Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
3’:HIKLLA=]U[YU]:?a@p@e@k@a"; OCTOBRE 2018 DOM 7,40 € - BEL 7,40 € - LUX 7,40 € - ALL 8,20 € - ESP 7,40 € - GR 7,40 € - ITA 7,40 € - PORT.CONT 7,40 € -
CAN 10,5 $ CAN - CH 12,40 FS - MAR 65 DH - TUN 6,80 TND - MAYOTTEA 8,80 € - TOM SURFACE 970 XPF - TOM AVION 1620 XPF
L’édito par Dominique Leglu
Directrice de la rédaction
Épopée cosmologique
C
hasse au trésor. Devant le déploiement Guilbaud (p. 38). Les théoriciens se sont ensuite mis au
mondial de détecteurs ultra-sophisti- travail. Ce qui aboutit à la situation actuelle, à savoir
qués – tel Xenon 1T, sous le massif italien trois théories. Ou, si l’on pinaillait… deux et demie ! D’un
du Gran Sasso (p. 43) – censés capturer un côté, il y a les adeptes de particules inconnues qui consti-
quasi-insaisissable flux de matière noire, certains scien- tueraient la matière noire. Tels des enquêteurs, ils ont
tifiques n’hésitent plus à filer la métaphore. Comme ils dressé leur portrait-robot : des fantômes assez massifs,
ne cessent, à l’instar de Julien Masbou (CNRS, univer- qui manifestent très peu d’affinités avec la matière ordi-
sité de Nantes), de traquer le moindre indice depuis des naire – la nôtre. D’où les incroyables installations des
lustres, ils préfèrent y voir un jeu à la dimension de l’Uni- expérimentateurs en sous-sol afin d’éliminer les intruses
vers plus qu’un casse-tête à remballer tous ses photo- et ne dévoiler que les élues. Pour l’instant, chou blanc. Ou
multiplicateurs, voire ses équations. L’interrogation, pour presque (lire l’encadré p. 44).
les lectrices et lecteurs qui auraient perdu le fil de cette
véritable épopée cosmologique, peut se résumer ainsi : POUR L’AUTRE CAMP, virage à 180 °. Il ne fera pas de
mais pourquoi ne voit-on pas 25 % de la matière qui com- recherche de matière, c’est peine perdue. La bonne cible
pose l’Univers ? Et d’ailleurs, cette mystérieuse matière, se trouve au cœur des équations. Audacieux, le mondia-
ne serait-elle pas qu’une illusion ? lement célèbre Mordehai Milgrom (Institut Weizmann,
Tel-Aviv) s’est ainsi attaqué au saint des saints : la loi de la
LE DOSSIER de ce mois-ci, qui fait un point exhaustif gravitation de Newton (p. 50). Enfin, selon une troisième
sur la question, donne à retrouver un florilège de ce qui voie, sorte d’intermédiaire (p. 49), la clé est encore ail-
peut s’échafauder de mieux en science. Le trésor caché leurs, dans la « superfluidité ». Par ce comportement sin-
est aussi intellectuel ! D’abord, il y eut des observations gulier, les particules de matière noire, effectivement,
étonnantes au télescope, par des grands de l’astronomie modifieraient la gravité. Alors, qui aura raison ? On sou-
comme Fritz Zwicky et plus tard Vera Rubin, comme l’ex- haite beaucoup de courage à toutes les matières grises
plique de façon très pédagogique Françoise Combes, qui ont encore de quoi creuser, fouiller, bêcher.
professeur au Collège de France, interrogée par Sylvain La Fontaine y aurait trouvé matière à fable cosmique.
SOPHIA PUBLICATIONS : 8, rue d’Aboukir 75 002 Paris. Tél. : 01 70 98 19 19 l e-mail rédaction : courrier@larecherche.fr l Pour joindre directement par téléphone un membre de la rédaction, composez le 01 70 98, suivi des
quatre chiffres placés après son nom. Par mail, libellez l’adresse sur le modèle : initiale du prénom suivi du nom@sophiapublications.fr (sans accents).
Pour toute question concernant votre abonnement : 01 55 56 70 56 l Adresse : La Recherche, 4 rue de Mouchy 60438 Noailles Cedex. Tél. : 01 55 56 71 15. l ABONNEMENTS : Tarif France : 1 an 10 nos + 1 n°
double 67 euros. 1 an 10 nos + 1 n° double + 4 hors-séries 89 euros. Tarif international : nous contacter. E-mail : abo.recherche@groupe-gli.com l Suisse : Edigroup. Tél. : (0041) 22 860 84 01 1 Belgique :
Edigroup. Tél. : (0032) 70 233 304 l Achat de revues et d’écrins La Recherche – BP 65 – 24, chemin latéral 45390 Puiseaux. Tél. : 02 38 33 42 89
La Recherche est publiée par Sophia Publications l Président-directeur général et directeur de la publication : Claude Perdriel l Directeur général : Philippe Menat l Directeur éditorial : Maurice Szafran
l Directeur éditorial adjoint : Guillaume Malaurie l Directeur délégué : Jean-Claude Rossignol l Directrice de la rédaction : Dominique Leglu l Rédacteur en chef : Philippe Pajot l Rédacteur en chef adjoint :
Vincent Glavieux l Conception graphique : Dominique Pasquet l Assistante : Gabrielle Monrose (19 06) l Chefs de rubrique : Hervé Cabibbo (19 30), Mathias Germain (19 33) l Rédacteurs : Gautier Cariou
(19 31), Sylvain Guilbaud (19 38), Bérénice Robert (19 34) l Directrice artistique : Maryvonne Marconville (19 28) l Service photo : Claire Balladur (19 41) l Première secrétaire de rédaction : Anaëlle Bruyand
(19 35) l Ont collaboré à ce numéro : Antoine Cappelle, Marie-Agnès Joanny, William Rowe-Pirra, Muriel Seisser l Fabrication : Christophe Perrusson (19 10), Thibault Quéré (19 21) l Activités numériques :
Bertrand Clare (19 08) l Communication : Marianne Boulat (06 30 37 35 64) l Directeur des ventes et promotion : Valéry-Sébastien Sourieau (19 11) l Vente messageries VIP-diffusion : Frédéric Vinot
l Numéro vert 0800 51 49 74 l Responsable gestion abonnements : Isabelle Parez (19 12) l Responsable du marketing direct : Linda Pain (19 14) l Responsable administratif et financier : Nathalie Tréhin
(19 16) l Comptabilité : Teddy Merle (19 15) l Diffusion librairies : Pollen DIF’POP’. Tél. : 01 43 62 08 07 Fax : 01 72718451 l Régie publicitaire : MediaObs 44, rue Notre-Dame-des-Victoires 75002 Paris.
Tél. : 01 44 88 97 70. Fax : 01 44 88 97 79 l e-mail : pnom@mediaobs.com l Pour joindre directement une personne, composez
le 01 44 88, suivi des quatre chiffres placés après son nom. l Directeur général : Corinne Rougé (93 70) l Directeur commercial :
Jean-Benoît Robert (97 78) l Directeur du pôle Sciences : Sylvain Mortreuil (97 75) l Partenariats : KarineGrossman(89 08)
Certifié PEFC
l Studio/Maquette/Techniques : Cédric Aubry (89 05) l Imprimerie : G. Canale & C., Via Liguria 24, 10071 Borgaro (TO), Italie. Dépôt
BERNARD MARTINEZ
Augustins, 75 006 Paris. Tél. : 01 44 07 47 70.Fax : 01 46 34 67 19). L’éditeur s’autorise à refuser toute insertion qui semblerait contraire
aux intérêts moraux ou matériels de la publication. Commission paritaire : 0919 K 85863. ISSN 0029-5671. Origine du papier : Italie - Taux de fbres recyclées : 0 % - Eutrophisation. PTot = 0,009 kg/tonne de papier.
CRÉDIT COUVERTURE : VOLKER SPRINGEL/MAX PLANCK INSTITUTE FOR ASTROPHYSICS/SCIENCE PH/COSMOS Ce magazine est imprimé chez G. Canale & C. (Italie), certifé PEFC.
Élise Huchard
Pour Élise Huchard, chargée de recherche au CNRS, l’étude du comportement
animal, notamment des primates, peut aujourd’hui aborder des questions com-
plexes, comme celles des émotions qu’ils ressentent ou de leur personnalité
propre. À condition de rester dans une optique évolutive.
L’étude de la personnalité
des animaux est un domaine
de recherche en plein essor ”
L’
évolution des systèmes sociaux et de La Recherche Un tribunal argentin a ordonné
reproduction des mammifères : tels sont en 2016 le transfert dans une réserve naturelle
les sujets d’étude d’Élise Huchard, étho- d’une femelle chimpanzé d’un zoo au motif
logue spécialiste du comportement des qu’elle était déprimée. Qu’est-ce que signifie
primates. Pour cela, elle partage son temps entre les « être déprimé » pour un animal ?
observations sur le terrain (Namibie, Madagascar, Élise Huchard On peut parler de dépression quand
Gabon ou Afrique du Sud) et son laboratoire à l’uni- un animal montre des comportements stéréoty-
versité de Montpellier. Dans une vision progressiste, pés et répétitifs, en réponse à des conditions très
elle cherche à mieux appréhender les émotions ou le stressantes. Ce sont des comportements que l’on
bien-être animal, au cœur de l’évolution de la prima- n’observe jamais en milieu naturel. Chez les grands
tologie de ces dernières décennies. La vogue de ces fauves en cage, c’est, par exemple, le fait de marcher
questions que l’on retrouve dans le domaine poli- en cercle à longueur de journée. Chez les chevaux,
tique, juridique ou sociétal – avec le développement cela peut se traduire par le grignotage répétitif du
de l’alimentation végétarienne, voire végane – s’ex- bois du box. Chez le chimpanzé, qui est un animal
ALAIN TENDERO / DIVERGENCE-IMAGES
plique, selon elle, en partie par les avancées récentes très social, la dépression peut naître de l’isolement,
de l’éthologie qui, abandonnant la crainte de l’an- ce qui était le cas de l’animal que vous évoquez. Je
thropomorphisme, décrit aujourd’hui les compor- note aussi que le tribunal argentin a invoqué l’ha-
tements animaux avec des concepts traditionnel- beas corpus [le principe selon lequel il est impos-
Éthologue, Élise lement considérés comme humains, tels que la sible d’emprisonner quelqu’un de manière arbi-
Huchard est spécialiste réconciliation, la générosité, l’altruisme, etc. Dès traire, NDLR] pour ordonner sa libération, ce que je
du comportement des lors, les animaux nous sont de moins en moins dis- trouve une avancée juridique qui marque la recon-
primates au CNRS. tants, d’où la préoccupation croissante pour leur sort. naissance du droit des animaux sauvages à une
vie en adéquation avec leurs besoins physiolo- cela nécessite un suivi important. C’est ce qui est
giques et psychiques élémentaires. fait dans certains sanctuaires d’éléphants. Des petits
N’est-ce pas une forme d’anthropomorphisme qui ont grandi en captivité (souvent parce qu’ils ont
que de parler de « dépression » animale ? été recueillis très jeunes par le sanctuaire) sont relâ-
On peut choisir de ne pas employer un terme appli- chés, mais après des mois passés avec un personnel
qué aux humains pour décrire un comportement formé et compétent, qui les promène chaque jour
animal, même quand il semble très proche d’un dans la savane pour leur apprendre, par exemple, à
comportement humain, par souci de rigueur. Mais reconnaître les plantes comestibles.
le refus systématique de l’anthropomorphisme peut Vous évoquiez la transmission culturelle du
aussi représenter un biais scientifique. Par exemple, comportement chez les chimpanzés.
s’il consiste à refuser d’accepter l’existence de Qu’entendez-vous par culture ?
similarités comportementales ou cognitives entre Chez les humains, il y a beaucoup de définitions
hommes et animaux, comme le dénonce le prima- de la culture. Et c’est la même chose chez les ani-
tologue néerlandais Frans de Waal. Les discussions maux. La plupart des définitions de la culture animale
sur l’anthropomorphisme ne portent jamais sur retiennent deux composantes. D’une part, la trans-
des traits morphologiques ou anatomiques, mais mission sociale d’un comportement donné, d’un
toujours sur des traits cognitifs – alors qu’il n’y a individu à l’autre. D’autre part, l’existence de diffé-
pas de justification scientifique à raisonner diffé- rences comportementales entre différents groupes
remment pour des traits anatomiques plutôt que L’équipe d’Élise d’une même espèce (de la même manière que l’on
cognitifs… Il me semble plus important de réfléchir Huchard a étudié un trait parle de cultures nationales ou régionales chez les
à la manière dont nos représentations de l’animal de personnalité du humains). Il y a par exemple des dialectes locaux dans
peuvent influencer notre travail scientifique plutôt microcèbe gris, un petit les vocalisations des cétacés. Ce second critère est
que de penser que les seules précautions terminolo- lémurien de Madagascar, plus discuté, car il peut être considéré comme une
en testant sa propension
giques suffiront à éviter les biais scientifiques. conséquence du premier : dès lors qu’une espèce a
à prendre des risques.
Cette femelle chimpanzé a été relâchée dans la capacité de transmettre socialement un certain
une réserve brésilienne, où vivent en semi- nombre de comportements, on s’attend à observer
liberté une cinquantaine de ses congénères. des différences comportementales entre groupes.
Un animal né en captivité ne peut donc plus Comment se manifestent ces cultures
vivre à l’état sauvage ? animales ?
Cela dépend des espèces. C’est particulièrement dif- Il y a deux exemples classiques. Le premier est le
ficile pour les espèces très sociales, comme les chim- lavage de la patate douce chez des macaques vivant
panzés. Ils ont absolument besoin d’apprendre leur dans une réserve en bord de mer au Japon, où ils
répertoire comportemental en grandissant dans étaient nourris. Un jour, une jeune femelle subor-
leur communauté d’origine, car on pense de plus donnée lave les patates douces pour en enlever le
en plus que ce répertoire est en grande partie cultu- sable avant de les manger. Cette innovation se trans-
rel – et pas nécessairement instinctif ou génétique- met ensuite au sein du groupe. Puis le comportement
ment déterminé de façon simple. Et puis, ils doivent se transmet de génération en génération. Observé
appartenir à un groupe social qui les accepte et les pour la première fois en 1954, il est toujours présent
reconnaît ; il est souvent impossible pour des adultes dans l’ensemble de cette population. Cette femelle
de se faire accepter quand ils essaient d’immigrer était une innovatrice, puisqu’elle a inventé ensuite
dans un nouveau groupe. Remettre dans la nature un autre comportement : laver sa patate dans l’eau
un animal né en captivité est parfois possible, mais de mer, plutôt que dans l’eau douce, pour la saler
et sans doute lui donner meilleur goût. Le second
exemple est l’ouverture, par des mésanges, de bou-
SES DATES
ELISE HUCHARD/CNRS PHOTOTHEQUE
2009-2014 2014 Recrutée en tant teilles de lait livrées le matin devant des maisons, un
2004 Diplômée de Postdoctorat au German que chargée de phénomène observé en Angleterre dans les années
l’École nationale Primate Center de recherche au Centre 1950. Cela a été très bien suivi, avec une cartogra-
vétérinaire de Toulouse. Göttingen (jusqu’en d’écologie fonctionnelle phie de la diffusion de ce comportement à l’échelle
2005-2008 Doctorat en 2012) puis au et évolutive du CNRS à du pays à partir de deux ou trois foyers d’innovation.
biologie de l’évolution à département de Montpellier. Vous parlez d’individus animaux plus
l’université de zoologie de l’université 2017 Médaille de bronze innovants que d’autres. Peut-on étudier la
Montpellier. de Cambridge. du CNRS. personnalité de chaque animal ?
(mâles, femelles, ou juvéniles – ce qu’on attendait si rival d’un autre groupe jusqu’à le laisser inanimé.
les femelles préféraient les mâles avec une person- En revanche, la question de la conscience de la
nalité violente). Nos données favorisent l’hypothèse mort a été très étudiée chez les femelles perdant
de la coercition sexuelle (3) , tout en montrant que un petit. Chez plusieurs espèces de primates,
vivent dans la savane, que les espèces forestières pour que la discipline soit reconnue comme une
tels les chimpanzés, qui sont très difficiles à suivre science dans une société profondément anthro-
en forêt pendant la période d’habituation, quand ils pocentriste. Mais nos difficultés à reconnaître des
fuient nos tentatives d’approche. Mais, même après similarités cognitives entre hommes et animaux
l’habituation à notre présence, l’indifférence n’est ont probablement représenté un frein pour aborder
pas systématique et il n’est pas rare que les juvéniles certaines questions, notamment liées aux émotions
essaient d’interagir avec nous, en nous approchant et aux capacités cognitives des animaux, avec l’ob-
ou en nous adressant des mimiques sociales. jectivité requise par la démarche scientifique. Toute
Et qu’en est-il des interactions entre primates science reflète les préjugés et les questionnements de
non humains ? la société dans laquelle elle se fait. On a aujourd’hui
C’est une question qui a été bien étudiée dans la une vision plus progressiste des animaux, et il est
forêt Taï, en Côte d’Ivoire, où vivent de nombreuses devenu impossible de nier leur sensibilité. L’étho-
espèces de primates, dont des chimpanzés et plu- logie, malgré ces limitations, a fini par faire tomber
sieurs espèces de cercopithèques (*) . Depuis les de nombreux préjugés quant à nos croyances sur POUR EN
années 1980, on sait que certains singes, notamment la nature des frontières entre hommes et animaux. SAVOIR PLUS
les vervets et des cercopithèques, ont plusieurs types On sait désormais que de nombreuses espèces ani- n tinyurl.com/frontiere-homme-animal
de cris d’alarme qui varient en fonction du type de males utilisent des outils, ont des cultures, des émo- Une conférence d’Élise Huchard
prédateur rencontré et entraînent une réaction bien tions et des intentions, des relations sociales riches et où elle questionne la nature
spécifique, adaptée au danger. Quand il s’agit d’un complexes, la capacité de se projeter dans le futur ou de la frontière homme-animal,
léopard, tout le groupe grimpe dans les branches ter- d’éprouver de l’empathie, de prêter des intentions, au travers des découvertes
minales d’un arbre, où le léopard ne peut pas aller ; s’il des émotions, et même des croyances à leurs par- récentes en biologie évolutive,
s’agit d’un rapace, les singes se cachent dans un buis- tenaires sociaux, d’innover, etc. Je crois que l’étude en éthologie, etc.
son épais. Et une étude a montré que, dans la forêt du comportement a maintenant la crédibilité et la n elisehuchard.strikingly.com
Taï, chaque espèce de cercopithèque a son propre maturité nécessaires pour ne plus avoir besoin de Le site personnel d’Élise Huchard,
répertoire de cris d’alarme, et les individus d’une poser l’anthropomorphisme comme un interdit, et qui regroupe ses projets de
espèce comprennent les cris d’alarme des autres que la levée de ce verrou facilitera d’autres décou- recherche, ses publications…
espèces voisines. Comme s’ils étaient polyglottes ! vertes majeures dans le futur. n n Frans de Waal, Sommes-nous
Frans de Waal disait que le problème en Propos recueillis par Nicolas Chevassus-au-Louis trop bêtes pour comprendre
éthologie n’est pas tant l’anthropomorphisme (1) A. J. Carter et al., Anim. Behav., 84, 603, 2012. l’intelligence des animaux ?,
que « l’anthropodéni ». Qu’en pensez-vous ? (2) M. Dammhahn et L. Almeling, Anim. Behav., 84, 1131, 2012. Actes Sud, 2018.
C’est une réflexion qui s’inscrit en réaction contre (3) A. Baniel et al., Curr. Biol., 27, 2163, 2017. n S. Hirata et al., in T. Matsuzawa
HANNAH PECK
le grand épouvantail de l’anthropomorphisme qui (4) P. J. Fashing et al., Am. J. Primat., 73, 405, 2011 ; A. L. Engh et al., (dir.), Primate Origins of
a structuré l’histoire de l’étude du comportement Proc. R. Soc. Lond. B., 273, 707, 2006. Human Cognition and Behavior,
animal. Il a sans doute été nécessaire, dans le passé, (5) D. Lukas et E. Huchard, Science, 346, 841, 2014. Springer, 2001.
ACTUALITÉS DOSSIER
MAX PLANCK INSTITUTE FOR EVOLUTIONARY ANTHROPOLOGY - CHANDRA X-RAY OBSERVATORY CENTER/NASA
32 COULISSES News Tank
43 À la poursuite de la particule
Retrouvez La Recherche sur RFI fantôme Julien Masbou
dans l’émission « Autour de 50 Et s’il fallait modifier les lois de la gravité ?
la question », le 3 octobre à 16 h Denis Delbecq
72 PHYSIQUE
54 fondamentaux Le mystère des écoulements ramifiés
Jeanne Bernard et Louison Thorens
80 livres
Philippe Lambert
65 LA CHRONIQUE NEUROSCIENCES
Une histoire de goût Adrien Peyrache
66 INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Lire dans le regard des robots
A-T-ON PERDU NOTRE LIEN
Gérard Bailly et Frédéric Elisei À LA NATURE ?
71 LA CHRONIQUE MATHÉMATIQUES 80 Entretien avec Valérie Chansigaud : « L’échec des
Un héritage encore si fécond mouvements de défense de l’environnement »
CYRIL FRESILLON / GIPSA-LAB / CNRS PHOTOTHEQUE - KEYSTONE-FRANCE
Denny, l’enfant
métis de la grotte
de Denisova
En analysant l’ADN extrait d’un fragment d’os datant de 90 000 ans, des paléoanthropologues ont
découvert le premier individu directement issu d’un métissage entre Néandertaliens et Dénisoviens.
e métissage fait par- pologie évolutive, à Leipzig, dans les monts de l’Altaï, en par la mère. Ils ont remarqué
L tie intégrante d’une
société humaine
présente le premier génome
d’un enfant issu d’un père
Sibérie. En séquençant les
chromosomes sexuels extraits
qu’il présentait des similitudes
génétiques avec l’homme de
moderne et de plus en plus dénisovien et d’une mère à partir de l’os et en analysant Neandertal. Pour aller plus
cosmopolite. Mais qu’en néandertalienne (1) . l’épaisseur de ce dernier, ils ont loin, ils se sont penchés sur
était-il dans le lointain passé « Denisova 11 », ou Denny, déterminé qu’il aurait appar- l’ADN nucléaire – transmis
de l’humanité ? Sa pratique à la c’est le nom donné à cet indi- tenu à une jeune fille âgée d’au par les deux parents – contenu
préhistoire aurait été bien plus vidu ancestral, duquel les moins 13 ans au moment de sa dans le fragment osseux. L’ana-
fréquente qu’on pourrait le chercheurs ont découvert un mort, il y a environ 90 000 ans. lyse a révélé une part égale
MAX PLANCK INSTITUTE FOR EVOLUTIONARY ANTHROPOLOGY - THOMAS HIGHAM, UNIVERSITY OF OXFORD
croire. Dans une étude récente, fragment d’os long, mesurant Les paléoanthropologues ont d’ADN dénisovien et d’ADN
une équipe de chercheurs environ 2,5 centimètres, parmi étudié l’ADN mitochondrial néandertalien. Pour écarter
menée par Svante Pääbo, de plus de 2 000 fragments osseux du spécimen, qui contient des toute erreur, l’opération a été
l’Institut Max-Planck d’anthro- de la grotte de Denisova, située gènes directement transmis répétée six fois, jusqu’à ce qu’il
ne reste plus aucun doute sur
la conclusion à tirer : Denny a
une ascendance double, déni-
LE MYSTÈRE DES DÉNISOVIENS sovienne et néandertalienne.
Une dent et un os de phalange ont suf pour parfois Homo denisovensis, les Dénisoviens ne
découvrir, en 2010, l’existence d’une nouvelle sont pas encore vraiment considérés comme Métissage ponctuel
espèce humaine disparue : l’homme de Deni- une espèce à part entière, une détermination Néandertaliens et Dénisoviens
sova (1) . L’analyse génétique de l’ADN extrait complexe tant la barrière entre les espèces, ont divergé voilà 390 000 ans,
de cette molaire ainsi que de l’ADN mitochon- en particulier dans le genre Homo, peut être avant de disparaître il y a
drial issu du fragment de phalange a montré foue. À ce jour, seul le génome d’un spécimen, entre 40 000 et 30 000 ans. Les
que ces ossements appartenaient à un individu Denisova 3, a été complètement séquencé (2) . premiers habitaient principa-
issu d’un groupe d’humains proches, mais Par ailleurs, les paléoanthropologues ne savent lement l’Eurasie occidentale,
diférents génétiquement, des hommes de que peu de choses sur les caractéristiques tandis qu’on suppose que les
Neandertal et des hommes modernes. Ces morphologiques des Dénisoviens en raison derniers vivaient plutôt en
restes, découverts dans la grotte de Deni- du peu de vestiges découverts. Asie orientale. On connaît peu
sova, dans les montagnes de l’Altaï, en Sibérie, (1) D. Reich et al., Nature, 468, 1053, 2010. de chose sur les Dénisoviens,
ont longuement fait débat. Si on les appelle (2) M. Meyer et al., Science, 338, 222, 2012. dont les seules traces décou-
vertes sont issues de la grotte
tiques modernes environ 2 ou 36 000 ans, a révélé qu’il appartenait à un Les caractéristiques physiques archaïques
3 % d’ADN néandertalien. De la Homo sapiens archaïque dont le génome était de sa mandibule, comme sa robustesse et
même manière, en se reprodui- composé de 5 à 11 % d’ADN néandertalien, les proportions des molaires, pourraient être
sant avec les ancêtres des Océa- soit plus de deux fois plus que chez n’importe un héritage de son ancêtre néandertalien.
niens, les Dénisoviens ont laissé quel homme moderne actuel. Contrairement (1) E. Trinkaus et al., PNAS, 100, 11231, 2003.
4 à 6 % de leur ADN dans le
L Saturne, Uranus,
Neptune : cinq pla-
cinq planètes, ils ont remarqué
qu’elles étaient toutes stricte-
nètes du Système solaire sont ment proportionnelles au flux
des sources de rayonnement d’énergie magnétique reçu par
radio. Il en est de même de deux ces objets célestes. Pour une
lunes joviennes : Io et, comme planète, ce dernier dépend à la
vient de le confirmer une fois de la taille de la magnétos-
é q u i p e i n t e r n a t i o n a l e, phère, de l’intensité du champ
Ganymède. Philippe Zarka, magnétique stellaire et de la
directeur de recherche CNRS à vitesse du vent stellaire.
l’Observatoire de Paris, et ses Les astrophysiciens ont pu
collègues ont passé en revue ainsi calculer que des géantes
vingt-six ans d’observations du Aurores polaires dans la magnétosphère de Jupiter. gazeuses orbitant près de
radiotélescope de Nançay (1) . leurs étoiles, tels les « Jupiter
Ils ont repéré la trace de naturellement dans le domaine d’un champ magnétique ou la chauds », pourraient produire
Ganymède dans les signaux des ondes radio. Produits par quantité d’énergie échangée des émissions radio suffisam-
provenant de Jupiter et mesuré l’accélération d’électrons dans avec l’étoile… c’est-à-dire à ment fortes pour être détec-
la puissance rayonnée. Ils en la magnétosphère, ces signaux des données inaccessibles par tées par des instruments de
ont tiré une loi qui, appliquée électromagnétiques, spora- les autres méthodes d’observa- la génération actuelle. Par le
Santé
Écologie
a démission de climatique de la France spécialisation des territoires et l’objectif fixé par la loi TECV.
L Nicolas Hulot de
son poste de
– lui permettant de donner
l’exemple, après avoir joué un
échanges commerciaux sub-
séquents… – sont-ils ou non
Autant dire que la division par
quatre des émissions pour
ministre de la Transition éco- rôle important pour la signa- climato-compatibles ? Les der- 2050, voire la « neutralité car-
logique et solidaire va-t-elle ture de l’Accord de Paris, lors niers chiffres des émissions de bone » à cette échéance, qui
relancer le débat public sur la de la COP 21, fin 2015. Mais gaz à effet de serre et le premier suppose un effort continu de
politique climatique du pays ? Nicolas Hulot semble esti- bilan de la politique climatique baisse, chaque année, est vrai-
L’ex-ministre a en effet justifié mer que sa participation n’a dressé dans le cadre de la loi ment mal partie. D’autant plus
son geste en mettant en avant fait que masquer un manque Transition énergétique pour que les deux secteurs où les
la nécessité de changer de d’ambition dans ce domaine. la croissance verte (TECV ), émissions ont le plus augmenté
braquet sur ce sujet. « Je me votée en 2015, éclairent d’une – le bâtiment et les transports –
surprends tous les jours à me Des résultats médiocres lumière crue le débat lancé par ne montrent aucun signe de la
résigner, tous les jours à m’ac- Selon l’ex-ministre, « la pres- le démissionnaire, comme ses « révolution » nécessaire pour
commoder des petits pas, alors sion du court terme » expli- propres contradictions. atteindre les objectifs fixés.
que la situation universelle, au querait une politique qui En 2017, les émissions de Ces résultats médiocres sont
moment où la planète devient « préempte les enjeux de moyen CO2 ont en effet augmenté en à rapprocher du bilan de la
une étuve, mérite [...] qu’on ou de long terme ». Une manière France de 3,2 % par rapport « Stratégie nationale bas car-
change de paradigme », a-t-il polie d’exprimer une question à l’année précédente, selon bone » (3) qui détaille, année
lancé sur France Inter en politique essentielle : les res- Eurostat (2) . Et, en 2016, les après année et secteur par sec-
annonçant sa décision (1) . sorts de l’économie capitaliste émissions totales de gaz à effet teur, les objectifs de diminution
Son entrée au gouvernement – recherche du profit maxi- de serre avaient atteint 463 mil- des émissions jusqu’à parvenir
aurait pu être le signal d’une mal et rapide des capitaux lions de tonnes (équivalent à - 75 % en 2050, par rapport à
accélération de la politique investis, inégalités sociales, CO2), soit 3,6 % au-dessus de 1990. Or ce document officiel
LE RÉCHAUFFEMENT MENACE
LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Les dernières informations sur l’évolution De récentes études alertent quant aux
du climat et les menaces qu’elle fait peser conséquences sur la sécurité alimentaire
sur les conditions de vie future incitent mondiale de ce réchaufement, qui pour-
à prendre au sérieux les raisons invo- rait diminuer les teneurs en nutriments et
quées par Nicolas Hulot pour expliquer vitamines de certaines cultures (blé, riz),
sa démission. Selon Météo France, l’été et augmenter l’appétit des ravageurs dans
2018 a été le deuxième plus chaud jamais les zones tempérées. Les rendements des
enregistré sur l’Hexagone. Le rebond des principales céréales seraient menacés,
émissions mondiales de CO2 en 2017, avec des pertes de 10 à 25 % des récoltes
DR NEIL OVERY/SPL /AGEFOTOSTOCK
avec + 2 % par rapport à 2016 pour le pour des pays comme la France, la Chine
G20, signife qu’un scénario Business as ou les États-Unis (1) .
usual porterait l’élévation de la tempéra- (1) M. R. Smith et S. S. Myers, Nat. Clim. Change,
Les récoltes de maïs risquent de ture planétaire au-delà des 3 °C de plus, doi:10.1038/s41558-018-0253-3, 2018 ; C. A. Deutsch et
diminuer en raison de la sécheresse. relativement à la période 1880-1920. al., Science, 361, 916, 2018.
Zoologie
UN REQUIN Environnement
OMNIVORE
Le requin-marteau tiburo
Les microplastiques
est carnivore, mais il
digère aussi très bien
envahissent nos sols
les herbiers marins. Des La concentration en fibres plastiques pourrait être de 4 à 20 fois plus importante
biologistes de l’université dans les sols que dans l’eau. Une contamination jusqu’ici largement ignorée.
de Californie ont
démontré que cette
espèce disposait des epuis des années, la pollution aux expérimentale, de fragments de quatre types de
enzymes nécessaires
à leur digestion.
D plastiques des eaux et de la vie marine
est connue et reconnue. Des cam-
plastiques parmi les plus couramment utilisés,
dans des concentrations similaires à celles que
S. C. Leigh et al., Proc. R. pagnes d’information en ont massivement relayé l’on peut trouver dans l’environnement : fibres
Soc. B, doi:10.1098/ certaines conséquences spectaculaires : 9 oiseaux de polyester et de polyacrylique employées par
rspb.2018.1583, 2018. marins sur 10 ont ingéré ces déchets, qui s’accu- l’industrie textile, morceaux de polyéthylène
mulent dans les océans au point de former un employé comme emballage et billes de polya-
septième continent flottant. Même l’eau du robi- mide (industrie automobile, nylon…). Leur pro-
net n’est pas épargnée. Mais l’impact de ces tocole évalue les effets de ces contaminants sur
J femelles de trois
espèces seulement
et petits-enfants », précise-t-il.
Et si les filles partent, les fils
étaient connues pour cesser restent et se reproduisent à
leur activité ovarienne passé un leur tour. La vieille femme a
certain âge : l’homme, l’orque et tout intérêt à aider sa descen-
le globicéphale tropical. Une dance à survivre.
équipe britannique vient
d’ajouter le béluga et le narval Stratégie des anciennes
à cette courte liste. « Nous avons Parallèlement, de nouvelles
utilisé des examens anato- femmes arrivent dans le groupe
miques des ovaires de baleine et refusent de partager leurs res-
pour déterminer leur modèle de sources avec les plus anciennes.
déclin reproductif, en compa- Les bélugas, comme les humains, sont des êtres très sociaux. La stratégie la plus efficace pour
rant la valeur de l’activité ova- les anciennes est donc alors
rienne avec l’âge dans une pourtant pas faute de cher- Alors pourquoi ces espèces ont- d’arrêter de se reproduire pour
population de baleines », cher ! », raconte-t-il. L’arrêt de elles développé cette particu- ne pas entrer en compétition
explique Samuel Ellis, de l’uni- la reproduction au cours de la larité ? « Les odontocètes, tout avec les plus jeunes et obtenir
versité d’Exeter, coauteur de ce vie est en effet une curiosité comme les êtres humains, sont leur aide. « Chez les orques, où
travail. Pour cela, l’équipe a étu- évolutive. Comme le souligne des êtres extrêmement sociaux », cette fois ni les femelles ni les
dié des données issues de tra- Vincent Ridoux, de l’observa- indique Samuel Ellis. mâles ne quittent le groupe, le
vaux déjà publiés sur 16 espèces toire Pelagis, « les performances Dans les sociétés ancestrales, même effet est observé, conclut
de cétacés à dents (1) . d’une population sont généra- « nous pensons que les humains Samuel Ellis. Et nous prédi-
La découverte a beaucoup sur- lement estimées par leur capa- quittaient leur groupe fami- sons qu’en étudiant les narvals
pris Samuel Ellis et ses collè- cité à produire la génération lial lorsqu’ils atteignaient leur et les bélugas, nous trouverons
gues. « La ménopause n’avait suivante ». Ainsi, « le maintien maturité sexuelle. En langage une structure sociale similaire
jusqu’alors été observée que en vie des individus qui ne sont moderne, les femmes partaient pour expliquer ce phénomène. »
chez trois espèces (précédem- plus reproducteurs peut sembler probablement se marier à un Bérénice Robert
ment citées), mais ce n’était contre-évolutif », ajoute-t-il. individu d’un groupe différent (1) S. Ellis et al., Sci. Rep., 8, 12833, 2018.
défendent l’amniocentèse DE DÉPISTER D’AUTRES autres poissons, a rejoint le club des animaux qui ont
plutôt que le dépistage ANOMALIES réussi le test du miroir. Cette expérience classique est
sanguin prénatal, dans utilisée pour déterminer la conscience de soi.
QUE LA TRISOMIE 21 ”
Le Monde du 5 septembre. M. Kohda et al., bioRxiv, doi:10.1101/397067, 2018.
012
199
Tournesol
Pêche 250 Canne
à sucre
105
Abricot Pêche
Maïs grain
113
1004
943
A R BO R I CU LTUR E Triticale
Pois 132
protéagineux
200
Betterave
sucrière Blé
Quantité utilisée chaque année 80 tendre
(en grammes par hectare) Pomme
115
Maïs
Source : Inra 2017. de terre fourrage
50 Orge 102
128
Blé dur
Raisin 99 Colza
511 131
Neurologie
NOUVEAU TYPE Neurosciences
DE NEURONES
Des Américains et des
Le code neural du temps
Hongrois ont identifié Le cerveau ne décompte pas le temps comme un métronome bat la mesure.
dans le cerveau humain Selon une nouvelle étude, le temps écoulé est au contraire encodé relativement
un nouveau type de aux événements que nous vivons.
neurones. Ces
interneurones inhibiteurs,
qui utilisent le Gaba où vient notre perception du temps ? des neurones dans cette région fluctue avec le
comme transmetteur, ont
été nommés « églantiers »
D’ Une équipe de neuroscientifiques de
l’université norvégienne de sciences
temps qui passe. « Le temps n’est pas encodé de
manière explicite par ces neurones, comme une
à cause de leur forme et de technologie, dirigée par May-Britt et Edvard horloge qui décompterait les secondes, mais plu-
évoquant une rose qui Moser, lauréats du prix Nobel 2014 de physiologie tôt de manière indirecte, à travers le flot d’événe-
aurait perdu ses pétales. ou médecine, a identifié le circuit cérébral qui ments que l’on vit en permanence et qui change
E. Boldog et al., Nat. Neurosci., nous permet d’associer une temporalité aux évé- perpétuellement », précise Albert Tsao, principal
21, 1185, 2018. nements et de les ordonner chronologique- auteur de cette découverte. Ainsi, le LEC enco-
ment (1) . Ce circuit est logé dans le cortex ento- derait les informations relatives aux événements
rhinal latéral (lateral entorhinal cortex, LEC), une vécus, à leur ordre chronologique, donnant une
structure cérébrale profonde et l’une des portes information implicite sur le temps écoulé.
KOLBJØRN SKARPNES & RITA ELMKVIST NILSEN / NTNU COMMUNICATION DIVISION & KAVLI INSTITUTE FOR SYSTEMS NEUROSCIENCE
libres d’explorer leur environnement, les neu- perception du temps. C’est ce qu’ont montré
CE SERAIT L’ÂGE roscientifiques ont remarqué une grande varia- les chercheurs dans une seconde expérience,
du plus ancien dessin bilité dans les réponses neuronales. Grâce à des consistant à enregistrer l’activité neuronale de
réalisé à l’ocre sur un techniques d’intelligence artificielle, ils ont pu rats contraints de répéter la même trajectoire à
fragment de roche. trouver des régularités dans ces données élec- l’intérieur d’un labyrinthe en forme de 8. Résul-
Il a été découvert dans trophysiologiques. Résultat : le taux de décharge tat : l’encodage des informations temporelles s’en
la grotte de Blombos, trouvait réduit. « Cela se comprend dans la mesure
en Afrique du Sud. où, dans une tâche répétitive comme celle-ci, la
C. S. Henshilwood et al., Nature, nature des événements vécus est très similaire d’un
doi:10.1038/s41586-018-0514-3, 2018. essai à l’autre par rapport à une situation d’explo-
ration libre. Le temps épisodique écoulé est donc
raccourci, explique Albert Tsao. C’est pourquoi le
Génétique temps peut paraître d’autant moins long qu’une
LE PANNIER DE journée est monotone. » Et inversement !
LA COCCINELLE Par ailleurs, le LEC est voisin du cortex entorhinal
ARLEQUIN médian, où May-Britt et Edvard Moser ont
Selon une étude de l’Inra découvert les « cellules de grilles » permettant
et le CNRS, les variations aux rongeurs de se repérer dans l’espace, leur
génétiques responsables valant l’attribution du prix Nobel. Les auteurs
de près de 200 motifs de pensent que ces deux structures transmettent
pigmentation sur les ailes des informations relatives au temps et à la posi-
des coccinelles arlequin tion vers l’hippocampe, où elles seraient inté-
dépendent du seul gène grées sous la forme d’une « représentation unifiée
pannier. du quoi, où et quand ». C’est-à-dire un souvenir !
M. Gautier et al., Curr. Biol., Illustration évoquant comment un skieur perçoit Gautier Cariou
doi:10.1016/j.cub.2018.08.023, 2018. le temps en fonction des événements vécus. (1) A. Tsao et al., Nature, 561, 57, 2018.
Biologie
Un parasite parasité
C’est l’histoire de l’arroseur arrosé. Une espèce de guêpe, plante grimpante, Cassytha filiformis (filament marron foncé). Elle
BRANDON MARTIN/RICE UNIVERSITY
Belonocnema treatae, a pour habitude de parasiter des arbres. vient y pomper des nutriments à l’aide de suçoirs intracellulaires.
En y pondant ses œufs, elle force la plante, comme ici sur Le cocon se transforme alors en tombeau, la larve finissant par
cette feuille de chêne, à produire une excroissance sphérique mourir momifiée à l’intérieur de la galle. Les biologistes cherchent
riche en nutriments, la galle. Celle-ci sert de cocon pour une larve. maintenant à savoir si ce type d’interaction existe entre d’autres
Mais une équipe de l’université Rice, à Houston, au Texas, plantes parasites et d’autres insectes. Mathias Germain
a observé que la galle pouvait être à son tour parasitée par une S. P. Egan et al., Curr. Biol., 28, 863, 2018.
À un ordinateur quan-
tique ? Les proto-
les données disponibles, l’al-
gorithme quantique génère une
types dépassent difficilement la recommandation pertinente
dizaine de bits quantiques. pour un utilisateur. C’est cette
Parmi les tâches exécutables étape d’échantillonnage qui
par ces petits calculateurs, l’al- était quantique.
gorithme de recommandation Ewin Tang a trouvé une façon
quantique de Iordanis Kerenidis classique de la réaliser. Son
et d’Anupam Prakash était le algorithme n’est pas tout à fait
candidat de premier plan (1) . aussi rapide que l’algorithme
Mais un algorithme classique de Kerenidis et Prakash, mais
serait aussi efficace pour Ewin Tang, 18 ans, a trouvé cet algorithme classique très efficace. le gain est quand même expo-
résoudre ce problème (2) . nentiel par rapport aux précé-
Le problème de recommanda- qui quantifient la préférence de l’Institut de recherche en infor- dents algorithmes classiques.
tion est bien connu des services tel client pour tel produit. La matique fondamentale, à Paris. Pour Iordanis Kerenidis, « c’est
de vente en ligne ou de vision- complexité de ce problème, qui Il est donc exponentiellement une bonne nouvelle, cela montre
nage de vidéos à la demande : conditionne le temps de calcul plus rapide. » que les algorithmes quantiques
connaissant l’historique de pour le résoudre, dépend de la Ewin Tang, un étudiant de peuvent servir de source d’ins-
commande d’un client, quel dimension de la matrice, qui 18 ans à l’université du Texas piration. Et, même s’il n’y a
produit serait susceptible de est le nombre de produits mul- à Austin, cherchait à démon- pas d’accélération quantique
l’intéresser ensuite ? Les pré- tiplié par le nombre de clients. trer qu’un algorithme clas- dans ce cas, d’autres candidats
férences des utilisateurs sont La complexité grimpe en flèche sique aussi rapide ne pouvait existent, comme des algorithmes
résumées sous la forme d’une quand ces nombres dépassent pas exister. Faute d’y arriver, quantiques de classification
matrice, c’est-à-dire d’un le million. « Notre algorithme il s’est inspiré de l’algorithme d’images ».
tableau de données, où chaque quantique, en revanche, ne quantique pour développer Sylvain Guilbaud
colonne correspond à un pro- dépend que du logarithme de une alternative classique effi- (1) I. Kerenidis et A. Prakash,
duit et chaque ligne à un client. la dimension de cette matrice, cace ! Au lieu de compléter la arxiv.org/abs/1603.08675, 2016.
Les données sont des nombres explique Iordanis Kerenidis, de matrice des préférences, pour (2) E. Tang, arxiv.org/abs/1807.04271, 2018.
THE COLLEGE OF NATURAL SCIENCES AT UT AUSTIN
NATHALIE GONTARD,
“ EN EUROPE, ENVIRON 40 % DE Sismologie
directrice de CES DÉCHETS SONT DISPERSÉS PRÉDIRE LES RÉPLIQUES
recherche à l’Inra, DE MANIÈRE INCONTRÔLÉE Une équipe américaine a conçu un algorithme
interrogée par DANS NOTRE ENVIRONNEMENT, d’apprentissage automatique capable de prédire
l’hebdomadaire Le 1, l’emplacement des répliques après un
a rappelé le devenir
30 % SONT ENFOUIS, 15 % SONT tremblement de terre majeur. La précision de
des plastiques INCINÉRÉS ET 15 % SONT localisation est deux fois meilleure qu’auparavant.
que nous utilisons. COLLECTÉS ” P. M. R. DeVries et al., Nature, 560, 632, 2018.
Réinventons la ville
connectée
a gestion d’une ville est d’abord ces derniers. Les arguments avancés pour pouvons ainsi devenir passifs. Pourquoi
L une question d’échange d’in-
formation. Pour qu’un jardi-
le justifier sont multiples : des collectivités
territoriales aux ressources insuffisantes,
trier nos déchets si le service municipal
est si efficace ? Pourquoi nous intéresser
nier opère sur un parterre de fleurs devant l’idéologie selon laquelle une gestion pri- même à ce sujet ? En général, pourquoi ne
la médiathèque, il faut planifier son tra- vée serait nécessairement moins coûteuse, pas laisser les services numériques déci-
vail : quelles fleurs y a-t-on plantées, ou encore le manque de compétences de der pour nous ?
quand a eu lieu la dernière intervention, certains responsables municipaux. Pour-
que prévoit la météo, etc. Toutes ces infor- tant, la numérisation de la ville ne doit pas POURTANT, LA PARTICIPATION de
mations sont disponibles aujourd’hui être l’occasion d’une perte du contrôle des chacun est indispensable pour maîtriser
numériquement. Le cœur du réacteur de politiques. La ville est, et doit rester, d’abord toute la complexité d’une ville moderne
la smart city, c’est donc la collecte, au service de ses citoyens. et gérer sa croissance, de possibles flux
l’échange et l’analyse de données pro- Car les conséquences peuvent être lourdes. migratoires, la pollution… Dans certaines
duites par la ville, le big data à son service. Les citoyens les plus démunis sont typi- communes par exemple, les citoyens
Certaines villes récentes sont d’ailleurs quement peu « rentables » financièrement signalent sur un site web les revêtements
conçues pour être connectées, telle et souvent ignorés de la smart city. Par de chaussée détériorés, afin qu’ils soient
Songdo, en Corée du Sud. exemple, ils peuvent avoir des difficultés réparés. En Inde, pour lutter contre la cor-
Prenons le transport urbain. Une ville ruption, le projet I Paid A Bribe, de l’organi-
reçoit des données des sociétés de trans- sation Janaagraha, encourage les citoyens
port public, des entreprises de voitures de à dénoncer sur Internet les pots-de-vin
transport avec chauffeur (VTC), des ges- qu’ils ont payés (1) .
tionnaires de parking… À partir de ces Les citoyens La ville utilise trop peu les possibilités
données, elle peut participer à la mise en les plus fragiles qui, au temps des algorithmes, lui sont
place d’une application pour smartphone offertes. Cette inadaptation des institu-
afin de faciliter le déplacement multimo-
sont souvent tions à l’avancée des techniques parti-
dal (transports publics, vélo et autopar- ignorés de cipe à leur obsolescence et, au-delà, à la
tage…) des citoyens, décourageant l’usage la smart city ” défiance grandissante des citoyens à leur
de la voiture individuelle au profit de égard. La cité doit mieux informer ses
moyens de locomotion moins polluants. à faire des demandes en ligne de presta- citoyens, notamment par l’ouverture de ses
Nous pourrions multiplier les exemples tions ou de services sociaux ; ils doivent données. Ces derniers doivent également
dans de nombreux domaines, comme la être accompagnés et formés au numé- mieux participer à la conception de la ville,
planification urbaine, les travaux publics, rique. Cependant, certaines initiatives aux prises de décisions. À nous de réinven-
la sécurité avec la police ou les pompiers, mettent l’agilité de la ville au service des ter la ville agile et connectée de demain
les services sociaux, culturels, ou l’énergie. plus fragiles – le site Faciligo par exemple pour en faire un lieu plus humain, plus
met en relation des personnes à mobilité inclusif, plus durable : une véritable cité. n
SI ELLE PEUT être plus efficiente, éco- réduite et d’autres voyageurs pour que ces (1) www.ipaidabribe.com
nome financièrement, la ville connectée derniers les accompagnent, moyennant
INRIA / PHOTO C. LEBEDINSKY
céreuses et participe au proces- le « motif », de ces oses. Carcidiag Biotech cocktail déclenchent, en présence de ces
sus de dissémination des cel- a mis au point une technique de coloration motifs, une réaction enzymatique qui produit
lules tumorales. » « Les cellules spécifique des cellules souches du cancer une coloration marron visible au microscope.
cancéreuses sont caractérisées
ncarcidiag.com le plan énergétique, bien plus l’université de Genève, qui ont nwww.abcdx.ch
- 38 % 3 questions à
Laurent Chambaud, directeur
de l’École des hautes études en santé publique (EHESP)
Nominations
ministère de l’Enseignement de Brest, important centre
+33 000 Bernard Larrouturou,
ingénieur général des ponts, supérieur, de la Recherche français de recherche marine.
des eaux et des forêts, a été et de l’Innovation. Ce Pauline Capus est
nommé directeur général de la mathématicien a été PDG la nouvelle directrice générale
recherche et de l’innovation au d’Inria et directeur général de l’Association française des
ÉTUDIANTS se sont inscrits du CNRS. Il succède à Alain pôles de compétitivité. Elle
en 2017-2018 dans Beretz, qui se voit confier devra accompagner ces pôles,
l’enseignement supérieur, une mission sur la mise en qui rassemblent des
privé et public. Cela place des futures universités entreprises, des laboratoires
représente une hausse européennes. et des établissements de
de 1,3 % par rapport à l’année Frédéric Jean prend formation, dans une nouvelle
précédente et un total la tête de l’Institut universitaire étape, plus axée sur un
de 2 680 400 étudiants. Bernard Larrouturou européen de la mer, près développement européen.
DR
[de la recherche] ”
Antoine Petit, PDG du CNRS, le 27 août dernier à Bordeaux. Il veut s’attaquer à deux education.newstank.fr
tabous : payer différemment les gens selon les disciplines et selon leur niveau d’excellence. « Le média des acteurs de
l’enseignement supérieur
et de la recherche »
MATIÈRE NOIRE
La grande inconnue
de l’Univers
De la vitesse de rotation des étoiles à la formation des struc-
tures qui charpentent le cosmos, un faisceau d’indices laisse
supposer la présence d’un ingrédient caché dans la recette
de l’Univers. Par déduction, on remonte à sa proportion
– 25 % – et à ses caractéristiques : une substance massive
non lumineuse. Cette matière noire pourrait être compo-
sée de particules inconnues. Mais ces dernières, après plu-
CHANDRA X-RAY OBSERVATORY CENTER/NASA
« Avec le problème
de la matière noire,
l’astronomie vit une crise »
Françoise Combes, Collège de France
La matière visible dans le ciel ne suffit pas pour expliquer tous les mouvements
des astres. Quelle est la nature de cette matière manquante, cruciale
pour comprendre notre Univers ? Ce problème hante les astronomes
depuis plus de quatre-vingts ans. On suppose l’existence de particules exotiques
inconnues, mais peut-être faut-il changer les lois de la gravitation.
La Recherche Que veut dire confrontés à des problèmes de de découvrir Neptune en 1846.
l’expression « matière noire » ? matière noire, mais les astronomes Neptune était en quelque sorte de
Françoise Combes Elle désigne n’en parlaient pas de la sorte – même la matière noire qu’on ne voyait pas
une matière que nous ne percevons si l’expression « matière obscure » jusqu’alors. L’autre exemple, ce sont
pas directement, mais dont nous apparaît déjà sous la plume d’Henri les anomalies observées du mouve-
détectons les effets qu’elle pro- Poincaré (1) . Historiquement, ces ment de la planète Mercure. Cette
voque sur le mouvement des astres problèmes ont été résolus de deux fois, aucune nouvelle planète ne les
visibles ou sur celui de la lumière. façons. Par exemple, au XIXe siècle, explique : il faudra changer les lois
Ce que l’on appelle le « problème de les astronomes observent des de la gravité (par la relativité géné-
la matière noire », c’est le fait que la perturbations dans la trajectoire rale d’Albert Einstein en 1915) pour
masse visible, celle des étoiles, des d’Uranus – la planète la plus éloi- les comprendre. Voilà donc les deux
planètes, etc., ne suffit pas pour gnée alors connue – par rapport à façons de résoudre le problème :
expliquer la dynamique des objets la trajectoire calculée grâce à la loi trouver de la matière noire, ou la
célestes : il doit y avoir de la masse de gravitation de Newton. Urbain solution « législative », changer les
cachée qui exerce une influence Le Verrier propose que cet écart soit lois de la gravitation.
gravitationnelle supplémentaire. dû à la masse d’une planète encore Qu’en est-il du problème de
De la matière noire, qu’on appelle inconnue. Ses calculs permettent matière noire qui préoccupe
parfois matière sombre. Ces qualifi- les chercheurs aujourd’hui ?
catifs ne reflètent aucune propriété On peut le faire remonter aux
physique de cette matière, simple-
Contexte Pour l'instant, les scientifiques années 1930. L’astronome suisse
ment le fait qu’elle nous échappe, expliquent une grande partie de la formation et de Fritz Zwicky observait alors les amas
qu’elle est mystérieuse. l’évolution de l’Univers par le modèle standard de la de galaxies, l’amas de Coma en par-
Quand les astronomes se cosmologie, fondé notamment sur la théorie de la ticulier. Il a mesuré la vitesse de cer-
sont-ils rendu compte qu’il y relativité générale. Ingrédient clé de ce modèle, la taines de ces galaxies par effet Dop-
avait un problème de matière matière noire constituerait 25 % de l’Univers. Mais elle pler (*) : environ 1 000 km/s. Comme
noire dans l’Univers ? est toujours introuvable. l’amas est en équilibre, son énergie
Par le passé, nous avons déjà été cinétique doit être à peu près égale à
suivi. Le Néerlandais Jan Oort parle déterminer la vitesse de la Or des observations, comme celles quer les vitesses de rotation. En
aussi de matière noire à cette époque source. de l’astronome américaine Vera revanche, ce n’est pas vrai dans les
pour expliquer la vitesse des étoiles Rubin, ont montré que les étoiles galaxies naines, où l’écart se mani-
perpendiculaires au plan de la Voie éloignées du centre tournaient plus feste près du centre. Mais, à l’époque,
lactée. Cependant, on pensait qu’il vite que prévu (Fig. 1) . Mais elle ne Vera Rubin ne pouvait pas les
Cette simulation numérique montre comment la matière noire (représentée ici en bleu) forme les grandes structures de l'Univers.
observer. L’apport technique l’une de l’autre. La carte de ce fond (hydrogène, hélium, deutérium,
déterminant fut la détection de l’hy- diffus, raffinée récemment par le lithium) dans le premier quart
drogène atomique, le gaz qui consti- satellite Planck, montre un Uni- d’heure de l’Univers. On est capable
tue l’Univers en majorité. vers très homogène – les galaxies de mesurer aujourd’hui la propor-
Comment détecte-t-on ce gaz ? n’existent pas encore – à quelques tion relative de ces éléments. Or
Par le rayonnement qu’il émet à petites fluctuations de densité près. celle-ci dépend de la quantité totale
une longueur d’onde de 21 cm, On pense que ces fluctuations sont de baryons dans l’Univers. Le résul-
dans la gamme radio, invisible à les amorces des galaxies, à partir des- tat ne concorde que si la fraction de
l’œil nu, alors que Vera Rubin obser- quelles la matière s’accumule. Mais matière baryonique ne constitue
vait la lumière visible (entre 380 si l’on fixe le point de départ de la for- pas plus de 5 % du total. S’il y avait
et 780 nanomètres de longueur mation des galaxies à cette date, alors plus de baryons, on observerait de
d’onde). Comme le gaz s’étale bien on constate qu’il ne s’est pas écoulé plus grandes quantités d’éléments
plus loin que les étoiles dans les assez de temps jusqu’à aujourd’hui légers. Quel est le rapport avec la
galaxies – jusqu’à cinq fois plus pour que les galaxies atteignent la matière noire ? En faisant un relevé
loin – et qu’il est lui-même très léger, taille qu’on observe. Ce problème complet de la masse présente dans
sa vitesse est un très bon marqueur est résolu si l’on suppose qu’il existe l’Univers, on constate que la matière
de la masse gravitationnelle au bord de la matière noire capable de s’ac- représente environ 30 % de la com-
des galaxies. Les courbes de rotation cumuler avant l’émission du fond position de l’Univers. Le reste (70 %)
du gaz obtenues avec les ondes radio diffus cosmologique pour former est de l’énergie noire (lire p. 42). Cela
dans les années 1980 (3) , notamment des sortes de galaxies noires, autour est indispensable pour expliquer
par l’astronome néerlandais Albert desquelles la matière ordinaire s’ef- pourquoi l’Univers est plat à grande
Bosma, ont confirmé celles des fondre ensuite. La matière noire L’astronome échelle, un résultat majeur de la
étoiles. Il n’y avait donc plus de doute ne doit donc pas interagir avec la américaine Vera Rubin cosmologie confirmé par Planck.
qu’il existait un halo de matière noire lumière : on devrait plutôt l’appeler (1928-2016) a observé Ainsi, sur les 30 % de matière de
autour de chaque galaxie. matière transparente ! C’est à cette que, dans les galaxies, l’Univers, la majeure partie serait
Les vitesses dans les amas époque que l’on a compris que cela la vitesse de constituée de matière non baryo-
rotation des étoiles
de galaxies et les galaxies ne pouvait pas être de la matière nique, de matière noire (25 % du
éloignées était plus
sont-elles les seuls indices de ordinaire, c’est-à-dire de la matière contenu total de l’Univers), le reste
élevée que prévu.
l’existence de la matière noire ? baryonique (constituée de baryons, étant de la matière ordinaire, celle
Non, il y a aussi des indices à essentiellement les protons et les dont nous sommes constitués (5 %
CENTER FOR COSMOLOGICAL PHYSICS
l’échelle cosmologique, celle de neutrons, qui forment les noyaux du contenu de l’Univers). La matière
l’Univers dans son ensemble. Dès des atomes que nous connaissons). noire est donc un ingrédient clé du
les années 1980, on a commencé à Il existe donc des indices en modèle standard de la cosmologie, la
détecter les fluctuations de densité faveur de l’existence d’une théorie qui décrit le mieux, du moins
du fond diffus cosmologique. Ce matière noire « exotique » ? pour l’instant, l’Univers tel que nous
rayonnement a été émis 380 000 ans Oui, un autre indice est la nucléo- le connaissons.
après le Big Bang, au moment où la synthèse primordiale – la forma- La matière noire est donc
matière et la lumière se libèrent tion des noyaux atomiques légers forcément de nature exotique ?
car ce processus rejette des éléments Arrigo Finzi en 1963, mais c’est sur-
Observation
lourds dans l’espace et, vu le nombre tout l’Israélien Mordehai Milgrom
de trous noirs qui seraient néces- qui, au début des années 1980, pro-
saires pour composer la matière pose une modification de la loi de
noire, la proportion des éléments Prédiction théorique la gravitation pour expliquer les
lourds serait considérablement plus courbes de rotation des galaxies.
INFOGRAPHIE : MMARCONVILLE
élevée que celle qu’on observe. Ne Distance au centre de la galaxie On l’appelle Mond pour Modi-
restent que les trous noirs primor- Il y a un écart entre les vitesses de rotation des étoiles fied Newtonian dynamics. Selon
diaux, qui seraient apparus durant la et du gaz mesurées dans les galaxies et celles prédites la théorie de Newton (laquelle est
première seconde de l’Univers. Leur par la loi de Newton. Ce désaccord entre théorie et une très bonne approximation de
existence demeure très spécula- observation au niveau des courbes de rotation est à la théorie de la relativité générale
l’origine du problème de la matière noire.
tive. Beaucoup se seraient évaporés pour décrire le mouvement
des étoiles), l’accélération due satellites à la Voie lactée, quand on localiser (lire ci-dessus), mais c’est
0,3 %
à l’attraction gravitationnelle entre n’en voit que quelques dizaines. peu probable. Un autre problème
deux astres diminue comme le carré Enfin, on observe une forte corréla- rencontré par Mond est que ce
de leur distance. Avec la formule de tion entre la vitesse de rotation des modèle n’explique pas les observa-
Mond, ceci n’est plus vrai en des- étoiles et du gaz et la masse visible, tions du fond diffus cosmologique,
sous d’un certain seuil d’accéléra- qu’on explique mal si l’on attribue ni la formation des grandes struc-
tion : l’accélération due à l’attrac- la vitesse de rotation à de la matière DU COSMOS tures de l’Univers, contrairement au
tion gravitationnelle diminue alors noire qui n’interagit que très peu est constitué d'étoiles modèle standard de la cosmologie.
comme la distance qui sépare les avec la masse visible. et de galaxies, ce qui Malgré ses limites, la majorité des
deux corps, c’est-à-dire moins vite Pourquoi cette modification ne représente que physiciens ne sont donc pas prêts
que dans la loi de Newton. Ce seuil des lois de la gravité n’est-elle 6 % de la matière à abandonner le modèle standard
est très faible, 1011 fois inférieur à la pas majoritairement acceptée ordinaire de l'Univers. de la cosmologie. En résumé, d’un
gravité terrestre. Mais les étoiles en par la communauté ? côté, la matière noire froide expli-
périphérie des galaxies subissent Parce qu’elle ne fonctionne plus à querait très bien les données cos-
des accélérations de cet ordre. Selon l’échelle des amas de galaxies : l’accé- mologiques, mais moins bien les
Mond, ces étoiles connaîtraient donc lération gravitationnelle y est pour- données galactiques, et surtout, elle
une attraction gravitationnelle supé- tant faible, mais, même en prenant reste introuvable. De l’autre, la modi-
rieure à celle qui est prévue par les fication de la gravité expliquerait très
lois de Newton, ce qui expliquerait bien les observations galactiques,
leur vitesse de rotation plus grande « La matière noire mais pas celles cosmologiques. Avec
sans avoir besoin de matière noire.
Mond fonctionne en effet très bien
explique les observations le problème de matière noire, l’astro-
nomie vit une crise. Et nul ne peut
au niveau des galaxies, où cette for- cosmologiques, mais pas dire d’où viendra la solution. n
mule reproduit toutes nos observa- Propos recueillis
les données galactiques »
INFOGRAPHIE : BRUNO BOURGEOIS
tions, ce qui n’est pas tout à fait le cas par Sylvain Guilbaud
avec la matière noire froide. En effet, (1) Henri Poincaré, Science et méthode,
les simulations avec la matière froide en compte Mond, il faut rajouter de Flammarion, 1908.
prédisent un pic de matière noire la masse pour expliquer les obser- (2) F. Zwicky, Astrophys. J., 86, 217, 1937.
au centre des galaxies qui n’existe vations. Certains pensent que cela (3) V. Rubin et al., Astrophys. J., 238,
pas en réalité. Elles prédisent aussi pourrait être des baryons man- 471, 1980.
l’existence de milliers de galaxies quants, qu’on a encore du mal à (4) P. Tisserand et al., A & A, 469, 387, 2007.
À la poursuite de
la particule fantôme
Julien Masbou, université de Nantes, CNRS
L
semble résister aux taines de ses galaxies (lire p. 38). Sa notamment grâce à l’étude du fond
physiciennes et aux conclusion est implacable : la majo- diffus cosmologique, le rayonne-
physiciens. Des pro- rité de la masse de l’amas de Coma ment émis 380 000 ans après le Big
fondeurs des mon- n’est pas lumineuse. C’est pourquoi Bang. Ce rayonnement montre
tagnes italiennes au il l’appelle matière sombre. un Univers lisse et homogène, à
désert namibien, en passant par Même si, aujourd’hui, les méthodes de petites fluctuations près. Mais,
ASTROPHYSICIEN
le Cern, en Suisse, sa traque mobi- de mesure ont changé, les résultats aujourd’hui, 13 milliards d’années
DES PARTICULES
lise aujourd’hui une grande partie de Zwicky sont toujours valables. Il plus tard, l’Univers est devenu extrê-
Julien Masbou
de la communauté de la recherche est d’ailleurs saisissant de consta- est maître de
mement hétérogène, peuplé d’étoiles
en physique des particules, telle ter à quel point les méthodes de conférences. et de galaxies séparées par de grands
une gigantesque chasse au trésor. mesure de la masse des objets sont Chercheur au vides. Comment l’expliquer ?
Mais la découverte se fait attendre diverses – mesure cinématique, laboratoire Subatech
depuis trente ans. Pourquoi nous grâce à la rotation des galaxies, ou (CNRS, université de Une nouvelle physique
entêtons-nous à essayer d’observer mesure par effet de lentille gravita- Nantes et Institut La présence dans ce que l’on appelle
cette matière, par définition invi- tionnelle – et que les conclusions Mines-Télécom la « soupe primordiale », au moment
sible ? Tout simplement parce que les restent pourtant identiques : il y Atlantique), il traque du Big Bang, d’une particule incon-
arguments pour justifier sa présence aurait cinq fois plus de matière noire les particules de nue très massive, interagissant fai-
matière noire au sein
ne manquent pas ! L’idée a germé que de matière baryonique (c’est-à- blement avec la matière ordinaire,
de la collaboration
dans les années 1930 dans l’esprit de dire la matière normale). Outre ces permet de rendre compte simple-
Xenon.
l’astronome Fritz Zwicky, qui étudie mesures de masse, les observations ment de ces observations. Cette
alors l’amas de Coma en analysant cosmologiques appuient également particule doit avoir une masse éle-
vée pour attirer la matière et former
les premières graines des futures
Contexte Traquée sans relâche depuis plus de trente ans, galaxies. Elle doit aussi interagir fai-
la matière noire reste une énigme. Le principal candidat en ligne blement avec la matière ordinaire,
de mire est une particule de masse élevée, interagissant très fai- pour ne pas perturber l’équilibre
blement avec la matière : le Wimp. Partout dans le monde, des chimique qui s’établit dans l’Uni-
recherches sont en cours pour essayer de la découvrir. vers, en particulier la proportion
DR
Le cœur du détecteur de Wimp nommé Xenon 1T, ici assemblé en salle blanche, contient 2 tonnes de xénon ultrapur à - 100 °C.
de l’ordre de 10 %. C’est préci- différents. Cette expérience, qui se énergétiques qui peuvent elles
sément une telle variation annuelle déroule depuis bientôt vingt ans aussi entrer en collision avec les
que la collaboration Dama/Libra, au au sein du laboratoire national atomes de xénon. Imaginons un
laboratoire national de Gran Sasso, du Gran Sasso, en Italie, utilise du adulte de 70 kg en bonne santé,
en Italie, prétend avoir détectée. L’in- xénon liquide. Après deux généra- mangeant régulièrement des fruits
terprétation de son résultat reste tions d’instruments, l’expérience et des légumes. Ceux-ci contiennent
cependant controversée (lire p. 44). actuelle, Xenon 1T, utilise 2 tonnes Gran naturellement des éléments radioac-
Sasso
De nombreuses équipes tentent de xénon. Il est le premier détec- tifs, tel le potassium 40. Cette per-
depuis plus de trente ans de débus- teur double phase (liquide-gaz) 1 400 m sonne émet alors 8 000 particules par
quer les Wimp. Parmi les expé- au xénon au monde dépassant la seconde. Un tel flux serait bien trop
riences actuelles se trouvent LUX tonne. Le xénon est un noyau lourd Laboratoire important dans le détecteur, créant
(États-Unis), PandaX (Chine) ou qui a l’avantage d’être peu radioactif des collisions parasites, alors que
Deap (Canada), pour n’en citer que à l’état naturel. Plus un élément est Le laboratoire nous nous attendons aujourd’hui
quelques-unes. Le détecteur de lourd, plus il offre des cibles poten- national du Gran Sasso à ce que la matière noire produise
recherche directe de matière noire tielles pour entrer en collision avec est protégé des environ une interaction – seu-
le plus sensible au monde à la colli- la matière noire : un noyau de xénon rayons cosmiques par lement ! – par an et par tonne de
sion entre un nucléon (*) et unWimp possède en moyenne 131 nucléons. 1 400 m de roche, matière exposée. Ainsi, dans ce type
sous le massif italien
est mis en œuvre aujourd’hui par la La radioactivité représente un pro- d’expérience, il est primordial de se
du même nom.
collaboration internationale Xenon. blème majeur dans toutes ces protéger du « bruit de fond », c’est-à-
Elle regroupe 165 scientifiques, expériences, car la désintégration dire de tous les événements ne résul-
venant de 27 institutions de 11 pays radioactive émet des particules tant pas de notre sujet d’étude.
Xénon gazeux
Champs
électriques
e- e-
Particule -
e- e
S’affranchir du bruit
Enfin, les rayons cosmiques, fruits de
l’activité très énergétique du Soleil,
des supernovae ou des noyaux En Namibie, dans le désert, le réseau de cinq télescopes Hess guette des excès de rayons gamma,
actifs de galaxies, par exemple, ce qui pourrait faire suspecter la présence de matière noire.
accélèrent par eux-mêmes des par-
ticules qui bombardent régulière- nous permet de calculer la sensibi- des particules radioactives, qui ont
ment la Terre (20 particules/m2/s). lité attendue du détecteur lors des du mal à parcourir plus de quelques
Afin de s’en prémunir, la collabo- mesures. Malgré cela, la particule (*) Un nucléon est centimètres dans la matière et se
ration Xenon s’est installée sous le de matière noire, elle, ne devrait le constituant d’un noyau concentrent autour des parois du
massif du Gran Sasso, protégé par avoir aucun problème pour traver- atomique, c’est-à-dire détecteur. Pour relever le défi de la
un proton ou un neutron.
1 400 m de roche, réduisant le flux ser la montagne jusqu’au détecteur, Constitué de trois quarks, détection des particules de matière
de particules perturbatrices d’un puisqu’elle est supposée n’interagir il fait donc partie de noire, nous disposons donc d’une
facteur 1 million. Cet ensemble de que faiblement avec la matière. La la famille des baryons. expérience avec une cible de noyaux
couches est comme un millefeuille collision peut donc se produire par- massifs – le xénon –, de grande taille
de protections, dont la conception tout dans l’instrument, au contraire – pour augmenter la possibilité de
collision –, et suffisamment stable
– pour recueillir des données durant
ET SI ON PASSAIT À L’AXION une année entière. De surcroît, notre
dispositif expérimental permet de
L’axion est la principale particule concurrente mesurer la position de l’interaction
des Wimp pour constituer la matière noire. Ima- dans les trois dimensions de l’espace.
giné à la fn des années 1970 pour résoudre Et, point crucial, nous pouvons dis-
un problème lié à l’interaction forte (l’une des tinguer si l’interaction se fait avec le
CHRISTIAN FOEHR - 2013 UNIVERSITY OF WASHINGTON
arrivant au sommet, les électrons particule qui a traversé le détecteur. nement de l’Univers. Toutefois, s’il
English
passent dans le xénon gazeux à l’aide version restait introuvable, un nouveau défi
d’un champ électrique plus intense La traque continue s’offrirait alors aux chercheurs pour
(10 kV/cm). Ils sont alors réaccélérés La dernière campagne de mesure de Cet article est repenser et théoriser à nouveau
et créent un second signal de scintil- Xenon 1T a duré 278 jours, répartis disponible notre compréhension de l’Univers. n
lation. On déduit la position de l’inte- sur 16 mois entre novembre 2016 en anglais sur (1) A. U. Abeysekara et al., Science, 358, 911, 2017.
raction dans le plan perpendiculaire et février 2018. Les résultats de researchinfrance.com (2) E. Aprile et al., arXiv:1805.12562, 2018.
H
l’hypothèse de la matière noire, souligne Benoit cien israélien Mordehai Milgrom, de
la matière noire Famaey, de l’Observatoire astrono- l’InstitutWeizmann, près de Tel-Aviv,
repose sur l’ob- mique de Strasbourg. C’est pour cela, propose d’explorer l’autre manière
servation de la en plus de certains arguments cosmo- d’expliquer la vitesse asympto-
vitesse de rota- logiques, que celle-ci a rapidement tique des gaz galactiques : redéfinir
tion du gaz interstellaire quand on fait consensus chez les scientifiques. ce qu’est l’attraction gravitation-
s’éloigne du centre d’une galaxie. Mais des exemples passés ont montré nelle, ou plus exactement la dyna-
À très grande distance, on constate que la solution la plus simple n’est pas (*) L’énergie noire mique de cette attraction, c’est-à-
un palier, une vitesse asymptotique. toujours la meilleure. » Ainsi, après est une forme d’énergie dire la manière dont elle est reliée à
C’est ce qu’avait montré, dans sa avoir prévu avec succès, en 1846, hypothétique qui remplirait l’accélération des corps. Une théo-
tout l’Univers et qui se
thèse en 1978, l’astronome néer- l’existence de Neptune à partir des comporterait comme une rie baptisée Mond (de l’acronyme
landais Albert Bosma, aujourd’hui irrégularités de l’orbite d’Uranus, force gravitationnelle anglais Modified Newtonian Dyna-
au laboratoire d’astrophysique de Urbain Le Verrier avait prédit la pré- répulsive. Cette hypothèse mics) tente de décrire les galaxies
Marseille. Cette observation contre- sence d’une planète – Vulcain –, permet d’expliquer sans recours à l’hypothèse de la
dit la dynamique de Newton, selon située entre le Soleil et Mercure, pour l’accélération de l’expansion matière noire (1) . « Quand l’accélé-
de l’Univers qui est
laquelle la vitesse de rotation doit expliquer les perturbations d’orbite constatée dans les ration gravitationnelle est grande,
atteindre un pic, puis diminuer de cette dernière. Un choix de sim- observations cosmologiques. par exemple à l’échelle d’un système
quand on s’éloigne du centre galac- plicité erroné : Albert Einstein mon- planétaire ou du centre d’une galaxie,
tique, où l’essentiel de la matière est trera, cinquante ans plus tard avec la la gravité newtonienne fonctionne
concentré (lire l’entretien p. 38). relativité générale, que ces perturba- bien, détaille Mordehai Milgrom.
« Comme ce qu’on observe est un tions sont un effet du fort champ gra- Mais quand l’accélération est infé-
phénomène qui dépend à la fois vitationnel du Soleil. rieure à une certaine constante a0,
d’une masse et de l’attraction gravi- notamment à la périphérie des
tationnelle, explique Albert Bosma, galaxies, Mond décrit mieux les
cette différence avec la dynamique
Contexte En dépit de décennies d’efforts, observations. (Fig. 1) »
newtonienne peut s’expliquer de aucune expérience n’a démontré l’existence de la ma- Cette idée connaît un regain d’in-
deux manières : soit parce que la gra- tière noire. Quelques scientifiques, dont le physicien térêt, car toutes les tentatives de
vitation est mal décrite, soit parce israélien Mordehai Milgrom ou l’astronome américain découvrir la preuve de l’existence
qu’on a omis une grande quantité Stacy McGaugh, préconisent donc d’abandonner cette de la matière noire – une particule
de matière. » « À l’époque, il a sem- hypothèse, et de redéfinir la dynamique de la gravitation. massive (Wimp) ou légère (axion),
blé plus simple de modifier la masse Un changement radical baptisé Mond. qui toutes deux sortent du cadre
des galaxies, en postulant qu’elles du modèle standard de la physique
proposé par Mordehai Milgrom cation qui ne convainc pas Stacy qui n’est pas encore clair. » De plus, le
est en effet son incapacité à expli- McGaugh : « Le modèle de la matière comportement de la matière noire
quer les observations du fond dif- noire fonctionne bien à l’échelle reste très énigmatique : découplée
fus cosmologique, dont on possède cosmologique, parce qu’on a adapté de la matière visible dans l’Univers
depuis 2009 une carte très détaillée la quantité de matière noire pour que primordial que nous montre le fond
grâce au satellite Planck. Une image cela se passe ainsi. Mais on ne pourra diffus cosmologique, la matière noire
autour des détecteurs », romandes, 2018. de la matière noire. La vidéo de la conférence « À la Le blog de l’astronome
La Recherche n° 444, n Vincent Bontems et Roland n www.lngs.infn.it/en recherche de l’Univers invisible », Stacy McGaugh, partisan
septembre 2010, p. 40. Lehoucq, Les Idées noires de la Le site du laboratoire donnée par l’astrophysicien d’une modifcation des lois
n H. Le Meur et G. Servant, physique, Les Belles Lettres, 2016. de Gran Sasso, où se déroulent David Elbaz. de la gravité.
DR
Biodiversité
Le changement climatique
facilite les invasions
Céline Bellard, Muséum national d’histoire naturelle, Paris
L
principaux facteurs nombreuses espèces hors de leur ronnements et à y faire des ravages.
influençant la répar- aire d’origine. C’est par exemple Elles ne se soucient guère des fron-
tition mondiale des le cas du frelon asiatique (Vespa tières : dans la mesure où le climat et
espèces. Ainsi, une velutina), introduit accidentelle- les conditions environnementales
plante originaire du ment en 2004 en France, proba- leur sont favorables, elles peuvent
Panama, adaptée au climat tro- blement avec des conteneurs de coloniser des territoires à une
pical, sera le plus souvent inca- poteries chinoises, et qui a depuis vitesse stupéfiante. Par exemple,
ÉCOLOGUE
pable de s’établir dans des régions colonisé tout le territoire national. le très venimeux poisson-lion, ori-
Céline Bellard est
au climat plus froid, comme l’Eu- Comment la situation va-t-elle évo- ginaire de la région Indo-Pacifique
chercheuse post-
rope. Le climat forme une bar- luer dans les décennies à venir ? Le (en passant par l’ouest de l’Austra- doctorante au sein
rière, aussi infranchissable qu’une changement climatique accentue- lie et la Polynésie française), a ainsi de l’unité mixte de
montagne, au déplacement de la ra-t-il ce phénomène ? envahi, en 2013, l’ensemble des recherche Borea.
plupart des espèces. Mais, depuis Répondre à ces questions est essen- côtes sud-est de l’île de Chypre en Ses travaux portent
quelques siècles, l’être humain a tiel, car les espèces envahissantes moins d’un an. sur les conséquences
créé des brèches dans ces barrières, ont en commun de s’adapter très Le nombre de ces invasions s’est pour la biodiversité
accéléré ces dernières décennies. des invasions
Petr Pyšek, de l’Institut botanique de biologiques,
Contexte Comment le changement climatique infue-t-il l’Académie des sciences de la Répu- en interaction avec
les effets des
sur la répartition des espèces envahissantes ? Jusqu’à peu, cette blique tchèque, et ses collègues, ont
PHOTO12/ALAMY - DR
changements
question restait sans réponse précise, en raison d’un manque de estimé que 4 % des plantes réperto-
climatiques.
données sufsantes. Or y répondre est essentiel, car ces espèces riées aujourd’hui sur la planète ont
sont redoutables pour s’adapter à de nouveaux environnements. réussi à s’implanter en dehors de
leur aire d’origine grâce aux
Biodiversité
déplacements humains et donc dangereuses pour l’homme, anticiper ces changements, des
à s’adapter à de nouvelles conditions comme le chikungunya, transmis outils modélisant la répartition
environnementales (1) . Or ces colo- par les moustiques du genre Aedes. géographique des espèces enva-
nisations ne sont pas sans risque hissantes ont été mis au point ces
pour la biodiversité terrestre. En Navigation dans l’Arctique dernières décennies. Il est désor-
effet, l’arrivée de certaines espèces Avec le changement climatique, la mais largement admis dans la com-
introduites a des conséquences température et le régime de pré- munauté scientifique que le climat
particulièrement néfastes pour leur cipitation de multiples régions va modifier les processus des inva-
environnement, mais aussi pour seront modifiés. On peut ima- sions. Près d’une centaine d’études
l’homme. Elles entrent en compé- giner que cela aura des consé- ont ainsi modélisé les conséquences
tition avec les espèces autochtones quences importantes sur la répar- de l’augmentation de température
pour s’approprier les ressources, tition géographique des espèces et du changement dans le régime
deviennent des prédateurs redou- envahissantes. L’augmentation des des précipitations sur la répartition
tables ou modifient complètement événements climatiques extrêmes Le moustique tigre géographique de ces espèces (4) .
les propriétés des écosystèmes et l’ouverture de voies de naviga- (Aedes albopictus) est Cependant, les travaux d’écolo-
qu’elles envahissent. tion dans l’Arctique faciliteraient vecteur de maladies, gie des invasions sont par essence
On peut citer Miconia calvescens aussi largement la dissémination comme la dengue concentrés sur des espèces pour
(M. calvescens), surnommé le de ces espèces. ou le chikungunya. lesquelles les données sont abon-
« cancer vert » (2) . Cet arbre natif de Ainsi, les ouragans Harvey et dantes, majoritairement des
l’Amérique centrale et du Sud est Irma, qui ont sévi aux États-Unis plantes et quelques vertébrés. En
notamment devenu envahissant à en 2017, ont probablement favo- outre, ces études sont souvent fon-
Tahiti, où il a colonisé les deux tiers risé la dissémination de près de dées sur différentes techniques de
de l’île. Il forme des fourrés denses, 200 espèces aquatiques intro- modélisation, non comparables
empêchant les autres plantes d’ac- duites (3) . De plus, les événements entre elles, ce qui limite les tenta-
céder à la lumière, et menace ainsi climatiques extrêmes fragilisent les tives de généralisation des résul-
près de 70 espèces endémiques. Il populations des espèces natives et tats à d’autres groupes taxono-
est aussi responsable de la modifi- favorisent celles qui sont intro- miques ou dans des régions du
cation physique du sol, entraînant duites, qui s’adaptent facilement monde où les données sont moins
une érosion importante. D’autres et donc naturellement plus aptes abondantes, en Amérique du Sud et
espèces envahissantes sont des à faire face à ces perturbations. Afrique du Nord par exemple. Pour
vecteurs de nombreuses maladies Pour aider à comprendre et à éviter ce biais, nous avons mené
20
10
0
-10
-20
Nombre
d’espèces
envahissantes
Voici les variations du nombre d’espèces envahissantes entre 2000 et 2100, sur un échantillon de 100 espèces : en vert, les
zones qui vont en perdre ; en rouge, celles qui vont en gagner. Dans des zones à risques, on pourrait compter plus de 60 espèces.
loppement de certaines espèces est l’équivalent du scénario RCP 6.0 sud de l’Australie, à la Nouvelle-Zé-
envahissantes – une température du Giec. En faisant l’hypothèse lande et à l’Indonésie (Fig. 1) . En
trop élevée en été ou trop faible en que les espèces auront les mêmes outre, les projections montrent
Biodiversité
que de nouvelles espèces ne pour- tion – par le contrôle et l’éradica- de modélisation ne permettent pas
ront pas arriver. tion – des espèces envahissantes. d’inclure ce raffinement.
Nous avons affiné l’analyse à cha- Pourtant, ils sont loin d’être suffi- Afin d’intégrer les mécanismes
cune des espèces envahissantes sants pour résoudre la question des de réponse au changement cli-
étudiées. L’objectif était d’iden- interactions entre les changements matique, les modélisations
tifier celles qui sont susceptibles climatiques et les invasions s’orientent désormais vers une
Parmi les espèces envahissantes, on trouve le très venimeux poisson-lion (ou rascasse volante, Pterois volitans) qui colonise des territoires
à une vitesse stupéfiante, et la mangouste de Java (Herpestes javanicus) qui pullule dans les îles où elle a été introduite.
Neurosciences
Expériences de mort
imminente : la quête
d’une explication rationnelle
À l’université de Liège, une équipe du Coma Science Group mène
un programme de recherche centré sur les versants neuroanatomique
et psychologique des expériences de mort imminente (EMI).
Elle a notamment constitué une base de données de plus de 1 600 récits
de personnes ayant vécu une telle expérience.
« près avoir vu
A
ferraillent la pensée rationnelle et il arrive de surcroît que des per-
toute ma vie la pensée « magique » incarnée par sonnes rapportent une EMI à la
défiler sous la croyance en une origine surna- suite d’une syncope, d’une séance
mes yeux, j’ai turelle du phénomène. de méditation ou d’un stress très
intégré un
tunnel qui
semblait sans fin. Finalement, j’ai
Environ 10 % des personnes ayant
survécu à un arrêt cardiaque disent
avoir été confrontées à une expé-
35 % important, comme lorsqu’on
échappe de peu à la noyade. L’ex-
pression « mort imminente » est
aperçu une lumière brillante, très rience de mort imminente. Et alors galvaudée et les spécialistes
intense, au bout de ce tunnel. J’ai selon Steven Laureys, responsable lui préfèrent celle de NDE-like.
alors pris conscience que j’avais du Coma Science Group à l’univer- DES RÉCITS
quitté mon enveloppe corporelle. sité de Liège, ce chiffre est proba- d’expérience Échelles d’évaluation
J’ai rencontré des membres de ma blement sous-évalué. « Ainsi, dit-il, de mort imminente Les composantes des récits décri-
famille décédés et je suis ensuite certains patients pourraient avoir analysés par les vant le phénomène sont diverses
passé à travers cette lumière qui oublié ce vécu subjectif, un peu neuroscientifiques et très spectaculaires. Pour être
provoquait chez moi une attirance comme on peut oublier un rêve. » de l’université qualifié d’« expérienceur » (per-
inexorable. Je ressentais une paix Les expériences de mort immi- de Liège débutent sonne ayant vécu une telle expé-
intérieure et un bien-être intenses. nentes – EMI ou NDE par référence par une sensation rience), il n’est pas nécessaire
De l’autre côté de la lumière, j’ai à la terminologie anglo-saxonne de sortie du corps. d’avoir relaté l’ensemble des
vu des choses absolument magni- de Near-Death Experiences – sont caractéristiques connues. Il existe
fiques, à tel point que je ne dispose donc relativement fréquentes. Et des échelles auxquelles se réfèrent
pas de suffisamment de mots pour les neuroscientifiques et les psy-
les décrire. C’était très agréable. chologues pour évaluer de façon
Toutefois, je ne devais pas être prêt
Contexte Comment donner du sens aux récits, aussi objective que possible si
à cela, j’ai repensé à ma vie, à ma relativement fréquents, de personnes qui, à la suite d’un un sujet a vécu ou non une EMI.
famille, et c’est à ce moment-là que arrêt cardiaque ou d’un traumatisme crânien, disent La plus utilisée est l’échelle de
j’ai fait demi-tour pour rentrer. » avoir quitté leur corps, vu une lumière brillante ou sont Greyson, du nom du psychiatre
De telles expériences, dites de mort persuadées d’avoir été en relation avec des défunts ou américain Bruce Greyson qui l’a
imminente, suscitent des débats un être mystique ? La science se penche sur la question. proposée en 1983. Explorant plu-
passionnés au cours desquels sieurs dimensions de l’expérience
(cognitive, affective, transcendan- internationale pour l’étude des une région obscure, vision d’une
tale et paranormale), elle se fonde états proches de la mort (Interna- lumière brillante et entrée à travers
sur 16 questions pouvant donner tional Association for Near-Death la lumière dans une autre dimen-
lieu chacune à un score de 0, 1 ou Studies, IANDS). Elle s’est assi- sion de l’existence (1) .
2 en fonction de la présence (ou gnée pour objectif de réexplorer Dans une étude publiée en 2017
non) et de l’intensité d’un phéno- différentes questions relatives aux et dont le premier auteur était
mène caractéristique d’une EMI. expériences de mort imminente. Charlotte Martial, neuropsycho-
On considère qu’il y a eu expé- logue et postdoctorante, les cher-
rience de mort imminente lorsque cheurs du Coma Science Group
le score total obtenu par un indi- Presque aucun récit n’est ont procédé, au moyen d’une
vidu ayant répondu aux 16 ques- semblable à un autre sur le plan méthode rigoureuse d’analyse
tions est de 7 ou plus (sur 32). de la chronologie des événements ” de texte et de statistiques, à une
La plupart des données relatives approche qualitative de 154 récits
Charlotte Martial, neuropsychologue
aux EMI méritent d’être revisi- de mort imminente, de toutes
tées car, souvent, elles émanent origines (arrêts cardiaques, trau-
d’ouvrages de vulgarisation scien- Notamment la séquence chrono- matismes crâniens, etc.) (2) . Ils
tifique, reposent sur l’analyse logique des étapes successives des ont tenté d’établir la chronologie
JULIEN COQUENTIN / HANS LUCAS
d’échantillons de récits ou font EMI, présentée en 1980 par Ken- d’apparition des événements rap-
appel à une méthodologie par- neth Ring, aujourd’hui professeur portés par les expérienceurs, et ce
fois nébuleuse. L’équipe du Coma émérite de psychologie de l’uni- sans a priori issus de classifica-
Science Group a constitué une base versité du Connecticut : sensa- tions antérieures.
de données de plus de 1 600 récits tion de paix et de bonheur, déta- Les conclusions des neuroscienti-
d’EMI, les uns recueillis directe- chement par rapport au corps fiques belges n’épousent pas celles
ment, d’autres via l’Association physique, entrée transitoire dans de Kenneth Ring. « D’après nos
Neurosciences
données, presque aucun récit analyse qualitative thématique prémonitions, sensation d’entrer
n’était semblable à un autre sur de 34 récits de personnes ayant dans l’expérience de mort immi-
le plan de la chronologie des évé- survécu à un arrêt cardiaque, les nente, retour de l’expérience de
nements, indique Charlotte Mar- caractéristiques des EMI décrites mort imminente, perception alté-
tial. Seule une séquence de 4 com- dans différentes échelles, dont rée du temps. Cette dernière com-
posantes était commune à 6 récits celle de Greyson (3) . Ces travaux posante est transversale dans la
sur 154. En outre, elle différait conduits par Helena Cassol, neu- mesure où elle ne se manifeste
du canevas proposé par Kenneth ropsychologue et doctorante en pas ponctuellement, mais dure
Ring, puisqu’on peut la résu- sciences biomédicales, mettent en tout au long de l’épisode. Huit de
mer ainsi : décorporation, sensa- évidence 11 composantes : vision ces 11 caractéristiques avaient
tion d’être dans un tunnel, vision d’une lumière, rencontre avec des déjà été décrites auparavant. En
d’une lumière brillante, sensa- défunts ou avec un être mystique, revanche, 3 composantes n’appa-
tion de bien-être. » hyperlucidité, narration de scènes, raissaient pas telles quelles dans
sensation d’être dans l’obscu- les travaux antérieurs : la descrip-
Sensation de paix rité, expérience de décorporation tion de scènes, l’entrée dans l’EMI
Il ressort de cette étude que la sen- (Out-of-Body Experience, ou OBE), et le retour dans le monde réel.
sation de bien-être et de paix est la impression d’être mort, souvenir La grande majorité des expérien-
composante la plus fréquente des d’événements de vie passés ou de ceurs sont emplis d’émotions posi-
EMI (80 %), devant celle de perce- tives lorsqu’ils évoquent leur EMI.
voir une lumière brillante (69 %), Ils font allusion à un moment de
le sentiment d’avoir rencontré des félicité. Ils déclarent souvent
défunts ou des êtres mystiques ensuite être devenus moins maté-
(64 %) et celui de s’être décorporé rialistes, plus altruistes et davan-
(53 %). Par ailleurs, selon cette tage tournés vers la spiritualité à
étude, 35 % des EMI débutent par la suite de cette expérience. Tou-
cette sensation de sortie du corps, tefois, ce vécu résolument positif
faisant de cette composante celle ne transparaît pas comme étant
qui apparaît le plus fréquemment une composante cardinale des
en premier. EMI dans l’étude du Coma Science
Les chercheurs belges ont ensuite Group. Des travaux récents entre-
rétréci le champ de leurs investiga- pris par les chercheurs belges
tions aux seules EMI consécutives (article prochainement soumis
à un arrêt cardiaque. Leur objec- Environ 10 % des personnes ayant survécu à un arrêt pour publication) ont montré, sur
tif était de revisiter, à partir d’une cardiaque disent avoir été confrontées à une EMI. la base de l’analyse de 140 récits
rechercher, via l’électroencéphalographie, des EMI. Cette substance a été injectée à (2) C. Timmermann et al., Front. Psychol., 9, 1, 2018.
cours des troisièmes (12 %), bap- lir les souvenirs d’EMI de patients
tisées Hellish (« atroces »), l’expé- hospitalisés pour un arrêt car-
rienceur relatait des rencontres La sensation de sortie de corps peut être provoquée diaque et de les soumettre à une
avec des monstres, le Diable, etc. par la stimulation d’une région cérébrale déterminée IRM cérébrale afin de détecter les
« À l’instar des Void, ces expériences (ici représentée en orange), située dans le cortex pariétal. microlésions laissées par cet évé-
terrifiantes comportaient peu de nement, commente Vanessa
dimensions des EMI positives ou étant donné qu’un score de 7 sur Charland-Verville, neuropsycho-
inversées », précise Helena Cassol, 32 est suffisant pour « mériter » le logue du Coma Science Group.
laquelle préconise de développer titre d’expérienceur. Ensuite, il s’agirait de comparer
de nouveaux outils permettant de Sur le plan neuroanatomique, celles-ci avec les microlésions obser-
l’équipe de Steven Laureys doit vées chez des patients victimes d’un
recourir à des méthodes indi- arrêt cardiaque sans EMI rappor-
Avec nos travaux, nous avons rectes pour mieux cerner les EMI. tées. Malheureusement, l’instabilité
pu confirmer l’existence de trois En effet, en raison des conditions de l’état de tels patients rend cette
chaotiques dans lesquelles appa- initiative éthiquement discutable. »
types d’EMI vécues négativement ” raissent les expériences de mort Toutefois, il reste possible de
Helena Cassol, neuropsychologue imminente associées à un arrêt rechercher, même des années
cardiaque, il est quasiment impos- après un épisode d’EMI, de minus-
mieux caractériser et identifier les sible de les étudier en temps réel. cules cicatrices, une infime activité
EMI. En effet, sur les 16 items de Aussi les chercheurs voudraient-ils épileptique, de petits œdèmes ou
l’échelle de Greyson, 3 ont un lien mettre en relation les caractéris- de légers dépôts de sang témoi-
fort avec des émotions positives, tiques des EMI rapportées par des gnant de microlésions dans des
et aucun avec des émotions néga- expérienceurs avec d’éventuelles régions déterminées du cer-
tives. Ce qui est de nature à freiner lésions résiduelles dans les régions veau. C’est ce qu’ambitionne de
la détection des EMI négatives, cérébrales susceptibles d’être faire l’équipe liégeoise. Mais
Neurosciences
cette voie semble malaisée à Pour certains, elles constituent conscience est probablement disso-
explorer, elle aussi, en raison des la preuve de l’existence d’une ciable du corps. Mais, pour l’heure,
restructurations inhérentes à la vie après la mort. D’où le titre aucun patient n’a rapporté avoir vu
plasticité cérébrale et de la diffi- du best-seller du psychologue ces images, comme le relate l’étude
culté d’établir un lien de causa- et médecin américain Raymond Aware (Awareness during Resusci-
lité entre un arrêt cardiaque déjà Moody, précurseur des travaux sur tation), dirigée par Sam Parnia, de
ancien et des microlésions céré- les EMI : La vie après la vie (1975). l’université de Southampton (6) .
brales dont on pourrait soupçon- Ce raisonnement ne repose sur Alors, dira-t-on, comment expli-
ner qu’elles aient sous-tendu des rien de sérieux. Par définition, quer les témoignages selon les-
composantes d’EMI. aucun de ceux qui ont rapporté quels des expérienceurs auraient
un vécu d’expériences de mort décrit ce qui se passait dans la
Débats passionnés imminente n’a connu la mort. pièce voisine du bloc opératoire
L’existence de NDE-like pousse BRUCE GREYSON « Tout vient d’une confusion entre où ils étaient réanimés ou dans
le groupe de Steven Laureys à CE PSYCHIATRE les concepts de mort cérébrale, un autre lieu ? À cela, Vanessa
émettre avec d’autres, comme AMÉRICAIN où le cerveau est devenu totale- Charland-Verville et Charlotte
l’équipe de Christopher French, a proposé une ment inactif, et de mort clinique, Martial répondent que ce qui est
du Goldsmiths College (univer- échelle portant son laquelle se limite à la cessation de rapporté l’est toujours a posteriori
sité de Londres), l’hypothèse que nom, qui évalue de la respiration et de la circulation et qu’il est difficile d’objectiver ce
les EMI proprement dites ou les façon aussi objective sanguine, laissant ainsi encore une qui se déroulait exactement dans le
expériences de nature analogue que possible si un lieu évoqué. Bref, la rigueur scien-
se produisent dans des états de sujet a vécu ou non Les EMI ne tifique n’est pas au rendez-vous.
conscience modifiés – sous hyp- une expérience « Il faut néanmoins rester à la fois
nose ou lors d’une anoxie ( * ) de mort imminente.
permettent pas de ouvert et sceptique, et continuer de
cérébrale, d’une syncope, d’un tirer la moindre tester des hypothèses », commente
choc émotionnel important, conclusion au sujet Vanessa Charland-Verville.
sous l’influence d’une drogue d’un au-delà La relation de cas isolés pèse de
ou d’une anesthésie (lire l’enca- peu de poids en science, car il faut
dré p. 62). Une étude publiée en chance de récupération », explique faire la part du hasard statistique.
2014 dans Frontiers in Human Charlotte Martial. Ainsi, les EMI ne En outre, selon la chercheuse du
Neuroscience semble corroborer nous permettent-elles pas de tirer Coma Science Group, on ne peut
(*) L’anoxie est une
cette hypothèse (5) . diminution de l’apport la moindre conclusion scientifique exclure que des patients aient eu
On ne peut passer sous silence les d’oxygène aux tissus. au sujet d’un au-delà. des flashs de conscience durant
débats passionnés suscités par les Pour étayer leur croyance en une lesquels ils ont vu, entendu ou
expériences de mort imminente. âme extérieure au corps, d’aucuns ressenti des choses. Cette hypo-
se fondent notamment sur le fait thèse est compatible avec une
que 80 % des personnes ayant rap- des conclusions de l’étude Aware,
Les 11 composantes des porté une décorporation déclarent portant sur 2 060 patients, selon
avoir assisté, d’une position suré- laquelle le cer veau humain
récits de mort imminente levée, à la scène de leur réanima- conserve une activité consciente
n Vision d’une lumière tion. Dans le cadre d’une recherche après un arrêt cardiaque durant
n Rencontre avec des défunts ou un être mystique multicentrique regroupant 15 hôpi- plusieurs dizaines de secondes. n
n Hyperlucidité taux britanniques, américains et Philippe Lambert
n Narration de scènes autrichiens entre juillet 2008 et (1) Kenneth Ring, Life at Death, Coward,
n Sensation d’être dans l’obscurité décembre 2012, des chercheurs McCann & Geoghegan, 1980.
n Expérience de décorporation ont eu l’idée de dissimuler, à proxi- (2) C. Martial et al., Front. Hum. Neurosci.,
n Impression d’être mort mité du plafond de blocs opéra- 11, 311, 2017.
(3) H. Cassol et al., PLoS One, 13, e0193001, 2018.
n Souvenir d’événements de vie passés toires, des images invisibles à un
(4) O. Blanke et al., Nature, 419, 269, 2002 ;
ou de prémonitions patient couché sur la table d’opé-
D. De Ridder et al., N. Engl. J. Med.,
n Sensation d’entrer dans l’expérience de mort ration. Que des expérienceurs 357, 1829, 2007.
imminente soient parvenus à faire état de la (5) V. Charland-Verville et al., Front. Hum.
n Retour de l’expérience de mort imminente présence de ces images cachées en Neurosci., 8, 203, 2014.
n Perception altérée du temps hauteur tendrait à prouver que la (6) S. Parnia et al., Resuscitation, 85, 1799, 2014.
DR
Une histoire
de goût
i l’odorat nous permet de dis- – le sucré indique la composition énergé- circuit neuronal associé au goût sucré pro-
S cerner la palette des arômes
émanant de nos aliments, le
tique des aliments et l’amertume est carac-
téristique des produits avariés. Quant à
voque une augmentation de la consomma-
tion d’eau traitée à la quinine, substance
goût reste essentiel pour évaluer leurs l’umami, ses récepteurs sont sensibles au très amère et répulsive en temps normal.
qualités comestibles et nutritionnelles. glutamate, brique de base des protéines, Inversement, l’activation des entrées neu-
Mais oubliez cette illustration de vos essentielles à notre alimentation. Ainsi, ronales associées à l’amertume entraîne
manuels de biologie du collège, où la selon les besoins de notre organisme, une baisse considérable de la consom-
langue était représentée divisée en chaque goût guiderait de manière spéci- mation d’eau sucrée, habituellement très
quatre parties, chacune répondant à un fique nos comportements alimentaires. attractive. Les animaux étaient toujours
goût particulier : le salé, le sucré, l’amer et Le problème quitte alors le champ de la bio- capables de distinguer chaque goût, seule
l’aigre. Elle est fausse ! Les récepteurs situés logie moléculaire – la nature des récepteurs la réponse comportementale changeait.
dans les papilles sont en fait répartis au en jeu – et devient une question de neuro- En intervenant dans les circuits reliant les
hasard, sur la langue mais aussi ailleurs sciences. En juin dernier, Charles Zuker et neurones du cortex gustatif à l’amygdale, le
dans la bouche. Par ailleurs, depuis plus comportement attendu a pu être court-cir-
d’un siècle, circule l’idée qu’il existe un cin- cuité. Le goût détermine donc bien un
quième goût : l’umami. comportement spécifique. Gageons que de
tels circuits seront bientôt identifiés pour
AU DÉBUT du XXe siècle, Kikunae Ikeda, Les circuits les trois goûts restants.
alors chimiste à l’université impériale de neuronaux qui
Tokyo, a une intuition : les quatre goûts, CETTE ÉTUDE est une superbe illus-
jusqu’alors considérés comme exhaus-
répondent au tration de ce que sont les neurosciences
tifs, n’expliquent pas selon lui la sensation sucré et à l’amer des systèmes, discipline en plein essor
que lui procurent certains bouillons d’al- ont été identifiés ” dont l’objectif est de comprendre com-
gues de la cuisine japonaise. Il parvient à ment l’activité neuronale et les circuits
en extraire une substance dont il ôte tous son équipe, à l’université Columbia, aux reliant les neurones du cerveau traitent les
les composés susceptibles d’être perçus États-Unis, ont montré que, dans le cortex informations sensorielles et déterminent
comme salés, sucrés, amers ou aigres. Le gustatif, qui traite les informations relatives le comportement. Ainsi, l’étude de sys-
composé restant lui laisse alors une sensa- au goût, les neurones qui répondent pré- tèmes simples associés à des réponses
tion « délicieuse », ou umai en japonais, ce férentiellement au sucré et à l’amertume reproductibles – comme le goût – avec
qui le conduit à baptiser ce cinquième goût « projettent » leurs axones vers l’amygdale, des techniques de pointe est la meilleure
« umami ». Il partage cette découverte avec région du cerveau jouant un rôle clé dans manière de comprendre les principes fon-
ses pairs et publie en 1909 une étude qui ne les émotions. Les neurones qui répondent damentaux du fonctionnement cérébral
fait pas l’unanimité : nombreux sont ceux au sucré projettent vers une sous-région dans sa globalité. n
qui doutent du résultat. Elle n’est d’ail- de l’amygdale associée aux sentiments (1) K. Ikeda, Chem. Senses, 27, 847, 2002.
leurs traduite en anglais qu’en 2002 (1) , de plaisir ; ceux de l’amertume vers une (2) N. Chaudhari et al., Nat. Neurosci., 3, 113, 2000.
après que le développement de la biologie sous-région associée à l’aversion (3) . (3) L. Wang et al., Nature, 558, 127, 2018.
moléculaire a permis d’identifier, en 2000, Mieux, ces circuits neuronaux déterminent
les récepteurs de l’umami (2) . Ikeda avait le comportement ! Grâce à l’optogénétique, Adrien Peyrache est neuroscientifique à l’université
donc vu juste ! Mais pourquoi seulement technique permettant d’activer des neu- McGill, au Canada, où il dirige un laboratoire de recherche.
cinq goûts ? Chacun d’eux renseignerait rones avec de la lumière, les chercheurs ont ➔Cette chronique est proposée en alternance avec celle
sur un contenu essentiel de la nourriture montré que, chez l’animal, l’activation du de Mariana Alonso, de l’Institut Pasteur.
DR
Intelligence artificielle
Les robots sont de plus en plus performants. Mais ils sont encore loin de
maîtriser toutes les subtilités d’une interaction humaine. Au Gipsa-lab,
à Grenoble, des roboticiens leur enseignent comment donner à voir
leurs intentions en leur apprenant à ajuster leurs comportements
– gestes, parole, regard – en fonction du contexte et de leur interlocuteur.
ans son guide a évolué de manière à maximiser la geminoïdes conçus par le robo-
D
interactif Mind précision du décodage de la direc- ticien japonais Hiroshi Ishiguro,
Reading, publié tion du regard par autrui (lire l’en- sont construits avec un grand réa-
1 2 en 2004, le psy- cadré p. 68). Cet œil « coopératif » lisme physique. Leur visage est fait
ROBOTICIENS
chologue bri- facilite ainsi le développement de peau synthétique et leurs yeux
Gérard Bailly (1) tannique Simon d’une théorie de l’esprit (*) évoluée sont dotés de cristallins oculaires
est directeur de Baron-Cohen distingue plus de chez les êtres sociaux que nous imitant les nôtres.
recherche CNRS au 400 émotions pouvant être véhi- sommes devenus. Paradoxalement, cette ressem-
Gipsa-lab, où il dirige culées par la voix et les expressions blance peut être une source de
l’équipe Cognitive faciales : irritation, déception, indi- Sentiment d’étrangeté déception pour l’interlocuteur, qui
robotics, interactive gnation, soulagement, euphorie, Quid des machines ? Nombre de s’attend à une interaction d’autant
systems & speech etc. Si tout le corps, par les postures robots humanoïdes n’ont pas plus humaine que le robot est réa-
processing (Crissp). et les gestes, participe à exprimer de visage visible (Asimo, Jibo), liste. Or il est techniquement diffi-
Frédéric Elisei (2)
nos états mentaux, le visage est par- d’autres en possèdent un, mais il cile de reproduire sur une machine
est ingénieur de
ticulièrement informatif. Les yeux est fixe (Nao, Pepper) ou a été rem- les 38 muscles de la face et leurs
recherche CNRS au
sein de cette équipe.
et la bouche font partie des zones placé par un écran plat (Baxter). entrelacements complexes. Résul-
les plus « lues » par nos interlocu- En revanche, certains d’entre eux, tat : quand le squelette sous-cutané
teurs. Des études montrent même comme Sophia, mis au point par des robots humanoïdes du type de
que la morphologie de l’œil humain la société Hanson Robotics, ou les Sophia n’a pas suffisamment de
degrés de liberté pour reproduire
des mouvements humains, en par-
Contexte En psychologie, la théorie de l’esprit définit notre ticulier au niveau du visage, ils nous
capacité à lire les états mentaux d’autrui. Cela passe par des signaux procurent un sentiment d’étran-
non verbaux, comme les expressions faciales. En enseignant aux geté (lire l’encadré p. 69). Quant
robots sociaux la maîtrise de ces signaux, nous pourrions interagir aux autres robots humanoïdes,
plus naturellement avec eux. Cette recherche pionnière vise des dont la plastique est moins réa-
applications dans le champ médical et en robotique collaborative. liste, la plupart n’ont pas d’œil coo-
DR
Intelligence artificielle
un haut-parleur qui lui donne manière plus précise par ses interlo- proche pour saisir tel objet ? etc.)
de la voix. Les mouvements de sa cuteurs humains lorsque les tailles et de réagir aux ordres, aux ques-
bouche sont commandés par un relatives de la sclère (*) blanche et tions, aux affirmations, aux doutes
synthétiseur de parole développé des iris colorés étaient judicieuse- d’autrui, de manière à planifier ses
par notre laboratoire. Ce système, ment choisies et que l’abaissement propres actions. Cette approche
entraîné au préalable grâce à des des paupières supérieures accom- commence à être complétée, voire
vidéos de discussions humaines, pagnait celui du regard (3) . Quand supplantée, par des techniques
est capable de calculer et d’exécu- Nina observe un objet qui l’inté- d’apprentissage statistique et d’in-
ter des mouvements réalistes de la resse, son interlocuteur peut donc telligence artificielle permettant
bouche et du visage tout en diffu- le savoir. Or cette capacité à diriger de faire correspondre le flux des
sant les paroles correspondantes son regard de façon à ce que l’inter- signaux perçus par le robot (parole,
de façon synchrone (1) . Grâce à des locuteur en saisisse la cible est l’une gestes…) avec des actions à exécu-
tests réalisés dans un environne- des bases de l’attention partagée et ter (observer telle zone, désigner tel
ment bruyant, en l’occurrence le de la construction d’une théorie de (*) La sclère est objet, prononcer tel mot…). En bref,
fond sonore d’une soirée cocktail, l’esprit. Grâce à ce partage d’infor- la membrane blanche ces techniques permettent de cap-
nous avons montré que les mouve- mations implicites, les interlocu- et opaque qui forme turer les régularités des comporte-
ments de la mâchoire et des lèvres teurs de Nina vont pouvoir élabo- le blanc de l’œil. Selon ments interactifs.
les espèces, elle est plus
calculés par notre système amélio- rer des hypothèses fiables sur ses Parmi les diverses techniques d’ap-
ou moins pigmentée.
raient bien la perception audiovi- (ré)actions, et le robot pourra ainsi prentissage statistique qui peuvent
suelle d’interlocuteurs humains (2) . construire des comportements inte- s’appliquer, la première est l’ap-
Nous avons ensuite travaillé sur ractifs coordonnés et fluides. prentissage dit « développemen-
les yeux et les paupières du robot, Mais comment enseigner à un robot tal » : le robot apprend tout seul
en nous posant cette question : de tels comportements pertinents par essais-erreurs, ce qui demande
quels paramètres influencent une et sensibles au contexte ? Il existe un nombre prohibitif d’essais. En
meilleure interaction sociale ? En de nombreuses techniques pour outre, l’algorithme utilisé dans ce
testant différentes capsules plas- le programmer. Une possibilité cas nécessite de définir explicite-
tiques autour des caméras embar- est de le doter d’un modèle cogni- ment ce qu’est un bon (ou un mau-
quées dans les yeux articulés de tif lui permettant de raisonner sur vais) comportement social interac-
Nina, nous avons démontré que la son environnement (que veulent tif. Or il n’existe pas de définition
direction du regard était estimée de les interlocuteurs ? Qui est assez universelle pour en juger. Une
UN ŒIL SOCIAL
L’hypothèse de « l’œil coopératif » a été pro- rotation de la tête : 61 % des explorations
posée en 2001 par une équipe japonaise (1) , visuelles se font juste en bougeant les yeux
puis reprise par des anthropologues de chez les humains, contre 20 % à 35 % chez
l’Institut Max-Planck, en Allemagne (2) . Elle les chimpanzés. Par ailleurs, 85 des 92 es-
avance que la morphologie et l’apparence pèces observées présentent une sclère de
de l’œil humain – sclère blanche en fort couleur marron, et seuls les humains en ont
contraste avec l’iris et la peau du visage – une blanche. Mieux : nous sommes les seuls
ont évolué de manière à faciliter la lecture dont la sclère est plus claire que la peau
de la direction de notre regard par autrui et l’iris. Selon les auteurs, la pigmentation
et ainsi favoriser les activités coopératives. Parmi 92 espèces étudiées, les humains de l’œil présenterait un avantage sélectif :
Pour le montrer, les chercheurs ont comparé sont les seuls à posséder une sclère blanche. camoufer le regard, et donc les intentions.
la forme et l’apparence de l’œil (le rapport Chez l’homme, il est probable que ce trait
ADAM FRAISE/SHUTTERSTOCK -
hauteur/largeur et la surface exposée de la Résultat : l’œil humain est celui dont la sclère ait disparu en faveur d’un regard facilitant
sclère) de 874 animaux adultes de 88 es- est la plus exposée et dont l’élongation ho- la communication des intentions.
pèces, le contraste colorimétrique entre la rizontale est la plus importante parmi tous (1) H. Kobayashi et S. Kohshima, J. Hum. Evol.,
sclère, l’iris et la peau de 92 espèces, et les primates. Cette morphologie favorise 40, 419, 2001.
les mouvements oculaires de 26 espèces. des mouvements oculaires plutôt qu’une (2) M. Tomasello et al., J. Hum. Evol., 52, 314, 2007.
Notre ambition est La vallée de l’étrange est une théorie scientifique imaginée en 1970 par le roboticien japonais
Masahiro Mori (1) , selon laquelle plus un robot androïde nous ressemble, plus ses imperfec-
d’apprendre à Nina tions nous paraissent monstrueuses. Ce n’est qu’au-delà d’un certain degré de réalisme dans
à conduire un test l’imitation que les robots humanoïdes seraient les mieux acceptés. Cette vallée fait référence
de dépistage de la au concept freudien de unheimlich, un événement qui a lieu dans une situation familière
maladie d’Alzheimer mais qui suscite une angoisse, voire de l’épouvante. Plus récemment, des chercheurs de
l’université d’Osaka, au Japon (2) ont proposé une cartographie plus complexe, prenant en
d’initiative, le robot reste un objet compte nos attentes liées à l’apparence statique du robot et nos impressions résultant de sa
technologique. Or notre théorie mise en mouvement. Selon les auteurs, il existerait une « colline » optimale où l’apparence
DR - HITOSHI YAMADA/NURPHOTO/AFP - NIU BO / IMAGINECHINA / AFP - AFP PHOTO / YOSHIKAZU TSUNO
de l’esprit apprend à séparer les statique et le comportement dynamique seraient en adéquation et ne mettraient pas mal à
agents (qui agissent sur le monde l’aise l’interlocuteur.
et ont des intentions) des objets (1) M. Mori, Energy, 7, 33, 1970.
(qui subissent passivement les (2) T. Minato et al., in IEA-AIE 2004, Innovations in Applied Artificial Intelligence, Springer, p. 424, 2004.
actions des agents et des forces de
la nature) ; nous attribuons à cha-
cune de ces catégories des systèmes manière d’un marionnettiste. Pour de réalité virtuelle équipé de dis-
de valeurs distincts qui, dans le cas cela, le robot est réglé sur un mode positifs de capture de mouve-
des robots, entrent en conflit. Il passif ou « docile », dans lequel il ments, dont un oculomètre bino-
est donc difficile de transposer les suit les gestes du pilote humain culaire, le tuteur, devenu « pilote »,
comportements observés entre et se limite à compenser l’impact agit et perçoit via le corps robo-
humains à ceux qui sont attendus du poids de son propre corps sur tique de Nina et ses capteurs. Nina
d’un robot social. ses mouvements. suit alors passivement les compor-
Une dernière approche, l’appren- Pour inculquer à Nina des com- tements du pilote. Elle stocke dans
tissage par démonstration, per- portements socio-communicatifs, sa mémoire l’ensemble des signaux
met de prendre en compte les nous avons choisi cette dernière sensori-moteurs vécus lors d’expé-
contraintes sensorimotrices de option. Nous avons couplé le robot riences d’interactions entre le pilote
la machine en laissant la possibi- à une plateforme de « téléopéra- et des interlocuteurs en situation
lité au tuteur d’agir directement tion immersive », où la démons- face au robot. Une fois que cette
sur les actionneurs (les moteurs tration est faite de l’« intérieur ». mémoire comportementale dis-
et les articulations) du robot à la Concrètement, grâce à un casque pose d’un ensemble suffisant
Intelligence artificielle
les rôles sont bien déterminés. Il magasin. L’enjeu est donc de faire (2) A. Parmiggiani et al., Int. J. Human.
English
ne s’agit pas de se substituer au en sorte que le robot soit capable Robot., 3, 1550026, 2015.
version
praticien pour faire un diagnos- de paramétrer rapidement des (3) F. Foerster et al., IEEE-RAS,
15th International Conference on Humanoid
tic, mais de filtrer les patients qui modèles pré-appris pour les adap- Cet article est Robots, 2015.
passent le test robotisé avec suc- ter aux réactions motrices, per- disponible (4) D.-C. Nguyen et al., Pattern Recognit.
cès pour dépister ceux qui doivent ceptives et cognitives des humains en anglais sur Lett., 100, 29, 2017 ; D.-C. Nguyen et al.,
consulter un spécialiste. Il ne faut auxquels il s’adresse, et desquels researchinfrance.com IEEE CogInfoCom, 337, 2016.
Un héritage
encore si fécond
etite devinette : quel est, d’après au mieux l’espace. On fait remonter ce la liste des commémorations nationales
P le site de référence arXiv, le
point commun de près de
problème à Johannes Kepler, au début du
XVIIe siècle, et il a été résolu, pour notre
2018 pour célébrer les 250 ans de sa nais-
sance. Si l’on suit les textes officiels, il s’agit
3 000 prépublications scientifiques depuis espace tridimensionnel, par limitation avant tout d’honorer un grand homme
le début de l’année 2017 ? En guise d’indi- à un nombre fini de cas, puis à l’aide de (même s’il ne repose pas au Panthéon) :
cation, peut-être piégeuse, je peux dire que, vérifications informatiques au début du une carrière qui l’amène à enseigner dans
dans cette sélection d’articles, on évoque XXIe siècle (1) . Maryna Viazovska s’est, la (jeune) École polytechnique, à faire par-
tout autant des appareillages à rayons X quant à elle, intéressée au problème en tie de l’expédition en Égypte de Napoléon
que des groupes de Lie, que l’on y trouve dimension supérieure et a prouvé, en 2016, Bonaparte, à être préfet à Grenoble (sous
des trous noirs, de la spectroscopie de pré- le premier Empire et durant la Restau-
cision, des réseaux de neurones pour le ration)… mais surtout à développer de
calcul quantique ou des équations aux beaux résultats mathématiques, comme
dérivées partielles… et que cette liste est l’analyse harmonique, devenue désor-
loin d’être exhaustive. Qu’est-ce qui a pu Le mathématicien mais l’analyse de Fourier. Il y a donc un
être si important et prolifique au point d’ap- apparaît dans double enjeu dans la commémoration :
paraître dans des domaines de recherche d’une part, honorer le souvenir historique
la liste des
aussi lointains et a priori disjoints ? d’un serviteur dévoué de la science et de la
La réponse est l’analyse de Fourier, commémorations France en rappelant sa destinée atypique ;
domaine des mathématiques qui permet nationales 2018 ” d’autre part, valoriser un héritage scienti-
l’étude et le traitement d’un signal via sa fique toujours fécond aujourd’hui, aussi
décomposition en une superposition de qu’un certain empilement était optimal en bien pour les mathématiques que pour la
signaux « purs », aussi appelés ondes ou dimension 8 – et a pour cela obtenu plu- physique et les « nouvelles » technologies.
ondelettes. Ce principe, que l’on connaît sieurs prix en mathématiques (2) . Si l’on Profitons de cette célébration pour retrou-
en musique sous le nom de décomposi- oublie les détails techniques (et il y en a ver Fourier en dehors des publications
tion en harmoniques, s’applique en fait à beaucoup tant la preuve requiert de minu- scientifiques : des séminaires grand public
de nombreux « signaux » ou, pour le dire tie), l’une des étapes clés consistait « sim- jusqu’à l’exposition sur les murs de sa ville
plus mathématiquement, à de nombreuses plement » à trouver une fonction particu- natale, Auxerre, il y a forcément une mani-
fonctions. Même si, dans beaucoup de lière qui jouissait de certaines propriétés et festation pour vous ! Q
situations, on perd une partie de l’inter- dont la transformée de Fourier possédait (1) code.google.com/archive/p/flyspeck
prétation physique, on conserve l’efficacité simultanément d’autres propriétés. (2) L’article original : M. S. Viazovska, arxiv.org/
de cette analyse en fréquence, en introdui- pdf/1603.04246.pdf, 2017 ; la version « vulgarisée » :
sant la série de Fourier ou la transformée de IL Y A FORT à parier que Joseph Fourier www.ams.org/publications/journals/notices/201702/
Fourier associée à une fonction abstraite. (1768-1830) lui-même ne reconnaîtrait rnoti-p102.pdf
pas sa théorie dans cet article et qu’il
PRENONS UN EXEMPLE récent. La serait surpris de son omniprésence dans Roger Mansuy est professeur au lycée Saint-Louis,
mathématicienne ukrainienne Maryna les recherches actuelles. Élaborée au début à Paris, et membre de la Commission française
Viazovska s’est attaquée à un problème du XIXe siècle, elle lui permettait d’expli- pour l’enseignement des mathématiques (CFEM).
célèbre : quel est le meilleur – le plus com- quer analytiquement la propagation de la Retrouvez tous les événements de
pact – empilement de sphères de même chaleur dans un matériau. L’importance l’année 2018 concernant Joseph Fourier
taille ? Il s’agit de trouver comment dispo- de cette théorie lui vaut un honneur rare sur perso.ens-lyon.fr/patrick.flandrin/
ser les sphères de sorte qu’elles remplissent pour un mathématicien : il apparaît dans Fourier250/evenements.html
DR
Physique
Le mystère des
écoulements ramifiés
Jeanne Bernard et Louison Thorens, École normale supérieure de Lyon
ue faire lors- possible. C’est ainsi que de nom- est alors de les modéliser par le sys-
Q
qu’on vous breux mystères de la physique ont tème le plus simple possible, dont
soumet une été résolus : que ce soient les cou- nous contrôlons parfaitement les
photogra- leurs changeantes du ciel au cours paramètres et à partir duquel nous
1 2
phie mystère de la journée ou bien l’effet photoé- pourrons construire une théorie.
montrant des lectrique, par exemple, c’est à par- PHYSICIENS
structures analogues à des ramifi- tir de l’observation que des modèles Agrégée de Caractère fractal
physique, Jeanne
cations d’arbres ? L’objectif de ce ont pu être établis. Les instabilités hydrodynamiques
Bernard (1) suit
problème posé dans le cadre du Dans notre cas, le déclic s’est fait sont très étudiées en physique.
le M2 de physique
Tournoi international des physi- après avoir remarqué que des quantique à l’ENS Ce champ d’étude foisonnant
ciens était d’essayer de modéliser traces de miel sur son pot ressem- de Paris. Louison aurait-il déjà produit un méca-
les instabilités hydrodynamiques blaient étrangement à celles lais- Thorens (2) entame nisme susceptible d’expliquer
créant ces structures. Comme ce sées par du lait caillé ou du yaourt une thèse sur ces structures ramifiées ? Cer-
problème était ouvert – c’est le prin- à boire sur un verre, et également à la sédimentation tains phénomènes classiques en
cipe du tournoi (lire p. 74) –, nous celles de notre photographie mys- de particules hydrodynamique, comme l’effet
ne pouvions pas nous référer à des tère. Coïncidence ? Il semblerait ferromagnétiques, Marangoni – transport de matière
modèles existants : nous devions que non ! Si ces trois phénomènes en cotutelle entre sous l’effet d’un gradient de ten-
expérimenter. Mais encore fallait-il aboutissent à des structures sem- l’ENS de Lyon sion superficielle (*) – ou l’effet
et l’université d’Oslo.
savoir ce que nous voyions sur cette blables, c’est qu’il est possible de Saffman-Taylor – instabilité à l’in-
photographie ! les décrire par les mêmes proces- terface entre deux fluides de visco-
Aucun scientifique n’y échappe : sus et les mêmes équations. L’enjeu sités différentes –, produisent des
toute démarche d’investigation structures qui peuvent paraître
d’un phénomène encore inexpliqué semblables à notre photogra-
commence par la traduction des
Contexte Le Tournoi international des physi- phie de départ. D’ailleurs, l’effet
observations en une modélisation. ciens, né en 2009, demande de combiner observation Saffman-Taylor, également bap-
ÉTIENNE MOUTOT - DR
Celle-ci est affinée au cours des tra- et modélisation. Des étudiants ont mené une enquête tisé « digitation visqueuse », a été
vaux de recherche, jusqu’à être en scientifque et se sont attaqués cette année à un pro- le point de départ de plusieurs
mesure d’expliquer le phénomène blème ouvert : l’instabilité des écoulements liquides. équipes du tournoi qui voulaient
en question le plus précisément étudier le phénomène.
En fait, les figures laissées par du complètement le phénomène motifs d’écoulement ne changent
miel sur son pot ou par du lait – aucune équipe n’y est parvenue –, pas d’aspect quand on les regarde à
caillé sur un verre ressemblent mais nous avons pu montrer expé- différentes échelles : c’est une frac-
plus à la formation d’un delta par rimentalement que ces figures mys- tale. Quel fluide devions-nous utili-
l’érosion. L’étude de ces figures térieuses ont un caractère fractal ser ? Le point commun entre le miel
aussi fascinantes que complexes remarquable. Nous avons égale- et le lait caillé est la composition du
nécessite la mise en place d’une ment mis en évidence les proprié- système : dans les deux cas, il s’agit
démarche scientifique à partir de tés géométriques liées à la nature de particules microscopiques – du
rien (ou presque). Essais, conjec- (*) La
tension du fluide s’écoulant. sucre ou des graisses essentielle-
tures, modélisations, expériences, superficielle est une ment – dans un fluide mouillant.
analyses et – espérons-le ! – décou- force qui résulte de Viscosité du fluide C’est la raison pour laquelle nous
vertes, voilà le cheminement qui l’augmentation d’énergie à La clé du problème se trouve dans avons choisi de commencer notre
l’interface entre deux
attend tout physicien curieux et fluides. Elle explique la la composition de la substance uti- étude en analysant les figures lais-
touche-à-tout qui souhaite s’atta- forme des gouttes ou des lisée : il suffit que cette dernière sées sur une paroi inclinée par
quer à une question non résolue. mousses. soit constituée de particules sédi- l’écoulement d’un mélange d’eau
C’est bien ainsi qu’avec notre mentant dans un fluide mouillant distillée et de poudre abrasive.
équipe de l’École normale supé- la paroi pour qu’elle laisse derrière Ce choix n’est pas aussi exotique
rieure de Lyon (1) , nous avons levé elle de tels motifs de ramifications. qu’il y paraît. D’une part, l’eau dis-
le voile sur la forme et les dimen- L’analyse de ces figures d’érosion a tillée est un liquide pur se trou-
sions caractéristiques de ces mys- permis de comprendre le rôle de vant dans tout laboratoire. D’autre
NASA GODDARD
térieuses structures. Après plu- la viscosité du fluide, ainsi que de part, la poudre abrasive (du type
sieurs mois de travail, nous ne la concentration en particules, sur utilisé pour le polissage du verre)
sommes pas parvenus à modéliser la taille des canaux. Par ailleurs, les – bon marché et rapidement
Physique
LAIT CAILLÉ
disponible – permet de frayer un chemin à travers une
modéliser les particules micros- foule : le plus rapide est de passer
copiques. Ce genre de poudre par les zones avec le moins de per-
(oxyde de cérium) est inerte chimi- sonnes. Une partie des particules
quement, qualité indispensable adhère à la paroi, grâce à des forces
pour la modélisation recherchée. d’origine électrostatique (du type
Notre problème est donc gran- 1 cm
forces de van der Waals). L’écou-
dement simplifié : partant de sys- lement charrie les particules res-
tèmes complexes, nous le rame- EAU ET POUDRE tantes, celles qui n’adhèrent pas
nons à l’étude d’un fluide composé à la surface et qui sont situées
d’un mélange d’eau distillée et de dans des zones de faible densité
poudre microscopique. de grains, incapables de bloquer
ou de dévier le flux. C’est ainsi que
Forces électrostatiques se forment les figures observées,
Avec ce mélange, nous avons obtenu dont la régularité est particulière-
des motifs remarquablement sem- ment fascinante.
blables à ceux qui sont observés avec 1 cm
Le mécanisme de base étant iden-
du lait caillé (ce que représentait tifié, il s’agit de déterminer les fac-
finalement la photo mystère). Obte- Les motifs d’écoulement du lait caillé sur une surface teurs qui ont une influence sur le
nir ces figures est simple : l’eau distil- sont remarquablement similaires à ceux obtenus phénomène étudié. Nature et taille
lée et la poudre solide sont d’abord avec de l’eau distillée mélangée à de la poudre solide. des grains, concentration de poudre
mélangées mécaniquement, avant dans le mélange, nature du fluide
que le fluide tamisé ainsi obtenu soit ces figures (2) . Après analyse des (viscosité, tension de surface…),
versé sur une paroi. Celle-ci est incli- séquences, une tendance appa- nature et inclinaison de la paroi,
née pour permettre l’écoulement. raît. Lorsque le fluide s’écoule sur la température… Lesquels sont plus
Après quelques minutes, le fluide paroi, il rencontre des zones qui pré- POUR EN importants ? Lesquels sont négli-
a laissé sur la paroi des motifs régu- sentent moins de résistance au flux SAVOIR PLUS geables ? Nous avons d’abord joué
liers de ramifications. descendant, car la répartition ini- n iptnet.info sur la taille des grains. Celle-ci est
Une fois une expérience type mise tiale des particules dans le mélange Le site de l’International primordiale, car s’ils sont trop petits
en place, nous l’avons exploi- n’est pas rigoureusement homo- Physicists’ Tournament. – de rayon inférieur à 1 micromètre,
tée pour comprendre le déroule- gène. Ces zones forment des « che- n france.iptnet.info comme dans les colloïdes –, la sédi-
ment du phénomène et l’appari- mins » préférentiels. Le site du tournoi français. mentation est absente et il ne peut
tion de telles figures. Pour ce faire, Ce mécanisme est similaire à celui se former de figures ramifiées. Pour
nous avons filmé la formation de d’une personne essayant de se notre étude, la taille des grains
niveaux L3 et M1 – bachelor et master), trième du tournoi. pas. En 2018, le tournoi a eu lieu à Moscou,
qui regroupe des équipes de six étudiants Les étudiants se défent autour de 17 pro- avec 16 pays, et a vu la victoire de la Suisse
venus du monde entier. Lors de la première blèmes touchant à tous les domaines de représentée par une équipe de l’École po-
édition, qui s’est tenue en 2009 à Kiev, la physique. Chaque équipe a huit mois lytechnique fédérale de Lausanne. L’insti-
en Ukraine, le tournoi ne rassemblait que pour préparer une réponse expérimen- tution gagnante, comme c’est la coutume,
deux pays : l’Ukraine et la Russie. En 2017, tale, appuyée par un modèle pour chaque accueille le tournoi suivant, qui aura donc
à Göteborg, en Suède, ce sont 18 équipes problème. Lors des joutes oratoires qui lieu à Lausanne en avril 2019.
L
d’une véritable pra- fication de l’alcool à partir du vin. l’alchimiste du
tique alchimique ont Mais le caractère innovant de Ja-bir VIIIe siècle Ja-bir
été trouvées, notam- Ibn Hayya-n réside avant tout dans Ibn Hayya-n (Geber)
ment sous forme de sa capacité d’observation et d’argu- décrivent des procédés
complexes, tels que
papyrus, dans l’an- mentations pratiques. L’école qu’il
la cristallisation ou la
cienne Égypte gréco-romaine, à fonde à la fin du VIIIe siècle prône
distillation (couverture
Alexandrie, et datent d’une période une alchimie expérimentale ayant d’une traduction
estimée entre le début de notre ère des répercussions sur la vie quoti- du XVIe siècle d’un
et le IIIe siècle. L’alchimie arabe dienne, par la fabrication de tissus de ses traités).
est quant à elle apparue à la fin du imperméables, d’antimoustiques,
VIIe siècle, avec les traductions des de parfums ou par l’élaboration
textes grecs et coptes. Mais l’ap- de nouvelles techniques de déco-
port des savants moyen-orientaux ration. Les travaux consacrés
ne peut être réduit à un simple aux métaux prennent alors une
relais des connaissances antiques place prépondérante.
– loin de là.
Les premières grandes avancées Pierre philosophale possible de transformer la matière
peuvent être attribuées à Ja-bir Ibn Depuis l’Antiquité, la tradition- – le plomb en or par exemple –,
Hayya-n (connu en Occident sous nelle quête d’un procédé de trans- reste l’un des principaux objectifs
le nom latinisé Geber, 721-815). mutation, par lequel il deviendrait de l’alchimie. Mais l’idée de trans-
Ses écrits reflètent une utilisation mutation des métaux, notamment
de procédés complexes, tels que en Occident, est souvent associée
la cristallisation ou la distillation,
Contexte La plupart des savants du Moyen- à une approche occulte, dénuée de
pratiques connues à partir de l’An- Âge sont en accord avec le dogme aristotélicien en bon sens. L’image de la pierre philo-
tiquité et améliorées par les prati- vigueur depuis l’Antiquité. Il avance que la compo- sophale ou celle de Nicolas Flamel,
ciens arabes médiévaux. L’alambic, sition de la matière s’explique au moyen des quatre personnage sans cesse romancé,
ustensile utilisé pour la distillation, éléments fondamentaux (terre, eau, air et feu) et de viennent en effet porter cette per-
ne cesse par exemple d’être per- quatre qualités (chaud, froid, humide et sec), aux- ception couramment répandue.
SELVA/LEEMAGE
fectionné, notamment en opti- quelles les alchimistes arabes ont ajouté deux principes Pourtant, la transmutation semble
misant sa forme. Le système de (mercure et soufre). bien susciter, dès le IXe siècle, des
refroidissement évolue lui aussi et réflexions d’ordre scientifique – ou
La matière qui
s’évapore lorsqu’elle
est chauffée fait
partie de la classe
des « esprits »
transmutation des métaux, mais se
base sur un raisonnement dénué
de toute explication métaphysique.
Comme le souligne l’historienne
des sciences Mehrnaz Katouzian-
Safadi, de l’université Paris-Dide-
rot, il s’agit pour lui d’un « événe-
ment scientifiquement concevable et
matériellement possible ». D’autres,
comme Al-Kind (801-873), consi-
déré comme l’un des plus grands
philosophes de son époque, n’ac-
cepte tout simplement pas la possi-
bilité d’un tel processus.
Malgré des divergences d’opi-
nions philosophiques, les alchi-
mistes s’accordent sur l’ensemble
UNIVERSAL HISTORY ARCHIVE/UIG/BRIDGEMAN IMAGES
des entités – minéral, végétal et Ja-bir Ibn Hayya-n est représenté sur ce codex d’alchimie italien. Ses travaux ont contribué
animal – susceptibles d’être étu- aux prémices de la chimie : il a identifié sept métaux, dénommés alors « corps fusibles ».
diées et manipulées. Et les « corps
fusibles », ou ce que nous défi- Il se fonde sur l’effet de la chaleur quant à eux, stables à haute tem-
nirions aujourd’hui comme des sur la matière. Celle qui s’évapore pérature. La volatilité fait office de
métaux, se trouvent souvent au lorsqu’elle est chauffée fait partie critère de démarcation. Le nombre
centre des attentions. Une pre- de la classe des « esprits » (arwa-h). de corps fusibles et leur nature
mière constatation de l’importance On y trouve le mercure, le soufre peuvent varier en fonction des diffé-
de l’observation dans les travaux de ou l’arsenic. Les « corps fusibles » rentes écoles. Pour Ja-bir Ibn Hayya-n,
Ja-bir Ibn Hayya-n vient de sa classi- (ajsa-m) – l’or, l’argent, le fer, le notamment, il y en a sept. D’autres,
fication des différentes substances. cuivre, l’étain et le plomb – restent, comme Ibn S na-, plus connu
apparaît souvent une correspon- émission de bruits stridents lors rer leurs connaissances, les alchi-
dance manifeste. du frottement du qala’ . Il s’agit là mistes se consacrent à la pré-
Les différences de couleurs, généra- d’une propriété caractéristique de paration d’alliages (dans le sens
lement porteuses de significations l’étain qui s’explique actuellement d’un simple mélange entre deux
spirituelles, captent en premier lieu par un phénomène de « maclage », métaux). L’intérêt de ces travaux est
l’attention des alchimistes. Le sens déformation causée par la structure également pratique. Des ustensiles
du toucher est sollicité : Al-B ru-n cristalline particulière de certains à usages variés, principalement
ont pu être corrélés aux notions Les alchimistes arabes du Moyen- qui ont frayé la voie au développe-
modernes de sulfates, d’oxydes Âge sont loin d’imaginer la réalité ment occidental ». Q
et de carbonates. La signification des principes fondamentaux de Adrien Foucquier
membres estiment, par exemple, qu’on dis- nous ne l’avons pas franchement résolue. les pêcheurs japonais ont alerté les autori-
pose des moyens de production suffisants Plus exactement, c’est un chantier qui n’est tés locales sur la pollution, mais ont eu du
pour assurer le bien-être de tous sur Terre, jamais terminé dans le cadre d’un système mal à se faire entendre, parce que c’était
à condition qu’il n’y ait pas d’accumulation politique comme le nôtre, la démocratie. des pêcheurs pauvres. Dans le second cas,
l’héritage et celle de l’innovation, mais des probabilités, les fonctions ouvrent de Buffon, qui reproche à Linné son langage
surtout insiste sur la pluralité des défini- nouvelles perspectives. […] [Ce] projet abstrait pour nommer les plantes, sa
tions et des références. […] d’unification de la nature par la mathéma- méthode insuffisamment fondée sur l’ob-
La pluralité des définitions est cependant tisation ne va pas sans résistance dans le servation des « échantillons de la nature »,
contrebalancée par une conception plus monde savant. D’abord, dans l’univers des son réductionnisme, sa vision fixiste des
unitaire de « système du monde, de machine mathématiciens, les controverses internes formes vivantes (reprise d’Aristote) alors
de l’univers » ou encore d’« assemblage autour de la paternité du calcul différen- que Buffon fait un pas vers une concep-
de toutes les choses créées » dans un sens tiel, du calcul infinitésimal vont au-delà tion évolutive de la nature, pour ne pas dire
mécanique. La nature y désigne « l’ordre des querelles d’attribution pour signaler transformiste. […] » Q
et le cours naturel des choses, la suite des un doute sur l’efficacité de telle ou telle Stéphane Van Damme
causes secondes ou les lois du mouvement méthode mathématique. Ensuite, la mul-
que Dieu a établies ». Les autres articles tiplication des controverses externes entre Parmi les questions
sur la « Nature » de L’Encyclopédie, comme mathématiciens, « physiciens » (philo- nouvelles concernant la
celui écrit par D’Alembert, et fortement sophes de la nature d’un côté et natura- nature dans les sociétés
influencé par Newton, viennent ainsi listes et chimistes de l’autre), indique des contemporaines, il y a celle que soulève
amender ou déplacer cet héritage ancien réticences dans la production de la seconde l’énoncé suivant : « La nature est la plus
en le plaçant sous le régime des lois de la nature sur des bases purement mathéma- grande menace bioterroriste. » Cet énoncé
nature (principalement des lois sur le mou- tiques. Denis Diderot défendra ainsi contre a circulé dans les années 2000 au sein de la
vement), qui vient rappeler que la philoso- D’Alembert l’idée d’une nature plus riche, communauté des experts en santé globale
phie de la nature est largement prise dans plus diversifiée et largement rétive à la mise pour critiquer l’investissement massif des
le débat sur la contingence et la nécessité. en équation, voire à l’esprit de système autorités américaines dans la recherche
Tout un ensemble de philosophes se récla- pour Buffon. Le chimiste Gabriel François sur les pathogènes qui pourraient être
mant de Newton et de Locke s’interroge en Venel, dans l’article « Chimie » de l’Ency- utilisés comme armes biologiques. Selon
effet sur le rôle et l’importance du « statut clopédie, défendra par exemple les phy- ces experts, la plus grande menace pour
modal des lois de la nature ». Cet enjeu est siciens non géomètres. Cette dénoncia- la santé globale n’était pas l’utilisation de
d’autant plus fort qu’il autorise ou inter- tion de l’arbitraire des lois de la nature, des l’anthrax ou de la variole par des terroristes
dit le concept leibnizien de « monde pos- limites aussi du mécanisme appliqué au en Afghanistan ou en Irak, mais l’émer-
sible » pour mettre l’accent sur les lois, la domaine du vivant n’échappe pas cepen- gence d’un nouveau virus en Afrique cen-
régularité, la quantité, une causalité forte dant aux domaines de l’histoire naturelle. trale ou dans le sud de la Chine. Au cours
que l’on veut à l’aune des vérités mathé- On la retrouve particulièrement forte chez des trente dernières années, en effet,
matiques et donc, comme chez Mauper-
tuis, ouvre la perspective d’une nouvelle
cosmologie. L’offensive des mathémati-
ciens depuis Galilée, Descartes et Newton
consiste à jouer les phénomènes contre les
lois, l’empirisme contre le causalisme pour
reprendre l’analyse d’André Charrak (1) .
La nature ne serait donc pas caractérisée
par la pluralité de ses objets, mais par l’unité
des sciences qu’elle postule. De Descartes
à D’Alembert, un même principe architec-
tonique préside à l’enquête sur la nature.
NIBSC/SCIENCE PHOTO LIBRARY/COSMOS
En ce début de millé- Un exemple [de matériau irrémédiablement vers l’esto- Slips (Slippery Liquid-infused
naire, de nouvelles bio-inspiré] très attrayant mac de ces beautés fatales. Porous Surfaces) compo-
tendances émergent, faisant concerne les surfaces textu- La plante capture ainsi les sées de matériaux poreux en
évoluer la façon dont les rées multifonctionnelles ins- insectes dont elle se nourrit. polymères fluorés et remplies
objets sont conçus et réalisés pirées du mode de fonction- […] d’un liquide fluoré peu vola-
par l’homme. Il existe un fort nement de certaines plantes L’exaltation des propriétés de til. Les surfaces ainsi générées
courant de pensée et d’action carnivores telles que la sar- non-adhésion est due à la pré- sont très glissantes, omni-
dont la quête est l’harmonisa- racénie pourpre (Nepenthes sence d’une structure poreuse phobes (l’eau, l’huile, le sang,
tion des relations entre la pitcher). [Les] fleurs de ces multi-échelle remplie par un le pétrole ne les mouillent
nature et les productions plantes ont des propriétés très liquide présentant une forte pas), s’autoréparent dans un
humaines. Pour cela, les maté- originales. Dans une atmos- affinité chimique pour cette temps de l’ordre de la seconde,
riaux et les systèmes conçus phère relativement sèche, les dernière et dont le remplis- sont stables sous pression
par l’homme doivent être de insectes visiteurs (fourmis par sage doit être ajusté de telle (600 atmosphères) et résistent
plus en plus intelligents, exemple) se déplacent sans manière à permettre la for- à l’adhésion de la glace. Ces
miniaturisés, recyclables, res- aucune difficulté sur les lèvres mation d’un film très mince surfaces bio-inspirées ultra-
pectueux de l’environnement, de la plante et peuvent donc de ce liquide sur la surface. glissantes devraient permettre
économes en énergie, très s’y accoutumer. Mais lorsque La texture et les composantes de développer des matériaux
fiables (durabilité) et peu coû- l’humidité ambiante aug- sont sélectionnées de manière et systèmes originaux pour la
teux. L’approche biomimé- mente la surface hydrophile à ajuster les énergies des inter- manutention et le transport
tique de la science des maté- nano et microstructurée des faces d’un système à quatre des fluides dans le domaine
riaux ou la conception lèvres de la plante, celle-ci se phases (air, substrat tex- médical, les capteurs et les
bio-inspirée de matériaux est gorge d’eau et devient extrê- turé, liquide de remplissage, revêtements autonettoyants,
une stratégie globale de pen- mement glissante, empêchant liquide ou solide à éliminer). antigraffitis, antisalissures
sée et de créativité plutôt les fourmis (dont les extrémi- Ces concepts ont été répli- pouvant être utilisés dans des
qu’une simple technique pour tés des pattes sont grasses) d’y qués pour générer des sur- conditions difficiles de tempé-
copier la nature. […] adhérer. Ces dernières glissent faces bio-inspirées nommées rature et de pression. »
l’annonce de l’éradication de la variole d’une attaque terroriste vers la peur d’une yeux un effet accidentel qui reste à expli-
par l’Organisation mondiale de la santé épidémie, ces deux événements pouvant quer. La métaphore du bioterrorisme tra-
a été suivie par l’émergence de nouveaux se produire à n’importe quel moment duit ainsi le passage entre deux concep-
virus comme Ebola en 1976, le VIH/sida par des voies invisibles […]. Mais, alors tions de la nature : une nature régie par des
en 1981, le virus de la grippe aviaire H5N1 que les épidémies résultent de mutations mécanismes connus par des lois de proba-
en 1997 ou le Sras (Syndrome respiratoire aléatoires des microbes, les attentats ter- bilités et une nature conçue comme une
aigu sévère) en 2003. Ces nouveaux virus, roristes sont intentionnellement orientés totalité capable d’agir sur un de ses élé-
à la différence de la variole ou de l’anthrax, par des idéologies. Les virologistes jouent ments. L’émergence d’une maladie infec-
étaient complètement inconnus […]. sur la métaphore du terrorisme pour tieuse nouvelle est à la fois un événement
Cet énoncé, à travers les formes variables décrire la façon dont les virus détournent probable, selon les règles des mutations
qu’il a prises dans le contexte sécuritaire les mécanismes de réplication de la cel- microbiologiques, et un événement catas-
de la chute de l’Union soviétique et des lule pour se multiplier en faisant exploser trophique, lorsqu’il frappe une population
attaques du 11 septembre 2001, est para- leur hôte. Mais ils précisent que les virus non immunisée – comme les Amérindiens,
doxal, car il semble attribuer des intentions n’ont pas d’autre visée que de se repro- qui furent décimés par la variole apportée
à la nature. Il détourne en effet la peur duire, la mort de leur hôte étant à leurs par les Européens. C’est ce passage du
Adresse :
Portable :
Pour une meilleure gestion de votre commande, merci de nous indiquer votre e-mail : @
f J’accepte de recevoir par mail, des informations des partenaires de La Recherche.
Oui, je souhaite recevoir dans les 10 jours la commande ci-dessous Je règle aujourd’hui par :
Indiquez ci-dessous les numéros souhaités Quantité Prix unitaire TOTAL
chèque à l’ordre de SOPHIA PUBLICATIONS carte bancaire
LA RECHERCHE
N°
6,40 € € Je note aussi les 3 derniers chiffres du numéro inscrit au dos
de ma carte bancaire,
LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE au niveau de la signature : Expire fin :
6,90€
€
Signature obligatoire :
L’écrin LA RECHERCHE 12 numéros 18,00 € € Votre commande sera
FRAIS DE PORT : France métropolitaine (Étranger, nous contacter) expédiée à réception
1,50€ le numéro / + 0,50€ le numéro supplémentaire € de votre règlement.
6,85€ l’écrin / 8,35€ de 2 à 3 / 9,10€ de 4 à 5
Au-delà de 5 écrins, nous contacter. €
Loi informatique et libertés : vous disposez d’un droit d’accès et de rectifcation
Total de ma commande (Frais de port inclus) € des données vous concernant. Elles pourront être cédées à des organismes extérieurs
sauf si vous cochez la case ci-contre
livres Sélection du mois
L
terre et le gravier sur lesquels le soldat est allongé figure de trouvaille majeure. Les bruits reçus y sont analysés : les
pendant des heures grippent le dispositif… dont plus faibles sont amplifiés, alors que les plus forts sont assour-
la seule présence finit d’ailleurs par être gênante dis. Et, branché sur le bon canal, il permet même de suivre les
physiquement. Mais pas question de la rempla- conversations depuis Washington… comme avec le président
cer par un bruyant Velcro. Un système plus furtif des États-Unis lors de l’assaut final contre Oussama Ben Laden.
figure donc au programme de recherche de l’armée américaine. En visitant les archives nationales, l’auteure découvre enfin les
À l’instar de cet exemple vestimentaire, il existe des dizaines de improbables recherches menées par l’OSS, ancêtre de la CIA,
recherches menées dans les laboratoires militaires américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, le « Qui, moi ? »,
qui visent à améliorer la vie (et par là même l’espérance de vie) arme olfactive non létale dont l’odeur s’inspire des latrines à
des soldats, comme leur efficacité sur le terrain. ciel ouvert, est imaginée pour humilier les troupes japonaises.
La journaliste scientifique Mary Roach en a tiré cet ouvrage à la Un produit qui doit avoir un « rayon d’action d’au moins 3 m »,
fois grave et drôle. L’auteure nous invite dans les services d’en- « sans risque de retour de flamme », et pouvant être mis en œuvre
tomologie et d’urologie reconstructive, dans de manière silencieuse. Au point qu’en 1945,
les laboratoires qui planchent sur les effets Une arme olfactive 500 tubes de ce redoutable parfum sont pro-
de la chaleur ou sur l’exosquelette portable duits. Leur livraison sur le terrain sera dou-
hydraulique capable de soulager le soldat non létale dont blée par… l’arme atomique.
de ses 40 kg d’équipement, ou encore dans Aujourd’hui, les militaires recherchent la
ceux qui réalisent des « essais cliniques sur
l’odeur s’inspire formule pour rester éveillé, alerte et efficace
la diarrhée ». Il existe même des audiolo- des latrines pendant des jours sans subir de dommage
gistes militaires qui veillent aux oreilles des mental ou physique. Ou celle du sommeil
soldats, mises à mal au combat. Le bruit d’un tir de lance-ro- unihémisphérique, état de veille permanent propre aux canards
quettes antichar, porté à l’épaule, est en effet de 187 décibels ou aux dauphins. Les « sciences militaires » ont assurément de
pendant une seconde. Une exposition ultrabrève qui produit l’avenir, et un budget confortable. Un ouvrage instructif dont
une baisse définitive de l’ouïe. Quant au fusil d’assaut M16, la lecture peut se révéler parfois éprouvante. Mais l’humour de
son claquement, qui, lui, dure bien plus qu’une seconde, est l’auteure fait passer la pilule. Hervé Cabibbo
de 160 décibels. Le TCAPS (pour tactical communication and Belin, 320 p., 23 €.
Fellow Creatures
Christine M. Korsgaard
T
out le monde est d’accord pour ne pas faire soufrir Christine Korsgaard montre qu’il est incohérent de ne pas traiter les
les animaux inutilement. Mais que signife précisément animaux sensibles eux aussi comme des fns. Ce qui ne signife pas
cette position ? Pour Christine Korsgaard, professeur que les animaux soient nos semblables – la philosophe maintient la
de philosophie à l’université Harvard, distinction kantienne selon laquelle seuls les humains
il est clair que nous ne devrions pas les manger, sont des êtres rationnels et autonomes. Mais, selon
puisque les élever dans cette optique les fait soufrir elle, faire des animaux des moyens pour nos propres
sans que cette consommation soit nécessaire pour fns ne fait pas honneur à notre capacité à évaluer
notre santé. Au-delà de cette évidence, on distingue rationnellement leurs intérêts, notamment ceux à
traditionnellement deux grandes approches sur la ne pas soufrir et à continuer à vivre. De la même
question de nos obligations envers les animaux. D’un manière, cette spécifcité humaine ne signife pas
côté, les « animalistes » veulent que les animaux que nous sommes plus importants que les autres
sensibles se voient reconnaître des droits fondamen- animaux puisqu’être important, c’est uniquement
taux, comme ne pas être emprisonnés, maltraités et l’être pour quelqu’un – soi-même ou autrui.
tués sans raison impérieuse. C’est cette approche Enfn, l’auteure montre également que ce n’est pas
qui inspire le mouvement végan, en vogue de nos parce que seuls les humains établissent et recon-
jours. De l’autre côté, les « humanistes » récusent naissent des lois morales que ces dernières n’ont
cette notion de droit des animaux et estiment que pas à être prises en compte dans nos rapports aux
ces derniers peuvent être utilisés dans la mesure où on ne les fait animaux. Même s’ils n’en sont pas les législateurs, ils appartiennent
pas soufrir plus que nécessaire. bien à notre communauté morale. Bref, si Christine Korsgaard a
Cette approche s’appuie en particulier sur la philosophie d’Emmanuel raison, il semble que les « humanistes » devraient rejoindre le
Kant, qui avançait que seuls les humains doivent être traités comme camp des « animalistes ».
des fns et jamais simplement comme des moyens. Mais, en repre- Thomas Lepeltier, chercheur indépendant, Oxford
nant les analyses de Kant, dont elle est une spécialiste reconnue, Oxford University Press, 2018, 272 p., £19.99.
PHILOSOPHIE ÉPISTÉMOLOGIE
biomimétisme, des
chimères ou des relations
d’ornithologie déploie les
grands moyens. En plus FÊTE DE LA SCIENCE
entre hommes et animaux. des quarante films
Labège (Haute-Garonne), documentaires présentés, La Fête de la science revient pour une 27e édition, avec
Centre des congrès ce festival s’intéresse quelque 150 villages des sciences qui ouvriront leurs portes
Diagora aussi au monde animal au partout en France, réunissant des espaces d’animations, de
tinyurl.com/Scientilivre sens large. Entre autres, démonstrations et de rencontres. Cette année,
les expositions 6 000 événements gratuits seront organisés à l’initiative des
Du 30 octobre « Chouettes et hiboux universités, des laboratoires et des institutions, sur plus de
au 4 novembre d’Europe » ou « Serpents, 2 500 lieux d’animations, comme des musées ou des centres
Festival du mythe à la réalité » de culture scientifique et technique. L’événement
international sensibiliseront le public s’intéressera à des thématiques d’actualité, comme les fake
du film quant à la place des news, les idées reçues ou encore l’esprit critique – des sujets qui prennent une place
ornithologique animaux dans un de plus en plus importante dans le milieu de l’information et de la science.
Pour sa 34e édition, ce environnement menacé. L’occasion pour petits et grands de (re)découvrir les nombreux domaines de la
rendez-vous Ménigoute (Deux-Sèvres), science et du monde de la recherche.
incontournable des divers lieux Du 6 au 14 octobre, partout en France
curieux et passionnés tinyurl.com/Menigoute-festival www.fetedelascience.fr/pid34623/accueil.html
PLRC540/G01+F81
À retourner sous enveloppe affranchie à La Recherche - Service Abonnements - 4, rue de Mouchy - 60438 Noailles cedex
OUI, je m’abonne à La Recherche et je reçois EN CADEAU les 2 hors-série : Les plus grandes controverses scientifques + La mémoire
f OFFRE CLASSIQUE 1 AN - 10 n° + 1 n° double pour 60€ au lieu de 71,90€*, soit plus de 10€ d’économie.
f OFFRE COUPLÉE 1 AN - 10 n° + 1 n° double + 4 hors-série pour 84€ au lieu de 99,50€*, soit plus de 15€ d’économie.
MES COORDONNÉES MON MODE DE RÉGLEMENT
f M. f Mme f Melle
f chèque bancaire à l’ordre de La Recherche f carte bancaire
Nom : N°
Prénom : Expire fn
Adresse :
Signature obligatoire
Ville : SOPHIA PUBLICATIONS - SA au capital de 9 115 568 € - 562 029 223 RCS Paris
Service abonnements : France : 01 55 56 71 15 - & Étranger ; 00 33 155 56 71 15
Pour une meilleure gestion de votre abonnement, merci d’indiquer votre e-mail : E-mail : abo.recherche@groupe-gli.com
E-mail : @
f J’accepte de recevoir par mail des informations de La Recherche et de ses partenaires.
* Vous pouvez acquérir séparément chacun des numéros normaux au prix de 6€40, le numéro double au prix de 7€90 et les hors-série au prix de 6€90. Offre exclusivement réservée aux nouveaux abonnés
résidant en France métropolitaine et valable jusqu’au 31/12/19 et dans la limite des stocks disponibles. Vous recevrez vos cadeaux sous 4 semaines maximum après l’enregistrement de votre abonnement.
Conformément à la loi « Informatique et Libertés » du 06/01/78 (art 27) vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression des informations vous concernant. Elles sont destinées exclusive-
ment à SOPHIA PUBLICATIONS et à ses partenaires sauf opposition de votre part en cochant la case ci-après f
jeux
LA RENTRÉE EN ÉNIGMES
MATHÉMATIQUES
Nous vous souhaitons d’agréables moments de recherche avec ces défis ludiques
et mathématiques sur le thème de la rentrée scolaire.
L’œuf ou la poule ?
Le « 13 » porte bonheur Travaux pratiques de sciences de la vie et de la Terre. Quinze élèves
Mathias vient de recevoir son nouveau cartable débattent autour d’une table ronde – ils ne changent jamais de place.
pour la rentrée. Fan de rugby à XIII, il a inscrit Au début, chacun d’eux a l’une des deux convictions :
le numéro de son joueur préféré sur le revers ➥ (A), la poule est apparue après l’œuf ;
du sac et, féru d’arithmétique, il veut décorer ➥ (B), l’œuf est apparu après la poule.
ce « 8 » en y plaçant les nombres de 1 à 13 Toutes les minutes, le professeur les fait
de façon à respecter les sommes horizontales voter pour l’une des deux hypothèses :
et verticales indiquées ci-dessous. les élèves votent à main levée, tous en même
temps. Le premier vote a lieu au bout de
la première minute.
2 Entre deux votes successifs, chaque élève
3
1
change d’opinion dans un cas et un seul :
12 lorsqu’il se trouve entre deux élèves qui
5
viennent d’afficher tous les deux l’opinion
différente de la sienne.
À partir d’un certain nombre de votes,
pour la première fois, plus rien ne change.
➜ Cinq nombres sont déjà en place.
Pouvez-vous l’aider à placer les autres ? ➜ Quel est, au maximum, ce nombre ?
TRENTE
+ TRO I S
+ M I L L I ON S
––––––––––––––––––
➜ Rendez à chacun son cartable et le nombre = 33000000
de cahiers qu’il contient. ➜ Reconstituez l’opération.
la recherche. Comme la science exige des comités qui sanctionnent des infractions Jean-Gabriel Ganascia est professeur d’informatique
compétences particulières, on conçoit que à l’intégrité, tels que la Délégation à l’inté- à Sorbonne Université. Il préside le Comité d’éthique du
la réflexion sur ces questions se fasse par grité scientifique (DIS) de l’Inserm. CNRS (Comets).
TOUS À L’HEU R E PO U R L A
J OURNÉ E M ON DI ALE ALZ H EI MER
L E 2 1 SE PT EMBR E 2018
Vous aider à toujours
profiter de la vie