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Trump et son monde sont cernés par le
scandale ukrainien
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 30 SEPTEMBRE 2019
Trump en voyage officiel, le 17 septembre, en Californie. © Reuters
La Maison Blanche a tenté de dissimuler l’appel
téléphonique au président ukrainien ayant déclenché
l’ouverture d’une procédure de destitution, selon le
lanceur d’alerte employé de la CIA. Trump éructe et
menace. La guerre de l’information est déclarée.
New York (États-Unis), de notre
correspondant.– Elle fait froid dans le dos, cette
scène rapportée par plusieurs médias. Surtout en
vidéo : la menace paraît soudain plus réelle.
Ce jeudi 26 septembre, Donald Trump fait un discours
à l’hôtel InterContinental Barclay de New York. Il est
en compagnie des employés de la mission américaine
à l’ONU : une visite de remerciement, alors que se
termine l’Assemblée générale des Nations unies.
Quelques heures plus tôt, tous les médias viennent de
publier un document très attendu : la plainte du lanceur
d’alerte à l’origine du scandale, un employé de la CIA
qui a travaillé à la Maison Blanche, selon le New York
Times. Ce témoignage détaillé et circonstancié de neuf
pages, en date du 12 août, a été transmis la veille
au Congrès. C’est sur sa base que les démocrates,
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longtemps réticents, ont fini par lancer une procédure
de destitution, l’impeachment, contre le 45e président
américain.
Trump en voyage officiel, le 17 septembre, en Californie. © Reuters
Devant les salariés américains de l’ONU, Trump se
permet des propos glaçants. « Nous sommes en
guerre », dit-il à un moment. Il dénonce les « espions »,
« la trahison » : le lanceur d’alerte et ceux qui l’ont
informé. Il aimerait bien, dit-il, savoir qui ils sont.
« Et vous savez ce qu’on leur faisait aux espions, au
bon vieux temps, quand on était intelligents, n’est-ce
pas ? On gérait cela un peu différemment qu’on ne le
fait aujourd’hui. » On entend des rires, dont on ne sait
s’ils expriment la courtisanerie, la surprise ou la gêne.
Trump ne précise pas la menace. Mais comment
ignorer l’admiration de Trump pour le jeune
procureur maccarthyste de 23 ans qui obtint la
condamnation à mort, puis l’exécution en 1953 des
époux Ethel et Julius Rosenberg, deux New-Yorkais
communistes accusés d’espionnage atomique au profit
de l’URSS. L’homme, sulfureux et détestable, décédé
en 1986, s’appelait Roy Cohn. Comme le rappelle un
documentaire qui vient de sortir sur les écrans aux
États-Unis (« Where's my Roy Cohn ? »), il fut le
mentor de Trump, et aussi son avocat.
Après tout, le propos présidentiel comporte une forme
d’aveu. Aux États-Unis, les lanceurs d’alerte sont bien
souvent traités comme des parias. Edward Snowden
(exilé), Julian Assange (soupçonné d’espionnage,
menacé d’extradition), Chelsea Manning (graciée,
mais emprisonnée), Reality Winner (une linguiste de
la National Security Agency condamnée à 5 ans de
prison pour espionnage etc.).
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Soutenu par sa hiérarchie, la communauté du
renseignement et l’opposition démocrate, ce lanceur
d’alerte, dont l’anonymat est à ce stade protégé par ses
supérieurs, ne connaîtra sans doute pas le même sort.
« Impeach the motherfucker », à New York, le 26 septembre. L'expression est
de la représentante démocrate du Michigan Rashida Tlaib, une des deux élues
socialistes au Congrès américain, qui a été une des premières parlementaires à
défendre l'ouverture d'une procédure de destitution contre Trump. © Reuters
Les mots de Trump révèlent aussi ce qu’est ce
président : un chef de gang, prêt à tout pour gagner.
Désormais, il éructe et menace. Mais pour une
fois, le feu roulant des révélations, la précision des
témoignages, le font vaciller. Donald Trump est entré
dans la zone de danger.
Au début de la semaine, alors que les démocrates
venaient de lancer une procédure d’impeachment après
des alertes sérieuses au sujet de sa conversation
estivale avec le président ukrainien, Trump paraissait
disposer encore de quelques armes rhétoriques. Il
affirmait ainsi que la retranscription de l’entretien
allait le blanchir. La Maison Blanche, autant dire
son bureau, la publia. Même partielle et retravaillée,
elle se révéla accablante. À plusieurs reprises, Trump
suggère à Volodymyr Zelenski de lancer une enquête
contre son adversaire à la présidentielle, Joe Biden,
accusé (faussement) d’avoir fait réclamer la tête d’un
procureur ukrainien pour protéger les affaires de son
fils (lire l’article de Sébastien Gobert). Encore une
fois, Trump avait juste bluffé. Très mal. Comme un
joueur de poker miteux.
Le signalement officiel du lanceur d’alerte, daté du 12
août, mais rendu public jeudi matin, fut plus explosive
encore (lire ici ce document, traduit par nos soins).
Son auteur, un salarié de la CIA ayant travaillé à
la Maison Blanche, n’a pas eu à connaître des faits
directement, mais fonde son témoignage sur « plus
d’une demi-douzaine de responsables américains ».
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« Dans l’exercice de mes fonctions, écrit cette
personne, j’ai reçu des informations de plusieurs
représentants du gouvernement des États-Unis selon
lesquelles le président des États-Unis a fait usage
de son pouvoir pour solliciter l’ingérence d’un pays
étranger dans le cours des élections de 2020 aux
États-Unis. Cette ingérence consiste notamment à
faire pression sur un pays étranger pour qu’il
enquête sur l’un des principaux rivaux politiques
du président. L’avocat personnel du président,
M. Rudolph Giuliani, est une figure centrale de
cette initiative. Le procureur général Barr semble
également impliqué. » Rudy Giulani, l’ancien maire
de New York, mène depuis des mois une troublante
diplomatie parallèle dans le but unique semble
d’obtenir une enquête sur Biden en Ukraine. William
Barr, le fidèle ministre de la justice de Trump, a
bloqué la transmission au Congrès du signalement
du lanceur d’alerte.
L’exposé du lanceur d’alerte revient sur le coup de fil
du 25 juillet avec le président ukrainien. « Environ une
douzaine de fonctionnaires de la Maison Blanche »
écoutent alors le coup de fil dans la « situation
room » de la Maison Blanche : l’appel est censé être
une conversation « “de routine” avec un dirigeant
étranger ».
« Les responsables de la Maison Blanche qui
m’ont fait part de cette information ont été
profondément troublés par ce que laissait deviner
l’appel téléphonique, lit-on dans son signalement. Ils
m’ont dit qu’il y avait une « discussion en cours » avec
des avocats de la Maison Blanche sur la manière de
traiter l’appel, car il était probable qu’ils aient été
témoins de l’abus commis par le président pour son
bénéfice personnel. »
Propagande
Le lanceur d’alerte rapporte ensuite comment cet
appel a été dissimulé au sein d’un système sécurisé,
normalement réservé aux conversations de la plus
haute importance, ou touchant la sécurité nationale.
« Dans les jours qui ont suivi l’appel téléphonique,
de nombreux hauts responsables américains m’ont
appris que de hauts responsables expérimentés de la
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Maison Blanche étaient intervenus pour “verrouiller”
tous les enregistrements de l’appel téléphonique, en
particulier la transcription officielle mot à mot de
l’appel qui avait été faite – comme il est de coutume –
par la “salle de crise” de la Maison Blanche. »
« Les hauts responsables de la Maison Blanche m’ont
dit qu’ils avaient “reçu l’ordre” de la part des avocats
de la Maison Blanche de retirer la transcription
numérique du système informatique dans lequel ces
transcriptions étaient généralement stockées dans une
optique de coordination, finalisation et distribution
parmi les membres du cabinet. »
« Au lieu de cela, la transcription a été mise
sur un système informatique distinct, qui est par
ailleurs utilisé pour stocker et traiter des informations
classifiées de nature particulièrement sensible. Un
haut responsable de la Maison Blanche a estimé
que cet acte constituait une utilisation abusive de
ce système informatique, car l’appel ne contenait
aucun élément sensible du point de vue de la sécurité
nationale. »
En annexe de son signalement, le « whistleblower »
écrit : « Selon des responsables de la Maison Blanche
à qui j’ai parlé ; cela n’était “pas la première fois”
sous cette administration que la retranscription d’un
entretien présidentiel a été placé dans ce système
accessible par mot de passe, dans le but de protéger
des informations politiquement sensibles, plutôt que
sensibles en terme de sécurité nationale. »
D’après le New York Times, des retranscriptions
des conversations avec Vladimir Poutine ou le prince
héritier saoudien Mohammed ben Salmane ont en
effet été placées dans ce système informatique ultra
secret, selon des règles troubles. Les échanges avec
« MBS » d’Arabie saoudite étaient même placées par
défaut dans ce système protégé. Y compris ceux où
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il fut question du meurtre sauvage du journaliste
saoudien Jamal Khashoggi par des employés du
consulat saoudien à Istanbul...
Adam Schiff, le responsable de la commission des affaires judiciaires de la Chambre
des représentants, est aux avant-postes de la procédure d'impeachment. © Reuters
D’ores et déjà, les démocrates ont promis d’aller vite.
Leur but, selon plusieurs médias, est de rédiger des
articles de destitution d’ici la fin de l’année, avant
un vote à la Chambre des représentants, et un (très
hypothétique à ce stade) procès présidentiel au Sénat.
Cette semaine, ils ont entendu le directeur du
renseignement Joseph Maguire, soupçonné de s’être
endormi sur la plainte du lanceur d’alerte. Ils
ont réclamé des documents au Département d’État,
dirigé par Mike Pompeo, un fidèle de Trump. Les
leaders démocrates semblent décidés à circonscrire
la procédure d’impeachment au dossier ukrainien.
Question d’efficacité et de compréhension dans
l’opinion, disent-ils.
Sur leur gauche, où l’on réclame l’ouverture d’une
procédure de destitution depuis longtemps, des voix
s’inquiètent d’une enquête trop limitée, tressée autour
de thèmes familiers aux États-Unis (la sécurité
nationale, la CIA, la trahison...), mais qui risque
de négliger des pans entiers des agissements de
l’administration Trump : sa politique migratoire
honteuse, la façon dont son administration a
lamentablement géré l’ouragan meurtrier à Porto Rico
en 2017, l’obstruction à la justice dont il s’est rendu
coupable lorsque le procureur Mueller enquêtait sur
lui, la corruption de son administration, ses propres
conflits d’intérêts, ses revenus et déclarations fiscales
qui n’ont toujours pas été rendus publiques, les
paiements illégaux en liquide à des actrices du X qui
menaçaient de révéler des liaisons avec lui, etc.
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« Votez l’impeachment de Trump pour tous ces crimes,
pas juste l’Ukraine », écrit le journaliste Mehdi
Hasan sur The Intercept, un site d’investigation qui
défend régulièrement les lanceurs d’alerte américains.
« Pour les sceptiques de gauche, le Russiagate comme
l’Ukrainegate servent les intérêts de l’establishment
national sécuritaire américain, désireux de punir
Trump pour sa politique étrangère hétérodoxe, écrit-
il. Les démocrates centristes et les républicains anti-
Trump sont unis dans la croyance que les ouvertures
de Trump à Vladimir Poutine représentent une menace
pour la sécurité nationale. »
« À rebours du récit centriste qui se focalise sur la
sécurité nationale, la gauche devrait défendre l’idée
qu’il s’agit là d’un exemple parfait de la façon dont
la présidence impériale met en danger la démocratie,
poursuit Hasan. Trump traite la présidence comme
un fief, et utilise sa fonction pour punir ses ennemis
politiques »« Si les démocrates ont attendu aussi
longtemps et finissent par voter l’impeachment d’un
président sans foi ni loi, raciste, et qui ne paie pas ses
impôts seulement à cause de ses interactions avec le
président ukrainien, ils lui donneront en pratique un
certificat médical positif sur tout le reste »
En face, Trump, a lancé les chiens. Roy Cohn,
son mentor, lui a aussi appris cette règle
d’airain : ne jamais s’avouer vaincu, ne penser qu’à
gagner. Machine parfaitement huilée, la propagande
présidentielle tourne à plein régime sur Facebook,
Twitter, et les chaînes de télévision amies du président.
En cette fin de semaine, Trump a retweeté un
éditorialiste de la chaîne ultra conservatrice Fox News,
apparu dans l’émission préférée de Trump, le show
vespéral de l’animateur Sean Hannity, qui est aussi le
confident, conseiller, et porte-voix favori du président.
Pour donner une idée d’où Trump compte amener la
discussion, voilà ce que dit cet homme éructant, un
certain Mark Levin : « Quand il s’agit de Trump, les
démocrates et les médias sont comme des accros à la
drogue à la recherche de leur prochain shoot. [...] La
plainte de l’agent véreux de la CIA, je l’ai regardée,
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un agent de la CIA ne peut pas écrire quelque chose
comme cela, c’est un document légal, vérifié par des
avocats, je veux savoir qui a écrit cela. Je veux savoir
à qui cet homme a parlé ; à tous ceux à qui il a parlé.
[...] Vous voulez empêcher votre président ? Nous, on
veut tout savoir sur vous. Ce lanceur d’alerte, c’est
peut-être un SDF venu du trottoir, il ne sait rien, tout
ce qu’il a entendu, c’est que des gens étaient énervés à
la Maison Blanche, mais n’est-ce pas drôle alors dans
ce cas que pas une seule des personnes ayant été aux
premières loges n’ait pas rempli une plainte ? Pas un
seul. » Levin parle de « coup d’État », de « dictature ».
Dans la même émission, le milliardaire George Soros,
cible habituelle de l’extrême droite américaine, est
accusé d’être à la manœuvre.
Les chaînes locales des réseaux Sinclair et
OneAmerica relaient elles aussi leur certitude d’une
conspiration contre le président. Elles mentent,
déforment les faits, racontent n’importe quoi, sous
l’œil éberlué de certains des rares éditorialistes et
journalistes qui restent sur leurs antennes à peu près
attachés aux faits.
La guerre de l’opinion et des cerveaux ne fait
que commencer. Cofondateur du média progressiste
Vox.com, Matthew Yglesias, a rappelé cette semaine
sur Twitter la puissance de « l’appareil de propagande
du parti républicain ».
Sur le site mediamatters.org, qui opère une veille
constante des médias ultra conservateurs, Matt Gertz
rappelle que Fox News a été précisément envisagée
après le scandale du Watergate et la démission de
Nixon, afin d’empêcher à la droite américaine une
nouvelle humiliation. « Fox sert désormais de rempart
contre une répétition de la chute de Nixon, écrit Gertz.
Nixon n’avait pas Fox. Trump l’a. Cela fait toute la
différence. »
Dans la bataille de l’impeachment qui s’ouvre,
Hannity, Trump et son monde se battront jusqu’au
bout. Spoiler, comme on dit en franglais des séries
télé : ils sont prêts à tout.
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