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qu’une obsession : être le premier ministre des


finances depuis 1969 à équilibrer le budget fédéral
En Allemagne, la règle d’or budgétaire au
dès 2008. Aussi refusent-ils tout plan de relance en
cœur des débats Allemagne.
PAR ROMARIC GODIN
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 3 JUILLET 2019

L’Allemagne n’a cessé d’économiser au lieu


d’investir. Même le patronat s’en inquiète. Les
économistes s’interrogent désormais sur la nécessité
de conserver une règle d’or budgétaire très restrictive.
Mais le monde politique reste peu perméable à cette
idée. Peer Steinbrück, ancien ministre fédéral des finances, de 2005 à
2009, et Angela Merkel, chancelière fédérale depuis 2005. © (dr)
Alors que l’économie allemande est clairement entrée
dans une crise structurelle, le débat économique Il faudra attendre trois mois et l’effondrement pur
outre-Rhin commence à se reconfigurer. Et le et simple de l’économie allemande pour que le
centre de la réflexion, c’est le « frein à gouvernement fédéral accepte de réagir. Le PIB du
l’endettement » (Schuldenbremse), mécanisme plus dernier trimestre 2008 recule ainsi de 2,1 %, après
connu en France sous le nom de règle d’or budgétaire, deux trimestres de contraction à 0,5 %, et les carnets de
qui a été introduit en juillet 2009 dans la Loi commandes de l’industrie se vident. Peer Steinbrück
fondamentale, la Constitution de la République finit alors par accepter deux plans de relance, dont le
fédérale, par le Bundestag et, au nom des Länder, second, adopté le 12 janvier 2009, près de quatre mois
par le Bundesrat. Aujourd’hui, plusieurs économistes après le début de la crise, s’élève à 40 milliards d’euros
demandent l’abandon de cette règle, qui entrera répartis sur trois ans. Parallèlement, l’Allemagne
définitivement en vigueur en 2020 (pour les Länder), doit faire face à une crise bancaire inédite. Le
afin de permettre des investissements publics et une gouvernement fédéral intervient pour sauver par leur
politique de relance dont le pays a un besoin impérieux fusion la Commerzbank et la Dresdner Bank et doit
et rapide. se résoudre à renflouer plusieurs banques régionales
Histoire du « frein à l’endettement » allemand, ainsi que Hypo Real Estate (HRE), une banque aussi
obsession politique qui transcende les partis grande que Lehman Brothers et désormais en état
de faillite, qui sera nationalisée à l’été 2009 – une
Qu’est-ce, d’abord, que ce mécanisme ? Il est issu, première depuis 1932. Peer Steinbrück doit renoncer
comme souvent en Allemagne, d’un compromis à son rêve de « Schwarze Null » (« le zéro noir »),
politique. Lorsque survient la crise qui a suivi la terme allemand qui désigne l’équilibre budgétaire (le
faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008, noir est ici l’équivalent du vert en France, il dénote un
Angela Merkel est au pouvoir depuis trois ans et excédent, le « zéro noir » est donc un retour à un léger
gouverne dans le cadre d’une « grande coalition » excédent).
avec la SPD sociale-démocrate. Cette dernière occupe,
en la personne de Peer Steinbrück, le poste clé des Mais ces plans de relance et ces sauvetages bancaires
finances. Dans les premiers mois de la crise, Angela heurtent les consciences de la classe politique
Merkel et Peer Steinbrück, un ancien proche d’Helmut allemande et d’une grande majorité des économistes.
Schmidt, profondément convaincu par la logique de Dans la pensée ordolibérale qui a fondé la
l’offre et du néolibéralisme, refusent toute intervention République fédérale, une telle intervention de l’État
publique. Et s’opposent de concert aux demandes dans le fonctionnement du marché est inconcevable.
de relance coordonnée formulée par Nicolas Sarkozy Les critiques contre une croissance artificielle au
et Gordon Brown. Peer Steinbrück n’a, à l’époque, détriment des comptes publics (désignée par le terme

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« Wachstum auf Pump », « croissance à la pompe » alors placés sur un « compte de contrôle », qui
en français) pleuvent et choquent le ministre social- ne peut dépasser 1,5 % du PIB et doit être épuré
démocrate dans ses convictions orthodoxes. Au sein lorsque la conjoncture redevient favorable. En période
de la grande coalition, on convient donc que cette de croissance, l’État allemand doit donc accélérer la
relance sera la dernière : en contrepartie, une règle consolidation budgétaire.
d’or budgétaire sera inscrite dans la Loi fondamentale. La consolidation budgétaire allemande et le déficit
L'idée est alors dans l'air depuis quelques années, d’investissement
inspirée par la Suisse. En effet, s’autorisant d’un vieil
Ce « frein à l’endettement » s’est finalement révélé
exemple du canton de Saint-Gall, la Confédération
largement inutile. Depuis dix ans, l’Allemagne a
helvétique avait inscrit en 2001 dans sa Constitution
fortement amélioré ses finances publiques, devançant
une limitation de la croissance des dépenses. En
les obligations de cette mesure. Le successeur de Peer
Allemagne, c’est un geste fort de rétablissement
Steinbrück, Wolfgang Schäuble (CDU), a finalement
de la logique ordolibérale qui veut que l’économie
concrétisé son rêve en 2014 en faisant revenir en
soit soumise à des règles strictes et que l’État les
excédent le budget fédéral, qui affiche depuis un
fasse respecter, y compris lorsqu’elles le concernent
surplus de recettes compris entre 2 milliards et 31
directement. Peer Steinbrück revendique avec éclat la
milliards d’euros par an. En 2018, il s’est établi à
paternité de la mesure qui, précise-t-il, renforcera « la
12,8 milliards d’euros, soit 0,38 % du PIB nominal.
confiance des marchés envers l’Allemagne ».
Mais l’ensemble de l’excédent des comptes publics
Le 29 mai 2009, le Bundestag adopte la révision allemands est encore plus élevé puisque l’ensemble
des sept articles de la Loi fondamentale par 418 des Länder sont également en excédent depuis 2015 et
voix sur 575. Le 12 juin, le Bundesrat, la chambre que les comptes sociaux sont eux aussi bénéficiaires.
qui représente les Länder, fait de même avec une Au total, l’excédent public allemand s’est élevé à 42,9
majorité des deux tiers : seuls 3 Länder sur 16 milliards d’euros, soit 1,3 % du PIB.
(parmi les plus pauvres : Mecklembourg-Poméranie-
Pour parvenir à ce résultat, l’Allemagne a d’abord
Occidentale, Berlin et Schleswig-Holstein) ont rejeté
bénéficié d’une croissance solide, principalement
l’idée. Le « frein à l’endettement » devient donc
soutenue par ses exportations qui ont alimenté les
une obligation constitutionnelle qui renforce encore
recettes fiscales. Mais la consolidation budgétaire a
les obligations du traité de Maastricht. À partir de
aussi été portée par une compression des dépenses.
2016, l’État fédéral ne pourra plus afficher de déficit
Au global, les dépenses publiques allemandes sont
supérieur à 0,35 % du PIB potentiel du pays et, à
stabilisées sous les 44 % du PIB depuis 2015 (à 43,9
partir de 2020, aucun Land ne pourra plus réaliser de
% en 2018), un niveau fréquent dans les années 1970
déficit budgétaire. C’est donc une règle très stricte
mais qui n’avait jamais été atteint depuis 1990. Pire, en
qui, au reste, va demander une période d’adaptation
excluant les dépenses sociales, ce niveau correspond
aux Länder les plus fragiles et les plus endettés qui
à celui des années 1960. En termes nominaux, l’État
bénéficieront de transferts pour revenir à l’équilibre.
fédéral a fortement réduit ses dépenses pendant
Mais pas pour y rester.
plusieurs années. En 2014 et 2015, elles étaient
La nouvelle règle constitutionnelle prévoit certes ainsi inférieures à celles de 2010. Et ce sont les
quelques écarts possibles en cas d’extrême investissements qui ont été le plus mis à contribution
nécessité comme des chocs conjoncturels forts, des dans cette austérité. C’est logique puisque ce sont les
catastrophes naturelles ou des situations d’urgence. plus simples à couper. Entre 2010 et 2018, le montant
Mais avec l’accord de la majorité absolue des membres annuel des investissements fédéraux a été inférieur ou
du Bundestag. Certes, des dépassements de la règle proche à celui de… 1995 (34 milliards d’euros).
sont en théorie tolérés en cas d’affaiblissement
conjoncturel de l’économie. Les dépassements sont

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Certes, cette politique a permis de réduire la dette Une étude récente de l’institut DIW, très en pointe
publique, passée de 81,8 % du PIB en 2010 à 64,6 % sur ce sujet, a encore insisté sur le fait que de 2003 à
du PIB en 2018, mais ce désendettement s’est effectué 2017, l’investissement public net du pays, autrement
au moment où les taux étaient au plus bas, et largement dit l’investissement corrigé par les dépréciations des
négatifs nominalement pour l’Allemagne, donc au investissements passés, a été négatif. Il y a donc
moment où il était le plus avantageux de s’endetter une dégradation continue du stock. En 2015, un
(en gagnant de l’argent). Et il a contribué à réduire, rapport rendu au ministère de l’économie avait
par le sous-investissement chronique, la qualité des tiré la sonnette d’alarme sur les risques de cette
infrastructures, le potentiel de la croissance allemande politique quant au maintien de la modernité de
et, enfin, la croissance effective des partenaires l’économie allemande et à sa compétitivité. En 2018,
commerciaux de l’Allemagne. Car, en Allemagne, le cabinet EY avait évalué le déficit d’investissement
l’État n’est pas le seul à économiser. L’ensemble de accumulé à 1 600 milliards d’euros, la moitié du PIB
l’économie sommeille sur un tas d’or, qui augmente allemand… En clair : l’excédent budgétaire a une
plutôt que d’être investi et va largement alimenter des face sombre qui est le déficit d’investissement. Et
secteurs financiers en mauvais état ou qui investissent les effets de cette politique se font déjà sentir. Dans
dans la dette publique des autres pays puisque l’offre l’automobile, les constructeurs allemands souffrent
de dette allemande se réduit (de ce point de vue, de leur manque d’investissements d’avenir. Préférant
l’endettement français élevé est une bénédiction pour contourner les normes sur les diesels, ils ont
l’épargnant allemand). L’immense (et illégal au regard manqué le tournant technologique de la transition
des règles européennes) excédent courant allemand est écologique et voient leurs marchés se contracter.
la traduction statistique de cette réalité : il a été en 2018 Alors que l’État chinois accompagne son très lent
de 7,3 % du PIB après avoir atteint 8,5 % en 2015. rééquilibrage vers la demande intérieure par des
Mais il est depuis 2011 au-delà de la limite haute de 6 investissements technologiques et d’infrastructures
% du PIB fixée par la Commission européenne comme qui préparent sa montée en gamme, l’Allemagne est
signal d’un « déséquilibre macroéconomique ». Car directement menacée par l’ancien empire du Milieu
les excédents des uns sont les déficits des autres. Si et semble s’endormir sur ses lauriers par amour de la
l’Allemagne dépense moins qu’elle ne gagne, alors thésaurisation.
elle réduit la demande agrégée de biens et services et Le débat actuel et ses limites
rend plus difficile et plus douloureux l’ajustement des
Un changement de politique semble donc s’imposer.
autres pays.
Le débat a été lancé par les Verts qui, après leur succès
aux élections européennes du 26 mai, ont estimé qu’il
fallait « élargir » la règle du « frein à l’endettement
» avec une règle d’investissement. Ils sont là assez
cohérents puisqu’ils ont été les seuls, avec Die Linke,
le parti de gauche, à ne pas voter pour cette règle en
2009. Conformément à son nouveau statut de « parti de
masse », les écologistes ne veulent pas abolir la règle
d’or mais la compléter. De fait, compte tenu à la fois du
déficit d’investissements et des investissements futurs
Évolution de l'investissement public allemand depuis 1970. © à réaliser pour la transition écologique, cette règle d’or
Bundesministerium der Finanzen (BmF)/ ministère allemand des finances
apparaît comme une barrière absurde.
Mais le premier pays touché par cette politique
restrictive, c’est évidemment l’Allemagne elle-même.
Le manque d’investissement public devient criant.

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D’autant que les taux restent extrêmement bas : le taux enfants de ne supporter aucune dette si la planète
allemand de l’obligation d’État à 10 ans, le fameux n’est plus habitable ? […] Nous ne regardons que la
Bund, atteignait le 28 juin - 0,33 %, le plus faible dette et non ce qu’elle doit financer », réplique ainsi
niveau de son histoire. En clair, pour chaque euro Katja Rietzler, économiste à l’institut IMK, proche des
emprunté, l’Allemagne ne remboursera in fine au bout syndicats.
de dix ans que 96,7 centimes d'euro. Et si l’on estime Un tel débat, montrant une diversité de positions
que l’investissement réalisé avec cet euro est rentable, économiques sur les finances publiques, n’avait pas eu
alors l’endettement devient une très bonne affaire… lieu depuis longtemps en Allemagne. Indéniablement,
Jens Südekum, professeur à l’université Heinrich- les lignes bougent. La meilleure preuve en est la
Heine de Düsseldorf, estime ainsi dans Die Zeit position du patronat allemand qui réclame désormais
que le « frein à l’endettement » revient à « ne pas davantage d’investissements publics. Certes, c’est
ramasser un billet de 50 euros sur un trottoir ». assez contradictoire avec la tendance des entreprises
Et d’expliquer : « En ce moment, il y a dans le allemandes à épargner massivement, mais c’est un
monde beaucoup de gens qui veulent absolument changement important dans un pays qui prend
investir dans la dette allemande […] et qui sont même grand soin de son capital. Dans Die Zeit, Michael
prêts à payer pour cela. Résultat : si l’État fédéral Hüther, l’économiste en chef d’IW Köln, l’institut
emprunte aujourd’hui un euro, il devra dans 10 ans, proche du patronat, reconnaît ainsi que « l’État
après l’effet de l’inflation, rembourser moins de 90 désormais investit trop peu », et qu’il faut « tirer les
centimes. Pourquoi devrions-nous refuser une telle conséquences » de la baisse du ratio d’endettement.
offre ? » Il est vrai que la faiblesse du réseau Internet, la
L’annonce des Verts a, en tout cas, ouvert le débat. dégradation du réseau routier ou la compression des
Même le très modéré Süddeutsche Zeitung, quotidien budgets de recherche commencent à poser problème
de centre-gauche munichois, a reconnu que « toujours à une économie exportatrice dont les coûts de
épargner ne fonctionne pas ». « Le Schwarze Null production remontent depuis cinq ans et dont la
à tout prix est une erreur qui doit être stoppée », compétitivité repose surtout sur les éléments de qualité
estime l’éditorialiste Cerstin Gammelin, qui appelle à hors coûts.
une alliance entre les économistes et les Verts sur le
sujet. Car la science économique allemande semble
fortement évoluer sur le sujet. Lorsque l’on songe à
l’absence de voix discordantes sur le sujet de la dette
pendant la crise européenne, on reste marqué par la
densité du débat sur le sujet. Die Zeit a ainsi le 26 juin
publié un long article sur le sujet titré : « Manque-
t-il de l’argent ici ? » (« Fehlt hier das Geld ? »),
et mettant en confrontation les arguments de plusieurs
Campagne publiciatire de la CDU pour se féliciter
économistes pour et contre le « frein à l’endettement ». de l'excédent budgétaire fédéral en 2015. © CDU
Face aux habituelles défenses du mécanisme (respect Mais malgré ces arguments, et l’alliance objective,
de la règle, risque d’inflation et de faillite) portées sinon explicite, entre milieux patronaux, syndicats
par Clemens Fuest, le directeur de l’institut IFO et gauche pour changer de politique, on est encore
de Munich, la nouvelle vedette de l’ordolibéralisme loin d’un tournant réel. Car les mentalités restent
outre-Rhin (à l’image de son prédécesseur Hans- encore très ancrées dans les vieux réflexes. Pour les
Werner Sinn), les adversaires du « frein à milieux conservateurs allemands et, après la crise de
l’endettement » y appuient notamment sur la transition la zone euro, pour une grande partie de la population,
écologique. « À quoi servira à nos enfants et nos petits-

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l’endettement ne peut pas être utile et est une faute discours prononcé récemment à Sintra, au Portugal,
morale, comme le laisse penser l’homonymie de la lors du séminaire de la Banque centrale européenne
langue allemande où Schuld est à la fois la culpabilité (BCE), fortement critiqué les règles d’or « dont on
et la dette… n’a aujourd’hui plus besoin ». Le vent semble avoir
La clé est sans doute plutôt dans ce verrou changé de direction et l’Allemagne le ressent, à la
des mentalités. Et c’est pourquoi le débat s’est différence par exemple de la Suisse où, malgré des
progressivement décalé du « frein à l’endettement » problèmes similaires, le débat est inexistant. En cas de
vers le « Schwarze Null ». Car dans les faits, la règle choc, les choses pourraient donc bouger.
constitutionnelle ayant été devancée, ce qui prévaut Or, l’Allemagne est peut-être en train de subir ce choc.
outre-Rhin est une autre règle : celle du rejet complet Sur le court comme sur le long terme. À court terme,
de tout déficit. Cette règle implicite était déjà celle l’économie allemande ralentit nettement. Certes, elle
que visaient Peer Steinbrück et Wolfgang Schäuble. Et a rebondi au premier trimestre avec une croissance du
c’est celle qui reste la feuille de route d’Olaf Scholz, PIB de 0,4 %, mais il s’agissait surtout d’un rattrapage
le ministre des finances social-démocrate de l’actuelle après deux trimestres très ternes (– 0,2 % et 0 %).
« grande coalition ». Ce dernier a confirmé le 18 Surtout, la situation devrait se dégrader encore d’ici à
juin son attachement au « frein à l’endettement », la fin de l’année avec une croissance annuelle prévue
qui entrera bien en vigueur l’an prochain pour les par les dernières projections de la Bundesbank à 0,6 %.
Länder. Et dans son projet de budget 2020, il réaffirme Certes, l’économie allemande semble actuellement
à nouveau son attachement au « Schwarze Null » avec divisée en deux. La demande intérieure tient bon grâce
le maintien d’excédents jusqu’en 2023 au moins… à la consommation des ménages alimentée par le plein-
Certes, l’investissement public est reparti depuis emploi. Pour l’instant en effet, l’emploi, qui réside
quelques années, compte tenu de l’importance principalement sur les services à faible productivité,
des recettes fiscales, mais dans des proportions résiste. Et avec lui la consommation des ménages.
encore trop timides au regard des besoins et des La Bundesbank prévoit cette année une accélération
déficits d’investissements accumulés dans le passé. de la croissance de cette dernière de 1,1 % à 1,7 %.
Précisément parce que les dépenses restent sous la Mais la croissance de l’investissement des entreprises,
dépendance de cette volonté de maintenir un excédent. elle, va fortement ralentir, de 2,3 % à 1,6 %. Car
Une politique mesurée semble ici peu appropriée. la partie exportatrice de l’économie allemande est en
Mais le temps politique n’est pas le temps économique petite forme : les exportations ne devraient progresser
et intellectuel. Malgré l’offensive contre le « frein que de 0,6 % cette année contre 1 % en 2018.
à l’endettement », les partis demeurent obsédés par Dès lors, la production manufacturière devrait se
leur volonté de ne pas choquer la classe moyenne contracter. L’indice PMI Markit des directeurs d’achat
allemande, pour qui l’endettement reste un mal absolu. pour le mois de juin, publié le 1er juillet, dénote une
Ainsi, si les Verts proposent une règle séparée stabilisation à un niveau de contraction de l’activité
d’investissement, ils ne remettent plus en cause, (à 45, l’équilibre de l’activité étant à 50). Quant à
comme en 2009, le « frein à l’endettement » dans l’indice IFO du climat des affaires, il a reculé en
la Constitution. Le débat politique est donc moins
avancé.
Il ne faudrait cependant pas sous-estimer l’importance
de ce débat, à l’heure où un Olivier Blanchard, le
chef de file des néokeynésiens et ancien économiste
en chef du FMI, tente de réhabiliter le recours à la
dette en période de faible taux d’intérêt et a, dans un

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juin jusqu’à atteindre son niveau de novembre 2014 d’équipements, puis en automobiles. Cette manne
et la dégradation est surtout sensible au niveau des pourrait se tarir. Et il conviendrait alors de ne plus
perspectives. amasser des économies mais d’investir et de mieux
protéger la masse des travailleurs pauvres du pays pour
renforcer la demande. La dépense publique pourrait à
la fois répondre au ralentissement conjoncturel et aux
défis de l’avenir.
De ce point de vue, l’Allemagne pourrait faire
plus qu’elle ne le prévoit, même avec le « frein à
Indice IFO du climat des affaires, avec estimations de la
situation présente et future des entreprises. © CESIFO
l’endettement ». Dans le Handesblatt du 27 juin, la
nouvelle cheffe économiste du FMI, Gita Gopinath, a
La question est de savoir si ce ralentissement va
martelé que « ce serait le bon moment pour augmenter
toucher les secteurs des services, et donc l’emploi.
les dépenses et réaliser les investissements nécessaires
L’indice IFO montre que le secteur du commerce
et, de notre point de vue, l’Allemagne dispose de
résiste encore, mais les perspectives sont ternes. Quant
marges de manœuvre pour agir dans le cadre »
à l’activité des autres secteurs, notamment celui des
de la règle d’or. En réalité, il y a là un paradoxe
services aux entreprises, très pourvoyeur d’emplois,
que l’économiste du FMI refuse réellement d’aborder
elle résiste, même si, là encore, les perspectives se
par crainte de heurter l’opinion publique et politique
dégradent. Bref, il semble encore trop tôt pour savoir
allemande. En réalité, le déficit d’investissement est
s’il ne s’agit que d’un « trou d’air », mais la résistance
si élevé qu’il faudrait rapidement se libérer du «
de la demande intérieure ne saurait durer éternellement
frein à l’endettement » pour dynamiser l’économie
si la situation des exportateurs et des industriels
sur le long terme. Mais comme le simple respect du
continue à se dégrader.
« frein à l’endettement » apparaît déjà comme un
Or, il est possible que ce ralentissement soit plus effort considérable sur le plan politique par rapport au
profond et dénote, au-delà de l’aspect conjoncturel, « Schwarze Null », on préfère déjà s’en tenir à utiliser
de probables difficultés futures pour les exportations les marges de manœuvre existantes. Plus que jamais, le
allemandes. Comme on l’a dit, les évolutions chinoises problème reste donc le même : cette culture politique
sont défavorables à l’Allemagne qui, depuis la fin des allemande qui vénère l’épargne et l’excédent. Au prix
années 1990, a bénéficié du besoin chinois en biens même d’un risque sur l’avenir…

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