Actu ❘ FOCUS RUNGIS

RUNGIS

D.G.
Toujours de son temps
Il y a cinquante ans,
le « ventre de Paris »
se décentralisait
à Rungis. Malgré
la baisse des ventes
sur le fameux carreau
E n 1969, on marchait sur la lune et
les Halles de Paris déménageaient
à Rungis ! Cette année-là, entre le
27 février et le 3 mars, 20 000 per-
sonnes, 1  000 entreprises de gros,
10 000 m3 de matériel et 5 000 tonnes de
marchandises quittaient Paris pour s’instal-
Rungis capte

94 103
de produits de la mer
t

pour un chiffre d’affaires

du pavillon A4 dédié
à la marée, les produits
de la mer occupent
toujours une très belle
place dans ce marché
mythique, de renommée
internationale.
Enquête : Dominique GUILLOT
de près de
ler à 7 km au sud de la capitale.
Cinquante ans plus tard, Rungis reste un
endroit toujours aussi mythique. Il réunit
914
aujourd’hui, sur 234 hectares, 1 200 entre-
prises qui emploient 12 000 salariés et réa-
lisent un chiffre d’affaires de 9,4  milliards
d’euros, en hausse de 3 %. Son taux d’oc-
cupation se chiffre à 97  % et il est fré-
quenté par 1,3 million d’acheteurs.
Une bonne santé que la Semmaris,
organisme gestionnaire, entend valori-
ser tout au long de l’année avec un slo-
gan  : «  Garantir le bonheur dans vos
assiettes  ». Une manière de mettre en
avant la sécurité alimentaire et la convi-
vialité de la table. Le 17 mars, Rungis s’at-
tellera à battre le record de la plus grande
table du monde  : plus de 342  mètres.
L’alignement de tables devrait traver-
M€.
ser deux pavillons et attirer plus de
500  convives. Mi-novembre, Rungis
déménagera le temps d’un week-end au
Grand Palais, à Paris.
La marque Rungis séduit de plus en
plus, y compris à l’international. Si le mar-
ché est quotidiennement en liaison avec le
monde entier, via la route ou le ciel, il déve-
loppe aussi son expertise dans des pro-
jets concrets  : marché de gros en Russie,
en Afrique du Sud, en Chine, au Vietnam,
étude en Côte d’Ivoire, à Londres… Et, sur

❘  22 ❘ PRODUITS DE LA MER N°190 MARS 2019

 Actu ❘ FOCUS RUNGIS

ÉCH S d’ENTREPRISES
le territoire national, il a pris en charge la
gestion du Min de Toulouse, tandis que sa
physionomie évolue de jour en jour à Paris
avec près de 70 millions d’investissement en
2017, dans le cadre du plan Rungis 2025.
J’Océane, en pleine ébullition

▼
Après celui dédié au bio, deux nouveaux
pavillons seront inaugurés : mi-février, le
FA4, et fin septembre, celui dédié au porc.
À l’est du marché, les entrepôts où se
trouvent en particulier Pomona et Metro
sont progressivement abattus et recons-
truits. Les grossistes spécialisés en produits
de la mer ne sont pas en reste avec un bâti-
ment entièrement rénové pour J’Océane,
un agrandissement pour Demarne et un
projet de restructuration pour R  &  O. Le
A4 lui-même fera l’objet de travaux en vue
d’optimiser le froid, ce qui devrait entraîner
une réduction de l’espace dédié à la vente
“ Lorsque l’on a les hommes qu’il faut, le carreau reste très intéressant. »
Ainsi parle José Correia, qui affirme sa présence dans le mythique pavil-
lon marée avec de nouveaux visuels et une équipe renforcée. « Nous
investissons aussi dans la marketplace de Rungis, dans l’export… »
Et surtout dans l’entrepôt situé à deux pas du A4. J’Océane se déploie
dans l’intégralité du bâtiment, avec deux unités distinctes : l’une
dédiée à la restauration traditionnelle, l’autre à la restauration
asiatique, pôle de développement grâce à une expertise sur le
thon et le saumon. « Ce chantier est un miroir de nos ambitions,
une vitrine. » À moyen terme, on pourrait aussi voir s’implanter
une salle pour le superfrozen et une autre pour le condition-
nement skin.

D.G.
et sans doute une ouverture aux services. José Correia, Pdg de J’Océane.
Autant d’approches qui reflètent la diversité
et l’évolution de la filière dans le marché.
«  L’état des lieux est très varié selon
Demarne, fidèle à la tradition
▼

les secteurs  », commente effectivement

Claude Taussac, le chef du secteur marée.
Il ne représente qu’un tiers des activités de la maison, mais le carreau
Les produits de la mer ont représenté
du A4 demeure incontournable pour Romain Demarne, responsable
94  103  tonnes pour 914  millions d’euros
commercial : « Il reste la vitrine d’un savoir-faire. » Fidèle depuis
en 2017. Des chiffres atteints par 43 entre-
l’origine – « mon grand-père et son frère ont fait construire notre
prises. « Dans un contexte où les produits
propre entrepôt ici il y 50 ans, signe de notre confiance dans ce
sont plus rares et leurs prix en hausse, la
marché ! » –, la société Demarne a évolué vers le service et la
marée a baissé de 3,4 %. Mais, dans le seul
logistique. Elle investit parallèlement dans l’export, en particu-
A4, la baisse est de 7,7 % avec 22 entre-
lier vers l’Asie, avec ses marques Demarne et La Barre et
prises encore présentes sur le carreau. Le
secteur y est très polarisé, avec trois grosses
génère 95 millions de chiffre d’affaires à Rungis, le reste
sociétés qui fonctionnent très bien : R & O, étant réalisé à Boulogne-sur-Mer. L’avenir passe par un
Demarne et J’Océane. Des entreprises agrandissement de la plateforme parisienne et un inves-
moyennes qui se portent correctement tissement dans la marketplace internet de la Semmaris.
D.G.

et des plus petites qui souffrent, car elles Romain Demarne, troisième génération de dirigeants.
manquent de puissance d’achat et font
face à de lourdes charges. Certaines entre-
prises ont néanmoins fait de très belles
croissances en 2017, tandis que d’autres,
comme Le Chalut, ont fermé ». R & O : producteur, transformateur et distributeur
▼

La traditionnelle vente, qui se déroule

entre 2 et 6 heures, voit de moins en moins
de clients participer, même si une bonne
clientèle historique, comme celle des Belges
qui filent ensuite vers Bruxelles, des détail-
lants et certains restaurateurs, demeure
fidèle. Par contre, les entrepôts connaissent,
avec 43 000 tonnes stockées, une croissance
de 2 % et la logistique, avec 34 000 tonnes
de transit, une augmentation de  2,7 %. Les
chiffres d’affaires s’affichent en hausse chez
les grossistes (+ 7 %) ainsi que chez les cour-
tiers et sociétés d’import-export (+ 9 %). Le
secteur traiteur de la mer se développe aussi
R & O est la fusion efficace entre Reynaud, traditionnelle maison parisienne
créée en 1924, et Oso, pionnier des gambas bio de Madagascar. « Notre profil
de producteur, transformateur et distributeur est unique, s’enthousiasme Mathias
Ismaïl. À côté du carreau du A4, nous avons développé notre laboratoire de
préparation culinaire et des implantations à Boulogne, Caen, Bor-
deaux, Nice, Saint-Tropez et Strasbourg, en attendant l’île Mau-
rice. Côté production, après les gambas, nous avons investi dans
le bar et la dorade bio, puis dans le saumon bio d’Atlantique et
aujourd’hui, dans une huître « Excentrique », élevée exclusivement
en Bretagne sud. » L’ensemble pèse 275 millions d'euros
de chiffre d’affaires. Prochaine étape : réunir toutes les
activités de Rungis sous un unique toit.
D.G.

chez certains grossistes généralistes implan- Mathias Ismaïl, Pdg de R & O.

tés à côté du pavillon A4. n

PRODUITS DE LA MER N°190 MARS 2019 ❘  23 ❘

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 Actu ❘ FOCUS RUNGIS

Une vie hors du A4

Le A4 nourrit la belle image de Rungis,
premier port de France. La traditionnelle
vente s’étiole pourtant sur le carreau,
mais les produits de la mer demeurent
bien vivants hors du célèbre pavillon.

L es plus grands opérateurs des pro-

duits de la mer comme R  &  O,
J’Océane et Demarne demeurent
fidèles au A4, mais ils ont paral-
lèlement développé des activités hors de
ce pavillon. D’autres opérateurs exercent
aussi dans la filière, mais à l’extérieur. Tous
répondent à une demande croissante de

L.F.
services et de logistique.
Le Delas propose à la fois du surgelé et un banc marée.
L’Île-de-France constitue l’essentiel des
marchés pour les sociétés implantées à
Rungis. Et vu les loyers, particulièrement
intra muros, détaillants et surtout restaura-
teurs maximisent leur surface commerciale
de vente, aux dépens de celles de prépara-
43
Sur entreprises
de marée à Rungis,
créé un comptoir avec banc d’écailler, vivier
et atelier de préparation. Nous nous four-
nissons en direct dans les ports ou auprès
Frères, mareyeurs morbihannais, et est un
fournisseur du saumon norvégien Bömlo.
Ouvert en 2013, le laboratoire de
tion et de stockage. Résultat : la consom-
mation de produits de plus en plus élaborés
et livrés en flux tendus s’accroît.
21 sont à
l'extérieur du A4.
des grossistes du marché. Nous offrons en
fait un complément, une possibilité pour
les clients de se fournir en tous produits,
Transgourmet Seafood se déploie, lui, sur
un site de 2 000 m2. Organisé pour livrer la
clientèle d’Île-de-France en produits frais, il
Installé depuis 50  ans dans le mar- 24  heures/24. Mais comme partout, la offre de nombreux services : filetage, désa-
ché, Le  Delas occupe une place à part. clientèle physique baisse et nous augmen- rêtage, V-cut, pelage… Les commandes
Spécialisée à l’origine dans la charcuterie, la tons nos livraisons. » sont préparées la nuit et dans l’après-midi,
maison s’est ouverte en 2007 aux poissons, En marge du A4, on trouve encore la l’atelier alimente le réseau Transgourmet en
viandes, légumes, fromages et vins. « L’idée société Armara. Son propriétaire Michel produits sous atmosphère protectrice.
était de créer un mini Rungis dans Rungis, Charraire, spécialiste des fruits et légumes, Toujours dans les murs du grand mar-
détaille Antoine Boucomont, le Pdg. Nous réalise aujourd’hui son chiffre d’affaires avec ché, Delanchy assure la gestion de la logis-
avions déjà des produits de la mer traiteur une cinquantaine de collaborateurs. Armara tique de Metro (importation, livraison…)
(rillettes, saumon fumé…), mais nous avons travaille en étroite collaboration avec Jégo dans un entrepôt spécifique et anime
un site dédié aux produits de la mer. La
société a racheté en 2013 l’historique mai-
[Marine Quality, intermédiaire dans le A4] son Fargier, et sa plateforme multiproduits
de 8 000 m2, spécialiste de la redistribution
Un temps salarié d’Orca Marée, Hicham Moussa a observé le fonctionnement de Rungis dans le grand Paris.
avant de créer en 2016 Marine Quality. « Nous sommes installés dans le A4 et faisons office Autre acteur de poids, Pomona inves-
d’intermédiaire local pour les mandataires, qui composent l’essentiel de notre clientèle. tit pour « les 50 prochaines années, sou-
Nous leur facilitons la tâche en offrant du stock et du service, comme le filetage. » Marine rit Nicolas Fiastre, directeur régional de
Quality travaille avant tout du saumon, avec une dynamique commer- TerreAzur. Nous sommes entrés dans le
ciale forte sur l’origine Féroé, un produit auquel Hicham Moussa croit : bâtiment actuel en 1969. La Semmaris
« C’est unique et très différent des autres origines. J’essaie de la faire élève pour nous un bâtiment de 10 000 m2.
passer de plus en plus. » Seul à ces débuts, il emploie aujourd’hui cinq Nous y développerons début 2020 une pla-
personnes. Certains passent les offres le matin puis engrangent les teforme de distribution dédiée à tous les
commandes jusqu’à midi, tandis que d’autres assurent la préparation secteurs, une autre spécialisée sur la res-
et l’expédition de 20 heures à 6 heures. Particulièrement tournée tauration commerciale en Île-de-France
vers le nord (Norvège, Écosse…), Marine Quality a développé et une dernière pour Pomona Export, qui
ses références au fil du temps (lieu, rascasse, cabillaud…) et expédiera tous nos produits, y compris de
rêve de se développer vers les marchés du sud. marée (PassionFroid et TerreAzur) dans le
D.G.

monde entier ». n

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 Actu ❘ FOCUS RUNGIS

Une vaste plateforme internationale

La réputation
du marché de Rungis
est internationale.
Il est lui-même un hub
logistique à la croisée
de toutes les origines
et destinations. Presque
tout ce qui se mange sur
la planète transite par ici !

R ungis dessert 18  millions de

consommateurs et 10  % de ses
ventes globales sont réalisées à
l’export. Des chiffres qui pour-
raient évoluer, alors que le grossiste multi-

produits Pomona booste son offre export,
qui devrait particulièrement se développer
à partir de 2020 dans ses nouveaux locaux.
Proximité des aéroports, mandataires
et logisticiens efficaces, flux multifilières
importants… Rungis constituent une place
forte des échanges internationaux. De
nombreuses sociétés se sont ainsi installées
dans les bâtiments construits autour de la
tour centrale de la Semmaris pour assurer
leurs affaires.
Paris Gastronomy Distribution, par
exemple, y officie depuis 1996. Elle exporte
de la marée mais aussi des fruits et légumes,
de la volaille et de la viande, en regroupant
des commandes pour des grossistes ou des
GMS (surtout pour l’outre-mer) et fait livrer
par bateau ou avion.
Au cœur de ces échanges, Bolloré
Logistics est présent à Rungis depuis 1991.
Le spécialiste du dédouanage et du colis-
sage opérait alors sur une plateforme
À savoir de 1  000  m2, ouverte aux opérateurs de
Le concept de marché Rungis et de l’extérieur. Le logisticien pro-
de gros sous licence fite aujourd’hui d’un espace de 6 000 m2.
« Rungis » a été Des sociétés spécialisées ont aussi ouvert
exporté à Dubaï et leurs bureaux. Elles sont parfois des éma-
à Moscou. nations de producteurs qui assurent ainsi
une relation directe avec leurs clientèles
française ou européenne. C’est le cas des
américains d’East Coast Seafood (homard
vivant…) ou encore d’Ikagel, qui propose
des produits frais et surgelés en prove-
nance du Sénégal, à destination principale-
ment de la GMS. Sole, mérou, vivaneau…,
entiers ou en filet, voyagent via une ligne
aérienne quotidienne, du lundi au ven-
dredi, entre les deux pays. Le sourcing est
de fait très précis et ces spécialistes assu-
ment la prise de risque des échanges.
Dans les bureaux, on trouve encore
Hubco (produits congelés), Elafood (divers
L.F.
en frais, vivant et congelé), Scot Seafoods,
spécialiste du saumon bio ainsi que du
thon et de l’espadon ou encore des lan-
goustines, Miss Fish, bien connectée avec
l’Écosse et les États-Unis (homard, coquille
Saint-Jacques…), mais aussi l’Amérique du
Sud, l’Afrique ou l’Asie.
Ces entreprises spécialisées, au savoir-
faire éprouvé et reconnu, tirent leur épingle
du jeu alors que les marchés internationaux
sont très disputés pour les Européens, qui
doivent notamment compter avec l’ap-
pétit asiatique. L’offre se raréfie et les prix
s’envolent. Les professionnels de Rungis
évoquent d’ailleurs des volumes d’importa-
tion de produits sauvages en forte baisse,
de l’ordre de 30 % en sept ans. Une baisse
à laquelle certains répondent par de la réas-
surance qualité, en se différenciant via des
certifications spécifiques. n

[AB Fish : des avions et des poissons ]

Depuis ses bureaux de Rungis, AB Fish a une activité très
précise  : l’importation de produits de la mer sauvages,
frais et par avion, de toutes les origines (Afrique, Amérique,
océan Indien…) « Nous proposons une cinquantaine de
références, ce qui est unique, détaille Sébastien Goiffon, le
président. Nous traitons 800 tonnes par an, pour un chiffre
d’affaires de 12 millions d’euros. »
L’entreprise, formée par un groupement de grossistes qui
souhaitent créer un pôle spécialisé, est devenue la plaque
tournante des approvisionnements en homard, noix de
saint-jacques, thon, espadon et divers poissons entiers.
Tout arrive à Roissy et transite par le hub de Delanchy avant
d’être distribué partout en France. « Nous avons développé
un système EDI (échange de données informatiques) très
précis avec le logisticien et disposons d’une traçabilité
pointue de nos produits en temps réel. Un vrai plus. » Un
autre étant les certifications. «  Notre travail de sélection
notamment est reconnu par une certification IFS Broker. »

PRODUITS DE LA MER N°190 MARS 2019 ❘  27 ❘