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résolutions des Nations unies et tous les accords


conclus entre les dirigeants israéliens et palestiniens
Palestine: la mascarade du «plan Trump»
PAR RENÉ BACKMANN
depuis les négociations d’Oslo en 1995.
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 30 JANVIER 2020

Le président américain Donald Trump et le premier ministre israélien


Benjamin Netanyahou, à Washington, le 28 janvier 2020. © Reuters
Trump et Netanyahou, à Washington, le 28 janvier 2020. © Reuters
Son utilité la plus évidente, pour l’heure, semble être
Le plan de Donald Trump pour une « paix » israélo-
d’éclipser les débats au Congrès sur la destitution
palestinienne, dévoilé mardi 28 janvier, donne carte
du président des États-Unis et de contribuer à la
blanche à Benjamin Netanyahou pour imposer sa
campagne électorale du premier ministre israélien,
solution au Proche-Orient, au risque de provoquer
candidat à sa propre succession le 2 mars, pour la
une nouvelle intifada. Au risque aussi de créer un
troisième fois en moins d’un an. Or, ce calcul lui-
précédent dangereux à l’international, en validant
même semble des plus aventureux. Certes Netanyahou
l’annexion de fait d’un territoire conquis par la force.
continue de bénéficier du soutien de l’électorat de
À Paris, le Quai d’Orsay a pourtant « salué » les efforts
droite et d’extrême droite nationaliste, religieux et
du président américain.
colonisateur. Mais les accusations de malversations
Ce n’est pas un plan de paix mais, comme prévu, financières qui pèsent sur lui et les trois procès qui
un plan de liquidation de la question de la Palestine l’attendent, peut-être dans les semaines qui viennent,
et des droits des Palestiniens que Donald Trump a pour corruption, abus de confiance et fraude, ont
fini par rendre public, mardi 28 janvier, à la Maison commencé à éroder sa popularité jusqu’au sein de
Blanche, aux côtés de son « grand ami » Benjamin son propre parti, le Likoud, ainsi que le suggèrent les
« Bibi » Netanyahou. Destiné, selon ses promoteurs derniers sondages.
américains, à mettre un terme au conflit entre Israël
Avant même de lire les 181 pages du plan américain
et les Palestiniens, ce projet, baptisé « De la paix à la
(soi-disant « gagnant-gagnant »), il suffisait, mardi,
prospérité », attendu depuis près de trois ans, pourrait
de regarder le visage radieux et le sourire victorieux
constituer, à sa façon, un tournant historique.
de Netanyahou, pendant le discours de Trump, puis
Non parce qu’il propose une solution à un problème d’entendre les louanges pesantes adressées par le
sans issue depuis trois quarts de siècle. Mais parce premier ministre israélien à son hôte et aux artisans de
qu’il envoie aux poubelles de l’histoire les dispositions ce projet, pour comprendre qui étaient les gagnants et
du droit international, une bibliothèque entière de les perdants de cette opération. Est-ce une surprise ?
Non. Depuis des mois, des fuites, émanant le plus
souvent de diplomates américains ou arabes, dans le
secret de la préparation du plan, avaient livré des
indications claires sur l’orientation du texte (voir notre
article d’avril 2019).
On savait ainsi que l’équipe chargée de cette tâche
avait décidé de tenir pour nulles et non avenues
les tentatives d’accord précédentes, et d’ignorer, par

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principe, les concessions et les avancées obtenues l’état d’avancement du plan américain dont il était de
par les négociateurs des deux camps. On savait aussi fait l’un des co-auteurs, Netanyahou avait même fait
que les dirigeants de l’Autorité palestinienne et de de l’annexion de la vallée du Jourdain l’un de ses
l’OLP, qui n’avaient été ni informés ni consultés, arguments de campagne.
avaient rompu tout dialogue avec Washington depuis Argument adopté par son rival, l’ancien chef d’état-
la reconnaissance par Trump, en décembre 2017, de major Benny Gantz, qui se présente comme plus
Jérusalem comme capitale d’Israël. Reconnaissance intègre que le premier ministre, mais colle à ses
suivie par le transfert de l’ambassade américaine positions annexionnistes par conviction stratégique
depuis Tel-Aviv. personnelle, ainsi que pour capter l’électorat des
Artisan majeur du projet, le gendre de Trump, colons et de leurs partisans nationalistes. Invité à
Jared Kushner, qui est aussi son conseiller Washington en même temps que Netanyahou, mais
spécial, et comme lui, un milliardaire enrichi reçu par Trump après le premier ministre, Gantz a
dans l’immobilier, dépourvu de toute expérience remercié le président américain en estimant que son
diplomatique, dissimulait d’ailleurs de moins en plan constituait « une base solide, viable, pour faire
moins, au fil des mois, l’arrogance colonialiste, voire avancer un accord de paix avec les Palestiniens ».
raciste, qui sous-tendait sa démarche. Au cours d’une C’est loin d’être l’avis des principaux intéressés.
interview au printemps dernier, pour le magazine en Au terme d’une réunion d’urgence, mardi soir à
ligne américain Axios, il avait ainsi « espéré qu’avec Ramallah, à laquelle participaient exceptionnellement
le temps les Palestiniens puissent devenir capables de des membres du mouvement islamiste Hamas et du
se gouverner », tout en observant qu’il « n’était pas sûr Jihad islamique, le président palestinien Mahmoud
qu’ils méritent une totale souveraineté et d’être libérés Abbas a déclaré qu’« il est impossible pour n’importe
de l’ingérence militaire israélienne ». quel enfant arabe ou palestinien d’accepter de ne pas
Quelques mois plus tard, à un diplomate européen avoir Jérusalem comme capitale d’un État palestinien
qui l’interrogeait sur les principes qui le guidaient ». « La soi-disant équipe américaine a seulement
dans l’élaboration de son « plan de paix », il avait copié-collé le plan de Netanyahou et des colons
répondu : « Entre Israël et les Palestiniens, la question », a constaté le secrétaire général de l’OLP et
a été tranchée par une guerre, que les Palestiniens ont ancien négociateur principal, Saeb Erekat, qui évoque
perdue. Or, à la guerre c’est le vainqueur qui dicte les désormais la possibilité que l’OLP se retire des
conditions de la paix. » accords d’Oslo. « Ce n’est pas un plan de paix pour le
L’alignement du plan américain sur les exigences Moyen-Orient, estime de son côté le premier ministre
israéliennes, dénoncé depuis plus de deux ans par palestinien Mohamed Shtayyeh. C’est une tentative
des dirigeants palestiniens qui s’époumonaient dans le pour protéger Trump de la destitution et Netanyahou
désert, avait d’ailleurs été confirmé, en juin dernier, de la prison. »
par un autre « artisan » de « l’accord du siècle », Deux enclaves dans le désert en
l’ambassadeur américain en Israël, David Friedman, compensation
proche, comme Kushner et l’envoyé spécial de Trump Tel qu’il est longuement détaillé dans le document
au Moyen-Orient, Jason Greenblatt, des milieux de fourni par la Maison Blanche, illustré par deux cartes
la colonisation. Dans une interview au New York très éloquentes, le plan américain est à des années-
Times, Friedman avait estimé qu’Israël « a le droit de lumière des principes agréés jusqu’à ce jour – sur
conserver une partie mais pas toute, de la Cisjordanie. le papier – par les deux parties mais abandonnés en
La dernière chose dont le monde a besoin, c’est chemin par Israël et manifestement tenus pour caducs
d’un État palestinien défaillant entre Israël et la par Jared Kushner et son équipe.
Jordanie ». Fort du soutien de Trump et informé de

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À un État palestinien indépendant et viable, à un échange. A titre de compensation pour ces terres
comprenant la bande de Gaza et la Cisjordanie, dans de Cisjordanie, il est proposé aux Palestiniens deux
les frontières définies par la ligne d’armistice de 1949 enclaves dans le désert du Néguev, le long de la
(la « Ligne verte ») et le Jourdain, avec Jérusalem pour frontière égyptienne, où pourraient être aménagées
capitale, le plan Trump substitue un archipel d’une selon le plan américain une zone industrielle et une
demi-douzaine de « cantons » palestiniens, autour de zone résidentielle et agricole.
Tulkarem, Naplouse, Qalqiliyah, Jéricho, Ramallah, Quant à l’État palestinien à naître - pas avant quatre
Bethléem, Hébron et Gaza, séparés par des zones ans, et seulement si les conditions fixées par le
de territoires israéliens et reliés entre eux par une plan sont acceptées - il sera soumis, en matière de
douzaine de ponts ou de tunnels. sécurité, aux exigences d’Israël. Démilitarisé, il ne
L’intégralité de la vallée du Jourdain, frontalière de la pourra contrôler ni son espace aérien ni son spectre
Jordanie, serait annexée par Israël comme la totalité électromagnétique, qui resteront sous le contrôle
des blocs de colonisation (Kedoumim, Ariel, Givat d’Israël, dont l’armée sera autorisée à intervenir
Zeev, Maale Adoumim et son extension E1, Goush à l’intérieur de ses frontières et à détruire toute
Etzion, Beitar Illit, Efrat et la région d’Hébron). installation jugée dangereuse pour sa sécurité. Il lui
Quinze colonies de plus petite taille, enclavées dans les sera également interdit de conclure des accords en
« cantons » palestiniens, seraient également annexées matière de sécurité, de renseignement, de défense avec
et reliées au territoire israélien par des routes d’accès quelque État que ce soit. Il s’agit, précise le plan, de
sécurisées. Détail intéressant : le contour des blocs de « donner aux Palestiniens le pouvoir de se gouverner
colonies annexés épouse presque le tracé du mur et eux-mêmes mais pas celui de menacer Israël ».
de la barrière de séparation construite depuis 2002 par Question cruciale pour les Palestiniens, après deux
Israël. exodes, en 1948 et 1967, le sort des réfugiés – près
Présentée par le gouvernement israélien comme une « de 5,5 millions aujourd’hui selon l’agence spécialisée
barrière de sécurité » destinée à protéger les Israéliens de l’ONU – est expédié en quelques lignes. En 2001,
du terrorisme, cette barrière qui devient un mur dans à Taba, où la délégation israélienne avait récusé le «
les zones les plus sensibles s’avère aujourd’hui un droit au retour » mais admis le « souhait de retour
outil majeur de la stratégie d’annexion. Stratégie qui », les négociateurs des deux camps avaient envisagé
permet à Israël de s’emparer d’une partie des réserves à titre symbolique le retour sur 15 ans de 40 000
d’eau du territoire et d’annexer la quasi-totalité des réfugiés dans le territoire de l’État de Palestine à créer.
500 000 colons de Cisjordanie et les 220 000 de Aujourd’hui, le document américain suggère qu’une «
Jérusalem-Est. Car dans le plan Trump, Jérusalem solution juste et réaliste » doit être trouvée mais insiste
ne devient pas, comme le prévoyaient les accords sur le fait que le conflit israélo-arabe a créé autant de
précédents, la capitale des deux États, Israël et la réfugiés palestiniens que de réfugiés juifs, chassés des
Palestine, mais la capitale indivisible d’Israël seul. pays arabes.
L’État de Palestine à créer pourra installer sa capitale Sur tous les autres points énumérés par le plan
dans les faubourgs de Jérusalem-Est, mais à l’extérieur – légitimes aspirations des parties, primauté de
des limites du Grand Jérusalem, et à l’est du mur de la sécurité, question du territoire, des frontières,
séparation. Les territoires annexés dans ces conditions autodétermination, souveraineté, aide internationale –,
par Israël, représentent en réalité, selon les cartes c’est la volonté de répondre aux exigences israéliennes
annexées au plan, près de 60 % de la Cisjordanie si on qui prévaut. Comme si, loin de chercher à ouvrir
ajoute aux 20 à 25% de la vallée du Jourdain les 42% un chemin vers la paix, l’administration Trump
des colonies et de leurs réserves foncières, contournées avait choisi d’entériner tous les faits accomplis
par la barrière. Ils donneront lieu, selon le plan Trump, israéliens. En donnant à Netanyahou carte blanche

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pour imposer, par la force au besoin, sa solution. C'est à dire plus clair. « Ce plan n’est pas du tout
Et comme si la promesse d’un investissement – un plan de paix, affirme-t-il. C’est une mascarade du
incertain – de 50 milliards de dollars permettait début à la fin. » Pour le quotidien Haaretz, enfin, le
d’acheter le renoncement de tous les Palestiniens à contenu du plan révèle, en fait, son véritable objectif:
leurs aspirations. "il ne conduira pas à un Etat Palestinien, mais à la
Face à un monde arabe divisé et timoré, avec les prise de contrôle totale de l'ensemble de la Cisjordanie
Émirats, Bahrein et Oman représentés mardi à la par Israël".
Maison Blanche, avec l’Égypte qui ne peut rien refuser « C’est un coup de force, réagit de son côté
à Washington et appelle Israéliens et Palestiniens à l’avocat israélien Michael Sfard, défenseur depuis
un « examen approfondi du plan », et alors que la un demi-siècle des Palestiniens devant les tribunaux
Jordanie rappelle comme l’ONU qu’elle s’en tient aux israéliens et spécialiste des procédures contre le
frontières de 1967, que peuvent aujourd’hui tenter mur de séparation. Et la communauté internationale
les Palestiniens ? Un recours aux Nations unies ? devrait y prendre garde. Si ce plan est appliqué,
Les tentatives précédentes n’ont pas été concluantes. si Netanyahou réussit à faire accepter l’annexion
Une nouvelle intifada ? En rupture avec une classe d’une partie de la Cisjordanie, c’est un pilier du
politique largement discréditée, la jeunesse est-elle droit international qui s’effondre. Car à ce jour la
prête à affronter les chars israéliens ? Et pour quelle Cisjordanie reste un territoire occupé militairement.
cause alors que le soutien à la solution à deux États Et le droit interdit l’annexion des territoires conquis
s’effondre ? Que peuvent-ils espérer ? Un sursaut de par la force. Imaginez ce que la Russie ou la Chine
l’Europe ? Londres, au bord du Brexit, qualifie le plan pourraient entreprendre si Netanyahou annexe la
de « proposition sérieuse ». À Paris, le Quai d’Orsay a vallée du Jourdain sans opposition de la communauté
« salué » les efforts du président Trump et rappelé son internationale. » C’est pourtant ce qu’il compte
attachement à « la solution à deux États en conformité entreprendre dès dimanche. Bien qu’il ne préside
avec le droit international ». Sans relever que le plan qu’un gouvernement intérimaire, il a en effet annoncé
qui écarte, de fait, la solution à deux Etats prend aussi mardi, qu’il proposerait au conseil des ministres de
de graves libertés avec le droit international. voter l’annexion de 30 % de la Cisjordanie.
Ancien ambassadeur américain en Israël, conseiller de
Bill Clinton puis de Barack Obama pour le dossier
israélo-palestinien, Martin Indyk est moins diplomate.

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