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François Martin-Vallas
Résumé contato@caiomartins.psc.br
Ce travail, qui s’inscrit dans le cadre de la psychologie analytique développée par Jung, propose d’introduire le concept de chimère transférentielle comme
dimension du transfert qui ne peut être assignée ni à l’un ni à l’autre des deux protagonistes d’un travail analytique, bien que les concernant tous deux. Cette
Éducation, Psychologie, Information, Communication
Hypothèses
dénomination repose autant sur le travail de Michel de M’Uzan que sur le champ sémantique complexe associé au mot chimère.
La méthodologie de ce travail est celle, théorico-clinique, développée par Widlocher sous le nom de cas singulier. Elle conduit à la recherche d’une preuve
Centre de Recherches en Psychopathologie et Psychologie Clinique
d’existence, et non à une preuve d’universalité.
Une première partie propose une discussion épistémologique qui prenne en compte les changements profonds des paradigmes scientifiques résultant du
Ce travail soutien l’hypothèse selon laquelle la situation analytique est propice à l’émergence d’une néo réalité psy-
développements de la physique depuis le début du XXe avec l’avènement de la relativité restreinte, rapidement suivie de la relativité générale et de la mécanique
chique, puisici
de appelée lasystèmes
chimère transférentielle, néoduréalité
chaos. Ilpsychique encepartie autonome vis-à-vis du psychisme des
La Chimère Transférentielle
quantique la théorie des complexes, aussi appelée théorie est soutenu dans travail qu’une révision des positions épistémologiques
fondées sur le travail de Popper, et une meilleure prise en compte d’approches telles que proposées par Adorno ou Morin, est nécessaire. Cette discussion conclut à
deux protagonistes de la situation analytique. Ainsi les dynamiques de transfert et contre-transfert ne sont plus
l’importance de notions telle que celles d’émergence ou d’énaction, en ce qu’elles rendent compte du fait que ce qui apparaît à un moment donné de l’expérience ne
envisagées
préexiste commeà saseul
pas nécessairement espace inter projectif entre analyste et analysant, mais aussi comme système dynamique
manifestation.
complexe entre trois systèmes tente
Enfin cette discussion épistémologique psychiques
d’éclairer la:profonde
analyste, analysant
divergence et chimère
entre les approches transférentielle,
de Freud et de Jung, divergencece quidernier
apparaît iciinfluençant,
comme
résultant principalement d’une différence de point de vue épistémologique. Là aussi, le recours à la physique, précisément à la notion de section de Poincaré, permet
tout autant qu’étant influencé,
que par unepar lesopposition.
deux autres.
d’éclairer cette divergence autrement simple Cela permet de comprendre pourquoi, dans le champ de la psychologie clinique autant que dans
celui de la psychanalyse, des théories divergentes, parfois opposées, peuvent et doivent coexister afin de pouvoir construire une représentation aussi exhaustive que Proposition épistémologique, neuroscientifique et clinico-théorique
du transfert psychanalytique comme système complexe
possible de la réalité.
Méthodologie
Dans une seconde partie l’hypothèse de la chimère transférentielle est abordée au regard des neurosciences. Il est ainsi proposé une représentation
neuroscientifique de la relation analytique. Cette représentation n’a aucunement pour objet de se prétendre vraie, mais, plus modestement, possible. Elle vise à
proposer une1nouvelle
Historique
manière de ce travail
d’articuler neurosciences et théories psychanalytiques, postulant que l’expérience de la clinique psychanalytique est un niveau de
complexité très2 Quelques concepts
supérieur à ce qui est jungiens
aujourd’hui accessible aux neurosciences, ce qui permet de rendre compte de l’existence de dynamiques propres au processus
analytique du fait de leur émergence entre les niveaux de complexité accessibles à la recherche neuroscientifique et celui de l’expérience psychanalytique.
Par François Martin-Vallas
Enfin,3dans
La une
notion departie,
complexité
La chimère transférentielle
troisième ce travail aborde différents aspects de la chimère transférentielle telle qu’elle est se manifeste dans la clinique psychanalytique.
Un premier cas 4 clinique
Les neurosciences
est exposé en détail afin d’apporter une preuve d’existence de cette dimension. D’autres cas cliniques suivent, centrés sur une dimension ou un
moment particulier de la cure, afin d’apporter la preuve de cette existence dans d’autres contextes, et avec des patients dont le fonctionnement et la structure psychique
5 du
diffèrent autant Retour
premierà caslaexposé
clinique
qu’entre eux. Enfin, chacun de ces cas a été l’occasion de focaliser la discussion théorico-clinique sur un aspect particulier, saillant
dans le cas considéré.
Sont ainsi discutées l’adéquation de l’hypothèse avec la théorisation jungienne de la dimension archétypique du transfert, l’articulation possible de cette
La “chimère” transférentielle
théorisation avec la théorisation freudienne, à partir de la séduction originaire proposée par Laplanche, puis la dimension de contenance psychique de la chimère,
toujours au regard de la théorie jungienne.
1 La Chimère dans la mythologie
Quatre autres approches de la chimère sont, ensuite, proposées à la discussion :
-2 lesLa chimèrededu
mouvements langage courant du soi en rapport avec la constitution et les dynamiques de la chimère, à partir des propositions de
déintégration/réintégration
3Fordham
La chimère
; des biologistes
- les rapports de la chimère avec les temporalités psychiques, telles qu’abordées dans la théorie jungienne et telles qu’il est possible de les aborder aussi à
4partir
La des
chimère en zoologie
travaux de Laplanche ;
-5 Synthèse
la possibilité de voir la chimère selon le concept de synchronicité développé par Pauli et Jung ;
- enfin l’importance de l’éthique comme garante de la dimension psychanalytique de la chimère et du processus analytique en général.
Épistémologie
Mots clefs : CG Jung, Chimère transférentielle, Émergence, Énaction, Épistémologie complexe, Neurosciences, Psychanalyse, Psychologie Analytique, Transfert.
1 Définition de l’épistémologie
2 Épistémologie scientifique « classique »
3 L’épistémologie d’aujourd’hui Abstract
This thesis, intended as a contribution to analytical psychology as developed by CG Jung, proposes the notion of a transferential chimera as a dimension
4 Épistémologie
of the transference des neurosciences
which may not be assigned to either one of the protagonists in the analytic dyad, while still attached to them both. This denomination draws as
5 Épistémologie deas la
much on the work of Michel de M’Uzan psychanalyse
it does on the complex semantics associated with the term chimera.
The methodology used here is the clinical and theoretically underscored approach to the single case. It is predicated on the search for a proof of existence,
and not a proof of universality.
Neurosciences
The first part is devoted to an epistemological discussion which takes account of the fundamental changes in theoretical understanding brought about in
the field of physics since the beginning of the XXth century. This encompasses restrained relativity, quickly followed by general relativity and, laiter, by the theory of
complex systems 1 Épistémologie
and chaos theory. It isde la démarche
contended that Carl Popper’s position on epistemology is in need of revision and that account needs to be taken now of the
developments put forward by Theodore Adorno and Edgar Morin. The present discussion concludes that ideas such as emergence and enactment are central to the
2 La chimère transférentielle
proposition in that they explain how events that occur in experience at a given time do not necessarily exist prior to their manifestation. Finally, this epistemological Jean Fontaine : Luth pour la vie - Grès - 1996
discussion seeks 3 Les hypothèses
to throw neuroscientifiques
light on the profound divergence between proposées
the approaches of Freud and Jung that appear to stem from a difference in their particular
epistemologies. Here again, reference to physics, specifically to Poincare’s map, allows this divergence to be understood as other than a simple opposition. It assists Jean Fontaine : Luth pour la vie - Grès - 1996
4 Lecture clinique
in the understanding why in clinical psychology as in the field of psycho analysis, divergent and sometimes opposing theories, can and need to co-exist in order to
5 Conclusion
construct as exhaustive a representation of reality as may be possible.
In part two the chimera hypothesis is examined in the light of neurosciences. An attempt is made to represent the analytic relationship in terms of
Thèse de doctorat de psychologie
neurosciences. In no sense is such a representation to be taken as real, merely as possible. The aim is to postulate a new method of articulating neuroscience
Cliniques
and psychoanalytic theory, whereby the experience of psychoanalytic practice is at a far greater level of complexity than it is currently possible to express Psychologie clinique
neuroscientifically. This enables an account to be given of the existence of dynamics inherent in the psychoanalytic process from their observed emergence between
1 Brigitte
the levels of complexity that are amenable to neuroscientific research and being experienced during psychoanalysis.
2 Séductiondifferent
Finally, in part three, et chimère
aspects of the transferential chimera will be examined as it manifests in psychoanalytic practice. With the aid of a detailed
clinical example an attempt is made to establish the existence of this phenomenon. Other clinical cases will centre on an aspect or a specific moment during
Directeur de thèse : Bernard Chouvier
treatment, in 3 Lestocontenants
order support the proofde laexistence
of its chimère transférentielle
in other contexts, that is, with patients whose functioning and psychic structure contrasts as markedly from
the first case as4 Mouvements déintégratifs du soi
they do amongst themselves. Finally, each case dethelaopportunity
gives chimèretotransférentielle
focus the theoretical and clinical discussion on a salient feature of each case.
Présentée et soutenue publiquement le 21 avril 2015
Thus the working potential of this hypothesis shall have been informed by the archetypal nature of the transference according to Jungian theory, by the
5 Temporalité
potential connection between it and deFreudian
la chimère transférentielle
theory, starting with primary seduction as envisaged by Laplanche, followed by the containing function of the chimera,
6 Chimère
still in the context et synchronicité
of Jungian theory.
Devant un jury composé de :
Four other aspects of the chimera are proposed for further consideration:
7 L’importance de l’éthique
- Based on Fordham’s perspective, the ebb and flow of deintegration and reintegration of the self in relation to the constitution and dynamics of the chimera;
8 Discussion
- The chimera in relation to psychic temporalities as envisaged in Jungian theory and those suggested in the work of Laplanche.
Thèse Anne Brun, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2
- The possibility of examining the chimera in the light of the concept of synchronicity as developed by Pauli and Jung. Université Bernard Chouvier, Professeur émérite à l’Université Lumière Lyon 2
Lyon 2 Denise Gimenez Ramos, Professeur à l’Université Catholique Pontificale de São Paulo
Conclusion
- In conclusion, highlighting ethics as a guarantor of the psychoanalytic functioning of the chimera and of the psychoanalytic process in general.
Key words: Analytical Psychology, CG Jung, Emergence, Enactment, Complex epistemology, Neuroscience, Psychoanalysis, Transference, Transferential Chimera. EPIC Pascal
Texte Roman,
original Professeur
de la thèse, réservé à l’Université
aux deduLausanne
professionnels soin psychique, à ne pas diffuser sans l'autorisation de l'auteur
CRPPC
Caio Vinicius Martins contato@caiomartins.psc.br
La chimère transférentielle
Proposition épistémologique, neuroscientifique et clinico-théorique
du transfert psychanalytique comme système complexe.
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Caio Vinicius Martins contato@caiomartins.psc.br
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À ma femme
REMERCIEMENTS!
Au Professeur Anne Brun ; la confiance dont elle m’a témoigné m’a soutenu tout du long de
ce travail.
Au Professeur Denise Gimenez Ramos ; à nos nombreuses rencontres, aussi amicales que
riches, dans les Congrès de l’International Association for Analytical Psychology, ainsi qu’à
l’occasion du notre travail au Comité Scientifique de la Revue de Psychologie Analytique.
Au Professeur Pascal Roman ; qu’il soit remercié de la simplicité avec laquelle il a accepté de
siéger au jury de thèse d’un inconnu de lui.
À Didier Anzieu qui a accepté de me prendre en supervision, et dont le travail avec moi,
autant que la profonde humanité, ont depuis, et sans discontinuer, nourri ma pratique clinique.
À Henry et Madeleine Vermorel qui m’ont permis d’organiser avec eux des échanges cliniques
et théoriques entre le CEPS et le GRAEPAJ, et à tous ceux qui ont participé à ces fructueux
échanges.
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Caio Vinicius Martins contato@caiomartins.psc.br
À tous mes collègues et ex-collègues des IME de Saint Chef et de Meyrieu les Étangs, des
Ateliers Nord-Isère et de l’inter-secteur de psychiatrie infanto-juvénile du Nord Isère.
Enfin, et surtout, à mes patients qui ont payé pour m’instruire, comme le disait si justement
Winnicott (1971, p. 1). Je suis évidemment particulièrement reconnaissant à ceux d’entre eux
dont j’ai pu utiliser ici le matériel clinique.
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PLAN!
Hypothèses!
Méthodologie!
1" Historique"de"ce"travail"
2" Quelques"concepts"jungiens"
3" La"notion"de"complexité"
4" Les"neurosciences"
5" Retour"à"la"clinique"
La!“chimère”!transférentielle!
1" La"Chimère"dans"la"mythologie"
2" La"chimère"du"langage"courant"
3" La"chimère"des"biologistes"
4" La"chimère"en"zoologie"
5" Synthèse"
Épistémologie!
1" Définition"de"l’épistémologie"
2" Épistémologie"scientifique"«"classique"»"
3" L’épistémologie"d’aujourd’hui"
4" Épistémologie"des"neurosciences"
5" Épistémologie"de"la"psychanalyse"
Neurosciences!
1" Épistémologie"de"la"démarche"
2" La"chimère"transférentielle"
3" Les"hypothèses"neuroscientifiques"proposées"
4" Lecture"clinique"
5" Conclusion"
Cliniques!
1" Brigitte"
2" Séduction"et"chimère"
3" Les"contenants"de"la"chimère"transférentielle"
4" Mouvements"déintégratifs"du"soi"de"la"chimère"transférentielle"
5" Temporalité"de"la"chimère"transférentielle"
6" Chimère"et"synchronicité"
7" L’importance"de"l’éthique"
8" Discussion"
Conclusion!
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Hypothèses"
HYPOTHESES!
Ce travail soutien l’hypothèse selon laquelle la situation analytique est propice
à l’émergence d’une néo réalité psychique, ici appelée la chimère transférentielle, néo
réalité psychique en partie autonome vis-à-vis du psychisme des deux protagonistes de la
situation analytique. Ainsi les dynamiques de transfert et contre-transfert ne sont plus
envisagées comme seul espace inter projectif entre analyste et analysant, mais aussi comme
système dynamique complexe entre trois systèmes psychiques : analyste, analysant et chimère
transférentielle, ce dernier influençant, tout autant qu’étant influencé, par les deux autres.
Cette hypothèse est née d’une pratique clinique principalement orientée sur des
“cas difficiles”, autrement dit “borderline”, et elle se veut congruente tout autant avec
l’approche théorique de Carl Gustav Jung qu’avec les données neuroscientifiques actuelles.
Elle vise à décrire, dans un cadre théorique cohérent, les multiples phénomènes d’intrication
psychique pouvant survenir au décours de ces cures, phénomènes dont un certain nombre de
concepts psychanalytiques (identification projective, communication d’inconscient à
inconscient, chimère des inconscients, notamment) cherchent à rendre compte, sans pour
autant englober l’ensemble de ces phénomènes, ni, parfois, être suffisamment cohérents avec
l’épistémologie des systèmes théoriques au sein desquels ils sont utilisés.
1. Cette hypothèse se fonde sur une approche du psychisme humain comme système
complexe, au sens de la physique des systèmes. Elle nécessite donc une épistémologie
adaptée, épistémologie complexe, à la suite notamment des travaux d’Edgard Morin
(1977, 1990). Il sera donc développé l’hypothèse que l’épistémologie des sciences
sociales en général, de la psychologie comme part de celles-ci et, plus spécifiquement
encore, de la psychanalyse et de la psychologie analytique doit aujourd’hui s’étayer sur
les données scientifiques concernant les systèmes complexes et leurs qualités propres.
Parmi ces qualités, les plus pertinentes pour cette recherche semblent être la sensibilité
aux conditions initiales, qui rend ces systèmes imprédictibles et non reproductibles,
ainsi que les phénomènes d’auto-organisation et d’émergence qui les caractérisent.
2. De plus, cette hypothèse peut ouvrir sur une mise en rapport des hypothèses
neuroscientifiques et psychanalytiques, sans que ni l’une ni l’autre de ces deux
1
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La"chimère"transférentielle"
• l’Interactive Brain Hypothesis de Dipaolo et De Jaegher (2012), hypothèse qui ouvre sur des
notions habituelles pour la psychanalyse, notamment celle d’objet interne ;
• les neurones miroirs (Rizzolati, 1996), notion largement commentée par de nombreux
psychanalystes, mais ici abordée principalement sous son angle inter et rétro actif ;
• la neuroplasticité et les nouvelles modélisations de la mémoire que cette notion permet,
notamment la mémoire à long terme particulièrement sollicitée dans l’analyse ;
• l’affect tel qu’abordé par Damasio (1999, 2006, 2010), et ses rapports avec la conscience ;
• la construction des représentations par le cerveau, et les différents niveaux d’interactions de
cette construction avec tant l’affect que la mémoire ;
• enfin le langage, non seulement dans ses dimensions usuelles de diachronie et synchronie,
mais aussi dans ses effets inter et rétro actifs sur le locuteur et son auditeur.
3. Cette hypothèse est une élaboration de l’approche jungienne du transfert (Jung 1944),
ainsi que les notions jungiennes de participation mystique que Jung a reprise de Levy
Brühl (1912, Jung 1916) et de psychoïde (Freud-Jung 1906-1914, lettre du 7 avril 1907).
Concernant le transfert, l’approche de Jung se différencie de celle de Freud en ce qu’il
considère ce processus d’un point de vue essentiellement impersonnel. Pour lui, ce
processus résulte de la rencontre de l’analyste et de l’analysant, dans le cadre
spécifique de l’analyse, et sa dynamique ne peut a priori être assignée à l’un ou à l’autre
des deux protagonistes. L’hypothèse est là que cette dynamique résulte de l’émergence
2
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Hypothèses"
Concernant la notion de participation mystique, elle vise à rendre compte du fait que
la représentation que l’on peut avoir de l’objet (ici l’autre de la cure) est toujours
indissociablement liée, et pour une part non définissable a priori, à ce que l’on perçoit de soi
en l’objet. Cette notion ne recouvre pas la notion freudienne de projection, puisque la
participation mystique est, pour Jung, la condition première de la conscience, et non le résultat
d’un mécanisme de défense d’une instance psychique déjà établie. Dans le cadre de la cure
Jung parle aussi de commune inconscience et pose cette commune inconscience comme origine des
dynamiques transférentielles. L’hypothèse est là que cette participation mystique est l’une des
conditions, sinon la principale, de l’émergence de la chimère transférentielle.
Concernant le psychoïde, mot que Jung avait proposé à Freud en lieu et place du
mot “inconscient”, il s’agit pour Jung de désigner ainsi cette zone de l’âme où psychique et
biologique se confondent, et d’où peut émerger la conscience, où aussi elle peut se perdre.
L’hypothèse est là que les définitions très différentes que Freud et Jung donnent de
l’inconscient résultent de prémisses épistémologiques quasi-opposés, et qu’il convient de se
référer à une épistémologie complexe pour qu’elles puissent coexister au sein d’un même
édifice théorique, cohérent, bien qu’hétérogène.
4. Enfin, cette hypothèse tente de répondre au Deo Concedente par lequel Jung exprime que
le destin d’une cure ne dépend pas seulement du travail du couple analytique, formule
reprise par Lacan d’une manière plus “moderne” : La guérison vient de surcroît. Si
l’hypothèse de la chimère transférentielle ne rend pas cette “guérison” moins divine
ou mystérieuse, elle pourrait avoir le mérite de proposer une représentation mieux à
même de répondre aux critères actuels d’une approche scientifique de la psyché
humaine. Cette hypothèse pose en effet que le transfert est une dynamique émergente
auto organisatrice de la rencontre analytique, que, certes, ses contenus relèvent des
processus bien connus de projections et contre-projections, mais que sa dynamique,
elle, est relativement autonome vis-à-vis des deux protagonistes de la cure. Cela ouvre
sur la notion jungienne d’archétype. Aborder cette dynamique sous l’angle des
systèmes complexes permet alors de poser que sa destinée est, par nature,
imprévisible, et que sa visée, la “guérison”, ne peut jamais n’être ni décidée ni garantie.
Cependant, de même que l’auto-organisation de l’univers a abouti à l’émergence de
dynamiques de plus en plus complexes, au premier rang desquelles peut être placé le
3
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La"chimère"transférentielle"
L’objectif de ce travail est ainsi d’offrir une hypothèse qui ouvre sur différentes
dimensions de la clinique psychanalytique, dans une approche théorique au sein de laquelle ces
mêmes dimensions, avec leurs dynamiques propres, aient chacune une place qui ne gomme
pas leurs différences de nature et de dynamique vis-à-vis des autres.
4
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Méthodologie"
METHODOLOGIE!
1 Historique!de!ce!travail!
1.1 Genèse!
Ce fut là la référence à Jung qui permit de lier cette expérience de la clinique avec
les dynamiques transférentielles, le transfert étant abordé par Jung non seulement dans ses
dimensions projectives de l’analysant sur l’analyste, et contre-projectives de l’analyste sur
l’analysant, mais aussi dans sa dynamique propre, telle qu’elle est susceptible d’émerger de la
rencontre singulière entre un analyste et un analysant. L’image de la chimère, animal
mythologique composite, lui vint alors à l’esprit pour désigner cette dimension particulière des
dynamiques transférentielles.
1 : La traduction anglaise de 1953 est significativement différente : s (CW 7, §323) trad. personnelle.
5
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La"chimère"transférentielle"
Le mémoire fut bien accueilli par la Société à laquelle se présentait son auteur,
puis fut aussi vite oublié par lui-même que par ses pairs.
1.2 Intermède!
6
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Méthodologie"
Burloux de la SPP, à qui il s’était adressé dans le cadre d’une pratique d’animation de groupes
Balint : je ne prends jamais de notes de mes séances, je fais confiance en mon inconscient.
Le travail avec Didier Anzieu avait porté sur une patiente particulièrement
difficile, un cas lourd, comme celui-ci avait conclu la première séance de supervision, un de ces
cas où aucune position orthodoxe de l’analyste ne peut tenir tant l’inanité de telles positions
apparaît clairement dès que l’on tente de s’y réfugier. Cela rejoint ce que Fordham avait écrit
en 1974 (p.195-196)2 :
Il est intéressant de reprendre les théories qui disent que le transfert psychotique est le
résultat d’erreurs de l’analyste, avec le contre-transfert à l’esprit.
1. Le diagnostic était erroné et le patient n’aurait jamais dû être pris en analyse.
2. La technique a été erronée, en particulier :
(a) Les interprétations ont été dirigées vers les mauvais objets du patient et traitées par
l’analyste comme s’ils étaient des bons objets réels. Ainsi l’analyste est devenu “l’avocat du
diable’.
(b) En conséquence de ces erreurs les défenses du patient n’ont pas été suffisamment prises en
compte, voire pas du tout.
(c) Les interprétations de toutes sortes ont été si excessives qu’elles ont fini par persécuter le
patient. Ce qui le conduit à perdre espoir, voir au désespoir ; ou encore
(d) L’analyste a fait tellement d’interprétations erronées que le patient a perdu sa confiance en
lui.
[…] La caractéristique du syndrome ainsi décrit, qui invalide ces arguments au sujet d’erreurs
techniques, est que le patient ne part pas ; au contraire, il exprime explicitement, ou plus souvent
implicitement que toute sa vie dépend de la poursuite de l’analyse et de son succès.
2 : Trad. personnelle
7
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La"chimère"transférentielle"
C’est ainsi que j’ai publié quelques articles clinico-théoriques sur des situations
cliniques de transfert difficile (ce qu’il était convenu d’appeler les transferts psychotiques),
tentant de théoriser cette dimension de ma clinique. Mais tout ce que je tentais d’avancer ainsi
me paraissait insatisfaisant : ce que j’en comprends aujourd’hui c’est que l’appellation
“transfert psychotique” est, en elle-même, très paradoxale. Qu’est-ce qui est ainsi qualifié de
“psychotique” ? S’il s’agit de l’analysant, alors ce n’est pas le transfert qui est psychotique, mais
bien l’analysant. Et s’il s’agit du transfert lui-même, alors le qualificatif “psychotique” ne peut
ici concerner qu’une certaine dynamique du transfert, non le transfert en lui-même. La
question se pose alors : existe-t-il un transfert qui ne serait aucunement “psychotique” ? Ce
que l’on nomme “transfert psychotique”, ne serait-ce pas uniquement la prédominance d’une
certaine forme de dynamique transférentielle, courante par ailleurs, mais qui, quand elle
devient prédominante, déstabilise l’analyste ?
1.3 Retour!à!la!chimère!
C’est dans le courant de ces questions que m’est revenue, avec un certain
sentiment d’évidence, mon idée première de chimère transférentielle. Il m’a semblé que le
qualificatif “psychotique”, appliqué au transfert, vient surtout désigner cette dimension du
transfert qui n’est assignable ni à l’un ni à l’autre des protagonistes de la cure et qui, de ce fait,
peut entraîner des épisodes de dépersonnalisation plus ou moins intenses et durables chez
l’analysant, mais aussi chez l’analyste ; De M’Uzan développe bien ce point, insistant sur la
nécessité que l’analyste accepte ces expériences de dépersonnalisation. J’ai donc repris mon
travail antérieur, et en ai proposé une nouvelle lecture clinique et théorique dans deux papiers
parus en anglais (2006, 2008).
8
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Méthodologie"
2 Quelques!concepts!jungiens!
2.1 Les!sources!
Si les principaux concepts jungiens utilisés dans ce travail sont introduits, pour la
plupart, au décours du texte, il peut sembler important d’en regrouper ici une première
approche. En 1920, dans Les types psychologiques, Jung a proposé un glossaire des principaux
concepts qu’il utilise (Jung, 1920, p.401-477). On y trouve ainsi la définition de 58 termes. En
1977, André Virel a proposé son vocabulaire des psychothérapies, où il définit à son tour un certain
nombre de concepts jungiens (environ 70), tout en donnant leur définition dans le champ
freudien ou adlérien si le même mot est utilisé par ces différents auteurs. Puis en 2002, Alain
de Mijola a dirigé la rédaction du Dictionnaire international de la psychanalyse, où un certain nombre
de concepts jungiens ont trouvé une place. Enfin, en 2005 est paru un ouvrage dirigé par
Aimé Agnel, le Vocabulaire de Carl Gustav Jung, avec 54 entrées.
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La"chimère"transférentielle"
Il faut ajouter à ces ouvrages, le Jung, d’Élie Humbert (1983) et le Que sais-je ?
JUNG, de Christian Gaillard (1995), et qui définissent assez précisément l’essentiel des
concepts jungiens, chacun du point de vue spécifique de leur auteur.
2.2 Un!concept!selon!Jung!
Il convient tout d’abord de préciser que, pour Jung, un concept n’est pas un objet
intellectuel parfaitement défini, mais avant tout un objet d’expérience — d’expérience
subjective — que le concept ne vise pas à expliquer, mais à représenter, donc sans perdre la
dimension de complexité et d’indétermination de tout ce qui touche à la subjectivité humaine.
De ce fait, les concepts jungiens peuvent facilement apparaître comme ambigus, paradoxaux,
contradictoires en eux-mêmes, comme si Jung cherchait à leur faire dire tout et son contraire.
Ainsi, pour certains, Jung serait bien plus mystique et/ou idéologue que scientifique, mais c’est
une lecture unidimensionnelle, booléenne pourrait-on dire, de son œuvre qui peut conduire à
une telle position.
2.3 Les!notions!de!conscient!et!d’inconscient!pour!Jung!
Les mots sont facilement trompeurs, surtout quand ils désignent tout à la fois une
modalité d’expérience et un concept théorique. Si, pour Freud, les mots conscient et
inconscient désignent d’abord un concept théorique, et plus précisément une topique
psychique, il n’en est pas du tout de même pour Jung. En effet, celui-ci s’est toujours référé à
Pierre Janet (1909), et à son idée d’abaissement du niveau mental, pour différencier
conscient et inconscient. La notion freudienne de refoulement n’était, pour Jung, qu’une
modalité parmi d’autres de cet abaissement du niveau mental qui différencie ce qui peut être
conscient de ce qui ne le peut pas.
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2.4 Les!notions!d’archétype!et!de!complexe!;!le!moi!comme!
complexe!et!le!soi!comme!archétype!
Nous n’avons ainsi pas de topique, au sens freudien, chez Jung qui définit le moi
comme le centre du champ de conscience. Et il le définit aussi comme complexe, c’est-à-dire un
ensemble de représentations liées entre elles par un même état émotionnel, au sein d’un même
réseau associatif. Et, surtout, il pose d’emblée que les dynamiques internes aux complexes sont
autonomes vis-à-vis de la conscience, faisant de chaque complexe comme une sorte de
personnalité secondaire potentielle. La spécificité du moi est ainsi sa relative permanence et sa
place comme centre du champ de conscience.
3 : Il convient de savoir que cette autobiographie a été rédigée par sa secrétaire, Agnela Jaffé, sur la base
d’interviews de Jung. Il en a relu et probablement corrigé les 5 ou 6 premiers chapitres, mais est décédé
avant l’achèvement de l’ouvrage. La tonalité rédactionnelle de la seconde partie devient ainsi fort différente,
parfois même quasi hagiographique.
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C’est aussi elle, quand elle touche aux dynamiques constructrices/destructrices de l’archétype,
qui conduit à la désintrication pulsionnelle. Enfin, la dissociabilité psychique n’est pas, pour
Jung, nécessairement une défense du moi ; elle est une dynamique psychique naturelle et
spontanée.
L’archétype a été défini par Jung pour rendre compte de son expérience avec
les psychotiques, et du constat qu’il a fait alors, de nombreuses analogies entre les fantasmes et
délires de ces patients d’une part, et les motifs mythologiques d’autre part. Il a aussi constaté
que ces fantasmes exercent une influence fascinatrice sur la conscience, qualité qu’il nomme
numinosité4, et en déduisit qu’ils étaient chargés d’une forte quantité d’énergie. Il en déduisit
que l’archétype est à la fois en rapport étroit avec l’instinct et avec l’activité symbolique de
représentation (Jung, 1956 § 550) :
De même qu’il nous faut poser le concept d’un instinct réglant et déterminant notre
action consciente, de même il nous faut poser aussi, pour la constance et la régularité de
l’intuition, le concept, corrélatif de l’instinct, d’une grandeur qui détermine le genre de conception.
C’est justement cette grandeur que j’appelle archétype, ou image primordiale. On pourrait dire de
cette image primordiale qu’elle est comme l’intuition qu’a l’instinct de lui-même ou la
copie qu’il donne de lui-même6, par analogie avec la conscience, qui n’est elle-même pas
autre chose que l’intuition intime du processus objectif de la vie. Tout comme la conception
consciente donne à l’action forme et fin, la conception inconsciente détermine par l’archétype la
forme et la fin de l’instinct. […] Il est, à mon avis, impossible de dire laquelle est première de la
5 : trad. personnelle
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conception ou de la tendance à agir. Il me semble que toutes deux sont une seule et même chose,
une seule et même activité vitale que, afin de mieux la comprendre, nous devons imaginer
démontée en concepts.
Ainsi l’archétype peut être considéré comme tout autant instinctuel que
symbolique ou spirituel (au sens premier de ce mot : qui relève de l’esprit, c’est-à-dire de la
psyché).
De ces archétypes, l’un a une place particulière dans la pensée de Jung, le soi :
Le terme « Soi » m’a semblé être une désignation adéquate de cet arrière-plan
inconscient dont l’exposant dans la conscience est toujours le moi. Le moi se trouve à l’égard du
Soi dans un rapport de patient à agent ou d’objet à sujet, car les décisions qui émanent du Soi
englobent le moi et, par suite, le dominent. De même que l’inconscient, le Soi est la donnée
existant a priori dont naît le moi. Il préforme en quelque sorte le moi. Ce n’est pas moi qui
me crée moi-même : j’adviens plutôt à moi-même. (Jung 1942, p.281)7
Le soi est vécu à la fois comme centre et comme totalité. Il est autonome, échappe au
contrôle de la raison et de la volonté, est sur ordonné au Moi. Il se représente dans des symboles
unificateurs tels que les mandalas. Il agit soit par compensation, soit par l’effet de centrage. La
relation au Soi fait sens. (Humbert 1977a) La totalité n’est pas la somme des possibles, mais
le principe vivant de leur organisation. Ce qui se projette dans la relation primaire avec la mère,
puis dans les fantasmes de toute-puissance et leurs variantes, se met en place comme structure des
rapports conscient-inconscient, selon lesquels le Moi est simplement le centre du conscient, articulé
sur le centre de la psyché inconsciente, le Soi. La totalité rend compte du fait que le psychisme ne
vit pas du perfectionnement de ce qui existe déjà, mis se développe par formation d’opposés,
différenciation, conflit et conjonction. Sa dynamique est celle de la compensation et aboutit à
instaurer la fonction transcendante. (Humbert 1977b)
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Cette notion d’archétype sera questionnée plus avant dans ce travail, dans une
discussion orientée sur ses soubassements épistémologiques. Une discussion concernant les
rapports entre cette notion jungienne et des notions freudiennes similaires, en une première
lecture à tout le moins, pourrait être souhaitable, mais elle ne peut entrer dans le cadre
restreint de ce travail. Il suffira, ici, de noter une certaine parenté avec ce que développe Kaes
(1976, 2005) en terme de groupalité psychique interne, et sa notion d’organisateurs
inconscients. L’exemple publié par Roman (2002) pourrait illustrer une telle réflexion du côté
du groupe institutionnel et ouvrir sur les groupes internes.
2.5 Les!notions!de!compensation,!de!fonction!transcendante!et!
de!dynamique!des!opposés!
Dès 1893 Freud commençait par montrer comment un délire hallucinatoire provient
d’un affect insupportable pour la conscience, et comment ce délire représente une compensation
pour des désirs non satisfaits, comment l’être humain se réfugie en quelque sorte dans la psychose
pour y trouver dans le délire onirique de la maladie ce qui lui a été refusé par la réalité
(Jung 1907, §61).
Chez les sujets normaux, la tâche principale de l’inconscient consiste à exercer une
action compensatrice et à établir un équilibre. Toutes les tendances conscientes extrêmes sont
atténuées et adoucies par une impulsion de sens contraire dans l’inconscient. Cette action
compensatrice s’exprime […] dans certaines activités inconscientes, apparemment absurdes, que
Freud a qualifiées très justement d’actions symptomatiques. (Jung 1914, §449)
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2.6 L’ombre,!l’anima/animus,!et!l’éthique!selon!Jung!
Des opposés que Jung met en exergue, deux couples sont particulièrement
importants : le couple moi/ombre d’une part, et le couple anima/animus d’autre part.
8 : Et il apparaît là, clairement, la référence de Jung à Kant dans son usage du terme transcendance et de ses dérivés.
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L’ombre est, pour Jung, constituée de tous les aspects de la personnalité dont le
moi ne veut pas entendre parler. Il y a ainsi une forte similitude entre l’ombre jungienne et
l’inconscient freudien tel que constitué par le refoulement sous l’égide du surmoi, et Jung note
à plusieurs reprises cette similitude. Mais, pour Jung, ce qui est inconscient ne l’est pas
nécessairement du fait d’un refoulement. L’inconscient est aussi constitué de tout ce qui n’a
pas encore été activé, c’est-à-dire de tous les possibles qui ne disposent pas de suffisamment
d’énergie pour devenir conscients. Il est aussi dans un rapport de compensation avec le
conscient, de telle sorte que ce qui est contraire aux positions conscientes sera
particulièrement investi par l’énergie disponible. Concernant l’ombre, plutôt que de parler de
retour du refoulé, Jung pose la nécessité pour le moi de se confronter à ses contenus (ce qui
présuppose donc le retour du refoulé), mais toujours en maintenant sa position propre, donc
en tenant l’opposition entre sa position et celle de l’ombre, jusqu’à ce que, deo concedente, un
troisième terme apparaisse. C’est là, pour Jung, une question d’éthique, l’éthique n’ayant
alors que fort peu à voir avec la morale, mais bien plus avec la vérité la plus subjective (celle
du soi, donc). Jung note, par exemple, que l’on trouvera certainement des figures d’anges dans
l’inconscient du criminel ; par contre, ce n’est pas en devenant un ange que le criminel
évoluera psychiquement, mais bien plutôt en se confrontant à ces figures d’anges, tout en
maintenant la position éthique de son identité de criminel, que peut-être émergera une
troisième voie respectueuse tout à la fois de son identité de criminel et de son potentiel à
devenir un ange. Il donne ainsi, à plusieurs reprises, l’exemple de la conversion de Saint Paul
sur le chemin de Damas comme renversement énantiodromique des valeurs du sujet, en lieu et
place d’une confrontation à lui-même.
3 La!notion!de!complexité!
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complexes de la physique (Martin-Vallas 2005 & 2005b). Il m’est, en effet, apparu une certaine
similitude entre la polarité instinctuel/spirituel de l’archétype selon Jung, et l’effet de la
séduction originaire de Laplanche, à savoir le détachement d’une part de l’énergie de l’instinct
qui devient ainsi sexuelle, au sens de l’humain : la culture. De la logique binaire, en tout ou
rien, de l’instinct, apparaît ainsi une complexité liée à l’influence d’un tiers, et une nouvelle
dynamique en émerge, comme il en est en physique dès lors que l’on applique les lois
newtoniennes non à deux corps interagissant entre eux (par exemple la terre et la lune), mais à
trois corps (par exemple la terre et la lune, elles-mêmes en interaction avec le soleil). Tout cela
sera repris et développé dans la partie épistémologique ; en effet, les systèmes complexes de la
physique partagent avec le psychisme humain de nombreuses qualités, celles-là mêmes qui
font dire à certains partisans de la seule épistémologie poppérienne que la psychologie clinique
en général, et la psychanalyse en particulier, ne sont pas scientifiques.
4 Les!neurosciences!
Très vite, il m’est apparu que cette notion de complexité ouvrait sur la possibilité
d’aborder les rapports de la psychanalyse avec les neurosciences bien différemment de ce que
j’avais pu lire jusque là (Martin-Vallas 2009b, 2014). Là, il ne s’agit plus de chercher des
correspondances terme à terme, comme de proposer la localisation cérébrale ou
hémisphérique de telle fonction ou dynamique psychique (au sens de la psychanalyse), mais il
s’agit de proposer un modèle d’organisation complexe des fonctions neurocognitives connues,
modèle qui soit susceptible d’être le lieu d’émergence des fonctions et dynamiques psychiques
telles que décrites par les théories psychanalytiques. Il y aurait ainsi, entre les neurosciences et
la psychologie, un saut épistémologique du même ordre que celui qui différencie la physique
quantique de la chimie, et, entre la psychologie et la psychanalyse, un saut du même ordre
qu’entre la chimie et la biochimie. Entre chacun de ces niveaux émergent des qualités
nouvelles qui font du niveau supérieur de complexité un domaine scientifique différent par
nature de celui qui le précède.
Et, de même qu’il est possible de faire de la biochimie sans rien connaître à la
mécanique quantique qui décrit le comportement des particules au sein de l’atome, de même il
est possible de faire de la psychanalyse sans rien connaître au fonctionnement
neurophysiologique de l’intimité cellulaire du système nerveux. Cependant, de même que
certaines propriétés biochimiques ne peuvent être abordées qu’avec les outils de la mécanique
quantique, de même il est probable que certaines dynamiques psychiques ne peuvent se
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comprendre qu’en relation avec des phénomènes neurocognitifs. C’est, croyons-nous, le cas de
la chimère transférentielle, émergence d’une néoréalité psychique intersubjective dont il sera
proposé une représentation neuroscientifique dans ce travail, cette représentation ayant pour
but, notamment, d’invalider autant les représentations magiques de cette dimension clinique
(comme la trop fameuse communication d’inconscient à inconscient) que ses représentations
rationalisantes et réductrices (ce ne serait “que” des projections et fantasmes, et leurs
rencontres ne seraient “que” le fruit du hasard).
5 Retour!à!la!clinique!
5.1 Méthode!du!cas!singulier!
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On ne publie donc pas de telles analyses pour susciter la conviction chez ceux qui,
jusqu’à présent, se sont comportés de façon rétive et incrédule. On espère apporter quelque chose
de neuf qu’aux chercheurs qui se sont déjà acquis des convictions par leurs propres expériences au
contact du malade.
Les critères de validité de cette méthodologie ont été décrits par Edelson (1990) et
synthétisés par Widlocher, qui y ajoute la prise en compte du public à qui la démonstration
s’adresse (1990, p.298-300) :
Un des principes fondamentaux, qui n’est d’ailleurs pas toujours respecté, consiste à
confronter la théorie proposée à une ou plusieurs autres théories qui auraient été susceptibles de
s’appliquer aux mêmes données cliniques. […] Bien entendu, la théorie rivale n’est pas
nécessairement une théorie que l’on juge fausse, elle peut aussi être tenue pour simplement
incomplète ou insuffisante au regard de celle qui est proposée.
Il est clair que, plus encore que les études répétées sur un individu unique,
l’observation d’un fait singulier sur un seul individu nous permet seulement un jugement
d’existence. […]
[…] La méthode devrait donc servir plus le progrès interne de la psychanalyse qu’à
apporter aux épistémologues et aux historiens des sciences des arguments de scientificité. Le cas
unique nous confronte à la capacité d’appréhender la réalité clinique elle-même. Répliquer une
observation de cas singuliers, c’est pouvoir, ou croire pouvoir, développer la même compréhension.
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La"chimère"transférentielle"
patients, et non l’analyste qui reste ici unique. Il est ainsi probable que la description théorico-
clinique de la chimère transférentielle soit, en partie au moins, un effet du fonctionnement
psychique particulier de cet analyste-là. Il s’agira donc de porter un jugement d’existence, et
non d’universalité.
5.2 Effets!de!cette!recherche!sur!ma!pratique!clinique!
- Sur le plan de la position de l’analyste il s’agit alors moins d’être celui qui conduit la cure, que
de se mettre au service d’un processus qui émerge entre lui et son analysant, processus qui est
susceptible de l’inviter, le conduire, voire parfois même le projeter, dans une place ou un rôle
qu’il n’aurait jamais délibérément choisi.
- Sur le plan de la nature de ses interventions, il s’agit alors de laisser place à l’expression
spontanée d’interventions “non orthodoxes” à l’adresse de l’analysant. L’expérience décrite
dans ce travail montre que ces interventions, dont la forme est, prise isolément, d’apparence
non analytique (voire anti-analytique), peuvent, sur le coup ou a posteriori, apparaître comme
ayant effet d’interprétation, d’amplification, ou plus simplement de contenance.
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Méthodologie"
de ce type d’intervention, et plus particulièrement de celle décrite dans le cas clinique initial,
qui m’a questionné sur la différence possible entre spontanéité et passage à l’acte. Le travail
clinique avec mes pairs et mes références théoriques m’ont permis de la repérer et de la
différencier dans ma pratique, puis d’en proposer une lecture théorique ici développée.
Au total, c’est cette réflexion associée à son effet sur ma clinique qui me permet,
aujourd’hui et comme le disait Bion (1970 cité par Duparc (2004 p.32), de savoir être sans
mémoire ni désir, ou plutôt savoir laisser ma mémoire et mes désirs à la disposition du patient et
du processus transférentiel afin qu’émerge, avec la mémoire et les désirs du patient, une
nouvelle narration de l’histoire : un squiggle psychique, donc (Winnicott 1971b).
5.3 Éthique!de!la!publication!
Les cas cliniques présentés ici se répartissent, dans ma pratique, au cours des vingt
dernières années. Ils ont, pour beaucoup, déjà fait l’objet de publication, de telle sorte que les
descriptions cliniques ont été écrites très peu de temps après la fin du travail analytique. Ces
descriptions cliniques n’ont pas fait, ici, l’objet d’une réécriture, afin d’éviter toute distorsion
de la narration initiale.
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La"“chimère”"transférentielle"
LA"“CHIMERE”!
TRANSFERENTIELLE!
Les travaux concernant le transfert sont parmi le plus nombreux des travaux
psychanalytiques, et couvrent largement le champ des différentes situations de la clinique
transférentielle que l’on peut rencontrer. De plus, ceci est vrai au sein des différentes
approches théoriques de la psychanalyse. Il peut donc paraître aussi inutile que prétentieux de
vouloir apporter une pierre supplémentaire à cet édifice déjà lourdement chargé. Pourtant il
est peut-être nécessaire, justement pour tenir compte de cette profusion de postulats et de
discussions théoriques, de tenter de resserrer quelque peu les débats, ce que ce travail se
propose, non pas en tentant une quelconque synthèse ou vision exhaustive du transfert en
général et/ou en particulier, mais en s’intéressant spécifiquement à la dimension
interpersonnelle de ce processus.
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La"chimère"transférentielle"
L’analysé et son analyste forment aussi une sorte d’organisme nouveau, un monstre en
quelque sorte, une chimère psychologique qui a ses propres modalités de fonctionnement. De
par la nature même des conditions de leur rencontre, l’analysé et son analyste ont, à leur insu,
donné naissance à un enfant fabuleux, un être puissant qui œuvre dans l’ombre, mais dont la
croissance peut être plus ou moins affectée par toutes les influences provenant de ses créateurs.
1 La!Chimère!dans!la!mythologie!
La Chimère est un animal fabuleux, qui tenait de la chèvre et du lion. Tantôt, on lui
donne un arrière-train de serpent, et une tête de lion, sur un corps de chèvre, tantôt elle a
plusieurs têtes, une de chèvre, une de lion. Elle souffle des flammes. Elle est le produit de l’union
de Typhon et de la « Vipère » Echidna. Elle a été élevée par le roi de Carie Amisodarès et vit à
Patéra. Le roi de Lycie, Lobatès, ordonna à Bélléphoron de la tuer parce qu’elle se livrait à
maintes déprédations sur son territoire. Avec l’aide du cheval ailé, Pégase, Bélléphoron y parvint.
D’après Graves (idem, p. 110), la Chimère était associée au calendrier triparti, les
trois animaux qui la composent étant chacun associés à une des trois saisons de ce calendrier.
Il note aussi (idem, p. 199) que la Chimère, comme Méduse, est associée à l’usurpation du
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pouvoir de la déesse Lune, la mise à mort de ces monstres, respectivement par Percé et
Bélléphoron (le premier grâce à ses sandales ailées, et le second son cheval aussi ailé) mettant
fin à cette usurpation.
2 La!chimère!du!langage!courant!
Selon le Robert (2014), une chimère est une Vaine imagination. Synonyme
de fantasme, illusion, mirage, rêve, songe, utopie, vision.
3 La!chimère!des!biologistes!
3.1 Généralités!
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La"chimère"transférentielle"
3.2 Chimérisme!complet!
3.3 Chimérisme!hématopoïétique!
Le second, dit chimérisme hématopoïétique, a été décrit dès 1954 (Dunsford & co
1954). Il se forme par contact et connexion circulatoire au niveau du placenta entre deux
jumeaux hétérozygotes. Il peut alors se faire un transfert de cellules souches d’un jumeau à
l’autre, de telle sorte que ce dernier sera porteur de deux lignées de cellules sanguines, l’une de
son propre génome, et l’autre de son jumeau, pourtant hétérozygote. Ce phénomène se
présenterait dans 8 % des grossesses gémellaires (Barski & co 2014) et n’est donc pas, tant s’en
faut, exceptionnel (sachant que 0,85% des grossesses donnent naissance à des jumeaux
hétérozygotes, ce phénomène doit donc toucher environ 0,07% de la population, soit environ
42 000 personnes en France).
3.4 Microchimérisme!
Le troisième enfin, dit microchimérisme (Nelson 2010), est le plus fréquent ; il est
même probablement la règle pour tous. Il résulte du fait que, au cours de la grossesse, le sang
du fœtus et celui de la mère sont au contact l’un de l’autre au travers du placenta. Ce dernier,
qui permet de nombreux échanges entre le fœtus et la mère, est aussi partiellement perméable
aux cellules, de telle sorte que quelques cellules de la mère passent directement dans le sang du
fœtus, et réciproquement. Chez l’un comme chez l’autre certaines de ces cellules survivent et
donnent lieu à des lignées génétiquement différentes des cellules de l’hôte. C’est ainsi que l’on
peut retrouver, chez la femme, des cellules génétiquement identiques à celles de chacun de ses
enfants et/ou de sa mère, voire sa grand-mère. Une hérédité génétique directe de la lignée
maternelle est ainsi possible, venant compléter une autre lignée génétique maternelle directe en
provenance de l’ADN mitochondrial. Il semble aujourd’hui que ce microchimérisme peut être
à l’origine de certaines pathologies, et aussi de certains processus de régénération cellulaire :
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La"“chimère”"transférentielle"
Cela conduit les biologistes à s’interroger sur la notion d’identité génétique, l’idée
selon laquelle chacun n’est porteur que d’un seul bagage génétique étant mise à mal par ces
découvertes. Et cette question est amplifiée par la découverte de cellules étrangères au sein
même du cerveau :
3.5 Perspectives!de!recherches!
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La"chimère"transférentielle"
4 La!chimère!en!zoologie!
5 Synthèse!
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exemples cliniques étudiés dans ce travail, les différentes dimensions du champ sémantique de
ce mot chimère.
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Épistémologie"
ÉPISTEMOLOGIE!
Il paraît nécessaire, dans un travail se situant aux confins des théories
psychanalytiques autant qu’à leur interface avec les neurosciences, de discuter quelque peu
son fondement épistémologique possible. En effet, les épistémologies qui fondent les
neurosciences paraissent si éloignées de celles de la psychanalyse que le résultat de
rapprochements entre ces champs de la recherche risque fort de se retrouver comme
dépourvu de tout fondement. De plus, ces épistémologies semblent hétérogènes,
différentes selon le champ des neurosciences ou l’approche psychanalytique concernée. Les
neurosciences, en effet, forment elles-mêmes un champ très hétérogène qui s’étend des
biologie et biochimie pures à un cognitivisme qui pose l’existence de l’esprit comme objet
de son étude. De son côté, la psychanalyse s’organise autour de plusieurs écoles de pensée
qui, chacune, théorise le psychisme à sa façon, sans qu’il soit toujours possible de
« traduire » les propos de l’une dans la terminologie de l’autre, du fait de présupposés
philosophiques, idéologiques et/ou épistémologiques différents. Il convient donc en
premier lieu de retracer rapidement les différentes épistémologies scientifiques, leur histoire
et évolution, afin de pouvoir situer ces approches, et ce travail qui tentera d’en proposer
une articulation, au sein de ce domaine, fondement de tout savoir humain.
1 Définition!de!l’épistémologie!
D’après Le Robert (2012), l’épistémologie est soit l’Étude critique des sciences,
destinée à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée, soit la Théorie de la connaissance et de
sa validité. Ces deux définitions dépendent en fait du mot grec επιστήµη, selon qu’on choisit
de le traduire par « science » ou « connaissance ». La tradition philosophique française
relève plutôt de la première définition, alors que l’Anglo-saxonne relève plutôt de la
seconde.
Ces deux définitions posent une question quant à celle du mot « science ». Là,
on se retrouve, toujours avec Le Robert 2012, avec quatre définitions :
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La"chimère"transférentielle"
De ces quatre acceptions du mot « science », il semble que seules les deux
dernières intéressent notre propos. Nous y retrouvons déjà des présupposés
épistémologiques importants : corps de connaissance, objet déterminé, méthodes déterminées, relations
objectives vérifiables, connaissance exacte, universelle et vérifiable exprimée par des lois. Il apparaît ainsi,
au regard de ces définitions, que faire entrer dans un champ scientifique un objet tel le
psychisme humain, subjectif par essence, risque d’être fort compliqué. C’est là un problème
auquel de nombreux philosophes et scientifiques du XXe siècle ont tenté d’apporter une
réponse. Nous nous appuierons surtout sur l’article de Gilles Gaston Granger (2008) dans
l’Encyclopédie Universalis pour rendre compte de ces évolutions.
2 Épistémologie!scientifique!«!classique!»!
2.1 L’épistémologie!«!postcartésienne!»!
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Épistémologie"
principe de base s’ajoute un idéal exprimé par sa devise : se rendre maîtres et possesseurs de la
nature. Cet idéal, longtemps resté dans l’ombre, est aujourd’hui patent et toujours moteur de
l’essentiel de la recherche scientifique ; il en conditionne souvent les financements. Pascal
(1657) exprime, quant à lui, une conception de la science déjà bien différente, puisqu’il la
présente comme schéma hypothético-déductif, confirmé, mais non démontré par les résultats de
l’expérience (Granger 2008). Leibniz conserve l’idée d’une science métaphysiquement fondée,
mais qui ne peut nous faire connaître que la structure du réel, au travers des systèmes de
symboles qu’elle utilise.
2.2 L’épistémologie!«!post]kantienne!»!
Les phénoménologues, de leur côté, ont aussi critiqué les a priori kantiens,
cherchant à décrire les a priori de la pensée scientifique, et posant que c’est la perception de
l’objet, perception directe ou indirecte, qui délimite le champ du possible scientifique. C’est
là le caractère phénoménal de son objet. Ainsi les a priori kantiens n’auraient aucune
validité intrinsèque.
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La"chimère"transférentielle"
scientifique par excellence, qui est celui de la physique. Ainsi, une science biologique et,
naturellement, a fortiori une science des actes humains ouvre-t-elle un problème
épistémologique particulier dans la postérité kantienne […]. (Granger 2008)
2.3 Y!a]t]il!une!épistémologie!contemporaine!?!
Paul Granger note qu’il est impossible de parler d’un état de la science au
présent, celle-ci étant toujours en évolution, cheminant selon des rythmes propres dans de
nombreuses directions, et formant ainsi un ensemble dont on ne peut, en fait, faire état que
par un regard lancé a posteriori. Et c’est un tel regard qui a conduit Gaston Bachelard
(1934, 1938) à décrire le travail de rationalisation d’un domaine scientifique comme
conduisant à une unité de conception qui, à une époque donnée, peut finir par s’imposer si
fortement aux esprits scientifiques qu’elle fasse obstacle à toute recherche qui risquerait de
rompre cet édifice. Il s’en conclut que :
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Épistémologie"
psychanalyse, une place sans laquelle les nombreuses discussions, qui se poursuivent
aujourd’hui encore, n’auraient pu avoir eu lieu.
2.4 Le!paradigme!copernicien!
Si l’on s’en tient à la définition d’un paradigme scientifique comme étant ce qui,
à un moment donné, fait consensus quant aux champs et procédures d’investigation d’un
domaine de recherche, on peut alors repérer la révolution copernicienne comme étant
fondatrice de notre science moderne. Ce furent Copernic et Newton qui posèrent les bases
de cette révolution, Copernic (1543) en décrivant une mécanique astronomique, et Newton
(1687) en la traduisant en termes mathématiques.
2.5 Les!nouveaux!paradigmes!du!XXe!siècle!
Le XXe siècle vit tout à la fois l’extension du paradigme newtonien dans des
domaines où il n’était pas attendu, par exemple la biologie, et sa profonde modification
dans son domaine de prédilection, la physique. Nous retiendrons trois champs de la
physique qui virent ce paradigme profondément remanié.
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La"chimère"transférentielle"
2.5.1 La"relativité"de"Poincaré"et"Einstein"
Dans cette théorie seule la vitesse de la lumière garde sa qualité d’absolu, toutes
les autres vitesses d’un corps devenant relatives à celle-ci : la mesure de la vitesse d’un
faisceau lumineux issu d’un corps en mouvement est toujours très exactement la même
quelle que soit la direction de l’espace vers laquelle il se dirige, et, quelle que soit la vitesse
de l’observateur qui effectue la mesure. De plus, cette théorie mit à mal un autre absolu,
celui du temps et de l’espace : le temps ne peut plus être appréhendé comme indépendant
de l’espace et devient une dimension de celui-ci.
Peu après, avec la relativité générale, Einstein (1916) mit à mal l’espace
euclidien comme référentiel absolu de l’espace réel : la présence de matière (ou d’énergie,
ces deux grandeurs ayant été rendues équivalentes par la relativité restreinte) déforme la
portion de l’espace-temps où elle se trouve, espace-temps qui devient alors courbe « à
proximité » de cette matière/énergie. Ainsi la gravitation n’est plus une force, comme
Newton l’avait posée, mais un effet de cette déformation de l’espace-temps.
2.5.2 La"mécanique"quantique"
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Épistémologie"
grande fécondité. Les principaux d’entre eux furent, après Planck, Nil Bohr, Albert
Einstein, Louis de Broglie, Erwin Schrödinger, Werner Heisenberg, Paul Adrien Dirac,
Max Born, Wolfgang Pauli, etc.
La mécanique quantique n’a pas seulement mis à mal l’idée de la continuité des
quantités d’énergie. Elle a aussi introduit les probabilités en lieu et place d’un principe de
causalité jusqu’alors tenu comme un absolu indissociable de la démarche scientifique ; c’est
la notion même de déterminisme qui fut là remise en question. Et, peut-être plus important
encore, elle s’est avérée impossible à concilier avec la théorie de la relativité générale,
malgré un travail intense de très nombreux physiciens qui tentèrent l’élaboration d’une
théorie unifiée. La science physique, qui, jusqu’alors pouvait apparaître comme un tout
cohérent10, a été profondément clivée par ces deux théories qui, chacune dans son domaine
d’application, se sont pourtant révélées confirmées par l’expérience avec une précision
jusqu’alors jamais égalée. Ainsi se pose la question de savoir si c’est la réalité elle-même qui
obéit à des lois différentes (dans leurs formes autant que dans leurs natures) selon l’échelle
à laquelle elle est observée, ou si c’est uniquement l’insuffisance de nos outils théoriques
qui nécessite l’utilisation de lois différentes.
10 : L’exemple le plus connu de l’expression de cette croyance est le discours de Lord Kelvin (1901) où il
estimait que ne persistait, dans le ciel serein de la physique théorique, que “deux petits nuages”.
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La"chimère"transférentielle"
2.5.3 La"théorie"du"chaos"
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Épistémologie"
• Ce sont bien des systèmes déterministes, mais ils ne sont pas prévisibles, leur sensibilité
aux conditions initiales rendant impossible d’espérer pouvoir prévoir leur état au-delà
d’un temps calculable (l’horizon de Lyapounov11). En effet, la marge d’erreur inhérente à
toute mesure, donc à la définition de l’état du système à un temps donné, va en
s’accroissant de manière exponentielle avec le temps jusqu’à ce qu’elle soit si élevée que
la connaissance de l’état initial ne soit plus d’aucune utilité12. Ces systèmes sont donc,
au-delà de cet horizon, en apparence aléatoires, et en tout cas imprévisibles.
• Cette sensibilité aux conditions initiales produit en outre trois autres conséquences :
o Ces systèmes sont non reproductibles, car toute différence minime dans l’état initial
du système peut produire des effets tels que son évolution soit radicalement différente.
o L’effet quantitatif d’un évènement sur leur évolution n’est absolument plus corrélé à
l’intensité de l’évènement, ou, pour être plus précis, cette corrélation n’est ni prévisible
ni constante. « L’effet papillon », discuté plus loin, en est aujourd’hui l’exemple princeps.
o Les limites spatiales de ces systèmes sont floues, la sensibilité à l’effet d’un
évènement les rendant toujours susceptibles de modifier leur destinée à la suite d’une
interaction, fût-elle minime, avec leur environnement.
Sachant que l’étude de ces systèmes complexes est toute récente (moins de
cinquante ans pour ses pionniers, et moins de trente ans pour l’ensemble de la
communauté scientifique), et qu’il est aujourd’hui établi que la plupart des systèmes réels
sont des systèmes complexes (les mouvements des masses d’air conditionnant l’évolution
météorologique, la conduction électrique dans le muscle cardiaque, l’excitabilité d’un
neurone, etc.), il est probable que les communautés scientifiques et philosophiques soient
encore loin d’avoir pu en tirer toutes les conséquences. Il semble cependant possible
d’affirmer que la vision simple d’une science expérimentale qui reposerait notamment sur
11 : plus précisément il s’agit de l’exposant de Lyapounov, dont l’inverse est l’horizon. (Lyapounov, 1892)
12 : p.ex. : Imaginons un système dans un espace de 100 mètres de coté dont nous connaissons avec une
précision millimétrique la position initiale de chacun de ses constituants. Cette imprécision augmentant
de manière exponentielle au fur et à mesure de l’évolution du système, elle finira par atteindre une valeur
supérieure aux 100 mètres de la taille du système, de telle sorte que la connaissance que nous avions de
l’état initial ne sera plus d’aucune utilité.
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La"chimère"transférentielle"
sa reproductibilité et sa capacité à prévoir l’avenir d’une dynamique est fort mise à mal, sauf
à exclure du champ de la science la réalité même du monde qui nous entoure. Cela,
évidemment, s’applique tout particulièrement à l’étude du psychisme humain et de la
subjectivité qui le caractérise.
2.5.4 Le"paradigme"scientifique"mis"à"mal"au"XXe"siècle"
Nous devons donc envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état
antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui pour un instant
donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres
qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ses données à l’analyse,
embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux
du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent
à ses yeux.
De son côté, un siècle plus tard, Poincaré (1912, cité par Wikipedia.fr, Théorie
du chaos, consulté le 18/05/2011) tint une tout autre position, dans sa discussion sur la
nature du hasard :
Comment oser parler des lois du hasard ? Le hasard n’est-il pas l’antithèse de
toute loi ? Ainsi s’exprime Bertrand, au début de son Calcul des probabilités. La probabilité
est opposée à la certitude ; c’est donc ce qu’on ignore et, par conséquent semble-t-il, ce qu’on ne
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Épistémologie"
Et d’abord qu’est-ce que le hasard ? Les anciens distinguaient les phénomènes qui
semblaient obéir à des lois harmonieuses, établies une fois pour toutes, et ceux qu’ils
attribuaient au hasard ; c’étaient ceux qu’on ne pouvait prévoir parce qu’ils étaient rebelles à
toute loi. Dans chaque domaine, les lois précises ne décidaient pas de tout, elles traçaient
seulement les limites entre lesquelles il était permis au hasard de se mouvoir. […]
Pour trouver une meilleure définition du hasard, il nous faut examiner quelques-
uns des faits qu’on s’accorde à regarder comme fortuits, et auxquels le calcul des probabilités
paraît s’appliquer ; nous rechercherons ensuite quels sont leurs caractères communs. Le
premier exemple que nous allons choisir est celui de l’équilibre instable ; si un cône repose sur
sa pointe, nous savons bien qu’il va tomber, mais nous ne savons pas de quel côté ; il nous
semble que le hasard seul va en décider. Si le cône était parfaitement symétrique, si son axe
était parfaitement vertical, s’il n’était soumis à aucune autre force que la pesanteur, il ne
tomberait pas du tout. Mais le moindre défaut de symétrie va le faire pencher légèrement d’un
côté ou de l’autre, et dès qu’il penchera, si peu que ce soit, il tombera tout à fait de ce côté. Si
même la symétrie est parfaite, une trépidation très légère, un souffle d’air pourra le faire
incliner de quelques secondes d’arc ; ce sera assez pour déterminer sa chute et même le sens de
sa chute qui sera celui de l’inclinaison initiale. […]
Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous
ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. Si nous
connaissions exactement les lois de la nature et la situation de l’univers à l’instant initial,
nous pourrions prédire exactement la situation de ce même univers à un instant ultérieur.
Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrions
connaître la situation qu’approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation
ultérieure avec la même approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous disons que le
phénomène a été prévu, qu’il est régi par des lois ; mais il n’en est pas toujours ainsi, il peut
arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes
dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme
sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit.
Le fait que la science mit près d’un siècle à intégrer ce nouveau paradigme, tel
qu’exposé par Poincaré, après le travail de quelques pionniers dans les années 1960 et 1970,
est un exemple remarquable de la notion d’obstacle telle que définie par Bachelard (1938).
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Cela permet aussi de penser cette notion comme pouvant s’appliquer, non seulement à
l’approfondissement des connaissances scientifiques, mais aussi à la modification de
l’étendue de leurs champs d’application qui peut en découler. Ainsi la notion d’obstacle
peut se représenter comme le relief terrestre qui, avec les rivières, a longtemps prédominé
dans le tracé des frontières entre les pays, ce qui comptait là étant non le fait que ces
obstacles soient infranchissables, mais que leur franchissement soit suffisamment difficile
pour 1°) qu’elles soient facilement défendables et 2°) que l’on sache immédiatement, à
quelques mètres près, de quel coté de l’obstacle/frontière on se trouve. Mais, contrairement
à la géographie politique, dont les évolutions ne modifient pas le relief ou l’écoulement des
cours d’eau, la géographie scientifique modifie le terrain de sa recherche au fur et à mesure
que celle-ci surmonte les obstacles épistémologiques, méthodologiques et techniques
qu’elle rencontre.
Les ruptures lui [l’épistémologue apparaissent alors] comme des réponses aux
obstacles qui mettent en cause l’ensemble d’un système conceptuel. Il s’agit non pas des
difficultés particulières, problèmes pour ainsi dire quotidiens, dont le système lui-même fournit
justement le cadre et l’outillage permettant de les résoudre, mais de contradictions globales,
d’impossibilités de poursuivre les conséquences impliquées par le système ou de donner un sens
à des résultats d’expérience qu’il a pourtant permis d’imaginer. C’est donc une réflexion, une
reconsidération du système lui-même qui, tout en maintenant la visée fondamentale de la
science, conduit alors à une refonte des manières de décrire les objets et d’en formuler les
déterminations mutuelles. La mécanique relativiste est ainsi née d’une réflexion suscitée par la
difficulté d’embrasser en un même système unifié les phénomènes décrits par la mécanique
classique et les phénomènes de mouvement dus aux forces électromagnétiques ; la biologie
moléculaire s’est constituée à partir d’une critique des théories de la fermentation ; le calcul
infinitésimal lui-même rompt avec l’analyse cartésienne en donnant droit de cité aux objets
mathématiques produits par la considération de séries infinies et de courbes géométriques
impossibles à définir et à traiter par l’algèbre ordinaire. De telles ruptures se produisent à
l’intérieur d’une organisation de connaissance déjà caractérisée par la visée que nous décrivions
plus haut. Ce sont des restructurations d’ensemble, mais des restructurations internes. Le
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système antérieur qu’elles détrônent se trouve réinterprété, resitué, dans la nouvelle perspective.
Une partie du nouveau système apparaît en général comme « image » de l’ancien système, à la
façon dont les entiers naturels réapparaissent comme fractions de dénominateur unité dans le
système des nombres rationnels. Cette transposition, qui en conserve les propriétés décisives,
permet assurément de dire qu’à la rigueur l’ancien système a disparu et que le nouveau
n’opère plus avec les mêmes concepts. Mais il est clair que se trouvent réalisées les conditions
d’une traduction naturelle. Bien plus, une restructuration réussie apporte une explication
critique des succès – limités – du système antérieur et la raison de ses échecs.
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3 L’épistémologie!d’aujourd’hui!
3.1 Sciences!formelles!et!sciences!empiriques!
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nécessité de la cohérence logique interne. Elles obéissent aussi, et c’est pour nombre de
mathématiciens leur essence même, à une esthétique : entre deux démonstrations, toutes
deux justes d’un point de vue logique, celle qui sera la plus condensée, dont le formalisme
sera le plus simple, le plus « évident » pour le mathématicien, sera considérée comme
« belle » et acquerra ainsi une valeur de vérité supérieure à la première. Le physicien aussi
sera sensible à ce critère esthétique, auquel il demandera, en plus du mathématicien, de
rendre compte d’un domaine aussi vaste que possible de la réalité physique. Par exemple si
l’équation fameuse e=mc2 eut un tel succès, c’est parce qu’il s’y trouve condensé une
propriété de la matière universellement valable. Il en est de même de l’équation de
Schrödinger [Figure 2], très simple à qui sait la lire, qui rend compte, en une seule équation,
de la fonction d’onde d’une particule. Qu’un tel critère esthétique, qui paraît subjectif par
essence (même s’il s’agit là d’une subjectivité partagée, donc d’une intersubjectivité), a une
place si importante dans le champ de la science dont la visée est l’objectivité, peut paraître
très paradoxal.
Il peut ainsi être soutenu, et cela sera développé plus loin, que les théories
psychanalytiques sont bien plus formelles qu’empiriques. Il n’est que de prendre l’exemple
de la notion de pulsion de mort, et des débats qu’elle a suscités parmi la communauté
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psychanalytique — débats qui portaient, pour l’essentiel, sur la question de son existence
— pour constater que la seule véritable question porte en fait sur la pertinence clinique
qu’il y a d’introduire ce concept dans la théorie afin de rendre compte de façon pertinente
et économique (esthétique) des phénomènes psychiques concernés. De même que la valeur
de vérité de l’équation de Schrödinger ne se mesure pas à l’existence réelle de chacun de ses
termes, de même celle des théories psychanalytiques ne peut se mesurer à l’aune de
l’existence supposée vraie ou fausse de la réalité recouvrée par chacun de ses concepts.
3.2 L’épistémologie!de!Karl!Popper!et!sa!controverse!avec!
Theodor!Adorno!
Karl Popper développa son épistémologie pour répondre à deux questions qui
se trouvent contenues dans cette opposition apparente entre le formel et l’empirique. La
première de ces questions est celle de l’induction, ou comment, à partir de l’observation des
phénomènes, nous pouvons en déduire des lois universelles. Sur ce point, il note que
l’universalité des lois que nous déduisons par induction à partir de nos observations ne peut
jamais être prouvée (Popper 1935). Le fait que tous les cochons qu’il m’a été amené de voir
sont roses ne peut suffire à en déduire que tous les cochons sont roses. Il peut toujours y
avoir des conditions inconnues de moi (ici, un voyage en Corse) qui seraient susceptibles
de m’amener à une observation différente de celles que j’ai effectuées jusqu’à ce jour. Ainsi
toute vérité scientifique peut être amenée à être invalidée par une nouvelle expérience.
Autrement dit, la vérification d’une hypothèse (tous les cochons sont roses) ne peut suffire
à en assurer la véracité.
14 : il s’agit là de l’école philosophique. Pour eux la métaphysique n’est que “pure vanité” (Schlick 1937).
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œuvre (Popper 1982). Ceci étant, une fois affirmé que la vérification d’une hypothèse ne
peut suffire à en assurer la vérité, il posa le postulat que, pour être scientifique, une
hypothèse doit donc pouvoir être réfutée. Il doit pouvoir exister des conditions
d’expérience susceptibles de prouver la non-validité de l’hypothèse considérée, ce qui
implique qu’une hypothèse qui échapperait à toute expérience permettant de la réfuter ne
pourrait être considérée comme scientifique.
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sans jamais s’intéresser à la structure même du marché, ses lois, son organisation, etc. Pour
lui ce qui fait « l’objectivité sociale » c’est l’ensemble de tous les rapports, institutions,
forces, dans lesquelles les hommes agissent, et non simplement les opinions exprimées par
ces hommes. De plus, il remarque que, si les statistiques peuvent donner l’impression que
la population étudiée est un objet à part entière, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit que
d’un ensemble d’individus, dont chacun porte en lui les déterminations générales, pour
lesquelles une approche quantitative est valable ; mais chaque individu entretient des
rapports qui lui sont propres, qualitatifs, avec ces déterminations. Ainsi il dit que la
sociologie ne peut se réduire à l’analyse quantitative de qualités particulières, mais qu’elle
doit se fonder tout autant sur l’analyse des rapports qualitatifs entre ces données générales
et les individus particuliers. À défaut, la sociologie passerait, selon lui, à côté de son objet,
qui est la société.
Il s’en déduit que c’est ce point qui différencie la sociologie des sciences de la
nature, sciences où l’observation d’un individu peut donner lieu à des résultats
généralisables à l’ensemble des individus. Par exemple, l’observation des propriétés d’un
échantillon d’eau peut éclairer sur les qualités de l’eau en général, alors que celle des qualités
d’un individu humain ne nous renseigne que peu sur celles des autres individus, et encore
moins sur celles de la société. Nous verrons que c’est là ce qui différencie les systèmes
physiques linéaires des systèmes complexes, différence qui porte le nom de brisure de
symétrie.
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regard des phénomènes observés, et que celle-ci se doit d’être théorique. Ici, la théorie est
une fin, non un moyen. Ainsi la critique et la tentative de réfutation ne sont pas
équivalentes et, dès lors que la théorie est théorie du sens caché, c’est la critique qui peut et
doit s’exercer. On peut ajouter que, si la théorie est théorie du sens caché, alors ses objets
(les concepts qu’elle utilise et articule ensemble) doivent nécessairement être tout à la fois
des concepts formels et des représentants de cette réalité cachée : c’est l’opposition entre
formalisme et empirisme qui, là, se trouve fortement mise en question : l’émergence d’une
complexité.
3.3 Le!théorème!de!Gödel!
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La"chimère"transférentielle"
pas de dire que la science s’en trouve invalidée, mais, plus simplement, que toute théorie
scientifique est un système cohérent, mais ouvert sur un inconnu dont on il ne peut rien
dire, bien que sa cohérence en dépende.
3.4 Quelques!conséquences!épistémologiques!des!systèmes!
complexes!
3.4.1 Définitions"
L’une des hypothèses qui sous-tendent ce travail, déjà soutenue par divers
auteurs (p.ex. Butz 1997), est que le psychisme humain ne peut s’aborder scientifiquement
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3.4.2 Propriétés"
• Un système complexe est sensible aux conditions initiales : cette propriété des systèmes
complexes est souvent utilisée pour les définir. Cela résulte du fait que la marge d’erreur
inhérente à toute définition de l’état d’un système physique n’est pas, dans les systèmes
complexes, conservée, mais qu’elle est, au contraire, amplifiée de manière exponentielle
au fil du temps. Ainsi, partant de deux états initiaux quasi identiques, deux systèmes
complexes verront leurs dynamiques diverger très rapidement.
• Cette propriété implique que ces systèmes sont non prédictibles. Concernant le
psychisme humain nul ne niera l’imprédictibilité du destin psychique d’un individu, et
ceux pour qui cette imprédictibilité relève de l’insupportable ne peuvent la réduire qu’en
faisant appel à des mesures coercitives (état policier dans le champ de la collectivité,
défenses obsessionnelles ou paranoïaques dans celui du sujet) ; ces mesures coercitives
ont alors pour fonction de réduire la complexité du système en le réduisant de force à
un système aussi simple et prévisible que possible, au risque de le voir s’effondrer.
• Ce sont des systèmes hétérogènes et auto-organisés : les interactions qui se produisent
en leur sein sont locales, de proche en proche, et nombre de ces interactions reviennent
en boucles rétroactives. Il se constitue ainsi des zones locales d’interactions privilégiées
(sous-systèmes), zones locales qui interagissent entre elles selon les mêmes modalités et
génèrent un nouveau niveau de sous-systèmes, avec de nouvelles propriétés émergentes,
qui interagissent entre eux, etc. Il s’en déduit qu’un système complexe présente des
dynamiques, propriétés et organisations différentes selon la partie observée ou l’échelle
spatiale et/ou temporelle de l’observation. Nous avons déjà vu que l’approche
expérimentale du psychisme ne peut rendre compte de son fonctionnement global. Il
n’est pas non plus sans intérêt de constater que les théories psychanalytiques reposent
sur l’idée d’une hétérogénéité du psychisme, ses parties ne répondant ni aux mêmes
dynamiques ni aux mêmes lois. Dans la théorie freudienne, les deux topiques posent des
fonctionnements différents de ses parties, ainsi que des principes régissant ces
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fonctionnements eux aussi différents. Dans la théorie jungienne, quoi que ce soit
nettement moins formalisé, il en est de même entre l’inconscient personnel d’une part,
et l’inconscient impersonnel, ou collectif, d’autre part.
• On parle alors de brisure de symétrie : connaître l’état d’une partie (spatiale, temporelle
ou fonctionnelle) du système permet ni de déduire ni de prévoir l’état de l’ensemble.
• Chacun des sous-systèmes composant un système complexe peut être un système
complexe, ou non. Par exemple, le sous-système idéal de la lune tournant autour de la
terre considérée comme immobile est un système simple, alors que le système réel de la
lune tournant autour de la terre, qui tourne elle-même autour du soleil, est un système
complexe (il s’agit du problème des trois corps).
• Le plus souvent, les systèmes complexes sont des systèmes ouverts, interagissant avec
leur environnement, et se transformant au fil de ces interactions, tout en transformant
leur environnement. Il se constitue ainsi des boucles rétroactives entre le système et son
environnement : c’est un nouveau niveau de système complexe qui en émerge. Il est
évident que le psychisme humain est en permanence en interaction avec son
environnement, et que ces interactions ont un effet sur lui. Dans la situation analytique,
ce système d’interactions a pris le nom de transfert/contre-transfert (dans le champ
freudien), ou plus simplement de transfert pour les jungiens. L’intérêt de cette dernière
formule réside dans le fait que, dès lors qu’il y a interaction, il n’est plus possible de
déterminer ce qui vient de l’un ou de l’autre des deux systèmes en présence : c’est un
métasystème qui émerge de ces interactions, ce pour quoi j’ai proposé de l’appeler la
chimère transférentielle.
• De ce fait, les frontières d’un système complexe sont floues, mal définies, variables. Ceci
est vrai à la fois dans le temps et dans l’espace. Deux exemples pour illustrer cette
propriété :
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Épistémologie"
va arrêter de respirer, reprendre son souffle, arrêter de respirer, etc. jusqu’au moment où
l’on constate qu’il ne reprend plus son souffle : il est donc mort, mais quand ?
Dans les deux cas, on s’aperçoit que c’est l’usage d’une faible résolution de la
mesure qui permet d’avoir l’impression de limites claires du système, alors que, quand la
résolution devient plus fine, la limite devient floue, indécidable.
Le transfert, au sens où Jung l’a développé (1944), peut être compris comme
effet d’un effacement partiel des limites psychiques entre analyste et analysant (Martin-
Vallas 1998, 2006, 2008, 2009b). Georges Bright (1997) avec son usage du concept de
synchronicité, Joe Cambray (2006) avec son usage du concept de co-construction
développé par le Boston Change Process Study Group (2004), Jan Wiener avec son idée de
la matrice transférentielle (2009), et Claire Raguet (2012) sont arrivés à des conclusions
similaires. On y retrouve, par exemple, une caractéristique essentielle de la relation mère-
bébé, ou encore de la relation amoureuse, c’est-à-dire des relations à forte tonalité
archétypique.
• Les systèmes complexes sont des systèmes robustes, et fragiles : la multitude d’inter et
rétroactions qui les composent et les entretiennent les rend peu sensibles aux données
entrantes et sortantes. Mais leur sensibilité aux conditions initiales laisse à tout instant la
possibilité qu’une entrée ou sortie de faible intensité ait des conséquences importantes
sur la dynamique du système ; Lorenz (1972) a résumé cette propriété par une question
devenue célèbre : Le battement d’aile d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au
Texas ? 15
• Les dynamiques internes d’un système complexes peuvent être linéaires et/ou
chaotiques, une dynamique chaotique étant une dynamique d’apparence aléatoire, mais
obéissant en fait à une loi mathématique définie (déterminisme). Le plus souvent, la
dynamique globale du système est à la frontière entre ces deux types de dynamiques.
C’est ainsi que les cardiologues ont constaté que la dynamique des battements
cardiaques est à la fois régulière et chaotique, la mise en évidence de ces dynamiques
dépendant de la résolution spatiale et/ou temporelle utilisée. Cela semble aussi vrai du
tissu cérébral. L’idée de certains est de contrôler le chaos du tissu cardiaque ou cérébral
pour le maintenir à un faible niveau, afin de prévenir le risque de fibrillation ou
15 : trad. personnelle
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La"chimère"transférentielle"
d’épilepsie. Le William Ditto (1995), du Georgia Institute of Technology, dit : L’idée est
qu’une petite quantité de chaos peut être bonne pour vous, alors qu’une forte quantité peut être très
mauvaise.16 En d’autres termes, dans le champ de la biologie, un système complexe qui se
maintient à la frontière entre le chaos et la régularité semble plus robuste qu’un système
simple purement régulier. Dans le champ du psychisme, nous savons bien, aussi, à quel
point les structures rigides sont plus à risque d’effondrement que les structures souples,
même si ces dernières s’accompagnent souvent d’un sentiment de vulnérabilité, voire de
fragilité.
• La notion d’émergence découle des propriétés d’auto organisation des dynamiques des
systèmes complexes : l’auto organisation d’un système complexe peut donner naissance
à de nouvelles formes d’organisation et de dynamiques dudit système, avec apparition de
qualités nouvelles, et qui ne peuvent se déduire des qualités des éléments du système.
Ces émergences de qualités nouvelles du système se produisent plus fréquemment
quand sa dynamique se situe à la frange d’une dynamique linéaire et chaotique. De
nombreux neuroscientifiques pensent aujourd’hui que la conscience est une qualité
émergente du fonctionnement neuronal du cerveau voire, pour Damasio (1999), de la
cellule elle-même.
3.4.3 La"courbe"de"bifurcation"
La dynamique d’un système complexe peut être représentée par une courbe qui
traduit l’évolution d’une variable en fonction d’une autre, tout autres choses égales par
ailleurs. Pour certains de ces couplages, la courbe obtenue est tout à fait classique, linéaire,
alors que pour d’autres elle se révèle très surprenante. L’exemple le plus connu est
l’évolution d’une population animale, dans un écosystème défini, en fonction de son taux
de reproduction. L’intuition première voudrait, en effet, que plus le taux de reproduction
augmente, plus la population augmente, avec une courbe asymptotique qui serait limitée
par les conditions de l’écosystème considéré (quantité de nourriture, espace vital, etc.) Or,
ce qui apparaît est bien différent [Figure 3].
16 : trad. personnelle
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Épistémologie"
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Épistémologie"
le caractère aléatoire de cette dynamique n’est qu’apparent. Outre le fait que l’équation
mathématique décrivant cette dynamique est toujours parfaitement déterministe, on
constate que la structure interne du chaos est de type fractal, c’est-à-dire qu’elle garde une
même organisation, quelle que soit l’échelle à laquelle elle est considérée. Il s’agit donc d’un
désordre apparent qui cache une structure ordonnée. Ici, ce n’est pas Dieu qui joue avec les
dés, mais ce sont les limites de notre perception qui ne nous autorisent pas à percevoir
l’ordre caché de la nature.
3.4.4 Les"attracteurs"étranges"(Gleick,"1997"–"Bergé"&"Dubois,"2008)"
Tous ces attracteurs sont dits simples dans la mesure où ils décrivent
précisément la ou les positions d’un système à l’état d’équilibre ; par exemple dans le cas du
pendule entretenu ce n’est pas son point de départ qui déterminera le diamètre du cercle
qu’il parcourt, mais ce sont ses différentes caractéristiques physiques. Dans un système
dont la dynamique est chaotique, l’attracteur devient étrange. Cela signifie qu’il délimite une
portion de l’espace au sein de laquelle la dynamique restera (comme le pendule reste sur
son cercle), mais sans jamais que le système ne repasse par un point qu’il a déjà fréquenté.
Dans ce cas, en effet, le mouvement serait périodique, et l’attracteur redeviendrait simple.
17 : C’est là, bien évidemment, une approximation “réaliste” ; le véritable attracteur est alors le centre de
gravité de la terre, et le point sur le sol est la limite non franchissable du trajet de l’objet qui tombe vers
le centre de gravité de la terre.
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réalisation passe par la rencontre d’un objet externe, se constitue, dès l’origine de l’humain,
une dynamique complexe entre trois objets : le sujet, son objet interne, et ses objets
externes. Il paraît vraisemblable de penser que le destin de cette dynamique, quand les
défenses du moi le permettent, est de devenir chaotique, de telle sorte que se constitue un
attracteur étrange qui définit les limites, tout à la fois, de la satisfaction pulsionnelle du sujet
et de l’espace de liberté au sein duquel celle-ci peut se déployer. En l’absence d’un tel
attracteur étrange, cette dynamique (re) devient contraignante, imposant une satisfaction
pulsionnelle soit toujours et encore la même, soit cyclique et non moins contraignante. Les
exemples cliniques ne manquent pas, tant ils sont souvent ce qui conduit le sujet à venir en
analyse.
Figure 4 : Mouvement de deux doubles pendules partis d’une position initiale quasi identique
(Perez 2003)
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Figure 5 : Valeurs de x pour xn+1=4xn (1-xn), avec erreur de 1%, 1‰ et 1 pour un million
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(tous les mêmes sans que deux soient identiques), le tourbillon dans l’eau du fleuve au
voisinage d’une pile de pont (qui restera semblable à lui-même, sans jamais être identique
d’un instant à l’autre) ou les volutes d’une fumée dans une atmosphère calme, pour prendre
quelques exemples simples à observer.
Mais avant d’être des objets d’observation, les attracteurs étranges sont une
notion mathématique. Le plus connu d’entre eux est l’attracteur de Lorenz, dit en ailes de
papillon [Figure 9]. On voit que le système peut osciller entre deux « états » relativement
bien différenciés (d’une « aile » à l’autre), mais, à la différence d’un système à la dynamique
linéaire qui oscillerait périodiquement, il n’est jamais possible de prévoir quand le système
passera d’un état à un autre ni combien de temps le système restera dans un état avant de
passer à l’autre.
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La"chimère"transférentielle"
L’ensemble de ces considérations peut laisser perplexe quant à leur utilité dans
le champ de la psychologie et de son épistémologie. Il semble pourtant que la pensée elle-
même puisse suivre un tel cheminement organisé par un attracteur, voire même qu’il ne
puisse pas en être autrement. Si l’on pose, comme il est d’usage de le faire depuis
Descartes, que la pensée scientifique doive être logique (condition nécessaire, mais non
suffisante), alors ce qui s’applique aux suites ou fonctions mathématiques doit pouvoir se
retrouver au sein même de la pensée scientifique. Il s’en déduit que celle-ci n’est pas
nécessairement une pensée linéaire, une pensée dont l’attracteur est simple, et que l’on
devrait pouvoir retrouver des cheminements de pensée, parfaitement logiques, mais qui,
telles les fonctions de Lorenz, semble chaotique, cheminant sans raison immédiatement
visible entre des positions d’apparence contradictoire. Ce point sera discuté plus en détail
en ce qui concerne les théories psychanalytiques, mais il nous faut d’abord exposer
brièvement le travail d’Edgar Morin qui aborde la complexité dans le champ de
l’épistémologie.
3.5 La!pensée!complexe!selon!Edgar!Morin!
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Épistémologie"
de la démarche scientifique telle que pratiquée alors. Il sera plus loin question de
Schrödinger et Von Neumann concernant ces scientifiques. Concernant les philosophes,
l’un des plus illustres d’entre eux est Bachelard (1938) qui a relevé que la science doit
simplifier son objet pour pouvoir l’étudier, mais, le simple n’existant pas, la science est
donc une simplification nécessaire pour dégager certaines propriétés et lois de la réalité.
Heidegger (1927), de son côté, notait que la science s’intéresse à son objet sans jamais
poser la question de son rapport à celui-ci, ce qui l’a amené à dire que : « la science ne pense
pas, et ne peut pas penser ; et c’est même là sa chance, je veux dire ce qui lui assure sa démarche propre et
bien définie » (Heidegger 1952). À partir, entre autres, de ces questions, Edgar Morin s’est
proposé de travailler à fonder une épistémologie qui ne soit ni analytique ou simplificatrice,
ni holistique ou généraliste.
18 : p.ex. la fabrication des microprocesseurs atteint aujourd’hui une miniaturisation telle qu’il devient
nécessaire de tenir compte des effets quantiques, donc probabilistes, pour que ceux-ci n’entraînent pas
de dysfonctionnements.
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La"chimère"transférentielle"
des systèmes complexes, afin de pouvoir agir sur une variable de contrôle du système
chaotique (fibrillation cardiaque ou crise d’épilepsie) pour modifier sa dynamique jusqu’à ce
qu’elle redevienne compatible avec le maintien de la vie, sont un exemple de ces nouvelles
voies de la recherche technologique.
3.5.1 Entropie"et"néguentropie"
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Épistémologie"
qui semble remettre en question ce principe d’entropie, ou, tout du moins, son champ
d’application.
19 : La réponse est d’autant plus impossible que parler d’un système fermé nécessite évidemment que ce
système soit inscrit dans un espace temps. La physique actuelle, depuis la théorie de la relativité générale,
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Cela ne montre pas seulement la différence de nature, de logique entre les systèmes
auto-organisés et les autres, cela montre aussi qu’il y a un lien consubstantiel entre
désorganisation et organisation complexe 20 , puisque le phénomène de désorganisation
(entropie) poursuit son cours dans le vivant plus rapidement encore que dans la machine
artificielle ; mais, de façon inséparable, il y a le phénomène de réorganisation (néguentropie).
Là est le lien fondamental entre entropie et néguentropie, qui n’a rien d’une opposition
manichéenne entre deux entités contraires ; autrement dit, le lien entre vie et mort est
beaucoup plus étroit, profond, qu’on n’a jamais pu métaphysiquement l’imaginer. L’entropie,
dans un sens, contribue à l’organisation qu’elle tend à ruiner et […] l’ordre organisé ne peut
se complexifier qu’à partir du désordre…
ne considère plus que tel soit le cas pour l’univers, mais, au contraire, que l’espace temps que nous
connaissons est lui-même une qualité de l’univers auquel nous appartenons.
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Ce qui l’amène à prendre une position que certains jugeront radicale (Morin,
1990, p.48, note 7) :
3.5.2 La"science"comme"système"complexe"
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réalité qui obéirait toujours, dans tous les systèmes existants et à toutes les échelles
possibles, aux mêmes lois.
[…] en dépit de son idéal simplificateur, la science a progressé parce qu’elle était
en fait complexe. Elle est complexe parce que sur le plan de sa sociologie même il y a une
lutte, un antagonisme complémentaire entre son principe de rivalité, de conflictualité entre
idées et théories et son principe d’unanimité, d’acceptation de la règle de vérification et
argumentation.
La science se fonde à la fois sur le consensus et sur le conflit. En même temps, elle
marche sur quatre pattes indépendantes et interdépendantes : la rationalité, l’empirisme,
l’imagination, la vérification. Il y a conflictualité permanente entre rationalisme et empirisme ;
l’empirique détruit les constructions rationnelles qui se reconstituent à partir des nouvelles
découvertes empiriques. Il y a complémentarité conflictuelle entre la vérification et
l’imagination. Enfin la complexité scientifique, c’est la présence du non scientifique dans le
scientifique qui n’annule pas le scientifique, mais au contraire lui permet de s’exprimer. Je
crois qu’effectivement toute la science moderne, en dépit des théories simplifiantes, est une
entreprise très complexe.
C’est ainsi que la science, et son épistémologie avec elle, est devenue un
ensemble hétérogène dont on peine à trouver une cohérence unique et certaine, comme
Descartes et Popper avaient pu le croire possible et nécessaire. Et c’est ainsi, aussi, qu’elle
s’est auto organisée, une auto organisation d’où ont pu émerger de nouveaux paradigmes
qui lui permettent de progresser tout en remettant en question ses fondements mêmes,
exigeant donc une auto réorganisation d’elle-même. Beaucoup distinguent aujourd’hui les
sciences dites « dures », qui seraient scientifiques sans aucun doute, et les sciences
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« molles » dont le caractère scientifique est mis en doute, quand il n’est pas purement et
simplement nié. Pourtant ces sciences « dures » ne sont dures que par leur formalisme
mathématique, lui-même considéré comme une forme d’absolu de la Vérité, alors que, les
scientifiques qui les pratiquent le savent fort bien, elles ne sont pas moins faillibles que
toute autre approche théorique. Nombre de modèles mathématiques n’ont jamais trouvé de
confirmation expérimentale, et n’en trouveront jamais. Par exemple, aucune des théories
des cordes, censées réconcilier relativité générale et mécanique quantique, n’a encore eu la
moindre confirmation expérimentale, malgré une proportion considérable de physiciens
ayant travaillé dessus, avec des budgets non moins considérables. Il est possible qu’une telle
confirmation advienne, ou non, nul ne peut le dire.
Viennent enfin, dans cette liste à la Prévert qui n’a pour but que d’exemplifier
le propos, et non d’être exhaustif, ni de proposer une nouvelle classification des domaines
scientifiques, les sciences dites « de l’homme » (sociologie, pédagogie, psychologie, histoire,
etc.) qui ont pour particularité que leur objet est, par essence, sujet : étudier le sujet comme
objet, donc sans tenir compte de sa qualité de sujet, reviendrait à le dénaturer avant de
l’étudier, donc à produire des résultats ne pouvant lui être appliqués. Ici, la question devient
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cruciale : comment une objectivité peut-elle avoir quelque chose à dire sur un sujet, en tout
cas quelque chose qui concerne la subjectivité de ce sujet ?
Ce qui apparaît avec cette question est une opposition relative et non absolue :
le sujet est subjectif par certains de ses traits et dynamismes, et objectif par d’autres. De
plus, l’observateur est lui-même sujet, et susceptible d’être influencé dans son observation
par la subjectivité de son objet. Il est en même temps, par sa multiplication dans la
communauté scientifique, objet. Ou plutôt, cette multiplication tend vers l’émergence d’un
observateur virtuel qui ne garderait que les traits objectifs de l’observation. Évidemment, il
s’agit là d’une intersubjectivité, non d’une réelle objectivité, pour autant qu’une pure
objectivité existe. L’importance que la science accorde depuis longtemps au consensus, à la
reproductibilité des expériences, aux procédures de vérification, témoigne d’ailleurs de son
souci d’une objectivation de plus en plus poussée, souci qui témoigne a contrario du fait
que celle-ci ne peut jamais être considérée comme absolue.
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Épistémologie"
Comme le disait Pascal : “Je tiens pour impossible de connaître les parties en tant
que parties sans connaître le tout, mais je tiens pour non moins impossible la possibilité de
connaître le tout sans connaître singulièrement les parties”.
3.6 Prévisibilité,!déterminisme,!causalité!et!liberté!
3.6.1 Définitions"
• La causalité est le Rapport de la cause à l’effet qu’elle produit […] Caractère d’une cause, de ce qui
agit en tant que cause. et le principe de causalité : axiome en vertu duquel tout phénomène a une
cause.
• Le déterminisme est 1°) l’Ordre des faits suivant lequel les conditions d’existence d’un phénomène
sont déterminées, fixées absolument de telle façon que ces conditions étant posées, le phénomène ne peut
pas ne pas se produire. ou, 2°) la Doctrine philosophique suivant laquelle tous les évènements de
l’univers, et en particulier les actions humaines, sont liés d’une façon telle que les choses étant ce qu’elles
sont à un moment quelconque du temps, il n’y ait pour chacun des moments antérieurs ou ultérieurs,
qu’un état et un seul qui soit compatible avec le premier.
• La prévisibilité est le Caractère de ce qui est prévisible, prévisible signifiant : ce qui peut être
prévu, facilement prévu, donc, toujours selon Le Robert, en lien avec le probable et la
connaissance de l’avenir
• La liberté admet, quant à elle, de plus nombreuses acceptions, sous un chapeau
commun : État d’indépendance, d’autonomie par rapport aux causes extérieures ; absence,
suppression ou affaiblissement d’une contrainte. Ne sera retenu ici que ce qui concerne cette
notion du point de vue épistémologique, c’est-à-dire : 1°) État, situation d’une personne qui
n’est pas sous la dépendance absolue de quelqu’un, ou 2°) Caractère indéterminé de la volonté
humaine ; libre arbitre
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3.6.2 Discussion"
21 : L’exemple de la radioactivité permet d’illustrer cette différence : si l’on prend un corps radioactif, il est
possible de dire avec certitude que n% des atomes qui le composent vont se scinder durant le laps de
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dissociation entre déterminisme et prédictibilité entraîne une scission entre une causalité
rétrograde et prédictive. Il est toujours possible (au moins théoriquement) de déterminer la
chaîne de causalité qui fut à l’origine d’un état du système, compte tenu d’un état antérieur
et d’un état actuel tous deux connus. C’est là une causalité rétrograde dans le sens où elle ne
peut être mise en évidence que dans l’après-coup de l’évolution du système. La causalité
prédictive, qui consiste à pouvoir déterminer l’état futur du système grâce à la connaissance
de l’état actuel et des lois qui régissent son évolution a, elle, disparu. Ce dernier point
semble particulièrement important dans le champ des sciences de l’homme, l’une des
critiques récurrentes qui leur sont adressées, tant par des scientifiques d’autres champs que
par les politiques, étant que leur incapacité à déterminer les chaînes de causalité autrement
que dans l’après-coup démontrerait leur non-scientificité.
Cependant, la notion de liberté n’a de sens qu’en rapport avec un être doué de
pensée, la liberté étant alors l’expression, dans les actes et choix de cet être, de sa pensée.
Or nul ne peut, aujourd’hui, dire quoi que ce soit de pertinent, d’un point de vue
scientifique, sur ce qu’est la pensée, sur son essence. Il est probable, comme il sera discuté
plus loin, qu’il s’agisse d’une qualité émergente du fonctionnement neuronal du cerveau,
mais on ne peut rien affirmer quant à la nature de cette qualité. On peut seulement
constater que la pensée est en capacité de produire un effet sur la matérialité de notre
temps t. Il est par contre totalement impossible de savoir si tel atome en particulier va se scinder tout de
suite ou dans 10 000 ans.
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corps22, c’est-à-dire que cette qualité émergente a des effets rétroactifs sur le cerveau d’où
elle a émergé. En d’autres termes, le sentiment de liberté, sentiment auquel s’applique la
notion de liberté, peut être considéré comme étant lui-même une qualité émergente de la
pensée, elle-même qualité émergente du fonctionnement neuronal du cerveau23. Il paraît
ainsi raisonnable de dire que la liberté est une qualité émergente de systèmes déterministes
tel le cerveau, ce qui, comme il en est pour la pensée, ne dit rien de son essence, mais qui a
le mérite de ne plus la mettre en opposition absolue avec le déterminisme. Il y a bien
entendu un paradoxe à penser qu’un système déterministe puisse être à l’origine de
l’émergence de liberté, mais admettre ce paradoxe semble nécessaire au regard de
l’expérience subjective que tous les êtres humains ont d’une certaine liberté de penser et
d’agir. Ce point, essentiel à l’épistémologie de ce travail, sera repris et développé
ultérieurement.
22 : Les mots sont des objets de pensée, sans matérialité spécifique, en tout cas sans matérialité aujourd’hui
connue. Le seul fait de pouvoir transmettre une consigne à un sujet et, pour ce sujet, de pouvoir la
réaliser, prouve que la pensée a bien un effet sur la matérialité du fonctionnement neuronal du cerveau.
23 : Un cerveau humain qui n’est ici isolé que très artificiellement. D’une part il n’existe pas de cerveau qui ne
soit partie d’un corps biologique vivant, et d’autre part il n’existe pas non plus de cerveau sui ne soit en
interrelation avec d’autres, ce sans quoi il serait simplement impossible d’en parler. Voir p.ex. les travaux
de De Jaegher et Di Paolo (2007, 2012)
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4 Épistémologie!des!neurosciences!
Francisco Varela (1993, p.33) propose une classification des sciences cognitives
en cinq domaines [Figure 10].
Ces domaines ne sont pas, dans la représentation qu’il propose, des domaines
fermés et clairement différenciés, mais forment un continuum. Il y ajoute trois types de
modèles apparus au décours de leur évolution : le cognitivisme, les modèles liés à la notion
de l’émergence (ou connexionnisme) et ceux qui sont liés à celle de l’énaction ; ce dernier
terme est la traduction du mot anglais « enaction », qui est tiré du verbe « to enact » dont la
traduction est « susciter, faire émerger, faire advenir ». Selon lui, si le cognitivisme est le
noyau des sciences cognitives, les deux autres modes d’approche répondent à des critiques
formulées à l’encontre du premier : d’une part le fait que le traitement symbolique pourrait
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ne pas être une représentation appropriée du traitement des représentations, et d’autre part
le fait que la notion même de représentation pourrait ne pas être appropriée au
cheminement des sciences cognitives.
24 : Il importe de noter que le mot “symbole’, tel qu’utilisé par les neuroscientifiques, signifie le plus souvent
ce que les psychanalystes appellent des “signes’. Pour le cognitivisme et les computationisme en tout
cas, un symbole est univoque ; le mot table p.ex. désigne uniquement l’objet caractérisé par un plateau
posé sur des pieds, et le lien avec le souvenir de la difficulté qu’il y a eu à apprendre les tables de
multiplications, ou avec la rigueur morale des tables de la Loi, donc la polysémie du mot, n’est pas pris
en compte. Il en est de même pour la dimension synchronique du discours qui repose sur l’associativité
psychique.
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Épistémologie"
On peut tout de même être réservé quant au continuum que propose Varela.
Du point de vue de l’épistémologie des trois niveaux, il y a plutôt rupture entre ceux-ci que
véritable continuité. Le modèle cognitiviste est purement linéaire, à l’image des ordinateurs
qui sont sa référence. Même dans le cas où une information est traitée par le module A,
puis par le B, pour revenir vers le A, la rétroaction reste linéaire et ne concerne que
l’information, non les modules qui la traitent. De plus, les informations sont
25 : On voit là, de suite, la limite d’une telle affirmation : une tâche désirée, certes, mais par qui ?
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4.1 Le!behaviorisme!
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présentées par Varela. Il semble y avoir à cela une raison épistémologique sérieuse : bien
que le cognitivisme ait émergé, dans les années cinquante, à partir du comportementalisme,
cette émergence a été l’effet d’une rupture fondamentale du projet de celui-ci, qui était
fondé sur la notion de la boîte noire ; il s’agissait de ne considérer que les entrées et les
sorties, afin de répondre a priori aux critiques de subjectivité qui pourraient être faites à
ceux dont l’intérêt se porterait sur ce qui se passe à l’intérieur de la boîte noire. Or le
cognitivisme est né du fait que des chercheurs ont pu commencer à s’intéresser à l’intérieur
de la boîte noire, trouvant des méthodologies suffisamment précises pour que différents
observateurs puissent faire le même constat à propos de la même expérience
(reproductibilité). Ainsi, aujourd’hui, la seule parenté qui semble rester entre
comportementalisme et cognitivisme est le fait que leurs théories semblent construites sur
des modèles similaires de linéarité logique, avec un langage qui utilise souvent les mêmes
mots. Mais peuvent-ils parler de la même chose ? Une réponse positive à cette question
semble difficile puisque, précisément, les cognitivistes parlent de ce à quoi les
comportementalistes ont délibérément renoncé de parler, et dont la connaissance leur
paraît rendue inutile par leur concept de boîte noire. Dès lors le mariage de ces deux
démarches dans ce qui se veut être une méthode thérapeutique, les thérapies cognitivo-
comportementales26, semblent plus proche d’une démarche commerciale que scientifique.
Serait-ce à leur sujet que l’affirmation de Morin (1990, p.48, note 7) Aussi, paradoxalement,
des études naïves, au ras de phénomènes, étaient-elles beaucoup plus complexes, c’est-à-dire finalement
« scientifiques » que les prétendues études quantitatives sur bulldozers statistiques, guidées par des pilotes à
petite cervelle pourrait s’appliquer ? Si l’on qualifie de naïf l’exposé de faits non intégrés dans
une formulation empirique cohérente, donc sans lien avec une théorie elle-même cohérente
qui justifie leurs délimitations en tant que faits, alors assurément oui. Car comment un fait
pourrait-il être délimité semblablement au sein d’une démarche épistémologique qui pose
comme inaccessible l’intérieur de la boîte noire, et d’une autre démarche qui, au contraire,
s’intéresse à cet intérieur ? Le fait comportemental et le fait cognitif ne peuvent être
similaires qu’en apparence, alors que l’objet qu’ils délimitent ne peut être le même. Et que
cette similitude puisse être pertinente dans certains cas (tel le bateau ivre de Rimbaud (1871),
26 : C’est en 1991 que l'Association Française de Thérapie Comportementale, créée en 1972, devient
Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive (Vittet, 2009)
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La"chimère"transférentielle"
qui, à l’époque où il rédigea ce poème, n’avait encore jamais vu la mer) ne saurait justifier
qu’une démarche scientifique la tienne pour vérité27.
C’est pourquoi il ne sera pas abordé, dans ce travail dont une part repose sur
une mise en perspective de différentes approches théoriques et méthodologiques du fait
psychique, la question du behaviorisme et des thérapies dites cognitivo-comportementales.
4.2 Neurosciences!biologiques!et!médicales!
4.2.1 Généralités"
Il peut, par exemple, être difficile d’imaginer une parenté entre la recherche
biomoléculaire au niveau de la synapse, et celle, clinique et macroscopique, portant sur les
27 : Nombre d’études pharmacologiques prétendant prouver l’efficacité d’un médicament, surtout dans le
domaine des psychotropes, reposent sur un même type de non sens épistémologique. Il en est de même
des diagnostics DSM qui se fondent sur un consensus de praticiens ne partageant pas nécessairement
une même approche théorique, et non sur des hypothèses théoriques permettant une délimitation
empirique des faits cliniques ainsi classés. Ici la démarche scientifique a été remplacée par celle de
l’opinion majoritaire, oubliant que, si le consensus est un outil de la science, il ne participe qu’à
l’évaluation des théories, et des méthodologies que celles-ci produisent, et n’a aucune pertinence dans la
délimitation des faits.
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Épistémologie"
accidents cérébraux. Il y a là des différences méthodologiques telles que les faits étudiés ne
peuvent être tenus pour équivalents dans l’un et l’autre domaine, ce qui ouvre à la question
des rapports entre méthodologie et épistémologie. Au-delà de cet exemple caricatural, on
retrouve cette question dans un domaine pourtant considéré comme homogène : celui de
l’imagerie cérébrale.
Cela, qui pourrait être considéré en première estimation comme une faiblesse
des neurosciences, peut, en fait, être une de leurs forces. En effet, il apparaît que l’activité
du cerveau elle-même repose sur des phénomènes dont les échelles de temps et d’espace
sont fort différentes comme en témoignent par exemple l’action des neurotransmetteurs : si
ceux-ci sont libérés dans l’espace intersynaptique et ont un effet extrêmement rapide et
localisé au niveau de la membrane post synaptique, une part peut ne pas être dégradée sur
place ; elle diffuse ainsi aux structures cérébrales proches, et parfois même à l’ensemble du
cerveau. C’est d’ailleurs ainsi qu’agissent les psychotropes actuellement utilisés en
psychiatrie et/ou en neurologie. Ce second mode d’action des neurotransmetteurs agit
donc selon une échelle temporelle et spatiale d’un ordre tout à fait différent du premier,
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La"chimère"transférentielle"
4.2.2 Le"voir"et"l’entendre"
Si un chercheur voit une image cérébrale, il peut la montrer à ses collègues sans
risque majeur que ceux-ci voient autre chose que lui. Et il peut tout aussi bien leur décrire
la technique qui lui a permis la réalisation de cette image, afin que ceux-ci, utilisant la même
technique que lui, aboutissent au même résultat. C’est là ce qui permet de parler
d’objectivité. Certes, il peut y avoir différentes interprétations de la même image, mais ce
sera toujours la même image qui sera interprétée.
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Épistémologie"
aussi aux interrelations des mots entre eux, des mots avec les phrases et des phrases entre
elles, idem au niveau des paragraphes, des chapitres, de l’ensemble du contexte, donc.
4.2.3 Le"voir"estcil"fiable"?"
Mais un autre biais risque de se fait jour, dès lors que l’on interroge ce qui est
ainsi donné à voir. Concernant les techniques dérivées de l’EEG, il s’agit de l’activité
électrique du cerveau, activité électrique dont nous avons de bonnes raisons de penser
qu’elle est directement consécutive des excitations neuronales au sein de cet organe.
Cependant, comme toute mesure électrique, ce n’est pas l’activité neuronale qui peut ainsi
être mise en évidence, mais la différence d’activité entre deux points : une mesure
électrique évalue une différence de potentiel, non un absolu.
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La"chimère"transférentielle"
d’un cerveau « en activité ». En d’autres termes, pour « voir » l’activité du cerveau il faut
commencer par négliger 80 % de celle-ci… La question de la complexité, que certains, tels
Paul Rapp (1995), Henry Korn (2002, _ & Faure 2003), ou encore Clancy (2014), pour ne
citer que quelques-uns, tentent de ramener au sein des neurosciences biologiques, se
retrouve ainsi derrière l’apparente objectivité des techniques d’imagerie cérébrale.
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Épistémologie"
son bras. Une telle hypothèse conserverait ainsi la vectorisation exclusive cerveau →
pensée. Mais, si l’on veut conserver cette hypothèse, il convient alors d’imaginer que
l’allumage du cortex moteur de S a aussi été la cause de l’action de E quand il a donné la
consigne à S. Cela bien évidemment est impossible, d’une part parce que ça contredirait
l’irréversibilité du déroulement temporel, et d’autre part parce qu’il n’y a pas de lien
matériel entre les cerveaux de S et de E. Le seul lien entre E et S est ici le langage qui,
certes, repose sur des mécanismes neurophysiologiques complexes, mais qui, par nature, est
pensée ; il en est une des formes les plus évoluées. On doit ainsi considérer que la pensée,
évidemment liée au fonctionnement du cerveau, a elle-même des effets sur le
fonctionnement cérébral. Cohen et Varela (2000) défendent une position similaire, à partir
d’une argumentation directement liée à la notion même d’émergence.
4.2.4 Approches"localisationistes"et"holistiques"
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La"chimère"transférentielle"
constitution des cartes corticales, à chaque zone du cortex étant attribuée une fonction
spécifique.
Mais cette approche a montré ses limites avec l’avènement des techniques
d’imagerie cérébrales, techniques qui ont permis d’étudier beaucoup plus finement les
relations existant entre les lésions cérébrales et les symptômes neurologiques constatés.
Elles ont, de plus, permis aux chercheurs de s’intéresser au fonctionnement du cerveau non
lésé, et de mettre en évidence les zones corticales et noyaux impliqués dans les différentes
tâches cognitives. De là sont apparues deux démarches d’interprétations divergentes : les
unes ont poursuivi la description et différenciation des noyaux cérébraux et zones
corticales, tandis que les autres ont développé une démarche holistique, démarche selon
laquelle l’ensemble du cerveau est impliqué dans toutes les tâches qu’il réalise. Ainsi tandis
que les premiers recherchaient à préciser les localisations de la mémoire, les autres
développaient des modèles de la mémoire comme non localisée.
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Épistémologie"
5 Épistémologie!de!la!psychanalyse!
5.1 Généralités!
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La"chimère"transférentielle"
leurs successeurs, p.ex. Didier Anzieu dans le champ freudien avec le moi-peau (Anzieu
1985), ou Neumann dans le champ jungien avec le Soi-corps (1949).
5.2 Espace!des!phases!et!section!de!Poincaré!
Le premier de ces outils est l’espace des phases, un espace dont chaque
variable nécessaire pour décrire la dynamique d’un système est une de ses dimensions.
Ainsi, dans l’espace des phases, chaque état du système est représenté par un point, et un
seul.
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Épistémologie"
Nous relèverons ici que cet espace des phases n’a pas pour objet de représenter une réalité
perceptible du système28, mais sa réalité dynamique.
Sphère creuse
Projection Coupe
28 : Que cet espace des phases ne se confonde pas avec l’espace perceptible, qu’il soit un espace construit, ne
signifie pas nécessairement qu’il soit moins réel que l’espace perçu qui, comme il sera développé plus
loin, est lui aussi un espace construit : la perception est le résultat de la construction d’une
représentation. La différence tient uniquement au fait que l’espace perceptible se construit à partir des
données de nos sens, alors que l’espace des phase se construit mathématiquement.
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La"chimère"transférentielle"
attracteurs étranges. Mais il faut pour cela que la coupe soit pertinente et, dans l’infinité de
coupes possibles, seules certaines le sont. Si l’on reprend l’exemple du pendule de la
[Figure 4], faire une section de Poincaré pourrait consister, entre autres exemples, à éclairer
le pendule avec un stroboscope. Il serait alors possible de faire varier la fréquence du
stroboscope (le plan de coupe) jusqu’à pouvoir repérer quelque dynamique organisée
(l’attracteur étrange). L’intérêt serait de pouvoir constater que l’attracteur ainsi mis en
évidence est, contrairement au mouvement du pendule lui-même, invariant, quelle que soit
la position initiale du pendule.
29 : On voit là une difficulté du fait qu’il faut considérer qu’il y aurait un plan perpendiculaire à la trajectoire
du satellite, ce qui revient à considérer que cette trajectoire s’inscrit sur un plan. Cela évidemment ne
peut être le cas que si cette trajectoire est régulière, non chaotique. Cet exemple repose donc sur une
nécessaire approximation, mais nécessaire uniquement pour rendre représentable ce qui peut être
mathématiquement modélisé de manière rigoureuse.
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Épistémologie"
Nous voyons dans cet exemple qu’il ne s’agit pas de faire abstraction d’une des
dimensions de l’espace des phases, mais plutôt d’utiliser une propriété constante ou
périodique d’une des dimensions (ou d’une combinaison des dimensions) pour la réduire à
une fonction simple qui permet de mettre en évidence une structure de la dynamique du
système (l’attracteur étrange) qui n’aurait pu être perçu directement.
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La"chimère"transférentielle"
donné (ou d’une des dynamiques d’un système donné), et, là, toutes les coupes ne se valent
pas.
Mais ceci a pu aussi se faire — et c’est, comme il a déjà été avancé, le cas de la
psychanalyse — en conservant le caractère complexe du système étudié, selon une modalité
qui peut paraître semblable à une section de Poincaré, c’est-à-dire en réduisant les
dimensions de l’espace des phases — ici devenu un espace des variables, puisqu’une
modélisation mathématique est encore loin d’être à notre portée30 — grâce à un repérage de
certaines caractéristiques répétitives du système. Cette thèse a déjà été exposée, avec un
formalisme mathématique adapté, par Atmanspacher 31 & Graben 32 (2007) pour rendre
compte de la conscience comme phénomène émergent du fonctionnement neuronal, et
aussi de la multitude des théories en psychologie (Atmanspacher 2014).
32 : Peter Beim Graber est neuroscientifique ; il travaille à l’institut de linguistique de l’Université Humboldt
de Berlin, où il aborde la question de la psycholinguistique computationnelle sous l’angle de la
complexité.
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Épistémologie"
Nous pouvons ainsi comprendre que, à partir de partis pris différents, donc de
sections de Poincaré différentes, Freud et Jung, et leurs descendants (dans l’élaboration de
leurs modèles), ont construit des théories qui ne peuvent s’évaluer selon leurs caractères
supposés de vérité, mais uniquement selon leur pertinence dans l’étude d’une situation
donnée.
Pour résumer notre thèse sur ce point, théoriser le psychisme humain, du fait
de son extrême complexité, nécessite d’effectuer une « section de Poincaré », seul moyen,
dans un espace des phases (ou des variables) de trop grande dimension, de mettre en
évidence un aspect de l’ordre qui sous-tend sa dynamique. Mais réaliser une telle section de
Poincaré ne se peut qu’en choisissant le ou les présupposés qui serviront à la déterminer.
Ici, ces présupposés sont de nature épistémologique et il convient donc d’explorer ceux qui
ont structuré les approches de Freud et de Jung.
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La"chimère"transférentielle"
5.3 Les!prémisses!épistémologiques!qui!ont!conduit!aux!
points!de!vue!divergents!de!Freud!et!de!Jung!
5.3.1 La"question"sexuelle"
Il est classique de dire que Jung ne s’intéressa pas à la sexualité, voire qu’il
dénia tout déterminisme sexuel aux dynamiques psychiques, et il serait facile de croire que
c’est le point qui a entraîné leur divergence et leur rupture. Dans son autobiographie, Jung
(1961, p.196) écrit :
Quand je regarde en arrière, je puis dire que je suis le seul qui, selon l’esprit, ait
poursuivi l’étude de deux problèmes qui ont le plus intéressé Freud : celui des « résidus
archaïques » et celui de la sexualité. L’erreur est très répandue de penser que je ne vois pas la
valeur de la sexualité. Bien au contraire, elle joue un grand rôle dans ma psychologie,
notamment comme expression fondamentale — mais non pas unique — de la totalité
psychique. Mais ma préoccupation essentielle était d’approfondir la sexualité, au-delà de sa
signification personnelle et de sa portée de fonction biologique, et d’expliquer son côté spirituel
et son sens numineux, et ainsi d’exprimer ce par quoi Freud était fasciné, mais qu’il fut
incapable de saisir.
Dès leur premier entretien, en février 1907, Jung eut l’impression que Freud
était fasciné par la question de la sexualité, ce qui lui fut confirmé par la suite (1961,
p. 177) :
J’ai encore un vif souvenir de Freud me disant : « Mon cher Jung, promettez-moi
de ne jamais abandonner la théorie sexuelle. C’est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons
en faire un dogme, un bastion inébranlable. » Il me disait cela plein de passion et sur le ton
d’un père disant : « Promets-moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches à l’église ! »
Quelque peu étonné je lui demandai : « Un bastion — contre quoi ? » Il me répondit :
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Épistémologie"
5.3.2 Castration"et"sacrifice":"deux"prémisses"épistémologiques"
divergentes"
Lors de mon travail sur les Métamorphoses et symboles de la libido, vers la fin, je
savais par avance que le chapitre sur « le sacrifice » me coûterait l’amitié de Freud. Je devais
y exposer ma propre conception de l’inceste, de la métamorphose décisive du concept de libido
et d’autres idées encore par lesquelles je me séparais de Freud. Pour moi l’inceste ne constitue
que dans des cas extrêmement rares une complication personnelle. Le plus souvent il
représente un contenu hautement religieux et c’est pourquoi il joue un rôle décisif dans presque
toutes les cosmogonies et dans de nombreux mythes. Mais Freud, s’en tenant fermement au
sens littéral du terme, ne pouvait pas comprendre la signification psychique de l’inceste comme
symbole. Et je savais que jamais il ne l’accepterait.
Cela est d’ailleurs confirmé par les lettres qu’Emma Jung écrivit à Freud en
1911 (Freud-Jung 1906-1914 : 30 octobre, 6, 14 et 24 novembre), ainsi que par la réponse à
la publication de la seconde partie des métamorphoses qu’écrivit Ferenczi (1913) et dont
Freud parle à Jung dans sa lettre du 27 janvier de la même année (Freud-Jung 1906-1914).
La question se pose donc de comprendre ce qui, dans cet écrit de Jung sur le sacrifice, a
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La"chimère"transférentielle"
motivé la rupture définitive entre Jung et Freud autant qu’entre l’école de Zurich et le reste
du mouvement freudien naissant.
Nous avons donc là, devant le système de la poule et de l’œuf — système qui
devient complexe dès lors qu’on y introduit le coq sans lequel il ne peut y avoir d’œuf
fécond, coq qui, lui aussi, doit provenir d’un œuf, etc. — deux possibilités de l’aborder,
deux « sections de Poincaré » possibles. La première, freudienne, pose l’interdit de l’inceste
comme résultant de l’interdit paternel, et la seconde, jungienne, pose l’interdit paternel
comme résultant de l’horreur de l’inceste et des préstructures psychiques qui permettent d’y
33 : Mais cela, qu’il est facile d’énoncer aujourd’hui, après le travaux de Bion et Winnicott notamment, était
rien moins qu’évident en 1912.
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Épistémologie"
répondre en préorganisant les structures familiales. Dans le premier cas, Freud pose une
dimension du paternel, définie par l’interdit de l’inceste énoncé par le père qui en est le
garant, comme constante permettant de définir et d’organiser la section qu’elle permet de
réaliser. Dans le second cas Jung pose la dimension du maternel, avec l’horreur que le désir
d’y revenir suscite, horreur alors assimilable à l’horreur de la mort, comme constante dans
la réalisation d’une section de Poincaré alors nécessairement tout à fait différente de la
première.
5.3.3 Le"sexuel"et"l’inconscient,"selon"Freud"et"selon"Jung":"castration"et"
sacrifice"
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La"chimère"transférentielle"
psychique que Jung développe depuis plus de dix ans à l’époque (elle est antérieure à sa
découverte de l’œuvre freudienne) est parfaitement cohérente avec son approche.
Pour Jung le désir d’inceste est premier, désir de retour au ventre maternel, au
néant ou au non-être connu. Voici ce qu’il écrit en 1912 (1912a, p.337-338) :
Il est clair, là, que, près de quarante ans plus tard, sa position est demeurée
inchangée : avant (et après) d’être sexuelle, l’aspiration de l’enfant à l’union à la mère est
désir de retour à l’origine, et le père, là, est comme support nécessaire du sacrifice de la
satisfaction de ce désir. Nécessaire, mais non indispensable, comme nous le verrons ci-
dessous.
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Épistémologie"
5.3.4 L’inconscient"selon"Freud"et"selon"Jung"
34 : À l’exception de quelques uns, comme p.ex. Charles Baudoin (1950), qui tenta une synthèse des deux
approches, mais, de mon point de vue, sans pouvoir prendre la mesure de la nécessité de prendre en
compte les différentes épistémologies de ces deux hommes. Une autre exception, partielle, est Jacques
Lacan (1966, p.685 et suivantes) qui définit la castration symbolique comme la reconnaissance de la
castration de la mère : reconnaître la non-toute puissance de la mère, et renoncer à satisfaire au désir de
retourner en son sein, peuvent paraître comme l’envers et le revers d’un même mouvement, celui que
Jung nomme sacrifice.
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La"chimère"transférentielle"
Pour Jung, la question est toute autre : cela apparaît dans nombre de ses écrits,
et l’un d’eux (1928) a particulièrement attiré notre attention (Martin-Vallas 2013c), du fait
notamment qu’il s’agisse d’une conférence que Jung a donnée en français ; ce point permet
de s’affranchir d’une traduction et des dérives de sens que ce processus peut entraîner. La
connaissance de la langue française par Jung était suffisante pour être certain que le texte
français est fidèle à sa pensée. Il apparaît là très clairement que la question de Jung n’est pas
de comprendre comment peut s’originer l’inconscient, mais bien au contraire comment il se
peut que la conscience existe et se maintienne. Son expérience première de la psychose au
Burghölzli, son travail de thèse sur les phénomènes spirites et le dédoublement de la
personnalité qu’il y a mis en évidence, autant que son expérience personnelle, faisaient que,
pour lui, cette question était bien plus essentielle. L’existence de dynamiques inconscientes
influant sur la conscience était pour lui une évidence, pas une question.
• Désir sexuel du fils pour la mère → Interdit du père → Peur de la colère du père →
Peur du désir sexuel pour la mère → Refoulement de ce désir sexuel → Émergence de
l’inconscient
• Premières émergences de conscience → Désir de retour à l’inconscience → Peur de ce
désir ressenti comme risque d’anéantissement → Projection de cette peur sur le père →
Assimilation du désir sexuel du père pour la mère au désir de retour à l’inconscience (c.-
à-d. émergence du désir sexuel proprement dit) → Refoulement de ce désir →
Émergence de l’Ombre
Il s’en déduit une opposition des deux démarches, opposition qui, pour de
nombreux auteurs, conduit à une incompatibilité des théories qui en découlent. D’autres,
cependant, comme Winnicott (1964) par exemple, pensent au contraire que cette
opposition est source de complémentarité et regrettent que l’héritage de Jung se soit perdu
à la suite de la rupture entre les deux hommes. Voici ce qu’en dit Winnicott :
D’une certaine manière, Jung et Freud se révèlent complémentaires ; ils sont comme
la face et l’envers d’une pièce […] En d’autres termes, ces deux hommes, chacun possédé par
un « daïmon », pouvaient seulement se rencontrer, communiquer sans fondamentalement se
comprendre, puis se séparer. […] Il est réellement difficile, pour une personnalité intégrée et
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Épistémologie"
saine, d’avoir de l’empathie pour ceux dont le soi dissocié est une source constante de
problèmes. Jung a beaucoup apporté dans ce domaine […]
5.3.5 La"nécessaire"dimension"subjective"d’une"théorie"psychanalytique"
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La"chimère"transférentielle"
comprends pas encore, c’est pourquoi vous abandonnez la conception antérieure35, et quels
peuvent être, sinon, l’origine et le ressort de l’interdiction de l’inceste. […]
Mais si à présent nous laissons la raison de côté et que nous branchons l’appareil
sur le plaisir, je reconnais une forte antipathie contre votre nouveauté, provenant de deux
sources. Premièrement à cause de son caractère régressif. […]
35 : Il y a là un autre point de désaccord très personnel entre Freud et Jung. En effet, Freud s’adresse à Jung
comme si celui-ci était venu à lui tabula rasa, alors que la conception de Jung, concernant la libido, est
antérieure à ses premières rencontres avec Freud. Ce que Freud qualifie de régression à une conception
antérieure ne l’est pas pour Jung.
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Épistémologie"
Ces extraits montrent bien comment les deux hommes étaient, chacun de leur
côté, aveugle quant à leurs présupposés théoriques, d’où leur venait une double illusion :
celle d’une objectivité de leurs approches respectives, et celle que l’approche de l’autre était
« régressive ». Mais ils montrent aussi à quel point chacun avait investi affectivement son
approche, ce que Freud ne cache pas, tandis que Jung a nettement tendance à se poser en
victime, ce qui n’est pas moins un investissement affectif. Et il y eut, dans ce même temps,
l’affaire de Kreuzlingen qu’il convient d’énoncer, car prise dans le même trouble affectif qui
perturbait alors la relation des deux hommes. Nous apprenons dans la lettre de Jung du
8/6/1912 que Freud a rendu visite à Binswanger à Kreuzlingen, donc à moins de 100 km
de Zurich, et qu’il n’a pas ressenti le besoin de me voir. Jung met cela sur le compte de
l’antipathie de Freud à l’encontre de sa théorie. Freud lui répond le 13/6/1912 que, en
substance, il eut préféré que Jung prenne de lui-même l’initiative du déplacement : Cela
aurait seulement été beau si vous l’aviez fait spontanément. Il fallut, en fait, attendre la conférence
des Présidents de Munich (24/11/1912) pour que les deux hommes puissent s’expliquer :
Binswanger avait une tumeur maligne dont il venait d’être opéré et Freud se rendit en
urgence à son chevet, tout en gardant le secret sur le motif de ce déplacement de dernière
minute. Il écrivit tout de même à Jung pour l’informer qu’il serait au lac de Constance, mais
celui-ci, parti en WE, ne trouva le courrier qu’après que Freud soit reparti. Après cette
conférence des Présidents Freud écrivit à Putman (Freud & Jung, 1906-1914, p.295) :
Les collègues eurent un comportement charmant avec moi. Jung ne fut pas le moins
gentil. Une discussion personnelle entre nous a balayé un certain nombre de susceptibilités
superflues. J’espère qu’une collaboration pleine de succès sera poursuivie. Les différences dans
la théorie ne doivent pas la troubler, je ne pourrai guère accepter sa modification dans la
question de la libido, car toutes mes expériences parlent contre cette conception.
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La"chimère"transférentielle"
mettre en regard de celle de Jung Comme je pense de mon côté avoir des raisons objectives, je suis forcé
de me tenir à ma conception du concept d’inceste, car je ne vois pas d’issue pour échapper à mes raisons.
La première fut son livre Types Psychologiques (Jung, 1920), ce qu’il note dans ses
mémoires (Jung, 1961, p.241-242) :
Une question joua un grand rôle dans la genèse de cet ouvrage : comment est-ce que
je me distingue de Freud ? Et comment d’Adler ? Quelles différences y a-t-il entre nos
conceptions ? C’est en y réfléchissant que je me heurtais au problème des types. Car c’est le
type qui précise et limite d’emblée le jugement de l’homme. […]
Le livre sur les types apporta la connaissance que tout jugement d’un homme est
limité par son type personnel et que chaque façon de voir est relative.
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Épistémologie"
À cette seconde question, il répondit en affirmant que Freud était fasciné par la
sexualité, plus précisément par son caractère numineux. La constitution du comité secret,
autant que le fait que Freud n’ait jamais répondu à Jung sur le fond de son argumentation
au sujet de l’horreur de l’inceste, peut corroborer cette hypothèse. Cependant, force est de
constater que, malgré son travail sur les Types psychologiques, Jung ne s’interrogea jamais
véritablement sur ce par quoi lui-même était fasciné, et qui lui donnait le sentiment qu’il y
avait plus de vérité dans son approche que dans celle de Freud. Cela est d’autant plus
étonnant qu’il n’a jamais cessé d’affirmer que chacun ne peut aborder le psychisme humain
qu’à partir de son équation personnelle, et ceci sans perdre l’illusion qu’il pourrait exister un
point de vue objectif…
Il ne semble pas nécessaire de revenir sur l’enfance bien connue de Freud, dont
la mère était jeune, belle et sexuellement désirable, et dont le père en était, à l’évidence,
l’amant. Le désir du jeune Sigmund pour sa mère était ainsi, dès l’origine, barré non
seulement par l’interdit posé par un père qui n’entendait pas laisser sa place dans le lit
conjugal à son fils, mais aussi, et probablement plus encore, par le fait que le désir sexuel de
sa mère était clairement adressé à son père. Ainsi le désir de retour incestueux à la mère
était tout à la fois sexualisé et interdit, dans une triangulation qui structurait la famille du
jeune Sigmund dès avant sa naissance. Dès lors pour Freud, admettre que l’on puisse
théoriser le psychisme sans recours premier à l’interdit paternel de l’inceste eut été se
confronter lui-même à l’en deçà de sa structuration œdipienne, confrontation dont nous
savons aujourd’hui à quel point elle s’accompagne d’angoisses archaïques à la limite du
supportable.
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La"chimère"transférentielle"
comme son père. Il est difficile de ne pas penser que ses deux parents en sont restés très
profondément affectés : Jung décrit son père comme un homme qui avait perdu la foi,
alors même qu’il était pasteur, et qui s’était réfugié dans un dogme religieux stérile aux yeux
du jeune Carl Gustav. De plus, après avoir passé plusieurs mois en asile pour dépression, sa
mère, de retour à la maison (Jung avait 3 ans), ne partageait plus sa couche avec son mari.
Ce dernier, le père de Jung donc, avait déserté la chambre conjugale et s’était réfugié dans
celle de son fils. Et la distance entre ses parents était telle que, lors de la naissance de sa
petite sœur, Jung — qui avait tout de même 9 ans — a été totalement surpris. Non
seulement il n’avait pas imaginé que ses parents puissent engendrer un autre enfant que lui,
mais il n’avait pas même vu les transformations du corps de sa mère durant sa grossesse !
C’est dire à quel point son investissement du corps de sa mère devait être peu érotisé (il
apparaît dans ses mémoires que c’est le corps de sa nounou qui faisait l’objet de son
investissement érotique – 1961, p.27). Et c’est dire, aussi, à quel point le père ne pouvait
trianguler la relation du fils à sa mère. Ce père, qui n’était ni l’amant de la mère, ni un
homme « vivant » puisque perçu comme accroché à un dogme sans sens, sans désir
pourrions-nous dire, était un père mort, au sens de la mère morte de Green (1983). Ainsi la
théorie freudienne de l’Œdipe ne pouvait apparaître à Jung que comme un dogme, de
même que lui apparaissait le rapport de son père à la religion dont il avait fait sa profession,
et ceci alors même que sa seule défense contre son désir incestueux (de retour au néant du
maternel) était une forme d’hyper investissement de ce désir et de l’horreur qu’il suscite,
horreur grâce à laquelle il pouvait se construire en lui-même une image tierce qui, à défaut
de trianguler véritablement sa relation à sa mère, lui permit tout de même de ne pas devenir
psychotique.
Ainsi, autant pour Freud que pour Jung, la théorie construite par l’autre venait
remettre en question les fondements mêmes de leur personnalité, ce qui ne pouvait
manquer de s’accompagner d’affects particulièrement puissants et, à la fin de leur relation,
violents.
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Épistémologie"
personnellement investi dans sa construction qu’il ne peut que très difficilement admettre
les critiques, et encore plus difficilement admettre que d’autres constructions théoriques
peuvent, le cas échéant, être tout aussi valable que la sienne bien que fort différentes.
Il semble que l’on puisse faire l’hypothèse que ces deux questions sont liées,
que c’est l’épistémologie même de la psychanalyse, autant d’ailleurs que sa méthodologie,
qui impose que le chercheur et théoricien de ce champ ne puisse valablement construire un
modèle de ce que, avec d’autres, il constate dans sa pratique sans que ce modèle doive
d’abord être congruent avec son expérience personnelle de vie. L’histoire de la psychanalyse
permet même d’aller plus loin, puisque c’est à partir de l’autoanalyse de Freud, puis de celle
de Jung, que les premiers édifices théoriques de la psychanalyse ont été construits, et que,
pour la plupart des auteurs qui ont suivi, ils continuent de l’être. Ce point peut paraître une
faiblesse épistémologique de la psychanalyse, puisque, partant de leur autoanalyse, les
théoriciens peuvent être tentés d’utiliser leurs expériences cliniques pour justifier ce qu’ils
ont élaboré à partir d’eux-mêmes, et perdre ainsi l’objectivité qui caractérise les canons
épistémologiques de la science.
Pourtant il est possible d’affirmer tout le contraire, dès lors que l’on considère
que l’épistémologie scientifique doit, pour rester pertinente dans le champ de la
psychologie, intégrer en elle-même les éléments subjectifs de l’observateur/acteur. Ne pas
le faire serait, en effet, considérer que l’observateur n’interagit nullement avec l’observé, et
que celui-ci, pas plus que l’observation elle-même, n’aurait aucun effet sur l’observateur.
Une telle considération est non-sens, car, si même il était imaginable que l’observateur
puisse n’être nullement « touché » par son observé et son observation, cela même serait si
éloigné des interrelations humaines habituelles que l’observé en serait bien plus
profondément affecté encore qu’il ne l’ait été dans une interaction pleinement assumée par
l’observateur. Morin (2004, p.65) écrit :
Ainsi ce qui fonda la démarche psychanalytique fut, dès son origine, la prise en
compte de la subjectivité de l’observateur afin de pouvoir dire quelque chose de pertinent
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La"chimère"transférentielle"
sur celle de l’observé. À tout moment, l’observateur se trouve inclus dans son observation,
ce qui fut très vite conceptualisé, non pas tant avec la notion de transfert qu’avec celle de
contre-transfert, notion qui devint progressivement indissociable de la première. Et il n’est
pas inintéressant pour notre propos de constater que c’est avec Jung que Freud élabora ce
concept, concept qu’il emploie pour la première fois (Delrieu 2008) dans sa
correspondance avec lui, répondant à la préoccupation de Jung au sujet de la dérive de ses
relations avec Sabina Speilrein (Freud & Jung 1906-1914, 7/06/09) :
Dès lors, le critère de criticabilité (Adorno : Popper & —, 1979) prend toute
son importance, d’une part pour fonder la cohérence interne de la théorie proposée, et
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Épistémologie"
d’autre part pour en déterminer les limites de pertinence, celles-ci pouvant se dessiner à
partir des expériences cliniques et personnelles des différents auteurs participant au débat.
Telle est la démarche épistémologique qui sera suivie dans ce travail, en l’appliquant non
seulement aux théories psychanalytiques discutées, mais aussi aux données
neuroscientifiques qui semblent pouvoir être articulées avec elles, cliniquement et/ou
théoriquement.
5.4 Un!exemple!de!l’épistémologie!jungienne!:!l’archétype!
Depuis que Jung a formulé son idée d’un fond psychique commun à
l’humanité, les critiques ont fusé de toute part ou presque, et plus il a précisé ce dont il
tentait ainsi de parler, plus ces critiques ont été nombreuses et, oserai-je dire, tous azimuts.
Aujourd’hui, certains analystes jungiens ont commencé une relecture de cet aspect de la
psychologie analytique, particulièrement Jean Knox (2003) en Angleterre et Georges
Hogenson (2001, 2004, 2009) aux États-Unis, suivis, plus récemment, par Christopher
Roesler (2012) en Allemagne, ainsi que par moi-même (Martin-Vallas 2005a, 2005 b, 2009a,
2013b) en France.
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La"chimère"transférentielle"
Wolfgang Pauli (Jung 1952), et une définition du psychoïde bien différente de celle qu’il
avait utilisée jusqu’alors.
36 : Cette hypothèse est aujourd’hui validée par les neurophysiologistes, notamment Antonio Damasio (1999)
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Épistémologie"
l’interdit de l’inceste, questions sur lesquelles portaient ses discussions avec Freud, et qui,
comme il a été vu, conduisirent les deux hommes à se séparer.
5.4.1 Quelques"éléments"de"l’épistémologie"de"Jung"
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selon Jung, le psychoïde structure tout autant la matière que la psyché, et il ne pose à aucun
moment, comme le fait Knox, qu’il serait indépendant du corps biologique 37 . Ce qui
conduit à reformuler autrement le quatrième modèle proposé par Knox :
• L’archétype en tant que concept logique nécessaire à pouvoir penser les relations entre
matière et psyché.
37 : C'est même un concept particulièrement intéressant pour théoriser la psychosomatique (Ramos 2004), ce
que Jung note lui-même (1952, §123)
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Épistémologie"
5.4.2 La"psyché"comme"système"complexe"
5.4.2.1 Sensibilité"aux"conditions"initiales""
5.4.2.2 "Brisure"de"symétrie"
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psychisme. Nous savons bien en effet, depuis les travaux de Freud, ici jamais remis en
question par Jung, que Cs et Ics ont des régimes de fonctionnement radicalement
différents, notamment en ce qui concerne leurs rapports avec la réalité extérieure. Cela a
fait dire à Jung que les archétypes sont psychotiques.
Concernant les complexes psychoaffectifs tels que Jung les a décrits à la suite
de ses travaux sur les tests d’association, on retrouve aussi une notion de rupture de
symétrie. Chaque complexe a ses qualités propres, et la connaissance de l’un d’eux ne
renseigne en rien sur les autres, pas plus que sur l’organisation complexuelle générale.
5.4.2.3 "Noncreproductibilité"
38 : La différence étant que, stricto sensu, les complexes sont des complexes de représentations/affects, alors
que les archétypes ne peuvent se représenter qu’au travers des complexes dont ils organisent (ou
émergent de) la dynamique.
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efficace d’une névrose est toujours individuelle et c’est pourquoi l’utilisation pure et simple d’une doctrine ou
d’une certaine méthode doit être considérée comme une erreur fondamentale. […] À côté de cette difficulté il
y en a une autre : elle consiste en ce qu’il est, pourrait-on dire, presque toujours nécessaire d’inverser toute
affirmation psychologique, donc toute vérité s’appliquant à la psyché, pour la rendre tout à fait vraie. Cela
résulte du fait que, quelles que soient les similitudes existantes entre deux situations
cliniques, les différences, si minimes soient-elles, peuvent suffire à modifier radicalement le
devenir de la situation. Ainsi une réponse parfaitement adaptée dans une première situation
peut s’avérer catastrophique dans une seconde.
Ainsi cette notion apparaît comme désignant tout à la fois une certaine
reproductibilité, et une certaine non-reproductibilité, comme il a été vu que cela est le cas
pour les systèmes physiques complexes.
5.4.2.4 Attracteur"étrange"et"autocorganisation"
Du fait même qu’il attire la dynamique du système complexe dans une certaine
portion de l’espace des phases, l’attracteur étrange est intimement lié aux capacités auto-
organisatrices de ces systèmes. Là où un système stochastique serait susceptible d’avoir tous
les destins imaginables, un système chaotique est limité, dans son évolution, par le ou les
attracteurs étranges qui régissent sa dynamique. C’est ainsi qu’il devient susceptible de
s’auto-organiser et, dans le même mouvement, de se complexifier. C’est aussi cette auto-
organisation qui est à l’origine de l’émergence de ses qualités nouvelles.
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renouvelant sans cesse. Ainsi la vie elle-même serait une propriété qui a émergé d’un
certain niveau de complexité, niveau de complexité qui a permis l’émergence de cette
nouvelle qualité d’autopoïèse. Dans le champ des neurosciences, le phénomène
d’émergence se rapproche de celle d’énaction (Varela 1972).
Cette notion d’auto-organisation est, enfin, une des principales propriétés que
Jung a associée à sa notion d’archétype : auto-organisation de la vie psychique dans le but
de la maintenir tout en lui permettant d’être en relation avec son environnement et de s’y
adapter.
5.4.2.5 L’archétype":"un"système"complexe"à"structure"fractale"?"
o L’archétype en tant que concept logique nécessaire à pouvoir penser les relations
entre matière et psyché ;
o L’archétype en tant qu’organisation biologique innée ;
o L’archétype en tant que structure mentale abstraite non représentable per se ;
o L’archétype en tant que noyau de représentation à valeur hautement symbolique.
Cela signifie que Jung propose de penser l’archétype avec une pensée elle-
même organisée comme système complexe. Butz (1998), étudiant la notion d’énergie chez
Jung, est arrivé à la même conclusion ; dans une autre perspective, Van Eenwyk (1997) a
aussi développé une thèse reposant sur une même idée. Il semble qu’en cela Jung est très
proche de la pensée complexe, tel que l’a développée Edgar Morin (1990). Et cette pensée
complexe, Jung nous la propose en réponse à un Freud qui, en 1910, en était encore à une
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pensée cherchant à s’inscrire dans un causalisme simple, bien que déjà complexe. Par la
suite, Freud lui-même, avec sa pulsion de mort (1920), sa seconde topique (1923), et
surtout son « Moïse et le monothéisme » (1939), suivi par les freudiens d’après-guerre puis
l’ensemble du mouvement psychanalytique, se dégagea définitivement de tout causalisme
simple. On pourrait dire aujourd’hui qu’il choisit d’autres types de sections de Poincaré, ni
plus ni moins valables a priori que celles de Jung. C’est là la clinique qui peut permettre
d’apprécier la pertinence de telle ou telle approche.
Il est ainsi possible de penser que les différents archétypes décrits par Jung
correspondent chacun à l’équivalent d’un attracteur étrange, tel qu’il se serait révélé à son
intuition après une opération mentale équivalente à une section de Poincaré du système
psychique global. Penser ainsi permet de comprendre la notion jungienne d’activation d’un
archétype, notion facilement reprise sur un mode magique, comme si chaque archétype
était un esprit en dormance susceptible de se réveiller de temps à autre. L’épistémologie des
systèmes complexes amène à formuler les choses tout autrement, puisqu’il y aurait alors un
système psychique global, animé de diverses dynamiques plus ou moins chaotiques, avec,
lors des changements de ces dynamiques, et pas nécessairement à tous les niveaux du
système, l’émergence (ou l’effacement) d’attracteur(s) étrange(s) autour desquels
s’organiseraient alors ces dynamiques.
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5.4.3 "Carl"Gustav"Jung":"un"théoricien"de"la"subjectivité"?"
Ce débat, qui mériterait à lui seul un travail approfondi, ne sera qu’effleuré ici ;
qu’il suffise de noter que, pour de nombreux auteurs, parler de psychose n’a rien d’un
anathème. D’ailleurs, Jung lui-même, à propos de James Joyce (Shamdasani 2012), écrivit à
Patricia Hutchins :
C’est pourquoi la position adoptée ici est celle de Schwartz-Salant (2011), qui
dit :
Il est sûrement faux de penser que Jung était fou ou que c’était un schizophrène
qui se serait soigné lui-même de façon créative. Mais reconnaître que Jung, comme tout un
chacun, à un degré ou à un autre, avait des parties folles à l’intérieur d’une personnalité saine
par ailleurs, et qu’il a subi les affres de cette folie qui a finalement été source à la fois de
limitation et de transformation, c’est une hypothèse raisonnable.
39 : trad. personnelle
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Comment entendre que le plus authentique de l’être est à découvrir dans un des
soubassements « psychotiques » de son esprit ? […] Encore faut-il accepter de disjoindre le
« psychotique » de la psychose.
Il semble ainsi possible d’affirmer que ce avec quoi Jung s’est trouvé en prise
lors de sa « plongée dans l’inconscient » (Jung 1961, p. 198-232) est un flot affectif non
représentable, ou, à tout le moins, non encore représenté. Comme le note Sonu
Shamdasani (2012, p. 107) :
Il ressentit le besoin de représenter ses pensées les plus intimes dans la pierre et de
construire une maison primitive40 « Mots et papier cependant n’avaient pas, à mes yeux,
assez de réalité ; il y fallait encore autre chose. » (Jung, 1961, p. 260),
et plus loin (2012, p.130) Liber Novus a émergé d’une crise de langage, et de
la recherche d’une forme d’expression qui soit adéquate pour parler à l’âme autant qu’à
propos d’elle.41
Jung a d’abord cherché à ne pas perdre pied grâce à des exercices de yoga et de
respiration témoignant, a contrario, de l’attaque des étayages corporels de son narcissisme42
40 : trad. personnelle.
41 : trad. personnelle
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par ses affects. Il a aussi accepté de régresser formellement en s’adonnant à des jeux
enfantins de construction, témoignant ici de l’impérieuse nécessité de donner forme à ces
affects. C’est un très bon exemple clinique de la confrontation avec les éléments β, et du
désordre psychique qu’elle entraîne. Mais là, contrairement à certains épisodes de son
enfance auxquels semble se référer Winnicott, il a repoussé la tentation de céder à des
défenses psychotiques. De même que préadolescent il avait décidé, à la seule force de sa
volonté, de visualiser le fantasme qui l’oppressait (Dieu qui lâche un étron sur la cathédrale
de Bâle – Jung 1961, p.59), de même, à près de quarante ans, il décida de laisser venir à sa
conscience tous les fantasmes et éprouvés qui se présenteraient. Ce fut, selon ses termes,
une question de force brutale (Jung 1961, p.206).
Et de la force, il lui en fallut non seulement pour tenir son rapport à la réalité
extérieure, mais aussi pour forcer ces éprouvés à se représenter, et se forcer lui-même à
donner forme concrète à ces représentations. C’est ainsi qu’il se retrouva à faire des jeux de
construction et des dessins, comme le font spontanément tous les enfants du monde. Mais
il lui fallait, dans le même temps, tenir sa position d’adulte vis-à-vis de lui-même, et pas
seulement d’adulte, mais aussi de médecin, psychiatre et chercheur scientifique. C’est ainsi
que l’on peut comprendre qu’il ait eu besoin de donner forme achevée à ses productions
fantasmatiques, une forme dont on peut aujourd’hui apprécier la haute qualité artisanale et
artistique dans le Livre Rouge. C’est un processus de relance de la fonction α que Jung
inventa ainsi (et qu’il formalisa ensuite sous le nom d’imagination active), processus par
lequel les éprouvés affectifs bruts, éléments β, peuvent être subjectivés et intégrés à la vie
consciente. L’enjeu, là, était de permettre une incarnation personnelle des énergies de ce
qu’il appellera très vite l’inconscient impersonnel.
Cette incarnation se devait de passer par son être réel, et non par un faux-
semblant qui eut pu facilement être celui d’un artiste43, d’un philosophe, d’un prophète, ou
que sais-je encore. Mais Jung était un médecin, psychiatre et chercheur scientifique. Les
peintures, dessins et textes prophétiques que l’on trouve dans le Livre Rouge ne pouvaient
donc être qu’une étape, intime, dans le long processus de représentation subjective de ces
42 : Il convient d’entendre ici par narcissisme ce qui garantit la permanence d'un moi comme centre du
champ de conscience tout à la fois du monde interne et du monde externe, un moi, donc, en capacité de
travailler à l'adaptation conjointe aux exigences de ces deux ordres de réalité
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spontanées
Auto- Jeux avec les cailloux
analyse Affects avec représentations Dessins spontanés
personnifiées et dialogue interne Écrits non publiés
avec elles
L'archétype en tant
Mytho-théorisation autour de ces que noyau de
classifications : premier niveau représentation à
d'abstraction valeur hautement
Objectivation
symbolique
Abstraction
L'archétype en tant
Travail Théorisation sur ce qui sous-tend que structure
scientifique ces classifications : second niveau mentale abstraite
d'abstraction non représentable
per se
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Épistémologie"
5.4.4 "La"question"de"la"finalité"et"de"la"synchronicité"
Il semble qu’à ce sujet c’est dans son article sur la synchronicité (1952) que
Jung est le plus explicite. Il y introduit, en effet, le principe de synchronicité comme
acausal : il ne peut donc y avoir un créateur de sens, un dessein, qui causerait des
phénomènes dont nous aurions à découvrir le sens. Le point de vue téléologique est bien
différent du créationnisme, de l’idée d’un dessein de la nature. Et, toujours dans cet article,
Jung (1952, §123) va bien au-delà de la question des phénomènes paranormaux : Il faudrait
se poser ici, semble-t-il, la question de savoir si la relation de l’âme au corps ne devrait pas être considérée
sous cet angle ; en d’autres termes, si la coordination des processus psychiques et physiques dans l’être vivant
ne se comprendrait pas plutôt comme phénomène de synchronicité que comme relation causale. Et quand il
introduit le concept de psychoïde, ici envisagé d’un tout autre point de vue que
précédemment (Addison 2009), il précise bien que c’est un concept formel, une nécessité
logique, et en aucun cas un postulat métaphysique. Cependant, il reste très incertain par ce
qu’il entend ainsi, par exemple quand il introduit l’idée d’un savoir absolu, d’un sens
existant en soi. Cette hésitation, que l’on retrouve tout du long de son œuvre, a entraîné
nombre de dérives dans l’interprétation de sa pensée, ou plutôt des formulations de son
intuition par sa pensée.
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La"chimère"transférentielle"
Il semble en effet que l’on puisse considérer que Jung a eu une claire intuition
des phénomènes d’émergence, mais que, ne disposant pas de ce concept, il a cherché, tant
bien que mal, à en forger un. C’est ainsi qu’il est possible de dire qu’il y a, dans le concept
de synchronicité qu’il a forgé avec Pauli (Jung 1952), une formidable intuition concernant le
principe de relations acausales, ce principe étant de même nature que celui de l’émergence.
Mais il ne pouvait se représenter ce principe sans y réintégrer une certaine antériorité, une
certaine cause en fait : si le sens émerge de la rencontre fortuite (non causale) entre un
évènement extérieur et un évènement psychique, il faudrait poser, logiquement, qu’il y a du
sens dans l’univers… Précisément, c’est cela que le concept actuel d’émergence permet de
ne pas faire. Avant qu’il n’y ait de l’eau dans l’univers, il aurait pu, peut-être, être établi que
deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène étaient susceptibles de se réunir assez
fortement pour former une molécule stable, mais rien n’aurait permis d’établir que le corps
ainsi constitué serait liquide entre 0° et 100 °C ni que sa densité à l’état solide serait
inférieure à celle de son état liquide. Ce sont là des propriétés qui n’existaient nulle part, pas
même dans un possible a priori, avant leur émergence. Et cela concerne tout l’univers que
nous connaissons et qui, au fur et à mesure de son évolution depuis le big bang, ne cesse de
complexifier son organisation avec, à chaque étape, l’émergence non seulement de
nouvelles propriétés, mais aussi de nouvelles lois physiques (Laughlin 2012).
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Épistémologie"
5.4.5 "Conclusion"
Aux analystes, Jung propose ainsi une pensée qui puisse trouver à se déployer
et à s’incarner dans la pratique clinique, se donnant à vivre tout autant du côté de
l’analysant (processus de subjectivation) que de celui de l’analyste (reprise du processus de
subjectivation intriqué avec un processus de pensée théorisante). Ici, si l’on suit ce
cheminement de la pensée jungienne, il ne peut y avoir une pensée unique qui serait seule
valable dans le compte-rendu que l’analyste se fait à lui-même de la dynamique d’une cure.
Bien au contraire, l’un des intérêts majeurs de cette pensée est, de par sa complexité, de
conduire les analystes qui s’y réfèrent à choisir un parti pris pour penser une situation
clinique, sachant qu’un autre parti pris pourrait les amener à formuler la situation tout
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autrement. Et ce choix – c’est toujours très clair en situation clinique – n’est conscient, le
plus souvent, que dans l’après-coup, alors même qu’il a déjà émergé en l’analyste à partir de
l’ici et maintenant de la situation transférentielle.
Non seulement cela devrait interdire aux analystes de s’endormir sur des
recettes de pensée, alors plaquées sur chacun de leurs analysants, mais en plus cela oblige à
interroger le contre-transfert au sein même des processus de pensée théorisante de
l’analyste, et non uniquement au niveau de ses affects et fantasmes. Ainsi le processus
transférentiel est présent tout à la fois dans l’entre-deux de l’analysant et de son analyste, et
au sein même des processus de la pensée autant subjective que théorisante de l’analyste44.
Alors cette pensée n’est plus une modalité défensive – pour mettre le moi à l’abri des
éprouvés affectifs insuffisamment représentés et intégrés –, mais au contraire une modalité
de liaison entre affects, représentations et concepts. C’est à un véritable travail de tricotage,
d’intrication, de liaison de ses fonctions du moi, que Jung convie ici l’analyste, en situation
clinique autant que dans son travail de théorisation.
44 : Cela paraît pouvoir être mis en relation avec la notion de pensée paradoxale de Michel de M'Uzan (1976)
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Neurosciences"
NEUROSCIENCES!
Est abordée, dans ce chapitre, la question de la chimère transférentielle sous
son aspect neuroscientifique.
S’il est ici proposé de parler de la chimère transférentielle, c’est pour insister
sur une des dimensions de l’approche de Jung : il semble que ce processus ne soit pas
seulement en grande partie inconscient, mais qu’il est, de plus, partiellement indépendant
des personnes de l’analysant et de l’analyste, partiellement autonome, donc. Cette idée est
que de la rencontre entre l’analysant et l’analyste peut émerger une néo réalité psychique
qui a sa logique, sa temporalité et sa dynamique propre, en relative indépendance de celles
des deux protagonistes de la cure. En d’autres termes, si la participation mystique est un
élément essentiel du transfert, comme le pose Jung, elle peut être à l’origine d’une
dynamique psychique émergente qui va fortement influer sur la dynamique propre de la
relation entre l’analysant et son analyste.
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l’analyste, afin de pouvoir l’interpréter et/ou l’amplifier dans le but qu’elle puisse être ainsi
intégrée au moi de l’analysant et/ou de l’analyste. Il s’agit alors de laisser advenir cette
dynamique au sein de la relation analytique, afin que sa potentialité créatrice/destructrice
puisse décaler le point de vue conscient des deux protagonistes, souvent d’abord de
l’analyste, et permettre ainsi la sortie de la répétition qui, souvent, s’était réactualisée dans la
relation transférentielle.
1 !Épistémologie!de!la!démarche!
C’est dans cet esprit que la référence épistémologique utilisée ici, comme
développée dans la première partie de ce travail, sera fondée sur les modèles physiques des
systèmes complexes qui sont non reproductibles, et dont la réfutabilité ne repose, in fine,
que sur l’analyse des modèles mathématiques qui permettent leur description, c’est-à-dire
sur une théorie formelle. Une telle épistémologie sera nécessairement circulaire, la preuve
étant apportée par la cohérence du modèle proposé avec les données de l’expérience d’une
part, et avec celles des modèles neuroscientifiques de l’autre. Il pourra ainsi être reproché à
ce travail d’utiliser comme preuve les matériaux mêmes qui auront servi à construire le
modèle proposé.
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2 !La!chimère!transférentielle!
2.1 Prémisses!historiques!
Mais ce ne fut que dans l’après-guerre que les travaux des psychanalystes
commencèrent à théoriser ces phénomènes transférentiels, dont l’intensité risquait de
déborder l’analyste à tout moment. De son côté, Jung (1944) synthétisa ses idées en
prenant appui sur une iconographie alchimique afin de représenter ce dont il avait fait
l’expérience, alors que d’autres à la suite de Mélanie Klein (1946) utilisèrent le concept
d’identification projective pour représenter les changements affectifs profonds qui peuvent
emporter l’analyste dans des vécus qui lui paraissent étrangers. La différence fondamentale
entre ces deux approches est que la première, jungienne, tente de représenter cette
dynamique en lui assignant une origine autre que le seul psychisme de l’analyste et/ou du
patient, une origine née de leur rencontre (les concepts d’archétype et d’inconscient
collectif trouvent là leur pertinence, surtout à les considérer comme qualités émergentes)
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plutôt que comme structures préétablies, alors que les seconds lui assignent une origine
dans le psychisme du patient.
2.2 Définition!
C’est en reprenant le mot de Michel de M’Uzan que nous avons proposé l’idée
d’une chimère transférentielle (Martin-Vallas 1998) pour désigner le champ d’interactions qui se
constitue entre l’analyste et l’analysant, et d’où émergent des dynamiques et représentations
nouvelles, et non assignables a priori à l’un ou l’autre. Au regard des systèmes complexes,
cette chimère transférentielle désigne le néosystème qui émerge à partir des interactions
entre les deux systèmes complexes qu’est chacun des protagonistes. L’idée est qu’à partir
d’un certain niveau (quantitatif, mais aussi qualitatif) d’interactions, la propriété d’auto-
organisation de ce néosystème le rend relativement indépendant des deux systèmes en
interactions, et lui permet de devenir le lieu d’émergence de qualités, dynamiques et
représentations nouvelles. Cette approche est assez similaire à celle de Jan Wiener (2004,
2009) qui parle de la matrice transférentielle ou à celle de Claire Raguet (2012) qui parle de
complexe transférentiel partagé.
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- Le travail de George Hogenson (2001, 2004) qui propose de voir l’archétype comme
propriété émergente des systèmes psychiques, ce qui permet un autre point de vue que
celui découlant du débat inné/acquis. Le travail de Jean Knox (2003) va dans le même sens,
d’un point de vue plus développemental.
-Les travaux du Boston Change Process Study Group, à l’intersection du champ freudien et
des sciences cognitives, et leur notion de co-construction, articulée avec celle du moment
présent (BCPSG 2005).
-Le travail de Joe Cambray, toujours dans le champ jungien, et sa notion de moments de
rencontre (Cambray 2006, 2010).
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2.3 !Un!exemple!clinique!
2.3.1 Méthodologie"
Cependant, une observation plus fine semble permettre d’élargir quelque peu le
champ de cette clinique. Il s’agit là, pour l’analyste, d’avoir une attention non focalisée sur
ce qui occupe le centre de son champ de conscience (son moi, tel que défini par Jung
(1920, p.456), d’être tout aussi attentif à ce qui émerge en marge de ce centre. Le processus
est ici le même que dans la vision, l’attention pouvant être focalisée sur ce qui est perçu au
niveau de la fovéa, et pouvant tout aussi bien être sensible à l’ensemble du champ visuel
(vision périphérique). L’analyste est ici convié à laisser son attention « flotter », c’est-à-dire
se promener librement de l’une à l’autre de ces positions.
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2.3.2 Vignette"clinique"
Je relaterai juste une séance. Elle a commencé par me raconter un rêve, où elle
était en présence d’un enfant (moins de deux ans, ne parlant pas encore) à qui on retirait un
pansement. Puis on lui a confié cet enfant, et elle s’est sentie très bien de le tenir dans ses
bras. La scène était très paisible, et ce rêve lui a fait beaucoup de bien. Je précise que ce
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rêve a eu lieu dans la nuit avant la séance, et que, les jours qui avaient précédé, elle s’était
sentie plutôt angoissée, inquiète de son avenir, seule.
C’est alors que j’ai réalisé que je me sentais comme la tenant dans mes bras,
pouvant imaginer le faire réellement, avec une grande tendresse, alors même que rien chez
elle ne m’a jamais rien évoqué de tel. Je sentais là qu’elle était cette enfant qui avait besoin
de se sentir en sécurité dans des bras adultes accueillants, et étais pleinement disposé à lui
offrir les miens. La situation était déjà nouvelle et étonnante, et ce qui suivit le fut encore
plus. Elle s’est mise à me dire, en temps réel, ce que lui disaient ses voix, et nous avons pu
entrer dans un dialogue à quatre, elle, moi, et ses deux voix, dialogue que ses voix ont
d’ailleurs fort peu apprécié, disant qu’elles, elles n’avaient pas besoin d’un psychiatre…
Je n’entrerai pas plus dans le détail du contenu de cette séance qui n’intéresse
pas directement mon propos, mais je noterai que ce fut la première fois que j’ai senti une
séance vivante et pleine, je veux dire qu’elle était pleinement là, avec les parts d’elle-même
qui se manifestaient sous cette forme de voix. De ce fait, je n’étais plus aussi inquiet de ce
que je pourrais lui dire, me sentant à ses côtés, et elle aux miens, dans une tentative de
dialogue avec les voix. Je sentais que, tant qu’elle pourrait se sentir à l’abri dans mes bras
(psychiques), elle serait à l’abri des effets potentiellement dévastateurs de sa psychose, et
que cela pourrait lui permettre de tenter une autre forme de relation que purement subie
avec ses voix.
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3 !Les!hypothèses!neuroscientifiques!
proposées!
3.1 Le!concept!d’énaction!
Dans une note, Varela indique que le terme anglais enaction, un néologisme,
vient du verbe to enact, qui signifie « susciter », « faire émerger » ou « faire advenir ». Il est
donc là question d’une action qui provoque une émergence. D’ailleurs, le verbe anglais to
enact peut aussi signifier la promulgation d’une loi, acte par lequel un texte devient loi, ou
encore le fait, pour un acteur, de jouer un rôle. Cette dernière acception est
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particulièrement intéressante, le personnage joué par l’acteur n’émergeant de son jeu que du
fait d’un public qui, lui, peut le percevoir comme tel. L’acteur, en effet, sauf à ce qu’il soit
psychotique, ne perd jamais la conscience de qui il est, à savoir un acteur et non, par
exemple, Jules César. Le public par contre, si le jeu est de qualité, doit pouvoir assez
rapidement oublier la personne de l’acteur et ne plus percevoir que le personnage. C’est
ainsi de la rencontre du jeu d’un acteur et du regard d’un public que naît un personnage ;
une émergence donc, mais une émergence qui résulte d’un acte en interaction sans lequel
elle n’aurait pas été. Dans le champ de la psychanalyse le concept d’énaction a été utilisé par
Lebovici, en lien avec son idée d’une co-construction empathique métaphorisante
(Lebovici 2001) pour rendre compte de sa position clinique dans les consultations
thérapeutiques. Cela est très clairement discuté par Lemaitre (2001).
Ce lien [de l’enfant au(x) parent(s)] est souvent d’une telle intensité qu’on pourrait
parler d’une combinaison. Quand deux corps chimiques se combinent, tous deux subissent
une altération. C’est aussi le cas dans le transfert.
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psychiques qui, parfois, lui sont pourtant étrangères ou, pour être plus précis, qu’il n’a pas
pour habitude de laisser se développer en lui en d’autres circonstances. Au décours d’une
analyse d’enfant, par exemple, l’enfant va prendre les figurines et jouets mis à sa disposition
par l’analyste pour construire avec des histoires parlant de lui : les figurines et jouets sont
indéniablement ceux de l’analyste, mais l’histoire est celle de l’enfant. De même, dans la
rencontre analytique, l’analysant peut « jouer » avec les dynamiques propres au psychisme
de son analyste afin d’exprimer quelque chose de sa vie psychique propre à lui, l’analysant.
Ce qui en ressort sera nécessairement une histoire originale, non préexistante à la rencontre
de l’analyste et de l’analysant, et tout aussi limitée qu’induite par ce qui anime le psychisme
des deux protagonistes : cela correspond bien à une énaction telle que définie par Varela
Il s’agit aussi, pour Varela, de sortir d’un certain cognitivisme qui modélise le
cerveau à l’instar des ordinateurs, soit une machine à traiter de symboles selon des règles
prédéfinies :
Dans sa forme la plus extrême, cette conception du cerveau trouve son expression
dans la doctrine du « neurone de la grand-mère », qui établit une correspondance entre les
percepts ou les concepts (tel le concept que quelqu’un se fait de sa grand-mère) et des neurones
spécifiques. […] l’idée de base selon laquelle le cerveau est une machine de traitement de
l’information qui répond sélectivement aux traits de l’environnement reste le noyau dur des
neurosciences modernes (Varela 1993, p. 79)
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plutôt en une forme d’architecture cérébrale qui permet à certaines cohérences internes de se
produire. Mais quand ces cohérences apparaissent, ce n’est en raison d’aucun système
particulier. Le système réticulaire est nécessaire, mais non suffisant […] C’est l’animal qui
est endormi ou éveillé, et non les neurones réticulaires. (Varela 1993, p.140-141)
Nous voyons là que la notion d’énaction, l’énactivisme, est liée à une approche
de la réalité psychique de l’homme indissociable de sa réalité corporelle, bien que
constituant, par son émergence, un niveau différent de réalité. À chaque niveau, du
neurone au corps dans son entier, et du neurone aux interactions intersubjectives, des
éléments simples, mais en très grand nombre, interagissent les uns avec les autres selon des
règles simples et s’auto organisent en des ensembles cohérents qui, chacun à son niveau,
constitue le niveau supérieur d’organisation et les éléments simples de ce nouveau niveau.
Cependant, le processus n’est absolument pas à sens unique, du niveau le plus élémentaire
au plus « élevé », c’est-à-dire au plus complexe. Bien au contraire, chaque niveau émergeant
interagit aussi avec le(s) niveau(x) dont il émerge, de même, par exemple, que le groupe
constitué de plusieurs individus émerge de leur rencontre et interagit avec chacun d’eux.
3.2 L’hypothèse!des!cerveaux!interactifs!(IBH)!
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Bien que les auteurs ne le disent pas explicitement, c’est un véritable système
complexe qu’ils décrivent, et posent comme nécessaire à l’émergence du sens au sein du
sujet. Cela implique que ce ne soient pas seulement des informations qui circulent entre le
sujet et son environnement, informations qui seraient constitutives des interactions sujet-
environnement, mais que ce serait plutôt à partir des interactions sujet-environnement que
pourrait émerger ce qui, en un second temps cognitif, pourra être traité comme
informations. Ils en déduisent que le fonctionnement neuronal est fortement influencé,
non seulement par la situation actuelle du sujet au sein de son environnement, mais aussi
par ses expériences passées qui ont façonné ses modalités interactives. En d’autres termes,
chaque interaction s’appuie sur des processus internes du cerveau du sujet et, dans le même
temps, est susceptible de modifier ces mêmes processus. Ou, si l’on préfère, chaque
interaction est influencée/façonnée par les interactions passées, et participera à
influencer/façonner les interactions futures, notamment en influençant/refaçonnant les
interactions passées.
Ceci conduit les auteurs à décrire deux niveaux de leur hypothèse, l’un
développemental (DIBH) concernant la façon dont les circuits neuronaux sont façonnés et
modifiés par les interactions du sujet et de son environnement, et l’autre contemporaine
(CIBH) concernant l’activation de ces circuits y compris en l’absence des interactions qui
ont contribué à les façonner et les modifier (donc y compris quand le sujet est seul avec lui-
même). La CIBH permet de se représenter comment l’interaction du sujet et de son
environnement ne dépend pas uniquement du contexte présent, et intègre toutes les
interactions passées, ce dont, d’un point de vue psychanalytique, nous pourrions parler en
termes d’objets internes et de complexes. Enfin, pour ces auteurs, comme pour les
psychanalystes, ces processus de pensée sont non-conscients45. Bien que se référant au
travail de Varela, on peut regretter que ces auteurs ne discutent pas l’hypothèse que celui-ci
a proposée avec Cohen (Cohen & Varela 2000) d’un espace mixte émergeant de la
45 : Il semble préférable de parler de non-conscience plutôt que d'inconscient, le terme d'inconscient étant
principalement utilisé, dans le champ de la psychanalyse et de la psychologie analytique, pour se référer à
une topique psychique qui est absente des référentiels neuroscientifiques. Le livre de Naccache (2006),
Le nouvel inconscient, est un bon exemple des confusions que peut engendrer l’usage du mot “inconscient”
indifférencièrement dans son usage psychanalytique et dans son usage neuroscientifique, comme
ensemble des processus non-conscients, donc.
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rencontre tout à la fois verbale et corporelle d’un analyste et d’un analysant, hypothèse
pourtant bien proche de celle de l’IBH, quoique limitée à la situation analytique.
Mais les auteurs de cette hypothèse ne discutent pas, dans cet article, des
mécanismes neurophysiologiques en jeu dans cette mise en réseaux des cerveaux des
personnes qui interagissent entre elles. Il semble pourtant que des hypothèses peuvent être
énoncées concernant certains de ces mécanismes, sur la base des découvertes récentes des
neurosciences.
3.3 La!neuroplasticité!
46 : Cette idée est aujourd'hui attribuée au chercheur russe, élève de Pavlov, Jerzi Konorski qui, en 1948,
publia un livre où il met en relation les capacité d'apprentissage avec la plasticité.
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relais47. Sur un plan microscopique, il a pu être démontré que les neurones d’un cerveau
adulte sont susceptibles de modifier considérablement leurs interconnexions avec les autres
neurones, ce phénomène étant très probablement intimement lié au précédent. Sur un plan
neurobiochimique, enfin, la synapse elle-même est susceptible de varier considérablement
ses réponses à un même influx nerveux : c’est là la plasticité synaptique.
Les capacités cognitives [sont] inextricablement liées à des histoires vécues, un peu
à la manière de sentiers qui n’existent que dans la mesure où on les trace en marchant.
3.4 !La!modélisation!neurophysiologique!de!la!mémoire!
47 : Il est intéressant de noter qu'une telle réorganisation demande du temps : elle se poursuit sur plusieurs
années. C'est aussi le cas pour une psychanalyse.
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mémoire implicite, souvent très peu altérée au fil du temps, y compris dans les différentes
démences. Il semble en être de même de la mémoire des affects.
Mémoire à
court terme Cette mémoire concerne tout ce qui doit rester
ou accessible à la conscience durant un bref laps de temps
Mémoire de (par exemple pour penser, analyser une perception,
travail faire un mouvement, etc., mais aussi imaginer ou se souvenir)
Voici quelques schémas [Figure 15] pour représenter très grossièrement les
choses. Si l’on considère un réseau neuronal, on peut le représenter comme la figure « état
initial », chaque point d’intersection correspondant à un neurone(s), un noyau cérébral ou
48 : Il est remarquable de voir que, dans l'Esquisse S. Freud (1895) a construit un modèle de la mémoire lui
aussi basé sur ce qu’on nomme aujourd’hui la plasticité neuronale.
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une aire corticale, selon l’échelle de l’observation. Si maintenant nous voulons représenter
l’excitation de ce réseau lors d’une première expérience, nous le ferions comme la figure
« expérience ». Nous pourrions nous attendre à ce qu’après l’expérience il y ait un retour à
l’état initial, ce qui n’est pas le cas : en fait, ce réseau neuronal reste dans un état de
facilitation, de telle sorte que l’activation ultérieure de la même entrée est susceptible de
provoquer l’excitation du même réseau neuronal, reproduisant donc les conditions
neuronales de l’expérience. C’est là l’image du sentier de Varela, sentier qui sera d’autant
plus facilement emprunté qu’il aura été clairement marqué par ceux qui l’ont déjà frayé, et
ce serait le mécanisme de la remémoration, celle-ci étant alors une forme de l’hallucination.
Enfin un dernier point : dans les modèles actuels de la mémoire, ces réseaux
neuronaux distribués ne sont pas seulement traversés par l’influx nerveux, comme le
laissent voir ces schémas, mais ils sont réverbérants (au sens de la réverbération du son
dans une pièce), ce qui signifie que l’activation d’un réseau s’inscrit dans le temps, sur une
durée pouvant aller de quelques millisecondes à plusieurs heures. C’est ainsi qu’est
conceptualisée la mémoire de travail, dont fait partie la conscience du souvenir.
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Il existe une certaine similitude entre ces schémas d’un réseau neuronal
facilité et réactivé avec la notion de complexe, telle que Jung (1904) l’a définie au décours
de ses expériences sur les associations de mots. Ces expériences (Jung 1905, 1906, 1907 b,
1907c, 1907d, 1907e, 1911) peuvent d’ailleurs être qualifiées de neuropsychologie cognitive,
bien avant l’heure. Mais restons-en à la notion de complexe : si l’on considère ce réseau
neuronal facilité, il est probable que toute entrée d’une excitation dans ce réseau puisse le
réactiver au même titre que l’entrée initiale. Les schémas suivants [Figure 16] le
représentent.
Il est évident que ces schémas sont très grossiers, ne pouvant représenter
qu’une seule échelle de l’observation, le neurone, les noyaux, les aires cérébrales, alors
même que toutes les échelles d’organisations sont impliquées et participent de chaque
expérience et de chaque remémoration, les phénomènes de chaque échelle d’observation
étant en lien rétroactifs avec ceux des autres échelles. Il y a, de plus, ici l’illusion d’un
chemin parcouru, avec une entrée et une sortie, alors qu’il s’agit probablement bien plus
d’un circuit résonant, donc de multiples boucles rétroactives intriquées les unes avec les
autres. Cependant, le principe général reste le même.
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De tout ceci découle une certaine évidence que la mémoire est elle-même un
système complexe, et un système en grande partie commun aux différentes formes de
représentation (perception, mémorisation et imagination) qui en seraient alors des sous-
systèmes fonctionnels dont la dynamique de chacun pourrait être plus ou moins fortement
dépendante de la dynamique des deux autres. Et, concernant la mémoire implicite, son
importance apparaîtra dans l’étude des travaux du Boston Change Process Study Group.
Enfin, la mémoire est intimement liée à la possibilité même de la conscience, avec de
nombreuses rétroactions de l’une à l’autre (Edelman 2004 p. 123) :
3.5 !Mémoire!et!hallucination!:!les!douleurs!fantômes!
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progressivement colonisées par les zones adjacentes. Les schémas suivants représentent ce
phénomène[Figure 17], [Figure 18] & [Figure 19]).
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vécue sur le mode du souvenir, assignée à un passé. Par contre, l’atteinte porte sur la « (re)
présentation » corticale (absence d’afférences sensorimotrices) qui, elle, a disparu, le
membre qui en était l’origine étant amputé. Bien qu’il ne soit possible, ici, que de parler
d’analogie, il est frappant de constater qu’en l’absence du membre qui était à l’origine de la
douleur, la réorganisation neuronale aboutit à ce que, par contiguïté, la douleur fasse tout
de même retour. Il s’agit d’un processus étonnamment semblable, à un niveau
probablement bien différent, à celui du retour du refoulé où c’est une représentation
associée à la représentation du refoulé qui rappelle à la conscience l’affect associé à ce qui a
été refoulé : c’est là ce qui fait symptôme.
49 : Il sera développé plus loin les travaux de Damasio qui montrent que l’affect n’est perceptible qu’aux
travers des éprouvés qu’il suscite dans le corps. Cela permet de penser que ce qui est vrai pour les
éprouvés de douleur a une probabilité raisonnable d’être aussi vrai pour les affects.
50 : En ce qui concerne les perceptions cette question de l'intensité agit très différemment : par exemple une
trop forte, ou trop faible, intensité lumineuse entraînera une dégradation de la re-présentation (on ne
voit plus correctement), donc une modification qualitative et non quantitative de celle-ci. Et si une trop
forte intensité entraîne une douleur, alors il ne s'agit plus d'un processus perceptif, mais d'un éprouvé ;
ce sont d'autres circuits neurologiques qui sont sollicités.
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51 : Parler de représentations symboliques (Knox 2009) plutôt que de symboles peut prêter à confusion, la
première expression étant plutôt utilisée dans le champ freudien, et la seconde dans le champ jungien.
Jung insiste sur le fait qu'un symbole qui ne serait pas accompagné de tous ses éprouvés n'a pas valeur
de symbole. Il semble que cela peut permettre de dire symbolique toute représentation affectivement
chargée, bien que cela ne suffise pas à dire que cette représentation affectivement chargée ne soit pas
construite en lieu et place d'une représentation refoulée ou clivée, donc dans un but défensif. C'est, dans
l’expérience clinique de nombreux analystes, le plus souvent l'analyse du contre-transfert qui permet de
différencier les deux, quand cela est possible.
52 : Le bébé vient au monde avec un cerveau pléthorique, saturé en neurones. Dans un premier temps il y a
une intense activité de formation de synapses entre les neurones (de la dix neuvième semaine de la
gestation jusque vers l’âge de 15-20 ans). Parallèlement l'évolution durant les premières années de vie
permet au cerveau de se défaire des neurones et synapses qui sont peu sollicités, afin de ne conserver
que ce qui est utilisé. Par exemple le nouveau-né est capable d'entendre les nuances de tous les
phonèmes de toutes les langues humaines. Deux ans plus tard il aura perdu cette capacité et ne pourra
entendre, comme les adultes, que les nuances phonétiques de sa propre langue ou de celles qui lui sont
phonétiquement proches. Enfin les liaisons neuronales se myélinisent lentement, processus qui s’achève
vers 25 ans, âge de la maturité cérébrale.
153
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La"chimère"transférentielle"
3.6 La!question!des!représentations!
Les archétypes ne sont pas quelque chose d’extérieur, du non psychique, bien qu’ils
doivent naturellement toujours aux impressions reçues du milieu l’évidence des formes
[représentations] qu’ils revêtent.
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Neurosciences"
- ce qui a été ou est représenté, que ce soit sous forme imagée (image visuelle, auditive,
etc.), donc une représentation issue, comme le dit Jung dans la citation précédente, des
impressions reçues du milieu ;
- ce qui est ou a été représenté sous une forme abstraite, un mot ou un concept ;
- ce qui est représentable sous une des deux formes précédentes, bien que n’ayant pas
encore été représenté ;
- ce qui n’est pas représentable.
Ces distinctions sont rendues nécessaires pour comprendre les différences qui
existent entre l’usage du mot inconscient par la psychanalyse et par les neurosciences, et elles
sont aussi nécessaires pour comprendre de même la différence entre les acceptions
freudienne et jungienne du même mot. Elles sont, enfin, nécessaires dans la clinique pour
différencier notamment ce que Bion a nommé les éléments α et les éléments β. Ce point
sera repris plus loin.
3.6.1 L’exemple"des"représentations"visuelles"
La perception d’un objet donne le sentiment d’une évidence : ce qui est perçu
est ce que voient les yeux et est une image fidèle de la réalité extérieure. Cette évidence de
l’expérience subjective est pourtant bien loin de la réalité neurophysiologique. Voyons donc
comment le cerveau se construit une représentation de la réalité extérieure à partir des
informations qu’il reçoit de l’organe sensoriel qu’est l’œil, ou plutôt que sont les deux yeux.
Il est déjà connu de longue date que la vision en relief dépend de ces deux
yeux : la moitié des fibres nerveuses issues de la rétine, précisément la moitié qui « voit » la
partie extérieure du champ visuel, va directement au cerveau homolatéral, alors que l’autre
partie va croiser (chiasma optique) pour aller vers le cerveau opposé. Ainsi le cerveau droit
« voit » le champ visuel gauche, et inversement pour le gauche : chaque cerveau peut
analyser les « images » reçues des deux yeux et, de par leur décalage, construire une
« image » en relief.
Mais, si aujourd’hui nous posons la question que voient nos yeux ?, la réponse
sera rien. Les cellules perceptives qui constituent notre rétine (cônes et bâtonnets) ne sont
que plus ou moins excitées par la lumière qui les atteint, et leur excitation est transmise par
les fibres nerveuses jusqu’au cortex du lobe occipital (pour la plupart, une petite partie
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s’arrêtant au niveau du corps genouillé latéral du thalamus, une autre allant vers le colliculus
supérieur) [Figure 21].
À partir du lobe occipital, les informations venues des yeux sont distribuées
dans plusieurs dizaines de centres spécialisés dans le traitement d’un aspect particulier
(reconnaissance des formes, des couleurs, des visages, etc.). Ce n’est qu’après ces
traitements que ces centres envoient des informations dans une zone de l’aire pariétale
proche de l’aire de Broca (responsable, à gauche, de la production des mots parlés,
l’articulation) où d’autres informations issues du corps genouillé latéral les rejoignent53.
Alors, et alors seulement, une représentation de ce qui est perçu par les yeux est
« construite » (en fait, elle émerge de cet ensemble d’activité neuronale). Ainsi ce que nous
53 : Il s'agit là d'une version très simplifiée du processus de la perception visuelle. Les neurophysiologistes
décrivent une phase d'acquisition (œil), une phase de traitement des informations acquises (différents
centres de traitement), une phase de regroupement des informations traitées, une phase de
représentation proprement dite (faisant appel aux acquis, donc à la mémoire), et enfin une phase de
réponse. De plus deux voies du traitement des signaux visuels ont été décrites, une voie ventrale,
exposée ici, et une voie dorsale, utilisée quand la vision doit commander le geste (par ex. prendre un
objet).
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vivons comme perception directe du monde extérieur est en fait une construction de notre
cerveau : c’est déjà une re-présentation.
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La"chimère"transférentielle"
3.6.2 La"question"du"non"représentable"
Concernant le travail de Bion, il note que nombre des percepts d’éprouvés qui
viennent exciter la conscience de l’enfant ne sont pas susceptibles a priori de faire sens
pour lui. Ils sont alors traités comme véritables corps étrangers, mais, puisqu’il s’agit
d’éprouvés et non de représentations, ils ne peuvent être refoulés. Le parallèle possible avec
le travail de Damasio sera abordé plus loin. Cela les différencie par exemple du sexuel des
parents qui, selon la théorie de la séduction originaire de Laplanche (1987), et du fait qu’il
est non intégrable par l’infans, est refoulé sur le mode du refoulement originaire et devient
ainsi l’objet source de la pulsion. Il importe de noter que ce qui fait séduction vient de
l’autre et ne peut être intégré au soi-même de l’infans, alors que les éléments β viennent du
soi-même de l’infans et ne peuvent être représentés au sein de son moi.
C’est alors l’environnement maternel qui est indispensable à l’infans afin de lui
apporter les réponses appropriées, c’est-à-dire celles qui vont apaiser ses afflux d’éprouvés
encore incompréhensibles pour lui. Mais, pour ce faire, l’environnement maternel de
l’infans a besoin de comprendre les différents états du bébé afin d’y apporter des réponses
appropriées : c’est la régularité des réponses qui permet la prévisibilité du monde par
l’enfant, et ainsi sa représentation, et c’est le fait que ces réponses soient suffisamment
appropriées qui permet la coloration positive de ce monde pour l’enfant. C’est la fonction α
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Ce processus a été décrit d’une autre façon par Fordham (1947) qui parle d’un
état d’homéostasie primaire, le soi primaire, état intégré, qui est déintégré non
seulement quand l’enfant est en proie à des éprouvés qui viennent perturber cette
homéostasie, mais plus fondamentalement quand, spontanément et de manière cyclique, il
s’éveille aux informations reçues de ses organes sensoriels et moteurs. Voici ce qu’il en dit à
la fin de sa vie, un an avant son décès (Fordham 1969-1994 p.75-76)54
54 : trad. personnelle
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La"chimère"transférentielle"
naissance d’un autre enfant ; et le développement de l’œdipe. Par la suite, la période stable de
la phase de latence conduit aux dérangements de l’adolescence et à une maturité relativement
stable, qui se continue jusqu’à la transition avec la vie ultérieure, quand les séquences de
déintégration et réintégration reprennent et que le processus d’individuation, que Jung a
spécifiquement étudié, commence.
Plus loin (p.87) 55 il note que ses idées sont congruentes avec bien des
recherches effectuées depuis :
55 : trad. personnelle
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3.7 Les!neurones!miroirs!
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celles-ci peuvent être comprises également sur la base d’une élaboration réflexive des aspects
sensoriels liés à leurs manifestations sur le visage ou dans les gestes d’autrui. Mais, considérée
en elle-même, autrement dit sans aucune résonance viscéro-motrice, cette élaboration se réduit,
comme le dit William James, à une perception « froide » et « neutre », privée de toute
coloration émotionnelle.
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3.8 La!question!de!l’affect!
Le modèle utilisé ici résulte des travaux de Damasio (2006). Il considère que
l’affect n’est pas perceptible en tant que tel par la conscience, mais que c’est au travers de la
perception de ses effets corporels que le sujet peut en avoir conscience. À ce modèle
s’ajoute l’idée que la conscience elle-même émergerait de ces modifications corporelles liées
à l’affect (Damasio 2000, 2010). Cela rejoint la première idée de Jung (Addison 2009)
concernant son concept de psychoïde : à un niveau profond, il n’y aurait pas de différence
entre psychisme et somatique. Il est cependant regrettable que Damasio n’ait pas
approfondi cette notion de conscience qu’il applique dès le niveau même de l’organisme
unicellulaire, sans en interroger les différents niveaux, ou les différentes dimensions, qui, de
la possible conscience d’être d’un organisme unicellulaire à la conscience réflexive de
l’homo sapiens, semblent témoigner d’une complexification croissante des processus à
partir desquels elle peut émerger.
- Le sujet peut ne pas ressentir ses affects, alors même que son entourage en a une
perception très claire. Il peut aussi les nier (dénégation) en détournant son attention de son
entéroception.
- À l’inverse il peut ressentir des bizarreries dans son corps, ou dans sa perception de lui-
même, sans être en mesure de relier ces bizarreries à un affect, c’est-à-dire sans être en
mesure de se les représenter ni de se les nommer comme tels (éléments β de Bion, 1962).
Ces deux constats semblent montrer que la perception de l’affect passe bien par la
perception des modifications somatiques que celui-ci entraîne, perception qui peut être
déficiente et/ou inhibée. Le lien entre la perception des modifications somatiques et la
représentation d’un affect relèverait ainsi d’une construction de représentation (la fonction
α de Bion), comme pour les perceptions sensorielles, construction qui peut elle-même être
déficiente.
- Dans tous les cas, les affects peuvent activer la mémoire et l’imagination qui, elles-mêmes,
peuvent les activer et/ou inhiber.
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Replacé dans une interrelation entre deux personnes, alors ce schéma devra
être complété de l’effet des neurones miroirs, au moins au niveau de la perception des
effets somatiques [Figure 23] : pour le sujet affecté la perception de l’affect se peut au
travers de l’entéroception, mais pour le sujet en relation avec lui elle résulte de
l’extéroception. C’est probablement au travers de cette perception extéroceptive des affects
de l’autre (vision, audition et odorat, les goût et toucher étant exclus de la situation
analytique) que l’effet miroir de celui-ci peut se produire, comme l’ont montré de
nombreux chercheurs (Gallese 2003, 2008).
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Dès lors, les deux systèmes complexes de l’affect des deux protagonistes se
trouvent en interrelation potentiellement plus ou moins forte, selon l’intensité à la fois du
stimulus d’entrée, et des boucles rétroactives qui peuvent être inhibitrices et/ou
facilitatrices, donc autoamplificatrices. On peut d’ailleurs se demander si de telles boucles
autoamplificatrices ne sont pas à l’origine de la répétition d’un même type de relation par le
sujet qui, souvent, regrette de ne pouvoir en sortir y compris, voire surtout, quand il en
souffre. Une telle boucle autoamplificatrice peut en effet, dès lors qu’elle est activée par la
mémoire d’un des deux protagonistes de la relation, rencontrer un élément de même nature
dans la mémoire de l’autre, et induire la réactualisation d’une relation traumatique ou
toxique dans la relation actuelle, ceci aux dépens des deux sujets en présence. Le fait que
cette réactualisation soit congruente avec une expérience connue la rend paradoxalement
rassurante, car prévisible, tout en consolidant une fois encore les circuits neuronaux des
expériences initiales. Cette question de la répétition sera reprise plus loin.
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3.9 !La!question!du!langage!
- Pour celui qui énonce, chaque énoncé a des effets rétroactifs sur le sujet qui s’entend
parler, d’une part du fait que les mots sont associés entre eux, et avec la mémoire et ses
représentations, selon des chaînes associatives toujours susceptibles d’activer des affects
et/ou souvenirs pas nécessairement en lien avec le contenu manifeste de l’énoncé, et
d’autre part du fait du décalage qui existe souvent entre ce que le sujet veut exprimer et ce
qu’il s’entend énoncer.
- Pour celui qui écoute, cette rétroaction est aussi présente dans les chaînes associatives des
mots, selon les mêmes mécanismes et avec les mêmes effets.
- Il s’y ajoute, pour l’énonciateur autant que pour l’auditeur, l’organisation et l’intonation du
discours qui expriment un état affectif, ou qui sont entendus comme tel. Ainsi l’affect
entendu par l’auditeur peut être plus ou moins similaire, plus ou moins différent, de celui
éprouvé par le locuteur. Il s’agit là de l’un des aspects de la dimension implicite de la
communication qui sera reprise plus loin, avec le travail du BCPSG.
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3.10 !L’asymétrie!du!cadre!psychanalytique!
Tout ce qui a été développé jusqu’ici peut faire l’objet d’une critique
fondamentale du fait que cela peut s’appliquer à toute relation interpersonnelle, ce qui
serait susceptible de rabaisser la psychanalyse au rang d’une simple relation entre deux
personnes, alors qu’elle se réclame comme ayant une certaine valeur mutative et
thérapeutique.
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analysant, mais aussi tous les effets de ce discours en lui, et à tous les niveaux de lui-même
auxquels il peut avoir consciemment accès. C’est cet ensemble, fortement facilité par les
deux précédentes asymétries, qu’il mettra au travail en lui, afin d’être aussi peu réactif que
possible dans la relation explicite, en tout cas nettement moins réactif qu’il ne le serait dans
une relation habituelle. De nombreux auteurs du champ des neurosciences ont
dernièrement mis en évidence que la pensée est dépendante de l’inhibition de l’acte (par ex.
Williams 1999, Richardson 2008). Il a aussi été mis en évidence que le cortex associé à
l’articulation de la parole (Wernicke) est, dans l’évolution des espèces, issu d’une partie du
cortex moteur (Arbib 2012), ce qui pourrait être en relation avec ce constat. Tout ceci
semble confirmer la pertinence de la règle de l’interdiction de l’acte, principalement du côté
de l’analyste
Il est ainsi possible de construire un dernier schéma [Figure 24], plus spécifique
à la relation analytique, où les flèches pâles indiquent des interactions inhibées dans le cadre
de l’analyse :
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pas dans le transfert, bien au contraire, mais c’est dire qu’elle se fera dans une relation dont
l’organisation est susceptible de permettre à l’analyste de s’en décaler suffisamment pour
que la répétition émerge plus entre l’analysant et la chimère que dans l’implication
personnelle de l’analyste avec son analysant. L’analyste, quant à lui, restera « informé » de ce
qui se rejoue par les effets sur lui de cette chimère.
3.11 Les!travaux!du!Boston!Change!Process!Study!Group!
(BCPSG)!
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Ils insistent sur l’existence, dans la mémoire implicite, des schèmes implicites
de relation, construits tout au long de la vie, dès la toute petite enfance. Ces schèmes
implicites de relation peuvent être mis en évidence chez le nourrisson dès l’âge d’une
semaine. Ils déterminent, pour chacun de nous, un « comment être en relation avec l’autre »
qui s’active sans que nous puissions en être conscient, dans toute relation avec un autre
humain (BCPSG 2005)56 :
Par savoir implicite dans l’enfance nous ne nous référons pas aux fonctions
cognitives de l’enfant, mais à la façon dont la régulation physiologique, puis
sociale/comportementale, se met en place entre l’enfant et son environnement, et se représente
et se « mémorise » par l’enfant. Ces premières formes de régulation émergent d’une capacité
d’adaptation de base des êtres vivants qui se croise avec les besoins biologiques de base qui
motivent et déclenchent les interactions. Le fait que ces formes premières de régulation
biologique soient stockées dans les systèmes mnésiques, ont des équivalents mentaux et sont
psychologiquement sensées a été intuitivement compris par certains, mais n’est pas vraiment
compris. C’est en se représentant ces échanges régulant la dyade que l’enfant humain évolue
d’un être physiologique à un être psychologique. […]
En résumé, le savoir relationnel implicite est basé sur les affects et actions plutôt
que sur les mots et symboles. Il est aussi non-conscient, mais sans être refoulé. […]
Les observations développementales récentes suggèrent que, même pour les enfants
avant la parole, l’enjeu premier en observant un humain agir est de comprendre son intention,
et que la scène soit ainsi cohérente et sensée. […]
56 : trad. personnelle
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De notre point de vue, autant les échanges affectifs non conflictuels que les positions
défensives conflictuelles qui peuvent être part de ces échanges s’enracinent dans les expériences
vécues avec d’autres et non dans des phénomènes initialement intrapsychiques. […]
Nous argumentons que les défenses bien établies que nous rencontrons en situation
clinique s’originent dans l’internalisation de structures dialogiques entre deux personnes et
relèvent du domaine de l’implicite. […]
Avec cette vision nouvelle et féconde de tout ce qui advient dans la vie interactive et
affective, nous remplacerions l’idée du conflit au sein d’une structure tripartite avec cette idée
plus dyadique de formes complexes de conflits entre les intentions du sujet et celles des autres
importants qui sont représentés au niveau implicite. […]
Les mots ne limites ni ne se substituent aux actions : ils sont des actions. […]
57 : trad. personnelle
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mot pour se référer à un domaine beaucoup plus large de processus psychodynamiques, et des
processus qui ne sont pas nécessairement considérés comme refoulés. Ce processus devrait
inclure tous les aspects des premières relations d’objet qui sont ré-énactés dans la cure, tout le
domaine des processus mentaux non conscients, en quelque sorte non intégrés avec les autres
aspects de la pensée, et pour lesquels il y a une résistance affective à ce qu’ils aient leur place
dans les échanges avec les autres.
Notre argument est que les interactions par lesquelles se constitue le savoir
relationnel implicite sont psychodynamiques. […] Nous pensons que l’idée d’un inconscient
dynamique, et de la psychodynamique en général, doit maintenant prendre en compte le
domaine plus large des phénomènes mentaux, en y incluant le savoir relationnel implicite.
Ainsi, selon eux, la cure ne serait pas seulement un échange verbal significatif,
mais aussi, voire plus, un échange de manières d’être en relation, échange plus ou moins
chaotique, qui débouche sur des moments de rencontres avec alors la possibilité
d’émergence de nouvelles modalités d’être en relation. Ce processus d’adaptation de l’un à
l’autre serait une forme de dynamique non linéaire au sein d’un système complexe. Le
moteur de cette dynamique serait une forme de sélection darwinienne des modalités
relationnelles qui, à un moment donné, sont les plus satisfaisantes pour les deux
protagonistes de la cure.
Or ce lien [transférentiel] est souvent d’une telle intensité qu’on pourrait parler
d’une combinaison. Quand deux corps chimiques se combinent, tous deux subissent une
altération. C’est aussi le cas dans le transfert. (p.24)
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Ce n’est pas seulement à grands traits, mais souvent avec des détails stupéfiants
que l’alchimie décrit la phénoménologie psychique que le médecin peut observer au cours de la
confrontation avec l’inconscient. […] Mais quand il [le patient] se rend compte qu’il possède
lui-même une ombre, qu’il porte son ennemi « dans son propre sein », alors le conflit
commence, l’un devient deux, et comme l’Autre est lui-même une dualité, voire une pluralité
faite de couples de contraires, ainsi qu’on s’en aperçoit peu à peu, le moi n’est bientôt que le
jouet de toutes ces « volontés particulières » et c’est là ce qui amène chez le patient
« l’obscurcissement de la lumière », c’est-à-dire une perte de la puissance du conscient et une
désorientation concernant le sens et l’étendue de la personnalité. Le passage est parfois si
obscur que souvent il doit (et non : il devrait) se cramponner à son médecin comme à ce qui
semble être l’ultime réalité. Cette situation est, pour l’un comme pour l’autre, difficile et
pénible, et il n’est pas rare que le médecin soit comme l’alchimiste qui souvent ne sait plus si
c’est vraiment lui qui fait fondre la mystérieuse substance métallique dans le creuset, ou s’il ne
brûle pas lui-même dans le feu sous forme de salamandre. […]
« Ars requirit totum hominem » (l’art requiert l’homme tout entier), dit un traité
alchimique. Cela s’applique également, dans toute son ampleur, au travail
psychothérapeutique. Il est des cas qui non seulement exigent un engagement au-delà de la
routine professionnelle, mais qui l’imposent si l’on ne préfère pas mettre toute l’entreprise en
péril pour esquiver son propre problème que l’on voit surgir de toute part avec une netteté
croissante. La limite des possibilités subjectives doit toujours être atteinte, sinon le malade ne
peut pas non plus percevoir ses propres limites.
Enfin, un dernier point de convergence de Jung avec les idées développées par
le BCPSG concerne le dispositif de l’analyse. Celui-ci, en effet, a très vite renoncé à l’usage
du divan, afin de faciliter la lecture, par le patient, des émotions de son analyste,
l’interaction émotionnelle étant l’une des dimensions de l’implicite de la communication. Il
s’en explique, devant son auditoire de la clinique Tavistock de Londres, en ces termes
(1935, p. 195-196) :
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Comme je l’ai déjà dit, le transfert est, à proprement parler, une projection entre
deux individus, généralement de nature émotionnelle et contraignante. Lorsqu’elles atteignent
un certain degré, les émotions submergent toujours le sujet, car ce sont des états involontaires
qui passent outre les intentions du moi. De plus, elles adhèrent au sujet qui ne parvient pas à
s’en détacher. Mais cet état du sujet dépourvu de toute volonté est en même temps projeté à
l’intérieur de l’objet58, de sorte qu’il s’établit un lien indissoluble qui exerce une influence
coercitive sur le sujet.
On ne peut pas se détacher d’une émotion comme on le ferait d’une idée ou d’une
pensée, car les émotions sont assimilables à certains états physiques et donc profondément
ancrées dans l’épaisseur matérielle du corps. C’est pourquoi l’affect lié aux contenus projetés
constitue toujours un lien, une sorte de relation dynamique, entre le sujet et l’objet. C’est
précisément ce qu’est le transfert. Et comme vous le savez, cette relation émotionnelle, ou ce
pont, ou ce fil élastique peut, bien entendu, être positif ou négatif.
3.12 La!question!de!l’archétype!et!de!la!pulsion!
58 : C’est onze ans plus tard, que Mélanie Klein (1946) introduira son concept d’identification projective.
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En effet, pour Jung comme pour Freud, l’essentiel relève bien des dynamiques
inconscientes propres au sujet, même si, pour l’un comme pour l’autre, ces dynamiques
sont tout autant communes à l’espèce. Pour les deux, aussi, ces dynamiques sont
profondément ancrées dans l’être psychosomatique du sujet. Le fait que Jung (1952), avec
Pauli, (Jung & Pauli 1932-1958)) pose aussi l’hypothèse d’un ancrage plus profond, jusque
dans la structure même de la matière, ne réduit pas pour autant l’ancrage de l’archétype
dans le corps.
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3.13 Conclusion!
- Pour Freud, il s’agissait avant tout de modifications des liens associatifs entre les traces
mnésiques de l’analysant, modifications qui reposeraient sur la remémoration de ces traces,
et la reconstruction d’une histoire du sujet (mémoire autobiographique) au sein de laquelle
chacune de ces traces (re)trouverait sa place. Il y a aussi tout un pan de la théorie
freudienne qui articule ce travail de levée du refoulement avec un travail de liaison à
l’affect : la levée d’un refoulement n’est pas une activité intellectuelle, mais bien la
réintégration d’une représentation au sein du tissu associatif dont la nature est d’être
psychoaffectif.
- Pour Jung, qui n’a jamais contredit la position freudienne, mais qui la trouvait
insuffisante, cela ne résultait pas tant de l’effet des interprétations de l’analyste, que d’un
processus naturel, l’individuation. La situation analytique, et son corollaire, le processus
transférentiel, permettraient de relancer ce processus (qui est un processus d’auto-
organisation) en lui offrant les conditions de cette relance. Et ce processus, pour Jung, ne
peut se comprendre exclusivement par une restauration du tissu associatif psychique ; il
s’accompagne aussi d’une réorganisation de ce même tissu selon des mouvements auto —
(dés)organisateurs spontanés qu’il a nommé les dynamiques archétypiques.
- Pour les développementalistes, enfin, la situation analytique permettrait que soient
reprises les étapes du développement psychique et neurobiologique, qui ont été, du fait de
l’histoire du sujet, empêchées et/ou déviées de leur évolution souhaitable.
L’hypothèse est ici que ces trois axes de pensée sont non exclusifs les uns des
autres, et qu’ils représentent autant d’émergences possibles à partir de la chimère
transférentielle. Chacun peut se comprendre en cohérences avec les modèles
neuroscientifiques proposés ici. Enfin, ils ont tous trois le mérite de fonder la nécessité
d’une situation clinique asymétrique comme condition nécessaire, mais non suffisante,
d’une possible émergence d’un effet thérapeutique.
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Mais l’hypothèse travaillée ici permet aussi d’aller plus loin : l’asymétrie
fondamentale du cadre et des règles de l’analyse aurait pour effet de faciliter le
fonctionnement chaotique du système émergeant, alors que les limitations strictes qui
s’imposent aux deux protagonistes permettraient de maintenir un fonctionnement linéaire
prévisible. Le système émergeant de ce dispositif serait ainsi maintenu à la frange de la
linéarité et du chaos, ce qui faciliterait d’autant les phénomènes d’émergence, donc la
créativité psychique, que les processus auto-organisateurs (archétypiques dans la
terminologie jungienne), donc la réorganisation psychique. En d’autres termes, là où la
situation relationnelle hors analyse maintient souvent une certaine linéarité de ses
dynamiques grâce au principe de répétition, l’analyse offre la possibilité d’un transfert de ce
principe sur le cadre, réduisant ainsi quelque peu son emprise sur le fonctionnement
psychique de ses deux protagonistes.
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4 !Lecture!clinique!
59 : Il est impossible de développer ici la question de l’empathie, question sur laquelle de très nombreuses
publications ont porté. L’un d’elles, cependant, présente l’intérêt de l’aborder du point de vue de
l’analysant (Tisseron 2013).
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affect. En d’autres termes, les percepts de l’affect (éléments β) ont pu être représentés au
travers du miroir que l’analyste lui en renvoyait (fonction α), représentation qui a permis
leur éprouvé (un percept non représenté est vécu/ressenti comme corps étranger, et ne
peut donc être éprouvé dans le corps propre du sujet).
Concernant cette possibilité d’un dialogue avec ses voix il semble nécessaire,
comme le soutenait déjà Tausk (1919) de poser l’hypothèse d’un fonctionnement
particulier de la mémoire, à savoir de considérer les hallucinations de cette patiente comme
l’effet d’un dysfonctionnement de celle-ci qui, d’une part isole la remémoration du reste du
fonctionnement psychique conscient, de telle sorte qu’elle prend (ou conserve) la forme
d’une hallucination, et d’autre part permet au réseau neuronal distribué60, ainsi activé par la
remémoration, de se comporter d’une manière autonome vis-à-vis du reste du psychisme,
de la conscience en particulier. Nous retrouvons là tout ce que Jung a décrit des complexes
et de leur autonomie, une autonomie vis-à-vis de la volonté consciente qui, pour Jung les
caractérise ; simplement, la forme psychotique que prennent ici les manifestations de ces
complexes nous permet, comme ce fut le cas pour Jung lors de ses années de pratique au
Burghölzli, de les observer « en direct ».
60 : Il importe là de se représenter qu'un réseau neuronal distribué peut concerner toutes les zones du
cerveau, et donc avoir accès à toutes ses compétences, en l'occurrence ici la capacité de langage.
61 : Cette notion d’éthique est très proche de celle de l’investissement conscient exogame qui sera développée
plus avant dans ce travail (Cliniques - 3.3.3.5).
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âge, lui permettant ainsi, par réactivation de ce souvenir dans son rêve, après réactivation
de ce bain éthique dans le transfert, de retrouver en elle-même cet éprouvé apaisant. Ainsi
ce pourrait être l’effet miroir de l’attitude éthique de l’analyste à son égard qui a réactivé le
circuit neuronal qui avait été activé dans sa petite enfance lors des expériences éthiques
qu’elle a pu avoir avec les adultes de son entourage62.
Mais ce seul constat ne paraît pas suffire, car il fait l’économie de ce qui s’est
passé chez l’analyste. En fait, à l’écoute de son rêve, celui-ci s’est d’abord retrouvé lui-
même enfant dans les bras éthiques d’une bonne mère, et aussi adulte portant un enfant
dans ses bras, avec autant de paix que de respect de cet enfant confiant et abandonné. Il
était lui-même renvoyé aux éprouvés, tant affectifs que corporels, des expériences de cet
ordre inscrites dans sa mémoire, la mémoire de son enfance évidemment, mais aussi la
mémoire de son expérience analytique personnelle quand il s’était retrouvé comme un bébé
dans les bras de son analyste. C’est évidemment dans la reviviscence, alors inconsciente, de
ces expériences qu’il a pu trouver la possibilité d’avoir et de conserver une attitude
suffisamment éthique avec sa patiente durant les premiers mois de sa thérapie, l’altérité
exogame consciente de sa position analytique s’accompagnant d’une fusion endogame
inconsciente compensatrice.
Et c’est aussi sur ces bases qu’un dialogue a pu s’initier avec ses voix : dans son
attitude éthique préalable, l’analyste avait toujours été très attentif à ce qui, en lui, pouvait,
comme elle, souhaiter rejeter ces voix, en considérant qu’elles n’étaient que des effets
parasites de son cerveau malade. Il avait le sentiment que, ce faisant, il aurait été dans
l’incapacité de maintenir une attitude éthique avec elle : ces voix font partie d’elle ;
comment pourrait-on être partiellement éthique ? Bien au contraire, une attitude éthique ne
se peut que si elle est non exclusive de tel ou tel aspect de la personne à qui elle s’adresse.
Là encore, il y eut un jeu de miroirs, son attitude vis-à-vis de ses voix changeant
progressivement, comme si, pour la première fois, elle commençait à se sentir autorisée à
les considérer comme parts valables d’elle-même. Le fait que l’analyste la sentait réceptive à
sa position éthique l’aidait, en retour, à la maintenir.
62 : Il paraît difficile d'imaginer qu'un bébé puisse rester en vie s'il n'a pas fait quelques expériences de cet
ordre. cf. l'hospitalisme de Spitz (1945).
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Neurosciences"
et son patient. De même que le psychisme de l’analyste et celui de son patient sont en
permanence préformés/informés par les processus archétypiques, de même leurs cerveaux
sont tout autant en permanence soumis aux mouvements chaotiques de leur
fonctionnement de base. Se pourrait-il, donc, qu’un même attracteur étrange soit
organisateur du chaos cérébral et du psychisme de l’analyste et de son patient dans une telle
séance (Martin-Vallas, 2005, 2009a, 2013) ?
5 !Conclusion!
C’est pour ouvrir à une autre forme d’articulation de ces deux champs qu’il est
ici proposé d’avoir recours au modèle des systèmes complexes de la physique, et à un de
ses corollaires dans le champ psychanalytique, la chimère transférentielle. Les propriétés
émergentes spécifiques de ces systèmes, de même que leur imprévisibilité et leur causalité
non prédictive, paraissant pertinentes dans le champ de la psychanalyse autant que dans
celui des neurosciences où ils ont déjà fait l’objet de plusieurs travaux importants
(Korn 2002, 2003) ; l’existence de la Society for Chaos Theory in Psychology and Life Sciences, crée
en 1991 et regroupant aujourd’hui plus de 300 chercheurs de plus de 30 pays, en témoigne
aussi, de même que certaines recherches récentes en psychologie analytique (Krieger 2014).
Enfin, les dynamiques non linéaires de ces systèmes s’organisent autour d’attracteurs
étranges au sujet desquels j’ai émis l’hypothèse qu’ils puissent être eux-mêmes organisateurs
des formes de la représentation, ce que Jung a nommé les archétypes (Martin-Vallas, 2005,
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2009a, 2013). Hogenson (2001, 2004) et Knox (2003) avaient préalablement relié le concept
jungien d’archétype avec la notion d’émergence au sein des systèmes complexes.
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Clinique"
CLINIQUES!
La question se pose [au médecin] : Que fais-tu,
toi, dans le transfert ? (Jung 1944, p.28)
1 Brigitte!
1.1 Présentation!
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tout moment remettre en question le travail effectué par plusieurs autres. Le transfert en
tant que processus ne pouvait être éludé tant il était patent que les interprétations auraient
été à elles seules parfaitement inaptes à rendre compte de la dynamique psychothérapique
en cours, et qu’elles auraient eu fort peu de chance de pouvoir être intégrées. Il était clair
pour tous ceux qui y travaillaient que ce processus repose d’abord sur certaines qualités de la
relation, qualités sans lesquelles la dimension interprétative, toujours nécessaire, reste à peu
près inefficiente, voire parfois toxique. En ce milieu carcéral la qualité première nécessaire à
l’établissement d’une relation thérapeutique était la contenance, contenance de la
destruction toujours à l’œuvre chez ces patients. Balier (1988) la conceptualise en terme de
pare-excitation ; Widlocher (1998), puis Tisseron (2013) l’abordent en parlant d’empathie ;
l’image alchimique de l’athanor, espace fermé au sein duquel l’œuvre peut se dérouler, en
est une métaphore proposée par Jung (1944).
Jung n’a eu de cesse, tout au long de son œuvre, d’affirmer que l’outil
thérapeutique véritable dont dispose l’analyste est sa personne propre, son âme. À partir de
là, il pose deux affirmations qui constituent le socle de son approche analytique, qu’il
s’agisse de son versant théorique ou de sa spécificité au regard des pratiques analytiques de
l’époque : d’une part que le transfert est, par sa définition même, un processus inconscient,
qu’il repose toujours sur une commune inconscience de l’analyste autant que de l’analysant,
et d’autre part qu’il ne saurait y avoir de processus analytique mené à son terme sans de
profonds changements au sein même de la psyché de l’analyste.
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Clinique"
qu’il accepte d’en être lui-même transformé, donc d’y être pleinement impliqué : Il [le
médecin] « prend sur lui », très exactement, la souffrance du patient et il la partage avec lui. Il est donc par
principe en danger et il doit l’être. (Jung 1944, p.24)
Or ce lien est souvent d’une telle intensité qu’on pourrait parler d’une combinaison.
Quand deux corps chimiques se combinent, tous deux subissent une altération. C’est aussi le
cas dans le transfert. Freud a bien vu que ce lien a une haute valeur thérapeutique, parce
qu’il favorise la constitution d’un mixtum compositum entre la santé mentale du médecin et
l’équilibre troublé du malade. […] Il est inévitable que le médecin en subisse une certaine
influence et qu’il en résulte un trouble, un dommage pour sa santé nerveuse. Il « prend sur
lui », très exactement, la souffrance du patient et il la partage avec lui. Il est donc par
principe en danger, et il doit l’être.
63 : Si Dieu le veut. Cette expression, issue des textes alchimiques, est souvent reprise par Jung qui signifie ainsi
que la volonté consciente n’a, en ce processus, que peut de pouvoir ; ni la volonté de l’analyste, ni celle
de l’analysant, ne peuvent décider du dénouement du processus, dénouement dont nul ne peut avoir la
certitude qu’il advienne avant qu’il ne soit là, parfois d’emblée évident, plus souvent demandant une
longue élaboration avant sa mise en acte par la fin de l’analyse.
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1.2 Une!première!approche!clinique!:!Brigitte!
C’était la fin de l’automne, bientôt l’hiver, quand Brigitte vint me voir. Elle
cherchait quelqu’un et croyait qu’un psychiatre pourrait l’aider, avec quelques médicaments,
à supporter le silence d’un analyste rencontré quelques mois auparavant. Je l’ai cru avec elle
et lui ai prescrit le nécessaire. Mais cette femme était perdue ; je lui ai parlé, elle m’a parlé,
et ainsi s’est engagée entre nous une relation qui devait durer près de dix ans.
Quelque temps plus tôt, ma mère s’était suicidée, cinq ans plus tôt Brigitte
s’était suicidée, ou du moins avait essayé, en se jetant par la fenêtre, du sixième étage. Mais
son corps avait refusé la mort et elle s’était retrouvée, par une contorsion aussi spontanée
qu’improbable, sur le balcon du cinquième, en piteux état, certes, mais vivante. Cette
volonté animale de vivre, que n’avait pas eue ma mère, m’a probablement touché bien au-
delà de ce que j’étais alors capable de me dire. C’est ainsi que, après quelques semaines,
alors qu’elle m’annonçait avoir interrompu son analyse, je fus amené à lui proposer de faire
un travail de psychothérapie avec elle (tout en lui précisant que je ne serai alors plus son
prescripteur).
Je m’étais avancé vers elle, lui avais tendu la main, dans une mise en acte tout à
fait étrangère à mes habitudes de pratique, mise en acte qui me surprit autant qu’elle la
soulagea : elle accepta de suite, disant qu’elle n’osait me le demander. En fait, nous étions
tous deux pris dans un même interdit factuel : le psychiatre prescripteur n’est pas le
psychothérapeute, le psychothérapeute ne formule pas la demande, mais attend que le
patient la lui formule. Il est clair aujourd’hui que cet interdit factuel n’était que l’expression
consciente d’une peur fondamentale, qui nous était elle aussi commune, peur d’aborder les
aspects les plus archaïques de l’âme, au risque de nous y perdre.
Mais cette peur, que je ressentais tout de même, bien que déplacée sur le
factuel, j’avais alors pu la surmonter, laissant à mon désir de travailler avec elle la possibilité
de s’exprimer. Cela noua quelque chose de très fort entre nous et elle put commencer à me
parler d’elle, de sa vie, de ses angoisses, de sa souffrance : ce nœud si subitement projeté et
incarné au centre de la scène analytique put, très progressivement, très lentement, et au prix
de moult péripéties, prendre forme et relief.
Quand elle vint me voir, Brigitte avait la quarantaine. Petite, ronde, brune, elle
avait le look sérieux et un peu austère habituel dans sa profession. Malgré ses fréquents
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Clinique"
efforts vestimentaires, elle me paraissait toujours plus androgyne que féminine. Mais ce
n’était pas l’androgynie séductrice de l’adolescence ; elle renvoyait bien plus à
l’indifférenciation des sexes qu’à la bisexualité, et n’éveillait pas en moi de désir sexué, mais
plutôt une forme d’attirance/répulsion très indifférenciée : bien plus de l’excitation que du
désir. Elle oscillait entre des périodes d’agitation maniaque, boulimique de tout, que seuls
les neuroleptiques parvenaient à contenir dans des limites raisonnables, et des périodes de
mélancolie anxieuse qui m’ont souvent fait craindre le pire.
Heureusement, elle avait ses enfants et son ex-mari ! Elle devait vivre autant
pour aimer les premiers que pour haïr le second, et surtout elle pouvait me mettre à
contribution afin que je l’aide à les préserver, les uns autant que l’autre, de cette énergie
destructrice qui, avec la régularité de l’horloge, la débordait, l’envahissait, nous envahissait.
Ce fut tout un temps de face à face où l’actuel et le factuel tenaient le devant de la scène,
me faisant tour à tour vivre le sentiment de mon impuissance et/ou de ma supposée toute-
puissance, temps durant lequel j’essayais de me raconter que tout ceci devait bien mener
quelque part, qu’il me fallait coûte que coûte tenir. Mais, quelques soient mes doutes, mes
craintes ou mon « raz le bol », je n’avais pas le choix : j’avais le sentiment que la vie de
Brigitte était en jeu, non pas seulement sa vie psychique et la qualité de son désir, mais sa
vie tout court.
Ne pas « tenir » eut été, en tout cas je le croyais, l’abandonner à une mort
certaine, ce qui m’était d’autant plus impossible que le suicide de ma mère était proche. Il y
avait là une dramatisation du transfert dont nul ne pourra jamais dire si elle était fondée sur
une réalité propre à Brigitte, mais dont je pense aujourd’hui qu’elle a été tout à fait
indispensable à son évolution. En ce point nous étions collés l’un à l’autre, véritables
siamois, ce qui renvoie évidemment à ces figures du rosaire, sur lesquelles Jung fonde son
travail de 1944, où le frère et la sœur alchimiques partagent le même corps (voir plus loin).
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à fait sourde à mes remarques et je finis par comprendre, sans d’ailleurs savoir qu’en faire,
qu’il lui fallait avant tout me transmettre une part de cette haine : ce n’est que lorsque je
bouillonnais intérieurement d’une rage haineuse à son encontre que Brigitte pouvait
retrouver en elle un îlot de calme relatif.
Le second était l’homme de sa vie, être imaginaire, toujours projeté sur tel ou
tel, avec cependant une prédilection pour un proche admiré pour sa réussite sociale. Cet
homme devait lui apporter aisance matérielle et sociale, lui permettant ainsi d’être enfin
reconnue. Mais l’apparition de cet homme dans le transfert se faisait toujours en regard des
insuffisances, réelles ou supposées, de l’analyste. Il n’était pas tant là pour satisfaire, par
déplacement, des désirs frustrés que pour prouver à l’analyste l’inanité d’une démarche
dont le cadre entraînait une insatisfaction, alors insupportable pour Brigitte. Et là aussi, il
me fallait bien intervenir, non pas dans l’affect, comme précédemment, mais plus
simplement pour aider Brigitte à ne pas laisser envahir la totalité du temps de ses séances
par ses rêveries d’omnipotence amoureuse. J’avais le sentiment qu’il eut été vain, alors,
d’interpréter ce personnage imaginaire comme figure d’animus. Il était bien plus tout-
puissant que sexuellement différencié, et Brigitte ne pouvait le vivre que comme
complément narcissique. Cependant, la dimension de l’Autre était là introduite par l’écart
entre la complétude imaginaire et la frustration réelle :
Tant que le patient pouvait croire que quelqu’un d’autre (par exemple son père ou
sa mère) était responsable de ses difficultés, il pouvait sauver à ses propres yeux l’apparence de
son unité (putatur unus esse : il pense être un). Mais quand il se rend compte qu’il possède
lui-même une ombre, qu’il porte son ennemi « dans son propre sein », alors le conflit
commence, l’un devient deux, et comme l’Autre est lui-même une dualité, voire une pluralité
faite de couples de contraires, ainsi qu’on s’en aperçoit peu à peu, le moi n’est bientôt plus rien
que le jouet de toutes ces « volontés particulières » (mores) et c’est là ce qui amène chez le
patient « l’obscurcissement de la lumière », c’est-à-dire une perte de la puissance du conscient
et une désorientation concernant le sens et l’étendue de la personnalité. Le passage est souvent
si obscur que souvent il doit (et non : il devrait) se cramponner à son médecin comme à ce qui
lui semble être l’ultime réalité. Cette situation est, pour l’un comme pour l’autre, difficile et
pénible, et il n’est pas rare que le médecin soit comme l’alchimiste qui souvent ne sait plus si
c’est vraiment lui qui fait fondre la mystérieuse substance métallique dans le creuset, ou s’il ne
brûle pas lui-même dans le feu sous forme de salamandre. L’inévitable induction psychique
fait que tous les deux sont atteints et transformés par la transformation du troisième, tandis
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que le savoir du médecin éclaire seul, telle une petite lampe, les ténèbres profondes du
processus. (Jung 1944, p.54)
Je perçus assez vite (au bout de quelques années tout de même) que la
sexualisation de ce processus était défensive, et que Brigitte cherchait par là à retrouver
quelque chose du rapport du nourrisson à la mère, une forme de rêverie maternelle qu’elle
recherchait autant qu’elle l’attaquait, probablement afin de s’assurer de l’indestructibilité de
cet objet maternel que j’étais alors pour elle (Winnicott 1971). Malgré toutes mes tentatives
d’interprétation de cette défense, rien n’y faisait. Brigitte comprenait fort bien ce que je lui
soumettais, elle comprenait tout autant la nécessité pour elle de renoncer à cette jouissance
qu’elle finit par percevoir clairement, mais la mise en scène transférentielle de ce rapport
sadomasochiste très archaïque se renouvelait sans cesse. Je n’avais pas encore conscience
— je ne le ressentais pas encore — que cette sexualisation défensive du rapport archaïque à
la mère avait aussi une visée prospective : le peu de libido sexuellement différenciée n’avait
pas d’autre issue pour explorer le possible du rapport à l’autre.
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et des exigences propres ; il est entendu […] que l’autre partenaire […] aura automatiquement les mêmes
[…] S’il advient la moindre anicroche, la moindre discordance entre le sujet et l’objet, la réaction consistera
en symptômes bruyants et violents évoquant des processus soit d’agressivité et de destructivité intense, soit de
désagrégation profonde.
Je résume là en quelques lignes les grands axes qui ont organisé les huit
premières années de notre travail, dont trois en face à face, puis le reste sur le divan, à
raison de trois séances par semaine. L’anamnèse de Brigitte ne pourra pas être plus détaillée
ici, par souci de discrétion. Il paraît suffisant de constater, au regard du lien transférentiel, à
quel point les imagos parentales étaient toutes deux extrêmement déficientes.
Pris dans cette tourmente transférentielle j’avais bien peu d’éléments pour me
repérer, et après les avoir tous épuisés, un surtout restait énigmatique, inaccessible à notre
compréhension : depuis le début de notre travail il lui était impossible d’avoir une relation
amoureuse avec un homme. Cela lui paraissait totalement incompatible avec l’analyse, mais
elle ne pouvait l’expliquer. Elle ne pouvait qu’accuser son analyste de cet état de fait et
réclamer l’interruption de son analyse, interruption toujours exigée sur le champ, l’idée d’un
délai nécessaire pour préparer la séparation renvoyant sans cesse à ce même scénario
apparemment sadomasochiste selon lequel l’analyste ne pouvait que la contraindre à rester
ou la rejeter violemment.
Malgré cette projection de mère étouffante qui ne veut pas laisser à son enfant
la possibilité de partir à l’exploration du monde, l’analyste n’a jamais eu la moindre
hésitation : il lui a toujours manifesté avec une grande fermeté qu’il n’était pas question
pour lui que ce travail analytique soit interrompu préalablement à son terme, tout en
essayant de mettre en mot sa terreur d’une grande mère possessive et mortifère. Il essayait
ainsi de tenir une position différenciatrice de père, position d’autant moins évidente que
l’analysante vivait toujours son père soit comme impuissant soit comme séducteur, c’est-à-
dire selon les deux versants de la grande mère archaïque et non comme père faisant loi et
tiers.
Apparut alors un autre élément qui résista aussi à notre compréhension, malgré
toute l’attention que je lui prêtai puisqu’il s’agissait d’une modification du cadre. En effet,
sa symptomatologie maniaque, bien que très amoindrie par nos premières années de travail,
l’avait amenée à creuser un trou, selon son propre terme, dans son compte en banque, ceci
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jusqu’au point où, malgré (ou à cause de… ?) mes mises en garde et mes interprétations
anticipatrices, elle ne put plus me payer « sa » part64 et me dit qu’elle n’avait d’autre choix
que d’arrêter. Pas plus que précédemment, je ne pouvais accepter de laisser ainsi un
symptôme que je percevais comme psychotique décider à notre place, comme il l’avait
toujours fait dans la vie de Brigitte, et je le pouvais d’autant moins que je pressentais qu’il y
avait là un sens prospectif à respecter : à travers cette impasse Brigitte me demandait de
m’engager concrètement dans notre travail, ce qui, en retour, ne pouvait manquer de
l’engager elle-même bien au-delà de ce qu’elle n’avait pu jamais vivre avec un homme :
l’enjeu, comme il apparaîtra par la suite, en était l’accès à l’exogamie.
Mais quand je lui fis cette proposition mon sentiment était nettement que cela
était juste, nécessaire, et qu’elle avait la capacité d’utiliser cette modification du cadre afin
de découvrir une forme de dépendance nouvelle, infiniment moins massive que celle
toujours et encore remise en jeu dans le transfert et où la mort est toujours là, surveillant et
menaçant à la moindre tentative d’indépendance, réclamant son dû avant terme, comme s’il
eut fallu mourir avant d’avoir le droit de vivre ;
64 : Elle bénéficiait du remboursement des séances par la Sécurité Sociale, et j’avais posé avec elle le cadre qui
m’est habituel en ces cas : au montant des honoraires remboursés elle ajoutait une somme de
10 €/séance. Elle payait ainsi environ 120 €/mois.
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Il s’agit certes d’une réalité psychique que Jung met en regard de la séparation
d’avec la mère, mais la mort ici se plaçait sur le plan de la réalité tout court, comme si, à ce
niveau de non-différenciation d’avec la mère, il n’était pas possible de différencier réalité de
l’âme et réalité du corps.
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dans l’océan primordial, où les retrouvailles avec le paradis originel deviennent vite l’enfer
de la dissolution du moi dans le non-être. Cette différence de niveau est une différence
dans la nature de l’investissement de cet indifférencié par chacun des partenaires. J’ai dit
plus haut que je sentais que l’enjeu, pour Brigitte, était l’accès à l’exogamie. Ce concept
jungien paraît le plus apte à rendre compte de ce qui permet à cet indifférencié de relancer
paradoxalement une dynamique de différenciation. À y regarder de plus près, en effet, mon
sentiment qu’il était juste de modifier le cadre reposait sur la perception d’un
investissement de ma personne par Brigitte, un investissement de nature exogame,
balbutiant certes, mais non moins réel. De mon côté, la différenciation libidinale était
suffisamment effective pour que l’endogamie de l’indifférenciation ne risque pas de
détruire l’éros exogamique. Il semble que ce n’est que quand ces conditions sont réunies
que le même et l’autre peuvent coexister au sein du transfert, dans un rapport de tension
dynamique et non plus seulement d’exclusion réciproque. La suite de cette cure montre
bien comment cette mise en tension a pu ici déboucher sur une profonde remise en
question des investissements libidinaux de Brigitte.
Mais avant d’en arriver là, il faut parler d’un autre évènement important : le
suicide de son frère. Quand Brigitte m’apprit la nouvelle, je m’attendis à devoir
l’accompagner dans un long et difficile travail de deuil, tant ce frère avait tenu une place
importante dans son enfance et surtout son adolescence. Il était le modèle à suivre, l’idéal
de sa mère qui comptait bien en faire un être d’exception, probablement un Prix Nobel.
Adolescent caractériel, ce frère devint paranoïaque, persécuteur persécuté, et ne put
finalement que se suicider. À mon grand étonnement, après avoir sincèrement pleuré la
disparition de cet être cher, Brigitte n’en parla plus. Précisément, j’ai alors eu le sentiment
que, mort ou vif, là n’était pas la question. Mais quelle question, alors ? Je n’en avais aucune
idée, et rien ne pouvait m’aiguiller dans une ou l’autre direction.
Les rêves, par lesquels j’aurais pu espérer trouver quelques repères, restaient
rares, infiniment difficiles à travailler, et je n’avais aucune envie de forcer ses résistances, ne
sachant toujours pas quel genre de noyau psychotique se cachait derrière ce scénario
sadomasochiste toujours renouvelé. J’en avais d’autant moins envie que, petit à petit, l’étau
du noyau psychotique s’était desserré. Le traitement neuroleptique avait pu être arrêté dès
la troisième année de l’analyse, et les relations de Brigitte hors du champ transférentiel, tant
avec elle-même qu’avec les autres, se construisaient progressivement. Enfin, elle avait pu
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reprendre le payement des séances peu avant l’échéance fixée et entamait même, à doses
homéopathiques certes, le remboursement de la dette.
Un point fut essentiel : elle s’était mise à la sculpture et put s’appuyer sur cette
créativité nouvellement découverte pour apaiser ses tensions intérieures et se différencier
de cette excitation psychotique qui restait cependant toujours à l’affût. Elle me décrivait ses
créations, impulsives et abstraites, avec une grande sensibilité, une émotion authentique, et
je vibrais avec elle devant cette beauté qui, elle le découvrait, pouvait jaillir d’elle65. Même
l’angoisse la plus éprouvante pouvait ainsi donner naissance à du beau. En fait, quelque
chose changeait, une évolution souterraine se manifestait au grand jour, sans que nous
ayons pourtant touché au noyau psychotique. Une part de mystère, en même temps qu’une
nouvelle circulation libidinale, dans le champ de l’éros exogame et non plus dans celui de
l’endogamie exclusive.
Bien entendu, après neuf ans de thérapie puis d’analyse (six ans à trois séances
par semaine sur le divan) elle y songeait aussi, mais ne savait par où trouver la sortie.
Depuis quelque temps déjà, et plus particulièrement depuis la mort de son frère, elle avait
commencé à attaquer l’analyste et le cadre, l’analyste parce qu’il voulait la garder pour lui
tout seul, l’empêcher d’avoir une relation avec un autre homme, etc., et le cadre parce que
65 : Précision sur le cadre : Elle m’avais amené, au début, quelques peintures enfantines qu’il m’avait paru
important de regarder avec elle, tant le manque de mots rendait toute autre forme de communication
impossible. Cependant cela ne dura pas et, quand elle commença à créer « en adulte » (après six ans de
thérapie puis analyse), c’est à dire avec la distance qui permet l’élaboration et le travail sur l’œuvre, elle
n’a jamais amené une création en séance, et je ne l’aurais pas accepté. Là, la parole me paraissait bien
mieux à même de communiquer ce que elle percevait, alors que le regard eut rendu bien plus aléatoire la
différenciation entre son sentiment et le mien.
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l’analyse lui « bouffait » tout son argent, qu’il ne lui restait plus rien pour elle, qu’en plus il y
avait cette dette qu’elle me payerait, bien sûr, mais quand même, etc. Je sentais bien qu’elle
cherchait ainsi à frayer un nouveau chemin, celui de la séparation qui n’est pas une rupture,
et que, pour ce faire, elle cherchait alors à prendre appui tant sur l’analyste que sur le cadre.
Il était évident pour moi qu’en aucun cas je ne devais céder : cela eut été pour elle un
abandon pur et simple à une violence dont le sens prospectif n’avait pas encore été
accouché et qui, par conséquent, n’aurait pu que se retourner à nouveau massivement
contre elle.
Mais j’étais mis durement à contribution. Elle allait chercher, par ses attaques,
ma propre violence comme s’il lui eut fallu se relier encore et encore à mon propre noyau
psychotique, je veux dire par là ce lieu de soi où le sens n’est pas encore différencié du non-
sens, où la vie et la mort sont non dissociées et où l’énergie, non encore représentable, n’est
que violence pure. Mais je n’avais pas conscience de cela et je pestais intérieurement — et
parfois à mots découverts (par exemple en laissant mon langage se déstructurer en des
formes assez peu convenables) — contre sa destructivité qui mettait ainsi à mal le beau
fruit de notre dur labeur. Je me dis aujourd’hui qu’elle cherchait ainsi à me remettre dans
une position phallique défensive, c’est-à-dire la position de replis de son moi menacé par le
noyau psychotique, comme s’il lui eut fallu me voir m’expliquer, me dépêtrer allais-je écrire,
avec cette défense totalitaire, afin de pouvoir me suivre dans le passage qu’ainsi je nous
frayais. Mais peut-être plus important encore, elle cherchait probablement aussi à toucher à
mes limites. Comme le dit Jung (1944, p.55), la limite des possibilités subjectives doit toujours être
atteinte, sinon le malade ne peut pas non plus percevoir ses propres limites.
Chemin faisant, ce mouvement prenait une autre forme, celle d’une véritable
séparation qui pourrait n’être destructrice ni pour elle ni pour moi. Il s’agissait là d’un
sentiment qui se dégageait petit à petit et qui me permit de poser à Brigitte les conditions
de la fin de son analyse : en fixer préalablement le terme avec un délai suffisant pour lui
permettre de travailler véritablement cette séparation, mais un délai qui ne saurait être si
long qu’il n’aurait pour effet que de repousser la séparation aux calendes grecques.
L’énoncé de cette règle nouvelle dans le contrat de son analyse eut un effet apaisant pour
Brigitte qui comprit bien qu’il s’agissait pour elle de ne pas répéter indéfiniment le cycle « je
t’aime et me détruis afin de ne pas te détruire — je te hais et me détruis afin de te détruire
au dedans de moi ». Elle put alors prendre le temps nécessaire, quelques mois, pour
pouvoir formuler une proposition de séparation fondée sur son sentiment et non sur ses
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défenses psychotiques. Cela se fit en septembre, et elle prévit de finir à la fin du mois de
mars suivant.
Elle s’inquiéta alors très vite du destin de sa dette envers moi, pensant pouvoir
en régler le solde après la fin de l’analyse puisqu’elle n’aurait alors plus à supporter les frais
des séances. Mais je n’étais plus disposé à perpétuer ce type de lien avec elle (j’avais le
sentiment que cela lui eut permis de faire l’économie de la séparation alors nécessaire) et je
lui fis remarquer qu’elle voulait ainsi m’utiliser comme banquier, ce qui ne me paraissait pas
devoir être ma fonction. Elle s’engagea alors à me régler cette dette pour Noël, ajoutant
vous pourrez ainsi faire un cadeau à votre femme. Le contexte me permit de reprendre cette
réflexion sur le plan prospectif, et je lui fis remarquer qu’en pouvant m’imaginer heureux
avec ma femme elle s’autorisait à ne plus penser à moi, sans être pour autant menacée de
me perdre. Cela était vrai et elle acquiesça, mais je n’avais pas eu conscience
qu’immédiatement sa proposition avait rencontré mon assentiment : elle avait injecté en
moi un désir dont elle pourra par la suite tenter de jouer à loisir…
C’est ainsi que, tout en nous laissant croire que nous avions construit les
aménagements nécessaires à un travail de deuil satisfaisant, l’inconscient, ici
indifférencièrement celui de Brigitte et/ou de moi, la chimère donc, avait mis en place tous
les éléments nécessaires à son dessein.
Durant environ un mois, tout alla bien. Nous étions tous les deux satisfaits et
soulagés de la tournure des évènements et attendions que ce calme se prolonge
naturellement jusqu’à notre séparation. La vigilance défensive de Brigitte était ainsi au plus
bas, de même que celle de l’analyste qui ne ressentait plus le danger d’une mort
potentiellement imminente. Dans ce contexte, une première séance vint annoncer le terrain
sur lequel se jouera la suite. Lors de cette séance, Brigitte prit conscience de sa douleur
devant la séparation. Elle se sentit perdue, en grand désarroi, et ne put de suite aller
travailler en sortant de mon cabinet.
Fondamentalement, quelque chose avait changé pour elle, de telle sorte qu’elle
put suivre son impulsion en un mouvement ressenti comme vital et non plus uniquement
destructeur. Après avoir marché un moment, elle prit sa voiture et conduisit sans savoir où
elle allait, jusqu’à s’arrêter devant un escalier montant entre deux immeubles. Elle était alors
prise de spasmes et de nausées et descendit de voiture pour cueillir une fleur délicate qu’elle
conserva dans un kleenex après avoir craché pour l’humidifier. Alors seulement, elle
retrouva le calme et put aller travailler.
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J’avais cru qu’un nœud s’était là dénoué et je fus vite lassé de constater qu’au
lieu de prendre appui sur cette nouvelle donne, Brigitte s’enfonça dans une nouvelle
régression qui m’apparut déplacée. Il me fallut notamment intervenir afin qu’elle se
préoccupe de ses difficultés financières et qu’elle ne joue pas à nouveau le même scénario
de dette entretenue rendant la séparation impossible. C’est alors qu’apparut un nouveau
personnage, une belle jeune femme avec qui elle se trouvait en rivalité de pouvoir au sein
d’une association. Après en avoir parlé toute une séance elle prit conscience de la
dimension homosexuelle qui la lie aux femmes, homosexualité qu’elle décrivit comme
double : d’une part envers les femmes-mères-pouvoir, sous forme d’une jouissance dans la
rivalité à mort, et d’autre part envers les femmes féminines sous forme d’un désir qui est
désir de jouissance dans la relation. Dans les deux cas, l’homme, toujours présent, n’est que
le révélateur de cette homosexualité dont il porte, par déplacement, l’investissement
libidinal.
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maintenir le déni de la différence des sexes. Elle avait fait de même avec l’imago paternelle,
son père étant vécu comme totalement impuissant ou, ce qui, revient in fine au même,
sexuellement menaçant parce que trop séducteur. J’ai alors réalisé que ce trou de la mère était
d’abord la dépression maternelle et l’abandon de l’enfant qui s’y était trouvée confrontée.
La dimension sexuelle est venue secondairement à titre de défense, l’investissement sexuel
de cet abandon ou, pour reprendre les termes de Jung, de ce non-sens, étant le seul recours
du moi fragile de l’enfant pour ne pas se perdre au fond du trou noir de la béance
dépressive du non-être maternel. Mais elle ne pouvait vivre sans maintenir cet
investissement et était ainsi condamnée à perpétuer un sadomasochisme seul à même de
maintenir l’investissement sexuel de, et par, ce non-être maternel, maintien nécessaire afin
qu’elle n’y soit pas engloutie. L’alternance maniaco-dépressive était la suite logique de cet
investissement, retourné sur elle-même, dès lors que disparaissait son objet externe.
Nous avions bien travaillé et j’en étais satisfait. Enfin, l’horizon se dégageait et
il me paraissait clair qu’en continuant à travailler cette intrication de l’abandon et des
investissements sadomasochistes la fin de l’analyse se présentait sous ses meilleurs auspices.
Mais de mon côté aussi, en me vivant comme son objet au sein d’une relation
sadomasochiste, objet masculin condamné à une position homosexuelle passive, je me
défendais contre une dimension beaucoup plus angoissante de ce transfert qui faisait de
moi un objet féminin pris dans une relation homosexuelle féminine. Il y a là, je crois, des
résonnances archaïques très difficiles à vivre, car cela renvoie non seulement à
l’indifférenciation sexuelle des origines du moi, mais surtout à l’extrême confusion qui, je
crois, suit les premières différenciations sexuelles conscientes. Être mis en position de mère
est relativement facile à vivre pour un analyste homme dans la mesure où ce fantasme n’est
pas étranger à son moi : il structure toute la dimension homosexuelle archaïque, autant
chez l’homme que la femme. Par contre, être vécu comme femme sexuellement
différenciée, outre les angoisses de castration ici réactivées, mais qui sont, elles, accessibles
à l’analyse, renvoie à l’inconnu radical de l’homme que Jung a nommé anima. Il s’agit là de
fantasmes qui ne sont ceux du moi que dans la mesure où celui-ci est identifié à cette figure
de l’inconscient, identification qui place le moi à la lisière de la psychose, sinon plus66.
66 : Le fantasme de Schreber (Freud 1911), être une femme subissant l’amour, est un exemple d’identification
psychotique du moi à une figure d’anima. Plus précisément, Jung parle de possession, estimant que
l’énergie de l’inconscient est, dans ces cas, par trop supérieure aux capacités de défense du moi pour que
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L’anima ne s’analyse pas, elle est figure impersonnelle de l’inconscient, et à ce titre toujours
radicalement Autre. Le moi ne peut qu’essayer, toujours et encore, de tenir la confrontation
avec elle, l’inconnue qui l’habite.
À la séance suivante elle me dit avoir fait deux rêves (Enfin ! me dis-je) et je me
ressens encore m’enfonçant confortablement dans mon fauteuil afin de me rendre
disponible à l’écoute de ses rêves. J’avais en fait benoîtement oublié son effroi devant les
émergences incontrôlables de l’inconscient que sont les rêves et je ressentis comme une
attaque personnelle sa façon de les raconter : elle me les balançait à la figure comme pour
me dire démerdez-vous avec, moi je ne sais qu’en faire. En même temps, je compris que ce n’était
pas tant moi qu’elle attaquait que l’analyse elle-même : il lui fallait, avant que nous nous
séparions, détruire tout ce que nous avions construit afin que ne reste plus aucune trace de
notre rencontre et donc plus de séparation67. Je comprenais cela, mais ne m’en sentais pas
moins personnellement attaqué, ce dont j’essayais de me défendre, croyant ma colère
déplacée et y voyant une énième résurgence de ma propre problématique abandonnique.
Mais de mon côté, entre ces deux séances, j’avais rêvé, un rêve peu banal qui
me permit de comprendre l’enjeu de cette cure. Ce rêve repose évidemment sur bien des
aspects de ma propre vie intime. Cependant, j’en livre ici l’intégralité, d’une part parce que
ce qui concerne mon intimité n’y est pas reconnaissable pour qui n’en a pas les éléments
celui-ci puisse y résister. L’identification est alors l’ultime recours du moi pour le maintien de son
existence.
67 : Quinodoz (1991) a particulièrement bien décrit cette phase de la fin d’analyse en lien avec les angoisses
d’abandon.
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d’interprétation, et d’autre part parce que je crois qu’un résumé de ce rêve lui ferait perdre
de sa charge dramatique, alors même que cette charge en est l’élément signifiant principal :
Je suis dans la maison de campagne de mes parents. Mon père n’y est pas.
Probablement est-il mort (à l’époque de ce rêve, mes deux parents étaient déjà morts depuis
plusieurs années). Ma mère est là, et il se trouve que j’ai fait je ne sais quoi qui ne devait être
fait. En cela, je dois mourir. Il n’y a là aucune agressivité, ni colère, ni haine. Aucun affect.
Simplement, je dois mourir, c’est ainsi, ma mère me le signifie et j’acquiesce. Elle téléphone
donc au médecin du pays pour mettre un terme à ma vie, et celui-ci vient avec un collègue.
Nous nous mettons d’accord tous les quatre sur ce qui sera fait, à savoir une anesthésie locale
suivie d’une intervention permettant au médecin de débrancher mon cœur. L’heure de ce geste
est aussi fixée, et ma mère nous laisse. Je suis dans une position froidement héroïque,
déterminé à aller au bout de ce qui doit être fait, sans état d’âme. Mais, l’heure approchant,
je commence à ressentir un peu d’angoisse, et je négocie avec les médecins pour que ce geste long
et compliqué soit remplacé par une injection de potassium que je sais être immédiate et sans
douleur. Je crois que les médecins finissent par me donner leur accord. Mais cela ne me
soulage pas, car je commence à réaliser que je n’ai vraiment aucune envie de mourir et que
tout ce projet est fou, dénué de sens. Je vais alors dans l’entrée de la maison (le reste se passe
dans la cuisine et dans la bibliothèque adjacente) en me disant qu’il faut que je parle à ma
mère. Mais elle est dans sa chambre, à l’étage, en train de papoter avec des amies, et je
comprends qu’elle ne se fait aucun souci pour moi, que dans son esprit ma mort n’a aucune
importance, et que je ne peux strictement rien attendre d’elle. Je décide alors de partir.
C’est avec cette question en tête que j’avais accueilli Brigitte à la séance du
lendemain, et je ressentis avec d’autant plus d’émotion son désir de me réparer de ma
colère, colère dont elle se sentait responsable. Je compris alors qu’elle avait partiellement
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raison : ce qui était en jeu était autant de moi que d’elle, ce non-être maternel nous était
commun. Je choisis cependant de ne pas lui en parler et de la laisser pour l’instant avec son
interprétation sur le mode de l’identification projective : Je vous ai mis en colère signifiait J’ai
mis en vous ma colère. J’avais le sentiment qu’il était essentiel que je la laisse à son entreprise de
reconstruction, car en me réparant c’est une part d’elle-même qu’elle réparait. En
n’intervenant pas, je lui manifestais ma confiance.
C’est ainsi qu’une semaine plus tard je me surpris, en allant à mon cabinet, à
penser à ce que je pourrai acheter comme cadeau de noël à ma femme avec l’argent qu’elle
allait me rembourser, tout en ressentant une impatience certaine à ce qu’elle me donne des
assurances sur ce remboursement. Je réalisai alors que j’étais piégé, qu’avec sa suggestion
elle m’avait amené à me sentir moi-même dépendant de son bon vouloir. En fait mon
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impatience à ce qu’elle me donne ce qu’elle m’avait promis me faisait me sentir dans mon
bon droit de l’exiger, et je n’étais intérieurement pas très loin de vouloir la forcer à me le
donner…
À la séance qui suivit, elle me parla de sa dette pour me dire qu’elle n’avait
toujours pas pris rendez-vous avec son banquier et pour me réitérer sa promesse de me
payer à la date fixée. Je lui dis alors qu’elle pouvait tout aussi bien me faire ces assurances
pour mieux pouvoir ne pas me payer et ainsi maîtriser mon désir. Elle y avait effectivement
pensé, et réalisa qu’elle cherchait ainsi à pénétrer en moi pour mieux vous baiser, me dit-elle.
Sans pouvoir alors me le formuler je sentis tout de même qu’il n’y avait là
qu’invitation à l’apparence d’une position homosexuelle de ma part : il ne s’agissait pas
pour elle d’être le père qui pénètre son fils de sa virilité afin de la lui transmettre, afin qu’il
puisse trouver en lui cet appui masculin sur lequel il va pouvoir appuyer son propre devenir
homme. Bien au contraire, il s’agissait pour elle de me baiser afin de me priver de ma virilité,
de se l’approprier, et de réaliser ainsi, mais de manière purement imaginaire et régressive, la
visée ultime de l’individuation, l’hermaphrodite intérieur [Figure 31] ou, pour le dire en
termes freudiens, l’intégration de la bisexualité psychique (Freud 1937).
Je ne voulus donc pas saisir la perche sexuelle qu’elle me tendait ainsi et lui dis
— comme avançant à tâtons dans l’inconnu — qu’il me semblait qu’elle répétait
probablement une attitude de sa mère envers elle, telle qu’enfant elle l’avait ressentie. Elle
associa de suite sur le fait que, peu avant, elle avait touché un trop-perçu des impôts et
qu’elle avait pris soin de ne pas m’en parler, car elle voulait s’acheter un manteau pour la
petite fille en elle : une chaleur confortable. M’en parler eut été, pensait-elle, prendre le
risque que j’exige cet argent pour moi, que j’utilise la dette afin de la priver du plaisir de ce
manteau. Alors un fantasme lui vint à l’esprit : Une petite fille qu’un homme adulte fait chanter :
elle n’aura ce qu’elle désire, ce dont elle a besoin, que si elle satisfait sexuellement cet homme. Elle regarde
la scène sans même penser à intervenir auprès de l’homme afin qu’il cesse cet odieux
chantage.
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fantasme sur le plan du sujet68 en lui disant qu’il y avait là une représentation de sa propre
attitude en face de son masculin intérieur : c’était son masculin intérieur qui soumettait la
petite fille en elle à un chantage sexuel, et elle-même — son moi — en était la complice
passive. Elle réalisa alors qu’elle se sentait collée à ce masculin pervers et qu’elle ressentait
une profonde tristesse à l’idée de s’en décoller. Je conclus la séance en rapprochant ce
masculin pervers de celui de l’imago maternelle : s’en séparer était pour elle se séparer du
monde maternel.
Elle vint, à la séance suivante, vêtue de ce manteau — qui lui allait d’ailleurs
fort bien — et m’annonça bouleversée qu’elle avait pu rencontrer amoureusement l’homme
qui occupait ses pensées depuis trois ans. Elle était heureuse, non seulement de cette
rencontre, mais surtout de ce que Quelque-chose a lâché en moi. Je pus lui dire, parce que je le
ressentais sincèrement, que j’étais heureux pour elle, ce dont elle me remercia
chaleureusement. Ce fut notre première rencontre véritablement sexuée.
Une ombre cependant planait sur ce tableau idyllique : l’échec de leur relation
sexuelle. Je n’ai pas voulu soulever ce point d’emblée, tant il me paraissait important
d’accueillir sans ambages la sincérité avec laquelle elle me parlait de cette rencontre. Elle
put ainsi revenir d’elle-même sur ce point le lendemain, et il est apparu qu’elle avait imaginé
une telle issue à leur relation sexuelle dès qu’elle s’était sentie attirée par cet homme, donc
plusieurs années auparavant. Nous pûmes alors reprendre cette relation sous l’angle de son
fantasme : la petite fille y avait trouvé une grande satisfaction de tendresse, mais son
masculin s’était alors empressé de prendre le pouvoir et de castrer la virilité déjà défaillante
de son partenaire, de telle sorte qu’elle se retrouvait aujourd’hui dans l’incertitude de
l’avenir de cette relation. Elle fit elle-même la relation avec le scénario du remboursement
de sa dette envers moi : me faire désirer une satisfaction de sa part et, au moment de cette
satisfaction attendue et désirée, m’en priver. Il m’a semblé qu’au cours de cette séance elle a
commencé à mesurer à la fois sa jouissance du pouvoir sur l’homme, et le coût de cette
jouissance.
68 : Jung distingue, dans l’interprétation des rêves et fantasmes, deux types d’interprétations : l’interprétation
sur le plan de l’objet relie le rêve ou fantasme aux investissements libidinaux de l’analysant sur des
personnes réelles de sa vie passée ou présente ; l’interprétation sur le plan du sujet relie le rêve ou
fantasme aux relations de l’analysant à ses propres objets internes (Humbert 1983, p.25-26)
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Au fil des séances, je sentis alors que quelque chose de nouveau se mettait en
place, mais que le risque était encore grand que cela ne tienne devant l’intensité extrême de
sa jouissance, intensité qui restait encore en partie inexpliquée, en tout cas de mon point de
vue. Je lui demandai alors d’essayer de retrouver les sensations physiques liées à ce
souvenir, et ce qui lui vint ne manqua pas de nous surprendre. Elle s’aperçut en effet que,
quand elle avait en bouche le sexe de son frère (et par la suite de ses autres partenaires) elle
était seule, que ce sexe lui appartenait, qu’elle était alors un véritable monstre (selon ses
69 : Un autre de mes analysants m’a, depuis, raconté un souvenir semblable, mais il y était l’auteur de
l’agression, sur son petit frère. Lui aussi rejetait violemment son frère après avoir obtenu sa jouissance,
et il est apparu que ce rejet n’était aucunement la conséquence d’une tentative d’agression de la part de
son frère : ce qui lui était intolérable était que son frère était alors perçu comme être désirant, mettant un
terme à l’hallucination de toute puissance qui était le but réel de la pulsion d’appropriation du corps de
l’autre.
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propres termes) auto-érotique, plus précisément autosuffisant70. Dès lors, être jetée ne
pouvait que témoigner de sa réussite à prendre à l’autre ce qui lui manquait à elle. C’est à la
fin de cette séance qu’elle put s’exclamer : Mais si c’est ça le prix à payer, je n’en veux plus de cette
jouissance !
1.3 Une!première!approche!théorique!:!la!chimère!et!le!
transfert!selon!Jung!
J’ai été très frappé, quand j’ai eu connaissance des scènes d’inceste entre
Brigitte et son frère, de m’apercevoir qu’en lui proposant de faire une psychothérapie avec
moi j’avais été d’emblée acteur d’un scénario inconnu de moi et refoulé chez Brigitte, celui
de l’inceste avec son frère. Quand ensuite je lui ai proposé de lui faire des avances
(financières), le même scénario m’a replacé dans le même rôle. Certes, dans un cas comme
dans l’autre, le terrain sur lequel je m’étais placé, celui de la mise en acte, était
fondamentalement différent de celui, le passage à l’acte, où son frère l’avait entraînée.
D’emblée, donc, une résonance inconsciente s’est produite entre elle et son
analyste, maintenant pendant près de dix ans une collusion où se (re)travaillait, pour
chacun, la possibilité de mettre en place une nouvelle différenciation d’avec le maternel.
Mais cette résonance ne s’est pas limitée à une communauté d’affects. Brigitte s’était
constitué, dans les relations incestueuses avec son frère, un verrou contre les angoisses
d’anéantissement propres au non-être maternel, verrou maintenu fermé par le refoulement
de ces scènes. Le raptus suicidaire préalable au début du travail analytique montrait bien la
fragilité de ce verrou, en même temps qu’il indiquait l’absolue nécessité de le respecter. Une
70 : L’autoérotisme implique une certaine césure entre la pulsion et son objet, le corps propre. Ici Brigitte
décrivait bien au contraire un vécu hallucinatoire de non séparation absolue entre la pulsion et son
objet, le même vécu que l’analysant dont il est question dans la note précédente.
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réelle volonté animale de vivre, certes, avait bel et bien été là, mais ni elle ni son analyste ne
pouvaient se contenter de se reposer dessus : la violence de la destructivité n’était pas
moins réelle, et forte.
L’étrange, d’un point de vue rationnel, est que ce scénario se soit d’emblée mis
en forme chez son analyste et lui ait, pour ainsi dire, forcé la main en le conduisant à le
poser en acte lors de cette séance inaugurale d’une relation psychothérapique, et ceci en
toute méconnaissance de ce qu’alors il faisait. L’on pourrait bien entendu épiloguer des
heures durant afin de savoir la façon dont elle a pu induire ce comportement chez son
analyste et ainsi faire rentrer cet évènement au sein d’une linéarité causale intellectuellement
rassurante. Le concept kleinien d’identification projective, par exemple, peut présenter cet
avantage, de même que la croyance plus ou moins magique en la transmission de pensée :
dans les deux cas il y a un rétablissement intellectuellement satisfaisant d’une linéarité
causale, avec un émetteur, un récepteur, et un vecteur désignant ce qui, de l’un, va vers
l’autre. Il semble néanmoins que ce faisant, l’on prendrait le risque de passer à côté de
l’essentiel, à savoir la nature totalement mystérieuse de ce type d’évènement, l’absolue
impossibilité d’en maîtriser l’enchaînement, et la non moins absolue nécessité clinique d’en
accepter l’existence. Le seul concept pouvant valablement rendre compte de cette
coïncidence est celui de synchronicité, concept qui ne présuppose aucun enchaînement
causal, bien au contraire puisque défini par Jung (1952) comme acausal.
Mais à y réfléchir de plus près, deux questions se posent. Pourquoi fallait-il que
ce scénario se rejoue dans l’agir du transfert et non uniquement dans le symbolique de la
représentation ? Et pourquoi a-t-il fallu un délai si long entre la mise en acte de ce scénario
et la reviviscence de son origine historique ?
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C’est ainsi que son analyste fut amené, non pas à lui proposer de lui faire une
fellation72, ce qui n’eut pu que la détruire un peu plus, mais à mettre à sa disposition un
fantasme de toute-puissance (moi je pourrai ce que votre analyste précédent n’a pas pu), fantasme
phallique, évidemment, mais suffisamment différencié du corps archaïque de la mère (ce
71 : Il est probablement important de rappeler que la jouissance n’est pas le plaisir. L’articulation de l’un et de
l’autre, qui fait que la jouissance est liée au plaisir, est un apport relativement tardif de l’évolution
psychique, supposant un investissement sexuel suffisant du moi, c’est à dire un narcissisme secondaire
constitué. Avant cette articulation la recherche de jouissance peut être source de grandes souffrances,
comme c’est souvent le cas dans les processus psychotiques.
72 : Ce fantasme ne m’est d’ailleurs jamais venu, malgré l’insistance de Brigitte à me faire part de son plaisir
en ce geste. Cela marque bien une différence fondamentale entre le transfert névrotique et le transfert
dit psychotique. Dans celui-ci les fantasmes sexuels de l’analysant sont bien plus des défenses contre
l’envahissement ou la déstructuration du moi, et à ce titre, n’induisent pas de désir chez l’analyste, ou
alors sous une forme défensive dont la différence de tonalité est bien perceptible avec un peu
d’expérience et de connaissance de soi : il s’agit d’une excitation exigeant sa satisfaction, non d’un désir
adressé à un objet.
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qu’atteste l’existence de l’objet, c’est à dire le souci qu’avait son analyste de sa personne
réelle, sa position éthique) pour être le prélude à une réorganisation des représentations
archétypiques sous l’égide du soi.
C’est là, semble-t-il, qu’il a été essentiel qu’une certaine collusion des
inconscients de Brigitte et de son analyste se produise, collusion suffisante pour que le
scénario incestueux refoulé puisse devenir autant celui de son analyste que le sien, qu’il
puisse être porté par le transfert et ainsi ne plus menacer directement la part saine du moi
de Brigitte, sans pour autant être dénié. Seule une mise en acte au sein du transfert pouvait
donner au narcissisme défaillant de Brigitte une garantie suffisante à ce sujet, puisque
répondant à la fois aux exigences du refoulement — à savoir la représentation manifeste
telle que résultant du travail des processus secondaires — et à celles du déni psychotique
— à savoir l’exclusion au dehors d’elle de la part d’excitation déstructurante.
Formuler ainsi les choses implique d’y voir non seulement une défense
narcissique, mais aussi une visée prospective d’un inconscient dont il n’est alors plus
73 : La libido dont il s’agit ici est une énergie indifférenciée, non investie — par conséquent non
représentable —, et qui ne relève donc pas de la dualité libido endogame/libido exogame développée
par Jung. Il s’agit bien plutôt de ce que Bergeret (1984) a nommé violence fondamentale, le terme de
violence renvoyant bien au vécu du moi à l’égard de cette forme indifférenciée et non représentable de
libido. Cependant parler de violence risque de faire perdre de vue qu’en tant qu’énergie indifférenciée
cette forme de libido est aussi source de créativité et de devenir. Il peut donc sembler préférable, restant
ainsi dans le champ jungien, de parler de libido anobjectale. Cette libido anobjectale paraît être proche de
l’énergie instinctuelle, dans le sens où Jung l’entend, c’est à dire une forme d’énergie qui n’est pas
symbolisée (p.ex. Jung 1944, p.115 : l’absence de symbole surcharge la sphère de l’instinct).
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possible de définir s’il s’agit de celui de l’analyste ou de celui de Brigitte. Les deux
inconscients, en tout cas, y participent. C’est ce que Jung relie à la seconde figure du rosaire
[Figure 25] où les deux protagonistes se touchent par la main gauche, ce qui l’amène à
parler de la contamination psychique de l’analyste par son patient.
Mais ce contact « par la main gauche » avait déjà eu lieu, et son offre de
thérapie a conduit son analyste à retrouver « à nu » face à Brigitte. Il s’agit là de la figure 3
du rosaire [Figure 26], au sujet de laquelle Jung (1944 p.100) dit qu’il faut noter ici que le
manteau des conventions est tombé et que la situation a évolué vers une confrontation directe vers la réalité
[…] les domaines animal des instincts ainsi que la psyché primitive et archaïque se trouvent eux aussi
exposés au faisceau lumineux de la conscience…
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Dès lors que Brigitte accepta l’offre de son analyste, ils se retrouvèrent « dans
le même bain ». L’interrogation de son analyste sur la justesse de l’offre qu’il lui fit, prenant
ainsi le contre-pied des usages en cours, apparaît dans l’après-coup bien plus défensive que
véritable. Il avait peur et ne pouvais se l’avouer. Voici ce que Jung (1944 p.69) avance au
sujet du contact par la main gauche : On pourrait donc interpréter le contact par la main gauche
comme une allusion à la nature affective de la relation et à son caractère ambigu, car il s’agit d’un mélange
d’amour « céleste et terrestre » compliqué par le sous-entendu de l’inceste. Il poursuit (Jung, 1944 p.74) :
Il n’est nullement besoin d’imaginer le secret de l’art comme quelque chose de trouble. La nature ne connaît
pas de salissure morale ; elle est suffisamment effrayante dans sa vérité. […] Il vient s’y ajouter [à la peur
de l’inceste] encore la crainte liée à la plupart des contenus inconscients à cause de la violence qu’ils
exercent.
Et au sujet du bain lui-même [Figure 27] (Jung, 1944 p.108) : L’immersion dans
l’eau est une sorte de « traversée nocturne de la mer » […] La traversée nocturne de la mer est une sorte de
descente aux enfers […] c’est donc une immersion dans l’inconscient. Cela se produit grâce à la montée du
Mercure chtonien, brûlant, c’est-à-dire d’une libido probablement sexuelle […] Mais cette eau est aussi,
selon les alchimistes, une eau fétide (Jung, 1944 p.105)
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C’est autant de la violence des contenus inconscients que de cet aspect fétide
qu’ils eurent, Brigitte et son analyste, à porter le fardeau durant les longues années de son
travail.
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Toutes ces images du début du Rosaire, ainsi que les propos et commentaires
de Jung dont quelques extraits sont rapportés ici, donnent à pense que cette perspective est
très éloignée de ceux qui, comme parfois Jung lui-même, posent le transfert comme
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initialement vectorisé de l’analysant vers l’analyste. Ainsi affirmer que la maladie est
transférée sur celui qui la traite, par un effet d’induction qui naît toujours plus ou moins de projections
(Jung, 1944 p.29), ou parler d’identification projective (ce qui est très similaire), peut
paraître dénaturer une relation où l’analyste est, sur le plan de l’inconscient, d’emblée
partenaire de l’analysant. L’analyste, de ce point de vue, n’est pas moins « malade » que son
analysant, même si — et c’est essentiel — il a acquis une position du moi qui lui permet
d’entretenir avec ses blessures un commerce potentiellement créatif. Si l’analysant a besoin
de l’analyste pour soigner son mal, l’analyste a lui aussi besoin de ses analysants pour
poursuivre son propre travail intérieur. Si ce n’était le cas, qu’est-ce qui pourrait pousser
l’analyste à toujours se remettre en ce bain dont il connaît pourtant bien les désagréments,
quand ce n’est plus encore ?
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Une telle affirmation est très lourde de conséquences, puisqu’elle vise à dire
que ce qui est efficient chez l’analyste n’est pas son travail conscient, ni même l’étendue des
prises de conscience de sa propre analyse (puis de son autoanalyse), mais que cette
efficience résulte de son propre inconscient qui est, par définition, la part de sa psyché qui
échappe à l’emprise et à la compréhension de son moi. D’un point de vue jungien il s’agit
des archétypes, et plus spécifiquement du soi, mais nommer d’une façon si lapidaire cet
inconnu de l’inconscient ne résout rien. Bien au contraire, cela risque de clore une question
dont la visée ne peut être autre que de rester ouverte74. Mais il s’agit aussi des blessures de
l’analyste, les parts de lui-même qui n’ont pu être correctement construites et qui restent
ainsi à la frange du sens et du non-sens, de l’être et du non-être. Il est vraisemblable que ce
soit par ces blessures que peuvent s’activer les processus archétypiques du transfert. Denise
Zemor (1996 p.79) note d’ailleurs que : On découvre peu à peu et non sans surprise dans les écrits de
Jung que ce n’est plus tant « l’ouverture » de l’analyste, ni son « savoir » ou sa « santé mentale », qui
s’avèrent déterminante dans le travail analytique, mais bien au contraire « sa propre blessure qui lui donne
la mesure de son pouvoir de guérir. » Cela rejoint ce que Balint (1971) dit des accroches du
patient aux blessures narcissiques de l’analyste.
74 : Il ne s’agit pas là de minimiser l’apport de Jung au sujet de son concept du soi, mais bien plutôt de le
relativiser : le soi est le lieu même de la question du sens, et à cette question chacun doit apporter sa
propre réponse. Il ne peut être satisfaisant d’en rester aux réponses apportées par un autre, si élaborées
soit-elles, et cet autre fut-il C.G. Jung lui-même. Il semble que ce soit là la raison fondamentale de
l’affirmation de Jung quand il dit Je suis le seul jungien.
75 : Il a déjà été vu que Jung parle aussi du transfert comme vectorisé. Il s’agit de deux niveaux du transfert
selon qu’il est appréhendé dans sa dimension pulsionnelle, ou dans sa dimension narcissique, dimension
d’ouverture aux dynamiques archétypiques, évidemment intriquées à leur tour avec les dynamiques
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Dès lors, c’est tout un processus autonome qui se trouve convié sur la scène
analytique et qui embarque avec lui tout autant l’analyste que son analysant, le premier, bien
sûr, étant censé tenir la barre. L’autonomie de ce processus témoigne de l’autonomie de
l’âme du transfert ainsi précipitée (au sens chimique) au cœur de la relation analyste-
analysant. Et c’est en son sein, bien plus que chez l’analysant ou chez l’analyste, que ce
processus, tel que décrit par Jung à partir des figures du Rosaire, est susceptible de se
développer.
Avant d’y revenir, voyons d’abord le dernier temps du transfert avec Brigitte,
précisément à partir de cette séance où l’analyste s’est vu emporté par un mouvement
affectif clairement dirigé contre la destructivité de Brigitte. S’agissait-il vraiment de la
destructivité de Brigitte ? Ne s’agissait-il pas tout autant de celle de l’analyste ? Et, surtout,
cette destructivité commune n’était-elle pas finalement la face sombre de ce processus
transférentiel sans lequel aucune analyse n’est possible, mais dont le sacrifice est le prélude
nécessaire à toute fin d’analyse ?
Ce rêve étant celui de l’analyste, il est tentant de lui attribuer l’origine de cette
violence. Certes, dans ce rêve, il se différencie nettement d’une imago maternelle
destructrice, non pas tellement du fait du verdict (la mort) que, surtout, du fait de l’absence
totale de relation affective de la mère avec son enfant, l’analyste. Tel est ce que j’appelle le
non-être maternel 76 . Dès lors, le verdict de mort n’est qu’un épiphénomène sans
pulsionnelles. C’est selon ce dernier axe de compréhension — cette section de Poincaré — que se situe
l’hypothèse de la chimère transférentielle comme néoformation inconsciente transférentielle.
76 : Le non-être maternel rejoint évidemment le narcissisme de mort décrit par A. Green (1983). Cette
formulation, cependant, est plus large en ce sens que le non-être maternel semble pouvoir précéder la
constitution même du narcissisme qui va ensuite tenter de le circoncire, de l’enkyster, afin d’en limiter la
portée déstructurante.
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importance. Il suffirait alors, pour clore la question, de penser que la violence dont Brigitte
fit preuve à l’égard de l’analyse et de l’analyste lors de la séance de la veille fit en lui écho à
cette violence de l’imago maternelle, et qu’il se dressa, en séance, contre cette violence (la
sienne, donc). Cela reviendrait à conceptualiser ce moment du transfert comme
identification projective, l’inconscient de Brigitte étant venu activer en l’inconscient de
l’analyste ce qui, en elle, restait clivé. En s’excusant de l’avoir rendu violent, Brigitte eut
recours à cette interprétation, et l’analyste s’est lui-même empressé d’y adhérer à son tour :
quoi de plus rassurant que ces schèmes de pensée qui permettent de remettre chacun à sa
place ?
Il semble pourtant, ici, qu’il soit impossible de définir la place de chacun. Dans
le vécu clinique avec des analysants présentant de grandes blessures narcissiques il est
fréquemment impossible de définir que ceci appartient à celui-ci et que cela appartient à
celui-là. Bien au contraire, et dans la mesure où l’analyste accepte de se laisser embarquer
dans le voyage, le contact intime des blessures narcissiques de l’analyste et de celles de
l’analysant entraîne un vécu de grande dépersonnalisation où tous les repères subjectivants
ont probablement une fonction plus défensive qu’éclairante. Jung (1944 p.54) dit à ce
sujet : il n’est pas rare que le médecin soit comme l’alchimiste qui souvent ne sait plus si c’est vraiment lui
qui fait fondre la mystérieuse substance métallique dans le creuset, où s’il ne brûle pas lui-même dans le feu
sous forme de salamandre. Ou encore (1944 b, p.238-239, §247) dans la mesure où quelque chose de
l’inconscient existe, il n’est pas assignable ; son existence n’est qu’un pur postulat et on ne peut absolument
rien affirmer en ce qui concerne ses contenus possibles.
Mais avant de développer cette idée de Chimère, revenons à la séance qui nous
occupe ici. La réaction de l’analyste fut d’abord vécue par lui comme expression de sa
violence, et son rêve lui parut en témoigner. En fait, avec le recul, il paraît que si cette
séance et le rêve qui a suivi l’ont bien mis en contact avec la violence fondamentale du non-
être maternel, sa réaction en séance, puis dans le rêve, et enfin la réaction soignante de
Brigitte, témoignent surtout d’un retour d’âme, de vie, autant au sein même du processus
transférentiel qu’en Brigitte et son analyste. Avant ce retour d’âme il lui était impossible de
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dépositaire, et ce retour d’âme l’avait placée en position quasi exclusive d’exogamie par
rapport à l’analyste, en apparence tout du moins77. Mais le retour du souvenir incestueux
refoulé témoignait d’un fort lien endogame encore à moitié enfoui sous terre entre elle et
l’analyste. Seule la reviviscence a pu lui permettre, grâce au souvenir qui eut alors valeur de
symbolisation, de reprendre à son compte l’énergie captée par ce vécu. Ce n’est qu’alors,
dans le renoncement de posséder l’autre au travers d’un pouvoir exercé sur lui, que put
advenir au sein du transfert le sentiment d’une totalité. Mais, là encore, ce n’est pas tant de
la totalité de Brigitte qu’il s’agit, pas plus de celle de l’analyste, bien que pour l’un comme
pour l’autre ce sentiment d’être enfin réuni à soi-même fut présent78, après son rêve pour
l’analyste, et après la reviviscence de la scène d’inceste pour Brigitte. La totalité que le
transfert a permis, ici, d’atteindre est précisément celle du transfert. Là, en ce lieu tiers vécu
par les deux protagonistes du drame analytique, s’est accompli quelque chose qui a pu s’y
accomplir pleinement, non dans la complétude, mais dans la totalité de ce qui avait à s’y
vivre, de ce qui pouvait s’y vivre.
Concernant le soi, cette totalité qui n’est pas une complétude, Jung a souvent
été très clair, le plaçant clairement hors du champ narcissique et de ses fantasmes de toute-
puissance :
77 : Si l’on considère qu’Eros est précisément la capacité à investir un objet à la fois de libido endogame, en le
reconnaissant comme son semblable, et de libido exogame, en le reconnaissant comme étranger, la
présence perceptible d’Eros entre Brigitte et son analyste contredit cette affirmation.
78 : Peut-être y-a-t-il là l’occasion de jeter un pont entre la pensée jungienne et le concept freudien de
narcissisme secondaire. En effet, le lien avec soi-même ne se peut qu’à la double mesure de
l’investissement endogame, le même en soi, et exogame, l’autre en soi. Cela rejoint l’investissement du
moi par les pulsions sexuelles, pulsions de vie et de mort intriquées, cette intrication pulsionnelle faisant
que le moi est ainsi investi autant que le non-moi. Il y aurait là beaucoup à creuser, autant du côté du
travail sur le négatif (Green 1984, 1992) que de l’œuvre de Laplanche sur la séduction originaire (1987)
et la pulsion de mort (1981, 1997).
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transfert, qu’il est impossible d’éliminer, car la relation avec le Soi est en même temps relation
avec le prochain, et nul ne peut avoir de lien avec son prochain s’il ne l’a d’abord avec lui-
même. (Jung, 1944 p.95-96). Et plus loin : L’homme qui n’est pas relié ne possède pas
de totalité, car il ne peut exister sans son autre côté, qui se trouve toujours dans le « toi ». La
totalité consiste en une combinaison du moi et du toi, qui apparaissent alors comme les parties
d’une unité transcendante dont la nature ne peut plus être saisie que de manière
symbolique… (Jung, 1944 p.107).
79 : Il importe, uns fois encore, de préciser que Jung a toujours utilisé le terme de transcendance au sens kantien,
non en son sens religieux et/ou mystique.
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C’est le chaos […] les éléments sont en effet ennemis, ils aspirent à se séparer les
uns des autres. (Jung, 1945 p.61) Le Mercure est une trinité […] et, comme on l’a souvent
souligné, il est le pendant chtonien, inférieur, voire diabolique80, de la Trinité céleste […] le
serpent bifide ou bicéphale, le funeste nombre deux, qui chez Dorn désigne le diable. Ce
serpent est le serpent mercuriel, la nature double du Mercure. (Jung, 1945 p.62) Quatre, en
tant que le premier des multiples, représente l’état pluriel de l’homme qui n’est pas parvenu à
l’unité intérieure. C’est donc un état d’absence de liberté, de guerre intestine, de désagrégation,
d’écartèlement entre des directions opposées, et par conséquent un douloureux état de captivité
qui aspire à l’unification, à la réconciliation, à la délivrance, à la guérison, c’est-à-dire à la
totalité. (Jung, 1945 p.66)
Voici le tableau planté, la scène organisée, tout y est en place afin que le
scénario puisse une fois de plus se dérouler. Mais si, comme Jung (1912), la représentation
est envisagée comme étant une forme de l’énergie, il convient de poser la question : quelle
est l’énergie qui est ainsi mise en forme ? Autant la figure du serpent bicéphale, en lequel
80 : Le diable est, Jung le rappelle à plusieurs reprises, “celui qui divise”. La dissociation doit ainsi être
envisagée non seulement comme défense du moi, mais aussi comme effet du Mercure, ici dans sa forme
“inférieure” de libido anobjectale. Cela peut être rapproché des dynamiques déintégratives de Fordham
(1947) ou aussi des éléments β de Bion (1962, 1963).
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on peut voir un dragon, comme en témoigne la fumée qui s’en échappe, que ce chaos décrit
par Jung, donnent à penser que l’énergie mise à la question en ce premier temps de
l’analyse est précisément cette violence de l’instinct, la libido anobjectale. Ici, il n’y a encore
personne, seuls des principes divins ou infernaux y ont une place. D’ailleurs un humain
pourrait-il y résister ? Le moi pourrait-il, sans la protection que représente la relation à un
« toi », affronter ces énergies enfouies au plus profond de chacun d’entre nous ?
D’autre part, il a été noté que la mise en acte préalable au début de l’analyse de
Brigitte témoigne d’une visée prospective de l’inconscient : rejouer une scène du passé afin
d’y trouver une nouvelle issue, de sortir d’une impasse. Cependant, formuler les choses
ainsi est insuffisant, car ce qui a caractérisé, dans cette cure, la chimère transférentielle est
de s’être adressée non pas au refoulement, mais bien au clivage du moi81. Il s’agit alors aussi
d’un réceptacle de la partie clivée du moi, réceptacle dont la visée prospective est la levée
de ce clivage, prélude indispensable à la réorganisation du moi sous l’égide du soi, tel qu’il
se retrouve dans la structure quaternaire de la première figure du Rosaire (où il est totalité
encore inhumaine, non symbolisable).
81 : Le clivage du moi, concept freudien, ne doit pas être confondu avec la dissociation, concept jungien,
dissociation qui en est le résultat, mais qui peut tout autant résulter du refoulement, c’est à dire d’un
mécanisme de défense d’un tout autre ordre structurel ; enfin la dissociation concerne, selon Jung, tout
autant les contenus de l’inconscient lui-même, ce qui découle de ses travaux sur les complexes (1904 et
suiv.). Si l’on s’en tient à la définition jungienne du moi en tant que centre du champ de conscience, il
faut alors se tourner vers Fordham (1974) et à son concept de clivage du soi, pour retrouver une
formulation spécifique de ce système de défense.
82 : Il y a là un point théorique dont il ne pourra être traité ici. En effet, postuler l’existence d’une énergie
“pure”, non encore polarisée, est susceptible de remettre en question la notion même d’énergie qui,
pour Jung, découle nécessairement d’une différence de potentiel, donc d’une polarisation..
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du soi de l’analyste dont nous pouvons espérer qu’il est suffisamment différencié, incarné,
et à côté aussi du soi de l’analysant qui, en l’occurrence, existe à peine (au sens
étymologique de « ex-ister » = « εξω— υστερος», c’est-à-dire « à l’extérieur de l’ombre, à
l’extérieur de l’utérus »), un soi qui serait alors à proprement parler le soi du transfert et qui
permettrait l’auto organisation des parties clivées de l’âme de l’analysant.
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Selon ce schéma, l’enfant réel n’est pas l’enfant perçu par la mère, et
inversement la mère réelle n’est pas la mère perçue par l’enfant. Là, comme dans le
transfert archaïque, il paraît utile d’introduire l’idée de l’émergence d’une néo réalité
inconsciente, émergeant de la relation, et qui en serait le véritable athanor : la chimère.
Cette néo réalité serait le lieu d’une transformation permettant à la mère d’être malgré tout
en relation avec l’enfant réel, et inversement. C’est cette chimère qui permettrait
l’émergence de la fonction α de la mère. Cette hypothèse, évidemment, mériterait à elle
seule tout un travail, ce qui ne peut être le cas ici.
83 : On peut noter que, bien que formulée dans une approche théorique tout à fait différente, la théorie de la
séduction originaire de Laplanche est très proche (Martin-Vallas 1995).
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que ce psychisme est fort peu différencié, autant dans ses formes énergétiques que dans ses
topiques : c’est la première figure du Rosaire, dans laquelle l’humain n’a pas encore de
place.
84 : Alors la relation à l’objet est de type adhésive (Tustin 1972), d’où la nécessité d’une chimère qui soit tiers,
et à laquelle le patient puisse rester adhérant y compris dans l’intervalle des séances. En l’absence de
constitution de la chimère l’absence, même momentanée, de l’analyste (ou de la mère) est absolument
insupportable; certaines formes de psychoses (notamment l’autisme au sujet duquel Tustin a initialement
décrit le transfert adhésif) semblent être dans ce cas.
85 : Il n’est pas impossible que cette forme première d’énergie qu’est la libido anobjectale, dans l’en deçà de
l’investissement d’objet, en soit aussi la forme mystique, dans l’au-delà de l’investissement d’objet. Cette
question sous-tendait une part des discussions de Freud avec Jung d’abord, puis avec Romain Rolland
plus tard (Vermorel 1993)
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86 : Tel est l’un des fondement de l’interdit du toucher dans le cadre analytique. Si l’analyste doit, parfois,
donner de lui-même, “toucher” son analysant, ce ne doit être qu’au travers des mots : les mots, de
même que les manifestation affectives limitées, induisent toujours un certain doute quand à leur auteur
et à leur destinataire et sont donc facilement mis au service de la constitution de la chimère. Le corps,
par contre, ne peut être que celui de l’un ou de l’autre, et exclut par nature le troisième terme.
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Cette chimère en effet, ne peut être envisagée comme étant l’âme du transfert
qu’à l’expresse condition de garder présent à l’esprit qu’elle ne peut avoir ni moi, ni corps,
ni sexe. Autant dire, comme Anzieu le disait des groupes88, que son fonctionnement propre
est nécessairement psychotique. Étant donné qu’il importe tout autant de ne jamais perdre
de vue que l’enjeu premier de toute démarche analytique est, en termes jungiens,
l’émergence et/ou la (re)mise en tension dynamique de l’axe moi-soi, il est évident que la
chimère ne peut à elle seule répondre à cette exigence qui fonde l’éthique pour Jung.
D’ailleurs, d’éthique il ne peut être question à son niveau, celle-ci nécessitant un
investissement d’un l’objet total par un sujet.
L’axe moi-soi, donc, est initialement porté par l’analyste et se mobilise tant au
sein du psychisme même de l’analyste qu’entre son moi et le soi chimérique du transfert.
Cette proposition est essentielle dans la conduite d’une cure, car elle implique que le moi de
l’analyste puisse se poser comme existant et incarné et non pas uniquement comme
support projectif aux fantasmes inconscients du patient. C’est ainsi que peut s’entendre le
concept de moi-auxiliaire, le moi de l’analyste venant accompagner et servir d’appui au moi
du patient là où il ne peut tenir seul la confrontation avec la chimère. Mais c’est bien face à
la chimère que le moi de l’analyste doit se poser et non face à l’inconscient du patient, sans
quoi il ne s’agirait plus d’analyse, mais au mieux de rééducation ou de nursing — toutes
choses pouvant être nécessaires, mais relevant, comme il a déjà été dit plus haut, d’une
autre pratique professionnelle et d’une autre position tant éthique que thérapeutique.
Revenons maintenant à la séance qui nous occupe, celle où l’analyste est « sorti
de ses gonds », mettant une fois de plus en acte ce que la pensée ne pouvait penser. Mais
cette fois, ce n’était pas la pensée de l’analyste qui était impuissante à penser un
mouvement d’affect, mais bien celle de l’analysante. Précisément, il est possible d’affirmer
que cette impensable se situait non pas tant au sein même de l’analysante que dans la
relation qu’elle entretenait avec la chimère transférentielle, relation où s’étaient remise en
88 : Communication personnelle, citée de mémoire (1993) : le groupe étant dépourvu de corps, il ne peut
accéder à la différence des sexes, et est donc, par nature, psychotique.
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La"chimère"transférentielle"
jeu l’adhésivité qui avait, autrefois, organisé sa relation à la mère, mais qui contenait aussi
tous les possibles d’une relation positive avec cette même mère.
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Clinique"
son histoire qui lui avait été subtilisée, non pas tant par le refoulement que par la nécessité
de maintenir ainsi le clivage.
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2 Séduction!et!chimère!
Quand Renée est venue me voir, elle non plus n’avait été apprivoisée par
personne, n’avait apprivoisé personne. Malgré une façade sociofamiliale très « normale »,
elle n’était rien encore à ses yeux ; une femme de la quarantaine semblable à cent mille
autres.
2.1 L’analyse!de!Renée!:!
Durant de longs mois les séances se déroulèrent selon le même schéma : elle
posait les questions, associait à profusion, proposait les réponses. Sa parole envahissait tout
l’espace, autant celui de la pièce que celui de ma pensée. Ainsi était créée une sorte de bulle,
un espace clos et plein, une poche amniotique dont sa parole constituait à la fois le liquide
et la poche elle même, le tout étant — heureusement ! — maintenu par le cadre analytique,
véritable utérus de ce transfert. J’y étais submergé et maintenais difficilement un lien ténu
avec ma vie intérieure, lien apparemment inexistant chez elle. Le seul affect qui
transparaissait et qu’elle pouvait nommer était la peur : peur de ma colère supposée, la colère
du Dieu de Moïse disait-elle.
Très vite, un élément extérieur vint faire effraction dans ce transfert : un autre
de ses amis, qui m’avait côtoyé sur les bans de la faculté, lui raconta ce qu’il savait de
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personnel à mon sujet. C’était peu de choses, mais suffisant pour opposer la représentation
du médecin démiurge universel à celle de son analyste, homme ordinaire, dont l’existence
est parsemée des avatars singuliers de la vie de tout un chacun. Peu de choses, certes, mais
des détails sur mon père : un père humain et mortel venait contredire une imago toute-
puissante, terrifiante, éternelle.
Après trois ans d’un travail de soutien pour l’accompagner dans un divorce
douloureux, elle choisit, après que je le lui eus proposé, de passer sur le divan. Elle
commençait à prendre conscience que le lien qui l’unissait à son ex-mari prenait origine
dans son enfance : elle était la troisième d’une fratrie de cinq, mais n’avait jamais connu son
frère aîné mort dans sa première année, bien avant sa naissance. Sa mère lui avait raconté à
de nombreuses reprises que le petit frère était mort en se vidant par le nez. Elle allait tous les
dimanches, en famille, lui porter des fleurs blanches au cimetière. Le petit frère était ainsi
momie liquéfiée autant que pierre tombale inamovible. Enfin, il était un ange blanc au ciel.
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image en un fantasme où le grand-père traînait sa femme par les cheveux pour l’emmener
dans la chambre nuptiale.
Ne pouvant être appréhendés dans une réalité relationnelle directe, les objets
du désir de sa mère, tous deux incestueux, restèrent de vrais fantômes : le manque de
consistance du père réel n’avait pas permis l’incarnation de ces représentations aux yeux de
Renée, et elle ne put être ainsi protégée de leur puissance archaïque. La différenciation
n’était que violence subie et ne pouvait mener qu’à l’échec (grand-père maternel alcoolique)
ou à la mort (frère aîné).
2.2 L’imago!paternelle!
Pour Jung, l’imago maternelle, dont il a très longuement parlé tout au long de
ses travaux, se constitue à partir de l’expérience que l’enfant fait des congruences et
divergences entre l’universalité de ses aspirations archétypiques et la réalité singulière de la
relation avec son entourage maternel. Il dit qu’il en est de même pour l’imago paternelle, et
pose l’archétype du père, mais il développe très peu cette question.
2.2.1 Rêve"du"phallus"
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contes ! Dessus, un objet se dressait, forme gigantesque qui atteignait presque le plafond.
D’abord, je pensai à un grand tronc d’arbre. Haut de quatre à cinq mètres, son diamètre
était de cinquante à soixante centimètres. Cet objet était étrangement constitué : fait de peau
et de chaire vivante, il portait à sa partie supérieure une sorte do tête de forme conique, sans
visage, sans chevelure. Sur le sommet, un œil unique, immobile, regardait vers le haut. La
pièce était relativement claire, bien qu’il n’y eût ni fenêtre ni lumière. Mais, au-dessus de la
tête brillait une certaine clarté. L’objet ne remuait pas et pourtant j’avais l’impression qu’à
chaque instant il pouvait, tel un ver, descendre de son trône et ramper vers moi. J’étais comme
paralysé par l’angoisse. À cet instant insupportable, j’entendis soudain a voix de ma mère
venant comme de l’extérieur et d’en haut, qui criait : « Oui, regarde-le bien, c’est l’ogre, le
mangeur d’hommes ! » J’en ressentis une peur infernale et m’éveillai suant d’angoisse. À
partir de ce moment, j’eus, durant plusieurs soirs, peur de m’endormir : je redoutais d’avoir
encore un rêve semblable.
2.2.2 Discussion"
Il n’entre pas dans l’objet de ce travail d’analyser plus avant ce rêve ; il suffira,
concernant l’imago paternelle pour Jung, de noter qu’il indique clairement que, pour lui, le
masculin parental fut d’abord un attribut de la grande mère archaïque, celle que l’usage
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nomme la mère phallique (ou le père archaïque de la horde primitive – Freud 1913b). Cette
représentation phallique de la mère est aussi, probablement, la première défense contre les
angoisses d’abandon : si la mère est Tout elle ne peut donc faire défaut (mais en
contrepartie, l’enfant n’est rien). La visée différenciatrice de l’archétype du père est
d’emblée dévoyée de son but (l’érection autonome de l’humain90) : le petit d’homme est
psychiquement prématuré et doit, en un premier temps, se constituer un contenant
psychique sans lequel toute différenciation est synonyme d’abandon, d’effondrement, de
mort. La première représentation archétypique de la mère se trouve ainsi porteuse du
phallus et participe au déni de la différence des sexes. Mais très vite (on peut tout du moins
l’espérer), l’enfant se trouvera confronté au désir sexuel de sa mère, désir qu’il éprouvera
dans son incapacité — biologique et psychique — à le satisfaire autant qu’à le
comprendre91 ; c’est ainsi la propre frustration de l’enfant qui lui fait « toucher du doigt »
l’incomplétude de la mère réelle, autant que la sienne propre.
90 : Un patient disait à une collègue : Je n’ai pas de rectitude à l’intérieur. L’image d’un intérieur liquide que Renée
avait d’elle-même l’exprime autrement .
91 : Il ne s’agit pas du seul sens intellectuel de la compréhension, mais du double sens de renfermer en soi et de
concevoir, saisir par l’esprit (Larousse), ce qui implique et de se représenter la chose, et de faire sienne cette
représentation.
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2.3 Les!vacances!à!la!campagne!:!
C’est ainsi que Renée ne pouvait m’assigner en d’autre place que celle du
démiurge tout-puissant et/ou celle du père fantomatique, impuissant. J’avais le sentiment
douloureux que tout ce que nous élaborions était soit détruit, liquéfié et perdu au fur et à
mesure, soit figé en une rationalisation séduisante, mais inamovible : je ressentais la solitude
et l’impuissance de Renée enfant face à la destruction archaïque et devais à la fois être
suffisamment absent (voire transparent, inexistant) pour ne pas réactiver ses défenses
narcissiques, et suffisamment consistant, incarné, pour être support possible de la reprise,
92 : La mère de Jung était la fille préférée de l’Antistès (évêque protestant) de Bâle. Celui-ci avait pour
habitude, lorsqu’il écrivait ses sermons, d’appeler sa fille à ses cotés afin de repousser les assauts de
Satan… C’est dire la proximité quasi incestuelle de la mère de Jung et de son père, un père dont on peut
raisonnablement penser qu’il est resté un objet important du désir sexuel de celle-ci, et un objet
fantomatique pour Jung..
93 : Il est intéressant de noter que, dans le texte de la Genèse, la première connaissance qu’Adam et Ève
manifestent est celle de leur nudité. C’est d’ailleurs en les voyant cacher leur nudité que Dieu sait qu’ils
ont mangé la pomme, indiquant par là que la “conscience” divine elle-même est dépendante de la
conscience humaine.
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dans le transfert, de la différenciation de l’imago paternelle. Autant dire que ce ne fut une
partie de plaisir ni pour elle ni pour moi !
Après une longue et profonde dépression qui la surprit et nous inquiéta, Renée
commença à me parler de ses vacances à la campagne, vacances pendant lesquelles elle
pouvait se construire une histoire vraie, reliée au pulsionnel des relations de jeux avec
d’autres enfants, et au spirituel du contact intime avec une nature à laquelle son père
pouvait alors l’initier. Elle avait ainsi rencontré un père libre et vivant, ce que je sentais dans
le plaisir que j’avais à l’écouter : je respirais. Cet aspect de son histoire résonna
profondément en moi, éveillant un sentiment de grande proximité psychique : je me suis
moi-même construit, enfant, à la campagne où nous allions pour les vacances et où je
trouvais, moi aussi, une relation vivante avec mon père.
Mais les parents de René ont fait construire une maison — maison de maçon, dit-
elle — sans âme, sans charme, sans vie. Dès lors, il ne fut plus question d’aller où que ce
soit, et les murs de béton se refermèrent sur la vie naissante de la petite fille, comme le
tombeau s’était refermé sur celle du petit frère. La mère envahit l’espace de ses migraines
auxquelles nul ne pouvait plus échapper, et le père redevint inconsistant, se cantonnant à
mettre en garde ses filles contre les dangers du monde extérieur, et à cultiver les fleurs
blanches pour le cimetière.
Elle parla très longtemps de ces deux âges de sa vie, séparés par la rupture de la
construction de la maison. Son discours oscillait entre l’avant, à la campagne, et l’après,
dans la maison. Je la vis s’éveiller quand elle me parlait des jeux avec les voisins, de la
curiosité et de la honte mêlées qui marquèrent les premiers émois sexuels, de la cueillette
des champignons avec son père, de sa déception de ne pas aller à la chasse avec lui, etc. Et
elle se refermait aussitôt qu’elle parlait de « l’après » : les interdits de sortir, la honte en face
« des autres », la peur des garçons, les reproches de son père quand, un jour, elle se fit
suivre par l’un d’eux, etc. Nous étions alternativement portés par une vague de vie,
dynamique et rafraîchissante, puis rejetés violemment sur une plage de galets froids et durs,
dans l’attente de la prochaine vague. Et, comme la mer qui, à chaque flux et reflux, dépose
quelques objets sur la grève, ce mouvement nous ramenait petit à petit des éléments
concrets de son histoire.
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Clinique"
redoublée par le fait qu’elle savait (par cet ami indiscret) mon lieu de résidence. Ce point,
comme tout ce qui était venu de cet ami, fut nommé et mis de côté, mais je commençais à
prendre conscience qu’il s’agissait d’une mise en attente, que cela devra être repris et
travaillé ultérieurement.
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Mais, en lui parlant de désir œdipien là où il s’agissait pour elle d’avidité orale,
je la séduisais à mon tour, non plus sur un plan narcissique, mais selon ce que Jean
Laplanche appelle la séduction originaire : je lui faisais part d’un objet de mon désir (la
mère) qui lui est étranger (projeté sur elle) et qui m’était inconscient, et lui transmettais ainsi
un message énigmatique (Que me veut-il celui-là qui parle à une autre en s’adressant à moi ? Suis-je
moi-même autre de qui je suis ?). Elle se trouvait aux prises avec un objet par moi investi et
pour elle aussi irreprésentable qu’incompréhensible ; le fantôme de l’analyste avait ainsi
rejoint celui de la mère : tous deux étaient objets de désirs sexuels incestueux.
Ce n’est certes pas un hasard si, dans le même temps, elle s’inquiéta de la
possibilité de me rencontrer lors de ses visites à la campagne de son enfance. J’étais perçu
comme un fantôme pouvant à tout moment apparaître dans son pays qu’elle savait être
aussi le mien. Cette crainte me parut justifiée, car elle pouvait renforcer les défenses
narcissiques, et je lui notifiai d’une part le lieu-dit de ma résidence (lieu-dit suffisamment
étendu pour préserver l’inconnu de l’analyste, et suffisamment circonscrit pour éviter
l’effraction d’une rencontre imprévisible), et d’autre part le fait que je me promenais
fréquemment à cheval dans les bois de son enfance où elle se rendait souvent. Je savais que
cette dernière précision n’était pas anodine, mais restais encore trop pris dans une collusion
inconsciente avec elle pour en mesurer la force. De même que les tremblements de terre
s’accompagnent souvent de secousses secondaires, la séduction originaire nous secoua ainsi
de nouveau.
2.4 Quelques!rêves!:!
C’est alors que son inconscient répondit par un rêve qui se résumait à une seule
image : Un renard. Ses associations l’amenèrent du côté des bois de son enfance où elle
vivait le plaisir des sens, le regard, les odeurs, le toucher. Elle pouvait aller et venir, se
perdre et se retrouver, son père occupé à cueillir ses champignons étant un repère solide et
vivant. Elle était incarnée, animale, rusée, comme le renard. Elle fit aussi référence au Petit
Prince, évoquant ainsi un autre aspect de l’image : la possibilité d’être apprivoisée, d’aimer et
de vivre séparée de l’objet aimé.
[…]
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Clinique"
— Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin
de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le
langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus
près…
[…]
Ainsi le Petit Prince apprivoisa le renard. Et quand l’heure du départ fut proche :
Puis il ajouta :
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détruit ni indifférent à la dépression maternelle dont elle jouait à nouveau devant moi les
différents registres.
C’est ainsi qu’apparut un de ces rêves qui éclaire d’un coup tout un pan de
l’analyse : Je suis avec mon père, et apparaît Bernard. Mon père est terne, dépressif, sans entrain, alors
que Bernard est, lui, bien vivant. J’ai envie de partir avec Bernard, mais ai du mal à laisser mon père seul
dans cet état ; néanmoins, je finis par le faire.
Bernard est un homme qui a pour particularité à ses yeux d’avoir réalisé ses
rêves les plus « fous », ses projets les plus singuliers, dont celui d’avoir des chevaux. Nous
avons bien sûr fait le lien avec le cheval de l’analyste, mais ce rêve va bien au-delà d’une
simple illustration du transfert freudien et des désirs refoulés. Il pose clairement, et pour la
première fois, le problème du père dépressif qu’il lui faut « abandonner » pour suivre son
propre chemin singulier, sa propre « folie »95. C’est donc à un travail de différenciation que
Renée se trouve alors confrontée, différenciation qui se heurte à la culpabilité de n’être pas
celle qui peut sauver le père. Et ce rêve indique ce qui pourra rendre possible ce travail :
une relation d’Éros avec un homme, homme de cheval, c’est à dire, au contraire du père —
ou plutôt comme le père ramassant les champignons —, homme relié à son propre monde
pulsionnel, à son animal intérieur.
Je suis sur le divan et vous vous allongez à côté de moi, adolescent, torse nu ; je caresse le torse
de cet adolescent, comme un réapprentissage de la caresse.
Puis, à la séance suivante, un autre rêve : J’arrive dans cette pièce et il y a avec vous
une armada de psychanalystes. Je me dis que je n’ai plus à parler à cette assemblée ; cette parole est morte et
c’est aujourd’hui avec vous que je dois faire mon analyse.
Et enfin, quelques semaines plus tard : Chez vous, je m’aperçois que vous vous occupez
de beaucoup d’autres que moi et, furieuse, je vais m’enfermer aux cabinets.
95 : Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n'être pas fou. (Pascal 1670,
fragment 30/35)
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2.5 Le!transfert!en!double!miroir!:!
Il semble clair que le chemin que Renée a pu parcourir durant les huit
premières années de son analyse n’a pu se faire que grâce aux multiples jeux projectifs du
transfert qui s’est mis en place entre elle et son analyste. Ce transfert était un tout
indissociable qu’il serait artificiel de diviser en transfert et contre-transfert. Les projections
qui s’y sont révélées au fil du temps étaient partagées et non initialement orientées de l’un
vers l’autre : analyste et analysante s’y sont très vite retrouvés dans une position de miroir
narcissique l’un par rapport à l’autre. Plusieurs auteurs freudiens ont parlé à ce sujet de
transfert en miroir (p.ex. Bonnet 1991, Fedida 1992, de M’Uzan 1977). L’image du double
miroir peut paraître préférable, du fait que chaque reflet se reflète de nouveau dans le reflet
de l’autre, de telle sorte qu’il n’est, très vite, plus possible de savoir qui se reflète en qui.
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La"chimère"transférentielle"
identification projective
contre-identification projective
identification projective
contre-identification projective
identification projective
contre-identification projective
identification projective
contre-identification projective
identification projective
contre-identification projective
identification projective
Figure 33 : Dynamique du transfert en double miroir
C’est pourquoi il peut paraître préférable de penser une telle situation au regard
de l’hypothèse de la chimère transférentielle, celle-ci venant ici animer la capacité de
l’analyste à trouver une bonne distance de différenciation. Initialement constitué de
l’adhésivité partagée des projections de l’analysante et des contre-projections de l’analyste,
cette chimère s’est aussi révélée, dans cette cure, être un lieu d’émergence des dynamiques
différenciatrices de l’archétype père, avec les tensions internes que cette confrontation
confusionnante implique.
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2.6 La!valse!des!séductions!:!
La valse est une danse à trois temps, dont deux, le second et le troisième, sont
accentués, le troisième s’appuyant sur le second. Le premier temps est peu perceptible,
évoquant à peine son absence, alors même que l’équilibre de l’ensemble repose sur lui.
Peut-être le caractère enivrant de cette danse vient-il précisément de ce qu’elle repose sur
l’évocation de l’absence, absence que tous souhaitent évoquer pour en sentir la présence,
alors que nul ne souhaite trop la percevoir afin qu’elle reste absence ? Ces trois temps se
retrouvent dans les différentes séductions qui ont animé la cure de Renée ; le premier,
fondateur, fut à peine esquissé, alors que les deux autres y tinrent une place d’évidence.
Mais ces conflits étaient à l’évidence bien trop menaçants pour Renée, compte
tenu des carences de son narcissisme. Là, intervint le second temps de la séduction : les
indiscrétions de son autre ami, manifestant son désir d’être là avec nous, entre nous. Il
renforçait ainsi notre position fantasmatique de couple et le conflit entre désir et interdit.
La dissociation de l’imago paternelle fut réactivée pour préserver autant le narcissisme de
Renée que celui de son analyste. Ainsi était mis en place le double miroir transférentiel,
l’ami y représentant cette partie dissociée de l’imago paternelle que nous avons chacun,
durant ce temps, mise de côté. L’identification projective était donc garante de cette
dissociation, et l’identification adhésive signait sa mise en commun. Ce second temps de la
séduction y était alors clairement narcissique, permettant à Renée de « coller » à son
analyste et de trouver ainsi l’étanchéité nécessaire à une réparation de ses « fuites »
narcissiques. Mais l’activation de l’archétype père au sein même de la chimère ainsi
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constituée permit son activation inconsciente chez l’analyste96 ; un léger décalage en résultat
au sein, décalage qui créa cet espace transférentiel. Un tel transfert en double miroir peut
être comparé à un coffrage étanche, par exemple pour travailler sur les fondations d’une
pile de ponts.
2.7 Proposition!théorique!
96 : L’archétype père était bien évidemment activé aussi chez Renée, mais c’est bien au sein même du
psychisme de l’analyste que le travail d’élaboration de la dissociation du se faire en ce premier temps de
l’analyse. Pour Renée cette activation de l’archétype père ne pouvait que réactiver les défenses
narcissiques.
97 : J’appelle libido narcissique l’énergie qui investit le narcissisme primaire. Il s’agit, du point de vue jungien,
du pôle instinctuel de l’archétype, et du point de vue freudien de la pulsion d’autoconservation.
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miroir. Mais il serait illusoire de croire que l’analyste a, dans ce processus, un rôle
consciemment actif. Bien au contraire, et cette cure en est un exemple patent, l’analyste n’y
est que l’acteur — et il assume consciemment de l’être — des dynamismes qui l’agissent et
dont il ne peut dire s’ils sont ceux de son analysant ou les siens propres.
Il est probable que les trois temps de cette valse des séductions puissent être
considérés comme ceux de la constitution et de la différenciation de l’imago paternelle. Ils
paraissent rendre compte du fait que celle-ci repose autant sur l’imago paternelle de la
mère, sur l’objet de ses investissements érotiques, que, enfin, sur le père lui-même. Cela en
tout cas fut patent chez Renée : la dissociation de l’imago paternelle en elle était l’écho
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direct de la dissociation de cette même imago chez sa mère. Une réalité différenciée de son
imago paternelle ne put apparaître qu’après un long travail sur cette dissociation ; cela lui
permit d’envisager de se différencier de lui, de son anima dépressive, et de n’être plus la
« petite princesse de son père », celle qui devrait le sauver de sa dépression.
Enfin, sur un plan théorique, il semble plus cohérent avec une expérience
clinique telle celle décrite entre Renée et son analyste de considérer qu’une telle dynamique
est en grande part autonome vis-à-vis des deux protagonistes de la cure. C’est là, d’un point
de vue jungien, une dynamique archétypique qui se rejoue, une dynamique chimérique
autonome qui émerge de la rencontre analytique et qui, autant du fait du cadre analytique
que du travail interne de l’analyste, y trouve un contenant lui permettant de reprendre et
poursuivre son travail de différenciation psychique.
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La"chimère"transférentielle"
3 Les!contenants!de!la!chimère!
transférentielle!
3.1 Approche!clinique!
Dans cette première partie clinique, quatre situations cliniques très différentes,
dont deux très banales, sont exposées ; l’objet est de montrer comment une véritable néo
réalité psychique se constitue dans l’entre-deux du transfert, et, surtout, comment elle
devient, par moment, agissante, orientant la dynamique du processus transférentiel dans le
sens d’une prise de conscience de l’analyste et d’une réévaluation de sa position contre-
transférentielle.
3.1.1 Nymphéa"
Nymphéa est une femme qui est arrivée chez moi obèse et socialement
désinsérée, son seul point d’ancrage extérieur étant son mari (qu’elle haïssait plus qu’elle ne
l’aimait) et sa fille. J’ai de suite été frappé par le fait qu’elle ne ressemblait à rien ; d’ailleurs,
elle se décrivait elle-même ainsi, elle se ressentait sans forme. Nous commençâmes une
psychothérapie en face à face, à raison de deux séances par semaine. Mais très vite, cela me
devint insupportable : elle gardait son regard collé au mien, et j’avais littéralement
l’impression d’être pompé de l’intérieur, de perdre toute possibilité de rester vivant, en tout
cas de ne plus pouvoir penser ; toutes mes tentatives pour comprendre ce qui m’arrivait
et/ou pour m’en extraire étaient vaines. C’est ainsi que j’en arrivai à lui proposer de passer
sur le divan, dans un mouvement de survie, pour moi-même d’abord, mais aussi pour la
poursuite de notre travail. Nous en parlâmes quelque temps, et elle accepta. À la séance
suivante, elle s’allongea donc, mais sur le ventre, les yeux toujours fixés, collés aux miens !
J’étais désespéré, effondré intérieurement, n’ayant pas encore pu percevoir qu’en fait un
changement radical venait de se produire dans ma position contre-transférentielle : en la
voyant ainsi allongée sur le ventre, ses yeux dans les miens, je perçus immédiatement les
photos de bébés que l’on faisait autrefois, les rondeurs de son corps renforçant d’autant
cette impression [Figure 34].
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Clinique"
Figure 34 : Le bébé
Elle avait pris forme, une image était née dans ma pensée, une image vivante
qui, très lentement et au fil des années, me permit, nous permit, de rester en vie au sein de
cette massa confusa qui, comme le fut sa petite enfance, était profondément toxique. Cette
image condensait au mieux, pour moi, le mélange d’horreur et de tendresse que j’éprouvais
alors en sa présence, ces deux sentiments ayant été le fil directeur du travail qui s’en suivit
et qui a fini par déboucher, près de dix ans plus tard, sur une véritable ouverture à un
travail analytique d’une tout autre nature.
3.1.2 Hélène"
Hélène est une jeune femme d’à peine plus de vingt ans qui est venue me voir
pour entamer une psychothérapie. Immédiatement, en lui ouvrant la porte, je sus que je ne
voulais pas travailler avec elle. Elle me parut de suite présenter tous les symptômes d’un
début de schizophrénie, et l’entretien qui suivit me confirma dans cette première
impression. Ma seule question intérieure était alors : comment faire pour l’éconduire sans
en rajouter à la terrible destructivité qui avait littéralement désintégré sa vie depuis trois
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La"chimère"transférentielle"
ans : elle n’avait plus de travail, bien qu’ayant un diplôme professionnel ; elle avait perdu la
quasi-totalité de ses relations amicales et sociales ; enfin, elle vivait avec un homme qui la
violentait. Mais elle avait déjà placé tous ses espoirs en moi et j’ai bien senti que je ne
pouvais pas simplement lui dire que je n’avais pas de disponibilité pour entamer un travail
avec elle : elle était, à l’évidence, prête à attendre le temps qu’il faudrait... Alors se
construisit en moi un projet qui m’est apparu très machiavélique, et que je répugnai à
mettre en œuvre ; il s’agissait de lui poser, en préalable à un début de thérapie, un certain
nombre de devoirs : quitter son homme, trouver un logement décent et reprendre une
activité professionnelle. À ma plus grande honte, je ne voyais vraiment pas d’autre issue, de
telle sorte qu’à la fin de ce premier entretien je mis ce projet en acte, lui expliquant qu’il ne
me semblait pas possible de travailler avec elle à la reconstruction de sa vie alors que tant
de choses, par ailleurs, continuaient à la détruire. Et j’étais à ce point pris dans mon
sentiment de honte, j’avais tellement l’impression d’un passage à l’acte de ma part, que je
remarquai à peine l’attention avec laquelle elle m’écouta ainsi que la qualité de son adhésion
à ce projet. Elle partit, et j’étais persuadé de ne plus jamais la revoir…
Six mois plus tard, elle revint, ayant effectivement quitté son homme, trouvé
un logement, et commencé à reprendre pied dans la vie professionnelle. J’étais abasourdi !
Ainsi il put s’en suivre une psychothérapie de deux ans qui lui permit de consolider ce
retour dans le monde des vivants alors que, dans le même temps, les symptômes
psychotiques qui m’avaient tant effrayé s’estompaient jusqu’à disparaître presque
entièrement. Elle n’est certes pas « guérie » de cette destructivité psychotique, mais elle me
semble être aujourd’hui en mesure de la mettre suffisamment au service de sa créativité
pour poursuivre son chemin avec le nouveau compagnon qu’elle s’est trouvé.
3.1.3 Claire"
Claire est une femme de la cinquantaine qui est venue me voir pour arriver à
faire le deuil de son mari, parti avec sa maîtresse. Son éloignement géographique, autant
que ce que je percevais comme une grande fragilité chez elle, m’a fait lui proposer une
psychothérapie en face à face à raison d’une séance par semaine. Cinq ans plus tard, elle
avait atteint ses objectifs initiaux : ses enfants ont grandi et quitté la maison sans qu’elle ne
les retienne trop, elle-même a pu se dégager intérieurement de son mari et sortir de la
dépression profonde dans laquelle cette séparation l’avait plongée, enfin elle a pu
reconstruire une relation satisfaisante avec un homme. Tout ceci s’est fait, évidemment, en
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Clinique"
lien avec son histoire, notamment avec la douleur d’un père mort quand elle était
adolescente, et d’une mère ressentie comme plus hostile qu’aimante. Cependant, malgré
tout ceci qui traduisait un réel travail intérieur de sa part et une non moins réelle
renaissance de sa vie, elle continuait à venir à ses séances, sans jamais évoquer l’idée d’un
arrêt de notre travail. De mon côté, je sentais bien quelque chose qui restait inanalysé en
arrière-plan, quelque chose que je me représentais comme de l’agonie, au sens où Winnicott
emploie ce terme. C’est dans ce contexte que se déroula la séance suivante.
Comme à son habitude, elle commença par un silence, mais sans jamais que
son regard ne quitte le mien, et aussi sans que j’ai l’impression qu’elle soit intérieurement en
proie à des pensées qu’elle cherchait à ordonner afin de pouvoir en parler. Bien au
contraire, elle paraissait calme, posée, et son regard fixé sur le mien ne me dérangeait pas ;
j’étais moi-même intérieurement calme, et cela dura une dizaine de minutes. Enfin, un petit
mouvement de sa part me permit de lui demander ce qui se passait là pour elle. Alors son
regard se tourna à l’intérieur d’elle-même, comme pour trouver les mots qui lui manquaient
alors, et elle me dit : C’est bizarre. C’est comme si je resterais bien éternellement comme ça. Après, c’est
comme si j’étais à la folie amoureuse de vous, de votre regard, mais c’était bizarre. C’est comme si j’étais
dans un autre monde. J’allais dire, c’était pas moi. Aussi, c’est comme si plus rien n’avait d’importance. Et
puis aussi c’était quelque chose qui venait à moi. Mais, bon, c’est pas ça qui va me permettre de répondre à
mes problèmes…
3.1.4 La"fête"des"Mères"
La dernière situation clinique est une séance où, pour la première fois, une
analysante me souhaitât la fête des Mères… Cette femme de la quarantaine était en analyse,
sur le divan, à raison de deux séances par semaine, depuis quelques mois, après une
psychothérapie hebdomadaire en face à face qui a duré 5 ans. Elle était aussi dans une
période de réorientation professionnelle qui l’avait fait soulever et élaborer beaucoup de
questions en séances.
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La"chimère"transférentielle"
Ce jour là elle arrive et s’allonge, comme a son habitude, mais elle attire très
vite mon attention en débutant sa séance en me remerciant chaleureusement d’être un
soutien solide et fiable en cette période difficile pour elle. Elle m’avait, certes, déjà dit à
quel point il lui est important de sentir ma présence à ses côtés, mais il y avait là une
tonalité et une insistance particulière. Puis, alors que je restais avec mon interrogation
silencieuse, elle me fit part de son émotion quand, le week-end précédent, sa fille lui avait
offert un poème pour la fête des Mères. Elle avait été profondément touchée par l’amour
que sa fille lui avait alors témoigné, et ma perplexité augmentait d’un cran : là encore,
quelque chose dans le ton de sa voix et dans son insistance ne lui était pas habituel en
séance. Suivit alors un Au fait, j’allais oublier de vous parler de ce qui s’est passé hier avec ma fille !, et
de me raconter comment, dans la voiture, sa fille de 6 ans s’est mise à pleurer en lui parlant
de ses difficultés avec son père qui ne s’occupait que de son frère. Certes, quand ils jouaient
ensemble au ballon, elle se joignait volontiers à eux, mais elle n’aimait pas jouer au ballon :
si elle le faisait, c’était pour profiter de son papa. De ce fait, des temps consacrés à des
activités de son goût lui manquaient beaucoup. Mon analysante lui dit alors qu’elle devrait
en parler à son papa, Je n’oserai jamais !, lui répondit immédiatement sa fille. Alors mon
analysante lui proposa de s’occuper de son frère le soir même, afin qu’elle ait du temps
seule avec son père pour aborder avec lui cette question. Le soir, après qu’elle ait couché
son fils, elle est allée souhaiter une bonne nuit à sa fille. Celle-ci lui dit alors Oh maman,
merci, merci de m’avoir aidée à parler à papa !
3.2 !L’autonomie!de!la!chimère!transférentielle
Ces situations cliniques sont bien différentes, et il serait tentant de s’en tenir
aux profondes différences qui marquent leurs tonalités et dynamiques transférentielles. Il
semble pourtant qu’il importe tout autant de dégager ce que ces situations ont en
commun : la manifestation d’un véritable complexe autonome constitué dans l’entre-deux
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Clinique"
du transfert. Je vais donc commencer par éclairer ces points communs, avant d’en
reprendre les différences, afin d’essayer de dégager de ces exemples cliniques quelques
caractéristiques de cette chimère transférentielle.
3.2.1 L’autonomie"de"la"chimère"transférentielle"
Ce qui est frappant, dans ces situations comme dans bien d’autres, c’est
l’autonomie de ce qui se met alors en jeu dans le transfert. Non seulement les deux
protagonistes y sont totalement inconscients de ce qui les anime, mais, de plus, ce qui se
révèle alors apparaît, dans l’après-coup, comme étant l’émergence d’un processus à l’œuvre
depuis un certain temps et qui combine des éléments de l’un et de l’autre en un seul
mouvement, où les deux sont engagés, et qui engage les deux. Évidemment, cela sous-tend
l’ensemble de la psychologie du transfert de Jung : ce processus ne se situe pas tant dans
l’inconscient de l’un ou l’autre des deux protagonistes, ni même dans l’inconscient de
chacun d’eux, mais bien plus dans ce qui se révèle alors comme étant une émergence de
l’inconscient entre eux. Il convient tout de même de préciser que c’est là une lecture très
orientée de la psychologie du transfert, orientée en ce que Jung, s’il ouvre cette porte d’un
inconscient entre deux, ne paraît la franchir qu’en ce qui concerne la dimension
archétypique du processus et non, comme il a déjà été exposé ici, l’intime intrication, au
sein de cette chimère, des aspects les plus personnels de chacun des deux protagonistes.
Les quatre situations cliniques évoquées seront donc reprises sous cet angle de vue afin
d’essayer de dégager ce qui, pour chacune d’elle, organise et dynamise la situation
transférentielle donnée.
3.2.2 La"terreur"de"l’inceste"
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La"chimère"transférentielle"
ennemi extérieur, mais un pressant besoin de silence en soi, de profond repos dans le néant, de sommeil sans
rêve dans le flux et le reflux de l’océan, du devenir et de la disparition. Dans la réédition de 1950 son
propos est plus encore appuyé : [La vie est] une lutte continuelle avec la disparition, délivrance
violente et momentanée de la nuit continuellement aux aguets. Cette mort n’est point un ennemi extérieur,
mais une aspiration personnelle intérieure vers le silence et le calme profond d’un non-être connu, sommeil
clairvoyant dans la mer du devenir et du disparaître. (p.591-592) Parler de l’aspiration personnelle
intérieure [à la mort] et de retour au non-être connu c’est, bien entendu, parler de la pulsion de
mort. Mais c’est en parler d’une manière bien différente de Sabina Spielrein (1912) pour qui
cette aspiration s’intègre dans la relation amoureuse et vise à la fusion avec l’être aimé.
Avec Nymphéa, j’ai longtemps cru qu’elle était en proie avec un désir de fusion
de l’ordre de ce que Sabina Spielrein avait décrit. Une grande part de son discours
manifeste, qui avait pu se déployer après ce changement de cadre, m’orientait dans son
sens : elle voulait tour à tour se fondre en moi, ou m’éventrer, se sentir pénétrée par moi
dans tous les orifices de son corps, ou me pénétrer de même. Mais il y avait un fantasme
récurent dans ses propos que je ne comprenais pas : elle se sentait liquide à l’intérieure et
vivais avec une immense jouissance l’idée de couler, de devenir entièrement liquide, que je
le devienne aussi, que nous nous fondions, non pas l’un dans l’autre, mais en un seul
élément liquide où nous aurions tous deux, ensemble, disparus. Je ne savais alors que faire,
dans mes pensées, dans mon attitude, dans la relation avec elle, de ces images de
liquéfaction mutuelle que je ne comprenais pas. Il semble, à la lecture de Métamorphoses de
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Clinique"
Jung, qu’il s’agisse de l’inceste à la mère en tant que désir de mort, de retour au non-être,
avec cet éprouvé si prégnant et si particulier qui est celui d’une mort imminente. C’est ainsi
que je pus aussi comprendre les rêves récurrents que Nymphéa faisait, rêves dans lesquels
elle voyait s’avançait vers elle un homme monstrueux qui, elle le savait, venait la tuer. Là
encore, cette phrase de Jung me permit de différencier ce mouvement du mouvement de
fusion érotique décrit par Sabina Spielrein.
C’était donc bien un éprouvé de mort certaine, une mort psychique ressentie
comme déjà là, qui me prenait dans le contre-transfert, et qui m’a conduit à modifier le
dispositif de cette cure. On pourrait bien entendu, comme je l’ai longtemps cru, penser que
le changement de cadre que j’ai initié était purement et simplement une défense contre-
transférentielle. C’en était une, indéniablement. Mais ce qui s’est produit en moi alors me
paraît aujourd’hui être bien plus : cette « vision » que j’eus immédiatement de cette
Nymphéa-nourrisson, plongeant son regard dans le mien comme un bébé le fait dans les
yeux de sa mère, me permit de me décoller et de me différencier progressivement de cette
informe qui engluait ma pensée, et de renaître ainsi à une relation transférentielle vivante.
Et rien, ni dans ma pensée ni dans la sienne, ne pouvait nous préparer à un tel changement
de mon contre-transfert. Tous deux, en effet, étions tellement pris dans cet effroi d’une
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La"chimère"transférentielle"
mort aussi imminente que certaine, une mort inconsciemment désirée, que nous ne
pouvions que nous y soumettre préventivement : mourir avant de mourir afin de ne point
mourir. C’est ainsi qu’émergea dans le transfert, comme venant d’un soi de l’entre-deux
partagé, une image vivifiante qui nous remit en route pour la suite de cette histoire. Et dans
ce long cheminement, toujours en cours, nous pûmes avancer de concert.
3.2.3 Les"projections"d’amour"et"de"haine"
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Clinique"
Jung, qui n’était pas habitué à utiliser cette référence, dit pour sa part qu’à ce niveau
apparaît une ligne de séparation patrilinéaire [qui] croise la ligne de séparation matrilinéaire (Jung 1944,
p.87). Nous sommes bien là au niveau de l’avènement du père, un père dont la fonction
différenciatrice permet au moi de ne pas se perdre dans l’inceste à la mère, mais aussi un
père qui, faisant couple avec la mère, ne menace pas la relation primordiale de l’enfant avec
elle, ce sans quoi son avènement pourrait entraîner purement et simplement l’explosion et
la mort psychique du sujet (considéré ici comme un groupe interne, la plus étroite famille).
C’est probablement pour se prémunir de ce danger que la chimère transférentielle, qui se
manifesta dans l’immédiateté de la rencontre avec Hélène, m’assigna à cette place de père.
3.2.4 L’émergence"du"transfert"amoureux"
La séance avec Claire fut bien différente encore. Ici, le quaternio alchimique
autant que l’espace interprojectif du transfert étaient en place depuis bien longtemps, mais
sans que Claire ne puisse s’y relier de manière satisfaisante pour elle. Elle avait, avant de
pouvoir retrouver un homme pour elle, tourné longtemps autour d’une image de femme
libre, libre de son désir de plaire, d’être désirée, et aussi de dire non à celui qui la désirait.
Lou Andréa Salomé incarnait à ses yeux cet idéal. Elle en parlait avec envie et admiration,
mais aussi avec la gêne d’une petite fille en proie à des excitations encore non élaborées.
Elle ne pouvait, en fait, trouver de lien suffisamment vivant, à l’intérieur d’elle-même, entre
ce quaternio alchimique réactualisé dans le transfert et son moi conscient, pour que cette
énergie sexuelle puisse être intégrée dans sa vie consciente et relationnelle. Cette séance fut
comme l’émergence, dans le transfert, de ce lien amoureux, probable résurgence de ce qui
n’avait pu s’élaborer dans son enfance avec son père (dont je ne puis dire plus ici). Mais
c’était comme si, un comme si que j’ai entendu comme ouverture à son altérité intérieure autant
qu’à l’altérité radicale du lien transférentiel, du lien à l’autre. Évidemment, elle chercha de
suite à refermer cette ouverture inquiétante sur ce qui s’était ainsi mis en scène entre nous,
ce qui la conduisit à une décompensation psychosomatique sérieuse (douloureuse), mais
sans enjeu vital, entraînant tout de même l’interruption des séances durant plusieurs mois.
Ce n’est qu’après cela qu’elle accepta l’idée qu’il lui fallait y regarder de plus près, et que
nous pûmes passer à deux séances par semaine, lui permettant alors d’aborder une lente
élaboration de la violence des pulsions sexuelles.
Bien entendu, l’on pourrait ici se satisfaire des théories freudiennes classiques,
sans faire appel à une notion de chimère transférentielle autonome tissée dans l’entre-deux
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La"chimère"transférentielle"
du transfert. Deux choses pourtant peuvent s’opposer à une telle démarche. D’une part, le
fait qu’il avait d’abord fallu que son analyste soit, comme son père dans son enfance,
complice inconscient de ses résistances (j’avais bien perçu le mouvement amoureux, mais
étais dans l’incapacité d’en élaborer une pensée qui lui soit restituable), en laissant perdurer
un travail de psychothérapie devenu obsolète depuis trop longtemps : ce n’est que cette
réactualisation dans le transfert qui permit, en un second temps, la reprise annoncée dans
cette séance de l’élaboration pulsionnelle laissée en friche dans l’enfance. D’autre part, il
paraît important d’entendre son comme si, à savoir l’émergence dans le conscient de
mouvements inconscients autonomes, archétypiques dirait probablement Jung, encore
insuffisamment humanisés pour être intégrables au vécu conscient. Tout s’est alors passé
comme si un quantum d’énergie issue de ce quaternio, énergie à la fois archétypique et
sexuelle, avait à ce moment fait irruption dans le conscient de Claire, bousculant ses
identifications défensives, jusqu’à mettre à mal son équilibre psychosomatique. Mais cela lui
était probablement nécessaire pour qu’elle puisse passer à une autre étape de son travail,
non sans résistances d’ailleurs.
3.2.5 Le"soi"du"transfert"
En ce qui concerne la séance de la fête des Mères, les choses se placent encore
à un tout autre niveau. En fait, là, tout s’est déroulé, hors de la conscience des deux
partenaires analytiques, dans une parfaite harmonie transféro-contre-transférentielle qui a
amené l’analyste à ressentir l’affect de l’analysante, affect d’une mère qui sent et accueille
l’amour authentique de sa fille. Qu’elle me soit reconnaissante d’avoir été pour elle un
appui fiable et solide, j’en étais bien conscient, mais que cet appui était d’ordre maternel et
non paternel, c’est bien cette séance qui me permit de le découvrir, dans l’éprouvé de
l’affect alors ressenti. Je compris rétrospectivement que sa réticence à passer sur le divan,
passage qu’elle avait décidé longtemps avant de pouvoir le faire, était probablement lié à
une crainte inconsciente que je ne puisse entendre ce qu’elle avait à me dire dans le champ
de la relation fille-mère, que je reste, comme le fut sa mère quand elle devint
préadolescente, sourd à son besoin d’un minimum de complicité entre femmes, cet étayage
homosexuel par lequel la féminité de la fille peut s’élaborer et s’ouvrir à l’homme. C’est
tout un pan de son histoire, dont je ne puis dire plus ici, qui s’est alors éclairé pour moi,
puis, ultérieurement, pour elle.
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Clinique"
Le fait que je sois amené à ressentir un affect de mon analysante pourrait être
interprété comme le résultat d’une identification projective. Pourtant cela ne me semble pas
juste, notamment du fait que cet affect était, pour elle, ni inconscient, ni clivé. Bien au
contraire, elle l’avait pleinement éprouvé, et avait pu accueillir ainsi la souffrance de sa fille
avec son père. Elle éprouvait aussi pleinement sa reconnaissance envers moi et ce que
j’étais alors pour elle. Nous pourrions peut-être parler ici d’une identification hystérique
contre-transférentielle, mais cela, qui est juste, ne suffit cependant pas à rendre compte de
la dynamique de l’entre-deux du transfert qui m’a permis cette identification hystérique au
moment opportun, le kairos des Grecs, auquel Jung se réfère souvent. Là encore, il me
semble que le concept d’une chimère transférentielle peut être éclairant, à condition d’y
placer l’ensemble des dynamiques qui animent le processus transférentiel et sont
susceptibles de s’y actualiser, à savoir l’inceste à la mère, le quaternio archétypique et le jeu
interprojectif entre transfert et contre-transfert, le tout étant bien entendu contenu dans et
par le cadre analytique (son dispositif, la règle d’abstinence, et la position intérieure de
l’analyste). À tous ces niveaux, en effet, le transfert agit de manière plus ou moins
inconsciente et autonome, tout autant pour l’analyste que pour son analysant.
3.3 Théorisation!des!contenants!de!la!chimère!transférentielle!
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La"chimère"transférentielle"
3.3.1 L’inceste":"
Dans Psychologie du transfert (Jung 1944), et dès l’introduction, Jung nous dit du
transfert que son contenu spécifique, [est] l’inceste (p.28). Et, comme il a déjà été développé, cet
inceste dont Jung parle n’est pas le désir érotique d’un enfant pour le parent du sexe
opposé, mais bien le mouvement de retour à l’en deçà de la mère, retour du deux dans l’un,
mouvement dont il avait déjà écrit en 1912 qu’il était un désir de mort.
Mais d’emblée Jung eut l’intuition que ce mouvement pouvait être porteur d’un
devenir, qu’il ne s’agissait pas seulement de revenir de l’état animé vers l’état inanimé, mais
plutôt de laisser ce mouvement se faire jusqu’au point où il rencontrera de nouveau ce qui,
déjà, avait conduit de l’état inanimé à l’état animé. Le but, là, en est clairement autre que
celui que Freud a assigné à la pulsion de mort : il s’agit de retourner dans l’en deçà de la vie
afin de retrouver une part de ce qui n’a pas pu naître et qui est ainsi resté en attente de
pouvoir vivre. Mais, et Jung l’affirme à de nombreuses reprises, il n’y a dans cette visée
aucune garantie d’aucune sorte pour celui qui s’y engage ou, ce qui est plus fréquent, qui s’y
trouve engagé malgré lui. Jung signifie ceci par une formule qui pourrait prêter à sourire si
elle ne résumait excellemment le profond dénuement où l’on s’y trouve : Deo concedente. Il
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Clinique"
rend compte ainsi du fait que ce point où la régression va pouvoir s’inverser, non
seulement ne peut être prédit, mais ne peut pas plus être a priori tenu pour certain.
Une telle conception, donc, n’est pas faite pour rassurer l’analyste qui s’y
réfère. Il s’en déduit, en effet, que l’analyste devra accompagner son client dans cette
régression tout en acceptant lui aussi qu’il puisse n’y avoir point de retour. Et pourtant,
l’expérience clinique des personnalités fortement déstructurées le confirme fréquemment,
c’est précisément en ce point ou l’espoir a disparu que, souvent — mais pas toujours ! —
peut apparaître une nouvelle poussée vitale et une reprise plus ou moins globale de la
structuration de la personne. Cela pourrait probablement s’expliquer du fait que l’espoir est
toujours en référence à une représentation du possible, alors que ce dont il s’agit ici est
d’atteindre ce qui n’a pas eu accès à la représentation, ce qui n’a jamais été éprouvé comme
possible. Mais, expliqué ou non, l’atteinte de ce point est toujours une épreuve qui ne se
peut évidemment sans un solide contenant qui permette au moi de trouver l’étayage
nécessaire à sa survie. C’est, en effet, dans cette aventure — car c’en est une — le moi qui
se trouve le plus menacé, le moi de l’analysant, évidemment, mais aussi, et d’une menace
parfois plus grande encore, celui de l’analyste. Jung écrit par exemple (1944 b, p.40 §32) :
En tant que médecin, ma tâche est d’aider le patient à affronter la vie. Je ne peux
me permettre de juger ses décisions ultimes, car je sais par expérience que toute contrainte —
de l’insinuation la plus légère à la suggestion, en passant par toutes les méthodes de
persuasion qu’on voudra — se révèle en fin de compte n’être rien d’autre qu’un obstacle à
l’expérience la plus importante et la plus décisive de toutes, qui est la solitude avec son soi —
ou avec l’objectivité de l’âme, quel que soit le nom qu’on choisisse pour la désigner. Le patient
doit être seul pour découvrir ce qui le porte lorsqu’il n’est plus en état de se porter lui-même.
Seule cette expérience peut donner un fondement indestructible à son être.
3.3.1.1 Inceste"et"pulsion"de"mort"
Il a déjà été noté la parenté et les différences entre l’inceste à la mère ainsi
envisagé par Jung et, d’une part la destructivité décrite par Spielrein (1912), d’autre part la
pulsion de mort telle que conçue par Freud (1920). Pour Sabina Spielrein il s’agit
explicitement de la part de désir de mort qui accompagne le sentiment amoureux, et qu’elle
décrit comme un désir de fusion à l’être aimé, fusionner jusqu’à disparaître en lui, jusqu’à
devenir lui. Il s’agit bien d’un désir objectal, d’un désir qui suppose la reconnaissance de
l’objet aimé, et aussi d’un désir sexuel où s’exprime sans détour l’expression du désir sexuel
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La"chimère"transférentielle"
génital hystérique. Ce point, qui place ce désir à un niveau déjà élevé du développement
psychique, différencie radicalement les propos de Spielrein de ceux de Jung où il n’est pas
même question de l’existence de l’objet. Par contre, chez Spielrein comme chez Jung ce
désir de mort est source de devenir. Pour Freud, contrairement à Spielrein, la pulsion de mort
est, comme chez Jung, dépourvue d’objet ; ou plutôt celui-ci est facultatif. Mais Freud, en
1920, se différencie radicalement de Spielrein et de Jung dans l’absence totale de devenir
qu’il assigne à cette pulsion, réduite à une tendance à la destructivité pure, au retour à l’état
inorganique.
3.3.1.2 Inceste"et"soi"primaire"
Jung définit donc, dans les métamorphoses, l’inceste comme désir de retour au
non-être connu. De son côté, Michael Fordham (1947) définit le soi primaire comme un état
de la psyché du bébé, un état d’indifférenciation et d’homéostasie, un équilibre dans lequel
il n’y a pas de différence entre l’interne et l’externe, entre le bébé et le monde. Dans cet
état, il n’y a pas de conscience, et tant que les excitations, endogènes ou exogènes,
n’atteignent pas un niveau suffisant pour rompre cet équilibre, il persiste. Quand, par
contre, l’équilibre est rompu, Fordham parle de déintégration ; le bébé se trouve en proie à
une intense activité psychomotrice, qui peut d’ailleurs être étonnamment bien organisée
sous l’effet de l’activation archétypique — comme, par exemple, quand le nouveau-né
posé sur le ventre de sa mère se dirige spontanément vers le téton : c’est là, semble-t-il,
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Clinique"
l’équivalent du geste spontané de Winnicott (1965). La visée téléologique98 est alors, pour le
bébé, de retrouver cet état d’équilibre homéostatique indifférencié dans lequel il était avant
la déintégration ; ce mouvement est la réintégration.
Il semble y avoir plus qu’une simple similitude entre ce que Fordham a décrit
chez le bébé, et ce que Jung a découvert chez les adultes : le soi primaire apparaît très
proche de cet état de non-être auquel l’inceste tend, un non-être dont Jung nous dit bien
qu’il est connu, ce qui peut conforter ce rapprochement. Les implications théoriques que
peut avoir cette hypothèse seront développées plus loin.
Mais il semble bien, pourtant, que les deux hommes aient été d’accord sur
l’essentiel, à savoir qu’un état de déintégration s’accompagne d’un grand désordre
psychosomatique, état de grand désordre qui tend à retrouver, parfois sans succès, un état
de réintégration, d’homéostasie, le soi primaire de Fordham. Si, pour Winnicott, ce débat
était si important, ce n’était probablement pas tant pour asseoir sa différence d’avec
Fordham, que pour souligner la violence des mouvements psychosomatiques qui
accompagnent toute perte d’homéostasie dans les premiers temps de la vie, violence que
98 : On retrouve bien, ici, ce que dit Paul Ricœur (1967 - 5.4.4) qui définit la téléologie comme émergence de
la finalité du fait même du mouvement.
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La"chimère"transférentielle"
l’on retrouve dans les descriptions que Jung fait du désir de mort comme retour au non-être
connu.
3.3.2 Quelques"remarques"épistémologiques":"
Avant d’aller plus avant dans cette réflexion, il convient de préciser un point de
méthode concernant les schémas proposés ci-après, et, plus généralement, la notion même
de contenance. Ces schémas, en effet, sont limités d’une part par la nature bidimensionnelle
de la feuille de papier sur laquelle ils sont dessinés, et d’autre part du fait du caractère
nécessairement idéal d’une réflexion théorique sur une situation réelle. Le schéma du
quaternio en tant que contenant de l’énergie incestueuse du transfert devra donc être
envisagé comme pure représentation asymptotique de ce qui, dans la réalité, est toujours
bien plus complexe. Pour se représenter cette complexité, la physique moderne offre
cependant quelques outils, outils qui ont le mérite de mettre à mal la représentation topique
simpliste de ces schémas.
3.3.2.1 Un"contenant"dynamique"
Le premier de ces outils nous est offert par le fonctionnement d’une pile
atomique : la réaction énergétique qui se déroule en son sein est, en effet, contenue de deux
manières complémentaires [Figure 36]. D’une part, il y a une enceinte de confinement qui
peut se représenter par un schéma strictement identique à ceux proposés ici, à ceci près
qu’il serait tridimensionnel, mais là la troisième dimension n’apporte rien de spécifiquement
différent quant à la nature du contenant, celle-ci restant du même ordre que le pichet de vin
qui trône sur la table ou que le rond de sorcières qui protégeait magiquement nos ancêtres :
c’est un contenant statique. Mais, ce qui est plus intéressant, il y a un contenant d’une autre
nature au sein d’une pile atomique : il s’agit des barres de contrôle qui traversent le cœur de
la pile et permettent de contenir et de réguler l’intensité de la réaction en deçà du seuil
d’une réaction explosive.
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Clinique"
Ces barres, en effet, absorbent une partie du rayonnement dégagé par la fission
nucléaire, de telle sorte que cette part absorbée n’est plus disponible pour entretenir la
réaction. Il s’agit d’une structure qui traverse le cœur de la réaction et qui la contient au
même titre que, par exemple, l’on peut contenir sa colère ou sa force. C’est un contenant
dynamique.
3.3.2.2 Une"représentation"quantique"
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La"chimère"transférentielle"
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Clinique"
58). La longue correspondance que les deux hommes eurent ultérieurement n’est
probablement pas sans rapport avec la profonde affinité de pensée qui se manifeste ici.
Nous voyons que nous arrivons là aux limites de la représentation et qu’il s’agit
donc d’être extrêmement prudents dans l’interprétation des schémas qui sont proposés ici
pour conceptualiser les phénomènes en jeu dans le transfert. Au contraire de la physique
quantique, nous ne disposons pas, en effet, des équations mathématiques qui permettraient
de modéliser plus avant, et d’interpréter plus sûrement, une telle figuration. Ces limites
épistémologiques doivent évidemment s’appliquer à l’ensemble de ce travail, et non
uniquement au schéma du quaternio.
3.3.2.3 La"téléportation"quantique"
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La"chimère"transférentielle"
malheur serait arrivé. En effet, ce n’est pas la médaille qui est « téléportée », mais ses qualités,
de telle sorte qu’elle se retrouve identique de l’un à l’autre. Plus précisément, ce qui est
décrit jusqu’ici n’est que le résultat macroscopique, dans notre monde sensible de quatre
dimensions, d’une propriété de non-localisation de certains phénomènes quantiques. En
fait, d’un point de vue quantique, les deux moitiés de la médaille ne sont localisées ni là où
se trouve le premier voyageur ni là où se trouve le second. La « téléportation » n’est donc
qu’un phénomène apparent.
Une des conséquences les plus remarquables de ce paradoxe est qu’il ouvre la
porte des laboratoires de physique à la science-fiction en autorisant des expériences de
« téléportation quantique » dont le principe peut être utile pour interpréter la représentation
du quaternio de Jung. En voici le principe [Figure 38] : deux chercheurs, Alice et Bob,
veulent pouvoir se téléporter l’état d’un atome X de l’un à l’autre, mais Bob doit partir pour
un long voyage, alors qu’Alice reste au laboratoire. Avant le départ de Bob, Alice et lui
créent un couple de particules appariées, P et P’. Alice garde la particule P et Bob part avec
la P’, ainsi qu’avec un atome Y de même nature que X, mais dont l’état est indéterminé.
Quand Alice veut téléporter à Bob l’état de son atome X, elle crée une interaction entre X
et P, puis prend une mesure du résultat de cette interaction. Il faut se représenter que, du
fait de l’interaction, la particule P a été transformée, donc la particule P’ aussi, mais Bob n’a
encore aucun moyen de le savoir. Il faut donc que Alice envoie à Bob, par les moyens
traditionnels (téléphone, radio, etc.) le résultat de la mesure effectuée après l’interaction
entre X et P afin que Bob puisse reproduire cette interaction entre Y et P’. Alors Bob se
retrouvera avec l’atome X en lieu et place de l’atome Y !
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Clinique"
Ce qui est remarquable ici est que la transmission d’une information explicite
entre les deux chercheurs est une nécessité technique au même titre que les autres éléments
de l’expérience : l’actualisation d’un processus tout à fait incompréhensible dans la
représentation que l’on peut avoir du monde, d’un processus transcendant au sens kantien
dans lequel Jung utilisait ce mot, passe par une communication consciente qui transmet une
information en elle-même de nature différente (résultat de l’interaction X-P) à celle du
processus (canal quantique P-P’). Un même type de décalage se retrouve fréquemment au
décours d’une analyse, quand le contenu manifeste de ce qui y est dit est de nature tout à
fait étrangère aux enjeux du transfert, alors même que ces échanges sont indispensables à la
continuité de sa dynamique.
3.3.2.4 L’attracteur"étrange"
Quand Jung écrit que Les deux formes [de la libido] se tiennent réciproquement en échec
(1944, p.84), une représentation simple de deux vecteurs opposée conduirait à un système
où le moindre excès de l’une vis-à-vis de l’autre entraînerait un déséquilibre du dit système.
Pour que la mise en échec réciproque ait une réelle stabilité, que le système ainsi constitué
soit robuste, il est nécessaire de se représenter un tel système comme système complexe,
stabilisé par l’émergence d’un attracteur étrange qui fonctionne alors comme contenant du
processus. Il a déjà été soutenu l’idée que ce puisse être la dimension sexuelle d’une part de
la libido qui induise la complexification de ce système.
Et quand Jung écrit que le soi est symbole de l’origine et du but du processus
d’individuation (1943, p.19 §3), il semble bien le définir comme processus d’auto-
organisation. Il reste, certes, toujours possible d’interpréter ces paradoxes souvent utilisés
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La"chimère"transférentielle"
par Jung comme témoignant de sa position mystique99, mais une vision scientifique n’en est
pas moins possible, et nécessaire à une approche scientifique de sa psychologie analytique.
On retrouve d’ailleurs, sous la plume de nombreux physiciens, des paradoxes de même
nature, susceptibles de conduire à des interprétations mystiques de leurs travaux. Ce fut
l’enjeu du débat qui opposa Einstein à Bohr au sujet de l’interprétation des phénomènes
quantique.
3.3.3 La"chimère":"utérus"du"transfert"?"
L’inceste, tel que C.G. Jung l’envisage, est une énergie incroyablement
puissante, violente, une force à laquelle le moi ne peut résister, sauf à ce que cette énergie
soit suffisamment contenue afin de ne pas le faire voler en éclats. C’est là la condition
première d’un possible destin créatif de ce désir de mort, donc d’une issue positive du
processus transférentiel tel qu’abordé par Jung.
99 : ce qu’il n’a jamais cessé de réfuter, et ce que, évidemment, certains s’empressent de prendre pour une
dénégation…
270
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Clinique"
3.3.3.1 Le"quaternio"alchimique":"
La première idée, qui aurait été de penser que, en tant que contenu du
transfert, l’inceste se trouverait contenu par les projections tissées entre le patient et le
psychothérapeute, cette idée ne peut donc pas être soutenue, en tout cas pas si simplement,
si l’on suit le point de vue développé par Jung. Dans ce cas, en effet, les contenus de ces
projections seraient spécifiquement les mêmes que celui du transfert, à savoir l’inceste, et le
désaccord avec Freud n’aurait pas porté sur ce que Jung comprenait comme un monisme
sexuel de sa part : il n’aurait porté en fait que sur la nature de ce sexuel, objectal pour Freud
et non objectal pour Jung.
Une première solution à ce paradoxe apparent nous est donnée par Jung, dans
le chapitre consacré à la seconde image du Rosaire [Figure 25, p.209], où il propose son
schéma du quaternio alchimique [Figure 39], schéma qui peut résumer à lui seul la
compréhension du transfert par Jung : serait-ce ce quaternio qui contient, dans tous les
sens du terme, l’inceste et la violence de son formidable potentiel énergétique ?
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La"chimère"transférentielle"
• Tout d’abord, ce quaternio est explicitement qualifié par Jung d’incestueux. Mais, et là
Jung ne le précise pas directement, l’inceste dont il s’agit est d’une autre nature que celui
dont il est question comme étant le contenu spécifique du transfert. En effet, dans le
quaternio, l’inceste comporte clairement une dimension objectale, réunissant le frère et
la sœur. Les contes que Jung cite pour illustrer sa thèse en témoignent (1944, p.82-83).
• Ensuite, Jung dit que l’inceste, en tant que relation endogame, correspond à une libido qui tend
finalement à maintenir la cohésion de la plus étroite famille (1944, p.84). Ainsi, après l’inceste
considéré comme retour à la mère, apparaît un autre niveau où l’inceste ne tend plus
directement au retour du deux dans l’un, mais bien plutôt à la cohésion d’un ensemble
déjà différencié, le groupe familial. Il s’agit donc bien d’un contenant.
• Enfin, et ce n’est pas le moindre des arguments, à ce niveau apparaît une ligne de séparation
patrilinéaire [qui] croise la ligne de séparation matrilinéaire (1944, p.87). Il y a donc là, comme
vu précédemment, apparition d’un premier principe paternel, ce qui confirme la nature
autre du quaternio par rapport à l’inceste primordial, précisément l’apparition des
premières expressions de la libido exogame. L’apparition de cette ligne de séparation
patrilinéaire implique une première différenciation sexuelle (mère/père) et, dans un
même mouvement, une première différenciation générationnelle (parents/enfants). Il est
d’ailleurs remarquable que, à ce niveau, l’inceste soit respectueux de ces deux
différences : il ne s’agit pas d’un inceste parent – enfant, qui viendrait alors mettre à mal
la différence générationnelle, mais bien d’un inceste frère – sœur, qui respecte aussi la
différence des sexes.
Ainsi, il semble que ce quaternio doive maintenir la cohésion de la plus étroite famille
parce que celle-ci est soumise à une double menace : menace d’implosion sous l’effet de la
libido endogame qui, si elle ne rencontrait aucune force contraire, aboutirait à la disparition
du multiple dans l’un (retour à l’en deçà de la mère dont l’exemple pathologique extrême
est l’autisme), et menace d’explosion sous l’effet de la libido exogame (éclatement dont
l’exemple pathologique extrême est la schizophrénie). Et l’on peut aussi penser que le
maintien de la cohésion de la famille nécessite le maintien, au sein de celle-ci, de la double
différence des générations et des sexes, ce que permet l’inceste frère/sœur, mais ne
permettrait pas l’inceste parent/enfant. Ce point, nous le verrons, n’est pas sans
conséquences cliniques essentielles.
Il semble donc que l’on puisse faire le schéma suivant [Figure 40], schéma où le
carré représente la fonction de contenance du quaternio.
272
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Clinique"
Cette idée du quaternio comme contenant semble encore confirmée par ce que
dit Jung au sujet des deux formes de la libido, endo et exogame : Les deux formes se tiennent
réciproquement en échec (1944, p.84). Ainsi apparaît un équilibre dynamique qui permet à
l’inceste primordial de se jouer dans un espace limité, c’est-à-dire de se jouer sans mettre à
mal les fonctions essentielles du moi (il semble que l’on puisse tenir pour acquise l’idée que
la cohérence du moi s’origine et se maintient dans la double différence des sexes et des
générations, double différence évidemment absente dans le mouvement incestueux
primordial, puisque le retour à l’un exclut toute différence, de quelque nature qu’elle soit :
l’être y devient non-être). Enfin, sachant par ailleurs que tout quaternio est, selon Jung,
expression du soi, le centre de ce quaternio y est vide afin de le représenter, en tant qu’il est
l’organisateur de ce quaternio et en tant qu’il est aussi centre vide, tel qu’Aimé Agnel (1999)
l’a si justement rappelé100. Les dynamiques du soi sont là dynamiques du processus : symbole
de l’origine et du but du processus d’individuation (Jung 1943, p.19 §3). Enfin, ce centre vide est
aussi représentation métaphorique de la visée ultime de l’inceste, retour à un état de non-être
connu.
100 : par exemple : Le patient doit être seul pour découvrir ce qui le porte lorsqu'il n'est plus en état de se porter lui-même.
Seule cette expérience peut donner un fondement indestructible à son être. (Jung 1944b, p.40)
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3.3.3.2 Les"projections"
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Clinique"
Moebius (anneau à une seule face, bien qu’en chacun de ses points on puisse en distinguer
deux [Figure 42]) serait ainsi plus pertinent, mais la lisibilité du schéma en serait été altérée.
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La"chimère"transférentielle"
3.3.3.3 Le"cadre":"
101 : Ce dernier point reste tout de même discutable, et discuté, notamment concernant les pratiques
institutionnelles de la psychanalyse. Mais, même si ce n’est avec l’argent du patient que l’analyste est
rétribué, il ne l’est pas moins.
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Clinique"
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La"chimère"transférentielle"
Ensuite, le cadre extérieur est représenté comme double, différenciant par cet
artifice ses faces interne et externe. Il semble en effet qu’il convient de différencier le cadre
factuel (position, nombre de séances, mode de payement, règle énoncée, etc.) du cadre
engendré par la position intérieure de l’analyste, plus spécifiquement par sa position
consciente. Ce n’est en effet qu’à ce niveau que le conscient de l’analyste peut intervenir
véritablement, les cadres intérieurs, du quaternio et des projections, étant par nature
inconscients.
3.3.3.4 Quelques"hypothèses"sur"l’origine"et"la"dynamique"de"la"chimère"
transférentielle"
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Clinique"
qu’envisagée par Freud, à savoir une pure destructivité, est une autre formulation de cet
attracteur simple (d’où l’importance de l’intrication des pulsions sexuelles de vie et de
mort).
Ainsi, chez Fordham, comme chez Jung, et d’une autre manière chez Freud, ce
mouvement tendant à l’immobilisme est étroitement articulé avec un autre mouvement,
apparemment contraire, la déintégration (Fordham), la mer du devenir (Jung) ou la pulsion de
vie (Freud). Cela conduit à penser une force de vie, de liaison, opposée à une force de
mort, de déliaison, ce qui, d’un point de vue plus large, a fait parler de néguentropie, en
opposition au principe d’entropie qui semble régir l’ensemble des lois de l’univers. Cette
hypothèse, qui eut son heure de gloire dans le milieu jungien, paraît bien risquée. Nous
allons voir que l’on peut en faire l’économie.
L’hypothèse, déjà développée sous une autre forme (Martin-Vallas 2005), est
que la combinaison de ces deux attracteurs simples donne naissance à un attracteur étrange
(voir par exemple le pendule double de la [Figure 4, p.58]. Or un système physique soumis
à un attracteur étrange est un système chaotique, imprévisible, au moins dans certains de
ses états, ce qui implique qu’un tel système puisse passer par des phases de néguentropie
apparente : l’ordre peut émerger du désordre, et ceci sans enfreindre la loi de l’entropie (loi
qui, rappelons-le, ne s’applique qu’aux systèmes fermés, et non aux systèmes en interaction
avec d’autres). La constitution de la chimère transférentielle semble être une telle
émergence d’ordre à partir du désordre, résultant de la rencontre des parts déintégrées du
soi de l’analyste et de celles de l’analysant. Et il peut être justifié de parler d’une chimère
transférentielle dès lors que l’on suit Jung quand il dit que l’appartenance ou la non-appartenance
au Soi des éléments [inconscients] demeure totalement indéterminée : ainsi, dans la rencontre
analytique, il ne peut être déterminé si telle part déintégrée du soi est de l’analyste, de
l’analysant, des deux, ou d’aucuns. Seule l’histoire ultérieure du transfert en décidera,
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La"chimère"transférentielle"
102 : Dans l’espace-temps euclidien deux droites parallèles ne se rejoignent jamais, alors que dans l’espace-
temps courbe (riemannien) qui régit la relativité générale deux droites parallèles finissent toujours par se
rejoindre.
103 : Une fonction est non différenciable quand il n’est pas possible d’en faire de dérivée : le concept de
dérivée mathématique s’appuie sur le fait que l’on peut assimiler une portion infiniment petite d’une
courbe à une droite (dont l’extension réalise la tangente). C’est ainsi par exemple que l’on pourra
assigner une vitesse (dérivée simple) ou une accélération (dérivée seconde) à chaque point de la
trajectoire d’un objet. Mais, dès lors que la courbe est fractale, il devient impossible d’assimiler une
quelconque de ses portions, si petite soit-elle, à une droite. Il est donc impossible de déterminer à la fois
la vitesse et la position d’une particule obéissant à une telle trajectoire, ce qui est le fait des particules
quantiques.
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Clinique"
Il semble ainsi que l’on puisse méditer sur l’idée selon laquelle les parts
déintégrées du soi (de l’analyste et de l’analysant) pourraient obéir à des règles semblables.
Il ne s’agit évidemment pas de dire qu’il en est ainsi dans la réalité, celle-ci restant à jamais
inaccessible à notre connaissance, transcendante104, mais bien d’une métaphore, et peut-être
d’un symbole, pour nous relier à ces dynamismes qui animent, organisent et désorganisent,
construisent et détruisent, l’entre-deux de la rencontre analytique. Ainsi on peut envisager
le schéma proposé ici d’une topique de la chimère transférentielle, non comme une topique
au sens usuel de la géographie, mais bien plutôt comme une représentation synthétique,
formelle, de différentes échelles de manifestation possible de cette chimère dans le
transfert. Le même schéma sous forme fractale [Figure 44] donnerait ainsi une figure plus
méditative que conceptuelle :
3.3.3.5 L’attitude"psychanalytique":"
104 : au sens kantien où Jung utilise ce terme, qui est une qualité de ce qui se situe hors d’atteinte de l’expérience et de
la pensée de l’homme. (Petit Larousse illustré 1995)
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La"chimère"transférentielle"
évidemment, ne saurait signifier que l’analyste doive refuser les mouvements de nature
endogame qui s’éveillent en lui vis-à-vis de son client ; bien au contraire, cela serait tomber
dans l’attitude apotropaïque que Jung dénonce souvent. L’attitude psychanalytique serait ici
d’avoir toujours conscience de la réalité irréductiblement autre, étrangère, de son client,
même et surtout quand il paraît si familier que tout semble aller de soi. Jung (1944, p.102)
parle à ce sujet du danger de « l’affinité », avec ses projections trompeuses et sa tendance à assimiler
l’objet dans le sens de la projection, c’est-à-dire de le rendre familier en vue de concrétiser la situation
incestueuse latente. Ainsi le psychanalyste doit pouvoir garantir, autant que faire se peut, un
cadre extérieur, un athanor exogame qui, seul, permet que se déroule le processus
interprojectif et archétypique qui caractérise le transfert tel que Jung l’a abordé. La situation
analytique, de plus, ne se peut qu’en vue, à terme, de la séparation de l’analyste et de son
client. Il semble que l’on puisse dire de ce point qu’il est l’alpha et l’oméga de la conduite
du transfert par le psychanalyste, conduite qui doit répondre à une double exigence
paradoxale : tout à la fois, assurer la permanence suffisante des contenants du transfert,
notamment le cadre projectif nécessaire à la contenance, au développement et à
l’expression psychique du quaternio, et tout autant dissoudre ce cadre par les
interprétations afin d’en permettre l’introjection sans laquelle la séparation ne serait que
rupture ; le processus d’individuation ne pourrait alors se poursuivre.
Cette base, qui peut au premier abord sembler triviale, est essentielle si l’on
accepte d’en tirer toutes ses conséquences. Cela signifie en effet, entre autres, que l’analyste
ne doive jamais se confondre avec les différentes figures qu’il est amené à représenter, et
parfois à mettre en scène, pour le compte de son client. C’est là que l’on peut trouver une
attitude spécifiquement psychanalytique dans le transfert, l’analyste cherchant toujours à
préserver la nature exogame de la relation consciente qu’il entretient avec son client, ceci
afin de garantir la solidité et la permanence suffisante des contenants du transfert. Pour
l’analyste, en effet, l’ensemble du processus ne découle pas d’une quelconque technique
qu’il aurait apprise à utiliser à bon escient, et encore moins de sa volonté et/ou de sa
capacité à remplacer positivement les mauvais objets rencontrés par son analysant dans son
enfance : l’analyste n’est ni rééducateur ni réparateur. Le processus transférentiel ne résulte
que de ce qui est mis en jeu par la rencontre des inconscients des deux protagonistes du
drame analytique, et ce processus ne peut se dérouler, dans le sens de
l’individuation/différenciation, qu’à la condition que l’analyste en garantisse le cadre
extérieur, exogame. Pour l’analyste, comme Jung (1944, p.25) le dit en critiquant ceux qui
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Clinique"
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La"chimère"transférentielle"
Il peut sembler que cela revienne finalement à réaffirmer que l’analyste doit
être, autant que faire se peut, dans une attitude exogame, tout autant vis-à-vis de lui-même,
de ces parts de lui-même qui lui sont étrangères, que vis-à-vis de son analysant. Alors
l’activation des investissements endogames et incestueux pourra se faire sans que le moi de
l’analyste s’y soit trop impliqué, en tout cas sans qu’il s’y identifie. Dans le cas contraire en
effet, compte tenu de l’étayage pulsionnel et corporel du narcissisme, une forte activation
de l’aspiration à l’inceste à la mère ne pourrait qu’entraîner un passage à l’acte sexuel ou
d’emprise (les dangers de l’affinité dont parle Jung), à moins que des résistances contre-
transférentielles ne réduisent cet investissement à zéro (par exemple quand le surmoi doit
prendre le relais d’une déficience du soi éthique chez l’analyste : quel analyste ne s’est pas
au moins une fois « accroché à son fauteuil » pour ne pas céder à la tentation d’un passage à
l’acte ?). Et il faut parfois bien longtemps à l’analyste pour se dégager suffisamment de ces
résistances (d’autant plus fortes et fréquentes que c’est souvent là où son soi est blessé que
se noue le transfert avec le soi blessé de l’analysant) afin que cette dynamique de la chimère
transférentielle puisse prendre toute la place qui lui est nécessaire dans l’entre-deux de la
relation analytique. C’est un travail sur le contre-transfert qui doit se reprendre avec chaque
analysant, et, bien souvent, de nombreuses fois au décours d’une même cure. Et, surtout,
c’est un travail qui, à chaque fois, confronte l’analyste encore et encore à cette part de
destructivité pure, inélaborable et non assignable à l’un ou à l’autre des deux protagonistes,
qui constitue un reste de tout travail d’élaboration, de toute reprise des processus de
déintégration et réintégration. Telles sont, de mon point de vue, les conditions de
l’émergence du sujet : De même que l’inconscient, le Soi est la donnée existant a priori dont naît le moi.
Il préforme en quelque sorte le moi. Ce n’est pas moi qui me crée moi-même : j’adviens plutôt à moi-même.
(Jung 1942, p.281).
3.4 La!chimère!transférentielle,!un!soi!partagé!?
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ces contenants ici représentés de manière rigide étant en fait bien plutôt des attracteurs
dont la combinaison délimite, dans l’espace des phases des dynamiques considérées, un
espace au sein duquel ces dynamiques peuvent être maintenues. Ce point sera repris plus
loin.
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La"chimère"transférentielle"
3.4.1.1 Nymphéa"
Figure 46 : Nymphéa
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pouvait alors dire à son analyste : J’ai besoin de vos pensées, j’ai besoin d’une peau pour mes pensées.
(Martin-Vallas 2002).
3.4.1.2 Hélène"
Figure 47 : Hélène
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La"chimère"transférentielle"
3.4.1.3 Claire"
Figure 48 : Claire
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Clinique"
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3.4.1.4 La"fête"des"Mères"
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La"chimère"transférentielle"
4 Mouvements!déintégratifs!du!soi!de!la!
chimère!transférentielle!
4.1 Sophie!
Sophie est une femme de la quarantaine qui est venue me voir peu après son
arrivée à Grenoble ; elle avait quitté son lieu de vie précédant quelques années après le
suicide de son mari et était en état de grande souffrance intérieure. Nous avons alors
travaillé dans un cadre analytique classique dans la pratique jungienne, deux séances par
semaine sur le divan, l’essentiel de notre travail ayant alors tourné autour de la relation
sadomasochiste que sa mère avait entretenue avec elle durant son enfance, une mère
probablement très frustrée et blessée des longues absences professionnelles de son mari.
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cette situation comme j’aime le faire à ski, c’est-à-dire en ne me fiant qu’à ma sensation, et
cette sensation était claire : Sophie n’avait pas atteint le terme de son travail avec moi.
En fait, durant toutes ces années, un point n’avait jamais pu être clairement
abordé, précisément ses mouvements érotiques vis-à-vis de son analyste, et ceci malgré
quelques rêves pourtant sans équivoque : à chaque fois que cela se produisit sortait d’elle
un cri très particulier, un cri de détresse profonde, comme le cri d’un nourrisson dont les
mouvements spontanés restent sans réponse durant un temps trop long. Et ce cri était
associé à une pensée fixe : elle ne pouvait admettre que de tels désirs existent puisque le
cadre de notre travail interdisait leur satisfaction agie. Mais son cri ne me touchait pas
vraiment, et cette pensée qu’elle exprimait ne m’atteignait décidément pas : je restais froid à
sa souffrance105. Je ne pouvais en fait, dans ces moments là, que sentir intensément de forts
mouvements érotiques entre nous et la nécessité d’aller sans retenue dans cette direction,
quitte à y perdre les repères de notre cadre de travail. Habituée à s’appuyer sur ce qu’elle
sentait de ma position intérieure, elle a accepté après quelques hésitations, et des moments
de forte révolte, de poursuivre son analyse et nous sommes passés à une autre phase de
notre travail.
C’est trois mois après qu’eurent lieu les séances qui vont nous occuper ici :
105 : C’est une constante contre-transférentielle de l’expression du clivage du soi : l’analyste ne se sent pas
touché par l’analysant, comme s’il était lui-même désaffectivé ; c’est là un effet du gel de la part clivée du
soi, donc du gel du geste spontané par lequel les humains communiquent instinctivement entre eux, en-
deçà du langage.
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La"chimère"transférentielle"
source dans son corps ce qui, jusqu’alors, était plutôt rare. Je partageai bien volontiers son
apaisement.
Seconde séance, mardi : Après qu’elle soit revenue sur son apaisement de la
veille, j’ai relié cette obscénité incestuelle de son père avec l’attitude de sa mère, incestuelle
aussi, quand elle entretenait avec elle des relations sadomasochistes pour compenser
l’absence de son mari ; enfin, j’ai évoqué ses angoisses à l’évocation des mouvements
érotiques qu’il pouvait y avoir en elle à propos de l’analyste : celui-ci pourra-t-il les entendre
sans les reprendre à son compte ? Pour la première fois, elle put entendre l’existence de ces
mouvements sans angoisse et envisager de dénouer la barrière infranchissable qui lui
interdisait l’accès à tout un pan de sa vie fantasmatique érotique.
Troisième séance, jeudi : Elle arrive et dit de suite : Hier, pour la première fois, je
me suis dit que j’avais un fond dépressif, puis j’ai pensée à la fin de l’analyse et ai ressenti de la tristesse à
laisser quelque chose que j’aime, ce qu’elle a corrigé après en disant : J’étais triste à l’idée de vous
quitter. Alors elle put retrouver tout un pan heureux et vivant de son enfance avec ses
grands-parents, ce qu’elle avait déjà rapidement évoqué, mais sans jamais me le faire
partager dans l’éprouvé contre transférentiel.
J’ai ainsi pu comprendre que la rudesse de mes mots était nécessaire pour
rejoindre une certaine rudesse de ces grands-parents, rudesse rassurante parce que tendre et
sans ambiguïté : un de ses souvenirs les plus apaisants était le corps à corps avec son grand-
père sur les genoux duquel elle pouvait se sentir en totale sécurité pendant qu’il lui racontait
des histoires. De cela, je ne lui ai rien dit.
J’ai aussi compris pourquoi sa position favorite dans l’acte sexuel, comme elle
me l’avait dit à l’occasion d’un rêve érotique avec l’analyste, est une position où elle peut
sentir le corps de son partenaire dans son dos, et j’ai pu lui dire qu’il me semblait qu’ainsi
elle pouvait vivre pleinement les mouvements pulsionnels de l’acte sexuel, sans en être
menacée ; elle a de suite confirmé en associant sur d’autres situations où elle trouve une
sécurité dans un contact du dos, alors que le regard, qui lui évoque sa mère, est toujours
susceptible de devenir menaçant. Nous étions alors tous deux parfaitement conscients de la
présence de son analyste dans son dos.
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4.2 Déintégration!et!réintégration!dans!le!transfert!:!
4.2.1 Du"côté"de"l’analyste"
C’est alors du côté du soi de l’analyste que quelque chose peut éventuellement
se dénouer, comme cela a pu se faire avec Sophie. C’est l’analyste qui doit accepter qu’une
part de son soi se déintègre et que naisse en lui un geste spontané, un geste susceptible de
toucher l’analysant en ce lieu de son soi resté déintégré. Et ce n’est pas là une mince affaire,
car l’analyste, s’il est suffisamment différencié — ce que l’on peut espérer — se trouvera
alors aux prises avec des mouvements pulsionnels d’autant plus forts que la déintégration
sollicitée par ce type de transfert est importante. C’est en tout cas là une donnée de
l’expérience de nombre des analystes avec qui j’ai pu échanger à ce sujet.
106 : Il y aurait là beaucoup à dire, la spontanéité du nourrisson avec les adultes étant toujours plus ou moins
empreinte de sexualité, en tout cas dans le ressenti des adultes (ce qui conduit une mère suffisamment
équilibrée à se tourner vers son homme pour satisfaire ses besoins sexuels, et introduit ainsi le père
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La"chimère"transférentielle"
C’est ainsi qu’il peut sembler que l’en deçà de la sexualité est d’ordre
archétypique, et qu’il repose précisément sur la déintégration du soi et le geste spontané qui
l’accompagne, cet ensemble ayant une double visée : d’une part l’établissement de relations
suffisamment satisfaisantes avec l’extérieur, et d’autre part la différenciation interne et
l’épanouissement différencié des différentes dynamiques archétypiques. Ainsi envisagée la
comme tiers dans la relation avec le nourrisson — Lemaitre 1991). Mais il y a plus, puisque l’on constate
que les enfants qui n’ont pas reçus la tendresse dont ils avaient besoin sont bien souvent hyper excités
sexuellement, ce qui donne à penser que la sexualité instinctive est déjà bien présente à l’origine,
probablement comme un élément déintégré du soi primaire ; c’est alors la réintégration de cet élément
dans la relation à l’adulte qui permet sa représentation et tout le jeu de la sexualité infantile tel que décrit
par Freud.
107 : C’est là une question difficile sur laquelle les anglais, élèves de Fordham, sont eux-mêmes divisés : ces
mouvements de déintégration de l’adulte et/ou de l’analyste sont-ils à l’origine de l’identification
projective, ou sont-ils différents dans leur nature ? Il peut paraître préférable de différencier ces
phénomènes, et de réserver le terme d’identification projective aux défenses archaïques du moi, alors
que la déintégration dont il est question ici est bien du côté des défenses du soi. La différence implique
une attitude clinique différente, puisque la visée de l’identification projective est alors de donner à vivre
à l’autre une part de soi que l’on ignore et que l’on peut ainsi tout à la fois retrouver et nier au travers du
vécu de l’autre, alors que la déintégration cherche à vivre avec l’autre une possibilité de réintégration qui
n’a pas été vécue en temps utile. Mais évidemment ces deux dynamiques peuvent être intriquées, auquel
cas cette distinction peut devenir défensive du côté de l’analyste.
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sexualité est l’incarnation de la dynamique du soi dans le corps du sujet108, telle qu’elle a pu
s’y inscrire au cours de l’enfance ; ce serait alors en fonction de la qualité de cette
inscription corporelle première qu’elle pourra ou non suivre les transformations corporelles
de l’adolescence.
C’est ainsi que le soi de l’analyste a pu lui proposer un chemin qui la conduise
jusqu’à cette part d’elle-même restée jusqu’alors en retrait du processus transférentiel.
4.2.2 Du"côté"de"Sophie"
Pour comprendre que Sophie ait pu enfin dire non à son père, il faut supposer
que la part clivée de son soi a du suffisamment éprouver la position de son analyste, et y
trouver un étayage suffisant pour pouvoir, non pas encore se réintégrer, mais bien plutôt se
laisser aller à ce geste spontané qui fut, à ce moment-là, le refus adressé à son père d’une
telle relation. Le mouvement de réintégration a alors pu se faire lors de la séance qui suivit,
et où elle put éprouver la réponse de son analyste comme une confirmation de la justesse
de ses propres mouvements spontanés : le bien-être qu’elle en a ressenti témoigne de cette
homéostasie retrouvée.
108 : Et alors elle deviendrait pulsion sexuelle au sens freudien du terme. C’est en tout cas une condition
nécessaire à la possibilité même de la sublimation, fondement de la dynamique du processus
d’individuation.
109 : Il y là un point souvent constaté en clinique : le vécu incestuel — et a fortiori incestueux — est source
d’un clivage du soi chez l’enfant qui en est victime, probablement du fait qu’au lieu d’être apaisante,
l’attitude par trop incestuelle, et a fortiori incestueuse, d’un adulte envers un enfant est excitante et
bloque ainsi la possibilité de réintégration ; quand ce type de réponse est trop fréquente (ambiance
incestuelle) ou trop forte (passage à l’acte incestueux) le soi de l’enfant ne peut poursuivre sa maturation
qu’au prix d’un tel clivage.
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La"chimère"transférentielle"
Il y a là une dynamique qui s’est enfin remise en route, mais il faut bien garder
à l’esprit que ce n’est que le point de départ d’une nouvelle possibilité d’intégration de la
part clivée du soi, et non un aboutissement. Comme le dit Fordham, ces expériences de
déintégration et réintégration doivent se répéter encore et encore jusqu’à ce que la
différenciation interne soit suffisante, afin que les dynamiques archétypiques restées
prisonnières de la part clivée du soi puissent se déployer et s’intriquer intimement avec
l’autre part du soi qui, ainsi, retrouve son unité dynamique : le processus d’individuation
peut alors retrouver son sens et l’analyse arriver à son terme.
4.2.3 Dans"le"transfert"
Dire, comme ici, que quelque chose doit s’élaborer du côté de l’analyste est
devenu classique, mais pose la question du comment cela peut se faire. En effet, les
processus ici étudiés sont avant tout inconscients, autant du côté de l’analyste que de celui
de son analysant. La question se pose donc des modalités qui permettent à une
problématique psychique de l’analysant de se retrouver au sein même de la psyché de
l’analyste et, surtout, qui permettent en retour une transformation au sein même du
psychisme de l’analysant.
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Enfin, comme dans les autres situations cliniques étudiées dans ce travail,
l’analyste ne pouvait à aucun moment savoir ce qui se déroulait inconsciemment entre lui et
son analysante. Il ne pouvait que maintenir sa position éthique et analytique, en suivant le
cours associatif que ce transfert lui donnait à vivre. C’est ainsi qu’il put trouver le ton et les
mots justes, ou, plutôt, que le ton et les mots justes ont pu le trouver, et ceci au bon
moment, le kairos des anciens111.
110 : C’est bien, ici, l’analyse — et non l’analyste — qui contient le processus.
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5 Temporalité!de!la!chimère!transférentielle!
5.1 Différentes!temporalités!
L’accès à la temporalité n’est pas chose facile et n’a rien d’évident pour les
humains que nous sommes. Certes, nous pouvons assez facilement — et intellectuellement
— comprendre que le temps s’écoule de manière irréversible et, si nous voulons l’ignorer,
la réalité de notre corps ne manque jamais de nous le rappeler, tant à l’enfant qui grandit, à
l’adolescent qui se transforme, qu’à l’adulte qui mûrit avant de s’affaiblir. Mais ce temps, là,
n’est que celui d’un monde réel, objectif, monde réel dont l’expérience éprouvée s’oppose
souvent aux vécus subjectifs qui l’accompagnent et qui, si nous y sommes attentifs, sont
multiples et contradictoires.
5.2 André,!ou!de!la!fin!des!temps!au!temps!de!la!fin!
La fin des temps : très vite, André s’y trouva confronté, avant même sa
naissance, quand son grand-père maternel répudia sa fille alors enceinte hors mariage, puis
quand il eut trois mois et que sa mère se trouva enceinte de son frère, et enfin à un an, la
naissance de ce frère l’ayant privé presque définitivement de l’amour maternel, amour bien
trop absolu pour pouvoir être partagé.
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Quelque vingt-cinq ans plus tard il me fut adressé par un collègue psychiatre
qui, selon toute vraisemblance, ne savait que faire de ce jeune adulte totalement « paumé »,
hésitant entre la folie déclarée et la désinsertion totale, histoire, dans les deux cas, de
trouver enfin un temps qui soit celui de la fin. Peu avant il avait été exempté du service
militaire, et le diagnostic de schizophrénie avait été évoqué, diagnostic que mon collègue
m’avait fait suivre.
Il nous fallut dix ans d’analyse, à raison de trois séances par semaine sur le
divan, pour en arriver à pouvoir envisager le temps de la fin, non pas tant la fin de l’analyse
(qui se poursuit toujours aujourd’hui) que la fin de ce temps mort, temps mort qui a été le
pain quotidien des dix premières années de notre travail. L’étrange est que ce ne fut pas
long. Non. Pour que ce le fut, il eut fallu une durée, un temps, or, précisément, il n’y en
avait pas. Ces séances n’étaient que des trous dans mon emploi du temps, des trous hors du
temps, où nous étions tous deux dans l’errance d’une recherche qui ne se savait même pas
être une recherche (la recherche suppose l’idée d’un à venir) et qui pouvait d’autant moins
savoir ce qu’elle recherchait.
J’ai vainement tenté — car il me fallait bien tout de même essayer d’introduire
un minimum de sens dans ce néant — d’interpréter la souffrance d’André en termes
d’abandon, de rupture, d’amour et de haine, mais il ne pouvait m’entendre. Mes
interprétations étaient immédiatement reprises, fétichisées, totémisées, avant d’être
atomisées et de disparaître ainsi, et nous avec, dans le néant de l’éternité. Moi-même j’avais
fétichisé le rêve de l’astronaute, je l’avais placé, tel un totem protecteur, dans un coin de ma
112 : afin de pouvoir s’occuper de son nouveau-né la mère d’André avait obtenu de lui qu’il soit propre à 12-
13 mois.
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mémoire, mais il était inaccessible à ma réflexion. J’avais bien trop peur de ce qui, d’emblée,
m’avait paru évident : il n’y avait aucune issue.
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comprendre quoi que ce soit tant ma pensée était, avec lui, enfermée dans le temps
circulaire du mouvement orbital.
J’avais le sentiment que la ponctuation des séances était utilisée par André
comme les temps de mise sur le pot de chambre de son enfance, et effectivement il
m’amenait, avec une ponctualité tout à fait insupportable, ses productions oniriques. Il faut
dire que j’avais eu la malheureuse idée, en lui présentant le cadre, de lui proposer d’écrire
ses rêves et de me les amener… Il me les amenait donc, non pour les travailler avec moi,
mais pour que je regarde leur bonne constitution et que je m’empresse, après l’en avoir
complimenté, de tirer la chasse, tirer la chasse, c’est-à-dire refermer indéfiniment le temps
sur lui-même.
C’est ainsi, à notre surprise commune, qu’un jour mon affect ne vint plus au
rendez-vous par lui fixé. Il me dit alors, dépité, mais aussi soulagé, Tiens, je n’arrive pas à vous
mettre en colère aujourd’hui ! Telle fut la première apparition d’un temps de la fin, la première
mise au présent, un présent où André était là, vivant, parlant, me parlant.
Ce qui m’a frappé dans cette séance, ce fut surtout ce mélange de satisfaction
et de regret que je perçus, pour la toute première fois, dans son ton de voix. Le regret est
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évident : il n’avait pu faire magiquement apparaître mon affect, au contraire de toutes les
autres fois. Mais quelle était la satisfaction ? Probablement de me sentir présent malgré
mon « absence », présence dont attestait sa capacité d’en parler, de m’en parler, à moi qui
étais toujours là, bien que n’étant plus le même. Le temps était ouvert, le présent pouvait
être jaugé à l’aune du passé, et se percevait, non dans la seule absence ou dégradation d’un
passé idéalisé, mais aussi dans une différence qualitative ouvrant à l’inconnu, autant à
l’inconnu de l’autre (mais qui est-il cet analyste qui n’est plus le même ?) qu’à l’inconnu de l’avenir
qui peut, enfin, être aussi un à venir.
5.3 La!temporalité!circulaire!objective!
Dans une telle temporalité, le présent n’existe plus et seule peut exister une
flèche temporelle abstraite, inéluctable et destructrice. Le passé ne peut mener qu’à la
disparition de toute chose, le présent ne pouvant être que le témoin de leur usure, de leur
dégradation, usure et dégradation mesurées à l’aune d’une origine figée, idéalisée. Dans
cette temporalité « hors du temps », le présent se trouve écartelé entre deux extrêmes
inaccessibles qui se trouvent d’ailleurs confondus, ce qui peut être représenté comme un
cercle qui parcourt, toujours identique à lui-même, la ligne théorique du temps [Figure 51
— Figure 52] :
Avenir / Passé
Présent
Flèche du temps
Passé / Avenir théorique/abstrait
Figure 51 : Temporalité circulaire objective — A
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Flèche du temps
théorique/abstrait
Avenir / Passé
Présent
Passé / Avenir
Figure 52 : Temporalité circulaire objective — B
La question qui se pose alors est celle-ci : quand un patient, tel André, se
trouve enfermé dans cette temporalité circulaire objective, qu’est-ce qui peut faire qu’à un
moment donné cette bulle s’ouvre sur une autre forme de temporalité ?
5.4 La!temporalité!linéaire!objective!
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Futur
Passé
5.5 La!temporalité!linéaire!subjective!
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Passé investi
Remémoration Élaboration
Présent
Passé
mythique Avenir
C’est ainsi que l’ensemble des traces mnésiques, qui constituent le passé, ne
peut plus être simplement appréhendé d’un point de vue instinctuel, mais qu’il nécessite
une réélaboration permanente afin d’être intégré au vécu, devenu subjectif, du présent.
C’est cette élaboration du passé qui ouvre une perspective d’avenir, d’à venir.
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5.6 Le!kairos!
Le temps de l’opération technique n’est pas une réalité stable, unifiée, homogène,
sur quoi la connaissance aurait prise ; c’est un temps agi, le temps de l’opportunité à saisir,
du kairos, ce point où l’action humaine vient rencontrer un processus naturel qui se développe
au rythme de sa durée propre. L’artisan, pour intervenir avec son outil, doit apprécier et
attendre le moment où la situation est mûre, savoir se soumettre entièrement à l’occasion.
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Jamais il ne doit quitter sa tâche, dit Platon, sous peine de laisser passer le kairos, et de voir
l’œuvre gâchée. (Vernant 1965 p.317)
Ce processus naturel qui se développe au rythme de sa durée propre est une bonne
définition d’un aspect essentiel du transfert, de ce qui se déroule entre l’analyste et son
client, et qui échappe autant à l’un qu’à l’autre, bien que se constituant des deux, la chimère
transférentielle. Elle est là comme une syzygie originaire des énergies instinctuelles les plus
primaires, énergies dont le caractère sexuel est à la fois évident dans les éprouvés
d’excitation corporelle qui l’accompagnent — parfois très consciemment —, mais dont ce
caractère sexuel est, dans le même temps, absent, ces énergies ignorant tout de l’autre, de la
différence des sexes.
Un autre point : ce qui fait l’énigmatique est, précisément, le double sens d’un
signifiant, tout à la fois parfaitement compréhensible, car congruent à l’instinct et
incompréhensible, car étranger à ce même champ. C’est là une propriété qui se retrouve
dans deux domaines du champ de la physique : le principe de superposition d’états de la
mécanique quantique et celui de la bifurcation des dynamiques complexes ; soudain, ce qui
faisait simplement évidence devient, comme le dit le langage courant, ambigu. Et ce n’est
certainement pas un hasard si le langage courant parle d’ambiguïté au sujet de tout énoncé
sexuel, même celui qui, dans l’évidence de son objet, ne présente aucune ambiguïté
apparente.
C’est ainsi que le kairos peut être envisagé comme le surgissement, le plus
souvent dans la surprise partagée (et pas toujours dans une valence positive), d’un véritable
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La"chimère"transférentielle"
mouvement érotique (de vie ou de mort) qui vient faire effraction dans la bulle ou la spirale
du temps objectif pour l’ouvrir à la possibilité d’un mouvement de subjectivation. Il
apparaît ainsi que cette notion, qui n’est pas explicite dans les approches psychanalytiques
non jungiennes, ne leur est pas pour autant étrangère. En témoigne un autre exemple,
ancien, quand, parlant de l’effet de surprise, Reik (1933) écrivait que les véritables et intimes
compréhensions psychanalytiques apparaissent comme des surprises pour l'analyste et pour
l'analysant (cité par Prado de Oliveira 2001).
5.7 La!catastrophe!transférentielle!
Si l’on accepte l’idée qu’une catastrophe est un changement subit d’état113, alors
les notions de séduction originaire et de kairos peuvent être assimilées à une catastrophe.
Dans un article de 2005, Hogenson relate une expérience effectuée par Back (1996) : avec
ses collègues, il laissa tomber lentement des grains de sable sur une table, jusqu’à ce que
ceux-ci forment un tas, tas qui grossit progressivement en prenant une forme de cône. Au
fur et à mesure que le cône grossissait, il devenait plus haut, en même temps que sa base
s’élargissait : la dynamique de croissance de ce cône était parfaitement linéaire. Mais arrivé à
un certain point, et sans que cela ne soit prévisible, l’ajout d’un seul grain de sable finit par
provoquer une avalanche catastrophique et l’effondrement du cône. C’est là une brisure de
symétrie et l’apparition d’une dynamique chaotique, tout du moins jusqu’à ce que l’ajout
des grains de sable suivants aboutisse à ce qu’un nouveau cône se forme.
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Cependant, cela suggère aussi que nous devrions reconsidérer son idée de la période
précédant la transition, apparemment du brouillard uniquement, comme « précritique » plutôt
que comme sans effet thérapeutique — ceci ayant des implications importantes pour la
conduite des supervisions de telles situations.114
5.8 Courbe!de!bifurcation!et!différentes!temporalités!
De même que la séduction originaire vient faire effet d’effraction sur les
attentes instinctuelles de l’infans, la notion de bifurcation dans la dynamique des systèmes
complexes entraîne un changement de régime soudain et, le plus souvent, imprévisible
(sauf pour les systèmes complexes parfaitement connus tels qu’ils peuvent se présenter en
laboratoire, non dans la réalité naturelle du monde). Il peut, ainsi, être intéressant de porter
un regard sur le changement de régime de la temporalité de cette cure de René en référence
à cette dynamique des systèmes complexes.
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La"chimère"transférentielle"
Cette courbe comporte quatre régions représentant des états dynamiques fort
différents ; de gauche à droite :
• Un état d’extinction où, quelle que soit la valeur de k, la valeur d’équilibre est nulle.
• Un état de dynamique linéaire où, pour une valeur donnée de k, la valeur d’équilibre est
unique.
• Un état de dynamique périodique où, pour une valeur donnée de k, la valeur d’équilibre
oscille périodiquement entre 2, puis 4, puis 8, etc., valeurs.
• Un état chaotique où, pour une valeur donnée de k, la valeur d’équilibre n’existe pas, de
telle sorte qu’elle semble pouvoir se retrouver de manière aléatoire dans un espace
délimité par les frontières de la courbe.
• Enfin, au sein même de la zone de dynamique chaotique, existent des zones où la
dynamique redevient transitoirement périodique, la valeur d’équilibre du système
oscillant alors entre plusieurs valeurs.
• L’état d’extinction est un état d’éternité : le temps ne s’écoule pas, ce qui peut
correspondre tout autant à l’état du soi primaire qu’à celui du soi gelé, tous deux décrits
par Fordham.
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Clinique"
5.9 L’archétype!:!structure!symbolique!vs!structure!
instinctuelle!:!
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La"chimère"transférentielle"
Dans cet article, Hogenson ne différencie pas l’archétype en tant que structure
symbolique, de l’archétype en tant que structure instinctuelle. Jung lui-même est souvent
peu clair sur ce point, parfois parlant de l’archétype comme évidemment symbolique,
parfois notant qu’il possède deux pôles, instinctuel et symbolique (ou spirituel). Il est clair
que l’archétype peut être envisagé comme auto-organisé entre ses deux pôles, instinctuel et
symbolique, mais, dans la pratique clinique, ceci n’a, le plus souvent, rien d’évident. Soit il y
a un état suffisamment chaotique, et alors le processus d’auto-organisation symbolique est
perceptible, soit il y a un état stable, et seul le pôle instinctuel l’est, sans possibilité d’accès à
la symbolisation (comme ce fut si longtemps le cas pour André). Dans ce cas nous
sommes, dans la clinique, en quasi « prise directe » avec l’instinct, l’excitation pure,
inélaborable. La subjectivité de l’objet de la pulsion reste alors impensable, et les
comportements pervers, qui furent un autre des symptômes d’André, sont alors à redouter.
Ainsi, avec des patients comme André, tout se passe comme s’il y avait
régression de l’état chaotique à l’état linéaire, objectif et prédictible. Cela semble être la
conséquence des défenses du soi, qui inhibent le processus de déintégration/réintégration
(chaotique par essence), en maintenant un état apparent de soi primaire, au prix d’un
clivage du soi et du gel de la part clivée. Poussé à son extrême ce processus de régression
de la dynamique psychique atteint la zone d’extinction et s’accompagne d’un gel du soi
entier, non limité à l’une de ses parties clivées ; cela s’observe, selon Fordham, dans certains
cas d’autisme. D’un point de vue clinique il est alors nécessaire d’offrir au patient une quasi
parfaite prédictibilité de l’analyste dans le transfert, de telle sorte que ses défenses puissent
petit à petit se déliter avant leur effondrement (partiel, évidemment, comme ce fut le cas
pour André, au risque, sinon, d’un effondrement psychotique global). Mais est-il possible
qu’un analyste puisse être ainsi totalement prédictible à son analysant ? N’est-il pas un être
humain en proie à tous les aléas de sa propre existence ? N’est-il pas, aussi, largement
imprévisible à lui-même ?
Cela, en fait, ne se peut que si l’analyste accepte d’être lui-même contaminé par
les défenses du soi de son analysant, défenses qui conduisent à une déintégration de son soi
et à son clivage, durant les temps de séance tout du moins. Dans ce même mouvement, se
constitue, de par cette alliance défensive, la chimère transférentielle au sein de laquelle peut
progressivement se réduire le clivage du soi, de par la sécurité qu’apporte à l’analysant sa
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parfaite maîtrise du déroulement des séances, autant que de par la possibilité, du côté de
l’analyste, de supporter l’apparent non-sens de ce mouvement éprouvé par lui comme
uniquement mortifère. Dans le cas contraire, il ne pourrait que passer à l’acte, au mieux en
trouvant un bon prétexte à l’arrêt de l’analyse (ce qui fut considéré, et l’est parfois encore,
comme la bonne conduite à tenir devant ce type de transfert). C’est ainsi que l’analyste,
dans le cas d’André, put, malgré son fort sentiment d’inutilité et d’incompétence, rester
suffisamment réceptif et plastique aux effets de la chimère sur lui pour que la surprise d’un
changement imprévu de sa propre réponse puisse se produire. De là une véritable position
subjective de l’analysant a pu émerger, et l’analyse s’orienter vers un questionnement, lent
et progressif, de cette position.
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La"chimère"transférentielle"
6 Chimère!et!synchronicité!
Jung (1961, p.408) a écrit La vie est sens et non-sens, ou elle possède sens et non-sens ;
j’ai l’espoir anxieux que le sens l’emportera. Cette phrase peut paraître illogique. En effet, si la vie
est sens et non-sens, si l’un l’emportait sur l’autre, alors il n’y aurait plus de vie, puisqu’il lui
manquerait la moitié de sa substance. Mais, en même temps, est-il possible de vivre sans cet
espoir et sans cette angoisse ? Il ne semble pas. Il ne semble pas qu’on puisse accepter le
non-sens. Bien que l’on doive accepter son existence, il reste inacceptable. On doit toujours
faire avec, quand ce n’est pas lui qui fait de nous un autre que celui que l’on croit être.
Ainsi, il peut sembler que l’analyse, celle dont il est question dans ce travail en
tout cas, repose sur la non-négation du non-sens, sur le deuil de cette idée que, un jour,
tout prendra sens, sur le renoncement à la complétude ; c’est là la notion jungienne du soi
et du sacrifice : la totalité ne se peut qu’au prix du sacrifice de la complétude. Être
pleinement humain tel que je peux l’être, c’est l’être dans mon incomplétude, mon
infinitude. En référence à la théorie freudienne, il conviendrait de parler là de castration,
bien que ce fut à l’origine à un tout autre niveau de l’organisation psychique que Freud a
forgé ce concept ; et, en référence à la théorie kleinienne, de parler de position dépressive.
Mais il y a, pour Jung, plus qu’un interdit, plus qu’un manque, plus qu’un deuil de la toute-
puissance. Il y a aussi l’idée que les limites mêmes du psychisme sont indécidables : non
seulement je ne peux être complet, mais je ne peux jamais être certain de qui je suis et de qui
je ne suis pas.
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6.1 La!notion!de!synchronicité!selon!Jung!et!Pauli!
L’article de Jung (1952) sur la synchronicité est probablement l’un des plus
ardus qu’il ait écrits, l’un de ceux qui permettent le plus facilement des interprétations en
contresens à qui l’aborde trop superficiellement. Il est d’ailleurs douteux que cet article
puisse être compris dans ses implications les plus essentielles sans s’appuyer sur la
correspondance de Jung et Pauli (1932-58), correspondance dont une grande part traite de
cette question, et où Pauli reprend Jung dans des endroits où sa pensée n’est pas très claire,
hésitante, trébuchante à l’occasion. Pauli ouvre des questions que Jung approfondit, ce qui
donne à ce dialogue une dimension remarquable.
Il s’agit d’une patiente qu’il avait en analyse, et qui rêve d’un scarabée. Jung
laisse entendre que c’est une patiente qui commence à l’ennuyer sérieusement, parce que
complètement enfermée dans des raisonnements intellectuels défensifs, une pensée
purement opératoire dirait-on aujourd’hui, un animus défensif dirait un jungien classique.
Alors que cette patiente raconte son rêve, il entend frapper à la fenêtre ; il ouvre et rentre
un scarabée qu’il prend. Il dit que ce fut la première et dernière fois qu’un scarabée est
rentré par la fenêtre de son cabinet. Alors il donne le scarabée à la patiente, en lui disant :
voilà votre scarabée.
Il était quand même bien fou, Jung, pour faire ça. Sa patiente l’avait aussi
probablement poussé à bout. En même temps, il devait avoir une vraie fonction de
contenance, parce qu’il y avait de quoi faire perdre pied à sa patiente. Mais cette femme n’a
pas décompensé, bien au contraire ; Jung nous dit à quel point cet évènement lui a permis
de lâcher ses défenses rationalisantes qui stérilisaient tout le processus analytique. Il ne
nous dit pas ce que ça lui a permis, à lui, de lâcher.
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La"chimère"transférentielle"
Il commence par demander si, devant une telle émergence de sens, on peut
faire appel à la causalité. Est-ce qu’on peut dire : c’est parce que ma patiente avait rêvé d’un
scarabée qu’elle a attiré, par un effet de son psychisme, un scarabée qui est venu lui rendre
visite à sa séance ? Il répond non, ce serait une pensée magique. Il réfute donc là la notion
de causalité comme pouvant être efficiente à rendre compte de ces phénomènes. Il est
possible que croire que l’interprétation est ce qui fait sens dans la cure puisse être une telle
position de toute puissance magique de l’analyste. L’interprétation est un outil à la
disposition du moi conscient de l’analyste, mais le processus d’émergence du sens dans
l’analyse ne peut se réduire au seul usage de cet outil. Il est bien connu qu’il ne suffit pas
qu’une interprétation soit juste pour qu’elle ait des effets mutatifs. Inversement, certaines
interprétations, qui s’avéreront erronées dans la suite d’une cure, peuvent conduire à de tels
effets.
Il aborde alors une seconde hypothèse : Peut-on penser qu’il y a une finalité,
que quelque chose, dans la nature, avait un but pour cette patiente, et a donc envoyé le
scarabée pour lui permettre, par son entremise, de prendre conscience de choses dont elle
avait besoin de prendre conscience à ce moment-là ? Et là, il dit non, parce que pour
qu’une telle finalité existe il faudrait poser l’existence d’une prescience, ce qui serait une
démarche métaphysique, démarche qui n’est pas de l’ordre de la science, qui n’est pas la
sienne. À cet endroit-là, il paraît réfuter le point de vue téléologique qui, pourtant, est pour
beaucoup sa spécificité. À défaut de réfuter formellement ce point de vue téléologique,
dont nous avons vu qu’il n’est pas nécessairement métaphysique, il réfute en tout cas
formellement toute idée créationniste. Il est conduit aussi à poser que l’analyste qui croit
que les émergences symboliques de l’inconscient sont les guides du processus est,
pareillement, dans une position plus métaphysique qu’analytique, donc une position qui,
quand elle se présente dans toute son évidence à la pensée de l’analyste, doit pouvoir être
analysée, être considérée comme élément de la dynamique transférentielle, et non, comme
on peut parfois le lire sous la plume de quelques jungiens, une donnée de la « réalité ».
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objective dans l’histoire : le scarabée n’était pas un simple fantasme. Le point de vue
herméneutique pourrait, à la limite, rendre compte de ce qui se passe entre deux
subjectivités et du sens qui s’en dégage éventuellement, mais pas de la part de réalité
objective qui se trouve mêlée à la rencontre sans en être une conséquence causale. La
notion de co-construction du BCPSG (1998, 2005) peut être rapprochée d’une telle
position herméneutique, ce que corrige leur dernier article (2013), en se fondant sur la
notion d’énaction (Varela 1993). Ce n’est pas la seule rencontre subjective qui permet
l’émergence du sens. L’analyse n’est pas une pratique de l’herméneutique.
Cette idée du psychoïde est assez difficile à appréhender, car elle est étrangère
aux catégories habituelles de notre culture. En fait, elle suppose, pour être comprise, de
bien avoir suivi le cheminement par lequel Jung l’amène, à savoir qu’elle ne relève ni d’une
causalité magique, ni d’une téléologie métaphysique, ni d’une herméneutique imaginaire.
Elle ne relève que d’une nécessité logique : le psychoïde est ce qui permet que, de la
rencontre entre un sujet et la réalité de ce qui l’entoure, puisse émerger un sens.
Il semble que l’on puisse rapprocher cette notion de la place qu’ont prise les
mathématiques en physique depuis l’avènement de la relativité et de la mécanique
quantique, mécanique quantique qui a valu son prix Nobel à Pauli pour sa découverte du
principe d’exclusion. Ce fut, comme il a déjà été longuement développé, une révolution
épistémologique dont on est probablement encore loin d’avoir mesuré toutes les
116 : Il s’agit, en fait, d’une révision radicale de la notion de psychoïde qu’il utilise depuis sa vie estudiantine,
alors en lien avec le courant naturaliste auquel il s’est intéressé durant ses études de médecine. Par la
suite il a utilisé la même notion comme autre appellation de l’inconscient, entendant ainsi désigner
l’inconscient comme autant psychique que somatique (Addison 2009).
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conséquences. En effet, ces nouvelles disciplines ont cessé d’utiliser les mathématiques
pour modéliser une réalité d’abord accessible par l’expérience ; tout au contraire, elles
utilisent ces mathématiques pour pouvoir penser de nouvelles formes de réalité et les
rendre accessibles à l’expérience. Le rapport existant entre le modèle mathématique et la
réalité de l’expérience s’en est trouvé inversé. C’est ainsi qu’il semble possible de se
représenter les mathématiques comme émergence d’un savoir absolu 117 qui informe et
structure la réalité, la question étant alors de savoir si cette émergence est la seule accessible
à la conscience humaine. C’est à cette question que Jung et Pauli répondent par la négative,
pensant tous deux que les formes de nos représentations du monde sont elles-mêmes des
émergences de ce savoir absolu : le psychoïde informe et structure tout autant la matière
que la psyché, tout autant la psyché cognitive que la psyché symbolique, les deux étant
d’ailleurs indissociables, comme l’a montré Damasio (2006).
117 Probablement n’est-il pas inutile de rappeler que parler d’émergence ne signifie pas que ce qui advient
ainsi préexistait à son émergence. Ainsi envisagé le savoir absolu dont parle Jung est tout à fait étranger
à la notion de Dieu telle qu’envisagée par les religions. Il s’en rapproche, par contre, dans l’expérience
subjective qu’il peut induire, ce qui donna lieu à une part importante du travail de Jung sur le numineux.
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vie, dans la vie, autour de soi, dans le monde. Ainsi Bright propose d’utiliser la notion de
synchronicité pour rendre compte de la spécificité de l’analyse. Mais une telle approche
implique aussi que cette rencontre entre l’analyste et son patient ne soit pas une rencontre
comme une autre. Dans ce cas, en effet, l’émergence du sens serait barrée par la répétition,
cette même répétition qui, le plus souvent, a conduit l’analysant en analyse.
6.2 Geneviève,!ou!le!non]sens!de!l’inceste!
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La"chimère"transférentielle"
corps, de son sexe, et, dans le même mouvement, de son désir. C’est ce qui est arrivé à
Geneviève.
6.2.1 Clinique"
Cet ami m’a aussi raconté un rêve récent de cette femme, devenu rêve
inaugural pour moi, qui a été fait alors qu’il tentait d’orienter cette femme ailleurs, en plus
de chez lui.
Dans ce rêve, elle arrive à sa séance d’analyse, chez cet ami, elle va dans la salle
d’attente, et elle entend que la patiente de la séance précédente est en train de sortir, que son
psychanalyste la raccompagne, et, quand ils sont sur le pas de la porte, elle entend une
dispute, la patiente qui engueule le psychanalyste, qui lui dit que de toute façon elle va le
traduire en justice. Cette patiente part. Là, le psychanalyste va voir Geneviève, et lui dit qu’il
est vraiment désolé, mais qu’il ne pourra pas la recevoir. Dans le rêve, le cabinet du
psychanalyste est dans une petite vallée avec un torrent, c’est le chemin qu’elle doit prendre
pour rentrer chez elle. Elle prend son vélo et, pendant qu’elle est sur la route qui longe le
torrent, ce torrent se met à grossir, grossir, grossir démesurément, de telle sorte qu’elle n’a que
le temps de se réfugier dans une anfractuosité du rocher alors que tout est dévasté. Là, dans
cette anfractuosité, elle est dans un équilibre si instable qu’elle ne peut bouger, elle ne peut
faire le moindre geste.
Donc, quand j’ai reçu Geneviève pour la première fois, j’avais ce rêve en tête,
et j’y voyais à la fois une énergie de destruction impressionnante, énergie naturelle,
implacable, insensée, et un désir de vivre non moins impressionnant. J’ai de suite été frappé
du fait que, dans ce rêve, elle se retrouvait dans une situation où le moindre mouvement
pouvait la précipiter à une mort certaine. Mais je ne m’attendais vraiment pas à ce que la
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situation réelle du transfert qui allait se nouer entre nous soit quasi identique à la situation
du rêve.
Quand je la reçus, elle me dit bonjour, entra, s’assit, et ne dit rien. Je ne sais pas
pourquoi, mais j’ai de suite senti que je devais mettre des mots sur ce silence, formuler des
hypothèses sur ce que moi j’imaginais qu’elle ne pouvait pas penser : en fait, j’ai de suite
imaginé qu’elle était sans pensée, ou, plutôt, avec une pensée pétrifiée.
Cette cure a duré plus de dix ans, à raison de deux séances par semaine. Les
quatre premières années, elle a parlé, en moyenne, trente secondes à une minute, et moi,
essayant désespérément de penser quelque chose, et de lui donner quelque chose à penser,
je devais bien parler deux ou trois minutes, voire quatre ou cinq quand j’étais
particulièrement en forme... C’était pour moi quelque chose d’épuisant, sans que je sache si
elle pouvait en tirer un quelconque bénéfice. Mais elle venait ponctuellement. Elle ne disait
rien, ne demandait rien, simplement elle venait, payait, prenait la feuille de remboursement,
et repartais.
Elle est dans un hôpital ; une infirmière vient la chercher et l’emmène dans une
pièce. Le sol de cette pièce est couvert d’excréments. Sur une table, comme une table
d’opération, est une espèce d’énorme insecte, comme une énorme sauterelle, qui est prêt à lui
sauter dessus pour la dévorer, et qui a la tête de sa grand-mère maternelle.
Avec le recul, je crois qu’en fait, ce qui m’épuisait n’était pas tant son silence
que le fait qu’il me paraissait totalement inaccessible à ma compréhension. Ses rêves
pouvaient me conduire à certaines pensées, mais sans que cela fasse véritablement sens
pour moi. Les tentatives de mise en mots que je faisais me paraissaient surfaites, plaquées,
artificielles. Autant son silence que ses rêves restaient donc des énigmes vivantes, et la seule
chose qui m’ait toujours été clair était que je ne devais pas me contenter de ces
interprétations plaquées qui me venaient. Il me fallait accepter d’être non seulement
impuissant, mais aussi sans pensée véritable, sans pensée qui fasse sens : la chimère qui
s’était immédiatement construite entre nous était ainsi faite de non-sens.
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Ça a duré comme ça pendant un peu plus de trois ans, et un jour j’ai été
complètement abasourdi : elle s’est mise à parler. Elle s’est mise à parler parce qu’elle avait
eu une panne de voiture, que ça avait été compliqué, qu’elle avait porté sa voiture chez le
garagiste, qu’il n’avait pas fait ce qu’il fallait, enfin elle parlait, comme n’importe qui d’autre.
C’était purement opératoire, un peu plaintif, par rapport au garagiste qui ne faisait pas ce
qu’il faut, mais elle parlait.
Ce qui en ressortit est que, dans son enfance, la vie lui apparaissait comme un
pur non-sens. Les adultes avaient un comportement qu’elle ne comprenait pas. D’abord, les
adultes ne la voyaient même pas. Et, quand ils la voyaient, manifestement ils attendaient
d’elle des choses dont elle ne comprenait rien, et ils avaient entre eux des relations qui lui
paraissaient totalement absurdes. La seule personne avec qui elle pouvait se sentir en
relation était sa sœur jumelle.
J’ai ainsi appris les circonstances de sa naissance. Sa mère a été enceinte alors
que son mari était à la guerre d’Algérie, et elle a accouché de deux jumelles. Donc cette
femme était seule, elle avait un fils, elle se retrouvait avec deux filles jumelles identiques
alors que tout était prêt pour un garçon, et, débordée, désespérée aussi, je crois, elle alla se
réfugier deux ou trois mois plus tard chez sa mère, la grand-mère maternelle de Geneviève,
celle du rêve de la sauterelle. Là, les deux femmes se sont partagé les filles, la sœur de
Geneviève pour la mère, et Geneviève pour la grand-mère. Et un jour, quelque six ou huit
mois plus tard, le père revint en permission, vit les deux femmes avec les enfants, et dit à sa
femme : tu pars, tu prends les enfants, tu quittes ta mère, tu rentres à la maison. Ainsi le bébé qu’était
encore Geneviève s’est vu séparé, brutalement et sans préavis, sans que cela puisse faire
sens, de celle qui lui servait de mère, par une parole de son père, une parole qu’elle décrit
comme extrêmement brutale, coupante, meurtrière, à l’image du père qu’elle connut
ensuite.
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Environ deux ans plus tard, il est revenu de la guerre et a réintégré le foyer. Il
connaissait le frère aîné, son fils, mais ses filles il ne les avait encore qu’à peine vues. Selon
elle, il n’a jamais pu en faire ses filles, et elles n’ont jamais pu en faire leur père, sinon peut-
être depuis quelques années. Après être revenu de la guerre, il a fait un quatrième enfant à
sa femme, et est née une petite sœur. La mère était fatiguée de sa grossesse et les deux filles
ont commencé à servir de « bonniches ». Le frère aîné était un garçon : pas question qu’il
fasse quoi que ce soit dans la maison ; la petite sœur était petite, et, quand elle a grandi, elle
est restée dans la même position : pas question qu’elle non plus ne fasse quoi que ce soit à
la maison. Ainsi les deux jumelles ont passé leur enfance à tout faire pour aider la maman :
le ménage, la vaisselle, le couvert, parfois même la cuisine.
Ensuite, elle m’a raconté des histoires de son adolescence. En fait, à l’école, elle
était extrêmement solitaire, alors que sa sœur jumelle était très liante, et liée avec les autres.
Sa sœur avait des relations, avec les autres filles, et même avec les garçons ; elle, rien. Je ne
comprenais pas pourquoi elle avait été, et restait en partie, ainsi incapable de relations avec
le monde des humains. Je comprenais d’autant moins que je savais que, durant quelques
années, elle avait vécu en ménage avec un homme. Je ne comprenais ni pourquoi elle était
en relation ni pourquoi elle ne l’était pas. Les deux me paraissaient n’avoir aucun sens.
Ce qui est ici énoncé en quelques mots est à peu près tout ce que j’ai pu
apprendre de sa vie en cinq longues années. J’ai bien essayé d’en savoir plus, notamment
sur la période d’éveil de sa sexualité, mais elle ne pouvait que répondre : je ne peux pas en
parler, sur un ton absolument sans appel.
Les séances étaient soit du silence, soit des paroles, et des paroles où elle
exprimait exactement ce qu’elle avait pu me dire de son enfance, c’est-à-dire que la vie des
autres lui paraissait n’avoir aucun sens. L’organisation de la vie au travail, l’organisation de
la vie sociale, ce qui se passait dans ses relations, tout ceci n’avait aucun sens pour elle. Et
sa parole était est absolument convaincante : effectivement, je ne pouvais que constater à
quel point le monde des humains n’a pas de sens. Ce n’est qu’une position de
rationalisation qui me permettait de me dire Bon, d’accord, elle a raison, mais pourquoi ? Pourquoi
a-t-elle raison ? Pourquoi a-t-elle toujours raison ? Pourquoi faut-il qu’elle ne voie toujours que le non-sens
des autres ?
Au fil du temps, alors que la tonalité des séances ne change pas, la tonalité de
l’entre des séances commence, elle, à changer. D’abord, elle rate des séances, mais,
évidemment, elle ne peut rien en dire. Puis elle finit par me dire que, quand elle ne vient
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pas, c’est parce qu’elle a bu : soit elle boit, et elle ne peut pas venir parce qu’elle est ivre
morte, soit elle a bu la veille, et elle ne peut pas venir parce qu’elle est morte de honte.
Là, elle se met à me téléphoner, elle se met à téléphoner quand elle a bu, et,
avec l’aide de l’alcool, elle parle. Elle parle pour crier à l’aide, elle parle pour me dire qu’elle
a besoin de moi. Elle parle pour me dire qu’elle ne veut pas mourir, mais qu’elle n’a pas
d’autre issue que de se donner la mort, mais qu’elle veut arriver à vivre, mais qu’elle n’y
arrive pas. Elle parle aussi pour me dire sa colère, sa haine, que notre travail ne lui serve à
rien, que rien ne change pour elle. Mais c’est en fait à mon répondeur qu’elle parle. Une
fois, j’ai décroché, et j’ai compris que cela lui avait fait violence : en décrochant le
téléphone, je suis devenu trop présent, et elle a alors eu l’impression que ses paroles me
détruisaient. Il lui a fallu deux semaines avant qu’elle puisse revenir aux séances, tellement
son fantasme de m’avoir tué lui était insupportable. De mon côté, loin de me tuer, sa colère
me touchait ; là, elle me paraissait vivante, accessible, humaine.
C’est peu après qu’elle m’a raconté un souvenir d’enfance, un souvenir qui m’a
fait froid dans le dos. Elle avait six ans. Elle était avec sa mère, et sa sœur. Les deux petites
accompagnaient leur mère qui faisait ses courses, dans un magasin de vêtements. D’après
ses propos je me suis représenté une mère qui pavanait en cherchant de beaux vêtements.
Geneviève a été prise d’une soudaine et pressante envie de faire pipi. Donc elle le dit à sa
mère, qui lui répondit qu’elle est en âge de se retenir. D’après elle, ça a duré longtemps, et il
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a ensuite fallu rentrer à la maison. Elle commençait à avoir très très mal, à force de se
retenir. À un moment, dans la rue, elle s’est aperçue qu’il n’y avait personne, et a demandé
à sa mère si elle pouvait faire pipi entre deux voitures puisqu’il n’y avait personne pour la
voir. Sa mère lui répondit qu’à son âge elle pouvait bien attendre d’être rentrée à la maison
pour faire pipi. Ce devait faire tout de même une petite heure qu’elle avait cette envie
pressante. Ainsi elle est arrivée à la maison, toujours en se retenant, conformément à
l’ordre de sa mère, et, là, elle ne pouvait plus uriner ; elle avait un globe, une crampe du
sphincter de la vessie qui ne peut donc plus se vider. C’est excessivement douloureux. Déjà,
cet épisode est violent. Ce qui suit le sera encore plus.
Naturellement, la mère a fini par appeler le médecin, qui est venu, et a sondé la
petite, un sondage urinaire. Là, elle me raconte que ce qui lui fut épouvantable, ce n’est pas
que le médecin l’ait sondée, mais c’est que, pendant ce temps, sa mère pavanait devant le
médecin qu’elle cherchait à séduire. Elle décrit une mère qui avait toujours besoin d’attirer
l’attention, de séduire. Ainsi, pendant une semaine, le médecin est venu matin et soir,
mettre une sonde urinaire entre les cuisses de cette petite fille de six ans, tout en n’ayant
d’yeux que pour la mère qui pavanait devant lui sans porter la moindre attention à sa petite
fille qui, là, n’était que son instrument pour séduire le médecin.
Il m’est apparu y avoir là quelque chose qui ne peut en aucun cas être réparé, et
dont j’ignore comment elle a pu vivre avec. Je ne sais pas pourquoi elle a choisi de vivre, je
ne sais pas pourquoi elle a envie de vivre, je ne sais pas comment on peut avoir envie de
vivre avec une telle histoire.
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La"chimère"transférentielle"
Donc j’en étais là, à me dire que je ne pourrai lui servir à rien, j’en étais là à me
sentir impuissant à l’aider, j’en étais là à me dire que c’était ainsi, que je n’y pouvais rien,
quand elle a fait un rêve, dont elle m’a parlé au téléphone, sur le répondeur, sans me le
raconter, et dont à la séance suivante, alors que je l’invitais à raconter son rêve, elle m’a dit :
j’ai tout oublié. Mais, deux heures après, il y avait dans ma boîte aux lettres le texte du rêve
qu’elle m’avait écrit :
6.2.2 Discussion"
Ce rêve semble surgir de nulle part, et fait sens dans un entre deux du transfert,
sans que nul ne puisse dire d’où ça vient, sans qu’aucune causalité ne puisse rendre compte
de ce moment d’émergence, de cette synchronicité au sens de Jung.
Il paraît certain que ce ne sont pas les interprétations, toutes plus ou moins
rationalisantes, de l’analyste qui ont fait grand-chose, si ce n’est, peut-être, en manifestant
ses tentatives infructueuses de rejoindre son analysante. Il paraît probable, par contre, que
l’énoncé de son souvenir d’inceste ait été déterminant, en permettant à l’analyste de se
défaire du peu d’espoir qu’il avait encore pour elle. Alors, enfin, il l’avait rejoint dans le
non-sens de son quotidien, et ils étaient tous deux ensemble à terre, ils se débattaient
ensemble.
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Clinique"
Cela se peut, évidemment, mais ne se retrouve pas dans la littérature : les cures
analytiques d’autistes y sont toujours décrites comme fort longues et éprouvantes pour les
thérapeutes. D’ailleurs, le rêve initial de Geneviève représente bien le temps qu’il faudra,
d’abord pour que cette crue dévastatrice puisse se résorber, puis pour que Geneviève
puisse oser bouger ne serait-ce qu’un orteil, c’est-à-dire pour que le processus de
déintégration/réintégration puisse reprendre, comme il se représente dans le dernier rêve
rapporté ici. Autant dire que le temps nécessaire à ce type de cure ne peut uniquement être
attribué à l’analyste, qu’il est tout autant nécessaire à l’analysant.
Il semble en fait, dans cette cure comme dans d’autres étudiées dans ce travail,
qu’il soit tout d’abord nécessaire qu’une certaine répétition puisse se mettre en place au sein
même du transfert, qu’ainsi une part de l’histoire de l’analysant soit remise en scène, sans
pour autant déboucher sur une même issue. Cela se retrouve avec Geneviève d’abord dans
l’effondrement qui précéda de peu sa venue à mon cabinet, effondrement consécutif à
l’injonction de son précédent analyste d’aller voir ailleurs, injonction qui fit probablement
écho à celle de son père qui entraîna la perte de la relation avec la grand-mère maternelle.
Mais, au contraire de son père, son précédent analyste l’avait éconduite afin que ses besoins
soient satisfaits. Une répétition, donc, mais sur un fondement éthique sans rapport avec ce
qui avait motivé son père ; pour lui, elle n’existait pas, ce qui fut d’ailleurs confirmé par la
suite. Une autre répétition de son histoire fut le chapelet d’interprétations que son analyste
lui proposa au fil des ans : aucune n’était susceptible de faire sens, en écho, là, à ce monde
des adultes qui était pour elle, littéralement, insensé. Mais là aussi, la différence provenait
d’une éthique de son analyste, dont les interprétations, pour insensées qu’elles aient été, ne
lui étaient pas moins adressées, témoignant de son existence pour l’analyste.
Il est ainsi possible de comprendre son dernier rêve comme représentant son
vécu dans le transfert, condensant l’ensemble de l’histoire transférentielle en quelques
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La"chimère"transférentielle"
scènes ; la répétition est bien là, partiellement, au début : l’analyste s’occupe de ses élèves, il
ne lui prête aucune attention, mais, à la différence de sa mère, il ne l’utilise pas comme faire
valoir pour séduire. C’est peut-être d’ailleurs ce qui la conduit à partir, et, là, c’est elle qui
séduit l’analyste, qui l’amène à jouer avec elle ce scénario primitif de l’homme qui course et
prend la femme de son désir, la libérant ainsi de l’emprise mortifère de sa mère, tout en lui
restituant un corps sexué.
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Clinique"
7 L’importance!de!l’éthique!
7.1 Une!séance!avec!Paul!
Paul est un homme d’une trentaine d’années qui est venu me voir sur les
conseils de son entourage. Ce qui m’a tout de suite frappé, dès le premier entretien, fut la
haine qu’il éveilla en moi : il ne fallut pas plus de quelques minutes pour que j’éprouve un
rejet épidermique envers lui, pour que le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles,
l’intonation de sa voix, la qualité de son regard, éveillent en moi le désir de le voir
disparaître ; d’ailleurs, je l’avais qualifié intérieurement de pervers, et ceci non pas au titre
d’un diagnostic étayé sur l’observation et la réflexion cliniques, mais bien plutôt comme
une insulte. Là où, habituellement, je me sens intérieurement disponible à accueillir
l’étranger qui se présente pour la première fois, je me trouvais très interloqué de ce que je
n’arrivais pas à trouver en moi cette disponibilité. Dans le même temps, cette idée d’avoir à
faire à un pervers était à l’évidence bien trop abrupte pour que je veuille m’y fier : je ne
pouvais que constater que quelque chose d’un transfert déjà en place entre lui et moi
m’avait immédiatement pris et placé en une position pour le moins inconfortable, ce qui, à
l’opposé de ce mouvement de rejet, éveillait plutôt mon désir d’en savoir plus, d’explorer
avec lui ce qui était à l’origine de ce mouvement qui, je m’en doutais déjà, était présent en
lui et contre lui : n’était-il pas venu me voir pour l’aider à sortir d’une dépression aussi
profonde que chronique ?
Le compromis que j’ai trouvé alors fut de faire durer les entretiens
préliminaires sur plusieurs séances (j’ai plutôt pour habitude de formuler le cadre et le
contrat après deux ou trois entretiens). L’autre aspect de ce compromis fut que je ne lui ai
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La"chimère"transférentielle"
pas formellement posé les termes du cadre analytique. En fait, j’avais aussi perçu que
l’intensité de mon rejet était liée à l’intolérable du rôle auquel il m’avait assigné : j’étais celui
qui sait et qui a pour mission de lui imposer, injecter ce savoir, dans une relation
nécessairement homosexuelle sadique, relation par laquelle je ferai de lui ma femme afin de
l’inséminer de ce qui lui manque pour se sentir homme — délicat paradoxe des
identifications homosexuelles nécessaire à l’accès à une position sexuée. Dans le même
temps, évidemment, il affûtait ses armes afin de m’émasculer préventivement : ce n’est
qu’en me réduisant à l’impuissance qu’il pouvait se défendre contre de tels fantasmes,
fantasmes qui, dès lors qu’ils n’ont pu s’élaborer dans une relation d’amour avec un père
sécurisant, renvoient bien plus à l’émasculation qu’à la castration. Je n’ai donc pas pensé
opportun de lui poser un cadre dont la rigidité nécessaire aurait pu être un support projectif
pour cet objet persécuteur, désiré et haï tout à la fois.
Nous avons ainsi commencé un travail en face à face à raison d’une séance par
semaine, et très vite l’intensité de mon rejet a diminué : mon patient devenait moins
défensif (à moins que ce ne fut moi-même) et me laissait entr’apercevoir l’intensité de sa
souffrance, la profondeur de sa blessure : je pouvais alors être touché. Ainsi, dès la
huitième séance, nous décidâmes de passer à deux séances par semaine, et ceci dès que
nous aurions trouvé un créneau horaire disponible.
La séance que rapportée ici est cette huitième séance. Dès son arrivée, il
m’avait demandé si nous pouvions regarder les possibilités horaires d’une seconde séance ;
j’avais pu lui proposer d’essayer de libérer un créneau et de lui donner ma réponse la
semaine suivante, ce qu’il avait accepté. Pourtant, voici que moins d’une minute après, il
considérait déjà la chose acquise, et je compris son impatience à venir plus souvent : il y
avait là quelque chose d’authentique que je me sentais enfin vraiment disposé à accueillir.
Alors il me dit : Je ne sais pas de quoi parler, quoi vous amener pour que ce soit le plus
profitable, je ne sais pas par quel bout le prendre. Puis il poursuit avec le même type de discours
manifeste, mais subitement sa voix a changé, elle est devenue plus grave, plus profonde,
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Clinique"
venant de son corps et non plus seulement de sa tête. Cela me soulagea et me détendit
intérieurement. Il termina en disant : Je me sens faible, ce à quoi je m’entendis répondre : sentir
votre faiblesse c’est du solide, il me dit oui de sa voix habituelle, à moitié nasillarde, désincarnée
et fort désagréable, il nota qu’il lui sera difficile d’accepter cette faiblesse, et surtout que ce
sera difficile pour les autres, et il conclut : J’accepte pas, j’arrive pas à l’accepter. Je relevai au
passage, pour moi-même, la régression sémantique de son langage habituellement si
peaufiné, et je lui répondis : Vous en avez peur. Il me dit Oui et chercha à expliquer cette peur
par des rationalisations que je ne pris pas la peine d’écouter.
Il reprit ensuite : En ce moment, je n’arrive pas à m’aider moi-même. Moi : Il est peut-
être difficile d’accepter que je vous aide : il faudrait vous aider vous-même pour ne pas avoir besoin de l’aide
d’un autre. Lui : Plus maintenant ; Pourquoi j’aurais peur d’être aidé ? Moi : Ça vous met en position de
faiblesse. Il poursuivit à côté et revint en disant : Par quel côté la prendre, cette faiblesse ? Moi :
Pour l’instant, c’est elle qui vous prend. Lui : Est-ce qu’il y a des livres qui peuvent aider à approfondir, à
m’approprier cela ? Je lui fis remarquer que c’était l’heure de la fin de la séance, et qu’il était
probablement inquiet de la semaine qu’il va passer sans moi avant la prochaine séance, que
les livres qu’il me demandait sont probablement pour lui un moyen de me garder avec lui,
et je l’assurai que nous pourrons continuer la semaine prochaine. En partant il me dit merci
avec une chaleur que je ressentis comme authentique, bien différente de ses précédents
remerciements qui étaient tout emprunts d’agressivité.
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La"chimère"transférentielle"
affects et ceci sans grand ménagement. Mais parler de dominance, donc se référer à
l’éthologie animale, c’est mettre de côté la dimension pulsionnelle, précisément le sadisme
qui a sous-tendu ma position tout du long de cette séance. Pourtant, dès ma première
intervention, quand je lui ai dit que sentir sa faiblesse, c’était du solide, j’ai perçu qu’il y
avait pour moi une véritable jouissance sadique, jouissance que j’avais tout intérêt à ne pas
perdre de vue. Et cette jouissance m’a accompagné tout du long de cette séance sans que je
lui résiste trop, mais aussi sans que je la perde de vue, c’est-à-dire sans que je la laisse trop
prendre la main. Je pouvais ainsi être intérieurement très calme, être dans l’accueil de cette
position sadique en moi, sans trop m’en défendre ni trop la juger, simplement en
constatant sa présence et en acceptant de suivre le chemin qu’elle m’indiquait pour la
conduite de ce début de cure.
Je ne savais évidemment pas où cela allait nous mener. J’avais cependant émis,
pour moi-même, l’hypothèse que cet homme pourrait interrompre sa démarche analytique
après avoir recouvré suffisamment d’énergie pour reprendre le cours de sa vie. Ce ne fut
pas vraiment le cas : il s’aventura tout de même quelques années dans l’exploration de ses
positions masochistes et put significativement s’en dégager.
7.2 La!déintégration!du!soi!éthique!de!l’analyste!
Dans cette séance, l’analyste a clairement perçu une perte de ses repères
éthiques internes dans ce qui lui est apparu comme une forme de dissociation
fonctionnelle : une part de son moi était toujours présente à la relation analytique, c’est-à-
dire en relation intime avec la fonction éthique du soi, alors qu’une autre part de son moi
était entraînée dans un jeu pervers, jeu du trickster (Jung 1954), qu’il percevait comme
s’ébattant gaiement entre eux deux, et, surtout, qu’il ne percevait plus comme venant
exclusivement du seul sadomasochisme de Paul : l’analyste avait totalement conscience, au
travers de sa propre jouissance, que ce sadomasochisme le concernait tout autant, qu’il
n’était, dans cette relation, pas moins « pervers » que son analysant.
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Clinique"
premiers temps de la constitution de la fonction éthique du soi telle que Solomon (2000a)
l’a développée. C’est, en effet, dès les tout premiers temps de la vie que l’objet est considéré
sous ses deux aspects, en tant qu’il est source de satisfaction d’une part, et en tant qu’il est
objet d’amour d’autre part. La déintégration attend de l’objet qu’il soit source de
suffisamment de satisfaction pour répondre aux attentes de l’archétype, c’est-à-dire aux
besoins instinctuels 118 et, si cette aspiration a été suffisamment satisfaite, la réintégration
donnera à l’objet une valeur en soi qui le rendra digne de tous les soins du tout petit. Il
n’est que de regarder la délicatesse et le soin extrême dont le nourrisson peut faire preuve à
l’égard du sein de sa mère pour se rendre compte que celui-ci est d’emblée perçu comme
objet, objet qui est évidemment encore partiel et qui, de plus, est susceptible de très vite
devenir persécuteur, et alors objet de la violence du nourrisson, dès lors qu’il cesse d’être
suffisamment satisfaisant. Mais cela a déjà été décrit maintes fois.
Ce qui se rejoua dans cette séance est ce qui peut se passer chez la mère face à
ces mouvements de déintégration et réintégration du tout petit. On observe en effet assez
facilement qu’il y a chez elle un même effet de seuil, à savoir qu’il lui faut à elle aussi que
son enfant soit suffisamment bon. L’enfant doit lui apporter la satisfaction d’avoir été
suffisamment satisfaisante pour lui, faute de quoi elle se retrouvera elle-même dans un état
de détresse semblable à celui de son nourrisson : cela se produit à chaque fois que la mère
ne peut trouver à satisfaire suffisamment son tout petit pour qu’il retrouve le niveau de
sérénité qu’elle attend de lui (réintégration du soi primaire). Très vite, la détresse maternelle
et celle de son nourrisson se confondent en une seule et même détresse, de sorte que la
solution ne peut venir du seul couple mère-enfant.
118 : Et les besoins instinctuels du petit d’homme ne sont pas, loin s’en faut, exclusivement biologiques : ils
incluent tout autant la tendresse, la sécurité, etc. comme c’est aussi le cas pour les autres primates et la
plupart des mammifères. Les travaux de Spitz (1945) en témoignent.
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La"chimère"transférentielle"
en lui étant étranger. L’agonie maternelle (au sens de l’agonie primitive décrite par
Winnicott 1974) peut alors être comprise comme une blessure de son propre soi du fait
d’une impossible réintégration de ce qui a été déintégré : il faut en effet supposer, pour
comprendre cette agonie, que ne peut être réintégré que ce qui a été suffisamment
satisfaisant, et qui a ainsi pu faire sens119.
Dans ces situations, que toute mère a connues, l’important est ce qui peut se
jouer alors entre la mère et le père, autant qu’entre le père et le nourrisson — que le père
soit réellement présent aux côtés de la mère, ou qu’il soit un objet de son seul psychisme,
c’est-à-dire physiquement absent. Il ne peut, évidemment, être fait ici une recension
exhaustive des différents types d’interactions qui peuvent alors se mettre en place entre la
mère, le père et le nourrisson ; il suffit d’en évoquer quelques grandes lignes qui pourront
aider à comprendre ce qui s’est passé pour l’analyste lors de cette séance.
Il semble en effet que l’on peut, dans un premier temps très schématique
(notamment parce que ne prenant pas en compte la différence ente l’objet père, interne au
psychisme de la mère, et le père réel), différencier trois axes d’organisation de la réponse du
père (Martin-Vallas 2003) ; dire trois axes, c’est poser un espace formel à trois dimensions
qui permet de situer la position du père, et non parler de trois alternatives qui s’excluraient
entre elles.
119 : Il convient ici de noter que ce qui est suffisamment satisfaisant pour la mère l’est aussi du point de vue
pulsionnel, de vie et de mort. Ainsi le processus de réintégration entre mère et bébé est par nature
asymétrique, une asymétrie qui rejoint la notion de séduction originaire de Laplanche déjà étudiée ici.
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Clinique"
même comme objet total, y compris dans cette détresse où la non-réintégration d’une
partie de son soi l’a plongée. En d’autres termes, c’est alors le sexuel génital qui vient
répondre à une détresse archétypique. Et c’est là, semble-t-il, qu’on peut parler d’une
fonction paternelle différenciée. Solomon (2004) partage cette position.
Si l’on revient à la séance avec Paul, il est intéressant d’observer la façon dont
le moi conscient de l’analyste était en relation avec cette autre part de lui-même qui, telle
une mère en détresse, ne savait plus que faire pour apporter calme et réconfort à son
patient-nourrisson. Ce qui était alors très étonnant pour l’analyste est que, tout en sentant
fort bien son dérapage technique, il n’était absolument pas en colère contre lui-même. Il se
sentait en fait dans une position de tendresse bienveillante envers cette autre part de lui-
même, simplement inquiet (très inquiet même par moments) de ce que ce dérapage ne
dépasse pas la limite de ce que le patient pouvait alors intégrer. La situation était là celle
d’une mère en détresse qui dit à son nourrisson qu’elle ne peut absolument pas lui donner
ce qu’il attend d’elle, mais qui, se sentant suffisamment aimée et contenue par l’amour de
son homme (amour en tant qu’objet total), peut s’adresser à ce nourrisson sans lui renvoyer
en miroir sa détresse. Le nourrisson peut alors se sentir lui-même comme objet total, et
ceci bien que son soi reste incomplètement réintégré. C’est probablement ce que Paul a
signifié à son analyste au travers de la chaleur de son remerciement.
Il n’en reste pas moins que théoriser ainsi l’intrapsychique de l’analyste peut
être extrêmement dangereux, en ce que cela pourrait justifier tous types de dérapages. Mais
ce danger n’est-il pas inhérent à la position même d’analyste ? Alors seule une conscience
aiguë de ce danger peut lui offrir le repère nécessaire à l’évaluation de ces situations qui ne
peuvent évidemment pas être analysées dans le temps de leur vécu. C’est du rapport que
l’analyste a pu tisser en lui-même avec la part perverse de son ombre que dépend le destin
de ce type de transfert. Le fait que Jung dise que le trickster est une figure du soi implique
d’ailleurs une telle attitude de l’analyste, malgré le caractère hautement pervers (au sens de
la perversion sexuelle infantile) du mythe amérindien du Fripon divin que Jung commente
ainsi (1954, p.128).
Quiconque fait parti d’un milieu spirituel qui cherche la perfection quelque part
dans le passé, doit se sentir étrangement frappé par le personnage du « Fripon ». Il est un
précurseur du sauveur et, comme lui, il est dieu, homme et bête. Il est à la fois sous-humain et
surhumain, car il est à la fois divin et animal et sa qualité prédominante et la plus frappante
est son inconscience. […] Il est inconscient de lui-même, au point de ne pas constituer une
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La"chimère"transférentielle"
unité et qu’il est possible à ses deux mains de se disputer l’une avec l’autre. Il détache aussi
son anus et le charge d’une tâche indépendante. Même son sexe est facultatif, malgré ses
qualités phalliques ; il peut se transformer en femme et mettre au monde des enfants. Des
morceaux détachés de son pénis, il crée des plantes utiles et ce fait rappelle sa nature
primordialement créatrice.
Le mythe [du Fripon] est étayé et cultivé par la conscience […], car c’est le
meilleur moyen de garder consciente la figure de l’ombre et aussi de l’exposer à la critique
consciente.
Cette critique consciente est l’essence même de ce qui constitue, pour Jung, une
position éthique, une position donc qui peut tendre à prendre en compte la totalité de
l’objet, de l’altérité de l’objet, de son être sujet. Cela, en effet, ne se peut dans l’inconscient
où sujet et objets ne sont pas unifiés ; ce n’est, là, pas la réalité de l’objet qui crée son
essence d’objet, mais c’est bien plus l’associativité psychique qui crée des objets internes à
partir de réarrangements spontanés (selon un processus continu d’auto-organisation) des
qualités dissociés des objets externes. Cela conduit à poser que la position éthique, telle
qu’abordée par Jung, n’est pas seulement considération de l’altérité de l’objet externe, mais
qu’elle est aussi considération consciente, mise en tension consciente, de l’écart entre cette
réalité de l’objet externe et sa ou ses représentation(s) comme objet(s) interne(s). Il apparaît
ainsi que, pour Jung, il n’y a que peu de parenté entre la position éthique, position active
d’une tenue de et par la conscience, et la soumission à un surmoi qui remplace la mise en
tension critique de l’ombre par la connaissance des actes qui sont permis, ou interdits, ou commandés
(id. p.193). Éthique et morale sont ici on ne peut plus clairement différenciées, de même
que les notions de soi et de surmoi120.
120 : Cela permet aussi de comprendre l’affirmation de Jung (1942 p.284) : Tant que le Soi est inconscient, il
correspond au surmoi de Freud et constitue une source de conflits moraux constants.
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Clinique"
pour être plus précis, ce que fait l’anus de son Fripon avec celui du Fripon de son
analysant. En effet, ce n’est pas tant entre l’analyste et l’analysant que se joua une telle
séance, même si leur présence à tous deux fut requise, mais bien entre les parts déintégrées
de l’analyste et de l’analysant, les moi de chacun conservant un regard conscient sur ce qui,
ainsi, se déroula entre eux sur une scène tierce, la chimère transférentielle.
Il apparaît aussi, dans cette séance, que si cette chimère transférentielle est
évidemment inconsciente, elle n’en est pas moins, à certains moments de l’analyse,
suffisamment agissante pour que l’analyste doive accepter d’en être l’acteur jusque dans le
contenu manifeste de ce qu’elle met ainsi en scène au décours de la séance. S’il s’agit bien
d’un processus de pensée paradoxale de l’analyste, telle que décrit par de M’Uzan, cette
pensée est ici impensable dans le temps de la séance, de telle sorte que la capacité de
l’analyste à penser cette pensée ne se pourra qu’après qu’il ait accepté d’en être l’acteur dans
le temps de la séance.
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La"chimère"transférentielle"
8 Discussion!
8.1 Clinique!
Puis a suivi l’exposé de quatre vignettes cliniques, s’étendant sur une à trois
séances, permettant de construire une représentation théorique formelle de l’émergence, au
sein même de la chimère, des différents niveaux de la fonction de contenance des
dynamiques transférentielles que la chimère permet. Il s’agirait là d’un processus d’auto-
organisation archétypique qui émerge à partir de la mise en tension du désir incestueux tel
que défini par Jung (désir de retour au non-être, à l’en deçà de la vie) et de l’investissement
exogame de l’analysant par l’analyste.
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Clinique"
8.2 L’éthique!et!le!cadre!
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La"chimère"transférentielle"
Cela revient à dire que cette éthique ne se peut que dans un rapport à une
réalité qui soit extérieure au sujet, réalité extérieure qui, outre la personne de l’analysant, se
trouve représentée dans la cure par le cadre formel de l’analyse et sa relation à la réalité
sociale de l’analyste. C’est pourquoi il a été représenté comme constituant de la chimère
dans les schémas proposés ci-dessus [Figure 45, p.286]. Il convient cependant de préciser
quelque peu ce que Jung propose d’entendre par l’éthique.
8.3 L’éthique!pour!Jung!
Dans son autobiographie (Jung 1961), il nous relate quelques expériences qui
éclairent sa conception de l’éthique. Nous en retiendrons trois ici.
8.3.1 Les"syncopes"
Ils étaient assis tous les deux dans le jardin et moi, derrière eux, dans un épais
buisson, car j’étais d’une curiosité insatiable. J’entendis l’ami dire : « Et comment va donc
ton fils ? » À quoi mon père répondit : « C’est une pénible histoire ; les médecins ignorent ce
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Clinique"
qu’il a. Ils pensent à de l’épilepsie ; ce serait terrible qu’il soit incurable ! J’ai perdu mon peu
de fortune, qu’adviendra-t-il de lui s’il est incapable de gagner sa vie ! »
Il se mit alors au travail, et usa de toute sa volonté pour résister à ses crises
d’évanouissement, ce à quoi il parvint définitivement en quelques semaines, pouvant alors
retourner à l’école. Mais, dans le même temps, il réalisa nettement que c’était moi qui avais monté
cette honteuse histoire. Dans son autobiographie, il en parle comme d’une expérience de
névrose.
8.3.2 L’anima"
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La"chimère"transférentielle"
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Clinique"
La position de Jung est ici de se placer, face à cette voix intérieure, tel qu’il a
été mû dans ce travail d’écriture et de peinture, et non tel que le résultat de ce travail
pourrait lui apparaître. La qualité d’artiste n’est pas pour lui dépendante de la qualité de sa
production, mais de sa démarche. Ce travail de mise en forme de ses phantasmes, il l’a
initié afin de trouver une représentation aux multiples mouvements affectifs qui l’agitaient
depuis sa rupture avec Freud, et dont il avait bien conscience qu’ils étaient susceptibles de
l’emporter en un mouvement pouvant déboucher sur une perte de contact avec la réalité,
en un mot une psychose.
8.3.3 La"perte"des"repères"
Toujours durant sa confrontation avec l’inconscient Jung (1961, p.220) note que :
8.3.4 Discussion"
Il est clair, dans ces exemples, que l’éthique n’est pas pour Jung affaire de
morale, mais bien plus de réalité, de vérité plutôt. Et la vérité dont il s’agit ici n’est pas celle
d’un autre, mais bien la sienne propre, en tant qu’il est sujet de lui-même. Enfin, il a
d’abord à se positionner — ce fut là son expérience, probablement celle d’un enfant
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La"chimère"transférentielle"
Néanmoins, et dès l’épisode de ses douze ans, l’enjeu est bien pour lui sa
capacité à se maintenir en lien avec son entourage, son monde extérieur humain. Son père et
l’école, son métier, sa famille. Un principe de réalité, donc, mais ici envisagé sous son
double aspect de réalité psychique subjective et de réalité sociale intersubjective. Autant
dire que cette position éthique pose la conflictualité non entre principe de plaisir et principe
de réalité, mais bien au cœur même de ce dernier, comme inhérent à sa contradiction
propre et irréductible. Et si c’est toujours le principe de réalité qui, pour Jung comme pour
Freud, commande un certain renoncement au principe de plaisir, ce n’est pas pour Jung
l’effet d’un interdit, mais bien d’une nécessité d’être, de ne pas laisser son moi se dissoudre
dans une fascination des émergences conscientes de l’inconscient, en un mot de ne pas
sombrer dans un processus psychotique.
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Conclusion"
CONCLUSION!
Ce travail a tenté d’introduire la chimère transférentielle comme dénomination
spécifique à une dimension du transfert qui semble ne pouvoir être assignée ni à l’un ni à
l’autre des deux protagonistes d’un travail analytique, bien que les concernant tous deux.
Cette dénomination repose autant sur le travail de Michel de M’Uzan que sur le champ
sémantique complexe associé au mot chimère. Elle est ici abordée du point de vue de la
psychologie analytique développée par Jung.
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notions telle que celles d’émergence ou d’énaction (Varela 1993, Cohen & Varela 2000), en
ce qu’elles rendent compte du fait que ce qui apparaît à un moment donné de l’expérience
ne préexiste pas nécessairement à sa manifestation. Elles mériteraient évidemment, à elles
seules, tout un travail d’approfondissement qui n’a pu être mené ici. Il conviendrait,
notamment, de reprendre les nombreux travaux de physiciens et neuroscientifiques qui
tentent de relier psychisme et physique quantique (Martin 2009, 2011 & 2013, Bitbol 2009,
Atmanspacher 2014, etc.) ou physique des systèmes complexes (Butz 1997, Kiel & Elliott
1997, Chamberlain & Butz 1998, Blackerby 1998, Atmanspacher 2007, Leffert 2010, etc.).
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Conclusion"
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Conclusion"
Chouvier 2002, etc.), ont approfondi cette notion dans différents champs des thérapies à
médiation.
Dans le champ du transfert il paraît évident que l’analyste ne peut être ainsi
qualifié de médium malléable, les qualités requises pour ce faire dépassant celle de tout être
humain, si longtemps et profondément analysé a-t-il été. Par contre il peut sembler
raisonnable de poser que la chimère transférentielle puisse être considérée, en elle-même,
comme médium malléable au sein de la relation analytique. Faisant tiers dans la relation,
elle fait aussi office de pare-excitation et contribue fortement à la perception de l’analyste,
aux yeux de l’analysant, comme porteur des qualités de ce médium malléable.
C’est, dans mon expérience, au sein de l’institution que cette notion paraît la
plus pertinente, la mieux à même de rendre compte des multiples interactions qui émergent
au sein des différents groupes qui la constituent autant qu’entre eux. Une première ébauche
de ce travail a été présentée à Londres (Martin-Vallas 2014) à partir de mon expérience de
psychiatre dans un Établissement et Service d’Aide par le Travail.
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Bibliographie"
BIBLIOGRAPHIE!
Figurent ici tous les ouvrages ayant servi à la réalisation de ce travail. Une
bibliographie exhaustive sur le thème du transfert est, en effet, apparue totalement
irréalisable, d’une part du fait de la pléthore d’articles et ouvrages écrits sur ce sujet depuis
la naissance de la psychanalyse et de la psychologie analytique, et d’autre part du fait que
différents points de vue sont ici présentés, y compris non psychanalytiques. Ne figurent
donc ici que les références utilisées et auxquelles le texte renvoie.
Dictionnaires+&+Encyclopédies!
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Bibliographie"
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IV
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VIII
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Bibliographie"
121 : L’année de la publication initiale retenue pour les écrits de Jung correspond à celle indiquée dans le
Catalogue chronologique des Œuvres de Jung (2004) et la Bibliographie raisonnée des écrits de C.G.
Jung (2014). Elle peut parfois différer de la date indiquée dans les éditions françaises.
IX
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Consurgens, a, quant à lui, été signé de M.L. Von Franz. Nous savons cependant que les trois volumes ont
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été écrits en collaboration de ces deux auteurs, le troisième ayant été publiéplusieurs années après la
mort de Jung
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XIV
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XV
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Index"&"TdM"
INDEX%DES!CONCEPTS
"
chimère"transférentielle · 3, 1, 3, 6, 8, 18, 20, 28, 29,
A 52, 129, 131, 132, 133, 134, 135, 137, 138, 166,
168, 169, 176, 177, 181, 183, 215, 222, 225, 226,
affect · 2, 14, 143, 147, 150, 151, 152, 153, 163, 164, 227, 229, 241, 242, 244, 248, 252, 253, 257, 259,
165, 166, 174, 176, 179, 188, 200, 227, 230, 239, 270, 279, 280, 282, 284, 285, 286, 288, 291, 292,
252, 258, 259, 303, 304, 305 293, 299, 301, 310, 315, 316, 322, 331, 340, 341,
anima · 15, 16, 122, 198, 237, 247, 265, 297, 309, 342, 343, 349, 351, 352, 353, 354
344 clivage · 11, 208, 222, 223, 228, 229, 294, 296, 298,
animus · 15, 16, 188, 237, 240, 297, 318 315, 341
appareil"psychique"groupal · 353 cognitivisme · 31, 77, 78, 80, 81, 139
archétype · 3, 10, 11, 12, 13, 14, 17, 48, 53, 63, 90, commune"inconscience · 3, 184, 213, 276
98, 111, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 126, compensation · 13, 14, 15, 16, 214, 278
131, 133, 153, 154, 174, 175, 182, 222, 223, 224,
complexe · 1, 2, 3, 11, 17, 18, 28, 43, 45, 50, 52, 54,
225, 232, 234, 235, 242, 243, 244, 247, 253, 258,
58, 59, 64, 66, 68, 70, 74, 80, 84, 88, 89, 94, 98,
259, 260, 262, 265, 274, 279, 283, 286, 288, 297,
99, 111, 112, 115, 116, 118, 119, 123, 124, 130,
307, 308, 314, 315, 320, 336, 338, 341, 351
131, 132, 133, 140, 146, 164, 165, 168, 224, 237,
association · 112, 116, 197
241, 245, 252, 264, 280, 291, 314, 349
associativité · 78, 147, 339 concept · 9, 10, 12, 14, 23, 38, 46, 47, 53, 81, 89, 97,
attracteur · 57, 58, 61, 62, 63, 64, 92, 93, 117, 119, 98, 104, 106, 110, 111, 112, 113, 114, 118, 125,
181, 269, 279, 280, 282, 303 126, 127, 129, 131, 133, 137, 138, 139, 140, 142,
autisme · 225, 273, 315, 328, 330 155, 159, 163, 174, 182, 193, 206, 214, 218, 222,
autocorganisation · 1, 3, 54, 70, 115, 117, 118, 132, 227, 254, 259, 260, 262, 265, 281, 317, 318, 320,
168, 176, 223, 269, 270, 275, 284, 314, 315, 339, 331, 351, 352, 353
341 connexionnisme · 77, 78, 79, 80
conscient · 10, 11, 13, 15, 16, 89, 90, 95, 101, 115,
128, 130, 134, 151, 170, 173, 179, 188, 212, 214,
B 234, 257, 258, 266, 278, 282, 284, 319, 322, 338,
340
behaviorisme · 80, 82 contrectransfert · 1, 7, 23, 28, 52, 110, 128, 129, 138,
brisure"de"symétrie · 43, 48, 52, 115, 116, 311 153, 183, 200, 213, 241, 255, 259, 276, 285
courbe de bifurcation · 54, 312
créationnisme · 4, 125, 127, 319
C créativité · 13, 20, 48, 89, 114, 177, 194, 208, 250,
347
cadre · 1, 2, 3, 7, 14, 42, 65, 115, 133, 134, 135, 152,
166, 167, 168, 177, 187, 188, 190, 191, 193, 194,
219, 226, 230, 239, 245, 246, 247, 254, 255, 259, D
276, 277, 278, 279, 281, 283, 286, 287, 293, 294,
300, 304, 322, 332, 342, 343, 347, 352, 354 défense · 3, 12, 108, 189, 195, 198, 201, 208, 221,
castration · 90, 99, 101, 198, 256, 317, 333 222, 234, 237, 255
chaos · 38, 40, 53, 57, 92, 93, 177, 181, 221, 222, 276, défenses"archaïques · 297
349 déintégration/réintégration
chimère · 3, 1, 3, 5, 6, 8, 18, 20, 23, 24, 25, 28, 29, 52, déintégration · 7, 160, 223, 224, 226, 262, 263,
110, 129, 131, 132, 133, 134, 135, 137, 138, 166, 279, 280, 284, 285, 287, 288, 291, 296, 297,
168, 169, 176, 177, 181, 183, 184, 196, 205, 212, 299, 300, 315, 316, 328, 330, 335, 336, 340,
215, 216, 222, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 342, 351
241, 242, 243, 244, 245, 248, 252, 253, 257, 259, réintégration · 7, 160, 176, 223, 224, 226, 263,
270, 279, 280, 282, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 279, 285, 287, 288, 291, 296, 297, 298, 299,
291, 292, 293, 299, 300, 301, 310, 315, 316, 322, 300, 315, 316, 330, 336, 337, 340, 342, 351
324, 331, 340, 341, 342, 343, 347, 349, 351, 352, "
353, 354 "
XXVII
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La"chimère"transférentielle"
destructivité · 13, 48, 89, 114, 189, 190, 192, 195, inceste · 97, 98, 99, 100, 101, 103, 104, 106, 107, 113,
199, 206, 215, 217, 249, 250, 261, 262, 270, 279, 205, 208, 210, 217, 253, 254, 255, 256, 259, 260,
285, 292 261, 262, 263, 270, 271, 272, 273, 276, 277, 285,
déterminisme · 37, 43, 53, 73, 74, 75, 76, 88, 89, 96, 286, 322, 329
307 inceste"à"la"mère · 253, 255, 256, 259, 261, 285,
dissociation · 11, 75, 221, 222, 243, 244, 245, 246, 286
335 inconscient · 1, 3, 5, 7, 10, 11, 13, 14, 15, 16, 18, 38,
47, 48, 52, 89, 90, 99, 100, 101, 102, 112, 115,
121, 122, 129, 131, 141, 154, 155, 171, 172, 173,
E 175, 177, 184, 196, 198, 199, 201, 208, 210, 211,
213, 214, 216, 217, 220, 222, 223, 227, 234, 235,
éléments"α · 121, 155, 159, 224 238, 240, 243, 253, 258, 259, 266, 278, 284, 285,
éléments"β · 121, 122, 155, 158, 163, 179, 221, 224 306, 307, 309, 319, 320, 338, 339, 341, 344, 346,
émergence · 1, 2, 3, 17, 18, 20, 49, 54, 67, 72, 76, 77, 347
79, 81, 87, 88, 102, 115, 117, 118, 119, 126, 127, individuation · 160, 176, 202, 270, 274, 283, 292, 298,
132, 133, 137, 140, 141, 152, 158, 162, 170, 172, 299
175, 176, 177, 182, 216, 220, 222, 223, 224, 227, instinct · 12, 17, 63, 114, 117, 208, 222, 271, 296,
242, 253, 257, 258, 263, 269, 276, 279, 280, 284, 307, 310, 315
285, 292, 302, 310, 311, 316, 319, 320, 321, 322, Interactive"Brain"Hypothesis · 2, 140, 142, 165
329, 330, 331, 341, 342, 347, 350 interprétation · 20, 36, 37, 61, 125, 133, 148, 162,
énaction · 77, 79, 80, 85, 118, 137, 138, 139, 140, 169, 189, 200, 201, 203, 216, 237, 244, 267, 268,
162, 169, 320, 350 270, 303, 319
entropie · 66, 67, 68, 280 intuition · 12, 54, 71, 95, 119, 125, 126, 129, 260, 311,
enveloppe"maternelle"primitive · 354 352
épistémologie
épistémologie"complexe · 1, 2, 3, 66, 72, 111, 140
obstacle · 34, 35, 41, 116, 261 K
espace"des"phases · 90, 91, 93, 94, 95, 117, 269, 285
éthique · 3, 15, 16, 20, 179, 180, 207, 208, 227, 228, kairos · 259, 300, 301, 309, 310, 311, 316
284, 300, 330, 331, 332, 335, 336, 339, 342, 343,
346, 347, 352
L
F langage · 3, 2, 25, 81, 84, 85, 87, 121, 165, 166, 167,
179, 195, 239, 294, 310, 334
finalité · 4, 15, 33, 125, 127, 254, 263, 319, 320, 321 liaison"c"déliaison · 13, 128, 176, 262, 279, 280
fonction"transcendante · 13, 14, 15, 114 libido · 16, 97, 98, 103, 104, 105, 107, 112, 189, 192,
fonction"α"r"121,"122,"159,"163,"179,"224" 207, 208, 210, 217, 218, 220, 221, 222, 223, 224,
225, 226, 229, 244, 245, 253, 256, 269, 272, 273,
274, 276, 277, 278
G libido"anobjectale · 208, 220, 221, 222, 223, 224,
225, 226
groupalité"psychique · 14, 353 libido"endogame · 208, 218, 223, 224, 256, 273,
274, 277
libido"exogame · 208, 218, 223, 256, 272, 273,
H 274, 277, 278
localisationnisme · 79
hermaphrodite · 202, 219
M
I
mécanique"quantique · 17, 36, 37, 38, 43, 44, 69, 71,
74, 75, 94, 265, 266, 267, 268, 269, 270, 280, 281,
identification"projective · 1, 9, 131, 174, 201, 206,
310, 320, 322, 349
213, 215, 216, 237, 241, 243, 244, 259, 297
mémoire · 2, 5, 6, 21, 67, 88, 134, 143, 144, 145, 146,
imago · 192, 198, 203, 215, 231, 232, 233, 234, 235,
147, 150, 151, 152, 156, 157, 163, 165, 166, 170,
236, 242, 243, 244, 245, 246, 265, 288
176, 179, 180, 183, 187, 204, 227, 303
imago"paternelle · 198, 232, 233, 234, 235, 236,
mère · 11, 13, 26, 27, 29, 98, 100, 101, 102, 103, 104,
242, 243, 244, 245, 246, 288
107, 131, 159, 160, 180, 186, 187, 188, 189, 190,
implicite · 143, 144, 147, 158, 161, 166, 169, 170,
192, 193, 197, 198, 200, 201, 202, 207, 213, 215,
171, 172, 173, 231
223, 224, 225, 228, 231, 232, 233, 234, 235, 236,
"
237, 238, 242, 246, 251, 253, 255, 256, 257, 258,
XXVIII
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Index"&"TdM"
260, 262, 263, 265, 270, 272, 273, 279, 288, 293, Q
295, 296, 301, 302, 303, 304, 306, 322, 325, 326,
327, 328, 331, 336, 337, 338, 340, 347, 354
quaternio"alchimique · 256, 257, 271, 286
mise"en"acte · 185, 186, 191, 205, 206, 207, 208, 211,
213, 222
R
N
représentation · 3, 9, 12, 15, 18, 37, 38, 44, 56, 77,
79, 80, 90, 91, 108, 113, 118, 122, 123, 137, 138,
narcissisme · 101, 121, 122, 133, 188, 189, 194, 207,
147, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 159,
208, 214, 215, 218, 223, 227, 228, 237, 238, 241,
160, 163, 175, 176, 178, 179, 181, 197, 203, 206,
243, 244, 245, 246, 285, 304, 337, 341, 354
207, 208, 221, 224, 225, 231, 234, 261, 264, 265,
narcissisme"primaire · 244, 245
266, 267, 268, 269, 274, 276, 279, 282, 284, 289,
négatif · 174, 218, 235, 254, 262
297, 314, 339, 341, 346, 349, 350
néguentropie · 66, 67, 68, 280
neurones"miroirs · 2, 161, 164
neuroplasticité · 2, 142, 143
neurosciences · 3, 17, 31, 77, 78, 79, 80, 82, 83, 84,
S
85, 87, 118, 130, 131, 139, 142, 143, 154, 155,
161, 168, 175, 181, 350, 354 sacrifice · 90, 95, 97, 99, 100, 101, 215, 223, 317
noncsens · 109, 184, 195, 198, 214, 220, 222, 316, sadomasochisme · 189, 198, 333, 334, 335, 339, 340
317, 322, 324, 325, 326, 328, 329, 330, 331 section"de"Poincaré · 90, 91, 92, 93, 94, 95, 99, 101,
numineux · 12, 96, 107, 321 108, 119, 215, 350
séduction · 17, 101, 158, 175, 213, 218, 224, 234,
237, 238, 242, 243, 244, 246, 307, 310, 311, 312,
O 337, 341, 351
séduction"hystérique · 244
séduction"narcissique · 237, 341
ombre · 15, 16, 24, 33, 116, 173, 188, 201, 203, 223,
séduction"originaire · 17, 101, 158, 218, 224, 234,
237, 262, 338, 339
238, 310, 311, 312, 337, 351
opposés · 13, 14, 15, 306
sensibilité"aux"conditions"initiales · 1, 38, 39, 53, 59,
organisateurs · 14, 176, 181, 223, 224, 274
74, 115
sexuel · 96, 97, 99, 100, 101, 102, 103, 107, 158, 198,
203, 207, 234, 235, 260, 261, 271, 285, 295, 296,
P 307, 308, 310, 337
soi · 3, 7, 11, 13, 16, 100, 103, 116, 125, 157, 158,
parecexcitation · 184, 353 159, 160, 161, 189, 192, 195, 197, 207, 208, 211,
participation"mystique · 2, 3, 9, 129, 182 214, 218, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 234, 246,
pensée · 5, 6, 13, 14, 31, 33, 48, 64, 66, 73, 75, 76, 86, 254, 256, 258, 261, 262, 263, 270, 274, 279, 280,
87, 102, 105, 117, 118, 123, 124, 125, 126, 127, 281, 282, 284, 285, 286, 287, 291, 292, 293, 294,
128, 132, 133, 141, 168, 171, 172, 173, 174, 176, 296, 297, 298, 299, 300, 306, 310, 313, 315, 316,
206, 216, 218, 227, 230, 249, 255, 258, 259, 262, 317, 321, 322, 328, 330, 335, 336, 337, 338, 339,
267, 281, 284, 294, 295, 304, 318, 319, 324, 325, 340, 341, 342, 346, 351
333, 337, 340, 347 soi"éthique · 284, 285, 335, 340
père · 13, 96, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 107, 108, soi"primaire · 159, 160, 262, 263, 279, 287, 297,
159, 188, 190, 197, 198, 200, 201, 202, 231, 232, 306, 313, 315, 336
233, 234, 235, 236, 238, 239, 240, 242, 243, 244, squiggle · 21, 284
246, 251, 252, 256, 257, 258, 259, 272, 294, 295, surmoi · 16, 285, 332, 339, 340
296, 298, 301, 325, 326, 328, 330, 333, 337, 343, synchronicité · 3, 53, 111, 113, 125, 126, 127, 132,
347 206, 317, 318, 321, 322, 329, 331, 342, 351
pervers · 203, 315, 332, 335, 338 système"complexe · 1, 2, 3, 43, 50, 51, 52, 53, 54, 56,
phallus · 189, 207, 232, 234, 340 59, 69, 70, 82, 84, 88, 89, 90, 94, 99, 110, 115,
projection · 3, 9, 91, 138, 174, 190, 200, 213, 218, 117, 118, 131, 133, 134, 137, 141, 147, 163, 165,
271, 274, 275, 276, 282 166, 168, 169, 172, 175, 177, 269, 279
psychoïde · 2, 3, 89, 111, 113, 125, 163, 184, 320,
321, 322
pulsion · 45, 57, 89, 101, 119, 152, 158, 174, 175, 204, T
205, 218, 244, 254, 260, 261, 262, 279, 280, 298,
303, 315
téléologie · 15, 125, 127, 262, 263, 319, 320, 321
pulsion"de"mort · 45, 101, 119, 218, 254, 260, 261,
temporalité · 43, 129, 300, 301, 305, 306, 307, 308,
262, 279, 303
312, 314, 316
transcendance · 15, 37, 113, 219, 269, 320
XXIX
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La"chimère"transférentielle"
V
violence"fondamentale"r"208, 216, 224"
"
XXX
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Index"&"TdM"
INDEX%DES%AUTEURS!
"
CRUTCHFIELD"Jim · 50
A
ABRAHAM"Nicolas · 23 D
ADDISON"Ann · 89, 111, 125, 163, 184, 320
ADORNO"Theodor"W. · 46, 47, 48, 49, 110, 130, 349
DAMASIO"Antonio · 2, 54, 88, 112, 151, 158, 163,
AGNEL"Aimé · 9, 274
171, 178, 321
ANZIEU"Didier · 6, 7, 90, 132, 227, 353
DE"JAEGHER"Hanne · 2, 76, 140, 165
ARBIB"Michael"A. · 168
DELRIEU"Alain · 110
ATMANSPACHER"Harald · 94, 350
DESCARTES"René · 9, 32, 46, 49, 64, 65, 70, 79, 86
ATTIGUI"Patricia · 352
DI"PAOLO"Ezequiel · 76, 140, 165
DITTO"William"L. · 54, 56
DUBOIS"Monique · 57
B DUNSFORD"Ivor · 26
DUPARC"François · 21, 284
BACHELARD"Gaston · 34, 35, 41, 65
BAK"Per · 312, 316
BALIER"Claude · 6, 183, 184, 306 E
BALINT"Michael · 7, 175, 189, 214
BARSKI"Georges · 26, 27
EDELMAN"Gérard"M. · 147
BAUDOIN"Charles · 101
EDELSON"Marshall · 19
BERGERET"Jean · 208
EINSTEIN"Albert · 33, 36, 37, 267, 270, 281
BION"Wilfried · 21, 98, 132, 155, 158, 163, 221, 224,
ELLIOT"Euel"W. · 66, 350
353
ELLMANN"Richard · 120
BITBOL"Michel · 350
BLACKERBY"Rae"Fortunato · 66, 350
BONNET"Gérard · 241, 244
BOSTON"CHANGE"PROCESS"STUDY"GROUP · 133, 161,
F
166, 169, 170, 171, 173, 320
BRIGHT"George · 53, 127, 132, 311, 321, 322 FALISSARD"Bruno · 354
BRUN"Anne · 352 FARMER"Doyne · 50
BUTZ"Michael"R. · 50, 66, 118, 350 FAUREcPRAGIER"Sylvie · 50
FEDIDA"Pierre · 241, 244
FERENCZI"Sandor · 97, 98, 99, 131, 175
C FOGEL"Gerald · 50
FORDHAM"Michael · 7, 159, 221, 222, 223, 262, 263,
279, 280, 284, 296, 297, 299, 306, 313, 315, 328,
CALDWELL"Lesley · 263
330, 351
CAMBRAY"Joe · 53, 127, 133, 312
FREUD"Sigmund · 2, 3, 4, 10, 11, 14, 15, 18, 23, 48,
CHAMBERLAIN"Linda"L. · 350
57, 89, 90, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103,
CHATILLON"Norbert · 98
104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 112, 113, 116,
CHOUVIER"Bernard · 352, 353
118, 125, 129, 131, 132, 138, 144, 150, 153, 166,
CLANCY"Kelly · 86
171, 172, 175, 176, 177, 185, 198, 202, 214, 225,
CLAUSIUS"Rudolf · 66 234, 254, 259, 260, 261, 262, 271, 274, 276, 279,
COHEN"Amy"E. · 23, 87, 141, 350, 351 280, 297, 303, 317, 339, 346, 347, 350
COLMAN"Warren · 117
CONFORTI"Michael · 126
COPERNIC"Nicolas · 35, 40 G
COSTABEL"Pierre · 38
COVINGTON"Coline · 129
GAILLARD"Christian · 10, 120
CROS"Edmond · 354
GALILÉE · 35, 40
XXXI
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La"chimère"transférentielle"
K O
KAES"René · 14, 132, 353 OTTO"Rudolf · 12
KANT"Emanuel · 15, 33, 37, 113, 320 OUSS"Lisa · 354
KELVIN"Lord · 37
KIEL"Douglas"L. · 66, 350
KLEIN"Mélanie · 131, 174 P
KNOX"Jean · 111, 113, 114, 118, 119, 133, 153, 182
KONORSKI"Jerzy · 142
PACKARD"Norman · 50
XXXII
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Index"&"TdM"
" "
" "
PASCAL"Blaise · 33, 73, 240 SWANSON"Kristin"R. · 66
PLANCK"Max · 36
POINCARÉ"Henri · 33, 36, 38, 40, 41, 90, 91, 92, 93,
94, 95, 98, 101, 108, 119, 175, 215, 350
POMMIER"Gérard · 354
POPPER"Karl · 46, 47, 49, 70, 71, 72, 110, 130, 349
PRADO"DE"OLIVEIRA"Luiz"Eduardo · 144, 311 T
PRAGIER"Georges · 50
TAUSK"Victor · 144, 179
THOMPSON"Evan · 143, 171
Q THOMPSON"Joan".S. · 143, 171
TIMAR"Pierre · 175
QUINODOZ"JeancMichel · 50, 199 TISSERON"Serge · 178, 184, 245
TUCCI"Giuseppe · 289
TUSTIN"France · 225
R TYSON"Rebecca · 66
W
S
WHARTON"Barbara · 129
SAMUELS"Andrew · 154 WIDLOCHER"Daniel · 18, 19, 132, 184, 349, 354
SCHLICK"Moritz · 46 WIENER"Jan · 53, 132
SCHORE"Allan · 354 WILKINSON"Barbara · 354
SCHRÖDINGER"Erwin · 37, 45, 46, 65, 67 WILLIAMS"Benjamin."R. · 168
SHAMDASANI"Sonu · 120, 121 WINBORN"Mark · 129, 182
SHAW"Robert · 50 WINNICOTT"Donald"W. · 21, 98, 102, 121, 122, 175,
SINIGAGLIA"Corrado · 161 189, 224, 251, 263, 337
SOLIE"Pierre · 306, 342 WOLINSKI"Howard · 26
SOLOMON"Hester · 179, 207, 284, 336, 338
SPIELREIN"Sabina · 129, 254, 261
SPITZ"René"A. · 160, 180, 336 Z
STERN"Daniel · 66, 160, 169
SWANSON"Catherine · 66 ZEMOR"Denise · 214
" &
"
XXXIII
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La"chimère"transférentielle"
XXXIV
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Index"&"TdM"
TABLE!DES$FIGURES!
Figure"1":"Champ&sémantique&de&la&chimère".................................................................."28
Figure"2":"Équation&de&Schrödinger"................................................................................"45
Figure"3":"Courbe&de&bifurcation"....................................................................................."55
Figure"4":"Mouvement&de&deux&doubles&pendules&partis&d’une&position&initiale&quasi&
identique"................................................................................................................"58
Figure"5":"Valeurs&de&x&pour&xn+1=4xn&(1Exn),&avec&erreur&de&1%,&1‰&et&1&pour&un&million
"..............................................................................................................................."60
Figure"6":"Graphe&de&x&pour&xn+1=4xn&(1Exn)"....................................................................."61
Figure"7":"Évolution&de&x&au&fil&des&itérations".................................................................."62
Figure"8":"Relation&entre&les&valeurs&successives&de&x"....................................................."62
Figure"9":"Attracteur&de&Lorenz"......................................................................................."64
Figure"10":"Carte&polaire&de&sciences&cognitives,&d’après&Varela".".................................."77
Figure"11":"Projection&et&coupe&d’une&sphère&creuse"......................................................"91
Figure"12":"Exemple&d’une§ion&de&Poincaré".............................................................."93
Figure"13":"Organisation&complexe&de&l’épistémologie&de&Jung,&chaque&niveau&étant&en&
inter&et&rétro&actions&avec&chacun&des&autres"......................................................"124
Figure"14":"Les&mémoires".............................................................................................."144
Figure"15":"Expérience&et&remémoration"......................................................................"145
Figure"16":"Associativité&de&la&mémoire"......................................................................."146
Figure"17":"Cortex&sensoriel".........................................................................................."148
Figure"18":"Cortex&sensoriel&après&utation&de&l’avantEbras"...................................."148
Figure"19":"Colonisation&par&les&afférences&de&proximité"............................................."149
Figure"20":"Réactivation&des&circuits&de&la&douleur"......................................................."150
Figure"21":"Voies&visuelles&supérieures""........................................................................"156
Figure"22":"Circuit&de&l’affect"........................................................................................"164
Figure"23":"Système&complexe&de&l’interrelation".........................................................."165
Figure"24":"Système&complexe&de&la&relation&analytique&—&la&chimère&transférentielle
"............................................................................................................................."168
Figure"25":"«&Le&roi&et&la&reine&»"...................................................................................."209
Figure"26":"«&La&vérité&nue&»"........................................................................................."210
Figure"27":"«&L’immersion&dans&le&bain&»"......................................................................"211
Figure"28":"«&La&conjonction&»"......................................................................................"212
Figure"29":"«&La&mort&»"................................................................................................."212
Figure"30":"«&Le&retour&de&l’âme&»"................................................................................."217
Figure"31":"«&La&nouvelle&naissance&»"".........................................................................."220
Figure"32":"«"La"fontaine"mercurielle"»"........................................................................"221
Figure"33":"Dynamique&du&transfert&en&double&miroir".................................................."242
Figure"34":"Le&bébé"......................................................................................................."249
Figure"35":"«&L’inceste&»&"..............................................................................................."255
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La"chimère"transférentielle"
Figure"36":"Barres&de&contrôle"......................................................................................"265
Figure"37":"Quaternio&«&quantique&»"............................................................................"266
Figure"38":"Principe&de&la&téléportation&quantique"......................................................"268
Figure"39":"Quaternio&alchimique""..............................................................................."271
Figure"40":"Fonction&contenante&du&quaternio"............................................................"273
Figure"41":"Fonction&contenante&des&projections"........................................................."274
Figure"42":"Anneau&de&Moebius"..................................................................................."275
Figure"43":"Fonction&contenante&du&cadre"..................................................................."277
Figure"44":"La&chimère,&représentation&sous&forme&d’un&attracteur&étrange"..............."281
Figure"45":"Topique&de&la&chimère&transférentielle"......................................................"285
Figure"46":"Nymphéa"..................................................................................................."286
Figure"47":"Hélène"........................................................................................................"287
Figure"48":"Claire".........................................................................................................."288
Figure"49":"Gardiens&d’un&mandala&bouddhiste"..........................................................."289
Figure"50":"Fête&des&Mères"..........................................................................................."290
Figure"51":"Temporalité&circulaire&objective&—&A"........................................................."304
Figure"52":"Temporalité&circulaire&objective&—&B""........................................................"305
Figure"53":"Temporalité&linéaire&objective"..................................................................."306
Figure"54":"Temporalité&linéaire&subjective".................................................................."307
Figure"55":"Temporalité&subjective"..............................................................................."307
Figure"56":"Courbe&de&bifurcation"................................................................................"312
Figure"57":"Carl&Gustav&Jung,&aquarelle,&1903"............................................................."344
Figure"58":"Carl&Gustav&Jung&:&illustration&du&Livre&Rouge"............................................"344
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TABLE%DES%MATIERES!
!
Remerciements
Plan
Hypothèses!................................................................................................................!1
Méthodologie!............................................................................................................!5
1! Historique!de!ce!travail!...................................................................................................!5!
1.1& Genèse&............................................................................................................................&5&
1.2 Intermède&.......................................................................................................................&6
1.3 Retour&à&la&chimère&.........................................................................................................&8
2 Quelques!concepts!jungiens!............................................................................................!9
2.1 Les&sources&......................................................................................................................&9
2.2 Un&concept&selon&Jung&..................................................................................................&10
2.3 Les¬ions&de&conscient&et&d’inconscient&pour&Jung&.....................................................&10
2.4 Les¬ions&d’archétype&et&de&complexe&;&le&moi&comme&complexe&et&le&soi&comme&
archétype&...............................................................................................................................&11
2.5 Les¬ions&de&compensation,&de&fonction&transcendante&et&de&dynamique&des&opposés
& 14
2.6 L’ombre,&l’anima/animus,&et&l’éthique&selon&Jung&........................................................&15
3 La!notion!de!complexité!................................................................................................!16
4 Les!neurosciences!..........................................................................................................!17
5 Retour!à!la!clinique!.......................................................................................................!18
5.1 Méthode&du&cas&singulier&..............................................................................................&18
5.2 Effets&de&cette&recherche&sur&ma&pratique&clinique&.......................................................&20
5.3 Éthique&de&la&publication&..............................................................................................&21
La!“chimère”!transférentielle!...................................................................................!23
1 La!Chimère!dans!la!mythologie!......................................................................................!24
2 La!chimère!du!langage!courant!......................................................................................!25
3 La!chimère!des!biologistes!.............................................................................................!25
3.1 Généralités&....................................................................................................................&25
3.2 Chimérisme&complet&.....................................................................................................&26
3.3 Chimérisme&hématopoïétique&.......................................................................................&26
3.4 Microchimérisme&..........................................................................................................&26
3.5 Perspectives&de&recherches&...........................................................................................&27
XXXVII
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La"chimère"transférentielle"
4 La!chimère!en!zoologie!...................................................................................................!28
5 Synthèse!........................................................................................................................!28
Épistémologie!..........................................................................................................!31
1 Définition!de!l’épistémologie!.........................................................................................!31
2 Épistémologie!scientifique!«!classique!»!........................................................................!32
2.1 L’épistémologie&«&postcartésienne&»&.............................................................................&32
2.2 L’épistémologie&«&postEkantienne&»&..............................................................................&33
2.3 Y&aEtEil&une&épistémologie&contemporaine&?&.................................................................&34
2.4 Le¶digme&copernicien&.............................................................................................&35
2.5 Les&nouveaux¶digmes&du&XXe&siècle&........................................................................&35
2.5.1" La"relativité"de"Poincaré"et"Einstein"....................................................................................."36"
2.5.2 La"mécanique"quantique"......................................................................................................"36
2.5.3 La"théorie"du"chaos".............................................................................................................."38
e
2.5.4 Le"paradigme"scientifique"mis"à"mal"au"XX "siècle"..............................................................."40
3 L’épistémologie!d’aujourd’hui!........................................................................................!44
3.1 Sciences&formelles&et&sciences&empiriques&....................................................................&44
3.2 L’épistémologie&de&Karl&Popper&et&sa&controverse&avec&Theodor&Adorno&.....................&46
3.3 Le&théorème&de&Gödel&...................................................................................................&49
3.4 Quelques&conséquences&épistémologiques&des&systèmes&complexes&...........................&50
3.4.1 Définitions"............................................................................................................................"50
3.4.2 Propriétés"............................................................................................................................."51
3.4.3 La"courbe"de"bifurcation"......................................................................................................"54
3.4.4 Les"attracteurs"étranges"(Gleick,"1997"–"Bergé"&"Dubois,"2008)"........................................."57
3.5 La&pensée&complexe&selon&Edgar&Morin&........................................................................&64
3.5.1 Entropie"et"néguentropie"....................................................................................................."66
3.5.2 La"science"comme"système"complexe"................................................................................."69
3.6 Prévisibilité,&déterminisme,&causalité&et&liberté&............................................................&73
3.6.1 Définitions"............................................................................................................................"73
3.6.2 Discussion"............................................................................................................................"74
4 Épistémologie!des!neurosciences!...................................................................................!77
4.1 Le&behaviorisme&............................................................................................................&80
4.2 Neurosciences&biologiques&et&médicales&.......................................................................&82
4.2.1 Généralités"..........................................................................................................................."82
4.2.2 Le"voir"et"l’entendre"............................................................................................................."84
4.2.3 Le"voir"estcil"fiable"?"............................................................................................................."85
4.2.4 Approches"localisationistes"et"holistiques"..........................................................................."87
5 Épistémologie!de!la!psychanalyse!..................................................................................!89
5.1 Généralités&....................................................................................................................&89
5.2 Espace&des&phases&et§ion&de&Poincaré&.....................................................................&90
5.3 Les&prémisses&épistémologiques&qui&ont&conduit&aux&points&de&vue&divergents&de&Freud&
et&de&Jung&...............................................................................................................................&96
5.3.1 La"question"sexuelle"............................................................................................................."96
5.3.2 Castration"et"sacrifice":"deux"prémisses"épistémologiques"divergentes".............................."97
5.3.3 Le"sexuel"et"l’inconscient,"selon"Freud"et"selon"Jung":"castration"et"sacrifice"....................."99
5.3.4 L’inconscient"selon"Freud"et"selon"Jung"............................................................................."101
5.3.5 La"nécessaire"dimension"subjective"d’une"théorie"psychanalytique"................................."103
5.4 Un&exemple&de&l’épistémologie&jungienne&:&l’archétype&..............................................&111
5.4.1 Quelques"éléments"de"l’épistémologie"de"Jung"................................................................"113
5.4.2 La"psyché"comme"système"complexe"................................................................................"115
5.4.2.1& Sensibilité&aux&conditions&initiales&..............................................................................&115&
XXXVIII
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Index"&"TdM"
5.4.2.2 Brisure&de&symétrie&....................................................................................................&115
5.4.2.3 NonEreproductibilité&...................................................................................................&116
5.4.2.4 Attracteur&étrange&et&autoEorganisation&...................................................................&117
5.4.2.5 L’archétype&:&un&système&complexe&à&structure&fractale&?&.........................................&118
5.4.3 Carl"Gustav"Jung":"un"théoricien"de"la"subjectivité"?"........................................................."120
5.4.4 La"question"de"la"finalité"et"de"la"synchronicité"................................................................"125
5.4.5 Conclusion"........................................................................................................................."127
Neurosciences!.......................................................................................................!129
1 Épistémologie!de!la!démarche!.....................................................................................!130
2 La!chimère!transférentielle!..........................................................................................!131
2.1 Prémisses&historiques&..................................................................................................&131
2.2 Définition&....................................................................................................................&132
2.3 Un&exemple&clinique&....................................................................................................&134
2.3.1 Méthodologie"...................................................................................................................."134
2.3.2 Vignette"clinique"................................................................................................................"135
3 Les!hypothèses!neuroscientifiques!proposées!.............................................................!137
3.1 Le&concept&d’énaction&.................................................................................................&137
3.2 L’hypothèse&des&cerveaux&interactifs&(IBH)&.................................................................&140
3.3 La&neuroplasticité&.......................................................................................................&142
3.4 La&modélisation&neurophysiologique&de&la&mémoire&..................................................&143
3.5 Mémoire&et&hallucination&:&les&douleurs&fantômes&.....................................................&147
3.6 La&question&des&représentations&.................................................................................&154
3.6.1 L’exemple"des"représentations"visuelles"..........................................................................."155
3.6.2 La"question"du"non"représentable"....................................................................................."158
3.7 Les&neurones&miroirs&...................................................................................................&161
3.8 La&question&de&l’affect&.................................................................................................&163
3.9 La&question&du&langage&...............................................................................................&166
3.10 L’asymétrie&du&cadre&psychanalytique&........................................................................&167
3.11 Les&travaux&du&Boston&Change&Process&Study&Group&(BCPSG)&....................................&169
3.12 La&question&de&l’archétype&et&de&la&pulsion&.................................................................&174
3.13 Conclusion&...................................................................................................................&176
4 Lecture!clinique!...........................................................................................................!178
5 Conclusion!..................................................................................................................!181
Cliniques!................................................................................................................!183
1 Brigitte!........................................................................................................................!183
1.1 Présentation&...............................................................................................................&183
1.2 Une&première&approche&clinique&:&Brigitte&..................................................................&186
1.3 Une&première&approche&théorique&:&la&chimère&et&le&transfert&selon&Jung&..................&205
2 Séduction!et!chimère!..................................................................................................!230
2.1 L’analyse&de&Renée&:&...................................................................................................&230
2.2 L’imago&paternelle&......................................................................................................&232
2.2.1 Rêve"du"phallus".................................................................................................................."232
2.2.2 Discussion".........................................................................................................................."233
2.3 Les&vacances&à&la&campagne&:&.....................................................................................&235
2.4 Quelques&rêves&:&..........................................................................................................&238
2.5 Le&transfert&en&double&miroir&:&....................................................................................&241
2.6 La&valse&des&séductions&:&.............................................................................................&243
XXXIX
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La"chimère"transférentielle"
2.7 Proposition&théorique&..................................................................................................&244
3 Les!contenants!de!la!chimère!transférentielle!..............................................................!248
3.1 Approche&clinique&........................................................................................................&248
3.1.1 Nymphéa"............................................................................................................................"248
3.1.2 Hélène"................................................................................................................................"249
3.1.3 Claire".................................................................................................................................."250
3.1.4 La"fête"des"Mères"..............................................................................................................."251
3.2 L’autonomie&de&la&chimère&transférentielle&................................................................&252
3.2.1 L’autonomie"de"la"chimère"transférentielle"......................................................................."253
3.2.2 La"terreur"de"l’inceste"........................................................................................................"253
3.2.3 Les"projections"d’amour"et"de"haine".................................................................................."256
3.2.4 L’émergence"du"transfert"amoureux"................................................................................."257
3.2.5 Le"soi"du"transfert".............................................................................................................."258
3.3 Théorisation&des&contenants&de&la&chimère&transférentielle&.......................................&259
3.3.1 L’inceste":"..........................................................................................................................."260
3.3.1.1 Inceste&et&pulsion&de&mort&..........................................................................................&261
3.3.1.2 Inceste&et&soi&primaire&................................................................................................&262
3.3.2 Quelques"remarques"épistémologiques":".........................................................................."264
3.3.2.1 Un&contenant&dynamique&...........................................................................................&264
3.3.2.2 Une&représentation&quantique&...................................................................................&265
3.3.2.3 La&téléportation&quantique&.........................................................................................&267
3.3.2.4 L’attracteur&étrange&...................................................................................................&269
3.3.3 La"chimère":"utérus"du"transfert"?"......................................................................................"270
3.3.3.1 Le&quaternio&alchimique&:&...........................................................................................&271
3.3.3.2 Les&projections&............................................................................................................&274
3.3.3.3 Le&cadre&:&....................................................................................................................&276
3.3.3.4 Quelques&hypothèses&sur&l’origine&et&la&dynamique&de&la&chimère&transférentielle&...&278
3.3.3.5 L’attitude&psychanalytique&:&.......................................................................................&281
3.4 La&chimère&transférentielle,&un&soi&partagé&?&..............................................................&284
3.4.1.1 Nymphéa&....................................................................................................................&286
3.4.1.2 Hélène&........................................................................................................................&287
3.4.1.3 Claire&..........................................................................................................................&288
3.4.1.4 La&fête&des&Mères&.......................................................................................................&290
4 Mouvements!déintégratifs!du!soi!de!la!chimère!transférentielle!..................................!292
4.1 Sophie&.........................................................................................................................&292
4.2 Déintégration&et&réintégration&dans&le&transfert&:&.......................................................&295
4.2.1 Du"côté"de"l’analyste".........................................................................................................."295
4.2.2 Du"côté"de"Sophie".............................................................................................................."297
4.2.3 Dans"le"transfert"................................................................................................................."298
5 Temporalité!de!la!chimère!transférentielle!..................................................................!300
5.1 Différentes&temporalités&.............................................................................................&300
5.2 André,&ou&de&la&fin&des&temps&au&temps&de&la&fin&........................................................&300
5.3 La&temporalité&circulaire&objective&..............................................................................&304
5.4 La&temporalité&linéaire&objective&.................................................................................&305
5.5 La&temporalité&linéaire&subjective&...............................................................................&306
5.6 Le&kairos&......................................................................................................................&308
5.7 La&catastrophe&transférentielle&...................................................................................&310
5.8 Courbe&de&bifurcation&et&différentes&temporalités&......................................................&311
5.9 L’archétype&:&structure&symbolique&vs&structure&instinctuelle&:&...................................&313
6 Chimère!et!synchronicité!.............................................................................................!316
6.1 La¬ion&de&synchronicité&selon&Jung&et&Pauli&............................................................&317
6.2 Geneviève,&ou&le&nonEsens&de&l’inceste&........................................................................&321
6.2.1 Clinique".............................................................................................................................."322
XL
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Index"&"TdM"
6.2.2 Discussion".........................................................................................................................."328
7 L’importance!de!l’éthique!...........................................................................................!331
7.1 Une&séance&avec&Paul&.................................................................................................&331
7.2 La&déintégration&du&soi&éthique&de&l’analyste&.............................................................&334
8 Discussion!...................................................................................................................!340
8.1 Clinique&.......................................................................................................................&340
8.2 L’éthique&et&le&cadre&...................................................................................................&341
8.3 L’éthique&pour&Jung&....................................................................................................&342
8.3.1 Les"syncopes"......................................................................................................................"342
8.3.2 L’anima".............................................................................................................................."343
8.3.3 La"perte"des"repères".........................................................................................................."345
8.3.4 Discussion".........................................................................................................................."345
Conclusion!.............................................................................................................!347
Bibliographie!..............................................................................................................!I
! Dictionnaires!&!Encyclopédies!..........................................................................................!I!
! Neurosciences,!Psychologie!&!Psychanalyse!....................................................................!II!
! Epistémologie,!Mathématique!&!Physique!et!autres!.....................................................!XX!
Index!des!concepts!.............................................................................................!XXVII
Index!des!auteurs!.................................................................................................!XXXI
Table!des!figures!.................................................................................................!XXXV
Table!des!matières!............................................................................................!XXXVII!
XLI
Texte original de la thèse, réservé aux professionnels du soin psychique, à ne pas diffuser sans l'autorisation de l'auteur
Caio Vinicius Martins contato@caiomartins.psc.br
Texte original de la thèse, réservé aux professionnels du soin psychique, à ne pas diffuser sans l'autorisation de l'auteur
Résumé
PLAN Université Lumière Lyon 2
François Martin-Vallas
Caio Vinicius
Ce travail, qui s’inscrit Martins
dans le cadre de la contato@caiomartins.psc.br
psychologie analytique développée par Jung, propose
d’introduire le concept de chimère transférentielle comme dimension du transfert qui ne peut être assignée
ni à l’un ni à l’autre des deux protagonistes d’un travail analytique, bien que les concernant tous deux. Cette
Éducation, Psychologie, Information, Communication
Hypothèses
dénomination repose autant sur le travail de Michel de M’Uzan que sur le champ sémantique complexe associé Centre de Recherches en Psychopathologie et Psychologie Clinique
au mot chimère.
Ce travail soutien l’hypothèse selon laquelle la situation analytique est propice à l’émergence d’une néo réalité psy-
chique, ici appelée la chimère transférentielle, néo réalité psychique en partie autonome vis-à-vis du psychisme des
La Chimère Transférentielle
La méthodologie de ce travail est celle, théorico-clinique, développée par Widlocher sous le nom de cas
deux protagonistes
singulier. Elle conduitdeà lalarecherche
situation analytique.
d’une preuveAinsi les dynamiques
d’existence, et non àde
unetransfert et contre-transfert ne sont plus
preuve d’universalité.
envisagées comme seul espace inter projectif entre analyste et analysant, mais aussi comme système dynamique
complexe entre troispartie
Une première systèmes psychiques
propose : analyste,
une discussion analysant et chimère
épistémologique transférentielle,
qui prenne en compte lesce dernier influençant,
changements
tout autant
desqu’étant influencé, par les deux autres.
profonds paradigmes scientifiques résultant du développements de la physique depuis le début du XXe Proposition épistémologique, neuroscientifique et clinico-théorique
avec l’avènement de la relativité restreinte, rapidement suivie de la relativité générale et de la mécanique
Méthodologie
quantique puis de la théorie des systèmes complexes, aussi appelée théorie du chaos. Il est soutenu dans ce du transfert psychanalytique comme système complexe
travail qu’une révision
1 Historique dedes positions épistémologiques fondées sur le travail de Popper, et une meilleure prise
ce travail
en compte d’approches telles
2 Quelques concepts jungiens que proposées par Adorno ou Morin, est nécessaire. Cette discussion conclut à Par François Martin-Vallas
l’importance de notions
3 La notion telle que celles d’émergence ou d’énaction, en ce qu’elles rendent compte du fait que
de complexité
La chimère transférentielle
ce qui apparaît
4 Les neurosciences donné de l’expérience ne préexiste pas nécessairement à sa manifestation.
à un moment
Enfin cette àdiscussion
5 Retour la cliniqueépistémologique tente d’éclairer la profonde divergence entre les approches de
Freud et de Jung, divergence qui apparaît ici comme résultant principalement d’une différence de point de vue
épistémologique. Là aussi, le recours à la physique, précisément à la notion de section de Poincaré, permet
La “chimère”
d’éclairer transférentielle
cette divergence autrement que par une simple opposition. Cela permet de comprendre pourquoi,
dans le 1champ
La Chimère dans la mythologie
de la psychologie clinique autant que dans celui de la psychanalyse, des théories divergentes,
parfois opposées,
2 La chimère peuvent et doivent
du langage coexister afin de pouvoir construire une représentation aussi exhaustive
courant
que possible de la réalité.
3 La chimère des biologistes
4 La chimère en zoologie
Dans une seconde partie l’hypothèse de la chimère transférentielle est abordée au regard des
5 Synthèse
neurosciences. Il est ainsi proposé une représentation neuroscientifique de la relation analytique. Cette
représentation n’a aucunement pour objet de se prétendre vraie, mais, plus modestement, possible. Elle
Épistémologie
vise à proposer une nouvelle manière d’articuler neurosciences et théories psychanalytiques, postulant que
l’expérience
1 Définition de l’épistémologie
de la clinique psychanalytique est un niveau de complexité très supérieur à ce qui est aujourd’hui
accessible
2 Épistémologie scientifique
aux neurosciences, ce qui « classique
permet de » rendre compte de l’existence de dynamiques propres au
processus3 L’épistémologie
analytique du fait d’aujourd’hui
de leur émergence entre les niveaux de complexité accessibles à la recherche
neuroscientifique
4 Épistémologie
et celui deneurosciences
des l’expérience psychanalytique.
5 Épistémologie de la psychanalyse
Enfin, dans une troisième partie, ce travail aborde différents aspects de la chimère transférentielle telle
Neurosciences
qu’elle est se manifeste dans la clinique psychanalytique. Un premier cas clinique est exposé en détail afin
d’apporter une preuve d’existence
1 Épistémologie de la démarche de cette dimension. D’autres cas cliniques suivent, centrés sur une dimension
ou un moment particulier
2 La chimère de la cure, afin d’apporter la preuve de cette existence dans d’autres contextes, et
transférentielle
avec des patients dont le fonctionnement et la structure psychique diffèrent autant du premier cas exposé Jean Fontaine : Luth pour la vie - Grès - 1996
3 Les hypothèses neuroscientifiques proposées
qu’entre eux. Enfin, chacun de ces cas a été l’occasion de focaliser la discussion théorico-clinique sur un aspect
4 Lecture clinique
particulier, saillant dans le cas considéré.
5 Conclusion
Sont ainsi discutées l’adéquation de l’hypothèse avec la théorisation jungienne de la dimension Thèse de doctorat de psychologie
archétypique du transfert, l’articulation possible de cette théorisation avec la théorisation freudienne, à partir
Cliniques
de la séduction originaire proposée par Laplanche, puis la dimension de contenance psychique de la chimère,
Psychologie clinique
toujours 1au regard de la théorie jungienne.
Brigitte
Quatre autres et
2 Séduction approches
chimère de la chimère sont, ensuite, proposées à la discussion : Directeur de thèse : Bernard Chouvier
3 Les contenants de ladechimère
- les mouvements déintégration/réintégration
transférentielle du soi en rapport avec la constitution et les
dynamiques de
4 Mouvements la chimère,duà partir
déintégratifs soi de des propositions
la chimère de Fordham ;
transférentielle Présentée et soutenue publiquement le 21 avril 2015
- les rapports de la chimère avec
5 Temporalité de la chimère transférentielle les temporalités psychiques, telles qu’abordées dans la théorie
jungienne
6 Chimère et et telles qu’il est possible de les aborder aussi à partir des travaux de Laplanche ;
synchronicité Devant un jury composé de :
7 L’importance de voir
- la possibilité de la chimère selon le concept de synchronicité développé par Pauli et Jung ;
l’éthique
8- Discussion
enfin l’importance de l’éthique comme garante de la dimension psychanalytique de la chimère et du Thèse Anne Brun, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2
processus analytique en général. Université Bernard Chouvier, Professeur émérite à l’Université Lumière Lyon 2
Lyon 2 Denise Gimenez Ramos, Professeur à l’Université Catholique Pontificale de São Paulo
Conclusion
Mots clefs : Chimère transférentielle, Émergence, Énaction, Épistémologie complexe, Neurosciences,
Texte original de la thèse, réservé aux professionnels du soin psychique, à ne pas diffuser sans l'autorisation de l'auteur
Psychanalyse, Psychologie Analytique, Transfert. EPIC Pascal Roman, Professeur à l’Université de Lausanne
CRPPC