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Alain-Charles Martinet
in Emmanuel Bayle et al., Management des entreprises de l'économie sociale et
solidaire
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Alain Charles Martinet
Professeur émérite, Université de Lyon
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finance qui acceptent d’animer des cas où se posent des questions appelant des déci-
sions globales. Il s’agit donc d’une « non-discipline », davantage rite d’intronisation
en fin de maîtrise en administration des affaires (M.B.A.) pour de futurs dirigeants.
La raison pratique est mise en avant et la formulation des problèmes privilégiée.
Le premier effort de mise en forme didactique est la grille « forces/faiblesses-
opportunités/menaces » proposée par les professeurs de Harvard, toujours prisée
par les étudiants et les consultants sous la dénomination pompeuse de « modèle
SWOT ». Mais c’est sans conteste Ansoff qui provoque le passage à une praxéologie,
conceptuellement consistante et méthodologiquement raffinée. On lui doit par son
célèbre Corporate Strategy (1965), mais aussi par ses ouvrages ultérieurs, nombre de
concepts génériques de stratégie (Martinet, 2009a).Cette praxéologie va rester l’ob-
jet et le projet de quelques professeurs en Amérique, puis en Europe, et surtout de
l’industrie naissante du conseil en stratégie.
Les années 1970 voient s’imposer, encore proposé par Ansoff, le concept de
M.S., officialisé par l’AoM en 1978 et déployé à travers la S.M.S. et le S.M.J. qui
déclarent explicitement vouloir bâtir une nouvelle discipline. Mais, à partir de 1980,
vont coexister, sans vraiment interagir, la poursuite du courant praxéologique, avec
des auteurs qui vont se forger une grande notoriété – Porter, Mintzberg, Hamel, Pra-
halad, Miller… –, toujours soucieux de produire des savoirs opératoires, des heuris-
tiques adaptées à la complexité des situations stratégiques, comme l’ont argumenté
Ansoff et Simon notamment, et un courant, bientôt dominant, qui se veut positi-
viste, explicatif, nomothétique, statistique et qui va donc privilégier la dimension
économique de la stratégie. D’abord dans le paradigme classique de l’économie indus-
trielle – structures, comportements, performances – avec Rumelt, Wrigley… puis les
approches fondées sur les ressources, inspirées des travaux de Penrose en 1959 et
introduites dans le corpus par Wernerfelt et Barney en 1984. Mais aussi, de façon
militante, la théorie des coûts de transaction avec Williamson (1991) et, en matière
de gouvernance, la théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1992).
Perspectives 315
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l’intérêt des actionnaires portant sur l’allocation des ressources pour accroître la
performance des firmes dans leur environnement extérieur. Le lexique de cinquante-
quatre mots-clés associés renvoie sans surprise aux têtes de chapitres de tout manuel
classique de stratégie : innovation, acquisition, diversification, actionnariat, actifs,
technologie, avantage concurrentiel, marchés… La notion de firme constitue un
euphémisme commode qui dispense de penser le site focal du M.S., l’entreprise, dis-
tincte de la société de capitaux comme de l’unité de production, dont on sait qu’elle
n’existe pas en droit et qu’il faut justement la construire en incluant ou excluant
telle ou telle partie prenante (Tabatoni et Jarniou, 1975 ; Ansoff, 1979 ; Freeman,
1984 ; Martinet, 1984 et 2008). Cette euphémisation permet ainsi de privilégier tout
naturellement les actionnaires. En corollaire, la R.S.E., le développement durable et,
a fortiori, l’entreprise sociale et solidaire sont tout aussi naturellement repoussés
hors champ ou tenus en périphérie.
On imagine l’amertume d’Ansoff, s’il était encore là, devant ce consensus.
C’est en effet contre Milton Friedman et son idéologie du profit exclusif qu’Ansoff
avait fondé le champ du M.S. en élaborant une conceptualisation complexe de l’en-
treprise, technico-économique, mais aussi sociopolitique, ouverte aux parties pre-
nantes – qu’il appelait constituencies – et non aux seuls actionnaires. Il invitait
d’ailleurs les managers à comprendre d’autres idéologies, à relativiser le dogmatisme
de la « libre entreprise », à élargir leur communication au-delà du monde commer-
cial, à acquérir des compétences politiques et à développer des stratégies sociétales
pour leurs organisations.
Sa théorie stratégique s’adresse explicitement non pas à la seule grande entre-
prise capitaliste, mais aux ESO (Environment Serving Organizations), c’est-à-dire à
toutes les formes d’organisation dont la fonction première est de délivrer des biens
et des services à la société : entreprises privées, mais aussi hôpitaux, universités,
administrations. Sans les nommer ainsi, on voit bien qu’il inclut les organisations de
l’E.S.S. Très ambitieuse et ouverte, cette position reposait sur trois hypothèses tou-
jours pertinentes : 1° toutes les ESO sont menacées d’extinction et doivent consa-
crer leur énergie à leur survie stratégique ; 2° les comportements des différentes ESO
316 Management des entreprises de l’économie sociale et solidaire
sont amenés à converger ; 3° elles sont toutes confrontées à une turbulence envi-
ronnementale croissante. Conceptualisation dont on a argumenté la compatibilité
avec la théorie des unités actives de Perroux élaborée en 1975 (Martinet, 2009a).
Ainsi, cet examen synthétique de ces cinquante ans de recherche en M.S. ne
peut que se conclure sur l’amertume prêtée à Ansoff. Le courant dominant (mains-
tream) du champ est ainsi passé de la politique générale (Harvard) et d’une praxéo-
logie heuristique ouverte (Ansoff) à un economizing défendu non sans arrogance par
Williamson (1991), puisqu’il va jusqu’à ravaler le strategizing au rayon des acces-
soires. Au motif d’objectivité scientifique, ce courant répute exogène tout question-
nement éthico-politique, tout en produisant un paradigme implicite puissamment
normatif : la stratégie est au service exclusif de la grande entreprise cotée tout
entière, alignée sur la maximisation de la valeur actionnariale.
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Beaucoup de choses ont été écrites sur « les dix commandements de la
finance » (Betbèze, 2004 ; Martinet, 2007) qui ont largement façonné, depuis vingt
ans, la gouvernance, la stratégie et le management des groupes et de leurs filiales,
voire de leurs fournisseurs, sous-traitants, distributeurs… spécialement en France
où ils réalisent 90 % de la valeur ajoutée. Le mimétisme a propagé, à nombre de
schémas mentaux et de comportements, les normes financières, parfois comme dans
notre pays avec l’enthousiasme zélé, naïf ou intéressé, d’inspecteurs des finances, en
poste à Bercy ou passés dans les grandes entreprises, récemment acquis au néolibé-
ralisme. Et, au premier chef, la recherche systématique du trop fameux 15 % de RoE,
objectif non discuté et pourtant hautement discutable, tant il est insoutenable dans
la durée autant qu’inadapté à la grande majorité des entreprises et des situations.
La gouvernance a imposé le modèle disciplinaire dérivé de la théorie de l’agence, la
stratégie s’est refermée sur le triptyque « recentrage, élagage, rachat de ses propres
actions », l’organisation et le management sur les injonctions érigées en politiques :
benchmarking, cost cutting, downsizing, outsourcing, customer relationship manage-
ment… aboutissant à une panoplie de « meilleures pratiques » à vocation univer-
saliste. En contradiction avec les résultats les plus robustes de la recherche et de
la pensée stratégiques accumulés au fil du temps. Notons que les ensembles finan-
ciers se sont bien gardés de s’appliquer leurs recommandations et ont au contraire
mêlé plusieurs métiers.
Cette évolution divergente des acteurs industriels et financiers signe une
inversion des postures stratégiques : jusque-là, des banques d’affaires, des banques
de dépôt, des assureurs distincts finançaient et sécurisaient des groupes industriels
plurimétiers qui s’attachaient à diversifier eux-mêmes leurs portefeuilles d’activités
et donc de risques stratégiques et conjoncturels. Mais la théorie financière a réussi
à convaincre qu’il appartenait aux investisseurs et aux marchés financiers de diver-
sifier leurs portefeuilles d’actifs, titres-supports de sociétés mono-métier, et non aux
dirigeants de ces dernières, réduits à faire sécréter le maximum de cash-flows à ce
métier, de préférence déployé internationalement. D’évidence, les groupes français,
Perspectives 317
à quelques exceptions notables près, ont davantage suivi cette injonction que leurs
homologues étrangers, asiatiques bien sûr, mais aussi allemands par exemple. La
désindustrialisation n’est pas uniquement affaire de coûts relatifs, mais procède évi-
demment de tels choix (Beffa, 2012).
De façon plus générale, les acteurs de la finance ont construit et entre-
tiennent le mythe de l’extériorité en se conférant une légitimité a priori pour évaluer
le bien-fondé de mouvements stratégiques dont on connaît pourtant, de l’intérieur,
la complexité et la contingence. C’est justement ce déni de complexité qui conduit
à un recul de l’intelligibilité fine des situations et dessaisit de facto les dirigeants
d’une part essentielle de leurs prérogatives et de leur responsabilité. L’autorité épis-
témique excessive, car maintes fois prise en défaut, conférée à des acteurs externes
est d’autant plus dangereuse qu’ils sont en situation oligopolistique et/ou por-
teuse de conflits d’intérêts comme les agences de notation dont on peut apprécier
aujourd’hui l’impact sur les dettes dites souveraines (Martinet, 2010a).
La cupidité et la crise éthique, maintes fois dénoncées, cachent surtout ce
recul de la raison irréductible au calcul, au profit d’une rationalité aussi forte qu’exi-
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guë, voire d’algorithmes qui font triompher une conception du monde et de l’homme
– l’homo oeconomicus à peine raffiné par le modèle REMM-PAM de Jensen et Meckling
(1992) – pourtant bien fruste et justement critiquée anthropologiquement et philo-
sophiquement depuis vingt-cinq siècles. Le cauchemar de Walras en quelque sorte,
partisan de l’économie sociale (Dockès, 1996), qui ne devait pas se douter et encore
moins souhaiter que l’être mathématique de son axiomatique pure devienne réalité.
La rationalité financière ne saurait épuiser la rationalité économique, laquelle
est loin de pouvoir guider en toute situation les décisions d’investissement straté-
gique complexe (Martinet, 2010b). La rationalité stratégique est composite ou n’est
pas (Martinet, 1997 ; Baumard, 2012). En tout cas, l’asthénie de la stratégie, souvent
réduite à des slogans communicationnels vagues, mais attendus, signaux convention-
nels adressés aux faiseurs de tendances de marché, a laissé certains groupes euro-
péens cognitivement et stratégiquement désarmés face à des concurrents ou des
prédateurs relevant d’autres régimes, d’autres dispositifs de gouvernance et conti-
nuant à pratiquer des stratégies plus complexes, comme l’indien Tata, fort de ses
240 000 personnes réparties sur sept métiers larges et non reliés, déployés dans
140 pays.
Une des implications logiques de ces crises récurrentes est la disqualification
du référentiel financier et de la théorie disciplinaire quant à leur prétention à fon-
der des pratiques universelles des hauts dirigeants tant en termes d’équité que d’ef-
ficacité et, finalement, un fossé, sinon une rupture, entre leurs intérêts et ceux du
reste du corps social. Car c’est bien le pacte social qui constitue l’entreprise durable
qui est affecté. On ne retrouvera pas, bien sûr, l’entreprise managériale et le com-
promis fordien tels qu’ils prévalaient en Occident avant la vague de financiarisation.
Mais l’entreprise, qui est toujours en (re)création permanente grâce à divers appor-
teurs de ressources et de compétences qu’il est efficace, efficient et juste de rétri-
buer équitablement, doit impérativement se constituer et se réinstituer. Même dans
le cas théoriquement le plus adéquat, la grande entreprise américaine cotée, les diri-
geants n’ont pas été disciplinés, s’octroyant les rémunérations que l’on sait, et les
abus et parfois les malversations massives n’ont pas été évités.
318 Management des entreprises de l’économie sociale et solidaire
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Cette régénération de l’entreprise passe obligatoirement par un rééquilibrage
du couple, en tension permanente, que forment la finance et la stratégie (Martinet,
2010b). On avait pu connaître une dominance excessive de la stratégie au détri-
ment de la juste rémunération des actionnaires pendant les « Trente Glorieuses » en
France. On a vu récemment les effets délétères d’une domination sans partage de la
finance ces deux dernières décennies. Il s’agit donc d’imaginer à nouveaux frais ou,
à tout le moins, de régénérer des formes d’entreprise de plein exercice, dans les-
quelles les pratiques de gouvernance et de management respectent le principe de
Montesquieu et que, « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
En résumé de ce second point, le courant dominant de la littérature straté-
gique comme les pratiques financiarisées des entreprises apparaissent dépassés et
inaptes à affronter les nouvelles complexités, notamment les concurrences des pays
à capitalisme d’État, de rente ou de clans familiaux le plus souvent oligarchiques.
Plus encore sont-ils obsolescents pour contribuer à l’action collective, soucieuse de
justice sociale et de respect environnemental.
Mais, d’ores et déjà, de multiples bourgeonnements sont apparus aux marches
de cet empire. S’il est trop optimiste de parler de « renouveau solidaire » (Servet,
2010), il est incontestable que le développement durable, la R.S.E., le management
écosystémique et, bien sûr, l’E.S.S. commencent à constituer un corpus théorique
robuste et stimulant et de multiples pratiques à évaluer.
des situations étudiées ; une attitude plus descriptive qu’explicative et une grande
richesse empirique, de nature le plus souvent qualitative ; une place importante faite
aux dimensions juridique et institutionnelle ; une mise en perspective historique et
une attitude volontiers réflexive.
L’examen attentif de la littérature et des bibliographies révèle aussi une sous-
représentation relative des chercheurs en sciences de gestion. Ce qui se comprend
par la longue genèse du champ, le caractère ancien du débat économie politique/
science économique et la fameuse querelle des méthodes (Metodenstreit) entre les
historicistes allemands et les partisans autrichiens, puis anglo-saxons, de l’axioma-
tique. Mais aussi par l’attraction excessive exercée sur les chercheurs en gestion par
le référentiel de la grande entreprise managériale aujourd’hui financiarisée. Cette
sous-représentation sera peut-être perçue positivement par certains spécialistes du
champ de l’E.S.S. suspicieux à l’égard de l’idéologie gestionnaire. Mais quel que soit
le pedigree des chercheurs, ce champ, inexorablement confronté à la montée du
management, doit approfondir l’étude fine des dispositifs, instruments, outils de
gestion en ce qu’ils façonnent les schémas mentaux, les représentations, les struc-
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tures et les comportements. En ce qu’elle a de plus original, la recherche française
en sciences de gestion – par exemple, au C.G.S. et au C.R.G. à Paris, à l’ISEOR, à
l’IFROSS et à EURISTIK à Lyon – a fortement documenté ce pouvoir structurant, non
déterministe, mais souvent déterminant, des outils de gestion.
Sommées ou, à tout le moins, pressées, sous motif légitime d’économicité, de
rendre leur gestion plus efficiente, les entreprises de l’E.S.S. risquent constamment
de se laisser prescrire, voire de se précipiter avec enthousiasme sur les soi-disant
meilleures pratiques forgées dans d’autres contextes et d’importer, sans suffisamment
de précautions, les philosophies morales et politiques dans lesquelles ces pratiques
sont encapsulées. Et qui sont le plus souvent invisibles. Ceci tout particulièrement
dans les secteurs concurrentiels comme la banque et l’assurance où coexistent de
grands acteurs capitalistes, des coopératives et des mutuelles. Le mimétisme et la
tendance à l’isomorphisme structurel ne peuvent être négligés. Il faut saluer à cet
égard, mais aussi multiplier, les travaux rassemblés par Laville et Gleiman (2009) ou
Munoz et al. (2008) sur les questions de gouvernance, d’identité, de R.S.E. des asso-
ciations et des coopératives. En articulant une analyse fine des dispositifs et l’impact
des évolutions juridiques et judiciaires – par exemple, sur les sociétés coopératives
européennes ou les S.C.I.C. en France –, ils sont à même de mettre en évidence la
façon dont se dénouent provisoirement les tensions entre l’impératif de compétiti-
vité et l’axiologie propre à l’affectio mutualis.
En confirmation avec le fameux triangle de Boulding qu’avait préfiguré Per-
roux, tous ceux qui se sentent concernés par le développement non banalisé des
entreprises de l’E.S.S. doivent méditer les expériences du « New Public Management
(N.P.M.) » qui, porté par la révolution néoconservatrice et fortement prescrit par
les cabinets de conseil, a profondément managérialisé, voire financiarisé, les ins-
titutions publiques (Martinet, 2008). De façon délibérée par les tenants du hard
N.P.M., véhicule de la philosophie politique libertarienne (Nozick, Rothbar, Fried-
man Jr, etc.). De façon naïve par tous ceux qui, ne voyant pas plus loin que le bout
de leur nez, épousent la rhétorique univoque et irréfutable du N.P.M. : les gestion-
naires publics sont sommés d’innover, de faire preuve d’initiative, d’esprit d’équipe,
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les processus concrets et les activités. Il faut y regarder de plus près ; au plus près
des dispositifs et de ce qu’ils produisent. En étant particulièrement attentif à ce
qu’ils ne détruisent pas les valeurs sanctuarisées propres aux institutions, cette part
d’irrévocable qui les sépare des organisations profanes au sens étymologique (pro
fanum, i. e. « ce qui se tient à l’extérieur »).
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gements viables et raisonnables, leurs dérives aussi. Un univers fondamentalement
dialogique.
Le M.S. peut offrir à l’E.S.S., sous les conditions évoquées, une grammaire
de l’action, des concepts, des heuristiques, susceptibles de guider les raisonne-
ments, les diagnostics, de stimuler la conception des possibles, d’accroître la puis-
sance d’agir en jouant sur les ago-antagonismes et les luttes-coopérations inhérents
à l’idée même de stratégie. Bref, d’outiller cognitivement et politiquement le quadri-
vium stratégique – réel-potentiel ; actuel-virtuel – qui appelle une pensée complexe
(Morin, 1986). De fournir des opérateurs de sens particulièrement indispensables
dans un monde où le temps d’attention des esprits, la capacité mémorielle et l’éner-
gie désirante sont constamment mis à mal par le foisonnement des données, l’ins-
tantanéité et l’abondance.
Dans ce vaste champ alors fertilisé, nous avons besoin de renouveler sans
relâche les évaluations et les comparaisons où l’on découvre… peut-être… que telle
entreprise coopérative s’avère économiquement plus performante que son concur-
rent capitaliste ou qu’à l’inverse, la plus sociale des deux n’est pas celle que l’on
croit. Science comparative donc, science de conception aussi, science du manage-
ment élargi ou généralisé pour reprendre l’adjectif que Perroux donnait à l’économie.
Une science « des possibilités qui ne sont pas des nécessités », comme l’a prati-
quée Hirschman (Martinet, 2012). Qui conjugue obligatoirement la connaissance et
l’action, orientées par une axiologie explicite et régulée par une éthique. Où l’on
retrouve d’ailleurs Charles Gide, comme vient de le rappeler Laville (2010), tout pré-
occupé qu’il était par ce qui change plutôt que par la recherche de lois immuables,
et conscient de l’intérêt d’articuler la théorie et la pratique, la science et l’art ou,
dans le langage actuel, la science et la conception d’artifices.
Car, au fond, pourquoi ? À quoi bon ? La mécanique du XIXe siècle a fourni
le paradigme scientifique à l’abri duquel se complaisent trop souvent les sciences de
gestion. La recherche de causalités n’est pas inutile à la condition qu’elle ne s’arrête
pas quand l’essentiel commence. En matière de sciences sociale, le « afin de… » et
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le « en vertu de… » doivent permettre d’aller au-delà des petites nécessités pour
ouvrir aux possibilités souhaitables.
On peut admettre qu’un chercheur en gestion se donne comme axiologie la
maximisation de la valeur actionnariale, du moins si elle est explicite. Mais la com-
munauté du M.S. ne peut refuser à d’autres qu’ils puissent travailler de façon tout
aussi scientifique parce que des hommes ont faim… sans oublier que l’homme ne
vit pas que de pain (Matthieu, 4,4).
La meilleure conclusion est celle, puissante, de Fr. Perroux :
« Le bon universitaire qui fait son métier parle de problèmes soigneusement
limités : c’est excellent.
C’est excellent jusqu’au jour où les questions tragiques et vitales sont les
seules qui importent vraiment.
Alors l’universitaire qui les refuse n’a peut-être pas la conscience tout à fait
tranquille, non plus qu’il ne donne l’impression de comprendre la vocation incluse
dans son métier. »
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