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PINOCCHIO

de CARLO COLLODI

Gracieusement traduit par COCOTTE (audiolectrice)

Chapitre 1

Il était une fois…

- Un roi ! diront tout de suite mes petits lecteurs.

- Non, mes enfants, pas un roi. Il était une fois un morceau de bois.

Ce n’était pas un bois précieux, mais un simple bout de bois de chauffage, comme
ceux qu’on met, l’hiver, dans le poêle ou dans la cheminée pour réchauffer les
pièces.

Le fait est qu’un beau jour, ce morceau de bois arriva dans la boutique d’un vieux
menuisier, dont le nom était Maître Antoine, mais que tout le monde appelait
Cerise, parce que le bout de son nez était rond et rouge comme une cerise bien
mûre.

Dès que Maître Cerise eut vu ce morceau de bois, il se réjouit et dit à mi-voix, en
se tapant sur les cuisses de plaisir :

- Ce morceau de bois est arrivé juste à temps. Je vais m’en servir pour faire un
pied de table.

Sitôt dit, sitôt fait. Il prit une herminette pour enlever l’écorce et le dégrossir, mais
quand il voulut donner le premier coup, il resta le bras en l’air, parce qu’il entendit
une toute petite voix, très douce, qui lui disait :

- Ne me frappe pas!

Vous voyez d’ici la tête de ce bon vieux Maître Cerise !

Il regarda partout dans la pièce pour savoir d’où pouvait sortir cette voix, mais il ne
vit personne. Il regarda sous le banc : personne. Il regarda dans une armoire qui
restait toujours fermée et personne. Il regarda dans le tas de copeaux et de sciure
et personne ! Il ouvrit la porte de sa boutique pour jeter un œil dans la rue et
personne ! Où alors ?
- J’ai compris ! dit-il alors en riant et en se grattant la perruque, je vois bien que
c’est moi qui me suis imaginé entendre cette petite voix. Au travail !

Il reprit l’herminette et en donna un coup sur le morceau de bois.

- Aïe ! Tu m’as fait mal ! se mit à crier la même petite voix.

Cette fois, Maître Cerise resta stupéfait, les yeux hors de la tête et la langue
pendante jusqu’au menton, comme une grosse tête de fontaine.

A peine eut-il retrouvé l’usage de la parole qu’il commença à se dire, tremblant de


frayeur :

- Mais d’où peut sortir cette petite voix qui a dit Aïe ? Pourtant, ici, il n’y a âme qui
vive. Est-ce que, par hasard, ce serait ce bout de bois qui se met à pleurer et à se
lamenter comme un bébé ? Impossible ! Ce bout de bois est comme tous les
autres, il est là pour être jeté au feu et faire bouillir ma soupe de haricots. Et alors ?
Peut-être que quelqu’un se cache dedans… Eh bien, si quelqu’un se cache
dedans, tant pis pour lui ! Je vais m’en occuper !

Et, en disant cela, il attrapa des deux mains ce pauvre morceau de bois et il
s’apprêta à le jeter contre le mur, sans pitié.

Puis il se mit à écouter, pour entendre si une petite voix se plaignait. Il attendit
deux minutes : rien. Cinq minutes et rien ! Dix minutes et rien !

- J’ai compris ! dit-il alors en s’efforçant de rire et en ébouriffant sa perruque. Cette


petite voix qui disait Aïe, c’est moi qui me la suis imaginée. Remettons-nous au
travail !

Et, comme il avait très peur, il essaya de fredonner d’une voix tremblante pour se
donner un peu de courage.

Il posa son herminette et prit son rabot, et il se mit à raboter le morceau de bois,
mais, pendant qu’il tirait et poussait, il entendit la petite voix qui disait en riant :

- Arrête ! Tu me chatouilles !

Cette fois, le pauvre maître Cerise tomba par terre, comme foudroyé. Quand il
rouvrit les yeux, il était assis par terre. Son bout de nez, au lieu d’être rouge
comme d’habitude, était devenu tout bleu, tellement il avait eu peur !
Chapitre 2

A ce moment-là, on frappa à la porte.

- Passez votre chemin ! dit le menuisier, sans avoir la force de se relever.

Alors entra dans la boutique un petit vieux tout sémillant, dont le nom était
Geppetto, mais que les gamins du voisinage, quand ils voulaient le mettre en rage,
l’appelaient « Polendina » parce que sa perruque jaune ressemblait tout à fait à la
polendina, au turban du Grand Turc.

Geppetto était très bizarre. Gare à celui qui l’appelait « Polendina ». Il devenait
comme une bête et il n’y avait plus moyen de le retenir.

-Bonjour, maître Antoine, dit Geppetto. Que faites-vous par terre ?

- J’apprends à lire aux fourmis.

- Grand bien vous fasse !

-Quel bon vent vous amène, ami Geppetto ?

- Mes jambes ! Savez-vous, maître Antoine, que je suis venu pour vous demander
une faveur.

- Me voilà prêt à vous l’accorder, répliqua le menuisier en se relevant sur les


genoux.

- Il m’est venu une idée.

- Laquelle ?

- J’ai envie de me fabriquer un beau pantin de bois, mais un pantin merveilleux, qui
sache danser, tirer l’épée et faire des sauts périlleux. Avec ce pantin, je ferai le
tour du monde, pour m’acheter un morceau de pain et un verre de vin. Qu’en dites-
vous ?

- Bravo, Polendina ! cria une petite voix, qui sortait d’on ne sait où.

A s’entendre appeler « Polendina », l’ami Geppetto devint rouge comme une


tomate et, se tournant vers le menuisier, il lui dit, furieux :
- Pourquoi vous moquez-vous de moi ?

- Qui se moque de vous ?

- Vous m’avez appelé « Polendina »

- Mais ce n’est pas moi !

- Nous ne sommes que tous les deux ici. Je vous dis que c’est vous !

- Non !

- Si !

- Non !

- Si !

Et, s’échauffant de plus en plus, ils en vinrent des paroles aux gestes, ils
s’empoignèrent, se griffèrent, se mordirent et se battirent comme des chiffonniers.

Finalement, maître Antoine se retrouva avec la perruque jaune de Geppetto dans


les mains, et Geppetto avait dans la bouche la perruque grisonnante du menuisier.

- Rends-moi ma perruque ! cria Maître Antoine

*-Et toi, rends-moi la mienne ! Et faisons la paix !

Les deux petits vieux, après avoir repris chacun sa perruque, se serrèrent la main
et jurèrent de rester amis pour la vie.

- Donc, ami Geppetto, dit le menuisier en signe de paix, qu’est-ce que je peux faire
pour vous ?

- Je voudrais un peu de bois pour faire mon pantin. Vous m’en donnez un morceau
?

Maître Antoine, tout content, alla prendre sur le banc le morceau de bois qui lui
avait fait si peur. Mais, quand il le tendit à son ami, le morceau de bois donna une
secousse et, s’échappant violemment de ses mains il tomba de toute sa force sur
le tibia du pauvre Geppetto.

- Aïe ! Vous m’avez fait mal !


- Je vous jure que ce n’est pas moi !

- Alors, c’est moi !

- C’est la faute de ce bout de bois !

- Je le sais, que c’est ce bout de bois ! Mais vous me l’avez jeté dans les jambes !

- Non, je ne vous l’ai pas jeté !

- Menteur !

- Geppetto, ne vous moquez pas de moi, sinon, je vous appelle Polendina !

- Âne !

- Polendina !

- Imbécile !

- Polendina !

- Brute épaisse !

- Polendina !

A s’entendre appeler Polendina pour la troisième fois, Geppetto poussa un


rugissement et tomba à bras raccourcis sur le menuisier et ils recommencèrent à
se taper dessus.

La bataille finie, Maître Antoine se retrouva avec deux estafilades de plus sur le
nez et l’autre deux boutons de moins à son gilet. Ayant fini de régler leurs
comptes, ils se serrèrent la main et jurèrent de rester bons amis pour la vie entière.

Geppetto prit avec lui son brave morceau de bois et, remerciant maître Antoine, il
rentra chez lui en boitillant.

Chapitre 3

La maison de Geppetto était une petite pièce obscure, dont le peu de lumière
tombait d’une lucarne. Le mobilier ne pouvait être plus simple : un mauvais lit, une
table bancale et une chaise branlante. Sur le mur du fond, on voyait une petite
cheminée avec un bon feu. Mais le feu était peint et, au milieu du feu était peinte
également une marmite bouillonnante qui dégageait un nuage de vapeur, qui
semblait tout à fait réel.

A peine entré chez lui, Geppetto prit tout de suite ses outils et se mit à tailler et à
fabriquer son pantin.

- Quel nom vais-je lui donner? se disait-il. Je vais l’appeler Pinocchio. C’est un
nom qui lui portera bonheur. J’ai connu toute une famille de Pinocchio : Pinocchio
le père, Pinocchia la mère et Pinocchi les enfants. Et tous avaient la belle vie ! Le
plus riche demandait l’aumône.

Quand il eut trouvé le nom de son pantin, il commença à travailler pour de bon. Il
lui fit d’abord les cheveux, puis le front, puis les yeux.

Quand les yeux furent finis, imaginez sa surprise quand il s’aperçut que les yeux
remuaient et le regardaient.

Geppetto, en se voyant regardé par ces deux yeux de bois, dit d’un ton irrité :

- Méchants yeux de bois, pourquoi me regardez-vous ?

Pas de réponse.

Alors, après les yeux, il lui fit le nez. Mais le nez, à peine fait, commença à grandir,
à grandir, à grandir et, en quelques minutes, il était devenu un nez énorme, qui
n’en finissait plus.

Le pauvre Geppetto s’épuisa à le retailler. Mais plus il le coupait, et plus ce nez


impertinent devenait long !

Après le nez, il lui fit la bouche.

La bouche n’était pas encore terminée qu’elle commença à rire et à se moquer.

- Arrête de rigoler ! gronda Geppetto.

Mais ce fut comme s’il parlait à un mur.

- Arrête de rigoler, je te dis ! hurla Geppetto d’une voix menaçante.

Alors, la bouche s’arrêta de rire, mais elle tira la langue.


Geppetto fit semblant de ne pas s’en apercevoir et continua à travailler. Après la
bouche, il fit le menton, puis le cou, les épaules, le torse, les bras et les mains.

Dès qu’il eut fini les mains, Geppetto sentit s’envoler sa perruque. Il se retourna et
que vit-il ? Il vit sa perruque jaune dans les mains du pantin.

- Pinocchio ! Rends-moi tout immédiatement ma perruque !

Et Pinocchio, au lieu de rendre la perruque, se la mit sur la tête, sous laquelle il


était à moitié étouffé.

Cette fois, Geppetto devint triste et mélancolique, comme il ne l’avait jamais été.
Et, se tournant vers Pinocchio, il lui dit :

- Coquin de fils ! Tu n’es pas encore terminé, et déjà tu commences à manquer de


respect à ton père ! C’est mal, mon garçon, c’est très mal !

Et il essuya une larme.

Il ne manquait plus que les jambes et les pieds.

Quand Geppetto eut fini les pieds, il reçut un coup sur le bout de son nez.

- Bien fait pour moi ! se dit-il. J’aurais dû y penser avant. Maintenant, c’est trop tard
!

Puis il prit le pantin sous les bras et le posa par terre, sur le sol de sa chambre,
pour le faire marcher.

Pinocchio avait les jambes ankylosées et il ne savait pas les faire bouger.
Geppetto le prit par la main pour lui apprendre à mettre un pied devant l’autre.

Quand les jambes furent un peu dégourdies, Pinocchio commença à marcher tout
seul, puis à courir dans toute la chambre. Finalement, il fila par la porte de la
maison, sauta dans la rue et s’échappa.

Le pauvre Geppetto se mit à courir derrière lui, sans pouvoir le rattraper, parce que
ce coquin de Pinocchio sautait comme une grenouille et, battant de ses pieds de
bois sur la chaussée, faisait un tapage comme vingt paires de sabots de paysans.
- Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! hurlait Geppetto. Mais les gens qui étaient dans la rue,
voyant ce pantin de bois qui courait comme un lièvre, s’arrêtaient, stupéfaits, pour
le regarder, et riaient, riaient, riaient, comme vous ne pouvez pas l’imaginer.

A la fin, heureusement, arriva un gendarme qui, entendant tout ce vacarme et


croyant que c’était un apprenti qui avait levé la main sur son patron, se planta
courageusement au milieu de la rue, les jambes écartées, bien décidé à arrêter et
ramener chez lui la cause de tant de bruit.

Mais Pinocchio, quand il vit de loin le gendarme qui barrait toute la rue, imagina de
lui passer entre les jambes. Mais ce fut sa perte. Le gendarme, sans s’émouvoir,
l’attrapa tout bonnement par le nez, qui était un nez démesuré, qui semblait fait
exactement pour être attrapé par les gendarmes, et il le remit entre les mains de
Geppetto, qui, pour lui donner une bonne correction, voulut lui tirer les oreilles.
Mais imaginez sa tête quand, en cherchant les oreilles, il ne réussit pas à les
trouver. Savez-vous pourquoi ? Parce que, dans sa hâte de terminer, avait oublié
de les faire.

Alors, il le prit par la nuque et, en rentrant à la maison, lui dit :

- Rentrons tout de suite ! Quand nous serons chez nous, nous ferons nos comptes.

Pinocchio, entendant cela, se roula par terre et ne voulut plus marcher. Tout de
suite, les passants et les curieux s’arrêtèrent et l’entourèrent.

Les uns disaient : « Pauvre pantin ! Il a raison de ne pas vouloir rentrer chez lui.
Qui sait comment le punirait ce méchant homme de Geppetto ? »

Et les autres continuaient : « Ce Geppetto semble un brave homme ! Mais c’est un


vrai tyran avec les enfants. Si on lui laisse ce pauvre pantin entre les mains, il est
capable de le réduire en morceaux ! »Ils dirent et firent tant et tant que le
gendarme remit en liberté Pinocchio et conduisit en prison ce pauvre homme de
Geppetto, qui, ne sachant pas comment se défendre, pleurait comme un veau et,
sur la route de la prison, il balbutiait en pleurant :

- Méchant petit ! Quand je pense que j’ai tant travaillé pour en faire un beau pantin.
Mais c’est ma faute ! J’aurais dû y penser avant.

Ce qui arriva ensuite à Pinocchio est difficile à croire.

Chapitre 4
Pendant que le pauvre Geppetto était conduit à la prison, sans qu’il n’ait rien fait,
ce coquin de Pinocchio, dès qu’il fut délivré des griffes du gendarme, partit à toutes
jambes à travers les champs, pour rentrer plus vite à sa maison. Il passait par-
dessus les fourrés, franchissait les haies, sautait dans les fossés pleins d’eau,
comme aurait pu le faire un chevreau ou un lièvre poursuivi par les chasseurs.

Arrivé à la maison, il trouva la porte entr’ouverte. Il la poussa, entra, ferma le


loquet, puis se laissa tomber par terre, avec un grand soupir de bonheur.

Mais ce bonheur ne dura pas longtemps, parce qu’il entendit une petite voix qui
faisait :

- Cri, cri, cri

- Qui m’appelle ? dit Pinocchio, tout effrayé

- C’est moi !

Pinocchio se retourna et vit un gros grillon qui grimpait lentement sur le mur.

- Dis-moi, Grillon, qui es-tu ?

- Je suis le Grillon-qui-parle, et j’habite dans cette pièce depuis plus de cent ans.

- Aujourd’hui, cette pièce est à moi, dit le pantin, et si tu veux me faire plaisir, tu
t’en vas immédiatement, sans te retourner.

- Je ne partirai pas d’ici sans t’avoir dit une grande vérité.

- Dis-la moi et va-t-en

- Malheur aux enfants qui se rebellent contre leurs parents et qui abandonnent leur
maison. Ils n’auront jamais de bonheur dans ce monde, et, tôt ou tard, ils s’en
repentiront.

- Parle toujours, Grillon mon ami, si ça te plait. Mais moi, je sais que demain, à
l’aube, je veux m’en aller d’ici parce que, si je reste, il m’arrivera ce qui arrive à
tous les autres enfants, on m’enverra à l’école, et, de gré ou de force, je serai
obligé d’étudier. Et moi, je te le dis en secret, je n’ai pas envie d’étudier, et je
préfère courir après les papillons, grimper aux arbres et prendre des petits oiseaux
dans leur nid.
- Pauvre idiot ! Mais tu ne sais pas qu’en faisant ça, tu deviendras un âne et tout le
monde se moquera de toi ?

- Tais-toi, Grillon de malheur, cria Pinocchio.

Mais le Grillon, qui était patient et philosophe, au lieu de se fâcher de cette


impertinence, continua :

- Et si tu ne veux pas aller à l’école, pourquoi ne veux-tu pas apprendre un métier,


qui te permettrait de gagner honnêtement ta vie ?

- Tu veux que je te dise ? dit Pinocchio qui commençait à s’énerver. Parmi tous les
métiers du monde, il n’y en a qu’un qui me conviendrait.

- Et quel serait ce métier ?

- Celui de manger, boire, dormir, m’amuser et mener du matin au soir la vie de


vagabond.

- Pour ta gouverne, dit le Grillon de sa même voix calme, tous ceux qui font ce
métier finissent toujours à l’hôpital ou en prison.

- Assez, Grillon de malheur ! Si je me mets en colère, gare à toi !

- Pauvre Pinocchio ! Tu me fais pitié !

- Et pourquoi je te fais pitié ?

- Parce que tu es un pantin, et, le pire, parce que tu as une tête de bois.

Entendant ces paroles, Pinocchio fou de rage, attrapa un marteau et le lança


contre le Grillon.

Peut-être ne croyait-il pas le toucher. Mais malheureusement, le marteau lui tomba


sur la tête, et le pauvre Grillon eut à peine le temps de dire « Cri-cri-cri, qu’il resta
là, écrasé contre le mur.

Chapitre 5

Pendant ce temps, la nuit était tombée et Pinocchio, se rappelant qu’il n’avait rien
mangé, sentit un petit creux à l’estomac, qui ressemblait beaucoup à de l’appétit.
Mais l’appétit des enfants grandit vite ; et, en fait, en quelques minutes, l’appétit
devint de la faim et la faim se transforma en une faim de loup, une faim à couper
au couteau.

Le pauvre Pinocchio courut à la cheminée, où une marmite bouillait, et il esquissa


le geste d’ouvrir le couvercle, mais la marmite était peinte sur le mur. Imaginez
comment il resta, complètement ahuri. Son nez, qui était déjà long, s’allongea au
moins de quatre doigts.

Alors, il se mit à courir dans la chambre et à fouiller dans tous les placards et dans
tous les tiroirs, à la recherche d’un peu de pain, même un peu de pain sec, un
croûton, un os pour les chiens, un peu de soupe moisie, une arête de poisson, un
noyau de cerise, bref quelque chose à manger. Mais il ne trouva rien, rien de rien.

Et pendant ce temps, sa faim continuait à grandir, à grandir de plus en plus ; et le


pauvre Pinocchio n’avait pas d’autre solution que de bailler, et il baillait si fort que,
quelquefois, sa bouche s’étirait jusqu’aux oreilles. Et, après avoir baillé, il avait
l’impression que son estomac lui tombait dans les talons.

Alors, en pleurant et en se désespérant, il disait :

- Le Grillon avait raison. J’ai eu tort de me révolter contre mon papa et de m’enfuir
de la maison. Si mon papa était là, je ne me retrouverais pas en train de mourir de
faim ! Oh ! Quelle sale maladie est la faim !

A ce moment-là, il vit, au milieu des ordures, quelque chose de rond et de blanc,


qui ressemblait à un œuf de poule. Il sauta dessus. Oui, c’était vraiment un œuf !

Il est impossible de décrire la joie du pantin. Il faut vous l’imaginer. Il avait peur que
ce soit un rêve, il le prit entre ses mains, le touchait, l’embrassait. Et, en
l’embrassant, il disait :

- Et maintenant, comment le cuire ? Une omelette ? Non, c’est mieux un œuf sur le
plat. Ou alors, à la poêle ? Ou le gober tout cru ? Non, ce qui va le plus vite, c’est
de le faire pocher à la casserole. J’ai trop envie de le manger !

Sitôt dit, sitôt fait, il mit une casserole avec un peu d’eau dedans, au lieu de beurre
ou d’huile, et quand l’eau commença à bouillir, tac ! il cassa la coquille et voulut le
verser dans la casserole.

Mais, au lieu du jaune et du blanc, il sortit un petit poussin, tout content et


dégourdi, qui lui dit, en faisant une belle révérence :
- Mille mercis, monsieur Pinocchio, de m’avoir évité la peine de casser ma coquille.
Au revoir ! Porte-toi bien et bonjour chez toi !

Et, en disant ça, il s’envola par la fenêtre ouverte.

Le pauvre pantin resta planté là, comme ensorcelé, les yeux fixes et la bouche
ouverte, avec la coquille de l’œuf entre ses mains. Le premier moment de surprise
passé, il se mit à pleurer, à crier, à taper des pieds par terre, et, en se
désespérant, il disait :

- C’est vrai ! Le Grillon avait raison ! Si je ne m’étais pas enfui et si mon papa était
ici, je ne serais pas à mourir de faim ! Oh ! Quelle sale maladie est la faim !

Et, comme son estomac continuait à grogner et qu’il ne savait pas comment le
faire taire, il décida de sortir et d’aller chez les voisins, en espérant trouver une
personne charitable pour lui faire l’aumône d’un peu de pain.

Chapitre 6

C’était une horrible nuit d’hiver. Le tonnerre grondait très fort, des éclairs fusaient
comme si le ciel était en feu, un vent froid et brutal soufflait rageusement,
soulevant un immense nuage de poussière, faisant se tordre et gémir tous les
arbres de la campagne.

Pinocchio avait très peur du tonnerre et des éclairs, mais la faim était plus forte
que sa peur. Alors, il ferma la porte de sa maison, se mit à courir et, en une
centaine de sauts, il arriva au bout du village, avec la langue pendante et à bout de
souffle, comme un chien de chasse.

Mais tout était obscur et désert. Les magasins étaient fermés, les portes et les
fenêtres des maisons fermées aussi et il n’y avait pas un chat dans les rues. On
aurait dit un village de morts.

Alors, désespéré, Pinocchio aperçut une cloche et il se mit à sonner, en se disant :

- Il y a bien quelqu’un qui se montrera !

Une fenêtre s’ouvrit et un petit vieux se montra, avec un bonnet de nuit sur la tête,
qui lui cria, en colère :

- Qu’est-ce que tu veux, à cette heure-ci ?


- Voudriez-vous me faire la charité de me donner un peu de pain ?

- Attends-moi, je reviens tout de suite, répondit le petit vieux, croyant avoir affaire à
ces méchants garçons qui tirent les sonnettes des maisons, pour embêter les gens
qui dorment tranquillement.

Après quelques minutes, la fenêtre se rouvrit et le petit vieux cria à Pinocchio :

- Viens là-dessous et enlève ton chapeau.

Pinocchio ôta tout de suite son béret et s’approchait de la fenêtre quand, tout à
coup, tomba sur lui tout le contenu d’un seau d’eau, qui le trempa des pieds à la
tête, comme s’il était un pot de géraniums assoiffés.

Il revint à sa maison, trempé comme un poulet et mort de fatigue et de faim. Et,


comme il n’avait plus la force de se tenir debout, il s’assit par terre, mettant ses
pieds trempés et gelés sur un réchaud plein de braises.

Et il s’endormit. Et pendant son sommeil, ses pieds, qui étaient en bois, prirent feu
et, doucement, doucement, se carbonisèrent et furent transformés en cendres.

Et Pinocchio continuait à dormir et à ronfler, comme si ses pieds appartenaient à


quelqu’un d’autre. Finalement, au lever du jour, il s’éveilla, parce que quelqu’un
avait frappé à la porte :

- Qui est là ? demanda-t-il en baillant et en se frottant les yeux ?

- C’est moi ! répondit une voix.

Cette voix était celle de Geppetto.

Chapitre 7

Le pauvre Pinocchio, qui avait encore les yeux tout brouillés de sommeil, ne s’était
pas aperçu que ses pieds étaient brûlés. Dès qu’il eut entendu la voix de son père,
il sauta de son tabouret et se précipita pour ouvrir le loquet. Mais, à peine eut-il fait
deux pas chancelants qu’il tomba de tout son long sur le sol, en faisant autant de
bruit qu’un sac de gravats de cent kilos tombant du cinquième étage.

- Ouvre-moi ! criait Geppetto, qui était toujours dans la rue.

- Papa, je ne peux pas ! répondit le pantin en pleurant et en se roulant par terre.


- Pourquoi tu ne peux pas ?

- Parce qu’on m’a mangé les pieds.

- Et qui t’a mangé les pieds ?

- Le chat, dit Pinocchio, en voyant le chat qui s’amusait à faire danser quelques
copeaux avec ses pattes de devant.

- Ouvre-moi, je te dis, répéta Geppetto, sinon, quand j’arriverai, le chat, c’est moi
qui m’en occuperai.

- Je ne peux pas tenir debout, crois-moi ! Oh ! Pauvre de moi ! Pauvre de moi qui
devrai marcher sur les genoux toute ma vie !

Geppetto, croyant que tous ces pleurs n’étaient qu’une nouvelle farce du pantin,
décida d’en finir et, grimpant sur le mur, il entra par la fenêtre.

Il avait l’intention de dire et faire beaucoup de choses. Mais, quand il vit son pauvre
Pinocchio allongé par terre et sans pieds, il n’y tint plus. Il le prit par le cou et il se
mit à lui faire mille baisers et mille caresses, et, pendant que les larmes
ruisselaient sur ses joues, il dit en sanglotant :

- Mon cher petit Pinocchio à moi ! Comment t’es-tu brûlé les pieds ?

- Je n’en sais rien, papa, mais crois bien que ce fut une nuit d’enfer et je m’en
souviendrai toute ma vie. Il y avait le tonnerre, les éclairs et j’avais très faim, et
alors le Grillon me dit « Bien fait pour toi ! Tu as été méchant ! Tu le mérites ! » Et
je lui ai dit : « Arrête, Grillon ! » et il me dit : « Tu es un pantin, tu as une tête de
bois » Et je lui envoyai un marteau et il mourut, mais ce fut sa faute, parce que je
ne voulais pas le tuer, et puis j’ai mis une casserole sur le feu et le poussin est
sorti en me disant « Au revoir et bonjour chez toi ! », et moi, j’avais de plus en plus
faim, et le petit vieux au bonnet de nuit ouvrit la fenêtre en me disant : « Tends ton
chapeau ! » et il me vida un seau d’eau sur la tête, et pourquoi ? parce que je lui
demandais un peu de pain, ce n’est pas méchant, ça, tu ne trouves pas ? Et je
retournai à la maison, parce que j’avais de plus en plus faim, je mis mes pieds sur
le feu pour me sécher et réchauffer, et maintenant, la faim, je l’ai toujours, et les
pieds, je ne les ai plus. Hi ! hi ! hi !

Et le pauvre Pinocchio commença à pleurer et à crier si fort qu’on l’entendait à cinq


kilomètres à la ronde.
Geppetto, dans tout ce discours embrouillé, n’avait compris qu’une seule chose,
c’est que son pantin mourait de faim. Il sortit de sa poche trois poires et les tendit à
Pinocchio en disant :

- Ces trois poires étaient pour mon déjeuner, mais je te les donne volontiers.
Mange-les et régale-toi !

- Si tu veux que je les mange, fais-moi le plaisir de les éplucher.

- Les éplucher ? répondit Geppetto éberlué. Je n’aurais jamais cru, mon garçon,
que tu sois aussi délicat du palais. C’est mal ! En ce monde, mon cher petit, il ne
faut pas faire le difficile et manger de tout, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut
arriver.

- Tu parles bien, répliqua Pinocchio, mais moi, je ne mange jamais un fruit qui ne
soit pas épluché. Les peaux, je les déteste.

Et ce brave homme de Geppetto, sortant un couteau de sa poche et s’armant de


patience, pela les trois poires et posa les peaux sur un coin de la table.

Quand Pinocchio, en deux bouchées, eut mangé la première poire, il voulut jeter le
trognon. Mais Geppetto le retint, en disant :

- Ne le jette pas ! Tout peut servir.

- Mais les trognons, moi, je ne les mange pas ! cria le pantin, en se retournant
comme une vipère.

- Qui sait ! Il peut arriver tant de choses !

Et les trois trognons, au lieu d’être jetés par la fenêtre, furent posés sur le coin de
la table.

Après avoir mangé, ou plutôt dévoré les trois poires, Pinocchio bailla longuement
et dit :

- J’ai encore faim !

- Mais moi, mon garçon, je n’ai plus rien à te donner.

- Vraiment rien, rien du tout ?


- Il y a seulement les peaux et les trognons des poires.

- Patience ! dit Pinocchio. S’il n’y a rien d ‘autre, je mangerai une peau.

Et il commença à manger. D’abord, il fit la grimace. Puis, l’une après l’autre, il


mangea toutes les peaux, et, après les peaux, les trognons. Quand il eut fini de
tout manger, il se frotta le ventre en disant :

-Maintenant, j’ai bien mangé !

-Tu vois que j’avais raison quand je te disais qu’il ne faut pas faire le difficile et
manger de tout ! Mon cher petit, on ne sait jamais ce qu’il peut arriver dans ce
monde.

Chapitre 8

Dès que le pantin fut rassasié, il commença à gémir et à pleurer, parce qu’il voulait
une paire de pieds neufs.

Mais Geppetto, pour le punir de ses farces, le laissa pleurer et se désespérer


pendant une demi-journée.

- Et pourquoi je devrais te refaire des pieds ? Peut-être pour te voir encore


t’échapper.

- Je te promets, dit le pantin en sanglotant, qu’à partir d’aujourd’hui, je serai un bon


garçon.

- Tous les enfants, quand ils veulent quelque chose, répètent tous la même
chanson.

- Je te promets d’aller à l’école, d’étudier et de te faire honneur.

- Tous les enfants, quand ils veulent quelque chose, répètent tous la même
chanson.

- Mais moi, je ne suis pas comme les autres enfants. Je suis meilleur qu’eux et je
dis toujours la vérité. Je te promets, papa, que j’apprendrai un métier et que je
serai ta consolation et ton bâton de vieillesse.

Le pauvre Geppetto, bien qu’il fasse semblant d’être un tyran, avait les yeux pleins
de larmes et le cœur rempli de pitié de voir son pauvre Pinocchio dans cet état. Il
ne répondit pas, mais, attrapant ses outils et deux petits morceaux de vieux bouts
de bois, il se mit au travail.

En moins d’une heure, les pieds étaient terminés, deux pieds sveltes, secs et
nerveux, comme s’ils avaient été modelés par un artiste de génie.

Alors Geppetto dit au pantin :

- Ferme les yeux et dors.

Et Pinocchio ferma les yeux et fit semblant de dormir. Et, pendant ce temps,
Geppetto fit fondre un peu de colle dans une coquille d’œuf et attacha les pieds si
bien qu’on ne voyait pas la jointure.

A peine le pantin s’aperçut qu’il avait ses nouveaux pieds, il sauta de la table sur
laquelle il était étendu et, tout d’abord, fou de joie, il fit mille sauts et mille
cabrioles.

- Pour te remercier de tout ce que tu as fait pour moi, dit Pinocchio à son père, je
veux aller tout de suite à l’école.

- Brave garçon !

- Mais, pour aller à l’école, j’ai besoin de quelques vêtements.

Geppetto, qui était pauvre et n’avait jamais le sou, lui fit alors une petite veste en
papier peint, une paire de chaussures en écorce et un petit béret en mie de pain.
Pinocchio courut se regarder dans une cuvette pleine d’eau, et il était tellement
content de lui qu’il dit, en se pavanant :

- Je suis aussi beau qu’un seigneur !

- Souviens-toi d’une chose, répondit Geppetto, que ce ne sont pas les beaux
vêtements qui font les seigneurs, mais plutôt les vêtements propres.

- A propos, ajouta le pantin, pour aller à l’école, il me manque encore quelque


chose, le plus important !

- Quoi ?

- Il me manque le livre de lecture.


- Tu as raison. Mais comment faire pour en avoir un ?

- C’est très facile. Tu vas chez un libraire et tu l’achètes.

- Et l’argent ?

- Je n’en ai pas

- Moi non plus, dit le vieil homme, tout triste.

Et Pinocchio, bien qu’il soit un petit garçon très gai, était tout triste aussi. Parce
que la misère, quand c’est la vraie misère, tous les enfants la comprennent.

- Patience ! dit Geppetto en sautant sur ses pieds. Et, enfilant sa vieille veste de
futaine, toute râpée et raccommodée, sortit en courant de la maison.

Il fut bientôt de retour. Quand il revint, il avait dans les mains le livre de lecture
pour son fils, mais sa veste, il ne l’avait plus. Le pauvre vieux était en manches de
chemise et, dehors, il neigeait.

- Et ta veste, papa ?

- Je l’ai vendue.

- Pourquoi tu l’as vendue ?

- Parce que j’avais trop chaud.

Pinocchio comprit et, n’écoutant que son bon cœur, il se jeta au cou de Geppetto
et couvrit son visage de baisers.

Chapitre 9

Quand il eut fini de neiger, Pinocchio, son beau livre de lecture neuf sous le bras,
prit la rue qui menait à l’école. Et, tout en marchant, il imaginait mille châteaux en
Espagne, plus beaux les uns que les autres :

Et il se disait :

- Aujourd’hui, à l’école, je vais tout de suite apprendre à lire. Demain, j’apprendrai


à écrire. Et après-demain, j’apprendrai les chiffres et le calcul. Puis, avec tout ce
que je saurai, je gagnerai beaucoup d’argent, et, avec mes premiers sous,
j’achèterai à mon papa un beau pardessus en drap. Mais pourquoi en drap ? Je
veux qu’il soit tout d’or et d’argent, avec les boutons en diamants. Et il le méritera.
Parce que, pour m’acheter le livre de lecture, il a vendu sa veste et il est resté en
manches de chemise. Par ce froid ! Il n’y a pas beaucoup de papas qui seraient
capables d’un tel sacrifice !

Pendant qu’il disait ça, il entendit dans le lointain une musique de fifres et des
coups de grosse caisse : Pi, pi, pi, zoum, zoum, zoum !

Il s’arrêta net pour écouter. Ces sons provenaient d’une longue rue qui conduisait
à une petite place installée sur la plage.

- Qu’est-ce que c’est que cette musique ! Quel dommage que je sois obligé d’aller
à l’école, sinon…

Il hésitait. Il fallait se décider. Soit aller à l’école, soit aller écouter les fifres.

- Aujourd’hui, j’irai écouter les fifres et demain, j’irai à l’école. Pour aller à l’école,
on a toujours le temps ! dit finalement ce coquin, en faisant une cabriole.

Sitôt dit, sitôt fait. Il enfila la rue et se mit à courir à toutes jambes. Plus il courait et
plus il entendait le son des fifres et de la grosse caisse : pi, pi, pi, pi, zoum, zoum,
zoum, zoum.

A la fin, il se trouva dans une place remplie de gens, qui se pressaient autour
d’une grande baraque de bois et de toile peinte de mille couleurs vives.

- Qu’est-ce que c’est que cette grosse baraque ? demanda Pinocchio, en se


tournant vers un petit garçon qui était à côté de lui.

- Lis l’affiche où c’est écrit, et tu le sauras.

- Je le lirais volontiers mais, justement, aujourd’hui, je ne sais pas lire.

- Quel âne ! Alors, je vais te la lire. Sache donc que sur cette affiche, en lettres
rouges comme le feu, il y a écrit : Grand Théâtre de Marionnettes

- Et ça commence quand ?

- Le spectacle commence tout de suite !

- Ça coûte combien pour entrer ?


- Quatre francs.

Pinocchio, mort de curiosité, perdit toute retenue et dit sans honte au petit garçon
qui lui parlait :

- Tu peux me prêter quatre francs jusqu’à demain ?

- Je te les donnerais volontiers, dit l’autre en se moquant de lui, mais justement,


aujourd’hui, je ne peux pas.

- Pour quatre francs, je te vends ma veste.

- Que veux-tu que je fasse d’une veste de papier ? Dès qu’il pleuvra un peu, il n’y
aura plus qu’à la jeter.

- Veux-tu acheter mes chaussures ?

- Elles ne sont bonnes qu’à allumer le feu !

- Et mon béret ?

- Belle acquisition, vraiment ! Un béret en mie de pain. C’est juste bon pour que les
souris viennent me le manger sur la tête.

Pinocchio était sur des charbons ardents. Il avait envie de faire une dernière offre,
mais il n’en avait pas le courage. Il hésitait, mais il avait tellement envie de voir le
spectacle qu’à la fin, il dit :

- Veux-tu me donner quatre francs d’un livre de lecture tout neuf ?

- Je suis un petit garçon, et je n’achète rien aux autres garçons, lui répondit le
gamin, qui avait plus de cervelle que lui.

- Pour quatre francs, je te le prends, moi, ton livre de lecture, cria un chiffonnier,
qui se trouvait à côté et qui avait entendu la conversation.

Et le livre fut vendu ! Quand on pense que ce pauvre homme de Geppetto était
resté chez lui, tremblant de froid, en manches de chemise, pour acheter le livre de
lecture !

Chapitre 10
Quand Pinocchio entra dans le théâtre de marionnettes, ce fut une révolution.

Il faut savoir que la comédie était déjà commencée. En scène, se trouvaient


Arlequin et Polichinelle, qui étaient en train de se disputer et qui menaçaient de se
donner des gifles et des coups de bâton.

Le public riait à perdre haleine en voyant les deux marionnettes gesticuler et en les
entendant se traiter de toutes sortes de noms, comme s’ils étaient de vraies
personnes.

A l’improviste, Arlequin se mit à déclamer et, se tournant vers le public et


désignant de la main quelqu’un au fond de la salle, il commença à hurler d’un ton
dramatique :

- Saperlipopette ! Est-ce que je rêve ? Mais là-bas, c’est Pinocchio !

- Mais oui, c’est Pinocchio ! cria Polichinelle.

- C’est vraiment lui ! s’exclama Colombine, montrant sa tête derrière le rideau.

- C’est Pinocchio ! C’est Pinocchio ! hurlèrent en chœur tous les pantins, en


s’élançant hors des coulisses. C’est Pinocchio ! C’est notre frère Pinocchio ! Vive
Pinocchio !

- Pinocchio, viens sur mon cœur ! cria Arlequin, viens te jeter dans les bras de ton
frère de bois.

A cette affectueuse invitation, Pinocchio sauta d’un bond du fond de la salle sur le
premier rang, puis, d’un autre bond, du premier rang sur la tête du chef
d’orchestre, et de là, il sauta sur la scène.

Impossible d’imaginer les embrassements, les caresses, les témoignages d’amitié


et les démonstrations de sincère affection et de réelle fraternité que Pinocchio
reçut de tous les acteurs et actrices de cette compagnie de marionnettes.

Ce spectacle était très émouvant, on ne peut pas dire le contraire. Mais le public,
voyant que la pièce ne continuait pas, s’impatienta et se mit à crier : « Nous
voulons la comédie ! Nous voulons la comédie ! »

Tout ce vacarme ne servit à rien parce que les marionnettes, au lieu de continuer à
jouer la pièce, ignorèrent les cris et le vacarme qui redoublait, et, portant Pinocchio
sur leurs épaules, l’amenèrent en triomphe sur la scène, devant les feux de la
rampe.

Alors apparut le marionnettiste, une brute qui faisait peur rien qu’en le regardant. Il
avait une barbe énorme, d’un noir d’encre et si longue qu’elle descendait du
menton jusqu’à

terre. Il suffit de dire que, quand il marchait, il la piétinait. Sa bouche était large
comme un four, ses yeux ressemblaient à deux lanternes de verre rouge et il tenait
dans les mains un gros fouet fait de serpents et de queues de renards attachés.

A cette apparition inattendue du marionnettiste, le silence se fit. Tout le monde se


taisait. On aurait entendu voler une mouche. Ces pauvres marionnettes, garçons
et filles, tremblaient comme des feuilles.

- Pourquoi tu es venu mettre la pagaille dans mon théâtre ? demanda le


marionnettiste à Pinocchio, d’une grosse voix

- Je crois, Illustrissime, que ce n’est pas ma faute !

- Ça suffit. Ce soir, nous ferons nos comptes ! Et il attrapa Pinocchio et le


suspendit à un gros clou.

Dès que la pièce fut terminée, le marionnettiste alla dans sa cuisine, où il s’était
préparé un beau mouton, qui tournait lentement sur sa broche. Et, comme il lui
manquait un peu de bois pour finir de le cuire et de le rôtir, il appela Arlequin et
Polichinelle et leur dit.

- Apportez-moi ce pantin, que vous trouverez attaché à un clou. Il me semble qu’il


est fait de bois bien sec et je suis sûr que, quand je l’aurai jeté dans le feu, il me
fera une belle flamme pour finir de cuire mon mouton.

Tout d’abord, Arlequin et Polichinelle hésitèrent. Mais, effrayés par un regard


menaçant de leur patron, ils obéirent et retournèrent à la cuisine, en portant dans
leurs bras le pauvre Pinocchio qui, se débattant comme une anguille hors de l’eau,
criait désespérément :

- Papa ! Au secours ! Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir ! Au secours !

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