L'Homme

C. Clémentin-Ojha, ed., Renouveaux religieux en Asie

Jackie Assayag

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Assayag Jackie. C. Clémentin-Ojha, ed., Renouveaux religieux en Asie. In: L'Homme, 1998, tome 38 n°146. pp. 273-275;

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Spivak, Gayatri C.
1988 « Can the Subaltern speak ? »,
in C. Nelson & L. Grossberg, eds.,
Marxism and Interpretation of Culture.
Chicago, University of Chicago Press :
271-304.
^——^—^— Catherine Clémentin-Ojha, ed.
Renouveaux religieux en Asie
Paris, École française d'Extrême-Orient, 1997, xx + 248 p., ill., carte
Oous l'égide de l'ONU, des prêtres
brahmanes, les bakous, sont réinstallés en 1993
dans l'enceinte du temple royal de Phnom
Penh bien qu'ils ne comprennent plus
depuis des siècles les textes qu'ils récitent
en accomplissant des « rituels misérables ».
Dans le même temps, ou presque : une
nonne bouddhiste d'origine vietnamienne,
qui a appris les classiques chinois et suivi des
cours de psychologie en Allemagne après
avoit été disciple d'un gourou en Inde, se
prétend « maître de la Loi » à Taïwan ; une
chaîne de la télévision tokyoïte retransmet le
spectacle de 35 000 personnes assises dans
un stade pour célébrer le 35e anniversaire
d'une secte, la Kôfuku no kagaku, sous les
rayons laser et les fumigènes, applaudissant
à tout rompre ses leaders discourant devant
deux dômes géants supportant des écrans
redoublant l'événement ; un possédé
hindou décapite et boit le sang d'un coq sur
une « scène à l'italienne » au cours d'un
spectacle « ethnographique » organisé par la
School of Drama et patronné par la Ford
Foundation ; une femme déclare
l'enseignement du Bouddha Gotama (sic) dépassé
et se prétend Bouddha Maitreya pour
fonder à ce titre un nouveau Sangha en
Thaïlande ; des Coréens s'organisent en
fédération de chamanes, Mudang Hyophoe,
pour enseigner le chant, la danse, le
tambour, avec la bénédiction du pouvoir
politique ; des dévots se pressent dans les
temples taoïstes en Chine continentale,
1990 The Post-Colonial Critic. New York,
Routledge.
273
Sprinker, Michael, ed.
1992 Edward Said. A Critical Reader. Oxford
(UK) & Cambridge (USA), Basil Blackwell.
(« Études thématique » 6).
dont le nombre croît comme d'ailleurs les
colloques consacrés à la « religion
populaire », cette nouvelle garantie d'une identité
authentique dans le monde sinisé ; une
association musulmane de dimension
internationale, la Tablïghï Jamaat, pose
l'équivalence entre prédication et jihäd en
invoquant le modèle de l'islam primitif, etc.
Ce ne sont là que quelques exemples, parmi
une multitude moins spectaculaires mais de
plus profonde ampleur, extraits de ce
Renouveaux religieux en Asie qu'explorent
les douze contributeurs de l'ouvrage
coordonné par Catherine Clémentin-Ojha —
résultat d'un colloque qui s'est tenu à Paris
en 1994 à la Maison de l'Asie, sous la
houlette de l'Ecole française d'Extrême-Orient.
Cet échantillon donne une idée du
caractère multiple, profus et presque affolé
du phénomène et, par conséquent, de la
diversité et de la richesse des études
rassemblées dans ce volume en forme
d'invitation au voyage. On y fait d'abord escale
en terres bouddhiques de Thaïlande à
propos de 1'« ascétisme social » (Louis Ga-
baude), du Cambodge, où il est
essentiel ement question de brahmanes (Olivier de
Bernon), du Viêt-nam, en pleine activité 3
religieuse à la suite de la réforme Q
économique dite dot moi (Bertrand de Har- ce
UJ
tingh), de Corée du Sud, avec son syndicat
de chamanes anticommunistes dans un a.
régime dictatorial (Alexandre Guillemoz),
i
de Taïwan, où des associations religieuses
Actualité de l'Asie du Sud
 prônant l'afifirmation de l'identité insulaire
s'épanouissent face au voisin chinois (Kuo
274 Liying). On s'arrête ensuite par deux fois
en terre indienne : d'une part avec
l'analyse de la fabrique sociale hindoue à partir
des transformations du fonctionnement
des temples du Sud (Gilles Tarabout) ;
d'autre part en s' attachant aux débats
théologiques que provoquèrent les idéologies
successives du sécularisme et de l'hindouité
(hindutva) de l'État (Catherine Clémentin-
Ojha). Deux nouvelles haltes sont
proposées en pays d'islam : d'abord en Indonésie
où il est majoritaire et s'identifie au
processus de construction de l'identité
nationale (Marcel Bonneff), puis en Asie du
Sud où il est minoritaire mais à l'origine
d'une organisation prosélyte à vocation
mondiale (Marc Gaborieau). Le périple est
donc immense entre ces deux foyers de
civilisation asiatique que sont les géants
Inde et Chine — cette dernière observée
à partir de ses pratiques religieuses
traditionnelles (John Lagerwey) et déchiffrée
à travers une revue publiée par une
organisation gouvernementale (Françoise Wang-
Toutain). Mieux, ou pis, l'inventaire
apparaît vertigineux, presque borgésien,
tant le problème du supposé « renouveau
religieux » varie dans son acception, son
histoire, sa structure et sa fonction selon les
aires culturelles concernées.
Le chatoiement de la mosaïque socio-
religieuse fascine donc plus que ne
sont toujours convaincantes les analyses
conceptuelles ou les considérations
théoriques qui, il est vrai, n'étaient pas la
finalité première de l'entreprise en dépit
de l'introduction éclairante du maître
d'œuvre de cet art subtil du florilège
académique. De fait, les meilleures
contributions sont celles qui, parce qu'elles
prennent soin de distinguer le point de
vue de l'observateur de celui de l'observé
en complexifiant les données par des
considérations qui ne sont pas strictement
religieuses mais nouées à l'analyse de
pratiques sociales, ne prennent pas
L'HOMME 146/1998, pp. 269 à 318
pour acquise cette idée trompeuse de
« renouveau » (p. 128). D'autant qu'un fil
d'Ariane parcourt à l'évidence le volume,
et donc toutes les aires culturelles. Pour
peu qu'on appréhende le phénomène dans
la longue durée, il y a toujours eu en effet
des « renouveaux » religieux à dates
périodiques, aussi bien d'ailleurs que des
affaissements non moins chroniques (pp. 62,
114, 122, 158, 195, etc.). Le constat
historique est notoirement connu, mais il
mérite d'être martelé, illustré, exploré,
discuté, évalué dans sa dimension
comparative, pour que soit étayée la perpective
constructiviste du phénomène religieux, y
compris lorsqu'il s'est agi d'interdiction
ou d'extirpation, de restauration ou de
retour au texte. D'où la tentation de
quelques-uns des contributeurs d'avancer
que ce « renouveau » n'est pas si nouveau
qu'on se plaît à le diagnostiquer, sauf
à sacrifier au pathos journalistique du
« retour du religieux » ou de la « revanche
de Dieu », voire des dieux — question de
culture ou d'idiosyncrasie !
Face à la tentation prophétique sans
doute inhérente à l'observation du fait
religieux lorsqu'on se veut historien du
présent, un des mérites de l'ouvrage est
d'entrouvrir une fenêtre sur la «
reconfiguration du paysage religieux» (p. 114)
dans ces pays : Chine, Viêt-nam,
Cambodge, où le regain des activités
religieuses désormais plus ou moins mises en
spectacle, folklorisées, commercialisées,
manipulées et lucratives, a succédé au gel
communiste qui fut sans conteste la plus
grande religion politique du xxe siècle.
Outre des travaux (déjà fort nombreux)
sur le supposé « renouveau islamique »,
l'autre intérêt du recueil est de présenter
un tableau contrasté des transformations
du bouddhisme mahâyana en Chine et à
Taïwan, d'offrir un aperçu des réponses
du christianisme à l'hindouisme, fût-il
nationaliste, de faire émerger les nouveaux
acteurs ou les institutions innovantes qui
président à ce foisonnement d'identités en
gésine ou en acte, tout en jalonnant la
réflexion de questions sur les notions
d'« assimilation », d'« adaptation », de
« syncrétisme », de « reformulation », de
« réinterprétation », voire de «
restauration » dans l'univers religieux de pays qui
ont évité les bouleversements politiques
mais ont connu des transformations
économiques et sociales accélérées, tels le
Japon, la Thaïlande, la Corée du Sud et,
dans une moindre mesure, l'Inde. Sans
même évoquer la relation toujours
ambiguë, asymétrique, lourde de contentieux
ou de malentendus réciproques 275
qu'entretiennent ces pays avec ou contre la
modernisation, la sécularisation ou les
ré-enchantements par le truchement
d'« ismes » locaux, sous forme de sectes ou
d'idéologies politiques — enfin l'imitation
de l'Occident ou sa diabolisation.
J.A.