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La réforme budgétaire

Les finances publiques sont au cœur de toutes les grandes questions des sociétés contemporaines. Leur caractère politique, du
fait qu’elles reflètent les orientations des politiques publiques ainsi que des choix de société, implique que toute réforme des
finances publiques représente une réforme de l’Etat.
Et justement, la liste des défis économiques et financiers auxquels sont confrontés les Etats est impressionnante par sa
longueur et son envergure. Il s’agit, entre autres, des restrictions budgétaires, de la déréglementation, des nouvelles
technologies, des nouvelles méthodes de gestion, des nouveaux outils et critères d’évaluation, de codification, de flexibilité
en matière de budget et de questions de personnel et de qualité du service, etc. Pour faire face à ces défis, un mouvement de
réformes, devenues nécessaires, des finances publiques a commencé en Australie et en Nouvelle Zélande dans les années 80,
aux Etats-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Suède dans les années 1990, en France, dans les Pays-Bas et en Finlande
dans les années 2000, avant que le courant de réforme n’arrive ensuite aux pays Émergents et en voie de développement.
L’observation de ces différents modèles de réformes ramène à constater qu’il existe une convergence vers un objectif
commun : la performance à travers une orientation vers les résultats et une sensibilisation aux coûts.
Au Maroc, il y a une corrélation systématique entre les révisions constitutionnelles et la refonte des lois organiques régissant
le budget de l’Etat. Toutefois, depuis la 1ère LOF de 1963 jusqu’à celle de 1998, la logique qui présidait était celle de budget
de moyens ne mettant pas en exergue les résultats et les coûts réels concernant l’exécution des politiques publiques.

C’est la raison pour laquelle le Maroc s’est engagé depuis 2001 dans l’expérimentation d’une réforme budgétaire axée sur les
résultats, qui se veut globale, intégrée, participative, progressive, volontaire et pragmatique et qui s’inscrit au cœur d’un vaste
programme de modernisation de l’administration publique. Elle vise essentiellement à renforcer la performance de l’action
publique, à améliorer la qualité des prestations du service public et à accroitre l’impact des politiques publiques sur les
populations bénéficiaires.
Cette réforme, qui a été réalisée à législation constante, repose sur plusieurs axes : la globalisation des crédits (limitée aux
lignes au sein d’un même paragraphe budgétaire), la déconcentration budgétaire à travers la contractualisation (contrat de
performance : contrat objectifs/moyens liant l’administration et les services déconcentrés), la programmation pluriannuelle
(cadres de dépenses à moyen terme), la réforme du contrôle (rapprochement fonctionnel du CGED et de la TGR, CMD, audit
de performance), le partenariat en liant l’Etat et les acteurs locaux (cadre conventionnel adéquat axé sur l’appréciation des
résultats), le développement des SI intégrés de gestion budgétaire qui visent la dématérialisation et la mutualisation de
l’information budgétaire (e-budget, GID)
Certes, cette vague de réformes a entrainé un changement de pratiques budgétaires, toutefois, son caractère volontariste a
constitué la pierre d’achoppement, en l’absence d’un cadre législatif contraignant et opposable aux différents départements
ministériels et institutions.
L’adoption en 2011 de la nouvelle constitution a ainsi rendu nécessaire la refonte de la loi organique n°7-98 relative à la loi
de finances afin de prendre en compte les nouveaux principes constitutionnels de 2011 encadrant les finances publiques
(respect de la loi, intérêt général, qualité, neutralité, transparence, probité, responsabilité et reddition des comptes, contrôle et
d’évaluation). 
La LOF n° 130-13 de 2015, qui constitue un couronnement au processus de réforme budgétaire entamé depuis 2001, repose
sur 3 piliers :
 Le renforcement de la performance de la gestion publique, matérialisé d’une part, par la mise en place de la
programmation budgétaire triennale qui représente un cadre de suivi de la performance en permettant d’inscrire
la gestion budgétaire dans une perspective triennale avec pour objectifs notamment, d’assurer la conformité du
budget avec les possibilités financières et d’allouer efficacement les ressources en conformité avec les priorités
stratégiques nationales et les politiques sectorielles, et d’autre part, par la refonte de la nomenclature budgétaire
en la structurant autour de programmes qui incarnent le cadre de la démarche de performance (engagement
à travers les projets de performance accompagnant les projets de budgets sectoriels transmis aux commissions
sectorielles parlementaires et qui définissent pour chaque programme une démarche de performance constituée de la
stratégie du programme, des objectifs de performance qui découlent de cette stratégie et des indicateurs de
performance qui mesurent la réalisation de ces objectifs + rapport de performance qui rend compte des éventuels
écarts observés par rapport aux engagements et les justifications de ces écarts) et qui visent l’amélioration de la
gouvernance des politiques publiques et le renforcement de la responsabilisation des gestionnaires. En contrepartie
de cette responsabilisation, cette démarche leur octroie plus de liberté dans la gestion des crédits (fongibilité des
crédits).

 Le renforcement des principes et règles financiers et de la transparence des finances publiques : La


transparence budgétaire se définit comme le fait de faire pleinement connaître, en temps opportun et de façon
systématique, l’ensemble des informations budgétaires de l’Etat passées, présentes et futures. Sa concrétisation se
base tout, sur l’adoption de nouveaux principes des finances publiques comme le principe de la sincérité qui
porte à la fois sur les comptes de l’Etat (sincérité comptable) et sur les lois de finances (sincérité budgétaire), et
d’autre part, sur l’institution de nouvelles règles financières visant la maîtrise du déficit budgétaire (limitation de
l’endettement public, interdiction d’inscrire les dépenses de fonctionnement dans le budget d’investissement,
annulation des crédits non consommés en fin d’année à l’exception des crédits d’investissement engagés qui
peuvent être reportés dans la limite de 30% des crédits de paiement ouverts, sursis à exécution de certaines dépenses
d'investissement lorsque la conjoncture économique et financière l'exige, consécration du caractère limitatif des
crédits ouverts au titre du chapitre de personnel),la rationalisation de la création et de l’utilisation des SEGMA
et des CST (réduction du nombre de catégories de CST de 6 à 5, interdiction de versement, au profit d’un SEGMA
ou CST à partir du budget d’un SEGMA ou d’un CAS, interdiction d'imputer au budget d’un SEGMA ou à un CST
les dépenses de personnel, les ressources propres des SEGMA et des CAS créés à partir de 2016 (provenant du
produit des taxes et/ou des recettes qui leur sont affectées) doivent représenter, à compter de la 3ème année
budgétaire suivant leur création, respectivement, au moins 30 % et 40 % de l'ensemble de leurs ressources autorisées
au titre de la LF de ladite année, sinon, ils sont supprimés par la LF suivante) et une meilleure appréciation du
patrimoine de l’Etat et de sa situation financière (comptabilité budgétaire, générale et d’analyse des coûts). 
 L'accroissement du contrôle parlementaire au niveau des finances publiques (reddition des comptes)
- Enrichissement des informations communiquées au Parlement : phase de concertation et d’information du
parlement en amont de la préparation du PLF. Avant le 31 juillet N-1, le ministre chargé des finances expose devant
les commissions des finances du Parlement, le cadre général de préparation du projet de loi de finances de l'année
suivante. Cet exposé comporte aussi l'évolution de l'économie nationale, l'état d'avancement de l'exécution de la loi
de finances en cours à la date du 30 juin, les données relatives à la politique économique et financière et la
programmation budgétaire triennale globale. Par ailleurs, afin d'améliorer la qualité du débat sur la loi de finances la
LOF prévoit l’enrichissement de la documentation budgétaire soumise au Parlement, qui comprend en plus des
projets des lois de finances, les documents qui les accompagnent.
- Réaménagement des calendriers de vote des projets de lois de finances :

Le PLF est déposé le 20 octobre de chaque année; et il est examiné et voté dans un délai de 58 jours répartis comme suit
: 30 jours (Examen et vote par la Chambre des Représentants) ; 22 jours (Examen et vote par la chambre des
Conseillers) ; 6 jours (2èmelecture par la chambre des Représentants.
Le délai global d’examen et de vote du projet de la loi de finances rectificative est de 15 jours répartis comme suit : 8
jours (Examen et vote par la Chambre des Représentants) ; 4 jours (Examen et vote par la chambre des Conseillers) ; 3
jours (Deuxième lecture par la chambre des Représentants).
Le projet de loi de règlement de la loi de finances est déposé annuellement, en priorité, sur le bureau de la Chambre des
représentants, au plus tard, à la fin du premier trimestre du deuxième exercice qui suit celui de l'exécution de la loi de
finances concernée.

 LOF n°130.13 : contraintes à l’exécution

Malgré les diverses avancées enregistrées, plusieurs limites ont été constatées quant à l’exécution de la LOF dont
principalement :
- une multitude d’objectifs et d’indicateurs, couplée à une instabilité de ces derniers. Il s’agit, souvent, d’indicateurs
d’activité, de moyens et de conformité ne reflétant pas la performance (selon le Rapport d’audit de performance
accompagnant la LR 2019).
- la fragmentation de l’effort budgétaire public suite aux opérations de débudgétisation et d’exceptions budgétaires de
l’Etat. Ceci prive le Parlement d’une vision globale et intégrée des politiques publiques et d’une capacité générale de
décision et d’évaluation.
- une programmation simultanée des mêmes natures de dépenses au niveau du BGE et des CST. Ainsi, les Chapitres
des Dépenses Imprévues et Dotations Provisionnelles et des Dépenses des Charges Communes ont connu un niveau
important des crédits y afférents dont les dépenses ont atteint, respectivement, 365,65 MMDH, 90,9 MMDH et 2,06
MMDH, au niveau du Budget Général de l’Etat (BGE) et des CST en 2019.
- la multiplicité d’intervenants engagés dans l’atteinte des objectifs de performance entravant, ainsi,
l’opérationnalisation du principe de reddition des comptes.
- l’impact du changement du management, suite aux remaniements ministériels, sur la Programmation Budgétaire
Triennale.
- la non-prise en compte du management des risques dans la programmation budgétaire. Dans ce sillage, la hausse des
prix des matières premières de base impacte les dépenses de compensation et freine l’atteinte des objectifs de
performance, et ce, à travers la réallocation des dépenses budgétaires.
- la non-soumission de la gestion budgétaire des Etablissements et Entreprises Publics (EEP) à caractère non
marchand aux dispositions de la LOF, malgré la dépendance de ces EEP vis-à-vis du BGE. Est-il à rappeler que le
montant débloqué au titre des subventions de l’Etat au profit de ces entités a dépassé 33 MMDH9 en 2020.
- l’éloignement du délai de dépôt de Loi de Règlement par rapport à l’année de réalisation de la Loi de Finances y
afférente.
 Projet d’amendements de la LOF n°130.13 : quelles attentes ?

Face à certaines limites constatées lors de l’exécution de la LOF, un projet d’amendements de cette dernière a été élaboré.
- Il prévoit l’extension du champ d’application de la LOF aux EEP à caractère non marchand, en se basant sur les
dispositions de la Loi Cadre n° 50.21 relative à la Réforme des EEP.
- Par ailleurs, et comme ce fut le cas lors de la crise Covid-19, est-il proposé de déroger à la règle d’or prévue à
l’article 20 de la LOF, et ce, à travers l’introduction de nouvelles règles applicables dans un contexte économique
et/ou social exceptionnel.
- Aussi, il est proposé de clarifier la procédure d’étude et de vote du Projet de Loi de Finances Rectificative et de
réduire le délai y afférent de 15 jours à 10 jours.
- S’agissant du PLR, de nouvelles dispositions sont à prévoir en termes de réduction du délai de dépôt, d’étude et de
vote.
- Enfin, un autre amendement prévoit la réduction du nombre de catégories des CST, en supprimant les Comptes
d’Adhésion aux Organismes Internationaux et les intégrant au niveau du BGE.
Certes, ce projet d’amendements vise la consolidation des acquis de la LOF et le renforcement de la gouvernance des
finances publiques, toutefois, sa portée est conçue pour atténuer des contraintes d’ordre technique. En effet, ledit projet
d’amendement ne prend pas en charge l’ensemble des contraintes et limites rencontrées au niveau de l’exécution de la LOF.
Ainsi, est-il proposé d’apporter des pistes d’amélioration à la réforme budgétaire tout en s’inspirant des expériences réussies
à l’international.

 Pistes d’amélioration de la réforme budgétaire

- évaluer périodiquement l’utilité et l’intelligibilité de la documentation budgétaire ainsi que son intégrité par une
instance supérieure de contrôle (l’IGF ou la Cour des Comptes à titre d’exemple).
- décliner le déficit budgétaire par composantes, conjoncturelle et structurelle, pour mieux apprécier la trajectoire de
la soutenabilité des finances publiques.
- mettre en place un dispositif de contrôle de gestion permettant d’estimer et d’analyser les coûts des politiques
publiques.
- réduire le nombre d’indicateurs et mettre en place des indicateurs d’efficience, d’impact et de qualité de service,
dûment justifiés, pour mieux cerner le dispositif de performance.
- préciser la qualité du responsable du programme, en le désignant en tant qu’ordonnateur de son propre programme,
sans recourir à l’ordonnateur principal.
- placer la performance au cœur du débat budgétaire lors des commissions de la programmation et de la performance
et des commissions budgétaires.
- décliner les objectifs des ministères moyennant des contrats-programmes avec les EEP, afin d’améliorer la
communication comptable et budgétaire.
- certifier les comptes des EEP à caractère non marchand par la Cour des comptes à l’instar des comptes de l’Etat.
- réviser la gestion des CST en termes de plafonnement des soldes cumulés reportables, de coordination des CAS par
plusieurs ordonnateurs et de présentation des programmes d’emploi, afin de ressortir l’effort d’investissement
public.
- clarifier la nature des dépenses imputées au Chapitre des Charges Communes, tout en interdisant aux départements
d’y inscrire les dépenses pouvant être imputées au BGE.
- programmer la discussion des rapports de performance et de l’audit de performance dans le cadre de la LR.
- prôner la migration vers le contrôle à postériori axé sur les performances et les résultats et renforcer le principe de
reddition des comptes.
- instaurer un cadre contraignant du suivi des recommandations émises par l’IGF dans les rapports de l’audit de
performance.

Conclusion

La réforme budgétaire constitue une opportunité pour renforcer la modernisation de la gestion publique. Il s’agit d’un
challenge visant l’adoption d’un mode de management innovant basé sur la performance, l’évaluation et la reddition des
comptes.
Dans ce sillage, le Nouveau Modèle de Développement (NMD) a proposé, parmi ses recommandations, d’exploiter
pleinement le potentiel de la LOF dans une logique de performance et de mettre en place un mécanisme périodique de revue
générale des dépenses publiques.
Ainsi, la réussite de ce chantier reste tributaire de l’amorçage d’une batterie de réformes en parallèle, telles que la réforme du
secteur public, la révision des textes juridiques régissant les finances publiques élaborés, initialement, selon une logique de
moyens, la réforme du statut de la fonction publique, l’accélération de la mise en place de la charte de déconcentration
administrative, le renforcement des fonctions d’audit interne et de contrôle de gestion au sein des départements ministériels et
institutions et l’instauration d’un cadre contraignant du suivi des recommandations émises par l’IGF dans les rapports de
l’audit de performance.

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