


vous faire une impression très paradoxale. J’ose seulement encore jeter une conjecture hardie
dans la discussion = le grand quantum d’angoisse librement flottante chez l’homme naturel,
qui a mené à la création des cérémonies de tabous au sens le plus large (totem, etc.), a entre
autres créé aussi le tabou de l’inceste (mieux le tabou de la mère ou du père), non pas en
proportion de la valeur particulière de l’inceste lui-même, tout aussi peu que le totem est sacré
en proportion de sa valeur biologique. De ce point de vue cela s’énonce : l’inceste est interdit :
non parce qu’il est désiré, mais parce que l’angoisse flottante ravive du matériel infantile
régressif et forme avec ce dernier une cérémonie d’expiation (comme si on voulait ou avait
voulu). Psychologiquement aussi l’interdiction de l’inceste n’a pas la signification qu’il faut lui
assigner si l’on admet l’existence d’un désir incestueux particulièrement fort. L’interdiction de
l’inceste avec sa signification étiologique doit être directement comparée à ce qu’on appelle le
traumatisme sexuel, qui ne doit en règle générale son rôle étiologique qu’à un réinvestissement
régressif. Il est important ou effectif en apparence ; de même l’interdiction de l’inceste, soit la
barrière de l’inceste qui a remplacé le traumatisme sexuel dans la conception Ψ A. […]

Freud 23/5/1912 : […] Dans l’affaire de la libido je comprends enfin où se


situe ce qui diffère dans votre conception. (Je pensais naturellement : l’inceste, mais je songe
aux modifications que vous avez annoncées dans la conception de la libido). Ce que je ne

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La"chimère"transférentielle"

comprends pas encore, c’est pourquoi vous abandonnez la conception antérieure35, et quels
peuvent être, sinon, l’origine et le ressort de l’interdiction de l’inceste. […]

La valeur de votre communication réside pour moi en ce qu’elle contient la mise en


garde et le rappel de ma première grande erreur, lorsque j’ai confondu des fantasmes avec des
réalités. Je serai donc prudent et prendrai garde à chaque pas du chemin. […]

Mais si à présent nous laissons la raison de côté et que nous branchons l’appareil
sur le plaisir, je reconnais une forte antipathie contre votre nouveauté, provenant de deux
sources. Premièrement à cause de son caractère régressif. […]

Deuxièmement à cause d’une fatale ressemblance avec un théorème d’Adler […]


Il disait : la libido de l’inceste est « arrangée », c.-à-d. le névrosé n’a pas du tout envie de sa
mère, mais il veut se créer un motif pour s’effrayer de sa libido. […] Je ne doute pas, d’après
vos allusions déjà, que votre déduction de la libido incestueuse s’énoncerait autrement. Mais il
y a une certaine parenté ; […]

Jung 8/6/1912 : […] En ce qui concerne la question de l’inceste, j’ai constaté


avec chagrin combien il s’élève chez vous de fortes raisons affectives contre mes propositions.
Comme je pense de mon côté avoir des raisons objectives, je suis forcé de me tenir à ma
conception du concept d’inceste, car je ne vois pas d’issue pour échapper à mes raisons. […]
La comparaison avec Adler est une pilule amère, que j’avale sans souffler mot. […]

Freud 13/6/1912 : […] Pour la question de la libido nous verrons bien. Je ne


peux guère me faire une idée de la nature de votre changement et je ne sais rien de ses motifs.
Dès que je serai mieux informé, je parviendrai certainement à me brancher sur l’objectivité,
justement parce que je connais bien mes préjugés. Si nous ne pouvons tout d’abord pas tomber
d’accord, il n’y a pas lieu d’admettre que ce différent scientifique portera tort à nos relations
personnelles. Je me souviens que des différents plus profonds existaient entre nous lorsque nous
sommes entrés en relation. […]

35 : Il y a là un autre point de désaccord très personnel entre Freud et Jung. En effet, Freud s’adresse à Jung
comme si celui-ci était venu à lui tabula rasa, alors que la conception de Jung, concernant la libido, est
antérieure à ses premières rencontres avec Freud. Ce que Freud qualifie de régression à une conception
antérieure ne l’est pas pour Jung.

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Épistémologie"

Ces extraits montrent bien comment les deux hommes étaient, chacun de leur
côté, aveugle quant à leurs présupposés théoriques, d’où leur venait une double illusion :
celle d’une objectivité de leurs approches respectives, et celle que l’approche de l’autre était
« régressive ». Mais ils montrent aussi à quel point chacun avait investi affectivement son
approche, ce que Freud ne cache pas, tandis que Jung a nettement tendance à se poser en
victime, ce qui n’est pas moins un investissement affectif. Et il y eut, dans ce même temps,
l’affaire de Kreuzlingen qu’il convient d’énoncer, car prise dans le même trouble affectif qui
perturbait alors la relation des deux hommes. Nous apprenons dans la lettre de Jung du
8/6/1912 que Freud a rendu visite à Binswanger à Kreuzlingen, donc à moins de 100 km
de Zurich, et qu’il n’a pas ressenti le besoin de me voir. Jung met cela sur le compte de
l’antipathie de Freud à l’encontre de sa théorie. Freud lui répond le 13/6/1912 que, en
substance, il eut préféré que Jung prenne de lui-même l’initiative du déplacement : Cela
aurait seulement été beau si vous l’aviez fait spontanément. Il fallut, en fait, attendre la conférence
des Présidents de Munich (24/11/1912) pour que les deux hommes puissent s’expliquer :
Binswanger avait une tumeur maligne dont il venait d’être opéré et Freud se rendit en
urgence à son chevet, tout en gardant le secret sur le motif de ce déplacement de dernière
minute. Il écrivit tout de même à Jung pour l’informer qu’il serait au lac de Constance, mais
celui-ci, parti en WE, ne trouva le courrier qu’après que Freud soit reparti. Après cette
conférence des Présidents Freud écrivit à Putman (Freud & Jung, 1906-1914, p.295) :

Les collègues eurent un comportement charmant avec moi. Jung ne fut pas le moins
gentil. Une discussion personnelle entre nous a balayé un certain nombre de susceptibilités
superflues. J’espère qu’une collaboration pleine de succès sera poursuivie. Les différences dans
la théorie ne doivent pas la troubler, je ne pourrai guère accepter sa modification dans la
question de la libido, car toutes mes expériences parlent contre cette conception.

Mais, comme l’annonce déjà la fin de cet extrait du courrier de Freud,


l’embellie fut de courte durée. En fait, chacun des deux hommes ne pouvait s’empêcher de
mettre sur le compte de la névrose de l’autre son incompréhension de sa propre position,
sans que celui-ci ne lui ait jamais rien demandé de tel. Et cette embellie était d’autant plus
vouée à l’échec que quatre mois plus tôt, le 1° août 1912, Freud avait reçu — et accepté —
la proposition de Jones de former le comité secret dont le but était de protéger l’orthodoxie
de la pensée psychanalytique. Pour être plus précis, il s’agissait de ne pas outrepasser les
limites que l’expérience de Freud avait délimitées à sa théorie, ce dont atteste sa
formulation : car toutes mes expériences parlent contre cette conception, formulation que l’on peut

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La"chimère"transférentielle"

mettre en regard de celle de Jung Comme je pense de mon côté avoir des raisons objectives, je suis forcé
de me tenir à ma conception du concept d’inceste, car je ne vois pas d’issue pour échapper à mes raisons.

Nous touchons là à la difficulté épistémologique principale de la méthodologie


et de la démarche psychanalytique : l’expérimentateur est si profondément impliqué dans
son expérience que celle-ci est nécessairement limitée par ses propres limites, autant pour
développer ses propres théories que pour comprendre celles de ses collègues. Les premiers
analystes, dont Freud et Jung, ont pu croire qu’une analyse suffisamment poussée de
l’observateur permettrait de lever cette difficulté, mais il est difficile, aujourd’hui, de
conserver cette illusion.

Après sa rupture avec Freud, sa profonde dépression et son autoanalyse, Jung


s’est fortement préoccupé de cette question, se demandant pourquoi il était arrivé à des
conclusions si différentes de celles de Freud, et pourquoi le désaccord s’est terminé dans un
tel climat de haine. Il répondit à cette question par deux voies.

La première fut son livre Types Psychologiques (Jung, 1920), ce qu’il note dans ses
mémoires (Jung, 1961, p.241-242) :

Une question joua un grand rôle dans la genèse de cet ouvrage : comment est-ce que
je me distingue de Freud ? Et comment d’Adler ? Quelles différences y a-t-il entre nos
conceptions ? C’est en y réfléchissant que je me heurtais au problème des types. Car c’est le
type qui précise et limite d’emblée le jugement de l’homme. […]

Le livre sur les types apporta la connaissance que tout jugement d’un homme est
limité par son type personnel et que chaque façon de voir est relative.

Ainsi la typologie psychologique lui permet de se représenter le fait que le


monde ne sera pas perçu de la même façon par deux personnes, et ceci non pas
uniquement en conséquence de ce que chacun y projette de lui-même, mais plus
fondamentalement du fait que les points de vue, au sens littéral, sont dissemblables. Il émit
alors l’hypothèse que son introversion l’opposait, dans sa perception du monde psychique,
à l’extraversion de Freud. Pour lui, l’objet interne ne pouvait être que premier, alors que,
pour Freud, c’est l’objet externe qui est évidemment premier. Mais une telle réponse, si elle
permet de rendre compte des différences de représentations que l’un et l’autre se
construisent du monde, ne permet pas de comprendre l’intensité affective avec laquelle
nous sommes tous attachés à nos propres représentations.

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Épistémologie"

À cette seconde question, il répondit en affirmant que Freud était fasciné par la
sexualité, plus précisément par son caractère numineux. La constitution du comité secret,
autant que le fait que Freud n’ait jamais répondu à Jung sur le fond de son argumentation
au sujet de l’horreur de l’inceste, peut corroborer cette hypothèse. Cependant, force est de
constater que, malgré son travail sur les Types psychologiques, Jung ne s’interrogea jamais
véritablement sur ce par quoi lui-même était fasciné, et qui lui donnait le sentiment qu’il y
avait plus de vérité dans son approche que dans celle de Freud. Cela est d’autant plus
étonnant qu’il n’a jamais cessé d’affirmer que chacun ne peut aborder le psychisme humain
qu’à partir de son équation personnelle, et ceci sans perdre l’illusion qu’il pourrait exister un
point de vue objectif…

Il y aurait donc, selon Jung, tout à la fois une orientation psychologique


différente entre Freud et lui, et une fascination de Freud pour la sexualité, qui
expliqueraient leurs différences d’approche. Cela, qui est certainement pour partie vrai, ne
permet pourtant pas de comprendre l’intensité des affects qui furent mobilisés, autant chez
Jung que chez Freud, dans leur confrontation théorique. De plus, il est utile de rappeler que
ce n’est pas leur divergence fondamentale sur la nature de la libido qui a mobilisé ces
affects, mais bien leurs approches fort différentes de la question de l’inceste, différence au
sujet de la place que tient le père dans son interdit.

Il ne semble pas nécessaire de revenir sur l’enfance bien connue de Freud, dont
la mère était jeune, belle et sexuellement désirable, et dont le père en était, à l’évidence,
l’amant. Le désir du jeune Sigmund pour sa mère était ainsi, dès l’origine, barré non
seulement par l’interdit posé par un père qui n’entendait pas laisser sa place dans le lit
conjugal à son fils, mais aussi, et probablement plus encore, par le fait que le désir sexuel de
sa mère était clairement adressé à son père. Ainsi le désir de retour incestueux à la mère
était tout à la fois sexualisé et interdit, dans une triangulation qui structurait la famille du
jeune Sigmund dès avant sa naissance. Dès lors pour Freud, admettre que l’on puisse
théoriser le psychisme sans recours premier à l’interdit paternel de l’inceste eut été se
confronter lui-même à l’en deçà de sa structuration œdipienne, confrontation dont nous
savons aujourd’hui à quel point elle s’accompagne d’angoisses archaïques à la limite du
supportable.

Concernant Carl Gustav Jung, la structure familiale était totalement différente.


Sa mère avait déjà perdu trois enfants avant sa naissance. Les deux premiers mort-nés (19
juillet 1870 et 3 avril 1872), et le troisième mort à 5 jours (18-23 août 1873), Paul Jung, Paul
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La"chimère"transférentielle"

comme son père. Il est difficile de ne pas penser que ses deux parents en sont restés très
profondément affectés : Jung décrit son père comme un homme qui avait perdu la foi,
alors même qu’il était pasteur, et qui s’était réfugié dans un dogme religieux stérile aux yeux
du jeune Carl Gustav. De plus, après avoir passé plusieurs mois en asile pour dépression, sa
mère, de retour à la maison (Jung avait 3 ans), ne partageait plus sa couche avec son mari.
Ce dernier, le père de Jung donc, avait déserté la chambre conjugale et s’était réfugié dans
celle de son fils. Et la distance entre ses parents était telle que, lors de la naissance de sa
petite sœur, Jung — qui avait tout de même 9 ans — a été totalement surpris. Non
seulement il n’avait pas imaginé que ses parents puissent engendrer un autre enfant que lui,
mais il n’avait pas même vu les transformations du corps de sa mère durant sa grossesse !
C’est dire à quel point son investissement du corps de sa mère devait être peu érotisé (il
apparaît dans ses mémoires que c’est le corps de sa nounou qui faisait l’objet de son
investissement érotique – 1961, p.27). Et c’est dire, aussi, à quel point le père ne pouvait
trianguler la relation du fils à sa mère. Ce père, qui n’était ni l’amant de la mère, ni un
homme « vivant » puisque perçu comme accroché à un dogme sans sens, sans désir
pourrions-nous dire, était un père mort, au sens de la mère morte de Green (1983). Ainsi la
théorie freudienne de l’Œdipe ne pouvait apparaître à Jung que comme un dogme, de
même que lui apparaissait le rapport de son père à la religion dont il avait fait sa profession,
et ceci alors même que sa seule défense contre son désir incestueux (de retour au néant du
maternel) était une forme d’hyper investissement de ce désir et de l’horreur qu’il suscite,
horreur grâce à laquelle il pouvait se construire en lui-même une image tierce qui, à défaut
de trianguler véritablement sa relation à sa mère, lui permit tout de même de ne pas devenir
psychotique.

Ainsi, autant pour Freud que pour Jung, la théorie construite par l’autre venait
remettre en question les fondements mêmes de leur personnalité, ce qui ne pouvait
manquer de s’accompagner d’affects particulièrement puissants et, à la fin de leur relation,
violents.

Évidemment, la question, là, rejoint celle de la section de Poincaré que chacun


doit réaliser pour construire une représentation du psychisme humain. Il s’agit donc
d’énoncer quelque hypothèse concernant ce qui conduit chacun à tel ou tel choix dans la
façon dont il va construire cette section, et, en l’occurrence, plus spécifiquement ce qui a
pu induire les choix respectifs de Freud et de Jung. Et une telle hypothèse devra tenir
compte de deux faits : d’une part, toutes les « sections de Poincaré » ne se valent pas, et
d’autre part, en général, celui qui fonde une réflexion sur ce mode est si fortement et

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Épistémologie"

personnellement investi dans sa construction qu’il ne peut que très difficilement admettre
les critiques, et encore plus difficilement admettre que d’autres constructions théoriques
peuvent, le cas échéant, être tout aussi valable que la sienne bien que fort différentes.

Il semble que l’on puisse faire l’hypothèse que ces deux questions sont liées,
que c’est l’épistémologie même de la psychanalyse, autant d’ailleurs que sa méthodologie,
qui impose que le chercheur et théoricien de ce champ ne puisse valablement construire un
modèle de ce que, avec d’autres, il constate dans sa pratique sans que ce modèle doive
d’abord être congruent avec son expérience personnelle de vie. L’histoire de la psychanalyse
permet même d’aller plus loin, puisque c’est à partir de l’autoanalyse de Freud, puis de celle
de Jung, que les premiers édifices théoriques de la psychanalyse ont été construits, et que,
pour la plupart des auteurs qui ont suivi, ils continuent de l’être. Ce point peut paraître une
faiblesse épistémologique de la psychanalyse, puisque, partant de leur autoanalyse, les
théoriciens peuvent être tentés d’utiliser leurs expériences cliniques pour justifier ce qu’ils
ont élaboré à partir d’eux-mêmes, et perdre ainsi l’objectivité qui caractérise les canons
épistémologiques de la science.

Pourtant il est possible d’affirmer tout le contraire, dès lors que l’on considère
que l’épistémologie scientifique doit, pour rester pertinente dans le champ de la
psychologie, intégrer en elle-même les éléments subjectifs de l’observateur/acteur. Ne pas
le faire serait, en effet, considérer que l’observateur n’interagit nullement avec l’observé, et
que celui-ci, pas plus que l’observation elle-même, n’aurait aucun effet sur l’observateur.
Une telle considération est non-sens, car, si même il était imaginable que l’observateur
puisse n’être nullement « touché » par son observé et son observation, cela même serait si
éloigné des interrelations humaines habituelles que l’observé en serait bien plus
profondément affecté encore qu’il ne l’ait été dans une interaction pleinement assumée par
l’observateur. Morin (2004, p.65) écrit :

Toute connaissance (et conscience) qui ne peut concevoir l’individualité, la


subjectivité, qui ne peut inclure l’observateur dans son observation, est infirme pour penser
tous problèmes, surtout les problèmes éthiques. Elle peut être efficace pour la domination des
objets matériels, le contrôle des énergies et les manipulations sur le vivant. Mais elle est
devenue myope pour appréhender les réalités humaines et elle devient une menace pour l’avenir
humain.

Ainsi ce qui fonda la démarche psychanalytique fut, dès son origine, la prise en
compte de la subjectivité de l’observateur afin de pouvoir dire quelque chose de pertinent
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La"chimère"transférentielle"

sur celle de l’observé. À tout moment, l’observateur se trouve inclus dans son observation,
ce qui fut très vite conceptualisé, non pas tant avec la notion de transfert qu’avec celle de
contre-transfert, notion qui devint progressivement indissociable de la première. Et il n’est
pas inintéressant pour notre propos de constater que c’est avec Jung que Freud élabora ce
concept, concept qu’il emploie pour la première fois (Delrieu 2008) dans sa
correspondance avec lui, répondant à la préoccupation de Jung au sujet de la dérive de ses
relations avec Sabina Speilrein (Freud & Jung 1906-1914, 7/06/09) :

De telles expériences, si elles sont douloureuses, sont aussi nécessaires et difficiles à


épargner. Ce n’est qu’ensuite que l’on connaît la vie et la chose qu’on a entre les mains. Moi-
même je ne me suis, il est vrai, pas fait prendre ainsi, mais j’en ai été plusieurs fois très près
et j’ai eu a narrow escape. Je crois que ce sont uniquement les farouches nécessités de la vie
sous lesquelles mon travail était placé, et la décennie de retard, en comparaison de vous, avec
laquelle je suis venu à la Ψ A, qui m’ont préservé des mêmes aventures. Mais cela ne nuit en
rien. Il nous pousse ainsi la peau dure qu’il nous faut, on devient maître du « contre-
transfert » dans lequel on est tout de même chaque fois placé, et on apprend à déplacer ses
propres affects et à les placer correctement. C’est un blessing in disguise.

Si ce fut là la première citation de l’expression « contre-transfert » dans l’œuvre


de Freud, il est patent que Jung fut d’emblée en accord avec lui sur ce point. C’est à l’école
de Zurich que Freud rend hommage en 1912 (p.67) pour avoir en premier posé la nécessité
d’une analyse didactique. Néanmoins, ni les deux hommes, ni leurs disciples, n’avaient pris
la mesure du fait que la théorie psychanalytique elle-même est nécessairement conditionnée
par l’approche personnelle et subjective de l’analyste qui la pratique et la pense, sans que
cela n’invalide ni sa pertinence clinique, ni sa valeur scientifique, ni même son objectivité :
c’est l’objet qui change quand change l’observateur, l’objet ne pouvant être défini isolément
de celui-ci du fait que cet objet est lui-même sujet, et qu’il ne peut se révéler à son
observateur que dans une interrelation, donc une interaction, avec celui-ci. En d’autres
termes, l’objet de la psychanalyse est nécessairement une chimère, un être composite, un
système complexe né de l’interaction entre deux systèmes complexes qui, du fait de leurs
interactions, ne peuvent être isolés l’un de l’autre que très approximativement. Il en est
nécessairement de même pour la théorie ainsi construite qui ne peut être que partiellement
différenciée de son ou ses auteurs.

Dès lors, le critère de criticabilité (Adorno : Popper & —, 1979) prend toute
son importance, d’une part pour fonder la cohérence interne de la théorie proposée, et

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Épistémologie"

d’autre part pour en déterminer les limites de pertinence, celles-ci pouvant se dessiner à
partir des expériences cliniques et personnelles des différents auteurs participant au débat.
Telle est la démarche épistémologique qui sera suivie dans ce travail, en l’appliquant non
seulement aux théories psychanalytiques discutées, mais aussi aux données
neuroscientifiques qui semblent pouvoir être articulées avec elles, cliniquement et/ou
théoriquement.

5.4 Un!exemple!de!l’épistémologie!jungienne!:!l’archétype!

Depuis que Jung a formulé son idée d’un fond psychique commun à
l’humanité, les critiques ont fusé de toute part ou presque, et plus il a précisé ce dont il
tentait ainsi de parler, plus ces critiques ont été nombreuses et, oserai-je dire, tous azimuts.
Aujourd’hui, certains analystes jungiens ont commencé une relecture de cet aspect de la
psychologie analytique, particulièrement Jean Knox (2003) en Angleterre et Georges
Hogenson (2001, 2004, 2009) aux États-Unis, suivis, plus récemment, par Christopher
Roesler (2012) en Allemagne, ainsi que par moi-même (Martin-Vallas 2005a, 2005 b, 2009a,
2013b) en France.

L’entreprise est rude, et étonnamment bien plus complexe qu’elle aurait pu


apparaître au départ, car, à vouloir redéfinir l’archétype, c’est très vite à l’ensemble de la
psychologie analytique que l’on se trouve confronté, et surtout au modèle épistémologique
qui en sous-tend la théorisation. C’est pourquoi il importe de reprendre les principaux
éléments de la réflexion épistémologique de Jung et d’en faire une relecture à partir des
modèles récents de l’épistémologie complexe.

Addison (2009) note qu’avant même de commencer ses études de psychiatrie,


alors qu’il était étudiant, Jung avait une forte affinité pour le courant vitaliste, c’est-à-dire
une épistémologie qui s’oppose à la bipartition cartésienne entre le monde de la matière et
celui de la psyché. Pour le courant vitaliste, l’énergie vitale est unique, et elle anime tout
autant le corps que l’esprit. C’est, selon Addison, à partir de ce parti pris que Jung a conçu
et développé son idée du psychoïde. Il peut cependant sembler que, du point de vue de son
épistémologie, Jung a très vite pris ses distances avec le courant vitaliste, d’abord avec sa
théorie des complexes, puis avec celle, qui en découla, des archétypes. Il n’y revint,
finalement, et d’une tout autre manière, qu’avec son concept de synchronicité, élaboré avec

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La"chimère"transférentielle"

Wolfgang Pauli (Jung 1952), et une définition du psychoïde bien différente de celle qu’il
avait utilisée jusqu’alors.

Quand Jung arriva au Burghölzli, Bleuler le forma à ses tests d’association de


mots et l’incita à poursuivre ses recherches. Les tests, tels que conçus par Bleuler, se
limitaient alors aux associations de mots à partir de mots inducteurs. Là, Jung eut une idée
qui donna à ces tests une tout autre dimension : il introduisit des mesures physiologiques,
concernant principalement la respiration et la résistance cutanée, qui lui permirent de
mettre en évidence le fait que certains mots inducteurs entraînent, chez un sujet donné, des
effets neurovégétatifs qu’il interpréta comme manifestations d’affects36. On peut ainsi le
considérer comme l’un des précurseurs des sciences cognitives expérimentales, et,
d’ailleurs, le public professionnel de son époque ne s’y trompa pas : il eut très vite une
renommée internationale de grande envergure.

Ce n’était là que le tout début de ses recherches, et notamment de ses


réflexions théoriques : c’est ainsi qu’il construisit son concept de complexe psychoaffectif,
restant, certes, dans la lignée du courant vitaliste, mais y apportant une vision nouvelle et
discriminée des rapports entre le corps et l’esprit. C’est aussi sur cette base qu’il se
rapprocha de Freud, un Freud dont la conception de la libido était aussi fortement ancrée
dans le biologique. Si Jung était psychiatre et Freud neurologue, ils n’en étaient pas moins
tous deux médecins, et des médecins qui, d’emblée, n’ont pu se satisfaire d’une vision
hiérarchisée simpliste des rapports de l’âme et du corps, comme de considérer que le corps
ne serait que le lieu d’habitation de l’âme, ou à l’inverse que la psyché ne serait qu’une
sécrétion du cerveau. Ainsi leurs recherches les ont conduits, chacun de son côté, et à sa
façon, à proposer une vision nouvelle de ces rapports, à savoir une articulation étroite de
ces deux champs, corps et psyché, articulation dans laquelle ils ne perdaient pas leur
hétérogénéité. Comme nous l’avons déjà évoqué, il s’agit déjà, pour chacun, des bases d’une
théorie complexe au sens actuel du terme.

Ces expériences d’associations adossées aux mesures physiologiques amenèrent


Jung à mettre aussi en évidence l’existence de complexes non limités à un individu. Il publia
notamment un article sur les complexes familiaux (Jung 1909) qui aurait facilement pu lui
permettre, si tel avait été son objet de recherche, de parler d’inconscient familial et groupal.
Mais ce qui le travaillait était les questions de la nature de la libido et de l’origine de

36 : Cette hypothèse est aujourd’hui validée par les neurophysiologistes, notamment Antonio Damasio (1999)

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Épistémologie"

l’interdit de l’inceste, questions sur lesquelles portaient ses discussions avec Freud, et qui,
comme il a été vu, conduisirent les deux hommes à se séparer.

5.4.1 Quelques"éléments"de"l’épistémologie"de"Jung"

À de très nombreuses reprises Jung se réfère explicitement à Kant, et à sa


notion d’a priori, a priori qui structureraient la connaissance humaine. C’est d’ailleurs l’un des
piliers de sa notion d’archétype, ainsi que de sa façon d’utiliser le mot « transcendance »,
mot qui, pour lui comme pour Kant, désigne ce qui ne peut être accessible à une
représentation consciente. Malgré cela, on voit assez souvent des auteurs jungiens parler de
transcendance dans son sens métaphysique, comme si telle avait été la position de Jung.
Cela est regrettable, car il a été très clair à ce sujet, et ce sont certains de ses élèves qui ne le
furent pas toujours.

Ceci étant, concernant l’archétype, Jung ne s’est pas arrêté à la notion


kantienne des a priori. Bien au contraire, comme le montre clairement Jean Knox (2003),
Jung a développé différents modèles de l’archétype, plus ou moins (in) compatibles entre
eux. Reprenons la classification de Knox (2003, p. 29-39), qui distingue quatre principaux
modèles :

• L’archétype en tant qu’organisation biologique innée ;


• L’archétype en tant que structure mentale abstraite non représentable per se ;
• L’archétype en tant que noyau de représentation à valeur hautement symbolique ;
• L’archétype en tant qu’entité métaphysique indépendante du corps biologique.

De ces quatre modèles il peut facilement être déduit l’inconsistance de Jung en


matière théorique, seules les deux premières approches de l’archétype étant compatibles
avec l’idée kantienne des a priori alors que la troisième semble s’y opposer, et que la
quatrième viendrait infirmer toutes les affirmations de Jung sur la métaphysique, à savoir
qu’elle n’est pas son objet de recherche.

Pourtant le troisième modèle de Knox est bel et bien présent à de nombreuses


reprises dans l’œuvre de Jung. Pour le quatrième, cela est plus discutable. En effet, Knox
s’appuie, pour l’énoncer, sur les idées de Jung concernant la synchronicité, et plus
précisément sur la notion de psychoïde qu’il développe en 1952. Mais il me semble qu’à ce
sujet Jung est très clair : il pose, en accord sur ce point avec Wolfgang Pauli, le psychoïde
comme concept logique, et certainement pas comme réalité métaphysique. De plus, toujours
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La"chimère"transférentielle"

selon Jung, le psychoïde structure tout autant la matière que la psyché, et il ne pose à aucun
moment, comme le fait Knox, qu’il serait indépendant du corps biologique 37 . Ce qui
conduit à reformuler autrement le quatrième modèle proposé par Knox :

• L’archétype en tant que concept logique nécessaire à pouvoir penser les relations entre
matière et psyché.

Reformuler, comme proposé ici, la classification de Knox ne résout en rien les


contradictions qui apparaissent entre ces différentes formulations de l’archétype par Jung.
D’ailleurs, l’approche de Knox peut même être complexifiée encore plus en remarquant
que Jung oppose souvent l’instinct à l’archétype, mais que, tout aussi souvent, il traite
l’instinct comme un des deux pôles de celui-ci, le second étant son pôle spirituel. Enfin,
une dernière contradiction apparaît dans l’approche que Jung fait de la créativité de
l’archétype, créativité qu’il met en balance avec sa destructivité, la polarisation créativité
versus destructivité pouvant être inhérente à la dynamique archétypique elle-même, alors
qu’en d’autres passages celle-ci est mise en lien soit avec la position du moi, soit encore
avec la qualité de la fonction transcendante.

Mises côte à côte ces formulations apparaissent comme formant un ensemble


très hétérogène d’idées qui pourraient être étrangères les unes aux autres, quand elles ne
sont pas simplement contradictoires. Et, de là, on pourrait rejeter la notion même
d’archétype, ou chercher à la reformuler, comme le fait Knox. Il paraît pourtant, sans
aucunement minimiser l’intérêt de la démarche de Knox – notamment dans le remarquable
travail qu’elle a fait pour articuler la théorie des archétypes avec les données
développementales actuelles – qu’une troisième voie est possible, en tentant non pas de
reformuler le concept même d’archétype, mais plutôt ses soubassements épistémologiques.
En effet, ce qui peut faire rejeter comme trop contradictoires entre elles ces formulations
de Jung sur l’archétype est une certaine idée de l’épistémologie scientifique, une idée dont il
a été dit qu’elle peut aujourd’hui apparaître comme inappropriée à l’étude de la psychologie
humaine.

37 : C'est même un concept particulièrement intéressant pour théoriser la psychosomatique (Ramos 2004), ce
que Jung note lui-même (1952, §123)

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Épistémologie"

5.4.2 La"psyché"comme"système"complexe"

Il paraît, à partir de l’ensemble de ces considérations, que la psyché humaine


doit être considérée comme un système complexe. Outre le fait qu’elle est à l’évidence aussi
imprévisible de manière certaine que non reproductible, elle fait preuve de l’ensemble des
qualités qui caractérisent ces systèmes. Concernant la question de l’archétype, c’est
évidemment la qualité d’auto-organisation qui nous intéresse, mais aussi les phénomènes
d’émergence qui sont susceptibles d’apparaître aux différents niveaux de son organisation.

5.4.2.1 Sensibilité"aux"conditions"initiales""

Comme il a déjà été noté, la sensibilité aux conditions initiales du psychisme


humain est probablement la qualité de système complexe la plus évidente. Quelle que soit
la connaissance approfondie que l’on puisse avoir de quelqu’un, nul ne peut prévoir avec
certitude le devenir de la personne considérée. Il en est là de même qu’avec le système
météorologique : s’il est raisonnable de penser que l’on peut connaître le devenir de
quelqu’un à court terme, cela devient déjà bien plus hasardeux à moyen terme, et
franchement hypothétique à long terme. Par contre, quand un évènement imprévu survient
dans la vie de quelqu’un, il est souvent possible, du moins dans le cadre d’une théorie
psychanalytique, de proposer une lecture de la dynamique qui a abouti à cet évènement.
C’est là un argument utilisé par nombre de scientifiques à l’encontre de la validité des
théories psychanalytiques : elles ne peuvent expliquer que ce qui s’est déjà produit, et non
prédire ce qui se produira ; a contrario, cela paraît argumenter en faveur de la validité des
théories psychanalytiques dans le cadre des théories d’un système complexe, une théorie
qui prétendrait pouvoir prévoir l’avenir d’un tel système devant aujourd’hui être considérée
comme magique et non scientifique. La science, là, doit apprendre à se défaire de
l’équivalence [causalité = prédictivité] et se contenter d’une causalité qui ne peut se lire qu’a
posteriori. Prétendre pouvoir sélectionner, parmi des enfants de maternelle, ceux qui
deviendront délinquants est un exemple de cette dérive scientiste – en réalité magique – et
montre le danger sociétal auquel elle pourrait nous exposer.

5.4.2.2 "Brisure"de"symétrie"

Dès l’origine de la psychanalyse les notions de conscient versus inconscient,


puis de complexes, ont introduit l’idée essentielle de brisure de symétrie dans le psychisme,
en décrivant des régimes de fonctionnement différenciés de telle ou telle part de ce

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La"chimère"transférentielle"

psychisme. Nous savons bien en effet, depuis les travaux de Freud, ici jamais remis en
question par Jung, que Cs et Ics ont des régimes de fonctionnement radicalement
différents, notamment en ce qui concerne leurs rapports avec la réalité extérieure. Cela a
fait dire à Jung que les archétypes sont psychotiques.

Concernant les complexes psychoaffectifs tels que Jung les a décrits à la suite
de ses travaux sur les tests d’association, on retrouve aussi une notion de rupture de
symétrie. Chaque complexe a ses qualités propres, et la connaissance de l’un d’eux ne
renseigne en rien sur les autres, pas plus que sur l’organisation complexuelle générale.

Après avoir mis en évidence quelques régularités dans cette organisation


complexuelle, Jung en a déduit sa notion d’archétype. Il ne s’agissait pas là de mettre en
évidence des qualités communes à l’ensemble des complexes, ce qui aurait réduit ou annulé
la brisure de symétrie, mais au contraire de faire l’hypothèse d’une organisation sous-
jacente à l’organisation complexuelle, organisation sous-jacente elle-même hétérogène,
organisée en complexes collectifs différenciables, complexes collectifs qu’il a nommés
archétypes 38 . Même si l’ensemble des archétypes peut avoir quelques caractéristiques
communes, la connaissance de l’un d’eux ne peut renseigner sur les autres. Non seulement
leurs qualités psychoaffectives diffèrent, mais leurs dynamiques elles-mêmes diffèrent de
l’un à l’autre. Les dynamiques de l’ombre et du soi, par exemple, diffèrent non seulement
dans leurs dynamiques propres, mais aussi dans celles de leurs interrelations : p.ex.
connaître la dynamique relationnelle moi-ombre, ne permet aucunement d’en déduire la
dynamique moi-soi ou ombre-soi.

5.4.2.3 "Noncreproductibilité"

Cette propriété du psychisme humain est évidente, et connue au quotidien de


leur pratique par tous les psychanalystes. Elle fait d’ailleurs une des difficultés majeures de
la formation des analystes, puisqu’il ne peut être simplement transmis des règles à appliquer
dans chacune des situations que le futur analyste est présumé pouvoir rencontrer dans sa
pratique. Bien au contraire, nous savons combien de telles règles, souvent appliquées à leur
insu par les analystes en formation (et pas seulement), risquent de venir faire obstacle à une
dynamique de changement. C’est pourquoi Jung (1926 p. 86-87) dit : La thérapie véritable et

38 : La différence étant que, stricto sensu, les complexes sont des complexes de représentations/affects, alors
que les archétypes ne peuvent se représenter qu’au travers des complexes dont ils organisent (ou
émergent de) la dynamique.

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efficace d’une névrose est toujours individuelle et c’est pourquoi l’utilisation pure et simple d’une doctrine ou
d’une certaine méthode doit être considérée comme une erreur fondamentale. […] À côté de cette difficulté il
y en a une autre : elle consiste en ce qu’il est, pourrait-on dire, presque toujours nécessaire d’inverser toute
affirmation psychologique, donc toute vérité s’appliquant à la psyché, pour la rendre tout à fait vraie. Cela
résulte du fait que, quelles que soient les similitudes existantes entre deux situations
cliniques, les différences, si minimes soient-elles, peuvent suffire à modifier radicalement le
devenir de la situation. Ainsi une réponse parfaitement adaptée dans une première situation
peut s’avérer catastrophique dans une seconde.

À première vue, cette propriété de non-reproductibilité paraît contradictoire


avec la notion d’archétype, puisqu’il s’agit là d’une notion qui recouvre une certaine
reproductibilité de l’organisation et des dynamiques psychiques humaines. Cela serait vrai si
Jung avait fait de l’archétype une notion simple, ce qui est loin d’être le cas. Poser, comme
il l’a fait, que l’archétype obéit tout autant à des dynamiques constructives que destructives,
et poser aussi qu’il est bipolaire, instinct (organisant l’action) d’un côté et spirituel
(organisant la pensée) de l’autre, fait de l’archétype lui-même un système complexe, non
prévisible et non reproductible.

Ainsi cette notion apparaît comme désignant tout à la fois une certaine
reproductibilité, et une certaine non-reproductibilité, comme il a été vu que cela est le cas
pour les systèmes physiques complexes.

5.4.2.4 Attracteur"étrange"et"autocorganisation"

Du fait même qu’il attire la dynamique du système complexe dans une certaine
portion de l’espace des phases, l’attracteur étrange est intimement lié aux capacités auto-
organisatrices de ces systèmes. Là où un système stochastique serait susceptible d’avoir tous
les destins imaginables, un système chaotique est limité, dans son évolution, par le ou les
attracteurs étranges qui régissent sa dynamique. C’est ainsi qu’il devient susceptible de
s’auto-organiser et, dans le même mouvement, de se complexifier. C’est aussi cette auto-
organisation qui est à l’origine de l’émergence de ses qualités nouvelles.

Cette propriété auto-organisatrice des systèmes complexes peut ainsi s’adosser


à la notion mathématique des attracteurs étranges, ce qui, dans le champ de la biologie, la
rapproche de la notion et d’autopoïèse (Colman, 2012) telle que l’ont définie Maturana et
Varela (1980). Ils y ajoutent, dans le champ de la biologie, la qualité d’autoreproduction
interne des systèmes biologiques, qualité qui leur permet de se maintenir tout en se
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La"chimère"transférentielle"

renouvelant sans cesse. Ainsi la vie elle-même serait une propriété qui a émergé d’un
certain niveau de complexité, niveau de complexité qui a permis l’émergence de cette
nouvelle qualité d’autopoïèse. Dans le champ des neurosciences, le phénomène
d’émergence se rapproche de celle d’énaction (Varela 1972).

Cette notion d’auto-organisation est, enfin, une des principales propriétés que
Jung a associée à sa notion d’archétype : auto-organisation de la vie psychique dans le but
de la maintenir tout en lui permettant d’être en relation avec son environnement et de s’y
adapter.

5.4.2.5 L’archétype":"un"système"complexe"à"structure"fractale"?"

L’ensemble de ces considérations peut permettre de mieux comprendre la


notion d’archétype de Jung, ses constantes, ses variations et ses contradictions. En
reprenant la classification de Knox (telle que reformulée ici), il est possible d’y relever
différentes échelles d’appréhension de ce concept :

o L’archétype en tant que concept logique nécessaire à pouvoir penser les relations
entre matière et psyché ;
o L’archétype en tant qu’organisation biologique innée ;
o L’archétype en tant que structure mentale abstraite non représentable per se ;
o L’archétype en tant que noyau de représentation à valeur hautement symbolique.

Chacun de ces niveaux correspondrait alors à une échelle de l’observation, ou


plutôt, puisqu’il n’y a d’observation possible qu’au dernier de ces niveaux, à une échelle
d’abstraction, du plus général au plus singulier. Dès lors, en acceptant de considérer que
l’archétype pourrait être structuré à la manière de tous les autres systèmes complexes qui
caractérisent la réalité du monde, il n’y a plus rien d’étonnant à ce que les formulations de
Jung soient si différentes et parfois même divergentes. À chacun de ces niveaux, les qualités
émergentes diffèrent, et la description qui peut en être faite doit donc différer, ceci alors
même que l’objet décrit est resté le même.

Cela signifie que Jung propose de penser l’archétype avec une pensée elle-
même organisée comme système complexe. Butz (1998), étudiant la notion d’énergie chez
Jung, est arrivé à la même conclusion ; dans une autre perspective, Van Eenwyk (1997) a
aussi développé une thèse reposant sur une même idée. Il semble qu’en cela Jung est très
proche de la pensée complexe, tel que l’a développée Edgar Morin (1990). Et cette pensée
complexe, Jung nous la propose en réponse à un Freud qui, en 1910, en était encore à une

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pensée cherchant à s’inscrire dans un causalisme simple, bien que déjà complexe. Par la
suite, Freud lui-même, avec sa pulsion de mort (1920), sa seconde topique (1923), et
surtout son « Moïse et le monothéisme » (1939), suivi par les freudiens d’après-guerre puis
l’ensemble du mouvement psychanalytique, se dégagea définitivement de tout causalisme
simple. On pourrait dire aujourd’hui qu’il choisit d’autres types de sections de Poincaré, ni
plus ni moins valables a priori que celles de Jung. C’est là la clinique qui peut permettre
d’apprécier la pertinence de telle ou telle approche.

Il est ainsi possible de penser que les différents archétypes décrits par Jung
correspondent chacun à l’équivalent d’un attracteur étrange, tel qu’il se serait révélé à son
intuition après une opération mentale équivalente à une section de Poincaré du système
psychique global. Penser ainsi permet de comprendre la notion jungienne d’activation d’un
archétype, notion facilement reprise sur un mode magique, comme si chaque archétype
était un esprit en dormance susceptible de se réveiller de temps à autre. L’épistémologie des
systèmes complexes amène à formuler les choses tout autrement, puisqu’il y aurait alors un
système psychique global, animé de diverses dynamiques plus ou moins chaotiques, avec,
lors des changements de ces dynamiques, et pas nécessairement à tous les niveaux du
système, l’émergence (ou l’effacement) d’attracteur(s) étrange(s) autour desquels
s’organiseraient alors ces dynamiques.

Cela permet aussi de répondre aux arguments de Knox (2003) et Roesler


(2012) concernant l’origine biologique innée des archétypes. Pour Knox, en effet, il semble
important d’invalider l’idée jungienne de cette origine innée de l’archétype afin de pouvoir
développer son émergence développementale. Avec une approche complexe, cela n’est pas
nécessaire, l’émergence des qualités d’un système dépendant tout autant de sa nature
propre que de ses interactions avec son environnement. La génétique, sur laquelle s’appuie
Knox pour argumenter sa position, n’est alors plus envisagée comme déterminant
l’existence des archétypes per se, mais comme déterminant les qualités propres du système
qui, en interaction avec son environnement, permettront l’émergence de ces dynamiques
que Jung a nommées archétypiques. Il n’est alors plus nécessaire d’opposer les origines
biologique, génétique, environnementale, intrapsychique, etc., et, du point de vue de la
génétique, c’est de l’épigénétique que peut relever l’archétype, non de la génétique classique
et simple.

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La"chimère"transférentielle"

5.4.3 "Carl"Gustav"Jung":"un"théoricien"de"la"subjectivité"?"

À la suite de la parution du Livre Rouge (Jung 2009), plusieurs voix se sont


élevées dans le monde jungien pour mettre en garde contre la tentation de qualifier cet
ouvrage de production psychotique, comme s’il s’agissait là d’un anathème qui pourrait être
adressé à Jung (p. ex. Gaillard 2011). Le problème est qu’il est difficile de définir ce que
chacun de ces auteurs entend par « psychotique » : s’agit-il d’un mode de fonctionnement
de certaines couches du psychisme ? S’agit-il d’un mode de fonctionnement, ou de
dysfonctionnement du moi ? En d’autres termes, s’agit-il nécessairement d’une pathologie,
ou au contraire d’un certain type de dynamique psychique qui, comme la névrose, présente
ses propres pathologies ?

Ce débat, qui mériterait à lui seul un travail approfondi, ne sera qu’effleuré ici ;
qu’il suffise de noter que, pour de nombreux auteurs, parler de psychose n’a rien d’un
anathème. D’ailleurs, Jung lui-même, à propos de James Joyce (Shamdasani 2012), écrivit à
Patricia Hutchins :

Son « style psychologique » est définitivement schizophrénique, à la différence,


cependant, qu’un patient ordinaire ne peut par lui-même parler et penser d’une telle façon,
alors que Joyce en eut la volonté et, de plus, l’a développée avec ses forces créatrices, ce qui
d’ailleurs permet de comprendre pourquoi il n’a pas franchi la limite. 39 (cité par Ellmann,
1984)

C’est pourquoi la position adoptée ici est celle de Schwartz-Salant (2011), qui
dit :

Il est sûrement faux de penser que Jung était fou ou que c’était un schizophrène
qui se serait soigné lui-même de façon créative. Mais reconnaître que Jung, comme tout un
chacun, à un degré ou à un autre, avait des parties folles à l’intérieur d’une personnalité saine
par ailleurs, et qu’il a subi les affres de cette folie qui a finalement été source à la fois de
limitation et de transformation, c’est une hypothèse raisonnable.

Ou encore, position semblable sur le fond, celle de de M’Uzan (2005, p.26) :

39 : trad. personnelle

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Épistémologie"

Comment entendre que le plus authentique de l’être est à découvrir dans un des
soubassements « psychotiques » de son esprit ? […] Encore faut-il accepter de disjoindre le
« psychotique » de la psychose.

D’ailleurs, cette idée de la « folie » de Jung provient de l’article que Winnicott


(1964) a écrit à la suite de la parution de Ma Vie. Et Winnicott n’a jamais fait l’hypothèse
d’une quelconque schizophrénie ou autre psychose de Jung adulte : il a parlé de psychose
infantile, ce qui est bien différent. Enfin, en faisant l’hypothèse que Jung aurait soutenu un
processus d’autoguérison d’une psychose infantile, Winnicott paraît plutôt reconnaître à
mots couverts la très haute valeur de ce travail : tous ceux qui ont travaillé avec des enfants
psychotiques, et a fortiori avec des adultes souffrant des séquelles de telles psychoses, en
seront facilement convaincus, tant le travail pour sortir un tant soit peu de ces séquelles est
long, douloureux et incertain. Ce dont il s’agit là est une relance de la fonction α afin de
transformer les restes d’éléments β en éléments α, représentables et pensables.

Il semble ainsi possible d’affirmer que ce avec quoi Jung s’est trouvé en prise
lors de sa « plongée dans l’inconscient » (Jung 1961, p. 198-232) est un flot affectif non
représentable, ou, à tout le moins, non encore représenté. Comme le note Sonu
Shamdasani (2012, p. 107) :

Il ressentit le besoin de représenter ses pensées les plus intimes dans la pierre et de
construire une maison primitive40 « Mots et papier cependant n’avaient pas, à mes yeux,
assez de réalité ; il y fallait encore autre chose. » (Jung, 1961, p. 260),

et plus loin (2012, p.130) Liber Novus a émergé d’une crise de langage, et de
la recherche d’une forme d’expression qui soit adéquate pour parler à l’âme autant qu’à
propos d’elle.41

Peut-on trouver une meilleure définition de la fonction α que celle-ci : parler à


l’âme autant qu’à propos d’elle ?

Jung a d’abord cherché à ne pas perdre pied grâce à des exercices de yoga et de
respiration témoignant, a contrario, de l’attaque des étayages corporels de son narcissisme42

40 : trad. personnelle.

41 : trad. personnelle

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La"chimère"transférentielle"

par ses affects. Il a aussi accepté de régresser formellement en s’adonnant à des jeux
enfantins de construction, témoignant ici de l’impérieuse nécessité de donner forme à ces
affects. C’est un très bon exemple clinique de la confrontation avec les éléments β, et du
désordre psychique qu’elle entraîne. Mais là, contrairement à certains épisodes de son
enfance auxquels semble se référer Winnicott, il a repoussé la tentation de céder à des
défenses psychotiques. De même que préadolescent il avait décidé, à la seule force de sa
volonté, de visualiser le fantasme qui l’oppressait (Dieu qui lâche un étron sur la cathédrale
de Bâle – Jung 1961, p.59), de même, à près de quarante ans, il décida de laisser venir à sa
conscience tous les fantasmes et éprouvés qui se présenteraient. Ce fut, selon ses termes,
une question de force brutale (Jung 1961, p.206).

Et de la force, il lui en fallut non seulement pour tenir son rapport à la réalité
extérieure, mais aussi pour forcer ces éprouvés à se représenter, et se forcer lui-même à
donner forme concrète à ces représentations. C’est ainsi qu’il se retrouva à faire des jeux de
construction et des dessins, comme le font spontanément tous les enfants du monde. Mais
il lui fallait, dans le même temps, tenir sa position d’adulte vis-à-vis de lui-même, et pas
seulement d’adulte, mais aussi de médecin, psychiatre et chercheur scientifique. C’est ainsi
que l’on peut comprendre qu’il ait eu besoin de donner forme achevée à ses productions
fantasmatiques, une forme dont on peut aujourd’hui apprécier la haute qualité artisanale et
artistique dans le Livre Rouge. C’est un processus de relance de la fonction α que Jung
inventa ainsi (et qu’il formalisa ensuite sous le nom d’imagination active), processus par
lequel les éprouvés affectifs bruts, éléments β, peuvent être subjectivés et intégrés à la vie
consciente. L’enjeu, là, était de permettre une incarnation personnelle des énergies de ce
qu’il appellera très vite l’inconscient impersonnel.

Cette incarnation se devait de passer par son être réel, et non par un faux-
semblant qui eut pu facilement être celui d’un artiste43, d’un philosophe, d’un prophète, ou
que sais-je encore. Mais Jung était un médecin, psychiatre et chercheur scientifique. Les
peintures, dessins et textes prophétiques que l’on trouve dans le Livre Rouge ne pouvaient
donc être qu’une étape, intime, dans le long processus de représentation subjective de ces

42 : Il convient d’entendre ici par narcissisme ce qui garantit la permanence d'un moi comme centre du
champ de conscience tout à la fois du monde interne et du monde externe, un moi, donc, en capacité de
travailler à l'adaptation conjointe aux exigences de ces deux ordres de réalité

43 : Voir p. ex. son dialogue avec l'anima (Jung 1961, p. 215)

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Épistémologie"

énergies impersonnelles, étape indispensable à son processus d’autoanalyse, mais devant


ouvrir à une mise en représentation scientifique, champ de son incarnation sociale. Il lui
fallait donc construire, après le pont entre l’impersonnel et le subjectif, un autre pont entre
le subjectif et le collectif de son inscription sociale, la médecine et la science. Ce fut là
l’œuvre des Gesammelte Werke, œuvre qui précéda, accompagna et suivit la réalisation du
Livre Rouge.

Ainsi, après avoir arraché à l’impersonnel des représentations intégrables à son


être subjectif, il avait à refaire le chemin inverse, vers une autre forme de l’impersonnel, la
théorisation conceptuelle à destination du collectif humain, de la communauté des
hommes. C’est là qu’apparaît pleinement la complexité de sa pensée, complexité nécessaire
à rendre compte des différents niveaux de l’expérience vécue au décours de son
autoanalyse, puis de son travail analytique et de celui de ses successeurs. Cet ensemble est
ici résumé dans un tableau très schématique [Figure 13] regroupant les différents niveaux
de ces deux démarches complémentaires, une de subjectivation, et une de théorisation,
théorisation organisée en un double mouvement d’objectivation et d’abstraction. Mais il
importe de bien considérer qu’un tel tableau ne peut être qu’une représentation caricaturale
de l’épistémologie de la démarche jungienne, les différents niveaux, organisés ici en strates
bien définies, étant, dans les faits, en interactions et rétroactions permanentes entre eux. Ici,
l’objet de la recherche est complexe, l’épistémologie de cette recherche est elle-même
complexe, et la théorie qui en résulte tout autant.

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La"chimère"transférentielle"

éléments β Affects éprouvés sans


représentations Exercices de yoga
Affects avec représentations
Subjectivation

spontanées
Auto- Jeux avec les cailloux
analyse Affects avec représentations Dessins spontanés
personnifiées et dialogue interne Écrits non publiés
avec elles

Représentations personnifiées et Livre Rouge


éléments α langage mis en forme travaillée

Description Les représentations


Classification des représentations
empirique archétypiques

L'archétype en tant
Mytho-théorisation autour de ces que noyau de
classifications : premier niveau représentation à
d'abstraction valeur hautement
Objectivation

symbolique
Abstraction

L'archétype en tant
Travail Théorisation sur ce qui sous-tend que structure
scientifique ces classifications : second niveau mentale abstraite
d'abstraction non représentable
per se

Théorisation généralisante sur les L'archétype en tant


archétypes : troisième niveau qu'organisation
d'abstraction biologique innée
Théorisation Théorisation généralisante sur les
conceptuelle Le psychoïde comme
archétypes : quatrième niveau
concept logique
d'abstraction

Figure 13 : Organisation complexe de l’épistémologie de Jung,


chaque niveau étant en inter et rétro actions avec chacun des autres

À ce tableau, il conviendrait d’ajouter la seconde période du travail de Jung. En


effet, son travail sur le Livre Rouge prit fin en 1928, après qu’il eut connaissance du traité
alchimique chinois Le Mystère de la Fleur d’Or (Jung 1929). Dès lors, il se plongea dans ses
études sur l’alchimie, et l’on peut penser qu’il trouva ainsi une unité de recherche entre son
processus de subjectivation et son travail scientifique. Ce faisant, il propose à ses lecteurs
une pensée complexe unifiée, unifiée, mais non homogène, une pensée au sein de laquelle
la dimension de sa subjectivité et celle d’une certaine objectivité scientifique sont
intimement intriquées. Cela impose à ses lecteurs, non de fondre leur subjectivité dans celle
de Jung (il n’est pas un prophète), mais bien plutôt de construire, chacun pour lui-même, sa

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Épistémologie"

propre pensée complexe, sa propre intrication entre subjectivité individuelle et objectivité


scientifique.

5.4.4 "La"question"de"la"finalité"et"de"la"synchronicité"

Il convient, avant de conclure cette discussion sur l’épistémologie jungienne, de


poser enfin la question du point de vue téléologique, envisagée par Jung comme relevant
des dynamiques archétypiques, donc émergentes selon la thèse ici développée. Ce point est
important du point de vue historique, puisqu’il fait partie des désaccords fondamentaux
entre Freud et Jung, mais il est tout aussi important de nos jours, puisque se situant au
cœur d’un débat entre les scientifiques qui défendent le darwinisme et certains extrémistes
de divers bords, religieux pour la plupart, qui prônent un retour au créationnisme. Ce débat
n’est encore que peu présent en France, mais il prend de l’ampleur en Amérique et dans les
pays musulmans (Hameed 2012) : on ne peut l’éluder.

La question est là de savoir si l’on peut confondre le point de vue téléologique


de Jung avec un point de vue finaliste, la « cause finale » des anciens, une cause finale qui
suppose un créateur, et un dessein de celui-ci lors de son acte de création (Le Ru 2012).

Il semble qu’à ce sujet c’est dans son article sur la synchronicité (1952) que
Jung est le plus explicite. Il y introduit, en effet, le principe de synchronicité comme
acausal : il ne peut donc y avoir un créateur de sens, un dessein, qui causerait des
phénomènes dont nous aurions à découvrir le sens. Le point de vue téléologique est bien
différent du créationnisme, de l’idée d’un dessein de la nature. Et, toujours dans cet article,
Jung (1952, §123) va bien au-delà de la question des phénomènes paranormaux : Il faudrait
se poser ici, semble-t-il, la question de savoir si la relation de l’âme au corps ne devrait pas être considérée
sous cet angle ; en d’autres termes, si la coordination des processus psychiques et physiques dans l’être vivant
ne se comprendrait pas plutôt comme phénomène de synchronicité que comme relation causale. Et quand il
introduit le concept de psychoïde, ici envisagé d’un tout autre point de vue que
précédemment (Addison 2009), il précise bien que c’est un concept formel, une nécessité
logique, et en aucun cas un postulat métaphysique. Cependant, il reste très incertain par ce
qu’il entend ainsi, par exemple quand il introduit l’idée d’un savoir absolu, d’un sens
existant en soi. Cette hésitation, que l’on retrouve tout du long de son œuvre, a entraîné
nombre de dérives dans l’interprétation de sa pensée, ou plutôt des formulations de son
intuition par sa pensée.

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La"chimère"transférentielle"

Il semble en effet que l’on puisse considérer que Jung a eu une claire intuition
des phénomènes d’émergence, mais que, ne disposant pas de ce concept, il a cherché, tant
bien que mal, à en forger un. C’est ainsi qu’il est possible de dire qu’il y a, dans le concept
de synchronicité qu’il a forgé avec Pauli (Jung 1952), une formidable intuition concernant le
principe de relations acausales, ce principe étant de même nature que celui de l’émergence.
Mais il ne pouvait se représenter ce principe sans y réintégrer une certaine antériorité, une
certaine cause en fait : si le sens émerge de la rencontre fortuite (non causale) entre un
évènement extérieur et un évènement psychique, il faudrait poser, logiquement, qu’il y a du
sens dans l’univers… Précisément, c’est cela que le concept actuel d’émergence permet de
ne pas faire. Avant qu’il n’y ait de l’eau dans l’univers, il aurait pu, peut-être, être établi que
deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène étaient susceptibles de se réunir assez
fortement pour former une molécule stable, mais rien n’aurait permis d’établir que le corps
ainsi constitué serait liquide entre 0° et 100 °C ni que sa densité à l’état solide serait
inférieure à celle de son état liquide. Ce sont là des propriétés qui n’existaient nulle part, pas
même dans un possible a priori, avant leur émergence. Et cela concerne tout l’univers que
nous connaissons et qui, au fur et à mesure de son évolution depuis le big bang, ne cesse de
complexifier son organisation avec, à chaque étape, l’émergence non seulement de
nouvelles propriétés, mais aussi de nouvelles lois physiques (Laughlin 2012).

Ce point est important d’un point de vue métaphysique, puisqu’il permet de


faire l’économie d’une préexistence structurelle, ou même potentielle, des lois, qualités
et/ou formes qui émergent à chaque niveau de complexification : cette économie
d’hypothèses métaphysiques est l’un des fondements de la pensée scientifique. C’est ainsi
que les travaux de Conforti (1999) – un des premiers à avoir repris le concept d’archétype à
la lumière de la notion d’émergence – et de Vezina (2001) paraissent ne pas prendre la
pleine mesure de cette notion, puisqu’ils en déduisent, comme Jung le fit, une potentialité
préexistante à l’émergence des formes archétypiques. Un exemple que Conforti utilise
permet de comprendre la différence. Il parle de la recherche de champignons dans les bois,
et note que, du jour au lendemain, ceux-ci peuvent apparaître sans que, la veille, rien ne
laisse prévoir leur émergence. Ce n’est pas là, à proprement parler, un phénomène
d’émergence, car, bien que non visible, le mycélium est présent. Il y a là préexistence d’une
potentialité fondée sur une structure non apparente, mais déjà existante. A contrario si l’on
songe à l’émergence du diamant à partir du carbone simple, alors rien de tel n’existe : quelle
que soit la façon dont on sonde, étudie, dissèque, etc. une mine de crayon, rien ne nous
permettra d’y trouver une quelconque prémisse de diamant. L’émergence de l’organisation

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Épistémologie"

atomique propre à la structure cristalline du diamant est un phénomène qui ne peut se


prédire avant que d’avoir été constaté ; après un tel constat, cette émergence ne peut être
prédite qu’au regard de la connaissance que l’on a acquise des conditions spécifiques de son
émergence. Le fait que la structure de l’atome de carbone soit nécessaire à la constitution
de son cristal de diamant ne doit pas être confondu avec une potentialité ou une structure
préexistante : ce n’est qu’une condition nécessaire, et non suffisante. De plus, cette
condition ne préjuge en rien ni des autres conditions nécessaires (elles sont nombreuses et
exigeantes) ni du résultat (nature du diamant : transparence et dureté notamment).

Dans le champ de la psychologie, particulièrement de la psychologie des


phénomènes dits « occultes », cette notion d’émergence ouvre la voie d’une approche qui
n’est celle ni du causalisme magique, ni de l’herméneutique, ni du finalisme au sens du
créationnisme, ce qui fait du modèle jungien de la synchronicité comme principe acausal un
exemple d’émergence de sens à partir de ce qui apparaît, du point de vue de la causalité
« ordinaire », n’être qu’une simple coïncidence. C’est d’ailleurs en suivant ce même
raisonnement que Bright (1997), et moi-même à sa suite (2011), reprenons le concept de
synchronicité pour l’appliquer à l’émergence du sens au sein de l’analyse, dans le transfert.
C’est aussi un point de vue proche que développe Cambray (2004) en reliant synchronicité
et émergence. Et c’est, semble-t-il, de ce point de vue que l’on peut, sans sortir du champ
de la science, parler de téléologie dans le champ de la psychologie, au sens où l’entendait
Paul Ricœur (1967) : Téléologie n’est pas finalité : les figures, dans la dialectique téléologique, ne sont pas
des causes finales, mais des significations tirant leur sens du mouvement de totalisation qui les entraîne et les
fait se dépasser en avant d’elles.

5.4.5 "Conclusion"

Aux analystes, Jung propose ainsi une pensée qui puisse trouver à se déployer
et à s’incarner dans la pratique clinique, se donnant à vivre tout autant du côté de
l’analysant (processus de subjectivation) que de celui de l’analyste (reprise du processus de
subjectivation intriqué avec un processus de pensée théorisante). Ici, si l’on suit ce
cheminement de la pensée jungienne, il ne peut y avoir une pensée unique qui serait seule
valable dans le compte-rendu que l’analyste se fait à lui-même de la dynamique d’une cure.
Bien au contraire, l’un des intérêts majeurs de cette pensée est, de par sa complexité, de
conduire les analystes qui s’y réfèrent à choisir un parti pris pour penser une situation
clinique, sachant qu’un autre parti pris pourrait les amener à formuler la situation tout

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La"chimère"transférentielle"

autrement. Et ce choix – c’est toujours très clair en situation clinique – n’est conscient, le
plus souvent, que dans l’après-coup, alors même qu’il a déjà émergé en l’analyste à partir de
l’ici et maintenant de la situation transférentielle.

Non seulement cela devrait interdire aux analystes de s’endormir sur des
recettes de pensée, alors plaquées sur chacun de leurs analysants, mais en plus cela oblige à
interroger le contre-transfert au sein même des processus de pensée théorisante de
l’analyste, et non uniquement au niveau de ses affects et fantasmes. Ainsi le processus
transférentiel est présent tout à la fois dans l’entre-deux de l’analysant et de son analyste, et
au sein même des processus de la pensée autant subjective que théorisante de l’analyste44.
Alors cette pensée n’est plus une modalité défensive – pour mettre le moi à l’abri des
éprouvés affectifs insuffisamment représentés et intégrés –, mais au contraire une modalité
de liaison entre affects, représentations et concepts. C’est à un véritable travail de tricotage,
d’intrication, de liaison de ses fonctions du moi, que Jung convie ici l’analyste, en situation
clinique autant que dans son travail de théorisation.

44 : Cela paraît pouvoir être mis en relation avec la notion de pensée paradoxale de Michel de M'Uzan (1976)

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Neurosciences"

NEUROSCIENCES!
Est abordée, dans ce chapitre, la question de la chimère transférentielle sous
son aspect neuroscientifique.

L’intuition première de Jung, concernant la clinique du transfert, paraît avoir


été de pointer l’implication intime de l’analyste dans le processus de la cure. Ses
mésaventures avec Sabina Spielrein lui ont probablement permis d’en prendre conscience,
douloureusement comme en témoignent ses correspondances avec Spielrein et avec Freud
(Covington & Wharton, 2003 ; Freud & Jung, 1906-1914). Cela le conduisit à demander à
Freud que la formation des analystes comprenne un temps d’analyse pour eux-mêmes, ce à
quoi Freud se ralliera très vite. Le fond de l’affaire concerne évidemment son constat que
l’essentiel du processus transférentiel se déroule dans l’inconscient non seulement de
l’analysant, mais aussi de l’analyste. De là découlera son usage du concept de participation
mystique que Levy-Bruhl (1910) avait forgé, un concept qui exprime l’idée d’une certaine
indétermination et indifférenciation entre le sujet et son environnement (Winborn 2014).
Dans la cure, cela recouvre les zones d’indifférenciation psychique de l’analyste et de
l’analysant.

S’il est ici proposé de parler de la chimère transférentielle, c’est pour insister
sur une des dimensions de l’approche de Jung : il semble que ce processus ne soit pas
seulement en grande partie inconscient, mais qu’il est, de plus, partiellement indépendant
des personnes de l’analysant et de l’analyste, partiellement autonome, donc. Cette idée est
que de la rencontre entre l’analysant et l’analyste peut émerger une néo réalité psychique
qui a sa logique, sa temporalité et sa dynamique propre, en relative indépendance de celles
des deux protagonistes de la cure. En d’autres termes, si la participation mystique est un
élément essentiel du transfert, comme le pose Jung, elle peut être à l’origine d’une
dynamique psychique émergente qui va fortement influer sur la dynamique propre de la
relation entre l’analysant et son analyste.

Dès lors, la question du transfert et du contre-transfert se trouve déplacée dans


l’entre-deux, comme l’a aussi fait, dans le champ freudien, de M’Uzan (1976). Il ne s’agit
plus seulement de chercher l’origine de cette dynamique du côté de l’analysant et/ou de
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La"chimère"transférentielle"

l’analyste, afin de pouvoir l’interpréter et/ou l’amplifier dans le but qu’elle puisse être ainsi
intégrée au moi de l’analysant et/ou de l’analyste. Il s’agit alors de laisser advenir cette
dynamique au sein de la relation analytique, afin que sa potentialité créatrice/destructrice
puisse décaler le point de vue conscient des deux protagonistes, souvent d’abord de
l’analyste, et permettre ainsi la sortie de la répétition qui, souvent, s’était réactualisée dans la
relation transférentielle.

L’évolution récente des neurosciences paraît corroborer cette approche, en ce


qu’elle permet de penser le transfert comme un néosystème complexe résultant de la mise
en relation des neuro-psychés de l’analysant et de l’analyste.

1 !Épistémologie!de!la!démarche!

Il est cependant une difficulté importante qu’il ne semble pas possible de


contourner. En effet, comme il a déjà été développé, l’épistémologie qui fonde les
neurosciences est celle des sciences expérimentales, telle que définie par Carl Popper (1935)
au cours du XXe siècle, et elle reste, pour beaucoup, la seule considérée comme
valablement scientifique. Des conditions de scientificité posées par Popper, deux ont
souvent été utilisées comme preuves de la non-appartenance de la psychanalyse au champ
de la science : la non-reproductibilité et la non-réfutabilité. Malgré, entre autres, la
controverse qui l’a opposé à Adorno (Popper & Adorno, 1979), ce dernier défendant l’idée
que, dans le champ des sciences humaines, le critère de réfutabilité devait être remplacé par
celui de criticabilité. Malgré aussi le travail de nombreux épistémologues, à la suite,
notamment, d’Edgar Morin (1990).

C’est dans cet esprit que la référence épistémologique utilisée ici, comme
développée dans la première partie de ce travail, sera fondée sur les modèles physiques des
systèmes complexes qui sont non reproductibles, et dont la réfutabilité ne repose, in fine,
que sur l’analyse des modèles mathématiques qui permettent leur description, c’est-à-dire
sur une théorie formelle. Une telle épistémologie sera nécessairement circulaire, la preuve
étant apportée par la cohérence du modèle proposé avec les données de l’expérience d’une
part, et avec celles des modèles neuroscientifiques de l’autre. Il pourra ainsi être reproché à
ce travail d’utiliser comme preuve les matériaux mêmes qui auront servi à construire le
modèle proposé.

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Neurosciences"

Il semble pourtant que, si ce modèle permet de jeter un pont entre le champ de


la psychanalyse et celui des neurosciences, tout en permettant à celles-ci d’accéder à un
niveau de complexité auquel leur épistémologie propre leur interdit l’accès, alors la
démarche ne sera pas vaine. C’est pourquoi il sera proposé une combinatoire des modèles
neuroscientifiques susceptibles de rendre compte tout à la fois de l’expérience
psychanalytique et de son caractère de système complexe, le sens inhérent à toute
expérience humaine étant alors considéré comme qualité émergente de ce système
complexe.

2 !La!chimère!transférentielle!

2.1 Prémisses!historiques!

Depuis la définition de la pratique psychanalytique par Freud, le transfert fait


l’objet de très nombreux travaux qui cherchent à en définir les ressorts du point de vue de
l’analysant, mais aussi, très rapidement, du point de vue de l’analyste. Confronté, avec son
ex-patiente Sabina Speilrein, à une expérience amoureuse aussi douloureuse que
déstabilisante, Jung a très vite demandé à Freud, et obtenu de poser l’analyse du futur
analyste comme exigence de sa formation. Peu après ce fut Ferenczi qui vécut une
expérience similaire, plus complexe encore, puisqu’il se trouva amoureux en même temps
d’une mère et de sa fille, toutes deux ses patientes.

Mais ce ne fut que dans l’après-guerre que les travaux des psychanalystes
commencèrent à théoriser ces phénomènes transférentiels, dont l’intensité risquait de
déborder l’analyste à tout moment. De son côté, Jung (1944) synthétisa ses idées en
prenant appui sur une iconographie alchimique afin de représenter ce dont il avait fait
l’expérience, alors que d’autres à la suite de Mélanie Klein (1946) utilisèrent le concept
d’identification projective pour représenter les changements affectifs profonds qui peuvent
emporter l’analyste dans des vécus qui lui paraissent étrangers. La différence fondamentale
entre ces deux approches est que la première, jungienne, tente de représenter cette
dynamique en lui assignant une origine autre que le seul psychisme de l’analyste et/ou du
patient, une origine née de leur rencontre (les concepts d’archétype et d’inconscient
collectif trouvent là leur pertinence, surtout à les considérer comme qualités émergentes)

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La"chimère"transférentielle"

plutôt que comme structures préétablies, alors que les seconds lui assignent une origine
dans le psychisme du patient.

Ces cinquante dernières années ont vu une évolution importante de ces


orientations. Michel de M’Uzan (1976, 2008) a développé l’idée d’une chimère des
inconscients comme origine de pensées paradoxales au sein du psychisme de l’analyste. Ce
fut là la première tentative freudienne d’assigner l’origine profonde de la dynamique
transférentielle non plus à l’un ou l’autre des deux protagonistes de la cure analytique, mais
bien à leur rencontre (même si les travaux sur la groupalité, initiés par Freud (1921) et
poursuivis par de nombreux auteurs (Bion 1961, Anzieu 1972, Kaes 1976), avaient déjà posé les
bases d’une possible origine non individuelle de certaines dynamiques psychiques).

2.2 Définition!

C’est en reprenant le mot de Michel de M’Uzan que nous avons proposé l’idée
d’une chimère transférentielle (Martin-Vallas 1998) pour désigner le champ d’interactions qui se
constitue entre l’analyste et l’analysant, et d’où émergent des dynamiques et représentations
nouvelles, et non assignables a priori à l’un ou l’autre. Au regard des systèmes complexes,
cette chimère transférentielle désigne le néosystème qui émerge à partir des interactions
entre les deux systèmes complexes qu’est chacun des protagonistes. L’idée est qu’à partir
d’un certain niveau (quantitatif, mais aussi qualitatif) d’interactions, la propriété d’auto-
organisation de ce néosystème le rend relativement indépendant des deux systèmes en
interactions, et lui permet de devenir le lieu d’émergence de qualités, dynamiques et
représentations nouvelles. Cette approche est assez similaire à celle de Jan Wiener (2004,
2009) qui parle de la matrice transférentielle ou à celle de Claire Raguet (2012) qui parle de
complexe transférentiel partagé.

Cette notion d’émergence appliquée à la psychanalyse a été l’objet de


nombreux travaux ces vingt dernières années. Nous ne citerons ici que quelques exemples

- Les concepts de chimère des inconscients et de pensée paradoxale de de M’Uzan, déjà


cité.
-Le travail de George Bright sur l’émergence du sens dans la cure comme effet d’une
synchronicité (Bright 1997).
- L’idée d’une co-pensée introduite par Widlocher (1998).

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Neurosciences"

- Le travail de George Hogenson (2001, 2004) qui propose de voir l’archétype comme
propriété émergente des systèmes psychiques, ce qui permet un autre point de vue que
celui découlant du débat inné/acquis. Le travail de Jean Knox (2003) va dans le même sens,
d’un point de vue plus développemental.
-Les travaux du Boston Change Process Study Group, à l’intersection du champ freudien et
des sciences cognitives, et leur notion de co-construction, articulée avec celle du moment
présent (BCPSG 2005).
-Le travail de Joe Cambray, toujours dans le champ jungien, et sa notion de moments de
rencontre (Cambray 2006, 2010).

Ces exemples attestent de la pertinence qu’il peut y avoir à aborder le


processus transférentiel au travers de la notion d’émergence, donc de la modélisation des
systèmes complexes.

Il apparaît aussi que cette chimère transférentielle, pour se constituer, est


fortement dépendante d’un certain flou des limites entre le psychisme de l’analyste et celui
de l’analysant (c’est en effet de ce flou des limites des systèmes complexes que peut naître,
de par leurs interactions, un néosystème complexe de niveau supérieur). Et c’est d’abord à
l’analyste d’accepter un certain niveau de dépersonnalisation, ce qui nécessite à la fois un
narcissisme solide (robustesse de son psychisme vu comme système complexe), et une
disponibilité à ses propres blessures narcissiques (défenses narcissiques peu actives ou flou
des limites de son psychisme vu comme système complexe) au travers desquelles le système
complexe de son psychisme pourra interagir fortement, et inconsciemment, avec celui de
son analysant, entraînant des modifications imprévisibles de son propre psychisme, donc
un vécu plus ou moins fort de dépersonnalisation dès lors que ces modifications entraînent
des émergences de pensées au sein de son champ de conscience. C’est ce que de M’Uzan
(1976) met bien en évidence au travers de son concept de pensée paradoxale.

Ainsi abordé, le processus transférentiel n’est pas l’œuvre du travail de


l’analyste sur le psychisme de l’analysant, mais un processus émergeant dans le dispositif et
cadre de la cure. Et c’est sous l’influence de ce processus que l’analyste va utiliser les
différentes techniques à sa disposition, notamment le maniement de l’interprétation et/ou
de l’amplification.

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La"chimère"transférentielle"

2.3 !Un!exemple!clinique!

2.3.1 Méthodologie"

La clinique de cette chimère transférentielle peut être abordée soit du point de


vue de l’observation, soit de celui de sa modélisation. Le problème ici est que ne peut être
observé, dans un cadre analytique, que ce qui est conscient pour un des deux protagonistes,
le plus souvent l’analyste lui-même (les observations d’une cure par l’analysant sont rares,
mais précieuses). De plus, le cadre même de la psychanalyse interdit définitivement, sauf à
le pervertir jusqu’à le rendre méconnaissable, toute forme d’observation de la part d’un
observateur extérieur. Enfin, le système complexe qu’est la chimère transférentielle, comme
celui qu’est le psychisme de chacun des protagonistes de la cure, est fondamentalement
non-conscient, la conscience étant une propriété émergente de ces derniers, une conscience
dont les contenus ne sauraient être confondus avec le système lui-même.

En fait, l’observation ne peut ici concerner que les moments où l’analyste, et


parfois aussi l’analysant, a conscience d’être animé, dans ses pensées, affects et/ou
sensations, de mouvements qui lui sont habituellement étrangers ; pour l’analyste, il s’agit le
plus souvent de mouvements internes qui ne se manifestent que durant le temps de la
séance. L’observation ne pourrait ainsi concerner que les effets, sur la conscience des
protagonistes de la cure, des propriétés émergentes de la chimère transférentielle.

Cependant, une observation plus fine semble permettre d’élargir quelque peu le
champ de cette clinique. Il s’agit là, pour l’analyste, d’avoir une attention non focalisée sur
ce qui occupe le centre de son champ de conscience (son moi, tel que défini par Jung
(1920, p.456), d’être tout aussi attentif à ce qui émerge en marge de ce centre. Le processus
est ici le même que dans la vision, l’attention pouvant être focalisée sur ce qui est perçu au
niveau de la fovéa, et pouvant tout aussi bien être sensible à l’ensemble du champ visuel
(vision périphérique). L’analyste est ici convié à laisser son attention « flotter », c’est-à-dire
se promener librement de l’une à l’autre de ces positions.

C’est ainsi qu’il peut constater, au quotidien de sa pratique, que se produit en


lui une mobilisation forte de sa mémoire, de ses mémoires à long terme diront plus
précisément les neuroscientifiques, mobilisation d’où émergent des mouvements de
représentations, affects et/ou sensations, mouvements à partir desquels pourra se
construire en lui le sentiment d’une certaine compréhension de ce qui sous-tend le discours
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de son analysant. L’hypothèse de la chimère transférentielle est que ces mouvements


internes à l’analyste résultent d’une dynamique émergente de cette chimère, et non
simplement du résultat d’une certaine compétence à comprendre l’autre que l’analyste
aurait acquise au décours de sa formation et/ou son expérience. La compétence de
l’analyste serait ici une attitude : se laisser animer par cette dynamique émergente, en suivre
les linéaments, afin de pouvoir restituer à son analysant ce que celui-ci est à même d’en
entendre et d’en éprouver. Cette restitution elle-même ne peut d’ailleurs être appréhendée
comme émanant uniquement de l’analyste, car elle est, comme l’ensemble de ce qui se
déroule dans le cadre de la cure, fortement dépendante de la dynamique émergente de la
chimère transférentielle. S’il est vrai que chaque analyste a son style, découlant tout autant
de sa personnalité que de ses affinités avec telle ou telle théorie psychanalytique, c’est au
service d’une mise en forme de ce qui émerge de la chimère transférentielle que ce style est
mis.

2.3.2 Vignette"clinique"

Huguette est une femme approchant la soixantaine et présentant une psychose


hallucinatoire chronique depuis de nombreuses années, avec plusieurs épisodes délirants
ayant nécessité une hospitalisation. Elle est suivie par le secteur psychiatrique, avec une
prescription de neuroleptiques qui lui permet de ne plus délirer ; mais elle entend toujours
des voix, deux voix de femmes. Elle est venue me voir quelques mois avant cette séance,
sans demande précise, sinon de pouvoir parler de ce qu’elle vit très difficilement, et dont
elle ne peut parler à personne de son entourage. De plus, elle se sent agressée par les
propos que lui tiennent ces voix, parfois explicitement agressifs ou orduriers, parfois
simplement inquiétants : elle a peur de céder à leurs injonctions et de perdre ainsi son
identité, voire sa vie. Cependant, elle n’avait pas de demande claire, et elle n’avait pas
l’illusion que je pourrais la débarrasser de ces voix. Mais l’authenticité de ses propos, le
constat de sa situation très solitaire, et l’expression d’une souffrance bien plus que d’une
plainte, m’a touché, et m’a fait accepter de l’accompagner pour un temps inconnu, et avec
une perspective elle aussi inconnue. Je l’ai donc reçue en face à face une fois par semaine.

Je relaterai juste une séance. Elle a commencé par me raconter un rêve, où elle
était en présence d’un enfant (moins de deux ans, ne parlant pas encore) à qui on retirait un
pansement. Puis on lui a confié cet enfant, et elle s’est sentie très bien de le tenir dans ses
bras. La scène était très paisible, et ce rêve lui a fait beaucoup de bien. Je précise que ce

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La"chimère"transférentielle"

rêve a eu lieu dans la nuit avant la séance, et que, les jours qui avaient précédé, elle s’était
sentie plutôt angoissée, inquiète de son avenir, seule.

En l’écoutant raconter ce rêve, j’ai moi-même pu me sentir apaisé, non


seulement vis-à-vis d’elle, mais aussi en moi-même. Il faut dire que les séances avec cette
patiente m’étaient éprouvantes, car elle m’apparaissait d’une extrême fragilité et j’ai souvent
eu l’impression que mes paroles pourraient facilement la déstabiliser, tout en me sentant
dans l’obligation de parler afin de lui manifester que, au moins durant le temps des séances,
elle n’était pas seule ; je me sentais alors très inconfortable. À l’inverse, donc, la narration
de ce rêve m’avait apaisé, autant du fait de son contenu manifeste que de celui du ton de sa
voix durant sa narration.

C’est alors que j’ai réalisé que je me sentais comme la tenant dans mes bras,
pouvant imaginer le faire réellement, avec une grande tendresse, alors même que rien chez
elle ne m’a jamais rien évoqué de tel. Je sentais là qu’elle était cette enfant qui avait besoin
de se sentir en sécurité dans des bras adultes accueillants, et étais pleinement disposé à lui
offrir les miens. La situation était déjà nouvelle et étonnante, et ce qui suivit le fut encore
plus. Elle s’est mise à me dire, en temps réel, ce que lui disaient ses voix, et nous avons pu
entrer dans un dialogue à quatre, elle, moi, et ses deux voix, dialogue que ses voix ont
d’ailleurs fort peu apprécié, disant qu’elles, elles n’avaient pas besoin d’un psychiatre…

Je n’entrerai pas plus dans le détail du contenu de cette séance qui n’intéresse
pas directement mon propos, mais je noterai que ce fut la première fois que j’ai senti une
séance vivante et pleine, je veux dire qu’elle était pleinement là, avec les parts d’elle-même
qui se manifestaient sous cette forme de voix. De ce fait, je n’étais plus aussi inquiet de ce
que je pourrais lui dire, me sentant à ses côtés, et elle aux miens, dans une tentative de
dialogue avec les voix. Je sentais que, tant qu’elle pourrait se sentir à l’abri dans mes bras
(psychiques), elle serait à l’abri des effets potentiellement dévastateurs de sa psychose, et
que cela pourrait lui permettre de tenter une autre forme de relation que purement subie
avec ses voix.

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Neurosciences"

3 !Les!hypothèses!neuroscientifiques!
proposées!

Il est évidemment impossible d’avoir une vision exhaustive des travaux


neuroscientifiques susceptibles de rendre compte de l’ensemble des processus sollicités par
les dynamiques transférentielles. Mais de ces travaux ressortent certains modèles
neurocognitifs qui semblent à même de pouvoir se combiner entre eux, afin de permettre
une représentation de ce système complexe émergent qu’est la chimère transférentielle. Et
il s’agit bien ici de proposer une représentation possible d’un tel système, sans prétention
aucune de proposer ainsi « La » représentation ultime de ce système. Il ne s’agit, ici, que de
dégager quelques-uns des mécanismes au travers desquels les interactions entre l’analyste et
son analysant sont susceptibles de constituer cette chimère transférentielle.

3.1 Le!concept!d’énaction!

Après avoir, en 1972, proposé le concept d’autopoïèse avec Maturana, Varela


introduisit le concept d’énaction en 1993. Celui-ci mérite d’être présenté en premier et à
part. Il s’agit, en effet, pour Varela, de sortir de l’alternative opposant les partisans d’une
vision du monde comme préexistant à et indépendant de la perception que l’on peut en
avoir, de ceux qui posent le monde comme créé par ses observateurs :

Nous proposons pour la dénommer le terme d’énaction, dans le but de souligner la


conviction croissante selon laquelle la cognition, loin d’être la représentation d’un monde
prédonné, est l’avènement conjoint d’un monde et d’un esprit à partir de l’histoire des diverses
actions qu’accomplit un être dans le monde. L’approche énactive prend ainsi au sérieux la
critique philosophique de l’idée selon laquelle l’esprit est un miroir de la nature, mais elle
dépasse le moment de la critique en s’attelant à la tâche de poser ce problème au cœur de la
science elle-même. (Varela 1993, p.35)

Dans une note, Varela indique que le terme anglais enaction, un néologisme,
vient du verbe to enact, qui signifie « susciter », « faire émerger » ou « faire advenir ». Il est
donc là question d’une action qui provoque une émergence. D’ailleurs, le verbe anglais to
enact peut aussi signifier la promulgation d’une loi, acte par lequel un texte devient loi, ou
encore le fait, pour un acteur, de jouer un rôle. Cette dernière acception est
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La"chimère"transférentielle"

particulièrement intéressante, le personnage joué par l’acteur n’émergeant de son jeu que du
fait d’un public qui, lui, peut le percevoir comme tel. L’acteur, en effet, sauf à ce qu’il soit
psychotique, ne perd jamais la conscience de qui il est, à savoir un acteur et non, par
exemple, Jules César. Le public par contre, si le jeu est de qualité, doit pouvoir assez
rapidement oublier la personne de l’acteur et ne plus percevoir que le personnage. C’est
ainsi de la rencontre du jeu d’un acteur et du regard d’un public que naît un personnage ;
une émergence donc, mais une émergence qui résulte d’un acte en interaction sans lequel
elle n’aurait pas été. Dans le champ de la psychanalyse le concept d’énaction a été utilisé par
Lebovici, en lien avec son idée d’une co-construction empathique métaphorisante
(Lebovici 2001) pour rendre compte de sa position clinique dans les consultations
thérapeutiques. Cela est très clairement discuté par Lemaitre (2001).

L’idée de la chimère transférentielle doit aussi s’aborder de ce point de vue. En


effet, l’analyste, s’il ne joue évidemment pas un rôle au sens d’un acteur de théâtre, n’en est
pas moins fortement soumis aux interactions avec son analysant, interactions qui font de
lui un autre de qui il est ou se croit être en d’autres circonstances. L’idée de projection,
initialement posée par Freud, visait évidemment à rendre compte de cet écart, mais du seul
point de vue du patient, conservant l’illusion d’un analyste qui existerait, avec son identité
propre, en dehors de la cure qu’il conduit avec ce patient. Très vite, l’idée du contre-
transfert est venue tempérer cette illusion, l’analyste se voyant transformé par les
interactions du patient avec lui, et y répondant par ses propres déformations de la réalité.
Mais cette réalité reste encore, à ce stade, un prédonné dont les qualités ne sont pas
dépendantes des interactions entre l’analyste et son analysant : chacun garde son identité
propre, et les déformations que la perception de A apporte à la réalité de B (projections) ne
relèvent finalement que de la part inconsciente de la réalité de A, et réciproquement.

Jung (1944, p.25) a probablement été le premier à poser clairement que


l’analyste est autant transformé que l’analysant par la rencontre analytique :

Ce lien [de l’enfant au(x) parent(s)] est souvent d’une telle intensité qu’on pourrait
parler d’une combinaison. Quand deux corps chimiques se combinent, tous deux subissent
une altération. C’est aussi le cas dans le transfert.

Mais, s’il peut évidemment arriver que l’analyste soit profondément et


durablement transformé par la conduite d’une de ses cures, le plus souvent celui-ci, tel un
acteur durant le temps de la représentation, n’est effectivement autre que durant le temps
de la séance, temps durant lequel il accepte de se laisser prendre par des dynamiques
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Neurosciences"

psychiques qui, parfois, lui sont pourtant étrangères ou, pour être plus précis, qu’il n’a pas
pour habitude de laisser se développer en lui en d’autres circonstances. Au décours d’une
analyse d’enfant, par exemple, l’enfant va prendre les figurines et jouets mis à sa disposition
par l’analyste pour construire avec des histoires parlant de lui : les figurines et jouets sont
indéniablement ceux de l’analyste, mais l’histoire est celle de l’enfant. De même, dans la
rencontre analytique, l’analysant peut « jouer » avec les dynamiques propres au psychisme
de son analyste afin d’exprimer quelque chose de sa vie psychique propre à lui, l’analysant.
Ce qui en ressort sera nécessairement une histoire originale, non préexistante à la rencontre
de l’analyste et de l’analysant, et tout aussi limitée qu’induite par ce qui anime le psychisme
des deux protagonistes : cela correspond bien à une énaction telle que définie par Varela

Il s’agit aussi, pour Varela, de sortir d’un certain cognitivisme qui modélise le
cerveau à l’instar des ordinateurs, soit une machine à traiter de symboles selon des règles
prédéfinies :

Bien qu’en théorie le niveau symbolique du cognitivisme ne soit compatible avec de


nombreuses conceptions du cerveau, en pratique presque toute la neurobiologie (avec son
énorme corpus de données empiriques) a été envahie par la perspective du traitement de
l’information qui caractérise le cognitivisme. La plupart du temps, les origines et les
présupposés de cette perspective ne sont même pas questionnés. (Varela 1993, p.78)

Dans sa forme la plus extrême, cette conception du cerveau trouve son expression
dans la doctrine du « neurone de la grand-mère », qui établit une correspondance entre les
percepts ou les concepts (tel le concept que quelqu’un se fait de sa grand-mère) et des neurones
spécifiques. […] l’idée de base selon laquelle le cerveau est une machine de traitement de
l’information qui répond sélectivement aux traits de l’environnement reste le noyau dur des
neurosciences modernes (Varela 1993, p. 79)

On peut prendre le cerveau dans son ensemble et le diviser en sous sections en


fonction du type de cellules et de régions telles que le thalamus, l’hippocampe, les gyri
corticaux, etc. Ces sous sections se composent de réseaux complexes de cellules, mais elles se
relient aussi entre elles, à la manière d’un réseau. Il en résulte que le système entier acquiert
une cohérence interne par le biais de schèmes imbriqués entre eux, même si nous ne pouvons
pas voir exactement comment se produit ce phénomène. Par exemple, si l’on mobilise
artificiellement le système dit réticulaire, un organisme changera de comportement et passera,
disons, de l’état de veille à l’état de sommeil. Cependant, ce changement n’indique pas que le
système réticulaire contrôle le régime de veille ou de sommeil. Le système réticulaire consiste
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plutôt en une forme d’architecture cérébrale qui permet à certaines cohérences internes de se
produire. Mais quand ces cohérences apparaissent, ce n’est en raison d’aucun système
particulier. Le système réticulaire est nécessaire, mais non suffisant […] C’est l’animal qui
est endormi ou éveillé, et non les neurones réticulaires. (Varela 1993, p.140-141)

Nous voyons là que la notion d’énaction, l’énactivisme, est liée à une approche
de la réalité psychique de l’homme indissociable de sa réalité corporelle, bien que
constituant, par son émergence, un niveau différent de réalité. À chaque niveau, du
neurone au corps dans son entier, et du neurone aux interactions intersubjectives, des
éléments simples, mais en très grand nombre, interagissent les uns avec les autres selon des
règles simples et s’auto organisent en des ensembles cohérents qui, chacun à son niveau,
constitue le niveau supérieur d’organisation et les éléments simples de ce nouveau niveau.
Cependant, le processus n’est absolument pas à sens unique, du niveau le plus élémentaire
au plus « élevé », c’est-à-dire au plus complexe. Bien au contraire, chaque niveau émergeant
interagit aussi avec le(s) niveau(x) dont il émerge, de même, par exemple, que le groupe
constitué de plusieurs individus émerge de leur rencontre et interagit avec chacun d’eux.

Il semble clair que l’approche de Varela se situe ainsi dans la ligne de


l’épistémologie complexe développée par Morin (1990), comme tente aussi de le faire ce
travail.

3.2 L’hypothèse!des!cerveaux!interactifs!(IBH)!

L’IBH (Interactive Brain Hypothesis) a été introduite par De Jaegher et


Di Paolo (2012). Ils avaient préalablement proposé le concept de construction
participative de sens (2007) concept dont l’IBH est une extension. L’idée centrale de
leur approche, qui se fonde sur l’énactivisme de Varela, est que les mécanismes
neurologiques du cerveau ne suffisent pas, à eux seuls, à comprendre l’émergence du sens.
Le cerveau doit être considéré comme intégré au sein d’un corps vivant, lui-même immergé
au sein d’un monde relationnel. Mais cela ne signifie pas, pour eux, que le sens trouverait
son origine à l’extérieur du sujet. Si le sens se construit à l’intérieur du sujet, son émergence
nécessite la prise en compte des interrelations du sujet avec son environnement,
interrelations qui, sans cesse, influent et modifient le fonctionnement neuronal du sujet,
lequel, par ses interactions avec son environnement, le modifie à son tour.

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Bien que les auteurs ne le disent pas explicitement, c’est un véritable système
complexe qu’ils décrivent, et posent comme nécessaire à l’émergence du sens au sein du
sujet. Cela implique que ce ne soient pas seulement des informations qui circulent entre le
sujet et son environnement, informations qui seraient constitutives des interactions sujet-
environnement, mais que ce serait plutôt à partir des interactions sujet-environnement que
pourrait émerger ce qui, en un second temps cognitif, pourra être traité comme
informations. Ils en déduisent que le fonctionnement neuronal est fortement influencé,
non seulement par la situation actuelle du sujet au sein de son environnement, mais aussi
par ses expériences passées qui ont façonné ses modalités interactives. En d’autres termes,
chaque interaction s’appuie sur des processus internes du cerveau du sujet et, dans le même
temps, est susceptible de modifier ces mêmes processus. Ou, si l’on préfère, chaque
interaction est influencée/façonnée par les interactions passées, et participera à
influencer/façonner les interactions futures, notamment en influençant/refaçonnant les
interactions passées.

Ceci conduit les auteurs à décrire deux niveaux de leur hypothèse, l’un
développemental (DIBH) concernant la façon dont les circuits neuronaux sont façonnés et
modifiés par les interactions du sujet et de son environnement, et l’autre contemporaine
(CIBH) concernant l’activation de ces circuits y compris en l’absence des interactions qui
ont contribué à les façonner et les modifier (donc y compris quand le sujet est seul avec lui-
même). La CIBH permet de se représenter comment l’interaction du sujet et de son
environnement ne dépend pas uniquement du contexte présent, et intègre toutes les
interactions passées, ce dont, d’un point de vue psychanalytique, nous pourrions parler en
termes d’objets internes et de complexes. Enfin, pour ces auteurs, comme pour les
psychanalystes, ces processus de pensée sont non-conscients45. Bien que se référant au
travail de Varela, on peut regretter que ces auteurs ne discutent pas l’hypothèse que celui-ci
a proposée avec Cohen (Cohen & Varela 2000) d’un espace mixte émergeant de la

45 : Il semble préférable de parler de non-conscience plutôt que d'inconscient, le terme d'inconscient étant
principalement utilisé, dans le champ de la psychanalyse et de la psychologie analytique, pour se référer à
une topique psychique qui est absente des référentiels neuroscientifiques. Le livre de Naccache (2006),
Le nouvel inconscient, est un bon exemple des confusions que peut engendrer l’usage du mot “inconscient”
indifférencièrement dans son usage psychanalytique et dans son usage neuroscientifique, comme
ensemble des processus non-conscients, donc.

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rencontre tout à la fois verbale et corporelle d’un analyste et d’un analysant, hypothèse
pourtant bien proche de celle de l’IBH, quoique limitée à la situation analytique.

Mais les auteurs de cette hypothèse ne discutent pas, dans cet article, des
mécanismes neurophysiologiques en jeu dans cette mise en réseaux des cerveaux des
personnes qui interagissent entre elles. Il semble pourtant que des hypothèses peuvent être
énoncées concernant certains de ces mécanismes, sur la base des découvertes récentes des
neurosciences.

3.3 La!neuroplasticité!

Jusqu’à il y a peu, la communauté scientifique pensait que l’organisation


cérébrale, tant en ce qui concerne ses structures fonctionnelles que son fonctionnement
neuronal, était définitivement fixée au terme du développement du cerveau. Les neurones,
notamment, étaient considérés comme des cellules inaptes à se régénérer. Ce n’est qu’au
début des années 1980 que des chercheurs ont commencé à remettre profondément en
question cet a priori, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que la réalité est toute autre46. En effet,
il est apparu, et cela ne cesse d’être confirmé, que les neurones sont doués de nombreuses
capacités de transformation, et même de régénération. Cette capacité du cerveau, de ses
structures anatomiques et fonctionnelles, et aussi de ses neurones, à se transformer et à se
régénérer, a donné naissance au concept de plasticité neuronale. Certaines structures
fonctionnelles cérébrales semblent néanmoins peu aptes à se développer en dehors d’une
période critique de l’enfance, limitant ainsi certaines acquisitions cognitives (et/ou
affectives ?) à des périodes précises du développement.

La plasticité neuronale repose sur plusieurs phénomènes, à différentes


échelles d’observation. Sur un plan macroscopique, elle peut concerner les aires cérébrales
impliquées dans telle ou telle tâche cognitive et/ou affective. C’est ainsi qu’après des
lésions cérébrales macroscopiques on peut observer une récupération partielle ou totale des
capacités cognitives et/ou affectives qui avaient été atteintes. On constate alors, par
exploration du cerveau en imagerie fonctionnelle, que ce ne sont pas les zones lésées qui
ont retrouvé leur fonctionnement antérieur, mais que ce sont d’autres zones qui ont pris le

46 : Cette idée est aujourd'hui attribuée au chercheur russe, élève de Pavlov, Jerzi Konorski qui, en 1948,
publia un livre où il met en relation les capacité d'apprentissage avec la plasticité.

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relais47. Sur un plan microscopique, il a pu être démontré que les neurones d’un cerveau
adulte sont susceptibles de modifier considérablement leurs interconnexions avec les autres
neurones, ce phénomène étant très probablement intimement lié au précédent. Sur un plan
neurobiochimique, enfin, la synapse elle-même est susceptible de varier considérablement
ses réponses à un même influx nerveux : c’est là la plasticité synaptique.

Varela, Thompson et Rosch (1993, p.278) résument joliment la dimension


cognitive de la neuroplasticité :

Les capacités cognitives [sont] inextricablement liées à des histoires vécues, un peu
à la manière de sentiers qui n’existent que dans la mesure où on les trace en marchant.

D’une manière plus large, la neuroplasticité permet de comprendre que


l’organisation neuronale du cerveau est spécifique à chaque individu et, pour chacun, à
chaque éposue de la vie (Vincent & Lledo 2013).

3.4 !La!modélisation!neurophysiologique!de!la!mémoire!

De tous ces travaux a résulté une modélisation novatrice de la mémoire par


rapport aux hypothèses précédentes qui, schématiquement, reposaient sur une mémoire de
type « à une information correspond un engramme », comme dans une mémoire
informatique. Telle qu’abordée aujourd’hui, la mémoire reposerait principalement sur la
neuroplasticité, et le cerveau garderait trace des expériences passées à l’image de la terre qui
garde trace du sentier.

Les neurosciences distinguent différentes catégories de la mémoire (Laroche


2004), chacune obéissant à des mécanismes neurophysiologiques distincts. Les plus
importantes sont la mémoire de travail ou mémoire à court terme et la mémoire à long
terme, elle-même divisée en mémoire implicite et mémoire explicite, cette dernière étant
elle-même divisée en mémoire sémantique (ou procédurale) et mémoire épisodique (ou
autobiographique). Il y a enfin la mémoire des affects qui est souvent non différenciée des
autres types de mémoires, l’affect étant alors appréhendé comme un élément, possiblement
aussi implicite qu’explicite, du souvenir [Figure 14]. Un point important est la solidité de la

47 : Il est intéressant de noter qu'une telle réorganisation demande du temps : elle se poursuit sur plusieurs
années. C'est aussi le cas pour une psychanalyse.

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mémoire implicite, souvent très peu altérée au fil du temps, y compris dans les différentes
démences. Il semble en être de même de la mémoire des affects.

Mémoire à
court terme Cette mémoire concerne tout ce qui doit rester
ou accessible à la conscience durant un bref laps de temps
Mémoire de (par exemple pour penser, analyser une perception,
travail faire un mouvement, etc., mais aussi imaginer ou se souvenir)

Mémoire des apprentissages dont l’exécution est


Mémoire implicite
« automatique » (comme savoir faire du vélo)
Mémoire à Vocabulaire, connaissances
Mémoire sémantique
long terme générales, mémoire des faits
Mémoire explicite Mémoire
Mémoire des évènements
événementielle ou
du passé individuel
autobiographique
Figure 14 : Les mémoires

L’avènement de la notion de plasticité neuronale, accompagné de la


possibilité d’observer, in situ et en temps réel, les effets macroscopiques du fonctionnement
cérébral, a profondément changé la donne en ce qui concerne la modélisation de la
mémoire : il n’est plus question aujourd’hui d’une mémoire située exclusivement dans telle
ou telle zone du cerveau, mais d’une mémoire en réseau, reposant sur des mécanismes
facilitateurs et/ou inhibiteurs de la transmission neuronale. Le modèle actuel part du
constat qu’un réseau neuronal qui a été stimulé devient facilité et peut donc être facilement
réactivé48. Ainsi la mémoire reposerait sur cette facilitation qui, lors d’une réactivation du
même réseau neuronal, permettrait de retrouver le même vécu que celui qui a présidé à
l’expérience initiale. La mémoire serait ainsi une forme d’hallucination (Korn 2002). Cela
rejoint entièrement la thèse soutenue par Tausk (1919) pour qui la première forme de
souvenir est l’hallucination, la capacité de l’enfant à se remémorer tout en situant le
souvenir dans le passé étant un acquis de la structuration psychique, une compétence du
moi. Cette thèse a dernièrement été reprise et remise au travail par Prado de Oliveira
(2004).

Voici quelques schémas [Figure 15] pour représenter très grossièrement les
choses. Si l’on considère un réseau neuronal, on peut le représenter comme la figure « état
initial », chaque point d’intersection correspondant à un neurone(s), un noyau cérébral ou

48 : Il est remarquable de voir que, dans l'Esquisse S. Freud (1895) a construit un modèle de la mémoire lui
aussi basé sur ce qu’on nomme aujourd’hui la plasticité neuronale.

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une aire corticale, selon l’échelle de l’observation. Si maintenant nous voulons représenter
l’excitation de ce réseau lors d’une première expérience, nous le ferions comme la figure
« expérience ». Nous pourrions nous attendre à ce qu’après l’expérience il y ait un retour à
l’état initial, ce qui n’est pas le cas : en fait, ce réseau neuronal reste dans un état de
facilitation, de telle sorte que l’activation ultérieure de la même entrée est susceptible de
provoquer l’excitation du même réseau neuronal, reproduisant donc les conditions
neuronales de l’expérience. C’est là l’image du sentier de Varela, sentier qui sera d’autant
plus facilement emprunté qu’il aura été clairement marqué par ceux qui l’ont déjà frayé, et
ce serait le mécanisme de la remémoration, celle-ci étant alors une forme de l’hallucination.

État initial Expérience État facilité Remémoration


Figure 15 : Expérience et remémoration

Ainsi la mémoire ne pourrait plus être localisée, mais elle impliquerait le


cerveau en entier, reliant ses différentes aires et ses différents noyaux selon des modalités
semblables aux liens qui résultent de l’expérience ; on parle alors de réseaux neuronaux
distribués. Notamment, la mémoire implique les souvenirs des conditions affectives de
l’expérience ; cela étant de la plus haute importance pour la clinique psychanalytique. Mais
cela ne signifie pas qu’il n’y aurait pas des noyaux indispensables à la mémoire : de tels
noyaux existent, notamment pour assurer la consolidation de la mémoire, mais, comme le
dit Varela au sujet des neurones réticulaires et du sommeil (1993 p.140-141), le fait que ces
noyaux sont indispensables au bon fonctionnement de la mémoire ne signifie pas qu’ils en
soient le lieu ; en le paraphrasant, on peut dire que c’est l’homme qui se souvient, non telle ou telle
structure neurologique.

Enfin un dernier point : dans les modèles actuels de la mémoire, ces réseaux
neuronaux distribués ne sont pas seulement traversés par l’influx nerveux, comme le
laissent voir ces schémas, mais ils sont réverbérants (au sens de la réverbération du son
dans une pièce), ce qui signifie que l’activation d’un réseau s’inscrit dans le temps, sur une
durée pouvant aller de quelques millisecondes à plusieurs heures. C’est ainsi qu’est
conceptualisée la mémoire de travail, dont fait partie la conscience du souvenir.

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Il existe une certaine similitude entre ces schémas d’un réseau neuronal
facilité et réactivé avec la notion de complexe, telle que Jung (1904) l’a définie au décours
de ses expériences sur les associations de mots. Ces expériences (Jung 1905, 1906, 1907 b,
1907c, 1907d, 1907e, 1911) peuvent d’ailleurs être qualifiées de neuropsychologie cognitive,
bien avant l’heure. Mais restons-en à la notion de complexe : si l’on considère ce réseau
neuronal facilité, il est probable que toute entrée d’une excitation dans ce réseau puisse le
réactiver au même titre que l’entrée initiale. Les schémas suivants [Figure 16] le
représentent.

État facilité Nouvelle entrée 1 Nouvelle entrée 2


Figure 16 : Associativité de la mémoire

Il est évident que ces schémas sont très grossiers, ne pouvant représenter
qu’une seule échelle de l’observation, le neurone, les noyaux, les aires cérébrales, alors
même que toutes les échelles d’organisations sont impliquées et participent de chaque
expérience et de chaque remémoration, les phénomènes de chaque échelle d’observation
étant en lien rétroactifs avec ceux des autres échelles. Il y a, de plus, ici l’illusion d’un
chemin parcouru, avec une entrée et une sortie, alors qu’il s’agit probablement bien plus
d’un circuit résonant, donc de multiples boucles rétroactives intriquées les unes avec les
autres. Cependant, le principe général reste le même.

Si l’on songe à la mémoire des représentations nous y retrouverons le


phénomène de la madeleine de Proust. Si l’on songe à la mémoire des affects, alors nous
entrons de plain-pied dans la clinique psychanalytique, un affect apparemment anodin
pouvant réactiver des affects anciens d’une tout autre importance, donnant au sujet (ou à
son entourage) l’impression d’être « fou » du fait de la disproportion et/ou du décalage
existant entre la situation « réelle » (au sens de la réalité événementielle) et la réponse
affective.

De ce modèle de la mémoire découle logiquement la notion d’associativité


(Martin-Vallas 2009), puisque la remémoration d’un souvenir, en venant frayer à nouveau
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les circuits neuronaux de l’expérience primaire, a une forte probabilité de rencontrer en


chemin des circuits neuronaux liés à d’autres souvenirs, d’autres représentations, d’autres
affects, et donc, soit d’activer un ou plusieurs autres souvenirs, soit de modifier le premier,
selon un mécanisme similaire à celui qui produit le phénomène des membres fantômes
(Ramachandran 1999). C’est ainsi que le travail de la mémoire est permanent, et que les
souvenirs ne peuvent être considérés que comme état actuel d’une remémoration, toujours
susceptible d’être modifiée au décours de l’expérience du sujet.

De tout ceci découle une certaine évidence que la mémoire est elle-même un
système complexe, et un système en grande partie commun aux différentes formes de
représentation (perception, mémorisation et imagination) qui en seraient alors des sous-
systèmes fonctionnels dont la dynamique de chacun pourrait être plus ou moins fortement
dépendante de la dynamique des deux autres. Et, concernant la mémoire implicite, son
importance apparaîtra dans l’étude des travaux du Boston Change Process Study Group.
Enfin, la mémoire est intimement liée à la possibilité même de la conscience, avec de
nombreuses rétroactions de l’une à l’autre (Edelman 2004 p. 123) :

La conscience d’ordre supérieure repose en partie sur la mémoire épisodique, et, en


l’absence de celle-ci, une activité sémantique cohérente aurait peu de chance de se développer.

3.5 !Mémoire!et!hallucination!:!les!douleurs!fantômes!

Il est un phénomène clinique assez fréquent, et connu de longue date, qui


fait aujourd’hui l’objet d’interprétations fort différentes de celles qui prévalaient jusqu’aux
années 1980 : après l’amputation d’un membre douloureux, le sujet continue parfois à
ressentir les douleurs qu’il ressentait avant l’amputation. L’interprétation ancienne de ce
phénomène, qui peut atteindre une intensité tout à fait insupportable, était qu’il devait y
avoir une excitation des neurones coupés lors de l’amputation (mauvaise cicatrisation).

Aujourd’hui, les neuroscientifiques (Ramachandran 2002) ont pu mettre en


évidence que ce phénomène est en fait lié à la plasticité neuronale : du fait de l’excitation
prolongée et forte des réseaux neuronaux à l’origine de la sensation de la douleur du
membre, ceux-ci restent dans un état facilité et sont à nouveau excités par tout signal les
atteignant, reproduisant ainsi la sensation douloureuse pourtant passée. Pour être plus
précis : l’amputation du membre libère les zones corticales concernées de la perception et
de la sensation du membre absent de leurs afférences habituelles, et ces zones sont alors

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progressivement colonisées par les zones adjacentes. Les schémas suivants représentent ce
phénomène[Figure 17], [Figure 18] & [Figure 19]).

Figure 17 : Cortex sensoriel

Figure 18 : Cortex sensoriel après amputation de l’avant-bras


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Figure 19 : Colonisation par les afférences de proximité

Dès lors, l’excitation de la partie du corps correspondant à la zone colonisatrice


va exciter les neurones de la zone du membre amputé, et ainsi réveiller les circuits
neuronaux liés à la douleur qui avait précédé l’amputation. Il y a ainsi une forme de
souvenir de cette douleur, et ce souvenir se donne à vivre comme une réalité actuelle : c’est
une hallucination [Figure 20].

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Figure 20 : Réactivation des circuits de la douleur

Par un jeu de miroir, Ramachandran (2002) permet au patient d’avoir l’illusion


visuelle de la présence du membre pourtant amputé, cette illusion étant créée par le reflet,
dans le miroir, du membre non amputé. Elle permet de réactiver les afférences sensorielles
du cortex sensorimoteur correspondant au membre amputé et, ainsi, de réduire celles qui
correspondent à la colonisation par la zone adjacente. Cela réduit en proportion les
douleurs fantômes.

Ce fait clinique et neurophysiologique est intéressant en ce qui concerne le


traitement différent, par la mémoire, de l’éprouvé et de la représentation. Freud (1915), en
effet, a très tôt différencié le traitement psychique de la représentation et de l’affect,
limitant la possibilité du refoulement à la représentation, et assignant ainsi à l’affect un
destin différent : celui-ci ne serait pas refoulé, mais dissocié de sa représentation initiale
puis associé à d’autres représentations. Il est alors vécu comme une réalité actuelle, en lien
avec ces nouvelles représentations : c’est là aussi une forme d’hallucination.

La remémoration d’une représentation (comme celle de la madeleine de


Proust — mémoire autobiographique) est normalement vécue comme souvenir, non
comme hallucination (sauf cas pathologiques). Dans le cas de la douleur des membres
fantômes, le patient est totalement conscient de la disparition de son membre : il n’y a pas
d’atteinte des processus de remémoration de la représentation, celle-ci étant bel et bien

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vécue sur le mode du souvenir, assignée à un passé. Par contre, l’atteinte porte sur la « (re)
présentation » corticale (absence d’afférences sensorimotrices) qui, elle, a disparu, le
membre qui en était l’origine étant amputé. Bien qu’il ne soit possible, ici, que de parler
d’analogie, il est frappant de constater qu’en l’absence du membre qui était à l’origine de la
douleur, la réorganisation neuronale aboutit à ce que, par contiguïté, la douleur fasse tout
de même retour. Il s’agit d’un processus étonnamment semblable, à un niveau
probablement bien différent, à celui du retour du refoulé où c’est une représentation
associée à la représentation du refoulé qui rappelle à la conscience l’affect associé à ce qui a
été refoulé : c’est là ce qui fait symptôme.

Il semble que les processus de remémoration, quand ils touchent à de


l’éprouvé, ne permettent pas de différencier l’éprouvé actuel de celui du passé. En fait, il
semble que, pour les éprouvés, les circuits neuronaux soient beaucoup plus simples, plus
directs, qu’en ce qui concerne les représentations : ils sont traités par le cerveau dit
inférieur, et c’est une question de seuil d’intensité qui permet à un éprouvé et/ou un
affect49 d’être ou non conscient. Il n’y a pas de re-présentation des éprouvés, simplement
une perception directe, elle-même directement dépendante d’une question d’intensité50. Et
l’on constate, autant sur soi-même et en clinique quotidienne que dans les phénomènes de
membres fantômes, que la remémoration des éprouvés se donne à vivre sur un mode
hallucinatoire : si je me remémore une tristesse, je suis triste. Dans le cas des membres
fantômes, le patient a mal, autant que lors de l’expérience initiale de la douleur, et de la
même façon. Et si, par exemple après un travail de deuil, je peux me remémorer avoir été
triste sans éprouver la même tristesse sans être triste, donc sans halluciner cet affect, c’est
probablement parce que ce dernier a laissé place à sa représentation.

Ainsi les travaux de neurophysiologie, et les modèles qui en résultent à


propos de la mémoire, permettent de penser que seules les représentations sont accessibles

49 : Il sera développé plus loin les travaux de Damasio qui montrent que l’affect n’est perceptible qu’aux
travers des éprouvés qu’il suscite dans le corps. Cela permet de penser que ce qui est vrai pour les
éprouvés de douleur a une probabilité raisonnable d’être aussi vrai pour les affects.

50 : En ce qui concerne les perceptions cette question de l'intensité agit très différemment : par exemple une
trop forte, ou trop faible, intensité lumineuse entraînera une dégradation de la re-présentation (on ne
voit plus correctement), donc une modification qualitative et non quantitative de celle-ci. Et si une trop
forte intensité entraîne une douleur, alors il ne s'agit plus d'un processus perceptif, mais d'un éprouvé ;
ce sont d'autres circuits neurologiques qui sont sollicités.

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à la conscience sous forme de souvenirs, c’est-à-dire clairement assignées au passé, alors


que les affects qui leur sont liés sont ressentis au présent, sous une forme que l’on peut
qualifier d’hallucinatoire. Cela peut permettre une représentation neurophysiologique
vraisemblable des effets de la levée du refoulement, très similaire à la rééducation de la
douleur fantôme par la technique de Ramachandran. En effet, tant que la représentation est
refoulée, l’affect qui y était lié est réactualisé par les représentations associées, alors même
qu’ils n’en sont pas la cause. Dès lors, les circuits de cet affect sont périodiquement
sollicités, donc renforcés, sans que la conscience ne puisse lier cet affect à sa
représentation, donc sans que le sujet ne puisse se sentir sujet de son affect. Par contre, la
levée du refoulement, si elle produit souvent dans un premier temps une réactualisation
plus ou moins forte de l’affect (catharsis), permet le réinvestissement des voies initiales qui
sont à l’origine de l’émergence conjointe de la représentation et de son affect, et ainsi de
réinvestir la représentation pour ce qu’elle est (un souvenir du passé), ce qui conduit à un
désinvestissement concomitant des représentations qui faisaient symptôme. L’affect ne
disparaît pas pour autant, mais il redevient affect du sujet, et non symptôme. Enfin, ce qui
est valable pour le lien entre l’éprouvé de l’affect et la représentation de la situation initiale
devrait pouvoir être extrapolé au lien qui existe entre la pulsion et son objet, la
remémoration permettant alors de libérer la pulsion de son objet passé et de la laisser
s’orienter vers des objets actuels, susceptibles de la satisfaire. Cette extrapolation se justifie
du fait de la nature corporelle, éprouvée, de la pulsion. Tout cela reste, néanmoins, du
domaine de l’hypothèse, une hypothèse dont l’étude plus approfondie n’entre pas dans le
cadre de ce travail.

À l’inverse, il est probable que certaines charges affectives soient projetées,


liées à des représentations actuelles, sans qu’existent pour autant des représentations
refoulées initiales, soit que les évènements initiaux soient trop précoces pour que de telles
représentations aient pu se constituer, soit que ces affects soient directement liés à la réalité
psychique inconsciente, celle que Jung a nommée impersonnelle. Il n’y a pas là de
refoulement, puisqu’il n’y a pas plus de représentation constituée qui ait pu être refoulée
qu’il n’y a, à proprement parler, de sujet. C’est là que la perspective jungienne de la
construction des représentations symboliques peut paraître nécessaire, ces représentations

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symboliques, chargées de toute leur charge affective51, pouvant permettre la construction


de la représentation de l’affect et ainsi réduire son emprise sur la conscience. Nous ne
sommes plus là dans le domaine de la remémoration de l’histoire, mais dans celui de la
représentation symbolique, ce que Jung appelait psycho-synthèse pour l’opposer à ce que
Freud appelait psycho-analyse. En fait, dans la pratique clinique ces deux processus sont
souvent intriqués, soit que la représentation symbolique vienne en lieu et place de la
représentation refoulée (et alors le travail sur la seule représentation symbolique est
insuffisant), soit que la représentation refoulée vienne faire retour avec une charge
archétypique à laquelle elle s’est liée (et alors la levée du refoulement doit pouvoir
s’accompagner de l’éprouvé symbolique actuel de cette représentation). Enfin, une autre
situation fréquente est celle où la représentation refoulée est celle d’une situation qui s’est
souvent répétée, mais dont les origines remontent à une période antérieure à la
construction des représentations (en tout cas à la possibilité de leur inscription mnésique
pérenne52). Dans ce cas, la levée du refoulement permet d’accéder aux représentations des
répétitions de la situation initiale, sans pour autant permettre la construction d’une
représentation de l’affect, celui-ci étant beaucoup plus archaïque et massif que ce qui peut
être représenté par la représentation refoulée. Il y a alors nécessité de laisser au processus
symbolique la possibilité de s’épanouir dans le transfert afin que ce qui n’est pas

51 : Parler de représentations symboliques (Knox 2009) plutôt que de symboles peut prêter à confusion, la
première expression étant plutôt utilisée dans le champ freudien, et la seconde dans le champ jungien.
Jung insiste sur le fait qu'un symbole qui ne serait pas accompagné de tous ses éprouvés n'a pas valeur
de symbole. Il semble que cela peut permettre de dire symbolique toute représentation affectivement
chargée, bien que cela ne suffise pas à dire que cette représentation affectivement chargée ne soit pas
construite en lieu et place d'une représentation refoulée ou clivée, donc dans un but défensif. C'est, dans
l’expérience clinique de nombreux analystes, le plus souvent l'analyse du contre-transfert qui permet de
différencier les deux, quand cela est possible.

52 : Le bébé vient au monde avec un cerveau pléthorique, saturé en neurones. Dans un premier temps il y a
une intense activité de formation de synapses entre les neurones (de la dix neuvième semaine de la
gestation jusque vers l’âge de 15-20 ans). Parallèlement l'évolution durant les premières années de vie
permet au cerveau de se défaire des neurones et synapses qui sont peu sollicités, afin de ne conserver
que ce qui est utilisé. Par exemple le nouveau-né est capable d'entendre les nuances de tous les
phonèmes de toutes les langues humaines. Deux ans plus tard il aura perdu cette capacité et ne pourra
entendre, comme les adultes, que les nuances phonétiques de sa propre langue ou de celles qui lui sont
phonétiquement proches. Enfin les liaisons neuronales se myélinisent lentement, processus qui s’achève
vers 25 ans, âge de la maturité cérébrale.

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représentable du côté du souvenir puisse ainsi le devenir du côté du travail symbolique. Le


travail sur les angoisses archaïques, notamment d’abandon ou d’effondrement, en est un
exemple clinique fréquent.

3.6 La!question!des!représentations!

Il a été question ici, jusqu’à présent, des représentations, comme si ce mot


recouvrait une réalité qui ne nécessiterait pas d’être précisément définie. Ce n’est
évidemment pas le cas, sauf à réserver ce mot aux seules représentations conscientes,
comme cela se trouve dans de nombreux travaux neuroscientifiques. Ce point de vue a
évidemment l’intérêt de rendre ipso facto la notion d’inconscient, telle qu’employée par la
psychanalyse, vide de sens : s’il n’y a de représentations que conscientes, alors l’inconscient,
tant freudien que jungien, ne peut exister.

À l’inverse, certains auteurs psychanalytiques semblent avoir du mot


représentation un usage si extensif qu’il en vient à désigner, non pas tout ce qui est ou a été
représenté, mais finalement tout ce qui serait représentable. Cela se retrouve facilement
chez nombre d’auteurs jungiens, dits « classiques » (Samuels 1985, 1999) qui ont de
l’archétype une vision correspondant non pas à une potentialité de représentation, mais
correspondant à des représentations innées qui seraient déjà présentes dès l’origine et ne
demanderaient qu’à advenir à la conscience. Ce n’est pourtant pas faute, pour Jung, d’avoir
sans cesse tenté de clarifier son propos, par exemple quand il écrit (1944 p. 21) :

Les archétypes ne sont pas quelque chose d’extérieur, du non psychique, bien qu’ils
doivent naturellement toujours aux impressions reçues du milieu l’évidence des formes
[représentations] qu’ils revêtent.

Dans le champ des neurosciences, la notion de représentation est le plus souvent


réservée à la construction d’une représentation du monde à partir des informations que nos
organes des sens transmettent à notre cerveau. Par extension, elle pourra aussi être utilisée
pour désigner les images mnésiques et/ou fantasmatiques, mais elle ne désignera pas, par
exemple, les mots. Les neuroscientifiques parleront alors de symboles, dans un sens quasi
mathématique, selon l’usage du mot signe en psychanalyse. Cet usage différent des mêmes
mots est souvent à l’origine de mécompréhensions des uns par les autres, et
réciproquement.

Il semble nécessaire, pour aborder la notion de représentation, de différencier :


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- ce qui a été ou est représenté, que ce soit sous forme imagée (image visuelle, auditive,
etc.), donc une représentation issue, comme le dit Jung dans la citation précédente, des
impressions reçues du milieu ;
- ce qui est ou a été représenté sous une forme abstraite, un mot ou un concept ;
- ce qui est représentable sous une des deux formes précédentes, bien que n’ayant pas
encore été représenté ;
- ce qui n’est pas représentable.

Ces distinctions sont rendues nécessaires pour comprendre les différences qui
existent entre l’usage du mot inconscient par la psychanalyse et par les neurosciences, et elles
sont aussi nécessaires pour comprendre de même la différence entre les acceptions
freudienne et jungienne du même mot. Elles sont, enfin, nécessaires dans la clinique pour
différencier notamment ce que Bion a nommé les éléments α et les éléments β. Ce point
sera repris plus loin.

3.6.1 L’exemple"des"représentations"visuelles"

La perception d’un objet donne le sentiment d’une évidence : ce qui est perçu
est ce que voient les yeux et est une image fidèle de la réalité extérieure. Cette évidence de
l’expérience subjective est pourtant bien loin de la réalité neurophysiologique. Voyons donc
comment le cerveau se construit une représentation de la réalité extérieure à partir des
informations qu’il reçoit de l’organe sensoriel qu’est l’œil, ou plutôt que sont les deux yeux.

Il est déjà connu de longue date que la vision en relief dépend de ces deux
yeux : la moitié des fibres nerveuses issues de la rétine, précisément la moitié qui « voit » la
partie extérieure du champ visuel, va directement au cerveau homolatéral, alors que l’autre
partie va croiser (chiasma optique) pour aller vers le cerveau opposé. Ainsi le cerveau droit
« voit » le champ visuel gauche, et inversement pour le gauche : chaque cerveau peut
analyser les « images » reçues des deux yeux et, de par leur décalage, construire une
« image » en relief.

Mais, si aujourd’hui nous posons la question que voient nos yeux ?, la réponse
sera rien. Les cellules perceptives qui constituent notre rétine (cônes et bâtonnets) ne sont
que plus ou moins excitées par la lumière qui les atteint, et leur excitation est transmise par
les fibres nerveuses jusqu’au cortex du lobe occipital (pour la plupart, une petite partie

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s’arrêtant au niveau du corps genouillé latéral du thalamus, une autre allant vers le colliculus
supérieur) [Figure 21].

Figure 21 : Voies visuelles supérieures


(http://www.sommeil-paradoxal.com/livre3-page/06-inconscient.html, consulté le 4/12/2014)

À partir du lobe occipital, les informations venues des yeux sont distribuées
dans plusieurs dizaines de centres spécialisés dans le traitement d’un aspect particulier
(reconnaissance des formes, des couleurs, des visages, etc.). Ce n’est qu’après ces
traitements que ces centres envoient des informations dans une zone de l’aire pariétale
proche de l’aire de Broca (responsable, à gauche, de la production des mots parlés,
l’articulation) où d’autres informations issues du corps genouillé latéral les rejoignent53.
Alors, et alors seulement, une représentation de ce qui est perçu par les yeux est
« construite » (en fait, elle émerge de cet ensemble d’activité neuronale). Ainsi ce que nous

53 : Il s'agit là d'une version très simplifiée du processus de la perception visuelle. Les neurophysiologistes
décrivent une phase d'acquisition (œil), une phase de traitement des informations acquises (différents
centres de traitement), une phase de regroupement des informations traitées, une phase de
représentation proprement dite (faisant appel aux acquis, donc à la mémoire), et enfin une phase de
réponse. De plus deux voies du traitement des signaux visuels ont été décrites, une voie ventrale,
exposée ici, et une voie dorsale, utilisée quand la vision doit commander le geste (par ex. prendre un
objet).

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vivons comme perception directe du monde extérieur est en fait une construction de notre
cerveau : c’est déjà une re-présentation.

Ce qui est là remarquable est que les représentations du monde intérieur


(mémoire, fantasme, imagination) se constituent très exactement de la même manière que
les représentations du monde extérieur. La seule différence tient là à ce que leurs origines
ne dépendent plus d’un organe sensoriel, alors que l’ensemble des circuits neurologiques
nécessaires à la perception des informations reçues par les organes sensoriels est tout
autant nécessaire, et selon les mêmes processus, à la construction des représentations
internes. Par exemple, une lésion très localisée qui détruit exclusivement un des centres de
traitement des couleurs, et qui conduit un sujet à ne plus voir le monde qu’en noir et blanc,
interdira tout autant à ce sujet de se souvenir et/ou d’imaginer en couleur. Autre exemple,
imaginer un mouvement nécessite, et sollicite, les mêmes zones cérébrales que de réaliser
ce mouvement. Compte tenu de la plasticité cérébrale, qui facilite le frayage de circuits
précédemment empruntés, il s’en déduit que perception, mémorisation et imagination se
facilitent et s’induisent, voire se déforment, mutuellement. Ainsi imaginer, se souvenir et
percevoir, s’imaginer, se souvenir de soi et se percevoir sont des processus intimement liés
et dépendants les uns des autres.

En fait, toute perception nécessite, pour être représentée, une participation de


l’ensemble du cerveau, même si certaines zones, certains noyaux, sont indispensables pour
que telle ou telle qualité de la représentation soit présente. Par exemple ici, pour la
représentation visuelle, la qualité d’une image en couleur qui mobilise une vingtaine de
zones cérébrales dépend de l’intégrité de chacune de ces zones. Qui plus est, la possibilité
même de se construire une représentation visuelle consciente du monde dépend aussi de la
mémoire ou plutôt des mémoires. L’apprentissage par l’expérience, donc, est nécessaire à la
perception, ce qui peut se vérifier facilement avec un chercheur de champignons : pour
repérer rapidement les trompettes de mort sous le tapis de feuilles de châtaigniers qui les
recouvrent il ne suffit pas de connaître toutes les caractéristiques de ce champignon,
pourtant l’un des plus faciles à différencier, sans erreur possible, de tous les autres. En un
même lieu, le chercheur expérimenté va de suite repérer les champignons, sans même
nécessairement les chercher, alors que le novice risque de les chercher en vain, ou de n’en
trouver que fort peu. Et ce n’est évidemment pas là une affaire d’acuité visuelle, mais bien
de traitement des signaux visuels par le cerveau, en lien avec les différentes formes de
mémoires à long terme.

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3.6.2 La"question"du"non"représentable"

Pour les neuroscientifiques de nombreux processus cérébraux ne sont pas


représentables, alors même qu’ils participent à la conscience que nous avons de nous-
mêmes et du monde. Ce serait pourtant à partir de ces processus que l’émergence de
représentations conscientisables devient possible. Cela, évidemment, n’a rien d’étonnant en
soi, et pourrait simplement être pris pour une évidence au sujet de laquelle il n’y aurait rien
à ajouter.

Mais, parmi ces processus non représentables, il y en a qui ont pourtant un


effet important sur la conscience elle-même, et pour lesquels on constate non seulement
qu’ils peuvent devenir re-présentables, à défaut de pouvoir être véritablement représentés.
Il s’agit d’une part de ce que Bion (1963) a désigné sous le vocable des éléments β, et
d’autre part de l’implicite présent dans toute communication et étudié dans le champ de la
psychanalyse par le Boston Change Process Study Group (1998, 2005, 2008, 2010, 2013).
D’autres processus du même ordre, non encore reliés à l’expérience psychanalytique,
existent probablement.

Concernant le travail de Bion, il note que nombre des percepts d’éprouvés qui
viennent exciter la conscience de l’enfant ne sont pas susceptibles a priori de faire sens
pour lui. Ils sont alors traités comme véritables corps étrangers, mais, puisqu’il s’agit
d’éprouvés et non de représentations, ils ne peuvent être refoulés. Le parallèle possible avec
le travail de Damasio sera abordé plus loin. Cela les différencie par exemple du sexuel des
parents qui, selon la théorie de la séduction originaire de Laplanche (1987), et du fait qu’il
est non intégrable par l’infans, est refoulé sur le mode du refoulement originaire et devient
ainsi l’objet source de la pulsion. Il importe de noter que ce qui fait séduction vient de
l’autre et ne peut être intégré au soi-même de l’infans, alors que les éléments β viennent du
soi-même de l’infans et ne peuvent être représentés au sein de son moi.

C’est alors l’environnement maternel qui est indispensable à l’infans afin de lui
apporter les réponses appropriées, c’est-à-dire celles qui vont apaiser ses afflux d’éprouvés
encore incompréhensibles pour lui. Mais, pour ce faire, l’environnement maternel de
l’infans a besoin de comprendre les différents états du bébé afin d’y apporter des réponses
appropriées : c’est la régularité des réponses qui permet la prévisibilité du monde par
l’enfant, et ainsi sa représentation, et c’est le fait que ces réponses soient suffisamment
appropriées qui permet la coloration positive de ce monde pour l’enfant. C’est la fonction α
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de la mère qui le permet — concept très proche de la préoccupation maternelle primaire


décrite par Winnicot (1965) —, et c’est le lien que l’enfant peut faire entre ses percepts et
l’apaisement trouvé par les réponses de son environnement qui permet à ces percepts de
faire sens pour lui (devenant ainsi des éléments α). Ce mécanisme, assez simple à
comprendre en ce qui concerne les besoins physiologiques primaires de l’infans, est aussi à
l’œuvre pour ses affects : là aussi, les réponses de l’environnement doivent être
suffisamment adaptées pour permettre à l’enfant de reconnaître ses affects comme siens et
sensés. Et c’est là, sauf carences précoces graves, que les tâtonnements de l’environnement
échouent souvent, laissant le bébé et sa mère dans un état de désespoir profond et partagé :
cela a fait dire à Wiart Teboul (1983) que le père est celui auprès de qui la mère peut se
« réparer » de la violence de ses éprouvés auprès de son bébé. Ce n’est qu’ainsi qu’elle
pourra permettre à son bébé de se « réparer » lui aussi.

Ce processus a été décrit d’une autre façon par Fordham (1947) qui parle d’un
état d’homéostasie primaire, le soi primaire, état intégré, qui est déintégré non
seulement quand l’enfant est en proie à des éprouvés qui viennent perturber cette
homéostasie, mais plus fondamentalement quand, spontanément et de manière cyclique, il
s’éveille aux informations reçues de ses organes sensoriels et moteurs. Voici ce qu’il en dit à
la fin de sa vie, un an avant son décès (Fordham 1969-1994 p.75-76)54

Le modèle que j’ai commencé à formuler en 1947 a maintenant été développé


comme suit : le soi primaire et originaire de l’enfant est radicalement dérangé par la naissance
au cours de laquelle le psychosoma est inondé de stimuli tant internes qu’externes, donnant
naissance à une anxiété prototypique. À la suite de cela, un état stable se rétablit de lui-
même et la première séquence claire de déséquilibre suivi d’un état de repos ou de stabilité a
été réalisée. La séquence se répète encore et encore durant la maturation et les dynamiques qui
les sous-tendent sont appelées déintégratives et réintégratives. Au début, les séquences sont
rapides, mais alors que l’organisation psychique se construit, elles se déroulent sur de plus
longues périodes jusqu’à ce qu’une relative stabilité puisse être atteinte la plupart du temps. Il
est maintenant possible de définir certaines périodes au cours desquelles l’un, l’autre, ou ces
deux processus peuvent être étudiés : la naissance, l’approche de la mère centrée autour de la
tétée, avec des références particulières aux changements qui ont lieu autour du troisième mois,
du septième et au sevrage ; la phase de séparation-individuation ; la crise provoquée par la

54 : trad. personnelle

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naissance d’un autre enfant ; et le développement de l’œdipe. Par la suite, la période stable de
la phase de latence conduit aux dérangements de l’adolescence et à une maturité relativement
stable, qui se continue jusqu’à la transition avec la vie ultérieure, quand les séquences de
déintégration et réintégration reprennent et que le processus d’individuation, que Jung a
spécifiquement étudié, commence.

Plus loin (p.87) 55 il note que ses idées sont congruentes avec bien des
recherches effectuées depuis :

De très importantes recherches ont été effectuées depuis le travail de pionnier de


Spitz et différentes approches de l’enfance qui placent le soi au centre des études ont émergé.
Stern (1985) a rassemblé les travaux effectués autour du développement du « sens de soi-
même et des autres » de l’enfant. Il ne postule pas un soi primaire dans mon sens, bien qu’il
s’en approche : il étudie la représentation de soi-même qui se développe à partir du soi
primaire, dans mon sens, trouvant qu’à l’origine le sentiment d’un soi émergeant peut se
repérer, suivi par la formation successive d’un « Soi Noyau », d’un « Soi Subjectif » et d’un
« Soi Verbal ». Il y a encore d’autres découvertes qui sont pertinentes avec mes propositions.
Il nous dit qu’apprendre ce qui est variable et invariable dans l’environnement n’est pas un
processus purement abstrait, mais est intimement intriqué avec les expériences affectives. Plus
encore, l’expérience sensitive est organisée d’une façon particulière : les systèmes de perception
ne sont pas séparés comme dans la vie adulte, de telle sorte que les messages visuels et auditifs
peuvent opérer comme s’ils étaient le même. […] Cela peut être considéré à la lumière de mon
hypothèse du soi primaire : cela signifierait que les perceptions sensorielles résultent d’une
déintégration globale du soi dans lequel toutes ces modalités sensorielles ne sont que peu
différenciées.

Ce qui apparaît finalement c’est que les représentations du monde et les


représentations de soi-même sont fortement intriquées. Les premières ne peuvent émerger
sans que les secondes ne se constituent et réciproquement. Cela implique un reste, un non
représentable, tout autant dans les représentations du monde que de soi-même, et un non
représentable toujours susceptible de relancer les dynamiques déintégratives du soi. La
question de l’implicite dans la relation, intimement reliée à cette question du non
représentable, sera abordée plus loin avec les travaux du BCPSG.

55 : trad. personnelle

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Ces approches psychanalytiques apparaissent assez congruentes avec le point


de vue des neurosciences, notamment de la neurophysiologie de l’évolution du cerveau.
L’état du cerveau du nouveau-né, saturé en neurones et présentant une intense activité de
synaptogénèse, lui permet de « câbler » toutes les configurations possibles de sa relation
avec le monde, toutes celles dont il fait l’expérience. La répétition et la régularité de ces
expériences vont, par un processus parallèle, entraîner l’autodestruction de nombreux
neurones non sollicités, et la disparition des synapses non utilisées, ne conservant ainsi que
ce qui témoigne d’expériences suffisamment répétées et/ou intenses. Enfin, le lent
processus de myélinisation va progressivement « fixer » l’organisation neuronale et
synaptique du cerveau qui ne conserve, après l’âge de 25 ans, qu’une plasticité très réduite
par rapport à celle des premières années de la vie.

3.7 Les!neurones!miroirs!

La mise en évidence de l’existence des neurones miroirs (Rizzolati, 1996) a


donné lieu à de nombreux travaux qui, quel que soit leur niveau d’étude, démontrent que
les cerveaux de deux personnes en interaction « communiquent directement » entre eux,
c’est-à-dire sans que les sujets aient conscience de cette communication. Parler de
communication peut paraître abusif, mais il y a pourtant une véritable transmission
d’informations au travers de l’activation du cortex moteur, et aussi du système limbique
(Gallese 2005), qui s’activent ainsi en miroir chez le sujet qui en observe un autre, ces
activations neuronales donnant à éprouver à l’observateur une part de ce que l’observé agit
et/ou éprouve devant lui. Rizzolati & Sinigaglia (2008 p. 200-201) résument ainsi la
fonction des neurones miroirs :

Nous n’avons pas besoin de reproduire intégralement le comportement des autres


pour en saisir la valeur émotionnelle. Du reste, la compréhension de la signification des
actions observées ne nécessitait pas non plus leur reproduction. Bien que notre perception des
actions et des réactions émotionnelles d’autrui suppose l’implication d’aires et de circuits
corticaux différents, ces deux types de perception ont en commun un mécanisme miroir qui
permet à notre cerveau de reconnaître immédiatement ce que nous voyons, entendons ou
imaginons faire par les autres, puisqu’il déclenche les mêmes structures neurales
(respectivement motrices ou viscéro-motrices) responsables de nos actions ou de nos émotions.
Dans le cas des actions […] ce mécanisme de résonance [n’est] pas pour le cerveau la seule
manière de saisir les actions et les intentions d’autrui. Cela s’applique aussi aux émotions :
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celles-ci peuvent être comprises également sur la base d’une élaboration réflexive des aspects
sensoriels liés à leurs manifestations sur le visage ou dans les gestes d’autrui. Mais, considérée
en elle-même, autrement dit sans aucune résonance viscéro-motrice, cette élaboration se réduit,
comme le dit William James, à une perception « froide » et « neutre », privée de toute
coloration émotionnelle.

On peut tout de même se demander si c’est véritablement d’une transmission


d’informations qu’il s’agit : la perception de l’observé par l’observateur est, à l’origine, un
phénomène d’excitation de ses organes sensoriels, excitation qui va reproduire dans son
cerveau un certain nombre d’activations neuronales en miroir de l’activation neuronale de
l’observé. La question est alors de savoir si l’information reçue par l’observateur (sa
perception) a été transmise par le canal de la perception, ou si elle a émergé de son
interaction avec l’observé. Parler d’émergence, ou d’énaction au sens de Varela (1993),
paraît ici plus en adéquation avec les données neurophysiologiques : il n’y a pas à
proprement parler une information envoyée par un émetteur et reçue par un récepteur,
mais une perception par l’observateur qui va activer en miroir, au sein de son cerveau, un
certain nombre de circuits semblables à ceux qu’il aurait du activer pour extérioriser les
mêmes gestes et expressions que ce qu’il perçoit chez l’observé. Il s’en déduit que
l’information qui émerge ainsi chez l’observateur est directement liée aux éprouvés
associés, pour lui, donc en fonction tant de son histoire que de sa culture, à ces gestes et
expressions. Cela rend compte aussi de l’expérience courante du décalage parfois très
important qui peut exister entre le vécu de l’observé et ce que l’observateur en perçoit.
Ainsi la perception de l’observé induit chez l’observateur un processus qui relève plus
d’une interprétation que de la réception d’une information.

Il y a là un processus hautement rétroactif dès lors que l’observé est aussi


observateur de son observateur, et que ses circuits neuronaux sont eux-mêmes activés en
miroir. Il s’agit aujourd’hui du niveau le plus évident d’une véritable mise en réseau du
fonctionnement cérébral de deux sujets en relation. Il peut déjà être constaté que le
dispositif divan/fauteuil de la cure classique introduit une forte asymétrie à cet effet miroir ;
ce point sera abordé plus loin.

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3.8 La!question!de!l’affect!

Le modèle utilisé ici résulte des travaux de Damasio (2006). Il considère que
l’affect n’est pas perceptible en tant que tel par la conscience, mais que c’est au travers de la
perception de ses effets corporels que le sujet peut en avoir conscience. À ce modèle
s’ajoute l’idée que la conscience elle-même émergerait de ces modifications corporelles liées
à l’affect (Damasio 2000, 2010). Cela rejoint la première idée de Jung (Addison 2009)
concernant son concept de psychoïde : à un niveau profond, il n’y aurait pas de différence
entre psychisme et somatique. Il est cependant regrettable que Damasio n’ait pas
approfondi cette notion de conscience qu’il applique dès le niveau même de l’organisme
unicellulaire, sans en interroger les différents niveaux, ou les différentes dimensions, qui, de
la possible conscience d’être d’un organisme unicellulaire à la conscience réflexive de
l’homo sapiens, semblent témoigner d’une complexification croissante des processus à
partir desquels elle peut émerger.

Cependant, ce modèle paraît pertinent dans la démarche de ce travail, parce


que congruent avec de nombreux constats de la clinique psychanalytique :

- Le sujet peut ne pas ressentir ses affects, alors même que son entourage en a une
perception très claire. Il peut aussi les nier (dénégation) en détournant son attention de son
entéroception.
- À l’inverse il peut ressentir des bizarreries dans son corps, ou dans sa perception de lui-
même, sans être en mesure de relier ces bizarreries à un affect, c’est-à-dire sans être en
mesure de se les représenter ni de se les nommer comme tels (éléments β de Bion, 1962).
Ces deux constats semblent montrer que la perception de l’affect passe bien par la
perception des modifications somatiques que celui-ci entraîne, perception qui peut être
déficiente et/ou inhibée. Le lien entre la perception des modifications somatiques et la
représentation d’un affect relèverait ainsi d’une construction de représentation (la fonction
α de Bion), comme pour les perceptions sensorielles, construction qui peut elle-même être
déficiente.
- Dans tous les cas, les affects peuvent activer la mémoire et l’imagination qui, elles-mêmes,
peuvent les activer et/ou inhiber.

Ainsi envisagé, et de manière très schématique, le circuit de l’affect serait lui-


même susceptible d’être considéré comme un système complexe, avec des interactions

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locales et de nombreuses boucles rétroactives hétérogènes qui peuvent schématiquement


être représentées comme suit [Figure 22] :

Figure 22 : Circuit de l’affect

Replacé dans une interrelation entre deux personnes, alors ce schéma devra
être complété de l’effet des neurones miroirs, au moins au niveau de la perception des
effets somatiques [Figure 23] : pour le sujet affecté la perception de l’affect se peut au
travers de l’entéroception, mais pour le sujet en relation avec lui elle résulte de
l’extéroception. C’est probablement au travers de cette perception extéroceptive des affects
de l’autre (vision, audition et odorat, les goût et toucher étant exclus de la situation
analytique) que l’effet miroir de celui-ci peut se produire, comme l’ont montré de
nombreux chercheurs (Gallese 2003, 2008).

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Figure 23 : Système complexe de l’interrelation

Dès lors, les deux systèmes complexes de l’affect des deux protagonistes se
trouvent en interrelation potentiellement plus ou moins forte, selon l’intensité à la fois du
stimulus d’entrée, et des boucles rétroactives qui peuvent être inhibitrices et/ou
facilitatrices, donc autoamplificatrices. On peut d’ailleurs se demander si de telles boucles
autoamplificatrices ne sont pas à l’origine de la répétition d’un même type de relation par le
sujet qui, souvent, regrette de ne pouvoir en sortir y compris, voire surtout, quand il en
souffre. Une telle boucle autoamplificatrice peut en effet, dès lors qu’elle est activée par la
mémoire d’un des deux protagonistes de la relation, rencontrer un élément de même nature
dans la mémoire de l’autre, et induire la réactualisation d’une relation traumatique ou
toxique dans la relation actuelle, ceci aux dépens des deux sujets en présence. Le fait que
cette réactualisation soit congruente avec une expérience connue la rend paradoxalement
rassurante, car prévisible, tout en consolidant une fois encore les circuits neuronaux des
expériences initiales. Cette question de la répétition sera reprise plus loin.

Il s’ajoute à ce schéma les interrelations du langage et des actes, interagissant


directement avec la mémoire et les affects des deux protagonistes, tout en étant, aussi,
directement impliqués dans l’effet miroir. Outre le fait que ce schéma forme un système
complexe aux qualités émergentes probables, il permet aussi de représenter l’IBH de Di
Paolo et De Jaegher sous ses deux aspects intriqués, la DIBH et la CIBH.

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3.9 !La!question!du!langage!

Dans la cure psychanalytique, le langage est mis en exergue par le dispositif et


le cadre, et a longtemps été considéré comme seul canal de communication et/ou de
relation entre analyste et analysant. L’hypothèse de la chimère transférentielle implique de
considérer que, même si ce mode de communication reste essentiel, il ne peut être
considéré comme exclusif, ni même comme nécessairement le plus important, cette
importance étant hautement variable selon les moments de la cure.

Étant donné que la place du langage dans la cure psychanalytique a, depuis


avant même son origine (Freud 1891), fait l’objet de la majorité des travaux de Freud, soit
explicitement, soit en s’appuyant implicitement sur son importance essentielle, celle-ci ne
sera pas reprise dans ce travail. Seuls deux points de complexité du langage seront retenus :

- Pour celui qui énonce, chaque énoncé a des effets rétroactifs sur le sujet qui s’entend
parler, d’une part du fait que les mots sont associés entre eux, et avec la mémoire et ses
représentations, selon des chaînes associatives toujours susceptibles d’activer des affects
et/ou souvenirs pas nécessairement en lien avec le contenu manifeste de l’énoncé, et
d’autre part du fait du décalage qui existe souvent entre ce que le sujet veut exprimer et ce
qu’il s’entend énoncer.
- Pour celui qui écoute, cette rétroaction est aussi présente dans les chaînes associatives des
mots, selon les mêmes mécanismes et avec les mêmes effets.
- Il s’y ajoute, pour l’énonciateur autant que pour l’auditeur, l’organisation et l’intonation du
discours qui expriment un état affectif, ou qui sont entendus comme tel. Ainsi l’affect
entendu par l’auditeur peut être plus ou moins similaire, plus ou moins différent, de celui
éprouvé par le locuteur. Il s’agit là de l’un des aspects de la dimension implicite de la
communication qui sera reprise plus loin, avec le travail du BCPSG.

Il s’en suit, dans la situation psychanalytique, un nouvel argument en faveur


d’une approche de cette situation comme système complexe d’où peuvent émerger des
qualités nouvelles et imprévisibles. Et la règle de la psychanalyse entraîne là un niveau
supplémentaire d’asymétrie, le locuteur principal y étant l’analysant, et l’écoutant l’analyste.

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3.10 !L’asymétrie!du!cadre!psychanalytique!

Tout ce qui a été développé jusqu’ici peut faire l’objet d’une critique
fondamentale du fait que cela peut s’appliquer à toute relation interpersonnelle, ce qui
serait susceptible de rabaisser la psychanalyse au rang d’une simple relation entre deux
personnes, alors qu’elle se réclame comme ayant une certaine valeur mutative et
thérapeutique.

La relation psychanalytique est, en fait, très fortement asymétrique, à différents


niveaux. Les aspects concrets du contrat qui, déjà, introduisent une asymétrie dans
l’organisation du cadre de la cure ne seront pas abordés. Seules trois dimensions essentielles
seront développées : l’asymétrie de la parole, l’interdiction asymétrique de l’agir et
l’asymétrie du fonctionnement psychique du psychanalyste et de l’analysant.

Concernant l’asymétrie de la parole, il est demandé à l’analysant de dire « tout


ce qui lui vient à l’esprit », alors qu’il est demandé à peu près l’inverse au psychanalyste. Ce
dernier tente de ne prendre la parole que dans la mesure où il a quelque chose à
communiquer à son analysant, et quelque chose qui concerne ce dernier et non lui-même.
De plus, l’analysant est libre de ses intonations de langage — expressions motrices a
minima, mais non inhibées, de ses affects — alors que le psychanalyste tentera de les garder
neutres et/ou bienveillantes, selon ce qui lui paraît le mieux en adéquation avec les besoins
de son analysant, sauf à ce qu’il estime qu’une intonation affectivement chargée soit elle-
même nécessaire dans ce qu’il énonce à son analysant. Cela a pour effet de réduire très
fortement l’effet miroir de l’analyste vers l’analysant.

Concernant l’interdiction de l’acte, celle-ci est absolue dans le toucher des


corps : il est tout autant interdit à l’analysant qu’à l’analyste d’agir sur le corps de l’autre.
Mais la symétrie apparente de cette interdiction s’arrête là, car il n’est pas demandé à
l’analysant de rester immobile, alors que l’analyste va tenter de filtrer les mouvements
moteurs spontanés de son corps (le plus souvent liés à son état affectif) et, dans un
dispositif analytique en face à face, de son visage.

Enfin, concernant le fonctionnement psychique, l’asymétrie est là essentielle.


Autant il est demandé à l’analysant de suivre le fil de ses pensées, affects et éprouvés
corporels sans retenue autre que de ne pas agir, autant l’analyste tentera d’accepter
d’entendre, au sens fort du mot, donc d’éprouver, non seulement le discours de son

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analysant, mais aussi tous les effets de ce discours en lui, et à tous les niveaux de lui-même
auxquels il peut avoir consciemment accès. C’est cet ensemble, fortement facilité par les
deux précédentes asymétries, qu’il mettra au travail en lui, afin d’être aussi peu réactif que
possible dans la relation explicite, en tout cas nettement moins réactif qu’il ne le serait dans
une relation habituelle. De nombreux auteurs du champ des neurosciences ont
dernièrement mis en évidence que la pensée est dépendante de l’inhibition de l’acte (par ex.
Williams 1999, Richardson 2008). Il a aussi été mis en évidence que le cortex associé à
l’articulation de la parole (Wernicke) est, dans l’évolution des espèces, issu d’une partie du
cortex moteur (Arbib 2012), ce qui pourrait être en relation avec ce constat. Tout ceci
semble confirmer la pertinence de la règle de l’interdiction de l’acte, principalement du côté
de l’analyste

Il est ainsi possible de construire un dernier schéma [Figure 24], plus spécifique
à la relation analytique, où les flèches pâles indiquent des interactions inhibées dans le cadre
de l’analyse :

Figure 24 : Système complexe de la relation analytique — la chimère transférentielle

Apparaît une mise en réseau des deux psychismes, analyste et analysant,


fortement hétérogène, donc facilitant l’apparition d’un système complexe et de ses
dynamiques d’auto-organisation.

Cette hétérogénéité décale les positions des deux protagonistes de la cure,


parfois très peu (Martin-Vallas 1995), mais suffisamment pour modifier la dynamique
spontanée de la rencontre, donc la répétition des relations traumatiques et/ou toxiques
préalablement vécues par l’analysant. Ce n’est pas, là, dire que cette répétition n’émergera

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pas dans le transfert, bien au contraire, mais c’est dire qu’elle se fera dans une relation dont
l’organisation est susceptible de permettre à l’analyste de s’en décaler suffisamment pour
que la répétition émerge plus entre l’analysant et la chimère que dans l’implication
personnelle de l’analyste avec son analysant. L’analyste, quant à lui, restera « informé » de ce
qui se rejoue par les effets sur lui de cette chimère.

Il est dès lors évident que le système complexe de la chimère transférentielle


est bien différent des relations habituelles de la vie quotidienne.

3.11 Les!travaux!du!Boston!Change!Process!Study!Group!
(BCPSG)!

Le BCPSG a été créé en 1995 pour étudier les processus de changement,


autant au décours des processus analytiques que dans le développement normal (BCPSG
2010). Outre la psychanalyse, il s’est intéressé autant aux théories du développement de
l’enfant qu’aux théories des systèmes dynamiques. Son approche des processus de
changement s’est appuyée sur la méthodologie des observations des nourrissons :
observation aussi fine que possible de toutes les dimensions implicites de la
communication.

Ce groupe de recherche comporte aujourd’hui 5 membres : Nadia


Bruschweiler-Stern, Karlen Lyons-Ruth, Alexander C. Morgan, Jeremy P. Nahum et Bruce
Reis. Deux autres membres sont décédés, Louis W. Sander et Daniel N. Stern. Enfin, deux
derniers membres ont quitté le groupe en 2002, Alexandra Harrison et Edward Z. Tronick.
Sans chercher à remettre en question l’importance des échanges verbaux au niveau
explicite, ils ont focalisé leur attention sur le niveau relationnel implicite et en ont dégagé le
quelque chose de plus que l’interprétation (1998, 2005) qui, selon eux, permet à celle-ci d’être
opérante. Ce « quelque chose de plus » se manifeste sous la forme d’énaction de nouvelles
formes de relations entre l’analyste et l’analysant, une relation qui est considérée comme un
système dynamique non linéaire.

Leur méthodologie leur a permis de mettre en évidence, sur des


enregistrements de séances analytiques, l’aspect très brouillon de la communication entre
analyste et analysant — une dynamique chaotique, en fait. Cette communication
brouillonne résulte, selon eux, du fait que les deux partenaires de la relation analytique ne
parviennent pas encore à s’entendre : au niveau implicite de la relation ils ne sont pas
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véritablement en communication, en phase dirait-on simplement. Mais cette dynamique


relationnelle tend, par l’effet d’actions – rétroactions, qui, chacune, cherche un ajustement
suffisant de la relation, à l’émergence de « moments présents » où l’entente, implicite autant
qu’explicite, est susceptible de laisser émerger une nouvelle forme de relation entre analyste
et analysant.

Ils insistent sur l’existence, dans la mémoire implicite, des schèmes implicites
de relation, construits tout au long de la vie, dès la toute petite enfance. Ces schèmes
implicites de relation peuvent être mis en évidence chez le nourrisson dès l’âge d’une
semaine. Ils déterminent, pour chacun de nous, un « comment être en relation avec l’autre »
qui s’active sans que nous puissions en être conscient, dans toute relation avec un autre
humain (BCPSG 2005)56 :

Par savoir implicite dans l’enfance nous ne nous référons pas aux fonctions
cognitives de l’enfant, mais à la façon dont la régulation physiologique, puis
sociale/comportementale, se met en place entre l’enfant et son environnement, et se représente
et se « mémorise » par l’enfant. Ces premières formes de régulation émergent d’une capacité
d’adaptation de base des êtres vivants qui se croise avec les besoins biologiques de base qui
motivent et déclenchent les interactions. Le fait que ces formes premières de régulation
biologique soient stockées dans les systèmes mnésiques, ont des équivalents mentaux et sont
psychologiquement sensées a été intuitivement compris par certains, mais n’est pas vraiment
compris. C’est en se représentant ces échanges régulant la dyade que l’enfant humain évolue
d’un être physiologique à un être psychologique. […]

En résumé, le savoir relationnel implicite est basé sur les affects et actions plutôt
que sur les mots et symboles. Il est aussi non-conscient, mais sans être refoulé. […]

Au cours du développement, les formes langagières et symboliques sont


intrinsèquement enracinées dans ces premières formes de représentations implicites de
l’expérience relationnelle. […]

Les observations développementales récentes suggèrent que, même pour les enfants
avant la parole, l’enjeu premier en observant un humain agir est de comprendre son intention,
et que la scène soit ainsi cohérente et sensée. […]

56 : trad. personnelle

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De notre point de vue, autant les échanges affectifs non conflictuels que les positions
défensives conflictuelles qui peuvent être part de ces échanges s’enracinent dans les expériences
vécues avec d’autres et non dans des phénomènes initialement intrapsychiques. […]

Il est crucial de ne pas assimiler cet implicite avec le non-verbal ou le préverbal


(Lyons-Ruth 1999) L’implicite peut s’exprimer autant dans des formes d’interaction
verbales que non-verbales. Cependant, les aspects implicites du sens ne sont pas dans les mots
eux-mêmes. Ils se trouvent, si l’on peur dire, entre les lignes […]

Poser ainsi l’importance première de l’implicite conduit le BCPSG à reprendre


la lecture des défenses et structures, notamment œdipienne, telles qu’abordées en
psychanalyse, d’un point de vue novateur et original (BCPSG 2005) : 57

Nous argumentons que les défenses bien établies que nous rencontrons en situation
clinique s’originent dans l’internalisation de structures dialogiques entre deux personnes et
relèvent du domaine de l’implicite. […]

Avec cette vision nouvelle et féconde de tout ce qui advient dans la vie interactive et
affective, nous remplacerions l’idée du conflit au sein d’une structure tripartite avec cette idée
plus dyadique de formes complexes de conflits entre les intentions du sujet et celles des autres
importants qui sont représentés au niveau implicite. […]

Les mots ne limites ni ne se substituent aux actions : ils sont des actions. […]

Donnons-nous priorité à l’action (ou l’action commune) sur la pensée ? Oui et


non. Une telle question ne fait pas sens dans la perspective contemporaine de l’esprit incarné
et de la capacité à se centrer sur les actions d’autrui. Le récent changement de paradigme au
sein des sciences cognitives propose de considérer l’esprit comme n’étant pas une entité
incorporelle et indépendante. Au contraire, le fait même de penser nécessite et dépend des
ressentis corporels autant que des mouvements et actions. (voir Clark 1997, Damasio 1999,
Sheets-Johnstone 1999, Varela Thompson § Rosh 1993, Hobson 2002, Lakoff §
Johnson 2000). Les rencontres intersubjectives concernent des personnes dont l’esprit est
incarné, et qui agissent et réagissent aussi bien physiquement que mentalement. […]

Alors que Freud a clairement posé l’équivalence d’un inconscient


dynamique avec l’existence du refoulement, nombreux sont aujourd’hui ceux qui utilisent ce

57 : trad. personnelle

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mot pour se référer à un domaine beaucoup plus large de processus psychodynamiques, et des
processus qui ne sont pas nécessairement considérés comme refoulés. Ce processus devrait
inclure tous les aspects des premières relations d’objet qui sont ré-énactés dans la cure, tout le
domaine des processus mentaux non conscients, en quelque sorte non intégrés avec les autres
aspects de la pensée, et pour lesquels il y a une résistance affective à ce qu’ils aient leur place
dans les échanges avec les autres.

Notre argument est que les interactions par lesquelles se constitue le savoir
relationnel implicite sont psychodynamiques. […] Nous pensons que l’idée d’un inconscient
dynamique, et de la psychodynamique en général, doit maintenant prendre en compte le
domaine plus large des phénomènes mentaux, en y incluant le savoir relationnel implicite.

Ainsi, selon eux, la cure ne serait pas seulement un échange verbal significatif,
mais aussi, voire plus, un échange de manières d’être en relation, échange plus ou moins
chaotique, qui débouche sur des moments de rencontres avec alors la possibilité
d’émergence de nouvelles modalités d’être en relation. Ce processus d’adaptation de l’un à
l’autre serait une forme de dynamique non linéaire au sein d’un système complexe. Le
moteur de cette dynamique serait une forme de sélection darwinienne des modalités
relationnelles qui, à un moment donné, sont les plus satisfaisantes pour les deux
protagonistes de la cure.

Cette approche de l’inconscient, qui ne se limite plus à ce qui a été refoulé,


ainsi que cette nécessité de prendre en compte les aspects les plus personnels de la
personne de l’analyste, rejoignent certaines des différences d’appréhension de l’analyse qui
ont conduit Jung à s’opposer, puis à se séparer, de Freud. De même, l’attention qu’ils
portent aux conflits dyadiques n’est pas sans évoquer les réticences de Jung vis-à-vis de
l’organisation œdipienne, dont il ne pouvait concevoir que l’ensemble des troubles
psychiques en découlait. Enfin, Jung a été le premier à insister sur l’importance de la
personne de l’analyste dans la conduite de la cure, ce qui l’a conduit à persuader Freud de la
nécessité d’une analyse de l’analyste ; et il est très vite allé bien plus loin dans cette voie, ce
qui apparaît très clairement dans sa Psychologie du transfert (1944), décrivant avant l’heure bien
des données de la dimension implicite du transfert :

Or ce lien [transférentiel] est souvent d’une telle intensité qu’on pourrait parler
d’une combinaison. Quand deux corps chimiques se combinent, tous deux subissent une
altération. C’est aussi le cas dans le transfert. (p.24)

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Les suggestions se produisent spontanément, sans que le médecin puisse les


empêcher et sans qu’il ait à se donner le moindre mal pour les provoquer. (p.25, n.19)

Plus loin (p.54-55) il s’appuie sur ses études de l’alchimie, un domaine


gnostique qui lui est apparu aborder des questions de même nature que celles qui surgissent
de la relation analytique, pour approfondir sa pensée :

Ce n’est pas seulement à grands traits, mais souvent avec des détails stupéfiants
que l’alchimie décrit la phénoménologie psychique que le médecin peut observer au cours de la
confrontation avec l’inconscient. […] Mais quand il [le patient] se rend compte qu’il possède
lui-même une ombre, qu’il porte son ennemi « dans son propre sein », alors le conflit
commence, l’un devient deux, et comme l’Autre est lui-même une dualité, voire une pluralité
faite de couples de contraires, ainsi qu’on s’en aperçoit peu à peu, le moi n’est bientôt que le
jouet de toutes ces « volontés particulières » et c’est là ce qui amène chez le patient
« l’obscurcissement de la lumière », c’est-à-dire une perte de la puissance du conscient et une
désorientation concernant le sens et l’étendue de la personnalité. Le passage est parfois si
obscur que souvent il doit (et non : il devrait) se cramponner à son médecin comme à ce qui
semble être l’ultime réalité. Cette situation est, pour l’un comme pour l’autre, difficile et
pénible, et il n’est pas rare que le médecin soit comme l’alchimiste qui souvent ne sait plus si
c’est vraiment lui qui fait fondre la mystérieuse substance métallique dans le creuset, ou s’il ne
brûle pas lui-même dans le feu sous forme de salamandre. […]

« Ars requirit totum hominem » (l’art requiert l’homme tout entier), dit un traité
alchimique. Cela s’applique également, dans toute son ampleur, au travail
psychothérapeutique. Il est des cas qui non seulement exigent un engagement au-delà de la
routine professionnelle, mais qui l’imposent si l’on ne préfère pas mettre toute l’entreprise en
péril pour esquiver son propre problème que l’on voit surgir de toute part avec une netteté
croissante. La limite des possibilités subjectives doit toujours être atteinte, sinon le malade ne
peut pas non plus percevoir ses propres limites.

Enfin, un dernier point de convergence de Jung avec les idées développées par
le BCPSG concerne le dispositif de l’analyse. Celui-ci, en effet, a très vite renoncé à l’usage
du divan, afin de faciliter la lecture, par le patient, des émotions de son analyste,
l’interaction émotionnelle étant l’une des dimensions de l’implicite de la communication. Il
s’en explique, devant son auditoire de la clinique Tavistock de Londres, en ces termes
(1935, p. 195-196) :

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Comme je l’ai déjà dit, le transfert est, à proprement parler, une projection entre
deux individus, généralement de nature émotionnelle et contraignante. Lorsqu’elles atteignent
un certain degré, les émotions submergent toujours le sujet, car ce sont des états involontaires
qui passent outre les intentions du moi. De plus, elles adhèrent au sujet qui ne parvient pas à
s’en détacher. Mais cet état du sujet dépourvu de toute volonté est en même temps projeté à
l’intérieur de l’objet58, de sorte qu’il s’établit un lien indissoluble qui exerce une influence
coercitive sur le sujet.

On ne peut pas se détacher d’une émotion comme on le ferait d’une idée ou d’une
pensée, car les émotions sont assimilables à certains états physiques et donc profondément
ancrées dans l’épaisseur matérielle du corps. C’est pourquoi l’affect lié aux contenus projetés
constitue toujours un lien, une sorte de relation dynamique, entre le sujet et l’objet. C’est
précisément ce qu’est le transfert. Et comme vous le savez, cette relation émotionnelle, ou ce
pont, ou ce fil élastique peut, bien entendu, être positif ou négatif.

La projection de contenus émotionnels a toujours des effets étranges. Les émotions


sont contagieuses parce qu’elles sont profondément enracinées dans le système sympathique :
d’où, en médecine, le terme de « sympathique ». Tout processus de nature émotionnelle
déclenche immédiatement un processus de nature similaire chez les autres. […]

En psychothérapie, le fait même que le patient éprouve des émotions a une


incidence sur le médecin, […] La seule chose qu’il [le médecin] puisse faire est de prendre
conscience qu’il en est affecté. S’il ne le voit pas, c’est qu’il les ignore et alors ce qu’il va dire
ne sera pas pertinent. Il est même de son devoir d’accepter les émotions de son patient et de les
lui renvoyer en miroir. C’est la raison pour laquelle je refuse l’idée de mettre le patient sur un
divan et de m’asseoir derrière lui. Je mets mes patients en face de moi et je leur parle comme
un être humain normal parle à un autre être humain. Je me montre tel quel et réagis sans
restriction.

3.12 La!question!de!l’archétype!et!de!la!pulsion!

Tout ce qui a été développé jusqu’à présent peut paraître notoirement


insuffisant aux praticiens de l’analyse, qu’ils soient jungiens se référant à la théorie des
archétypes ou freudiens se référant à celle des pulsions. Il semble, en effet, que les avancées

58 : C’est onze ans plus tard, que Mélanie Klein (1946) introduira son concept d’identification projective.

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actuelles des neurosciences permettent assez facilement d’avoir une représentation de ce


que les psychanalystes appellent les théories traumatiques, à l’instar de la première théorie
freudienne de la séduction. Ces théories débouchent sur une économie des conflits
psychiques endogènes, ainsi que sur l’illusion d’un passé qui serait réparable, ce qui a
alimenté de nombreuses critiques, notamment à l’encontre de Ferenczi, Balint et Winnicott,
pour ne citer que les principaux. De telles critiques ont été aussi formulées à l’encontre de
Jung, ce qui, à la lecture plus approfondie de son œuvre, ne paraît pas plus justifié que pour
Balint et Winnicott.

En effet, pour Jung comme pour Freud, l’essentiel relève bien des dynamiques
inconscientes propres au sujet, même si, pour l’un comme pour l’autre, ces dynamiques
sont tout autant communes à l’espèce. Pour les deux, aussi, ces dynamiques sont
profondément ancrées dans l’être psychosomatique du sujet. Le fait que Jung (1952), avec
Pauli, (Jung & Pauli 1932-1958)) pose aussi l’hypothèse d’un ancrage plus profond, jusque
dans la structure même de la matière, ne réduit pas pour autant l’ancrage de l’archétype
dans le corps.

Il semble ici possible de faire l’hypothèse que ces dynamiques, pulsionnelles


autant qu’archétypiques, soient des émergences du système complexe corps-psyché, la
psyché étant elle-même émergence de l’intégration neurophysiologique à l’ensemble des
dynamismes biologique du corps, autant qu’elle est aussi émergence de l’intégration du
sujet au sein de son environnement.

Cette hypothèse ne réduit aucunement l’archétype à la pulsion, ou


réciproquement. Ces notions sont elles-mêmes intégrées au sein de modèles formels du
fonctionnement psychique non superposables, et ne peuvent donc être réduites l’une à
l’autre. Elles peuvent, par contre, être appréhendées comme résultant de sections de
Poincaré différentes d’un même système complexe, la psyché humaine, et représenter ainsi
certains de ses principaux attracteurs, tels qu’ils se révèlent dans l’une ou l’autre de ces
sections. Concernant les pulsions, une idée très semblable a déjà été avancée par Timar
(2004), s’appuyant sur les travaux du physicien Nottale (1995, 2003) au sujet de la relativité
d’échelle.

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3.13 Conclusion!

L’ensemble de ces données et travaux neuroscientifiques peuvent permettre de


modéliser les interactions neurocognitives qui existent entre l’analyste et son analysant. Il
reste néanmoins une question, essentielle, à laquelle ils ne répondent pas : qu’est-ce qui fait
de la cure analytique une technique permettant le changement ? Trois axes de pensée
existent dans le champ de la psychanalyse à ce sujet :

- Pour Freud, il s’agissait avant tout de modifications des liens associatifs entre les traces
mnésiques de l’analysant, modifications qui reposeraient sur la remémoration de ces traces,
et la reconstruction d’une histoire du sujet (mémoire autobiographique) au sein de laquelle
chacune de ces traces (re)trouverait sa place. Il y a aussi tout un pan de la théorie
freudienne qui articule ce travail de levée du refoulement avec un travail de liaison à
l’affect : la levée d’un refoulement n’est pas une activité intellectuelle, mais bien la
réintégration d’une représentation au sein du tissu associatif dont la nature est d’être
psychoaffectif.
- Pour Jung, qui n’a jamais contredit la position freudienne, mais qui la trouvait
insuffisante, cela ne résultait pas tant de l’effet des interprétations de l’analyste, que d’un
processus naturel, l’individuation. La situation analytique, et son corollaire, le processus
transférentiel, permettraient de relancer ce processus (qui est un processus d’auto-
organisation) en lui offrant les conditions de cette relance. Et ce processus, pour Jung, ne
peut se comprendre exclusivement par une restauration du tissu associatif psychique ; il
s’accompagne aussi d’une réorganisation de ce même tissu selon des mouvements auto —
(dés)organisateurs spontanés qu’il a nommé les dynamiques archétypiques.
- Pour les développementalistes, enfin, la situation analytique permettrait que soient
reprises les étapes du développement psychique et neurobiologique, qui ont été, du fait de
l’histoire du sujet, empêchées et/ou déviées de leur évolution souhaitable.

L’hypothèse est ici que ces trois axes de pensée sont non exclusifs les uns des
autres, et qu’ils représentent autant d’émergences possibles à partir de la chimère
transférentielle. Chacun peut se comprendre en cohérences avec les modèles
neuroscientifiques proposés ici. Enfin, ils ont tous trois le mérite de fonder la nécessité
d’une situation clinique asymétrique comme condition nécessaire, mais non suffisante,
d’une possible émergence d’un effet thérapeutique.

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Mais l’hypothèse travaillée ici permet aussi d’aller plus loin : l’asymétrie
fondamentale du cadre et des règles de l’analyse aurait pour effet de faciliter le
fonctionnement chaotique du système émergeant, alors que les limitations strictes qui
s’imposent aux deux protagonistes permettraient de maintenir un fonctionnement linéaire
prévisible. Le système émergeant de ce dispositif serait ainsi maintenu à la frange de la
linéarité et du chaos, ce qui faciliterait d’autant les phénomènes d’émergence, donc la
créativité psychique, que les processus auto-organisateurs (archétypiques dans la
terminologie jungienne), donc la réorganisation psychique. En d’autres termes, là où la
situation relationnelle hors analyse maintient souvent une certaine linéarité de ses
dynamiques grâce au principe de répétition, l’analyse offre la possibilité d’un transfert de ce
principe sur le cadre, réduisant ainsi quelque peu son emprise sur le fonctionnement
psychique de ses deux protagonistes.

Enfin, il nous semble que le schéma du système transférentiel comme système


complexe d’interactions neurobiologiques permet de comprendre, en cohérence avec les
données neuroscientifiques actuelles, deux autres dimensions importantes du processus
psychanalytique :

- La notion de communication d’inconscient à inconscient (en fait la dimension


inconsciente de la communication), introduite par Jung (p. ex. 1944), puis reprise par de
nombreux psychanalystes. Cette notion a longtemps été dérangeante (et souvent fortement
critiquée), car, en l’absence de modèle scientifique permettant d’en représenter les
fondements biologiques, elle paraissait plus magique que réelle.
- La nécessité, énoncée par Jung autant que par Freud (quoique différemment), et reprise
depuis par l’ensemble de la communauté psychanalytique, d’un travail psychique interne de
l’analyste qui va bien au-delà d’une simple dimension intellectuelle et qui ne peut se fonder
exclusivement sur un savoir. Ce serait, en effet, au travers des modifications que ce travail
apportera au sein de son psychisme, que l’analyste permettra une modification progressive
de la dynamique globale du système complexe de la chimère transférentielle, modification
qui induira à son tour des modifications au sein du psychisme de l’analysant. Cela pourrait
évidemment évoquer l’analyse mutuelle telle que pratiquée à l’époque de la rencontre entre
Freud et Jung, ce dont ce dernier témoigne sans réserve en 1959 (p.337), à ceci près — et
c’est essentiel — que c’est bien l’asymétrie introduite par le cadre de l’analyse qui permet la
constitution d’une chimère transférentielle faisant office de tiers dans la relation, autorisant
chacun, analysant et analyste, à entretenir avec elle une relation qui lui soit propre.

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Au-delà de cette nouvelle compréhension de processus restés longtemps


opaques à toute possibilité de représentation cohérente avec la science actuelle, cela permet
aussi d’affirmer que tout ce dont parle la psychanalyse, et l’ensemble de ses pratiques se
fondent sur l’organisation neurobiologique de l’être humain. En retour cela permet
d’affirmer que le processus psychanalytique est susceptible de s’accompagner d’un
remaniement de cette organisation neurobiologique, et de comprendre que le temps de la
cure nécessite le temps de ce remaniement neurobiologique, dont la médecine sait depuis
longtemps que, concernant les adultes, il se mesure en années, et non en jours, semaines ou
mois.

4 !Lecture!clinique!

Revenons maintenant à la vignette clinique d’une séance avec Huguette. Deux


aspects différents de ce qui s’est passé dans cette séance paraissent remarquables, la réelle
empathie de l’analyste avec elle d’une part, et la possibilité ouverte par celle-ci d’un dialogue
intérieur avec ses voix d’autre part.
59
Concernant l’empathie, il semble que celle-ci soit un exemple du
fonctionnement cérébral en « miroir », et du feed-back induit par ce fonctionnement ;
l’hypothèse de Gallese (2005) se trouve ici parfaitement confirmée. Toute à l’éprouvé de
son rêve (éprouvé dont elle n’avait pourtant pas conscience), la patiente a permis à son
analyste d’en sentir la tonalité apaisante. Sans en avoir conscience, il s’est alors trouvé dans
un état intérieur de grande empathie, avant de pouvoir éprouver cet état et, probablement,
le lui renvoyer au travers de son attitude ; cela confirme, d’un point de vue clinique, ce que
décrit Damasio d’un point de vue neuroscientifique à propos des affects (2000, 2006) : ils
s’éprouvent d’abord dans le corps avant de pouvoir accéder à la perception consciente.
C’est alors que la patiente a pu parler de ses voix, et que, avec son analyste, elle a pu entrer
en relation avec elles. Il paraît probable, dans cette séquence, que le fait que l’analyste ait pu
être touché par la paix de son rêve et qu’il ait pu éprouver lui-même cette paix, lui a permis
d’en retrouver elle-même le plein éprouvé dans le miroir que l’analyste lui renvoyait de son

59 : Il est impossible de développer ici la question de l’empathie, question sur laquelle de très nombreuses
publications ont porté. L’un d’elles, cependant, présente l’intérêt de l’aborder du point de vue de
l’analysant (Tisseron 2013).

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affect. En d’autres termes, les percepts de l’affect (éléments β) ont pu être représentés au
travers du miroir que l’analyste lui en renvoyait (fonction α), représentation qui a permis
leur éprouvé (un percept non représenté est vécu/ressenti comme corps étranger, et ne
peut donc être éprouvé dans le corps propre du sujet).

Concernant cette possibilité d’un dialogue avec ses voix il semble nécessaire,
comme le soutenait déjà Tausk (1919) de poser l’hypothèse d’un fonctionnement
particulier de la mémoire, à savoir de considérer les hallucinations de cette patiente comme
l’effet d’un dysfonctionnement de celle-ci qui, d’une part isole la remémoration du reste du
fonctionnement psychique conscient, de telle sorte qu’elle prend (ou conserve) la forme
d’une hallucination, et d’autre part permet au réseau neuronal distribué60, ainsi activé par la
remémoration, de se comporter d’une manière autonome vis-à-vis du reste du psychisme,
de la conscience en particulier. Nous retrouvons là tout ce que Jung a décrit des complexes
et de leur autonomie, une autonomie vis-à-vis de la volonté consciente qui, pour Jung les
caractérise ; simplement, la forme psychotique que prennent ici les manifestations de ces
complexes nous permet, comme ce fut le cas pour Jung lors de ses années de pratique au
Burghölzli, de les observer « en direct ».

Concernant la question du transfert et de ses relations avec la mémoire il faut


prendre en compte le fait que ce rêve n’est intervenu qu’après plusieurs mois d’entretiens
hebdomadaires, plusieurs mois durant lesquels l’analyste a eu le sentiment de très peu
investir cette patiente. Il avait simplement le désir de la respecter, mais nul espoir de l’aider,
si ce n’est à supporter l’insupportable de son état en lui offrant son écoute. Il essayait
simplement — et ça ne lui était pas toujours facile — de maintenir envers elle une attitude
éthique au sens où l’entend Hester Solomon (2000a)61. La survenue de ce rêve, au bout de
plusieurs mois, donne à penser que cette attitude éthique de la part de l’analyste a pu non
seulement éveiller en elle une attitude semblable vis-à-vis de ses voix (effet miroir), mais
aussi entrer en connexion avec une (ou des) expérience semblable de son enfance :
l’hypothèse clinique est, là, que cet enfant de deux ans qui ne parle pas encore est une
représentation en lien avec une expérience apaisante que la patiente a pu faire autour de cet

60 : Il importe là de se représenter qu'un réseau neuronal distribué peut concerner toutes les zones du
cerveau, et donc avoir accès à toutes ses compétences, en l'occurrence ici la capacité de langage.

61 : Cette notion d’éthique est très proche de celle de l’investissement conscient exogame qui sera développée
plus avant dans ce travail (Cliniques - 3.3.3.5).

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âge, lui permettant ainsi, par réactivation de ce souvenir dans son rêve, après réactivation
de ce bain éthique dans le transfert, de retrouver en elle-même cet éprouvé apaisant. Ainsi
ce pourrait être l’effet miroir de l’attitude éthique de l’analyste à son égard qui a réactivé le
circuit neuronal qui avait été activé dans sa petite enfance lors des expériences éthiques
qu’elle a pu avoir avec les adultes de son entourage62.

Mais ce seul constat ne paraît pas suffire, car il fait l’économie de ce qui s’est
passé chez l’analyste. En fait, à l’écoute de son rêve, celui-ci s’est d’abord retrouvé lui-
même enfant dans les bras éthiques d’une bonne mère, et aussi adulte portant un enfant
dans ses bras, avec autant de paix que de respect de cet enfant confiant et abandonné. Il
était lui-même renvoyé aux éprouvés, tant affectifs que corporels, des expériences de cet
ordre inscrites dans sa mémoire, la mémoire de son enfance évidemment, mais aussi la
mémoire de son expérience analytique personnelle quand il s’était retrouvé comme un bébé
dans les bras de son analyste. C’est évidemment dans la reviviscence, alors inconsciente, de
ces expériences qu’il a pu trouver la possibilité d’avoir et de conserver une attitude
suffisamment éthique avec sa patiente durant les premiers mois de sa thérapie, l’altérité
exogame consciente de sa position analytique s’accompagnant d’une fusion endogame
inconsciente compensatrice.

Et c’est aussi sur ces bases qu’un dialogue a pu s’initier avec ses voix : dans son
attitude éthique préalable, l’analyste avait toujours été très attentif à ce qui, en lui, pouvait,
comme elle, souhaiter rejeter ces voix, en considérant qu’elles n’étaient que des effets
parasites de son cerveau malade. Il avait le sentiment que, ce faisant, il aurait été dans
l’incapacité de maintenir une attitude éthique avec elle : ces voix font partie d’elle ;
comment pourrait-on être partiellement éthique ? Bien au contraire, une attitude éthique ne
se peut que si elle est non exclusive de tel ou tel aspect de la personne à qui elle s’adresse.
Là encore, il y eut un jeu de miroirs, son attitude vis-à-vis de ses voix changeant
progressivement, comme si, pour la première fois, elle commençait à se sentir autorisée à
les considérer comme parts valables d’elle-même. Le fait que l’analyste la sentait réceptive à
sa position éthique l’aidait, en retour, à la maintenir.

Rien de ceci, évidemment, ne saurait se produire, du point de vue jungien, hors


du champ des activations archétypiques réciproques et/ou complémentaires entre l’analyste

62 : Il paraît difficile d'imaginer qu'un bébé puisse rester en vie s'il n'a pas fait quelques expériences de cet
ordre. cf. l'hospitalisme de Spitz (1945).

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et son patient. De même que le psychisme de l’analyste et celui de son patient sont en
permanence préformés/informés par les processus archétypiques, de même leurs cerveaux
sont tout autant en permanence soumis aux mouvements chaotiques de leur
fonctionnement de base. Se pourrait-il, donc, qu’un même attracteur étrange soit
organisateur du chaos cérébral et du psychisme de l’analyste et de son patient dans une telle
séance (Martin-Vallas, 2005, 2009a, 2013) ?

5 !Conclusion!

Ce chapitre a permis de passer rapidement en revue un certain nombre


d’hypothèses relatives à la possibilité d’un modèle neuroscientifique de la clinique
psychanalytique et de ses effets potentiellement thérapeutiques. En l’état actuel de
l’avancement de ce travail ces hypothèses ne peuvent être considérées pour plus qu’elles ne
sont : des hypothèses plausibles, mais non scientifiquement validées. Elles ont tout de
même le mérite de pouvoir déplacer le débat entre psychanalyse et neurosciences qui,
aujourd’hui, se situe trop souvent, soit dans l’affrontement stérile de points de vue
idéologiques, soit dans la recherche de validation partielle de l’une par l’autre. Ces dernières
recherches sont évidemment nécessaires, mais ne semblent pas à même de pouvoir rendre
compte ni de la richesse de la clinique psychanalytique ni de l’étendue très hétérogène des
découvertes neuroscientifiques.

C’est pour ouvrir à une autre forme d’articulation de ces deux champs qu’il est
ici proposé d’avoir recours au modèle des systèmes complexes de la physique, et à un de
ses corollaires dans le champ psychanalytique, la chimère transférentielle. Les propriétés
émergentes spécifiques de ces systèmes, de même que leur imprévisibilité et leur causalité
non prédictive, paraissant pertinentes dans le champ de la psychanalyse autant que dans
celui des neurosciences où ils ont déjà fait l’objet de plusieurs travaux importants
(Korn 2002, 2003) ; l’existence de la Society for Chaos Theory in Psychology and Life Sciences, crée
en 1991 et regroupant aujourd’hui plus de 300 chercheurs de plus de 30 pays, en témoigne
aussi, de même que certaines recherches récentes en psychologie analytique (Krieger 2014).
Enfin, les dynamiques non linéaires de ces systèmes s’organisent autour d’attracteurs
étranges au sujet desquels j’ai émis l’hypothèse qu’ils puissent être eux-mêmes organisateurs
des formes de la représentation, ce que Jung a nommé les archétypes (Martin-Vallas, 2005,

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2009a, 2013). Hogenson (2001, 2004) et Knox (2003) avaient préalablement relié le concept
jungien d’archétype avec la notion d’émergence au sein des systèmes complexes.

Ces réflexions, si inachevées soient-elles aujourd’hui, peuvent ouvrir à une


nouvelle possibilité de modéliser ce champ intersubjectif que Jung nomma, après Levy-
Bruhl, participation mystique (Jung 1920, p.83 ; Winborn 2014 ; Martin-Vallas 2014). Ce
modèle, qui cherche à s’appuyer conjointement sur l’expérience clinique analytique et sur
les modèles neuroscientifiques, peut être utile aux cliniciens pour penser leur pratique dans
l’actualité des avancées scientifiques présentes, et aussi aux neuroscientifiques pour leur
ouvrir la possibilité d’intégrer à leurs recherches les éclairages et questions que cette
clinique est susceptible de leur apporter.

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Clinique"

CLINIQUES!
La question se pose [au médecin] : Que fais-tu,
toi, dans le transfert ? (Jung 1944, p.28)

1 Brigitte!

1.1 Présentation!

Il s’agit là de la première approche ayant explicitement tenté de définir la


notion de chimère transférentielle, à partir d’un exemple clinique et d’un développement
théorique en référence à l’approche jungienne du transfert. Ce fut mon mémoire de fin de
formation analytique (Martin-Vallas 1997) auprès de la Société Française de Psychologie
Analytique, Société constituante de l’Association Internationale de Psychologie Analytique
fondée en 1955 par des proches de Carl Gustave Jung.

Ce mémoire a été écrit autour de la question du transfert en tant que chimère


tout d’abord pour répondre aux questions soulevées par que le cas clinique présenté. Il s’y
ajoutait que la question du transfert m’était déjà apparue comme centrale alors que j’étais
interne au Centre Médico-Psychologique Régional au sein de la Maison d’Arrêt de Varces,
en banlieue grenobloise, sous la direction de Claude Balier ; celui-ci, Analyste membre de la
SPP, en était chef de service et il en avait fait un laboratoire expérimental d’une approche
psychanalytique institutionnelle des troubles graves de la personnalité débouchant sur des
comportements violents, viols et meurtres principalement (Balier 1988, 1996).

Dans ce contexte difficile, et face à ces détenus-patients à la violence


potentiellement explosive, la question du transfert était centrale sous ses deux aspects de
réseau projectif d’une part, et de processus d’autre part. L’analyse des différentes
composantes projectives du transfert et du contre-transfert était essentielle tant la violence
de ces patients était mal contenue et toujours prête à exploser en des actes hétéroagressifs
ou, plus souvent en ce contexte carcéral, autoagressifs. De plus, la contagiosité de cette
violence était très importante, de telle sorte que le passage à l’acte d’un détenu pouvait à

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tout moment remettre en question le travail effectué par plusieurs autres. Le transfert en
tant que processus ne pouvait être éludé tant il était patent que les interprétations auraient
été à elles seules parfaitement inaptes à rendre compte de la dynamique psychothérapique
en cours, et qu’elles auraient eu fort peu de chance de pouvoir être intégrées. Il était clair
pour tous ceux qui y travaillaient que ce processus repose d’abord sur certaines qualités de la
relation, qualités sans lesquelles la dimension interprétative, toujours nécessaire, reste à peu
près inefficiente, voire parfois toxique. En ce milieu carcéral la qualité première nécessaire à
l’établissement d’une relation thérapeutique était la contenance, contenance de la
destruction toujours à l’œuvre chez ces patients. Balier (1988) la conceptualise en terme de
pare-excitation ; Widlocher (1998), puis Tisseron (2013) l’abordent en parlant d’empathie ;
l’image alchimique de l’athanor, espace fermé au sein duquel l’œuvre peut se dérouler, en
est une métaphore proposée par Jung (1944).

Jung n’a eu de cesse, tout au long de son œuvre, d’affirmer que l’outil
thérapeutique véritable dont dispose l’analyste est sa personne propre, son âme. À partir de
là, il pose deux affirmations qui constituent le socle de son approche analytique, qu’il
s’agisse de son versant théorique ou de sa spécificité au regard des pratiques analytiques de
l’époque : d’une part que le transfert est, par sa définition même, un processus inconscient,
qu’il repose toujours sur une commune inconscience de l’analyste autant que de l’analysant,
et d’autre part qu’il ne saurait y avoir de processus analytique mené à son terme sans de
profonds changements au sein même de la psyché de l’analyste.

L’histoire clinique de l’analyse de Brigitte montre bien ces aspects, et permet de


poser l’hypothèse que cette dimension du processus transférentiel se fonde sur les blessures
narcissiques profondes de l’analyste, c’est-à-dire ce lieu de l’âme où le sens n’est pas encore
différencié du non-sens, l’être du non-être, l’humain de l’inhumain. Cette indifférenciation
fondamentale de l’âme, qui rejoint ce que Jung a nommé le psychoïde (Addison 2009), est
ce par quoi l’inconscient de l’analyste va pouvoir entrer en contact intime avec les blessures
narcissiques profondes de l’analysant. Cela, évidemment, rejoint l’affirmation de de M’Uzan
(1976) pour qui la chimère se constitue à partir de la rencontre de deux inconscients, celui
de l’analyste et celui de l’analysant.

Ces affirmations induisent une position de l’analyste qui définit la spécificité


clinique de l’approche jungienne, même si de nombreux analystes d’autres écoles l’ont,
depuis, adoptée sans se référer à cette approche. Jung ne cesse de répéter que l’analyste ne
peut espérer accompagner son patient dans un processus de changement qu’à la condition
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qu’il accepte d’en être lui-même transformé, donc d’y être pleinement impliqué : Il [le
médecin] « prend sur lui », très exactement, la souffrance du patient et il la partage avec lui. Il est donc par
principe en danger et il doit l’être. (Jung 1944, p.24)

Mais l’analyste n’est pas réceptacle passif de la souffrance de l’analysant. Il ne


peut « prendre sur lui » cette souffrance que dans la mesure où la blessure profonde de
l’analysant trouve en lui un lieu d’accroche, ce qui fait dire à Jung (1944, p.31) que Même le
psychothérapeute le plus expérimenté doit sans cesse découvrir qu’un lien et une connexion le concernant se
sont créés à partir d’une inconscience commune.

Toute la psychologie du transfert que Jung a développé est fondée sur ce


constat. Mais il va plus loin encore quand il dit (1944, p.24) :

Or ce lien est souvent d’une telle intensité qu’on pourrait parler d’une combinaison.
Quand deux corps chimiques se combinent, tous deux subissent une altération. C’est aussi le
cas dans le transfert. Freud a bien vu que ce lien a une haute valeur thérapeutique, parce
qu’il favorise la constitution d’un mixtum compositum entre la santé mentale du médecin et
l’équilibre troublé du malade. […] Il est inévitable que le médecin en subisse une certaine
influence et qu’il en résulte un trouble, un dommage pour sa santé nerveuse. Il « prend sur
lui », très exactement, la souffrance du patient et il la partage avec lui. Il est donc par
principe en danger, et il doit l’être.

Ce « troisième » que Jung introduit là est le fondement théorico-clinique de


l’hypothèse développée dans ce travail, à savoir que le processus transférentiel repose sur
une néoréalité inconsciente qui n’est ni de l’analyste, ni de son analysant, mais qui est
véritablement en position de tiers autant que d’entre-deux dans la relation qu’entretiennent
l’analyste et son patient. Il s’agit de la Chimère transférentielle.

À partir de là va pouvoir se nouer, se développer, s’épanouir et — deo


concedente63 — se délier ce qui constitue toujours la trame du drame analytique : une histoire
d’amour.

63 : Si Dieu le veut. Cette expression, issue des textes alchimiques, est souvent reprise par Jung qui signifie ainsi
que la volonté consciente n’a, en ce processus, que peut de pouvoir ; ni la volonté de l’analyste, ni celle
de l’analysant, ne peuvent décider du dénouement du processus, dénouement dont nul ne peut avoir la
certitude qu’il advienne avant qu’il ne soit là, parfois d’emblée évident, plus souvent demandant une
longue élaboration avant sa mise en acte par la fin de l’analyse.

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La"chimère"transférentielle"

1.2 Une!première!approche!clinique!:!Brigitte!

C’était la fin de l’automne, bientôt l’hiver, quand Brigitte vint me voir. Elle
cherchait quelqu’un et croyait qu’un psychiatre pourrait l’aider, avec quelques médicaments,
à supporter le silence d’un analyste rencontré quelques mois auparavant. Je l’ai cru avec elle
et lui ai prescrit le nécessaire. Mais cette femme était perdue ; je lui ai parlé, elle m’a parlé,
et ainsi s’est engagée entre nous une relation qui devait durer près de dix ans.

Quelque temps plus tôt, ma mère s’était suicidée, cinq ans plus tôt Brigitte
s’était suicidée, ou du moins avait essayé, en se jetant par la fenêtre, du sixième étage. Mais
son corps avait refusé la mort et elle s’était retrouvée, par une contorsion aussi spontanée
qu’improbable, sur le balcon du cinquième, en piteux état, certes, mais vivante. Cette
volonté animale de vivre, que n’avait pas eue ma mère, m’a probablement touché bien au-
delà de ce que j’étais alors capable de me dire. C’est ainsi que, après quelques semaines,
alors qu’elle m’annonçait avoir interrompu son analyse, je fus amené à lui proposer de faire
un travail de psychothérapie avec elle (tout en lui précisant que je ne serai alors plus son
prescripteur).

Je m’étais avancé vers elle, lui avais tendu la main, dans une mise en acte tout à
fait étrangère à mes habitudes de pratique, mise en acte qui me surprit autant qu’elle la
soulagea : elle accepta de suite, disant qu’elle n’osait me le demander. En fait, nous étions
tous deux pris dans un même interdit factuel : le psychiatre prescripteur n’est pas le
psychothérapeute, le psychothérapeute ne formule pas la demande, mais attend que le
patient la lui formule. Il est clair aujourd’hui que cet interdit factuel n’était que l’expression
consciente d’une peur fondamentale, qui nous était elle aussi commune, peur d’aborder les
aspects les plus archaïques de l’âme, au risque de nous y perdre.

Mais cette peur, que je ressentais tout de même, bien que déplacée sur le
factuel, j’avais alors pu la surmonter, laissant à mon désir de travailler avec elle la possibilité
de s’exprimer. Cela noua quelque chose de très fort entre nous et elle put commencer à me
parler d’elle, de sa vie, de ses angoisses, de sa souffrance : ce nœud si subitement projeté et
incarné au centre de la scène analytique put, très progressivement, très lentement, et au prix
de moult péripéties, prendre forme et relief.

Quand elle vint me voir, Brigitte avait la quarantaine. Petite, ronde, brune, elle
avait le look sérieux et un peu austère habituel dans sa profession. Malgré ses fréquents

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efforts vestimentaires, elle me paraissait toujours plus androgyne que féminine. Mais ce
n’était pas l’androgynie séductrice de l’adolescence ; elle renvoyait bien plus à
l’indifférenciation des sexes qu’à la bisexualité, et n’éveillait pas en moi de désir sexué, mais
plutôt une forme d’attirance/répulsion très indifférenciée : bien plus de l’excitation que du
désir. Elle oscillait entre des périodes d’agitation maniaque, boulimique de tout, que seuls
les neuroleptiques parvenaient à contenir dans des limites raisonnables, et des périodes de
mélancolie anxieuse qui m’ont souvent fait craindre le pire.

Heureusement, elle avait ses enfants et son ex-mari ! Elle devait vivre autant
pour aimer les premiers que pour haïr le second, et surtout elle pouvait me mettre à
contribution afin que je l’aide à les préserver, les uns autant que l’autre, de cette énergie
destructrice qui, avec la régularité de l’horloge, la débordait, l’envahissait, nous envahissait.
Ce fut tout un temps de face à face où l’actuel et le factuel tenaient le devant de la scène,
me faisant tour à tour vivre le sentiment de mon impuissance et/ou de ma supposée toute-
puissance, temps durant lequel j’essayais de me raconter que tout ceci devait bien mener
quelque part, qu’il me fallait coûte que coûte tenir. Mais, quelques soient mes doutes, mes
craintes ou mon « raz le bol », je n’avais pas le choix : j’avais le sentiment que la vie de
Brigitte était en jeu, non pas seulement sa vie psychique et la qualité de son désir, mais sa
vie tout court.

Ne pas « tenir » eut été, en tout cas je le croyais, l’abandonner à une mort
certaine, ce qui m’était d’autant plus impossible que le suicide de ma mère était proche. Il y
avait là une dramatisation du transfert dont nul ne pourra jamais dire si elle était fondée sur
une réalité propre à Brigitte, mais dont je pense aujourd’hui qu’elle a été tout à fait
indispensable à son évolution. En ce point nous étions collés l’un à l’autre, véritables
siamois, ce qui renvoie évidemment à ces figures du rosaire, sur lesquelles Jung fonde son
travail de 1944, où le frère et la sœur alchimiques partagent le même corps (voir plus loin).

À côté de son ex-mari et de ses enfants, protagonistes réels de sa vie, deux


autres personnages jouaient un rôle prépondérant. L’un, réel lui aussi, en la personne d’une
cadre de son entreprise, grande mère terrible, dépressive, destructrice, dévoratrice, devant
laquelle Brigitte ne pouvait que se rebeller violemment afin d’écouler tant que faire se peut
la haine ravageuse qui jaillissait régulièrement entre elles. Tout aussi régulièrement, je lui
faisais remarquer qu’au-delà du caractère à l’évidence difficile de cette femme, il y avait
peut-être quelque exagération à la considérer comme uniquement destructrice (je gardais en
mémoire que c’est par elle que Brigitte avait eu mes coordonnées). Mais Brigitte restait tout
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à fait sourde à mes remarques et je finis par comprendre, sans d’ailleurs savoir qu’en faire,
qu’il lui fallait avant tout me transmettre une part de cette haine : ce n’est que lorsque je
bouillonnais intérieurement d’une rage haineuse à son encontre que Brigitte pouvait
retrouver en elle un îlot de calme relatif.

Le second était l’homme de sa vie, être imaginaire, toujours projeté sur tel ou
tel, avec cependant une prédilection pour un proche admiré pour sa réussite sociale. Cet
homme devait lui apporter aisance matérielle et sociale, lui permettant ainsi d’être enfin
reconnue. Mais l’apparition de cet homme dans le transfert se faisait toujours en regard des
insuffisances, réelles ou supposées, de l’analyste. Il n’était pas tant là pour satisfaire, par
déplacement, des désirs frustrés que pour prouver à l’analyste l’inanité d’une démarche
dont le cadre entraînait une insatisfaction, alors insupportable pour Brigitte. Et là aussi, il
me fallait bien intervenir, non pas dans l’affect, comme précédemment, mais plus
simplement pour aider Brigitte à ne pas laisser envahir la totalité du temps de ses séances
par ses rêveries d’omnipotence amoureuse. J’avais le sentiment qu’il eut été vain, alors,
d’interpréter ce personnage imaginaire comme figure d’animus. Il était bien plus tout-
puissant que sexuellement différencié, et Brigitte ne pouvait le vivre que comme
complément narcissique. Cependant, la dimension de l’Autre était là introduite par l’écart
entre la complétude imaginaire et la frustration réelle :

Tant que le patient pouvait croire que quelqu’un d’autre (par exemple son père ou
sa mère) était responsable de ses difficultés, il pouvait sauver à ses propres yeux l’apparence de
son unité (putatur unus esse : il pense être un). Mais quand il se rend compte qu’il possède
lui-même une ombre, qu’il porte son ennemi « dans son propre sein », alors le conflit
commence, l’un devient deux, et comme l’Autre est lui-même une dualité, voire une pluralité
faite de couples de contraires, ainsi qu’on s’en aperçoit peu à peu, le moi n’est bientôt plus rien
que le jouet de toutes ces « volontés particulières » (mores) et c’est là ce qui amène chez le
patient « l’obscurcissement de la lumière », c’est-à-dire une perte de la puissance du conscient
et une désorientation concernant le sens et l’étendue de la personnalité. Le passage est souvent
si obscur que souvent il doit (et non : il devrait) se cramponner à son médecin comme à ce qui
lui semble être l’ultime réalité. Cette situation est, pour l’un comme pour l’autre, difficile et
pénible, et il n’est pas rare que le médecin soit comme l’alchimiste qui souvent ne sait plus si
c’est vraiment lui qui fait fondre la mystérieuse substance métallique dans le creuset, ou s’il ne
brûle pas lui-même dans le feu sous forme de salamandre. L’inévitable induction psychique
fait que tous les deux sont atteints et transformés par la transformation du troisième, tandis

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que le savoir du médecin éclaire seul, telle une petite lampe, les ténèbres profondes du
processus. (Jung 1944, p.54)

Ce fut long, terriblement long et éprouvant, car nous ne percevions aucune


issue à ce cycle sadomasochiste par lequel j’étais maintenant moi-même pris à partie. Petit à
petit, cependant, je perçus qu’il y avait là une jouissance qui se cherchait, une véritable
jubilation sexuelle, qui me donnait l’impression que l’excitation était autant le phallus par
lequel elle me pénétrait que le sperme qu’elle injectait en moi. En tout cas, il y avait pour
elle effet de jouissance, et ainsi son apaisement pouvait survenir. Je ne pouvais résister à ces
assauts sans les amplifier, et j’avais clairement le sentiment de ne pouvoir m’y soustraire
sans abandonner Brigitte à sa destructivité. Dure épreuve.

Je perçus assez vite (au bout de quelques années tout de même) que la
sexualisation de ce processus était défensive, et que Brigitte cherchait par là à retrouver
quelque chose du rapport du nourrisson à la mère, une forme de rêverie maternelle qu’elle
recherchait autant qu’elle l’attaquait, probablement afin de s’assurer de l’indestructibilité de
cet objet maternel que j’étais alors pour elle (Winnicott 1971). Malgré toutes mes tentatives
d’interprétation de cette défense, rien n’y faisait. Brigitte comprenait fort bien ce que je lui
soumettais, elle comprenait tout autant la nécessité pour elle de renoncer à cette jouissance
qu’elle finit par percevoir clairement, mais la mise en scène transférentielle de ce rapport
sadomasochiste très archaïque se renouvelait sans cesse. Je n’avais pas encore conscience
— je ne le ressentais pas encore — que cette sexualisation défensive du rapport archaïque à
la mère avait aussi une visée prospective : le peu de libido sexuellement différenciée n’avait
pas d’autre issue pour explorer le possible du rapport à l’autre.

Il ne s’agissait pas, en fait, de véritable sadomasochisme, c’est à dire d’une


organisation anale de son rapport à l’objet, mais d’une organisation bien plus archaïque
autour de la question « exister/ne pas exister », ou, ce qui revient in fine au même, de
savoir qui, de la mère ou de moi, peut exister. À ce niveau premier de l’organisation
narcissique, il n’y a pas place pour deux et une trop forte distance entre la mère et son
enfant ne peut que déboucher sur cette question aussi vitale qu’angoissante. L’apparence
sadomasochiste provient de l’impossibilité de vivre le deux autrement que comme menace
de non-être : un de trop veut dire que l’un doit disparaître. Pour cela deux solutions,
fusionner jusqu’à ne plus former qu’un seul, ou détruire l’autre, ce qui est impossible sans
se détruire soi-même tant l’autre est ici une part de soi. Balint (1960 p.98) le dit autrement :
dans cette relation harmonieuse à deux personnes, un seul des partenaires peut avoir des désirs, des intérêts
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et des exigences propres ; il est entendu […] que l’autre partenaire […] aura automatiquement les mêmes
[…] S’il advient la moindre anicroche, la moindre discordance entre le sujet et l’objet, la réaction consistera
en symptômes bruyants et violents évoquant des processus soit d’agressivité et de destructivité intense, soit de
désagrégation profonde.

Je résume là en quelques lignes les grands axes qui ont organisé les huit
premières années de notre travail, dont trois en face à face, puis le reste sur le divan, à
raison de trois séances par semaine. L’anamnèse de Brigitte ne pourra pas être plus détaillée
ici, par souci de discrétion. Il paraît suffisant de constater, au regard du lien transférentiel, à
quel point les imagos parentales étaient toutes deux extrêmement déficientes.

Pris dans cette tourmente transférentielle j’avais bien peu d’éléments pour me
repérer, et après les avoir tous épuisés, un surtout restait énigmatique, inaccessible à notre
compréhension : depuis le début de notre travail il lui était impossible d’avoir une relation
amoureuse avec un homme. Cela lui paraissait totalement incompatible avec l’analyse, mais
elle ne pouvait l’expliquer. Elle ne pouvait qu’accuser son analyste de cet état de fait et
réclamer l’interruption de son analyse, interruption toujours exigée sur le champ, l’idée d’un
délai nécessaire pour préparer la séparation renvoyant sans cesse à ce même scénario
apparemment sadomasochiste selon lequel l’analyste ne pouvait que la contraindre à rester
ou la rejeter violemment.

Malgré cette projection de mère étouffante qui ne veut pas laisser à son enfant
la possibilité de partir à l’exploration du monde, l’analyste n’a jamais eu la moindre
hésitation : il lui a toujours manifesté avec une grande fermeté qu’il n’était pas question
pour lui que ce travail analytique soit interrompu préalablement à son terme, tout en
essayant de mettre en mot sa terreur d’une grande mère possessive et mortifère. Il essayait
ainsi de tenir une position différenciatrice de père, position d’autant moins évidente que
l’analysante vivait toujours son père soit comme impuissant soit comme séducteur, c’est-à-
dire selon les deux versants de la grande mère archaïque et non comme père faisant loi et
tiers.

Apparut alors un autre élément qui résista aussi à notre compréhension, malgré
toute l’attention que je lui prêtai puisqu’il s’agissait d’une modification du cadre. En effet,
sa symptomatologie maniaque, bien que très amoindrie par nos premières années de travail,
l’avait amenée à creuser un trou, selon son propre terme, dans son compte en banque, ceci

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jusqu’au point où, malgré (ou à cause de… ?) mes mises en garde et mes interprétations
anticipatrices, elle ne put plus me payer « sa » part64 et me dit qu’elle n’avait d’autre choix
que d’arrêter. Pas plus que précédemment, je ne pouvais accepter de laisser ainsi un
symptôme que je percevais comme psychotique décider à notre place, comme il l’avait
toujours fait dans la vie de Brigitte, et je le pouvais d’autant moins que je pressentais qu’il y
avait là un sens prospectif à respecter : à travers cette impasse Brigitte me demandait de
m’engager concrètement dans notre travail, ce qui, en retour, ne pouvait manquer de
l’engager elle-même bien au-delà de ce qu’elle n’avait pu jamais vivre avec un homme :
l’enjeu, comme il apparaîtra par la suite, en était l’accès à l’exogamie.

Là encore, il m’était demandé une mise en acte pouvant médiatiser un


irreprésentable, mise en acte impliquant que je lui donne quelque chose de moi, le seul don
de mes pensées ne pouvant alors suffire. Il me fallait lui offrir du palpable, du concret, et
un concret qui soit par moi suffisamment investi pour que ce don ait un sens, tout en étant
suffisamment médiatisé pour que je ne sois pas intérieurement menacé par la perte de ce
que je lui donnerai.

Je lui ai donc proposé de ne me régler que la part remboursée, le temps


nécessaire à la remise à flot de sa comptabilité, sa part personnelle étant comptabilisée sous
forme de dette qu’elle ne me réglera qu’ultérieurement. Dans le même temps, cependant, je
lui posai une limite : je n’accepterai pas que cette dette dépasse un mois de son salaire, ce
qui lui laissait un peu plus d’un an pour s’occuper de son compte en banque. C’était un
pari, et ce pari me semblait risqué. Non pas tant par l’enjeu financier auquel je pouvais
renoncer sans que mon train de vie s’en ressente trop significativement, mais par l’idée que
j’avais qu’elle pourrait utiliser cette dette pour se jouer de moi : qu’allait-elle encore me faire ?

Mais quand je lui fis cette proposition mon sentiment était nettement que cela
était juste, nécessaire, et qu’elle avait la capacité d’utiliser cette modification du cadre afin
de découvrir une forme de dépendance nouvelle, infiniment moins massive que celle
toujours et encore remise en jeu dans le transfert et où la mort est toujours là, surveillant et
menaçant à la moindre tentative d’indépendance, réclamant son dû avant terme, comme s’il
eut fallu mourir avant d’avoir le droit de vivre ;

64 : Elle bénéficiait du remboursement des séances par la Sécurité Sociale, et j’avais posé avec elle le cadre qui
m’est habituel en ces cas : au montant des honoraires remboursés elle ajoutait une somme de
10 €/séance. Elle payait ainsi environ 120 €/mois.

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la libido enlevée à la mère, devient menaçante comme un serpent, symbole de


l’angoisse de mort, car il faut que meure la relation avec la mère et de cela on en meurt
presque soi-même. (Jung 1950b, §473)

Il s’agit certes d’une réalité psychique que Jung met en regard de la séparation
d’avec la mère, mais la mort ici se plaçait sur le plan de la réalité tout court, comme si, à ce
niveau de non-différenciation d’avec la mère, il n’était pas possible de différencier réalité de
l’âme et réalité du corps.

Profondément, donc, je ne fus jamais inquiet : j’avais confiance en sa capacité à


négocier une dette réelle envers moi, et ceci malgré le fait qu’elle n’avait jamais réussi un tel
négoce au cours des multiples dettes qu’elle avait contractées préalablement : au fur et à
mesure de la constitution de son trou financier, c’est à dire de puis son divorce, plusieurs
années avant notre première rencontre, elle s’était ainsi constitué un réseau de dettes,
jamais soldées, toujours renouvelées ou soigneusement entretenues. Cette confiance
reposait sur le sentiment qu’en dépit de sa destructivité elle voudrait ne pas me détruire
totalement en elle. Il est clair que cela résonnait en moi avec le suicide de ma mère que
j’avais ressenti comme meurtrier envers moi, et que la confiance que j’avais en la capacité
de Brigitte de négocier cette dette avait aussi pour moi une fonction réparatrice d’une
imago maternelle profondément défaillante : je compris bien plus tard qu’elle m’avait offert
la possibilité de soigner une femme de son désir de mourir, et, ce faisant, de me soigner du
suicide de ma mère, de l’échec de mon enfance à la soigner.

Ainsi, en ce lieu où s’adressait ma confiance, il n’était pas possible de


différencier ce qui était d’elle et de moi. Nous étions, là, profondément unis pour le
meilleur comme pour le pire, en un hiérosgamos qui, pour être symbolique, n’en était pas
moins à la racine même de nos capacités respectives d’incarnation. L’enjeu était alors
clairement l’avènement du soi, autant pour elle dans une première organisation totale des
éléments psychiques constitutifs de son âme, éléments jusqu’alors épars et dissociés, que
pour moi dans une nouvelle organisation qui puisse tenter l’intégration de l’aspect le plus
archaïque du non-être maternel.

Un point essentiel mérite d’être plus développé. Cette indifférenciation, ce lieu


où nous nous ne pouvions plus être distingués l’un de l’autre, il serait tentant de ne le voir
que sous l’angle régressif et incestueux, ce qu’il était bien évidemment, d’ailleurs autant
pour elle que pour moi, quoiqu’à des niveaux heureusement forts différents. Là est
l’essentiel, ce qui permet à cet indifférencié de n’être point uniquement lieu de perdition
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dans l’océan primordial, où les retrouvailles avec le paradis originel deviennent vite l’enfer
de la dissolution du moi dans le non-être. Cette différence de niveau est une différence
dans la nature de l’investissement de cet indifférencié par chacun des partenaires. J’ai dit
plus haut que je sentais que l’enjeu, pour Brigitte, était l’accès à l’exogamie. Ce concept
jungien paraît le plus apte à rendre compte de ce qui permet à cet indifférencié de relancer
paradoxalement une dynamique de différenciation. À y regarder de plus près, en effet, mon
sentiment qu’il était juste de modifier le cadre reposait sur la perception d’un
investissement de ma personne par Brigitte, un investissement de nature exogame,
balbutiant certes, mais non moins réel. De mon côté, la différenciation libidinale était
suffisamment effective pour que l’endogamie de l’indifférenciation ne risque pas de
détruire l’éros exogamique. Il semble que ce n’est que quand ces conditions sont réunies
que le même et l’autre peuvent coexister au sein du transfert, dans un rapport de tension
dynamique et non plus seulement d’exclusion réciproque. La suite de cette cure montre
bien comment cette mise en tension a pu ici déboucher sur une profonde remise en
question des investissements libidinaux de Brigitte.

Mais avant d’en arriver là, il faut parler d’un autre évènement important : le
suicide de son frère. Quand Brigitte m’apprit la nouvelle, je m’attendis à devoir
l’accompagner dans un long et difficile travail de deuil, tant ce frère avait tenu une place
importante dans son enfance et surtout son adolescence. Il était le modèle à suivre, l’idéal
de sa mère qui comptait bien en faire un être d’exception, probablement un Prix Nobel.
Adolescent caractériel, ce frère devint paranoïaque, persécuteur persécuté, et ne put
finalement que se suicider. À mon grand étonnement, après avoir sincèrement pleuré la
disparition de cet être cher, Brigitte n’en parla plus. Précisément, j’ai alors eu le sentiment
que, mort ou vif, là n’était pas la question. Mais quelle question, alors ? Je n’en avais aucune
idée, et rien ne pouvait m’aiguiller dans une ou l’autre direction.

Les rêves, par lesquels j’aurais pu espérer trouver quelques repères, restaient
rares, infiniment difficiles à travailler, et je n’avais aucune envie de forcer ses résistances, ne
sachant toujours pas quel genre de noyau psychotique se cachait derrière ce scénario
sadomasochiste toujours renouvelé. J’en avais d’autant moins envie que, petit à petit, l’étau
du noyau psychotique s’était desserré. Le traitement neuroleptique avait pu être arrêté dès
la troisième année de l’analyse, et les relations de Brigitte hors du champ transférentiel, tant
avec elle-même qu’avec les autres, se construisaient progressivement. Enfin, elle avait pu

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reprendre le payement des séances peu avant l’échéance fixée et entamait même, à doses
homéopathiques certes, le remboursement de la dette.

Un point fut essentiel : elle s’était mise à la sculpture et put s’appuyer sur cette
créativité nouvellement découverte pour apaiser ses tensions intérieures et se différencier
de cette excitation psychotique qui restait cependant toujours à l’affût. Elle me décrivait ses
créations, impulsives et abstraites, avec une grande sensibilité, une émotion authentique, et
je vibrais avec elle devant cette beauté qui, elle le découvrait, pouvait jaillir d’elle65. Même
l’angoisse la plus éprouvante pouvait ainsi donner naissance à du beau. En fait, quelque
chose changeait, une évolution souterraine se manifestait au grand jour, sans que nous
ayons pourtant touché au noyau psychotique. Une part de mystère, en même temps qu’une
nouvelle circulation libidinale, dans le champ de l’éros exogame et non plus dans celui de
l’endogamie exclusive.

Elle commença ensuite à découvrir l’amitié et pouvait organiser son temps


libre avec d’autres, découvrant ou redécouvrant le plaisir des promenades en montagne, de
la piscine, des spectacles, etc. Je sentais dans tout cela que son moi prenait de la
consistance, du relief et, bien que sachant que le noyau psychotique n’avait pas été
véritablement abordé, j’espérais qu’elle saurait suffisamment s’en protéger pour pouvoir
vivre sans trop se détruire. Je m’étais en fait dépouillé de l’illusion toute-puissante de
pouvoir aborder ce noyau au même titre que sa problématique narcissique et névrotique, et
étais donc intérieurement disposé à mettre un terme à notre travail.

Bien entendu, après neuf ans de thérapie puis d’analyse (six ans à trois séances
par semaine sur le divan) elle y songeait aussi, mais ne savait par où trouver la sortie.
Depuis quelque temps déjà, et plus particulièrement depuis la mort de son frère, elle avait
commencé à attaquer l’analyste et le cadre, l’analyste parce qu’il voulait la garder pour lui
tout seul, l’empêcher d’avoir une relation avec un autre homme, etc., et le cadre parce que

65 : Précision sur le cadre : Elle m’avais amené, au début, quelques peintures enfantines qu’il m’avait paru
important de regarder avec elle, tant le manque de mots rendait toute autre forme de communication
impossible. Cependant cela ne dura pas et, quand elle commença à créer « en adulte » (après six ans de
thérapie puis analyse), c’est à dire avec la distance qui permet l’élaboration et le travail sur l’œuvre, elle
n’a jamais amené une création en séance, et je ne l’aurais pas accepté. Là, la parole me paraissait bien
mieux à même de communiquer ce que elle percevait, alors que le regard eut rendu bien plus aléatoire la
différenciation entre son sentiment et le mien.

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l’analyse lui « bouffait » tout son argent, qu’il ne lui restait plus rien pour elle, qu’en plus il y
avait cette dette qu’elle me payerait, bien sûr, mais quand même, etc. Je sentais bien qu’elle
cherchait ainsi à frayer un nouveau chemin, celui de la séparation qui n’est pas une rupture,
et que, pour ce faire, elle cherchait alors à prendre appui tant sur l’analyste que sur le cadre.
Il était évident pour moi qu’en aucun cas je ne devais céder : cela eut été pour elle un
abandon pur et simple à une violence dont le sens prospectif n’avait pas encore été
accouché et qui, par conséquent, n’aurait pu que se retourner à nouveau massivement
contre elle.

Mais j’étais mis durement à contribution. Elle allait chercher, par ses attaques,
ma propre violence comme s’il lui eut fallu se relier encore et encore à mon propre noyau
psychotique, je veux dire par là ce lieu de soi où le sens n’est pas encore différencié du non-
sens, où la vie et la mort sont non dissociées et où l’énergie, non encore représentable, n’est
que violence pure. Mais je n’avais pas conscience de cela et je pestais intérieurement — et
parfois à mots découverts (par exemple en laissant mon langage se déstructurer en des
formes assez peu convenables) — contre sa destructivité qui mettait ainsi à mal le beau
fruit de notre dur labeur. Je me dis aujourd’hui qu’elle cherchait ainsi à me remettre dans
une position phallique défensive, c’est-à-dire la position de replis de son moi menacé par le
noyau psychotique, comme s’il lui eut fallu me voir m’expliquer, me dépêtrer allais-je écrire,
avec cette défense totalitaire, afin de pouvoir me suivre dans le passage qu’ainsi je nous
frayais. Mais peut-être plus important encore, elle cherchait probablement aussi à toucher à
mes limites. Comme le dit Jung (1944, p.55), la limite des possibilités subjectives doit toujours être
atteinte, sinon le malade ne peut pas non plus percevoir ses propres limites.

Chemin faisant, ce mouvement prenait une autre forme, celle d’une véritable
séparation qui pourrait n’être destructrice ni pour elle ni pour moi. Il s’agissait là d’un
sentiment qui se dégageait petit à petit et qui me permit de poser à Brigitte les conditions
de la fin de son analyse : en fixer préalablement le terme avec un délai suffisant pour lui
permettre de travailler véritablement cette séparation, mais un délai qui ne saurait être si
long qu’il n’aurait pour effet que de repousser la séparation aux calendes grecques.
L’énoncé de cette règle nouvelle dans le contrat de son analyse eut un effet apaisant pour
Brigitte qui comprit bien qu’il s’agissait pour elle de ne pas répéter indéfiniment le cycle « je
t’aime et me détruis afin de ne pas te détruire — je te hais et me détruis afin de te détruire
au dedans de moi ». Elle put alors prendre le temps nécessaire, quelques mois, pour
pouvoir formuler une proposition de séparation fondée sur son sentiment et non sur ses

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défenses psychotiques. Cela se fit en septembre, et elle prévit de finir à la fin du mois de
mars suivant.

Elle s’inquiéta alors très vite du destin de sa dette envers moi, pensant pouvoir
en régler le solde après la fin de l’analyse puisqu’elle n’aurait alors plus à supporter les frais
des séances. Mais je n’étais plus disposé à perpétuer ce type de lien avec elle (j’avais le
sentiment que cela lui eut permis de faire l’économie de la séparation alors nécessaire) et je
lui fis remarquer qu’elle voulait ainsi m’utiliser comme banquier, ce qui ne me paraissait pas
devoir être ma fonction. Elle s’engagea alors à me régler cette dette pour Noël, ajoutant
vous pourrez ainsi faire un cadeau à votre femme. Le contexte me permit de reprendre cette
réflexion sur le plan prospectif, et je lui fis remarquer qu’en pouvant m’imaginer heureux
avec ma femme elle s’autorisait à ne plus penser à moi, sans être pour autant menacée de
me perdre. Cela était vrai et elle acquiesça, mais je n’avais pas eu conscience
qu’immédiatement sa proposition avait rencontré mon assentiment : elle avait injecté en
moi un désir dont elle pourra par la suite tenter de jouer à loisir…

C’est ainsi que, tout en nous laissant croire que nous avions construit les
aménagements nécessaires à un travail de deuil satisfaisant, l’inconscient, ici
indifférencièrement celui de Brigitte et/ou de moi, la chimère donc, avait mis en place tous
les éléments nécessaires à son dessein.

Durant environ un mois, tout alla bien. Nous étions tous les deux satisfaits et
soulagés de la tournure des évènements et attendions que ce calme se prolonge
naturellement jusqu’à notre séparation. La vigilance défensive de Brigitte était ainsi au plus
bas, de même que celle de l’analyste qui ne ressentait plus le danger d’une mort
potentiellement imminente. Dans ce contexte, une première séance vint annoncer le terrain
sur lequel se jouera la suite. Lors de cette séance, Brigitte prit conscience de sa douleur
devant la séparation. Elle se sentit perdue, en grand désarroi, et ne put de suite aller
travailler en sortant de mon cabinet.

Fondamentalement, quelque chose avait changé pour elle, de telle sorte qu’elle
put suivre son impulsion en un mouvement ressenti comme vital et non plus uniquement
destructeur. Après avoir marché un moment, elle prit sa voiture et conduisit sans savoir où
elle allait, jusqu’à s’arrêter devant un escalier montant entre deux immeubles. Elle était alors
prise de spasmes et de nausées et descendit de voiture pour cueillir une fleur délicate qu’elle
conserva dans un kleenex après avoir craché pour l’humidifier. Alors seulement, elle
retrouva le calme et put aller travailler.
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À la séance du lendemain, elle me raconta cette séquence et je me souviens fort


bien de son émotion, émotion qu’elle me fit partager, quand elle me parla de la petite fleur
fragile, et pourtant si précieuse, et qu’elle me décrivit dans le détail les soins qu’elle lui
prodigua afin qu’elle pût supporter d’avoir été cueillie, séparée de sa terre nourricière. Pour
la première fois, une image non grandiose du soi apparaissait, autant dans sa représentation
que dans sa charge émotionnelle, c’est à dire véritablement porteuse d’une qualité de
sentiment jusqu’alors inconnue. Seul le soi séparé de la mère peut être porteur de totalité
vivante sans être phallique et tout-puissant.

En laissant advenir à partir de cette séquence Brigitte se retrouva devant


l’image d’un sexe masculin en érection, pénétrant entre les cuisses d’une femme (l’escalier
entre les deux immeubles). Ses spasmes et nausées lui parurent alors en lien avec un dégoût
de la relation sexuelle et elle me dit Je réalise soudain que la relation sexuelle signifie perdre mes
parents ; pas étonnant que j’ai tant de mal à trouver un homme ! Elle poursuivit en associant sur la
naissance de sa petite sœur et sur la théorie de la petite graine que le père met dans le
ventre de la mère : cela ne se peut, évidemment, que par la bouche, ce qui l’amène à ce
lapsus : Mon père m’a donné cette petite sœur, non c’est à ma mère qu’il l’a donnée.

J’avais cru qu’un nœud s’était là dénoué et je fus vite lassé de constater qu’au
lieu de prendre appui sur cette nouvelle donne, Brigitte s’enfonça dans une nouvelle
régression qui m’apparut déplacée. Il me fallut notamment intervenir afin qu’elle se
préoccupe de ses difficultés financières et qu’elle ne joue pas à nouveau le même scénario
de dette entretenue rendant la séparation impossible. C’est alors qu’apparut un nouveau
personnage, une belle jeune femme avec qui elle se trouvait en rivalité de pouvoir au sein
d’une association. Après en avoir parlé toute une séance elle prit conscience de la
dimension homosexuelle qui la lie aux femmes, homosexualité qu’elle décrivit comme
double : d’une part envers les femmes-mères-pouvoir, sous forme d’une jouissance dans la
rivalité à mort, et d’autre part envers les femmes féminines sous forme d’un désir qui est
désir de jouissance dans la relation. Dans les deux cas, l’homme, toujours présent, n’est que
le révélateur de cette homosexualité dont il porte, par déplacement, l’investissement
libidinal.

En l’écoutant, je ressentis bien la différence qu’elle décrivait entre l’excitation


et le désir, et je retrouvai, dans ce qu’elle disait de l’excitation, ce qu’elle me donnait à voir
et à vivre quand elle « me cherchait » sur le terrain de l’argent. Elle a toujours parlé de sa
dette comme d’un trou et je me dis qu’elle a créé et maintenu en moi ce trou de la mère afin de
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maintenir le déni de la différence des sexes. Elle avait fait de même avec l’imago paternelle,
son père étant vécu comme totalement impuissant ou, ce qui, revient in fine au même,
sexuellement menaçant parce que trop séducteur. J’ai alors réalisé que ce trou de la mère était
d’abord la dépression maternelle et l’abandon de l’enfant qui s’y était trouvée confrontée.
La dimension sexuelle est venue secondairement à titre de défense, l’investissement sexuel
de cet abandon ou, pour reprendre les termes de Jung, de ce non-sens, étant le seul recours
du moi fragile de l’enfant pour ne pas se perdre au fond du trou noir de la béance
dépressive du non-être maternel. Mais elle ne pouvait vivre sans maintenir cet
investissement et était ainsi condamnée à perpétuer un sadomasochisme seul à même de
maintenir l’investissement sexuel de, et par, ce non-être maternel, maintien nécessaire afin
qu’elle n’y soit pas engloutie. L’alternance maniaco-dépressive était la suite logique de cet
investissement, retourné sur elle-même, dès lors que disparaissait son objet externe.

Nous avions bien travaillé et j’en étais satisfait. Enfin, l’horizon se dégageait et
il me paraissait clair qu’en continuant à travailler cette intrication de l’abandon et des
investissements sadomasochistes la fin de l’analyse se présentait sous ses meilleurs auspices.

Mais de mon côté aussi, en me vivant comme son objet au sein d’une relation
sadomasochiste, objet masculin condamné à une position homosexuelle passive, je me
défendais contre une dimension beaucoup plus angoissante de ce transfert qui faisait de
moi un objet féminin pris dans une relation homosexuelle féminine. Il y a là, je crois, des
résonnances archaïques très difficiles à vivre, car cela renvoie non seulement à
l’indifférenciation sexuelle des origines du moi, mais surtout à l’extrême confusion qui, je
crois, suit les premières différenciations sexuelles conscientes. Être mis en position de mère
est relativement facile à vivre pour un analyste homme dans la mesure où ce fantasme n’est
pas étranger à son moi : il structure toute la dimension homosexuelle archaïque, autant
chez l’homme que la femme. Par contre, être vécu comme femme sexuellement
différenciée, outre les angoisses de castration ici réactivées, mais qui sont, elles, accessibles
à l’analyse, renvoie à l’inconnu radical de l’homme que Jung a nommé anima. Il s’agit là de
fantasmes qui ne sont ceux du moi que dans la mesure où celui-ci est identifié à cette figure
de l’inconscient, identification qui place le moi à la lisière de la psychose, sinon plus66.

66 : Le fantasme de Schreber (Freud 1911), être une femme subissant l’amour, est un exemple d’identification

psychotique du moi à une figure d’anima. Plus précisément, Jung parle de possession, estimant que
l’énergie de l’inconscient est, dans ces cas, par trop supérieure aux capacités de défense du moi pour que

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L’anima ne s’analyse pas, elle est figure impersonnelle de l’inconscient, et à ce titre toujours
radicalement Autre. Le moi ne peut qu’essayer, toujours et encore, de tenir la confrontation
avec elle, l’inconnue qui l’habite.

À la séance suivante elle me dit avoir fait deux rêves (Enfin ! me dis-je) et je me
ressens encore m’enfonçant confortablement dans mon fauteuil afin de me rendre
disponible à l’écoute de ses rêves. J’avais en fait benoîtement oublié son effroi devant les
émergences incontrôlables de l’inconscient que sont les rêves et je ressentis comme une
attaque personnelle sa façon de les raconter : elle me les balançait à la figure comme pour
me dire démerdez-vous avec, moi je ne sais qu’en faire. En même temps, je compris que ce n’était
pas tant moi qu’elle attaquait que l’analyse elle-même : il lui fallait, avant que nous nous
séparions, détruire tout ce que nous avions construit afin que ne reste plus aucune trace de
notre rencontre et donc plus de séparation67. Je comprenais cela, mais ne m’en sentais pas
moins personnellement attaqué, ce dont j’essayais de me défendre, croyant ma colère
déplacée et y voyant une énième résurgence de ma propre problématique abandonnique.

De son côté, elle était complètement passive devant sa destructivité et j’essayais


de le lui faire remarquer, en la lui interprétant telle que je l’avais comprise. Mais rien n’y fit
et, tout d’un coup, je me suis senti soulevé de mon fauteuil, hurlant presque Ah non, ça
suffit ! Elle fut aussi surprise que je fus décontenancé et elle me dit, mi figue, mi-raisin, Vous
n’allez tous de même pas me tordre le cou ? Je perçus bien qu’il y avait dans sa remarque autant
d’humour que de peur, mais c’est avec angoisse que j’attendis la séance du lendemain :
qu’avais-je fait ? À ma surprise elle arriva très calme et souriante, s’allongea en remarquant
le bien-être qu’elle trouvait en ce lieu où elle se sentait chez elle, et enfin s’excusa d’avoir
provoqué tant de colère et de violence en moi. Pour la première fois je ressentis qu’elle me
réparait. L’amour pouvait enfin faire face à la destructivité.

Mais de mon côté, entre ces deux séances, j’avais rêvé, un rêve peu banal qui
me permit de comprendre l’enjeu de cette cure. Ce rêve repose évidemment sur bien des
aspects de ma propre vie intime. Cependant, j’en livre ici l’intégralité, d’une part parce que
ce qui concerne mon intimité n’y est pas reconnaissable pour qui n’en a pas les éléments

celui-ci puisse y résister. L’identification est alors l’ultime recours du moi pour le maintien de son
existence.

67 : Quinodoz (1991) a particulièrement bien décrit cette phase de la fin d’analyse en lien avec les angoisses
d’abandon.

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d’interprétation, et d’autre part parce que je crois qu’un résumé de ce rêve lui ferait perdre
de sa charge dramatique, alors même que cette charge en est l’élément signifiant principal :

Je suis dans la maison de campagne de mes parents. Mon père n’y est pas.
Probablement est-il mort (à l’époque de ce rêve, mes deux parents étaient déjà morts depuis
plusieurs années). Ma mère est là, et il se trouve que j’ai fait je ne sais quoi qui ne devait être
fait. En cela, je dois mourir. Il n’y a là aucune agressivité, ni colère, ni haine. Aucun affect.
Simplement, je dois mourir, c’est ainsi, ma mère me le signifie et j’acquiesce. Elle téléphone
donc au médecin du pays pour mettre un terme à ma vie, et celui-ci vient avec un collègue.
Nous nous mettons d’accord tous les quatre sur ce qui sera fait, à savoir une anesthésie locale
suivie d’une intervention permettant au médecin de débrancher mon cœur. L’heure de ce geste
est aussi fixée, et ma mère nous laisse. Je suis dans une position froidement héroïque,
déterminé à aller au bout de ce qui doit être fait, sans état d’âme. Mais, l’heure approchant,
je commence à ressentir un peu d’angoisse, et je négocie avec les médecins pour que ce geste long
et compliqué soit remplacé par une injection de potassium que je sais être immédiate et sans
douleur. Je crois que les médecins finissent par me donner leur accord. Mais cela ne me
soulage pas, car je commence à réaliser que je n’ai vraiment aucune envie de mourir et que
tout ce projet est fou, dénué de sens. Je vais alors dans l’entrée de la maison (le reste se passe
dans la cuisine et dans la bibliothèque adjacente) en me disant qu’il faut que je parle à ma
mère. Mais elle est dans sa chambre, à l’étage, en train de papoter avec des amies, et je
comprends qu’elle ne se fait aucun souci pour moi, que dans son esprit ma mort n’a aucune
importance, et que je ne peux strictement rien attendre d’elle. Je décide alors de partir.

Au réveil, j’eus de suite le sentiment de comprendre enfin, de l’intérieur, par


mon propre vécu, le suicide de ma mère. Mais pour moi ce rêve était à l’évidence lié aussi à
la séance de la veille : je comprenais que j’avais réagi à de la non-vie, du non-être, une non-
vie et un non-être maternels auxquels je ne voulais plus rester identifié. Mais je me
demandais quel était le lien entre cet aspect de mes identifications et la nature du transfert
avec Brigitte : s’agissait-il purement et simplement d’une projection de ma part, donc d’un
effet de contre-transfert, ou s’agissait-il d’un élément du processus transférentiel profond
au sein duquel les failles narcissiques de Brigitte sont venues à la rencontre des miennes,
dans le but que je puisse, après en avoir élaboré le sens pour moi-même, les lui restituer ?

C’est avec cette question en tête que j’avais accueilli Brigitte à la séance du
lendemain, et je ressentis avec d’autant plus d’émotion son désir de me réparer de ma
colère, colère dont elle se sentait responsable. Je compris alors qu’elle avait partiellement
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raison : ce qui était en jeu était autant de moi que d’elle, ce non-être maternel nous était
commun. Je choisis cependant de ne pas lui en parler et de la laisser pour l’instant avec son
interprétation sur le mode de l’identification projective : Je vous ai mis en colère signifiait J’ai
mis en vous ma colère. J’avais le sentiment qu’il était essentiel que je la laisse à son entreprise de
reconstruction, car en me réparant c’est une part d’elle-même qu’elle réparait. En
n’intervenant pas, je lui manifestais ma confiance.

Je pressentais de plus qu’il y avait là une véritable mise en scène de


l’inconscient qui nous faisait être les personnages incarnés d’un drame, drame qui nous
avait chacun touchés dans notre enfance, mais qui était aussi un drame immémorial de
l’humanité. Elle avait été pour moi la représentante du non-être maternel, une mère de
non-vie en face de laquelle j’avais pu dresser la parole vivante de mon refus de la mort. Ce
faisant, j’avais été pour elle un père vivant, un père dont la limite posée ne l’est pas par peur
ou rigidité, mais par choix, par désir, par éros. Les quatre protagonistes d’un quaternio
étaient là posés, la mère, la fille, le père, le fils. Nous avions pu analyser trois axes de ce
quaternio : mère-père, mère-enfants, père-enfants laissant dans l’ombre la relation sœur-
frère.

J’avais, en effet, perdu de vue la question de la place du frère de Brigitte,


question que je m’étais posée après son suicide. Je ne voyais pas plus que ce que nous
avions pu reprendre des relations mère-enfant et père-enfant restait dans l’indifférenciation
des sexes, comme si, dès l’apparition d’un parent, il ne devait plus y avoir qu’un enfant,
comme si cet enfant ne pouvait être reconnu dans sa sexuation. D’ailleurs, avec le recul, je
réalise que Brigitte n’était, à ce moment de l’analyse, pas encore une femme à mes yeux : je
la percevais toujours dans une sorte d’indifférenciation. Plus précisément, je ne pouvais
percevoir, de sa féminité, que la part enfantine. Moi-même je ne pouvais être homme en
face d’elle que dans une position de père, mais pas encore de frère, et encore moins
d’amant potentiel. Toute cette dimension du transfert était encore inconsciente et relevait
pour ma part de cette position défensive que j’ai développée plus haut, défense contre la
dimension homosexuelle féminine de ce transfert.

C’est ainsi qu’une semaine plus tard je me surpris, en allant à mon cabinet, à
penser à ce que je pourrai acheter comme cadeau de noël à ma femme avec l’argent qu’elle
allait me rembourser, tout en ressentant une impatience certaine à ce qu’elle me donne des
assurances sur ce remboursement. Je réalisai alors que j’étais piégé, qu’avec sa suggestion
elle m’avait amené à me sentir moi-même dépendant de son bon vouloir. En fait mon
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impatience à ce qu’elle me donne ce qu’elle m’avait promis me faisait me sentir dans mon
bon droit de l’exiger, et je n’étais intérieurement pas très loin de vouloir la forcer à me le
donner…

À la séance qui suivit, elle me parla de sa dette pour me dire qu’elle n’avait
toujours pas pris rendez-vous avec son banquier et pour me réitérer sa promesse de me
payer à la date fixée. Je lui dis alors qu’elle pouvait tout aussi bien me faire ces assurances
pour mieux pouvoir ne pas me payer et ainsi maîtriser mon désir. Elle y avait effectivement
pensé, et réalisa qu’elle cherchait ainsi à pénétrer en moi pour mieux vous baiser, me dit-elle.

Sans pouvoir alors me le formuler je sentis tout de même qu’il n’y avait là
qu’invitation à l’apparence d’une position homosexuelle de ma part : il ne s’agissait pas
pour elle d’être le père qui pénètre son fils de sa virilité afin de la lui transmettre, afin qu’il
puisse trouver en lui cet appui masculin sur lequel il va pouvoir appuyer son propre devenir
homme. Bien au contraire, il s’agissait pour elle de me baiser afin de me priver de ma virilité,
de se l’approprier, et de réaliser ainsi, mais de manière purement imaginaire et régressive, la
visée ultime de l’individuation, l’hermaphrodite intérieur [Figure 31] ou, pour le dire en
termes freudiens, l’intégration de la bisexualité psychique (Freud 1937).

Je ne voulus donc pas saisir la perche sexuelle qu’elle me tendait ainsi et lui dis
— comme avançant à tâtons dans l’inconnu — qu’il me semblait qu’elle répétait
probablement une attitude de sa mère envers elle, telle qu’enfant elle l’avait ressentie. Elle
associa de suite sur le fait que, peu avant, elle avait touché un trop-perçu des impôts et
qu’elle avait pris soin de ne pas m’en parler, car elle voulait s’acheter un manteau pour la
petite fille en elle : une chaleur confortable. M’en parler eut été, pensait-elle, prendre le
risque que j’exige cet argent pour moi, que j’utilise la dette afin de la priver du plaisir de ce
manteau. Alors un fantasme lui vint à l’esprit : Une petite fille qu’un homme adulte fait chanter :
elle n’aura ce qu’elle désire, ce dont elle a besoin, que si elle satisfait sexuellement cet homme. Elle regarde
la scène sans même penser à intervenir auprès de l’homme afin qu’il cesse cet odieux
chantage.

Elle voulut aborder ce fantasme sous l’angle du souvenir, y trouvant


confirmation à une idée déjà plusieurs fois exprimée, selon laquelle son père aurait été plus
ou moins incestueux avec elle. Sans raison apparente, je n’y ai jamais cru, et je repris ce

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fantasme sur le plan du sujet68 en lui disant qu’il y avait là une représentation de sa propre
attitude en face de son masculin intérieur : c’était son masculin intérieur qui soumettait la
petite fille en elle à un chantage sexuel, et elle-même — son moi — en était la complice
passive. Elle réalisa alors qu’elle se sentait collée à ce masculin pervers et qu’elle ressentait
une profonde tristesse à l’idée de s’en décoller. Je conclus la séance en rapprochant ce
masculin pervers de celui de l’imago maternelle : s’en séparer était pour elle se séparer du
monde maternel.

Elle vint, à la séance suivante, vêtue de ce manteau — qui lui allait d’ailleurs
fort bien — et m’annonça bouleversée qu’elle avait pu rencontrer amoureusement l’homme
qui occupait ses pensées depuis trois ans. Elle était heureuse, non seulement de cette
rencontre, mais surtout de ce que Quelque-chose a lâché en moi. Je pus lui dire, parce que je le
ressentais sincèrement, que j’étais heureux pour elle, ce dont elle me remercia
chaleureusement. Ce fut notre première rencontre véritablement sexuée.

Une ombre cependant planait sur ce tableau idyllique : l’échec de leur relation
sexuelle. Je n’ai pas voulu soulever ce point d’emblée, tant il me paraissait important
d’accueillir sans ambages la sincérité avec laquelle elle me parlait de cette rencontre. Elle
put ainsi revenir d’elle-même sur ce point le lendemain, et il est apparu qu’elle avait imaginé
une telle issue à leur relation sexuelle dès qu’elle s’était sentie attirée par cet homme, donc
plusieurs années auparavant. Nous pûmes alors reprendre cette relation sous l’angle de son
fantasme : la petite fille y avait trouvé une grande satisfaction de tendresse, mais son
masculin s’était alors empressé de prendre le pouvoir et de castrer la virilité déjà défaillante
de son partenaire, de telle sorte qu’elle se retrouvait aujourd’hui dans l’incertitude de
l’avenir de cette relation. Elle fit elle-même la relation avec le scénario du remboursement
de sa dette envers moi : me faire désirer une satisfaction de sa part et, au moment de cette
satisfaction attendue et désirée, m’en priver. Il m’a semblé qu’au cours de cette séance elle a
commencé à mesurer à la fois sa jouissance du pouvoir sur l’homme, et le coût de cette
jouissance.

68 : Jung distingue, dans l’interprétation des rêves et fantasmes, deux types d’interprétations : l’interprétation
sur le plan de l’objet relie le rêve ou fantasme aux investissements libidinaux de l’analysant sur des
personnes réelles de sa vie passée ou présente ; l’interprétation sur le plan du sujet relie le rêve ou
fantasme aux relations de l’analysant à ses propres objets internes (Humbert 1983, p.25-26)

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Le week-end suivant un souvenir lui revint en mémoire, souvenir très prégnant


tant dans l’émotion que dans la sensation. En préalable, elle me rappela la peur qu’elle avait
quand, pour atteindre sa chambre, elle devait passer devant celle de son frère. Elle avait
évoqué ce souvenir bien des années auparavant, et je l’avais moi-même totalement oublié.
Lui était revenues en mémoire des scènes où celui-ci l’avait attirée dans sa chambre et
forcée à prendre son sexe dans la bouche jusqu’à ce qu’éjaculation s’en suive. Elle se
souvint de sa haine envers lui et de son désir de lui mordre et couper ce sexe, ce qu’elle
pense avoir tenté : après l’acte il la prenait violemment par les cheveux et la jetait à terre où
elle se sentait tout à la fois comme une serpillière et victorieuse.69

La remémoration de ce souvenir lui permit de comprendre qu’elle avait


inconsciemment rejoué cette scène avec l’élu de son cœur. Elle put alors dire qu’en se
blottissant dans ses bras elle s’est sentie extrêmement bien, mais qu’elle ne put s’empêcher
de partir à la recherche de son sexe et de l’enfourner dans sa bouche, avec une grande
avidité, dès qu’elle l’eut trouvé. Elle prit en même temps conscience de son désir de le
rendre ainsi impuissant et de provoquer en retour sa colère, témoignage irréfutable de sa
victoire. Je pus faire le lien avec son comportement à mon égard, la perspective du
remboursement de la dette servant à éveiller mon désir tout en me rendant impuissant, de
telle sorte que je la rejette et témoigne ainsi une fois de plus de sa supériorité.

Au fil des séances, je sentis alors que quelque chose de nouveau se mettait en
place, mais que le risque était encore grand que cela ne tienne devant l’intensité extrême de
sa jouissance, intensité qui restait encore en partie inexpliquée, en tout cas de mon point de
vue. Je lui demandai alors d’essayer de retrouver les sensations physiques liées à ce
souvenir, et ce qui lui vint ne manqua pas de nous surprendre. Elle s’aperçut en effet que,
quand elle avait en bouche le sexe de son frère (et par la suite de ses autres partenaires) elle
était seule, que ce sexe lui appartenait, qu’elle était alors un véritable monstre (selon ses

69 : Un autre de mes analysants m’a, depuis, raconté un souvenir semblable, mais il y était l’auteur de
l’agression, sur son petit frère. Lui aussi rejetait violemment son frère après avoir obtenu sa jouissance,
et il est apparu que ce rejet n’était aucunement la conséquence d’une tentative d’agression de la part de
son frère : ce qui lui était intolérable était que son frère était alors perçu comme être désirant, mettant un
terme à l’hallucination de toute puissance qui était le but réel de la pulsion d’appropriation du corps de
l’autre.

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propres termes) auto-érotique, plus précisément autosuffisant70. Dès lors, être jetée ne
pouvait que témoigner de sa réussite à prendre à l’autre ce qui lui manquait à elle. C’est à la
fin de cette séance qu’elle put s’exclamer : Mais si c’est ça le prix à payer, je n’en veux plus de cette
jouissance !

Après cette ultime prise de conscience la relation transférentielle s’apaisa, elle


put me rembourser sa dette (avec quinze jours de retard sur la date prévue, mais il lui fallait
bien assumer le retard qu’elle avait mis en place et qu’elle ne pouvait magiquement effacer),
et surtout elle put vivre la tristesse de la séparation, alors dépouillée de l’angoisse
d’abandon : elle avait bien moins peur de me détruire dans ses pensées, ni qu’elle le soit
dans les miennes.

1.3 Une!première!approche!théorique!:!la!chimère!et!le!
transfert!selon!Jung!

J’ai été très frappé, quand j’ai eu connaissance des scènes d’inceste entre
Brigitte et son frère, de m’apercevoir qu’en lui proposant de faire une psychothérapie avec
moi j’avais été d’emblée acteur d’un scénario inconnu de moi et refoulé chez Brigitte, celui
de l’inceste avec son frère. Quand ensuite je lui ai proposé de lui faire des avances
(financières), le même scénario m’a replacé dans le même rôle. Certes, dans un cas comme
dans l’autre, le terrain sur lequel je m’étais placé, celui de la mise en acte, était
fondamentalement différent de celui, le passage à l’acte, où son frère l’avait entraînée.

D’emblée, donc, une résonance inconsciente s’est produite entre elle et son
analyste, maintenant pendant près de dix ans une collusion où se (re)travaillait, pour
chacun, la possibilité de mettre en place une nouvelle différenciation d’avec le maternel.
Mais cette résonance ne s’est pas limitée à une communauté d’affects. Brigitte s’était
constitué, dans les relations incestueuses avec son frère, un verrou contre les angoisses
d’anéantissement propres au non-être maternel, verrou maintenu fermé par le refoulement
de ces scènes. Le raptus suicidaire préalable au début du travail analytique montrait bien la
fragilité de ce verrou, en même temps qu’il indiquait l’absolue nécessité de le respecter. Une

70 : L’autoérotisme implique une certaine césure entre la pulsion et son objet, le corps propre. Ici Brigitte
décrivait bien au contraire un vécu hallucinatoire de non séparation absolue entre la pulsion et son
objet, le même vécu que l’analysant dont il est question dans la note précédente.

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réelle volonté animale de vivre, certes, avait bel et bien été là, mais ni elle ni son analyste ne
pouvaient se contenter de se reposer dessus : la violence de la destructivité n’était pas
moins réelle, et forte.

L’étrange, d’un point de vue rationnel, est que ce scénario se soit d’emblée mis
en forme chez son analyste et lui ait, pour ainsi dire, forcé la main en le conduisant à le
poser en acte lors de cette séance inaugurale d’une relation psychothérapique, et ceci en
toute méconnaissance de ce qu’alors il faisait. L’on pourrait bien entendu épiloguer des
heures durant afin de savoir la façon dont elle a pu induire ce comportement chez son
analyste et ainsi faire rentrer cet évènement au sein d’une linéarité causale intellectuellement
rassurante. Le concept kleinien d’identification projective, par exemple, peut présenter cet
avantage, de même que la croyance plus ou moins magique en la transmission de pensée :
dans les deux cas il y a un rétablissement intellectuellement satisfaisant d’une linéarité
causale, avec un émetteur, un récepteur, et un vecteur désignant ce qui, de l’un, va vers
l’autre. Il semble néanmoins que ce faisant, l’on prendrait le risque de passer à côté de
l’essentiel, à savoir la nature totalement mystérieuse de ce type d’évènement, l’absolue
impossibilité d’en maîtriser l’enchaînement, et la non moins absolue nécessité clinique d’en
accepter l’existence. Le seul concept pouvant valablement rendre compte de cette
coïncidence est celui de synchronicité, concept qui ne présuppose aucun enchaînement
causal, bien au contraire puisque défini par Jung (1952) comme acausal.

Je ne prétendrai pas, évidemment, avoir échappé à ces défenses rationalisantes.


J’avais en effet pleinement conscience que ma proposition initiale avait été formulée en
toute méconnaissance de ma part, et j’ai eu recours à toutes sortes d’interprétations — à
mon usage personnel et parfois aussi à celui de Brigitte — afin d’en limiter la portée. Mais
j’avais aussi le sentiment ferme — et Brigitte me le confirma à plusieurs reprises — que
cette proposition que je lui avais faite avait été tout à fait indispensable pour lui permettre
de s’engager dans ce long, et par moment extrêmement douloureux, travail analytique. De
cela mes interprétations, si élaborées aient-elles été, avaient échoué à en rendre pleinement
compte. Seule la reviviscence de son vécu incestueux avec son frère nous permit de
comprendre le scénario que j’avais été amené à rejouer avec elle.

Mais à y réfléchir de plus près, deux questions se posent. Pourquoi fallait-il que
ce scénario se rejoue dans l’agir du transfert et non uniquement dans le symbolique de la
représentation ? Et pourquoi a-t-il fallu un délai si long entre la mise en acte de ce scénario
et la reviviscence de son origine historique ?
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Clinique"

La formulation même de la première question apporte déjà un élément de


réponse : tout défaut de l’organisation symbolique renvoie inévitablement à l’agir et/ou au
somatique, la libido ne pouvant autrement écouler son flux énergétique. Heureusement, il
ne s’agissait pas là d’un passage à l’acte de son analyste, mais d’une mise en acte. La
différence est fondamentale. Le passage à l’acte résulte d’une décharge énergétique par
l’entremise d’un acte qui procure au moi (ou à sa partie clivée alors à l’œuvre) une
jouissance liée à cette décharge. Dans le passage à l’acte, il n’y a pas, à proprement parler,
de représentation de l’autre. La jouissance est jouissance incestueuse en ce sens que l’autre
n’y est que représentant du phallus de la grande mère. Comme l’a si bien exprimé Brigitte,
la jouissance est alors de pouvoir se vivre comme autosuffisant71.

La différence entre le passage à l’acte et la mise en acte tient essentiellement à


ce que, dans la mise en acte, le moi n’est pas clivé, l’objet n’est pas ignoré, et la jouissance
n’en est pas l’issue. De plus, la mise en acte requiert, de la part du moi, une disponibilité à
penser les pensées qui lui viennent et, le cas échéant, à laisser agir des mouvements de
pensées encore impensables, cette mise en acte étant alors étroitement cadrée par la
reconnaissance de l’objet et de ses limites. Telle est, selon Jung, la position éthique
(Solomon 2000). Une position clinique très proche se retrouve chez de M’Uzan (1976).

C’est ainsi que son analyste fut amené, non pas à lui proposer de lui faire une
fellation72, ce qui n’eut pu que la détruire un peu plus, mais à mettre à sa disposition un
fantasme de toute-puissance (moi je pourrai ce que votre analyste précédent n’a pas pu), fantasme
phallique, évidemment, mais suffisamment différencié du corps archaïque de la mère (ce

71 : Il est probablement important de rappeler que la jouissance n’est pas le plaisir. L’articulation de l’un et de
l’autre, qui fait que la jouissance est liée au plaisir, est un apport relativement tardif de l’évolution
psychique, supposant un investissement sexuel suffisant du moi, c’est à dire un narcissisme secondaire
constitué. Avant cette articulation la recherche de jouissance peut être source de grandes souffrances,
comme c’est souvent le cas dans les processus psychotiques.

72 : Ce fantasme ne m’est d’ailleurs jamais venu, malgré l’insistance de Brigitte à me faire part de son plaisir
en ce geste. Cela marque bien une différence fondamentale entre le transfert névrotique et le transfert
dit psychotique. Dans celui-ci les fantasmes sexuels de l’analysant sont bien plus des défenses contre
l’envahissement ou la déstructuration du moi, et à ce titre, n’induisent pas de désir chez l’analyste, ou
alors sous une forme défensive dont la différence de tonalité est bien perceptible avec un peu
d’expérience et de connaissance de soi : il s’agit d’une excitation exigeant sa satisfaction, non d’un désir
adressé à un objet.

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qu’atteste l’existence de l’objet, c’est à dire le souci qu’avait son analyste de sa personne
réelle, sa position éthique) pour être le prélude à une réorganisation des représentations
archétypiques sous l’égide du soi.

Pour Brigitte cependant il en allait tout autrement, et le passage à l’acte était la


seule issue à l’écoulement de la libido73. Elle était confrontée à un clivage du moi qui, seul,
lui permettait de tenir à l’écart une part psychotique (en l’occurrence mélancolique, c’est-à-
dire identifiée au non-être maternel). Ce clivage était lui-même verrouillé par le refoulement
de l’inceste avec le frère, étant entendu que ce refoulement ne pouvait être que le fait de la
part non psychotique du moi qui se protégeait ainsi de l’envahissement déstructurant de la
psychose. Il est évident qu’un tel verrou — d’ailleurs bien insuffisant — ne pouvait sauter
magiquement, et qu’il lui fallait pouvoir reprendre l’ensemble du processus de structuration
narcissique, tout en étant à l’abri de la levée prématurée de ce refoulement, et donc de ce
clivage.

C’est là, semble-t-il, qu’il a été essentiel qu’une certaine collusion des
inconscients de Brigitte et de son analyste se produise, collusion suffisante pour que le
scénario incestueux refoulé puisse devenir autant celui de son analyste que le sien, qu’il
puisse être porté par le transfert et ainsi ne plus menacer directement la part saine du moi
de Brigitte, sans pour autant être dénié. Seule une mise en acte au sein du transfert pouvait
donner au narcissisme défaillant de Brigitte une garantie suffisante à ce sujet, puisque
répondant à la fois aux exigences du refoulement — à savoir la représentation manifeste
telle que résultant du travail des processus secondaires — et à celles du déni psychotique
— à savoir l’exclusion au dehors d’elle de la part d’excitation déstructurante.

Formuler ainsi les choses implique d’y voir non seulement une défense
narcissique, mais aussi une visée prospective d’un inconscient dont il n’est alors plus

73 : La libido dont il s’agit ici est une énergie indifférenciée, non investie — par conséquent non
représentable —, et qui ne relève donc pas de la dualité libido endogame/libido exogame développée
par Jung. Il s’agit bien plutôt de ce que Bergeret (1984) a nommé violence fondamentale, le terme de
violence renvoyant bien au vécu du moi à l’égard de cette forme indifférenciée et non représentable de
libido. Cependant parler de violence risque de faire perdre de vue qu’en tant qu’énergie indifférenciée
cette forme de libido est aussi source de créativité et de devenir. Il peut donc sembler préférable, restant
ainsi dans le champ jungien, de parler de libido anobjectale. Cette libido anobjectale paraît être proche de
l’énergie instinctuelle, dans le sens où Jung l’entend, c’est à dire une forme d’énergie qui n’est pas
symbolisée (p.ex. Jung 1944, p.115 : l’absence de symbole surcharge la sphère de l’instinct).

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possible de définir s’il s’agit de celui de l’analyste ou de celui de Brigitte. Les deux
inconscients, en tout cas, y participent. C’est ce que Jung relie à la seconde figure du rosaire
[Figure 25] où les deux protagonistes se touchent par la main gauche, ce qui l’amène à
parler de la contamination psychique de l’analyste par son patient.

Figure 25 : « Le roi et la reine » (Jung 1944, p.72)

Mais ce contact « par la main gauche » avait déjà eu lieu, et son offre de
thérapie a conduit son analyste à retrouver « à nu » face à Brigitte. Il s’agit là de la figure 3
du rosaire [Figure 26], au sujet de laquelle Jung (1944 p.100) dit qu’il faut noter ici que le
manteau des conventions est tombé et que la situation a évolué vers une confrontation directe vers la réalité
[…] les domaines animal des instincts ainsi que la psyché primitive et archaïque se trouvent eux aussi
exposés au faisceau lumineux de la conscience…

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Figure 26 : « La vérité nue » (Jung 1944, p.101)

Dès lors que Brigitte accepta l’offre de son analyste, ils se retrouvèrent « dans
le même bain ». L’interrogation de son analyste sur la justesse de l’offre qu’il lui fit, prenant
ainsi le contre-pied des usages en cours, apparaît dans l’après-coup bien plus défensive que
véritable. Il avait peur et ne pouvais se l’avouer. Voici ce que Jung (1944 p.69) avance au
sujet du contact par la main gauche : On pourrait donc interpréter le contact par la main gauche
comme une allusion à la nature affective de la relation et à son caractère ambigu, car il s’agit d’un mélange
d’amour « céleste et terrestre » compliqué par le sous-entendu de l’inceste. Il poursuit (Jung, 1944 p.74) :
Il n’est nullement besoin d’imaginer le secret de l’art comme quelque chose de trouble. La nature ne connaît
pas de salissure morale ; elle est suffisamment effrayante dans sa vérité. […] Il vient s’y ajouter [à la peur
de l’inceste] encore la crainte liée à la plupart des contenus inconscients à cause de la violence qu’ils
exercent.

Et au sujet du bain lui-même [Figure 27] (Jung, 1944 p.108) : L’immersion dans
l’eau est une sorte de « traversée nocturne de la mer » […] La traversée nocturne de la mer est une sorte de
descente aux enfers […] c’est donc une immersion dans l’inconscient. Cela se produit grâce à la montée du
Mercure chtonien, brûlant, c’est-à-dire d’une libido probablement sexuelle […] Mais cette eau est aussi,
selon les alchimistes, une eau fétide (Jung, 1944 p.105)

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Figure 27 : « L’immersion dans le bain » (Jung 1944, p.104)

C’est autant de la violence des contenus inconscients que de cet aspect fétide
qu’ils eurent, Brigitte et son analyste, à porter le fardeau durant les longues années de son
travail.

Mais à ce moment, à un niveau plus profondément inconscient, la


contamination avait déjà fait son œuvre, la conjonction elle-même avait eu lieu [Figure 28]
et ce qui était constitué était bien plus proche de l’image de la mort [Figure 29]. En effet, si
l’inconscience était totale sur ce qui s’était ainsi mis à l’œuvre, il est manifeste a posteriori
que le soi en tant que nécessité d’une intégration globale des différents aspects de la
situation, en était déjà l’auteur, permettant en cette mise en acte une toute première
conjonction inconsciente entre l’analysante et l’analyste, conjonction qui a elle-même très
vite débouché sur la mort : les trois premières années de thérapie ont semblé être une pure
relation de soutien, sans que l’analyste n’imagine alors qu’une véritable transformation de la
relation qu’entretenait Brigitte avec elle-même soit possible. Tout au plus, il se satisfaisait
de l’amélioration symptomatique, mais la mettait sur le seul compte de la relation de
confiance entre elle et lui, sans pouvoir imaginer une transformation en profondeur.

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Figure 28 : « La conjonction » (Jung 1944, p.114)

Figure 29 : « La mort » (Jung 1944, p.122)

Le reste de l’œuvre se déroula tout au long de la suite de ce travail. Il suffit de


noter que, en ce processus, le conscient resta, presque jusqu’à son terme, loin derrière et ne
suivant qu’à regret, voire à reculons, le processus engagé entre les deux inconscients, au
sein de la chimère. Par exemple, il a été noté que la conjonction s’était déjà inconsciemment
produite quand l’analyste se mit avec elle dans le même bain. Au niveau conscient, il semble
que cette conjonction puisse être située lors du passage de la thérapie à l’analyse, passage
qui se fit sur une décision conjointe, sans que l’analyste puisse se souvenir lequel des deux
en parla le premier. Mais il fallut tout de même trois ans de face à face et de « thérapie de
soutien » avant d’en arriver là.

Toutes ces images du début du Rosaire, ainsi que les propos et commentaires
de Jung dont quelques extraits sont rapportés ici, donnent à pense que cette perspective est
très éloignée de ceux qui, comme parfois Jung lui-même, posent le transfert comme

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initialement vectorisé de l’analysant vers l’analyste. Ainsi affirmer que la maladie est
transférée sur celui qui la traite, par un effet d’induction qui naît toujours plus ou moins de projections
(Jung, 1944 p.29), ou parler d’identification projective (ce qui est très similaire), peut
paraître dénaturer une relation où l’analyste est, sur le plan de l’inconscient, d’emblée
partenaire de l’analysant. L’analyste, de ce point de vue, n’est pas moins « malade » que son
analysant, même si — et c’est essentiel — il a acquis une position du moi qui lui permet
d’entretenir avec ses blessures un commerce potentiellement créatif. Si l’analysant a besoin
de l’analyste pour soigner son mal, l’analyste a lui aussi besoin de ses analysants pour
poursuivre son propre travail intérieur. Si ce n’était le cas, qu’est-ce qui pourrait pousser
l’analyste à toujours se remettre en ce bain dont il connaît pourtant bien les désagréments,
quand ce n’est plus encore ?

C’est essentiellement pour ces raisons qu’il peut être nécessaire de


conceptualiser le transfert, non pas comme une inclusion de l’inconscient du patient au sein
de celui de l’analyste, mais comme étant une véritable néoformation inconsciente commune
qui sera le catalyseur au sein duquel pourra s’organiser tout un processus, processus dans
lequel l’analyste se trouve tout aussi impliqué que l’analysant. D’ailleurs quand Jung dit que
le transfert repose toujours sur une commune inconscience, il semble ne pas dire autre chose.

Mais cette commune inconscience n’est pas uniquement manque de


conscience, elle n’est pas à prendre comme une insuffisance de l’analyste, elle est encore
moins contre-transfert au sens premier où celui-ci renvoie à une projection de l’analyste sur
l’analysant. La position de questionnement (au sens fort) dans laquelle l’analyste était suite
au suicide de sa mère, position qui lui a permis d’être sensible à la demande inconsciente de
Brigitte, ne peut pas n’être entendue uniquement comme effet d’un trop peu analysé chez
lui. Certes, le suicide de sa mère a entraîné un profond remaniement de ses structures
défensives, mettant à découvert des failles narcissiques qu’il avait jusqu’alors pu tenir
soigneusement à l’écart. Ce suicide finit le travail de sape de sa première « tranche » au
niveau de ses défenses narcissiques et le conduisit urgemment sur un second divan. Sans
cette mise à nu de ses blessures profondes il est probable qu’il n’eut pu être sensible à la
collusion inconsciente entre Brigitte et lui au point d’en être l’agent de sa mise en acte. En
un autre temps, il est à craindre qu’il n’eut pas eu cette disponibilité et qu’il n’eut fait que
répéter la part déstructurante de cette séduction du frère, sans que son aspect prospectif
puisse trouver à se vivre. C’est ainsi, semble-t-il, que Brigitte vécut la position académique
de son précédent analyste.

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Une telle affirmation est très lourde de conséquences, puisqu’elle vise à dire
que ce qui est efficient chez l’analyste n’est pas son travail conscient, ni même l’étendue des
prises de conscience de sa propre analyse (puis de son autoanalyse), mais que cette
efficience résulte de son propre inconscient qui est, par définition, la part de sa psyché qui
échappe à l’emprise et à la compréhension de son moi. D’un point de vue jungien il s’agit
des archétypes, et plus spécifiquement du soi, mais nommer d’une façon si lapidaire cet
inconnu de l’inconscient ne résout rien. Bien au contraire, cela risque de clore une question
dont la visée ne peut être autre que de rester ouverte74. Mais il s’agit aussi des blessures de
l’analyste, les parts de lui-même qui n’ont pu être correctement construites et qui restent
ainsi à la frange du sens et du non-sens, de l’être et du non-être. Il est vraisemblable que ce
soit par ces blessures que peuvent s’activer les processus archétypiques du transfert. Denise
Zemor (1996 p.79) note d’ailleurs que : On découvre peu à peu et non sans surprise dans les écrits de
Jung que ce n’est plus tant « l’ouverture » de l’analyste, ni son « savoir » ou sa « santé mentale », qui
s’avèrent déterminante dans le travail analytique, mais bien au contraire « sa propre blessure qui lui donne
la mesure de son pouvoir de guérir. » Cela rejoint ce que Balint (1971) dit des accroches du
patient aux blessures narcissiques de l’analyste.

De plus, il n’y a pas, en début d’analyse, de topologie possible des processus à


l’œuvre. L’exemple de Brigitte montre bien que le scénario mis en acte trouve son origine
dans son histoire, alors que l’acteur du dit scénario est l’analyste. Il semble que le seul
moyen de rendre compte de ce fait est de parler d’une néoformation inconsciente dont on
pourrait peut-être penser — si l’on tient par-dessus tout à l’expliquer, mais est-ce bien
utile ? — qu’elle vient en compensation aux failles narcissiques communes de l’analyste et
de l’analysant. Cette néoformation inconsciente est la materia prima du transfert, transfert
qui se trouve dès lors situé dans un entre-deux, tel que le pose Jung, et non plus comme
vectorisé de l’analysant vers l’analyste comme le posa initialement Freud75.

74 : Il ne s’agit pas là de minimiser l’apport de Jung au sujet de son concept du soi, mais bien plutôt de le
relativiser : le soi est le lieu même de la question du sens, et à cette question chacun doit apporter sa
propre réponse. Il ne peut être satisfaisant d’en rester aux réponses apportées par un autre, si élaborées
soit-elles, et cet autre fut-il C.G. Jung lui-même. Il semble que ce soit là la raison fondamentale de
l’affirmation de Jung quand il dit Je suis le seul jungien.

75 : Il a déjà été vu que Jung parle aussi du transfert comme vectorisé. Il s’agit de deux niveaux du transfert
selon qu’il est appréhendé dans sa dimension pulsionnelle, ou dans sa dimension narcissique, dimension
d’ouverture aux dynamiques archétypiques, évidemment intriquées à leur tour avec les dynamiques

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Dès lors, c’est tout un processus autonome qui se trouve convié sur la scène
analytique et qui embarque avec lui tout autant l’analyste que son analysant, le premier, bien
sûr, étant censé tenir la barre. L’autonomie de ce processus témoigne de l’autonomie de
l’âme du transfert ainsi précipitée (au sens chimique) au cœur de la relation analyste-
analysant. Et c’est en son sein, bien plus que chez l’analysant ou chez l’analyste, que ce
processus, tel que décrit par Jung à partir des figures du Rosaire, est susceptible de se
développer.

Avant d’y revenir, voyons d’abord le dernier temps du transfert avec Brigitte,
précisément à partir de cette séance où l’analyste s’est vu emporté par un mouvement
affectif clairement dirigé contre la destructivité de Brigitte. S’agissait-il vraiment de la
destructivité de Brigitte ? Ne s’agissait-il pas tout autant de celle de l’analyste ? Et, surtout,
cette destructivité commune n’était-elle pas finalement la face sombre de ce processus
transférentiel sans lequel aucune analyse n’est possible, mais dont le sacrifice est le prélude
nécessaire à toute fin d’analyse ?

À la première question, Brigitte répond elle-même. Elle remercie son analyste


de son intervention et note qu’elle a pris conscience à quel point elle avait joui de le rendre
si violent. Ce faisant, et l’analyste le ressentit intimement durant cette séance, elle le répare,
elle le soigne, elle s’assure qu’il ne meurt point. Dès lors est-il juste de lui attribuer l’origine
de cette violence qu’elle aurait injectée en lui (identification projective) ? Cela ne paraît pas
conforme avec le rêve que l’analyste a fait dans la foulée et qui représente bien la part de
cette violence qui lui appartient.

Ce rêve étant celui de l’analyste, il est tentant de lui attribuer l’origine de cette
violence. Certes, dans ce rêve, il se différencie nettement d’une imago maternelle
destructrice, non pas tellement du fait du verdict (la mort) que, surtout, du fait de l’absence
totale de relation affective de la mère avec son enfant, l’analyste. Tel est ce que j’appelle le
non-être maternel 76 . Dès lors, le verdict de mort n’est qu’un épiphénomène sans

pulsionnelles. C’est selon ce dernier axe de compréhension — cette section de Poincaré — que se situe
l’hypothèse de la chimère transférentielle comme néoformation inconsciente transférentielle.

76 : Le non-être maternel rejoint évidemment le narcissisme de mort décrit par A. Green (1983). Cette
formulation, cependant, est plus large en ce sens que le non-être maternel semble pouvoir précéder la
constitution même du narcissisme qui va ensuite tenter de le circoncire, de l’enkyster, afin d’en limiter la
portée déstructurante.

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importance. Il suffirait alors, pour clore la question, de penser que la violence dont Brigitte
fit preuve à l’égard de l’analyse et de l’analyste lors de la séance de la veille fit en lui écho à
cette violence de l’imago maternelle, et qu’il se dressa, en séance, contre cette violence (la
sienne, donc). Cela reviendrait à conceptualiser ce moment du transfert comme
identification projective, l’inconscient de Brigitte étant venu activer en l’inconscient de
l’analyste ce qui, en elle, restait clivé. En s’excusant de l’avoir rendu violent, Brigitte eut
recours à cette interprétation, et l’analyste s’est lui-même empressé d’y adhérer à son tour :
quoi de plus rassurant que ces schèmes de pensée qui permettent de remettre chacun à sa
place ?

Il semble pourtant, ici, qu’il soit impossible de définir la place de chacun. Dans
le vécu clinique avec des analysants présentant de grandes blessures narcissiques il est
fréquemment impossible de définir que ceci appartient à celui-ci et que cela appartient à
celui-là. Bien au contraire, et dans la mesure où l’analyste accepte de se laisser embarquer
dans le voyage, le contact intime des blessures narcissiques de l’analyste et de celles de
l’analysant entraîne un vécu de grande dépersonnalisation où tous les repères subjectivants
ont probablement une fonction plus défensive qu’éclairante. Jung (1944 p.54) dit à ce
sujet : il n’est pas rare que le médecin soit comme l’alchimiste qui souvent ne sait plus si c’est vraiment lui
qui fait fondre la mystérieuse substance métallique dans le creuset, où s’il ne brûle pas lui-même dans le feu
sous forme de salamandre. Ou encore (1944 b, p.238-239, §247) dans la mesure où quelque chose de
l’inconscient existe, il n’est pas assignable ; son existence n’est qu’un pur postulat et on ne peut absolument
rien affirmer en ce qui concerne ses contenus possibles.

Il me semble donc préférable, afin de rester au plus près de l’expérience


clinique, de parler d’une néoformation inconsciente, véritablement une chimère, dont
l’émergence et l’évolution, si elles sont conditionnées par la situation analytique (dont fait
évidemment partie autant l’analyste que l’analysant), n’en sont pas moins en très grande
part indépendantes.

Mais avant de développer cette idée de Chimère, revenons à la séance qui nous
occupe ici. La réaction de l’analyste fut d’abord vécue par lui comme expression de sa
violence, et son rêve lui parut en témoigner. En fait, avec le recul, il paraît que si cette
séance et le rêve qui a suivi l’ont bien mis en contact avec la violence fondamentale du non-
être maternel, sa réaction en séance, puis dans le rêve, et enfin la réaction soignante de
Brigitte, témoignent surtout d’un retour d’âme, de vie, autant au sein même du processus
transférentiel qu’en Brigitte et son analyste. Avant ce retour d’âme il lui était impossible de
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se positionner clairement devant la destructivité à l’œuvre au sein du transfert, de même


que, en dépit de l’amour authentique qu’elle portait à son analyste, Brigitte ne pouvait
résister à l’attaquer. La figure 9 du Rosaire [Figure 30] illustre bien ce retour à un lien
vivant.

Figure 30 : « Le retour de l’âme » (Jung 1944, p.153)

En fait, là encore, le processus inconscient avait précédé son accession à la


conscience, tel qu’en témoigne la décision préalable de l’arrêt de l’analyse, dans un
sentiment partagé que le processus touchait là à son terme. Ce sentiment était fondé sur la
vitalité profonde de la relation, où l’Éros de vie était revenu de façon perceptible.
Cependant, ce mouvement n’avait pas encore pu être intégré à la conscience de Brigitte et
de son analyste, ce qui ne se fit en fait qu’au décours de cette séance mémorable. Alors ils
pensaient tous deux qu’enfin ils étaient sortis du four et qu’une paix durable allait pouvoir
s’installer. Mais c’était sans compter sur les deux corbeaux, cette opposition de deux termes
inséparables, mais aux tendances opposées : De quelque façon que l’on considère la situation, elle
constitue un conflit à la fois intérieur et extérieur : l’un des oiseaux sait voler, l’autre non. On est dans le
doute : d’une part le pour, qui est discutable, et d’autre part le contre, qu’il faut approuver. À cette
situation, très inconfortable il est vrai, chacun voudrait bien échapper, quitte à découvrir un jour que ce qu’il
a laissé derrière lui, c’était lui-même. (Jung, 1944 p.174)

Pour Brigitte, le conflit se situait nettement entre les deux visées


contradictoires, endogame et exogame, de la libido. Le souvenir refoulé d’inceste en était

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dépositaire, et ce retour d’âme l’avait placée en position quasi exclusive d’exogamie par
rapport à l’analyste, en apparence tout du moins77. Mais le retour du souvenir incestueux
refoulé témoignait d’un fort lien endogame encore à moitié enfoui sous terre entre elle et
l’analyste. Seule la reviviscence a pu lui permettre, grâce au souvenir qui eut alors valeur de
symbolisation, de reprendre à son compte l’énergie captée par ce vécu. Ce n’est qu’alors,
dans le renoncement de posséder l’autre au travers d’un pouvoir exercé sur lui, que put
advenir au sein du transfert le sentiment d’une totalité. Mais, là encore, ce n’est pas tant de
la totalité de Brigitte qu’il s’agit, pas plus de celle de l’analyste, bien que pour l’un comme
pour l’autre ce sentiment d’être enfin réuni à soi-même fut présent78, après son rêve pour
l’analyste, et après la reviviscence de la scène d’inceste pour Brigitte. La totalité que le
transfert a permis, ici, d’atteindre est précisément celle du transfert. Là, en ce lieu tiers vécu
par les deux protagonistes du drame analytique, s’est accompli quelque chose qui a pu s’y
accomplir pleinement, non dans la complétude, mais dans la totalité de ce qui avait à s’y
vivre, de ce qui pouvait s’y vivre.

Concernant le soi, cette totalité qui n’est pas une complétude, Jung a souvent
été très clair, le plaçant clairement hors du champ narcissique et de ses fantasmes de toute-
puissance :

La réalisation consciente de l’unité intérieure est inséparable de la relation


humaine qui en est une condition indispensable, car, sans lien consciemment reconnu et accepté
avec le prochain, il n’y a pas de synthèse de la personnalité. […] L’expérience montre que
même la dissolution de la projection ne brise pas une certaine forme du lien qui existe dans le
transfert, car, derrière lui, il y a un facteur instinctuel de très haute importance, la libido de
parenté. […] Ce qu’elle veut, c’est le lien humain. C’est là le noyau même du phénomène du

77 : Si l’on considère qu’Eros est précisément la capacité à investir un objet à la fois de libido endogame, en le
reconnaissant comme son semblable, et de libido exogame, en le reconnaissant comme étranger, la
présence perceptible d’Eros entre Brigitte et son analyste contredit cette affirmation.

78 : Peut-être y-a-t-il là l’occasion de jeter un pont entre la pensée jungienne et le concept freudien de
narcissisme secondaire. En effet, le lien avec soi-même ne se peut qu’à la double mesure de
l’investissement endogame, le même en soi, et exogame, l’autre en soi. Cela rejoint l’investissement du
moi par les pulsions sexuelles, pulsions de vie et de mort intriquées, cette intrication pulsionnelle faisant
que le moi est ainsi investi autant que le non-moi. Il y aurait là beaucoup à creuser, autant du côté du
travail sur le négatif (Green 1984, 1992) que de l’œuvre de Laplanche sur la séduction originaire (1987)
et la pulsion de mort (1981, 1997).

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transfert, qu’il est impossible d’éliminer, car la relation avec le Soi est en même temps relation
avec le prochain, et nul ne peut avoir de lien avec son prochain s’il ne l’a d’abord avec lui-
même. (Jung, 1944 p.95-96). Et plus loin : L’homme qui n’est pas relié ne possède pas
de totalité, car il ne peut exister sans son autre côté, qui se trouve toujours dans le « toi ». La
totalité consiste en une combinaison du moi et du toi, qui apparaissent alors comme les parties
d’une unité transcendante dont la nature ne peut plus être saisie que de manière
symbolique… (Jung, 1944 p.107).

Ainsi peut s’entendre l’avènement de l’hermaphrodite [Figure 31], comme


étant une réalité de l’âme, mais d’une âme qui ne peut être réduite à être celle de l’un ou de
l’autre, ni même celle de l’un et de l’autre, ce en quoi elle est transcendante, c’est à dire hors
de portée de la connaissance79. L’avènement de l’hermaphrodite représente alors le point
ultime où peut conduire l’analyse, le dernier deuil à faire en ce cadre, le deuil d’une
autosuffisance qui permettrait au moi d’être lui-même, y compris hors la présence d’un
« toi » auquel il soit authentiquement relié par un lien investi, dans toute la complexité et la
conflictualité que ce lien suppose. Et parler du point ultime où peut conduire l’analyse n’est
pas parler en général, mais bien d’une analyse particulière ; la nécessité du lien est aussi
nécessité d’un lien limité par les limites mêmes des deux personnes en lien. Le deuil est ici
aussi deuil de tout ce qui n’a pas pu être vécu ni élaboré dans cette analyse-là, autre forme
de la toute-puissance alors projetée sur le processus analytique lui-même.

79 : Il importe, uns fois encore, de préciser que Jung a toujours utilisé le terme de transcendance au sens kantien,
non en son sens religieux et/ou mystique.

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Figure 31 : « La nouvelle naissance » (Jung 1944, p.178)

Il est possible, à partir de ce premier exemple clinique, de reprendre


l’hypothèse de la Chimère transférentielle afin d’en pointer quelques caractéristiques. Il
semble que, tout au long de ce travail, cette néoformation inconsciente transférentielle non
seulement fut le dépositaire du scénario refoulé, mais fut surtout le lieu d’émergence
possible de la libido anobjectale — dont il est dès lors impossible de l’attribuer à l’un ou
l’autre des partenaires de cette analyse, pour autant d’ailleurs qu’il ne soit jamais possible de
l’attribuer à quelqu’un en particulier. La question d’un inconscient impersonnel, soulevée
par Jung, reste, ici plus que jamais, ouverte.

Au sujet de cette libido anobjectale, cette violence qu’exercent les contenus


inconscients, cette énergie non symbolisée de la sphère instinctive — apparemment donc
du non-sens —, il peut être nécessaire d’évoquer sur une figure du rosaire non encore
abordée, la toute première figure, celle de la fontaine mercurielle [Figure 32] :

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Figure 32 : « La fontaine mercurielle » (Jung 1944, p.63)

C’est le chaos […] les éléments sont en effet ennemis, ils aspirent à se séparer les
uns des autres. (Jung, 1945 p.61) Le Mercure est une trinité […] et, comme on l’a souvent
souligné, il est le pendant chtonien, inférieur, voire diabolique80, de la Trinité céleste […] le
serpent bifide ou bicéphale, le funeste nombre deux, qui chez Dorn désigne le diable. Ce
serpent est le serpent mercuriel, la nature double du Mercure. (Jung, 1945 p.62) Quatre, en
tant que le premier des multiples, représente l’état pluriel de l’homme qui n’est pas parvenu à
l’unité intérieure. C’est donc un état d’absence de liberté, de guerre intestine, de désagrégation,
d’écartèlement entre des directions opposées, et par conséquent un douloureux état de captivité
qui aspire à l’unification, à la réconciliation, à la délivrance, à la guérison, c’est-à-dire à la
totalité. (Jung, 1945 p.66)

Voici le tableau planté, la scène organisée, tout y est en place afin que le
scénario puisse une fois de plus se dérouler. Mais si, comme Jung (1912), la représentation
est envisagée comme étant une forme de l’énergie, il convient de poser la question : quelle
est l’énergie qui est ainsi mise en forme ? Autant la figure du serpent bicéphale, en lequel

80 : Le diable est, Jung le rappelle à plusieurs reprises, “celui qui divise”. La dissociation doit ainsi être
envisagée non seulement comme défense du moi, mais aussi comme effet du Mercure, ici dans sa forme
“inférieure” de libido anobjectale. Cela peut être rapproché des dynamiques déintégratives de Fordham
(1947) ou aussi des éléments β de Bion (1962, 1963).

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on peut voir un dragon, comme en témoigne la fumée qui s’en échappe, que ce chaos décrit
par Jung, donnent à penser que l’énergie mise à la question en ce premier temps de
l’analyse est précisément cette violence de l’instinct, la libido anobjectale. Ici, il n’y a encore
personne, seuls des principes divins ou infernaux y ont une place. D’ailleurs un humain
pourrait-il y résister ? Le moi pourrait-il, sans la protection que représente la relation à un
« toi », affronter ces énergies enfouies au plus profond de chacun d’entre nous ?

Ainsi la chimère transférentielle peut être le lieu d’une possible émergence,


différenciation et mise en forme de la libido anobjectale.

D’autre part, il a été noté que la mise en acte préalable au début de l’analyse de
Brigitte témoigne d’une visée prospective de l’inconscient : rejouer une scène du passé afin
d’y trouver une nouvelle issue, de sortir d’une impasse. Cependant, formuler les choses
ainsi est insuffisant, car ce qui a caractérisé, dans cette cure, la chimère transférentielle est
de s’être adressée non pas au refoulement, mais bien au clivage du moi81. Il s’agit alors aussi
d’un réceptacle de la partie clivée du moi, réceptacle dont la visée prospective est la levée
de ce clivage, prélude indispensable à la réorganisation du moi sous l’égide du soi, tel qu’il
se retrouve dans la structure quaternaire de la première figure du Rosaire (où il est totalité
encore inhumaine, non symbolisable).

Cette visée prospective amène à penser cette néoformation transférentielle


comme organisée par le soi, soi qui n’est ni celui de l’analyste, ni celui du patient, mais qui
est à proprement parler archétype, c’est à dire préforme de l’inconscient, structure
d’organisation potentielle. Ce transfert est ainsi constitué à la fois du plus indifférencié, la
libido anobjectale, cette énergie pure qui n’est encore ni vie ni mort, ni sens, ni non-sens, ni
amours, ni haine82, et aussi de ce qui tend à la différenciation, le soi. Ainsi est posé, à côté

81 : Le clivage du moi, concept freudien, ne doit pas être confondu avec la dissociation, concept jungien,
dissociation qui en est le résultat, mais qui peut tout autant résulter du refoulement, c’est à dire d’un
mécanisme de défense d’un tout autre ordre structurel ; enfin la dissociation concerne, selon Jung, tout
autant les contenus de l’inconscient lui-même, ce qui découle de ses travaux sur les complexes (1904 et
suiv.). Si l’on s’en tient à la définition jungienne du moi en tant que centre du champ de conscience, il
faut alors se tourner vers Fordham (1974) et à son concept de clivage du soi, pour retrouver une
formulation spécifique de ce système de défense.

82 : Il y a là un point théorique dont il ne pourra être traité ici. En effet, postuler l’existence d’une énergie
“pure”, non encore polarisée, est susceptible de remettre en question la notion même d’énergie qui,
pour Jung, découle nécessairement d’une différence de potentiel, donc d’une polarisation..

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du soi de l’analyste dont nous pouvons espérer qu’il est suffisamment différencié, incarné,
et à côté aussi du soi de l’analysant qui, en l’occurrence, existe à peine (au sens
étymologique de « ex-ister » = « εξω— υστερος», c’est-à-dire « à l’extérieur de l’ombre, à
l’extérieur de l’utérus »), un soi qui serait alors à proprement parler le soi du transfert et qui
permettrait l’auto organisation des parties clivées de l’âme de l’analysant.

Cependant, si le soi du transfert est posé d’emblée dans sa visée prospective


comme premier organisateur du processus analytique, il n’en est pas moins, à l’origine,
quasi indifférencié des autres organisateurs de l’âme, et plus particulièrement de l’archétype
de la grande mère, à laquelle la libido incestueuse reste attachée. Le transfert serait alors un
lieu hybride, puisant son énergie tant du côté de la libido endogame que du côté de la libido
anobjectale, c’est à dire en deçà de la différenciation libidinale et donc de la possibilité d’un
investissement d’objet, fût-il narcissique. Ainsi envisagée, la nature hybride du transfert ne
tient pas tant à ce qu’il procède de la relation entre deux personnes, qu’à ce qu’il se
développe dans un entre-deux structurel, avec d’un côté le non-encore-advenu et de l’autre
le resté-collé-à-la-mère. L’enjeu, bien évidemment, en est l’émergence de libido exogame en
quantité suffisante pour le que le sacrifice de la relation à la mère archaïque devienne
possible, de telle sorte que la dynamique différenciatrice du soi puisse opérer, permettant
d’une part de meilleures assises narcissiques, et d’autre part un meilleur investissement de
l’objet, sous l’égide d’Éros.

Mais si le transfert est — comme le soi d’ailleurs — une « machine à créer de la


libido exogame », et de l’Éros, comment une telle émergence est-elle possible ? Certes, il
serait commode de s’en tenir aux modèles jungiens habituels, c’est-à-dire à la dynamique de
différenciation du moi d’avec le maternel, telle qu’elle peut résulter de la confrontation du
moi avec les contenus émergeant de l’inconscient. Cependant, dans le cas de Brigitte — et
dans des cas similaires de plus en plus fréquents dans la clinique psychanalytique — le moi
n’est absolument pas en état de tenir une quelconque confrontation avec ce qui lui vient de
l’inconscient. Des défaillances narcissiques de base lui interdisent ce qui supposerait la levée
préalable du clivage ; cela, précisément, est ici impossible sans possession ou désintégration
du moi sous l’effet de la violence des énergies à l’œuvre. Le suicide presque réussi de
Brigitte en témoigne.

Une autre réponse possible à cette question de l’émergence de libido exogame


est celle proposée par Fordham, les processus de déintégration et réintégration par lesquels
se constituent les premières différenciations internes au travers de la relation avec la mère.
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Ces processus permettent ainsi, dans la relation mère-enfant, la différenciation de la libido


anobjectale (ou violence fondamentale) en libido endogame et exogame : la réintégration
archétypique n’est pas seulement réintégration de le la représentation, elle est d’abord
réintégration de l’investissement libidinal différencié de l’enfant par la mère83.

Une telle relation fondée sur les processus de déintégration/réintégration est


extrêmement complexe. En effet, on y retrouve des éléments de nature tout à fait différents
et pourtant ici nécessairement intriqués. Du point de vue des énergies en présence, déjà, il y
a intrication entre la libido anobjectale qui maintient l’identité mère-bébé, et la libido
différenciée, endogame, mais aussi exogame, qui sous-tend l’investissement de l’enfant par
la mère. L’on pourrait alors s’attendre à une relation impossible, ce qui est en partie vrai,
mais ça marche, fort bien d’ailleurs dans la majorité des cas, comme le note Winnicott
quand il parle de la mère banale autant que de la mère suffisamment bonne. Du point de vue des
représentations, ce n’est pas moins compliqué. L’enfant n’est confronté qu’à des percepts
et des affects non représentables, les éléments β de Bion, alors que la mère est aux prises
avec des fantasmes plus ou moins œdipiens, plus ou moins construits, mais en tout cas
investis et représentables (ce qui ne veut pas dire consciemment représentés), les éléments
α. Selon Bion, c’est la mère, porteuse de la fonction α qui serait l’athanor de la
transformation du vil plomb des éléments β en l’or plus ou moins pur des éléments α.

Selon ce schéma, l’enfant réel n’est pas l’enfant perçu par la mère, et
inversement la mère réelle n’est pas la mère perçue par l’enfant. Là, comme dans le
transfert archaïque, il paraît utile d’introduire l’idée de l’émergence d’une néo réalité
inconsciente, émergeant de la relation, et qui en serait le véritable athanor : la chimère.
Cette néo réalité serait le lieu d’une transformation permettant à la mère d’être malgré tout
en relation avec l’enfant réel, et inversement. C’est cette chimère qui permettrait
l’émergence de la fonction α de la mère. Cette hypothèse, évidemment, mériterait à elle
seule tout un travail, ce qui ne peut être le cas ici.

Ainsi envisagée la Chimère est image du soi et de sa dynamique tout à la fois


différenciatrice et intégrative, un soi archaïque qui est la première expression du soi tel que
Jung l’entend, à savoir l’organisateur de la totalité psychique, y compris dès l’origine, alors

83 : On peut noter que, bien que formulée dans une approche théorique tout à fait différente, la théorie de la
séduction originaire de Laplanche est très proche (Martin-Vallas 1995).

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que ce psychisme est fort peu différencié, autant dans ses formes énergétiques que dans ses
topiques : c’est la première figure du Rosaire, dans laquelle l’humain n’a pas encore de
place.

Une question cependant : À ce niveau le soi archaïque est-il différenciable de


l’archétype de la mère ? Il ne semble pas. La mère est le premier contenant psychique de
l’infans, un contenant qui, d’ailleurs, se confond souvent avec lui ; il semble que le soi et la
mère sont, à ce niveau archaïque, en grande part indifférenciés. Plus précisément, en
revenant à la figure du Rosaire, nous y voyons un double contenant : un contenant virtuel,
fait de fumée, carré, qui semble représenter le lien archaïque à la mère, et un contenant
rond, organisé en fontaine, et réunissant le triple aspect de l’énergie psychique : une
représentation de ce que les jungiens ont coutume d’appeler un « soi pris dans la mère ».
Tel est l’état originel de la chimère. Cette question du contenant, essentielle pour
l’hypothèse de la chimère transférentielle, sera développée plus loin.

Dans le transfert, cette duplicité de la chimère appelle un double


investissement de la part de l’analyste et de l’analysant : d’une part un « investissement » par
la libido anobjectale (il s’agit en fait, comme le représente la figure du Rosaire où le serpent
à deux têtes vomit passivement sa fumée, du dépôt passif d’une énergie qui ne peut être
contenue dans l’intrapsychique, sans pour autant pouvoir être investie en un objet84), et
d’autre part un investissement par la libido différenciée, sous ses deux formes plus ou
moins liées, endogame et exogame, bipolarité qui ne cesse de porter avec elle son troisième
terme, une part de libido anobjectale. Ce dernier investissement est celui d’Éros85 qui tend à
un investissement de l’objet total par le sujet total, et qui est par conséquent l’énergie par
excellence du soi.

84 : Alors la relation à l’objet est de type adhésive (Tustin 1972), d’où la nécessité d’une chimère qui soit tiers,
et à laquelle le patient puisse rester adhérant y compris dans l’intervalle des séances. En l’absence de
constitution de la chimère l’absence, même momentanée, de l’analyste (ou de la mère) est absolument
insupportable; certaines formes de psychoses (notamment l’autisme au sujet duquel Tustin a initialement
décrit le transfert adhésif) semblent être dans ce cas.

85 : Il n’est pas impossible que cette forme première d’énergie qu’est la libido anobjectale, dans l’en deçà de
l’investissement d’objet, en soit aussi la forme mystique, dans l’au-delà de l’investissement d’objet. Cette
question sous-tendait une part des discussions de Freud avec Jung d’abord, puis avec Romain Rolland
plus tard (Vermorel 1993)

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Selon l’hypothèse de ce travail, autant que mon expérience, dans la situation


analytique chacun des protagonistes n’investit pas tant son partenaire que cet entre-deux
qui s’y trouve constitué, la chimère transférentielle, ou, si l’on préfère, l’analyse elle-même.
Le rôle de l’analyste est alors de permette à cette chimère de se constituer, se maintenir « en
vie » (c’est à dire avec sa dynamique propre) et rester suffisamment malléable, ou
chimérique, pour que l’analysant y (re)trouve le ou les partenaire(s) psychique(s) dont il a
besoin. C’est alors le transfert qui sera en position possible de parentalité (ou autre) à
l’égard de l’analysant, et non l’analyste, et c’est le soi du transfert qui se trouvera sollicité
par la reprise des processus de déintégration/réintégration, et non directement le soi de
l’analyste lui-même, bien que celui-ci ne puisse, ni ne doive, y échapper en moindre part.
Une telle affirmation différencie nettement, et ce peut être essentiel à une époque où la
confusion semble devenir parfois extrême, l’analyse de nombreuses techniques
psychothérapiques — ou censées l’être — techniques qui prônent un rôle actif du
thérapeute posé comme devant combler les manques psychiques du patient86, soit en lui
offrant ce dont il aurait manqué, soit en voulant le rééduquer d’une manière ou d’une autre
afin de le faire correspondre à une normalité supposée.

Mais la chimère transférentielle, si nécessaire soit-elle à l’établissement et au


maintien du processus analytique, n’en reste pas moins un monstre, et ceci non seulement
du fait de sa nature hybride, mais aussi du fait de sa nature archaïque qui la relie au plus
profond de l’âme et à cette énergie indifférenciée qu’est la libido anobjectale. Se pose alors
la question de savoir comment un tel monstre indifférencié peut aider l’analysant dans cette
reprise de sa constitution et différenciation psychique ? En fait, cela ne se peut qu’à
condition d’affirmer, après avoir posé l’indépendance de cette chimère par rapport aux
protagonistes de la situation analytique, que cette chimère n’est thérapeutique qu’à la
mesure de son investissement par l’Éros de l’analyste : on peut alors dire que l’axe moi-soi
(Humbert 1983) est ainsi initialement constitué entre le moi de l’analyste et le soi du
transfert (ce qui ne se peut, bien entendu, que dans la mesure ou l’axe moi-soi propre de
l’analyste est suffisamment bien établi). D’une autre façon, moins théorique, on peut aussi

86 : Tel est l’un des fondement de l’interdit du toucher dans le cadre analytique. Si l’analyste doit, parfois,
donner de lui-même, “toucher” son analysant, ce ne doit être qu’au travers des mots : les mots, de
même que les manifestation affectives limitées, induisent toujours un certain doute quand à leur auteur
et à leur destinataire et sont donc facilement mis au service de la constitution de la chimère. Le corps,
par contre, ne peut être que celui de l’un ou de l’autre, et exclut par nature le troisième terme.

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dire que la chimère ne peut aider à l’incarnation de l’analysant qu’à la mesure de


l’incarnation de l’analyste lui-même87.

Cette chimère en effet, ne peut être envisagée comme étant l’âme du transfert
qu’à l’expresse condition de garder présent à l’esprit qu’elle ne peut avoir ni moi, ni corps,
ni sexe. Autant dire, comme Anzieu le disait des groupes88, que son fonctionnement propre
est nécessairement psychotique. Étant donné qu’il importe tout autant de ne jamais perdre
de vue que l’enjeu premier de toute démarche analytique est, en termes jungiens,
l’émergence et/ou la (re)mise en tension dynamique de l’axe moi-soi, il est évident que la
chimère ne peut à elle seule répondre à cette exigence qui fonde l’éthique pour Jung.
D’ailleurs, d’éthique il ne peut être question à son niveau, celle-ci nécessitant un
investissement d’un l’objet total par un sujet.

L’axe moi-soi, donc, est initialement porté par l’analyste et se mobilise tant au
sein du psychisme même de l’analyste qu’entre son moi et le soi chimérique du transfert.
Cette proposition est essentielle dans la conduite d’une cure, car elle implique que le moi de
l’analyste puisse se poser comme existant et incarné et non pas uniquement comme
support projectif aux fantasmes inconscients du patient. C’est ainsi que peut s’entendre le
concept de moi-auxiliaire, le moi de l’analyste venant accompagner et servir d’appui au moi
du patient là où il ne peut tenir seul la confrontation avec la chimère. Mais c’est bien face à
la chimère que le moi de l’analyste doit se poser et non face à l’inconscient du patient, sans
quoi il ne s’agirait plus d’analyse, mais au mieux de rééducation ou de nursing — toutes
choses pouvant être nécessaires, mais relevant, comme il a déjà été dit plus haut, d’une
autre pratique professionnelle et d’une autre position tant éthique que thérapeutique.

Revenons maintenant à la séance qui nous occupe, celle où l’analyste est « sorti
de ses gonds », mettant une fois de plus en acte ce que la pensée ne pouvait penser. Mais
cette fois, ce n’était pas la pensée de l’analyste qui était impuissante à penser un
mouvement d’affect, mais bien celle de l’analysante. Précisément, il est possible d’affirmer
que cette impensable se situait non pas tant au sein même de l’analysante que dans la
relation qu’elle entretenait avec la chimère transférentielle, relation où s’étaient remise en

87 : Parler d’incarnation revient à parler de narcissisme secondaire, c’est-à-dire de l’investissement auto-


érotique global du sujet total, et non uniquement d’une somme d’investissements partiels.

88 : Communication personnelle, citée de mémoire (1993) : le groupe étant dépourvu de corps, il ne peut
accéder à la différence des sexes, et est donc, par nature, psychotique.

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jeu l’adhésivité qui avait, autrefois, organisé sa relation à la mère, mais qui contenait aussi
tous les possibles d’une relation positive avec cette même mère.

Tout l’aspect sadomasochiste qui la protégeait d’une adhésivité impossible, son


analyste avait pu le comprendre, l’interpréter, et elle avait, avec le temps, pu en prendre
conscience. Mais ils pensaient tous deux que ce type de relation pouvait, avec l’apaisement
des angoisses d’abandon, laisser plus de place aux investissements érotiques. L’évolution
clinique de Brigitte les confirmait dans cet espoir, mais il fallut, une fois de plus, et avec une
force jusqu’alors inconnue d’eux, que Brigitte vienne chercher son analyste, en tant que
personne, faisant en sorte qu’il se positionne nettement là où elle ne le pouvait, ou ne le
voulait, encore, c’est-à-dire en face de cette relation adhésive, et d’une façon qu’elle ne
pouvait encore tenir, c’est-à-dire à partir d’une position éthique. C’est le sentiment89 de son
analyste qu’elle est venue chercher et qu’elle a trouvé.

L’intensité de la réaction de l’analyste pourrait être mise sur le compte du fait


qu’il ne s’était pas encore, en lui-même, clairement positionné par rapport au non-être
maternel. Il n’est pourtant pas certain que cela soit si simple. S’il est vrai que, de son côté, il
devait renoncer au lien identificatoire au non-être maternel, cela ne peut suffire à
comprendre pourquoi c’est précisément au décours de cette séance, et avec cette
analysante, qu’il put confirmer cette prise de position. Il pourrait être rassurant d’imaginer
qu’il eut pu, avec un peu plus de maturité, prendre position plus calmement, sans pour
autant être ainsi débordé par une charge affective dont la manifestation était fort peu
orthodoxe. Mais il se trouve que c’est précisément ce que très longtemps il fit avec Brigitte,
ce qui le plaçait, dans ses fantasmes, en position d’adulte face à l’enfant et la protégeait ainsi
du refoulé incestueux vécu avec le frère. En cherchant en l’analyste ce lieu d’une blessure
narcissique encore mal cicatrisée, c’est son frère qu’elle cherchait, précisément la part saine
de ce frère aîné, cette part qui n’avait pu, à l’adolescence, dire : Ça suffit !.

Mais en poussant ce cri, en s’opposant de façon brutale et violente à ce que


cette chimère leur donnait à vivre et que Brigitte ne pouvait elle-même affronter, l’analyste
se posait soudainement en meurtrier de la chimère, ne lui laissant plus de place au sein du
transfert, exigeant même de Brigitte qu’il en soit ainsi. Ce faisant, il déchira l’adhésivité du
transfert et interdisit le maintien du clivage, permettant à Brigitte de retrouver la part de

89 : Au sens de la fonction sentiment décrite par Jung (1920)

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son histoire qui lui avait été subtilisée, non pas tant par le refoulement que par la nécessité
de maintenir ainsi le clivage.

L’analyste a donc été meurtrier de la chimère transférentielle, mais l’a-t-il été


pour autant du transfert lui-même ? La suite et fin de l’analyse montra qu’il n’en était rien,
notamment le fait que Brigitte pu s’appuyer sur lui pour affronter la levée conjointe,
extrêmement douloureuse, du refoulement et du clivage, et ceci dans une tonalité
transférentielle qui n’avait plus rien à voir : la dimension violente y était liée aux
investissements endo et exogames, et à leur conflictualité propre ; telle est la nouvelle
naissance, naissance d’Éros. Autant dire que parler de transformation et de renaissance
dans l’analyse, comme le fait souvent Jung, n’est pas prendre un parti pris mystique,
religieux ou magique. C’est simplement attester du fait que la nature même de la libido est
susceptible de se transformer, et de se lier.

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La"chimère"transférentielle"

2 Séduction!et!chimère!

Le Petit Prince s’en fut revoir les roses : Vous


n’êtes pas du tout semblables à ma rose, vous
n’êtes rien encore, leur dit-il. Personne ne vous a
apprivoisées et vous n’avez apprivoisé personne.
Vous êtes comme était mon renard. Ce n’était
qu’un renard semblable à cent mille autres. Mais
j’en ai fait mon ami, et il est maintenant unique
au monde. (Saint Exupéry, 1964)

Quand Renée est venue me voir, elle non plus n’avait été apprivoisée par
personne, n’avait apprivoisé personne. Malgré une façade sociofamiliale très « normale »,
elle n’était rien encore à ses yeux ; une femme de la quarantaine semblable à cent mille
autres.

2.1 L’analyse!de!Renée!:!

Ce fut un ami psychiatre qui me l’adressa. Elle souffrait d’avoir épousé un


homme qui ne lui apportait aucune sécurité, ni matérielle — il dépensait toujours plus qu’il
ne gagnait — ni affective — la tendresse lui était étrangère. Elle-même était enfermée dans
une pensée rationalisante (elle expliquait tout) et attendait donc de moi des solutions pour
tout ce qui lui échappait. D’ailleurs, ne suis-je pas médecin ?

Durant de longs mois les séances se déroulèrent selon le même schéma : elle
posait les questions, associait à profusion, proposait les réponses. Sa parole envahissait tout
l’espace, autant celui de la pièce que celui de ma pensée. Ainsi était créée une sorte de bulle,
un espace clos et plein, une poche amniotique dont sa parole constituait à la fois le liquide
et la poche elle même, le tout étant — heureusement ! — maintenu par le cadre analytique,
véritable utérus de ce transfert. J’y étais submergé et maintenais difficilement un lien ténu
avec ma vie intérieure, lien apparemment inexistant chez elle. Le seul affect qui
transparaissait et qu’elle pouvait nommer était la peur : peur de ma colère supposée, la colère
du Dieu de Moïse disait-elle.

Très vite, un élément extérieur vint faire effraction dans ce transfert : un autre
de ses amis, qui m’avait côtoyé sur les bans de la faculté, lui raconta ce qu’il savait de

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personnel à mon sujet. C’était peu de choses, mais suffisant pour opposer la représentation
du médecin démiurge universel à celle de son analyste, homme ordinaire, dont l’existence
est parsemée des avatars singuliers de la vie de tout un chacun. Peu de choses, certes, mais
des détails sur mon père : un père humain et mortel venait contredire une imago toute-
puissante, terrifiante, éternelle.

Cette opposition était d’autant plus marquante qu’en écho à la toute-puissance


divine, Renée avait d’elle-même une image très indifférenciée : elle se percevait et se
décrivait comme une momie dont l’intérieur liquéfié ne pouvait être contenu par ses
bandelettes ; elle était sans cesse menacée de se vider de sa substance. Ma toute-puissance
supposée devait être à même de l’étanchéifier parfaitement, mais ce qu’elle savait
maintenant de moi me révélait à ses yeux comme simplement humain. Cette indiscrétion
nous apparut alors comme un corps étranger dont nous n’avions rien à faire. Je compris
plus tard que telle était en fait la place du père pour Renée : nous nous sommes longtemps
efforcés de le maintenir à l’écart, dans une collusion inconsciente pour éviter le conflit
entre le désir d’un père idéal, tout-puissant et la réalité d’un père vécu comme impuissant,
falot, incapable de guérir la mère dépressive.

Après trois ans d’un travail de soutien pour l’accompagner dans un divorce
douloureux, elle choisit, après que je le lui eus proposé, de passer sur le divan. Elle
commençait à prendre conscience que le lien qui l’unissait à son ex-mari prenait origine
dans son enfance : elle était la troisième d’une fratrie de cinq, mais n’avait jamais connu son
frère aîné mort dans sa première année, bien avant sa naissance. Sa mère lui avait raconté à
de nombreuses reprises que le petit frère était mort en se vidant par le nez. Elle allait tous les
dimanches, en famille, lui porter des fleurs blanches au cimetière. Le petit frère était ainsi
momie liquéfiée autant que pierre tombale inamovible. Enfin, il était un ange blanc au ciel.

En écho à ces représentations de son principal objet d’amour explicite, sa mère


lui parlait souvent de son propre père : un homme violent, alcoolique, possessif. Lui était
vivant, mais Renée ne l’a jamais rencontré, l’interdit maternel étant sur ce point absolu. Elle
n’a donc pu se construire de cet homme qu’une image double : d’une part une violence
archaïque terrifiante (discours de sa mère), et de l’autre la photo, qui trônait dans la maison,
d’un bel homme d’une trentaine d’années, très séduisant, et dont sa mère était
manifestement très amoureuse. Ce second objet d’amour de sa mère était d’autant plus
prégnant qu’implicite, dissocié, paradoxal. Enfant, elle avait réuni les deux faces de cette

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La"chimère"transférentielle"

image en un fantasme où le grand-père traînait sa femme par les cheveux pour l’emmener
dans la chambre nuptiale.

Ne pouvant être appréhendés dans une réalité relationnelle directe, les objets
du désir de sa mère, tous deux incestueux, restèrent de vrais fantômes : le manque de
consistance du père réel n’avait pas permis l’incarnation de ces représentations aux yeux de
Renée, et elle ne put être ainsi protégée de leur puissance archaïque. La différenciation
n’était que violence subie et ne pouvait mener qu’à l’échec (grand-père maternel alcoolique)
ou à la mort (frère aîné).

2.2 L’imago!paternelle!

Pour Jung, l’imago maternelle, dont il a très longuement parlé tout au long de
ses travaux, se constitue à partir de l’expérience que l’enfant fait des congruences et
divergences entre l’universalité de ses aspirations archétypiques et la réalité singulière de la
relation avec son entourage maternel. Il dit qu’il en est de même pour l’imago paternelle, et
pose l’archétype du père, mais il développe très peu cette question.

2.2.1 Rêve"du"phallus"

Pourtant le premier rêve que Jung rapporte de son enfance aborde


explicitement la question du père, ou plutôt du phallus comme dieu chtonien enfoui dans
les entrailles de la terre-mère. Voici le texte de ce rêve (1961, p.30) :

Le presbytère est situé isolé près du château de Laufen et derrière la ferme du


sacristain s’étend une grande prairie. Dans mon rêve, j’étais dans cette prairie. J’y découvris
tout à coup un trou sombre, carré, maçonné dans la terre. Je ne l’avais jamais vu auparavant.
Curieux, je m’en approchai et regardai au fond. Je vis un escalier de pierre qui s’enfonçait ;
hésitant et craintif, je descendis. En bas, une porte en plein cintre était fermée d’un rideau
vert. Le rideau était grand et lourd, fait d’un tissu ouvragé ou de brocart ; je remarquai qu’il
avait très riche apparence. Curieux de savoir ce qui pouvait bien être caché derrière, je
l’écartai et vis un espace carré d’environ dix mètres de longueur que baignait une lumière
crépusculaire. Le plafond voûté était en pierre et le sol recouvert de dalles. Au milieu, de
l’entrée jusqu’à une estrade basse, s’étendait un tapis rouge. Un trône d’or se dressait sur
l’estrade il était merveilleusement travaillé. Je n’oserais l’affirmer, mais il était peut-être
recouvert d’un coussin rouge. Le siège, véritable trône royal, était splendide, comme dans les
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contes ! Dessus, un objet se dressait, forme gigantesque qui atteignait presque le plafond.
D’abord, je pensai à un grand tronc d’arbre. Haut de quatre à cinq mètres, son diamètre
était de cinquante à soixante centimètres. Cet objet était étrangement constitué : fait de peau
et de chaire vivante, il portait à sa partie supérieure une sorte do tête de forme conique, sans
visage, sans chevelure. Sur le sommet, un œil unique, immobile, regardait vers le haut. La
pièce était relativement claire, bien qu’il n’y eût ni fenêtre ni lumière. Mais, au-dessus de la
tête brillait une certaine clarté. L’objet ne remuait pas et pourtant j’avais l’impression qu’à
chaque instant il pouvait, tel un ver, descendre de son trône et ramper vers moi. J’étais comme
paralysé par l’angoisse. À cet instant insupportable, j’entendis soudain a voix de ma mère
venant comme de l’extérieur et d’en haut, qui criait : « Oui, regarde-le bien, c’est l’ogre, le
mangeur d’hommes ! » J’en ressentis une peur infernale et m’éveillai suant d’angoisse. À
partir de ce moment, j’eus, durant plusieurs soirs, peur de m’endormir : je redoutais d’avoir
encore un rêve semblable.

Pour le contexte de ce rêve, plusieurs points méritent d’être notés :

- Son père étant pasteur, la famille vivait dans le presbytère.


- Comme pasteur son père officiait pour les enterrements, et Jung rapporte qu’il était très
intrigué que les morts soient mis dans un trou fait dans la terre.
- Peu avant ce rêve, alors qu’il avait trois ans, ses parents furent séparés par une
hospitalisation de plusieurs mois de sa mère, à l’hôpital de Bâle. Jung (1961, p.27) note qu’il
est probable que sa maladie ait été la conséquence de sa déception conjugale, probablement une
dépression, donc. Plus loin (idem), il écrit :

À partir de ce moment, je fus toujours méfiant dès qu’on prononçait le mot


« amour ». Le sentiment qu’éveillait toujours en moi le « féminin » fut longtemps et
spontanément qu’on ne pouvait, par nature, lui faire confiance. « Père » signifiait pour moi
digne de confiance et… incapable.

- Au retour de l’hospitalisation de sa femme, le père de Jung quitta la chambre conjugale et


vint s’installer dans celle de son fils. Concomitamment, Jung a souffert d’eczéma généralisé.

2.2.2 Discussion"

Il n’entre pas dans l’objet de ce travail d’analyser plus avant ce rêve ; il suffira,
concernant l’imago paternelle pour Jung, de noter qu’il indique clairement que, pour lui, le
masculin parental fut d’abord un attribut de la grande mère archaïque, celle que l’usage

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La"chimère"transférentielle"

nomme la mère phallique (ou le père archaïque de la horde primitive – Freud 1913b). Cette
représentation phallique de la mère est aussi, probablement, la première défense contre les
angoisses d’abandon : si la mère est Tout elle ne peut donc faire défaut (mais en
contrepartie, l’enfant n’est rien). La visée différenciatrice de l’archétype du père est
d’emblée dévoyée de son but (l’érection autonome de l’humain90) : le petit d’homme est
psychiquement prématuré et doit, en un premier temps, se constituer un contenant
psychique sans lequel toute différenciation est synonyme d’abandon, d’effondrement, de
mort. La première représentation archétypique de la mère se trouve ainsi porteuse du
phallus et participe au déni de la différence des sexes. Mais très vite (on peut tout du moins
l’espérer), l’enfant se trouvera confronté au désir sexuel de sa mère, désir qu’il éprouvera
dans son incapacité — biologique et psychique — à le satisfaire autant qu’à le
comprendre91 ; c’est ainsi la propre frustration de l’enfant qui lui fait « toucher du doigt »
l’incomplétude de la mère réelle, autant que la sienne propre.

Jean Laplanche (1987) parle à ce sujet de séduction originaire : l’objet


incompréhensible du désir de la mère fait effraction dans cette bulle fantasmatique où mère
et enfant sont un Tout autosuffisant. Cet objet, que Jean Laplanche appelle signifiant
énigmatique, est immédiatement mis à l’écart : c’est le refoulement originaire. Il semble que
ce soit à partir de là que peut se constituer l’ébauche de l’imago paternelle : l’étrangeté de
l’objet du désir de la mère, étant perception d’une différence, constelle l’archétype père et
sa visée différenciatrice qui permet le refoulement originaire. Celui-ci pose la différence
intrapsychique (conscient/inconscient, moi/non-moi, dedans/dehors). L’imago paternelle
pourra alors se constituer à partir de l’expérience singulière que l’enfant aura de l’objet réel
de ce désir (traditionnellement le père réel) et de la relation que la mère entretient avec cet
objet.

90 : Un patient disait à une collègue : Je n’ai pas de rectitude à l’intérieur. L’image d’un intérieur liquide que Renée
avait d’elle-même l’exprime autrement .

91 : Il ne s’agit pas du seul sens intellectuel de la compréhension, mais du double sens de renfermer en soi et de
concevoir, saisir par l’esprit (Larousse), ce qui implique et de se représenter la chose, et de faire sienne cette
représentation.

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Si cet objet reste fantomatique, comme ce fut le cas pour Renée, et


probablement aussi pour Jung 92 , difficile pour l’enfant d’en avoir une expérience
singulière… L’imago paternelle n’a pas d’existence autonome, et la mère ne peut être vécue
que comme un « sous-produit » insatisfaisant de la grande mère archaïque, phallique, toute-
puissante. L’idéalisation compensatrice (qui peut tout aussi bien être vécue sur un mode
négatif) est alors le seul recours contre les angoisses d’abandon. Mais le moi reste enfermé
dans la quête imaginaire d’un contenant universel, et est condamné à vivre la visée
différenciatrice de l’archétype père comme persécutrice, ce qui a pour effet de renforcer ses
défenses narcissiques. On retrouve là le sens fort de l’image de l’ouroboros, ce serpent qui,
se mordant la queue, se nourrit de lui-même et ne peut s’ouvrir au monde. Dès lors, Ève ne
peut être séduite et ne peut séduire Adam. La pomme de la connaissance de la différence
des sexes reste inaccessible93. L’humain est prisonnier d’un Eden imaginaire dont le maître
absolu reste inconscient.

2.3 Les!vacances!à!la!campagne!:!

C’est ainsi que Renée ne pouvait m’assigner en d’autre place que celle du
démiurge tout-puissant et/ou celle du père fantomatique, impuissant. J’avais le sentiment
douloureux que tout ce que nous élaborions était soit détruit, liquéfié et perdu au fur et à
mesure, soit figé en une rationalisation séduisante, mais inamovible : je ressentais la solitude
et l’impuissance de Renée enfant face à la destruction archaïque et devais à la fois être
suffisamment absent (voire transparent, inexistant) pour ne pas réactiver ses défenses
narcissiques, et suffisamment consistant, incarné, pour être support possible de la reprise,

92 : La mère de Jung était la fille préférée de l’Antistès (évêque protestant) de Bâle. Celui-ci avait pour
habitude, lorsqu’il écrivait ses sermons, d’appeler sa fille à ses cotés afin de repousser les assauts de
Satan… C’est dire la proximité quasi incestuelle de la mère de Jung et de son père, un père dont on peut
raisonnablement penser qu’il est resté un objet important du désir sexuel de celle-ci, et un objet
fantomatique pour Jung..

93 : Il est intéressant de noter que, dans le texte de la Genèse, la première connaissance qu’Adam et Ève
manifestent est celle de leur nudité. C’est d’ailleurs en les voyant cacher leur nudité que Dieu sait qu’ils
ont mangé la pomme, indiquant par là que la “conscience” divine elle-même est dépendante de la
conscience humaine.

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dans le transfert, de la différenciation de l’imago paternelle. Autant dire que ce ne fut une
partie de plaisir ni pour elle ni pour moi !

Après une longue et profonde dépression qui la surprit et nous inquiéta, Renée
commença à me parler de ses vacances à la campagne, vacances pendant lesquelles elle
pouvait se construire une histoire vraie, reliée au pulsionnel des relations de jeux avec
d’autres enfants, et au spirituel du contact intime avec une nature à laquelle son père
pouvait alors l’initier. Elle avait ainsi rencontré un père libre et vivant, ce que je sentais dans
le plaisir que j’avais à l’écouter : je respirais. Cet aspect de son histoire résonna
profondément en moi, éveillant un sentiment de grande proximité psychique : je me suis
moi-même construit, enfant, à la campagne où nous allions pour les vacances et où je
trouvais, moi aussi, une relation vivante avec mon père.

Mais les parents de René ont fait construire une maison — maison de maçon, dit-
elle — sans âme, sans charme, sans vie. Dès lors, il ne fut plus question d’aller où que ce
soit, et les murs de béton se refermèrent sur la vie naissante de la petite fille, comme le
tombeau s’était refermé sur celle du petit frère. La mère envahit l’espace de ses migraines
auxquelles nul ne pouvait plus échapper, et le père redevint inconsistant, se cantonnant à
mettre en garde ses filles contre les dangers du monde extérieur, et à cultiver les fleurs
blanches pour le cimetière.

Elle parla très longtemps de ces deux âges de sa vie, séparés par la rupture de la
construction de la maison. Son discours oscillait entre l’avant, à la campagne, et l’après,
dans la maison. Je la vis s’éveiller quand elle me parlait des jeux avec les voisins, de la
curiosité et de la honte mêlées qui marquèrent les premiers émois sexuels, de la cueillette
des champignons avec son père, de sa déception de ne pas aller à la chasse avec lui, etc. Et
elle se refermait aussitôt qu’elle parlait de « l’après » : les interdits de sortir, la honte en face
« des autres », la peur des garçons, les reproches de son père quand, un jour, elle se fit
suivre par l’un d’eux, etc. Nous étions alternativement portés par une vague de vie,
dynamique et rafraîchissante, puis rejetés violemment sur une plage de galets froids et durs,
dans l’attente de la prochaine vague. Et, comme la mer qui, à chaque flux et reflux, dépose
quelques objets sur la grève, ce mouvement nous ramenait petit à petit des éléments
concrets de son histoire.

Alors un sentiment d’étrangeté et de curiosité mêlées s’éveilla insidieusement


en moi : je réalisai, avec autant d’effroi que de jubilation, que le lieu de son enfance était le
même que celui de ma propre enfance, lieu où j’habite aujourd’hui. L’étrangeté était
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redoublée par le fait qu’elle savait (par cet ami indiscret) mon lieu de résidence. Ce point,
comme tout ce qui était venu de cet ami, fut nommé et mis de côté, mais je commençais à
prendre conscience qu’il s’agissait d’une mise en attente, que cela devra être repris et
travaillé ultérieurement.

Cette coïncidence renforça la séduction narcissique où j’étais pris avec elle :


j’attendais inconsciemment qu’elle soit mon double, double féminin certes, mais double à
mon image. Telle est l’histoire de Narcisse se mirant dans le fleuve de la nymphe Écho et
n’y voyant que son image et non le féminin de cette nymphe, son anima. Croyant ainsi
n’être amoureux que de lui-même, amour impossible par excellence, il sombra dans le
désespoir et mit fin à ses jours. Je me trouvais renvoyé à ce qui reste en moi d’une anima
indifférenciée de la grande mère, écho de l’indifférenciation, pour Renée, de son animus.

Après encore plusieurs années d’un travail « d’extraction » de la dépression


maternelle où elle était restée engluée, il apparut qu’elle devait reconstruire aujourd’hui un
lien vivant avec ce pays de son enfance. Mais j’y habitais, et ce fut un frein puissant à ce
« retour au pays » : je devais rester un être anonyme, lointain, aussi étranger que possible.
Investir de nouveau ce lieu eut été reconnaître que l’intrus n’était plus l’ami et ses
indiscrétions, mais l’analyste lui-même. Il n’aurait donc plus été possible de le maintenir à
l’écart. Mais, devant cet homme qui ne pouvait lui appartenir, l’ombre (la colère divine qui
l’habitait) était encore trop dense pour pouvoir être affrontée.

Petit à petit cependant, cette ombre put se représenter. Un fantasme apparut :


Je suis un coucou et chasse tous les œufs d’un nid pour m’y installer (nous parlions alors de la maison
de l’analyste où elle m’imaginait entouré de belles femmes se délassant au soleil…). Trop
impatient, et en défense à mon propre complexe maternel, je lui proposai une
interprétation œdipienne qu’elle récusa. Il est clair que, en fait d’œdipe, il s’agissait de son
avidité orale94 : elle désirait être elle-même l’enfant unique de la mère analyste (le sein ne se
partage pas). Et il s’agissait aussi de sa perception (inconsciente) de ma position narcissique
dans le transfert : le fantasme était que je sois l’homme de toutes les femmes (c’est-à-dire
l’enfant merveilleux de la mère). C’est alors que je pris conscience que l’identification
projective fonctionnait dans les deux sens et que je commençai à me dégager de la
séduction narcissique dans laquelle j’étais resté pris avec elle.

94 : La dimension anale de la rivalité fraternelle ne pourra apparaître que plus tard.

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La"chimère"transférentielle"

Mais, en lui parlant de désir œdipien là où il s’agissait pour elle d’avidité orale,
je la séduisais à mon tour, non plus sur un plan narcissique, mais selon ce que Jean
Laplanche appelle la séduction originaire : je lui faisais part d’un objet de mon désir (la
mère) qui lui est étranger (projeté sur elle) et qui m’était inconscient, et lui transmettais ainsi
un message énigmatique (Que me veut-il celui-là qui parle à une autre en s’adressant à moi ? Suis-je
moi-même autre de qui je suis ?). Elle se trouvait aux prises avec un objet par moi investi et
pour elle aussi irreprésentable qu’incompréhensible ; le fantôme de l’analyste avait ainsi
rejoint celui de la mère : tous deux étaient objets de désirs sexuels incestueux.

Ce n’est certes pas un hasard si, dans le même temps, elle s’inquiéta de la
possibilité de me rencontrer lors de ses visites à la campagne de son enfance. J’étais perçu
comme un fantôme pouvant à tout moment apparaître dans son pays qu’elle savait être
aussi le mien. Cette crainte me parut justifiée, car elle pouvait renforcer les défenses
narcissiques, et je lui notifiai d’une part le lieu-dit de ma résidence (lieu-dit suffisamment
étendu pour préserver l’inconnu de l’analyste, et suffisamment circonscrit pour éviter
l’effraction d’une rencontre imprévisible), et d’autre part le fait que je me promenais
fréquemment à cheval dans les bois de son enfance où elle se rendait souvent. Je savais que
cette dernière précision n’était pas anodine, mais restais encore trop pris dans une collusion
inconsciente avec elle pour en mesurer la force. De même que les tremblements de terre
s’accompagnent souvent de secousses secondaires, la séduction originaire nous secoua ainsi
de nouveau.

2.4 Quelques!rêves!:!

C’est alors que son inconscient répondit par un rêve qui se résumait à une seule
image : Un renard. Ses associations l’amenèrent du côté des bois de son enfance où elle
vivait le plaisir des sens, le regard, les odeurs, le toucher. Elle pouvait aller et venir, se
perdre et se retrouver, son père occupé à cueillir ses champignons étant un repère solide et
vivant. Elle était incarnée, animale, rusée, comme le renard. Elle fit aussi référence au Petit
Prince, évoquant ainsi un autre aspect de l’image : la possibilité d’être apprivoisée, d’aimer et
de vivre séparée de l’objet aimé.

Le renard se tut et regarda longtemps le Petit Prince :

S’il te plaît… apprivoise-moi, dit-il !

[…]
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Clinique"

— Que faut-il faire ? dit le Petit Prince

— Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin
de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le
langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus
près…

[…]

Ainsi le Petit Prince apprivoisa le renard. Et quand l’heure du départ fut proche :

— Ah ! dit le renard… je pleurerai.

— C’est ta faute, dit le Petit Prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as


voulu que je t’apprivoise…

— Bien sûr, dit le renard.

— Mais tu vas pleurer ! dit le Petit Prince.

— Bien sûr, dit le renard.

— Alors tu n’y gagnes rien !

— J’y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.

Puis il ajouta :

— Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu


reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d’un secret. (Saint Exupéry, 1964)

Renée fit avec ce rêve un travail spontané d’imagination active, ce renard


l’accompagnant dans sa vie quotidienne, et put ainsi constater combien la conscience de sa
présence lui permettait de se sentir vivante, incarnée, reliée à son corps et à ses désirs, et
combien son absence la laissait perdue à nouveau dans la dépression, la non-vie parentale :
telle est la force du symbole vécu.

Il fallut alors, à son initiative, reprendre un travail en face à face, et je compris


plus tard que ce cadre était rendu nécessaire non seulement pour apprivoiser le renard (tout
en se défiant de ses ruses…), mais aussi du fait de l’intensité de la dépression paternelle :
pouvoir vérifier de visu que je restais vivant en face d’elle, que je répondais adéquatement à
ses sollicitations — que ce soit par la colère, le rire, ou tout autre affect qu’elle avait appris
à déceler sur moi malgré ma nécessaire retenue ; au contraire de son père, je n’étais ni

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détruit ni indifférent à la dépression maternelle dont elle jouait à nouveau devant moi les
différents registres.

C’est ainsi qu’apparut un de ces rêves qui éclaire d’un coup tout un pan de
l’analyse : Je suis avec mon père, et apparaît Bernard. Mon père est terne, dépressif, sans entrain, alors
que Bernard est, lui, bien vivant. J’ai envie de partir avec Bernard, mais ai du mal à laisser mon père seul
dans cet état ; néanmoins, je finis par le faire.

Bernard est un homme qui a pour particularité à ses yeux d’avoir réalisé ses
rêves les plus « fous », ses projets les plus singuliers, dont celui d’avoir des chevaux. Nous
avons bien sûr fait le lien avec le cheval de l’analyste, mais ce rêve va bien au-delà d’une
simple illustration du transfert freudien et des désirs refoulés. Il pose clairement, et pour la
première fois, le problème du père dépressif qu’il lui faut « abandonner » pour suivre son
propre chemin singulier, sa propre « folie »95. C’est donc à un travail de différenciation que
Renée se trouve alors confrontée, différenciation qui se heurte à la culpabilité de n’être pas
celle qui peut sauver le père. Et ce rêve indique ce qui pourra rendre possible ce travail :
une relation d’Éros avec un homme, homme de cheval, c’est à dire, au contraire du père —
ou plutôt comme le père ramassant les champignons —, homme relié à son propre monde
pulsionnel, à son animal intérieur.

Ainsi ce rêve est une illustration prospective du possible de l’analyse. Il est à


entendre sur le plan du sujet, l’homme relié au pulsionnel qui mène à bien ses projets les
plus singuliers représentant son animus, animus bien entendu projeté sur l’analyste. Le
projet de l’inconscient est l’analyse. Trois autres rêves vinrent peu après confirmer et
préciser ce projet :

Je suis sur le divan et vous vous allongez à côté de moi, adolescent, torse nu ; je caresse le torse
de cet adolescent, comme un réapprentissage de la caresse.

Puis, à la séance suivante, un autre rêve : J’arrive dans cette pièce et il y a avec vous
une armada de psychanalystes. Je me dis que je n’ai plus à parler à cette assemblée ; cette parole est morte et
c’est aujourd’hui avec vous que je dois faire mon analyse.

Et enfin, quelques semaines plus tard : Chez vous, je m’aperçois que vous vous occupez
de beaucoup d’autres que moi et, furieuse, je vais m’enfermer aux cabinets.

95 : Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n'être pas fou. (Pascal 1670,
fragment 30/35)

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Clinique"

Un chapitre est clos, celui de l’analyste universel, et un autre s’ouvre, celui de


son analyse, de son analyste. Le singulier est aujourd’hui devenu support et incarnation
possible de l’universel.

2.5 Le!transfert!en!double!miroir!:!

Il semble clair que le chemin que Renée a pu parcourir durant les huit
premières années de son analyse n’a pu se faire que grâce aux multiples jeux projectifs du
transfert qui s’est mis en place entre elle et son analyste. Ce transfert était un tout
indissociable qu’il serait artificiel de diviser en transfert et contre-transfert. Les projections
qui s’y sont révélées au fil du temps étaient partagées et non initialement orientées de l’un
vers l’autre : analyste et analysante s’y sont très vite retrouvés dans une position de miroir
narcissique l’un par rapport à l’autre. Plusieurs auteurs freudiens ont parlé à ce sujet de
transfert en miroir (p.ex. Bonnet 1991, Fedida 1992, de M’Uzan 1977). L’image du double
miroir peut paraître préférable, du fait que chaque reflet se reflète de nouveau dans le reflet
de l’autre, de telle sorte qu’il n’est, très vite, plus possible de savoir qui se reflète en qui.

J’ai de ce transfert l’image des miroirs du hall d’entrée de l’immeuble de mon


enfance : deux miroirs l’un en face de l’autre, presque parallèles, de telle sorte qu’en passant
au milieu je voyais mon reflet multiplié à l’infini avec un léger décalage de chaque image par
rapport à l’image adjacente. Ce décalage créait, avec la succession des reflets, un effet de
perspective et d’espace. Ni un parallélisme trop parfait ni un décalage trop grand ne
pourraient aboutir à cette mise en perspective.

Ainsi chaque identification projective de l’analysante et de l’analyste, venait


activer la contre-identification projective chez l’autre partenaire de la scène analytique, tout
en étant elle-même activée par l’identification projective de l’autre. Il s’en suit une
dynamique complexe, une chimère transférentielle, où chaque mouvement identificatoire
de l’un se trouve modifié par le léger décalage du mouvement identificatoire de l’autre, et
réciproquement, l’ensemble ouvrant une perspective d’où émerge un espace [Figure 33].

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identification projective
contre-identification projective
identification projective
contre-identification projective
identification projective
contre-identification projective
identification projective
contre-identification projective
identification projective
contre-identification projective
identification projective
Figure 33 : Dynamique du transfert en double miroir

Du fait de ce mouvement d’identifications projectives réciproques, il pourrait


sembler plus juste de parler d’identification adhésive commune, analyste et analysant étant
alors fantasmatiquement de véritables siamois. Ainsi envisagé, le transfert en double miroir
serait une première élaboration de l’adhésivité en instaurant un espace d’où pourra émerger
la dynamique de la chimère transférentielle, espace hors duquel la remise en conflit de
l’imago paternelle aurait pour effet d’arracher le moi à la mère sans que l’hémorragie ainsi
provoquée puisse être contenue. La constitution de cet espace nécessite un presque
parallélisme de la position en miroir de l’analyste et de l’analysant, une mesure dont on peut
douter qu’elle puisse ne résulter que de la position consciente de l’analyste ; comment
l’analyste pourrait-il prendre la mesure de ce qu’il ignore en grande partie ?

C’est pourquoi il peut paraître préférable de penser une telle situation au regard
de l’hypothèse de la chimère transférentielle, celle-ci venant ici animer la capacité de
l’analyste à trouver une bonne distance de différenciation. Initialement constitué de
l’adhésivité partagée des projections de l’analysante et des contre-projections de l’analyste,
cette chimère s’est aussi révélée, dans cette cure, être un lieu d’émergence des dynamiques
différenciatrices de l’archétype père, avec les tensions internes que cette confrontation
confusionnante implique.

Quand j’ai pu prendre conscience de ce fantasme d’un espace psychique


siamois, j’ai commencé à me poser la question de son fonctionnement, et plus
particulièrement de son rapport avec la séduction, séduction qui a été à l’origine de sa mise
en place, puis de son maintien et de sa consolidation, enfin de sa dissolution.

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2.6 La!valse!des!séductions!:!

La valse est une danse à trois temps, dont deux, le second et le troisième, sont
accentués, le troisième s’appuyant sur le second. Le premier temps est peu perceptible,
évoquant à peine son absence, alors même que l’équilibre de l’ensemble repose sur lui.
Peut-être le caractère enivrant de cette danse vient-il précisément de ce qu’elle repose sur
l’évocation de l’absence, absence que tous souhaitent évoquer pour en sentir la présence,
alors que nul ne souhaite trop la percevoir afin qu’elle reste absence ? Ces trois temps se
retrouvent dans les différentes séductions qui ont animé la cure de Renée ; le premier,
fondateur, fut à peine esquissé, alors que les deux autres y tinrent une place d’évidence.

Le premier temps de cette séduction fut hystérique. Il se situe dans la venue


même de Renée, sur l’indication d’un tiers, le psychiatre qui lui donna les coordonnées de
son analyste. Celui-ci représentait à l’époque, tant pour elle que pour son analyste, et pour
des motifs très différents, une image paternelle. Il s’était suffisamment intéressé à elle pour
l’adresser à un analyste (une proximité relationnelle trop grande lui interdisait de la prendre
lui-même en thérapie), et il s’était tout autant intéressé à cet analyste en lui donnant son
nom. En un mot, et du point de vue de l’inconscient, il aimait tous autant Renée et son
analyste et les plaçait en position de s’aimer réciproquement. Une analyse très classique
aurait ainsi pu s’engager, analyse des conflits entre désirs et interdits, amour et haine.

Mais ces conflits étaient à l’évidence bien trop menaçants pour Renée, compte
tenu des carences de son narcissisme. Là, intervint le second temps de la séduction : les
indiscrétions de son autre ami, manifestant son désir d’être là avec nous, entre nous. Il
renforçait ainsi notre position fantasmatique de couple et le conflit entre désir et interdit.
La dissociation de l’imago paternelle fut réactivée pour préserver autant le narcissisme de
Renée que celui de son analyste. Ainsi était mis en place le double miroir transférentiel,
l’ami y représentant cette partie dissociée de l’imago paternelle que nous avons chacun,
durant ce temps, mise de côté. L’identification projective était donc garante de cette
dissociation, et l’identification adhésive signait sa mise en commun. Ce second temps de la
séduction y était alors clairement narcissique, permettant à Renée de « coller » à son
analyste et de trouver ainsi l’étanchéité nécessaire à une réparation de ses « fuites »
narcissiques. Mais l’activation de l’archétype père au sein même de la chimère ainsi

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constituée permit son activation inconsciente chez l’analyste96 ; un léger décalage en résultat
au sein, décalage qui créa cet espace transférentiel. Un tel transfert en double miroir peut
être comparé à un coffrage étanche, par exemple pour travailler sur les fondations d’une
pile de ponts.

Le troisième temps de la séduction se situe au moment précis de


l’interprétation décalée de son analyste, œdipienne avant l’heure. En interprétant son
fantasme à un niveau génital, il lui révéla sa propre génitalité tout en lui signifiant qu’elle y
avait une place. Il s’agit là d’une seconde séduction hystérique, l’interprétation reliant la
libido narcissique97 et la libido sexuelle dans une intrication nouvelle, bien que non encore
assimilable par le moi de Renée : il y eut ainsi effet d’effraction dans ce transfert en double
miroir ou, pour reprendre l’image des travaux, remise en eau de la pile du pont. La libido
pulsionnelle pouvait à nouveau circuler au contact même du moi, d’où l’apparition du
renard. Les rêves suivants confirmèrent que l’opération de séparation était en cours ; le
travail de l’analyse a donc pu s’orienter dans le sens d’un travail sur le conflit
intrapsychique, la problématique œdipienne, et le deuil.

2.7 Proposition!théorique!

L’expérience de la cure de Renée permet de mettre en évidence une phase du


transfert qui repose sur une identification adhésive de l’analysant et de l’analyste, émergeant
d’une mise en commun d’une même identification projective, le tout réalisant un transfert
en double miroir. Cette description rejoint, quoique différemment, ce que certains auteurs
freudiens ont décrit sous le nom de transfert en miroir (de M’Uzan 1977, Bonnet 1991,
Fedida 1992). La différence du point de vue défendu ici est double. D’une part, la
dissociation de l’imago paternelle au sein même de la chimère transférentielle —
dissociation nécessaire à toute identification adhésive — y est posée comme sous-jacente à
la mise en place de ce type de transfert. D’autre part, c’est ici la dynamique archétypale

96 : L’archétype père était bien évidemment activé aussi chez Renée, mais c’est bien au sein même du
psychisme de l’analyste que le travail d’élaboration de la dissociation du se faire en ce premier temps de
l’analyse. Pour Renée cette activation de l’archétype père ne pouvait que réactiver les défenses
narcissiques.

97 : J’appelle libido narcissique l’énergie qui investit le narcissisme primaire. Il s’agit, du point de vue jungien,
du pôle instinctuel de l’archétype, et du point de vue freudien de la pulsion d’autoconservation.

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différenciatrice qui est considérée comme sous-jacente à la possible résolution, dans le


transfert, de cette identification adhésive, dynamique émergeant elle aussi au sein même de
la chimère.

Dans cet espace transférentiel coexistent, indifférenciés, le même et l’autre,


l’adhérent et le distant. Cet espace est clos par l’adhésivité qui en constitue la trame, à l’abri
des conflits pulsionnels qui restent mis à l’écart avec la partie dissociée de l’imago
paternelle. Mais le monde pulsionnel, et l’imago paternelle qui peut l’organiser, s’ils sont
maintenus à l’écart, n’en sont pas moins présents, en attente d’élaboration. Cet ensemble
forme une chimère complexe, douée ainsi d’une dynamique archétypale propre qui émerge
de la contradiction entre un système adhésif qui tend à la stagnation, un système pulsionnel
qui tend à la relation, et le psychisme de l’analyste au sein duquel la dissociation de l’imago
paternelle reste relative, la part dissociée y étant refoulée et non clivée.

C’est le travail d’élaboration interne de l’analyste, alors véritable moi auxiliaire


de l’analysant, qui pourra opérer une reprise en sous-œuvre des investissements pulsionnels
du moi (narcissisme secondaire), ceux-ci venant consolider, cimenter, les failles du
narcissisme primaire et permettre ainsi à l’identification adhésive de céder peu à peu la
place à une différenciation psychique de l’un et de l’autre.

Ce type de transfert paraît être activé par la résonnance des failles du


narcissisme primaire de l’analysant au contact de celles de l’analyste, comme le diapason
dont le son n’est audible que s’il est mis en contact avec un objet. Nul ne peut alors dire
que le son vient bien du diapason ou de la caisse de résonnance : c’est de la chimère qu’ils
constituent ensemble que le son émerge, non de l’un ou de l’autre. Cela rejoint la notion de
résonnance de Tisseron (2013). Mais il faut ajouter que ce transfert est nécessairement très
chargé d’énergies pulsionnelles, celles-ci ne pouvant être supportées par le moi défaillant de
l’analysant et étant mises à l’écart dans le réceptacle privilégié que constitue le cadre
analytique. Il permet à la fois à l’analysant de se protéger de ces charges pulsionnelles trop
fortes, et à l’analyste d’investir progressivement le narcissisme primaire de l’analysant de sa
propre libido génitale. Le tout opère, selon l’image que propose Jean Laplanche (1987),
comme une injection de ciment dans les fondations fragiles d’un bâtiment par ailleurs en
bon état. On peut ajouter à cette image que ces fondations ont pour particularité d’être,
comme une pile de ponts, construites au sein même du courant pulsionnel. Cela nécessite,
pour que l’opération réussisse, pour que le ciment puisse « prendre », se solidifier, la mise
en place préalable d’un coffrage étanche : c’est là le rôle propre du transfert en double
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miroir. Mais il serait illusoire de croire que l’analyste a, dans ce processus, un rôle
consciemment actif. Bien au contraire, et cette cure en est un exemple patent, l’analyste n’y
est que l’acteur — et il assume consciemment de l’être — des dynamismes qui l’agissent et
dont il ne peut dire s’ils sont ceux de son analysant ou les siens propres.

Il a aussi pu être mis en évidence comment, au travers trois temps successifs de


séduction, ces charges pulsionnelles sont d’abord projetées en dehors du cadre de la cure,
puis y font retour par effraction et y sont transitoirement mises de côté, enfin peuvent être
restituées à l’analysant. Ces trois temps se retrouvent aussi dans l’histoire du Petit Prince :
séduction par la rose et mise en dehors (départ du Petit Prince qui ne peut supporter les
contradictions de la rose) ; séduction du renard qui fait effraction dans l’idéalité du Petit
Prince en lui enjoignant de l’apprivoiser, mais le sentiment du Petit Prince est encore mis
de côté ; enfin séduction de l’aviateur et, pour la première fois, le Petit Prince va pleurer, se
sentir mortel et avoir peur. L’enfant merveilleux, image du soi idéalisé, va alors disparaître.

Ces trois temps de séduction reprennent probablement trois temps de la


constitution du narcissisme de l’enfant. Dans un premier temps, la mère et l’enfant écartent
de leur relation la conscience des charges pulsionnelles qui y circulent. Celles-ci sont vécues
par la mère dans un ailleurs (ce peut être, comme pour la mère de Renée, un ailleurs
historique) où elle cherche réparation des inévitables (et nécessaires) failles de la relation
contenante qu’elle a avec son petit. Elles sont, pour l’enfant, mises en dehors du contenant
maternel qu’il commence à introjecter, constituant le refoulement originaire tel que décrit
par Laplanche. Dans un second temps, le père apparaît au sein même de la relation mère-
enfant où il fait effet d’effraction. Il doit cependant pouvoir être mis de côté, nommé, mais
non reconnu, en attente que le contenant maternel soit suffisamment introjecté par
l’enfant. Le troisième temps enfin est celui de la reconnaissance, par la mère et l’enfant, de
l’amour que le père leur porte, et que chacun d’eux lui porte. Alors seulement peut être
abordée la situation œdipienne et sa conflictualité propre, conflictualité qui, bien entendu,
relancera à son tour cette valse des séductions dès lors qu’elle (re)viendra toucher une
blessure narcissique précoce.

Il est probable que les trois temps de cette valse des séductions puissent être
considérés comme ceux de la constitution et de la différenciation de l’imago paternelle. Ils
paraissent rendre compte du fait que celle-ci repose autant sur l’imago paternelle de la
mère, sur l’objet de ses investissements érotiques, que, enfin, sur le père lui-même. Cela en
tout cas fut patent chez Renée : la dissociation de l’imago paternelle en elle était l’écho
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direct de la dissociation de cette même imago chez sa mère. Une réalité différenciée de son
imago paternelle ne put apparaître qu’après un long travail sur cette dissociation ; cela lui
permit d’envisager de se différencier de lui, de son anima dépressive, et de n’être plus la
« petite princesse de son père », celle qui devrait le sauver de sa dépression.

Enfin, sur un plan théorique, il semble plus cohérent avec une expérience
clinique telle celle décrite entre Renée et son analyste de considérer qu’une telle dynamique
est en grande part autonome vis-à-vis des deux protagonistes de la cure. C’est là, d’un point
de vue jungien, une dynamique archétypique qui se rejoue, une dynamique chimérique
autonome qui émerge de la rencontre analytique et qui, autant du fait du cadre analytique
que du travail interne de l’analyste, y trouve un contenant lui permettant de reprendre et
poursuivre son travail de différenciation psychique.

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3 Les!contenants!de!la!chimère!
transférentielle!

3.1 Approche!clinique!

Dans cette première partie clinique, quatre situations cliniques très différentes,
dont deux très banales, sont exposées ; l’objet est de montrer comment une véritable néo
réalité psychique se constitue dans l’entre-deux du transfert, et, surtout, comment elle
devient, par moment, agissante, orientant la dynamique du processus transférentiel dans le
sens d’une prise de conscience de l’analyste et d’une réévaluation de sa position contre-
transférentielle.

3.1.1 Nymphéa"

Nymphéa est une femme qui est arrivée chez moi obèse et socialement
désinsérée, son seul point d’ancrage extérieur étant son mari (qu’elle haïssait plus qu’elle ne
l’aimait) et sa fille. J’ai de suite été frappé par le fait qu’elle ne ressemblait à rien ; d’ailleurs,
elle se décrivait elle-même ainsi, elle se ressentait sans forme. Nous commençâmes une
psychothérapie en face à face, à raison de deux séances par semaine. Mais très vite, cela me
devint insupportable : elle gardait son regard collé au mien, et j’avais littéralement
l’impression d’être pompé de l’intérieur, de perdre toute possibilité de rester vivant, en tout
cas de ne plus pouvoir penser ; toutes mes tentatives pour comprendre ce qui m’arrivait
et/ou pour m’en extraire étaient vaines. C’est ainsi que j’en arrivai à lui proposer de passer
sur le divan, dans un mouvement de survie, pour moi-même d’abord, mais aussi pour la
poursuite de notre travail. Nous en parlâmes quelque temps, et elle accepta. À la séance
suivante, elle s’allongea donc, mais sur le ventre, les yeux toujours fixés, collés aux miens !
J’étais désespéré, effondré intérieurement, n’ayant pas encore pu percevoir qu’en fait un
changement radical venait de se produire dans ma position contre-transférentielle : en la
voyant ainsi allongée sur le ventre, ses yeux dans les miens, je perçus immédiatement les
photos de bébés que l’on faisait autrefois, les rondeurs de son corps renforçant d’autant
cette impression [Figure 34].

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Figure 34 : Le bébé

Elle avait pris forme, une image était née dans ma pensée, une image vivante
qui, très lentement et au fil des années, me permit, nous permit, de rester en vie au sein de
cette massa confusa qui, comme le fut sa petite enfance, était profondément toxique. Cette
image condensait au mieux, pour moi, le mélange d’horreur et de tendresse que j’éprouvais
alors en sa présence, ces deux sentiments ayant été le fil directeur du travail qui s’en suivit
et qui a fini par déboucher, près de dix ans plus tard, sur une véritable ouverture à un
travail analytique d’une tout autre nature.

3.1.2 Hélène"

Hélène est une jeune femme d’à peine plus de vingt ans qui est venue me voir
pour entamer une psychothérapie. Immédiatement, en lui ouvrant la porte, je sus que je ne
voulais pas travailler avec elle. Elle me parut de suite présenter tous les symptômes d’un
début de schizophrénie, et l’entretien qui suivit me confirma dans cette première
impression. Ma seule question intérieure était alors : comment faire pour l’éconduire sans
en rajouter à la terrible destructivité qui avait littéralement désintégré sa vie depuis trois

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ans : elle n’avait plus de travail, bien qu’ayant un diplôme professionnel ; elle avait perdu la
quasi-totalité de ses relations amicales et sociales ; enfin, elle vivait avec un homme qui la
violentait. Mais elle avait déjà placé tous ses espoirs en moi et j’ai bien senti que je ne
pouvais pas simplement lui dire que je n’avais pas de disponibilité pour entamer un travail
avec elle : elle était, à l’évidence, prête à attendre le temps qu’il faudrait... Alors se
construisit en moi un projet qui m’est apparu très machiavélique, et que je répugnai à
mettre en œuvre ; il s’agissait de lui poser, en préalable à un début de thérapie, un certain
nombre de devoirs : quitter son homme, trouver un logement décent et reprendre une
activité professionnelle. À ma plus grande honte, je ne voyais vraiment pas d’autre issue, de
telle sorte qu’à la fin de ce premier entretien je mis ce projet en acte, lui expliquant qu’il ne
me semblait pas possible de travailler avec elle à la reconstruction de sa vie alors que tant
de choses, par ailleurs, continuaient à la détruire. Et j’étais à ce point pris dans mon
sentiment de honte, j’avais tellement l’impression d’un passage à l’acte de ma part, que je
remarquai à peine l’attention avec laquelle elle m’écouta ainsi que la qualité de son adhésion
à ce projet. Elle partit, et j’étais persuadé de ne plus jamais la revoir…

Six mois plus tard, elle revint, ayant effectivement quitté son homme, trouvé
un logement, et commencé à reprendre pied dans la vie professionnelle. J’étais abasourdi !
Ainsi il put s’en suivre une psychothérapie de deux ans qui lui permit de consolider ce
retour dans le monde des vivants alors que, dans le même temps, les symptômes
psychotiques qui m’avaient tant effrayé s’estompaient jusqu’à disparaître presque
entièrement. Elle n’est certes pas « guérie » de cette destructivité psychotique, mais elle me
semble être aujourd’hui en mesure de la mettre suffisamment au service de sa créativité
pour poursuivre son chemin avec le nouveau compagnon qu’elle s’est trouvé.

3.1.3 Claire"

Claire est une femme de la cinquantaine qui est venue me voir pour arriver à
faire le deuil de son mari, parti avec sa maîtresse. Son éloignement géographique, autant
que ce que je percevais comme une grande fragilité chez elle, m’a fait lui proposer une
psychothérapie en face à face à raison d’une séance par semaine. Cinq ans plus tard, elle
avait atteint ses objectifs initiaux : ses enfants ont grandi et quitté la maison sans qu’elle ne
les retienne trop, elle-même a pu se dégager intérieurement de son mari et sortir de la
dépression profonde dans laquelle cette séparation l’avait plongée, enfin elle a pu
reconstruire une relation satisfaisante avec un homme. Tout ceci s’est fait, évidemment, en

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lien avec son histoire, notamment avec la douleur d’un père mort quand elle était
adolescente, et d’une mère ressentie comme plus hostile qu’aimante. Cependant, malgré
tout ceci qui traduisait un réel travail intérieur de sa part et une non moins réelle
renaissance de sa vie, elle continuait à venir à ses séances, sans jamais évoquer l’idée d’un
arrêt de notre travail. De mon côté, je sentais bien quelque chose qui restait inanalysé en
arrière-plan, quelque chose que je me représentais comme de l’agonie, au sens où Winnicott
emploie ce terme. C’est dans ce contexte que se déroula la séance suivante.

Comme à son habitude, elle commença par un silence, mais sans jamais que
son regard ne quitte le mien, et aussi sans que j’ai l’impression qu’elle soit intérieurement en
proie à des pensées qu’elle cherchait à ordonner afin de pouvoir en parler. Bien au
contraire, elle paraissait calme, posée, et son regard fixé sur le mien ne me dérangeait pas ;
j’étais moi-même intérieurement calme, et cela dura une dizaine de minutes. Enfin, un petit
mouvement de sa part me permit de lui demander ce qui se passait là pour elle. Alors son
regard se tourna à l’intérieur d’elle-même, comme pour trouver les mots qui lui manquaient
alors, et elle me dit : C’est bizarre. C’est comme si je resterais bien éternellement comme ça. Après, c’est
comme si j’étais à la folie amoureuse de vous, de votre regard, mais c’était bizarre. C’est comme si j’étais
dans un autre monde. J’allais dire, c’était pas moi. Aussi, c’est comme si plus rien n’avait d’importance. Et
puis aussi c’était quelque chose qui venait à moi. Mais, bon, c’est pas ça qui va me permettre de répondre à
mes problèmes…

C’était la première fois qu’elle touchait, dans l’éprouvé de son sentiment, sa


propre altérité intérieure, ce qui permit, après une décompensation psychosomatique qui ne
mettait pas sa vie en danger, d’aborder enfin cette part d’agonie qui était jusqu’alors restée à
l’écart de notre travail analytique.

3.1.4 La"fête"des"Mères"

La dernière situation clinique est une séance où, pour la première fois, une
analysante me souhaitât la fête des Mères… Cette femme de la quarantaine était en analyse,
sur le divan, à raison de deux séances par semaine, depuis quelques mois, après une
psychothérapie hebdomadaire en face à face qui a duré 5 ans. Elle était aussi dans une
période de réorientation professionnelle qui l’avait fait soulever et élaborer beaucoup de
questions en séances.

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La"chimère"transférentielle"

Ce jour là elle arrive et s’allonge, comme a son habitude, mais elle attire très
vite mon attention en débutant sa séance en me remerciant chaleureusement d’être un
soutien solide et fiable en cette période difficile pour elle. Elle m’avait, certes, déjà dit à
quel point il lui est important de sentir ma présence à ses côtés, mais il y avait là une
tonalité et une insistance particulière. Puis, alors que je restais avec mon interrogation
silencieuse, elle me fit part de son émotion quand, le week-end précédent, sa fille lui avait
offert un poème pour la fête des Mères. Elle avait été profondément touchée par l’amour
que sa fille lui avait alors témoigné, et ma perplexité augmentait d’un cran : là encore,
quelque chose dans le ton de sa voix et dans son insistance ne lui était pas habituel en
séance. Suivit alors un Au fait, j’allais oublier de vous parler de ce qui s’est passé hier avec ma fille !, et
de me raconter comment, dans la voiture, sa fille de 6 ans s’est mise à pleurer en lui parlant
de ses difficultés avec son père qui ne s’occupait que de son frère. Certes, quand ils jouaient
ensemble au ballon, elle se joignait volontiers à eux, mais elle n’aimait pas jouer au ballon :
si elle le faisait, c’était pour profiter de son papa. De ce fait, des temps consacrés à des
activités de son goût lui manquaient beaucoup. Mon analysante lui dit alors qu’elle devrait
en parler à son papa, Je n’oserai jamais !, lui répondit immédiatement sa fille. Alors mon
analysante lui proposa de s’occuper de son frère le soir même, afin qu’elle ait du temps
seule avec son père pour aborder avec lui cette question. Le soir, après qu’elle ait couché
son fils, elle est allée souhaiter une bonne nuit à sa fille. Celle-ci lui dit alors Oh maman,
merci, merci de m’avoir aidée à parler à papa !

Au moment précis où elle me raconta la fin de cette histoire, je ressentis très


exactement l’affect qu’elle m’avait décrit précédemment : j’étais profondément touché par
la sincérité avec laquelle elle venait de me souhaiter la fête des Mères. Évidemment, tout
ceci se passa sans aucun mot de ma part, et très probablement sans qu’elle en ait eu la
moindre conscience, mais cela n’en fut pas moins réel et, surtout, me permit de
comprendre que l’appui que j’avais été pour elle était d’ordre maternel, et non paternel
comme je le croyais (ce fut le cas durant les années précédentes de psychothérapie).

3.2 !L’autonomie!de!la!chimère!transférentielle

Ces situations cliniques sont bien différentes, et il serait tentant de s’en tenir
aux profondes différences qui marquent leurs tonalités et dynamiques transférentielles. Il
semble pourtant qu’il importe tout autant de dégager ce que ces situations ont en
commun : la manifestation d’un véritable complexe autonome constitué dans l’entre-deux
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Clinique"

du transfert. Je vais donc commencer par éclairer ces points communs, avant d’en
reprendre les différences, afin d’essayer de dégager de ces exemples cliniques quelques
caractéristiques de cette chimère transférentielle.

3.2.1 L’autonomie"de"la"chimère"transférentielle"

Ce qui est frappant, dans ces situations comme dans bien d’autres, c’est
l’autonomie de ce qui se met alors en jeu dans le transfert. Non seulement les deux
protagonistes y sont totalement inconscients de ce qui les anime, mais, de plus, ce qui se
révèle alors apparaît, dans l’après-coup, comme étant l’émergence d’un processus à l’œuvre
depuis un certain temps et qui combine des éléments de l’un et de l’autre en un seul
mouvement, où les deux sont engagés, et qui engage les deux. Évidemment, cela sous-tend
l’ensemble de la psychologie du transfert de Jung : ce processus ne se situe pas tant dans
l’inconscient de l’un ou l’autre des deux protagonistes, ni même dans l’inconscient de
chacun d’eux, mais bien plus dans ce qui se révèle alors comme étant une émergence de
l’inconscient entre eux. Il convient tout de même de préciser que c’est là une lecture très
orientée de la psychologie du transfert, orientée en ce que Jung, s’il ouvre cette porte d’un
inconscient entre deux, ne paraît la franchir qu’en ce qui concerne la dimension
archétypique du processus et non, comme il a déjà été exposé ici, l’intime intrication, au
sein de cette chimère, des aspects les plus personnels de chacun des deux protagonistes.
Les quatre situations cliniques évoquées seront donc reprises sous cet angle de vue afin
d’essayer de dégager ce qui, pour chacune d’elle, organise et dynamise la situation
transférentielle donnée.

3.2.2 La"terreur"de"l’inceste"

En introduction de psychologie du transfert, Jung écrit son contenu spécifique, [est]


l’inceste (Jung 1944, p.28) [Figure 35]. Cet inceste, pour Jung, est l’inceste à la mère, ce qui
apparaît plus loin : Les alchimistes disent souvent que leur pierre se forme comme un enfant dans le sein
de sa mère : ils appellent le vase hermétique « utérus » et son contenu « fœtus ». (Jung 1944, p.105),
mais, dans ce même texte, il ne prend pas la peine de développer plus avant cette idée ; il
met simplement ses lecteurs en garde sur le fait qu’il écrit pour des professionnels qui ont
déjà une bonne connaissance de la clinique et de son œuvre. Il convient donc de revenir à
ses métamorphoses et symboles de la libido (1912) où il a abordé pour la première fois en clair sa
propre conception de l’inceste. Voici ce qu’il en dit en 1912 (p.338) : Cette mort n’est pas un
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La"chimère"transférentielle"

ennemi extérieur, mais un pressant besoin de silence en soi, de profond repos dans le néant, de sommeil sans
rêve dans le flux et le reflux de l’océan, du devenir et de la disparition. Dans la réédition de 1950 son
propos est plus encore appuyé : [La vie est] une lutte continuelle avec la disparition, délivrance
violente et momentanée de la nuit continuellement aux aguets. Cette mort n’est point un ennemi extérieur,
mais une aspiration personnelle intérieure vers le silence et le calme profond d’un non-être connu, sommeil
clairvoyant dans la mer du devenir et du disparaître. (p.591-592) Parler de l’aspiration personnelle
intérieure [à la mort] et de retour au non-être connu c’est, bien entendu, parler de la pulsion de
mort. Mais c’est en parler d’une manière bien différente de Sabina Spielrein (1912) pour qui
cette aspiration s’intègre dans la relation amoureuse et vise à la fusion avec l’être aimé.

Il semble bien, en fait, que ce soit avec la notion freudienne de la pulsion de


mort (Freud 1920) que la conception jungienne de l’inceste soit la plus proche. Là où Jung
parle de désir de profond repos dans le néant, de non-être, Freud parle de désir de retour à un état
anorganique : bien que Freud ne cite que Sabina Spielrein comme inspiratrice de son concept
de pulsion de mort, celui-ci semble bien plus proche de ce que Jung avait développé huit
ans plus tôt. Il convient tout de même de noter une différence essentielle entre le point de
vue de Freud et celui de Jung. Pour ce dernier (comme d’ailleurs pour Spielrein), en effet,
cette visée a une finalité qui ne se réduit pas à la satisfaction pulsionnelle ; il s’agit de retour
au non-être afin de pouvoir en renaître. Une visée jamais garantie, un voyage dont Jung dit
à de nombreuses reprises les risques, notamment à type de désagrégation psychotique ;
cette visée ne semble pas exister pour le Freud de 1920, et il faudra attendre les générations
ultérieures de psychanalystes pour que cette question soit abordée, notamment le travail de
Green (1983, 1984, 1992, 1993) sur le négatif.

Avec Nymphéa, j’ai longtemps cru qu’elle était en proie avec un désir de fusion
de l’ordre de ce que Sabina Spielrein avait décrit. Une grande part de son discours
manifeste, qui avait pu se déployer après ce changement de cadre, m’orientait dans son
sens : elle voulait tour à tour se fondre en moi, ou m’éventrer, se sentir pénétrée par moi
dans tous les orifices de son corps, ou me pénétrer de même. Mais il y avait un fantasme
récurent dans ses propos que je ne comprenais pas : elle se sentait liquide à l’intérieure et
vivais avec une immense jouissance l’idée de couler, de devenir entièrement liquide, que je
le devienne aussi, que nous nous fondions, non pas l’un dans l’autre, mais en un seul
élément liquide où nous aurions tous deux, ensemble, disparus. Je ne savais alors que faire,
dans mes pensées, dans mon attitude, dans la relation avec elle, de ces images de
liquéfaction mutuelle que je ne comprenais pas. Il semble, à la lecture de Métamorphoses de

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Clinique"

Jung, qu’il s’agisse de l’inceste à la mère en tant que désir de mort, de retour au non-être,
avec cet éprouvé si prégnant et si particulier qui est celui d’une mort imminente. C’est ainsi
que je pus aussi comprendre les rêves récurrents que Nymphéa faisait, rêves dans lesquels
elle voyait s’avançait vers elle un homme monstrueux qui, elle le savait, venait la tuer. Là
encore, cette phrase de Jung me permit de différencier ce mouvement du mouvement de
fusion érotique décrit par Sabina Spielrein.

Figure 35 : « L’inceste » Couverture du numéro 4 des Cahiers de Psychologie Jungienne (1975)

C’était donc bien un éprouvé de mort certaine, une mort psychique ressentie
comme déjà là, qui me prenait dans le contre-transfert, et qui m’a conduit à modifier le
dispositif de cette cure. On pourrait bien entendu, comme je l’ai longtemps cru, penser que
le changement de cadre que j’ai initié était purement et simplement une défense contre-
transférentielle. C’en était une, indéniablement. Mais ce qui s’est produit en moi alors me
paraît aujourd’hui être bien plus : cette « vision » que j’eus immédiatement de cette
Nymphéa-nourrisson, plongeant son regard dans le mien comme un bébé le fait dans les
yeux de sa mère, me permit de me décoller et de me différencier progressivement de cette
informe qui engluait ma pensée, et de renaître ainsi à une relation transférentielle vivante.
Et rien, ni dans ma pensée ni dans la sienne, ne pouvait nous préparer à un tel changement
de mon contre-transfert. Tous deux, en effet, étions tellement pris dans cet effroi d’une

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La"chimère"transférentielle"

mort aussi imminente que certaine, une mort inconsciemment désirée, que nous ne
pouvions que nous y soumettre préventivement : mourir avant de mourir afin de ne point
mourir. C’est ainsi qu’émergea dans le transfert, comme venant d’un soi de l’entre-deux
partagé, une image vivifiante qui nous remit en route pour la suite de cette histoire. Et dans
ce long cheminement, toujours en cours, nous pûmes avancer de concert.

3.2.3 Les"projections"d’amour"et"de"haine"

Avec Hélène, c’est à l’immédiateté du lien transférentiel, préétabli de son côté,


que je fus confronté. Comme je l’ai noté, à peine ai-je entre ouvert la porte que j’avais déjà
projeté sur elle l’image d’un objet insuffisamment bon, d’un mauvais objet. De son côté,
elle avait projeté sur moi l’image du père-sauveur, un bon objet, mais à ce point idéalisé que
je le ressentis comme ne pouvant que nous détruire. Et c’est de la rencontre de ces
projections qu’est advenue cette position technique totalement inhabituelle pour moi,
position que, probablement, un praticien des thérapies cognitivo-comportementales ne
renierait pas. Mais là, ces projections ne concernaient pas l’inceste, ni le retour à la mère,
mais bien le père aimé-haï. Ce n’est que dans la thérapie de deux ans qui suivit son retour
que j’ai pu comprendre la valeur fondatrice de cette rencontre : Hélène a grandi avec une
mère disqualifiante (de sa fille et de son homme, autant que d’elle même), et un père
disqualifié (par lui-même autant que par sa femme), chacun cherchant à masquer sa
souffrance derrière une inauthenticité devenue la règle des relations intrafamiliales. Ainsi
Hélène ne cherchait pas à revenir au sein du sein de la mère afin d’y renaître, mais bien
plutôt à en sortir, cherchant pour ce faire un père qui soit authentique, ni disqualifié ni
disqualifiant. Et n’est-ce pas cela que je fus précisément, à mon insu, en lui posant les
limites de ce que j’étais à même de supporter, limites de mon angoisse autant que de mes
compétences devant la menace de psychose, limites, donc, d’un père apparaissant d’autant
plus présent et fiable qu’il ne cachait pas sa castration ?

L’enjeu, là, était la réactualisation d’un quaternio alchimique intériorisé, cet


inceste frère-sœur dont Jung nous dit qu’en tant que relation endogame, [il] correspond à une libido
qui tend finalement à maintenir la cohésion de la plus étroite famille (Jung 1944, p.84), protégeant
ainsi le groupe tout à la fois de l’implosion incestueuse que de l’explosion psychotique, de
par l’équilibre dynamique qui se forme entre libido endogame et libido exogame dont les
deux formes se tiennent réciproquement en échec. D’ailleurs, au contraire de l’inceste à la
mère, parler d’inceste frère-sœur c’est déjà poser la différence des sexes et des générations.

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Clinique"

Jung, qui n’était pas habitué à utiliser cette référence, dit pour sa part qu’à ce niveau
apparaît une ligne de séparation patrilinéaire [qui] croise la ligne de séparation matrilinéaire (Jung 1944,
p.87). Nous sommes bien là au niveau de l’avènement du père, un père dont la fonction
différenciatrice permet au moi de ne pas se perdre dans l’inceste à la mère, mais aussi un
père qui, faisant couple avec la mère, ne menace pas la relation primordiale de l’enfant avec
elle, ce sans quoi son avènement pourrait entraîner purement et simplement l’explosion et
la mort psychique du sujet (considéré ici comme un groupe interne, la plus étroite famille).
C’est probablement pour se prémunir de ce danger que la chimère transférentielle, qui se
manifesta dans l’immédiateté de la rencontre avec Hélène, m’assigna à cette place de père.

3.2.4 L’émergence"du"transfert"amoureux"

La séance avec Claire fut bien différente encore. Ici, le quaternio alchimique
autant que l’espace interprojectif du transfert étaient en place depuis bien longtemps, mais
sans que Claire ne puisse s’y relier de manière satisfaisante pour elle. Elle avait, avant de
pouvoir retrouver un homme pour elle, tourné longtemps autour d’une image de femme
libre, libre de son désir de plaire, d’être désirée, et aussi de dire non à celui qui la désirait.
Lou Andréa Salomé incarnait à ses yeux cet idéal. Elle en parlait avec envie et admiration,
mais aussi avec la gêne d’une petite fille en proie à des excitations encore non élaborées.
Elle ne pouvait, en fait, trouver de lien suffisamment vivant, à l’intérieur d’elle-même, entre
ce quaternio alchimique réactualisé dans le transfert et son moi conscient, pour que cette
énergie sexuelle puisse être intégrée dans sa vie consciente et relationnelle. Cette séance fut
comme l’émergence, dans le transfert, de ce lien amoureux, probable résurgence de ce qui
n’avait pu s’élaborer dans son enfance avec son père (dont je ne puis dire plus ici). Mais
c’était comme si, un comme si que j’ai entendu comme ouverture à son altérité intérieure autant
qu’à l’altérité radicale du lien transférentiel, du lien à l’autre. Évidemment, elle chercha de
suite à refermer cette ouverture inquiétante sur ce qui s’était ainsi mis en scène entre nous,
ce qui la conduisit à une décompensation psychosomatique sérieuse (douloureuse), mais
sans enjeu vital, entraînant tout de même l’interruption des séances durant plusieurs mois.
Ce n’est qu’après cela qu’elle accepta l’idée qu’il lui fallait y regarder de plus près, et que
nous pûmes passer à deux séances par semaine, lui permettant alors d’aborder une lente
élaboration de la violence des pulsions sexuelles.

Bien entendu, l’on pourrait ici se satisfaire des théories freudiennes classiques,
sans faire appel à une notion de chimère transférentielle autonome tissée dans l’entre-deux

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La"chimère"transférentielle"

du transfert. Deux choses pourtant peuvent s’opposer à une telle démarche. D’une part, le
fait qu’il avait d’abord fallu que son analyste soit, comme son père dans son enfance,
complice inconscient de ses résistances (j’avais bien perçu le mouvement amoureux, mais
étais dans l’incapacité d’en élaborer une pensée qui lui soit restituable), en laissant perdurer
un travail de psychothérapie devenu obsolète depuis trop longtemps : ce n’est que cette
réactualisation dans le transfert qui permit, en un second temps, la reprise annoncée dans
cette séance de l’élaboration pulsionnelle laissée en friche dans l’enfance. D’autre part, il
paraît important d’entendre son comme si, à savoir l’émergence dans le conscient de
mouvements inconscients autonomes, archétypiques dirait probablement Jung, encore
insuffisamment humanisés pour être intégrables au vécu conscient. Tout s’est alors passé
comme si un quantum d’énergie issue de ce quaternio, énergie à la fois archétypique et
sexuelle, avait à ce moment fait irruption dans le conscient de Claire, bousculant ses
identifications défensives, jusqu’à mettre à mal son équilibre psychosomatique. Mais cela lui
était probablement nécessaire pour qu’elle puisse passer à une autre étape de son travail,
non sans résistances d’ailleurs.

3.2.5 Le"soi"du"transfert"

En ce qui concerne la séance de la fête des Mères, les choses se placent encore
à un tout autre niveau. En fait, là, tout s’est déroulé, hors de la conscience des deux
partenaires analytiques, dans une parfaite harmonie transféro-contre-transférentielle qui a
amené l’analyste à ressentir l’affect de l’analysante, affect d’une mère qui sent et accueille
l’amour authentique de sa fille. Qu’elle me soit reconnaissante d’avoir été pour elle un
appui fiable et solide, j’en étais bien conscient, mais que cet appui était d’ordre maternel et
non paternel, c’est bien cette séance qui me permit de le découvrir, dans l’éprouvé de
l’affect alors ressenti. Je compris rétrospectivement que sa réticence à passer sur le divan,
passage qu’elle avait décidé longtemps avant de pouvoir le faire, était probablement lié à
une crainte inconsciente que je ne puisse entendre ce qu’elle avait à me dire dans le champ
de la relation fille-mère, que je reste, comme le fut sa mère quand elle devint
préadolescente, sourd à son besoin d’un minimum de complicité entre femmes, cet étayage
homosexuel par lequel la féminité de la fille peut s’élaborer et s’ouvrir à l’homme. C’est
tout un pan de son histoire, dont je ne puis dire plus ici, qui s’est alors éclairé pour moi,
puis, ultérieurement, pour elle.

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Clinique"

Le fait que je sois amené à ressentir un affect de mon analysante pourrait être
interprété comme le résultat d’une identification projective. Pourtant cela ne me semble pas
juste, notamment du fait que cet affect était, pour elle, ni inconscient, ni clivé. Bien au
contraire, elle l’avait pleinement éprouvé, et avait pu accueillir ainsi la souffrance de sa fille
avec son père. Elle éprouvait aussi pleinement sa reconnaissance envers moi et ce que
j’étais alors pour elle. Nous pourrions peut-être parler ici d’une identification hystérique
contre-transférentielle, mais cela, qui est juste, ne suffit cependant pas à rendre compte de
la dynamique de l’entre-deux du transfert qui m’a permis cette identification hystérique au
moment opportun, le kairos des Grecs, auquel Jung se réfère souvent. Là encore, il me
semble que le concept d’une chimère transférentielle peut être éclairant, à condition d’y
placer l’ensemble des dynamiques qui animent le processus transférentiel et sont
susceptibles de s’y actualiser, à savoir l’inceste à la mère, le quaternio archétypique et le jeu
interprojectif entre transfert et contre-transfert, le tout étant bien entendu contenu dans et
par le cadre analytique (son dispositif, la règle d’abstinence, et la position intérieure de
l’analyste). À tous ces niveaux, en effet, le transfert agit de manière plus ou moins
inconsciente et autonome, tout autant pour l’analyste que pour son analysant.

3.3 Théorisation!des!contenants!de!la!chimère!transférentielle!

La question centrale, le problème principal de la psychothérapie médicale, est le problème du


transfert. En cela, Freud et moi étions en parfait accord. (Jung 1961, p.248). Et c’est la découverte
du transfert qui a amené, tout autant Jung (1961, p.144) que Freud, à se détourner de
l’hypnose. Freud décrit, dans ses Études sur l’hystérie (1985 b) sa découverte des
phénomènes transférentiels projectifs et les raisons de son renoncement à la technique de
la catharsis de Breuer. C’est au travers de sa pratique de l’hypnose que Jung rencontra le
transfert, et s’il y renonça ce ne fut pas du fait de l’inefficacité de cette technique, mais
parce qu’il ne pouvait comprendre ce qui se passait, ce qui faisait de l’hypnose une
technique parfois si efficace qu’elle en devenait magique. Et de même que la découverte du
transfert amena Freud à tenter de conceptualiser le psychisme selon un modèle causal, de
même elle amena Jung à se plonger plus encore dans ses expériences scientifiques
d’associations, comme si les deux hommes avaient ressenti, devant ce phénomène, le
besoin de se replier sur le terrain apparemment solide de la pensée rationnelle, comme si, là
devant, le moi se trouvait menacé.

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La"chimère"transférentielle"

3.3.1 L’inceste":"

Dans Psychologie du transfert (Jung 1944), et dès l’introduction, Jung nous dit du
transfert que son contenu spécifique, [est] l’inceste (p.28). Et, comme il a déjà été développé, cet
inceste dont Jung parle n’est pas le désir érotique d’un enfant pour le parent du sexe
opposé, mais bien le mouvement de retour à l’en deçà de la mère, retour du deux dans l’un,
mouvement dont il avait déjà écrit en 1912 qu’il était un désir de mort.

Le cœur de la démarche jungienne réside, en effet, dans son approche de


l’inceste, point nodal de son conflit théorique avec Freud. Le point de désaccord ne
concernait pas la théorie de l’œdipe elle-même, mais bien plutôt la conception de l’inceste
qui, pour Jung, n’était pas un désir d’ordre objectal, mais un désir adressé à la mère, ou
plutôt à son en deçà archétypique, quel que soit le sexe de l’enfant. Ainsi envisagé il s’agirait
d’un en deçà de la pulsion, motif essentiel de son désaccord avec le pan sexualisme
freudien. Ce mouvement incestueux n’est pas d’ordre sexuel en ceci qu’il se situe en deçà
de la différence des sexes. Il ne s’agit pas d’un mouvement pulsionnel provenant d’un objet
source, dirigé vers un objet de satisfaction et cherchant l’apaisement de tensions par la
décharge, la jouissance. Il s’agirait bien plutôt du contraire d’un tel mouvement, puisque sa
visée est un retour à l’indifférencié, comme s’il fallait remonter en amont de la pulsion afin
de résoudre la tension, non pas dans sa décharge, mais bien plutôt dans la dissolution de
son origine. Le concept de pulsion de mort, tel que Freud (1920) l’élabora près de dix ans
après la séparation des deux hommes, se rapproche beaucoup de cette vision de l’inceste
par Jung.

Mais d’emblée Jung eut l’intuition que ce mouvement pouvait être porteur d’un
devenir, qu’il ne s’agissait pas seulement de revenir de l’état animé vers l’état inanimé, mais
plutôt de laisser ce mouvement se faire jusqu’au point où il rencontrera de nouveau ce qui,
déjà, avait conduit de l’état inanimé à l’état animé. Le but, là, en est clairement autre que
celui que Freud a assigné à la pulsion de mort : il s’agit de retourner dans l’en deçà de la vie
afin de retrouver une part de ce qui n’a pas pu naître et qui est ainsi resté en attente de
pouvoir vivre. Mais, et Jung l’affirme à de nombreuses reprises, il n’y a dans cette visée
aucune garantie d’aucune sorte pour celui qui s’y engage ou, ce qui est plus fréquent, qui s’y
trouve engagé malgré lui. Jung signifie ceci par une formule qui pourrait prêter à sourire si
elle ne résumait excellemment le profond dénuement où l’on s’y trouve : Deo concedente. Il

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Clinique"

rend compte ainsi du fait que ce point où la régression va pouvoir s’inverser, non
seulement ne peut être prédit, mais ne peut pas plus être a priori tenu pour certain.

Une telle conception, donc, n’est pas faite pour rassurer l’analyste qui s’y
réfère. Il s’en déduit, en effet, que l’analyste devra accompagner son client dans cette
régression tout en acceptant lui aussi qu’il puisse n’y avoir point de retour. Et pourtant,
l’expérience clinique des personnalités fortement déstructurées le confirme fréquemment,
c’est précisément en ce point ou l’espoir a disparu que, souvent — mais pas toujours ! —
peut apparaître une nouvelle poussée vitale et une reprise plus ou moins globale de la
structuration de la personne. Cela pourrait probablement s’expliquer du fait que l’espoir est
toujours en référence à une représentation du possible, alors que ce dont il s’agit ici est
d’atteindre ce qui n’a pas eu accès à la représentation, ce qui n’a jamais été éprouvé comme
possible. Mais, expliqué ou non, l’atteinte de ce point est toujours une épreuve qui ne se
peut évidemment sans un solide contenant qui permette au moi de trouver l’étayage
nécessaire à sa survie. C’est, en effet, dans cette aventure — car c’en est une — le moi qui
se trouve le plus menacé, le moi de l’analysant, évidemment, mais aussi, et d’une menace
parfois plus grande encore, celui de l’analyste. Jung écrit par exemple (1944 b, p.40 §32) :

En tant que médecin, ma tâche est d’aider le patient à affronter la vie. Je ne peux
me permettre de juger ses décisions ultimes, car je sais par expérience que toute contrainte —
de l’insinuation la plus légère à la suggestion, en passant par toutes les méthodes de
persuasion qu’on voudra — se révèle en fin de compte n’être rien d’autre qu’un obstacle à
l’expérience la plus importante et la plus décisive de toutes, qui est la solitude avec son soi —
ou avec l’objectivité de l’âme, quel que soit le nom qu’on choisisse pour la désigner. Le patient
doit être seul pour découvrir ce qui le porte lorsqu’il n’est plus en état de se porter lui-même.
Seule cette expérience peut donner un fondement indestructible à son être.

3.3.1.1 Inceste"et"pulsion"de"mort"

Il a déjà été noté la parenté et les différences entre l’inceste à la mère ainsi
envisagé par Jung et, d’une part la destructivité décrite par Spielrein (1912), d’autre part la
pulsion de mort telle que conçue par Freud (1920). Pour Sabina Spielrein il s’agit
explicitement de la part de désir de mort qui accompagne le sentiment amoureux, et qu’elle
décrit comme un désir de fusion à l’être aimé, fusionner jusqu’à disparaître en lui, jusqu’à
devenir lui. Il s’agit bien d’un désir objectal, d’un désir qui suppose la reconnaissance de
l’objet aimé, et aussi d’un désir sexuel où s’exprime sans détour l’expression du désir sexuel

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La"chimère"transférentielle"

génital hystérique. Ce point, qui place ce désir à un niveau déjà élevé du développement
psychique, différencie radicalement les propos de Spielrein de ceux de Jung où il n’est pas
même question de l’existence de l’objet. Par contre, chez Spielrein comme chez Jung ce
désir de mort est source de devenir. Pour Freud, contrairement à Spielrein, la pulsion de mort
est, comme chez Jung, dépourvue d’objet ; ou plutôt celui-ci est facultatif. Mais Freud, en
1920, se différencie radicalement de Spielrein et de Jung dans l’absence totale de devenir
qu’il assigne à cette pulsion, réduite à une tendance à la destructivité pure, au retour à l’état
inorganique.

Là comme ailleurs, la perspective téléologique est absente de la pensée


freudienne, ce qui, concernant cette pulsion de mort et/ou d’inceste, peut être d’une
importance clinique capitale. En effet, selon qu’il s’agisse de prendre acte d’une part de
destructivité aussi pure qu’irréductible (Freud), ou qu’il s’agisse de suivre ce mouvement de
mort afin d’y renaître (Jung), l’attitude clinique sera tout à fait différente. Cette différence,
cependant, s’estompera de part et d’autre avec le temps. Pour Freud et ses successeurs, le
concept de pulsion de mort s’articulera avec la notion de liaison-déliaison, de telle sorte
qu’il ne puisse y avoir de transformation de la pulsion sans une part suffisante de déliaison
qui vienne, précisément, la défaire de sa forme ancienne. Le travail de Green (1984, 1992)
sur le négatif est un exemple remarquable de cette élaboration. Pour Jung, l’apparition du
concept de l’ombre du soi élèvera au rang de concept théorique une part de destructivité
pure et irréductible, le Mal en soi (Sandor Buthaud 2004).

3.3.1.2 Inceste"et"soi"primaire"

Jung définit donc, dans les métamorphoses, l’inceste comme désir de retour au
non-être connu. De son côté, Michael Fordham (1947) définit le soi primaire comme un état
de la psyché du bébé, un état d’indifférenciation et d’homéostasie, un équilibre dans lequel
il n’y a pas de différence entre l’interne et l’externe, entre le bébé et le monde. Dans cet
état, il n’y a pas de conscience, et tant que les excitations, endogènes ou exogènes,
n’atteignent pas un niveau suffisant pour rompre cet équilibre, il persiste. Quand, par
contre, l’équilibre est rompu, Fordham parle de déintégration ; le bébé se trouve en proie à
une intense activité psychomotrice, qui peut d’ailleurs être étonnamment bien organisée
sous l’effet de l’activation archétypique — comme, par exemple, quand le nouveau-né
posé sur le ventre de sa mère se dirige spontanément vers le téton : c’est là, semble-t-il,

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Clinique"

l’équivalent du geste spontané de Winnicott (1965). La visée téléologique98 est alors, pour le
bébé, de retrouver cet état d’équilibre homéostatique indifférencié dans lequel il était avant
la déintégration ; ce mouvement est la réintégration.

Il semble y avoir plus qu’une simple similitude entre ce que Fordham a décrit
chez le bébé, et ce que Jung a découvert chez les adultes : le soi primaire apparaît très
proche de cet état de non-être auquel l’inceste tend, un non-être dont Jung nous dit bien
qu’il est connu, ce qui peut conforter ce rapprochement. Les implications théoriques que
peut avoir cette hypothèse seront développées plus loin.

Il convient ici d’évoquer la controverse qui a opposé Fordham et Winnicott


(Caldwell & Joyce 2011, p.12-14) : pour Winnicott, la vision de Fordham, le soi primaire
comme état originel intégré, n’était pas acceptable. Il a, en effet, toujours défendu l’idée
que, bien au contraire, l’état originel du bébé est un état non intégré. Malgré leur longue
amitié, malgré aussi leur non moins longue expérience de la clinique de l’enfant et du bébé,
les deux hommes semblent n’avoir jamais trouvé de terrain d’entente concernant cette
question. On peut tout de même se demander si cette controverse ne repose pas, au moins
en partie, sur une définition différente du mot bébé. Il est clair, en effet, que si ce mot ne
recouvre que le petit d’homme expulsé du sein de la mère et livré à lui-même, alors l’état de
déintégration est évidemment premier. Si par contre, ce mot recouvre la réalité du petit
d’homme qui, sauf situation exceptionnelle et excessivement mortifère, ne peut être
envisagé isolément du monde qui l’entoure, monde dont le corps de sa mère est l’essentiel,
alors on ne peut, comme Fordham, que constater que le bébé retrouve dès sa naissance un
état d’intégration, si rapidement que l’hypothèse d’un état premier de déintégration perd
beaucoup de sa pertinence. Question de point de vue, donc.

Mais il semble bien, pourtant, que les deux hommes aient été d’accord sur
l’essentiel, à savoir qu’un état de déintégration s’accompagne d’un grand désordre
psychosomatique, état de grand désordre qui tend à retrouver, parfois sans succès, un état
de réintégration, d’homéostasie, le soi primaire de Fordham. Si, pour Winnicott, ce débat
était si important, ce n’était probablement pas tant pour asseoir sa différence d’avec
Fordham, que pour souligner la violence des mouvements psychosomatiques qui
accompagnent toute perte d’homéostasie dans les premiers temps de la vie, violence que

98 : On retrouve bien, ici, ce que dit Paul Ricœur (1967 - 5.4.4) qui définit la téléologie comme émergence de
la finalité du fait même du mouvement.

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La"chimère"transférentielle"

l’on retrouve dans les descriptions que Jung fait du désir de mort comme retour au non-être
connu.

3.3.2 Quelques"remarques"épistémologiques":"

Avant d’aller plus avant dans cette réflexion, il convient de préciser un point de
méthode concernant les schémas proposés ci-après, et, plus généralement, la notion même
de contenance. Ces schémas, en effet, sont limités d’une part par la nature bidimensionnelle
de la feuille de papier sur laquelle ils sont dessinés, et d’autre part du fait du caractère
nécessairement idéal d’une réflexion théorique sur une situation réelle. Le schéma du
quaternio en tant que contenant de l’énergie incestueuse du transfert devra donc être
envisagé comme pure représentation asymptotique de ce qui, dans la réalité, est toujours
bien plus complexe. Pour se représenter cette complexité, la physique moderne offre
cependant quelques outils, outils qui ont le mérite de mettre à mal la représentation topique
simpliste de ces schémas.

3.3.2.1 Un"contenant"dynamique"

Le premier de ces outils nous est offert par le fonctionnement d’une pile
atomique : la réaction énergétique qui se déroule en son sein est, en effet, contenue de deux
manières complémentaires [Figure 36]. D’une part, il y a une enceinte de confinement qui
peut se représenter par un schéma strictement identique à ceux proposés ici, à ceci près
qu’il serait tridimensionnel, mais là la troisième dimension n’apporte rien de spécifiquement
différent quant à la nature du contenant, celle-ci restant du même ordre que le pichet de vin
qui trône sur la table ou que le rond de sorcières qui protégeait magiquement nos ancêtres :
c’est un contenant statique. Mais, ce qui est plus intéressant, il y a un contenant d’une autre
nature au sein d’une pile atomique : il s’agit des barres de contrôle qui traversent le cœur de
la pile et permettent de contenir et de réguler l’intensité de la réaction en deçà du seuil
d’une réaction explosive.

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Clinique"

Figure 36 : Barres de contrôle

Ces barres, en effet, absorbent une partie du rayonnement dégagé par la fission
nucléaire, de telle sorte que cette part absorbée n’est plus disponible pour entretenir la
réaction. Il s’agit d’une structure qui traverse le cœur de la réaction et qui la contient au
même titre que, par exemple, l’on peut contenir sa colère ou sa force. C’est un contenant
dynamique.

3.3.2.2 Une"représentation"quantique"

Mais cette première représentation reste dans le domaine du rationnel, d’une


logique du tiers exclu, selon laquelle une chose ne peut être à la fois ce qu’elle est et son
contraire. Dans le champ de la clinique du transfert, si cette logique s’applique parfois à
l’évidence, on peut douter qu’elle soit réellement organisatrice de la réalité du processus, en
tout cas à ces niveaux de la psyché non encore différenciés. Il semble plutôt qu’elle résulte
des limitations fort étroites de nos compétences perceptives et conceptuelles. Quand, par
exemple, nous rencontrons une figure d’anima, il est fréquent que cette figure nous paraisse
tout à la fois actualisée et potentielle ; nous parlons alors d’une anima indifférenciée (vis-à-
vis du moi, de l’archétype de la mère, de l’imago maternelle, etc.), mais cette formule,
cliniquement justifiée, ne rend pas compte du fait que, même indifférenciée, l’anima n’en
est pas moins, dans sa nature même, différente des autres potentialités archétypiques.

Dans l’approche du quaternio transférentiel [Figure 39] cette remarque paraît


essentielle, sans quoi nous ne pourrions comprendre ce qui peut contenir l’énergie
incestueuse en amont de la différenciation des images internes, alors même que c’est
précisément quand ces images sont le moins différenciées que ce processus prend le plus
d’ampleur. Pour résoudre cette contradiction, il est possible de faire appel à une métaphore
issue de la physique quantique et à son approche statistique des particules élémentaires.
Avec cette approche, le quaternio, plus précisément chacun de ses termes, peut alors être

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La"chimère"transférentielle"

envisagé comme probablement perceptible en telle position de différenciation et de relation


avec les autres, sans que cette perception ne puisse éliminer l’existence des autres positions
possibles.

Voici un exemple [Figure 37] de ce que pourrait donner une telle


représentation, pour laquelle les différentes couleurs représentent une probabilité de
manifestation pour chacun des quatre pôles du quaternio.

Figure 37 : Quaternio « quantique »

Il faut là savoir que, pour la mécanique quantique, parler d’une probabilité de


manifestation, par exemple pour la position d’un électron, ne signifie pas une
indétermination de l’expérimentateur, mais bien une indifférenciation de l’électron lui-
même : ce n’est pas que, avant de mesurer sa position, nous ne sachions pas exactement où
il se trouve, mais c’est bien que, avant la mesure, il n’a pas réellement de position ; avant la
mesure, il est une fonction d’onde, et c’est la mesure qui va le faire advenir en tant que
particule.

On retrouve, sous la plume de Jung, une affirmation d’indétermination de


même ordre au sujet des contenus de l’inconscient : La différenciation constitue l’essence même et
la condition sine qua non du conscient. C’est pourquoi tout ce qui est inconscient reste indifférencié et tout ce
qui se déroule inconsciemment procède d’une indifférenciation : l’appartenance ou la non-appartenance au
Soi des éléments en cause demeure totalement indéterminée (1928c, p.180). Cette phrase a été écrite
alors que Wolfgang Pauli venait de faire appel à Jung pour une analyse (Jung & Pauli 1932-
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Clinique"

58). La longue correspondance que les deux hommes eurent ultérieurement n’est
probablement pas sans rapport avec la profonde affinité de pensée qui se manifeste ici.

Nous voyons que nous arrivons là aux limites de la représentation et qu’il s’agit
donc d’être extrêmement prudents dans l’interprétation des schémas qui sont proposés ici
pour conceptualiser les phénomènes en jeu dans le transfert. Au contraire de la physique
quantique, nous ne disposons pas, en effet, des équations mathématiques qui permettraient
de modéliser plus avant, et d’interpréter plus sûrement, une telle figuration. Ces limites
épistémologiques doivent évidemment s’appliquer à l’ensemble de ce travail, et non
uniquement au schéma du quaternio.

3.3.2.3 La"téléportation"quantique"

Un second modèle de la mécanique quantique peut être utile afin de


représenter ce qui est mis en jeu dans le processus transférentiel : il s’agit de la téléportation
quantique. Ce phénomène surprenant est une conséquence du paradoxe EPR, décrit par
Einstein, Podolsky et Rosen (1935), dans le but de démontrer l’inachèvement de la
mécanique quantique : il ne pouvait s’agir, pour Einstein notamment, que d’une
modélisation mathématique de certains phénomènes physiques, mais en aucun cas d’une
représentation valide du monde réel. N’avait-il pas affirmé Dieu ne joue pas avec les dés ?

Ils avaient démontré que, dans certaines conditions, la mécanique quantique


rendait possible la réalisation de particules appariées : deux particules obtenues à partir
d’une seule, formeraient, selon la mécanique quantique, un seul et même système, de telle
sorte que toute action sur l’une des particules entraîne immédiatement, et, quelle que soit la
distance séparant les deux particules, une modification de la seconde. Cela signifie une
transmission instantanée d’information, et viole donc une règle fondamentale de la
physique qui interdit à quoi que ce soit d’aller à une vitesse supérieure à celle de la lumière.
Pourtant un français, Alain Aspect, a pu démontrer, en 1982, que c’est bien ainsi que les
choses se passent, et l’on parle aujourd’hui d’un canal quantique pour nommer ce qui permet
ainsi la transmission instantanée d’une information entre deux particules appariées.
L’histoire de la fée Mélusine est devenue réalité : la fée Mélusine tenait une médaille
d’argent à la main. Elle la coupa en deux d’un coup de baguette magique et donna un
morceau à chacun des deux chevaliers qui se tenaient devant elle. Vous allez partir dans deux
directions opposées, leur dit-elle. Si quelque malheur devait arriver à l’un d’entre vous, sa médaille
deviendrait noire. Aussitôt, celle de son compagnon prendrait la même couleur. Il saurait alors qu’un grand

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La"chimère"transférentielle"

malheur serait arrivé. En effet, ce n’est pas la médaille qui est « téléportée », mais ses qualités,
de telle sorte qu’elle se retrouve identique de l’un à l’autre. Plus précisément, ce qui est
décrit jusqu’ici n’est que le résultat macroscopique, dans notre monde sensible de quatre
dimensions, d’une propriété de non-localisation de certains phénomènes quantiques. En
fait, d’un point de vue quantique, les deux moitiés de la médaille ne sont localisées ni là où
se trouve le premier voyageur ni là où se trouve le second. La « téléportation » n’est donc
qu’un phénomène apparent.

Une des conséquences les plus remarquables de ce paradoxe est qu’il ouvre la
porte des laboratoires de physique à la science-fiction en autorisant des expériences de
« téléportation quantique » dont le principe peut être utile pour interpréter la représentation
du quaternio de Jung. En voici le principe [Figure 38] : deux chercheurs, Alice et Bob,
veulent pouvoir se téléporter l’état d’un atome X de l’un à l’autre, mais Bob doit partir pour
un long voyage, alors qu’Alice reste au laboratoire. Avant le départ de Bob, Alice et lui
créent un couple de particules appariées, P et P’. Alice garde la particule P et Bob part avec
la P’, ainsi qu’avec un atome Y de même nature que X, mais dont l’état est indéterminé.
Quand Alice veut téléporter à Bob l’état de son atome X, elle crée une interaction entre X
et P, puis prend une mesure du résultat de cette interaction. Il faut se représenter que, du
fait de l’interaction, la particule P a été transformée, donc la particule P’ aussi, mais Bob n’a
encore aucun moyen de le savoir. Il faut donc que Alice envoie à Bob, par les moyens
traditionnels (téléphone, radio, etc.) le résultat de la mesure effectuée après l’interaction
entre X et P afin que Bob puisse reproduire cette interaction entre Y et P’. Alors Bob se
retrouvera avec l’atome X en lieu et place de l’atome Y !

Figure 38 : Principe de la téléportation quantique

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Clinique"

L’interprétation “classique” de ce phénomène qui semble remettre en cause les


principes élémentaires de la physique est de poser une propriété de non-localité du système
constitué par les deux particules P et P’ : les particules elles-mêmes sont distantes l’une de
l’autre dans l’espace, mais le système qu’elles forment ensemble n’est, lui, pas localisé.

Ce qui est remarquable ici est que la transmission d’une information explicite
entre les deux chercheurs est une nécessité technique au même titre que les autres éléments
de l’expérience : l’actualisation d’un processus tout à fait incompréhensible dans la
représentation que l’on peut avoir du monde, d’un processus transcendant au sens kantien
dans lequel Jung utilisait ce mot, passe par une communication consciente qui transmet une
information en elle-même de nature différente (résultat de l’interaction X-P) à celle du
processus (canal quantique P-P’). Un même type de décalage se retrouve fréquemment au
décours d’une analyse, quand le contenu manifeste de ce qui y est dit est de nature tout à
fait étrangère aux enjeux du transfert, alors même que ces échanges sont indispensables à la
continuité de sa dynamique.

3.3.2.4 L’attracteur"étrange"

Comme il a déjà été exposé, un attracteur étrange maintient la dynamique d’un


système complexe dans une partie délimitée de l’espace des phases. C’est alors de la nature
même de la dynamique considérée qu’émerge un contenant de cette même dynamique, une
auto-organisation contenante d’elle même.

Quand Jung écrit que Les deux formes [de la libido] se tiennent réciproquement en échec
(1944, p.84), une représentation simple de deux vecteurs opposée conduirait à un système
où le moindre excès de l’une vis-à-vis de l’autre entraînerait un déséquilibre du dit système.
Pour que la mise en échec réciproque ait une réelle stabilité, que le système ainsi constitué
soit robuste, il est nécessaire de se représenter un tel système comme système complexe,
stabilisé par l’émergence d’un attracteur étrange qui fonctionne alors comme contenant du
processus. Il a déjà été soutenu l’idée que ce puisse être la dimension sexuelle d’une part de
la libido qui induise la complexification de ce système.

Et quand Jung écrit que le soi est symbole de l’origine et du but du processus
d’individuation (1943, p.19 §3), il semble bien le définir comme processus d’auto-
organisation. Il reste, certes, toujours possible d’interpréter ces paradoxes souvent utilisés

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La"chimère"transférentielle"

par Jung comme témoignant de sa position mystique99, mais une vision scientifique n’en est
pas moins possible, et nécessaire à une approche scientifique de sa psychologie analytique.
On retrouve d’ailleurs, sous la plume de nombreux physiciens, des paradoxes de même
nature, susceptibles de conduire à des interprétations mystiques de leurs travaux. Ce fut
l’enjeu du débat qui opposa Einstein à Bohr au sujet de l’interprétation des phénomènes
quantique.

3.3.3 La"chimère":"utérus"du"transfert"?"

L’inceste, tel que C.G. Jung l’envisage, est une énergie incroyablement
puissante, violente, une force à laquelle le moi ne peut résister, sauf à ce que cette énergie
soit suffisamment contenue afin de ne pas le faire voler en éclats. C’est là la condition
première d’un possible destin créatif de ce désir de mort, donc d’une issue positive du
processus transférentiel tel qu’abordé par Jung.

Dans Psychologie du transfert Jung ouvre la réflexion au sujet de ce qui pourrait


être le contenant de ce processus transférentiel dont le contenu est l’inceste, contenant
essentiel en regard de la destructivité potentielle du mouvement incestueux ainsi défini. Il
note que Les alchimistes disent souvent que leur pierre se forme comme un enfant dans le sein de sa mère :
ils appellent le vase hermétique « utérus » et son contenu « fœtus ». (1944, p.105). Peut-on envisager
que le transfert lui-même soit l’utérus au sein duquel il peut se déployer sans être trop
destructeur ? Ainsi envisagée, la chimère transférentielle participerait à la contenance du
transfert dont elle est, dans le même mouvement, une dimension dynamique.

Aussi, à plusieurs reprises et dans le même passage, Jung définit le transfert


comme constitué des projections du patient sur le psychothérapeute. Et il ne parle pas de
ces projections, mais de leurs contenus, comme si les projections étaient elles-mêmes des
contenants ! Qui plus est, quand il parle de leurs contenus dans le transfert, il n’est plus du
tout question d’une quelconque spécificité. Bien au contraire, c’est en ce point que Jung est
attentif à se démarquer de Freud en insistant sur la multiplicité des contenus pouvant se
trouver projetés et qui peuvent, selon lui, relever de bien d’autres instincts que l’instinct
sexuel.

99 : ce qu’il n’a jamais cessé de réfuter, et ce que, évidemment, certains s’empressent de prendre pour une
dénégation…

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Clinique"

Il y aurait donc, selon Jung, un contenu spécifique du transfert, sans contenant,


bien que, à l’évidence, il en nécessite un pour ne pas être dévastateur, et des contenus non
spécifiques des projections, projections ainsi mises en position de contenants et qui
forment le transfert, Jung affirmant aussi que le mot transfert n’est que l’équivalent sémantique du
mot projection (1944, p.25). Ces contradictions apparentes vont être le fil directeur de la
réflexion proposée ici.

3.3.3.1 Le"quaternio"alchimique":"

La première idée, qui aurait été de penser que, en tant que contenu du
transfert, l’inceste se trouverait contenu par les projections tissées entre le patient et le
psychothérapeute, cette idée ne peut donc pas être soutenue, en tout cas pas si simplement,
si l’on suit le point de vue développé par Jung. Dans ce cas, en effet, les contenus de ces
projections seraient spécifiquement les mêmes que celui du transfert, à savoir l’inceste, et le
désaccord avec Freud n’aurait pas porté sur ce que Jung comprenait comme un monisme
sexuel de sa part : il n’aurait porté en fait que sur la nature de ce sexuel, objectal pour Freud
et non objectal pour Jung.

Une première solution à ce paradoxe apparent nous est donnée par Jung, dans
le chapitre consacré à la seconde image du Rosaire [Figure 25, p.209], où il propose son
schéma du quaternio alchimique [Figure 39], schéma qui peut résumer à lui seul la
compréhension du transfert par Jung : serait-ce ce quaternio qui contient, dans tous les
sens du terme, l’inceste et la violence de son formidable potentiel énergétique ?

Figure 39 : Quaternio alchimique (Jung 1944, p.81)

Plusieurs éléments plaident en faveur de cette hypothèse :

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La"chimère"transférentielle"

• Tout d’abord, ce quaternio est explicitement qualifié par Jung d’incestueux. Mais, et là
Jung ne le précise pas directement, l’inceste dont il s’agit est d’une autre nature que celui
dont il est question comme étant le contenu spécifique du transfert. En effet, dans le
quaternio, l’inceste comporte clairement une dimension objectale, réunissant le frère et
la sœur. Les contes que Jung cite pour illustrer sa thèse en témoignent (1944, p.82-83).
• Ensuite, Jung dit que l’inceste, en tant que relation endogame, correspond à une libido qui tend
finalement à maintenir la cohésion de la plus étroite famille (1944, p.84). Ainsi, après l’inceste
considéré comme retour à la mère, apparaît un autre niveau où l’inceste ne tend plus
directement au retour du deux dans l’un, mais bien plutôt à la cohésion d’un ensemble
déjà différencié, le groupe familial. Il s’agit donc bien d’un contenant.
• Enfin, et ce n’est pas le moindre des arguments, à ce niveau apparaît une ligne de séparation
patrilinéaire [qui] croise la ligne de séparation matrilinéaire (1944, p.87). Il y a donc là, comme
vu précédemment, apparition d’un premier principe paternel, ce qui confirme la nature
autre du quaternio par rapport à l’inceste primordial, précisément l’apparition des
premières expressions de la libido exogame. L’apparition de cette ligne de séparation
patrilinéaire implique une première différenciation sexuelle (mère/père) et, dans un
même mouvement, une première différenciation générationnelle (parents/enfants). Il est
d’ailleurs remarquable que, à ce niveau, l’inceste soit respectueux de ces deux
différences : il ne s’agit pas d’un inceste parent – enfant, qui viendrait alors mettre à mal
la différence générationnelle, mais bien d’un inceste frère – sœur, qui respecte aussi la
différence des sexes.

Ainsi, il semble que ce quaternio doive maintenir la cohésion de la plus étroite famille
parce que celle-ci est soumise à une double menace : menace d’implosion sous l’effet de la
libido endogame qui, si elle ne rencontrait aucune force contraire, aboutirait à la disparition
du multiple dans l’un (retour à l’en deçà de la mère dont l’exemple pathologique extrême
est l’autisme), et menace d’explosion sous l’effet de la libido exogame (éclatement dont
l’exemple pathologique extrême est la schizophrénie). Et l’on peut aussi penser que le
maintien de la cohésion de la famille nécessite le maintien, au sein de celle-ci, de la double
différence des générations et des sexes, ce que permet l’inceste frère/sœur, mais ne
permettrait pas l’inceste parent/enfant. Ce point, nous le verrons, n’est pas sans
conséquences cliniques essentielles.

Il semble donc que l’on puisse faire le schéma suivant [Figure 40], schéma où le
carré représente la fonction de contenance du quaternio.
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Clinique"

Figure 40 : Fonction contenante du quaternio

Cette idée du quaternio comme contenant semble encore confirmée par ce que
dit Jung au sujet des deux formes de la libido, endo et exogame : Les deux formes se tiennent
réciproquement en échec (1944, p.84). Ainsi apparaît un équilibre dynamique qui permet à
l’inceste primordial de se jouer dans un espace limité, c’est-à-dire de se jouer sans mettre à
mal les fonctions essentielles du moi (il semble que l’on puisse tenir pour acquise l’idée que
la cohérence du moi s’origine et se maintient dans la double différence des sexes et des
générations, double différence évidemment absente dans le mouvement incestueux
primordial, puisque le retour à l’un exclut toute différence, de quelque nature qu’elle soit :
l’être y devient non-être). Enfin, sachant par ailleurs que tout quaternio est, selon Jung,
expression du soi, le centre de ce quaternio y est vide afin de le représenter, en tant qu’il est
l’organisateur de ce quaternio et en tant qu’il est aussi centre vide, tel qu’Aimé Agnel (1999)
l’a si justement rappelé100. Les dynamiques du soi sont là dynamiques du processus : symbole
de l’origine et du but du processus d’individuation (Jung 1943, p.19 §3). Enfin, ce centre vide est
aussi représentation métaphorique de la visée ultime de l’inceste, retour à un état de non-être
connu.

Il y a donc, à ce stade de notre réflexion, un premier contenant de la relation


transférentielle, contenant spécifiquement endogame, même si, et c’est là de la toute
première importance, on y trouve les premières manifestations de la libido exogame et du
principe paternel. À ce niveau, la libido exogame est encore peu différenciée de la libido
endogame, l’opposition de leurs mouvements est encore confuse, bien que la différence de
leur nature s’y exprime déjà.

100 : par exemple : Le patient doit être seul pour découvrir ce qui le porte lorsqu'il n'est plus en état de se porter lui-même.
Seule cette expérience peut donner un fondement indestructible à son être. (Jung 1944b, p.40)

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La"chimère"transférentielle"

3.3.3.2 Les"projections"

Le premier schéma du quaternio ne rend pas compte de ce que Jung dit au


sujet des projections à l’œuvre dans le transfert, d’une part parce que les contenus de ces
projections sont, c’est Jung qui le souligne, de natures très diverses, et non spécifiquement
incestueux et/ou sexuels, et d’autre part parce que les figures en jeu dans ce quaternio sont
d’ordre archétypique et non personnel, alors que le transfert est un processus qui se déroule
entre deux personnes. Dès l’introduction à son livre sur le transfert Jung écrit que le mot
transfert n’est que l’équivalent sémantique du mot projection (1944, p.25). Mais il faut, pour qu’il y ait
projection, qu’il y ait une surface, un objet, à même de recevoir ces projections. Il serait
alors tentant de poser cette surface comme étant la personne de l’analyste, ce qui
correspond à la première approche freudienne du transfert, tel que Freud (1895 b) l’a
dégagé de son premier travail sur l’hystérie.

Cette approche a cependant un inconvénient majeur, à savoir qu’elle ne rend


pas compte de l’entrecroisement des projections, celles, contre transférentielles, de
l’analyste n’étant pas moins importantes que celles du patient. Il peut donc sembler plus
juste de poser cette surface au sein même du transfert, surface à deux faces, du côté du
patient et de l’analyste [Figure 41].

Figure 41 : Fonction contenante des projections

Ici, les deux faces (transférentielle et contre-transférentielle) de la surface de


projection sont arbitrairement représentées de manière linéaire, l’une étant interne et l’autre
externe ; il serait plus juste de les représenter intriquées, sans pouvoir toujours différencier
un côté de l’autre, si l’on veut rendre compte de l’expérience clinique. Un anneau de
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Clinique"

Moebius (anneau à une seule face, bien qu’en chacun de ses points on puisse en distinguer
deux [Figure 42]) serait ainsi plus pertinent, mais la lisibilité du schéma en serait été altérée.

Figure 42 : Anneau de Moebius

Nous aboutissons donc à un second schéma où le cercle représente cette


surface de projections entrecroisées. On peut même penser que c’est par l’auto organisation
de cet entrecroisement que ce constitue cette « surface », les projections contre-
transférentielles venant à la rencontre des projections transférentielles et aboutissant, de par
un certain équilibre dynamique des forces, à la constitution d’une interface. Il semble qu’on
peut ainsi comprendre l’affirmation de Jung pour qui : le médecin et le patient se trouvent tous
deux dans une relation qui repose sur une commune inconscience (1944, p.29), et il ajoute plus loin
une mise en garde à l’encontre du psychothérapeute qui voudrait adopter une attitude
apotropaïque : la contamination inconsciente offre une possibilité thérapeutique à ne pas sous-estimer
(idem).

Ce point est essentiel, car il pose le contre-transfert comme nécessaire à la


bonne conduite du transfert ; cela confirme l’idée que transfert et contre-transfert
s’unissent pour offrir un des contenants au transfert : de même que les deux formes de la
libido se tiennent réciproquement en échec et contiennent ainsi la formidable énergie de
l’inceste, de même les deux vecteurs de la projection peuvent s’entrecroiser et tisser entre
eux un véritable contenant inter projectif à l’abri duquel le processus peut se dérouler. Un
autre point paraît ici mériter d’être souligné : envisager ce second contenant à l’image du
premier (le quaternio où les libidos endogame et exogame se tiennent réciproquement en
échec) revient à conceptualiser une topique du transfert essentiellement dynamique et par

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La"chimère"transférentielle"

conséquent nécessairement mouvante, parfois stable (linéaire), parfois instable (chaotique),


en un mot vivante. Cela doit bien être présent à l’esprit face aux schémas fixes et rigides
proposés ici. Il convient donc de ne pas perdre de vue les théories du chaos et de
l’émergence pour aider à dynamiser cette représentation trop fixe et rigide.

Nous voici donc avec un schéma à double contenant, le contenant intérieur


émergeant de la relation alchimique incestueuse frère sœur, et le contenant externe de
l’intrication des projections transféro — contre-transférentielles. Le premier contenant est
ainsi à dominante endogame, alors que le second l’est moins ; à ce niveau, les libidos
endogame et exogame sont suffisamment différenciées pour qu’une conflictualité
psychique s’y manifeste.

3.3.3.3 Le"cadre":"

Ce schéma, cependant, reste insuffisant. Il permet ni de différencier ce qui


pourrait être une attitude spécifiquement psychanalytique dans le transfert ni de rendre
compte de la réalité de la relation analytique. Cette dernière en effet ne peut être envisagée
que dans un cadre qui, même s’il n’est pas toujours identique au dispositif inventé par
Freud, n’en doit pas moins introduire une claire asymétrie entre le psychanalyste et son
client : le minimum en est l’interdit du passage à l’acte et la rétribution du psychanalyste101.
Mais plutôt que de débattre sans fin d’une liste d’éléments sans lesquels la situation ne
pourrait être considérée comme psychanalytique, il peut être préférable d’essayer de penser
ce qui doit fonder cet ensemble afin qu’il puisse être opérationnel, c’est-à-dire qu’il puisse
permettre le déroulement d’un travail authentiquement psychanalytique.

Il convient donc d’ajouter un contenant extérieur qui représente un cadre


garantissant l’asymétrie fondamentale de la relation [Figure 43], asymétrie dont on peut
penser qu’elle représente aussi, concrètement pourrait-on dire, la double différence des
générations et des sexes. Ainsi ce n’est pas tel ou tel cadre concret qui est représenté, que
ce qu’un cadre doit représenter et manifester pour pouvoir être considéré comme garant
d’un possible processus analytique.

101 : Ce dernier point reste tout de même discutable, et discuté, notamment concernant les pratiques
institutionnelles de la psychanalyse. Mais, même si ce n’est avec l’argent du patient que l’analyste est
rétribué, il ne l’est pas moins.

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Clinique"

Il a déjà été noté qu’en partant du contenu spécifique du transfert, l’inceste, et


en allant vers la périphérie, nous constatons tout d’abord l’apparition de la libido exogame
(quaternio), puis sa différenciation conflictuelle d’avec la libido endogame (jeu inter
projectif). Il peut ainsi être posé que ce qui fonde la valeur psychanalytique de ce cadre
extérieur est qu’il garantit, à ce niveau, et à ce niveau seulement, un espace d’exogamie aussi
pure qu’il est possible, c’est-à-dire un espace où le psychanalyste et son client sont
clairement appréhendés comme différents, dans leurs êtres propres autant que dans leurs
positions respectives dans la cure.

Figure 43 : Fonction contenante du cadre

Tout d’abord si ce cadre extérieur est effectivement aussi exogame que


possible, cela revient à définir la rencontre psychanalytique comme un véritable quiproquo :
le client vient au psychanalyste dans l’attente d’un investissement endogame partagé alors
que le psychanalyste accueille le même client dans une attitude véritablement exogame. Il
s’ensuit une compensation inconsciente d’ordre inverse qui va activer l’investissement
endogame inconscient du patient par le psychanalyste, alors qu’inversement la libido
exogame se trouvera activée dans l’inconscient du client. Nous avons là les origines des
deux dangers de l’analyse sur lesquels Jung a le plus insisté : le danger, pour l’analyste, de se
laisser emporter dans une régression incestueuse avec son client, et qui a fait poser à Jung
l’obligation d’une analyse personnelle pour les futurs analystes, et le danger d’une explosion
psychotique du patient.
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La"chimère"transférentielle"

Ensuite, le cadre extérieur est représenté comme double, différenciant par cet
artifice ses faces interne et externe. Il semble en effet qu’il convient de différencier le cadre
factuel (position, nombre de séances, mode de payement, règle énoncée, etc.) du cadre
engendré par la position intérieure de l’analyste, plus spécifiquement par sa position
consciente. Ce n’est en effet qu’à ce niveau que le conscient de l’analyste peut intervenir
véritablement, les cadres intérieurs, du quaternio et des projections, étant par nature
inconscients.

Enfin, les points de contact entre d’une part le contenant projectif et le


contenant archétypique, et d’autre part entre ce même contenant projectif et le cadre,
représentent le fait que ces contenants sont, par endroits, par moments, totalement
intriqués les uns aux autres. Il convient d’insister, cette approche conceptuelle est
nécessairement idéale, séparant artificiellement ce qui, dans l’éprouvé de l’expérience
transférentielle, est, le plus souvent, très entremêlé et indissociable. Il peut d’ailleurs
sembler que ce soit au niveau de ces points de contact, d’entremêlement de dynamiques de
natures différentes, que se fait une part essentielle du travail alchimique du transfert, ainsi
que l’émergence des dynamiques propres à la chimère transférentielle : l’entremêlement,
l’intrication, de dynamiques de nature différente est ce par quoi se constitue le système
complexe du transfert, la chimère transférentielle.

3.3.3.4 Quelques"hypothèses"sur"l’origine"et"la"dynamique"de"la"chimère"
transférentielle"

Il a déjà été évoqué l’hypothèse selon laquelle la chimère transférentielle se


constitue à partir de l’intime intrication des parts déintégrées du soi de l’analyste et de celles
de l’analysant. Il va maintenant être tenté d’en donner une représentation plus dynamique.

Fordham a décrit les dynamismes de déintégration et réintégration du soi


primaire, dynamismes qui animent le processus de différenciation du bébé et lui permettent
de se construire en intime relation avec le monde extérieur. Si l’on considère, comme
évoqué plus haut, qu’il y a une parenté conceptuelle entre le soi primaire de Fordham et le
non-être de Jung, il est alors possible de définir le mouvement de réintégration et l’aspiration
incestueuse à la mère comme étant un attracteur simple, au sens de la physique. Cela
signifie que ce mouvement, laissé à son libre développement, aboutit nécessairement
toujours au même résultat, indépendamment des conditions de départ. Quand un
phénomène obéit à un attracteur simple, son destin est scellé. La pulsion de mort, telle

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qu’envisagée par Freud, à savoir une pure destructivité, est une autre formulation de cet
attracteur simple (d’où l’importance de l’intrication des pulsions sexuelles de vie et de
mort).

Ainsi, chez Fordham, comme chez Jung, et d’une autre manière chez Freud, ce
mouvement tendant à l’immobilisme est étroitement articulé avec un autre mouvement,
apparemment contraire, la déintégration (Fordham), la mer du devenir (Jung) ou la pulsion de
vie (Freud). Cela conduit à penser une force de vie, de liaison, opposée à une force de
mort, de déliaison, ce qui, d’un point de vue plus large, a fait parler de néguentropie, en
opposition au principe d’entropie qui semble régir l’ensemble des lois de l’univers. Cette
hypothèse, qui eut son heure de gloire dans le milieu jungien, paraît bien risquée. Nous
allons voir que l’on peut en faire l’économie.

En effet, si l’on considère la déintégration (Fordham) ou la pulsion de


vie/principe de liaison (Freud), nous avons aussi un attracteur simple : ces dynamiques,
livrées à elles-mêmes, aboutiraient au même immobilisme que leurs contraires. Cela signifie
que le principe d’entropie serait valable tout autant pour les forces dites de vie que pour les
forces dites de mort. Un exemple simple est celui du cancer, où le développement des
cellules n’étant plus soumis à une régulation qui en fasse mourir autant qu’il en est créé
aboutit à la mort de l’organisme tout entier.

L’hypothèse, déjà développée sous une autre forme (Martin-Vallas 2005), est
que la combinaison de ces deux attracteurs simples donne naissance à un attracteur étrange
(voir par exemple le pendule double de la [Figure 4, p.58]. Or un système physique soumis
à un attracteur étrange est un système chaotique, imprévisible, au moins dans certains de
ses états, ce qui implique qu’un tel système puisse passer par des phases de néguentropie
apparente : l’ordre peut émerger du désordre, et ceci sans enfreindre la loi de l’entropie (loi
qui, rappelons-le, ne s’applique qu’aux systèmes fermés, et non aux systèmes en interaction
avec d’autres). La constitution de la chimère transférentielle semble être une telle
émergence d’ordre à partir du désordre, résultant de la rencontre des parts déintégrées du
soi de l’analyste et de celles de l’analysant. Et il peut être justifié de parler d’une chimère
transférentielle dès lors que l’on suit Jung quand il dit que l’appartenance ou la non-appartenance
au Soi des éléments [inconscients] demeure totalement indéterminée : ainsi, dans la rencontre
analytique, il ne peut être déterminé si telle part déintégrée du soi est de l’analyste, de
l’analysant, des deux, ou d’aucuns. Seule l’histoire ultérieure du transfert en décidera,

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La"chimère"transférentielle"

transformant ainsi les deux protagonistes. Un principe similaire au principe quantique de


non-localisation se retrouverait ainsi au cœur des dynamiques transférentielles.

Mais une telle rencontre ne suffit évidemment pas : la théorie de l’émergence


implique en effet que le désordre puisse se poursuivre jusqu’au point où, devenant de plus
en plus complexe, de plus en plus chaotique, il finisse soudainement par en émerger un
ordre tout autant imprévu qu’imprévisible, de par l’émergence d’un niveau supérieur de
complexité. Ce qui se produit là n’est pas une transformation magique, mais est comme un
changement d’échelle : à partir d’un certain niveau de complexité (ou de saturation), le
phénomène ne peut se représenter qu’en changeant d’échelle de grandeur (ou de
résolution), ce qui en révèle une nouvelle structure, un nouvel ordonnancement, non
actualisé jusqu’alors. La théorie de la relativité d’échelle, développée par le physicien
français Nottale (1998), en est une autre approche dans un cadre qui cherche à réunir la
relativité générale d’Einstein et la mécanique quantique : dans la relativité galiléenne
l’espace-temps est euclidien, dans la relativité générale il est courbe102, alors que dans la
relativité d’échelle il est non seulement courbe, mais aussi non différenciable103, c’est-à-dire
fractal. Concrètement, cela signifie qu’un même objet ne sera pas tout à fait le même selon
qu’il est mesuré en millimètres ou en mètres : un changement d’échelle est toujours associé
à un changement de l’objet lui-même. Cela signifie aussi qu’il existe des trajectoires
fractales, c’est-à-dire des trajectoires qui ne sont pas les mêmes selon l’échelle avec laquelle
elles sont observées ; le mouvement des particules quantiques en est un exemple, ce qui
implique que toute observation faite sur ces particules les modifie, puisqu’il ne peut y avoir
d’observation sans échelle.

102 : Dans l’espace-temps euclidien deux droites parallèles ne se rejoignent jamais, alors que dans l’espace-
temps courbe (riemannien) qui régit la relativité générale deux droites parallèles finissent toujours par se
rejoindre.

103 : Une fonction est non différenciable quand il n’est pas possible d’en faire de dérivée : le concept de
dérivée mathématique s’appuie sur le fait que l’on peut assimiler une portion infiniment petite d’une
courbe à une droite (dont l’extension réalise la tangente). C’est ainsi par exemple que l’on pourra
assigner une vitesse (dérivée simple) ou une accélération (dérivée seconde) à chaque point de la
trajectoire d’un objet. Mais, dès lors que la courbe est fractale, il devient impossible d’assimiler une
quelconque de ses portions, si petite soit-elle, à une droite. Il est donc impossible de déterminer à la fois
la vitesse et la position d’une particule obéissant à une telle trajectoire, ce qui est le fait des particules
quantiques.

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Il semble ainsi que l’on puisse méditer sur l’idée selon laquelle les parts
déintégrées du soi (de l’analyste et de l’analysant) pourraient obéir à des règles semblables.
Il ne s’agit évidemment pas de dire qu’il en est ainsi dans la réalité, celle-ci restant à jamais
inaccessible à notre connaissance, transcendante104, mais bien d’une métaphore, et peut-être
d’un symbole, pour nous relier à ces dynamismes qui animent, organisent et désorganisent,
construisent et détruisent, l’entre-deux de la rencontre analytique. Ainsi on peut envisager
le schéma proposé ici d’une topique de la chimère transférentielle, non comme une topique
au sens usuel de la géographie, mais bien plutôt comme une représentation synthétique,
formelle, de différentes échelles de manifestation possible de cette chimère dans le
transfert. Le même schéma sous forme fractale [Figure 44] donnerait ainsi une figure plus
méditative que conceptuelle :

Figure 44 : La chimère, représentation sous forme d’un attracteur étrange


http://schaltzmann.net/gallery-category/fractale/#strange-attractors (consulté le 11/06/2014)

3.3.3.5 L’attitude"psychanalytique":"

Ainsi il peut être affirmé que l’attitude psychanalytique se fonde sur le


maintien, par l’analyste, d’un investissement conscient exogame de son client. Cela

104 : au sens kantien où Jung utilise ce terme, qui est une qualité de ce qui se situe hors d’atteinte de l’expérience et de
la pensée de l’homme. (Petit Larousse illustré 1995)

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La"chimère"transférentielle"

évidemment, ne saurait signifier que l’analyste doive refuser les mouvements de nature
endogame qui s’éveillent en lui vis-à-vis de son client ; bien au contraire, cela serait tomber
dans l’attitude apotropaïque que Jung dénonce souvent. L’attitude psychanalytique serait ici
d’avoir toujours conscience de la réalité irréductiblement autre, étrangère, de son client,
même et surtout quand il paraît si familier que tout semble aller de soi. Jung (1944, p.102)
parle à ce sujet du danger de « l’affinité », avec ses projections trompeuses et sa tendance à assimiler
l’objet dans le sens de la projection, c’est-à-dire de le rendre familier en vue de concrétiser la situation
incestueuse latente. Ainsi le psychanalyste doit pouvoir garantir, autant que faire se peut, un
cadre extérieur, un athanor exogame qui, seul, permet que se déroule le processus
interprojectif et archétypique qui caractérise le transfert tel que Jung l’a abordé. La situation
analytique, de plus, ne se peut qu’en vue, à terme, de la séparation de l’analyste et de son
client. Il semble que l’on puisse dire de ce point qu’il est l’alpha et l’oméga de la conduite
du transfert par le psychanalyste, conduite qui doit répondre à une double exigence
paradoxale : tout à la fois, assurer la permanence suffisante des contenants du transfert,
notamment le cadre projectif nécessaire à la contenance, au développement et à
l’expression psychique du quaternio, et tout autant dissoudre ce cadre par les
interprétations afin d’en permettre l’introjection sans laquelle la séparation ne serait que
rupture ; le processus d’individuation ne pourrait alors se poursuivre.

Cette base, qui peut au premier abord sembler triviale, est essentielle si l’on
accepte d’en tirer toutes ses conséquences. Cela signifie en effet, entre autres, que l’analyste
ne doive jamais se confondre avec les différentes figures qu’il est amené à représenter, et
parfois à mettre en scène, pour le compte de son client. C’est là que l’on peut trouver une
attitude spécifiquement psychanalytique dans le transfert, l’analyste cherchant toujours à
préserver la nature exogame de la relation consciente qu’il entretient avec son client, ceci
afin de garantir la solidité et la permanence suffisante des contenants du transfert. Pour
l’analyste, en effet, l’ensemble du processus ne découle pas d’une quelconque technique
qu’il aurait apprise à utiliser à bon escient, et encore moins de sa volonté et/ou de sa
capacité à remplacer positivement les mauvais objets rencontrés par son analysant dans son
enfance : l’analyste n’est ni rééducateur ni réparateur. Le processus transférentiel ne résulte
que de ce qui est mis en jeu par la rencontre des inconscients des deux protagonistes du
drame analytique, et ce processus ne peut se dérouler, dans le sens de
l’individuation/différenciation, qu’à la condition que l’analyste en garantisse le cadre
extérieur, exogame. Pour l’analyste, comme Jung (1944, p.25) le dit en critiquant ceux qui

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Clinique"

considéraient que le transfert doive être exigé, le processus transférentiel relève de


l’autonomie des processus inconscients. Ce sont ces derniers qui peuvent éventuellement
aller chercher, parmi les qualités dont dispose l’analyste, celles qui sont nécessaires à son
analysant afin que le processus d’individuation puisse être relancé chez lui. Et ce sont eux
aussi qui permettent ou interdisent à l’analyste de prendre conscience de ses projections
contre transférentielles : il n’est pas rare que l’analyste, quand il prend conscience de ses
projections, se rende alors compte à quel point elles étaient nécessaires au maintien de la
relation analytique, et qu’il « remercie le ciel » d’en avoir été si longtemps inconscient. Le
cas d’Hélène décrit plus haut est un exemple.

Michel de M’Uzan (1994) décrit un autre aspect de l’attitude psychanalytique


qui est essentiel pour permettre à cette chimère transférentielle de prendre toute l’ampleur
nécessaire à chaque cas particulier. L’analyste, en effet, doit accepter de se trouver par
moments dans des états de conscience à la limite de la dépersonnalisation, quand il ne sait
plus très bien quelles sont ses limites, quand il se sent comme étranger à lui-même.
L’expérience à laquelle Claire a pu accéder en séance (C’est comme si j’étais dans un autre monde.
J’allais dire, c’était pas moi. […] Et puis aussi c’était quelque chose qui venait à moi) est une
expérience assez fréquente dans le vécu contre-transférentiel, si l’analyste n’y résiste pas
trop. C’est ainsi, dit de M’Uzan, que des pensées de l’analysant, impensable pour lui,
peuvent parfois prendre forme dans la pensée de l’analyste, ce qu’il appelle pensée paradoxale.
Cette idée d’une pensée paradoxale peut être rapprochée de ce que Jung (1948, §210) dit de
l’origine de la pensée : La pensée […] se fonde à l’origine sur l’autorévélation du Soi, donc un
processus d’auto organisation et d’émergence qui s’origine dans l’inconscient. Il semble
aussi que l’on puisse relier ce que de M’Uzan décrit du vécu intérieur de l’analyste à ce que
Fordham décrit de la déintégration : c’est là un état déintégré, avec une perte des limites
entre moi et non-moi, soi et non-soi, un état de dépersonnalisation où une part de soi
accepte d’être le témoin conscient de ce qui se déroule ainsi en soi-même autant qu’entre
soi et l’autre. Et cela peut aussi être relié à la position éthique du moi décrite par Jung, ainsi
qu’au soi éthique conceptualisé par Hester Solomon (2000a) : cette question de l’éthique est
consubstantielle à l’attitude psychanalytique, autant qu’à l’émergence de l’exogamie
véritable. Comme le dit de M’Uzan, l’analyste qui accepte de se laisser aller dans un tel état,
se rend alors disponible à son analysant, à l’inconscient de celui-ci. Cela peut aussi se
formuler avec une image : de même que l’analyste d’enfant met à disposition de ses petits
patients un ensemble de figurines, de jouets, de matériaux divers qui vont permettre à

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La"chimère"transférentielle"

chaque enfant la mise en jeu et en représentation de ce qui l’anime, de même l’analyste


d’adulte met à disposition de son analysant les parts déintégrées de lui-même, jusqu’à ce
que se forme entre eux une véritable chimère ; un squiggle psychique, en quelque sorte
(Duparc 2005).

Il peut sembler que cela revienne finalement à réaffirmer que l’analyste doit
être, autant que faire se peut, dans une attitude exogame, tout autant vis-à-vis de lui-même,
de ces parts de lui-même qui lui sont étrangères, que vis-à-vis de son analysant. Alors
l’activation des investissements endogames et incestueux pourra se faire sans que le moi de
l’analyste s’y soit trop impliqué, en tout cas sans qu’il s’y identifie. Dans le cas contraire en
effet, compte tenu de l’étayage pulsionnel et corporel du narcissisme, une forte activation
de l’aspiration à l’inceste à la mère ne pourrait qu’entraîner un passage à l’acte sexuel ou
d’emprise (les dangers de l’affinité dont parle Jung), à moins que des résistances contre-
transférentielles ne réduisent cet investissement à zéro (par exemple quand le surmoi doit
prendre le relais d’une déficience du soi éthique chez l’analyste : quel analyste ne s’est pas
au moins une fois « accroché à son fauteuil » pour ne pas céder à la tentation d’un passage à
l’acte ?). Et il faut parfois bien longtemps à l’analyste pour se dégager suffisamment de ces
résistances (d’autant plus fortes et fréquentes que c’est souvent là où son soi est blessé que
se noue le transfert avec le soi blessé de l’analysant) afin que cette dynamique de la chimère
transférentielle puisse prendre toute la place qui lui est nécessaire dans l’entre-deux de la
relation analytique. C’est un travail sur le contre-transfert qui doit se reprendre avec chaque
analysant, et, bien souvent, de nombreuses fois au décours d’une même cure. Et, surtout,
c’est un travail qui, à chaque fois, confronte l’analyste encore et encore à cette part de
destructivité pure, inélaborable et non assignable à l’un ou à l’autre des deux protagonistes,
qui constitue un reste de tout travail d’élaboration, de toute reprise des processus de
déintégration et réintégration. Telles sont, de mon point de vue, les conditions de
l’émergence du sujet : De même que l’inconscient, le Soi est la donnée existant a priori dont naît le moi.
Il préforme en quelque sorte le moi. Ce n’est pas moi qui me crée moi-même : j’adviens plutôt à moi-même.
(Jung 1942, p.281).

3.4 La!chimère!transférentielle,!un!soi!partagé!?

L’ensemble de ces réflexions peut permettre de proposer le schéma suivant


[Figure 45], comme une topique dynamique de cette chimère transférentielle. Ce schéma
représente la façon dont chaque dynamique peut contenir et être contenue par les autres,
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Clinique"

ces contenants ici représentés de manière rigide étant en fait bien plutôt des attracteurs
dont la combinaison délimite, dans l’espace des phases des dynamiques considérées, un
espace au sein duquel ces dynamiques peuvent être maintenues. Ce point sera repris plus
loin.

Ce schéma a aussi pour objectif de représenter la manière dont les


investissements libidinaux endo et exogames peuvent s’intriquer à différents niveaux,
l’ensemble constituant l’équivalent, dans le transfert, de ce que Jung a nommé le soi dans
l’intrapsychique.

Figure 45 : Topique de la chimère transférentielle (Martin-Vallas 2006, 2008)

Nous y retrouvons, au centre, l’inceste à la mère, ici représenté par le dessin


d’André Masson déjà présenté. Cet inceste s’inscrit dans un carré, le quaternio alchimique,
contenant archétypique dynamique qui maintient la cohésion. Ce carré est lui-même inscrit
dans un cercle qui représente l’intrication des projections et contre projections, autre
contenant dynamique, humain, personnalisé, représentable. Enfin, à l’extérieur, le cadre
analytique, dans ses aspects rigides (règle d’abstinence, dispositif) et aussi dynamiques
(position intérieure de l’analyste). À partir de ce schéma, il est possible de reprendre les
situations cliniques évoquées, et d’en représenter l’état du transfert pour chacune d’elles.

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La"chimère"transférentielle"

3.4.1.1 Nymphéa"

Figure 46 : Nymphéa

Pour Nymphéa, l’ensemble des structures internes de cette chimère paraissait


défaillant, de telle sorte que le cadre, interne de l’analyste et factuel de la cure, était
directement en prise avec la violence des énergies archétypiques indifférenciées (comme
d’ailleurs le moi de Nymphéa elle-même). Ici était réactualisé dans le transfert un état de
déintégration du soi primaire, sans réintégration suffisante possible, comme ce fut le cas
pour elle dès sa petite enfance en couveuse. La violence des éprouvés de cette analysante
dans cette phase de la cure en témoigne, par exemple quand elle réclamait, sans fard ni
retenue, de pouvoir sentir la peau de son analyste sur la sienne, toute la sienne, son sexe
dans le sien, c’est-à-dire tout son corps. Et, quand cette violence était un peu apaisée, elle

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Clinique"

pouvait alors dire à son analyste : J’ai besoin de vos pensées, j’ai besoin d’une peau pour mes pensées.
(Martin-Vallas 2002).

3.4.1.2 Hélène"

Figure 47 : Hélène

Pour Hélène, le quaternio archétypique ne pouvait guère plus contenir cette


même violence, mais le jeu interprojectif a pu immédiatement contenir et organiser ces
énergies. Là encore, une part de son monde interne était en état de déintégration, mais les
premières relations à la mère avaient dû être suffisantes pour organiser un espace
interprojectif contenant. C’est à ce niveau que la chimère transférentielle s’est
immédiatement constellée, lui permettant une réintégration suffisante, au décours de la
séance relatée ici, d’une imago paternelle suffisamment fiable pour qu’elle puisse ensuite
reprendre pied dans sa vie.
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La"chimère"transférentielle"

3.4.1.3 Claire"

Figure 48 : Claire

Pour Claire, un passage s’est ouvert au point de contact entre le quaternio et


l’espace projectif, laissant l’atmosphère amoureuse du quaternio imprégner la relation
transférentielle consciente. Il est intéressant de noter ici qu’il existe des mandalas
bouddhistes semblables à cette représentation de la chimère, où figurent, au niveau des
points de contact, des portes gardées par des gardiens à l’aspect terrifiant qui dansent
parfois de frénétiques danses de sang et de mort (Tucci 1969) [Figure 49]. La violence ici, si elle est
partiellement représentable, n’en est pas moins importante, comme en témoigne la
décompensation psychosomatique qui suivit de peu cette séance.

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Clinique"

Figure 49 : Gardiens d’un mandala bouddhiste

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La"chimère"transférentielle"

3.4.1.4 La"fête"des"Mères"

Figure 50 : Fête des Mères

Dans la dernière situation, la fête des Mères, la chimère transférentielle


fonctionne à tous les niveaux pour contenir, dynamiser et orienter la relation analytique
dans le sens des potentialités inhérentes à cette rencontre. C’est ainsi que la teinte affective
de la relation est souple, complexe et nuancée, l’énergie pouvant circuler suffisamment
librement entre les différents niveaux du transfert pour que les mouvements de
déintégration et de réintégration qui l’animent puissent se dérouler sans trop de heurts

Il semble bien y avoir là un véritable soi du transfert, un espace partagé où


s’organise une totalité, totalité des potentialités actuelles de la rencontre analytique.

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Clinique"

Ces exemples cliniques semblent confirmer l’hypothèse de l’émergence de cette


chimère transférentielle à partir de la rencontre des parts déintégrées du soi de l’analyste
avec celles, déintégrées aussi, du soi de l’analysant, une rencontre d’où émerge une
néoréalité psychique autonome, lieu du déploiement des dynamismes, archétypiques et
personnels, du jeu transféro-contre-transférentiel. Cette hypothèse implique que l’on puisse
y retrouver, non seulement la dimension symbolique organisatrice du soi, mais aussi toutes
les modalités de ses défenses et de leurs potentialités destructrices. L’analyste ne peut
analyser de telles défenses, dans lesquelles il est nécessairement pris avec son analysant : il
ne peut que partager, impuissant, la détresse de son analysant, sans trop se défendre afin
qu’ensemble ils puissent en découvrir les potentialités de renaissance, et aussi prendre acte
de la part de mort, cette part de destructivité pure qui, toujours, constitue la dîme à payer
pour suivre le chemin de l’individuation.

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La"chimère"transférentielle"

4 Mouvements!déintégratifs!du!soi!de!la!
chimère!transférentielle!

4.1 Sophie!

Sophie est une femme de la quarantaine qui est venue me voir peu après son
arrivée à Grenoble ; elle avait quitté son lieu de vie précédant quelques années après le
suicide de son mari et était en état de grande souffrance intérieure. Nous avons alors
travaillé dans un cadre analytique classique dans la pratique jungienne, deux séances par
semaine sur le divan, l’essentiel de notre travail ayant alors tourné autour de la relation
sadomasochiste que sa mère avait entretenue avec elle durant son enfance, une mère
probablement très frustrée et blessée des longues absences professionnelles de son mari.

Petit à petit, elle put se reconstruire une vie intérieure et extérieure


satisfaisante. Ses enfants, qu’elle élevait donc seule, ont grandi et se sont épanouis,
traversant évidemment quelques crises, et elle savait alors fort bien s’appuyer sur la parole
masculine de l’analyste pour étayer sa position de mère et trouver un équilibre souvent
fragile dans la relation avec eux. D’un autre côté, elle put réorienter sa profession dans un
sens bien plus conforme à ses désirs propres et, aussi, sortir de l’ornière qui la faisait
toujours et encore trouver des hommes mariés qui ne pouvaient (ou ne voulaient) quitter
leur femme pour elle, ceci malgré leur profonde insatisfaction conjugale. Bref, après un peu
plus de cinq ans d’analyse, un observateur extérieur aurait facilement pu être convaincu du
succès de son travail, et considérer, comme elle voulut alors le faire, que l’analyse avait
atteint son but.

Mais il restait un élément qui m’intriguait et me fit lui conseiller fermement de


poursuivre plus avant son travail, et de passer à trois séances par semaine au lieu de deux.
Pourtant, ce faisant, je n’étais pas du tout sûr de moi, et ne pouvais clairement faire la part
entre mes propres désirs la concernant et ses réels besoins psychiques : il faut dire que cette
femme me touchait et que j’imaginais volontiers que si nous nous étions rencontrés en
d’autres circonstances nous aurions pu devenir amis. Ce point, parfois facilitant, était alors
source d’un certain brouillard pour moi, de telle sorte que je choisis délibérément d’aborder

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Clinique"

cette situation comme j’aime le faire à ski, c’est-à-dire en ne me fiant qu’à ma sensation, et
cette sensation était claire : Sophie n’avait pas atteint le terme de son travail avec moi.

En fait, durant toutes ces années, un point n’avait jamais pu être clairement
abordé, précisément ses mouvements érotiques vis-à-vis de son analyste, et ceci malgré
quelques rêves pourtant sans équivoque : à chaque fois que cela se produisit sortait d’elle
un cri très particulier, un cri de détresse profonde, comme le cri d’un nourrisson dont les
mouvements spontanés restent sans réponse durant un temps trop long. Et ce cri était
associé à une pensée fixe : elle ne pouvait admettre que de tels désirs existent puisque le
cadre de notre travail interdisait leur satisfaction agie. Mais son cri ne me touchait pas
vraiment, et cette pensée qu’elle exprimait ne m’atteignait décidément pas : je restais froid à
sa souffrance105. Je ne pouvais en fait, dans ces moments là, que sentir intensément de forts
mouvements érotiques entre nous et la nécessité d’aller sans retenue dans cette direction,
quitte à y perdre les repères de notre cadre de travail. Habituée à s’appuyer sur ce qu’elle
sentait de ma position intérieure, elle a accepté après quelques hésitations, et des moments
de forte révolte, de poursuivre son analyse et nous sommes passés à une autre phase de
notre travail.

C’est trois mois après qu’eurent lieu les séances qui vont nous occuper ici :

Première séance, lundi : Elle arrive après un WE prolongé, s’allonge, et me


raconte immédiatement le téléphone de son père deux jours plus tôt : il lui a dit, une fois de
plus, son désir de se tuer, de se tirer une balle dans la tête. Là, pour la première fois, elle lui
a répondu qu’elle ne pouvait accepter qu’il lui parle ainsi, lui rappelant les circonstances de
la mort de son mari. Alors je suis intervenu, je lui ai dit que je comprenais bien que les
propos de son père réveillaient effectivement cette profonde blessure, mais qu’il me
semblait y avoir autre chose bien plus inacceptable pour elle, à savoir l’obscénité qu’il y a à
ce qu’un père fasse ainsi part à sa fille de son désir de tirer un coup et d’en mourir. J’étais
moi-même un peu surpris de la rudesse de mes mots et fus d’autant plus attentif au silence
qui suivit. Quand elle reprit la parole, ce fut pour me dire que mes mots lui avaient fait le
plus grand bien, qu’elle se sentait très apaisée, et effectivement sa voix avait retrouvé sa

105 : C’est une constante contre-transférentielle de l’expression du clivage du soi : l’analyste ne se sent pas
touché par l’analysant, comme s’il était lui-même désaffectivé ; c’est là un effet du gel de la part clivée du
soi, donc du gel du geste spontané par lequel les humains communiquent instinctivement entre eux, en-
deçà du langage.

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La"chimère"transférentielle"

source dans son corps ce qui, jusqu’alors, était plutôt rare. Je partageai bien volontiers son
apaisement.

Seconde séance, mardi : Après qu’elle soit revenue sur son apaisement de la
veille, j’ai relié cette obscénité incestuelle de son père avec l’attitude de sa mère, incestuelle
aussi, quand elle entretenait avec elle des relations sadomasochistes pour compenser
l’absence de son mari ; enfin, j’ai évoqué ses angoisses à l’évocation des mouvements
érotiques qu’il pouvait y avoir en elle à propos de l’analyste : celui-ci pourra-t-il les entendre
sans les reprendre à son compte ? Pour la première fois, elle put entendre l’existence de ces
mouvements sans angoisse et envisager de dénouer la barrière infranchissable qui lui
interdisait l’accès à tout un pan de sa vie fantasmatique érotique.

Troisième séance, jeudi : Elle arrive et dit de suite : Hier, pour la première fois, je
me suis dit que j’avais un fond dépressif, puis j’ai pensée à la fin de l’analyse et ai ressenti de la tristesse à
laisser quelque chose que j’aime, ce qu’elle a corrigé après en disant : J’étais triste à l’idée de vous
quitter. Alors elle put retrouver tout un pan heureux et vivant de son enfance avec ses
grands-parents, ce qu’elle avait déjà rapidement évoqué, mais sans jamais me le faire
partager dans l’éprouvé contre transférentiel.

J’ai ainsi pu comprendre que la rudesse de mes mots était nécessaire pour
rejoindre une certaine rudesse de ces grands-parents, rudesse rassurante parce que tendre et
sans ambiguïté : un de ses souvenirs les plus apaisants était le corps à corps avec son grand-
père sur les genoux duquel elle pouvait se sentir en totale sécurité pendant qu’il lui racontait
des histoires. De cela, je ne lui ai rien dit.

J’ai aussi compris pourquoi sa position favorite dans l’acte sexuel, comme elle
me l’avait dit à l’occasion d’un rêve érotique avec l’analyste, est une position où elle peut
sentir le corps de son partenaire dans son dos, et j’ai pu lui dire qu’il me semblait qu’ainsi
elle pouvait vivre pleinement les mouvements pulsionnels de l’acte sexuel, sans en être
menacée ; elle a de suite confirmé en associant sur d’autres situations où elle trouve une
sécurité dans un contact du dos, alors que le regard, qui lui évoque sa mère, est toujours
susceptible de devenir menaçant. Nous étions alors tous deux parfaitement conscients de la
présence de son analyste dans son dos.

De là, le travail de séparation put se faire, et nous conduire sans précipitation


vers la fin de cette analyse.

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Clinique"

4.2 Déintégration!et!réintégration!dans!le!transfert!:!

Ce type de situation, où l’analyste accepte, après un temps de réflexion plus ou


moins long, de laisser une part de lui-même s’engager sans retenue dans le transfert, est
assez familière à nombre d’entre eux, mais en comprendre les enjeux sur un plan théorique
n’est pas simple.

La notion de clivage du soi, au sens où Fordham l’a développée, clivage qui


rend impossible l’épanouissement de la dimension érotique du processus transférentiel
dans certains cas, comme celui de Sophie, peut aider à une telle théorisation. Ce clivage du
soi maintient sa part clivée hors de la dynamique de la relation transférentielle ; cette part
clivée reste gelée.

4.2.1 Du"côté"de"l’analyste"

C’est alors du côté du soi de l’analyste que quelque chose peut éventuellement
se dénouer, comme cela a pu se faire avec Sophie. C’est l’analyste qui doit accepter qu’une
part de son soi se déintègre et que naisse en lui un geste spontané, un geste susceptible de
toucher l’analysant en ce lieu de son soi resté déintégré. Et ce n’est pas là une mince affaire,
car l’analyste, s’il est suffisamment différencié — ce que l’on peut espérer — se trouvera
alors aux prises avec des mouvements pulsionnels d’autant plus forts que la déintégration
sollicitée par ce type de transfert est importante. C’est en tout cas là une donnée de
l’expérience de nombre des analystes avec qui j’ai pu échanger à ce sujet.

Cette donnée de la clinique contre-transférentielle peut se comprendre si l’on


considère que la sexualité s’étaye sur les processus de déintégration et réintégration,
processus auxquels elle donne une forme gestuelle spontanée qui est justement celle de
l’instinct sexuel ; alors la sexualité adulte peut se mettre en place lors de l’adolescence. Ainsi
l’analyste confronté à une déintégration de son soi se trouvera en proie à des mouvements
pulsionnels (érotiques et/ou agressifs) qui, s’ils sont satisfaits d’une manière ou d’une autre,
ou si l’analyste s’en défend, barreront la voie du retour au geste spontané premier, c’est-à-
dire non sexuel (au sens de la sexualité adulte106), geste qui, seul, peut rencontrer la part

106 : Il y aurait là beaucoup à dire, la spontanéité du nourrisson avec les adultes étant toujours plus ou moins
empreinte de sexualité, en tout cas dans le ressenti des adultes (ce qui conduit une mère suffisamment
équilibrée à se tourner vers son homme pour satisfaire ses besoins sexuels, et introduit ainsi le père

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La"chimère"transférentielle"

clivée du soi de l’analysant. En termes plus classiquement jungiens on pourrait parler de la


nécessaire activation de l’anima ou de l’animus dans l’accès aux dynamismes du soi par le
moi, ici le moi de l’analyste, ce qui, comme Jung le dit si bien, nécessite que l’analyste
accepte d’être requis dans sa totalité.

C’est ce que l’analyste de Sophie a longtemps vécu avec elle, éprouvant


fortement les mouvements pulsionnels qu’elle ne pouvait aborder, non pas qu’il se soit là
agi d’un processus d’identification projective107, mais parce que la part clivée de son soi, à
laquelle le soi de l’analyste répondait en se déintégrant partiellement, ne pouvait se vivre sur
ce mode du fait qu’elle en était restée à une sexualité enfantine. Il faut bien considérer, en
effet, que la particularité de la sexualité enfantine est de ne pas pouvoir trouver un plein
épanouissement corporel du fait de l’immaturité sexuelle qui caractérise l’enfance.

C’est ainsi qu’il peut sembler que l’en deçà de la sexualité est d’ordre
archétypique, et qu’il repose précisément sur la déintégration du soi et le geste spontané qui
l’accompagne, cet ensemble ayant une double visée : d’une part l’établissement de relations
suffisamment satisfaisantes avec l’extérieur, et d’autre part la différenciation interne et
l’épanouissement différencié des différentes dynamiques archétypiques. Ainsi envisagée la

comme tiers dans la relation avec le nourrisson — Lemaitre 1991). Mais il y a plus, puisque l’on constate
que les enfants qui n’ont pas reçus la tendresse dont ils avaient besoin sont bien souvent hyper excités
sexuellement, ce qui donne à penser que la sexualité instinctive est déjà bien présente à l’origine,
probablement comme un élément déintégré du soi primaire ; c’est alors la réintégration de cet élément
dans la relation à l’adulte qui permet sa représentation et tout le jeu de la sexualité infantile tel que décrit
par Freud.

107 : C’est là une question difficile sur laquelle les anglais, élèves de Fordham, sont eux-mêmes divisés : ces
mouvements de déintégration de l’adulte et/ou de l’analyste sont-ils à l’origine de l’identification
projective, ou sont-ils différents dans leur nature ? Il peut paraître préférable de différencier ces
phénomènes, et de réserver le terme d’identification projective aux défenses archaïques du moi, alors
que la déintégration dont il est question ici est bien du côté des défenses du soi. La différence implique
une attitude clinique différente, puisque la visée de l’identification projective est alors de donner à vivre
à l’autre une part de soi que l’on ignore et que l’on peut ainsi tout à la fois retrouver et nier au travers du
vécu de l’autre, alors que la déintégration cherche à vivre avec l’autre une possibilité de réintégration qui
n’a pas été vécue en temps utile. Mais évidemment ces deux dynamiques peuvent être intriquées, auquel
cas cette distinction peut devenir défensive du côté de l’analyste.

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Clinique"

sexualité est l’incarnation de la dynamique du soi dans le corps du sujet108, telle qu’elle a pu
s’y inscrire au cours de l’enfance ; ce serait alors en fonction de la qualité de cette
inscription corporelle première qu’elle pourra ou non suivre les transformations corporelles
de l’adolescence.

En ce qui concerne Sophie cette inscription semble s’être faite de façon


satisfaisante pour une part importante, mais une autre part de son soi est restée en retrait
de toute inscription corporelle élaborable, transformable en sexualité adulte, probablement
du fait de l’attitude incestuelle de ses parents109. Elle ne pouvait donc avoir de vie sexuelle
épanouie qu’avec des partenaires suffisamment insatisfaisants afin de respecter ce clivage
du soi qui, dans une relation normalement satisfaisante, aurait alors pu voler en éclat et
laisser resurgir toute l’angoisse prototypique sous-jacente.

C’est ainsi que le soi de l’analyste a pu lui proposer un chemin qui la conduise
jusqu’à cette part d’elle-même restée jusqu’alors en retrait du processus transférentiel.

4.2.2 Du"côté"de"Sophie"

Pour comprendre que Sophie ait pu enfin dire non à son père, il faut supposer
que la part clivée de son soi a du suffisamment éprouver la position de son analyste, et y
trouver un étayage suffisant pour pouvoir, non pas encore se réintégrer, mais bien plutôt se
laisser aller à ce geste spontané qui fut, à ce moment-là, le refus adressé à son père d’une
telle relation. Le mouvement de réintégration a alors pu se faire lors de la séance qui suivit,
et où elle put éprouver la réponse de son analyste comme une confirmation de la justesse
de ses propres mouvements spontanés : le bien-être qu’elle en a ressenti témoigne de cette
homéostasie retrouvée.

108 : Et alors elle deviendrait pulsion sexuelle au sens freudien du terme. C’est en tout cas une condition
nécessaire à la possibilité même de la sublimation, fondement de la dynamique du processus
d’individuation.

109 : Il y là un point souvent constaté en clinique : le vécu incestuel — et a fortiori incestueux — est source
d’un clivage du soi chez l’enfant qui en est victime, probablement du fait qu’au lieu d’être apaisante,
l’attitude par trop incestuelle, et a fortiori incestueuse, d’un adulte envers un enfant est excitante et
bloque ainsi la possibilité de réintégration ; quand ce type de réponse est trop fréquente (ambiance
incestuelle) ou trop forte (passage à l’acte incestueux) le soi de l’enfant ne peut poursuivre sa maturation
qu’au prix d’un tel clivage.

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La"chimère"transférentielle"

Et les deux autres séances de la semaine paraissent confirmer cette hypothèse :


elles lui ont permis de se relier tout à la fois à une véritable position dépressive et à la
perspective d’élaborer un deuil de ce qui ne pourra jamais être vécu avec l’analyste, deuil
dont on peut espérer qu’il lui ouvrira la voie à une construction de sa vie plus en
conformité avec sa propre totalité. En effet, l’expérience de réintégration permet alors de
vivre le manque d’unité intérieure sans cette angoisse prototypique qui, sinon, envahit le
sujet et interdit tout autre éprouvé du moi.

Il y a là une dynamique qui s’est enfin remise en route, mais il faut bien garder
à l’esprit que ce n’est que le point de départ d’une nouvelle possibilité d’intégration de la
part clivée du soi, et non un aboutissement. Comme le dit Fordham, ces expériences de
déintégration et réintégration doivent se répéter encore et encore jusqu’à ce que la
différenciation interne soit suffisante, afin que les dynamiques archétypiques restées
prisonnières de la part clivée du soi puissent se déployer et s’intriquer intimement avec
l’autre part du soi qui, ainsi, retrouve son unité dynamique : le processus d’individuation
peut alors retrouver son sens et l’analyse arriver à son terme.

4.2.3 Dans"le"transfert"

Dire, comme ici, que quelque chose doit s’élaborer du côté de l’analyste est
devenu classique, mais pose la question du comment cela peut se faire. En effet, les
processus ici étudiés sont avant tout inconscients, autant du côté de l’analyste que de celui
de son analysant. La question se pose donc des modalités qui permettent à une
problématique psychique de l’analysant de se retrouver au sein même de la psyché de
l’analyste et, surtout, qui permettent en retour une transformation au sein même du
psychisme de l’analysant.

L’hypothèse d’un soi du transfert, c’est-à-dire de la constitution dans l’entre-


deux de la rencontre analytique d’une néoréalité psychique autonome qui obéit aux mêmes
dynamismes archétypiques que la psyché individuelle, groupale ou collective, offre une
réponse possible à ces questions. Dans cet exemple clinique, en tout cas, on voit bien
comment la part clivée du soi de l’analysante vient, probablement par l’effet d’étrangeté
énigmatique qu’elle a sur l’analyste, susciter chez lui une déintégration de son soi. C’est
alors la part déintégrée de son soi qui se lie à la part clivée du soi de l’analysante, union
dont émerge la part active de la chimère transférentielle ici mise en évidence.

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Clinique"

Le travail psychique de l’analyste permet une remise en route du processus de


réintégration/déintégration portant alors sur l’ensemble de la chimère, et entraînant le dégel
de la part clivée du soi de l’analysante au sein même de la chimère. De ce dégel émergent
des intensités pulsionnelles très fortes qui doivent être contenues par la position éthique de
l’analyste, elle-même contenue par le cadre analytique, afin que l’incestuel de l’enfance de
l’analysante ne se répète pas, en tout cas pas trop. Ce n’est alors que par l’éprouvé de cette
non-répétition, donc de la contenance de l’analyse110, que la réintégration peut se faire du
côté de l’analysante et que la chimère peut se dénouer. Là où l’analysante était
préalablement en relation avec la chimère, donc avec une part de son soi dont elle ne
voulait pas, elle se trouve soudain face à son analyste, et c’est quand elle est enfin en
relation avec lui qu’elle peut éprouver son désir et, ainsi, envisager la séparation.

Enfin, comme dans les autres situations cliniques étudiées dans ce travail,
l’analyste ne pouvait à aucun moment savoir ce qui se déroulait inconsciemment entre lui et
son analysante. Il ne pouvait que maintenir sa position éthique et analytique, en suivant le
cours associatif que ce transfert lui donnait à vivre. C’est ainsi qu’il put trouver le ton et les
mots justes, ou, plutôt, que le ton et les mots justes ont pu le trouver, et ceci au bon
moment, le kairos des anciens111.

110 : C’est bien, ici, l’analyse — et non l’analyste — qui contient le processus.

111 : Voir, au sujet du kairos, ci-après l’étude de la temporalité de la chimère.

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La"chimère"transférentielle"

5 Temporalité!de!la!chimère!transférentielle!

5.1 Différentes!temporalités!

L’accès à la temporalité n’est pas chose facile et n’a rien d’évident pour les
humains que nous sommes. Certes, nous pouvons assez facilement — et intellectuellement
— comprendre que le temps s’écoule de manière irréversible et, si nous voulons l’ignorer,
la réalité de notre corps ne manque jamais de nous le rappeler, tant à l’enfant qui grandit, à
l’adolescent qui se transforme, qu’à l’adulte qui mûrit avant de s’affaiblir. Mais ce temps, là,
n’est que celui d’un monde réel, objectif, monde réel dont l’expérience éprouvée s’oppose
souvent aux vécus subjectifs qui l’accompagnent et qui, si nous y sommes attentifs, sont
multiples et contradictoires.

La théorie jungienne décrit trois modes de temporalité : le temps circulaire,


temps de la grande mère et des phénomènes cycliques de la réalité objective, le temps linéaire,
temps du père et de l’irréversibilité temporelle de la réalité objective, et le kairos, instant
significatif qui vient faire irruption dans l’une des deux temporalités précédentes. Ces
notions seront reprises plus loin en articulation avec l’exemple clinique d’André.

5.2 André,!ou!de!la!fin!des!temps!au!temps!de!la!fin!

La fin des temps : très vite, André s’y trouva confronté, avant même sa
naissance, quand son grand-père maternel répudia sa fille alors enceinte hors mariage, puis
quand il eut trois mois et que sa mère se trouva enceinte de son frère, et enfin à un an, la
naissance de ce frère l’ayant privé presque définitivement de l’amour maternel, amour bien
trop absolu pour pouvoir être partagé.

D’entrée de jeu, il lui fut impossible de se construire le temps de la fin, ce


temps si particulier qui permet de passer d’un temps à un autre de telle sorte que le présent
succède à un passé, passé dont la possible élaboration dans le présent ouvre au futur.

C’est ainsi que l’apprentissage de la maîtrise sphinctérienne (imposée


prématurément et brutalement à André, afin que les parents puissent consacrer leur temps

300

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Clinique"

au petit frère112), au lieu de contribuer à l’émergence de la subjectivité par la ponctuation de


pertes qui, chacune, ouvre au plaisir partagé avec les parents, scella presque définitivement
l’objectivité absolue du temps, projetant André au-delà de la fin des temps, dans
l’immuabilité d’une répétition infernale et sans issue du même.

Quelque vingt-cinq ans plus tard il me fut adressé par un collègue psychiatre
qui, selon toute vraisemblance, ne savait que faire de ce jeune adulte totalement « paumé »,
hésitant entre la folie déclarée et la désinsertion totale, histoire, dans les deux cas, de
trouver enfin un temps qui soit celui de la fin. Peu avant il avait été exempté du service
militaire, et le diagnostic de schizophrénie avait été évoqué, diagnostic que mon collègue
m’avait fait suivre.

Un de ses tout premiers rêves m’impressionna durablement : il était astronaute,


en orbite autour de la terre, dans son scaphandre, mais le « cordon ombilical » qui aurait dû
le relier à une capsule était coupé net, sans lien avec quoi que ce soit. Rien à attendre, rien à
espérer. Le temps, là, était mort.

Il nous fallut dix ans d’analyse, à raison de trois séances par semaine sur le
divan, pour en arriver à pouvoir envisager le temps de la fin, non pas tant la fin de l’analyse
(qui se poursuit toujours aujourd’hui) que la fin de ce temps mort, temps mort qui a été le
pain quotidien des dix premières années de notre travail. L’étrange est que ce ne fut pas
long. Non. Pour que ce le fut, il eut fallu une durée, un temps, or, précisément, il n’y en
avait pas. Ces séances n’étaient que des trous dans mon emploi du temps, des trous hors du
temps, où nous étions tous deux dans l’errance d’une recherche qui ne se savait même pas
être une recherche (la recherche suppose l’idée d’un à venir) et qui pouvait d’autant moins
savoir ce qu’elle recherchait.

J’ai vainement tenté — car il me fallait bien tout de même essayer d’introduire
un minimum de sens dans ce néant — d’interpréter la souffrance d’André en termes
d’abandon, de rupture, d’amour et de haine, mais il ne pouvait m’entendre. Mes
interprétations étaient immédiatement reprises, fétichisées, totémisées, avant d’être
atomisées et de disparaître ainsi, et nous avec, dans le néant de l’éternité. Moi-même j’avais
fétichisé le rêve de l’astronaute, je l’avais placé, tel un totem protecteur, dans un coin de ma

112 : afin de pouvoir s’occuper de son nouveau-né la mère d’André avait obtenu de lui qu’il soit propre à 12-
13 mois.

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La"chimère"transférentielle"

mémoire, mais il était inaccessible à ma réflexion. J’avais bien trop peur de ce qui, d’emblée,
m’avait paru évident : il n’y avait aucune issue.

Cette première impression n’était pas infondée, évidemment. Cependant, avec


le recul aujourd’hui possible, ma lecture de ce rêve a quelque peu changé. Si, dans une visée
prospective il n’offre, en effet, aucune perspective d’évolution possible, c’est précisément
parce qu’il décrit un équilibre dynamique parfaitement linéaire : la mise en orbite instaure
cet équilibre entre la force gravitationnelle et la force centrifuge, et, sauf à attendre
l’effondrement gravitationnel de notre système solaire, le temps s’y trouve arrêté.
L’attracteur d’un tel système est simple et, dès lors, tout est prévisible ; l’angoisse ne peut
apparaître.

Mon interprétation prospective de ce rêve résultait en fait de ma propre


angoisse d’effondrement qui avait été réactivée en écho de celle d’André. Il me paraît
aujourd’hui que ce rêve mériterait une interprétation freudienne, c’est-à-dire en termes de
réalisation du désir de la pulsion de mort, l’atteinte de ce niveau zéro que Freud (1920) a
nommé principe de Nirvana, et Jung désir de retour au non être connu. En maintenant mon
interprétation prospective au sujet d’un rêve dont le seul projet était qu’il n’y en ait pas, je
maintenais de fait la satisfaction fantasmatique de ce désir, non seulement pour André —
ce qui était probablement nécessaire —, mais aussi pour moi-même. Nous étions alors tous
deux dans une collusion inconsciente défensive dont le seul but était que rien ne change,
c’est-à-dire de tuer le temps. Et c’était aussi, probablement, le prix à payer pour que la
décompensation schizophrénique annoncée ne se produise pas. Elle n’a, en tout cas, pas eu
lieu pour André (ce fut sa mère qui, quelque temps après la séance décrite ci-dessous,
décompensa sur ce mode).

L’angoisse cependant vint avec ce qu’il est convenu d’appeler « l’amour de


transfert ». Cet amour nous tirait vers le bas, et, là, l’angoisse d’effondrement était à son
comble : comment le moi-astronaute d’André aurait-il pu supporter la rentrée dans
l’atmosphère d’une vie pulsionnelle sans en être désintégré ? Alors surgissait, de façon
compensatrice, une aspiration à l’absolu de l’espace intersidéral : en proie à une rage
potentiellement dévastatrice, André exigeait de moi, et sur le champ, la guérison totale et
définitive, guérison que seule pourrait attester une réussite professionnelle qui le
projetterait au firmament de la société. Cela avait le don de m’irriter sans que je puisse
retenir l’expression de mon affect, ce qu’André eut vite fait de comprendre : ainsi il put en
jouer de longues années durant sans que je puisse m’y soustraire, ni même que je puisse y
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comprendre quoi que ce soit tant ma pensée était, avec lui, enfermée dans le temps
circulaire du mouvement orbital.

J’avais le sentiment que la ponctuation des séances était utilisée par André
comme les temps de mise sur le pot de chambre de son enfance, et effectivement il
m’amenait, avec une ponctualité tout à fait insupportable, ses productions oniriques. Il faut
dire que j’avais eu la malheureuse idée, en lui présentant le cadre, de lui proposer d’écrire
ses rêves et de me les amener… Il me les amenait donc, non pour les travailler avec moi,
mais pour que je regarde leur bonne constitution et que je m’empresse, après l’en avoir
complimenté, de tirer la chasse, tirer la chasse, c’est-à-dire refermer indéfiniment le temps
sur lui-même.

Voici un exemple de ce qui fut notre quotidien : André entre, s’allonge, et


parle. J’ai un rêve : une voiture marron — silence (dans l’attente de ma réaction) — dépit
(mon silence traduisait ma désapprobation, ce qui n’était pas faux) — logorrhée par laquelle
il exprimait ses aspirations sociales démesurées et allait chercher mon irritation, me mettant
ainsi en mesure d’exprimer la colère vraie du nourrisson qu’il fut, et pouvant de la sorte s’y
relier.

Ainsi, en deçà du maintien absolu d’une maîtrise sphinctérienne sans failles, il


reproduisait le jeu du nourrisson avec sa mère, quand celui-là s’assure de la disponibilité de
celle-ci. En me mettant en colère il pouvait jouir de ma présence vraie, présence de mon
affect qu’il faisait apparaître et disparaître à volonté, et il pouvait d’autant plus en jouir que
le sentiment d’impuissance, pour lui insupportable, m’était attribué : c’était évidemment ce
sentiment qui m’était intolérable et dont je me défendais par ma colère. Cela dura environ
huit ans, huit ans nécessaires à la maturation progressive du « vrai moi » d’André (ici
opposé au « moi astronaute », véritable faux self), mais nécessaires aussi à ma propre
maturation dans la relation analytique avec lui, où il allait sans cesse rechercher ma blessure
narcissique.

C’est ainsi, à notre surprise commune, qu’un jour mon affect ne vint plus au
rendez-vous par lui fixé. Il me dit alors, dépité, mais aussi soulagé, Tiens, je n’arrive pas à vous
mettre en colère aujourd’hui ! Telle fut la première apparition d’un temps de la fin, la première
mise au présent, un présent où André était là, vivant, parlant, me parlant.

Ce qui m’a frappé dans cette séance, ce fut surtout ce mélange de satisfaction
et de regret que je perçus, pour la toute première fois, dans son ton de voix. Le regret est

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évident : il n’avait pu faire magiquement apparaître mon affect, au contraire de toutes les
autres fois. Mais quelle était la satisfaction ? Probablement de me sentir présent malgré
mon « absence », présence dont attestait sa capacité d’en parler, de m’en parler, à moi qui
étais toujours là, bien que n’étant plus le même. Le temps était ouvert, le présent pouvait
être jaugé à l’aune du passé, et se percevait, non dans la seule absence ou dégradation d’un
passé idéalisé, mais aussi dans une différence qualitative ouvrant à l’inconnu, autant à
l’inconnu de l’autre (mais qui est-il cet analyste qui n’est plus le même ?) qu’à l’inconnu de l’avenir
qui peut, enfin, être aussi un à venir.

Un temps ouvert, donc, au contraire de la fin des temps qui referme


définitivement le temps sur lui-même, le dissolvant en une circularité absolue et/ou en une
linéarité arbitraire, insensée, sans origine ni but.

5.3 La!temporalité!circulaire!objective!

Dans une telle temporalité, le présent n’existe plus et seule peut exister une
flèche temporelle abstraite, inéluctable et destructrice. Le passé ne peut mener qu’à la
disparition de toute chose, le présent ne pouvant être que le témoin de leur usure, de leur
dégradation, usure et dégradation mesurées à l’aune d’une origine figée, idéalisée. Dans
cette temporalité « hors du temps », le présent se trouve écartelé entre deux extrêmes
inaccessibles qui se trouvent d’ailleurs confondus, ce qui peut être représenté comme un
cercle qui parcourt, toujours identique à lui-même, la ligne théorique du temps [Figure 51
— Figure 52] :

Avenir / Passé

Présent

Flèche du temps
Passé / Avenir théorique/abstrait
Figure 51 : Temporalité circulaire objective — A

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Flèche du temps
théorique/abstrait
Avenir / Passé

Présent

Passé / Avenir
Figure 52 : Temporalité circulaire objective — B

D’un point de vue jungien cette temporalité circulaire est caractéristique de


l’enfermement dans la grande mère archaïque ; tout est en tout et les opposés ne peuvent
que se confondre entre eux ou s’exclure l’un l’autre : le deux y est impossible et
l’endogamie y règne en maître. Nous sommes là dans le monde du Un, non pas de l’unité
qui résulte d’une homéostasie suffisante retrouvée au sein d’une quaternité, tel que peuvent
se donner à vivre certaines expériences du soi, mais bien le Un des origines (Balier 2004,
Martin-Vallas 2004), quand n’existait que l’éprouvé d’une certaine homéostasie que
Fordham (1969) a appelé soi primaire, une unité qui exclut la possibilité même de sa
partition. Il ne saurait y avoir là aucun sujet, puisque toute différence y est impossible, ce
qui permet de dire que cette temporalité est objective, au sens où Jung dit de l’inconscient
collectif qu’il est une réalité psychique objective.

La question qui se pose alors est celle-ci : quand un patient, tel André, se
trouve enfermé dans cette temporalité circulaire objective, qu’est-ce qui peut faire qu’à un
moment donné cette bulle s’ouvre sur une autre forme de temporalité ?

5.4 La!temporalité!linéaire!objective!

Concernant la temporalité linéaire, on trouve, dans la littérature analytique


jungienne, deux types de positions : les uns (p.ex. Marie-Louise Von Franz 1970, 1978,
Pierre Solié 1978) penchent en faveur d’une prédisposition interne qui peut s’exprimer dès
lors qu’elle rencontre à l’extérieur les conditions de son expression. Pour ceux-ci, la double
nature de la temporalité rend compte de deux modes d’être au monde, non exclusifs l’un de
l’autre, ce qui est classiquement représenté par le schéma de la spirale [Figure 53] :

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Futur

Passé

Figure 53 : Temporalité linéaire objective

La temporalité est alors envisagée selon la suite : Passé → Présent → Futur

Nous voyons, dans ce schéma, la persistance de la temporalité circulaire


objective, qui s’ouvre en une spirale par l’effet de son inscription au sein du temps linéaire
objectif. Le présent fait suite au passé et précède le futur. Mais, si ce schéma rend bien
compte de l’intrication, dans le vécu du sujet, des deux formes de temporalité archétypiques
(circulaire et linéaire), il ne rend pas compte de l’ouverture à la temporalité subjective,
ouverture qui suppose que quelque chose échappe au déterminisme archétypique.

5.5 La!temporalité!linéaire!subjective!

Le travail de Jean Laplanche (1987) décrit une rupture radicale liée à


l’effraction, au sein des processus psychiques internes, de l’objectivité de l’instinct, c’est-à-
dire, en terme jungien, de l’objectivité archétypique. Pour cet auteur c’est l’investissement
sexuel inconscient de l’infans par les adultes qui, faisant effet de séduction par son décalage
avec les besoins propres de l’infans, va faire effraction. Bien que Jean Laplanche n’ait pas
directement rapporté sa théorie à la transformation de la temporalité, il ne semble pas
exagéré de l’appliquer ici. En voici un schéma [Figure 54], repris et adapté à partir de celui
du baquet de Jean Laplanche (1987 b) :

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Passé investi

Remémoration Élaboration

Présent

Passé
mythique Avenir

Intrusion non métabolisable


à effet traumatique
Figure 54 : Temporalité linéaire subjective (à partir de Laplanche 1987, p.153)

Il s’agit là du résultat d’une absence de prédisposition, comme une carence


dans le programme archétypique, qui rend non métabolisable ce qui est perçu, par le bébé,
de l’investissement sexuel des adultes sur lui. Dans cette deuxième perspective, il ne peut
être envisagé une transition douce entre le temps objectif et le temps subjectif, mais une
transformation radicale, catastrophique, qui est l’effet d’un traumatisme.

C’est ainsi que l’ensemble des traces mnésiques, qui constituent le passé, ne
peut plus être simplement appréhendé d’un point de vue instinctuel, mais qu’il nécessite
une réélaboration permanente afin d’être intégré au vécu, devenu subjectif, du présent.
C’est cette élaboration du passé qui ouvre une perspective d’avenir, d’à venir.

La temporalité est alors envisagée selon la suite présent → passé → futur,


avec une rétroaction entre l’élaboration subjective du passé et du futur, celle-ci
rétroagissant à son tour sur le vécu subjectif du présent [Figure 55] :

Présent Passé Futur

Figure 55 : Temporalité subjective

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Ce serait ainsi d’une solution de continuité au sein même des dynamismes


archétypiques que peut naître la subjectivité, ce que Jean Laplanche rapporte à l’apparition
du refoulement originaire et, dans le même temps, des pulsions sexuelles de vie et de mort.
Cela rejoint ce que Jung écrit à de très nombreuses reprises au sujet de ce qu’il appelle
l’inconscient collectif (ou impersonnel), à savoir qu’il s’agit de la psyché objective : ce ne peut
être que dans la relation avec la subjectivité de l’autre que la subjectivité du sujet peut
émerger.

5.6 Le!kairos!

Replacé dans le transfert, où Jean Laplanche l’a élaboré, ce schéma a l’immense


avantage de poser plus de questions qu’il ne donne de réponses. En effet, s’il indique bien
la nécessité d’une effraction au sein même de la psyché objective pour ouvrir à la
subjectivité, il ne peut rendre compte qu’hypothétiquement du « comment » de cette
effraction, et laisse grande ouverte la question du « quand ».

En revenant au cas d’André, nous pouvons alors constater à quel point


analyste et analysant étaient tous deux pris, dans le vécu transférentiel, dans une objectivité
temporelle d’où toute subjectivité était exclue. Plus précisément, toute tentative de
subjectivation de la part de l’analyste, notamment ses interprétations en termes d’abandon,
de rupture, d’amour et de haine — interprétations qui s’adressaient à une subjectivité qu’il
supposait présente « quelque part » chez son analysant — étaient vouées à l’échec. Ils
étaient là en face de la Gorgone Méduse. Mais ils n’avaient pas de miroir…

Il fallut donc le temps nécessaire à sa constitution au sein même du transfert,


mais une constitution nécessairement inconsciente puisque seule Athéna, figure d’une
anima non encore incarnée, pouvait le leur transmettre. Là, le kairos fut le surgissement,
dans la réalité transférentielle, d’un instant autre, d’un temps d’une autre nature, qui médusa
la méduse elle-même, faisant ainsi effraction radicale dans l’objectivité figée à laquelle, sans
cesse, elle nous réduisait.

Le temps de l’opération technique n’est pas une réalité stable, unifiée, homogène,
sur quoi la connaissance aurait prise ; c’est un temps agi, le temps de l’opportunité à saisir,
du kairos, ce point où l’action humaine vient rencontrer un processus naturel qui se développe
au rythme de sa durée propre. L’artisan, pour intervenir avec son outil, doit apprécier et
attendre le moment où la situation est mûre, savoir se soumettre entièrement à l’occasion.

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Jamais il ne doit quitter sa tâche, dit Platon, sous peine de laisser passer le kairos, et de voir
l’œuvre gâchée. (Vernant 1965 p.317)

Ce processus naturel qui se développe au rythme de sa durée propre est une bonne
définition d’un aspect essentiel du transfert, de ce qui se déroule entre l’analyste et son
client, et qui échappe autant à l’un qu’à l’autre, bien que se constituant des deux, la chimère
transférentielle. Elle est là comme une syzygie originaire des énergies instinctuelles les plus
primaires, énergies dont le caractère sexuel est à la fois évident dans les éprouvés
d’excitation corporelle qui l’accompagnent — parfois très consciemment —, mais dont ce
caractère sexuel est, dans le même temps, absent, ces énergies ignorant tout de l’autre, de la
différence des sexes.

C’est au sein de cette chimère, et le plus souvent du côté de l’analyste, que ce


processus naturel peut, selon un rythme et un temps qui lui sont propres, évoluer jusqu’à ce
que la différence de l’un et de l’autre puisse être reconnue. L’émergence soudaine de cette
reconnaissance — si, comme le dit Platon, l’artisan analyste n’a pas quitté son travail —
conduit alors à une double rencontre : rencontre avec cette émergence, et rencontre entre
un analyste et un analysant alors reconnus mutuellement comme différents. C’est de là, de
cette différence éprouvée, que procède l’effet de séduction originaire décrit par Jean
Laplanche (ce n’est pas là s’inscrire en faux par rapport à la définition du sexuel qu’il
donne, mais bien plutôt insister sur le fait qu’il n’y a de sexuel que là où il y a un autre, un
autre éprouvé comme différent de soi — cet autre fut-il un objet partiel — un éprouvé qui,
comme il le développe, émerge précisément de cette séduction originaire, de cette énigme
signifiante).

Un autre point : ce qui fait l’énigmatique est, précisément, le double sens d’un
signifiant, tout à la fois parfaitement compréhensible, car congruent à l’instinct et
incompréhensible, car étranger à ce même champ. C’est là une propriété qui se retrouve
dans deux domaines du champ de la physique : le principe de superposition d’états de la
mécanique quantique et celui de la bifurcation des dynamiques complexes ; soudain, ce qui
faisait simplement évidence devient, comme le dit le langage courant, ambigu. Et ce n’est
certainement pas un hasard si le langage courant parle d’ambiguïté au sujet de tout énoncé
sexuel, même celui qui, dans l’évidence de son objet, ne présente aucune ambiguïté
apparente.

C’est ainsi que le kairos peut être envisagé comme le surgissement, le plus
souvent dans la surprise partagée (et pas toujours dans une valence positive), d’un véritable
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mouvement érotique (de vie ou de mort) qui vient faire effraction dans la bulle ou la spirale
du temps objectif pour l’ouvrir à la possibilité d’un mouvement de subjectivation. Il
apparaît ainsi que cette notion, qui n’est pas explicite dans les approches psychanalytiques
non jungiennes, ne leur est pas pour autant étrangère. En témoigne un autre exemple,
ancien, quand, parlant de l’effet de surprise, Reik (1933) écrivait que les véritables et intimes
compréhensions psychanalytiques apparaissent comme des surprises pour l'analyste et pour
l'analysant (cité par Prado de Oliveira 2001).

5.7 La!catastrophe!transférentielle!

Si l’on accepte l’idée qu’une catastrophe est un changement subit d’état113, alors
les notions de séduction originaire et de kairos peuvent être assimilées à une catastrophe.
Dans un article de 2005, Hogenson relate une expérience effectuée par Back (1996) : avec
ses collègues, il laissa tomber lentement des grains de sable sur une table, jusqu’à ce que
ceux-ci forment un tas, tas qui grossit progressivement en prenant une forme de cône. Au
fur et à mesure que le cône grossissait, il devenait plus haut, en même temps que sa base
s’élargissait : la dynamique de croissance de ce cône était parfaitement linéaire. Mais arrivé à
un certain point, et sans que cela ne soit prévisible, l’ajout d’un seul grain de sable finit par
provoquer une avalanche catastrophique et l’effondrement du cône. C’est là une brisure de
symétrie et l’apparition d’une dynamique chaotique, tout du moins jusqu’à ce que l’ajout
des grains de sable suivants aboutisse à ce qu’un nouveau cône se forme.

Cette notion de catastrophe paraît pouvoir être mise en relation avec le


changement soudain de la tonalité transférentielle dans l’analyse de René. Cela rejoint le
travail de Bright (1997), travail dans lequel il argumente l’idée que l’émergence de sens dans
le déroulement de la cure analytique peut être envisagé comme évènement synchronistique,
ceci y compris en l’absence de tout évènement d’apparence « paranormal ». Cela paraît
congruent avec les arguments développés par Pauli dans sa correspondance avec Jung
(Jung & Pauli 1932-58). C’est, en fait, la notion d’émergence qui manquait tout autant à
Jung qu’à Pauli pour développer plus avant leur intuition d’un phénomène probablement
généralisable à l’ensemble du fonctionnement psychique humain.

113 : le mot grec καταστροφή signifie “retournement“.

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Dans la cure de René, en tout cas, il peut apparaître que la succession


d’interprétations de toutes sortes proposées par l’analyste durant les huit premières années,
toutes restées sans effet apparent, agirent en fait à l’image de chaque grain de sable lâché
sur la table par Bak et son équipe : la dynamique restait tout à fait linéaire, donnant, de ce
fait, un sentiment d’immobilité partagé par l’analyste et l’analysant. Il en fut de même du
jeu de René avec la colère de l’analyste. Un jour, et sans que cela ne put être prévisible, se
produisit ce changement « catastrophique » tout à la fois du côté de l’analyste (dont la
colère ne vint pas au rendez-vous) que de celui de René (qui put s’étonner, non
s’effondrer). Il est probablement possible d’affirmer que, sans cette répétition des
interprétations et affects de l’analyste, la conclusion « catastrophique », ouverture sur une
autre modalité transférentielle, n’aurait pas pu se produire.

De son côté, Cambray (2006, p.9), se référant à un article de Moody (1956),


note :

Cependant, cela suggère aussi que nous devrions reconsidérer son idée de la période
précédant la transition, apparemment du brouillard uniquement, comme « précritique » plutôt
que comme sans effet thérapeutique — ceci ayant des implications importantes pour la
conduite des supervisions de telles situations.114

5.8 Courbe!de!bifurcation!et!différentes!temporalités!

De même que la séduction originaire vient faire effet d’effraction sur les
attentes instinctuelles de l’infans, la notion de bifurcation dans la dynamique des systèmes
complexes entraîne un changement de régime soudain et, le plus souvent, imprévisible
(sauf pour les systèmes complexes parfaitement connus tels qu’ils peuvent se présenter en
laboratoire, non dans la réalité naturelle du monde). Il peut, ainsi, être intéressant de porter
un regard sur le changement de régime de la temporalité de cette cure de René en référence
à cette dynamique des systèmes complexes.

Nous avons déjà vu dans la première partie de ce travail, sur l’épistémologie, la


courbe de bifurcation [Figure 3, p.55] ; cette courbe [Figure 56] comporte en abscisse une
variable du système, et en ordonnée la valeur d’équilibre du système pour la variable k
considérée :

114 : trad. personnelle

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Figure 56 : Courbe de bifurcation (d’après Gleick 1997, p.100)

Cette courbe comporte quatre régions représentant des états dynamiques fort
différents ; de gauche à droite :

• Un état d’extinction où, quelle que soit la valeur de k, la valeur d’équilibre est nulle.
• Un état de dynamique linéaire où, pour une valeur donnée de k, la valeur d’équilibre est
unique.
• Un état de dynamique périodique où, pour une valeur donnée de k, la valeur d’équilibre
oscille périodiquement entre 2, puis 4, puis 8, etc., valeurs.
• Un état chaotique où, pour une valeur donnée de k, la valeur d’équilibre n’existe pas, de
telle sorte qu’elle semble pouvoir se retrouver de manière aléatoire dans un espace
délimité par les frontières de la courbe.
• Enfin, au sein même de la zone de dynamique chaotique, existent des zones où la
dynamique redevient transitoirement périodique, la valeur d’équilibre du système
oscillant alors entre plusieurs valeurs.

Il semble que l’on puisse rapporter les différentes temporalités décrites


précédemment à ces différentes régions de cette courbe :

• L’état d’extinction est un état d’éternité : le temps ne s’écoule pas, ce qui peut
correspondre tout autant à l’état du soi primaire qu’à celui du soi gelé, tous deux décrits
par Fordham.

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• L’état de dynamique linéaire correspond à la temporalité linéaire : il s’agit d’un équilibre


parfaitement statique, le temps qui s’écoule ne modifiant en rien le point d’équilibre de
la subjectivité qui, elle, reste figée. Seule la perception objective d’un passé différent du
présent permet une représentation objective de l’écoulement temporel, sans élaboration
subjective possible.
• L’état de dynamique périodique introduit une certaine incertitude du fait des oscillations
périodiques de l’équilibre. Il reste néanmoins que cette temporalité est toujours aussi
objective et prédictible que les précédentes.
• L’état chaotique, enfin, introduit, par une rupture catastrophique de la symétrie, une
imprédictibilité que l’on peut mettre en rapport, sur le plan psychique, avec l’apparition
de la subjectivité.
• Quant à l’existence, au sein de la région chaotique, de zones d’états périodiques, il
convient de ne pas oublier que l’apparition de la subjectivité ne signe pas, sauf peut-être
dans la psychose, la disparition d’une certaine objectivité. Mais même au sein de ces
dynamiques périodiques persistent des irrégularités, de même qu’au sein de notre
objectivité persiste notre subjectivité. Inversement, même au sein de la dynamique
purement chaotique, une structure objective (fractale) peut être mise en évidence.

5.9 L’archétype!:!structure!symbolique!vs!structure!
instinctuelle!:!

Hogenson (2005 p.279) fais les remarques suivantes concernant la notion


jungienne d’archétype115 :

[…] l’archétype n’existe pas, si on l’entend comme entité séparée, ontologiquement


définissable, avec une place dans le génome ou les arrangements cognitifs modulaires du
cerveau. […] l’archétype, comme le complexe, est un moment itératif dans l’auto-organisation
du monde symbolique. Selon ce point de vue, on peut rencontrer l’archétype au moment ou le
tas de sable du symbole achève d’une manière critique un état auto-organisé et se réorganise
radicalement tout en maintenant sa structure fractale, autosimilaire — le complexe et
l’archétype sont fondamentalement des structures comme les symboles, et seul l’archétype se

115 : trad. personnelle

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donne à percevoir au point où la densité symbolique transcende la capacité du complexe à


l’exprimer, et se déplace dans un domaine plus collectif.

Dans cet article, Hogenson ne différencie pas l’archétype en tant que structure
symbolique, de l’archétype en tant que structure instinctuelle. Jung lui-même est souvent
peu clair sur ce point, parfois parlant de l’archétype comme évidemment symbolique,
parfois notant qu’il possède deux pôles, instinctuel et symbolique (ou spirituel). Il est clair
que l’archétype peut être envisagé comme auto-organisé entre ses deux pôles, instinctuel et
symbolique, mais, dans la pratique clinique, ceci n’a, le plus souvent, rien d’évident. Soit il y
a un état suffisamment chaotique, et alors le processus d’auto-organisation symbolique est
perceptible, soit il y a un état stable, et seul le pôle instinctuel l’est, sans possibilité d’accès à
la symbolisation (comme ce fut si longtemps le cas pour André). Dans ce cas nous
sommes, dans la clinique, en quasi « prise directe » avec l’instinct, l’excitation pure,
inélaborable. La subjectivité de l’objet de la pulsion reste alors impensable, et les
comportements pervers, qui furent un autre des symptômes d’André, sont alors à redouter.

Ainsi, avec des patients comme André, tout se passe comme s’il y avait
régression de l’état chaotique à l’état linéaire, objectif et prédictible. Cela semble être la
conséquence des défenses du soi, qui inhibent le processus de déintégration/réintégration
(chaotique par essence), en maintenant un état apparent de soi primaire, au prix d’un
clivage du soi et du gel de la part clivée. Poussé à son extrême ce processus de régression
de la dynamique psychique atteint la zone d’extinction et s’accompagne d’un gel du soi
entier, non limité à l’une de ses parties clivées ; cela s’observe, selon Fordham, dans certains
cas d’autisme. D’un point de vue clinique il est alors nécessaire d’offrir au patient une quasi
parfaite prédictibilité de l’analyste dans le transfert, de telle sorte que ses défenses puissent
petit à petit se déliter avant leur effondrement (partiel, évidemment, comme ce fut le cas
pour André, au risque, sinon, d’un effondrement psychotique global). Mais est-il possible
qu’un analyste puisse être ainsi totalement prédictible à son analysant ? N’est-il pas un être
humain en proie à tous les aléas de sa propre existence ? N’est-il pas, aussi, largement
imprévisible à lui-même ?

Cela, en fait, ne se peut que si l’analyste accepte d’être lui-même contaminé par
les défenses du soi de son analysant, défenses qui conduisent à une déintégration de son soi
et à son clivage, durant les temps de séance tout du moins. Dans ce même mouvement, se
constitue, de par cette alliance défensive, la chimère transférentielle au sein de laquelle peut
progressivement se réduire le clivage du soi, de par la sécurité qu’apporte à l’analysant sa
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parfaite maîtrise du déroulement des séances, autant que de par la possibilité, du côté de
l’analyste, de supporter l’apparent non-sens de ce mouvement éprouvé par lui comme
uniquement mortifère. Dans le cas contraire, il ne pourrait que passer à l’acte, au mieux en
trouvant un bon prétexte à l’arrêt de l’analyse (ce qui fut considéré, et l’est parfois encore,
comme la bonne conduite à tenir devant ce type de transfert). C’est ainsi que l’analyste,
dans le cas d’André, put, malgré son fort sentiment d’inutilité et d’incompétence, rester
suffisamment réceptif et plastique aux effets de la chimère sur lui pour que la surprise d’un
changement imprévu de sa propre réponse puisse se produire. De là une véritable position
subjective de l’analysant a pu émerger, et l’analyse s’orienter vers un questionnement, lent
et progressif, de cette position.

En d’autres termes, l’émergence de la « catastrophe », quand elle est nécessaire


au déroulement du processus analytique, est le résultat d’une déintégration de la chimère
transférentielle elle-même ; les effets de cette déintégration doivent pouvoir se faire du côté
de l’analyste quand les défenses de l’analysant sont telles qu’il ne pourrait pas en supporter
les conséquences sans avoir recours, de nouveau, à un gel de la part clivée de son soi,
annulant immédiatement l’émergence de ce mouvement de déintégration de la chimère. En
se référant de nouveau à l’expérience de Bak, ce gel est l’équivalent d’une solidification du
cône de sable, comme on pourrait l’obtenir, par exemple, en y ajoutant du ciment. Ainsi
l’analyste qui peut supporter l’expérience « catastrophique » en lui-même est médiateur
entre les mouvements de déintégration/réintégration de la chimère et la part gelée du soi de
l’analysant. Alors peut, Deo concedente comme le dit souvent Jung, c’est-à-dire de manière
imprévisible et sans garantie, advenir le kairos, le temps de l’opportunité, qui permettra une
transformation des dynamiques psychiques de l’analysant. La nature de la temporalité du
transfert s’en trouvera elle aussi transformée.

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La"chimère"transférentielle"

6 Chimère!et!synchronicité!

Jung (1961, p.408) a écrit La vie est sens et non-sens, ou elle possède sens et non-sens ;
j’ai l’espoir anxieux que le sens l’emportera. Cette phrase peut paraître illogique. En effet, si la vie
est sens et non-sens, si l’un l’emportait sur l’autre, alors il n’y aurait plus de vie, puisqu’il lui
manquerait la moitié de sa substance. Mais, en même temps, est-il possible de vivre sans cet
espoir et sans cette angoisse ? Il ne semble pas. Il ne semble pas qu’on puisse accepter le
non-sens. Bien que l’on doive accepter son existence, il reste inacceptable. On doit toujours
faire avec, quand ce n’est pas lui qui fait de nous un autre que celui que l’on croit être.

Tel est un point de départ possible pour mener un questionnement sur la


notion de synchronicité introduite par Jung et Pauli (1932-58). Il peut ainsi sembler que la
démarche qui habite tous les humains, et qui cherche à ce que le sens l’emporte, est une
démarche mortifère, bien qu’on ne puisse pas y échapper, bien qu’elle fasse elle-même
partie de la vie. En d’autres termes, là où tout ferait sens il n’y aurait plus de sens. Certains
délires paranoïaques interprétatifs peuvent en donner une idée, de même que certains
régimes politiques totalitaires.

Ainsi, il peut sembler que l’analyse, celle dont il est question dans ce travail en
tout cas, repose sur la non-négation du non-sens, sur le deuil de cette idée que, un jour,
tout prendra sens, sur le renoncement à la complétude ; c’est là la notion jungienne du soi
et du sacrifice : la totalité ne se peut qu’au prix du sacrifice de la complétude. Être
pleinement humain tel que je peux l’être, c’est l’être dans mon incomplétude, mon
infinitude. En référence à la théorie freudienne, il conviendrait de parler là de castration,
bien que ce fut à l’origine à un tout autre niveau de l’organisation psychique que Freud a
forgé ce concept ; et, en référence à la théorie kleinienne, de parler de position dépressive.
Mais il y a, pour Jung, plus qu’un interdit, plus qu’un manque, plus qu’un deuil de la toute-
puissance. Il y a aussi l’idée que les limites mêmes du psychisme sont indécidables : non
seulement je ne peux être complet, mais je ne peux jamais être certain de qui je suis et de qui
je ne suis pas.

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Clinique"

6.1 La!notion!de!synchronicité!selon!Jung!et!Pauli!

L’article de Jung (1952) sur la synchronicité est probablement l’un des plus
ardus qu’il ait écrits, l’un de ceux qui permettent le plus facilement des interprétations en
contresens à qui l’aborde trop superficiellement. Il est d’ailleurs douteux que cet article
puisse être compris dans ses implications les plus essentielles sans s’appuyer sur la
correspondance de Jung et Pauli (1932-58), correspondance dont une grande part traite de
cette question, et où Pauli reprend Jung dans des endroits où sa pensée n’est pas très claire,
hésitante, trébuchante à l’occasion. Pauli ouvre des questions que Jung approfondit, ce qui
donne à ce dialogue une dimension remarquable.

Jung définit la synchronicité comme étant la rencontre d’un évènement de la


réalité extérieure avec un contenu psychique, sans qu’il y ait de lien de causalité entre les
deux, et avec, du fait de cette rencontre, un effet de sens. L’exemple du scarabée que Jung
donne illustre bien ce concept.

Il s’agit d’une patiente qu’il avait en analyse, et qui rêve d’un scarabée. Jung
laisse entendre que c’est une patiente qui commence à l’ennuyer sérieusement, parce que
complètement enfermée dans des raisonnements intellectuels défensifs, une pensée
purement opératoire dirait-on aujourd’hui, un animus défensif dirait un jungien classique.
Alors que cette patiente raconte son rêve, il entend frapper à la fenêtre ; il ouvre et rentre
un scarabée qu’il prend. Il dit que ce fut la première et dernière fois qu’un scarabée est
rentré par la fenêtre de son cabinet. Alors il donne le scarabée à la patiente, en lui disant :
voilà votre scarabée.

Il était quand même bien fou, Jung, pour faire ça. Sa patiente l’avait aussi
probablement poussé à bout. En même temps, il devait avoir une vraie fonction de
contenance, parce qu’il y avait de quoi faire perdre pied à sa patiente. Mais cette femme n’a
pas décompensé, bien au contraire ; Jung nous dit à quel point cet évènement lui a permis
de lâcher ses défenses rationalisantes qui stérilisaient tout le processus analytique. Il ne
nous dit pas ce que ça lui a permis, à lui, de lâcher.

Cet exemple princeps du scarabée est factuel. Il relève de ce qu’il convient


d’appeler la parapsychologie, et c’est bien de ce côté de la parapsychologie que Jung, et
Pauli avec lui, posent la question de la synchronicité. Mais cette question peut être creusée
bien au-delà. Et c’est ce que fait Jung qui, à partir de cette question, s’engage dans une

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réflexion épistémologique très profonde, probablement essentielle à toute pratique clinique


analytique, notamment pour la relation qu’entretient l’interprétation avec l’avènement du
sens au décours de la cure.

Il commence par demander si, devant une telle émergence de sens, on peut
faire appel à la causalité. Est-ce qu’on peut dire : c’est parce que ma patiente avait rêvé d’un
scarabée qu’elle a attiré, par un effet de son psychisme, un scarabée qui est venu lui rendre
visite à sa séance ? Il répond non, ce serait une pensée magique. Il réfute donc là la notion
de causalité comme pouvant être efficiente à rendre compte de ces phénomènes. Il est
possible que croire que l’interprétation est ce qui fait sens dans la cure puisse être une telle
position de toute puissance magique de l’analyste. L’interprétation est un outil à la
disposition du moi conscient de l’analyste, mais le processus d’émergence du sens dans
l’analyse ne peut se réduire au seul usage de cet outil. Il est bien connu qu’il ne suffit pas
qu’une interprétation soit juste pour qu’elle ait des effets mutatifs. Inversement, certaines
interprétations, qui s’avéreront erronées dans la suite d’une cure, peuvent conduire à de tels
effets.

Il aborde alors une seconde hypothèse : Peut-on penser qu’il y a une finalité,
que quelque chose, dans la nature, avait un but pour cette patiente, et a donc envoyé le
scarabée pour lui permettre, par son entremise, de prendre conscience de choses dont elle
avait besoin de prendre conscience à ce moment-là ? Et là, il dit non, parce que pour
qu’une telle finalité existe il faudrait poser l’existence d’une prescience, ce qui serait une
démarche métaphysique, démarche qui n’est pas de l’ordre de la science, qui n’est pas la
sienne. À cet endroit-là, il paraît réfuter le point de vue téléologique qui, pourtant, est pour
beaucoup sa spécificité. À défaut de réfuter formellement ce point de vue téléologique,
dont nous avons vu qu’il n’est pas nécessairement métaphysique, il réfute en tout cas
formellement toute idée créationniste. Il est conduit aussi à poser que l’analyste qui croit
que les émergences symboliques de l’inconscient sont les guides du processus est,
pareillement, dans une position plus métaphysique qu’analytique, donc une position qui,
quand elle se présente dans toute son évidence à la pensée de l’analyste, doit pouvoir être
analysée, être considérée comme élément de la dynamique transférentielle, et non, comme
on peut parfois le lire sous la plume de quelques jungiens, une donnée de la « réalité ».

Enfin il questionne le point de vue herméneutique, à savoir, à partir de ce qui


se passe, l’important n’est-il pas simplement que deux personnes construisent un sens,
donnent sens à cet évènement ? Et là, il dit non, parce qu’il y a quand même une réalité
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Clinique"

objective dans l’histoire : le scarabée n’était pas un simple fantasme. Le point de vue
herméneutique pourrait, à la limite, rendre compte de ce qui se passe entre deux
subjectivités et du sens qui s’en dégage éventuellement, mais pas de la part de réalité
objective qui se trouve mêlée à la rencontre sans en être une conséquence causale. La
notion de co-construction du BCPSG (1998, 2005) peut être rapprochée d’une telle
position herméneutique, ce que corrige leur dernier article (2013), en se fondant sur la
notion d’énaction (Varela 1993). Ce n’est pas la seule rencontre subjective qui permet
l’émergence du sens. L’analyse n’est pas une pratique de l’herméneutique.

Arrivé à ce point Jung propose une rupture radicale avec l’épistémologie


habituelle de notre culture. Il propose, comme concept, — en insistant sur le fait qu’il ne
s’agit que d’un concept logique, non d’une quelconque métaphysique — la notion du
psychoïde 116 , c’est-à-dire l’idée d’un savoir objectif, pur, totalement inaccessible à la
conscience et à la connaissance, transcendant donc (au sens de Kant), qui informerait tout
autant la psyché que la matière. Le psychoïde n’est ni psychique ni physique, il est tiers.
C’est avec ce texte, et son concept de psychoïde, que sa notion d’archétype prend toute son
ampleur, en se déliant définitivement des épistémologies classiques qui oscillent entre
causalité et finalité, entre le non sens de la mécanique et le tout sens de la religion.

Cette idée du psychoïde est assez difficile à appréhender, car elle est étrangère
aux catégories habituelles de notre culture. En fait, elle suppose, pour être comprise, de
bien avoir suivi le cheminement par lequel Jung l’amène, à savoir qu’elle ne relève ni d’une
causalité magique, ni d’une téléologie métaphysique, ni d’une herméneutique imaginaire.
Elle ne relève que d’une nécessité logique : le psychoïde est ce qui permet que, de la
rencontre entre un sujet et la réalité de ce qui l’entoure, puisse émerger un sens.

Il semble que l’on puisse rapprocher cette notion de la place qu’ont prise les
mathématiques en physique depuis l’avènement de la relativité et de la mécanique
quantique, mécanique quantique qui a valu son prix Nobel à Pauli pour sa découverte du
principe d’exclusion. Ce fut, comme il a déjà été longuement développé, une révolution
épistémologique dont on est probablement encore loin d’avoir mesuré toutes les

116 : Il s’agit, en fait, d’une révision radicale de la notion de psychoïde qu’il utilise depuis sa vie estudiantine,
alors en lien avec le courant naturaliste auquel il s’est intéressé durant ses études de médecine. Par la
suite il a utilisé la même notion comme autre appellation de l’inconscient, entendant ainsi désigner
l’inconscient comme autant psychique que somatique (Addison 2009).

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conséquences. En effet, ces nouvelles disciplines ont cessé d’utiliser les mathématiques
pour modéliser une réalité d’abord accessible par l’expérience ; tout au contraire, elles
utilisent ces mathématiques pour pouvoir penser de nouvelles formes de réalité et les
rendre accessibles à l’expérience. Le rapport existant entre le modèle mathématique et la
réalité de l’expérience s’en est trouvé inversé. C’est ainsi qu’il semble possible de se
représenter les mathématiques comme émergence d’un savoir absolu 117 qui informe et
structure la réalité, la question étant alors de savoir si cette émergence est la seule accessible
à la conscience humaine. C’est à cette question que Jung et Pauli répondent par la négative,
pensant tous deux que les formes de nos représentations du monde sont elles-mêmes des
émergences de ce savoir absolu : le psychoïde informe et structure tout autant la matière
que la psyché, tout autant la psyché cognitive que la psyché symbolique, les deux étant
d’ailleurs indissociables, comme l’a montré Damasio (2006).

C’est à partir de là que Georges Bright (1997) prolonge la démarche de Jung en


la dégageant de son contexte initial, à savoir les phénomènes dits paranormaux. En effet, la
réflexion de Jung sur l’émergence du sens comme effet d’une causalité, d’une téléologie,
d’une herméneutique ou d’une synchronicité, prend toute son ampleur quand elle est
libérée de son contexte parapsychologique initial, à savoir quand on l’applique au processus
analytique lui-même.

Ce point de vue a de multiples conséquences, notamment cliniques, sur


lesquelles il est important d’insister quelque peu. En effet, cela implique qu’un processus
analytique ne soit pas une explication, que la recherche de la causalité (parce que), même
psychique, ne soit pas son but premier. Cela implique aussi qu’un processus analytique ne
soit pas la mise à jour d’une finalité cachée (pour que) ; la psychanalyse n’est pas une religion.
Cela implique enfin qu’un processus analytique ne soit pas non plus une herméneutique de
deux personnes qui se créent un monde, même un monde sensé.

Un processus analytique, en tout cas dans cette perspective, est un processus


qui confronte l’un et l’autre à ce qu’il y a d’inconnu, non seulement à l’intérieur de soi, non
seulement à l’intérieur de l’autre, mais aussi à ce qu’il y a de radicalement inconnu dans une

117 Probablement n’est-il pas inutile de rappeler que parler d’émergence ne signifie pas que ce qui advient
ainsi préexistait à son émergence. Ainsi envisagé le savoir absolu dont parle Jung est tout à fait étranger
à la notion de Dieu telle qu’envisagée par les religions. Il s’en rapproche, par contre, dans l’expérience
subjective qu’il peut induire, ce qui donna lieu à une part importante du travail de Jung sur le numineux.

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Clinique"

vie, dans la vie, autour de soi, dans le monde. Ainsi Bright propose d’utiliser la notion de
synchronicité pour rendre compte de la spécificité de l’analyse. Mais une telle approche
implique aussi que cette rencontre entre l’analyste et son patient ne soit pas une rencontre
comme une autre. Dans ce cas, en effet, l’émergence du sens serait barrée par la répétition,
cette même répétition qui, le plus souvent, a conduit l’analysant en analyse.

Dans ce travail, cette différence entre une rencontre de la vie courante et la


rencontre dans le cadre analytique a déjà été mise en relation non seulement à l’existence
même du cadre analytique, mais aussi à un investissement exogame conscient du patient
par l’analyste. C’est à ce qui lui est le plus étranger, tant chez son patient qu’en lui-même,
que l’écoute de l’analyste doit être attentive, alors que c’est ce qui lui en est le plus familier
qui risque le plus de le rendre sourd.

Ainsi l’émergence de la chimère transférentielle repose largement autant sur la


position intérieure de l’analyste que sur le cadre analytique ; elle est la forme que prend,
dans cette rencontre particulière, ce qui est susceptible d’y faire sens. De ce fait, elle peut
être considérée comme forme émergente du psychoïde, au même titre qu’un phénomène
de synchronicité : la chimère transférentielle est en position de tiers vis-à-vis de l’analyste
autant que de son analysant. De plus, ce qui la constitue ne peut être attribué à l’un ou à
l’autre des deux protagonistes du processus analytique ; elle est le lieu où les limites
psychiques ne peuvent être connues, où on ne peut savoir s’il de telles limites existent. En
d’autres termes, elle semble obéir au principe de non-localisation de la mécanique
quantique (Martin 2009, 2011). C’est ce qui a conduit à poser l’hypothèse qu’elle se
constitue à partir des parts déintégrées du soi de l’analyste autant que de l’analysant.

6.2 Geneviève,!ou!le!non]sens!de!l’inceste!

L’histoire de Geneviève est une histoire d’inceste, et illustre que l’inceste,


quand il est vécu dans le concret du corps et du sexe de l’enfant, est précisément ce qui
détruit la possibilité d’avènement du sens, autant que les limites psychiques et corporelles
de l’enfant qui se trouve dépossédé, par cet acte, tout à la fois de son désir et de son sexe.

Là où le désir incestueux de l’enfant doit pouvoir ouvrir à la question du tiers,


séparant ainsi le petit du désir et du corps de sa mère, l’inceste réellement pratiqué à
l’encontre de l’enfant vient refermer cette question, et priver l’enfant tout à la fois de son

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La"chimère"transférentielle"

corps, de son sexe, et, dans le même mouvement, de son désir. C’est ce qui est arrivé à
Geneviève.

6.2.1 Clinique"

Il s’agit d’une femme de la quarantaine qu’un ami psychanalyste m’a envoyé


parce qu’il ne pouvait la recevoir qu’une fois par semaine du fait de ses faibles moyens
financiers. De mon côté, étant psychiatre, l’assurance maladie peut rembourser mes
patients : elle pourrait ainsi venir chez moi pour plusieurs séances hebdomadaires. Il avait
d’abord tenté de l’orienter vers d’autres types de prise en charge, complémentaires à son
approche psychanalytique, mais elle n’était pas restée, cela ne l’intéressait pas, ou la
menaçait trop.

Cet ami m’a aussi raconté un rêve récent de cette femme, devenu rêve
inaugural pour moi, qui a été fait alors qu’il tentait d’orienter cette femme ailleurs, en plus
de chez lui.

Dans ce rêve, elle arrive à sa séance d’analyse, chez cet ami, elle va dans la salle
d’attente, et elle entend que la patiente de la séance précédente est en train de sortir, que son
psychanalyste la raccompagne, et, quand ils sont sur le pas de la porte, elle entend une
dispute, la patiente qui engueule le psychanalyste, qui lui dit que de toute façon elle va le
traduire en justice. Cette patiente part. Là, le psychanalyste va voir Geneviève, et lui dit qu’il
est vraiment désolé, mais qu’il ne pourra pas la recevoir. Dans le rêve, le cabinet du
psychanalyste est dans une petite vallée avec un torrent, c’est le chemin qu’elle doit prendre
pour rentrer chez elle. Elle prend son vélo et, pendant qu’elle est sur la route qui longe le
torrent, ce torrent se met à grossir, grossir, grossir démesurément, de telle sorte qu’elle n’a que
le temps de se réfugier dans une anfractuosité du rocher alors que tout est dévasté. Là, dans
cette anfractuosité, elle est dans un équilibre si instable qu’elle ne peut bouger, elle ne peut
faire le moindre geste.

Donc, quand j’ai reçu Geneviève pour la première fois, j’avais ce rêve en tête,
et j’y voyais à la fois une énergie de destruction impressionnante, énergie naturelle,
implacable, insensée, et un désir de vivre non moins impressionnant. J’ai de suite été frappé
du fait que, dans ce rêve, elle se retrouvait dans une situation où le moindre mouvement
pouvait la précipiter à une mort certaine. Mais je ne m’attendais vraiment pas à ce que la

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Clinique"

situation réelle du transfert qui allait se nouer entre nous soit quasi identique à la situation
du rêve.

Quand je la reçus, elle me dit bonjour, entra, s’assit, et ne dit rien. Je ne sais pas
pourquoi, mais j’ai de suite senti que je devais mettre des mots sur ce silence, formuler des
hypothèses sur ce que moi j’imaginais qu’elle ne pouvait pas penser : en fait, j’ai de suite
imaginé qu’elle était sans pensée, ou, plutôt, avec une pensée pétrifiée.

Cette cure a duré plus de dix ans, à raison de deux séances par semaine. Les
quatre premières années, elle a parlé, en moyenne, trente secondes à une minute, et moi,
essayant désespérément de penser quelque chose, et de lui donner quelque chose à penser,
je devais bien parler deux ou trois minutes, voire quatre ou cinq quand j’étais
particulièrement en forme... C’était pour moi quelque chose d’épuisant, sans que je sache si
elle pouvait en tirer un quelconque bénéfice. Mais elle venait ponctuellement. Elle ne disait
rien, ne demandait rien, simplement elle venait, payait, prenait la feuille de remboursement,
et repartais.

Assez vite, cependant, il y eut un deuxième rêve, qui m’a durablement


impressionné, bien qu’il soit, lui aussi, resté opaque à ma compréhension.

Elle est dans un hôpital ; une infirmière vient la chercher et l’emmène dans une
pièce. Le sol de cette pièce est couvert d’excréments. Sur une table, comme une table
d’opération, est une espèce d’énorme insecte, comme une énorme sauterelle, qui est prêt à lui
sauter dessus pour la dévorer, et qui a la tête de sa grand-mère maternelle.

Évidemment, là, j’ai essayé de lui proposer de me parler de sa grand-mère, de


dire ce à quoi ces images pouvaient lui faire penser, etc. Elle a juste pu me dire : je ne pense
rien, je n’ai pas de pensées.

Avec le recul, je crois qu’en fait, ce qui m’épuisait n’était pas tant son silence
que le fait qu’il me paraissait totalement inaccessible à ma compréhension. Ses rêves
pouvaient me conduire à certaines pensées, mais sans que cela fasse véritablement sens
pour moi. Les tentatives de mise en mots que je faisais me paraissaient surfaites, plaquées,
artificielles. Autant son silence que ses rêves restaient donc des énigmes vivantes, et la seule
chose qui m’ait toujours été clair était que je ne devais pas me contenter de ces
interprétations plaquées qui me venaient. Il me fallait accepter d’être non seulement
impuissant, mais aussi sans pensée véritable, sans pensée qui fasse sens : la chimère qui
s’était immédiatement construite entre nous était ainsi faite de non-sens.

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Ça a duré comme ça pendant un peu plus de trois ans, et un jour j’ai été
complètement abasourdi : elle s’est mise à parler. Elle s’est mise à parler parce qu’elle avait
eu une panne de voiture, que ça avait été compliqué, qu’elle avait porté sa voiture chez le
garagiste, qu’il n’avait pas fait ce qu’il fallait, enfin elle parlait, comme n’importe qui d’autre.
C’était purement opératoire, un peu plaintif, par rapport au garagiste qui ne faisait pas ce
qu’il faut, mais elle parlait.

Et, à partir de ce moment-là, elle s’est mise à parler en séance, de temps en


temps, avec une alternance de séances où elle parlait, et de séances où elle ne parlait pas,
comme si deux modalités de relation à sa pensée coexistaient en elle. Mais, quand elle
parlait, je la sentais comme à côté d’elle-même. C’était une parole sur les autres, une parole
qui se plaignait des autres, mais elle ne pouvait toujours rien dire d’elle, rien dire de sa
subjectivité. Tout était objectif, ou, en tout cas, se disait sur ce mode. Malgré tout, cela lui a
progressivement permis de se reconstruire une vie professionnelle, et aussi de me donner
quelques éléments de son histoire dont j’ignorais encore presque tout.

Ce qui en ressortit est que, dans son enfance, la vie lui apparaissait comme un
pur non-sens. Les adultes avaient un comportement qu’elle ne comprenait pas. D’abord, les
adultes ne la voyaient même pas. Et, quand ils la voyaient, manifestement ils attendaient
d’elle des choses dont elle ne comprenait rien, et ils avaient entre eux des relations qui lui
paraissaient totalement absurdes. La seule personne avec qui elle pouvait se sentir en
relation était sa sœur jumelle.

J’ai ainsi appris les circonstances de sa naissance. Sa mère a été enceinte alors
que son mari était à la guerre d’Algérie, et elle a accouché de deux jumelles. Donc cette
femme était seule, elle avait un fils, elle se retrouvait avec deux filles jumelles identiques
alors que tout était prêt pour un garçon, et, débordée, désespérée aussi, je crois, elle alla se
réfugier deux ou trois mois plus tard chez sa mère, la grand-mère maternelle de Geneviève,
celle du rêve de la sauterelle. Là, les deux femmes se sont partagé les filles, la sœur de
Geneviève pour la mère, et Geneviève pour la grand-mère. Et un jour, quelque six ou huit
mois plus tard, le père revint en permission, vit les deux femmes avec les enfants, et dit à sa
femme : tu pars, tu prends les enfants, tu quittes ta mère, tu rentres à la maison. Ainsi le bébé qu’était
encore Geneviève s’est vu séparé, brutalement et sans préavis, sans que cela puisse faire
sens, de celle qui lui servait de mère, par une parole de son père, une parole qu’elle décrit
comme extrêmement brutale, coupante, meurtrière, à l’image du père qu’elle connut
ensuite.
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Environ deux ans plus tard, il est revenu de la guerre et a réintégré le foyer. Il
connaissait le frère aîné, son fils, mais ses filles il ne les avait encore qu’à peine vues. Selon
elle, il n’a jamais pu en faire ses filles, et elles n’ont jamais pu en faire leur père, sinon peut-
être depuis quelques années. Après être revenu de la guerre, il a fait un quatrième enfant à
sa femme, et est née une petite sœur. La mère était fatiguée de sa grossesse et les deux filles
ont commencé à servir de « bonniches ». Le frère aîné était un garçon : pas question qu’il
fasse quoi que ce soit dans la maison ; la petite sœur était petite, et, quand elle a grandi, elle
est restée dans la même position : pas question qu’elle non plus ne fasse quoi que ce soit à
la maison. Ainsi les deux jumelles ont passé leur enfance à tout faire pour aider la maman :
le ménage, la vaisselle, le couvert, parfois même la cuisine.

Ensuite, elle m’a raconté des histoires de son adolescence. En fait, à l’école, elle
était extrêmement solitaire, alors que sa sœur jumelle était très liante, et liée avec les autres.
Sa sœur avait des relations, avec les autres filles, et même avec les garçons ; elle, rien. Je ne
comprenais pas pourquoi elle avait été, et restait en partie, ainsi incapable de relations avec
le monde des humains. Je comprenais d’autant moins que je savais que, durant quelques
années, elle avait vécu en ménage avec un homme. Je ne comprenais ni pourquoi elle était
en relation ni pourquoi elle ne l’était pas. Les deux me paraissaient n’avoir aucun sens.

Ce qui est ici énoncé en quelques mots est à peu près tout ce que j’ai pu
apprendre de sa vie en cinq longues années. J’ai bien essayé d’en savoir plus, notamment
sur la période d’éveil de sa sexualité, mais elle ne pouvait que répondre : je ne peux pas en
parler, sur un ton absolument sans appel.

Les séances étaient soit du silence, soit des paroles, et des paroles où elle
exprimait exactement ce qu’elle avait pu me dire de son enfance, c’est-à-dire que la vie des
autres lui paraissait n’avoir aucun sens. L’organisation de la vie au travail, l’organisation de
la vie sociale, ce qui se passait dans ses relations, tout ceci n’avait aucun sens pour elle. Et
sa parole était est absolument convaincante : effectivement, je ne pouvais que constater à
quel point le monde des humains n’a pas de sens. Ce n’est qu’une position de
rationalisation qui me permettait de me dire Bon, d’accord, elle a raison, mais pourquoi ? Pourquoi
a-t-elle raison ? Pourquoi a-t-elle toujours raison ? Pourquoi faut-il qu’elle ne voie toujours que le non-sens
des autres ?

Au fil du temps, alors que la tonalité des séances ne change pas, la tonalité de
l’entre des séances commence, elle, à changer. D’abord, elle rate des séances, mais,
évidemment, elle ne peut rien en dire. Puis elle finit par me dire que, quand elle ne vient
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pas, c’est parce qu’elle a bu : soit elle boit, et elle ne peut pas venir parce qu’elle est ivre
morte, soit elle a bu la veille, et elle ne peut pas venir parce qu’elle est morte de honte.

Là, elle se met à me téléphoner, elle se met à téléphoner quand elle a bu, et,
avec l’aide de l’alcool, elle parle. Elle parle pour crier à l’aide, elle parle pour me dire qu’elle
a besoin de moi. Elle parle pour me dire qu’elle ne veut pas mourir, mais qu’elle n’a pas
d’autre issue que de se donner la mort, mais qu’elle veut arriver à vivre, mais qu’elle n’y
arrive pas. Elle parle aussi pour me dire sa colère, sa haine, que notre travail ne lui serve à
rien, que rien ne change pour elle. Mais c’est en fait à mon répondeur qu’elle parle. Une
fois, j’ai décroché, et j’ai compris que cela lui avait fait violence : en décrochant le
téléphone, je suis devenu trop présent, et elle a alors eu l’impression que ses paroles me
détruisaient. Il lui a fallu deux semaines avant qu’elle puisse revenir aux séances, tellement
son fantasme de m’avoir tué lui était insupportable. De mon côté, loin de me tuer, sa colère
me touchait ; là, elle me paraissait vivante, accessible, humaine.

À chaque fois, évidemment, je reprenais en séance ce qu’elle m’avait laissé sur


le répondeur. À chaque fois, elle me disait je ne veux pas en entendre parler. Je lui en parlais
quand même, et elle n’en disait rien, ou elle disait n’en rien penser.

Le temps passant, ses alcoolisations répétitives ont fini par vraiment


m’inquiéter. Donc un jour, après sept ans de travail avec elle, je me fis insistant, et je
l’invitai fortement à parler de cette période de l’adolescence et de la post-adolescence dont
elle m’avait dit ne pas pouvoir parler. Elle se ferma, elle partit à la fin de la séance, elle ne
vint pas à la séance suivante. Après, elle commença à me parler de son corps, son corps de
petite fille. Elle me dit que de toute façon ce dont je lui demandais de parler, à savoir ses
relations avec les garçons puis les hommes, ça n’avait pas de sens, puisqu’elle n’a pas de
sexe. Et je compris à ce moment-là qu’elle n’avait, dans son vécu corporel, tout simplement
pas de sexe. Elle ajouta qu’elle n’a jamais rien ressenti du côté de son sexe, et qu’elle se sent
tout autant garçon que fille, ou plutôt qu’elle ne se sent ni l’un ni l’autre. J’écoutai, sans
comprendre ni pouvoir faire aucun lien avec ce que je savais alors de son histoire.

C’est peu après qu’elle m’a raconté un souvenir d’enfance, un souvenir qui m’a
fait froid dans le dos. Elle avait six ans. Elle était avec sa mère, et sa sœur. Les deux petites
accompagnaient leur mère qui faisait ses courses, dans un magasin de vêtements. D’après
ses propos je me suis représenté une mère qui pavanait en cherchant de beaux vêtements.
Geneviève a été prise d’une soudaine et pressante envie de faire pipi. Donc elle le dit à sa
mère, qui lui répondit qu’elle est en âge de se retenir. D’après elle, ça a duré longtemps, et il
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a ensuite fallu rentrer à la maison. Elle commençait à avoir très très mal, à force de se
retenir. À un moment, dans la rue, elle s’est aperçue qu’il n’y avait personne, et a demandé
à sa mère si elle pouvait faire pipi entre deux voitures puisqu’il n’y avait personne pour la
voir. Sa mère lui répondit qu’à son âge elle pouvait bien attendre d’être rentrée à la maison
pour faire pipi. Ce devait faire tout de même une petite heure qu’elle avait cette envie
pressante. Ainsi elle est arrivée à la maison, toujours en se retenant, conformément à
l’ordre de sa mère, et, là, elle ne pouvait plus uriner ; elle avait un globe, une crampe du
sphincter de la vessie qui ne peut donc plus se vider. C’est excessivement douloureux. Déjà,
cet épisode est violent. Ce qui suit le sera encore plus.

Naturellement, la mère a fini par appeler le médecin, qui est venu, et a sondé la
petite, un sondage urinaire. Là, elle me raconte que ce qui lui fut épouvantable, ce n’est pas
que le médecin l’ait sondée, mais c’est que, pendant ce temps, sa mère pavanait devant le
médecin qu’elle cherchait à séduire. Elle décrit une mère qui avait toujours besoin d’attirer
l’attention, de séduire. Ainsi, pendant une semaine, le médecin est venu matin et soir,
mettre une sonde urinaire entre les cuisses de cette petite fille de six ans, tout en n’ayant
d’yeux que pour la mère qui pavanait devant lui sans porter la moindre attention à sa petite
fille qui, là, n’était que son instrument pour séduire le médecin.

En l’écoutant me raconter cette scène, je me suis retrouvé liquéfié dans mon


fauteuil. J’ai compris alors que la façon qu’elle avait eue ensuite d’aller chercher la violence
de son père, de faire en sorte qu’il soit violent avec elle, plutôt que de se construire un
comportement qui la mette à l’abri de cette violence paternelle, était une façon d’échapper
au non-sens froid et implacable de cette scène, scène d’une mère qui s’empare du sexe de sa
fille pour l’offrir à l’homme qu’elle cherche à séduire. C’étaient donc les pulsions sexuelles
de sa mère qui formaient le torrent dévastateur de son premier rêve, et elle n’avait pu se
protéger d’une mort psychique certaine qu’en se figeant en un recoin isolé de son
psychisme ; une forme d’autisme, probablement la réactivation de défenses autistiques, le
gel du soi, c’est-à-dire la paralysie de toute possibilité de déintégration, dont parle Fordham
(1976), déjà à l’œuvre dans sa petite enfance.

Il m’est apparu y avoir là quelque chose qui ne peut en aucun cas être réparé, et
dont j’ignore comment elle a pu vivre avec. Je ne sais pas pourquoi elle a choisi de vivre, je
ne sais pas pourquoi elle a envie de vivre, je ne sais pas comment on peut avoir envie de
vivre avec une telle histoire.

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La"chimère"transférentielle"

Donc j’en étais là, à me dire que je ne pourrai lui servir à rien, j’en étais là à me
sentir impuissant à l’aider, j’en étais là à me dire que c’était ainsi, que je n’y pouvais rien,
quand elle a fait un rêve, dont elle m’a parlé au téléphone, sur le répondeur, sans me le
raconter, et dont à la séance suivante, alors que je l’invitais à raconter son rêve, elle m’a dit :
j’ai tout oublié. Mais, deux heures après, il y avait dans ma boîte aux lettres le texte du rêve
qu’elle m’avait écrit :

Elle vient à sa séance, à mon cabinet, et il y a déjà plusieurs personnes, un peu


comme si je donnais un cours, comme s’il y avait d’autres collègues à qui j’expliquais quelque
chose. Elle vient, en plus, à cette séance, avec sa sœur jumelle, qu’elle laisse dans la salle
d’attente. Voyant qu’il y a du monde elle a envie de partir ; moi je dis à tous ceux qui sont
là : « venez » ; j’emmène tout le monde quelque part, elle vient quand même. On arrive sur
les bords d’un torrent qui vient de déborder, donc avec des gravats et des restes de destruction
partout. Là, je ne sais pas ce qui se passe, toujours est-il qu’elle ne se sent pas à sa place, elle
est furieuse que je m’occupe d’autres que d’elle, alors qu’elle je l’ignore presque, et elle décide
de partir. Là, dans le rêve, je lui cours après et la rattrape, puis je la jette violemment par
terre, et on se bat comme des chiffonniers dans la boue, jusqu’au moment où ça se termine par
un éclat de rire. Quand j’ai lu cette phrase sur le papier, ce fut un soulagement
que je n’aurais jamais espéré. Un éclat de rire ! Le jour où je l’entendrai rire, ce
sera bien. En tout cas dans le rêve il y a bel et bien cet éclat de rire, suite à quoi
nous revenons tous les deux, main dans la main, à mon cabinet, et sa sœur jumelle lui dit
alors : « moi je m’en vais, et tu ne me verras plus », furieuse de Dieu sait quoi.

6.2.2 Discussion"

Ce rêve semble surgir de nulle part, et fait sens dans un entre deux du transfert,
sans que nul ne puisse dire d’où ça vient, sans qu’aucune causalité ne puisse rendre compte
de ce moment d’émergence, de cette synchronicité au sens de Jung.

Il paraît certain que ce ne sont pas les interprétations, toutes plus ou moins
rationalisantes, de l’analyste qui ont fait grand-chose, si ce n’est, peut-être, en manifestant
ses tentatives infructueuses de rejoindre son analysante. Il paraît probable, par contre, que
l’énoncé de son souvenir d’inceste ait été déterminant, en permettant à l’analyste de se
défaire du peu d’espoir qu’il avait encore pour elle. Alors, enfin, il l’avait rejoint dans le
non-sens de son quotidien, et ils étaient tous deux ensemble à terre, ils se débattaient
ensemble.
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En reprenant l’idée de Fordham, que, dans l’autisme, le soi se défend en gelant


toute possibilité de se déintégrer, il apparaît alors que ce qui était attendu de l’analyste était
l’exact inverse : qu’il puisse supporter une déintégration quasi absolue de sa fonction, le
sentiment d’absolue inutilité de cette cure qui fut le sien peu avant l’émergence du rêve de
son analysante. C’est alors du côté de l’analyste qu’il faudrait chercher la raison du très long
temps qu’il lui fallut afin de lâcher ses propres défenses, sa propre quête de sens là où il
devait accepter que, parfois, il n’y a que du non-sens. Mais admettre cela, ne serait-ce pas
penser qu’un analyste moins défensif aurait pu faire gagner du temps à son analysante ?

Cela se peut, évidemment, mais ne se retrouve pas dans la littérature : les cures
analytiques d’autistes y sont toujours décrites comme fort longues et éprouvantes pour les
thérapeutes. D’ailleurs, le rêve initial de Geneviève représente bien le temps qu’il faudra,
d’abord pour que cette crue dévastatrice puisse se résorber, puis pour que Geneviève
puisse oser bouger ne serait-ce qu’un orteil, c’est-à-dire pour que le processus de
déintégration/réintégration puisse reprendre, comme il se représente dans le dernier rêve
rapporté ici. Autant dire que le temps nécessaire à ce type de cure ne peut uniquement être
attribué à l’analyste, qu’il est tout autant nécessaire à l’analysant.

Il semble en fait, dans cette cure comme dans d’autres étudiées dans ce travail,
qu’il soit tout d’abord nécessaire qu’une certaine répétition puisse se mettre en place au sein
même du transfert, qu’ainsi une part de l’histoire de l’analysant soit remise en scène, sans
pour autant déboucher sur une même issue. Cela se retrouve avec Geneviève d’abord dans
l’effondrement qui précéda de peu sa venue à mon cabinet, effondrement consécutif à
l’injonction de son précédent analyste d’aller voir ailleurs, injonction qui fit probablement
écho à celle de son père qui entraîna la perte de la relation avec la grand-mère maternelle.
Mais, au contraire de son père, son précédent analyste l’avait éconduite afin que ses besoins
soient satisfaits. Une répétition, donc, mais sur un fondement éthique sans rapport avec ce
qui avait motivé son père ; pour lui, elle n’existait pas, ce qui fut d’ailleurs confirmé par la
suite. Une autre répétition de son histoire fut le chapelet d’interprétations que son analyste
lui proposa au fil des ans : aucune n’était susceptible de faire sens, en écho, là, à ce monde
des adultes qui était pour elle, littéralement, insensé. Mais là aussi, la différence provenait
d’une éthique de son analyste, dont les interprétations, pour insensées qu’elles aient été, ne
lui étaient pas moins adressées, témoignant de son existence pour l’analyste.

Il est ainsi possible de comprendre son dernier rêve comme représentant son
vécu dans le transfert, condensant l’ensemble de l’histoire transférentielle en quelques
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scènes ; la répétition est bien là, partiellement, au début : l’analyste s’occupe de ses élèves, il
ne lui prête aucune attention, mais, à la différence de sa mère, il ne l’utilise pas comme faire
valoir pour séduire. C’est peut-être d’ailleurs ce qui la conduit à partir, et, là, c’est elle qui
séduit l’analyste, qui l’amène à jouer avec elle ce scénario primitif de l’homme qui course et
prend la femme de son désir, la libérant ainsi de l’emprise mortifère de sa mère, tout en lui
restituant un corps sexué.

Du point de vue de l’hypothèse de la chimère transférentielle, celle-ci se


constitua dès l’origine de la relation analytique comme répétition incestuelle du non-sens
qui baigna l’ensemble du vécu subjectif de la vie de Geneviève depuis sa petite enfance. Et
si ce non-sens a, durant toutes ces années, paralysé la capacité de penser de son analyste, le
maintien d’un investissement exogame et d’une position éthique de l’analyste a pu,
imperceptiblement, « faire bouger les lignes », à l’image du tas de sable de Back décrit
précédemment, jusqu’à ce que Brigitte puisse évoquer son souvenir incestueux. Alors
seulement a pu émerger, en rêve, un éprouvé relationnel jusqu’alors inconnu de l’analyste
et, probablement, tout autant de Brigitte depuis sa séparation d’avec sa grand-mère
maternelle. Le concept de synchronicité rend compte, ici, de la totale imprévisibilité d’une
telle émergence de sens.

Il n’en reste pas moins que ce travail analytique n’a pu se poursuivre


suffisamment, du fait d’un déménagement de Brigitte, pour raisons professionnelles. Il ne
peut donc être rien dit de ce que cette émergence, probablement trop limitée, a pu produire
comme effets à long terme sur sa capacité à vivre une vie suffisamment sensée.

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7 L’importance!de!l’éthique!

Le dernier exemple clinique, celui de Geneviève, met particulièrement en


évidence l’importance de la position éthique de l’analyste. Et, surtout, d’une position
éthique qui ne soit pas névrotiquement assujettie aux seules exigences de son surmoi.
L’enjeuest ni de faire ce qu’il faut (qui pourrait le savoir ?) ni de ne pas faire ce qui est
interdit (même s’il est évidemment nécessaire de ne pas ignorer les limites posées par le
cadre). L’enjeu est que la part d’inconnu de l’analysant à lui-même et à l’analyste, de même
d’ailleurs que celle de l’analyste à lui-même, soient tout autant investies par l’analyste que ce
qui lui est connu, tant de son analysant que de lui-même.

7.1 Une!séance!avec!Paul!

Paul est un homme d’une trentaine d’années qui est venu me voir sur les
conseils de son entourage. Ce qui m’a tout de suite frappé, dès le premier entretien, fut la
haine qu’il éveilla en moi : il ne fallut pas plus de quelques minutes pour que j’éprouve un
rejet épidermique envers lui, pour que le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles,
l’intonation de sa voix, la qualité de son regard, éveillent en moi le désir de le voir
disparaître ; d’ailleurs, je l’avais qualifié intérieurement de pervers, et ceci non pas au titre
d’un diagnostic étayé sur l’observation et la réflexion cliniques, mais bien plutôt comme
une insulte. Là où, habituellement, je me sens intérieurement disponible à accueillir
l’étranger qui se présente pour la première fois, je me trouvais très interloqué de ce que je
n’arrivais pas à trouver en moi cette disponibilité. Dans le même temps, cette idée d’avoir à
faire à un pervers était à l’évidence bien trop abrupte pour que je veuille m’y fier : je ne
pouvais que constater que quelque chose d’un transfert déjà en place entre lui et moi
m’avait immédiatement pris et placé en une position pour le moins inconfortable, ce qui, à
l’opposé de ce mouvement de rejet, éveillait plutôt mon désir d’en savoir plus, d’explorer
avec lui ce qui était à l’origine de ce mouvement qui, je m’en doutais déjà, était présent en
lui et contre lui : n’était-il pas venu me voir pour l’aider à sortir d’une dépression aussi
profonde que chronique ?

Le compromis que j’ai trouvé alors fut de faire durer les entretiens
préliminaires sur plusieurs séances (j’ai plutôt pour habitude de formuler le cadre et le
contrat après deux ou trois entretiens). L’autre aspect de ce compromis fut que je ne lui ai
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pas formellement posé les termes du cadre analytique. En fait, j’avais aussi perçu que
l’intensité de mon rejet était liée à l’intolérable du rôle auquel il m’avait assigné : j’étais celui
qui sait et qui a pour mission de lui imposer, injecter ce savoir, dans une relation
nécessairement homosexuelle sadique, relation par laquelle je ferai de lui ma femme afin de
l’inséminer de ce qui lui manque pour se sentir homme — délicat paradoxe des
identifications homosexuelles nécessaire à l’accès à une position sexuée. Dans le même
temps, évidemment, il affûtait ses armes afin de m’émasculer préventivement : ce n’est
qu’en me réduisant à l’impuissance qu’il pouvait se défendre contre de tels fantasmes,
fantasmes qui, dès lors qu’ils n’ont pu s’élaborer dans une relation d’amour avec un père
sécurisant, renvoient bien plus à l’émasculation qu’à la castration. Je n’ai donc pas pensé
opportun de lui poser un cadre dont la rigidité nécessaire aurait pu être un support projectif
pour cet objet persécuteur, désiré et haï tout à la fois.

Nous avons ainsi commencé un travail en face à face à raison d’une séance par
semaine, et très vite l’intensité de mon rejet a diminué : mon patient devenait moins
défensif (à moins que ce ne fut moi-même) et me laissait entr’apercevoir l’intensité de sa
souffrance, la profondeur de sa blessure : je pouvais alors être touché. Ainsi, dès la
huitième séance, nous décidâmes de passer à deux séances par semaine, et ceci dès que
nous aurions trouvé un créneau horaire disponible.

La séance que rapportée ici est cette huitième séance. Dès son arrivée, il
m’avait demandé si nous pouvions regarder les possibilités horaires d’une seconde séance ;
j’avais pu lui proposer d’essayer de libérer un créneau et de lui donner ma réponse la
semaine suivante, ce qu’il avait accepté. Pourtant, voici que moins d’une minute après, il
considérait déjà la chose acquise, et je compris son impatience à venir plus souvent : il y
avait là quelque chose d’authentique que je me sentais enfin vraiment disposé à accueillir.

Après ce préambule technique, il me fit part de son profond mal-être : Je ne suis


pas dans une forme éblouissante, j’ai la grippe, et j’ai beaucoup de mal à me positionner dans mon travail.
Il parlait de sa profession, mais j’ai évidemment entendu que cela concernait probablement
tout autant notre travail analytique. Puis il développa sa pensée, disant qu’il avait besoin
d’avoir des projets, de pouvoir construire et qu’il ne trouvait plus cela dans son travail, ce
qui entraînait une grande insatisfaction. Suivit un silence.

Alors il me dit : Je ne sais pas de quoi parler, quoi vous amener pour que ce soit le plus
profitable, je ne sais pas par quel bout le prendre. Puis il poursuit avec le même type de discours
manifeste, mais subitement sa voix a changé, elle est devenue plus grave, plus profonde,
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venant de son corps et non plus seulement de sa tête. Cela me soulagea et me détendit
intérieurement. Il termina en disant : Je me sens faible, ce à quoi je m’entendis répondre : sentir
votre faiblesse c’est du solide, il me dit oui de sa voix habituelle, à moitié nasillarde, désincarnée
et fort désagréable, il nota qu’il lui sera difficile d’accepter cette faiblesse, et surtout que ce
sera difficile pour les autres, et il conclut : J’accepte pas, j’arrive pas à l’accepter. Je relevai au
passage, pour moi-même, la régression sémantique de son langage habituellement si
peaufiné, et je lui répondis : Vous en avez peur. Il me dit Oui et chercha à expliquer cette peur
par des rationalisations que je ne pris pas la peine d’écouter.

Pendant ce temps, je pensais autrement à sa peur, et trois hypothèses non


exclusives se forgèrent en moi : 1°) Peur d’une perversion des adultes qui profitent de l’état
de faiblesse de l’enfant pour l’attaquer, c’est-à-dire peur de ce qui aurait été une réalité
persécutrice. 2°) Peur d’un désir masochiste. 3°) Peur d’un désir homosexuel passif. Je
laissai flotter ces hypothèses dans mes pensées et reviens à son écoute alors qu’il disait : Je
ne sais pas dans quelle direction aller, je me sens perdu. Je lui répondis, ou plutôt, une fois encore,
je m’entendis lui répondre : Ça aussi c’est du solide. Lui : Oui, mais je n’arrive pas à l’accepter, ça.
Et il reprit un temps son discours défensif qu’il conclut par : Je ne sais pas par où commencer !
Moi, toujours surpris par les paroles qui sortaient de ma bouche : Mais c’est déjà commencé.
Lui : Je n’en ai pas l’impression. Moi : Ça ne dépend pas de vos impressions. Là, il resta un moment
silencieux.

Il reprit ensuite : En ce moment, je n’arrive pas à m’aider moi-même. Moi : Il est peut-
être difficile d’accepter que je vous aide : il faudrait vous aider vous-même pour ne pas avoir besoin de l’aide
d’un autre. Lui : Plus maintenant ; Pourquoi j’aurais peur d’être aidé ? Moi : Ça vous met en position de
faiblesse. Il poursuivit à côté et revint en disant : Par quel côté la prendre, cette faiblesse ? Moi :
Pour l’instant, c’est elle qui vous prend. Lui : Est-ce qu’il y a des livres qui peuvent aider à approfondir, à
m’approprier cela ? Je lui fis remarquer que c’était l’heure de la fin de la séance, et qu’il était
probablement inquiet de la semaine qu’il va passer sans moi avant la prochaine séance, que
les livres qu’il me demandait sont probablement pour lui un moyen de me garder avec lui,
et je l’assurai que nous pourrons continuer la semaine prochaine. En partant il me dit merci
avec une chaleur que je ressentis comme authentique, bien différente de ses précédents
remerciements qui étaient tout emprunts d’agressivité.

Voilà donc la séance. Le lecteur aura sans doute réagi intérieurement à la


bizarrerie de la position que j’y ai tenue, position que j’ai envie de qualifier de dominance
virile en ceci que je m’imposais à lui dans la réalité propre de certaines de mes pensées et
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affects et ceci sans grand ménagement. Mais parler de dominance, donc se référer à
l’éthologie animale, c’est mettre de côté la dimension pulsionnelle, précisément le sadisme
qui a sous-tendu ma position tout du long de cette séance. Pourtant, dès ma première
intervention, quand je lui ai dit que sentir sa faiblesse, c’était du solide, j’ai perçu qu’il y
avait pour moi une véritable jouissance sadique, jouissance que j’avais tout intérêt à ne pas
perdre de vue. Et cette jouissance m’a accompagné tout du long de cette séance sans que je
lui résiste trop, mais aussi sans que je la perde de vue, c’est-à-dire sans que je la laisse trop
prendre la main. Je pouvais ainsi être intérieurement très calme, être dans l’accueil de cette
position sadique en moi, sans trop m’en défendre ni trop la juger, simplement en
constatant sa présence et en acceptant de suivre le chemin qu’elle m’indiquait pour la
conduite de ce début de cure.

Je ne savais évidemment pas où cela allait nous mener. J’avais cependant émis,
pour moi-même, l’hypothèse que cet homme pourrait interrompre sa démarche analytique
après avoir recouvré suffisamment d’énergie pour reprendre le cours de sa vie. Ce ne fut
pas vraiment le cas : il s’aventura tout de même quelques années dans l’exploration de ses
positions masochistes et put significativement s’en dégager.

7.2 La!déintégration!du!soi!éthique!de!l’analyste!

Dans cette séance, l’analyste a clairement perçu une perte de ses repères
éthiques internes dans ce qui lui est apparu comme une forme de dissociation
fonctionnelle : une part de son moi était toujours présente à la relation analytique, c’est-à-
dire en relation intime avec la fonction éthique du soi, alors qu’une autre part de son moi
était entraînée dans un jeu pervers, jeu du trickster (Jung 1954), qu’il percevait comme
s’ébattant gaiement entre eux deux, et, surtout, qu’il ne percevait plus comme venant
exclusivement du seul sadomasochisme de Paul : l’analyste avait totalement conscience, au
travers de sa propre jouissance, que ce sadomasochisme le concernait tout autant, qu’il
n’était, dans cette relation, pas moins « pervers » que son analysant.

Il s’agit là d’une part déintégrée du soi de l’analyste en ce qu’elle ne lui


paraissait pas être en relation avec le reste de lui-même, si ce n’est au travers de la
conscience qu’il en avait : c’est le moi de l’analyste qui tint là les morceaux de lui-même
éclatés sous l’effet du transfert, le soi étant, du fait de sa déintégration, dans l’incapacité
temporaire d’assurer cette fonction. Il semble qu’il y a là quelque chose qui rejoint les

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premiers temps de la constitution de la fonction éthique du soi telle que Solomon (2000a)
l’a développée. C’est, en effet, dès les tout premiers temps de la vie que l’objet est considéré
sous ses deux aspects, en tant qu’il est source de satisfaction d’une part, et en tant qu’il est
objet d’amour d’autre part. La déintégration attend de l’objet qu’il soit source de
suffisamment de satisfaction pour répondre aux attentes de l’archétype, c’est-à-dire aux
besoins instinctuels 118 et, si cette aspiration a été suffisamment satisfaite, la réintégration
donnera à l’objet une valeur en soi qui le rendra digne de tous les soins du tout petit. Il
n’est que de regarder la délicatesse et le soin extrême dont le nourrisson peut faire preuve à
l’égard du sein de sa mère pour se rendre compte que celui-ci est d’emblée perçu comme
objet, objet qui est évidemment encore partiel et qui, de plus, est susceptible de très vite
devenir persécuteur, et alors objet de la violence du nourrisson, dès lors qu’il cesse d’être
suffisamment satisfaisant. Mais cela a déjà été décrit maintes fois.

Ce qui se rejoua dans cette séance est ce qui peut se passer chez la mère face à
ces mouvements de déintégration et réintégration du tout petit. On observe en effet assez
facilement qu’il y a chez elle un même effet de seuil, à savoir qu’il lui faut à elle aussi que
son enfant soit suffisamment bon. L’enfant doit lui apporter la satisfaction d’avoir été
suffisamment satisfaisante pour lui, faute de quoi elle se retrouvera elle-même dans un état
de détresse semblable à celui de son nourrisson : cela se produit à chaque fois que la mère
ne peut trouver à satisfaire suffisamment son tout petit pour qu’il retrouve le niveau de
sérénité qu’elle attend de lui (réintégration du soi primaire). Très vite, la détresse maternelle
et celle de son nourrisson se confondent en une seule et même détresse, de sorte que la
solution ne peut venir du seul couple mère-enfant.

Cette situation particulière de la mère montre que la déintégration du soi n’est


pas un processus spécifique à l’enfant, mais qu’il est au contraire intimement lié à la
déintégration du soi de la mère. Cette déintégration du soi de la mère peut être considérée
comme concomitante à celle de son nourrisson, probablement comme effet de la
déintégration corporelle vécue par elle lors de l’accouchement, non seulement dans les
sensations corporelles si particulières et intenses qui accompagnent cet acte, mais aussi
dans le fait que ce qu’elle met au monde est réellement une part de son propre corps tout

118 : Et les besoins instinctuels du petit d’homme ne sont pas, loin s’en faut, exclusivement biologiques : ils
incluent tout autant la tendresse, la sécurité, etc. comme c’est aussi le cas pour les autres primates et la
plupart des mammifères. Les travaux de Spitz (1945) en témoignent.

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en lui étant étranger. L’agonie maternelle (au sens de l’agonie primitive décrite par
Winnicott 1974) peut alors être comprise comme une blessure de son propre soi du fait
d’une impossible réintégration de ce qui a été déintégré : il faut en effet supposer, pour
comprendre cette agonie, que ne peut être réintégré que ce qui a été suffisamment
satisfaisant, et qui a ainsi pu faire sens119.

Dans ces situations, que toute mère a connues, l’important est ce qui peut se
jouer alors entre la mère et le père, autant qu’entre le père et le nourrisson — que le père
soit réellement présent aux côtés de la mère, ou qu’il soit un objet de son seul psychisme,
c’est-à-dire physiquement absent. Il ne peut, évidemment, être fait ici une recension
exhaustive des différents types d’interactions qui peuvent alors se mettre en place entre la
mère, le père et le nourrisson ; il suffit d’en évoquer quelques grandes lignes qui pourront
aider à comprendre ce qui s’est passé pour l’analyste lors de cette séance.

Il semble en effet que l’on peut, dans un premier temps très schématique
(notamment parce que ne prenant pas en compte la différence ente l’objet père, interne au
psychisme de la mère, et le père réel), différencier trois axes d’organisation de la réponse du
père (Martin-Vallas 2003) ; dire trois axes, c’est poser un espace formel à trois dimensions
qui permet de situer la position du père, et non parler de trois alternatives qui s’excluraient
entre elles.

• Le père se substitue à la mère pour apporter à l’enfant une réponse suffisamment


satisfaisante afin qu’il redevienne un enfant suffisamment satisfaisant pour la mère.
• Le père se substitue à l’enfant pour apporter à la mère une réponse suffisamment
satisfaisante afin qu’elle redevienne une mère suffisamment satisfaisante.
• Le père offre à la mère les satisfactions sexuelles dont elle a besoin afin qu’elle puisse
ainsi reconstituer son narcissisme blessé.

Ce troisième type de réponse du père nécessite, pour être compris dans le


champ de la pensée jungienne, de souligner que le sexuel évoqué ici est ce qui engage la
mère à se sentir aimée en tant qu’objet total par le père et ce qui lui permet de réintégrer
ainsi, non pas la partie déintégrée de son soi, mais bien plutôt la capacité de se sentir elle-

119 : Il convient ici de noter que ce qui est suffisamment satisfaisant pour la mère l’est aussi du point de vue
pulsionnel, de vie et de mort. Ainsi le processus de réintégration entre mère et bébé est par nature
asymétrique, une asymétrie qui rejoint la notion de séduction originaire de Laplanche déjà étudiée ici.

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Clinique"

même comme objet total, y compris dans cette détresse où la non-réintégration d’une
partie de son soi l’a plongée. En d’autres termes, c’est alors le sexuel génital qui vient
répondre à une détresse archétypique. Et c’est là, semble-t-il, qu’on peut parler d’une
fonction paternelle différenciée. Solomon (2004) partage cette position.

Si l’on revient à la séance avec Paul, il est intéressant d’observer la façon dont
le moi conscient de l’analyste était en relation avec cette autre part de lui-même qui, telle
une mère en détresse, ne savait plus que faire pour apporter calme et réconfort à son
patient-nourrisson. Ce qui était alors très étonnant pour l’analyste est que, tout en sentant
fort bien son dérapage technique, il n’était absolument pas en colère contre lui-même. Il se
sentait en fait dans une position de tendresse bienveillante envers cette autre part de lui-
même, simplement inquiet (très inquiet même par moments) de ce que ce dérapage ne
dépasse pas la limite de ce que le patient pouvait alors intégrer. La situation était là celle
d’une mère en détresse qui dit à son nourrisson qu’elle ne peut absolument pas lui donner
ce qu’il attend d’elle, mais qui, se sentant suffisamment aimée et contenue par l’amour de
son homme (amour en tant qu’objet total), peut s’adresser à ce nourrisson sans lui renvoyer
en miroir sa détresse. Le nourrisson peut alors se sentir lui-même comme objet total, et
ceci bien que son soi reste incomplètement réintégré. C’est probablement ce que Paul a
signifié à son analyste au travers de la chaleur de son remerciement.

Il n’en reste pas moins que théoriser ainsi l’intrapsychique de l’analyste peut
être extrêmement dangereux, en ce que cela pourrait justifier tous types de dérapages. Mais
ce danger n’est-il pas inhérent à la position même d’analyste ? Alors seule une conscience
aiguë de ce danger peut lui offrir le repère nécessaire à l’évaluation de ces situations qui ne
peuvent évidemment pas être analysées dans le temps de leur vécu. C’est du rapport que
l’analyste a pu tisser en lui-même avec la part perverse de son ombre que dépend le destin
de ce type de transfert. Le fait que Jung dise que le trickster est une figure du soi implique
d’ailleurs une telle attitude de l’analyste, malgré le caractère hautement pervers (au sens de
la perversion sexuelle infantile) du mythe amérindien du Fripon divin que Jung commente
ainsi (1954, p.128).

Quiconque fait parti d’un milieu spirituel qui cherche la perfection quelque part
dans le passé, doit se sentir étrangement frappé par le personnage du « Fripon ». Il est un
précurseur du sauveur et, comme lui, il est dieu, homme et bête. Il est à la fois sous-humain et
surhumain, car il est à la fois divin et animal et sa qualité prédominante et la plus frappante
est son inconscience. […] Il est inconscient de lui-même, au point de ne pas constituer une
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La"chimère"transférentielle"

unité et qu’il est possible à ses deux mains de se disputer l’une avec l’autre. Il détache aussi
son anus et le charge d’une tâche indépendante. Même son sexe est facultatif, malgré ses
qualités phalliques ; il peut se transformer en femme et mettre au monde des enfants. Des
morceaux détachés de son pénis, il crée des plantes utiles et ce fait rappelle sa nature
primordialement créatrice.

Et plus loin (id. p.190)

Le mythe [du Fripon] est étayé et cultivé par la conscience […], car c’est le
meilleur moyen de garder consciente la figure de l’ombre et aussi de l’exposer à la critique
consciente.

Cette critique consciente est l’essence même de ce qui constitue, pour Jung, une
position éthique, une position donc qui peut tendre à prendre en compte la totalité de
l’objet, de l’altérité de l’objet, de son être sujet. Cela, en effet, ne se peut dans l’inconscient
où sujet et objets ne sont pas unifiés ; ce n’est, là, pas la réalité de l’objet qui crée son
essence d’objet, mais c’est bien plus l’associativité psychique qui crée des objets internes à
partir de réarrangements spontanés (selon un processus continu d’auto-organisation) des
qualités dissociés des objets externes. Cela conduit à poser que la position éthique, telle
qu’abordée par Jung, n’est pas seulement considération de l’altérité de l’objet externe, mais
qu’elle est aussi considération consciente, mise en tension consciente, de l’écart entre cette
réalité de l’objet externe et sa ou ses représentation(s) comme objet(s) interne(s). Il apparaît
ainsi que, pour Jung, il n’y a que peu de parenté entre la position éthique, position active
d’une tenue de et par la conscience, et la soumission à un surmoi qui remplace la mise en
tension critique de l’ombre par la connaissance des actes qui sont permis, ou interdits, ou commandés
(id. p.193). Éthique et morale sont ici on ne peut plus clairement différenciées, de même
que les notions de soi et de surmoi120.

Dans la séance avec Paul l’analyste, comme le Fripon du mythe, laisse


suffisamment d’autonomie à son anus pour que celui-ci puisse se charger, indépendamment
de lui, de la tâche de représenter pour l’analysant une dimension sadique de son psychisme.
Évidemment, cela ne se peut qu’au travers du sadisme de l’analyste ainsi déintégré. Et
l’éthique de l’analyste est ici de ne jamais perdre de vue ce que fait l’anus de son Fripon ou,

120 : Cela permet aussi de comprendre l’affirmation de Jung (1942 p.284) : Tant que le Soi est inconscient, il
correspond au surmoi de Freud et constitue une source de conflits moraux constants.

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Clinique"

pour être plus précis, ce que fait l’anus de son Fripon avec celui du Fripon de son
analysant. En effet, ce n’est pas tant entre l’analyste et l’analysant que se joua une telle
séance, même si leur présence à tous deux fut requise, mais bien entre les parts déintégrées
de l’analyste et de l’analysant, les moi de chacun conservant un regard conscient sur ce qui,
ainsi, se déroula entre eux sur une scène tierce, la chimère transférentielle.

Il apparaît aussi, dans cette séance, que si cette chimère transférentielle est
évidemment inconsciente, elle n’en est pas moins, à certains moments de l’analyse,
suffisamment agissante pour que l’analyste doive accepter d’en être l’acteur jusque dans le
contenu manifeste de ce qu’elle met ainsi en scène au décours de la séance. S’il s’agit bien
d’un processus de pensée paradoxale de l’analyste, telle que décrit par de M’Uzan, cette
pensée est ici impensable dans le temps de la séance, de telle sorte que la capacité de
l’analyste à penser cette pensée ne se pourra qu’après qu’il ait accepté d’en être l’acteur dans
le temps de la séance.

Ainsi l’analyste put comprendre que la position masochiste de son analysant


était, en fait, une position interne de son moi vis-à-vis de son surmoi, position de
soumission passive homosexuelle qui maintenait captif le pénis de l’analysant, alors
confondu avec le phallus de la mère. Seule la déintégration du soi éthique de l’analyste
conjointement à la déintégration de cette confusion interne de l’analysant, sur la scène
chimérique du transfert, permit un début de différenciation/réintégration de la position et
du moi de l’analysant. C’est sur cette base, petite, mais solide, que la suite du travail
analytique a pu se fonder et que les dimensions pulsionnelles de la position sadomasochiste
de l’analysant ont pu être en partie explorées.

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La"chimère"transférentielle"

8 Discussion!

8.1 Clinique!

Il a été exposé, dans cette dernière partie théorico-clinique, un certain nombre


de situations permettant la mise en évidence des phénomènes qui constituent la chimère
transférentielle, ainsi que, pour chacun de cas exposés, une dimension particulière de la
dynamique de cette chimère.

Le premier cas de Brigitte, exposé dans son intégralité, a permis de constater


l’intrication intime des problématiques de l’analyste avec celles de son analysante. Ce cas,
que l’on peut dire princeps de cette notion dans le champ jungien, puisqu’objet du premier
travail sur ce thème (Martin-Vallas 1997), met en évidence la nécessité, pour l’analyste,
d’accepter de se laisser « prendre » tant par la problématique que par l’histoire de
l’analysant. C’est bien au niveau de l’indifférencié et des blessures de l’analyste que
l’inconscient de l’analysant va pouvoir assurer cette « prise » d’où peut émerger la chimère
transférentielle et ses dynamiques, tant archétypiques que personnelles. De là, une
possibilité de résolution d’un clivage du soi a pu advenir.

Le second exemple a permis de mettre en rapport la chimère transférentielle


dans une situation ou transfert adhésif et séduction narcissique auraient facilement pu
conduire cette cure à l’échec. Ici, le léger décalage de l’analyste vis-à-vis de l’analysante a
permis un jeu de miroirs, constituant alors un espace d’émergence de la chimère, espace où
de nouvelles dynamiques séductrices, alors érotiques, ont pu permettre la reprise en sous-
œuvre du narcissisme de l’analysante.

Puis a suivi l’exposé de quatre vignettes cliniques, s’étendant sur une à trois
séances, permettant de construire une représentation théorique formelle de l’émergence, au
sein même de la chimère, des différents niveaux de la fonction de contenance des
dynamiques transférentielles que la chimère permet. Il s’agirait là d’un processus d’auto-
organisation archétypique qui émerge à partir de la mise en tension du désir incestueux tel
que défini par Jung (désir de retour au non-être, à l’en deçà de la vie) et de l’investissement
exogame de l’analysant par l’analyste.

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Clinique"

Un septième exemple a permis de reprendre la notion de déintégration et


réintégration du soi comme moteur des dynamismes internes de la chimère. Ici, la chimère,
telle que constituée à partir des parts déintégrées des soi de l’analysante et de l’analyste, a
permis de conduire l’analyste à une intervention décisive dans la cure, ceci sans qu’il ait pu
avoir conscience de ce qu’ainsi il faisait

Un huitième exemple a initié une réflexion sur les différentes temporalités


psychiques, telles qu’elles soient susceptibles de s’ouvrir ou se refermer dans la chimère. La
situation ici était l’inverse des précédentes. L’analyste était devenu le « jouet » affectif de
son analysant durant de longues années jusqu’au jour où, sans que cela ait pu être prévu, il
cessa de l’être, il s’en trouva dégagé. Ce changement subi eut pour effet un changement
profond de la position de l’analysant, l’ouvrant à sa propre subjectivité.

Un neuvième exemple a été l’occasion de reprendre la notion de synchronicité


comme émergence de sens dans la cure, ici une cure pourtant sans espoir, pour l’analyste
en tout cas. Ce fut, là, l’émergence d’un rêve de l’analysante qui témoigna du changement
possible, un changement ici aussi imprévisible, et, surtout, un changement que l’analyste
avait fini par renoncer à espérer.

Enfin, le dernier exemple clinique a été l’occasion d’une réflexion sur la


position éthique de l’analyste, une position ici mise à mal par la dimension sadomasochiste
du transfert. Cette position éthique, reliée à la position paternelle différenciée, lui a permis
d’accueillir en lui-même, et aussi dans l’expression dont il était alors l’interprète, des
dynamiques apparemment contraires à ce qui devrait animer un analyste.

8.2 L’éthique!et!le!cadre!

La question de l’éthique est certainement ce qui relie profondément tous les


cas cliniques décrits dans ce travail. Elle est ce qui permet à l’analyste de se laisser
« prendre » par les dynamiques émergeant de la chimère transférentielle, sans pour autant
perdre de vus son identité d’analyste, c’est-à-dire le fait qu’il n’est, dans la cure, que le
représentant d’un ou de quelques-uns des objets internes de l’analysant, alors qu’il n’est, du
point de vue de sa position sociale, qu’un professionnel payé pour ses services, une forme
de prostitution dit Solié (1980) en référence aux pratiques de prostitution sacrée de
l’ancienne Mésopotamie.

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La"chimère"transférentielle"

C’est ainsi que la répétition peut, sur la scène transférentielle, se rejouer


pleinement, mais de manière décalée, au contraire de ce qui se passe habituellement dans la
vie courante. Considérer les dynamiques transférentielles qui traversent et animent
l’analyste comme émergeant au sein de la chimère, et non de son propre psychisme, lui
permet alors de ne pas trop s’y identifier, ou de s’en déprendre, garantissant ainsi le
maintien de son investissement exogame de l’analysant, investissement de celui-ci comme
objet total, différent et fondamentalement inconnu de lui. Tel est l’un des aspects de
l’éthique pour Jung.

Cela revient à dire que cette éthique ne se peut que dans un rapport à une
réalité qui soit extérieure au sujet, réalité extérieure qui, outre la personne de l’analysant, se
trouve représentée dans la cure par le cadre formel de l’analyse et sa relation à la réalité
sociale de l’analyste. C’est pourquoi il a été représenté comme constituant de la chimère
dans les schémas proposés ci-dessus [Figure 45, p.286]. Il convient cependant de préciser
quelque peu ce que Jung propose d’entendre par l’éthique.

8.3 L’éthique!pour!Jung!

Dans son autobiographie (Jung 1961), il nous relate quelques expériences qui
éclairent sa conception de l’éthique. Nous en retiendrons trois ici.

8.3.1 Les"syncopes"

La première d’entre elles se situe lors de sa préadolescence (1961, p.50-52) ; il


avait 12 ans. Après une chute à la sortie de l’école, suite à un coup porté par un camarade,
et une brève perte de connaissance qui suivit le choc se sa tête sur le trottoir, le jeune Carl
Gustav se vit dans l’impossibilité de travailler : dès qu’il devait retourner à l’école ou se
mettre à ses devoirs, il tombait en syncope. Finalement, un diagnostic fut posé : l’épilepsie.
Jung dit bien comment la seule chose qui le préoccupait alors était que ses parents se
fassent tant de soucis pour si peu de chose. Mais un jour il surprit la conversation de son
père avec un ami (p. 51) :

Ils étaient assis tous les deux dans le jardin et moi, derrière eux, dans un épais
buisson, car j’étais d’une curiosité insatiable. J’entendis l’ami dire : « Et comment va donc
ton fils ? » À quoi mon père répondit : « C’est une pénible histoire ; les médecins ignorent ce

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Clinique"

qu’il a. Ils pensent à de l’épilepsie ; ce serait terrible qu’il soit incurable ! J’ai perdu mon peu
de fortune, qu’adviendra-t-il de lui s’il est incapable de gagner sa vie ! »

Je fus comme frappé de la foudre ! C’était la confrontation violente avec la réalité.


En un éclair l’idée : « Ah ! alors, on doit travailler ! » me traversa l’esprit. À partir de cet
instant je devins un enfant sérieux.

Il se mit alors au travail, et usa de toute sa volonté pour résister à ses crises
d’évanouissement, ce à quoi il parvint définitivement en quelques semaines, pouvant alors
retourner à l’école. Mais, dans le même temps, il réalisa nettement que c’était moi qui avais monté
cette honteuse histoire. Dans son autobiographie, il en parle comme d’une expérience de
névrose.

8.3.2 L’anima"

La seconde (1962, p.218-219) se situe lors de ce qu’il appelle sa confrontation avec


l’inconscient. Il était alors tout occupé à son travail sur le Livre Noir, prélude au Livre Rouge
(Jung 2009), soit la mise en forme de représentations écrites et picturales de ses fantasmes.

Tandis que je rédigeais ces phantasmes, je me demandai un beau jour : « Mais


qu’est-ce que je fais ? Tout cela n’a certainement rien à voir avec de la science. Alors qu’est-ce
que c’est ? » Une voix [féminine] dit alors en moi : « C’est de l’art. » […]

Plein de résistances, j’expliquai à la voix, instamment, que mes phantasmes ne


pouvaient, en aucune façon, être mis en relation avec de l’art.

Pourtant, si l’on considère la qualité graphique des productions picturales de


Jung, tel que l’on peut les voir dans le Livre Rouge (2009), il ne fait aucun doute que celles-
ci peuvent être qualifiées d’artistiques. Pour en témoigner, voici deux exemples de ses
productions, une aquarelle de 1903 et une peinture figurant dans le Livre Rouge.

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Figure 57 : Carl Gustav Jung, aquarelle, 1903

Figure 58 : Carl Gustav Jung : illustration du Livre Rouge

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Clinique"

La position de Jung est ici de se placer, face à cette voix intérieure, tel qu’il a
été mû dans ce travail d’écriture et de peinture, et non tel que le résultat de ce travail
pourrait lui apparaître. La qualité d’artiste n’est pas pour lui dépendante de la qualité de sa
production, mais de sa démarche. Ce travail de mise en forme de ses phantasmes, il l’a
initié afin de trouver une représentation aux multiples mouvements affectifs qui l’agitaient
depuis sa rupture avec Freud, et dont il avait bien conscience qu’ils étaient susceptibles de
l’emporter en un mouvement pouvant déboucher sur une perte de contact avec la réalité,
en un mot une psychose.

8.3.3 La"perte"des"repères"

Toujours durant sa confrontation avec l’inconscient Jung (1961, p.220) note que :

Naturellement, tandis que je travaillais à mes phantasmes, j’éprouvais le besoin,


précisément à cette époque, d’avoir « un point d’attache dans ce monde » et je puis dire que
celui-ci me fut donné par ma famille et le travail professionnel. Il était pour moi vitalement
nécessaire d’avoir une vie relationnelle qui allait de soi, comme contrepoids au monde intérieur
étranger. […] Les contenus de l’inconscient pouvaient parfois me faire sortir de mes gonds.
Mais la famille et la conscience que j’avais un diplôme de médecin, que je devais secourir mes
malades, que j’avais une femme et cinq enfants, et que j’habitais Seestrasse 228 à
Küsnatch — c’était là des réalités qui me sollicitaient et s’imposaient à moi. Elles me
prouvèrent, jour après jour, que j’existais réellement et que je n’étais pas seulement une feuille
ballottée au gré des vents de l’esprit, comme un Nietzsche.

Ce passage est bien du même ordre que le précédent, à savoir l’importance


pour Jung de rester en lien avec la réalité de sa position dans le monde. Il s’y ajoute
cependant, au sein de cette réalité, la nécessité d’y maintenir des liens humains forts qui
puissent lui permettre de maintenir la prééminence suffisante du principe de réalité sur le
principe de plaisir.

8.3.4 Discussion"

Il est clair, dans ces exemples, que l’éthique n’est pas pour Jung affaire de
morale, mais bien plus de réalité, de vérité plutôt. Et la vérité dont il s’agit ici n’est pas celle
d’un autre, mais bien la sienne propre, en tant qu’il est sujet de lui-même. Enfin, il a
d’abord à se positionner — ce fut là son expérience, probablement celle d’un enfant

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La"chimère"transférentielle"

longtemps séparé de sa mère — vis-à-vis de lui-même, de ce qu’il appelle son inconscient,


et qu’il pourrait être plus rigoureux de nommer les parts autonomes de son psychisme.

Néanmoins, et dès l’épisode de ses douze ans, l’enjeu est bien pour lui sa
capacité à se maintenir en lien avec son entourage, son monde extérieur humain. Son père et
l’école, son métier, sa famille. Un principe de réalité, donc, mais ici envisagé sous son
double aspect de réalité psychique subjective et de réalité sociale intersubjective. Autant
dire que cette position éthique pose la conflictualité non entre principe de plaisir et principe
de réalité, mais bien au cœur même de ce dernier, comme inhérent à sa contradiction
propre et irréductible. Et si c’est toujours le principe de réalité qui, pour Jung comme pour
Freud, commande un certain renoncement au principe de plaisir, ce n’est pas pour Jung
l’effet d’un interdit, mais bien d’une nécessité d’être, de ne pas laisser son moi se dissoudre
dans une fascination des émergences conscientes de l’inconscient, en un mot de ne pas
sombrer dans un processus psychotique.

Rapportée à la position de l’analyste, cette éthique lui commande non pas de


respecter certains interdits, mais bien de prendre en compte tout à la fois sa réalité propre,
celle de son patient, et celle du contrat qui les lient l’un à l’autre. Le cadre formel, de même
que les interdits qu’il pose, au premier rang desquels celui du passage à l’acte, devient alors
un repère offert à l’analyste pour mieux appréhender la réalité de la relation qu’il entretient
avec son patient. Comme il a été proposé, c’est aussi un repère différenciateur entre
l’investissement libidinal endogame et exogame qu’il a de son patient et du travail avec lui.

Ainsi il ne peut être fait de différence autre qu’intellectuelle entre le cadre


formel et la position éthique de l’analyste, le premier étant nécessaire au maintien de la
seconde, et celle-ci étant la seule garante du maintien du premier. C’est là une condition
nécessaire à l’émergence d’une chimère non purement répétitive (au sens du principe de
répétition) et, partant, susceptible de créativité, c’est-à-dire pouvant être le lieu d’émergence
de nouvelles formes de pensée et de relation — tant à lui-même qu’aux autres — de
l’analysant.

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Conclusion"

CONCLUSION!
Ce travail a tenté d’introduire la chimère transférentielle comme dénomination
spécifique à une dimension du transfert qui semble ne pouvoir être assignée ni à l’un ni à
l’autre des deux protagonistes d’un travail analytique, bien que les concernant tous deux.
Cette dénomination repose autant sur le travail de Michel de M’Uzan que sur le champ
sémantique complexe associé au mot chimère. Elle est ici abordée du point de vue de la
psychologie analytique développée par Jung.

La méthodologie de ce travail est celle, théorico-clinique, développée par


Widlocher sous le nom de cas singulier. Elle est exposée ici dans le contexte particulier de ce
travail, son histoire autant que ses références théoriques, principalement issues de la
psychologie analytique de C.G. Jung. Elle conduit, surtout, à la recherche d’une preuve
d’existence, et non à une preuve d’universalité. Celle-ci, si elle se peut, ne pourra émerger
que de nombreuses recherches conduites par différents analystes, de différentes
orientations théoriques et avec différentes modalités de pratiques.

Il a, ensuite, semblé nécessaire, pour aborder cette dimension du transfert,


d’introduire ce travail par une discussion épistémologique qui prenne en compte les
développements des sciences dites « dures », la physique en particulier, développements qui
ont été initiés au début du XXe avec l’avènement de la relativité restreinte, rapidement
suivie de la relativité générale, et de la mécanique quantique ; ils se sont ensuite poursuivis,
à partir des années 60-70, par la théorie des systèmes complexes, aussi appelée théorie du
chaos. Ces développements ont profondément bouleversé la représentation du monde qui
leur préexistait, et il a été soutenu dans ce travail qu’ils doivent aussi déboucher sur une
révision des positions épistémologiques fondées sur le travail de Popper, et une meilleure
prise en compte d’approches telles que proposées par Adorno ou Morin. Cette discussion
épistémologique est évidemment très succincte au regard de ses enjeux, et a été restreinte à
ce qui paraissait utile au champ de la psychologie clinique. Elle conclut à l’importance de
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La"chimère"transférentielle"

notions telle que celles d’émergence ou d’énaction (Varela 1993, Cohen & Varela 2000), en
ce qu’elles rendent compte du fait que ce qui apparaît à un moment donné de l’expérience
ne préexiste pas nécessairement à sa manifestation. Elles mériteraient évidemment, à elles
seules, tout un travail d’approfondissement qui n’a pu être mené ici. Il conviendrait,
notamment, de reprendre les nombreux travaux de physiciens et neuroscientifiques qui
tentent de relier psychisme et physique quantique (Martin 2009, 2011 & 2013, Bitbol 2009,
Atmanspacher 2014, etc.) ou physique des systèmes complexes (Butz 1997, Kiel & Elliott
1997, Chamberlain & Butz 1998, Blackerby 1998, Atmanspacher 2007, Leffert 2010, etc.).

Cette discussion épistémologique a aussi tenté d’éclairer la profonde


divergence qui a existé entre l’approche de Freud et celle de Jung, divergence qui apparaît
ici comme résultant bien plus d’une différence de point de vue épistémologique que d’un
désaccord sur une réalité commune aux deux hommes. Là aussi, le recours à la physique,
précisément à la notion de section de Poincaré, permet d’éclairer cette divergence
autrement que par une opposition, opposition qui conduit souvent à des positions plus
dogmatiques que cliniques. Cela permet aussi de comprendre pourquoi, dans le vaste
champ de la psychologie clinique autant que dans celui, plus restreint, de la psychanalyse,
des théories divergentes, parfois opposées, peuvent et doivent coexister afin de pouvoir
construire une représentation aussi exhaustive que possible de la réalité
(Atmanspacher 2007). Cela, qui fut évidemment le cas entre Freud et Jung, concerne
aujourd’hui nombre de divergences apparues dans le champ de la psychanalyse, entre les
écoles autant qu’en leurs seins.

Il a aussi semblé nécessaire d’aborder cette question au regard des


neurosciences. Il a ainsi été proposé une représentation, fondée sur les neurosciences, d’un
modèle de la relation analytique et de sa dimension chimérique. Cette représentation n’a
aucunement pour objet de se prétendre vraie, mais, plus modestement, possible.

Elle vise à proposer une nouvelle manière d’articuler neurosciences et théories


psychanalytiques, postulant que l’expérience de la clinique psychanalytique est un niveau de
complexité très supérieur à ce qui est aujourd’hui accessible aux neurosciences, ce qui
permet de rendre compte de l’existence de dynamiques propres au processus analytique du
fait de leur émergence entre les niveaux de complexité accessibles à la recherche
neuroscientifique et celui de l’expérience psychanalytique. La représentation proposée dans
ce travail tente de rendre compte, à ce niveau supérieur de complexité, de la possible
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Conclusion"

émergence de la chimère transférentielle. De même que la partie théorico-clinique, elle n’a


pour objet que d’apporter une preuve d’existence, non de proposer un modèle
universellement applicable. Cependant, elle pourrait ainsi ouvrir la voie à de nouvelles
recherches neuroscientifiques qui, cela est plus que probable, pourraient à son tour la
modifier afin de mieux la rendre en adéquation avec ces recherches. C’est aussi la position
défendue par Cohen et Varela (2000).

Enfin, ce travail a abordé, à partir de situations issues de l’expérience de son


auteur, différents aspects de la chimère transférentielle telle qu’elle est susceptible de se
manifester dans la clinique psychanalytique. Un premier cas clinique a été exposé en détail
afin d’apporter une preuve d’existence de cette dimension. D’autres cas cliniques ont suivi,
centrés sur une dimension ou un moment particulier de la cure, afin d’apporter la preuve
de cette existence dans d’autres contextes, et avec des patients dont le fonctionnement et la
structure psychique diffèrent autant du premier cas exposé qu’entre eux. Il s’agissait là de
sortir cette dimension du transfert du seul domaine psychopathologique du premier cas, un
transfert à forte tonalité psychotique. Enfin, chacun de ces cas a été l’occasion de focaliser
la discussion théorico-clinique sur un aspect particulier, saillant dans le cas considéré.

Ont ainsi été discutées l’adéquation de l’hypothèse avec la théorisation


jungienne de la dimension archétypique du transfert, l’articulation possible de cette
théorisation avec la théorisation freudienne, à partir de la séduction originaire proposée par
Laplanche, puis la dimension de contenance psychique de la chimère, toujours au regard de
la théorie jungienne.

Quatre autres approches de la chimère ont, ensuite, été proposées à la


discussion :

- les mouvements de déintégration/réintégration du soi en rapport avec la constitution et


les dynamiques de la chimère, à partir des propositions de Fordham ;
- les rapports de la chimère avec les temporalités psychiques, telles qu’abordées dans la
théorie jungienne et telles qu’il est possible de les aborder aussi à partir des travaux de
Laplanche ;
- la possibilité de voir la chimère selon le concept de synchronicité développé par Pauli et
Jung ;

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La"chimère"transférentielle"

- enfin l’importance de l’éthique comme garante de la dimension psychanalytique de la


chimère et du processus analytique en général.

Les limites de ce travail sont nombreuses, et les questions qu’il soulève


multiples. Sa limite méthodologique principale réside sur le fait que, si les cas cliniques
rapportés concernent différents patients, ils concernent tous le même analyste. Dès lors,
rien ne permet d’affirmer que la chimère transférentielle qu’il décrit concerne d’autres
analystes que l’auteur de ce travail. Seule l’intuition de l’auteur, liée aux multiples échanges
qu’il a eus avec de nombreux collègues issus d’écoles analytiques différentes, lui permet de
penser que sa proposition peut être valable pour une part au moins des praticiens de la
psychanalyse. Cette limite doit cependant être relativisée, le travail de Michel de M’Uzan
apportant lui aussi de nombreux éléments en faveur de cette hypothèse, bien qu’élaborés au
sein d’une référence théorique très différente.

Parmi les nombreuses questions soulevées par ce travail, une première


concerne le lien entre la chimère transférentielle, comme concept autant que comme objet
psychique potentiel que l’analyste met à la disposition de son patient, et les techniques de
médiation thérapeutiques sur lesquels le CRPPC, sous les directions successives de
Chouvier et Brun, oriente une part importante de ses recherches.

La notion de médium malléable a été introduite par Marion Milner (1977),


dans le cadre de sa réflexion sur les thérapies à médiation pour des enfants psychotiques.
Tout en forgeant ce concept pour parler de l’objet de médiation, elle note d’emblée que le
thérapeute peut, lui-même, être utilisé selon cette modalité (Rey, 2010). J’ai moi-même
(Martin-Vallas 1999) avancé cette idée à partir de la cure d’un patient atteint d’une névrose
obsessionnelle grave et qui utilisait ma propre agressivité afin de médiatiser la sienne.

Marion Milner propose de retenir cinq qualités nécessaires à ce qu’un objet


puisse devenir un médium malléable : indestructibilité, extrême sensibilité, indéfinie
transformation, inconditionnelle disponibilité et vie propre. Par la suite, Roussillon (1991) y
a ajouté la fonction de transformation de la quantité en qualité. Enfin de nombreux
chercheurs, notamment au CRPPC de l’Université Lyon 2 (Attigui 1993, Brun 2007,

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Conclusion"

Chouvier 2002, etc.), ont approfondi cette notion dans différents champs des thérapies à
médiation.

Dans le champ du transfert il paraît évident que l’analyste ne peut être ainsi
qualifié de médium malléable, les qualités requises pour ce faire dépassant celle de tout être
humain, si longtemps et profondément analysé a-t-il été. Par contre il peut sembler
raisonnable de poser que la chimère transférentielle puisse être considérée, en elle-même,
comme médium malléable au sein de la relation analytique. Faisant tiers dans la relation,
elle fait aussi office de pare-excitation et contribue fortement à la perception de l’analyste,
aux yeux de l’analysant, comme porteur des qualités de ce médium malléable.

Cette application du concept de chimère transférentielle mériterait très


probablement d’être approfondie dans un travail qui se centrerait sur elle.

Il serait aussi nécessaire de travailler la possible, voire probable, parenté de la


chimère avec la notion d’appareil psychique groupal et de groupalité psychique. Ces
notions ont été introduites par Kaes (1976, 2005), faisant suite à de nombreux travaux
psychanalytiques sur les groupes, notamment à la suite de Bion (1961) et d’Anzieu (1972).
Cette notion aujourd’hui ancienne semble pourtant étrangère à la compréhension de
nombreux analystes qui n’ont pas d’expérience du groupe, notamment du groupe
thérapeutique.

La notion de chimère transférentielle pourrait permettre de jeter un pont


théorique entre les psychanalyses individuelles et groupales. La chimère, en effet, telle
qu’abordée ici, est le lieu d’un appareil psychique groupal du groupe minimum que
constitue l’analyste et son analysant.

C’est, dans mon expérience, au sein de l’institution que cette notion paraît la
plus pertinente, la mieux à même de rendre compte des multiples interactions qui émergent
au sein des différents groupes qui la constituent autant qu’entre eux. Une première ébauche
de ce travail a été présentée à Londres (Martin-Vallas 2014) à partir de mon expérience de
psychiatre dans un Établissement et Service d’Aide par le Travail.

Une autre question importante concerne le développement de l’enfant,


notamment les premières relations du nourrisson avec son environnement maternant : le

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phénomène de la chimère transférentielle pourrait n’être que la reprise, dans le cadre


psychanalytique, d’une modalité relationnelle chimérique de la mère et de son bébé ; cela
pose alors la question de la construction du narcissisme et, plus largement, de l’identité.
Cela est aussi susceptible de rejoindre, dans une réactualisation transférentielle, la notion de
l’enveloppe maternelle primitive avancée par Roman (1997, 2001).

Une dernière question est celle des rapports entre neurosciences et


psychanalyse. L’exemple donné dans ce travail d’une possible cohabitation des deux
approches au sein d’un même modèle mériterait certainement d’être approfondi, travaillé
en détail et mieux confronté aux données de l’expérience neuroscientifique autant qu’à
celles de la clinique psychanalytique. Il mériterait aussi d’être confronté et articulé avec les
autres approches proposées à ce sujet (Schore 1994, 2003 & 2003b, Pommier 2004,
Naccache 2006, Wilkinson 2006, Hochmann 2007, Roussillon 2007, Falissard 2008, Ouss
& Golse & Georgieff & Widlocher 2009, Leffert 2010, Cros 2011, Infurchia 2014, etc.)

Mais ce ne sont là que quelques pistes de recherches ultérieures, les limites de


ce travail autant que les questions qu’il peut ouvrir allant bien au-delà de ce qui est ici juste
ébauché. Et si ce travail donne à penser à ses lecteurs, alors il aura atteint son but.

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Bibliographie"

BIBLIOGRAPHIE!
Figurent ici tous les ouvrages ayant servi à la réalisation de ce travail. Une
bibliographie exhaustive sur le thème du transfert est, en effet, apparue totalement
irréalisable, d’une part du fait de la pléthore d’articles et ouvrages écrits sur ce sujet depuis
la naissance de la psychanalyse et de la psychologie analytique, et d’autre part du fait que
différents points de vue sont ici présentés, y compris non psychanalytiques. Ne figurent
donc ici que les références utilisées et auxquelles le texte renvoie.

Dictionnaires+&+Encyclopédies!
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121 : L’année de la publication initiale retenue pour les écrits de Jung correspond à celle indiquée dans le
Catalogue chronologique des Œuvres de Jung (2004) et la Bibliographie raisonnée des écrits de C.G.
Jung (2014). Elle peut parfois différer de la date indiquée dans les éditions françaises.

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177 — (1929) Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or, Paris, Albin Michel, 1979
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quatrième édition, revue et corrigée en 1950, de 1912a),
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194 — (1954) ‘Contribution à l’étude de la psychologie du fripon’, Le Fripon divin,
Genève, Georg, 1984, p.177-198
122
195 — (1955), Mysterium Conjuncionis, Paris, Albin Michel, 1980

122 : Les deux premiers volumes du Mysterium Conjuncionis ont été signés de C.G. Jung. Le troisième, Aurora
Consurgens, a, quant à lui, été signé de M.L. Von Franz. Nous savons cependant que les trois volumes ont

XI

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été écrits en collaboration de ces deux auteurs, le troisième ayant été publiéplusieurs années après la
mort de Jung

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Index"&"TdM"

INDEX%DES!CONCEPTS
"
chimère"transférentielle · 3, 1, 3, 6, 8, 18, 20, 28, 29,
A 52, 129, 131, 132, 133, 134, 135, 137, 138, 166,
168, 169, 176, 177, 181, 183, 215, 222, 225, 226,
affect · 2, 14, 143, 147, 150, 151, 152, 153, 163, 164, 227, 229, 241, 242, 244, 248, 252, 253, 257, 259,
165, 166, 174, 176, 179, 188, 200, 227, 230, 239, 270, 279, 280, 282, 284, 285, 286, 288, 291, 292,
252, 258, 259, 303, 304, 305 293, 299, 301, 310, 315, 316, 322, 331, 340, 341,
anima · 15, 16, 122, 198, 237, 247, 265, 297, 309, 342, 343, 349, 351, 352, 353, 354
344 clivage · 11, 208, 222, 223, 228, 229, 294, 296, 298,
animus · 15, 16, 188, 237, 240, 297, 318 315, 341
appareil"psychique"groupal · 353 cognitivisme · 31, 77, 78, 80, 81, 139
archétype · 3, 10, 11, 12, 13, 14, 17, 48, 53, 63, 90, commune"inconscience · 3, 184, 213, 276
98, 111, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 126, compensation · 13, 14, 15, 16, 214, 278
131, 133, 153, 154, 174, 175, 182, 222, 223, 224,
complexe · 1, 2, 3, 11, 17, 18, 28, 43, 45, 50, 52, 54,
225, 232, 234, 235, 242, 243, 244, 247, 253, 258,
58, 59, 64, 66, 68, 70, 74, 80, 84, 88, 89, 94, 98,
259, 260, 262, 265, 274, 279, 283, 286, 288, 297,
99, 111, 112, 115, 116, 118, 119, 123, 124, 130,
307, 308, 314, 315, 320, 336, 338, 341, 351
131, 132, 133, 140, 146, 164, 165, 168, 224, 237,
association · 112, 116, 197
241, 245, 252, 264, 280, 291, 314, 349
associativité · 78, 147, 339 concept · 9, 10, 12, 14, 23, 38, 46, 47, 53, 81, 89, 97,
attracteur · 57, 58, 61, 62, 63, 64, 92, 93, 117, 119, 98, 104, 106, 110, 111, 112, 113, 114, 118, 125,
181, 269, 279, 280, 282, 303 126, 127, 129, 131, 133, 137, 138, 139, 140, 142,
autisme · 225, 273, 315, 328, 330 155, 159, 163, 174, 182, 193, 206, 214, 218, 222,
autocorganisation · 1, 3, 54, 70, 115, 117, 118, 132, 227, 254, 259, 260, 262, 265, 281, 317, 318, 320,
168, 176, 223, 269, 270, 275, 284, 314, 315, 339, 331, 351, 352, 353
341 connexionnisme · 77, 78, 79, 80
conscient · 10, 11, 13, 15, 16, 89, 90, 95, 101, 115,
128, 130, 134, 151, 170, 173, 179, 188, 212, 214,
B 234, 257, 258, 266, 278, 282, 284, 319, 322, 338,
340
behaviorisme · 80, 82 contrectransfert · 1, 7, 23, 28, 52, 110, 128, 129, 138,
brisure"de"symétrie · 43, 48, 52, 115, 116, 311 153, 183, 200, 213, 241, 255, 259, 276, 285
courbe de bifurcation · 54, 312
créationnisme · 4, 125, 127, 319
C créativité · 13, 20, 48, 89, 114, 177, 194, 208, 250,
347
cadre · 1, 2, 3, 7, 14, 42, 65, 115, 133, 134, 135, 152,
166, 167, 168, 177, 187, 188, 190, 191, 193, 194,
219, 226, 230, 239, 245, 246, 247, 254, 255, 259, D
276, 277, 278, 279, 281, 283, 286, 287, 293, 294,
300, 304, 322, 332, 342, 343, 347, 352, 354 défense · 3, 12, 108, 189, 195, 198, 201, 208, 221,
castration · 90, 99, 101, 198, 256, 317, 333 222, 234, 237, 255
chaos · 38, 40, 53, 57, 92, 93, 177, 181, 221, 222, 276, défenses"archaïques · 297
349 déintégration/réintégration
chimère · 3, 1, 3, 5, 6, 8, 18, 20, 23, 24, 25, 28, 29, 52, déintégration · 7, 160, 223, 224, 226, 262, 263,
110, 129, 131, 132, 133, 134, 135, 137, 138, 166, 279, 280, 284, 285, 287, 288, 291, 296, 297,
168, 169, 176, 177, 181, 183, 184, 196, 205, 212, 299, 300, 315, 316, 328, 330, 335, 336, 340,
215, 216, 222, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 342, 351
241, 242, 243, 244, 245, 248, 252, 253, 257, 259, réintégration · 7, 160, 176, 223, 224, 226, 263,
270, 279, 280, 282, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 279, 285, 287, 288, 291, 296, 297, 298, 299,
291, 292, 293, 299, 300, 301, 310, 315, 316, 322, 300, 315, 316, 330, 336, 337, 340, 342, 351
324, 331, 340, 341, 342, 343, 347, 349, 351, 352, "
353, 354 "
XXVII

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La"chimère"transférentielle"

destructivité · 13, 48, 89, 114, 189, 190, 192, 195, inceste · 97, 98, 99, 100, 101, 103, 104, 106, 107, 113,
199, 206, 215, 217, 249, 250, 261, 262, 270, 279, 205, 208, 210, 217, 253, 254, 255, 256, 259, 260,
285, 292 261, 262, 263, 270, 271, 272, 273, 276, 277, 285,
déterminisme · 37, 43, 53, 73, 74, 75, 76, 88, 89, 96, 286, 322, 329
307 inceste"à"la"mère · 253, 255, 256, 259, 261, 285,
dissociation · 11, 75, 221, 222, 243, 244, 245, 246, 286
335 inconscient · 1, 3, 5, 7, 10, 11, 13, 14, 15, 16, 18, 38,
47, 48, 52, 89, 90, 99, 100, 101, 102, 112, 115,
121, 122, 129, 131, 141, 154, 155, 171, 172, 173,
E 175, 177, 184, 196, 198, 199, 201, 208, 210, 211,
213, 214, 216, 217, 220, 222, 223, 227, 234, 235,
éléments"α · 121, 155, 159, 224 238, 240, 243, 253, 258, 259, 266, 278, 284, 285,
éléments"β · 121, 122, 155, 158, 163, 179, 221, 224 306, 307, 309, 319, 320, 338, 339, 341, 344, 346,
émergence · 1, 2, 3, 17, 18, 20, 49, 54, 67, 72, 76, 77, 347
79, 81, 87, 88, 102, 115, 117, 118, 119, 126, 127, individuation · 160, 176, 202, 270, 274, 283, 292, 298,
132, 133, 137, 140, 141, 152, 158, 162, 170, 172, 299
175, 176, 177, 182, 216, 220, 222, 223, 224, 227, instinct · 12, 17, 63, 114, 117, 208, 222, 271, 296,
242, 253, 257, 258, 263, 269, 276, 279, 280, 284, 307, 310, 315
285, 292, 302, 310, 311, 316, 319, 320, 321, 322, Interactive"Brain"Hypothesis · 2, 140, 142, 165
329, 330, 331, 341, 342, 347, 350 interprétation · 20, 36, 37, 61, 125, 133, 148, 162,
énaction · 77, 79, 80, 85, 118, 137, 138, 139, 140, 169, 189, 200, 201, 203, 216, 237, 244, 267, 268,
162, 169, 320, 350 270, 303, 319
entropie · 66, 67, 68, 280 intuition · 12, 54, 71, 95, 119, 125, 126, 129, 260, 311,
enveloppe"maternelle"primitive · 354 352
épistémologie
épistémologie"complexe · 1, 2, 3, 66, 72, 111, 140
obstacle · 34, 35, 41, 116, 261 K
espace"des"phases · 90, 91, 93, 94, 95, 117, 269, 285
éthique · 3, 15, 16, 20, 179, 180, 207, 208, 227, 228, kairos · 259, 300, 301, 309, 310, 311, 316
284, 300, 330, 331, 332, 335, 336, 339, 342, 343,
346, 347, 352
L
F langage · 3, 2, 25, 81, 84, 85, 87, 121, 165, 166, 167,
179, 195, 239, 294, 310, 334
finalité · 4, 15, 33, 125, 127, 254, 263, 319, 320, 321 liaison"c"déliaison · 13, 128, 176, 262, 279, 280
fonction"transcendante · 13, 14, 15, 114 libido · 16, 97, 98, 103, 104, 105, 107, 112, 189, 192,
fonction"α"r"121,"122,"159,"163,"179,"224" 207, 208, 210, 217, 218, 220, 221, 222, 223, 224,
225, 226, 229, 244, 245, 253, 256, 269, 272, 273,
274, 276, 277, 278
G libido"anobjectale · 208, 220, 221, 222, 223, 224,
225, 226
groupalité"psychique · 14, 353 libido"endogame · 208, 218, 223, 224, 256, 273,
274, 277
libido"exogame · 208, 218, 223, 256, 272, 273,
H 274, 277, 278
localisationnisme · 79
hermaphrodite · 202, 219
M
I
mécanique"quantique · 17, 36, 37, 38, 43, 44, 69, 71,
74, 75, 94, 265, 266, 267, 268, 269, 270, 280, 281,
identification"projective · 1, 9, 131, 174, 201, 206,
310, 320, 322, 349
213, 215, 216, 237, 241, 243, 244, 259, 297
mémoire · 2, 5, 6, 21, 67, 88, 134, 143, 144, 145, 146,
imago · 192, 198, 203, 215, 231, 232, 233, 234, 235,
147, 150, 151, 152, 156, 157, 163, 165, 166, 170,
236, 242, 243, 244, 245, 246, 265, 288
176, 179, 180, 183, 187, 204, 227, 303
imago"paternelle · 198, 232, 233, 234, 235, 236,
mère · 11, 13, 26, 27, 29, 98, 100, 101, 102, 103, 104,
242, 243, 244, 245, 246, 288
107, 131, 159, 160, 180, 186, 187, 188, 189, 190,
implicite · 143, 144, 147, 158, 161, 166, 169, 170,
192, 193, 197, 198, 200, 201, 202, 207, 213, 215,
171, 172, 173, 231
223, 224, 225, 228, 231, 232, 233, 234, 235, 236,
"
237, 238, 242, 246, 251, 253, 255, 256, 257, 258,
XXVIII

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Index"&"TdM"

260, 262, 263, 265, 270, 272, 273, 279, 288, 293, Q
295, 296, 301, 302, 303, 304, 306, 322, 325, 326,
327, 328, 331, 336, 337, 338, 340, 347, 354
quaternio"alchimique · 256, 257, 271, 286
mise"en"acte · 185, 186, 191, 205, 206, 207, 208, 211,
213, 222
R
N
représentation · 3, 9, 12, 15, 18, 37, 38, 44, 56, 77,
79, 80, 90, 91, 108, 113, 118, 122, 123, 137, 138,
narcissisme · 101, 121, 122, 133, 188, 189, 194, 207,
147, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 159,
208, 214, 215, 218, 223, 227, 228, 237, 238, 241,
160, 163, 175, 176, 178, 179, 181, 197, 203, 206,
243, 244, 245, 246, 285, 304, 337, 341, 354
207, 208, 221, 224, 225, 231, 234, 261, 264, 265,
narcissisme"primaire · 244, 245
266, 267, 268, 269, 274, 276, 279, 282, 284, 289,
négatif · 174, 218, 235, 254, 262
297, 314, 339, 341, 346, 349, 350
néguentropie · 66, 67, 68, 280
neurones"miroirs · 2, 161, 164
neuroplasticité · 2, 142, 143
neurosciences · 3, 17, 31, 77, 78, 79, 80, 82, 83, 84,
S
85, 87, 118, 130, 131, 139, 142, 143, 154, 155,
161, 168, 175, 181, 350, 354 sacrifice · 90, 95, 97, 99, 100, 101, 215, 223, 317
noncsens · 109, 184, 195, 198, 214, 220, 222, 316, sadomasochisme · 189, 198, 333, 334, 335, 339, 340
317, 322, 324, 325, 326, 328, 329, 330, 331 section"de"Poincaré · 90, 91, 92, 93, 94, 95, 99, 101,
numineux · 12, 96, 107, 321 108, 119, 215, 350
séduction · 17, 101, 158, 175, 213, 218, 224, 234,
237, 238, 242, 243, 244, 246, 307, 310, 311, 312,
O 337, 341, 351
séduction"hystérique · 244
séduction"narcissique · 237, 341
ombre · 15, 16, 24, 33, 116, 173, 188, 201, 203, 223,
séduction"originaire · 17, 101, 158, 218, 224, 234,
237, 262, 338, 339
238, 310, 311, 312, 337, 351
opposés · 13, 14, 15, 306
sensibilité"aux"conditions"initiales · 1, 38, 39, 53, 59,
organisateurs · 14, 176, 181, 223, 224, 274
74, 115
sexuel · 96, 97, 99, 100, 101, 102, 103, 107, 158, 198,
203, 207, 234, 235, 260, 261, 271, 285, 295, 296,
P 307, 308, 310, 337
soi · 3, 7, 11, 13, 16, 100, 103, 116, 125, 157, 158,
parecexcitation · 184, 353 159, 160, 161, 189, 192, 195, 197, 207, 208, 211,
participation"mystique · 2, 3, 9, 129, 182 214, 218, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 234, 246,
pensée · 5, 6, 13, 14, 31, 33, 48, 64, 66, 73, 75, 76, 86, 254, 256, 258, 261, 262, 263, 270, 274, 279, 280,
87, 102, 105, 117, 118, 123, 124, 125, 126, 127, 281, 282, 284, 285, 286, 287, 291, 292, 293, 294,
128, 132, 133, 141, 168, 171, 172, 173, 174, 176, 296, 297, 298, 299, 300, 306, 310, 313, 315, 316,
206, 216, 218, 227, 230, 249, 255, 258, 259, 262, 317, 321, 322, 328, 330, 335, 336, 337, 338, 339,
267, 281, 284, 294, 295, 304, 318, 319, 324, 325, 340, 341, 342, 346, 351
333, 337, 340, 347 soi"éthique · 284, 285, 335, 340
père · 13, 96, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 107, 108, soi"primaire · 159, 160, 262, 263, 279, 287, 297,
159, 188, 190, 197, 198, 200, 201, 202, 231, 232, 306, 313, 315, 336
233, 234, 235, 236, 238, 239, 240, 242, 243, 244, squiggle · 21, 284
246, 251, 252, 256, 257, 258, 259, 272, 294, 295, surmoi · 16, 285, 332, 339, 340
296, 298, 301, 325, 326, 328, 330, 333, 337, 343, synchronicité · 3, 53, 111, 113, 125, 126, 127, 132,
347 206, 317, 318, 321, 322, 329, 331, 342, 351
pervers · 203, 315, 332, 335, 338 système"complexe · 1, 2, 3, 43, 50, 51, 52, 53, 54, 56,
phallus · 189, 207, 232, 234, 340 59, 69, 70, 82, 84, 88, 89, 90, 94, 99, 110, 115,
projection · 3, 9, 91, 138, 174, 190, 200, 213, 218, 117, 118, 131, 133, 134, 137, 141, 147, 163, 165,
271, 274, 275, 276, 282 166, 168, 169, 172, 175, 177, 269, 279
psychoïde · 2, 3, 89, 111, 113, 125, 163, 184, 320,
321, 322
pulsion · 45, 57, 89, 101, 119, 152, 158, 174, 175, 204, T
205, 218, 244, 254, 260, 261, 262, 279, 280, 298,
303, 315
téléologie · 15, 125, 127, 262, 263, 319, 320, 321
pulsion"de"mort · 45, 101, 119, 218, 254, 260, 261,
temporalité · 43, 129, 300, 301, 305, 306, 307, 308,
262, 279, 303
312, 314, 316
transcendance · 15, 37, 113, 219, 269, 320

XXIX

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La"chimère"transférentielle"

transfert · 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 18, 20, 23, 24, 26, 28, 29,


52, 53, 110, 127, 129, 130, 131, 138, 154, 169,
172, 174, 177, 179, 183, 184, 185, 187, 188, 191,
193, 198, 200, 201, 205, 206, 207, 208, 212, 213,
214, 215, 216, 217, 218, 222, 223, 224, 225, 226,
227, 228, 229, 230, 236, 237, 240, 241, 242, 244,
245, 248, 253, 256, 257, 258, 259, 260, 264, 265,
267, 269, 270, 271, 272, 274, 276, 277, 279, 280,
282, 283, 285, 286, 287, 291, 296, 299, 300, 303,
309, 310, 315, 316, 324, 329, 330, 332, 335, 338,
340, 341, 342, 349, 351, 353
transfert"adhésif · 225, 341
transfert en double miroir · 241, 242, 244, 246
transfert"psychotique · 7, 8

V
violence"fondamentale"r"208, 216, 224"

"

XXX

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Index"&"TdM"

INDEX%DES%AUTEURS!
"
CRUTCHFIELD"Jim · 50
A
ABRAHAM"Nicolas · 23 D
ADDISON"Ann · 89, 111, 125, 163, 184, 320
ADORNO"Theodor"W. · 46, 47, 48, 49, 110, 130, 349
DAMASIO"Antonio · 2, 54, 88, 112, 151, 158, 163,
AGNEL"Aimé · 9, 274
171, 178, 321
ANZIEU"Didier · 6, 7, 90, 132, 227, 353
DE"JAEGHER"Hanne · 2, 76, 140, 165
ARBIB"Michael"A. · 168
DELRIEU"Alain · 110
ATMANSPACHER"Harald · 94, 350
DESCARTES"René · 9, 32, 46, 49, 64, 65, 70, 79, 86
ATTIGUI"Patricia · 352
DI"PAOLO"Ezequiel · 76, 140, 165
DITTO"William"L. · 54, 56
DUBOIS"Monique · 57
B DUNSFORD"Ivor · 26
DUPARC"François · 21, 284
BACHELARD"Gaston · 34, 35, 41, 65
BAK"Per · 312, 316
BALIER"Claude · 6, 183, 184, 306 E
BALINT"Michael · 7, 175, 189, 214
BARSKI"Georges · 26, 27
EDELMAN"Gérard"M. · 147
BAUDOIN"Charles · 101
EDELSON"Marshall · 19
BERGERET"Jean · 208
EINSTEIN"Albert · 33, 36, 37, 267, 270, 281
BION"Wilfried · 21, 98, 132, 155, 158, 163, 221, 224,
ELLIOT"Euel"W. · 66, 350
353
ELLMANN"Richard · 120
BITBOL"Michel · 350
BLACKERBY"Rae"Fortunato · 66, 350
BONNET"Gérard · 241, 244
BOSTON"CHANGE"PROCESS"STUDY"GROUP · 133, 161,
F
166, 169, 170, 171, 173, 320
BRIGHT"George · 53, 127, 132, 311, 321, 322 FALISSARD"Bruno · 354
BRUN"Anne · 352 FARMER"Doyne · 50
BUTZ"Michael"R. · 50, 66, 118, 350 FAUREcPRAGIER"Sylvie · 50
FEDIDA"Pierre · 241, 244
FERENCZI"Sandor · 97, 98, 99, 131, 175
C FOGEL"Gerald · 50
FORDHAM"Michael · 7, 159, 221, 222, 223, 262, 263,
279, 280, 284, 296, 297, 299, 306, 313, 315, 328,
CALDWELL"Lesley · 263
330, 351
CAMBRAY"Joe · 53, 127, 133, 312
FREUD"Sigmund · 2, 3, 4, 10, 11, 14, 15, 18, 23, 48,
CHAMBERLAIN"Linda"L. · 350
57, 89, 90, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103,
CHATILLON"Norbert · 98
104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 112, 113, 116,
CHOUVIER"Bernard · 352, 353
118, 125, 129, 131, 132, 138, 144, 150, 153, 166,
CLANCY"Kelly · 86
171, 172, 175, 176, 177, 185, 198, 202, 214, 225,
CLAUSIUS"Rudolf · 66 234, 254, 259, 260, 261, 262, 271, 274, 276, 279,
COHEN"Amy"E. · 23, 87, 141, 350, 351 280, 297, 303, 317, 339, 346, 347, 350
COLMAN"Warren · 117
CONFORTI"Michael · 126
COPERNIC"Nicolas · 35, 40 G
COSTABEL"Pierre · 38
COVINGTON"Coline · 129
GAILLARD"Christian · 10, 120
CROS"Edmond · 354
GALILÉE · 35, 40

XXXI

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La"chimère"transférentielle"

GALLESE"Vittorio · 161, 164, 178 KORN"Henri · 86, 144, 181


GARDINER"Muriel · 18 KRIEGER"Nancy"M. · 181
GARÈNE"Michèle · 66 KUHN"Thomas"S. · 34
GEORGIEFF"Nicolas · 354 KUPIEC"JeancJacques · 15
GILGENKRANTZ"Simone · 27
GLEICK"James · 38, 44, 50, 55, 57, 313
GOLSE"Bernard · 354
GOTTMAN"John"Mordechai · 66
GRABEN"Peter"Beim · 94
GRANGER"Gilles"Gaston · 32, 33, 34, 35, 42 L
GREEN"André · 108, 215, 218, 254, 262
GROTSTEIN"James"S. · 50 LACAN"Jacques · 3, 101
LAPLACE"Pierre"Simon · 38, 40, 65, 69, 74
LAPLANCHE"Jean · 16, 63, 100, 101, 158, 218, 224,
H 234, 238, 245, 246, 307, 308, 309, 310, 337, 351
LAROCHE"Serge · 88, 143
HAMEED"Salman · 125 LAUGHLIN"Robert · 126
HEIDEGGER"Martin · 65, 66 LE"RU"Véronique · 125
HOFFMAN"Lynn · 50 LEBOVICI"Serge · 138
HOGENSON"George · 111, 133, 182, 311, 314, 315 LEFFERT"Mark · 66, 350, 354
HUMBERT"Elie"G. · 10, 13, 203, 226 LLEDO"PierrecMarie · 143
LORENZ"Edward · 53, 63, 64
LYAPOUNOV"Alexandre · 39
I
INFURCHIA"Claudia · 354 M
MARTIN"François · 322, 350
J MARTINcVALLAS"François · 10, 11, 15, 17, 53, 63, 92,
102, 111, 132, 147, 168, 181, 182, 183, 224, 280,
JANET"Pierre · 10, 11, 90 286, 288, 306, 337, 341, 343, 352, 353
JANVIER"Philippe · 28 MATURANA"Humberto · 117, 137
JONES"Ernest · 97, 105 MAXWELL"James"Clerk · 36, 69
JOYCE"Angela · 120, 263 MILNER"Marion · 352
JUNG"Carl"Gustav · 1, 2, 3, 5, 6, 9, 10, 11, 12, 13, 14, MOODY"Robert · 312
15, 16, 17, 20, 23, 48, 53, 89, 90, 95, 96, 97, 98, MORAN"Michael"G. · 50
99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, MORIN"Edgar · 1, 32, 56, 64, 66, 68, 69, 70, 72, 81,
109, 110, 111, 112, 113, 114, 116, 117, 118, 119, 88, 109, 118, 130, 140, 349
120, 121, 122, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 131, MOSER"JeancJacques · 20
134, 138, 146, 152, 153, 154, 155, 160, 163, 172, MOSHER"Paul · 50
173, 175, 176, 177, 179, 181, 182, 183, 184, 185, MURRAY"James"D. · 66
187, 189, 192, 195, 198, 202, 203, 205, 206, 207,
208, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217,
218, 219, 220, 221, 222, 224, 225, 227, 228, 229, N
232, 233, 235, 253, 254, 255, 256, 258, 259, 260,
261, 262, 263, 264, 265, 266, 268, 269, 270, 271, NACCACHE"Lionel · 141, 354
272, 273, 274, 276, 278, 279, 280, 281, 282, 283, NELSON"Lee · 26, 27
284, 285, 286, 297, 303, 306, 309, 311, 315, 316, NEUMANN"Erich · 65, 68, 90
317, 318, 320, 321, 329, 335, 338, 339, 341, 343, NEWTON"Isaac · 35, 36, 38, 40, 44, 65, 69
344, 345, 346, 347, 349, 350, 351 NOTTALE"Laurent · 175, 281

K O
KAES"René · 14, 132, 353 OTTO"Rudolf · 12
KANT"Emanuel · 15, 33, 37, 113, 320 OUSS"Lisa · 354
KELVIN"Lord · 37
KIEL"Douglas"L. · 66, 350
KLEIN"Mélanie · 131, 174 P
KNOX"Jean · 111, 113, 114, 118, 119, 133, 153, 182
KONORSKI"Jerzy · 142
PACKARD"Norman · 50
XXXII

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Index"&"TdM"

" "
" "
PASCAL"Blaise · 33, 73, 240 SWANSON"Kristin"R. · 66
PLANCK"Max · 36
POINCARÉ"Henri · 33, 36, 38, 40, 41, 90, 91, 92, 93,
94, 95, 98, 101, 108, 119, 175, 215, 350
POMMIER"Gérard · 354
POPPER"Karl · 46, 47, 49, 70, 71, 72, 110, 130, 349
PRADO"DE"OLIVEIRA"Luiz"Eduardo · 144, 311 T
PRAGIER"Georges · 50
TAUSK"Victor · 144, 179
THOMPSON"Evan · 143, 171
Q THOMPSON"Joan".S. · 143, 171
TIMAR"Pierre · 175
QUINODOZ"JeancMichel · 50, 199 TISSERON"Serge · 178, 184, 245
TUCCI"Giuseppe · 289
TUSTIN"France · 225
R TYSON"Rebecca · 66

RAGUET"Claire · 53, 132


RAMACHANDRAN"Vilayanur"S. · 147, 148, 150, 152 V
RAMOS"Denise · 114
RAPP"Paul"E. · 86 VAN"EENWYK""John"R. · 118
REIK"Theodor · 311 VARELA"Francisco · 23, 77, 78, 79, 81, 82, 85, 87, 117,
REY"Béatrice · 352 137, 139, 140, 141, 143, 145, 146, 162, 171, 320,
RICHARDSON"Thomas"H. · 168 350, 351
RICŒUR"Paul · 127, 263 VERMOREL"Henri · 225
RIMBAUD"Arthur · 81 VERMOREL"Madeleine · 225
RIZZOLATI"Giacoma · 2, 161 VERNANT"JeancPierre · 310
ROESLER"Christian · 111, 119 VINCENT"JeancDidier · 143
ROMAN"Pascal · 14, 18, 354 VITTET"Daniel · 81
ROSCH"Eleanor · 143 VON"FRANZ"MariecLouise · 306
ROUSSILLON"René · 352, 354

W
S
WHARTON"Barbara · 129
SAMUELS"Andrew · 154 WIDLOCHER"Daniel · 18, 19, 132, 184, 349, 354
SCHLICK"Moritz · 46 WIENER"Jan · 53, 132
SCHORE"Allan · 354 WILKINSON"Barbara · 354
SCHRÖDINGER"Erwin · 37, 45, 46, 65, 67 WILLIAMS"Benjamin."R. · 168
SHAMDASANI"Sonu · 120, 121 WINBORN"Mark · 129, 182
SHAW"Robert · 50 WINNICOTT"Donald"W. · 21, 98, 102, 121, 122, 175,
SINIGAGLIA"Corrado · 161 189, 224, 251, 263, 337
SOLIE"Pierre · 306, 342 WOLINSKI"Howard · 26
SOLOMON"Hester · 179, 207, 284, 336, 338
SPIELREIN"Sabina · 129, 254, 261
SPITZ"René"A. · 160, 180, 336 Z
STERN"Daniel · 66, 160, 169
SWANSON"Catherine · 66 ZEMOR"Denise · 214
" &
"

XXXIII

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La"chimère"transférentielle"

XXXIV

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Index"&"TdM"

TABLE!DES$FIGURES!
Figure"1":"Champ&sémantique&de&la&chimère".................................................................."28
Figure"2":"Équation&de&Schrödinger"................................................................................"45
Figure"3":"Courbe&de&bifurcation"....................................................................................."55
Figure"4":"Mouvement&de&deux&doubles&pendules&partis&d’une&position&initiale&quasi&
identique"................................................................................................................"58
Figure"5":"Valeurs&de&x&pour&xn+1=4xn&(1Exn),&avec&erreur&de&1%,&1‰&et&1&pour&un&million
"..............................................................................................................................."60
Figure"6":"Graphe&de&x&pour&xn+1=4xn&(1Exn)"....................................................................."61
Figure"7":"Évolution&de&x&au&fil&des&itérations".................................................................."62
Figure"8":"Relation&entre&les&valeurs&successives&de&x"....................................................."62
Figure"9":"Attracteur&de&Lorenz"......................................................................................."64
Figure"10":"Carte&polaire&de&sciences&cognitives,&d’après&Varela".".................................."77
Figure"11":"Projection&et&coupe&d’une&sphère&creuse"......................................................"91
Figure"12":"Exemple&d’une&section&de&Poincaré".............................................................."93
Figure"13":"Organisation&complexe&de&l’épistémologie&de&Jung,&chaque&niveau&étant&en&
inter&et&rétro&actions&avec&chacun&des&autres"......................................................"124
Figure"14":"Les&mémoires".............................................................................................."144
Figure"15":"Expérience&et&remémoration"......................................................................"145
Figure"16":"Associativité&de&la&mémoire"......................................................................."146
Figure"17":"Cortex&sensoriel".........................................................................................."148
Figure"18":"Cortex&sensoriel&après&amputation&de&l’avantEbras"...................................."148
Figure"19":"Colonisation&par&les&afférences&de&proximité"............................................."149
Figure"20":"Réactivation&des&circuits&de&la&douleur"......................................................."150
Figure"21":"Voies&visuelles&supérieures""........................................................................"156
Figure"22":"Circuit&de&l’affect"........................................................................................"164
Figure"23":"Système&complexe&de&l’interrelation".........................................................."165
Figure"24":"Système&complexe&de&la&relation&analytique&—&la&chimère&transférentielle
"............................................................................................................................."168
Figure"25":"«&Le&roi&et&la&reine&»"...................................................................................."209
Figure"26":"«&La&vérité&nue&»"........................................................................................."210
Figure"27":"«&L’immersion&dans&le&bain&»"......................................................................"211
Figure"28":"«&La&conjonction&»"......................................................................................"212
Figure"29":"«&La&mort&»"................................................................................................."212
Figure"30":"«&Le&retour&de&l’âme&»"................................................................................."217
Figure"31":"«&La&nouvelle&naissance&»"".........................................................................."220
Figure"32":"«"La"fontaine"mercurielle"»"........................................................................"221
Figure"33":"Dynamique&du&transfert&en&double&miroir".................................................."242
Figure"34":"Le&bébé"......................................................................................................."249
Figure"35":"«&L’inceste&»&"..............................................................................................."255

XXXV

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La"chimère"transférentielle"

Figure"36":"Barres&de&contrôle"......................................................................................"265
Figure"37":"Quaternio&«&quantique&»"............................................................................"266
Figure"38":"Principe&de&la&téléportation&quantique"......................................................"268
Figure"39":"Quaternio&alchimique""..............................................................................."271
Figure"40":"Fonction&contenante&du&quaternio"............................................................"273
Figure"41":"Fonction&contenante&des&projections"........................................................."274
Figure"42":"Anneau&de&Moebius"..................................................................................."275
Figure"43":"Fonction&contenante&du&cadre"..................................................................."277
Figure"44":"La&chimère,&représentation&sous&forme&d’un&attracteur&étrange"..............."281
Figure"45":"Topique&de&la&chimère&transférentielle"......................................................"285
Figure"46":"Nymphéa"..................................................................................................."286
Figure"47":"Hélène"........................................................................................................"287
Figure"48":"Claire".........................................................................................................."288
Figure"49":"Gardiens&d’un&mandala&bouddhiste"..........................................................."289
Figure"50":"Fête&des&Mères"..........................................................................................."290
Figure"51":"Temporalité&circulaire&objective&—&A"........................................................."304
Figure"52":"Temporalité&circulaire&objective&—&B""........................................................"305
Figure"53":"Temporalité&linéaire&objective"..................................................................."306
Figure"54":"Temporalité&linéaire&subjective".................................................................."307
Figure"55":"Temporalité&subjective"..............................................................................."307
Figure"56":"Courbe&de&bifurcation"................................................................................"312
Figure"57":"Carl&Gustav&Jung,&aquarelle,&1903"............................................................."344
Figure"58":"Carl&Gustav&Jung&:&illustration&du&Livre&Rouge"............................................"344

XXXVI

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Index"&"TdM"

TABLE%DES%MATIERES!
!

Remerciements

Plan

Hypothèses!................................................................................................................!1

Méthodologie!............................................................................................................!5
1! Historique!de!ce!travail!...................................................................................................!5!
1.1& Genèse&............................................................................................................................&5&
1.2 Intermède&.......................................................................................................................&6
1.3 Retour&à&la&chimère&.........................................................................................................&8
2 Quelques!concepts!jungiens!............................................................................................!9
2.1 Les&sources&......................................................................................................................&9
2.2 Un&concept&selon&Jung&..................................................................................................&10
2.3 Les&notions&de&conscient&et&d’inconscient&pour&Jung&.....................................................&10
2.4 Les&notions&d’archétype&et&de&complexe&;&le&moi&comme&complexe&et&le&soi&comme&
archétype&...............................................................................................................................&11
2.5 Les&notions&de&compensation,&de&fonction&transcendante&et&de&dynamique&des&opposés
& 14
2.6 L’ombre,&l’anima/animus,&et&l’éthique&selon&Jung&........................................................&15
3 La!notion!de!complexité!................................................................................................!16
4 Les!neurosciences!..........................................................................................................!17
5 Retour!à!la!clinique!.......................................................................................................!18
5.1 Méthode&du&cas&singulier&..............................................................................................&18
5.2 Effets&de&cette&recherche&sur&ma&pratique&clinique&.......................................................&20
5.3 Éthique&de&la&publication&..............................................................................................&21

La!“chimère”!transférentielle!...................................................................................!23
1 La!Chimère!dans!la!mythologie!......................................................................................!24
2 La!chimère!du!langage!courant!......................................................................................!25
3 La!chimère!des!biologistes!.............................................................................................!25
3.1 Généralités&....................................................................................................................&25
3.2 Chimérisme&complet&.....................................................................................................&26
3.3 Chimérisme&hématopoïétique&.......................................................................................&26
3.4 Microchimérisme&..........................................................................................................&26
3.5 Perspectives&de&recherches&...........................................................................................&27

XXXVII

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La"chimère"transférentielle"

4 La!chimère!en!zoologie!...................................................................................................!28
5 Synthèse!........................................................................................................................!28

Épistémologie!..........................................................................................................!31
1 Définition!de!l’épistémologie!.........................................................................................!31
2 Épistémologie!scientifique!«!classique!»!........................................................................!32
2.1 L’épistémologie&«&postcartésienne&»&.............................................................................&32
2.2 L’épistémologie&«&postEkantienne&»&..............................................................................&33
2.3 Y&aEtEil&une&épistémologie&contemporaine&?&.................................................................&34
2.4 Le&paradigme&copernicien&.............................................................................................&35
2.5 Les&nouveaux&paradigmes&du&XXe&siècle&........................................................................&35
2.5.1" La"relativité"de"Poincaré"et"Einstein"....................................................................................."36"
2.5.2 La"mécanique"quantique"......................................................................................................"36
2.5.3 La"théorie"du"chaos".............................................................................................................."38
e
2.5.4 Le"paradigme"scientifique"mis"à"mal"au"XX "siècle"..............................................................."40
3 L’épistémologie!d’aujourd’hui!........................................................................................!44
3.1 Sciences&formelles&et&sciences&empiriques&....................................................................&44
3.2 L’épistémologie&de&Karl&Popper&et&sa&controverse&avec&Theodor&Adorno&.....................&46
3.3 Le&théorème&de&Gödel&...................................................................................................&49
3.4 Quelques&conséquences&épistémologiques&des&systèmes&complexes&...........................&50
3.4.1 Définitions"............................................................................................................................"50
3.4.2 Propriétés"............................................................................................................................."51
3.4.3 La"courbe"de"bifurcation"......................................................................................................"54
3.4.4 Les"attracteurs"étranges"(Gleick,"1997"–"Bergé"&"Dubois,"2008)"........................................."57
3.5 La&pensée&complexe&selon&Edgar&Morin&........................................................................&64
3.5.1 Entropie"et"néguentropie"....................................................................................................."66
3.5.2 La"science"comme"système"complexe"................................................................................."69
3.6 Prévisibilité,&déterminisme,&causalité&et&liberté&............................................................&73
3.6.1 Définitions"............................................................................................................................"73
3.6.2 Discussion"............................................................................................................................"74
4 Épistémologie!des!neurosciences!...................................................................................!77
4.1 Le&behaviorisme&............................................................................................................&80
4.2 Neurosciences&biologiques&et&médicales&.......................................................................&82
4.2.1 Généralités"..........................................................................................................................."82
4.2.2 Le"voir"et"l’entendre"............................................................................................................."84
4.2.3 Le"voir"estcil"fiable"?"............................................................................................................."85
4.2.4 Approches"localisationistes"et"holistiques"..........................................................................."87
5 Épistémologie!de!la!psychanalyse!..................................................................................!89
5.1 Généralités&....................................................................................................................&89
5.2 Espace&des&phases&et&section&de&Poincaré&.....................................................................&90
5.3 Les&prémisses&épistémologiques&qui&ont&conduit&aux&points&de&vue&divergents&de&Freud&
et&de&Jung&...............................................................................................................................&96
5.3.1 La"question"sexuelle"............................................................................................................."96
5.3.2 Castration"et"sacrifice":"deux"prémisses"épistémologiques"divergentes".............................."97
5.3.3 Le"sexuel"et"l’inconscient,"selon"Freud"et"selon"Jung":"castration"et"sacrifice"....................."99
5.3.4 L’inconscient"selon"Freud"et"selon"Jung"............................................................................."101
5.3.5 La"nécessaire"dimension"subjective"d’une"théorie"psychanalytique"................................."103
5.4 Un&exemple&de&l’épistémologie&jungienne&:&l’archétype&..............................................&111
5.4.1 Quelques"éléments"de"l’épistémologie"de"Jung"................................................................"113
5.4.2 La"psyché"comme"système"complexe"................................................................................"115
5.4.2.1& Sensibilité&aux&conditions&initiales&..............................................................................&115&
XXXVIII

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Index"&"TdM"

5.4.2.2 Brisure&de&symétrie&....................................................................................................&115
5.4.2.3 NonEreproductibilité&...................................................................................................&116
5.4.2.4 Attracteur&étrange&et&autoEorganisation&...................................................................&117
5.4.2.5 L’archétype&:&un&système&complexe&à&structure&fractale&?&.........................................&118
5.4.3 Carl"Gustav"Jung":"un"théoricien"de"la"subjectivité"?"........................................................."120
5.4.4 La"question"de"la"finalité"et"de"la"synchronicité"................................................................"125
5.4.5 Conclusion"........................................................................................................................."127

Neurosciences!.......................................................................................................!129
1 Épistémologie!de!la!démarche!.....................................................................................!130
2 La!chimère!transférentielle!..........................................................................................!131
2.1 Prémisses&historiques&..................................................................................................&131
2.2 Définition&....................................................................................................................&132
2.3 Un&exemple&clinique&....................................................................................................&134
2.3.1 Méthodologie"...................................................................................................................."134
2.3.2 Vignette"clinique"................................................................................................................"135
3 Les!hypothèses!neuroscientifiques!proposées!.............................................................!137
3.1 Le&concept&d’énaction&.................................................................................................&137
3.2 L’hypothèse&des&cerveaux&interactifs&(IBH)&.................................................................&140
3.3 La&neuroplasticité&.......................................................................................................&142
3.4 La&modélisation&neurophysiologique&de&la&mémoire&..................................................&143
3.5 Mémoire&et&hallucination&:&les&douleurs&fantômes&.....................................................&147
3.6 La&question&des&représentations&.................................................................................&154
3.6.1 L’exemple"des"représentations"visuelles"..........................................................................."155
3.6.2 La"question"du"non"représentable"....................................................................................."158
3.7 Les&neurones&miroirs&...................................................................................................&161
3.8 La&question&de&l’affect&.................................................................................................&163
3.9 La&question&du&langage&...............................................................................................&166
3.10 L’asymétrie&du&cadre&psychanalytique&........................................................................&167
3.11 Les&travaux&du&Boston&Change&Process&Study&Group&(BCPSG)&....................................&169
3.12 La&question&de&l’archétype&et&de&la&pulsion&.................................................................&174
3.13 Conclusion&...................................................................................................................&176
4 Lecture!clinique!...........................................................................................................!178
5 Conclusion!..................................................................................................................!181

Cliniques!................................................................................................................!183
1 Brigitte!........................................................................................................................!183
1.1 Présentation&...............................................................................................................&183
1.2 Une&première&approche&clinique&:&Brigitte&..................................................................&186
1.3 Une&première&approche&théorique&:&la&chimère&et&le&transfert&selon&Jung&..................&205
2 Séduction!et!chimère!..................................................................................................!230
2.1 L’analyse&de&Renée&:&...................................................................................................&230
2.2 L’imago&paternelle&......................................................................................................&232
2.2.1 Rêve"du"phallus".................................................................................................................."232
2.2.2 Discussion".........................................................................................................................."233
2.3 Les&vacances&à&la&campagne&:&.....................................................................................&235
2.4 Quelques&rêves&:&..........................................................................................................&238
2.5 Le&transfert&en&double&miroir&:&....................................................................................&241
2.6 La&valse&des&séductions&:&.............................................................................................&243
XXXIX

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La"chimère"transférentielle"

2.7 Proposition&théorique&..................................................................................................&244
3 Les!contenants!de!la!chimère!transférentielle!..............................................................!248
3.1 Approche&clinique&........................................................................................................&248
3.1.1 Nymphéa"............................................................................................................................"248
3.1.2 Hélène"................................................................................................................................"249
3.1.3 Claire".................................................................................................................................."250
3.1.4 La"fête"des"Mères"..............................................................................................................."251
3.2 L’autonomie&de&la&chimère&transférentielle&................................................................&252
3.2.1 L’autonomie"de"la"chimère"transférentielle"......................................................................."253
3.2.2 La"terreur"de"l’inceste"........................................................................................................"253
3.2.3 Les"projections"d’amour"et"de"haine".................................................................................."256
3.2.4 L’émergence"du"transfert"amoureux"................................................................................."257
3.2.5 Le"soi"du"transfert".............................................................................................................."258
3.3 Théorisation&des&contenants&de&la&chimère&transférentielle&.......................................&259
3.3.1 L’inceste":"..........................................................................................................................."260
3.3.1.1 Inceste&et&pulsion&de&mort&..........................................................................................&261
3.3.1.2 Inceste&et&soi&primaire&................................................................................................&262
3.3.2 Quelques"remarques"épistémologiques":".........................................................................."264
3.3.2.1 Un&contenant&dynamique&...........................................................................................&264
3.3.2.2 Une&représentation&quantique&...................................................................................&265
3.3.2.3 La&téléportation&quantique&.........................................................................................&267
3.3.2.4 L’attracteur&étrange&...................................................................................................&269
3.3.3 La"chimère":"utérus"du"transfert"?"......................................................................................"270
3.3.3.1 Le&quaternio&alchimique&:&...........................................................................................&271
3.3.3.2 Les&projections&............................................................................................................&274
3.3.3.3 Le&cadre&:&....................................................................................................................&276
3.3.3.4 Quelques&hypothèses&sur&l’origine&et&la&dynamique&de&la&chimère&transférentielle&...&278
3.3.3.5 L’attitude&psychanalytique&:&.......................................................................................&281
3.4 La&chimère&transférentielle,&un&soi&partagé&?&..............................................................&284
3.4.1.1 Nymphéa&....................................................................................................................&286
3.4.1.2 Hélène&........................................................................................................................&287
3.4.1.3 Claire&..........................................................................................................................&288
3.4.1.4 La&fête&des&Mères&.......................................................................................................&290
4 Mouvements!déintégratifs!du!soi!de!la!chimère!transférentielle!..................................!292
4.1 Sophie&.........................................................................................................................&292
4.2 Déintégration&et&réintégration&dans&le&transfert&:&.......................................................&295
4.2.1 Du"côté"de"l’analyste".........................................................................................................."295
4.2.2 Du"côté"de"Sophie".............................................................................................................."297
4.2.3 Dans"le"transfert"................................................................................................................."298
5 Temporalité!de!la!chimère!transférentielle!..................................................................!300
5.1 Différentes&temporalités&.............................................................................................&300
5.2 André,&ou&de&la&fin&des&temps&au&temps&de&la&fin&........................................................&300
5.3 La&temporalité&circulaire&objective&..............................................................................&304
5.4 La&temporalité&linéaire&objective&.................................................................................&305
5.5 La&temporalité&linéaire&subjective&...............................................................................&306
5.6 Le&kairos&......................................................................................................................&308
5.7 La&catastrophe&transférentielle&...................................................................................&310
5.8 Courbe&de&bifurcation&et&différentes&temporalités&......................................................&311
5.9 L’archétype&:&structure&symbolique&vs&structure&instinctuelle&:&...................................&313
6 Chimère!et!synchronicité!.............................................................................................!316
6.1 La&notion&de&synchronicité&selon&Jung&et&Pauli&............................................................&317
6.2 Geneviève,&ou&le&nonEsens&de&l’inceste&........................................................................&321
6.2.1 Clinique".............................................................................................................................."322
XL

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Index"&"TdM"

6.2.2 Discussion".........................................................................................................................."328
7 L’importance!de!l’éthique!...........................................................................................!331
7.1 Une&séance&avec&Paul&.................................................................................................&331
7.2 La&déintégration&du&soi&éthique&de&l’analyste&.............................................................&334
8 Discussion!...................................................................................................................!340
8.1 Clinique&.......................................................................................................................&340
8.2 L’éthique&et&le&cadre&...................................................................................................&341
8.3 L’éthique&pour&Jung&....................................................................................................&342
8.3.1 Les"syncopes"......................................................................................................................"342
8.3.2 L’anima".............................................................................................................................."343
8.3.3 La"perte"des"repères".........................................................................................................."345
8.3.4 Discussion".........................................................................................................................."345

Conclusion!.............................................................................................................!347

Bibliographie!..............................................................................................................!I
! Dictionnaires!&!Encyclopédies!..........................................................................................!I!
! Neurosciences,!Psychologie!&!Psychanalyse!....................................................................!II!
! Epistémologie,!Mathématique!&!Physique!et!autres!.....................................................!XX!

Index!des!concepts!.............................................................................................!XXVII

Index!des!auteurs!.................................................................................................!XXXI

Table!des!figures!.................................................................................................!XXXV

Table!des!matières!............................................................................................!XXXVII!

XLI

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Résumé
PLAN Université Lumière Lyon 2

François Martin-Vallas
Caio Vinicius
Ce travail, qui s’inscrit Martins
dans le cadre de la contato@caiomartins.psc.br
psychologie analytique développée par Jung, propose
d’introduire le concept de chimère transférentielle comme dimension du transfert qui ne peut être assignée
ni à l’un ni à l’autre des deux protagonistes d’un travail analytique, bien que les concernant tous deux. Cette
Éducation, Psychologie, Information, Communication
Hypothèses
dénomination repose autant sur le travail de Michel de M’Uzan que sur le champ sémantique complexe associé Centre de Recherches en Psychopathologie et Psychologie Clinique
au mot chimère.
Ce travail soutien l’hypothèse selon laquelle la situation analytique est propice à l’émergence d’une néo réalité psy-
chique, ici appelée la chimère transférentielle, néo réalité psychique en partie autonome vis-à-vis du psychisme des

La Chimère Transférentielle
La méthodologie de ce travail est celle, théorico-clinique, développée par Widlocher sous le nom de cas
deux protagonistes
singulier. Elle conduitdeà lalarecherche
situation analytique.
d’une preuveAinsi les dynamiques
d’existence, et non àde
unetransfert et contre-transfert ne sont plus
preuve d’universalité.
envisagées comme seul espace inter projectif entre analyste et analysant, mais aussi comme système dynamique
complexe entre troispartie
Une première systèmes psychiques
propose : analyste,
une discussion analysant et chimère
épistémologique transférentielle,
qui prenne en compte lesce dernier influençant,
changements
tout autant
desqu’étant influencé, par les deux autres.
profonds paradigmes scientifiques résultant du développements de la physique depuis le début du XXe Proposition épistémologique, neuroscientifique et clinico-théorique
avec l’avènement de la relativité restreinte, rapidement suivie de la relativité générale et de la mécanique
Méthodologie
quantique puis de la théorie des systèmes complexes, aussi appelée théorie du chaos. Il est soutenu dans ce du transfert psychanalytique comme système complexe
travail qu’une révision
1 Historique dedes positions épistémologiques fondées sur le travail de Popper, et une meilleure prise
ce travail
en compte d’approches telles
2 Quelques concepts jungiens que proposées par Adorno ou Morin, est nécessaire. Cette discussion conclut à Par François Martin-Vallas
l’importance de notions
3 La notion telle que celles d’émergence ou d’énaction, en ce qu’elles rendent compte du fait que
de complexité

La chimère transférentielle
ce qui apparaît
4 Les neurosciences donné de l’expérience ne préexiste pas nécessairement à sa manifestation.
à un moment
Enfin cette àdiscussion
5 Retour la cliniqueépistémologique tente d’éclairer la profonde divergence entre les approches de
Freud et de Jung, divergence qui apparaît ici comme résultant principalement d’une différence de point de vue
épistémologique. Là aussi, le recours à la physique, précisément à la notion de section de Poincaré, permet
La “chimère”
d’éclairer transférentielle
cette divergence autrement que par une simple opposition. Cela permet de comprendre pourquoi,
dans le 1champ
La Chimère dans la mythologie
de la psychologie clinique autant que dans celui de la psychanalyse, des théories divergentes,
parfois opposées,
2 La chimère peuvent et doivent
du langage coexister afin de pouvoir construire une représentation aussi exhaustive
courant
que possible de la réalité.
3 La chimère des biologistes
4 La chimère en zoologie
Dans une seconde partie l’hypothèse de la chimère transférentielle est abordée au regard des
5 Synthèse
neurosciences. Il est ainsi proposé une représentation neuroscientifique de la relation analytique. Cette
représentation n’a aucunement pour objet de se prétendre vraie, mais, plus modestement, possible. Elle
Épistémologie
vise à proposer une nouvelle manière d’articuler neurosciences et théories psychanalytiques, postulant que
l’expérience
1 Définition de l’épistémologie
de la clinique psychanalytique est un niveau de complexité très supérieur à ce qui est aujourd’hui
accessible
2 Épistémologie scientifique
aux neurosciences, ce qui « classique
permet de » rendre compte de l’existence de dynamiques propres au
processus3 L’épistémologie
analytique du fait d’aujourd’hui
de leur émergence entre les niveaux de complexité accessibles à la recherche
neuroscientifique
4 Épistémologie
et celui deneurosciences
des l’expérience psychanalytique.
5 Épistémologie de la psychanalyse
Enfin, dans une troisième partie, ce travail aborde différents aspects de la chimère transférentielle telle
Neurosciences
qu’elle est se manifeste dans la clinique psychanalytique. Un premier cas clinique est exposé en détail afin
d’apporter une preuve d’existence
1 Épistémologie de la démarche de cette dimension. D’autres cas cliniques suivent, centrés sur une dimension
ou un moment particulier
2 La chimère de la cure, afin d’apporter la preuve de cette existence dans d’autres contextes, et
transférentielle
avec des patients dont le fonctionnement et la structure psychique diffèrent autant du premier cas exposé Jean Fontaine : Luth pour la vie - Grès - 1996
3 Les hypothèses neuroscientifiques proposées
qu’entre eux. Enfin, chacun de ces cas a été l’occasion de focaliser la discussion théorico-clinique sur un aspect
4 Lecture clinique
particulier, saillant dans le cas considéré.
5 Conclusion
Sont ainsi discutées l’adéquation de l’hypothèse avec la théorisation jungienne de la dimension Thèse de doctorat de psychologie
archétypique du transfert, l’articulation possible de cette théorisation avec la théorisation freudienne, à partir
Cliniques
de la séduction originaire proposée par Laplanche, puis la dimension de contenance psychique de la chimère,
Psychologie clinique
toujours 1au regard de la théorie jungienne.
Brigitte
Quatre autres et
2 Séduction approches
chimère de la chimère sont, ensuite, proposées à la discussion : Directeur de thèse : Bernard Chouvier
3 Les contenants de ladechimère
- les mouvements déintégration/réintégration
transférentielle du soi en rapport avec la constitution et les
dynamiques de
4 Mouvements la chimère,duà partir
déintégratifs soi de des propositions
la chimère de Fordham ;
transférentielle Présentée et soutenue publiquement le 21 avril 2015
- les rapports de la chimère avec
5 Temporalité de la chimère transférentielle les temporalités psychiques, telles qu’abordées dans la théorie

jungienne
6 Chimère et et telles qu’il est possible de les aborder aussi à partir des travaux de Laplanche ;
synchronicité Devant un jury composé de :
7 L’importance de voir
- la possibilité de la chimère selon le concept de synchronicité développé par Pauli et Jung ;
l’éthique
8- Discussion
enfin l’importance de l’éthique comme garante de la dimension psychanalytique de la chimère et du Thèse Anne Brun, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2
processus analytique en général. Université Bernard Chouvier, Professeur émérite à l’Université Lumière Lyon 2
Lyon 2 Denise Gimenez Ramos, Professeur à l’Université Catholique Pontificale de São Paulo
Conclusion
Mots clefs : Chimère transférentielle, Émergence, Énaction, Épistémologie complexe, Neurosciences,

Texte original de la thèse, réservé aux professionnels du soin psychique, à ne pas diffuser sans l'autorisation de l'auteur
Psychanalyse, Psychologie Analytique, Transfert. EPIC Pascal Roman, Professeur à l’Université de Lausanne
CRPPC

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