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Dossier dans le cadre de l’examen de Littérature et

Jeunesse

Les Aventures de Pinocchio :


histoire d’un chef-d’œuvre qui a éduqué un peuple et
des générations d’enfants

Étudiante Erasmus: Mara Ferraro


1.
Introduction

Comment Maître Cerise, le menuisier, trouva un morceau de bois qui pleurait et


riait comme un enfant.

Il était une fois... – Un roi ! – vont dire mes petits lecteurs.

Eh bien non, les enfants, vous vous trompez.

Il était une fois... un morceau de bois.

Ce n’était pas du bois précieux, mais une simple bûche, de celles qu’en hiver on jette
dans les poêles et dans les cheminées. Je ne pourrais pas expliquer comment, mais le
fait est qu’un beau jour ce bout de bois se retrouva dans l’atelier d’un vieux
menuisier, lequel avait pour nom Antonio bien que tout le monde l’appelât Maître
Cerise à cause de la pointe de son nez qui était toujours brillante et rouge foncé,
comme une cerise mûre.

Apercevant ce morceau de bois, Maître Cerise devint tout joyeux et, se frottant les
mains, marmonna :

– Ce rondin est arrivé à point : je vais m’en servir pour fabriquer un pied de table.

Sitôt dit, sitôt fait : pour enlever l’écorce et le dégrossir, il empoigna sa hache bien
aiguisée. Mais comme il allait donner le premier coup, son bras resta suspendu en
l’air car il venait d’entendre une toute petite voix qui le suppliait :

– Ne frappe pas si fort !

Imaginez la tête de ce brave Maître Cerise ! Ses yeux égarés firent le tour de la pièce
pour comprendre d’où pouvait bien venir cette voix fluette, mais il ne vit personne.

Ainsi commence l’un des chefs-d’œuvre les plus célèbres de la littérature italienne, l’une des
œuvres pour l’enfance les plus traduites au monde. Un livre, fils d’une époque précise, conçu
pour éduquer un peuple dont on est en train de former la veste linguistique unitaire. Un
roman d’éducation qui invite au bon sens, à la droiture, car seulement qui « travail bien et
dur » peut être récompensé.

Avec ce travail on retrace ensemble la genèse de ce chef-d’œuvre, sa genèse, ses


thématiques, la fortune cinématographique et bien plus encore.
2.
La situation historique de l’Italie à l’époque des Aventures de Pinocchio.
L’importance du récit dans la formation du peuple italien.

  « L’Italie est faite, il faut faire les italiens ».


En 1860, l’Italie connaît l’Unification nationale.

Pour les patriotes du Risorgimento italien, la nation était une valeur en soi. Mais la réalité de
l’Italie de l’époque était bien autre chose. L’«âme italienne» n’était qu’une construction
abstraite, les failles ouvertes par la diversité territoriale et linguistiques des différentes
régions italiennes apparaissent alors dans toute leur étendue, démontrant que l’État devait
se donner les moyen de former la cohésion de la communauté des citoyens. Pour cette
raison, le gouvernement de droite de l’époque choisit comme solution: l’école pour tous. La
naissance de l’école primaire publique, gratuite et obligatoire fut donc contemporaine en
Italie de l’unification nationale. Cette dernière fut fondée sous une double instance: celle
d’être le moment des apprentissages fondamentaux et des premières étapes de l’acquisition
du savoir d’une part, le lieu de la formation du citoyen et le canal du consensus social et
culturel de l’autre. L’école était chargée de l’immense tâche de donner une assise au nouvel
État, en véhiculant un système de signes et de représentations destiné à permettre à tous les
Italiens de se reconnaître mutuellement comme appartenant à la même communauté. Les
raisons de cette décisions, étaient avant tout idéologiques : seule l’école pouvait «faire les
Italiens» en créant une nouvelle conscience morale laïque en opposition à l’Église catholique
qui se dressait comme un irréductible adversaire du nouvel État national. Les contenus
mêmes des enseignements dispensés dans le premier degré tendaient à cela: la morale devait
enseigner au peuple ses devoirs; la géographie, décrire les beautés du pays et rattacher les
individus à leur pays natal; l’histoire, révéler un passé éclatant d’actions héroïques appelées à
devenir la mémoire commune de tous les Italiens.

Les agents de la cohésion laïque destinée à remplacer celle qui était véhiculée par la religion
devaient être l’instituteur et le livre: le maître était appelé à devenir l’éducateur de l’enfance,
le responsable de l’avenir, tandis que les livres d’école, instrument essentiel à la nouvelle
socialisation de l’enfant, apparaissaient comme les supports indispensables des nouvelles
représentations et des nouveaux messages destinés à cimenter l’unité culturelle et
idéologique de la nation.

Toutefois la scolarisation de tous les enfants se présentait comme une entreprise titanesque
dans un pays pauvre, qui comptait plus de 75% d’analphabètes. Un autre obstacle était
l’absence d’une langue véritablement nationale par laquelle pouvait être transmise
l’instruction de base. L’italien littéraire était une langue qui avait été utilisée par les plus
grands poètes et écrivains pendant six siècles, mais elle était restée une langue
essentiellement écrite, maîtrisée par une petite élite. La question de la langue devient si
urgente que en 1867, Alessandro Manzoni en personne fut nommé président d’une
commission chargée de réfléchir à un projet linguistique valable pour tout le pays (ce que
Manzoni fit en tranche en faveur de la langue parlée à Florence) ainsi qu’aux modalités
permettant de le mettre en œuvre, qui consistèrent essentiellement dans un enseignement
linguistique donné dans toutes les écoles par des maîtres et des assistants originaires de la
Toscane.

 Éduquer par les livres.


L’ampleur de la confiance dans l’efficacité de la lecture est largement attesté par le nombre
de livres pour les enfants à finalité pédagogique qui furent imprimés en Italie pendant la
seconde moitié du XIX siècle. «Les premières lectures ont une influence sur l’entière
existence», « par conséquent, le choix des lectures pour le premier âge est une chose d’une
importance suprême» pour la formation du futur adulte. L’idée que les éducateurs italiens
se faisaient du psychisme de l’enfant paraît encore très proche des théories de l’Antiquité ou
de l’âge classique et évolué très peu jusqu’aux dernières décennies du siècle. L’esprit
enfantin est volontiers comparé à de la cire molle où viennent se graver les premières
impressions, ou bien à un linge blanc prêt à recevoir n’importe quelle couleur. Cette théorie
porte à croire que les effets bénéfiques des bons enseignements transmis se maintiendront
toute la vie. Sur ce postulat vient s’asseoir un incroyable optimisme pédagogique. L’enfant
qui aura goûté aux bons livres sera soustrait aux mauvaises influences et deviendra par la
suite «un lecteur assidu de la bibliothèque populaire» 1, en mesure de continuer à s’instruire
tout seul, même si sa condition ne lui permet pas de poursuivre ses études».

 Les Aventures de Pinocchio et Cuore: les premières œuvre de la


littérature enfantine italienne.
L’œuvre de régénération des Italiens comporte la formation d’un nouveau «caractère
national», synonyme de fibre morale idéale, toute de force d’âme et de sens du devoir,
d’héroïsme et d’esprit de sacrifice. La formation d’un caractère moral national est une des
hantises de la pédagogie officielle, qui croit ferment à l’efficacité du modèle et est
convaincue de la capacité performative de la rhétorique classique; les exemples, en illustrant
une maxime par un cas concret, doivent inspirer des modèles de comportement.

Il n’est donc pas surprenant que dans cette nouvelle et toute jeune Italie Les Aventures de
Pinocchio et Cuore di Edmondo de Amicis vont devenir les textes de référence.
Avec Pinocchio en particulier, Collodi veut démontrer que la seule voie de salut pour les
classes pauvres est l’instruction et le travail, qui sauvent de la débauche, celle-ci conduisant
inévitablement à la misère. Le monde de jeu et de richesses auquel aspire le pantin n’est

1
P. Dazzi, Il fanciullo, Florence, Bemporad, 1895, p.19
qu’un rêve illusoire, et ceux qui le font miroiter sont « des fous ou des escrocs ». Pour
Alberto Asor Rosa, critique littéraire, le succès de Pinocchio dès sa parution et dans les
décennies qui ont suivi tient au fait qu’il serait la métaphore de l’Italie, de l’«Italia bambina»,
un peuple-enfant qui, faute de posséder un modèle viril auquel s’identifier, ne parvient pas à
passer à l’âge d’homme. Un pays jeune, plein de gentillesse, d’astuce et de bonne volonté,
comme le pantin, mais incapable de respecter ses engagements, de tenir ses promesses, de
se fixer des règles de conduite rigoureuses, préférant la fantaisie latine à la discipline
germanique. Pinocchio, c’est le stéréotype de l’Italien de toujours, sympathique,
débrouillard, malin, mais peu fiable et encore moins acharné dans l’effort, obéissant plus au
principe de plaisir qu’à celui de réalité.
 Présentation de l’auteur.

De son vrai nom Carlo Lorenzini, Carlo Collodi est connu dans toute l’Italie pour ses idéaux
et son engagement pour l’émancipation du peuple italien. Il voit le jour à Florence en 1826;
ses parents sont employés chez un aristocrate, le marquis Ginori-Garzoni, le père en tant
que cuisinier, la mère comme couturière et femme de chambre. Celle-ci, Angela Orzali, est
originaire d’un petit village de la province de Pistoia nommé Collodi, nom qui servira de
pseudonyme à son fils. En 1848, il s’engage comme volontaire dans l’armée d’indépendance
qui doit libérer l’Italie de la tutelle autrichienne et fonde un journal satirique, Il Lampione,
immédiatement interdit. Revenu à la vie civile, il partage son temps entre son emploi de
secrétaire à la préfecture de Florence et ses activités d’écriture, notamment pour les
journaux. A partir de 1860, déçu par l’unité italienne et le gouvernement qui ne sert pas
l’intérêt général, il s’insurge contre les dérapages de la vie publique et privée de la
bourgeoisie dirigeante en écrivant des articles qui rendent compte des événements
politiques et sociaux. Carlo Collodi manifeste alors un vif intérêt pour les questions
pédagogiques. En 1861, il est nommé membre de la commission chargée de préparer le
nouveau dictionnaire de la langue italienne (le Novo Vocabolario della lingua italiana
secondo l’uso di Firenzee). Devenu traducteur de contes, il s’intéresse de très près à la
littérature enfantine, qu’il va contribuer à développer en Italie. Militant de la culture et de la
cause italienne, il publie une série de livres de lecture scolaire. Très populaire auprès des
maîtres et des élèves, il publie jusqu’à sa mort, en 1890, des livres de lecture pour les enfants
des écoles.

 L’histoire des Aventures de Pinocchio


Geppetto fabrique un pantin d’un morceau de bois que lui donne le père La Cerise et le
nomme « Pinocchio». Ce pantin parle, rit et pleure comme un enfant. À la grande surprise et
au désarroi de son créateur, ce Pinocchio se lance immédiatement dans une série
d’aventures dénotant son caractère insouciant: il tue Grillon-parlant qui tente de le
raisonner, se brûle les pieds en cherchant à se réchauffer, vend l’alphabet que vient de lui
acheter son père, se rend au théâtre de marionnettes au lieu d’aller à l’école et suit le chat et
le renard, les deux brigands qui finiront par le pendre à un arbre. Malgré les tentatives de la
fée, qui le ramène à la vie et lui promet de le métamorphoser en vrai petit garçon s’il cesse
de mentir et s’il retourne à l’école, il lui ment néanmoins et voit alors son nez s’allonger.
S’ensuit une série de nouvelles aventures, s’inscrivant toujours sur le chemin des envies et
des désirs du pantin et se soldant par la rencontre avec Lumignon, le cancre qui l’entraînera
au pays des jeux. Pinocchio transformé en âne, vendu à un directeur de cirque, puis blessé
sera alors jeté à la mer par un meunier qui veut en faire un tambour. La fée toujours
présente sauve encore une fois Pinocchio, mais ne peut empêcher qu'il soit avalé par le
requin baleine. Dans le ventre de ce gigantesque poisson, Pinocchio retrouve son père
Geppetto, englouti luimême par la baleine alors qu’il naviguait sur une petite barque à sa
recherche. C’est alors qu’une transformation symbolique se manifeste : Pinocchio devient
responsable, et soucieux d’aider son père, il entreprend de travailler. La fée donnera alors
satisfaction à Pinocchio en le transformant en vrai petit garçon.

 Le cadre historique du récit.


Bien qu’il ait été écrit en 1881, le roman se déroule à une époque historique antérieure,
probablement à l’époque du Grand-duché de Toscane ou au lendemain de l’unification de
l’Italie, comme en témoignent les références aux monnaies d’or qui sont mentionnés dans
l’histoire, et par la présence des Carabiniers Toscans ayant existé de 1841 à 1848 et plus tard
conflués dans les « Veliti » et la « Gendarmeria Toscana».

Certaines sources ambianceraient les aventures de Pinocchio dans la zone au nord de


Florence, en particulier dans les localités de Castello, Peretola, Osmannoro et Sesto
Fiorentino. Le point de départ de cette possible reconstruction est représenté par la villa Il
Bel Riposo, dans laquelle Collodi séjourna à plusieurs reprises pendant la seconde moitié du
XIXe siècle.

La partie du récit dans laquelle Pinocchio est pendu par les assassins à la Grande Quercia se
déroule en revanche dans la province de Lucques, près de Gragnano. L’arbre décrit par
Collodi existe toujours dans cette région et est également appelé « Chêne des sorcières ».
 Genèse de l’œuvre.
En 1881, Collodi, alors à la retraite, écrit donc la première version-feuilleton de Pinocchio
dans « Il Giornale dei bambini », un journal consacré à l’enfance.

Premier numéro du Journal pour les enfants (7 juillet 1881)

Quinze chapitres suivront, après quoi Collodi pensera interrompre son histoire en faisant
mourir son héros, mais les protestations de ses lecteurs le conduiront à reprendre le
feuilleton, qu’il poursuivra jusqu’en janvier 1883.

Dès le mois suivant, les trente-six chapitres sont réunis en volume et publiés, par l’éditeur
Paggi, avec ce double titre : Les Aventures de Pinocchio. Histoire d’un pantin.

L’ingénieur Enrico Mazzanti signe les illustrations en noir et blanc.

Le récit est donc le résultat d’une rédaction discontinue et étalée dans le temps (de
décembre 1880 à janvier 1883), fournie par l’auteur en réponse aux sollicitations répétées de
Guido Biagi.

Le premier numéro du Giornale per i bambini, daté du 7 juillet 1881, contient le deux
premiers chapitres d’un conte intitulé Storia di un burattino (Histoire d’un pantin). Les
nouveaux chapitres arrivèrent avec la deuxième livraison, qui fut publiée dans le n ̊ 5 du août
et également fractionnée en chapitres (IV, V, VI); la troisième livraison donna lieu au
chapitre XVII (n ̊ 7 du 18 août) et aux chapitres XVIII, IX et X (n 1̊ 0 du 8 septembre)  ; la
quatrième aux chapitres XI et XII (n ̊ 11 du 15 septembre) et la cinquième aux chapitres XIII
(n ̊16 du 20 octobre), XIV et XV (n ̊ 17 du 27 octobre).
Comme mentionné précédemment , Collodi avait l’intention d’arrêter l’histoire au chapitre
XV, à la mort du pantin lorsque celui-ci est pendu par ses deux assassins - le chat et le
renard - à la branche d’un grand chêne. Mais de nombreux petits lecteurs ainsi que leurs
parents écrivirent pour protester exigeant de nouveaux épisodes. La rédaction du journal
incita alors l’auteur à poursuivre les aventures du pantin. Les épisodes reprirent le 16 février
1882 avec le nouveau titre Le aventure di Pinocchio (Les aventures de Pinocchio). Le récit
continua ainsi jusqu’à son épilogue en janvier 1983. Tout de suite après l’apparition du
dernier épisode, le feuilleton sorti en un volume.

Par la suite, Collodi devint directeur du journal des enfants, y publiant d’autres histoires.

 Les deux Pinocchio.


À cause de sa genèse particulière, l’écrivain italien Emilio Garroni dans son œuvre Pinocchio
uno e bino parle de l’existence de deux Pinocchio (Pinocchio I et Pinocchio II): Pinocchio I
correspond à la Storia di un burattino (Histoire d’un pantin) –le premier bloc narratif de
quinze chapitres publié du 7 juillet au 27 novembre 1881) et Pinocchio II est le roman
complet, tel que tous les lecteurs ont pu l’appréhender lors de sa parution en volume.

Le protagoniste de Pinocchio I est construit sur le modèle du «Ragazzo di strada», le «gamin


des rues», sans foi ni loi. Pinocchio se trouve dans le dénuement le plus complet et il erre
souvent dans les rues ; il souffre de la faim et du froid (il se met à neiger, et Pinocchio et
Geppetto sont affamés et transis); il présente ses pieds gelés à la chaleur du brasero, et le feu
les lui consomme. À ces thèmes négatifs s’en ajoutent d’autres, comme la tromperie et la
tentative de meurtre dont est victime Pinocchio de la part du Renard et du Chat, figures du
mal et personnages emblématiques ; «Ils sont l’Erreur, la Fraude, la Bienveillance,
l’Indulgence, la Férocité… pour en pratiquer le négatif, ils connaissent toutes le vertus».
L’histoire est aussi marqué par plusieurs gestes et détails sadiques: la mort par écrasement
du Grillon parlant ; les pieds de Pinocchio brûlés par le feu ; l’emprisonnement de Geppetto ;
la mutilation du Chat, à qui Pinocchio coupe une patte d’un coup de dents ; enfin, la mort
par pendaison de Pinocchio. Pinocchio I est un roman bref, dont le thème structural est
«une course vers la mort», dans laquelle le patin s’engouffre jusqu’à la scène finale de la
pendaison. Le supplice de Pinocchio est rendu avec un réalisme cruel : étranglé par le nœud
coulant qui l’étouffe inexorablement, le patin «ferma les yeux, ouvrit la bouche raidit les
jambes, donna une violente secousse et resta comme engourdi» (chapitre XV). Par cette
punition exemplaire parce que méritée (l’histoire est morale) prenait fin une histoire
amusante mais cruelle, dans laquelle le comique était étroitement associé à la présence
obsédante de la faim et de la pauvreté, puis de la mort.

Le second bloc narratif, suscité par la demande du public, ne se contente pas d’ajouter de
nouveaux épisodes aux précédents mais enregistre plusieurs changements. La nouvelle
numération des chapitres des Avventures di Pinocchio correspond à un changement de
dessin de l’auteur, qui imprime une nouvelle direction à l’histoire, dont le sens se trouvera
infléchi. Le nouvel intitulé choisi par Collodi laisse d’abord la narration libre de multiplier à
sa guise les «aventures» du patin : c’est ce qui sera développé dans les livraisons successives.
Pinocchio, après avoir été recueilli et soigné par la Fée, retrouve le Chat et Renard, est volé
et condamné à la prison, en sort pour tomber dans un piège et être utilisé comme chien de
garde par un paysan, retrouve la liberté comme récompense pour avoir découvert des
voleurs de poules, se met inutilement en quête de Geppetto et est transporté par le Pigeon
sur le rivage, d’où le vieil homme est parti pour traverser l’Océan à la recherche de son fils.
Mais d’autres changements sémantiques, dus au passage d’une histoire à l’autre, sont au
moins aussi importants. L’un des plus remarquables est celui de la transformation de la
Fillette aux cheveux bleus en Fée. Lorsque s’achève la Storia di un burattino au chapitre XV,
son paradigme est celui d’un Opposant (elle refuse de porter secours à Pinocchio, lorsqu’il
lui demande désespérément de lui ouvrir la porte pour le sauver des assassins) et d’un être
inquiétant : la pâleur mortelle de son «visage blanc comme une figure de cire», ses «yeux
clos» et «ses mains croisées sur la poitrine» lui donnent toutes les apparences d’une défunte.
Ce qu’elle déclare elle-même («Moi aussi je suis morte»), en parlant «sans remuer les lèvres»
et en assumant l’identité d’un spectre. Lorsque le feuilleton reprend sous son nouveau titre
(chapitre XVI), voilà que la Fillette passe du rôle d’Opposant à celui d’Adjuvant (elle est
«prise de pitié» à la vue de Pinocchio pendu haut et court au Grand Chêne), et du statut de
personnage funéraire et fantastique à celui de personnage bienfaisant et merveilleux; grâce à
ses nouveaux pouvoirs magiques, elle sauve Pinocchio de la mort. Ce qui est justifié par un
tour de passe-passe du narrateur : «Il faut savoir que la Fillette aux cheveux blues n’était
autre qu’une très bonne Fée, qui depuis plus de mille ans habitait les environs de la forêt».
La relation de Pinocchio à la fée change entièrement : alors qu’il tutoyait la Fillette, il ne
s’adressera plus à elle qu’en la vouvoyant, en l’appelant «ma Fée» ou «ma gracieuse Fée».
Une autre modification du récit est la réapparition du Grillon parlant, qui, après avoir été
cruellement écrasé par Pinocchio au chapitre IV, revient en tant que médecin au chapitre
XVI, pour examiner le patin avec des autre confrères. Le Grillon fera un deuxième retour au
dernier chapitre (XXXVI) : lorsque Pinocchio trouvera refuge avec Geppetto dans la
chaumière où se scellera son destin, il reverra, « sur la poutre du plafond, le Grillon
parlant ». Enfin, c’est le paradigme du héros lui-même qui se trouve enrichi par la trouvaille
du nez qui s’allonge lorsque Pinocchio ment : ce nez qui était déjà long, se met à croître
encore d’une manière extraordinaire à chaque mensonge prononcé, et il va devenir l’attribut
le plus célèbre du personnage.
Après une deuxième interruption de plus d’un mois, commence en mai 1882 le troisième
bloc narratif, dans lequel Collodi donnera à l’histoire sa téléologie morale. Au chapitre VI du
nouveau feuilleton, Pinocchio arrive dans l’ile des Abeilles Laborieuses où il trouve la fée aux
cheveux bleus. Lors de ces retrouvailles, l’histoire connaît un nouveau tournant. Les rapports
entre les deux personnages se conforment davantage au modèle familial; la Fée qui est
réapparue se penche sur Pinocchio en lui disant: «Tu me trouves femme, oui, une femme qui
pourrait être ta maman» , et e patin déclare avec enthousiasme: «Et j’en suis encore plus
heureux parce que, je vous appellerai maman» (Chapitre XXV du volume). Pinocchio
exprime alors le désir de pouvoir grandir, mais il lui est répondu que « les pantins naissent
pantins, vivent pantins et meurent pantins». C’est alors que le protagoniste déclare son
souhait profond de pouvoir échapper à sa condition («Oh ! J’en ai marre de faire toujours le
patin […]. Il serait temps que je devienne un homme, moi aussi»). À partir de ce chapitre, la
poursuite de l’histoire est guidée par l’idée de rédemption du petit être capricieux, menteur,
fainéant et indiscipliné; il s’agit cette fois d’une fable qui aura une fin heureuse lorsque le
protagoniste, promis encore à bien des errements, deviendra un modèle de perfection. Dans
cet itinéraire éducatif allant vers l’humanisation, la créature en bois attend de pouvoir être
récompensée par sa transformation «en petit garçon comme il faut» ; un vœu qui semble
pouvoir se concrétiser dans le chapitre XXIX, lorsque la Fée promet à Pinocchio que sa
métamorphose aura lieu le jour suivant, et prépare une fête en l’honneur de cet événement.
Mais une nouvelle interruption de la rédaction, d’une durée de cinq mois, retarde le
dénouement de l’histoire. Lors de sa reprise, introduite dans le feuilleton par un petit rappel:
«Vous souvenez-vous, les enfants, où en était-on resté avec l’histoire de Pinocchio ? », le récit
rebondit vers les aventures les plus extraordinaires: Pinocchio part avec Lumignon pour le
Pays des Jouets, est transformé en âne et vendu au directeur d’un cirque, se blesse et est jeté
à la mer, où les poissons le restituent à sa forme originelle de patin en bois ; il est avalé par le
terrible Requin mais retrouve Geppetto dans le ventre du monstre et s’enfuit avec lui à la
nage. Le dernier chapitre (le XVII de feuilleton et le XXXVI du volume) est celui de la
conversion, suivie de la métamorphose: Pinocchio se met au travail pour nourrir Geppetto et
reçoit enfin la récompense promise.

 Curiosité sur l’édition en volume.


L’édition en volume, parue en février 1883 avec le double titre de Le avventure di Pinocchio.
Storia di un burattino, fut tirée à trois mille exemplaires. Par rapport au feuilleton, elle
comporte quelques différences: les chapitres ont été numérotés dans l’ordre (du I au XXVI),
et complétés avec des sommaires dans les en-tête (rédigés de la main de Collodi). L’ouvrage
est agrémenté par les illustration en noir en noir et blanc d’Enrico Mazzanti. Les petites
gravures de l’artiste toscan, qui s’inspire de Gustave Doré, transposent les épisodes et les
personnages principaux dans un espace fabuleux, plus proche du monde de fée que de la
Toscane. Cette première édition fut suivie de trois autres éditions de Paggi (1886, 1887, 1888)
et une édition de Bemporad (1890), pour un total de trois cent mille exemplaires. Ces
éditions étaient de fait des rééditions revues et corrigées de la première; elles comportaient
des variantes linguistiques et stylistiques dues à la plume de Collodi, qui continua à relier et
à corriger le texte jusqu’à sa mort (survenue en 1890).

 Un conte à la croisée des genres


À quel genre appartiennent Les Aventures de Pinocchio ? Cette question apparemment
simple est loin d’avoir reçu une réponse unique, car Pinocchio, comme toutes les œuvres
profondément originales, échappe à une classification à l’intérieur d’un seul genre ; il
échappe même à ce type de classement, car il est issu d’une contamination plurielle de
formes et de modalités littéraires. Pinocchio a été tour à tour rattaché par la critique au
conte traditionnel et merveilleux et au genre épique, au théâtre et à la prose, au roman de
formation et au roman picaresque, au roman initiatique et au roman fantastique.

 L’exceptionnalité du récit, un conte qui n’est pas un conte.


Ce jeu sur les codes, qui va faire la principale originalité de Pinocchio, se perçoit d’abord
dans l’hésitation générique. À première vue, et conformément à ses conditions de
publication, l’ouvrage se présente comme un conte pour enfants relevant du genre
merveilleux. Un certain nombre d’éléments confirment cette appartenance, comme la
naissance surnaturelle du pantin et ses métamorphoses successives, l’existence de la fée, la
présence d’animaux parlants, d’objets qui prennent vie et le mélange permanent de réel et
d’irréel. Collodi a lu, traduit, adapté Perrault, ainsi que d’autres spécialistes des féeries, et il
sait en exploiter les ressources. Toutefois, cette veine est l’objet d’un travestissement
ironique qui nous empêche d’adhérer totalement à la fiction merveilleuse. Le ton est donné
dès l’ouverture avec le détournement du sésame conventionnel de la littérature féerique : «Il
était une fois... ». À peine citée, la formule magique est désavouée par l’auteur qui intervient
dans son texte pour corriger les attentes de ses «petits lecteurs», naturellement inclinés à
espérer une histoire fabuleuse: «Il était une fois... – Un roi ! vont dire aussitôt mes petits
lecteurs. – Non, les enfants, vous vous trompez. Il était une fois un morceau de bois ». Contre
toute attente, il sera donc question ici d’un objet vil et inerte, «un simple bout de bois à
brûler, de ceux qu’en hiver on met dans les poêles et dans les cheminées pour réchauffer les
pièces ». Voilà une incitation à ne pas prendre le conte au sérieux, à inviter les lecteurs
avertis que nous sommes à une falsification.

Même traitement distancié, presque ironique, avec les personnages qui, y compris quand ils
sont positifs, sont montrés sous un jour comique, voire ridicule. Il en est ainsi des deux vieux
menuisiers du début, maître Antoine et Geppetto, affublés pour l’un d’un nez rouge, pour
l’autre d’une perruque jaune, d’où ils tirent leurs surnoms respectifs, Cerise et Polenta.
Même irrévérence à l’égard du juge chargé de régler le préjudice du vol des pièces d’or et
dont le portrait suffit à le disqualifier : «Le juge était un gros Singe de la race des gorilles, un
vieux Singe rendu respectable par son grand âge, sa barbe blanche et, plus particulièrement,
par ses lunettes d’or, sans verres, qu’il était obligé de porter à cause d’une inflammation des
yeux qui le tourmentait depuis des années ».

La règle des contes, qui veut que soient clairement distingués les bons des méchants, est ici
allègrement transgressée. Mangefeu, terrifiante figure d’ogre avec sa barbe noire et ses gros
yeux, se montrera sentimental et généreux, alors que le petit Bonhomme qui conduit les
enfants au pays des Jouets, l’Omino di burro (le Bonhomme de beurre) à l’apparence douce
et enjouée, se révèle un cupide trafiquant. La règle vaut pour le personnage qui,
théoriquement, occupe la place centrale des contes et parle le plus à l’imaginaire, la Fée.
Dans le conte, la belle jeune fille aux cheveux d’azur ne paraît pas vraiment conforme au
modèle traditionnel. Elle peut, comme chez Perrault, jouer les gentilles marraines et se
montrer protectrice, bienfaitrice, généreuse; mais elle peut aussi négliger de secourir le
pantin, le menacer de le laisser mourir s’il refuse de prendre son médicament, lui mentir, au
besoin, en se faisant passer pour morte. Elle se sert de ses dons pour se placer sur la route de
Pinocchio sans se faire reconnaître, devenant tantôt une femme anonyme, tantôt une
chèvre, disparaissant à sa guise. Elle alterne les fonctions, passant de la mère à la sœur, elle
néglige de venir en aide au malheureux Geppetto, qu’elle abandonne à son infortune. Si ses
pouvoirs semblent illimités, ses interventions, elles, sont aussi sporadiques qu’incertaines.
Manifestement, le conteur tient à nous montrer qu’il n’est pas dupe des conventions du
genre dont il dévoile parfois les ficelles par deux procédés narratifs qui se rejoignent : la
dramatisation et les intrusions d’auteur. Dans une perspective théâtrale et dans l’esprit
d’une vieille tradition de la culture toscane et de la commedia dell’arte (à laquelle notre
marionnette appartient implicitement, comme le montre son aventure dans le théâtre de
Mangefeu, où elle croise Arlequin et Polichinelle), Collodi fait une grande place aux scènes
dialoguées, aux échanges verbaux, voire aux récits en forme de bilan que Pinocchio délivre
régulièrement à ses interlocuteurs. En même temps, le narrateur ne se prive jamais
d’intervenir dans son récit, pour commenter l’histoire, s’adresser à son public, l’apostropher.
Plusieurs phrases commencent par des tournures du type: «Imaginez sa surprise », «Savez-
vous... », «Représentez-vous... », «Figurez vous... », etc. Le comble de la désinvolture semble
atteint avec la fin du chapitre XXIX, quand Pinocchio, revenu à de bons sentiments, est sur
le point d’être transformé en petit garçon. La conclusion se fait en deux temps : «Cette
journée promettait d’être merveilleuse et joyeuse; mais... Malheureusement, dans la vie des
pantins, il y a toujours un mais qui gâche tout » (p.161). Collodi paraît ici s’amuser à parodier
l’imagination prolifique des auteurs de contes de fées, ainsi que les recettes éprouvées des
feuilletonistes désireux de fidéliser leurs lecteurs. Quant à Pinocchio, sa dimension féerique
est à la fois limitée, incertaine et discutable. Certes, le pantin, représentation
anthropomorphe, semble lui aussi investi de compétences magiques. On peut admirer sa
capacité surnaturelle à comprendre et parler le langage des animaux, à posséder, sans qu’on
sache d’où elles lui viendraient, certaines connaissances ou informations, tel le surnom de
«Polenta » que l’on donne à Geppetto. À connaître, avant même de fréquenter l’école, les
rudiments des chiffres et des lettres. À être capable, au dernier chapitre, d’adresser aux deux
coquins que sont le Renard et le Chat une série de proverbes édifiants. Il sait aboyer comme
un chien (quand il remplace le défunt Mélampe au chapitre XXII), et ses performances
animales lui permettent de sauter comme un cabri, de courir comme un lièvre, de nager
comme un poisson, jusqu’à se transformer pour de bon en âne. Pourtant, ces talents ne
suffisent pas à faire de lui un véritable héros de conte, comme le sont, par exemple, le Petit
Poucet ou Peter Pan. D’abord parce que son origine a quelque chose de mystérieux,
d’étrange, d’inquiétant peut-être. Il est une créature artificielle.

 Un roman d’initiation.
Pinocchio est programmé pour accomplir un parcours d’apprentissage. Le schéma narratif,
celui du malheur surmonté, milite aussi en faveur d’une telle explication. Le pantin perd ses
pieds dans le feu, puis les récupère miraculeusement; il est pendu par les assassins, mais
sauvé par la Fée aux cheveux bleus; il échappe à la prison, aux dents d’un piège qui lui
enserre les tibias, au naufrage, à la gueule d’un requin, à son enveloppe d’âne. Le pire, avec
lui, est toujours frôlé, mais Pinocchio-Protée (ou Antée, ou Phénix) s’en sort toujours,
déjouant en permanence les traquenards d’un destin qu’il s’obstine à rendre contraire. Cette
succession de péripéties semble obéir à une volonté didactique exprimée sous la forme de
recommandations vertueuses: écouter son vieux père, bannir la paresse, aimer l’école,
respecter sa parole, se méfier des mauvaises fréquentations, faire preuve de réflexion et de
prudence... C’est à ce prix que l’on devient un homme, ou, du moins, un humain, comme
quand, à la fin de l’histoire, le pantin est transformé en vrai petit garçon. Cet itinéraire est
douloureux mais nécessaire, il s’accomplit dans la souffrance, à travers des épreuves de plus
en plus exigeantes (le feu, l’ogre, la mort, les monstres...), il passe par des lieux symboliques
(la maison, le théâtre, le cirque, les airs, l’océan), il admet des régressions avec la
transmutation animale. Mais le résultat de ce parcours rituel sera l’accès à l’humanité, le
passage d’un état naturel et végétal à un état « social ».

3.
La vie d’une œuvre: édition et adaptations.
Paul Hazard a indiqué la raison du succès de Pinocchio auprès du jeune public dans
l’identification qui s’établit immédiatement entre l’enfant et la marionnette. S’il est vrai que
les enfants s’emparent naturellement des récits dans lesquels ils reconnaissent des éléments
de leur personnalité, alors Pinocchio, a-t-il écrit, est par excellence «le livre qui leur révèle
les traits de leur caractère», « le miroir qui les renseigne sur leur physionomie». Le patin en
bois brut est un symbole, mieux, une métaphore de l’âme enfantine encore sans règle morale
ni mémoire, «cette petite âme imparfaite, molle encore et comme indécise en son contour,
où les vices ne sont que des défauts». Pinocchio correspond à un archétype vrai et éternel,
contemporain de toutes les époques, signifiant l’enfance de tous les temps et de tous les
lieux; c’est d’ailleurs cela qui explique son succès dans toutes les cultures et sa traductions
dans toutes les langues.

 Les Pinocchiate.
Après la mort de Collodi, le succès croissant et l’ascension irrésistible de Pinocchio parmi les
plus grands best-sellers de la péninsule (avant de devenir l’un des livres les plus vendus et les
plus traduits au monde) fut accompagné par de nombreuses imitations, qui devaient
permettre aux petits lecteurs de suivre les péripéties de leur héros au cours de nouvelles
histoires. Au départ de ces continuations et imitations on trouve Bemporad, l’éditeur de
Pinocchio, qui pressentit tout le gain qu’il y avait à redonner au patin une nouvelle
existence. «Le succès du premier a fait naître quantité d’imitations: l’ami de Pinocchio, l’ami
de l’ami de Pinocchio, le frère de Pinocchio, le secret de Pinocchio, Pinocchio en
automobile, Pinocchio à Rome, Pinocchio en Afrique». 2 C’est ainsi que sur le modèle du
personnage, des autres écrivains commencèrent à confectionner d’innombrables
pinocchiate : des postiches et des pastiches qui donnaient une suite romanesque aux
Aventures en faisant vivre au protagoniste des aventures inédites, ou bien en inventant des
scénarios dont les personnages changeaient mais dont les acteurs et les situations narratives
reflétaient celles du texte premier. En 1893 voient le jour les deux pinocchiate : Il segreto di
Pinocchio, viaggio ignorato del celebre burattino de Gemma Rembadi Mongiardini et Il figlio
di Pinocchio d’Oreste Boni. Dans la première, il s’agit d’un épisode qui s’intercale au moment
où Pinocchio parle avec le Dauphin. Dans cet ouvrage de littérature scientifique romancée,
2
P.Hazard, «La littérature enfantine en Italie», p.860
la séquence ajoutée décrit le voyage du patin au fond des mers en compagnie du Dauphin,
qui lui montre la flore et la faune marines. Dans la deuxième en revanche Pinocchio est
devenu adulte et a épousé Madame Celestina, qui lui a donné un enfant, Maggiolino, dont
les vicissitudes sans relief forment le contenu de ce petit roman d’éducation. La voie avait
été trouvé dans laquelle devaient se ruer par la suite de nombreux imitateurs… Pinocchio
fut-il entouré d’une nombreuse famille composée non seulement de ses propres enfants,
mais aussi de son frère, de son cousin, et de sa fiancée, ainsi que de ses anciens amis, qui
devinrent à leur tour les protagonistes de nouveaux romans, et des nouveaux amis de ses
anciens amis. En 1908, l’éditeur florentin Nerbini débute la collection des Pinocchi avec La
Befana di Pinocchio, Pinocchio al polo Nord, Pinocchio agli esami, Pinocchio in maschera
(1908), qui se poursuivra jusqu’en 1927 avec des dizaines de titres et des situations très
répétitives, tout comme les personnages dont Pinocchio est accompagné.

D’autres aventures postiches sont celles qui racontent les pérégrinations de Pinocchio, qui
se rend en Afrique et voyage en automobile, en dirigeable, autour du monde, au pôle Nord,
en Italie, sur la lune, et remplit mille missions scientifiques ou extravagantes.

Rappelons enfin les pastiches dans lesquels Pinocchio change de sexe, en devenant
Pinocchietta ou Pinocchia, tout comme les nombreuses variantes de code linguistique dont
ont été l’objet Le avventure di Pinocchio en Italie (elles ont été sujet de réécritures dans les
dialectes de la péninsule, en piémontais –Pinocchio an piemonteis, de Guido Griva-, en
frioulan –Lis baronadis di Pinocchio, d’Antonio Beline-, en «romanesco», en sicilien, en
sarde).

À l’étranger, Pinocchio a été traduit dans toutes les langues.

 Les adaptations de l’œuvre.


Pinocchio, Hamilton Luske et Ben Sharpsteen (1940)

En 1940 les studios de Walt Disney présentaient sur grand écran le dessin animé Pinocchio,
qui devait donner à l’œuvre une renommée mondiale, au prix d’une profonde
transformation, sinon trahison. Parmi les personnages, le seul Pinocchio garde son nom,
tandis que les autres personnages en changent: en version française le Grillon parlant
devient Jiminy Criquet, Mangefeu s’appelle Stromboli, la Fée aux cheveux blues est la Fée
Bleue, le Renard est Grand Coquin, le Chat, Gédéon et Lumignon se transforme en Crapule.
Le récit est entièrement remanié: Pinocchio n’y est pas un garnement turbulent, mais un
patin naïf. Geppetto n’y est pas un menuisier miséreux mais un «sculpteur sur bois» vivant
dans l’opulence. L’aspect réaliste, par lequel Collodi mettait en présence un Geppetto
nécessiteux face à un Maître Cerise à peine moins pauvre que lui, disparaît au profit d’une
profusion de chefs d’œuvres d’ingéniosité et de signes de confort: chaleur d’un bon feu et
couvertures douillettes font de son foyer un endroit où il fait bon vivre. La solitude totale qui
motivait la confection d’un patin chez Collodi n’est pas ici évidente: Geppetto a deux
compagnons charmants, le chat Figaro et le petit poisson Cléo. On ne retrouve rien
d’inquiétant dans la fée de Walt Disney. C’est une gracieuse blonde platinée, qui porte une
robe pailletée et des ailes transparentes. Elle a un sourire tendre qui est bien loin du visage
glacé de la bambina dai capelli turchini. La fée anime Pinocchio dès le début de l’histoire, ici,
car animé, il ne l’était pas. Son intervention n’est pas seulement conclusive, elle est
inaugurale. Si elle ne lui a pas encore insufflé une vie humaine, elle lui a donné le
mouvement : le dynamisme de Pinocchio ne sera donc pas de nature irrépressible et
désordonnée, il est déjà d’origine bienfaisante : Pinocchio ne sera pas un petit diable ne
sachant pas se tenir, mais un naïf qui doit encore apprendre. Au demeurant, loin de laisser
Pinocchio induire de son expérience les notion de bien et mal, elle annonce la couleur:
« Prouve-moi que tu es brave, toujours franc, loyal et obéissant»; «Tu devras choisir entre la
route droite et la mauvaise». Elle nomme Gimini «Conscience de Pinocchio» et son «guide
sur le chemin du devoir». Le grillon qui était passablement dépenaillé, se retrouve bien vêtu
comme un financier de Wall Street. On est donc en plein univers américain. Pinocchio,
quand il se sera enfui, fera davantage un one-man-show dans un cabaret. Stromboli,
l’équivalent de Mangefeu, compte ses sous en bon capitaliste. Lucignolo devient un bad-boy
bête. À la fin Pinocchio meurt, es se sacrifiant pour sauver son père de la noyade lors de leur
tentative d’échapper au terrible Requin (devenu une baleine), mais il sera ressuscité et
transformé en petit garçon par une nouvelle intervention magique de la Fée Bleue.

Le film américain fut censuré par le régime fasciste pour des raisons de politique
internationale, et ne sortit pas dans la péninsule; il suscita même de vives critiques dan les
journaux de l’époque, qui l’accusèrent d’avoir dénaturé le caractère originel de l’œuvre de
l’écrivain toscan. En contraste avec la dimension féérique du cartoon disneyen, qui amplifiait
l’élément merveilleux, furent publiées en Italie d’autres éditions de Pinocchio caractérisées
par des illustrations d’un grand réalisme, comme celles de Giovambattista Galizzi, Beppe
Porcheddu et Nico Rosso, qui privilégiaient les aspects les plus dramatiques de l’histoire et
en accentuaient le caractère national.

En 1945 sortait à Brescia la première édition illustrée par Benito Jacovitti, qui transposait le
texte des Aventures en bande dessinées: c’était un album de grand format édité par un
journal pour les enfants, Il Vittorioso. Cette première édition en bandes dessinées sera suivie
par plusieurs d’autres, dont une deuxième illustrée à nouveau par Jacovitti, qui sera reprise
ensuite en livre en poche.

Plus récente, une mise à jour publiée en feuilleton dans L’Unità sous le titre de Pinocchio
Novecento, illustrée par les caricatures de personnages historiques où Geppetto est
représenté sous les traits d’Einstein, la Fée d’Hillary Clinton, Mangefeu de Fidel Castro, le
petit Bonhomme de Berlusconi et le Grillon parlant de Lénine.

Les aventures de Pinocchio ont été également adaptées en Italie pour le théâtre, le cinéma et
l’opéra. En version théâtrale elles ont d’abord été adaptées à la scène par Maso Salvini en
1919 (Pinocchio, Bizzaria in 4 atti), puis par Arpalice Cuman Pertile dans La Commedia di
Pinocchio, une pièce qui fut jouée en 1926 avec succès dans plusieurs salles de la péninsule.
Plus près de notre temps, elles ont inspiré une étonnante composition en solo de Carmelo
Bene (qui des années 1960 jusqu’à l’an 2000 a interprété plusieurs fois le personnage de
Pinocchio), suivie tout récemment par d’autres adaptations théâtrales comme celle du
Teatro della Tosse de Gênes (1996) ou de propositions de scénarios à lire et à mettre en
scène.

Pinocchio a été porté à l’écran en version cinématographique: une première fois par Luigi
Comenicini, d’abord dans la série qu’il donna en six épisodes, de 1969 à 1972, à la Rai, puis
dans la version cinématographique; pour celles-ci avait choisi une mise en scène résolument
réaliste, qui humanisait les personnages et une deuxième fois en 2002 par Roberto Benigni,
dans un scénario très mouvementé qui grâce aux effets spéciaux faisait la part belle au
merveilleux.

En 2019, on a eu une nouvelle adaptation cinématographique de Pinocchio, dirigée par le


réalisateur Matteo Garrone qui se profile comme beaucoup plus sombre, beaucoup plus
réaliste. Le cinéaste a voulu dans les décors et les costumes, rendre compte de la pauvreté de
la péninsule à la fin du XIXème siècle.
Les Aventures de Pinocchio, Luigi Comencini (1972).

Diffusé sur la télévision italienne sous la forme d’un feuilleton de six épisodes de 55 minutes, cette
adaptation de Comencini, avec Gina Lollobrigida dans le rôle de la fée bleue, a par la suite été
retravaillée et réduite à une durée d'environ 135 minutes, pour une exploitation en salle

Pinocchio, Roberto Benigni (2002) Pinocchio, Matteo Garrone (2019)

Pinocchio a été aussi mis en musique: en 1914 Paolo Malfatti compose un petit opéra, Le
Avventure di Pinocchio narrate, cantate e sceneggiate; en 1933 la maison Durium met en
vente un luxueux coffret de dix-huit disques assortis d’un livret illustré et de personnages et
décors à découper pour bâtir un théâtre en miniature; en 1940, Memo Martinetti compose
Pinocchio il mago à Rome. Mais les musiques les plus connues dans le monde entier restent
celles qu’Irving Berlin a composées pour les studios de Walt Disney en cette même année
1940.

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