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L'association Siècle Deleuzien


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l'Association :" Siècle Deleuzien"

Constituée en juillet 2001, domiciliée à l'université Paris 8, l'association a pour objet, aux termes de
ses statuts, de "diffuser gratuitement l'enseignement et la pensée de Gilles Deleuze sur supports
numériques" et de "favoriser, promouvoir et mener toutes initiatives, témoignages, manifestations et
actions concernant la constitution, la conservation et la transmission du fonds documentaire oral et
audiovisuel des travaux philosophiques et de la pensée de Gilles Deleuze".

Association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901 et le décret du 16 août 1901

Adresse du siège social : 2, rue de la Liberté Saint Denis, 93526 Cedex 02.

Marielle Burkhalter, Maître de Conférences à l'université de Paris 8 - Philosophie

Stavroula Bellos, université de Paris8 - Philosophie

Web-master : Marion Mainfray - service communication de Paris8 Avec le soutien de Gilles-Marc


RibesRos - Communication/ Paris8

Comité scientifique :

Alain Badiou - Professeur à l'ENS Ulm - Philosophie

Noëlle Chatelet - Professeur à Paris 4 - Philosophie

Jean paul Dollé - Professeur à UP6- Architecture La Villette - Philosophie

Jean Pierre Le Dantec - Directeur de UP6 - Architecture La Villette

Stéphane Douailler - Professeur à Paris 8 - Philosophie

Renaud Fabre - ancien Président de paris 8 - Economie

Jacques Poulain - Professeur à Paris 8 - Philosophie

René Schérer - Professeur Emérite à Paris8 - Philosophie

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pour la partie informatique, hypertexte et réseaux :

Alain Cubertafond - Sciences de l'information

Frédéric Astier - Docteur en Philosophie / Paris 8

Tous nos remerciements à :

Monsieur Jean-François Mela - Professeur des universités -


Le service de la Recherche de paris8 -
Les éditions Verdier -
Jean Pierre Tillos
Jean Jacques Lebel
Jean Clément / MCF / Paris8 -
jean baptiste de Vathaire /ENS Lyon -
Jean Hughes Réty / MCF / IUT Paris8/Montreuil -
Anne Marie Delaune - BNF -
Marcelo Mendoza - Studio Audio-Visuel de UP6 -
Marc et Sacha Kravetz -
Jean Noël Félix -
Lucien et Paulette Gouty -

Et toute notre reconnaissance à ÉMILIE ET JULIEN DELEUZE pour nous avoir permis de diffuser
ces cours sur le site internet de Paris8.

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CINEMA / Pensée -
Octobre 1984/Juin
1985 - cours 67 à 91

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Gilles deleuze - Cinéma et Pensée cours 67 du 30/10/1984 - 1

Car dans le processus de normalisation qui frappe les universités, voila que ça procède maintenant,
par... pour autant que je l'ai compris, par tranches horaires. Tranches horaires qui font que d'une
part, je crois, les cours sont de deux heures et demie, et puis les tranches horaires permettent une
mobilisation des salles très poussée.

Pour nous dans le département de philosophie, c'est assez catastrophique. Pour une raison simple
déjà c'est qu'il y a beaucoup d'auditeurs qui pour des raisons de travail, d'assédic, de je ne sais pas
quoi, ne peuvent venir qu'à dix heures, si bien qu'on a tous reçu beaucoup de lettres sur ce thème,
impossible pour eux qu'ils soient là à neuf heures et demie, même s'ils en avaient la bonne volonté.
Alors mon problème, c'est de trouver une salle où tout en respectant apparemment ces nouvelles
tranches horaires, je ne les respecte pas essentiellement ; c'est-à-dire que je continue à disposer
d'une salle où je commence à dix heures et où je termine autour de treize heures, quand vous n'êtes
pas trop fatigués, ni moi. Alors, j'espère que c'est le cas.

Mais il y a une telle confusion quand... on va voir ce matin si à onze heure et demie ou même à midi
on est dérangé par quelqu'un d'autre qui a la salle, j'espère que non, ça va être la catastrophe. Il va
falloir que j'aille négocier une autre salle, s'il y en a, où je disposerai de mes trois heures de dix à
treize heures mais à ce moment-là j'empiète sur deux tranches horaires Vous comprenez, c'est
extrêmement délicat. C'est-à-dire ça fait vraiment partie du processus par lequel les universités sont
maintenant alignées sur les lycées. Bon ! Alors voilà ! C'est pour vous dire que, ce matin, on peut
avoir un trouble, être chassés d'ici... Quelqu'un, ben... Faudra... Faut voir... On verra bien. Bon !

Ceci dit, il est dix heures... Alors nous commençons le travail de cette année... Et je voudrais à la
fois, l'entamer ce travail déjà mais l'entamer à la faveur de construire notre programme, puisque c'est
seulement dans la mesure où je vous proposerai un programme que vous verrez vous-même, d'une
part si vous continuez à venir, et d'autre part, si vous continuez à venir, comment vous vous
accrocherez à telle ou telle partie. Et à cet égard j'ai des choses à vous proposer sur... pour varier
votre participation. Alors j'ai annoncé, j'ai déjà annoncé, il y a deux ans, trois ans, je ne sais pas, que
j'en avais fini de... de parler de cinéma et puis j'en ai encore pour un an. Après vraiment, je vois
vraiment plus ce que je pourrais dire pour mon compte, donc ce sera fini. Et d'autre part peut-être
que certains d'entre vous, ou beaucoup d'entre vous se sont aperçus au cours des années dernières
que ce qui me souciait, ce qui m'intéressait, c'était l'introduction à la question " qu'est-ce que la
philosophie ? " à laquelle ensuite à partir de l'année prochaine je me consacrerai de toutes mes
forces.

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Et voila que cette année, je voudrais encore, donc pour la dernière fois, faire ou vous proposer un
cours sur le cinéma ; ou sur un aspect du cinéma. Et après tout, le dernier aspect en effet qu'il me
restait, j'avais pas tellement le choix. On a vu pendant un ou deux ans l'image-mouvement. On a vu
l'année dernière l'image-temps. Qu'est-ce qu'il me restait ? ben, il me restait l'image-pensée.

Donc on s'approche de cette question qui me soucie : " qu'est-ce que la philosophie ? " Mais c'est
encore au niveau d'une rencontre cinéma-philosophie.

Qu'est-ce que ça veut dire : pensée et cinéma ? Je voudrais faire comme l'année dernière.
C'est-à-dire cette réflexion qui est en apparence centrée sur le cinéma, ne doit pas empêcher des
développements où comme des espèces de plages proprement philosophiques où des thèmes
philosophiques seraient considérés pour eux-mêmes sans pourtant briser l'ensemble de notre projet.
Pour ceux qui étaient là l'année dernière, j'ai consacré par exemple des développements au
néo-platonisme, l'année dernière, développements qui valaient pour eux-mêmes ou bien des
développements sur Kant qui valaient pour eux-mêmes, et qui n'empêchaient pas qu'on retrouve
notre fil conducteur : le temps et le cinéma. Cette année je voudrais faire pareil au niveau de la
pensée, il y aura parfois des plages philosophiques concernant uniquement des problèmes de la
philosophie par rapport à la pensée. Or pourquoi, pourquoi cette organisation ?

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CINEMA / Pensée -
Octobre 1984/Juin
1985 - cours 67 à 91

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Gilles Deleuze - Cinéma et Pensée cours 67 du 30/10/1984 - 2

C'est que, je voudrais dire que si je ne considère pas encore les rapports pensée-cinéma mais si
j'essaie de les amener, de les fonder, moi j'ai toujours été frappé par ceci, c'est que tout exercice de
la pensée, philosophique ou non, mais particulièrement philosophique, présupposait une certaine
image que la pensée se faisait d'elle-même. Cette image présupposée de la pensée, il n'est pas
toujours facile de la dégager. Bien plus elle varie avec l'histoire. Est-ce dire qu'elle dépende d'une
causalité extérieure, causalité sociale, causalité historique ? Je n'en suis pas sûr. Elle varie avec
l'histoire, bon, pour je moment je ne peux pas en dire plus. On peut sans doute assigner des causes
de cette variation, mais les causes de cette variation ne nous disent rien sur la nature de la variation.
Donc je suppose que toute pensée présuppose une image de la pensée, image variable.

Pour mieux comprendre ce qu'il faut saisir par image présupposée de la pensée, je crois que surtout
il ne faut pas la confondre avec ce que tout le monde connaît sous le nom de méthode. Penser
implique une méthode. La méthode a deux aspects. Par exemple il y a une méthode de Descartes. Il
y a une méthode de Kant. Bon ! La philosophie peut, d'une certaine manière être définie
explicitement comme méthodologie de la pensée. Une méthode comprend deux aspects : un aspect
temporel : l'ordre des pensées. L'organisation de l'ordre des pensées est un aspect de la méthode.
_(bruit d'avion de Roissy)_ Elle comprend un autre aspect : spatial. À savoir : la détermination des
buts, des moyens et des obstacles de la pensée caractérise l'aspect spatial. Quels sont les buts de
la pensée ?, pourquoi penser ?, quels sont les moyens de la pensée ?, comment penser ?, quels
sont les obstacles à la pensée ?- constitue cet autre aspect.

C'est bien les deux aspects de la méthode. Je dis que l'image présupposée de la pensée ne se
confond pas avec la méthode, elle est présupposée par la méthode. La méthode ne nous dit pas
quelle image de la pensée se fait d'elle-même. La méthode présuppose une image de la pensée,
une image implicite de la pensée. Image variable. Cette image présupposée de la pensée, donc, en
tant qu'elle est supposée par toute méthode, comment la caractériser de la manière la plus simple ?
J'emploie un mot au linguiste et très grand critique littéraire Bakhtine : le chronotope. Il emploie
chronotope en un sens très simple. C'est un espace-temps. C'est un espace-temps, un continuum
spatio-temporel. Il nous dit par exemple que la question " qu'est-ce que le roman ?" implique le
dégagement du chronotope propre au roman. C'est-à-dire d'un type d'espace-temps présupposé par
le roman. De la même manière, je dirais qu'il y a un chronotope de la pensée, et que toute méthode,
de son double point de vue, l'ordre des pensées, l'ordre temporel des pensées d'une part, d'autre
part la distribution des buts, moyens et obstacles renvoie à un chronotope de la pensée, chronotope
qui peut subir des variations, des mutations. Et qui n'est jamais donné. Ce qui est donné au besoin

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c'est une méthode, mais le présupposé il n'est pas donné. Il faut un effort spécial pour le dégager. Si
bien que ce chronotope de la pensée, cet espace-temps présupposé par toute organisation
spatio-temporelle de la pensée... À quoi est-ce que nous pourrons le reconnaître ? C'est en lui que le
discours philosophique se développe mais lui-même n'est pas objet de discours philosophique. Le
discours philosophique qui se développe présuppose le chronotope. Il ne peut guère être que
jalonné, le chronotope lui-même. Et, ce qui le jalonne, ce ne sont pas... [fin du CD1]

Les concepts comme éléments du discours philosophique, c'est quelque chose de plus insolite. C'est
ce que... Il y a longtemps là, il me semble... il y a longtemps... il y a des années mais, c'est un thème
que je ne vais pas abandonner parce que quand j'en passerai aux autres années, à " qu'est-ce que
la philosophie ? " - ça prendra pour moi une importance de plus en plus essentielle -je dirai qu'il est
jalonné cet espace temps, ce chronotope est essentiellement jalonné et signalé par des cris.

En d'autres termes il y a des cris philosophiques qui enveloppent l'image implicite de la pensée.
Ensuite il y a le discours et le discours vient recouvrir les cris, il y a la méthode et la méthode vient
recouvrir le chronotope ou l'image de la pensée. Mais cette image là, cet espace temps est comme
marqué, dont les lieux et les moments sont marqués par des cris. Ca revient à dire : il y a des cris
philosophiques. Chacun sait que chez les oiseaux, on distingue les cris et les chants. Le cri d'alarme,
par exemple, n'est pas un chant, comment là les ornithologues auraient beaucoup à nous apprendre
s'ils arrivaient à nous donner de fermes distinctions entre le chant et le cri. Mais je peux dire que de
même dans la philosophie il y a des discours et que les discours ne sont pas la même chose que les
cris, les discours c'est le chant des philosophes. C'est leur manière de chanter, et voilà qu'il y a des
cris philosophiques. On risque de passer à côté, à ce moment là on se fait de la philosophie une idée
d'une chose morte. On l'assimile au discours qu'elle développe, et un cri philosophique peut toujours
être traduit en terme de discours. Mais voilà que quelque chose résiste et que non, si on a le
moindre goût de la philosophie, on sait bien que ce sont des cris alors, et que là, la philosophie y
trouve les points de sa naissance, de sa vie. Et qu'est-ce que c'est ? puisque à première vue on
risque de les confondre avec de simples propositions faisant partie du discours, et bien non, non non
non, c'est autre chose... alors à quoi ils renvoient ? et pourquoi sont-ils fondés, pas fondés, sont-ils
arbitraires ? Qu'est-ce qui fait qu'un philosophe lance un cri philosophique ? Je disais les cris
d'alarme des oiseaux c'est pas des chants, mais au moins on sait pourquoi ils lancent un cri
d'alarme, il y a d'autres cris que le cri d'alarme, il y a des cris d'amour qui sont pas la même chose
que les chants nuptiaux. Alors si le philosophe c'est quelqu'un qui crie à sa manière, qu'est-ce qu'il a
à crier ? Cherchons des exemples.

Je lis Aristote et je vois un discours admirable qui est le chant d'Aristote, et je reconnais ce chant,
c'est une manière de chanter qui n'a pas d'équivalent, je ne confonds pas le chant d'Aristote et le
chant de Platon. Et puis voilà tout d'un coup que j'entends dans Aristote et je bute sur la formule " Il
faut bien s'arrêter ". Si on faisait une véritable analyse des propositions, je dis, ah ! mais c'est très
curieux çà... lorsque Aristote nous dit ce que c'est que la substance, il développe ça dans un
discours-chant. Lorsqu'il nous dit " Il faut bien s'arrêter ", c'est pas une proposition de la même
nature, " Il faut bien s'arrêter ", c'est un cri. Qu'est-ce qu'il veut dire ? Il veut dire : vous ne
remonterez pas , là c'est curieux c'est des propositions, déjà à l'écrit c'est des propositions qui ne
peuvent s'exprimer que sous la forme de l'interpellation. Il n'est pas forcé de le dire explicitement, il
nous dit " vous ne pourrez pas remonter à l'infini d'un concept à un concept plus général ", " il faut
bien vous arrêter ", c'est à dire, il y a des concepts ultimes. Moi j'en sais rien s'il y a des concepts

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ultimes, vous non plus... Voilà que quelqu'un vous le dit mais ne peut vous le dire que sous forme
d'un cri : Il faut bien s'arrêter , sous-entendez, il faut bien que la pensée s'arrête quelque part, qu'elle
saisisse le point où elle ne peut pas aller plus loin. Je dis à tort ou à raison, c'est une question de
sentiment, je ne cherche pas à vous convaincre de quoi que ce soit, mais j'ai le sentiment que ça ne
fait plus partie du discours philosophique, c'est un cri philosophique. Si on lui dit et pourquoi,
pourquoi il faut s'arrêter ? La question ne porte même pas. Là, on a atteint un point où la philosophie
n'a plus à donner ses raisons, alors à quoi s'adresse-t-elle ? C'est peut-être le plus important dans ce
qui est donné, le caché de la philosophie.

Descartes écrit un discours philosophique qu'il intitule Les méditations. C'est son chant à lui, et dans
Les méditations surgit la formule célèbre " Je pense donc je suis ", et " Je pense donc je suis " on
peut le considérer comme une proposition ou l'élément d'un discours philosophique ; il vient à sa
place dans Les méditations, la seconde méditation, y'en a une première puis une seconde, etc. y'en
a cinq, survient dans l'ordre précisément qu'on a pu appeler l'ordre des raisons, il fait partie du
discours philosophique et pourtant il le crée. " Je pense donc je suis " est formulé comme un cri.
C'est le cri de Descartes. En quoi est-ce un cri ? C'est que son énoncé c'est : " vous ne pouvez pas
nier que si je pense je sois ". Pourquoi ça ? L'important c'est l'aspect cri et en effet, le " je pense
donc je suis " prétend à quoi ? Il prétend nous donner une définition de l'homme d'un nouveau type,
contre Aristote. Pour Aristote l'homme est un animal raisonnable. Descartes dit ça, c'est du discours,
dire l'homme est un animal raisonnable c'est un discours parce que animal et raisonnable sont des
concepts qui renvoient eux-mêmes à d'autres concepts. Et il dit non, il faut atteindre autre chose, et "
Je pense donc je suis " est censé remplacer, tout en faisant partie d'un tout autre monde, l'homme
animal raisonnable. La vraie détermination de l'homme c'est " Je pense donc je suis " et pas du tout
l'homme animal raisonnable. En d'autres termes il veut une détermination de l'homme qui s'exprime
dans un cri.

Je saute quand Leibniz lance " Tout a une raison ", " Tout a une raison ". Et qu'il en tirera pour le
discours philosophique mille choses qui feront son propre système, car si " Tout a une raison " ça
entraîne à bien des choses cette idée que tout a une raison . Pourquoi est-ce qu'il n'y aurait pas des
choses sans raison ? Ben non, Leibniz ne veut pas qu'il y ait des choses sans raison. " Tout à une
raison ", bien avant d'être un principe logique c'est un cri. Ou bien, ça nous convainc déjà qu'il y a
des cris de la raison. Les cris de la raison ils s'expriment généralement sous la forme générale : vous
ne pouvez pas nier que... Vous ne pouvez pas nier qu'il faille s'arrêter quelque part, vous ne pouvez
pas nier que tout à une raison, vous ne pouvez pas nier que si vous pensez vous êtes.

Et voilà bizarrement que la philosophie comporte aussi des cris de la déraison. Il n'y a pas que la
raison qui crie, y'a des cris de la déraison, on pourrait par opposition dire qu'on peut les exprimer
sous la forme : " et si moi je nie ". " et si moi je nie " que deux et deux fassent quatre. Vous me direz
c'est que des mots tout ça. Non, Dostoïevski lance le cri de la déraison. " Je nie que deux et deux
fassent quatre ", c'est à dire il lance la lutte contre les évidences. Dostoïevski dans ce textes célèbre
et philosophe, Dostoîevski lance un cri : " Je veux, je veux que on me rende compte de chaque
victime de l'Histoire, je ne serai pas tranquille et je ne vous laisserai pas tranquille tant que vous
n'aurez pas rendu compte de chaque victime de l'histoire. " C'est un disciple de Dostoïevski, c'est
Chestov, qui, dans toute son œuvre, répète ce quoi, ce cri, cri de la déraison. La déraison n'a pas le
privilège des cris, mais il y a des cris de la déraison et des cris de la raison, et il arrive que on ne
sache pas qui crie, si c'est la raison ou la déraison. " Donnez-moi donc un corps ", c'est curieux que

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la pensée qui pendant des millénaires à plutôt chercher à échapper au corps, en arrive à dire...
est-ce que c'est un discours ? " Donnez-moi donc un corps ", donnez-moi donc un corps, on
reconnaît tout de suite que, je sais pas, j'aimerai vous faire sentir que ça se reconnaît au flair... c'est
un cri philosophique. Voilà donc que la philosophie elle-même dépend donc d'un flair ou d'une
capacité supérieure, d'un goût. Et pourquoi pas ? Qu'est-ce qui serait juge des concepts, sinon les
cris eux-mêmes, est-ce que le cri c'est pas la seule manière dont le concept devient vivant ?

Si vous n'êtes pas sensible au cri philosophique vous n'êtes pas sensible à la philosophie. C'est
comme pour les poissons, les cris philosophiques sont comme les cris des poissons. Si vous
n'entendez pas le cri des poissons vous ne savez pas ce que c'est que la vie. Si vous n'entendez
pas ce que c'est que le cri des philosophes et les cris des philosophes, vous ne savez pas ce que
c'est que la vie et vous ne savez pas non plus ce que c'est que la philosophie et vous ne savez pas
ce que c'est que la pensée. Evidemment vous savez ce que c'est que le cri des poissons, et ce que
c'est que le cri de la philosophie. Les philosophes alors c'est des poissons ? bon d'accord... Je dirais
du cri, Artaud parlait de l'athlétisme affectif à propos de son théâtre et bien plus, de sa conception de
la pensée. Il y a un athlétisme philosophique. L'athlétisme philosophique, c'est le pouvoir de pousser
des cris spécifiquement philosophiques. En quoi j'avance ? je dis, bon, uniquement la pensée
philosophique présuppose une image de la pensée, un chronotope, un espace temps dans lequel
retentissent des cris. Un point c'est tout. Je m'arrête là, la suite l'année prochaine.

J'en tire immédiatement et j'en viens à ce qui va faire notre sujet cette année.

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Gilles Deleuze - Cinéma et Pensée cours 67 du 30/10/84 - 3

S'il est vrai que la pensée présuppose une image de la pensée, n'y a-t-il pas et sous quelle forme
une rencontre entre l'image, une rencontre pas une identification, une rencontre entre l'image de la
pensée et l'image cinématographique ?

Voyez mon point de départ est extrêmement simple, toute pensée présuppose une image de la
pensée. Dès lors, quelle rencontre il y a-t-il, s'il y en a une, entre l'image de la pensée et l'image
cinématographique ? C'est à partir de là que nous pouvons construire notre programme.

Et vous voyez déjà ce que je voudrais de vous, ce qu'on a pas fait les autres années. Je sais bien
que les autres années, moi je trouve que ça marchait bien, surtout, par exemple, l'année dernière, l y
a eu de très bons moments pour moi, parce que certains d'entre vous ont beaucoup apporté, par
exemple je pense à ce qu'on a fait sur le cristal, tout ça, bon...heu... moi je vous suggère... Je sais
que d'autre part, je suis très difficile à interrompre parce que quand on m'interromp, je perds mes
idées, alors je sais plus ce que je dis, tout ça... alors c'est pas facile pour vous, même quand vous
avez envie, mais ce qu'on pourrait faire c'est m'interrompre...bien évidemment je vous demande
toujours de le faire quitte à le recevoir avec impatience, mais tans pis, faut le faire. Mais ce qu'on
pourrait faire c'est, au début de chacune de nos séances, si on n'est pas trop bousculé par les
changements de salle, au début de chacune de nos séances, que ceux qui ont quelque chose à dire
sur la séance précédente le fassent. Ce que j'aimerais c'est que certains d'entre vous disent : ha ben
! il y a tel point de la dernière séance où là c'était pas clair, où il faudrait revenir, faudrait revenir sur
tel point là . On irait peut-être moins vite, mais ce serait peut-être plus riche. Alors si ça vous agréait,
on pourrait concevoir comme ça, un espèce de... ce serait au début des séances que se
reposeraient des questions. J'aimerais beaucoup que vous me disiez : ha ben non ! ce que tu as fait
la dernière fois, il y avait quand même un moment trop rapide ou trop léger, sur lequel il faut revenir .
Mais donc, alors par exemple la prochaine fois vous pouvez très bien me dire, Hé bien ! ton histoire
d'image cinématographique / image de la pensée, c'est quand même pas si clair que ça faudrait un
peu revenir là dessus. Alors ou bien je vous répondrai ça peut pas être plus clair, hein ! tant pis
(rires). Ou bien je vous répondrai essayons, essayons, ou bien c'est vous qui le rendrez plus clair, ça
sera encore, bon... bref...

Alors voilà, ça c'est juste mon point d'attaque. La rencontre se fait-elle ? une fois dit que je viens
d'essayer de définir ce que j'appelle l'image de la pensée. Une rencontre se fait-elle entre l'image
cinématographique et l'image de la pensée et si elle se fait sur quelle base ? Voilà, vous avez bien
assimilé ça, tout va bien, et bien on y va. On y va c'est à dire on va construire notre programme à

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partir de ce problème, puisqu'on tient un problème.

Construisons le programme. En quoi l'image cinématographique peut-elle entrer en rapport avec une
image de la pensée ? A ce moment là, comprenez qu'il y aura lieu d'attendre beaucoup de choses, à
savoir si elle entre avec une image de la pensée, sans doute elle l'oriente, sans doute l'image
cinématographique va se mettre en rapport avec une certaine image bien précise de la pensée
qu'elle va elle-même induire. La question va être : est-ce que cette image de la pensée induite par
l'image cinématographique recoupe des images de la pensée propre à la philosophie ? Or, là je dois
partir d'une constatation de fait. Puisque nous construisons un programme, ce programme va
contenir les principales indications bibliographiques sur lesquelles je m'appuierai dans l'année et où
je voudrais que chacun de vous, mais ça on verra ça quand notre programme sera fini, où chacun de
vous prenne un bout, s'intéresse à telle ou telle chose. Et si je fais le programme, c'est parce que
ceux qui cette année n'ont pas de sujet d'intérêt dans ce que je fais, puissent ne pas venir.

Et je dis, il y a quand même quelque chose de curieux. Si l'on se reporte à, mettons les premiers
grands pionniers du cinéma. Car les premiers grands pionniers du cinéma ne nous cachent pas que
pour eux, le cinéma, le cinéma est une révolution de la pensée, et à tout égard. Et ce sont les
splendides déclarations, soit de Eisenstein, soit de Gance, soit d'Epstein, je prends les trois plus.. ,
ceux qui sont allés le plus loin dans cette voie : le cinéma comme apportant une nouvelle manière de
penser. J'y ajoute un pionner de la critique de cinéma, les trois autres étant des cinéastes, de grands
cinéastes, Elie Faure. Elie Faure grand critique d'art s'affronte au cinéma, et il voit l'avènement d'une
nouvelle pensée. Et leurs textes nous restent splendides. Mais bizarrement, il faut bien reconnaître
qu'aujourd'hui ils nous font rire, sourire avec tendresse et respect et admiration mais rigoler quand
même. On dirait qu'on n'y croit plus ! Cette chose si simple qui consiste à considérer que les auteurs
de cinéma sont de grands penseurs, est devenue une chose que peu de gens croient. Comment ça
se fait ? comment ça peut se faire ? Le cinéma, ou nous à la place du cinéma, nous avons renoncé
aux ambitions du cinéma premier. Nous saluons les exigences ou les ambitions de Gance,
d'Eisenstein, d'Epstein. Mais, elles nous paraissent un peu dérisoires, elles nous paraissent
franchement naïves. Qu'est-ce qui s'est passé ? On peut se demander. Voilà un art qui, au début ne
cessait de se situer par rapport à la pensée et aujourd'hui si vous comptez dans l'abondante
bibliographie du cinéma, quels sont les livres actuels qui portent ou qui engagent le problème des
rapports du cinéma et de la pensée ? A ma connaissance vous en trouvez, en tout cas en France,
deux, un point c'est tout. Vous trouvez le recueil d'articles de Serge Daney, et vous trouvez le livre
très extraordinaire de Shefer L'homme ordinaire du cinéma. C'est pas beaucoup, c'est pas
beaucoup... Les pionniers, qu'est-ce qu'ils nous disaient ? ils nous disaient qu'à tout égard le cinéma
aidait à renouveler la pensée, c'est à dire à induire une nouvelle image de la pensée. Je dirai
presque de quatre point de vue : d'un point de vue qualitatif, d'un point de vue quantitatif, d'un point
de vue relationnel et d'un point de vue modal. C'est bien parce que ce sont les titres des quatre
grandes catégories chez Kant : Qualité, Quantité, Relation, Modalité.

D'un point de vue qualitatif, c'était une nouvelle pensée. Nouvelle en quoi ? Là je dois différer de
quelques instants ma réponse. Mais c'était une pensée dont on ne trouvait pas l'équivalent dans les
autres arts. Du point de vue quantitatif, la réponse peut-être donnée immédiatement : c'était un art et
une pensée de masse, l'art des masses. Avec le cinéma, le peuple devenait sujet, les masses
devenaient sujet de la pensée. Innombrables déclarations des soviétiques à cet égard, de Vertov,
d'Eisenstein, mais également de Gance. Du point du vue de la relation, le cinéma était langue mais

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langue universelle. Du point de vue de la modalité, le cinéma forçait la pensée à sortir de la simple
possibilité, possibilité de penser pour la soumettre à une nécessité : vous ne pourrez pas ne pas
penser .

Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce qui s'est passé pour qu'aujourd'hui, ces grands auteurs soient
traités de naïfs ou considérés comme des naïfs ? Oh bien sûr, bien des choses sont passées par là.
Je voudrais prendre un exemple : Le cinéma, plus personne ne croit qu'il soit langue universelle.
Pourquoi ? Entre autre parce qu'une sémiologie d'inspiration linguistique a pris la question en main.
Et que la sémiologie d'inspiration linguistique telle qu'elle fût instaurée par Christian Metz, a voulu
attirer, a voulu importer la rigueur dans ce domaine d'une confrontation langue/cinéma. Et que cette
sémiologie d'inspiration linguistique qui a voulu importer la rigueur linguistique dans la confrontation
du cinéma et de la langue et du cinéma et du langage, hé bien cette sémiologie d'inspiration
linguistique a dénoncé comme naïve, confuse et rapide les assimilations du cinéma comme langue
universelle. Me frappe dans la vie comme ailleurs qu'on ne sait jamais qui sont les naïfs. Et après
tout, ça fera partie de notre programme de regarder d'un peu plus près ce que les pionniers du
cinéma appelaient le cinéma comme langue universelle pour voir si la sémiologie linguistique n'est
pas passée à côté du problème qu'ils posaient alors, et si elle ne représente pas par rapport aux
pionniers dit trop naïfs un recul fondamental. Alors, c'est forcé que si nous traitons du cinéma et de la
pensée cette année, on aura à voir de très près le problème des rapports cinéma/langage.

Mais je ne peux pas dire que ce soit une intervention comme celle de la sémiologie linguistique ni
même comme celle du cinéma parlant qui a sonné le glas de l'idée d'une pensée universelle. Elle
avait été déjà pressentie par un défenseur des plus grandes ambitions premières du cinéma, à
savoir Elie Faure. Elie Faure dans son livre, enfin dans son faux livre puisque c'est un recueil
d'articles qui a été publié dans la collection Médiations sous le titre Fonction du cinéma, Elie Faure a
un passage assez curieux où il pressent, il raconte, que le cinéma c'est le successeur de l'art des
cathédrales. Il intitule son chapitre ou son article " Mystique du cinéma ". Il nous présente le cinéma
comme nouvelle pensée, art des masses, langue universelle, successeur de l'art des cathédrales. Et
puis, il a un doute, un petit doute, et je voudrais que vous l'écoutiez bien ce doute. " Des amis
sincères ", c'est page 51, " Des amis sincères du cinéma n'ont vu en lui qu'un instrument de
propagande ". Il écrit ça très tôt. Soit, soit dit Elie Faure, voyez à quoi ça s'engage, Elie Faure fait
partie de cette grande cohorte des pionniers qui disent : pensée nouvelle, langue universelle, art des
masses où les masses deviennent sujet. Et il dit " des amis sincères " , c'est pas des ennemis du
cinéma, " des amis sincères du cinéma n'ont vu en lui qu'un instrument... , un admirable instrument
de propagande ". " Les pharisiens de la politique, les pharisiens de la politique de l'art ,des lettres,
des sciences mêmes, trouveront dans le cinéma le plus fidèle des serviteurs, jusqu'au jour où par
une intervention mécanique des rôles ", non pardon, " jusqu'au jour où par une interversion
mécanique des rôles, il les asservira à son tour ". C'est un texte très émouvant parce qu'enfin, vous
vous rendez compte ce qu'il est en train de dire. Il dit ben oui il y a un danger qui pointe, l'utilisation
du cinéma par la propagande. Mais faut pas s'en faire, il ajoute, il faut vraiment être optimiste, faut
pas s'en faire parce que par renversement mécanique, c'est le cinéma qui étant mécanique
s'asservira les pharisiens qui veulent s'en servir comme d'un instrument de propagande. En d'autres
termes, ça se fera tout seul. Le cinéma grâce a sa puissance proprement technique ne se laissera
pas utiliser techniquement On peut toujours se contenter de ça.

En même temps est-ce que ça nous mène pas sur la voie ? Qu'est-ce qui a fait que les grandes

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déclarations des pionniers nous paraissent si surfaites, le cinéma et la pensée nous paraissent d'une
certaine manière dérisoires ? Pourquoi on ne croit plus au cinéma comme révolution dans la pensée
?

Justement dans son livre La rampe, Serge Daney dit très bien, il dit : c'est la propagande d'Etat, c'est
la propagande d'Etat qui très vite s'est emparée du cinéma, à savoir l'Etat a trouvé dans le cinéma
quelque chose qui lui était fondamental à savoir la possibilité d'établir et de propager ses grandes
mises en scène. L'Etat - metteur en scène avait besoin du cinéma. Et les grandes mises en scène du
fascisme, les grandes activités d'un État propagande ont asservi le cinéma, en ont fait l'étouffement
de toute pensée, et ont annulé complètement, conformément au court pressentiment d'Elie Faure,
ont annulé complètement les ambitions du cinéma. C'est à dire, au lieu que le cinéma fasse des
masses son véritable sujet pensant, il a contribué à l'aliénation des masses, à la fascisation des
masses. Ce serait ça qui ferait que les grandes déclarations d'Eisenstein, de Gantz, d'Epstein nous
paraissent aujourd'hui si belles mais si démodées au point que on n'ose plus parler d'un rapport
cinéma / pensée.

D'une certaine manière la thèse récente de Paul Virilio va plus loin encore que la remarque de
Daney. Bien sûr on peut toujours dire, on peut toujours dire, ce qui a tué le cinéma c'est la médiocrité
de sa production. Encore une fois c'est pas...c'est pas...oui et non...oui et non. Que la grande
majorité de la production soit nulle archi nulle, c'est évident, mais c'est pas tellement une objection,
ça ne l'est qu'à certaines conditions. Je veux dire, ça n'est pas pire qu'ailleurs, absolument pas pire
qu'ailleurs, si vous considérez le domaine de la Littérature et de l'Edition, dites vous bien que ce qui
mérite le nom de roman dans la quantité de romans qui paraissent chaque année, je prends le genre
roman, dans la quantité de romans qui paraissent chaque année, ne représente pas 5% de l'édition
éditoriale. La grande majorité des romans qui paraissent chaque année appartiennent à la collection
Aphrodite et collection du même type qui occupent les quais de gare, qui occupent les librairies de
gare, qui ont un tirage inimaginable et n'ont rien à voir de près ou de loin avec ce que vous appelez
un roman. Bon, je ne parle pas du reste, le reste c'est pareil. On ne peut pas dire que la production
musicale de la chansonnette qui est la grande majorité de la production musicale, que cette
production soit... La situation du cinéma ; elle est pas pire, vraiment pas pire qu'ailleurs. Encore une
fois, la nullité de la production ambiante a toujours été une loi de toutes les activités dites "
artistiques ". Simplement on pourrait me dire, peut-être, et là je suis incompétent pour répondre, on
pourrait me dire que le cinéma étant, et on tombe justement dans l'idée à laquelle je voulais venir et
qui me paraît l'essentiel pour aujourd'hui, que le cinéma étant un art industriel, la proportion
quantitative de la nullité a un rôle infiniment plus grand et dangereux que dans les autres disciplines.
Et qu'on ne peut pas poser le problème de la même manière au niveau d'un art industriel et au
niveau des autres arts. C'est possible ça. Mais en tout cas c'est pas la médiocrité de la production
qui a sonné le glas des ambitions des pionniers du cinéma. Non, c'est pas ça... c'est pas ça... y'a eu
pire...

Si je résumais un peu la thèse de Serge Daney d'ailleurs, c'est pas la nullité de la production, c'est à
la lettre, c'est Leni Riefenstahl, qui elle n'était pas nulle, à savoir, la cinéaste attitrée d'Hitler qui a
sonné les grandes ambitions du cinéma, et encore une fois elle n'était pas nulle, elle. Mais je disais,
si je prends la thèse récente de Paul Virilio, il va encore plus loin que Serge Daney. Virilio dans son
livre, Logistique de la perception, guerre et cinéma, nous dit à peu près ceci : " ne croyez pas que le
cinéma ait été détourné de ses buts par l'Etat propagande, (ce que suggère Daney ) ou par l'état

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fasciste. C'est dès le début qu'il y a eu partie liée entre la cinématographie et l'organisation de
guerre, ou l'organisation fasciste d'Etat ". La thèse était bien parce que elle est un peu comme on fait
toujours : il faut toujours remonter plus loin, à savoir ça a mal tourné dès le début.(rires). Vous savez
on ne dit plus ça a mal tourné avec Staline, ha non ! ça tournait déjà mal avec Lénine, on remonte
plus haut quoi. Et puis ça remonte pas mal avec Lénine, Hou la la ! Marx s'était encore pire,
simplement il a pas pu, il n'a pas pu faire ce qu'il voulait mais s'il avait fait ce qu'il voulait, qu'est-ce
que... vous auriez vu que ce serait pire encore ! Alors Virilio en mieux, il fait la remontée.

C'est dès le début qu'il y a le couplage abominable, cinéma / guerre et pire cinéma / organisation de
guerre et cinéma / organisation fasciste. Et l'argumentation de Virilio là, est très intéressante. Elle
consiste à nous dire, vous savez, il y a eu toujours un couplage fondamental entre l'arme et l'œil.
C'est de ça qu'il part, le couplage arme/œil. A savoir que le champ de bataille n'est pas simplement
un lieu d'action, c'est un domaine de perception. Les armes sont des affects, mais les affects de la
guerre ne vont pas sans des percepts. Et autant qu'envoyer des armes, il y a dans l'organisation de
guerre la nécessité de percevoir des chants. Si bien que un couplage exemplaire ce sera caméra /
mitrailleuse, l'avion mitraille et prend le film de ce qu'il mitraille. Et ce doublet, ce couplage, il est
essentiel... il est essentiel. Et l'histoire de la guerre est non moins une histoire de l'œil qu'une histoire
de l'arme. Bien, c'est une belle thèse. Et d'une certaine manière la guerre est une vaste mise en
scène. Virilio en veut pour preuve que il s'agit moins de cacher, il s'agit bien de cacher, par exemple,
de cacher les organisations secrètes mais il s'agit surtout de dresser des leurres, faire croire à
l'ennemi que telle concentration de troupes se fait, fabriquer des chars en bois qui feront croire à
l'ennemi qu'une attaque se dessine par là, est préparée par ci par là. Tout ça c'est toujours le doublet
: arme / mise en scène . Et ce lien fondamental de l'arme et de la mise en scène, c'est ce que les
fascistes découvriront les premiers et pousseront jusqu'à un point jusque là inconnu. Et Virilio là,
commet des accents très réjouis lorsqu'il rappelle que jusqu'à la fin, jusqu'à l'extrême fin, Goebbels
voulait rivaliser avec Hollywood, et organisait des super productions et que les adjoints de Hitler,
notamment au niveau de la défense passive, reconstruisaient des villes avec des colonnes de
lumières... fausses villes... villes cinématographiques... villes de pures lumière... architecture de
lumière, tout ça... Toute une mise en scène de l'Etat, de la propagande d'Etat et de la guerre d'Etat.
En d'autres termes, ce que dit à peu près Virilio, c'est que, il y a toujours eu entre Hollywood et le
fascisme un lien très bizarre, qui fait et qui explique l'écroulement du vieil Hollywood après la guerre.
Non pas au sens où Hollywood aurait été compromis dans le fascisme, c'est pas ça, mais au sens
où, un cinéma tel que le concevait Hollywood avait été réalisé d'une manière infiniment plus parfaite
par l'organisation de guerre et l'organisation fasciste, au point que nous ne pouvions plus croire à ce
cinéma là. Voilà, de la thèse de Daney à celle de Virilio, il me semble que il y a un progrès, une
espèce de surenchère qui nous donnerait une raison au moins. Pourquoi nous n'osons plus parler du
cinéma comme nouvelle pensée, du cinéma comme art des masses, où les masses seraient
devenues sujet même du cinéma comme langue universelle ? Nous avons perdu ces espoirs là.

Seulement, seulement, est-ce que ça veut dire que là dessus évidemment une certaine discrétion
s'est faite sur le rapport du cinéma avec la pensée.

Mais moi je reprends mon thème : Est-ce que ça veut pas dire simplement que le cinéma d'après
guerre rompt avec une certaine image de la pensée que le cinéma avait rencontrée alors, mais
renoue des noces d'autant plus intéressantes avec une autre image de la pensée ? Je demande
comment l'on peut ne pas traiter par exemple, Resnais comme un penseur, Godard comme un

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penseur, Visconti comme un penseur ? On accepte bien d'une certaine manière de les confronter à
des peintres, on accepte bien de les confronter à des musiciens. Il faut, il faut retrouver la tradition du
premier cinéma compte tenu de toutes les différences où la confrontation devait passer aussi par le
rapport de l'image cinématographique et d'une nouvelle image de la pensée. Peut-être donc que
dans sa courte histoire le cinéma aurait affronté deux images de la pensée très différentes ? Ce sera
à nous de voir ça. Je vais vous dire, je prends un exemple tout simple, on peut parler des couleurs
par exemple chez les grands coloristes du cinéma, Antonioni, Visconti, Godard, on peut parler aussi
de leur manière à eux d'être philosophe. On ne prend pas assez au sérieux la pensée des cinéastes.
Parce que on sait bien qu'elle ne vaut rien indépendamment du contexte, du contexte
cinématographique de leur œuvre, si on l'extrait du contexte de leur œuvre, ça ne vaut plus rien.
Mais c'est comme ça pour tout le monde. Si vous extrayez la pensée d'un philosophe du contexte
philosophique de son œuvre, mais je vous assure ce sont des platitudes, par définition, par
définition. Même Renoir c'est un grand penseur si vous considérez le contexte de son œuvre. Il a
pas simplement quelque chose à montrer, il a vraiment quelque chose à dire.

Vous voulez que je vous dise ? Et bien Godard c'est un aristotélicien ! (rires). Je me souviens d'un
article très brillant de Sartre sur Giraudoux, il est repris dans situation I, où Sartre explique que
Giraudoux c'est Aristote réalisé. Pourtant il n'y a aucun lieu de penser que Giraudoux connaissait
très bien Aristote, c'est un homme très cultivé, mais enfin, il avait peut-être pas lu beaucoup Aristote,
sauf peut-être au moment du bachot, et encore au bachot on n'étudie pas vraiment Aristote. Et
pourtant, l'article de Sartre est très convainquant, en quoi le monde de Giraudoux est un monde
aristotélicien ? Là je fais des transitions faciles, il se trouve que je suis très sensible à la manière
dont Godard aime beaucoup Giraudoux. Giraudoux c'est un des auteurs secrets de Godard, il
l'avoue parfois puisque dans son dernier film Prénom Carmen, vous vous rappelez bien, Giraudoux
est constamment évoqué : " cela s'appelle l'aurore " et qu' il a toujours eu une espèce de
complaisance pour Giraudoux, Godard, une complaisance inavouée de Suisse, pour lui c'est l'image
de la légèreté en littérature (rires). Mais, à la faveur de ça, je dirai qu'il est beaucoup plus
Aristotélicien que Giraudoux. Et vous savez pourquoi il est aristotélicien Giraudoux ? C'est parce que
Aristote, c'est le philosophe qui précisément en vertu de son cri " Il faut bien s'arrêter " a le premier
énoncé et construit une table des catégories.

Or... hé dites là ! j'ai du souci ouvre la porte et rappelle le type, ça s'annonce mal ! j'ai un
pressentiment. Demande leur s'ils ont cours (rires) savent pas ..très bon ça

...Ouais, vous comprenez je vais lentement, mais... qu'est-ce que je disais ? je ne sais plus ce que je
disais...

Godard c'est un aristotélicien, vous savez pourquoi ? A ma connaissance, jamais il n'a construit un
film, d'ailleurs il doit le faire exprès, lui Godard il a beaucoup lu, pourquoi il n'aurait pas lu Aristote en
plus, jamais il n'a construit un film sans , soit explicitement soit implicitement, le diviser d'après ce
qu'il faut appeler des catégories. On verra, ça nous fera un objet, une récréation de parler des
catégories chez Aristote justement à propos de Godard, mais c'est pour dans longtemps ça.
Toujours c'est sa division. Simplement son astuce et ce qui fait notre joie, c'est qu'il invente des
tables de catégories tout à fait, tout à fait bizarres. Mais c'est des tables... Godard, il n'a pas,
pardonnez-moi cette formule un peu facile mais je crois qu'elle est vraie fondamentalement, Godard,
il n'a pas une table de montage, il a une table des catégories. Et sa table de montage, c'est sa table

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des catégories. Je prends un film où ça éclate, " Sauve qui peut la vie. " Vous avez quatre
catégories, quatre grandes catégories. Alors, on se dit, oh ben non ! faire de ça des catégories, il faut
le faire ! Chez Aristote les catégories c'étaient la substance, la qualité, la quantité... Chez Godard les
quatre grandes catégories de Sauve qui peut la vie, c'est l'imaginaire, la peur, le commerce, la
musique. Mais elles jouent le rôle explicite de catégories, à savoir, chez Godard, là j'en dis trop, mais
c'est juste pour prendre un exemple, chez Godard, pour fonder un exemple où je voudrais que vous
pressentiez la nécessité de confronter le cinéma non pas seulement avec les autres arts, mais avec
la pensée et la philosophie. Chez Godard, les catégories, à la lettre, peuvent recevoir une définition
très stricte, à savoir : ce sont des genres réflexifs dans lesquels se réfléchissent une série d'images.
C'est un cinéma sériel, mais les séries d'images se réfléchissent dans un genre réflexif, le genre
réflexif étant une catégorie. D'où pour chaque film, là où il est très ingénieux, très créateur, c'est que
pour chaque film, il va refaire une nouvelle table des catégories correspondant au film. Et chaque
fois les images se réfléchiront dans des catégories qui peuvent prendre des figures les plus diverses.
En ce sens je peux dire à la lettre..

..Vous avez un cours là (rires). Je comprends pas... il me disent qu'ils vont dans d'autres salles, hé
mademoiselle ! fatigant ! Je sais plus ce que je disais...

Oui, dans chaque film, il va refaire sa table des catégories. Vous en voulez en voilà. Evidemment à
charge pour lui qu'elles soient fondées par les séries d'images. Mais les séries d'images vont
toujours se réfléchir dans une catégorie, c'est comme ça qu'il brise la narration. Une de ses manières
de briser la narration, c'est précisément de faire dépendre les séries d'images d'une catégorie
réflexive, c'est à dire d'un concept réflexif. Par là, c'est vraiment du..., c'est vraiment un rapport
cinéma /philosophie.

Peu importe, je dis juste : acceptons la thèse de Daney et de Virilio. Les ambitions des pionniers
d'unir l'image cinématographique à l'image de la pensée, c'est comme ma seconde conclusion, les
ambitions de ces premiers pionniers d'unir l'image cinématographique et l'image de la pensée, a pu
s'effondrer pour des raisons historico-mondiales qui sont la propagande d'Etat et le fascisme. On ne
pouvait plus croire à l'art des masses et à la pensée nouvelle telle qu'elle avait été définie par les
pionniers et à la langue universelle. Mais ça n'était qu'un rebondissement, le nouveau cinéma, le
cinéma d'après guerre, allait entrer l'image cinématographique nouvelle - et en quoi nouvelle, ça on
l'a un peu vu les autres années - l'image cinématographique nouvelle, allait entrer avec l'image de la
pensée dans de tout nouveau rapport, et pourquoi ? Pour une raison très simple, c'est parce que
l'image de la pensée avait elle-même subie le même choc. C'est que la propagande d'Etat, le
fascisme, l'organisation du fascisme, si elles n'avaient pas laissé intacte l'image cinématographique,
n'avaient pas d'avantage laissée intacte l'image philosophique de la pensée. Et que sur la base de
ces doubles décombres pouvait se renouer une nouvelle alliance entre la nouvelle image
cinématographique et la nouvelle image de la pensée. Qu'est-ce que serait cette nouvelle image de
la pensée ? Qu'est-ce que serait la nouvelle image cinématographique ? Qu'est-ce qu'était l'ancienne
? les deux anciennes ? Tout ça fera partie aussi de notre programme.

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Deleuze
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CINEMA / Pensée -
Octobre 1984/Juin
1985 - cours 67 à 91

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On avance, mais alors reprenons les choses à zéro et demandons, même au niveau des pionniers,
c'est comme mon troisième point, vous voyez que j'aborde... je suis très ordonné aujourd'hui.
Demandons-nous qu'est-ce qui se passe ? Mais comment s'est fait, même au niveau des pionniers ,
parce que on a encore beaucoup a apprendre, il n'a pas suffit de dire fascisme, propagande d'Etat,
pour liquider Eisenstein, Epstein, Vertov, Elie Faure, Gance.

Qu'est-ce qui pouvait faire une rencontre dès le début, entre image cinématographique et image
de la pensée, une fois dit que cette rencontre pourra changer de nature après la guerre et se
poursuivra sous d'autres espèces ou sous d'autres noces ? Il faut à tout prix faire des grands
cinéastes des penseurs, vous savez. Car c'est de grands penseurs, je crois.

Et bien la réponse elle est toute simple, qu'est-ce qui fait la rencontre de l'image cinématographique
et de l'image de la pensée ? Ma réponse c'est donc mon troisième point aujourd'hui, on n'en a déjà
fait deux, on va à une allure ! Ca ira pas si vite les autres fois. Deux points, j'aimerais que vous
arriviez à les distinguer bien dans votre tête, mais je pense que ça va de soi, aujourd'hui c'est
limpide. La réponse, elle est toute simple, mais elle va nous laisser perplexe, c'est épatant parce que
je ne vois pas d'autre réponse et puis il n'y a aucune raison de voir en quoi c'est une réponse.
Ce qui fonde la rencontre de l'image cinématographique et l'image de la pensée, c'est
l'automatisme de l'image cinématographique. C'est çà... L'image cinématographique est
automatique. Ce que je dis ça ne peut pas ne pas concerner l'image de la pensée. Voilà une image
automatique la seule image qui soit automatique. Et bien oui, l'image cinématographique c'est la
première des images automatiques.

Qu est-ce que veut dire automatique ? ça veut dire l'image, là on l'a vu de nombreuses années
précédentes, je ne reviens pas là-dessus : l'image cinématographique c'est l'image mouvement
c'est-à-dire elle ne représente pas quelqu'un ou quelque chose qui se meut, elle se meut elle-même
en elle-même, elle est auto-ma-tique. Le mouvement de l'image cinématographique est un
auto-mouvement. Auto-mouvement, elle se meut d'elle-même par elle-même, c'est ça que j'appelle
le caractère automatique de l'image cinématographique. Or c'est en tant qu'image automatique que
l'image cinématographique sollicite l'image de la pensée.

Vous me direz : Que c'est bizarre ! En quoi le caractère automatique de l'image cinématographique,
il n'y a qu'elle, un tableau c'est une image qui n'est pas automatique, elle ne bouge pas. L'image
automate, ça c'est le propre de l'image cinématographique, c'est son caractère le plus général, c'est
l'image qui bouge, c'est pas un corps réel qui bouge, comme le corps du danseur, c'est pas une
image qui ne bouge pas, comme un tableau, c'est l'image automatique qui bouge. Et je dis : ça suffit

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à lui donner un rapport extraordinaire avec l'image de la pensée, son caractère automatique. Là
survient l'objection, l'objection qui survient dès le début du cinéma. À savoir, toute la bande de
clowns qui ont réagi en disant : " mais c'est justement ça qui fait que le cinéma c'est pas de la
pensée. " Je veux dire : quand on dit quelque chose, quoiqu'on dise, dès qu'on s'efforce de dire
quelque chose, il y a tout de suite tout un nuage d'objections idiotes. Je veux dire : il n'y a pas de
pensée quelle qu'elle soit qui ne soit nimbée par tout un ensemble d'objections idiotes. C'est même
ça qui fait la gaîté de la pensée.

Alors bon, la-dessus il y a deux sortes de gens, il y a ceux qui se gardent pour eux l'objection idiote
parce qu'ils sentent qu'elle est idiote, et puis il y a ceux qui la disent parce que ils pensent que c'est
une objection forte. Ceux-là c'est des vaniteux parce qu'ils ne pensent pas que l'objection est
tellement bête que, après tout, celui qui a dit l'idée contre la quelle on objecte, a bien du se faire
l'objection, sinon ce serait très inquiétant pour lui.

Aussi, un auteur qui avait sa célébrité au temps du premier cinéma et qui faisait des romans,
d'ailleurs des romans pas médiocres du tout, des romans qui ont une grande importance même,
mais qui lui n'était vraiment pas un penseur, et qui s'appelait Georges Duhamel, a mené une grande
critique et contre l'Amérique, la civilisation américaine, et contre le cinéma. Et il disait : " je ne peux
plus penser ce que je veux " Intéressant ça, ça me fascine. Je cite le texte, un bout de texte. " Je ne
peux plus penser ce que je veux devant le cinéma, les images mouvantes c'est-à-dire les images
automatiques, les images mouvantes se substituent à mes propres pensées.. "

C'est épatant parce que relisez. Quelqu'un qui vous dit ça : " je ne peux plus penser ce que je veux ",
on se dit tiens, voilà quelqu'un qui veut penser ce qu'il veut. Enfin, ou bien il fait attention à ce qu'il dit
ou bien il ne fait pas attention. Et c'est quand même intéressant l'analyse de ce texte

Madame ! il semble que la seule vue de cette salle leur fasse tellement horreur.. ;(rires) Bon ! Oui,
réfléchissez un peu. Quelqu'un vous dit : " avec le cinéma il m'empêche de penser ce que je veux. "
Si on réfléchit mais tout d'un coup on se dit : ah bon ! mais alors c'est un type qui, lorsqu'il lit un
roman ou lorsqu'il se trouve devant un tableau, il pense ce qu'il veut ! C'est quand même intéressant
ça, quelqu'un qui se fait de l'art cette conception : devant l'art, je pense ce que je veux ! (rires). Alors
devant un tableau de Rembrandt, je peux penser ce que je veux ! C'est curieux ! C'est quand même
une drôle d'idée !

Je veux dire : comprenez ce que j'appelle image de la pensée.

Il y a des images de la pensée débiles. Quelqu'un qui vous dit : oh, le cinéma ça m'embête parce
que je ne peux pas penser ce que je veux, c'est quand même qu'il se fait de la pensée une image
débile. Généralement, l'idéal de la pensée c'est précisément de ne pas penser ce qu'elle veut,
c'est-à-dire d'être forcée de penser quelque chose. Un tableau, bon, un Rembrandt, vous ne pouvez
pas penser ce que vous voulez, c'est très regrettable mais c'est comme ça. Très regrettable mais, si
vous voulez penser ce que vous voulez, ben, je sais pas comment vous pourriez faire. Mais je sais
pas d'ailleurs comment on peut faire pour penser ce qu'on veut. C'est la nature de la pensée qu'on
ne puisse pas pouvoir penser ce qu'on veut. Mais enfin, les images mouvantes se substituent à mes
propres pensées, ben ça c'est pas mal après tout, ça fait pas de mal, ça fera pas de mal à Duhamel.
Voilà.. !

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Mais c'est une objection :
le caractère automatique de l'image cinématographique, loin d'être, loin d'instaurer un rapport
avec la pensée, détruit le rapport avec la pensée. Mettons, l'image cinématographique impose son
déroulement de pensée. Admettons, admettons.. Alors, notre réponse ça peut être quelque chose :
c'est que c'est évidemment plus compliqué que ça. Et qu'il faut d'abord s'entendre sur ce que signifie
image automatique. Si c'est par là que nous définissons le caractère propre du cinéma, image
automatique, en quel sens ? Il y a un premier sens qui est technique. Bon, j'insiste pas sur lui. Il
concerne à la fois l'enregistrement et la projection. Ce sens est très important, il est la base
technologique de l'image, il est la base technologique de l'image automatique, prise de vue et
projection.

Mais je dis : il y a un second sens. Qui ne concerne plus cette fois-ci le moyen technologique de
l'image mais l'image. Ce second sens paraît accessoire et pourtant nous serons bien amenés à lui
donner une importance fondamentale. Commençons par l'aspect accessoire. Est-ce par hasard que
le cinéma, dès ses débuts, nous a présenté automates et marionnettes d'une manière si insistante, si
constante, cette exhibition ou cette adéquation des automates à l'image cinématographique ? Voyez
que cette fois-ci il s'agit du contenu propre de l'image cinématographique. Vous me direz que c'est
un contenu accidentel. Faut voir ! Pas sûr. Mais dès le début du cinéma, les automates et toutes
leurs variétés envahissent l'image cinématographique. Sous quelle forme ? Sous la forme de
l'expressionnisme allemand, les golems, les somnambules, les automates vivants, les zombis
deviennent les personnages-clés de ce nouvel art. Je ne pense pas que ce soit comme ça un hasard
qui dépende des sujets. C'est pas parce que le cinéma affronte la terreur. Il y a quelque chose de
plus profond dans cette appartenance des automates et de toutes leurs variétés à l'image
cinématographique et du peuplement de cette image par toutes les variétés d'automates.

Deuxième exemple parallèle à l'expressionnisme allemand : l'école française. d'une toute autre
manière, elle peuple l'image cinématographique d'automates présentés alors d'automates inanimés
et ne cesse de procéder à la confrontation et à l'échange. C'est plus les automates vivants de
l'expressionnisme allemand, c'est le rapport perpétuellement développé, perpétuellement inversé, de
l'automate et du vivant.

C'est une autre manière, dès les premiers films de Renoir, le thème, dès les films muets de Renoir,
le thème de l'automate surgit fondamentalement. Il aboutira à "La Règle du jeu" et le cinéma de
Renoir ne cessera pas d'être hanté par l'automate. Vigo, " Atalante" : la présence fondamentale de
l'automate, comme médiation entre les personnages vivants et d'un personnage vivant à l'autre. Là
aussi, est-ce que c'est les hasards de l'histoire ou du genre ? Non. Le soupçon naît en nous qu'il y a
des noces alors très profondes entre l'image cinématographique elle-même et l'automate qui vient la
peupler. Et après tout c'est bien normal, on a notre réponse. Je suis bien content, on a plein de
réponses, tout de suite : si le propre de l'image cinématographique est l'automatisme, n'est-il pas tout
à fait normal que l'image cinématographique nous présente des automates ? C'est simple comme
réponse. Et je ne m'en tiens pas au cinéma première manière, au cinéma d'avant-guerre. Je fais un
saut alors dans le cinéma moderne, même si les rapports image cinématographique/ image...
[coupure fin du CD3]

...le nombre d'acteurs. Il l'appelle modèle cinématographique, il l'appelle modèle cinématographique

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par opposition à l'acteur théâtral.

Et quelle est la grande différence, qu'est ce qui caractérise, quel est le premier ? On aura à revoir ça
dans le courant de l'année de beaucoup plus près. Qu'est-ce qu'il appelle un modèle
cinématographique ? Mais si je prends le caractère le plus constant qu'il assigne, et le plus général
qu'il assigne au modèle cinématographique, c'est quoi Bresson, c'est l'automatisme. Là je n'invente
pas le mot, si vous prenez le petit livre de Bresson, un classique du cinéma, " Notes sur le
cinématographe ", vous trouvez non seulement tout un chapitre intitulé.. page 29, " De l'automatisme
", qui commence comme ceci : " les neuf dixième de nos mouvements obéissent à l'habitude et à
l'automatisme, il est anti-nature de les subordonner à la volonté et à la pensée ". Je retiens la volonté
à la pensée. En d'autres termes le modèle cinématographique contrairement à l'acteur de théâtre ne
doit ni vouloir ni penser, c'est un automate.. un automate quoi ? eh c'est là que Bresson n'est ni
expressionniste allemand ni école française, ce sera sans doute un automate spirituel et pourtant il n'
pense pas. Très bizarre. On verra que c'est très compliqué l'histoire de l'automate chez Bresson.
Mais ce que j'en retiens c'est, je lis un autre texte page 70, mais c'est constant dans le, il parle des
modèles, des modèles cinématographiques : " Les gestes qu'ils ont répété vingt fois machinalement,
tes modèles ", il se parle à lui-même, il y a un soupçon, il doit y avoir quelque chose... " Les gestes
qu'ils ont répété vingt fois machinalement, tes modèles lâchés dans l'action de ton film les
apprivoiseront à eux ", " Les gestes qu'ils ont répétés vingt fois machinalement, tes modèles lâchés
dans l'action de ton film les apprivoiseront à eux, les paroles qu'ils ont apprises du bout des lèvres
trouveront sans que leur esprit y prenne part, les inflexions et la chanson propre à leur véritable
nature, ", donc les automates ont une nature, " ...manière de retrouver l'automatisme de la vie réelle "
. Donc Bresson dans sa conception du modèle cinématographique ne cesse, et je n'en retiens que
ça, de se réclamer d'un automatisme qui est différent à la fois de l'automate de l'Ecole française,
certainement de l'automate vivant de l'Expressionnisme allemand, mais qui, à son tour, est un type
d'automate.

Troisième aspect, non seulement l'automatisme concerne le moyen technologique de l'image


cinématographique, mais deuxième aspect il concerne le contenu de l'image cinématographique
elle-même, enfin troisième aspect il concerne le plus haut de la forme de l'image cinématographique.
Et en quel sens cette fois-ci ? Je veux dire qu'il affecte la forme esthétique de l'image
cinématographique. Ou, si vous préférez, la manière dont elle est perçue et pensée. Pourquoi ? la
réponse est simple, du moins celle que donnera, celle que donneront les premiers grands pionniers
du cinéma. Les premiers pionniers du cinéma auront, il me semble, avec malgré toutes les
variations, une réponse globale qui est celle-ci : l'image automatique, l'image matérielle automatique
du cinéma a, pour corrélat un automatisme spirituel, un automatisme mental, ou une subjectivité
automatique. C'est curieux, le vrai corrélat de l'image de cinéma en tant qu'image automatique, c'est
un automatisme proprement spirituel, mental ou une subjectivité automatique. Le cinéma grâce à
l'image cinématographique, grâce à l'image automatique fait lever en nous l'automate spirituel. Ah. !
Mais quelle découverte ! Qu'est-ce que c'est que ça l'automate spirituel ? L'art des masses fait lever
l'automate spirituel. Quelle belle idée ! Quelle belle idée si on sait à quoi elle se rapporte, mais il faut
se laisser aller à la beauté d'une idée avant de savoir ce qu'elle veut dire.

Voilà un texte d'Elie Faure page 56, écoutez le bien parce que vous allez trouver : " En vérité c'est
son automatisme matériel - du cinéma - c'est l'automatisme matériel du cinéma même qui fait surgir
de l'intérieur de ses images, ce nouvel univers qu'il impose peu à peu à notre automatisme

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intellectuel ". Voyez l'automate spirituel est le corrélat direct de l'image automatique. Et Elie Faure
continue " c'est ainsi qu'apparaît dans une lumière aveuglante la subordination de l'âme humaine aux
outils qu'elle crée ", l'outil c'est le moyen technique de l'image cinématographique, " c'est ainsi
qu'apparaît dans une lumière aveuglante la subordination de l'âme humaine aux outils qu'elle crée et
réciproquement ", il y a donc action de l'image automatique sur l'automate spirituel et réaction de
l'automate spirituel sur l'image automatique.

Epstein dans " Les écrits sur le cinéma ", dit la même chose en d'autres termes, il dit l'image
automatique du cinéma a pour corrélat une subjectivité automatique. Cette subjectivité automatique
c'est la caméra. La caméra c'est la subjectivité automatique.

Voilà, et c'est à partir de là, je crois qu'ils vont développer leur pensée : le cinéma est une nouvelle
pensée, c'est un art des masses et c'est une langue universelle. Voyez la raison, le fondement de
ces trois aspects :
c'est que parce que l'image cinématographique est une image automatique que loin de nous
empêcher de penser elle fait lever en nous le vieux rêve, le rêve archaïque mais seulement réalisé
par le cinéma, le rêve d'un automate spirituel.

Automate spirituel, automate spirituel, alors c'est ça, le cinéma ne serait pas seulement l'image
automatique, il serait le corrélat de l'image automatique et de l'image de la pensée, c'est à dire la
corrélation de l'image automatique et de l'automate spirituel qui lui correspond. Vous me direz : mais
être réduit à l'état d'automate spirituel, c'est bon ça ? Evidemment que c'est bon, évidemment que
c'est bon. Mais pourquoi que c'est bon, ça a été notre rêve à tous, du moins notre rêve de la pensée,
c'est ça que Duhamel ne savait pas, ça toujours été le rêve de la pensée. Un automate qui crie.
Pourquoi ? C'est ça qu'il faut voir maintenant, en quoi c'est le rêve de la pensée çà ?

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Deleuze
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CINEMA / Pensée -
Octobre 1984/Juin
1985 - cours 67 à 91

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Gilles Deleuze - Cinéma et pensée cours 67 du 30/10/1984 - 5

C'est à dire, voyez pour le moment on était dans l'image cinématographique, passons de l'autre côté
l'image de la pensée. Est-ce que l'image de la pensée a quelque chose à voir avec le phénomène de
l'automatisme ? Je dirai : elle n'a pas que quelque chose à voir, elle a deux choses à voir. Voilà c'est
mon quatrième point aujourd'hui, ça va vous suivez bien ? Ce qui importe c'est de suivre les
enchaînements. Ca va, vous suivez bien ? vous me le direz la prochaine fois. Bon, quelle heure il est
? (Lucien Gouty : midi moins le quart) On se donne un petit repos ? Pour que vous fumiez vos
cigarettes nocives...Mais pas longtemps.

Mon quatrième point, c'est que tout ça c'est pas clair les rapports pensée/automatisme. Non, on va
s'occuper un peu de la pensée. C'est pas clair du tout ! Pourquoi ? Parce que ces rapports sont
doubles. Qu'est-ce que c'est que l'automatisme par rapport à la pensée ? Il n'y a pas de question,
hein, sur les trois autres points ? Après toute ma besogne, pas de question ? c'est très clair ? Bon. Il
y a un premier rapport qui concerne quoi ? C'est dans la mesure où l'automatisme va désigner
l'ensemble des mécanismes inconscients de la pensée, mécanismes organico-psychiques. Et
supposons, tout ça ce sont des hypothèses à remanier plus tard, on appellera automatisme
l'ensemble de ces mécanismes inconscients organico-psychiques par rapport à la pensée. En
d'autres termes, l'automatisme désignera ici une pure matière, une matière spéciale, une matière
organico-psychique que la pensée consciente a pour tâche d'intégrer, d'organiser et de dominer
mais qui peut se révéler pour elle-même et prendre comme à revers la pensée. Je ne suis pas sûr
qu'il y ait un tel ensemble, car qu'est-ce que nous y mettrons ? Nous y mettrons par exemple le rêve,
l'onirisme mais les rapports dits oniroïdes, il n'est pas même sûr que l'onirisme et les rapports
oniroïdes fassent partie d'une même catégorie ou puissent être réunis dans une même catégorie. Et
puis toutes sortes de troubles qui lorsqu'ils se révèlent, manifestent des mécanismes de pensée qui
ne sont même plus contrôlés par la pensée ni même contrôlables, du type fuite d'idée, et bien
d'autres choses... En d'autres termes il y a-t-il une catégorie capable de grouper tout ça , les
mécanismes inconscients de la pensée, si variés soient-ils ?

En 1899, un grand psychiatre, j'insiste 1899 ,... tout ça,..c'est la période où naît le cinéma. Donc je
ne confonds pas des choses qui sont très différentes dans l'histoire, très distantes dans l'histoire. En
1899, le grand psychiatre Pierre Janet, écrit un livre fondamental " L'automatisme psychologique ",
où il envisage ce qu'il appelle l'automatisme total, l'automatisme psychologique. L'automatisme total
à savoir : catalepsie, somnambulisme, suggestion. Et d'autre part l'automatisme partiel : anesthésie
et paralysie hystérique, idée fixe, hallucination, possession. Et il pense possible - voyez que n'y
intervient pas le rêve -, il pense possible de construire un concept consistant d'automatisme

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psychologique. Vers la même époque..

Ah, alors, Vous avez un nouveau cours ici ? Attendez, je vais rentrer d'abord (rires ). Elle est
gentille...

...un très grand psychiatre du 19ème, qui répondait au nom bien plus joli de Gaétan de Clairambault,
je crois, c'est ça. Clairambault forgeait la notion d'automatisme mental. Et l'automatisme mental de
Clairambault était très différent de l'automatisme psychologique de Janet. Car, précisément, loin de
prendre le caractère psychologique comme ce qui faisait l'unité de cet automatisme, il affirmait une
base organico-neurologique, qu'il posait comme première, et qui nourrissait la psychose
hallucinatoire et qui provoquait une réaction ou qui pouvait ne pas provoquer, on pouvait en rester là,
c'est déjà pas mal ! Mais qui provoquait ou pouvait provoquer une réaction psychique réaction,
comme il disait dans son langage , de caractère ; bien plus la réaction psychique de caractère
pouvait précéder, - c'est très compliqué Clairambault ! - pouvait précéder la base
organico-neurologique et y correspondait la psychose paranoïaque. Et puis il y avait bien d'autres
choses. Mais vous voyez : l'automatisme mental allait couvrir une base neurologique,
organico-neurologique et une réaction psychique, une réaction caractérielle à cette base. Bien, on
aura à voir de près, c'est pour ça parmi toutes nos directions de travail, j'indique et je souligne :
l'œuvre psychiatrique de Clairambault a été rééditée récemment par les Presses Universitaires sous
le titre " Oeuvres psychiatriques ". " L'automatisme psychologique " de Janet, à mon avis, je
suppose, ne se trouve qu'en occasion ou en bibliothèque. Voilà, mais pour certains que ça intéresse,
cet aspect de la grande psychiatrie du 19ème, je vous conseille la lecture de ces auteurs qui sont les
plus grands parmi les grands.

En même temps qu'est-ce qui se passe ? On ne peut pas s'en tenir qu'à la psychiatrie. Si je viens de
considérer, du point de vue de la psychiatrie ma question est juste et là j'avance pas, c'est juste pour
grouper une question : peut-on considérer l'automatisme sous sa forme psychologique - Janet - ou
sous sa forme mentale - Clairambault - comme groupant tout un ensemble de mécanismes
inconscients de la pensée ? Faut que je continue, car après tout, d'un tout autre côté - j'essaie pas
de faire de mélange - s'exerce dans la littérature deux choses qui paraîtront avoir une grande
nouveauté : d'une part, les surréalistes développent une écriture, qu'ils appelleront l'écriture
automatique, un pont sera établi par Breton et par Eluard et par Dali puisque je ne peux pas parler
de modèle mais ils considèreront que l'écriture automatique est en étroite liaison avec certains
phénomènes dont la psychiatrie s'occupe. Au point que des livres d'écriture automatique se
présentent comme de véritables simulations de délires et de psychoses chez Breton et Eluard et
que, Salvador Dali prétend instaurer et inventer au meilleur moment de sa pensée - je crois que c'est
les textes de Dali qui gardent une grande force - une méthode qui lui est propre, et où il prétend aller
plus loin que l'écriture automatique que les surréalistes, et qu'il intitule lui-même la méthode "
paranoïa critique ". Qu'est-ce que veut dire tout cela ? Paranoïa critique ? écriture automatique ?
C'est une écriture qui sans doute prétend suivre ou exprimer les mécanismes inconscients de la
pensée. Mais ce serait une définition très insuffisante car bizarrement sans qu'on comprenne encore
pourquoi, il y aura lieu d'aller voir tout ça cette année. Très bizarrement, ils insistent sur " ne croyez
pas que c'est une écriture sans contrôle ". Quel est le type de contrôle qui convient à l'expression
des mécanismes inconscients de la pensée ? pour le moment ça nous laisse dans le vide.. Je dis
juste " n'y voyez pas une écriture incontrôlée ". Ils se réclament tous d'un contrôle, à commencer par
Dali, puisqu'il ne fait pas de la paranoïa, il fait de la paranoïa un usage critique, la paranoïa devient

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une méthode de critique du monde et de ses apparences.

Bon. Dans une toute autre direction surgissait dans la littérature quelque chose qui recevait le nom
de monologue intérieur. Le monologue intérieur prétendait être l'expression littéraire de ce qu'on
appelait le courant de conscience, ou plus précisément du courant subconscient de la conscience.
Certes le monologue intérieur n'était pas la même chose que l'écriture automatique. Il y avait quand
même une rivalité d'ambition : saisir des mécanismes inconscients ou subconscients de la pensée
tout en les soumettant à un contrôle littéraire. Et le monologue intérieur éclatait avec Joyce. D'une
part dans Ulysse et dans un progrès décisif dans Finnegans Wake. On dit à propos du monologue
intérieur de Joyce, ce que Joyce en a dit lui même, comme si il ne fallait pas se méfier de ce que
disent les auteurs, non pas qu'ils mentent, mais ils aiment à plaisanter. On dit toujours, mais c'est
frappant comme on répète ça sans aller y voir sans doute, que le monologue intérieur, comme Joyce
lui-même l'a reconnu, a eu un ancêtre, un obscur romancier français qui s'appelait Paul Dujardin, et
qui fit un petit livre en monologue intérieur intitulé Les lauriers sont coupés, et qui a été republié en
livre de poche. Et Joyce fait hommage à Dujardin. Quand les grands auteurs, quand les auteurs de
génie sont modestes, ils adorent tromper les gens en invoquant des ancêtres à qui ils font grand
honneur, mais faut pas trop les croire sur parole. Si vous lisez Les lauriers sont coupés, et là aussi
on aura à le voir çà car c'est un truc qui me soucie, car c'est repris tout le temps. Ah !le monologue
intérieur c'est comme automatique.. l'ancêtre de Joyce c'est, c'est.... Vous verrez à mon avis - ne me
croyez pas sur parole à mon tour - que l'usage que Dujardin fait du monologue intérieur n'a
strictement rien à voir, à mon avis, avec l'usage que Joyce en fait déjà dans Ulysse, si bien qu'il n'y a
aucune filiation, à mon avis de Dujardin à Joyce. En revanche, à mon avis toujours, Joyce en même
temps qu'il fait honneur à Dujardin, cache ses véritables sources, tout ça c'est des taquineries. A
savoir : ses véritables sources sont beaucoup plus philosophiques, il savait énormément de
philosophie et ses véritables sources viennent des fameuses conceptions de William James, le frère
d'Henry James, les fameuses conceptions de William James sur le courant de conscience et son
expression. Donc il faudra voir tout ça.

Voyez donc on se trouve devant un ensemble assez riche pour le premier aspect de l'automatisme si
je définis l'automatisme comme l'ensemble des mécanismes inconscients de la pensée et le
problème de leur expression. On a des éléments psychiatriques, peut être deux éléments
psychiatriques, deux éléments littéraires qui ne se recoupent en rien, qui correspondent par là ( ?)...
ça nous fait quatre éléments.

La bombe pour nous c'est quoi ? Comment ça rencontre l'image cinématographique ? Bien plus,
quand la rencontre se fait avec l'image cinématographique, l'image cinématographique domine : ce
que la littérature a tenté de faire, je suis apte à le faire mieux qu'elle. Voilà la grande rencontre image
cinématographique/ image de la pensée au sens l'automatisme / les mécanismes inconscients de la
pensée. Et en effet, le cinéma d'inspiration surréaliste, premièrement le cinéma d'inspiration
surréaliste se proposera de constituer une véritable écriture automatique qui aura l'avantage d'être
visuelle et sonore, et de dépasser les possibilités de la littérature à cet égard. Et le premier film
surréaliste, ce sera déjà vrai dans Entracte, la première tentative en ce sens , " Entracte " film de
René Clair, mais le premier grand film surréaliste, comme le rappelle Artaud, est le scénario
d'Artaud, filmé par Germaine Dulac, la coquille et le clergyman, avant Le chien andalou, le grand film
Artaud/Dulac. Artaud le présente sous le signe de l'écriture automatique, une écriture automatique
devenue visuelle, sonore autant qu'écrite. Une écriture procédant avec des images visuelles, une

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écriture s'adressant à la vue.

Mais bien plus le monologue intérieur, et là ça me paraît très important. Car c'est Eisenstein dans un
hommage très fort à Joyce, qui s'empare de l'idée du monologue intérieur et va lancer son grand
thème, qu'à mon avis il n'abandonnera jamais : non seulement le cinéma procède par monologue
intérieur mais il réalise le monologue intérieur infiniment mieux que la littérature. Le véritable
monologue intérieur, seul le cinéma peut l'effectuer.

Qu'est-ce qu'il veut dire ? Il veut dire une chose très simple à première vue, c'est que le monologue
intérieur en littérature à la Joyce est encore dépendant de la barrière des langues, est encore
dépendant de la barrière des langues nationales. Remarquez ce n'est vrai qu'en partie, or il faudrait
qu'il excède, qu'il franchisse la barrière des langues nationales. Mais la littérature le peut-elle ? Dans
Ulysse non, dans le grand monologue intérieur de Bloom non ! Mais dans Finnegans Wake
commencent à apparaître les mots qui n'ont plus aucune apparence, aucune appartenance à une
langue nationale. Les mots qui font appel à plusieurs langues pour ne pas parler des onomatopées
infinies. Et Finnegans Wake représente déjà une espèce de tentative étonnante, stupéfiante pour
que la littérature dépasse la barrière de telle ou telle langue nationale.

Bien, n'empêche que c'est limité, c'est limité par la forme des choses. Eisenstein peut dire que le
monologue intérieur cinématographique n'est plus subordonné à aucune barrière des langues
nationales en tant que cinéma muet. Simplement il marque une évolution, je dirai avant 35 et à partir
de 35. On verra que la théorie du monologue intérieur - pour moi - de Eisenstein, elle est
fondamentale. Elle est fondamentale autant pour le cinéma que pour la philosophie.

Dans une première période avant 1935, ça me paraît très curieux que Eisenstein - vous trouverez
tous les textes à cet égard dans Le film, sa forme, son sens, traduction française dans l'édition
Bourgoin - Avant 35, Eisenstein considère que le monologue intérieur est encore l'expression
cinématographique de la pensée d'un personnage, l'expression de la pensée subconsciente d'un
personnage et des mécanismes subconscients de cette pensée. Il prend comme exemple un projet
d'adaptation, il avait voulu adapter un roman américain de Dreiser, American tragedy, Une tragédie
américaine, et il dit : vous voyez les tentatives de monologue intérieur de Dreiser comparez les avec
mon projet, vous verrez que moi je vais beaucoup plus loin forcément puisque je peux à l'état libre
faire les enchaînements d'idées préconscientes, subconscientes mêlées aux sensations, aux
souvenirs, aux projets etc. du personnage, et constituer une espèce de courant de conscience du
personnage. Je dirai que là, le monologue intérieur a déjà franchi la barrière des langues, mais reste
dépendant d'un cinéma subjectif, ce qui ce passe dans la tête du personnage.

En 1935, qu'est-ce qui se passe ? Je le précise puisque c'est tout ça... on le construit... aujourd'hui
nous construisons notre année Je le précise parce que je crois que en 1935, Eisenstein est moitié
forcé, moitié prêt à improviser un discours. C'est le fameux discours de 1935. Pourquoi fameux ?
Parce que sans trop s'y attendre - il devait avoir des pressentiments - Eisenstein, dans un colloque
de cinéastes soviétiques, se trouve pour la première fois officiellement en proie à une vaste critique
des staliniens. Et que, dans ce discours à peu près, à moitié improvisé, sûrement, il montre à la fois,
je ne sais pas comment dire, un courage et une prudence, qui font mon admiration. La manière dont
il s'en tire, en effet, c'est pas que les autres, les autres sont pas du tout des imbéciles, il lui font des
objections fondamentales, fondamentales, mais qui ont l'air d'être proprement - c'est un texte

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passionnant - qui ont l'air d'être uniquement cinématographiques. Tout le monde comprend de quoi il
s'agit, tout le monde comprend de quoi il s'agit à savoir : l'œil de Staline est sur toi et si tu continues
à faire ce que tu fais, tu vas voir ce que tu vas voir ! La réponse de Eisenstein est prodigieuse, elle
est très, très prudente. Il dit : mais vous avez raison, vous avez raison, vous ne savez pas à quel
point vous avez raison, mais ça n'empêche pas que... on peut dire que...c'est ce que j'ai fait qui vous
a permis aujourd'hui d'avoir raison, tout ça, enfin... Il est malin comme tout.

Ce texte il faudra le voir de très près. Mais ce qui m'intéresse pour le moment uniquement dans le
discours de 1935, c'est que le monologue intérieur est érigé a une nouvelle puissance, il ne sert plus
et ne désigne plus la possibilité du cinéma de donner une expression à ce qui se passe dans la tête
du personnage, il devient adéquat au film tout entier. C'est le film entier qui se présente comme
monologue intérieur alors, non plus monologue intérieur qui se passerait dans la tête du personnage,
mais monologue intérieur qui est aussi bien celui de l'auteur que du spectateur, et de l'un et de
l'autre à la fois, c'est à dire qui est le film en lui-même. Le monologue intérieur est le film. C'est le tout
du film, au point qu'il nous dit, et là ça doit nous intéresser dans notre problème de la pensée, ce qu'il
appelle - on ne sait pas encore ce qu'il appelle comme cela - le cinéma intellectuel, le cinéma
intellectuel a pour prolongement naturel le monologue intérieur. Le monologue intérieur est le
corrélat du cinéma intellectuel.

Si bien que j'en reviens, puisque c'est un point que l'on aura à considérer cette année, lorsque la
sémiologie d'inspiration linguistique a dénoncé chez Eisenstein une conception hâtive du rapport
entre le cinéma et la langue ou le langage, je me demande si, à la base, ils n'ont pas singulièrement
méconnu ce que Eisenstein appelait monologue intérieur. Car ce qui me paraît évident, si peu que
j'en dise pour le moment, parce que ce sera pour l'avenir l'examen des rapports cinéma/langage, car
ce qui me paraît évident, c'est que le monologue intérieur pour Eisenstein n'est ni une langue ni un
langage. Si bien que l'alternative future de la sémiologie linguistique, langue ou langage n'a pas lieu
de se poser. Ils ont essayé de prendre Eisenstein dans leurs pinces à eux, langue ou langage,
pinces qu'ils empruntaient à Saussure. Mais c'est pas le problème d'Eisenstein, pas du tout.

Pour Eisenstein, je dira,i quoique ça reste encore incompréhensible, mais ça fait rien, ça deviendra
peut-être clair, plus tard. Le monologue intérieur pour Eisenstein n'a jamais été ni une langue, ni un
langage. C'est une matière noétique, noétique ça veut dire qui concerne la pensée, une matière
noétique corrélative de la langue/langage et antérieure à la distinction de la langue et du langage. Si
bien que loin d'avoir à reprocher à Eisenstein de se faire une conception naïve de ce problème, c'est
presque à la sémiologie d'inspiration linguistique qu'il faudrait reprocher de se faire une conception
naïve et trop appliquée, une espèce d'application des données linguistiques au niveau d'un problème
qui n'était pas ça du tout. La question d'Eisenstein c'est conformément à certains linguistes qui n'ont
rien à voir avec Saussure, la nécessité de découvrir une matière propre, une matière spécifique qui
n'est encore ni langue ni langage, qui préexiste à langue/langage, qui préexiste en droit pas en fait,
qui préexiste en droit à langue/langage, à la distinction même de la langue et du langage et qui
constitue comme la matière première. Et le monologue intérieur c'est cette matière première. Et c'est
à ce niveau d'une matière première préexistante à la distinction de la langue et du langage, donc
préexistant aux deux, qu'il faut poser le problème des rapports cinéma / langue ou langage. Et j'en
veux pour preuve que, après tout, un des maîtres de la linguistique, Jakobson, a au moins le mérite,
dans l'interview qu'il a donné sur le cinéma, de dire une chose qui moi m'a toujours... il le dit qu'en
une phrase. Il dit juste, c'est rudement intéressant, il ne dit pas du tout Eisenstein il est naïf, lui il ne

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le dit pas. Il dit : s'il y a une chose qui me paraît intéressante c'est la conception qu'Eisenstein se fait
du monologue intérieur quand il se réclame de Joyce . Et là, il le dit en tant que linguiste.

Qu'est-ce que c'est que cette matière qui n'est ni langue ni langage et qui est pourtant comme le
présupposé de la langue et du langage ? Je dirai cette matière, pour le moment on ne peut pas en
dire plus, c'est le monologue intérieur.

Voilà peu importe que ce soit un peut obscur.

Voilà... mais alors je regroupe juste, il y a un automatisme, voilà. Il y a un automatisme de la pensée


qui peut se définir de manière très vague par l'ensemble des mécanismes inconscients et
subconscients. C'est un fait que l'image cinématographique parce qu'elle est automatique - voyez ma
réponse est très simple, je suis en train de justifier mon invocation l'automatisme de l'image - c'est
parce qu'elle est automatique que l'image cinématographique, dès le début, s'est sentie une véritable
vocation pour prendre à son compte les mécanismes inconscients de la pensée que l'on regroupait
sous le noms d'automatisme psychologique ou mental Toute une longue descendance avec le
changement de régime du cinéma, si je saute dans le plus moderne par exemple, Wells me paraît un
génie du cinéma hallucinatoire. D'une autre manière, Resnais est un génie du cinéma hallucinatoire.
Donc ça ne finira pas avec les pionniers tout ça, ça changera, il y aura des mutations. Mais le
cinéma, dès le début, s'est reconnu une vocation pour exprimer les mécanismes inconscients de la
pensée et par là, l'automatisme mental et psychologique. Parce que son image était automatique, il
était voué à l'automatisme psychologique ou mental.

J'annonce vite ce par quoi nous commencerons la prochaine fois. C'est que, il y a un tout autre pôle,
je m'intéresse toujours aux mécanismes automatisme/pensée. Il y a un tout autre pôle de
l'automatisme par rapport à la pensée. L'automatisme ne désigne plus cette fois-ci l'ensemble des
mécanismes inconscients ou subconscients de la pensée organico-psychique. Il désigne quoi ?
Cette fois-ci il désigne : l'ordre supérieur d'une logique pure. L'ordre formel des pensées qui déborde
dans la pensée et la conscience elle-même. Ce n'est plus l'inconscient ou le subconscient, c'est le
supra conscient. Ah bon... hé oui ! Et là, la philosophie se retrouvait dans son image la plus pure de
la pensée.

Dès le 17ème siècle, siècle royal, apparaissait l'expression la plus insolite " l'automate spirituel ",
automaton spirituale, dans un langage barbare puisqu'il réuni un mot grec et un mot latin.
L'automaton spirituale, cette splendide chose, ce splendide concept d'automate spirituel, apparaît
chez Spinoza. C'est qu'il a quelque chose, vu sa tradition juive comme le Golem, un Golem dans la
pensée, le grand Golem. Bon, il ne s'agit plus des mécanismes inconscients de la pensée du type
rêves, rêveries. Il s'agit de quoi ? Il s'agit de l'ordre formel. Écoutez moi bien ! Peu importe si vous ne
comprenez pas bien encore, ça viendra, faut pas être pressé, faut entendre d'abord puis comprendre
bien après, il se peut que vous compreniez dans trois mois. C'est l'ordre formel... L'automate
spirituel, c'est l'ordre formel par lequel les pensées se déduisent les unes les autres
indépendamment de leur objet et indépendamment de toute référence à leur objet. Ah, ! Vous me
direz qu'est-ce que c'est que ça ?, ça existe une chose comme ça ?. Mais vous savez bien que ça
existe même si vous ne pratiquez pas et que vous ne savez pas comment ça se pratique. La pensée
démonstrative n'a jamais été autre chose, je veux dire la pensée théorématique, l'enchaînement des
théorèmes n'a jamais été autre chose que l'ordre formel par lequel les pensées se déduisent les

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unes des autres indépendamment de toute référence à leur objet. Je veux dire vous déduisez
quelque chose de l'idée de triangle indépendamment de savoir s'il y a des triangles, qu'il y ait des
triangles ou qu'il n'y ait pas de triangle, vous vous en tapez. La démonstration théorématique
enchaîne les pensées du point de vue formel pur. Vous me direz il y a encore des figures, il y a
encore une figure de triangle, tout ça, aussi on peut aller plus loin. Et la logique moderne
perfectionnera d'une part, sous le nom de logistique et puis sous le nom - et c'est justifié car c'est
différent de la logistique - d'axiomatique, et l'axiomatique sera bien un enchaînement de pensée,
enchaînement formel indépendamment de leur contenu La forme la plus haute de la pensée en tant
qu'elle enchaîne, idée avec idée, indépendamment de toute référence à l'objet, c'est cela l'automate
spirituel. L'automate spirituel fût réalisé dans l'ordre démonstratif des théorèmes, puis dans l'ordre de
la déduction, de la logistique, puis dans l'ordre de l'axiomatique et du développement axiomatique.

Spinoza nous le verrons, il faudra quand même bien voir le texte, qui est très, très curieux, le texte
de Spinoza. Où il lance l'automate spirituel comme donc étant une pensée supra consciente. C'est la
conscience qui dépend de la manière dont la pensée enchaîne les..., il y a un renversement pensée /
conscience. C'est plus la pensée qui dépend de la conscience, c'est la conscience qui découle de la
pensée. La conscience sera un résultat de l'enchaînement formel des idées les unes par les autres
par la pensée, indépendamment de toute référence à l'objet. Ce grand renversement spinoziste
anime l'automate spirituel.

Une aussi bonne formule que l'automate spirituel ne pouvait pas surgir dans la philosophie sans que
Leibniz s'en empare immédiatement. Et pour une fois, Leibniz qui n'empruntait pas grand chose à
Spinoza, lui emprunte immédiatement l'idée de l'automate spirituel pour la simple raison que Leibniz
créateur d'une véritable logistique et poussant jusqu'au bout, dès son époque, l'idée d'un formalisme
de la pensée qui enchaîne ses idées pour en faire justement ce qu'il appelait une caractéristique
universelle. Dans cette nouvelle science qui donnera la logistique, deux siècles après, trois siècles
après, dans cette nouvelle science Leibnizienne de la caractéristique universelle, toute cette science
est mise sous le signe de l'automate mental, l'automate spirituel.

Au 20ème siècle, un livre qui reste un livre insolite, il faudra voir...un livre qui paraîtra
extraordinairement nouveau mais qui, à mon avis, ne fait que pousser jusqu'au bout cet idéal
classique de l'automate spirituel. C'est le livre de Valéry, Monsieur Teste. Et Monsieur Teste, c'est
l'automate spirituel ou l'automate mental. Livre qui a eu un grand retentissement au début du 20ème
siècle, je ne sais plus de quand il est, et qui est un livre bien connu de Paul Valéry qui présente
l'automate spirituel sous le nom exprès de Monsieur Teste. Car Monsieur Teste c'est quoi ? Teste
c'est -comme le dit Valéry- c'est la preuve. Et le mécanisme de la preuve c'est quoi ? C'est
l'enchaînement formel des idées qui découlent les unes des autres. Monsieur Teste est celui, dit
Valéry, qui affirme et qui pose et qui donne l'autonomie de la pensée. Et qui porte une pensée qui se
nourrit de sa propre substance. Loin d'être un délire mathématique de Valéry, qui rêvait toujours de
mathématiques, il me semble que Monsieur Teste est l'achèvement de la pensée classique du
17ème siècle.

Bon vous me direz, voilà donc un second sens. Voyez que j'ai deux sens de l'automatisme dans ses
rapports avec la pensée. L'automatisme, c'est à dire les mécanismes inconscients ou subconscients
de la pensée, et d'autre part, l'ordre formel des pensées qui s'enchaînent les unes avec les autres
indépendamment de la conscience. Une infra conscience et une supra conscience. Tout à l'heure je

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disais " il y a-t-il rencontre entre le cinéma et le premier sens de l'automatisme psychique ou mental
? Et notre réponse immédiate c'était oui. Oui, en vertu du caractère automatique de l'image
cinématographique. Ma seconde question va avoir exactement la même réponse seulement ça ne va
pas être le même ( ?). Je dirais oui, il y a une rencontre fondamentale entre l'image
cinématographique et cette nouvelle image de la pensée, celle de l'automate spirituel supérieur.
Combien maintenant l'objection de George Duhamel nous paraît pâle et maigre et faible ! C'est
justement parce que le cinéma est capable d'instaurer et de faire vivre l'automate spirituel qu'il est en
rapport fondamental avec la pensée. Et pourquoi est-ce que l'image cinématographique rencontre ce
deuxième aspect de l'automatisme, non plus l'automatisme psychologique, mais l'automatisme
mental ou spirituel, l'automatisme supérieur ? Pour la même raison que tout à l'heure parce qu'il a
une image automatique.

Alors faut croire quand même, qu'il y a deux aspects de l'image automatique. Sous le deuxième
aspect qu'est-ce qui va se passer ? Qu'est-ce que c'est que.. ? Est-ce que l'on peut parler d'un
cinéma théorématique ? Est-ce que c'est essentiel au cinéma ou est-ce que c'est quelques
monstruosités de cinéma ? Oui, on peut parler d'un cinéma théorématique. Oui, oui, oui, oui... Je ne
suis pas sûr que lorsque Pasolini...quand il intitule un film " Théorème" le fasse comme ça et qu'il
n'ait pas bien réfléchi à son titre. Pasolini a produit au moins deux chefs d'œuvre de cinéma
théorématique, l'un intitulé Théorème, l'autre intitulé Salo. Bon je ne suis pas sûr que le cinéma tout
entier de Bresson ne soit pas un cinéma de l'automate spirituel. Bon tout ça c'est à voir... Mais ce
qu'il faut d'abord comprendre et la prochaine fois, on en est là... On fera une petite revue s'il y a des
choses à préciser dans ce qu'on a fait aujourd'hui. Je voudrais que vous vous rappeliez, parce qu'on
a procédé très, très en ordre. Si vous n'avez pas l'ordre... Ça ne fait rien que vous ne compreniez
pas tel moment ou tel moment, il faut que vous compreniez l'ordre de notre démarche et comment, à
chaque niveau, je vous ai déjà proposé une courte bibliographie. Alors on reprendra ça, ce second
automatisme dans son rapport avec le cinéma.

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

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Transcrit en Nov. 2004 Par Thomas HARLAY Un silence de Marbre... Révision du 18 mars 2006 -
Jean-Charles Jarrell

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Un silence de marbre... Alors, on continue à aller très doucement parce que, pour suivre votre propre
lecture... (rires). L'idée même que ça vous fasse rire, c'est très très inquiétant... Et aujourd'hui, je
voudrais vraiment aller presque par numéros, pour que vous compreniez la succession des
problèmes.

Et je dis donc, premièrement, voilà... Premièrement, pour aujourd'hui, et bien... forcément : où en


sommes-nous ? Ça va être très rapide, où nous en sommes... Finalement, on a acquis vaguement,
au niveau... vous voyez, on est en train de chercher, depuis plusieurs fois, quel est le statut des
modes, puisque le statut des modes, c'est vraiment ça qui constitue « l'Éthique ». Bon, et bien, on
commence à apercevoir, même confusément, un certain statut de ce que Spinoza appelle les
modes, c'est-à-dire vous, ou moi, ou la table, ou n'importe quoi. C'est-à-dire : le mode, c'est ce qui
est. C'est « l'étant ». Le statut de tout « étant », finalement, c'est quoi ? Imaginons... Parce qu'on ne
sait pas encore si c'est vrai, tout ce que nous dit Spinoza... C'est évident que c'est vrai ! C'est
tellement beau, tellement profond, c'est vrai ! Ça ne peut pas être autrement, ça se passe comme il
dit, quoi, les choses... Or, comment il dit que ça se passe ? Et bien, il dit que ce qui constitue une
chose, c'est finalement un ensemble extrêmement complexe de rapports.

J'insiste sur la nécessité d'aller lentement, parce qu'il faudrait presque qu'à chaque phrase on se dise
: Ah bon ? Ben oui, mais ce n'est pas formidable ce qu'il dit, là... ça a été dit, déjà, tout ça... Et puis
qu'on pressente aussi que ce n'est pas vrai... Ce qu'il en tire, c'est quelque chose d'absolument
nouveau, de très très curieux. Il dit : Vous comprenez, un corps, ou une chose, ou n'importe quoi, ou
un animal, ou vous, ou moi, chacun de nous est constitué par un ensemble de rapports. Appelons
ces rapports : rapports constitutifs. Là, je le dis par commodité, ce n'est pas un mot qu'il emploie,
mais je dis : des rapports constitutifs. Ces rapports -on a vu, et c'était très vague... on les a baptisés
d'après les expressions même de Spinoza, mais on ne sait pas encore ce que ça veut dire : rapports
de mouvement et de repos. Et de repos. Entre quoi s'établissent ces rapports ? Des rapports
impliquent des termes -on reste toujours très dans le vague, pour le moment... Lui dirait : entre
particules. Nous, notre vocabulaire s'est enrichi depuis, on pourrait dire : c'est des rapports entre
molécules, et puis composantes de molécules, finalement on tomberait aussi sur « rapports entre
des particules ». On ne sait pas encore du tout d'où viennent ces particules. Ça, on n'a pas vu, on
procède par ordre...

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Donc je suis constitué par un ensemble de rapports dits constitutifs, rapports de mouvement et de
repos qui s'établissent entre particules.

Qu'est ce que ça veut dire un ensemble de rapports ? Ça veut dire que mes rapports constitutifs sont
les miens en quel sens ? Il n'y a pas encore de « moi ». Qu'est ce que ça veut dire, « moi » ? Donc,
qu'est-ce qui va définir l'ensemble des rapports constitutifs de telle chose comme un ensemble « un
», lorsque je dis un corps. Là, on n'a pas le choix... Il faut bien que d'une certaine manière, ce que
j'appelle « mes rapports constitutifs » ne cessent de se composer les uns les autres, et de se
décomposer les uns dans les autres, c'est-à-dire : ils ne cessent de passer les uns dans les autres
dans les deux sens. Dans le sens d'une plus grande complexité, et dans le sens d'une analyse,
d'une décomposition. Et si je peux dire : ce sont mes rapports constitutifs, c'est parce qu'il y a ce
mode de pénétration des rapports, d'interpénétration des rapports, tels que mes rapports les plus
simples ne cessent de se composer entre eux pour former mes rapports les plus complexes, et mes
rapports les plus complexes ne cessent de se décomposer les uns les autres au profit des plus
simples. Il y a une espèce de circulation qui va définir ou qui va être définie par l'ensemble des
rapports qui me constituent.

Je prends un exemple d'après une lettre de Spinoza, pas une lettre à Blyenbergh, d'après une lettre
à quelqu'un d'autre, je crois que c'est la lettre 32 (confusion supprimée). C'est un texte où il va assez
loin dans l'analyse des rapports, oui c'est 32 : lettre à Oldenburg. Il prend l'exemple du sang et il dit :
Et bien voilà, classiquement, on dit que le sang a deux parties, le chyle et la lymphe. Aujourd'hui, on
ne dit plus ça, mais aucune importance. Ce que la biologie du 17ème siècle appelle le chyle et la
lymphe, ça n'est plus ce qu'on appelle aujourd'hui le chyle et la lymphe, c'est pas grave. En gros, si
vous voulez, pour une grossière analogie, disons que le chyle et la lymphe, c'est un peu comme
globule blanc et globule rouge. Alors, très bien, le sang a deux composantes : le chyle et la lymphe.
Comprenez ce que ça veut dire... Et là-dessus, il explique... Bien... Je dirais : le chyle et la lymphe
sont eux-mêmes deux systèmes de rapports entre particules. C'est pas des corps simples, il n'y a
pas de corps simples. Les corps simples, c'est les particules, c'est tout. Mais lorsque je qualifie un
ensemble de particules en disant : ça c'est du chyle et ça c'est de la lymphe, c'est que j'ai déjà défini
un ensemble de rapports. Donc le chyle et la lymphe, c'est, déjà, deux ensembles de rapports. Ils se
composent l'un l'autre, ils sont de telles natures qu'ils se composent, pour former un troisième
rapport. Ce troisième rapport, je l'appelle « sang ».

Donc, le sang sera, si vous voulez, un corps de seconde puissance, si j'appelle chyle et lymphe
corps de première puissance - c'est arbitraire, parce que je commence là. Je dirai le chyle et la
lymphe : corps de première puissance. Ils sont définis par : un rapport de mouvement et de repos
chacun. Ces rapports conviennent. Vous voyez ce que ça veut dire : deux rapports conviennent
lorsqu'ils se composent directement, l'un avec l'autre. Ces deux rapports conviennent. Bon, s'ils
conviennent, ils se composent directement. S'ils se composent directement, ils composent un
troisième rapport, plus complexe. Ce troisième rapport plus complexe, appelons-le « corps de
seconde puissance ». Ce sera le sang. Mon sang. Après tout, mon sang, c'est pas celui du voisin.

Mon sang à son tour, corps de seconde puissance, se compose directement avec d'autres éléments
organiques. Par exemple avec mes tissus qui, eux, sont aussi des corps, les tissus... Ils se
composent directement avec des tissus, des corps-tissus, pour donner un corps de troisième

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puissance, à savoir : mes muscles irrigués -les jours où ils le sont... Vous me suivez ? Et cætera et
cætera... Je peux dire que, à la limite, je suis un corps de « n » puissances. Or, qu'est-ce qui assure,
finalement, ma durée ? Ce qui assure ma durée, c'est-à-dire ma persistance... Car une telle
conception des corps implique qu'ils vont être définis par la persistance. Vous voyez déjà où le
thème de la durée peut s'accrocher concrètement... C'est curieux comme c'est très concret, tout ça...
C'est une théorie du corps très simple, très sûre d'elle...

La persistance, c'est quoi ? Le fait que je persévère, la persévérance... Je persévère en moi-même.


Je persévère en moi-même pour autant que cet ensemble de rapports de rapports, qui me constitue,
est tel que les rapports les plus complexes ne cessent de passer dans les moins complexes, et les
moins complexes ne cessent de reconstituer les plus complexes. Il y a une circulation des rapports.
Et en effet, ils ne cessent pas de se défaire, de se refaire. Par exemple, je prends des notions
vraiment élémentaires de biologie actuelle, je ne cesse pas de refaire de l'os. C'est-à-dire, l'os, c'est
un système de rapports de mouvements et de repos. Vous me direz qu'on ne voit pas tellement que
ça bouge, sauf dans le mouvement volontaire... Mais oui, si, ça bouge, ça bouge, c'est un système
de rapports de mouvements et de repos entre particules.

Mais ce rapport, il ne cesse pas de se défaire. J'emprunte des réserves à mes os, j'emprunte des
réserves minérales à mes os, tout le temps... Il faut imaginer l'os en durée, et pas en spatialité. En
spatialité, ce n'est rien, c'est un squelette, c'est de la mort... Mais l'os en persévérance, en durée,
c'est simplement ceci : c'est que le rapport de mouvement et de repos entre particules que l'os
représente ne cesse de se défaire -à savoir : j'emprunte les réserves minérales de mes os pour
survivre, et de se refaire -à savoir : les os empruntent aux aliments que j'absorbe des réserves
minérales de reconstitution. Donc, l'organisme, c'est un phénomène de durée, beaucoup plus que de
spatialité. Et, vous voyez, ce que je vais appeler persévérance, ou durée, au moins j'ai une première
définition spinozienne, spinoziste, de la persévérance.

Et c'est pour ça que vous remarquez -ça j'y fais allusion pour ceux qui avaient suivi ce moment-,
dans les problèmes que Contesse avait soulevés, moi je disais : mon cheminement serait de
comprendre, une fois dit que dans Spinoza apparaît constamment la formule « tendance à
persévérer dans l'être », je disais : moi je ne peux comprendre « tendance » que comme survenant
en seconde détermination conceptuelle. L'idée de persévérance chez Spinoza est première par
rapport à celle de « tendance à persévérer ». Comment la persévérance va-t-elle devenir une «
tendance à persévérer », il me semble que c'est comme ça qu'on peut poser le problème.

Mais, si j'avais bien compris -là on y reviendra quand j'en aurais fini avec tout ça-, un autre point de
vue peut être le point de vue de Comtesse, qui lui tendrait à dire : ah ben non, dans « conatus »,
dans « tendre à persévérer », ce qui est fondamental, c'est « tendance », et pas « persévérance ».
Ça peut être un point de vue de lecture très légitime, qui donnerait une lecture un peu différente, je
suppose pas opposée, mais un peu différente... Mais pour moi, si vous voulez, je suis ainsi fait - je
ne sais pas, chacun ses modes de lecture-, que je comprends que dans l'expression « tendre à
persévérer dans l'être », je comprends « persévérer » avant d'avoir compris « tendance ». Et je dis,
la persévérance, vous voyez bien ce que c'est... C'est autant qu'un organisme dure, si peu qu'il dure,
c'est le fait qu'il dure essentiellement. Et pourquoi dure-t-il essentiellement ? Parce qu'il ne peut être
défini par un ensemble de rapports de mouvements et de repos que si ces rapports de mouvements
et de repos ne cessent de passer les uns dans les autres, de se décomposer et de se recomposer.

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Et c'est ça la persévérance, c'est cette communication des rapports.

Alors, c'est toujours là où nous en sommes... Mais là-dessus, vous comprenez que je viens
d'essayer de définir une espèce de persévérance, ou, je pourrais dire, de « consistance » de chaque
chose. Je dirais chaque chose consiste ou persévère dans la mesure où les rapports qui la
constituent ne cessent de passer les uns dans les autres, c'est-à-dire de se décomposer du plus
complexe au plus simple, et de se recomposer du plus simple au plus complexe. Et voilà ! Du coup,
j'ai une certaine autonomie de ce que j'appelle « une chose », j'ai défini le « un » de une chose. En
quoi une chose est-elle une ? C'est une définition, il me semble, originale de « une ».

Vous voyez, en effet, pourquoi il est forcé de dire ça, Spinoza ? C'est pour notre joie qu'il fait tout ça !
Mais pourquoi il est forcé ? Il n'a pas le choix, d'une certaine manière... Puisqu'en définissant les
choses, les êtres, les « étant », comme des modes, il s'est interdit de les considérer comme des
substances. Donc leur unité, l'unité de chaque chose, il ne peut pas la définir de manière
substantielle. Donc son issue, c'est qu'il va la définir comme système de rapports, c'est-à-dire le
contraire d'une substance. Et sa force, c'est d'arriver si simplement, avec vraiment une grande
sobriété, une grande simplicité, à nous dire ce que peut vouloir dire « un » au niveau d'un ensemble
de rapports multiples. Chaque chose est constituée par un ensemble de rapports multiples. « Ah bon
! Mais en quoi est-elle une ? » Ce n'est pas difficile, réponse très stricte et très rigoureuse : ses
rapports ne cessent de passer les uns dans les autres, c'est-à-dire de se décomposer et de se
recomposer. C'est ça qui fait le « un » de « une chose ».

Alors, alors, alors, toujours dans ce premièrement, où nous en sommes ? Mais cette chose, elle
baigne dans un milieu lui-même modal, pas substantiel, un milieu modal d'autres choses. Il y a
d'autres choses, il n'y a pas une seule chose. Pourquoi il n'y a pas un seul mode ? Vous avez déjà
deviné, c'est parce que s'il y avait un seul mode, ce serait la substance. S'il y avait un seul « étant »,
ce serait l'être. Il faut bien qu'il y ait des "étant", il faut qu'il y ait des modes, une infinité infinie de
modes, puisque (confusion supprimée) l'être se dit de l'étant, l'être se dit du mode. Mais le mode, lui,
est multiple. Donc, il y a d'autres choses et ces autres choses, il y en a qui me sont complètement
étrangères, avec lesquelles j'ai rien à faire, mais il y en a qui agissent sur moi. Et ces autres choses,
elles sont exactement comme moi, elles aussi pour leurs comptes, elles sont systèmes de rapports
qui passent les uns dans les autres, ce par quoi la chose, toute chose persévère. Que toute chose
persévère, c'est vrai de tout. Il n'y a pas que les organismes, c'est vrai de tout : la table persévère. Et
la table aussi, elle est système de rapports de mouvements et de repos qui passent les uns dans les
autres, ce par quoi je dis « une » table.

Bien... Donc, il y a d'autres choses qui agissent sur moi. Et bien, parmi ces choses, de mon point de
vue - vous voyez ce que ça veut dire « mon point de vue », quel est mon point de vue ? Pourquoi je
peux parler déjà de mon point de vue ?

Mon point de vue, on vient de le définir, c'est le point de vue de ma persévérance. C'est-à-dire, mon
point de vue, c'est le point de vue de l'ensemble des rapports qui me composent, et qui ne cessent
de se décomposer les uns dans les autres, et de se recomposer les uns les autres. C'est ça mon
point de vue. De mon point de vue, je dirai que certaines de ces choses extérieures me sont bonnes
- sont bonnes, ou me sont bonnes c'est pareil -, et que d'autres me sont mauvaises. Ou, mot encore
employé par Spinoza, que certaines me conviennent, que d'autres me disconviennent.

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Je vis sur le mode de : « Tiens, ça, ça me convient... Ah non, ça, ça ne me convient pas... » Mais
qu'est-ce que ça veut dire ? C'est pas des jugements de goût « ça me convient, ça ne me convient
pas ». Qu'est-ce qu'une chose mauvaise ? Une chose mauvaise c'est une chose dont le rapport
décompose tout ou partie de mes rapports constituants. C'est-à-dire : elle force mes particules à
prendre un tout autre rapport qui ne correspond pas à mon ensemble. Ça, c'est mauvais, c'est
poison ! J'ai le modèle du poison, là, dès le début : le poison décompose un de mes rapports
constituants, il détruit un de mes rapports constituants, par là même il est mauvais.

Vous voyez que déjà, il faudrait dire : Ah bien oui, on prend « décomposer » en deux sens, puisque
du point de vue de la persévérance, les rapports qui me constituent ne cessent de se décomposer et
de se recomposer. Mais ça veut dire : le rapport complexe passe dans les rapports simples, et les
rapports simples redonnent le rapport complexe. Tandis que l'autre décomposition, lorsque le poison
agit sur moi, là c'est une décomposition d'un type tout à fait différent. A savoir : un de mes rapports
est détruit, ou bien à la limite tous mes rapports sont détruits. C'est-à-dire : mes particules prennent
de tout autres rapports. En d'autres termes, je suis malade ou je meurs.

On a donc une définition assez stricte, même très stricte, du « mauvais ». Est mauvais... Une chose
ne peut être dite mauvaise que d'un certain point de vue, c'est-à-dire du point de vue du corps dont
la chose décompose un rapport. Donc, lorsque Spinoza disait : « Et bien, c'est pas difficile, Dieu n'a
absolument rien défendu à Adam, Dieu a simplement révélé à Adam que si Adam mangeait du fruit,
Adam serait empoisonné », vous voyez ce que ça veut dire en toute rigueur spinoziste... Ça veut dire
: Dieu a révélé à Adam que s'il mangeait du fruit, un de ses rapports, ou même tous ses rapports
constituants, seraient décomposés. Ce ne serait plus jamais le même Adam. Ce ne serait plus le
même... Comme quand on a subit une épreuve, ou qu'on est passé par un poison violent, et que l'on
dit : « ah non ! Je ne serai plus jamais le même ! » Voilà, ça c'est le mauvais !

Vous comprenez du coup ce que c'est que le « bon ». Le bon : sera dite bonne toute chose dont le
ou les rapports se composent directement - j'insiste sur l'importance de directement -, directement
avec les miens, directement ou avec peu d'intermédiaires. Par exemple, là -mais peut-être cet
exemple nous entraînera dans un autre... dans une analyse plus subtile, tout à l'heure -, je respire,
l'air est bon pour moi. Quel air d'abord ? Quel air ? Ça dépend. Mettons... En gros, l'air est bon pour
moi. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le rapport constituant de l'air se compose - je mets entre
guillemets, « directement », avec un de mes rapports constituants. Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?
En fait, ce n'est pas si simple que ça ! Mais vous voyez, ce que veut dire, quand même... c'est pour
que vous pressentiez ce que veut dire « directement ». Pas si simple que ça, parce que mon rapport
constituant en question, par rapport à l'air, c'est quoi ? C'est le rapport constituant qui va définir les
poumons.

Par rapport à l'air, ce rapport constituant, ce rapport que j'appelle par commodité "pulmonaire", les
poumons, c'est un système de rapports de mouvements et de repos entre particules. Et bien, les
poumons respirent, ça veut dire : ils décomposent le rapport constituant de l'air. Ils le décomposent
pourquoi ? Pour s'approprier la partie de l'air qui leur convient, mettons, pour ne pas compliquer,
l'oxygène. Si je suis un poisson et que j'ai des branchies, là c'est avec de l'eau, c'est l'eau qui me
convient. Parce que les branchies, c'est un autre système de rapports de mouvement et de repos,
qui est capable de décomposer le rapport constituant de l'eau pour en extraire l'oxygène. Mais moi je

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ne suis pas capable. Bien plus - là on voit que les choses sont extrêmement individuelles... tout
dépend de l'état de vos poumons. Est-ce que vous pouvez supporter un air avec fort oxygène, avec
grande proportion d'oxygène ? Il y a des cas où vous ne pouvez pas supporter. Trop d'oxygène, ça
veut dire quoi, ça ? Trop d'oxygène, ça va être une chose bizarre... C'est que dans un air trop chargé
d'oxygène, vous ne pouvez pas faire -dans certains cas, je dis dans certains cas... vous ne pouvez
pas faire votre extraction. Vous voyez, c'est tout un monde des modes qui est extrêmement varié.

Mais vous voyez ce que veut dire « bon », en gros... Est mauvais ce dont le rapport décompose le
plus directement possible un de mes rapports. Est bon ce dont le rapport se compose le plus
directement possible, assez directement, avec un de mes rapports. Très bien... La différence entre
l'aliment et un poison, c'est ça. L'arsenic, mettons - je reviens à cet exemple, puisqu'il y a un texte de
Spinoza sur le fruit qui agit comme poison, un autre texte sur le sang... Prenez un poison qui
décompose le sang. On voit comment il agit. Je disais, dans l'état de santé vous avez chyle-lymphe,
qui ne cessent de composer le sang. Le sang qui ne cesse de se décomposer en chyle-lymphe.
Chyle-lymphe qui reconstituent le sang. Très bien... Lorsque vous absorbez un poison qui
décompose le sang, voilà que le rapport constituant du sang, il est détruit ! Par exemple, excès de
globules blancs, tout ce que vous voulez... Enfin... Vous pouvez vous-même inventer les exemples...

Alors voilà. Il faudrait que ça, ce soit très clair, parce que si ça c'est pas très clair, ça, c'est..... Mais
ce n'est que le résumé de ce à quoi on était arrivé comme statut du mode. Vous voyez, c'est très fort
de définir une chose comme un... vraiment, un complexe de relations. Vous me direz, d'une certaine
manière, ça va de soi. Ça va de soi, mais ça implique un tel choix... Vous comprenez toute l'idée de
l'arrière tête, à savoir « les autres », tout ce qu'il y a comme sous-entendus... Les autres philosophes
ont cru qu'ils ne pouvaient définir l'individu que comme substantiel. Et Spinoza nous dit : mais pas du
tout, l'individu, ce n'est pas une substance... Ça, d'Aristote à Descartes, il y a au moins un point
commun. Ils varient tous sur la compréhension et la définition de la substance, mais d'Aristote à
Descartes, l'accord est absolu - y compris Leibniz après Descartes... Jusqu'à Leibniz, l'accord de la
tradition philosophique - je ne dis pas qu'il n'y avait pas des penseurs étranges qui déjà avaient mis
ce point en question - considérait qu'on ne pouvait définir un, un corps, que par référence à la
catégorie de substance, un individu que par la substance.

Question : Et chez Spinoza, est-ce qu'on peut dire que la substance ou le substrat supporte les
relations, les rapports ( Deleuze : Non ! ), ou bien que les relations sont antérieures à la substance ?

Deleuze : Non, ni l'un ni l'autre. À mon avis, ni l'un ni l'autre. Non. Il faudra une forme de relation
complètement originale, qui sera la relation de la substance et des modes. Mais ça, on ne pourra le
voir que quand on passera au versant ontologique, puisque là c'est l'Éthique. Oui, ça c'est une bonne
question, quel sera le rapport de la substance et des modes ? Mais ça dépasse de loin ce que je suis
en train de ...

Question inaudible

Deleuze : 32. Sur le sang, oui... Oui, très belle lettre, où il parle de l'unité de la Nature, puisqu'à la
limite, il n'y a qu'une seule et même Nature, la Nature étant l'infinité des rapports qui passent les uns
dans les autres. Donc, c'est ça la Nature avec un grand « N ».

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Bon, je passe à mon deuxième point. Il va aller très vite, lui... Je viens de dire : il y a deux sortes de
décomposition lorsque je dis « un rapport est décomposé ». Il y a une décomposition circulation, qui
celle-là est bonne et appartient à la persévérance. Encore une fois, mes rapports complexes ne
cessent de se décomposer, en même temps que mes rapports simples ne cessent de recomposer
des rapports complexes. Donc c'est une décomposition-recomposition, qui appartient à la
persévérance. C'est une décomposition-circulation.

Mais on a vu que lorsque je dis : « le poison décompose un de mes rapports », il ne s'agit plus de ça
du tout, il s'agit d'une décomposition destruction. Un de mes rapports est détruit par le rapport
constitutif du poison. Par exemple, mon sang qui est défini par un rapport, et bien... voila ! Vous me
suivez ? Qu'est ce que ça veut dire « un rapport est détruit » ? Hein, qu'est ce que ça veut dire ? Et
bien, c'est très rigolo, chez Spinoza, c'est... il ne le dit pas, mais c'est comme si il le disait. Il y a des
choses, il faut les savoir par cœur. Ce serait très bon de savoir par cœur l'Éthique. Apprenez-là par
cœur (rires). Si, s'il y a des textes qu'on apprend par cœur, s'il y en a un en philosophie, c'est
l'Éthique. Apprendre Kant par cœur, aucun sens ! Ça sert à rien. Apprendre par cœur Spinoza, ça
sert pour la vie. Vous vous dites, dans chaque condition de la vie, vous vous dîtes « ah bon... à
quelle proposition ça renvoie, ça ? » Et il y en a toujours une, dans Spinoza. Donc, ça peut vous
servir beaucoup.

Alors, bon ! Un de mes rapports est détruit, qu'est-ce que ça veut dire ? Très rigoureusement, ça
veut dire ceci. Comment un rapport peut-il être détruit ? Je ne vois pas, après tout... Et en effet, là on
va faire quand même une remarque très importante, peut-être... Un rapport... Ce qui peut être
détruit, c'est les termes d'un rapport. Mais un rapport, où c'est ? Comment ça pourrait être détruit ?
Où c'est un rapport ? Si je dis : Pierre est plus petit que Paul... c'est un rapport, « Pierre est plus petit
que Paul », hein ? Je vois bien que Pierre ou Paul, ils peuvent être détruits, à supposer qu'ils ne sont
pas eux-mêmes des rapports. Mais « plus petit que », comment ça pourrait être détruit un truc
comme ça ? Comment une relation pourrait-elle être détruite ?

Vous voyez, c'est un abîme, ça... Ça ne peut pas être détruit une relation. Pourquoi une relation, ça
ne peut pas être détruit ? Réponse très simple, c'est parce que comme chacun de vous le sait et le
vit : une relation, un rapport, c'est une vérité éternelle. Une vérité éternelle, ça ne peut pas être
détruit... 2 + 2 = 4, ça c'est un rapport. 2 + 2 = 4 c'est un complexe de rapports, puisque 2 + 2 = 4
c'est l'affirmation qu'il y a un rapport d'égalité entre deux rapports : le rapport de 2 + 2 et le rapport de
4. Donc c'est un rapport entre deux rapports. Ça ne peut pas être détruit ! Les vérités éternelles sont
indestructibles ! Pierre et Paul peuvent mourir, il n'en reste pas moins éternellement vrai que Pierre
aura été plus petit que Paul. Alors, qu'est ce que ça peut vouloir dire ? Une chose très simple... ça
veut dire, nécessairement... C'est par commodité qu'on dit qu'un rapport est détruit. Manière de
parler... Il faut bien parler comme ça, sinon on s'encombre.

Mais en réalité, ça veut dire « un rapport cesse d'être effectué ». Il n'est pas détruit, il cesse d'être
effectué. C'est très important pour ce que Spinoza appellera la vie éternelle, quand il nous apprendra
que nous sommes éternels. Ce que je suis en train de dire, c'est donc uniquement pour lancer un
certain thème de l'éternité.

En fait, lorsque je dis « un de mes rapports est détruit », ça veut uniquement dire, ça ne peut pas

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vouloir dire autre chose que : un de mes rapports cesse d'être effectué. Ça veut dire quoi, effectuer
un rapport ? Effectuer un rapport, c'est très simple... Un rapport est effectué lorsque sont présents,
lorsque se présentent les termes entre lesquels le rapport s'établit avec vérité. Si je dis « plus petit
que », j'ai énoncé un rapport, mais c'est un rapport vide. J'effectue le rapport lorsque je trouve ou
présente deux termes qui sont l'un avec l'autre dans la relation conforme au rapport « plus petit que
». C'est pourquoi l'on peut faire une logique des relations. Une logique des relations a toujours été
considérée comme distincte de ce qu'on appelle une logique de l'attribution, la logique de l'attribution
étant le rapport de la qualité à la substance. Je dis « le ciel est bleu », à première vue... -je ne suis
pas sûr qu'il y ait une logique de l'attribution, peut-être il n'y en a pas... Mais à première vue, lorsque
je dis « le ciel est bleu », j'attribue une qualité ou un prédicat à un sujet. Le sujet, c'est le ciel, bleu
c'est la qualité, ou le prédicat. Et, comment est-ce que je peux dire « le ciel est bleu » ? Ça c'est le
problème de la logique de l'attribution. Qu'est ce que ça veut dire : comment est-ce que je peux dire
« le ciel est bleu » ? C'est que ça ne va pas de soi. D'une certaine manière, quand je dis « le ciel est
bleu », je dis « A est B ». C'est bizarre, comment, de quel droit puis-je dire « A est B » ? C'est un
problème... Je veux dire que toutes sortes de logiques sont des logiques de l'attribution, dans la
mesure où c'est ça le problème qu'elle posent. Mais comprenez que lorsque je dis « Pierre est plus
petit que Paul », « plus petit que » n'est pas une qualité de Pierre. La preuve, c'est que Pierre qui est
plus petit que Paul, il est plus grand que Jules. La relation n'est pas une qualité attribuable à la
chose. Même au niveau du sentiment, vous sentez bien que c'est un autre domaine, le domaine des
relations. D'où : la possibilité d'une logique des relations n'a jamais cessé historiquement dans
l'histoire de la logique de la philosophie, n'a jamais cessé historiquement de taquiner, de tourmenter
la logique de la substance ou de l'attribution.

Que faire des relations du point de vue d'une logique de la substance ? C'est que les relations, elles
vont poser des problèmes ... Je ne peux pas dire, encore une fois, que « plus petit que Pierre » soit
un attribut ou une qualité de Paul. C'est autre chose... Irréductibilité des relations "égalité"... C'est un
drame ! Dès lors, comment penser ? C'est ça qui a porté un grand coup à ce qu'on pourrait appeler
le substantialisme. Vous comprenez, au contraire, que Spinoza, il serait particulièrement à l'aise
dans une logique des relations, puisque justement, il n'a pas défini les corps comme substance.
Lorsque j'ai défini les corps comme substance, je me trouve devant un sacré problème.

Comment penser les relations entre les corps ? Au moins, Spinoza, il s'est mis dans des problèmes
très étranges, en refusant que les corps soient des substances, mais, dès lors, il s'évite certains
problèmes. Les relations pour lui, c'est au contraire le domaine qui va le plus de soi. Nous sommes
des paquets de relations, chacun de nous est un paquet de relations. Donc, c'est pas les relations
qui l'étonnent, lui... Dès lors, encore une fois, « un de mes rapports est détruit », ça veut dire « il
cesse d'être effectué ». Qu'est-ce qui effectue mes rapports ? On a vu la réponse, encore très
insuffisante puisque je n'ai pas analysé - et c'est pas pour aujourd'hui que je vais analyser ça. De
toute manière, il nous dit quelque chose pour le moment d'aussi vague que : ce qui effectue des
rapports, de toute manière, c'est des particules. Des particules plus ou moins complexes. Et les
particules, qu'est-ce qu'elles sont ? Vous sentez, elles-mêmes, que alors ce n'est rien d'autre, à la
limite, que des supports de relations. Évidemment, elles n'ont pas d'intériorité, les particules, elles
sont uniquement supports de relations, termes de relations, termes de relations variables. Si bien
qu'on pourrait presque faire une logique très formelle de la relation chez Spinoza. Mais enfin, ce
serait autre chose... Et bien, et bien, qu'est-ce que ça veut dire ? Des particules qui effectuaient un
de mes rapports ne l'effectuent plus... Qu'est-ce que ça peut vouloir dire ça ? Ça devient limpide !

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Elles ne l'effectuent plus, évidemment, évidemment qu'elles ne l'effectuent plus... Pourquoi elles ne
l'effectuent plus ? Elles ne l'effectuent plus parce qu'elles ont été déterminées à rentrer sous un autre
rapport, incompatible avec le mien.

Donc, elles n'effectuent plus mon rapport, elles en ont pris un autre. Et le nouveau rapport qu'elles
ont pris n'est pas compatible, c'est-à-dire, il ne circule pas avec les miens. Exemple : l'arsenic,
toujours. L'arsenic décompose mon sang... Bon, ça veut dire quoi ? Les particules de mon sang, qui
constituaient mon sang en tant que elles entraient sous tel rapport - le rapport constitutif de mon
sang, qui était lui-même un rapport de mouvement et de repos entre ces particules -, et bien voilà
que, sous l'action de l'arsenic, ces particules sont déterminées à prendre un autre rapport. Or, le
nouveau rapport qu'elles ont pris ne circule pas avec les miens, ne se compose pas avec les miens.
Et je peux dire : « Oh mon Dieu, je n'ai plus de sang ! » Peu après, je meurs. J'ai mangé la pomme.
Vous voyez... Bon, cette deuxième remarque avait uniquement pour but de dire « attention ! »
Qu'est-ce que veut dire « un rapport est détruit » ?

Et bien, ça n'empêche pas que les rapports ont des vérités éternelles. Mais, « un rapport est détruit
», ça veut dire qu'il n'est plus effectué. Il n'y a plus de particules pour actualiser le rapport,
c'est-à-dire pour fournir des termes au rapport. Actualiser le rapport, effectuer le rapport, c'est fournir
des termes au rapport. Termes tout relatifs, puisque ces termes seront des rapports à leur tour, mais
des rapports d'une autre sorte. Si bien que tout rapport est rapport de rapports à l'infini. Les termes
étant simplement les termes relatifs à tel niveau de rapport. C'est une belle vision, belle vision du
monde ! Ça manque de substance, précisément. Plus de substance là-dedans. Voilà, mon deuxième
point. Donc, lorsque je dirai par commodité « un de mes rapports est décomposé ou détruit », il n'y
aura plus de problème. Je le dirai par commodité, parce que c'est plus rapide que dire « ce rapport
n'est plus effectué par des particules ». Bon, jusque là ça va, hein ? Jusque là c'est limpide. Très
bien !

Troisième remarque. Ça va se compliquer... Ça va se compliquer, et ce n'est pas ma faute, il faut


vraiment que ça se complique... Il faut que ça se complique, parce que je reviens à mon point de vue
: ce qui définit ma persévérance, c'est l'ensemble des communications de rapports, à savoir que
entre mes rapports constituants, ça ne cesse de communiquer. Et ça ne cesse de communiquer, ça
veut dire que ça ne cesse de se décomposer du plus complexe au plus simple, et de se recomposer
du plus simple au plus complexe. Je ne cesse de défaire mes os et de les refaire. Il y a une
chronologie osseuse, beaucoup plus importante que la spatialité osseuse.

Et bien, qu'est-ce que ça implique ça ? Ce système de la persévérance ou de la consistance,


qu'est-ce que ça implique ? C'est là que ça implique une drôle de chose, parce que, je fais une
parenthèse... Vous vous rappelez que, dans la longue introduction que j'ai faite pour situer ce
problème, j'ai parlé d'une doctrine de Spinoza, le parallélisme. Et que j'avais dit des choses très
simples sur le parallélisme, je ne voulais pas le considérer pour lui-même, j'avais dit des choses très
très élémentaires, du type : « et bien, vous comprenez, un corps est un mode d'un attribut de la
substance, cet attribut de la substance étant l'étendue. Un corps, c'est un mode de l'étendue ».

Or, vous ou moi, ou toutes les choses que nous connaissons d'ailleurs, selon Spinoza, nous ne
sommes pas seulement des corps. En fait, nous sommes des modes doubles. Nous sommes aussi
des âmes. Et qu'est-ce que ça veut dire, une âme ? Ce n'est pas difficile, chez Spinoza, une âme,

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c'est un mode de la pensée. Un corps, c'est un mode de l'étendue, une âme, c'est un mode de la
pensée. Et nous sommes indissolublement corps et âme. Spinoza va même jusqu'à dire « toute
chose est animée », c'est-à-dire : tout corps a une âme.

Qu'est-ce que ça veut dire, tout corps a une âme ? Ça veut dire que, à tout mode de l'étendue «
corps », correspond un mode de la pensée « âme ». Donc, je suis un corps dans l'étendue, mais je
suis une âme dans la pensée. Et la pensée est un attribut de Dieu, non moins que l'étendue est un
attribut de Dieu. Donc, je suis âme et corps. Vous voyez, vous voyez par parenthèse la très belle
vision de Spinoza, à savoir qu'il n'y a aucun problème de l'union de l'âme et du corps. Pourquoi ?
Parce que l'âme et le corps, c'est strictement la même chose, sous deux attributs différents. L'âme et
le corps, c'est la même, en deux modes. L'âme et le corps, c'est la même modification de la
substance, en deux modes d'attributs différents. Ils se distinguent par l'attribut, mais c'est la même
modification.

J'appellerai âme une modification rapportée à l'attribut « pensée », et corps la même modification
rapportée à l'attribut « étendue ». D'où l'idée d'un parallélisme de l'âme et du corps. Ce que le corps
exprime dans l'attribut « étendue », l'âme l'exprime dans l'attribut « pensée ». Si vous comprenez le
moins du monde ça, à peine on comprend... C'est ça ce qu'il y a de gai dans la vie : c'est que dès
que l'on comprend quelque chose, dès qu'on a évité un contresens, on risque de tomber dans un
autre contresens ! Car à peine on a compris ça, que pour Spinoza l'âme et le corps, c'était la même
chose, et que l'âme et le corps exprimaient strictement la même chose, on risque d'avoir des
difficultés à nouveau. Parce que, on a presque envie de dire : Ah bon ! Et bien puisque un corps se
définit par un ensemble de rapports de mouvement et de repos, une âme, elle aussi, aura des
rapports de mouvement et de repos... Ecoutez-moi bien... On a très envie de dire ça !

Bien plus, Spinoza le dit parfois. Il le dit parfois. « Et ben oui, il y a des parties de l'âme comme il y a
des parties du corps, et les parties de l'âme entrent dans des rapports tout comme les parties du
corps entrent dans des rapports ». Et il a raison de le dire, parce qu'il faut parler le plus simplement
possible. Il y a des moments où il faut parler comme ça, quand c'est pas exactement ça le problème
qu'on se pose... Ça va plus vite, ça permet de mieux cerner un autre problème. Mais pourquoi est-ce
que sérieusement, en toute rigueur, il ne peut pas le dire ? Au point que même s'il le dit... Alors
certes, on ne va pas se permettre de corriger Spinoza et de dire : là, il se trompe, il se trompe sur sa
propre pensée... Je dis tout à fait autre chose, je dis : il peut avoir l'air de dire ça, il ne le dit pas
vraiment. Il peut avoir l'air de dire ça pour une raison très simple, c'est pour aller plus vite, parce que
le vrai problème qu'il pose dans ce texte-là est un autre problème. Mais en fait, il ne peut pas le dire
en toute rigueur, pour une raison très simple - là vous devriez déjà me donner la réponse d'avance...
Il ne peut pas le dire pour une raison très simple, c'est que mouvement et repos, c'est des modes de
l'étendue. Ça appartient à l'étendue. Bien plus, je peux parler d'un mouvement de l'âme, mais c'est
par métaphore... L'affaire de l'âme, c'est pas le mouvement. Le mouvement et le repos, c'est une
pulsion des corps.

Donc, je peux dire -comprenez-moi... Je peux dire : en vertu du parallélisme, il doit y avoir dans la
pensée quelque chose qui est à la pensée ce que le mouvement et le repos est à l'étendue. Mais je
ne peux pas dire : il y a un mouvement et repos dans la pensée comme il y a un mouvement et
repos dans l'étendue. Car mouvement et repos ne se disent pas de la pensée, ça se dit de l'étendue.
En toute rigueur, je ne peux pas conclure du mouvement et du repos, des rapports de mouvement et

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de repos tels qu'ils se présentent dans les corps situés dans l'étendue, je ne peux pas en conclure,
en inférer, qu'il y a donc aussi des mouvements et des repos, des rapports de mouvements et de
repos dans l'âme qui est située dans la pensée. Alors, même s'il le dit, même s'il a l'air de le dire, il
ne le dit que pour rire - enfin, vous me comprenez... Pour aller vite quand c'est pas le problème.
Quand c'est le problème, il faudra bien qu'il dise autre chose. Et qu'est-ce qu'il va pouvoir dire ? Et
bien, il nous dit une chose bien intéressante. Car je trouve dans le livre... dans l'Éthique, livre II,
proposition 13, scholie (la partie qui s'appelle Scholie), je lis ceci : « Je dis en général »... Il précise...
« Je dis en général », c'est une proposition générale. Qu'est-ce qu'il dit en général ? « Je dis en
général que, plus un corps est apte par rapport aux autres à être actif ou passif... ». « Plus un corps
est apte par rapport aux autres à être actif ou passif... ». Accordez-moi que ça veut dire : plus un
corps est apte à être avec d'autres, dans des relations -avec d'autres corps...-, dans des relations de
mouvement et de repos. C'est-à-dire plus un corps est apte à subir les effets d'un autre corps et
d'être cause d'un effet sur les autres corps.

Je suis actif si j'agis sur un autre corps, je suis passif si je reçois l'action d'un autre corps. Donc,
d'après ce qu'on a vu, cette aptitude à être actif ou passif, c'est exactement l'aptitude que j'ai à entrer
en rapport avec des corps extérieurs, rapports de mouvement et de repos. Donc, je peux transformer
la phrase sans aucune modification de fond : je dis en général que plus un corps est apte à avoir des
relations de mouvement et de repos avec d'autres corps... « Plus son esprit... », plus son esprit,
c'est-à-dire son âme... Plus son esprit... -en effet chez Spinoza, c'est deux termes identiques, il
préfère employer le terme latin "esprit", « mens », plutôt que le terme « anima »... Plus un corps est
apte à être actif ou passif, c'est-à-dire à avoir des rapports avec d'autres, « plus son esprit est apte
par rapport aux autres esprits à... », il ne dit pas être actif ou passif, il dit : « à percevoir plus de
choses à la fois ». A percevoir plus de choses à la fois. Là, c'est un vrai problème, il me semble...

Il nous dit formellement : ce qui correspond à action-passion dans le corps - ou si vous préférez
mouvement-repos... Dans l'âme c'est quoi ? C'est même pas action-passion, c'est « perception ».
Plus un corps, en toute rigueur... - et ça, je crois que c'est vraiment le fond... là je crois que Spinoza
dit le fond de sa pensée... Ce qui correspond à l'ensemble des actions et des passions d'un corps
dans l'étendue, c'est les perceptions de l'âme. Ce qui correspond donc aux rapports de mouvements
et de repos dans le corps, ce sont des perceptions de l'âme. Du coup, on se dit : bon, qu'est-ce qui
se passe, qu'est-ce que ça veut dire, ça... ?

Vous voyez, le parallélisme ne met pas en rapport mouvement et repos dans l'étendue et
mouvement et repos dans l'âme, mais mouvement et repos dans l'étendue - mouvement et repos
étant des modes de l'étendue - et perception dans l'âme. Si bien que le parallélisme n'a rien à voir
avec un... Déjà, on a plus le choix, c'est ça qui est bien... Le parallélisme n'a rien à voir avec la
manière dont on l'interprète d'habitude. Quand on pense qu'il y a des mouvements de l'âme qui
correspondent aux mouvements du corps. Spinoza ne dit pas ça du tout.

Ce qui correspond aux mouvements du corps, c'est des perceptions. Vous me direz : mais ces
perceptions, elles sont en mouvement... Peut-être que ça nous permettra de donner un sens à un
mouvement propre à l'âme, la perception... Mais c'est parce que c'est des perceptions d'abord. C'est
pas des mouvements d'abord, c'est des perceptions. Qu'il y ait un dynamisme de la perception, ça,
c'est autre chose... Alors... Mais en même temps, là-dessus, j'imagine, quelqu'un peut m'objecter :
mais qu'est-ce que tu as déjà... trituré ce texte ? Parce que le texte dit une chose très simple,

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semble-t-il : « Plus mon corps a des rapports de mouvements et de repos, par lesquels il entre en
rapport avec les corps extérieurs, plus il perçoit de choses ». C'est très simple ça, on va me dire...
C'est tellement simple, tellement simple... Ça veut dire : et ben forcément, quand un corps a un effet
sur le mien, je perçois le corps extérieur. C'est pas plus compliqué que ça, je veux dire, presque,
c'est une évidence... La table agit sur moi, je me cogne là, je heurte la table, je perçois la table
comme me heurtant. D'accord, où est le problème ? Et ben, bon, d'accord, le problème il est là... Ce
qui correspond à un mouvement/repos dans le corps, encore une fois c'est une perception dans
l'âme. Bien, ça a l'air tout simple, mais non ! Parce que, c'est tout comme tout à l'heure, si j'ai des
rapports complexes du point de vue de mon corps, c'est aussi parce que j'ai des rapports très
simples. Le rapport complexe est composé par des rapports plus simples, et cætera, à l'infini... Il y a
un système de circulation. Si j'ai des perceptions globales qui correspondent aux rapports
complexes, à savoir « je perçois la table », il faut bien que j'aie des perceptions comme
élémentaires, ou plus simples. Qu'est-ce que c'est que ces perceptions élémentaires et plus simples
? Il faudra qu'il y ait aussi un circuit de communications des perceptions entre elles, et ce circuit de
communications définira la persévérance de l'âme.

Qu'est-ce que je veux dire ? Faites encore attention très fort et on va se reposer après, parce que
vous n'en pouvez plus. Et bien, sentez ce que ça veut dire... Revenons au sang. Et puis on va voir
qu'il s'agit de bien autre chose que de la perception au sens ordinaire du terme. Le chyle et la
lymphe ont des rapports qui se conviennent. Qu'est-ce que ça veut dire le chyle et la lymphe ont des
rapports qui se conviennent, cela veut dire que ces rapports se composent directement. Ils se
composent directement pour quoi faire ? Pour constituer un troisième rapport : le sang. Bien... Tous
ces rapports en tant que je persévère, sont effectués par des particules. S'ils cessaient d'être
effectués, je serais détruit, et mon sang serait détruit. Bien... Imaginez un instant, vous êtes une
particule de lymphe, ça veut dire vous effectuez un rapport ou vous entrez dans l'effectuation d'un
rapport, qui se compose directement avec le rapport qu'effectuent les particules de chyle - ou
l'inverse, je ne sais plus ce que j'ai dit. Vous me suivez ?

Ça implique quoi ça ? C'est que le chyle ait un pouvoir de discerner la lymphe, que la lymphe ait un
pouvoir de discerner le chyle. Les particules de chyle et les particules de lymphe s'unissent pour
constituer le sang. Comment s'uniraient-ils s'ils ne se distinguaient pas ? Si le chyle n'avait aucun
pouvoir de discernement, qu'est-ce qui empêcherait ces particules de s'unir aux particules de
l'arsenic, tandis que l'arsenic détruit le rapport constitutif du chyle ? Il faut que les particules de chyle
et les particules de lymphe aient un pouvoir de discernement réciproque.

l'étonnent,lui.Dès lors, encore une fois, « un de mes rapports est détruit », cela veut dire « il cesse
d'être effectué ». Qu'est-ce qui effectue mes rapports ? On a vu la réponse, encore très insuffisante
puisque je n'ai pas analysé - et ce n'est pas pour aujourd'hui que je vais analyser cela - De toute
manière, il nous dit quelque chose pour le moment d'aussi vague que « ce qui effectue des rapports,
de toute manière, ce sont des particules », des particules plus ou moins complexes ; et les
particules, qu'est-ce qu'elles sont ? Vous sentez elles-mêmes qu'alors, ce n'est rien d'autre à la limite
que des supports de relation. Évidemment, elles n'ont pas d'intériorité les particules, elles sont
uniquement supports de relations, termes de relations, termes de relations variables ; si bien qu'on
pourrait presque faire une logique très formelle de la relation chez Spinoza. Mais enfin, ce serait
autre chose. Et bien, et bien, qu'est-ce que cela veut dire ? Des particules qui effectuaient un de mes
rapports ne l'effectuent plus, qu'est-ce que cela peut vouloir dire cela ? Ça devient limpide. Elles ne

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l'effectuent plus, évidemment qu'elles ne l'effectuent plus, pourquoi elles ne l'effectuent plus ? Elles
ne l'effectuent plus parce qu'elles ont été déterminées à rentrer sous un autre rapport, incompatible
avec le mien.

Donc, elles n'effectuent plus mon rapport, elles en ont pris un autre. Et le nouveau rapport
qu'elles ont pris n'est pas compatible, c'est-à-dire il ne circule pas avec les miens. Exemple :
l'arsenic, toujours. L'arsenic décompose mon sang, cela veut dire quoi ? Les particules de mon sang,
qui constituaient mon sang en tant qu'elles entraient sous tel rapport - le rapport constitutif de mon
sang, qui était lui-même un rapport de mouvement et de repos entre ces particules - et bien voilà
que, sous l'action de l'arsenic, ces particules sont déterminées à prendre un autre rapport. Or, le
nouveau rapport qu'elles ont pris ne circule pas avec les miens, ne se composent pas avec les
miens. Et je peux dire : « Oh mon Dieu, je n'ai plus de sang ! » Peu après, je meurs ; j'ai mangé la
pomme. Voyez ! Bon, cette deuxième remarque avait uniquement pour but de dire « attention ! »
Qu'est-ce que veut dire « un rapport est détruit » ?

Et bien, cela n'empêche pas que les rapports ont des Vérités éternelles ; mais, « un rapport est
détruit », cela veut dire qu'il n'est plus effectué. Il n'y a plus de particules pour actualiser le rapport,
c'est-à-dire pour fournir des termes au rapport. Actualiser le rapport, effectuer le rapport, c'est fournir
des termes au rapport. Termes tout relatifs, puisque ces termes seront des rapports à leur tour, mais
des rapports d'une autre sorte ; si bien que tout rapport est rapport de rapports à l'infini. Les termes
étant simplement les termes relatifs à tel niveau de rapport. C'est une belle vision, belle vision du
monde ! Ça manque de substance précisément. Plus de substance là-dedans. Voilà, mon deuxième
point. Donc, lorsque je dirai par commodité « un de mes rapports est décomposé ou détruit », il n'y
aura plus de problème, je le dirai par commodité, parce que c'est plus rapide que de dire « ce rapport
n'est plus effectué par des particules ». Bon, jusque là ça va, jusque là c'est limpide. Très bien !

Troisième remarque. Ça va se compliquer et ce n'est pas ma faute ; il faut vraiment que ça se


complique. Il faut que ça se complique parce que je reviens à mon point de vue : ce qui définit ma
persévérance, c'est l'ensemble des communications de rapports, à savoir que entre mes rapports
constituants, cela ne cesse de communiquer et cela ne cesse de communiquer ; cela veut dire que
cela ne cesse de se décomposer du plus complexe au plus simple et de se recomposer du plus
simple au plus complexe. Je ne cesse de défaire mes os et de les refaire ; il y a une chronologie
osseuse beaucoup plus importante que la spatialité osseuse.

Et bien, qu'est-ce que cela implique cela ? Ce système de la persévérance ou de la consistance,


qu'est-ce que cela implique ? C'est là que ça implique une drôle de chose, parce que, je fais une
parenthèse : Vous vous rappelez que dans la longue introduction que j'ai faite pour situer ce
problème, j'ai parlé d'une doctrine de Spinoza - le « parallélisme » - et que j'avais dit des choses très
simples sur le parallélisme - je ne voulais pas le considérer pour lui-même -, j'avais dit des choses
très élémentaires du type : « et bien, vous comprenez, un corps est un mode d'un attribut de la
substance, cet attribut de la substance étant l'étendue ; un corps, c'est un mode de l'étendue . »
Or, vous ou moi, ou toutes les choses que nous connaissons d'ailleurs, selon Spinoza, nous ne
sommes pas seulement des corps ; en fait, nous sommes des modes doubles, nous sommes aussi
des âmes, et qu'est-ce que cela veut dire une âme ? Ce n'est pas difficile, chez Spinoza, une âme,
c'est un mode de la pensée ; un corps est un mode de l'étendue, une âme est un mode de la
pensée. Et nous sommes indissolublement corps et âme. Spinoza va même jusqu'à dire « toute

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chose est animée », c'est-à-dire « tout corps a une âme ».

Qu'est-ce que cela veut dire « tout corps a une âme », cela veut dire que, à tout mode de
l'étendue « corps », correspond un mode de la pensée « âme ». Donc, je suis un corps dans
l'étendue, mais je suis une âme dans la pensée. Et la pensée est un attribut "Dieu" non moins que
l'étendue est un attribut (...)). Donc, je suis âme et corps. Voyez par parenthèse la très belle vision de
Spinoza, à savoir qu'il n'y a aucun problème de l'union de l'âme et du corps, pourquoi ? Parce que
l'âme et le corps, c'est strictement la même chose, sous deux attributs différents. L'âme et le corps,
c'est la même modification en deux modes ; l'âme et le corps, c'est la même modification de la
substance en deux modes d'attributs différents. Ils se distinguent par l'attribut, mais c'est la même
modification.

- J'appellerai « âme » une modification rapportée à l'attribut « pensée », et « corps », la même


modification rapportée à l'attribut « étendue ». D'où l'idée d'un parallélisme de l'âme et du corps. Ce
que le corps exprime dans l'attribut « étendue », l'âme l'exprime dans l'attribut de « pensée ». Si
vous comprenez le moins du monde ça à peine on comprend c'est ça qu'il y a de gai dans la vie ,
c'est que dès que l'on comprend quelque chose, dès qu'on a évité un contresens, on risque de
tomber dans un autre contresens. Car à peine qu'on a compris cela que l'âme et le corps, chez
Spinoza, c'était la même chose, et que l'âme et le corps exprimaient strictement la même chose, on
risque d'avoir des difficultés à nouveau ; parce qu'on a presque envie de dire : « ah bon, et bien
puisqu'un corps se définit par un ensemble de rapports de mouvement et de repos, une âme, elle
aussi, aura des rapports de mouvement et de repos ». On a très envie de dire cela !

Bien plus, Spinoza le dit parfois ; il le dit parfois. « Il y a des parties de l'âme comme il y a des
parties du corps, et les parties de l'âme entrent dans des rapports tout comme les parties du corps
entrent dans des rapports ». Et il a raison de le dire, parce qu'il faut parler le plus simplement
possible. Il y a des moments où il faut parler comme cela, quand ce n'est pas exactement cela le
problème qu'on se pose. Cela va plus vite, cela permet de cerner un autre problème. Mais pourquoi
est-ce que sérieusement, en toute rigueur, il ne peut pas le dire, au point que même s'il le dit... ?
Alors certes, on ne va pas se permettre de corriger Spinoza et de se dire « là, il se trompe, il se
trompe sur sa propre pensée » ; je dis tout à fait autre chose, je dis : « il peut avoir l'air de dire cela,
mais il ne le dit pas vraiment ». Il peut avoir l'air de dire cela pour une raison très simple, c'est pour
aller plus vite, parce que le vrai problème qu'il se pose dans ce cadre-là est un autre problème. Mais
en fait, il ne peut pas dire en toute rigueur, pour une raison très simple - vous devriez déjà me
donner la réponse d'avance -, pour une raison très simple que « mouvement » et « repos », ce sont
des modes de l'étendue, cela appartient à l'étendue. Bien plus, je peux parler d'un mouvement de
l'âme, mais c'est par métaphore. L'affaire de l'âme n'est pas le mouvement ; le mouvement et le
repos, c'est une pulsion des corps.

Donc, je peux dire - comprenez-moi - je peux dire : « en vertu du parallélisme, il doit y avoir dans
la pensée quelque chose qui est à la pensée ce que le mouvement et le repos est à l'étendue »,
mais je ne peux pas dire : « il y a un mouvement et repos dans la pensée comme il y a un
mouvement et repos dans l'étendue ». Car mouvement et repos ne se disent pas de la pensée, cela
se dit de l'étendue. En toute rigueur, je ne peux pas conclure du mouvement et du repos, des
rapports de mouvement et de repos tels qu'ils se présentent dans les corps situés dans l'étendue ; je
ne peux pas en conclure, en inférer qu'il y a donc aussi des mouvements et des repos, des rapports

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de mouvements et de repos dans l'âme qui est située dans la pensée. Alors, même s'il le dit, même
s'il a l'air de le dire, il ne le dit que pour rire - enfin, vous me comprenez -, pour aller vite quand ce
n'est pas le problème. Quand c'est le problème, il faudra bien qu'il dise autre chose. Et qu'est-ce qu'il
va pouvoir dire ? Et bien, il nous dit une chose bien intéressante.

Car je trouve dans le livre, dans " l'Éthique", livre II, proposition 13, scholie (la partie qui s'appelle
Scholie), je lis ceci : « Je dis en général »... Il précise ; « Je dis en général », c'est une proposition
générale. Qu'est-ce qu'il dit en général ? « Je dis en général que plus un corps est apte par rapport
aux autres à être actif ou passif »... Accordez-moi que cela veut dire : plus un corps est apte à être
avec d'autres, dans des relations avec d'autres corps, dans des relations de mouvement et de repos
; c'est-à-dire plus un corps est apte à subir les effets d'un autre corps et d'être cause d'un effet sur
les autres corps.
Je suis actif si j'agis sur un autre corps,
je suis passif si je reçois l'action d'un autre corps. Donc, d'après ce que l'on a vu, cette aptitude à
être actif ou passif, c'est exactement l'aptitude que j'ai à entrer en rapport avec des corps extérieurs,
rapports de mouvement et de repos. Donc, je peux transformer la phrase sans aucune modification
de fond : je dis en général que plus un corps est apte à avoir des relations de mouvement et de
repos avec d'autres corps, « plus son esprit », c'est-à-dire son âme - en effet chez Spinoza, ce sont
deux termes identiques, il préfère employer le terme latin "esprit", « mens », plutôt que le terme «
anima » -, plus un corps est apte à être actif ou passif, c'est-à-dire à avoir des rapports avec
d'autres, plus son esprit est apte par rapport aux autres esprits à, il ne dit pas être actif ou passif, il
dit, à percevoir plus de choses à la fois. Là, c'est un vrai problème, il me semble.

Il nous dit formellement que ce qui correspond à "action, passion" dans le corps - ou si vous
préférez "mouvement, repos" -, dans l'âme c'est quoi ? C'est même pas action, passion, c'est «
perception ». Plus un corps en toute rigueur - et là je crois que Spinoza dit le fond de sa pensée -, ce
qui correspond à l'ensemble des actions et des passions d'un corps dans l'étendue, ce sont des
perceptions de l'âme. Ce qui correspond donc aux rapports de mouvements et de repos dans le
corps, ce sont des perceptions de l'âme. Du coup, on se dit « bon, qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce
que cela veut dire cela ? »

Voyez, le parallélisme ne met pas en rapport mouvement et repos dans l'étendue et mouvement
et repos dans l'âme, mais mouvement et repos dans l'étendue - mouvement et repos étant des
modes de l'étendue - et perception dans l'âme. Si bien que le parallélisme n'a rien à voir avec un
déjà. On a plus le choix, c'est cela qui est bien. Un parallélisme n'arien à voir avec la manière dont
on l'interprète d'habitude. Quand on pense qu'il y a des mouvements de l'âme qui correspondent aux
mouvements du corps. Spinoza ne dit pas cela du tout !

Ce qui correspond aux mouvements du corps, ce sont des perceptions. Vous me direz que ces
perceptions, elles sont en mouvement et que cela nous donnera un sens d'un mouvement propre à
l'âme la perception, mais c'est parce que ce sont des perceptions d'abord. Ce ne sont pas des
mouvements d'abord, ce sont des perceptions. Qu'il y ait un dynamisme de la perception, cela est
autre chose. Alors, mais en même temps, là-dessus, j'imagine, quelqu'un peut m'objecter : « Mais
qu'est-ce que tu as déjà trituré ce texte ? » Parce que le texte dit une chose très simple, semble-t-il :
« Plus mon corps a des rapports de mouvements et de repos, par lesquels il entre en rapport avec
les corps extérieurs, plus il perçoit de choses » ; c'est très simple ça, on va me dire. C'est tellement

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simple, cela veut dire « et bien forcément, quand un corps a un effet sur le mien, je perçois le corps
extérieur ; c'est pas plus compliqué que cela, c'est une évidence. La table agit sur moi, je me cogne
là, je heurte la table, je perçois la table comme me heurtant, d'accord.

Où est le problème ? et bien d'accord Le problème il est là, ce qui correspond à un


mouvement/repos dans le corps, encore une fois c'est une perception dans l'âme. Cela a l'air tout
simple, mais non ! Parce que, c'est tout comme tout à l'heure, si j'ai des rapports complexes du point
de vue de mon corps, c'est aussi parce que j'ai des rapports très simples. Le rapport complexe est
composé par des rapports plus simples, etc., à l'infini. Il y a un système de circulation. Si j'ai des
perceptions globales qui correspondent aux rapports complexes, à savoir « je perçois la table », il
faut bien que j'aie des perceptions comme élémentaires ou plus simples ; qu'est-ce que c'est que ces
perceptions élémentaires et plus simples ? Il faudra aussi qu'il y ait un circuit de communications des
perceptions entre elles, et ce circuit de communications définira la persévérance de l'âme.

Qu'est-ce que je veux dire ? Faites encore attention très fort et on va se reposer après, parce que
vous n'en pouvez plus. Et bien, sentez ce que cela veut dire. Revenons au sang. Puis on va voir qu'il
s'agit de bien autre chose que de la perception au sens ordinaire du terme. Le chyle et la lymphe ont
des rapports qui se conviennent. Qu'est-ce que cela veut dire le chyle et la lymphe ont des rapports
qui se conviennent, cela veut dire que ces rapports se composent directement ; ils se composent
directement pour quoi faire ? Pour constituer un troisième rapport « le sang ». Bien, tous ces
rapports en tant que je persévère, sont effectués par des particules ; s'ils cessaient d'être effectués,
je serais détruit, et mon sang serait détruit. Bien, imaginez un instant, vous êtes une particule de
lymphe, cela veut dire vous effectuez un rapport ou vous entrez dans l'effectuation d'un rapport, qui
se compose directement avec le rapport qu'effectuent les particules de chyle - ou l'inverse, je ne sais
plus ce que j'ai dit. Vous me suivez.

Cela implique quoi cela ? C'est que le chyle est un pouvoir de discerner la lymphe, que la lymphe
est un pouvoir de discerner le chyle. Les particules de chyle et les particules de lymphe s'unissent
pour constituer le sang ; comment s'uniraient-ils s'ils ne se distinguaient pas ? Si le chyle n'avait
aucun pouvoir de discernement, qu'est-ce qui empêcherait ces particules de s'unir aux particules de
l'arsenic ? Tandis que l'arsenic détruit le rapport constitutif du chyle. Il faut que les particules de chyle
et les particules de lymphe aient un pouvoir de discernement réciproque.

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Résumé :

Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 06/01/81 - 2

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cours de Gilles Deleuze du 06/01/81 4B Transcription : Véronique Delannay Révision du 18 mars
2006 - Jean-Charles Jarrell

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Toutes les particules, si infimes qu'elles soient, ont un certain pouvoir que j'appelle, c'est commode,
un pouvoir de perception. Lorsque deux rapports se composent, il faut bien que les particules qui
effectuent ce rapport aient, sous ce rapport, le pouvoir de discerner les autres particules de l'autre
rapport avec lequel le premier rapport se compose. Ce discernement fait que les particules de
lymphe et les particules de chyle iront à la rencontre l'une de l'autre, si rien ne les empêche... pour
s'unir et composer le rapport du sang.

En d'autres termes, aux particules dans l'étendue répond un discernement dans la pensée. Les
particules si humbles qu'elles soient, particules d'oxygène, d'hydrogène, et cætera... -c'est une
pensée chimique très prodigieuse qu'il élabore, Spinoza... les particules, c'est des modes du corps,
c'est des modes de l'étendue, d'accord... Les modes de la pensée, c'est des perceptions. Toute
particule est animée ; toute particule a une âme, qu'est-ce que c'est que l'âme d'une particule ?
Est-ce que Spinoza, là, va déconner, délirer sur : "tout a une âme..." ? Qu'est-ce qu'il veut dire ? Il
veut dire une chose extrêmement rigoureuse, très très positiviste, je ne sais pas si c'est vrai, on va
voir tout à l'heure, on va essayer de trouver... Mais en tout cas, il veut dire une chose très rigoureuse
quand il dit que tout a une âme. Ça veut dire, tout corps, si simple qu'il soit, même la particule la plus
élémentaire, vous ne pouvez pas la séparer d'un pouvoir de discernement qui constitue son âme.
Par exemple, une particule d'hydrogène se combine avec une particule d'oxygène, ou bien deux
particules d'hydrogène se combinent avec une particule d'oxygène. Les affinités chimiques sont sans
doute le cas le plus simple du discernement moléculaire. Il y a un discernement moléculaire. Et bien
le discernement moléculaire, c'est ça que vous appellerez une perception, tout comme vous appelez
"mode de l'étendue", le mouvement et le repos moléculaire. Le mouvement et le repos moléculaire
ne sont possibles dans l'étendue que dans la mesure où en même temps s'exerce un discernement
dans la pensée. Tout est animé, toute particule a une âme, c'est-à-dire toute particule discerne. Une
particule d'hydrogène ne confond pas, à la lettre, ne confond pas une particule d'oxygène avec une
particule de carbone. C'est la base de la chimie.

Donc j'insiste là-dessus, parce là que je suis sûr d'avoir raison. C'est pas du tout, c'est pas du tout
une pensée géométrique, Spinoza, je crois très fort que c'est une pensée... C'est même pas une
pensée physique... Chaque fois que je lis sa théorie des corps, j'ai très l'impression d'une espèce de
pensée chimique, très chimique. C'est pour ça que dans les lettres, ceux parmi vous qui... Ce qui me

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confirmerait, ce qui me donnerait une raison de fait pour dire ça, c'est que dans les lettres, il a une
très longue correspondance avec un grand chimiste de l'époque, il s'intéresse énormément à la
composition chimique des corps. Vous verrez, c'est une série de lettres avec un chimiste anglais qui
s'appelait Boyle, où il parle énormément de la composition du salpêtre. Comment le salpêtre est-il
constitué, et qu'est-ce c'est qu'une particule de salpêtre ? - En somme donc, je dirais, au
mouvement/repos du côté du corps répond le discernement, et c'est le discernement qui constitue
l'âme de la chose. Vous voyez, ça devient très simple, dire "toute particule si petite qu'elle soit a une
âme", ça veut dire uniquement : dans l'étendue elle bouge, elle reçoit des mouvements et elle donne
des mouvements, elle est en mouvement, et par là même dans la pensée, elle est en perception, elle
est en état de discernement. En d'autres termes, elle est, comment on dirait aujourd'hui ? On dirait
sans doute beaucoup de choses... On pourrait dire elle est potentialisée, elle est valorisée, elle a des
valences... C'est ça, l'âme... Elle a des potentialités, elle a des affinités... Ou bien même, on sortirait
du domaine des affinités chimiques, pour dire quoi ?

Là, aujourd'hui, mais j'insiste, je le fais avec beaucoup de répugnance, parce que je ne veux
surtout pas dire que Spinoza prévoyait des choses, qu'il ne pouvait pas prévoir. Le thème du
précurseur c'est, beaucoup de gens l'ont dit déjà, le thème du précurseur c'est l'un des thèmes les
plus dangereux qui soient, et en fait on s'aperçoit chaque fois que c'est compliqué... Vous savez, il
faut surtout pas tomber dans l'idée : "Ah ! l'évolutionnisme, il était déjà dans Empédocle, et cætera...
». C'est des stupidités, enfin... Ce n'est pas du tout ça que je veux dire.

Mais, en revanche, si je pense qu'en effet, il n'y a jamais de précurseur, que c'est complètement idiot
de chercher des gens qui auraient déjà soutenu une espèce d'évolutionnisme avant Darwin, et
cætera..., en revanche, je crois fort que se passe un phénomène, dans l'histoire de la pensée, qui est
très très curieux... Que quelqu'un, avec des moyens déterminés -dans le cas de Spinoza avec des
concepts, découvre à son époque quelque chose, qui dans un autre domaine, ne sera découvert que
bien après et avec de tout autres moyens. Si bien qu'il n'est pas du tout précurseur... Mais il y a des
phénomènes de résonances, et la résonance, ça ne se fait pas seulement entre les divers domaines
à une même époque, ça se fait entre un domaine, par exemple au 17eme siècle, et un domaine du
20eme siècle.

Car en effet, d'après ce que je dis, Spinoza participe pleinement d'une théorie qui... -il n'est pas le
seul à la soutenir, cette théorie des petites perceptions, des perceptions moléculaires. Leibnitz,
contemporain de Spinoza, fera toute une théorie admirable, et beaucoup plus poussée, beaucoup
plus explicite que celle de Spinoza, concernant les petites perceptions ou perceptions moléculaires.
Bon... Et cela, ils le font avec leurs concepts philosophiques, leurs concepts mathématiques, leurs
concepts chimiques de l'époque... Ils ne sont précurseurs de rien. Mais je dis aujourd'hui au 20eme
siècle, domaine absolument différent : nous sommes remplis -et même on nous épargne peu... avec
cette discipline relativement récente, la biologie moléculaire. Et la biologie moléculaire est célèbre
pour son usage d'un certain modèle informatique. Et qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui -donc je
fais une parenthèse, je fais comme ça... Qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui « modèle
informatique » dans la biologie moléculaire ? On interprète le code génétique en termes
d'informations. Et dans ce cas, qui reçoit l'information ? Qui émet l'information ? Le code génétique
contient de ce qu'on appelle des " informations" entre guillemets. Elles sont transmises par certains
corps du type protéines. Elles sont reçues par des corps, des molécules, et cætera, qui se
composent, qui sous ces informations composent des ensembles de plus en plus complexes.

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Qu'est-ce qu'implique la conception informative, informationnelle du code génétique ?

Elle implique ceci : qu'à plusieurs niveaux, il y ait - et c'est le mot même que certains auteurs
emploient aujourd'hui - un pouvoir de discernement des molécules. Pouvoir de discernement qui va
très loin... Parce que tantôt, il est chimique : une molécule discerne la molécule avec laquelle elle a
des affinités chimiques. Mais parfois le pouvoir "d'élection-discernement" déborde l'affinité
chimique... Et toute la théorie actuelle des enzymes, vous voyez les enzymes, cette chose qui est si
importante du point de vue du code génétique... Les enzymes sont des corps ou des substances,
enfin pas des substances pour rester spinoziste, sont des corps qui à la lettre, comme on dit,
choisissent quelque chose, un corps qui va leur servir de substrat. Peu importe en quel sens c'est
pris : enzyme, substrat... Je prends cela uniquement comme exemple abstrait. Or l'enzyme a le
pouvoir de discerner son substrat. Bien plus, ce pouvoir de discernement est extraordinaire puisque
entre deux corps dits isomères, mettons entre deux corps extrêmement proches l'un de l'autre
chimiquement, l'enzyme élit toujours un seulement, un des deux isomères et pas l'autre. C'est
curieux ça, ce pouvoir de discernement, qui correspond à l'action de la particule. Spinoza, il dirait,
j'imagine...c'est cela qu'il appelle l'âme, lui. Le pouvoir de discernement d'une particule, c'est l'âme,
ou c'est l'esprit. Pas grave, on peut appeler cela autrement, on peut appeler cela information par
exemple, pourquoi pas ? Ça ne serait pas gênant, il n'y verrait aucun inconvénient Spinoza, à
appeler ça information... À l'époque ça s'appelait âme, c'est une question de mots, vous
comprenez...

Mais ne retenez pas de Spinoza que c'est un auteur qui vous parle de l'âme, au contraire... Les
lecteurs de l'époque, qui disaient Spinoza, quel drôle de type, il est complément matérialiste. Alors
évidemment, Spinoza répondait, ça c'est de bonne guerre : « écoutez, ouvrez mon livre, je ne cesse
de parler de l'âme ou de l'esprit... ». Évidemment, il avait intérêt à ne pas se faire remarquer... Mais,
ce qui compte, ce n'est si quelqu'un parle de l'âme et de l'esprit, ce qui compte c'est qu'est-ce qu'il
met sous le mot... Je peux faire des déclarations sur Dieu et être quand même brûlé, c'est même ce
qui se passait à la Renaissance, généralement. Les gens ne cessaient pas de parler de Dieu,
seulement ce qu'ils mettaient là-dessous, c'était tel que l'Eglise reculait d'horreur en disant : « Mais
qu'est-ce qu'ils ont fait avec notre Dieu... ». Je peux parler de l'âme très longtemps, je peux faire des
cours et des cours sur l'âme, tout dépend ce que je mets là-dedans. Encore faut-il que j'ai une raison
d'appeler ça âme.
Vous voyez la raison qu'avait Spinoza, à savoir : si le discernement, c'est ce qui répond dans la
pensée, dans l'attribut pensée, à ce qu'est le mouvement et le repos dans l'attribut étendue, il y a
toute raison de dire : la particule, en tant qu'elle a du repos et du mouvement se rapporte à l'étendue,
mais en tant qu'elle discerne, elle se rapporte à la pensée. Et la particule en tant qu'elle se rapporte
à la pensée, c'est l'âme. C'est une merveille... C'est beau, c'est beau...

Alors, ceci, je ne le dis que très vite parce qu'on en est pas encore là, mais moi ce que je suggère
à Comtesse, c'est que... Mon idée ce serait que c'est seulement dans la mesure où ce thème des
discernements apparaît que l'on pourra comprendre comment la persévérance va devenir une
tendance à persévérer, car c'est par là en effet que je peux dire : En tant qu'elle discerne la particule
avec laquelle elle peut se composer, une particule tend à s'unir. Là, la notion de tendance découle
directement du pouvoir de discernement de la particule. La particule tend, dans l'étendue, elle tend à
quelque chose dans l'étendue, parce qu'elle discerne dans la pensée. C'est le pouvoir de
discernement qui va déterminer le mouvement comme tendance au mouvement.

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Mais enfin, voilà... voilà où nous en sommes... Donc il y aura ce discernement qui fait que... Il y a
plus, ce discernement, il va devenir extrêmement compliqué. Je reprends mes exemples... Jusqu'à
maintenant, quand je parlais de l'arsenic et du sang, je me mettais du côté du sang, c'est-à-dire de
mon côté. Je disais : l'arsenic décompose le rapport constitutif du sang. Mettons-nous du côté de
l'arsenic. Je suis une particule d'arsenic. Vous avez un domaine, là, de grande richesse d'expérience
imaginaire... Constituez vous, là, en imagination comme particule de ceci ou de cela, votre point de
vue, il va changer... Vous tous, là, on est tous des particules d'arsenic, sauf un d'entre-nous... Vous
voyez il n'y en a qu'un qui reste là, on est tous des particules d'arsenic, on arrive... Et on se trouve
dans le sang de l'autre, et là, en tant que particule, on trouve... Qu'est-ce qu'on trouve ? On trouve
d'autres particules qui obéissent à un rapport de sang. Alors, on est là, bon... Et on a le pouvoir de
décomposer, mais c'est pas un pouvoir de décomposer global, il faut toujours décomposer d'une
manière précise quand on détruit, quand on décompose, c'est minutieux... On peut imaginer deux
sortes de poisons, l'un qui attaque les globules blancs, l'autre qui attaque les globules rouges. Il doit
y avoir ça dans la nature, la nature est si riche...

Donc, de toutes manières, même dans les rapports de décomposition, il y a bien un


discernement. Je suppose, je n'en sais rien du tout, j'imagine, le poison je l'appelle, je n'ose pas dire
arsenic parce que c'est un mot qui existe. Imaginez un mot imaginaire... Ce poison-là, qui détruit les
globules rouges, évidemment il faut bien qu'il les reconnaisse. Il faut bien qu'il les reconnaisse dans
le sang... D'une certaine manière, il est en contre-affinité avec elles. Très bien... Le pouvoir de
discernement, il s'étend aussi loin que s'étendent les mouvements et les repos de particules. Il
semble que l'on a beaucoup gagné. Voilà que je peux dire : les actions et réactions de corps sont
inséparables du discernement des âmes. Et il n'y a pas de mouvement et de repos dans le corps,
sans qu'il y ait aussi discernement dans les âmes. Discernement pour le bon ou pour le pire, pour le
meilleur ou pour le pire. Pour le meilleur dans le cas des compositions de rapports, pour le pire dans
le cas des destructions de rapports. Les particules se reconnaissent les unes les autres, c'est par là
qu'elles sont animées, comme dit Spinoza... Les particules se reconnaissent les unes les autres à
travers les rapports, et sous les rapports, qu'elles effectuent. Voilà...

D'où je peux passer à un quatrième point. Encore une fois, ça me paraît très proche aujourd'hui
d'une théorie de l'information. Simplement la théorie de l'information reprend, il me semble, des
notions de ce type, en leurs donnant un tout nouveau contenu grâce, précisément, aux techniques
d'information... Et la différence est énorme. Je passe à un quatrième point de vue, à moins que vous
ne vouliez un repos ? ? (Dans le public : « non, non... ») Un petit repos ? non, pas de repos ? Un
court repos, hein, très court repos...

Tout ceci doit nous donner des points de départ. Je veux dire par là que je ne veux pas envisager
l'ensemble de la question, là, sur le moment, mais il doit nous donner des principes pour des
problèmes comme ceux de : ce que c'est que la maladie, ou ce que c'est que la mort selon Spinoza.
Vous voyez, parce que finalement toute cette histoire des modes... Nous sommes tous des modes,
c'est à dire nous sommes pas des êtres, nous sommes des manières d'être.

C'est cela qu'il ne faut pas que vous perdiez de vue. Mais généralement, les autres philosophes...
Les autres philosophes, ils ont toujours été très tourmentés par Spinoza. Spinoza, dans toute
l'histoire de la philosophie, c'est celui je crois qui tantôt enthousiasme le plus, qui donne un

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enthousiasme que quand même les autres ne donnent pas, tantôt agace le plus. Et il agace parce
que... il agace... oui... Et les gens qu'il agaçait beaucoup, les cartésiens, les thomistes, enfin...tout...
A commencer, il agace tous ceux pour qui les êtres sont des substances, tous ceux pour qui les «
étant » sont nécessairement des substances, ceux là sont éminemment agacés par Spinoza. Et ils
vont lui lancer une espèce de pari diabolique. Ils vont lui dire : « Ecoute, Spinoza, de deux choses
l'une, si tu dis que les êtres ne sont pas des substances, forcément, tu auras beau le cacher, tu dis
par là même que les êtres, toi et moi, nous ne sommes que les rêves, les rêves de Dieu... Que nous
sommes des créatures imaginaires... Que nous sommes des fantasmes... Ou bien, à la rigueur, si tu
nous donnes un être, comme de toute façon ce n'est pas un être de substance, tu n'auras le choix
qu'entre ceci et cela : ou bien tu feras de nous des espèces d'êtres géométriques, ou bien des
fantasmes de l'imagination ».

Et c'est très curieux que Leibnitz, par exemple, dans sa critique de Spinoza, du spinozisme,
Leibnitz étant obsédé par Spinoza comme beaucoup de penseurs à son époque, ne cesse de dire,
tantôt : « Vous voyez ce que Spinoza fait des créatures... Il assimile les créatures, il leur donne
exactement le statut de figures géométriques ». La figure géométrique, en tout cas, ça réunit les
deux, parce que si je considère la figure géométrique tracée sur le sable, c'est comme un fantasme
de l'imagination. Si je la considère en elle-même, c'est une série de conséquences nécessaires qui
découlent d'axiomes, de principes. Donc on dit à Spinoza : en déniant aux « étant » la qualité de
substance, le statut de substance, forcément vous n'avez plus le choix que entre les assimiler à de
simples figures géométriques, ou les assimiler à des rêves de l'imagination.
Donc, des deux manières, vous leur refusez toute consistance propre. Nous ne serons dès lors
que : ou bien les rêves de la substance unique, ou bien les propriétés nécessaires qui découlent de
la substance unique. Et Spinoza , lui, il est très tranquille. Il estime qu'il a trouvé tout à fait une autre
voie. Il y a une consistance des modes et pourtant les modes ne sont pas des substances. Et cette
consistance n'est pas substantielle, c'est une consistance de rapports. Alors au point où on en est,
vous comprenez, tout ça c'était un peu théorique, qu'est-ce qui change pratiquement ?

Évidemment, c'est pour cela que j'en viens à ce quatrième point, à savoir que ce qui change
pratiquement, et bien... ce n'est pas de la même manière... Si vous vous traitez comme une manière
d'être -et ce n'est pas une question de réflexion, il faut avoir le goût pour cela, c'est affaire de
sensibilité... Il y a des sensibilités substantielles, à ce moment-là, ceux qui ont un sensibilité
substantielle... Je rêve vraiment de faire un truc sur la sensibilité philosophique. Les sensibilités, c'est
comme cela que vous trouverez les auteurs que vous aimerez chacun. Je ne suis pas en train de
vous dire : « soyez spinozistes... », parce que je m'en fous... Ce dont je ne me fous pas, c'est que
vous trouviez ce qu'il vous faut... C'est que chacun de vous trouve les auteurs qu'il lui faut,
c'est-à-dire les auteurs qui ont quelque chose à lui dire, et puis à qui il a quelque chose à dire. Et je
dis que ce choix, moi ce qui me tourmente dans la philosophie, c'est ceci. De la même manière que
l'on parle d'une sensibilité artistique, par exemple une sensibilité musicale, et cætera, et bien la
sensibilité musicale elle n'est pas indifférenciée, ça ne consiste pas seulement à dire : « j'aime la
musique ». Ca veut dire aussi : j'ai à faire, bizarrement, pour des choses que je ne comprends pas
moi-même, j'ai à faire particulièrement avec un tel, un tel... Ah, moi, c'est... -je suppose... moi c'est
Mozart... Mozart il me dit quelque chose. C'est curieux, ça... Parce tout le monde, ce n'est pas ça... Il
y en d'autres qui diront « non... ».

En philosophie c'est la même chose, il y a une sensibilité philosophique. D'où vient que quelqu'un

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.. C'est une affaire de molécules là aussi. Ça, si on applique tout ce qu'on vient de dire tout à l'heure,
bon, et bien il se trouve que les molécules de quelqu'un seront attirées, seront déjà, en quelque
sorte, cartésiennes... Il y a des cartésiens... Bon, je comprends, un cartésien, c'est quelqu'un qui a
bien lu Descartes et qui écrit des livres sur Descartes, mais ça c'est pas très intéressant... Il y a des
cartésiens, quand même, à un niveau meilleur... Ils considèrent que Descartes leur dit quelque
chose à l'oreille, à eux, quelque chose de fondamental pour la vie, y compris la vie la plus moderne.
Bon, moi... Je prends mon exemple, vraiment Descartes, ça me dit rien, rien, rien, rien... Ça me
tombe des mains, ça me fait chier. Et pourtant, je ne vais pas dire que c'est un pauvre type, c'est
évident qu'il a du génie Descartes. Bon, d'accord, il a du génie, j'ai rien à en faire, moi, pour mon
compte... Il ne m'a jamais rien dit. Bon...Voilà, comment ça s'explique, ça, ces affaires de sensibilité
? Bon... Hegel... Hegel ? Quoi, qu'est-ce que c'est ça ? Bon. Qu'est-ce que ça veut dire ces rapports
moléculaires... Je plaide, là, pour des rapports moléculaires avec les auteurs que vous lisez. Trouvez
ce que vous aimez. Ne passez jamais une seconde à critiquer quelque chose, ou quelqu'un.
Critiquez jamais, jamais, jamais. Et si on vous critique, vous dites d'accord, passez, hein, rien à
faire...

Trouvez vos molécules, quoi... Si vous trouvez pas vos molécules, vous ne pouvez même pas
lire. Lire c'est ça, c'est trouver vos molécules à vous... Elles sont dans des livres, vos molécules
cérébrales. Elles sont dans des livres et ces livres, il faut que vous les trouviez. Je trouve que rien
n'est plus triste chez des jeunes gens doués, en principe, que, pour eux, vieillir sans avoir trouvé les
livres qu'ils aimaient vraiment. Et généralement ça, ça donne un tempérament, de ne pas trouver les
livres qu'on aime, ou n'en aimer aucun, finalement, et du coup, faire le savant sur tous les livres...
C'est un drôle de truc, on devient amer... Vous savez l'espèce d'amertume de l'intellectuel, là, qui se
venge contre les auteurs de ne pas avoir su trouver ceux qu'il aimait... Alors... L'air de supériorité
qu'il a à force d'être débile... Tout ça c'est très fâcheux. Mais, il faut que vous n'ayez de rapport, à la
limite, qu'avec ce que vous aimez...

Quel rapport y a t-il entre la sensibilité tout court, et la sensibilité philosophique ? Quel rapport y a
t-il, aussi bien, entre la sensibilité tout court et la sensibilité musicale ? Lorsque je dis par exemple :
Ah moi, en musique, je mets au-dessus de tout... Des formules de cons, quoi, des formules idiotes,
mais qui sont faciles, qui expriment ce qu'on dit... Lorsque quelqu'un me dit par exemple : « Moi je
mets au-dessus de tout Mozart... ». Qu'est-ce qui dans sa sensibilité vibre tellement à Mozart ?
Qu'est-ce qui me fait dire... et puis, ça se différencie extrêmement, tel moment de Mozart, au dessus
de tout, de tous les autres moments de Mozart... Ah les petites timbales, là, les petites timbales...
C'est ça, c'est ça, c'est ça la musique ! C'est curieux, ça...

La philosophie, c'est pareil. Être spinoziste, ça veut dire... Ça veut pas dire du tout avoir la
doctrine de Spinoza, ça veut dire avoir eu ce sentiment, avoir vibré à certains textes de Spinoza, en
disant : Ah, ben oui, on ne peut rien dire d'autre... La philosophie ça fait partie de la littérature et de
l'art en général, ça donne exactement les mêmes émotions. Alors je dis, vous comprenez dans ces
histoires de sensibilité, c'est évident que là, c'est pas... Oubliez les mots compliqués, mais si vous
vivez comme substance, comme être, c'est une certaine manière de vivre.
Vous dites, moi je me sens un être. Il n'y a pas de mal à ça... Je vous dirai simplement : Bon
d'accord, laisse Spinoza, lis pas Spinoza... Ou : Viens pas à cette UV là, c'est pas la peine puisque...
Cela peut vous intéresser alors, mais très très extérieurement... Vous êtes en train de perdre du
temps, alors que votre vrai intérêt ce serait d'aller écouter des choses sur des gens, ou écouter des

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gens qui pensent vraiment qu'on est des êtres. Cela veut dire quelque chose, encore une fois, c'est
tout une sensibilité, et même très variée, puisque ça peut-être une sensibilité aristotélicienne, ça peut
être une sensibilité cartésienne, ça peut être une sensibilité chrétienne, toutes sortes de sensibilités
très différentes.
Donc, on se vit un peu comme des êtres... Alors faire de la philosophie, ça voudra dire faire de la
philosophie selon votre goût. Si vous vous vivez comme un être, dès lors ça revient à dire : «
qu'est-ce que c'est que l'être ? », au sens de « je suis un être ». Il faut vous renseigner là-dessus. Il
faut lire des gens qui ont parlé de cela. Si vous avez la moindre émotion devant Spinoza, j'ai
l'impression que c'est en fonction de ceci : que dans votre sensibilité il y a quelque chose en vous qui
vous fait vous dire, même si vous n'y réfléchissez pas : « Non, je ne me vis pas comme un être ».

Alors bon... Est-ce que je me vis comme un rêve ? Ça peut arriver, mais à ce moment-là, je dirais
: ce n'est pas Spinoza qu'il vous faut. Si vous vous vivez comme un rêve, il y a sûrement de grands
auteurs qui se sont un peu vécus comme un rêve. Faut les trouver... Je suppose qu'il y a de grands...
de grands... de grands Allemands qui se sont vraiment vécus comme un rêve. Des grands
romantiques allemands, oui, ça... Allez les voir, c'est ça qu'il vous faut... Vous comprenez, moi je ne
crois pas...Je pense à un auteur, que je suppose que beaucoup d'entre vous aiment profondément.
Mais pourquoi, pourquoi est-ce que Beckett représente toute une sensibilité de notre époque. Il a
inventé cette sensibilité, il lui a donné son expression littéraire. On ne peut pas dire que les
personnages de Beckett se vivent comme des êtres. Comment ils vivent ? Ils ne vivent pas non plus
comme Spinoza. C'est difficile de dire qu'ils sont spinozistes. Il y a tellement de manières de vivre. À
moins qu'ils vivent un peu d'une certaine manière spinoziste, je ne sais pas, ils ne vivent pas non
plus comme des rêves... En tout cas, moi, je définirais la sensibilité spinoziste comme une sensibilité
telle que je me vis comme une manière d'être. Je me vis comme un mode, c'est à dire comme une
manière d'être. C'est très différent d'être un être ou une manière d'être.
Alors, à ce moment-là, qu'est-ce que peut m'apporter Spinoza ? C'est que si je me vis un peu
spontanément comme une manière d'être, il se trouve qu'à ce moment là, je peux pressentir que
Spinoza a à me dire quelque chose, si ça m‘intéresse, quant à la question : Mais qu'est-ce que ça
veut dire une manière d'être ? Et qu'est-ce que c'est, vivre à la manière d'une manière d'être ? Vivre
en tant que manière d'être ? Et qu'est-ce que c'est que la vie et la mort pour une manière d'être ? Et
qu'est-ce que c'est que la maladie et la santé pour une manière d'être ? et cætera... Il ne faut pas
que ce soit la même chose que pour un être, c'est par là que ça a des conséquences pratiques, tout
ça. Alors... D'où ma question, et là... Oh... Tous ces cliquetis... (de magnétophones) Il ne marche
plus ? Il est cassé ? (Rires)
J'essaie de faire une espèce de typologie des cas. Qu'est-ce qui peut se passer de mauvais ?
Vous vous rappelez, dans mon premier point, j'avais bien dit : Qu'est-ce que c'est ce qui arrive de
mauvais, de mon point de vue ? Ce qui m'arrive de mauvais, c'est en gros quand un de mes rapports
est détruit. Ça c'est mauvais, parce qu'en effet ça supprime ma persévérance. (les cliquetis
continuent...) Mais c'est hallucinant... J'ai l'impression d'être à Prisunic... (Rires) C'est du Jerry
Lewis...

Alors, oui... Je fais une espèce d'étude de cas avec cette formule générale : ce qui est mauvais, c'est
lorsqu'un de mes rapports est détruit. Et voilà le cas le plus simple, auquel je ne reviens pas parce
que... on le connaît bien maintenant. Adam et la pomme, ou l'arsenic et le sang. Tout simple : un
corps extérieur, sous son propre rapport, détruit un de mes rapports. Vous voyez, la formule est très
simple, elle est très précise. Donc, tout ou partie de mes rapports sont détruits. Voilà un premier pas

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de mauvais. Et ma question part de là : est-ce que ce n'est pas le cas le plus simple ? Est-ce qu'il n'y
a pas lieu de considérer d'autres cas, quand même, plus compliqués ? Je dirais : deuxième cas...
Imaginez ceci : mes rapports sont, en gros... - c'est très délicat tout cela, c'est pour faire sentir qu'en
fait, le deuxième cas mord déjà sur le premier...

En gros mes rapports sont conservés. Tout ou partie, la plupart, la plupart de mes rapports sont
conservés. Mais voilà : ils ont perdu leurs mobilités ou leurs communications. C'est un autre cas,
ça... Ça peut arriver... Je me dis concrètement, ça arrive, ça : tous mes rapports sont conservés en
gros et du dehors. Mais ils ont perdu cette espèce de propriété qui leur appartient en tant qu'ils sont
rapports de mouvement et de repos, à savoir leur propriété de communiquer les uns avec les autres.
On l'a vu et c'est pourquoi j'insistais tellement, dans mon « deux » d'aujourd'hui, dans mon article
deux, sur cette communication... Non dans « un », dans mon point de départ d'aujourd'hui... Je
disais forcément des rapports qui me composent sont perpétuellement en communication les uns
avec les autres, puisque mes rapports complexes ne cessent de se décomposer danslesplus
simples et les plus simples ne cessent de recomposer les plus complexes. C'estmême par là que j'ai
une durée. Or là imaginez, la plupart de mes rapports est conservée. Mais tout se passe comme si
ils étaient solidifiés, ils ne communiquent plus très bien, ou certains ne communiquent plus avec
d'autres. Pourquoi c'est intéressant, parce que moi ça m'intéresse, je ne sais pas pourquoi mais... Je
me dis : le premier cas, la pomme et l'arsenic, là, le poison... C'était tout simple.

Je reviens à mon thème, mon problème, qui était de tirer une théorie de la maladie de Spinoza.
Je dirais, c'est un cas très simple, c'est la maladie intoxication. C'est la maladie intoxication. Je
dirais, ce sont des maladies d'action. En ce sens : un corps nocif, puisque son rapport ne se
compose pas avec le mien, agit sur le mien, donc détruit mon rapport. Un corps étranger agit sur moi
dans des conditions mauvaises : égale maladie d'action, ou maladie d'intoxication. Vous voyez
toutes les maladies à virus, à bactéries, et cætera, sont de ce type.

Mon deuxième cas, il me semble, est déjà tout autre... Il peut y avoir intervention de bactéries et
de virus, mais ça n'est plus l'essentiel. Il peut y avoir un agent extérieur, mais cette fois-ci cet agent
extérieur se définit moins par ceci qu'il détruirait mon rapport -il en détruit certains au besoin, vous
voyez qu'il y a des franges entre les deux cas... Mais c'est moins ça qui compte, c'est moins les
rapports qu'il détruit, que la communication intérieure de mes rapports qui est compromise. Au
besoin, chaque rapport continue à fonctionner, mais les phénomènes de co-fonctionnement, de
métabolisme, de transformation de rapports les uns dans les autres, ne se font plus... Je dirais pour
vous, là, c'est un tout autre domaine... Des maladies de métabolisme, ou de communication, qui
affectent la communication des rapports entre eux. Et à la limite, comprenez, je peux avoir...A la
limite ! Tout ça c'est des cas, j'essaye d'indiquer les divers cas... A la limite, je peux avoir conservé
tous mes rapports, mais en fait je suis déjà mort. C'est une espèce de mort prématurée. Voilà que je
respire, d'accord... Mon sang circule, d'accord... Mais il n'y a plus de communication entre la
circulation du sang et le circuit respiratoire, ça ne marche plus, ou du moins la communication se fait
mal. L'oxygénation du sang se fait pas.

Bon, groupons ça vraiment, alors... il y a un mot, en effet, je vois... le mot parmi les mots en
science moderne, en biologie, c'est... Ce qui renverrait à ce domaine de la communication des
rapports qui se décomposent et se recomposent au sein de ma persistance, c'est ça qu'on
appellerait, aujourd'hui, le milieu intérieur et le métabolisme. Je dirai, donc, ce second cas de

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maladie, c'est les maladies du milieu intérieur et du métabolisme, très différentes des autres. Et c'est
très intéressant parce que je disais à la limite -d'où mon appel à ce que vous lisiez les deux textes du
livre IV que je vous indiquais, ce si beau texte de Spinoza, qui consiste à nous dire : « mais vous
savez, on peut même, au moins d'apparence, rester le même, et en fait on est déjà mort ». Et cette
question qui me semblait soulevée par ce texte, de ce que l'on appelle les survies artificielles... Vous
maintenez un circuit respiratoire, mais la circulation sanguine est foutue. L'électro-encéphalogramme
montre qu'il n'y a plus de communication cérébrale. Vous maintenez un pauvre type, vous maintenez
un cadavre à l'état de vivant, quoi ! Le cas récent Tito, le cas récent Franco, et cætera... Vous
maintenez des espèces de systèmes articulés, qui n'ont absolument plus rien de vivant, mais vous
les maintenez, comme ça, simplement... Vous maintenez chaque circuit, mais il n'y a plus aucun
métabolisme, c'est-à-dire il n'y a plus de communication des circuits entre eux. Voilà un second cas
de maladie, il me semble, tout à fait....

Troisième cas : l'essentiel de mes rapports subsiste. Vous voyez, on va dans des cas de plus en
plus compliqués... L'essentiel de mes rapports subsiste, au moins en apparence, du point de vue du
mouvement et du repos. Et mon deuxième cas, c'était : les rapports subsistent en gros, en gros...
mais ils ont perdu leur souplesse, c'est-à-dire leur métabolisme ou le pouvoir de communiquer. Leurs
communications dans le milieu intérieur. Là, j'imagine un autre cas : l'essentiel de mes rapports
subsiste, en apparence, mais ce qui est perdu, c'est le pouvoir de discernement sur les corps
extérieurs. C'est-à-dire... Qu'est-ce que ça veut dire, ça, ce cas ? Je respire, oui, mais j'ai de plus en
plus de mal à décomposer l'air, c'est-à-dire à capter l'oxygène qu'il me faut. Un autre cas, vous
voyez, mon rapport respiratoire subsiste, mais il subsiste dans de telles conditions que il manque de
discernement, et que j'ai de plus en plus de peine à m'unir, à la lettre, à m'unir aux molécules
d'oxygène dont j'ai besoin.
En d'autres termes, ce qui est compromis, là, c'est les réactions qui découlent des rapports. En
effet, les rapports ne peuvent orienter des réactions que par l'intermédiaire du discernement
moléculaire. Je me demande, question : est-ce que l'on ne pourrait pas dire que là il y a un troisième
groupe de maladies, maladies alors d'intolérance ? Ce serait même un schéma intéressant des
maladies d'intolérance, parce que qu'est-ce qui se passe lorsque quelqu'un a une intolérance, une
allergie par exemple à une poussière, à la poussière ? Ou bien qu'est-ce qui se passe dans une
respiration asthmatique ? Tout ça c'est des sujets très difficiles...
Est-ce que l'on ne pourrait pas dire ça : mon rapport pulmonaire, il subsiste bien, mais ce qui ne
fonctionne pas bien c'est le pouvoir de discernement, à savoir le discernement des molécules
d'oxygène, le discernement moléculaire. Les molécules d'oxygène, là, il y a quelque chose qui
craque là-dedans... Peut-être que je m'unis, même dans l'air, peut-être que mon système est assez
déréglé pour que je m'unisse, dans l'air, à des molécules qui ne sont précisément pas celles
d'oxygène ? Mais ça, ça nous mettrait peut-être dans un autre cas... En tout cas là, c'est la réaction,
c'est des maladies de réaction. Ça, ça groupe toutes les maladies qui ont pris de plus en plus
d'importance à la suite des découvertes liées à ce qu‘on a appelé le stress, qui sont des maladies
non pas d'action, ou du type intoxication, mais des maladies de réaction. Où ce qui constitue la
maladie, c'est la réaction. Vous voyez, ça ferait un troisième groupe de maladies. Et alors j'ai gardé
pour la fin, évidemment, le plus beau, le plus troublant... Allons plus loin encore... Cette fois-ci, ce qui
est brisé, c'est à l'intérieur de moi-même. À savoir... C'est un nouveau pas, déjà au niveau de trois, il
y avait une affection du pouvoir de discernement, du pouvoir de discernement moléculaire. Là, au
niveau de ce dernier cas, de mon quatrième cas, c'est le pouvoir de discernement interne qui va être
brisé. Pas le pouvoir de discernement externe, mais le pouvoir de discernement interne.

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Qu'est-ce que j'appelle discernement interne ? C'est que des molécules de mon corps (confusion
supprimée), sous un rapport donné, distinguent d'autres molécules de mon corps sous un autre
rapport donné. Et les distinguent comme appartenant à un seul et même corps. C'est ce qu'on a vu,
c'est constitutif de la persistance. Par exemple mes molécules pulmonaires reconnaissent d'une
certaine manière, discernent, mes molécules sanguines. Donc, ça, cette fois ci, vous voyez le
troisième cas mettait en jeu, mettait en question, le pouvoir de discernement extérieur, là je parle du
pouvoir de discernement intérieur, à savoir : dans mon organisme, sous tous les rapports qui le
composent, les particules qui effectuent ces rapports se reconnaissent les unes les autres. C'est le
domaine de la perception, à supposer cette fois ci que ce soit ce régime là. Voilà que certaines
molécules, sous un rapport donné, vont traiter d'autres molécules miennes sous un autre rapport
comme des étrangères. Comme des étrangères dont elles vont décomposer le rapport.

Et c'est pour ça, je vous convie à lire ce second texte du livre IV sur une chose étonnante, c'est
ce qui me paraît vraiment très, très bizarre, où Spinoza dit : mais c'est ça le suicide. C'est à dire, il
propose un modèle typiquement maladif du suicide. Là, je crois qu'il voit quelque chose de tellement
profond que ça touche à des points... Vous comprenez ce qu'il nous dit sur le suicide, il dit c'est très
simple -et là je n'avais pas besoin de forcer les textes, si vous avez lu pendant les vacances, c'était
votre tâche, ces deux textes au moins, ces deux textes sur le suicide, c'est très étonnant puisque ça
consiste à nous dire : et bien, oui... certaines parties de nous-même, sous un rapport, se comportent
comme si elles étaient devenues l'ennemie des autres parties de nous-même, sous d'autres
rapports. Si bien que l'on assiste à cette chose étonnante : un corps dont toute une partie va tendre à
supprimer les autres. Comme s'il prenait à la lettre, si vous voulez, le geste suicidaire de, par
exemple : je tourne ma propre main contre moi-même, en me tirant un coup de revolver ou quelque
chose comme ça. C'est comme une rébellion des parties, de certaines parties, qui va entraîner une
destruction des autres parties. Jamais je n'ai vu penser le suicide de manière aussi intense et aussi
moléculaire.

Car enfin, quand nous, nous lisons aujourd'hui le texte, je vous le disais déjà la dernière fois, on a
une tout autre idée... Mais si Spinoza ne trouvait que le suicide à invoquer, c'est parce que la
biologie de son temps ne lui donnait pas les moyens. Mais nous lorsque aujourd'hui la médecine
nous parle, et découvre ce quatrième type de maladies, qui n'est ni d'intoxication, ni de métabolisme,
ni d'intolérance, mais que l'on appelle les maladies auto-immunes, et qui semblent précisément
promises au plus brillant avenir, c'est à dire (...) découvrir que toutes sortes d'autres maladies que
l'on ne savait pas très bien traiter font précisément partie de cette nouvelle catégorie... Les maladies
auto-immunes, c'est quoi ? Et bien, je vous disais, si l'on a un système immunitaire, il est aujourd'hui
défini, le système immunitaire, comme ceci : c'est précisément des molécules, des molécules
génétiques qui ont le pouvoir de discerner les autres molécules comme faisant partie de mon corps.
C'est ce que les biologistes actuellement appellent précisément quelque chose comme les molécules
du soi, quand ils se mettent à se servir de concepts presque métaphysiques... C'est les molécules du
soi, puisque elles ont pour fonction biologique de reconnaître mes molécules composantes. C'est le
système immunitaire. Donc elles vont trier les molécules composantes et les molécules étrangères.
Elles vont entraîner notamment les phénomènes de rejet dans les greffes : Ah, ça, c'est pas à moi,
ça c'est pas à moi, on jette !
Et je vous disais, supposez que le système immunitaire, d'une manière ou d'une autre, soit
atteint. Qu'est-ce qui se passe ? Il n'y a que deux cas possibles... Ce qui va être atteint c'est le

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pouvoir de repousser les molécules étrangères. C'est un cas possible. Ou bien ce qui va être atteint,
et ça va être encore plus curieux, ça va être le pouvoir de reconnaître ses propres molécules. Voilà
que mon corps ne reconnaît même plus, dans certaines zones, dans certaines parties, ses propres
molécules. Donc, il les traite comme des intrus, comme des molécules étrangères faisant intrusion.
C'est une maladie de quoi ? Les maladies auto-immune, c'est les maladie de la perception. Les
biologistes actuellement diront que c'est des maladies de l'information. Ça constitue un groupe de
maladies énorme, énorme à présent. Un type de maladie auto-immune relativement connue, c'est la
sclérose en plaque, qui est une maladie extrêmement grave. Et c'est une conception de la maladie
très nouvelle, pourquoi ? Parce que, à la limite c'est quoi ? Canguilhem y a consacré un texte, à ces
maladies, mais il a pas encore... C'est un texte qui précède les développements récents sur les
maladies auto immunes... Et, il dit, ça revient à quoi ? Il y a une dizaine de pages très belles de
Canguilhem, où il dit : ben oui, ça revient à quoi, ça ? Ça revient à traiter la maladie d'une manière
tout à fait nouvelle, prétend-il, à savoir la maladie comme erreur, la maladie comme erreur
génétique. C'est un certain modèle de maladie qui vaut pour certaines maladies. La maladie comme
erreur génétique, c'est quand même un concept très intéressant, qui en effet regroupe toutes les
données de la biologie et de l'informatique actuellement. Le point d'union de la biologie et de
l'informatique aujourd'hui, c'est ce groupe de maladies qu'on peut considérer comme des erreurs
génétiques, c'est-à-dire des erreurs par rapport au code génétique. Soit que -alors là elles sont
infinies... Soit que le code génétique comporte lui-même une erreur, soit que sa transmission
comporte des niveaux d'erreurs. Vous voyez que c'est déjà un domaine très très varié. De toutes
manières, la maladie comme erreur... L'erreur consiste en quoi ? Là, je n'ai pas besoin de forcer pour
dire : bah oui, pour Spinoza il y a bien tout un type de maladies qui sont des erreurs. L'erreur
consiste en quoi, qu'est-ce qui est affecté ? C'est le système de discernement perceptif moléculaire.
Et la maladie consiste en ça : un trouble de la perception. A savoir : voilà que mes molécules de
discernement se mettent à faire et à multiplier les erreurs.

Or aujourd'hui, comment on interprète la vieillesse ? On a formé un mot pour le concept de


vieillesse, tellement il prenait d'importance biologique, c'est celui de sénescence. Comment on
l'interprète ? Parmi les interprétations de la sénescence, de la vieillesse, du vieillissement,
aujourd'hui une des plus intéressantes, c'est précisément celle-ci... C'est une hypothèse, comme ça,
mais ça me paraît une des plus belles, parmi les spécialistes de la sénescence, du vieillissement. Ils
disent : des erreurs, au sens d'erreurs génétiques, d'erreurs de transmission dans les informations
du code génétique, les cellules elles en font constamment. Simplement ces erreurs sont
compensées. Donc, les erreurs, là, et les petits troubles dus aux erreurs de lectures du code
génétique, c'est constant. Mais ils disent, une cellule, et bien elle a une moyenne d'erreurs, il y a une
moyenne d'erreurs possibles. Et puis, il y a bien un moment où il y a un seuil qui est atteint. Et c'est
quand le seuil d'erreurs possibles est atteint qu'à ce moment là il y a vraiment quelque chose
d'irréductible, à savoir un phénomène de sénescence, de vieillissement de la cellule, comme si elle
pliait elle-même sous le nombre de ses erreurs.
C'est un beau concept, l'erreur pathologique. Alors vous comprenez, il faut pas exagérer, hein...
Quand il disait, quand Spinoza dit : "mais le mal c'est l'erreur », il ne peut pas vouloir dire
complètement ça. Mais quand c'est un philosophe qui a fait vraiment toute une théorie explicite de la
perception, de la petite perception, du pouvoir de discernement des particules... Les particules font
des erreurs, elles se reconnaissent plus. Et la vieillesse, ce serait le franchissement du seuil de
tolérance d'une cellule, d'une particule, vis-à-vis de ces erreurs.

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Voilà donc un quatrième type de maladies, les maladies d'erreur ou de perception. Et alors, ce qui
me paraît très curieux, c'est la manière dont, dans le texte auquel je vous renvoyais, Spinoza ramène
le suicide à une maladie d'erreur. A savoir : toute une zone de particules sous des rapports donnés,
ne reconnaissent plus les autres particules sous leurs autres rapports comme étant les miennes, ou
comme étant les leurs, et se retournent contre elles. Si bien qu'il faudrait dire des maladies
auto-immunes, à la lettre, que ce sont des suicides organiques. Tout comme les suicides sont des
espèces de maladies auto-immunes psychiques. Ouais, bon...

Voilà ce que je voulais dire sur ce schéma possible, que donne au concept de maladie, le statut
précisément des modes et des manières d'être. Et alors, ça tombe bien parce que -je vais arrêter
bientôt... Ça tombe bien parce que, maintenant, on dispose quand même d'une meilleure... comment
dire ?... d'une meilleure grille d'interprétation pour revenir tout à fait à la correspondance Blyenbergh
et Spinoza. Car maintenant que on dispose de cet ensemble, je vous rappelle la réaction immédiate
de Blyenbergh, et toute cette correspondance va, j'espère, prendre une autre signification pour nous
plus concrète. Car Blyenbergh, c'est précisément, du point de vue de la sensibilité, je crois que c'est
profondément quelqu'un qui se vit... On ne l'en fera pas démordre : lui Blyenbergh, il se vit comme
un être. Et c'est pour cela que tout le spinozisme à la fois l'attire comme un truc très très bizarre, et
lui répugne très profondément. Et il interroge Spinoza, avec beaucoup d'exigence, sur le mode de :
Mais, enfin, qu'est-ce que ça veut dire tout ça ? Alors quoi, vous n'êtes pas un être ? Et tout le thème
du bien et du mal, c'est là et au niveau de cette grille que je vous proposais aujourd'hui qu'il faut le
resituer. Et à ce niveau, voilà, il me semble que Blyenbergh a deux objections très fortes. Les deux
objections très fortes, vous allez sentir qu'elles s'enchaînent complètement avec tout ce que dont on
a parlé aujourd'hui.
Je dirais, la première concerne la nature en général. Elle consiste à dire, de votre point de vue
modal, du point de vue d'une telle conception des modes, vous ne pourrez pas vous en tirer : la
nature ne peut être qu'un chaos. Vous vous rappelez que Spinoza vient de définir la nature en
général comme l'ensemble de tous les rapports qui se composent et se décomposent, pas
seulement de mon propre point de vue, mais de tous les points de vue. Riposte de Blyenbergh, qui
paraît très intéressante : qu'est-ce que vous racontez là, mais alors cette nature, c'est un pur chaos !
Pourquoi c'est un pur chaos ? Parce que vous remarquerez que, chaque fois qu'un corps agit sur un
autre, il y a toujours composition et décomposition à la fois. Ce n'est pas à ce niveau-là que je
pourrais dire, il y a du bon et du mauvais. Pourquoi ? Parce qu'il y a forcément composition et
décomposition, les deux l'un dans l'autre. Si l'arsenic agit sur mon corps c'est un cas de mauvais, il
décompose certains de mes rapports, mais pourquoi ? Parce que il détermine mes particules à
entrer sous un autre rapport. Avec cet autre rapport, le rapport de l'arsenic se compose, lui, donc il
n'y a pas seulement décomposition, il y composition aussi, dans le cas de l'empoissonnement. Mon
organisme meurt mais justement...

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

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transcription : julien david 6/01/81 - 4C Révision du 18 mars 2006 - Jean-Charles Jarrell
06/01/81 - 3

Par exemple je mange et je dis c'est bon. Qu'est ce que je suis en train de faire, quand je mange du
bœuf, ou du blé ? Je décompose le rapport des particules sous lequel elles appartenaient au blé, et
comme je dis, je les incorpore, c'est-à-dire je les soumets à mon rapport à moi. Là aussi, il y a
décomposition et composition. Mais je ne cesse pas de décomposer et de recomposer, bien plus,
j'imagine mal que je puisse avoir une composition qui n'entraîne ou qui n'aie comme envers ou
comme endroit des décompositions. Donc la nature c'est l'ensemble des décompositions, autant que
des recompositions. Et je ne pourrais jamais distinguer des compositions pures et des
décompositions. Elles sont complètement l'une dans l'autre. Donc la nature est pur chaos. Et en
effet, lorsque Spinoza avait dit : « attention il n'y a ni bien ni mal »... Il y a du bon et du mauvais, mais
il avait précisé : il y a du bon et du mauvais de mon point de vue, c'est-à-dire du point de vue d'un
corps déterminé. Mais du point de vue de la nature en général, il n'y a pas de bien et de mal mais il
n'y a pas non plus de bon ni de mauvais. Toute composition implique des décompositions, toute
décomposition implique des compositions. C'est le chaos ! Et là l'objection est très très forte.
Comment la nature ne serait-elle pas le chaos ? Et deuxième objection de Blyenbergh. Blyenbergh
dit : « cette fois-ci, d'accord, je me place au point de vue du point de vue. » C'est-à-dire du point de
vue d'un corps précis, par exemple le mien, il y a du bon et du mauvais. Le mauvais c'est ce qui
décompose mes rapports, le bon c'est ce qui se compose avec mes rapports. Donc, d'accord, il y a
donc du bon et du mauvais, du point de vue d'un corps. Il distinguera l'arsenic et l'aliment. Arsenic :
mauvais, aliment : bon. Mais, nouvelle objection, vous voyez qu'elle est très différente, de
Blyenbergh : ça ne donne aucun contenu objectif aux notions de vice et de vertu. Ça ne donne
aucun contenu objectif aux notions de vice et de vertu, puisque si vous distinguez l'arsenic et
l'aliment, c'est parce que l'un vous convient et l'autre ne vous convient pas. Et allez-vous dire que le
vice c'est ce qui ne vous convient pas et la vertu c'est ce qui vous convient ? En fait la morale nous a
toujours dit l'inverse. A savoir que la vertu, il fallait un rude effort pour le faire, c'est-à-dire que ça ne
me convenait pas spécialement, et que le vice, au contraire il pouvait très bien me convenir, qu'il
n'en était pas moins vice pour ça. En d'autres termes la morale commence à partir du moment où
l'on n'assimile pas le vice et la vertu à de simples goûts. D'où l'objection de Blyenbergh : vous n'avez
qu'un critère de goût pour distinguer les actions, et vous Spinoza, si vous vous abstenez du crime, si
vous vous abstenez de faire des crimes, c'est uniquement parce que pour vous, ils auraient mauvais
goût. Et en effet, Spinoza avait dit lui-même dans une lettre antérieure : « je m'abstiens des crimes
parce que ma nature en a horreur ». Mais c'est complètement immoral ! S'abstenir des crimes parce
que votre nature en a horreur, c'est pas ça que la morale vous demande... La morale, elle
commence à partir du moment où elle vous dit de vous abstenir des crimes même si vous en avez

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envie. Parce que, qu'est-ce qui me garantit que la nature de Spinoza, elle va continuer à en avoir
horreur, des crimes ? D'où, formule encore plus insolite de Spinoza, que veut-il dire lorsqu'à la fin de
la correspondance, il dit : « Si quelqu'un voyait qu'il convient à son essence de faire des crimes, ou
de se tuer, celui-là aurait bien tort de ne pas se tuer ou de ne pas faire des crimes » ? Qu'est-ce qu'il
veut dire ? Donc les deux objections de Blyenbergh, vous voyez qu'elles sont très différentes, et
qu'elles sont très fortes. Or pour comprendre comment Spinoza va pouvoir tenter de répondre à ces
objections, je crois qu'il faut juste faire un dernier -après, je vous laisse... un dernier regroupement.
Ce dernier regroupement, c'est un regroupement concret, parce qu'on s'y perd dans tout ça, c'est
très subtil, c'est très facile à comprendre mais très subtil. Revenons alors à des exemples de mal. Et,
en quoi est-ce que ça concerne bien le même domaine que celui dont nous parle Spinoza ?
Concrètement... Je prends trois exemples de mal incontestable : le vol, voilà, ça c'est mal... le crime,
c'est mal, et, exemple qui court tous les manuels de morale et de théologie de l'époque, l'adultère.
Ce qui m'intéresse... Je prends ces trois exemples parce que c'est Spinoza qui les prend, dans la
correspondance avec Blyenbergh, et c'est des exemples très concrets. Or tout ce que je demande
pour en finir aujourd'hui, c'est : en quoi ça concerne tout ce dont on a parlé aujourd'hui, le vol, le
crime, l'adultère ? Ecoutez Spinoza qui lui dit : Et ben, qu'est-ce qui n'est pas bien là-dedans ?
D'accord, je parle comme tout le monde : c'est mal. Qu'est-ce qui est mal dans le crime ? Et bien, ce
qui est mal, dit Spinoza, c'est très simple, là il n'y a pas tellement de problèmes... Je décompose, par
mon acte, je décompose les rapports constituants d'un autre corps. C'est-à-dire : je tue quelqu'un. Je
décompose les rapports constituants d'un autre corps... Vous voyez, c'est intéressant pour le crime,
parce que ça parait plus difficile pour le vol et pour l'adultère, et en fait c'est évident que Spinoza, il
tient quelque chose et qu'il n'a pas choisit ces exemples par hasard. Mais quelque soit l'exemple, ça
marche. Le vol, imaginez, le vol... Qu'est-ce qui est mal dans le vol ? On nous dit c'est mal, mais on
ne peut pas le croire si on ne voit pas ce qui est mal dans le vol, alors il faut voir ce qui est mal. Donc
plus personne ne volera si il voit bien ce qui est mal dans le vol, c'est parce que les gens, ils ne
voient pas ce qui est mal dans le vol... Or, vous vous rappelez la formule de Spinoza... En gros le
mal, le mauvais en tout cas, ça consiste en une chose : c'est que toujours un rapport est détruit. Un
rapport est décomposé, un rapport est détruit... Et bien dans le vol, il y a bien un rapport qui est
détruit. C'est que, comment se définit la propriété ? Il faut faire du droit... Parce que la propriété, c'est
très intéressant pour tous nos problèmes. Parce que tout ça, c'est des problèmes très concrets,
substances, modes, et cætera, c'est très concret ces histoires là... Est-ce qu'on est des substances,
est-ce qu'on est des modes ? La propriété, est-ce que c'est une qualité ? Et bien la propriété, c'est
quoi ? Je le dis le plus obscurément possible... C'est du type le ciel est bleu, ou c'est du type " Pierre
est plus petit que Paul" ? C'est une qualité attribuable, la propriété, ou bien c'est une relation ? Et
relation entre quoi et quoi ? Moi, je vais vous dire, je crois que c'est une relation, la propriété. Mais je
conçois très bien des théories de la propriété qui montreraient, ou qui essayeraient de montrer, que
la propriété, c'est une qualité attribuable à quelqu'un. Mais je ne crois pas, je crois que c'est une
relation. C'est une relation entre deux termes, un terme qu'on appellera la propriété, un autre terme
qu'on appellera le propriétaire. Quelle est cette relation, en quoi consiste la relation de propriété, si
c'est une relation ? La relation de propriété, c'est très intéressant, ça, il me faudrait longtemps pour
essayer de définir ce type de relation qu'on appellera propriété. Encore une fois, ce n'est pas sûr... Il
y a des gens qui pourront traiter la propriété comme un attribut, mais je n'en suis pas sûr, en tout cas
ils ont tort. Je me demande si St Thomas, si les théologiens ne traitent pas la propriété comme un
attribut, mais là, alors, je n'y ai pas pensé alors il faudrait que j'aille voir des textes, comment ils....
Bon, mais enfin, peu importe, nous autres nous ne traitons pas la propriété comme un attribut, nous
la traitons comme une relation, je veux dire vous et moi. Et, voilà... Cette relation, bon... par exemple

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voilà un texte, voilà un texte d'un autre philosophe, il dit : il y a un droit de propriété... Il faudrait
étudier tous les droits de propriété, pour voir quels types de relations sont en jeu dans la propriété.
Voilà un cas, voilà un cas que je vous cite parce qu'il est tellement émouvant, ce cas... Un cas
classique, qui a fait jurisprudence dans l'antiquité. Vous avez...Il y a une cité abandonnée. Une cité
est abandonnée, et il y a deux types qui courent, vers la cité. Ils courent, très très vite... Et il y en a
un qui va toucher la porte, avec son doigt... Ça va... Et l'autre, qui est derrière, il envoie une flèche
dans la porte -pas sur le type, dans la porte... Problème juridique : qui est propriétaire ? Quel est le
droit de propriété, là ? C'est : propriété des choses non occupées. Le droit d'occupation. Sur les
choses non occupées, vous avez un droit de propriété par occupation. Qu'est ce qui va définir
l'occupation ? Premier cas, la jurisprudence disait : il faut toucher la chose. Nous avons fait notre
empire en plantant notre drapeau sur des terres, qui sans doute étaient occupées mais on l'oubliait,
et n'étaient pas occupées par les autres européens. On plantait son drapeau, c'était un acte de
propriété par droit du premier occupant, comme on disait. Evidemment ça faisait problème, mais...
Bien, voilà la question : la main sur la porte de la cité vide instaure une relation. Cette relation est
dès lors, conventionnellement, - vous voyez j'introduis l'idée qu'il y a des relations par convention, ce
qui va être très important pour la suite... Il y a des relations naturelles et des relations
conventionnelles. Le droit, le système du droit, décide par convention que ce rapport -qui est un
rapport de contiguïté : ma main touche la porte... Tandis que l'autre cas, le type qui tire la flèche, il
n'y a pas rapport de contiguïté. Il a un rapport de causalité. Il a tiré la flèche, et la flèche, elle, est en
contiguïté avec la porte quand elle s'est plantée dessus. Faire du droit et aimer faire du droit, c'est
aimer des problèmes de ce genre... Qui est propriétaire ? Est-ce que le rapport flèche-tireur suffisait
à induire par convention une relation de propriété ou pas ? Vous voyez, être juge, c'est décider dans
des cas comme ça... C'est pas facile... Ou bien, est-ce que seule la relation de contact main-porte
induisait la relation conventionnelle de propriété ? Vous voyez que dans ces cas une relation
naturelle est élue, une relation naturelle est choisie, pour signifier une relation conventionnelle : la
propriété. Donc, c'est un très beau problème, le problème de la propriété du point de vue d'une
théorie des relations. Or je dis juste, voyez en quoi le problème de la propriété, le problème du vol,
rentre en plein dans le schéma de Spinoza : lorsque je vole je détruis le rapport de convention entre
la chose et son propriétaire. Et c'est uniquement parce que je détruis un rapport que je fais du mal.
C'est une bonne idée de Spinoza ça, à chaque fois que vous détruisez un rapport, vous faites du
mal. Mais vous me direz, comment évitez de faire du mal ? Quand je mange, je détruis un rapport, je
détruis les rapports du bœuf pour m'incorporer les molécules de bœuf. Bon, d'accord, il dira,
d'accord, d'accord... laissez le aller, laissez le aller son train, son chemin... Et l'adultère alors ? Ah
ah... Tout s'explique, ça vient à merveille. Et ben c'est mal, parce que vous décomposez un rapport.
Ah bon ? Alors si je ne décompose pas de rapport, je peux être adultérin. Oui ! Spinoza pense, parce
que son entendement est borné, que ce n'est pas possible, que de toute manière dans l'adultère on
décompose un rapport. Ce n'est pas sûr, on peut apporter des aménagements (rires) au spinozisme,
car, que veut-il dire par décomposer un rapport ? Il veut dire que le mariage... et là il en rajoute
même, parce que d'une part il était célibataire lui, et d'autre part il ne s'en souciait pas tellement... Là,
il en rajoute au sens où il prend les choses à la lettre... Il dit : « Vous dites vous-même que le
mariage est l'instauration d'un rapport sacré, entre la femme légitime et le mari ». C'est un rapport de
convention, ça il dira : « le rapport de sacrement, il est de convention ». Il a écrit le traité
théologico-politique pour raconter tout ça très bien. Mais les rapports conventionnels sont
parfaitement fondés, et finalement, sont fondés sur des relations naturelles. Bien, c'est très
important, ça... Donc, dans l'adultère, ce que vous détruisez, c'est le rapport conventionnel qui unit
l'un des deux partenaires, ou les deux, à leur conjoints respectifs. Vous détruisez un rapport. Et à

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nouveau rebondit l'objection de Blyenbergh : quoi que je fasse, je détruis des rapports... Parce
qu'après tout, même l'amour avec ma femme légitime détruit des rapports. Quels rapports ? Le
rapport, par exemple, qu'elle avait avec sa mère. Ah...Je détruis, en me mariant, je détruit quand
même le rapport éminemment naturel que ma femme légitime avait avec sa mère... Est-ce que je le
détruis, ou est-ce que je le compose ? Alors, bon, il faut faire intervenir la mère de ma femme
légitime, pour voir si c'est une composition de rapports ou si il y a destruction de rapports. Dans
chaque acte de la vie, ce n'est pas compliqué, il faut tenir compte de tout ça... Qu'est-ce que je
décompose comme rapport, et qu'est-ce que je compose comme rapport ? Vous comprenez où il
veut en venir... Il va y avoir une drôle de chose dans l'éthique, ça va être tout le temps : « vous ne
comprenez rien à la vie, et être une manière d'être, c'est ça ». Il ne vous dit rien de plus, au besoin :
regardez, à chaque fois que vous faites quelque chose, discernez un peu, voyez quels rapports vous
êtes en train de composer, et quel rapports vous êtes en train de décomposer... Donc une espèce de
prodigieux calcul des relations, prodigieuse composition-décomposition de rapports. Et Blyenbergh
arrive avec son objection : « mais tout est à la fois composition-décomposition, donc de toutes
manières, vous serez dans un pur chaos parce que vous-même, dans la mesure où vous vous
traitez de manière d'être, vous n'êtes qu'un pur chaos, vous vous êtes déjà réduit à l'état de pur
chaos ». Vous comprenez ? Et voilà que Spinoza va répondre, là il atteint une de ses limites,
Spinoza, il n'aime pas qu'on le traite de chaos... Il atteint un de ses limites, il va dire : « Non ». Vous
avez peut-être raison sur tous les autres points, il dira à Blyenbergh -d'ailleurs ça lui est égal... mais il
y a un point sur lequel il ne peut pas lâcher, c'est que l'Ethique n'est pas une pure bénédiction du
chaos, que au contraire, l'Ethique nous donne le moyen de distinguer le bon et le mauvais -ça il n'y
renoncera pas... et qu'il y a deux sortes d'actes, c'est-à-dire : des actes qui ont comme dominante de
composer des rapports, et qui ceux-là sont des actes bons, et des actes qui ont comme dominante
de décomposer des rapports, et ceux là sont des actes mauvais. Mais comment ? Intervention d'un
étudiant : Et par exemple si je vole un livre dans un supermarché, je compose un rapport, et le vol
dans ce cas là serait un acte positif dans la mesure où je compose un rapport ensuite avec le livre,
qui est plus intéressant que le rapport que le livre avait avec le supermarché... Deleuze : Spinoza
dirait non, parce que le rapport du livre avec le supermarché qui en est le légitime propriétaire ne
vaut pas seulement par la nature du supermarché et du directeur du supermarché, mais par la
sainteté des rapports conventionnels, des rapports symboliques. c'est-à-dire, lorsque tu as fait cet
acte, enfin lorsque quelqu'un a fait cet acte, cet acte abominable de voler le livre (rires), l'acte n'est
abominable que dans la mesure où il consiste à détruire l'intégralité de tous les rapports
symboliques. Parce qu'après si on te dit, « ben oui, tu as volé un livre, et après, hein, qu'est-ce que
tu vas faire, après ? » C'est tous les rapports... Est-ce qu'il y a des rapports conventionnels que tu
respectes, ou est-ce que c'est tous les rapports conventionnels que tu détruis ? Or il y a certains
voleurs de livres qui, en volant un livre, détruisent l'ensemble de tous les rapports conventionnels. Il y
en a même qui détruisent l'ensemble des rapports conventionnels et naturels. C'est pour eux qu'on a
dit : qui vole un livre vole un œuf. Voilà. Alors nous en sommes à ceci exactement : comment
Spinoza va-t-il maintenir sa position « il y a bien une distinction du bon et du mauvais » ? Voilà,
essayez de vivre, jusqu'à la semaine prochaine...

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Deleuze
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CINEMA /
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heures)

2- 17/11/81 - 1
Marielle Burkhalter

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Gilles Deleuze - 17/11/1981- 2A (502) Retranscrit par Chloé Molina-Vée

Comme caractéristique finalement, de l'art, de l'art en général, enfin, de beaucoup de formes d'art, et
ça, tu l'as opposé à une autre reconstitution du mouvement dont tu prétendais que c'était deux
reconstitutions de différentes natures, une autre reconstitution du mouvement qui consistait à
reconstituer le mouvement, non plus en fonction d'instants privilégiés mais en fonction d'instants
quelconques, en fonction de l'instant quelconque.
Et ça, je disais en effet, ça, c'est le cinéma et avant le cinéma, c'était ça le roman : la relation du
mouvement à l'instant quelconque et non plus à des instants privilégiés. Alors l'objection qu' il me fait
c'est - c'est pas une objection en fait, c'est quand même - ça revient à dire : il faut pas aller si vite
parce qu'après tout un homme de cinéma aussi important et aussi fondamental que Eisenstein,
qu'est-ce qu'il fait ? Sinon une reconstitution du mouvement à partir d'instants privilégiés. Voyez, ça a
l'apparence d'une objection mais comme il ne m'a jamais fait d'objection, Dieu merci, ça ne doit pas
en être une,

[Voix dans la salle] c'est au contraire, c'est au contraire, l'offre d'une direction à analyser.

Une seconde question qui m'intéresse là mais qui serait plus technique, c'est : c'est très bizarre,
s'il est vrai que Bergson tend à définir - mais ça, on l'a pas bien vu - tend à définir, le Tout, la totalité
par l'Ouvert, alors que pour la plupart des gens le Tout, c'est au contraire quelque chose de fermé,
c'est bizarre ça de dire quelque chose comme des formules du type : « et bah, le Tout, c'est pas
difficile, c'est l'Ouvert ». La question est que..., s'il est vrai que Bergson dit ça, bizarrement y a
quelqu'un d'autre qui a dit ça aussi, c'était Heidegger, et c'est Rilke ; il y a des poèmes très beaux de
Rilke sur l'Ouvert. Et est-ce qu'il y aurait un rapport ça, entre l'idée bergsonienne et Heidegger ou
Rilke ou Hölderling.

Bon, je veux juste répondre à la sec... à la première question. Ou essayer de répondre à la première
question parce que, elle renvoie à quelque chose que je peux considérer comme du déjà-fait. Et que,
en effet, ça fait problème, bon, si on voit un film de Eisenstein, qu'est-ce qui se passe ? mais enfin,
en effet, c'est du mouvement, c'est même parmi les plus beaux mouvements de cinéma mais
comment ne pas reconnaître que c'est une reproduction, une reconstitution du mouvement en
fonction d'instants privilégiés, et à la lettre, en fonction de points de crise ? Bon, je dis, c'est une
objection qu'en apparence. Je crois. Parce qu'en fait, qu'est-ce qui se passe ? Quand je disais le
cinéma, il ne se définit pas simplement par la reproduction du mouvement, il se définit par ceci : « il y
a cinéma lorsque la reproduction du mouvement découle d'une analyse du mouvement ». Bien. Ce
qui revient au même que dire « il y a cinéma lorsqu'il y a reproduction du mouvement en fonction de

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l'instant quelconque ».
Pourquoi ? Parce que vous n'avez d'analyse du mouvement que lorsque le mouvement n'est pas
découpé d'après des instants privilégiés mais découpé d'après les instantanés. L'instantané, c'est
l'instant quelconque. « Un instant quelconque étant donné » : alors, qu'est-ce que ça veut dire
concrètement ? Vous sentez bien que l'instant quelconque, c'est en fait une relation ; c'est une
relation entre deux instants, sinon, c'est une abstraction, l'instant quelconque. On dira, c'est quoi
l'instant quelconque ? C'est rien, quoi, c'est quoi ? En fait, « instant quelconque », c'est une notion
parfaitement concrète et déterminable.

Si je dis « instant quelconque » comme ça, ça veut dire, un instant indéterminé. Un instant
égalique. Donc comment déterminer l'instant quelconque ? L'instant quelconque est parfaitement
déterminé comme équidistance entre deux instants. Donc, vous avez des instants équidistants. Dès
lors, votre analyse du mouvement mérite le nom « analyse du mouvement » puisque, elle considère
des coupes équidistantes. A ce moment-là, il y a analyse du mouvement.
Vous voyez que ce ne sont pas des instants privilégiés, là, vous pouvez définir complètement et
distinguer complètement l'instant quelconque et l'instant privilégié ; c'est évidemment pas un instant
privilégié puisque l'instant quelconque désigne seulement la relation entre. Deux instants dont le
caractère n'est nullement, d'impliquer un sommet, un minimum ou un maximum du mouvement ou
même une singularité du mouvement mais uniquement d'être équidistants de l'instant, de l'autre
instant. Bien.
Alors, je dis et je crois pouvoir maintenir que, si le mouvement n'est pas reproduit en fonction
d'instants quelconques, c'est-à-dire, en fonction d'instants équidistants, il n'y a pas cinéma ni
possibilité de cinéma. Bien. Et ça, ça reste vrai pour... [Intervention inaudible dans la salle]

à la lettre, le cinéma en tant que technique assignable.

[Intervention dans la salle] - Et la vidéo ?

Mais là-dessus, [Bref aparté de réponse à la question inaudible] Mais là-dessus, [Bref aparté
inaudible à la même personne] Là-dessus..., que..., des instants quelconques, c'est-à-dire des
instants équidistants soient choisis de manière à coïncider avec... des instants privilégiés vieille
manière, ça c'est parfaitement possible. Pour ceux qui se rappellent des thèses d'Eisenstein, pensez
à, la manière dont il (même c'en est à un point où on se dit « mais pourquoi est-ce qu'il insiste
là-dessus ? ») sur les considérations numériques du nombre d'or ; non seulement dans chaque
image mais dans la succession des images, tout son caractère quantitatif du mouvement.
Oui, je dirais de Eisenstein que, il est complètement, évidemment homme de cinéma. Ca va de
soi. Mais une de ses astuces diaboliques, c'est de restituer un monde épique et un monde tragique.
Restituer un monde épique et un monde tragique, je veux dire « un monde épique et un monde
tragique », c'était bien des mondes qui reconstituaient le mouvement mais à partir d'instants
privilégiés. Eisenstein fait du cinéma. En tant qu'il fait du cinéma, il est comme tout le monde,
c'est-à-dire, il ne peut reconstituer le mouvement et il doit reconstituer le mouvement de cette
manière radicalement nouvelle, en fonction d'instants équidistants donc d'instants quelconques.
Mais ce qu'il y a d'étonnant chez Eiseinstein, c'est qu'il se sert de la méthode cinématographique
pour restaurer un nouveau monde épique et tragique, c'est-à-dire, il calcule ses équidistances de
telle manière qu'elles ressuscitent des moments privilégiés. Et ça vous pouvez toujours mais LE
procédé sera quand même le maintien de l'équidistance suivant des rapports du nombre d'or, de la

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section d'or. J'ai répondu ?

[Intervention dans la salle] - Ah tout à fait.

Voilà. Alors, bon, continuons, continuons. La dernière fois, et j'insiste beaucoup sur... mon besoin
vraiment de beaucoup numéroter ce que nous faisons pour que quand on avance..., et puis je le dis
pas pour que vous veniez toujours aussi nombreux mais je le dis pour que vous veniez moins
nombreux. Quand vous venez, il faudra venir tout le temps, hein. Parce que c'est pas découpable ce
que je fais cette année alors vous avez tort de venir comme ça.

Vous voyez, la dernière fois, on a vu deux thèses de Bergson sur le mouvement. Et c'était comme
un premier chapitre, quoi, pour appeler ça d'un nom commode. C'était : « les thèses de Bergson sur
le mouvement ». Si savoir si..., si il peut en sortir pour le cinéma. On en a vu deux. Je ferai une
récapitulation quand j'aurai fini ce que je veux faire aujourd‘hui.

Et, on abordait la troisième thèse de Bergson sur le mouvement. Ses thèses, encore une fois, ça
se complique, parce qu'elles sont pas..., c'est comme tout, c'est comme toujours en philosophie, y a
pas « de telle page à telle page ou à tel moment, Bergson qui change de thèse », c'est dans les
mêmes pages que tout ça co-existe. Que par glissement, il passe d'un niveau à un autre, ses trois
thèses sur le mouvement, c'est comme trois niveaux d'analyse du mouvement.

Et au niveau de cette troisième thèse, la plus complexe évidemment, ça devient... très difficile,
peut-être beaucoup plus intéressant que les autres thèses. Mais justement les autres thèses étaient
nécessaires pour arriver à l'énoncé de celle-ci. Et l'énoncé de celle-ci, elle consisterait à dire, c'est ce
que j'avais essayé de faire, de dire la dernière fois. Non, seulement, si j'essaie de lui donner un
résumé vraiment, non seulement, l'instant... est une coupe immobile du mouvement... mais le
mouvement est une coupe mobile de la durée. Je vais dire en quoi c'est une thèse complexe alors.
Parce que, on est sorti du bergsonisme le plus traditionnel, le plus connu... le bergsonisme le plus
connu, c'est celui qui met d'un côté : mouvement et durée et de l'autre côté : espace et instant. Et qui
nous dit « vous ne reconstituez pas le mouvement avec de l'espace parcouru pas plus que vous ne
reconstituerez de la durée avec des instants ».
Mais là, vous voyez, il ne s'agit plus de dire ça. Il ne s'agit pas de contredire ça mais grâce à la
première thèse, il passe à un niveau beaucoup plus complexe d'analyse. Qu'est-ce que ça veut dire
ce « de la même manière que » ? « De la même manière que l'instant est une coupe immobile du
mouvement et bien, le mouvement est une coupe mobile de la durée ». Si bien que, là, cette thèse,
je vous disais, on pourrait presque la présenter sous forme d'un rapport dit d'analogie... ; rapport
d'analogie que l'on énoncerait ainsi : « coupe immobile instantanée », « coupe immobile instantanée
» sur « mouvement dans l'espace » égal « mouvement dans l'espace » sur « durée ». C'est pas mal
qu'il le dise, évidemment, il le dit.

Voilà une phrase que je lis lentement, tirée de "L'Evolution créatrice" : « les déplacements », je lis
lentement pour que vous suiviez bien, « les déplacements tout superficiels de masse et de
molécules que la physique et la chimie étudient, deviendraient », il met un conditionnel, il est très
prudent, « deviendraient par rapport au mouvement vital qui se produit en profondeur, qui est
transformation et non plus translation, ce que la station d'un mobile est au mouvement de ce mobile
dans l'espace ». « Deviendraient par rapport à ce mouvement vital qui se produit en profondeur »,

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c'est-à-dire à la durée, « ce que la station d'un mobile est au mouvement de ce mobile dans l'espace
». Donc il nous propose explicitement l'analogie : « station immobile ». [Blanc sur la bande]

Bon, et j'ajoute, « et c'est pas bien ». J'ajoute « et c'est pas bien », ça veut dire quoi « et c'est pas
bien » ? Ca veut dire, « je m'en tiens à Bergson, c'est Bergson qui me soucie, c'est pas bien pour
Bergson ». Plus tard, Bergson n'a pas cessé de dire et ne cessera jamais de dire : « vous n'avez pas
le droit de reconstituer le mouvement avec des coupes immobiles ». Donc, du côté de, premier
membre de mon équation : « c'est pas bien ». Le second membre : « mouvement dans l'espace sur
durée ». Quand je dis « ce que la station immobile est au mouvement, le mouvement l'est à la durée
».

Donc, le second terme de mon équation, à savoir que : « le mouvement dans l'espace exprime de
la durée », pas comme Bergson, c'est bien ça. Là, le cœfficient affectif dit que c'est bien ça, c'est
bien ça. On pressent de la formule « c'est bien ça » à savoir « c'est bien ça et ça marche ». Donc,
quand j'établis mon rapport d'analogie, y a en même temps, un glissement affectif du « ça marche
pas » à « ça marche ». Le mouvement est bien une coupe mobile de la durée.

Si bien que notre premier problème c'est qu'est-ce que ça veut dire cette thèse bergsonienne très
curieuse, parce qu'enfin, autant on pouvait être à l'aise, relativement, on savait tout ça d'avance, que
finalement, bon, l'espace parcouru et le mouvement c'étaient irréductibles, tout ça, on savait tout ça
mais maintenant, il est en train de nous dire tout à fait autre chose. Et j'en doute que ce qu'il a dit
nous paraissait si simple mais on était tellement content d'avoir compris...

faut se méfier toujours avec les philosophes : quand on est très content d'avoir compris, c'est que
ce qu'on a compris, c'est une condition pour comprendre encore autre chose qu'on a pas compris.
Alors... je veux dire, c'est toujours des textes à plusieurs niveaux.

Donc, ma question actuellement quant à cette troisième thèse, c'est : « qu'est-ce ça peut bien
vouloir dire concrètement ? » « Le mouvement dans l'espace est une coupe mobile de la durée. »

Et bien, procédons tout doucement. Ca veut dire d'une certaine manière que... le mouvement,
c'est quoi ? Le mouvement dans l'espace. Le mouvement dans l'espace, je dirais que, comme on dit,
le mouvement, c'est essentiellement relatif. Qu'est-ce que ça veut dire : « le mouvement est relatif »
? Ca veut dire que si fort que vous sachiez quel est le mobile, vous pouvez toujours penser le
mouvement comme purement relatif, c'est-à-dire, ce par quoi, ce par rapport à quoi un mouvement
se fait, vous pouvez aussi bien dire ou penser que c'est cela qui se meut par rapport au mobile posé
à son tour comme immobile. La relativité du mouvement. Vous pouvez aussi bien dire que vous vous
déplacez par rapport au paysage ou que le paysage se déplace par rapport à vous. Je dis pas que
vous pouvez le sentir comme ça et dans certains cas, vous le sentez comme ça. Mais vous pouvez
le penser. Ce qui revient à dire quoi ?

[Toussotements dans la salle]

Je dirais du mouvement qu'il est fondamentalement une relation entre parties. Je dis le
mouvement exprime de la durée. Ca veut dire quoi ? C'est ça qu'on essaie de commenter encore
une fois chez Bergson ? Qu'est-ce que veut dire « le mouvement exprime de la durée ? » La durée,

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c'est quoi ? C'est ce qui change. Et Bergson finalement n'a jamais donné une autre définition à la
durée.
La durée, c'est ce qui change ; c'est ce qui change et qui ne cesse pas de changer. On avance un
peu. Le changement, c'est quoi ? Pour des raisons qu'on ne va comprendre que tout à l'heure,- il faut
bien que je me précède dans cette analyse -, Bergson nous montrera que le changement, lui, c'est
une affection du Tout.
Le mouvement : relation entre parties ; le changement : affection du Tout.

Sans comprendre encore, je veux dire sans bien comprendre où on va, on va quelque part. Le
mouvement exprime de la durée, cela veut dire, une relation entre parties exprime une affection du
Tout. Le changement, c'est l'affection du Tout, le mouvement, c'est la relation entre parties, bon. Un
mouvement exprime un changement. Le mouvement exprime de la durée, cela veut dire le
mouvement comme relation entre parties exprime un changement comme affection du Tout.
On a au moins donné un corps plus détaillé à la thèse bergsonienne. Est-ce que c'est vrai ça ?
Qu'est-ce que ça peut vouloir dire ? Un mouvement, donc, exprime un changement plus profond. Ce
que Bergson traduit parfois très durement, très... quand il veut supprimer toute [mot inaudible]. Il dit «
une translation exprime finalement une transformation ». Transformation, plus profond que la
translation, c'est-à-dire le mouvement comme relation entre parties, il y a la transformation comme
changement d'un Tout.
Dans un texte de L'évolution créatrice, il dira : « au-delà de la mécanique de la translation, il fallait
imaginer une mécanique de la transformation. » Bon. Il faudrait... Plus ça se complique, plus la
philosophie doit être rythmée tout d'un coup par des retombées très simples, très concrètes. Ca a
l'air déjà très compliqué, très métaphysique. En fait, est-ce qu'il veut pas dire quelque chose de très
simple aussi, ça s'exclut pas. Là où le plus complexe coïncide vraiment avec le plus simple, dans
une espèce de chute. Oui, je crois, il veut dire quelque chose de très simple.

Mouvement, prenons des exemples de mouvement.


Je sors. Je sors, je vais faire ma petite promenade.
Deuxième exemple : l'oiseau s'envole.
Troisième exemple : je cours parce que j'ai vu à 10 mètres quelque chose à manger. Qui niera
que tout cela, c'est des mouvements ? Vous n'allez pas nier ça quand même ? Mais bien plus. Enfin,
c'est du vrai mouvement ça. Parce que les physiciens, ils nous parlent de quoi ? Si je me situe par
exemple au niveau des physiciens du XVIIème siècle, ils nous parlent de quoi ? De boules de
billards. Voilà ma question. Vous comprenez, quand on veut progresser, ça dépend de quel progrès
on se propose, mais faut généralement bien choisir ses exemples.

Je dis : « le mouvement exprime de la durée », c'est-à-dire, le mouvement comme relation entre


parties exprime un changement comme affection du Tout. C'est exactement pareil, pour le moment...
c'est pas pareil mathématiquement, sentez, c'est... je peux passer d'une formule à l'autre. De la
formule, simple mais difficile à comprendre, « le mouvement exprime de la durée », je suis passé à
(en essayant d'un peu mieux définir), à « le mouvement comme relation entre parties exprime un
changement comme affection du Tout ». Alors, c'est pas évident si... tout dépend comment je taille
mes exemples. Si j'invoque mes boules de billard, c'est du mouvement. Toute la physique de la
communication du mouvement au XVIIème siècle s'est faite à partir d'exemples de ce type. Deux
corps en mouvement se rencontrent, qu'est-ce qui se passe ? Dans quel cas est-ce que chacun de
deux rejaillit ? Dans quel cas est-ce que l'un entraîne l'autre ? D'après quelles lois l'un entraîne t-il

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l'autre, etc. Bon, c'est des exemples du mouvement, pour et dans quel but ? C'est beau l'exemple du
mouvement mais dans un but déterminé..., à savoir pour faire une science quantitative du
mouvement et de la communication du mouvement. Donc c'est pas étonnant qu'on s'adresse à ce
type de mouvement.

Lorsque je pose une toute autre question : « le mouvement dans l'espace exprime t-il quelque
chose d'une autre nature ? » Il est bien probable qu'il faudra d'autres exemples.

Or, je reprends : je sors faire ma promenade quotidienne. Supposons que je sois un être
d'habitude. Même si... A 5 h, à 5 h, Emmanuel Kant sortait tous les jours faire sa petite promenade.
Quand la nuit tombe, le vampire s'envole. Le vampire se lève quand la nuit tombe. Qu'est-ce que ça
veut dire tout ça ? Vous pouvez multiplier les exemples. Cela va de soi que, lorsqu'il s'agit de
mouvements réels et non pas de mouvements abstraits déjà saisis dans des conditions artificielles
comme les boules de billard, quand il s'agit de mouvements réels, ça exprime de la durée en quel
sens ? Je sors pas n'importe quand, n'importe comment, je ne fais pas une translation dans l'espace
comme ça. Ma translation dans l'espace est à la lettre produite par quoi ?

Quand la nuit tombe, je sors. En d'autres termes, c'est un changement dans le Tout. Vous me
direz « qu'est-ce que c'est ce Tout ? » On va très, très lentement. C'est un changement assignable
comme affection d'un Tout. Le Tout de la ville, le Tout de la journée, le Tout de la campagne. Il
m'appelle à la translation au point que ma translation ne fait qu'exprimer ce changement dans le
Tout. Ca va de soi. Et même si je sors, si je fais ma petite promenade après avoir bien travaillé...
Bon, même chose. Il faudrait dire : « un changement assignable dans le Tout est comme la raison
suffisante du mouvement de translation. » C'est lui le déclencheur du mouvement.

L'oiseau s'envole. Supposons qu'il s'agisse d'une migration. C'est ça un mouvement concret, un
mouvement réel. C'est pas les boules de billard dans leur système isolé. Boules de billard qui sont
supposées se mouvoir d'elles-mêmes, dans l'exemple de la pure physique de la communication du
mouvement. L'oiseau s'envole et migre. Supposons. Il est bien évident que la migration comme
mouvement de translation exprime un changement dans le Tout, à savoir un changement climatique.

« Je cours ayant vu une nourriture, ayant faim. » Translation dans l'espace, qui implique quoi ?
C'est exactement comme si, entre ma faim et la nourriture, je pourrais presque les assimiler en terme
alors de physique, à nouveau pour revenir à la physique, à une différence de potentiel. Une
différence de potentiel s'est creusée dans un Tout, c'est-à-dire dans l'ensemble de mon champ
perceptif. Une différence de potentiel s'est creusée entre ma sensation de faim, la perception de
l'objet-aliment. Le mouvement dans l'espace trouve sa raison dans cette différence de potentiel
puisque il se propose précisément... une sorte d'égalisation potentielle au sens où j'absorbe la
nourriture. A ce moment-là, une autre différence de potentiel se creusera dans le Tout. Je serai allé
d'un état du Tout à un autre état du Tout.

Si vous comprenez des exemples aussi simples... et bien, qu'est-ce qui se passe ? A la limite, y a
jamais de mouvement de translation à l'état pur dans le monde. Les mouvements de translation
expriment toujours par nature les changements du Tout. En d'autres termes, les mouvements dans
l'espace, les mouvements de translation renvoient toujours à des changements qualitatifs ou

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evolutifs. Ca paraît très simple tout ça mais si j'insiste tellement c'est pour vous faire suivre l'espèce
de cheminement de la pensée bergsonienne. A cet égard, où précisément, il met en valeur les
choses tellement simples mais sans lesquelles on ne comprend pas du tout ça. Or ça, je peux le dire
presque, là, je peux réintroduire le concret dans la science.

Et cette fois, c'est la première fois que je cite un texte de Matière et Mémoire : « il ne s'agit plus
de savoir... », chapitre... dernier chapitre, chapitre 4, « il ne s'agit plus de savoir comment se
produisent dans telle partie déterminée de la matière des changements de position », remarquez «
dans quelle partie déterminée de la matière des changements de position », mais il s'agit de savoir
comment s'accomplit dans le Tout un changement d'aspect » ; changement dont il nous resterait
d'ailleurs à déterminer la nature. Et, dans le même chapitre, phrase encore plus nette... Il nous dit
finalement « même les physiciens doivent bien se cont..., doivent bien invoquer des mouvements de
type tourbillonnaire ». Ils ont beau décomposer le mouvement au maximum, ils en viennent toujours
à des mouvements tourbillonnaires. Or, la direction que ces mouvements indiquent n'est pas
douteuse. Ils nous montrent, cheminant à travers l'étendue concrète, des modifications, des
perturbations, des changements de tension ou d'énergie (c'est ce que j'appelais tout à l'heure des
différences de potentiel) et rien d'autre chose, c'est-à-dire, vous n'avez pas un mouvement de
translation qui ne renvoie à une perturbation, à une modification, à un changement de tension ou
d'énergie.

Voyez. Dire « le mouvement, exprime la durée » ou dire, ce qui revient au même, « le mouvement
comme relation entre parties exprime un changement comme affection du tout », voyez, ça revient
exactement à dire « toute translation trouve sa raison dans une perturbation, dans une modification,
dans un changement de tension ou d'énergie qui affecte le Tout ou qui affecte un Tout ».

Voilà... alors, il faut que je sois très, très... Pourquoi est-ce qu'on le sent pas ? Pourquoi est-ce qu'on
le sent et qu'on on croit à une espèce d'autonomie du mouvement dans l'espace ? Pour une raison
très simple je crois, et que Bergson a très bien analysée. C'est que... c'est pour la même raison que
finalement, on prend toujours sur les choses des vues immobiles, des coupes immobiles.

En effet, je divise finalement le monde en deux. Je distingue des qualités et des quantités.
Qualité, c'est par exemple, le rouge et je pense que le rouge, c'est quelque chose de simple, que
c'est une sensation simple. Et que en tant que sensation simple, c'est dans ma conscience. Or, c'est
de la même manière et c'est en même temps, que j'attribue à ma conscience des sensations
qualitatives simples, et que j'attribue à la chose des déterminations quantitatives infiniment divisibles.
J'ai mis les qualités dans ma conscience comme quelque chose de simple et je renvoie aux choses
des mouvements infiniment divisibles.
Et, c'est sur la base de ce dualisme que je viens un peu, ah bah, oui, tout ce qui est qualitatif c'est
ma conscience, c'est ma sensation qualitative, et ce qui revient aux choses, c'est un peu l'univers,
c'est un peu l'univers de... du cartésianisme, et ce qui revient aux choses, c'est le mouvement
infiniment divisible. Mais en fait, c'est pas simple non plus. Si je m'interroge sur ce que c'est qu'une
qualité, « qu'est-ce que c'est une qualité ? ».
Une qualité, c'est une perturbation. Une qualité, c'est un changement de tension, c'est un
changement d'énergie ; une qualité, c'est une vibration ou c'est des millions et des trillions de
vibrations. Une qualité, elle existe peut-être bien dans ma conscience comme sensation simple, mais
elle existe dans la matière comme vibration et manière de vibrer. Le rouge, c'est un mode de

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vibration, le bleu, c'en est un autre.
Que dire alors de ce mouvement là ? La lumière devient rouge. Qu'est-ce que c'est ce
mouvement que j'exprime dans le terme « rougir » ? La lumière devient rouge ou bien de rouge, elle
passe au bleu. C'est des variations de vibrations. Ce mouvement vibrationnel, lui, il dépasse
complètement la dualité entre une sensation supposée simple et un mouvement de translation
supposé suffisant. En fait, c'est deux abstraits la sensation simple et le mouvement supposé
suffisant.
Ce qui est concret, c'est quoi ? C'est, le mouvement comme trouvant sa raison, comme trouvant
son principe de production, dans quoi ? Dans un changement. Ca bleuit, ça rougit, ça passe du
rouge au bleu. La lumière passe d'une couleur à une autre, etc, etc.

Bon, qu'est-ce que j'ai fait jusqu'à maintenant, j'ai juste essayé de commenter. Qu'est-ce que ça
peut vouloir dire : « le mouvement dans l'espace exprime de la durée. » ? Mais quand même, j'ai été
trop vite. [Aparté inaudible] J'ai tout de suite transformé ça en « le mouvement comme relation entre
parties exprime un changement comme affection du Tout ». Ca pouvait se faire parce que ça coulait
tout seul mais maintenant on revient un peu en arrière.

Comment, qu'est-ce que ça veut dire ça ? Est-ce que j'avais le droit d'introduire, alors, des
notions aussi complexes et pourquoi ? Je suppose que vous m'accordiez que d'accord (de ce point
de vue, ça veut pas dire que vous êtes d'accord vous-même mais vous verrez plus tard, il faut
d'abord comprendre)... supposez que vous m'accordiez que, en effet, le changement exprime de la
durée.
Vous dites, oui, en effet, quand je sors à 5 h du soir, ma translation renvoie à un changement...
Or, la durée, c'est ce qui change. Donc, d'accord, jusque là, ça va. Mais comment introduire ces
notions alors ? « Le mouvement comme relation entre parties exprime le changement comme
affection d'un Tout ».

Là, il faut aussi faire confiance à Bergson et c'est très dur finalement. Vous sentez bien que tout
ce autour de quoi il tourne, c'est une certaine manière de dire : « vous savez, le Tout et les parties,
c'est deux notions qui ne sont pas sur le même plan ».

Bon. En d'autres termes, c'est pas en faisant une addition de parties qu'on arrive à un Tout.
D'accord. Tel que Bergson le dit, il ne serait pas ni le premier ni le dernier à le dire. Beaucoup
d'auteurs nous ont expliqué que le Tout et les parties, ce n'était pas sur le même plan. Ce qui va
nous intéresser, ou ce qui devrait nous intéresser, c'est la manière dont pour lui, ce n'est pas sur le
même plan où, là, je crois, il est très unique Bergson.
Parce que son idée elle est très simple, elle consiste à dire, bah, « oui, ce n'est pas sur le même
plan, parce que les parties, c'est toujours dans l'espace alors que le Tout, c'est le temps réel ». Et ça,
c'est très nouveau. Autant l'idée que « le Tout, c'est autre chose que la somme de ses parties », c'est
une idée très courante, tout à fait courante, mais la répartition des deux plans, des parties et du Tout
sous la forme, les parties, c'est de l'espace et le Tout, c'est du temps réel, ça c'est très curieux.
Parce que, qu'est-ce qu'il veut dire ?

Vous vous rappelez, là, je voudrais pas trop revenir là-dessus, que j'ai essayé la dernière fois de
montrer pourquoi, selon Bergson, le Tout n'était pas donné. Le Tout n'est pas donné, en effet.
Qu'est-ce qui est donné ? Ce qui est donné, mettons, c'est des objets. Ces objets, sans doute,

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peuvent être parties, peuvent être des parties. Parties de quoi ? Je dirais, des objets... Vous pouvez
toujours fairedessommes,vouspouveztoujourspar exemple faire entrer un objet dans un système. On
verra à quel point tout à l'heure mais faut attendre, à quel point pour le cinéma, c'est trèsimportant
ça. Vous pouvez toujours faire un système. Bien plus, vous pouvez toujours clore un système. Vous
établissez un système clos.
Par exemple, ce qu'il y a sur la table. Et vous décidez de pas considérer le reste. Remarquez,
même si je disais, c'est un Tout, ça, ce qui est pas sûr, mettons, un ensemble, c'est un ensemble
qualifié : c'est l'ensemble des objets qui sont sur cette table.

De même, si je dis « l'ensemble des objets rouges », c'est un ensemble qualifié. Qualifié, en quel
sens ? En ce sens que cet ensemble se définit par ce qu'il exclut : les objets non-rouges. Mais
lorsque je dis « le Tout », « tous les objets rouges ». Acceptons l'idée que ça a un sens, que cette
formule ait un sens. « Tous les objets qui sont sur cette table ». Là aussi acceptons que, une telle
formule ait un sens.

Mais si je dis : « le Tout ». Le Tout, tout court. Est-ce que ça a un sens ? Il est bien évident que le
Tout, tout court n'est ni donné, ni même donnable. L'ensemble des objets qui sont sur cette table,
c'est donné, l'ensemble des objets rouges, c'est donnable. Mais le Tout ? C'est si peu donné ou
même donnable, que beaucoup d'auteurs ont pensé que, la formule « le Tout » était un concept vide
ou un non-sens. Bon. Que c'était un non-sens. Que la formule « le Tout » n'avait strictement aucun
sens.

Chez Bergson, c'est très curieux. Lui, il a son chemin très... Et on risque de se retrouver
bergsonien avant d'avoir compris comment ni pourquoi. Car il nous dit à peu près ceci : le Tout n'est
pas donné, ni donnable, d'accord. Est-ce que je dois en tirer la conclusion que le Tout n'a pas de
sens ? Non. Cela veut dire qu'il n'est pas de l'ordre du donné. Oui.
Alors de quel ordre est-ce qu'il pourrait être ? Il est de l'ordre de ce qui se fait et ne cesse pas de
se faire ? Vous vous rappelez, ça, ça renvoie à des choses qu'on a vu la dernière fois, ce qui se fait,
ne cesse pas de se faire. Ca, c'est la durée.

C'est la création d'un quelque chose de nouveau à chaque instant. C'est l'instant suivant qui
continue l'instant précédent au lieu de le reproduire. C'est la production d'un quelque chose de
nouveau. Le Tout, il dira, c'est forcé que ce ne soit pas donné ni donnable. Encore une fois, c'est ce
qui se fait, c'est-à-dire, c'est la durée. « C'est ce qui se fait », c'est très curieux, tout ça. Comprenez,
il veut pas dire une chose plus compliquée ; lorsqu'il dit, le Tout, c'est l'Ouvert. Le Tout, c'est l'Ouvert.

Et y a des pages de Bergson, là aussi, il faut se méfier, on a parfois l'impression que une page
vous rappelle une page d'un autre auteur. Et puis, vous vous apercevez que en fait, c'est juste le
contraire. Je veux dire, il y a une série, y a une métaphore qui court, à travers toute l'histoire de la
pensée, à savoir, c'est une métaphore qui consiste à rapporter l'un à l'autre, le vivant et le Tout de
l'univers. Et dire, oui, si le vivant ressemble à quelque chose, c'est pas à quelque chose d'inanimé,
c'est pas à un objet. Si le vivant ressemble à quelque chose, il faut le comparer, non pas à un objet
mort, il faut le comparer au Tout de l'univers. C'est la fameuse théorie du microcosme. Le vivant est
un microcosme, c'est-à-dire un petit monde, il n'est pas un objet dans le monde, il est lui-même un
petit monde. En d'autres termes, il doit être comparé au monde, au Tout.

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Or, ça, c'est une thèse qui court les rues, que les philosophes ont beaucoup développé. Ce sont...
[Bruits dans le micro - Aparté] Jusqu'à Bergson, comment ça s'interprétait ? Cette thèse bien
connue, elle consistait à dire, de même que le Tout est la totalité la plus extensible, c'est-à-dire
l'ensemble de tous les ensembles, c'est-à-dire, de même que le Tout est fermé sur soi, de même
que le Tout est la fermeture absolue, le vivant... est naturellement fermé sur soi. Bien sûr, il n'est pas
complètement fermé, il est une image du Tout.

Voilà que Bergson reprend une vieille thèse : le vivant comme microcosme, c'est-à-dire, le vivant
n'est pas comparable à un objet, il est comparable au Tout. Mais cette thèse, il en inverse
complètement les signes. C'est curieux, hein, c'est assez beau, la manière dont il renouvelle
complètement un très vieux thème, parce que vous voyez, ce que lui va dire, si le vivant est
comparable au Tout, c'est parce que le Tout, ce qui se fait, c'est-à-dire, c'est l‘Ouvert et que le vivant
est naturellement ouvert. Il est ouvert sur quoi ? Et bien, le propre du vivant, c'est d'être ouvert sur
l'Ouvert. Il est ouvert sur le Tout mais le tout lui-même, c'est l'Ouvert.

Et c'est là que Bergson, lance, dans L'évolution créatrice un exemple qui va beaucoup nous servir
plus tard pour le cinéma donc je suis forcé de lire la page. Il explique que, bien sûr, on peut toujours
fermer un système. Voyez, je peux toujours fermer un système. Ca revient à dire quoi ? Et bien,
j'isole un certain nombre de choses. Par exemple, je mets sur la table tel et tel objet et je dis, y a que
ça qui m'intéresse. Vous me direz, c'est une isolation par pensée mais je peux aussi isoler mieux, je
les mets dans une boîte. J'isole. Ou bien, je peux faire le vide dans la boîte, j'aurai encore mieux
isolé. Mais telle que la science s'intéresse beaucoup et à comme condition cette constitution,
j'emploierai pas le mot « Tout », là, où je l'emploierai plus au sens bergsonien : « constitution
d'ensemble fermé ou de système clos ».

Et en effet, vous pouvez sans doute étudier un phénomène, scientifiquement, que en le


rapportant à un système clos. Pourquoi ? Parce que vous ne pouvez le quantifier que comme ça,
vous voyez bien alors ce qu'il veut dire Bergson. C'est pour ça que la science est bien incapable de
saisir le mouvement de translation comme expression d'un changement plus profond.

La science, elle peut étudier ces phénomènes, selon Bergson, que en isolant, c'est-à-dire, non
pas en faisant des Tout mais en arrachant au Tout. Arracher au Tout quelque chose, c'est constituer
un système clos, c'est-à-dire un ensemble. Là, on est en train de... essayer finalement de distinguer
les deux concepts « ensemble » et « Tout ».
Or pourquoi est-ce que la science procède comme ça ? Parce que... elle ne peut quantifier, que
lorsque..., elle saisit un phénomène, en rapport avec quelque chose qui peut ensuite rendre possible
une équation.
Qu'est-ce qui peut rendre possible une équation ? La seule chose qui puisse rendre possible une
équation, c'est un système de coordonnées. Abscisse et ordonnée. Quelque chose doit servir par
rapport à un phénomène, il faut que vous ayez quelque chose qui puisse servir d'abscisse et quelque
chose qui puisse servir d'ordonnée. Mais faut pas exagérer, c'est évident, évident, évident. Qu'est-ce
que c'est, abscisse et ordonnée ? C'est des noms mathématiques, mais pourquoi ? Y a pas à se
demander pourquoi les mathématiques marchent dans la physique quand même.
Ces abscisses et ordonnées sont des notions mathématiques qui renvoient immédiatement en
physique, à quoi ? A un système clos. Dès lors, dans les conditions où vous avez instauré un

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système clos, par abscisse et ordonnée, c'est bien forcé que vous ayez coupé le mouvement de
translation de ce à quoi il renvoie. Alors... Dans un système clos, en même temps, qu'est-ce qui se
passe ? Et bien, le temps ne mord pas. Le temps, il mord pas, c'est pas un temps réel comme dit
Bergson. Et pourtant, chacun sait que le temps mord même sur un système clos. Oui, parce qu'il
n'est que pratiquement clos. Si tenu que soit son fil qui le relie à un Tout, il y a un fil qui le relie à un
Tout et c'est par ce fil et c'est uniquement par ce fil que le temps réel mord sur le système. Il faut
bien que le système soit quelque part ouvert, si mince soit l'ouverture et c'est par cette ouverture que
le temps réel mord effectivement, a prise sur le système.

D'où cette page célèbre de Bergson. « Nos raisonnements sur les systèmes isolés ont beau
impliquer que l'histoire passée, présente et future de chacun d'eux serait dépliable tout d'un coup en
éventail. « Tout est donné. On fait comme si tout était donné. « Cette histoire ne s'en déroule pas
moins au fur et à mesure comme si elle occupait une durée analogue à la nôtre. » « Comme si elle
occupait une durée analogue à la nôtre », c'est-à-dire le temps réel mord quand même.

Et voilà l'exemple célèbre : « si je veux me préparer un verre d'eau sucré... Si je veux me


préparer un verre d'eau sucré, j'ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde. » Cet extrait
célèbre de Bergson, il est très curieux parce que, il faut que vous admiriez quelque chose. « Je me
prépare... » et il dit, « il faut attendre que le sucre fonde. » Voyez ce qu'il veut dire, l'exemple est très
bien adapté à ce qu'il veut dire : j'ai mon verre, je mets de l'eau et un sucre dedans. J'ai constitué un
système artificiellement clos. Le verre comme contenant, qui isole, l'eau et je mets un sucre dans
l'eau. Bien. Si le système était entièrement clos et bien, voilà, le temps serait comme une espèce de
succession où l'instant suivant reproduit l'instant précédent. C'est pas ça. Il faut attendre que le sucre
fonde.

C'est très curieux ce qu'il dit, parce qu'enfin, la première réaction, oui, mais de quoi il parle ? Il est
bien connu qu'avec une petite cuillère on peut précipiter... Oui, c'est vrai. Qu'est-ce que ça veut dire
« que le sucre fonde » ? C'est un mouvement de translation. Les particules du morceau de sucre, là,
se détachent, tombent dans le fond, vous avez beau agiter avec votre petite cuillère, vous
précipiterez le temps mais faut attendre que le sucre fonde.
C'est-à-dire dans un système clos, il y a toujours une ouverture, parfois le temps a prise sur le
système. Si bien que, de ce point de vue, vous direz, là, on va retomber en plein sur le commentaire
littéral de Bergson, vous pourrez dire : le mouvement de translation, les particules de sucre qui se
séparent du morceau (c'est un mouvement de translation encore une fois), marque le passage d'un
premier état du Tout à un second état du Tout..., c'est-à-dire, le passage d'un état où, vous avez «
sucre dans l'eau » à un autre état du Tout où vous avez « eau sucrée ». Il a fallu du temps réel pour
passer de l'un à l'autre.

Bergson n'en demande pas plus. Il faut bien qu'il y ait une ouverture qui relie le système
artificiellement clos, c'est-à-dire que le système ne soit clos qu'artificiellement. Mais qu'il garde un
rapport avec l'Ouvert, parfois le temps réel... il faut attendre que le sucre fonde. Tout ceci pour dire
quoi ? En quel sens finalement Bergson peut traiter comme équivalent les notions de durée, de Tout,
LE Tout et UN Tout. - A quelle condition finalement ? A condition de bien séparer les deux concepts
d'« ensemble » et de « Tout ». L'ensemble, c'est quoi ? D'après la lettre qui me semble du
bergsonisme, il faudrait dire « l'ensemble, c'est une réunion de parties dans un système
artificiellement clos ». Et c'est très vrai que le mouvement de translation est une relation entre

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parties. Le « Tout », c'est quoi ? Le « Tout », c'est l'Ouvert, c'est le rapport du système avec l'Ouvert.
C'est-à-dire, c'est le temps réel ou la durée. « Durée » égale « Tout ». Par là même, devrait devenir
comme limpide, la formule complexe de tout à l'heure : « le mouvement comme relation entre
parties... exprime un changement comme affection du Tout ».

Si bien qu'à la limite... [Intervention dans la salle]


Une seconde, tu diras après si il y a...

A la limite, qu'est-ce que serait notre conclusion, pour essayer de voir l'ensemble de cette
troisième thèse bergsonienne sur le mouvement. Ca reviendrait à dire : « écoutez, il faut distinguer
trois niveaux ». Il faut distinguer trois niveaux... Voilà. J'essaie maintenant, j'essaie de vous avoir
donné juste assez de données pour comprendre cette thèse compliquée.

Trois niveaux qui seraient trois niveaux de quoi ? Je prépare ce que j'ai encore à dire aujourd'hui,
à part... Peut-être, j'en sais trop rien, mais c'est ça qui nous intéressera tout à l'heure, peut-être trois
niveaux qui appartiennent à ce qu'il faut appeler l'image. Mais peu importe. Ces trois niveaux, ce
serait quoi ?

Premier niveau : les objets dans l'espace. Objets qui sont des parties. [Blanc sur la bande] Mais
contrairement aux logiciens, il dirait le « Tout » n'en a pas moins un sens. Simplement, c'est pas
l'ensemble de tous les ensembles. Le Tout qui est de la durée, c'est-à-dire de l'Ouvert ou du
changement.

Deuxième niveau : le mouvement, qui est essentiellement relatif aux objets dans l'espace, le
mouvement de translation qui est relatif aux objets dans l'espace, mais qui rapportent ces objets
dans l'espace à la durée. D'où : le mouvement dans l'espace exprime la durée. Si bien que
maintenant, je ne me contenterai pas de dire, voyez comme ces trois niveaux, je ne me contenterai
pas... ces trois niveaux... Je retrouve exactement... Au niveau des objets et des ensembles
artificiellement clos, c'est quoi ? C'est l'équivalent de ce qu'il appelait tout à l'heure, les coupes
immobiles. C'est l'équivalent des coupes immobiles instantanées.
Le « Tout », le troisième niveau, c'est l'équivalent de la durée. Et je dirais, en quel sens, le
mouvement de translation, c'est-à-dire, le mouvement dans l'espace, en quel sens, le mouvement
dans l'espace exprime la durée ou exprime t-il de la durée ? Maintenant, je peux dire mieux : il
exprime de la durée exactement dans la mesure où le mouvement dans l'espace rapporte, les objets
entre lesquels il s'établit à la durée, c'est-à-dire au Tout. La translation exprime une perturbation plus
profonde.

Voyez, cette fois-ci, j'ai une distinction triatique. Le mouvement, c'est ce qui rapporte les objets
dans l'espace à la durée et ce qui rapporte la durée aux objets dans l'espace. Le mouvement, c'est
ce qui fait que les objets dans l'espace durent malgré tout, si clos que soit le système artificiel où je
les considère. Et c'est ce qui fait en même temps que la durée concerne, non seulement ce qui se
passe en moi mais ce qui se passe dans les choses. Donc, le mouvement dans l'espace, là, à la
double, à la situation charnière (c'est pour ça que c'était le niveau deux), de rapporter les objets dans
l'espace au Tout, c'est-à-dire à la durée et le Tout aux objets dans l'espace. C'est exactement en ce
sens donc, que le mouvement de translation exprime du changement ou de la durée.

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Ouais. A une condition. On a presque fini mais pas tout à fait fini. A une condition. Ce ne
marcherait que, voyez, que si mes trois niveaux sont communicants. Il faut que mes trois niveaux
soient communicants. Il faut que le mouvement de translation opère de telle façon que, sans cesse,
les objets découpables dans l'espace soient rapportables à la durée et la durée rapportable aux
objets.
En d'autres termes, rien ne marcherait dans le système si la durée n'avait pas d'elle-même un
étrange pouvoir, de se diviser et de se réunir et de ne cesser de se diviser et de se réunir. Elle se
divise en autant de sous-durées. Elle se divise en autant de rythmes, de sous-durées, qu'il y a
d'objets dans l'espace concernés par le mouvement, concernés par tel mouvement et inversement,
ces objets se réunissent dans une seule et même durée. La durée ne cesse d'être... à chaque
instant, le mouvement de se diviser et de se réunir.

Or, qu'est-ce que c'est ça ? Qu'est-ce que c'est ? Tous ces exemples, on en aura besoin, c'est
pour ça que j'insiste sur la succession des exemples. Le verre d'eau, là. Un autre exemple surgit
dans un livre très étrange de Bergson. Livre qui a une longue histoire et qui s'appelle Durée et
simultanéité.

Durée et simultanéité, je dis, là, j'ouvre très vite une parenthèse, c'est un livre très spécial dans
l'ensemble des livres de Bergson, car c'est un livre où Bergson prétend se confronter à la théorie de
la relativité de Einstein. Et il a l'air de critiquer cette théorie de la relativité. Et ce livre est à la fois très
déconcertant parce que, on a l'impression, quelque chose, que ça va pas, que ça va pas. Et puis, on
est parfois ébloui, alors, par aussi, des moments qui vont extraordinairement bien. Mais en gros, le
ton est : « Et bien, Einstein n'a pas compris ». Qu'est-ce que Einstein n'a pas compris et que
Bergson veut faire savoir ?

Est-ce que Bergson est capable de discuter avec Einstein scientifiquement, c'est-à-dire
physiquement ? Oui, sans doute. Sans doute, il était très savant Bergson. Il savait beaucoup de
mathématiques, de physique, c'est pour ça que ça me gêne quand on... Ce qui ne va pas dans
Durée et simultanéité, quand on l'interprète sur l'insuffisance des données scientifiques de Bergson.
J'y crois guère parce que... ces données scientifiques... Je crois que... Ca doit pas être ça si quelque
chose ne va pas. Et pourquoi quelque chose va pas ? C'est que Bergson lui-même a répudié ce
livre, a refusé toute réimpression de son vivant. Et c'est même, c'est même assez récemment, que
malgré... Même dans son testament, il a interdit la réimpression et puis, on l'a réimprimé,
heureusement, moi je trouve... C'est... Heureusement et ça, ça pose un problème. Ca pose un
problème moral qui nous occupera or on l'a réimprimé donc on le retrouve ce livre. Et qu'est-ce qui
est gênant en effet, c'est qu'on sait pas très bien. Est-ce que c'est Bergson critique de la science,
Bergson critique de Einstein, mais il y aurait un côté quand même bizarre. Nous... - - Remarquez
que, depuis la dernière fois, nous sommes mieux armés pour comprendre ce qu'il voulait, de tout
évidence dans Durée et simultanéité, il ne s'agissait pas pour lui de critiquer la relativité, ça, pas du
tout, ce serait une idée de dément. Ce qu'il voulait de très, très différent, c'était : proposer et faire la
métaphysique de la relativité. Vous vous rappelez son idée. Il y a une science moderne qui se
distingue de la science ancienne. Et la distinction « science moderne »-« science ancienne », elle est
très, très facile à énoncer. C'est l'histoire des moments privilégiés. La science moderne, c'est le
rapport du mouvement à l'instant quelconque. La science ancienne, c'est le rapport du mouvement à
l'instant privilégié.
Et il ajoutait. Bergson ajoutait. Mais c'est bizarre. Si la science moderne, c'est bien ça, à savoir :

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prendre le temps comme variable indépendante, jamais on a fait la métaphysique de cette
science-là. Car la métaphysique dite moderne s'est finalement greffée sur la métaphysique antique.
Elle a raté sa grande occasion. Sa grande occasion, ça aurait été de faire la métaphysique qui
corresponde à cette science-là. A science nouvelle, métaphysique nouvelle. Puisque, le monde
moderne, apportait une science nouvelle, la science qui consistait à traiter le temps comme variable
indépendante, c'est-à-dire, à reconstituer le mouvement à partir de l'instant quelconque et bien, il
fallait une nouvelle métaphysique, c'est-à-dire, une métaphysique du temps et pas de l'éternel.

C'est ce que Bergson préfère, euh, prétend faire avec la durée. Une métaphysique du temps réel
au lieu d'une métaphysique de l'éternel. Alors, c'est normal qu'il se confronte à Einstein. Parce que la
théorie de la relativité, c'est..., c'est une espèce de moment privilégié dans l'évolution de la science
moderne. Il ne s'agit pas pour Bergson de critiquer la théorie de la relativité, il s'agit de se demander
quelle métaphysique peut correspondre à une théorie aussi nouvelle que la théorie de la relativité ?

Or, c'est dans le cadre d'un tel livre, on verra, et on ne pourra voir pourquoi que bien plus tard ;
c'est dans le cadre d'un tel livre que Bergson nous dit ceci. Il dit, vous savez, Einstein, il ne nous
parle que de la simultanéité des instants et... et la théorie de la relativité, c'est d'une certaine
manière, une théorie de la simultanéïté-instants. Quand est-ce et en quel sens peut-on dire que deux
instants sont simultanés ?

Mais dit Bergson, jamais, on aurait, jamais, on arriverait à l'idée d'une simultanéité des instants si
d'abord il y avait autre chose. Et c'est là, qu'il lance son idée : tout simultanéité d'instants présuppose
d'abord un autre type de simultanéité qui est la simultanéité des flux. Et Bergson lance la notion de
simultanéité de flux. Et la simultanéité de flux, voilà l'exemple qu'il nous donne qui est aussi bon,
aussi précieux pour nous, on le verra tout à l'heure, que le verre d'eau sucré.

Il dit voilà, je suis, je suis sur la rive, je suis sur la rive et y a des flux. L'eau qui passe. Premier
flux : l'eau qui passe. Deuxième flux : ma vie intérieure. On dirait aujourd'hui, « vie intérieure » (pour
ceux qui aimerait pas ça), on dirait aujourd'hui (mais ça revient exactement au même) une espèce de
monologue intérieur. Mais « monologue », c'est trop langage, vaut mieux « vie intérieure » ; ma « vie
intérieure », c'est pas que ce soit formidable, c'est un flux. Et puis, un oiseau. Un oiseau qui passe.
Trois flux. Pourquoi est-ce qu'il faut au moins trois flux ? Et bien, remarquez que, c'est une figure très
variable ces trois flux. Car tantôt, je les saisis en un ; espèce de rêverie là, où la continuité de ma vie
intérieure, l'écoulement de l'eau et la traversée ou le vol de l'oiseau tendent à s'unir dans un même
rythme. Puis tantôt, j'en fais trois.

Pourquoi est-ce qu'il faut toujours trois ? Et bien, il faut toujours trois parce qu'il y a toujours deux
flux ; étant donnés, il faut bien un troisième pour incarner la possibilité de leur simultanéité ou non, à
savoir, la possibilité qu'ils soient réunis dans un même troisième ou qu'ils se divisent. Possibilité de
réunion ou de division.

2- 17/11/81 - 1 Page 15/15


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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

13- 24/03/81 - 1
Marielle Burkhalter

13- 24/03/81 - 1 Page 1/6


cours du 24/03/81 (13 A)

Transcription : Sandra Tomassi

Quoi qu'il arrive aujourd'hui, c'est la dernière fois que nous parlons de Spinoza. Or, je voudrais
commencer par une question qui est importante et que l'on m'a posée la dernière fois. La question
est celle-ci : c'est presque une question qui remet en cause l'ensemble de ce que l'on a dit :

Comment Spinoza peut-il au moins dans un texte, mais un texte suffit, dire que toute affection,
toute, n'importe quelle affection, est une affection de l'Essence ? Quel est ce texte ? En effet, «
affection de l'Essence », - c'est, sentez, que c'est une expression un peu bizarre, je dis pas qu'elle
soit inattendue mais le fait est, qu'en tout cas à ma connaissance, c'est le seul cas où l'on trouve
cette expression - Quel cas ? Un texte très précis qui est un texte de récapitulation, c'est-à-dire à la
fin du livre 3 de "l'Ethique", Spinoza nous donne une série de définitions hors livre. C'est-à-dire, il
définit ou il redonne des définitions qui jusque là n'étaient pas données ou bien dispersées. Il donne
des définitions des affects, une fois dit que le livre 3 portait précisément sur les affects. Et vous vous
rappelez que les affects, c'est un genre d'affection très particulier. A savoir, c'est ce qui découle, - on
le traduit souvent par sentiment mais il y a le mot français « affect » qui correspond tout à fait au mot
latin « affectus » - c'est ce qui découle des affections à proprement parler, étant des perceptions ou
des représentations. Or, dans la définition 1, à la fin du livre 3, on lit ceci : « le désir est l'essence
même de l'homme en tant que cette essence est conçue comme déterminée par une quelconque
affection d'elle-même à faire quelque chose ». Donc, le désir est l'essence de l'homme en tant que
cette essence est conçue comme déterminée à faire quelque chose par une affection d'elle-même,
affection de l'essence.
Si l'on continue, cette définition en effet comporte une assez longue explication, on tombe sur une
phrase qui fait aussi un peu problème : « Car par affection de l'essence, - là, la formule y est
directement - nous entendons toute organisation de cette essence qu'elle soit innée (ou acquise) »
Pourquoi entre parenthèses ? C'est parce que le texte latin semble tronqué. Le texte latin porte
uniquement « car par affection de l'essence de l'homme, nous entendons toute organisation de cette
essence, que cette organisation soit innée » - il manque quelque chose là - et dans la traduction
hollandaise du court traité, il y a la phrase complète, en effet, que l'on attend parce que c'est une
distinction très courante au 17éme siècle entre deux types d'idées ou d'affections. Les idées qui sont
dites innées et les idées qui sont dites acquises ou adventices. Chez Descartes, par exemple, vous
trouvez la distinction idées innées, idées adventices.

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Mais, pour un peu redoubler notre étonnement, s'il est vrai que inné/adventice, inné/ acquis, c'est
une dualité, c'est un couple de notions tout à fait courant au 17éme siècle depuis Descartes. En
revanche le fait est, que Spinoza n'a pas utilisé cette terminologie. C'est dans cette récapitulation
qu'apparaît la reprise des mots inné/acquis. Tout ça c'est curieux. Qu'est que c'est que ce texte qui
emploie des termes, d'une part que Spinoza n'a pas employé jusqu'à maintenant, inné/acquis, et
d'autre part lance la formule affection de l'essence. Où est le problème ? Si vous pensez a tout ce
que l'on a dit précédemment. En effet, il y a un petit problème parce que ... Comment Spinoza peut il
dire : « toutes les affections et tous les affects sont des affections de l'Essence » ?

Alors, ça veut dire que même une passion est une affection de l'Essence. Nous, à l'issue de
toutes nos analyses, on tendait à conclure que ce qui appartient vraiment à l'essence ce sont les
idées adéquates et les affects actifs. A savoir les idées du second genre et les idées du troisième
genre. C'est ça vraiment ce qui appartient à l'essence. Or Spinoza semble dire tout à fait le contraire
non seulement toutes les passions appartiennent à l'essence, sont des affections de l'essence, mais
même parmi les passions, les tristesses, les pires passions. Tout affect affecte les sens. Voyez le
problème. C'est bien ça la question que tu m'avais posé ? Alors c'est à ça que je voudrais essayer
de répondre presque en regroupant un peu ce que l'on a fait. Ce que je suggérerais tout le monde
sent en tout cas d'où vient le problème ? il n'est pas question de discuter un texte de Spinoza. C'est
pas possible ça. Donc il faut prendre à la lettre. Il nous apprend que quoi qu'il en soit toute affection
est affection de l'essence. Donc les passions appartiennent à l'essence non moins que les actions.
Les idées inadéquates appartiennent à l'essence non moins que les idées adéquates. On ne peut
pas faire autrement, il le dit. Et pourtant il faut bien qu'il y ait une différence. Je veux dire qu'il faut de
toute évidence, là on n'a pas le choix, que les passions et les idées inadéquates n'appartiennent pas
à l'essence de la même manière, que les actions et les idées adéquates leurs appartiennent Le
génitif indiqué par la particule « de »
Comment s'en tirer ? Je dirais presque « affection de l'essence », ce qui m'intéresse c'est la
formule « de », en latin le génitif « affectio essentiae », le génitif en français et donc indiqué par la
particule « de », « affection de l'essence ». Hélas là les mot me manquent parce que j'ai oublié.. Je
crois me rappeler que la grammaire distingue des sens du génitif. Car après tout, il y a toute une
variation quand vous employez la locution « de » pour employer un génitif, ça veut toujours dire, que
quelque chose appartient à quelqu'un. Si je fais du génitif une locution d'appartenance, ça
n'empêche pas que l'appartenance a des sens très différents. A savoir que le génitif peut indiqué que
quelque chose vient de quelqu'un et lui appartient en tant que cela "vient de quelqu'un" ; ou bien il
peut indiquer que quelque chose appartient a quelqu'un en tant que ce quelqu'un subit le "quelque
chose". En d'autres termes le génitif ne choisit pas encore, la locution « de » ne choisit pas le sens
où va la flèche. Si c'est un génitif de passion, un génitif d'action.

Qu'est ce que ça veut dire ? Ma question est ceci : J'ai une idée inadéquate, j'ai une perception
confuse, d'où sort un affect passion. En quel sens cela appartient-il à mon essence ? La réponse, il
me semble, est celle-ci si vous vous rappelez. Dans ma condition naturelle, je suis comme
condamné aux perceptions inadéquates. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire exactement que je suis
composé d'un très grand nombre, d'une infinité de parties extensives, extérieures les unes aux
autres. Ces parties extensives, elles m'appartiennent sous un certain rapport, mais ces parties
extensives sont perpétuellement soumises à l'influence d'autres parties qui agissent sur elles et qui
ne m'appartiennent pas. Par exemple, je considère certaines parties qui m'appartiennent et qui font
parti de mon corps, mettons ma peau, des corpuscules de peau qui m'appartiennent sous tel rapport.

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Ah, c'est ma peau. Elles sont perpétuellement soumises à l'action d'autres parties extérieures,
l'ensemble de ce qui agit sur la peau. Particules d'air, particules de soleil. J'essaye d'expliquer au
niveau d'un exemple rudimentaire. Les corpuscules de soleil, les corpuscules de chaleur agissent sur
ma peau. Ça veut dire, elles, elles sont sous un certain rapport qu'est le rapport du soleil, les
corpuscules de ma peau sont sous un certain rapport qu'y est caractéristique de mon corps. Mais
ces particules qui précisément n'ont pas d'autre loi que la loi des déterminations externes, agissent
perpétuellement les unes sur les autres. Je dirais la perception que j'ai de la chaleur est une
perception confuse, il en sort des affects qui sont eux mêmes des passions. Je dis « Ah, j'ai chaud ».

Vous me suivez ? Si j'essaye de distribuer au niveau de la proposition " ah, j'ai chaud !", si
j'essaye de distribuer les catégories spinozistes, je dirais : oui, un corps extérieur agit sur le mien,
c'est le soleil. C'est-à-dire que des parties du soleil agissent sur des parties de mon corps, tout ça
c'est du pur déterminisme externe. C'est comme des chocs, des chocs de particules. Voilà. J'appelle
"perception" lorsque je perçois la chaleur que j'éprouve ; j'appelle perception, l'idée de l'effet du soleil
sur mon corps, c'est une perception inadéquate puisque c'est une idée d'un effet, je ne connais pas
la cause et il en découle un affect passif. Soit « il fait trop chaud », c'est à dire, je suis triste, soit je
me sens bien et je dis "quel bonheur le soleil". Comprenez bien : en quel sens est ce une affection
de l'essence ? Forcement c'est une affection de l'essence. Vous me direz à première vue c'est une
affection du corps. Oui, c'est une affection du corps, « j'ai chaud » c'est une affection du corps
existant. Oui, c'est une affection du corps existant.

Mais finalement, il n'y a que l'essence. Le corps existant c'est encore une figure de l'essence.
Pourquoi ? c'est que le corps existant est l'essence même, en tant que lui appartiennent, sous un
certain rapport, une infinité de parties extensibles. Alors, « sous un certain rapport », ça veut dire
quoi ? ce rapport de mouvement et de repos. Vous vous rappelez, vous avez l'essence qui est un
degré de puissance. C'est délicat tout ça, c'est pas du tout difficile mais c'est très très minutieux, il
faut que vous soyez patients. Vous avez l'Essence qui est degré de puissance, à cette essence
correspond un certain rapport de mouvement et de repos. Ce rapport de mouvement et de repos,
tant que j'existe, est effectué par des parties extensives qui dés lors m'appartiennent, sous ce
rapport.

Qu'est ce que ça veut dire ça ? Dans L'Ethique, il y a un glissement de notion comme si Spinoza
avait là un double vocabulaire. Et ça se comprend ne serait ce qu'en vertu de la physique de
l'époque. Comme si il avait tantôt et passait très souplement de l'un à l'autre, comme si il avait un
vocabulaire cinétique, en terme de mouvement, et tantôt un vocabulaire dynamique. C'est très
curieux quand vous le lirez où vous avez peut être déjà été frappé par ça, qu'il considère comme
équivalent les deux concepts suivants : Rapport de mouvement et de repos et pouvoir d'être affecté
ou aptitude à être affecté. Et pourtant, pour nous, il faut bien se demander pourquoi il traite comme
équivalent cette proposition cinétique et cette proposition dynamique ? Pourquoi un rapport de
mouvement et de repos qui me caractérise, c'est en même temps un pouvoir d'être affecté qui
m'appartient ?

Et il définira les corps de deux manières, il y a deux définitions du corps chez Spinoza. Une
définition cinétique, une définition dynamique. La définition cinétique serait, si on la dégageait à l'état
pur, "tout corps se définit par un rapport de mouvement et de repos". La définition dynamique serait

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"tout corps se définit par un certain pouvoir d'être affecté." C'est important de se demander là, au
niveau d'une grande minutie ; si vous voulez là, il y a deux manières de comprendre. Il y a une
manière rapide et vague. Parce que si vous lisez, il faut que vous soyez sensible confusément à
cette identité et que vous vous disiez qu'il y a un double registre, cinétique et dynamique. Puis, s'il
vous vient l'envie d'une lecture plus exigeante, alors là, vous ne pouvez pas vous contenter d'un
sentiment confus. Il faut vous dire « Bon, pourquoi ? ». A ce moment là vous cherchez. Quand on
cherche, on trouve toujours. Si vous cherchez, vous allez trouver, en effet un texte - je vous dit pas
où il est comme ça vous aurez encore quelque chose à chercher - un texte où il dit : « [...] un très
grand nombre de parties extensibles m'appartiennent, dès lors je suis affecté d'une infinité de
façons. [...] »

Pour moi, ce texte nous met sur une voie. Avoir sous un certain rapport une infinité de parties
extensives = pouvoir être affecté d'une infinité de façons. Dès lors tout devient lumineux. Pourquoi ?
Il n'y a même pas besoin de le dire, en effet, c'est évident. Si vous avez compris la loi des parties
extensives, elles ne cessent pas d'être causes et de subir l'effet les unes des autres. C'est le monde
de la causalité ou du déterminisme extérieur, extrinsèque (il y a toujours une particule qui frappe une
autre particule, etc.) En d'autres termes, vous ne pouvez pas penser un ensemble infini de parties
simples, sans penser qu'elles ont à chaque instant un effet les unes sur les autres. Qu'est ce qu'on
appelle affection ? On appelle affection, l'idée de l'effet. Si vous avez compris ce que c'était que ces
parties extensives qui m'appartiennent, vous ne pouvez pas les concevoir comme sans effet les unes
sur les autres. Elles ne cessent pas là de se rencontrer, de se frapper, de rebondir, de s'agglutiner,
de se défaire, etc. Donc elles sont inséparables de l'effet qu'elles ont les unes sur les autres et il n'y
a jamais un ensemble infini de parties extensibles qui seraient isolées.

Il y a bien un ensemble infini de parties extensibles qui est définit par ceci : cet ensemble
m'appartient, il est définit par le rapport de mouvement et de repos sous lequel cet ensemble
m'appartient.

Mais cet ensemble, il n'est pas séparable des autres ensembles. Des autres ensembles
également infinis qui agissent sur lui, qui ont de l'influence sur lui, et qui eux ne m'appartiennent pas.
En d'autres termes, les particules de ma peau ne sont évidemment pas séparables des particules
d'air qui viennent les taper. Soit sous forme d'un air froid et perçant, aigre, soit sous forme d'un air
ensoleillé et chaud. En vertu même de la loi et de la nature des parties extensibles, les parties
extensibles sont telles qu'elles agissent perpétuellement les unes sur les autres ; elles ont
perpétuellement un effet les unes sur les autres. Or, une affection ce n'est rien d'autre que l'idée de
l'effet, l'idée confuse, l'idée nécessairement confuse puisque je n'est pas idée de la cause. C'est la
réception de l'effet. Je dis « je perçois ».

C'est par là que Spinoza peut passer : De la définition cinétique à une définition. A savoir, le
rapport sous lequel une infinité de parties extensives m'appartiennent, c'est également un pouvoir
d'être affecté. Mais alors, mes perceptions et mes passions, mes joies, mes tristesses, qu'est ce que
c'est ? Les affects, qu'est ce que c'est ? Si je continue ce parallélisme entre l'élément cinétique et
l'élément dynamique, je dirais « les parties extensives m'appartiennent, en tant qu'elles effectuent un
certain rapport de mouvement et de repos qui me caractérise. ». Je souligne presque « en tant
qu'elles effectuent ». En effet, elles effectuent un rapport puisqu'elles définissent les termes entre
lesquels le rapport joue.

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Si je parle maintenant en terme dynamique, je dirais « les affections et les affects », je dirais plus
« les parties extensives effectuent le rapport de mouvement et de repos » - Je cherche si vous vous
voulez l'équivalent en termes de dynamique. Voyez, la première formule cinétique est : « Je me
définis par un rapport de mouvement et de repos. » La formule dynamique est : « Je me définis par
un pouvoir d'être affecté. » Formule cinétique complète : Une infinité de parties extensives
m'appartiennent, en tant qu'elles effectuent mon rapport de mouvement et de repos. Formule
dynamique complète : Des affections et des affects m'appartiennent, en tant qu'ils remplissent mon
pouvoir d'être affecté et à chaque instant mon pouvoir d'être affecté est rempli. Il n'y a pas un
moment où mon pouvoir d'être affecté n'est pas rempli. Comparez les deux moments pourtant très
différents : L'instant "a" : Vous êtes sous la pluie et vous vous recueillez en vous-même. Vous n'avez
aucun abri et vous en êtes réduit à protéger votre côté droit par votre côté gauche et inversement.
Ca va nous apporter dans un strict spinoziste. Vous êtes sensible à la beauté de cette phrase. Là,
c'est une formule très cinétique. C'est-à-dire, je suis forcé à faire de moi même, d'une moitié de
moi-même l'abri de l'autre moitié. Pourquoi je peux dire que c'est une très belle formule ? Parce que
c'est un vers, que là je ne peux pas citer parce que c'est de l'italien, c'est un vers admirable de
Dante. Cela fait rien, faut pas mêler avec Spinoza.

C'est dans un cercle de l'Enfer, pas un des plus terribles, c'est dans un cercle de l'enfer où il y a
une petite pluie et les corps sont couchés dans une espèce de boue. Dante essaye de traduire
l'espèce de solitude de ces corps qui n'ont pas d'autres ressources que de se retourner dans la
boue. C'est-à-dire chaque fois, ils essayent de protéger un côté de leur corps par l'autre côté. Dans
cette formule il y a une très grande, on sent un corps qui est livré aux éléments même si c'est une
petite pluie ..

Au contraire, instant deux : Vous vous épanouissez, tout à l'heure vous étiez tout contracté, vous
étiez un véritable pauvre type. Une pluie perçante. On voit bien que tout ça, c'est affaire de
particules. Les particules de pluie étaient comme de petites flèches, c'est affreux, vous étiez
grotesques dans vos maillots de bain et le soleil arrive : instant deux. Là, tout votre corps s'épanouit,
voilà que maintenant ce n'est plus protéger le côté droit par le côté gauche, vous voudriez que tout
votre corps soit comme étalable. Vous le tendez vers le soleil.

Comprenez ce que dit Spinoza sur la plage. Ne vous y trompez pas, dans les deux cas, votre
pouvoir d'être affecté est rempli. Il est nécessairement rempli. Simplement, vous avez toujours les
affections et les affects que vous méritez en fonction des circonstances, y compris des circonstances
extérieures. Mais, un affect ne vous appartient que dans la mesure où il contribue actuellement à
remplir votre pouvoir d'être affecté. Voila, c'est ça que j'essaye de dire. C'est en ce sens que toute
affection et tout affect est affect de l'essence. Finalement, les affections et les affects ne peuvent être
qu'affections et affects de l'essence. Pourquoi ? Parce qu'elles n'existent pour vous qu'en tant
qu'elles remplissent un pouvoir d'être affecté qui est le vôtre. Le pouvoir d'être affecté, c'est être
affecté de votre essence.

13- 24/03/81 - 1 Page 6/6


Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 17/11/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 17/11/81 - 2 Page 1/14


Gilles Deleuze Cours du 17.11.81 [2B (502)] transcription : Lucie Marchadié

- Gilles Deleuze : « Or cette possibilité de réunion division qui appartient à la notion de flux, elle
dépend de quoi sur les trois flux du flux de ma vie intérieure ? C'est mon monologue intérieur qui
tantôt réunit les trois flux y compris lui-même, tantôt divise les trois flux en saisissant les deux autres
comme extérieurs à ma vie intérieure, à ma durée. C'est une espèce de cogito de la durée qui
s'exprimerait non plus sous la forme "je pense" mais "je dure", c'est à dire tantôt je réunis et tantôt je
sépare les flux dans une même durée. En d'autres termes c'est par l'intermédiaire de ma conscience
que j'ai le pouvoir de saisir tantôt les flux comme un et tantôt comme plusieurs. Pourquoi j'introduis
ça ? Parce que là, alors, on a la formule complète. Si ma durée c'est cette capacité de se diviser, de
se subdiviser en flux, ou de réunir les flux en un, vous voyez bien comment ma conscience est
comme l'élément actif qui fait communiquer les trois niveaux de, ce que j'appelle provisoirement, de
l'image.

Rappelez vous : Les trois niveaux de l'image c'est, encore une fois,
les objets pris dans des ensembles c'est à dire dans des systèmes artificiellement clos.
Le Tout d'autre part, à l'autre extrémité, comme durée, comme changement, comme perturbation.
Puisque le Tout ne peut se définir qu'en fonction de ces perturbations. Le Tout est
fondamentalement passage, le Tout est fondamentalement changement de tension, et justement un
changement de tension ce n'est pas localisable. Un changement de tension, une différence de
potentiel, ce n'est pas localisable. Ce qui est localisable c'est les deux termes entre lesquels la
différence s'établit. Mais la différence même concerne un Tout. Le Tout marche par différence. Il
fonctionne par différence.

Donc le Tout, c'est-à-dire l'Ouvert, le changeant, la durée. Le mouvement, troisièmement ou


plutôt deuxièmement entre les deux, le mouvement dans l'espace... le mouvement de translation... je
dis que le mouvement de translation rapporte les objets à la durée et rapporte la durée aux objets.
Quand les objets se rapportent à la durée c'est comme si... les flux se réunissaient en un, quand la
durée, le Tout, se rapporte aux objets c'est comme si, au contraire, la durée se divisait en sous
durées, se divisait en flux distincts, et vous avez le mouvement perpétuel par lesquels les flux se
divisent et par lesquels les flux se réunissent. En d'autres termes, c'est comme ma conscience, au
sens le plus psychologique qui soit, c'est ma conscience psychologique qui assure la ventilation des
trois niveaux.

- Si bien que je peux dire maintenant et c'est pas par hasard, c'est que de même que je disais, le
vivant a une affinité avec le Tout, à plus forte raison, les systèmes psychiques ont une affinité avec le

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Tout. Si bien qu'à la limite même d'une espèce de manière progressive très bizarre, je pourrais
composer les vivants et à plus forte raison les êtres psychiques, je pourrais les composer entre eux
jusqu'à ce que j'arrive à une seule et même durée qui sera le Tout avec un grand T. En tous cas
pour le moment, on a juste commenté cette troisième thèse de Bergson... à savoir non seulement
l'instant est une coupe immobile du mouvement, mais, le mouvement est une coupe mobile de la
durée. Thèse qui reprend l'ensemble puisque... Le mouvement est une coupe mobile de la durée ?
Oui, parce que : il rapporte les objets isolés ou isolables à la durée fonctionnant comme Tout et
rapporte la durée fonctionnant comme Tout aux objets dans lesquels la durée va se diviser en sous
durées.

Alors ce que je voudrais dire avant que vous vous reposiez, c'est : bon et bien, qu'est-ce qu'il
nous reste ? Enfin évidemment, ça suppose que vous ayez suivi là ... mais je crois que ce n'était pas
trop trop difficile. Ce qu'il nous reste, c'est maintenant poser une question alors un peu ... on prend
un peu d'écart vis à vis de Bergson, à savoir, bon : est-ce que tout ça ça a des conséquences, bon je
schématise mon changement de plan, est-ce que ça a des conséquences pour le cinéma, pour
l'image de cinéma ? Après tout, c'est presque l'épreuve de ce sujet tel que je voudrais le traiter cette
année. Qu'est-ce que ça veut dire ? Je vais le dire ce qu'il s'agirait de se demander. Mais on ne peut
pas se demander s'il n'y a pas déjà une évidence que ça marche. Alors ça dépend de vous tout ça...
La question que je me pose c'est : Supposons que l'image de cinéma soit l'image mouvement... ce
qu'il convient d'appeler image mouvement est ce que ce n'est pas cette image constituée par les
trois niveaux que l'on vient de voir ? Des objets, des mouvements, un tout ou une durée. Et l'image
mouvement consisterait exactement en ceci : elle rapporte les objets... le mouvement rapporte les
objets à la durée et sous divise la durée en autant de sous durées qu'il y a d'objets... donc
communication entre les niveaux.

Est-ce qu'il y a ça ? Essayons de situer là un des concept, des très gros concept
cinématographique. Qu'est ce qu'on appelle un cadrage ? Ca serait déjà profitable si on arrivait à
des définitions très simples, les définitions sont toujours beaucoup trop compliquées. Qu'est-ce que
c'est l'opération de cadrer au cinéma ? Moi je dirais... et bah c'est très simple, cadrer c'est constituer
un système artificiellement clos. En d'autres termes, cadrer c'est... choisir et déterminer les objets et
êtres qui vont entrer dans le plan. On ne sait pas encore ce que c'est qu'un plan. Les objets qui vont
entrer dans le plan sont déterminés par le cadrage et méritent dès lors, en tant qu'ils appartiennent
déjà pleinement au cinéma, un nom spécial. On peut les appeler, par exemple, Pasolini propose le
nom de cinéme : [Deleuze épelle] C.I.N.É.M.E. Il dit, bah oui, les objets qui font parti d'un plan,
appelons les : cinémes. Cinéme...c'est peut être dangereux, vous sentez que la linguistique n'est pas
loin, c'est-à-dire qu'il veut faire un truc, il veut déjà introduire un parallèle...alors nous, il faudrait se
méfier de cinéme, alors n'importe quoi, vous pouvez les appeler « kinoc-objets »... les « kinoc-objets
», vous pouvez les appeler n'importe comment. Les objets-cinéma quoi. C'est le cadrage qui les
détermine. Voilà. Vous voyez il n'y a aucun inconvénient à dire , bah oui, le cadre c'est un système,
c'est l'établissement d'un système artificiellement clos dont le cinéma a besoin. Déjà, à ce moment là
tout peut rater ou pas, on va voir...

Deuxième chose, deuxième niveau : Un mouvement relatif s'établit entre ces objets, vous me
direz le... j'entends bien que le deuxième niveau c'... je fais de l'abstraction...c'est... c'est pas il n'y a
pas d'abord ceci et puis... mais sans doute les objets n'ont été choisis qu'en fonction de ce
mouvement déjà... Mais la détermination du mouvement relatif entre les objets, qu'est ce que c'est

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ça ? La détermination du mouvement, et qu'est-ce qui me fait dire du mouvement relatif, mais en fait
il y a plusieurs mouvements...alors ajoutons : la détermination du mouvement relatif composé entre
ces mouvements, qui s‘établit entre ces mouvements, quitte à le justifier plus tard, je dirais, c'est ce
que j‘appelle un plan. Pour moi ça a l'avantage dans cette bouillie des définitions du plan, d'introduire
une proposition de définition du plan. Elle soulève toutes sortes de difficultés, je le dis tout de suite,
mais on ne peut s'en rendre compte que... tout à l'heure. Voilà, supposons pour le moment, on
changera tout si ça marche pas, mais posons comme point de repère, comme guide, je propose
comme définition du plan donc : la détermination du mouvement relatif composé entre les objets, qui
eux ont été déterminés par le cadrage. Au plan correspond, si vous voulez comme axe, si je cherche
un mot : le découpage.

Qu'est ce que c'est "découper" au cinéma ? Et bien, découper c'est... : déterminer le mouvement
complexe relatif... qui réunira les objets cadrés et se divisera entre les objets cadrés de telle manière
que quoi ? Sans doute il faudra ajouter à « de telle manière que » quelque chose ? Aussi il y a un
troisièmement. Mais alors découper un roman par exemple, découper un roman dans un scénario
c'est quoi ? Je crois que c'est très exactement, découper ça veut dire là une chose très simple, une
opération très simple, très difficile à faire, à savoir : choisir les mouvements complexes qui vont
correspondre à un plan et puis à autre plan. Je dis de telle manière que, de telle manière que quoi ?
Et bien, il faut choisir le mouvement relatif complexe qui constitue le plan de telle manière qu'il
rapporte l'ensemble des objets cadrés, à quoi ? A un Tout. C'est à dire à une durée. Un Tout,
c'est-à-dire à une durée.

Ah bon, parce que le cinéma s'occuperait fondamentalement de la durée au sens Bergsonien ?


Peut être, on ne sais pas encore, mais enfin... Mais, la manière dont le mouvement relatif composé
entre les objets, c'est-à-dire un plan... se rapporte par son mouvement au Tout implique et passe par
le rapport de ce plan avec d'autres plans. Si bien que...si bien que...ce troisième niveau comme
concept cinématographique, à savoir le rapport du plan avec un Tout que le mouvement dans
l'espace présent dans le plan est censé exprimer, renvoie exactement au concept de montage.

On aurait donc déjà trois concepts cinématographiques...qui répondraient... en somme je ne fais


rien là, je ne fais que...j'essaie... ce qui m'ennuierait c'est que ça ait l'air d'une application... Vous ne
voulez pas là il y a quelqu'un... je crois que c'est... votre mouvement... non, vous n'êtes pas sur une
prise là, non...Qui est ce qui fait ça alors ?... ah, c'est peut être de l'autre côté ?... Il n'y a pas
quelqu'un qui s'appuie sur quelque chose, non ?... Vous comprenez je ne voudrais pas que ça ait
l'air d'une application, il faudrait... c'est autre chose dans mon esprit certes... Voilà, alors quitte à faire
des applications, c'est pour... je vois quelqu'un qui a dit ça très bizarrement, qui a... qui est le plus
proche de ce que j'essaie de... c'est, je viens de le citer, c'est Pasolini. Pasolini... ce qui compromet
tout c'est la manière, mais ce n'est pas la seule fois, c'est la manière dont la linguistique frappe
partout, donc elle a frappé là et c'est terrible. Quand la linguistique frappe, plus rien ne repousse.

Alors c'est très simple, lui il est tellement obsédé par son histoire de linguistique et d'application
de la linguistique au cinéma que la pureté de ses schémas en est compromise. Mais si j'essaie...la
pensée de Pasolini elle est très complexe, si j'essaie d'en extraire un aspect, je ne prétend pas vous
donner le tout de la pensée de Pasolini, il est très sensible à une espèce de division tripartite de
l'image... où Pasolini nous dit : et bien voilà je vous propose de distinguer dans l'image de cinéma...
les cinémes... le plan... et le plan séquence idéal. Voilà. Et il dit : on ne peut comprendre le cinéma

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qu'à partir de ces trois concepts. Et bien... il se croit linguiste, en fait il est bergsonien quoi...il n'y a
pas de honte, c'est même mieux. Parce que, prenons mot à mot, comment il conçoit. Pour les
cinémes c'est relativement simple, encore une fois c'est la détermination des objets qui entrent dans
un plan et ils sont déterminés par le cadrage. C'est ça qu'il propose d'appeler cinéme. Alors, là où ça
tourne, là où ça tourne d'une manière qui ne peut pas nous convenir pour le moment, on aura à voir
tout ce problème cinéma/langage mais enfin c'est, c'est un problème... où ... déjà on a déjà trop
parler... il faut, il faut arrêter sur ce point... il faut laisser les choses se reposer. Parce que lui, son
idée c'est que, une fois dit que certains linguistes ont découvert que, il y aurait peut être un
phénomène dit de double articulation dans le langage, il veut trouver l'équivalent d'une double
articulation dans l'image de cinéma. Alors il dit : la première articulation ce serait le plan et la
seconde articulation ce serait les cinémes. Si bien que, il pourrait écrire : plan sur cinéme égal
équivalent de monème en linguistique sur phonème. Cet aspect je le dis pour le moment en tous cas
du point de vue où nous en sommes ça ne nous intéresse pas du tout. En revanche ce qui
m'intéresse beaucoup, c'est ce premier aspect de l'image : les objets déterminés par le cadrage égal
cinémes.

Troisième aspect. Il dit, et là tous les cinéastes ont toujours dit ça - je pense à des textes de
Eisenstein, qui sont aussi tellement frappant à cet égard - enfin, il dit : "Finalement, un film ça vaut
rien s'il n'y a pas un Tout." La notion de totalité au cinéma. Là dessus, si les cinéastes se distinguent,
si les grands metteurs en scène se distinguent c'est que, ils n'ont vraiment pas la même manière
d'actualiser le Tout, ni de le concevoir, ni de l'actualiser. Mais l'idée de Tout c'est que : il y a toujours
une totalité qui ne fait qu'un avec le film, et qui a un rapport variable avec les images mais qui ne
tient jamais en une image. D'où toute une école dira que la totalité c'est l'acte du montage.

Donc, il y a un Tout. Supposons qu'il y ait un Tout. Ce tout, on peut même le concevoir comme le
Tout...le Tout absolu, le Tout universel. C'est ce que Pasolini appelle : plan séquence idéal. Plan
séquence idéal et il dit finalement ce plan séquence idéal, vous savez...c'est quoi ? C'est la
continuité cinématographique par opposition à quoi ? Par opposition à la réalité du film. Vous voyez
la continuité cinématographique, en effet, ce qui existe ce sont des films... la continuité
cinématographique à travers les films, elle est par nature idéale. Pourquoi est ce que c'est idéal le
plan séquence au sens de Pasolini ? On verra ça posera toutes sortes de problèmes en effet,
comme dit Pasolini, il ne croit pas au plan séquence il n'en fait pas lui, bon... il ne fait pas de plan
séquence au sens technique qu'on n'a pas encore vu... mais vous le savez je suppose, ou
beaucoup... c'est un cinéaste qui n'est pas du tout dans le sens de la recherche du plan séquence.
Mais pourquoi il n'est pas à la recherche du plan séquence ? C'est parce que pour lui le plan
séquence ne se confond qu'avec l'idéal cinématographique, à savoir une continuité infinie, et il
s'exprime comme ça, et une durée infinie. Continuité et durée infinie de la réalité. Là on ne peut pas
parler en termes plus bergsoniens. Si bien que, il dit : bah oui...le plan séquence si il existait et bien il
n'aurait pas de fin. Ce serait l'ensemble, ce serait la totalité du cinéma à travers tous les films. Ce
serait la reproduction de la continuité et de l'infinité du réel. Si bien qu'il est purement idéal.

Alors ce qu'il reproche, vous voyez ce qu'il reproche aux... aux cinéastes du plan séquence... ce
qu'il reproche aux cinéastes du plan séquence, qui ont fait des plans séquences, c'est d'avoir cru que
le plan séquence était actualisable comme tel... alors qu'il indique une continuité idéelle, une
continuité idéelle égale à tout le cinéma. Et il dit : lorsqu'on essaie d'actualiser le plan séquence en
faisant un plan séquence réel, qu'est ce qu'on tombe...là c'est très curieux, il dit, là ça faiblit parce

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que c'est manifestement faux, mais ça lui est utile de le dire : on fait du naturalisme. Quand on
essaie de réaliser un plan séquence, le plan séquence est l'idéal. Il dit d'accord. Mais justement c'est
tellement un idéal, c'est tellement la continuité idéelle et l'infinité de cette continuité idéelle que vous
ne pourrez jamais le réaliser. Si vous essayez de réaliser un plan séquence vous tombez dans le
plus plat naturalisme. Alors peu importe si c'est juste sa critique mais il en a besoin, il a besoin de
dire ça parce que quelle est son idée ? C'est que le plan séquence idéel, il ne pourra pas être réalisé
par des plans séquence, il ne pourra être réalisé que par des plans, que par des plans tout court...
que par des plans tout court renvoyant les uns aux autres par... renvoyant les uns aux autres par
l'intermédiaire d'un montage. En d'autres termes, c'est le montage de plans et non pas le plan
séquence réel, c'est le montage de plans qui est seul capable de réaliser le plan séquence idéal.
Vous voyez, alors on voit bien ce qu'il veut dire.

Il a donc...il a donc ces trois niveaux d'image. Les cinémes, c'est-à-dire les objets retenus
déterminés par le cadrage... le plan mobile... le montage par lequel chaque plan et l'ensemble des
plans renvoient au Tout, c'est à dire au plan séquence idéal. Vous voyez ce qu'il veut dire, il a un
texte qui me paraît très intéressant, il dit : oui le plan séquence idéal c'est une continuité analytique,
c'est la continuité analytique du cinéma à travers tous les films. Or on ne peut pas le réaliser. Tous
les efforts pour réaliser ça directement tombent dans le naturalisme et engendre l'ennui dit-il. Et là il
a des choses dans la tête... et c'est pas, c'est pas, ce qu'il a dans la tête c'est... tous les essais de...
tous les essais de...oui de plans séquences infinis du type Warhol. Alors, bon... en fait la continuité
analytique idéale du cinéma à travers tous les films ne peut être réalisée que sous une forme
synthétique, c'est-à-dire synthèse de plans opérée par le montage. Si bien que la continuité d‘un
Tout dans un film est fondamentalement synthétique alors que la continuité du cinéma à travers tous
les films, ça, est un pur idéal, est un pur idéal analytique.

Alors, vous voyez en quel sens je peux dire : dans une telle distinction tripartite opérant dans
l'image... et bien il faut dire oui. Vous avez les objets découpés, découpés par le cadrage. Vous avez
le mouvement composé, relatif aux objets, constitutifs du plan et le mouvement relatif rapporte les
cinémes, c'est-à-dire les objets, au Tout, lequel Tout se divise en autant de sous durées qu'il y a
d'objets lesquels objets se réunissent en une seule et même durée qui est celle du Tout.

Donc votre trinité - cadrage, plan ou découpage, montage - traduirait ces trois aspects de l'image.
Et en ce sens on pourrait dire, oui l'image- mouvement, voilà. Mais du coup on apprendrait que toute
image n'est pas comme cela, et non c'est ça qu'on est en train de découvrir, on s'est installé dans
un... une image qui est peut être un type d'image très spéciale c'est-à-dire qui est un type d'image
proprement cinématographique et qui n'est peut être pas le Tout des images cinématographiques et
peut être même une espèce... un cas spécial d'image cinématographique. L'image - mouvement, ce
serait quoi ? Ce serait l'image telle qu'on vient de la définir depuis le début. Ce qu'il faudrait appeler
l'image - mouvement ce serait une image telle que : le mouvement y exprimerait de la durée,
c'est-à-dire un changement dans le Tout... En d'autres termes où le plan serait une coupe mobile de
la durée. Et étant une coupe mobile de la durée, comprenez bien, étant une coupe mobile de la
durée... il rapporterait les objets déterminés par le cadre, il les rapporteraient ces objets déterminés
par le cadre au Tout qui dure et il rapporterait le Tout qui dure aux objets.

et c'est ça, donc, que nous pourrions appeler image - mouvement, avec des problèmes toutes
sortes de problèmes qui surgiraient à savoir : est-ce que c'est propre au cinéma ? Je vous dis tout de

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suite que, il me semble que oui mais il faudrait le montrer. Toute autre question : est-ce que c'est le
seul type d'image propre au cinéma ? Réponse que je crois évidente : non. Il y aurait d'autres choses
que des images - mouvements au cinéma.

Bon bon bon, mais là au point où on en est, c'est là que... il va alors falloir invoquer alors des
exemples. Qu'est ce que ça veut dire que dans l'image - mouvement cinématographique le
mouvement exprime de la durée, c'est-à-dire le mouvement dans l'espace exprime l'affection du
Tout, un changement ou une affection du Tout ?

Voilà , on se repose là. Vous vous reposez. Je reprends dans dix minutes, un quart d'heure.

[Coupure]

Je sens votre fatigue légitime

Voilà, je vais vous donner des exercices pratiques à faire. [Un étudiant : - Ah, le meilleur moment !]
Toute une série d'exercices pratiques.

Donc, nous disposons maintenant d'une formule développée, la formule développée de l'image -
mouvement. L'image - mouvement est : l'image d'un mouvement de translation qui rapporte des
objets déterminés, sous-entendu par le cadrage, à un Tout et qui rapporte ce Tout aux objets dans
lesquels ils se divisent dès lors. Vous voyez, en ce sens le mouvement de translation traduit un
changement comme affection d'un Tout. Voilà. Alors, on pourrait presque rêver d'une série où... il
faudrait rêver d'une chose... je pense pas l'inventer, une chose, au contraire... une chose où les
exemples cinématographiques joueraient exactement... si vous voulez un rôle, le même rôle que les
exemples musicaux quand on parle de musique. Alors j'aurais une suite d'exemples. J'aligne très vite
une suite d'exemples et de problèmes et l'on reprendra là la prochaine fois. Sur cette formule
développée donc : objets, mouvements relatifs entre les objets, tout, un Tout ou une durée. Je me
dis et bien, il faudrait chercher... il faudrait chercher comme des plans puisque c'est le plan qui
expose le mouvement. Le mouvement qui rapporte les objets au Tout et le Tout aux objets. Il faudrait
chercher une série de plans où cela apparaît très clairement à des niveaux différents. Je me dis : un
mouvement de translation qui exprime une durée... Je vois, là vous pourriez, ce serait à chacun de
vous de... Je cite comme au hasard, ce n'est pas des... je vois un film de Wylder... de William on me
dit... William Wylder : Lost Week-end, où il y a... »

(intervention des étudiants sur l'attribution du film à un autre cinéaste)

Une étudiante : - Mais non, ce n'est pas le même... Wilder, ce n'est pas le même.

G. D. : « Ce n'est pas Billy non... ce n'est pas Billy ? C'est Billy ? »

Un étudiant : - Non, non.

Une étudiante : -The Lost Week-end, c'est de Billy Wilder.

G.D. :« Ah bon, et bien vous voyez, mon premier exemple... mais vous corrigerez vous même...

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Tous mes exemples sont faux. [ rires dans la salle] D'ailleurs peut-être que... le plan n'est pas...
peut-être... Je crois que ça arrive tout le temps... Je ne serais pas le seul... Alors bon... Le film vous
dites que c'est Lost Week-end... »

Etudiante : - Billy Wilder, Lost Week-end.

G.D. : « Vous êtes sûr ? Tu es sûr ? Où tu as vu ça ? [rires et brouhaha dans l'assistance] Bon, enfin
dans ce film vous avez une promenade. Bon, tout comme on dit la poursuite c'est très important au
cinéma, la poursuite... et bien je n'en suis pas sûr parce que la poursuite ce n'est pas tellement un
bon cas justement, la poursuite c'est bien un mouvement de translation dans l'espace mais... ce n'est
pas évident la durée qu'il exprime... Peut-être mais enfin la promenade c'est beaucoup plus.. pour ce
qui nous occupe, c'est très intéressant la promenade au cinéma. C'est la promenade de l'alcoolique
dans la ville. La promenade de l'alcoolique dans la ville c'est un thème commun à la littérature et au
cinéma. Il y a des pages inoubliables de Fitzgerald là-dessus. Mais... là il y a quelque chose
d'étonnant, c'est Ray Milland, là je suis sûr de l'acteur au moins, il se balade là... et c'est vraiment,
comme on dit : il court à sa perte. C'est curieux l'expression « il court à sa perte ». Comparez
l'expression « il court à sa perte »... et puis quand ce sont des images, c'est quoi ? Et bien il s'agit
que le déplacement dans l'espace exprime véritablement cette durée de la dégradation, cette durée
de la décomposition... que le mouvement dans l'espace exprime un changement comme affection
d'un Tout. Il me semble que la promenade là du personnage dans la ville, la promenade de
l'alcoolique est un très très bon cas. Mais un cinéaste plus... actuel et qui lui ... il me semble que
c'est Wenders ? Si vous prenez » [coupure de la bande...]

« Ou de faire passer le Tout d'un moment où les deux sont séparés, à un autre moment où les deux
vont être à nouveau séparés. Donc, dans cette voie, il me semble qu'il y aurait beaucoup de choses
à...

Autre cas, non plus le mouvement exprime une durée, mais le mouvement dans l'espace rapporte
un ensemble d'objets artificiellement découpés à une durée. Là je fais immédiatement une remarque.
Il faut maintenir l'idée que les objets soient artificiellement découpés, et le cadrage est vraiment, il
me semble, l'opération la plus artificielle du cinéma. Mais qu'est-ce qui définit un bon et un mauvais
cadrage ? Il faudrait distinguer, il faudrait presque poser un principe sacré en cinéma, un principe
d'utilité. C'est pragmatique, un principe pragmatique. Vous pouvez avoir des cadrages très insolites
et même esthétiquement merveilleux et ce ne sera rien que de l'esthétisme c'est-à-dire rien du tout.
Quand quoi ? Cadrer c'est toujours constituer un certain nombre d'objets en un ensemble
artificiellement clos. Ça ne vaut rien, c'est-à-dire : c'est de l'esthétisme si ce système fermé reste
fermé - à ce moment là c'est arbitraire. Je me dis, moi je me dis vous pouvez avoir d'autres goûts
dans beaucoup de... dans beaucoup de films surréalistes, bon, le caractère insolite du cadrage c'est
strictement néant. Vous retenez les objets les plus... au besoin les plus hétéroclites, vous les mettez
dans un système clos, seulement voilà, le système est fermé et ne s'ouvre sur aucune durée.

Donc la condition du cadrage c'est d'instaurer un système clos mais de faire en sorte que ce
système clos s'ouvre d'un côté ou de l'autre, s'ouvre sur quelque chose qui va fonctionner comme
totalité... une fois dit que ce n'est jamais l'ensemble des objets qui définit la totalité. C'est-à-dire : par
ce côté ouvert, il y aura une opération du temps qui mord sur le système, sinon le temps glissera
là-dessus et vous auriez quelque chose que vous diriez poétique mais qui n'est même pas poétique.

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Alors je prends des exemples,, de cadrages célèbres...là juste pour orienter... chacun de vous a mille
autres exemples. Loulou de Pabst... les grandes images de la fin... Jack l'éventreur... dont le visage
est dans certaines positions, parfois en gros plans... et le sourire étonnant de Jack l'éventreur,
comme s'il était délivré, il sourit devant Loulou qui est tellement belle, et puis le visage de Loulou qui
est vraiment pris... enfin bref... vous voyez. Et puis, le couteau... y compris qui donnera objet à un
gros plan ou à des gros plans... le couteau à pain. Voilà, vous avez les deux visages, le couteau, la
lampe qui éclaire le couteau. Voilà un cadrage. Vous avez déterminé les objets du plan. Il est évident
que, un tel cadrage constitue un système clos mais ne fonctionne que dans la mesure où il s'ouvre
de manière à ce que le temps réel morde sur le système, c'est-à-dire que l'on passe d'un premier
état du tout : la confiance de Loulou, le sourire de Jack l'éventreur... par l'intermédiaire du couteau,
on passe... il y a un changement dans le Tout... le visage de l'éventreur se referme, il ne peut plus
s'empêcher de fixer le couteau, il va assassiner Loulou, à la fin d'un processus de décomposition,
décomposition de Loulou elle - même.

Autre exemple de système artificiellement clos et qui va déterminer l'image cinéma. Le rôle des...
alors reprenons le verre d'eau... le verre d'eau sucrée ou d'autre chose. Le rôle des verres dans le
cadrage... Je dis ça, ce n'est pas que le verre soit plus important qu'autre chose mais, comme c'est
un bon système clos. La fameuse utilisation des verres, notamment par Hitchcock... dans deux
grands cas : la fameuse séquence n'est-ce pas, la fameuse image où quelque chose est vu à travers
le verre de lait... et puis le niveau du lait monte jusqu'à envahir tout l'écran. Ça c'est, c'est une belle
image, c'est ce qu'on appelle une belle image de cinéma. Ou bien le fameux verre dans... c'est dans
quoi ? dans Soupçons... j'espère... c'est de Hitchcock Soupçons ? [réponse affirmative d'un étudiant]
Vous voyez, pour une fois, c'est... et bien, le fameux verre supposé être empoisonné... là vous avez
bien un système clos alors... et puis il monte l'escalier... il apporte le verre à sa femme...le visage de
la femme, et puis... le verre, le gros plan du verre. Voilà il me semble, dans quel sens j'essaierais de
commenter les opérations de cadrage comme détermination d'un système clos, mais à une condition
: c'est que le système artificiellement clos doit dans la même image être artificiellement clos et
cesser de l'être, et cesser de l'être en tant qu'il est rapporté par le mouvement de l'image, en tant
qu‘il est rapportéparlemouvement à une durée c'est-à-dire à un Tout qui change.

Deuxième... remarque. Deuxième ordre de remarque.Evidemment lorsque au second niveau j'ai


défini le plan comme détermination d'un mouvement relatif complexe entre les objets, ça faisait appel
à toute sorte... presque à une histoire du cinéma sur laquelle je passe. Parce que, il est très certain
que la notion... je rappelle vite pour mémoire, pour qu'on ne me fasse pas des...ou qu'on ne me pose
pas des questions sur ce point... que lorsque le cinéma a commencé par une caméra fixe, le plan ne
pouvait être compris d'une manière spatiale. Je veux dire, c'était ou bien plan d'ensemble lointain, ou
bien plan rapproché et même gros plan, ou bien, plan du milieu et, pour que la caméra bouge il fallait
changer de plan. C'est les conditions du tout début. Le cinéma comme art passe, pour exister... entre
autre... à partir du moment où la caméra devient mobile c'est-à-dire où un même plan au sens
nouveau peut réunir plusieurs plans au sens ancien. Je dirais plus simplement, à partir du moment
où le plan devient une réalité temporelle et non plus spatiale. Cesse d'être... oui, plutôt : au moment
où le plan cesse d'être une découpe spatiale pour devenir un processus temporel. A ce moment là,
le plan peut se définir, y compris quand il est immobile, le plan peut se définir par le mouvement
complexe c'est-à-dire : soit le mouvement opéré par les choses et les êtres et pas par la caméra, soit
par le mouvement empêché qui relie les êtres et les objets cadrés entre eux. Si bien que le plan
désigne à ce moment là précisément, l'opération par laquelle le mouvement rapporte les objets à un

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Tout.

Donc je parle bien du plan au sein d'une réalité cinématographique temporelle et non pas d'une
coupe spatiale. Mais alors qu'est-ce qui permet si je dis dès lors, un plan c'est une image -
mouvement, qu'est-ce qui permet de finir à tel moment ou de commencer à tel moment ? Qu'est-ce
qui fait l'unité du mouvement ? A ce niveau, on a aucun problème si vous m'avez compris. L'unité du
mouvement elle est très suffisamment déterminée par ceci, un mouvement ne... ou plutôt des
mouvements complexes ne font qu'un dans la mesure et exclusivement dans la mesure où ils
rapportent les objets entre lesquels ils s'établissent à un changement dans le Tout. Donc le
mouvement sera un ou multiple, suivant qu'il rapporte ou non des objets cadrés au changement dans
le tout. Si bien que finalement ce serait peut-être très intéressant d'essayer de définir le plan en ce
sens, au sens de réalité mouvante, au sens de réalité...oui, dynamique, et plutôt que spatiale... de le
définir par la manière dont il finit. Je pense à ceci parce que c'est compliqué là, je vais très vite parce
que je ne me souviens pas assez des textes, hélas. Ce sont des textes par-ci par-là. Vous savez à
quel point la littérature cinématographique est pour le moment encore en mauvais état... c'est à dire,
c'est beaucoup...les meilleures choses ce sont parfois des articles qui ne sont pas réunis et cætera...
Bon, c'est gênant... Mais dans l'ensemble des cahiers du cinéma... j'ai vu par-ci par-là des choses
qui me paraissaient très... des textes de Alexandre Astruc d'une part, qui il me semble est un des
meilleurs écrivains sur le cinéma qui soit...Des textes d' Alexandre et des textes de Rivette, où au
passage d'un compte rendu de film... ce ne sont donc pas du tout des choses de réflexion sur le
cinéma c'est en passant comme ça, en rendant compte d'un film, il s'interroge sur la manière dont
chez tel ou tel auteur fini un plan. Si vous voulez... en effet de mon point de vue c'est très bien :
définir le plan par la manière dont ça finit et pas dont ça commence, ça revient au même finalement.
Mais c'est meilleur. Pourquoi ? Si c'est vrai que l'unité du plan elle est temporelle, que si c'est vrai ce
qui fait qu'un mouvement est un, c'est-à-dire fait un plan, c'est sa puissance de rapporter les objets
cadrés à un changement dans le Tout, c'est évidemment la manière dont le plan finit qui est
déterminante.

Or, je me souviens là, très confusément, de Astruc disant mais alors très vite... ce serait presque
pour la prochaine fois si vous y pensez vous me trouvez des choses chez... Il parle des plans de
Murnau et il dit : c'est curieux Murnau, c'est... les plans ça finit toujours comme par une espèce de
meurtre. Il ne parle pas d'un meurtre qui s'effectuerait sur l'image. Le plan va à la mort...mais à une
mort violente. Ah bon, tiens... Je ne vois même pas ce qu'il veut dire mais... et je ne sais même pas
bien si il dit ça, il dit peut être quelque chose d'autre, c'est compliqué, j'ai pas le, j'ai plus le texte.
Vous voyez, mais enfin supposons qu'on puisse dire ça. Et puis beaucoup d'auteur, Bazin par
exemple. Bazin lui parlait de la manière dont les plans de Rossellini se terminent. Il disait, c'est
génial ce que Rossellini a amené au cinéma... et il essayait de le dire, la signature Rossellini
comment un plan se termine. C'est cette fois non pas dans une espèce de mort violente, il n'y a pas
une mort violente du plan, il y a une espèce d'extraordinaire sobriété qui est la sobriété Rossellini où
le plan est réduit vraiment à... finalement au mouvement le plus pur... toujours chercher, ça c'est la
formule de Rossellini... toujours chercher le mouvement le plus simple et le plus pur. Entre deux
mouvements, choisir le plus simple et le plus pur. Et amener le plan jusqu'à une espèce d'extinction
naturelle. Le plan lui même est comme, s'est lui même épuisé, il n'a plus rien à dire alors on passe à
un autre plan. Là ça serait comme une espèce de mort naturelle du plan Rossellinien. Enfin ces mots
sont très mauvais.

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Et puis, je crois que c'est Rivette qui lui est amené aussi, et il me semble qu'il n'y a pas du tout
concertation entre eux trois, entre ces trois critiques de cinéma... Rivette lui, il parlait de la fin, de la
manière dont se finissent les plans Mizoguchi. Alors... là c'est très com ... parce que c'est, c'est un
des cinéastes qui fait le maniement de la mobilité de caméra la plus, la plus complexe. Il a des
mouvements extrêmement complexes. Alors, et ça se termine, là comme... par une espèce de...
j'ose à peine dire parce que ça devient trop facile. La mort violente du plan chez Murnau, la mort
naturelle et l'extinction chez Rossellini, par une espèce de suicide du plan Mizoguchien, une espèce
de hara-kiri là... parce que, noblesse oblige... Alors, je dis pas ça du tout, là c'est pas du tout au point
ce que je dis ce sont des souvenirs très confus. C'est pour dire que la question : comment un homme
de cinéma termine ses plans serait peut-être déterminant pour comprendre, cette fonction du plan en
temps que réalité dynamique. C'est à dire le plan comme temps et non plus la coupe spatiale.

Enfin, dernière remarque, je veux dire cette histoire de Tout. Le plan... il est sensé exprimer un
changement dans le Tout. Bien... Sous entendu, le plan avec d'autres plans... Non déjà par lui-même
mais en ce sens il fait signe à d'autres plans. Puisque si le Tout est changement, il ne cessera pas
de changer donc un plan n'épuisera pas le changement dans le Tout. C'est donc le plan avec
d'autres plans, d'où le thème du montage qui va exprimer le Tout. On tombe sur un dernier problème
là que... j'ai ce qui s'appelle... parce que... il faudra, on n'a pas encore même les moyens de le poser.
C'est que ce Tout, mais qu'est-ce que c'est ? Parce qu'enfin, où est-ce qu'il est ? En quoi il consiste
? C'est intrigant ce Tout... je veux dire, ça a été beaucoup fait le discours sur le peu de réalité du
cinéma. La réalité du cinéma... comme remarque tout le monde, dans le cinéma c'est bizarre que les
gens ils y croient tellement alors qu'il n'y a pas de présence. L'absence de toute présence, les objets
cadrés ils ne sont pas là.

Bien plus, qu'est-ce qui est gênant dans le cinéma ? C'est pas qu‘il soit pas là, mais c'est qu'ils
n'ont jamais été là. Si c'était simplement qu'ils ne sont plus là, mais ils n'ont jamais été là. Il n'y a pas
de Tout au cinéma. Ou du moins le Tout, quoi ? Il existe que dans l'œil de celui...du spectateur. Ou
dans la tête du spectateur, pourquoi ? Vous n'avez même pas comme au théâtre les éléments
coexistants d'une scène, parce que le décors, vous pouvez toujours le foutre ap ... le mettre après.
Vous pouvez toujours le rajouter. Et en plus vous pouvez en peindre, il y a des... il y a un moment
dans l'histoire du cinéma, vous pouvez en peindre sur le verre de la caméra du décor. Vous pouvez
faire tout ce que vous voulez. A aucun moment un Tout n'est donné ni donnable. Vous me direz ça
convient puisqu'il est de l'ordre du temps. Mais d'accord, mais c'est peut-être propre au cinéma. Il
n'est absolument pas donné ce Tout... dont il est pourtant question au cinéma. Il n'est pas là.

En un sens qu'est-ce qu'il y a ? Ils l'on tous dit : Poudovkine le disait très bien que ce qu'il y a
dans le cinéma, il y a des bouts de pellicules, un point c'est tout, des bouts de pellicules. Et avec
quoi je peux faire ce que je veux, je peux toujours en couper une, la mettre là... Mais ça n'a jamais
existé ça, ça n'a pas d'existence tout ça qu'est-ce que c'est ? Ce peu de réalité. Ça il faudra bien que
ça nous occupe par différence avec les autres arts. Et c'est pour ça qu'il y a une opération
fondamentale et que jusqu'à maintenant, au point où nous en sommes, le Tout n'est pas saisissable
ni définissable indépendamment d'une opération dite de montage. Si bien que ce qui nous
importerait dans une série d'exemples pour en finir avec tout ça, c'est : voir de quelle manière des
plans... sont supposés susciter, évoquer, déterminer le Tout qui n'est pas donné. Comment par
l'opération du montage, des plans sont susciteurs, des plans définis précisément par la détermination
du mouvement au sens où je l'ai dit, et bien... de quelle manière est-ce que, elle suscite ce Tout qui

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n'existe pas ? Là aussi il n'y a peut-être pas de réponse univoque. Et je ne veux pas dire, là ce ne
serait pas du tout une théorie du montage qu'il faudrait faire. Vous voyez mon problème est
beaucoup plus précis. Le montage on sera amené à en reparler plus tard mais... c'est... c'est tout à
fait autre chose, c'est un aspect très particulier du problème que je prends.

Par quelles opérations et comment, des plans dès le moment où ils sont montés suscitent-ils un
Tout qui n'existe pas ? Qui n'existe nulle part. Qui n'existe même pas sur la pellicule. Et bien... je
dirais il y a plusieurs réponses, alors là on... si vous voulez, il me semble ...réponse je dirais, il y a
une conception qu'on pourrait appeler - je sens encore une fois que ça concerne le problème du
montage en général - une conception qu'on pourrait appeler dialectique. La dialectique. Conception
dialectique du montage, je dis là les choses les plus simples qui soient... c'est que : les plans,
chaque plan et, les plans les uns par rapport aux autres doivent jouer au maximum de mouvements
opposables ou opposés. Chez Eisenstein vous trouvez ça mais chez beaucoup de Russes vous
trouvez ça, une conception dialectique du montage. Et c'est par le jeu des oppositions de
mouvements que le Tout est suscité. Et que, le changement comme affection du Tout est présenté.
D'où l'idée d'une dialectique du montage.

Il y aurait une autre conception je me dis est-ce que ça n'a pas été une espèce d'originalité du
cinéma français ? Une conception cette fois-ci très différente du montage, je dirais presque, du point
de vue qui nous occupe... Vous voyez que je prend le problème du montage non pas du tout pour lui
même mais uniquement au niveau rapport mouvement/ Tout. C'est uniquement sous cet aspect pour
le moment qui m'intéresse. Je dis une première réponse, supposons une réponse russe, ça a été...
c'est en opposant les mouvements dans chaque plan et dans les plans et d'un plan à l'autre que le
Tout est suscité, que le Tout est évoqué. Dans une conception française, je dis aussi bien Gance,
L'Herbier mais même Grémillon plus tardivement, il y a une conception très intéressante qui a été
quand même un grand moment du cinéma. Je dirais que c'est une conception quantitative. Ce n'est
plus une conception dialectique du mouvement qui va évoquer le Tout, c'est une conception
quantitative du mouvement.
Qu'est-ce que ça veut dire ? Il me semble que tous les français de cette époque, enfin quand ils
sont grands, ont une espèce de... de projet ? De projet, et quand je l'exprime ça fait très très
arbitraire, c'est : comment mettre un maximum de quantité de mouvement dans un plan ? Quitte à
presque frôler l'abstraction. Quitte à frôler l'abstraction et quitte à faire quoi ? A entraîner une
précipitation des plans, car : plus vous aurez de quantité de mouvement dans un plan, plus le plan
semblera court. Et ça donne, ces choses qui sont quand même une merveille de... de Gance, à
L'Herbier, à Grémillon et cætera... ça donne ces espèces de grandes épreuves de style, à savoir : la
farandole, la danse... Epstein aussi, tous quoi... ça c'est vraiment il me semble une espèce de
problème...là, il y a, tout comme il y a des caractères nationaux dans la philosophie, il y a des
caractères nationaux dans le cinéma. Cette espèce d'épreuve par laquelle ils passaient tous, la
danse dans la guinguette, la farandole, la farandole en milieu fermé. J'ai vu récemment un film muet
de Grémillon "Maldone" qui a une danse, une farandole dans un espace clos, dans... la farandole en
espace clos ça ce n'est pas...c'est... alors même des types comme Siodmak, il suffisait qu'ils arrivent
en France pour qu'eux ils trouvent ces thèmes et qu'ils s'y mettent aussi. »

Une étudiante :- [ ...] disait le maximum d'expression dans un maximum d'ordre...

G. D. « Et bien c'est ça, ça peut être ça. Là, moi je dirais ... moi je préférerais, et bien oui : la formule

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dure. Maximum de quantité de mouvement dans un espace clos c'est-à-dire dans un espace cadré.
Et Gance, vous comprenez, le chef d'œuvre de Gance a toujours été cette espèce de précipitation
du mouvement, c'est-à-dire : partir d'un espace qui va être pris dans un mouvement qui ne cesse
pas de s'accroître du point de vue même quantitatif. Epstein, la célèbre fête foraine de Epstein.. c'est
absolument...je dirais cette fois-ci que c'est en prenant le mouvement non pas du point de vue de
ses oppositions dynamiques mais en prenant le mouvement du point de vue de la quantité de
mouvement que le montage opère, c'est-à-dire, suscite l'idée du Tout. Puisque ce tout est purement
idéel.

Et puis il y aurait, il y aurait, la dernière réponse, évidemment c'est un peu facile ce que je fais là
mais c'est comme ça... c'est pour finir... c'est le cinéma allemand. Le cinéma allemand avec toutes
ses...tellement, tellement d'influences parce que voilà...Il y a quelque chose de curieux, et là c'est un
problème dont il faut répondre même vis à vis de Bergson, à supposer que Bergson soit là... il y a un
problème gênant, c'est : pourquoi tant de gens dès qu'on leur parle de durée, pensent
immédiatement à un processus de décomposition ? C'est curieux, pourquoi est-ce qu'il y a une
espèce de pessimisme de la durée ? La durée c'est, ça se décompose. La durée c'est une défection.
La durée c'est tomber en poussière.
C'est curieux, pour Bergson ce n'était pas ça du tout, au contraire la durée s'était l'émergence du
nouveau. C'était le surgissement du nouveau. Mais le fait est, quand on parle de durée on a
l'impression d'un processus de décomposition. Toute vie bien entendu est un processus de
décomposition signé Fitzgerald. C'est la formule, c'est la formule ordinaire de la durée. Ah, si c'est un
processus de décomposition ça dure... ouais... ouais... Qui est-ce qui a introduit la durée dans le
roman avant qu'il y ait le cinéma ? Celui qui a introduit la durée dans le roman à l'état pur c'est
Flaubert. C'est Flaubert... notamment dans Madame Bovary... et sûrement ce qu'on appelle le
réalisme ou le naturalisme est strictement indissociable de l'entreprise de la durée. Or comment se
fait-il que cette durée soit un processus de décomposition ? Si ça dure, ça se décompose. Ça c'est
pas du tout Bergsonien.

Or, qui est-ce qui est considéré partout, dans toutes les histoires du cinéma comme le Flaubert du
cinéma, c'est-à-dire le grand naturaliste, celui qui a apporté la durée dans le cinéma ? Bien connu
c'est Stroheim. C'est Stroheim avec "Les Rapaces" ou en effet comme on le dit, c'est la première fois
que, il n'y a pas un seul mouvement ou une seule mobilité qui ne soit rapporté à la durée des
personnages. Ça a été un coup de génie. Ce n'est pas que les autres, ils n'avaient pas déjà
conscience de la durée, mais là vraiment la durée comme conscience psychologique fait son entrée
au cinéma. Comment se fait-il que "Les Rapaces" soit précisément l'étude magistrale d'un processus
de décomposition et même d'un double processus de décomposition ? Je veux dire cette fois-ci c'est
le mouvement de décomposition ou si vous préférez, c'est la chute qui est chargée d'être l'opération
par laquelle les mouvements peuvent évoquer l'idée d'un Tout. Les mouvements ne peuvent évoquer
l'idée d'un Tout, dirait-on, que dans la mesure où ils sont mouvements d'une décomposition, où ils
accompagnent une décomposition, où ils sont les mouvements d'une chute. Or ce n'est pas du tout
forcé ça. Je dirais là que c'est un montage, alors non plus, ni... dialectique à la russe, ni quantitatif à
la française - au sens où j'ai essayé de le dire - mais un montage intensif. Donc là il y a une
équivoque, mais partout il y a des équivoques. C'est un montage intensif... Oui, c'est trop compliqué,
alors vous voyez, on en est par là...

La prochaine fois, je voudrais ceci... bien sûr j'expliquerai ce que je voulais dire là, mais très vite.

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Je voudrais que vous, vous réfléchissiez à tout ça : que vous parliez, que vous parliez et que vous
voyez vous aussi où vous en êtes par rapport à ça...si... et puis alors, je terminerai en résumant les
thèses de Bergson et on aura finit un premier... et puis en terminant là où j'en suis, et on aura finit un
premier groupe de...recherche. On passera à un autre groupe...

[Fin de la bande]

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1- 10/11/81 - 1
Marielle Burkhalter

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Les thèses de BERGSON sur le mouvement, premier moment : introduction du concept
d'image-mouvement

TRANCRIPTION : Douarche Fanny

COURS DU 10/11/1981 /1

Les thèses de BERGSON sur le mouvement, premier moment : introduction du concept


d'image-mouvement

Ce que je voudrais faire cette année, pour que vous compreniez, surtout que vous sachiez, s'il
convient que vous veniez, que vous veniez encore. Eh bien voilà, d'une certaine manière, je voudrais
faire trois choses. Je voudrais faire trois choses différentes, même très différentes en apparence, et
je voudrais que chacune de ses choses vaille pour elle-même, vaille par elle-même :

Première chose, je voudrais vous proposer une lecture d'un livre de Bergson, à savoir "Matière et
mémoire". Pourquoi ce livre de Bergson ? Parce que je suppose, je crois, que c'est un livre très
extraordinaire, non seulement en lui-même mais dans l'évolution de la pensée de Bergson. Matière
et mémoire, c'est le second grand livre de Bergson, après "l'Essai sur les données immédiates [de la
conscience", le troisième grand livre sera L'évolution créatrice. Or, dans l'évolution de la pensée
bergsonienne, on dirait - et pour ceux qui ont déjà lu ou pris un peu connaissance de ces livres de
Bergson, peut-être vous avez déjà eu cette impression - on dirait que Matière et mémoire forme pas
du tout, ne s'inscrit pas dans une espèce d'enchaînement progressif, mais qu'il forme une très
bizarre, un très bizarre détour, comme une pointe extrême. Pointe tellement extrême que peut-être
Bergson atteint là quelque chose, que pour des raisons que nous aurions à déterminer, il renoncera
à exploiter, qu'il renoncera à poursuivre, mais qui marque un sommet extraordinaire dans sa pensée,
et dans la pensée tout court. Ça, c'est un point, voilà. "Matière et mémoire", j'ai envie de vous parler
de ce livre.

Deuxième point, j'ai envie aussi cette année de vous parler d'un autre très grand livre, beaucoup
plus ancien, à savoir "la Critique du jugement" de Kant. Et la "Critique du jugement" de Kant, c'est un
livre où Kant dit ce qu'il pense, ce qu'il estime devoir dire, sur le Beau et d'autres choses au-delà du
Beau ou autour du Beau. Et cette fois, je dirais de ce livre aussi que c'est un sommet pas seulement
pour la pensée en générale, mais pour la pensée kantienne. Parce que, pas tout à fait de la même
manière que "Matière et mémoire" qui représente une espèce de rupture dans une évolution, cette

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fois-ci, c'est presque lorsqu'on s'y attendait plus. La "Critique du jugement", c'est un des rares livres
écrits par un vieil homme, à un moment où pratiquement il a fait toute son œuvre. D'une certaine
manière on n'attendait plus grand chose de Kant, très vieux, très vieux... Et voilà que, après les deux
critiques qu'il avait écrites : "Critique de la raison pure", "Critique de la raison pratique", survient tout
d'un coup ce dont personne n'avait l'idée que ça pouvait être, la "Critique du jugement", qui va fonder
quoi ? Qui va fonder une très bizarre esthétique, sans doute la première grande esthétique, et qui va
être le plus grand manifeste à la charnière de l'esthétique classique et du Romantisme naissant.
Voyez, je dirais que c'est là aussi un livre sommet, bon, mais pour d'autres raisons et dans une autre
configuration que "Matière et mémoire". Tout ça, ça n'a pas l'air de bien s'accorder.

Et puis, troisième point, je voudrais aussi faire quelque chose concernant, je pourrais dire, l'image
et la pensée, ou plus précisément concernant le cinéma et la pensée. Mais en quoi, voilà ma
question, en quoi ce n'est pas trois sujets ? Si j'insiste, pourtant - je voudrais d'une certaine manière -
c'est pour ça que toute cette année, j'attacherai beaucoup d'importance, pour nous faciliter les
choses à tous, à des espèces de divisions. J'annoncerai par exemple que telle séance, c'est l'image
chez Bergson, telle autre séance, c'est tel aspect du cinéma, etc. Je multiplierai des divisions, là,
comme quantitatives : I, II... pour que vous sachiez, pour que vous suiviez plus facilement où on va.
Car ce que je voudrais, comprenez-moi, c'est finalement que chacun de mes trois thèmes vaille pour
lui-même et pourtant que tout ça s'entrelace absolument. Que ça fasse vraiment une unité, cette
unité étant finalement : cinéma et pensée. Or, pourquoi ça ferait une unité ? Voilà ma question.
Pourquoi trois choses aussi différentes : "Matière et mémoire" de Bergson, la "Critique du jugement"
de Kant et une réflexion sur pensée et cinéma, pourquoi ça s'unifierait ?

Quant à Bergson, je réponds tout de suite que, en effet, c'est assez simple, la situation est assez
simple. Pourquoi ? Je prends quelques dates qui importent :" Matière et mémoire", 1896 ; le livre
suivant de Bergson, "Evolution créatrice", 1907. "L'évolution créatrice" est, à ma connaissance, le
premier livre de philosophie à tenir explicitement et considérablement compte du cinéma. Au point
que le quatrième chapitre de "L'évolution créatrice" de 1907 s'intitule : « Le mécanisme
cinématographique de la pensée et l'illusion mécanistique ». En 1907, c'est quand même très tôt
cette prise en compte du cinéma. Bon. "Matière et mémoire", c'est 1896. La date, la date fétiche de
l'histoire du cinéma, à savoir la projection Lumière, la projection Lumière à Paris, c'est : décembre
1895. Je peux dire en très gros que Bergson ne peut pas au moment de "Matière et mémoire" tenir
compte explicitement du cinéma même s'il en connaît l'existence. En 1907, il peut et il profite de
l'occasion. Mais bizarrement - et ça va déjà nous poser un problème - bizarrement, si vous lisez
"L'évolution créatrice" et "Matière et mémoire", qu'est-ce que vous vous dites peut-être ? Vous vous
dites que dans "L'évolution créatrice", il tient explicitement compte de l'existence du cinéma mais
pour dénoncer, selon lui, une illusion que le cinéma promeut, n'invente pas mais, selon Bergson, à
laquelle le cinéma donne une extension jusque là pas connue.
Donc - et le titre du chapitre, « Le mécanisme cinématographique et l'illusion mécanistique » - il
s'agit de dénoncer une illusion où ça a l'air d'être, on croirait que... Il s'agit de dénoncer une illusion.
Ma question, c'est, si au contraire, dans "Matière et mémoire" de 1896, Bergson d'une certaine
manière n'était pas beaucoup plus en avance, et là complètement en prise avec quelque chose non
pas que le cinéma inventait mais que lui inventait dans le domaine de la philosophie quelque chose
que le cinéma était en train d'inventer dans un autre domaine. Ce serait une manière d'expliquer
peut-être le caractère tellement insolite de "Matière et mémoire". Mais donc, Bergson nous conduit à
une espèce de confrontation cinéma / pensée, ou s'insère dans une telle confrontation, pas de

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problème.

Pour Kant, pour Kant c'est évidemment moins évident, ne serait-ce que par les dates. Si bien que
ce qui m'intéresse dans la "Critique du jugement", c'est ceci. Dans "Matière et mémoire", je peux
dire, car je vous demande évidemment une chose, c'est, ceux qui suivront cette année, c'est de lire
deux livres, vous avez à lire vous, "Matière et mémoire", au point que pour la semaine prochaine
j'aimerais bien que vous ayez lu le premier chapitre de "Matière et mémoire". Ah, il faut, il faut, il faut,
sinon... sinon faut pas venir, voilà. Et puis, après, la "Critique du jugement".

Or, si vous lisez la "Critique du jugement", ou bien quand vous la lirez, vous verrez ceci : que tout le
début porte sur le Beau, et que, c'est très beau mais c'est une espèce d'esthétique classique. C'est
l'espèce de dernier mot à une esthétique classique qui consiste à se demander quelles sont les
belles formes. Quand est-ce que je dis qu'une forme est belle ? Or, se demander quand est-ce que
je dis qu'une forme est belle ? c'est précisément le problème esthétique de la grande période
classique. Mais que toute la suite de l'esthétique de Kant consiste à nous dire : oui, soit, mais en
dessous du Beau, au dessus du Beau, au delà du Beau, il y a certaines choses qui dépassent la
beauté de la forme. Et ces choses qui dépassent la beauté de la forme vont recevoir successivement
le nom de : Sublime, le Sublime ; ensuite, l'intérêt du beau, alors que le beau par lui même est
désintéressé, l'intérêt du beau ; et enfin, le génie comme faculté des idées esthétiques, par
différence avec les images esthétiques. C'est tout cet - en dessous du Beau - , cet - au delà du Beau
- qui est comme l'annonciation du Romantisme.

Pour moi, ma question, c'est si, précisément à ce niveau là, il n'y a pas quelque chose, il n'y a pas
un nouveau rapport proposé par Kant entre l'image et la pensée. Bon, rapport qu'il faudrait appeler
dans ce cas là « pré-cinématographique », mais que, d'une autre manière, le cinéma pourrait
confirmer... Donc moi, ce que je souhaite de vous, de ceux qui continueront à venir, c'est la lecture
de ces deux livres. Encore une fois en commençant par "Matière et mémoire", si vous voulez bien.

[Intervention inaudible]

Mais c'est une catastrophe, mais c'est une véritable catastrophe...[brouhahas]

Eh ben, il faut aller le lire en bibliothèque. Oh, il va peut-être réapparaître quand même... Il n'est
pas question, c'est scandaleux quoi, c'est scandaleux...

Eh bien, écoutez, vous le lirez pas, je vous le raconterai, hein [rires]. Alors pressez vous en tout
cas de vous procurer la "Critique du jugement" parce qu'elle va être épuisée aussi, alors. La "Critique
du jugement", c'est chez Vrin. Il y a une traduction récente, prenez la traduction récente de
Philonenko. Bon. J'ajoute enfin parce que je redoute beaucoup, je redoute par crainte légitime, je
précise bien que, en aucun cas, n'est-ce pas, je ne pourrais prétendre à vous proposer un cours sur
le cinéma, c'est donc d'un bout à l'autre un cours de philosophie. Voilà... Voilà, voilà. Alors, on
commence.

Je dis je commence comme ça, ça nous fait donc beaucoup. Vous comprenez, cette année, je
voudrais essayer beaucoup plus une espèce de parcours, donc. Avec ce centre : pensée / cinéma,
tout ça, mais... je voudrais donc, comme j'ai dit, bien numéroter pour, et je commence donc par

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vraiment un grand 1, qui va nous tenir un certain temps, à savoir : les thèses de Bergson sur le
mouvement. Les thèses de Bergson sur le mouvement. Voilà, ça, c'est mon grand 1, je vous
préviendrai quand j'en aurais fini.
Et je dis, imaginez, un philosophe, c'est jamais aussi simple que ça, hein, ni aussi difficile, ni aussi
simple, ni aussi compliqué, ni aussi simple qu'on dit. Parce que, une idée philosophique, il me
semble, c'est toujours une idée à niveaux et à paliers. C'est comme une idée qui a ses projections.
Je veux dire, elle a plusieurs niveaux d'expression, de manifestation. Elle a une épaisseur.
Une idée philosophique, un concept philosophique, c'est toujours une épaisseur, un volume. Vous
pouvez les prendre à tel niveau, et puis à un autre niveau, et à un autre niveau, ça se contredit pas.
Mais c'est des niveaux assez différents.
Si bien que quand vous exposez une doctrine, vous pouvez toujours donner de la doctrine ou de
l'idée une présentation simple, une présentation - c'est un peu comme des tomographies - une
présentation en épaisseur, à telle distance, tout ça. Il y a même un philosophe qu'avait très très bien
vu ça, c'était Leibnitz qui, lui, présentait ses idées d'après l'intelligence supposée de ses
correspondants. Alors il avait tout un système, c'était le système, alors : petit 1, quand il pensait que
c'était quelqu'un qu'est pas doué, puis il avait un système petit 2, un système petit 3, tout ça. Et tout
ça s'harmonisait, c'était une merveille. Ce que je veux dire, c'est que chez Bergson, il y a aussi des
pages extrêmement simples. Et puis, vous avez des présentations de la même idée à un niveau
beaucoup plus complexe, puis à un autre niveau encore. Je dirais qu'il y a en quelque sorte,
concernant le mouvement, trois Bergson, et qu'il y en a un que nous connaissons tous, même quand
nous ne l'avons pas vu. Il y en a un qui est devenu tellement le Bergson, le Bergson apparent, quoi.
Et je commence donc, à supposer qu'il y en ait trois, sur ce problème du mouvement, trois grandes
thèses de Bergson, de plus en plus subtiles, mais simultanées, complètement simultanées.

Je commence par le première, ou plutôt par rappeler la première puisque vous la connaissez. La
première, elle est très simple. Bergson a une idée qui assigne en même temps la démarche de la
philosophie, à savoir : le monde dans lequel on vit, c'est un monde de mélanges. C'est un monde de
mélanges, les choses, elles sont toujours mélangées. Tout se mélange. Dans l'expérience, il n'y a
que des - comment dirait-on ? - il n'y a que des mixtes. Il y a des mélanges de ceci et de cela. Ce qui
vous est donné, c'est ces mélanges.
Quelle est la tâche de la philosophie ? C'est très simple, c'est analyser. Analyser. Mais qu'est-ce
que ça veut dire analyser pour Bergson ? Il transforme complètement ce que les gens appellent «
analyse ». Car analyser, ça va être chercher le pur. Un mixte étant donné, analyser le mixte, c'est
dégager - quoi ? Les éléments purs ? Non. Bergson dira très vite : mais non, ce qui est pur, c'est
jamais des éléments. Les parties d'un mélange, c'est pas moins mélangé que le mélange lui-même.
Il n'y a pas d'élément pur.
Ce qui est pur, c'est des tendances. La seule chose qui puisse être pure, c'est une tendance qui
traverse la chose. Analyser la chose, c'est donc dégager les tendances pures. C'est dégager les
tendances pures entre lesquelles elle se partage. Dégager les tendances pures qui la traversent.
Dégager les tendances pures qui la déposent. Bon. Alors, cette analyse très spéciale qui consiste à
dégager dans un mixte les tendances pures qui sont supposées déposées l'ensemble, c'est ce que
Bergson appellera l'intuition. Découvrir les articulations de la chose.

Bon. Est-ce que je peux dire que la chose se divise en plusieurs tendances pures ? Non, non.
Déjà à ce niveau, vous devez sentir, le pur, il n'y en a jamais qu'un. Ce que je dois faire quand
j'analyse quelque chose, c'est diviser la chose en une tendance pure qui l'entraîne, qui entraîne la

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chose, et quoi ? Une autre tendance pure ? On pourrait dire comme ça. Mais en fait, ça se passe
jamais comme ça. Une chose se décompose en une tendance pure qui l'entraîne et une impureté qui
la compromet, une impureté qui l'arrête. Et en plusieurs, hein, c'est pas forcément deux. Mais faire
une bonne analyse, c'est découvrir une tendance pure et une impureté qui jouent l'une par rapport à
l'autre.

Bon, ça devient plus intéressant, c'est en sens que l'intuition est une véritable analyse, analyse
des mixtes. Or, qu'est-ce que nous dit Bergson ? C'est que, c'est très curieux mais, rien que dans le
monde de la perception, c'est tout le temps comme ça, parce que ce qui nous est donné, c'est
toujours des mixtes d'espace et de temps. Et que c'est catastrophique pour le mouvement ça, pour la
compréhension du mouvement.
Pourquoi ? Parce que nous avons toujours tendance - et c'est bien là que surgit le Bergson le
plus connu - nous avons toujours tendance à confondre le mouvement avec l'espace parcouru. Et
nous essayons de reconstituer le mouvement avec l'espace parcouru. Et dès qu'on se lance dans
une telle opération, reconstituer le mouvement en fonction d'un espace parcouru, on ne comprend
plus rien au mouvement. Voyez, c'est tout simple comme idée.
Pourquoi est-ce que le mouvement est irréductible à l'espace parcouru ? C'est bien connu, le
mouvement est irréductible à l'espace parcouru puisqu'en lui-même, c'est l'acte de parcourir. En
d'autres termes, lorsque vous reconstituez le mouvement avec l'espace parcouru, vous avez déjà
considéré le mouvement comme passé, c'est-à-dire comme déjà fait.

Mais le mouvement, c'est l'acte de parcourir, c'est le parcourir en acte. C'est à dire, le
mouvement, c'est ce qui se fait. Précisément, quand il est déjà fait, il n'y a plus que de l'espace
parcouru. Mais il n'y a plus de mouvement. En d'autres termes, irréductibilité du mouvement à
l'espace parcouru. Pourquoi ? Bergson dit, au niveau de cette première grosse thèse, il dit : c'est
évident, l'espace parcouru, il est fondamentalement divisible, il est essentiellement divisible. Au
contraire le mouvement comme acte de parcourir un espace, lui, il est indivisible. C'est pas de
l'espace, c'est de la durée. Et c'est une durée indivisible.
A ce niveau, on en est où ? Au plus simple : l'opposition catégorique entre l'espace divisible et le
mouvement - durée indivisible. Et en effet, si vous substituez au mouvement-durée indivisible, si
vous substituez au mouvement indivisible, c'est-à-dire qui parcourt en une fois un espace, si vous y
substituer l'espace parcouru qui lui est divisible, vous comprendrez plus rien, à savoir : le
mouvement, à la lettre, ne sera même plus possible. D'où nous rappelle Bergson constamment le
fameux paradoxe de Zénon à l'origine de la philosophie, lorsque Zénon montre à quel point il est
difficile de penser le mouvement.
Oui, il est difficile de penser le mouvement, il est même impossible de penser le mouvement si on
le traduit en terme d'espace parcouru. Achille ne rattrapera jamais la tortue, nous disait le vieux
Zénon, l'antique Zénon, ou, bien plus, la flèche n'atteindra jamais sa cible. La flèche n'atteindra
jamais la cible, c'est le fameux paradoxe de Zénon, n'est-ce pas, puisque vous pouvez assigner la
moitié du parcours, de la flèche point de départ à la cible, la moitié du parcours ; quand la flèche est
à cette moitié, il reste encore une moitié ; vous pouvez divisez la moitié en deux quand la flèche est
à ce point, il reste encore une moitié, etc., etc. Moitié / moitié, vous aurez toujours un espace
infiniment petit, un espace si petit qu'il soit, entre la flèche et la cible. La flèche n'a aucune raison
d'atteindre la cible. Oui, dit Bergson, Zénon a évidemment raison, la flèche n'atteindra jamais la cible
si le mouvement se confond avec l'espace parcouru, puisque l'espace parcouru est divisible à l'infini.
Donc il y aura toujours un espace si petit qu'il soit entre la flèche et la cible. Même chose, Zénon ne

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rattrapera pas la tortue. Voilà. Donc, à ce premier niveau, je dis juste Bergson, vous voyez ce qu'il
fait, il oppose en effet le mouvement-durée indivisible à l'espace parcouru fondamentalement,
essentiellement, divisible.

Si c'était que ça, ce serait sûrement très intéressant, mais enfin, on sent bien que ça peut être
qu'un point de départ. Et en effet, si l'on reste à cette première thèse de Bergson, je vois
immédiatement que, elle a, cette première thèse, elle-même - c'est pas une autre thèse - elle a un
exposé possible déjà beaucoup plus... beaucoup plus curieux. Pourtant à première vue, ça a pas l'air
d'avoir changé grand chose. Bergson nous dit, cette fois, non plus ma première proposition,
c'était : on ne reconstitue pas le mouvement avec l'espace parcouru. La deuxième présentation
de cette première thèse, de cette même thèse, est un peu différente.

c'est : on ne reconstitue pas le mouvement avec une succession de positions dans l'espace, ou
d'ins tants, de moments dans le temps. On ne reconstitue pas le mouvement avec une succession
de positions dans l'espace ou avec une succession d'instants ou de moments dans le temps. En quoi
c'est déjà beaucoup plus poussée cette thèse là ? Qu'est-ce que ça ajoute à la formulation
précédente ? On voit bien que les deux formules sont tout à fait liées. Qu'est-ce qu'il y a de commun,
position dans l'espace ou instant dans le temps ? Et bien, c'est, en eux-mêmes, ce sont des coupes
immobiles. Ce sont des coupes immobiles prises, opérées sur un trajet. Donc Bergson nous dit, non
plus exactement : vous ne reconstituerez pas le mouvement avec l'espace parcouru ; mais : vous ne
reconstituerez pas le mouvement même en multipliant les coupes immobiles prises ou opérées sur le
mouvement. Pourquoi ça m'intéresse plus ? Pourquoi ça me paraît déjà une autre présentation d'une
idée. Tout à l'heure, vous vous rappelez, il s'agissait simplement d'établir une différence de nature
entre l'espace divisible et le mouvement-durée indivisible.

A ce second niveau, il s'agit d'autre chose. Il s'agit de quoi, à ce second niveau ? C'est... c'est très
curieux. Car lorsque je prétends reconstituer le mouvement avec une succession d'instants, de
coupes immobiles, en fait je fais intervenir deux choses : les coupes immobiles, d'une part, d'autre
part, la succession de ces coupes, de ces positions. En d'autres termes, j'ai de ce côté là, du côté
gauche - vous sentez que le côté gauche de l'analyse, c'est toujours le côté impur, c'est l'impureté
qu'il y a de contrarier la tendance pure - eh bien, de ce côté gauche, j'ai quoi ? Je n'ai plus un seul
terme : l'espace est divisible ; j'ai deux termes : les coupes immobiles, c'est-à-dire les positions ou
instants, et la succession que je leur impose, la forme de succession à laquelle je les soumet. Et
cette forme de succession, c'est quoi ? C'est l'idée d'un temps abstrait, homogène... égalisable...
uniforme. L'idée d'un temps abstrait, uniforme, égalisable. Ce temps abstrait, il sera le même pour
tous les mouvements supposés. Je vais donc sur chaque mouvement, je prendrais des coupes
immobiles. Toutes ces coupes immobiles, je les ferais se succéder suivant les lois d'un temps
abstrait homogène... et je prétendrais reconstituer le mouvement comme ça.

Bergson nous dit : pourquoi ça va pas ? Pourquoi ça va pas, et pourquoi là aussi, il y a le même
contresens que tout à l'heure sur le mouvement ? C'est que le mouvement, il se fait toujours entre
deux positions. Il se fait toujours dans l'intervalle. Si bien que sur un mouvement, vous aurez beau
prendre les coupes immobiles les plus rapprochées que vous voudrez, il y aura toujours un intervalle
si petit qu'il soit. Et le mouvement, il se fera toujours dans l'intervalle. C'est une manière de dire : le
mouvement, il se fait toujours dans le dos. Il se fait dans le dos du penseur, il se fait dans le dos des
choses, il se fait dans le dos des gens. Il se fait toujours entre deux coupes.

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Si bien que vous aurez beau multiplier les coupes, c'est pas en multipliant les coupes que vous
reconstituerez le mouvement. Il continuera à se faire entre deux coupes si rapprochées que soient
vos coupes. Ce mouvement irréductible qui se fait toujours dans l'intervalle, il se laisse pas
confronter, il se laisse pas mesurer par un temps homogène abstrait, ça veut dire quoi ? Ça veut dire
qu'il y a toute sorte de mouvements irréductibles. Il y a le pas du cheval, et le pas de l'homme, et le
pas de la tortue. Et que c'est même pas la peine de dérouler ses mouvements sur la même ligne
d'un temps homogène. - Pourquoi ? Ces mouvements sont irréductibles les uns aux autres, c'est
même pour ça que Achille dépasse la tortue. Si Achille dépasse la tortue, c'est pour une raison très
simple, c'est que ses unités de mouvement à lui, à savoir un bond d'Achille, n'a aucune commune
mesure - c'est pas parce qu'il y a une mesure commune - n'a aucune commune mesure avec le petit
pas de la tortue. Et parfois, on peut ne pas savoir qui gagnera. Un lion poursuit un cheval. Il n'y a pas
de temps abstrait, il n'y a pas d'espace abstrait, hein, qui permette justement de dire d'abord, il y a
quelque chose d'imprévisible. Est-ce que le lion va avoir le cheval ou pas ? Si le lion a le cheval,
c'est avec des bonds de lion. Et si le cheval échappe, c'est avec son galop de cheval.
Ce sont des mouvements qualitativement différents. Ce sont deux durées différentes. L'une peut
interrompre l'autre, l'une peut s'emparer de l'autre ; elles ne se composent pas avec des unités
communes. Et c'est avec un bond de lion que le lion va bondir sur le cheval, et non pas avec une
quantité abstraite déplaçable dans un temps homogène. Qu'est-ce qu'il est en train de nous dire
Bergson ? Il nous dit : tous les mouvements concrets, bien sûr ils ont leur articulation, chaque
mouvement est articulé comme tel ou tel. En d'autres termes, bien sûr les mouvements sont
divisibles, bien sûr il y a une divisibilité du mouvement. Par exemple, la course d'Achille se divise
en... en... comment on appelle ça l'unité de pas de l'homme... en foulées, la course d'Achille se
divise en foulées. Très bien. Le galop du cheval, il se divise. Evidemment, il se divise, la fameuse
formule : 1,3,2... 1,3,2... 1... Tous les mouvements se divisent. Voyez que ça devient déjà beaucoup
plus complexe. Mais ils ne se divisent pas suivant une unité homogène abstraite.

En d'autres termes, chaque mouvement a ses divisions propres, ses sous-divisions propres, si
bien qu'un mouvement est irréductible à un autre mouvement. Un pas d'Achille est absolument
irréductible à un pas de tortue. Si bien que lorsque je prends des coupes immobiles sur les
mouvements, c'est toujours pour les ramener à une homogénéité du temps abstrait uniforme, grâce
auquel précisément j'uniformise tous les mouvements, et je ne comprends plus rien au mouvement
même. A ce moment là, Achille ne peut pas rattraper la tortue.

[Intervention : Est-ce que la rencontre est possible ?]

La rencontre, oh oui, tout est possible. Pour que la rencontre, pour qu'Achille et la tortue se
rencontrent, il faut que la durée ou le mouvement d'Achille trouve dans ses articulations à lui, et que
la tortue trouve dans les articulations de son mouvement à elle, quelque chose qui fait que la
rencontre se produit au sein de l'un et l'autre des deux mouvements.

En d'autres termes, qu'est-ce qu'il nous dit, là ? Voyez que tout à l'heure, c'était le premier exposé
de sa thèse. Ça consistait à dire : distinction de nature, opposition si vous voulez, entre espace
parcouru et mouvement comme acte de parcourir. Maintenant, deuxième présentation, ça me paraît
déjà beaucoup plus intéressant et intriguant, il distingue, il oppose deux ensembles :
premier ensemble, à gauche, coupes immobiles + idée de succession comme temps abstrait,
et de l'autre côté, du côté droit, mouvement qualifié comme tel ou tel mouvement + durée

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concrète qui s'exprime dans ce mouvement.

Bon, alors peut-être que vous comprenez pourquoi tout d'un coup, la rencontre, la confrontation
avec le cinéma se fait. Et pourquoi, dans "L'évolution créatrice", Bergson bute contre cette naissance
du cinéma. Car le cinéma arrive avec son ambition, fondée ou non fondée, d'apporter non seulement
une nouvelle perception mais une nouvelle compréhension, une nouvelle révélation, une nouvelle
manifestation du mouvement. Et, à première vue... à première vue, Bergson a une réaction très
hostile. Sa réaction, elle consiste à dire : ben oui, ben vous voyez, le cinéma, il ne fait que pousser à
l'extrême l'illusion de la fausse reconstitution du mouvement. En effet, avec quoi procède le cinéma ?
Il fait manifestement partie de la mauvaise moitié, en apparence. Il procède en prenant des coupes
instantanées sur le mouvement, coupes instantanées, et en les soumettant à une forme de
succession d'un temps uniforme et abstrait. Il dit : c'est sommaire. Est-ce que c'est sommaire ?
Est-ce que là, il a pas... il est pas en train de comprendre sur le cinéma en 1907 quelque chose que
la plupart des gens, à commencer même par certains de ses disciples plus avancés que lui quant au
cinéma pourtant, par exemple Elie Faure, je pense, avaient pas encore compris... concernant... c'est
compliqué, ça.
Parce que les conditions du cinéma, au moment de Bergson, vous les connaissez bien, c'est quoi
? En très gros, en très gros c'est : prise de vue immobile, identité de l'appareil de prise de vue et de
la projection, et enfin, quelque chose qui semble tout à fait donner raison à Bergson et qui a pas
cessé, un grand principe sans quoi le cinéma n'aurait jamais existé, enfin un grand principe
technique quoi, quelque chose qui assure l'équidistance des images.
Il n'y aurait pas de projection s'il n'y avait pas équidistance des images, il n'y aurait pas de
projection cinématographique.

Et tout le monde sait que un des points techniquement fondamental dans l'invention du cinéma, de la
machine cinéma, ça a été assurer l'équidistance des images, grâce à quoi ? Grâce à la perforation
de la bande film. Si vous avez pas l'équidistance, vous aurez pas de cinéma. On verra pourquoi, je
laisse cette question, quitte à essayerde le montrertoutàl'heure.Or,Bergsonesttrèsaucourantdeça, et
de l'appareil des frères Lumière. Et déjà, assurer l'équidistance des images par la perforation de la
bande, c'est la découverte de qui ? C'est la découverte, juste avant Lumière, c'est la découverte de
Edison ; ce qui fait qu'Edison a eu tant de prétentions justifiées sur l'invention même du cinéma.
Donc ça été un acte technique, même si on peut le considérer à d'autres égards comme secondaire,
cette équidistance des images instantanées, çaa été un acte technique qui vraiment conditionne le
cinéma. Or, ça semble complètement donner raison à Bergson ; quelle est la formule du cinéma, en
1907 ? Succession d'instantanés, la succession étant assurée par la forme d'un temps uniforme,
deux images étant équidistantes. Les images étant équidistantes.

L'équidistance des images garantie l'uniformité du temps. Donc cette critique du cinéma de
Bergson, elle a l'air très... à ce moment là, tout le cinéma opère dans l'ensemble : coupes immobiles
+ temps abstrait, et donc laisse échapper le mouvement, à savoir le mouvement réel dans son
rapport avec les durées concrètes. Bien. Est-ce qu'on peut dire à ce moment là que, dès lors, est-ce
qu'on peut, nous, nous référer à l'état du cinéma après pour dire : ah ben oui mais Bergson, c'était le
début du cinéma. Il s'est passé tant de choses, à savoir par exemple, est-ce qu'on peut invoquer le
fait que la caméra soit devenue mobile, pour dire : ah ben non, là le cinéma a récupéré le vrai
mouvement, etc.
Or, ça changerait pas, ce qui est resté... ça changerait pas... ce qui est resté, le fait de base du

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cinéma, à savoir que le mouvement soit reproduit à partir d'instantanés, et qu'il y ait une succession
d'instantanés impliquant l'équidistance des images correspondantes. On voit mal comment ça
subsisterait pas puisque sinon il n'y aurait plus de cinéma. Il y aurait d'autre chose, il y aurait d'autre
chose, mais ça ne serait pas du cinéma. Si bien que notre problème, il ne serait pas, il ne pourrait
pas consister à invoquer une évolution du cinéma après 1907.

Je crois que ce que nous avons à invoquer, c'est tout à fait autre chose. C'est un problème que
j'appellerais le premier problème relatif au cinéma, à savoir le problème de la perception. Bon, le
cinéma me donne du mouvement à percevoir. Je perçois du mouvement. Qu'est-ce que veut dire
Bergson lorsqu'il dénonce une illusion liée au cinéma ? Qu'est-ce que ça veut dire, qu'est-ce qu'il
veut, qu'est-ce qu'il est en train de chercher ? Après tout, peut-être que si on pose cette question, on
s'apercevra que la critique du cinéma chez Bergson est peut-être beaucoup plus apparente que
réelle, cette critique très dure, à savoir : le cinéma procède par coupes immobiles, par instantanés.
Par coupes immobiles. Il se contente de les soumettre à une forme de la succession abstraite, à une
forme du temps abstrait.

Bon. Je dis c'est bien entendu que - mais qu'est-ce que ça veut dire ? - c'est bien entendu que les
moyens, le cinéma reproduit le mouvement. D'accord, il reproduit. Le mouvement reproduit, c'est
précisément le mouvement perçu, au cinéma. La perception du mouvement, c'est une synthèse du
mouvement. C'est la même chose, dire synthèse du mouvement, perception du mouvement ou
reproduction du mouvement. Si Bergson veut nous dire que le mouvement au cinéma est reproduit
par des moyens artificiels, c'est évident. Bien plus, je dirais une chose simple : quelle reproduction
de mouvement n'est pas artificielle ? C'est compris dans l'idée même de reproduire. Reproduire un
mouvement implique évidemment que le mouvement n'est pas reproduit par les mêmes moyens par
lesquels il se produit. C'est même le sens de préfixe re-.
C'est donc nécessairement par des moyens artificiels que quelque chose, que ce soit du
mouvement ou autre chose, que quelque chose est reproduit. Donc que le mouvement au cinéma
soit reproduit par des moyens arti[ficiels,... est-ce que ça veut dire que le mouvement que je perçois,
que le mouvement reproduit, soit lui-même artificiel ou illusoire ? Comprenez ma question. Les
moyens de reproduction sont artificiels, est-ce que ça veut dire, est-ce que je peux conclure du
caractère artificiel des moyens de reproduction au caractère illusoire du reproduit ? [...] D'après la
méthode même, qu'est-ce qu'il devrait nous dire, un fantôme de Bergson ? Il vient de nous dire : la
perception naturelle, finalement, ce que nous saisissons dans l'expérience, notre perception
naturelle, c'est toujours une perception de mélanges. On ne perçoit que des mixtes, on ne perçoit
que de l'impur. Bon, d'accord, dans les conditions naturelles, on ne perçoit que de l'impur, des mixtes
d'espace et de temps, des mixtes d'immobiles et de mouvements, etc. On perçoit des mélanges.
Très bien, très bien, on perçoit des mélanges.
Mais précisément, la perception cinématographique, c'est bien connu - on aura à revenir là
dessus, comme ça, mais c'est un principe de base qu'il faut établir tout de suite, qu'il faut rappeler
tout de suite - la perception cinématographique, c'est pas la perception naturelle. Pas du tout. Le
mouvement n'est pas perçu au cinéma, le mouvement d'un oiseau au cinéma, n'est pas du tout
perçu - je parle en termes de perception, hein - n'est pas du tout perçu comme le mouvement d'un
oiseau dans les conditions naturelles de la perception. C'est pas la même perception.
Le cinéma a inventé une perception. Cette perception, encore une fois, elle est définissable, il
faudra la définir, comment est-ce qu'elle procède par différence avec la perception dans les
conditions naturelles. Bon. Dès lors, qu'est-ce qui m'empêche de dire que, précisément, le cinéma

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nous propose ou prétend nous proposer une perception que les conditions naturelles de l'exercice de
la perception ne pouvaient pas nous donner, à savoir la perception d'un mouvement pur, par
opposition à la perception du mixte.
Si bien que, si les conditions de la reproduction du mouvement au cinéma sont des conditions
artificielles, ça ne signifie pas du tout que le reproduit, lui, soit artificiel. Cela signifie que le cinéma
invente les conditions artificielles qui vont rendre possible une perception du mouvement pur, étant
dit que une perception du mouvement pur, c'est ce que les conditions naturelles ne peuvent pas
donner parce que, elles condamnent notre perception naturelle à ses idées mixtes. Si bien que ce
serait ça, que tout l'artifice du cinéma servirait à cette perception, et à l'érection de cette perception
du mouvement pur. Ou d'un mouvement qui tend vers le pur, vers son état pur.

Pourquoi est-ce que... Et en effet, qu'est-ce qui nous fait dire ça ? C'est que, à s'en tenir à la
description bergsonienne des conditions de la reproduction du mouvement au cinéma, on a
l'impression qu'il y a d'une part les coupes immobiles, et d'autre part le mouvement qui entraînent
ces coupes. Le mouvement uniforme abstrait. Le temps, ce temps abstrait, homogène. Et c'est vrai
du point de vue de la projection, mais c'est pas vrai du point de vue de la perception.
Le fait de la perception cinématographique, c'est quoi ? C'est que le mouvement ne s'ajoute pas à
l'image. Le mouvement ne s'additionne pas à l'image. Il n'y a pas l'image, et puis le mouvement.
Dans les conditions artificielles que Bergson a bien déterminées, ce qui est présenté par le cinéma,
ce n'est pas une image à laquelle du mouvement s'ajouterait. C'est une image-mouvement - avec un
petit trait, avec un petit tiret. C'est une image-mouvement.

Bien sûr, c'est du mouvement reproduit, c'est-à-dire, mouvement reproduit, j'ai essayé de dire ce
que ça voulait dire, ça veut dire : perception de mouvement, ou synthèse de mouvement. C'est une
synthèse de mouvement. Seulement voilà quand je dis le mouvement ne s'ajoute pas à l'image, je
veux dire la synthèse n'est pas une synthèse intellectuelle. C'est une synthèse perceptive immédiate,
qui saisit l'image comme un mouvement. Qui saisit en un, l'image et le mouvement, c'est-à-dire je
perçois une image-mouvement. Avoir inventer l'image-mouvement, c'est ça l'acte de création du
cinéma.
Oui, Bergson a raison, parce que cela implique des conditions artificielles. Pourquoi ? On verra,
on a pas du tout dit encore pourquoi ça impliquait de telles conditions artificielles, à savoir ça
implique tout ce système de coupes immobiles instantanées, prises sur le mouvement, et leur
projection suivant en effet un temps abstrait. Mais ça, ça ne dépasse pas les conditions artificielles.
Mais ces conditions artificielles, elles conditionnent quoi ? Elles conditionnent pas une illusion ou un
artifice. Encore une fois, je ne peux pas conclure de l'artificialité de la condition à l'artificialité ou à
l'illusion du conditionné. Ce que ces conditions artificielles du cinéma rendent possible, c'est une
perception pure du mouvement que la perception naturelle, dont la perception naturelle était
absolument incapable. Cette perception pure du mouvement, nous l'exprimerons dans le concept
d'image-mouvement.

Or, merveille, est-ce que c'est contre Bergson là que je me bats comme ça ? Non, pas du tout, pas
du tout, car "Matière et mémoire" l'avait déjà dit. Car "Matière et mémoire", et c'était l'objet du
premier chapitre de "Matière et mémoire", où Bergson - donc il ne pouvait pas à ce moment là
invoquer le cinéma - nous disait à peu près ceci dans le premier chapitre, "il faut d'une manière ou
d'une autre arriver jusqu'à l'intuition suivante : l'identité de l'image, de la matière et du mouvement". Il
dit : et pour ça, pour arriver à l'identité de l'image, de la matière et du mouvement, il disait : il faut,

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c'est très curieux," il faut se débarrasser de tout savoir," il faut essayer de retrouver une attitude, qui
était pas l'attitude naïve, il disait, c'est pas l'attitude naïve, c'est pas non plus une attitude savante, il
savait pas bien comment qualifier, vous verrez en lisant le texte qui sera imprimé, il savait pas très
bien comment qualifier cette attitude très spéciale, où l'on allait pouvoir saisir cette identité bizarre de
l'image, du mouvement et de la matière. Et là, on a avancé un peu.

Voyez, ce serait le premier problème que nous poserait vraiment le cinéma, à savoir : qu'est-ce
que c'est que cette perception du mouvement, que l'on pourrait à la limite qualifier de pure, par
opposition à la perception non pure, à la perception mixte du mouvement dans les conditions
naturelles. Bon. Voilà la première thèse de Bergson, si je la résume cette première thèse sur le
mouvement, elle consiste à nous dire :
Attention, ne confondez pas le mouvement, ni avec l'espace parcouru, ni avec une succession de
coupes immobiles prises sur lui. Car le mouvement est tout à fait autre chose, il a ses articulations
naturelles, mais ses articulations naturelles sont ce par quoi un mouvement n'est pas un autre
mouvement, et les mouvements ne se réduisent à aucune mesure commune. C'est donc ce vrai
mouvement ou ce mouvement pur, ou ces mouvements purs, notre question c'était : est-ce que c'est
pas ça que nous livre la perception du cinéma ? Bon.

Deuxième thèse de Bergson. Cette deuxième thèse alors, elle va faire, elle va nous faire faire,
j'espère, un progrès très considérable. Ecoutez-moi. Vous êtes pas fatigués, hein, encore ? Parce
que là, il faut que vous fassiez, je voudrais, très, très attention parce que c'est, il me semble, une très
grande idée de Bergson. Il revient un peu en arrière, hein, et il nous dit : bon, d'accord, il y a toutes
ces tentatives car l'humanité pensante, la pensée, n'a jamais cessé de faire ça, vouloir reconstituer
le mouvement avec de l'immobile. Avec des positions, avec des instants, avec des moments, etc.
Seulement, il dit : voilà, il y a eu, dans l'histoire de la pensée, il y a eu deux manières très différentes.
Elles ont en commun toujours de, cette mauvaise chose, remarquez, là, cette chose impure,
prétendre reconstituer le mouvement à partir de ce qui n'est pas mouvement, c'est-à-dire à partir de
positions dans l'espace, de moments dans le temps, finalement à partir de coupes immobiles. Ça, de
tout temps, on l'a toujours fait. Et Bergson - ça, ça fait partie de l'orgueil des philosophes - mais
Bergson peut estimer à juste titre que il est le premier à tenter la constitution d'une pensée du
mouvement pur. Bon. Seulement, il dit : cette chose qu'on a tenté, reconstituer le mouvement avec
des positions, avec des coupes, avec des moments, dans l'histoire de la pensée, on a procédé pour
ça de deux manières très différentes. D'où tout de suite notre question avant qu'il commence : et ces
deux manières, est-ce qu'elles sont également mauvaises ? Ou est-ce qu'il y en a une moins
mauvaise que l'autre ? Qu'est-ce que c'est ces deux manières, avant tout ? Là, je crois que Bergson
écrit des textes d'une clarté, d'une rigueur, qui sont immenses. Donc, il faut que vous soyez patients,
là, que vous m'écoutiez bien.

Il dit : ben, oui, il y a par exemple une très grande différence entre la science antique et la science
moderne. Et il y aussi une très grande différence entre la philosophie antique et la philosophie
moderne. Et qu'est-ce que c'est ? Généralement, on nous dit : ah, oui, la science moderne, elle est
beaucoup plus quantitative, tandis que la science antique, c'était encore une science qualitative.
Bergson, il dit : c'est pas faux, mais enfin, c'est pas ça, ça va pas ça, c'est pas bien, c'est une idée
pas au point ça. Et lui, il se sent fort pour assigner une sorte de différence très intéressante. Il dit : eh
ben voilà, justement à propos du mouvement, il dit comment les physiciens antiques, par exemple
les grecs, mais encore au Moyen Age, tout ça, ça va se jouer au Moyen Age la naissance de la

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science moderne, et dans l'Antiquité, comment est-ce que les physiciens ou les philosophes ou
n'importe qui, traitent le mouvement ? Vous vous rappelez ?

Pour que vous suiviez bien, il faut vous rappeler la donnée de base. De toute manière, les uns
comme les autres recomposent, ou prétendent reconstituer le mouvement, avec des instants ou des
positions. Seulement voilà, les Anciens, ils prétendent reconstituer le mouvement avec des instants
privilégiés. Avec des instants privilégiés. Avec des moments privilégiés. Avec des positions
privilégiées. Comme il y a un mot grec commode, vous allez voir pourquoi j'ai besoin du mot grec
pour indiquer ces instants privilégiés, les grecs, ils emploient le mot, précisément, « position », «
thèse », « thèse », « thesis ». La position, le positionnement, la thesis. C'est le temps fort, la thesis,
c'est le temps fort par opposition au temps faible. Bon. En d'autres termes, ils prétendent reconstituer
le mouvement avec - quoi ? Il y a le mot français qui correspond exactement au mot grec thesis,
c'est le mot « pose ».

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

6- 20/01/81 - 1
Marielle Burkhalter

6- 20/01/81 - 1 Page 1/8


Gilles Deleuze Transcription Denis Lemarchand 20/01/816A

Quant aux réponses de Spinoza aux questions posées par Blyenbergh Première question Est-ce
qu'il y a du bien et du mal du point de vue de la nature ? Réponse très simple, on l'a vu, non. Pas de
bien ni de mal du point de vue de la nature pour une raison très simple c'est que dans la nature il n'y
a que des compositions de rapport. La nature c'est précisément l'ensemble infini de toutes les
compositions de rapport.

Seconde question : Mais d'un point de vue déterminé c'est à dire du point de vue de tel rapport,
puisque nous avons vu que n'étant pas des substances, finalement nous sommes des paquets de
rapports. Donc du point de vue de tels paquets de rapports, vous ou moi, est-ce qu'il y a du bien et
du mal ? Non. Mais, mais, il y a du bon et du mauvais. Le bon, c'est lorsque mon rapport se
compose avec des rapports qui conviennent, qui lui conviennent c'est à dire qui se composent
directement avec lui. Le mauvais c'est quand un de mes rapports ou totalité de mes rapports est
décomposé. J'insiste toujours puisque que c'est ça dans le but, arriver à ce lien éthique. Voyez que
l'individu ne peut pas être défini substantiellement. C'est vraiment un ensemble de rapports.

Donc il y a du bon et du mauvais, Mais, mais, est-ce que ça veut dire qu'il y un critère de
distinction du vice et de la vertu ? Remarquez que du point de vue de la nature, il n'y a pas. Il n'y a ni
vice ni vertu du point de vue de la nature, encore une fois il n'y a que des rapports qui se composent.
Mais de mon point de vue particulier, il y a bien un critère de distinction du vice et de la vertu et c'est
ça que Spinoza répond à Blyenbergh, un critère de distinction qui ne se ramène pas à mon simple
goût. Je n'appellerai pas vertu ce que j'aime bien et je n'appellerai pas vice ce que je n'aime pas. Il y
a un critère de distinction qui me fait dire : ah oui, ça c'est bon au sens de vertu, ça c'est mauvais au
sens de vice.

Quel est ce critère de distinction ? Eh bien c'est lorsque vous agissez. Il se trouve et c'est ça qui
est nouveau il me semble chez Spinoza, c'est cette analyse, ce mode d'analyse de l'action. Lorsque
vous agissez, il se trouve que votre action est associée à l'image d'une chose. Or de deux choses
l'une, l'image de chose associée à votre action est telle que ou bien votre action décompose le
rapport de cette chose, décompose directement le rapport de cette chose, ou bien se compose
directement avec le rapport de cette chose. Vous faites une action, là vous avez un critère très solide
et il me semble très très nouveau, précisément parce que ce n'est pas un critère substantiel, c'est un
critère de relation, c'est un critère de rapport. Vous faites une action, eh bien vous ne chercherez pas
dans l'action si elle est bonne ou mauvaise.

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En un sens même toute action est bonne dans la mesure où elle exprime une puissance, la
puissance de votre corps, quel qu'elle soit elle est bonne en ce sens. A moins que vous vous lanciez
dans une action qui supprime en effet, qui détruit le rapport de votre corps, c'est à dire une action
suicidaire. Mais dans la mesure où elle exprime une puissance de votre corps, elle est bonne.
Pourtant ça peut être une action perverse, vicieuse comme le meurtre de Néron, comme Néron tuant
sa mère. Bon, en quoi est-ce qu'elle est mauvaise ? C'est que cette action est associée à une image
de chose ou d'être "Clytemnestre" tel que cette action décompose directement le rapport de la
chose. Donc, le critère et là je résume juste puisqu'on l'a vu en détail la dernière fois, le critère,
comprenez, c'est un critère de... bien entendu toute action à la fois compose et décompose des
rapports. Mais ce qui nous dit c'est un critère pratique il me semble très curieux à savoir, ça
empêche pas qu'il y a une différence. De votre point de vue vous n'avez qu'une chose à vous
demander : est-ce que l'image de chose à laquelle votre action est associée est telle que
directement, cette chose est décomposée par votre action ou bien telle qu'elle se compose, tel que
son rapport se compose avec celui de votre action. Dans un cas ça sera vice dans un autre cas ça
sera vertu.

Voyez, en ce sens il y a un critère vraiment objectif du bon et du mauvais. Ce n'est pas une
question de goût. Et je reprends mon exemple là le bras levé etc. En effet, c'est un vice si vous vous
en servez pour l'associer, en associant cette action à l'image d'une chose dont le rapport sera
décomposé, par exemple quelqu'un sur la tête de qui vous tapez et si le même geste ou le geste
supposé le même vous l'associez à l'image de chose par exemple d'une membrane qui résonne
sous ..., c'est une vertu. Ça, il faudrait que ce soit relativement je veux dire faut pas que ce soit
abstrait, si ça reste abstrait, c'est que vous êtes pas spinoziste, quoi c'est pas ... mais c'est concret, il
faut ... imaginez quelqu'un qui vive comme ça, ici il s'agit bien d'un mode de vie. Seulement, je
suppose que ceci est clair, que vous avez bien compris les difficultés, on a pas fini, on n'a pas fini, de
nouvelles difficultés vont évidemment surgir. A savoir, il y a du bon et du mauvais donc en ce sens
les compositions ou les décompositions directes. Il n'y a pas de bien ni de mal. Il y a du bon et du
mauvais de mon point de vue. Ce bon et ce mauvais peuvent être définis objectivement. Il ne sont
pas simplement livrés au goût de chacun. Bien.

Mais alors en quoi est ce que ce n'est pas du bien et du mal ça ? Pourquoi ce n'est pas du bien et
du mal ? Comprenez il me semble encore une fois que bon je m'arrête un court instant parce que là
je ne fais que résumer ce qu'on a vu la dernière fois. Est ce que, est ce que il y a des questions est
ce que ou est ce que c'est très clair tout ça ? C'est très clair, parfait, parfait, parfait. Essayons alors
de progresser dans la terminologie même de Spinoza. Je voudrai que là vous sentiez en quel sens
par exemple un philosophe éprouve le besoin de fixer à certains moments quand il a des critères
d'analyse un peu nouveau de quelque chose il faut vraiment qu'il fixe terminologiquement pour
comme des repères pour un lecteur je ne sais pas quoi. Ce rapport donc ce qui va qualifier une
action comme vertueuse ou vicieuse, c'est son rapport d'association avec une image de chose.
L'image de chose en tant qu'elle s'associe à l'action en tant qu'elle est associée à l'action, il faut donc
un mot, une image de chose en tant qu'associée à une action on l'appellera une affection. L'image
de chose en tant qu'affection, en tant qu'associée à une action c'est une affection de quoi ? Pas de
l'action mais de ma puissance. C'est une affection, en latin je dis le mot latin car ça va être très
important, vous verrez plus tard pourquoi, c'est ce que Spinoza appelle "affectio" et que l'on traduit,
et qu'il faut traduire par affection. Donc, l'affection c'est exactement l'image de chose associée à une
action ou ce qui revient au même la détermination de ma puissance sous telle ou telle action.

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Alors en quel sens n'y a t il ni bien ni mal ? En ce sens nous dit Spinoza que je suis toujours aussi
parfait que je peux l'être, je suis toujours aussi parfait que je peux l'être en fonction de l'affection en
fonction des affections qui déterminent ma puissance. Je suis toujours aussi parfait que je peux l'être
en fonction des affections qui déterminent ma puissance. On reprend, vous avez bien à l'esprit
l'exemple parce que ça me paraît un exemple relativement clair. Donc voilà mon action, lever le bras
et je tape. Là dessus deux cas, il se trouve que je tape sur la tête de quelqu'un et je l'assomme donc
je décompose directement son rapport, je tape sur une membrane qui résonne là je compose
directement des rapports. C'est donc deux affections différentes en appelant affection l'image de
chose à laquelle l'action est liée. Cette image de chose elle vient d'où elle ? Spinoza est très ... à la
fois très vague et très précis, pour lui c'est du déterminisme :que à tel moment mon action soit
associée à telle image de chose plutôt qu'à telle autre ça engage tout le jeu des causes et des effets
qui fait que je suis une partie de la nature. Donc il y a tout un déterminisme externe qui explique
dans chaque cas que ce soit telle image plutôt que telle autre.

Or voilà qu'il nous dit de toute manière quelque soit l'image de chose à laquelle vous associez
votre action c'est à dire sous-entendu à laquelle vous êtes déterminé à associer votre action, bien
vous êtes toujours aussi parfait que vous pouvez l'être en fonction de l'affection que vous avez.
Voyez. Ca veut dire quoi ça ? Seulement il faut il faut se ....Vous devez sentir qu'il y a quelque chose
là que l'on tourne autour de quelque chose de très bizarre. Je suis toujours aussi parfait que je peux
l'être en fonction de l'affection que j'ai. Ca veux dire quoi ? Exemple de Spinoza même dans les
lettres à Blyenbergh. Je suis mené par un appétit bassement sensuel. Ah, vous voyez. Je suis mené
par un appétit bassement sensuel, ça veux dire quoi ? Ou bien autre cas, j'éprouve un véritable
amour, j'éprouve un véritable amour. Qu'est ce que c'est que ça ces deux cas ? Faut essayer de les
comprendre en fonction des critères que Spinoza vient de nous donner. Un appétit bassement
sensuel rien que l'expression on sent que ce n'est pas bien, c'est mauvais ça. C'est mauvais en quel
sens ? Lorsque je suis mené par un appétit bassement sensuel ça veut dire quoi ? Ca veut dire, là
dedans il y a une action ou une tendance à l'action, par exemple le désir.

Qu'est ce qui se passe pour le désir lorsque je suis mené par un appétit bassement sensuel.
C'est le désir de. Bon, qu'est ce que c'est que ce désir ? Il ne peut être qualifié que par une
association à une image de chose. Par exemple je désire une mauvaise femme. Ou pire encore, pire
encore, plusieurs. Qu'est ce que ça veut dire ? On l'a vu un peu quand il suggérait la différence entre
l'adultère tout ça. L'adultère bon. C'est que il essaiera de montrer lui. Oubliez le grotesque des
exemples mais ils ne sont pas grotesques c'est des exemples quoi. Il essaiera de montrer que dans
ce cas ce qu'il appelle désir bassement sensuel, appétit bassement sensuel, c'est ... le bassement
sensuel consiste en ceci que l'action de toute manière par exemple même faire l'amour, l'action c'est
une vertu pourquoi ? parce que c'est quelque chose que mon corps peut. Et n'oubliez pas toujours le
thème de la puissance. C'est dans la puissance de mon corps. Donc c'est une vertu en ce sens.
C'est l'expression d'une puissance.

Et si j'en restais là je n'aurai aucun moyen de distinguer l'appétit bassement sensuel du plus beau
des amours. Mais voilà quand il y a appétit bassement sensuel pourquoi ? C'est parce qu'en fait
j'associe mon action ou l'image de mon action à l'image d'une chose dont le rapport est décomposé
par cette action. De plusieurs manières différentes de toute manière par exemple si je suis marié
dans l'exemple même que prenait Spinoza, je décompose un rapport le rapport du couple ou si la

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personne est mariée je décompose le rapport du couple. Mais bien plus dans un appétit bassement
sensuel précisément je décompose toutes sortes de rapports , l'appétit bassement sensuel avec son
goût, son goût de destruction de bon on reprendrait sur les décompositions de rapports, une espèce
de fascination de la décomposition de rapports, de la destruction de rapports, bon. Au contraire dans
le plus beau des amours même là ...remarquez que je n'invoque pas du tout l'esprit ce ne serait pas
spinoziste en fonction du parallélisme. J'invoque un amour dans le cas du plus beau des amours, un
amour qui n'est pas moins corporel que l'amour le plus bassement sensuel. Simplement la différence
c'est que dans le plus beau des amours - mon action la même, exactement la même - mon action
physique, mon action corporelle est associée à une image de chose dont le rapport se combine
directement, se compose directement avec le rapport de mon action. C'est en ce sens que les deux
individus s'unissant amoureusement forment un individu qui les a tous les deux comme parties dirait
Spinoza. Au contraire dans l'amour bassement sensuel, l'un détruit l'autre, l'autre détruit l'un. C'est à
dire il y a tout un processus de décomposition de rapport. Bref il font l'amour comme s'ils se tapaient
dessus. C'est très concret tout ça. Il faut que ça marche. Seulement on se heurte toujours à ceci.

Spinoza nous dit : vous choisissez pas finalement l'image de chose à laquelle votre action est
associée. Ca engage tout un jeu de causes et effets qui vous échappe. En effet qui est ce qui fait
que vous êtes pris par exemple cet amour bassement sensuel. Il suffit pas vous pourrez pas vous
dire ah je pourrais faire autrement. Spinoza n'est pas de ceux qui croient en une volonté ... Non c'est
tout un déterminisme qui associe les images de choses aux actions. Alors, d'autant plus inquiétant la
formule je suis aussi parfait que je peux l'être en fonction des affections que j'ai. C'est à dire si je suis
dominé par un appétit bassement sensuel eh bien je suis aussi parfait que je peux l'être, aussi parfait
qu'il est possible, aussi parfait qu'il est en mon pouvoir. Et est-ce que je pourrai dire je manque d'un
état meilleur ? Spinoza semble très ferme, dans les lettres à Blyenbergh il dit je ne peux pas, je ne
peux pas dire je manque d'un état meilleur, je ne peux même pas dire ça parce que ça n'a aucun
sens. Dire au moment où j'éprouve un appétit bassement sensuel, encore une fois vous verrez dans
le texte si vous l'avez pas déjà vu cet exemple qui revient parce que Blyenbergh s'y accroche à cet
exemple en effet il est très simple il est très clair. Eh bien lorsque je dis au moment où j'éprouve un
appétit bassement sensuel je dis ah ! je manque du véritable amour, si je dis ça qu'est ce que je dis
? Qu'est ce que ça veut dire ça je manque de quelque chose ? A la lettre ça veut rien dire ça veut
absolument rien dire dit Spinoza mais rien..

Ca veut dire uniquement que mon esprit compare un état que j'ai, à un état que je n'ai pas, en
d'autre termes ce n'est pas une relation réelle c'est une comparaison de l'esprit. Une pure
comparaison de l'esprit. Et Spinoza va si loin qu'il dit : "autant dire à ce moment là que la pierre
manque de la vue, autant dire que la pierre manque de la vue". En effet, pourquoi est ce que je ne
comparerais pas la pierre à un organisme humain et au nom d'une même comparaison de l'esprit je
dirais la pierre ne voit pas donc elle manque de la vue. Et Spinoza dit formellement, je ne cherche
même pas les textes parce que vous les lirez j'espère. Spinoza répond formellement à Blyenbergh il
est aussi stupide de parler de la pierre en disant d'elle qu'elle manque de la vue qu'il serait stupide
au moment où j'éprouve un appétit bassement sensuel de dire que je manque d'un amour meilleur.
Alors à ce niveau vous comprenez c'est très.. on a l'impression ... on écoute Spinoza et on se dit
mais quoi, quand même, il y a quelque chose qui ne va pas parce que dans sa comparaison. Je
prends les deux jugements, je dis de la pierre elle ne voit pas elle manque de la vue et je dis de
quelqu'un qui éprouve un appétit bassement sensuel il manque de vertu. Est ce que mes deux
propositions sont comme prétend Spinoza du même type ? Il est tellement évident même qu'elles

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sont pas du même type qu'on peut faire confiance à Spinoza, s'il nous dit qu'elles sont du même
type, c'est qu'il veut faire de la provocation, il veut nous dire je vous met au défi, je vous met au défi
de me dire la différence entre les deux propositions. Mais la différence on la sent, on la sent.

Alors la provocation de Spinoza va nous permettre de peut être la trouver. Est ce que dans les
deux cas pour les deux propositions, "la pierre manque de la vue" ou bien Pierre, le prénom cette
fois ci, manque de vertu, est ce que la comparaison de l'esprit entre deux états, un état que j'ai et un
état que je n'ai pas, est ce que la comparaison de l'esprit est du même type ? Evidemment non,
pourquoi ? Dire que la pierre manque de vue c'est en gros dire que rien en elle ne contient la
possibilité de voir. Tandis que lorsque je dis il manque du véritable amour, ce n'est pas une
comparaison du même type puisque cette fois ci je n'exclue pas qu'à d'autres moments cet être là ait
éprouvé quelque chose qui ressemble à du véritable amour. En d'autres termes est ce qu'une
comparaison, voilà la question se précise, je vais très lentement même si avez l'impression que ça
va de soi tout ça. Est ce qu'une comparaison à l'intérieur de même être est analogue à une
comparaison entre deux êtres ? Spinoza nous dit ...

Spinoza là il ne recule pas devant le problème. II prend le cas de l'aveugle et il nous dit
tranquillement, mais encore une fois qu'est ce qu'il a dans la tête pour être en train de nous dire des
choses comme ça qui sont si manifestement ...comment dirais-je inexactes. Il nous dit eh bien vous
savez l'aveugle ne manque de rien, pourquoi, il est aussi parfait qu'il peut être en fonction des
affections qu'il a. Il est privé d'images visuelles. Bon, être aveugle c'est être privé d'images visuelles.
C'est vrai. Ca veut dire qu'il ne voit pas, mais la pierre non plus elle ne voit pas. Et il dit il n'y a
aucune différence entre l'aveugle et la pierre de ce point de vue à savoir l'un comme l'autre n'a pas
d'image visuelle. Donc il est aussi stupide, dit Spinoza, il est aussi stupide que l'aveugle, il est aussi
stupide de dire que l'aveugle manque de la vue que de dire la pierre manque de la vue. Et l'aveugle
alors ? eh bien il est aussi parfait qu'il peut être, en fonction de quoi ?

Voyez quand même Spinoza ne nous dit pas en fonction de sa puissance, il nous dit, l'aveugle
est aussi parfait qu'il peut être en fonction des affections de sa puissance c'est à dire en fonction des
images dont il est capable, en fonction des images de choses dont il est capable qui sont les
véritables affections de sa puissance. Donc ce serait tout à fait la même chose de dire la pierre n'a
pas de vue et de dire l'aveugle n'a pas de vue. Blyenbergh là commence à comprendre quelque
chose, il commence à comprendre que quand même Spinoza il... Et pourquoi, pourquoi il fait cette
espèce de provocation Spinoza ? Et Blyenbergh, là encore une fois là ça me paraît un exemple
typique à quel point les commentateurs se trompent il me semble en disant que Blyenbergh est idiot
parce que Blyenbergh là il ne rate pas Spinoza. Blyenbergh répond tout de suite à Spinoza, c'est très
joli tout ça, mais vous ne pouvez vous en tirer que si vous soutenez, il ne le dit pas sous cette forme
mais vous verrez le texte ça revient au même, que si vous soutenez une espèce d'"instantanéité
pure de l'essence". Cet intéressant comme objection, ça c'est un bonne objection. Blyenbergh
riposte vous ne pouvez assimiler : l'aveugle ne voit pas et la pierre ne voit pas. Vous ne pouvez faire
un telle assimilation que si en même temps vous posez une espèce d'instantanéité pure de
l'essence, à savoir n'appartient à une essence que l'affection présente, instantanée, qu'elle éprouve
en tant qu'elle l'éprouve. L'objection là, elle est très très forte. Si en effet je dis : n'appartient à mon
essence que l'affection que j'éprouve ici et maintenant, alors en effet je ne manque de rien, si je suis
aveugle je ne manque pas de la vue, si je suis dominé par un appétit bassement sensuel je ne
manque pas du meilleur amour, je ne manque de rien, n'appartient à mon essence en effet que

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l'affection que j'éprouve ici et maintenant. Et Spinoza répond tranquillement oui, c'est comme ça.

C'est curieux ça, qu'est ce qui est curieux ? C'est que c'est le même homme qui ne cesse pas de
nous dire l'essence est éternelle, les essences singulières c'est à dire la vôtre, la mienne tout ça,
toutes les essences sont éternelles. C'est une manière de dire que l'essence ne dure pas
remarquez, or au nom de cela... mais justement il y a deux manières de ne pas durer, à première
vue, la manière "éternité" ou la manière "instantanéité". Or c'est très curieux comment en douce il
passe de l'un à l'autre. Il commençait à nous dire : les essences sont éternelles et voilà qu'il nous dit
: les essences sont instantanées. N'appartient à mon essence ou si vous voulez, ça devient une
position très bizarre, à la lettre du texte les essences sont éternelles mais les appartenances de
l'essence sont instantanées. N'appartient à mon essence que ce que j'éprouve actuellement en tant
que je l'éprouve actuellement. Et en effet, la formule, comprenez, la formule : "je suis aussi parfait
que je peux être en fonction de l'affection qui détermine mon essence" implique ce strict
instantanéisme.

Et là, c'est contre, c'est contre ça, ça c'est presque le sommet de la correspondance parce qu'il va
se passer une chose très curieuse. Spinoza là répond ça très violemment parce qu'il s'impatiente de
plus en plus de cette correspondance. Blyenbergh là proteste, il dit :"mais enfin vous ne pouvez pas,
vous ne pouvez pas définir l'essence par l'instantanéité, qu'est ce que ça veut dire ça " ? Alors c'est
une pure instantanéité, tantôt vous avez un appétit bassement sensuel, tantôt un amour meilleur et
vous direz chaque fois que vous êtes aussi parfait que vous pouvez l'être là comme dans une série
là de vraiment de flashs. Et il dit non, en d'autres termes Blyenbergh dit : "vous ne pouvez pas
expulser le phénomène de la durée". Il y a une durée et c'est précisément en fonction de cette durée
que vous pouvez devenir meilleur, il y a un devenir, c'est en fonction de cette durée que vous pouvez
devenir meilleur ou pire. Quand vous éprouvez un appétit bassement sensuel, ce n'est pas une
instantanéité pure qui vous tombe dessus. Il faut le prendre en terme de durée à savoir vous
devenez pire que vous n'étiez avant. Et lorsque se forme en vous un amour meilleur, vous devenez
meilleur. Il y a une irréductibilité de la durée, en d'autres termes l'essence ne peut pas être mesurée
à ces états instantanés.

Or c'est curieux parce que Spinoza arrête la correspondance. Il ne répond pas, sur ce point
aucune réponse de Spinoza. Et comme en même temps là Blyenbergh fait une imprudence, c'est à
dire sentant qu'il pose à Spinoza une question importante, il se met à poser toutes sortes de
questions, il pense coincer Spinoza, Spinoza l'envoie chier quoi, lui dit allez allez, lâche moi un peu,
laisse moi tranquille. Et il coupe la correspondance, il arrête, il ne répondra plus. Si bien qu'alors on
peut, tout ça est très dramatique parce qu'on peut se dire : ah bon il n'avait rien à répondre. Et bien
si il avait à répondre parce que ...la réponse que Spinoza aurait pu faire et on est bien forcé de
conclure qu'il aurait pu la faire, donc que s'il ne l'a pas faite c'est qu'il en avait aucune envie. La
réponse qu'il ... elle est toute, elle est toute dans l‘Ethique. Donc autant sur certains points la
correspondance avec Blyenbergh va plus loin que l'Ethique, autant sur d'autres points eh bien... et
pour une raison simple je crois, c'est que Spinoza ne veut surtout pas donner à Blyenbergh là pour
des raisons qui sont les siennes, il ne veut pas donner à Blyenbergh l'idée de ce que c'est que ce
livre dont tout le monde parle à l'époque, ce livre que Spinoza éprouve le besoin de cacher parce
qu'il estime qu'il a trop à redouter. Il ne veut pas donner à Blyenbergh dont il sent que c'est un
ennemi, une idée sur ce que c'est que l'éthique. Donc il va arrêter, il arrête la correspondance. Donc
on peut considérer à cet égard qu'il a une réponse qu'il ne veut pas donner, qu'il ne veut pas donner

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parce qu'il se dit je vais encore avoir encore des ennuis. Mais nous alors c'est à nous d'essayer de
reconstituer cette réponse. Spinoza sait bien qu'il y a de la durée.

Voyez que l'on est en train de jouer maintenant avec trois termes :
éternité,
instantanéité,
durée.

Qu'est ce que c'est l'instantanéité ? l'éternité mettons, on ne sait pas encore du tout ce que c'est
chez Spinoza mais l'éternité ! Je dis c'est la modalité de l'essence, c'est la modalité propre de
l'essence. Supposons l'essence est éternelle c'est à dire elle n'est pas soumise au temps. Qu'est ce
que ça veut dire on le sait pas. Qu'est ce que c'est que instantanéité ? L'instantanéité c'est la
modalité de l'affection de l'essence. Formule : je suis toujours aussi parfait que je peux l'être en
fonction de l'affection que j'ai ici et maintenant. Donc l'affection c'est véritablement une coupe
instantanée et en effet, et en effet c'est l'espèce de relation horizontale entre une action et une image
de chose. C'est comme ci ça ferait opérer des coupes.

Mais ça n'empêche pas, troisième dimension, et c'est comme si on était en train de constituer
trois dimensions de, ce qu'on pourrait appeler la sphère, là je prends un mot qui n'est pas du tout
spinoziste mais c'est un mot là qui nous permettrait de grouper ça, un mot de Husserl, la sphère
d'appartenance de l'essence. L'essence est ce qui lui appartient. Je crois que Spinoza dirait cette
sphère d'appartenance de l'essence elle a comme trois dimensions. Il y a l'essence elle même
éternelle, il y a les affections de l'essence ici et maintenant qui sont comme autant d'instants, à
savoir ce qui m'affecte en ce moment et puis il y a quoi ? Et bien il se trouve que, et là la terminologie
est d'autant plus importante, Spinoza distingue avec beaucoup de rigueur affectio et affectus.
Compliqué parce qu'il y a beaucoup de traducteurs qui traduisent affectus affectio par affection, ça
tous les traducteurs traduisent affectio par affection ça ça va, mais beaucoup traduisent affectus par
sentiment. D'une part ça ne parle pas beaucoup en français la différence affection sentiment et
d'autre part c'est dommage puisqu'il vaut mieux même un mot un peu plus barbare mais...il vaut
mieux il me semble traduire affectus par affect puisque le mot existe en français. Ca garde au moins
la même racine commune à affectio et à affect.

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10- 17/02/81 - 1
Marielle Burkhalter

10- 17/02/81 - 1 Page 1/8


DELEUZE - SPINOZA - 17/02/81 - 1 transcription : Marielle Burkhalter

ceux qui entendront rien, vous partez parce que c'est pas ... comme je suis très malade j'ai pas
grand chose à dire, voilà ...

La dernière fois dans notre effort pour analyser les différentes dimensions de l'individualité, j'avais
essayé de développer ce thème précisément de la présence de l'infini dans la philosophie du 17ème
siècle, et comment, sous quelle forme se présentait cet infini. C'est un thème très flou, si vous voulez
et il me semble que ça vaut vraiment pour la nature de cette pensée au 17ème siècle et je voudrais
là presque en tirer des thèmes, des thèmes relativement flous toujours concernant cette conception
de l'individu, presque essayer d'ajouter des remarques concrètes pour vous faire sentir cette espèce
de conception infinitiste de l'individu. Particulièrement dans le cas de Spinoza, et là peut être
justement et c'est ce qui m'intéresse aujourd'hui que Spinoza donne une expression parfaite et
comme poussée jusqu'au bout de thèmes épars chez d'autres auteurs du 17ème siècle. Dans toutes
ses dimensions, l'individu tel que le présente Spinoza, j'aurai envie de dire trois choses.

D'une part, il est rapport, d'autre part, il est puissance, et enfin il est dés lors, mode. Mais un
mode très particulier. Un mode qu'on pourrait appeler mode intrinsèque," mode intrinsèque". Et au
moins au début d'aujourd'hui, c'est ce que je voudrais expliquer : ces trois thèmes : l'individu, pour
fixer des mots en latin parce que c'est des termes qui réapparaissent beaucoup dans les
philosophies du Moyen âge, de la Rennaissance, je dirai que l'individu en tant que rapport nous
renvoie à tout un plan qui peut être désigné sous le nom de la composition (compositio). Comme si
dès lors, tout l'individu étant rapport, il y avait une composition des individus entre eux, et
l'individuation n'était pas séparable de ce mouvement de la composition.

Deuxième point, il est est puissance (potentiae). Ce serait le second grand concept de
l'individualité. Non plus la compositio qui renvoie aux rapports, mais la potentiae. Le troisième étant
potentiae, il est quelquechose de très spécial qui recevra le nom en effet chez quelques philosophes
du moyen age, qui avait reçu le nom de mode intrinsèque. modus intrinsecus Le modus intrinsecus
vous le retrouvez très souvent au moyen âge, dans certaines traditions, sous le nom de gradus.
C'est le degré. Le mode intrinsèque ou le degré.
C'est donc chacun de ces trois domaines : rapport et composition de rapports, puissance, degré
ou mode intrinsèque que je voudrais un peu essayer de définir le plus possible.

Je dis d'abord : Voyez bien qu'il y a quelque chose de commun à ces trois thèmes : c'est par là et
c'est sous ces trois termes à la fois que l'individu n'est pas substance. S'il est rapport il n'est pas

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substance parce que la substance concerne un terme et non pas un rapport. La substance elle est
comme ils disent au moyen age, le latin est trés commode là : elle est terminus, elle est un terme. S'il
est puissance il n'est pas substance non plus parce que ce qui est substance fondamentalement
c'est la forme. C'est la forme qui est dite substantielle. Et enfin, s'il est degré il n'est pas substance
non plus. pourquoi ? car tout degré renvoie à une qualité qu'elle gradue, tout degré est degré d'une
qualité. Or, ce qui détermine une substance c'est une qualité, mais le degré d'une qualité n'est pas
substance.

Vous voyez que tout ça tourne autour de la même intuition de l'individu comme n'étant pas
substance. Je commence par le premier caractère. L'individu est rapport. C'est peut-être une des
premières fois, il me semble, dans l'histoire de l'individu que va se dessiner une tentative pour
penser le rapport à l'état pur. Mais qu'est-ce que ça veut dire penser le rapport à l'état pur ? Est-il
possible, d'une certaine manière, de penser le rapport indépendamment de ses termes ? le rapport à
l'état pur serait indépendant de ses termes. Qu'est-ce que ça veut dire un rapport indépendant de
ses termes ? Il y avait déjà eu une tentative assez forte chez un grand philosophe de la Renaissance
dont on a un peu parlé pour évoquer son nom : à savoir chez Nicolas de Cuses. Dans beaucoup de
ses textes que je trouve vraiment très beaux, il y a eu une idée qui tellement sera reprise ensuite. Il
me semble que c'est chez lui qu'elle apparaît fondamentalement, à savoir que tout rapport est
mesure, seulement que toute mesure, c'est à dire tout rapport plonge dans l'infini. Il s'occupait , le
Cardinal de Cuzes il s'occupait beaucoup de la mesure des poids, de la pesée, il a des pages très
bizarres en tant que la mesure relative de deux poids renvoie à une mesure absolue, et que la
mesure absolue, elle, met toujours en jeu l'infini. C'est le thème qu'il y a une immanence du rapport
pur et de l'infini. On entend par rapport pur le rapport séparé de ses termes. Donc c'est pour cela que
c'est tellement difficile de penser le rapport indépendamment de ses termes. Ce n'est pas parce que
c'est impossible, mais parce que ça met en jeu une immanence mutuelle de l'infini et du rapport.

Ou'est ce ça veut dire ça ? comme si à ce moment là on pouvait définir l'intellect, comme la


faculté de poser des rapports. Précisément dans l'activité dite intellectuelle il y a une espèce d'infini
qui est impliqué. C'est au niveau du rapport que se ferait l'implication de l'infini par l'activité
intellectuelle. Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Sans doute est ce qu'il faut attendre le 17ème siècle
pour trouver un premier statut, je ne dis pas que l'on s'en tiendra là, mais un premier statut du
rapport indépendant de ses termes. Car ce que beaucoup de philosophes cherchaient dès la
Renaissance, y compris avec les moyens mathématiques dont ils disposaient, ça va être porté à une
première perfection au 17ème siècle grâce précisemment au calcul infinitésimal.

En quoi, là je voudrais dire des choses très simples qui n'engage absolument rien de vos
connaissances en mathématiques, même si vous n'en avez aucune vous vous devez comprendre
ceci : Le calcul infinitésimal met en jeu un certain type de rapport. Ma question est quel type de
rapport arrive au jour avec le calcul infénisitimal ? et qui sans doute était préssenti avant gràce à des
méthodes d'exhaustion qui était comme une préfiguration du calcul infinitésimal. Le rapport auquel le
calcul infinitésimal donne un statut solide, en tout cas apparemment solide, c'est ce qu'on appelle un
rapport différentiel, et un rapport différentiel est du type dy/dx =, égale quoi on va voir. dy/dx =
Comment définir ce rapport dy/dx = ? Encore un fois je ne fais appel à rien , aucune connaissance
mathématique donc que tout le monde doit comprendre. Ce qu'on appelle dy c'est une quantité
infiniment petite, ou comme ce sera nommé, une quantité évanouissante. Une quantité plus petite
que toute quantité donnée ou donnable. Quelle que soit la quantité que vous vous donnez dy, c'est à

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dire quel ce soit la quantité de y que vous vous donnez, quelque soit la valeur de y considéré, dy
sera plus petit que cette valeur si loin que vous alliez. Donc je peux dire dy en tant que quantité
évanouissante est strictement égal à zéro par rapport à y. De la même manière dx est strictement
égal à zéro par rapport à x. dy est la quantité évanouissante de y, dx est la quantité évanouissante
de x. Donc, je peux écrire, et les mathématiciens écrivent dy/dx = 0/0. C'est le rapport différentiel.
vous me suivez ? Si j'appelle y une quantité des abscisses, et x une quantité des ordonnées, je dirais
que dy=0 par rapport aux abscisses, dx=0 par rapport aux ordonnées. Voilà la question. Là dessus
vous comprenez ça, bon trés bien, c'est pas difficile dy/dx = 0 est-ce que c'est égal à zéro ?
Évidemment non. dy n'est rien par rapport à y, dx n'est rien par rapport à x, mais dy sur dx ne
s'annule pas. Le rapport subsiste et le rapport différentiel se présentera comme la subsistance du
rapport quand les termes s'évanouissent. Ils ont trouvé - là c'est très important - ils ont trouvé l'outil
mathématique et même quand ils le traitent uniquement comme convention, ils ont fondé la
convention mathématique qui leur permet de traiter des rapports indépendamment de leurs termes.
Or quelle est cette convention mathématique ? Je résume : c'est l'infiniment petit. Voilà en quoi je
peux dire : le rapport pur implique nécessairement l'infini sous la forme de l'infiniment petit car le
rapport pur ce sera le rapport différentiel entre quantités infiniment petites. C'est au niveau du rapport
différentiel qu'est exprimée à l'état pur, l'immanence réciproque de l'infini et du rapport. si vous
comprenez ça vous avez presque tout compris. je dis dy/dx = 0/0 mais 0 ce n'est pas zéro. En effet,
ce qui subsiste lorsque y et x s'annulent sous forme dy et dx, ce qui subsiste c'est le rapport dy/dx
qui lui, n'est pas rien. Or ce rapport dy/dx, qu'est-ce qu'il désigne ? A quoi est-ce qu'il est égal ?
Mettons pour procéder vraiment très simple - mais justement c'est ce que je souhaite. On dira
dy/dx égal z, c'est à dire qu'il ne concerne rien de y ni de x, puisque c'est y et x sous forme de
quantités évanouissantes. je veux dire quoi ? rapport tout simple. Quand vous avez un rapport dy/dx
dégagé à partir du cercle, ce rapport dy/dx = 0/0 ne concerne rien du cercle, mais renvoie à une
tangente dite trigonométrique. Peu m'importe, vous n'avez pas besoin de comprendre quoi que ce
soit. Vous comprenez juste : dy/dx = z c'est à dire le rapport qui est indépendant de ses termes va
désigner un troisième terme et va servir à la mesure et à la détermination d'un troisième terme : la
tangente trigonométrique. Je peux dire en ce sens que, voyez, le rapport infini, c'est à dire le rapport
entre infiniment petit, renvoie à quelque chose de fini. L'immanence mutuelle de l'infini et du rapport
est dans le fini. C'est dans le fini lui-même qu'il y a immanence du rapport et de l'infiniment petit.

Pour réunir ces trois termes, le rapport pur, l'infini et le fini, je dirais quoi ? je dirais le rapport
différentiel dy/dx tend vers une limite, cette limite c'est z, il tend vers la limite z, c'est à dire la
détermination de la tangente trigonométrique. D'accord ? Il faudrait que ce soit très clair. Si vous
acceptez On est vraiment dans un noeud de notions d'une extraordinaire richesse. Lorsque, après,
les mathématiciens diront : oh non, interpréter le calcul infinitésimal par l'infiniment petit, c'est
barbare, que ce n'est pas ça, ils ont rien compris, bien sur ils ont raison d'un certain point de vue,
mais c'est tellement mal posé le problème. Le fait est que le 17ème siècle, par son interprétation du
calcul infinitésimal, trouve un moyen de souder trois concepts clé, à la fois pour les mathématiques
et pour la philosophie.

Ces trois concepts clé, ce sont les concepts d'infini, de rapport et de limite. Donc si j'extraie une
formule de l'infini du 17ème siècle, je dirais : quelque chose de fini comporte une infinité sous un
certain rapport. Cette formule peut paraître toute plate : quelque chose de fini comporte l'infini sous
un certain rapport, en fait elle est extraordinairement originale. Elle marque précisément un point
d'équilibre de la pensée du 17ème siècle, entre le fini et l'infini, par une théorie nouvelle des

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rapports. Alors quand ces types ensuite considèrent comme allant de soi que, dans la moindre
dimension finie, il y a l'infini ; vous comprenez quand dès lors ils parlent de l'existence de Dieu tout le
temps, - mais c'est beaucoup plus intéressant qu'on ne croit -, il ne s'agit finalement pas de Dieu, il
s'agit de la richesse de cette implication de concepts : rapport, infini, limite. Voyez ? ce serait mon
premier point : En quoi l'individu est-il rapport ?

Evidemment l'individu fini Vous allez retrouver au niveau de l'individu fini mais bien sur il y a une
limite. Ça n'empêche pas qu'il y ait de l'infini, ça n'empêche pas qu'il y a un rapport et que ce rapport
se compose, que les rapports d'un individu se composent avec un autre ; et il y a toujours une limite
qui marque la finitude de l'individu, et il y a toujours un infini d'un certain ordre qui est engagé par le
rapport. C'est une drôle de vision du monde si vous consentez à en faire une vision du monde. Ils ne
pensaient pas seulement comme ça, ils voyaient comme ça. C'était leur goût à eux, c'était leur
manière de traiter les choses. Alors vous comprenez pourquoi ce n'est pas par assimilation facile
que quand ils voient que les histoires de microscopes se montent, ils y voient une confirmation : le
microscope c'est l'instrument à nous donner un pressentiment sensible - là ils ne sont pas idiots- un
pressentiment sensible et confus de cette activité de l'infini sous tout rapport fini.

- Et le texte de Pascal sur les infinis qui est un texte extrêmement simple, là aussi c'est un grand
mathématicien, mais lorsqu'il essaie de faire comprendre la manière dont ils voient le monde, ils ont
pas besoin de tout leur savoir mathématique, les deux se confortent, les deux s'appuie l'un l'autre.
Alors Pascal peut faire son texte sur les deux infinis sans aucune référence à quoi que ce soit de
mathématique. Il aurait pu le faire en mathématicien, son texte. Il a pas besoin parce qu'il dit des
choses extrêmement simples mais extrêmement originales. Et, en effet, l'originalité c'est dans cette
manière de souder trois concepts qui à première vue dont le lien ne va pas de soi et puis au 17ème
siècle, voilà qu'ils veulent montrer que le lien est nécessaire. encore une fois : rapport , limite, infini.
Bon, repos... si vous n'avez pas compris ça je recommence. C'est essentiel, essentiel

il faudrait que vous saisissiez que ça fait quand même un drôle de monde. Pour nous, notamment
c'est vrai on ne pense plus comme ça. Mais quelle joie ! je crois que l'on ne pense plus exactement
comme ça. Nous c'est à force de ne rien savoir en mathématiques qu'on peut comprendre ce que je
dis. Eux c'est à force d'en savoir en mathématiques qu'ils arrivaient à comprendre ça. Ca ne veut pas
dire que c'est nous qui avons raison. Ce qui a changé évidemment tout un système de
mathématiques comme conventions, mais ça n'a changé que si vous comprenez que les
mathématiques modernes pointent aussi leurs concepts sur des ensembles de notions, des
implications de notions d'un autre type, mais également originales. Voilà dois je recommencer ?
devrais je recommencer ?

(suite à une remarque).. ce serait bien ça ce serait un éclaircissement attends laisse moi réfléchir :
est que l'on peut dire que la limite c'est à dire le fini est la raison de connaissance et l'infini est la
raison d'être, du rapport lui même. Oui ce serait trés clair Oui on dirait la limite vers laquelle tend le
rapport c'est la raison de connaître le rapport comme indépendant de ses termes, c'est à dire dx et
dy, et l'infini, l'infiniment petit, c'est la raison d'être du rapport ; en effet, c'est la raison d'être de dy/dx.
On peut le dire absolument. est ce qu'ils le disent ? attendez oui, ils le disent pas si bien, pas si
clairement. Oui Ils le disent forcément : La formule de Descartes : l'infini conçu et pas compris. On ne
comprend pas l'infini parce qu'il est incompréhensible, mais on le conçoit. C'est la grande formule de
Descartes : on peut le concevoir clairement et distinctement, mais le comprendre c'est autre chose.

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Donc, on le conçoit, il y a une raison de connaissance de l'infini. Il y a une raison de connaître qui est
distincte de la raison d'être. Comprendre, ce serait saisir la raison d'être, mais nous on ne peut pas
saisir la raison d'être de l'infini parce que il faudrait être adéquat à Dieu ; or, notre entendement est
seulement fini. En revanche, on peut concevoir l'infini, le concevoir clairement et distinctement, donc
on a une raison de le connaître. Tout à fait Bien je dis : Il faut vraiment que ce soit limpide parce que
mon second point va tellement dépendre de ça que ..

Si je me permet d'insister encore une fois. Il faudrait que la philosophie conquiert enfin ses
exercices pratiques. Les exercices pratiques en philosophie ce devraient être des expériences de
pensée. Les allemands ont formé la notion d'expériences de pensée : ça veut dire à la lettre des
expériences que l'on ne peut faire que par la pensée. Cela ne veut pas dire des expériences
intérieures ni psychologiques, ce serait très curieux. là ce serait la titre d'un exercice pratique 12 par
exemple. Ce serait comme ça que l'on pourrait rétablir les notes en philosophie. Ce serait pour la
prochaine fois : construisez un motif, pas une figure parce qu'une figure c'est quelque chose de
sensible, construisez un motif quelconque à votre choix qui réunisse les trois thèmes de l'infini du
rapport et de la limite au besoin dessinez le. Ce serait une expérience de pensée . Vous ne voulez
pas ça ? si vous voulez cette UV, pour la semaine prochaine

Je signale que cette semaine c'est la dernière semaine ou je reçois des petites fiches pour l' UV est
ce que ça y est vraiment ? je n'ai pas besoin de revenir la dessus ? dommage

Passons hélas au second point. Voyez comme il s'enchaîne avec le premier car j'ai du évoquer la
notion de limite. J'ai du invoquer la notion de limite. En effet, pour rendre compte de l'immanence de
l'infini dans le rapport,- encore une fois plus je répète ça plus je me dis, mais en effet c'est très
important la thèse selon laquelle il y a une immanence d e l'infini dans le rapport- je reviens à mon
premièrement pour vous faite sentir l'importance La logique des rapports, des relations, est une
chose fondamentale pour la philosophie, et hélas, la philosophie française ne s'est jamais très
intéressée à cet aspect. Mais la logique des relations ça a été une des grandes créations des anglais
et des américains. Mais je dirais il y a eu deux stades. Le premier stade est anglo-saxon, c'est la
logique des relations telle qu'elle se fait à partir de Russel, à la fin du 19ème siècle, début 20ème.
Or, cette logique des relations prétend se fonder sur ceci : l'indépendance du rapport par rapport à
ses termes, mais cette indépendance, cette autonomie du rapport par rapport à ses termes se fonde
sur des considérations finies. Elles se fondent sur un finitisme. Russel a même une période atomiste
pour développer sa logique des relations.

Ce que je veux dire : Ce stade avait été préparé par un stade très différent. Je dirais le grand
stade classique de la théorie des rapports ce n'est pas comme on dit ; on dit qu'avant ils
confondaient logique des relations et logique d'attribution. ils confondaient les deux types de
jugement : les jugements de relation (Pierre est plus petit que Paul), et les jugements d'attribution
(Pierre est jaune ou blanc ou rouge ), donc ils n'avaient pas conscience des rapports. Ce n'est pas
du tout ça. Dans la pensée dite classique, il y a une prise de conscience fondamentale de
l'indépendance du rapport par rapport aux relations, seulement cette prise de conscience passe par
l'infini. La pensée du rapport en tant que pur rapport ne peut se faire que par référence et par appel à
l'infini. C'est là une des grandes originalités du 17ème siècle. Alors je reviens à mon second thème :
l'individu est puissance. là je viens de commenter très vaguement , de donner comme le ton de la
formule : l'individu est rapport, l'individu n'est pas substance il est rapport mon second terme c'était :

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- L'individu n'est pas forme, il est puissance. Pourquoi ça s'enchaîne ? C'est que ce que je viens de
dire sur le rapport différentiel 0/0 n'est pas égal à zéro, mais tend vers une limite. je dis
immédiatement : considérez que lorsque vous dites ça, lorsque vous lancez le concept très
particulier que les mathématiciens plus tard dénonceront Est ce qu'ils avaient raison de le dénoncer
? Est ce que cela ne reste pas un concept philosophique fondamental. Lorsque les philosophes et
les mathématiciens du 17ème lancent ce thème de tendre vers une limite. la tension vers une limite,
toute cette idée de la tendance au 17ème siècle, que vous retrouvez chez Spinoza au niveau d'un
concept spinoziste, celui de conatus. Chaque chose tend à persévérer dans son être. Chaque chose
s'efforce. S'efforcer en latin, ça se dit conor, l'effort ou la tendance, le conatus. Voilà que la notion de
limite est définie en fonction d'un effort, et la puissance c'est la tendance même ou l'effort même en
tant qu'il tend vers une limite. C'est donc, nous nous trouvons devant encore un nouveau concept, je
voudrais que vous sentiez à quel point tous ces concepts sont liés du point de vue d'une création
conceptuelle. Tendre vers une limite c'est çà la puissance. Concrètement on vivra comme puissance
tout ce qui est saisi sous l'aspect de tendre vers une limite.

Si la limite est saisie à partir de la notion de puissance, à savoir tendre vers une limite, en termes
de calcul infinitésimal tout rudimentaire, de vulgarisation, le polygone qui multiplie ses côtés tend
vers une limite qui est la ligne courbe. La limite c'est précisément le moment où la ligne angulaire, à
force de multiplier ses côtés,- est ce qu'on peut dire rejoint , non puisque c'est à l'infini- mais tension
vers une limite . C'est donc la tension vers une limite qui maintenant implique l'infini. Le polygone, en
tant qu'il multiplie ses côtés à l'infini, tend vers le cercle. Je dis et je voudrais presque rêver devant
vous exactement comme pour le thème précédent. Quel changement dans la notion de limite ça fait
intervenir ? La limite c'était une notion bien connue. On ne parlait pas de tendre vers une limite. La
limite c'est un concept philosophique - clé. Toujours dans mon effort pour que notre travail vous
serve un peu à voir qu'est ce qui intervient comme création en philosophie, je prends ça à nouveau
comme lieu d'une création de concept. Par exemple se fait une véritable mutation du point de vue de
la pensée dans la manière de penser un concept. Limite, qu'est-ce que c'était ? Les Grecs ont un
mot et je le cite en même temps des mots étrangers parce que c'est très utile parfois dans un texte
on le voit écrit en grec ce mot parce qu'il est très important dans la philosophie grecque, c'est
"peras". Péras en grec ancien, c'est la limite. Mais qu'est ce qu'ils appellent limite au plus simple. Il y
a toutes sortes de théories de la limite et même Platon fera une grande théorie de la limite.Tiens
Platon fait une grande théorie de la limite. Il faut s'y interesser.

Mon objet vous le voyez bien pour que vous suiviez bien c'est de m'interroger sur cette
conception de la limite avant le 17ème siècle qui était evidemment d'une tout autre nature. Or c'est
tout simple si compliquée que soit la théorie de Platon, il y a un point que tout le monde peut
comprendre qu'est ce qu'ils appellent des limites les géomètres à ce moment là la limite c'est les
contours. C'est des points, c'est des termes. Les géomètres. La limite c'est un terme, terminus. Un
volume a pour limite des surfaces. Par exemple, un cube est limité par quatre carrés. Six carrés.
Quelque chose me gênait : six carrés. Voilà ouf ! Un segment de droite est limité par deux points.
Voilà je ne m'aventure pas plus loin. Platon dans un ouvrage très beau qui s'appelle "le Timée" fait
une grande théorie des figures et de leurs limites conçues comme contours. Et pourquoi cette
conception de la limite comme contour peut être considérée comme à la base de ce qu'on pourrait
appeler une certaine forme d'idéalisme ? Suivez moi bien, forcément cela se concilie très bien : La
limite c'est le contour de la forme, que la forme soit purement pensée ou qu'elle soit sensible, de

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toutes manières on appellera limite le contour de la forme, et ça se concilie très bien avec un
idéalisme parce que, si la limite c'est le contour de la forme, après tout et à la limite, qu'est-ce que ça
peut me faire ce qu'il y a entre les limites ? Que je mette du sable,du bronze ou de la matière
pensée, de la matière intelligible, entre mes limites, ce sera toujours un cube, ce sera toujours un
cercle.

En d'autres termes, l'essence c'est la forme même rapportée à son contour. Je pourrais parler du
cercle pur parce qu'il y a un pur contour du cercle. Je pourrais parler d'un cube pur, sans préciser de
quoi il s'agit. Et je les nommerais idée du cercle, idée du cube. D'où l'importance de cette conception
du peras-contour dans la philosophie de Platon où l'idée ce sera très exactement - très exactement
non parce que c'est tellement plus compliqué que ce que je dis, j'en tire un tout petit truc - la forme
rapportée à son contour intelligible. En d'autres termes, dans l'idée de la limite-contour, la
philosophie grecque trouve une confirmation très fondamentale pour sa propre abstraction. Non pas
qu'elle soit plus abstraite qu'une autre philosophie, mais elle voit la justification de l'abstraction, telle
qu'elle la conçoit, à savoir l'abstraction des idées.

Je viens de dégager la conséquence philosophique de cette idée de la limite - contour. L'individu


ce sera dès lors la forme rapportée à son contour. Si je cherche sur quoi s'applique concrètement
une telle conception, je dirais, à propos de la peinture par exemple, je dirais que la forme rapportée à
son contour, c'est par excellence un monde sensible de type tactile-optique. La forme optique est
rapportée, ne serait-ce que par l'oeil, ne serait ce indirectement, à un contour tactile. Alors ça peut
être le doigt de l'esprit pur, le contour a forcément une espèce de référence tactile, et si on parle du
cercle comme pure idée ou du cube comme pure idée, dans la mesure où on le définit par son
contour et on rapporte la forme intelligible à un contour, il y a une référence - si indirecte qu'elle soit
-, à une détermination tactile. Il est complètement faux une fois de plus de définir le monde grec
comme le monde de la lumière, c'est un monde optique bien sûr, c'est même ça qu'ils ont découvert,
ils ont amené en arts, en philosophie une monde optique mais pas du tout un monde optique pur. Le
monde optique que la Grèce promeut est déjà suffisamment attesté par le mot dont ils se servent
pour parler de l'idée : EIDOS. Eidos c'est un terme qui renvoie à la visualité, qui renvoie au visible.
La vue de l'esprit ; mais cette vue de l'esprit n'est pas purement optique. Elle est optique-tactile.
Pourquoi ? Parce que la forme visible est rapportée, ne serait-ce qu'indirectement, au contour tactile.

Et l'expérience pratique ce n'est pas étonnant que quelqu'un qui réagira contre l'idéalisme
platonicien, au nom d'une certaine inspiration technologique, c'est Aristote. Mais si vous considérez
Aristote, là la référence tactile du monde optique grec apparaît de toute évidence dans une théorie
toute simple qui consiste à dire que la substance, ou du moins les substances sensibles sont un
composé de forme et de matière, et c'est la forme qui est l'essentiel. Et la forme est rapportée à son
contour, et l'expérience constamment, assez constamment invoquée par Aristote c'est le sculpteur.
La statuaire a la plus grande importance dans ce monde optique ; c'est un monde optique mais de
sculpture, c'est à dire où la forme optique est déterminée en fonction ne serait ce qu'indirecte d'un
contour tactile. Tout se passe comme si la forme visible était impensable hors d'un "moule" tactile.
Ça c'est l'équilibre grec. C'est l'équilibre grec tactilo-optique.C'est son équilibre à lui...

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 17/02/81 - 2
Marielle Burkhalter

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Gilles deleuze - Spinoza cours 10 du 17/02/81 - 2 transcription : Vanessa Soubiran

- Georges Comtesse : la possibilité même de voir l'eïdos comme conditionné par la séparation de
l'âme et du corps sensible...

Gilles Deleuze- oui ah ben non je croyais que tu m'avais.. c'est peut être que j'ai été trop vite... je
veux dire ça c'est la lettre du texte, tu as complètement raison.. L'eidos est saisie par l'âme. et ça
nous dit encore rien. L'eidos, l'idée pure n'est évidemment saisissable que par l'âme pure. Ma
question est tout à fait autre.. A savoir que comme l'âme pure, nous ne pouvons en parler, selon
Platon lui-même, que par analogie vu que notre âme, nous ne l'expérimentons qu'en tant qu'elle est
liée à un corps, nous ne pouvons en parler que par analogie. Donc, du point de vue de l'analogie,
j'aurais toujours à me dire : d'accord, c'est l'âme pure qui saisit l'idée pure. Rien de corporel là
dedans. C'est une saisie purement intellectuelle ou spirituelle. Mais cette âme pure qui saisit l'idée,
est-ce qu'elle procède à la manière d'un oeil - "à la manière de" - ou est-ce qu'elle procède aussi à la
manière d'un toucher ? Toucher qui serait alors purement spirituel, tout comme "oeil" qui serait
purement spirituel.

Cet oeil c'est le troisième oeil. tout comme ce toucher ce serait le onzième doigt. Ce serait
"manière de dire", mais il faut bien l'analogie. Il faut bien à Platon des raisonnements analogiques.
Alors toute ma remarque consiste à dire : l'âme pure elle n'a pas plus, en toute réalité, d'oeil que de
toucher, elle est en rapport avec les idées. tu as complètement raison mais ça n'empêche pas que le
philosophe, pour parler précisément de cette appréhension de l'idée par l'âme, doit se demander
quel est le rôle - on dirait, toujours pour parler grec - d'un analogon d'oeil et d'un analogon de toucher
? Un analogue d'oeil et de toucher dans la saisie de l'idée. A quoi je réponds. Il y a bien ces deux
analogues car l'idée est constamment dit vue par l'âme encore que l'âme n'est pas Dieu mais en
même temps, cette idée pure forme vue par l'âme, n'est vue par l'âme que dans la mesure ou elle se
réfère aussi à un contour qui est élément constituant de la forme vue et ce contour renvoie à un
analogue de toucher.
d'accord ? pas tout à fait ?
Comtesse : la limite ce n'est pas simplement le contour, c'est aussi la force qui contient
(inaudible) que Platon ressent comme une puissance démoniaque, (inaudible - GDon est d'accord la
puissance terrifiante qui a provoque l'union mortelle du corps et de l'âme dont la philosophie est la
séparation..

- Oui mais alors tu me dépasses en me donnant encore plus raison que je n'aurais voulu avoir
raison. Cela revient à dire attention ; Platon a un pressentiment d'une toute conception de la limite

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qui ne serait plus la limite contour mais elle précisément elle lui parait plus ou moins démoniaque ;
tout dépend des textes -d'accord - et c'est ce monde qu'il faut à la fois conjurer et comtempler il s'en
sauvera par le contour même si il y a chez lui des textes qui prépare une tout autre conception de la
limite je croyais que tu allais foncer là dessus par que c'est très important là Comtesse il vient de me
donner un exemple où il corrige de lui même ce que je dis. En effet c'est tellement plus compliqué ?
d'accord je ne dis pas une vérité absolue mais ce qui me parait une tendance de cette pensée
grecque. Mais c'est toujours plus compliqué que ce que l'on dit. C'est ça cette conception de

Ça c'était la première conception de la limite-contour. Or qu'est-ce qu'il se passe lorsque, pour


que quelques siècles plus tard, on se fasse de la limite une tout autre conception, et que les signes
les plus divers nous en viennent ? nous en viennent de tous les côtés si bien que je numérote mes
exemples :

Premier exemple avec les stoïciens Premier exemple. Les stoïciens s'en prennent très
violemment d'après les textes d'eux qui nous restent, à Platon s'en prennent violemment à patonet je
vous demande dans tous les exemples que je vais prendre d'avoir vous, en arrière pensée que peut
être ça va culminé tous ces courants avec Spinoza. Premier exemple les stoiciens. Les stoïciens, ce
ne sont pas les Grecs, ils sont au pourtour du monde grec. On pourrait toujours raffiner et dire que
ça va être important. Ils sont sur les contours du monde Grec. Et ce monde grec a beaucoup changé
aussi, il a tellement crevé à la lettre sous le thème de la rivalité des cités déterminéesque il y a eu le
rève d'Alexandre Il y a eu un problème du monde grec, comment faire le monde grec ? c'était autre
chose que comment faire l'Europe chez les grecs, ça engageait plein de choses, on ne peut pas
comprendre Aristote ou les neo-platoniciens si vous n'avez pas de vagues idées sur tout ce qui se
passe dans l'histoire à ce moment là.

Voilà que ces stoïciens qui sont à peine des grecs qui sont à moitié des barbares, qui sont
vraiment des drôles de gens ces stoîciens, attaquent Platon, et à partir de quoi ? pourtant c'est pas
que Platon manquait d'idées déjà venues de L'Orient, c'étaient pas les mêmes faut croire, ou alors il
y a un nouveau flux oriental. il y a un grand auteur allemand qui a fait un livre qui est une merveille et
qui s'appelle "la Grèce entre les bras de l'orient", pour désigner cette époque, cette époque qui
commence avec l'ancien stoïcisme. C'est un beau titre :"la grèce entre les bras de l'orient" Ces grecs
pas grecs, ces stoiciens qu'est ce qu'ils disent ?
Les stoïciens nous disent c'est bizarre, Platon et les Idées, ce n'est pas cela qu'il nous faut, c'est
une conception insoutenable. Finalement ils disent, le contour de quelque chose qu'est-ce que c'est
? C'est du non-etre disent les stoiciens. Le contour de quelque chose, c'est l'endroit où la chose
cesse d'être. Le contour du carré ce n'est pas du tout là où est le carré. Vous voyez comme c'est fort
comme objection. Les grandes objections elles sont touours trés simples. Ils prennent à la lettre ce
platonisme que j'ai esquissé très sommaire, à savoir : la forme intelligible c'est la forme rapportée à
un pacte spirituel, c'est à dire c'est la figure rapportée au contour. Ou bien l'expérience du sculpteur
Ils diront aussi bien, contre Aristote, mais l'exemple du sculpteur c'est complètement artificiel, le
moule du sculpteur. C'est pas naturel ! La nature n'a jamais procédé par moulage. Ce qui a l'air très
simple mais ce qui est fort, quand on arrive à dire de quelqu'un : ah bien oui il prend des exemples
mais ces exemples ne sont pas pertinents. Si on veut comprendre quelque chose aux problèmes de
limites, on ne peut pas prendre le cas du sculpteur puisque le problème du sculpteur c'est un
problème de pur artifice à savoir mouler quelque chose. Dans quel cas est-ce que la nature procède
avec des moules ? elle procède pas avec des moules la nature il faudrait les compter, c'est sûrement

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dans les phénomènes superficiels que la nature procède avec des moules.
Ce sont des phénomènes dits superficiels précisément parce qu'ils affectent les surfaces, mais la
nature, en profondeur, ne procède pas avec des moules. Par exemple quand j'ai le bonheur d'avoir
un enfant qui me ressemble, Je n'ai pas envoyé un moule. Remarquez que des biologistes se sont
accrochés à l'idée du moule, jusqu'au 18ème siècle. Ils ont insisté sur le spermatozoïde analogue à
un moule, ce n'est pas bien raisonnable. Buffon là-dessus avait de grandes idées ; tiens ça me fait
dériver mais ça fait rien : il disait que si l'on veut comprendre quelque chose à la production du
vivant, il faudrait s'élever jusqu'à l'idée d'un moule intérieur. Formidable ça ! Le concept de Buffon
"moule intérieur" pourrait nous servir. Ça veut dire quoi ? C'est gênant parce qu'on pourrait aussi
bien parler d'une surface massive. Il dit que le moule intérieur c'est un concept contradictoire. Il y a
des cas où on est forcé de penser par concept contradictoire. Le moule, par définition, il est
extérieur. Il concerne les surfaces. On ne moule pas l'intérieur. Si vous moulez l'intérieur c'est que
vous avez mis l'intérieur à l'extérieur C'est dire que, pour le vivant déjà, le thème du moule ne
marche pas. Pourtant il y a bien une limite du vivant. Les stoïciens sont en train de tenir quelque
chose de très fort, la vie ne procède pas par moulage. Aristote a pris des exemples artificiels. Et sur
Platon ils se déchaînent encore plus sauvages, les stoïciens : ils disent mais vous comprenez l'idée
du carré, comme si c'était sans importance que le carré soit fait en bois, ou en marbre, ou en ce que
vous voulez. Mais ça compte beaucoup. C'est un sale truc, disent les stoïciens Quand on définit une
figure par ses contours, à ce moment là tout ce qui se passe à l'intérieur c'est pareil. C'est à cause
de ça, disent les stoïciens, que Platon a pu abstraire l'idée pure. Ils dénoncent une espèce de tour de
passe-passe. C'est très injuste quant à Platon .

Moi ce qui m'intéresse c'est pas si c'est juste ou pas quant à Platon c'est : qu'est ce qu'ils ont à
dire eux ? et là cela cesse d'être simple ce qu'ils ont à dire. Comprenez ils sont en train de se faire
de la limite une tout autre image. Quel est l' exemple, qu'est ce qu'il vont opposé au sculpteur
d'Aristote c'est à dire au moule extérieur, à la figure optique-tactile ? Ils vont opposer des problèmes
de vitalité. Problèmes de vitalité de quel type : Où s'arrête l'action ? tiens ce n'est pas " où s'arrête la
forme ?" , réponse : "au contour". Ce n'est pas qu'ils contredisent ça. Mais çà, ça n'a aucun intérêt de
dire ça. Ps intéressant. La question ce n'est pas du tout où s'arrête une forme, parce que c'est déjà
une question abstraite et artificielle. La vraie question c'est : où s'arrête une action ? Or la vous
n'allez pas pouvoir designer les contours. Qu'est ce que ça veut dire ça ?

deuxième exercice pratique : Toute chose a-t-elle un contour ? bibliographie de l'exercice


pratique : un grand auteur américain actuel qui s'appelle Bateson a écrit dans un livre en deux tomes
récemment traduit en français, un très beau livre qui s'appelle : "vers une écologie de l'esprit" où il y
a un texte admirable sur le langage des dauphins et toutes sortes d'autres choses à la fois
récréatives et instructrices.

C'est un génie Bateson, c'est un très grand homme. Et bien, il y a un tout petit texte très amusant
qui s'appelle "toute chose a-t-elle un contour". Il prend des exemples, il parle avec sa fille qui n'est
pas très mâline. Il dit : et bien oui tu vois on parle en ce moment, est ce que notre conversation a un
contour ? C'est intéressant ça parce que lorsqu'un prof vous reprochait, du temps où vous en faisiez
encore mais ça va revenir, du temps où vous faisiez des devoirs, des dissertations, lorsqu'un prof
vous reprochait de sortir du sujet.

Hors du sujet, prenons à la lettre, en dehors du sujet. Est-ce que ça veut dire que le sujet a un

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contour ? Peut-être. Sinon est-ce que ça voudrait dire hors limites ? Est ce que c'est spatial ? A
première vue ça a l'air spatial. Mais est-ce que c'est le même espace ? Est-ce que le hors limites et
le hors du contour, est ce que c'est le même espace ? la conversation ou mon cours d'aujourd'hui a t
il un contour ? Ma réponse est oui . il a un fort contour. On peut le toucher. On a aborder ce
problème un peu : est ce que toute forme picturale a un contour ? Pas sûr !

En fin revenons à ces stoïciens. J'oublie Bateson, voyez c'était un problème : Quels sont les sens
différents de "hors du sujet"
c'est notre deuxième exercice pratique. Donc dans la semaine prochaine vous devez me remettre
deux exercices pratiques. N'oubliez pas et dessinez le contour d'une conversation , vous verrez si il
vous faut un trait fermé ou pas ; Qu'est ce c'est leur exemple favori c'est : jusqu'où va l'action d'une
graine ? c'est bon ça rudement bon ! une graine a une limite mais une limite de quoi ? pas de figure
quand même ? Si elle a bien un contour une graine mais ce n'est pas de ça dont il est question ?
sans doute alors est ce qu'il y aurait deux limites ? la graine je peux bien avec mon doigt en suivre le
contour mais qu'est ce j'aurai saisi de la graine ?

- Lorsque j'apprends ensuite qu'une graine perdue dans un mur est capable de faire sauter ce mur.
Ah la graine de tournesol fait sauter mon mur. Une chose qui avait un si petit contour. Jusqu'où va la
graine de tournesol, est-ce que ça veut dire quelle est sa surface ? Non, disent les stoïciens la
surface c'est là où se termine la graine. Dans leur théorie de l'énoncé, ils diront que ça énonce
exactement ce que la graine n'est pas. C'est à dire là où la graine n'est plus, mais sur ce qu'est la
graine, ça ne nous dit rien. Ils sont très fort quand à Platon. Ils vont arriver et Ils diront de Platon que,
avec sa théorie des idées, il nous dit très bien ce que les choses ne sont pas, mais il ne nous dit rien
sur ce que sont les choses. Les stoïciens lancent triomphants : les choses sont des corps. Des corps
et pas des idées. Les choses sont des corps ça veut dire que les choses sont des actions. La limite
de quelque chose c'est la limite de son action et c'est pas le contour de sa figure. exemple encore
plus simple :
Vous marchez dans la forêt touffue, en d'autres termes dans la forêt puissante vous avez peur.
Enfin vous arrivez et petit à petit, la forêt s'est éclaircie, vous êtes content. Vous arrivez à un endroit
et vous dites "ouf, voici la lisière". La lisière de la forêt c'est une limite. Est-ce que ça veut dire que la
forêt se définit par son contour ? C'est une limite de quoi ? Est-ce une limite de la forme de la forêt ?
on peut le dire , c'est pas qu'on puisse pas le dire mais c'est un genre de limite qui est mal défini
comme limite de la forme de la forêt. C'est une limite de l'action de la forêt, c'est à dire que la forêt
qui avait tant de puissance arrive à la limite de sa puissance, elle ne peut plus mordre sur le terrain,
elle s'éclaircit. Elle s'éclaircit.

Ce qui montre que ce n'est pas un contour, c'est que vous ne pouvez même pas assigner le moment
précis où ce n'est plus la forêt. Est ce que vous étiez déjà dans les sous bois, comment vous êtes
passé de la forêt au sous bois et du sous bois au taillis, tout ça j'ai pas besoin de me forcer
beaucoup pour dire : Il y avait tendance, et cette fois la limite n'est pas séparable, une espèce de
tension vers la limite.

C'est une limite dynamique qui s'oppose à la limite contour. La chose n'a pas d'autre limite que la
limite de sa puissance ou de son action. La chose est donc puissance et pas forme. La forêt ne se
définit pas par une forme, elle se définit par une puissance : puissance de faire pousser des arbres
jusqu'au moment où elle ne peut plus. D'où la seule question que j'ai à poser à la forêt ce n'est pas :

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quelle est ta figure et quels sont les contours ? La seule question que j'ai à poser à la forêt c'est :
quelle est ta puissance ? C'est à dire : jusqu'où iras-tu ?

Voilà ce que les stoïciens découvrent et ce qui les autorise à dire : tout est corps. Lorsqu'ils disent
que tout est corps, ils ne veulent pas dire que tout est chose sensible, parce qu'ils ne sortiraient pas
du point de vue platonicien. Si ils définissaient la chose sensible par forme et contour, ça n'aurait
aucun intérêt.

Lorsqu'ils disent que tout est corps, ils veulent dire des choses très simples par exemple un cercle ne
s'étend pas dans l'espace de la même façon s'il est en bois ou en marbre. Bien plus, tout est corps,
signifiera qu'un cercle rouge et un cercle bleu ne s'étendent pas dans l'espace de la même façon.
Donc c'est la tension. Chose que tous les peintres savent très bien

Quand ils disent que toutes les choses sont des corps, ils veulent dire que toutes les choses se
définissent par "tonos", l'effort contracté qui définit la chose. Si vous ne trouvez pas l'espèce de
contraction, la force embryonnée qui est dans la chose, si vous ne la trouvez pas, vous ne
connaissez pas la chose. Ce que Spinoza reprendra avec l'expression "qu'est-ce que peut un corps
?"

Deuxième exemple. Après les stoïciens, au début du christianisme, et pourtant pas forcément
chez des auteurs chrétiens, se développe un type de philosophie très extraordinaire : l'école
néo-platonicienne.Et là je voudrais montrer que le préfixe néo est particulièrement bien fondé. C'est
en s'appuyant sur des textes de Platon extrêmement importants que les néo-platoniciens vont
complètement décentrer tout le platonisme. Si bien que, en un certain sens, on pourrai dire que ça y
était déjà chez Platon. Seulement ça y était comme pris dans un ensemble qui n'était pas celui-là. Un
des plus grand platonicien Plotin, on en a recueilli les Ennéades. Parcourez l'Ennéade quatre, livre
cinq de la quatrième ennèe. Vous verrez une espèce de prodigieux cours ou discours ou méditation
poetique sur la lumière. Texte admirable, Texte prodigieux où Plotin va essayer de montrer que la
lumière ne peut être comprise ni en fonction du corps émetteur, ni en fonction du corps récepteur. Et
son problème c'est : la lumière fait partie de ces chose bizarres qui vont être, pour Plotin, les vraies
choses idéales.( Là il y a une espèce de courcircuitage de Platon très étonnant.)La lumière fait partie
de ces choses idéales dont on ne peut plus dire qu'elle commence là et qu'elle fint là. Où commence
une lumière ? Où finit une lumière ? quelle histoire

Pourquoi ne pouvait-on pas dire la même chose trois siècles plus tôt ?

Pourquoi est-ce dans le monde dit alexandrin que font proliférer ces méditations sur la lumière pure
? C'est un manifeste pour un monde optique pur. La lumière n'a pas de limite tactile, et pourtant il y a
bien une limite. Mais ce n'est pas une limite telle que je pourrais dire ça commence là et ça finit là. Je
ne pourrais dire ça. En d'autres termes, la lumière va jusqu'où va sa puissance.en d'autres termes
Plotin

Plotin est hostile aux stoïciens, il se dit platonicien. Mais il pressentait l'espèce de retournement du
platonisme qu'il est train de faire. C'est avec Plotin que commence, en philosophie, un monde
optique pur. Les idéalités ne seront plus que optiques. Elles seront lumineuses, sans aucune
référence tactile. Dès lors la limite optique est d'une toute autre nature. La lumière fouille les ombres.

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Est-ce que l'ombre fait partie de la lumière ? Oui, elle fait partie de la lumière et vous aurez une
gradation lumière-ombre ou ombre lumière qui développera l'espace. Ils sont en train de trouver que,
plus profond que l'espace, il y a la spatialisation. Ça Platon ne le savait pas.

art des nuances Si vous lisez les textes de Platon sur la lumière, "la République", fin du livre 6, et, en
face les textes de Plotin, il fallait quelques siècles entre un texte et l'autre.

Il faut ces nuances. Ce n'est plus le même monde.

Vous le savez de certitude avant de savoir pourquoi, que la manière dont Plotin extrait ses textes de
Platon, développe pour lui-même un thème de la lumière pure. Ça ne pouvait être platonicien.
Encore une fois, le monde de Platon n'était pas un monde optique, mais un monde tactile-optique. La
découverte d'une lumière pure, de la suffisance de la lumière pour constituer un monde, cela
implique que, sous l'espace, on ait découvert la spatialisation. Ça n'est pas une idée platonicienne,
pas même dans le "Timée".

L'espace saisi comme le produit d'une expansion, c'est à dire que l'espace est second par rapport à
l'expansion et pas premier. L'espace est le résultat d'une expansion, ça c'est une idée trés bizarre
qui à mon avis pour un Grec classique, serait incompréhensible.

C'est une idée qui vient d'Orient. Que la lumière soit spatialisante : ce n'est pas elle qui est dans
l'espace, c'est elle qui constitue l'espace. Ce n'est pas une idée grecque.

Il faut qu'en vous lisiez de la philosophie Encore quelques siècles après éclate,( je vais allez vite car
c'est comme un confirmation), une forme d'art qui a une très grande importance, l'art byzantin. C'est
un problème pour les critiques d'art que de rechercher en quoi, à la fois l'art byzantin reste lié à l'art
grec classique et en même temps et d'un autre point de vue rompt complètement avec l'art grec
classique. Si je prends le meilleur critique à cet égard, Rigel, il dit une chose rigoureuse, c'est un des
meilleur spécialiste de l'art byzantin dans l'art grec vous avez un primat de l'avant-plan. La différence
entre l'art grec et l'art égyptien, c'est que dans l'art grec se fait la distinction d'un avant-plan et d'un
arrière-plan, tandis que dans l'art égyptien, en gros, les deux sont sur le même plan. tout le bas relief
egyptien Le bas-relief. Je résume très sommairement. L'art grec c'est le temple grec, c'est
l'avènement du cube. Le cube : six faces. Tandis que Les égyptiens c'était la pyramide, des surfaces
planes. Où que vous vous mettiez vous êtes toujours sur une surface plane. la pyramide, c'est
diabolique car c'est une manière de cacher le volume. Ils mettent le volume dans un petit cube qui
est la chambre funéraire, et ils flanquent des surfaces planes, des triangles isocèles, pour cacher le
cube. Les égyptiens ont honte du cube. Le cube c'est l'ennemi, c'est le noir, l'obscur, c'est le tactile.

Les grecs inventent le cube. ils ont pas honte du cube, eux Ils font des temples cubiques,
c'est-à-dire qu'ils décalent l'avant-plan et l'arrière-plan. Mais, dit Rigel, il y a un primat de l'avant-plan,
et le primat de l'avant-plan est lié à la forme parce que c'est la forme qui a le contour. primat de
l'avant plan, C'est pour ça qu'il définira le monde grec comme un monde tactile-optique. vous me
suivez ? Les byzantins c'est très curieux. Voyez les mosaïques ils les nichent, ils les flanquent dans
des niches, ils les reculent. trés rigolo ça ! et l'espace ? Comme on dit il n'y a pas de profondeur
dans l'art byzantin, pourquoi il n'y a pas de profondeur dans l'art byzantin et pour une raison très
simple, c'est que la profondeur, elle est entre l'image et moi. Un des drame de l'art byzantin , c'est un

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drame moderne à savoir c'est à cause de l'appareil photo, tout est venu des méfaits de la photo, on
photographie les mosaïques c'est à dire on va se mettre à dix centimètres c'est une honte ! il faudrait
tuer les photographes ! par définition c'est le contre sens puisque toute la profondeur byzantine, c'est
l'espace entre le spectateur et la mosaïque. Si vous supprimez cet espace c'est comme si vous
regardiez un tableau hors de toute condition de perception, c'est odieux. En d'autres termes, les
byzantins l'air de rien, font un coup de force énorme. A savoir ils mettent le privilège dans
l'arrière-plan, et toute la figure va sortir de l'arrière-plan. Toute l'image va sortir de l'arrière plan. Mais
à ce moment-là, comme par hasard, la formule de la figure ou de l'image ce n'est plus forme-contour.
Forme-contour, c'était pour la sculpture grecque. Ce n'est plus forme contour. Et pourtant il y a bien
une limite, et pourtant vous me direz il y a bien des contours même dans les mosaïques, mais ce
n'est pas ça qui agit, c'est pas ça qui est interessant ce n'est par là que l'oeuvre agit, contrairement à
la statuaire grecque où c'est bien le contor qui agit, le contour capte la lumière. Mais c'est pas du tout
ça pour la mosaïque byzantine, ce n'est plus forme contour, c'est lumière-couleur, c'est-à-dire que ce
qui définit, au sens propre de définir à savoir marquer les limites de quelque chose, ce qui definit la
figure byzantine ça n'est plus forme-contour, mais c'est le couple lumière-couleur, c'est à-dire que la
figure se poursuit jusqu'où va la lumière qu'elle capte ou qu'elle émet, et jusqu'où va la couleur dont
elle est composée.

Et l'effet sur le spectateur est quelquechose prodigieux, à savoir qu'un oeil noir va exactement
jusqu'où ce noir rayonne. D'où l'impression de ces figures dont le visage est dévoré par les yeux. En
d'autres termes il n'y a plus un contour de la figure, il y a une expansion de la lumière-couleur. La
figure ira jusqu'où elle agit, par lumière et par couleur. Je peux dire : c'est le renversement du monde
grec. Je peux dire les deux à la fois. Mais oui ça part du monde grec et ce que les grecs n'avaient
pas su faire, Les grecs n'avaient pas su ou pas voulu procéder à cette libération de la lumière et de
la couleur.

C'est avec l'art byzantin que se libèrent et la lumière et la couleur par rapport à l'espace pourquoi ?
parce que ce qu'ils découvrent c'est que la lumière et la couleur sont spatialisantes. Donc l'art ne doit
pas être un art de l'espace, ce doit être un art de la spatialisation de l'espace. Donc je dirai entre l'art
byzantin du point de vue de la peinture des mosaïques par exemple et de l'architecture aussi et les
textes un peu antérieurs de Plotin sur la lumière, il y a une résonnance évidente. Ce qui s'affirme
c'est une même conception de la limite. dernier exemple sur lequel je voudrais passer là plus vite
maintenant il y a donc deux sortes de limites. Je pourrai multiplier mes opposition entre limite - limite
1 - Il y a une limite-contour et il y a une limite-tension.
2 - Il y a une limite-espace et il y a une limite-spatialisation il y a une limite contour et un limite
lumière couleur il y a une limite état, il y a une limite terminus une limite tension ce qui m'intéresse en
un sens ce n'est pas les remarques des mathématiciens actuels qui m'interesse sur le non sens
mathématique que représenterait en quoi l'idée de fondre vers une limite, pour le dire plus
brièvement encore, un autre exemple d'expérience de pensée, expérience esthétique qui changeait
complètement

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 17/03/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 17/03/81 - 2 Page 1/11


Cours du 17/03/81 (12B) transcription : Cecile Lathuillère

DELEUZE : Il y a une proposition trente-sept. Et la proposition trente-sept comporte, après son


énoncé et après la démonstration de la proposition, comporte une proposition hors-cadre sous le titre
de "Scolie".
Et le Scolie nous dit ceci : l'axiome de la quatrième partie concerne les choses singulières en tant
qu'on les considère en relation avec un certain temps et un certain lieu. Ce dont, je crois, personne
ne doute. Là, il faut rire parce que quand même, si je prends ce dont personne ne doute, il a attendu
tellement de pages alors qu'il aurait pu nous le dire au niveau de quatre, ça nous aurait aidé et l'on
aurait été moins troublé. C'est son affaire. Pourquoi il le dit seulement bien après ? Il le dit quand il a
besoin de le dire. Qu'est ce que ça veut dire cette précision ?
Il nous dit : attention, l'axiome de la destruction, l'axiome de l'opposition, une essence peut
s'opposer à une autre au point de la détruire. Ça ne se comprend que quand on considère les
choses en relation avec un certain temps et un certain lieu. Il ne nous en dit pas plus. Qu'est ce que
ça veut dire considérer les choses en relation avec un certain temps et un certain lieu ? Cela veut
dire les considérer dans leur existence. Qu'est ce que ça veut dire les considérer dans leur existence
? Les considérer en tant qu'elles existent. En tant qu'elles sont passées à l'existence, en tant qu'elles
passent à l'existence. Ça veut dire quoi ? On l'a vu.

Passer à l'existence, c'est quoi ? C'est : on passe à l'existence, une essence passe à l'existence
lorsqu'une infinité de parties extensives est déterminée, se trouve déterminée du dehors à lui
appartenir sous tel rapport.
J'ai une essence. Moi, moi Pierre ou Paul, j'ai une essence. Je dis que je passe à l'existence
lorsqu'une infinité de parties extensives est déterminée du dehors, c'est-à-dire par les chocs qui
renvoit à d' autres parties extensives, est déterminée du dehors à entrer sous un rapport qui me
caractérise. Donc avant, je n'existais pas dans la mesure où je n'avais pas ces parties extensives.
Naître, c'est ça. Je nais lorsqu'une infinité de parties extensives sont déterminées du dehors par la
rencontre avec d'autres parties, à entrer sous un rapport qui est le mien, c'est-à-dire qui me
caractérise. Voyez, à ce moment-là, à ce moment-là, j'ai rapport avec un certain temps et un certain
lieu. Qu'est ce que c'est que ce temps et ce lieu ? Le temps de ma naissance est lieu de ma
naissance. Ça s'est passé ici. C'est ici. Ici et maintenant, c'est quoi ?
Mais, c'est le régime des parties extensives. Les parties extensives, les ensembles de parties
extensives, ils ont toujours un temps et un lieu. Bien plus, ça durera ce que ça durera. Les parties
extensives sont déterminées du dehors à entrer sous tel rapport qui nous caractérise. Mais pour
combien de temps ? Jusqu'à ce que, jusqu'à ce qu'elles soient déterminées à entrer sous un autre
rapport. À ce moment-là, elles passent dans un autre corps. Elles ne m'appartiennent plus. Ça dure

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un certain temps. Bizarre ! Qu'est ce que ça veut dire alors ? En quoi, ça doit nous éclairer ? En fait,
je ne peux parler d'opposition entre deux individus que dans la mesure où ces individus sont
considérés comme existant, ici et maintenant. Très important pour la formation des rapports
d'opposition. C'est uniquement dans la mesure où les individus sont considérés comme existant ici et
maintenant qu'ils peuvent entrer. Ce n'est pas une question de bonté ou de méchanceté. C'est
question de possibilité logique.

Je ne peux avoir des rapports d'opposition avec un autre individu que en fonction de quoi ? En
fonction des parties extensives qui nous composent, qui nous appartiennent. C'est ça le lieu, le
milieu de l'opposition. C'est ça. C'est les parties extensives. Et en effet c'est bien forcé, il s'agit de
quoi dans les oppositions entre individus ? Dans les oppositions entre individus, il s'agit toujours de
savoir sous quel rapport finalement vont entrer tels ensembles infinis de parties extensives.
-Imaginer la triste situation : je me bats avec un chien pour manger, pour manger une espèce de
pâtée. Bon. Spectacle horrible. Comment le raconter ce spectacle ? Et bien, et bien... Il s'agit de quoi
? Vous avez trois termes :
la nourriture,
le chien et
moi. Alors je mords le chien pour m'emparer de son aliment. Le chien, il me donne un coup de
patte. Bon...Qu'est ce qui se passe ? C'est quoi ça ?
Vous avez un infini de parties extensives sous le rapport viande.
Vous avez un infini de parties extensives sous le rapport chien.
Vous avez un infini de parties extensives sous le rapport moi.
Et tout ça, ça tourbillonne. Tout ça, ça s'entrechoque. A savoir, moi, je veux conquérir les parties
extensives de la viande pour me les assimiler, c'est-à-dire, leurs imposer mon rapport. Faire qu'elles
n'effectuent plus le rapport viande et qu'elles viennent effectuer un de mes rapports à moi. Le chien,
il veut pareil. Le chien, je le mords, c'est-à-dire, je veux le chasser, etc, etc... Lui, il me mord. Enfin,
on n'en sort plus.
C'est le domaine des oppositions. L'opposition, c'est l'effort. C'est l'effort respectif de chaque
existant pour s'approprier des parties extensives. Qu'est ce que veut dire s'approprier des parties
extensives ? C'est-à-dire faire qu'elles effectuent le rapport qui correspond à tel individu. Bon.
En un sens, je peux toujours dire : je suis détruit par plus fort que moi. Et en effet, tant que
j'existe, c'est le risque de l'existence. Bon.

Et ce risque de l'existence, ça ne fait qu'un avec ce qu'on appelle la mort. Puisque encore une
fois, qu'est ce que c'est que la mort ? C'est le fait, que Spinoza appellera nécessaire au sens
d'inévitable, que les parties extensives qui m'appartenaient sous un de mes rapports
caractéristiques, cessent de m'appartenir, et passent sous un autre rapport qui caractérise d'autres
corps. C'est inévitable en vertu même de la loi de l'existence. Une essence rencontrera toujours une
essence plus forte qu'elle, sous des conditions d'existence qui font que dès lors l'essence plus forte
détruit, détruit quoi ? Littéralement, détruit l'appartenance des parties extensives à la première
essence. Bon, d'accord.

Mais, je dis d'abord, quite à corriger tout à l'heure, et je dis qu'il faudra bien le corriger, je dis :
supposez maintenant que je sois mort. Je suis mort. D'accord, je suis mort. Pour Spinoza, là ça va
prendre un air abstrait, mais c'est lié. C'est à vous de faire un effort. Je vais essayer de dire toute à
l'heure pourquoi ça ne me paraît pas abstrait, mais, faites un effort.

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Je suis mort. Bon. Qu'est ce que ça veut dire ? Encore une fois, si vous acceptez ces prémisses
qui ne sont pas du tout, il me semble, de la théorie abstraite, qui sont vraiment une manière de vivre.
Si c'est bien ça la mort, ça veut dire qu'il n'y a plus de parties extensives. Il n'y a plus aucun
ensemble extrinsèque qui m'appartiennent.

Je suis dépossédé. D'accord, je suis dépossédé. Je n'ai plus de parties. Ça veut dire : mes
rapports caractéristiques cessent d'être effectués. Ça veut dire tout ça, mais rien que ça. Alors qu'est
ce que ça n'empêche pas la mort ? Ce que ça n'empêche pas selon Spinoza, c'est que : mes
rapports, eux, ils cessent d'être effectués, d'accord, mais, il y a une vérité éternelle dans ces
rapports. Ils ne sont pas effectués d'accord, mais on a vu que pour Spinoza les rapports étaient
largement indépendants de leurs termes. Effectuer un rapport ça veut dire : des termes arrivent qui
effectuent le rapport. Un rapport il est effectué par ses termes. Là, il n'y a plus de termes qui
l'effectuent.
Mais, le rapport, il ne se réduit pas aux termes qui l'effectuent. Donc, le rapport, il a une vérité
éternelle en tant que rapport. Une vérité indépendante de ses termes. Il n'est plus effectué. Mais, il
reste actuel en tant que rapport. Ce n'est pas qu'il passe à l'état de virtualité.
Il y a une actualité du rapport non effectué.

Et à plus forte raison, il y a une actualité de l'essence qui s'exprime dans le rapport. Puisque
l'essence n'est pas du tout une partie extensive. C'est une partie intensive. C'est un degré de
puissance. Et bien, ce degré de puissance ne lui correspond plus aucune. Ce degré, bon, on l'a vu la
dernière fois, ce degré d'intensité ne lui correspond plus rien en extension. Il n'y a plus de parties
extensives qui correspondent à la partie intensive. D'accord, bon. Mais, la réalité de la partie
intensive, en tant qu'intensive, elle subsiste.
En d'autres termes, il y a une double éternité, tout à fait corrélative. Il y a une double éternité,
l'éternité du rapport ou des rapports qui le caractérisent, et l'éternité de l'essence. De l'essence
singulière qui nous constitue qui elle, ne peut pas être affectée par la mort.

Et bien, plus à ce niveau, comme il est dit dans le livre V, dans le texte que je viens de lire, à ce
niveau, il ne peut pas y avoir d'opposition. Pourquoi ?
Parce que tous les rapports se composent à l'infini suivant les lois des rapports. Il y a toujours des
rapports qui se composent. Et, d'autre part, toutes les essences conviennent avec toutes les
essences. Chaque essence convient avec toutes les autres en tant que pur degré d'intensité.

En d'autres termes, pour Spinoza, dire qu'un degré de puissance, ou un degré d'intensité détruit
un autre degré d'intensité, c'est une proposition dénuée de sens. Les phénomènes de destruction ne
peuvent exister qu'au niveau qu'elles ont pour statut. Et elles renvoient aux régimes des parties
extensives qui m'appartiennent provisoirement.

Dès lors, qu'est ce que ça veut dire ? Je sens, j'expérimente que je suis éternel. Ce n'est pas :" je
le sais". Ce que j'aimerais vous faire sentir c'est la différence entre les deux propositions. "Je sais, je
sais et je maintiens que je suis immortel". C'est, si vous voulez, la proposition, on pourrait dire c'est
une proposition, je ne sais pas, théologique. "Je sais et je maintiens que je suis immortel". Et, je sens
et j'expérimente que je suis éternel. Et en effet, Spinoza s'en prend, dans le livre V, à toute
conception de l'immortalité.
Il nous dit : non, non. Il ne s'agit pas de dire que chacun est immortel, il s'agit de dire que chacun

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est éternel. Et ce n'est pas du tout pareil. Pourquoi ce n'est pas du tout pareil ? Comment ça se
présente chez Spinoza ? Qu'est ce que c'est cette expérimentation ? C'est plus que - je crois qu'il
faut prendre le mot au sens le plus fort -ce n'est pas simplement : je fais l'expérience, j'ai
l'expérience. C'est plutôt : faire l'expérience d'une manière active. Je fais l'expérience que je suis
éternel.

Qu'est ce que c'est que cette expérimentation ? Très curieux, si vous cherchez dans la littérature,
c'est bien plus tard, c'est dans la littérature anglaise du XIXe que vous trouverez une espèce de
spinozisme de ce type. L'éternité, une espèce d'expérimentation de l'éternité. Et bizarrement, liée
aussi à l'idée d'intensité. Comme si je ne pouvais faire l'expérience de l'éternité que sous une forme
intensive. Et c'est un thème fréquent justement, chez des auteurs qui ne me paraissent pas tellement
éloignés de Spinoza, même si ils ne le savent pas. Des auteurs comme Lawrence, à moindre titre
comme Powice. Une espèce d'expérimentation de l'éternité sous forme de l'intense. Voilà.

J'essaie de rendre plus concret. Quand vous existez, vous existez, vous vous opposez aux autres.
On s'oppose tous les uns aux autres. Et Spinoza ne dit pas du tout qu'il faudrait sortir de ça. Il sait
bien que c'est absolument nécessaire. C'est une dimension. C'est une dimension de l'existence,
d'accord.

Il nous dit : voilà, prenons deux cas extrêmes.


Prenons l'individu A, l'individu Pierre. Prenons Pierre qui lui passe la majeure partie, vous allez
voir comment là cela devient très nuancé et très concret Spinoza, on peut dire de Pierre qu'il a passé
sa vie, en gros, dans le premier genre de connaissance. C'est même le cas de la plupart des gens,
puisque suivant Spinoza, il faut quand même un peu de philosophie pour sortir du premier genre de
connaissance. Il faut... Prenez le cas de quelqu'un qui vit dans le premier genre de connaissance, la
majeure partie. Pourquoi je précise la majeure partie ? En fait, il faut être très optimiste, ça n'arrive
pas tout le temps.

Ce quelqu'un, de toute façon, il aura bien compris un petit truc dans sa vie. Une fois, pas
longtemps. Un jour, un soir, un soir en rentrant chez lui, il aura compris un petit quelque chose. Il
aura eu l'impression de comprendre un petit quelque chose. Peut-être qu'il aura vraiment compris
quelque chose et puis qu'ensuite toute sa vie il la passera à essayer d'oublier ce qu'il avait compris
tellement c'était frappant.
Tout d'un coup, il s'est dit : mais quoi ? Qu'est ce que...Il y a quelque chose qui ne va pas. Tous,
tous, même le dernier des misérables a fait cette expérience. Même le dernier des crétins est passé
à côté de quelque chose qui...Où il s'est dit : est ce que je ne serais pas... Est ce que je n'aurais pas
passé toute ma vie à me tromper ?

Alors, on sort toujours un peu du premier genre de connaissance. C'est-à-dire, en théorie


spinoziste, il aura compris, même sur un point minuscule. Il aura eu une intuition de... Ou bien de
quelque chose d'essentiel, ou bien il aura une espèce de...
Ou bien l'intuition d'un essentiel, oui, ou la compréhension d'un rapport. Il y a même- alors là on
peut être très généreux -il y a très peu de gens qui sont totalement idiots. Il y a toujours un truc qu'ils
comprennent. Je veux dire, on est tous, on a tous notre petit truc.
Par exemple, un sens... les uns ont un sens étonnant de tel animal. Ça ne les empêche pas d'être
méchants, tout ça. Mais là, ils ont, ils ont quelque chose. Ah, oui, là.

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Ou bien, le sens du bois. Ah, oui, ça. Ce type, cet imbécile, cet imbécile est si méchant, au moins
quand il parle des arbres, il y a quelque chose, on sent qu'il y a quelque chose. Et puis nous on
passe notre temps à faire ces expériences. Ah, là, oui. L'impression que, si vous voulez, c'est fini,
que même le pire clown...Il y a un point où, non, c'est finit d'être clown, là. Enfin, il y a quelque
chose. Bon, c'est comme ça.
Vous pouvez vous dire, ben oui, personne n'est condamné au premier genre de connaissance. Il
y a toujours, toujours un petit espoir, quoi. Bon. Oh, c'est très important ça. Non, parce qu'encore
une fois, ce par quoi nous nous sauvons, c'est uniquement, et très bizarre, que je puisse même plus
parler de la durée. Que je sois forcé de parler en fait d'instants. Il y a toujours des moments où il y a
une lueur chez quelqu'un. Ah, il était moins odieux que je ne croyais. Il suffisait de trouver le truc.
Alors bien sûr, parfois, on est tellement...On a plus envie de trouver. Bon, d'accord. Et puis, ça
retombe vite. Ça retombe vite. Mais, je ne sais pas moi, le pire agent de police, le pire (inaudible), il y
a sûrement un petit truc chez lui...Sûrement.

Alors Spinoza fait pas du tout de l'appel à l'armée du salut, "faut sauver tout le monde", non, il
veut nous dire quelque chose d'autre. Il veut nous dire : voilà, voilà, vous comprenez, c'est très
compliqué parce que finalement votre existence c'est affaire de proportions. Qu'est ce que ça veut
dire affaire de proportions ? Ben, d'accord : Vous avez des parties extensives qui vous composent.
Et, tant que vous existez, pas du tout question d'y renoncer. Il est complètement...qu'est ce que ce
serait ? Renoncer aux parties extensives qui vous composent. C'est-à-dire renoncer à toutes les
combinaisons de l'existence. Comme ça, se retirer des oppositions vécus. Je me retire des
oppositions vécues. Ah, bon, et ben, je ne mange plus que de l'herbe, j'habite une grotte, etc. C'est,
en gros, ce que l'on a toujours appelé, l'ascétisme.
Spinoza, ça ne l'intéresse pas du tout. Ça lui paraît même une solution très, très louche. Très,
très louche. Il va jusqu'à penser que l'ascète est profondément méchant. Et que l'ascète poursuit une
haine inexpiable, une haine inexpiable contre le monde, contre la nature, etc. Donc, ce n'est pas du
tout ce que veut nous dire Spinoza. Il nous dit : faites attention. Dans votre existence, et ben, il y a
certaines proportions relatives. Entre quoi et quoi ?

Vous m'accordez un (inaudible). J'ai donc, maintenant, mes trois dimensions de l'individu :
mes parties extensives,
deuxièmement, les rapports,
troisièmement l'essence ou la partie intensive qui nous constitue.

Je peux les exprimer sous la forme suivante :


les parties inextensives qui m'appartiennent c'est comme, les idées inadéquates que j'ai. Elles
sont nécessairement inadéquates. C'est donc les idées inadéquates que j'ai, et les passions qui
découlent de ces idées inadéquates. Les rapports qui les caractérisent lorsque j'arrive à un plan de
connaissance, c'est des idées communes ou des notions adéquates.
L'essence comme pure partie intensive, comme pur degré de puissance qui nous constitue, c'est
encore une, et des idées adéquates. Spinoza nous dit : dans votre existence, vous pouvez
vous-même avoir une vague idée de la proportion qu'il y a entre, les idées inadéquates et passions,
puisque les deux s'enchaînent,
les idées inadéquates et affects passions qui remplissent votre existence d'une part,
et d'autre part les idées adéquates et les affects actifs auxquels vous arrivez.

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Je vais vous rappeler les idées inadéquates. Je vais terminer rapidement pour voir si...Pour vous
demander si vous avez compris.
Les idées inadéquates et les passions, ça renvoie à la dimension de l'existence, à la première
dimension : avoir des parties extensibles.
Les deux autres aspects, connaissance des rapports et connaissance des degrés de puissance,
comme parties intensives, ça renvoie aux deux autres aspects : les rapports caractéristiques et
l'essence comme partie intensive.

Supposez que dans mon existence, j'ai relativement - Il n'est pas question d'abjurer les parties
extensives, ce serait se tuer. Et l'on a vu ce que Spinoza pensait du suicide. - Imaginez que durant
mon existence, j'ai relativement atteint...Et Spinoza dit : plus ce serait impossible puisque vous avez
des parties extensives et vous êtes soumis à la loi des parties extensives.
Non, mais supposez que vous ayez atteint, relativement fréquemment, à des idées adéquates et
à des affects actifs. Voilà un cas. Premier cas.
Et deuxième cas, imaginez l'autre cas. Vous y avez atteint, très très rarement. Et peu
durablement. Bon. Mettez vous maintenant à l'instant de votre mort. Très concret tout ça. Lorsque
vous mourrez, dans le premier cas et dans le second cas, qu'est ce qu'il se passe ? Dans le second
cas, lorsque vous mourrez, ça veut dire, de toute manière, vos parties extensives disparaissent.
C'est-à-dire, elles vont dans d'autres corps, c'est-à-dire elles effectuent d'autres rapports que le
vôtre. Et ben, lorsque vous mourrez, et que, second cas, vous avez eu en majorité dans votre
existence des idées inadéquates et des affects passifs, ça veut dire que ce qui meurt, c'est
relativement la plus grande partie de vous-même. C'est proportionnellement la plus grande partie de
vous-même.

Au contraire, l'autre cas -C'est curieux, c'est là qu'intervient une espèce de proportion relative. Je
veux dire, c'est ça qui est important dans le livre V. Si ça vous échappe dans le livre V, en même
temps il le dit explicitement, je crois que vous ne pouvez pas comprendre le mouvement du livre V. -
L'autre cas : supposez que, dans votre existence, vous ayez atteint, au contraire,
proportionnellement un nombre relativement grand d'idées adéquates et d'affects actifs. A ce
moment-là, ce qui meurt, de vous, c'est relativement une partie peu importante, insignifiante. Alors,
c'est très curieux.
Il me semble que là, se réintroduit chez Spinoza l'idée de l'existence en tant qu'épreuve. Mais
c'est pas du tout une épreuve morale. C'est comme une espèce d'épreuve physico-chimique.
J'expérimente que je suis éternel. Oui. Qu'est ce que veut dire ce texte ? Qu'est ce que ça veut dire
? Je l'expérimente dès maintenant, à quelle condition ? C'est pas du tout la question : est ce que
l'âme survit au corps ? Pas du tout la question.
La question de l'immortalité c'est : en quel sens et sous quelle forme l'âme survit-elle au corps ?
Tel que ça a été posé par la théologie et la philosophie, de - Si vous voulez, là, il me semble que
quelles que soient leurs différences qui sont grandes, de Platon à Descartes. - De Platon à
Descartes, ce qui est posé, c'est vraiment la question de l'immortalité de l'âme. Et l'immortalité de
l'âme, elle passe forcément à ce moment-là, par le problème d'un avant et d'un après. Pourquoi ?
Qu'est ce qui détermine l'avant et l'après du point de vue de l'immortalité de l'âme, à savoir, le
moment de l'union de l'âme et du corps. À savoir, l'avant de l'âme c'est avant l'incarnation, avant que
l'âme s'unisse à un corps. L'après, l'après de l'immortalité, l'après de l'âme, c'est après...que l'âme,
c'est-à-dire que l'âme après la mort, c'est-à-dire après que. D'où la gêne de tous les auteurs qui ont
voulu parler d'une immortalité de l'âme. Leur gêne, c'est quoi ? C'est que l'immortalité de l'âme peut

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être appréhendée, ou ne peut être conçue que sous les espèces encore temporelles d'un avant et
d'un après.
Et c'est déjà tout le thème du Phédon qui porte sur l'immortalité de l'âme, chez Platon. Le
dialogue de Platon, Phédon, lance une grande doctrine de l'immortalité de l'âme, précisément sous
la forme de l'avant et l'après. Avant l'union, après l'union. Lorsque Spinoza oppose son éternité à
l'immortalité, on voit très bien ce qu'il veut dire.
Du point de vue de l'immortalité, si vous voulez, je peux "savoir" que l'âme est immortelle. Mais
en quoi consiste l'immortalité ? Ça consiste à dire que je sais, par exemple, je sais alors de quel
savoir - ça c'est autre chose - mais je sais que mon âme ne meurt pas avec mon corps. Même si
j'admets l'idée platonicienne que c'est là un savoir, je ne sais pas sous quelle forme. Et tous le
disent. Pourquoi ? Parce que l'immortalité semble bien exclure l'avant et l'après. Par-là, elle est déjà
une éternité. Mais précisément elle ne peut être sue ou connue que sous les espèces de l'avant et
de l'après. Et Descartes encore le dira. Sous quelle forme ? Que l'âme soit immortelle, ça je peux le
dire, j'en suis sûr, selon Descartes. Mais, sous quelle forme ? Je n'en sais rien. Je peux tout au plus
affirmer que. Affirmer que, il y a un avant et qu'il y a un après. Que l'âme n'est pas née avec le corps
et qu'elle ne meurt pas avec le corps. Je peux affirmer le que, je ne peux pas affirmer le ce que ou le
corps. Il faudrait une intuition intellectuelle comme disent...Comme ils disent. Or on n'a pas l'intuition
intellectuelle. Très bien.

Spinoza ce n'est pas comme ça qu'il pose le problème parce que pour lui le problème c'est pas
du tout un avant et un après, c'est un en même temps que. Je veux dire c'est en même temps que je
suis mortel que j'expérimente que je suis éternel. Expérimenter que je suis éternel ça ne veut pas
dire qu'il y a un avant, qu'il y a eu un avant, et qu'il y aura un après. Ça veut dire que, dès
maintenant, j'expérimente quelque chose qui ne peut pas être sous la forme du temps. Et qu'est ce
que c'est si ça ne peut pas être sous la forme du temps ?

À savoir, qu'il y a deux sens absolument opposés du mot partie. À savoir, il y a des parties que
j'ai. Ce sont les parties extensives, extérieures les unes aux autres. Et celles-là, je les ai sur le mode
du temps. En effet, je les ai provisoirement, je les ai dans la durée. Je les ai sur le mode du temps.
C'est des parties extérieures les unes aux autres, des parties extensives que j'ai. Bon.

Mais lorsque je dis "partie intensive", je veux dire quelque chose de complètement différent. Les
deux sens du mot partie différent en nature. Parce que lorsque je dis" partie intensive égale
essence", c'est plus une partie que j'ai. C'est plus des parties que j'ai. C'est une partie que je suis. Je
suis un degré de puissance, je suis partie intensive. Je suis une partie intensive et les autres
essences sont aussi des parties intensives. Partie de quoi ? Et bien, partie de la puissance de Dieu
dit Spinoza. Bon. Il parle comme ça, très bien.

Expérimenter que je suis éternel c'est expérimenter que "partie au sens intensif", diffère en
nature, coexiste et diffère en nature de "partie au sens extrinsèque, au sens extensif". J'expérimente
ici et maintenant que je suis éternel. C'est-à-dire que je suis une partie intensive ou un degré de
puissance irréductible aux parties extensives que j'ai, que je possède. Si bien que lorsque les parties
extensives me sont arrachées, égal mort, ça ne concerne pas la partie intensive que je suis de toute
éternité.

J'expérimente que je suis éternel. Mais encore une fois, à une condition, à condition que je me

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sois élevé à des idées et à des affects qui donnent à cette partie intensive une actualité. C'est en ce
sens que j'expérimente que je suis éternel. Donc c'est une expérimentation qui signifie une éternité,
mais de "coexistence". Ce n'est pas une "immortalité" de succession. C'est dès maintenant dans
mon existence que j'expérimente l'irréductibilité de la partie intensive que je suis de toute éternité,
que je suis éternellement avec les parties extensives que je possède sous la forme de la durée.

Mais, si je n'ai pas actualisé mon essence, ni même mes rapports, si j'en suis resté à la loi des
parties extensives qui se rencontrent du dehors, à ce moment-là je n'ai même pas l'idée
d'expérimenter que je suis éternel. À ce moment-là quand je meurs, oui, je perds la plus grande
partie de moi-même. Au contraire, si j'ai rendu ma partie intensive proportionnellement la plus
grande. Qu'est ce que ça veut dire ? Là, évidemment, il y a bien une petite difficulté. Voilà qu'il met
en jeu, si vous voulez, dans une espèce de calcul proportionnel, les parties extensives que j'ai et la
partie intensive que je suis.
C'est difficile parce qu'il n'y a pas de communauté de nature entre les deux sens du mot "partie".
Alors comment est ce qu'il peut dire que les unes et les autres sont plus ou moins grandes
relativement à l'autre ? Il nous dit : quand je meurs, tantôt ce qui périt - à savoir les parties
extensives qui s'en vont ailleurs, - ce qui périt de moi est dans certain cas la plus grande partie, dans
l'autre cas c'est au contraire une partie assez insignifiante, assez petite. I-l faudrait donc que la partie
intensive et les parties extensives aient une espèce de critère commun, pour rentrer dans cette règle
de proportion, à savoir, des deux cas, des deux cas extrêmes.
Où tantôt les parties extensives qui disparaissent constituent la plus grande part de moi-même,
-tantôt au contraire elles ne constituent qu'une petite part de moi-même parce que c'est la partie
intensive qui a pris la plus grande part de moi-même.

Bon, on ne peut pas aller plus loin.


À savoir que, peut-être que c'est à nous, dans l'existence, d'établir cette espèce de calcul de
proportions, ou de sens vécu de la proportion. Il faudrait dire que, oui, qu'est ce qui est important
dans une vie ? Bon. Qu'est ce qui est important ? Le critère de l'importance. À quoi vous allez
donner l'importance ? C'est l'importance. C'est...Il faudrait faire presque de l‘importance.
L'importance. Ça ce n'est pas important, ça c'est important.
Il faudrait presque en faire un critère d'existence, je crois. Les gens qu'est ce qu'ils jugent
important dans leurs vies ? Est ce que...Ce qui est important, est ce que c'est de parler à la radio ?
Est ce que c'est de faire une collection de timbres ? Est ce que c'est d'avoir une bonne santé,
peut-être ? Tout ça...Est ce que c'est...

Qu'est ce que c'est une vie heureuse au sens où quelqu'un meurt en se disant : après tout, j'ai fait
en gros ce que je voulais. J'ai fait à peu près ce que je voulais, ou ce que j'aurais souhaité. Oui, ça,
c'est bien. Qu'est ce que c'est cette curieuse bénédiction qu'on peut se donner à soi-même ? Et qui
est le contraire d'un contentement de soi.

Qu'est ce que ça veut dire ça, cette catégorie ? L'important. Non, on est d'accord, ça c'est embêtant,
mais ce n'est pas important. Qu'est ce que c'est ce calcul ? Est ce que ce n'est pas ça ? Est ce que
ce n'est pas la catégorie du remarquable ou de l'important qui nous permettrait de faire des
proportions entre les deux sens irréductibles du mot partie ? Ce qui dépend et ce qui découle de la
part intensive de moi-même et ce qui renvoie au contraire aux parties extensives que j'ai. Alors, et
puis évidemment, il y a toujours le problème : les morts prématurés. L'essence singulière, elle passe

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à l'existence, bon, et puis...Je suis écrasé bébé. Bon. Jusqu'à quel point joue la règle spinoziste, à
savoir : mais, le temps que je dure n'a aucune importance finalement.

Spinoza le dit très ferme, et là, il a le droit de le dire puisqu'il n'est pas mort très vieux, mais enfin,
il n'a pas été écrasé bébé. Il a eu le temps d'écrire l'Ethique, alors quand même, les bébés qui
meurent. La règle de Spinoza : mais après tout quand je meurs, ça ne veut dire qu'une chose, à
savoir, je n'ai plus de parties extensives. Là, on est gêné devant le cas des morts prématurés. Parce
que le mort prématuré... Bon, on peut toujours dire : il a son essence éternelle.
Mais cette essence éternelle, encore une fois, tel qu'on lit Spinoza, ce n'est pas simplement une
essence comme une figure mathématique. C'est une essence qui n'existe qu'en essence que dans la
mesure où elle est passée par l'existence, c'est-à-dire, où elle a actualisé son degré. Où elle a
actualisé pour lui-même son degré, c'est-à-dire la partie intensive qu'elle était.
Ça va de soi que quand je meurs prématurément, je n'ai pas actualisé la partie intensive que
j'étais. En d'autres termes, j'ai pas du tout exprimé, j'ai pas du tout "fait être" l'intensité que je suis.
Alors, ça va quand on meurt quand même à un certain âge, mais tous ceux qui meurent avant...Je
crois que là en effet, il ne faut pas...Il faut plutôt... Si on imagine qu'un correspondant aurait pu dire
ça à Spinoza, demander ça à Spinoza, qu'est ce que Spinoza aurait répondu ? Je crois que là, il
n'aurait pas du tout fait le malin. Il n'aurait pas du tout...Il aurait dit quelque chose comme : ben, oui.
Que ça faisait partie de l'irréductible extériorité de la nature. C'est comme tout, toute la cohorte des
gens qui ont été, qui seront, qui sont empoisonnés, etc. Que tout ce problème de la part extensive de
nous-même, était tel que dans certains cas, il pouvait en effet faire.

Je dirai qu'en termes spinozistes, il faudrait presque dire : celui qui meurt prématurément, ben oui,
c'est un cas où la mort s'impose de telle manière que, elle s'impose dans des conditions telles que, à
ce moment-là, elle concerne la majeure partie de l'individu considéré. Mais ce que l'on appelle une
vie heureuse, c'est faire tout ce qu'on peut, et ça, Spinoza le dit formellement, faire tout ce qu'on peut
pour précisément conjurer les morts prématurées. C'est-à-dire empêcher les morts prématurées. Ça
veut dire quoi ? Pas du tout empêcher la mort, mais faire que la mort lorsqu'elle survient, ne
concerne finalement que la plus petite partie de moi-même.
Voilà, je crois, tel qu'il voyait, expérimentait et sentait les choses. Bon. Est ce que vous avez des
réactions, des questions à poser ?
Oui. Mais pas de théories, rien que du sentiment.

ÉTUDIANTE : Dans l'Ethique, quand Spinoza dit : je n'entends pas. Il dit je. Que quand il veut citer
un exemple, il dit Paul ou Pierre. Et quand il dit : nous sentons et nous expérimentons. C'est un nous
qui compte. Ça veut dire c'est :, tous, ensemble. Et de la même façon, quand il parle de l'amour
intellectuel de Dieu dans le livre V, c'est : omnium, c'est tous, ensemble. Et donc peut-être que la
mort prématurée peut être corrigée, d'une certaine façon, par cette alliance, au fond, par cette
communauté.

DELEUZE : Oui. Ce que tu dis est très profondément vrai parce que le nous ça signifie que, au
niveau des essences, il ne peut y avoir d'opposition, encore une fois qu'au niveau des existences et
des parties extensives. Donc, les essences, elles conviennent toutes avec toutes, en tant
qu'essences. Alors, dire en effet, que c'est les essences, dont les vies ont été relativement réussies,
qui peuvent faire...Qui peuvent prendre en charge ces morts prématurées. Oui, ça d'accord. Vous
avez raison. Oui, oui. Sans doute, oui. Oui. Lui est ce qu'il a eu une mort prématurée ? À son goût,

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sûrement. Il n'a pas eu une mort prématurée pourtant, il est mort avant d'avoir fini un livre auquel il
tenait beaucoup. Mais sûrement. C'est difficile de dire comment quelqu'un est mort, mais c'est
difficile de l'imaginer mourrant autrement que... se disant vraiment qu'il avait fait ce qu'il avait voulu.
Parce que c'est vrai, il a fait ce qu'il a voulu.

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 17/03/81 - 3
Marielle Burkhalter

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COURS DU 17.03.1981 TRANSCRIPTION : LARRIEU Suzanne- Boudon Véronique 12C

.. conséquence, oui

étudiante- ça permet de distinguer mieux le deuxième genre et le troisième genre de connaissance.


Car à un moment au fond tu cesses de différencier

Oui ça c'est parce que je n'avais pas le temps, oui, non je ne dis pas, il peut y avoir des
avantages. Toi, tu insistes sur une communauté des sens, oui encore une fois pour moi c'est
seulement une conséquence, la communauté découle des essences et n'est pas consécutive des
essences. C'est vrai, c'est vrai là, il peut y avoir une différence en effet on pourrait concevoir un tout
autre exposé, mettre l'accent sur la convenance des essences les unes avec les autres avant tout,
oui, je vais te dire, je crois qu'elles ne conviennent que dans la mesure où elles ont réussi à
s'actualiser alors pour moi la convenance... alors on ne serait pas en désaccord, mais encore là
aussi il y a différence d'accent comme je vous le dis toujours dans une lecture, vous êtes forcés de
mettre vos propres accents. Bon ! Oui ?

[Intervention inaudible d'un étudiant dans la salle]

C'est pas quoi ?

Moi je ne sais répondre que sur le point suivant : qu'est ce qu'il nous dit Spinoza à cet égard ? Oh
évidemment... pour lui aller au-devant de la mort c'est le type même ... et c'est presque le sommet de
la vie inadéquate et l'on comprend très bien pourquoi, c'est parce qu'il a une idée à laquelle il croit et
moi je crois qu'il ait une idée, une des idées les plus profondes que l'on ait eu... il croit que par nature
la mort quelle qu'elle soit, elle ne vient que du dehors... que la mort fondamentalement c'est la loi des
parties extérieures les unes aux autres. Et que sinon l'idée même de mort n'a aucun sens. Alors que
la mort vient toujours du dehors. Là où Spinoza est très fort c'est qu'à mon avis, il est le seul à
concilier complètement l'idée que la mort est inévitable et que toute mort vient du dehors. C'est
généralement quand on dit la mort vient du dehors, on reçoit comme objection : ah, mais alors si la
mort vient du dehors, elle n'a pas de nécessité, après tout vous pourriez ne pas mourir, c'est idiot.

Spinoza il affirme à la fois l'extériorité radicale de la mort, toute mort est extérieure, toute mort
vient du dehors, il n'y a jamais eu de mort qui vienne du dedans. Spinoza fait partie de ceux pour qui
l'idée même d'une pulsion de mort, c'est un concept grotesque, absolument grotesque, que c'est
vraiment... Et...o u i ?

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[Intervention dans la salle]

Richard Pinhas[...]Une espèce de tentative de la durée en rapport à l'accident, à savoir tel


écrivain[...] et effectivement à vingt cinq ans ils auront fini, alors que d'autres auront fini à quatre
vingt[...] on retrouve exactement les mêmes cas de figure chez des gens célèbres tel que Mozart [...]
donc tout se passe comme si il y avait une vitesse de déroulement, une espèce de perception intime
de durée pour la création d'une œuvre et que à la fin il existe ce rapport accidentel qui fait que [...]
mais dans tous ces cas de figures l'homme sera fait [...]

Oui, je crois même qu'il faudrait prendre en plus des exemples non sublimes à savoir non
esthétiques, non artistiques. Cette espèce d'appréhension, d'évaluation, du temps qui reste, c'est un
sentiment qui est alors là, qui est très très, un sentiment profond dans l'existence, et quelle mesure,
ça se fait avec quel genre de quantité... ça se fait ? quand des gens ont l'impression qu'ils en ont
plus pour longtemps .. Commencent à ranger, comment ... le dire, ranger ses affaires, arranger les
trucs ? Oh c'est intéressant ça... Bon, alors il y a bien ces évaluations, ce qui est très important dans
ce que dit Richard c'est, il me semble... c'est que ce n'est pas du tout une évaluation globale. Ce
n'est pas lié à l'âge, ce n'est pas lié à un âge, ce sentiment en effet qui vient du fond et qui me fait
dire : oh, tiens, peut-être bien que ça touche à la fin, ça touche à la fin, et c'est le contraire d'une
panique, c'est le contraire d'une angoisse tout ça.
Comment l'expliquer ? Je reviens à ceci : "la mort vient du dehors",oui d'accord ; il n'y a pas de
mort qui soit accidentelle. La vieillesse aussi ça vient du dehors, tout ça, ça vient du dehors.

C'est une usure des parties extérieures. Alors ce qui est très intéressant c'est qu'il y a d'une part
les lois générales de l'espèce, je sais que...l'espèce implique telle durée, en gros, telle durée globale,
il y a donc des déterminations générales de l'espèce, mais qu'est ce que ça veut dire une espèce
dure tant de temps ? Par exemple, un chat vit tant d'années, un homme vit tant d'années en
moyenne. Ces moyennes de vie, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il y a des durées globales, des
durées statistiques qui marquent le temps sous lequel des parties extensives appartiennent à telle
essence. Une essence de chats, ça vit combien de temps un chat ? Dix ans, douze ans, dix-huit ans
? Les monstres, non ? Normalement ... Bon eh bien ils ont de la veine les chats, hein ? Dix-huit ans,
un chat, oh la la...quelle catastrophe !
Bon ! et bien dix-huit ans, c'est énorme ça, non, je pense que c'est un chat exceptionnel. Les
hommes, ça vit actuellement, je sais pas, quelle est la durée moyenne ? Le temps durant lequel
encore une fois les parties extensives m'appartiennent, sous des rapports qui me caractérisent. Bon !
Mais, ce qui fait que ces parties extensives m'appartiennent et cessent de m'appartenir, tout ça c'est
le domaine des accidents extrinsèques, simplement que les accidents extrinsèques aient des lois,
c'est évident que ça a des lois... donc en un sens, la mort est absolument nécessaire, elle est
absolument inévitable, mais elle répond toujours à des lois qui règlent les rapports entre parties
extérieures les unes aux autres, c'est en ce sens qu'elle vient toujours du dehors. Simplement
précisément comme le dit Spinoza, tout le temps" je suis une partie de la nature", c'est-à-dire je suis
ouvert sur tout ce monde de l'extériorité. En ce sens, la mort est inévitable, plus elle vient de
l'extérieur plus elle est nécessaire. Voilà voilà !

[Intervention Comtesse : La mort vient du dehors, si venant du dehors, une affection mortelle qui
vient du dehors et qui passe dans le dedans. Le problème se pose ou se poserait s'il y a une idée

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adéquate de l'affection, et si les affects dont parle Spinoza peuvent, avant tout la joie ou la tristesse
peuvent amener une idée adéquate de l'affection mortelle comme venant, ça serait un problème qui
se poserait chez Spinoza. Il ne faut pas oublier qu'il y a certains textes de Spinoza où il dit : il est
comme un malade, un malade qui va mourir, qui va sombrer s'il ne trouve pas une voie du salut.
Quand Spinoza parle comme ça dans les premiers textes, ce n'est pas simplement une mort qui
vient du dehors, c'est l'effet d'une affection, ou d'une entame qui provoque une maladie et, à cette
maladie, il faut trouver un remède. Et le remède est une forme de pensée ou une forme justement de
connaissance, comme il dit. Mais on ne peut pas dire simplement, sans en rester à un axiome très
simple : la mort vient du dehors simplement. Par exemple, par exemple certaines images participent
à l'affection, c'est incompréhensible [...] mortel dans l'axiome de l'extériorité radicale. Par exemple je
pense à un texte d'Henry Miller par exemple dans" le Monde du sexe". Il raconte, Henry Miller, un
événement [...] Certains cherchent à oublier toute leur existence, certains événements, mais ll parle
dans le "Monde du sexe", d' un événement presque inoubliable, et qui l'affecte encore, et donc il ne
comprend pas du tout, ni ce qui produit cette affection, ou ce qu'il fait qu'il y a affection, c'est
l'événement où il dit lorsqu'il a vu pour la première fois le sexe d'une petite fille, il a eu aussitôt une
impression très étrange que cette petite fille se dédoublait, il avait huit ans, disait il, cette petite fille
se dédoublait aussitôt, et surgissait la sur-impressionnant, un homme au masque de fer. C'est une
expérience trés étrange. Et lui, eh bien l'homme au masque de fer, il y toute une série à partir de là, il
parle d'un masque africain et la même hallucination de l'homme au masque de fer, il dit "qu'il doit y
avoir un rapport entre l'excitation et l'agressivité dite virile et justement cet événement là mais je ne
comprends pas le rapport".
Donc ici on a un type d'affection même secondaire qui pour un écrivain, dans son expérience
même de l'écriture, n'arrive pas à se dire. Donc il y a des affections muettes ou indicibles. Et le
problème qui se pose lorsqu'on parle de, lorsque l'on veut axiomatiser la mort en disant que c'est
une mort qui vient du dehors, c'est le problème à la fois de l'affection indicible et des effets d'affection
qui se pose, et des séries événementielles à partir de ses effets."

Ben j'avoue que je ne comprends bien tout que tu dis [...] même ça paraît très intéressant, mais
j'avoue que... à mon avis ça n'a rien de spinoziste...

Comtesse : Ah mais je n'ai pas dit que c'était spinoziste !

Ah d'accord ! Parce que Spinoza ne parlerait pas à propos de la mort qui vient du dehors, il ne pense
pas que dès lors, elle passe nécessairement dedans. Tiens, si vous avez compris, il n'y a pas
d'intériorité à ce niveau chez Spinoza, tout est extérieur, et ça reste extérieur, la seule intériorité telle
que la conçoit Spinoza c'est - et il emploie le mot - c'est au lieu d'essence singulière, il parlera
d'essence intime. L'essence singulière est en effet définie par une intimité. Ça signifie quoi ? Ça veut
dire que, en tant que partie intensive, elle a une intériorité, elle a une intériorité. Son intériorité
consiste en quoi ? Bizarrement, l'intériorité d'un degré de puissance, c'est la manière dont il
comprend en soi les autres degrés de puissance, et c'est ça une des grandes différences entre
parties extensibles et parties intensives. Une partie intensive quelconque est une parce-intima
c'est-à-dire une part intime, qu'est ce que ça veut dire une part intime ? Encore une fois c'est très
précis, ça veut dire qu'un degré de puissance en tant que tel comprend en soit, et les degrés de
puissance inférieurs ne se confondent pas. Il y a les degrés de puissance supérieurs et les degrés
de puissance inférieurs. C'est là que toutes les essences conviennent les unes avec les autres en
vertu de cette intimité de toutes les essences dans chaque essence. Ce que tu disais tout à l'heure je

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pourrais le reprendre au niveau de la convenance des essences et de cette intimité des essences. Il
y a donc une intériorité à ce niveau pour Spinoza, et au niveau de l'existence et des parties
extensives : Il n'y a que de l'extériorité, il n'y a aucune intériorité.

Donc les affects qui dépendent des parties extensives restent uniquement des affects
d'extériorité. Si bien que je crois que Spinoza ne pourrait pas prendre à son compte la formule que
vient d'employer Comtesse, à savoir, "un affect venu du dehors passe nécessairement au-dedans". Il
ne peut pas passer au-dedans, puisque l'affect interne, ça ne peut être qu'un affect "de l'essence en
tant qu'essence", en tant que partie intensive, en tant que degré de puissance. Tandis que les affects
qui viennent du dehors, ça ne peut être que des affects qui dépendent des interactions entre parties
extérieures les unes avec les autres. Il n'y a pas de communication entre les deux. Je peux passer
du premier genre au deuxième genre ou au troisième. Un affect du premier genre, un affect passion
ne passe pas dans le dedans c'est-à-dire ne devient pas affect de l'essence.

Donc tout ton développement, il est très intéressant, avec un exemple à faire frémir ! C'est que tu
comprends En quoi Miller ? Miller c'est un drôle d'auteur à cet égard quand à ce qui nous occupe ici,
parce qu' il y a vraiment des pages qui sont incontestablement spinozistes chez lui, mais c'est pas un
commentateur de Spinoza, donc il a tous les droits. Tantôt il va dans la cohérence de sa propre
inspiration, il a des éléments d'inspiration très très spinoziste, ça renvoie à tout le panthéisme
d'Henry Miller et puis il a des inspirations qui viennent tout à fait d'ailleurs, ne serait ce que tout un
côté qui lui vient de Dostoïevski et puis le mieux, le plus beau ce qui lui vient lui-même à savoir ce
qui fait que toutes ses aspirations consistent les unes avec les autres, se conviennent les unes avec
les autres. Or à quel point si tu veux, tout l'élément que tu as développé est évidemment non
spinoziste, c'est pas difficile si vous vous rappellez l'idéal de Spinoza. L'idéal de Spinoza - je l'ai pas
rappelé mais j'en profite pour le rappeler là - c'est vraiment que le monde de l'inadéquat et de la
passion, c'est le monde des signes équivoques, c'est le monde des signes obscurs et équivoques, or
toi tu as développé à la Miller c'est l'exemple même d'un signe obscur, hors pour Spinoza là, Spinoza
est sans aucune trace, vous vous traînez dans le premier genre de connaissance, vous vous traînez
dans la pire des existences tant que vous en restez à des signes équivoques ces signes ne sont pas
ceux de la sexualité, soit ceux de la théologie, soit ceux de n'importe quoi d'autre, peu importe d'où
viennent ces signes, que ce soit des signes du prophète, ou les signes de l'amant, c'est du pareil au
même. C'est du pareil au même c'est le monde des signes équivoques. Hors au contraire toute la
montée vers le second genre et le troisième genre de connaissance, c'est supprimer au maximum
qui dira toujours au maximum en vertu de la loi des proportions, on est condamnés bien sûr, il y aura
toujours des signes équivoques, on sera toujours sous leur loi, c'est la même loi que la loi de la mort.

Mais le plus que vous pourrez substituer aux signes équivoques, le domaine des expressions
univoques, et c'est tellement ... alors le problème du sexe, le monde du sexe ben évidemment
Spinoza n'aurait pas écrit un livre sur le monde du sexe. Pourquoi il n'aurait pas écrit sur le monde
du sexe ? Pourquoi que pour Spinoza là, je [...] je n'ai pas besoin de remplacer c'est évident là qu'il
nous dit quelque chose là-dessus, il nous dirait : "Oh mais ça existe, la sexualité, ça existe... mais
c'est votre affaire : est ce que vous en faites la part principale de votre existence ou une part
relativement secondaire." Pourquoi lui, il dirait pour son compte, évidemment c'est aussi question de
tempérament, de nature, je crois que Spinoza était fondamentalement un chaste, comme tous les
philosophes d'abord, et particulièrement lui. Pourquoi ? Pourquoi, c'est très ancré si vous voulez du

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point de vue du Spinozisme.

C'est que pour lui, la sexualité est inséparable de l'obscurité des signes. Si il y avait une sexualité
univoque, à ça, il serait complètement pour, c'est pas, il n'est pas contre la sexualité, si vous pouviez
tirer et vivre dans la sexualité des expressions univoques, il vous dirait : "Allez-y, c'est ça qu'il faut
faire." Mais voilà, il se trouve, a-t-il tort ou a-t-il raison ? Y a-t-il des amours univoques ? Il semblerait
plutôt, et il semble que l'on soit allé tout à fait dans ce sens que loin de découvrir des ressources
d'univocité dans la sexualité, on a au contraire laissé proliférer l'équivocité du sexuel et que ça été
une des plus belle réussite de la psychanalyse de développer en tout sens l'extraordinaire équivocité
du sexuel. Alors les critères de Spinoza là, il s'agit de les comprendre avant. Spinoza dirait : Ça
m'intéresse pas beaucoup" il dirait : " vous privilégiez la sexualité ...faut pas privilègier la sexualité
parce que si vous vous en tenez aux signes équivoques, vous en trouvez partout, faut pas vous en
faire. Vous pouvez être aussi bien prophète, vous pouvez être pervers, c'est pas la peine d'aller
chercher des trucs sur... sur la bisexualité par exemple, ou sur le mystère du sexe Ou sur le mystère
de la naissance. Les signes prenez les où vous voulez, si vous aimez les signes équivoques. Mais
une fois dit que le Spinozisme, c'est vrai ce que je vous proposais... le seul point d'interprétation
auquel j'ai tenu depuis le début de ces séances sur Spinoza, si vraiment le spinozisme c'est un effort
pratique qui nous dit, pour ceux qui seraient d'accord avec un tel projet, avec une telle tentative, il
nous dit quelque chose que vous comprenez ... ce qui fait votre chagrin, votre angoisse c'est
précisément que vous vivez dans un monde de signes équivoques.
Et ce que je vous propose, moi Spinoza, c'est une espèce d'effort concret pour substituer à ce
monde de l'obscur, à ce monde de la nuit, à ce monde du signe équivoque, un monde d'une autre
nature que vous allez extraire du premier, vous n'allez pas opposer du dehors, vous allez extraire du
premier avec beaucoup de précautions et qui est un monde d'expressions univoques. Là : Spinoza
serait assez moderne, assez comme nous quand à la sexualité, il pense lui qu'il n'y a pas. Qu'il n'y a
pas d'expression univoque du sexuel ...d'accord ça vient du dehors, ça vient du dehors. C'est-à-dire
allez-y, mais que ça ne soit pas la plus grande partie de vous même, parce que si c'est la plus
grande partie de vous même, à ce moment-là, quand viendra la mort, ou bien plus quand viendra
l'impuissance, l'impuissance légitime de l'âge, quand viendra tout ça, eh bien vous perdrez la plus
grande partie de vous-même même. Oui, l'idée de Spinoza est très curieuse, c'est que finalement,
"sera la plus grande partie de moi-même, ce que j'aurai fait durant mon existence comme étant la
plus grande partie de moi-même."

Si vous voulez, l'idée de Spinoza très curieuse c'est que finalement sera la plus grande partie de
moi-même ce que j'aurais fait durant mon existence comme étant la plus grande partie de
moi-même. Alors si je prends une partie mortelle, si je fais d'une partie mortelle la plus grande partie
de moi-même, et bien à la limite je meurs tout entier en mourant et je meurs avec désespoir.

[Intervention dans la salle] Alors si on s'en tient à la connaissance du deuxième genre [...] puisque
même cette condition du troisième genre, on n'ose pas en parler, on n'en parle pas, si on s'en tient à
cette condition du deuxième genre qu'advient-il , qu'en est-il ?

Ah, c'est bien là aussi ça marche. Il faudrait plutôt dire : « qu'est-ce qui nous manque si on s'en tient
au troisième genre ? »

[Intervention dans la salle] Ce qui manque, c'est que je crois voilà...c'est que, dans la connaissance

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du second genre on comprend tout...de quoi ? On comprend tout des rapports et là on ne peut pas
aller plus loin que dans le domaine des rapports. Ca veut dire quoi ? ça veut dire que on comprend le
rapport, les rapports respectifs entre trois individus. Pourquoi je dis entre trois individus, et pas entre
deux ou quatre ? Parce que le rapport entre trois individus, c'est l'exemple privilégié, A, B, C.
J'appelle A, un premier individu ; j'appelle B un deuxième individu extérieur au premier et j'appelle C
l'individu composé par A et B. Voyez pourquoi j'ai besoin dans cet exemple privilégié de trois
individus. Deux individus qui composent leurs rapports forment nécessairement un troisième
individu. Exemple : le schyle et la lymphe pour reprendre l'exemple de Spinoza. Le schyle et la
lymphe sont des parties du sang, ça veut dire, il y a un individu, le schyle, un individu, la lymphe,
dans la mesure chacun sous un rapport, dans la mesure où leurs rapports se composent, ils
composent le sang, troisième individu. Donc, le deuxième genre de connaissance me dit tout sur les
rapports qui composent et décomposent les individus.

Qu'est-ce qu'il ne me dit pas ? Eh ben, il ne me renseigne pas sur la nature singulière ou l'essence
de chaque individu considéré. à savoir il ne me dit pas quelle est l'essence de A, quelle est l'essence
de B, à plus forte raison quelle est l'essence de C ? Il me dit comment C s'applique à A et B. Tu vois
c'est exactement ça, il me dit comment la nature du sang s'applique à la nature du schyle et à la
nature de la lymphe puisque le schyle et la lymphe composent le sang.

[Intervention dans la salle] Donc moi, si je m'en tiens à la définition, quelque chose d'essentiel
m'échappe c'est-à-dire ce qui est l'essence par conséquent à la mort la plus grande partie est de
m'être sauvé (...)

- Si,voilà, alors là tu poses une question en effet très, très précise, mais ça, je ne l'ai pas développé.
Pas parce que on ne peut pas la développer, parce qu'elle devient assez théorique. ça je le dis pour
ceux que ce point intéresse, c'est comment on passe en effet chez Spinoza du deuxième genre au
troisième genre, pourquoi on n'en reste pas au deuxième genre. Là, le texte pour ceux qui iront
jusqu'au livre cinq ; ce que je souhaite, pour tous, ici. Je signale quelque chose qui est, vu le
caractère extrêmement difficile de ce livre cinq, je dis pourquoi, que la vitesse des démonstrations, il
y a quelque chose à la fois de fantastique, c'est un texte d'une beauté ! C'est la pensée qui a atteint,
un niveau de vitesse de vol, à toute allure, c'est très curieux ce livre cinq.

- Et bien, voilà si j'essaie de décomposer : le deuxième genre procède par notions communes. Les
notions communes c'est les idées de rapport, c'est pas du tout encore une fois des notions générales
ou abstraites, c'est les notions de rapports caractéristiques, c'est les compositions de rapports, c'est
ça les notions communes.

Mais voilà les notions communes, qui sont des rapports composés, qui sont donc les idées d'une
composition de rapports nous mènent toujours, c'est le premier moment du raisonnement spinoziste,
sont toujours liés à l'idée de Dieu. Bizarre ça, qu'est-ce qu'il veut dire ? Il veut dire une chose très
simple c'est que lorsque l'on veut considérer des notions de compositions de rapports dans la nature,
vous ne pouvez pas vous faire l'idée adéquate d'un rapport composé sans un même temps former
une idée de Dieu comme fondement des rapports qui se composent. - Donc, vous allez normalement
et nécessairement de la notion commune à l'idée de Dieu comme fondement de tous les rapports.
En effet l'idée de Dieu c'est, elle est définie à ce niveau, à ce niveau, elle serait définie comme ceci,"
le fondement de toutes les compositions de rapports". Mais alors vous voyez que l'idée de Dieu, elle

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est très bizarre chez Spinoza,
je veux dire d'une part, elle est nécessairement liée à la notion commune, à l'idée des rapports
qui se composent,
mais d'autre part en même temps, c'est pas une notion commune. C'est plus, c'est quelque chose
de plus ; alors là ça devient très bizarre, en effet, l'idée de Dieu, c'est pas l'idée des rapports qui se
composent, c'est l'idée d'un véritable fondement concret pour toutes les compositions de rapports.
C'est l'idée d'un être infini, comme fondant tous les rapports qui se composent. C'est donc plus qu'un
rapport qui se compose, l'idée de Dieu. Et pourtant elle est liée à l'idée des rapports qui se
composent. Donc je vais nécessairement de, la notion commune, c'est-à-dire du second genre de
connaissances à l'idée de Dieu. Et là l'idée de Dieu, donc c'est exactement, je ne vois pas d'autre,
pour vous faire comprendre, c'est comme si l'idée de Dieu avait deux faces chez Spinoza. Sur une
face, elle est tournée du côté des notions communes, en effet, elle est tournée du coté des notions
communes parce que elle est le fondement de tous les rapports qui se composent ; et que les
notions communes c'est toujours, l'énonciation de tel ou tel rapport qui se compose. Donc voilà une
face tournée vers les notions communes.

Et, je vais nécessairement de la notion commune à l'idée de Dieu. Mais une fois que je suis dans
l'idée de Dieu, je m'aperçois qu'il y a quelque chose de plus dans l'idée de Dieu que dans les notions
communes, si bien qu‘elle a une face tournée vers autre chose, qui est quoi, à savoir Dieu comme
"contenant", comme étant lui-même une essence qui contient toutes les essences, à savoir toutes
les essences singulières sont comprises dans l'idée de Dieu. Toutes les essences singulières sont
comprises, contenues dans l'idée de Dieu, si bien que l'idée de Dieu est comme le pivot qui nous fait
passer nécessairement du second genre au troisième genre.

Est-ce que ça résout tout ? Oui et non parce que très bizarrement, et je dis ça pour finir parce que
c'est très important dans le livre cinq, si vous suivez quand vous lirez bien le livre cinq, vous verrez
que Dieu, dans le livre cinq, est successivement à quelques propositions de distance, est présenté
comme, et sous, deux portraits absolument différents ; au point que certains ont dit « mais ça va pas
tout ça, ça va pas on peut pas se contredire à ce point là, à quelques pages de distance » ; et
Spinoza n'éprouve aucun, aucun besoin de résoudre les apparentes contradictions tellement
justement je crois elles sont apparentes. Si on suit bien l'ordre du texte on est pas gêné.
Parce que dans une première série de textes, il explique que nous aimons Dieu, mais que Dieu
ne nous le rend pas, c'est un Dieu impassible. L'idée de Dieu nous donne l'idée d'un Dieu
impassible, qui compose tous les rapports mais qui lui n'est pas affecté. Nous l'aimons et il ne nous
aime pas, si vous voulez, c'est comme une résurrection du vieux Dieu épicurien. Vous n'attendez
pas qu'il vous le rende, ça n'a aucune importance.
Et quelques pages plus loin, dans l'amour que nous avons pour Dieu, l'amour du troisième genre
cette fois ci, dans l'amour du troisième genre que nous avons pour Dieu, c'est Dieu qui lui-même, qui
s'aime, à travers notre amour pour lui et c'est Dieu qui nous aime, à travers notre amour pour lui. Où
là il y a comme une identité de notre amour pour Dieu, de l'amour de Dieu pour lui-même et de
l'amour de Dieu pour nous. Ça c'est quoi ?. C'est bien le troisième genre de connaissance. Qu'est-ce
que ça veut dire ça ? Mais la contradiction, je ne la vois pas, elle ne me gêne pas du tout en tous
cas. Je dirais, la première sorte de textes, c'est l'idée de Dieu telle qu'elle est rapportée au second
genre de connaissances. Et la seconde sorte de textes, c'est l'idée de Dieu rapportée au troisième
genre de connaissances.

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Tant que Dieu est saisi uniquement comme fondement des rapports qui se composent, c'est un Dieu
impassible, à savoir n'importe quoi se compose très bien, tout est bien etc. Quand on passe aux
essences singulières évidemment, l'idée de Dieu change de sens. Du deuxième au troisième genre,
ça peut pas être la même idée de Dieu, parce que cette fois-ci c'est l'idée de Dieu comme étant une
essence qui contient toutes les essences. L'essence absolument infinie qui contient tous les degrés
de puissance. La puissance, ou comme il dit," la puissance absolument infinie qui contient tous les
degrés de puissance". Donc il y a une raison très forte pour que Dieu ait comme deux portraits
successifs. C'est comme s'il faisait deux tableaux successifs d'une espèce de Dieu impassible très
épicurien et puis, au contraire un Dieu mystique. Le Dieu mystique du troisième genre, qui à travers
l'amour qu'on a pour lui, s'aime lui-même et nous aime nous.

[Intervention dans la salle] Et ça ne rejoint pas ça cette intériorité du degré de (...)

Complètement, c'est la même chose,c'est tout à fait la même chose, c'est là l'intimité, il n'y a plus
que de l'intimité...

[Intervention inaudible]

- des notions communes, voila je vais te dire c'est une trés bonne question. Je traduis ta question, je
la traduis comme ça pour mon compte : "est-ce qu'on peut être un spinoziste modéré ?" (rires) Je
veux dire un Spinoziste modéré, ça serait un Spinoziste qui dirait à bien oui, je vais jusque là, mais je
peux pas, on dirait, pardonnez-moi, mais je ne peux pas aller plus loin. Alors Richard(Pinhas) il nous
demande est-ce qu'on peut être un spinoziste qui s'en tient au second genre de connaissance et qui
s'en contente. Moi je suis très heureux de cette question. ah c'est pas ça ?

[Intervention dans la salle] Richard pinhas : À aucun moment on ne sent la nécessité de ce


fondement. Alors ma question c'est : à quel moment et pourquoi est-ce que Spinoza éprouve la
nécessité d'un fondement ? Je cherche à comprendre.

Je dirais à deux niveaux, il éprouve la nécessité d'un fondement parce qu‘il a l'intime conviction, là,
parce que encore une fois on ne cherche pas à comprendre là des raisons théoriques, il a l'intime
conviction que l'idée de Dieu ne peut pas être traitée comme une simple notion commune. Que l'idée
de Dieu est nécessairement l'idée d'un être à la fois infini et singulier. Que dès lors, un être infini, les
notions communes pourraient nous le donner, mais un être à la fois infini et singulier, non. Il y a
quelque chose dans l'idée de Dieu, c'est l'idée d'un être, c'est pas l'idée d'un rapport. Les notions
communes, c'est l'idée de relations de rapports.

Alors pourtant je recommence quand même, bien que j'avais mal compris ton intervention, si je
reprends ma question : « est-ce qu'est convenable un spinozisme mutilé , tronqué qui s'arrêterai au
second genre de connaissances et qui dirait bien non le reste ça va pas, je suis pas pour le reste. »
Je me sentirais très, pour un Spinozisme mutilé, je trouve qu'au niveau des notions communes c'est
parfait, ça me va, c'est très bien, pour une raison simple, mais à ce moment-là, il y a une condition
pour être un Spinozisme tronqué. Pour être un Spinozisme mutilé, il faut vraiment croire qu'il n'y a
pas d'essence, qu'il y a que des relations, si je crois qu'il y a que des relations et pas d'essence, là
ça va même de soi, le troisième genre de connaissances, j'en ai pas besoin, non seulement j'en ai
pas besoin, mais il perd tout sens. Alors il faut voir...vous ne pouvez être un Spinozisme tronqué,

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que si vous pensez que, finalement il n'y a pas d'être, il n'y a que des relations. Bon, mais si vous
pensez qu'il y a de l'être, si vous pensez que le mot essence n'est pas un mot vide de sens, à ce
moment-là vous ne pouvez pas vous arrêter aux notions communes. Vous ne pouvez pas dire qu'il y
a des relations, il faut un fondement des relations ; c'est-à-dire il faut que les relations soient fondées
dans l'être. C'est par là que l'idée de Dieu, elle est autre chose qu'une notion commune. Une notion
commune, c'est une idée de rapports. Dire l'idée de Dieu, c'est à la fois lié aux notions communes,
mais ça excède, ça déborde la notion commune, vous voyez ce qu'il veut dire, c'est très simple, il
veut dire les relations doivent bien se dépasser vers quelque chose qui est.

[Intervention dans la salle]


Richard Pinhas - Sans être radical, je donnerais un exemple [....] on dit « d'accord pour les
relations », et pourtant je vais te dire par exemple moi en tant que musicien, j'ai besoin des
essences, on avait vu à un certain moment, il y a plusieurs années, que sur tel type de sonorités,
mais on peut aussi bien le retrouver en peinture, on a l'essence bois, on a l'essence métal, on a bref,
quelque chose qui dépasse objectivement les simples relations, tout cela ne m'entraîne pas, le fait
que j'ai besoin moi, pratiquement de ces essences - que le peintre ait besoin de ces essences pour
exprimer ces lumières, n'implique pas un principe d'unicité qui serait l'essence que l'on comprend
comme une essence. A la limite, ça serait même pas confier au niveau des relations.

D'accord
Non, toi tu fais pas un spinozisme tronqué, mais tu fais un spinozisme mutant. (rires) Ta
transformation radicale, tu dis « je garderai les essences », donc c'est pas là que je me distinguerai
moi, je resterai beaucoup plus modeste, mais. Eh, tu ne gardes pas les essences, mais tu
transformes complètement le sens spinoziste du mot essence. Alors, en effet, toi, ce que tu appelles
« essence » c'est finalement quelque chose qui est de l'ordre de « l'événement », c'est « l'événement
du bois », c'est le bois comme « événement » et pas comme chose, et Spinoza lui, il garde au mot «
essence », son sens absolument traditionnel en philosophie, c'est-à-dire "ce que la chose est" , par
opposition à l'accident. Au contraire, toi tu fais une révolution qui suppose la philosophie moderne, à
savoir « l'essence, c'est l'accident ». oui, si, si c'est ça que tu fais. Tu fais pas ça et qu'est ce que tu
fais ?

[Intervention de Richard Pinhas] [...] tu affirmes que le bois en tant qu'événement ça va être, le métal
en tant qu'événement, ça va être effectivement une dominante donnée [...] le nous sommes
dépassés vers quelque chose, ce vers quelque chose, c'est, c'est quelle que chose qui n'est pas du
tout du domaine de l'événement, ça serait, je peux dire que des tautologies [ ...]

là tu en veux beaucoup

l'idée de métal pur, par opposition aux évènements que peut produire l'événement métallique [...]
l'idée d'un métal pur, j'arriverai pas à la décrire, mais c'est quelque chose que j'arrive à concevoir

- Evidemment, que tu arrives à le concevoir, mais qu'est-ce c'est que ton idée de métal pur ? Là, on
pourrait prendre, moi je vois très bien, on demanderait à Spinoza, qu'est-ce que c'est un métal pour
lui, il donnerait une définition par l'essence, et je suis sûr que toi tu y arriverais mais que ce serait
justement une définition qui implique un tout autre sens de l'essence. Pour moi, si on me dit « un
métal pur aujourd'hui, qu'est-ce que c'est ? » C'est essentiellement ce qu'on pourrait appeler une

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"essence opératoire". L'essence désigne ce qui se dégage, ce qui se dégage des choses à l'issue
d'un certain type d'opération. Alors quelles opérations dégagent l'essence ? Là, il faudra se
demander cela. Bon, d'accord même si je dis alors là, je peux pas bien dire.
Mais si tu veux l'essence au sens qui me semble actuel, c'est quelque chose qui est inséparable
d'un certain type d'opération, qu'on fait passer, dans lequel on fait passer la chose. Par exemple,
l'essence d'un bois, et là on voit bien dans quel sens l'essence est singulière. L'essence d'un bois, ça
se voit au rabot, au rabot je dis ça, mais le musicien dirait autre chose, un menuisier dirait, ça se voit
en rabotant, vous avez pas deux bois même de la même espèce, qui... les fibres du bois ... or ce
rapport...

[Intervention dans la salle]

Richard Pinhas :Tu réduis l'idée d'essence. J'entendais vraiment essence au sens fort,
c'est-à-dire quelque chose qui n'est pas simplement une essence opératoire. Alors, je prends un
exemple pour essayer d'expliquer parce que c'est quelque chose d'assez important. Bon, quand tu
dis qu'un rapport est éternel, qu'une essence est quelque chose d'éternel, bon, moi je pensais à un
morceau de musique, une musique n'existe pas tant qu'elle n'est pas effectuée, effectivement, un
son ça n'existe qu'effectué, mais à la fois, on sait très bien qu'il y a pour une forme musicale
achevée, qui soit un morceau qui agisse, un morceau parfait, il n'y a qu'une forme possible, il n'y a
qu'une expression possible, c'est-à-dire en fait qu'il soit effectué ou pas passe [...] la forme parfaite
d'une mélodie, qu'elle soit effectuée ou pas, ça nous concerne nous mais ça ne concerne pas son
essence, or on pourra dire qu'une mélodie parfaite a une essence, enfin j'espère en tout cas, et à ce
niveau-là, quand je dirais que telle mélodie a une essence métallique, le fait que ça passe par des
instruments métalliques ou pas n'est que de second ordre. Donc c'est pour ça que l'essence de cette
mélodie sera une essence proche, en tout cas je pense de l'essence classique, enfin au sens
classique de sa définition, mais pas du tout une essence opératoire ; effectivement après on va
trouver des rapports opératoires.

C'est toi qui comprends pas parce que tu méprises

tu méprises quoi ?

- Attention, là, ça devient très intéressant pour moi, parce que, tu me réponds, « il faut pas parler
d'une essence opératoire parce que l'opératoire ça ne concerne finalement que le matériau », et là tu
substitues à mon exemple de menuisier, tu substitues un exemple de musique, que tu as tout à fait
bien expliqué, ton exemple de musique. Mais je dirais moi, si l'on s'installe au niveau de ton exemple
de musique, c'est bien évident que, ta mélodie soit exécutée par tel bois ou plutôt que par tel autre,
cet aspect opératoire est très très secondaire par rapport...

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 17/03/81 - 4
Marielle Burkhalter

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Cours de Gilles Deleuze du 17 - 03 - 81 Référence : 12 D - 30mn Transcription Guy NICOLAS

C'est pas du tout parce que le menuisier est réduit à du matériau, au contraire, c'est parce qu' à son
niveau, l'essence du bois, l'opération du rabotage, fait surgir au niveau de la menuiserie, l'équivalant
de ton essence mélodique. C'est par rapport à la musique, que tu peux réduire, l'opération du
rabotage à une opération qui porte uniquement sur le matériau. Mais si tu la prends en elle-même
cette opération du rabotage. Elle porte pas du tout sur un matériau.

Richard Pinhas : Je sais pas si je vais pouvoir dire, en fin de compte que l'opération du rabotage
sur telle pièce de bois est éternelle. Ou bien à un certain niveau de preuve, tu peux toujours me dire
que le rapport du rabot sur la pièce de bois est éternel, c'est vrai

Deleuze : Exactement comme un..

Richard Pinhas : comme, comme le fait de créer)

Deleuze : non ce n'est pas le rapport (de créer) et non pas plus qu'en musique, tu n'accepterais
de dire : c'est le rapport de l'archer sur les cordes ? Le rapport de l'archer sur les cordes, c'est des
effectuations, c'est des, c'est des coefficients d'effectuation. Le rapport du rabot sur le bois a aussi
un certain taux d'effectuation. Mais c'est pas du tout un taux d'effectuation. C'est que, cette opération
fait surgir une différence essentielle de tel bois, même au sein de la même espèce, Y a pas deux
arbres pareils à ce niveau-là, y a pas deux arbres dont les lignes, les fibres, ont les mêmes
coefficients de résistance, le même degré de perméabilité, etc., etc... Et à ce niveau, il me semble
qu'il y a une essence du bois, tout comme il y avait une essence de la mélodie. Mais enfin on
s'embourbe là-dedans.

Richard Pinhas : Mais ok

Euh, oui, je reprends ton histoire

Richard Pinhas : Oui, la nécessité interne à ce niveau, je, je l'accepte) dans ton histoire, oui ?

Richard Pinhas : Cette idée je, je l'accepte, je l'admets, mais je ne saisis pas pourquoi...

Deleuze : Le pourquoi ? Ben, c'est toi qui viens de le dire, je ne comprends pas, c'est toi qui viens
de la démontrer magistralement

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Étudiante : Ben, oui...

tu viens de dire dans une histoire de musique, j'ai mes trois aspects. Tu dis : dans une mélodie,
j'ai bien (Étudiante : s'il y a une essence...) Des coefficients d'effectuation qui sont équivalents là à
des parties extensives dans les instruments avec lesquels j'incarne, j'effectue ma mélodie. Y a bien
le système des rapports mélodiques et puis tu dis, il y a quelque chose de plus il y a une essence..
(Étudiante : une essence).

Richard Pinhas :Mais l'essence n'est pas fondement !

Étudiante : Ben si, parce que c'est pas toi qui la crées ? !

Deleuze : Elle est bien fondement des relations, des relations mélodiques ? T'as les agents
d'effectuation de la mélodie. Les rapports mélodiques. Et tu dis, il y a une essence. Cette essence, il
y a quel inconvénient à l'appeler fondement ?

Richard Pinhas : Tu comprends, je suis très ennuyé parce que je vois bien la nécessité d'un
fondement au sens de, euh, derrière un pan de proposition au sens le plus propre et le plus réel
passible y a, y a besoin d'un plan de fondement. Mais qu'est-ce que je dis en plan de fondement
dans ce cas-là, ça veut dire un ensemble articulé, en fait. Oui, je, je ne suis pas sûr que ce, ce, que
ce que j'appelle fondement dans ce cas-là, ce, cette nécessité d'articulation, de laquelle va se
dégager ce qu'on appelle un concept de création entre guillemets, euh, corresponde à la notion de
fondement chez, chez Spinoza. J'ai, j'ai pas l'impression du tout.

Deleuze : Je comprends pas Richard, parce que tu me parais aller et tu me parais m'échapper
dans, par tous les bouts.

Richard Pinhas : Mais je cherche, hein...

Deleuze : Quand je propose, oui mais tu veux ni l'un, ni l'autre. Quand je propose un spinozisme
modeste qui s'en tiendrait au second genre de connaissance, tu me dis :" ah bein non, c'est pas ça
que je veux moi, il faut, il faut forcément bien garder un sens aux essences". Eh puis alors, quand je
te dis : bon, bien alors où est le problème, c'est très bien, alors à ce moment-là faisons du
spinozisme intégral. Euh, tu me réponds, ah b'in non, je vois pas comment les essences sont des
fondements. Alors, je recommence à ce moment-là, contentons-nous du spinozisme restreint.

Étudiante : ça te convient pas)

et ça te convient pas. Dans un sens, c'est très gai, c'était ce qui te convient, c'est de toi que tu vas
le trouver. Tu veux pas. Non mais je veux dire, je ne vois pas ton attitude parce que, bon alors, si je
te dis

Richard Pinhas : hum, hum, d'ailleurs, d'accord je, je veux bien, l'idée de Dieu ne me dérange
strictement pas, je dis, bon

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ça je comprends bien, on s'en fout, tout le monde, qu'il est appelé cela « idée de Dieu », ça
change rien, on peut appeler ça « être », on peut appeler ça « ombre », on peut appeler ça comme
on veut.

Richard Pinhas : C'est peut-être moi qui saisis mal la notion de fondement chez Spinoza, il me
faut saisir cette idée.

fondement ? Étudiante : C'est facile

Un fondement, c'est pas difficile, là il ne donne aucun sens particulier à fondement. Il emploie le
mot très rarement, hein, à ma connaissance, s'il y a une fois le mot « fondement », euh, en latin,
hein. Le fondement c'est la raison de quelque chose qui diffère en nature de la chose. Ça le sens au
plus simple, à savoir, le fondement de la relation ça veut dire : quelque chose qui rende compte de la
relation et qui ne soit pas une relation.
Alors, pourquoi est-ce qu'il veut un fondement des relations Spinoza ? Parce que, il pense - et là
c'est très conforme au XVIIème siècle - il pense finalement que les relations ne peuvent pas être
pensées toutes seules, que, il faut bien un être plus pur, plus profond que la relation, il faut bien que
la relation soit finalement intérieure à quelque chose. Il ne veut pas penser à des relations qui
seraient de pures extériorités. Bon, alors toi, si tu dis, euh, que tu es d'accord là-dessus, tu es
d'accord là-dessus ou pas ?

Richard Pinhas : Oui, oui.

(Étudiante : brouhaha)

Deleuze : Si toi non plus tu ne veux pas penser des relations à l'état pur, euh, (Étudiante :
brouhaha)

en effet, ce que tu ajoutes comme fondement, c'est quelque chose qu'on pourra appeler une
essence., Non ? Tu vas y penser, hein ?

Comtesse : On pourrait même dire peut-être, pour reprendre cette question, que (bruits) dans,
dans le discours de Spinoza, peut-être l'idée, l'idée même de traverser les signes, les signes
équivoques vers des expressions univoques ou vers un sens unique ou vers un monde de rapports,
cette idée même là, cette traversée même des signes - ça suppose nécessairement pour que ça
s'accomplisse vraiment - pour que Spinoza même pense, même que ça puisse s'accomplir, il faut
nécessairement l'idée d'une vérité.

Deleuze : Ça c'est sûr, là tu as raison ;

Comtesse : Il faut donc que l'être absolument infini soit pensé nécessairement comme vérité et il
faut penser en plus la vérité comme cause immanente de toutes les puissances d'être.

Deleuze : Complètement d'accord là.

Comtesse : sans quoi la traversée et le sens unique, ça ne se comprend pas.

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Deleuze : À savoir, et là pour te plaire toi, il faut penser la lumière

Comtesse : ça, on ne peut pas,

et j'ai essayé le, c'est un monde, c'est un monde qui est nécessairement la lumière.

Comtesse : On ne peut pas penser la traversée finalement sans troisième genre.

Deleuze : On ne peut pas penser la traversée sans le troisième genre, d'accord,, ça je dirais soit,
ça m'ennuie ça, même mettons. Euh, pas sûr, mais mettons et en tout cas on ne peut pas penser le
troisième genre sans, euh, une référence à, à la lumière, à la lumière pure parce que c'est la lumière
qui est le contraire de l'équivocité. Des expressions univoques, en effet, les expressions univoques
pour être du second genre, mais elles se déplacent en tout cas vers un milieu absolument
nécessaire qui est le monde de la lumière où il y a plus d'ombre, quoi. Tandis que les signes
équivoques c'est vraiment le clair-obscur, c'est vraiment les ombres, c'est vraiment tout ce qu'on dit
mais un monde de la lumière pure, c'est pour ça que c'est la seule métaphore de Spinoza
perpétuellement la lumière, la lumière. Quelle heure il est ?

Claire Parnet : Il y a un garçon là-bas

Étudiant : midi et demi, 33

Bon, ah, oui, oui, oui, oui, euh, essayez de parler le plus fort que vous pouvez.

Étudiant 3 :Je voulais vous parler du problème de la circulation...

Étudiante : Il faut parler plus fort.

Deleuze : Je, je dirai moi, si j'entends, je dirai ce qu'il dit.

Étudiant 3 : Je dis que je voudrais vous parler du problème ... (Impossible à comprendre)...
morale... Tu as éprouvé le besoin d'introduire en faisant ce cours avec l'idée d'épreuve à l'echelle de
la vie en faisant la distinction sans, sans la développée, la morale... Et je demande dans quelle
mesure il peut y avoir chez Spinoza une distinction totale avec la morale s'il définit la vie comme
progrès ou comme actualisation des parties extensives comme il y a des arborescences...

Deleuze : Eux, je peux répondre, parce que là c'est pour moi, pour moi relativement facile, je
peux répondre avant que tu aies fini ou bien j'attends que tu aies tout fini ? (négociations entre
étudiants) alors, je ne réponds pas tout de suite ? C'est autre chose après, ce que tu as à dire ou pas
?

Quoi ? Alors, vas y, oui ?

Étudiant 3 : Je me demande justement si, euh, si on continue d'avancer en termes d'essence


comme ça si on a pas la dimension et la spécificité de l'emploi du mot « essence » chez Spinoza , je

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me demande si on ne quitte pas dès qu'on parle d'essence l'immanence et on est forcément amené
à une, à juger la copie, euh, la mettre devant un tribunal, et euh, c'est toute la, la séparation du
dualisme au niveau de, de, du monde de l'équivocité et est-ce que parcourir la ligne dans, dans ce
que j'appellerai un monde tragique sans sens. Je me demande s'il y a une nuance là qui pourrait
chez Spinoza (divers bruits et incompréhension du propos)

Deleuze : C'est des bonnes questions ça. Oh là, à mon avis, euh, je réponds parce que en plus
c'est des questions où la réponse est relativement claire cette fois-ci, il me semble.

Euh, je dirais ceci : À mon avis, à mon avis on peut toujours dire, après tout, est-ce qu'il
réintroduit pas quelque chose comme une morale ? Tu as très bien défini la morale. Moi je crois que
la morale, ça ne peut être entre, pour moi, c'est essentiellement le système du jugement. C'est le
système du jugement. Euh, y a pas d'autre sens de la morale, à savoir, il y a une morale lorsque,
euh, je suis jugé d'un point de vue ou d'un autre, quel qu'il soit, c'est l'autonomie du jugement la
morale.
Alors, je ne dis pas du tout que ce soit mal mais, euh, c'est ça, euh, quelque chose, quoi que ce
soit est jugé. C'est ça la morale. Le livre, le seul livre de morale, il n'y a qu'un livre de morale au
monde, c'est, euh, l'Apocalypse. Et l'Apocalypse, c'est pas le récit de la fin du monde, c'est le récit du
jugement dernier et du préparatif, des préparatifs du jugement dernier. Le moraliste c'est l'homme du
jugement au point que je dirai même tout jugement est moral. Il y a de jugement que bon. Alors,
l'objection consiste à dire, est-ce qu'il y a pas quand même avec l'idée d'épreuve. Je précise pour
Spinoza à mon avis, il nous dit lui-même « il n'y a jamais d'autonomie du jugement ». Ca, il le dit
formellement dans sa théorie de la connaissance.

Et il veut dire quoi quand il dise, il y a jamais d'autonomie du jugement, il veut dire, le jugement n'est
jamais que la conséquence d'une idée. Il y a pas une faculté de juger dont les idées seraient l'objet
mais ce qu'on appelle un jugement c'est rien d'autre que la manière dont une idée s'affirme
elle-même ou se mutile elle-même. C'est important, ça. Donc, y a pas de jugement pour lui, c'est la
même chose dire, y a pas de jugement, y a pas d'autonomie du jugement, ou dire, le jugement n'est
que la conséquence, n'est que le développement de l'idée. Or, jamais il ne revient là-dessus, y a pas
de jugement. Et pourtant il nous dit, notamment il dit explicitement dans une lettre, il parle de
l'existence comme épreuve. Moi je crois qu'il a une idée très, très bonne à cet égard, tout à fait
pratique. Il veut dire, vous savez, euh, les jugements, eh bien, la manière dont vous êtes jugé, tout
ça, c'est pas ça qui est important, bien sûr y a un système du jugement, pour lui, la religion, la
morale, c'est un système du jugement et c'est ça qu'il dénonce.

Alors, qu'est-ce qu'il veut dire quand il dénonce le système du jugement ? Il veut dire finalement,
y a qu'une chose qui compte, c'est pas la manière dont vous êtes jugé, c'est que finalement, quoi
que vous fassiez c'est toujours vous qui vous jugez vous-même. Voyez ce qu'il veut dire mais, il y a
d'autant moins de problème du jugement que c'est vous qui vous jugez. Vous êtes jugé par quoi ?
Ce qui vous juge, c'est pas des valeurs qui vous seraient extérieures. C'est les affects qui viennent
remplir votre mode d'existence. Vous existez de telle ou telle manière. Bien, ce mode d'existence, il
est rempli, il est effectué par des affects. Ce qui vous juge c'est la nature de vos tristesses et de vos
joies. Donc, vous vous jugez vous-même.

Et là, Spinoza se fait sans pitié, hein. Parce que, il a à la fois des côtés extrêmement tendres et

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puis des côtés extrêmement durs, on le sent à travers les textes. Il y a des choses qu'il ne supporte
pas. Il ne supporte pas l'homme qui se fait souffrir lui-même. Il ne supporte pas toute la race des
masochistes, des dépressifs, des, euh, il ne supporte pas. Vous me direz facile de ne pas supporter.
Mais, non, c'est les questions de valeur attribuée à telle ou telle chose.
Il pense que c'est la misère, hein, que c'est le fond de la misère, hein, que le type qui remplit son
existence d'affects tristes, eh bien, il se juge lui-même. En quel sens ? Au sens où il s'est fait la pire,
le pire mode d'existence. Sans doute il n'a pas pu faire autrement. Tout ça, ça compte pas, mais, et
Spinoza va très loin, il nous dit, c'est des gens tellement contagieux et qu'ils ne veulent que ça,
répandre la tristesse, qu'il faut être sans pitié. Ils se jugent eux-mêmes.
En d'autres termes, il y a pas de morale. Où je dis la même chose d'une autre façon, il nous parle
d'épreuve, mais j'ai bien indiqué, hélas trop vite, en effet tout à l'heure, qu'il s'agit pas d'une épreuve
morale. L'épreuve morale c'est l'épreuve d'un tribunal. L'épreuve d'un tribunal, c'est-à-dire, vous êtes
jugé, vous passez en jugement. Dans l'Apocalypse, tout ce livre merveilleux et horrible et, euh,
abject, n'est-ce pas, c'est un livre fascinant, tellement beau et tellement abominable, oui euh, euh,
consiste à nous dire, attention, hein, ho, euh, et puis tout un système, y a des sous jugements, des
attentes, c'est une espèce de procédure incroyable qui est mise en place dans ce livre-là,
l'Apocalypse.

Eh bien, ça, ça existe pas du tout chez Spinoza. L'épreuve dont il nous parle c'est tout à fait autre
chose. Il nous parle d'une épreuve, je disais, physico-chimique. Ça veut dire, quoi ? Là, c'est pas un
jugement au sens moral, c'est-à-dire un tribunal, c'est comme un jugement, une auto
expérimentation. Une auto expérimentation c'est même pas comme si j'éprouvais un vase d'argile ou
une piève d'or. Imaginez une pièce d'or qui s'éprouverait elle-même. Quand je parle d'une fausse
pièce, je prends l'exemple, euh, vous complétez, je ne développerai pas l'exemple argile, c'est le
même, hein. Spinoza, il invoque l'exemple argile. Il y a plusieurs manières pour une pièce d'être
fausse, pour une pièce d'or d'être fausse.
Première manière d'être fausse, elle n'est pas en or.
Deuxième manière d'être fausse, elle a de l'or mais pas dans la vraie proportion qui définit la
pièce, la vraie pièce correspondante, elle a moins d'or que la vraie.
Troisième manière d'être fausse, c'est la plus intéressante pour les faussaires, enfin, la moins
dangereuse, parce qu'ils sont très difficiles à poursuivre à ce moment-là. La pièce est correcte à tous
égards, elle a exactement le poids d'or, alors en quoi elle est fausse, c'est que, elle a été fabriquée
hors des conditions légales.

Pourquoi c'est intéressant de faire des fausses pièces d'or en ce sens, au troisième sens ? C'est
que le cours n'est pas le même. Le cours aux médailles et le cours pièces. Vous voyez, vous pouvez
donc être un faussaire tout en étant vrai. Vous fabriquez des pièces d'or avec le même poids que la
pièce authentique, le même dessin, vous êtes faussaire précisément parce que vous y mettez le
dessin en d'autres termes, vous faites une médaille, personne ne peut vous interdire de faire une
médaille, c'est légal. Ce qui est pas légal c'est que cette médaille, ait exactement les caractères de la
pièce officielle et vous jouez la différence de cours entre la médaille et la pièce officielle.

Bon, voilà donc trois manières d'être une fausse pièce d'or. Qu'est-ce que ça veut dire, une pièce
d'or qui se jugerait elle-même ? C'est d'après les affects qu'elle a. La fausse pièce d'or, mettons
qu'elle a des affects d'argent. C'est de l'argent recouvert avec une couverture d'or. Elle a des affects
d'argent. La pièce d'or en proportion, euh, inexacte, elle a des affects d'or, mais qui n'occupent pas

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la plus grande partie d'elle-même, vous voyez. La pièce complète d'or qui a autant d'or que la vraie
pièce, elle a des affects d'or et pourtant quelque chose lui manque.

Bon, je dirais qu'il y a une manière dont chaque chose peut être posée comme juge d'elle-même
en faisant l'épreuve de soi. Faire l'épreuve de soi, c'est quoi ? Bien, c'est par exemple un son. C'est
pas un jugement ça. Le potier, il a son vase d'argile et il donne un coup. Ou bien le chimiste, il pose
une goutte sur la pièce d'or, hein. C'est une épreuve physico-chimique. Dis-moi de quelle nature tu
es faite, hum, dis-moi un peu ? Là c'est pas un jugement, c'est une expérimentation. Dis-moi un peu
de quoi tu es composé toi, qu'est-ce que c'est que ton son à toi ? Alors, par exemple, pour reprendre
là l'exemple, je te tape là, quel son ça donne là ? Est-ce que, oh, c'est un drôle de son ? Tiens,
comme le vase d'un potier, hein. Alors, on verrait des gens qui passent pour très élégants ou très
moraux. Si on les hait, alors ça donne, bien sûr, on les pince,

(Étudiante : Là, tu veux me pincer ?

Deleuze : Non, non, non), on les pince et on s'aperçoit que, tiens, on se dit, c'est curieux ça, ils
donnent un drôle de bruit, ils sont faux, hein, sont faux. Et ça, ça se voit à quoi, quelqu'un fait un
geste tout d'un coup. Quelqu'un dans un discours, euh, moral, quelqu'un se trahit. C'est ça qui est
chouette, se juger soi-même. C'est, eh, quand on se trahit. À tiens, on voit quelqu'un qui parle de
choses obséquieuses, élevées et puis, tout d'un coup, un garçon ou une fille passe, il a un drôle de
regard. (rires de l'étudiante.)

Deleuze : non je prends des exemples grossiers pour que tout le monde puisse comprendre. Les
étudiants rient) On dit, ah, mais qu'est-ce, qu'est-ce qui, il a le regard qui se voile tout d'un coup un
peu, il a un long coup d'œil en dessous, on se dit : "oh, oh, et qu'est-ce que c'est que ça, qu'est-ce
que c'est, qu'est-ce que ça veut dire ça ?" Ou bien Monsieur de Charlus dans Proust hein, Monsieur
de Charlus, tout d'un coup, a un écart de voix et on se dit : "tiens, qu'est-ce que, qu'est-ce qu'il a,
qu'est-ce que", euh...

C'est ça l'épreuve physico-chimique, hein. Alors, c'est pas un jugement moral, bien plus, même
on peut avoir des surprises. Un type qui paraît, là, comme ça, qui joue même un peu au prolo et qui
est vraiment prolo, tout ça. Puis, il y a un son de voix tout d'un coup et on se dit, c'est pas qu'il soit
pas prolo mais c'est que, c'est qu'il a une une âme prodigieuse, c'est que, pour dire ce qu'il vient de
dire il faut que ça soit quelque chose d'autre aussi fort ou qu'il soit, que ce soit un artiste prodigieux
même s'il ne le sait pas, euh, quelque chose comme ça, quelque chose qui trahit quelqu'un.
j'imagine, j'imagine que Spinoza a, c'est un peu ça qu'il essaie de nous dire.

Vous savez, vous voyez les gens exister, les moteurs d'existence des gens, eh b'in, il y a des
certaines manières dont l'existence est juge d'elle-même. - C'est un peu ça aussi que Nietzsche, je
dis pas que ça se résume à ça. Lorsque Nietzsche dit, ne jugez pas la vie, n'osez pas juger la vie.
Euh, il dit c'est affreux, qu'est-ce que c'est que tous ces types qui jugent la vie ? Euh, qu'est-ce que
ça veut dire ça, de quel droit vous osez juger la vie ? voilà, donc, c'est comme Spinoza, ils mettent
en question la morale parce qu'ils mettent en cause tout système de jugement, ils mettent en cause
tout tribunal.

Mais, l'idée complémentaire de Nietzsche, c'est un tout autre sens du mot « jugement », à savoir,

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s'il est impossible de juger la vie c'est parce que finalement la vie ne cesse pas de se juger
elle-même et en un tout autre sens de « jugement », a savoir, c'est : "vous avez la vie que vous
méritez, n'allez pas vous plaindre, ne vous plaigniez jamais". Allez pas vous plaindre, ne vous
plaignez jamais parce que finalement les affects que vous avez, qu'ils soient de malheur ou de joie,
etc., vous les méritez, pas du tout au sens où vous avez fait tout ce qu'il fallait pour les avoir, mais
c'est même pas ça. Mais c'est en un sens beaucoup plus malin, beaucoup plus subtil, à savoir :" les
affects que vous éprouvez renvoient et supposent un mode d'existence immanent".

C'est là que le point de vue de l'immanence est complètement conservé. C'est un mode
d'existence immanent qui est supposé par les affects que vous éprouvez et finalement vous avez
toujours les affects que vous méritez en vertu de votre mode d'existence. Alors, en ce sens, ah,
d'accord, si vous, par exemple les tragiques, euh, la cohorte des dépressifs dont je parle, comment
voulez-vous, c'est pas difficile, euh, c'est pas difficile, là ce que je dis n'a rien de mal. Vous ne
pouvez pas être dépressif au sens vraiment, comme clinique, du mot, si même malgré vous - je dis
bien malgré vous, parce que tout ce dont je parle, je sais bien que ce n'est pas facile. Si malgré
vous, vous n'avez pas attaché une certaine valeur aux valeurs du tragique et de la dépression et de
la chute. Si vous vivez sur un mode où l'idée de chute n'a strictement aucun sens, je dis pas
seulement aucun sens, euh, théorique, mais aucun sens vécu. Vous pouvez éprouver des affects de
malheur, comme on dit, vous en ferez pas un drame. Vous pouvez pas y mettre une charge
d'angoisse. Or, c'est jamais au niveau des douleurs, ni physiques, ni morale, que vous avez, que les
choses se décident. Les choses se décident dans un mode d'existence au niveau des charges
d'angoisse que malgré vous vous avez placées sur telle ou telle chose et là Spinoza serait très, très,
il serait comme tout le monde, il les connaît les charges d'angoisse.

Donc, il se dit que, une sagesse des modes d'existence et arriver à mettre au clair chacun vis-à-vis
de soi-même, en quoi et sur quoi nous mettons nos charges d'angoisse, qu'est-ce que c'est nos
points vulnérables à nous ? C'est un peu ça l'épreuve du potier. La charge d'angoisse est toujours là
où je casse, où je brise, où je fêle.

L'épreuve du potier c'est chercher, hein, les points de fêlure. Si je ne connais pas mes points de
fêlure, or, qu'elle est la meilleure manière de pas connaître, qu'est-ce qui dénonce dans le système
du jugement et du tribunal ? C'est que se fait une propagation du malheur, le goût du malheur, le
goût de l'angoisse, etc., qui nous est présenté comme valeur de fait et ça, Spinoza pense que ça
appartient à tout tribunal, ça. Ce qu'il dit là, la grande Trinité, oui, le tyran, le prêtre et ce qu'il appelle
le « prêtre » Spinoza, c'est très simple, c'est "l‘homme de l'angoisse", euh, c'est l'homme qui dit « tu
as tort, tu es pécheur, je te jugerai ».

Tout comme Nietzsche bien plus tard l'appellera aussi, j'appelle « prêtre » celui, l'homme du
système de jugement, l'homme du tribunal, hein, bien, le tyran, le prêtre et l'homme du malheur,
c'est-à-dire, le tyran, le prêtre, l'esclave. Pour lui c'est ça les mauvaises argiles ou les fausses pièces
d'or, c'est ça. Alors, ce dont il parle, c'est cette épreuve, oui c'est du niveau : oui vous comprenez,
eux, c'est pas du tout que je sois juge, si je vois même mon meilleur ami et tout d'un coup, je lui fait
ça, comme-ci, pour voir comment il résonne, comment il sonne et je m'aperçois avec effroi que
quelqu'un que j'avais vu pendant vingt ans, que j'avais cru connaître, et bien non, il y a quelque
chose là, à côté de quoi j'étais complètement passé.

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Alors, ça peut être une révélation merveilleuse, si c'est une beauté, si c'est un abîme, vous vous
rendez compte ? Est-ce qu'on se dit, ah, bien alors, toute manière, c'est toujours assez gai, assez
fascinant ces moments, euh, c'est l'espèce de trahison de soi, on cesse pas de se trahir, hein, euh,
en bien ou en mal, voilà bon, je sais pas si j'ai répondu à tout mais de toute manière je ne peux pas
répondre à des questions comme ça, elles sont trop difficiles, la réponse est dans votre cœur.

Comtesse : Dans le crépuscule, le crépuscule des idoles, Nietzsche y dénonce justement, euh,
concernant le problème du jugement, ce qu'il appelle, euh, le, le, l'erreur de la liberté comme tour
idéologique le plus infâme du pouvoir. Et, il dit ceci, le pouvoir a besoin de faire croire à la liberté
individuel pour faire croire que les gens individuels, qu'ils ont la liberté individuelle ou qui y croient
soient responsables. Ils ont besoin, il a besoin que les gens soient responsables pour qu'ils se
sentent coupables, il a besoin qu'ils se sentent coupables pour pouvoir opérer et son jugement de
condamnation et sa punition.

Deleuze : Ça c'est signé Spinoza, ça c'est les points où Nietzsche, euh, euh, vraiment se
rencontre avec Spinoza. C'est, chez Spinoza, vous trouvez exactement la même critique de la «
liberté » comme soumise au même usage. Dites- moi, je suis très ennuyé, oui, tout à l'heure, tout de
suite, oui, oui, oui, oui ?

(une étudiante parle - inaudible)

- Bon, d'accord. Alors il se passe quelque chose de assez ennuyeux, euh, je comptais avoir fini,
mais je n'ai pas fini (Étudiante pas compréhensible), Ah bon, et moi je voudrais passer (Étudiante :
nous aussi), alors, euh, l'heure, la séance suivante je la ferai, là vraiment, comme une conclusion
des conclusions, et alors je ferai ça, je parlerai un peu de ça et d'ontologie mais, quoi qu'il se passe,
il faut que je termine la prochaine fois. Quoi qu'il se passe !

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

5- 13/01/81 - 1
Marielle Burkhalter

5- 13/01/81 - 1 Page 1/15


Gilles Deleuze - Spinoza - transcription : Vanessa Duvois Cours 5 du 13 janvier 1981 - 1

Ce texte s'appelle l'Oeil écoute, c'est un mauvais titre, mais ça ne fait rien. L'Oeil écoute contient
des analyses de Rembrandt, de Vermeer qui sont d'une beauté,d'une très très grande beauté. Alors
justement comme, ce serait presque une transition car Claudel lui même dans son texte suggère des
rapprochements très curieux entre un certain Spinozisme et la peinture hollandaise notamment la
lumière dans la peinture hollandaise. Alors ce serait intéressant si vous pouvez vous procurer le
texte. Il a paru pour ceux qui l'ont, il a paru dans la Pléiade dans le tome de Claudel intitulé "Œuvres
en prose" mais si vous pouviez lire ce texte de Claudel ça ferait une très bonne transition entre nos
deux euh sujets cette année, très, très beau texte. Oui, il y a des analyses de Rembrandt,
admirables. Voilà Eh bien nous revenons à Spinoza est-il dix heures et demie ?
Oui excusez moi ce serait pour poser une question, il ne parle pas de Stendhal dans ce texte là
de "La ronde de nuit" ?
Il parle beaucoup de "La ronde de nuit"
C'est pas que je sois intelligent , mais...
Mais si mais si mais si...
Mais vous trouvez que dans "La ronde de nuit" il y a le coté bourgeois d'Amsterdam ? -
Un type figure terré dans un coin oui, il y a quelque chose de,.., un coté un peu mystérieux,
bizarre, antinomique au coté bourgeois, installé, des bourgeois d'Amsterdam dans ce mystère, cette
...
Oui, non, je ne l'ai pas présent là. Moi j'ai présent deux sortes de pages très, très belles dont une,
a un sens philosophique immense et qui il me semble, il dit ceci à un moment, il dit : "vous
comprenez ce qu'il y a d'essentiel dans la peinture c'est que, ils ont pris conscience" - et il en fait
gloire a la peinture hollandaise, mais là je doute qu'il ait tout a fait, enfin il a quand même raison, il dit
:" les hollandais ils ont particulièrement pris conscience de ceci : que l'œuvre, l'œuvre en tant
qu'œuvre actuelle, ne se rapportait plus à l'essence, mais se rapportait à l'accident, le petit accident,
la manière dont un verre est un peu en déséquilibre, dont une nappe a un pli qui indique qu'elle a été
froissée, dont un fruit est en train de mûrir", et il dit, eh ben c'est ça, il dit : "la peinture c'est vraiment
rapporter n'est-ce pas, ce que l'on est censé reproduire à l'accident".

Je le dis en effet c'est très important un truc comme ça parce que, si on remonte alors très loin,
l'Orient je crois il a eu un tout autre problème parce que pour lui les catégories essence/accident
avaient pas grande importance mais nous, si , à notre tour, on dit n'importe quoi sur une pseudo
peinture occidentale. La peinture occidentale, il me semble, elle commence précisément avec une
espèce de non peinture assez comparable à savoir avec le bas relief égyptien.

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Or le bas relief égyptien c'est quoi ? Avec le contour, vous voyez, la proximité égale de la forme
et du fond,le contour qui cerne le personnage, et le personnage que le contour soustrait vraiment à
la variation. Là, la figure, si vous voulez, dans l'art égyptien, la figure qui est comme planifiée,
entourée de son contour, est rapportée à l'essence, l'essence soustraite à la variabilité. Or et ça, ça
marquera il me semble tout l'art occidental parce que même pour en prendre le contre pied je le dis
en Orient l'idée d'une essence qui serait au delà de l'apparence c'est pas une idée de l'Orient, mais
c'est bien déjà une idée qui agit en Egypte fondamentalement, passera chez les grecs et comme on
dit déterminera tout notre Occident. Einh, ? Or tout notre Occident qu'est ce qu'il fait ? Lui il va
s'apercevoir que la figure ou la forme ne peut plus être rapportée, vu le chaos du monde, ne peut
plus être rapportée à l'essence, à l'essence égyptienne, mais doit être rapportée à l'accident, le petit
truc qui déraille, le petit truc qui penche, et je crois que qu‘est ce qui a été fondamental dans cette
histoire ? à savoir vous ne rapporterez plus les figures à l'essence mais à l'accident, au changeant, à
l'événement et non plus à l'éternel ?

Eh ben là aussi on s'aperçoit que les choses sont très compliquées parce que à mon avis, ce qui
a été un facteur décisif c'est le christianisme, c'est le christianisme en effet, avec le christianisme les
choses, c'est pour ça que moi je, c'est ça qui fait ma joie, c'est que le christianisme il n'a pas cessé
d'ouvrir de formidables possibilités à l'athéisme, fantastique, parce que le christianisme il commence
par nous dire, ben oui, la mesure des choses, plus que l'essence, c'est l'évènement, et en effet, il y a
une espèce de geste de dieu, c'est à dire l'incarnation, la crucifixion, la résurrection, etc..
En cette série d'évènements Dieu n'est plus pensé en fonction de l'essence il est vraiment pensé
en fonction de l'événement or à partir de là est ce qu'on pouvait s'arrêter ? Difficile, c'est pour ça je
reprends un thème que j'avais esquissé, à propos de, au tout début, à propos de Spinoza
vaguement, parce qu'on nous dit ben oui, vous comprenez dans la peinture, dite chrétienne c'est très
curieux , on ne peut pas s'arrêter, dans la mesure ou la figure du christ et celle de Dieu, n'est plus
rapportée à l'essence, mais à des évènements, ces évènements ont beau être très codés dans une
histoire sainte, ou d'après des règles de l'église, ils vont être triturés dans tous les sens, d'où vous
aurez toutes les descentes de croix que vous voulez, vous aurez la folie de peindre, la folie de
peindre va s'emparer de ça, en rapportant la figure à tous les accidents imaginables... Vous allez
avoir des christs qui tombent la tête en bas, vous allez avoir des christs qui euh, qui, dont le bras a,
une attitude comme on dit maniériste extraordinaire, vous allez avoir des christs complètement
homosexuels, vous allez avoir tout ce que vous voulez à force de rapporter la figure à l'accident.

Si bien qu'il va y avoir, au sein de cette peinture chrétienne, une véritable joie de ce qu'il faut bien
appeler "la déformation" à savoir la figure rapportée à l'accident, c'est la déformation. Là j'emploie un
mot lorsque par exemple Cézanne se réclame précisément d'une déformation des corps en
distinguant très bien la déformation de ce que l'on pourrait appeler la transformation et également la
décomposition, la déformation proprement picturale du corps qui n'est ni transformation ni
décomposition, évidemment que le christianisme a été, du point de vue de la peinture, la première,
une des premières possibilités.

Alors comme on l'appliquait au Christ, ensuite, ça va de soi qu'on l'applique à tous les objets. On
peut d'abord l'appliquer à tous les objets qui entourent le christ, mais on peut aussi l'appliquer à une
nature morte ou aux fruits chez Rembrandt, là, Claudel parle admirablement du citron, à moitié pelé,
où il y a une spire de citron, on dit un ou une ? (oui enfin je sais pas, vous compléterez vous
même),le ou la spire de citron qui pend, en faisant une spirale, là et qui montre le citron déjà à

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moitié, a moitié découpé et l'impression que . . ou bien la pomme de Cézanne, on a l'impression qu'il
y a une force de mûrissement etc..

Il y a un texte de Lawrence, le romancier anglais, sur Cézanne et qui il me semble est le plus
beau texte, enfin c'est le plus beau texte que j'ai lu sur Cézanne, euh il dit quelque chose de très
beau là aussi qui est, vous savez il peignait aussi euh, Lawrence, il faisait des gouaches, ein, il tenait
beaucoup a ses gouaches, et c'est à propos d'une exposition de ses propres gouaches qu' il a écrit
un texte, ce texte sur Cézanne très, très beau , et il dit : ben oui... C'est difficile la peinture - il en
savait quelque chose il se prenait pas pour un grand peintre et il avait besoin de peindre - et il dit,
c'est très difficile vous savez la peinture parce que comprendre picturalement quelque chose, même
un très grand peintre, c'est forcément très limité. Il dit vous voyez Cézanne, par exemple, qu'est ce
qu'il a compris ? En quarante ans de peinture, en cinquante ans de peinture, je sais plus, qu‘est ce
qu'il a compris ? Et Lawrence a une formule splendide, il dit, il a compris une pomme et un ou deux
vases, et il dit, eh ben, quand on a fait ça, quand on est peintre et qu'on est arrivé à ça en cinquante
ans on peut se dire qu'on est bien heureux.

Et en effet là il devient très brillant, il dit : "vous savez Cézanne, de toute manière bien sûr c'est
un grand génie, mais, par exemple picturalement, les femmes, il a jamais bien compris, d'abord il
était tellement tourmenté de ce coté là, tellement puritain, tellement"... il n'a pas compris, la preuve
dit-il, dit Lawrence, et c'est vrai quand on voit une femme peinte par Cézanne - il les peint comme
des pommes, (rires) c'est des pommes, les femmes de Cézanne c'est des pommes et il dit ça
tombait bien parce que sa propre femme a lui, Cézanne, et il l'a peint sa propre femme, c'était une
pomme. Et c‘est ce qu'il appelle l'être pommesque de la pomme, le coup de génie de Cézanne, dit
Lawrence, ce serait d'avoir saisi l'être pommesque de la pomme. Alors il l'a appliqué, parfois ça
marche, sur une femme, il y a des femmes pommesques, sa femme était pommesque alors ça va
très bien . Et puis il a compris d'autre part deux ou trois vases : un ou deux vases, quelques vases,
ou quelques vases et pots, et il dit c'est fantastique ça, fantastique.. Cela dit ça n'empêche pas que
le reste est génial aussi, mais euh, euh ..c'est là la source euh..

Alors on peut dire ça, moi, il me semble, on peut dire ça vraiment de tous les peintres, on peut
dire ça de tous, de tous les gens qui tentent de créer quelque chose vous voyez, c'est pour ça qu'il
faut être tellement, tellement modeste. Pour moi c'est exemplaire, ce que dit Lawrence. Si vous êtes
peintre et que en cinquante ans vous avez compris euh la euh une pomme dans sa réalité picturale,
ben vous vous dîtes, c'est formidable ce que j'ai fait là, (il fouille dans ses papiers). Alors, Mondrian
avec ses carrés, Mondrian, oui, très bien... Combien de temps il lui a fallu pour comprendre, alors,
l'être pictural d'un carré ? On croirait que c'est facile ben c'est pas facile du tout... Tout ça c'est pour
que les philosophes aussi soient modestes... Combien de temps il faut pour comprendre un petit
bout de concept ? Le concept de pomme... si j'arrivais à comprendre le concept de pomme
philosophiquement ce serait prodigieux ça... mais ça serait pas, ça serait pas du tout facile... Spinoza
qu'est ce qu'il a compris ? Lui il en a compris alors, sûrement qu'il a compris...Vous voyez c'est une
transition rapide...(rires) Alors voilà...

Comtesse : - Il y a un écrit de raccord de la peinture de Cézanne à Paul Klee avec( ?) qui est une
des derniers écrits de Merleau Ponty qui s'appelle "l'Oeil et l'esprit".

Oui ,oui, oui, oui , oui ,oui

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Comtesse : Vous voyez ça peut faire une transition avec, quand il essaie de se pencher sur le
visible et l'invisible...

Oui, oui

Comtesse : Sur l'être brut et l'esprit sauvage.. et à ce moment là il s'est mis à interroger la
peinture.

Oui, oui, oui... Je vais dire... moi ça me paraît très frappant que Cézanne ait été pour, en général,
les phénoménologues, le peintre par excellence. Si on comprenait ça, c'est un tout petit aspect, trop
technique et sans intérêt, mais si on comprend ça... on comprend peut être un petit quelque chose
de Cézanne, parce que qu'est ce que c'est les très belles pages sur Cézanne, aujourd'hui,
bizarrement ça ne paraît pas tellement des pages de critique d'art. Il y a un texte très bon de Merleau
Ponty, il y a un texte très beau, alors admirable, non, il y a deux ou trois textes de Maldimet, il y a
des textes de Erwin Strauss, or, ils ont en commun d'être précisément des phénoménologues. Alors
là il y a une partie liée, c'est pas étonnant puisque c'est une phénoménologie qui se centre sur la
sensation, qui est une phénoménologie du sentir, et que Cézanne c'est celui qui, sans doute, a
poussé aussi bien pratiquement que théoriquement, a poussé le plus loin le rapport de la peinture
avec ce qu'il appelle lui même la sensation. Alors à ça moment là ça m'étonne pas que des
philosophes comme Merleau Ponty ou Maldinet se soient trouvés particulièrement inspirés ou aient
eu un rapport particulier avec Cézanne... ouais.

Donc alors on revient à Spinoza... Voilà, vous vous rappelez certainement le point où nous en
sommes, lequel point est le suivant, on se trouve devant les deux objections d'Oldenburg, de euh
non, pardon, devant les deux objections de Blyenberg, et la première, elle concerne le point de vue
de la nature en général . Elle revient à dire à Spinoza c'est très joli, ça, vous venez d'expliquer que
chaque fois qu'un corps en rencontre un autre, il y a des rapports qui se composent et des rapports
qui se décomposent, tantôt à l'avantage d' un des deux corps tantôt à l'avantage de l'autre corps.
Bon. Mais la nature, elle, elle combine tous les rapports à la fois. Donc, dans la nature en général, ce
qui n'arrête pas, c'est que tout le temps il y a des compositions et des décompositions de rapports,
tout le temps, puisque les décompositions de rapports sont finalement l'envers des compositions, ou
l'inverse, mais vous n'avez aucune raison de privilégier la composition de rapport sur la
décomposition, puisque les deux vont toujours ensemble.
Exemple, je mange, je compose mon rapport avec la nourriture que j'absorbe, mais ça se fait en
décomposant les rapports propres de la nourriture.
Autre exemple, je suis empoisonné, l'arsenic décompose mon rapport, d'accord, mais il compose
son propre rapport avec les nouveaux rapports dans lesquels les parties de mon corps entrent, sous
l'action de l'arsenic. Donc il y a toujours à la fois composition et décomposition, donc la nature, dit
Blienberg, la nature telle que vous la concevez, n'est rien qu'un immense chaos. Vous voyez... quelle
objection... Spinoza vacille.

Que répondriez vous à sa place ? Ca, c'est la première objection de Blyenberg. Eh ben il répond,
là, la réponse vous allez voir que, suivant les cas c'est très différent, là, Spinoza, il me semble, ne
voit aucune difficulté, aucune. Et sa réponse, elle est très simple, très simple, très claire. Vous
pourriez la faire, si vous êtes Spinoziste vous l'avez faite déjà dans votre tête.

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Il répond ceci : rien du tout. Rien du tout, il dit euh.. eh ben non, c'est pas comme ça pour une
raison simple, c'est que du point de vue de la nature entière, on ne peut pas dire qu'il y a à la fois
compositions et décompositions parce que du point de vue de la nature entière il n'y a que des
compositions. Il n'y a que des compositions de rapports, en effet, c'est du point de vue de notre
entendement que nous disons : du point de vue de notre entendement à nous, nous disons : tel et tel
rapports se composent au détriment de tel autre rapport qui doit se décomposer pour que les deux
autres se composent , mais c'est parce que nous isolons une partie de la nature, du point de vue de
la nature toute entière il n'y a jamais que des rapports qui se composent. Eh bien moi je trouve bien
cette réponse. La décomposition de rapports n'existe pas du point de vue de la nature entière,
puisque la nature entière embrasse tous les rapports, donc il y a forcément des compositions un
point c'est tout, c'est bien... satisfaisant.. enfin pour moi... Donc si vous me dîtes je ne suis pas
convaincu il n'y a pas lieu de discuter c'est que vous n'êtes pas spinozistes, voilà... Mais il n'y a pas
de mal à ça, einh ? (rires) ... Mais vous êtes convaincus ... je le sens... (rires)

Et vous comprenez que cette réponse très simple, très claire, très belle, elle prépare une autre
difficulté : elle renvoie en effet à la seconde objection de Blyenberg. Supposons à la limite que
Blyenberg lâche sur ce problème de la nature entière, alors, venons en à l'autre aspect : un point de
vue particulier ! Mon point de vue particulier ! C'est à dire, le point de vue d'un rapport précis et fixe,
en effet, ce que j'appelle moi, c'est un ensemble de rapports précis et fixes qui me constituent. Eh
ben de ce point de vue... alors là de ce point de vue et c'est uniquement d'un point de vue particulier,
déterminable, vous ou moi, ou n'importe quoi, que je peux dire ah oui là il y a des compositions et
des décompositions, à savoir je dirais qu'il y a composition lorsque mon rapport est conservé, et se
compose avec un autre rapport extérieur, mais je dirais qu'il y a décomposition lorsque le corps
extérieur agit sur moi de telle manière que un de mes rapports ou même beaucoup de mes rapports
sont détruits au sens que l'on a vu la dernière fois de "détruire" à savoir : cesse d'être effectué par
des parties actuelles.

Donc là il y bien, autant du point de vue de la nature je pourrais dire : "ah ben oui, il n'y a que des
compositions de rapports, dès que je prends un point de vue particulier déterminé, je dois bien dire
ah ben oui, il y a des décompositions qui ne se confondent pas avec les compositions", d'où
l'objection de Blyenberg, là, qui consiste à dire, eh ben finalement ce que vous appelez vice et vertu,
c'est ce qui vous arrange...
Vous appellerez vertu chaque fois que vous composez des rapports, quelque soient les rapports
que vous détruisiez,
et vous appellerez vice chaque fois qu'un de vos rapports est décomposé, en d'autres termes
vous appellerez vertu ce qui vous convient et vice ce qui ne vous convient pas... vous direz que
l'arsenic est vicieux parce que...il vous tue , bon, d'accord, parce qu'il vous décompose... en
revanche vous direz de l'aliment qu'il est bon, mais enfin, ça revient à dire que l'aliment : ça vous
convient et que le poison ça vous convient pas, or ; quand généralement on parle de vice et de vertu,
on se réclame d'autre chose que d'un tel critère du goût, à savoir ce qui m'arrange et ce qui ne
m'arrange pas...

Alors cette objection, vous voyez, elle se distingue de la précédente puisqu'elle se fait au nom
d'un point de vue particulier et non plus au nom de la nature entière, et elle se résume en ceci que
Blyenberg ne cesse de dire ben oui : vous réduisez la morale à une affaire de goûts.. Alors là euh..

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qu‘est ce qu'il va répondre Spinoza ? Il va se lancer dans une chose très, très curieuse... il va se
lancer dans une tentative pour montrer que.. il conserve un critère objectif pour la distinction du bon
et du mauvais ou.. de la vertu et du vice.. Il va tenter de montrer que le spinozisme nous propose un
critère proprement éthique et non pas simplement de goût, un critère éthique du bon et du mauvais,
du vice et de la vertu..

Il va le montrer alors dans deux textes...qui à ma connaissance sont les deux textes les plus
étonnants, les plus étranges de Spinoza, vraiment, là.. des textes les plus étranges... au point que
l'un semble incompréhensible on ne voit pas ce qu'il veut dire je crois et l'autre est peut être
compréhensible mais semble très, très bizarre enfin tout se résout dans une limpidité merveilleuse,
mais il fallait passer par ces deux textes étranges. Le premier c'est dans les lettres à Blyenberg. Et
Spinoza veut montrer dans la lettre du texte - là il faut que je les lise les lettres parce que c'est la
lettre 23 - Il veut montrer que non seulement il a un critère pour distinguer le vice et la vertu mais que
ce critère s'applique dans des cas très compliqués en apparence. Et que bien plus, c'est un critère
de distinction non seulement pour distinguer le vice et la vertu mais que si on comprend bien son
critère on peut même distinguer dans les crimes, on peut faire des distinctions au niveau des crimes
même qui sont pas du tout semblables les uns aux autres.

Et je lis ce texte qui paraît très curieux ...il dit eh ben voilà, il dit à Blyenberg prenons deux cas,
prenons un même acte, qui vraiment passe pour être très mauvais, un cas de matricide, quelqu'un
tue sa mère Et voilà le texte de Spinoza lettre 23, « le matricide de Néron, en tant qu'il contient
quelque chose de positif, n'était pas un crime. » Vous voyez... en tant qu'il contient quelque chose de
positif, qu'est ce que ça peut vouloir dire ? Vous vous rappelez, vous voyez vaguement confusément
ce que Spinoza veut dire... le mal n'est rien, on a vu tellement il donnait a cette proposition, le mal
n'est rien donc autant qu'un acte est positif ça ne peut pas être un crime ça peut pas être mal alors
un acte comme un crime, si c'est un crime, c'est pas en tant qu'il contient quelque chose de positif,
c'est d'un autre point de vue.

Bon, soit. On peut comprendre abstraitement ça, on se dit où il veut en venir ? Le matricide de Néron
en tant qu'il contient quelque chose de positif, n'était pas un crime. Oreste, Néron a tué sa mère,
Oreste a tué sa mère aussi . Oreste a pu accomplir un acte qui extérieurement est le même, tuer sa
mère, Oreste a pu accomplir un acte qui extérieurement est le même, et avoir en même temps
l'intention de tuer sa mère, vous voyez non seulement identité d'acte de tuer la mère mais identité
d'intention à savoir meurtre prémédité. Oreste a pu accomplir un acte qui extérieurement est le
même et avoir en même temps l'intention de tuer sa mère, sans mériter la même accusation que
Néron. Bon, et en effet, pour ceux qui se rappellent ce qu'ils ont appris à l'école, nous traitons Oreste
d'une autre manière que nous traitons Néron, bien qu'ils aient tués tous les deux leur mère avec
l'intention de la tuer. Oreste a pu accomplir un acte qui extérieurement est le même et avoir en
même temps l'intention de tuer sa mère sans mériter la même accusation que Néron. Quel est donc
le crime de Néron ?

- C'est là où le texte devient quand même très bizarre. Quel est donc le crime de Néron ? Il consiste
uniquement, il consiste uniquement en ce que, dans son acte, Néron s'est montré ingrat, impitoyable,
et insoumis. On se dit qu'est ce qu'il est en train de.. qu'est ce qu'il veut dire ? L'acte est le même,
l'intention est la même, il y a une différence au niveau de quoi ? Dans son acte Néron s'est montré
ingrat, impitoyable et insoumis. C'est quel ordre ? Ce n'est ni l'intention, ni l'acte, c'est une troisième

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détermination, c'est une troisième dimension de l'acte. Quelle dimension ? Il en dit pas plus, et il
termine, là, triomphant - il est formidable, là - aucun de ces caractères n'exprime quoi que ce soit
d'une essence. Donc je me montre impitoyable, ingrat et insoumis, aucun de ces caractères
n'exprime quoi que ce soit d'une essence. On reste songeur, hein ?

On est beau là tous prêts à se sentir spinozistes et on se dit qu'est ce qu'il raconte ? Est ce que
c'est une réponse à Blyenberg ? Et on dit : ce texte, il y a urgence, il faut bien en tirer quelque chose
mais quoi ? Qu'est ce qu'on peut en tirer d'un texte, à la fois bizarre et vague... Ingrat, impitoyable et
insoumis, alors ? Si l'acte de Néron est mauvais c'est pas parce qu'il tue sa mère, c'est pas parce
qu'il a l'intention de le tuer, de la tuer, c'est parce que, Néron en tuant sa mère, se montre ingrat,
impitoyable et insoumis. Et Oreste, lui, il tue sa mère, mais il n'est ni ingrat, ni impitoyable ni
insoumis, alors, alors quoi qu'est ce que ça veut dire tout ça ?

bon.. Alors on cherche, on cherche et puis, à force de chercher forcément comme il faut lire toute
L'Ethique, on tombe dans le livre IV sur un texte qui paraît ne rien avoir à faire.. un texte alors
là...lui... il nous laisse pas hésitant à cause du vague, il nous laisse hésitant parce qu'on a
l'impression que.. Spinoza est pris d'une espèce, ou bien d'humour diabolique, ou bien de.. ou bien
de folie, quoi.. C'est dans le livre IV, la proposition 59, et c'est le Scolie de la proposition 59, et je lis
doucement espérant que vous aurez des étonnements. C'est le Scolie. Le texte de la proposition, lui,
paraît pas simple. Il s'agit de démontrer pour Spinoza, que toutes les actions, auxquelles nous
sommes déterminés par un sentiment qui est une passion, nous pouvons être déterminés à les faire
sans lui, sans ce sentiment, nous pouvons être déterminés à les faire par la raison.

Tout ce que nous faisons poussés par la passion, nous pouvons le faire poussés par la raison
pure. On se dit oh bon alors en effet , pourquoi pas tuer sa mère ? Si je le fais par passion, je peux le
faire par raison, hein ? C'est curieux cette proposition... Et le Scolie nous dit la démonstration est
assez abstraite, et on se dit ah bon ? Mais on aimerait bien un peu de concret vous lirez le texte et le
Scolie arrive qui commence par : « Expliquons cela plus clairement par un exemple » ! On se dit
:Enfin c'est ce qu'on demandait ! et il continue, il continue... « Expliquons cela plus clairement par un
exemple : Ainsi, l'action de frapper »,(gestes - PAN) vous allez voir pourquoi je fais ça je pourrai
frapper autrement mais d'après la lettre du texte c'est ça.(geste)comme ça et... j'abaisse.(gestes,
rires)

« Ainsi l'action de frapper en tant qu'elle est considérée physiquement... » donc, vous voyez, hein ?...
« en tant qu'elle est considérée physiquement et que nous considérons le seul fait qu'un homme lève
le bras »... lève le bras... « serre le poing.. » lève le bras.. alors, dans l'ordre : « en tant que nous
considérons le seul fait qu'un homme lève le bras . » ah non, attendez (rires) ... lève le bras..(rires), «
serre le poing, et.. meut son bras tout entier de haut en bas avec force » ( on entend un gros BOUM,
suivi de rires), « c'est une vertu », virtus, « c'est une vertu qui se conçoit par la structure du corps
humain. » Mais il faut pas... il faut prendre tout à la lettre, vous comprenez en quel sens il prend
vertu, là il ne triche pas, en effet, c'est une effectuation de la puissance du corps. C'est ce que mon
corps peut faire. C'est une des choses qu'il peut faire.

Ca répond à la question que j'ai essayé de commenter déjà, à savoir cette question de Spinoza,
mais, on ne sait même pas ce que peut le corps. Ca c'est plutôt une chose que tout le monde sait, on
sait que le corps humain peut faire ça... un chien peut pas, hein, un chien il peut faire autre

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chose,(rires), mais il peut pas faire ça.. donc c'est quelque chose que le corps humain peut faire.. ça
fait partie de la potentia du corps humain, de cette puissance en acte, c'est une puissance en acte,
c'est un acte de puissance. Par là même, c'est ça qu'on appelle vertu. Donc pas de problème on ne
peut pas le reprendre sur ce premier point.

Donc, l'action de frapper en tant qu'elle est considérée physiquement et que nous considérons le
seul fait « qu'un homme lève le bras, serre le poing et meut son bras tout entier avec force de haut
en bas est une vertu qui se conçoit par la structure du corps humain... » d'accord, rien à dire... Il
enchaîne : « Si donc... », « si donc un homme, poussé par la colère ou par la haine », ça n'est pas là
le cas, je vais faire cette action poussé par la colère ou par la haine c'est à dire par une
passion.(geste) Je fais ça sur la tête de ma mère.(bruit sourd)...ben il n'y a pas de quoi rire (rires).. si
donc un homme poussé par la colère ou par la haine est déterminé, (déterminé par la passion), c'est
une... vous voyez le mot, là... il emploie le mot détermination, déterminé.. je me dis bon, ça on le met
de côté là parce que c'est peut être ça, la troisième dimension de l'action, ce n'est pas la même
chose, ni que l'action, ni que l'intention. Outre l'action et l'intention il y aurait la détermination.

Bon en tous cas si donc un homme poussé par la colère ou par la haine, est déterminé à serrer le
poing ou à mouvoir le bras, cela vient , comme nous l'avons montré dans la seconde partie, cela
vient, de ce qu'une seule et même action peut être associée à n'importe quelle image de chose. Là il
est en train de dire quelque chose mais qui paraît très très bizarre. Il est en train de nous dire :
j'appelle détermination de l'action, l'association, le lien, qui unit l'image de l'action à une image de
chose. C'est ça la détermination de l'action. La détermination de l'action c'est l'image de chose à
laquelle l'image de l'acte est liée. C'est vraiment un rapport qu'il présente lui-même comme
association, une seule, un rapport d'association, une seule et même action peut être associée à
n'importe quelle image de chose. Point et virgule, et par conséquent, nous pouvons être déterminés
par une même et unique action, aussi bien par les images des choses que nous concevons
confusément, nous pouvons être déterminés à une seule et même unique action, aussi bien par les
images des choses que nous concevons confusément, que par les imagesdechosesquenous
concevons clairementetdistinctement.« Aussiest-il clair »,il estime avoir finit,« aussi est-il clair que
tout désir qui naît d'un sentiment qui est une passion, ne serait d'aucun usage si les hommes
pouvaient être conduits par la raison. » C'est à dire que toutes les actions que nous faisons,
déterminées par des passions, nous pourrions les faire aussi bien déterminées par la raison pure.
Vous voyez ce qu'il a voulu dire, là et qu'est-ce que c'est que cette introduction du confus et du
distinct ? Il dit : voilà exactement ce que je retiens de la lettre du texte et c'est à la lettre dans le texte
: Il dit, il dit, « une image d'action peut être associée à des images de choses très différentes.

Dès lors, une même action, d'après son image, peut être associée aussi bien à des images de
choses confuses qu'à des images de choses claires et distinctes. » C'est curieux, moi je dis euh... ce
texte il est euh.. si on le comprend bien, on doit toucher quelque chose de concret dans la manière
dont Spinoza vit l'action, vit les problèmes de l'action et comment se débrouiller ? On se dit bon,
mais qu'est ce qu'il, mais qu'est ce qu'il est en train de nous raconter ? Alors il faut reprendre
l'exemple pour le pousser, je sais pas moi là on a un texte qui exige d'être prolongé littéralement
quoi... On peut pas se contenter de lire ça et puis de ... Et puis de passer à la proposition suivante...
je reprends, j'en suis là : bien, je fais ça.. et... j'abats mon poing sur la tête de ma mère... Voilà un
cas.. Je fais le même geste et, avec la même violence, j'abats mon poing sur... la membrane d'un...
d'une grosse caisse, euh.. j'abuse de votre patience en vous demandant de considérer cet exemple,

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c'est pas ma faute, tirer une objection tout de suite : c'est pas le même geste. C'est pas le même
geste.

Bon, cette objection, Spinoza l'a... supprimée. Il y a répondu d‘avance. Parce qu'on peut ne pas
être d'accord avec lui mais, il a posé le problème de position telle que cette objection ne peut pas
valoir. En effet il nous demande de consentir à une analyse de l'action très paradoxale, qui est celle
ci, à savoir, entre l'action et l'objet sur lequel elle porte, il y a un rapport qui est un rapport
d'association. En effet si entre l'action et l'objet sur lequel elle porte, le rapport est associatif, si c'est
un rapport d'association, évidemment Spinoza a raison. A savoir, c'est bien la même action, quelles
que soient les variantes, une action comporte toujours des variantes, mais c'est bien la même action
qui, dans un cas est associée à la tête de ma mère, dans l'autre cas est associée à la grosse caisse.

Donc objection supprimée. Bon, alors, essayons de pousser : quelle différence il y a ? Quelle
différence il y a entre les deux cas ? Entre ces deux cas : au point où en en est , on en perçoit une,
ça veut dire on voit très bien ce qu'il veut dire, quoi. On sent ce qu'il veut dire, déjà, Spinoza. Et que
c'est pas rien ce qu'il veut dire...(claquement de porte) alors vous voyez quelqu'un vient de partir...Il
saura pas.. c'est embêtant pour lui, pour sa vie... qu'est-ce qu'il va faire ?

Eh ben voilà, voilà, je dis comme ça.. reprenons, revenons maintenant aux critères on va voir
ensuite comment rattraper la lettre du texte mais revenons aux critères dont on est sûrs nous, au
point où on en est de notre analyse. Qu'est ce qu'il y a de mal, lorsque , ou qu'est ce qu'il y a de
mauvais , pour parler comme Spinoza, qu'est ce qu'il y a de mauvais lorsque, je fais ça, qui est, une
effectuation de puissance de mon corps et qui en ce sens est bon, et ça c'est toujours bon, ah ! Je
fais ça, simplement je donne un coup sur la tête. Qu ‘est ce qui est mauvais ? C'est que je
décompose un rapport. Je décompose un rapport, à savoir, la tête de ma mère.

Vous vous rappelez un très beau texte de Beckett, peut être, un texte de Beckett où la créature
de Beckett, n'est ce pas, pour parler avec sa mère qui est sourde, aveugle je sais pas quoi, qui
n'existe plus qu'à l'état de... de reste euh de reste indéterminé, euh.. il doit donner des coups sur la
tête de sa mère comme ça.. alors il tape sur la tête et euh alors si c'est deux coups ça veut dire je
sais plus quoi si c'est un coup si c'est trois coups tout ça la pauvre elle en peux plus, m'enfin il la tue
pas dans ce cas mais enfin il a bien ce geste, bon mais enfin, voilà. Qu'est ce qu'il y a de mauvais ?
La tête de la mère ne supporte pas, c'est à dire la tête de la mère c'est un rapport, c'est un rapport
de mouvement et de repos entre particules, comme tout. Parce que là, en tapant comme ça sur la
tête de la mère, je détruis le rapport constituant de la tête, ce que l'on peut exprimer simplement par
exemple, ma mère s'évanouit, sous mes coups, ou bien elle meurt.

Donc, je dirais en termes spinozistes, que dans ce cas, j'associe mon action à l'image d'une
chose dont le rapport est directement décomposé par cette action. Donc le rapport constituant je
l'associe, là, je suis en train de commenter à la lettre, il me semble, le texte. J'associe l'image de
l'acte à l'image de quelque chose dont le rapport constituant est décomposé par cet acte.

Et là vous avez tout compris quand je fais ça et que j'abats mon point sur un gong ou sur une
grosse caisse. Qu'est ce que je fais ? Cette fois-ci la membrane se définit comment ? La membrane
ou le gong se définit comment ?Je dis n'importe quoi, d'après la tension de la membrane... la tension
de la membrane elle sera définie aussi par un certain ensemble de rapports. Une membrane aura

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quelle puissance si fait partie de ma puissance (pan),faire ça la membrane elle aussi et la tête de ma
mère aussi, tout ça ça a une puissance. Il se trouve que dans le cas de la tête encore une fois je
décomposais le rapport constituant correspondant à la puissance de la tête. Dans le cas d'une
membrane, sa puissance c'est quoi ? C'est mettons des harmoniques. Oh ! (pan pan) le gong ! Là j'ai
associé mon action à l'image de quelque chose dont le rapport se composait directement avec cette
action, à savoir : j'ai tiré de la membrane des harmoniques. Ca il faut que vous le compreniez sinon
vous allez être perdu pour tout le reste !

Quelle est la différence ? Enorme, énorme. Il faut que vous compreniez bien ça : dans un cas j'ai
associé mon action ... encore une fois l'image d'une chose dont le rapport se compose directement
avec mon acte, avec le rapport de mon acte ; dans l'autre cas j'ai associé un non acte à l'image
d'une chose dont le rapport est immédiatement, directement décomposé par mon acte. Ah ! vous
tenez le critère de l'Ethique pour Spinoza, qui est un critère très très modeste, là aussi oh ben, il ne
s'agit pas de... il s'agit de se débrouiller comme on peut, et là il nous donne une règle, il nous donne
une règle vous allez voir que ça fait un type de vie assez particulier, la manière dont sûrement dont
Spinoza vivait, il aimait bien les décompositions de rapports, ses biographes il y a deux, trois
biographies de son temps ,où on raconte un peu sa vie , on raconte qu'il adorait les combats
d'araignées, il les faisait se battre, il laissait les toiles d'araignées chez lui, il était pourtant très
propre, il laissait les toiles d'araignées puis il attrapait des mouches et les mettait sur les toiles pour
voir ce qui allait se passer, ou bien alors il faisait se battre des araignées entre elles ça il aimait bien
ça le faisait rire (rires) ! C'était...Oui ?

Richard Pinhas - Le problème qui se poserait ce serait à savoir : est ce que tu peux introduire le bon
et le mauvais sous la forme de la décomposition d'un rapport sans inclure immédiatement une
hiérarchie ? tout ce que tu disais jusqu'à maintenant semblait l'exclure. Or dans le cas d'Oreste que
tu citais comme deuxième exemple, est ce qu'on peut décomposer un rapport pour la continuation
d'un rapport ?

Et bien tu me devances, hein, tu vas trop vite toi ! Faut déjà avoir tout compris pour dire ça c'est
bien ! Hiérarchie ? Pour le moment je n'introduis pas de hiérarchie, je dis là le fait est là . Imaginez
vos actions quotidiennes, ben il y en a un certain nombre - vous allez voir - il y en a un certain
nombre, qui ont comme caractère de se composer directement ou plutôt de s'associer avec une
image de chose ou d'être qui se compose directement avec l'action, et d'autres. Je ne dis pas que
l'un vaille mieux, ça sera par conséquence ce qu'on va dire et vous entreprenez aussi : un type
d'actions associées à des images de choses dont le rapport est décomposé par l'action. Alors par
convention on va appeler "bon" les actions de compositions directes, on va appeler "mauvais" les
actions de décompositions directes. Bon, mais là on en est encore à patauger dans beaucoup de
problèmes.

Premier problème : en quoi est-ce que ce texte de l'Ethique peut nous apporter une lueur sur le
texte de la Lettre ? La différence entre Oreste et Néron et ce qu'il y a dans le texte de l'Ethique il
n'est pas question d'Oreste et de Néron . Or dans la cas Oreste Néron c'est pas comme, moi j'ai pris
un exemple privilégié : le point, le bras levé qui s'abat soit sur la tête, soit sur un gong. Mais dans la
Lettre il ne s'agit pas de ça, il s'agit de deux actions qui sont également des crimes.

Donc pourquoi est-ce que Néron a fait quelque chose de mauvais alors que selon Spinoza on ne

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peut même pas dire qu'Oreste, en tuant sa mère aie fait quelque chose de mauvais ? Là quand
même au point où on en est on a là aussi une petite lueur : comment on peut dire une chose pareille
? On peut dire une chose pareille en fonction de ce qui suit : à savoir, on a maintenant la méthode
spinoziste d'analyse de l'action, l'action sera décomposée suivant deux images, toute action sera
décomposée suivant deux images, sera analysée suivant deux, plutôt deux dimensions : L'image de
l'acte comme puissance du corps, ce que peut le corps, et l'image de la chose associée c'est à dire
de l'objet sur lequel l'acte porte. Entre les deux il y a un rapport d'association, c'est une logique de
l'action. Elle n'est pas coutumière... elle n'est pas... mais peut être que c'est comme ça, c'est une
manière de vivre.

Revenons à Néron / Oreste : Néron il tue sa mère. Peut-être qu'elle était désagréable, peut-être
qu'elle était embétante, peut être qu'elle avait tué d'autres gens, elle-même. Bon malgré tout, Néron
en tuant sa mère, malgré tout, je dis, c'est très nuancé comme jugement. Elle a pu être criminelle
elle-même, elle a pu faire tout ce que vous voulez, toutes sortes de très vilaines choses, se conduire
très mal. Ca n'empêche pas comme on dit que c'était sa mère, ça n'empêche pas que c'était sa mère
c'est-à-dire Néron a associé son acte directement à l'image d'un être dont le rapport serait
décomposé par cet acte. Il a tué sa mère un point c'est tout. Donc le rapport d'association primaire,
directe est entre l'acte (lever le bras) et une image de choses dont le rapport est décomposé par cet
acte. Oreste, lui, il tue sa mère parce qu'elle a tué Agamemnon. C'est à dire parce qu'elle a tué son
mari, parce qu'elle a tué le père d'Oreste. En tuant sa mère, Oreste poursuit une sacrée vengeance.

Qu'est ce que ça veut dire une vengeance ? Spinoza ne dirait pas une vengeance. Selon
Spinoza, Oreste associe son acte non pas à l'image, heu, de Clytemnestre dont le rapport va être
décomposé par cet acte, mais il l'associe au rapport d'Agamemnon qui a été décomposé par
Clytemnestre. En tuant sa mère Oreste recompose son rapport avec le rapport d'Agamemnon.
Faisons un pas de plus : en quoi c'est une réponse à la question, à la seconde objection ?
Evidemment c'est une réponse très forte en tout cas parce que Spinoza est en train de nous dire «
oui d'accord » au niveau d'un point de vue particulier vous, moi, au niveau d'un point de vue
particulier c'était le niveau de la seconde objection. Il y a toujours à la fois composition et
décomposition de rapports. Ca c'est vrai, oui, il y a toujours à la fois composition et décomposition de
rapports, est ce que ça veut dire que le bon et le mauvais se mélangent et deviennent indiscernables
?

Non, dit Spinoza parce que au niveau d'une logique du point de vue particulier il y aura toujours
un primat ; parfois primat très compliqué, primat très nuancé. Tantôt la composition de rapports sera
directe et la décomposition indirecte. Tantôt au contraire la décomposition sera directe et la
composition indirecte. Non ou l'inverse je sais plus, je me suis embrouillé, corrigez de vous-même. Et
Spinoza nous dit, j'appelle bon, bonne une action qui opère une composition directe des rapports
même si elle opère une décomposition indirecte. Et j'appelle mauvaise un action qui opère une
décomposition directe même si elle opère une composition indirecte. En d'autres termes il y a deux
type d'actions : des actions où la décomposition vient comme par conséquence et non pas en
principe parce que le principe est une composition. Ca ne vaut que pour mon point de vue , du point
de vue de la nature tout est composition. C'est par là que de toute manière Dieu il ne connaît pas le
mal, ni même le mauvais, il ne sait même pas ce que ça veut dire le mauvais. Mais moi oui, de mon
point de vue il y a du bon et du mauvais. Et ça ne veut pas dire.. Alors voyez « il y a du bon et du
mauvais » dit Spinoza, là-dessus, objection. Il n'y pas de bon et de mauvais puisqu'il y a toujours à la

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fois composition et décomposition.
Réponse de Spinoza « oui mais de mon point de vue », il y a tantôt des actions qui se composent
directement et qui n'entraînent qu'indirectement des décompositions et inversement il y a des actions
qui directement décomposent et n'impliquent de compositions qu'indirectement. C'est là le critère du
bon et du mauvais, c'est avec ça qu'il faut vivre. Qu'est ce que ça veut dire « c'est avec ça » qu'il faut
vivre ?

Oui

Etudiant - J'ai l'impression que c'est un modèle de physique absolue c'est-à-dire d'un mouvement
physique absolu qui permettrait d'annuler la dimension symbolique sans passer par (...) et est ce que
vous aborder vraiment à fond le problème du matricide en fait (...) ? Je ne sais pas quelle est la
perspective de Spinoza quand il évoque le problème du matricide mais tel que vous le décrivez on a
l'impression que la puissance symbolique du matricide est complètement annihilée elle n'existe plus
mais est ce que c'est exact ?

La question peut vouloir dire plusieurs choses : est ce que c'est exact en soi ou est ce que c'est
exact par rapport à Spinoza ? Est ce que c'est vrai en soi tout ce que je dis, c'est à vous d'en juger,
je ne veux pas brutaliser vos consciences, hein ! La seule question que je puisse retenir c'est : est ce
que c'est exact par rapport à Spinoza tel que vous venez de poser la question la réponse me parait
ne faire aucune difficulté à savoir : Spinoza est un auteur qui chaque fois qu'il a rencontré le
problème d'une dimension symbolique n'a cessé de l'expurger, de la chasser et de tenter de montrer
que c'était une idée confuse de l'imagination et de la pire imagination.

-Comtesse - Mais pourtant dans l'exemple d'Oreste, si le matricide d'Oreste est différent du
matricide de Néron. Il reste malgré tout que lorsque Oreste tue sa mère, d'après l'interprétation de
Spinoza, le crime d'Oreste c'est tout simplement l'affirmation de la filiation décomposée par la mère.
Donc on ne peut pas réduire le tout à une question simplement physique. C'est tout simplement
l'affirmation d'une filiation décomposée. De même...

Filiation, là tu dis beaucoup trop, la filiation qu'est ce que c'est ? C'est une composition de
rapports, la filiation ?

Comtesse -Peut être pas...

Ah alors là ça devient plus important ! Ma question est ceci : en quoi chez Spinoza, pour Spinoza,
puisqu'on ne pense qu'à lui, n'est ce pas ? En quoi pour Spinoza la filiation est elle autre chose
qu'une composition de rapports ?

Comtesse -Ben justement c'est un mystère.

Il ne connaît pas le mystère Spinoza, tu le sais au tant que moi ! Il n'y a pas de mystère chez
Spinoza.

Comtesse - Le fait qu'il dise que c'est un, que c'est un crime différent. Il ne peut dire que le crime
est différent que pour autant qu'il affirme une bonne filiation qui a été décomposée justement par la

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mère. Qu'est ce que c'est par exemple ? Ca renvoie par exemple à des textes dans le Traité
Théologico-Politique où Spinoza curieusement insiste sur le rapport du père et du fils.

Aïe aïe aïe ...

Comtesse-Comment se fait il qu'il insiste tant sur ce rapport privilégié ? Est-ce que ça relève
simplement de la physique ça ? C'est une question... Et dans l'exemple que tu donnais même par
exemple. Dans les Lettres à Guillaume de Blienberg l'exemple justement de la pomme, l'affaire,
l'histoire de la pomme. Finalement l'histoire de la pomme c'est une façon comme une autre de nous
dire qu'il y a un bon père celui qui donne un bon conseil et qu'il y a vraiment un imbécile qui ne suit
pas le bon conseil du père. Donc chez Spinoza il y a, a travers tous ses textes il y a un rapport très
curieux de filiation, qui est peut être un rapport de filiation, qui est peut être un rapport, mais est ce
que l'on peut dire qu'un rapport de filiation est physique ? (Deleuze tousse) C'est un problème ça

Ecoutes...

Moi je dirais bien quelque chose aussi...

Là ton cœur, Comtesse, souffre autant que le mien lorsque tu es en train pratiquement de traiter
la substance de Spinoza comme un père. Heu... Lorsque Dieu fait une révélation à Adam dire que
c'est bien la preuve qu'il y a un rapport de filiation du type père/fils. Enfin tu peux dire tout ce que tu
veux, mais tu sens bien que tu quittes largement le domaine du spinozisme heu ça chez Spinoza ça
n'a jamais fonctionné comme ça. Alors ce que je maintiens c'est que si l'on introduit d'une manière
ou d'une autre une dimension symbolique, où, d'après laquelle, si je comprends bien la substance,
agirait paternellement par rapport au mode, c'est un meurtre de tout le spinozisme, tu le sais
tellement, enfin c'est pour me taquiner que dis tout ça ! C'est...C'est. Il lui arrive en effet à ce moment
là il faut prendre comme tu les invoques toi-même les pages Du Traité Théologico - Politique.

Chaque fois qu'il tombe sur l'idée d'une dimension symbolique, il explique que c'est le truc des
prophètes. Les hommes de la dimension symbolique et qui interprètent le rapport Dieu / mode
comme un rapport du type père/fils en effet et qui réclament des signes. C'est même par là qu'il
définit très profondément le prophétisme, le prophétisme c'est l'acte par lequel je reçois un signe, ou
je crois que je reçois un signe et par lequel j'émets des signes. Et toute la théorie... Il y a bien une
théorie du signe chez Spinoza ça consiste à rapporter le signe à l'entendement et à l'imagination la
plus confuse du monde. Et dans le monde tel qu'il est, suivant Spinoza l'idée même de signe n'existe
pas, il y a des expressions et il n'y a jamais de signes. Si bien que lorsque Dieu, là je m'oppose très
fort à l'interprétation que tu suggères du texte de la pomme.

Lorsque Dieu révèle à Adam que la pomme agira comme un poison, il lui révèle une composition
de rapport, il lui révèle une vérité physique. Il ne lui envoie pas du tout un signe. Il ne traite pas du
tout Adam comme si c'était un prophète, pour la simple raison qu'au niveau de Dieu, il n'y a pas de
prophète. Il n'y a aucun prophète puisque le prophétisme c'est dans la mesure où l'on n'est pas
spinoziste selon Spinoza c'est dans la mesure où l'on ne comprend rien au rapport substance/ mode
que l'on invoque des signes et que l'on dit "Dieu m'a fait un signe".

Mais Spinoza dit mille fois « Dieu ne fait jamais aucun signe : il donne des expressions » et qu'est

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ce que ça veut dire des expressions précisément univoques ? Il ne donne pas un signe qui renverrait
à une signification ou à un signifiant, il n'agit pas comme un signifiant quelconque, toute notion dit
Spinoza serait vraiment « démente » quoi, heu il s'exprime c'est-à-dire, il révèle des rapports et
révéler ça ne veut pas dire du tout quelque chose un acte mystique ou un acte symbolique. Révéler
c'est donner à comprendre : il donne à comprendre des rapports dans l'entendement de Dieu, il ne
les donne pas à la manière d'un père qui donne un conseil, absolument pas, il le donne à la manière
de la Nature quand elle me présente une loi à savoir par exemple la pomme tombe. Et bien ça c'est
une révélation de Dieu : la pomme tombe, c'est une composition de rapports oui, ça. Mais si vous
voulez introduire dans Spinoza quoi que ce soit qui déborde cette composition de rapports, vous
avez peut être raison de votre point de vue à vous, permettez moi de vous maudire du point de vue
de Spinoza parce qu'à ce moment là ce qui est très légitime, vous êtes dans une atmosphère et vous
êtes dans une problématique qui n'a rien à voir de près ou de loin avec celle de Spinoza.

Oui heu pardon.

Richard Pinhas -Je pense que oui toute composition de rapport directe est forcément nécessaire
dans le sens où enfin implique une nécessité absolue dans le sens où si elle n'est pas effectuée, la
puissance de l'acte n'est pas effectuée non plus.

Ah ça c'est plus compliqué..

Richard Pinhas -Il n'y a pas le choix j'exclus même toute dimension politique

Oreste n'avait pas le choix mais si puisque Néron lui a fait une décomposition directe.

Richard Pinhas -Et si Oreste ne tuait pas sa mère il n'effectuait pas de rapports nécessaires à la
continuation de l'ensemble des rapports dans lequel il était impliqué (...) On a un schéma
d'implication et d'obligation nécessaires entre guillemets pour l'instant par rapport à la nécessité de
l'effectuation du rapport...

Du point de vue de la composition ?

Richard Pinhas - Oui complètement.

Mais ce n'est pas nécessaire que des compositions directes se fassent.

Richard Pinhas -Non mais quand telle composition directe est suggérée, par exemple par un
ensemble de modalités entre divers rapports si cette composition n'est pas faite, si cette composition
directe n'est pas effectuée c'est à dire si on dénie par exemple sa nécessité, on entraîne une
décomposition encore plus grande : à savoir si, dans le cas d'Oreste très précisément...
il se serait retirer, non je crois là tu es trop, du coup là, tu es toi un spinoziste trop rigoureux.

- Richard Pinhas - Non mais c'est assez c'est c'est ...

On pourrait aller jusque là mais je crois pas

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 24/03/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 24/03/81 - 2 Page 1/10


Cours de GILLES DELEUZE 24/03/81 13 B transcription : Paula Moore

..Et pourtant Spinoza ne veut pas du tout dire : "tout se vaut", la pluie douloureuse vaut le beau
soleil. Pas du tout. Il ne veut pas dire ça. Ce qu'il veut dire c'est qu'en tout cas aucun, rien, rien ne
s'exprime jamais, ou n'est jamais fondé à s'exprimer comme un manque. En d'autres termes, c'est la
formule en gros : "il n'y a que de l'être".

-Bon, pourquoi tout ne se vaut pas alors ? c'est ça ce qu'il faut voir en dernier. Mais, vous
comprenez ? Toute affection, toute perception, et tout sentiment, toute passion est perception,
affection et passion de l'essence. Simplement ce n'est pas par hasard que la philosophie emploie
très constamment un mot qu'on lui reproche, mais qu'est ce que vous voulez, elle en a besoin : c'est
l'espèce de locution « en tant que ».

Je crois même s'il fallait définir la philosophie par un mot, on pourrait dire : la philosophie c'est l'art
du « en tant que ». En effet, ça appartient à la philosophie : si vous voyez quelqu'un, être amené par
hasard à dire « en tant que », vous pouvez vous dire « tiens, c'est la pensée qui naît ». Le premier
homme qui a pensé, il a dit « en tant que ».

Pourquoi ? parce que « en tant que » c'est l'art du concept. C'est le concept. Est-ce par hasard
que Spinoza emploie constamment l'équivalent latin de « en tant que ». Et en effet, pourquoi est ce
que tous les penseurs sont amenés ? Parce que le « en tant que » renvoie, je crois, à des
distinctions dans le concept qui ne sont pas perceptives dans les choses mêmes. Quand vous
opérez par distinction dans le concept et par le concept, vous pouvez dire : "la chose, en tant que",
c'est-à-dire l'aspect conceptuel de la chose. Alors, toute affection est affection de l'essence, oui, mais
en tant que quoi ? Lorsqu'il s'agit de perception inadéquate et de passion, il faut ajouter, oui, ce sont
des affections de l'essence en tant que l'essence a une infinité de parties extensives qui lui
appartiennent sous tel rapport.

- Bon, j'ai presque fini dès lors, là, le pouvoir d'être affecté appartient à l'essence, simplement il est
nécessairement rempli par des affects qui viennent du dehors. Ces affects viennent du dehors, ils ne
viennent pas de l'essence, ils sont pourtant affects de l'essence puisqu'ils remplissent le pouvoir
d'être affecté de l'essence.
Mais retenez bien, ils viennent du dehors. En effet le dehors, c'est la loi à laquelle est soumis,
sont soumises, les parties extensives agissant les unes sur les autres. Bon, si vous vous rappelez
quand on s'élève, et j'ai essayé de montrer les dernières fois, donc je ne reviens pas là-dessus,
comment c'était possible. Quand on s'élève, quand on arrive à s'élever au second et troisième genre

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de connaissance, qu'est qui se passe ? Là, j'ai des perceptions adéquates et des affects actifs. Ça
veut dire quoi ? et bien, c'est des affections de l'essence ; Je dirais même à plus forte raison, quelle
différence avec le cas précèdent ? c'est que cette fois, ils ne viennent pas du dehors, ils viennent du
dedans. Pourquoi ? On l'a vu. Une notion commune déjà, à plus forte raison une idée du troisième
genre, une idée d'essence, pourquoi ça vient du dedans ?

- Reprenez ma formule de tout à l'heure et on va chercher la formule équivalente. Je disais : les


idées inadéquates et les affects passifs, ils m'appartiennent. Ils appartiennent à mon essence. Ce
sont donc des affections de l'essence, en tant que cette essence possède actuellement une infinité
de parties extensives qui lui appartiennent sous un certain rapport. Cherchons maintenant pour les
notions communes. Une notion commune c'est une perception, on l'a vu, c'est une perception d'un
rapport commun. Rapport commun à moi et à un autre corps. Il en découle des affects : affects
actifs. Bon, ces affections, perceptions et affects, ces affections sont aussi des affections de
l'essence, qui appartiennent à l'essence. Je dirais : c'est la même chose : "affection de l'essence"
mais en tant que quoi ? Non plus en tant que l'essence est conçue comme possédant une infinité de
parties extensives qui lui appartiennent sur un certain rapport, mais en tant que l'essence est conçue
comme s'exprimant dans un rapport.

- Et oui ! Là, les parties extensives et l'action des parties extensives est conjuré puisque je me suis
élevé à la compréhension des rapports qui s'opposent. Donc, je me suis élevé à un autre aspect de
l'essence. Ce n'est plus l'essence en tant qu'elle possède actuellement une infinité de parties
extensives, c'est l'essence en tant qu'elle s'exprime dans un rapport. - Et à plus forte raison, si je
m'élève à des idées du troisième genre, ces idées et les affects actifs qui en découlent,
appartiennent à l'essence ou à l'affection de l'essence, cette fois ci, en tant que l'essence est en soi,
est en elle-même et pour elle-même, est en soi et pour soi, un degré de puissance. Donc, je dirais à
la limite et en gros, toute affection et tout affect sont des affections de l'essence, seulement il y a
deux cas ; le génitif a deux sens. Il y a ...

Quoi ? (Intervention d'Anne Querrien inaudible)

- Oui, ça serait le " ab ", oui, oui, d'accord. Ça ne serait pas le même, oui, sauf que j'ai l'impression
(intervention inaudible) ...Oui, mais j'ai peur, Anne, qu'il y est deux emplois du génitif en latin.
D'ailleurs, c'est mieux que le génitif ... (Intervention inaudible)

- oui, oui. Mais, donc le "ad" vaudra aussi pour la causalité externe. À la limite, je dirais les idées du
deuxième et troisième genre, voyez ? c'est des affections de l'essence. Mais il faudrait dire suivant
un mot qui n'apparaîtra que bien plus tard dans la philosophie, avec les allemands par exemple, ce
sont des auto-affections. Finalement à travers les notions communes et les idées du troisième genre
c'est l'essence qui s'affecte elle-même.
(Intervention inaudible Anne Quérien) l'électricité cela apparait au 18ème siècle
Tu ne veux pas ? Et s'il le dit ? (intervention inaudible)

Tu crois qu'il a fallu l'électricité pour s'élever à l'auto affection ? (intervention inaudible)

- Quant même après tout, Spinoza emploie le terme "affect actif" ? Actif, il n'y a pas grande
différence entre auto affection et affect actif. (Intervention inaudible) - Tu n'aimes pas ? Alors, on

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supprime.

- Richard Pinhas : "c'est les idées de la conscience moderne..

mais non ! (Anne Quérien) (reste inaudible)

- Deleuze : oui, bon, alors vous voyez ? En tout cas voilà en quel sens il faut dire à la fois, oui !
Toutes les affections sont des affections de l'essence. Mais, attention ! affection de l'essence n'a pas
un seul et même sens. Voilà ! Bon, est ce qu'il y a des ... Il me reste quelque chose évidemment
c'est, aujourd'hui, c'est tirer des espèces de conclusions entre le rapport, pour le rapport éthique/
ontologie. Pourquoi tout ça ? C'est ça la question. Pourquoi tout ça constitue une ontologie, ? et je
vais vous dire mon idée. Mais là, mon idée là est très douteuse. C'est une idée comme ça, une idée
de sentiment. Il me semble, il me semble (je touche la table) qu'il n'y a jamais eu qu'une seule
ontologie, il n'y a que Spinoza qui ait réussi une ontologie. Les autres, ils ont fait d'autres choses très
belles, mais ce n'était pas de l'ontologie, si l'on prend ontologie dans un sens extrêmement
rigoureux. je ne vois qu'un cas où une philosophie se soit réalisée comme une ontologie, et c'est
Spinoza. Alors, pourquoi ce coup ne pouvait être réussi qu'une fois ? Pourquoi le fut-il par Spinoza ?
Voyez ? Ce sont des questions presque judiciaires, très, très importantes. Bon, c'est ce qui me
restait à dire. Mais je voudrais vos réactions, s'il y avait d'autres questions. Oui ?

Richard Pinhas (début inaudible) : ... deux modes de fonctionnement que tu qualifiais l'un de
cinétique et l'autre de dynamique. Dans ma perception de ce que tu disais, je pourrais dire que le
fonctionnement cinétique des affections et des rapports est de type extérieur, donc, c'est un mode
d'extériorité . j'hésite à dire forme de l'extoriorité..C'est le mot qui m'est venu.. dans la cas dynamique
on aurait un équivalent, les termes sont mauvais, qui serait la forme d'extériorité. En effet ce sur quoi
on débouche c'est l'auto affection et là tu viens de passer comme ci..

Gilles Deleuze : Dans ce qui tu dis, je crois qu'il a quelque chose de très dangereux, hein ? C'est
que surtout, il n'y a pas plus d'intériorité, à mon avis, au niveau dynamique qu'au niveau cinétique.
Pour une raison très simple : c'est lorsque je dis "pouvoir d'être affecté" d'une essence, peut aussi
bien être réalisé par des affections externes que par des affections internes. Il ne faut surtout pas
penser que le pouvoir d'être affecté renvoit plus à une intériorité que ne le faisait le rapport cinétique.
Les affects peuvent être absolument externes, c'est le cas des passions. Les passions sont les
affects qui remplissent le pouvoir d'être affectées et qui viennent du dehors.

Richard Pinhas :Là je suis complètement d'accord.. je voudrais reformuler ma question : ma


question en fait son centrage c'est : on débouche sur quelque chose de nouveau, par rapport à
l'histoire de la philosophie, qui est l'auto affection. Laissons le terme de côté on se trouve devant une
forme très spécifique d'affection sur laquelle..

- G. Deleuze : oui, ça évidemment, si tu me dis.. oui Anne

- Anne Querrien ; inaudible "comme Edith Piaf.. sur le manque :" non je ne regrette rien ni le bien ni
le mal, tout ça m'est bien égal" - rires

- C'est vrai ! tu veux dire quelque chose ?

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- Etudiante : moi, je voudrais dire quelque chose sur la question que Richard avait posée la semaine
dernière. C'est-à-dire, à propos du besoin de fondement. Si l'on reprend l'exemple du bois.Tu parlais
de l'essence du bois. Moi, je dirais plutôt que le bois est la chose qui va inventer le rabot et que le
rabot va devenir un certain moment, l'outil qui va nous dire quelque chose sur le bois. C'est-à-dire au
deuxième degré de connaissance, le bois et le rabot diront quelque chose l'un sur l'autre dans ce
rapport, le bois, l'essence. Dans ce rapport, qu'ils ont l'un à l'autre, mais... Mon problème c'est le
problème du fondement. Donc, c'est peut-être ... Oui... (Intervention d'Anne Querrien inaudible) Non,
je ne pense pas, non.

Gilles Deleuze : attends, dis d'abord ! Tu vas devenir hégélienne, toi !

Etudiante : À propos du problème des essences, c'est à dire, Richard disait qu'il voulait bien qu'il
y est des essences, mais qu'il ne voyait pas pourquoi Spinoza avait besoin d'un fondement. Et ce
que je dirais moi, c'est que s'il n'y a pas de fondement aux essences, les essences deviennent des
métaphores de Dieu, c'est-à-dire bon, comme dans la religion chrétienne, En "Dieu est toute chose"
et à partir du moment où en toute chose serait Dieu nous n'avons aucune chance de pouvoir y
parvenir. C'est-à-dire que si pour nous, dans ce travail qu'il aurait à fournir pour atteindre au
troisième genre de connaissance, si ça serait là une manière de parvenir à ce qu'il y a de divin en
nous, il faut que ces essences aient un fondement. C'est-à-dire que si Dieu est l'ensemble de toutes
les essences, en fait, Dieu n'est pas dans les essences, il est reculé, c'est une espèce de
panthéisme, il est reculé en dehors des essences. Mais il me semble que s'il n'y a pas de fondement,
chaque essence n'est qu'une métaphore de Dieu, et donc pour nous il n'y a plus rien à faire, quoi !

- Intervention Anne Querrien inaudible. "charpentier qui manque de rabot...

- Etudiante : oui, oui. Tu as raison, je pense que tu as raison dans une problématique chrétienne,
mais ça inverse complètement Spinoza.

- Gilles Deleuze : oui, je vais trouver. J'ai une idée qui concilie chacun enfin, c'est ...

(Intervention d'élève inaudible) intuition ; auto affection sur une réflexion de la lumière divine..

J'ajoute pour confirmer ceci, en effet, le livre cinq me paraît à cet égard fonder cette notion d'auto
affection. Car vous prenez un texte comme celui-ci, qui est un texte finalement qui a son équivalent
dans beaucoup de propositions mystiques, dites mystiques. À savoir, l'amour par lequel j'aime Dieu,
sous entendu, au troisième genre, au niveau du troisième genre de connaissance. L'amour par
lequel j'aime Dieu est l'amour par lequel Dieu s'aime lui-même, et m'aime moi-même. Ça veut dire
quoi ? Ça veut dire qu'au niveau du troisième genre, toutes les essences sont intérieures les unes
aux autres. Tous les degrés de puissance sont intérieurs les uns aux autres, et intérieurs à la
puissance dite puissance divine. Il y a une intériorité des essences. Ça ne veut pas dire qu'elles se
confondent. On arrive à un système de distinction intrinsèque.
Ce n'est plus le système des distinctions extérieures, c'est un système de distinction intrinsèque,
dès lors, lorsqu'une essence m'affecte - Vous comprenez ? c'est ça la définition du troisième genre -
Une essence affecte mon essence, une autre essence affecte mon essence. Mais comme toutes les
essences sont intérieures les unes aux autres, une essence qui m'affecte, c'est une manière sous

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laquelle mon essence s'affecte elle-même.

Je voudrais faire un dernier appel, presque, parce que je voudrais prendre vraiment un exemple,
je sens bien que ces exemples sont dangereux. Je reviens à mon exemple du soleil parce que, bon il
est quand même question d'arriver, pas du tout à savoir abstraitement, mais comprendre un peu
concrètement ce que ça veut dire que panthéisme ? Comment vivent, comment sentent les gens qui
se disent panthéistes ? Je vous signalais que, après-tout il y a des écrivains qui sont dit, ce n'est pas
seulement une affaire des philosophes tout ça - Je pense précisément à mon histoire du soleil de
tout à l'heure, de mon exemple du soleil. Je pense à un auteur célèbre qui s'est beaucoup, qui a
constitué une espèce de panthéisme à l'anglaise - Il y a beaucoup d'Anglais qui sont panthéistes. Il y
a une source, il y a une inspiration panthéiste dans toute la littérature anglaise très, très importante,
et qui doit venir de leur caractère irrémédiablement protestant - Mais, enfin, ça dépasse ce caractère.

Bon. Je pense, donc, à Lawrence. Lawrence c'est quand même curieux tout ce qu'il dit autour du
soleil. Je prends cette espèce de culte du soleil. Alors, je ne vais pas dire que Spinoza avait le culte
du soleil. Quand même, ils ont en commun... Ils aiment : lumière et tuberculose, hein, ce sont les
deux points communs de Lawrence et de Spinoza, lumière et tuberculose. Bon, alors, c'est quoi ça ?

Au niveau du soleil et des rapports de Lawrence avec le soleil, vous trouveriez quelque chose - le
prenez pas à la lettre. Prenez le comme... J'essaie que quelque chose raisonne en vous, si vous... -
Je parle pour le moment là qu'à ceux qui aiment d'une certaine manière le soleil, qui sentent qu'ils
ont une affaire, supposons, particulière avec le soleil. Il en a qui ont cette impression. Eh bien,
Lawrence nous dit quelque chose comme ceci, et qu'il y a, bien en gros, trois manières d'être en
rapport avec le soleil. Là, où il reproche beaucoup aux gens. Il déteste, il est très méprisant. Mais,
Spinoza aussi, Il se méfie, il ne supporte pas beaucoup les gens, Lawrence. Il les trouve trop
vulgaires. Alors, il n'est pas à son aise dans son époque. Et pourtant, peu importe, ceux qui
connaissent un peu cet auteur vous voyez ce que je veux dire...

Bon, il dit :" il y a des gens sur la plage ", - oui, il y avait des gens à la mode - « des plages, du
soleil, etc. Et il dit : « Ils ne comprennent pas, ils ne savent pas ce qu'est le soleil. » Ce n'est pas du
tout qu'il veuille garder ça pour lui. IL trouve que les gens vivent mal. Voilà, c'est son idée. C'était
aussi l'idée de Spinoza que les gens vivent mal, et s'ils sont méchants, c'est parce qu'ils vivent mal,
bon. Ils vivent mal, ils se foutent sur la plage tout ça, et ils ne comprennent rien au soleil. S'ils
comprenaient quelque chose au soleil après tout - dit Lawrence - ils en sortiraient plus intelligents et
meilleurs. La preuve : dés qu'ils sont rhabillés, ils sont aussi teigneux qu'avant. Ca c'est une preuve
bien plus alors, ils ne perdent rien de leurs vertus et vices. S'il y a quelqu'un qui arrive et qui leur
cache le soleil, ils trépignent, ils disent : « alors quoi ? » , etc. Ils sont vulgaires, quoi.

Bon, qu'est ce qu'ils font à ce niveau du soleil ? Ils en restent vraiment au premier genre. Ils
déclarent : "j'aime le soleil", mais « j'aime le soleil » c'est une proposition dénuée de sens. C'est
absolument dénué de sens. « J'aime le soleil ». C'est comme la vieille dame qui dit : « oh, moi, j'aime
la chaleur ! » . Qu'est ce que c'est ce « je » de « j'aime la chaleur » ? En fait, ça ne veut rien dire là.
Un mécaniste, un physicien ou un biologiste mécaniste corrigerait, il ne dirait rien du tout : " Je"
"t'aime pas la chaleur du tout". Simplement il dirait : il y a en toi des phénomènes de vasoconstriction
et des phénomènes de vasodilatation, qui fait que tu as un besoin "objectif" de chaleur. Bon, très

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bien. En d'autres termes, le « je » de « j'aime la chaleur », est un « je » qui exprime quoi ? Qui
exprime les rapports de parties extensives du type vasoconstriction et vasodilatation, et qui sont
typiquement, et qui s'expriment directement, en un déterminisme externe, mettant en jeu les parties
extensives.

Alors, je peux dire : " J'aime le soleil" en ce sens ». C'est donc, les particules de soleil qui
agissent sur mes particules, et l'effet des unes sur les autres, est un plaisir ou une joie. Je dirais, ça
c'est le soleil du premier genre. Soleil du premier genre de connaissance que je traduis sous la
formule naïve « oh, le soleil, j'aime ça ! ». En fait, c'est des mécanismes extrinsèques de mon corps
qui jouent, voyez, et des rapports entre parties, parties de soleil, et parties de mon corps.

Deuxièmement, c'est quand même un peu différent quelqu'un qui a "à faire" avec le soleil.
Presque ma question ce serait, elle est très Lawrentienne : A partir de quand, par rapport au soleil, je
peux commencer authentiquement à dire : « je » ?. Tant que je me chauffe au soleil, je n'ai aucune
raison de dire : « j'aime le soleil » : Je suis dans le premier genre de connaissance. Il y a un second
genre de connaissance. Cette fois ci, je dépasse la zone de l'effet des parties les unes sur les autres.
j'en suis pas à attendre l'effet des parties les unes sur les autres. J'ai acquis comme une espèce de
connaissance du soleil, et après tout, il y a des gens qui ont une connaissance, c'est pas du tout une
connaissance théorique. Je ne vais pas dire que je suis un astronome. Là, pas du tout, ce serait un
contresens. j'ai une espèce de connaissance et de compréhension pratique du soleil. j'ai une espèce
de connaissance pratique même si je n'arrive pas à la dire du climat, des heures, des brumes. Qu'est
ce que ça veut dire cette connaissance pratique ?

Surement que je devance, je sais ce que veut dire tel événement minuscule lié au soleil, telle
ombre furtive à tel moment. Je sais ce que ça annonce. Je n'en suis plus à enregistrer des effets du
soleil sur mon corps, je m'élève à une espèce de compréhension pratique des causes en même
temps que quoi ? En même temps que je sais composer des rapports de mon corps avec tel ou tel
rapport du soleil.

Un peintre - je saute justement, parfait - un peintre, comment il fait ? Qu'est ce que ça veut dire ;
"composer des rapports de son corps avec des rapports du soleil" ? En quoi est ce que c'est différent
de subir des effets ? Prenons la perception du peintre. Comment un peintre - on peut imaginer un
peintre du dix-neuvième en pleine nature, qui va dans la nature ?- Il a son chevalet, c'est un certain
rapport. Il a sa toile sur chevalet, voilà un rapport. Il y a son corps, c'est un certain rapport. Il y a la
toile et le chevalet, c'est un autre rapport. Il y a le soleil qui ne reste pas immobile. Bon, qu'est ce
qu'il va faire ? Qu'est ce que c'est ce j'appelle cette connaissance du second genre ? Il va changer
complètement la position de son chevalet. C'est-à-dire, il ne va pas avoir avec sa toile, le même
rapport suivant que le soleil est en haut et selon que le soleil tend à se coucher. Ah, tiens ! c'est un
exemple comme ça. Van Gogh peignait à genoux. Dans les lettres de Van Gogh, il parle
énormément des couchers de soleil qui le force à peindre presque couché. Pourquoi ? pour avoir
précisément lui, que son œil de peintre, ait la ligne d'horizon le plus bas possible.

Qu'est ce que ça veut dire à ce moment-là, avoir un chevalet ? ça ne veut rien dire, rien du tout.
Tout dépend de ce que l'on fait d'un chevalet. Et quand il y a du Mistral ? Qu'est ce qu'on fait avec un
chevalet ? Il y a des lettres émouvantes de Cézanne et de Van Gogh aussi : « Aujourd'hui j'ai pas pu
sortir. Je n'ai rien pu faire. Trop de Mistral ». Ça veut dire que le chevalet, ben, aurait volé, ou alors, il

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fallait l'attacher, ou alors, quoi ? Comment composer le rapport toile/chevalet avec le rapport du vent
? Et comment composer le rapport du chevalet avec le soleil qui décline ? Et comment finir de telle
manière que je peindrais là, par terre ? Que je peindrais ventre à terre ? Mais ça, ce n'est pas l'école
qui me l'apprend. Ce n'est pas à l'Académie que j'apprends ça. Je compose des rapports et je
m'élève d'une certaine manière à une compréhension des causes. Et à ce moment-là, je peux
commencer à dire : « le soleil, je l'aime ! ».

Vous comprenez ? Ensuite il y a l'effet des particules de soleil sur des particules de mon corps.
J'en suis à un autre domaine, à des compositions de rapports. Et ce moment là, comprenez ? Je ne
suis pas loin. Tout a son danger. Je ne suis pas loin d'une proposition qui nous paraissait utile, qui
nous aurait paru folle, au premier degré. Je ne suis pas loin de pouvoir dire : « oui, le soleil, j'en
"suis" quelque chose ». J'ai un rapport d'affinité avec le soleil.

Bon, on en reste là. C'est le second genre de connaissance. Pas besoin d'être peintre. Peut-être
que ça me donnerait envie d'être peintre si j'arrive, si j'accède à cet état par rapport au soleil. Mais,
vous sentez que c'est un état complètement différent de celui de la dame qui se chauffe au soleil !
Ceci dit la dame qui se chauffe au soleil peut être peintre aussi. Mais elle ne fera pas les deux en
même temps parce que ces deux rapports avec le soleil s'exclut. Là, il y a une espèce, déjà au
second genre, comprenez qu'il y a une espèce de communion avec le soleil ? feuilletez les lettres de
Van Gogh c'est évident que, quand il peint là ces immenses soleils rouges, c'est évident que c'est lui.
Ce n'est pas lui, ce n'est pas le soleil qui est ramené à lui. C'est lui qui commence à entrer dans une
espèce de communication avec le soleil.

Bon, et le troisième stade, alors ? J'ai pris comme exemple, et j'ai eu tort, un exemple de peintre
pour le second genre, et j'ai l'air de le bloquer an second genre. Oui, peut être, parce que, ensuite,
ce même plus du domaine de la peinture. Qu'est ce que ça serait le troisième genre ? Là, Lawrence
abonde en textes. En textes comme ça, c'est vraiment, et j'espère, pardonnez - moi, mais j'espère
que ce que j'ai dit précédemment ne le rendra pas pour beaucoup d'entre vous, ridicule. C'est ce
qu'on pourrait appeler en gros, "oui, ah bien oui, c'est bien quelque chose comme ça que l'on appelle
en termes abstraits alors, en termes abstraits qui nous empêchent de comprendre, union mystique".
Qu'est ce que c'est, alors ? Toutes sortes de religions ont développé une mystique du soleil ! C'est
un pas de plus. Et, après tout mon ordre est normal. Qu'est ce qui fait que, par rapport à son soleil
rouge là qui mange tout la toile, avec les ondulations à la Van Gogh, etc . Van Gogh a encore
l'impression qu'il y en a un au delà qu'il n'arrive pas à le peindre. Qu'est ce que c'est ? C'est encore
plus, qu'il n'arrivera pas à rendre en tant que peintre ? Bon, est ce que c'est ça ? Alors, bon ! Est que
c'est ça le relais mystique ? Le mystique : est ce que c'est ça les métaphores du soleil chez les
mystiques ? Mais ce n'est plus des métaphores, si on le comprend comme ça. Ce n'est absolument
plus des métaphores. Ils peuvent dire à la lettre : « Dieu est Soleil ». Ils peuvent dire à la lettre : « Je
suis Dieu ». Pourquoi ? Pas du tout qu'il y ait une identification, pas du tout.

C'est que, au niveau du troisième genre, on arrive à ce mode de distinction intrinsèque. Et c'est
là, si vous voulez, qu'en effet, il y a quelque chose de terriblement mystique dans le troisième genre
de connaissance de Spinoza. À la fois les essences sont distinctes, seulement elles se distinguent,
elles se distinguent à l'intérieur les unes des autres. Si bien que les rayons par lesquels le soleil
m'affecte, ce sont des rayons par lesquels je m'affecte moi-même. Et les rayons par lesquels je
m'affecte moi même ce sont les rayons du soleil qui m'affectent C'est l'auto affection solaire. En

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mots, ça a l'air grotesque. Comprenez qu'au niveau des modes de vie, comme disait un autre auteur
:"mais un mystique, vous pouvez toujours en croiser un dans la rue. Un type qui fait ses expériences,
ça ne se voit pas de dehors. Il n'est pas... Il est comme vous et moi".
Bon, chez Lawrence, j'attire votre attention là-dessus, c'est que les textes de la fin, justement,
quand Lawrence ne peut plus supporter le soleil, en vertu même de sa maladie. Lorsque le soleil est
fatal, et bien, il développe ces textes là dessus sur cette espèce "d'identité" qui maintient la
distinction interne entre son essence à lui, son essence singulière, l'essence singulière du soleil, et
l'essence du monde.

Et cette espèce de chant là qui fait les dernières œuvres de Laurence, cette espèce de chant au
monde sur lequel il va mourir. Mais vraiment, il va mourir sans ressentiment. Il va mourir très, très
Spinoziste, après une longue marche à pied, sa dernière marche à pied , là il se crêve et il meurt.
C'est à ce moment-là qu'il accède à ces textes sur le soleil. Alors, voyez si ça vous tombe entre les
mains. On a toujours besoin pour comprendre, je crois, un philosophe, d'accumuler aussi milles
autres choses qui valent par elles-mêmes. Mais, si vous lisez les textes, par exemple de Lawrence
sur le soleil, ça peut vous déclencher une compréhension de Spinoza que vous n'auriez jamais eue
si vous étiez resté avec Spinoza tout seul. On a toujours besoin de tout le monde pour comprendre si
peu que ce soit. Et c'est même pour ça qu'on passe son temps à faire des contresens. En même
temps il ne faut pas mélanger, eh oui, bien sûr ! Voilà ce que je voulais dire..

(Intervention, peu audible d'un étudiant : par rapport à ce rapport solaire je me demandais si dans le
Vendredi de Tournier on avait pas en fait et à la lettre une très belle description de ce périple
d'apprentissage ?

Oui, vous avez raison, oui, oui ! Dans les textes de... Maintenant on peut juger. Mais, en effet,
d'ailleurs, l'obsession de Tournier pour là... Il faut parler des gens personnellement, c'est toujours
intéressant dans la mesure du possible - il faut imaginez Spinoza personnellement, quoiqu'il ne parle
pas du soleil sauf dans des exemples, mais Lawrence personnellement, oui ? Tournier
personnellement, en effet il a un rapport avec le soleil. Si, c'est très important, c'est à ce niveau-là,
vous savez que l'on ne peut pas écrire n'importe quoi. Et si l'on écrit quelque chose qui n'est pas
vraiment à ce niveau-là très, très profondément vécu, ça donne de la littérature de copiage. Ça
donne de la littérature sans aucun intérêt. Ça, on le sent ça.

(Intervention inaudible d'étudiant) concept de plage, de soleil, une des bascule de l'univers qui
survient

Gilles Deleuze :... Je ne connais pas. Ce qui témoigne de l'authenticité d'une expérience, il me
semble toujours, je ne dis pas qu'il n'y a pas moyen autrement. Mais ce qui témoigne en première
garantie de l'authenticité d'une expérience, c'est la splendeur des pages, ou des œuvres, si petites
qu'elles soient qui en découlent. Je peux dire : « Van Gogh a une expérience personnelle, singulière
avec le soleil. ça oui » Qu'est ce qui le prouve ? Ses tableaux, ses tableaux, c'est

tout. En revanche, devant certains très grands peintres qui peuvent peindre des soleils, on sait bien
que c'est pas ça la partie forte du tableau. Ce n'est pas avec le soleil qu'ils ont affaire, ils ont affaire
avec autre chose. Ils avaient peut-être besoin du soleil. Des pages de Lawrence, je sais que cet
homme-là a eu une affaire particulière avec le soleil.

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Alors, c'est pour ça, vous comprenez que quand on parle, - et là j'ouvre une parenthèse, et c'est
juste un appel que je vous fais, - quand on parle, quand on fait de la psychanalyse, quand on parle
de sexualité et tout ça, vraiment ça finit par être sale et dégoûtant. C'est sale et dégoûtant parce qu'il
ne semble pas voir que notre vraie sexualité, elle est avec le soleil. Alors, quand on nous dit des
choses comme : « le soleil c'est l'image du père » à ce moment-là moi, je pleure. Je pleure.
Effectivement, je me dis, tant de beauté piétinée, tant de choses belles amoindries, c'est odieux,
c'est odieux ce truc ! Vous vous rendez compte ? Le soleil de Van Gogh c'est, c'est la castration, le
soleil de Van Gogh ? Mais non, non ! il n'y a pas à parler.. Mais, je veux dire, c'est ça la vulgarité,
c'est vraiment ça la vulgarité. Bien, et bien, voilà - J'ai encore bien des choses à dire, mais quelle
heure est-il ?

Étudiant : midi moins vingt

- Deleuze : Alors, j'ai le temps de dire, et là je ne vais pas continuer. Je vais finir aujourd'hui juste en
essayant de justifier une partie de ce qui restait à faire. À savoir en quoi, en quoi il me semble que
Spinoza a réussi sans doute philosophiquement, la seule ontologie qu'on puisse nommer vraiment
une ontologie. Évidemment ce que je vais dire va être très peu probant parce que, ce à quoi je
renonce, ce serait faire la comparaison avec d'autres traditions philosophiques. Je reviens du coup,
au livre Un de " L'éthique", et je dis : "qu'est ce qu'il y a de très curieux dans ce livre Un, y compris
pourquoi est-ce qu'il y a neuf premières propositions qui paraissent très bizarres quand vous lisez ce
livre Un ? Il y a neuf propositions sur ce que Spinoza appelle « les substances n'ayant qu'un seul
attribut ».
Comme tout le monde sait que pour Spinoza finalement il n'y a qu'une seule substance, il n'y a
pas de substances n'ayant qu'un seul attribut, ces propositions sont assez bizarres. On se dit : «
mais, où il veut en venir » ? Et l'on s'aperçoit, en effet, qu'à la proposition neuf et dix, il en arrive à
une substance ayant tous les attributs. Pourquoi est ce qu'il est passé par les neuf premières
propositions, où il nous parle des attributs où il considère les attributs pour eux-mêmes ? C'est
curieux ça, tout ce passage. C'est que en même temps je me dis, qu'est ce qu'il y a de vraiment de
nouveau chez Spinoza ? Du point de vue de la théorie, c'est-à-dire du premier livre de L'Éthique.
Qu'est ce qui est vraiment nouveau, si j'essayais de le dire ? Vous comprenez ? Mon souci c'est que
vraiment vous le sentiez au même titre que ce que j'ai essayé de dire tout à l'heure là, sur le soleil. Et
bon, il y a une proposition qui domine...

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 10/11/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 10/11/81 - 2 Page 1/13


Deleuze 10/11/81 (502) 1B transcription : lise Renaux.

Deleuze : « on va reconstituer le mouvement avec des poses, p / o / s / e, pas pause, cela irait aussi
mais avec des poses... Qu'est que cela veux dire ça ? Vous verrez dans...précisément le quatrième
chapitre de "l'Évolution créatrice", qu'il faut que vous lisiez alors, parce que il ne doit pas être épuisé
celui là... Il le dit très bien, bien oui, prenez la physique d'Aristote quand il s'agit d'analyser le
mouvement, qu'est qu'il nous dit ? Il retient essentiellement deux thèmes, deux poses, deux
moments privilégiés :
Le moment où le mouvement s'arrête, parce que le corps a rejoint son lieu dit "naturel"
et d'autre part le sommet du mouvement, par exemple dans une courbe le point est l'extremum.

Voilà un cas très simple : on retient des positions, des poses, on procède avec des poses, on retient
des positions privilégiées sur un phénomène. voyez... et on référera le phénomène à étudier à ses
positions privilégiées, ses instants privilégiés. Par exemple, c'est la même chose en art, tout l'art grec
s'établira en fonction précisément de moments privilégiés. La tragédie grecque c'est exactement
comme l'extremum d'un mouvement, c'est ce que les Grecs appellent aussi bien pour le mouvement
physique que pour le mouvement de l'âme dans la tragédie, c'est ce qu'ils appellent l'acmé, Le point
tel qu'il n'y en pas de plus haut, avant cela monte vers ce point et après cela descend. Ce point
extrémal... ce point extrémal cela va être précisément un moment privilégié.

Bon qu'est ce que cela veut dire au juste ? Qu'est que c'est une pose, ? je dirais une pose c'est
une forme, une pose, une position, c'est une forme et en effet le mouvement est rapporté à des
formes - pas à une forme - à des formes. Qu'est ce que cela veut dire ça ? le mouvement est
rapporté à des formes, ce n'est pas que la forme soit elle-même en mouvement au contraire, une
forme n'est pas en mouvement, elle peut tendre vers le mouvement, elle peut être adaptée au
mouvement, elle peut préparer le mouvement, mais une forme en elle-même c'est le contraire du
mouvement, cela veut dire quoi ?

cela veut dire qu'une forme serait ou non actualisée, s'actualise dans une matière, l'opération par
laquelle une forme s'actualise dans une matière c'est ce que l'on appelle, ce que les Grecs appellent,
une information. Une forme actualise une matière, par exemple un sculpteur actualise une forme
dans une matière, dit Aristote.

Bon qu'est ce qui se meut ? qu'est ce qui est en mouvement ? c'est la matière, ce qui se meut
c'est la matière. Qu'est que cela veut dire se mouvoir alors ? c'est passer d'une forme à une autre.
Ce n'est pas la forme qui se transforme c'est la matière qui passe d'une forme à une autre. C'est une

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idée constante ça chez Platon, ce n'est pas le petit qui devient grand, ce n'est pas le froid qui devient
chaud. Mais quand l'eau s'échauffe, une matière fluide l'eau, passe d'une forme à une autre, de la
forme du froid à la forme du chaud, ce n'est pas le froid qui devient chaud.
Les formes en elles même, elles sont immobiles ou bien elles ont des mouvements de pure
pensée, mais le mouvement fini c'est celui d'une matière qui passe d'une forme à une autre. Un
cheval galope, c'est qu'en effet vous avez deux formes : vous pouvez distinguer une forme d'un
cheval et le dessinateur l'autre, la forme du cheval au maximum de sa contraction et la forme du
cheval de sa contraction musculaire - et la forme du cheval au maximum de son développement
musculaire. Et vous direz que le galop c'est l'opération par laquelle la "matière cheval", le corps du
cheval avec sa mobilité ne cesse de passe de la forme A à la forme B et de la forme B à la forme A .

Peut être est ce que vous comprenez alors ce que l'on est en train de dire ? je dis il y a, je dis
d'après Bergson, il semble que change à peine les termes, il y a une première manière de reproduire
le mouvement, et cette première manière c'est quoi ? Vous pouvez reproduire le mouvement en
fonction d'instants et de moments privilégiés et cela veut dire quoi ça ? A ce moment là vous
reproduisez le mouvement en fonction d'une séquence de forme ou d'un ordre de pose : séquence
de la forme contractée du cheval et de la forme dilatée du cheval et tandis que c'est la matière, le
corps matériel du cheval qui passe d'une forme à une autre. En d'autres termes c'est pas la forme
elle-même qui se meut, c'est la matière qui se meut en passant de la forme A à la forme B. Les
formes elles, elles sont simplement plus ou moins saisies proches de leur moment d'actualisation
dans une matière.
Alors quand je disais une forme est plus ou moins "prête" à la mobilité, cela veut dire, vous la
saisissez ou bien pour elle-même ou bien à son point d‘actualisation dans une matière. Et tout l'art
grec jouera, alors que la philosophie, elle, se chargera de penser les formes en elles même, l'art grec
lui, se chargera de faire surgir les formes au point de leur actualisation dans une matière fluante.
Et vous voyez donc il me semble, Bergson a tout à fait raison de dire et de définir la pensée
antique par cette reconstitution du mouvement à partir, finalement le mouvement reconstitué
dépendra de quoi ? il dépendra de la séquence des formes ou des poses. Mais c'est une séquence
de quelle nature ? C'est une séquence, qui sera une séquence logique, non pas physique. Ce qui est
physique c'est le mouvement de la matière qui passe d'une forme à une autre. Mais les rapports
entre formes c'est de la logique, c'est de la dialectique, entre d'autres termes c'est une dialectique
des formes des poses qui va servir de principe à la reconstitution du mouvement, c'est à dire à la
synthèse du mouvement. C'est une dialectique des formes ou des poses qui va servir de principe à
la synthèse du mouvement c'est à dire à sa reproduction.
Par exemple la danse : dans la danse le corps fluide de la danseuse ou du danseur passe d'une
pose à une autre et sans doute les formes de la danse sont saisies au maximum du point de leur
actualisation. Cela n'empêche pas que le mouvement de la danse est engendré par cette séquence
de pose. Comprenez la conclusion déjà, j'anticipe à ce niveau et si on en était restés là, il ne serait
pas question qu'il y est quoi que se soit qui ressemble au cinéma.

En revanche, il serait question qu'il y est quoi ? Tout le reste : lanterne magique, ombre chinoise tout
ce que vous voulez. Je voudrais vous suggérer c'est qu'en effet on ne peut pas faire une lignée
technologique absurde comme dans...
on ne pas faire une lignée technologique absurde qui commencerait ou qui irait chercher une
espèce de prè-cinéma dans les ombres chinoises ou les lanternes magiques. Cela n'a absolument
rien à voir, il y a une bifurcation, le cinéma implique une bifurcation de la lignée technologique. En

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d'autres termes je dirais : tant que vous reconstituez - vous pouvez très bien reconstituer du
mouvement, vous reproduisez du mouvement - mais tant que vous reproduisez du mouvement à
partir d'une séquence de forme ou de pose, vous n'avez rien qui ressemble à du cinéma. Vous avez
encore une fois, des ombres chinoises, vous avez des images qui bougent, vous avez tout ce que
vous voulez - ce n'est pas du cinéma. Vous avez de la danse, vous avez tout, mais rien à voir avec
le cinéma.

Or la science moderne, qu'est ce qu'elle a fait ? qu'est ce c'est que son coup de génie selon
Bergson ? son coup de génie est en même temps son coup très inquiétant, si vous m'avez suivi,
vous allez comprendre tout de suite, son coup de génie, c'est ceci a la science moderne, la science
moderne voilà ce qu'elle à fait : elle a reconstitué le mouvement mais pas du tout à la manière des
Anciens. Dans la même tentative de reproduire le mouvement, de reconstituer le mouvement,
comment est ce qu'elle a procédé ? Cette fois ci elle a reconstitué le mouvement à partir d'un instant
ou d'un moment quelconque.
Et c'est la différence effarante, c'est la différence insondable entre les deux sciences. La science
moderne est née à partir du moment où elle disait : le mouvement doit être défini en fonction d'un
instant quelconque. En d'autres termes il n'y aucun privilège d'un instant sur l'autre. Je pourrais aussi
bien dire très rapidement, du point de vue esthétique que c'était la fin de la tragédie et c'était la
naissance de quoi ? du roman, par exemple en littérature, le roman c'est bien. Et qu'est ce que cela
veut dire le mouvement rapporté à l' instant quelconque au lieu d'être rapporté à des instants
privilégiés et dès lors au lieu d'être ré-engendré, reproduit à partir des instants réels privilégiées ? - là
il va être reproduit à partir de l'instant quelconque. Qu'est ce que cela veut dire l'instant quelconque ?
Comprenez c'est très concret comme notion.

Cela veut dire un instant tel que vous ne pouvez pas le poser en lui accordant le moindre privilège
sur l'instant suivant, en d'autres termes, l'instant quelconque cela veut dire des instants équidistants.
Ce ne veut pas dire pas tous les instants, cela veut dire n'importe quel instant, à condition que les
instants soient équidistants, Ce que la science moderne invente c'est l'équidistance des instants.
C'est ça qui va rendre possible la science moderne, Et dans "l'Évolution créatrice", dans ce chapitre
quatre auquel je vous renvoie, Bergson donne trois exemples, donc pour bien comprendre son idée
de l'instant quelconque, Galilée, non
Kepler d'abord, Kepler et l'astronomie,
Galilée et la chute des corps,
Descartes et la géométrie.

Il dit qu'est ce qu'il y a de commun ? par quoi ça marque vraiment l‘aurore, le début d'une science
moderne ? c'est dans les trois cas, aussi bien le trajet astronomique de Kepler, que la chute des
corps selon Galilée, que la figure selon que la figure géométrique suivant Descartes, qu‘est ce qu'il y
a d'étonnamment nouveau ? Vous voyez ces mathématiciens Grecs, chez un géomètre Grec par
exemple, une figure est définie par sa forme. Cela veut dire quoi la forme d'une figure ? cela veut
dire précisément ses thèses, ses positions, ses points privilégiés. Une courbe sera définie, les
mathématiciens grecs ils sont extrêmement savants, ils poussent très loin l'analyse des courbes, ils
la définissent en fonction de points privilégiés.
La grande idée de la géométrie de Descartes c'est par exemple qu'une figure renvoie à un trajet,
lequel trajet doit être déterminable à tout instant, à tout instant de la trajectoire. C'est à dire l'idée de
l'instant quelconque apparaît pleinement. Quand vous rapportez la figure non plus à la forme mais à

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l'instant, tel que, c'est à dire à un moment privilégié mais à l'instant quelconque, qu'est ce que vous
avez ? vous avez non plus une figure, vous avez une équation. Et une des manières possibles de
définir une équation, c'est précisément la détermination d'une figure, en fonction de l'instant
quelconque concernant la trajectoire qui décrit cette figure. Donc vous lirez j'espère, ces pages de
Bergson très belles. Voilà donc que c'est vraiment une toute autre manière de penser, saisissez
même a la limite, on peut pas se comprendre, c'est deux systèmes complètement différents.

Dans un cas vous prétendez reconstituer le mouvement à partir d'instants privilégiés qui renvoient
à des formes hors du mouvement, à des formes qui s'actualisent dans une matière.
Dans l'autre cas, vous prétendez reconstituer le mouvement à partir d'éléments immanents du
mouvement. Je dirais, à partir de quoi, qu'est ce qui s'oppose à la pose ? vous allez reconstituer le
mouvement non plus avec des poses mais avec des instantanés. C'est l'opposition, c'est l'opposition
absolue du cinéma et de la danse. Bien sûr, on peut toujours filmer une danse, ce n'est pas cela qui
compte. Lorsque qu'Elie Faure commence ses textes sur le cinéma, qui sont très beaux par une
espèce d'analogie cinéma / danse, là il y a quelque chose qui ne va pas. C'est deux reconstitutions
de mouvement, absolument, absolument opposées... Et pourquoi, qu'est que ça veut dire çà ?
essayons de le dire alors là techniquement, technologiquement. Et bien en effet, c'est vraiment les ...
lorsque par vœu d'histoire universelle, on nous dit, on nous raconte une histoire qui irait depuis de la
lanterne magique jusqu'au cinéma. Parce qu'enfin ce n'est pas ça, ce n'est pas ça ! Je prends même
des exemples qui sont dans toutes les histoires du cinéma, des exemples très tardifs.
Au 19eme siècle vous avez ces deux appareils très connus : le fantascope, le fantascope de
plateau et puis vous avez le praxinoscope.

( « cesses de te marrer tout le temps, c'est agaçant, je n'arrive plus à réfléchir, tu es là tout le temps,
tu me gênes, ou bien mets toi de côté ou viens pas, je veux dire c'est énervant...)

Et bien le praxinoscope de... comment il s'appelait celui là ? on voit cela partout...de Reynaud,
qu'est ce qui se passe ? Le principe vous le connaissez c'est précisément sur un cercle là, on fait
des dessins, et puis le cercle tournant on va projeter n'est ce pas, sur un miroir, et bien avec
Reynaud, il va y avoir un prisme central qui évite le miroir, bon tout ces trucs très connus.
En quoi ça n'a rien à voir avec le cinéma ? c'est tout ce que vous avez dessiner - alors que vous
l'ayez dessiner ou photographier cela ne change rien - que se soit du réel - méthode ombres
chinoises - c'est des parties du corps réel, que se soit une image - un dessin ou comme dans la
danse du réel le corps -, que ce soit oui, si je prends dans l'ordre, que ce soit du corps, que ce soit
de l'ombre, que ce soit une image, un dessin ou que ce soit une photo, cela ne change strictement
rien, vous aurez fait une synthèse du mouvement à partir d'une séquence de forme. Ce que
j'appelais - vous aurez fait une synthèse de mouvement à partir d'un ordre de pose - vous aurez des
images animées parfaitement ça ...oui...oui...oui - rien à voir de près ni de loin avec le cinéma, ce
n'est pas cela le truc du cinéma.

Quand est ce qu'il commence, quand est ce que ça commence le cinéma ? je dirais une chose
simple : ça commence exclusivement - non pas que ça existe déjà - mais c'est rendu possible quand
est que c'est possible ? quand est ce, comment le cinéma est il possible ?... Le cinéma est possible
à partir du moment où il y a une analyse du mouvement au sens littéral du mot, où il y a une analyse
du mouvement, telle qu'une synthèse éventuelle du mouvement dépende de cette analyse. Ce qui
définira le cinéma, c'est bien une synthèse du mouvement c'est à dire une perception du mouvement

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- donner à percevoir du mouvement - mais il n'y a pas de cinéma, et rien à voir qui ressemble à du
cinéma quand la synthèse du mouvement n'est pas fournie, n'est pas conditionnée par une analyse
du mouvement. En d'autres terme tant que la synthèse du mouvement est conditionnée par une
dialectique des formes et ou par un ordre ou par une logique des poses, il n'y a pas de cinéma.
Il y a cinéma lorsque que c'est une analyse du mouvement qui conditionne la synthèse du
mouvement. »

[question d'un étudiant inaudible]

Deleuze : « Quoique... non.. Non ...non. Il ne faut pas me troubler, il faut retenir cette question
puisque dans... à la fin là et constamment et ça je ne l'oublierais pas dans mon premier élément, j'ai
beaucoup insisté sur la différence perception cinéma/perception naturelle. Qu'est ce que ça veut dire
? heu... la question je dirais là... j'ai répondu hâtivement "non" je ne sais pas si notre œil est une
camera, cela n'a pas beaucoup de sens mais en revanche, je dirais : même si notre oeil est une
camera, notre vision n'est pas une vision de cinéma, notre vision, notre perception visuelle n'est pas
une perception cinématographique.

Quand à la question rapport de l'œil et de la camera, çà... çà me paraît beaucoup plus compliqué,
de toute manière cela ne change rien au fait de la différence de nature entre perception de cinéma et
perception dans les conditions naturelles, Alors qu'est ce que je voulais dire ?...oui...ça se passe
comment historiquement en effet la formation du cinéma ? L'analyse du cinéma non pardon...
l'analyse du mouvement, elle ne passe pas nécessairement par la photo. Même historiquement on
sait que un des premiers à avoir poussé l'analyse du mouvement très loin, c'est Marey. Comment il
pousse l'analyse du mouvement ? Très précisément en inventant des appareils graphiques qui
permettent de rapporter un mouvement à l'un de ses instants quelconques donc Marey est bien un
savant moderne au sens bergsonien. Bergson avait une formule parfaite qui résumait tout, il disait :
la définition de la science moderne c'est ceci : c'est une science qui a trouvé le moyen de considérer
le temps comme variable indépendante. C'est ça, rapporter le mouvement à un instant quelconque,
c'est traiter le temps comme variable indépendante. Les Grecs n'ont jamais eu l'idée de traiter le
temps comme variable indépendante, pourquoi ? ça il y toutes sortes de raisons, pourquoi ils ne
pouvaient pas traiter le temps comme variable indépendante.

Mais cette espèce de libération du temps saisie comme variable indépendante, c'est ça qui
permet de considérer le mouvement en le rapportant à l'instant quelconque, or Marey comment il
faisait ? Il prenait ses appareils graphiques pour enregistrer toutes sortes de mouvements :
mouvement du cheval, mouvement de l'homme, mouvement de l'oiseau bon etc....L'oiseau c'était
plus difficile, mais enfin ça consistait en quoi ? Il n'y avait pas photo, du moins au début - Marey se
servira de la photo - mais au début qu'est ce qui se passe ? Il se sert d'appareils enregistreurs, à
savoir les pieds, les sabots là du cheval sont pris dans des appareils, des espèces de coussins avec
des fils, c'est un appareil très beau, très beau, pour les pieds, heu pour les mouvements verticaux, la
croupe du cheval est elle-même prise dans un appareil, la tête du cavalier avec un petit chapeau de
toutes sortes, et puis c'est le cavalier évidement qui tient le truc enregistreur où toutes les aiguilles se
rejoignent, tout ça, et il obtint ses fameuses courbes que vous trouvez dans les livres de Marey et qui
sont très belles et qui permettent de découvrir cette chose admirable : que précisément le galop du
cheval ne se fait pas avec deux poses.
Le galop du cheval contrairement à ce que les peintres et les artistes précisément croyaient et

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forcement, ne dépend pas d'une dialectique des formes mais présente simplement une succession
d'instantanés, à savoir le cheval tient sur un pied, sur trois pieds, sur deux pieds, sur un pied, sur
trois pieds, sur deux pieds, etc. à des instants équidistants. C'est bouleversant ça comme
découverte, c'est la substitution je dirais vraiment, c'est la substitution de l'analyse du mouvement à
la dialectique des formes ou à l'ordre des poses ou à la logique des poses.
Or bon qu'est ce qui se passe ? Vous savez l'histoire ? enfin je la résume pour beaucoup, voilà
qu'un homme de cheval est tellement étonné de voir que, lui qui s'y connaît qu"un cheval au galop
tient sur un pied, il dit que c'est pas possible ! Il prend contact avec un très bon photographe très très
plein de malice et lui dit comment vérifier cela avec des photos ? c'est l'histoire de Marey puisque
Marey ne disposait que de ses enregistrements que de ses courbes »

(intervention inaudible d'étudiante )

Deleuze : - et le photographe va avoir cette idée très très bonne de mettre à distance équivalente - et
c'est toujours le principe d'équivalence qui est fondamental- cet appareil de photo relié à un fil, lequel
fil va être rompu au passage du cheval donc l'appareil va déclenché et il va avoir sa succession
d'images équidistantes qui vont confirmer les résultats de Marey. Bon, ça doit nous ouvrir des
horizons ça, quand est ce qu'il y cinéma ? Encore une fois quand la dialectique des formes laisse la
place à une analyse du mouvement, lorsque la synthèse du mouvement est produite par une analyse
du mouvement, par une analyse préalable du mouvement et non plus par une dialectique des formes
ou des poses.
Cela implique quoi ? Est-ce que cela implique la photo ? oui cela implique la photo, évidement ça
implique la photo et cela implique l'équidistance des images sur la bande, c'est à dire cela implique
la perforation de la bande. C'est là le cinéma, cela implique la photo mais quelle photo ? Il y a une
photo de pose, si la photographie était restée une photo de pose, jamais le cinéma ne serait né,
jamais. On en serait resté au niveau du praxinoscope, on en serait resté au niveau de l'appareil de
plateau ou de l'appareil de... comment il s'appelle déjà, je ne sais plus - ou de l'appareil de Reynaud,
on aurait pas eu de cinéma.

Et en effet, le cinéma apparaît précisément lorsque l'analyse du mouvement s'est faite au niveau
de la série des instantanés et lorsque la série des instantanés remplace la dialectique des formes ou
l'ordre des poses.
Du coup peut être, est ce qu'on est apte à comprendre alors dans quelle situation en même
temps que le cinéma faisait une chose étonnante, à savoir : il n'y a aucun rapport entre la
reproduction du mouvement à partir d'une analyse du mouvement c'est à dire d'une succession
d'instantanés - aucun rapport entre ça et une reproduction du mouvement quoi qu'il y ait aussi
reproduction de l'autre côté, une reproduction du mouvement à partir d'une dialectique des formes
ou d'un ordre des poses, d'une logique des poses.

Je dirais ce qui a rendu possible le cinéma, ce n'est même pas la photo, c'est la photo
instantanée à partir du moment où l'on a pu assurer l'équidistance des images par la perforation. Bon
ça c'est la définition comme technique, mais on voit bien dès lors que le cinéma se trouvait dans une
espèce de situation à la limite sans issue. Sa grandeur faisait, sa nouveauté même faisait que dés le
début, on va se retourner contre lui, sur lui, en disant mais quel intérêt ? quel intérêt ? S'il s'agit de
reproduire le mouvement à partir d'une série d'instantanés, quel intérêt ? Intérêt artistique, intérêt
esthétique nul, intérêt scientifique nul, ou bien si petit, si petit. Voilà que tout se retourne contre lui à

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partir de son originalité, oui parce que, on dira "c'est possible tout ça, le cinéma il reproduit le
mouvement à partir d'une analyse du mouvement", ça n'empêche pas qu'il n'y a d'art - et ça c'est
une condition de l'art - que dans la mesure où le mouvement est reproduit à partir d'un ordre des
poses et d'une dialectique des formes.

Et en effet la preuve que le cinéma n'est pas de l'art, on l'invoquait, comme Bergson, dans cette
succession mécanique des instantanés et du point de vue de la science, est ce que c'est intéressant
au moins ? Evidement non ! Pourquoi ? parce que ce qui intéresse la science, c'est l'analyse du
mouvement - la reproduction c'est pour rire - et en effet si vous prenez Marey, c'est très clair chez lui,
ce qui l'intéresse - c'est même pour cela qu'il ne passait pas toujours par la photo - ce qui l'intéresse
c'est l'analyse du mouvement, c'est à dire une perception pure, ou une synthèse du mouvement :
la manière ancienne en fonction d'instants privilégiés, qui nous renvoie à une dialectique des
formes,
la manière moderne en fonction d'instants quelconques qui nous renvoie à une analyse du
mouvement, et bien est ce qu'elles se valent ? Est-ce qu'elles se valent ? Bon là Bergson devient
très hésitant et cela devient ce texte de l'Évolution du chapitre quatre de "l'Évolution créatrice". Il dit :
et bien finalement elles se valent - sa thèse générale elle est très subtile - oui, les deux manières se
valent mais elles auraient très bien pu ne pas se valoir. Alors on se sentirait plus libres nous, pour
dire et bien finalement elles ne se sont pas valu du tout et en grande partie peut être grâce à
Bergson. Curieux je fais là une parenthèse sur :...Bergson lui, il ne fait que sa critique du cinéma,
mais finalement positivement il a une grande influence - je veux dire, que parmi les premiers qui ait
vraiment penser le cinéma, il y a Elie Faure qui fut élève de Bergson et il y a un homme de cinéma
Epstein, qui a écrit des textes très beau or Epstein tous ses textes sont très bergsonien, l'influence
de Bergson sur Epstein est évidente - bon alors voilà qu'il nous dit : "bien oui d'une certaine manière
les deux manières se valent", l'antique et la moderne s'affrontent, pourquoi ?

Qu'est ce qui a de commun entre les deux manières ? et bien ce qu'il y a de commun entre les
deux manières vous comprenez, c'est que de toute manière on recompose le mouvement avec de
l'immobile, soit avec des formes qui transcendent le mouvement et qui ne font que s'actualiser dans
des matières, soit avec des coupes immobiles intérieures au mouvement, et cela revient au même
d'un certain point de vue, d'un certain point de vue on recompose toujours le mouvement avec des
positions, avec des positions, soit des positions privilégiées, soit des positions quelconques. Soit
avec des poses, soit avec des instantanés puis après, c'est à dire dans les deux manières, on a
sacrifié le mouvement à l'immobile et on a sacrifié la durée à un temps uniforme.

Donc en rester là, ce ne serait pas bien, ni l'une ni l'autre_ C'est à dire ce que l'on rate dans les
deux cas c'est quoi ? ce que l'on rate dans les deux cas c'est toujours le thème bergsonien, ce qui se
passe entre deux coupes, ce que l'on rate dans les deux cas, c'est l'intervalle. Et le mouvement il se
fait dans l'intervalle. Ce que l'on rate aussi bien dans le second cas que dans le premier c'est quoi ?
c'est ce qui se passe entre deux instants - il y a que ça d'important pourtant - à savoir : non pas la
manière dont un instant succède à un autre, mais la manière dont un mouvement se continue - la
continuation d'un instant à l'autre - c'est la continuation d'un instant à l'autre n'est ce pas, ça n'est
réductible à aucun des instants et à aucune succession d'instants. Ce que l'on a raté c'est donc la
durée. La durée qui est la continuation même d'un instant à l'autre. En d'autres termes ce que l'on a
raté, c'est ce qui fait que l'instant suivant n'est pas la répétition du précédent. S'il est vrai que le
précédent se continue dans le suivant, le suivant n'est pas la répétition du précédent.

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Ce phénomène de la continuation qui ne fait qu'un avec la durée, on ne peut pas le saisir, si l'on
résume le mouvement à une succession de coupes. Bien plus, qu'est ce qu'il y a de commun entre la
méthode antique et la méthode moderne ? bien il y a quelque chose de commun, c'est que pour les
uns comme pour les autres, tout est donné, et ça c'est le grand cri de Bergson, quand il veut critiquer
et les modernes et les anciens et marquer sa différence. Ça c'est des pensées où tout est donné,
comprenez au sens fort, tout est donné, on dirait aussi bien le Tout est donné, pour ses pensées là
le tout est toujours donné ou donnant, tout est donné par ce que le Tout est donnable, qu'est ce que
cela veux dire : "le Tout est donnable ? en effet prenez la pensée antique, il y a cet ordre des formes,
cet ordre des formes qui est un ordre éternel, c'est l'ordre des Idées avec un grand I et le temps,
puisque le temps il surgit lorsque les idées s'incarnent dans une matière, le temps qu'est ce que c'est
? Le temps ce n'est jamais qu'une dégradation, c'est une dégradation de l'éternel. Formule splendide
de Platon : "Le temps, image mobile de l'éternité", et le mouvement est comme une image dégradée
de l'éternité. Et toute la pensée grecque fait du temps une espèce d'image de l'éternel.

D'où la conception du temps circulaire, tout est donné, tout est donné, puisque les raisons
dernières sont hors du temps dans les idées éternelles. Et dans la science moderne surgit le principe
qu'un système est explicable à un moment donné en vertu du moment antérieur. C'est comme si le
système mourait et renaissait à chaque moment, l'instant suivant répète l'instant précédent, là aussi
d'une autre manière dans la science moderne tout est donné - notamment par exemple dans la
conception de l'astronomie - je ne dis pas l‘astronomie moderne, pas actuelle, pas contemporaine,
mais l'astronomie du dix huitième, du dix septième, du dix huitième, du dix neuvième siècle, tout est
donné, c'est à dire le Tout est donné cette fois ci c'est quoi ? pas sous la forme d'idées éternelles,
hors du temps, cette fois ci, c'est la forme du temps qui est donné c'est le mouvement dans la forme
du temps qui est donné, le mouvementn'est pluscequisefait,c'estun déjà fait, il est là il est fait. Sibien
que de deux manières différentes, soit parce que la philosophie et la science moderne se donnent le
temps, soit parce que les anciens se donnent quelque chose hors du temps, dont le temps n'est plus
qu'une dégradation - dans les deux cas : tout est donné, c'est à dire le Tout est de l'ordre du
donnable. Simplement, on dira ha ben, oui ! Nous, les hommes, on atteint pas au Tout, pourquoi ?
On atteint pas au Tout ? Parce qu'on a une intelligence limitée, on a un entendement limité, etc. mais
le "Tout est donnable en droit".

C'est pour cela que malgrè toute les différences, dit Bergson, la métaphysique moderne s'est
coulée et s'est accordée et a prit le relais de la métaphysique ancienne au lieu de rompre avec elle.
Voyez il y a donc bien quelque chose de commun aux deux méthodes, la méthode ancienne et la
méthode moderne et pourtant Bergson renverse tout et pourtant on était à deux doigts. Dès que la
science moderne a fait son coup de force - rapporter le mouvement à l'instant quelconque, c'est à
dire ériger le temps en variable indépendante - quelque chose devenait possible qui n'était pas
possible aux anciens. Si le mouvement se rapporte à l'instant quelconque comment ne pas voir à ce
moment là que tout ce qui compte, c'est ce qui se passe d'un instant à un autre, c'est ce qui se
continue d'un instant à un autre, c'est ce qui croît d'un instant à un autre, c'est ce qui dure - en
d'autres termes il n'y a que la durée de réelle.

C'est les coupes immobiles sur le mouvement, en tant qu'elles rapportaient le mouvement à
l'instant quelconque qui devaient être, qui auraient pu être capables de nous faire sauter dans un
autre élément, à savoir l'appréhension de ce qui est plus, l'appréhension de ce qui se continue d'un

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instant à l'autre, l'appréhension de l'intervalle d'un instant un autre, comme étant la seule réalité. En
d'autres termes la science moderne rendait possible une pensée du temps, une pensée de la durée.
Il aurait suffit que, il aurait suffit que la science moderne ou que la philosophie moderne consente à
renoncer à l'idée que tout est donné, c'est à dire que le Tout est donnable. Si bien que si je dis non le
Tout n'est pas donnable, non le Tout n'est pas donné. Qu'est ce que cela veut dire ? là encore cela
c'est tellement compliqué, c'est très bien, cela se complique parce que le Tout n'est pas donnable, le
Tout n'est pas donné, cela peut vouloir dire deux choses ou bien cela veut dire la notion de Tout n'a
aucun sens. Il y a beaucoup de penseurs modernes qui ont pensé, qui ont pensé que le Tout était un
mot vide de sens, "Tout" cela voulait rien dire, cela peut se dire mais ce n'est pas l'idée de Bergson,
en somme ce n'est pas cela lorsque il dit : "Tout n'est pas donné tout n'est pas donnable", il veut pas
dire la notion de Tout est une catégorie de naissance il veut dire le Tout est une notion parfaitement
consistante mais le Tout c'est ce qui se fait.

C'est très curieux , il catapulte dans l'idée de Tout, deux idées à première vue tout à fait
contradictoires en apparence : l'idée d‘une totalité et l'idée d'une ouverture fondamentale, le Tout
c'est l'Ouvert, c'est très bizarre comme idée, le tout c'est la durée, le Tout c'est ce qui fait, c'est ce qui
se fait, le Tout c'est ce qui crée, et créé c'est le fait même de la durée c'est a dire, c'est le fait même
de continuer d'un instant à un instant suivant, l'instant suivant n'étant pas la réplique, la répétition de
l'instant précédent. Or la science moderne aurait pu nous amener à une telle pensée, elle ne l'a pas
fait, elle aurait pu donner à la métaphysique un sens moderne. Et qu'est ce que cela aurait été ? Le
sens moderne de la métaphysique c'est celui que Bergson pense restaurer, être le premier à
restaurer, à savoir une pensée de la durée.

Une pensée de la durée ça veut dire quoi ? ça à l'air très abstrait mais concrètement, cela veut
dire une pensée qui prend pour question fondamentale principale : comment quelque chose de
nouveau peut il se produire ? Comment y a t'il du nouveau ? comment y a t'il de la création ? Selon
Bergson il n'y a pas de plus haute question pour la pensée : comment un quelque chose de nouveau
- pas énorme : comment un quelque chose de nouveau peut-il se produire dans le monde ? Et
Bergson dans des pages très intéressantes finit par dire : c'est ça la pierre de touche de la pensée
moderne. C'est très curieux, parce que quand on pense à ce que, à ce qui s'est passé en dehors de
Bergson, tout ça on a l'impression et pourtant il n'est pas le seul, il y a un philosophe anglais très
important, très génial qui s'appelle Whitehead à la même époque et les ressemblances, les échos
entre Whitehead et Bergson sont très grands, ils se connaissaient très bien et Whitehead....

( vous m'emmerdez, vous savez, non cela ne peut pas durer, vous...ce n'est que cela me gêne, ou
que cela me vexe mais cela m'empêche de parler vous comprenez, dés que j'ai les yeux sur vous je
vous vois hilare alors que se soit un tic, ou que vous rigoliez dans le fond de vous même, moi cela
m'est égal , mettez vous là bas, c'est très très embétant pour moi, un espèce de ricanement, c'est
gênant, oui, oui, il me fait taire une idée)

Oui Whitehead est très curieux parce qu'il construit des concepts, il construit des concepts qui lui
paraissent absolument nécessaire, à ne serait ce que la compréhension de la question. La question
ne va pas de soi, c'est une question très très difficile, qu'elle est le sens de la question ? comment se
fait il que quelque chose de nouveau soit possible ? alors il y a des gens qui diront justement, ah
mais non ! il n'y a rien de nouveau, ce n'est pas possible quelque chose de nouveau - bon d'accord
bon, ben tant pis c'est comme cela. Il y a un certain ton du Bergsonisme qui est tout entier la

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promotion de cette question là, comment l'apparition d'un nouveau égalisme est il possible une fois
donné, le monde, l'espace etc. Il lui faudra toute sa philosophie à repondre à cette question là et en
effet c'est est une.. alors Whitehead il invente des catégories, il va appeler ça, il invente une
catégorie de créativité, il explique que la créativité c'est la possibilité, uniquement la possibilité
logique, que surgisse du nouveau dans le monde.

En effet, on peut concevoir qu'est ce qu'il y a dans le monde, qui fait que : une nouveauté est
possible ? L'émergence d'une nouveauté soit possible, pas évident, il faut que le monde soit
structuré de telle manière que quelque chose de nouveau soit productible, si on admet que quelque
chose de nouveau apparaît. Alors il lui va falloir une première catégorie de créativité et puis une
seconde catégorie il va lui falloir, très belle celle là, qu'il appelle la concressence, et la concressence
ce sera la production de quelque chose de nouveau dans le monde de la créativité, c'est à dire dans
le monde où c'est possible. Enfin je ne raconte ça que par référence à Bergson, pour dire que il n'est
pas seul quand même. Et que ça c'est un ton proprement bergsonnien qui aboutit à ceci : le
renversement par rapport à la philosophie antique. Par rapport à la philosophie antique le
renversement, il est immédiat, à savoir : en faisant dépendre le mouvement et la constitution dans le
mouvement d'une logique des formes. Finalement toute la métaphysique antique sous entendait que
l'abstrait explique le concret : le concret c'était le mouvement de la matière qui passait d'une forme à
une autre, il fallait une dialectique des formes pour expliquer cela.

Que l'abstrait explique le concret, ça c'est la force de l'abstraction dans la philosophie antique. Le
renversement au niveau de Bergson ou au niveau de Whitehead, c'est évident, c'est vraiment un
espèce de défi là, c'est juste le contraire : à savoir c'est à l'abstrait d'être expliqué, il faut expliquer :
c'est l'abstrait. Donc nécessité d'arriver à des concepts qui en tant que concepts, ils sont a la fois des
concepts et puis en même temps en tant que concepts sont des concepts concrets, que le concept
cesse d'être abstrait et que se soit à partir des concrets qu'on explique l'abstraction, l'abstrait. Bon
peu importe voyez ce qu'est en train de dire Bergson : d'une certaine manière la méthode moderne,
la science moderne dans la mesure où elle rapporte le mouvement à des instantanés c‘est à dire à
une analyse du mouvement, rend possible ou aurait pu rendre possible, une toute nouvelle forme de
pensée.

Quelle pensée ? Une pensée de la création, au lieu d'être une pensée de quoi ? d'une certaine
manière de l'incréé, c'est à dire de Dieu, du créateur, ou de l'incréé : les idées éternelles. Une
pensée de la création, une pensée du mouvement, une pensée de la durée, ce qui veut dire quoi ?
Qui veut dire à la fois mettre la durée dans la pensée et mettre la pensée dans la durée et sans
doute c'est la même chose, mettre la durée dans la pensée et mettre la pensée dans la durée, cela
voudrait dire quoi ? cela voudrait dire une durée propre de la pensée, que la pensée se distingue des
choses, que la pensée se distingue d'un cheval, d'une fleur, d'un monde, uniquement par une
manière de durée, que la pensée elle même soit un mouvement, bref qu'il y ait l'avènement d'un
mouvement : à la fois que la pensée soit apte a penser le mouvement et le mouvement concret,
parce que en tant que pensée elle est elle même un mouvement. En d'autres termes qu'il y ait une
vitesse propre de la pensée, qu'il y ait un mouvement propre de la pensée, qu'il y ait une durée
propre à la pensée. Bon est ce que se serait une nouvelle pensée tout ça ? bon peut être, en tout
cas la science moderne rendait une tel, comment dire, un tel remaniement de la philosophie possible
et finalement cela ne s'est pas fait, encore une fois cela ne s'est pas fait un peu par contingence, par
hasard, parce que la science moderne a préféré, adapter ou réadapter ou bien nier la métaphysique

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et la supprimer ou bien refaire une métaphysique qui prenait le relais de la métaphysique ancienne.
Mais constituer une nouvelle métaphysique qui soit à la science moderne, ce que la métaphysique
ancienne était à la science ancienne, c'est ce que l'on a pas su faire.
Si bien que la grande idée de Bergson, c'est que lui est sans doute un des premiers à élaborer
une métaphysique qui corresponde à la science actuelle. Et en effet quand on voit les
métaphysiques, la plupart des métaphysiques du dix neuvième siècle, on a l'impression que, elles
correspondent à la science du dix huitième. Et les métaphysiques du vingtième, on a l'impression
qu'elles correspondent à la science du dix septième ou du dix huitième.
Mais faire une métaphysique qui soit comme le corrélat de la science actuelle - ça c'est là vous
comprenez c'est très important par ce que c'est ça la vraie idée de Bergson - alors que le Bergson le
plus simple, le Bergson premier là, je dirais qu'est ce qu'il fait lui ? le Bergson premier, il fait ce qui
est célèbre, qui est aussi chez Bergson, une critique de la science, il critique la science au nom de la
durée, bon mais en fait c'est beaucoup plus profond que cela, ce n'est pas critiquer la science qui
l'intéresse. C'est élaborer une métaphysique, qui soit vraiment le corrélat de ce que la science
moderne raconte et a fait.
Alors je dirais ça comme mon...mon second problème, je disais tout à l'heure il y a un problème
de la perception du mouvement au cinéma. là aussi.., est ce que Bergson nous ouvre beaucoup plus
d'ouvertures encore qu'on aurait cru, car cette pensée dont il réclame qu'elle soit une pensée
moderne en corrélat avec la science moderne.

Est ce que le cinéma n'a pas quelque chose à dire sur cette pensée, comprenez juste j'ajoute que
des lors, il s'agirait pas - ce problème du rapport du cinéma et de la pensée on peut le poser de
différentes manières mais on sent tout de suite qu'il y en a qui sont insuffisantes, pas mauvaises
mais insuffisantes - Je veux dire, on peut se demander par exemple comment le cinéma représente
la pensée alors on invoque le rêve au cinéma, la reproduction du rêve au cinéma, ou bien la
reproduction du souvenir au cinéma, le cinéma et la mémoire, le cinéma et le rêve etc... il faudra bien
passé par là, sans doute c'est très intéressant, c'est très important, le jeu de la mémoire au cinéma,
très important, mais ma question est au delà aussi : il ne s'agit pas de savoir comment le cinéma se
représente la pensée, il s'agit de savoir :
sous quelle forme de la pensée se fait la pensée dans le cinéma. Qu'est ce que c'est cette
pensée ? dans quel rapport est elle avec le mouvement, avec la vitesse, etc. ? Est ce qu'il y a une
pensée proprement cinématographique ?

En un sens on pourrait dire mais cette pensée que Bergson réclame, cette pensée de la création,
de la production de quelque chose de nouveau, est ce que ce n'est pas cette pensée là, à laquelle
précisément le cinéma s'addresse quand nous le regardons ? Et de même qu'il y a une perception
cinéma propre au cinéma, irréductible à la perception naturelle, de même il y a une pensée cinéma
irréductible à sans doute la pensée philosophique ou peut être pas la pensée philosophique mais à
laquelle tout ça. Il y a une pensée cinéma qui serait particulière et qu'il faudrait définir,

Voilà et enfin j'ai presque fini parce que vous devez ne plus en pouvoir, je dis voilà la seconde
thèse de Bergson et je veux juste dire : c'est très curieux parce qu'il y a une troisième thèse sur le
mouvement. Voyez la seconde thèse de Bergson c'était : "sans doute c'est pas bien de reconstituer
le mouvement avec des positions et des coupes immobiles mais il y a deux manières très différentes
de le faire et ces deux manières finalement ne se valent pas".
Et troisième thèse alors là qui a quelque chose de stupéfiant - vous comprenez que parfois c'est

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dans la même page qu'il y a un clin d'œil pour chacune de ses.-. ne se contredisent pas mais elles
sont bizarres, voilà que dans toutes sortes de pages, le lecteur peut être et j'espère que vous serez
comme moi, est un peu étonné toujours, dans ce quatrième chapitre de l'évolution créatrice, très
étonné le lecteur parce qu'il se dit tout d'un coup mais quoi ? tout à l'heure on nous disait ceci, tout à
l'heure on nous disait : "l'instant est une coupe immobile du mouvement". Toute la thèse que j'ai
présenté là de Bergson c'est : "l'instant est une coupe immobile du mouvement et n'est rien d'autre",
or c'est curieux, c'est curieux parce que il y a toutes sortes de pages qui disent quelque chose très
différent, très différent .
Écoutez rien qu'au son : on s'en tiendra là aujourd'hui, rien qu'au son pour mieux réfléchir : "le
mouvement est une coupe", il ne dit pas cela comme cela je résume : "le mouvement est une coupe
extensible de la durée". C'est curieux cela, bon ce n'est pas que les deux se contredisent, je peux
dire les deux à la fois, - on a vu, on a réglé c'est fini maintenant - "l'instant est une coupe immobile du
mouvement." Tout simple mais qu'est ce que cela peut vouloir dire ? On a vu d'autre part qu'il y avait
un lien intime intérieur mouvement/durée et bien comment le mouvement exprime t'il la durée ?

Voilà notre problème au point où on en est : comment le mouvement exprime t'il la durée ?
réponse apparente de Bergson : le mouvement est une coupe extensive - il va pas dire immobile
cette fois ci, il s'agit du mouvement pur - "le mouvement est une coupe extensive de la durée". Est ce
que le mot coupe aurait deux sens absolument différents ? est ce que je pourrais établir comme un
rapport d'analogie, si vous voulez j'écris, je trace cela dans l'air, vous me suivez, j'écris : coupe
immobile/ mouvement = mouvement comme coupe/durée, non vous comprenez, ceux qui prennent
des notes vous recopiez comme cela vous pouvez regardez toujours. quoi ? ou ? quoi ? il disparaît,
non, il est au premier la coupe immobile instantanée, la coupe immobile c'est de l'instant, coupe
immobile instantanée sur mouvement réel égale mouvement réel comme coupe sur durée.
Qu'est cela, c'est très curieux, est ce cela veut dire ? Sentez, est ce que le cinéma réunirait pas
tout cela, est ce que c'est pas des unités de cinéma. Il n'est plus du tout en train de nous dire : "vous
avez tort" - là même tout change, de ton tout cela - il n'est plus du tout en train de dire :"vous avez
tort de faire de l'instant une coupe du mouvement", il va nous dire : "vous avez raison si vous faites
du mouvement dans l'espace, du mouvement extensif, une coupe de la durée".
Qu'est ce que cela une coupe de la durée ? on comprend ce que c'est "une coupe spatiale", une
coupe temporelle quoi. Bon c'est la troisième thèse de Bergson sur le mouvement à savoir sans
doute si je la résume, sans doute : "l'instant est une mauvaise coupe du mouvement puisque c'est
une coupe immobile, mais le mouvement lui même est une bonne coupe de la durée parce que c'est
une coupe temporelle".

Est ce que à ce niveau, c'est pas tout le cinéma qui serait récupéré, sous l'idée "le mouvement en
extension comme coupe, le mouvement extensif comme coupe d'une durée" ?

Qu'est ce que cela voudrait dire, quant à l'image de cinéma ? bon c'est donc cette troisième thèse de
Bergson qui me reste à développer, je ferai cela la prochaine fois. Voilà.

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 20/01/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 20/01/81 - 2 Page 1/10


Transcription Denis Lemarchand

Gilles Deleuze

20/01/816B

Vous vous rappelez l'affection c'est l'effet à la lettre je dirais, oui si je voulais en donner une définition
absolument rigoureuse, c'est l'effet instantané d'une image de chose sur moi. Par exemple, les
perceptions sont des affections. L'image de chose associée à mon action est une affection.
L'affection enveloppe, implique, tout c'est des mots que Spinoza emploie constamment. Enveloppé, il
faut les prendre vraiment comme métaphore matérielle, c'est à dire au sein de l'affection il y a un
affect. Qu'est ce que c'est ? Et pourtant il y a une différence de nature entre l'affect et l'affection.
L'affect ce n'est pas une dépendance de l'affection, c'est enveloppé par l'affection mais c'est autre
chose. Il y a une différence de nature entre les affects et les affections.

Qu'est ce que mon affection c'est à dire l'image de chose et l'effet de cette image sur moi, qu'est
ce qu'elle enveloppe ? Elle enveloppe quoi ? Un passage. Elle enveloppe un passage ou une
transition. Seulement il faut prendre passage transition en un sens très fort. Pourquoi ? Parce que
voyez, ça veut dire, c'est autre chose qu'une comparaison de l'esprit. Là on est plus du tout dans le
domaine de la comparaison de l'esprit. Ce n'est pas une comparaison de l'esprit entre deux états.
C'est un passage ou une transition enveloppée par l'affection, par toute affection. Toute affection
instantanée enveloppe un passage ou transition, transition ou un passage point. Qu'est ce que c'est
que ça ce passage cette transition ? Encore une fois pas du tout une comparaison de l'esprit, je dois
ajouter pour aller très lentement, un passage donc vécu, une transition vécue. Ce qui ne veut pas
dire forcément consciente. Tout état implique un passage ou transition vécue. Passage de quoi à
quoi, entre quoi et quoi ? Et bien précisément, si rapprochés que soient les deux moments du temps,
les deux instants que je considère, instant A, instant A'. Il y a un passage de l'état antérieur à l'état
actuel. Le passage de l'état antérieur à l'état actuel diffère en nature avec l'état antérieur et l'état
actuel. Il y a une spécificité de transition.

C'est précisément cela que l'on appellera durée et que Spinoza appelle durée. C'est la transition
vécue, c'est le passage vécu. Qu'est ce que la durée ? Jamais une chose mais le passage d'une
chose à une autre. Il suffit d'ajouter en tant que vécu. Quand des siècles après, Bergson fera de la
durée un concept philosophique, ce sera évidemment sous de toute autre influence. Ce sera en
fonction de lui-même avant tout mais ce ne sera pas sous l'influence de Spinoza. Et pourtant je
remarque juste que l'emploie bergsonien du mot durée coïncide strictement. Lorsque Bergson essaie

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de nous faire comprendre ce qu'il appelle durée, il dit, vous pouvez considérer des états, des états
psychiques aussi proches que vous voulez dans le temps. C'est à dire vous pouvez considérer l'état
A et l'état A' séparés par une minute, mais aussi bien par une seconde, aussi bien par un millième de
seconde, c'est à dire vous pouvez faire des coupes de plus en plus, de plus en plus serrées, de plus
en plus proches les unes des autres, bon. Vous aurez beau aller jusqu'à l'infini dit Bergson dans
votre décomposition du temps en établissant des coupes de plus en plus rapides, vous n'atteindrez
jamais que des états. Et il ajoute, lui, et les états c'est toujours de l'espace. Les coupes, c'est
toujours spatial. Et vous aurez beau rapprocher vos coupes, vous laisserez forcément échapper
quelque chose c'est le passage d'une coupe à une autre si petit qu'il soit.

Or, qu'est ce qu'il appelle durée au plus simple, c'est le passage d'une coupe à une autre, c'est le
passage d'un état à un autre. Le passage d'un état à un autre n'est pas un état. Oui ce n'est pas fort
mais c'est d'une extraordinaire ... je crois, c'est, c'est un statut du vécu extrêmement profond, parce
que dés lors, comment parler du passage, comment parler du passage d'un état à un autre sans en
faire un état. Or ça va poser des problèmes d'expression, de style, de mouvement, ça va poser
toutes sortes de problèmes. Or la durée, c'est ça, c'est le passage vécu d'un état à un autre en tant
qu'irréductible à un état comme l'autre, en tant qu'irréductible à tout état. C'est ce qui se passe entre
deux coupes. En un sens, la durée c'est toujours derrière notre dos quoi. C'est dans notre dos qu'elle
se passait et entre deux clins d'yeux. Si vous voulez, une approximation de la durée, bon, je regarde
quelqu'un, je regarde quelqu'un, la durée elle n'est ni là, ni là. La durée, elle est ... Qu'est ce qui s'est
passé entre les deux ? J'aurai beau aller aussi vite que je voudrais, ma durée, elle va encore plus
vite par définition comme si elle était affectée d'un coefficient de vitesse variable. Aussi vite que
j'aille, ma durée ira plus vite puisque si vite que je passe d'un état à l'autre, le passage se sera fait
plus vite que moi.

Donc il y a un passage vécu d'un état à un autre qui est irréductible aux deux états. C'est ça que
toute affection enveloppe. Je dirais toute affection enveloppe le passage par lequel on arrive à elle.
Et le passage par lequel on arrive à elle ou aussi bien, toute affection enveloppe le passage par
lequel on arrive à elle et par lequel on sort d'elle vers une autre affection, si proches soient les deux
affections considérées. Donc pour avoir ma ligne complète, il faudrait que je fasse une ligne à trois
temps, A', A, A‘', A c'est l'affection instantanée du moment présent, A' c'est celle de tout à l'heure, A''
c'est celle d'après, qui va venir. Bon, j'ai beau les rapprocher au maximum, il y a toujours quelque
chose qui les sépare, à savoir le phénomène du passage. Bon, ce phénomène du passage en tant
que phénomène vécu, c'est la durée. C'est ça la troisième appartenance de l'essence. Donc je dirais,
j'ai une définition un peu plus strict de l'affect, l'affect, ce que l'affection enveloppe, ce que toute
affection enveloppe et qui pourtant est d'une autre nature, c'est le passage. C'est la transition vécue
de l'état précédent à l'état actuel ou de l'état actuel à l'état suivant. Bon alors, si vous comprenez tout
ça, pour le moment, on fait une espèce de décomposition donc des trois dimensions de l'essence,
des trois appartenances de l'essence.
L'essence appartient à elle même sous la forme de l'éternité.
L'affection appartient à l'essence sous la forme de l'instantanéité.
L'affect appartient à l'essence sous la forme de la durée.

Or le passage, c'est quoi ? Qu'est ce qui peut être un passage , Il faut sortir de l'idée trop spatiale de
passage. Tout passage est là et ça va être la base de sa théorie de l'affectus, sa base de la théorie
de l'affect. Tout passage est là et il ne dira pas implique. Comprenez qu'à ce niveau les mots sont

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très très importants. Il nous dira de l'affection qu'elle implique un affect. Toute affection implique,
enveloppe. Mais justement, l'enveloppé et l'enveloppant n'ont pas la même nature. Toute affection
c'est à dire tout état déterminable à un moment enveloppe un affect, un passage. Mais le passage,
lui, je ne me demande pas qu'est ce qu'il enveloppe. Lui, il est l'enveloppé, je me demande en quoi il
consiste, qu'est ce qu'il est. Et la réponse de Spinoza, et bien c'est évident, qu'est ce qu'il est ? Il est
augmentation ou diminution de ma puissance. Il est augmentation ou diminution de ma puissance
même infinitésimale.

Je prends deux cas. Voilà, je suis dans une pièce noire, je veux dire, je développe tout ça, c'est
peut être inutile, je ne sais pas, mais c'est pour vous persuader que quand vous lisez un texte de
philosophique, il faut que vous ayez dans la tête vous, les situations les plus ordinaires, les plus
quotidiennes. Vous êtes dans une pièce toute noire. Vous êtes aussi parfait, Spinoza dira, jugeant du
point de vue des affections, vous êtes aussi parfait que vous pouvez l'être en fonction des affections
que vous avez. Bon vous ne voyez rien, vous n'avez pas d'affection visuelle. C'est tout, voilà c'est
tout. Mais vous êtes aussi parfait que vous pouvez l'être. Tout d'un coup, quelqu'un entre là
brusquement et puis allume sans me prévenir et je suis complètement ébloui. Parce que j'écris le
pire exemple pour moi, non alors, je le change parce que ... J'ai eu tort. Je suis dans le noir hein et
quelqu'un arrive doucement tout ça et allume une lumière. Bon, ça va être très compliqué cet
exemple. Bien, vous avez vos deux états qui peuvent être très rapprochés dans le temps. L'état que
je peux appeler état noir, état lumineux, petit b état lumineux, ils peuvent être très rapprochés. Je dis,
il y a un passage de l'un à l'autre, si rapide que ce soit même inconscient tout ça au point que tout
votre corps, en terme spinoziste tout ça c'est des exemples du corps, tout votre corps a une espèce
de mobilisation de soi pour s'adapter à ce nouvel état.

L'affect c'est quoi ? C'est le passage. L'affection, c'est l'état noir et l'état lumineux, deux affections
successives en coupe. Le passage, c'est la transition vécue de l'un à l'autre. Remarquez dans ce cas
là il n'y a pas de transition physique, il y a une transition biologique. C'est votre corps qui fait la
transition,. Qu'est ce que ça veut dire ? Le passage c'est nécessairement une augmentation de
puissance ou une diminution de puissance. Il faut déjà comprendre et c'est pour ça que c'est
tellement concret tout ça, ce n'est pas joué d'avance.

Supposez que dans le noir vous étiez profondément en état de méditer. Tout votre corps était
tendu vers cette méditation extrême, vous teniez quelque chose. L'autre brute arrive et éclaire. Au
besoin même, vous êtes en train de perdre une idée que vous alliez avoir. Vous vous retournez et
vous êtes furieux. Tiens on retient ça parce que le même exemple nous servira. Vous le haïssez
mais pas longtemps quoi, vous lui dîtes ooh ! , vous le haïssez. Dans ce cas là le passage à l'état
lumineux vous aura apporté quoi ? Une diminution de puissance. Evidemment si vous cherchiez vos
lunettes dans le noir, là ça vous apporte une augmentation de puissance. Le type qui a allumé là,
vous lui dîtes, merci beaucoup je t'aime. Bon, donc on se dit déjà peut être que cette histoire
d'augmentation et de diminution de puissance, ça va, ça va jouer dans des conditions, dans des
contextes très variables, mais en gros, il y a des directions. Si on vous colle, on peut dire en général,
sans tenir compte du contexte, si on augmente les affections dont vous êtes capable, il y a une
augmentation de puissance. Si on diminue les affections dont vous êtes capable, il y a une
diminution de puissance. Bon, on peut dire ça en très gros même en sachant que ce n'est pas
toujours comme ça.

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Qu'est ce que je veux dire donc, je veux dire une chose très simple, c'est que toute affection
instantanée, Spinoza vous voyez là où il est quand même très très curieux, il dira en vertu de sa
rigueur à lui, il dira, et bien oui, toute affection est instantanée et c'est ça qu'il répondait à
Blyenbergh. Il ne voulait pas en dire plus. Et ça, on ne peut pas dire qu'il déformait sa pensée, il n'en
donnait qu'une moitié, il n'en donnait qu'une sphère, qu'un bout. Toute affection est instantanée, il
dira ça toujours et il dira toujours et je suis aussi parfait que je peux l'être en fonction des affections
que j'ai dans l'instant. C'est la sphère d'appartenance de l'essence instantanéité. En ce sens, il n'y a
ni bien ni mal.

Mais en revanche, l'état instantané enveloppe toujours une augmentation ou une diminution de
puissance, en ce sens il y a du bon et du mauvais. Si bien que, non pas du point de vue de son état
mais du point de vue du passage, du point de vue de sa durée, il y a bien quelque chose de mauvais
dans « devenir aveugle », il y a quelque chose de bon dans « devenir voyant » puisque c'est ou bien
une diminution de puissance ou bien augmentation de puissance. Et là ce n'est plus le domaine
d'une comparaison de l'esprit entre deux états. C'est le domaine du passage vécu d'un état à un
autre, passage vécu dans l'affect. Si bien qu'il me semble qu'on ne peut rien comprendre à l'éthique,
c'est à dire à la théorie des affects, si l'on a pas très présent à l'esprit l'opposition que Spinoza établit
entre les comparaisons de l'esprit entre deux états et les passages vécus d'un état à un autre,
passages vécus qui ne peuvent être vécus que dans des affects.

D'où là alors, il nous reste assez peu de chose à comprendre. Je ne dirais pas que les affects
signalent des diminutions, des augmentations de puissance, je dirais les affects sont les diminutions
et les augmentations de puissances vécues. Pas forcément conscientes encore une fois. C'est je
crois une théorie très, très ... une conception très très profonde de l'affect. Alors donnons leur des
noms pour mieux nous repérer. Les affects qui sont des augmentations de puissance, on les
appellera des joies. Les affects qui sont des diminutions de puissance, on les appellera des
tristesses. Et les affects sont ou bien à base de joie ou bien à base de tristesse. D'où les définitions
très rigoureuses de Spinoza. La tristesse est l'affect qui correspond à une diminution de puissance,
de ma puissance, la joie c'est l'affect qui correspond à une augmentation de ma puissance. Alors
bon, pourquoi ? Si on comprend ce pourquoi, je crois que c'est presque tout ce qu'il y a à
comprendre. Vous aurez tous les éléments pour précisément voir ce dont il est question dans
l'éthique du point de vue des affects, une fois dit que c'est ça qui intéresse Spinoza, c'est les affects.

Pourquoi est ce que la tristesse c'est forcément une diminution de puissance ? Vous voyez dès
lors ce qu'il va y avoir de tellement nouveau dans l'outil de Spinoza contrairement à toute morale,
c'est que le cri perpétuel de l'éthique, ce sera non il n'y a pas de tristesse bonne, il n'y a pas de
tristesse bonne. Et toute la critique spinoziste de la religion, ça sera précisément que selon lui la
mystification de la religion, c'est de nous faire croire qu'il y a de bonnes tristesses. En terme de
puissance, il ne peut pas y avoir de tristesse bonne parce que toute tristesse est diminution de
puissance. Mais pourquoi la tristesse est diminution de puissance ? Encore un effort et bien entendu
si vous comprenez ça tout va bien.

La tristesse c'est un affect enveloppé par une affection. L'affection, c'est quoi, c'est l'image de
chose qui me cause de la tristesse, qui me donne de la tristesse. Voyez, là tout se retrouve, cette
terminologie est très rigoureuse. Je répète, je ne sais plus ce que je disais. Ah bon, l'affect de
tristesse est enveloppé par une affection. L'affection, c'est quoi, c'est l' image de chose qui me donne

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de la tristesse. Cette image peut être très vague, très confuse hein, peu importe ça. Pourquoi est ce
que, voilà ma question, pourquoi est ce que l'image de chose qui me donne de la tristesse, pourquoi
cette image de chose enveloppe-t-elle une diminution de la puissance d'agir ? Qu'est ce que c'est
que la chose qui me donne de la tristesse ?

On a tous les éléments au moins pour répondre à ça, maintenant tout se regroupe, si vous
m'avez suivi tout devrait se regrouper harmonieusement, très harmonieusement. La chose qui me
donne de la tristesse, c'est la chose dont les rapports ne conviennent pas avec les miens. Ca c'est
l'affection. Toute chose dont les rapports tendent à décomposer un de mes rapports ou totalité de
mes rapports m'affecte de tristesse En terme d'affectio vous avez là une stricte correspondance. En
terme d'affectio, je dirais la chose a des rapports qui ne se composent pas avec le mien et qui
tendent à décomposer les miens, là je parle en terme d'affectio. En terme d'affect, je dirais cette
chose m'affecte de tristesse donc par là même, en là même diminue ma puissance. Voyez j'ai le
double langage des affections instantanées et des affects passages. D'où je reviens toujours à ma
question, pourquoi, mais pourquoi, si on comprenait pourquoi il dit ça. Peut être qu'on comprendrait
tout. Qu'est ce qui se passe ? Voyez qu'il prend tristesse en un sens, c'est les deux grandes tonalités
affectives. C'est pas deux cas particuliers tristesse et joie, c'est les grandes tonalités affectives hein,
c'est à dire affectives au sens d'affectus, l'affect. Alors on va avoir comme deux lignées, la lignée à
base de tristesse, la lignée à base de joie. Ca va parcourir la théorie des affects.

Pourquoi la chose dont les rapports ne conviennent pas avec le mien, pourquoi est ce qu'elle
m'affecte de tristesse, c'est à dire diminue ma puissance d'agir ? Voyez on a une double impression,
à la fois qu'on a compris d'avance et puis qu'il nous manque quelque chose pour comprendre. Mais
qu'est ce qui se passe lorsque quelque chose se présente ayant des rapports qui ne se composent
pas avec le mien ? Ca peut être vraiment, ça peut être un courant d'air, je reviens, je suis dans le
noir dans ma pièce, là je suis tranquille, on me fout la paix hein. Quelqu'un entre et me fait sursauter.
Il tape contre la porte là, il me fait sursauter, bon je perds une idée. Il entre puis il se met à parler, j'ai
de moins en moins d'idée. Je suis affecté de tristesse, oui j'ai une tristesse. C'est à dire on me
dérange quoi. Spinoza dira, alors la lignée de la tristesse c'est quoi, là dessus je le hais, je le hais. Je
lui dis « oh écoute hein, ça va hein », ça peut n'être pas très grave, ça peut être une petite haine, il
m'agace quoi. Je ne peux pas avoir la paix, bon tout ça, je le hais.

Qu'est ce que ça veut dire la haine ? Vous voyez la tristesse, bon, il nous a dit, bon. Votre
puissance d'agir est diminuée alors vous éprouvez de la tristesse en tant qu'elle ait diminué votre
puissance d'agir. D'accord, je le hais, ça veut dire que la chose dont les rapports ne se composent
pas avec le votre, vous tendez, ne serait ce qu'en esprit, vous tendez à sa destruction. Haïr, c'est
vouloir détruire ce qui risque de vous détruire. Voyez ça veut dire haïr, c'est à dire vouloir, vouloir
entre guillemets, vouloir décomposer ce qui risque de vous décomposer. Donc la tristesse engendre
la haine. Remarquez qu'elle engendre des joies aussi. La haine engendre des joies donc les deux
lignées, d'une part la tristesse, d'autre part la joie ne vont pas être des lignées pures.

Qu'est ce que c'est que les joies de la haine ? Les joies de la haine comme dit Spinoza, si vous
imaginez malheureux l'être que vous haïssez, votre cœur éprouve une étrange joie. On peut même
faire un engendrement des passions et Spinoza le fait à merveille. Il y a des joies de la haine.
D'accord, il y a des joies de la haine. Mais est ce que c'est des joies, bon ... ? La moindre des
choses c'est qu'on peut dire déjà et ça va nous avancer beaucoup pour plus tard, c'est des joies

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étrangement compensatoires, c'est à dire indirectes. Ce qui est premier dans la haine, quand vous
avez des sentiments de haine, cherchez toujours la tristesse de base. C'est à dire votre puissance
d'agir a été empêchée, a été diminuée. Et vous aurez beau si vous avez un cœur diabolique, vous
aurez beau croire que ce cœur s'épanouit dans les joies de la haine, et bien ces joies de la haine, si
immenses qu'elles soient n'ôteront jamais la sale petite tristesse dont vous êtes partie. Vos joies
c'est des joies de compensation. L'homme de la haine, l'homme du ressentiment, l'homme etc ...
pour Spinoza c'est celui dont toutes les joies sont empoisonnées par la tristesse de départ parce que
la tristesse est dans ces joies même. Finalement il ne peut tirer de ça, il ne peut tirer de joie que de
la tristesse. Tristesse qu'il éprouve lui même en vertu de l'existence de l'autre. Tristesse qu'il imagine
infligée à l'autre pour lui faire plaisir à lui. Tout ça c'est des joies minables dit Spinoza. C'est des joies
indirectes, on retrouve notre critère du direct et de l'indirect. Voyez, tout se retrouve à ce niveau.

Si bien que je reviens à ma question, mais enfin, oui, alors quoi, il faut le dire quand même, en
quoi est ce qu'une affection, c'est à dire l'image de quelque chose qui ne convient pas à mes propres
rapports, en quoi est ce que cela diminue ma puissance d'agir ? A la fois c'est évident et ça ne l'est
pas, voilà, voilà ce que veut dire Spinoza. Supposez que vous ayez une puissance, bon, mettons en
gros la même.
Et voilà, premier cas vous rencontrez, vous vous heurtez à quelque chose dont les rapports ne se
composent avec les autres.
Deuxième cas au contraire vous rencontrez quelque chose dont les rapports se composent avec
les vôtres. Spinoza dans l'Ethique emploie le terme latin occursus, occursus est exactement ce cas,
la rencontre. Je rencontre des corps, mon corps ne cesse pas de rencontrer des corps. Et bien les
corps qu'il rencontre, tantôt ils ont des rapports qui se composent, tantôt des rapports qui ne se
composent pas avec le sien.
Qu'est ce qui se passe lorsque je rencontre un corps dont le rapport ne se compose pas avec le
mien ? Et bien voilà, je dirai et vous verrez que dans le livre 4 de l'Ethique cette doctrine est très
fort(e), je ne veux pas dire qu'elle soit absolument affirmée, mais elle est tellement suggérée qu'il se
passe un phénomène qui est comme une espèce de, je dirais de fixation. Qu'est ce que ça veut dire
une fixation ? C'est à dire une partie de ma puissance est toute entière consacrée à investir et à
localiser la trace sur moi de l'objet qui ne me convient pas. C'est comme si je tendais mes muscles.

Reprenez l'exemple, quelqu'un que je ne souhaite pas voir entre dans la pièce. Là je me dis oh la
la ... et en moi se fait comme une espèce d'investissement, toute une partie de ma puissance est là
pour conjurer l'effet sur moi de l'objet, de l'objet disconvenant. J'investis la trace de la chose sur moi,
j'investis l'effet de la chose sur moi. En d'autres termes, j'essaie au maximum d'en circonscrire l'effet,
de le localiser. En d'autres termes, je consacre une partie de ma puissance à investir la trace de la
chose, pourquoi ? Et bien évidemment pour la soustraire, pour la mettre à distance, pour la conjurer.
Et bien comprenez ça va de soi, cette quantité de puissance que j'ai consacrée à investir la trace de
la chose non convenante, c'est autant de ma puissance qui est diminuée, qui m'est ôtée, qui est
comme immobilisée.

Voilà ce que veut dire ma puissance diminue. Ce n'est pas que j'ai moins de puissance, c'est
qu'une partie de ma puissance est soustraite en ce sens qu'elle est nécessairement affectée à
conjurer l'action de la chose. Tout se passe comme si toute une partie de ma puissance, je n'en
disposais plus. C'est ça la tonalité affective tristesse. Une partie de ma puissance sert à cette
besogne vraiment indigne quoi qui consiste à conjurer la chose, conjurer l'action de la chose. Autant

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de puissance immobilisée. Conjurer la chose, c'est à dire empêcher qu'elle ne détruise mes rapports
là, donc je durcis mes rapports là. Ca peut être un effort formidable, Spinoza dit comme c'est du
temps perdu, comme il aurait mieux fallu éviter cette situation. De tout manière une partie de ma
puissance est fixée, c'est ça que veut dire ma puissance diminue. En effet, une partie de ma
puissance m'est soustraite, elle n'est plus en ma possession. Elle a investi là, c'est comme une
espèce d'induration, une induration de puissance. Ah c'est ... au point que ça fait presque mal quoi,
que de temps perdu.

Au contraire, dans la joie et bien c'est curieux l'expérience de la joie telle que Spinoza nous la
présente, par exemple je rencontre quelque chose qui convient, qui convient avec mes rapports. Par
exemple, j'entends ... Prenons un exemple, par exemple de musique - il y a des sons blessants, il y a
des sons blessants qui m'inspirent une immense tristesse. Ce qui complique tout, c'est qu'il y a
toujours des gens pour trouver ces sons blessants, au contraire délicieux et harmonieux mais c'est
ça qui fait la joie de la vie, c'est à dire les rapports d'amour et de haine. Parce que ma haine contre le
son blessant, elle va s'étendre à tous ceux qui aiment, eux, ce son blessant. Alors je rentre chez moi,
j'entends des sons blessants qui me paraissent des défis à tout ... bon qui vraiment décomposent
mes rapports. Ils m'entrent dans la tête, ils m'entrent dans le ventre, tout ça, j'ai ...Bon, ma
puissance, tout une partie de ma puissance là, s'indure pour tenir à distance ces sons qui me
pénètrent. J'obtiens le silence et je mets la musique que j'aime. Ah là, tout change ! La musique que
j'aime ça veut dire quoi, ça veut dire des rapports sonores qui se composent avec mes rapports.
Mais supposez qu'à ce moment là ma machine casse, ma machine se casse, j'éprouve de la haine.
Une objection ? Enfin j'éprouve une tristesse, une grande tristesse. Bon je mets la musique que
j'aime là, tout mon corps et mon âme ça va de soi composent ses rapports avec les rapports
sonores, c'est ça que signifie la musique que j'aime. Ma puissance est augmentée.
Donc pour Spinoza moi ce qui m'intéresse là dedans, c'est que dans l'expérience de la joie, il n'y
a jamais la même chose que dans la tristesse, il n'y a pas du tout un investissement et on va voir
pourquoi. Il n'y a pas un investissement d'une partie indurée qui ferait qu'une certaine quantité de
puissance est soustraite à mon pouvoir. Il n'y a pas ça, pourquoi ?

Parce que lorsque les rapports se composent, les deux choses dont les rapports se composent
forment un individu supérieur, un troisième individu qui englobe et qui prend comme partie. En
d'autres termes par rapport à la musique que j'aime, tout se passe comme si la composition des
rapports directs - voyez qu'on est toujours dans le critère du direct - là se fait une composition directe
des rapports de telle manière que se constitue un troisième individu, individu dont moi et la musique
ne sommes plus qu'une partie. Je dirais dès lors que ma puissance est en expansion ou qu'elle
augmente.

Voyez à quel point si je prends ces exemples c'est pour vous persuader quand même que
lorsque - et ça vaut aussi pour Nietzsche - que lorsque des auteurs parlent de la puissance, Spinoza
de l'augmentation et de la diminution de puissance, Nietzsche de la volonté de puissance elle aussi
procède ... ce que Nietzsche appelle affect, c'est exactement la même chose que ce que Spinoza
appelle affect, c'est sur ce point que Nietzsche est spinoziste, à savoir, c'est les diminutions ou les
augmentations de puissance. Et bien ils ont en tête quelque chose qui n'a strictement rien à voir
avec la conquête d'un pouvoir quelconque. Sans doute, ils diront que le seul pouvoir, c'est finalement
la puissance à savoir augmenter sa puissance et précisément composer des rapports tel que la
chose et moi qui composont les rapports ne sommes plus que deux sous-individualités d'un nouvel

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individu, d'un nouvel individu formidable.

Alors je reviens, qu'est ce qui distingue mon appétit bassement sensuel, de mon amour le
meilleur, le plus beau ? C'est exactement pareil. L'appétit bassement sensuel, vous savez, c'est
toutes les phrases là alors peut on convier ... tout ça c'est pour rire, mais enfin ça ne vous fait pas
(rire), c'est pour rire donc on peut dire n'importe quoi, bon la tristesse, la tristesse, après l'amour
l'animal est triste. Qu'est ce que ça ... hein, cette tristesse, de quoi il nous parle, Spinoza, il ne dirait
jamais ça ou alors, bien alors ça ne vaut pas la peine, il n'y a pas de raison si je ... la tristesse bon.
Mais il y a des gens qui cultivent la tristesse, santé, santé, à quoi on en arrive ?

Cette dénonciation qui va parcourir l'éthique, à savoir il y a des gens qui sont tellement
impuissants que c'est ceux là qui sont dangereux, c'est ceux là qui prennent le pouvoir. Et ils ne
peuvent prendre le pouvoir tellement les notions de puissance et de pouvoir sont lointaines. Les
gens du pouvoir, c'est des impuissants qui ne peuvent construire leur pouvoir que sur la tristesse des
autres. Ils ont besoin de la tristesse. Ils ont besoin de la tristesse, en effet, ils ne peuvent régner que
sur des esclaves et l'esclave c'est précisément le régime de la diminution de puissance.

Il y a des gens, n'est ce pas, qui ne peuvent régner, qui n'acquièrent de pouvoir que par la
tristesse et en instaurant un régime de la tristesse du type « repentez-vous », du type « haïssez
quelqu'un » et « si vous n'avez personne haïssez-vous vous même » etc ... Tout ce que Spinoza
diagnostique comme une espèce d'immense culture de la tristesse, la valorisation de la tristesse,
tous ceux qui vousdisent « Ah mais si vous ne passezpaspar la tristesse vous ne fructifierez pas ».
Or, pour Spinoza, c'est l'abomination ça. Et s'il écrit une "Ethique", c'est pour dire non, non ça, tout
ce que vous voulez, tout ce que vous voulez mais pas ça. Alors oui, en effet, bon égal joie, mauvais
égal tristesse. Mais je dis qu'est ce que ..., oui je disais, j'avais un problème là que j'ai perdu en ..., je
disais il faut voir.
Distinction ...
Distinction quoi ?
Distinction entre l'instinct bassement sensuel et ....

Ah oui, l'appétit bassement sensuel voilà. L'appétit bassement sensuel, vous voyez maintenant,
et le plus beau des amours, le plus beau des amours, c'est pas du tout un truc spirituel, mais pas du
tout, c'est lorsqu'une rencontre marche comme on dit, lorsque ça fonctionne bien. Qu'est ce que ça
veut dire ? c'est du fonctionnalisme, mais un très beau fonctionnalisme. Qu'est ce que ça veut dire
ça ?

Mais ça veut dire qu'idéalement c'est jamais comme ça complètement parce qu'il y a toujours des
tristesses locales, Spinoza n'ignore pas ça, il y a toujours ça, bien sûr, il y a toujours des tristesses.
La question ce n'est pas s'il y en a ou s'il n'y en a pas, la question c'est la valeur que vous leur
donnez, c'est à dire la complaisance que vous leur accordez. Plus vous leur accorderez de
complaisance, c'est à dire plus vous investirez de votre puissance pour investir la trace de la chose,
et plus vous perdrez de puissance.

Alors dans un amour heureux, dans un amour de joie, qu'est ce qui se passe ? Vous composez
un maximum de rapports avec un maximum de rapports de l'autre, corporels, perceptifs, toute sorte
de nature, bien sûr corporels oui pourquoi pas, mais perceptifs aussi. Ah bon, on va écouter de la

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musique, bien, on va écouter de la musique, d'une certaine manière, on ne cesse d'inventer,
comprenez lorsque je parlais du troisième individu qui ... dont les deux autres ne sont plus que des
parties, ça ne voulait pas dire du tout que ce troisième individu préexistait.
C'est toujours en composant mes rapports avec d'autres rapports et sous tel profil, sous tel
aspect, que j'invente ce troisième individu dont l'autre et moi même ne seront plus que des parties,
que des sous individus. Bon, et bien c'est ça, chaque fois que vous procédez par composition de
rapports et composition de rapports composés, vous augmentez votre puissance.

Au contraire, l'appétit bassement sensuel, ce n'est pas parce qu'il est sensuel qu'il est mal, c'est
parce que fondamentalement il ne cesse pas de jouer sur les décompositions de rapports. C'est
vraiment du type « Fais moi mal », « Attristes-moi que je t'attriste ». la scène de ménage etc...Ah
comme on est bien avec la scène de ménage hein, oh comme c'est bien après, c'est à dire les
petites joies de compensation. C'est dégoûtant tout ça, mais c'est infect quoi, c'est la vie la plus
minable du monde. Ah je te fais ... allez hein, allez on va faire notre scène hein. Alors, une séance,
ah bien oui parce qu'il faut bien se haïr, après on s'aime encore plus. Spinoza il vomit quand il ...
enfin ça le fait ... Il se dit « Mais qu'est ce que c'est que ces fous là ! » c'est ... S'il faisait ça encore
pour leur compte, mais c'est des, c'est des contagieux, c'est des propagateurs. Ils ne vous lâcheront
pas tant qu'ils ne vous pas inoculer leur tristesse bien plus ils vous traitent de con si vous dites que
vous comprenez pas et que c'est pas votre truc, ils vous disent que c'est ça la vraie vie. Et plus qu'ils
se font leur bauge à base de scène de ménage, de connerie, d'angoisse et tout ça, de oooh ... Plus
qu'ils vous tiennent, ils vous inoculent s'ils peuvent vous tenir là alors ils vous la passent..

Claire Parnet - Déjà quand ils parlent de la bêtise d'un ...

La composition des rapports, bon, bien j'ai tout dit sur la composition des rapports parce que
comprenez oui surtout ... Je n'ai pas tellement de chose à dire parce que c'est vraiment ... Ca ne
consiste pas ... Le contresens ça serait de croire : "cherchons un troisième individu dont nous ne
serions que les parties". Mais non, ça ne préexiste pas. Ni la manière dont les rapports ne sont
décomposés, ça préexiste dans la nature puis que la nature c'est le tout. Mais de votre point de vue,
c'est très compliqué, là on va voir quel problème ça pose pour Spinoza parce que c'est très concret
quand même tout ça, sur les manières de vivre, comment vivre ? Vous ne savez pas d'avance quels
sont ...

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Deleuze
-- Menu - La peinture et la question des concepts - Mars à Juin 1981 - cours 14 à 21 - (18 heures) --

La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

15- 07/04/81 - 1
Marielle Burkhalter

15- 07/04/81 - 1 Page 1/8


transcription : Boudon Véronique cours de Gilles Deleuze du 07/04/1981 15A

Pardonnez d'avance mes hésitations. Voilà, la dernière fois donc, on avait commencé cette espèce
de... sais pas quoi, sur la peinture et j'avais essayé de dégager quelque chose qui me.... Parce que
ça me frappe. Encore une fois, ce que je dis a aucune valeur, ça va de soi, aucune valeur
universelle. Chaque fois je voudrais - c'est à vous de voir si, tel autre peintre auquel j'ai pas pensé, si
quelque chose convient ou pas - Mais enfin moi, ce qui m'avait frappé, c'était chez un certain nombre
de peintre la présence sur la toile, d'une véritable catastrophe.

Et ma question c'était bon et bien, qu'est-ce que c'est que ce rapport de, non pas de la peinture
avec la catastrophe, mais ce rapport plus profond d'une catastrophe et de l'acte de peindre ?
Comme si le peintre devait passer par cette catastrophe. Dès lors j'avais essayé et c'était tout ce
qu'on avait fait la dernière fois, j'avais essayé de voir s'il y avait là ce qu'on pourrait appeler, je sais
pas d'un mot très vague, un premier, pas premier absolu, mais pour nous, un premier concept
proprement de peinture. Une espèce de concept pictural.

Et, à l'aide de textes de peintres, on avait formé une espèce de concept, un premier concept de
catastrophe germe ou chaos germe, comme si, le tableau comportait cette catastrophe germe, dont
quelque chose allait sortir. Et, chez un certain nombre de peintres, cette catastrophe germe est
visible. Alors ça pose évidemment un problème. Chez ceux où elle n'est pas visible, est-ce qu'on
peut dire qu'elle est quand même là ? Mais virtuelle ou invisible, ça c'est des choses que j'ose même
pas aborder, il faut être plus solide pour même poser cette question, sans qu'elle soit toute verbale
ou toute littéraire ; mais enfin, chez certains peintres, elle est évidente. Et certains peintres nous
parlent de cette catastrophe par laquelle ils passent, non pas personnellement encore une fois
encore que, ça puisse avoir beaucoup de conséquences personnelles sur leur propre équilibre ; mais
s'agit pas de dire qu'ils y passent personnellement parce que c'est très secondaire ce qui y passe,
c'est la peinture, c'est leur peinture. Et le texte, presque le plus frappant, c'était celui de Paul Klee,
quand il parle de ces deux moments : le point gris comme chaos et ce point gris qui saute par
dessus lui-même pour se déployer comme germe de l'espace, il saute par dessus lui-même et
j'essayais au moins de comprendre où d'interpréter comme s'il s'agissait de deux gris, ces deux états
du gris, le gris noir-blanc, il saute par dessus lui-même, il devient le gris vert-rouge, c'est-à-dire la
matrice de la couleur.

Bon, est-ce que ce chaos-germe dès lors, c'est ce par quoi le tableau doit passer, pour que .. quoi
? Pour que la lumière naisse, où là on voit toutes sortes de réponses possibles, ou pour que, la
couleur naisse.

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D'ou le titre admirable à des liasses de Turner : « Naissance de la couleur », « commencement
de la couleur », et ce thème qui parcourt alors tous les peintres, que finalement la peinture, le peintre
se met comme dans la situation d'une création du monde ou d'un commencement du monde.
Qu'est-ce que ça voudrait dire sinon précisément, il passe par ce chaos catastrophe, il l'instaure sur
la toile pour que, en sorte quelque chose, qui est quoi ? Qui n'est évidemment plus le monde des
objets. Il ne peut plus être en aucun cas le monde des objets, mais qui est le monde de la
lumière-couleur. Or vous comprenez que, et c'est là, j'insistais, il n'y a pas une formule générale du
chaos catastrophe, heu, du chaos-germe ou de la catastrophe germe. C'est évident que le
chaos-germe de Van Gogh, ben, il est complètement différent, même, là je prends à des époques
proches ; il est complètement différent du chaos-germe de Cézanne. En plus, il est complètement
différent aussi du chaos-germe de Gauguin, tout ça c'est... et à plus forte raison du chaos-germe de
Klee. C'est donc des chaos-germe très, très singularisés, où va déjà se jouer, ce qu'on appellera le
style du peintre, et ce qui va en sortir sera aussi très différent.

Les peintres de lumière, je crois que - bien que les peintres de lumière puissent être de grands
coloristes - je crois que les peintres de lumière, qui atteignent à la couleur à travers la lumière et les
peintres de couleur qui atteignent eux [...] les peintres de lumière, qui atteignent à la couleur par la
lumière et les peintres de couleur, les coloristes qui atteignent à la lumière par la couleur, enfin vous
voyez, c'est des techniques absolument différentes ça va de soi.

Donc quand je parle d'un chaos-germe, je veux pas dire du tout quelque chose d'indifférencié au
contraire, c'est comme signé, il y a déjà là la signature du peintre. Et alors la dernière fois, je disais
juste bon et ben, chaos germe, il se trouve que un peintre là, actuel a un mot qui m'intrigue et qui me
sert beaucoup, donc que je reprends, c'est Bacon, lorsque ce chaos- germe il l'appelle un
diagramme. Il dit : "ben oui, dans un tableau, il y a un diagramme" et c'était la citation que je vous
avais lue, même dans un portrait [...] et qu'est ce que c'est le diagramme ? Il nous dit le diagramme,
et là je crois qu'il faut faire attention au mot qu'il emploie. Un diagramme c'est une possibilité de fait,
et ce qui m'a intéressé alors, ça me donne presque l'idée finalement de ce que l'on fait là, en parlant
de la peinture. S'il s'agissait de faire une espèce de logique de la peinture, ce qui consiste pas du
tout à ramener la peinture à de la logique, mais considérer qu'il y a une logique propre de la peinture.
Eh ben, ce mot diagramme me servirait d'autant plus que précisément il est tellement employé, je
vous disais, par certains logiciens anglais ou américains actuellement ; les théories du diagramme,
elles sont partout, et ce que j'aimerais entre autre faire là pour rejoindre des considérations plus
logiques ou plus philosophiques, ce serait essayer de voir si la peinture ne peut nous fournir les
éléments, des éléments en tout cas, pour une théorie du diagramme. Mais enfin voyez pour le
moment, car ce diagramme ou ce chaos- germe, j'ai essayé de le situer dans le temps de l'acte de
peindre, et je dis oui très simplement, est-ce-qu'on pourrait pas dire ceci, quitte à le corriger plus
tard.

Eh ben, c'est comme le deuxième moment dans les trois moments de l'acte de peindre. C'est
dans ce sens que je disais, vous savez dans un tableau, il y a toujours implicite une synthèse du
temps. Et qu'est-ce que c'est que ces trois moments ? Eh ben, je disais le tableau il est en
communication immédiate avec un avant peintre. Bon, le tableau il ne peut pas être pensé avant un
avant peintre, c'est-à-dire le tableau il a fondamentalement une dimension pré-picturale. Et j'invoque
pour moi, là ce long texte de Cézanne, où Cézanne parle de tout ce qui se passe avant qu'il ne

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commence à peindre. C‘est bien cette dimension pré-picturale qui appartient déjà à la peinture. Or,
c'est en fonction de cette dimension pré-picturale que, le diagramme s'affirme comme un second
temps, d'où une question, qui nous reste : "qu'est-ce qu'il va faire quant au second temps ?",
"Qu'est-ce qu'il va faire, pardon, quant au premier temps ?"

S'il y a bien visible ou non visible dans le tableau, une appartenance et une dimension
pré-picturale, en quoi consiste-t-elle cette dimension, on ne le sait pas encore. Tout ce que je peux
dire c'est que, la nécessité ou que le chaos-germe, c'est-à-dire le diagramme trouvera sa nécessité
dans une certaine fonction qu'il exerce par rapport à cette première dimension pré-picturale.
Qu'est-ce qu'il va faire ? Il va agir comme une espèce de zone à la lettre de brouillage, de nettoyage,
pour permettre sans doute quoi ? Pour permettre sans doute l'avènement de la peinture. Il va falloir
nettoyer, brouiller.

Bon, supposons que, pour que le troisième temps sorte... Voyez donc, j'ai mon espèce de
dimension là, temporelle de l'acte de peindre, la dimension pré-picturale, le diagramme qui va agir on
ne sait pas encore de quelle manière sur cette dimension, de telle manière que sorte du diagramme
quoi ? Reprenons les mots de Bacon. Le diagramme ce n'est pas encore le fait pictural. Ah bon,
alors il y aurait un fait pictural ? Peut-être qu'il y a un fait pictural.

Pourquoi est-ce que les critiques quand on parle peinture, il y a toujours un mot qui revient chez
tout le monde, chez beaucoup de gens, le thème de la présence. Présence, présence, c'est le mot le
plus simple pour qualifier l'effet de la peinture sur nous, et là vous remarquez, je ne fais aucune
distinction pour le moment, il y a aucun lieu d'en faire, que ce soit un carré de Mondrian ou une figure
de la peinture très classique, il y a pas lieu, il y a une espèce de présence. Présence, ça sert à quoi
quand les critiques emploient ce mot ? Ça sert à nous dire et bien évidemment ce qu'on sait bien
grâce à eux, grâce à nous même, heu, c'est pas de la représentation. Présence c'est, qu'est- ce que
c'est ? On ne sait pas très bien, on sait avant tout que ça se distingue de la représentation. Le
peintre a fait surgir une présence, à savoir un portraitiste, ben il représente pas le roi, il représente
pas la reine, il représente pas la petite princesse, il fait surgir une présence. Bon d'accord, alors c'est
un mot commode. C'est une autre manière de dire qu'il y a un fait pictural. D'où sort le fait pictural ?
Eh ben, après tout, tous les vocabulaires nous sont bons, du coup mes trois moments :
le moment pré-pictural qui d'une certaine manière, encore une fois j'insiste, appartient au tableau,

puis le diagramme,
puis le fait pictural qui sort du diagramme.

Bon, on tient ça comme un point, encore une fois c'est une hypothèse parce qu'il y aura lieu de le
remanier, tout ça. Parlons latin parce que c'est..., je pense à un texte de Kant, dans un tout autre
domaine où il se sert d'une terminologie latine en distinguant... ; c'est bien d'ailleurs, c'est une belle
page, où il distingue le datum et le factum, c'est-à-dire en français c'est moins joli, le donné et le fait.
Et il dit : "vous savez le fait c'est quelque chose de tout à fait différent du donné". Bon, je dirais que
mon premier temps, la dimension pré-picturale, c'est le monde des donnés. Qu'est-ce qui est donné
? Alors, ma question elle devient plus précise, elle va nous aider : qu'est-ce qui est donné sur la toile
avant que la peinture ne commence ?

Bon, j'insiste là-dessus parce que, il y a une espèce de lieu commun, assez récent, qui est une

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catastrophe, il me semble, c'est une catastrophe parce que c'est une telle déformation du vrai
problème, soit de décrire, soit de peindre... que ça rend tout puéril. Eh, je crois que c'est un thème
que, généralement ceux qui le soutiennent, se réclament de Blanchot - mais c'est simplement un
contre-sens sur Blanchot qui lui n'a jamais dit de bêtise - alors que le thème qu'on en tire lui est
d'une bêtise incroyable.

Ce thème, et qui est ruineux en littérature, c'est le thème selon lequel l'écrivain se trouve devant une
page blanche. C'est bête, mais c'est bête à pleurer et que dès lors le problème de l'écriture c'est :
"mon Dieu comment je vais remplir la page blanche ?"
Alors il y a des gens qui font des livres là-dessus, sur le vertige de la page blanche. Comprenez,
on voit vraiment pas pourquoi quelqu'un voudrait remplir une page blanche, une page blanche ça
manque de rien, je veux dire, je vois peu de thèmes aussi stupides alors, y passe tous les lieux
communs vraiment. L'angoisse de la page blanche, on peut y mettre même un peu de psychanalyse
là-dedans, la page blanche... Et on fait parfois des romans allant jusqu'à quatre-vingt pages, cent
vingt, cent quarante, sur ce rapport de l'écrivain avec la page blanche.

Je dis, c'est d'une stupidité insondable, puisque si quelqu'un se met devant une page blanche, il
ne risque pas de la remplir..., c'est forcé, et bien plus, ça s'accompagne d'une telle conception de
l'écriture et tellement stupide que, vous comprenez, c‘est juste le contraire. Quand on a quelque
chose à écrire, ou quand on estime, là, je dis pas du tout..., je fais pas une distinction entre les vrais
et les faux écrivains, c'est plus général... si vous avez quelque chose à écrire faut pas croire que
vous vous trouvez... c'est le tiers, c'est celui qui regarde sur votre épaule qui dit : "oh, il a rien écrit
encore...". "D'accord, j'ai rien écris encore".

Mais quelle différence entre... ma pauvre tête, mon cerveau agité et la page ? Aucune, à mon
avis aucune. A savoir, il y a déjà plein de choses, je dirais plus, il y a beaucoup trop de choses sur la
page, il n'y a pas de page blanche. Il y a une page blanche objectivement, c'est-à-dire d'une fausse
objectivité pour le tiers qui regarde, sinon votre page à vous, mais, elle est encombrée, elle est
complètement encombrée et c'est bien ça arriver à écrire. C'est que la page est tellement
encombrée, qu'il n'y a même plus de place pour y ajouter quoique ce soit.

Si bien qu'écrire, se sera fondamentalement "gommer", ce sera fondamentalement "supprimer".


Qu'est ce qu'il y a sur la page avant que je commence à écrire ? Je dirais il y a le monde infini,
pardonnez-moi, il y a le monde infini de la connerie. Il y a ce monde infini c'est-à-dire, en quoi écrire
est-il une épreuve ? C'est que, vous écrivez pas comme ça avec rien dans la tête, vous avez
beaucoup de choses dans la tête. Mais dans la tête d'une certaine manière tout se vaut, à savoir ce
qu'il y a de bon dans une idée et ce qu'il y a de facile et de tout fait. C'est sur le même plan, c'est
seulement quand vous passez à l'acte par l'activité d'écrire, que se fait cette bizarre sélection où
vous devenez "acte", je dirais la même chose pour parler. Quand vous avez dans la tête quelque
chose, avant que vous parliez, mais il y a plein de trucs, mais tout se vaut, non d'une certaine
manière non tout ne se vaut pas, mais vous avez beau mettre au point dans votre tête, il y a
l'épreuve de passer à l'acte soit en parlant soit en écrivant qui est une fantastique élimination, qui est
une fantastique épuration.

Sinon votre page, elle est pleine, elle est pleine de quoi ? je dirais d'idées toutes faites et vous
aurez beau les trouvées originales. Idées toutes faites, ça veut pas dire forcément des idées que les

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autres ont aussi, vous pouvez très bien avoir des idées toutes faites à vous, et rien qu'à vous, elles
sont quand même toute faites. C'est des idées toutes faites. Faciles, faciles, des idées comme on a
dix huit ans [...] et dont on a honte quand on se réveille quoi. Eh, non trop facile tout ça, pas sérieux
quoi. Vous comprenez, le monde des idées encore une fois, il n'a jamais été justiciable du vrai et du
faux. Il est justiciable de catégories beaucoup plus fines. L'important, l'essentiel et l'inessentiel, le
remarquable et l'ordinaire, le etc. Tant que c'est dans votre tête, bon ben, vous pouvez prendre des
choses très ordinaires pour des choses remarquables. Or c'est pas innocent ça, ce genre de
confusion, quand vous prenez quelque chose d'ordinaire pour du remarquable, ça affecte le contenu
de l'idée. Pas simplement des trucs formels, alors c'est pour ça que vous avez tout le temps des
livres dont vous vous dites - je sais pas si vous faites cette expérience - mais enfin, non ça va pas,
c'est enfantin. Et on aurait de la peine à dire en quoi c'est faux. Non, c'est pas faux, c'est rien - alors
que le type il a l'air de trouver que ses idées elles sont formidables, il y a quelque chose en vous - et
là c'est pas lieu d'une discussion.

C'est pour ça que les discussions c'est toujours de la merde, vous savez. C'est pas le lieu d'une
discussion du tout. Moi je peux pas dire à quelqu'un voilà pourquoi ton idée elle n'est pas fameuse,
eh, c'est impossible à dire. Bon, simplement c'est ça qu'on a dans la tête, le monde des idées toutes
faites, soit, idées collectives, soit, idées même personnelles. Une idée personnelle, c'est pas une
bonne idée pour ça... Il y a des idées toutes faites qui sont pourtant rien qu'à moi, qui sont faciles, à
la rigueur, je peux les dire dans la conversation, mais si ça passe par l'épreuve d'écrire, je me dis
mais enfin qu'est-ce que c'est que ça ? Qu'est ce que je suis en train de dire, est-ce que ça vaut la
peine d'écrire ça ? Bon si on se demande beaucoup ça, je dis pas qu'on réussit, on se trompe
comme tout le monde mais déjà on se trompe moins souvent, il faut avoir des questions d'urgence
[...]

J'en viens à la peinture, c'est ça qui m'intéresse : c'est aussi bête de croire que : la toile est une
surface blanche, pas plus que le papier. Une toile, c'est pas une surface blanche, je crois que les
peintres le savent bien. Avant qu'ils ne commencent, la toile, elle est déjà remplie, elle est remplie de
quoi la toile, avant qu'ils ne commencent ? Là encore c'est pour l'œil du type qui se promène qui voit
- alors il voit un peintre, il regarde et il dit alors : « t'as pas fais beaucoup là, hein, y a rien ». Et pour
le peintre, s'il a de la peine à commencer, c'est justement parce que sa toile est pleine. Elle est
pleine de quoi ? Elle est pleine du pire. Et ça vous comprenez, sinon peindre ça serait pas un
travail... elle est pleine du pire, le problème ça va être d'ôter, d'ôter ces choses vraiment, ces choses
invisibles pourtant et qui ont déjà pris la toile, c'est-à-dire le mal est déjà là. Qu'est ce que c'est le
mal ? Qu'est-ce que c'est les idées toutes faites de la peinture ? Les peintres ont toujours employé
un mot pour désigner, enfin non pas toujours, mais il y a un mot qui s'est imposé pour désigner ce
dont la toile est pleine avant que le peintre ne commence, c'est cliché, un cliché, des clichés. La toile,
elle est déjà remplie de clichés.

Si bien que dans l'acte de peindre, il y aura comme dans l'acte d'écrire, ce qui doit être présenté
bien que ce soit très insuffisant, une série de soustractions, de gommages. La nécessité de nettoyer
la toile. Alors est-ce que ce serait ça le rôle, au moins un rôle, le rôle négatif du diagramme ? la
nécessité de nettoyer la toile pour empêcher les clichés de prendre. Qu'est ce qu'il y a de terrible
dans les clichés ? Bon on peut dire, et alors en effet, on se dit bien après tout actuellement, les
peintres, c'est plutôt pire qu'avant, si on devait dire quelque chose, c'est vrai d'une certaine manière.
Là, je ne veux pas recommencer ces analyses par exemple, des auteurs comme Klossowski les ont

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trop bien faites sur l'existence vraiment d'un monde de simulacres, quoique Klossowski prenne
simulacre en un sens très savant, il comporte aussi cet aspect, le cliché, le truc tout fait. On vit, on
nous dit souvent, on vit dans un monde de simulacres, on vit dans un monde de clichés. Sans doute
est-ce qu'il faut mettre en cause les progrès, certains progrès techniques, dans le domaine des
images, l'image photo, l'image ciné, l'image télé, etc. Ah bon, ce monde d'images quoi, mais ça
existe pas simplement sur les écrans, ça existe dans nos têtes, ça existe dans les pièces, ça existe
dans une pièce, heu c'est vraiment Lucrétien, vous savez quand Lucrèce parle des simulacres qui se
promènent à travers le monde, qui traversent des espaces pour venir d'un endroit frapper notre tête,
frapper notre cerveau, tout ça.

On vit dans un monde de clichés, il y a des affiches, il y a tout ça bon. Tout ça à la limite, c'est sur
la toile avant que le peintre ne commence. Et ce qu'il y a de catastrophique, c'est que dès qu'un
peintre a trouvé un truc, ça devient un cliché, bon et à toute vitesse aujourd'hui, il y a une production,
reproduction à l'infini du cliché, qui fait que la consommation est extrêmement rapide. Eh ben, lutte
contre le cliché, c'est ça le cri de guerre du peintre, je crois. Or ce qu'il sait le peintre, c'est qu'il y a
des clichés personnels non moins que des clichés collectifs, que le peintre, il peut avoir sa petite
idée cérébrale, petite idée d'un truc nouveau. Mais toute idée cérébrale en peinture est un cliché. Et
que ça peut être un cliché rien qu'à lui, c'est quand même un cliché. J'aime pas beaucoup la phrase,
enfin personnellement je trouve, la phrase qu'on cite toujours d'Oscar Wilde, à savoir, "c'est la nature
qui se met à ressembler à tel peintre". C'est pas le peintre qui copie la nature, c'est la nature qui une
fois que le peintre existe, alors en effet par exemple : on se met à dire d'un paysage, à tient ça, c'est
un Renoir. Moi ça me paraît pas tellement un compliment pour le peintre, ça montre seulement,
vraiment la vitesse avec laquelle un acte de peinture devient un cliché. Je me mets à dire devant une
femme : « ah, un vrai Van Dongen », devant un paysage : « oh, ça c'est un Renoir », cliché, cliché,
cliché. Peut-être que le peintre qui a fait la lutte - finalement, ses clichés vous me direz, ils n'ont pas
d'existence objective sur la toile. D'accord, je dis qu'ils ont une existence virtuelle, d'une force, d'une
pesanteur. Comment le peintre va-t-il échapper aux clichés, tant aux clichés qui viennent du dehors
et qui s'imposent déjà sur la toile, qu'aux clichés qui viennent de lui ?

Ça va être une lutte avec l'ombre, puisque ses clichés, ils n'existent pas objectivement, hein,
encore une fois on croit à la surface blanche, et pourtant ils sont là. En tout cas, pour le peintre, ils
sont là. Celui qui a poussé, à ma connaissance, je ne sais pas, tous ont eu ce drame, comment
échapper aux clichés, même un cliché qui ne serait rien qu'à eux, c'est une lutte effarante.

Sur les rapports de la peinture et de la photo dont je voudrais parler plus tard, mais là, je lancerais
quand même un thème, parce qu'il vient, il vient il me semble bien à ce niveau. Sur les rapports de la
peinture et de la photo et ce que les peintres ont pu appendre de la photo, ou l'intérêt de la photo par
rapport à la peinture, deux choses qui me paraissent très, très, douteuses, et ça fait rien. Heu, vous
comprenez, il faut distinguer, il faut distinguer, parce que même les peintres qui se servent de la
photo, c'est quoi ? C'est quoi les peintres qui se servent de la photo, qui se servent aujourd'hui de la
photo ? Je pense à un peintre là, je ne sais pas ce que vous pensez de lui, si heu, peut-être que, il
ne souffre que, peut-être d'un excès de don, heu. Il y a quelque chose, heu, c'est Fromanger.
Fromanger dans une période, dans une de ses périodes, il se servait de photos d'une manière qui
me parait, très, très, intéressante. Ça consistait en ceci sa méthode à lui. On va voir si on ne va pas
retrouver notre histoire de diagramme. Qu'est-ce qu'il faisait ? A une période, à une époque, c'est
l'époque où il s'est le plus servi de photos. Il allait dans la rue, bon, c'était sa manière de chercher le

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motif, lui il se baladait dans la rue, avec un photographe, un photographe de presse, un photographe
de journal. Et il prenait des scènes de rue, et notamment des boutiques, plusieurs clichés et voilà ce
qu'il faisait et je vous demande de voir où commence l'acte de peindre là-dedans. C'est pas lui qui
prenait les photos, il insiste beaucoup là-dessus, et c'est évident que quand on voit une photo, heu,
esthétiquement nulle, aucune prétention esthétique. Est-ce que la photo a le droit d'avoir des
prétentions esthétiques ? c'est un problème très intéressant, moi il me semble, tout à fait intéressant.
Mais là c'était même pas en question, puisque les photos étaient volontairement des photos de
presse instantanées, il en prenait douze. Et là-dessus, douze d'une même scène, ou d'un même
magasin. Fromanger choisissait dans les douze, il en choisissait, il choisissait.

Là commençait déjà l'acte de peindre, il avait pourtant rien peint. Il y avait déjà un acte là, il
choisissait une photo, en fonction de quoi ? Voilà, il avait une idée dans la tête, c'était quoi son idée
dans la tête ? Il y a bien une intention, qu'est-ce que c'était l'intention de peindre, et de peindre quoi
dans le cas de Fromanger, du point de vue de cette technique là ? Eh ben, qu'est-ce que c'était son
idée, sa petite idée ? Il choisissait une photo parmi douze ou parmi dix, en fonction d'une couleur, qui
devait être, qui devait devenir couleur dominante du tableau à faire. Oui, c'étaient des photos en noir
et blanc, ah oui, j'ai oublié de préciser c'étaient des photos en noir et blanc. Bon, il choisissait une
photo, comme ça, il se disait, il avait donc douze photos, il regardait la qualité technique de la photo,
mais au besoin, il en prenait une même pas de bonne qualité technique parce qu'elle lui paraissait
plus compatible avec, la scène évoquait vaguement en lui une couleur. Mettons une scène qui
évoquait en lui un violet, tel violet précis, il disait : "ah, ben oui, ça, cette scène-là, je la vois en
violet". Alors, il choisissait la photo qui lui paraissait le plus compatible, c'était déjà un choix de
peintre, il choisissait la photo qui lui paraissait le plus compatible, c'était déjà un choix de peintre,
hein, avec ce violet qu'il avait dans la tête, que la scène avait vaguement évoquée pour lui.
Là-dessus, qu'est-ce qu'il faisait ? Et je peux déjà dire : l'acte de peindre commençait au niveau de
ce premier choix. Là-dessus, il projetait la photo sur la toile. Bon, il projetait la photo sur la toile. Là
on voit bien, ça me plait bien cette technique parce que, je dis pas du tout que ce soit une technique
la plus heu... De plus il faut l'abandonner, on peut faire une série, un peintre peut faire une série
comme ça, et s'il reste là-dedans, ça devient évidemment, un "cliché" à son tour. Il avait eu une idée,
en effet le pop art avait eu parfois des techniques apparentées à ça, mais cette technique-là, non
c'était une petite variation, c'était une variation Fromanger.

Bon alors qu'est-ce qu'il faisait à partir de là. Voyez, il ne peignait pas du tout sur une toile vierge,
même en apparence. Là il y avait une espèce de vérité de la peinture, qui déjà apparaissait, il y avait
la projection de la photo sur sa toile. Photo de valeur esthétique nulle, et volontairement nulle. Si ça
avait été une photo, même à prétention artiste, il aurait pas pu travailler, je crois. Euh donc il fallait
que, sa toile était remplie par, l'image de l'image, par la projection de la photo. Je crois que
finalement..

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 07/04/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 07/04/81 - 2 Page 1/10


Transcription Chloé Molina-Vée Gilles Deleuze 7/04/1981 15B

... son idée d'une couleur dominante, bon, son violet par exemple, et, il faisait une première gamme.
Là il était peintre, c'était ça d'être peintre. Il faisait une première gamme. Gamme que je peux
appeler, vous allez voir pourquoi, "gamme de lumière". Il faisait sa gamme de lumière. Vous sentez à
quel point, on est déjà, ça va frôler, en effet, il faudra que vous me posiez la question et à laquelle je
répondrai pas :
"et bah, il substituait au cliché de départ un nouveau cliché". C'est évident, c'est pour ça que...,
que il pouvait pas rester longtemps dans cette technique. Bon, il faisait sa gamme de lumière, ça
veut dire quoi ? Il avait la photo projetée et il peignait le tout en violet, le violet choisi, mais en allant
des zones claires aux zones sombres.

Qu'est-ce que ça voulait dire au niveau de la peinture ? Ça veut dire que pour les zones claires, il
mélangeait son violet à du blanc (ça c'est un acte de peindre) et que pour les zones sombres, il y
avait de moins en moins de blanc et à la fin même pas de blanc du tout, c'était le pur violet jailli du
tube. Voyons. Il faisait donc une gamme de lumière, de luminosité, obtenue par le mélange variable
du blanc avec ce violet. Bien. Ensuite, qu'est-ce qu'il faisait ? Ça, c'était pour le fond. C'était pour le
fond. Ou par exemple, pour le magasin. Mais le photographe avait pris une scène de rue, j'ai bien
précisé, c'est-à-dire, des gens passant devant le magasin où des gens sur la porte de la boutique,
tout ça... Le violet qu'il avait choisi c'était, techniquement, pour ceux qui voient cette couleur, c'était
un violet de Bayeux, c'est-à-dire un violet qu'on appelle "chaud".

Plus tard, quand on parlera de la couleur plus précisément, mais la plupart d'entre vous le savent
déjà, l'opposition des couleurs du point de vue de la tonalité, l'opposition fondamentale est celle du
chaud et du froid. Le chaud en forme très gros, je dis... tout cela est très insuffisant puisque je ne
parle pas encore de la couleur, le chaud étant une espèce de.... définissant une couleur avec un
vecteur "d'expansion", de mouvement d'expansion ; le froid avec un mouvement de "contraction".
Dans les couleurs élémentaires, le jaune est dit "chaud", le bleu est dit "froid". Bon.

Alors, son violet de Bayeux là, c'était un violet chaud. Là-dessus, il avait donc établi sa gamme de
lumière, il allait passer à une gamme de couleurs. Il faisait une gamme ascendante de lumière, vers
le violet de Bayeux pur. Il allait faire maintenant une gamme de couleurs. C'est-à-dire, la dominante
"violet" étant chaude, il allait peindre un bonhomme en vert, par exemple, en vert froid, dans un vert
froid, puisqu'il y a des verts froids, le chaud et le froid étant relatifs et dépendants des teintes. Il
faisait un vert froid.

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Donc, du point de vue de la couleur, il y avait cette opposition du vert froid, du petit bonhomme en
vert froid et de la dominante "violet". Ca servait à quoi ? La juxtaposition de la zone "vert froid" par
rapport au violet avait pour but, comme disent les peintres, de chauffer encore plus le violet. Bon,
admettons. On verra tout ça au point de vue d'une conception très simple des couleurs. Voyez,
quand vous vous trouvez devant, par exemple, un tableau impressionniste, vous avez tout le temps
ces choses, ces thèmes ; les rapports de complémentaires, les rapports de chaud et de froid,
comment une couleur froide réchauffe encore, chauffe encore plus une couleur chaude, etc.

Bon, donc, le vert, froid, chauffait encore plus le violet. Bon. Mais par rapport au vert froid comme
nouvel élément, qu'est-ce qu'il allait faire ? Et se dessine à ce moment-là tout un circuit de couleurs.
Il allait peindre un autre bonhomme en jaune, en jaune chaud. Cette fois-ci le jaune chaud, voyez,
n'était pas en relation directe avec le violet, mais il était en relation avec le violet, par l'intermédiaire
du vert froid, etc, etc. Il allait faire sa gamme de couleurs, jusqu'à ce que tout le tableau soit rempli.

Qu'est-ce qu'il avait fait ? pour revenir à notre thème. En quoi il y a une espèce de diagramme ?
Où était le diagramme là ? C'est que dès le début il ne s'agissait que d'une chose, c'est un mauvais
cas, précisément un mauvais exemple et on aura à se demander si c'est pas toujours comme ça
chez les peintres qui ont eu rapport avec la photo. Bien loin de se servir de la photo comme si elle
était un élément de l'art, il neutralisait complètement la photo et le cliché. Il neutralisait le cliché de
telle manière, il le projetait sur sa toile (mais c'était tout à fait une manière de conjurer le cliché,
beaucoup plus que de s'en servir) puisque l'acte de peindre ne commençait qu'à partir du moment où
la photo allait être annulée au profit d'une première gamme de lumière, d'une gamme ascendante de
lumière et d'une gamme de couleurs. Bon.

Alors, là, on retrouve mes trois temps : le moment pré-pictural, cliché, cliché, rien que des clichés.
La nécessité d'un diagramme qui va brouiller, qui va nettoyer le cliché, pour qu'en sorte quelque
chose : le diagramme n'étant qu'une possibilité de fait, le cliché, c'est le donné, c'est ce qui donné,
donné dans la tête, donné dans la rue, donné dans la perception, donné, donné partout. Bon. Voyez
alors, le diagramme intervient comme ce qui va brouiller le cliché pour que la peinture en sorte. Bien.
Je retrouve mes trois temps là.

Mais je dis "lutte contre le cliché", peut-être est-ce que personne ne l'a menée alors aussi
passionnément, aussi - je dirais, quitte à justifier ce mot plus tard, aussi - hystériquement que
Cézanne. Cézanne et il me semble que chez Cézanne, il y a une extraordinaire conscience : "ma
toile avant même que je la commence est pleine de clichés" et l'espèce d'exigence jamais satisfaite
de Cézanne c'est : "comment chasser tous ces clichés qui déjà occupent la toile ?" C'est une lutte
avec l'ombre, seulement, ma question - et l'on verra ce que ça peut vouloir dire - j'ai l'impression que
les vraies luttes, c'est des luttes, toujours avec l'ombre. Y a pas d'autres luttes que la lutte avec
l'ombre. Les clichés sont déjà là, ils sont dans ma tête, ils sont en moi, quoi, ils sont en moi, ils ont
pas besoin... et quand Fromanger les fait surgir, pour les mettre sur sa toile afin de les détruire et
d'en faire sortir un fait pictural, c'est une manière déjà de les conjurer. Ils sont déjà là et ils sont
tellement déjà là que là, je reprends la liste des dangers.

Si vous passez pas par la chaos catastrophe, vous resterez prisonnier des clichés et on pourra
dire : "ah oui, il a un joli coup de pinceau". Ca vaudra rien et sans doute le peintre le saura lui-même
que ça vaut rien. Donc, ne pas passer par le chaos catastrophe, c'est-à-dire ne pas avoir de

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diagramme, c'est très, très fâcheux, ça veut dire, ne rien avoir à dire, ne rien avoir à peindre. Y a
beaucoup de peintres qui peignent et qui n'ont rien à peindre. Bon. Mais y a quelque chose qui est
aussi : malmener le cliché. Malmener le cliché, triturer le cliché. Ca paraît tout proche du diagramme,
du chaos catastrophe et pourtant vous devez sentir que c'est... j'essaie de... c'est comme un
pressentiment de tous les dangers, de tous les dangers pratiques. C'est beaucoup trop volontaire
"malmener le cliché". Ca, malmener le cliché, les photographes ne cessent pas de le faire. C'est pas
par là qu'ils deviennent des peintres. Bon, on peut toujours malmener le cliché, triturer tout ça. C'est
pas... ça va pas non plus.

D'autre part, je disais, le danger que signalait Klee si le cliché, si le diagramme, si la catastrophe, si
le chaos prend tout, c'est pas bien non plus. En d'autres termes, on cesse pas d'être entouré de
dangers là, de dangers très, très redoutables. Alors, je pense à un texte, je vais pas le lire parce que
j'ai de la peine à lire, je vais lire que... j'aurais voulu vous lire, c'est un texte de Lawrence, dont je
crois je vous avais parlé juste, vous le lirez vous-même, c'est dans le recueil d'articles qui a paru en
français sous le titre : "Eros et les chiens" où il y a un texte splendide sur Cézanne. Splendide. Où le
thème du texte, il me paraît tellement beau, c'est... Lawrence, vous savez, il faisait des aquarelles,
surtout à la fin de sa vie, il faisait des aquarelles, elles sont pas très bonnes mais il le savait, il le
savait, il en avait besoin. Miller aussi faisait des aquarelles, Churchill aussi mais elles sont encore
moins bonnes. [Rires]

[Intervention à côté de lui] Barthes aussi ?

Barthes, il faisait des aquarelles ? Mais bon, elles étaient bonnes peut-être. Alors, bon. Lauwrence il
dit : "bah, voilà, vous comprenez, Cézanne, c'est ça". Et c'est pour ça que je voudrais que vous lisiez
ce texte qui dit : "jamais un peintre n'a poussé aussi loin la lutte préalable contre le cliché." Avant de
peindre. Et il dit et c'est ça que, euh là où le texte m'intéresse beaucoup de Lawrence, c'est que il dit
: "mais vous savez, Cézanne, il avait complètement ses propres clichés." Et en effet, il pouvait faire...
Le peintre qui se soumet à ses propres clichés, c'est quoi ? C'est lorsque le vrai peintre fait défaut ;
comme si on se dit : "ah ça, c'est bien sûr, c'est un Cézanne mais c'est tout proche d'un faux
Cézanne." On a l'impression qu'il était pas en forme. Pour ceux qui ont vu, moi j'ai été il n'y a pas
longtemps à l'exposition Modigliani, curieux, y a vraiment des Modigliani, on a presque l'impression...
y en a d'admirables, prodigieux mais c'est un peintre là où, je sais pas, il y avait quelque chose,
pardonnez-moi, j'ai une impression un peu de gêne, comme si il avait été trop doué, comme si il y
avait des Modigliani qui étaient à la limite, à la limite, un excès de don ou un excès de facilité.
Heureusement Cézanne, il avait aucun don. Aucun don.

Et alors, sa lutte contre le cliché, ça l'a mené à quoi ? Ca l'a mené à quoi cette lutte contre le
cliché ? Les pages de Lawrence sont très belles. A la fin, il dit : "bah oui... Qu'est-ce qu'il a réussi
Cézanne, bon ?" Et bien, la formule très belle de Lawrence, il dit bien oui, finalement, "il a compris
picturalement le fait", le fait de Cézanne, c'est quoi ? Ce qu'il a saisi, ce qu'il a fait, ce qui l'a amené à
la peinture, c'est le "fait de la pomme". Ca, la pomme, il a compris, la pomme, il a très, très bien
compris, jamais quelqu'un n'a compris une pomme comme ça. Qu'est-ce que ça veut dire :
"comprendre en tant que peintre ?" Comprendre une pomme, ça, ça va être notre problème mais ça
veut dire la faire advenir comme "fait", ce que Lawrence appelle "le caractère pommesque de la
pomme." "Le caractère pommesque de la pomme", voilà ce que Cézanne a su peindre.
Bon. Bien. A l'issue de quoi, de quelle lutte contre le cliché, quelle recherche où Cézanne n'était

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jamais satisfait. En revanche, il dit : "bah, les paysages, ça va moins bien, quelle que soit la beauté
des paysages". Il dit le problème de Cézanne, c'était que si il avait tellement compris le caractère
pommesque de la pomme, il n'avait pas tellement compris, par exemple, le caractère féminesque
des femmes. Et non, ça... Ses femmes. Et il dit, cette page merveilleuse, je crois où Lawrence dit :
"bah oui, ces femmes, il les peint comme des pommes et c'est comme ça qu'il s'en sort." [Rires]
Madame Cézanne, c'est une espèce de pomme, ça empêche pas que c'est des tableaux géniaux, il
ne s'agit pas de... mais... et Lawrence dit : "bah, c'est forcé, hein, si à la fin de sa vie, un peintre peut
dire, comme Cézanne : "j'ai compris la pomme et un ou deux pots", c'est déjà formidable."

Michel-Ange, qu'est-ce qu'il a compris ? On peut transposer, chercher ce que le..., à savoir, quel
"fait" ils ont amené ? Je dirais, bon, Michel-Ange, entre autres, ils ont pas compris grand chose, hein,
comprenez, vous savez, c'est comme tout, un écrivain, ça comprend pas grand-chose, un
philosophe, ça comprend pas grand chose, faut pas exagérer... c'est pas des gens qui comprennent
comme ça... un peintre, ça ne peint pas n'importe quoi. Bon, Michel-Ange, je dirais, qu'est-ce qu'il a
compris ? Il a compris ce que c'était, c'est pas rien comprendre ça, ce qu'était, par exemple, "un
large dos d'homme". Pas de femme. Un large dos de femme ou un étroit dos de femme, ça serait
autre chose, ça serait d'autres peintres. Un large dos d'homme. Toute une vie pour "un large dos
d'homme", d'accord, toute une vie pour un "large dos d'homme". Bon, ça vaut "la pomme" de
Cézanne. Comme dit Lawrence, c'est pas des idées platoniciennes ça.

Bon, il a aussi compris d'autres choses Michel-Ange, mais enfin, c'est toujours assez réduit, ce
qu'un peintre arrive à comprendre, c'est-à-dire les faits picturaux qu'il amène à jour. Bon, alors,
qu'est-ce que c'est ça, puisque je parle des faits. Je peux pas dire tout ce que je dis... il me semble
que c'est tantôt attaché à tel peintre mais c'est aussi des choses qui valent pour la peinture ou qui
valent pas pour la peinture en général, quoi.

Je veux dire, ça a toujours été comme ça, la tâche du peintre, de tout temps, ça a été faire naître
le fait pictural, ça a été lutter contre les données, oui, je reprends mes trois temps qui sont un peu
scolaires mais souhaitons qu'il en sorte quelque chose :
la lutte contre le fantôme ou contre les donnés, l'instauration du diagramme ou du chaos
catastrophe et, ce qui en sort, à savoir : le fait pictural.

Alors, je dirais presque, ça ne s'oppose pas, ça existe de tout temps dans la peinture mais je me
dis, bon, ça peut exister de tout temps mais d'une manière plus ou moins larvée. Je parlais de
Michel-Ange tout à l'heure. Je dirais presque que son importance en peinture pour moi, c'est que
c'est, peut-être, peut-être, hein, il faudrait nuancer tout ça, il faut toujours beaucoup nuancer, c'est le
premier peintre qui a mené à jour, sous sa forme la plus brute, ce que c'était qu'un "fait pictural". Je
me dis, si il fallait dater cette notion, ça serait Michel-Ange.

Alors, si on essaie un peu là, maintenant, je prends donc un peintre tout à fait différent, par les
dates, par le style de ceux que j'avais considéré la dernière fois, je dis : "le fait pictural", il naît dans
sa réalité, c'est-à-dire, il s'impose sur la toile avec Michel-Ange. Ca serait ça l'apport, l'apport
insondable de Michel-Ange.

Alors, si c'est vrai mon impression, je me dis, c'est le moment où jamais d'essayer de préciser,
qu'est-ce que c'est qu'on pourrait appeler le fait pictural par opposition aux données pré-picturales.

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Encore une fois, les données pré-picturales, c'est le monde des clichés, au sens le plus large du mot,
c'est-à-dire, ce contre quoi ou le monde des fantômes, ce contre quoi ou le monde de la fantaisie ou
le monde de l'imaginaire, tout ce que vous voulez, tout ça là, j'y mets... ça, c'est le monde des
données, c'est avec tout ça que le peintre a à rompre, à briser. S'il en reste là, il est perdu. S'il en
reste là, ça sera un joli petit peintre et puis c'est tout quoi. Mais alors le fait pictural pourquoi est-ce
que... il me semble que c'est Michel-Ange qui, d'une certaine manière, invente le fait pictural, ce qui
contredit pas l'idée que j'ai aussi que... ça existait de tout temps mais c'est lui qui précisément le fait
voir, nous le fait voir. Là, j'en reste au niveau des anecdotes parce que ça va nous faire avancer.

Michel-Ange d'abord, c'est avec lui que se fait véritablement un changement de statut du peintre.
Je veux dire, le peintre, il fallait sans doute, toute sa personnalité, il fallait aussi son époque, l'époque
est bonne pour ça mais le peintre cesse d'être un type qui exécute des commandes. Je veux dire, les
autres, ça les empêchait pas d'être géniaux et de faire passer tout ce qu'ils voulaient mais ils
discutaient pas, hein, si un Pape les... leur faisait une commande, ils discutaient pas. Qu'est-ce qu'il
y a de nouveau avec Michel-Ange, de très important au niveau de la pure anecdote ?

La première anecdote que je retiens de Michel-Ange, c'est que Jules II, il lui dit de faire ceci. Et
Jules II, il a des idées très précises sur ce qu'il veut et rien du tout. Rien du tout. Michel-Ange fait
complètement autre chose. En plus, il discute avec le Pape, il convainc le Pape et finalement le Pape
il en a marre et il lui donne, comment on dit, carte blanche. Bon, ça, c'est quelque chose quand
même de nouveau. Bien, vous me direz, qu'est-ce que ça veut dire picturalement cette anecdote qui
sinon n'aurait pas grand intérêt ?

Bon, qu'est-ce que ça peut vouloir dire ? Je prends une deuxième anecdote. Michel-Ange, c'est
un de ceux chez qui éclate - alors peut-être que ça existait avant, peut-être que c'était moins visible -
éclate une splendide indifférence au sujet. Alors sans doute, tous les peintres, on verra ça, est-ce
que c'est vrai ? mais peut-être que le sujet, ça fait peut-être partie du cliché. Le sujet où l'objet
représenté, ça a peut-être été toujours, pour tous les peintres, ça, l'équivalent du cliché et c'est sans
doute ça que de tout temps, il fallait brouiller pour qu'en sorte le fait pictural. En d'autres termes, le
cliché, ça a toujours été l'objet. Bon. Alors on brouillait le cliché, on brouillait l'objet, pour en faire
sortir quoi ? Bah, la réponse, elle est simple : le fait pictural qui était déjà la lumière et la couleur.
Bien.

Mais il se trouve que avec Michel-Ange, cette indifférence à l'objet ou au sujet prend une espèce
d'air d'insolence telle que - savoir quelle scène biblique représente Michel-Ange, savoir qu'est-ce que
font les personnages du fond - et on a presque honte de poser ces questions. Le fait qu'on ait honte
de poser ces questions est que particulièrement avec Michel-Ange, on ait honte de poser ces
questions - là on se sent vraiment stupide quand on dit : "mais qu'est-ce que c'est que ces quatre
bonhommes dans le fond ?". Par exemple, quatre bonhommes au fond de la Sainte Famille, tous
nus, avec une attitude que... du point de vue de la figuration on ne peut appeler qu'une attitude
homosexuelle prononcée. Qu'est-ce qui font ces quatre bonhommes ? On se sent gêné de poser
une question comme ça tellement elle est stupide. Bon. C'est que... Bon. Dans la scène, ils font rien.
Qu'est-ce que c'est que cette scène ? Ca s'appelle la Sainte famille. D'accord. Bon. Splendide
indifférence au sujet là.

C'est par là que je veux procéder par anecdote. On lui commande un tableau sur une bataille, sur

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une bataille célèbre. Très bien. Il dit : "bon, d'accord". Et qu'est-ce qu'il fait ? Il fera pas le tableau, il
pourra pas le faire. Il fait un carton. Qu'est-ce que représente le carton ? Un ensemble de jeunes
gens nus. Dans l'eau, sortant de l'eau et dans le fond, des soldats. On dit : "Ouf, y a des soldats,
c'est déjà ça", hein. [Rires]. Et un ensemble... qu'est-ce qu'il fait là, bon alors ? C'est un chef-d'œuvre
de Michel-Ange ; ces jeunes gens nus dans l'eau, splendides, splendides, les soldats à l'horizon. Les
érudits cherchent bien. Quand même on se dit pourquoi il appelle ça "Bataille de Cascina". Les
érudits cherchent bien. Alors, on trouve un, un commentateur de l'époque qui dit que dans cette
bataille, un petit groupe de soldats florentins a pris un bain... et que leur chef les a rappelés à plus de
décence - ils ont absolument pas été surpris. Pas du tout surpris. Bon. Michel-Ange, le sujet, ça
l'intéresse pas beaucoup. La bataille, il dit : "bon, je vais faire des jeunes gens nus dans l'eau." Il dit :
"on veut une bataille, bon je vais flanquer..." alors il invente, épisode purement inventé que ces
jeunes gens nus dans l'eau qui se baignaient auraient été surpris par l'ennemi, ça fait un peu bataille
ça. [Rires]

Qu'est-ce que ça veut dire ? En quoi c'est plus que de l'anecdote ? Voilà. Je reviens - j'ai l'air de
sauter mais c'est pas tellement des sauts. Tout ça reste très identique - je reviens à ce peintre actuel
dont je vous parlais : Bacon. Bacon ne cesse dans ses entretiens de dire : "il n'y a que deux dangers
de la peinture" - et ça c'est pas une idée originale parce qu'il me semble que ça toujours été l'idée de
tous les peintres - "y a que deux dangers de la peinture, c'est l'illustration et pire encore, la
narration". Un très grand critique de peinture, Baudelaire, parlait déjà de ces dangers : illustration et
narration. Et ce qu'on appelle la figuration, généralement, c'est - la figuration - c'est le concept
commun qui groupe ces deux choses : l'illustration et la narration. Alors devant certains tableaux,
bon, qu'est-ce qui se passe ? Ah bah, oui, qu'est-ce qu'il fait ? Ah oui, c'est quelqu'un qui coupe la
tête à quelqu'un d'autre, etc. C'est une bataille, bon. Y a tout un aspect figuratif, tout un aspect
narratif.

Bien, alors vous comprenez, à force de faire des cercles et de revenir toujours à mon point de
départ, je dirais la lutte contre le cliché, c'est la lutte contre toute référence narrative et figurative. Un
tableau n'a rien à figurer et un tableau n'a rien à raconter. C'est la base. Si vous voulez raconter
quelque chose, il faut prendre d'autres disciplines, il faut prendre des disciplines narratives. Un
tableau n'a rien à faire avec un récit, c'est pas un récit. Donc, c'est bien, mais en même temps,
comprenez, les narrations et les figurations, elles existent ; ce sont des données avant même que le
peintre ait commencé à peindre, ce sont des données. Et elles sont là sur la toile, les figurations et
les narrations.

Y a un certain nombre de tableaux qui pourraient être très beaux et dont on sait déjà que ce ne
sont pas de grands tableaux, précisément parce que vous pouvez pas vous empêcher de vous dire :
"tiens, mais qu'est-ce qui s'est passé ?" Non seulement : "qu'est-ce que ça représente", ça se
serait... mais : "qu'est-ce qui s'est passé ?" Par exemple, Greuze, c'est une peinture narrative en
quel sens ? C'est que vous éprouvez le besoin de... Y a un très beau tableau de je ne sais plus quel
Hollandais qui présente un père grondant sa fille. Et la fille, elle, elle est vue de dos, un dos incliné.
On peut pas voir ce tableau, faut quand même pas nous tendre des pièges à ce point-là, on peut pas
voir ce tableau sans se dire mais : "quelle est l'expression de la fille ?" C'est pas bon, c'est pas bon.
Je veux dire, ça peut être très joli, ça peut être formidable, c'est pas de la grande peinture, c'est
vraiment un tableau qui est inséparable d'une narration quoi. Comprenez, ça va pas ça. Ce qui me
gêne... je dis ça... mais vous... c'est pas du tout... ce qui me gêne abominablement dans un peintre

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actuel pourtant très bon, comme Balthus, c'est que... Balthus, on a constamment l'impression que
l'image est prise, prélevée sur quelque chose qui se passe. Sur... Y a une histoire là-dedans. Je
comprends que ceux qui aiment Balthus peut-être trouvent odieux ce que je dis alors, je supprime,
hein, je barre cet exemple si fâcheux.

Bon, bon, bon, supprimer la narration et l'illustration, ça serait ça le rôle du diagramme et du


chaos catastrophe. Donc supprimer toutes les données figuratives car les figurations et les
narrations, elles sont données. Elles sont données. Donc, faire passer les données figuratives et
narratives par le chaos catastrophe, par la catastrophe germe, pour qu'en sorte quelque chose de
tout à fait autre, à savoir le fait.

Le fait, c'est quoi ? Bacon le définit assez bien et là, ça vaut vraiment pour toute la peinture. Le
fait pictural, c'est lorsque vous avez plusieurs - on peut le voir mieux au niveau de plusieurs - lorsque
vous avez plusieurs Figures sur le tableau, sans que ça raconte aucune histoire. Et Bacon prend un
exemple qui pourrait nous toucher : "Les Baigneuses" de Cézanne. Il dit : "c'est formidable, il a réussi
à mettre douze figures ou quatorze figures", prenez toutes les versions des Baigneuses, et il a réussi
à mettre plusieurs figures, à faire co-exister sur la toile - sous-entendu sinon ça n'avait aucun sens,
"avec nécessité", "avec nécessité" -. Bon. J'ajoute "avec nécessité" : faire co-exister plusieurs
figures, sans aucune histoire à raconter. Si il y a une nécessité de cette co-existence, vous
pressentez dés lors ce qu'est le fait pictural. Cette nécessité propre de la peinture.

Je prends un exemple particulièrement célèbre. Un très grand tableau du XIXè présente une
femme nue dans un bois. Une femme nue et des hommes habillés. Tableau qui fit scandale, du point
de vue figuratif, en effet, cette femme nue et ces hommes habillés. Vous l'appréhendez
picturalement lorsque vous supprimez toute histoire. Cette histoire ne pourrait être que dégoûtante si
il y avait une histoire. Qu'est-ce que c'est que cette femme nue assise dans l'herbe avec ces
hommes habillés ? Ca serait une histoire de petits pervers, quoi. Comment supprimer toute donnée
narrative, toute donnée figurative, pour faire surgir le fait pictural de ce corps nu par rapport aux
corps habillés, la gamme de couleurs ou la gamme de lumière, etc ?

Alors, je reviens à Michel-Ange. Je reviens à Michel-Ange : dans ce tableau célèbre de


Michel-Ange la Sainte Famille. On dirait que là, il est plus scrupuleux, il représente en effet la Sainte
Famille et en même temps, l'indifférence au sujet éclate. Comprenez, c'est seulement de
l'indifférence au sujet que peut sortir le "fait pictural", à savoir la peinture engendre son propre "fait".
Et le "fait", c'est quoi ? C'est que, il y a trois corps. Le petit Jésus est comme sur l'épaule de la
Vierge. Les trois figures sont prises - là, c'est très bien... vous verrez, vous l'avez dans l'esprit, vous
voyez tout de suite - dans une espèce de mouvement de serpentin. On appelait à l'époque, ça venait
de Vinci ce traitement des figures, mais Michel-Ange l'a porté à un point... Un mouvement de
serpentin comme si les trois figures étaient à la lettre coulées en un jet continu. Pas étonnant après
tout que ce soit un sculpteur qui ait porté aux yeux de tous ce que devait être le fait sculptural et
pictural ; peut-être que la sculpture, c'était plus facile pour elle de faire surgir un fait sculptural. Mais
en tant que peintre-sculpteur, Michel-Ange impose le fait nécessaire. Le "fait" "nécessairement"
pictural, il l'impose. Ce mouvement de serpentin, en effet va être prodigieux parce qu'il donne à
l'enfant Jésus, une position absolument dominatrice qui va dès lors complètement fixer l'expression
de la figure. La figure de l'enfant Jésus n'a figurativement cette expression qu'en vertu de sa position
dans le serpentin. Et les trois corps sont donc coulés dans une seule et même figure ; une même

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figure pour trois corps, c'est ça, y a pas d'histoire. Aucune histoire, aucune narration et la figuration
même s'écroule. A ce moment-là le serpentin va distribuer toute une gamme de couleurs. Le
serpentin joue exactement le rôle du diagramme. Qui brise avec les données figuratives et narratives
pour faire surgir le "fait pictural".
Le "fait pictural", c'est trois corps en une figure.

Bon, "trois corps en une figure'", soit, soit, soit. La "nécessité"- là je peux pas vous dire, je trouve
pas mes mots donc y a pas de problème - que il ne s'agit pas de le dire, il s'agit de le faire. Qu'il y ait
une "nécessité picturale" d'une même figure pour trois corps, pas une "nécessité figurative", pas une
"nécessité narrative", une "nécessité picturale", c'est-à-dire qui ne peux venir que de la lumière et de
la couleur. Si bien que je dirais, nous les peintres, c'est des athées farouches. Et en même temps,
c'est des athées qui hantent vraiment ou du moins, les peintres du... qui hantent le christianisme. La
manière dont ils arrachent le christianisme à toute figuration et narration pour en tirer un "fait
pictural". Ça on aura appris de ce thème. Pourquoi le christianisme leur semble-t-il tellement ou
pourquoi est-ce qu'ils le vivent comme favorisant éminemment le surgissement du fait pictural. Ça
date de longtemps ça, si vous voulez, c'est Byzance. Avec Byzance,c'estdéjààl'étatpur- quand je
disaisMichel-Ange,c'estlui la naissancedu fait pictural - c'était idiot, quitte à me corriger. La peinture
de mosaïque à Byzance, elle est fondamentalement, cette fondation du fait pictural. Bon.

C'était en mosaïque surtout, là, en peinture à l'huile, je me dis que peut-être après tout qu'il faut
attendre. Or, comment on a appelé le mouvement qui coïncide avec Michel-Ange et dont
Michel-Ange fait réellement partie ? Alors, je vais dire quelque chose sur ce point parce que ça
m'intéresse beaucoup moi. Y a un terme d'école. On a désigné toute une école dans laquelle
Michel-Ange est comme prise, comme fondateur, co-fondateur au moins et qui se prolongera bien
après lui, on appelle ça les Maniéristes. Et les Maniéristes, pourquoi on a dit ça ? Maniéristes. C'est
que les corps ont des attitudes très contournées. A la limite, elles sont très artificielles. Par exemple,
dans la Sainte Famille, les quatre personnages du fond. Très artificielles, très... avec des grâces, des
grâces tantôt homosexuelles, tantôt des grâces contorsionnées. Le Maniérisme, c'est bien
intéressant comme... Or, chez un peintre comme Bacon, si vous voyez des tableaux de Bacon, vous
retrouvez singulièrement - l'influence de Michel-Ange sur Bacon m'apparaît sûre. Si vous voulez voir
ce que c'est que la découverte d'un large dos d'homme... il lui a fallu évidemment faire un triptyque, il
en fallait trois. Y a un triptyque de Bacon qui représente vu de dos, un homme, une figure qui se
rase, hein. Je le montre comme ça, vous verrez rien mais c'est juste pour que vous ayez une idée.
Je le fais tourner lentement - Et j'ai honte de vous montrer des images, ça devrait vraiment être un
cours sans images - Vous avez vu ? [Rires]

Bon, vous voyez les trois dos d'hommes. C'est intéressant parce que y a une gamme... la couleur
je crois est nulle, nulle, nulle de la reproduction, parce que c'est une couleur difficile, hein. En fait,
c'est... il y a une dominante rouge ocre, une dominante bleue sur le panneau central et à droite,
co-existence du bleu et du rouge. Ce qui m'intéresse là-dedans, c'est que...

Prenons un problème, parce qu'on aura à le retrouver. La question de la peinture en vertu de ce


qu'on vient de dire mais que vous saviez déjà, c'est pas de peindre des choses visibles, c'est
évidemment de peindre des choses invisibles. Or, il ne reproduit du visible, le peintre, que
précisément pour capter de l'invisible. Or c'est quoi, peindre un large dos d'homme ? C'est quoi ?
Bah, c'est pas peindre un dos, c'est peindre des forces qui s'exercent sur un dos ou des forces qu'un

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dos exerce. C'est peindre des forces, c'est pas peindre des formes.
L'acte de la peinture, le "fait pictural", c'est lorsque la forme est mise en rapport avec une force.
Or les forces, c'est pas visible. Peindre des forces, en effet, c'est ça, le "fait".

Tout le monde connaît le mot de Klee, la peinture, il dit : "il ne s'agit pas de rendre le visible, il s'agit
de rendre visible", sous-entendu, rendre visible l'invisible. Rendre visible quelque chose d'invisible.
Bon, rendre le visible, c'est la figuration. Ce serait le "donné pictural", c'est lui qui doit être détruit. Il
est détruit par la catastrophe. La catastrophe, c'est quoi ? Alors on peut faire un petit progrès, la
catastrophe, c'est le lieu des forces. Evidemment, ce n'est pas n'importe quelle force. "La
catastrophe, c'est le lieu des forces".

Le "fait pictural", c'est la forme "déformée". Qu'est-ce que c'est qu'une "forme déformée" ? La
déformation, ça, c'est un concept cézannien. Il s'agit pas de transformer, les peintres, ils ne
transforment pas, ils déforment. La déformation comme concept pictural c'est que la déformation de
la forme, c'est la forme en tant que s'exerce sur elle une force. La force, elle a pas de forme, elle.
C'est donc la déformation de la forme qui doit rendre visible la force, qui n'a pas de forme. Qui doit
faire rendre visible la force. Si y a pas de force dans un tableau, y a pas de tableau. Je dis ça parce
que souvent, on confond ça avec un autre problème, qui est plus visible mais qui est beaucoup
moins important. On confond ça avec un tout autre problème qui est celui de la décomposition et de
la recomposition d'un effet. Je veux dire, prenez par exemple,
"peinture de la Renaissance : décomposition-recomposition de la profondeur".
Prenez des siècles après, "l'impressionnisme : décomposition-recomposition de la couleur".
Prenez après, "le cubisme ou d'une autre manière, le futurisme : décomposition-recomposition du
mouvement".
Bon. C'est très intéressant ça mais ça ne concerne que les effets. C'est pas ça, l'acte de peindre,
c'est pas ça. C'est pas décomposer, recomposer un effet. C'est quoi ? Je dis, c'est capturer une
force. Et c'est ça, il me semble que veut dire Klee lorsqu'il dit, il ne s'agit pas de rendre le visible, il
s'agit de rendre visible.

Donc, il faudra que la forme soit suffisamment déformée pour que soit capturée une force. C'est
pas une histoire, c'est pas une figuration, c'est pas une narration. Et le rôle du diagramme, ça va être
d'établir un lieu des forces telle que la forme en sortira comme "fait pictural", c'est-à-dire, comme
forme déformée, en rapport avec une force, c'est dès lors la déformation de la forme picturale qui fait
voir la force non-visible.

Je prends un exemple très simple parce que là aussi, Bacon a étrangement réussi, ça c'est un de
ses domaines, toujours dans la série de questions pour chaque peintre. Qu'est-ce qu'il a compris
picturalement ? Bacon, qu'est-ce qu'il a compris picturalement ? Bon, encore une fois, aucun peintre
ne comprend beaucoup, hein. Trop fatigant de comprendre quelque chose. C'est pas faux de dire
que Cézanne, il en a eu "pour la vie avec ses pommes". Bon, Bacon, si je me demande, bon, il a
compris en effet, dans un cadre, dans un triptyque, il a compris "un large dos d'homme". Mais là,
c'est pas faux de dire, c'est peut-être pas le meilleur Bacon parce que Michel-Ange l'avait compris et
de la même manière.
Mais un large dos d'homme, ça veut dire y compris le rapport avec les forces. Quelles sortes de
forces ? Là, toutes sortes de forces. Dans le cas de Michel-Ange et ça répondrait à ces variations
mêmes de procédés de style, tantôt c'est des forces intérieures.

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 05/05/81 - 2
Marielle Burkhalter

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quel est l'acte du diagramme qui s'oppose à l'articulation, qui se distingue de l'articulation et
qui ne peut se définir ni par un transport de similitude, ni par code, ni par un codage ?

Deleuze 05/05/81 17B transcription : Guy Nicolas

Deleuze : « L'âge et code.... D'où alors la réaction en effet de ces peintres qui semblent emprunter la
troisième position, c'est à dire cette espèce de voie tempérée, moyenne, mais qui n'est évidement
n'est tempérée et moyenne que... encore une fois de manière tout à fait verbale.

Qu'est ce que c'est ces peintres ? Prenons un terme ... des termes par exemple j'emprunte à
Lyotard une terminologie qui me paraît très juste et très... lorsque Lyotard oppose ce qu'il appelle le
"figural" au "figuratif", ce n'est pas une peinture figurative en effet parce qu'il n'y a pas de peinture
figurative, encore une fois, c'est une peinture "figurale". C'est à dire là je donne au diagramme toute
sa portée, mais j'empêche, c'est à dire je veux surtout pas que ce soit un code, et en même temps
j'empêche qu'il déborde sur tout le tableau, qu'il brouille le tableau. C'est à dire que je me sers du
diagramme pour produire le pur "figural" ou la figure.

Bon comprenez que là, je vais avoir des rapports mains/œil tout à fait nouveaux encore. Ce ne sera
plus la main qui s'oppose à l'œil ou qui s'impose à l'œil comme dans l'expressionnisme, en très gros.
Ce ne sera plus l'œil qui réduit tellement la main, que la main n'a plus qu'un doigt. Ce sera quoi ? Ce
sera une tension main/œil de telle manière que le diagramme manuel, fasse surgir quoi ? La réponse
est forcée puisque ce n'est pas une figure figurative.

Et bien donner à l'œil une nouvelle fonction, que la main induise pour l'œil une nouvelle fonction
de l'œil, c'est à dire vraiment un troisième œil. Que la main fasse surgir un troisième œil, bon, c'est
vous dire que ce n'est pas une voie tempérée. Elle n'est tempérée que par rapport aux deux autres
cela veut dire, elle n'étend pas le diagramme à tout le tableau et d'autre part elle ne soumet pas le
diagramme à un code proprement pictural. Mais sinon tous les dangers q'elle a, y compris le danger
redoublé de frôler tantôt l'abstraction, tantôt de frôler l'expressionnisme au lieu de tracer son chemin
à elle. Mais ce serait comme un troisième chemin se serait là, la position du pur diagramme, la
position purement diagrammatique.

Si bien qu'alors au point où l'on en est, et bien il faut aujourd'hui ce serait une longue étude, un long
détour pour nous, ce serait à quoi je voudrais arriver, c'est - tout le monde a le droit de le faire -
arriver à proposer une définition alors de la peinture. Il y a tellement de définitions possibles, alors

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chacun peut donner la sienne c'est ...on pourrait jouer à cela, c'est bien, au point où l‘on en est, il
faut un peu oublier la peinture. Je vous avais dit que mon but était double, mon but c'était bien de
parler de peinture, mais c'était d'ébaucher une espèce de théorie du diagramme. Et bien là où nous
buttons actuellement, c'est bon, maintenant il faut essayer de ce débrouiller dans...
mais qu'est ce que c'est un diagramme ? Et quelle est la différence entre un diagramme et un
code. Qu'est ce que c'est ça ? Histoire diagramme, code ? Bon et c'est de ça pour moi que je
voudrais arriver à en tirer une espèce de définition de la peinture.
Si c'est vrai que la peinture c'est le diagramme, quel sont les rapports entre un diagramme et un
code ? Alors je ne vais pas dire du tout et... c'est des rapports très compliqués sûrement, puisque
qu'encore une fois appartient pleinement la peinture, la tentative d'inventer des codes optiques qui
me paraît définir la peinture abstraite, bon, comme diagramme... donc on repart à zéro, très bien, on
repart à zéro. Comme diagramme, on est dans un élément de pure logique maintenant, c'est cet
élément de pure logique qui va nous relancé ensuite dans la peinture.
Et je dis le couple comme diagramme, il y a un autre couple après tout, il faut ce servir de tout.
c'est digitale on l'a vu, digitale un code est digital au sens que j'ai précisé à savoir, on appellera
"digitale" la nature du choix binaire qui va déterminer l'unité. Un code est digital, cela vous me
l'accordez et classiquement dans toute les théories de l'information et même de linguistique. On
oppose digital à quoi ? Analogique, analogique et digitable, les synthétiseurs par exemple aujourd'hui
sont ou bien tantôt des synthétiseurs analogiques, tantôt des synthétiseurs digitaux. Les procédés de
retransmission d'un signal sont ou bien des procédés analogiques ou bien des procédés digitaux.
Bon c'est quand même technologiquement même il ne s'agit pas de dire des choses très compliqué,
c'est une distinction aujourd'hui qui nous concerne code / diagramme, j'ai mes deux doublés code
/diagramme, digitale / analogique. Pourquoi cela intéresse la peinture ? Pourquoi j'ai l'air de parler
d'autre chose et que je parle pas d'autre chose ?

La peinture c'est un langage ou ce n'est pas un langage ? Est-ce que ce problème a de l'intérêt,
pour moi oui. Ce que je dirais aussi bien, qu'est ce c'est qu'un langage analogique ? Pas tellement
facile de définir un langage analogique, est ce qu'il a un langage analogique ? Est-ce que la peinture
est un langage analogique ? Est-ce que la peinture est "le" langage analogique par excellence ? Ou
bien se serait quoi ? Le cinéma ? est ce que le cinéma est un langage analogique ? Il faut ce mettre
dans de bonnes conditions, le cinéma du temps ou il était muet. Ou bien alors le cinéma sonore mais
pas parlant, est ce que c'est un langage analogique ? Après tout, tous les gens du cinéma muet
pensaient bien avoir inventé ce qu'ils appelaient constamment eux même un "langage universel".

Or c'est un "langage universel" le cinéma muet, d'où leur embêtement... leur embêtement sur le
moment... Sur le moment quand le cinéma est devenu parlant, toutes les prétentions au cinéma
comme langage universel était remise en question. Bon et la peinture/le cinéma muet est ce qu'il y a
des rapports ? Peut être... peut être qu'il y en a mais jamais ou l'on croit, chacun de nous le sait que
le pire moment au cinéma c'est lorsque qu'un metteur en scène prétend faire une scène aussi belle
ou un plan aussi beau qu'un tableau, ça c'est la catastrophe, tout le monde s'écroule, tout le monde
s'endort ou alors ça n'est réussi que par de grands moments d'humour, quand c'est Bùnuel. Mais
lorsque dans le cinéma italien par exemple vous voyez une scène dont vous vous dites ; "oh la la,
quelle catastrophe" !, tout droit tiré vous dites cela mais cela un Raphaël pur, il n'y a pas de chose
plus moche dans le cinéma que ça, donc si le cinéma et la peinture ont à faire l'un avec l'autre ce
n'est pas à ce niveau là.

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Bon, langage analogique, bien qu'est ce que c'est ? je peux juste dire, nous savons déjà un peu en
quoi un code est "digital". Et qu'est ce que veux dire l'expression code digital, le code est le principe
d'un langage digital. Comme disent les américains très souvent : le langage est digital. Ça veut dire
quoi le langage est digitale, ça veut dire, vous voyez, ça ne veut pas dire, qu'il est fait avec les doigts
ou que c'est du sourd muet cela veut dire une chose très précise, cela veut dire : " le langage est
constitué par des d'unités significatives déterminable par une succession de choix binaires" . voilà,
voilà ce que veut dire la formule le langage est digital. Bon est ce qu'il y a des langages analogiques
? et comment il faudrait définir analogique à ce moment là.

(Quel l'heure il est, de quoi , de quoi ?)


Claire Parnet : il est douze

Est ce qu'il y a des mélanges entre les deux ? Si il y a des langages analogiques, comment les
définir. Est ce que la peinture en est ? Est-ce que la peinture serait le langage analogique par
excellence ? pourquoi pas plutôt le mime, pourquoi pas les arts plastiques, pourquoi pas tout cela,
pourquoi, et ce que la peinture aurait un privilège qu'est ce que cela veut dire ? et d'autre part est ce
qu'il suffit de parler d'une grossière opposition entre le code digital et le langage analogique. Qui
serait quoi ? bon allons jusqu'au bout de notre hypothèse, on a même plus le choix. C'est le
diagramme qui serait analogique, le diagramme analogique et le code digital, mais est ce que se
serait une simple opposition ? ou bien est ce qu'il y aurait des greffes de code sur le langage
analogique sur le diagramme analogique. Tout ça sont une série de problèmes qui sont comme des
problèmes confus liés à une logique du diagramme. Si bien que là, j'essaie d'aller vite parce que je
voudrais vite retrouver la peinture, mais je pars d'un première approximation. Le code digital
impliquerait "convention", le diagramme analogique ou le langage analogique serait un langage de
"similitude".

Donc mes deux concepts se distingueraient en renvoyant au procédé suivant :


similitude pour l'analogie ou pour le diagramme.
règle conventionnelle pour le code digital.

voyez cela ne va pas loin, je dis cela pourquoi parce que la notion de diagramme et son extension et
son éruption dans la logique dans la philosophie, elle a été faite à partir de cette première grosse
approximation par un auteur de grand génie dont je vous ai déjà parlé d' autres années, qui est
Peirce, p - e - i - r- c - e, un logicien anglais qui inventait cette discipline qui ensuite eut grand succés
: la sémiologie et qui partait - je ne prends que ce qui m'occupe là - dedans - et qui partait d'une
distinction très simple entre ce qu'il appelait les icônes et les symboles. Il disait : "voilà les icônes
c'est une affaire de similitude, en gros. Un icône, une icône on dit quoi déjà une ...(étudiants « UN
UNE ») une icône est déterminée par sa similitude à quelque chose. Un symbole au contraire disait-
il, est inséparable d'une règle conventionnelle.

Vous me direz on n'a pas besoin de citer Peirce, parce que cela ne va pas très loin, aussi Peirce il
prenait cela comme point de départ pour aller plus loin. Et dés qu'il va plus loin, c'est justement pour
mettre en question cette validité.

Donc qu'est ce que je peux dire, je pars de ce problème simple, est ce que je définis le langage
analogique par la similitude et le langage de code ou le langage digital par la convention ? Vous

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vous rappelez tous les thèmes sur (sur rien ?) Le langage est conventionnel etc.. Le symbole
linguistique est conventionnel, immédiatement on voit bien que non, mais c'est les raisons pour
lesquelles, cette première dualité est insuffisante tellement insuffisante c'est ça qui est intéressant
qui doit nous intéresser. Et je dis très vite, mais là il faut que vous sentiez l'ordre puisque on entre
dans un domaine, provisoirement dans un domaine de logique.
Je dirais pour deux raisons cette dualité similitude/conventionnelle n'est pas du tout satisfaisante.
Pourquoi parce que d'une part il y a des phénomènes de similitude dans les codes et d'autre part, la
similitude ne suffit pas à définir l'analogique, c'est mes deux points, c'est ces deux points que je
voudrais expliquer.

Premier point on ne peut pas opposer simplement convention et similitude, parce que un code
comprend nécessairement je dirais presque qu' il produit nécessairement des phénomènes de
similitude. Je veux dire d'ailleurs chez Peirce c'est bien en ce sens, voilà ce que faisait Peirce. Si je
résume extrêmement, c'est une pensée très très complexe, très belle très belle mais je résume
beaucoup. Il disait en gros ceci Peirce il y a deux sortes d'icônes, fondées sur la similitude,
il y a des similitude de qualité, qualité semblable : par exemple vous peignez du bleu parce que le
ciel est bleu, c'est une similitude qualitative et vous cherchez le bleu le plus conforme au bleu du ciel.

Et puis il y a une similitude qui est la similitude de relation, donc il y avait des icônes particulières
qui étaient des icônes de relation. Or ce qu'il appelle pour son compte diagramme, ce sont les icônes
de relation ; donc vous voyez en quoi c'est bien c'est très intéressant ça mais, mais, mais il maintient
une définition du diagramme en fonction de la similitude. C'est pour ça pour notre compte on ne
pourra pas le suivre, et c'est tous les américains qui ont développés après une théorie du
diagramme, ils ont conservé le principe "icônique" de Peirce, à savoir, le diagramme défini a la base
par une similitude de relation. Et qu'est ce que c'est pour Peirce que l'exemple même du diagramme
ou l'exercice diagramatique, c'est l'algèbre. C'est l'algèbre, l'algèbre en effet c'est pas un langage dit
il, parce que c'est une icône, c'est le domaine des similitudes des relations. Le diagramme
algèbrique extrait les similitudes de relation. Bon et en même temps il ajoute que en revanche,
l'algèbre comme tel n'est pas séparable de certains symboles conventionnels qui appartiennent du
coup à l'autre pôle. Qui implique un code, c'est dire à quel point Peirce est conscient des mélanges
code/analogie ou code/similitude. Bon j'ai dis en même temps pourquoi donc on n'allait pas pouvoir
suivre beaucoup Peirce.
Mais alors j'en reviens à ma question, première question : que le diagramme ne puisse pas être
défini par la similitude c'est pour une première raison à savoir, je ne conçois pas de code qui
n'implique ou ne produise des phénomènes de similitudes dont ils sont inséparables.
En effet qu'est ce que l'on peut faire avec un code ? A mon avis on fait deux choses avec un
code,
on peut faire des récits
ou on peut faire des illustrations. Avec un code on peut encore faire trois choses :
on peut faire des sous - systèmes,
on peut faire des codes,
on peut faire des sous codes mais ça nous fait pas avancer. Qu'est que l'on ferait avec le code ?
Alors on peut faire des récits et on peut faire des illustrations. Bon, cas simple comment faire une
illustration avec un code binaire ? typiquement un exercice digital, alors pas un code pictural encore
une fois un ordinateur peut vous donner un portrait. Vous n'avez qu'a codé les données du modèle
en fonction d'un code purement binaire fait de zéro plus ou de un zéro, système binaire. Votre

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ordinateur peut être programmé de manière à vous fournir le portrait.

Donc le code en tant que tel, et le code binaire le plus simple peut vous fournir très largement,
exemple les ordinateurs actuels des illustrations. Il suffit du codage des données, du codage des
data. Or le codage des data implique quoi ? Binarisation, il implique fondamentalement la
binarisation, si vous binarisez une figure vous pouvez très bien la produire par ordinateur, facile.
Voilà je dirais que dans ce cas il y a une ressemblance produite par l'intermédiaire d'un code et
d'un codage. Plus ordinairement un code surtout dans le cas du langage, donne non pas des
illustrations mais des récits. Cela veut dire quoi ça ? Dans mon premier exemple l'ordinateur qui vous
fabrique un portrait dés le moment où il a été programmé pour, vous avez un rapport direct entre le
programme codé et le produit.

Dans le langage qu'est ce qui distingue, le langage d'un fonctionnement à l'ordinateur ? c'est que
dans le langage vous avez nécessairement un troisième terme, comme disent les linguistes vous
avez le signifiant, vous avez l' état de choses, bon mais dans une illustration vous avez du signifiant
qui produit un état de chose, du signifiant codé.

Dans le langage cela ne se passe pas comme cela ce qui définit le langage c'est précisément une
instance tiers, à savoir le signifié, le signifié. Le signifié ce n'est pas la même chose que les états de
choses désignées, bon or si vous prenez le fameux principe : "les symboles linguistiques sont
conventionnels", cela veut dire quoi ? Ça a été dit par toutes sortes de linguistes qu'est ce que cela
veut dire au juste ? ça veut dire que, il n'y a pas de rapport de similitude entre quoi et quoi ? Entre le
mot signifiant entre l'unité signifiante et l'état de chose désignée. Il n'y a pas de rapport de similitude
entre le mot bœuf et le bœuf et l'état de chose bœuf, il y a un rapport purement conventionnel à
savoir que par convention c'est ce monème qui désignera la chose avec des cornes etc..

En revanche le mot unité signifiante à un signifié, qu'est ce que c'est le signifié ? C'est la manière
dont l'état de chose apparaît en correspondance avec le mot. Supposé une langue comme il y en a,
où il y ait deux mots pour désigner bœuf mort et bœuf vivant. A chacun de ces mots correspond un
signifié différent, bœuf mort bœuf vivant, vous me suivez ? Lorsque l'on dit que le langage est un
système conventionnel, on veut dire que le rapport entre un mot et l'état de chose qui le désigne,
l'état de chose extérieur qui le désigne, est arbitraire. En revanche s'il est vrai que toujours dans le
langage le rapport du mot avec le désigné est arbitraire, en revanche, le rapport du mot du signifiant
avec le signifié n'est pas arbitraire. Pourquoi il n'est pas arbitraire ? parce que comme on dit c'est
l'envers et la face de la même réalité, de la même réalité phonologique ou sonore. C'est l'envers et la
face de la réalité sonore, le signifié et le signifiant. En d'autres termes il y a nécessairement des
rapports de similitude entre le signifié et le signifiant. Tout simple ! nécessairement c'est ça que les
linguistes appellent l'isomorphisme si bien que les linguistes ont été amenés à corriger le principe de
Saussure, les symboles linguistiques sont conventionnels et l‘on corrige dans quel sens, en ajoutant,
oui, en tant qu'on les détermine par rapport et tant qu'on les confronte aux états de choses désignés.
Mais en revanche il y a parfait isomorphisme c'est à dire similitude de relation entre le signifié et le
signifiant c'est à dire le signifié et le signifiant ont nécessairement des relations de mêmes formes.
C'est le principe de l'isomorphisme que tous les linguistes, sur lequel tous les linguistes insistent. Je
dirais donc, j'arrête là parce que tout ça est d'un ennui très, très profond. Je voudrais une chose très
simple c'est que...de deux manières un code digital implique la similitude, il implique des similitudes
illustratives, il implique des similitudes narratives c'est à dire il implique des similitudes de qualité, et

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il implique des similitudes de relation.

Contre épreuve : est ce que l'analogie peut se définir par la similitude ? évidemment non, pourquoi ?
elle ne peut pas pour une raison très simple, déjà ça ne suffirait pas à la distinguer du code. Encore
une fois si le code implique et comprend nécessairement des phénomènes de similitude, il est pas
question d'opposer simplement, et de renvoyer la similitude à l'analogie. Mais il me faut en plus une
raison intérieure à l'analogie, or tout comme je disais tout à l'heure avec un code qu'est ce que l'on
peut faire ? Et bien avec l'analogie, avec un langage analogique , on ne sait pas bien encore ce que
c'est ? puisque l'on cherche sa définition, avec un langage analogique si obscur que ce soit pour le
moment. Qu'est que l'on peut faire, on peut faire deux choses je crois : on peut reproduire et on peut
produire, qu'est ce que cela veut dire ? je dirais qu'il a reproduction lorsque qu'il y a transport d'une
ressemblance ou d'une similitude de relation. Lorsque vous transportez une similitude de relation,
vous produisez une ressemblance, l'analogie est alors principe de production d'une ressemblance.

Je dirais que est de ce type la figuration... c'est la première forme d'analogie, j'appellerais
première forme d'analogie ou analogie commune, « analogia communis « parce qu'il faut mettre un
peu de science dans tout cela. « L'analogia communis » c'est le transport de la ressemblance. le
transport des rapports de ressemblance, parce que si il se transporte c'est évidemment des rapports,
c'est les rapports qui sont transportables. Lorsque vous avez transport de rapport de similitude, vous
avez l'analogie commune. C'est à dire vous faites "ressemblant", vous produisez une image
ressemblante. Alors là je retombe dans la peinture, la peinture n'est jamais comme ça, en revanche
je me demande si, quelque soit ses prétentions et ses ambitions, la photo est forcément comme cela
et toujours comme cela. Parce que à la limite la photo, qu'est que c'est la photo ? en quoi c'est autre
chose que de la peinture, et bien la photo, elle procède en tout cas d'une manière qui est en gros, je
dis des choses vraiment rudimentaires, il s'agit de capter et de transporter des rapports de lumière.
Heu, j'entends bien, là dessus toutes les créations sont permises. A savoir, vous voulez faire que
dans le transport, vous disposiez de marge suffisante pour obtenir des variations les plus profondes
les plus poussées dans la ressemblance. Des variations extrêmes de similitude, je dirais vous
pouvez obtenir des effets de ressemblance de plus en plus relâchés. Ca n'empêche pas que qu'il n'y
a plus photo si il n'y a pas transport de rapport de lumière. Si bien que je ne vois pas comment la
photo pourrait surmonter l'aspect que l'on peut dire figuratif. Ce que j'appelle figuratif, c'est pas du
tout dans la mesure où ça ressemble à quelque chose, c'est dans la mesure où l'image est produite
par un transport de rapport similaire, par une similitude de rapport. Cette similitude pouvant être à la
limite aussi relâchée que vous voulez.

Bon on dirait la photo "vit" et à sa condition de possibilité dans l'analogie commune, voyez "transport
de similitude" mais l'analogie elle s'en tient pas à ça. Je dirai on peut faire autre chose avec de
l'analogie, cette fois ci on peut produire et non pas reproduire, on peut produire la ressemblance.
Qu'est ce que ça veut dire une ressemblance produite et pas reproduite ? Remarquez que le code
aussi pourrait produire de la ressemblance, y pouvait nous faire un portrait mais à ce moment la
ressemblance était produite par le détour d'un code et un binnarisation des données.
Tandis que je pense à autre chose, une analogie qui serait capable de produire une
ressemblance indépendamment de tout transport, tout rapport de similitude, donc indépendamment
de toutes similitudes, là ça commence à être intéressant pour nous je suppose, parce que si on
arrive à définir une telle analogie, une analogie qui produit une ressemblance indépendamment de
tout transport de similitude, on tiendra une définition possible de la peinture.

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En effet la peinture produit la ressemblance ou la figure, là je réintroduis le mot "ressemblance", mais
par quoi ? vous allez voir pourquoi je le réintroduis il ne peut plus me gêner si j'ajoute, "La peinture
produit la ressemblance par des moyens non ressemblant", elle produit de la ressemblance par des
moyens tout à fait autres que le transport de similitudes, que le transport des relations similaires.
Vous êtes devant un tableau, alors pensez à un Van Gogh à Gauguin, vous avez une figure devant
vous, vous avez pas besoin de voir le modèle pour être convaincu que c'est ... que vous êtes devant
une icône. Seulement cette icône est produite par des moyens non semblables. Vous reproduisez
des ressemblances par des moyens non semblables. Ce serait ça l'analogie.

Qu'est ce que c'est ces moyens non semblables ? or comprenez je suis déjà très en avance
pourquoi ? Parce que j'ai défini le code par l'articulation, avec beaucoup de réserve, ou par la
"sphère commune", j'ai dit il y a un "sphère commune" entre le code digital et l'articulation. Articulez
et vous avez un code. Ce qui nous a engagé dans une au moins déterminée : Je m'engage à définir
dès lors l'analogie, et dès lors le diagramme comme étant le principe analogique. Il faut.. j'ai plus le
choix, comprenez c'est les bons moments quand on a plus le choix du point de vue des concepts. Je
n'ai plus le choix il faudra bien que, ou bien qu'on renonce heu ce serait parfait si tout est parfait, heu
ou bien qu'on renonce ou bien qu'on arrive à définir l'analogie et le diagramme dans l'analogie
dépend ... par quelque chose d'aussi simple que l'articulation et ce "quelque chose" qui sera au
diagramme ce que l'articulation est au code. Je sais d'avance que il n'impliquera aucune
ressemblance, aucun transfert de similitude, aucun transport de similitude et qu'il n'impliquera aucun
code.

Donc quel est l'acte du diagramme qui s'oppose à l'articulation, qui se distingue de l'articulation et
qui ne peut se définir ni par un transport de similitude, ni par code, ni par un codage ?

Au moins les conditions de notre problème sont bien déterminées. Alors il faut avancer, il faut
avancer et donc on a vu - je viens juste là pour le moment de dire, de même que le code n'exclu pas
la similitude mais implique le similitude, de même inversement l'analogie ne peut pas se définir
vraiment par la similitude. Seule l'analogie vulgaire se définit, commune, se définit par similitude.
L'analogie esthétique ne se définit pas par la similitude puisqu'elle produit la ressemblance mais la
produit par des moyens tout différents.

Bon alors, si c'est pas la similitude qui permet de définir l'analogie - on nous en sommes - qu'est ce
qui permet de le définir ? Cherchons on fait un second pas, voyez on a fait une première épreuve,
est ce que l'analogie peut se définir par la similitude.

Deuxième hypothèse, l'analogie ou le langage analogique pourrait se définir par ou comme un


langage des relations. C'est l'hypothèse de Bateson, qui est un auteur aussi bien, bien intéressant.

Le langage analogique serait un langage de relation, par opposition à quoi ? au langage


conventionnel, au langage de codes, qui serait quoi lui ? Il serait, dit Bateson qui s'en tient à des
choses très simples pour essayer de nous faire comprendre quelque chose de bien curieux. Et ben
qui serait un langage des états de choses. Notre langage codé, notre langage digital serait un
langage propre à la désignation, à la détermination ou à la traduction des états de choses. Tandis
que le langage analogique servirait et exprimerait les relations.

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Qu' est ce qui veut dire Bateson ? il précise ce qui faut entendre par relation. C'est curieux cette
histoire - je tire cela et j'aurais besoin parce que cela va nous ramener à la peinture par ce détour
tellement bizarre. Il y a un texte célèbre de Bateson sur le langage des dauphins, voyez les
poissons.

Bateson en effet, a eu dans sa vie extrêmement riche, toutes sortes d'activités, il vit encore hein. Il
fut le mari de Margaret Mead, voyez Margaret Mead c'est une ethnologue. Alors il a commencé par
de l'ethnologie, mais il se trouve qu'il était bien meilleur que Margaret Mead, il a fait des études
d'ethnologie très, très curieuses, très profondes très importantes. Et puis c'est vraiment une carrière
à l'américaine c'est formidable, il a pfiou, il s'est dit nan, nan. Comme si Bateson c'est un beau cas
de héros américain, ils arrêtent de pas , de s'en aller, de s'en aller. Une espèce de hippie, c'est le
hippie de la philosophie, alors il a divorcé d'avec Margaret Mead, et puis il a divorcé d'avec avec les
sauvages. Puis il est tombé sur les schizophrènes, il pouvait pas faire ... et il a fait une grande
théorie de la schizophrénie qui est une des plus belles. Bon heu théorie bien connue maintenant en
France sous le nom de théorie de la double impasse. Tout ça avec une logique, il est très au courant
de la logique de Russel, tout ça avec une application de la théorie des types à la schizophrénie, enfin
très bon , très bien. Et puis il s'est désintéressé quand même il ... bon .

Alors il s'est flanqué dans le langage des dauphins, cela c'était encore mieux, schizophrène cela lui
paraissait trop humain, trop monotone les dauphins il s'est dit c'est bien, alors il travaille avec les
dauphins. Evidement il a beaucoup de crédits de l'armée américaine, qui s'intéresse beaucoup aux
dauphins mais les résultats de Bateson sont très comiques car ils sont proprement inutilisables par
les marines, alors ça c'est la merveille, c'est du bon travail ça, et en effet vous allez voir pourquoi
j'invoque cette carrière.

Là il commence à nous dire bon, des choses très rudimentaires parce que c'est vraiment le style
américain, ça part de - ils connaissent pas notre développement à l'occidentale, à l'européenne -
eux, ils partent de choses extrêmement simples, d'où va sortir, nous on déduit, eux ils nouent des
trucs simple ils en font une sorte de nœud de vipère là et sortent un paradoxe. Et leurs paradoxes
sont toujours tellement beaux, et puis ils font une logique pour dénouer le paradoxe, ce qui n'est pas
du tout notre fonctionnement mental.

Je parle des américains quand ils réussissent.Alorsc'estpourçaqu'ilsinventent tellement de concepts,


ils inventent beaucoup plus de concepts que nous parce que nous on à l'invention des concepts très
déductive eux ils font leurs espèce de nœud de trucs en rassemblant des choses très diverses, alors
Bateson il met un schizophrène, un sauvage et un dauphin puis bon vous voyez il va en sortir
quelque chose. C'est je crois, c'est de la très grande philosophie, et puis ça implique autant de
rigueur que nous, parce que le fin mot ce sera faire la "logique du paradoxe", c'est pour ça qu'il sont
fondamentalement logiciens avec ça, ils sont à la fois ouvert à tous ... c'est de la logique en plein air,
tandis que chez nous c'est notre déduction en milieu fermé, nous c'est un peu ce que je viens de dire
nous on fait de la philosophie sur chevalet finalement, l'histoire de la philosophie c'est notre chevalet
tous ça vous comprenez, alors que c'est pas ça, c'est heu les américains c'est pas ça, mais enfin
c'est rare quand y sont du niveau de Bateson.

Bien peu importe, alors Bateson dit : "alors vous comprenez le langage conventionnel c'est

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l'hémisphère gauche du cerveau qui commande la partie droite du corps" - vous vous rappelez, le
langage analogique, c'est l'hémisphère gauche. Qu'est ce qu'on met d'habitude sous le langage
analogique par opposition ? Bah d'abord, retrouvons un de nos points de référence, le langage
conventionnel ou digital il est fondamentalement articulé, il est articulé, le langage analogique c'est
donc l'hémisphère droit contre l'hémisphère gauche du cerveau. Il est pas articulé, c'est quoi ? Alors
il est pas articulé - comprenez là on tourne autour de notre truc - si on trouvait ce qu'il est, puisqu'il
est pas articulé, si on trouvait ce qu'il est on aurait peut être déjà notre définition de la peinture, bon il
est pas articulé, bon il est non articulé, il est fait de quoi alors ? il est fait de choses non linguistique
même non sonore, il est fait de mouvement de kinésie comme ont dit, il est fait d'expression des
émotions, il est fait de données sonores inarticulées, les souffles, les cris.

Evidemment comprenez, si on parlait de la musique on trouverait un même problème parce que


le chant c'est quoi ? C'est de l'articulé ou de l'inarticulé, c'est de l'analogique ou du digital, on sait pas
ça alors on se met pas la musique sur le dos. Mais donc ce langage analogique vous voyez c'est en
quelque sorte un langage bestial mais on l'a, on l'a - et Bateson essaye seulement - il est fait de
données très hétérogènes par exemple des poils qui se hérissent, un rictus de la bouche, un
aboiement. Tous ça c'est du langage analogique. Comprenez on est déjà relativement loin, un cri ça
ressemble à rien, c'est pas la civilitude qui va définir le langage analogique, des poils qui se
hérissent ça ressemble à quoi ? C'est pas un langage de similitude, un cri ne ressemble pas à
l'horreur qui fait naître ce cri, pas du tout alors c'est pas simple.

Donc lui il dit, qu'est ce qui va définir le langage analogique ? il dit c'est un langage des relations.
Qu'est ce qu'il veut dire "par relations" ? il veut pas dire n'importe quelles relations, parce si il disait
n'importe quelles relations, il a l'air, y a des textes où il dit n'importe quel relations - à ce moment là
on retombe dans la similitude, à savoir le langage analogique ce serait celui qui fonctionnerait par
transport de relations. Par exemple dans un diagramme vous avez à représenter une quantité, qui
est grande et une quantité qui est relativement petite, et vous faites deux niveaux, un niveau plus
petit que l'autre ... c'est de la similitude, c'est un langage de relations en effet. Mais c'est pas ça qui
veut dire parce que l'on a éliminé l'hypothèse similitude.

Il veut dire c'est un langage qui est sensé exprimer les relations entre l'émetteur et le récepteur,
entre celui qui l'émet et celui à qui il est destiné. En d'autres termes il précise, ce langage, le langage
analogique est un langage de relations, sous entendu de relations entre l'émetteur et le destinataire,
en d'autre termes il exprime les relations avant tout de dépendance sous toutes leurs formes
possibles.

Alors bon le langage analogique exprimerait les relations, vous voyez c'est très différent de la
similitude, il exprimerait des relations de dépendance entre un émetteur et un récepteur.

une seconde parce que si tu m'arrètes je suis perdu...

Bon, il ferait ça le langage analogique. Bon et là Bateson éprouve le besoin à chaque fois qu'il a
un petit acquis il éprouve le besoin de plaisanter, mais ce sont toujours de très bonnes plaisanteries,
il appelle ça la fonction MU, pourquoi qu'il appelle ça la fonction MU, parce que MU c'est la lettre
grecque qui correspond à notre M, et y dit vous voyez l'exemple qui dit auquel il revient tous le temps
c'est le chat. Le chat miaule le matin miaou, la fonction MU c'est la fonction "miaou" c'est bien y a

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tout le coté heu .... Ils sont jamais sortis de Lewis Carroll les Anglais et les Américains. La fonction
MU, ou la fonction Miaou c'est quoi ? et ben Bateson dit : "lorsque le chat miaule le matin quand
vous vous levez, il vous dit par ce miaulement qui est du langage analogique -il ne dit pas du lait du
lait, il dit dépendance, dépendance, je dépend de toi, avec toutes les variantes, y a des miaou de
colères où là c'est je dépend de toi et j'en ai marre, bon tous ce que vous voulez, c'est un langage
très riche. Mais il exprime toujours la relation entre l'émetteur et le destinataire avec tous les
renversements que vous voulez, C'est la fonction MU.

Et Bateson dit : "c'est un langage où il y a beaucoup de déductions", car voyez la structure de ce


langage, il exprime directement les fonctions MU, c'est-à-dire les fonctions de dépendance, les
relations de dépendance et on doit en déduire l'état de choses. C'est-à-dire je dois en déduire :"tiens
mon petit chat veut du lait", et si c'est une bête qui parle à une autre bête en langage analogique, il y
a également lieu d'en déduire quelque chose. Il a rappelé par exemple dans le fameux rituel des
loups ou des chiens où celui qui reconnaît son infériorité, tend son cou et à ce moment là fait acte de
dépendance vis-à-vis du chef, ou vis-à-vis de la bête plus puissante : vous avez une relation de
dépendance dont on déduit un état de chose, ce serait l'équivalent dans notre langage "de je ne le
ferais plus".

- Mais les états de choses sont fondamentalement déduits des relations, des relations de
dépendance. C'est comme ça que Bateson définit le langage analogique.
Comprenez alors ça va être en effet très curieux cette histoire parce que au contraire dans notre
langage, notre langage codé, notre langage digital qu'est ce que c'est ? Bateson nous a dit : "c'est un
langage qui porte sur les états de choses d'abord, c'est un langage essentiellement fait pour
désigner des états de choses", mais cela n'empêche pas qu'en douce y a toute l'analogie derrière et
ça a nous fait faire un grand bond, et ça j'aimerais que vous le rappeliez, que vous le rappeliez pour
plus tard. Je crois que de toute manière les codes baignent dans un véritable bain analogique, une
véritable glue analogique. »

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

14- 31/03/81 - 1
Marielle Burkhalter

14- 31/03/81 - 1 Page 1/11


GILLES DELEUZE Cours du 31/03/81 (14A) transcription : Cécile Lathuillère :

DELEUZE : Alors quelle question ? T'as plus de piles, mais on va t'en prêter. Là, prends-en de là. Et
alors pas de question sur Spinoza ?

UNE ÉTUDIANTE : Non

DELEUZE : Je voudrais beaucoup que vous n'abandonniez pas votre lecture. ouais Bon

UNE ÉTUDIANTE : Non, on le commence.

UN ÉTUDIANT : Dernièrement, j'ai feuilleté le livre d'Hölderlin, et dans la lettre du livre d'Hölderlin, il
y a une phrase sur Spinoza. Je ne sais pas si Spinoza l'a lu ou pas lu. Mais il y a un texte soulignant
un rapprochement entre Leibnitz et Spinoza. On a vu Spinoza et Descartes, Spinoza et Prost,
Spinoza et Hegel. On a vu Leibnitz l'année dernière. Ils sont un peu contemporains, non ? DELEUZE
: Il y a un livre qui s'appelle Leibnitz et Spinoza. Ils sont contemporains, ils se connaissent.

L'ÉTUDIANT : Ils se connaissent. Sans doute, ils devraient avoir eu des rapports.

DELEUZE : Leibnitz a fait une visite à Spinoza. oui, Ils se sont rencontrés.

L'ÉTUDIANT : Ah, ils se sont rencontrés.

DELEUZE : On ne sait pas bien ce qu'ils se sont dit. Mais... Oh, oui. Il y a des ressemblances,
d'ailleurs.

L'ÉTUDIANT : Oh, oui. Moi, je trouve.

DELEUZE : Eh, bien, après cette question... Oui, il y a encore une question ?

Richard Pinhas : c'est très démocratique, on était une trentaine à se la poser je suis le porte parole..

DELEUZE vous étiez trente à vous la poser ? toi, toi et toi

Richard Pinhas Si ça ne te dérange pas ?

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DELEUZE : Si

RICHARD : C'est vrai ?

DELEUZE : Non, non.

RICHARD : developper un petit peu ce point..Dans mon cas personnel, j'aimerais savoir si, quand un
compositeur ou quand un peintre, la question est la même, ou un philosophe, c'est d'ailleurs pour
cela que je la pose, ou un écrivain, crée quelque chose. Alors toujours des guillemets, perçoit
quelque chose qui n'appartient pas à priori comme ça au monde extérieur, bien que ce soit en
relation immédiate avec le monde extérieur, donc avec le monde des rapports. Où à partir du
moment où Mozart a la perception d'un instant comme ça qu'il va développer qui est une musique,
qu'un écrivain a la perception de quelque chose qui se passe dans son corps ou dans son "âme",
entre guillemets. Il va développer un texte à partir de ça, ou qu'un philosophe comme Bergson va
trouver ce qu'il appelle l'intuition. Quand un musicien dit "voilà, moi ce que je fais". Il ne le dit pas
comme ça, c'est du cosmos, mais je le sens en moi et donc ce qui ressort c'est en moi, point. Et ça,
ça pourrait, dans l'analyse que tu as faite des auto-affections chez Spinoza, appartenir au troisième
genre de connaissance ou être un pas vers le troisième genre de connaissance ? Dans ce cas-là,
quelle serait la relation directe entre cette perception, il y a quelque chose qui se passe à l'intérieur et
qui est déjà d'ordre assez élevé, au niveau créatif, aussi bien chez le peintre, chez le musicien, chez
le philosophe, ou chez l'écrivain, voir chez d'autres personnes ; le rapport entre cette perception là ,
cette perception interne et l'autre perception, même si le terme de perception n'est pas bon. C'est
pas forcément de la perception. Voilà.

DELEUZE : Ouhai...Ça fait deux question, hein...

RICHARD : Oui. Mais en même temps ça me permet d'arriver à la même chose.

DELEUZE : Je commence rapidement par la seconde parce que c'est évidemment la plus
intéressante.Et la plus... enfin, la plus difficile, mais à laquelle on ne peut répondre que vaguement.
Donc, tu demandes à la fois en quoi consistent certains états, des états dont les exemples les
plus frappants appartiennent sans doute, en effet, à l'art. Qu'est ce que ça veut dire quand un artiste
- mais ça doit valoir aussi pour bien autre chose que l'art - quand un artiste commence à posséder
une espèce de certitude ? Une espèce de certitude de quoi ? Alors déjà définir cette espèce de
certitude. À un moment... à un moment assez datable, c'est peut-être le moment aussi où il est le
plus, ça devient difficile, il est le plus fragile avec cette certitude, et il est le plus invulnérable. Il arrive
à une espèce de certitude concernant quoi ? Concernant ce qu'il veut faire, concernant ce qu'il peut
faire, tout ça... Alors, la question de Richard c'est si vous voyez ces états, en effet, que... qui sont
pas du tout donnés, même chez des artistes. Ce n'est pas donné ces choses-là. On peut presque
assigner une date où quelqu'un commence à avoir une .... ouhais...je n'arrive pas à trouver d'autre
terme que cette espèce de "certitude".

Oh, oui, pourtant, il ne pourrait pas dire... il ne pourrait pas dire encore, et il n'y a pas lieu de dire ce
qu'il veut faire, même si c'est un écrivain, même si c'est un philosophe. Mais il y a cette "certitude".
Et cette certitude c'est pas du tout une vanité parce que c'est au contraire une espèce de modestie
immense. Alors, si vous voyez un petit peu ces états - justement on va en parler à propos de la

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peinture parce que ça me paraît frappant que dans le cas de grands peintres, on peut presque
assigner des dates où ils entrent dans cet élément de la certitude. La question de Richard c'est : est
ce que l'on pourrait dire - bien entendu, il sait et il est le premier à savoir que sa question est un peu
forcée, Spinoza n'en parle pas en toutes lettres - mais est ce que l'on peut assimiler cela à quelque
chose comme le troisième genre de connaissance ? Ces états de "certitude" ?

À première vue je dirais : oui. Parce que si j'essaie de définir les états du troisième genre, ben,
c'est quoi ? Il y a une certitude. C'est un mode de certitude très particulier que Spinoza exprime
d'ailleurs sous le terme un peu insolite de "consius". Conscience, c'est une conscience. C'est une
espèce de conscience, mais qui s'est élevée à une puissance. Je dirais presque c'est la dernière
puissance de la conscience. Et qu'est ce que c'est ? Comment définir cette conscience ? C'est... je
dirais c'est la conscience interne d'autre chose. À savoir c'est une "conscience de soi", mais cette
conscience de soi en tant que telle, appréhende une puissance. Alors, cette conscience de soi qui
s'est élevée, qui est devenue conscience de puissance, cela fait que ce que cette conscience saisit,
elle le saisit à l'intérieur de soi. Et pourtant ce qu'elle saisit ainsi à l'intérieur de soi, c'est une
puissance extérieure. Or c'est bien comme ça que Spinoza essaie de définir le troisième genre.
Finalement, vous atteignez au troisième genre, ce genre presque mystique, cette intuition du
troisième genre, pratiquement on pourrait dire à quoi la reconnaître. C'est vraiment lorsque vous
affrontez une puissance extérieure - il faut maintenir les deux - et que cette puissance extérieure
c'est en vous que vous l'affrontez. Vous la saisissez en vous.

C'est pour ça que Spinoza dit, finalement, le troisième genre c'est lorsque : "être conscient de
soi-même, être conscient de Dieu, et être conscient du monde, ne font plus qu'un". Je crois que c'est
important, là, il faut le prendre à la lettre, les formules de Spinoza. Dans le troisième genre de
connaissance, "je suis indissolublement conscient de moi-même, des autres ou du monde, et de
Dieu". Alors, ça veut bien dire, si vous voulez, c'est cette espèce de conscience de soi qui est en
même temps conscience de la puissance ; conscience de la puissance qui est en même temps
conscience de soi.

Alors enfin, je dirais oui... pourquoi est ce que l'on est à la fois sûr et pourtant très vulnérable ?
Bien, on est très vulnérable parce qu'il s'en faut d'un point minuscule que cette puissance ne nous
emporte. Elle nous déborde tellement que, à ce moment-là, tout se passe comme si on était abattu
par l'énormité de cette puissance. Et en même temps, on est sûr. On est sûr parce que précisément
l'objet de cette conscience si extérieur qu'il soit en tant que puissance, c'est en moi que je le saisis.
Si bien que, Spinoza insiste énormément sur le point suivant, le bonheur du troisième genre auquel il
réserve le nom de béatitude, cette béatitude, ben... c'est finalement un étrange bonheur. C'est-à-dire
que c'est un bonheur qui ne dépend que de moi. Est-ce qu'il y a des bonheurs qui ne dépendent que
de moi ? Spinoza dirait : c'est une fausse question de se demander est ce qu'il y en a. Puisque c'est
vraiment le produit d'une conquête.

La conquête du troisième genre, c'est précisément d'arriver à des états de bonheur où en même
temps il y ait certitude que ça, quoi qu'il arrive, personne, d'une certaine manière, ne peut me les
ôter. Tout peut arriver. L'idée... vous savez on passe parfois par des états comme ça. Hélas, non
durables. Quoi qu'il arrive, ah ben oui... peut-être que je pourrai mourir... oui, d'accord. Mais ça, il y a
quelque chose qu'on ne peut pas me retirer c'est, à la lettre, cet étrange bonheur. Alors ça, Spinoza
dans le Livre V, je crois, le décrit très, très admirablement.

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D'où je reviens plus à la première question qui elle est plus...Oui, je ne sais pas si j'ai répondu,
mais donc je dirai, oui, c'est... ce qu'on appelait la dernière fois, ce que j'appellais l'auto-affection,
c'est précisément cette conscience de la puissance qui est devenue conscience de soi. Alors,
peut-être que l'art, l'art présente ces formes de conscience, particulièrement... sous une forme
particulièrement aigüe. L'impression de devenir invulnérable...ah, ben ça, oui. Je n'arrive pas à dire
l'extraordinaire modestie qui accompagne cette certitude. C'est une espèce de certitude de soi qui
pèse et là ensuite, dans une modestie, c'est-à-dire, c'est comme le rapport avec une puissance.

Bon, mais alors pour en revenir à la question plus simple de Richard, donc ces auto-affections qui
vont définir le troisième genre et qui définissent déjà le second genre, je tiens juste à faire la
récapitulation pour que... je crois que c'est très important pour le cheminement de l'Ethique. Vous
voyez, moi je crois vraiment que : il part d'un plan, un plan d'existence où il nous a montré, pour
toutes les raisons du monde, comment et pourquoi nous étions condamnés aux idées inadéquates et
aux passions. Et encore une fois, le problème de l'Ethique c'est bien : mais comment est ce qu'on
pourrait sortir des idées inadéquates et des passions ? Or il a accumulé tous les arguments pour
nous montrer que, à la limite, à première vue, on ne peut pas en sortir. C'est-à-dire, il a accumulé
tous les arguments, Spinoza, pour nous montrer que, en apparence, nous étions condamnés au
premier genre de connaissance.

Je prends un seul exemple : nous ne sommes pas libres. Bon... nous ne sommes pas libres. La
haine que Spinoza a contre ce concept qui lui parait un très mauvais concept de liberté. Nous ne
sommes pas libres parce que nous subissons toujours des actions.....c'est très simple son idée, ben
oui, on subit toujours les effets des corps extérieurs. La liberté qu'est-ce que ça veut dire ? Même
une idée vraie, on voit même pas. Si on prend au sérieux la description du premier genre de
connaissance, chez Spinoza, on voit même pas comment il peut être question d'en sortir. On subit
les effets des autres corps, il n'y a pas d'idée claire et distincte, il n'y a pas d'idée vraie. On est
condamné aux idées inadéquates. On est condamné aux passions. Et pourtant, toute l'Ethique va
être le tracé du chemin.

Et c'est là-dessus que j'insiste, c'est un chemin qui ne préexiste pas. C'est vraiment l'Ethique qui,
dans le monde le plus fermé du "premier genre" de connaissances, va tracer le chemin qui rend
possible une sortie du "premier genre". Or si j'essaie de résumer cette démarche, parce que ça me
parait vraiment la démarche de l'Ethique, comment sortir de ce monde encore une fois de l'inadéquat
et de la passion ? Ben, ce qui est fondamental c'est les étapes de cette sortie. Si j'avais une loupe, je
dirais, la première étape est celle-ci : on s'aperçoit qu'il y a deux sortes de passions. On reste dans
la passion, on reste dans le premier genre. Et voilà, et c'est ça qui va être décisif, c'est une
distinction entre deux sortes de passions.

Il y a des passions qui augmentent ma puissance d'agir. Ce sont les passions de joie. Il y a des
passions qui diminuent ma puissance d'agir. Ce sont les passions de tristesse. Les unes comme les
autres sont des passions. Pourquoi ? Les unes comme les autres sont des passions puisque je ne
possède pas ma puissance d'agir. Même quand elle augmente, je ne la possède pas. Bon. Donc, je
suis pleinement encore dans le "premier genre" de connaissance. Ça c'est la première étape, vous
voyez. Distinction des passions joyeuses et des passions tristes. J'ai les deux, pourquoi ? Parce que
les passions tristes, c'est l'effet sur moi de la rencontre avec des corps qui ne me conviennent pas.

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C'est-à-dire qui ne se composent pas directement avec mon rapport. Et les passions joyeuses c'est
l'effet sur moi de ma rencontre avec des corps qui me conviennent, c'est-à-dire ceux qui composent
leur rapport avec mon rapport.

Deuxième étape : lorsque j'éprouve des passions joyeuses, vous voyez, les passions joyeuses,
elles sont toujours dans le "premier genre" de connaissance. Mais lorsque j'éprouve des passions
joyeuses, effet de rencontre avec des corps qui conviennent avec le mien, lorsque j'éprouve des
passions joyeuses, ces passions joyeuses augmentent ma puissance d'agir.

Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'elles m'induisent, elles ne me déterminent pas, elles
m'induisent, elles me donnent l'occasion. Elles me donnent l'occasion, elles m'induisent à former la
notion commune. Notion commune à quoi ? Notion commune aux deux corps : le corps qui m'affecte
et mon corps. Vous voyez, ça c'est une deuxième étape.
Première étape : les passions joyeuses se distinguent des passions tristes parce que les
passions joyeuses augmentent ma puissance d'agir, tandis que les passions tristes la diminuent.
Deuxième étape : ces mêmes passions joyeuses m'induisent à former une notion commune,
commune au corps qui m'affecte et à mon propre corps. Question subordonnée à cette deuxième
étape : et pourquoi est ce que les passions tristes ne m'induisent pas à former des notions
communes ? Spinoza est très fort, il peut le démontrer mathématiquement : parce que, lorsque deux
corps disconviennent, lorsque des corps ne conviennent pas, s'ils ne conviennent pas ce n'est
jamais par quelque chose qui leur est commun. Si deux corps disconviennent c'est par leurs
différences, ou leurs oppositions, et non pas par un quelque chose qui leur serait commun. En
d'autres termes, les passions tristes, réfléchissez bien parce que c'est très... là, il y a un passage
théorique à comprendre, mais c'est très pratique en fait. Les passions tristes c'est l'effet sur mon
corps d'un corps qui ne convient pas avec le mien, c'est-à-dire qui ne compose pas son rapport avec
mon propre rapport. Dès lors, la passion triste, elle est l'effet sur mon corps d'un corps qui est saisi
sous l'aspect où il n'a rien de commun avec le mien. Ce même corps, si vous arrivez à le saisir sous
l'aspect où il a quelque chose de commun avec le vôtre, à ce moment là, il ne nous affecte plus
d'une passion triste. Tant qu'il vous affecte d'une passion triste, c'est parce que vous saisissez cet
autre corps comme incompatible avec le vôtre.

Donc, Spinoza peut très bien dire : seules les passions joyeuses, et non les passions tristes,
m'induisent à former une notion commune. Vous vous rappelez que les notions communes, ce n'est
pas du tout des choses théoriques. C'est des notions extrêmement pratiques. C'est des notions
pratico - éthiques. Faut pas du tout en faire... ça on ne comprend rien si on en fait des idées
mathématiques.

Donc, voilà que la passion joyeuse qui est l'effet sur moi d'un corps qui convient avec le mien,
m'induit à former la notion commune aux deux corps. Je dirai, à la lettre, pour rendre compte de cette
deuxième étape : les passions joyeuses se doublent de notions communes. Or, les notions
communes, elles sont nécessairement adéquates. On l'a vu, je ne reviens pas là-dessus.

Donc, vous voyez par quel cheminement, alors qu'on avait tendance à se dire : "mais jamais on
ne pourra sortir du premier genre de connaissance". Il y a un cheminement, mais c'est une ligne très
brisée. Si j'ai pris conscience de la différence de nature entre les passions joyeuses et les passions
tristes, je m'aperçois que les passions joyeuses me donnent le moyen de dépasser le domaine des

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passions. Ce n'est pas que les passions sont supprimées. Elles sont là, elles resteront. Le problème
de Spinoza ce n'est pas de faire disparaître les passions, c'est, comme il le dit lui-même, qu'elles
n'occupent finalement que la plus petite partie relative de moi-même.

Bon, ben, ça veut dire quoi qu'elles n'occupent que la plus petite partie relative de moi-même ?
Ce n'est pas tout fait là aussi ! C'est à moi de fabriquer des parties de moi-même qui ne sont plus
soumises aux passions. Rien n'est donné ! Rien n'est donné d'avance. Alors comment fabriquer des
parties de moi-même qui ne seraient plus soumises aux passions ? Voyez la réponse de Spinoza : je
fais la différence entre passions tristes, passions joyeuses. J'ai des passions tristes, d'accord. Je
m'efforce "autant qu'il est en moi", comme il dit suivant sa formule, d'éprouver le plus de passions
joyeuses possibles et le moins de passions tristes possibles. Bon. Je fais ce que je peux. Tout ça
c'est très pratique. Je fais ce que je peux. Vous me direz ça va de soi, ça se fait tout seul. Non.
Parce que, comme le signale très bien Spinoza, on ne cesse pas.... les gens, ils ne cessent pas de
s'empoisonner la vie. Ils ne cessent pas de se vautrer dans la tristesse. Ils cessent pas, ils ne
cessent pas....bon... Tout l'art des situations impossibles dont on a parlé. Ils se mettent dans des
situations impossibles ! Tout ça, bon...Faut déjà une sagesse pour sélectionner les passions de joie,
essayer d'en avoir le plus possible... Bien. Et là-dessus, ces passions de joie, elles restent, elles
subsistent comme passions. Mais elles m'induisent à former des notions communes, c'est-à-dire : les
idées pratiques de ce qu'il y a de commun entre le corps qui m'affecte de joie et mon corps.

Ces notions communes sont des idées adéquates, et elles seules. Entre un corps qui ne me
convient pas, entre un corps qui me détruit et mon corps, il n'y a pas de notions communes. Car
l'aspect sous lequel un corps ne me convient pas, est incompatible avec la notion commune. En effet
si un corps ne me convient pas, c'est sous l'aspect où il n'a rien de commun avec moi. Sous l'aspect
sous lequel il a quelque chose de commun avec moi, il me convient. Ça c'est évident, c'est du sûr.

Donc, vous voyez, au point où j'en suis, seconde étape, j'ai formé des notions communes. Mais
ces notions communes si vous les prenez pratiquement, si vous n'en faites pas des idées
abstraites...l'idée du rapport commun, c'est-à-dire... et en même temps, je le construis... un rapport
commun entre le corps qui me convient et mon corps, ça revient à dire quoi ? Ça revient à dire : la
formation d'un troisième corps dont nous sommes, l'autre corps et moi, les parties. Ça ne préexiste
pas ça non plus. Ce troisième corps aura un rapport "composé" qui se trouvera et dans le corps
extérieur et dans mon corps. C'est ça être l'objet d'une notion commune.

Donc, des notions communes découleront... des notions communes qui sont des idées
adéquates, découleront des affects, des sentiments. Surtout, ne confondez pas - voilà ce que je
voulais dire - surtout ne confondez pas les affects qui sont "à l'origine" des notions communes, et les
affects qui découlent des notions communes. Cette confusion ce serait un très grave contresens,
c'est-à-dire à ce moment-là, l'Ethique, elle ne pourrait plus fonctionner. C'est vous dire, c'est grave.

Quelles différences y a-t-il entre les deux sortes d'affects ? Les affects qui sont à l'origine des notions
communes - je viens d'essayer de dire ce que c'était - ce sont les passions joyeuses. Les passions
joyeuses, encore une fois je me répète pour que ce soit très clair, j'espère ; les passions joyeuses
étant l'effet sur moi d'un corps qui convient avec mon corps, m'induisent à former la notion
commune, c'est-à-dire une idée de ce qu'il y a de commun entre les deux corps. Et l'idée de ce qu'il y
a de commun entre les deux corps c'est l'idée d'un troisième corps dont le corps extérieur et le mien

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sont les parties.

Donc, vous voyez que les sentiments qui induisent, qui m'induisent à former une notion commune,
ce sont des passions de joie. Ce sont les passions de joie. On a vu que les passions de tristesse ne
nous induisaient pas à former des notions communes. Tandis ce que les sentiments qui découlent
des notions communes, ça n'est plus des passions de joie. Ce sont des affects actifs.

Puisque les notions communes sont des idées adéquates, il en découle des affects qui ne se
contentent pas d'augmenter ma puissance d'agir, comme les passions joyeuses. Il en découle des
affects qui, au contraire, dépendent de ma puissance d'agir. Faites très attention à la terminologie de
Spinoza, et ne confondez pas car lui ne le confond jamais, les deux expressions : ce qui augmente
ma puissance d'agir et ce qui découle de ma puissance d'agir.
Ce qui augmente ma puissance d'agir c'est forcément une passion puisque : pour que ma
puissance d'agir augmente, il faut bien supposer que je n'en ai pas encore la possession. Ma
puissance d'agir augmente au point que je tends vers la possession de cette puissance, mais je ne
l'ai pas. Ça c'est l'effet des passions joyeuses. Là-dessus, je forme, sous l'action des passions
joyeuses, je forme une notion commune. Là, je possède ma puissance d'agir. Parce que la notion
commune, elle s'explique par ma puissance. A ce moment là, donc, j'entre en possession de ma
puissance. En possession formelle, je possède formellement ma puissance. De cette possession
formelle de ma puissance d'agir par la notion commune, découle des affects actifs.

Si bien que, si j'essaie de résumer tous ces moments, je dirais : les affects actifs qui découlent
eux-mêmes des notions communes, c'est la troisième étape. Je dirais, voilà les trois étapes.

Première étape : vous sélectionnez autant que vous pouvez les passions joyeuses.
Deuxième étape : vous formez des notions communes. Ça c'est des recettes, hein ! Vous formez
des notions communes qui viennent doubler les passions joyeuses. Elles ne les suppriment pas,
elles viennent doubler les passions joyeuses.
Troisième étape : de ces notions communes qui doublent les passions joyeuses, découlent des
affects actifs qui redoublent les passions joyeuses.

À la limite, les passions et les idées inadéquates n'occupent plus... n'occupent plus, mais je ne
pouvais pas le dire avant, il fallait le faire... n'occupent plus que la plus petite partie proportionnelle
de vous-même. Et la plus grande partie de vous-même est occupée par des idées adéquates et des
affects actifs.

Dernière étape, en effet, les notions communes et les affects actifs qui découlent des notions
communes, vont elles-mêmes être doublées par de nouvelles idées et de nouveaux états, ou de
nouveaux affects, les idées et les affects du troisième genre. C'est-à-dire, ces auto-affections, là, qui
nous restent un peu mystérieuses.... et qui définiront le troisième genre alors que les notions
communes définissaient seulement le deuxième genre.

Voyez, alors moi, il y a une chose qui me fascine, pour en finir avec tout ça, la chose qui me
fascine c'est ceci, c'est que : pourquoi est ce que Spinoza ne le dit pas ? Évidemment, la réponse,
elle doit être complexe. En fait, s'il ne le disait pas c'est que tout ça se serait faux ce que je dis. Il faut
bien qu'il le dise. Et, il le dit. Bon, alors, ma question se transforme : s'il le dit, pourquoi il le ne dit pas

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très clair ? Hé, ben... là, je crois c'est simple... Il ne pouvait pas faire autrement. Il le dit où ça ? Il le
dit et il a cet ordre très curieux :
idées inadéquates et passions joyeuses, sélection des passions joyeuses.
Deuxième étape : formation des notions communes et affects actifs qui découlent des notions
communes.

Troisième étape, troisième genre de connaissance : idées des essences, non plus notions
communes mais idées des essences singulières, et affects actifs qui en découlent. C'est trois étapes
c'est... Il les présente comme trois étapes successives, mais dans le cinquième Livre. Et le
cinquième Livre ce n'est pas un livre facile, on a vu pourquoi. Il dit : ça c'est un livre de toute vitesse.
Et encore une fois pas parce qu'il est mal fait ou vite fait. Parce que, au troisième genre de
connaissance, on attend une espèce de vitesse de la pensée, que Spinoza suit et qui fait de
l'Ethique... et qui donne à l'Ethique cette terminaison admirable, comme une espèce de terminaison
à toute allure. Une espèce de terminaison éclair. Bon. Il le dit donc dans le cinquième livre. Il me
semble. Notamment, j'attire votre attention sur un théorème, sur une proposition.

Au début du cinquième Livre où Spinoza dit :" tant que nous ne sommes pas tourmenté par... tant
que nous ne sommes pas tourmenté par des sentiments contraires à notre nature, nous pouvons"...
pour moi, c'est le texte, c'est un texte fondamental puisque, on ne peut pas dire plus clairement :
Qu'est ce que c'est que des sentiments contraires à notre nature ? Vous regarderez le contexte.
C'est l'ensemble des passions de tristesse. En quoi les passions de tristesse ou les sentiments de
tristesse sont-ils contraires à notre nature ? À la lettre, en vertu de leur définition même, à savoir : ce
sont les effets de la rencontre de mon corps avec des corps qui ne conviennent pas avec ma nature.
Donc, c'est à la lettre des sentiments contraires à ma nature.

Et bien, tant que nous ne sommes pas tourmentés par des sentiments... c'est-à-dire "en tant" que
nous sommes tourmentés par de tels sentiments, en tant que nous avons une tristesse, que nous
éprouvons une tristesse, pas question de former une notion commune relative à cette tristesse. Je
ne peux former une notion commune qu'à l'occasion de joies. C'est ça. De joies passives. Seulement
lorsque j'ai formé une notion commune à l'occasion d'une joie passion, à ce moment-là ma joie
passion se trouve doublée d'idées adéquates, notions communes du second genre et idées des
essences du troisième genre ; et redoublée par des affects actifs, affects actifs du deuxième genre et
affects actifs du troisième genre.

Alors, qu'est ce qui se passe ? Et en même temps, il n'y a pas tellement de nécessité. Là, j'insiste
pour en terminer. Mais, ce qui me trouble c'est que, évidemment, les passions joyeuses m'induisent
à former. Ça, c'est comme un bon usage de la joie. Mais, on conçoit, à la limite, quelqu'un qui
éprouverait des passions joyeuses par... le hasard serait bon, le sort le favoriserait, il aurait
beaucoup de joie. Et, il n'y aurait pas... il ne formerait pas de notion commune. Il resterait tout à fait
dans le premier genre de connaissance. Là, c'est évident que ce n'est pas une nécessité. Les
passions joyeuses ne me contraignent pas à former la notion commune. Elles me donnent
l'occasion. C'est là où entre le premier et le second genre de connaissance, il y a comme une
espèce de fossé. Alors, je le franchis ou je le franchis pas ?

Si la liberté se décide à un moment donné, chez Spinoza, c'est là. Il me semble que c'est là. Je
pourrais, en effet rester, même éprouvant des passions joyeuses, je pourrais rester éternellement

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dans le premier genre de connaissance. A ce moment là, je ferais un très mauvais usage de la joie.
Si fort que je sois induit à former des notions communes, je ne suis pas, à proprement parlé,
déterminé à le faire. Voilà. En tout cas, il me semble que c'est une espèce de succession très ferme,
à la fois logique et chronologique, dans cette histoire des modes d'existence ou des trois genres de
connaissance.

J'insiste sur cette idée de doublure ou de doublage. Au début, je suis rempli d'idées inadéquates
et d'affects passifs. Et petit à petit j'arrive à produire des choses qui vont doubler mes idées
inadéquates et mes affects passifs, les doubler par des idées qui sont, elles, adéquates et par des
affects qui, eux, sont actifs. Si bien que, à la limite, si je réussis... si je réussis, j'aurai toujours des
idées inadéquates et des affects passifs,car ils sont liés

à ma condition tant que j'existe ; mais ces idées inadéquates et ces affects passifs n'occuperont,
relativement, que la plus petite partie de moi-même. J'aurai creusé en moi... à la lettre c'est ça...
j'aurai creusé en moi des parties qui sont occupées par des idées adéquates et affects actifs ou
auto-affections. Voilà. Oui ?

UN ÉTUDIANT : (Question inaudible)

DELEUZE : Je réfléchis....hein... je réfléchis. Les deux ne s'opposent pas forcément. d'accord Ça ne


s'oppose pas forcément. Je répondrais en tout cas, il ne s'agit pas de... parce que... très souvent on
a tendance à interpréter Spinoza comme ça et ça le rend vraiment ordinaire. Je crois. Il ne s'agit pas
d'une science. Encore une fois, c'est pour ça que j'insiste, les notions communes, bien sûr elles ont
un aspect. Si vous voulez, moi, je crois... je dirais plutôt, par exemple, les idées géométriques... faire
de la géométrie, c'est très important pour Spinoza, pour la vie même, quoi, dans la vie... mais les
idées géométriques ce ne sont pas elles qui définissent les notions communes, les idées
géométriques c'est simplement une certaine manière, une certaine possibilité de traiter les notions
communes. Les idées géométriques.... on pourrait dire, la géométrie c'est la science des notions
communes. Et les notions communes, elles ne sont pas en elles-mêmes une science, elles sont un
certain savoir. Mais c'est presque un savoir-faire.

Alors, quant à votre question précise, je dirai : Anne (Querrien)l'a très bien dit, il y a trois choses en
fait dans vos termes. Je dirai : les notions communes elles ne s'opposent pas du tout à l'idée d'un je.
Il y a un véritable je, au sens très large, des notions communes puisque c'est un jeu de composition.
Il y a notion commune dès qu'il y a composition de rapports. Alors, je peux toujours essayer de
composer... ça s'oppose sûrement à l'improvisation. Puisque ça implique et ça suppose, d'abord, la
longue démarche sélective où j'ai séparé mes joies de mes tristesses.

UNE ÉTUDIANTE : (inaudible) Ce que l'on appelle l'improvisation en général, ça relèverait ...
(inaudible) DELEUZE : Si tu penses à l'improvisation, en effet, définie comme le sentiment... alors
une espèce de sentiment vécu de la composition des rapports, par exemple, en effet, dans l'exemple
du jazz, on peut tout prendre, mais... heu... Et bien, dans l'exemple du jazz, par exemple, la
trompette entre à tel moment. C'est exactement, je crois, ce que le mot anglais timing dit, le timing,
c'est-à-dire le timing... il y a des mots... là, le français n'a pas ces mots. Les Grecs avaient un mot
très intéressant qui correspond exactement au timing américain. C'était le kaïros. Le kaïros, c'est une
notion tout à fait... les Grecs s'en servent énormément. Le kaïros c'est : exactement le bon moment.

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Ne pas rater le bon moment. C'est... aussi bien, on traduit... mais le français n'a pas un mot aussi
fort... Il y avait un Dieu, il y avait une espèce de puissance divine du kaïros chez les Grecs.
L'occasion favorable, l'opportunité, le truc...ha, ben oui, c'est le moment où la trompette peut prendre
les choses, là.

Anne Querrien : (inaudible) ... c'est-à-dire le moment où l'on arrive à trouver l'agencement collectif.
(inaudible) Donc, le moment et la conséquence, mais aussi qu'est ce qu'elle joue pour être en
agencement avec la batterie... (inaudible) Et dans cet agencement, en fait il s'agit de construire un
agencement collectif... (inaudible) UNE INTERVENANTE : L'agencement collectif, en fait, il se
construit dès que chacun comprend quels sont les rapports qui le constituent. Enfin, il n'y a rien
d'autre qui puisse lui permettre, en plus... Anne Querrien : (inaudible) L'INTERVENANTE : Ben, bien
sûr. Anne Querrien : (inaudible) ... l'improvisation... L'INTERVENANTE : Mais, ce n'est pas une
improvisation, c'est une connaissance des rapports qui te constituent. Anne querrien : (inaudible) Je
connais des copains qui m'ont parlé de la manière dont ils font leur orchestre de jazz. Ils sont cinq.
(inaudible) DELEUZE : La notion d'agencement collectif est difficile parce qu'elle ne peut pas
beaucoup nous apporter des lumières quant à Spinoza, surtout que Spinoza, lui, il emploie son mot
qui vaut largement celui-là. Quand il dit notion commune, là encore une fois, ça veut dire quelque
chose de très précis. Je crois même que c'est finalement impossible pour lui, selon lui, que je, moi,
individu pensant, que je forme... j'ai essayé de le dire tout à l'heure... comprenez... je ne peux pas
former. C'est une notion tellement peu intellectuelle, la notion commune, tellement vivante... que je
ne peux pas former une notion commune, c'est-à-dire l'idée de quelque chose de commun, entre
mon corps et un corps extérieur sans que se constitue, encore une fois, un troisième corps dont le
corps extérieur et moi, nous ne sommes que les parties.
Si je forme la notion commune de mon corps et du corps de la mer, de la vague... si je reprends
mon exemple : apprendre à nager.... je forme la notion commune de mon corps et de la vague. Là, je
forme un troisième corps dont et la vague, et moi, nous sommes les parties. À plus forte raison si...
c'est pour ça que Spinoza nous dit : "mais c'est évidemment entre les hommes que les notions
communes"... Là, on voit très bien ce qu'il a dans l'esprit et à quel point ce n'est pas du tout comme...
comme on le dit parfois des notions... on les traite, encore une fois, la catastrophe c'est quand on... à
mon avis, la catastrophe qui nous empêche de comprendre tout ce qu'il veut dire... c'est lorsqu'on
traite les notions communes comme des trucs abstraits. Et là, ça c'est sa faute. Mais, il avait des
raisons. C'est sa faute parce que lorsqu'il introduit, la première fois, les notions communes, il les
introduit sous cette forme : "les notions communes les plus universelles. Exemple : tous les corps
sont dans l'étendue". L'étendue comme notion commune.

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 31/03/81 - 3
Marielle Burkhalter

- 31/03/81 - 3 Page 1/15


Gilles Deleuze transcription : Lucie Marchadié Cours 14 du 31.03.81 - 3

Gilles Deleuze :
Oui peut être, hein

[Intervention d' Anne Querrien : inaudible pendant 9''...puis :]


...sur le grand débat qu'il y a à la fin du 18ème sur le sublime et le pittoresque et justement dans
le pittoresque on passe par les trois étapes alors que dans le sublime on en garde que deux et on
érige le sublime directement par opposition au chaos. Enfin le chaos est premier... du chaos on
construit le sublime et soit on reste dans le sublime, c'est à dire les lignes géométriques et cætera,
soit on arrive à passer au pittoresque c'est à dire à la couleur et tout ça [inaudible] et s'était en
héritant, en composant avec ce que racontaient ses copains architectes sur leurs débats sur le
sublime et le pittoresque et sur ce que vous nous avez raconté sur Kant et le sublime et le chaos
dans Kant ...[fin inaudible]

G.D : A ce moment là, il faudrait...vaudrait mieux peut-être en effet revenir, mais là ça nous
dépasse... je signale pour ceux que ce point intéresseraient : Il y a dans un livre de Kant, qui est je
crois un des livres les plus importants de toute la philosophie - qui est La "Critique du jugement" que
Kant a écrit très très vieux - et qui contient une des premières grandes esthétiques philosophiques. Il
y a une théorie du sublime et Kant distingue deux aspects ou deux moments du sublime, dans l'un -
il le nomme le "sublime géométrique ou mathématique"...géométrique - et l'autre "le sublime
dynamique". Et là si on y tenait en effet, il faudrait - ceux que ça intéressent, voyez ses textes - ils
sont très difficiles mais je les commenterai peut-être... si on a le temps - Ce serait très curieux en
effet on pourrait peut-être faire coïncider, sans trop forcer les textes, les deux moments de Cézanne
avec ces deux moments du sublime de.. - Le premier qui est un sublime géométrique d'après...
l'expression même ou "géologique" d'après l'expression même de Cézanne - et puis l'autre qui est
beaucoup plus un sublime, on va voir un sublime "dynamique". Mais le texte de Kant est
extraordinaire. C'est les grands textes fondateurs du Romantisme.

Bon, on passe maintenant au second moment. Vous voyez le


premier moment c'est chaos et quelque chose en sort à savoir "l'armature".
Second moment « une tendre émotion me prend ». « Une tendre émotion me prend. Des racines
de cette émotion monte la sève, les couleurs. Une sorte de délivrance. Le rayonnement de l'âme, le
regard, le mystère extériorisé, l'échange entre la terre et le soleil, les couleurs, une logique aérienne
» Avant on était dans une logique terrestre, terrienne, avec les assises géologiques « ...une logique
aérienne, colorée remplace brusquement la sombre, la têtue géométrie » ... Il est beau ce texte...

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Vous voyez, on change d'éléments, « une logique aérienne colorée remplace brusquement la
sombre, la têtue géométrie. Tout s'organise. Les arbres, les champs, les maisons » ...

Tiens, mais alors commentant comme ça, je... Mais alors tout n'était pas organisé, pourtant les
plans étaient tombés d'aplomb, tout ça. « Tout s'organise » comme s'il repartait à zéro. C'est bizarre.
« Je vois. » « Je vois » ... et là, seconde genèse de l'œil... « Je vois par tâches l'assise géologique
»... c'est ça qui va nous donner le secret. C'est bizarre, il ne le dit pas, il a l'air de reprendre à zéro.
Alors que « je vois » il l'a déjà dit, « je commence à voir »... et là il fait comme s'il voyait pour la
première fois. Qu'est-ce qui s'est passé ? Une seule réponse : c'est que le premier moment qui était
chaos ou abîme et quelque chose qui en sort, à savoir l'armature, et bien ce qui est sorti du premier
moment, l'armature s'est écroulée à nouveau. S'est écroulée à nouveau en effet : « Je vois par
tâches l'assise géologique, le travail préparatoire »... Là il le dit formellement, tout le premièrement
était un travail préparatoire, pré pictural. « ...l'assise géologique, le travail préparatoire, le monde du
dessin s'enfonce, s'est écroulé comme dans une catastrophe »

Ce par quoi le texte me paraît très très intéressant, c'est que lui, en son nom propre, dans son
expérience, il distingue, dans ce qu'on peut appeler "la catastrophe" en général, il distingue deux
moments :
un moment du chaos abîme et en sort "les assises" ou "l'armature"
et puis un second moment la catastrophe qui emporte les assises et l'armature... et va en sortir
quoi ? « l'assise géologique, le travail préparatoire, le monde du dessin s'enfonce, s'est écroulé
comme dans une catastrophe. Un cataclysme l'a emporté. Une nouvelle période vit, la vraie, celle où
rien ne m'échappe où tout est dense et fluide à la fois, naturel. Il n'y a plus que des couleurs et en
elles de la clarté, l'être qui les pense, cette montée de la terre vers le soleil, cette exhalaison des
profondeurs vers l'amour. »

C'est curieux parce que comme le signale Maldiney là, on pourrait faire non seulement le rapport
avec les textes sur le sublime chez Kant, mais ce serait là terme à terme, on trouverait l'équivalent
dans des textes, d'ailleurs ... dans des textes de Schelling, lequel Schelling est très proche de la
peinture. Bizarre ça...

Bon. « Je veux m'emparer de cette idée, de ce jet d'émotions, de cette fumée d'être »...la couleur qui
monte... « de cette fumée d'être, au dessus de l'universel brasier »...là aussi ce serait ciseler une
description des toiles de Turner, or ce n'est pas pour Turner qu'il le dit, c'est pour ses toiles à lui,
c'est pour ce qu'il veut faire... « l'universel brasier »...

Voyez donc, je recommence :


un premier temps décomposé en deux aspects le "chaos abîme", je ne vois rien.
Deuxième aspect du premier temps : quelque chose sort du"chaos abîme" les grands plans,
l'armature, la géologie.
Deuxième temps : la catastrophe emporte les assises et les grands plans. La catastrophe
emporte. C'est à dire on repart à zéro. On repart à la reconquête et pourtant si le premier temps
n'était pas là, sans doute que ça ne marcherait pas. Et à nouveau, danger que la catastrophe prenne
tout et que la couleur ne monte pas.

Tiens, c'est donc [ ?] un progrès, qu'est ce qu'il se passe quand la couleur ne monte pas ? Quand la

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couleur ne prend pas dans le brasier ? Il faut que la couleur sorte de cette espèce de fourneau... de
ce fourneau catastrophe. Si elle ne sort pas, si elle ne prend pas, si elle ne cuit pas ou si elle cuit
mal... C'est curieux, c'est comme si le peintre... bon, est-ce qu'il a affaire avec la céramique le peintre
? Oui, évidemment oui. Il emploie d'autres moyens lui, mais son fourneau il l'a, il n'y a pas de couleur
qui ne sorte pas de cette espèce de... d'un fourneau qui est quoi ? Et bien, qui est en même temps
sur la toile. C'est le globe de feu, c'est le globe de lumière de Turner. Chez Cézanne, ce sera quoi ?
Et comment appeler ça ? On ne sait pas encore. La couleur est sensée en sortir. Si elle ne sort pas
qu'est ce que c'est ? Qu'est ce qu'on dit d'un tableau où la couleur ne monte pas, ne sort pas. La
couleur monte, il faut le prendre quoi ? C'est une métaphore ? Non ce n'est pas une métaphore.
Evidemment non pour Cézanne. Ça veut dire que la couleur est une affaire de gammes
ascendantes. Elle doit monter. A bon, elle doit monter ? Est-ce que c'est vrai que tous les peintres...
évidemment non. Non, il y a des peintres où au contraire, il y a des gammes descendantes. Il se
trouve que chez Cézanne, on verra pourquoi... Des gammes ascendantes, si bien que ce qui a l'air
de métaphores, c'est pas des métaphores.

Anne Quérrien - Et bien ça monte vers le blanc.

G.D : Ah... elle monte vers le blanc ? Non pas...non

[Intervention d'une autre étudiante] - Vers le bleu

[Tandis que la première continue son intervention en même temps] - ... Non non parce que
...[inaudible] il y a une gamme ascendante vers le noir, c'est le corps noir intense. Alors il faut
savoir...

G.D : Oui mais Cézanne, ça ne monte pas vers le blanc. Ça monte.

Anne Querrien - Ça va dans la lumière alors

G.D : Non c'est des gammes ascendantes, c'est dans l'ordre... enfin c'est... enfin on verra ça.

Anne Querrien- Non parce que dans l'entre deux guerres là, dans l'exposition sur les réalismes de
l'entre deux guerres [inaudible] il y a des gens qui commençaient à promouvoir le noir et le sombre
comme l'intensité

G.D : Oui, oui. Oui mais là c'est Cézanne, hein. Alors... Qu'est ce que c'est, quand la couleur ne
monte pas ? Quand elle prend pas, quand elle ne cuit pas ? On dit : oh tout ça ?

Tout à l'heure, on a vu le danger, le danger du premier temps. C'était quoi, c'était.. Les plans
tombent les uns sur les autres, ils ne sont pas d'aplomb. Le raté de la géologie... Ils ne sont pas
d'aplomb. Et d'aplomb, ça veut dire quoi ? puisque c'est un aplomb qui n'existe que dans le tableau,
ce n'est pas l'aplomb de la ressemblance ? Il faut que les... sinon, si les plans tombent les uns sur
les autres, le tableau, il est déjà gâché. Vous voyez, c'est beaucoup plus important que le problème
de la profondeur. Le problème de la profondeur il est complètement subordonné au problème des
plans et de la chute des plans. Il faut que les plans tombent et qu'ils ne tombent pas les uns sur les
autres. La profondeur, on s'arrange avec la profondeur. Toutes les créations sont permises quant à

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la profondeur. Mais justement on a toujours la profondeur qu'on mérite en fonction de la manière
dont on fait tomber les plans. C'est ça le problème du peintre. Jamais le peintre n'a eu le moindre
problème de la profondeur. C'est pour rire ça, un problème de profondeur.

Bon le second, les couleurs, elles ne montent pas, qu'est-ce que c'est le danger là ? Le danger
c'est, on le dit très bien, les peintres le disent très bien, c'est... qu'est ce que c'est ? C'est les
couleurs marais, c'est un marais, un marécage. Un gâchis, un gâchis... j'ai fait un gâchis. C'est gris,
c'est de la grisaille. Les couleurs qui ne montent pas, les plans qui ne tombent pas, c'est terrible.
C'est... qui tombent les uns sur les autres. C'est la confusion. Les couleurs qui ne montent pas, c'est
la grisaille. Tiens, c'est la grisaille... ah bon ? Est-ce que ça ne va pas nous aider un peu ? C'est la
grisaille. En effet... ça fait des tableaux, finalement à la limite des tableaux sales. Gauguin il était très
vexé parce qu'un très bon critique du temps avait dit : tout ça c'est des couleurs "sourdes et
teigneuses". Ça il ne lui avait pas pardonné, vingt ans après il se rappelait de ça... la couleur sourde
et teigneuse... qu'on avait dit ça de lui. C'est difficile la couleur, c'est difficile de sortir du sourd, du
teigneux, de la grisaille.

Mais qu'est-ce que ce serait alors ? Pourquoi j'introduis cette idée ? Et bien parce que... - il y a un
texte célèbre que tous les peintres ont toujours répété, un texte de Delacroix où il dit ;" Le gris c'est
l'ennemi de la couleur, c'est l'ennemi de la peinture". On voit bien ce que ça veut dire. Le gris à la
limite c'est quoi ? C'est là où le blanc et le noir se mélangent. A la limite où toutes les couleurs se
mélangent. Toutes les couleurs se mélangent, couleurs montent pas. C'est de la grisaille.

Pour le même Cézanne, pas longtemps après ce texte que je viens de lire, dit ceci. Ecoutez un peu.
Il dit à Gasquet : « J'étais à Talloire. Des gris en veux-tu en voilà et des verts, tous les verts de gris
de la mappemonde. Les collines environnantes sont assez hautes, il m'a semblé. Elles paraissent
basses, et il pleut. Il y a un lac entre deux goulets, un lac d'anglaises. Les feuilles d'album tombent
toutes aquarellées des arbres. Assurément c'est toujours la nature, mais pas comme je la vois,
comprenez-vous ? Gris sur gris. Gris sur gris. On n'est pas un peintre tant qu'on n'a pas peint un
gris. L'ennemi de toute peinture est le gris dit Delacroix. Non, on n'est pas un peintre tant qu'on n'a
pas peint un gris. » Qu'est ce qu'il veut dire ? C'est bien parce qu'il a tort de s'en prendre à Delacroix.
Le texte de Delacroix, il est aussi important et aussi passionnant que celui de Cézanne et en plus ils
disent exactement la même chose.

Il y a un gris qui est le gris de l'échec. Et puis il y a un autre gris. Il y a un autre gris. Qu'est ce que
c'est ? Il y a un gris qui est celui de la couleur qui monte. Il y aurait deux gris ? Là je sens...on
peut...ça touche tellement des ... ou bien il y aurait beaucoup de gris, il y aurait énormément de gris.
En tous cas ce n'est pas le même gris. Le gris des couleurs qui se mélangent, ça, c'est le gris de
l'échec. Et puis un gris qui serait peut être comme le gris du brasier, qui serait peut-être un gris
essentiellement lumineux, un gris d'où les couleurs sortent.

Il faut aller très prudemment parce que c'est bien connu qu'il y a deux manières de faire du gris.
Kandinsky le rappelle, il a une belle page là dessus, sur les deux gris, un gris passif et un gris actif. Il
y a le gris qui est le mélange de noir et de blanc et en même temps on ne va pas pouvoir s'en tenir à
ça. Je le précise tout de suite pour éviter les objections. Il y a un gris, mettons, qui est un mélange de
noir et de blanc et puis il y a un gris qui est un mélange, le grand gris, et ce n'est pas le même, qui
est mélange de vert et de rouge. Ou même d'une manière plus étendue, qui est un mélange de deux

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couleurs complémentaires... mais avant tout, un mélange de vert et de rouge. Or Delacroix parlait de
cet autre gris, le gris du vert/ rouge. Ce n'est pas le même gris, évidemment.

Alors ce serait facile pour nous de dire et bien oui, il y a un gris des couleurs qui se mélangent, c'est
le gris blanc/noir. Et puis il y a un gris qui est comme la matrice des couleurs, le gris vert/rouge.
Kandinsky appelle le gris vert/rouge un véritable gris "dynamique", dans sa théorie des couleurs. Un
gris qui monte, qui monte à la couleur. Bon... mais, pourquoi ce n'est pas suffisant de dire ça ? Parce
que si on prend par exemple la peinture chinoise ou japonaise, c'est bien connu qu'elle obtient déjà
toutes les nuances qu'on veut, mais une série infinie de nuances de gris à partir du blanc et du noir.
Donc on ne peut pas dire que le mélange de blanc / noir il n'est pas matrice aussi. Simplement je
pose la question du gris. Pourquoi je pose la question ? Sans doute pour passer de Cézanne à Klee.
Parce que l'histoire du gris, on va voir qu'elle est complètement reprise.

Je résume tout pour Cézanne. Voilà ce qu'il nous dit - Il nous a donnés quand même un
renseignement inappréciable pour nous :"La catastrophe fait tellement partie de l'acte de peindre
qu‘elle est déjà là avant que le peintre puisse commencer sa tâche". Il nous a donné une précision.
C'est une précision dont on n'est pas sorti, vous voyez. Pourquoi ça m'intéresse, parce que,
qu'est-ce qu'on est en train de tenir, de commencer à tenir ? On est en train, et ça ça m'intéresse,
enfin pour mon compte, ça m'intéresse. Il ne suffit pas de mettre la peinture en rapport avec
l'espace, parce que c'est évident. Je crois même que pour comprendre son rapport avec l'espace il
faut passer par le détour. Quel détour ? Le détour : la mettre en rapport avec le temps. Un temps
propre à la peinture.
Traiter un tableau comme si un tableau opérait déjà une synthèse du temps. Dire un tableau
implique une synthèse du temps. Dire faites attention, le tableau il concerne l'espace que parce que
d'abord, il incarne une synthèse du temps. Il y a une synthèse du temps proprement picturale et
l'acte de peindre se définit par cette synthèse du temps. Donc ce serait une synthèse du temps qui
ne convient qu'à la peinture. Si je me dis comment trouver et comment arriver à définir, si cette
hypothèse était juste, comment arriver à définir la synthèse du temps que je pourrais appeler
proprement picturale ? On commence à apercevoir. Supposons que l'acte de peindre renvoie
nécessairement à une condition pré picturale, et d'autre part, que quelque chose doive sortir de ce
que cet acte affronte.

L'acte de peindre doit affronter sa condition pré picturale de telle manière que quelque chose en
sorte. Là j'ai bien une synthèse du temps... Sous quelle forme ? Une temporalité propre à la peinture
sous la forme d'un pré pictural, avant que le peintre commence, d'un acte de peindre et d'un quelque
chose qui sort de cet acte.

Bon... et tout ça serait dans le tableau. Ce serait le temps propre du tableau. Au point que de tout
tableau, je serais en droit de dire... Quelle est la condition pré picturale de ce tableau ? ce n'est pas
du tout des catégories générales... Où est, où est, montrez moi l'acte de peindre dans ce tableau et
qu'est-ce qui sort de ce tableau ? J'aurais donc ma synthèse du temps proprement picturale.

Si je prends donc, si je récapitule de ce point de vue le thème de Cézanne :


premièrement : conditions pré picturales : le chaos... le chaos ou l'abîme, d'où sort les grands
plans projetés. Voilà, premier.
Deuxièmement temps : l'acte de peindre comme catastrophe. Il faut que les grands pans soient

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emportés par la catastrophe. Et qu'est ce qui en sort ? La couleur. Bon, je passe... il ne faut surtout
pas que vous vous reposiez ni que vous réfléchissiez... surtout pas. Je passe à Paul Klee.

Paul Klee a toujours eu une affaire très bizarre dans tous ses... dans beaucoup de ses textes ça
revient : le thème du point gris, ce qu'il appelle le point gris. Et on sent qu'il a un rapport avec le point
gris, c'est son affaire à lui et c'est comme ça qu'il peut expliquer ce que c'est pour lui que peindre. Et
ce n'est pas à tel texte, il y a par exemple dans ce qui a été traduit sous le titre "Théorie de l'art
moderne" dans les éditions médiations...Il y a un texte de Klee qui s'appelle : note sur le point gris,
page 56. Mais jusqu'au bout, il ne lâchera pas son idée du point gris et les aventures du point gris. Il
en parle partout. Enfin il en parle souvent. Et voilà ce qu'il nous dit : je lis très vite, là :

« Le chaos comme antithèse de l'ordre n'est pas proprement le chaos, ce n'est pas le chaos
véritable. C'est une notion localisée, relative à la notion d'ordre cosmique. Le chaos véritable ne
saurait se mettre sur le plateau d'une balance, mais demeure à jamais impondérable et
incommensurable. Il correspondrait plutôt au centre de la balance » en fait il ne correspond pas, «
plutôt » il dit. Vous allez voir pourquoi il ne correspond pas. Qu'est ce qu'il nous dit là ? il est très
philosophe, il dit si vous parlez du chaos vous savez, vous ne pouvez pas vous le donner comme ça
parce que si vous vous le donnez, vous ne pouvez pas en sortir. Il dit :" moi je suis prêt à me le
donner. Je suis prêt à me le donner parce que je suis peintre". Mais, vous ne pouvez pas du point de
vue de la logique vous donner le chaos comme si c'était l'antithèse de quelque chose parce que le
chaos, il prend tout et il risque de tout prendre.
Vous ne pouvez pas dire le chaos c'est le contraire de l'ordre. Le chaos, il est relatif à rien. Il n'est
l'opposé de rien, il n'est relatif à rien, il prend tout. Et il met donc en question déjà dès le début toute
pensée logique du chaos. Le chaos n'a pas de contraire, non il n'a pas de contraire. Si vous posez le
chaos comment vous pouvez en sortir ?

Là, il va essayer de dire comment il en sort pour son compte d'un chaos qui n'a pas de contraire,
d'un chaos qui n'est pas relatif. Il dit le chaos c'est donc un non-concept. C'est intéressant ça pour
ma question : "est-ce que les peintres peuvent nous apporter des concepts". Oui, il commence par
nous dire, le chaos vous savez si vous prenez au sérieux l'idée du chaos c'est un non-concept. Le
symbole de ce non-concept est le point. Ah bon, on se dit « tiens » il faut découvrir le texte avec
contentement avec émerveillement. Il ne s'agit pas de discuter ni même de lui demander pourquoi, il
faut essayer de se laisser aller à ce texte. « Le symbole de ce non-concept est le point, non pas un
point réel mais un point mathématique. » C'est-à-dire un point qui n'a pas dimension, c'est ça qu'il
veut dire. « Cet être-néant ou ce néant-être - » Il est très philosophe Klee - « Cet être-néant ou ce
néant-être, est le concept non-conceptuel de la non-contradiction. » C'est bien, c'est très gai ça. Il dit
du chaos, « Cet être-néant ou ce néant-être est le concept non-conceptuel de la non-contradiction »
de la non-contradiction puisqu'il ne s'oppose à rien. Puisqu'il n'est pas relatif, c'est l'absolu. Le chaos,
c'est l'absolu. Il dit c'est tout simple. « Pour l'amener au visible », c'est à dire pour en avoir une
approximation visible, « prenant comme une décision à son sujet ...il faut faire appel au concept de
gris, au point gris, point fatidique entre ce qui devient et ce qui meurt ».

Vous voyez c'est le point gris qui est chargé d'être comme le signe pictural du chaos, du chaos
absolu.

« Ce point est gris, parce qu'il n'est ni blanc ni noir ou parce qu'il est blanc tout autant que noir »

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Vous voyez ce gris dont il s'agit, c'est le gris du noir/ blanc. Là il le dit explicitement. « Il est gris
parce qu'il n'est ni en haut ni en bas ou parce qu'il est en haut tout autant qu'en bas. Gris parce qu'il
n'est ni chaud ni froid. » En terme de couleurs, vous savez : les couleurs chaudes avec mouvement
d'expansion, les couleurs froides avec mouvement de contraction.

« Gris parce qu'il n'est ni chaud ni froid. Gris parce que point non-dimensionnel »

C'est un beau texte, on ne sait pas où il va, mais il y va avec une espèce de rigueur...

« Gris parce que point non-dimensionnel, point entre les dimensions » « entre les dimensions et à
leur intersection, au croisement des chemins »

Voilà, voilà le point gris chaos. Il continue et là je vais devoir mêler des textes.

Il continue le texte que je cite même :

« Etablir un point dans le chaos, c'est le reconnaître nécessairement "gris" en raison de sa


concentration principielle et lui conférer le caractère d'un centre originel d'où l'ordre de l'univers va
jaillir et rayonner dans toutes les dimensions. Affecter un point d'une vertu centrale, c'est en faire le
lieu de la cosmogénèse. A cet avènement correspond l'idée de tout commencement ou, mieux : le
concept d'œuf. »

Et bien. Il nous a apporté deux concepts : le concept non-conceptuel du gris et le concept d'œuf.
Bon, si vous avez écouté le second paragraphe, je le relis très vite :

« Etablir un point dans le chaos, c'est le reconnaître nécessairement gris en raison de sa


concentration principielle et lui conférer le caractère d'un centre originel d'où l'ordre de l'univers va
jaillir et rayonner dans toutes les dimensions. »

On en est là, à ce second niveau on est à la genèse des dimensions. Le premier point gris il est
"non-dimensionnel".

Le second paragraphe nous parle de toute évidence d'un second point gris. Quel est ce second
point gris ? Cette fois-ci contrairement au premier...ou bien, c'est le premier mais le premier
comment ? Fixé. C'est le premier centré. Si vous comprenez quelque chose vous y voyez l'écho du
texte de Cézanne. Les plans tombent. Ah. J'ai fixé le point gris non-dimensionnel. Je l'ai fixé j'en fais
le centre. En lui-même il n'était pas du tout centre. Pas du tout. Là je le fixe, j'en fais un centre. De
telle manière qu'il devienne matrice des dimensions. Le premier point était unidimensionnel, le
second c'est le même que le premier mais fixé, centré.

Dans un autre texte - c'est pour ça que j'ai besoin des autres textes - il a une formule encore plus
étrange, très très curieuse. « Le point gris établi » C'est-à-dire, comprenez bien. Le point gris une
fois fixé. Une fois pris comme centre. C'est une cosmogénèse de la peinture là qu'il essaie de faire,
je crois. « Le point gris établit saute par-dessus lui-même » Vous voyez c'est le même et c'est pas le
même. « Le point gris établi saute par-dessus lui-même dans le champ où il crée l'ordre. » Le
premier point c'était le point gris chaos, non-dimensionnel. Le second c'est le même, mais le même

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sous une toute autre forme, un tout autre niveau, un tout autre moment, il y a deux moments du point
gris.

Cette fois-ci c'est le point gris devenu centre dès lors matrice des dimensions, dans la mesure où il
est établit c'est-à-dire entre les deux, il a sauté par-dessus lui-même. Et comme Klee adorait faire
des petits dessins de sa cosmogénèse - vous voyez très bien le point gris qui saute par-dessus
lui-même. Qu'est-ce que ça veut dire ça ? J'ajoute, pris encore à un autre texte, mais elle obsède
tellement l'histoire du point gris, ce texte, cet extrait de Klee, là qui me paraît alors pour nous d'un
très très riche.

« Si le point gris se dilate » Il s'agit du second point gris comme centre devenu matrice des
dimensions. « Si le point gris se dilate et occupe la totalité du visible alors le chaos change de sens
et l'œuf se fait mort »

C'est la version Paul Klee de la question qu'on posait tout à l'heure :


Et si le chaos prend tout ? Alors et si le chaos prend tout, bon il faut passer par le chaos mais il
faut que quelque chose en sorte. Si rien n'en sort, si le chaos prend tout, si le point gris ne saute pas
par-dessus lui-même alors l'œuf est mort. Qu'est-ce que c'est l'œuf ? C'est évidemment le tableau.
C'est le tableau qui est un œuf. La matrice des dimensions. Alors c'est quoi le [mot inaudible] de
Klee ? Je dirais pour faire le parallèle avec le texte de Cézanne :
Premier moment : le point gris chaos. C'est l'absolu. Evidemment c'est avant de peindre. Pas
question de le peindre ce point gris chaos. Et pourtant il affecte fondamentalement. La peinture,
l'acte de peindre, il commence quand ? Il est à cheval. L'acte de peindre, il a si j'ose dire un pied,
une main dans la condition pré picturale... et l'autre main en lui-même. En quel sens ? L'acte de
peindre c'est l'acte qui prend le point gris pour le "fixer", pour en faire le centre des dimensions.
C'est-à-dire, c'est l'acte qui fait que le... qui fait sauter par-dessus lui-même le point gris. Le point gris
saute par-dessus lui-même et à ce moment là engendre l'Ordre ou l'œuf. S'il ne saute pas
par-dessus lui-même, c'est foutu, l'œuf est mort.
Donc les deux moments point gris et chaos, point gris matrice entre les deux le point gris à sauté
par-dessus lui-même et c'est ça l'acte de peindre. Il fallait passer par le chaos. Parce que c'est dans
le chaos qu'est la condition pré picturale.

Alors, est-ce qu'on peut raccrocher - puisque là, Klee le fait explicitement, encore plus directement
que Cézanne - avec le problème de la couleur et du gris ? Bon, est-ce que c'est le même gris ?
Est-ce qu'on peut dire, est-ce qu'il suffit de dire, il y aurait même toutes sortes de questions, est-ce
qu'on peut dire ? Oui peut-être approximativement on peut dire.

Oui le premier gris le point gris chaos c'est le gris du noir/blanc. Le point gris qui a sauté
par-dessus lui-même, c'est pas le même. C'est le même et c'est pas le même. C'est encore le point
gris mais cette fois-ci quand il a sauté par-dessus lui-même est-ce que ce ne serait pas cet "autre"
gris ? Le gris du vert/rouge. Le gris qui organise les dimensions et dès lors du même coup qui
organise les couleurs. Qui est la matrice des dimensions et des couleurs. Est-ce qu'on peut le dire ?
Oui on peut le dire. Oui, sûrement. Est-ce que c'est suffisant de le dire ? Non, parce qu'il serait
stupide de dire que le gris du noir/blanc...c'est pas aussi déjà tout... tout l'œuf, tout le rythme de la
peinture tout... donc c'est manière de dire tout ça... Bon

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Comment s'en tirer ? On progresse vraiment lentement, c'est-à-dire, on commence à apercevoir
cette synthèse du temps est présente. A mon avis c'est comme ça que...qu'on peut...si vous
voulez...c'est vraiment une question d'assignation. Dans un tableau et bien oui, pour Turner ça
marche de toute évidence. Pour Cézanne ça marche. Pour Klee, bon sûrement aussi. Et vous voyez
pourquoi dès lors ils peuvent se relier tellement à l'idée d'un commencement du monde. C'est leur
affaire, le commencement du monde c'est leur affaire. C'est leur affaire directe. Je veux suggérer
que si Faure par exemple : la musique elle a un rapport avec le commencement du monde ? Oui.
Oui certainement. De la même manière ? Je ne sais pas, je ne sais pas bien. Ca il faudra penser
pour le... on peut pas tout... en tout cas tout...mélan[ger]

Voilà, alors, vous comprenez. Bon, on se sentbloqué,donc chaque fois qu'on se sent bloqué il faut
sauter à un autre peintre, mais peut-êtrequeparmivousilyena...Qu'est-cequeje cherche ? Je cherche,
et bien, je cherche quelque chose qui me fasse encore un peu avancer. Et j'invoque alors un peintre
qui va venir ...ça ne s'impose pas ces rapprochements, ce n'est pas des rapprochements de peintre
que je fais... je vais chercher, là ce peintre actuel, ce peintre contemporain, Bacon. Parce que j'ai été
très frappé, j'en reste dans les textes. La prochaine fois peut-être que je montrerais par exception un
petit tableau, un petit tableau pour que vous voyez ce que il veut dire, peut-être, mais pas la peine.

Il y a un texte très très curieux. Il a fait des entretiens Bacon, qui ont été publiés... aux éditions
Skira. Et il y a un passage qui paraît tout à fait bizarre parce que, en plus il a la chance d'être
anglais, enfin anglais, irlandais, et il lâche un mot, il lâche un mot que les Anglais aiment bien - et ce
mot alors peut-être qu'on va y trouver un salut, là dans notre ... Voilà le texte. Pourquoi il vient en ce
moment le texte ? Pour moi, il vient en ce moment parce que Bacon dit que, avant de peindre il y a
bien des choses qui se sont passées. Avant même de commencer à peindre, il y a bien des choses
qui se sont passées, quoi ? Bon, laissons de côté.

Et que, précisément c'est pour ça que peindre ça implique une espèce de catastrophe. Une espèce
de catastrophe, pourquoi ? Ca implique une espèce de catastrophe sur la toile... pour se défaire de
tout ce qui précède, de tout ce qui pèse sur le tableau avant même que le tableau ne soit
commencé. Comme si le peintre avait à se débarrasser, alors comment appeler ces choses dont il
doit se débarrasser ? Qu'est ce que c'est que ces fantômes dont le peintre... qu'est- ce que c'est que
cette lutte avec des fantômes avant de peindre ?

Les peintres, ils ont souvent donné un moment, presque technique, dans leur vocabulaire à eux :
les clichés. On dirait que les clichés ils sont déjà sur la toile avant même qu'ils aient commencé. Que
le pire est déjà là. Que toutes les abominations de ce qui est mauvais dans la peinture est déjà là.
Les clichés, Cézanne il connaissait ça. La lutte contre le cliché avant même de peindre. Comme si
les clichés étaient là comme des bêtes qui se précipitaient, elles étaient déjà sur la toile avant que le
peintre ait pris son pinceau. Et il va falloir - là on comprend un petit peu mieux peut-être si c'est ça.
On va comprendre pourquoi la peinture est nécessairement un déluge - Va falloir noyer tout ça, va
falloir empêcher tout ça, va falloir tuer tout ça. Empêcher tous ces dangers qui pèsent déjà sur la
toile en vertu de son caractère pré pictural ou de sa condition pré picturale. Il faut défaire ça, et
même si on ne le voit pas ils sont là. Ces espèces d'ectoplasmes qui sont déjà... Alors ils sont où ?
Et bien dans la tête, dans le cœur, ils sont partout. Dans la pièce, dans la pièce ils sont là. C'est
épatant, c'est des fantômes quoi... Ils sont là , on ne les voit pas mais ils sont déjà là. Si vous ne
passez pas votre toile dans une catastrophe de fournaise ou de tempête ...et cætera... vous ne

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produirez que des clichés. On dira, oh ! il a un joli coup de pinceau, ah c'est bien ça, un décorateur
quoi, un décorateur. Oui c'est bien, c'est joli ! c'est bien fait, ah oui c'est bien ! Ou bien un dessin de
mode, les dessinateurs de mode ils savent bien dessiner et c'est de la merde en même temps, ça n'a
aucun intérêt, rien, zéro quoi. Zéro bon...

Il ne faut pas croire qu'un peintre, un grand peintre il ait moins de danger qu'un autre.
Simplement, lui dans son affaire, il sait tout ça. C'est-à-dire un dessin parfait, ils savent tous en faire.
Ils n'ont pas l'air mais ils savent très bien, ils ont même parfois appris ça dans les académies où, il y
a eu un temps où ils apprenaient très bien ça. Et bien, et même on ne conçoit pas un grand peintre
qui ne sache pas très bien faire là ces espèces de reproductions, tous y sont passés, tous tous tous.
Bon, mais ils savent que c'est ça qu'il faut faire passer par la catastrophe. Vous voyez, si la
catastrophe, commence à préciser un peu et pourtant c'est très insuffisant ce que je dis, je ne dis
pas du tout qu'on en restera là, mais je dis : "si l'acte de peindre est essentiellement concerné par
une catastrophe c'est d'abord parce qu'il est en rapport nécessaire avec une condition pré picturale
et d'autre part parce que dans ce rapport avec une condition pré picturale il doit rendre impossible
tout ce qui est déjà "menace" sur la toile, dans la pièce, dans la tête, dans le cœur. Donc il faut que
le peintre se jette dans cette espèce de tempête, qui va quoi ? Qui va précisément annuler, faire fuir
les clichés. La lutte contre le cliché.

Bon. Supposons. Alors Cézanne en effet la lutte contre le cliché chez Cézanne c'est, c'est
presque une, c'est un truc où comprenez si quelqu'un met toute sa vie dans la peinture et la lutte
contre le cliché, ce n'est pas un exercice d'école. C'est quelque chose où il risque de...vous
comprenez c'est terrible. On est coincé à première vue, du moins le peintre est coincé : s'il ne passe
pas par la catastrophe, il restera condamné au cliché. Et même si vous lui dites : "oh c'est quand
même très beau c'est pas des clichés" - ça pourrait n'être pas des clichés pour les autres, pour lui ça
en sera un. Il y a des Cézanne qui ne sont pas des clichés pour nous. Pour lui, c'en étaient. Bon, ça,
il faudra parler de tout ça, c'est tellement compliqué, c'est pour ça que les peintres sont tellement
sévères, les grands peintres sur leur propre œuvre, c'est pour ça qu'ils jettent tellement de trucs...

Alors ça c'est un premier danger. On ne passe pas par la catastrophe. On évite la catastrophe.
Est-ce qu'il y a de grands peintres qui ont évité la catastrophe ? Ou bien on la réduit au minimum
tellement au minimum qu'elle ne se voit même plus. Peut-être qu'il y a de grands peintres qui ont été
assez... je ne sais pas un peu plus tard alors...ils ont l'air de passer pour...mais rien du tout.

Et puis il y a l'autre danger. On passe par la catastrophe et on y reste. Et le tableau y reste. Ah c'est,
bien, ça arrive tout le temps ça. Comme dit... comme dit Klee, « le point gris s'est dilaté ». Le point
gris s'est dilaté au lieu de sauter par-dessus lui-même.

Voilà le texte de Bacon... hou la la, et bien je n'ai pas le temps. Je n'ai pas le temps. Et bien voilà
alors vous voyez, on en est là, un texte de Bacon dit... Voilà. Bon non, je veux bien le lire mais ça...
C'est idiot vous voulez ?

[Quelques étudiants :]- Oui.

G.D : Oui parce que ça vous fera, j'aimerais que vous y réfléchissiez pour la prochaine fois.

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[Plusieurs étudiants demandent à ceux qui partent de faire moins de bruit : ] -Chut !

G.D : [il cite :] « Je fais des marques. » Son tableau, là, c'est à peu près au moment où il a - c'est le
moment de Cézanne où il a les grands, les grands plans - « Je fais des marques » C'est ce qu'il
appelle des marques au hasard. Vous voyez c'est vraiment une espèce de, ou ce qu'il appelle
vraiment du "nettoyage". Il prend une brosse ou un chiffon et il nettoie une partie du tableau. Une
partie, retenez toujours que ça ne prenne pas tout, que la catastrophe ne prenne pas tout. Il établit
lui-même sa catastrophe.

« Les marques au hasard sont faites, dit-il, et on considère la chose, c'est-à-dire le tableau nettoyé
sur une partie et on considère la chose comme on ferait d'une sorte de diagramme. » Merveille,
merveille ça va nous relancer. Retenez le mot : un diagramme, il appelle ça.

« Et l'on voit à l'intérieur de ce diagramme les possibilités de fait de toutes sortes s'implanter » Il ne
dit pas on ne voit pas des faits ...

[Coupure et changement de piste]

« Et soudain à travers ce diagramme » - comprenez, c'est mauvais si ce n'est pas à travers le


diagramme - Si ce n'est pas à travers le diagramme ça donnerait une caricature, ce qu'il vient de
dire. C'est-à-dire quelque chose de pas très fort quand même. « Vous avez mis à un certain moment
la bouche quelque part, mais vous voyez soudain à travers le diagramme que la bouche pourrait
aller », pourrait aller d'un point, « d'un bout à l'autre du visage ». Bon, bouche immense, vous étirez
le trait. Alors là vous direz en toutes lettres que c'est un trait diagrammatique. « Et d'une certaine
manière » - voilà le, ce qui m'importe le plus - « Et d'une certaine manière vous aimeriez pouvoir
dans un portrait faire de l'apparence un Sahara ». Faire que le tableau devienne un sahara. « Faire
le portrait si ressemblant, bien qu'il semble contenir les distances du Sahara. » Ça veut dire, je
retiens :
établir dans le tableau un diagramme d'où va sortir l'œuvre : le diagramme c'est l'équivalent
précisément de, du point gris de... là complètement.
et ce diagramme est exactement comme un sahara. Un Sahara d'où va sortir le portrait. Faire le
portrait ressemblant bien qu'il semble contenir les distances du sahara.

Qu'est-ce que c'est et pourquoi ce mot diagramme ? Parce que, c'est pour ça que je dis est-ce un
hasard ? Je ne sais pas si c'est un hasard mais je suppose que Bacon aussi, comme beaucoup
d'autres peintres, lit beaucoup. Diagramme c'est une notion qui a pris beaucoup d'importance dans la
logique anglaise actuelle. Bon, c'est bon pour nous, si, même c'est une occasion pour voir ce que les
logiciens, certains logiciens appellent "diagramme" notamment c'est une notion dont un très grand
logicien philosophe qui s'appelle Peirce a fait toute une théorie extrêmement complexe, la théorie
des diagrammes qui a une grande importance aujourd'hui dans la logique.

C'est pas très loin non plus d'une notion à ma connaissance, Wittgenstein emploie rarement le
mot diagramme, mais Wittgenstein en revanche parle énormément des possibilités de fait. Alors je
n'exclue pas même que Bacon là fasse un clin d'œil à des gens dont il connaît vaguement les
conceptions, dont il a lu les livres. Parce que le mot diagramme est bizarre. A la limite, il peut très
bien ne pas avoir lu et prendre le mot diagramme qui a un certain usage assez courant je crois en

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anglais. Et qu'est-ce qu'il nous dit là, qu'est-ce qui m'intéresse ?

Vous voyez le diagramme c'est cette zone de nettoyage, qui à la fois


fait catastrophe sur le tableau c'est-à-dire efface tous les clichés préalables, fussent des clichés
virtuels. Il emporte tout dans une catastrophe et c'est du diagramme, c'est-à-dire l'instauration de ce
Sahara dans le tableau, c'est du diagramme que va sortir la Figure. Ce que Bacon appelle la Figure.
Bon, je dirais, là le mot diagramme est-ce qu'il peut nous servir ? Oui d'une certaine manière parce
que, je dirais : appelons diagramme, à la suite de Bacon, appelons diagramme cette double notion -
autour de laquelle on tourne depuis le début - de catastrophe germe ou chaos germe.

Le diagramme ce serait le chaos germe. Ce serait la catastrophe germe, puisque aussi bien dans
le cas de Cézanne que dans le cas de Klee, on a vu : il y a à cette instance très particulière la
catastrophe qui est telle que elle est catastrophe et en sort quelque chose qui est le rythme, la
couleur, ce que vous voulez. Et bien cette unité pour faire sentir cette "catastrophe germe", ce
"chaos germe", ce serait ça. Ce serait ça le diagramme. Dès lors, le diagramme il aurait bien tous les
aspects précédents à savoir, - sa tension vers la condition pré picturale. D'autre part il serait au cœur
de l'acte de peindre et d'autre part c'est de lui que sortirait, devrait sortir quelque chose.

Si le diagramme s'étend à tout le tableau, gagne tout, tout est gâché. Si il n'y a pas le diagramme,
si il n'y a pas cette zone de nettoyage, si il n'y a pas cette espèce de zone folle lâchée dans le
tableau de telle manière que les dimensions en sortent et les couleurs aussi. Si il n'y a pas ce gris du
gris vert/rouge, dont toutes les couleurs vont monter, à partir duquel toutes les couleurs vont monter
et faire leurs gammes ascendantes, il n'y a plus rien.

D'où tout ce qui nous paraissait complexe - on a fait un gain minuscule - tout ce qui nous paraissait
complexe dans ces idées doubles de "chaos catastrophe, germe", on peut au moins les unifier dans
la proposition d'une notion qui elle serait proprement picturale. A savoir un "diagramme".

A ce moment là qu'est-ce que c'est un diagramme d'un peintre ? Bon, il faudrait que la notion
redevienne picturale. Ça nous ouvre beaucoup d'horizons, des horizons logiques, faire une logique
du diagramme. Ce serait peut-être la même chose qu'une logique de la peinture. Si on l'oriente dans
cette voie. Mais d'autre part, un peintre il aurait un diagramme ou plusieurs ? Qu'est-ce que ce serait
le diagramme d'un peintre ? C'est pas le même pour tous les peintres, sinon c'est une notion qui ne
serait pas de peinture. Il faudrait trouver le diagramme de chaque peintre. Ça ça pourrait être
intéressant et puis peut-être qu'ils changent de diagramme. Il y a peut-être, on pourrait même
peut-être dater les diagrammes. Qu'est-ce que ce serait un diagramme qu'on pourrait montrer dans
le tableau ? Variable d'après chaque peintre, variable même à la limite d'après les époques. Qui
pourrait être daté. Je dis diagramme de Turner 1830. C'est quoi, c'est des idées platoniciennes, non
puisqu'on les date, elles ont des noms propres. Et ça c'est le plus profond de la peinture.
Diagramme de Turner c'est quoi ? Bon. Je vais pas le résumer dans un tableau.

Diagramme de Van Gogh. Là on sent l'aise parce que c'est l'un des peintres dont on voit le mieux
le diagramme. Ce qui ne veut pas dire qu'il ait une recette. Mais chez lui tout se passe comme si le
rapport avec la catastrophe était tellement exacerbé que le diagramme apparaît à l'état presque pur.
Chacun sait ce que c'est qu'un diagramme de Van Gogh : c'est ce monde infini des petites hachures,
des petites virgules, des petites croix qui vont tantôt, suivant les tableaux - et ce n'est pas une

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recette évidemment - qui vont tantôt faire palpiter le ciel, tantôt gondoler la terre, tantôt entraîner
complètement un arbre - donc vous allez aussi bien retrouver, qui n'a rien à voir avec une idée
générale mais que vous allez aussi bien retrouver dans un arbre, dans un ciel, sur la terre, et qui va
être le traitement de la couleur de Van Gogh. Et ce diagramme je peux le dater, en quel sens je peux
le dater ? Tout comme le diagramme tout autre de Turner. Je peux dire oui, ce diagramme des
petites virgules, des petites croix, des petits trois et cætera, je peux montrer comment dès le début
d'une certaine manière obtuse, obstinée, Van Gogh est à la recherche de ce truc là.

Mais est-ce par hasard et pour notre réconfort à nous pour finir, que Van Gogh, il découvre la
couleur très tard ? Que ce génie voué à la couleur passe toute sa vie dans quoi ? Dans la
non-couleur, dans le noir et blanc. Comme si la couleur le frappait d'une terreur et qui remet toujours,
qui remet toujours à l'année suivante, l'apprentissage de la couleur. Et qu'il patauge dans la grisaille
mais alors vraiment dans le gris du noir/blanc et qu'il vit de ça et qu'il envoie à son frère ses dessins.
Il lui réclame tout le temps de la craie de montagne. Je ne sais pas ce que c'est la craie de
montagne, mais c'est la meilleure craie, il dit la craie de montagne, envoies moi de la craie de
montagne, j'en trouve pas ici. Bon, fusain et craie de montagne et tout ça, il passe son temps avec
ça. Et il se prend les pieds... ça va mal, ça va très très mal. Comment est-ce qu'il rentrera dans la
couleur ? Qu'est-ce qu'il se passera quand il va entrer dans la couleur et quelle entrée il va faire
dans la couleur...après s'être tellement retenu ?

Bon là alors l'histoire de Klee elle devient vitale, dramatique. Le point gris saute par-dessus
lui-même. Le point gris du noir et blanc devient matrice de toutes les couleurs. Ça devient le point
gris du vert/ rouge ou le point gris des couleurs complémentaires. Il a sauté par-dessus lui-même.
Van Gogh est entré dans la couleur et cela parce qu'il a affronté son diagramme. Et son diagramme
c'est quoi ? C'est la catastrophe, c'est la catastrophe germe, à savoir ces espèces de petites
virgules, de petites anguilles colorées avec lequel il va faire tout son apprentissage et toute sa
maîtrise de la couleur. Et qu'est-ce qui va se passer ? Quelle expérience il va avoir ? Et je peux le
dater, je peux dire en gros, oui en gros.
Tout comme le diagramme Turner, il faut dire 1830 parce que c'est là que Turner si fort qu'il ait
pressenti avant son propre diagramme, affronte directement le diagramme.
Et Van Gogh 1888. C'est au début de 1888 que vraiment son diagramme là, devient quelque
chose de maîtrisé, de... et en même temps de pleinement varié puisque ses petites virgules, vous
remarquerez dans tous les Van Gogh, tantôt elles sont droites, tantôt elles sont courbes elles n'ont
jamais la même courbe et cætera.

C'est ça la variabilité d'un diagramme. Le diagramme c'est en effet une chance de tableaux
infinis, une chance infinie de tableaux. C'est pas du tout une idée générale. Il est daté, il a un nom
propre, le diagramme de untel, de untel, de untel et finalement c'est ça qui fait le style d'un peintre.
Alors il y a un diagramme Bacon sûrement. Quand est-ce qu'il l'a trouvé son diagramme ? Bon, il y a
des peintres qui changent de diagramme. Oui, il y en a qui ne changent pas, ça ne veut pas dire
qu'ils se répètent, pas du tout. Ça veut dire que... ils en finissent pas de...de l'analyser leur
diagramme. D'où, on en est à cette question, bon. Voilà que une notion peut être adéquate à cette
longue histoire de la catastrophe et du germe dans l'acte de peindre : ce serait précisément cette
notion de diagramme.

Oh la la, 1h20, bon dieu... [un brouhaha se fait entendre. Fin de la bande]

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Le texte de Paul Klee est disponible sous la référence : "Théorie de l'art moderne", éd. Folio, coll.
essais, 1998, Paris. p.56

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Deleuze
-- Menu - La peinture et la question des concepts - Mars à Juin 1981 - cours 14 à 21 - (18 heures) --

La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 31/03/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 31/03/81 - 2 Page 1/11


Deleuze 31/03/81 _ 14B_

Transcription : Szarzynski Eva

(...) c'est ça qui trouble le lecteur... Il a donc une raison, et cette raison ça ne nous aide pas. Alors
lorsqu'il nous dit, au contraire, mais finalement les notions communes privilégiées, c'est les notions
qui sont communes à plusieurs hommes, c'est-à-dire c'est la communauté des hommes .
C'est ça ! C'est ça le lieu de la notion commune, en d'autres termes, là, les notions se révèlent
comme essentiellement politiques, à savoir c'est la construction d'une communauté, la notion
commune. Là on voit très bien à quel point ça déborde, et de loin, les notions
physico-mathématiques dont il se réclamait pourtant au livre 2. Dans le livre 2 comme il veut
commencer par expliquer les notions communes les plus universelles, là elles ont l'air vraiment d'être
des trucs abstraits, d'être des trucs comme des sciences. Tous les corps sont des liens tendus, la
vitesse et le mouvement comme notion commune à tous les corps, etc... alors si on se laisse prendre
à ce moment là, je crois qu'on perd toute la richesse concrète des notions communes.
Vous comprenez la notion commune c'est lorsque bon... c'est... Quel troisième corps vous faites
avec quelqu'un que vous aimez ou que vous aimez bien, comment... Quel rythme... Oui là les
exemples... Là l'exemple donne le rythme, en effet... Le rythme c'est une notion commune à deux
bords au moins. Le rythme il est fondamentalement commun à au moins deux bords. Il n'y a pas le
rythme du violon, il y a le rythme du violon qui répond au piano et le rythme du piano qui répond au
violon. Ça c'est une notion commune à ce moment là. Vous savez la notion commune de deux corps,
le corps du piano et le corps du violon, sous l'aspect, sous tel ou tel aspect, c'est-à-dire, sous
l'aspect du rapport... du rapport qui constituera telle œuvre musicale et qui forme le troisième corps.

Voyez c'est donc très concret. Alors je dirais oui, tout est possible, oui, dans cette question... Ce
n'est pas n'importe quel savoir, ce n'est pas n'importe quel jeu puisque c'est un jeu de composition,
de combinaisons avec compréhension des rapports... Alors l'expression « jeu » est évidement très
ambigüe parce que je conçois des jeux qui consisteraient par exemple, uniquement comme des jeux
de hasard, si on ne cherche pas une martingale. Dès qu'on cherche une martingale... Pourtant c'est
des exemples, c'est des exemples abominables pour Spinoza ... Vous pouvez jouer de telle manière
que vous subissez simplement des effets. Et c'est très amusant ! Vous subissez des effets. Par
exemple, vous jouez à la roulette au hasard, vous subissez des effets... La roulette russe, vous faite
de la roulette un usage mortuaire, oui ça peut arriver. Bon alors ça, c'est des passions de tristesse...
Vous jouez, vous gagnez ou vous perdez, vous perdez, vous êtes triste, à moins que vous soyez
particulièrement bizarre, vous gagnez, vous êtes content. Mais c'est de la passion. Qu'est ce que ce
serait chercher une martingale ? la roulette, bon vous voyez les gens qui cherchent des martingales

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c'est du boulot quoi..., c'est pas de la science mais c'est du travail...bien, ça veut dire quoi ? Là ils
s'élèvent, ils essaient, maintenant peut être qu'il ont complètement tort, je sais bien que Spinoza, il
dirait évidement que ce n'est pas une matière de notions communes que le jeu c'est précisément...
c'est, c'est condamné au premier genre de connaissance.

Mais imaginons un Spinoziste joueur... Il dirait que dans la tentative d'élaborer une martingale, il y
a déjà recherche de rapports communs, des recherches d'une espèce de rapport et de loi de
rapport... Bon on peut pas dire que ce soit une recherche scientifique, c'est une recherche de
savoirs, c'est tout un métier, c'est toute une... qu'est ce que c'est là ? Est ce qu'on arrive à une notion
commune qui serait une idée adéquate ? Il y a un petit traité, il a pourtant, il s'intéresse à ces
questions puisque il participe, - comme tout le 17ème siècle, c'est un siècle de joueurs vous savez le
17ème - Il participe et il a fait, en hollandais, un très petit traité, quelques pages, qui s'intitule :
"Calcul des chances". Comme tout le monde il réfléchit sur le jeu de dés, le jet des dés... Tout ça
c'est la naissance du calcul des probabilités. C'est pas seulement Pascal, c'est... tous les
mathématiciens du temps s'intéressent énormément aux probabilités et il y a un petit traité de
Spinoza, c'est...

[Intervention d'une étudiante]... ça devient intéressant mais enfin ce n'est pas la joie Spinoziste !
[Rires]

Voilà, je vous laisse le soin de poursuivre tout ça mais surtout mais surtout poursuivez le avec
l'éthique, avec la lecture.

[Intervention d'un étudiant : les rares discussions que j'ai pu avoir avec des musiciens géniaux m'ont
donné l'intuition qu'à partir du moment où on est pris en charge par le ? parce qu'en fait ce n'est pas
quelque chose qui se commande donc à partir du moment où il y a cet rencontre il y a une
impossibilité totale de l'éviter c'est-à-dire qu'il y a une caractéristique de nécessité, d'une
inéluctabilité sauf à casser tous les rapports... (suite inaudible)]

Ouais ! Et en même temps je crois beaucoup que même à ce niveau, il ne dit pas ça comme ça
Spinoza, donc on ne parle plus de Spinoza en fait... J'ai l'impression que en même temps si forte soit
la certitude du troisième genre, tout encore peut être gâché. C'est épatant la vie en sorte parce que...

Et ça nous introduit là à ce que l'on va faire maintenant, il n'y a pas à un moment que quelque soit la
certitude que j'ai, elle peut être grandiose, tout peut être gâché quoi... C'est curieux ça, tout peut
s'écrouler. Pourquoi là... et bien je peux être comme emporté par la puissance là au lieu de la
combiner tout ça, je peux être emporté - une espèce d'exaspération, peut toujours se produire une
exaspération, l'exaspération c'est quand tout d'un coup y'a... enfin y'a plus de mots... bref je craque
quoi.

Voilà, vous comprenez ceci nous introduit très bien alors, à ce que je veux faire le reste de
l'année et ça suppose que je m'adresse à ceux là, raison de plus je ne prétends pas dire des choses
d'un grand savoir...

je voudrais parler de la peinture de quelle manière ?... Alors je voudrais parler de la peinture. Moi je

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suis pas sûr, on verra ça après, que la philosophie a quoi que ce soit apporté à la peinture, c'est
même... Je sais pas... Et puis c'est peut être pas comme ça qu'il faut poser les questions... Mais
j'aimerais mieux poser la question inverse à savoir : la possibilité que la peinture ait à apporter
quelque chose à la philosophie et que la réponse ne soit pas du tout univoque, je veux dire que l'on
ne puisse pas décalquer la même réponse pour la musique, pour la peinture... la musique ça nous
est arrivé d'avoir besoin, là c'était par goût ou choix d'un cours, d'avoir besoin de se référer à elle
parce que, les autres années, parce qu'on attendait d'elle je sais pas quoi... qu'est ce que la
philosophie peut attendre de choses comme la peinture, comme la musique et ce qu'elle attend ce
sont encore une fois des choses très très différentes. Il faut aussi, la philosophie attend quelque
chose de la peinture, c'est quelque chose que la peinture seule peut lui donner.

Alors quoi ? C'est quoi ? Des concepts peut-être, mais est ce que la peinture s'occupera de
concept ? Bon mais comme la question est déjà lancée, est ce que la couleur est un concept ? Est
ce que la couleur est un concept ? Je ne sais pas, qu'est ce un concept de couleur ? Qu'est ce que
la couleur comme concept ? Ça ce serait...si la peinture apporte ça dans la philosophie, ça va
entraîner la philosophie où ça ? Je veux dire comment faire ? Comment faire pour moi là pour... là, je
voudrais aussi... Il y a un problème de parler de la peinture, ça veut dire quoi parler de la peinture ?

Alors je crois que ça veut dire précisément former des concepts qui sont en rapport direct avec la
peinture et avec la peinture seulement. A ce moment là en effet la référence à la peinture devient
essentielle. Si vous comprenez, même si confusément, ce que je veux dire à ce moment là j'ai résolu
déjà une question. J'ai résous ? Résolu ? On dit quoi ?

[Intervention d'une étudiante : résolu.]

J'ai résolu une question, à savoir parler de la peinture tout ça.... Bon je suppose que ceux qui
suivront ils en savent autant que moi, bien plus même parfois sur la peinture. Ce que je ne veut pas
c'est amener des reproductions... vous montrer... Alors on à même plus envie de parler... On se dit :
« oh bah oui qu'est ce qu'on peut dire ? ».

Donc moi je ferai appel à votre mémoire, c'est dans des cas très rares que je montrerai une petite
image, c'est quand j'aurai vraiment besoin, sinon vous cherchez dans votre mémoire, ou vous allez
voir vous-même ou bien... mais ça ira tout seul il n'y a pas besoin de reproductions. Alors voilà,
chaque fois peut être, je prétends pas non plus dire, me demander, qu'est ce que l'essence de la
peinture ? donc chaque fois je voudrais là pour ceux qui suivront cette série de recherches là, puisse
me... j'essayerai presque d'indiquer très ferme le thème que je prends chaque fois et les peintres
auxquels je me réfère parce que il y a aucune raison, l'unité de la peinture elle fait problème, on a
aucune raison de se la donner, je veux dire... il n'y a aucune raison de se la donner.

Par exemple, on sera bien amené à se demander quand même au niveau des matériaux, là aussi
ça a peut être à faire avec des concepts philosophiques même dans des choses aussi voisines :
l'aquarelle et l'huile... et l'huile et l'acrylique aujourd'hui, tout ça... bon, parce que ce n'est pas les
même choses. L'unité de la peinture elle est où ? Est-ce qu'il y a un genre commun de l'aquarelle, de
l'huile et de l'acrylique, tout ça... je sais pas au fond, ça donne rien.

Moi j'ai choisit les thèmes qui m'intéressaient et parfois ça débordera sur de la philosophie, ce sera

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les bons moments pour moi, c'est lorsque la peinture m'aura imposé précisément une lueur, une
lueur pour moi nouvelle sur des concepts philosophiques. Bon, essayons.

Alors je dis que aujourd'hui toute ma recherche est étendue sur cette notion dont j'avais parlé une
fois, la notion de catastrophe. La notion de catastrophe qui suppose quoi ? Qui suppose évidement
que la peinture ait, avec la catastrophe, un rapport très particulier et ça je n'essayerai pas de le
fonder théoriquement d'abord. C'est comme une impression, un rapport très particulier ça veut dire
que, l'écriture, la musique n'auraient pas ce rapport avec la catastrophe ou pas le même, ou pas
aussi direct... Et les peintres très précis, mais je voudrais justement vous faire sentir jusqu'à quel
point c'est des exemples limités pour que ensuite, on puisse chercher si ça veut dire quelque chose
de général sur la peinture ou si ça ne vaut que pour certains peintres, je n'en sais rien d'avance. Les
peintres sur lesquels je voudrais m'appuyer, je les prends dans une époque relativement la même et
relativement récente. Je les prends, je dis tout de suite, je voudrais m'appuyer sur cette série ‘ la
catastrophe', on verra où elle nous entraîne, je prends comme exemple : Turner, peintre anglais,
19ème. Grand grand peintre anglais, je n'en prends que des très grands, bien sûr ! Cézanne Van
Gogh Paul Klee Et un moderne encore anglais : Bacon.

Bien, voilà ce que je veux dire, et je suis tout à fait prudent, très très prudent, je veux dire, on est
tous frappés dans un musée, on est tous frappés par un certain nombre de tableaux, il y a peu de
musée qui ne présentent pas quelques tableaux de ce type, des tableaux qui peignent une
catastrophe. Catastrophe de quel type ? Par exemple, quand la peinture découvre les montagnes :
tableau d'avalanche, tableau de tempête. La tempête, l'avalanche etc... Cette remarque dénuée de
tout intérêt, il y a même une peinture romantique où ce thème d'une certaine catastrophe semble...
bien. Qu'est ce que ça veut dire tout ça ? C'est idiot. Mais non puisque je remarque que ces
peintures catastrophes, elles étendent à tout le tableau quelque chose qui est toujours présent dans
... qui est peut être très souvent, oui, vous corrigez de vous-même, je ne dis jamais toujours. Qui est
très souvent présent dans les tableaux, à savoir ils étendent à tout le tableau, ces tableaux de
catastrophes, ils étendent à tout le tableau, ils généralisent une espèce de déséquilibre, de choses
qui tombent, de chutes, de déséquilibres.

Or, peindre d'une certaine manière ça a toujours été peindre des déséquilibres locaux. Pourquoi ?
Pourquoi c'est très important le thème de la chose en déséquilibre ? Un des écrivains qui a écrit le
plus profondément, vraiment le plus profondément sur la peinture, c'est Claudel, notamment dans un
livre splendide qui s'intitule ;"l'œil écoute" et qui porte surtout sur les hollandais. Or, Claudel le dit très
bien, il dit : « qu'est ce que c'est qu'une composition ? ». Vous voyez, ça c'est un terme pictural.
Qu'est ce que c'est qu'une composition en peinture ? Il dit : « c'est un ensemble », il dit une chose
très curieuse, il en parle à propos justement des maîtres hollandais qu'il regardait. "Une composition
c'est toujours un ensemble, une structure mais en train de se déséquilibrer ou en train de se
désagréger". Bon, on retient que ça pour le moment. Le point de chute, un verre dont on dirait qu'il
va se renverser, un rideau dont on dirait qu'il va retomber.

Bon alors là il n'y a pas besoin d'invoquer Cézanne, les pots de Cézanne, l'étrange déséquilibre
de ces pots, comme s'ils étaient vraiment saisis à l'aurore, à la naissance d'une chute. Bien, je me
dis, bon, très bien. Je ne sais plus qui, il y avait un contemporain de Cézanne, qui parlait de poterie
saoule, des poteries saoules... alors je me dis, bon, une peinture d'une avalanche, tout ça... c'est le
déséquilibre généralisé. Mais enfin ça ne va pas loin, parce que à première vue, on reste dans le

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tableau, dans ce que le tableau représente.

Aussi je vais parler d'une autre catastrophe quand je m'interroge sur l'importance d'une catégorie
comme celle de catastrophe en peinture, à savoir une catastrophe qui affecterait l'acte de peindre en
lui-même. Voyez, on va de la catastrophe représentée, soit la catastrophe locale, soit la catastrophe
d'ensemble, sur le tableau, à une catastrophe beaucoup plus secrète, catastrophe qui affecte l'acte
de peindre en lui-même.

Et ma question devient, bon comme ça, est ce que l'acte de peindre peut-être définit sans cette
référence à une catastrophe qui l'affecte ? Est-ce que au plus profond de lui-même l'acte de peindre
(je corrige, j'adoucis, chez certains peintres etc., on verra) n'affronte pas, ne comprend pas cette
catastrophe ? Même quand ce qui est représenté n'est pas une catastrophe. En effet les poteries de
Cézanne, ce n'est pas une catastrophe, il n'y a pas un tremblement de terre. Les verres de
Rembrandt, il n'y a pas une catastrophe... Bon, donc il s'agit d'une catastrophe plus profonde qui
affecte l'acte de peindre en lui-même. Qu'est ce que ce serait ? Au point que l'acte de peindre ne
pourrait pas être définit sinon.
L'exemple, je voudrais prendre des exemples, comme on fait des exemples musicaux, prendre
des exemples picturaux, l'exemple, pour moi, fondamental, c'est Turner. Car chez Turner, on verrait
ça comme une espèce d'exemple typique. Lui aussi dans sa première..., il a comme deux périodes,
deux grandes périodes et dans la première période, il peint beaucoup de catastrophes, ce qui
l'intéresse dans la mer, c'est les tempêtes, ce qui l'intéresse dans la montagne, c'est souvent des
avalanches, donc c'est une peinture d'avalanches, de tempêtes... Bien, bon, il a déjà bien du génie.

Qu'est ce qu'il se passe vers 1800 ? Tout le monde est d'accord sur cette assignation des dates,
vers 1830... ça j'en aurais besoin tout à l'heure, comme si cette catastrophe qui affecte l'acte de
peindre et bien elle peut bizarrement être datée en gros. Pour Turner, 1830. Vers 1830, bon, tout se
passe comme s'il entrait dans un nouvel élément, si profondément pourtant, qu'il reste lié à sa
première manière. Ce nouvel élément, c'est quoi ? La catastrophe est au cœur de l'acte de peindre.
Comme on dit, les formes s'évanouissent. Ce qui est peint et l'acte de peindre, tentent à s'identifier
sous qu'elle forme ? Sous forme de jet de vapeur, de boules de feu, où plus aucune forme ne garde
son intégrité, ou simplement des traits suggèrent, on procède par trait, dans quoi ? Dans une espèce
de brasier. Comme si tout le tableau, là, sortait d'un brasier. Une boule de feu, dominante célèbre
de... dominante célèbre de Turner, le jaune d'or. Une espèce de fournaise, bon, des bateaux fendus
par cette fournaise.

Exemple typique, essayez de voir une reproduction, un tableau dont le titre est compliqué :
"Lumière et couleur". Il l'a appelé lui-même "Lumière et couleur" (théorie de Goethe), puisque
Goethe a fait une théorie des couleurs. Le titre donné donc, est :" Lumière et Couleur (théorie de
Goethe, le lendemain du déluge)". On aura besoin de tout ça, donc essayez de voir... Le tableau est
dominé par une gigantesque et admirable boule de feu, de boule d'or qui assure une espèce de
gravitation de tout le tableau. Bon, alors... Quoi ? Oui ?

[Intervention d'une personne extérieure : (inaudible), discussion sans rapport avec le cours]

Oui, pourquoi ça m'importe ce titre ? Là aussi Turner qui a laissé des masses d'aquarelles par
liasses, vous savez l'histoire de Turner à la fin est très très... Comme on dit il était tellement tellement

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tellement en avance sur son temps qu'il ne montrait pas ses tableaux, il les mettait dans des caisses,
tout ça... Il a légué tout ça à l'État, l'Angleterre, qui l'a laissé longtemps en caisse d'ailleurs.

Et puis il y a, l'admirable et fâcheux à la fois, Ruskin, qui était son admirateur passionné, qui en a
brûlé beaucoup pour cause de pornographie, enfin ça a été une catastrophique. Il y a un texte de
Ruskin, une déclaration de Ruskin qui fait frémir - enfin personne ne peut condamner personne, - où
Ruskin dit : « je suis fier, très fier de l'avoir fait », d'avoir brûlé toutes sortes de liasses de dessins et
d'aquarelles de Turner. Mais enfin le mérite de Ruskin reste, qu'il a été l'un des seuls à comprendre
Turner de son vivant. Toutes sortes de liasses d'aquarelles sont baptisées par Ruskin : « naissance
ou commencement de la couleur ».

Je voudrais pas en dire plus pour ce début, voilà donc, que si vous voulez Turner me sert pour
dire, voilà un cas, c'est pas du tout que ce soit général, où on passe d'une peinture qui représente
dans certains cas des catastrophes type avalanche, tempête, à une catastrophe infiniment plus
profonde, catastrophe qui concerne l'acte de peindre, qui affecte l'acte de peindre au plus profond.
Et, j'ajoute, tout ce qu'on recueille pour le moment, et, cette catastrophe est inséparable, cette
catastrophe dans l'acte de peindre est inséparable d'une naissance. Naissance de quoi ? Naissance
de la couleur. On a presque un problème là, voyez, on l'a construit comme involontairement.
Fallait-il que l'acte de peindre passât par cette catastrophe, pour engendrer ce avec quoi il a à
faire, à savoir la couleur ? Fallait-il passer par la catastrophe dans l'acte de peindre pour que la
couleur naisse, la couleur comme création picturale ?

Bon, à ce moment là, il faut croire que la catastrophe qui affecte l'acte de peindre, elle est aussi
autre chose que la catastrophe. Qu'est ce que c'est ? On n'a pas beaucoup avancé, qu'est ce que
c'est cette catastrophe ? Si vous voyez un Turner de la fin, je suppose si vous l'avez présent à
l'esprit, sinon vous le verrez, vous acceptez le terme catastrophe. Et pourquoi vient à ce moment là
notre rescousse, je vois ça comme tout autre chose, des peintres qui emploient le mot... Ils disent
oui, la peinture, l'acte de peindre passe par le chaos ou par la catastrophe. Et ils ajoutent, seulement
voilà, quelque chose en sort. Et notre idée se confirme... Nécessité de la catastrophe dans l'acte de
peindre, pour que quelque chose en sorte.
Qu'est ce qui en sort ? C'est bizarre, peut être que je choisis des peintres de la même tendance,
je ne sais pas, mais la réponse est la même : pour qu'en sorte la couleur, pour qu'en sorte la
couleur... Et c'est qui ces peintres catastrophes ? Le grand mot de Cézanne, que la catastrophe
affecte l'acte de peindre. Pour qu'en sorte quoi ? La couleur. Pour que, dit Cézanne, la couleur
monte. Et Paul Klee, nécessité du chaos, pour qu'en sorte ce qu'il appelle l'œuf, la cosmogénèse,
l'œuf ou la cosmogénèse, et en même temps panique, mon dieu, enfin le dieu des peintres, qui
l'empêche que la catastrophe prenne tout.

Qu'est ce qui se passe si la catastrophe prend tout de telle manière que rien n'en sort ? Alors est
ce qu'il y aurait à cet égard, est ce qu'il y a à ce niveau un danger de peindre, il y aurait danger de
peindre si quoi ? Si le peintre affronte, même là on est sorti je crois de la littérature, s'il y a bien cette
espèce de catastrophe pour le peintre lui-même pour quelque chose qui concerne le peintre, s'il
affronte cette catastrophe dans l'acte de peindre, s'il ne peut pas peindre sans qu'une catastrophe
affecte au plus profond son acte, mais que en même temps il faut que la catastrophe soit comme
quoi ?

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Qu'est ce que ça veut dire ? Contrôler. Qu'est ce qu'il se passe si rien n'en sort, si la catastrophe
s'étale, si ça fait une bouillie ? Bon, est ce qu'on a pas l'impression dans certains cas, oui, le tableau
rate. Les peintres ne cessent pas de rater, ils ne cessent pas de jeter leurs tableaux, les peintres,
c'est étonnant quoi. Il y a une espèce de destruction, consommation, consumation du tableau. Bon,
quand la catastrophe déborde, mais est ce qu'on peut contrôler une catastrophe encore une fois ?
Certains Van Gogh, c'est juste, c'est juste. On se dit : il frôle quelque chose... Bon, la folie de Van
Gogh, elle vient d'où ? Elle vient de ses rapports avec son père, ou elle vient de ses rapports avec la
couleur ? J'en sais rien, en tout cas la couleur c'est peut-être plus intéressant.

Alors, notre tâche maintenant ça va être de deux textes, car après tout ça pose notre problème,
j'ai pas encore parlé des textes de peintres. Je crois que ce n'est pas analogue que la manière dont
un peintre parle de sa peinture, ce n'est pas la même chose que la manière dont un musicien parle
de sa musique. Il y a un rapport, dans les deux cas, je ne dis pas que l'un est meilleur que l'autre, je
dis qu'il faut attendre d'un texte de peintre des choses qui ne sont pas du tout, qui sont d'un type très
particulier. Je vais invoquer des textes supposés de Cézanne et un texte formel de Klee, qui ont en
commun de parler expressément de la catastrophe dans les rapports avec la peinture. Bien, je vais
au secrétariat, reposez vous bien. [Coupure]

Et avec lui et qui s'appelait Gasquet. Et, Gasquet avait fait un livre sur Cézanne, très important, et,
dans ce livre, il rétablit, il se prend un peu pour le Platon de Socrate, c'est-à-dire il reconstitue des
dialogues, des conversations avec Cézanne. Mais ce n'est pas la transcription, c'est après bien des
années, ce n'est pas la transcription. Et la question c'est : qu'est ce que Gasquet, qui lui n'était pas
peintre, était écrivain, qu'est ce que Gasquet rajoute de lui-même ?

Beaucoup de critiques sont très méfiants à l'égard de ce texte. Moi je suis, tout à fait sur ce point, je
suis tout à fait Maldiney qui considère que au contraire, c'est un texte qui risque bien d'être très fidèle
parce que les arguments qu'on a sont très bizarres. Vous savez qu'il y a comme une espèce de, là je
dis ça en passant, il y a une espèce de truc de légende, de bruits qui courent, que les peintres on les
traite toujours un peu comme si c'étaient des créatures incultes et pas très malignes. Dès qu'on lit ce
qu'écrivent les peintres, on est rassuré, c'est ni l'un ni l'autre, ni l'un ni l'autre. Or une des raisons
pour lesquelles on discute de l'authenticité du texte de Gasquet, c'est que bizarrement Cézanne se
met à parler comme un post-kantien de temps en temps. Or Gasquet connaît assez bien la
philosophie kantienne, alors on se dit c'est..., mais en fait Cézanne il aimait beaucoup parler avec les
gens, quand il avait confiance. Il leur demandait pleins de choses.

D'autre part Cézanne, il était très très cultivé, il ne le montrait pas ou il le montrait rarement. Il
jouait un rôle étonnant de..., vraiment de paysan, de bouseux, alors qu'il savait, il lisait beaucoup tout
ça... C'est très difficile de comprendre, les peintres ils font toujours semblant de n'avoir rien vu, de
rien savoir. Je crois qu'ils lisent beaucoup la nuit tout ça... Et on peut imaginer facilement même que
Gasquet ait raconté à Cézanne des choses sur Kant. Et, ce que comprend Cézanne c'est très bien
parce qu'il comprend beaucoup plus qu'un universitaire. Gasquet lui fait dire à un moment, cette
phrase très belle : « je voudrais peindre l'espace et le temps pour qu'il deviennent les formes de la
sensibilité des couleurs, parce que j'imagine parfois les couleurs comme de grandes entités
nouménales, des idées vivantes, des êtres de raison pure ». Alors comme les commentateurs disent
: "Cézanne n'a pas pu dire ça, c'est Gasquet qui le lui fait dire". Je ne suis pas sûr moi qu'ils n'aient
pas parler un soir de Kant, que Cézanne ait très bien compris, parce que quand je dis qu'il comprend

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mieux qu'un philosophe, il a très bien vu que chez Kant, le rapport noumène/phénomène était tel
d'une certaine manière le phénomène était l'apparition du noumène, d'où le thème, les couleurs sont
les idées nouménales, les couleurs sont les noumènes et l'espace et le temps c'est la forme de
l'apparition des noumènes, ç'est à dire des couleurs, les couleurs apparaissent dans l'espace et dans
le temps mais en elles même elles ne sont ni espace temps.

C'est une idée qui me semble très très intéressante, je n'y vois que de hautes vraisemblances
que... Alors bien sûr en même temps le texte de Gasquet il pique des choses à des lettres que
Cézanne lui a envoyées, il fait des mélanges. Oui mais, quant à l'essentiel, tout est bon pour nous,
car dans le texte que je vais lire, je vais prendre un texte à la suite, Cézanne - je le commente
presque logiquement - distingue deux moments dans l'acte de peindre. Donc il va nous apporter des
choses en plein dans notre problème. Et un de ces moments, il l'appelle : chaos ou abîme, chaos ou
abîme, et le second moment, si vous lisez bien le texte, qui est pas clair d'ailleurs mais c'est une
conversation supposée, le second moment, il l'appelle : catastrophe.

Et en fin donc le texte s'organise très logiquement, très rigoureusement, il y a dans l'acte de
peindre le moment du chaos, puis le moment de la catastrophe, et quelque chose en sort, du chaos -
catastrophe, c'est la couleur. Quand elle sort ! Encore une fois, ce n'est pas exclu que rien n'en
sorte, on n'est pas sûr, là ce n'est pas donné d'avance.

Voilà le texte, je commence par le premier aspect, je dirai quand le premier moment à mon avis se
termine. "Pour bien peindre un paysage, je dois découvrir d'abord les assises géologiques, songez
que l'histoire du monde vient du jour où deux atomes se sont rencontrés, où deux tourbillons, deux
danses chimiques se sont combinées. Si je mélange tout mais tant pis c'est pas loin... Ces grands
arcs-en-ciel, ces grands prismes cosmiques, cette aube de nous même au dessus du néant". Bon, le
style est bon mais on nous dirait c'est du Turner, oui peut être, pourquoi pas. L'histoire du monde,
qu'est ce que c'est que ça ? Qu'est ce qui nous intéresse là ? C'est la première fois qu'on trouve un
texte qui à mon avis parcourt tout la plus part des grands peintres. Le thème de : "ils ne font jamais
que peindre une chose : le commencement du monde". C'est ça leur affaire, ils peignent le
commencement du monde.
Bon, le commencement du monde c'est quoi ? C'est le monde avant le monde. Il y a quelque
chose, ce n'est pas encore le monde, c'est vraiment la naissance du monde. Dès lors, pourquoi les
peintres peuvent être chrétiens, l'histoire de la création peut les intéresser, en tant que peintre, c'est
évident. C'est évident qu'ils ont à faire à quelque chose qui concerne la création du monde. Vous
comprenez que chaque ( ?), je devrai l'ajouter d'un coefficient
d'essentialité,jeveuxdire,c'estuneaffaire essentielle de la peinture. Nous mettre devant ça.
Bon,songezque l'histoire du monde date du jour où deux atomes se sont rencontrés, deux
tourbillons, deux danses chimiques...Turner, c'est des danses chimiques, d'accord, oui. Oui, c'est
des danses chimiquesde la couleur. Cette aube de nous même au dessus du néant, je les vois
monter, je m'en sature en lisant Lucrèce.

Et puis en effet, Cézanne lisait beaucoup Lucrèce. Bon, or en effet, l'histoire de Lucrèce ça
concerne les atomes, bien sûr, les danses d'atomes, mais ça concerne aussi très bizarrement les
couleurs, et la lumière. Lucrèce, pas question qu'on y comprenne quelque chose si on ne tient pas
compte de ce qu'il dit sur la couleur et la lumière par rapport à l'atome. Bon, ces grands arcs-en-ciel,
ces prismes cosmiques... ces grands arcs-en-ciel, ces prismes cosmiques, cette aube de nous

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même au dessus du néant, je les vois monter, je m'en sature en lisant Lucrèce. Sous cette fine pluie,
il se met sous une fine pluie, sous cette fine pluie, c'est de ça qu'il s'agit de peindre, cette fine pluie.
Or comprenez, il aura beau faire un portrait, il aura beau faire une potiche, un pot, il aura beau
peindre sa femme... Bon, faut pas oublier tout ça, c'est qu'il s'agira toujours de faire passer la fine
pluie, ou faire passer quelque chose de cet ordre. "Sous cette fine pluie, je respire la virginité du
monde". Qu'est ce que c'est la virginité du monde ? C'est le monde avant l'Homme et avant le
monde. Le monde avant le monde. Le monde avant l'Homme et avant le monde. Bon, qu'est ce que
c'est ? Un sens aigu des nuances me travaille. Je me sens coloré par toutes les nuances de l'infini. A
ce moment là, je ne fais plus qu'un avec mon tableau. C'est bizarre ça, je ne fais plus qu'un avec
mon tableau, ça veut dire quoi là ? Il faut commenter précisément. Mon tableau à faire... Car comme
le reste va nous le rappeler, encore plus précisément, il n'a pas commencé à peindre.

On a peut être une raison, pour mieux comprendre déjà, pour pressentir, pourquoi la catastrophe
appartient-elle à l'acte de peindre ? Elle appartient tellement à l'acte de peindre qu'elle est avant que
le peintre commence son acte. Elle est avant. Elle va être pendant aussi. Mais elle commence avant,
la catastrophe. Le tableau est encore à peindre. Sous cette fine pluie, je respire la virginité du
monde. Un sens aigu du travail, c'est le travail pré - pictural. Et là la catastrophe, elle est déjà pré
pictural. A la fois ça nous arrange et ça nous embête parce qu'à ce moment là, faudra lui donner une
définition. Pré - pictural aussi. C'est comme la condition de peindre, elle est avant l'acte de peindre.
Un sens aigu des nuances me travaille. Je me sens coloré par toutes les nuances de l'infini. A ce
moment là, je ne fais plus qu'un avec mon tableau. Nous sommes, le tableau et moi.

Tiens ! C'est vraiment, pour revenir à l'autre, c'est vraiment la composition du troisième bord. Le
tableau pas encore fait et le peintre qui ne s'est pas encore mis à peindre, nous sommes un chaos
irisé. Nous sommes un chaos irisé. Je viens devant mon motif, vous voyez, il n'a rien peint encore.
Je viens devant mon motif, je m'y perds. Je songe, vague. Il se perd devant son motif. Un chaos. Le
soleil me pénètre sourdement comme un ami lointain qui réchauffe ma paraisse. Nous germinons.
Tiens, s'il est du germe, elle sera reprise à la lettre avec le même mot par Klee. Nous germinons. Il
me semble, lorsque la nuit redescend, que je ne peindrai et que je n'ai jamais peint. Ça, c'est le pré
pictural, c'est le "avant peindre" pour l'éternité. Il faut la nuit pour que je puisse détacher mes yeux de
la terre, de ce coin de terre où je me suis fondu. Un beau matin, le lendemain, je suis toujours dans
le premier moment, et vous voyez, il y a eu ce moment pré pictural du chaos. Il ne voit plus, il se
confond avec son motif, il ne voit plus rien, la nuit tombe. Comme il dit, il explique dans une lettre,
ma femme elle me gronde parce que quand je rentre, j'ai les yeux tout rouges. Qu'est ce que c'est
que ça ? Il ne voit plus rien. L'œil, on aura à se demander, qu'est ce que c'est que l'œil ?

Qu'est ce que c'est qu'un œil ? L'œil du peintre ? C'est quoi un œil dans la peinture ? Ça
fonctionne comment l'oeil ? Bon, et bien c'est un œil tout rouge déjà. Un beau matin, le lendemain,
lentement, les bases géologiques, c'est ça qu'il cherchait confusément. Il avait commencé : Pour
bien peindre un paysage, je dois découvrir d'abord les assises géologiques. Un beau matin, le
lendemain, lentement, les pas géologiques m'apparaissent, des couches s'établissent, les grands
pans de ma toile. J'en dessine mentalement le squelette pierreux.
Si vous voyez des paysages d'Aix de Cézanne, vous voyez tout de suite ce qu'il appelle le
squelette pierreux. J'en dessine les grands pans de ma toile. J'en décide mentalement, vous voyez, il
n'a toujours pas commencé. J'en dessine mentalement le squelette pierreux, je vois affleurer les
roches sous l'eau, peser le ciel, tout tombe d'aplomb. Tout tombe d'aplomb. Une pâle palpitation

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enveloppe les aspects linéaires. Les terres rouges sortent d'un abîme. L'abîme, c'est le chaos de tout
à l'heure. C'est le chaos de la veille. Les terres rouges en sortent. Mais rouge sous quelle forme ? Ça
doit être des terres rouges brunes, ça doit être du pourpre noir, qui tend au noir.
Les terres rouges sortent d'un abîme. Je commence à me séparer du paysage, à le voir. Voyez,
c'est aussi une genèse de l'œil cette histoire, au moment du pur chaos, pas d'œil, il est fondu, l'œil
est tout rouge, il ne voit plus rien. Je commence à voir le paysage. Je m'en dégage avec cette
première, je m'en dégage du paysage, ça veut dire qu'il y a un rapport de vision. Je m'en dégage
avec cette première esquisse géologique, la géométrie, mesure de la terre.

En d'autres termes la géométrie de la terre est identique à la géologie. Bon, qu'est ce que je dis
pour résumer, je dis ce premier moment, très pictural, c'est le moment du chaos. Il faut passer par ce
chaos. Et qu'est ce qui sort de ce chaos selon Cézanne ? L'armature. L'armature de la toile. Voilà
que les grands plans, se dessinent. Tout tombe d'aplomb. C'est déjà un danger. Il y a une lettre où
Cézanne dit ça ne va pas. Il dit : les plans tombent les uns sur les autres. Là ça peut échouer, c'est
un premier coefficient d'échec possible, la distinction des plans peut très bien ne pas arriver à se
faire. La distinction des plans se fait à partir du chaos.

Bon, si le chaos prend tout, si rien ne sort du chaos, si le chaos reste chaos, les plans tombent
les uns sur les autres, au lieu de tomber d'aplomb. Le tableau il est déjà foutu, il est déjà foutu avant
d'avoir commencé. C'est ça la merde, et c'est vrai que dans les expériences du peintre, il y a des
trucs, ça marche, ça ne marche pas, je suis bloqué, je ne suis pas bloqué.

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

16- 28/04/81- 1
Marielle Burkhalter

16- 28/04/81- 1 Page 1/11


Transcription : Guy NICOLAS

Cours de Gilles Deleuze cours du 28 - 04 - 81 Référence :16 A

Deleuze :

Beaucoup dans les, dans les textes, dans les lettres de Cézanne et de Van Gogh, les remarques sur
: « pas moyen de sortir aujourd'hui parce qu'il y a le mistral et que le mistral, il emporte le chevalet
alors il faudrait flanquer des cailloux, non, au chevalet pour qu'il tienne, non, ça n'irait pas non plus.
Parce que peut-être que « sciemment », le chevalet, euh, dans la nature il fonctionne plus, il
fonctionne plus comme chevalet. La preuve, pour une fois c'est Gauguin, Van Gogh, qui peignent à
genoux pour avoir une ligne d'horizon bas. Dans ce cas-là qu'est-ce qu'ils font du chevalet ? il faut
raccourcir les pieds, je veux dire, d'accord, mais enfin tout ça. On voit que la question elle...

Bien, je dis tous les peintres, même ceux qui peignaient avec le couple chevalet / pinceau. Tout le
monde sait que la toile ne cesse pas de sortir du chevalet. De même que le pinceau ne cesse pas
d'agir comme autre chose qu'un pinceau.

Et, qu'est-ce que c'est les instruments du peintre qui ne sont pas le pinceau ? On les connaît,
c'est n'importe quoi et de tout temps, ça. Je veux dire, on n'a pas attendu les peintres modernes
pour... Peut-être que les pratiques modernes ont poussé ça à une espèce d'expression brute. Il
faudrait savoir pourquoi ? Mais de tout temps, Rembrandt c'est évident qu'il ne peignait pas au
pinceau, pas seulement au pinceau. Ils peignent avec quoi de tout temps, les peintres ? Ils peignent
avec des brosses, de véritables brosses... Ils peignent avec des éponges... Éponges, brosses,
chiffons, avec des chiffons... Avec quoi encore ? Eh bien, l'exemple célèbre de Pollock, avec des
seringues à pâtisserie, - ah, la seringue à pâtisserie, ça c'est, ça c'est quelque chose ! Bon, la brosse
aussi, l'éponge, la seringue à pâtisserie, on peut faire les bâtons. Les bâtons, ça à toujours été
intéressant, important dans la peinture, les bâtons... Rembrandt se servait de bâtons ...

Qu'est-ce que ça veut dire ça, pourquoi je raconte ça ? C'est toujours dans la perspective de mon
second caractère. Dans la perspective de mon second caractère, ça consiste vous voyez, toujours à
dire, il y a un problème. Il y a une espèce de tension, il y a une tension picturale entre l'œil et la main.
Ne croyez pas que, que je puisse, que ce soit là un problème d'harmonie. Que la main, à la fois,
suive l'œil et exécute quelque chose qui va être visuel. Ça se passe pas comme ça !

Je ne sais pas ce qui va en sortir, mais je dis : si on ne passe pas ou si on ne vit pas une certaine

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opposition, une certaine tension, un certain antagonisme au niveau de la peinture entre l'œil et la
main. C'est qu'on ne voit pas bien à ce moment-là les problèmes concrets. Or, je dirai, si le couple
chevalet / pinceau représente la peinture comme "art visuel". L'autre couple, hors chevalet, ça peut
être quoi ? Je dis chevalet, je le determine négativement, parce que ça peut être tellement de choses
: ça peut être la peinture murale, mais ça peut être aussi la peinture sur le sol, est-ce que c'est la
même chose ?
Alors, par exemple, Mondrian, c'est très net chez lui, il passe par le chevalet, mais le chevalet ne
veut plus rien dire puisque sa peinture est fondamentalement une peinture murale qui s'oppose à
une peinture sur chevalet. Et je pense que, là j'ai pris des..., je ne sais pas mais ça ne serait pas
difficile, il y a sûrement des textes de Mondrian où s'il parlait du chevalet, il dirait que le chevalet, et
bien, c'est parce que l'heure n'est pas encore venue de la vraie peinture murale telle qu'il la
concevait et c'est vrai, que la peinture murale telle qu'il la concevait, impliquait une architecture qui
était peut-être en train de se faire mais qui était aussi à ses débuts. Tout comme Mondrian estimait
qu'il était au début de quelque chose. Bon, c'est une peinture murale...

C'est-à-dire, la toile n'y est plus du tout - vous comprenez ce que ça veut dire, en quoi ça s'oppose à
une peinture sur chevalet - c'est que la toile ne fonctionne plus du tout comme "fenêtre".

Et Pollock, lui ? Il ne peint pas sur chevalet. Il lui faut une toile non tendue sur le sol. Toile non
tendue sur sol, c'est très différent, c'est une solution toute autre, c'est même pas comme Mondrian
qui peut encore se servir de chevalet. Pollock il y a, au moins certaines toiles de Pollock, qui exclut
plus complètement le chevalet.

C'est pour dire que c'est très varié, mais que je dirai le couple hors chevalet, c'est-à-dire peinture
murale : tendance Mondrian, peinture sur sol : tendance expressionnisme Pollock. Tout cela... Le
couple donc, hors chevalet, d'une part, d'autre part, balais, brosses, seringues à pâtisserie, éponges,
chiffons, ça c'est la peinture comme réalité manuelle.
Alors, je dis pas, que ça s'oppose, je dis que c'est deux choses différentes, exactement comme je
viens de dire tout à l'heure.
Si vous définissez, hum , si vous définissez la peinture comme le système des lignes et des
couleurs, vous en donnez une définition légitime - je ne dis pas du tout que ce soit illégitime - c'est
une définition parfaitement légitime mais c'est une définition visuelle.
Si vous définissez la peinture par traits / tâches, c'est une définition manuelle.

Euh, pourquoi ? Bien, il faut sentir... De même je dirai, si vous réduisez à leurs définitions
matérielles, si vous définissez la peinture par chevalet, pinceau, c'est une définition matérielle
"possible". Bien entendu vous savez d'avance que, elle ne répond pas à tous les tableaux, mais, ça
donne une idée, c'est une définition nominale, matérielle.
Mais, il y a aussi la définition manuelle., à savoir, hors : chevalet, bâtons, brosses, seringues à
pâtisserie, et vous avez aussi une définition des éléments matériels qui interviennent dans la
peinture. Simplement, cette fois-ci, c'est les éléments manuels.

Alors, ça peut s'arranger, les deux aspects peuvent se concilier. Vous savez comment, heu,
l'Allemand dit peinture ? Il dit « Malerei » le peintre c'est le « Maler ». Rien que ça c'est très important
pour le génie des langues. C'est, le mot allemand, ça nous servira d'ailleurs plus tard, ne répond
absolument pas au mot français, il n'y a pas de problème de correspondance. « Male », c'est quoi ?

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C'est un mot qui vient, qui a une étymologie latine qui vient de « macula » . « Macula » c'est quoi ? «
Macula » qui a donné son nom à un très grand prodigue en peinture, hélas, disparu je crois.... «
Macula » c'est la tache. Donc, le peintre pour les allemands c'est, comme naturellement on le voit à
travers la langue, c'est le « tachiste ».

Bon, ça me paraît important, pourquoi ? parce que c'est tout à fait autre chose le mot français «
peinture ». Je dirais que le mot allemand tire la peinture vers le couple traits / taches, c'est-à-dire,
vers la réalité manuelle de la peinture, tandis que le mot français « pingere » tire la peinture vers sa
réalité visuelle.

Alors, j'ajoute, quels que soient les accords possibles entre l'œil et la main dans la peinture, on ne
peut pas présupposer qu'il n'y a pas un problème fondamental de leur tension et de leur opposition
virtuelle. Même virtuelle, je reprends le mot vague de « virtuelle ». C'est pour ça que le thème de ce
sillon sur la main me paraît si intéressant mais si insuffisant. Ce qui me semble intéressant c'est
précisément l'histoire et les variations possibles de la lutte, de l'antagonisme. Il y a toujours un
moment - je dis pas du tout que la peinture ne résout pas la tension elle-même - Je dis qu'il y a
toujours un moment dans la peinture, où un aspect dans un tableau où la main et l'œil s'affrontent
comme des ennemis. Et c'est peut-être un des moments très intéressant dans la peinture. Je dis en
vertu de mon second caractère,
le premier caractère du diagramme, c'était simplement, bien vous voyez c'était un chaos en
germe.
Le second caractère, je dirai le diagramme en ce sens, c'est un ensemble traits - taches, et non
pas du tout huile - couleur, c'est un ensemble, traits - taches, et cet ensemble est un ensemble
manuel.

Voyez en quoi ce second caractère est en prolongement du premier. Car, je peux préciser en
quoi il y a chaos. Si le diagramme est fondamentalement manuel et exprime une main qui s'est
libérée de sa subordination à l'œil - ne serait-ce que provisoirement - encore une fois ça ne vaut pas,
cette formule ne vaut pas pour ce qui va sortir du diagramme, ce qui va sortir du chaos. Mais, si c'est
bien ça au niveau du diagramme, on voit bien en quoi le diagramme est un chaos, puisque, encore
une fois, il implique l'effondrement des coordonnées visuelles dans cet acte par lequel la main se
libère. En d'autres termes, c'est, enfin, c'est un ensemble de traits, mais de traits qui ne constituent
pas une forme visuelle, donc ce sont des traits qu'il faudra appeler à la lettre « non signifiants ». La «
tache », c'est quoi ? La « tache », c'est peut être une couleur mais c'est comme une couleur « non
différenciée ». Un ensemble de traits non signifiants et une couleur non différenciée. C'est ça le
chaos, l'effondrement.

D'où, troisième caractère. Troisième caractère. Là, on l'a vu, alors on peut aller plus vite. C'est
que dès lors, si le diagramme c'est le « traits / taches » d'origine manuelle qui surgit sur la toile et qui
récuse les coordonnées optiques, les coordonnées visuelles, qui les entraînent dans une espèce
d'effondrement. Comment le définir ce « traits / taches » ? Eh, bien, cette fois-ci on peut pencher
vers l'autre côté, essayer de le définir par rapport à ce qui est censé en sortir ; puisque quelque
chose sort du diagramme. Ce qui sortira des, du diagramme, ce sont les couleurs picturales et les
lignes picturales. On sait pas encore ce que c'est une « ligne picturale », une « couleur picturale ».
C'est-à-dire l'état pictural des couleurs, l'état pictural de la ligne.

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Mais le diagramme n'est pas encore lignes ni couleurs. Il est quoi alors ? On l'a vu, jai donné la
réponse, il est le gris. La « tache », c'est le gris. Et, c'est ça le diagramme, c'est le gris. Et, en quoi,
c'est ça le diagramme ? Parce que c'est les deux gris. Parce que le gris est double. Parce que le gris
est à la fois nuance noir/blanc, et dans ce gris-là c'est toutes les coordonnées visuelles qui s'abîment
et il est aussi le gris du vert/rouge d'où va sortir la gamme des couleurs. Ou bien, je dirai aussi bien
le gris/noir/blanc d'où va sortir la gamme de la lumière.

Ce qui va sortir du diagramme, c'est la double gamme picturale : lumière/couleur. Et, c'est ce que
disait Klee dans ses textes qui me semblent très beaux, précisément sur le gris : « Le point gris
saute par-dessus lui même », voyez c'est le double gris des deux aspects du gris, le gris du
noir/blanc et le gris "matrice de la couleur".

Bon, mais, c'est pas encore une couleur. Donc, il faut bien que quelque chose en sorte. Et, je dirai la
même chose pour l'autre aspect du diagramme. La « tache », c'est donc le gris dans cette espèce,
cette fois-ci vous voyez que la tension n'est plus, elle n'est plus, même plus entre l'œil et la main, elle
est dans la « tache » elle-même, la tension. Dans le gris de la « tache », dans la grisaille de la «
tache », il y a les deux aspects. Suivant que ce gris est le gris du noir/blanc, suivant que ce gris est
la matrice des couleurs, le gris du vert/rouge.

Alors, la même chose pour le « trait ». Le « trait » n'est pas la ligne picturale, mais la ligne
picturale en sortira. Et à cet égard, qu'est-ce que c'est ? Je dirai, le « trait », c'est pas encore une
ligne. C'est la ligne qui sera composée de « traits ». Ou bien je dirai, le « trait » c'est l'élément de
composition manuelle de la ligne visuelle. La ligne visuelle n'est pas composée de points. Ni même
de segments. La ligne visuelle est composée de « traits » manuels. Il y a hétérogénéité entre le
composant et le composé, parce que le « trait » est exclusivement manuel, tandis que la « ligne »
produite par le « trait » est visuelle. Si bien que le « trait », il faudrait le définir à la limite précisément
pour qu'on sente son originalité propre, comme une « ligne » qui n'a aucun moment de direction
constante. Dès lors, il n'y a pas de réalité visuelle de cette « ligne ». Une ligne qui change de
direction presque à chaque point. Une ligne qui changerait de direction à chaque point. Ce serait ça,
le « trait ».

Enfin, supposons. Dès lors, voyez que je distingue le diagramme de deux choses avec lesquelles
pourtant il est indissolublement lié, son « avant », son « après ». Il est un rapport avec un "avant"
puisqu'il entraîne cet « avant » dans la catastrophe ; c'est le monde « visuel ». Il est un rapport avec
un « après » puisque quelque chose va sortir du diagramme, la "peinture elle-même". Le « trait,
tache » comme unité picturale manuelle va entraîner la catastrophe visuelle de telle manière qu'en
sorte quoi ? Quelque chose de nouveau ? Qu'on appellera comment ? Supposons, c'est commode,
le « troisième œil ». Il aura fallu que les yeux s'anéantissent pour que sorte le « troisième œil ». Mais
le « troisième œil », il sort de quoi ? Il sort de la main, il sort du diagramme, il sort du diagramme
manuel.

Bon..., Quatrièmement. Quatrième caractère, disons le alors, un peu plus concret et il n'y a qu'à
récapituler les choses qu'on avait vues. Et aussi bien, la fonction du diagramme, c'est quoi ? Par
rapport à son « avant », par rapport à ce qu'il y avait avant lui c'est justement "défaire les
ressemblances". C'est évident. Là, tout le monde le sait, je n'ai pas besoin de le dire, il n'y a jamais
eu de "peinture figurative" si on défini la figuration par l'action de faire « ressemblant », il n'y a jamais

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eu de peinture figurative, ça va de soi.

Défaire la ressemblance a toujours été quelque chose qui non seulement se faisait dans la tête du
peintre mais appartenait au tableau comme telle. Bien, même si la ressemblance est conservée, elle
est tellement secondarisée que, même le peintre qui estime en avoir besoin, ils en ont besoin
comme d'une régulation et non pas comme quelque chose qui est constituant du tableau. En ce sens
il n'y a jamais eu de peinture figurative...

Donc, défaire la ressemblance a toujours appartenu à l'acte de peindre. Or, c'est bien le
diagramme qui défait la « ressemblance ». Pourquoi ? On l'a vue la dernière fois : au profit de -
comme disent certains peintres, comme dit par exemple Cézanne souvent - au profit d'une «
ressemblance » plus profonde. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ou bien pour faire surgir l'image.
Prenons ça à la lettre et servons nous de toutes les expressions toutes faites d'où qu'elles viennent :
On défait la ressemblance pour faire sortir l'image. Qu'est-ce que c'est ça ? En cherchant, on aura
varié le vocabulaire uniquement pour, euh, dans l'idée que ça peut nous faire avancer. Je dirai aussi
bien "défaire la représentation pour faire surgir la présence". La représentation / présence, la
représentation, c'est l'avant, l'avant peindre, la présence, c'est ce qui sort du diagramme. Ou bien, je
dirai aussi bien : défaire la ressemblance pour faire surgir "l'image". Mais à ce moment-là, ce qui
surgit, ce qui sort du diagramme, c'est l'image bien, l'image "sans" ressemblance.

La théologie chrétienne a élaboré très tôt, très vite, un fort beau concept... qui doit d'ailleurs indiquer
tous les rapports, déjà qui préfigure les rapports difficiles art/religieux. C'est l'idée de l'image sans
ressemblance. Si vous avez fait du catéchisme enfant, vous vous rappelez, on apprend ça en
catéchisme. On apprend et ça vient des pères de l'église en droite ligne, d'ailleurs, c'est bien que les
catéchismes aient conservé ces formules splendides. « Dieu a créé l'homme à son image et
ressemblance » et, par le péché, l'homme a gardé l'image - ça on pourrait pas le lui ôter, même Dieu
- mais il a perdu la ressemblance. Le péché est l'acte par lequel l'homme se constitue comme "image
sans ressemblance".

Qu'est-ce que c'est, comment c'est possible ça, qu'une image soit "image" et pourtant pas
"semblable" ? L'image sans ressemblance, bon, c'est bien ça que la peinture nous envoie, elle nous
donne "l'image sans ressemblance". Si on cherchait un mot pour désigner image sans
ressemblance. Toujours là dans une recherche de pur vocabulaire, pour essayer de voir où ça nous
mène, je dirai est-ce n'est pas ça qu'on appelle Icône. L'image sans ressemblance. Mais, en effet,
l'Icône ce n'est pas la représentation, c'est la présence. Et pourtant c'est de l'image, c'est l'image en
tant que présence. La "présence de l'image". Le poids de la présence de l'image, ça c'est l'iconique...

Bon, alors, eh bien, vous voyez, je dirai le diagramme c'est l'instance par laquelle je défais la
ressemblance pour produire l'image présence. Je passe par le diagramme pour cela. Effondrement
de la ressemblance et production de l'image. C'est l'aspect « avant » et c'est l'aspect « après ».
Entre les deux le diagramme. Et c'est pour ça que je proposais, par commodité toujours - là j'essaie
de chercher, terminologiquement - distinguons trois choses :
les données,
la possibilité de fait
et le fait.

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Les données, les données visuelles c'est ce qui s'écroulent dans le diagramme mais pourquoi, pour
que surgisse le fait pictural. On a vu notamment, euh, le « fait pictural ». Et le diagramme, c'est quoi,
c'est celui, suivant la formule du peintre Bacon, c'est la possibilité du fait, la possibilité de fait.

L'image sans ressemblance, bon, je dis à mon avis - enfin « à mon avis », c'est pas des avis tout
ça... Quel est le peintre ? Alors toujours dans ma recherche de situer de temps en temps un petit
exemple par ci, par là. Quel est le peintre qui a vraiment promu, qui a vraiment imposé comme une
espèce de présence brute du fait pictural ? Un des premiers. Il n'y a pas de premier parce qu'après
tout c'était vrai de tout temps tout ça. Mais un en qui, notre conscience de moderne, de pseudo
moderne, lie énormément, il me semble, l'affirmation, l'imposition du fait pictural, c'est Michel-Ange.

Devant un tableau de Michel-Ange, et c'est pas par hasard que c'est un sculpteur. C'est un sculpteur
peintre, quoi. Il vous flanque devant un fait pictural où il n'y a plus rien à justifier, c'est-à-dire où la
peinture a conquis sa propre justification. Or ça se fait sous quelle forme ? Ça se fait encore une fois,
et là, moi je crois très fort, que les catégories, les grandes catégories esthétiques sont très bien
fondées.

- Vous savez, il y a beaucoup de gens qui disent : " oh romantisme, classicisme, baroque, c'est que
des mots tout ça, ou bien, l'abstrait, l'expressionnisme" - je pense pas du tout que ce soit des mots.
C'est très, très bien fondé, qu'il faut juste chercher des définitions meilleures que « l'abstrait c'est
l'opposé du figuratif », parce que c'est pas ça. Mais, en revanche, et c'est de très, très bonnes
catégories, et puis que la philosophie en tout cas, elle fonctionne par catégories, donc, c'est très bon
pour elle.

Or, je dis, la coexistence, la contemporanéité, de Michel-Ange et du maniérisme est fondamentale.


Parce qu'il semble que la catégorie de maniérisme vous met très bien sur la voie de ce que sait le
"fait pictural". Au sens le plus grossier du mot, quelque chose de maniéré dans la figure du tableau.
Dans la figure telle qu ‘elle est, telle qu'elle sort, de quoi ? Telle qu'elle sort sur le tableau, je dirai,
elle sort du diagramme. Eh bien, elle sort du diagramme avec une sorte de maniérisme qu'on peut
toujours interpréter de manière anecdotique. Prenez les figures de Michel-Ange. Les figures du
Tintoret, les figures de Vélasquez. C'est un mélange de - si on parle très anecdotique, très, - la
première impression qu'on a : C'est un mélange de, extraordinaire « efféminement », de maniérisme
dans l'attitude, dans la pose. Presque d'exubérance musculaire alors, comme si c'était à la fois un
corps trop fort et un corps singulièrement efféminé.

Les personnages de Michel-Ange, ils ne sont pas croyables. L'école qu'on appelle précisément «
maniériste ». Il y a des chefs-d'œuvre intenses mais la manière dont ils font du Christ une figure,
c'est pas croyable. Ce qu'on pourrait appeler le caractère artificiel des attitudes et des postures. Bon,
c'est notre œil qui voit ça à première vue, comme ça. C'est évident que d'une certaine manière, c'est
le plus beau de la peinture, a savoir, c'est l'affirmation du fait pictural.

C'est bien forcé que par rapport aux données visuelles, le fait pictural présente la figure sous des
formes qui paraît à l'œil extraordinairement maniérées, extraordinairement artificielles. Et que
là-dedans il y a quelque chose, comme une espèce de euh, très insignifiant, c'est pas le plus profond
de la peinture, mais de petites provocations du peintre. La manière précisément de dire « c'est pas

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ce que vous croyez là ». Si bien que quand on se précipite sur, au niveau de l'anecdote, sur des
considérations sur l'homosexualité des peintres, euh, euh, c'est pas ça, c'est pas ça, c'est en tant
que peintres qu'ils font du maniérisme, euh, ouais, forcément, forcément... Bon, enfin, tout ça c'est
insignifiant. Bien...

Bon, vous voyez, euh, défaire les données visuelles par le diagramme qui instaure une possibilité
de "fait". Mais le "fait", ce n'est pas une donnée, le "fait", c'est quelque chose à produire. Et ce qui est
produit c'est le fait pictural. C'est-à-dire finalement l'ensemble des lignes et des couleurs, c'est-à-dire
le nouvel œil. Il a fallu passer par la catastrophe manuelle du diagramme, pour produire le fait
pictural, c'est-à-dire pour produire le troisième œil.

Bien...
Dernier caractère du diagramme. Cinquième caractère. Je dirai dès lors, si vous me suivez, on
voit bien que le diagramme doit être là. Je crois même plus qu'il puisse être seulement virtuel. Faut
bien, il peut être recouvert, mais il est là. Il faut qu'il soit là, dans un tableau. Il ne peut pas être
seulement dans la tête du peintre avant qu'il commence à peindre. Il faut bien que le tableau
témoigne de cette traversée du chaos. « Un abîme ordonné » comme dit l'autre. Un tableau qui soit
un abîme, c'est rien, un tableau qui soit de l'ordre, c'est rien. Mais l'ordre propre au chaos,
l'instauration d'un ordre propre à l'abîme, ça c'est, c'est l'affaire du peintre. Mais vous voyez qu'à ce
moment-là, même techniquement, les dangers sont très grands. Et je recommence parce que c'est,
euh, comme ça j'en aurai fini d'avoir, euh, regroupé, reclassé, tout ce qu'on avait fait avant. Euh,
parce que c'est très - je voudrais que vous le preniez concrètement le plus possible ce que j'essaie
de dire - Parce que, euh, c'est, c'est, un drôle de truc cette histoire - Or, encore une fois c'est
l'aventure temporelle du tableau que j'essaie de faire. Je ne vis pas le tableau comme une réalité
spatiale. Je le vis vraiment temporellement. En cette espèce de synthèse du temps propre à la
peinture. L'avant, le diagramme et l'après.

Eh bien, uff, les dangers, c'est quoi ? On les a vus ici, je récapitule. Un premier danger c'est... : Que
le diagramme apprenne tout. Que le diagramme brouille tout. Bon... Que le diagramme brouille tout...
Que, maintenant vous comprenez peut-être mieux : qu'est-ce que ce serait ? Peut-être qu'il y a des
tableaux comme ça, ou des tableaux qui frôlent, parce que les chemins vont devenir très étroits
maintenant au point où on en est, et peut-être que là on aura le moyen de renouveler les grandes
catégories, qu'est-ce que veut dire être abstrait, qu'est-ce que veut dire être expressionniste, etc.,
etc. Parce que... à partir de quel moment, je peux dire un tableau à la ? On sent bien que c'est affaire
de goût qui à un moment où... Il y a plus rien à dire, il y a plus qu'à attendre les réactions que chacun
arrive à saisir ses propres réactions, ce qui est pas facile. Arriver à saisir ce que je sens devant un
tableau alors que tant de choses me font sentir des choses toutes faites, très difficile déjà. Mais, euh,
à partir de quand est-ce que je peux dire, les tableaux qui me font l'impression, ah, c'est raté, c'est
raté parce que, euh, il s'en fallait de peu, ça aurait pu être formidable mais non, tout retombe dans
une espèce de grisaille. Ou bien alors, dans une espèce de traits capricieux, des traits capricieux
mais finalement arbitraires. Je me dis pourquoi pas, oui c'est, c'est bien, on peut faire ça, mais il
aurait pu faire aussi bien autre chose, il y a pas de nécessité là-dedans. Vous savez, l'ennemi de
toutes formes d'expression c'est la gratuité, quand on vous dit : c'est jamais le faux, on se trompe
jamais. Mais quand on dit quelque chose alors que, "pourquoi le dire", "est-ce que ça vaut la peine
de le dire"...

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De même un tableau, ça valait la peine de faire ça ? Peut-être pas, hein, ça ? Même pour celui qui l'a
fait. Plein de peintres font des tableaux et c'était pas la peine même pour eux de le faire. On voit
bien, mais qui décide ? Je ne sais pas moi, c'est trop compliqué, mais en tout cas on a l'impression
que quelque chose pouvait en sortir à ce moment-là quand le diagramme a tout prit, plus rien ne sort
du diagramme. Alors, quand le diagramme a tout prit, je peux dire aussi bien c'est du pur chaos, le
germe est dans l'art. Et c'est ce que Klee nous disait, si le « point gris » occupe tout « l'œuf est mort
», c'est bien cette expression « l'œuf est mort ». Si le « point gris » occupe tout, envahit tout le
visible, « l'œuf est mort ».

Alors, à votre choix. Un peintre juge d'autres peintres. Qu'est ce que ça veut dire, il juge pas en fait,
parce que encore une fois j'insiste, de tous les artistes, je crois, les peintres sont vraiment parmi les
plus, peut-être parmi les plus orgueilleux, mais aussi parmi les plus modestes en apparence. Ils
jugent pas, mais ils expriment des convenances, c'est toujours intéressant qu'un peintre dise
pourquoi il n'est pas attiré par telle forme de peinture.

Alors, quand Bacon se trouve devant du Pollock, il dit « ah, c'est du gâchis, c'est du gâchis ». Ça
offense pas Pollock, hein, ça lui retire rien. C'est intéressant à quel niveau ? Pas parce que ça nous
apprend quelque chose sur Pollock, Bacon, il nous apprend quelque chose quand il nous parle d'un
peintre qu'il aime et qu'il admire. Quand il exprime simplement, ça veut dire quoi « Pollock, c'est du
gâchis » ? Euh, il va jusqu'à dire à l'expressionnisme, « je n'aime pas, c'est une formule presque
raciste, je n'aime pas "ce gâchis d'Europe Centrale » On voit bien ce qu'il veut dire, lui il est irlandais,
il est anglo-irlandais, euh, « gâchis d'Europe Centrale ». Bon, alors, euh, ça nous intéresse en quoi,
ça ? Ça nous intéresse parce que quand Bacon voit un Pollock il doit le faire basculer, il doit se dire
:" Oui, c'est un chaos !" Et, en effet, quand on voit un tableau de Pollock on peut avoir légitimement
l'impression vraiment, d'une peinture chaos.

Bien, et bien, oublions Pollock. Il y a des toiles qui nous font cet effet. Voilà que le diagramme, c'est
tellement identifié à son premier aspect, qui est le chaos, qu'il est lui-même tombé dans le chaos, si
bien que rien ne sortira du diagramme. Tout est brouillé, c'est la grisaille. Ou bien il y a un excès de
couleurs qui font que tout est gris, une toile ratée, bon, ça arrive. Voilà le premier danger.

Deuxième danger. Qu'est-ce que c'est, je précise encore, oui que ce danger. C'est que, au niveau du
diagramme, comme le diagramme entraîne, on l'a vu, l'écroulement des coordonnées visuelles, le
danger du diagramme, eh bien, il a été très, très, bien formulé, indépendamment du mot
"diagramme", très bien formulé par Cézanne. Il y a des lettres de Cézanne qui dit avec espèce
d'angoisse « au lieu d'assurer leur jonction les blancs - là, comprenez, c'est pas un problème de
perspective parce que la perspective, c'est rien dans la peinture, c'est, c'est une notion nulle la
perspective. Euh, il y a une notion bien plus, la perspective ce n'est qu'une réponse, une réponse
possible au seul problème pictural qu'on peut poser picturalement sous la forme : y a-t-il lieu dans les
tableaux, enfin, ou dans des tableaux où il y a lieu de distinguer des plans, il y a des tableaux où il y
a aucun lieu de distinguer des plans. Eh bien, comment se feraet commentlepeintre opère-il
lajonctiondesplans ?etla perspective c'est un cas de la jonction des plans, il y en a d'autres, hein. Le
vrai problème pictural c'est quand il y a plusieurs plans, quel sera le mode de jonction des plans ?
Ben, Cézanne dit : eh ben oui, euh, du point de vue de l'abîme dans le chaos, les plans, au lieu
d'entrer en jonction, tombent les uns sur les autres, ils tombent les uns sur les autres. Les couleurs,
au lieu d'entrer dans une gamme, se mélangent et ce mélange n'est plus qu'une grisaille. L'objet qui

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a perdu sa ressemblance, l'objet peint qui a perdu sa ressemblance dans le chaos, est
fondamentalement en déséquilibre.

Bon, la chute des plans les uns sur les autres, le mélange des couleurs dans une grisaille, l'objet tout
de travers et en déséquilibre, ça, c'est le pôle de la toile qui s'est tellement identifié au diagramme
qu'il n'y a plus que, "un chaos". Alors, c'est pas intéressant les toiles ratées. Je dirai ce qui est
intéressant c'est, en revanche, qui est-ce qui frôle ce danger-là ? Qui est-ce qui frôle ce danger-là et
qui en fait arrive tellement à l'éviter, arrive à l'éviter magistralement ? Là, ça devient intéressant. Qui
est-ce qui frôle ce premier danger du diagramme mais précisément parce que c'est un grand peintre
où ce sont de grands peintres,qui l'évitent ? ça nous permettrait peut-être de fonder là, une première
catégorie esthétique. Je crois que, c'est ce qu'on a appelé précisément les « expressionnistes
abstraits ».

Les expressionnistes abstraits, c'est-à-dire toute l'école américaine, qui a dominé la peinture
américaine, euh, c'est la génération qui a maintenant dans les - maintenant la soixantaine quoi ! Euh,
eux, je crois que la manière dont ils frôlent le chaos, c'est-à-dire, le diagramme prend tout, il frôle
vraiment le chaos et pourtant le diagramme reste producteur de quelque chose de fantastique.

Je dirai, c'est Pollock ça, c'est Morris Louis, c'est Nolland, c'est, c'est, enfin tous ceux que beaucoup
d'entre vous connaissent. Surtout, je retiendrai Pollock au niveau de la ligne et Morris Louis au
niveau de la tache/couleur. Mais on verra tout à l'heure. Vous voyez ce serait la tendance de
l'expressionnisme abstrait, pourquoi ? Rapprocher au maximum le diagramme du chaos, mais
évidemment - contrairement à ce que dit, euh, Bacon - il semble évident qu'il ne tombe pas dans le
chaos. Que leur tableau n'est ni une grisaille ni, euh, ni euh, un gâchis. Bon.

Voyez, l'autre tension du diagramme. Donc, en première tension du diagramme c'est que le
diagramme prenne tout. A ce moment-là, il n'y a plus que, "une apparence" de chaos. Ce serait
donc, si vous voulez encore une fois l'expressionnisme abstrait. Cherchons l'autre tendance. Voyez,
je définis maintenant donc, ces catégories et ces types en fonction de positions privilégiées par
rapport au diagramme là. Et non pas du tout de positions par rapport à la figuration, problème qui ne
se pose pas. Je dis, allons à l'autre pôle. La seconde tension du diagramme ce serait quoi ? se
réduire au minimum, se réduire au minimum... Ah bon, comment réduire un "peu profond ruisseau" ?
En faire un "très peu profond ruisseau", n'en garder que le minimum. Cette fois ci - tout comme tout à
l'heure, je disais : quand vous élevez le diagramme à sa puissance maximum, il tend à s'identifier à
son premier aspect, le chaos, - lorsque vous le réduisez au minimum, il tend à s'identifier au
maximum à un ordre pictural, c'est-à-dire, en fait, vous tendez à réduire le diagramme et même à le
remplacer. Par quoi ? Supposons, et la c'est la première fois qu'on rencontre cette idée, ce mot qui
va peut-être nous servir beaucoup - Vous tendez à y substituer une chose alors très, très, étonnante,
une espèce de code.

Et, là, si le mot m'ouvre quelque chose c'est dans la mesure où je me dis, bon, est-ce qu'on a pas
une nouvelle tension, diagramme/code, telle que la différence entre le diagramme et le code permet,
nous permettra peut-être d'avancer beaucoup sur qu'est-ce qu'un diagramme ? du point de vue du
concept philosophique à chercher. Qu'est-ce que ça veut dire, qui est-ce qui me donne cette
impression ? Un code, évidemment ça peut vouloir dire quelque chose de grotesque : Je cherche les
tableaux ratés. Mais après tout, vous sentez ce que j'essaie de... La tentative de réduire le

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diagramme au maximum, non, de le réduire à son minimum et de le remplacer par un code, c'est qui
ça ? C'est évidemment une manière possible de définir la peinture dite abstraite. Les Grands
abstraits. On verra c'est juste, on verra si c'est vrai.

Mais quand c'est raté - et Dieu que la peinture abstraite a ses mauvais peintres, ah, euh, autant
que toutes les autres peintures mais là c'est une catastrophe - enfin, euh, les types qui font des
carrés, tout ça c'est abominable, euh, eh bien, je veux dire que c'est vraiment prétentieux, un carré
ça peut être vraiment prétentieux, hein. Euh, bon, ça peut être sale un carré, il faut pas croire qu'il
suffit de faire des carrés pour faire, ça peut être dégoûtant un carré, il y a des carrés dégoûtants
chez les mauvais abstraits, bon, eh bien, tous ces gens de peintures abstraites, qui au niveau le plus
élémentaire tendent vers une espèce de géométrisme. Qu'est-ce que c'est ça ? On a l'impression
que ce qu'ils tendent à faire, c'est remplacer le diagramme par un code. Quand ça rate, à ce
moment-là, quand ça rate, c'est quoi ? C'est lorsque la toile ne fait plus qu'appliquer un code
extérieur. Oui, oh, si je me sers de la peinture pour appliquer un code extérieur.

Qu'est-ce qui distingue, autre manière de poser la question, qu'est-ce qui distingue un triangle de
Kandinsky et un triangle de géomètre ? Qu'est-ce qui fait du triangle de Kandinsky un triangle
esthétique ? Qu'est-ce qui fait... (Fin de CD)

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

17- 05/05/81 - 1
Marielle Burkhalter

17- 05/05/81 - 1 Page 1/14


transcription : Paula Moore Gilles Deleuze cours du 05/05/81 17 A

Nous avions essayé de définir le tableau par la position de ce qu'on appelait un "diagramme". Et puis
on avait dit comme ça, que ce diagramme, "le diagramme", il s'agissait de lui donner une
consistance à cette notion de diagramme. On avait dit que le diagramme était susceptible d'un
certain nombre de positions. Et que, après tout, certaines catégories picturales pouvaient, peut-être,
être définies comme autant de positions du diagramme, pour parler compliqué, de positions
diagrammatiques. Et que, ce n'était pas du tout à partir de problèmes liés à la figuration, qu'il fallait
lancer ces catégories picturales, mais que c'était vraiment - peut-être, ça pouvait être plutôt - en
fonction des positions du diagramme. Et on avait assigné comme ça, trois positions
diagrammatiques :

Ou bien le diagramme- c'était des tendances de ces positions. C'étaient des positions tendances
-- Ou bien le diagramme tend à prendre tout le tableau, et s'étale sur tout le tableau. Et il nous
semblait que c'était, en gros, la tendance dite « expressionniste ».

Ou bien seconde position diagrammatique, le diagramme, est bien là, mais il est réduit au
minimum, et il tend à être remplacé ou "surplombé", à passer sur la domination d'un véritable "code".

Remarquez ça se complique pour nous, mais on se laisse aller aux mots parce que, on n'a rien
dit encore sur : qu'est ce qu'un diagramme ? et qu'est ce qu'un code ? On essaye de mettre en place
des mots, des catégories. Et cette seconde tendance, réduction du diagramme au minimum, le
diagramme étant vraiment et continuant à être le véritable germe du tableau ; mais réduction du
diagramme au minimum et substitution ou position d'un code, c'était peut-être, il nous semblait, la
tendance de ce qu'on appelle "L'abstraction" en peinture.

Et puis troisième position diagrammatique : le diagramme ni n'occupe tout le tableau, ni n'est


réduit au minimum. C'est comme une voix de manière très extérieure, qu'on pourrait appeler « une
voix tempérée ». Il est là. Il agit comme diagramme, mais il n'occupe pas tout le tableau pour la
simple raison que le diagramme effectue alors pleinement son effet, à savoir faire surgir quelque
chose qui sort du diagramme. Et ce "quelque chose" qui sort du diagramme, pas plus que dans les
autres cas précédents, ça n'est une ressemblance ou une figuration, ça n'est pas quelque chose de
figuratif. Mais ce que l'on peut appeler une "figure", une "figure" non-figurative, c'est-à-dire qui ne
ressemble pas à quelque chose. Une figure sort du diagramme.

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Or ce que j'avais analysé la dernière fois - et on en était là, j'avais presque fini - c'était la première
tendance ou la première position, cette position expressionniste. Et je disais, vous voyez, à la limite -
introduisons tout de suite une notion dont il faudra aussi essayer de développer - à la limite, c'est
comme si le diagramme se développait dans une espèce d'immense brouillage. Un brouillage.
Pourquoi ça m'intéresse ce concept de brouillage tout d'un coup, introduit ?

Parce que nos trois positions diagrammatiques ce serait


le diagramme qui s'étend jusqu'à être un véritable brouillage.
Seconde position, le diagramme qui se fait surplomber ou déterminer par un code.
Troisième position, le diagramme qui agit en tant que diagramme. Bon, mais tout ça, pour arriver
à une logique de diagramme, il nous reste encore beaucoup à faire.

Alors, je dis juste, pour en finir avec la première position, vous vous rappelez en quoi il consistait,
qu'est ce que c'est ce diagramme qui mange tout le tableau ? Je disais, à votre choix là, c'est : ou
bien la ligne, le trait ligne, ou la tache couleur, compte tenu des deux grands éléments picturaux en
tant qu'ils ne font pas contour. C'est la ligne sans contour ou la tache sans contour. Et je disais : c'est
forcé que l'expressionnisme dans la peinture atteigne un niveau d'abstraction dont la peinture dite «
abstraite » n'a aucune idée.

Parce que, en fait, que toute peinture soit abstraite c'est évident. Mais là où ça devient intéressant
c'est lorsque, on cherche les définitions correspondantes à telle ou telle tendance, les définitions de
l'abstraction correspondantes à telle ou telle tendance. Il est évident que pour un expressionniste, les
peintres abstraits - encore une fois je ne cherche pas du tout à dire : ça c'est mieux que cela, j'essaie
de déterminer des catégories. C'est évident que pour un expressionniste, la peinture dit " abstraite "
ne pêche pas du tout d'être trop abstraite. Elle pêche de ne pas l'être assez. En quel sens ? C'est
que, si loin que les abstraits aillent dans l'abstraction, leurs lignes tracent encore un contour. Leurs
lignes tracent encore un contour et on reconnaît aisément dans la peinture abstraite des cercles, des
demi-cercles, des triangles, etc. Et dans le Kandinsky le plus abstrait, on reconnaît encore le triangle,
c'est-à-dire, un contour particulier. Peut-être pas toujours, d'ailleurs, chez Kandinsky. Mais peut-être
qu'il n'est pas seulement un peintre abstrait. Et dans un Mondrian on reconnaît encore le fameux
carré, etc.

Tout ça c'est des lignes qui font contour. Donc les expressionnistes pourraient dire, d'une certaine
manière : « La véritable abstraction c'est nous ». Pourquoi ? Parce que, eux, leur problème, et c'est
en effet un problème que... ils sont les premiers, je crois, dans la peinture, à poser de manière
consciente et délibéré. Par là, je me garantis contre une idée évidente, que ça existait avant dans la
peinture. En effet, la peinture a toujours manié et tracé des lignes sans contour. Or, je vous disais, il
faut comprendre l'importance, une ligne de Pollock, c'est quoi ? Bien, on ne peut la définir que
comme ceci : c'est une ligne qui change de direction à chacun de ses moments, et qui ne trace
aucun contour. Or l'importance de... ou la tache couleur de Morris Louis, c'est précisément tous ces
peintres que l'on a appelés « expressionnistes abstraits »... et ben, elle est sans contour. La tache
couleur ou la ligne sont des lignes sans contour, c'est-à-dire elles ne délimitent ni intérieur ni
extérieur, ni concave, ni convexe. Elles ne vont pas d'un point à un autre, même virtuel, mais elles
passent entre les points, les points couleurs jetés par Pollock, et cette ligne qui serpente, qui se
brise, qui se convulse, qui ne cesse de changer de direction à chaque moment assignable.

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Je disais, réfléchissez, du point de vue du tracé de cette ligne, c'est quoi, c'est une ligne très
curieuse parce que, à la limite, c'est une ligne de dimension supérieure à un. En d'autres termes,
c'est une ligne qui tend à devenir adéquate au plan. Du coup, le plan lui-même est entraîné à tendre
et à être adéquat au volume. En d'autres termes, c'est une ligne dont la dimension ne pourrait
s'exprimer mathématiquement que sous forme d'un nombre fractionnaire, intermédiaire entre un et
deux. Alors que la ligne ordinaire, la ligne qui trace contour, a une dimension un. La figure plane a
une dimension deux. Le volume a une dimension trois. Bah, c'est évident que l'expressionnisme
abstrait résout à sa manière le problème de la profondeur d'une manière tout à fait nouvelle, avec ça.
Si vous arrivez à des déterminations en nombre fractionnaire, vous arrivez à des déterminations qui
sont typiquement intermédiaires entre un et deux, c'est-à-dire entre la ligne et la surface, et du coup
entre la surface et le volume. Donc à la limite c'est une ligne qui remplit le tableau, d'où la fameuse
définition de cet expressionnisme abstrait comme peinture « all over », c'est-à-dire, d'un bout à
l'autre, d'un bord à l'autre du tableau. Bien, à cet égard il y a une négation. Il y a une espèce de
conception probabilitaire de la peinture qui nie toutes les positions privilégiées. Tout endroit du
tableau a une probabilité égale, alors que dans toutes peintures classiques il y avait au contraire : le
centre, les bords, etc.

Bon, alors je disais, et j'en étais là, je disais, vous comprenez, il me semble évident que, quant à
ce problème qui nous tourmente, enfin qui... dont on n'a pas fini de parler, à savoir : essayez aussi
de fixer - puisqu'il y a toutes sortes de choses qui s'agitent autour de cette notion de diagramme -
essayez de fixer les rapports de l'œil et de la main dans la peinture. Je disais, ben, il faut juger des
rapports de l'œil et de la main dans la peinture en fonction de nos positions diagrammatiques. Au
moins que ça nous serve à quelque chose une fois dit que, il me semblait, je vous disais, que les
textes sur l'œil et la main, il me semble... ce que les critiques ont écrit, il me semble, ne rendent pas
compte du problème, de la tension qu'il y a de toute manière entre l'œil et la main dans la peinture,
que la peinture soit une certaine résolution de la tension, et passe par la tension de l'œil et de la
main. Bon. Or vous vous rappelez que, j'avais beaucoup insisté là-dessus : le diagramme dans la
peinture est fondamentalement manuel. C'est un ensemble de traits et de taches manuelles. Alors
peut-être que... évidement il en sort quelque chose de visuel, mais ce n'est pas la question.

Je dirai, lorsque le diagramme tend à tout prendre, quand il s'empare et quand il investit la totalité
du tableau, c'est évident que ce qui triomphe c'est un ordre manuel. Et ça me paraît évident pour
l'expressionnisme abstrait. Cette ligne de dimension supérieure à un, cette ligne qui ne trace aucun
contour, qui n'a ni intérieur ni extérieur, ni concave ni convexe, cette ligne, c'est la ligne manuelle.
C'est une ligne que - à la lettre - l'œil a peine à suivre. Et c'est une ligne telle que la trace la main
dans la mesure où la main a secoué toute sa subordination par rapport à l'œil. C'est une ligne qui
exprime la rébellion de la main par rapport à l'œil. Et qu'est ce qui traduit dans l'expressionnisme
abstrait cette espèce de conversion de l'œil à la main ? Triomphent la ligne manuelle et la tache
manuelle. Ce qui traduit ça, je vous disais, c'est, - non parce que ce soit toujours comme ça - c'est la
manière dont les expressionnistes abstraits abandonnent le chevalet. Il y a beaucoup de manières
d'abandonner le chevalet. Et, après tout, jamais la toile ne s'est réduite à sa position sur le chevalet.

Voyez pourquoi j'insiste sur le thème des positions. Même quand un peintre peint exclusivement
sur chevalet, c'est évident que la toile, elle est bien meilleure que sur chevalet. Mais concrètement
pour l'expressionnisme dit « abstrait », pour Pollock, pour Morris Louis, tout ça, pour Nolland, pour
tous ces peintres, qu'est ce qui est essentiel techniquement ? Ben, c'est la nécessité où ils sont...

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notamment Pollock... d'abandonner le chevalet pour peindre sur sol, pour peindre sur sol une toile
non tendue. Ça, ça me paraît très important. D'où, précisément, lorsque le critique américain baptise
tout ce courant pictural « action painting », ça veut dire quoi ? Ben, il rend compte de ce qu'il appelle
lui-même une espèce d'action frénétique où le peintre fait ses jets de peinture, etc... fait, manie le
bâton, manie la seringue à pâtisserie, etc... en tournant autour de la toile qui est à ses pieds. Qu'est
ce que ça veut dire « la toile non tendue sur le sol » au lieu de « la toile sur chevalet » ? Ça veut dire
une conversion fondamentale. Ça veut dire convertir l'horizon en sol. Ça veut dire passer de l'horizon
optique à un sol, quoi... à un sol du pied. Bon, du pied... Mais, la main ou le pied, c'est pareil à cet
égard. La ligne manuelle, en effet, elle exprime bien cette espèce... où elle est bien exprimée par
cette espèce de conversion de l'horizon en sol. L'horizon est fondamentalement optique. Le sol est
fondamentalement tactile. Bon, alors je disais, et c'est là que j'en étais, je disais, oui mais il y a
quand même quelque chose d'embêtant parce que les critiques américains, surtout autour de
Pollock et de ses suivants... les critiques américains sont d'excellents critiques, et je citais
notamment deux de ces critiques, à savoir Greenberg et Fried. Et ils ont écrit de très très belles
choses sur ce courant, sur ce courant dit " expressionnisme abstrait ". Or, quand ils le définissent,
qu'est ce qu'ils disent ? Ils disent : « c'est formidable et c'est moderne ». Et pourquoi c'est moderne ?
C'est moderne parce que c'est la formation d'un espace optique pur.

Je veux dire, c'est gênant... c'est gênant pour moi parce que, si vous voulez, si je me permets, j'ai
l'impression exactement contraire. À savoir, moi je dirais : c'est formidable Pollock, c'est quelque
chose de splendide. Parce c'est la première fois où à ce point, une ligne purement manuelle se libère
de toute subordination visuelle.

C'est la première fois que la main se libère complètement de toute directive visuelle. Et voilà que
les autres, ils disent juste le contraire. Alors ce n'est pas possible. Donc, ça nous fait un dernier
problème.

Comtesse : Peut-être que les critiques américains aussi parlent d'un espace optique pur à propos de
Pollock. Peut-être que toi, si tu ne comprends pas qu'il n'y a aucune contradiction entre la ligne
manuelle et l'espace pur, c'est peut-être au niveau de ton concept de diagramme pictural. Puisque tu
définis le diagramme pictural comme main qui serait une main détachée de l'œil, et que l'œil ne
pourrait pas suivre, donc une main rebelle. Bon, seulement dans la peinture, dans le processus de
l'expérimentation de la peinture, ce détachement diagrammatique de la main par rapport à l'œil, plus
libre que la main du peintre... il y a peut-être autre chose que justement.... tu ne dis pas :
détachement de la main par rapport à l'œil... c'est précisément une machine optique de détachement
qui n'est pas relative du tout à l'œil, et qui est la machine optique du regard, le regard du peintre qui
n'est pas justement l'œil de perception ou l'œil sensible ou n'importe quel œil possible. Il y a une
machine regard que... dans le détachement, le peintre, justement... la main du peintre reste cadrée,
certainement par cette machine-là qui ne se réduit pas du tout à l'œil et qui décalerait certainement
d'une autre façon ton concept de diagramme pictural. C'est, à la fois, le peintre... ça ne veut pas dire
que le peintre lorsqu'il peint, il devient cette machine du regard. Mais il y a comme une sorte de
décalage incessant par rapport à cette machine du regard qui est tournée primordialement, d'ailleurs,
vers la tache, justement.

Gilles Deleuze : D'accord ! Voilà une réponse. C'est une première réponse possible.

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Anne Querrien : inaudible .... L'acte de regarder la peinture dont tu ne parles absolument pas. Tu
parles de l'acte de peindre.... Inaudible Or pendant toute la période kantienne et je dirai, de tout ce
que l'on a appris à l'école, on nous faisait regarder la peinture en nous mettant dans la peau du
peintre. Donc, il fallait avoir un rapport tactile dans le regard de la peinture, aller voir comment les
couches étaient posées.... Inaudible... On nous apprenait d'ailleurs à l'école à peindre pour que l'on
sache apprécier esthétiquement la peinture des autres, selon la bonne formule de Kant de l'homme
universel... Inaudible...mais, là, on a une dissociation des positions exactement comme dans les
espaces mathématiques, où le peintre et le regardant ne sont plus dans la même position par rapport
à... et d'ailleurs, la toile qui est peinte sur le sol, n'est-ce pas en tournant autour, elle va être exposée
pas sur le sol. Elle va être exposée dans un espace optique. On va aller la regarder à la verticale...
Inaudible...

piste 2

G.D : Très bien ! Ha, ben, c'est parfait. Voilà une seconde... Alors c'est bien parce que j'en ai une
troisième. Mais elles ne se détruisent pas du tout, au contraire, alors il faut tenir compte de... donc il
y a d'autant moins de problèmes. Moi, je me dis ceci : pourquoi est ce que Greenberg, Fried, etc...
nomment l'espace de Pollock, de Morris Louis, etc... pourquoi est-ce qu'ils nomment cela un "espace
purement optique" ? Il faut les suivre à la lettre. C'est pour une raison très précise. C'est pour la
raison suivante que : cet espace s'oppose à un espace pictural dit « classique ». Cet espace pictural
dit « classique » est classiquement défini comme un espace tactile optique. C'est-à-dire : l'espace du
tableau dit classique serait - on verra ça plus tard, on reviendra sur ce point - serait un espace tactile
optique. Ce qui signifie quoi ? Que c'est un espace tactile avec, sur la toile, des référents tactiles.
Qu'est ce c'est que les référents tactiles ? Exemple de référents tactiles : le contour. Pourquoi ? Les
choses ont un contour, mais elles ont un contour visuel non moins qu'un contour tactile. Oui et non. Il
y a bien référent tactile lorsque le contour reste identique à soi, quels que soient les degrés de
luminosité. Vous avez beaucoup d'admirables tableaux qui développent un espace tactile, et vous
reconnaîtrez la présence d'un référent tactile parce que, lorsque par exemple, vous verrez un
contour qui reste, comme on dit, intact... intact - la référence est bien tactile - intact à travers, par
exemple... ou, sous une vive lumière ou dans l'ombre. Savoir, par exemple si la perspective, en effet,
n'implique pas aussi des référents tactiles, ça me paraît évident que la perspective implique des
référents tactiles. On voit bien ce que l'on peut appeler donc, un espace visuel à référents tactiles, et
un tel espace sera dit "tactile optique".

Il est certain que la ligne sans contour, en ce sens, brise tout référent tactile. Il n'y a plus de
forme, il n'y a plus de forme tactile. La forme tactile optique s'est donc décomposée en une ligne
sans contour. Je crois donc que, quand les critiques américains définissent l'espace expressionniste
abstrait comme un espace optique, ils veulent dire : c'est un espace dont tous les référents tactiles
ont été expulsés. Mais alors, suivez bien. Prenons à la lettre ceci. Un espace dont tous les référents
tactiles ont été expulsés. Bon. Est-ce que ça permet de conclure : c'est donc, un espace optique pur
?

Comprenez pourquoi j'ai besoin et pourquoi j'insiste là-dessus malgré les deux explications qui
viennent d'être données, qui s'ajoutent, il me semble, heu... ou la mienne s'ajoute... je dirais, il y a
quand même quelque chose de curieux parce que mon sentiment, ça serait presque le contraire, en
effet. C'est que, il y a bien une tendance ou un vecteur pictural qui réalise un espace optique pur,

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mais ce n'est pas du tout l'expressionnisme. C'est la peinture abstraite. Dans la peinture abstraite, là,
on a quelque chose qui pourrait être nommé, en effet, un espace optique pur. Mais pas dans
l'expressionnisme, du tout. Pourquoi ? Parce que c'est vrai que tous les référents tactiles sont
éliminés. Mais, pourquoi ? Pas du tout parce que l'espace est devenue optique. Mais parce que, je
dirai et je recommence, parce que la main a conquis son indépendance par rapport à l'œil.
Parce que maintenant c'est la main qui s'impose à l'œil. Bien. C'est la main qui s'impose à l'œil
comme une puissance étrangère que l'œil, encore une fois, a peine à suivre. Dès lors, les référents
tactiles qui exprimaient la dépendance de la main à l'œil, sont effectivement supprimés. Mais pas du
tout parce que c'est un espace optique pur, mais parce que la main cesse d'être subordonnée à l'œil,
prend son indépendance complète. Dès lors c'est parce que c'est un espace manuel pur, que les
référents tactiles qui exprimaient la subordination de la main à l'œil, sont évidemment chassés,
expulsés de la toile. Mais encore une fois, donc, c'est bien ce qui me suffisait c'est qu'il n'y ait pas de
contradiction.

Anne Querrien : inaudible

G.D : Bien sûr, bien sûr... Oui, mais alors là, eh... D'accord... tu diras c'est... ça devient, du coup,
optique pure, mais là ça pose un autre problème. Ça devient optique pur du point du vue du
spectateur. D'accord, mais à ce moment-là... à mon avis, en tout cas, moi je ne peux pas l'introduire
là, cette idée-là, parce que.. il faudrait alors savoir quel type d'optique, qu'est ce que c'est cette
optique qui vient de la main, qui est fabriquée par un geste manuel pur.

Anne Querrien : inaudible ... il n'y a plus aucune communication, quelque part... il n'y a plus de mot
d'ordre de se mettre dans la peau du peintre pour regarder la peinture, pourtant ça paraît vachement
important ! Inaudible ... alors que dans toute l'émulation qu'on retrouve à l'école, on apprend que l'on
peut apprécier la peinture soi-même, en fait, sans ... inaudible

G.D : Ca n'empêche pas que pour le spectateur même, cette conquête optique, ça implique comme
même une conquête. Parce que la violence fait à l'œil subsiste. Donc il y a bien cette espèce de
nécessité d'un apprentissage où l'œil accepte cette violence qui lui est faite.

Anne Querrien : inaudible ... une espèce de dialectique hégélienne... inaudible... ou positive ou
négative, mais on a un acte actif de la peinture qui est de peindre, et un acte passif qui est de
regarder. Inaudible

G.D : Cette ligne n'est pas une ligne calme.

Autre étudiante : Moi, je crois qu'il faut regarder du côté de la physique actuelle. Parce qu'il y a une
transformation de l'optique qui fait que... inaudible... ça devient manuel. Je sais pas.

G.D : Elle dit, pour ceux qui n'entendent pas, elle dit qu'il faudrait du coup tenir compte d'une espèce
de physique actuelle dont en effet, certains expressionnistes se réclament sous l'appellation de
"informelle ", et qui, en effet, tient compte, cette physique actuelle - par exemple toute la physique
des signaux, en effet - qui tient compte, très bizarrement, de certains rapports nouveaux entre
l'optique et le manuel. Ouais, d'accord, bon.

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Comtesse : Il ne faut peut-être pas oublier non plus que lorsque, dans les grandes périodes, les
premières grandes périodes de Pollock, dans son rapport, par exemple, le rapport de Jackson
Pollock avec Robert Motherwell, que tous leurs problèmes, ce n'était pas simplement le tableau à
faire ni les nouvelles techniques picturales. L'important c'était la ligne picturale, la création picturale,
et directement ils posaient la question comme ça : dans leurs rapports avec l'inconscient. Ça c'est un
problème essentiel de Pollock et les textes, par exemple, de Motherwell sur Pollock. Et tout le
problème de Pollock à travers ses analyses jungiennes ratées, et tout ça... c'était, à travers le
tableau, une certaine découverte de l'inconscient. Donc ça pose le problème du rapport justement du
diagramme pictural avec l'inconscient, parce que eux-mêmes dans leurs processus artistiques
posaient et n'ont cessé pas de poser, le problème de ce rapport à travers justement leurs lignes.

G.D : Oui, ça Comtesse... ce n'est pas propre justement - ce que tu dis sur le diagramme c'est très
juste, mais en tout cas ce que tu dis ne va pas contre - ce n'est pas propre á l'expressionnisme parce
les uns diront : « le diagramme ou l'équivalent du diagramme, c'est de l'ordre du hasard ». Les autres
diront : « c'est de l'ordre de l'involontaire ». Les autres diront : « c'est de l'ordre de l'inconscient ».
Enfin, il y a un accord dans toutes les directions, pour dire en effet, que le diagramme - cette espèce
qu'on avait défini en premier approximation comme un chaos-germe - est bien une espèce
d'inconscient de la peinture, oui, du peintre. Et vous voyez, il y a plein de prolongements, c'est
parfait.

Je passe à la seconde position diagrammatique. Cette fois ci ce n'est pas le diagramme qui
s'étend comme disait Klee : "le point gris qui prend tout le tableau". Ce n'est pas ça. C'est au
contraire le diagramme qui n'est plus que.. qui est vraiment comprimé au maximum, comme si - c'est
tellement compliqué - le peintre, d'une certaine manière voulait conjurer alors, tout ce qu'il a d'obscur
dans le diagramme. Tout ce qu'il y a, mettons, d'inconscient, d'involontaire, etc, etc. Et je dis : Qu'est
ce que c'est cette tendance à réduire le diagramme ? Je prends comme hypothèse - en effet
sûrement ça nous lance dans un problème qui va nous faire faire des détours - c'est en effet, ces
peintres qui se lancent, pour nous spectateur, on a une drôle d'impression, on a l'impression qu'on
se trouve encore une fois à la frontière, tout ça - mais toute peinture est à la frontière de la peinture -
on se trouve à la frontière de la peinture parce qu'on a l'impression cette fois, que ce qu'on nous
présente c'est une espèce de code dont on n'aurait pas le secret. Et en quoi l'on reconnaît cette
peinture qui tend vers un code ? Encore une fois, je fais ma remarque immédiate. Je fais ma
remarque immédiate une fois pour toutes : ces peintres sont des peintres. Donc ce ne serait pas des
peintres s'ils appliquaient ou s'ils faisaient un tableau à partir d'un code. Ce n'est pas ce que je veux
dire. Mais la frontière est peut-être très mince.

Si un tableau verse dans l'application d'un code, vous direz quoi ? Ben oui, n'importe quel
ordinateur peut le faire, évidemment. N'importe quel ordinateur peut produire des tableaux d'après
un code, ça c'est tout simple. Bon, ce n'est pas cette bêtise-là que je veux dire des peintres abstraits.
Je veux dire, tout se passe comme si on nous présentait quelque chose qui allait valoir comme un
code intérieur à la peinture, comme un code proprement pictural. Alors il faudrait que, j'essaie de
vous faire sentir en quoi... Je prends une phrase d'un peintre du XIX siècle qui n'est pas, d'ailleurs,
un abstrait, en proprement parlant, mais il me semble que l'abstraction n'est pas loin. Je la lis cette
phrase : « la synthèse consiste à faire rentrer toutes les formes dans le petit nombre de formes que
nous sommes capables de penser. Dans le petit nombre de formes que nous sommes capables de
penser : ligne droite, quelques angles, arcs de cercles et d'ellipses ». Est ce qu'il n'y a pas l'idée

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d'une espèce de code, de code - à la limite géométrique ? Code géométrique qui ferait que la
géométrie suffit. Elle a son code, la géométrie. Aussi encore une fois, ce n'est pas l'application de
figures géométriques.

Kandinsky distingue très bien les figures dites abstraites et les figures géométriques. Il dit : voilà - ce
qu'il appelle lui, une figure abstraite, Kandinsky « c'est une figure qui ne désigne rien d'autre que soi
». Bon À ce moment-là , la figure picturale abstraite et la figure géométrique semblent se valoir : Je
veux dire : le triangle peint par Kandinsky et le triangle tracé par la géométrie, les deux semblent
répondre à cette condition : "une figure qui ne désigne plus que soi", par opposition aux figures
concrètes. Et il ajoute : seulement voilà « c'est une figure qui a intériorisé sa propre tension ». La
tension c'est le mouvement qui la décrit. Elle a intériorisé sa propre tension. C'est ça que ne fait pas
la figure géométrique. Voyez pourquoi un peintre abstrait - et je progresse pas à pas - pourquoi un
peintre abstrait pourra dire : « C'est abstrait bien que la ligne fasse contour, bien qu'il ait contour ».
Le problème est très différent du problème de l'expressionnisme, ça fait contour seulement voilà :
le contour ne détermine plus une figure concrète, le contour ne détermine plus qu'une tension. Le
contour ne détermine plus un objet, le contour ne détermine plus qu'une tension.
C'est ça la définition picturale de l'abstraction pour Kandinsky. Et la notion de tension va être
essentielle dans tout ce que dit Kandinsky sur la peinture. Bon. Mais ça donne quoi ? Qu'est ce que
c'est cette tension ? Dans les écrits de Kandinsky, vous rencontrez constamment des choses qui
évoquent irrésistiblement encore une fois, l'invention d'un code. Qu'est ce que c'est ces choses ?
C'est les textes célèbres de Kandinsky où il nous dit par exemple - à l'issue de longues recherches, à
l'issue de longs commentaires - j'en retiens que les résultats, donc ça paraît forcément un peu
arbitraire - il nous dit :
"Vertical, blanc, actif.
Horizontal, noir, passif ou inertie.
Angle aiguë, jaune, tension croissante.
Angle obtus, bleu, pauvreté ».

Voilà. j'extraie. Il y a de longues listes chez Kandinsky. On a l'impression que ce n'est pas seulement
une table de catégories. Ce sont les éléments dont on parle. La synthèse consiste à faire rentrer
toutes les formes dans le petit nombre de formes, un petit nombre de formes bien déterminées.
Qu'est ce que c'est ce petit nombre ? J'essaie là de précisercetteidéedecode pictural.

Vous remarquez que dans le cas de Kandinsky il faudra dire qu'il n'y a pas un code. C'est presque
chaque peintre abstrait qui invente un code. Exactement comme dans le langage, où il y a des
possibilités de toute sortes de langues, dans un code pictural il y a toutes sortes de codes, si bien
que chaque peintre abstrait c'est peut-être l'inventeur d'un code. Comment on définirait ce code,
alors ? Qu'est ce que ce serait ce code "immanent" à la peinture ? Et qui ne préexiste pas, qui attend
d'être inventé par tel, tel ou tel peintre ? Je reprends les termes de Kandinsky. Voyez qu'il a toujours
trois critères : la ligne verticale, horizontale, angle obtus, angle aigu, angle droit, etc, etc. Et puis, il
composera avec ça : carré, rectangle, cercle, demi-cercle. Il y a, donc : ligne ou forme, première
catégorie. Deuxième catégorie : dynamique actif, passif. On pourrait en ajouter. On pourrait
concevoir un code avec plus de deux valeurs. Il n'y aurait pas simplement actif et passif. Il pourrait y
avoir actif, passif, témoin. Je vois des peintres qui définissent trois rythmes, trois rythmes
fondamentaux :
Le rythme actif à tendance croissante,

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le rythme passif à tendance décroissante,
le rythme témoin, constant, et ça fonctionne dans la toile : vous avez des éléments à niveau
constant, vous avez des éléments à niveau décroissant, vous avez des éléments à niveau croissant.
Donc je dis juste : il y a une première catégorie qui renvoie aux lignes ou figures. Une deuxième
catégorie qui sont dynamiques qui renvoie à la dynamique, qui renvoie à l'activité/passivité, et vous
avez une troisième catégorie chez Kandinsky qu'il n'oublie jamais, qui renvoie à une espèce de
disposition affective, qui serait une espèce de catégorie de l'affect. Et puis une catégorie qui renvoie
à la couleur, par exemple : Vertical, blanc, activité, joie.

Qu'est ce que ça veut dire ça ? Un code, c'est quoi ? Il me semble qu'une des conditions pour
qu'il y ait un code, c'est, d'une part, que vous déterminiez des unités, des unités significatives,
discontinues, discrètes comme on dit. Des "unités significatives discrètes" en nombre fini qui peut
être très grand, qui peut être plus ou moins grand, mais finalement c'est toujours un ensemble fini,
donc, des unités significatives discrètes. Je le dis abstraitement, pour le moment. Et deuxième
condition c'est : ces unités significatives doivent être porteuses, chacune doit être porteuse, de
relations binaires, d'un certain nombre de relations binaires. En effet, ce n'est pas du tout
simplement, je crois, par commodité que les codes sont binaires. La binarité et les codes à quelque
chose là d'essentiellement lié. Je veux dire quoi ?

Je prends l'exemple que vous connaissez bien, l'exemple du langage. En quoi l'on peut dire qu'il y
a un code du langage ? Ou en quoi l'on peut dire que "langage" implique un code ? Les linguistes,
nous ont renseignés là-dessus depuis longtemps. À savoir premièrement : Le langage est
décomposable en unités dites « significatives », qu'on appellera par exemple des « monêmes ».
Mais ces unités significatives sont décomposables en éléments plus petits. Ces « monèmes », unités
significatives, sont décomposables en éléments plus petits qu'on appelle des « phonèmes ». Et les «
phonèmes » n'existent pas indépendamment de leurs relations binaires. Unité significative, je dis : «
Le vent ». Vous attendez mal. C'est la fameuse série, vous savez ces fameuses épreuves
constantes en phonologie Alors moi, je précise : « Je dis le vent, je ne dis pas "dent". Relation « V /
D ». C'est une relation binaire, une relation phonématique. Mais je ne dis pas : « fend ». Relation « V
/ F ». Je ne dis pas : « ment ». « V / M », etc, etc. Ces relations binaires ce sont les traits, ce qu'on
appelle en linguistique « les traits distinctifs ». Si bien que le phonème est strictement dépendant de
l'ensemble de relations binaires dans lequel il entre avec d'autres phonèmes.

Bon ! je dis il y a bien un code linguistique parce qu'il y a unité significative et décomposition
possible de ces unités significatives en éléments pris dans des relations binaires. Qu'est ce que j'ai
défini là ? Et peut être que ça va nous faire avancer pour plus tard, donc je voudrais que vous
reteniez au fur et à mesure. Je suis forcé de passer par ce détour. Je dirais que ce que j'ai défini
d'une certaine manière, c'est le concept d'articulation. Reprenons. Il y a bien , comme dit Martinez, il
y a bien même double articulation. Le langage est articulé. Ça veut dire quoi ? Le langage est
articulé, ça ne veut pas dire seulement qu'il y a des mouvements de la glotte qui articule le langage.
Il ne s'agit pas seulement des mouvements physiques articulatoires. Le langage est actualisé par
des mouvements physiques articulatoires parce que en lui-même est articulé. Et être articulé, ça
signifie quoi ? Ça veut dire : être composé d'unités discrètes qui renvoient elles-mêmes à des
éléments pris dans des relations binaires. Il me semble que c'est la meilleure définition du code.
Seulement, qu'est ce qui m'avance là-dedans ? Qu'est ce qui m'arrange ?

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Je pourrais vous l'expliquer que plus tard, mais je marque déjà des résultats pour moi. À savoir
que nous tendons à identifier les deux concepts de code et d'articulation. Est ce qu'on peut les
identifier complètement ou pas ? Alors, de coup, ça me dépasse, ça ne m'intéresse pas. En tout cas,
je peux vous dire qu'il y a une frange commune entre les sphères de ces deux concepts : code et
articulation. Il n'y a pas de code inarticulé. Je prends un dernier exemple. Je dirais donc, qu'il y a
deux choses qui sont fondamentales dans l'idée de code : les unités discrètes, un nombre fini
d'unités discrètes, et ces unités discrètes sont l'objet d'une série finie de choix binaires. Pourquoi
j'introduis cette idée de choix là ? C'est pour rendre compte du rapport entre les unités et les
éléments, entre les unités significatives et les éléments pris dans des rapports binaires. Je prends un
exemple courant en informatique : comment vous allez choisir six dans l'ensemble des huit premiers
nombres ? Vous allez choisir six à l'issue des trois choix binaires. Trois choix binaires successifs.
Vous prenez votre ensemble : un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit. oh c'est dur, c'est embêtant
parce que c'est le jour où j'ai à dire des choses très abstraites. Alors là c'est : un, deux, trois, quatre,
cinq, six, sept, huit. Premier choix binaire, vous divisez votre ensemble en deux. Vous choisissez la
moitié droite au dessus de quatre. Cet ensemble, dès lors, ce sous-ensemble, quatre, cinq, six, sept,
huit, vous le divisez à son tour en deux. Et vous choisissez la bonne moitié où six est compris. Vous
obtenez un sous-ensemble en deux termes. Troisième choix binaire : vous choisissez six. Donc, il y
a toujours possibilité de réduire un choix suivant un code à une succession de choix binaires. Il ne
m'en faut pas plus, je ne vais pas plus (inaudible) Code = articulation. Articulation = unité déterminée
par une série de choix binaires. Une unité déterminable par une série de choix binaires. Qu'est ce
qu'il me paraît du coup fondamental ? Je reviens à la peinture : En quoi en effet, mon hypothèse que
la peinture abstraite serait l'élaboration d'un code auquel le diagramme est lui-même soumis. Dans
ce cas de la peinture abstraite, c'est que ça fonctionne en effet comme ceci : vous avez un certain
nombre d'unités discrètes. Ça ne veut pas dire que ça soit facile de peindre tout ça. Mais c'est une
peinture de code. C'est l'invention d'un code proprement pictural qui n'existe que dans la peinture, et
qui n'existe que dans la mesure où il est inventé.

Dès lors peindre, ce serait inventer un code, quoi ? inventer un code proprement optique. L'idée
d'un code optique me paraît très profond dans la peinture abstraite. Et ça serait ça le sens moderne
de la peinture suivant les peintres abstraits. On vous fera, on vous proposera un code intérieur
optique. En quoi ça se voit, si rapidement que j'ai évoqué les textes de Kandinsky ? Les unités
significatives, elles apparaissent pleinement. La verticale blanche active, par exemple, ça c'est une
unité significative. Mais l'unité significative, elle est indécomposable en unités plus petites, mais elle
est parfaitement décomposable en éléments pris dans des choix binaires. Ce choix binaire c'est quoi
? C'est les choix portant sur la figure, les choix portant pour la couleur, les choix portant pour la
disposition affective. Actif - passif.

Là, vous avez un choix binaire. Vous me direz : « pour la couleur ce n'est pas pareil ». Si, pour la
couleur c'est une succession de choix binaires. Exactement comme dans mon exemple informatique.
Et même tout le cercle des couleurs est une espèce de binarisation des rapports entre couleurs. Le
rapport de couleurs et de leurs complémentaires, etc, les intermédiaires, etc. tout le cercle avec ces
rapports d'opposition, vous donne un système de choix binaires entre couleurs. Et alors, je peux dire
que vraiment à la lettre, chez Kandinsky, apparaît très nettement les deux niveaux de l'articulation
picturale. D'une part les unités significatives qui regroupent toute une série de choix binaires. Or
comment on appellera ces choix binaires qui permettent de déterminer l'unité significative ? Vous
savez le nom qu'ils prennent ? On les appelle des « digits ». Et, en effet, qu'est ce que c'est ça, ce

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mot "digit" ?

Binari-digit. C'est un mot formidable pour nous là. Qu'est ce que c'est "le doigt" ? Qu'est ce qu'il
vient faire "le doigt" la dedans ? Le doigt, il est réduit à... c'est le doigt qui appuie sur le clavier. Le
doigt c'est une folle réduction de la main. Drôle de truc, le doigt c'est ce qui subsiste quand l'homme
a perdu ses mains. Un doigt qui appuie sur le clavier. Qu'est ce que c'est ? C'est l'homme sans
mains ça. Le digit c'est l'état manuel de l'homme sans mains. Qu'est ce que je veux dire ?

Je pense à une belle page de Leroy Gourand. Leroy Gourand parle là de l'homme de l'avenir et il dit
oui, c'est un homme couché. Il n'a plus à bouger. Bon d'accord. C'est une espèce de portrait de
science fiction. Il est de plus en plus infantilisé, et puis il n'a plus de mains. Mais il lui reste un doigt
pour les claviers. Voyez dans l'évolution future on n'aura plus de mains, eh ? On n'aurait plus qu'une
seule main comme ça, et l'on appuiera sur des trucs, bon. (Rires des élèves).

Ça me permet d'introduire déjà une variation.


Quand je disais :" Les problèmes des rapports oeil / main, c'est très, très compliqué parce que la
main elle-même, elle en a tellement de figures... Je pourrais faire des catégories de la main.
Commencer, essayer c'est purement hypothèse pour le moment, mais on verra si plus tard, c'est
confirmé.

Et j'aurais déjà envie de distinguer le manuel, le tactile, et le digital.


Je dirais le tactile, et vous me permettez de donner des définitions qui me conviennent,
évidemment c'est conventionnel, c'est des définitions de convention. Alors, là vous ne pouvez avoir
d'objections. J'appellerais tactile la main subordonnée à l'œil. L'état de la main subordonnée à l'œil.
Quand la main suit les directives de l'œil, la main alors se fait tactile.
Quand la main secoue sa subordination par rapport à l'œil. Quand elle s'impose à l'œil, quand elle
fait violence à l'œil, quand elle se met à gifler l'œil, j'appellerais ça « du manuel propre ».
Et le digital c'est au contraire, le maximum de subordination de la main à l'œil. C'est ne même
plus la main qui met ses valeurs propres tactiles au service de l'œil, c'est la main qui a fondu,
subsiste seulement un doigt pour opérer le choix binaire visuel. La main est réduite au doigt qui
appuie sur le clavier. C'est-à-dire, c'est la main informatique. C'est le doigt sans main. D'une certaine
manière, est ce que ce n'est pas ça "l'Idéal" ? L'idéal, mais avec beaucoup de réserves, l'idéal de la
peinture abstraite, à savoir, un espace optique pur.

Un espace optique pur tel qu'on ne sente plus la main. Ça veut dire quoi ça, tel qu'on ne sente
plus la main ? Tiens, on ne sent plus la main. C'est un drôle de truc parce que c'est une formule
toute faite qui traverse la peinture. Les peintres qui se disent entre eux : « ah, cette toile est belle, on
n'y sent pas la main ». C'est-à-dire, ça paraît être un défaut si on ne sent pas la main. Est ce que
c'est possible qu'on ne sente pas la main ? La peinture abstraite, est ce que c'est pas la peinture de
l'homme sans mains ? Ça voudrait dire quoi ? Evidemment non, ce n'est pas ça. Qu'est ce qu'il
prouve que ce n'est pas ça ?
Quand il s'agit de distinguer un faux Mondrian d'un vrai Mondrian, qu'est ce qu'ils font ? Il y a une
page célèbre d'un critique là-dessus. Qu'est ce qu'ils distinguent, vous regardez quoi, pour savoir si
c'est un faux ou si c'est un vrai ? Ils disent, les critiques disent : « Ce n'est pas très difficile,
finalement, si vous avez un peu d'habitude vous regardez, vous avez le nez sur le carré là, on vous
dit c'est un Mondrian, vous regardez l'endroit où les deux cotés du carré se croisent, et vous

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regardez qu'est ce qui se passe au niveau des couches de peinture, au niveau du croisement, vous
avez bien des chances de vous apercevoir que c'est un peu... vous avez bien des chances, à plus
forte raison quand le carré est coloré, quand les couches de couleur se superposent. Là, vous avez
des chances de voir si c'est un imitateur ou pas. Ça veut dire : on sent la main. Mais c'est que, chez
Mondrian c'est pire. C'est pire, enfin pire, c'est encore plus beau, je ne sais pas, c'est ce vous voulez,
que chez Kandinsky. Parce que chez Mondrian il y a vraiment une espèce de réverie - il y a des
écrits théoriques de Mondrian - de réduire tout à deux unités binaires.
Alors là, c'est une espèce de code extrême horizontal et vertical. Il y a des déclarations multiples
de Mondrian dans son extrême sobriété, dans son ascétisme spirituel : arriver à que tout soit rendu
par horizontal ou vertical. Il n'y a besoin de rien d'autre. Qu'est ce qu'il veut dire quand il dit qu'il n'y a
besoin de rien d'autre ? Comprenez, du point de vue du code, c'est l'idéal du code.

Parce que je disais : un code, un code normalement c'est un nombre fini d'unités significatives,
sous entendu plus que deux, qui sont déterminées à la suite d'une succession de choix binaires.
L'idéal suprême du code c'est qu'il n'ait que deux unités significatives et donc, un seul choix binaire.
Là vous auriez un code du code. Le code du code c'est lorsque au lieu d'un nombre déterminé
d'unités significatives déterminables par une succession de choix binaires, vous n'avez qu'un seul
choix binaire pour deux unités significatives. Or Kandinsky n'a jamais essayé cette chose-là.
Mondrian, lui, va très loin dans horizontal / vertical, c'est tout. Seulement à ce niveau extrême
d'ascétisme pictural, "je vous ferai une horizontal et une verticale, et vous aurez le Monde", "le
Monde en son abstraction". On retrouve tout. C'est pour vous donner un goût, mais vous l'avez déjà,
un goût que finalement les catégories esthétiques sont bien fondées, mais tout se mélange. Parce
que parmi les textes les plus beaux sur Mondrian il y a des textes de Michel Butor. Butor a très bien
montré quelque chose, c'est que les carrés de Mondrian, par exemple, très souvent n'ont pas la
même épaisseur en longueur et en largeur. C'est évident, d'ailleurs. Il n'a pas besoin de le montrer
longtemps.

Seulement cette différence d'épaisseur a un effet optique très curieux : c'est que, alors devient
très important, l'endroit de croisement de la longueur plus mince, et de la largeur la plus épaisse, par
exemple, or ce point de croisement va déterminer une ligne virtuelle. Là il y a quelque chose de très
curieux - tout comme on parle d'une ligne virtuelle en musique, là, on va parler de ligne virtuelle en
peinture. Le fait que les deux côtés du carré n'aient pas la même épaisseur, fait que l'œil qui
regarde, l'œil du spectateur trace précisément une diagonale que Mondrian, pour son compte n'a
plus besoin de tracer.

Cette ligne virtuelle, cette diagonale virtuelle, qu'est-ce que je peux dire d'elle ? Je peux dire à la
limite, que c'est une version abstraite d'une ligne sans contour puisqu'elle n'est pas tracée par le
peintre. De même chez Kandinsky ce qui complique tout, c'est qu'il a des très beaux Kandinsky où
vous trouvez ces éléments, ces unités significatives. Mais elles sont bizarrement parcourues
vraiment de lignes alors, qui viennent, chez Kandinsky, qui ont une source trés simple, qui ont une
source vraiment gothique, de lignes, de lignes vraiment nomades, de lignes sans contour. De lignes
qui passent entre les figures, qui passent entre les points, qui n'ont ni début ni fin, et qui sont
typiquement alors des lignes "expressionnistes" et qui pourtant ne viennent pas rompre l'harmonie
ou le rythme du tableau. C'est vous dire que ces catégories, il me semble, ce n'est pas parce que les
choses empiètent les unes sur les autres que les catégories sont pas bien formées.

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Tout ce que j'essaie de dire voilà c'est que, au niveau de la peinture abstraite, celui qui était allé
le plus loin, il me semble, c'est le peintre dont je vous ai parlé, et qui me paraît un très, très grand
peintre abstrait. C'est Herbin. Et Herbin, lui il va très loin. Simplement il invente son code. On
n'emprunte pas le code du voisin. « Il invente son code », ça veut dire quoi ? Il fait un truc qu'il
appelle ... Lui, il veut appeler sa peinture un « alphabet plastique ». Alphabet plastique, et lui il prend
quatre formes, quatre formes fondamentales. Quatre unités significatives qui selon lui sont : le
triangle, la sphère, l'hémisphère, le quadrangulaire (le rectangle, et le carré). Il a ses quatre formes. Il
a quatre formes à titre d'unités, et il les fait passer par des rapports binaires, rapports binaires, un
peu comme Kandinsky concernant cette fois-ci la couleur, concernant la disposition affective, et bien
plus, il ajoute - est ce que c'est coquetterie, ou c'est quelque chose de plus profond ? - Il y ajoute des
lettres de l'alphabet. Si bien qu'il compose ses tableaux souvent, à partir et en fonction, ou l'inverse,
il donne le titre correspondant aux lettres déterminées par les unités picturales. Par exemple, il
intitule un tableau « Nu ». Et il faut décomposer « Nu ». « N »-« U ». Voir à quelle forme plastique
correspond le « N », à quelle forme plastique correspond le « U », à quelle couleur, etc, etc. Un peu ,
vous savez, comme Bach jouait avec le mot Bach en musique. Donc, il va très loin dans le thème "un
alphabet plastique" Qu'est ce que ça veut dire tout ça ? Ça donne, en effet, des chefs d'œuvre. C'est
un grand coloriste. Est ce que c'est plaqué cette idée ? Non, moi, je vois mal la possibilité de "voir" la
peinture abstraite sans y "voir", non pas l'application d'un code préexistant, mais l'invention d'un code
optique. Encore une fois, ce code optique étant fondé sur la double articulation.
Premièrement, des unités significatives picturalement.
Deuxièmement, des choix binaires élémentaires qui déterminent ces unités.

Alors là on aura, bien en effet, la définition d'une espèce "d'espace optique pur codé", ou la main à la
limite, tend - mais ça n'est qu'une tension - ou la main tend à être expulsée au profit du doigt, un
espace digital.

Bon, et je disais, il y a une troisième voie. Comment on fait ? Voyez ? mes deux positions
diagrammatiques, en effet, elles s'opposent point par point.

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

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transcription : Yann Girard deleuze 10/02/81/1 9A

il admire profondément Rimbaud.. ; ... mais les philosophes, leur activité cela consiste à fuir.. et
pourtant tout le dément, chaque fois qu'on ouvre un grand philosophe - on s'aperçoit que les auteurs,
il parle de très peu d'auteurs - d'abord. Et ensuite ceux dont il parle, c'est, c'est pas tellement sûr
que... qu'il les ait lus - c'est pas son problème. Alors, si vous y réfléchissez il y a rien de plus
comique ! enfin c'est grotesque cette idée que... qu'on puisse emprunter des idées à un livre -
évidemment ça fait, c'est ça qui fait l'objet des thèses. Sinon il n'y aurait pas de thèses. Une thèse,
ça consiste à montrer - à la limite, pas toujours - mais, en gros, ça consiste à montrer à quel livre, tel
auteur a emprunté les idées. Ca c'est formidable ! par exemple : l'idée de la vie chez Bergson ! ça va
être par exemple : "est-ce que Bergson a emprunté son idée de la vie à Schelling ou à un autre ?
Alors dès qu'on, dès qu'on se lance dans cet élément, c'est curieux ! on entre dans un élément qui
est complètement inconsistant... . Vous savez, moi je crois que les livres, ça sert à tout, sauf
précisément, à leur emprunter des idées. Je sais pas à quoi ça sert ! Mais ça sert à quelque chose,
ça sûrement. On peut emprunter à un livre tout ce qu'on veut - y compris emprunter le livre lui-même.
Mais on peut pas lui emprunter la moindre idée ! ... ça va pas ça... Le rapport d'un livre avec "l'idée"
c'est quelque chose de tout à fait différent.

Alors dans le cas de Spinoza, on peut toujours trouver une tradition dans la philosophie du livre,
ah oui ! Bon elle se continue et passe par Spinoza - mais, en un sens, il emprunte rien... rien, rien,
rien... ... Bon, pour l'idée de Bergson : il y a un philosophe, il a une intuition, et qui se laisse prendre
là... d'essayer de l'exprimer, quoique... c'est vrai aussi de la musique.

- Tout ceci pour vous dire que, qu'il faut vraiment que vous lisiez, sinon - j'ai tout d'un coup un
soupçon affreux, si vous ne lisez pas.... (Quelqu'un entre : "pardon", un bruit de chaise indique qu'il
en a trouvé une, ou qu'il dérange quelqu'un.)

j'ai pas donné de bibliographie, évidemment parce que je comprends que ce soit absolument
nécessaire mais s'il y en a, qui a une bonne volonté et lise "l'Ethique", et se sente un peu perdu au
premier livre, vous pouvez toujours faire - je crois pas que ce soit bon, mais si vous le sentez
nécessaire c'est vous qui avez raison - il y a un livre classique, qui s'appelle : "le Spinozisme", d'un
historien de la philosophie qui s'appelle Victor Delbos, qui est comme une espèce d'exposé très
rigoureux, de résumé quoi, de résumé commenté de "l'Ethique". Evidemment c'est embêtant, je crois
que... mais si vous en sentez le besoin, c'est ça qu'il faut prendre.

bruits d'une salle de cours : on déplace des tables, apparemment, la porte s'ouvre. Deleuze reprend

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la parole, inaudible faute à une toux à proximité du micro.)

- Notre point essentiel ce sera : essayer de tirer les conclusions concernant les rapports entre une
éthique et une ontologie. Ce point où on arrive, c'est précisément la nécessité du point de vue de
l'éthique, d'analyser la conception, dans le spinozisme, de l'individu, et de l'individuation. Et vous
voyez bien où on en est - (Deleuze déplace une feuille de notes - on en est Tout ce qu'on a dit
précédemment nous amène donc à distinguer comme trois épaisseurs. Trois épaisseurs de la vie.
Comme si l'individu se développait, se constituait sur trois dimensions.

- Première dimension : il a un très grand nombre de "parties". On en sait pas plus ! Un individu a un
très grand nombre de parties. Qu'est-ce que ces parties ? là il y a pas tellement de problèmes - ces
parties, Quand même Spinoza leur réseve un nom : il les appelle, "les corps les plus simples" ! Un
individu est donc constitué d'un grand nombre de parties nommées "les corps les plus simples",
"corpara simplicisma". Question tout de suite : mais alors ces corps les plus simples, envisagés
chacun, c'est des individus ou pas ? Si un individu comporte un très grand nombre de parties de
corps très simples, les corps simples, c'est des individus ou cela n'en n'est pas ? On laisse ça de
côté hein. Bah, il me semble- là je prends... - il me semble que pour Spinoza, un corps simple, un
corps très simple n'est pas à proprement parler un individu. Mais un individu, si petit qu'il soit, a
toujours un très grand nombre de corps très simples qui constituent ses parties. Bon, on verra ! On
verra si c'est bien ça chez Spinoza.

- Ces parties, c'est donc vraiment, dans le cas des corps - et même dans tous les cas - c'est des
parties extensives. Qu'est-ce que c'est les "parties extensives" ? C'est des parties soumises à la loi -
toujours pour parler latin "partes extrapartes", c'est-à-dire des parties extérieures les unes aux
autres. Vous me direz : "Ca, ça ne vaut pour le corps et l'étendue". Oui et non. Vous vous rappelez
peut-être que l'étendue, c'est un attribut de la substance. L'attribut de la substance, il est pas
divisible , l'étendue, elle est indivisible. Tout comme les autres attributs : la pensée, elle est
indivisible.

Mais ce qui se divise, ce sont les modes. L'attribut est indivisible mais les modes de l'attribut sont
divisibles. Donc, un corps qui est un mode de l'étendue, l'étendue n'est pas divisible. Mais un corps,
qui est un mode de l'étendue, est divisible. Il est divisible en un très grand nombre de parties. Tout
corps est divisible en un très grand nombre de parties. Et on en dira la même chose de l'âme : l'âme
est divisible en un très grand nombre de parties. Donc c'est pas propre à l'étendue. La pensée est
indivisible, mais l'étendue aussi était indivisible. L'âme, qui le mode de la pensée, elle est divisible en
un très grand nombre de parties. Tout comme le corps, qui est mode de l'étendue, ... bon ! Voilà
notre première dimension de l'individu, constituée d'un très grands de parties extensives, extérieures
les unes aux autres.

Deuxième dimension de l'individu, qui répond à la question : "Comment les parties extensives
appartiennent-elles à un individu ?". En effet la question se pose parce que vous prenez un corps
quelconque, vous pouvez toujours - (toc toc, il frappe sur sa table) par exemple, une table - vous
pouvez lui ôter une partie et en mettre une autre, de même dimension, de même figure. Par exemple
une table, vous pouvez lui ôtez un pied et puis mettre un autre pied. Est-ce que c'est la même, dans
quelle mesure c'est la même et dans quelle mesure ce serait pas la même ? Si vous mettiez un pied
plus grand, c'est pas la même. Si vous mettiez un pied de même longueur et de couleur différente,

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est-ce que c'est la même ? Qu'est-ce que ça veut dire cette question ? Ca veut dire : "sous quelles
raisons des parties quelconques appartiennent-elles à un corps donné" ?

C'est la seconde dimension de l'individu. L'individu n'a pas seulement un très grand nombre de
parties, mais il faut bien que ces parties lui appartiennent sous une raison. Si la raison manque, c'est
pas ses parties, si la raison demeure, ce sont ses parties même si elles changent - C'est tout simple
ça -
Réponse de Spinoza : c'est sous un certain rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de
lenteur, que des parties appartiennent à un individu.

Bon, vous voyez : seconde dimension de l'individu : le rapport de mouvement et de repos, le rapport
de vitesse et de lenteur, qui caractérise ce corps par différence avec tout autre corps. Donc c'est pas
les parties qui définissent un corps. C'est le rapport sous lequel les parties lui appartiennent.
Qu'est-ce que ça veut dire un rapport de mouvement et de repos, un rapport de vitesse et de lenteur,
qui caractériserait un corps ? Donc à chaque corps correspondrait un rapport. Un corps ? Qu'est-ce
que c'est ça ? C'est la deuxième dimension.

Troisième dimension, enfin : "le mode lui-même, l'individu lui-même "est" une partie". En effet
Spinoza le dit tout le temps : " l'essence (de) mode est une partie de la puissance divine, de la
puissance de la substance." C'est curieux puisque la puissance de la substance, elle est
indivisible,ouis, mais en tant que puissance de la substance. Mais le mode, lui, est divisible. Or le
mode, dès lors, est une partie de la puissance indivisible. Voyez, ce qui se divise, c'est toujours le
mode. C'est pas la substance. Le mode, c'est une partie de la puissance divine. A ce moment là, ce
troisième niveau, dans cette troisième dimension, je ne dis plus : "le mode a un très grand nombre
de parties." Je dis :"un mode est "une" partie." Une partie de quoi ? Voyez que le mot "partie"
s'emploie évidemment en deux sens : au sens 1- avoir un très grand nombre de parties, au sens 3-
être une partie. Car enfin j'ai précisé quand je disais : un mode à un très grand nombre de parties, il
s'agissait bien de parties extensives, extérieures les unes aux autres. Lorsque je dis : "le mode est
une partie", "partie" a évidemment un tout autre sens. En effet c'est une partie de puissance. Une
partie de "la" puissance, c'est pas la même chose qu'une partie extensive. Une partie de puissance,
c'est quoi exactement ? Une intensité.

- Donc le troisième niveau consiste à nous dire : l'essence de l'individu, c'est une intensité. En quoi
est-ce intéressant ? Sans doute parce que ça élimine déjà deux positions qui ont du être tenues
dans l'histoire de la pensée. A savoir c'est une conception intensive de l'individu, qui dès lors se
distingue d'une part d'une conception extensive - qui chercherait l'individualité dans une extension
quelconque. Et ça s'oppose aussi à une conception qualitative - qui chercherait l'individualité, le
secret de l'individualité dans une qualité. L'individuation pour Spinoza n'est ni qualitative, ni
quantitative - au sens de quantité extensive. Elle est intensive.

Donc si j'essaie de grouper dans une même formule les trois dimensions de l'individualité, je dirais : "
Un individu, c'est une partie intensive, c'est-à-dire un degré de puissance - petit a ; - petit b - en tant
que ce degré de puissance s'exprime dans un rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de
lenteur ;
petit c - un très grand nombre de parties appartenant à cet individu, sous ce rapport. Un très
grand nombre de parties extensives appartenant à cet individu, sous ce rapport.

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Bon, vous voyez, vous, par exemple, chacun de vous, vous êtes constitués d'un très grand nombre
de parties extensives mobiles, en mouvement ou en repos, ayant telle vitesse et telle lenteur, etc...
ce qui vous caractérise, c'est un ensemble de rapports de vitesse ou de rep.. euh, un ensemble de
rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur, sous lequel ces parties vous
appartiennent - dès lors elles peuvent changer ! Du moment qu'elles effectuent toujours le même
rapport de vitesse et de lenteur, elles vous appartiennent toujours. Et enfin, dans votre essence,
vous êtes une intensité. Bon, c'est une vision intéressante, quoi !

Seulement, à partir de là, qu'est-ce qu'on peut dire ? Bah, on a déjà un problème. Je veux dire : tout
individu est composé d'un très grand nombre de parties, qui sont les corps les plus simples. Donc
immédiatement, on nous convie à distinguer des corps composés et des corps simples. Tout corps
est un corps composé. Bon d'accord. Tout corps est un corps composé. Et de composition en
composition - c'est toujours l'idée de Spinoza qui il y a une composition des rapports à l'infini - de
composition en composition, on arrivera à la nature entière. La nature entière est un individu ! C'est
même, la nature entière, c'est l'individu des individus. La nature entière, c'est le corps composé de
tous les corps, eux-mêmes composés, à l'infini. En effet la nature entière, c'est l'ensemble de tous
les rapports, de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur.

- Donc il y a bien un individu des individus, ou qui est le "corps composé de tous les corps
composés". Et en effet on peut concevoir une composition de proche en proche. Si je reprends
l'exemple de Spinoza : le schyle et la lymphe, chacun sous leur rapport, chacun sous son rapport,
compose le sang. Le sang à son tour entre en composition avec autre chose pour former un tout plus
vaste. Le tout plus vaste entre en composition avec autre chose pour former un tout encore plus
vaste, etc. Jusqu'à, à l'infini l'unité de toute la nature, l'harmonie de toute la nature, qui, elle, est
composée de tous les rapports. Voyez donc, je peux aller vers un corps composé à l'infini. Un corps
composé de tous les corps composés.

Mais si je descends ? Qu'est-ce que c'est les corps les plus simples ? Or c'est là que - pour se
débrouiller dans cette question - donc, ce qu'il faut que nous fassions aujourd'hui, c'est presque une
épreuve, alors là pour varier - je voudrais que... et bien entendu vous avez tout à fait le droit .. de
partir si vous trouvez. Mais là je voudrais qu'aujourd'hui on ait une séance extrêmement... très, très
technique. Très technique, parce que il y a un problème là, je voudrais presque faire ça à titre
d'exercice presque pratique. Il y a un problème qui, pour moi, a relancé les choses. Et il faut que je
prenne certaines précautions pour mille raisons que... que vous allez comprendre. Et c'est pour dire
que ça va être très technique. Donc, si vous en avez assez, vous partez... Voilà. Les choses ont été
relancées parce que - j'en ai pas encore parler - mais euh... un historien de la philosophie, très
grand, très... un des plus grands historiens de la philosophie, qui s'appelle Martial Gueroult, a écrit
un commentaire, un commentaire très, très détaillé de "l'Ethique", aux éditions Aubier. Il y a trois
gros tomes, dont deux seulement ont paru, et euh... parce que, entre-temps, Martial Gueroult est
mort. Alors euh... bon. Hors, Martial Gueroult a eu beaucoup d'importance dans l'histoire de la
philosophie française, je vous l'ai déjà montré ça, puisqu'il a commencé par des études sur la
philosophie allemande, sur les philosophes post-kantiens, qui ont tout à fait renouvelé - notamment
sur Fichte - qui ont tout à fait renouvelé euh... l'état de euh... des études de philosophie allemande
en France. Et puis il s'est tourné vers les cartésiens - vers Descartes, Malebranche - et enfin
Spinoza, en appliquant toujours sa même méthode, qui était une méthode structuraliste. Avant

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même que le structuralisme ait du succès, hein. Il a fait une philosophie euh...une histoire de la
philosophie structurale, à partir d'une idée très simple, c'est que pour lui les "systèmes
philosophiques" étaient des structures à proprement parler.

Mais encore une fois, c'était bien avant l'élan du structuralisme linguistique, qu'il a fait ça. Or dans
ce Spinoza, il attache beaucoup d'importance, forcément, à la conception spinoziste de l'individu. Et
il essaie, dans un domaine que les commentateurs avaient jusque là laissé assez de côté, ils
s'étaient pas trop frottés à cette question de l'individu chez Spinoza, il essaie d'y mettre une rigueur,
une rigueur très grande. Voilà exactement la situation, je m'étends là-dessus pour que vous
compreniez que je veux prendre des précautions ensuite.

- Bah, je suis extrêmement admiratif, surtout pour l'oeuvre de Gueroult, qui me paraît une très
grande chose. Mais voilà que, quant à ce point précis de ce qu'il dit sur l'individu chez Spinoza, il n'y
a aucune proposition de son commentaire, pourtant très, très précis, qui me semble fausse. Et alors
quelque chose me trouble énormément, parce que le Savoir, l'érudition de Gueroult est une chose
énorme, sa rigueur de commentaire me paraît immense, tout ça... et à la limite je comprends pas
pourquoi j'ai cette impression que... qu'il manque. Ca va pas du tout ! Je vous ai dit tout ça pour
que... quand... ce que j'appelle une séance technique, c'est vraiment dans les choses au niveau
presque des lois physiques, invoquées par Gueroult, invoquées, peut-être, par Spinoza lui-même, ou
celles que, moi, j'invoquerai, les modèles mathématiques et physique, que on invoque si bien que, si
je me permets de dire tout le temps pour plus de rapidité que Gueroult se trompe, vous corrigez
vous-même. Ca veut dire que je ne m'y reconnais pas, je me faisais une autre idée, une tout autre
idée. Tout ça... pour ceux qui seraient vraiment spinozistes, vous irez voir chez Gueroult. Y'a aucune
raison de me croire sur parole. Vous irez dans les livres de Gueroult, et puis ce sera à vous de
choisir, ou bien de trouver encore d'autres solutions. Donc... ça, c'était un avertissement de
précaution sur ce que je vais euh.... I ll y a un point sur lequel Gueroult a évidemment raison, je veux
dire pour vous donner un avant goût du genre de technique que je souhaite. La plupart des
commentateurs ont toujours dit - la grande majorité, presque tous à ma connaissance - on dit que il
n'y avait pas tellement de problème de la physique spinoziste, que c'était une physique tout à fait
cartésienne. Tout le monde reconnaît que Leibniz a complètement mis en cause les principes de
physique cartésienne, mais on accorde que Spinoza, il serait resté cartésien. Or c'est effarant ! Là
alors Gueroult a absolument raison. Gueroult est quand même le premier - ça, ça veut dire quelque
chose quant à l' état des études en histoire de la philosophie, quand on ne fait pas très attention -
Gueroult est le premier à signaler un petit point très précis.

- A savoir, il est bien connu que Descartes insiste énormément sur l'idée que quelque chose se
conserve dans la nature. Et notamment quelque chose concernant "le mouvement". Donc
considérant les problèmes de communication du mouvement dans le choc des corps - lorsque les
corps se rencontrent - Descartes insiste - et ça va la base, ou une des bases de sa physique - sur
ceci : quelque chose se conserve dans la communication du mouvement. Et qu'est-ce que c'est qui
se conserve dans la communication du mouvement ? Descartes nous dit : c'est "m/v" ! C'est-à-dire :
ce qu'il appelle ; " quantité de mouvement", et la quantité de mouvement, c'est le produit de la masse
par la vitesse - mv, petit m, petit v. Spinoza, dans sa théorie des corps, au Livre II de "l'Ethique",
nous dit : "ce qui se conserve, c'est un certain rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de
lenteur." (L. II, Prop. XIII, Ax.I, II, Lem. I). Un lecteur rapide se dira : "C'est une autre manière
d'exprimer la quantité de mouvement "mv". En effet, "m", la masse, pour Descartes même, implique

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une force de repos, "v" implique une force de mouvement. Donc il semble que le passage se fasse
tout naturellement de l'idée "que se conserve la quantité de mouvement dans le choc des corps" et
qu'on passe tout naturellement à l'idée que : "se conserve le rapport du mouvement et du repos". Je
veux dire, la force de Gueroult ... c'est quand même le premier à dire : mais enfin quoi : est-ce qu'on
lit les textes ou pas ? Parce que c'est évident que c'est pas du tout la même chose. En quoi c'est pas
du tout la même chose ?

Si je développe la formule cartésienne, ce qui se conserve dans le choc des corps, c'est
"mv"...comment se developpe la formule ? J'appelle... deux corps se rencontrent, a et b. Il faut que
vous me suiviez bien, ce serait au tableau... mais enfin j'ai la force de noter... allez euh... J'ai mes
deux corps.
J'appelle "m", la masse du premier corps ;
"m' ", la masse du second corps ;
"petit v", la vitesse du premier corps avant le choc ;
"petit v' ", la vitesse du second corps avant le choc.
J'appelle "grand V", la vitesse du premier corps après le choc ;
"grand V' ", la vitesse du second corps après le choc.

D'accord ? Je dirai la formule : " ce qui se conserve, c'est mv ", donne pour Descartes le
développement suivant : mv + m' v' = mV + m' V'. Voyez, ce qui se conserve, entre l'avant choc et
l'après choc, c'est "mv". En d'autres termes, ce qui se conserve, c'est une somme. En effet,
Descartes le dira explicitement, ce qui se conserve, c'est une somme.

Or, là faut pas être fort quand on s'occupe de ces questions, pour constater que la critique de
Leibnitz contre Descartes, la manière dont Leibnitz va miner, faire sauter la physique cartésienne,
c'est sur ce point. Il est bien connu, il est célèbre que Leibnitz va "substituer" - comme on dit dans les
manuels - à la formule cartésienne une autre formule, à savoir, il va dire : " Non, ce qui se conserve,
c'est pas "mv", c'est "mv²". Seulement quand on a dit ça, on a strictement rien dit ! parce que
l'opération intéressante, c'est la nécessité où est Leibniz d'élever "v" au carré. Ca veut dire quoi
considérer la puissance, élevée au carré"v²" ? C'est simple ! C'est pas à cause de l'expérience,
l'expérience c'est pas... ça marche pas comme ça la physique. C'est pas l'expérience qu'il force à...
on découvre pas v² dans l'expérience. Ca ne veut rien dire. C'est qu'en fait il change la nature des
quantités. Pour une raison simple, c'est que v², c'est toujours positif, déjà. En d'autres termes, on ne
peut pas arriver à v² si on a pas substituer aux quantités dites " scalaires " des quantités dites
"algébriques". C'est donc un changement dans le registre. Dans les coordonnées quantitatives
elles-mêmes, c'est un changement de coordonnées. Bon, on en reste là. Je dis juste... parce que
c'est Spinoza qui m'intéresse.

Spinoza nous dit : "ce qui se conserve c'est un certain rapport de mouvement et de repos". Bon,
admirez là parce que c'est quand même !. Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire que Spinoza reste
cartésien ? Idiot ! Encore une fois Descartes... là je ne transforme pas et à plus forte raison... Là je
dis quelque chose Gueroult, c'est même le seul point qui paraisse absolument convaincant dans le
commentaire de Gueroult. Ca veut dire que si je développe, tout quand je viens d'essayer de
développer la formule cartésienne, en disant : "la formule cartésienne : ce qui se conserve, c'est mv",
ça revient à dire que la formule de conservation, c'est mv + m' v ' = mV + m' V' - c'est donc une
somme, qui se conserve. Lorsque quelqu'un vient me dire au contraire : « ce qui se conserve, c'est

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un rapport de mouvement et de repos », je peux le développer sous quelle forme ? C'est pas difficile
: mv / m' v ' = mV / m' V'. Vous me suivez ? Si vous avez recopier, je veux bien, si c'est pas clair, je
veux bien aller jusqu'au tableau. Tu veux les... attends ! ("ah !"... "Ah lala ! y'en a pas ! zut ! personne
n'a un bout de craie ? Ca arrive qu'on ait un bout de craie dans ça poche" (note du transcripteur :
personnellement, ça ne m'arrive jamais. D'autant plus qu'on peut tomber sur un tableau à feutre. Et
je n'ai pas de feutre non plus, vu qu'on peut tomber sur un tableau à craie.)... Blanc, mais on perçoit
que Deleuze, éloigné du micro, s'adresse à quelqu'un. "Non, non, non, c'est avant lechoc, Georges.")
Alors mv + m' v ' = mV + m' V', c'est-à-dire la quantité de mouvement avant le choc = la quantité de
mouvement après le choc. Voyez, c'est une somme. La formule de Spinoza, ce qui se conserve c'est
un rapport, ça va être mv ( ?) m' v'... Voilà. Merci infiniment.

Eh bah ! Il y a pas besoin d'avoir fait beaucoup de mathématiques pour comprendre que vous ne
passez pas d'une formule à l'autre. C'est pas la même ! En d'autres termes, lorsque Descartes dit :
"Ce qui se conserve, c'est la quantité de mouvement", et lorsque Spinoza dit :
" Ce qui se conserve, c'est un certain rapport de mouvement et de repos",

bah ! c'est deux formules qui... Vous me direz : "Mais alors d'oùvient l'équivoque ? é L'équivoque,
elle serait pas difficile a démontrer : C'est que dans certains cas - là j'ai pas de le temps de tout
développer - dans certains cas singuliers, vous avez équivalence. C'est-à-dire : vous pouvez passer
de l'une à l'autre pour certains cas. Pour certains cas exceptionnels. Bon, d'accord ! A la limite,
admettons.

Tout comme Leibnitz reconnaissait lui-même que, dans certains cas exceptionnels, mv² = mv.
D'accord, oui ! Et c'est comme ça que Leibnitz expliquait ce qu'il appelait :"les erreurs de Descartes"
: Descartes avait pris des situations exceptionnelles. Ca l'avait empêché de voir v². En fait, c'est pas
ça qui l'avait empêcher de voir v², c'est que Descartes ne voulait pas tenir compte des quantités
algébriques. Alors, et Spinoza, c'est aussi nouveau ! C'est sûrement pas un grand physicien que...
euh... mais il est absolument pas cartésien ! Alors là je crois que c'est un des points où Gueroult a
évidemment raison de dire :"non, on a jamais... on a même pas... on a rien compris à ce qui nous dit
sur l'individu, parce qu'on a pas lu quoi ! On lit pas. C'est un bon exemple de pas lire. Vous me direz
:"c'est pas grave ça, ça change rien quant à la compréhension du spinozisme en général." Voir
d'abord si ça change rien. Quand en effet, quand on lit tellement vite, qu'on voit pas la différence
entre quantité de mouvement et rapport de mouvement et de repos, ça peut être embêtant à la fin
quand on fait souvent ça. Là ça devient très, très fâcheux. Bon. C'est pour dire que là, il y a vraiment
des problèmes. Que cette histoire de rapport de mouvement et de repos pour définir l'individu, c'est
déjà un coup de force par rapport à Descartes.

Puisque Descartes en effet, définissait l'individu par mv. A savoir, il le définissait par la masse. Or
comprenez que là, au contraire, qu'est-ce qu'il va faire ? C'est très important pour nous puisque la
masse, une masse, même abstraitement, c'est une certaine détermination substantielle. Quand vous
définissez un corps par une masse. Qu'est-ce que c'est qu'une masse ? Une masse, au XVII ème
siècle, c'est très précis - chez Descartes c'est très précis - c'est la permanence d'un volume sous des
figures variées. C'est-à-dire la possibilité que le volume reste constant des figures variantes. Donc
toute la conception cartésienne des corps, elle repose sur la masse. Et dans la formule mv, c'est
précisément la masse qui est le facteur fondamental. A savoir le mouvement lui, il rendra compte de
quoi ? De la variété des figures. Mais la masse, elle est censée rendre compte de l'identité du

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volume à travers la variation des figures. En d'autres termes, c'est une conception substantielle du
corps et les corps sont des substances. Substance corporelle définit par la permanence de la masse.

- Et c'est pour ça que... alors on avance un peu... que réflexion faite Spinoza pouvait pas accepter
une pareille conception, de l'individu massif. Il pouvait pas ! Précisément parce que pour lui les corps
ne sont pas des substances. Il allait être donc forcé, lui, de définir les individus par des rapports. Et
non pas comme substance. Il va définir un individu dans l'ordre du rapport ou de la relation, et pas
dans l'ordre de la substance. Donc quand il nous dit :" ce qui définit un individu, c'est un certain
rapport de mouvement et de repos", il faut pas en rester... si vous restez à la surface des choses
vous vous direz dans les deux cas chez Descartes comme chez Spinoza, c'est toujours du mv. Mais
ça veut rien dire "c'est toujours du mv" ! Bien sûr, c'est toujours du mv, masse-vitesse ! Mais c'est
jamais ça qui définit l'individu. Ce qui compte c'est le statut de m et le statut de v. Or je peux dire que
chez Descartes, c'est un statut additif. Pas du tout parce que m+v, ce qui n'aurait aucun sens. Mais
bien plus parce que mv + m' v '. C'est une somme. Les masses entrent dans des rapports additifs.

- Chez Spinoza, les individus, c'est des rapports, c'est pas des substances. Dès lors, il n'y aura pas
addition ! il n'y aura pas sommation ! il y aura composition de rapports. Ou décomposition de
rapports. Vous aurez mv sur... et mv n'existe pas indépendamment. Mv c'est le terme, c'est un
"terme" d'un rapport. Un terme d'un rapport, il n'existe pas indépendamment du rapport. En d'autres
termes, je peux dire que déjà chez Leibnitz - ou plutôt, autant que chez Leibniz - chez Spinoza
autant que chez Leibnitz, il y a évidemment un abandon des quantités scalaires. Simplement ça va
pas être de la même manière, chez Spinoza et chez Leibnitz. Il y a autant de critiques de Descartes
chez Spinoza que chez Leibnitz, d'où une histoire très bizarre. Parce que qu'est-ce que c'est cette
histoire de la visite un peu mystérieuse que Leibnitz a faite à Spinoza ?

Voilà que Spinoza qui sortait très tôt, n'est-ce pas, reçoit la visite de Leibnitz. On sait pas très bien ce
qu'ils se sont dits. Leur entretien dura...aprés tout, c'est aussi important que la rencontre entre deux
hommes politiques, c'est même plus important pour la pensée.

Qu'est-ce que Leibniz a dit à Spinoza ? Bon, je dis ça parce que vraisemblablement, j'imagine en
face de Spinoza... il devait pas parler énormément. On venait le voir, il devait attendre, prudent
comme il était. Il disait toujours : "Faut pas que je me mette dans cette sale situation !" Leibnitz, il
était pas tellement rassurant avec sa manie d'écrire partout... alors...

Imaginons, on peut imaginer : là il entre dans la boutique de Spinoza, il s'assied. Spinoza - très poli !
très poli Spinoza - "qu'est qu'il me veut celui là ?". Et Leibnitz raconte sa visite - évidemment il a
donné plusieurs versions,il était menteur comme tout Leibnitz ! hypocrite ! quoi. grand philosophe
mais tréx hypocrite ! mais toujours dans les magouilles. Bah quand Spinoza... quand il y avait pas
trop de réactions politiques, Leibnitz disait :"ah, c'est bien Spinoza !". Et quand ça allait mal pour
Spinoza, Leibnitz disait : "moi, je l'ai vu ? Vous dites que je l'ai vu ? Oh, p't-être, je l'ai croisé, comme
ça. Connais pas. Vous savez, il est athée ce type-là !". Leibnitz c'était pas bon de l'avoir comme ami.
Les philosophes c'est comme tout le monde ! Alors, qu'est-ce qu 'ils ont pu se dire ?

Dans une des versions de Leibnitz, Leibnitz dit : "Eh bah, je lui ai montré que les lois de
Descartes, concernant le mouvement, étaient fausses." Oh, il y a quelque chose de sûr, c'est qu'en

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effet Leibnitz est un beaucoup plus grand physicien que Spinoza. Il y'a quelque chose de sûr ici,
c'est que, avant la visite de Leibnitz, il n'y a aucun texte de Spinoza qui récuse en bloc les lois
cartésiennes. Il est sûr aussi que, après la visite de Leibnitz, dans une lettre, Spinoza dit :" Toutes
les lois de Descartes sont fausses." Il ne l'avait jamais dit avant. Il ne l'avait jamais dit avant en tout
cas avec cette violence. Avant, il a pris à parti telle ou telle loi, disant :"Ca marche pas, il faut la
corriger". Il n'a jamais dit avant quelque chose comme ça.

Donc il y a un problème. Moi, je penserais plutôt que... oui, on pourrait prendre une solution
tempérée.

Etant beaucoup moins spécialiste de certaines questions de physique, notamment concernant le


mouvement, Spinoza quand même a été trés frappé par l'attaque en règle contre le cartésianisme,
l'attaque en règle de Leibniz. Et que lui, ça lui a donné une raison de revenir à sa conception du
rapport... En quoi il y a quelque chose de commun ? les deux, ça implique la vitesse multipliée par
elle-même. Ca passe aussi par des rapports, hein. Pour obtenir la mise au carré, il vous faut des
rapports. C'est le rapport qui vous ouvre à la multiplication. Spinoza est beaucoup plus prés qu'il ne
le sait lui-même, d'une physique du type Leibniz.

- Bon, supposons tout ça. Donc, c'est à partir de là que je voudrais vraiment commenter, en
commençant par le plus simple. C'est des choses relativement importantes, quant au statut des
corps, qui se passent à ce niveau, si il ne faut pas dire des bêtises, ni aller très vite. Même si il faut
aller très lentement, même si ça vous embête sur ce point. Euh, bah ! Il faut comme tout, reprendre à
zéro, parce qu'on peut faire des découvertes ur des choses aussi importantes, relativement
importantes que... pour la différence Descartes euh... Encore une fois cela revient à des découvertes
simples : "un rapport", c'est pas la même chose que "somme". Et il faut y penser quand on lit un
texte.

Maintenant il faut repartir à zéro : qu'est-ce c'est, qu'est-ce que c'est un corps simple ? Un corps a
un très grand nombre de corps, euh de parties. Un corps a un très grand nombre de parties qu'on
appelle les corps simples. Ces corps simples appartiennent au corps composé, sous un certain
rapport. Ca n'est absolument pas cartésien. Bon, on peut s'en tirer mais à partir de là je ne peux plus
suivre la moindre, le commentaire de Gueroult. Mais encore une fois, ça me paraît très curieux. C'est
ça que je voudrais vous raconter aujourd'hui. Pourquoi... ? Eh bah, ces corps simples, dans le livre II,
Spinoza les définit et il dit ceci :" ils se distinguent par le mouvement et le repos, par la vitesse et la
lenteur" (L. II, Prop. XIII, Ax. I, II, Lem. I). "Ces corps très simples se distinguent par le mouvement et
le repos, par la vitesse et la lenteur". Sous-entendu, "et même ils ne se distinguent que par là." Les
corps les plus simples n'ont... Fin...

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Deleuze
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Déc.1980/Mars.1981 -
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Deleuze 10/02/81 9B Transcription : Jean-Charles Jarrell

... les plus simples. Spinoza nous dit plus, mais ça ne change rien. La distinction des corps simples
entre eux, c'est : vitesse et lenteur, mouvement et repos, un point c'est tout. C'est même par là qu'ils
sont très simples. Car les corps composés, eux, vous les reconnaissez à quoi ? C'est qu'ils se
distinguent par et sous d'autres aspects. Quels sont ces autres aspects ? A commencer par les plus
simples aspects : ils se distinguent par la figure et par la grandeur. Les corps les plus simples ne se
distinguent que par mouvement et repos, lenteur et vitesse. C'est là-dessus que je voudrais qu'on
réfléchisse. Car je prends -là il faudrait peut-être faire des ... je voudrais vous donner tous les
éléments-, je prends le commentaire de Guéroult.

Guéroult nous dit, dans le tome 2 de son Spinoza, qui donc est un commentaire à la lettre de
l'Ethique, il nous dit : « sans doute, ils ne se distinguent que par le mouvement et le repos (là il est
d'accord puisque c'est la lettre du texte), ça n'empêche pas qu'ils ont des figures et des grandeurs
différentes. » Bon. Pourquoi est-ce qu'il dit ça ? Parce que Spinoza ne le dit pas -il ne dit pas le
contraire. Guéroult veut dire : attention, ces corps très simples ne se distinguent que par le
mouvement et le repos, mais ça ne veut pas dire qu'ils aient même figure et même grandeur. Cela
veut dire tout au plus que leurs différences de figure et de grandeur ne servent pas, ne sont pas
opératoires au niveau des corps très simples. Elles ne prendront de l'importance que par rapport aux
corps composés. Mais ils (les corps simples) ne peuvent pas, dit Guéroult, ils ne peuvent pas avoir
même figure et même grandeur.

Et pourquoi, selon Guéroult, ne peuvent-ils pas avoir même figure et même grandeur ? Là l'argument
de Guéroult est très étrange, parce qu'il nous dit -je vous donne le raisonnement de Guéroult avant
de vous dire tout ce qu'il trouve déjà là-dedans-, il nous dit en effet (confusion supprimée) : s'ils
n'avaient pas des figures et des grandeurs différentes, nécessairement ils auraient alors même
grandeur et même figure. S'ils n'avaient pas des figures et des grandeurs distinctes, ils auraient donc
même figure et même grandeur, dit Guéroult. Vous comprenez ? Tout de suite, quelque chose me
saute dans la tête, je me dis : mais pourquoi il dit ça ? Est-ce qu'il n'y a pas une troisième possibilité
? Si des corps ne se distinguent pas par la figure et par la grandeur, est-ce que ça veut dire qu'ils ont
même figure et même grandeur dès lors, ou est-ce que ça veut dire qu'ils n'ont ni l'un ni l'autre, ni
figure ni grandeur ? Pourquoi éliminer cette possibilité ? Pourquoi faire comme si cette possibilité
était impossible ? Pour une raison évidente ! On me dira : un corps qui n'a ni figure ni grandeur, ce
n'est pas un corps. Je n'en sais rien ! Attendons... Je dis juste : il y a bien une troisième possibilité à
côté de laquelle Guéroult passe, il me semble, complètement... Il pense, il se donne tout fait -là il
préjuge de quelque chose chez Spinoza-, il considère que tout corps quel qu'il soit, simple ou

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composé, a nécessairement une figure et une grandeur, et à ce moment là en effet si un corps quel
qu'il soit, même un corps simple, a figure et grandeur, et bien à ce moment là, si il n'a pas des
figures et des grandeurs distinctes de l'autre, c'est que tous ont même grandeur et même figure. Je
dis : non, ça ne marche pas, parce que tant qu'on ne m'aura pas montré qu'il est contradictoire qu'un
corps soit sans figure et sans grandeur, il y a une autre possibilité, à savoir : que les corps simples,
et seuls les corps simples, n'aient ni grandeur ni figure. A ce moment là il faudrait prendre à la lettre
l'idée Spinoziste « les corps simples ne se distinguent que par le mouvement et le repos, la vitesse
et la lenteur », ils ne se distinguent que par là pour une raison simple, c'est qu'ils n'ont ni grandeur ni
figure. Mais difficulté pour mon côté, si vous voulez, à savoir : qu'est-ce que cela peut bien être des
corps sans grandeur ni figure ?

Mais enfin, Guéroult j'ai l'air de le traiter à mon tour très mal, c'est à dire comme s'il n'avait pas lu les
textes, car pourquoi est-ce que Guéroult nous dit : « bien que les corps les plus simples ne se
distinguent pas par là, ils ont quand même des grandeurs et des figures distinctes » ? Et bien, il nous
le dit en invoquant un texte, de Spinoza. Et vous allez voir que, au niveau -là je détaille ça parce que
c'est... quitte à prendre du temps, mais ça ne fait rien, c'est... Voilà le texte : « Définition : (je lis
lentement...) Quand quelques corps de la même grandeur ou de grandeurs différentes... Lorsque
quelques corps de la même grandeur ou de grandeurs différentes subissent de la part des autres
corps une pression qui les maintient appliqués les uns sur les autres, et cætera et cætera... » «
Quand quelques corps de la même grandeur ou de grandeurs différentes subissent de la part des
autres corps une pression qui les maintient appliqués les uns sur les autres ». Axiome suivant : «
Plus sont grandes ou petites les surfaces, les superficies suivant lesquelles les parties d'un individu
ou d'un corps composé sont appliquées les unes sur les autres... » Voyez ce que nous dit Spinoza,
je retiens... : les parties d'un corps composé s'appliquent les unes sur les autres d'après des
surfaces plus ou moins grandes. Or les parties d'un corps composé, ce sont les corps simples. Donc
les corps simples s'appliquent les uns sur les autres d'après des surfaces plus ou moins grandes.
Dites-moi, en effet, ça semble donner raison à Descartes, pardon, à Guéroult. Voyez, les parties d'un
corps composé... - il n'a rien dit, il a traité d'abord les corps simples, il a dit « ils ne se distinguent que
par vitesse et lenteur, mouvement et repos. » Bon. Ensuite, il étudie les corps composés, et il nous
dit « les parties des corps composés -c'est-à-dire les corps simples-, s'appliquent les unes aux autres
par des surfaces plus ou moins grandes ou petites : « Plus sont grandes ou petites les superficies
suivant lesquelles les parties d'un individu ou d'un corps composé sont appliquées... » Alors,
comment ? Au point qu'il y a un commentateur, un autre commentateur que Guéroult, qui dit qu'il y a
une petite... -c'est un anglais, il emploie alors un mot, c'est très joli : une petite inconséquence ! Une
petite inconséquence de Spinoza. Guéroult répond : pas du tout inconséquence, que sans doute les
corps simples ne se distinguent que par mouvement et repos, ils n'en ont pas moins des grandeurs
et des figures distinctes, simplement ces grandeurs et ces figures distinctes ne vont développer leur
effet qu'au niveau des corps composés. Vous comprenez ? Voilà, c'est bien curieux, ça... Alors on a
le choix, comment s'en tirer ? Ou bien dire : non, il faut maintenir la lettre du texte, les corps simples
ne se distinguent que par mouvement et repos, c'est-à-dire ils n'ont ni figure ni grandeur ; et il y
aurait une petite inconséquence, comme dit l'autre... Ou bien il faut dire comme Guéroult « Ah ben
oui, les corps simples ont bien une figure et une grandeur distinctes, mais... »

Et bien c'est très bizarre, ça. C'est d'autant plus bizarre que... Bon, enfin. Alors moi, il me semble que
c'est ça qu'il faut chercher, quoi. Qu'est-ce que c'est, ça ? Ce statut là... Les corps simples... Ma
question, c'est exactement ceci, moi je parie que il faut prendre à la lettre mais que, en plus, il n'y a

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pas d'inconséquence. C'est à dire, ce que je voudrais montrer c'est comment, à la fois, il faut
maintenir que les corps les plus simples n'ont ni grandeur ni figure, et que pourtant, ils s'appliquent
les uns sur les autres, ou les uns aux autres, par des surfaces plus ou moins grandes. Ce qui veut
dire que ce n'est évidemment pas leurs surfaces à eux, ils n'en ont pas. Alors ce serait quoi ?

Et bien, je reviens alors presque au point de départ, lorsque Spinoza nous dit : un corps a un très
grand nombre de parties, un corps composé a un très grand nombre de parties, « plurime partes »,
qu'est-ce que veut dire « un très grand nombre » ? Je vous dis tout de suite mon idée parce qu'elle
est enfantine en un sens, mais il me semble qu'elle change tout. Pour moi, si on prend à la lettre «
plurime partes », « un très grand nombre de parties », ça veut dire déjà qu'il y a une formule qui est
un non-sens. Le non sens, c'est chaque corps simple. Chaque corps simple. Je veux dire : « un très
grand nombre de parties », ça veut dire, en fait, que tout nombre assignable est dépassé. C'est ça le
sens de « plurium », « plurime partes ». Un très grand nombre veut dire en fait : « qui dépasse tout
nombre assignable ». De quel droit je dis ça, sans forcer ? Parce que c'est courant au dix-septième
siècle. A savoir, le dix-septième siècle est plein d'une réflexion sur quoi ? Les grandeurs qui ne
peuvent pas s'exprimer par des nombres, à savoir des grandeurs géométriques, des grandeurs
géométriques qui ne peuvent pas s'exprimer par des nombres. Bon, qu'est-ce que ça veut dire, ça ?
Je dis, en d'autres termes je dis les corps simples, ils vont par infinités. C'est tout simple, ce que je
veux dire vraiment c'est une chose très très simple. Les corps simples vont par infinités. Mais si c'est
vrai, réfléchissez à la formule... Il me semble que ça va nous sortir d'affaire. Les corps simples vont...
-tu diras tout à l'heure, parce que si je perds mon...-, les corps simples vont par infinités, ça veut dire
: vous ne pouvez pas parler de « un corps simple », c'est par abstraction une abstraction dénuée de
toute raison. La formule « un corps simple » est dénuée de tout sens, or c'est en supposant la
légitimité de la formule « un corps simple » que Guéroult conclut : si l'on peut parler d'un corps
simple il faut bien que le corps simple ait figure et grandeur. Les corps simples vont par infinités
signifie suffisamment qu'on ne peut pas parler d'un corps simple. On ne peut jamais parler que d'une
infinité de corps simples. Si bien que, qu'est-ce qui a figure et grandeur ? Ce n'est pas tel corps
simple, c'est telle infinité de corps simples. Oui ça, oui, d'accord. Telle infinité de corps simples a une
figure et une grandeur, attention : plus ou moins grande... Qu'est-ce que ça veut dire ? Une infinité
de corps simples a une figure plus ou moins grande... ça veut dire quoi ? mais alors... plus ou moins
grande, comment ? si c'est toujours une infinité de corps simples... Mais l'infini, c'est plus grand que
toute quantité, donc comment est-ce que...

Et bien voilà, c'est tout simple, du coup on est en train de... oui, de faire un progrès. D'accord, une
infinité c'est toujours plus grand que tout nombre, mais, dit Spinoza, et c'est sans doute le point de
géométrie sur lequel il tient le plus, c'est la géométrie qui nous apprend qu'il y a des infinis doubles,
triples, et cætera, plein d'autres, d'autres... En d'autres termes c'est la géométrie qui nous impose
l'idée de rapport, de rapport quantitatif entre infinis, au point qu'on puisse parler d'un infini double
d'un autre, et d'un infini moitié d'un autre. Tout infini est irréductible aux nombres, ça Spinoza le
maintiendra toujours, c'est un géométriste. Ça veut dire quoi ? Que pour lui la réalité des
mathématiques, elle est dans la géométrie. Que l'arithmétique et l'algèbre ne sont que des
auxiliaires, que des moyens d'expression, et encore c'est des moyens d'expression extrêmement
équivoques.

Il y a toujours eu dans l'histoire des mathématiques, il y a eu toujours un courant géométriste, contre


les courants arithmétistes, contre les courants algébristes... Bien plus, toute l'histoire des

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mathématiques, c'est comme la philosophie les mathématiques, c'est très très compliqué cette
histoire... Il y a comme à l'origine des mathématiques, si loin qu'on puisse remonter, si on fait, quand
on fait l'histoire des mathématiques, on voit très bien deux courants. On voit un courant qu'on appelle
en gros le courant grec, et le courant grec ça a toujours été, si loin qu'ils aillent pourtant dans le
développement de l'étude du nombre et vous allez voir pourquoi ils vont très loin... Si loin que les
Grecs soient allés dans les développements du nombre, leur conception des mathématiques est
fondamentalement géométriste, à savoir : le nombre est subordonné. Le nombre est subordonné à la
grandeur, et la grandeur est géométrique. Et toutes les mathématiques grecques sont fondées
là-dessus. Loin d'étouffer le nombre, c'est très important, ça oriente le nombre vers quoi ? La
subordination du nombre à la grandeur géométrique, c'est quoi ? Ça ouvre aux mathématiques une
espèce d'horizon fantastique, qui est quoi ? Que les nombres, ça ne vaut pas en soi, ça vaut par
rapport à tel ou tel domaine de grandeur. Finalement, les domaines de grandeur ont besoin, ils
s'expriment par des systèmes de nombres, mais il n'y a pas d'indépendance du système de nombre.
Ce n'est pas le nombre qui détermine la grandeur, c'est la grandeur qui détermine le nombre, en
d'autres termes les nombres sont toujours des nombres locaux. Les nombres, les systèmes de
nombres sont toujours affectés à tel ou tel type de grandeur. Primat de la grandeur sur le nombre. Si
vous voulez comprendre quelque chose, par exemple, dans les problèmes de l'infini dans les
mathématiques, il faut partir de choses très très simples comme ça. Le primat de la grandeur sur le
nombre, dès lors le caractère local du nombre -j'appelle caractère local la dépendance du nombre
par rapport à tel domaine de grandeur- est fondamental. Et en effet, réfléchissez à ce qu'on peut dire
par exemple sur les nombres à cet égard -j'essaie de gonfler un peu cette thèse.

Les nombres... Comment est-ce qu'ils se développent, les nombres ? C'est très intéressant quand
vous regardez l'histoire des nombres, et la multiplication, la prolifération des systèmes de nombres.
Lorsque vous regardez ça -oh, pas de près hein..-, vous voyez quoi ? Que le nombre s'est développé
toujours pour répondre à des problèmes que lui posaient -enfin pas toujours, je supprime mon
toujours : le nombre s'est souvent développé pour répondre à des problèmes que lui posaient des
grandeurs hétérogènes aux nombres. Par exemple, comment est-ce qu'on est arrivé à forger le
domaine des nombres fractionnels, qui est un domaine de nombre ? Comment est-ce qu'on est
arrivé à développer un autre système de nombres, le système des irrationnels, des nombres
irrationnels ? Pas compliqué... Chaque fois, on pourrait dire, ça ce serait la loi géométriste du
nombre : chaque fois que la géométrie nous présentait, nous imposait une grandeur... qui ne pouvait
pas être exprimée dans le système précédent du nombre. Et les derniers nombres
extraordinairement complexes des mathématiques qui, à la fin du 19eme et au début du 20eme
siècle se forment, c'est quoi ? C'est lorsque les mathématiques se heurtent à quelque chose de très
bizarre qui appartient à la ligne, à savoir ce qu'ils appelleront, ce que les mathématiciens appelleront
la puissance du continu. Si vous voulez, je veux dire une chose très simple pour que vous
compreniez alors : une fraction, c'est quoi ? C'est pas un nombre, une fraction, c'est absurde, c'est
pas un nombre... Vous écrivez 1/3, une fraction ce n'est pas un nombre, par définition. Ça deviendra
un nombre lorsque vous aurez les fractions. Vous vous mettez devant votre série, là, de nombres
entiers, naturels, tout ce que vous voulez, et vous voyez un mathématicien qui écrit 1/3... C'est une
ineptie, c'est un non-sens 1/3. 1/3 c'est pas un nombre, pourquoi ? Ben, écrivez, dans votre tête : 1/3
= x. Il n'y a aucun nombre, il n'y a pas de x qui multiplié par 3 donne 1. 1/3 serait un nombre si vous
pouviez écrire 1/3 = x. Vous ne pouvez pas écrire 1/3 = x puisqu'il n'y a pas de x, il n'y a pas de
nombre qui multiplié par 3 égale 1. Vous me suivez ? Donc, une fraction, ce n'est évidemment pas
un nombre, c'est un complexe de nombre que vous décidez arbitrairement de traiter comme un

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nombre, c'est à dire auquel vous décidez arbitrairement d'appliquer les lois -d'associativité, etc. etc. -
du nombre. C'est pas un nombre. Un nombre irrationnel, c'est pas un nombre non plus... Donc, je
dirais, tous les développements du nombre, et le nombre ne se serait jamais développé sinon, je
dirais -d'un certain point de vue-, je dirais que les nombres et les systèmes de nombres ne sont
jamais que des traitements symboliques, des manières symboliques de traiter -de traiter quoi ? De
traiter des grandeurs irréductibles aux nombres. Alors là vous fabriquez des complexes de nombres,
mais vous voyez que les complexes de nombres -ou les nombres complexes, ça revient au même-,
les complexes de nombres sont éminemment relatifs aux types de grandeurs irréductibles aux
nombres que la géométrie vous impose. Donc le primat de la grandeur sur le nombre est un élément
fondamental. Au 20eme siècle, un grand logicien mathématicien qui s'appelait Couturat, dans un
livre qui s'appelait « De l'infini mathématique », développait encore cette thèse, sur laquelle il allait
revenir quelques années plus tard, car c'est très curieux l'histoire de Couturat, et Couturat dans ses
livres « De l'infini mathématique » fondait toute sa thèse sur précisément le primat de la grandeur par
rapport au nombre. Et, dès lors, l'infini nous paraissait la réalité géométrique elle-même, et le nombre
est toujours subordonné à la découverte non seulement de la grandeur, mais de l'infini dans la
grandeur. Bon. Mais il y a une autre tradition mathématique.

Intervention de Contesse : Dans la mathématique grecque, sur le point que tu soulèves, peut-être
dans la mathématique grecque il y a eu ce problème de la subordination du nombre à la grandeur
géométrique qui provoque des crises, par exemple l'impossibilité d'une mesure exacte de la
diagonale d'un carré parfait (Deleuze : oui...), la crise provoquée par (Ptiolaos ?) dans l'école de
Pythagore, par exemple. Donc là, au niveau de la mathématique, des mathématiciens, il y a
effectivement cette subordination du nombre à la grandeur géométrique et les crises que cela peut
engendrer, les mutations que cela peut engendrer à partir de là. Seulement, dans la philosophie de
Platon par exemple, il y a un renversement de cette position du nombre qui est subordonné à la
grandeur géométrique. Platon, lorsqu'il dit que... finalement lorsqu'il y a crise, il faut nécessairement
qu'il y ait carré, et pour qu'il y ait carré il faut nécessairement qu'il y ait des droites, et pour qu'il y ait
des droites il faut des points, et comment définir un point sauf par l'intersection de deux droites, et
comment dire qu'un point c'est l'intersection de deux droites si on n'a pas déjà le nombre 1 ? Donc il
faut que l'arithmétique soit première par rapport à toute grandeur géométrique. Ça c'est un problème
de Platon, et Platon en ajoute un autre concernant le langage des mathématiciens : pourquoi
dites-vous 1, finalement ? pourquoi un, avant de dire une, un point, ça va encore plus loin. Donc c'est
là qu'il introduit le problème de l'hypothétique, et de l'anhypothétique... Deleuze : Je vais te dire...
Contesse : ensuite, s'il est vrai que dans le discours mathématique grec il y a cette subordination, et
encore il faudrait poser la question de la curieuse théorie des nombres chez Pythagore, c'est une
théorie très mystérieuse... Alors si il y a, dans les mathématiques grecques en tout cas, une
subordination de l'arithmétique à la grandeur géométrique, peut-être qu'il y a une aporie de la
mathématique grecque dans la philosophie de Platon au niveau justement, non seulement du
renversement de cette perspective, mais l'aporie même de la pensée qu'il y aurait un premier
nombre d'une série, qui sera dite ensuite naturelle, et qui serait un. Deleuze : Ouais... (à un autre
auditeur : ) C'est lié, ce que tu as à dire ? alors dis... Autre intervention, inaudible. Deleuze : Oui, ça
tout à fait, que Spinoza soit profondément Euclidien, et que on puisse définir Euclide -alors là,
Contesse serait d'accord lui-même compte tenu de ce qu'il vient de dire-, qu'on puisse définir Euclide
par une subordination, non pas en général du nombre à la grandeur encore une fois, mais des
systèmes de nombres -car il n'y a jamais que des systèmes de nombres- au domaines de grandeurs,
ça... Spinoza a gardé ce géométrisme absolu. Alors, pour répondre un peu à ces deux remarques, je

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dirais que, oui... qu'est-ce qui se passe ? En effet lorsque Contesse dit « attention, mais Platon... ».
Mais Platon, vous comprenez... Interruption du deuxième auditeur, inaudible. Deleuze : Ouais,
ouais... j'ai peut-être autre chose encore... mais... en effet ce que tu as dit d'important il me semble,
c'est que ça se réfère à un point d'Euclide, pas à Euclide en général, mais ce que tous les
mathématiciens Grecs ont considéré d'ailleurs comme étant le sommet d'Euclide, à savoir la théorie
des rapports et des proportions. Et c'est au niveau d'une théorie géométrique des proportions et des
rapports que s'affirme cette subordination du nombre. Là, il y aurait un point alors complètement
Spinoziste. Quant à la question, alors, de l'infini, on la met... Il faudrait voir, d'abord, ce statut très
particulier de la théorie des rapports chez Euclide. Ce que je veux dire, là, pour le moment, c'est
juste quant à ce que vient de dire Contesse : « attention, Platon, c'est beaucoup plus compliqué dans
l'histoire grecque ». C'est beaucoup plus compliqué pourquoi ? Parce que, autant qu'on comprenne,
je dirais... Ça , c'est un pôle de la géométrie et ça a été vraiment la grande tradition de la géométrie
grecque, et je crois que... ils ne démordront pas de cette tradition, les Grecs.

Retour à l'exposé : Mais, il y a une autre tradition. Pour les communications, non seulement à
courtes, mais à très longues distances, on n'a pas attendu maintenant pour qu'il y ait ces
communications. Il y a une tradition que l'on appelle, enfin que les historiens des mathématiques
appellent, à l'autre pôle de la tradition grecque, la tradition indoue-arabe. Or cette tradition
indoue-arabe, elle est non moins fondamentale. Et elle consiste, elle, et c'est ça son coup de force,
pas un coup de force mais c'est comme ça que chez eux... Tout se passe comme si, si vous voulez,
il y avait cette espèce de différenciation : et bien oui, en Grèce ça passe par là, en Inde ça passe par
là ! C'est au contraire l'indépendance, et le caractère législateur du nombre par rapport à la
grandeur. Et l'acte de naissance de l'algèbre, qui précisément est comme l'expression de cette
conception du nombre indépendant de la grandeur, de telle manière que c'est lui qui va déterminer et
régler, et commander au rapport de grandeur, expliquera pratiquement par exemple le rôle de la
pensée arabe dans la formation de l'algèbre, et là vous avez tout un courant arithmético-algébriste.
Or c'est très vite que, en Grèce même, les courants dits « orientaux », les courants dits « indiens », «
indous », et le courant géométrique grec s'affrontent. Et précisément, et c'est par là que les
remarques de Contesse sont très justes, le Pythagorisme, avec son caractère pour nous
extrêmement mystérieux - parce que c'est assez compliqué, et que les textes nous manquent un
petit peu-, le Pythagorisme semble bien être l'espèce de première rencontre fondamentale entre une
conception indienne et une conception grecque des mathématiques. Là alors se joue, se joue très
très vivement une histoire qui quand même, je dirais, moi... je ne sais pas, là, ce que tu en penses,
toi, Contesse, mais moi je serais quand même plus prudent que toi, parce que ce que les
pythagoriciens appellent le nombre, même quand on le ramène à un système de points, ils
l'appellent le nombre, et quel est le rapport exact entre le nombre et la figure, c'est quelque chose de
très... Ou le nombre et la grandeur, chez Pythagore ce serait, ce serait il me semble... alors
là...certainement en tout cas, ça, ça me dépasse de loin.

Je remarque juste que lorsque, dans la dernière, dans ce qu'on appelle la dernière philosophie de
Platon, nous sommes sûrs que, à la fin de sa vie, Platon a développé une théorie que l'on connaît en
gros sous le nom de « théorie des nombres idéaux ». Les nombres idéaux, chez Platon, qu'est-ce
que c'est ? On n'a aucun texte direct. On sait que ça a pris dans la dialectique Platonicienne une
importance de plus en plus grande. On n'a aucun texte direct sur ces nombres idéaux, aucun texte
de Platon. On connaît cette théorie dernière de Platon par Aristote. Or ces nombres idéaux sont pour
Platon, d'après le témoignage d'Aristote, comme complémentaires -alors dans quel ordre ? dans

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quel sens ? qu'est-ce qui est... ?- de figures idéales. C'est en quelque sorte des nombres
méta-arithmétiques, au-delà de l'arithmétique, qui n'ont pas la même loi d'engendrement que les
nombres arithmétiques, et en corrélation avec des figures méta-géométriques, c'est à dire les figures
qui n'ont pas, qui ne sont pas justifiables ou qui ne renvoient pas à la possibilité d'un tracé dans
l'espace. Alors à ce niveau, là, où vraiment, je suppose, les deux grands courants, le courant
algébriste et le courant géométriste, se rencontrent, quelle est la part des nombres idéaux, des
figures idéales et cætera, à quel point ici précisément même on est sorti, à ce niveau là, on est sorti
des mathématiques à proprement parler, puisque Platon en fait l'objet de sa dialectique, de sa
dialectique finale, de sa dialectique dans sa dernière philosophie - or lui-même distingue
complètement le mouvement mathématique et le mouvement dialectique-, donc ces nombres
supérieurs, qui viennent de la tradition indienne, n'arrivent pas à être définis simplement
arithmétiquement, ils sont définis dialectiquement, indépendamment d'une genèse arithmétique mais
par une espèce de constitution dialectique, donc je précise là juste quant à l'intervention de Contesse
que de toute évidence il me semble, c'est vrai, c'est vrai qu'au niveau de la Grèce c'est beaucoup
plus compliqué qu'un simple courant géométriste, mais que le courant géométriste et le courant
algébriste venu de l'Inde se rencontrent à un niveau qui finalement, dépasse la géométrie mais
dépasse également l'arithmétique. Je crois que ça va en effet être un moment très très fondamental
dans l'histoire des...

Mais alors, revenons plus à l'histoire de la géométrie Euclidienne. Pour le moment, j'en suis
seulement à ... C'est que Spinoza pour son compte, là, je crois, il n'y a pas de problème chez lui, il
ne retient, pour des questions que... allez savoir pourquoi au juste... mais il se trouve que vraiment, il
est pur géométriste. Je parlais de Couturat, c'est bizarre vous voyez que même ces changements,
c'est des changements qu'il faudrait évaluer... donc , un logicien mathématicien comme Couturat,
dans mon souvenir « De l'infini mathématique » c'est un livre qui paraît vers 1905, il écrit après les «
Principes des mathématiques », vers 1900 je ne sais pas quoi, 11 ou 12 je suppose, et là il a
complètement changé. Sous l'influence d'un... finalement d'un arithméticien - logicien - algébriste, à
savoir sous l'influence de Russel, il dénonce son livre sur l'infini mathématique, et il dit qu'il renonce
au principe du primat de la grandeur sur le nombre. Tout se passe comme s'il passait d'un pôle à
l'autre, et il refait toute sa théorie des mathématiques. Or je ne sais pas, moi, je ne suis pas sûr qu'il
ait eu raison, on ne peut pas dire forcément qu'il avait raison, je ne suis pas sûr que ce ne soit pas le
premier livre qui ait été le plus loin, on ne sait pas, on ne sait pas bien... En tout cas je veux dire
quoi, là ? Je veux dire qu'entre nous, lorsque Spinoza nous dit « chaque corps composé a un très
grand nombre de corps simples comme parties », je dis : ça veut dire une infinité de parties.
Pourquoi ? Parce que les corps simples, ils vont nécessairement par infinités. Seulement, les corps
simples, vous vous rappelez, ils n'appartiennent à un corps composé que sous tel rapport qui
exprime le corps composé. Ils n'appartiennent à un corps composé que sous un rapport de
mouvement et de repos, qui caractérise le corps composé. Bien. Dès lors, vous tenez tout. Un
rapport de mouvement et de repos, accordez moi : on ne comprend pas très bien ce que ça veut dire
mais, ce n'est pas très compliqué, il peut être le double d'un autre... Si le double, ou la moitié, c'est le
rapport de mouvement et de repos, le rapport de mouvement et de repos qui caractérise le corps a
est le double du rapport de mouvement et de repos qui caractérise le corps b. C'est tout simple, je
peux écrire : mv = 2 m'v' Ça veut dire : le rapport de mouvement et de repos est le double. Bon.
Qu'est-ce que je dirais, si je me trouve devant ce cas simple : le rapport de mouvement et de repos
d'un corps est le double de celui d'un autre corps ? Je dirais : chacun des deux corps a une infinité
de parties, de corps simples. Mais : l'infini de l'un est le double de l'infini de l'autre. C'est très simple.

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En d'autres termes, c'est un infini de grandeur, et pas de nombre. C'est un infini de grandeur, et pas
de nombre, ça veut dire quoi ? La grandeur, elle n'est pourtant pas infinie. Le rapport mv, il n'est pas
infini. D'où l'importance de l'exemple de Spinoza dans la lettre 12. Vous vous rappelez peut-être
puisqu'on en avait parlé un peu, de ça. Dans la lettre 12, Spinoza considère deux cercles non
concentriques, intérieurs l'un à l'autre et non concentriques. Et il dit : « prenez l'espace entre les
deux cercles ». Nous, alors, on prend un exemple simplifié, précisément celui dont Spinoza ne
voulait pas parce que, vu le but qu'il avait dans cette lettre, il lui fallait un exemple plus complexe.
Mais je dis juste : prenez un cercle, et considérez les diamètres. Il y a une infinité de diamètres,
puisque de tout point de la circonférence, vous pouvez mener un diamètre, à savoir la ligne qui unit
le point de la circonférence, un point de la circonférence quelconque, au centre. Un cercle a donc
une infinité de diamètres. Si vous prenez une moitié de cercle -l'exemple de Spinoza est aussi simple
que ça -, si vous prenez un demi-cercle, il a une infinité de diamètres aussi, puisque vous avez une
infinité de points possibles sur la demi-circonférence autant que sur la circonférence entière. Dès
lors, vous parlerez bien d'un infini double d'un autre, puisque vous direz que dans un demi-cercle il y
a une infinité de diamètres autant que dans le cercle entier, mais que cette infinité est la moitié de
celle du cercle entier. En d'autres termes, là vous avez défini un infini qui est double ou moitié, en
fonction de quoi ? En fonction de l'espace occupé par une figure, à savoir la circonférence entière ou
la moitié de cette circonférence. Vous n'avez qu'à transposer au niveau des rapports. Vous
considérez deux corps : l'un a un rapport caractéristique qui est le double de l'autre, donc tous les
deux, comme tous les corps -tous les corps ont une infinité de parties. Et dans un cas, c'est un infini
qui est le double de celui de l'autre cas. Vous comprenez ce que veut dire : « les corps simples vont
nécessairement par infinités ». Dès lors, j'ai réponse il me semble à mon problème, là, concernant
Guéroult. Comment Spinoza peut-il dire : « les corps simples s'appliquent suivant des surfaces plus
ou moins grandes » ? Ça veut pas dire du tout que chaque surface a une grandeur, puisque encore
une fois ils n'ont pas de grandeur. Pourquoi est-ce que les corps simples -du coup, maintenant, je
sais pas, on est presque en état, j'espère, de tout comprendre...-, pourquoi est-ce qu'ils n'ont pas de
grandeur, les corps simples ? Parce que quand je disais ils vont par infinités, ça voulait dire quoi ?
Ça voulait dire justement : qu'est-ce qui va par infinité ? C'est pas n'importe quoi qui va par infinité.
Je veux dire : qu'est ce qui est de telle nature que ça ne peut aller que par infinité, si ça existe ? Et
bien, évidemment, il n'y a qu'une chose, c'est : des termes infiniment petits. Des termes infiniment
petits, ils ne peuvent aller que par infinités. En d'autres termes, un infiniment petit, là encore, est une
formule strictement dénuée de sens.

Deleuze 10/02/81 9C1 Transcription : Jean-Charles Jarrell

C'est comme si vous disiez un cercle carré, il y a contradiction. Vous ne pouvez pas extraire un
infiniment petit de l'ensemble infini dont il fait partie. En d'autres termes, et ça, le 17eme siècle l'a
compris il me semble merveilleusement et c'est ça, je voudrais en arriver là, c'est pour ça que je
passe par tous ces détours un peu... un peu sévères, c'est ça que le 17eme siècle savait et nous -je
ne veux pas dire qu'on ait tort-, que nous, on ne sait plus du tout et qu'on ne veut plus. Pourquoi on
ne veut plus, ça, il faudra se le demander. C'est curieux, mais pour le 17eme siècle, toutes les
bêtises qu'on dit sur leur conception du calcul infinitésimal, on ne les dirait plus si on était même
sensible à ce truc très simple. On leur reproche d'avoir cru aux infiniment petits. Ils n'ont pas cru aux
infiniment petits, c'est idiot, c'est complètement idiot. Ils n'ont pas plus cru aux infiniment petits qu'à
autre chose. Ils ont cru que les infiniment petits allaient par ensembles infinis, par collections infinies.
Il n'y a que comme ça que je peux croire aux infiniment petits : si je crois aux infiniment petits, je

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crois forcément à des collections infinies. Nous on fait comme si ils croyaient que les collections
infinies avaient un terme, qui était l'infiniment petit. Ils ne l'ont jamais cru, c'est même contradictoire.
Un infiniment petit, ce n'est pas un terme puisqu'on ne peut pas y arriver. Puisqu'il n'y a pas de fin.
Dans l'analyse d'infini, on fait comme si il y avait une fin à l'infini. Mais c'est complètement grotesque.
Dans l'analyse d'infini, il n'y a pas de fin à l'infini puisque c'est de l'infini. Il y a simplement des
infiniment petits allant par collections infinies. Si je dis : « Ah mais, faut bien que j'arrive jusqu'à
l'infiniment petit », pas du tout, faut pas que j'arrive jusqu'à l'infiniment petit. Il faut que j'arrive jusqu'à
l'ensemble infini des infiniment petits. Et l'ensemble infini des infiniment petits, il n'est pas du tout
infiniment petit, lui. Les infiniment petits, vous ne les extrairez pas de leur ensemble infini. Au point
que pour quelqu'un du 17eme siècle, ou même déjà de la renaissance, il n'y a absolument rien de
bizarre à dire « bah oui, chaque chose est un ensemble infini d'infiniment petits, évidemment... ».
C'est un mode de pensée très curieux. Je veux dire « très curieux », à la fois, en même temps, qui
va complètement de soi.

Pourquoi est-ce que c'est très curieux ? Moi, je veux dire, voilà : Spinoza, j'essaye de retenir ce
qu'on peut en garder, là, pour Spinoza directement. Spinoza nous dit « les corps les plus simples
n'ont ni grandeur ni figure ». Evidemment, puisque ce sont des infiniment petits. Et un infiniment petit
n'a pas de grandeur ou de figure, si vous lui donnez une grandeur ou une figure vous en faites un
fini. Vous en faites quelque chose de fini. Un infiniment petit n'a ni grandeur ni figure, ça va trop de
soi. Un infiniment petit n'existe pas indépendamment de la collection infinie dont il fait partie. En
d'autres termes, les infiniment petits sont des éléments, ils correspondent à l'expression parce que
c'est la meilleure il me semble, et les infiniment petits sont des éléments non formés. Ils n'ont pas de
forme. C'est des éléments informels, comme on dit aujourd'hui. Ils se distinguent par vitesse et
lenteur, et pourquoi ? Vous devez déjà sentir, parce que vitesse et lenteur, c'est des différentiels. Or
ça peut se dire de l'infiniment petit. Mais forme et figure, ça ne se dit pas de l'infiniment petit sans le
transformer en quelque chose de fini.

Alors bon, ce sont des éléments informels qui vont par collections infinies, ça revient à dire : vous ne
les définirez pas par figure et grandeur, vous les définirez par : un ensemble infini. Or bon, mais quel
ensemble infini ? Comment définir l'ensemble infini ? Là on retombe tout à fait dans ce qu'il disait, lui,
tout à l'heure ... un ensemble infini, vous ne le définirez pas par des termes, vous le définirez par un
rapport. En effet, un rapport, quel qu'il soit, est justifiable d'une infinité de termes. Le rapport est fini,
lui... un rapport fini a une infinité de termes. Si vous dites « plus grand que... », je prends l'exemple le
plus bête qui soit, si vous dites « plus grand que... » il y a une infinité de termes possibles. Qu'est-ce
qui ne peut pas être « plus grand que... » ? Que quoi ? Et bien tout dépend : que quoi ? Donc « plus
grand que » subsume une infinité de termes possibles ; c'est évident. Donc, un ensemble infini sera
défini par un rapport. Quel rapport ? Réponse de Spinoza : rapport de mouvement et de repos, de
vitesse et de lenteur ; ce rapport il est lui-même fini, il a une infinité de termes. Dernier point : un
rapport défini un ensemble infini, dès lors les ensembles infinis peuvent entrer dans des rapports
quantitatifs, double, moitié, triple, et cætera... En quel sens ? Si un rapport -tout rapport défini un
ensemble infini- si un rapport est le double d'un autre rapport, si je peux dire « le rapport deux fois
plus grand que, une fois plus grand que, deux fois plus grand que... -et je peux puisque les rapports
sont finis, ils correspondent à des ensembles infinis qui sont eux-mêmes doubles, moitiés, ou plus.
Qu'est-ce que ça veut dire, ça ? Oh, et bien c'est tout simple, si vous comprenez un petit peu, ça va
nous lancer dans la proposition à mon avis la plus étrange -pour nous-, de la philosophie du 17eme
siècle, à savoir : l'infini actuel existe. L'infini actuel existe, et je crois que on peut, on peut vraiment,

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oui... j'ai l'air de révéler comme un secret mais ça me semble, oui, c'est une espèce de secret parce
que il me semble que c'est la proposition de base, le sous-entendu de base de toute la philosophie
au 17eme siècle : il y a de l'infini actuel. Qu'est-ce que ça veut dire, cette proposition en apparence
étrange, l'infini actuel ? Il y a de l'infini en acte. Et bien, ça s'oppose à deux choses : l'infini en acte,
c'est ce qu'il faut à la fois distinguer du fini, et de l'indéfini. L'indéfini, ça veut dire qu'il y a de l'infini,
mais seulement en puissance. On ne peut pas s'arrêter, il n'y a pas de dernier terme. Il n'y a pas de
dernier terme, c'est l'indéfini. Le finitisme, c'est quoi ? Il y a un dernier terme. Il y a un dernier terme,
et vous pouvez arriver à ce dernier terme, ne serait-ce que par la pensée. Or ça, c'est deux thèses à
peu près intelligibles, en tout cas on y est habitué. Les thèses finitistes et les thèses indéfinitistes.
Pour nous, est aussi simple une proposition que l'autre : il y a un dernier terme, ou bien il n'y a pas
de fin. Dans un cas vous direz : il y a un dernier terme, c'est quoi ? c'est la position d'une analyse
finie, c'est le point de vue de l'analyse finie ; il n'y a pas de dernier terme : vous pouvez aller à
l'indéfini, vous pourrez toujours diviser le dernier terme auquel vous êtes arrivé, c'est donc la position
d'un infini en puissance, uniquement en puissance, on peut toujours aller plus loin. Cette fois-ci, c'est
la position d'une synthèse infinie. La synthèse infinie, ça veut dire : le pouvoir de l'indéfini, pousser
toujours plus loin l'analyse. Or le 17eme siècle, bizarrement, ne se reconnaît ni dans un point ni dans
l'autre. Je dirais que les thèses de la finitude, c'est quoi ? Elles sont bien connues, de tout temps ça
a été ce qu'on a appelé les atomes. Vous pouvez aller jusqu'au dernier terme de l'analyse. C'est
l'analyse finie. Le grand théoricien de l'atome, dans l'antiquité, c'est Epicure, puis c'est Lucrèce. Or le
raisonnement de Lucrèce est très strict. Lucrèce dit : l'atome dépasse la perception sensible, il ne
peut être que pensé. Bon. Il ne peut être que pensé. Mais il marque comme... -pas exactement de
lui-même, mais de même... il y a un raisonnement de Lucrèce très curieux, qui consiste à nous dire :
il y a un minimum sensible. Le minimum sensible, c'est celui -vous pouvez faire l'expérience
facilement, vous prenez un point lumineux, vous le fixez, et ce point lumineux est reculé, jusqu'au
point où il disparaît à votre vue. Peut importe que vous ayez la vue bonne ou pas bonne, il y aura
toujours un point où, il y aura toujours un moment où le point lumineux disparaît, n'est plus vu. Très
bien, appelons ça le minimum sensible. C'est le minimum perceptible, le minimum sensible, il a beau
varier pour chacun, pour chacun il y a un minimum sensible. Et bien de même, dit-il, de penser
l'atome -puisque l'atome est à la pensée ce que la chose sensible est aux sens-, si vous pensez
l'atome, vous arriverez à un minimum d'atome. Le minimum d'atome, c'est le seuil au delà duquel
vous ne pensez plus rien. Tout comme il y a un seuil sensible au delà duquel vous ne saisissez plus
rien, il y a un minimum pensé au delà duquel vous ne pensez plus rien. Il y a donc un minimum
pensable, autant qu'un minimum sensible. A ce moment là, l'analyse a fini. Et c'est ça que Lucrèce
appelle d'une expression très très bizarre, non pas l'atome simplement mais « le sommet de l'atome
». le sommet de l'atome, c'est ce minimum au delà duquel il n'y a plus rien. C'est le principe d'une
analyse finie. L'analyse indéfinie, on sait aussi ce que sait. L'analyse indéfinie, c'est quoi ?
évidemment, c'est beaucoup plus compliqué que... Sa formulation, elle est très simple : aussi loin
que vous alliez, vous pouvez toujours aller plus loin. C'est à dire -je dis c'est un point de vue de la
synthèse puisqu'on se réclame d'une synthèse par laquelle je peux toujours continuer ma division,
continuer mon analyse...C'est la synthèse de l'indéfini.

Bien. Je voudrais vous lire un texte après le 17eme siècle, un texte très curieux. Ecoutez le bien
parce que... vous allez voir, je crois que ce texte est très important. Je ne dis pas encore de qui, je
souhaiterais que vous deviniez vous-même de qui il est. « Dans le concept d'une ligne circulaire,
-dans le concept d'une ligne circulaire, c'est à dire dans le concept d'un cercle-, on ne pense à rien
de plus que ceci, à savoir : que toutes les lignes droites tirées de ce cercle à un point unique appelé

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centre sont égales les unes aux autres ». En d'autres termes, le texte nous dit : dans un cercle, tous
les diamètres sont égaux. Tous les diamètres. Et le texte se propose de commenter ce que signifie «
tous les diamètres ». Donc dans un cercle, tous les diamètres sont égaux, d'accord. Le texte
continue : « En fait lorsque je dis cela -tous les diamètres sont égaux, il s'agit simplement ici d'une
fonction logique de l'universalité du jugement ». Ça se complique... Ceux qui savent un peu ont déjà
reconnu l'auteur, il n'y a qu'un philosophe qui s'exprime comme ça. « il s'agit seulement... lorsque je
dis tous les diamètres sont égaux, il s'agit seulement de la fonction logique de l'universalité du
jugement ». L'universalité du jugement : tous les diamètres. Jugement universel : tous les diamètres
du cercle. « Il s'agit seulement de la fonction logique de l'universalité du jugement, dans laquelle
-dans laquelle fonction logique-, le concept d'une ligne constitue le sujet, et ne signifie rien de plus
que chaque ligne, et non pas le tout des lignes (qui peuvent sur une surface être tirées à partir d'un
point donné). Ça devient très très... C'est curieux tout ça... Sentez que quelque chose se passe...
C'est comme si, à partir d'un tout petit exemple... C'est une mutation de pensée assez radicale.
C'est... à partir de là le 17eme siècle s'écroule, enfin si j'ose dire... « Lorsque je dis tous les
diamètres sont égaux, c'est simplement une fonction logique de l'universalité du jugement, dans
laquelle le concept d'une ligne constitue le sujet -le sujet du jugement-, et ne signifie rien de plus que
chaque ligne, et pas du tout : le tout des lignes ». Car autrement -le raisonnement continue...-, car
autrement chaque ligne serait avec le même droit une idée de l'entendement -c'est à dire un tout-,
car autrement chaque ligne serait avec le même droit une totalité, en tant que contenant comme
parties toutes les lignes qui peuvent être pensées entre deux points simplement pensables entre
elles, et dont la quantité va précisément à l'infini. C'est essentiel parce que ce texte est tiré d'une
lettre, une lettre hélas pas traduite en français, c'est bizarre parce que c'est une lettre très
importante, c'est une lettre de Kant où Kant répudie d'avance -je dis les motifs, les circonstances de
la lettre-, répudie d'avance ses disciples qui tentent de faire une espèce de réconciliation entre sa
propre philosophie et la philosophie de 17eme siècle. Bon, ça nous concerne étroitement. Et Kant dit
cela : « ceux qui tentent cette opération qui consiste à faire une espèce de synthèse entre ma
philosophie critique et la philosophie de l'infini du 17eme siècle, ceux-là se trompent complètement et
gâchent tout ». C'est important, parce que il en a à son premier disciple post-ancien, Kant, qui
s'appelait Maimon, mais ensuite, cette grande tentative de faire une synthèse entre la philosophie de
Kant et la philosophie de l'infini du 17eme siècle, ce sera l'affaire de Fichte, de Schelling, de Hegel.
Et il y a une espèce de malédiction de Kant sur cette tentative, et cette malédiction consiste à dire
qui au juste ? Je reviens... Vous avez un cercle, il vous dit : tous les diamètres sont égaux. Et je dis :
il y a une infinité de diamètres ; un homme du 17eme siècle dirait ça, il y a une infinité de diamètres,
et tous les diamètres -le mot « tous » signifie « l'ensemble infini », « tous » commenté par un homme
du 17eme siècle ce serait : tous les diamètres = l'ensemble infini des diamètres traçables dans le
cercle. C'est un ensemble infini, infini actuel. Kant arrive et il dit : pas du tout, c'est un contresens.
Tous les diamètres du cercle, c'est une proposition, là encore, vide de sens. Pourquoi ? En vertu
d'une raison très simple : les diamètres ne préexistent pas à l'acte par lequel je les trace. C'est à dire
: les diamètres ne préexistent pas à la synthèse par laquelle je les produis. Et en effet, ils n'existent
jamais simultanément car la synthèse par laquelle je produis les diamètres, c'est une synthèse
successive, comprenez ce qu'il veut dire ça devient très fort : c'est une synthèse du temps. Il veut
dire : le 17eme siècle n'a jamais compris ce qu'était la synthèse du temps, et pour une raison très
simple, c'est qu'il s'occupait des problèmes d'espace, et la découverte du temps c'est précisément la
fin du 17eme siècle. En fait, « tous les diamètres » est une proposition vide de sens, je ne peux pas
dire « tous les diamètres du cercle », je ne peux que dire « chaque diamètre », « chaque » renvoyant
simplement à une fonction quoi ? (à une fonction) distributive du jugement. Une fonction distributive

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du jugement, à savoir chaque diamètre en tant que je le trace ici maintenant. Chaque diamètre en
tant que je le trace ici maintenant, et puis il me faudra du temps pour passer au tracé de l'autre
diamètre, c'est une synthèse du temps. C'est une synthèse, comme dit Kant, de la succession dans
le temps. C'est une synthèse de la succession dans le temps qui va à l'indéfini, c'est à dire elle n'a
pas de terme, en vertu même de ce qu'est le temps. Je pourrai, si nombreux soient les diamètres
que j'ai déjà tracés, je pourrai toujours en tracer un encore, et puis un encore, et puis un encore... Ça
ne s'arrêtera jamais. C'est une synthèse de la production de chaque diamètre que je ne peux pas
confondre avec une analyse. C'est exactement : une synthèse de la production de chaque diamètre
dans la succession du temps, que je ne peux pas confondre avec une analyse de tous les diamètres
supposés donnés simultanément dans le cercle. L'erreur du17eme siècle, ça a été de transformer
une série indéfinie propre à la synthèse du temps en un ensemble infini coexistant dans l'étendue.
Alors sur cet exemple, c'est fondamental... Voyez, le coup de force de Kant, ce sera de dire :
finalement, il n'y a pas d'infini actuel ; ce que vous prenez pour l'infini actuel, c'est simplement... vous
dites qu'il y a de l'infini actuel parce que vous n'avez pas vu en fait que l'indéfini renvoie à une
synthèse de la succession dans le temps, alors quand vous vous êtes donnés l'indéfini dans
l'espace, vous l'avez déjà transformé en infini actuel ; mais en fait l'indéfini est inséparable de la
synthèse de la succession dans le temps, et à ce moment là, il est indéfini, il n'est absolument pas
l'infini actuel. Mais la synthèse de la succession dans le temps, ça renvoie à quoi ? Ça renvoie à un
acte du moi, un acte du « je pense », c'est en tant que « je pense » que je trace un diamètre du
siècle, un autre diamètre du cercle, et cætera, en d'autres termes c'est le « je pense » lui-même -et
ça va être la révolution kantienne par rapport à Descartes... Qu'est-ce que c'est que le « je pense » ?
Ça n'est rien d'autre que l'acte de synthèse dans la série de la succession temporelle. En d'autres
termes le « je pense », le cogito, est mis directement en relation avec le temps, alors que pour
Descartes le cogito était immédiatement en relation avec l'étendue. Alors, voilà, voilà ma question,
c'est presque... ça revient un peu au même que de dire que, aujourd'hui, les mathématiciens ne
parlent plus d'infini. La manière dont les mathématiques ont expulsé l'infini -peut-être qu'on le verra
la prochaine fois si on a le temps-, ça c'est fait comment ? Partout, ça c'est fait de la manière la plus
simple, et presque pour des raisons arithmétiques. A partir du moment où ils ont dit : « mais, une
quantité infiniment petite -ça commence, si vous voulez, à partir du 18eme siècle-, à partir du 18eme
siècle il y a un refus absolu des interprétations dites infinitistes, et toute la tentative, à partir du
18eme siècle, des mathématiciens, à commencer par d'Alembert, et puis Lagrange, et puis tous,
tous, pour arriver jusqu'au début du 20eme siècle, où là ils décident qu'ils ont tout gagné, c'est quoi ?
C'est montrer que le calcul infinitésimal n'a aucun besoin de l'hypothèse des infiniment petits pour se
fonder. Bien plus, il y a un mathématicien du 19eme qui emploie une pensée, un terme qui rend très
bien compte, il me semble, de la manière de penser des mathématiciens modernes, il dit : mais
l'interprétation infinie de l'analyse infinitésimale, c'est une hypothèse gothique ; ou bien ils appellent
ça le stade « pré-mathématique » du calcul infinitésimal. Et ils montrent simplement que il n'y a pas
du tout dans le calcul infinitésimal des quantités plus petites que toute quantité donnée, il y a
simplement des quantités qu'on laisse indéterminées. En d'autres termes, c'est toute la notion
d'axiome qui vient remplacer la notion d'infiniment petit. Vous laissez une quantité indéterminée pour
la rendre -c'est donc la notion d'indéterminé qui vient remplacer l'idée de l'infini-, vous laissez une
quantité indéterminée pour la rendre, au moment que vous voulez, plus petite qu'une quantité
donnée bien précise. Mais de l'infiniment petit, là-dedans, il n'y en a plus du tout. Et le grand
mathématicien qui va donner son statut définitif au calcul infinitésimal, c'est à dire Stratt, à la fin du
19eme et au début du 20eme, il aura réussi à en expulser tout ce qui ressemble à une notion
quelconque d'infini.

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Bon, alors... Je dirais, nous, on est formé comment ? Et bien je dirais que on oscille entre un point de
vue finitiste et un point de vue indéfinitiste. Si vous voulez, on oscille entre -et ces deux points de
vue, on les comprend très bien-, je veux dire on est tantôt Lucrétien, et tantôt on est Kantien. Je veux
dire : on comprend relativement bien l'idée que les choses soient soumises à une analyse indéfinie,
et l'on comprend très bien que cette analyse indéfinie, qui ne rencontre pas de terme, forcément elle
ne rencontre pas de terme puisqu'elle exprime une synthèse de la succession dans le temps. Donc,
en ce sens, l'analyse indéfinie en tant que fondée sur une synthèse de la succession dans le temps,
on comprend ça même si on a pas lu Kant. Et on voit, on s'y reconnaît dans un tel monde. L'autre
aspect, on le comprend aussi -l'aspect finitiste, c'est à dire l'aspect atomiste au sens large, à savoir :
il y aurait un dernier terme, et si ce n'est pas l'atome ce sera une particule, ce sera un minimum
d'atome, ou bien une particule d'atome, n'importe quoi. Donc, il y a un dernier terme.

Ce qu'on ne comprend plus du tout, c'est ça... à moins que...qu'il y ait... je voudrais que ça vous
fasse le même effet parce que sinon, ça m'inquiète... Ce que, à première vue, on ne comprend plus
c'est l'espèce de pensée, la manière dont au 17eme siècle ils pensent l'infini actuel. A savoir : ils
estiment légitime la transformation d'une série indéfinie en ensemble infini. Nous on ne le comprend
plus du tout, ça.

Je prends un texte -et presque, ce dont je parle, c'est les lieux communs du 17eme siècle-, je prends
un texte célèbre de Leibniz, qui a un titre admirable : « De l'origine radicale des choses ». C'est un
petit opuscule. Il commence par l'exposé pour mille fois fait, ce n'est pas nouveau chez lui, il ne le
présente pas comme nouveau, l'exposé de la preuve de l'existence de Dieu dite cosmologique. Et la
preuve de l'existence de Dieu dite « preuve cosmologique », elle est toute simple, elle consiste à
nous dire ceci... Elle consiste à nous dire : « et bien vous voyez, une chose, elle a bien une cause ».
Bon... « Cette cause, à son tour, elle est un effet, elle a une cause, à son tour. La cause de la cause,
elle a une cause et cætera, et cætera à l'infini, à l'infini... Il faut bien que vous arriviez à une cause
première, qui ne renvoie pas elle-même à une cause mais qui soit cause de soi ». C'est la preuve,
vous voyez, à partir du monde vous concluez à l'existence d'une cause du monde. Le monde, c'est la
série des causes et des effets, c'est le série des effets et des causes, il faut bien arriver à une cause
qui soit comme la cause de toutes les causes et effets. Inutile de dire que cette preuve, elle n'a
jamais convaincu personne. Mais enfin, on l'a toujours donnée, c'est la preuve cosmologique de
l'existence de Dieu. Elle a été débattue, elle a été contredite de deux manières : les finitistes vont
nous dire : « ben non, pourquoi vous n'arrivez pas, dans le monde même, à des causes dernières,
c'est à dire à des derniers termes ? ». Et puis les indéfinitistes nous disent « ben non, vous
remonterez d'effet en cause à l'infini, vous n'arriverez jamais à un premier terme de la série ».

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Deleuze 10/02/81 9C1 Transcription : Jean-Charles Jarrell

C'est comme si vous disiez un cercle carré, il y a autant contradiction. Vous ne pouvez pas extraire
un infiniment petit de l'ensemble infini dont il fait partie. En d'autres termes, et ça, le 17eme siècle l'a
compris il me semble merveilleusement et c'est ça, je voudrais en arriver là, c'est pour ça que je
passe par tous ces détours un peu... un peu sévères, c'est ça que le 17eme siècle savait et nous - je
ne veux pas dire qu'on ait tort - que nous, on ne sait plus du tout et qu'on ne veut plus. Pourquoi on
ne veut plus, ça, il faudra se le demander. C'est curieux, mais pour le 17eme siècle, toutes les
bêtises qu'on dit sur leur conception du calcul infinitésimal, on ne les dirait plus si on était même
sensible à ce truc très simple.

On leur reproche d'avoir cru aux infiniment petits. Ils n'ont pas cru aux infiniment petits, c'est idiot,
c'est complètement idiot. Ils n'ont pas plus cru aux infiniment petits qu'à autre chose. Ils ont cru que
les infiniment petits allaient par ensembles infinis, par collections infinies. Il n'y a que comme ça que
je peux croire aux infiniment petits : si je crois aux infiniment petits, je crois forcément à des
collections infinies. Nous on fait "comme si" ils croyaient que les collections infinies avaient un terme,
qui était l'infiniment petit. Ils ne l'ont jamais cru, c'est même contradictoire. Un infiniment petit, ce
n'est pas un terme puisqu'on ne peut pas y arriver. Puisqu'il n'y a pas de fin. Dans l'analyse infini, on
fait comme si il y avait une fin à l'infini. Mais c'est complètement grotesque.
Dans l'analyse d'infini, il n'y a pas de fin à l'infini puisque c'est de l'infini. Il y a simplement des
infiniment petits allant par collections infinies. Si je dis : « Ah mais, faut bien que j'arrive jusqu'à
l'infiniment petit », pas du tout, faut pas que j'arrive jusqu'à l'infiniment petit. Il faut que j'arrive jusqu'à
l'ensemble infini des infiniment petits. Et l'ensemble infini des infiniment petits, il n'est pas du tout
infiniment petit, lui. Les infiniment petits, vous ne les extrairez pas de leur ensemble infini. Au point
que pour quelqu'un du 17eme siècle, ou même déjà de la renaissance, il n'y a absolument rien de
bizarre à dire « bah oui, chaque chose est un ensemble infini d'infiniment petits, évidemment... ».
C'est un mode de pensée très curieux. Je veux dire « très curieux », à la fois, en même temps, qui
va complètement de soi.

Pourquoi est-ce que c'est très curieux ? Moi, je veux dire, voilà : Spinoza, j'essaye de retenir ce
qu'on peut en garder, là, pour Spinoza directement. Spinoza nous dit « les corps les plus simples
n'ont ni grandeur ni figure ». Evidemment, puisque ce sont des infiniment petits. Et un infiniment petit
n'a pas de grandeur ou de figure, si vous lui donnez une grandeur ou une figure vous en faites un
fini. Vous en faites quelque chose de fini. Un infiniment petit n'a ni grandeur ni figure, ça va trop de
soi. Un infiniment petit n'existe pas indépendamment de la collection infinie dont il fait partie.

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En d'autres termes, les infiniment petits sont des éléments, ils correspondent à l'expression parce
que c'est la meilleure il me semble, et les infiniment petits sont des éléments non formés. Ils n'ont
pas de forme. C'est des éléments informels, comme on dit aujourd'hui. Ils se distinguent par vitesse
et lenteur, et pourquoi ? Vous devez déjà sentir, parce que vitesse et lenteur, c'est des différentiels.
Or ça peut se dire de l'infiniment petit. Mais forme et figure, ça ne se dit pas de l'infiniment petit sans
le transformer en quelque chose de fini.

Alors bon, ce sont des éléments informels qui vont par collections infinies, ça revient à dire : vous ne
les définirez pas par figure et grandeur, vous les définirez par : un ensemble infini. Or bon, mais quel
ensemble infini ? Comment définir l'ensemble infini ? Là on retombe tout à fait dans ce qu'il disait, lui,
tout à l'heure ... un ensemble infini, vous ne le définirez pas par des termes, vous le définirez par un
rapport. En effet, un rapport, quel qu'il soit, est justifiable d'une infinité de termes. Le rapport est fini,
lui... un rapport fini a une infinité de termes. Si vous dites « plus grand que... », je prends l'exemple le
plus bête qui soit, si vous dites « plus grand que... » il y a une infinité de termes possibles. Qu'est-ce
qui ne peut pas être « plus grand que... » ? Que quoi ? Et bien tout dépend : que quoi ? Donc « plus
grand que » subsume une infinité de termes possibles ; c'est évident.
Donc, un ensemble infini sera défini par un rapport. Quel rapport ? Réponse de Spinoza : rapport
de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur ; ce rapport il est lui-même fini, il a une infinité de
termes.

Dernier point : un rapport défini un ensemble infini, dès lors les ensembles infinis peuvent entrer
dans des rapports quantitatifs, double, moitié, triple, et cætera... En quel sens ? Si un rapport -tout
rapport défini un ensemble infini- si un rapport est le double d'un autre rapport, si je peux dire « le
rapport deux fois plus grand que, une fois plus grand que, deux fois plus grand que... - et je peux
puisque les rapports sont finis, ils correspondent à des ensembles infinis qui sont eux-mêmes
doubles, moitiés, ou plus.

Qu'est-ce que ça veut dire, ça ? Oh, et bien c'est tout simple, si vous comprenez un petit peu, ça va
nous lancer dans la proposition à mon avis la plus étrange -pour nous-, de la philosophie du 17eme
siècle, à savoir : l'infini actuel existe. L'infini actuel existe, et je crois que on peut, on peut vraiment,
oui... j'ai l'air de révéler comme un secret mais ça me semble, oui, c'est une espèce de secret parce
que il me semble que c'est la proposition de base, le sous-entendu de base de toute la philosophie
au 17eme siècle : il y a de l'infini actuel.

Qu'est-ce que ça veut dire, cette proposition en apparence étrange, l'infini actuel ? Il y a de l'infini
en acte. Et bien, ça s'oppose à deux choses : l'infini en acte, c'est ce qu'il faut à la fois distinguer du
fini, et de l'indéfini. L'indéfini, ça veut dire qu'il y a de l'infini, mais seulement en puissance. On ne
peut pas s'arrêter, il n'y a pas de dernier terme. Il n'y a pas de dernier terme, c'est l'indéfini. Le
finitisme, c'est quoi ? Il y a un dernier terme. Il y a un dernier terme, et vous pouvez arriver à ce
dernier terme, ne serait-ce que par la pensée. Or ça, c'est deux thèses à peu près intelligibles, en
tout cas on y est habitué. Les thèses finitistes et les thèses indéfinitistes. Pour nous, est aussi simple
une proposition que l'autre : il y a un dernier terme, ou bien il n'y a pas de fin. Dans un cas vous direz
: il y a un dernier terme, c'est quoi ? c'est la position d'une analyse finie, c'est le point de vue de
l'analyse finie ; il n'y a pas de dernier terme : vous pouvez aller à l'indéfini, vous pourrez toujours
diviser le dernier terme auquel vous êtes arrivé, c'est donc la position d'un infini en puissance,
uniquement en puissance, on peut toujours aller plus loin. Cette fois-ci, c'est la position d'une

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synthèse infinie. La synthèse infinie, ça veut dire : le pouvoir de l'indéfini, pousser toujours plus loin
l'analyse.

Or le 17eme siècle, bizarrement, ne se reconnaît ni dans un point ni dans l'autre. Je dirais que les
thèses de la finitude, c'est quoi ? Elles sont bien connues, de tout temps ça a été ce qu'on a appelé
les atomes. Vous pouvez aller jusqu'au dernier terme de l'analyse. C'est l'analyse finie. Le grand
théoricien de l'atome, dans l'antiquité, c'est Epicure, puis c'est Lucrèce. Or le raisonnement de
Lucrèce est très strict. Lucrèce dit : l'atome dépasse la perception sensible, il ne peut être que
pensé. Bon. Il ne peut être que pensé. Mais il marque comme... -pas exactement de lui-même, mais
de même... il y a un raisonnement de Lucrèce très curieux, qui consiste à nous dire : il y a un
minimum sensible.

Le minimum sensible, c'est celui - vous pouvez faire l'expérience facilement, vous prenez un point
lumineux, vous le fixez, et ce point lumineux est reculé, jusqu'au point où il disparaît à votre vue.
Peut importe que vous ayez la vue bonne ou pas bonne, il y aura toujours un point où, il y aura
toujours un moment où le point lumineux disparaît, n'est plus vu. Très bien, appelons ça le minimum
sensible. C'est le minimum perceptible, le minimum sensible, il a beau varier pour chacun, pour
chacun il y a un minimum sensible. Et bien de même, dit-il, de penser l'atome -puisque l'atome est à
la pensée ce que la chose sensible est aux sens-, si vous pensez l'atome, vous arriverez à un
minimum d'atome. Le minimum d'atome, c'est le seuil au delà duquel vous ne pensez plus rien. Tout
comme il y a un seuil sensible au delà duquel vous ne saisissez plus rien, il y a un minimum pensé
au delà duquel vous ne pensez plus rien. Il y a donc un minimum pensable, autant qu'un minimum
sensible. A ce moment là, l'analyse a fini. Et c'est ça que Lucrèce appelle d'une expression très très
bizarre, non pas l'atome simplement mais « le sommet de l'atome ». le sommet de l'atome, c'est ce
minimum au delà duquel il n'y a plus rien. C'est le principe d'une analyse finie. L'analyse indéfinie, on
sait aussi ce que sait. L'analyse indéfinie, c'est quoi ? évidemment, c'est beaucoup plus compliqué
que... Sa formulation, elle est très simple : aussi loin que vous alliez, vous pouvez toujours aller plus
loin. C'est à dire -je dis c'est un point de vue de la synthèse puisqu'on se réclame d'une synthèse par
laquelle je peux toujours continuer ma division, continuer mon analyse...C'est la synthèse de
l'indéfini.

Bien. Je voudrais vous lire un texte après le 17eme siècle, un texte très curieux. Ecoutez le bien
parce que... vous allez voir, je crois que ce texte est très important. Je ne dis pas encore de qui, je
souhaiterais que vous deviniez vous-même de qui il est. « Dans le concept d'une ligne circulaire,
-dans le concept d'une ligne circulaire, c'est à dire dans le concept d'un cercle-, on ne pense à rien
de plus que ceci, à savoir : que toutes les lignes droites tirées de ce cercle à un point unique appelé
centre sont égales les unes aux autres ».

En d'autres termes, le texte nous dit : dans un cercle, tous les diamètres sont égaux. Tous les
diamètres. Et le texte se propose de commenter ce que signifie « tous les diamètres ». Donc dans un
cercle, tous les diamètres sont égaux, d'accord. Le texte continue : « En fait lorsque je dis cela -tous
les diamètres sont égaux, il s'agit simplement ici d'une fonction logique de l'universalité du jugement
». Ça se complique... Ceux qui savent un peu ont déjà reconnu l'auteur, il n'y a qu'un philosophe qui
s'exprime comme ça. « il s'agit seulement... lorsque je dis tous les diamètres sont égaux, il s'agit
seulement de la fonction logique de l'universalité du jugement ». L'universalité du jugement : tous les
diamètres. Jugement universel : tous les diamètres du cercle. « Il s'agit seulement de la fonction

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logique de l'universalité du jugement, dans laquelle - dans laquelle fonction logique - le concept
d'une ligne constitue le sujet, et ne signifie rien de plus que chaque ligne, et non pas le tout des
lignes (qui peuvent sur une surface être tirées à partir d'un point donné). Ça devient très très... C'est
curieux tout ça...

Sentez que quelque chose se passe... C'est comme si, à partir d'un tout petit exemple... C'est une
mutation de pensée assez radicale. C'est... à partir de là le 17eme siècle s'écroule, enfin si j'ose
dire... « Lorsque je dis tous les diamètres sont égaux, c'est simplement une fonction logique de
l'universalité du jugement, dans laquelle le concept d'une ligne constitue le sujet -le sujet du
jugement-, et ne signifie rien de plus que chaque ligne, et pas du tout : le tout des lignes ». Car
autrement -le raisonnement continue...-, car autrement chaque ligne serait avec le même droit une
idée de l'entendement -c'est à dire un tout-, car autrement chaque ligne serait avec le même droit
une totalité, en tant que contenant comme parties toutes les lignes qui peuvent être pensées entre
deux points simplement pensables entre elles, et dont la quantité va précisément à l'infini.

C'est essentiel parce que ce texte est tiré d'une lettre, une lettre hélas pas traduite en français, c'est
bizarre parce que c'est une lettre très importante, c'est une lettre de Kant où Kant répudie d'avance
-je dis les motifs, les circonstances de la lettre-, répudie d'avance ses disciples qui tentent de faire
une espèce de réconciliation entre sa propre philosophie et la philosophie de 17eme siècle. Bon, ça
nous concerne étroitement. Et Kant dit cela : « ceux qui tentent cette opération qui consiste à faire
une espèce de synthèse entre ma philosophie critique et la philosophie de l'infini du 17eme siècle,
ceux-là se trompent complètement et gâchent tout ». C'est important, parce que il en a à son premier
disciple post-ancien, Kant, qui s'appelait Maimon, mais ensuite, cette grande tentative de faire une
synthèse entre la philosophie de Kant et la philosophie de l'infini du 17eme siècle, ce sera l'affaire de
Fichte, de Schelling, de Hegel. Et il y a une espèce de malédiction de Kant sur cette tentative, et
cette malédiction consiste à dire qui au juste ? Je reviens...
Vous avez un cercle, il vous dit : tous les diamètres sont égaux. Et je dis : il y a une infinité de
diamètres ; un homme du 17eme siècle dirait ça, il y a une infinité de diamètres, et tous les
diamètres -le mot « tous » signifie « l'ensemble infini », « tous » commenté par un homme du 17eme
siècle ce serait : tous les diamètres = l'ensemble infini des diamètres traçables dans le cercle. C'est
un ensemble infini, infini actuel. Kant arrive et il dit : pas du tout, c'est un contresens. Tous les
diamètres du cercle, c'est une proposition, là encore, vide de sens. Pourquoi ? En vertu d'une raison
très simple : les diamètres ne préexistent pas à l'acte par lequel je les trace. C'est à dire : les
diamètres ne préexistent pas à la synthèse par laquelle je les produis.

Et en effet, ils n'existent jamais simultanément car la synthèse par laquelle je produis les diamètres,
c'est une synthèse successive, comprenez ce qu'il veut dire ça devient très fort : c'est une synthèse
du temps. Il veut dire : le 17eme siècle n'a jamais compris ce qu'était la synthèse du temps, et pour
une raison très simple, c'est qu'il s'occupait des problèmes d'espace, et la découverte du temps c'est
précisément la fin du 17eme siècle. En fait, « tous les diamètres » est une proposition vide de sens,
je ne peux pas dire « tous les diamètres du cercle », je ne peux que dire « chaque diamètre », «
chaque » renvoyant simplement à une fonction quoi ? (à une fonction) distributive du jugement. Une
fonction distributive du jugement, à savoir chaque diamètre en tant que je le trace ici maintenant.
Chaque diamètre en tant que je le trace ici maintenant, et puis il me faudra du temps pour passer au
tracé de l'autre diamètre, c'est une synthèse du temps.

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C'est une synthèse, comme dit Kant, de la succession dans le temps. C'est une synthèse de la
succession dans le temps qui va à l'indéfini, c'est à dire elle n'a pas de terme, en vertu même de ce
qu'est le temps. Je pourrai, si nombreux soient les diamètres que j'ai déjà tracés, je pourrai toujours
en tracer un encore, et puis un encore, et puis un encore... Ça ne s'arrêtera jamais. C'est une
synthèse de la production de chaque diamètre que je ne peux pas confondre avec une analyse.
C'est exactement : une synthèse de la production de chaque diamètre dans la succession du temps,
que je ne peux pas confondre avec une analyse de tous les diamètres supposés donnés
simultanément dans le cercle. L'erreur du17eme siècle, ça a été de transformer une série indéfinie
propre à la synthèse du temps en un ensemble infini coexistant dans l'étendue. Alors sur cet
exemple, c'est fondamental...

Voyez, le coup de force de Kant, ce sera de dire : finalement, il n'y a pas d'infini actuel ; ce que
vous prenez pour l'infini actuel, c'est simplement... vous dites qu'il y a de l'infini actuel parce que
vous n'avez pas vu en fait que l'indéfini renvoie à une synthèse de la succession dans le temps,
alors quand vous vous êtes donnés l'indéfini dans l'espace, vous l'avez déjà transformé en infini
actuel ; mais en fait l'indéfini est inséparable de la synthèse de la succession dans le temps, et à ce
moment là, il est indéfini, il n'est absolument pas l'infini actuel. Mais la synthèse de la succession
dans le temps, ça renvoie à quoi ? Ça renvoie à un acte du moi, un acte du « je pense », c'est en
tant que « je pense » que je trace un diamètre du siècle, un autre diamètre du cercle, et cætera, en
d'autres termes c'est le « je pense » lui-même - et ça va être la révolution kantienne par rapport à
Descartes...

Qu'est-ce que c'est que le « je pense » ? Ça n'est rien d'autre que l'acte de synthèse dans la série
de la succession temporelle. En d'autres termes le « je pense », le cogito, est mis directement en
relation avec le temps, alors que pour Descartes le cogito était immédiatement en relation avec
l'étendue. Alors, voilà, voilà ma question, c'est presque... ça revient un peu au même que de dire
que, aujourd'hui, les mathématiciens ne parlent plus d'infini. La manière dont les mathématiques ont
expulsé l'infini - peut-être qu'on le verra la prochaine fois si on a le temps -

ça c'est fait comment ? Partout, ça c'est fait de la manière la plus simple, et presque pour des
raisons arithmétiques. A partir du moment où ils ont dit : « mais, une quantité infiniment petite -ça
commence, si vous voulez, à partir du 18eme siècle-, à partir du 18eme siècle il y a un refus absolu
des interprétations dites infinitistes, et toute la tentative, à partir du 18eme siècle, des
mathématiciens, à commencer par d'Alembert, et puis Lagrange, et puis tous, tous, pour arriver
jusqu'au début du 20eme siècle, où là ils décident qu'ils ont tout gagné, c'est quoi ? C'est montrer
que le calcul infinitésimal n'a aucun besoin de l'hypothèse des infiniment petits pour se fonder.

Bien plus, il y a un mathématicien du 19eme qui emploie une pensée, un terme qui rend très bien
compte, il me semble, de la manière de penser des mathématiciens modernes, il dit : mais
l'interprétation infinie de l'analyse infinitésimale, c'est une hypothèse gothique ; ou bien ils appellent
ça le stade « pré-mathématique » du calcul infinitésimal. Et ils montrent simplement que il n'y a pas
du tout dans le calcul infinitésimal des quantités plus petites que toute quantité donnée, il y a
simplement des quantités qu'on laisse indéterminées.

En d'autres termes, c'est toute la notion d'axiome qui vient remplacer la notion d'infiniment petit.
Vous laissez une quantité indéterminée pour la rendre -c'est donc la notion d'indéterminé qui vient

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remplacer l'idée de l'infini-, vous laissez une quantité indéterminée pour la rendre, au moment que
vous voulez, plus petite qu'une quantité donnée bien précise. Mais de l'infiniment petit, là-dedans, il
n'y en a plus du tout. Et le grand mathématicien qui va donner son statut définitif au calcul
infinitésimal, c'est à dire Stratt, à la fin du 19eme et au début du 20eme, il aura réussi à en expulser
tout ce qui ressemble à une notion quelconque d'infini.

Bon, alors... Je dirais, nous, on est formé comment ? Et bien je dirais que on oscille entre un point de
vue finitiste et un point de vue indéfinitiste. Si vous voulez, on oscille entre -et ces deux points de
vue, on les comprend très bien-, je veux dire on est tantôt Lucrétien, et tantôt on est Kantien. Je veux
dire : on comprend relativement bien l'idée que les choses soient soumises à une analyse indéfinie,
et l'on comprend très bien que cette analyse indéfinie, qui ne rencontre pas de terme, forcément elle
ne rencontre pas de terme puisqu'elle exprime une synthèse de la succession dans le temps. Donc,
en ce sens, l'analyse indéfinie en tant que fondée sur une synthèse de la succession dans le temps,
on comprend ça même si on a pas lu Kant. Et on voit, on s'y reconnaît dans un tel monde. L'autre
aspect, on le comprend aussi -l'aspect finitiste, c'est à dire l'aspect atomiste au sens large, à savoir :
il y aurait un dernier terme, et si ce n'est pas l'atome ce sera une particule, ce sera un minimum
d'atome, ou bien une particule d'atome, n'importe quoi. Donc, il y a un dernier terme.

Ce qu'on ne comprend plus du tout, c'est ça... à moins que...qu'il y ait... je voudrais que ça vous
fasse le même effet parce que sinon, ça m'inquiète... Ce que, à première vue, on ne comprend plus
c'est l'espèce de pensée, la manière dont au 17eme siècle ils pensent l'infini actuel. A savoir : ils
estiment légitime la transformation d'une série indéfinie en ensemble infini. Nous on ne le comprend
plus du tout, ça.

Je prends un texte - et presque, ce dont je parle, c'est les lieux communs du 17eme siècle -, je
prends un texte célèbre de Leibniz, qui a un titre admirable : « De l'origine radicale des choses ».
C'est un petit opuscule. Il commence par l'exposé pour mille fois fait, ce n'est pas nouveau chez lui, il
ne le présente pas comme nouveau, l'exposé de la preuve de l'existence de Dieu dite cosmologique.

Et la preuve de l'existence de Dieu dite « preuve cosmologique », elle est toute simple, elle
consiste à nous dire ceci... Elle consiste à nous dire : « et bien vous voyez, une chose, elle a bien
une cause ». Bon... « Cette cause, à son tour, elle est un effet, elle a une cause, à son tour. La
cause de la cause, elle a une cause et cætera, et cætera à l'infini, à l'infini... Il faut bien que vous
arriviez à une cause première, qui ne renvoie pas elle-même à une cause mais qui soit cause de soi
». C'est la preuve, vous voyez, à partir du monde vous concluez à l'existence d'une cause du monde.
Le monde, c'est la série des causes et des effets, c'est le série des effets et des causes, il faut bien
arriver à une cause qui soit comme la cause de toutes les causes et effets. Inutile de dire que cette
preuve, elle n'a jamais convaincu personne. Mais enfin, on l'a toujours donnée, c'est la preuve
cosmologique de l'existence de Dieu. Elle a été débattue, elle a été contredite de deux manières : les
finitistes vont nous dire : « ben non, pourquoi vous n'arrivez pas, dans le monde même, à des
causes dernières, c'est à dire à des derniers termes ? ». Et puis les indéfinitistes nous disent « ben
non, vous remonterez d'effet en cause à l'infini, vous n'arriverez jamais à un premier terme de la
série ».

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Deleuze 10/02/81 9C2 Transcription : Jean-Charles Jarrell

...fini à un ensemble infini qui réclame lui-même une cause. C'est uniquement sous cette forme que
la preuve serait concluante. Si je peux... Le monde est une série indéfinie de causes, d'effets et de
causes... Si je peux légitimement conclure de la série indéfinie des effets et des causes à une
collection, à un ensemble des causes et des effets, que j'appellerai le monde, cet ensemble de
causes et d'effets doit lui-même avoir une cause. Bon... Kant va critiquer la preuve cosmologique, il
va dire : « mais enfin, c'est une pure erreur logique cette preuve, c'est une pure erreur logique parce
que jamais vous ne pouvez considérer une série indéfinie comme si c'était un ensemble -une série
indéfinie successive-, comme si c'était un ensemble infini de coexistence. Bon... Ma question, alors,
vous comprenez ma question : nous on est convaincu d'avance, je suppose, on dit : mais c'est
évident que je ne peux pas, de quel droit est-ce qu'en effet... Si une série est indépendante -vous
voyez la valorisation du temps que ça implique, cette découverte de l'indéfini... Parce que si la série
indéfinie des causes et des effets ne peut pas être assimilée à une collection infinie, c'est
uniquement parce que la série indéfinie est inséparable de la constitution de la synthèse dans le
temps. C'est parce que le temps n'est jamais donné, c'est parce qu'il n'y a pas une collection du
temps, tandis qu'il y a des collections spatiales, c'est parce que le temps ne fait pas de collections
que l'indéfini est irréductible à l'infini. Si bien que ce n'est pas étonnant que ce point de vue de
l'indéfini, qui nous paraît très simple, en fait, il implique une valorisation étonnante de la conscience
du temps. Il implique que la philosophie ait fait cette mutation qui fait passer tout le cogito, c'est à
dire le « je pense », dans une espèce de « je pense le temps » au lieu de « je pense l'espace ». Or
c'est vrai que la philosophie du 17eme siècle, c'est « je pense l'espace ». Et que c'est au nom de
l'espace qu'ils se donnent le droit de considérer que le temps, finalement, est très secondaire et que,
dès lors, je peux constituer une série indéfinie dans le temps en une collection de simultanéités dans
l'espace. En d'autres termes, ils croient à un espace infini. Dès lors, ils pensent à la possibilité d'un
infini actuel et, en quelque sorte, ils se battent sur deux fronts. Vous comprenez ? Ils se battent
contre le finitisme, d'où tous ces auteurs, que ce soit Descartes, que ce soit Malebranche, que ce
soit Spinoza, que ce soit Leibniz, vont refuser, là, vont refuser tout le temps l'hypothèse des atomes.
Ça va être leur ennemi. Ça, ils dénoncent, il n'y a pas un de ces auteurs qui ne s'en prennent... «
surtout ne croyez pas que ce dont je vous parle, ce soient des atomes ». Leibniz, tout le temps,
quand il parle de ces infiniment petits, il dit : « les infiniment petits, rien à voir avec les atomes ».
Vous voyez pourquoi... Un atome, ce n'est pas du tout un infiniment petit. Et d'autre part... Et eux, si
vous vous mettez à leur place, c'est pour eux que... tout se renverserait , si on se met à leur place,
c'est à dire, je veux dire... c'est pour eux que l'argument de Kant, c'est complètement des
médisances. Quelqu'un dirait à un homme du 17eme siècle : « Tu n'as pas le droit de convertir une
succession dans le temps en une collection dans l'espace... », et bien, cette formule, elle-même, elle

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est vide, parce que elle ne prend un sens, cette formule « je n'ai pas le droit de convertir une
succession dans le temps en une coexistence dans l'espace, en une simultanéité dans l'espace », ça
n'a de sens que si j'ai dégagé, encore une fois, une forme du temps qui ne fait pas ensemble. Une
forme du temps immédiatement et irréductiblement sérielle. Une conscience sérielle du temps, telle
que l'ensemble du temps soit une notion dénuée de sens. Si j'ai dégagé dans une conscience du
temps une réalité sérielle et irréductiblement sérielle du temps, à ce moment là, en effet, je suis dans
des conditions telles que je ne peux plus convertir des séries temporelles en agrégats ou en
ensembles spatiaux. Bon, est-ce que ça n'est pas la même chose, je veux dire est-ce qu'on ne
retrouve pas -comme ça ça nous permettra d'en finir pour aujourd'hui... Je disais, il y a deux
branches des mathématiques, les grandeurs supérieures aux nombres, et au contraire le nombre
indépendant par rapport aux grandeurs, en gros ce que j'appelais le thème grec et puis le thème
indien, et là, maintenant, du côté de la tendance où le nombre est plus profond que la grandeur, et
finalement pilote la grandeur. A la limite, cette indépendance du nombre, elle ne peut se fonder que
sur une conscience du temps, car en effet, qu'est-ce que c'est que l'acte de la synthèse temporelle
ou bien plus, l'acte de la synthèse du temps par lequel je produis une série indéfinie ? L'acte de la
synthèse du temps par lequel je produis une série indéfinie, c'est le nombre. C'est le nombre, avec la
possibilité la plus simple - ça se complique ensuite - mais avec la possibilité toujours d'ajouter un
nombre au nombre précédent. C'est le nombre qui exprime dès lors le « je pense » à l'état pur, à
savoir l'acte de la synthèse par lequel je produis la série indéfinie dans le temps. Au contraire, l'autre
racine, c'est la conscience sans doute la plus aiguë de l'espace. C'est la conscience sans doute la
plus aiguë de l ‘espace qui me fait vivre en tant qu'homme comme l'être dans l'espace, celui qui est
danse l'espace. A ce moment là - et le temps n'est strictement qu'un auxiliaire, comme ils disent tous
à ce moment là, un auxiliaire pour la mesure de l'espace. Alors là, qu'il y ait eu une mutation dans la
pensée, lorsque la pensée s'est confronté non plus à son rapport direct avec l'espace mais avec son
rapport direct avec le temps... Or je veux dire que parfois il y a des textes qui sont comme à cheval,
mais comprenez, en fait c'est très bizarre les textes qui paraissent à cheval, parce que c'est un peu
suivant la teinte de notre âme, âme moderne ou pas... Je vous ferai remarquer que tout change
actuellement, parce que d'une certaine manière je me demande si on est pas revenu à une espèce
de 17eme siècle, mais par des détours. Je dirais que, presque, si j'essayais de situer alors, mais
vraiment en faisant du grand vol d'oiseau... Le grand vol d'oiseau, c'est quoi ? Ça a été une période
où le problème principal, comment dire, cessant toute affaire urgente cessant, finalement, l'affaire
urgente, c'était quoi ? C'était : mon rapport avec le temps, et c'est ça qui a défini la pensée moderne
pendant très longtemps, la découverte du temps, c'est à dire la découverte de l'indépendance du
temps, que j'étais un être temporel et pas simplement un être spatial. C'est certain, je ne crois pas
que, pour le 17eme siècle, je sois fondamentalement un être temporel.

Ça implique des choix, ça implique, je ne sais pas, toutes sortes de choses, mais, quand je dis à
partir du 18eme siècle, ce qui fait la rupture, ce qui fait la réaction contre la philosophie classique,
c'est ça. C'est la découverte : je suis un maître...( aparté ) ...vous comprenez, c'est là qu'il y a des
actes aussi importants que ce qui se passe en art, parce que c'est la même chose qui se passe en
art. La littérature du 17eme siècle, même chez des auteurs dits mémorialistes, par exemple je pense
à Saint Simon, c'est évidemment pas les problèmes de temps qui les concernent. C'est 18eme
19eme siècle où là on affronte le temps.

Prenez un texte célèbre de Pascal, sur les deux infinis. Pascal explique que l'homme est coincé
entre deux infinis, (... ?...) en un sens comme le premier grand texte existentialiste de Pascal. Rien

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du tout. Il ne nous fait cet effet de texte très moderne -il est génial, ce texte, ça c'est..., je ne veux
pas dire qu'il n'est pas génial... , mais il ne nous fait l'effet d'un texte moderne que parce qu'on
décentre complètement la lecture. On passe notre temps -et ce n'est pas un tort, souvent, on tire
d'un texte les résonances qu'il a avec le nôtre-, mais en fait, Pascal, c'est pas du tout un texte
moderne, c'est un texte pur 17eme siècle, génie en plus. En effet, c'est un texte qui nous dit :
l'homme est coincé spatialement entre deux infinis, l'infiniment grand, que vous pouvez vous
représenter vaguement par le ciel, et l'infiniment petit, que vous pouvez vous représenter vaguement
dès que vous regardez un microscope. Et il nous dit : ce sont deux infinis actuels. C'est un texte
signé 17eme à l'état pur, je dirais : quel est le texte représentatif du 17eme ? Le texte de Pascal sur
les deux infinis. Et, comme on dit il y a bien un tragique du texte, mais c'est du mode : comment
s'orienter, là-dedans ? C'est à dire, c'est un problème d'espace. Quel va être l'espace de l'homme
entre ces deux infinis spatiaux ? Et il y a tout ce que vous voulez, le désespoir, la foi qui s'introduit là
dedans, mais pas du tout moderne... Un texte moderne, ce serait quoi ? Ce serait un texte temporel.
Ce serait : comment s'orienter dans le temps. Et comment s'orienter dans le temps, c'est là dessus
que tout le romantisme s'est fondé. Et si Kant a quelque chose à voir dans la fondation du
romantisme allemand, c'est parce que Kant a été le premier en philosophie à faire cette espèce de
changement d'aiguillage très très fort, à savoir : nous faire passer du pôle espace au pôle temps.

Au niveau de la pensée, puisqu'il s'agissait de philosophie, au niveau de la pensée : le « je pense


» n'est plus mis en rapport avec l'espace, il est mis en rapport avec le temps. Bon... Or à ce moment
là, vous pouvez trouver désespoir, espoir pour l'homme, toutes les tonalités existentielles que vous
voulez, c'est pas les mêmes suivant que c'est des tonalités spatiales ou des tonalités temporelles. Je
crois que si un classique et un romantique ne se comprennent pas ou ne peuvent pas se
comprendre, c'est évidemment parce que les problèmes subissent une mutation absolue quand vous
faites ce changement d'aiguille, quand vous mettez sur le pôle temps et pas sur le pôle espace. Et je
dis : la littérature, c'est pareil en littérature, en musique tout ça, ça a été la découverte du temps, le
romantisme à chaque fois ça a été la découverte du temps comme force de l'art, ou comme forme de
la pensée dans le cas de Kant, comme forme de la pensée. Dans la musique, que ce soit déjà, je ne
sais pas, moi... le grand premier dans l'ordre ce serait Beethoven, mais ensuite tout le romantisme,
ça a été cette espèce de problème, là : comment rendre le temps sonore, le temps il n'est pas
sonore et bien, comment rendre le temps sonore ?

Vous ne pouvez pas comprendre les questions de symphonie, vous ne pouvez même pas
comprendre la question de la mélodie telle que le romantisme la réinterprètera... -parce que la
mélodie, avant, dans le temps, ce n'était pas du tout ce problème du temps... La mélodie dans ce
qu'on appelle un lied, par exemple, alors là c'est le problème temporel à l'état pur. Et le problème
spatial y est étroitement subordonné ; à savoir, c'est le temps du voyage, je pars, je pars de ma terre
natale, et cætera, mais ce n'est pas du tout pensé en termes d'espace, c'est pensé en termes de
temps, et la ligne mélodique c'est la ligne du temps. Bon, mais... et la littérature ce sera ça.... le
roman, le roman vous comprenez, l'acte du roman à partir du 18eme siècle c'est que le roman qu'on
perçoit, il est temporel. Et que faire un roman c'est, précisément, non pas raconter quelque chose sur
le temps mais tout situer, et que c'est l'art qui situe les choses en fonction du temps. Il n'y a pas
d'autre roman que celui du temps.

Un très bon critique, un très bon critique de littérature du 20eme siècle, qu'on ne lit plus hélas, mais
je vous conseille vivement d'en lire si vous en trouvez des livres d'occasion chez les bouquinistes, et

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qui s'appelle Albert Thibaudet, le disait très bien - c'était un disciple de Bergson, et c'est très très
merveilleux, c'était un très grand critique. Il dit : « ben oui, un roman, comment il faudrait définir un
roman, c'est pas difficile, c'est un roman à partir du moment où ça dure, dès qu'il y a de la durée, ça
dure... Une tragédie, ça ne dure pas. il disait une chose très simple : une tragédie c'est... mais il
disait mieux que personne, une tragédie c'est toujours des sommets, des moments critiques, soit
dans le fond soit au dessus, et cætera...
Mais l'art de la durée, de quelque chose qui dure et à la limite qui se défait, une durée qui se
défait : c'est ça un roman... C'est un roman dès que vous décrivez une durée qui se défait. Enfin,
l'auteur qui le plus fait un manifeste du temps lié à son œuvre c'est Proust. Bon, toute cette époque...
Quand je dis « il faudrait voir si n n'a pas des re-fiançailles avec le 17eme siècle...

Intervention féminine : J'ai un bon exemple... Il y a un exemple dans les préludes de Debussy, où il
écrit tout à fait en début : « le rythme a la valeur sonore d'un paysage triste et enneigé ». là, vraiment
, c'est de l'ethos, quoi... c'est un lieu qui... Deleuze : Oui, oui, c'est très général... le retour à
l'espace... mais alors évidemment qui ne sera pas un retour au 17eme siècle. Mais si vous voulez,
dans tous les domaines... la redécouverte, je crois -j'emploie, je dis ça pour relier les choses avec ce
qu'on fera plus tard sur la peinture-, la naissance d'un nouveau, dans l'art de la fin du 19eme et à
partir du début du 20eme, le retour à une espèce de colorisme, à des formules de colorisme
extrêmement -alors tout à fait nouvelles, mais qui précisément rompent, rompent avec ce qui avait
été cherché assez longtemps concernant une peinture de lumière...

Il me semble que c'est par la couleur que dans la peinture, l'espace est revenu à la peinture. Dans la
peinture de lumière il y a toujours un drôle de phénomène qui est comme si ils captaient
picturalement le temps. Remarquez, ce n'est pas plus difficile que de le capter musicalement. Le
temps, il n'est pas sonore par lui-même, il n'est pas visible non plus... d'une certaine manière, la
peinture de lumière, elle nous donne comme un équivalent pictural du temps, mais la peinture de
couleur c'est tout à fait autre chose, ce qu'on appelle le colorisme... Ce qu'on appelle le colorisme,
c'est à dire lorsque les volumes ne sont plus faits en clair-obscur mais sont faits par la couleur, c'est
à dire par les purs rapports de tonalité entre couleurs, là il y a une espèce de reconquête d'un
espace, d'un espace pictural direct.

Oh je crois aussi que tous les... tous les mouvements dits « informels » et même abstraits, c'est une
reconquête précisément d'un espace pictural pur. Bon, supposons, mais pensez à, par exemple,
l'importance pour nous... je dirais : qui c'est les clefs ? Un type comme Blanchot... Je crois que une
des importances de Blanchot, ça a été de refaire une espèce de conversion à l'espace. Blanchot,
c'est très frappant qu'il pense très peu en termes de temps. Son problème c'est vraiment un
problème de la pensée par rapport à l'espace... pensez à son livre « L'espace littéraire »... «
L'espace littéraire », c'est comme un manifeste qui s'oppose au temps littéraire. En musique, en
peinture, tout ça, il me semble qu'il y a un retour, précisément, une espèce de ...

Tout comme en mathématiques, s'est reconstituée une théorie dite « des ensembles », et que, au
niveau de la théorie des ensembles, ils ont rebuté -et c'est ça qui me paraît très très frappant-, eux
qui avaient réussi à expulser l'infini de partout dans les mathématiques, c'est au niveau de la théorie
dite « théorie des ensembles » qu'ils ont retrouvé une aporie, une difficulté relative à l'infini. L'infini
s'est réintroduit dans les mathématiques par le biais -en un sens très spécial-, par le biais de la
théorie de ensembles. C'est très très curieux... Et il y a aussi, dans toutes les disciplines, une espèce

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de retour aux ensembles de coexistence, aux ensembles de simultanéité.

Alors, je veux dire, ce serait peut-être pour nous des conditions bonnes pour précisément nous
sentir plus familiers avec cette pensée du 17eme siècle. C'est des gens qui pensent très
spontanément en termes d'infinis actuels. Quand on leur présente une chose finie, et bien ils pensent
tout droit que une chose finie est coincée entre deux infinis actuels : l'infini actuel de l'infiniment
grand, et l'infini actuel de l'infiniment petit. Et que une chose n'est qu'un pont entre ces deux infinis.
Si vous voulez : un micro-infini et un macro-infini. Et que le fini c'est précisément comme la
communication de ces deux infinis. Bon... Et ils pensent très spontanément, je veux dire très
naturellement, si bien que des objections comme celles de Kant, comprenons bien ce qu'elle veut
dire : ça ne peut pas leur venir à l'esprit, dans la mesure où l'objection de Kant ne prend un sens,
véritablement, que si toutes ces coordonnées du monde du 17eme siècle se sont déjà écroulées.

Tout ça pour vous faire sentir que une objection, on ne peut pas...vous comprenez, une objection, en
un sens elle vient toujours du dehors. Parce que les gens, ils ne sont pas idiots, sinon les objections,
ils se les seraient déjà faites à eux-mêmes... Elle vient toujours d'un point de vue irréductible au
système de coordonnées dans lequel vous êtes. Alors en effet : c'est d'un point de vue extérieur, à
savoir le point de vue du temps, que Kant peut dire : « Ah non ! Votre infini actuel, rien du tout... ».
Mais je ne peux pas dire que le progrès donne raison à Kant, ça n'aurait strictement aucune idée,
encore une fois l'idée des collections infinies nous revient, pas à la manière du 17eme siècle mais
par d'immenses détours. Voilà que l'idée d'ensembles infinis -des ensembles infinis doués de
puissances variables, de telle ou telle puissance- nous revient plus...

Donc, s'il fallait définir les philosophes du 17eme siècle, moi je dirais une chose très simple : c'est
des gens, c'est des hommes qui pensent naturellement, comme spontanément, naturellement (.. ?..)
en termes d'infinis actuels, c'est à dire : ni finitude, ni indéfini.

Bon, ben il y en a assez...Voila ! Donc, la prochaine fois, quand même, faudra.... On verra ce qu'il en
sort pour la théorie de l'individu chez Spinoza.

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 12/05/81 - 2
webmaster

- 12/05/81 - 2 Page 1/12


transcription Cécile Lathuilliere GILLES DELEUZE Cours du 12/05/81 - 2 (18B)

Deleuze : Parce que notre problème c'était d'arriver à une définition du langage analogique. Et
encore une fois, les conditions du problème, elles ont été déterminées parce que nous voyons
relativement bien, relativement facilement, ce qui s'oppose au langage analogique, à savoir : le
langage digital ou langage de codes.

En effet, on a fini par définir le langage de codes, ou le langage digital, par le concept d'articulation.
Quand je dis concept d'articulation je vous rappelle que pour nous, en effet, à la fin de la dernière
fois, c'est bien un concept en sens que, il ne se ramène pas à ses concomitants physiques ou
physiologiques. Il ne se ramène pas aux mouvements dits d'articulations qui accompagnent le
langage digital ou qui sont passés à l'état d'actes de parole. Le concept logique d'articulation, nous
avons essayé de le fixer de la manière la plus simple, en disant voilà : l'articulation consiste en ceci :
"position d'unités significatives, déterminables en tant que ces unités sont déterminables par des
successions de choix binaires."
Hors, un ensemble fini d'unités significatives déterminables par succession de choix binaires, il
nous a semblé que ça correspondait bien aux caractères du "code".
Mais alors, donc, le langage analogique, lui... le langage analogique par distinction avec ce
langage digital ou de code, comment est ce qu'on pourrait le définir ? Je vous rappelle première
hypothèse : - le langage analogique est le langage de la similitude et est défini par la similitude. Ah
bon, il est défini par la similitude... bon, il ne faut pas dire, non, c'est insuffisant, d'accord. Mais ça
nous permettrait au moins... la similitude nous permet effectivement, de définir un premier type
d'analogie. C'est ce que l'on avait appelé l'analogie commune, ou, à la limite, l'analogie
photographique. Là, l'analogie se définit bien par le transport de similitude. Soit similitude des
relations, soit similitude de qualités. Bon. Tout ce que l'on pourrait dire... bien plus... qu'est ce qui.... Il
ne faut pas trop vite renoncer à cette direction, on verra, parce qu'elle nous importera beaucoup pour
toute la suite.

Je dis : si je définis le langage d'analogie, le langage analogique, par la similitude, hors en


quelques sens que ce soit... la similitude... quel est le modèle, à ce moment-là, du langage
d'analogie ? Quel va être le modèle de cette analogie commune ? Je dirai c'est le pôle, c'est bien un
pôle de l'analogie. Le modèle ce serait le moule. Mouler quelque chose. Lui imposer une similitude.
Bon. Or, est-ce que les opérations de moulage appartiennent essentiellement au langage analogique
? Peut-être. Mais qu'est-ce qui nous faisait dire que, même si là est bien définie une dimension du
langage analogique, ça ne couvre pas l'ensemble du langage analogique. Ce que... il nous semblait
que, bien sûr, il y a toujours une espèce de similitude qui joue dans le langage analogique. Mais, ça

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n'est pas une raison, ou ça n'est pas une preuve que le langage analogique puisse être défini par la
similitude. Le langage analogique peut être défini par la similitude, dans quels cas ? Uniquement
dans le cas où la similitude est productrice, productrice d'une image. Or c'est bien le cas dans
l'opération du moulage, soit.

Mais, il nous semblait qu'il y avait beaucoup de cas où, au contraire, l'analogie ne passait par une
ressemblance ou une similitude productrice, mais, au contraire, la similitude ou la ressemblance était
produite. Produite à l'issue de l'opération d'analogie. Dès lors, dans le cas où la ressemblance, et
c'était précisément le cas de la peinture, dans le cas où la ressemblance est produite à l'issue de
l'opération, à l'issue du processus, le processus analogique ne peut pas être défini parce qu'il
produit. D'où nécessité, même si on garde ce premier pôle, similitude = moulage, comme un premier
pôle du langage analogique, nécessité de dépasser, en fonction des autres formes d'analogies, de
dépasser ce qui était relativiste. 18 AB
D'où nécessité, même si on garde ce premier pôle : similitude / moulage, comme un premier pôle
du langage analogique, nécessité de dépasser, en fonction des autres formes d'analogies, de
dépasser ce critère de la similitude.

D'où, on avait considéré très vite un second critère. La possibilité de définir l'analogie par et
comme, le langage analogique comme un langage de relations. Des relations d'un type particulier,
c'est-à-dire, des relations de dépendance entre "celui qui parle" ou "celui qui émet", entre un
émetteur et un récepteur, entre un locuteur et un destinataire. Entre locuteur et destinataire. On avait
vu que, alors, que c'était une autre définition. A quel modèle ça renverrait ? On va chercher tout à
l'heure. Et on avait vu que là aussi - même si il y avait une forme d'analogie qui correspondait à cela
- ça n'épuisait pas le pôle de l'analogie. Et enfin, on était arrivé à une troisième couche analogique.
En effet, il nous semblait que ces relations de dépendance, inscrites dans l'analogie, et bien... il fallait
bien qu'elles renvoient à une forme d'expression particulière. Et la forme d'expression de ces
relations de dépendance, c'était quoi ? Et bien, on proposait cette troisième détermination de
l'analogie, et là, Rousseau nous était venu fort en aide, à savoir, quelque chose de l'ordre de la
modulation. A charge pour nous, évidemment, d'essayer de faire de la modulation un concept,
logiquement aussi rigoureux que le concept de codes ou le concept d'articulation.

En quoi, là, ça touche au cœur de notre problème ? C'est que la modulation, c'est le régime de
l'analogie esthétique. À savoir, ce serait la loi des cas où la ressemblance, la similitude n'est pas
productrice, mais produite par d'autres moyens. Ces autres moyens, ces moyens non ressemblants
qui produisent de la ressemblance, ces moyens qui ne ressemblent pas au modèle et qui produisent
la ressemblance, ce serait précisément la modulation. Produire la ressemblance ce serait moduler.
Bon. C'est bien ça parce que, on a comme nos trois formes d'analogie.
L'analogie par similitude,
l'analogie par relation, par relation interne,
l'analogie par modulation. Bien, il faut... je ne sais pas... alors revenons. Notre souci, il est double
:
À la fois maintenir un concept cohérent, pour tous ces cas, un concept d'analogie cohérent pour
tous ces cas.
Et aussi distinguer, distinguer fondamentalement ces trois. Pourquoi est-ce que j'ai envie, alors...
ces trois cas. J'ai envie de multiplier les nombres, on les abandonnera s'ils nous servent à rien.

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Je dirai de la première forme d'analogie, par similitude et transport de similitude, par
ressemblance productrice, que c'est donc une analogie commune ou physique. Et en même temps
ces mots, ils sont insuffisants, mais ça sert de point de repère tout, tout provisoire... tout transitoire.
Je dirai la seconde forme d'analogie, les relations de dépendance interne... je dirai, on essayera
de voir pourquoi, appelons ça une analogie organique.
Et puis, l'analogie par modulation, la ressemblance produite par de tous autres moyens, appelons
ça analogie esthétique, provisoirement. Multiplions encore les termes. :
La première forme d'analogie, elle aurait son modèle dans le moulage, l'opération de moulage.
L'opération de moulage c'est, en effet, une ressemblance, une similitude imposée du dehors. Si
j'essaie de la définir, c'est une opération de surface. Par exemple, j'impose un moule. C'est une
opération d'information, information de surface. Je pose un moule sur de la glaise. J'attends,
j'attends quoi ? J'attends que la glaise, sous l'empreinte du moule, ait atteint une position d'équilibre.
Et puis, je démoule... il y a transport de similitude. Bon. C'est tout à fait l'épreuve de l'analogie
commune, de l'analogie vulgaire. Par moulage. Bon. Tiens. C'est une opération de surface.

J'insiste là-dessus parce que je prépare des notions dont on aura constamment besoin ensuite.
C'est une opération, oui, de bordure. De surface. On pourrait dire aussi bien que ce type d'analogie,
c'est l'analogie superficielle ou pelliculaire.
Si je cherche une réalité physique qui répondrait à cela... est-ce que... vous voyez... je fais
exprès, parce que j'en ai besoin, d'aller un peu dans tous les sens. J'essaie de faire une espèce de
concrétion autour de... je dirai... ben, c'est le stade cristal en moi. Le stade cristal. Le cristal, comme
on dit, il y a une individuation pelliculaire. Il croit par les bords. La substance interne, c'est pas ça qui
compte. Le cristal est fondamentalement... ce serait la formation superficielle qui croit par les bords.

Alors, en effet, si je passe au domaine de l'organique, qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qui
distingue l'individualité organique et l'individualité cristalline ? Qu'est-ce qui distingue la légalité ?
C'est peut-être qu'on en aura très besoin dans nos catégories esthétiques, plus tard. Qu'est-ce qui
distingue la légalité organique de la légalité cristalline ? Je dis ... quitte à tout mélanger... c'est pour
que vous compreniez qu'on ne quitte pas notre problème essentiel. Qu'est ce qui fait que certains
critiques ont tenté de définir l'art égyptien par la "légalité cristalline", par opposition à l'art grec qu'ils
définissaient par "la légalité organique" ? Donc au moment où on a l'air très loin de nos
préoccupations, peut-être que, au contraire, on est en train de former des concepts qui vont nous
préparer à cela. Mais en quoi le transport organique est-il différent d'un moulage ? Le transport
organique c'est quoi, le transport organique ? Ben, en effet, on le voit assez différent d'une
cristallisation. Qu'est ce que c'est la reproduction organique ? Je le rappelle, j'en avais parlé à propos
de tout à fait autre chose :

Buffon, le grand Buffon forme un concept qui me paraît, alors, vraiment pour son époque, d'une
audace extrême parce que c'est vraiment un concept philosophique. Lorsque dans l'histoire naturelle
des animaux, Buffon dit quelque chose comme ceci... où l'on sait alors ... alors là, ça fait vraiment
partie des injustices du monde parce qu'on s'est beaucoup moqué, au XVIIIème même... il y a eu
beaucoup de moqueries sur cette notion de Buffon. Et en effet, cette notion, elle est tellement belle
que, comme toutes les belles notions, elle peut attirer la critique et l'ironie. Buffon, il dit : vous
comprenez, la reproduction... il pense... c'est quelque chose de très curieux, c'est tellement curieux
qu'il faudrait former même, pour comprendre le genre de problème que c'est, il faudrait former un
concept contradictoire. Et le concept contradictoire tout à fait merveilleux que Buffon forme, c'est

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celui qu'il baptise de « moule intérieur ». Le vivant se reproduit, non pas par moulage externe... si
inexact que ce soit, je pourrai dire, en gros, par cristallisation... il se reproduit par moulage intérieur.

En quoi c'est une notion bizarre, l'idée de moule interne ? C'est effectivement un moule qui ne
s'en tiendrait pas à la surface. Un moule qui moulerait le dedans, ce qui paraît absolument
contradictoire. Qu'est ce que ça veut dire mouler le "dedans" ? Un moule ne peut atteindre à une
intériorité quelconque que en faisant, surface.
Buffon va jusqu'à dire : c'est tellement contradictoire "moule intérieur" que c'est comme si je disais
"surface massive". Merveille. Il y a donc au-delà du moule, au-delà du moule extrinsèque...

Est ce qu'on peut concevoir la notion et l'opération d'un moule intrinsèque, d'un moule intérieur ?
Tiens... Buffon précise : "Ce serait à la fois une mesure, mais une mesure qui subsumerait, qui
contiendrait une diversité de rapports entre les parties. Une mesure qui comprendrait en tant que
telle plusieurs temps, ou une variation des rapports, des rapports intérieurs." Voyez, je retrouve là
toute ma notion, toute ma seconde analogie. Comment on pourrait appeler cela, une mesure dont les
temps sont variables, une mesure à différents temps ? Alors, risquons un mot. Est-ce que ce n'est
pas cela que l'on pourrait appeler un module ? Un module. Bon. On fait que grouper des mots. Je
dis, il y a le moule et puis il y a aussi le module. C'est pas la même chose. Est-ce que le module, ce
serait pas quelque chose comme le moule intérieur ? Hein ?

.... Et oui. Il y aurait la modulation. Là, j'aurai une série conceptuelle. L'analogie grouperait les trois
cas :
le moule,
le module,
la modulation. C'est bien ! parce que notre concept de modulation, il commence à naître un petit
peu. Ce serait une espèce de série croissante : Moule, module, modulation. Aux deux extrêmes :
Quelle différence il y a entre un moule et une modulation ? Quelle différence il y a entre mouler et
moduler ? Simondon, dans son livre sur l'individuation, donne une différence très claire : Il dit : "c'est
comme deux extrêmes d'une chaîne" Mouler c'est moduler une fois pour toutes, d'une manière
définitive, c'est-à-dire, la prise d'équilibre, on impose une forme à une matière... la prise d'équilibre
prend un certain temps dans le moulage, jusqu'à ce que la matière arrive à un état d'équilibre imposé
par le moule. Et une fois cet état d'équilibre fait, atteint, on démoule. Donc, on a modulé une fois
pour toutes. Mais inversement, à l'autre bout de la chaîne, si mouler c'est moduler une fois pour
toutes... moduler c'est mouler, mais mouler quoi ? C'est un moule variable temporel, et continu. C'est
mouler de manière continue. Pourquoi ?

Parce qu'une modulation c'est comme si le moule ne cessait pas de changer. L'état d'équilibre est
atteint immédiatement, ou presque immédiatement. Mais c'est le moule qui est variable. Quentin de
Simondon, le livre s'appelle "L'individu et sa genèse physico biologique", page quarante et un. Je lis :
« La différence entre les deux cas, mouler et moduler, la différence entre les deux cas réside dans le
fait que, pour l'argile, opération de moulage, pour l'argile, l'opération de prise de forme est finie dans
le temps. L'opération de prise de forme est finie dans le temps. Elle tend assez lentement, en
quelques secondes, vers un état d'équilibre. Puis, la brique est démoulée. On utilise l'état d'équilibre
en démoulant quand cet état est atteint. » C'est ça. « Dans un tube électronique, au contraire, on
emploie... donc, là, c'est le cas de la modulation... dans un tube électronique, on emploie un support
d'énergie, le nuage d'électrons dans un champ, d'une inertie très faible. Si bien que l'état d'équilibre

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est obtenu en un temps extrêmement court par rapport au précèdent : quelques milliardièmes de
secondes dans un tube de grande dimension. Dans ces conditions, le potentiel de la grille de
commande est utilisé comme moule variable. La répartition du support d'énergie selon ce moule est
si rapide qu'elle s'effectue sans retard appréciable. Le moule variable sert alors à faire varier dans le
temps l'actualisation de l'énergie potentielle d'une source. On ne s'arrête pas lorsque l'équilibre est
atteint. En effet, il est atteint immédiatement. On ne s'arrête pas lorsque l'équilibre est atteint, on
continue en modifiant le moule, c'est-à-dire la tension de la grille. L'actualisation est presque
instantanée. Il n'y a jamais arrêt pour démoulage. Il n'y a jamais arrêt pour démoulage parce que la
circulation du support d'énergie équivaut à un démoulage permanent. Un modulateur est un moule
temporel continu. » Merveilleux, c'est juste ce qu'il nous fallait comme...

Voilà que... je peux dire... je peux dire à la fois ... comprenez... je peux dire à la fois : On est en
train de le tenir notre concept d'analogie. En tant qu'il doit répondre à une double exigence, presque
exigence contradictoire, mais ça fait rien. La double exigence... Première exigence : qu'on ne se
contente pas de définir l'analogie par la similitude ou un transport de similitude. Puisqu'en effet, le
pas le plus beau de l'analogie comme analogie royale ou esthétique, c'est lorsque la similitude est
produite et pas productrice. Mais d'autre part, en même temps, grouper tous les cas de l'analogie
dans un même concept, y compris les analogies de simple similitude. Hors je tends à satisfaire à ces
deux exigences en disant : - d'une part, ce n'est pas la similitude qui définit l'analogie.

Et le langage analogie, c'est la modulation. Rousseau avait complètement raison, le langage


analogique c'est un langage de la modulation. Et d'autres parts, je peux regrouper tous les cas
d'analogies y compris l'analogie de simple similitude ou l'analogie vulgaire, en disant :
Mais attention, la modulation n'est que le terme extrême d'une série, d'une série de
sous-concepts, d'une série d'opérations.
L'une que je définirai comme le moulage,
l'autre que je définirai comme le moulage interne,
la troisième que je définirai comme la modulation, à proprement parlé.

Simondon, lui, il achève cette page, là, très belle, que je viens de lire, page quarante et un, en disant
qu'il y a bien une série. Et voilà ce qu'il dit : « Le moule et le modulateur sont des cas extrêmes. Mais
l'opération essentielle de prise de forme s'y accomplit de la même façon. Elle consiste en
l'établissement d'un régime énergétique, durable ou non. Mouler c'est moduler de manière définitive ;
moduler, c'est mouler de manière continue et perpétuellement variable. » Et entre les deux, il dit, il y
a quelque chose. Et ce quelque chose il appelle ça "le modelage". On voit bien que le modelage, il
est intermédiaire entre le moule et entre la modulation. Il opère déjà l'esquisse d'un moule temporel
continu. "Modelage" ce serait, pour nous, peut être, une détermination pas assez précise encore. On
a vu qu'elle nous convenait mieux comme répondant aux trois figures de l'analogie : le moule
externe, le moule intérieur, le moule intérieur de Buffon, et la modulation. Et là, on a...

Vous voyez... (rires) Attends, tu permets juste une seconde parce que je tire la conclusion de ça... Je
sens... oui, j'ajoute, pour bien fixer un code aux termes, - au premier cas, moulage, je ferai
correspondre un type de légalité qu'on appelle provisoirement, donc, légalité cristalline.
Au second moule intérieur, légalité organique.
Et au troisième... là, nos mots varient pour le moment... j'ai envie d'appeler ça ou bien "légalité
esthétique", ou bien, en prenant à la lettre la page de Simondon, peut-être "légalité énergétique".

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Donc, vous voyez que je peux juste conclure ce premier point : "la modulation", je dirai, est bien un
concept aussi cohérent, aussi consistant que le concept opposé de "articulation". Il permet à la fois
de définir ce qu'il y a de particulier dans l'analogie esthétique ou dans l'opération esthétique, mais
aussi ce qu'il y a de général dans l'analogie. Ce qu'il y a de particulier c'est la modulation en tant
qu'elle se distingue de tout moulage. Et ce qu'il y a de général c'est la série qui va du moulage à la
modulation ou de la modulation au moulage. Bon. Ça, c'est un premier point. Oui ?

Comtesse : Je voulais dire à propos du langage, du langage digital et du langage analogique, tel
que par exemple on rencontre ça dans la théorie de l'information, la théorie de la communication, la
pragmatique, Watzlawick ou Baxton par exemple. C'est que la différence de fond, en particulier de
Baxton en particulier dans son premier livre qui s'appelle Naven... la différence qu'ils font entre le
langage digital et le langage analogique, ça ne peut pas être cette différence tout à fait contenue ou
mesurée par une simple "voie linguistique" ? Par exemple, tu as... les discours que tu émets
supposent qu'il y a une voie linguistique qui, justement, à l'intérieur d'unités mollaires du langage,
d'unités significatives, opérerait le choix binaire au niveau des éléments dans, ou au niveau de
l'articulation. Ça c'est une voie linguistique. Seulement, la voie linguistique, c'est une voie qui
correspond à la langue. Évidemment, si on définit les monèmes et les phonèmes, les unités
significatives et les traits distinctifs, on en reste à la structure : "de la langue". Et on est dans la voie
linguistique. Hors précisément, la différence entre digital et analogique, ça ne se place pas du tout
dans la théorie de l'information et de la communication, du comportement pragmatique, ça ne se
situe pas du tout au niveau de la voie linguistique, et donc de la langue, mais au niveau d'un sens du
langage. C'est la différence entre la langue et le langage. Par exemple, quelqu'un comme
Watzlawick il dit ceci : « Le langage, la véritable différence entre le langage analogique et le langage
digital, c'est que dans le langage digital, il y a bien une binarité mais elle ne porte pas sur des
éléments de la langue. » Pas simplement sur des éléments de la langue. La binarité suppose que
dans le langage, et pour que la syntaxe du langage soit homogène à la sémantique, il faut, dans
cette identité-là, il faut nécessairement admettre une différence exclusive entre deux éléments, entre
le "et" et le "ou". C'est très important. C'est-à-dire que, si on admet que quand on parle, quelle que
soit la performance de la voie linguistique, ce que l'on dit dans un langage, à partir ou à travers la
langue, suppose la différence exclusive entre le "et" et le "ou", quels que soient les contenus de ce
que l'on dit ; alors à ce moment-là, on est dans le langage digital, c'est-à-dire, dans le sens univoque.
Tandis que, dit-il, le langage analogique, et bien, le langage analogique c'est lorsque la différence
exclusive entre le "et" et le "ou" se brouille au profit d'une ressemblance spéculaire, d'une
reversibilité entre "et" et "ou". Si je donne, par exemple, un exemple très célèbre, qui dit : un langage
analogique, ça peut être, ça peut simplement être un cri d'animal. Mais au niveau des humains, ça
peut être un sourire. Et, dit-il, quand quelqu'un sourit, et bien on ne peut pas décider du tout si le
sourire en question, ça procède, soit de la joie, soit de la tristesse, soit de l'amour, soit de la haine.
C'est-à-dire qu'on ne peut pas faire en réalité, la différence exclusive du "et" et du "ou". De sorte que
le langage analogique, loin d'être le langage du sens univoque qui est le langage où la syntaxe est
homogène à la sémantique, c'est le langage du sens équivoque. C'est l'équivocité profonde du
langage analogique, c'est-à-dire que la différence entre langage analogique et langage digital ne fait
rien d'autre que brouiller, un tout petit peu mais pas beaucoup, la structure fondamentale de la voie
mais qui n'est pas linguistique justement. La voie c'est-à-dire, la différence de la différence et de
l'identité, la différence de la différence entre le "et" et le "ou", et de l'identité "et" égale "ou". "Et" sur
"ou" - "et" égale "ou". C'est-à-dire que la voix demeure dans toute la durée pragmatique. C'est ce
que n'explique absolument pas la théorie de (inaudible). Et comment...comment justement cette

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structure de la voix s'impose à eux et d'où provient justement une telle structure dont la différence
entre langage digital et langage analogique ne peut que réaliser après coup un très léger brouillage
et certainement une très grande supercherie au niveau même justement, de la différence, du
découpage même du langage.

Deleuze : Excellent, excellent. Mais... oui, une seconde juste... mais tout ça, c'est des confirmations
originales que tu apportes. C'est pas... c'est-à-dire, c'est pour moi, pour comprendre. C'est pas une
objection ? étudiante : non pas du tout Hein. C'est... Une seconde juste, pardon. Tu vas parler tout
de suite. Parce que... moi, ce que je reprocherais, la seule chose que je reprocherais et ce qui
manque... tout est bon pour moi dans ce que tu viens d'ajouter. La seule chose qui me gênerait c'est
que, en effet, en revanche, l'analogie, il y a un très grand progrès dans la définition du digital quoique
à mon avis, ça reste essentiellement binaire, c'est-à-dire la binarité étant alors entre "et" et "ou".
Mais, ce qui me gène c'est que l'analogie y est définie trop de manière négative et pas encore définie
de manière positive, comme on essaie de la faire avec l'histoire de modulation. Mais tout ce que tu
dis, moi, ça me paraît très très bon. Ce serait à ajouter tout ça. On ajoute. Bon.

Anne Quérrien : Inaudible Il faudrait dire les choses différemment (inaudible)... c'est-à-dire au lieu
d'opposer "et" et "ou", il faut opposer deux usages de "et". Il y a le "et" exclusif enfin qui veut dire
"ou", qui serait le cristal. Et puis, il y a le "et" (inaudible) c'est-à-dire c'est "et, et, et, etc." (inaudible).
Et l'analogique c'est peut-être justement le domaine de la synthèse disjonctive (inaudible)

Deleuze : Ha, oui, mais là ça va compliquer. Oui, oui, oui... Anne Querrien : Et alors, l'autre remarque
que j'aurai à faire c'est sur le dernier, la dernière (inaudible) de légalité, moi, j'appellerai plutôt
machinique que énergétique parce que en fait (inaudible) va correspondre à trois statuts de l'énergie
(inaudible).

Deleuze : Tu as raison l'énergie, elle est partout.

Anne Querrien : (inaudible) et la modulation, c'est la troisième loi (inaudible).

Deleuze : Ouais, d'accord. C'est pas mal.

Richard : Je voudrai juste faire une intervention, parce que je ne l'ai pas développer, c'est que d'un
simple point de vue scientifique fonctionnel (inaudible) quel que soit le langage que l'on prenne et
l'on apprend ça en (inaudible) informatiques (inaudible) le "et" n'existe pas. Donc, là ta question est
résolue, il n'y a pas de "et". Zéro est Un, en même temps. Le "et" est exclu de tout langage
informatique possible, que ce soit les plus modernes ou les premiers. (inaudible) Il n'y a pas de "et".
Le "ou" fonctionne à plein en digital. Et, à aucun moment, il ne saurait être acceptable d'employer le
terme "et" parce qu'on simplifie plutôt le terme au sens sémiotique qu'on a pu connaître ces
dernières années. Ça n'existe pas.

Deleuze : À moi, il me semble que cela revient strictement au même, à moins que, dans les
conditions où se placer Comtesse, on convienne que la binarité c'est "et" et "ou", plutôt que trois
différés.

Richard : Ça ne fonctionne pas comme ça.

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Deleuze : Si c'est bien un langage binaire...

Richard : Je vais te dire comment ça fonctionne. Ça ne fonctionne pas comme ça. Ça ne marche
pas. Et c'est complètement (inaudible).

Deleuze : Oui, mais, le "ou" est pris entre deux chaînes.

Richard : Non, non, non, mais... toutes les machines, des plus primaires, c'est-à-dire des plus
simples microprocesseurs aux machines les plus complexes, et aux ordinateurs les plus compliqués
utilisant (inaudible) y compris (inaudible) les plus compliqués, ça fonctionne à base de (inaudible). Et
il est impossible que ça fonctionne à base de (inaudible). Ces exclusions formant des modules
d'intégration au niveau de l'unité supérieure, si on veut. On pourrait toujours reconstituer autre chose
et dire que dans un langage informatique évolué, on va pouvoir entraîner des chaînes de caractères
qui entraînent forcément des conjonctions, mais ce sera des blocs séparés. Mais à un niveau très
très simple, le mode de fonctionnement digital exclue le "et". Et là-dessus, je suis absolument formel.
Si on utilise le "et" pour essayer de trouver des critères de différenciation entre l'analogique et le
digital, ce qui veut dire...

Deleuze : Oui, oui, oui... ça me paraît... oui, c'est... tout nous va.

Intervenant 2 : (inaudible) dans lequel il explique : il y a deux sortes d'analogies. Il y a, dit-il, une
première forme d'analogie qui est connu depuis aristote, dont on peut donner un exemple, si vous
voulez, c'est que « la vieillesse est à la jeunesse ce que la nuit est au jour ». Et il dit que, on pourrait
la comprendre comme le fait de simuler, et donc il dit qu'il y aurait première sorte d'analogie qui ne
produit rien de nouveau et elle se fonderait sur le verbe. (inaudible) ce serait finir, mais au fond
(inaudible).

Deleuze : Oui

Intervenant 2 : Et puis, il y a une deuxième sorte d'analogie que l'on ne connaît pas ou mal, que
Bergson (inaudible) et qui se fonderait sur, au contraire, le substantif, et qui serait, par exemple, la
dépendance.

Deleuze : Oui, oui, oui.

Intervenant 2 : Nous pouvons dire que la première analogie (inaudible) elle ne nous apprend rien de
nouveau.

Deleuze : C'est le moule, ça, oui.

Intervenant 2 : Alors qu'au contraire, la seconde, se fonderait sur un verbe, un verbe étant ouvert, et
bien, on ne sait pas où l'on va.

Deleuze : Il nous en faut une troisième.

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Intervenant 2 : Une objection sur ton (inaudible).

Deleuze : Une objection ? Ah..

interdit !

Intervenant 2 : (inaudible) transport de similitude, soit de similitude de relation, soit de similitude de


qualité, ce à quoi l'on pense de manière normale, c'est à l'analogie, je dirai, sémantique, (inaudible)
de qualité, que l'on opposerait à l'analogie qui serait de relation, et qui serait donc (inaudible). Et
l'idée à laquelle on arrive c'est qu'il y a une analogie qui serait structurale. Si elle est structurale...

Deleuze : C'est toi qui arrive à tout ça. C'est pas moi.

Intervenant 2 : C'est tout le monde.

Deleuze : Ah, pour tout le monde... ah, bon... alors...

Intervenant 2 : Si elle est structurale, elle est interne. Elle n'est pas externe. Par ailleurs, quand tu
parles du cristal de manière analogique, tu dis bien que le cristal croit par les bords, mais ce qui le
définit, ça n'est pas ça. Ce qui le définit c'est sa structure interne, donc il faut changer.

Deleuze : Non. Je ne crois pas.

Intervenant 3 : Ça marche quand même.

Intervenant 2 : Ça ne marche pas.

Deleuze : Non parce qu'à ce moment-là, il faut simplement dire... non, il faut simplement dire que le
cristal considéré, en effet, dans sa définition, mord déjà sur le module. Que ce n'est pas un moulage,
et en effet, lorsque Les cristallographes parlent de l'opération du cristal, ils parlent de quoi ? Ils
parlent "d'ensemencement". C'est typiquement, là, une opération, alors, de module. Ce n'est pas du
tout... oui. Non, ça t'arrangerait sans qu'on est à rectifier. Voyez, oui, plutôt que moule, "moule
intérieur", qui est une notion, encore une fois, qui me paraît fantastique, merveilleuse, et modulation,
on dira, nous maintenant, moule, module, modulation. C'est les trois formes d'analogies. Voyez.

Intervenant 2 : (inaudible)

Deleuze : Pas seulement. C'était de l'énergie a mon avis définit le moule externe, mais ça, on verra
tout ça... à propos de l'art, c'est que l'énergie y est strictement subordonnée à la forme. Tandis que
dans les autres cas, l'énergie n'est pas subordonnée à la forme. C'est les étapes. Ça peut se
distinguer au niveau de trois états énergétiques. Oui ?

Comtesse : (inaudible) en désaccord avec toi.. il est impossible de dépasser le problème spécifique
de la voie dans la théorie de la communication en la traduisant aussitôt par le langage de
L'Anti-Œdipe, dans la mesure où, dans le texte même, sauf par une réduction violente, dans la
mesure où dans le texte même de Watzlawick ou de Bateson, ce qu'ils excluent radicalement, il faut

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lire le texte , c'est la matière, l'énergie, l'inconscient, l'inconscient au profit justement d'une idée qui
me paraît une parfaite idéologie, à savoir, de faire dépendre un symptôme d'une causalité circulaire
d'interaction entre les personnes.

Anne Querrien : (inaudible)

Deleuze : Et bien, je vois que nous sommes tous d'accord ! (rires) Donc... Mais la remarque de
Richard, en effet, est très importante. (Coupure) C'est un calcul binaire, non, ce que tu dis ?

Richard : (inaudible) est lié aux exigences fonctionnelles. Celles qui marchent.

Deleuze : Oui. C'est pas faux. . Oui. Mais là c'est très bon, en effet, pour faire comprendre, à ce
moment-là, ce que c'est que l'articulation.

Richard : (inaudible) modèle théorique est issu des pratiques (inaudible). Même quand les
ordinateurs ont commencé à fonctionner, on a retrouvé les modèles de Pascal, etc, mais on les a
retrouvés remplis. On a commencé à les théoriser par la suite. Les méta-langage informatique, y
compris évolués de type google etc qu'on utilise aujourd'hui, sont dérivés de ces lois. Je veux dire,
sont, dans un deuxième temps, arriver à comprendre que, effectivement, les ordinateurs
fonctionnent, enfin les ordinateurs au sens large, fonctionnaient sur une méthode d'exclusion. Ça ne
veut pas dire que c'est bien ou que c'est mal. (inaudible).

Deleuze : Cette pensée, pour définir l'articulation, c'est essentiel. Oui. C'est fondamental.

Richard : D'où le nécessité de la définition de l'articulation que l'on ne retrouve pas forcément dans
l'analogique.

Deleuze : Et ben, on trouve pas du tout d'articulation dans l'analogique.

Richard : Systématiquement, dans tous les métiers du langage, c'est-à-dire dans tous les langages
fonctionnels en informatique, qu'ils soient à usage (inaudible) ou à usage (inaudible) ou n'importe
quel usage, on rencontrera de l'articulation.

Deleuze : D'accord. Et bien, c'est parfait. Alors, continuons, continuons à avancer. Et j'ajouterai, juste
là pour en finir et parce qu'il faut quand même revenir à nos histoires de peinture, mais je crois que...
que... on va être beaucoup mieux armés pour revenir à elles.

j'ajoute... qu'est-ce que c'est... au sens de la technologie, mais au sens le plus simple... à vous
d'enrichir comme vous ne cessez de le faire... au niveau technologique, qu'est-ce que c'est, donc,
cette opération de modulation ? Comme limite, si vous voulez, de toutes les opérations de moulage
ou de module. Qu'est-ce que c'est ? Et ben, deux domaines. Je considère très vite deux domaines
en disant vraiment des choses enfantines, parce que je me risquerai pas plus. Premier domaine.
pour tout complément et toute rectification, voir Richard (inaudible). On distingue deux sortes de
synthétiseurs : les synthétiseurs justement dits analogiques, les synthétiseurs dits digitaux. Quelle
différence il y a ? Je veux dire quelle est la différence de base, ou quelle semble être la différence de
base entre ces deux sortes de synthétiseurs sonores ? Voyez, je cherche juste là, c'est des

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applications technologiques, pour voir si notre concept de modulation parle bien. Et ben, les
synthétiseurs analogiques sont dits "modulaires". Les synthétiseurs digitaux sont dits "intégrés".
Qu'est-ce que ça signifie concrètement, modulaire et intégré ? Ça signifie que dans un synthétiseur
analogique ou modulaire, il y a mise en connexion de sons, mettons - j'emploie vraiment les mots les
plus simples - de sons disparates. Mais cette mise en connexion se fait sur un véritable "plan
immanent". C'est-à-dire que la reproduction d'un son, par mise en connexion d'éléments, toute la
production d'un nouveau son se fait par l'intermédiaire d'un plan sur lequel tout est sensible. En
d'autres termes, le processus de constitution du produit n'est pas moins sensible que le produit
lui-même. En d'autres termes, toutes les étapes du synthétiseur analogique sont actuelles et
sensibles. C'est par-là que le plan est vraiment immanent puisque le processus de constitution du
produit... le processus de production n'est pas moins sensible que le produit lui-même. On dira là,
qu'il y a véritablement une modulation. C'est un synthétiseur modulaire.

Qu'est-ce qui définit, au contraire, le synthétiseur digital ou intégré ? C'est que cette fois, le
principe de constitution, la constitution du produit, du produit sonore, passe par un plan qu'on dira
intégré, mais il est intégré précisément parce qu'il est distinct. En effet, ce plan distinct implique quoi
? Il implique homogénéisation et binarisation. Binarisation de ce que l'on appelle les cas K.
Homogénéisation et binarisation des données, sur un plan distinct intégré. Si bien que, la production
du produit implique une distinction de niveaux. Le principe de production...

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 12/05/81 - 3
webmaster

- 12/05/81 - 3 Page 1/8


12/05/81 - 3 transcription : Jean-Arneau Filtness,

Et pourtant, et en effet, si la forme et le fond sont sur le même plan, il n'y a pas d'empiètement des
figures. Les figures empiètent dans la mesure où les plans sont distingués. L'empiètement des
figures implique déjà un art qui serait capable de distinguer les plans. Est-ce que c'est parce que les
Egyptiens savent pas faire empiéter les figures ? savent pas ? Est-ce que c'est un manque de
savoir-faire ? Pas du tout. Au point que parfois, parfois, il est vrai en de rares exemples, les figures
empiètent. Dans quels cas, les figures empiètent dans un bas-relief égyptien ? C'est très curieux,
entre autre, dans les scènes de combat... dans les scènes de combat et particulièrement pour la file
des prisonniers. Comme si l'empiètement des figures nous renvoyait à un monde de la variation et
du devenir qui ne vaut finalement que pour ceux qui ont perdu leur essence. Donc ils savent le faire
à la rigueur mais c'est contraire à leur volonté d'art. Le bas-relief implique négation de l'ombre,
négation du modelé, négation de l'empiètement, négation de la profondeur. La forme et le fond sont
saisis sur le même plan.

Et ces négations ne sont pas des absences de savoir-faire, ce sont des positivités du
vouloir-faire. Qu'est-ce qu'il prouverait ? Riegl est toujours très brillant, il est toujours très très brillant,
Riegel. Mais, il analyse par exemple le pli, l'évolution du pli, le pli du vêtement. Et il dit : « Regardez
les plis dans les bas-reliefs égyptiens... » Ah oui, j'ai oublié la suite. Voyez le bas-relief, en effet vous
voyez... Le haut relief, c'est lorsque le relief se distingue beaucoup plus, il y a là distinction d'un
avant plan et du fond. Si bien que vous pouvez déjà esquisser un mouvement presque tournant. Et
enfin, et enfin, il y a une nouvelle conquête, mais est-ce une nouvelle conquête ou un changement
de vouloir artistique ? Le tour d'une statue. Bon. Les Egyptiens se reconnaissent dans le bas-relief.
Vous allez me dire, il y a pourtant des statues égyptiennes dont on peut faire le tour. Oui, oui, oui, il y
a ça. Mais on va voir, on ne peut pas dire tout à la fois. On va voir dans quelles conditions. Tout
comme il y a des figures qui empiètent, oui, mais est-ce intéressant que ce soit avant tout les fils de
prisonniers ? Quand les figures empiètent comme si justement elles étaient renvoyées au monde du
phénomène. Bon. Je dis le pli.

Il suffit de comparer le pli égyptien et le pli grec. Et Riegl a de très belles pages là-dessus. Il dit : «
Vous voyez le pli, il tombe vraiment comme, il est complètement figé. » Mais figé, ce n'est pas une
critique. Le pli égyptien, le pli du vêtement égyptien, il est complètement figé et sa loi, c'est de ne pas
faire épaisseur. Bien plus Riegl donne les reproductions et analyse les doublures, c'est-à-dire le bout
d'une robe qui retrousse, qui fait double épaisseur. Comment tout ça est fondamentalement aplati
sur le même plan. Le pli tombe figé.`Mais, il n'y a pas cannelure assez profonde pour qu'il y ait
ombre. Vous voyez, c'est un pli aplati, comme un pli sur lequel serait passé un coup de fer.

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Et Riegl devient lyrique en disant : « En effet, comparez avec le pli grec. » Ah, le pli grec. C'est
bien autre chose le pli grec. La danseuse s'élance et le pli s'organise comment ? Ah, quelle nouvelle
harmonie du pli ! Quelle nouvelle harmonie, voilà qu'au niveau de la poitrine, le pli fait comme ceci,
s'incurve suivant une espèce de quoi ? de loi de proportion. On dirait quoi ? Disons tout de suite,
suivant un module. Un module qui subsume des rapports internes, variables. Au niveau de la
poitrine, c'est ce mouvement et au niveau des jambes. Voyez, la souplesse du pli grec. Oh, ça ça
veut dire que les Grecs savaient faire ce que les Egyptiens ne savaient pas faire : aucun sens. Ça ne
veut pas dire que cela soit faux, c'est que ça n'a aucun sens. Qu'est-ce qu'on peut dire simplement,
ils interprètent sûrement pas le vêtement de la même manière. Qu'est-ce qu'on pourrait dire ? Du
vêtement ? là je sors de Riegl mais c'est complètement son idée... j'en sors pas en fait. Qu'est-ce
qu'on pourrait dire du vêtement, des deux types de vêtements opposés. On dirait par exemple ceci,
c'est quoi, le vêtement grec : ce vêtement dont un bord est rabattu sur l'autre, là ce pli aplati, ce pli
comme passé au fer. Il faudrait dire : « c'est un vêtement cristallin ».

Le vêtement sur corps grec est comme un cristal. C'est un vêtement cristallin. Qu'est ce qu'il
faudrait dire du pli ou du vêtement grec ? C'est un vêtement organique. On a changé de légalité. Le
pli égyptien obéit à une légalité cristalline. Le pli grec obéit à une légalité organique. Bon mais après,
après il y aura bien d'autres plis. Je veux dire si l'on faisait l'histoire du pli alors, on peut faire ça non,
on peut faire n'importe quoi, dans les plis, vous verrez par exemple, mais il faudrait aller assez loin, il
faudrait d'abord passer par tout le Moyen Age là, le pli dans la peinture chrétienne, il a un grand rôle,
mais enfin allons, il y a un certain moment quand, oui, il faudrait dire que le vêtement change encore
de nature, n'est plus organique. Par exemple au XVIIème siècle, on reverra ça, je ne vais pas le
développer maintenant mais on pourrait dire si ça nous disait quelque chose, on cherche juste des
choses qui vont résonner plus tard, le vêtement cesse d'être un vêtement organique pour devenir
une espèce de vêtement optique.

Le pli devient une réalité purement optique. C'est comme le pli au hasard dans la peinture du
XVIIème siècle, c'est comme le pli-trait qui n'est plus du tout un pli-ligne. Chez les Grecs, c'est
encore une ligne harmonique. Bon, mais ça fait rien, il y aurait toute une histoire et toute sortes de
qualifications du vêtement dans la peinture, ou du pli, mais qu'est ce que ça veut dire ça : est-ce par
hasard que Riegl lui, il nous dit précisément : toute la légalité égyptienne, c'est la légalité cristalline
géométrique. Et en effet l'importance du contour : c'est le contour qui isole, quel est le rôle du
contour ?

Alors au point ou on en est, puisqu'en vertu de notre second caractère, voyez notre second... notre
premier caractère, c'était l'essence individuelle clôturée... notre second caractère c'est dès lors,
forme et fond sont nécessairement sur le même plan. La forme est à appréhendée sur le même plan
que le fond.

Dès lors, le contour, c'est quoi ? Très intéressant ça. Le contour, dans la mesure ou forme et fond
sont saisis sur le même plan, le contour est comme indépendant de la forme. Le contour est
autonome. C'est le contour géométrique, il est indépendant de la forme organique. C'est le contour
géométrique. En d'autres termes, il vaut pour lui-même, pourquoi ? Parce qu'il est la limite commune
de la forme et du fond sur le même plan. Il est la limite commune de la forme et du fond sur le même
plan, donc il est autonome, il ne dépend pas directement de la forme, il ne dépend pas du fond. Il

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sépare et rapporte les deux indissolublement. Il réunit la forme et le fond et il sépare la forme et le
fond. Il réunit en séparant, il sépare en réunissant. Où réunit-il et où sépare t'il ? Sur un seul et même
plan. Autonomie du contour. Le contour est alors cristallin géométrique.

Si bien que le bas relief ou la peinture égyptienne aura trois éléments distincts : le fond, le fond
calme puisque vide expulsé de toute sa matière phénoménale, la forme individuelle, essence stable
éternelle, et le contour géométrique qui aussi bien sépare l'une et l'autre ou réunit l'une ou l'autre sur
le même plan. C'est le monde cristallin géométrique.

En quoi sommes-nous tous des Egyptiens ? Nous sommes tous des Egyptiens parce que d'une
certaine manière les Egyptiens ont fixé les trois éléments de la peinture. Ils ont fixé trois éléments
fondamentaux de la peinture que l'on peut appeler : le fond, la figure et le contour. Mais vous me
direz : « c'est enfantin tout cela ! » ; mais pas tellement, pas tellement, pas tellement. Qu'est ce qui
va nous permettre de retrouver l'Egypte au travers nos tableaux ? Bien des choses, peut-être.
Peut-être cet effort qui est pas moins grand que l'effort inverse. L'effort inverse, on ne sait même pas
d'où il vient. Je cherche à noter ce qui est égyptien. Cet effort qui travaille toute la peinture qui est de
réduire au minimum la différence des plans. On date de... une date assez récente l'utilisation en
peinture ou l'invention en peinture de quelque chose de ravissant qu'on appelle la profondeur
maigre. La profondeur maigre ou...

[brusque interruption de l'enregistrement, intervention inaudible de deux étudiants, Gilles Deleuze


poursuit :]

(Spinoza ? Voilà oui, on fait une espèce de géographie...) Alors vous comprenez, oui, je dis dans un
tableau moderne, je reviens à un exemple parce qu'il me paraît particulièrement frappant là, d'un
peintre dont j'avais déjà parlé l'avant-dernière fois : Francis Bacon. Qu'est ce qui est très frappant,
immédiatement dans ces tableaux, lui. C'est pas de l'art égyptien d'accord mais en quoi on peut dire,
ben oui, Bacon, c'est un égyptien, il n'est pas seulement ça. C'est un Egyptien. Prenez un tableau, il
y a une espèce de..., la plupart vraiment, la grande majorité des tableaux de Bacon, vous regardez,
vous voyez alors trois éléments distincts, beaucoup plus distinct à mon avis que chez tout autre
peintre actuel. Mais quand vous essayez de nommer ces éléments, vous dites, ah ben oui, chez
Bacon, c'est pas difficile, pour reconnaître un Bacon, vous voyez tout de suite, ou la tendance
Bacon, c'est un peinture où tout le fond est faite d'aplats. Ce sont des aplats. Il y a, tout de suite dans
un tableau de Bacon, vous voyez les aplats. Et des sections d'aplats, là, l'aplat est plus ou moins
varié, parfois c'est un aplat complètement uniforme qui fait figure de fond [brusque interruption de
l'enregistrement] un aplat monochrome. Et puis, vous avez une figure. Une figure. Et cette figure, ma
foi, elle est toujours très athlétique, contorsionnée. Évidemment, elle n'est pas égyptienne, mais elle
est aussi nette qu'une essence égyptienne.

Et puis, vous avez un troisième élément. Voilà, je prends un exemple, c'est celui de la couverture
de ce livre, vous voyez ici, vous avez donc la région des aplats, là par exemple l'aplat violet, l'aplat
gris et tout ça, jaune, je ne sais pas quoi, et puis vous avez le troisième élément qui est ce rond très
bizarre, très beau rond, là sur la porte. Généralement, Bacon est beaucoup plus classique, à savoir
le rond, il le fait autour des pieds de la figure. Tiens, ça devrait nous dire quelque chose, toujours
dans cette histoire là, la longue continuation d'éléments égyptiens. S'il y a quelque chose qui a eu
quand même beaucoup d'importance, même du point de vue du régime de la couleur, ce n'était pas

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par piété après tout, que les artistes chrétiens, que les peintres chrétiens ont tant travaillé l'auréole.
L'auréole, c'est quoi ça ? Il y a une auréole picturale qui est différente de l'auréole religieuse, même
si c'est la même. Pourquoi ils aiment tellement, on voit qu'ils ont un grand plaisir à faire leurs
auréoles.

Les byzantins, ils ont à faire avec l'auréole, c'est quelque chose une auréole. Mais ça peut-être
tout ce que vous voulez l'auréole. Ca peut-être un éclatement de couleur fantastique, ça peut être un
foyer de lumière fantastique, là, l'auréole, ça a à faire avec la modulation. Bon, mais avant tout, c'est
quoi ? Une auréole, c'est un certain état d'une chose qui commence avec l'Egypte, à savoir : le
contour indépendant de la forme. C'est le reste d'un contour indépendant de la forme qui vient s'y
loger. La forme de la tête se loge dans le contour auréole. L'auréole distingue la forme et le fond
mais peut-être sur le même plan, ou bien parfois, il y a différence de plans, à ce moment-là, c'est que
ça a changé mais l'élément du contour indépendant qui rapporte la forme au fond et le fond à la
forme continuera à travers l'auréole et là, Bacon, tout se passe comme si dans nos périodes
d'athéisme, voilà que l'auréole venait ceindre le pied. Ce qui une moquerie insupportable à toute
âme pieuse, une auréole autour des pieds au lieu qu'elle soit autour de la tête mais qui continue le
même principe du contour indépendant. Or, chez Bacon, en quoi c'est moderne ? C'est assez
moderne car toute la peinture moderne est passée par là, en quel sens ? que si vous regardez tout
ça, cette figure, et bien, vous voyez que là typiquement ce serait un cas peut-être, on verra ça plus
tard, de ce qu'on appelle une profondeur maigre, une profondeur maigre obtenue par tout autre
chose que la perspective. Mais là, peu importe, ce qui compte, c'est quoi ? C'est réellement la
séparation des trois éléments.

Je crois, à ma connaissance, il n'y a pas de peintre actuel, qui maintienne aussi loin que Bacon la
séparation des trois éléments picturaux : la figure, le contour, le fond. Par sa transformation de tout
fond en aplat, son isolement de la figure et le contour comme rapportant l'aplat à la figure et la figure
à l'aplat, sur un plan supposé identique ou presque identique. Bon, si c'est de la peinture moderne,
c'est quoi ? C'est parce qu'on voit très bien que ce qui l'intéresse finalement, ce sera à travers ces
trois éléments, les régimes de la couleur. Je dirai que ce qui compte là-dedans c'est une espèce, un
certain type de modulation de la couleur. A savoir, qu'il va y avoir une modulation au niveau de
l'aplat, une modulation très différente au niveau de la figure, et enfin le rôle de l'auréole, le rôle du
contour qui va permettre une espèce d'échange entre les couleurs.

Or, pour les Egyptiens, il ne s'agissait évidemment pas de ça. Mais si vous voulez, on pourrait
dire qu'un peintre comme Bacon réactualise les trois éléments du bas-relief, si bien que là-dessus,
ça on se le dit en voyant un tableau de Bacon, là-dessus quand on lit les entretiens de Bacon, on
tombe sur un passage assez curieux où Bacon dit, c'est curieux, : « J'aimerai de la sculpture, tiens
j'aimerai faire de la sculpture. » Bon, on se dit c'est intéressant ça. Mais il dit : « Chaque fois que j'ai
voulu faire de la sculpture, à peine je commençais, je m'apercevais que les idées que j'avais en
sculpture, c'était précisément ce que j'avais réussi en peinture si bien que j'arrêtais de faire de la
sculpture et de vouloir en faire. » C'est curieux. Il nous dit textuellement j'ai envie de faire de la
sculpture mais la sculpture telle que je la conçois, c'est en fait ma peinture qu'il a déjà réalisée si
bien que je ne peux pas en faire. C'est quoi ?

Revenons aux Egyptiens. Un bas-relief, c'est vraiment la transition peinture/sculpture. Le


bas-relief coloré, c'est de la sculpture ? c'est de la peinture ? C'est pas de la peinture sur toile,

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d'accord mais c'est de la peinture murale. C'est vraiment la frange de la sculpture/peinture. Et en
effet il y a des problèmes communs à la peinture et à la sculpture. Or, cette communauté est assurée
précisément par le bas-relief ou une, une forme de communauté de la peinture/sculpture est assurée
par le bas-relief. Or quand Bacon continue, il dit : « Voilà la sculpture dont je rêve. » Il dit : « Il y
aurait trois éléments. » Là, je ne triche pas avec le texte, il dit ça textuellement. « Il y aurait trois
éléments » et ces trois éléments , il les appelle « armature », « premier élément ce serait ‘armature'
» il dit, « et puis il y aurait la figure » il dit. Alors il dit bien plus : « Je pourrais faire bouger la figure
sur l'armature. » Ah, c'est intéressant, il ferait coulisser la figure sur l'armature. Il ferait coulisser ça
très bien... Vous voyez, mais cela implique précisément la continuation, c'est vraiment sur le même
plan, ça coulisserait. Ce serait quoi ? Ce qu'il est en train de décrire comme son vœu en sculpture,
en fait, c'est tout est de toute évidence un bas-relief mobile où les figures seraient coulissables sur le
mur. Et il dit : « Et voilà, et mes figures auraient l'air de sortir d'une flaque.

Et il y a en effet un tableau de Bacon qui réalise ça, ces trois éléments, c'est formidable : c'est un
trottoir qui forme aplat, une espèce de chien, une espèce de bouledogue infecte, très trapu là, qui
sort d'une flaque, flaque d'eau ou de pipi, je ne sais pas ce que c'est, peu importe, mais vraiment la
figure sort de la flaque sur l'aplat du trottoir. Bon, c'est les trois éléments : la figure, le fond/aplat et le
contour : la flaque. Le contour devenu indépendant et la figure sort de la flaque sur le même plan
que l'aplat, et la flaque rapporte la figure à l'aplat, l'aplat à la figure. Alors, il est pas Egyptien en quoi
? C'est très intéressant qu'il nous dise : « Mais, je ne peux pas le faire en sculpture parce que c'est
ça que j'ai réussi en peinture. Non , la sculpture ne m'apporterai rien de plus. » Et pourtant, c'est en
sculpture qu'il a envie de le faire, mais c'est en peinture qu'il le réussit. Ca veut dire : il ne peut plus
être Egyptien, ah parce que personne ne peut plus être Egyptien. Alors, il faut bien faire avec ce
qu'on a. Le bas-relief, on aurait beau faire... bien sûr, il y a des peintres qui sont revenus aux
bas-reliefs, tout ça. (Est-ce que ça répond alors) [quelqu'un tousse] la volonté d'art actuelle, je ne
sais pas moi. Mais, on voit bien ce qu'il veut dire.

En quel sens Bacon est Egyptien ? parce que, à mon avis, c'est vraiment le peintre moderne qui
maintient le plus l'indépendance et comment le dire, l'équi-planéité sur le même plan des éléments
picturaux d'Egypte : le fond/aplat, la figure, la figure/essence et le contour indépendant. Dès lors,
voyez pourquoi, alors je reviens à Riegl, voyez pourquoi dans le monde égyptien authentique, ça se
réalise pleinement sur le bas-relief : le bas-relief qui, en effet, réduit les ombres, les modelés, la
profondeur, quoi encore ? je sais plus quoi... l'empiètement des figures, vraiment au minimum ou
même l'annule complètement, les figures séparées les unes des autres, etc... et tout ça rapporté
dans des conditions telles que la forme et le fond sont bien sur le même plan. C'est cela qu'on
appellera la légalité cristalline géométrique. Bon, vous me suivez, hein ? Alors, j'ajoute juste. Bon, ça
ça vaut pour le bas-relief. Vous m'accordez que ça vaut pour le bas-relief.

Là-dessus : objection mais il y a des statues autour desquelles on tourne alors c'est quoi ça ?
Statue et puis bien plus, il y a quoi ? ça veut dire quoi ? Tout sur le même plan. Leur maison, leur
maison, quoi, c'était, alors à la limite, ils veulent conjurer le volume. Et bien oui. Ils n'ont pas cessé
de conjurer le volume parce que le volume, c'est dans l'espace, la matrice du devenir , la matrice du
changeant. C'est l'ombre, c'est le relief, c'est le haut-relief, c'est le modelé, etc, etc. C'est le contraire
du monde vivant. Pas facile de mettre le monde en lui-même( ?) c'est la réussite égyptienne. Ils ont
réussi ça. Mais enfin donc comment échapper au volume dans, hors du bas-relief. La réponse de
Riegl, elle est très belle, elle est très... Il dit : « Bien, ça a toujours été ça la pyramide, la pyramide,

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c'est ça. » Et là, les pages de Riegl sont très belles. La pyramide, c'est une espèce de forme géniale,
géniale pour exorciser quoi ? Le cube [26 :22 coupure son]

Tout ce qui est dedans, tout ce qui appartient au cube, à savoir, l'ombre, et peut-être aussi bien la
lumière, le modelé, le dedans, etc, tout le contraire d'un monde plan, à savoir : le cube, c'est comme
la première expression des rapports spatiaux, des rapports dans l'espace. Or, il faut conjurer les
rapports dans l'espace pour les traduire sur un seul et même plan, c'est l'opération de la pyramide
qui conjure le cube. Et en effet qu'est-ce que c'est, en quoi que la pyramide elle conjure le cube ?
Bien pensez à ceci, c'est que les pyramides comme monuments religieux, elles abritent quoi ? Elles
abritent la petite chambre funéraire, la petite chambre funéraire du Pharaon. Mais quand vous êtes
devant une pyramide, que finalement toute cette armature fantastique soit faite pour un cube, non
seulement, vous ne le savez pas mais vous ne pouvez pas le savoir, et bien plus, ça n'a pas de sens
de dire ça. La pyramide, c'est l'opération par laquelle le cube funéraire, c'est-à-dire le cube de la mort
est caché, soustrait. Il est remplacé, il est corrigé, là le concept rieglien de correction vaut
pleinement, il est corrigé par la pyramide. Et en effet qu'est-ce que c'est que la pyramide : au lieu
d'un cube, elle vous présente la face unitaire de trois triangles isocèles, la face unitaire de trois
triangles isocèles bien déterminée. Alors, bien sûr, avec ce mouvement, cette espèce de pente qui
va simplement être l'hommage du plan à l'espace, il faut bien... mais qui va être une manière de
transcrire les rapports spatiaux en rapports planimétriques. Et toute la pyramide va avoir ce sens :
traduire les rapports volumineux en rapport de surface. C'est beau hein ? Belle, c'est une belle idée
si bien que votre petite (28 :48 musique ?) au contraire vous, vous pouvez déjà prolonger.

Qu'est ce que va être l'architecture grecque par rapport à ça ? L'architecture grecque, ça va être
l'explosion, la libération du cube. Alors ça ouvre déjà, sentez, ça nous ouvre plein de choses, je
voudrais que, comme vous l'avez très bien fait jusqu'à maintenant, ça se prolonge en vous. Je
prends une phrase célèbre de Cézanne : « Traiter la nature par la sphère, traiter la nature par la
sphère, le cylindre... » Et quoi, qu'est ce qu'il dit ? Zut, j'ai oublié le troisième... Et le cône ! C'est ça. «
Traiter la nature par le cône, le cylindre et la sphère. Le tout mis en perspective. » dit-il. Beaucoup de
commentateurs ont remarqué cette chose mystérieuse, c'est que justement dans l'énumération,
Cézanne excluait le cube. C'est très intéressant ça, pourquoi il exclut le cube. Parce qu'à la suite de
l'art grecque, la réponse est très facile à donner. Parce qu'à la suite de l'art grecque, le cube a été la
forme fondamentale des rapports dans l'espace. Pensez, par exemple, même à quelqu'un comme
Michel-Ange. Le cube, ce sont les coordonnées spatiale de la figure. Et ça, c'est vrai à partir des
grecs. Le caractère, le temple grec est fondamentalement cubique. Bon, alors, si Cézanne vient plus
tard, exclut le cube, c'est bien parce que son affaire, elle est encore ailleurs. Ni celle des Egyptiens,
ni celle des Grecs, ni celle de la Renaissance, etc. Bon, donc il faut attacher de l'importance à tout
ça. Mais la maison égyptienne, qu'est-ce qu'elle est ? C'est pas des pyramides leur maison, non
mais c'est quoi ? C'est des (troncs) de pyramides, c'est à dire c'est une maison faite de trapèzes
inclinés. Et l'élément décoratif, c'est quoi ? C'est la fameuse palmette concave. La palmette concave,
c'est vraiment le minimum de pente, ça correspond exactement à la pente, à la pente admise. Le
plan serait un plan incliné, en effet. Le plan pyramidal était un plan incliné et qui appelle ou qui a
comme corrélat décoratif la palmette ou la demi-palme.

Et à nouveau Riegl, dans des pages qui sont très admirables, lorsqu'il essaiera de montrer
comment la palmette subit une série de transformation avec le monde grec pour donner quoi ? Pour
donner tout autre chose, qui est la feuille d'acanthe, la fameuse feuille d'acanthe du temple grec.

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Alors que là d'un point de vue reproduction de la nature, comprenez que c'est très important, c'est
quoi l'acanthe ? C'est une mauvaise herbe. Comment est-ce qu'on va foutre dans les temples de la
mauvaise herbe ? S'il s'agissait de reproduire quelque chose évidemment les Grecs n'auraient pas
choisi la, une mauvaise herbe pour faire hommage aux dieux. Mais ce que Riegl montre à merveille,
c'est que, indépendamment de tous soucis de figuration, la feuille d'acanthe est comme une
projection dans l'espace tridimensionnelle de la palmette. Ca c'est très très beau, ça c'est dans
Problèmes de style où il montre ça. Bon, peu importe. Je remarque juste là, je conclus ce point sur....
Vous voyez, l'importance de... ce n'est pas seulement par le bas-relief, c'est également par la
pyramide, et même par la maison égyptienne que se poursuit cet effort qui définit la volonté d'art
égyptien selon Riegl : à savoir que la forme et le fond se donnent et se laissent appréhender sur un
même seul et même plan. Voilà que, l'espace qui fait signe aux Egyptiens, c'est cet espace où la
forme et le plan sont sur le même plan. Voilà, d'où dernier point, dernier point, qu'est-ce que ? Et
bien, comment, comment est-ce qu'il apparaît cet espace/signe ? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce
qu'il sollicite en nous ? Qu'est-ce qui lui correspond en nous à cet espace/signe ? Nous le verrons la
prochaine fois. Voilà.

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La peinture et la
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TRANSCRIPTION : Lehnebach Nicolas

Du 19 Mai 1981 - A. DELEUZE - Peinture

D'autre part, je suis dans une situation compliquée, parce que je viens dans l'entrain de faire des
schémas très élémentaires de couleurs, en fait ça devance ce que j'ai à dire, mais je me dis que la
prochaine fois je n'aurai pas le courage de refaire mes schémas, vous me suivez ?

Alors si vous le voulez bien, vous vous rappelez qu'on en était à l'analyse de l'espace égyptien, mais
là je vais faire une parenthèse sur ces schémas de couleurs dont j'aurai besoin la prochaine fois, ce
sera fait. Alors je vais vous expliquer ça parce que ce sera acquis comme ça je n'aurai pas à refaire
mes dessins. J'ai été bête, j'ai commencé à faire mes dessins et puis je me suis dit ben non ! Et
maintenant voilà qu'il faut que ça serve, vous voyez ? A moins que je ne les refasse la prochaine
fois. Non je vais vous les faire maintenant. C'est ça que vous voulez hein ? Maintenant tout de suite.
Alors je vais passer par là pour resurgir par là (rire), formidable ! (Bruit) Alors je ne pars pas vraiment
mais c'est vrai que... (phrases inaudibles).

Vous prenez ça comme base... et comme vous le reconnaissez sur c'est deux figures, l'une est un
triangle équilatéral, là. L'autre est un cercle, là... l'un est dit triangle des couleurs de Goethe, l'autre
se dit cercle chromatique. J'essaie progressivement d'utiliser les propositions de Goethe, comme ça
ça sera sûr, vous aurez appris quelque chose. Pardon pour ceux qui connaissent déjà tout ça..

Première proposition, Goethe part d'un thème qui est très important, je veux dire si on comprend
ça peut être qu'on comprend tout et tout le développement...il insiste beaucoup et les problèmes liés
à la couleur, il insiste sur la nature sombre de la couleur. La couleur est sombre, mais qu'est ce que
ça veut dire la couleur est sombre ? Ça ne veut pas dire qu'il y a un privilège des couleurs sombres,
ça serait un contre sens [...], il y a des couleurs sombres mais quand il parle de la nature sombre des
couleurs il veut dire bien évidemment tout à fait autre chose. "La couleur" peut être dite avoir une
nature sombre car elle est obscurcissement de la lumière. Sans doute est-elle aussi éclaircissement
du noir. Elle est obscurcissement du blanc aussi bien que éclaircissement du noir, et qu'est ce que
c'est l'obscurcissement du blanc ? Le blanc obscurci c'est le jaune. Et le noir éclairci c'est le bleu.

Nous voilà avec nos deux couleurs dites primitives ou primaires, le jaune et le bleu,. Vous voyez
que dans le triangle de couleurs, triangle équilatéral qui va lui-même se diviser en triangles
équilatéraux, jaune et bleu sont là. Donc si je me dis et si j'en fais un triangle de couleurs en le
remplissant de triangles équilatéraux, si je mets en ordre, j'aurais mes deux triangles équilatéraux

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(bruit de la craie) de la base... jaune et bleu.

En vertu du caractère sombre de la couleur, lumière obscurcie, la couleur est inséparable du


mouvement. Vous sentez toutes ces choses c'est vraiment très très rudimentaire mais c'est tellement
signé Goethe, c'est pas étonnant que ce livre soit encore euh, vous ne le traitiez pas [...] la couleur
est inséparable d'un mouvement encore faut-il le dégager. Voyez ce qu'il a fait, c'est déjà trés
prodigieux il est bien parti du blanc et du noir, mais ça va être court à partir du blanc et du noir, on va
assister à une espèce de changement de direction, si vous étagez un rayon lumineux en profondeur
et si vous étagez blanc et noir en profondeur, tout le champ des couleurs va en quelque sorte
s'étaler, prendre son indépendance, c'est la manière, je crois que le thème profond de Goethe c'est
la manière dont la couleur s'étale et prend son indépendance par rapport à la lumière par rapport au
[...] et noir.

Or c'est à ce niveau sombre, lumière obscurcie qui implique noir et éclairé que toutes les couleurs
vont s'étendre. Donc d'abord sous forme de jaune et de bleu, mais je le dis, c'est du mouvement
c'est déjà dynamique. Le jaune comme lumière obscurcie, le bleu comme noir éclairci, il y a déjà
toute une dynamique. Comment est ce qu'on va nommer cette dynamique qui naît ? Alors cette
fois-çi, naître, -non pas au niveau du blanc et du noir puisqu'on a déjà deux couleurs, mais au niveau
du jaune et du bleu - naît en effet la dynamique de la couleur.

La dynamique de la couleur, Goethe va lui donner plusieurs noms : intensification, saturation,


obscurcissement. Pourquoi obscurcissement ? En vertu de la nature sombre de la couleur.
L'intensification du jaune ou son obscurcissement tend vers le rouge. Là l'expérience est simple,
vous passez plusieurs couches de jaune sur jaune. Vous avez dans cette superposition du ton sur
ton, vous avez et vous dégagez la tendance dynamique du jaune au rouge. Donc vous obscurcissez
le jaune.

Au contraire - là il me semble que dans le texte de Goethe il y a une astuce très importante - au
contraire, quand vous atténuez le bleu, vous avez de même une tendance au rouge. Qu'est ce que
ça veut dire atténuer le bleu ? Le bleu est un éclaircissement du noir. Quand vous dites j'atténue le
bleu, vous dites j'atténue l'éclaircissement. En d'autres termes le bleu qui tend vers le noir égale
cette même tendance au rouge. Voyez en quel sens - je veux dire ce qui est très très important c'est
en quel sens, il considère pas assombrissement et éclaircissement comme deux contraires. Il y a
une nature sombre de la couleur. Cette nature sombre de la couleur se révèle aussi bien lorsque
vous assombrissez le jaune que lorsque vous éclaircissez le bleu, car lorsque vous éclaircissez le
bleu vous éclaircissez un éclaircissement. Donc tendance jaune au rouge par intensification,
tendance du bleu au rouge par intensification. Le rouge pur que l'on appellera le pourpre, ce sera
quoi ? ce sera - et là faites bien attention à la terminologie de Goethe - ce sera "la fusion", le point de
fusion du jaune et du bleu. Point de fusion du jaune et du bleu au point de leur intensification
maximale. Ce qui lui fait dire que
le pourpre ou le rouge, le rouge pur, c'est la satisfaction idéale, la fusion des couleurs des deux
couleurs, jaune et bleu, au point de satisfaction idéale.

Voila donc toujours... quand j'ai construit mon triangle j'aurais pu dire 1, 1' (un prime) jaune bleu,
à partir de la lumière, bleu rouge comme point d'intensification maximale, 3 je mélange le jaune et le
bleu. Je mélange le jaune et le bleu et j'ai le vert. Voyez à quel point le rouge et le vert ne sont pas

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symétriques. Du vert Goethe dira que c'est le point de satisfaction réelle.
Le rouge c'est le point de satisfaction idéale, ou le point de fusion -
le vert c'est le point de satisfaction réelle - ou le mélange. Donc je peux construire mon petit
triangle en haut rouge comme point d'intensification maximum, et je peux construire mon triangle
intermédiaire entre le jaune et le bleu, le vert.

Le vert le relance. C'est une espèce de - le triangle il est génétique c'est ça que je dirais en
premier lieu. Il y a une genèse des couleurs dans le triangle de Goethe. Le vert m'a donné une idée.
Le vert s'est imposé comme mélange du jaune et du bleu. Il me reste à mélanger le jaune et le
rouge, ce qui me donne l'orangé. Il me reste à mélanger le rouge et le bleu, ce qui me donne le
violet. Et voilà mes six couleurs primitives qui ont été engendrées, j'insiste là dessus parce que
souvent quand on lit Goethe, on se les donne en fonction du [...] du triangle des couleurs. C'est pas
seulement qu'il y a des couleurs : mélanges dites couleurs binaires et des couleurs primitives - trois
primitives : jaune, bleu, rouge ;
et trois couleurs binaires : orange, violet, vert - ce n'est pas ça. J'ai le sentiment que dans le texte
de Goethe la genèse est vraiment, [...] et que le triangle des couleurs exprime cette genèse.

Dans l'ordre vous avez


naissance du jaune,
naissance du bleu,
naissance commune du rouge par intensification des deux,
naissance du vert par mélange, extension du mélange par la [...] Imaginez que j'ai mis des traits
de couleurs de couleurs - ce serait ravissant - alors, qu'est-ce qu'il me reste ? Il me reste les
combinaisons - c'est quoi ces combinaisons ? ... le cercle chromatique tout à l'heure
La combinaison : jaune - vert, ici ; l
a combinaison : vert - bleu ;
la combinaison : orange - violet. Et ainsi le triangle des couleurs est [...] c'est simple mais c'est
beau [...] parce qu'encore une fois, il me semble que c'est évident que si on le lit comme tout fait
c'est un triangle génétique et bien plus vous ne pouvez pas le construire de proche en proche, il me
semble que l'ordre de construction s'impose 1, 1' 2, 3, 4, 4', 5, 5'... Ça c'est le triangle des couleurs
[...] On pourrrait ajouter ceci : L'extériorité de la couleur lumière ombre, blanc noir, vous voyez la
force, là, la couleur a jailli de son extérieur. Ca c'est la naissance de l'indépendance des couleurs,
c'est une genèse. Le triangle est génétique. Bon, d'accord ? Pas de problème ? Le cercle
chromatique lui il est structural [...] Je pars du jaune - j'ai raison de partir du jaune, je le met la haut
sur mon cercle et à partir de là j'établis une première opposition diamétrale. Qu'est-ce qui s'oppose
diamétralement au jaune ? Le jaune est une des trois couleurs primitives ou primaires, jaune bleu
rouge. Ce qui s'oppose au jaune c'est le mélange des deux autres primitives. Une opposition
diamétrale une fois données mes trois couleurs primitives, jaunes bleu et rouge, on appellera
opposition diamétrale, l'opposition d'une de ces primitives et du mélange des deux autres. Cette
opposition diamétrale est bien connue sous le nom de : rapport entre complémentaires. Qu'est-ce
que deux couleurs complémentaires ?
Deux couleurs complémentaires sont telles que l'une est une couleur primitive et l'autre est faite
du mélange des deux autres. Donc le jaune est en opposition diamétrale avec le mélange de bleu et
de rouge c'est-à-dire le violet. Du coup si j'ai commencé à tracer mon cercle - voyez qu'il n'est plus
du tout génétique, le cercle. Il commence, à partir du problème des oppositions diamétrales, il
commence par tracer une structure.

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C'est pour ça que je crois que dans l'ordre c'est une évidence que le cercle chromatique reste une
chose morte si l'on n'a pas mis d'abord le triangle des couleurs. (Bruit) sentez que j'ai une trés
grande prérence .. rires . Voyus avez votre première opposition diamétrale__ .le violet comme
mélange du bleu et du rouge force à placer sur notre cercle [...] le bleu et le rouge, six sections des
trois couleurs primaires le violet est un mélange du bleu et du rouge (bruit) Ce n'est plus une genèse,
c'est une déduction de structure, c'est une déduction structurale, d'où vous placerez vos deux autres
points périphériques : bleu jaune, l'intermédiaire est vert, jaune rouge, intermédiaire orange. Et vous
avez, vous pouvez lire dès lors, votre opposition diamétrale, de même que jaune est en opposition
diamétrale avec violet selon la loi des complémentaires, rouge est en opposition diamétrale avec
vert, puisque rouge est une couleur primitive en opposition diamétrale avec le mélange des deux
autres, le mélange des deux autres c'est le mélange jaune - bleu, et le mélange jaune - bleu, c'est le
vert.
Donc opposition diamétrale du rouge et du vert,
opposition diamétrale du bleu et de l'orange, de l'orangé, puisque l'orangé c'est le mélange jaune
- rouge en opposition diamétrale avec la troisième couleur primitive... J'ai presque fini.

Un premier type de rapport entre les couleurs vous est fourni sur le cercle chromatique par les
oppositions diamétrales. C'est le thème du complémentaire. Les petits pointillés de Goethe indiquent
qu'il y a d'autres relations. Les autres relations c'est lorsque les rapports entre les couleurs passent
par les cordes et non plus par les diamètres. Les oppositions diamétrales dans la terminologie de
Goethe, ce sont les combinaisons harmonieuses. Combinaisons harmonieuses du jaune et du violet,
de l'orangé et du bleu, du rouge et du vert. C'est les rapports de complémentaires. On abandonne
les diamètres et on considère les cordes. Deux sortes de cordes. Vous mettez en rapport deux
couleurs en sautant l'intermédiaire. Ce sera les grandes cordes. C'est ce que Goethe appellera les
combinaisons caractéristiques. La liste des combinaisons caractéristiques c'est ce que j'écris en
pointillé, ce sera : vert - orangé, orangé - violet. Vous voyez vous avez sauté le jaune. Vous avez
tendu une corde dans le cercle chromatique de telle manière que vous mettez en rapport le vert et
l'orangé en sautant le jaune. C'est la grande corde. Vous continuez, deuxième combinaison
caractéristique : orangé - violet, en sautant le rouge. Troisième combinaison : violet et vert en
sautant le bleu. Dans l'autre sens,
combinaison bleu - rouge en sautant le violet ;
rouge - jaune en sautant l'orangé ;
bleu - jaune en sautant le vert. Et vous avez votre tissu de combinaisons dites "caractéristiques".

Et enfin ce que j'ai pas marqué pour ne pas compliquer - mais Goethe le marquera, ce sont les
combinaisons sans caractère. Ce sont les petites cordes. Où vous ne sautez pas une couleur, vous
sautez simplement l'intermédiaire entre deux couleurs. Et les combinaisons sans caractère ce sera :
jaune - orangé,
orangé - rouge,
rouge - violet,
violet - bleu,
bleu - vert [...] Vous avez votre ensemble structural. Ce qui m'intéresse c'est que c'est à votre [...].
Je veux dire triangle dit génétiquement ce que le cercle chromatique dit structuralement. A mon
sentiment, le cercle est mort [...] Pourquoi c'est important, là je dis... Ce n'est pas simplement de la
théorie, c'est la base de toute théorie [...] Dans un sens est-ce qu'il a fallu attendre Goethe pour... on

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verra... pourquoi ça c'est fait à ce moment là... et pourquoi ça s'est fait à ce moment là.

Delacroix, il se faisait sur sa palette un vrai chronomètre. Un chronomètre chromatique, c'est-à-dire


une pendule on pourrait dire qu'il voulait assigner des heurs au cercle chromatique.

Alors qu'est-ce qu'il faisait Delacroix... Il mettait ses couleurs (bruit), et puis il entourait... dans un
gros tas, et puis il entourait des couleurs dérivées ou des mélanges et puis ça faisait vraiment un
chronomètre [...] Ca c'est une première anecdote... ça serait comme des exercices. Moi je serai
peintre je suis sûr que ça m'intéresserait moi ça, comment le transformer..

Comment en fonction de ces schémas un peintre dispose les couleurs sur la palette ? Voilà,
premier problème pratique.

Deuxième problème pratique : un peintre déteste une couleur, qu'est ce que ça veut dire ? Exemple :
[Mondrian et le vert .inaudible(rires). abomination New York est la seule ville au monde...
On n'entend pas Gilles.
c'est vrai comment faire ? depuis
Claire Parnet : je voudrais pourqoi Mondrian est parti pour New York ? Parce qu'il n'aimait pas le
vert
Claire parnet : Pourquoi à New york ? C'est la seule ville qui n'est pas d'arbres ! !

Il y a des couleurs qui manquent sur la palette. C'est aussi intéressant de se demander, d'interroger
un peintre, de questionner un peintre en fonction des couleurs qui lui manque qu'en fonction des
couleurs qu'il utilise. Bon, donc, toute sorte d'exercice pratique serait possible. Lorsqu'une couleur
reçoit le nom propre d'un peintre. Il me semble à partir de là c'est pas du tout des lois ou des normes
ça. Surtout l'élément génétique des couleurs. c'est à travers ça que s'opèrent les choix
fondamentaux et bien plus c'est tellement génétique qu' il a une épaisseur. Mais son épaisseur c'est
quoi
Première épaisseur, il a des strates, il est complètement stratifié, il faut lire en perpendiculaire, si
il avait une structure, le triangle génétique des couleurs, ce serait une structure perpendiculaire,
pourquoi ?
Première strate : il jaillit de la lumière et de l'ombre. C'est le thème de la nature sombre de la
couleur. Et cette nature sombre de la couleur elle est attestée par quoi ? Vous la retrouverez au
niveau du... où cet espèce de jaillissement à partir du blanc et du noir, si vous faites tourner dans le
cercle chromatique, vous avez le fameux gris du blanc et du noir, et ça c'est la strate de fond, la
couleur est en train de jaillir de la lumière et de l'ombre. Alors ce qu'il faut que vous sentiez c'est que
[...] c'est pas le même espace. L'espace de la lumière et l'espace de la couleur. La couleur va être
[...] il n'y a pas de couleur [...] c'est ça qu'on veut dire par la couleur chromatique. Le principe de
relativité des couleurs. Une couleur n'est déterminée que par rapport aux couleurs voisines. La
couleur du contexte. La couleur elle est créée dans ce sens, cette première strate elle jaillit de
l'ombre et de la lumière, elle jaillit du gris, le gris étant entendu comme le blanc et le noir.
Deuxième strate. Elle prend son indépendance, elle commence à prendre son indépendance à
partir de ce fond. La lumière et l'ombre c'est le fond de la couleur. Le blanc et le noir c'est le fond de
la couleur, elle jaillit de ce fond. Elle jaillit de ce fond sous la forme du jaune, du bleu et de leur
intensification commune : le rouge.

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A ce moment là des rapports entre couleurs se forment, irréductibles aux rapports lumière -
ombre. Les rapports lumière - ombre qui pourtant continuent d'affecter la couleur, sous la forme : le
clair et le foncé. Les rapports lumière - ombre dans la couleur vont déterminer les rapports de clair et
de foncé, et justement ils n'épuisent en aucun cas le rapport des couleurs. C'est ce qu'on appellera
"les rapports de valeurs". C'est dans la couleur même les rapports de clair et de foncé. La couleur
n'existe qu'en developpant des rapports qui soient autonomes qui ne sont pas des rapports de
valeurs mais des rapports de tons. Rapport des couleurs entre elles à un même niveau de
saturation. Exemple typique : le rapport des complémentaires.

Il y a tellement de strates que je dirais alors euh... essayons de faire vraiment une histoire rapide
du collorisme. Qu'est ce qu'on appelle le collorisme ? [...] Tiens je retombe dans Hegel. Hegel,
proposait une distinction entre polychromie et collorisme. La polychromie c'est tout détail, tout
maniement de la couleur - qui va être extraordinairement complexe et extraordinairementt riche -
lorsque la couleur reste subordonnée à quelque chose. Qu'est-ce que ça veut dire subordonnée à
quelque chose ? Elle peut être subordonnée à la forme La forme. Vous distribuez vos couleurs
suivant des divisions organiques dû à la forme. Vous faites de la polychromie. L'art égyptien, l'art
grec sont des arts typiquement polychromes. La couleur peut être aussi subordonnée à la lumière.
En effet, avec la peinture, on s'est bien forcé de distinguer ne serait-ce que vaguement, un courant
luministe et un courant coloriste.
Les luministes c'est ceux qui obtiennent de la couleur par la lumière,
et les coloristes c'est ceux qui obtiennent la lumière par la couleur, par un traitement de la
couleur. Rembrandt passe à juste titre pour un des plus grands luministes.

Donc, il n'y a pas seulement une subordination possible,mis, pourtant c'est plus de la polychromie
déjà, vous voyez c'est autre chose. Mais c'est pas non plus du collorisme, parce que la couleur ne
vaut pas pour soi, [...] elle peut développer tous ses rapports de valeur, elle ne peut pas développer
l'ensemble de ses rapports de tonalité.

Or c'est justement Goethe à propos du cercle chromatique, qui insiste énormément sur le thème
suivant : en fonction du cercle chromatique chaque couleur - c'est par là qu'il y a un mouvement, un
dynamisme de la couleur - chaque couleur tend à évoquer la totalité du cercle chromatique, plus ou
moins, là, il y aurait des coefficients de vitesse ou de lenteur. Chaque couleur suscite la totalité du
cercle chromatique, parfois d'abord par son opposition diamétrale. Le rouge va susciter le vert, et là
c'est dans votre œil, la complémentaire suscite sa complémentée. L'expérience célèbre qui est dans
tous les traités de la couleur, vous fixez une couleur et puis, dès que la couleur disparaît, votre œil
suscite la complémentaire. Le rouge suscite le vert.

Alors, je dirais quoi. Si j'essaie de faire vraiment une séquence d'histoire du collorisme : il me semble
que le premier collorisme c'est un moment où il est comme à la frontière du luminisme, lumière
couleur et problème encore se mélangent [...] et les couleurs jaillissent du fond. Et le fond ça devient
passionnant c'est comme la superposition des deux gris. Les couleurs jaillissent d'un fond, d'un fond
sombre. C'est la fameuse couleur sombre [...] or cette couleur sombre elle est là pour manifester la
nature sombre de toute couleur, et les couleurs jaillissent et sont sombres qui est quoi ? Qui
finalement est du gris sur gris puisque
il y a un gris lumineux,
un gris luministe blanc - noir

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et un gris chromatique vert - rouge, deux complémentaires.

Donc c'est bien à partir dans un premier collorisme, c'est bien à partir de ce fond sombre qui exprime
la superposition des deux gris, que les couleurs jaillissent, elles sortent du fond . Et en effet si vives
qu'elles soient, elles témoignent de leur nature sombre. A partir de là tout le progrès du collorisme,
tout le mouvement, tout le dynamisme du collorisme ça va être s'affirmer pour lui-même de plus en
plus et ça va consister en quoi ?

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
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cours 14 à 21 - (18
heures)

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Transcription :Fatemeh malekahmadi cours du 19/05/81 de Deleuze

Comment atteindre à cette vivacité qui exprime le rapport des couleurs et de la lumière ? Comment
conquérir les tons vifs, puisque seuls les tons vifs expriment le rapport de la couleur avec la couleur.
Ça va se faire par étapes. Je prend même dans la peinture française un paradigme de séquences,
trois étapes, trois moments de Delacroix ; Qu'est ce qu'on voit techniquement chez Delacroix ?
Voyez, puisque là c'est les problèmes techniques. On voit quelque chose de très curieux, la couleur
sombre du fond subsiste souvent et longtemps, hein, elle est déjà pleinement couleur mais c'est la
couleur sombre, mais chez Delacroix, on saisit sur le vif. Comment arracher à cette couleur sombre,
à ces couleurs sombres, comment lui arracher les tons les plus vifs ? ça c'est le moment important. A
chaque fois, c'est le colorisme qui nait, qui renait, ça pose problème et Delacroix invente un procédé
qui sera repéré comme tel déjà de son vivant, soit qu'on se moque de lui, soit, au contraire les gens
le suivent, ce sera le procédé dit des « hachures ». Il va hacher sa couleur sombre littéralement, il n'y
a pas d'autre mot : hachures vertes, hachures rouges et c'est au niveau des hachures, que la
couleur va conquérir ses rapports vifs, de tons vifs ; Un des plus grands moments de Delacroix, «
qu'on me donne un tas de pourpre et je vous en ferai sortir une couleur exquise », sortir une couleur
exquise. C'est pas comme ça, c'est pas une formule littéraire, c'est pas comme ça que Delacroix
formule, c'est ce qu'il fait sur la toile (...) Je dirai, grâce à Delacroix qu'est-ce qui est rendu possible ?
Le déploiement des rapports, le déploiement des tons vifs et des rapports entre tons vifs, d'une
certaine manière, n'ont plus besoin du fond sombre où la couleur sortait.

Tout se passe comme si Delacroix l'avait encore gardé - enfin, je dialectise un peu trop, quoi, ça ne
se passe pas comme ça - tout se passe comme si Delacroix l'avait gardé mais, pour amener le
moment où on en aurait plus besoin. Ce qui n'ôte pas, ce qui n'ôte rien aux chefs d'œuvre peints à
partir de la couleur sombre. C'est qui ça ? Dégager et porter au plus haut les rapports entre tons vifs,
sans passer par la couleur sombre, la couleur sombre, évidemment, se sera l' impressionniste.

Et ca sera peut-être la première fois qu'apparaîtra le colorisme à l'état pur, la lumière, complètement,
subordonnée à la couleur,(...) turner avec les tons jaunes jaune Il y a un très très beau, admirable
tableau de Turner qui s'intitule : Hommage à Goethe, Hommage à Goethe(...)pour les
impressionnistes, c'est ça le problème. Moyennant quoi, la hachure de Delacroix qui valait comme
hachure puisqu'elle venait hacher la couleur fond, la couleur sombre. (..) devenue élément célèbre
La virgule impressionniste, juxtaposition des virgules non plus une hâchure qui vient hacher la
couleur sombre mais des petites virgules pour elle-même ;

Eh bien à travers tout l'impressionnisme, pour varier le style, au niveau la virgule, les virgules de

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Monet Ce n'est pas pour ça qu'un expert reconnait, parfois nous on est géné pour reconnaitre un
Pissarro d'un Monet, un Renoir moins Grand chose, Dans la virgule, ce n'est pas pour cela, qu'il y a
un lien Quand la virgule devient craquement et est signée van gogh Comprenez que il n'a pas à etre
coloriste colorisme et le déploiement des tons et la vivacité des des tons entre c'est comme si l'unité
élémentaire de la peinture La Hachure de Delacroix devient la virgule impressionniste, la virgule
impressionniste devient la petit touche de Cézanne, devient, en fin, ce n'est pas transformer
apparente des rapports de coloristes. Et après,....

Voilà ; alors, que j'explique bien, hein ! Pour le moment, on laisse mariner tout ça. Pour le moment,
c'est comme une longue parenthèse que j'ai faite que reste à voir sur la couleur et Je n'en étais pas
là, maintenant mais je vais revenir à une chose mais justement ça marche bien j'aurais besoin de ça.

Apres la pause :

Vous voyez les couleurs et en couleur sont pas bonnes. Il est très joli le triangle.

Bon ; Alors, vous voyez, Ça, C'est une parenthèse qu'on peut placer avant ou après tout ça c'est
toujours à emporter avec vous, hein ! , Là-dessus, vous pouvez lire Goethe, hein ! C'est encore
mieux, si vous le lisez mais si vous ne le lisez pas, ...Voilà ; Voilà ; C'est ... Bon, Est ce qu'il y a des
remarques à faire, des compléments ?

Etudiante 1 : Le blanc et le noir, j'ai lu le texte de Goethe c'est problème très complexe, parce que
d'une part, ce sont des couleursle blanc, c'est la première, la première genèse du sombre et que le
noir, c'estl'extrait du sombre donc ce sont des couleurs mais sur la question du blan incliné du
cercle chromatique, dit pas non, pas du tout, Le blanc ne peut pas naître du cercle chromatique,
c'est le gris,

Deleuze : Tout à fait.

Etudiante 1 : et c'est cette ambiguïté qui,

Deleuze : Moi, je crois que l'ambiguïté, elle s'explique, tout simplement, c'est ce que j'ai essayé de
dire en disant le triangle il faut l'interpréter génétiquement ; C'est à ce moment là, en effet, la couleur
elle n'a pas un moment de naissance absolue, mais en même temps le blanc et le noir sont le milieu
d'extériorité de la couleur, c'est la forme d'extériorité de la couleur qui ne contient encore rien de
l'intérieur de la couleur, et ça va être la naissance de l'intériorité, d'autant plus que si on reprochera à
Newton entre autre chose et là ça serait compliqué, il faudrait, si on s'occupait vraiment de la
couleur, il faudrait opposer là en effet tout Goethe, est faite contre Newton.

Anne Querrien : Newton, et Moi,, j'ai l'impression que lui, il se servait des lois d'optique , en fin, la
décomposition par le prisme et ....Et moi je voudrais dire, justement par rapports à ça, on trouve
Dans certains bouquins de vulgarisation sur la couleur, l'idée que les trois couleurs fondamentales
de l'œil et c'est ce qui était repris par la télévision d'ailleurs, c'est le rouge vert et le bleu et la
télévision même, j'ai cette équation là, c'est une histoire de longueur d'ondes, donc, il y a à peu près
51% de rouge, 39% de vert et 10% de bleu et donc d'après le triangle des couleurs, la télévision, se

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trouve complètement poussée du coté noir,

Deleuze : elle est déportée, oui, oui, oui

Anne Querrien : ...déporté vers le noir et d'autre part, un grand article du Monde dimanche, un article
passionnant sur qu'est ce que c'est le codage de l'image couleur à la télévision pour assurer la
compatibilité du signal couleur avec les récepteurs de noir et blanc et donc, on soustrait, au
contraire d'additionner, les couleurs, on se met à les soustraire et donc à les tirer encore plus vers le
noir pour que les récepteurs noir et blanc puissent recevoir les emissions en couleur.

Deleuze : Oui, oui, oui,

Anne Querrien : et alors je couleur puisse un rapport avec la technique puisque apparaissent au
même moment que l'imprimerie, l'imprimerie en couleur, et la composition des couleurs par addition
en imprimerie de Delacroix et la compagnie sont complètement parallèle aux recherches sur la
photographie ponctuelle.

Deleuze : Ou alors la méthode ponctuelle de Saurat oui, dans le pointillisme, il y aurait aussi des
équivalents techniques avec un codage ponctuel

Anne Querrien : la photographie assez rapide

Deleuze : Oui, oui, oui, oui. Bien et bien alors, continuons.

Deleuze : Oui, Une autre remarque.

Etudiant 1 : autre chose, c'est bien le neuf cercle traumatique, le

Deleuze : Une correspondance numérique.

Etudiant 1 : Sauf le neuf, d'accord, on a les 3 pour les trois couleurs, on a les six et on ne peut plus
avoir le neuf et on passe directement à et si on continue à les séparer,

Deleuze : Voyons,

Etudiant 1 : Tandis que dans l'autre

Deleuze : On a trois, dans l'autre,

Etudiant 1 : Dans l'autre on a le neuf,

Deleuze : Dans le triangle, Ah ! ça, C'est intéressant, oui

Etudiant 1 : Oui, C'est important d'obtenir le neuf,

Deleuze : C'est important !

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Etudiant 1 : d'obtenir le neuf, oui,

Deleuze : Vous, vous etes un mystique abstrait !

Deleuze : Oui, C'est peut-être important mais il faudrait..., là, je n'arrive pas à suivre parce que je
suis complètement abruti.

Deleuze : on n'obtient S qu'avec le cercle, on n'obtient pas....Alors trois, trois Réfléchissez comment
on peut obtenir le neuf avec le cercle chromatique. Oui, alors qu'il est en plein dans le triangle, Oh !
Peut-être, vous allez peut-être dégager un grand mystère. Voyez ! Bon, allons oublions un moment,
mais encore une fois, on aura bien besoin de tout çà, bientôt.

Vous vous rappelez où on en était ? On avait juste défini un petit espace-signal egyptien. L'espace
égyptien. Or, cette espace-signal égyptien à la fois il n'est pas fait pour la peinture ou en tout cas,
certes pas exclusivement pour la peinture ; Il s'exprime même formellement, infiniment plus
directement, dans le bas-relief égyptien. Et ma première question, une question comme ça, c'est :
est-ce qu'il ne va pas déterminer pour longtemps, quelque chose d'essentiel pour la peinture ?
Est-ce qu'il ne va pas déterminer pour longtemps quelque chose d'essentiel pour la peinture, à savoir
l'idée de planéité ? Car, je vous en supplie, beaucoup de critiques ont défini precisément la peinture
par deux choses ; par exemple, un critique actuel, dont je vous ai déjà parlé, à savoir Greenberg. Il
dit la peinture c'est deux choses : c'est la planéité et la détermination de la planéité, c'est intéressant
déjà parce que qu'est ce ça veut dire la détermination de la planéité par distinction avec planéité ?
C'est la planéité et la détermination de la plénitude. Bon, peut-être, peut-être mais ce n'est pas
tellement évident que la peinture soit la planéité.

Je veux dire, est ce qu'il n'y a pas une épaisseur de la toile ? pourquoi certains, et pas tous, il y a
même des peintres qui se sont réclamé d'une épaisseur de la toile. Cette idée de la peinture,
planéité et détermination de la planéité est ce qu'elle ne viendrait pas, d'une part, d'ailleurs que de la
peinture et d'un très vieil horizon, l'horizon égyptien, la réussite égyptienne ? Pourquoi ? Car on l'a vu
si on essaie de définir l'espace-signal de l'Egypte, en suivant Riegl, on obtient à peu près, la formule
suivante : La forme et le fond sont saisi sur le même plan, planéité, c'est à dire équi-planéité de la
forme et le fond. La forme et le fond sont saisi sur le même plan également proche l'un de l'autre et
également proche à nous même. Ce serait ça si j'essaie de résumer la présentation de l'Egypte,
selon Riegl, Ce serait ça : La forme et le fond sont saisi sur le même plan également proche l'un de
l'autre et également proche à nous même ; C'est le bas-relief egyptien et on a vu, comment ça
pouvait être egalement, la pyramide d'une manière plus compliquée et c'est la peinture egyptienne.

Oui, Il faut retenir ça, cette idée "planéité". Peut-être est-ce que c'est l'Egypte qui a réalisée la
peinture comme planéité. Et puis ensuite le thème l'a poursuivi comme ça, mais qu'il n'avait pas du
tout la même urgence. Ce n'est pas évident encore une fois qu'une toile se soit plat. La preuve après
tout, il y a des, il y a des peintres qui peignent à l'envers, beaucoup de peintres aujourd'hui peignent
à l'envers. Peindre à l'envers ça veut dire quoi sinon que la toile a une épaisseur ? Il y a des peintres
qui mettent en question la notion de surface. Il y a un groupe, Il y a un groupe qui est trés important
le groupe support/surface et puis même des groupes à coté, beaucoup d'américains ont pas cessé
de mettre en question. Mais enfin, on laisse ça.

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La planéité, ce sera moins le destin nécessaire de la peinture que l'horizon égyptien de la peinture,
que l'horizon extérieur égyptien de la peinture. Et en effet, c'est ça l'espace égyptien. Est-ce que
c'est l'expression d'une volonté d'art, comme dit Riegl ou est-ce que c'est lié à - et alors là, tout est
permis, on peut toujours rêver - est-ce que c'est lié à certaines conditions de, à la fois, de civilisation
et de nature, hein ! ; le désert, le rapport de bas-relief avec le désert, le rapport de la pyramide avec
le désert, le rapport de l'œil et du désert Est-ce que ce n'est pas un rapport qui précisément implique
une espèce de planification de l'espace ? Car, en effet, j'en arrive à ce que je n'avais pas dit la
dernière fois, lorsque Riegl essaie de dire quel est le type de vision qui correspond à cette espace
égyptien, voyez du coté de l'objet, ici je dis des choses très sommaires, du coté l'objet il y a bien une
opération de la planification les rapports dans l'espace sont transformés en rapport planimétrique
bon, la forme et le fond sont sur le même plan, c'est la linéarité et comme dit l'autre de la linéarité,
c'est à dire du fait que la forme et le fond sont saisi sur le même plan, quelle détermination de la
linéarité va en sortir ?

On l'a vu la dernière fois si je regroupe ; La détermination de la linéarité qui va en sortir, c'est les
trois éléments de la peinture ; Les trois éléments de la peinture ; c'est précisément parce que la
forme et le fond sont saisi sur le même plan, hantent le même plan que la peinture va avoir trois
éléments :
le fond,
la forme
et ce qui rapporte le fond à la forme et la forme au fond c'est à dire le contour geometrique
cristalin. C'est la légalité géométrique cristalline. Et je vous disais, quand nous voyons, quand il
arrive que nous voyions sur une toile moderne, et que nous soyons dans une situation telle que
nous, soyons encore forcés, violentés, amenés à distinguer trois éléments, la forme, le fond et le
contour, nous pouvons dire : « Un égyptien est passé par-là ! ».

Je pense à un tableau et peut-être certains entre vous l'ont dans la mémoire, dans la mémoire de
l'œil, très beau tableau, je trouve, très très beau ! Un tableau de Gauguin : « La Belle Angèle », « La
Belle Angèle » Prodigieux tableau ! C'est un très beau cas et à mon avis, c'est peut-être un des
premiers cas, dans la peinture moderne, de ce qu'on appelle - j'essayais de dire ce que c'était en
gros - de profondeur maigre, de profondeur réduite, il y a bien une profondeur mais très très réduite,
la forme et le fond sont vraiment presque sur le même plan. La forme c'est quoi ? C'est la tête d'une
bretonne qui s'appelait Angèle et que Gauguin aimait bien, une vraie bretonne ! Elle est peinte avec
sa coiffe, Elle est parfaite. Bon. Bien. Le fond, c'est quoi ? C'est ce qu'on appelle, on ne peut pas
mieux dire, un a-plat, c'est un aplat ; Avec ce qu'avait trouvé on ne sait pas très bien, qui est-ce qui a
trouvé ; dans les lettres, c'est tres confus. Est-ce que c'est Van Gogh ? Est-ce que c'est Gauguin ?
Lequel, peu importe d'ailleurs. Ou est-ce que c'est un, encore un troisième de leur groupe ? Ils
faisaient des aplats mais, quand même, pour animer un peu, ils mettaient des petits bouquets de
fleurs comme sur le papier peint, quoi. Ils mettaient des petits bouquets de fleurs. Il y a une... ; Van
Gogh, il aimait beaucoup un facteur à Arles. Et il a fait plusieurs portrait de ce facteur ; Il y en a un,
entre autre, très très beau, où le fond est fait d'un aplat qui est comme un papier de chambre ; Dans
mon souvenir, il doit etre vert. Parce qu'il en a fait plusieurs. Il y a un bleu, avec un aplat bleu. Il y en
a un vert. Et je croix bien, celui qui est en vert, il y a des petits bouquets de fleur charmants,
charmants ! qui font un motif décoratif sur l'aplat. Bon, Il y a, donc, l'aplat. Il y a la forme ; C'est quoi ?
La forme, c'est la tête de bretonne. Or elle, elle n'est avidement, pas traitée en aplat.

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Il y aura toujours un problème ; Remarquez là qui traversera toute l'histoire de la peinture. C'est,
quand on est coloriste, que faire avec la chair ? C'est même là, que bizarrement, la peinture et les
phénoménologues se sont rencontrés tellement, parce que les uns et les autres sont tellement
animés du thème de la chair, du corps incarné. Merleau-Ponty, il a rencontré la peinture à partir du
problème de la chair.

Que faire avec la chair ? J'ai repéré une très belle citation de Goethe, justement pour tout mélanger ;
Ah ! où elle est cette citation ? Très belle citation de Goethe ; Voilà : « Pour la chair la couleur doit
être absolument libérée de son état élémentaire. » La chair, elle pose un drôle de problème à la
peinture. Comment faire la chair, sans tomber dans la grisaille ? S'il y un cas, même dans le cas,
même dans le cas de l'impressionniste, la chair va alors poser un problème redoublé. Comment
traiter la chair ? Les choses, ce n'est rien ; Mais la chair, ce n'est pas le plus brillant, hein ! Comment
faire que la chair cesse d'être bouleuse ? C'est difficile ça ! Il faut un traitement particulier de la
couleur. Alors, c'est formidable dans « La Belle Adèle », Non, Angèle, dans « La Belle Angèle » ;
Oui, la « La Belle Angèle », « La Belle Angèle » puisque vous avez deux traitements de la couleur
correspondant à vos deux éléments picturaux.

Evidement, chez les Egyptiens ce n'était pas ça, c'est par-là que c'est un grand tableau moderne.
Vous avez un traitement de la chair Et j'avance sur ..., j'anticipe puisque ... ; Finalement, une des
grandes solutions du traitement de la chair, du traitement pictural de la chair, ce sera ce qu'on
appelle les tons rompus, c'est en rompant les tons, qu'est ce que c'est le ton rompu ? On verra plus
tard ; Hein ! Peu importe, là, on situe un mot, une nouvelle catégorie dans la couleur, c'est avec des
tons rompus que Van Gogh et Gauguin, par exemple, traitent la chair. Or, Bon, Bon. Vous avez
donc, traitement de la couleur par tons rompus, la forme, la figure, traitement de la couleur aplat,
traitement du fond, vous avez vos deux éléments.

Et Gauguin se sert d'une méthode que, précisément un type, un peintre, hèlas second, enfin pas
hélas ! qu'un peintre secondaire, avait, à l'époque de Gauguin essayer de remettre à la mode et que
ce peintre avait baptisé "le cloisonnement" et vous verrez que, dans « La Belle Angèle » la figure est
entourée d'une espèce de cercle jaune qui va être très important, ce cercle jaune, d'abord il a un
effet comique incontestable ; Gauguin avait beaucoup de sens pictural du rire, c'est un des peintres
les plus gais, les plus ..., oui, comique de la peinture, quoi ; Et « La Belle Angèle » devient de toute
évidence, dans cet isolement, dans son cloisonnement, elle devient une tête sur une boite de
fromage, sur le rond d'une boite, elle est découpée comme une bretonne pour camembert ;
simplement c'est du Gauguin, au lieu d'etre....Bon. Et ce jaune, ce trait jaune, est formidable, parce
que, vraiment, c'est lui qui fait communiquer les tons rompus de la figure et le ton aplat du fond. Et là,
il y a une espèce de....Et c'est lui en même temps qui va être un élément fondamental de la
profondeur maigre, c'est à dire qui va établir la forme et le fond "presque" sur le même plan. Alors
quand vous voyez un tableau comme ça - ou bien je vous citais Bacon en effet c'est très différent de
- mais lorsque... quand vraiment, dans la grande grande majorité des tableaux de Bacon, vous
découvrez là, trois éléments vous sautent aux yeux. Ce n'est pas forcement comme ça partout.

Les trois éléments, c'est :


Le fond traité en aplat,
deuxième élément, la figure toujours traitée, d'ailleurs en tons rompus

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et le contour autonome c'est à dire qui va renvoyer la forme au fond et le fond à la forme et qui,
chez Bacon, n'est plus du tout un simple cloisonnement, mais prend comme son caractère
volumineux, son caractère de surface ou même de volume, à savoir une espèce du tapis qui est
dans un rapport de couleur, dans un rapport coloristique avec le fond de l'aplat, avec la couleur de
l'aplat. Si vous voulez, chez Bacon il y a bien trois couleurs, qui est une espèce de tapis, ou de rond
au milieu duquel, au moins dans lequel, se tient et se dresse la figure. Si bien que vous avez trois
régimes de couleurs :
un régime contour, assuré par le tapis ou le rond,
un régime du fond assuré par l'aplat,
un régime figure assuré par les tons rompus ; vous pouvez dire : hommage à l'Egypte.

Mais cette manière de revenir à l'Egypte, c'est évidement revenir à l'Egypte avec des moyens tout à
fait différents des moyens égyptiens puisque là, on redécouvrira les trois éléments égyptiens par des
traitements de la couleur. Et vous voyez ce que voulait dire peut-être l'autre, lorsqu'il disait linéarité
et détermination de la linéarité, en effet les Egyptiens assurent la linéarité, c'est à dire l'identité du
plan pour la forme et le fond et dès lors, déterminent cette linéarité avec trois éléments :
la forme,
le fond
et le contour autonome.

Bon, si vous avez compris ça et que ce n'est pas réglé avec les Egyptiens et que ça va continuer à
vivre mais qu'un peintre moderne peut le retrouver, donc ressusciter l'Egypte par des moyens non
égyptiens, Vous avez compris, en gros, ce qui se passe chaque fois, ce qui se passe tout le temps
dans l'Art , quoi.

Si bien qu'il nous reste juste pour en finir avec cette histoire d'Egypte, Il faudrait, en fin, il faudrait en
parler beaucoup encore mais peu importe, il nous reste juste, une dernière chose à faire du point de
vue du sujet qu'est ce qui se passe ? On a défini des éléments objectifs :identité du plan pour la
forme et le fond, les trois éléments qui sont la détermination de la planéité, le fond aplat, la forme, la
figure bas-relief et le contour, le contour, encore une fois, géométrique cristallin, l'égalité géométrique
cristalline qui apporte la forme au fond ....

Alors, qu'est ce qui reste dans votre œil, votre œil égyptien,inutile de dire que les Egyptiens ont
perdu cet œil et que les Egyptiens actuels à moitié en fin... oui. Oui, oui, oui, l'œil... Voilà comment
Riegl définit l'œil égyptien mais vous voyez que l'œil égyptien il ne peut être définit qu'en fonction de
son corrélat, c'est à dire, en fonction de cette espace signal de l'Egypte. L'œil égyptien, qu'est ce qui
va être ?

Et voilà que dans ce livre fondamental de Riegl, "Métiers et Arts", "Arts Et Métiers, à l'époque du bas
empire", la première édition de ce livre, nous dit des choses difficiles, très simples mais qui nous
laisse une impression de difficultés, la première édition nous dit, eh bien ! Oui, cet espace égyptien,
c'est un espace rapproché, il sollicite une vue proche. Non, ce n'est pas étonnant. On a envie de dire
ce n'est pas tellement une volonté d'art ; c'est un fait de désert et de la lumière, la vue est
fondamentalement rapprochée, en Egypte on voit de près.

Etudiante venant de l'extérieure intervient : Excusez-moi,(inaudible)

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Deleuze : Où est ce qu'on les dépose ?

Etudiante : C 196

Deleuze : Alors à la fin, vous remplirez, hein ! ...

Etudiante :

Deleuze : qu'estce que c'est ? Ah !, oui, oui,

Etudiante :

Deleuze : Ça ne fait rien ; Les assises concernent tout le monde. Les assises, vous ne les savez pas
? Ah ! , Ça c'est ma faute, j'aurais du vous le dire. Oui, oui, Tu sais les dates, toi ? Aie, Aie !

Etudiante : Il y a une permanence.

Deleuze : ... Et qu'on n'avait encore rien vu, dans l'enseignement, c'est vrai, je voudrais moi, qu'un
journal fasse l'état des projets très avancés mais chacun dans son métier, est au courant d'un projet
qui est déjà très avancé, par exemple le projet pour les universités, c'était une catastrophe. Ce n'est
pas difficile à comprendre. Le projet très avancé pour les universités, ça consistait à court-circuiter
les conseils des universités. Alors, notre première réaction, c'est toujours de dire le conseil de
l'université on n'en a rien à en foutre ! Mais attendez, ça dépend, c'est pour le remplacer par quoi ?
Et pour s'adresser aux U.E R c'est à dire les crédits auraient était distribués directement aux U.E R.
Ce qui, ça va de soi, livrer les U.Rs, qui d'ailleurs, sont complaisant à ça, les mettaient absolument
entre les mains du ministère, parce qu'il n'y avait plus aucun structure universitaire. Ça, c'était un
projet terrible ; Alors à chaque fois que je parle à quelqu'un qui a un métier, c'est curieux, il me
confirme. J'ai vu, il n'y a pas long temps, il ne m'a pas dit des secrets, j'ai vu un banquier ; Il m'a dit
vous savez, il y avait un projet pour faire sauter la convention collective dans les banques, un projet
très avancé.

Deleuze : Mais ça se trouve, ....particulier dans les banques, sur un mode particulier. Ça serait très
intéressant de faire l'état autant qu'on sait des projets avancés qui auraient passé vraiment, d'ici un
ou deux ans. Or, les élections, pour moi, elles signifient avant tout ça. Qu'est ce qu'ils nous
préparaient ? Ce n'est pas de la rigolade, hein !

Etudiante venant de l'extérieure : Assemblée Générale, vous avez la parole.

Deleuze : C'est bien vrai c'est pour ça que je dis moi en effet si ces assises...

Etudiante venant de l'extérieure : ... on l'a appris comme ça, à 10 heures du soir ... c'est pour ça
qu'on a décidé de réagir, ...alors si vous voulez répondre....Au revoir.

Deleuze : Alors, d'accord, Au revoir. Moi, j'insiste là-dessus ; Oui ; s'il n'y a que des profs à ces
assises, ça ne va pas. Il faudrait que tous ce qui peuvent... ; Alors, à vous de vous renseigner. Moi, à

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mon avis, ce sera plutôt vendredi et samedi mais vous, Vous vous croyez c'est à dire, jeudi...En tout
cas, il faut que vous y passiez, que vous voyiez des groupes ; Parce que c'est important ; Orienter,
actuellement, il y a quand même une chance inespérée de pouvoir récupérer quelquechose de tout
ce qui...oui, alors normalement, moi, à mon avis, ce sera vendredi et samedi. Ecoutez ! Je termine,
hein et on va prendre une recréation parce qu'on n'en peut plus, hein !

Reprise de cours :

Il essaie de dire ce que c'est que cet œil qui correspond à l'espace égyptien. Et je vous dis dans la
première édition, il dit, eh bien ! C'est très curieux, c'est un œil de vision proche, donc, c'est l'œil de
la vision proche mais l'œil de la vision proche, il se comporte comment ? Eh bien ! Il dit, c'est bizarre,
mais c'est à la lettre, voyez, la forme et le fond sont présent l'un à l'autre sur le même plan et moi,
spectateur, avec mon œil, je suis également proche. C'est un œil à la lettre qui se comporte comme
un tact. C'est un œil tactile. C'est un œil tactile. Et Riegl, là, c'est un peu, voilà, ce qu'il faut, on
comprend à travers la page de Riegl, que ce n'est pas une métaphore, que bien plus, Riegl est en
train de dégager deux fonctions de l'œil ; Il y aurait une vision optique ; Il y aurait une vision tactile.
De l'œil en tant qu'œil, ce n'est pas, comprenez, l'œil tactile, ce n'est pas un œil qui se fait aider par
le toucher, comme lorsque je vérifie avec mes mains quelque chose que j'aie vu, lorsque je touche
un visage, par exemple, ce n'est pas ça, c'est l'œil en tant que l'œil qui se comporte comme un
toucher, donc, c'est encore ambigu la page de Riegl et c'est seulement, c'est bizarre là ; C'est dans
la seconde édition, qu'il donne le mot et qu'il dit, il faudrait distinguer - en effet, là, il est forcé de créer
un mot compliqué pour éviter l'équivoque - et il dit qu'il y a comme deux visions, il y a une vision
optique et il y a une vision qu'il appelle "haptique", une vision haptique. Il emprunte le mot aux grecs,
Hapto, qui veut dire toucher, un toucher de l'œil, un sens haptique de la vue.

Donc, on définira le sens haptique de la vue, si on veut lui donner son vrai sens, le sens haptique de
la vue, ce serait un exercice de la vue qui n'est plus un exercice optique c'est à dire de vision
éloignée. Voyez, la vue optique, ce serait la vue éloignée, relativement éloignée, au contraire
l'exercice haptique ou la vue haptique, c'est la vue proche qui saisit la forme et le fond sur le même
plan également proche. Bon supposons, alors, là, avant que vous vous reposiez, je me dis : il y a
plein de problèmes là !

On va le garder ce mot haptique, après tout, ces catégories, ces catégories, c'est peut-être très
intéressantes parce que car la peinture, ça s'adresse à l'œil, d'accord, ça s'adresse à l'œil ! Mais
quel œil ? Je suggérais, peut-être, que la peinture, elle fait naître peut-être, un œil dans l'œil, que la
peinture, bon, elle a peut-être affaire à la lettre à ce qu'il faudrait appeler le troisième œil. Est-ce
qu'on aurait deux yeux optiques, deux yeux pour faire la vision optique et puis un troisième œil, alors
quoi ? Un troisième œil haptique ?. Du coup, est ce que la peinture, elle ferait naître l'œil haptique ?
Est-ce qu'il y a un œil haptique en dehors de la peinture ? Je saute là, et ce n'est plus les égyptiens.
Comprenez, c'est savoir si ces catégories d'haptiques ça va pas nous servir beaucoup. Et cet œil
haptique qu'est-ce que ça serait ? Eh bien ! Faisons enchaînement avec tout ce qu'on a appris
aujourd'hui. Tiens. La lumière, la lumière c'est l'œil optique, la lumière sollicite un œil optique,
peut-être. Je n'en sais rien. Peut-être, on peut dire ça. Mais la couleur, est-ce que ce n'est pas un,
tout autre œil ? Est-ce que ce n'est pas un, tout autre œil ? Est-ce que la couleur ne sollicite pas un
oeil haptique ? Est-ce que toute notre histoire de tout à l'heure, ce n'est pas comment un œil optique
se reconstitue à partir des yeux optiques ? Dans une lettre où il est plein d'entrain, Gauguin dit :

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"L'œil en rut du peintre, la page, là je ne me rappelle pas mais ça vient un bon moment de
commencer, c'est assez comique ; Qu'est ce que c'est cet œil du peintre, cet œil là que Cézanne
déclarait lui-même devenir tout rouge, tout rouge, tout rouge, je rentre chez moi, les yeux tout rouge,
tout rouge, je ne vois plus rien. Les yeux tout rouge, qu'ils ne voient plus rien ; l'œil du peintre, l'œil
en rut du peintre, c'est bizarre tout ça. Est-ce que ce n'est pas un exercice de la vision très, très
curieux, est-ce que ce n'est pas la reconstitution d'un œil haptique, l'œil égyptien, le troisième œil,
hein ! , Je dis troisième œil, non pas parce qu'il est dans le cerveau, il n'est pas dans le cerveau, il
est dans le système nerveux, mais il est là, parce que je veux dire au milieu des deux autres, quoi.
Le peintre ce serait ça. Mais alors, Est ce que la couleur, allons jusqu'au bout, je ne sais pas ; Est-ce
que la couleur, ne serait pas une manière tout à fait autonome et originale de reconstituer la vue
haptique que les Egyptiens avaient réalisé d'une toute autre façon ? Les Egyptiens avaient réalisé la
vision haptique en mettant la forme et le fond sur le même plan et en produisant les trois éléments,
forme, fond, contour géométrique cristallin ? Mais nous, est ce qu'on ne retrouve pas un œil égyptien
par des moyens non égyptien, à savoir, par le colorisme ? Est-ce que l'œil haptique, ce n'est pas
l'œil qui tire du milieu d'extériorité optique, la lumière, le blanc et le noir qui en tirent les rapports
intérieurs de la couleur ? Bon, enfin toute sortes de questions que nous suspendons car, car nous
tombons sur la question : Le monde égyptien est mort en apparence, il ne pourra être ressuscité que
par des moyens tout à fait indépendants. Qu'est ce qui a fait mourir le monde égyptien ? Ah ! Qu'est
ce qui l'a fait mourir ? J'ai toujours tort de poer des questions abstraites et bien je vais vous le dire ;
D'accord, on peut dire ça, On peut dire autre chose. Alors, vous vous reposez ; Vous vous reposez.

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 19/05/81 - 3

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Transcription : Binak KALLUDRA

Deleuze : cours de du 19/05/1981-3 - la Peinture

Beaucoup d'entre vous pendant... notre récréation, beaucoup d'entre vous m'ayant dit qu'il se
trouvaient très mals et très fatigués avec ce temps... je dois me résigner à écourter (exclamation de
joie et applaudissements), voilà ! Alors, je voudrais juste essayer de déterminer. Voyez nous
sommes à la recherche : qu'est-ce que cet événement spatial ? Ou plutôt cette détermination - je
continue à tenir à cette expression linéarité et détermination de la linéarité. Encore une fois on l'a vu
pour l'espace égyptien.
Linéarité c'est le plan,
détermination de la linéarité c'est les trois éléments du plan, fond, forme et contour.

Je dis qu'est-ce qui se passe pour que cet espace soit en quelque sorte bouleversé ! Encore une fois
il sera si bien bouleversé cet espace, qu'on pourra retrouver quelque chose de l'Egypte qu'en
fonction de moyens complètement - Il s'agira d'une Egypte ressuscitée. Alors qu'est-ce qui peut se
passer ? Si on tient là on abandonne Riegl ou du moins on le retrouvera, mais là on se pose une
question pour nous mêmes - et comme toujours comme j'essaie de vous montrer toujours, d'une
certaine manière on n'a pas le choix - qu'est-ce qui peut se passer quand à cet espace plan ou forme
et fond sont saisi sur le même plan avec les trois éléments ? Qu'est-ce que c'est l'accident ? Et
l'accident c'est l'accident. L'événement c'est l'événement. Et qu'est-ce que c'est l'accident ou
l'événement ? Je dirai la détermination spatiale de l'accident ou de l'événement c'est exactement :
vous avez votre espace égyptien. Bah voyez ! Bas-relief. Si peu que ce soit, c'est comme un
tremblement de terre quoi : un tremblement de terre se produit. C'est à dire le plan se scinde,
supposez que le plan se scinde, mais quel conséquence, ça va être dément.

Le plan se scinde, un avant plan se rapproche, un arrière plan s'éloigne si peu que ce soit.
Disjonction des plans. Ah bon, disjonction des plans. A partir de là - à partir de là enfin tout ça c'est à
corriger - il va y avoir un avant plan et il va y avoir un arrière plan. Et c'est pas grand chose si peu
que ce soit. La disjonction des plans ça va être ça qui va nous faire passer à d'autres espaces
signaux. Et en effet après tout, si je me donne disjonction des plans, est-ce qu'on peut en tirer
quelque chose - alors vraiment on allant vite euh - qu'est-ce qui peut se passer ? Un espace où les
plans sont disjoints et qui est organisé essentiellement en fonction de l'avant plan.

Ca c'est une première possibilité ; j'essaie d'imaginer les possibilités. Ce sera ça, la signature de
cet espace ; c'est Il y a distinction des plans, mais c'est l'avant plan qui est déterminant. J'emploie

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toujours le concept de détermination. Alors c'est beau, ça va être très beau ça. Cet espace avant
plan déterminant. Pourquoi pas alors le contraire ? Imaginons cette fois : espace à arrière plan
déterminant. Oh ça du coup on se dit, a bah non c'est celui là qu'on préfère chaque fois qu'il y a
quelque chose de nouveau, c'est ça encore qu'on préfère parce que ça doit être formidable un
espace à arrière plan déterminant. Un espace à arrière plan déterminant, rendez-vous compte à la
lettre : tout jaillit du fond, tout sort du fond. Quelle puissance gagnée par rapport à l'espace d'avant
plan. La forme sort du fond au sens le plus énergique du mot sortir, tandis que dans l'autre cas au
contraire quand il y a prédominance de l'avant plan, c'est la forme qui s'enfonce dans le fond et c'est
elle qui va déterminer son propre rapport avec le fond, tandis que là, la forme à la lettre est issue du
fond lorsque l'arrière plan devient déterminant. Ah ça doit être un bel espace ça ; avant même qu'on
sache je cherche les positions logiques de mes espaces.
Et qu'est-ce qui peut y avoir encore quand les blancs se disjoignent ? Il peut en effet y avoir une
troisième chose. Là se serait drôle, une chose alors très très tortueuse. Comme les plans se sont
disjoint on ne s'occupe plus tellement des plans eux mêmes ; ni avant plan ni arrière plan. On va
susciter tout ce qu'il y a entre les deux. Mais qu'est-ce qu'il y a entre les deux et qu'est-ce qui peut y
avoir entre les deux qui ne soit ni dépendant de l'avant plan ni dépendant de l'arrière plan ? Je vois
que ces trois positions là, logiquement il y que ces trois là.

Mais après tout alors essayons de mettre des noms. Qu'est-ce que c'est que l'espace artistique
où l'avant plan est déterminant ? Il y a donc volume, volume puisque les plans se sont disjoint. De
toute manière vous voyez c'est la mort du monde égyptien puisque les relations volumétriques se
sont libérées des rapports planimétriques. Il y a volume, mais ce qui est déterminant c'est l'avant
plan parce que c'est l'avant plan qui contient la forme et les rapports avec l'arrière plan sont
déterminés par la forme et par ce qu'il en ait de la forme à l'avant plan. Chacun ici aura reconnu l'art
grec.

Voyez une sculpture grecque, mais c'est rare j'essaierai de le montrer comme même précisément,
mais j'aime bien commencer par le schéma purement abstrait pas du tout que je veuille l'appliquer,
mais ce que j'aimerai c'est que ça vous dise toute suite quelque chose. Les temps forts et les temps
faibles d'une sculpture grecque.
Les temps forts c'est quoi ; c'est les reliefs, les reliefs lumineux. Ils avaient des mots les grecs
pour désigner les temps forts et les temps faibles dans une sculpture,
et les temps faibles c'est les creux, c'est les creux et les ombres et toute la sculpture s'étage et
c'est par là que cet art est mesure, répartition variable des temps dans une même mesure telle est
l'harmonie grecque. Ce sont les temps forts des reliefs dans la sculpture grecque qui vont être
déterminants, c'est à dire c'est l'avant plan où s'élabore la forme et la forme dans son élaboration
détermine les rapports avec l'arrière plan.
C'est un espace esthétique de l'avant plan où ce qui est déterminant c'est la forme. Et comme dit
très bien Maldiney, qui c'est occupé admirablement de tout cela dans son livre "Regard Parole
Espace" « il est faux ô combien il est faux de dire que le monde grec est le monde de la lumière ».
Ce n'est pas le monde de la lumière parce que la lumière est strictement assujettie aux exigences de
la forme. Oui c'est le monde de la lumière mais lumière non-libérée, une lumière assujettie à la
forme, la lumière doit révéler la forme et se subordonner aux exigences de la forme. Et toute la
sculpture grecque est ce maniement de la lumière, ce maniement prodigieux de la lumière au service
de la forme. Ce n'est plus le monde aptique des égyptiens, c'est un monde optique, seulement c'est
un monde optique où la lumière est au service de la forme, c'est à dire c'est un monde optique qui se

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réfère encore à la forme tactile, c'est un monde tactile - optique.

Et c'est ainsi que Riegl définira l'art grec comme l'art tactile - optique avec l'espace correspondant
:primat de l'avant plan sur l'arrière plan. Il va y naître sans doute la plus profonde conception de l'art
comme rythme ou comme harmonie. Rythme et harmonie au sens grec et non pas au sens
moderne. Mais on verra tout ça. De révolution en révolution supposez alors, l'inverse si vous voyez
une sculpture grecque j'espère vous etes convaincus mais ce sera vrai aussi de tout l'art grec.
Lumière, lumière rien du tout, la lumière est subordonnée aux exigences du cube, et le cube c'est le
climat précisément de l'avant plan. C'est la forme sur deux plans ; il y a bien une profondeur, il y a
bien des ombres, il y a bien des lumières, et tout ça doit être subordonné au rythme de la forme car
le rythme est forme.

Bien, donc c'est pas du tout le monde de la lumière, faudra attendre c'est très grave parce que,
voyez ça nous forcera finalement ça nous forcera la prochaine fois à changer il me semble beaucoup
aux définitions classiques du monde grec.

Un pas de plus, une révolution de plus, qu'est-ce qui peut bien se passer pour renverser le rapport
grec : faire que au contraire ce soit l'arrière plan le fond qui devienne déterminant et que la forme, la
figure, jaillissent du fond. Or ce sera un tout autre statut de la figure lorsque elle jaillira du fond. Il a
fallut et çà vaut, écoutez on parle toujours de la révolution Copernicienne, tout ça c'est des
révolutions plus importantes, enfin aussi grande que la révolution Copernicienne. Dire l'espace
égyptien fait place à un espace où c'est l'avant plan qui détermine, c'est aussi grave que dire la terre
tourne autour du soleil ou bien le soleil tourne autour de la terre, c'est complètement .des
renversements de la structure de l'espace et à plus forte raison je dis : nouveau renversement quand
c'est le fond, tout vient du fond. Ah tout vient du fond ; ça c'est, qui c'est. Comment voulez vous
qu'une forme est le même statut si elle est déterminée sur l'avant plan, quitte à réagir sur l'arrière
plan, ou bien si au contraire elle est à la lettre projetée par l'arrière plan. C'est pas du tout la même
conception de la forme. Je dirai lorsque l'arrière plan devient déterminant, la figure sort de quoi ; Elle
sort directement de la lumière et de l'ombre.

En d'autres termes, l'espace de l'arrière plan c'est un espace où la lumière et l'ombre se sont
libérées de la forme. C'est la forme maintenant qui dépend de la répartition des lumières et des
ombres. C'est un renversement radical de l'espace grec. Qui a fait ça ? C'est pourquoi il est si triste,
parce que il me semble qu'on ne comprend plus rien de voir même des livres sur ce dont il s'agit qui
commencent par rapprocher ça de l‘espace grec, c'est le contraire de l'espace grec. Donc qui il y ait
des ressemblances c'est évident, il y aura des ressemblances, c'est l'espace Byzantin, et la grandeur
de Byzance du point de vue de l'histoire de l'art elle est inépuisable, mais son acte fondamental c'est
précisément d'avoir fait surgir la figure de l'arrière plan au lieu d'avoir déterminé la figure comme
forme sur l'avant plan. Cette fois-ci en effet la lumière est déchaînée, l'ombre est déchaînée bien
plus, les byzantins sont les premiers coloristes, car lorsque la lumière se libère de la forme on n'est
pas loin aussi de la libération de la couleur. Et les byzantins sont les premiers alors ça, les premiers
je crois dans la civilisation de l'art à manier les deux gammes de la couleur, la gamme lumineuse des
valeurs et la gamme chromatique des tons.

Et apparaîtra déjà chez les byzantins les trois couleurs primitives : l'or, le bleu, le rouge - les trois
fameuses couleurs de la mosaïque - dans des rapports complexes avec le noir et le blanc, le blanc

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du marbre et le noir de ce qu'on appèle le smalt, qui vont redoubler et former comme une espèce de
trame à travers les rapports de couleur, et les premiers luministes tout comme les premiers
coloristes, c'est à dire l'abandon de la polychromie au profit du colorisme et du luminisme, ce sera
Byzance. Ca valait bien des persécutions, puisque l'empereur finira par persécuter ces artistes.

Bon, cette même histoire si vous tenez compte de l'opposition entre l'espace grec et l'espace
byzantin c'est pas une histoire linéaire qui se développe comme ça. Si je cherche une autre
séquence cette fois-ci dans la peinture/peinture, c'est prodigieux et eveillez dans votre mémoire une
figure byzantine : forcement tout sort du fond puisque la mosaïque elle est dans une niche, c'est la
vision éloignée, c'est la vision éloignée, ne serait-ce que par la position du spectateur. Vision
éloignée, la mosaïque enfouie dans une niche et vous avez ces figures aux yeux dévorants. - C'est
pas la forme qui cerne la figure. C'est quoi ? La forme elle suit la lumière, elle suit l'ombre et la
lumière. Les yeux d'une figure byzantine ils sont partout où il y a, où ces yeux diffusent, partout où ils
ces regards venus du fond diffusent. C'est l'antinomie même du monde grec. Et sans doute c'est un
des espace les plus beaux, enfin il n'y a pas de supériorité, mais vraiment l'espace byzantin c'est...
s'il a un rapport avec l'espace grec c'est l'inversion parfaite de l'espace grec.

Bon. Je cherche une séquence dans la peinture ; Il y a un type alors là à nouveau, tout comme
j'indiquais Riegl , il y a un grand classique de l'histoire de la peinture qui s'appèle Wolflin. C'est
traduit en français, c'est un très beau livre, il prend lui XVI-XVII siècles. Or évidemment il a lu Riegl
parce que on y apprend entre autre ceci que, en passant du XVI au XVII siècle - il fait des analyses
très poussées, très détaillées- en passant du XVI au XVII on le passe d'une vision encore tactile -
optique. XVI siècle . Avant c'était autre chose. Avant, là je prends la courte séquence XVI - XVII. On
passe d'une vision tactile - optique qui est encore celle de Dürer ou celle de Léonard. Donc
elle-même comporte beaucoup de variantes, ça je ne veux pas dire que ce soit le même espace,
mais d'un certain point de vue c'est bien de toute manière un espace tactile - optique.

Et au XVII se forme une espèce de révolution, clé majeure qui va être la découverte d'un espace
optique pur. Découverte d'un espace pur qui va culminer par exemple avec Rembrandt mais avec
bien d'autres. Or, quelle est la première, la première détermination de ces deux espaces, espace XVI
espace XVII ? Primat de l'avant plan, j'ai...si vous avez en souvenir un Léonard de Vinci ou un
Raphaél vous voyez immédiatement. Avec pourtant des audaces extraordinaires, par exemple chez
Raphaél l'avant plan est courbé. Fantastique courbe et une découverte fantastique qu'on ne pouvait
faire que avec le primat de l'avant plan. Je crois que... moi je dirais, là je précise parce que il y a des
choses que j'emprunte à Wolflin tellement elles sont bonnes, et puis il y a des choses que...bon c'est
un peu par association d'idées, moi je me dis vers le XVI il y a une découverte fantastique et c'était la
même, il me semble, que la découverte grecque. Qu'est-ce que c'est cette découverte ; alors c'est...
je trouve pas d'autre mots mais il me plais pas le mot, je dirais c'est l'existence de "la ligne
collective". Là on voit bien la différence avec la ligne égyptienne. La ligne égyptienne elle est
fondamentalement individuelle, elle est en effet le contour de la forme individuelle.

Que le collectif puisse avoir une forme ça c'est une idée qui est... qui ne vient pas à un égyptien.
Comment dire, pour un égyptien il y a des individualités de plus en plus puissantes mais c'est
toujours structuré comme individualité. Qui est une collectivité en tant que telle je crois pas que... ça
commencerait avec les grecs. Or dans l'art grec vous avez quoi ; Vous avez l'invention d'une ligne
qui ne coïncide plus avec tel individu, une ligne qui englobe plusieurs individus. Il y a plus la vraie

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ligne, elle est le contour d'un ensemble ; que la ligne devient le contour d'un ensemble ça c'est
l'invention de la ligne collective. Par exemple les apôtres, bien sur ils vont être individualisés mais
c'est pas ça. Ce qui comptera c'est la ligne enveloppante qui va de l'apôtre de l'extrême gauche à
l'apôtre de l'extrême droite. Je pense à un tableau très célèbre " La pèche miraculeuse " de Raphaél.
Bon , à mon avis ça me parait même évident mais enfin on n'est plus en état, réfléchissez la ligne
collective ne peut se faire précisément c'est la ligne de l'avant plan. Elle est précisément, elle ne peut
se dégager que par l'avant plan comme si le fait que l'avant plan devienne déterminant a permis de
dépasser les limites individuelles de la forme. Si bien que ce qui aura une forme - et ça c'est dément
du point de vue égyptien, et du point de vue grec ce qui va avoir une forme c'est quoi ? C'est un
ensemble, ne serait-ce qu'un couple dans la statuaire grecque. Vous savez immédiatement je
suppose l'objection ; non mais il y a bien des figures solitaires, oui mais on va voir. Bon, peut
importe. Bon je dis les couples dans la statuaire grecque : formidables. La ligne est le contour
commun des deux individualités.

Et la peinture du XVI qu'est-ce qu'elle va découvrir ? La ligne collective de Léonard de Vinci ou la


ligne collective de Raphaél. C'est pas les mêmes. Chaque peintre se distinguera par sa ligne
collective, son style de ligne collective. C'est avec la peinture du XVI siècle qu'apparaisse cette
chose prodigieuse, à savoir que, l'arbre a une ligne collective qui ne dépend pas de ses feuilles et
que le peintre doit restituer la ligne collective à l'avant plan. Un troupeau de moutons a une ligne
collective, et les troupeaux de moutons et les groupes apôtres ; la peinture de groupe va envahir à la
lettre l'avant scène, c'est à dire l'avant plan. Or, ça m'apparait vrai également de l'art grec et dans de
toutes autres conditions, de l'art de XVI. Ensuite et c'est par là, comprenez il y a tout le temps, il y a
très souvent dans les écrits de Léonard de Vinci, une chose très frappante où il dit : "il ne faut pas
que la forme soit cernée par la ligne". Si on lit ça comme ça on risque de faire un contre-sens
énorme parce que la phrase elle peut vouloir dire deux choses dont l'une Léonard ne peut pas la
dire. On pourrait croire que ça veut dire la forme doit se libérer de la ligne. Il ne peut pas vouloir dire
ça. Pourquoi ? Parce que le primat de la ligne reste incontestable chez lui. Bien plus, la forme qui se
libère de la ligne c'est quoi ? C'est la forme qui passe au service de la lumière et de la couleur. Or
c'est évidemment pas ça que Vinci veut dire. Les textes là et le contexte me parait évident, ce qui
veut dire que la forme ne soit pas contenue par la ligne, ça veut dire la forme excède la ligne de
l'individualité ;
la forme excède la ligne individuelle.
Mais la forme sera déterminée par la ligne de l'avant plan. D'où l'importance dans ce que Raphaél
arrive à faire courber l'avant plan comme dans une espèce de, comme on dit comme dans une
espèce de balcon où l'avant plan lui même est courbe. C'est que ça fait partie des très grandes
réussites, des réussites géniales de cette époque. Mais vous voyez, je dirai de même que l'art XVI et
art grec techniquement au niveau de leurs espaces, échangent une espèce de signal.

Primat de l'avant plan et découverte de ligne collective. Byzance et XVII siècle échangent aussi
un signal ; primat de l'arrière plan, déchaînement de la lumière et même déjà de la couleur. Mais
déchaînement de la lumière, tout vient du fond. Et la peinture du XVII ça va être ça. Et c'est tellement
évident, par exemple prenez - je pense à quelque chose de tout simple - traitement XVI siècle - ça
c'est bien connu tout le monde le remarque - traitement XVI siècle : Adam et Eve. C'est un exemple
de Wolflin d'ailleurs. Adam et Eve, les deux sont vraiment l'un à coté de l'autre. Ca peut être trés
compliqué puisque cet avant plan c'est l'avant plan. Ca peut être un espace courbe, ça peut être une
courbure de l'avant plan.

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La fameuse position XVII c'est quoi ; en diagonale. Tout ce passe comme si, si vous voulez, il n'y
a plus tellement d'avant plan. Bien sûr il y en a un encore, mais c'est pas ça ce qui compte. C'est que
tout se passe comme si l'avant plan était troué, il est troué en effet par une profondeur qui fait que ce
qui est à gauche est entraîné par, est entraîné vers le fond ou sort du fond, ce qui est à droite sort du
fond.
Il n'y a plus un avant plan, il y a une différentiation à partir du fond. On le voit très bien par
exemple dans un admirable tableau de Rubens qui présente la rencontre de deux personnes. Au XVI
siècle ils se rencontrent à l'avant plan et c'est l'avant plan le lieu de leur rencontre. Chez Rubens plus
du tout. Entre les deux qui se rencontrent s'est creusé une véritable ruelle faite par les autres
personnages des autres plans. Si bien que chacun des deux personnages qui se rencontrent à
l'avant plan, chacun des deux, est issu du fond par différentiation, avec la ruelle accentuée qui les
sépare. Ils se rencontrent à l'avant plan mais en tant que chacun est issu du fond.
Ce n'est plus l'avant plan qui est déterminant. Tout est issu du fond. C'est l'arrière plan qui est
déterminant.

Bon, et enfin voilà donc deux nouveaux espaces, l'espace grec ou espace du XVI siècle, l'espace
byzantin ou l'espace du XVII et puis je disais il y en a encore un autre, supposez qu'on ne s'intéresse
plus au plan : ni arrière plan ni avant plan, qu'est-ce qui a entre les deux ? Et bah il faut qu'on
s'intéresse entre les deux. Qui peut être assez barbare pour renoncer au plan et s'intéresser à l'entre
deux et qu'est-ce que c'est l'entre deux plans ? Comment est-ce qu'on pourra nommer cette chose là
qui n'est ni fond ni forme, qu'est-ce que ce sera ? Donnons un mot commode comme ça, l'art
barbare. Peut-être que se sera l'art barbare. Il faut que ce soit l'art barbare, il faudrait, ça serait bien,
enfin on ne sait pas. Et vous comprenez, qu'est-ce qui s'est passé, et alors nos trois positions ;
primat de l'avant plan,
primat de l'arrière plan,
l'entre-deux ? Les barbare arrivent, ils arrivent toujours par l'entre-deux. Qu'est-ce qui s'est passé
? Je disais il s'est passé que de toute manière ce dont les égyptiens avait assuré l'unité s'est décalé.
L'avant plan et l'arrière plan s'est décalé. Qu'est-ce que c'est ça ?

Je disais que ça c'est un accident ou ça c'est un événement. Un accident, un événement. C'est ça


la formule de l'accident ou de l'événement. Car lorsque les plans sont décalés, lorsque s'est produit
la disjonction des plans, qu'est-ce que vous voulez que fasse la forme ? La forme elle peut faire
qu'une chose, tomber. Elle tombe entre les deux plans. Ou bien à la rigueur si elle est animée par
une énergie miraculeuse elle montera. On entre vraiment dans cette histoire de l'art occidental qui
est tout entier fait de montée et de chute. La figure ne cesse de choir et de monter. Qu'est-ce que
c'est ça ? Un déséquilibre est toujours sur le point de naître. En d'autres termes, l'accident ou
l'événement, l'accident la chute de la figure, l'événement la montée, l'ascension de la figure ne
cessera d'animer. Je dirais la chute et l'ascension c'est les deux mouvements verticaux dans la
verticale qui correspondent à l'écartement des plans. Elles tombent et elles remontent comme ça,
vous savez, et qu'est-ce que c'est ça ? C'est le sens esthétique par exemple, c'est le sens esthétique
du christianisme. Cette montée, cette chute qui affecte la figure. Déposition de la croix et ascension.
Et je dis là à ce niveau ce n'est plus du tout des catégories religieuses c'est des catégories
esthétiques. La suite, la série innombrable de ces dépositions de croix où de ces ascensions
chrétienne. Et ça n'arrêtera pas. La figure est cernée. Elle n'est plus déterminée alors comme
"essence", la figure devient fondamentalement affectée d'accidents ou d'événements. Le peintre de
l'Essence c'était l'égyptien. Voilà que l'accident et l'événement tiennent vraiment et reçoivent leur

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statut artistique. Toujours un petit truc en déséquilibre.

Dans "L'œil écoute" texte très beau de Claudel sur notamment la peinture hollandaise, Claudel
analyse longuement ce qu'il appelle : "cet espèce d'équilibre des corps". Il n'y aura pas de rideau qui
ne sera peint sans que le rideau est l'air de... il vient juste de retomber. Ou bien chez Rembrandt,
ces citrons pelés dont Poinspyre ? ou bien ces verts qui sont à la limite du déséquilibre et à cet
égard si fort que Cézanne invente, c'est pas sur ce point qu'il inventera, lorsque lui aussi cherchera
fondamentalement : le point de déséquilibre de la forme. Ca ne pouvait pas être autrement. Et dans
des pages très très belles Claudel demande : "qu'est-ce qu'une composition" ? Composition c'est
quoi ? la peinture devient composition ! Sous quelle forme ; sous la forme célèbre par exemple de la
nature morte. Et dit-il - il a une belle phrase là qui explique tout - il dit :"la composition c'est une
organisation en train de se défaire". Il le dit pas ainsi, il le dit presque. C'est une organisation en train
de se défaire. C'est à dire c'est une organisation saisie au point du déséquilibre. Et le même Claudel
parlera de désintégration par la lumière. La désintégration par la lumière il en fera le motif de tout
son commentaire de " La ronde de nuit" de Rembrandt. On verra ça. Alors je dis juste là ce qu'on a
fixé, c'est uniquement ça qui est... dès que vous avez dit disjonction des deux plans, vous avez
toutes sortes d'aventures. Je dis pas du tout que dès lors tout se confond, mais toutes ces aventures
peuvent se grouper sous la forme, la descente ou la montée des accidents. Ces accidents pouvant
être de toutes sortes de choses. La ligne ça peut être la ligne collective d'un groupe provisoire. Le
troupeau de moutons, les feuilles d'arbres agitées par le vent etc. Ca peut être la lumière qui ne
coïncide plus avec la forme de l'objet, ça peut être l'éclatement de la couleur, c'est à dire la peinture
a trouvé son essence dans ce qui était accident par rapport au plan égyptien.

Voilà, vous comprenez ? Bon, alors ce qu'il faut... ce qu'il nous reste à voir c'est tout ça, vous voyez
ce qui nous reste à faire. On a encore deux séances, c'est toute cette histoire et puis la couleur.
Toute cette histoire des espaces si j'ai le temps et puis la couleur. Bon, voilà.

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

7- 27/01/81 - 2
Marielle Burkhalter

7- 27/01/81 - 2 Page 1/11


transcription : Mohamed Salah Deleuze /Cours du 27 / 01 / 1981 - 2 .

Tiens, voilà que Dieu est le grand laboureur ou bien que Dieu est le grand guerrier.
Et dans un cas, sa justice sera la justice du labour et du partage des terres.
Et dans l'autre cas, ça sera la justice du champ clos, ce sera la justice du guerrier.
Et dans un cas, je dirai : " Dieu a un glaive".
Et dans l'autre cas, je dirai :" Dieu et sa charrue".
Et dans un cas, je dirai : "je suis l'humble épi de blé".
Et dans l'autre cas, je dirai : "je suis le guerrier de Dieu" .

Bon, qu'est-ce que ça veut dire "Dieu est le grand guerrier", "Dieu est le grand laboureur" ?
J'entends bien qu'il ne l'est pas à la lettre, je ne suis pas bête à ce point là, moi paysan, moi guerrier.
Qu'est-ce que je veux dire quand je dis "le glaive de Dieu " ? j'entends bien que Dieu n'a pas un
glaive. Alors, qu'est-ce que je veux dire, qu'est-ce que je délire ? puisque je sais bien que ce n'est
pas vrai ? D'une autre manière, je prétends que c'est vrai. Je veux dire : je prétends que Dieu a un
glaive éminent. Éminent, qu'est-ce que ça veut dire ça ? Et si je suis un pasteur qui conduit ses
brebis sur la montagne, je dis que Dieu lui-même est la plus haute montagne (voir les textes dans
l'ancien testament), que Dieu est "la montagne des montagnes".

Bon, mais j'entends qu'il est "éminemment montagne". Ca veut dire quoi ça "éminent" ? Comme
dit Spinoza , spirituellement : "si le triangle pouvait parler, il dirait que Dieu est éminemment
triangulaire". Eminemment triangulaire, ça veut dire quoi ? Là, il a en vue quelque chose Spinoza, il
dit pas ça pour rire, il s'adresse à des gens qui - évidemment à cette époque - comprenaient très
bien ce qu'il voulait dire.

- Eh bien, c'est que la question s'est toujours posée et du point de vue du signe au Moyen Age ; cela
était l'un des problèmes fondamentaux de la sémiologie du Moyen Age, à savoir : "comment
pouvons-nous parler de Dieu ? Qu'est-ce qu'on peut dire de Dieu ?" Il semblerait que, Dieu est tel
que tout langage s'annule à son approche ; il n'y a pas de "dire de Dieu", il excède tout ce qu'on peut
dire. - Donc, d'une certaine manière, je ne peux dire de Dieu qu'une chose : ce qu'il n'est pas.
Je peux dire : il n'est pas carré, il n'est pas ceci, il n'est pas cela, il n'est pas, etc. "Il n'est pas" :
c'est ça qu'on appellera la "théologie négative".

Je ne peux parler de Dieu que sur le mode de la négation. Est-ce que je peux dire Dieu existe ?
même à la limite je dirai - et combien les mystiques sont allés loin dans cette voie - à la limite, je dirai
:" Dieu n'existe pas". Pourquoi je dirai : "Dieu n'existe pas" ? Parce que Dieu déborde "l'existence",

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autant qu'il déborde la figure triangulaire ; et "l'existence" c'est encore un prédicat qu'il lui reste
inférieur, inadéquat.
Donc, à la lettre, Dieu n'existe pas .
Ou alors, si je dis Dieu existe, je dirai :" il existe oui , mais "émineéminemmentmment".
Eminemment, ça veut dire à la lettre, en un sens supérieur, en un autre sens, en un sens supérieur .
Mais alors, est-ce que c'était vrai ce que je disais tout à l'heure de la théologie négative ? à savoir
elle ne parle de Dieu que par négation, elle nous dit ce que Dieu n'est pas et elle ne peut dire rien
d'autre que ce que Dieu n'est pas ; je ne peux même pas dire :" il est bon, Dieu", il est tellement
au-delà de la bonté..

- Bon , mais ce n'est qu'un premier aspect de la théologie négative, parce que je dis par la théologie
négative ce que Dieu n'est pas. D'accord, mais ce qu'il n'est pas c'est au même temps ce qu'il est : "il
est cela qu'il n'est pas". Comment ça il est cela qu'il n'est pas ? Réponse : oui, il est éminemment, ce
qu'il n'est pas, il est "éminament", c'est-à-dire, ce qu'il n'est pas en un sens il l'est, "éminemment",
c'est-à-dire, en un sens supérieur au sens suivant lequel il ne l'est pas . Dieu n'existe pas, ça veut
dire Dieu existe, mais précisément il existe "éminemment", c'est-à-dire, en un autre sens que toutes
les existences que me présente le monde, en un sens "supérieur".
Dieu n'est pas bon, ça veut dire il est bon, mais il est bon en un sens éminent tel que toutes les
bontés de la terre ne nous en donnent qu'une très vague idée ; puisque lui, Il est infiniment bon et
que nous ne connaissons de choses bonnes que de choses bonnes d'après la finitude . Vous me
suivez ?

Voilà que la théologie négative a inventé tout un langage où la négation est affirmation parce que
l'affirmation est affirmation éminente. Dès lors, le signe, les mots de ce langage, auront
fondamentalement plusieurs sens.
Et là encore, revenons à la situation la plus quotidienne. Vous voyez, chacune de ces dimensions
du signe a les deux aspects : la vie quotidienne et la situation exceptionnelle. Si le théologien négatif
représente la situation exceptionnelle de ce point de vue, mais dans notre vie quotidienne on cesse
pas - les mots ont plusieurs sens, les mots ont plusieurs sens, ils ont beaucoup sens - alors je passe
mon temps quand je parle à dire : ah, oui ! d'accord , mais en quel sens tu dis ça ?

Revenons à la théologie négative, qui, finalement, est comme le grossissement de cette situation.
Vous voyez, j'ai trois situations quotidiennes avec trois grossissements. Je ne dis pas que chez
Spinoza soit aussi systématique, mais je dis tout est y . En effet, revenons donc à ce troisième
caractère . je dis de ce point de vue là, il n'y a pas de limite dans le langage de la théologie négative.
Et ça peut inspirer les plus beaux poèmes : Dieu est une montagne, Dieu est un parfum, Dieu est un
glaive. Sous-entendu il n'est pas un parfum, il n'est pas un glaive, il n'est pas une montagne .
Sous-entendu ce qu'il n'est pas, il l'est, mais il l'est éminemment, c'est-à-dire, en un autre sens que
le sens courant, que le sens commun. Dieu est une montagne, mais une montagne éminente,
c'est-à-dire, que toutes les montagnes du monde, même l' Himalaya, ne nous donne qu'une idée
confuse et tronquée, une montagne infinie, "c'est une montagne infinie", "c'est un glaive infini", etc.,
etc. Donc, ce langage de la théologie négative, joue sur le fait commun, quotidien, que les mots ont
plusieurs sens et simplement il pousse les choses à l'extrême, et cet extrême c'est quoi ? c'est
l'existence d'un sens infini et d'un sens fini dans le cas de la théologie. Les choses qui sont
relativement bonnes et Dieu qui est infiniment bon. Les choses qui ont un degré de perfection et
Dieu qui, lui, est infiniment parfait ; et on emploiera le mème mot parce que il faut bien se

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comprendre, pour ces sens différents.

Et alors, se tisse à ce moment là, un langage qui va être fondamentalement celui, suivant les
accents que vous mettrez, de "l'équivocité", à savoir un signe a plusieurs sens irréductibles,
ou celui de l'analogie : un signe a des sens qui ne sont pas sans rapport là, l'équivocité c'est
exactement : un signe à plusieurs sens, sans rapport les uns avec les autres. "Bon" ne se dit pas
dans le même sens de Dieu et de la créature, vous trouvez constamment ça dans la théologie du
Moyen Age. Vous voyez, comment cette théologie est forcément amenée à buter sur ce problème
des signes : Ou bien, le langage de l'analogie, mais d'un certain point de vue ça revient au même
quelque soient les différences, à savoir un mot à plusieurs sens, ces sens ne sont pas sans rapport
les uns avec les autres, c'est-à-dire, ont des rapports analogiques. Analogie, de quelle type ? ce que
la bonté infinie est à Dieu, la bonté finie l'est à l'homme. Vous voyez, on posera une espèce
d'analogie de rapport" pour avoir une sorte de loi, en d'autres termes, l'analogie introduit une certaine
règle dans les rapports d'équivocité . Alors, suivant les tendances au Moyen Age, vous avez des
auteurs qui insistent sur l'équivocité des mots, quand ils sont appliqués à Dieu et à la créature. Ca ce
serait si vous voulez, en très gros, ça serait, pour ceux qui connaissent un peu ces courants, ça se
serait la tendance de (pseudo-Denis), d'un auteur mystérieux qu'on appelle le (pseudo-Denis) .Ou
bien vous avez des auteurs qui mettent l'accent sur l'analogie, c'est-à-dire, une certaine règle dans
l'équivocité, une analogie de rapport et ça c'est la tendance de Saint Thomas . Mais en tout cas, la
théologie est inséparable de ceci : l'équivocité des mots. Et vous voyez que, ça lui appartient
fondamentalement et c'est pour ça que l'écriture a toujours été inséparable d'un problème de
l'interprétation de l'écriture. En quel sens ? Et c'est forcé que la théologie pose ce problème des
signes, de l'équivocité des signes, puisque son problème fondamental c'est : en quel sens on peut
attribuer : est-ce qu'on peut attribuer le même prédicat à Dieu et à la créature, et à quelle condition ?
à condition qu'il soit pris en deux sens sans rapport l'un avec l'autre ?
à condition qu'il soit pris en deux sens ayant un certain rapport l'un avec l'autre ? ou bien quoi ?
La théologie n'a jamais envisagé que l'une ou l'autre de ces deux solutions. Je dirai donc que le
troisième caractère du signe c'est l'équivocité .

L'équivocité ou l'analogie.

Si je résume uniquement là ce que l'on a gagné, je dirais ceci :


ah, oui ! je fais une espèce de résumé quoique ce soit très simple, mais c'est justement pour
insister sur la simplicité de tout ça.

je dirais : d'une certaine manière en liaison avec Spinoza, nous renonçons à définir le signe par sa
nature, par une nature conventionnelle supposée. C'est pas ça, c'est pas ça qui nous permet de
définir le signe. En revanche trois caractères nous permettent de définir le signe, mais ces trois
caractères ont comme chacun à deux dimensions : une dimension quotidienne, ( si vous voulez ) et
une dimension extrême. C'est-à-dire, une dimension quotidienne, rapport avec les choses ;
dimension extrême, rapport avec Dieu . Si bien que vous pouvez supprimer une des deux
dimensions l'autre subsiste, mais donc ça marche à tous les coups .

Premier caractère : la variabilité .

Dimension quotidienne, vraiment ce qui se passe ... notre vie, notre vie, en tant notre vie ne cesse

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pas d'être une entreprise de réclamation de signes les uns aux autres, on ne cesse pas de se
réclamer des signes.

Au contraire, position extrême le "prophète" - pas au contraire, position extrême le "prophète" : Le


rapport avec Dieu est précisément réclamation un signe des signes. ça c'est l'aspect variabilité .

- Deuxième aspect : l'associativité .

Là aussi le champ ordinaire, l'existence quotidienne, c'est que chaque mot que j'emploie ne peut
être défini que par sa chaîne associative. Situation extrême, mais dès lors il y a un signe des signes,
à savoir Dieu comme garant d'une chaîne associative : "si Dieu le veut". Cette fois-ci ce serait
l'attitude, si vous voulez, non plus du prophète mais du "prieur", de la prière "ah si Dieu le veut".

Troisième caractère : l'équivocité.

Les signes ont un sens équivoque, c'est-à-dire, tout signe a plusieurs sens ; situation extrême le
"théologien". Le même mot ne se dit pas de Dieu et des créatures dans le même sens : la théologie
négative.

Au moins, vous savez, si vous comparez à ce qu'on dit aujourd'hui sur le signe, si vous accordez à
Spinoza ces trois ... Ce qu'on dit aujourd'hui sur le signe, s'il vous arrive de lire ou certains d'entre
vous connaissent peut être Peirce qui va très très loin dans ses analyses, mais les points de départ
de Peirce me paraissent plutôt moins bons que ces points de départ de Spinoza. Ca me parait très
fort cette triple définition du signe : variabilité, associabilité et équivocité .

Alors, qu'est-ce qu'il veut Spinoza ? Supposez que pour des raisons qui sont les siennes, il veut
pas de tout ça, il se dit que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue si c'est ça la vie. Et ce n'est pas
simplement un problème de connaissance, c'est vraiment un problème de mode de vie, vivre comme
ça, en ne cessant pas de réclamer des signes qui par nature sont des signes équivoques. Ben, non !
c'est pas bien si..., s'il y a une vérité c'est pas là dedans qu'on pourra la trouver. Mais c'est une triste
vie, vous savez, très triste vie, si vous pensez à notre vie parce que ... Et finalement, qu'est-ce qu'il
appellera le premier genre de connaissance, Spinoza ?
C'est la vie d'après des signes.

Moi, je ne vois pas d'autres moyens comme ce qu'il appelle le premier genre de connaissance, et en
fait très très mélangé, comme il invoque beaucoup d'exemples très différents. La seule chose qui
fasse l'unité de ce qu'il appelle le premier genre de connaissance et qui est en fait genre d'ignorance,
qui n'est pas en fait un genre de connaissance, qui est en fait notre triste situation quand nous ne
connaissons pas. Eh, ben ... c'est le signe, c'est le signe qui donne sa cohérence à ce que Spinoza
appelle le premier genre de connaissance ;
et je dis : "pourquoi ça ne vaut pas la peine de vivre si c'est vivre comme ça ?" Il y a si... je dis ça,
mais en tant que je fais parler Spinoza parce que, il y a au contraire, des gens - concevez - Il peut
très bien y avoir des gens qui disent : mais c'est ça précisément, il n'y aurait pas de poésie sans ça,
il n'y aurait pas poésie sans la variabilité du signe, sans l'associativité du signe, sans l'équivocité du
signe.
Et c'est ça qui fait que le monde est un monde fait d'ombre et de lumière, et c'est ça le fond des

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choses. Et après tout, les théologiens, la théologie négative qui étaient parfois des génies, vivaient
dans cette atmosphère d'un monde d'ombre et de lumière ; ils multipliaient même les mots pour fixer
une espèce .. ou pour approcher ce qu'ils appelaient le "phénomène du fond". Bien plus, ils
multipliaient les mots - en quel sens ? puisque le "fond" déjà c'est une notion équivoque et qu'il fallait
qu'ils indiquent l'équivocité de la notion "fond" du mot "fond". Il y avait un dieu du fond, il y avait un
Dieu de l'ombre et un dieu de la lumière, et le dieu de l'ombre était un Dieu du courroux, le courroux.
Et le dieu de la lumière était un dieu de la gloire ; mais le Dieu du courroux, du fond, était encore plus
Dieu, il était Dieu plus fondamental que le Dieu de la lumière qui lui était déjà "forme". Et tout ça, ça
inspirera des textes splendides à la frontière de la mystique et de la philosophie, par exemple les
textes de Jacob Beum. Ca se trouvera dans la philosophie romantique, dans la très grande
philosophie romantique allemande du 19 ème, dans les textes splendides de Schelling . Où là, le
langage développe jusqu'au bout sa puissance d'équivocité, où l'équivocité n'est plus de tout saisie
d'un point de vue spinoziste comme un défaut du langage mais comme au contraire l'âme de la
poésie dans la langue, et l'âme de la mystique dans la langue . Donc, là je prétends pas de tout ...,
j'ai dis ben non ...Spinoza comprendrait mème pas ce que ça veut dire, il comprendrait même pas au
sens ... Eh ben , si on lui disait ça, il dirait ... il y a même pas à lui dire ça. Imaginez, ça le concerne
pas, lui c'est pas son problème. Lui il pense, mais pourquoi pense-il ça ? Que la vie ne vaudrait pas
la peine d'être vécue là dans cette espèce de bouillie, de bouillie nocturne. Très curieux, voilà que
c'est un philosophe de la lumière. Tous, tous les philosophes du 17ème, il faudrait se poser - mais je
crois qu'on y arrivera que la prochaine fois - essayez de définir ces philosophies du 17ème siècle,
pour qu'on se sentent plus proches d'elles, pour qu'on ait l'impression perpétuelle que, Descartes,
Malebranche, tout ça c'est fini. Qu'est-ce qu'ils ont réussi ? qu'est-ce qu'ils n'ont pas réussi ?
qu'est-ce qui a fait que la position du 17ème siècle n'est plus aujourd'hui possible ? Si fort que
pourtant, ils nous apportent les choses et qui continuent à être actuelles. Qu'est-ce qui c'est passé
entre le 17ème et le 19ème siècle ? tout ça c'est ..., mais qu'est-ce qu'ils ont réussi ? Sinon, si on ne
répond pas à cette question, je veux dire, c'est des philosophes qui resteront pour vous toujours
même si vous les admirez, qui resteront toujours lettre morte. Ils ont réussi quelque chose qui
devenait impossible après, sûrement pas de tout parce que c'était dépassé, parce que les
philosophies c'est comme ça, c'est comme ça qu'elles durent, c'est comme ça qu'elles changent.
Elles changent pas comme ça par caprice de thèse, j'ai une thèse...ça c'est - il faut être très jeune
pour se réveiller un matin en se disant j'ai une idée. Non, ça se passe jamais comme ça, on a jamais
une idée, ça se passe pas comme ça .

Alors, qu'est-ce qui se passait au 17ème siècle qui leur permettaient de tenir un certain langage
qui après n'était plus ... encore une fois ce n'est pas qu'ils soient dépassés ; c'est en effet pourquoi
tous ces mots qui sont devenus pour nous des mots vides, "claire et distincte" ? "l'idée claire et
distincte", "la lumière naturelle"- là aussi alors je prépare ce qu'on fera au second semestre sur la
peinture) :

Est-ce que c'est par hasard que c'est au même temps, au 17ème siècle, que les peintres découvrent
vraiment.. Je dirais pour être très sommaire, découvrent la lumière . Avant la lumière était pas
connue ? si, bien sûr elle était connue ; mais ce qu'on découvre au 17ème siècle en très gros, là je
vous dis des choses - c'est bien une certaine indépendance de la lumière par rapport à la forme, par
rapport aux formes . Tout se passe comme si la lumière devenait indépendante des formes, si bien
qu'une peinture de la pure lumière devient possible. L'exemple fameux, ou l'extrait de cette peinture
de la pure lumière c'est connu, c'est Rembrandt, et encore Rembrandt Vieux, pas ... Bon, mais

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Spinoza - je pense tout d'un coup que, dans un texte que je vous ai déjà signalé, je crois là, le texte
de Claudel, de Paul Claudel " L'Oeil écoute", le texte très beau sur la peinture hollandaise, lui-même
fait le rapprochement avec Spinoza . Peut être que, ce que ces peintres font, réussissent au niveau
de la peinture, Spinoza lui le réussit au niveau de la philosophie .
C'est-à-dire, ce qui était sous-jacent à tout le 17ème siècle, l'entreprise de "porter la pensée à une
espèce de pure lumière". "Penser dans la lumière", qu'est-ce que ça veut dire ça ? ça parait
tellement verbal tout ça . Vous comprenez, si vous êtes sensibles à ces échos un peu affectifs, un
peu sentimentaux ; vous ne pouvez plus ensuite lire un texte même de Descartes sur "l'idée claire et
distincte" en vous disant "clair et distinct" il dit ça comme ça, pour dire "vrai". C'est pas vrai qu'il dit
"clair et distinct" pour dire vrai .Il dit "clair et distinct" parce qu'il apporte une conception de la vérité, il
l'invente pas. Mais pourquoi, avant, on ne parlait pas de "clair et distinct" ? pourquoi ça commence
avec le 17ème siècle ? On en parlait avant de "clair et distinct", vous pouvez peut être le trouver
chez Saint Thomas. Par opposition à obscur et confus", il y a le couple cartésien "clair-distinct" qui
s'oppose à "obscur-confus" . Bon, qu'est ce que ça veut dire ça ? Alors, on nous l'a tellement seriné,
la philosophie est tellement malheureuse d'être prise par des ..., - et là je fais qu'en ajouter un à tout
ce qui a eu - gênée tellement sous tous les coups par lesquels elle est passée, la philosophie. Vous
comprenez, que "clair et distinct" (on avale ça comme ça.) On se dit : "bon d'accord, notion
cartésienne" : "clair et distinct" , "lumière naturelle", bien ! Mais pour eux c'était pas ça. Pour eux ce
n'était pas une manière de dire vrai, c'était une manière de transformer radicalement le concept de
vérité, à savoir le vrai c'était ce qui était clair et distinct, c'est-à-dire, le vrai c'était ce qui était
lumineux . Alors c'est la même histoire, remarquez exactement que c'est la même histoire. Je peux
dire Aristote, alors lui en retourne très loin. Aristote, comment il définissait le vrai ? En très gros, peu
importe, il a une conception de la vérité très compliquée, mais Aristote définissait la vérité par la
"forme". Chez Descartes, vous trouverez encore le mot "forme" ; mais voilà, la forme est devenue
entièrement subordonnée, à la lettre je dirai à la luminosité intellectuelle . Si bien que là, il me
semble, j'ai vraiment pas forcé les choses pour dire que c'est la même histoire qu'en peinture, je
veux dire le domaine que la peinture du 17ème siècle va découvrir, ou va promouvoir ou va inventer
les moyens techniques, de faire une lumière indépendante des formes. La philosophie du 17ème,
dans sa théorie de la vérité, va définir la vérité par une lumière, une luminosité, qui évidemment
rompt avec la conception formelle d'Aristote. A la limite, c'est les formes qui dépendent de la lumière,
c'est plus la lumière qui suit les formes. Il y a un type qui a comparé (alors là je fais une parenthèse
de parenthèse ... ça fait rien ! ) une étudiante : il est 11h30 Deleuze : il est 11h30 il faut que j'aille
faire une course, alors. Je finis juste ce point, il y a un type qui a comparé très très bien, un critique
allemand qui a comparé des intérieurs d'église, 16ème siècle et 17ème siècle. Une fois dit que
l'intérieur d'une église c'est un thème courant, c'est un thème d'école en peinture, il y a énormément
de peintres qui ont fait des intérieurs d'église . Alors, il compare des versions 16ème et des versions
17ème ; c'est très très frappant la répartition des lumières à l'intérieur d'une église. Au 16ème, on
voit (là je dis des choses très générales, il faudrait voir dans chaque cas particulier - mais en très
gros, on pourrait dire une chose comme ceci : c'est qu'au 16ème, la répartition des lumières et des
ombres peut être très savante, elle est au service des formes, c'est-à-dire, même dans l'ombre un
objet garde sa forme. Vous voyez ce que ça veut dire ? même dans l'ombre un objet garde sa forme,
c'est très frappant au 16ème siècle. L'ombre en effet - ils ont pas le clair-obscur, c'est le 17ème, les
techniques du clair-obscur ce sera avec le 17ème. C'est pas qu'ils en étaient incapables : c'est des
grands peintres, ce n'est pas la question être capable ou pas, ils en ont rien à faire du clair-obscur.
Leur recherche est tellement, leur problème est tellement un problème de la forme, ce qui ne veut
pas dire simplement du dessin, la couleur, la lumière est subordonnée, est un traitement de la

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forme). L'ombre aussi, ce qui veut dire que, quoi ? je dirai en gros, ce qui veut dire que c'est un
espace - et ça va être très important pour nous : c'est un espace qu'il faut appeler "optique-tactile".
En effet, si l'objet dans l'ombre garde sa forme, c'est évidemment par connexion tactile. Vous me
suivez ? et en effet tout le tableau est optique, évidemment puisque c'est de la peinture, mais avec
des référents tactiles : le contour. D'où le règne du contour notamment, est évidemment un référent
tactile dans un monde tactile. C'est donc un espace, comment on dit, tactilo-optique. Qu'est-ce qu'ils
font au 17ème ? Ils font une chose - alors on peut regretter, Vous comprenez, c'est là que les goûts
prennent un sens ; on peut toujours dire : eh ben moi je regrette. Oui, mais à condition de savoir de
quoi il est question, sinon les goûts au niveau de moi "j'aime, moi j'aime pas", ça compte pas. Il faut
dire ce qu'on aime et ce qu'on n'aime pas. Or on peut regretter en effet, ce monde tactilo-optique,
parce que le 17ème va se lancer dans un truc un peu fou . Quand on dit ils sont raisonnables, que
c'est l'âge du rationalisme. Oui, mais le rationalisme c'est de la folie pure. Ils vont se lancer, je dis ça
pour les peintres , pour le moment quitte à me demander si ce n'est pas pareil pour les philosophes,
tout à l'heure ; parce que pour les peintres, ils vont se lancer ...
Ecoutez-moi bien, ça me parait prodigieux cette entreprise, :" la constitution d'un monde
exclusivement optique", que le tableau chasse ses références tactiles, que le tableau ne passe plus
par aucune référence tactile, c'est une idée de fou !
Pourquoi c'est une idée de fou ? en mème temps c'est une idée très raisonnable : à savoir la
peinture s'adresse à l'oeil, donc elle n'a pas à faire des clins d'yeux tactiles. L'oeil pur, le tableau sera
visibilité pure, mais justement la visibilité pure c'est ce qui rend invisibles quoi ? c'est ce qui rend
invisibles les référents tactiles, à commencer par les contours. Peinture de lumière, on ne peindra
plus les choses, on peindra la lumière ; à la limite, il continue à peindre des choses, d'accord . Mais
plus important que les choses peintes il y a la lumière . Bon, ça peut être Rembrandt, ça peut être
Vélasquez, ça peut être beaucoup. Mais cette grande peinture dite classique, en fait, si on emploie
"classique" au sens de. ..de quelque chose de bien digéré ; rendez-vous compte, parce que après
tout, ne plus peindre les choses dans leurs référents tactiles, mais peindre un pur espace optique. Si
j'avais pas dit tout ce qui précède, je pourrais aussi vous dire, je crois, et peut être vous seriez
d'accord, je pourrais aussi vous dire, mais c'est ça ce qu'elle a voulu la peinture abstraite moderne.
Bon, en effet, la peinture abstraite moderne, a voulu instaurer, c'est peut être ce qui recommence
tout le temps, la peinture abstraite moderne, elle a voulu instaurer un monde purement et
exclusivement optique, en éliminer toutes les références tactiles.
Bon, si c'est ça et après il y a assez de déclarations de Mondrian qui vont dans ce sens et
d'autres, c'est si ça alors, ça veut dire quoi ? Pourtant ils ne peignent pas exactement comme
Rembrandt , non ils peignent pas comme Rembrandt , sans doute ils reprennent cette tentative sur
d'autres bases . Qu'est-ce qui c'est passé entre temps, qui fait que la tentative "d'instaurer un monde
optique" soit reprise sur d'autres bases ?

ça peu importe, ça nous prendrait beaucoup de temps, on verra plus tard quoi !. Mais je dis juste,
maintenant retournons à la philosophie. Et je lance à nouveau ma supplication : quand vous
trouverez "clair et distinct "chez Descartes, "lumière naturelle", etc., mettez-vous à la place des
lecteurs de l'époque, ne vous dites pas que c'est des formules toutes faites : ah, oui ! Descartes va
encore nous embêter avec "l'idée claire et distincte", etc. , c'est du bien connu. C'est du bien connu
parce que (voilà on est passé assez de temps là -dessus) c'est comme si on allait de commentaire
en commentaire en commentaire de commentaire, tout se perd . Et encore une fois, je dis il faut être
conscient du fait qu'on en a ajouté un. Mais je vous le dis, prenons à la lettre ça :

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c'est à dire de la même manière que les peintres du 17ème prétendaient faire, prétendaient
élever le tableau, à la puissance d'un espace optique pur sans référence tactile. Les philosophes du
17ème ont prétendu constituer un espace mental pur, un espace mental purement optique . C'est
pour ça on nous dit toujours : Descartes, il détruit les formes d'Aristote . Aristote c'était, on nous dit,
c'est les "formes substantielles" . "Les formes substantielles", même si vous ne considérez pas le
mot , même si vous ne savez pas un mot sur ce que Aristote entend par "formes substantielles",
c'est évidemment liées à des référents tactiles, c'est le rapport forme-matière, et tous les exemples
d'Aristote sont, du moins beaucoup des exemples d'Aristote c'est des exemples liés au travail, à
savoir la forme du lit, le menuisier qui donne au lit la forme, prendre du bois et lui donner la forme de
ceci ou de cela, forme du violon, forme du lit, etc. Cette activité d'information qui définit la substance
par Aristote .

On dit que les Grecs étaient des peintres, on dit que les Grecs vivaient dans la lumière. C'est
faux, c'est faux, c'est faux. Tout ce qu'on dit d'ailleurs sur les Grecs, et on peut le dire d'avance que
c'est faux. Donc,ilsvivaient dans la lumière riendetout. Oninvoquelemot"eïdos"chezeux, le mot
"eïdos" tout le monde nous dit que c'est un mot quand même compliqué, parce qu'il veut dire à la fois
"forme", "essence" et "le vu "(ce qui est vu), l'apparition. C'est vrai que les Grecs inventent une
certaine lumière, mais j'insiste là-dessus, ce n'est pas du tout une lumière pure. L'espace artistique
des Grecs c'est pas du tout un espace optique, c'est typiquement encore un espace tactilo-optique.

Savez-vous qui seront les premiers artistes à avoir inventer un espace purement optique en en
expulsant toutes les références tactiles ? Si encore une fois vous m'accordez que la même tentative
en apparence, la même peut être prise à des niveau très très différents . Eh bien, c'est les Byzantins,
il faudra attendre Byzance. C'est la peinture de mosaïque notamment, c'est la peinture mosaïque qui
dégage une lumière pure mais qui ne la dégage pas comme ça mystiquement, dont tous les
procédés techniques assurent que la lumière prend une indépendance par rapport à la forme,
c'est-à-dire, la forme devient purement optique . Une forme optique, c'est une forme telle que
précisément la lumière est indépendante de la forme présupposée, elle naît de la lumière.

Oh, il faudra attendre les Byzantins pour avoir l'idée, il me semble, d'un espace optique pur.
Là-dessus, je ne dis pas de tout que le 17ème copie les Byzantins, pas plus que j'en dirai que la
peinture abstraite copie le 17ème et les Byzantins. Encore qu'entre Byzance et la peinture abstraite
d'aujourd'hui, Il me semble qu'il y a des rapports extrêmement troublants . Mais, ..., par exemple
chez Kandinsky c'est évident, qu'entre la peinture abstraite et l'art byzantin il y a reprise d'une
espèce de tradition très très ...

Et je dis que c'est eux qui inventent ça . Avant eux, moi je ne vois aucun espace optique pur,
alors il a fallut de drôles de choses pour que., pour avoir cette idée très curieuse. Or, je dis Aristote
..., prenez les Grecs, que ce soit Aristote en Philosophie. La forme "l'eïdos" est pas du tout optique
pure, l'essence c'est pas une vision pure, c'est une vision tactile, c'est un mixte vue/toucher. Et du
point de vue de l'art, si vous prenez le temple grec, le temple grec c'est absolument pas la lumière
pure. L'architecture grec c'est pas de tout, Byzance oui , l'architecture byzantine ça serait une
architecture de la lumière ; l'architecture grecque c'est une architecture optico-tactile, ou
tactilo-optique. Alors, bon, eh ben, je dis la même chose au niveau du problème de la vérité, et c'est
tout ce que je veux dire finalement . Au 17ème siècle, rendez-vous compte, c'est assez formidable :
qu'est-ce qu'il leur a permis de faire ça ?

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Alors là je dis, libre à vous, vous pouvez dire là-dessus ... eh ben non, simplement moi ça me
dégoûte, cette peinture de lumière ça ne m'interresse pas. Mais sachez au moins pourquoi ça vous
intéresse pas ? c'est à ce moment là vous êtes des êtres, ne posent pas leurs problèmes en termes
de lumière, c'est votre droit, vous saurez à ce moment là, vous aurez d'autres peintres qui vous
conviendrons. Et les philosophes du 17ème, c'est le même coup je vous le dis, c'est le même coup .
Voilà qu'ils projettent la pensée, l'activité de la pensée, dans un espace mental-optique. Ils inventent
pour l'esprit un espace optique pur. Donc, un espace mental bien sûr, mais un espace mental conçu
sur le mode optique. Par là, Descartes rompt avec Aristote. Car encore une fois la "forme
substantielle" d'Aristote, elle est optico-tactile. "L'idée claire et distincte" de Descartes, elle est au
contraire purement optique .
D'où la question, qu'est-ce qui a permis au 17ème siècle cette découverte de la lumière et de
l'espace optique pur ? D'où l'importance au 17ème des problèmes de l'optique : Spinoza et sa taille
de verre de lunettes, d'accord. Mais Descartes et un des ouvrages scientifiques de Descartes c'est la
"Dioptrique". Bien plus, et au niveau de l'optique, que ce fait je crois, quelque chose qui est comme
aussi un des secrets du 17ème siècle.

Un des secrets du 17ème siècle et de ses philosophies c'est que la science et la métaphysique
n'y sont pas en conflit. Ils ont trouvé un équilibre de la science et de la métaphysique, et là il ne faut
pas se hâter de dire que les équilibres c'est pas bon, parce que quelque chose a permit ce succès,
ce succès étonnant, que la science et la métaphysique avaient trouvé une espèce d'équilibre et de
rapport d'équilibre On dit parfois, on dit tellement de bêtises, la bêtise, vous comprenez, c'est pas
simplement quand on dit quelque chose de faux, mais c'est bien pire, c'est lorsqu'on donne une
interprétation médiocre de quelque chose de vrai. Alors, on constate quelque chose de vrai, quelque
chose de vrai, c'est que les philosophes du 17ème étaient à la fois de grands savants et de grands
philosophes et on dit, mais non sans mélancolie," eh ben c'est bien fini ce moment là" et on prétend,
on assigne la raison, évidemment on assigne une raison ridicule . On prétend que la science est
devenue aujourd'hui tellement difficile que, le même homme ne peut pas "savoir" et en philosophie et
en science. C'est grotesque, c'est absolument grotesque. C'est stupide, parce que, il faut vraiment se
faire une drôle idée de la science du 17ème siècle pour croire qu'elle était simple, si vous pensez à
ce qu'ils faisaient à ce moment là ...

Mais, comment expliquer en effet que, dans tous les cas importants - même les types qui étaient
pas très très savants, comme Malebranche ou Spinoza - Il y avait dans les grands philosophes du
17ème, il y en a deux extrêmement savants :
c'est Descartes qui, en mathématiques, est un grand créateur ; en physique est un grand créateur
.
Bon, Leibnitz, j'en parle même pas, c'est un des grands mathématiciens qui n'a jamais existé ; en
physique, c'est prodigieux ce qu'il fait, bon, c'est quand même des cas extraordinaires . Bon, mais
même Malebranche et Spinoza qui, je crois, ont une culture ..comment expliquer qu'ils peuvent tenir
une correspondance avec - pour Spinoza, avec des gens comme Vigens, ou être très au courant des
travaux de Vigens, et très au courant des travaux du chimiste anglais Boyle ? Avoir une
correspondance avec Boyle - et vous pouvez lire la grande lettre à Boyle, dans sa correspondance, il
parle des problèmes extrêmement techniques et il sait parfaitement . Est-ce que nous on pourrait en
effet avoir une correspondance avec un chimiste actuel ? Je crois... je ne sais pas, peut être certains
d'entre vous, moi je comprendrais rien à ce qu'il me dirait, d'accord. Bon , est-ce qu'on pourrait avoir

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... ?

- Mais l'argument :" c'est parce que la science est devenue si compliquée qu'il lui faut toute une vie
de spécialisation". Il me semble qu'il est absolument stupide, vous savez, stupide que ... Encore une
fois, si vous ouvrez un traité de Vigens la tête vous chavire, vous avez pas l'impression, comme on
dit "un honnête homme est capable de comprendre ça". Si vous ouvrez, et alors, les écrits
mathématiques de Leibnitz, là on en parle même pas ! Vous allez avoir exactement la même
impression comme si vous lisez un livre de mathématiques modernes . Bon, alors c'est évidemment
pas parce que la science est compliquée que ... Je crois que c'est tout à fait autre chose . C'est
parce que le 17ème siècle avait trouvé dans des conditions qu'il rendait possible (et encore faut -il,
faudrait-il déterminer ces conditions) c'est parce que le 17ème siècle a instauré des conditions d'un
équilibre fondamental entre la science et la métaphysique, que les mêmes pouvaient être de grands
savants et de grands métaphysiciens . Or, qu'est-ce que ça a été cet équilibre ? Si je cherche sa
traduction immédiate, je dirais que cet équilibre s'est trouvé au niveau du développement d'un
"espace optique pur".

Bien sûr j'exagère, mais j'indique juste une direction, un "espace optique pur", à savoir : la
constitution d'une optique géométrique qui, d'une certaine manière, a été un des ralliements de la
physique et des mathématiques - Et un espace optique pur qui a transformé le statut de la
métaphysique et toute la théorie de la Vérité. Donc, espace optique pur physique,
physico-mathémathiques et espace optique pur métaphysique . Si bien que "clair et distinct" ...

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 20/01/81 - 3
Marielle Burkhalter

- 20/01/81 - 3 Page 1/13


transcription ; Raphaëlle Morel d'Arleux 6 C Cours de Deleuze sur L'Ethique de Spinoza du 20/01/81

On y va à tâtons, on y va en aveugle, ça marche, ça ne marche pas, etc.... Et, comment expliquer


qu'il y a des gens qui précisément ne se lancent que dans des choses, là où ils se disent que ça va
pas marcher ? (Rires du public) - C'est ceux là les gens de la tristesse, c'est ceux là les cultivateurs
de la tristesse, hein, parce qu'ils pensent que c'est ça le fond de l'existence.
Sinon, le long apprentissage par lequel, en fonction d'un pressentiment de mes rapports
constituants, j'appréhende vaguement d'abord ce qui me convient, ce qui ne me convient pas... Et
vous me direz : « si c'est pour aboutir à ça c'est pas, c'est pas, c'est pas fort ». Rien que la formule «
faites pas, euh, faites surtout pas ce qui vous convient », non, bah, ce n'est pas Spinoza qui l'a dit le
premier d'abord, euh... Mais la proposition elle veut bien dire « faites ce qui ne vous convient pas »
si, euh, vous... la coupez de tout contexte. Si vous l'amenez en conclusion de cette conception, que
moi je trouve très grandiose, des rapports qui se composent etc...

Comment est ce que... quelqu'un de concret va mener son existence de telle manière que, il va
acquérir une espèce de, euh, d'affection, euh, d'affect, de... ou de pressentiment ; des rapports qui
lui conviennent, des rapports qui lui conviennent pas, des situations dont il doit se retirer, les
situations où il doit s'engager etc... C'est plus du tout « il faut faire ceci », c'est pas du tout le
domaine de la morale, il faut rien faire du tout, quoi, il faut rien faire du tout, il faut trouver, il faut
trouver son truc c'est-à-dire pas du tout se retirer, il faut inventer, quoi, inventer les individualités
supérieures dans lesquelles je peux entrer à titre de partie, car ces individualités ne préexistent pas.

Alors tout ce que je voulais dire - voyez en quel sens, prend, je crois, une signification concrète,
prennent une signification concrète : les deux expressions :
augmentation de puissance,
diminution de puissance. Ce sont les deux affects de base. Donc si je regroupe l'ensemble -
avant de vous demander euh... ce que vous pensez de tout ça - si je regroupe l'ensemble de la
doctrine Spinoziste, que l'on peut appeler éthique, je dirais - bon, là quitte à employer un terme trop
compliqué, mais ça me permet de regrouper
il y a une sphère d'appartenance de l'essence. Cette sphère d'appartenance comporte pour le
moment - on verra que ça va encore plus se compliquer - comporte pour le moment trois dimensions
:
L'essence est éternelle, l'essence éternelle, qu'est ce que ça veut dire ? Votre essence est
éternelle, votre essence singulière, c'est-à-dire votre essence à vous en particulier. Qu'est ce que ça
veut dire ? Pour le moment on ne peut lui donner qu'un sens à cette formule, à savoir : vous êtes un
degré de puissance. Vous êtes un degré de puissance. C'est ça que Spinoza veut dire, lorsqu'il dit,

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textuellement :" je suis une partie, partie, pars, je suis une partie de la puissance de Dieu". Je suis
une partie de la puissance de Dieu, pour le dire à la lettre, je suis un degré de puissance. Tout de
suite objection : je suis un degré de puissance, bon, mais, enfin, euh... Moi bébé, tout petit, euh...
adulte, euh, vieillard, c'est pas le même degré de puissance, il varie donc mon degré de puissance.
D'accord on laisse ça sur le côté.

Comment, pourquoi est ce que ce degré de puissance a, on dira, une latitude. Oh, il a une
latitude. D'accord, mais je dis en gros « je suis un degré de puissance » et c'est en ce sens que je
suis éternel. Personne n'a le même degré de puissance qu'un autre. Bon - vous voyez, ça on en
aura besoin pour plus tard - c'est une conception à la limite quantitative de l'individuation. Mais c'est
une quantité spéciale puisque c'est une quantité de puissance. Une quantité de puissance on a
toujours appelé ça une intensité. Bon. C'est à cela et à cela uniquement que Spinoza affecte le terme
"éternité".
Je suis un degré de la puissance de Dieu ça veut dire je suis éternel.

Deuxième sphère d'appartenance, j'ai des affections instantanées. Ça c'est la dimension, on l'a
vu, de l'instantanéité. Suivant cette dimension les rapports se composent ou ne se composent pas.
C'est la dimension de "l'affectio", composition ou décomposition entre les choses.
Troisième sphère de l'apparten... Troisième dimension de l'appartenance : les affects. A savoir :
chaque fois qu'une affection effectue ma puissance - et elle l'effectue aussi parfaitement qu'elle le
peut, aussi parfaitement que c'est possible - l'affection, en effet, c'est-à-dire, la sphère,
l'appartenance de, effectue ma puissance, réalise ma puissance. Elle réalise ma puissance aussi
parfaitement qu'elle le peut en fonction des circonstances, en fonction du "ici maintenant", elle
effectue ma puissance "ici maintenant", en rapport avec les choses. Dans la troisième dimension
c'est que chaque fois qu'une affection effectue ma puissance elle ne l'effectue pas sans que ma
puissance augmente ou diminue, c'est la sphère de l'affect. Donc ma puissance est un degré éternel,
ça n'empêche pas qu'elle ne cesse pas dans la durée d'augmenter et de diminuer. Cette même
puissance qui est éternelle en soi, ne cesse d'augmenter, de diminuer c'est-à-dire de varier dans la
durée.

Comment comprendre ça enfin ? Et bah comprendre ça enfin c'est pas difficile, c'est que si vous
réfléchissez, je viens de dire : "l'essence c'est un degré de puissance", c'est-à-dire, si c'est une
quantité c'est une quantité intensive. Une quantité intensive, ce n'est pas du tout comme une
quantité extensive. Une quantité intensive c'est inséparable d'un seuil, c'est-à-dire : une quantité
intensive c'est fondamentalement en elle-même, c'est déjà une différence. La quantité intensive est
faite de différences. Est-ce que Spinoza va jusqu'à dire une chose comme ça ? Là je fait une
parenthèse uniquement de... de pseudo érudition, parce que c'est important puisque... Je peux dire,
je peux dire que Spinoza premièrement dit explicitement "pars potentie", partie de puissance. Il dit
que "notre essence est une partie de la puissance divine". Je dis, moi, il n'est pas question de forcer
les textes, en disant partie de puissance c'est pas une partie extensive, c'est forcement une partie
intensive. Je remarque toujours - dans le domaine alors d'une érudition mais là j'en ai besoin, pour
euh, justifier tout ce que je dis - que dans la scolastique au moyen âge est absolument courant,
l'égalité de deux termes, "gradus", gradus ou "pars", "partie" ou "degré". Or les degrés c'est des
parties très spéciales, c'est des parties intensives. Bon, ça c'est le premier point.

Deuxième point je signale que dans la lettre XII à Meyer, un monsieur qui s'appelle Meyer, il y a

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un texte que nous verrons sûrement la prochaine fois parce que... il nous permettra de... tirer des
conclusions sur l'individualité. Je signale dès maintenant, et je voudrais que pour la prochaine fois
ceux qui ont la correspondance de Spinoza aient lu la lettre à Meyer qui est une lettre célèbre qui
porte sur l'infini. Eh bien, dans cette lettre Spinoza développe un exemple géométrique très bizarre,
très curieux. Et cet exemple géométrique il a fait le... il a fait l'objet de toutes sortes de commentaires
et il parait très bizarre. Et Leibnitz, qui lui était un grand mathématicien, qui a eu connaissance de la
lettre à Meyer, déclare qu'il admire particulièrement Spinoza pour cet exemple géométrique, qui
montre que Spinoza comprenait des choses que... même ses contemporains ne comprenaient pas,
disait Leibniz. Donc le texte est d'autant plus intéressant avec la bénédiction de Leibnitz. Voila la
figure que Spinoza propose à notre réflexion : deux cercles dont l'un est intérieur à l'autre, mais,
mais surtout ils ne sont pas concentriques. Voyez, hein ? Euh il faudrait que je me traîne jusqu'au
tableau, je peux pas, euh... si il y avait quelqu'un dans fond il ferait un saut eh ben ce serait épatant
les deux cercles concentriques dont l'un est intérieur à l'autre...

Voilà parfait, vous voyez maintenant. Et alors tu marques, tu veux bien juste marquer, la plus
grande distance et la plus petite euh... d'un cercle à l'autre... Voilà ... et la plus petite... parfait ! Vous
voyez, vous comprenez la figure ? Voilà ce que nous dit Spinoza, Spinoza nous dit une chose très
intéressante, il me semble, il nous dit : « vous ne pouvez pas dire que dans le cas de cette double
figure, vous ne pouvez pas dire que vous n'avez pas de limite, ou de seuil. Vous avez un seuil, vous
avez une limite, vous avez même deux limites, le cercle extérieur, le cercle intérieur, ou, ce qui
revient au même, la plus grande distance d'un cercle à l'autre et la plus petite distance, vous avez un
maximum et un minimum ». Il dit : « considérez la somme - alors là le texte latin est très important -
considérez la somme des inégalités de distance ». Vous voyez, vous tracez toutes les lignes, tous
les segments qui vont d'un cercle à l'autre. Vous en avez évidemment une infinité. Spinoza nous dit
« considérez la somme des inégalités de distance ». Comprenez à la lettre : il ne nous dit pas «
considérez la somme des distances inégales », il ne nous dit pas « considérez la somme des
distances inégales », c'est-à-dire des segments qui vont d'un cercle à un autre. Il nous dit « la
somme des inégalités de distance », c'est-à-dire la somme des différences et il dit « c'est très
curieux cet infini là... » on verra ce qu'il veut dire mais, je cite pour le moment ce texte parce que j'ai
une idée précise - il nous dit : « c'est très curieux, c'est une somme infinie, la somme des inégalités
de distance est infinie » il aurait pu dire aussi les distances inégales, c'est une somme infinie. Et
pourtant il y a une limite. Il y a bien une limite puisque vous avez la limite du grand cercle et du petit
cercle.

Donc il y a de l'infini et pourtant ce n'est pas de l'illimité. Il dit : « ça c'est un drôle d'infini, c'est un
infini géométrique très particulier, c'est un infini que vous pouvez dire infini bien qu'il ne soit pas
illimité ». En effet, l'espace compris entre les deux cercles n'est pas illimité, l'espace compris entre
les deux cercles est parfaitement limité. Bon, je retiens juste l'expression de la lettre à Meyer «
somme des inégalités de distance » alors qu'il aurait pu faire exactement le même raisonnement en
s'en tenant au cas plus simple : « somme des distances inégales ».

Pourquoi est ce qu'il veut mettre en sommation des différences ? Pour moi, là, c'est un texte
vraiment qui, euh... est important parce que ça confirme... Qu'est ce qu'il a dans la tête qu'il ne dit
pas ? Il en a besoin en vertu de son problème des essences. Les essences sont des degrés de
puissance, mais qu'est ce que c'est un degré de puissance ? Un degré de puissance c'est une
différence entre un maximum et un minimum. C'est par là que c'est une quantité intensive. Un degré

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de puissance c'est une différence en elle-même. Vous voyez à quel point ...alors, quel point on... on
s'éloigne d'une vision substantialiste des êtres. Des êtres...

(Anne Quérrien dit qu'elle veut poser une question) - oui ? : (...) somme des inégalités de distance
implique de faire à chaque fois une (...) vous disiez tout à l'heure que (...) Alors on arrive aux mêmes
types d'aberrations (...) Deleuze : Tout à fait, tout à fait, tout à fait, à tout égards là ce texte, euh... qui
semble renvoyer à tout autre chose renvoie il me semble au statut alors de... du mode à un point...
oui c'est même pas par une simple intégration que... non, non, t'as raison (AQ parle) à la limite ce
serait... en mathématiques par une série d'intégration dites locales, il faut euh... (AQ parle) hein ?
Moi non plus alors. (Rires). Ouais.

Comprenez donc en effet, "somme d'inégalité de distances", "tout essence et degré de puissance",
"chaque degré de puissance est une différence", différence entre un minimum et un maximum. Dès
lors tout s'arrange très bien :

Vous avez l'essence, degré de puissance, en elle-même comprise entre deux seuils, et, ça va à
l'infini. Parce que si vous faites abstraction, si vous abstrayez ce seuil, ce seuil lui-même est une
différence entre deux autres seuils etc à l'infini. Donc c'est très étonnant comme... vous n'êtes pas
seulement une somme de rapports, vous êtes en fait une somme de, de différences entre rapports.
C'est une conception très bizarre, ça. Alors, bon, alors... Vous êtes un degré de puissance éternel,
mais degré de puissance signifie différence, différence entre un maximum et un minimum.

Deuxième appartenance de l'essence : l'affection effectue votre puissance à chaque moment,


c'est-à-dire entre les deux limites, entre le maximum et le minimum. Troisième... Et en ce sens, de
quelque manière qu'elle réalise votre puissance ou votre essence, l'affection est aussi parfaite qu'elle
peut l'être, elle effectue la puissance de telle manière que vous ne pourrez pas dire : « il y a quelque
chose qui n'est pas effectué ». De toute manière elle l'effectue.

Troisième dimension, oui, mais par là même, l'affection qui effectue votre puissance ne l'effectue
pas sans "diminuer ou augmenter votre puissance" dans le cadre de ce seuil, de ce maximum et de
ce minimum. Tantôt en augmentant votre puissance, tantôt en la diminuant.

Toutes ces idées qui paraissaient d'abord comme se contredire, sont prises dans un... dans un
système d'une rigueur, d'une rigueur absolue.
Si bien que vous ne cessez pas, là, d'être une espèce de vibration, de vibration avec un
maximum d'amplitude, un minimum d'amplitude, et qu'est ce que c'est les deux moments extrêmes,
qu'est ce qui correspond, alors dans la durée, au maximum et au minimum ?
Au minimum c'est la mort, au minimum c'est la mort. La mort c'est l'affection qui effectue à
l'instant ultime de votre durée, qui effectue votre puissance en la diminuant au maximum.
Le contraire de la mort, c'est quoi le contraire de la mort ? C'est la joie. C'est pas la naissance,
puisque la naissance, vous naissez au plus bas, hein, vous naissez au plus bas de vous-même
forcément, vous pouvez pas être pire quoi. Euh... Alors, la joie mais une joie spéciale que Spinoza
appellera d'un nom particulier : " la béatitude". La béatitude qui sera en même temps l'expérience de
l'éternité selon Spinoza. Là vous effectuez votre puissance de telle manière que cette puissance
augmente au maximum. C'est-à-dire, vous pouvez traduire « au maximum », bah, du coup si je
reviens à « l'appartenance de », je dirai : sous tous les rapports à la fois.

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Bon... Voila, voila, euh... mais il faudrait que ce soit très clair. Vous voulez vous reposer un peu ?
Hein ? Et puis, vous dites : s'il y a des choses pas claires moi je veux bien que on... Parce que au
point où on en est voilà ou j'en suis : c'est bon on est... ça c'est comme un schéma théorique.
Comment on va se débrouiller concrètement ? Comment on va faire ? C'est-à-dire qu'est ce que
c'est que la vie éthique à partir de là ? Bon reposez vous un court instant. L'enregistrement est
coupé

(Tout le monde discute) Faut vous taire un peu hein... (Bruits de chaises, de discussions) J'en vois
qui parle là hein. Bien ! Alors... (Le public continue de discuter, Comtesse dit qu'il veut poser une
question) Ouais ! Ouais mais parle fort parce qu'ils ne se taisent pas, hein. Comtesse : Tout à la fin,
tout à la fin de ce que tu as dit aujourd'hui, tu as parlé, tu as parlé de la... De la béatitude. Deleuze :
ouais Comtesse : ou encore, ce que Spinoza appelle dans le troisième livre... Dans le... dernier livre
de l'Ethique, la gloire ;

Deleuze : ouais Comtesse : ou la liberté. Or, justement, la béatitude c'est une limite d'une certaine
façon pour toutes les variations de puissance qui sont déterminées par des affects comme
effectuation des affections instantanées. Mais est ce que l'on peut dire dans ce cas là puisque, à la
fois les affects et les affections sont affects et affections des modes finis comme affections de la
nature, dit Spinoza, est-ce que l'on peut dire que la limite des variations de puissance, c'est-à-dire la
béatitude, la gloire ou la liberté, appartient encore au régime des affects ? Autrement dit est-ce qu'on
peut dire que la béatitude est littéralement par delà la joie et la tristesse, autrement dit sans affect ?

Deleuze : Bah, je ne sais pas, moi. Je vois bien ce que je dirais à cette question et ce que dit il me
semble Spinoza et, euh, je sens que la réponse n'est pas, est pas suffisante au sens où on peut
toujours euh... Essayer de... A mon avis Spinoza dirait - et ça j'ai pas encore entamé ce point -
Spinoza dirait, là-dessus... En fait il distingue - vous voyez dans ce système que j'ai essayé de
présenter comme un système d'appartenance de l'essence les choses se ramifient beaucoup. Parce
que la dimension de l'affect on a vu qu'elle a deux pôles :
les affects diminution de puissance -tristesse-
les affects augmentation de puissance -joie. Mais en fait elle n'a pas simplement deux
dimensions, la dimension des affects elle en a trois, elle en a trois. Et je crois que ça donne une
réponse à la question que vient de poser Comtesse. Car les affects de diminution ou d'augmentation
de puissance, là Spinoza est formel, ce sont des passions. Ce sont des passions. Qu'est-ce que ça
veut dire ? Cela veut dire : "passion" comme dans toute la terminologie du dix-septième siècle est un
terme très simple qui s'oppose à "action" ; Passion c'est le contraire d'action.

Donc comprenez à la lettre : les affects d'augmentation de puissance, c'est-à-dire les joies, ne
sont pas moins des passions que les tristesses, ou les diminutions. La distinction, à ce niveau la
distinction joie/tristesse, est une distinction à l'intérieur de la passion. Il y a des passions joyeuses et
il y a des passions tristes. Bon, ce sont les deux sortes d'affects passion. Pourquoi est ce que même
les joies sont des passions ? Spinoza est très ferme : il dit - voilà exactement à la lettre du texte de
Spinoza - il nous dit : « c'est forcé parce que ma puissance d'agir peut augmenter, elle a beau
augmenter, je n'en suis pas encore maître. Je ne suis pas encore maître de cette puissance d'agir.
Donc l'augmentation de la puissance d'agir tend vers la possession de la puissance mais elle ne
possède pas encore la puissance. Donc c'est une passion ».

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- Maintenant il ajoute, et ça va être la troisième dimension de l'affect, il ajoute : « En revanche, si
vous supposez - mais alors comment est-ce qu'on peut supposer ? Ça va nous lancer dans un
problème, ça - Si vous supposez quelqu'un qui est en possession de sa puissance d'agir, on ne peut
plus dire à la lettre, ça posera toute sorte de problèmes pour nous. En tout rigueur on ne peut plus
dire que sa puissance d'agir augmente : il la possède au maximum. De quelqu'un qui possède au
maximum sa puissance d'agir - il est sorti du régime de la passion, il ne pâtit plus. La question de
Comtesse est exactement : « Est ce qu'on doit dire qu'il a encore des affects ? ». Spinoza me parait
formel : oui il a encore des affects mais ces affects ne sont plus des passions. Il a des affects actifs.
Qu'est ce que veut dire affects actifs ? Ces affects actifs ne peuvent être que des joies. Voilà. Donc,
vous voyez, la réponse est complexe.

Celui qui est en possession de sa puissance d'agir a des affects.


Deuxième proposition : ces affects sont nécessairement des joies, puisqu'elles découlent de la
puissance d'agir.
Troisième proposition : ces joies ne sont donc pas du même type que les joies augmentation de
la puissance d'agir, qui elle était des passions, hein.

Il y a donc une seule sorte de tristesse, diminution de la puissance d'agir, mais il y a deux sortes
d'affect de joies : les joies passion et les joies action. Les joies passion sont toutes celles qui se
définissent par une augmentation de la puissance d'agir,
les joies action sont toutes celles qui se définissent comme découlant d'une puissance d'agir
possédée. Vous me direz : « qu'est-ce que ça veut dire ça concrètement ? Qu'est-ce que c'est que
ces joies actives qui sont des affects ? En quoi c'est des affects ? Eh ben : " ce sont les affects sous
lesquels l'essence, c'est-à-dire moi ou vous, je m'affecte moi-même", c'est comme une affection de
soi par soi. - L'affect est passion ou passif tant qu'il est provoqué par quelque chose d'autre que moi.
Je dirais qu'alors l'affect est une passion.
Lorsque c'est moi qui m'affecte, l'affect est une action. Vous remarquerez que, pour ceux qui
connaissent par exemple Kant, ce qui est sans rapport avec Spinoza, dans la terminologie de Kant
vous retrouvez une chose comme ça lorsqu'il définit très bizarrement : il dit : « l'espace, c'est la
forme sous laquelle des objets extérieurs m'affectent ». Et c'est comme ça qu'il définit l'espace c'est
très curieux. Il dira : « l'espace c'est la forme sous laquelle des objets extérieurs m'affectent. Mais le
temps c'est la forme sous laquelle je m'affecte moi-même »

Et Kant développe toute une théorie très curieuse de l'affection de soi par soi. Bon. Chez
Spinoza, alors, euh... tout autrement, c'est pas du tout le même problème, il y a aussi des affects
passif et des affects actifs.
Les affects passifs c'est les passions,
les affects actifs c'est les affects par lesquels je m'affecte moi-même. Pourquoi est-ce que dans la
béatitude c'est toujours moi qui m'affecte ? C'est que à ce moment là -on verra ça c'est, c'est les
choses les plus compliquées sur ce que Spinoza appelle l'immortalité- mais au niveau de la
béatitude, lorsque je possède ma puissance d'agir, c'est qu'à ce moment là j'ai composé tellement
mes rapports, j'ai acquis là une telle puissance de composition des rapports, que j'ai composé mes
rapports avec le monde entier, avec Dieu lui-même, - ce qui est là le plus difficile, ça, hein, euh...
c'est le stade ultime, hein, euh... - que plus rien ne me vient du dehors.

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Ce qui me vient du dehors c'est aussi ce qui me vient du dedans et inversement. Il n'y a plus de
différence entre le dehors et le dedans. Alors ce moment là tous les affects sont actifs. Et en effet, le
troisième genre de connaissance, qui est l'éternité ou la béatitude, euh... Spinoza le définira
comment ? Il le définira comme la coexistence - mais la coexistence intérieure- de trois idées : l'idée
de moi, l'idée du monde et l'idée de Dieu. Dieu, le monde et moi, hein, qu'est-ce que vous voulez de
plus ? Euh... mais tel que lorsque Dieu m'affecte c'est moi qui m'affecte à travers Dieu. Euh... lorsque
j'aime Dieu... Et inversement, lorsque j'aime Dieu c'est Dieu qui s'aime à travers moi etc, etc... Il y a
une espèce d'intériorité des trois éléments de la béatitude (Dieu, le monde et moi).

Si bien que tous les affects sont actifs. Bon, mais ça on verra, c'est, c'est, ça fait partie d'une
expérience très particulière. Mais quant à la question posée par Comtesse moi je répondrais, je, je
m'en tiendrait à la lettre, là, de la terminologie spinoziste, à savoir : heu, il y a une seule sorte de
tristesse mais il y a deux sortes de joies très différentes. Et toi qu'est-ce que tu dirais ? La même
chose, non ? Contes : Ouais, la béatitude ça consiste à s'affecter soi même. Deleuze : C'est ça. Mais
d'autre part quoi que ce soit qui m'affecte, c'est moi qui m'affecte. Alors, euh... on risque rien là mais
justement ça fait intervenir quelque chose dont on a pas encore parlé : qu'est-ce que c'est cette
histoire... Alors, il n'y a plus seulement... on croyait en avoir fini : diminution, augmentation de
puissance d'agir c'était... c'était euh... relativement clair, on comprenait, et voilà qu'il y a encore autre
chose à savoir la puissance pleinement possédée ;

Qu'est-ce que c'est que ça cette puissance pleinement possédée ? Comment on en arrive à ça ?
De telle manière qu'il y a des affects actifs. Ça se complique. Si bien que ma sphère d'appartenance,
vous voyez, elle s'enrichit de plus en plus. Euh, voilà est-ce qu'il y a d'autres... ? Oui ? Une personne
pose une question : ( ...) Est-ce qu'il n'y a pas une idée de crise ? Deleuze : Quoi ? Une idée de quoi
? Elle répète Deleuze : Crise ! De crise ! La personne : Oui Deleuze : Crise de quoi ? La personne :
... Deleuze : Ah... Euh... Je ne comprends pas. Avec cette figure, vous dites, avec cette figure, tout
est pareil ? La personne : non. Deleuze : non, tout n'est pas pareil ! La personne : ... Deleuze : C'est
embêtant, j'entends même pas ; c'est, c'est pas que je comprend pas c'est que j'entends pas, alors,
euh, c'est plus simple encore. Euh... Est-ce que quelqu'un a entendu et il pourrait... euh re... euh
Chuchotements dans la salle

Deleuze : Cette figure... Cette figure... Qu'est-ce qui est dit sur cette figure ? Ah, ce qui me gène
dans cette figure - je vais vous dire je sais pas si ça répond hein - ce qui me gène dans cette figure,
c'est que j'ai l'impression que c'est un exemple qui convient à plusieurs niveaux très différents de la
pensée de Spinoza. Elle convient... Je veux dire : elle convient à la fois à l'ensemble de toutes les
essences euh... pour toutes... l'ensemble de toutes les essences, et la même figue convient aussi
pour l'analyse de chaque essence. C'est très compliqué, je peux dire ça c'est mon portrait à moi ou à
vous ou je peux dire c'est l'ensemble de tous les portraits d'essence. Le problème géométrique posé
a... il me semble qu'il a plusieurs aspects. Il a un aspect par lequel c'est un infini qui n'est pas infini
par la multitude des parties, c'est-à-dire un infini non numérique. C'est le premier paradoxe. Euh, il y
a même trois paradoxes il me semble et qui renvoient, il me semble, à trois thèmes très différents du
Spinozisme.

Or il les groupe dans cet exemple :


c'est un infini qui n'est pas constant puisqu'il peut être le double ou le triple, hein. Donc c'et un
infini inégal.

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Deuxièmement c'est un infini qui comporte des limites puisqu'il y a un maximum et un minimum.
Et troisièmement c'est un infini non numérique.

Anne Querrien : la somme, là, elle n'est pas finie Deleuze : Pas seulement

AQ : comment ? Deleuze : Pas seulement

AQ : mais c'est, c'est, c'est la somme (...) Deleuze : Pas seulement.

AQ : Mais les distances, elles sont euh... Deleuze : Elles ne sont pas finies non plus les distances.
Chaque distance est finie.

AQ : Oui, d'accord (...) cet infini inégal c'est le (...) infini (... ) on peut faire l'opération de couper...

: D'accord, d'accord, d'accord. Or cet infini... Cet infini a un second caractère. L'espace entre les
deux cercles est limité. Bien plus, c'est cette limite qui permet de définir les conditions de cet infini.
Bien plus, cet espace limité comporte lui-même une infinité de distances. Donc c'est un infini qu'on
ne peut pas dire illimité. C'est un infini qui renvoie à des conditions de limites. Troisièmement c'est
un infini non numérique puisqu'il n'est pas infini par la multitude ses parties. Exactement comme ,
pensez par exemple, là il dit quelque chose de très fort. Il tient à la géométrie contre l'algèbre,
Spinoza, il ne croit pas à l'avenir de l'algèbre. Mais il croit très fort à une géométrie. Euh... si vous
prenez le... si vous prenez par exemple une grandeur irrationnelle... Bah euh, c'est le même cas,
c'est très analogue. C'est un cas beaucoup plus simple "une grandeur irrationnelle". Là vous avez
des thèmes d'infini proprem... Qu'on appellera des infinis proprement géométriques, parce que
l'infinité ne dépend pas d'un nombre. C'est pas parce qu'il y a un nombre de parties, même plus
grand que tout nombre donné, que c'est de l'infini. Ce n'est pas un infini par la multitude des parties.
Or tout ce que je voulais dire c'est que ces trois caractères, il me semble sont complètement
cohérents, mais renvoient à trois situations différentes dans le Spinozisme

AQ : (...) Deleuze : ouais, oui mais justement c'est une situation de passage AQ : (...) Deleuze : ouais
AQ : (...) Deleuze : tu crois... là faut le forcer, hein, Spinoza parce que AQ : (...) Deleuze : ouais AQ :
(...) Deleuze : ouais AQ : (...) Deleuze : Oui d'accord, ça d'accord. Oui, oui, oui. AQ : (...) Deleuze :
Oui mais c'est...çac'est,c'est juste ça que je voulais dire endisant c'est pas une intégration globale.
Ça peut être qu'une succession d'intégrations locales là qui fait euh... Bon alors écoutez, hein,
écoutez. Voilà où on en est, je reprendrai ça... et puis il faut en finir. Euh ! Et pour revenir... alors...
Voilà on est exactement dans la situation, bon, euh... Tout ça je suppose que vous l'ayez compris
mais, voilà on se dit et ... j'ai eu beau dire tout le temps attention c'est pas de la théorie, ça reste
quand même de la théorie.

C'est : qu'est-ce qu'on fait alors dans la vie ? Et bah alors, on naît, bon, on naît, mais encore une
fois on ne naît pas avec une science des rapports, on a aucune science des rapports. Qu'est ce que
Spinoza va même nous dire à cet égard ? Il va nous dire quelque chose de très frappant, à savoir
quoi ? Quand vous naissez, mais vous êtes à la merci euh... Heureusement que vous avez des
parents, hein, qui vous protègent un peu. On est à la merci des rencontres. Qu'est-ce que c'est le... Il
y a même un état, il y a même un état bien connu qui peut se définir comme ceci : chaque être y est
à la merci des rencontres. C'est ce qu'on appelle l'état de nature. A l'état de nature vous êtes à la

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merci des rencontres. Alors vous pouvez toujours vivre avec l'idée... Oh, mon Dieu, est-ce que je
vais rencontrer euh... quelque chose qui se... dont les rapports se composent avec les miens ou pas
? » Remarquez que, déjà, c'est l'angoisse ça. Et l'angoisse c'est : « oh la la, qu'est-ce qui va
m'arriver aujourd'hui, hein ? Ça commence mal, ça commence mal ». Bon. Le risque perpétuel...

Parce que, si vous prenez un corps précis, un corps précis, dans la nature immense. Un corps
précis dans la nature immense tout seul, tout nu, admirez... ou plutôt non, euh... désolez vous car il y
a évidement beaucoup moins de corps dont les rapports se composent avec le sien, que de corps
dont les rapports ne conviennent pas avec le sien. Donc ce n'est pas... On n'est pas gagnant dans
toute cette histoire de l'Ethique, on est - comment dire ? - comme diraientt d'autres auteurs "on est
jeté au monde". Mais l'état de nature ça veut dire précisément être jeté au monde. A savoir, euh...
être dans des rapports comme ça quoi, on se dit... on est... on vit à la merci des rencontres. Vous
comprenez, je vois quelque chose je me dis c'est peut être bon à manger mais je me dis : « oh...
C'est peut être de l'arsenic tout ça, quoi. ». Alors dès le moment où on n'est pas... où on n'a pas une
science des rapports et de leurs combinaisons, comment on va se débrouiller ? C'est là que Spinoza
pense que "l'éthique" ça veut vraiment dire quelque chose. Il va falloir... Et, et comment va se faire...
On peut imaginer alors les problèmes de la vie des modes d'existence. Je veux dire, de quelle façon
? Bah, c'est évident, euh, je crois qu'il nous propose un schéma là qui est extrêmement pratique.

Vous vous rappelez peut être que j'avais invoqué Rousseau précisément, si différent qu'il soit de
Spinoza, où je vous disait bah oui ! Il y a un premier aspect... finalement le problème c'est ceci :
Spinoza il fait partie, précisément, contre beaucoup de penseurs de son temps, il fait partie euh...
des philosophes qui ont dit le plus profondément : "vous savez, hein, vous ne naissez ni raisonnable,
ni libre, ni intelligent".
Si vous devenez raisonnable, si vous devenez libre etc., c'est affaire d'un devenir. Mais il n'y a
pas d'auteur qui ne soit plus indifférent par rapport au problème de la liberté comme appartenant à la
nature de l'Homme. Il pense que rien du tout n'appartient à la nature de l'Homme. Euh... ça c'est,
c'est un auteur qui pense tout vraiment en matière de devenir. Et sa question c'est : « Bon, bah
d'accord, sans doute, qu'est-ce que ça veut dire devenir raisonnable ? Qu'est-ce que ça veut dire
devenir libre, une fois dit qu'on le... on l'est pas. On ne naît pas libre, on ne naît pas raisonnable. On
naît complètement à la merci des rencontre c'est-à-dire qu'on naît est complètement à la merci des
décompositions. Et vous devez comprendre que c'est normal chez Spinoza. Les auteurs qui pensent
que nous sommes libre par nature, c'est ceux qui se font de la nature une certaine idée. Je ne crois
pas qu'on puisse dire nous sommes "libres par nature", si l'on ne se conçoit pas comme une
substance...

L'enregistrement est coupé

Etre raisonnable ça peut se comprendre si je me définis comme animal raisonnable du point de vue
de la substance : c'est la définition aristotélicienne qui implique que je sois une substance. Si je suis
un ensemble de rapports, c'est peut être des rapports rationnels, dire que c'est raisonnables est
strictement dénué de tout sens. Donc si raisonnable, libre, etc, a un sens... ont un sens quelconque,
ça ne peut être que comme le résultat d'un devenir. Déjà ça c'est très nouveau. Et bah, comment
une fois dit que "être jeté au monde" c'est précisément risquer à chaque instant de rencontrer
quelque chose qui me décompose.

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D'où je disais : il y a un premier aspect de la raison. Le premier effort de la raison, je crois, c'est
très curieux chez Spinoza ... C'est une espèce d'effort extraordinairement tâtonnant. Et là vous
pouvez pas dire que c'est insuffisant parce qu'il rencontre des tâtonnement concrets. C'est toute une
espèce d'apprentissage pour évaluer ou avoir des signes, je dis bien des signes, organiser ou
trouver des signes me disant un peu quels rapports me conviennent, quels rapports ne me
conviennent pas. Il faut essayer, il faut expérimenter. Essayer... - Et mon expérience à moi je ne
peux pas tellement la transmettre parce que ça convient peut être pas à l'autre, hein - A savoir, c'est
comme une espèce de tâtonnement pour que chacun découvre à la fois ce qu'il aime et ce qu'il
supporte.

Bon, c'est peu comme ça si vous voulez qu'on vit quand on prend des médicaments. Quand on
prend des médicaments, faut trouver ses doses, ses trucs, là. Faut faire des sélections, euh, et c'est
pas l'ordonnance du médecin qui suffira, et elle vous servira. Mais, il y a quelque chose qui dépasse
une simple science, une simple application de la science. Faut trouver votre truc. C'est comme euh...
oui, faire l'apprentissage de... d'une musique, trouver à la fois ce qui vous convient, ce que vous êtes
capables de faire. Tout ça...

c'est ça déjà que Spinoza appellera - et ce sera, je crois, le premier aspect de la raison - une
espèce de... double aspect : "sélectionner, composer". Sélectionner, sélection, composition.
C'est-à-dire arriver à trouver par expérience avec quels rapports les liens se composent. Et en tirer
les conséquences. C'est-à-dire : à tout prix fuir le plus que je peux. Je ne peux pas tout, je ne peux
pas complètement. Mais fuir au plus euh... au maximum, la rencontre avec les rapports qui ne me
conviennent pas. Et composer au maximum, me composer au maximum avec les rapports qui me
conviennent. Là encore ça a l'air, c'est... c'est ça, je dirais, c'est ça la première détermination de la
liberté ou de la raison. Alors le thème de Rousseau, ce qu'il appelait lui-même "le matérialisme du
sage". Vous vous rappelez quand, j'espère, quand j'en avais parlé un peu dans... cette euh, idée de
Rousseau très curieuse, là. Une espèce d'art de composer les situations. Cet art de composer les
situations qui consiste surtout à se retirer des situations qui vous conviennent pas, à entrer dans les
situations qui vous conviennent, et tout ça...

C'est ça le premier effort de la raison. Mais j'insiste là-dessus, à ce niveau nous n'avons aucune
connaissance préalable, on n'a aucune connaissance préexistante, on n'a pas de connaissance
scientifique, ce n'est pas de la science, c'est vraiment de l'expérimentation vivante, c'est de
l'apprentissage. Et je ne cesse pas de me tromper, je ne cesse pas de me flanquer dans des
situations qui ne me conviennent pas, je ne cesse pas... etc, etc... Et c'est petit à petit que s'esquisse
comme une espèce de début de sagesse, euh, qui revient à quoi ? Qui revient au... à ce que disait
Spinoza depuis le début. Euh... Mais, que chacun sache un peu, aie une vague idée de ce dont il est
capable. Une fois dit que les gens incapables, hein, ce n'est pas des gens incapables, c'est des gens
qui se précipitent sur ce dont ils ne sont pas capables et puis qui laissent tomber ce dont ils sont
capables.

Mais qu'est-ce que peut un corps, demande Spinoza, qu'est-ce que peut un corps ? ça ne veut
pas dire un corps en général, ça veut dire le tien, le mien. Euh... de quoi t'est capable ?... c'est cet
espèce d'expérimentation de la capacité, quoi. Essayer d'expérimenter la capacité, et en même
temps, la construire en même temps qu'on l'expérimente. C'est très, c'est très concret. Or on n'a pas
de savoir préalable. Je ne sais pas... euh...bon, il y a des domaines de quoi je suis capable. Qui peut

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se dire ça j'en suis pas... euh... dans les deux sens, il y a les gens trop modestes qui se disent « ah
ça j'en suis pas capable » au sens de « j'y arriverai pas ». Et puis il y a les gens trop surs d'eux qui
se disent « Ah, ça, une chose aussi vilaine, j'en suis pas capable ». Mais ils le feraient peut être, on
ne sait pas. Personne ne sait ce dont il est capable, hein.

Je pense que, par exemple, les choses à la belle époque de l'existentialisme... euh, il y avait
euh...comme c'était quand même très lié à...à... à la fin de la guerre, aux camps de concentration
etc... il y avait un thème que Jaspers avait lancé qui était un thème il me semble très profond, euh...
très profond qui disait, il définissait, il distinguait deux types de situations :
les situations limites, ce qu'il appelait les situations limites,
et les situations simplement quotidiennes. Il disait : « les situations limites, bah elles peuvent nous
tomber dessus tout le temps, hein ». C'est précisément des situations où on ne peut pas dire
d'avance, on ne peut pas dire d'avance. Si vous voulez, quelqu'un... quelqu'un qui n'a pas été torturé
et qu'est-ce que ça veut dire, dire, euh, il a aucune idée de s'il tiendra le coup ou s'il tiendra pas ? au
besoin les types les plus courageux s'effondrent et les types que on aurait cru, .. comme ça, des
minables, quoi, ils tiennent le coup à merveille. On ne sait pas. La situation limite c'est vraiment la
situation telle qu'elle ... j'apprends au dernier moment, parfois trop tard, ce dont j'étais capable, ce
dont j'étais capable pour le pire ou pour le mieux. Mais on ne peut pas dire d'avance, .. c'est trop
facile de dire : « Ah ça, ça jamais je le ferai, moi ». Euh... Et inversement. Alors, on passe notre
temps, nous, à faire des trucs comme ça, et puis, euh... Mais ce dont on est vraiment capable, on
passe à côté. Tant de gens meurent sans savoir, et ne sauront jamais ce dont ils étaient capables,
encore une fois, dans l'atroce comme dans le très bien euh... Bon c'est des surprises, hein, faut se
faire des surprises à soi même. On se dit : « Oh, tiens, ça, j'aurais jamais cru que j'aurai fait ça ! ».
Bon, les gens ils ont beaucoup d'art, vous savez, ils ont beaucoup d'art.

Généralement on parle toujours de la manière, là, c'est du spinozisme très compliqué, parce
qu'on parle toujours de la manière dont les gens se détruisent eux même, mais je crois que
finalement c'est... c'est... c'est des discours ça aussi. Il y a des gens qui se détruisent, c'est, c'est,
c'est triste, c'est toujours un des spectacles très tristes, puis c'est embêtant, quoi. Euh, mais euh...
c'est... Ils ont aussi une espèce de prudence, hein, la ruse des gens, c'est marrant les ruses des
gens. Parce qu'il y a des gens qui se détruisent sur les points précisément où ils ont pas besoin
d'eux même. Alors évidemment ils sont perdants parce que finalement... vous comprenez, je
suppose ..bon : quelqu'un à la limite qui se rend impotent, il sera impotent, mais c'est quelqu'un qui
n'a pas tellement envie de marcher, hein, c'est pas son truc. Moi j'attends que ... en d'autres termes :
c'est pour lui un rapport très secondaire, bouger c'est un rapport très secondaire. Bon, il arrive à se
mettre dans des états où il ne peut plus bouger, d'une certaine manière il a ce qu'il voulait parce qu'il
a lâché sur un rapport secondaire.

C'est très différent lorsque quelqu'un se détruit dans ce qu'il vit lui-même comme étant ses
rapports constituants, principaux. Si ça vous intéresse pas beaucoup de courir, vous pouvez toujours
beaucoup fumer, hein. Alors on vous dira « tu te détruis toi-même ». Non mais très bien, moi je me
contenterai d'être sur une petite chaise, hein, euh... Au contraire ce serait mieux comme ça, j'aurais
la paix, très bien. Alors je me détruis moi-même ? Non, pas tellement. Evidemment, je me détruis
moi-même parce que si je peux plus du tout bouger, alors ça, je risque d'en crever, oui, hein, parce
que... bon, des ennuis du monde nature que j'aurais pas prévu. Ah oui, alors là c'est embêtant, bon,
mais vous voyez, même dans les...euh... expériment... euh... même dans les choses euh... Il y a

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destruction de soi, euh... Il y a des ruses qui impliquent tout un calcul des rapports, euh... on peut
très bien se détruire sur un point qui n'est pas essentiel pour la personne même, et essayer de
garder l'essentiel. Oh, c'est complexe tout ça, c'est complexe, on est sournois, vous ne savez pas à
quel point vous êtes sournois, tous, tout le monde, quoi. Alors, bon voilà, c'est...

J'appelle raison ou effort de la raison, conatus de la raison, effort de la raison, cette tendance à
sélectionner, à prendre les rapports, à oui, cet apprentissage des rapports qui se composent ou qui
se composent pas. Or, je dis bien, comme vous n'avez aucune science préalable, vous comprenez
ce que veut dire Spinoza, la science, vous allez peut être y arriver à une science des rapports. Mais
qu'est-ce qu'elle sera ? Une drôle de science. Elle sera pas une science théorique, la théorie en fera
peut être partie, mais ce sera une science, vraiment, au sens de... une science vitale. Vous arriverez
peut être à une science des rapports, mais vous l'avez absolument pas. Pour le moment, vous ne
pouvez vous guider que sur des signes. Or le signe, - on l'a vu et ce sera le moment la prochaine fois
de... revoir ça de plus près -, c'est un langage follement ambigu. Le langage des signes, c'est, c'est
le langage de l'équivoque, de l'équivocité. Un signe a toujours plusieurs sens. Alors ce qui me dit
convient sous un rapport, me convient sous un autre rapport. Ah, ça me disconvient par ceci, mais
ça me convient par là. C'est le langage... et c'est là que Spinoza définira toujours le signe, en y
englobant toute sortes de signes par "l'équivocité". Le signe c'est l'expression équivoque. Je me
débrouille comme je peux.

Et les signes c'est quoi ? C'est les signes du langage qui sont fondamentalement équivoques selon
Spinoza.
D'une part les signes du langage,
d'autre part les signes de Dieu, les signes prophétiques,
et d'autre part les signes de la société (récompense, punition, etc...).

Signes prophétiques, signes sociaux, signes linguistiques, c'est les trois grands types de signes. Or,
à chaque fois c'est ça le langage de l'équivocité. Or, nous sommes forcés de partir de là, de passer
par là, pour construire notre apprentissage. C'est-à-dire quoi ? pour sélectionner nos joies, éliminer
nos tristesses, c'est-à-dire avancer dans une espèce d'appréhension des rapports qui se composent.
Arriver à une connaissance approximative par signes des rapports qui me conviennent et des
rapports qui ne me conviennent pas. Donc, le premier effort de la raison, vous voyez, c'est,
exactement, tout faire ce qui est en mon pouvoir pour augmenter ma puissance d'agir, c'est-à-dire
pour éprouver des joies passives, pour éprouver des joies passion.
Les joies passion c'est "ce qui augmente ma puissance d'agir en fonction de signes encore
équivoques où je ne possède pas cette puissance". Vous voyez ?

Alors la question à laquelle j'en suis c'est : « bon, très bien, à supposer que ce soit comme ça,
qu'il y ai ce moment de long apprentissage, comment est-ce que je peux passer ? comment cet
apprentissage peut me mener à un stade plus sur, où je suis plus sûr de moi-même c'est-à-dire où je
deviens raisonnable, où je deviens libre ? Comment est-ce que ça peut se faire ça ? Bon, on le verra
la prochaine fois.

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
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21- 02/06/81 - 1
Marielle Burkhalter

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DELEUZE : LA PEINTURE

02/06/1981 21A

transcrite par Julien PARISet Dalila SELLAMI

Aujourd'hui il faudrait... Il faudrait finir juste, plus tôt , pas finir... il faudrait plutôt indiquer des
directions de recherche sur ce dernier problème de la couleur.

Alors c'est ce que je voudrais - parenthèse : je voudrais bien voir s'ils en ont le temps à la fin, et si ils
sont là : Paul euh Paul TOLLI, Paul TOLLI... Paul tu me vois, si tu as le temps hein ? TRAUMER, il
est là TRAUMER ? Quelqu'un qui m'a donné, qui m'a passé un texte sur Goethe. TREVE... Vous me
voyez hein, tout à l'heure ? Euh LE TORTOIS. Il est là LETORTOIS, voilà. Michèle D'ALBIN ? Elle
est pas là, Michèle D'ALBIN ? Et euh Mademoiselle PETITJEAN ? Elle est là mademoiselle
PETITJEAN ? Vous me voyez tout à l'heure ?

Bon... Alors c'est très compliqué quand même, c'est très compliqué...

C'est très compliqué parce que notre problème c'est exactement celui-ci - au point où on en était
resté la dernière fois. C'est exactement ceci. : Il y a... On se dit comme ça, grâce à tout ce qu'on a
fait précédemment, on se dit comme ça bon et bein il y a des régimes de la couleur.. Il y a pas
seulement des couleurs mais il y a des régimes de la couleur.

Soit ça met déjà deux cas :


Des régimes de la couleur ça peut accompagner les espaces qu'on a vus précédemment, les
espaces-signes qu'on a vu précédemment, ... et les modulations caractéristiques de ces espaces...
Ou bien tout autre problème, tout autre aspect :
Est-ce qu'il n'y a pas des régimes de la couleur qui constituent eux-mêmes un espace-signe et
qui font l'objet d'une modulation qui leur est propre ? Si bien que on part déjà un peu bancal, hein ?
Puisque, en lançant cette notion très vague, pour le moment, de, « régimes de la couleur » au pluriel,
"il y aurait des régimes de la couleur qu'on pourrait repérer pratiquement, historiquement,
théoriquement ? scientifiquement. Mais tout ça ne se valant pas, il y aurait des correspondances
entre la détermination scientifique des régimes de la couleur, la détermination pratique, la
détermination historique. Il y aurait que un jeu de correspondances.

Mais je vois qu'il y a déjà deux cas pour mes régimes de couleur possibles :

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Ou bien, ils vont correspondre à un espace-signal, et à une modulation autrement définie, ...
ou bien ils vont constituer eux-mêmes un espace coloriste, coloristique, et une modulation
chromatique tout à fait particulière. Et sans doute la couleur est capable de euh.., est capable des
deux... ?

Si bien que, qu'est-ce que c'est ? Comment est-ce qu'on pourrait définir un « régime-couleur » ? Il
s'agit que un régime couleur ça veut pas dire toutes les couleurs, ... ça veut dire un certain traitement
de la couleur... Qu'est-ce que ce serait la cohérence d'un traitement qui nous ferait dire « ah oui, là, il
y a un « régime-couleur » . » ? Et qu'est-ce que ce serait ces « régimes-couleurs » ?

Ben, j'aurais envie de les définir de trois manières... par trois caractères... Non, par quatre caractères
:

Premier caractère, je dis que pour qu'il y ait un régime-couleur il faut que, il y ait une certaine
détermination du fond... "le fond"... Cette détermination du fond, elle est pas forcément par la
couleur. On sent peut-être qu'un régime-couleur impliquera son propre espace colororistique et sa
modulation chromatique, ... si le fond est lui-même coloré. Mais un régime-couleur peut très bien
s'accrocher à un autre type d'espace, et à un autre type de modulation... Je dis donc l'idée de fond,
qui est évidemment fondamentale dans la peinture, l'idée de fond va être la première exigence à
laquelle doit satisfaire un régime-couleur.

Mais justement qu'est-ce que ça veut dire un fond ?... Un fond, et il me semble que la notion est très
intéressante, elle est double, c'est un concept double. Le fond d'une part renvoie à ce qu'on
appellera le support. Ce qui SUPPORTE la ligne et la couleur... c'est ça le fond... Ca c'est un premier
sens très déterminé. Vous parlerez en ce sens d'un fond euh, de plâtre, ... ou d'un fond de craie, ...
ou d'un fond coloré... Bon, et sans doute c'est là que, voyez, il faut que notre système implique
perpétuellement des échos. Je dis « échos-immédiates » dans l'histoire de la peinture. Là, vous avez
par exemple des fonds, entre le XVème et le XVIème siécle, vous avez des fonds célèbres qui se
cherchent, qui se perfectionnent de plus en plus, des formules de plâtre, notamment le plâtre dit «
amorphe », tout ça, euh, qui vont constituer le fond du tableau, c'est-à-dire qui vont définir la qualité
du support. Mais je dis en même temps, la notion de fond renvoie à autre chose, à savoir
l'arrière-plan, mais pas l'arrière-plan sous n'importe quelle forme... Pas sous n'importe quel aspect.

Le fond c'est d'une part la qualité déterminée du support, c'est la détermination du support... et
d'autre part... ce n'est pas exactement l'arrière-plan mais c'est la détermination de la valeur de
l'arrière-plan, la détermination de la valeur "variable" de l'arrière-plan. C'est bien la nature du fond,
comme qualité du support qui, d'une certaine manière, entraînera la position relative de l'arrière-plan.
Qu'est-ce que veut dire ici « position relative de l'arrière-plan » ? Et bien nous l'avons vu dans les
espaces-signes que nous avons étudiés précédemment.

La peinture de la Renaissance implique, ... ça c'est des formules trop générales tout ça, mais euh, on
a vu, à chaque fois vous nuancez, la peinture de la Renaissance implique une position de
l'arrière-plan tel qu'il soit subordonné aux exigences de l'avant-plan. La peinture du XVIIème siècle,
d'une certaine manière, implique une espèce de renversement de cette... de la valeur... au sens où
"tout surgit de l'arrière-plan" ; et déjà la peinture byzantine opérait cette conversion en faveur de
l'arrière-plan. Donc je dirais du fond qu'il est à la fois la qualité du support, et la position variable de

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l'arrière-plan. ça ce serait le premier des caractères d'un régime de couleur. De quelle sorte est le
fond ?

Deuxième caractère : Quel est dès lors, le rôle de la couleur dans la modulation opérée ? Dans la
modulation opérée sur la surface portée par le fond... On a vu précédemment déjà, des types de
modulations différentes...

Troisième caractère de régime de la couleur... C'est la nature des teintes... A savoir, un régime de
la couleur implique un certain privilège - quitte à s'expliquer tout à l'heure sur ce que veut dire «
privilège » - un certain privilège d'un type de teinte. Qu'est-ce qu'un type de teinte ? On pourrait dire,
un type de teinte bein c'est très simple, vous comprenez. Il y a deux variables de la couleur ; on l'a
vu, je reprends le schéma que je vous demandais de, euh, de méditer beaucoup, parce que, l'espèce
de schéma terminologique. Une couleur peut être claire ou foncée, d'une part. D'autre part elle peut
être saturée ou lavée... C'est un peu comme pour l'alcool, si vous voulez. C'est un peu par exemple
la distinction vous comprenez c'est très simple - comme la distinction du titrage et de la dilution - tous
les alcooliques savent ça ... mais même les non-alcooliques savent ça... C'est pas difficile à
comprendre. Vous avez un alcool à 40 degrés. Vous le diluez beaucoup, votre alcool à 40 degrés, ça
reste de l'alcool à 40 degrés. C'est de l'alcool à 40 degrés dilué... Si vous l'absorbez pur, c'est de
l'alcool saturé, à 40 degrés. Voyez saturé / lavé... saturé / dilué forme bien un couple consistant de la
couleur - c'est le facteur « pureté ».

Dès lors vous combinez deux à deux, clair / foncé, une teinte peut être claire ou foncée, saturée ou
lavée ...c'est-à-dire diluée. Vous combinez deux à deux, les possibilités vont vous donner les types
de teintes.

Première possibilité : clair / lavé ... = le « pâle ». Clair / saturé, deuxième possibilité, clair / saturé ... =
les teintes vives, le « vif ». Foncé / saturé. Ce sont les teintes « profondes ». Foncé / lavé, ce sont
les teintes « rabattues ».

Je dirais un régime de couleur implique la dominance d'un de ces types de teinte. Je dirais donc, je
dirais : très et bien on peut concevoir des régimes « pâles », des régimes euh... « vifs », des régimes
« profonds », des régimes « rabattus ». Ah bon mais qu'est-ce que ça veut dire « privilège », «
dominance » ? Ca veut dire quoi ? C'est très simple... Ca veut pas dire que la plupart des couleurs
vont être par exemple dans le régime « pâle », ça veut pas dire même que la plupart des couleurs
vont être des teintes pâles...Encore que ça puisse être vrai, mais je pense à tout à fait autre chose...

Puis encore une fois tout ce que je dis, surtout aujourd'hui, hein, c'est peut être faux. Vous corrigez,
non seulement vous nuancez mais vous corrigez tout vous-même... Euh oui parce que... C'est pas
forcément des teintes pâles partout, ou voyez il yen a pas plus... Je veux dire autre chose c'est que...
La matrice « pâle »... euh, les teintes pâles vont être la manière dont, en fonction du fond, dans tel
régime - c'est pas toujours comme ça - dans tel régime, lorsque je parle d'un régime « pâle » je veux
dire que les teintes pâles vont être la manière dont, en fonction du fond, l'ensemble des couleurs, y
compris les « vives », y compris les « profondes », y compris les « rabattues », vont être distribuées.
Donc c'est pas du tout un indicatif de fréquence c'est un indicatif d'importance. L'importance des
teintes pâles qui vont négocier le jeu des couleurs et du fond.

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Un régime « vif » ça veut pas dire qu'il y aura pas des teintes « rabattues ». Parfois il y a pas de
teintes rabattues dans un régime « vif ». Par exemple les Impressionnistes évitent les teintes
rabattues. Bon. Mais, il peut y en avoir, simplement la négociation de ces teintes, des couleurs en
général et du fond, se fera par les tons vifs. Alors je pourrais dire c'est un régime « vif ». Voyez donc
je pourrais comme ça dessiner avec ce troisième critère ajouté aux deux autres.

Et enfin, dernier critère de ces régimes de couleurs, c'est que, cette fois-ci, je cherche un écho
scientifique, ou pseudo scientifique.

Notre problème, vous l'avez pas oublié, c'est toujours celui de l'analogie. Puisque nous voulions
définir l'analogie par la modulation justement, et pas, et pas du tout par le transport d'une similitude.
Alors... Alors, alors... Comment est-ce que, scientifiquement.. ? Qu'est-ce que la colorimétrie nous dit
sur les manières de reproduire une couleur ? C'est le problème de l'analogie.

Vous voyez une couleur, vous la reproduisez. Comment reproduire une couleur ?

On nous dit trois choses : qu'il y aurait trois méthodes inégales... Je me dis « est-ce ces trois
méthodes » - vous voyez ce que je veux dire - ces trois méthodes, ces produits scientifiques, - est-ce
qu'elles vont pas avoir un écho pratique et un écho historique ? Hein, en faisant jouer tout dans tout
? ».

Première manière... Vous vous trouvez devant un faisceau de lumière complexe. Pas simple, pas
monochromatique, pas d'une seule couleur. Un faisceau complexe. Comment le reproduire ? Une
première proposition de la colorimétrie nous dit que : tout faisceau complexe, ou tout flux lumineux
complexe, peut être en principe ramené à un faisceau blanc - mais à calculer, lui - peut être ramené
à un faisceau blanc additionné d'un faisceau monochromatique... D'où la formule : f - vraiment là je
dis des choses qui sont euh... du dictionnaire quoi... C'est, j'veux dire, c'est très très... euh... vous
prenez ces formules parce que ce que je voudrais en tirer il faut juste que vous l'ayez présent à
l'esprit pour ... pour qu'on puisse essayer d'en tirer quelque chose. La formule c'est : f - à savoir le
flux lumineux complexe, le flux coloré, de telle couleur - égale : f (T) f (petit d, en dessous hein, en
coefficient, petit d) + f (petit w). Qu'est-ce que ça veut dire la formule très simple :
f c'est le flux lumineux complexe, d'une couleur donnée.
F (petit w) c'est ... « flux de lumière blanche » - w renvoyant à l'anglais.
Plus f (petit d) c'est le faisceau monochromatique dont la longueur d'onde sera dite l (d)... l (d) à
savoir « longueur d'onde dominante »... A la limite, voyez, la longueur d'onde du faisceau f, vous
l'appelez petit l, et vous avez la formule donc f (petit l) = f (w) +f (l (d)). Vous avez remplacé votre
faisceau complexe par : un faisceau de lumière blanche, plus un faisceau monochromatique de
longueur d'onde différente du faisceau euh... de départ. Ca c'est la méthode dite de la longueur
d'onde dominante. Bien plus, dans certains cas, dans certains cas, votre faisceau à longueur d'onde
dominante, monochromatique, peut lui-même ne pas être du tout compris dans le faisceau de départ
reconstitué. ... Reste là je dis cette première combinaison, n'est-ce pas, c'est, en d'autres termes :
flux de lumière blanche plus faisceau monochromatique, et... ça peut reconstituer tous les faisceaux
complexes, en principe... Voilà, première méthode... Vous retenez ça juste, hein ? Parce que on en
aura bien besoin...

Deuxième méthode... Pourquoi une deuxième méthode ? Parce que la première méthode elle est

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très très théorique. Il faudrait en effet pouvoir déterminer très rigoureusement deux trois couleurs
fondamentales... De trois couleurs fondamentales. Je dirais que dans le cas précédent, comment la
matrice des couleurs partait du blanc, du faisceau de lumière blanche. Là au contraire ça part d'un
système tricolore, trois couleurs fondamentales qui sont quoi ? Qui sont :" bleu rouge vert". Pourquoi
bleu rouge vert ? Vous reconnaissez l'image télé là dedans... pourquoi bleu rouge vert, alors qu'on
s'attendrait à bleu rouge jaune ! Justement parce que on ne peut pas reconstituer un faisceau
complexe avec bleu, rouge, jaune... Pourquoi ? La condition de la reconstitution, c'est que les trois
couleurs fondamentales choisies, les trois couleurs soient telles que l'une d'entre elles ne puisse pas
être "équilibrée" par les deux autres. Si vous preniez donc : jaune, bleu, rouge... vous auriez
possibilité d'un équilibrage du rouge par le jaune et le bleu. Donc c'est pas possible... Vos trois
fondamentales, donc, vont être - au plus pratique, au plus simple - vont être : rouge, vert... bleu. Il y a
d‘admirables tableaux là, dans l'exposition de Staël , il y a un paysage qui'est quelque chose de,
formidable, formidable. Sous le titre "Agrigente" qui est paysage avec, un coin, je ne sais plus la
répartition déjà, uniquement en trois couleurs plus un noir et un blanc. Les trois couleurs : rouge,
vert, bleu

Bon cette méthode là, ce n'est plus une méthode longueur d'onde dominante qui applique un
privilège du blanc c'est une méthode qu'on appellera de "synthèse additive". Elle répond à la formule
f : flux quelconque, flux coloré quelconque, égal f r, flux rouge plus f v - flux vert - plus f b - flux bleu.
Bon on arrive au bout c'est... .
Troisièmement, troisième méthode possible, mais on change de domaine, cette fois ci il faut
passer non plus au rayon lumineux, mais il faut passer au corps coloré : soit des pigments soit même
des filtres. Qu'est ce qui se passe ? qu'est ce qui se passe dans un filtre ? Qu'est ce que c'est la
couleur d'un corps ? Vous savez bien la couleur d'un corps c'est précisément la couleur que le corps
n'absorbe pas. C'est la couleur que le corps réfléchit diffuse ou transmet. Pourquoi les plantes sont
elles vertes ? La réponse célèbre, voyez le Larousse, les plantes sont vertes parce qu'elles
absorbent le rouge parce que la chlorophylle absorbe le rouge... elles sont vertes parce que elles
absorbent le rouge, la chlorophylle absorbe le rouge et dès lors réfléchit le vert. Bon, vous pouvez
concevoir alors des mélanges de pigments, une synthèse de pigments, mais qu'est ce que c'est
cette synthèse ? Soit des pigments jaunes, ils absorbent le bleu et ils renvoient vers l'œil du jaune et
du vert. Soit les pigments bleus.. ah, qu'est ce que j'ai dit ? j'ai dû me tromper oui... je sais plus. Le
pigment jaune donc absorbe le bleu et renvoie du jaune et du vert, renvoie à l'œil du jaune et du vert.
Les pigments bleus, ils absorbent le jaune et ils renvoient à l'œil du vert et du bleu. Vous mélangez
les deux types de pigments, vous n'avez plus que : donc - le bleu est absorbé, le jaune est absorbé
et vous avez une réflexion purement verte. Comment on appellera ça, ce mélange ou cette synthèse
? Cette synthèse, on l'appellera cette fois ci, une synthèse" soustractive." Elle ne peut pas se faire
avec des rayons lumineux bien plus - admirez que la synthèse soustractive, le mélange soustractif -
peut donner tout ce que vous voulez sauf du blanc. Il peut donner du noir dans quel cas ? Si chaque
corps absorbe ce que renvoie les autres, là vous aurez du noir. Donc il peut y avoir du noir produit
par la synthèse soustractive ou le mélange soustractif mais il ne peut pas y avoir de blanc. Voila mes
trois formules scientifiques de colorimétrie, de science simple.

Alors je dis, bon mais on oublie, on n'oublie ça, ces formules, ces études de colorimétrie.. peu
importe la date .. Ma question - comprenez la bien pour y introduire toutes les nuances - c'est si déjà
la pratique picturale n'avait pas operé dejà de tels régimes de couleurs. Le dernier critère de régime
c'est le moyen de reproduction de la couleur. On arrête la, car ça devient trop abstrait. Je dis, je

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définirais dès lors, un règime de la couleur c'est mon premier résultat - je voudrais une petite montre,
t'as pas une petite montre ? ?...

je définirais un régime de couleurs par quatre caractères, par quatrecaractères.

Premier caractère : un état de fond au double sens du mot fond, à savoir détermination du
support, qualification du support, et position variable de l‘arrière plan.

Deuxième caractère : par une modulation correspondante.

Troisième caractère : par une teinte privilégiée parmi les quatre teintes fondamentales : vif, pale,
rabattu, profond. . Par un mode de reproduction parmi les trois grands modes de reproduction :
le mode longueur d'onde dominante renvoyant à un flux blanc,
le mode synthèse additive,
le mode mélange soustractif . En disant ça heureusement que j'ai récapitulé car en fait mon
deuxième caractère disparaît puisque la modulation elle est prise dans ce dernier caractère. Donc
en fait il n'y a que trois caractères Voilà, OUF, léger repos...

Voilà. ça va ? oui, ça va ? Bien. Dès lors je reprends mon problème... S' il est vrai qu'on peut
définir des régimes de couleurs, tantôt ces régimes de couleurs renverront à des espaces définis
précédemment et à des modulations définies précédemment, tantôt renverront à un espace
proprement de couleur et à une modulation proprement chromatique que nous n'avons pas encore
définie. Bien cherchons un peu dans l'histoire, dans l'histoire de la peinture. J'essaie de définir un
régime de couleurs "Renaissance" par exemple. On va voir comment ça se passe - si on peut
atteindre un tout petit peu de technique - là mais vraiment au service de notre recherche sur les
régimes de couleur . Est ce qu'il y aurait un régime de couleurs "Renaissance", avec beaucoup
d'exceptions, beaucoup de problèmes ? c'est ça qui fait aussi la vie, la vie d'une histoire de la
peinture . et ben oui !il me semble bien qu'il y a un régime de couleurs mais au sens ou l'on vient de
l'employer et sans doute c'est une longue histoire, mais ce qui est célèbre c'est l'existence des
fonds" blancs" dans la peinture de la Renaissance.

Parlons des fonds blancs, partons de là .... ça nous renverrait peut être à notre première formule
colorimétrique mais là on pourrait pas pousser trop loin car eux, ils le font en "praticien" en "peintre" -
pas en savant. Ils utilisent des fonds blancs - ça veut dire quoi ? ça veut dire que le support est garni
d'une couche de plâtre, d'un plâtre spécial, d'un plâtre traité d'une manière spéciale ou bien d'une
couche assez épaisse de craie - et là dessus qu‘est ce qui se passe ? Or il y a un peintre qui est
connu - et là c'est important pour l'Histoire de la Peinture - il y a un peintre qui est connu pour avoir
poussé ce système a la perfection. Et bien avant la Renaissance c'est à dire que la Renaissance
hérite de quelque chose qui se préparait mais justement ce peintre précisément est comme à la
charnière, de ce qui précédait et de la Renaissance. C'est le grand Van Eck, au point que - est
courant dans l'histoire de la peinture la formule d'un secret de Van Eck - et ce secret de Van Eck ça
commence avec ce plâtre dit amorphe qui sert de fond. Van Eck il meurt vers 1440 - j'ai pris dans le
dictionnaire : 1440, c'est à dire avant la naissance de Leonard de Vinci mais pas longtemps -
Leonard de Vinci naît en 1452. Il y a un critique récent qui a fait un livre où il insiste énormément sur
Van Eck et considère Van Eck comme le peintre des peintres - chacun a le droit de choisir son
peintre des peintres mais il s'appuie précisément sur ce fond blanc mystérieux... parce qu'il met en

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question bien des choses ce fond blanc : en effet pour obtenir du plâtre amorphe il y a tout un jeu de
plâtre et de colle donc il y a tout un problème de la "pharmacie" de la peinture, de la "chimie" de la
peinture.

C'est Xavier de Langlais, et Xavier de Langlais, il a écrit un livre très intéressant chez Flammarion
qui s'appelle "la technique de la peinture à l'huile" et il est formidable, c'est à dire c'est un livre qu'on
lit avec beaucoup de joie - euh, en rigolant beaucoup parce que c'est un type de critique très
particulier comme on en trouve un peu dans toutes les disciplines artistiques. C'est un je crois c'est à
la lettre - euh ce qu'on pourrait appeler euh un réactionnaire euh mais un réactionnaire très bien -
Vous allez voir ce que c'est un réactionnaire très bien. Un réactionnaire très bien c'est quelqu'un qui
stoppe qui stoppe ce qui se passe, à un certain moment et dit : " ah non non la on arrête c'est fini,
après il n'y a plus rien !" Vous connaissez... ? ils sont charmants d ‘ailleurs : "euh ça s'arrête la" et
puis non et puis non ah ! après : "mais quand même y'avait Mozart" c‘était pas mal....ah (rires dans
la salle) non alors il y avait ça en musique, par exemple il y a beaucoup d'amoureux du chant
grégorien qui sont comme ça.. Pan ! "après le chant grégorien, il n' y a rien" c'est une décadence,
une lente, lente décadence...faut pas rigoler parce que...

Il y a eu ça en philosophie, un moment très joyeux, ça été avec le néothomisme, Maritain c'était


formidable il y avait Saint Thomas ... après, c'était dur pour lui...euh Descartes euh, s'il y a avait un
peu de Saint Thomas en Descartes alors ça allait. Or il y'a quelque chose de très bizarre que vous
allez comprendre... Parfois ces hommes qui arrêtent tout à un moment et qui ne veulent plus rien
entendre du reste, se retrouvent d'étonnants modernistes et ils sont bien - à deux égards - que d'une
part ils nous apprennent énormément de choses sur le point de coupure qu'ils font. Et en effet ça
s'explique très facilement ... ils sont tellement excités avec leur : "tout est fini à partir de la " qu' ils ont
une connaissance technique très profonde de la période où ils arrêtent "tout", ensuite c'est une
décadence... Ensuite c'est une décadence, bon d'accord, mais pour comprendre ce que c'est que le
chant grégorien il faut s'adresser à quelqu'un comme ça. Pour comprendre Saint Thomas il faut
s'adresser à Maritain c'est évident. Et alors tout le reste est décadence. Tellement décadence que
selon eux il vaudrait mieux repartir à zéro. D'où je reprends l'exemple, parce qu'il me fascine,
l'exemple de Xavier Langlais, il va nous dire : "la peinture a l'huile elle connaît son triomphe avec
Van Eck"

Déjà a la Renaissance gràce au fond blanc, grâce au plâtre amorphe, après c'est foutu, déjà à la
Renaissance, bien sûr il garde le secret de Van Eck mais ils le comprennent déjà moins bien la
décadence commence déjà à la Renaissance mais quand même ils ont gardé quelque chose du
grand Van Eck, mais après c'est terrible... A quoi on voit que c'est terrible ? Là, Xavier de Langlais
révèle son obstination, son obsession propre : c'est la craquelure : les tableaux ils craquellent, alors
là il se connait plus Xavier de langlais... Les tableaux depuis Van Eck, ça craquent de plus en plus et
alors les peintres il ne se domine plus quand il y a des peintres très "craquants" (rires dans la salle).
Il y a notamment un portraitiste anglais du 18 ème qui s'appelle Reynolds et qui est la tête de turc de
Xavier de Langlais parce que Reynolds - et on verra pourquoi du point de vue du régime de la
couleur c'était forcé que ça craque chez Reynolds - mais Delacroix, le mépris de Xavier Langlais : il
sait pas son métier, pour Xavier Langlais il sait absolument pas son métier , la preuve les c'est que il
a des craquelures...

Pour les impressionniste il est d'une sévérité il dit ;" il avaient de bonnes idées mais pas de savoir

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faire" et "ils ont jamais pu régler le problème du fond." Voyez que je reviens à ma question du régime
de la couleur, Xavier Langlais c'est quelqu'un pour qui il n'y a qu'UN régime de la couleur, le grand
régime à longueur d'onde dominante c'est dire le fond blanc.

C'est pas mal, mais alors donnons nous - il faut croire qu'il y a quelque chose ! Mon Dieu, Mon Dieu
il y a quelque chose... Voilà ce premier régime de la couleur, je cherche Renaissance qui emporte le
secret de Van Eck, qui l'exploite et qui qualifie son support sous forme de "plâtre" ou "couche
épaisse de craie". Qu'est ce qui va se passer après ? Deux temps :
sur le fond blanc, ils font ce qu'ils appellent une "ébauche" et ils lavent "l'ébauche",
ébauche lavée sur le fond blanc - ça c'est le second temps : c'est comme ça qu'ils travaillent.
Troisième temps, ils étendent et ils posent les couleurs... sous quelle forme ? ils posent les
couleurs en couches minces.

J'ouvre une parenthèse, pour que vous compreniez - il fallait que vous compreniez au début mais
si vous n'avez pas compris ça ne fait rien vous comprendrez après - Je fais une parenthèse : Mes
deux premiers temps : fond blanc, ébauche lavée, ça vous donne quoi ? ça vous donne évidemment
une formule de "clair lavé" : c'est ça que j'appelais "privilège aux teintes pâles", privilège aux teintes
pales, Ce qui n'empêche pas qu'au troisième temps, ils posent les couleurs - ça peut être des
couleurs vives, ça peut être des couleurs saturées, ça peut être des couleurs profondes - mais le
principe ce sera : mince couche de couleurs sur le fond blanc, de telle manière que le fond blanc
transparaisse, transparaisse notamment par exemple, à travers un vêtement.

Le fond blanc va donner luminosité aux couleurs et pour les ombres : qu'est ce qu ils vont faire ?
bien là, ils vont saturer la couleur, la couleur posée sur le fond, ils vont saturer la couleur, ils vont
passer plusieurs couches et c'est une des premières formules "la couleur posée sur le fond blanc
pardessus l'ébauche", en respectant les lignes de l'ébauche : c'est la première formule de ce qu on
appellera le "glacis" : mince couche de couleur sur le fond.

Mais bien qu'on emploie ainsi le mot "glacis", le mot technique de glacis, moi j'aurais envie de
réclamer, de dire "c'est pas ça le vrai glacis" c'est un glacis ça, dans un sens très général. On verra
pourquoi je fais cette réserve, j'essaierai de dire pourquoi je fais cette réserve, moi je préférais
garder - on a tous les droits - garder ce mot "glacis" pour un autre régime. Bon.

Voilà ce premier régime. Quand je dis c'est la formule Renaissance, ça veut dire quoi ? Ce que
tout les peintres ben oui ils font presque tous. Ben voyez : fond blanc ébauche lavé, couleur mis en
glacis. ça me donne - je dirais la je suis en droit il me semble de dire que - c'est un régime pale
même si les teintes pales ne dominent pas, même s'il n'y pas seulement des teintes pales. C'est un
régime pale, parce que l'ensemble des couleurs qu'elles soient vives saturées, profondes, tout ce
que vous voulez, sera obtenue à partir de cette matrice : blanche, ébauche lavé. Oui, est très clair,
très clair... Orqu'estcequi va se passer là ? qui appartient vraiment a la Renaissance. comment ça
bouge la peinture ? Ce qui va se passer c'est quand même des choses très curieuses : c'est que les
peintres de la Renaissance qui emprunte le système Van Eck vous remarquerez que les italiens l'
empruntent à la Flandre et puis on verra que c'est par l' Italie que ça revient à la Flandre et à la
Hollande....très curieux ce cheminement...et ben et ben ... Il se passe une chose, c'est que les
peintres de la Renaissance, je parle des plus grands ...c'est donc pas une critique ...pour Langlais
c'est déjà une critique, ils vont avoir tendance à épaissir de plus en plus... le fond blanc. Leur

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prouesse technique va passer par un épaississement du fond blanc. Le fond blanc devient de plus
en blanc épais ou du moins de plus en plus opaque... C'est très important ça si vous me suivez -
c'est le dernier point difficile, si vous comprenez ça vous allez comprendre tout de l‘avenir -
notamment le très grand peintre, alors Langlais est très embêté parce qu'il dit évidemment c'est un
génie il fait partie des plus grands peintres, c'est donc un génie c'est embêtant et en même temps sa
technique est déjà sur la voie de la décadence. Puisque c'est plus le vieux fond Van Eck or le plus
grand peintre qui alors se signale par un épaississement mais alors un épaississement visible
considérable du fond de support c'est... le Titien, le fond blanc devient très très épais et très opaque.
Vous sentez que ça va être déjà la naissance d'une forme de luminisme ça, ça va tellement annoncé
certains aspects du 17 eme siècle. Il devient très opaque le fond blanc. Même chez Leonard de Vinci
ou très bizarrement son plâtre semble bien - les spécialistes disent : pas tellement plus épais que
celui de Van Eck mais en revanche beaucoup plus opaque... C'est intéressant ces différences qui
sont vraiment des différences purement techniques, qu'est ce que ça va entraîner si vous faites un
fond blanc plus épais ? un plâtre très épais ? Ça va entraîner une drôle de chose il me semble que
ça va entraîner deux choses, enfin il semble ...il se trouve que ça entraîne deux choses :

La première chose c'est que le lavage du fond, la dilution qui se fait à l'eau ou à l'essence de
terebenthine, la dilution va être de plus en plus colorée, tout se passe comme ci la couleur remontait
vers le fond c'est à dire les couleurs de l'ébauche vont déjà marquer l'ensemble du fond, au lieu d'un
fond blanc, le fond blanc tendra à mesure qu'il devient plus opaque et plus épais, à se colorer, c'est
la première grande différence. Coloré pâle d'accord coloré pale... Oui, mais coloré.

Deuxième différence considérable, là vous devez comprendre - le travail au niveau même, dans
les deux cas c'est le travail du peintre - l'ébauche est menacé, le stade de l'ébauche est menacé...
au profit de quoi ? L'ébauche va tendre à être remplacé par le "travail en pleine pâte" a mesure que
le fond devient plus épais et qu'est ce que c'est le travail en pleine pâte ? C'est ce qui faut opposer à
l'ébauche...

Le travail en pleine pâte c'est la méthode des repentirs, les repentirs du peintre, à savoir : au lieu
d'une ébauche bien déterminée sur laquelle ensuite il n'a plus qu'a mettre les couleurs, il va y avoir
perpétuellement un remaniement, un travail en pleine pâte ou au besoin le peintre... va remanier tout
et c'est notamment chez Le TiTien qu'on assiste à ces choses tellement émouvantes, les repentirs
du peintre, ou quand vous regardez de très près ou bien quand vous regardez dans des conditions
scientifiques : vous voyez la marque d'un repentir - par exemple comme une cinquième pâte d'un
cheval, la pâte qui a été supprimée, pour une redistribution des pattes.

Donc je dirais, les trois : l'évolution de la Renaissance, techniquement du point de vue du régime, de
ce régime de la couleur blanc, fond blanc va être marquée par trois choses :
épaisseur de plus en plus grande, et opacité de plus en plus grande, -
coloration du fond de plus en plus nette,
substitution de la méthode des repentirs, à la méthode l'ébauche.

Voyez en effet que pour un homme comme Langlais, tout cela est très triste, ce plâtre qui devient
épais.... Ce fond qui est déjà coloré qui absorbe déjà la couleur et l'abandon de l'ébauche au profit
du travail en pleine pâte tout ça, ça lui permet de dire de son point de lui à lui, ah ben oui, la peinture
prend un mauvais chemin... Quand je dis : il est quand même moderniste, ça se comprend, c'est que

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: il est tellement persuadé que déjà à la Renaissance c'est la décadence de la peinture à l‘huile qu'il
va dire : vive les couleurs acryliques, vive les couleurs sans huile, vive les couleurs actuelles, ça oui
alors... Il redevient très moderniste, il dit : "la peinture à l'huile c'est foutu, alors vaut mieux repartir à
zéro avec l'acryle, le vinyle et tout ça" ... Vous comprenez ? Bon, je reviens là à mon histoire...

Voilà, je définirai donc le régime Renaissance : Il y a un bien un régime de la couleur - et vous voyez
que ça s'enchaîne avec tout ce qu'on a fait avant - je dirais, il y a bien un régime de la couleur mais
nécessairement ce régime de la couleur est au service d'un espace signe et d'une modulation d'un
autre type. L'espace-signe - on l'a vu - de la Renaissance : c'est l'espace tactile-optique, définit par la
ligne collective et le primat de l'avant plan. Mais comprenez que le fond blanc fonde précisément le
primat de l'avant plan. Comprenez que l'ébauche, fonde précisément la ligne collective, et ça
n'empêche pas que vous avez un régime de la couleur, dans la mesure que vous posez en "glacis",
en pseudo glacis, vos couleurs quelle qu'elles soient, sur ce fond qui agit sur les couleurs - c'est
donc ce que je peux appeler le régime "pâle" de la couleur au service de l'espace Renaissance, de
l'espace tactile-optique et de la modulation par la ligne collective.

Voilà un premier régime de la couleur ....ça va ? oui ? non .difficile ? Un intervenant : très ! Très, trop
?... ... (Interventions diverses) Oui, mais c'est difficile pour moi aussi... (Rires) Oui c'est difficile tout
ça Non c'est...

Alors bon en accumulant les stades, peut que ça va être euh...

Je passe comme à un second stade, un autre régime de la couleur, cherchons un autre régime de la
couleur, plus là ça risque de se compliquer et en même temps se simplifier, je sais pas, puisque on
va envisager les régimes de la couleur 17ème siècle, 17ème siècle. Là c'est curieux, parce que il
semble que je réclamais plutôt par facilité un seul - mais là je peux pas faire autrement - un seul
même trait varié et la a tellement évidemment deux, deux qui vont former comme une espèce de
pince. Autour de quoi ? Autour du luminisme du 17ème siècle

Vous vous rappelez la formule la encore ça va pas être un espace de la couleur pur, ça va être un
régime de la couleur subordonnée à un espace-optique par lequel on a défini le 17e et par rapport à
la modulation correspondante, la modulation de la lumière et non plus la modulation de la ligne
collective. Donc je dirais que là encore, le régime de la couleur ne renvoie pas un espace
coloristique qui lui serait propre, il est au service d'un espace d'une autre nature, l'espace optique de
la lumière. Mais précisément, il présente un sérieux changement par rapport au régime de la
Renaissance.

A la fin du 16 ème siècle surgit un peintre dont l'importance technique sera immense, et que hélas
évidemment, Xavier de Langlais abomine tellement qu'il n'en parle même pas. C'est le Caravage, or
qu'est ce que fait le Caravage ? Qu est ce qu'il invente ? La chose la plus insolite : Il invente - bien
sûr il a eu des prédécesseurs, faudrait les chercher - mais il invente le fond - et là, les mots semblent
manquer - Il invente le "fond noirâtre", le fond de bitume ou bien plus précisément : le fond "brun
rouge", un brun rouge... Un fond brun rouge, bon... et qu'est ce que ça change ? Voilà que le support
est qualifié par cette espèce de - comment dire - de couleur indéfinissable.

J'insiste là dessus parce que quand euh quand Wolfling parle de certains aspects du luminisme du

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17ème siècle il dira ...aie aie... (Un objet tombe dans la salle) . exactement ça : le fond c'est une
couleur indéfinissable. Qu'est ce que va dire "une couleur indéfinissable" ? Ben, ce qui m'importe
c'est que c'est quelque chose d'indéfini, je ne peux pas dire à proprement parler : c'est telle couleur
mais c'est de "la" couleur. Tandis que dans la formule Renaissance, vous aviez un fond blanc - en
d'autres termes, la couleur était reçue par une matrice non colorée - la coloration commençait à
peine avec l'ébauche. Là vous avez une couleur indéfinissable, vous avez l'impression que toutes les
couleurs se mélangent dans leur nature sombre. Ce que Goethe dit : "toute couleur est sombre",
"toute couleur est obscure" trouverait ici son illustration pleine : la matrice de la couleur et cet espèce
de bain sombre qui va faire le "fond" du tableau.

Qu'est ce que ça veut dire ça ? et pourquoi ? comprenez là, on retrouve toutes nos notions avec ce
fond sombre, avec cette matrice obscure. Il y a toute possibilité de quoi ?
d'assurer le primat de l'arrière plan. Le fond cette fois ci, va être chargé d'assurer le primat de
l'arrière plan, ça veut dire quoi assurer l‘arrière plan ? Tout jaillit de l'arrière plan . Vous sentez déjà
qu'il s'agira plus de poser des couleurs en glacis sur un fond blanc... Il s'agira de faire surgir du fond
sombre, de cette "sombre matrice", toutes les couleurs, tous les éclats, toutes les vivacités c'est à
dire : toutes les lumières
Et le fond sombre, il va l'assombrir encore plus à l'endroit des ombres, il va faire surgir les
couleurs éclatantes, et évidemment la tâche principale du peintre va commencer à être la
dégradation : dégrader. Il va dégrader ces couleurs vives, ces couleurs vers les ombres - c'est un
tout autre régime de la couleur - et ça va être un des pôles de la naissance du Luminisme. Ces
lumières éclatantes qui jaillissent d'un fond sombre - exemple célèbre : la vocation de Saint Mathieu
du Caravage. (question d'une étudiante). Je dis pas qu'il invente la dégradation - la dégradation
devient à ce moment là, quelque chose qui fait pleinement partie du second travail, puisque
forcement - le fond va être donc coloré de type indéfinissable ,ça va être le fond sombre, les ombres
vont être organisées de telle manière qu'elles jaillissent du fond sombre au lieu d'être « posé sur ».

Alors, oui : "la vocation de Saint Mathieu", l'exemple célèbre de Caravage montre ça, l'espèce de
saint Mathieu qui est dans un tripot dans un tripot, une cave tripot, complètement assombrie sombre,
un rayon de lumière venant d'un soupirail, qui prend le christ La main du christ qui désigne Saint
Mathieu là comme ça : toi ...toi... ! au sens de toi, suis moi ! et cette main qui est pris dans le grand
rayon, tout ça enfin C'est déjà une grande naissance du luminisme...

Or si l'on cherche techniquement d'ou viendrait ces fonds sombres que Le Caravage porte à sa
perfection porte à leur perfection, il semble que ce soit Tintoret, il semble que vous les trouvez déjà
dans les tableaux de Tintoret, dans certains tableaux de Tintoret. - Bon voilà un régime de la couleur
que je dirais quoi ? tout comme je disais tout a l'heure je dirais pale, celui à fond blanc et ébauche
lavé. Là au contraire c'est fond sombre et travail en pleine pâte de la couleur. Cette fois ci c'est du
foncé saturé et du foncé lavé...foncé saturé, foncé lavé. En d'autres termes c'est un régime qui est
comme déjà un régime mixte, qui est a la fois un régime de teintes profondes et de teintes
rabattues....

Et tandis que là aussi toutes les teintes sont "produites" et si j'essaie de trouver un correspondant,
je dirais que là d'une manière très approximative : la matrice cette fois ci, c'est le mélange des trois
couleurs qui ne s'équilibrent pas - la couleur indéfinissable c'est ce mélange, ce mélange sombre
des couleurs prises dans leur nature sombre, dans leur nature obscure - c'est a dire les trois

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fondamentales qui ne s'équilibrent pas.

En d'autres termes ça, ce serait un régime de la synthèse additive. Mais dans l'autre direction - de
telle manière que le luminisme est double - dans l'autre direction, vous avez quoi ? Vous avez
l'histoire de la Renaissance qui continue mais précisément en se continuant, elle va complètement
changer de sens, à savoir : on reprend cette fois ci, à partir du Titien, cette épaississement de la pâte
et cette épaississement de la pâte va donner au 17ème siècle - je précise que Caravage a eu sur
tout le17 ème siècle une influence fondamentale : c'est à dire que tout le monde y est passé. En
Espagne y est passé : Ribera et Le Greco, en France ils y sont tous passés. Influence aussi sur les
flamands donc Caravage l'a été comme à une espèce de charnière. Alors je dis l'autre voie, le
prolongement du Titien, Vous vous rappelez ce fond blanc devenait de plus en plus épais si bien qu'il
ne portait plus une ébauche mais qu'il faisait l'objet d'un travail en pleine pâte et se colorait. Ben ça
va être très important, ça va être la naissance du "glacis" à proprement parlé, je dirais qu'en reculant
dans le temps, poussé dès le principe du tableau, le fond va se colorer de plus en nettement, en
même temps que le travail se fera en pleine pâte... C'est Rubens qui pousse le système à fond - si
bien que là vous allez tendre à dégager un glacis à proprement parlé - à savoir des couleurs sont
appliquées sur un fond clair, sur un fond coloré clair. En d'autres termes le glacis à proprement parler
c'est : "couleurs sur couleurs claires", couleurs fines et avant tout "couleurs fines et translucides" et
au besoin "brillantes appliquées sur fond clair". Pourquoi est ce qu'on n'applique pas des couleurs
claires : précisément parce que les couleurs claires sont trop opaques C'est les couleurs qui vont
faire "le fond" et on fait du glacis parce qu'on applique des couleurs sur ce fond clair. Or si c'est ça la
formule de Rubens, par exemple des couleurs du type bleu d'outre mer ou bitume vont être
appliquées sur le fond clair. Je crois que l'un des premiers à avoir procédé comme ça dans la lignée
du Titien mais marquant une évolution par rapport au Titien, une précipitation par rapport au Titien,
c'est précisément un espagnol si bien que l'Espagne elle aurait ces deux peintres qui...Ribera
descendant de la formule Caravage et Errera... qui lui à la lettre peint sur des fonds roses, souvent
pas toujours, sur des fonds roses argent, une espèce, un rose argenté... là il y a vraiment une
espèce de glacis à proprement parlé...

Si bien que, je crois que la définition stricte du glacis c'est exactement celle que donne Goethe, mais
justement elle exclut - lorsque je pose des couleurs sur fond blanc manière renaissance, c'est pas du
glacis à proprement parlé - la définition que donne Goethe du glacis, il distingue trois fonds Goethe
dans le traité des couleurs, il fait une revue très rapide et dit ben oui il y a le fond blanc a la craie, il
ne cite pas le plâtre mais en fait c'était surtout du plâtre il y a le fond blanc de la Renaissance , le
fond sombre brun rougeâtre du Caravage, là il cite - il cite très peu de peintres - il cite Le Caravage -
juste et il dit : il faut ajouter le glacis. Il définit le glacis comme ceci : c'est ce qui se passe lorsque l'on
traite une couleur déjà appliquée comme fond clair. Si bien que malgré l'usage je ne voudrais pas
employer le mot glacis lorsque la couleur est appliquée sur un fond qui n'est pas lui même déjà, une
couleur, une couleur nécessairement claire. Il y a glacis uniquement lorsque vous situez des
couleurs par couches fines et transparentes sur fond clair... Or ça qu'est ce que ça vous donne ?
Cette...

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 05/01/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 05/01/82 - 2 Page 1/14


G.Deleuze- Cinéma cours 5 du 05/O1/82 - 2 transcription : Una Sabljakovic

Vous voulez fermer la porte ? Vous n'avez pas bien envie de travailler, hein ? C'est quand vous
voulez moi je ne vais pas vous pousser... Oh j'espère que vous avez vu à la télévision, l'émission
Glenn Gould - ceux qui ont la télé - quel génie ! Glenn Gould...Un pianiste..prodigieux, prodigieux...
.Ah ! mon Dieu ! Alors quand même... ;

voilà rien d'autre, qu'est ce qu'on demande encore une fois, rien d'autre qu'un petit écart. Un petit
intervalle, un petit intervalle entre deux mouvements. Encore une fois ce n'est rien qui ressemble
pour le moment à une conscience, à quelque chose, à un esprit, non...Qu'est ce que ça veut dire ça
? Hein, Comprenez que c'est déjà très important si je prends à la lettre : il y aurait donc deux sortes
d'images ?

Premièrement, il y aurait des images qui subissent des actions et qui réagissent, retenez bien
parce que ça va nous être à nouveau très important ; qui subissent des actions et qui réagissent
immédiatement dans toutes leurs parties et sous toutes leurs faces. Elles subissent et réagissent
immédiatement sur toutes leurs parties et sur toutes leurs faces.

Et puis il y a un autre type d'images, qui simplement présente un écart entre l'action et la réaction.
Ça nous permet de faire une précision terminologique : on réservera le mot « action » a proprement
parlé à des réactions qui ne surviennent qu'après l'écart.

De telles images, qui réagissent à l'action qu'elles subissent sous condition d'un intervalle entre
les deux mouvements, ces images-là sont dites "agir " à proprement parler. En d'autres termes il y a
"action a proprement parlé" lorsque la réaction ne s'enchaîne pas immédiatement avec l'action subie.
C'est bien ok, c'est bien ce que tout le monde appelle action, si on cherche une définition de l'action
celle-là c'est une bonne définition. Pourquoi ? Parce que c'est une définition temporelle. Et en effet il
y a un grand art de Bergson ; les définitions de Bergson c'est toujours, même quand elles n'en ont
pas l'air, c'est toujours des définitions temporelles. C'est toujours dans le temps qu'il définit les
choses ou les êtres.

Mais essayons de mieux comprendre parce que c'est curieux mais je continue à avoir
l'impression que c'est à la fois, simultanément, extraordinairement simple tout ça et
extraordinairement compliqué, les deux à la fois. Et l'un ne détruisant pas l'autre. Prenons un
exemple alors, vite un exemple alors, vite un exemple d'une image qui comporte un tel écart. Bien
mon cerveau, j'ai un cerveau : c'est une image, vous vous rappelez ; c'est une image-mouvement,

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c'est une image comme les autres, parmi les autres et c'est une drôle d'image l'image-cerveau.
Parce quelle différence il y a entre le cerveau et la moelle épinière ? On peut dire bien des choses,
notamment on peut chercher des définitions structurales, c'est-à-dire, finalement spatiales de la
moelle épinière et du cerveau. Mais si on joue le jeu de la recherche des définitions temporelles,
dans l'acte réflexe : un ébranlement reçu, une action subie se prolonge immédiatement. Par
l'intermédiaire, il y a donc un enchaînement immédiat, sans intervalle. Il est temporel, mais sans
intervalle - mettons en très gros, comme ça c'est simplifié cela va de soi - entre les cellules sensitives
qui reçoivent l'excitation et les cellules motrices de la moelle qui déclenche la réaction.

D'accord, d'accord. J'ai un cerveau, je reçois une excitation bon ça ça reste, c'est-à-dire je reçois un
mouvement, un ébranlement, je reçois une excitation mais bizarrement au lieu que cette excitation
reçue dans un centre de sensibilité se prolonge immédiatement dans une réaction déclenchée par
un centre moteur de la moelle, un détour se fait. Dans tout ça, j'en reste en termes de mouvements :
un détour se fait, c'est-à-dire l'excitation remonte, à quoi ? C'est très rudimentaire comme schéma
mais ça fait tout comprendre. L'excitation remonte aux cellules de l'encéphale, aux cellules
corticales, de là : elles redescendent aux cellules motrices de la moelle. Bien. Donc différence entre
une action réflexe et une action cérébrale : ébranlement reçu par le centre de sensation, le centre
sensible, de sensibilité, prolongement immédiat, réaction déclenchée par le centre moteur de la
moelle. Action cérébrale : premier segment, la même chose, mais ça monte dans les cellules de
l'encéphale, et ça redescend dans les centres moteurs de la moelle.

Tout ça c'est du pur mouvement. C'est ça le retard. Le retard ou le détour. L'intervalle entre les deux
mouvements a été pris par le détour du mouvement. Vous comprenez ; ça commence par remonter
dans l'encéphale et ça redescend au centre moteur de la moelle. Pourquoi ? À quoi ça sert tout ça ?
À quoi ça sert ? Alors on commence à mieux comprendre, j'introduis rien de plus que le mouvement,
l'écart, l'intervalle entre deux mouvements ou le détour opéré par le mouvement. Et vous voyez que
je peux donner des définitions spatiales du cerveau qui seront très complexes, qui seront les
définitions du savant. Mais après tout le philosophe ou le métaphysicien pour le moment n'a
strictement besoin que d'une définition temporelle du cerveau et la première définition temporelle du
cerveau ce sera : un détour non, un écart ; le cerveau est lui-même un écart.

Le cerveau c'est l'écart. C'est un écart entre un mouvement reçu et un mouvement rendu. Ecart à la
faveur duquel se produit un détour. Un détour du mouvement. Qu'est-ce que ça implique ça ? Cet
écart ou ce détour ? Trois choses. Il va nous donner trois caractères. Il a comme concomitant trois
caractères. -
Premier caractère : l'image spéciale, voyez l'image spéciale, c'est l'écart ou le détour. Et bien les
images spéciales qui sont ainsi douées de cette propriété d'écart ou de détour.
Premier caractère : on ne peut plus dire qu'elles "subissent" des actions ; on ne peut plus dire
qu'elles reçoivent des excitations ou qu'elles subissent des actions dans toute leur partie ou sur toute
leur face. C'était le cas de l'image-mouvement ordinaire une image ordinaire : une
image-mouvement recevait des actions, subissait des actions sur toutes ses parties, sur toutes ses
faces, dans toutes ses parties et sur toutes ses faces. Là quand il y a écart entre le mouvement reçu
et le mouvement exécuté, la condition même pour qu'il y ait écart, c'est que le mouvement reçu soit
localisé. L'excitation reçue soit localisée.

En d'autres termes, l'image spéciale - je garde ce mot pour le moment - l'image spéciale sera une

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image qui ne reçoit les excitations qui s'exercent sur elle - elle ne subit les actions qui s'exercent sur
elle que - dans certaines de ses parties et sur certaines de ses faces. Ca veut dire quoi ça ? Ca veut
dire que lorsqu'une autre image, c‘est à dire lorsque quelque chose d'autre agit sur elle, elle ne
retient qu'une partie de l'action de l'autre chose. Il y a des choses qui la traversent ; il y a des choses
qui traversent l'image spéciale et - à quoi à la lettre - elle reste indifférente. En d'autres termes, elle
ne retient que ce qui l'intéresse. En effet, elle ne retient que ce qu'elle est capable de saisir dans
certaines de ses parties et sur certaines de ses faces. Or pourquoi est ce qu'elle retient ceci plutôt
que cela : évidemment elle retient ce qu'il l‘intéresse. Dans la lumière - là prenons un exemple
vraiment enfantin - dans la lumière, le vivant- et ça varie d'après les vivants - ne retient que certaines
longueurs d'ondes et certaines fréquences. Le reste le traverse, et l'état indifférent reste. Voyez, là
l'opposition devient très, très rigoureuse. L'image-mouvement, ordinaire, c'était une image - encore
une fois - qui recevait action et exécutait réaction immédiatement ; c'est à dire dans toutes ses
parties sur toutes ses faces l'image spéciale qui présente le phénomène d'écart, de ce fait même elle
ne reçoit l'action qu'elle subit que sur certaines faces ou dans certaines parties, dès lors elle laisse
échapper de l'image de la chose, ça revient au même, qui agit sur elle, elle laisse échapper
beaucoup. En d'autres termes, le premier caractère de l'écart ou de l'image spéciale ça va être ;
"sélectionné". Sélectionné dans l‘excitation reçue ou si vous préférez : éliminer soustraire. Il y aura
des choses que l'image spéciale laissera passer. Au contraire une image ordinaire, elle ne laisse rien
passer. En effet, elle reçoit, encore une fois, elle reçoit sur toutes ses parties et dans toutes ses
parties et sur toutes ses faces. L'image spéciale, elle ne reçoit que sur les parties, que sur certaines
faces et dans les parties privilégiées. Donc, elle laisse passer énormément de choses. Je ne verrai
pas au-delà et en deçà de telle longueur d'onde, et telle fréquence. Un animal verra ou entendra,
sentira des choses que moi je ne sens pas, etc., etc., enfin, vous pouvez prolonger tout ça ; c'est ce
premier aspect de la sélection ou de l'élimination qui va définir le phénomène de "l'écart" et ce type
d'image spéciale.

Deuxièmement : considérons l'action subie alors dans ce qui en reste puisque j'ai sélectionné ?
en tant qu'image spéciale, j'ai sélectionné les actions que je subissais - Si vous préférez mon corps a
sélectionné - ça revient au même - a sélectionné les actions que je subissais.

Alors, considérons maintenant ce que je subis comme action : qu'est-ce qui se passe ? Je subis un
ébranlement, je subis une action, je reçois des vibrations, tout ça ; je ne parle plus de celle que
j‘élimine. Je parle de celle que je laisse passer ; je parle de celle que je retiens, que je reçois sur une
face privilégiée, que je reçois dans une de mes parties. Qu'est-ce qui se passe pour cette action
subie ?

Ca va être le second caractère. Dans le circuit réflexe, pas de problème, elle se prolongeait en
réaction exécutée par l'intermédiaire des centres moteur. Et on a vu que là, au contraire, il y a un
détour par l‘encéphale. Qu'est-ce qu'il veut dire ce détour ? Qu'est-ce qu'il fait ? Qu'est-ce que ça
veut dire ce détour par l'encéphale ? Tout se passe comme si, l'action subie, quand elle arrivait dans
l'encéphale - appareil prodigieusement compliqué - se divise en une infinité de chemins naissants.
Alors, on peut dire pour simplifier que c'est des chemins déjà préfigurés, qu'il y en a plein, mais en
fait c'est des chemins qui se refont dans l'ensemble du cortex à chaque instant, qui sont déterminés
par des rapports électriques etc. par des rapports encore bien plus compliqués, par des rapports
moléculaires, enfin bon, toutes sortes de choses.
Tout se passe comme si l'excitation reçue se divisait à l'infini comme en une sorte de multiplicité

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de chemins esquissés. Voilà, je fais un petit dessin pour que vous compreniez : l'arc reflexe est très
bien, vous avez excitation reçue, un segment, cellule sensitive qui reçoit l'excitation et transmission à
la moelle, centre, truc moteur de la moelle, réaction. Là, vous avez au contraire excitation reçue - le
premier segment reste le même - montée dans l'encéphale, et là ça devient... L'excitation se trouve
devant une espèce de division de soi en mille chemins corticaux et toujours remaniés. C'est une
division ; une multidivision ; multidivision de l'excitation reçue.

- Voilà dans la description bergsonienne ce que fait le cerveau. C'est pas compliqué à quel point
Bergson est en train de nous dire, mais évidemment le cerveau, il introduit pas des images, les
images - elles étaient déjà là avant ; il n'y avait pas besoin d'introduire des images. Non, le cerveau il
opère uniquement au niveau du mouvement. Il divise un mouvement d'excitation reçue en une
infinité des chemins. Bon, ça c'est le deuxième aspect : je dirais ce n ‘est plus une sélection
soustraction, c'est une division . C'est donc le deuxième aspect de l'écart ; l'écart opérait tout à
l'heure une soustraction élimination, non une soustraction sélection, maintenant il opère une division
de l'ébranlement reçu, de l'excitation reçue. L'action subie donc, si vous voulez, ne se prolonge plus
dans une réaction immédiate ; il se divise en une infinité de réactions naissantes. Qu'est-ce que c'est
ça ? On en aura besoin - j'introduis ce concept là, parce que Bergson n'emploie pas ce mot, mais
comme j'en avais besoin - c'est comme une espèce de division c'est aussi bien une espèce
d'hésitation comme si l'excitation reçue hésitait, s'engageait un pied dans un tel chemin cortical, un
tel autre pied dans tel autre chemin etc. C'est exactement ce qu'on appelle - il y a ça en géographie
là quand un fleuve se met à ..... comment ça s'appelle ?... c'est très connu ça...Ah, écoutez, un effort
; enfin, c'est pas possible que tous on perde les mots en même temps : ce n'est jamais les mêmes
mots qu'on perd - Ah, non, ah, mais ce n‘est pas ça méandre, non. Ce n'est pas ça. Un delta. C'est
ça.

Troisièmement, grâce à ça ; grâce à cette division et ces subdivisions de l'excitation reçue par le
cortex, division opérée par le cortex. Qu'est-ce qui va se passer ? Quand il y aura une redescente au
centre moteur de la moelle, il faudra que ce ne soit plus le prolongement de l'excitation reçue mais
que ce soit comme une espèce d'intégration de toutes les petites réactions cérébrales naissantes.
En d'autres termes : apparaîtra quelque chose de radicalement nouveau par rapport à l'excitation
reçue. Ce quelque chose de "radicalement nouveau par rapport à l'excitation reçue" c'est ce qu'on
appellera : une "action" à proprement parler. Et ce troisième niveau on dira qu'il consiste en ceci :
que ce sont des images spéciales parce qu'au lieu d'enchaîner leurs réactions avec l‘excitation, elles
choisissent leurs actions. Elles choisissent la réaction qu‘elles vont avoir en fonction d'excitation.
Voilà donc trois termes uniquement cinétiques - c'est à dire en terme de mouvement - on a rien
introduit qui ressemble à un esprit. Ces trois termes cinétiques qui permettent de définir l'image
spéciale c'est :
premièrement : soustraire / sélectionner,
deuxièmement : diviser,
troisièmement : choisir. Alors, vous me direz "choisir", ça implique quand même la conscience,
tout ça ..., rien du tout. La définition toujours temporelle qu'on peut donner de "choisir" à partir des
textes de Bergson, c'est :"intégrer la multiplicité des réactions naissantes telles qu'elles s'opéraient
ou se traçaient dans le cortex."

Donc, je dis une telle image qui est capable de sélectionner quelque chose dans les actions
qu'elle subit, de diviser l'excitation qu'elle reçoit et de choisir l'action qu'elle va exécuter en fonction

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de l'excitation reçue, une telle image, appelons là : image subjective. Remarquez qu'elle fait
absolument partie des images-mouvement. Elle est tout entière définie en mouvement. Image
subjective : pourquoi et en quel sens de sujet ? Là il ne faut pas ; il faut rester quand même très, très
rigoureux, si non tout s'écoule.

Sujet n'est ici qu'un mot pour désigner l'écart entre l'excitation et l'action. Et je dirais, "image
subjective" c'est : qu'est-ce que ça veut dire cet écart, en effet ? Cet écart ça définit uniquement un
centre qu'il faudra bien appeler un "centre d'indétermination".

Quand il y a écart entre l'excitation subie et la réaction exécutée il y a centre d'indétermination.


Ca veut dire quoi ? Ca veut dire, en fonction de l'excitation subie, je ne peux pas prévoir quelle sera
la réaction exécutée. Je dirais il y a là un centre d'indétermination. Ce qu'on appelle "un sujet", ce
n'est absolument pour le moment, rien d'autre que ceci : c'est un centre d'indétermination. Tiens,
voilà alors la définition spatiale qui correspond à la réalité temporelle du sujet. Par sujet on entend
quelque chose qui se produit dans le monde - c'est à dire dans l'univers des images-mouvement : à
savoir c'est un centre d'indétermination et ce centre d'indétermination est défini comment ? - il est
défini temporellement par l'écart entre mouvement reçu et mouvement exécuté. Cet écart entre
mouvement reçu et mouvement exécuté ayant trois aspects :
sélection / soustraction,
division,
choix.

Voilà la seconde idée du premier chapitre, qui nous a conduis tout droit à une troisième idée. mais
quel est le lien entre ces caractères ? Le centre d'indétermination est donc défini par soustraction
etc. , division et choix. Quel est le lien de ces trois caractères ?

Voilà mon troisième problème concernent le Premier chapitre. D'accord ? Pas de difficulté sur le
second point ? Ca va ? C'est minutieux, vous savez, c'est très minutieux ce truc. Bon. Il faudrait que
j'avance vite mais en même temps j'ai peur... Voilà. Je dis toute de suite, quel est l'enchaînement du
caractère tel que ... Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Des images spéciales reçoivent l'action d'autres
images mais en sélectionnant. C'est à dire, elles ne reçoivent pas le "Tout" de l'action. Elles éliminent
- en d'autres termes - elles éliminent pour elles, pour leur compte, ces images spéciales, elles
éliminent certaines parties et même un très grand nombre de parties de l'image qui agit sur elle.
C'est à dire de l'objet qui agit sur elle. Et en effet c'est bien connu - c'est un lieu commun là, mais tant
mieux - On retombe sur un lieu commun, c'est bien connu qu'on ne perçoit que très, très peu de
choses. C‘est pas qu'on perçoit mal, c'est qu'on perçoit vraiment pas beaucoup. C'est idiot dire qu'on
perçoit mal ou que ce qu'on perçoit n'existe pas. Tout ces vieux problèmes ; ça se trouve même plus
pour Bergson. Et dire oui, on ne perçoit pas assez, et en même temps c‘est notre grandeur parce
que c'est précisément en ce sens, qu'on a un cerveau. Qu‘est-ce que ça veut dire ça ? En effet, on
perçoit pas assez. Très intéressant comme formule si vous la comprenez.

C'est que percevoir, c'est par définition "percevoir pas assez". Si je percevais tout, je percevrais
pas. Percevoir par nature c'est bien saisir la chose, ça oui, c‘est saisir la chose mais c'est saisir la
chose moins tous ce qui m'intéresse pas dans la chose. Et en effet pour percevoir - voyez comment
le problème devient celui-ci : pourquoi les images spéciales sont-elles douées de perception ? C'est
forcé puisqu'elles opèrent la soustraction / sélection. Elles sont douées de perception. Elles

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perçoivent la chose dans certaines parties d'elles-mêmes privilégiées, sur certaines de leurs faces.
Par la même, elles ne retiennent de la chose que ce qui les intéresse. Elles perçoivent la chose oui,
mais moins beaucoup de choses. En d'autres termes : qu'est-ce que c'est que la perception d'une
chose ? C'est la chose encore une fois moins tout qui ne m'intéresse pas. C'est la chose moins
quelque chose. C'est pas la chose plus quelque chose. C'est la chose moins quelque chose. Pour
percevoir il faut que j'en retire. Et que je retire quoi d'abord ? Vous vous rappelez toutes les
images-mouvement, mais sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties, elles sont en
communication les unes avec les autres. C'est à dire, elles échangent du mouvement. Elles
reçoivent du mouvement, elles transmettent du mouvement. C'est pas de bonnes conditions pour
percevoir. Même pas du tout. C'est forcé qu'au sens où nous employons le mot perception, elles
perçoivent pas les choses. La table, elle perçoit pas. Il n'y a pas d'écart entre les actions qu'elle subit
et la réaction. Elle ne peut pas faire de sélection. Elle perçoit pas.
Pour percevoir qu'est-ce qu'il faut ? Il faut déjà que je coupe la chose sur ses bords. En effet il
faut que je l'empêche de communiquer avec les autres choses dans lesquelles elles dissoudraient
ces mouvement. Avec lesquelles elle fondrait ces mouvements. Comme dit Bergson ; « Il faut bien
que je l'isole ». Il faut bien que j'en fasse une espèce de tableau. Mais c'est pas seulement sur les
bords que je dois soustraire pour avoir une perception. C'est dans la chose même, encore une fois -
tout qui m'intéresse pas. Je compose mon système des couleurs avec les longueurs d'onde et les
fréquences qui me concerne. C'est uniquement limitant, la perception elle naît de la limitation de la
chose. Si vous comprenez ça, ça donne une idée il me semble très formidable. Une idée très
formidable : qui est quoi ?

Qui est... quelle différence il y a t-il, voilà mon problème - quelle différence il y a-t-il entre la chose
et la perception de la chose ?

Là on est en plein dans ce qui faisait les difficultés de la psychologie classique.

[...] Absolument rien à avoir avec ce que veut dire Bergson ; rien, rien, rien en commun. Car lorsque
d'autres philosophes disaient ça, ça voulait dire : les choses finalement se confondent avec les
perceptions que j'en ai. Il n'y a pas de chose sans perception que j'en ai.

Bergson il veut pas du tout dire ça. Il veut dire : les choses sont des perceptions en soi. En
d'autres termes, une chose, c'est une image-mouvement. Elle ne cesse de recevoir des actions et
d'exécuter des réactions et d'avoir des réactions. Je peux très bien convenir de dire que toutes les
actions qu'elle subit : elle subit des actions dans toutes ses parties - et que toutes les réactions
qu'elle exécute - elle exécute des réactions sur toutes les parties. Je peux très bien dire : l'ensemble
des actions qu'elle subit et les réactions qu'elle fait sont des perceptions. Je dirais, la chose est une
perception totale de tout ce qu'elle subit et de tout qu'elle exécute. Mot splendide d'un philosophe qui
a des rapports - qui n'est pas du tout un Bergsonien, qui a son originalité entière, auquel j'ai fait déjà
plusieurs allusions - de Whitehead à la même époque," les choses sont des préhensions". Les
choses sont des préhensions. En effet, elles préhendent - au sens de prise - elle prend, la
préhension c'est à la fois perception et prise. Elle prend toutes les actions qu'elle reçoit et toutes les
réactions qu'elle exécute. Mais je dirais elle prend précisément, dans les conditions qu'on a précisé,
sur toutes ses faces, dans toutes ses parties. Donc je dirais : chaque chose est une perception
totale. C'est justement pour ça que c'est pas une perception. Je dirais c'est une préhension.

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Il y a un mot qui est très facile, il y a un mot qui a eu du succès en philosophie parce que c'est la
distinction entre... c'est difficile oralement parce que... vous allez toute de suite comprendre pourquoi
- mais par écrit, on voit bien... Distinguer ... il y a toute sorte de philosophes qui ont distingué les
préhensions et les appréhensions. La préhension étant comme une perception inconsciente, une
espèce de micro-perception, et l'appréhension étant perception consciente. Je dirais les choses sont
des perceptions totales, c'est-à-dire des préhensions. Ma perception de la chose c'est quoi ? C'est la
même chose. C'est la même chose moins quelque chose. C'est une préhension partielle. Une
appréhension : c'est pas comme le croyaient les autres philosophes : une préhension plus une
synthèse de la conscience. Il faut dire une appréhension consciente, une perception consciente :
c'est une perception moins quelque chose, c'est à dire c'est une préhension partielle. Je perçois la
chose telle qu'elle est moins quelque chose, moins beaucoup de choses, moins tout ce qui
m'intéresse pas. Qu'est-ce que ça veut dire : "ce qui m'intéresse pas" ? Vous voyez c'est par là que
les choses sont des préhensions ou des perceptions totales, mes perceptions de choses sont des
perceptions partielles et c'est pour ça qu'elles sont conscientes. Quel curieux rabaissement, là, de la
conscience ? Finalement, les perceptions parfaites, c'est la perception, l'atome. L'atome a autant de
perception et étend sa perception aussi loin qu'il reçoit des actions et aussi loin qu'il exécute des
réactions. Les perceptions totales, ce sont celles des corps chimiques. Les perceptions totales ce
sont celles des molécules. Les molécules sont des préhensions totales. Les atomes sont des
préhensions totales.

Mais moi, ce que j'appelle "ma perception" et dont je fais mon privilège, et j'ai raison d'en faire
mon privilège parce que c'est précisément, un ensemble de préhensions partielles. En d'autres
termes, la perception c'est la chose même moins quelque chose. D'où le renversement du
Bergsonisme. Le renversement opéré par Bergson, qui est un renversement très prodigieux - il me
semble, dont j'avais parlé justement pour l'opposer à la phénoménologie, à savoir, Bergson ne cesse
pas de nous dire : mais vous savez, c'est pas votre conscience qui est une petite lumière et les
choses qui attendent votre conscience pour s'illuminer. C'est pas ça : les choses n'ont jamais attendu
votre oeil. C'est curieux tout ça pour un auteur qu'on a tant taxé, à commencer par les marxistes,
d'idéalisme et de spiritualisme, c'est très curieux ce Premier chapitre. Les choses elles ne vous ont
jamais attendu, elles ont jamais attendu l'homme. Rien du tout. Qu'est-ce qui se passe ? C'est que
les choses sont lumière. Là, il le dit à sa manière, c'est son romantisme à lui. La lumière, elle n'est
pas dans l'âme mais elle est dans les choses. Et la conscience, c'est pas un faisceau de lumière
comme une lampe électrique qu'on promènerait dans une pièce noire ; c'est juste l'envers : c'est la
conscience qui est un écran noir.
L'écran noir - c'est quoi ? C'est le centre d'indétermination : à savoir c'est le fait que dans la chose
beaucoup de choses ne m'intéresse pas. Voilà la page très belle de Bergson où il fait le
renversement complet de la métaphore ordinaire sur la lumière : Donc, "c'est les choses qui sont
lumineuses et "nous" qui sommes obscurs".

Alors que vous remarquerez que la phénoménologie - encore une fois - a beau apporter beaucoup
de choses de nouveau quand à la conception des rapports conscient / choses, elle en reste
entièrement dans l'ancienne métaphore - à savoir c'est la conscience qui est lumineuse et les choses
qui sont obscures - et l'intentionnalité : c'est le rapport de la conscience-lumière avec les choses.
Avec les choses tirées de leur fond. Tandis que pour Bergson, pas du tout.

Voilà le texte bergsonien qui paraît si beau dans le premier chapitre : " Si l'on considère un lieu

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quelconque de l'univers, on peut dire que l'action de la matière entière y passe sans résistance et
sans déperdition et que la photographie du "Tout" y est translucide. C'est la cas des
images-perception totale, c'est les images-mouvement. Comme il dira dans un autre texte : " la
photographie est dans les choses". La photographie est dans les choses ; les choses sont des
perceptions totales , ce sont des préhensions totales. La photographie - si photographie il y a - est
déjà prise, déjà tirée dans l'intérieur même des choses et pour tous les points de l'espace.

Seulement, elle est translucide. Pourquoi elle est translucide ? Parce que précisément ces
choses ne cessent pas de varier, de passer les unes dans les autres en même temps qu'elle
reçoivent des actions et qu'elles exécutent des réactions. "Il manque, derrière la plaque, un écran
noir sur lequel se détacherait l'image". Est-ce que l'image spéciale, c'est à dire chacun de nous
apporte dans l'univers des images mouvements, c'est précisément l'écran noir sur lequel se
détacherait l'image, c'est à dire, se fait cette sélection. Nos zones d'indétermination, c'est à dire ce
que nous appellions "zones d'indétermination", joueraientt en quelque sorte le rôle d'écran.
"Elles n'ajoutent rien à ce qui est" - en d'autres termes la perception n'est pas quelque chose de
plus - "elles n'ajoutent rien à ce qui est, elles font seulement que l'action réelle passe et que l'action
virtuelle demeure" - je vais expliquer toute à l'heure ce que c'est que l'action virtuelle. Si bien que
Bergson peut nous proposer de la conception, constamment ou sur la perception, la thèse suivante :
Nous percevons les choses là où elles sont.
Bien plus la perception est dans les choses.

Voyez ce que je voulais dire quand je disais c'est pas :" toute conscience est conscience de quelque
chose", c'est : "toute conscience est quelque chose". C'est la chose qui est préhension totale.
Préhension totale de ce qu'il lui arrive et de ce qu'elle fait. L'atome, comment définir l'atome ? On
définira l'atome comme la préhension de tout ce qu'il lui arrive et de tout ce qu'il fait. Ou la molécule,
peu importe.

Donc, la perception est "dans" les choses. Et pour percevoir - nous nous installons vraiment
"dans les chose"s. Nous nous installons forcément dans les choses puisque nous, nous sommes rien
d'autre qu'un centre d'indétermination. Simplement dans les choses, nous opérons une soustraction.
Nous ne retenons dans la chose que ce qui nous intéresse. Ce que nous appelons notre perception -
c'est pas qu'il soit nôtre qui compte, parce qu'elle n'est pas "nôtre" en fait - Elle se distingue de la
chose même, encore une fois, uniquement parce que elle est une préhension partielle, tandis que la
chose est une préhension totale. Et elle est une préhension partielle parce que nous ne recevons de
la chose là où est la chose - Nous ne recevons de la chose qu'une petite partie des actions et nous
ne transmettons des réactions que avec un retard.

D'où les formules de Bergson : c'est bien en p - au point p - et non pas ailleurs que l'image de p
est formée et perçue. Autre formule : "les qualités des choses perçues d'abord en elles, dans les
choses, plutôt qu'en nous". Autre formule :" la coïncidence de la perception avec l'objet perçu existe
en droit". Pourquoi en droit ? Existe en droit oui, puisque les choses sont déjà des perceptions
totales. Toutefois, la coïncidence de la perception avec l'objet perçu n'existe pas en fait, simplement
parce que notre perception en fait, c'est la chose moins tout ce qui nous intéresse pas. Il y a toujours
plus dans la chose que dans la perception. D'où le thème aussi :" la photo est dans les choses,
comme la lumière", et ce que nous nous apportons c'est précisément l'écran noir sans lequel l'image
ne se détacherait pas, et ne se détachant pas ne cesserait pas de passer dans les autres images. Si

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bien qu'on serait renvoyé au monde des préhensions totales, où rien ne peut être fixé, où aucune
perception ne peut apparaître. En d'autres termes - là je suggère parce que je ne pourrai l'expliquer
qu'après - c'est évidemment en fonction des centres d'indétermination que nous sommes, que se
forment des constellations solides.

Dès lors, ma perception c'est évidemment la perception du solide. Parce que l'image-mouvement
isolée, telle qu'on en retient que l'action nous intéresse, c'est précisément ce qu'on appellera "un
solide". Tandis que la préhension totale qui ne fait qu'un avec la chose, c'est forcément des choses
liquides, ou pire des choses gazeuses. Et c'est évident que l'univers n'est pas solide, il est liquide et
gazeux, profondément gazeux. Pourquoi que ça importe au cinéma ? Ca va importer follement sur la
nature de l'image cinématographique, mais ça je ne peux pas dire déjà. Alors ce que je voudrais
finir... Vous êtes pas trop... ? Vous voyez que - voilà ce qu'il dirait, entre la chose et la perception de
la chose, entre la chose et ma perception de la chose il n'y a qu'une différence de degrés.
Je perçois les choses là où elles sont, simplement ce que je perçois des choses c'est la chose
même moins beaucoup de choses, moins tout ce qui ne m'intéresse pas. Et alors - parce que là à
tout prix il faut que je finisse - Vous voulez deux minutes de repos sans bouger ? Je peux continuer
vous êtes plein d'endurance 1 heure moins 20 Ceux qui veulent partir qu'ils partent maintenant pour
ne pas me troubler

Alors, qu'est-ce que ça veut dire retenir de la chose ce qui m'intéresse ? Voyez pour le moment, j'ai :
percevoir c'est une préhension partielle c'est à dire c'est saisir la chose là où elle est moins tous qui
m'intéresse pas.
Deuxième détermination : qu'est-ce que ça fait ça que je saisisse la chose dans ...

Qu'est-ce que ça veut dire retenir de la chose ce qui m'intéresse ? Ca veut dire laisser passer
beaucoup de l'action réelle des choses sur nous. Et notre perception consciente qu'est-ce qu'elle
laisse échapper de l'action réelle de choses sur nous ? Ca passe comme ça ; ah j'ai pas
vu...Phénomène de la distraction ça va être fondamental ; "

oh j'ai pas vu, j'ai pas vu... Pourtant, j'ai pu sentir en dessous de la conscience oui, très bien, qu'il y a
un inconscient, mais à ce moment là est-ce que c'est pas déjà quelque chose par quoi j'ai des
perceptions comme moléculaires ; c'est à dire des préhensions totales qui n'arrivent pas à
l'inconscience ? Mais enfin, bon je laisse passer énormément de choses mais au moins, ça a un
avantage. Je laisse passer beaucoup de l'action réelle de la chose sur moi mais en revanche je
réfléchis la chose sous l'aspect de son action virtuelle sur moi.

En d'autres termes je perçois à distance. Ce que je perçois finalement, grâce aux éliminations et
aux sélections, c'est la chose "avant" qu‘elle ne m'ait atteint. L'action virtuelle de la chose sur moi. Je
sors pas du domaine de l'action exactement comme dans un modèle optique. Quand la réfraction ne
se fait pas, lorsque les milieux que le rayon lumineux passe, sont dans des rapports de densité tel
qu'il n'y a pas refraction : il y a ce phénomène qu'on appelle de "réflexion". Là en terme optique et
pas du tout en terme de conscience, Bergson dira de la perception : c'est un phénomène de
"réflexion". C'est à dire ce qu'elle va saisir c'est l'image "virtuelle" de la chose. Et la perception à
distance, c'est précisément la saisie de l'image virtuelle de la chose, c'est à dire - comme j'ai
beaucoup sélectionné dans l'action de la chose sur moi, j'y ai au moins gagné de percevoir une
action virtuelle c'est à dire : ce que j'ai gardé de l'action réelle je la perçois à distance avant qu'elle se

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produise.

Donc, je peux définir une image-perception par déjà deux caractères :


je dirais une image perception c'est une image moins quelque chose, c'est une image qui a subi
la sélection et la soustraction qu'on vient de voir, ça c'est le premier caractère. Elle est donc isolée
des autres images et ne se fond pas avec les autres images par le jeu des actions et des réactions.
Deuxième caractère : l'image-perception c'est une image qui présente l'action virtuelle de la
chose sur moi.
Troisième caractère qui s'enchaîne là - tant mieux, ça me permet d'aller très vite - vous verrez
dans le texte c'est très clair. Dès lors c'est une image qui présente aussi bien, mon action possible
sur la chose. Comme il dit tout le temps la perception est sensori-motrice. Voilà ce que je cherchais,
c'est à dire les trois caractères donc, de ce que on peut appeler maintenant "image-subjective ou
image-perception".

C'est l'image en soi, moins quelque chose, c'est l'image en tant qu'elle présente l'action virtuelle de la
chose sur moi, c'est l'image, troisièmement, en tant qu'elle présente, qu'elle figure mon action
possible sur la chose. Voilà... vous tenez encore un quar d'heure ? Ce que je veux bien définir là
c'est : dans l'univers, dans mon agencement - là je reprends mon expression parce que elle me sera
utile plus tard. Dans mon agencement "machinique" d'images- mouvement, je viens de définir un
premier type d'image qui surgit dans cet univers, les images- perception.

Il va y avoir un deuxième type d'image et si vous m'avez suivi - vous comprenez déjà parce que il
était comme déjà tout annoncé et préfiguré dans le premier type - Ce deuxième type d'image je
l'appellerai - conformément il me semble au texte de Bergson - non plus des "images-perception"
mais des "images-action". Puisque en effet, l'existence dans l'univers des images-mouvement,
l'existence de centres d'indétermination ne faisait pas seulement qu'il y ait eu des perceptions, ça
faisait aussi qu'il y ait eu des actions à proprement parler. Puisque les réactions ne s'enchaînaient
plus avec les actions subies, il y avait "choix", c'est à dire formation de quelque chose de nouveau
qu'on appelait "action". Donc c'était déjà compris dans la perception. Et ces images-action, en effet,
elles se dessinent déjà dans le monde de la perception si vous consentez à l'idée que
l'image-perception ne se définit pas seulement négativement. L'image- perception, elle ne se définit
pas seulement négativement c'est à dire au sens au l'image-perception ça serait l'image en soi
moins quelque chose. Elle se définit aussi - il me semble d'après le texte de Bergson vous verrez
tout ça, il faut le lire ce texte, il faut le lire - c'est défini aussi par une espèce de courbure que prend
l'univers machinique. Dès que vous introduisez dans l'univers des images-mouvement, des centres
d'indétermination tout se passe comme si cet univers subissait une courbure.

Pourquoi ? C'est que dès que vous introduisez des centres d'indétermination, c'est à dire des sujets,
parce que le sujet ce n'est absolument rien d'autre qu'un centre d'indétermination - on l'a vu - et que
ça suffit aussi à faire naître la perception et l'action. Je dis, ça introduit nécessairement dans l'univers
des images mouvement, une courbure. Pourquoi ? C'est qu'à partir du moment où vous disposez
d'un centre d'indétermination, votre univers machinique joue, votre univers matériel des
images-mouvement joue sur deux systèmes ; il a deux systèmes :
un premier système qui est celui des images en soi qui passent les unes dans les autres etc, et
qui se définit comment ? Toutes les images à chaque instant varient pour elles mêmes et les unes
par rapport aux autres. Toutes les images varient à chaque instant pour elles mêmes et les unes par

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rapport aux autres. Ca va de soi.

Mais dès qu'il y a des centres d'indétermination, second système qui coexiste avec le premier, qui
le supprime pas, qui coexiste avec le premier - il faudra dire là que par rapport au second système
c'est à dire par rapport au centre d'indétermination - voyez que les deux ne se contredisent pas du
tout - par rapport au centre d'indétermination, toutes les images-mouvement varient par rapport à
une image privilégiée. Le monde s'incurve, se courbe autour du centre d'indétermination. Et en effet :
va lui tendre les perceptions, va lui tendre les objets à percevoir suivant un ordre qui est celui de la
distance, et comme dit Bergson dans une formule splendide :" ma perception dispose de la distance
pour autant que mon action dispose du temps". Le dernier objet là, l'objet qui est le plus dans le fond,
mais la profondeur nait comme relation l'univers des images, les images, elles étaient sans
profondeur ; la matière était sans virtualité ; la profondeur commence à naître à partir du moment où
l'ensemble des images varie par rapport à des images spécialisées, à des images privilégiées qui
sont définies comme des centres d'indétermination.
A ce moment là par rapport à ce centre, telle image objet est plus au moins loin, telle autre est
plus loin, telle autre est plus près, et c'est ça qui va définir l'ordre de l'action virtuelle des objets sur
moi mais c'est ça aussi qui va définir, c'est à dire le objet le plus proche et le plus menaçant ou bien
celui dont je peux m'emparer et donc - ce qui va aussi permettre de définir l'ordre de mon action
possible sur les choses.

Voyez que ce second aspect : la courbure que prends l'univers va être la base d'une logique de
l'action à proprement parler ; Il va fournir, va empiéter complètement sur la perception, tout ça ça se
mélange. Retenez bien que ça se mélange beaucoup ces types d'images. Mais je dirais que dans le
monde de la perception "la courbure de l'espace" nous introduit et nous fait déjà passer d'un premier
type d'image, les images-perception à un second type d'image les images- action.
Images-action qui sont définies par le double registre de l'action virtuelle des choses sur moi et de
l'action possible de moi sur les choses. "Moi" voulant dire : centre d'indétermination toujours et rien
d'autre.

On a introduit absolument rien d'autre que du mouvement. Voilà le second type d'image, les images
action. Il y en a-t-il encore d'autre - on peut chercher, oui il y en a encore - Il y en a encore une. Une.
On pourra se demander s'il n'y en a pas encore d'autre mais je crois, je crois que. Non, non il faut
pas,il faut pas... Voilà ! Comprenez un dernier point :

C'est que beaucoup de choses me traversent. Dans l'action que les choses exercent sur moi il y a
énormément de choses qui passent, qui me sont indifférentes. Ca me touche pas, ça m'intéresse
pas. En compensation je perçois, c'est à dire je retiens ce qui m'intéresse, c'est à dire j'appréhende
l'action virtuelle des choses sur moi. Du moins certaines. J'appréhende l'action virtuelle des choses
sur moi dans le cadre de ce qui m'intéresse, mais ça empêche pas que les choses, elles se plient
pas forcément à ma courbure d'univers, à mon registre d'action virtuelle des choses sur moi, action
possible de moi sur les choses comme dit Bergson, il faut avoir "le temps". Et tout est venu du
phénomène d'écart temporel. Mais les choses, elles me pressent aussi. Les images-mouvement,
elles protestent, elles protestent contre les images "centre d'indétermination". Pourquoi elles
supporteraient l'écart et de temps en temps "pan", quelque chose que je reçois en plein coeur, en
plein fouet etc ... En d'autres termes, il y a des actions réelles qui passent. Et quand l'action réelle
passe c'est quoi ? La chose attaque, pénètre mon corps. Au moins elle le touche, elle s'y inscrit. Bon

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bon oui, action réelle - là, la distance est abolie. Nous ne sommes plus dans le domaine de l'action
possible de moi sur les choses et de l'action réelle des choses... l'action virtuelle des choses sur moi.
Nous sommes dans le domaine de ce qui a "passé" sous la grille des sélections, à savoir l'action
réelle des choses. L'action réelle des choses sur mon corps, un bruit assourdissant - ah ! mon
tympan crevé. Qu'est-ce que c'est ça ? L'action réelle des choses sur moi elle se fait sur mon corps,
dans mon corps. Si je la perçois, je la percevrais là où elle est, là où ça se passe. Tout à l'heure je
disais : " je perçois les choses là où elles sont"... Quand la chose réagit sur mon corps et se confond
avec une partie de mon corps c'est sur mon corps que je perçois ce qui est en question.

Et qu'est-ce que c'est ce qui est en question ? Qu'est-ce que c'est que cet appréhension des
actions réelles qui pénètrent mon corps ? Voyez là c'est plus les choses indifférentes qui me
traversent : c'est comme on dit, des choses qui affectent mon corps en abolissant toute distance
perceptive ? Je dirais je ne perçois plus, je sens. Je ne perçois plus, je sens. Et de même que je
percevais les choses dans les choses là où elles étaient, je perçois ce que je sens ou plutôt je sens
ce que je sens là où c'est - c'est à dire sur et dans mon corps.
Et c'est ce qu'on appelle des "affections".

Voyez, c'est une troisième... tout à fait, Bergson dira très fort :' il y a une différence - alors qu'il n'y
avait pas de différence de nature entre la chose et la perception de la chose - en revanche il y a une
différence de nature entre la chose et l'affection, entre la perception et l'affection. Comprenez ? Et
comment expliquer ce statut de l'affection très privilégié ? Bergson nous dit une chose très simple :
Le prix des centres d'indétermination, qu'est-ce qu'ils ont dû payer pour instaurer l'écart, l'intervalle
qui a entraîné tant de choses nouvelles dans l'univers des images-mouvement ? Il ont dû - on a vu -
spécialiser certaines de leur parties dans la réception, dans la réception des excitations. Ils ont dû
sacrifier certaines de leurs faces pour en faire des faces uniquement réceptives, sacrifier certaines
de leurs parties pour leur déléguer un rôle uniquement réceptif. En d'autres termes ils ont immobilisé.
Les images spéciales ont dû immobiliser certaines de leurs parties pour en faire, je schématise, des
organes des sens. Bon... dès lors il y avait une espèce de division du travail entre les parties
sensitives immobilisées et les parties motrices.

C'était la rançon du cerveau.


Qu'est-ce que c'est qu'une affection ? Lorsque la chose atteint mon corps c'est à dire agît
réellement sur mon corps, affection qui est saisie sur mon corps même c'est la protestation des
parties immobilisées.
C'est une belle définition de l'affection : c'est la protestation, c'est la revendication des parties
organiques immobilisées. C'est ça l'affection. En d'autres termes c'est :"l'effort des parties
immobilisées de mon image - c'est à dire de l'image que je suis - pour retrouver le mouvement. Alors,
ça peut être une affection de joie ou de tristesse, ça c'est autre chose, il faudrait distinguer les cas.
Et, splendide définition que lance Bergson il dit :
qu'est ce qu'une affection ? Une affection, c'est une tendance motrice sur un nerf sensible ? C'est
une tendance motrice sur un nerf sensible, à ma connaissance, jamais on a donné une plus belle
définition de l'affection en philosophie. C'est une tendance motrice, pour comprendre imaginez un
mal de dents. Vous avez mal aux dents. Et bien, votre mal de dents c'est une tendance motrice sur
un nerf sensible. Fantastique définition il me semble... Qu'est ce qu'un amour ? Tendance motrice
sur un nerf sensible.

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Ca couvre tout le domaine des affections. Si bien qu'il pourra dire - je cherche là un prolongement
quelconque - Il y a en nous une partie alors qui n'est pas simplement une partie réceptive de notre
organisme mais qui est une partie qui figure perpétuellement l'effort d'une tendance motrice sur un
nerf sensible. - C'est le visage.

C'est le visage. Alors, pourquoi le visage est l'image affective par excellence et pourquoi le
cinéma fera t-il du gros plan du visage l'image affective par excellence ? Ca va trop de soi. En
d'autres termes voilà... Je peux conclure enfin. Je peux conclure. Si vous voulez tout ce qu'on a fait
aujourd'hui - d'où un texte qui ne vous étonnera pas lorsque Bergson dit :" les affections c'est
finalement ce qui vient s'insérer dans l'écart entre l'excitation et la réaction". C'est à dire ça s'insère
dans l'écart entre la perception reçue, la perception sélectionnée plutôt, et, la réaction agit.

C'est ça, c'est l'affection qui dans mon corps, dans mon corps même vient remplir l'écart. Si bien que
- je résume parce que on partira de là la prochaine fois - puisque je dis juste : le contenu du premier
chapitre de "Matière et Mémoire" me paraît être celui-ci :
première proposition il y a un univers matériel d'images mouvement. Voilà.
Deuxième proposition : cet univers matériel d'images mouvement se trouvent dans des conditions
telles que sont distribués en lui des centres d'indétermination. Que se distribuent en lui des centres
d'indétermination, uniquement définis par l'écart entre mouvement reçu et mouvement rendu.

- Troisième proposition : par rapport à ces centres d'indétermination, les images mouvement vont se
diviser en trois types que l'on pourra appeler - Bergson n'emploie pas ces mots tel quels mais vous
trouverez la chose - qu'on appellera image-perception, image-action, image-affection ; ces trois types
étant vraiment des espèces d'images différentes les unes des autres. Si bien que l'agencement des
images - mouvement, l'agencement matériel des images - mouvement pourra être en fin de compte
défini comme ceci : c'est l'ensemble des images-mouvement, l'agencement machinique. l'univers
pourra être défini comme ceci l'ensemble des images-mouvement en tant que par rapport à des
centres d'indétermination il donne lieu nécessairement à des images-perception, images-action,
images-affection.
Alors, je vous supplie pour la semaine prochaine de revoir tout ça parce que la semaine
prochaine il y aura vos questions à vous là-dessus. J'en ai fini avec le premier chapitre de "Matière et
Mémoire" et j'ai donc rattrapé une partie de mon passé et on passera à la question : "les types
d'images au cinéma".

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Deleuze
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Anti-OEdipe et autres
réflexions - Mai/juin
1980 - (4 heures)

1- 27/05/80 - 1
Marielle Burkhalter

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Transcription : Frédéric Astier - Relecture : Mafalda D Camara

cours de Gilles Deleuze, intitulé « Anti-Œdipe et autres réflexions », du 27/05/1980 - (3 plages)

Plage 1 : 37'33 -

Pour l'U.V., je bloque cette semaine. Donc, ceux qui n'ont encore pas fait leur fiche, vous me la
donnez aujourd'hui. Les résultats d'U.V. ils ne seront qu'à la fin du mois. Voilà, voilà..

« ... Alors aujourd'hui j'ai comme fini ce que j'avais à faire cette année et ce qui était souhaitable,
parce que je crois que ça peut marcher, on verra bien c'était, suivant le désir de certains d'entre vous
... qu'il y ait des questions posées et qu'on essaye tous d'y répondre ... c'est-à-dire que ça ne soit
pas forcément moi, et encore faudrait-il que ... j'ai peur que ceux qui - ça arrive très souvent - que
ceux qui souhaitaient poser des questions ne sont pas là jour où, ça arrive, en tout cas on va bien
voir ... Je veux dire, pour moi, ce qui me soucie, ce qui m'intéresse, ce n'est pas forcément la même
chose que ce qui vous intéresse vous, encore une fois, on verra bien.

Moi ce qui m'intéresse c'est que finalement ce qu'on a fait depuis quatre ou cinq ans - alors il y en a
qui étaient là, certaines années, y en a d'autres qui venaient ici uniquement cette année, pour la
première fois. Ce qui m'intéresse, ce qu'on a fait de toute manière depuis quatre ou cinq ans, ça
représentait en tout cas pour moi, un certain cheminement ayant une cohérence qui ne se révélait, à
moi en tout cas, qu'assez progressivement. Alors ce n'est pas que je tienne à faire une revue de ce
qu'on a fait depuis plusieurs années, mais c'est que c'est le point qui m'intéresse le plus dans nos
rapports de travail, ici. Mais, tout autre chose, s'il y a des questions sur ce qu'on a fait cette année,
ou ce qu'on a fait même d'autres années, ou bien des questions tout autre. Moi je considère que ces
deux dernières séances, c'est vous qui les assurez autant que moi, si ça vous convient. Voilà, voilà,
alors ... »

Question d'un auditeur : une petite question ? je ne lis rien même vos bouquins je n'arrive pas à
les lire ! Voilà êtes vous sûr que la négativité - il y a une differenciation dans vos bouquins même une
richesse, une exhubérance, une diversification importante. Croyez vous que la négativité dans
laquelle vous êtes, d'accord négatif ? n'est pas une possiblilité de créer le réel ? vous voyez ce que
je veux dire ? que si on met que de "l'être", le réel ne se crée pas ?
Une deuxième question : j'ai feuilleté hier soir les premières pages de l'anti-oedipe , excusez moi
je les ai lus il y a dix ans - vous parliez de "promenade du skyzo". Or moi J'ai vu le film de Alain
Jessua ( 1963) qui s'appelle "la vie à l'envers" avec Denner. j'ai vu, comment dire ? Hoderlïn

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revenant de Bordeaux, j'ai vu Artaud revenant de L'irlande j'ai vu Thomas Mann, le solennel Thomas
Mann. j'ai vu dans DR Faustus, cet homme qui à la fin, cet homme qui partait comme un génie, un
pianiste extraordinaire, revenir dans sa " " natale, sous les jupons de sa mère est ce que la
promenade schizo, elle n'est pas des fois dangereuse ? Bien sûr moi, Je suis venu comme ça, un
peu comme ça ; alors les questions ne sont pas pertinentes, je ne sais pas, j'aurai voulu savoir, je ne
sais pas trés bien !

G.D. : « Non, elles m'apparaissent très très pertinentes, mais moi, voilà comment je pense que tout
le monde a compris la question, c'était très clair, c'est que, en effet c'est vrai que, à la suite de -
puisque vous m'accordez la permission de parler de choses que Guattari, Guattari et moi, on a faites
- à condition que vous le preniez vraiment en modestie réelle - je veux dire que, c'est-à-dire que je ne
pense pas que cela soit formidable.

Ce que je pense c'est que L'anti-Œdipe en effet a donné lieu à une série de critiques qui peut-être
n'étaient pas absolument injustifiées. Il y a à mon avis des critiques qui étaient stupides. Mais il y a
un genre de critique qui m'a paru toujours important et touchant, qui était :" c'est un peu facile de dire
ou même d'avoir l'air un peu de dire : Vive la schizophrénie ?, et puis dès que vous voyez un
schizophrène" ... ça rejoint un peu ... Enfin laisse-moi répondre à partir de là parce que c'est ... si, tu
me dis par exemple..

j'ai pas identifié le sckizo et l'activité schizophrénie

C'est là où il y a toutes les ambiguïtés [selon la remarque de l'auditeur], les ambiguïtés entre le
schizophrène et l'activité schizophrénique. C'est évidemment très difficile de dire : Oui, vous savez la
schizophrénie... de faire une espèce de tableau lyrique de la schizophrénie.

Je me souviens qu'au moment de L'anti-Œdipe, il y a une psychiatre qui était venue me voir et qui
était très agressive, et qui m'a dit : Mais un schizophrène, vous en avez déjà vu ? J'ai trouvé que
cette question était insolente, à la fois pour Guattari - qui est, lui qui travaille depuis des années dans
une clinique où il est notoire que l'on voit beaucoup de schizophrènes - et même insolente pour moi,
puisqu'il y a peu de gens au monde qui ne voient pas ou n'aient pas vu de schizophrènes. Alors
j'avais répondu comme ça - mais on croit toujours être spirituel et on l'est jamais - j'avais répondu :
"Mais jamais, jamais, je n'ai vu de schizophrène moi !" Alors après elle avait écrit dans des journaux
en disant que, on avait jamais vu de schizophrènes, c'était très embêtant quoi.

Mais voilà ce que je veux dire, c'est que... Il y a eu plusieurs ... Je reste même à un niveau ... alors je
prends un niveau presque trop théorique exprès : si vous voulez, dans les interprétations de la
psychose, dans les grandes interprétations de la psychose, qu'est-ce qu'il y a ? Moi je crois qu'il y a
eu deux grandes sortes d'interprétations.
Les interprétations en termes de dégradation, décomposition, c'est-à-dire des interprétations sous
le signe du négatif. À savoir, la psychose elle arrive lorsque quelque chose se décompose, ou
lorsqu'il y a une espèce de dégradation, de quoi ? du rapport avec le réel, de l'unité de la personne.
Je dirais que ces interprétations par décomposition, dégradation, elles sont en gros, - mais là je
résume énormément - on pourrait les appeler des interprétations personnologiques. Elles reviennent
toujours à prendre comme référence de base le "moi", l'unité de la personne, et à marquer une
espèce de déroute du point de vue de l'unité de la personne, et de ses rapports avec le réel.

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Donc en gros des interprétations personnologiques, et j'insiste là-dessus, la personnologie, elle a
eu énormément d'influence sur la psychiatrie. Par exemple l'auteur du grand manuel de psychiatrie,
Henri Ey, l'ennemi-ami de Lacan, se lançait dans la personnologie à fond. Un type comme Lagache
était, et tentait de faire une psychanalyse personnologique. Pour mon plaisir, je pense que la thèse
de Lacan, que Lacan avait éditée, sur la psychose paranoïaque, est encore mais d'un bout à l'autre
traversée d'une vision personnologique, qui sera absolument l'opposée des thèses qu'il défendra
ensuite. Bon, bien, il y a si vous voulez ce premier grand courant.

Il y a un deuxième courant, qui lui peut être nommé en, bon, "structuraliste", mais qui en effet est
complètement distinct et différent. Cette fois-ci la psychose est interprétée en vertu de "phénomènes
essentiels de la structure". C'est plus un accident qui survient aux personnes, sous forme d'une
espèce de mécanisme de décomposition, de dégradation. C'est un événement essentiel dans la
structure, lié à la distribution des positions, des situations et des relations dans une structure. Et en
ce sens, tout le second Lacan, je veux dire : Lacan après sa thèse, le Lacan des "Ecrits", lance par
exemple une interprétation extrêmement intéressante de la psychose en fonction de la structure.

Moi j'ai toujours été attiré par - c'est bien pour ça, j'insiste sur - c'est pas Félix ni moi qui avons
inventé ce point de vue - je pense plutôt qu'on s'en ait servi et qu'on l'a relativement renouvelé.

Il y a eu toujours un troisième type d'interprétation, qui était de concevoir la maladie mentale et


son expression la psychose. Pourquoi son expression : la psychose ? il faudrait que je m'explique,
j'ouvre très rapidement une parenthèse : c'est que, il va de soi que, si vous voulez, il me semble que,
il n'y a pas de névrose qui ne soit adossée, sur quelque chose de l'ordre d'une psychose - on le voit
bien dans ce qu'on appelle les accidents névrotiques des jeunes gens ou même des enfants. Et que
donc même la névrose, il me semble, doit être indexée, ne peut être pensée qu'en fonction de la
psychose, comme au moins possibilité. Je veux dire l'obsession, je ne vois pas la possibilité de faire
une espèce de dualisme entre les névroses et les psychoses. Les névroses, j'y verrais plutôt des
points d'arrêts, pris sur une espèce de devenir psychotique potentiel. Mais ce qui m'intéresse dans
cette troisième tradition à laquelle je fais allusion, c'est l'interprétation, la compréhension de la
maladie mentale comme processus. Et là aussi, j'essaye pas de dire des choses trop trop précises,
parce que là, les auteurs qui ont lancé cette idée de la maladie mentale liée à un processus, ils sont
très variés.

À ma connaissance, si j'essaie de fixer des points de repère historique, l'idée vraiment d'un
"processus maladie mentale", c'est-à-dire, la maladie mentale n'est plus quelque chose qui se passe
dans une structure, ce n'est pas non plus une affection de la personne, vous voyez, ni
personnologie, ni structuralisme. C'est vraiment, c'est vraiment, comment dire, c'est vraiment, c'est
vraiment : est-ce que c'est-elle le processus même, ou est ce que c'est un concomitant du processus
? Mais enfin elle est pensée en termes beaucoup plus dynamiques, en termes processionnels,
processus. Alors qu'est-ce que ça veut dire ? ... Si vous prenez l'histoire de la psychiatrie, l'idée du
"processus", elle se distingue. Je dirais que c'est vraiment un troisième point de vue qui est
complètement, et même psychiatriquement, est tout à fait différent d'une compréhension de la
psychose, du point de vue d'une personnologie ou du point de vue d'un structuralisme, d'une
structure, d'une structure mentale.

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C'est pas une notion très claire que celle de processus. J'essaie de fixer encore une fois, ça
commence, il me semble avec la psychiatrie allemande du 19e Siècle. Et puis le premier qui portera
ça très très loin, c'est un auteur, je crois qu'un peu oublié aujourd'hui, qui a eu portant beaucoup
d'importance pourtant il y a quelques années, c'est Jaspers.

Jaspers c'est un cas assez curieux, car c'est un psychiatre venu à la philosophie. Il a commencé
comme psychiatre, il y a même un manuel traduit en français, un manuel de Jaspers, qui me paraît
toujours très extraordinaire, un manuel de psychopathologie. Une des meilleures choses sur - non
seulement sur la folie comme processus, mais comme étude, étude de cas célèbres - c'est un livre
que je trouve très très beau de Jaspers, qui s'appelle "Strinberg et Van Gogh" - qui à travers une
étude de cas, développe cette hypothèse de la folie comme processus. Et en plus, ce livre dans la
traduction française a paru préfacé par Blanchot. Et il y a trente ou quarante pages de Maurice
Blanchot qui sont d'une très très grande beauté, sous le titre, je crois : "De la folie par excellence", ça
c'est vraiment il me semble être un livre de base pour nous tous encore.

Alors donc pourquoi Jaspers, il a provisoirement disparu... je sais pas bien, enfin il est mort mais
pourquoi on le lit moins, je ne sais pas bien ? Voilà, il y a eu cette voie, Jaspers, qui fait vraiment, lui
qui porte vraiment l'idée de processus à une expression à la fois psychiatrique et philosophique très
grande.

Et puis très bizarrement, ça a été repris par l'antipsychiatrie. Toute l'interprétation de


l'antipsychiatrie, à savoir de Laing et de Cooper à leurs débuts, c'est fondamentalement l'idée d'un
processus schizophrénique, qu'eux interprètent, précisent en disant : "oui c'est un voyage" , l'idée du
processus-voyage. Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Là, ils sont assez forts, voyez pourquoi Jaspers
utilisait beaucoup des méthodes phénoménologiques. En effet, en quoi ça appartient un peu à la
phénoménologie cette idée du processus ? C'est que ça répond assez à une espèce d'expérience
vécue par exemple du schizophrène lui-même, le thème du voyage qui apparaît constamment. Ce
n'est pas par hasard qu'à la même époque n'est-ce pas, les drogués ont lancé, les drogués
américains sont allés très loin dans une conception du voyage, bon tout ça.

Alors je crois que Guattari et moi, on prenait encore "processus" dans un autre sens, mais là peu
importe, il me semble que c'est à cette tradition-là qu'on se rattachait. Alors là est-ce que l'on peut
avancer : si l'on dit ;" la schizophrénie ou la psychose, est fondamentalement liée à un processus".
Et bien je crois qu'est-ce que ça veut dire ça ? Ça veut dire que peut-être que la schizophrénie révèle
quelque chose qui nous arrive en pièces détachées ou en petite monnaie et toujours et partout et
assez constamment. À savoir que l'on ne cesse pas d'être comme pris, rapté, emporté, par quoi ?
C'est là-dessus qu'on apportait un tout petit quelque chose parce qu'on disait le mot le plus
commode encore, c'est les flux, on passe notre temps à être traversé par des flux.

Et le processus c'est le cheminement d'un flux. Qu'est-ce que ça veut dire en ce sens processus,
ça veut dire plutôt, c'est l'image toute simple, comme d'un ruisseau qui creuse son lit, c'est-à-dire le
trajet ne préexiste pas, le trajet ne préexiste pas au voyage. C'est ça un processus. Le processus,
c'est un mouvement de voyage en tant que le trajet ne préexiste pas, c'est-à-dire en tant qu'il trace
lui-même son propre trajet. D'une certaine autre manière, on appelait ça "ligne de fuite".

C'est le tracé de "lignes de fuites". Or les lignes de fuites, elles ne préexistent pas à leur propre

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trajet. On peut toujours dire que les autres lignes - il y a en effet des voyages où le trajet préexiste. Si
vous vous rappelez par exemple, si certains d'entre vous se rappellent ce qu'on a fait l'année
dernière quand j'essayais de déterminer le "mouvement" dans un type d'espace particulier que
j'appelais l'espace lisse, ça revenait au même. Dans l'espace lisse toute ligne devient, ou tout tend à
devenir une ligne de fuite parce que, précisément, les trajectoires ne préexistent pas aux projectives
mêmes. C'est pas du cheminement sur rail, c'est pas de l'espace strié, c'est-à-dire, il n'y a pas des
stries qui préexistent au mouvement.

Bon, alors supposons que dans notre vie, je ne dis pas que nous soyons fait de ça, mais que soit il y
ait des moments, soit même inconsciemment, après tout peut-être que l'inconscient est fait de ça, de
flux et de processus. Vous comprenez qu'on s'engage déjà beaucoup, parce que si je dis
l'inconscient peut-être qu'il est fait de ça, ça revient à dire : mais non, il marche pas sous la loi des
structures, il marche pas sous la distribution des personnes ?. C'est autre chose. C'est un monde qui
est complètement dépersonnalisé, qui est déstructuré, pas du tout que quelque chose lui manque,
mais son affaire est ailleurs. Le processus c'est finalement l'émission de flux quelconques.

Alors, je peux déjà raccrocher quelque chose de la schizophrénie. Je peux dire : Bien oui,
essayons de voir ? en quoi précisément le schizophrène éprouve l'impression lui-même de voyager,
avec tout ce que ça implique. Chacun, chaque fois qu'on considère ou chaque fois qu'on s'occupe de
quelque chose, on privilégie certains aspects. Moi, forcément, quand on rencontrait la schizophrénie,
nous, qu'est-ce qu'on était amené à privilégier ? Les mille déclarations finalement des
schizophrènes, où leur problème, "ça n'est pas celui de la personne", leur problème "ce n'est pas
celui d'une structure". Leur problème, c'est celui d'un problème, mais... qu'est-ce qui m'emporte, et
ça m'emporte aussi ? Qu'est-ce qui m'emporte et ça m'emporte où ça ? - ben oui c'est... Bien. Or à
cet égard, moi ce qui me fascine, c'est la manière dont les schizophrènes, ils ont affaire à quoi ?
vous comprenez, ils passent leur temps.

C'est ça qui faisait une de nos réactions contre les éternelles coordonnées de famille de la
psychanalyse. C'est que moi je n'ai jamais vu un schizophrène qui ait vraiment des problèmes
familiaux, c'est même tout à fait autre chose. Enfin c'est trop facile ce que je dis parce qu'on peut
toujours dire : Il y a des problèmes familiaux, mais en tout cas, au moins qu'on m'accorde qu'il ne les
énonce pas et ne les vit pas comme des problème familiaux. Comment il les vit ?

Une des choses fortes il me semble, vraiment là, c'est presque ce qui maintenant me plaît le plus
quand je repense à "L'anti-Œdipe", une des choses fortes de "L'anti-Œdipe", à mon avis et ça, ça
devrait pouvoir rester, c'est l'idée que le délire est immédiatement investissement d'un champ social
historique. Je dis ça devrait pouvoir rester parce que c'est le type d'une idée simple, c'est pas
compliqué de dire : ben vous savez hein, qu'est-ce vous délirez finalement, vous délirez l'histoire et
la société, c'est pas votre famille ! Votre famille, je repense toujours au mot si satisfaisant de
Charlus, dans la "Recherche du temps perdu", quand Charlus arrive, pince l'oreille du narrateur et lui
dit : "hein ta petite grand-mère tu t'en fous, tu t'en fous canaille ?". D'une certaine manière on en est
tous là. Ça ne veut pas dire qu'on ne les aime pas nos grand-mères, nos pères, nos mères, bien sûr
on les aime. Mais la question c'est de savoir sous quelle forme et en tant que quoi.

Moi je crois que, c'est jamais le champ social si vous voulez, l'opération, toute l'opération de la
psychanalyse, c'est perpétuellement de rabattre le champ social sur les personnes familiales et la

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structure familialiste.
J'appelle personne familiale, l'image de père, l'image de mère, etc. et c'est la tendance de la
personnologie.
J'appelle structure familiale ou familialiste, le nom du père, la fonction-mère, définis comme
fonction structurale.

Or quelles que soient les différences, il y a au moins un point commun, c'est ce rabattement
perpétuel sur les coordonnées familiales, qu'elles soient interprétées en termes de structure. Or pour
moi le délire, c'est exactement le contraire. Quelqu'un qui délire, c'est à la lettre quelqu'un qui hante
le champ social, le champ historique. Et la vraie question c'est : pourquoi, et comment il opère ses
sélections, ses sélections historico mondiales ? Le délire, il est historico mondial. Alors dire ça
encore une fois, c'est je crois ce à quoi je - presque l'idée la plus simple, la plus concrète, et à
laquelle je tiens le plus. Or bizarrement, elle n'a pas du tout marché finalement, parce que je me dis
que, ce qui est frappant c'est quand même que, "L'anti-Œdipe", je pense que c'est un livre qui a eu
beaucoup d'influence, mais à titre individuel.

La défaite mélancolique, c'est que ça n'a strictement jamais empêché le moindre psychanalyste
de continuer ses débilités, et sans doute c'était forcé, c'était inévitable. Mais à l'époque, c'était moins
évident que c'était inévitable. Alors oui, j'insiste un peu là-dessus.

Si vous prenez un délire, c'est quelqu'un qui, à travers un champ historico mondial, à travers un
champ historique et social, trace ses lignes. Alors c'est, c'est la même chose que le processus qui
nous emporte.
Encore une fois le délire, ça consiste en quoi ? Ca ne consiste pas à délirer mon père et ma
mère. Ça consiste à délirer : le noir, le jaune, le grand Mongol, l'Afrique, ..., que dirais-je, etc., etc. Et
si vous prenez, alors bien entendu, j'entends l'objection tout de suite qui peut venir, l'objection qui
peut venir tout de suite c'est : « Bon, oui, mais qu'est-ce qu'il y a là-dessous ? » Moi je dis qu'il n'y a
rien là-dessous, parce que c'est ça le dessous, c'est ça le dessus. Et que si vous ne comprenez pas,
alors je prends des exemples très, bon, des grands délirants. Et c'est pour ça qu'une année, on avait
formé ici un groupe, notamment avec Claire Parnet, un autre, avec un autre qui s'appelait Scala. On
était quelques-uns à avoir fait l'opération suivante - et qui à ce moment-là nous intéressait beaucoup
: on prenait des délires et on comparait des délires où des psychanalystes ont parlé ou des
psychiatres, et l'on prenait l'énoncé du délire, les énoncés du délire, et les énoncés qu'en retiennent
le psychiatre et le psychanalyste. Alors là on avait vraiment comme deux textes, et juste on les
accolait.

Or c'était pas croyable. Je veux dire faire cette expérience, on peut pas l'oublier cette expérience
tellement c'est ...Parce que là on voit l'espèce de forcing de l'opération psychanalytique ou
psychiatrique, on voit tellement ce forcing se faire, alors sur le vif ! Je prends un exemple : qu'est-ce
que c'est que Schreber, le Président Schreber, le fameux Président Schreber ? Alors on l'avait étudié
de très très près, ça nous avait tenus très longtemps. Si vous prenez ce délire, c'est quoi, vous voyez
quoi ? C'est tout simple, vous voyez : un type qui ne cesse de, de délirer quoi ? L'Alsace et la
Lorraine. Il est une jeune Alsacienne - Schreber est allemand - il est une jeune alsacienne qui défend
l'Alsace et la Lorraine contre l'Armée française. Il y a tout un délire des races. Le racisme du
Président Schreber est effréné, son antisémitisme est effréné, c'est terrible. Toutes sortes d'autres
choses en ce sens. C'est vrai que Schreber a un père. Ce père qu'est-ce qu'il fait le père ? C'est pas

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rien. Le père, c'est un homme très très connu en Allemagne. Et c'est un homme très connu pour
avoir inventé de véritables petites machines à torture, des machines sadiques, qui étaient très à la
mode au 19e Siècle, et qui ont pour origine Schreber. Ensuite beaucoup de gens avaient imité
Schreber. C'était des machines de torture pour enfant, pour le bon maintien pour enfant. Dans les
revues encore de la fin du 19e Siècle, vous trouvez des réclames de ces machines. Il y a par
exemple, je cite la plus innocente, par exemple des machines anti-masturbatoire, les enfants
couchent avec les mains liées, tout ça. Et c'est des machines assez terrifiantes, parce que la plus
pure, la plus discrète, c'est une machine avec une plaque de métal dans le dos, un soutien-machoire
là, en métal, pour que l'enfant se tienne bien à table. Ça avait beaucoup de succès ces machines.
Alors bon, le père, il est inventeur de ces machines.

Quand il délire le Président Schreber, il délire aussi tout un système d'éducation. Il y a le thème
de l'Alsace et la Lorraine, il y a le thème : l'antisémitisme et le racisme, il y a le thème, l'éducation
des enfants. Il y a enfin le rapport avec le soleil, les rayons du soleil. Je dis, mais voilà, il délire le
soleil, il délire l'Alsace et la Lorraine, il délire la langue primitive du dieu primitif, il s'invente une
langue de, qui renvoie à des formes de bas allemand, bon. Il délire le dieu-soleil, etc. Vous prenez le
texte de Freud à côté, qu'est-ce que vous voyez ? Bien, il se trouve précisément que Schreber, il a
écrit son délire, alors c'est un bon cas. Vous prenez le texte de Freud à côté, je vous assure, enfin si
vous avez souvenir de ce texte - à aucune page il n'est question de rien de tout ça. Il est question du
père de Schreber en tant que père, et uniquement, tout le temps, tout le temps. Le père de Schreber,
et le soleil c'est le père, et le dieu c'est le père, etc., etc.

Or moi ce qui m'a toujours frappé, c'est que les schizophrènes, même dans leur misère et leur
douleur, ils ne manquent pas d'humour. Ça les gêne pas tellement quand on leur dit ça, quand ils
subissent ce discours-là. Ils sont plutôt d'accord, d'abord ils ont tellement envie d'être bien vus, d'être
soignés, ils ont tellement, donc ils vont pas - ou alors ils se fâchent, ils disent . Oh écrase ! fous-moi
la paix ! Il y a eu à la télé une émission sur la schizophrénie y a pas longtemps où il y avait une
schizo parfaite qui demande une cigarette, le psychiatre, je ne sais pas pourquoi lui dit ? non, non,
non, pas de cigarette ?, alors elle se tire, elle dit : oh, bon... ?, très bien. Or, vous comprenez, quand
on dit des trucs comme ça : Mais le soleil ... , tu délires le soleil, mais le soleil finalement, tu vois pas
que c'est ton père ? le schizophrène, qu'est-ce que vous voulez qu'il dise, qu'est-ce que vous voulez
qu'il dise ? C'est comme si, c'est comme quand on lui demande : comment tu t'appelles ? pour
inscrire son nom sur l'hôpital, sur le carnet, sur le cahier de l'hôpital. Ça le gêne pas tellement parce
qu'il dira : Oui, oui, oui Docteur, oui ... le soleil c'est mon père, seulement mon père, c'est le soleil ?
bon. Il délire sur la Vierge par exemple, Gérard de Nerval, bon. On lui dit : Mais tu vois pas que la
Vierge c'est ta maman ? Il dira : Bien oui, mais bien sûr, c'est ce que j'ai toujours dit, j'ai toujours dit
ma mère c'est la Vierge ? Il redresse son délire, il remet son délire sur ses pieds. C'est courant, j'ai
jamais vu quelqu'un délirer, encore une fois, délirer dans les coordonnées familiales.

Comment est-ce que, bien sûr les parents interviennent dans le délire, le thème des parents, mais
pourquoi ? Uniquement, en tant qu'ils valent comme des espèces de passeurs, de portes,
c'est-à-dire, ils mettent le sujet délirant en rapport avec ces coordonnées mondiales historiques. Oh
ma mère c'est la Vierge ! mais ce qui compte c'est le rapport avec la Vierge. Ce qui compte c'est,-
vous prenez par exemple Rimbaud, je veux dire, faut quand même pas écraser les délires - alors
bien sûr tous les délirants c'est pas Rimbaud. Mais encore, je crois que le délire a une grande
puissance. Le délire lui, il a une grande puissance, celui qui délire, il peut être réduit à l'impuissance,

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oui et son délire le réduit lui-même à l'impuissance. Mais la puissance du délire, c'est quoi ça ?

Rimbaud se met à délirer, pas sous la forme de ses rapports avec sa mère. Parce que quand même,
faut pas exagérer, c'est honteux ... , c'est humiliant, je sais pas, il y a quelque chose de tellement
rabaissant à ramener ça perpétuellement à, comme si les gens qui délirent, en étaient à ressasser
des histoires. Je peux même pas dire des histoire de petite enfance, parce que l'enfant, il n'a jamais
vécu comme ça. Vous comprenez, un enfant, il vit ses parents dans un champ historico mondial. Il
les vit pas dans un champ familial, il les vit immédiatement.

Imaginez, vous êtes un petit enfant africain pendant la Colonisation. Vous voyez votre père, votre
mère. Il est en rapport avec quoi votre père, votre mère, dans cette situation ? Il est en rapport avec
les autorités coloniales, il est en rapport avec ceci, cela. Prenez un enfant d'immigré aujourd'hui en
France. Il vit ses parents en rapport avec quoi ? Il vit pas simplement ses parents comme parents,
jamais personne n'a vécu ses parents comme parents. Prenez quelqu'un dont la mère fait des
ménages, et quelqu'un dont la mère est une riche bourgeoise. C'est bien évident que ce que le petit
enfant vise, et très vite, très tôt, vise à travers les thèmes parentaux, ce sont des vecteurs du champ
historique social.

Par exemple si un petit enfant très tôt est emmené par sa mère, chez l'étranger, c'est-à-dire chez la
patronne de la mère, comme ça arrive souvent chez les femmes de ménage. C'est évident que
l'enfant a une certaine vision de "lignes" d'un champ historique, d'un champ social. Si bien qu'encore
une fois je saute de tous mes ... c'est la même idée. Lorsque Rimbaud lance ses espèces de délires
poèmes, qu'est-ce qu'il nous dit ? il nous dit : « Je suis un nègre, je suis un nègre, je suis un viking,
je suis Jeanne d'Arc, je suis de race inférieure de toute éternité ? c'est ça délirer. ? Je suis un bâtard,
je suis etc., et je suis un bâtard, ça veut pas dire : j'ai des problèmes avec mon père et ma mère.

Ca veut dire que le délire, c'est cet espèce d'investissement, c'est cet espèce d'investissement
par le désir du champ historique et social. Si bien que nous, l'interprétation que l'on proposait, les
règles pour entendre un délire, c'était essentiellement ça, essentiellement ça. C'est évident que les
parents ne sont que des "poteaux indicateurs" de tous ces vecteurs qui traversent le champ social. Si
bien que déjà redonner sa dignité au délire, ou redonner sa dignité au délirant, c'est, il me semble
concevoir que le délirant n'est pas pris dans des problèmes d'enfant, car c'est vrai déjà de l'enfant
que l'enfant s'il délire, délire de cette manière.

Vous comprenez, on avait fait l'épreuve dans la même perspective de recherche, on avait fait
l'épreuve à propos de la psychanalyse qui paraît la moins compromise dans ces histoires de
rabattement sur le champ familial, à savoir Mélanie Klein. Or Mélanie Klein analyse un petit garçon
qui s'appelle Richard. Et pour moi c'est vraiment une des psychanalyses les plus honteuses qu'on
puisse imaginer. Car c'est pendant la guerre, Richard est un jeune juif, il n'a qu'une passion, les
cartes géographiques de guerre. Il les fabrique, il les colorie. Ses problèmes, c'est Hitler, Churchill,
qu'est-ce que c'est que tout ça, qu'est que ça veut dire la guerre ? ... Oui, il fait progresser les
bateaux, les armées. Et là c'est dit par Mélanie Klein, c'est par mauvais esprit, elle ne cesse pas de
dire : Je l'arrêtais, je lui montrais que Hitler, c'est le "mauvais papa", que Churchill c'est la bonne
mère ?, etc., etc., etc. C'est d'un pénible ! et le petit craque.

C'est très intéressant cette analyse, parce qu'il y a je ne sais plus combien de séances, tout est

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minuté, ça a paru en France, cette honteuse psychanalyse, ça a paru en France aux éditions Tchou.
C'est effarant, au début il tient le coup, même il fait de l'esprit. Il fait de l'esprit avec la vieille Mélanie,
il dit : Oh tu as une montre ? il lui dit, ce qui veut dire clairement : j'ai envie de me tirer ! alors elle,
elle lui dit : Pourquoi tu demandes ça ? alors elle interprète, elle dit qu'il se sent menacé dans ses
défenses inconscientes.

Tu parles, il n'a qu'une envie : se tirer, se tirer, se tirer. Et puis petit à petit, il en peut plus. Il en
peut plus, il n'est pas de taille, qu'est-ce que vous voulez qu'il fasse ? Alors il accepte tout, il accepte
tout. Il accepte tout, mais à quel prix ? je ne sais pas moi. Bon. Et pour chaque cas, c'est comme ça.
Chaque fois que vous voyez un délire, vous trouvez ces affirmations, qui sont des splendeurs, les
délires en même temps, ces véritables raisons d'être. C'est le rapport que quelqu'un a avec les
Celtes, les Noirs, les Arabes, les etc. Et qui n'a pas... et si c'est un arabe, c'est des rapports qu'il a
avec les blancs, avec etc., etc., avec telle époque historique.

Parlons du masochisme, voilà, ça c'est un cas où il y a même pas délire, il peut y avoir délire, il
n'y a pas nécessairement délire. Si vous voulez, si on ramène ça à ... Je prends le cas alors, parce
que c'est un cas que j'avais étudié, il y a longtemps, le cas de Sacher-Masoch lui-même. On nous
raconte ensuite la psychanalyse ne cesse pas de parler du rôle du père et de la mère comme
générateur du masochisme. À savoir dans quel cas et dans quelle figure toujours ce doublet père,
mère, va engendrer soit une structure masochiste soit des événements masochistes. Mais c'est
extrêmement pénible tout ça.

Le père de Masoch par exemple, si on prend ce cas, je ne dis pas que ce soit un cas général, il est
directeur de prison. Alors la psychanalyse, à ça, elle a une drôle de réponse, qui est toujours sa
fameuse notion qui me paraît particulièrement sournoise de "par après". Elle dit : « Ah d'accord, tout
ça, ça intervient "par après". » Mais, au niveau de la petite enfance, ça n'intervient pas. Ce qui
compte, c'est la constellation familiale.

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Deleuze
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Anti-OEdipe et autres
réflexions - Mai/juin
1980 - (4 heures)

- 27/05/80 - 2
Marielle Burkhalter

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Gilles Deleuze - Anti-Oedipe transcription : Frédéric Astier cours du 27/05/80 - 2 46'44 -

... Je dirais, et même déjà bébé, même avant de parler. Vous me direz ? il n' a pas de comparaison ?
il n' a pas de comparaison, il n'y a pas lieu à faire une comparaison. Il ne parle pas, il ne se dit pas :
"je suis dans une prison", ou "mon père dirige une prison" ?. Ce qu'il éprouve, c'est une certaine
constellation très très impressionnante, qui est celui d'une puissance sur un endroit noir et fermé. Et
peu importe que, il ne compare pas, au besoin il ne sache même pas qu'il y a d'autres endroits. Mais
je dis, ça va de soi : tout petit déjà, il ne vit pas simplement son père comme père, il vit son père
sous la puissance-père, et, E T - ça étant indissociable - père ET gardien de prison. Bon, est-ce ça
compte ? Ensuite, dans la mesure où Masoch personnellement développe, à certains moments, un
véritable délire, ce délire, il consiste en quoi ?

Ce délire, ce n'est pas simplement un délire, c'est aussi une politique. Il vit dans l'Empire
Austro-hongrois, Masoch. Toute sa vie, c'est une espèce de réflexion, mais de réflexion active et de
participation au problème des minorités dans l'Empire autrichien. Et qu'est-ce que c'est que ses
thèmes obsessionnels ? Ses thèmes obsessionnels, c'est l'amour courtois, avec les épreuves que
l'amoureux s'impose et le rôle des femmes dans les minorités. Comme quoi les mouvements de
minorités, Masoch est un de ceux qui l'ont dit le plus profondément, les mouvements de minorités
sont profondément animés par des femmes. Y a tout cela qui se mêle, dans, et pour constituer cet
espèce de masochisme qui délire les minorités, qui délire le Moyen Âge au niveau de l'amour
courtois, et qui délire le monde des prisons. Je dis : si vous ramenez ça à un problème de Masoch
enfant par rapport à son père et sa mère, alors autant dire y a plus rien à dire quoi, c'est grotesque,
c'est grotesque. Je vous demande chaque fois que vous êtes devant, soit devant la transcription
écrite, soit devant l'audition orale de quelque chose de délirant, vous verrez que, ce qui est investi,
c'est fondamentalement, c'est-à-dire ce qui est investi par le désir, c'est fondamentalement un champ
historico mondial.
Et j'appellerai lignes de fuites, les lignes qui relient le délirant à telle direction, ou à telle région du
champ historico mondial.

Alors si c'est comme ça, j'essaye juste de dire "processus". Mais peut-être est-ce un peu plus
clair ? Quelque chose nous arrive, quelque chose nous emporte. Toute la question d'une analyse qui
ne serait pas une psychanalyse, c'est quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Mais qu'est-ce que c'est, c'est :
quelles lignes traces-tu ?

Je veux dire pour moi l'analyse, ça ne peut être, ça n'est ni une interprétation, ni une opération de
signifiance, c'est un tracé cartographique. Si vous ne trouvez pas les lignes qui composent

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quelqu'un, y compris ses linges de fuites, vous ne comprenez pas les problèmes qu'il pose ou qu'il
se pose. Or en effet des lignes de fuites, vous comprenez, c'est pas uniforme. La manière dont
quelqu'un... une ligne de fuite même, c'est une opération ambiguë,

je dis c'est ça le processus, c'est ça ce qui nous emporte. Évidemment ça veut dire que pour moi
les lignes de fuites, c'est ce qu'il y a de créateur chez quelqu'un. Les lignes de fuites, c'est pas des
lignes qui consistent à fuir, bien que ça consiste à fuir, mais c'est vraiment la formule que j'aime
beaucoup d'un prisonnier américain qui lance le cri : "Je fuis, je ne cesse pas de suivre, mais en
fuyant je cherche une arme ?. Je cherche une arme, c'est-à-dire je crée quelque chose. Finalement
la création c'est la panique, toujours, je veux dire, c'est sur les lignes de fuites que l'on crée, parce
c'est sur les lignes de fuites que l'on n'a plus aucune certitude, lesquelles certitudes se sont
écroulées. Alors je dis bien, voilà.

Le processus, mais, et là je pense répondre plus directement enfin à ta question. Je dirais,


précisément parce que ces lignes ne préexistent pas au tracé qu'on en fait. Je dirais à la fois ces
lignes ne préexistent pas au tracé qu'on en fait et puis toutes les lignes ne sont pas des lignes de
fuites. Y a d'autres types de lignes. Alors une année ici, on s'était consacré à ça, je crois qu'on a
passé pas loin d'un an à étudier les sortes de lignes qui composent quelqu'un, qui composent
quelqu'un au sens individu ou groupe, dans un champ social ou dans un champ historico mondial.

À la limite on distinguait comme plusieurs types de lignes. On s'était beaucoup intéressé à une
nouvelle splendide, parce que là aussi le délire n'est pas loin, une nouvelle très belle de Fitzgerald,
où il distingue, lui il a tout un langage, tout un vocabulaire, où il distingue les grandes cassures, les
petites fêlures et les vraies ruptures. Et finalement on vit de ça. Et il essaye de montrer, il montre très
bien que ces trois sortes de lignes, moi, je crois qu'il y a toujours chez tous les gens, ces trois sortes
de lignes, mais les unes qui avortent, les autres qui ... Alors c'est presque une analyse des lignes,
presque au sens de ligne de la main, sauf que c'est pas dans la main, ces lignes.

Moi je comprendrais rien à quelqu'un si je peux pas le traduire dans une espèce de dessin linéaire.
Avec - il faudrait trois couleurs, au moins trois couleurs, en fait beaucoup plus - et tracer les lignes
dans lesquelles il se trouve, et comment il se débrouille. Je dirais oui, vous comprenez, toutes ces
lignes alors qui s'embrouillent, qui s'embrouillent terriblement, je proposais de les appeler "des lignes
de segmentarité dure".

Et on a tous des lignes de segmentarité dure. Il s'agit pas de dire les unes sont mauvaises et les
autres bonnes, il s'agit de se débrouiller avec toutes ces lignes. Des lignes de segmentarité dure,
pour moi, c'est des choses que tout le monde connaît bien, mais déjà il y a plein de cas comme ça. Il
y a des cas très très différents dans ce premier paquet de lignes. Nous sommes, moi je voudrais
vraiment presque arriver à me concevoir et à concevoir les autres comme uniquement des paquets
de lignes abstraites. Alors ça représente rien ces lignes, mais elles fonctionnent, elles fonctionnent.

Et pour moi la schizo-analyse, c'est uniquement cela : c'est la détermination des lignes qui
composent un individu ou un groupe, le tracé de ces lignes. Or ça concerne tout l'inconscient. Ces
lignes elles ne sont pas immédiatement données, ni dans leur importance respective ni dans leurs
avances. C'est pour ça que plutôt qu'une histoire, je rêve d'une géographie, c'est-à-dire d'une
cartographie, faire la carte de quelqu'un. Alors oui, je dis qu'est-ce que c'est que la segmentarité

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dure ? Et bien oui on est segmentarisé de partout. On est segmentarisé de partout, c'est une
première sorte de ligne qui nous traverse. Je veux dire : on est d'abord segmentarisé immédiatement
: le travail, le loisir, les jours de la semaine, le jour, la nuit, vous voyez. C'est une ligne à segment. Le
travail, le jour de vacance, le dimanche, enfin du type métro, boulot, etc. Une espèce de
segmentarité. Il y a toute une bureaucratie de la segmentarité. Il y a le bureau, on va, quand vous
allez d'un bureau à un autre pour avoir le moindre papier, on voit bien ce que c'est que la
segmentarité sociale. On vous envoie d'un segment à un autre.

Mais aussi y a une segmentarité encore plus troublante, plus difficile. C'est dire que déjà la ligne,
je pourrais pas dire il y a "une" ligne de segmentarité, et c'est pas la même pour chacun. Ca c'est
tellement variable pour chacun d'après les métiers, d'après les modes de vie. On est segmentarisé
comme des vers, quoi ! mais on peut pas dire que c'est pas bien, ça dépend, ça dépend ce que vous
en tirez, mais c'est une première composante de vos lignes. Un segment, un autre segment, un autre
segment ! ah là je rentre ? ah je suis chez moi, la journée est finie ? ah ! qu'on vienne pas m'embêter
! Passer d'un segment à un autre. Y a ceux, remarquez déjà, y a ceux qui ont assez peu, où cette
ligne est comme, affaiblie, affaiblie. Ils sont très séduisants ceux-là, qui ont une segmentarité très
affaiblie. On a l'impression qu'ils sont trop mobiles, qu'ils passent d'un segment à l'autre beaucoup
plus vite que d'autres, qu'ils ont une segmentarité beaucoup plus souple. Bon. Mais je dis en gros, il
y a dans ce domaine de la segmentarité, il y a déjà tout un paquet de lignes, et pas une seule parce
que, vous comprenez que, elle est très orientée du point de vue du temps, la ligne de segmentarité.

Notamment c'est d'après les segmentarités que se fait la triste évolution de la vie par exemple :
on vieillit, jeune, vieux. C'est une autre segmentarité, vous voyez qu'elles se recoupent toutes ces
segmentarités, homme, femme. Là les hommes, là les femmes. C'est segmentarisé tout ça, jeune,
vieux. Alors bon ! Ah j'étais jeune, je ne le suis plus ? Ah j'avais du talent, le talent, qu'est-ce qu'il est
devenu ? Vous reconnaissez le ton, mais c'est pas du tout un ton plaintif chez lui le ton de Fitzgerald,
(pour ceux qui aiment ?). Qu'est-ce que c'est que ces phénomènes de "perte de jeunesse", "perte de
beauté", "perte de talent", qui se fait sur cette ligne ? Et comment on va pouvoir le supporter ça ?
C'est là, il y a toujours des ruptures, des cassures sur cette ligne. On passe d'un segment à un autre
par une sorte de cassure. Il y a des gens qui supportent, c'est déjà très différent cette ligne pour
chacun ou pour les groupes. Les groupes mais, ils donnent tout un statut déjà à cette première ligne.

Et puis il y a une autre sorte de ligne. On sait bien que, en même temps, c'est pas que la
première soit une apparence, mais on sait bien que en même temps il se passe d'autres choses.
Qu'il n'y a pas simplement les hommes là et les femmes là. Qu'il y a la manière dont les hommes
sont des femmes, la manière dont les femmes sont des hommes dans des trucs beaucoup plus...
Alors une ligne beaucoup plus, comment dirais-je, à la lettre, beaucoup plus moléculaire. Une ligne
où c'est beaucoup moins apparemment tranché que. Quelqu'un fait un geste, hein, quelqu'un dans le
cadre de sa profession fait un geste et j'ai comme une impression de malaise. Les romanciers, ils ont
toujours beaucoup joué là-dessus, j'ai une impression de malaise, je me dis tiens, et ce geste, il est
pas adapté, d'où ça vient ? il paraît un peu incongru, il vient d'ailleurs, il vient d'un autre segment. Là
se fait comme une espèce de brouillage de segment.

C'est plus une ligne de segmentarité pré-établie en quelque sorte, c'est une ligne de
segmentation fine en train de se faire, des petites poussées, des petits trucs, une petite grimace. Qui

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vient d'où ? Bizarre. Une ligne qui ne procède plus par "cassure", espèce de binarité, dualisme :
homme-femme, riche-pauvre, jeune-vieux, mais qui procède par, comment par, Fitzgerald dit par
"petites fêlures" ? Des petites fêlures comme une assiette, qui ne se cassera que, à l'issue des
petites fêlures, mais c'est pas le même chemin celui de la grande cassure et celui des petites fêlures.
Alors finalement on s'aperçoit qu'on a vieilli sur la première ligne, alors que vieillir est une espèce de
processus qui s'est continué longtemps sur la seconde ligne. Le temps des deux lignes n'est pas le
même. Voilà un second type de lignes, qui à son tour est très divers, c'est un second paquet de
lignes.

Et puis il y a des lignes encore une fois, d'un autre type, les lignes de fuites. Les lignes que l'on
crée, et sur lesquelles on crée. Parfois on se dit : mais... ?, elles sont comme ensablées, elles sont
comme bouchées, parfois elles se dégagent, elles passent par de véritables trous, elles ressortent,
parfois elles sont foutues, foutues, les deux autres types de lignes les ont mangé, et puis elles
peuvent toujours être reprises. Qu'est-ce que c'est que ce troisième type de lignes ? Supposons que
ce soit ... Je dis faire une schizo-analyse de quelqu'un, ce serait arriver à déterminer ces lignes et le
"processus" de ces lignes.

Or pour répondre enfin à la question, une chose très simple : appelons "schizophrénie" le tracé
des lignes de fuite. Et ce tracé des lignes de fuite est strictement coextensif au champ historico
mondial. Moi, petit bourgeois français qui ne suis pas sorti de mon pays, qu'est-ce que je délire
encore une fois ? je délire l'Afrique et l'Asie, à charge de revanche. Et pourquoi ? Parce que c'est ça
le délire, c'est ça le délire. Et il n'y a pas besoin d'être fou pour délirer.

Alors si j'appelle ça le processus, c'est ce flux qui m'emporte dans le champ historico social
d'après des vecteurs. Appelez ça le voyage à la manière de Laing et Cooper, j'y vois pas
d'inconvénient - car en effet, je peux aussi bien délirer la Préhistoire, je peux très bien avoir à faire
avec la Préhistoire. De toute manière, c'est ça qu'on délire.

Alors qu'est-ce qui arrive ? Moi je dis chaque type de lignes a ses dangers. Moi je crois que le
danger propre à la ligne de fuite et aux lignes de fuite, à ces lignes de délire, c'est quoi ? C'est en
effet une espèce de véritable effondrement. Qu'est-ce que c'est l'effondrement ? Et bien le danger
propre aux lignes de fuite - et il est fondamental, il est, c'est le plus terrible des dangers - c'est que la
ligne de fuite tourne en ligne d'abolition, de destruction. Que la ligne de fuite, qui normalement et en
tant que processus est une ligne de vie et doit tracer comme de nouveaux chemins de la vie, tourne
en pure ligne de mort. Et finalement, il y a toujours cette possibilité-là. Y a toujours cette
possibilité-là, que la ligne de fuite cesse d'être une ligne de création et tourne en rond, comme se
mettre à tournoyer sur elle-même et s'enfonce dans ce qu'on appelait une année, "un trou noir",
c'est-à-dire devienne ligne de destruction pure et simple. Je disais, c'est ça qui, à mon avis, explique
un certain nombre de choses.

- Ça explique par exemple la production du schizophrène en tant que entité clinique. Le


schizophrène en tant que malade, et je crois que le schizophrène est fondamentalement et
profondément malade, c'est ça : c'est celui qui "saisit" par le processus, emporté par son processus,
par "un" processus, et bien il ne tient pas le coup. Il ne tient pas le coup, c'est trop dur. C'est trop dur.
Vous me direz, il faudra encore dire pourquoi, qu'est-ce qui s'est passé ? Au besoin, au besoin rien
ne s'est passé. Je veux dire rien ne s'est passé parce qu'il n'y a rien.

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Il y a un texte merveilleux de Chestov à propos du fameux écrivain russe Tchekov. Chestov n'aime
pas Tchekov, à tort, il l'aime pas, il le déteste même. Il dit la raison pour laquelle il n'aime pas
Tchekov. Il dit : Vous comprenez quand vous lisez Tchekov, vous avez toujours l'impression que
quelque chose s'est passé et vous pouvez même pas dire quoi ! À savoir tout se passe comme si
Tchekov avait tenté quelque chose, qui exigeait même pas un effort considérable, et puis comme s'il
s'était foulé le pied quoi. Et qu'il en ressort incapable de quoi que ce soit. Que pour lui, pour lui,
Tchekov, le monde est fini et qu'il n'est plus qu'amertume.

Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce qui s'est passé pour que quelqu'un craque ? Vous me direz
craquer à la manière de Tchekov, c'est pas mal hein ? oui mais ! Peut-être qu'on peut avoir une tout
autre vision de Tchekov. Mais qu'est-ce qui se passe quand quelqu'un craque effectivement,
qu'est-ce qu'il n'a pas pu supporter ? En tout cas je dis, c'est là et c'est à ce niveau : qu'est-ce que
quelqu'un n'a pas pu supporter ? Et bien c'est ce quelque chose qu'il n'a pas pu supporter qui
marque, il me semble, le tournant de la ligne de fuite, qui cesse d'être créatrice et qui devient ligne
de mort pure et simple. Il y a deux manières de devenir ligne de mort. C'est de devenir ligne de mort
pour les autres, et souvent les deux sont très liées, et ligne de sa propre mort. Et finalement pourquoi
c'est lié ça ? c'est compliqué, mais je prends des cas, comment se fait-il que, par exemple, je prends
des cas là, toujours littéraires, qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qui se passe dans des cas célèbres,
comme Kleist. Kleist, qui vraiment écrit par un "processus".

Ce processus lui donne toute sorte de signes très schizophréniques : le bégaiement, les
stéréotypies, les contractures musculaires, tout ça. Mais tout ça nourrit pendant longtemps un style.
Et un style, c'est pas simplement quelque chose d'esthétique, un style - vous vivez comme vous
parlez, ou plutôt vous parlez comme vous vivez.
Un style c'est un mode de vie. Avec tout ça il invente un style, une espèce de, de style, qui fait
qu'une phrase de Kleist est reconnaissable entre toutes. Qu'est-ce qui se passe ? Tout ça, ça
débouchera sur une idée alors très délirante, qui était là dès le début chez Kleist, à savoir : comment
se tuer à deux ? Comment se tuer à deux ? Qu'est ce qui fait pour que sa ligne de fuite, il traverse
l'Allemagne, on voit très ce que c'est que le processus dans le cas de Kleist, il saute à cheval et il
traverse l'Allemagne. C'est le grand mouvement romantique allemand. Bien, vous me direz, c'est pas
seulement ça le processus, d'accord c'est pas seulement ça le processus, disons que ça c'est déjà le
signe géographique du processus. Il y a des gens qui restent sur place et qui sont saisis par le
processus.

Il me semble évident que les personnages de Beckett, ils vivent intensément ce qu'on pourrait
appeler "le processus". On ne peut pas, il me semble, on interprète très difficilement Beckett en
termes de personnes, de personnologie ou en termes de structure. C'est une affaire de processus là
aussi. Et bien quelque chose tourne mal, ça veut dire quoi ? Ca veut dire le processus tourne
vraiment, lui qui aurait dû, mais qu'est-ce que veut dire la formule "qui aurait dû" ? être une ligne de
vie, c'est-à-dire de création. Qui aurait dû être une espèce de chance supplémentaire donnée à la
vie, qui tourne en entreprise mortifère. Comment se tuer à deux ? une mort exaspérée à la manière
de Kleist, ou bien une mort paisible. Qu'est-ce qui fait que Virginia Wolf s'enfonce dans son lac, là, et
se noie comme ça ? Donc c'est pas du tout une mort exaspérée, c'est que d'une certaine manière
elle en a marre. Elle en a marre de quoi ? Elle qui tenait en effet un processus prodigieux.

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Qu'est-ce qui se passe ? Alors, je dis, sous les formes exaspérées, c'est comme ça si vous
voulez, si j'essaye de donner un contenu concret, vécu, vivant, à la notion de fascisme. J'ai essayé
de dire plusieurs fois à quel point pour moi, le fascisme et le totalitarisme, c'était pas du tout la même
chose. C'est que le fascisme, ça paraît un peu mystique ce que je dis, mais il me semble que ça l'est
pas.

Le fascisme, c'est typiquement un processus de fuite, une ligne de fuite, qui tourne alors
immédiatement en ligne mortuaire, mort des autres et mort de soi-même. Je veux dire, qu'est-ce que
ça veut dire ? Tous les fascistes l'ont toujours dit. Le fascisme implique fondamentalement,
contrairement au totalitarisme, l'idée d'un mouvement perpétuel sans objet ni but. Mouvement
perpétuel sans objet ni but, d'une certaine manière, c'est, on peut dire, c'est ça un processus. En
effet, le processus, c'est un mouvement qui n'a ni objet ni but. Qui n'a qu'un seul objet : son propre
accomplissement, c'est-à-dire l'émission des flux qui lui correspondent.

Mais, voilà qu'il y a fascisme lorsque ce mouvement sans but et sans objet, devient mouvement
de la pure destruction. Étant entendu quoi ? Étant entendu qu' on fera mourir les autres, et que sa
propre mort couronnera celle des autres. Je veux dire quand je dis ça paraît tout à fait mystique, ce
que je dis là sur le fascisme, en fait les analyses concrètes, il me semble, le confirment très fort.

Je veux dire un des meilleurs livres sur le fascisme, que j'ai déjà cité, qui est celui d'Arendt, qui est
une longue analyse, même des institutions fascistes, montre assez que le fascisme ne peut vivre
que par une idée d'une espèce de mouvement qui se reproduit sans cesse et qui s'accélère. Au point
que dans l'histoire du fascisme, plus la guerre risque d'être perdue pour les fascistes, plus se fait
l'exaspération et l'accélération de la guerre, jusqu'au fameux dernier télégramme d'Hitler, qui
ordonne la destruction de l'habitat et la destruction du peuple.

Ça commencera par la mort des autres, mais il est entendu que viendra l'heure de notre propre mort.
Et ça les discours de Goebbels dès le début le disaient, on peut toujours dire propagande, mais ce
qui m'intéresse c'est pourquoi la propagande était orientée dans en sens dès le début. C'est
complètement différent d'un régime totalitaire à cet égard. Et une des raisons pour lesquelles, il me
semble, une des raisons, là, historique importante, c'est pourquoi est-ce qu'encore une fois, les
Américains, et même l'Europe, a pas fait une alliance avec le fascisme. Et bien on pouvait leur faire
confiance, c'est pas la moralité ni le soucis de la liberté qui les a entraîné. Donc pourquoi ils ont
préféré s'allier à la Russie, et au régime stalinien ? dont on peut dire tout ce qu'on veut, et c'est un
régime que l'on peut appeler totalitaire, mais c'est pas un régime de type fasciste et c'est très
différent. C'est évidemment que le fascisme n'existe que par cette exaspération du mouvement, et
que cette exaspération du mouvement ne pouvait pas donner de garanties suffisantes, enfin ... Et la
méfiance à l'égard du fascisme au niveau des gouvernements et au niveau des États qui ont fait
l'alliance pendant la Guerre, c'est il me semble. Si vous voulez, c'est là où il y a toujours un fascisme
potentiel là lorsqu'une ligne de fuite tourne en ligne de mort. Alors presque, c'est pour ça que vous
comprenez, la distinction que je ferais entre schizophrénie comme processus et schizophrène
comme entité clinique, c'est que la schizophrénie comme processus c'est : l'ensemble de ces tracés
de lignes de fuites. Mais la production de l'entité clinique, c'est lorsque précisément quelque chose
ne peut pas être tenu sur les lignes de fuites. Quelque chose est trop dur, quelque chose est trop dur
pour moi. Et à ce moment-là ça va tourner en ligne,
soit en ligne d'abolition

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soit en ligne de mort.

Prenez une chose, une expérience objective aussi simple que celle de la musique, la musique que
vous écoutez. En quoi est-ce qu'on peut parler d'un fascisme potentiel dans la musique, si l'on peut
parler d'un fascisme potentiel ? C'est que, il me semble que la musique c'est le processus à l'état
pur. C'est par là que de tous les arts, ce serait sans doute l'art, il me semble, le plus adéquat, le plus
immédiatement adéquat. Pour saisir sous la peinture un processus de la peinture, il faut beaucoup
plus d'effort. C'est-à-dire les flux, saisir les flux de la peinture, c'est beaucoup plus difficile, que de
saisir immédiatement le flux sonore de la musique. Et là encore, je dirais pour moi que la musique,
ce n'est pas affaire de structure, ni même de forme, c'est affaire de processus. Tiens, je pense tout
d'un coup pour faire des rapprochements, qu'un des musiciens qui a le plus pensé la musique en
termes de processus, c'est Cage. Bon et bien je veux dire, la musique, elle est processus et d'une
certaine manière, elle est amour de la vie, fondamentalement.

Elle est même création de la vie. Or est-ce que c'est par hasard que, en même temps je dois dire
le contradictoire - que la musique nous inspire à certains moments, et qu'il n'y a pas de musique qui
nous inspire pas ça à certains moments, une très bizarre, très bizarre désir, qu'il faut appeler
d'abolition, un désir d'extinction, un désir d'extinction sonore, une mort paisible. Et que dans
l'expérience musicale la plus simple, et là je ne privilégie pas une musique sur telle autre, je pense
que c'est vrai de toute musique, que c'est vrai de la pop musique, que c'est vrai de la musique
classique, que c'est vrai de... que c'est les deux à la fois et l'un pris dans l'autre, une création vitale
sous forme de ligne de fuite ou sous forme de processus, et greffée là-dessus, risquant
constamment de se convertir le processus, une espèce de désir d'abolition, de désir de mort.

Et que la musique emporte aussi bien ce désir de mort qu'elle ne charrie le processus. Si bien
qu'à ce niveau c'est vraiment une partie très très incertaine que chacun de nous joue sans le savoir.
Jamais personne n'est sûr que ça ne sera pas son tour de craquer, qui peut le dire ? Et encore une
fois il ne craquera pas sous de très fortes secousses visibles. Il craquera peut-être au moment où,
d'un certain point de vue ça va mieux. On sait pas, on sait pas.

Simplement je dis que la psychiatrie et la psychanalyse, il me semble, ne rendent pas service,


chaque fois qu' ils proposent à ces phénomènes des interprétations, que l'on peut appeler des
interprétations puériles. Ça déshonore les gens. Ça déshonore les gens. Il se trouve que les gens, ils
sont contents, ils supportent d'écouter ça, c'est leur affaire puisque ça marche. C'est leur affaire,
mais je trouve que c'est être déshonoré que d'accepter d'éntendre des heures et des heures - du
moins il faut beaucoup souffrir pour le supporter, d'entendre pendant des heures et des heures, tout
ça ; c'est parce que : t'es pas d'accord avec ton père et ta mère, tout ça c'est parce que y a quelque
chose qui s'est passé du côté du père, c'est parce que...

Que ce soit en termes de structure, que ce soit en termes d'image de personne, encore une fois,
personnologie ou structure, ça me paraît tellement, tellement semblable, alors que quand même,
nous avons il me semble, l'élémentaire dignité de tomber malade ou de devenir fou au besoin, sous
de bien d'autres pressions et bien d'autres aventures que ça.

Alors voilà oui, en ce sens je réponds bien sûr, si j'ai bien compris la question : l'idée de la
schizophrénie comme processus, implique que ce processus côtoie sans cesse la production d'une

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espèce de victime du processus. On peut être à chaque instant, victime d'un processus qu'on porte
en soi. Et par processus encore une fois, j'invoque, parce que pour, parce que là ça devient un
langage commun, qu'il nous appartienne à tous, j'invoque de grands noms comme Kleist, Rimbaud,
etc. Bien, Rimbaud, que dire de Rimbaud, qu'est-ce que c'est cet homme ? Il fout le camp en
Éthiopie, c'est-à-dire il prolonge sa ligne de fuite, mais il la prolonge de quelle manière ? Là-dessus,
cet espèce de reniement de tout son passé, c'est quelque chose qui n'est plus supportable pour lui.
Qu'est-ce que ça va devenir ? Comment, qu'est-ce qu'il devient ? C'est sur cette ligne-là qu'il y a un
véritable devenir, encore une fois. Or ce devenir, ça peut devenir aussi un devenir mortifère. Alors s'il
y a une leçon, c'est qu'il s'agit pas seulement de débrouiller les lignes qui composent quelqu'un, il
s'agit au niveau de chaque paquet de lignes qui composent quelqu'un, d'essayer, par n'importe quel
moyen que, ça ne tourne pas en ligne de mort.

Moi, c'est la... or, il n'y a pas de solution, y a pas de solution miracle. Je crois juste que, il y a une
espèce de complaisance qui est extrêmement redoutable, la complaisance au discours
psychanalytique fait notre déshonneur. Ca supprime finalement, ça supprime, il y a longtemps que le
romancier Lawrence le disait, lui qui avait une espèce de réaction fraîche à la psychanalyse. Il disait :
mais tout ça c'est dégoûtant - tout ça, c'est pas du tout, Lawrence, vous comprenez, il est très fort,
parce que c'est pas quelqu'un à qui l'on puisse dire : ? Ah tu es choqué par la sexualité ?, il était pas
très choqué par la sexualité, il est même à la tête d'une espèce de découverte et de singulières
découvertes de la sexualité.

Mais il a l'impression que la psychanalyse c'est dégoûtant. Qu'est-ce qu'il veut dire ? Puisque ça ne
veut pas dire, quand même, c'est pas Lawrence qui dirait : je proteste contre l'idée que tout soit
sexuel, au contraire ça ne me gêne pas ! Il dit : " Mais, vous vous rendez compte de ce qu'ils font de
la sexualité, vous vous rendez compte" ? "Mais c'est une honte" ? il dit. : Il dit : La sexualité ? ça a
rapport avec quoi ? Bien il dit la même chose que ce que je viens de dire du processus. Il dit, la
sexualité, c'est évident que çaa affaire avec le soleil. Ça a affaire avec délirer le monde, ça a à faire,
et pas du tout qu'on se fasse une conception, là, romantique de la sexualité, c'est comme ça, c'est
comme ça, qu'est-ce que vous voulez. Ce qu'on aime, le type par exemple de femme ou d'homme
que l'on poursuit, ce qu'on en attend. C'est bien au-delà des personnes ça.

Ca délire lemonde en effet, ça peut-être aussi bien uneoasis qu'un désert que tout ce quevoulez. En
tout cas l'idée même que tout ça se ramène à Œdipe, c'est-à-dire à une constellation père-mère, et
même si on y ajoute loi, il y a quelque chose de scandaleux, c'est déshonorant tout ça. C'est évident
que c'est pas ça la sexualité. Quand le Président Schreber dit à la lettre : J'ai les rayons du soleil
dans le cul ?. Il sent, il sent les rayons du soleil. Il les sent comme ça. Bon, et bien si on essaye
d'expliquer ses rapports à son père, je trouve qu'on ne risque pas d'y comprendre quelque chose. À
ce moment-là, tout ce qu'est la sexualité alors... Quand Lawrence proteste contre la psychanalyse, il
dit : "Mais ils ne voient rien d'autre que le sale petit secret ?". Un petit secret minable, vraiment
minable cette histoire de vouloir tuer son père et de vouloir coucher avec sa mère, c'est minable.

Alors on aura beau l'interpréter en structure, ça reste minable, parce que ça l'est. Vous vous
rendez compte ? Quel enfant a fait ça ? Non mais. Jamais, jamais, c'est une idée de tordu ça, au
nom de la sexualité. Je veux dire, il faut réagir contre la psychanalyse et contre la psychiatrie
psychanalisante, au nom de la sexualité. C'est tout à fait autre chose, parce que dans la sexualité il y
a un véritable processus, et là aussi qui peut tourner à la mort, qui peut tourner à... Alors, bien, tout

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cela que je voulais dire. Alors je continue, c'est pour ça que une année, je m'étais tellement...
(Intervention d'un auditeur)

... Écoute, y a qu'une chose qui n'est pas bien dans ce que tu dis, dans ton intervention, c'est la
manière dont tu as répété beaucoup ? - c'est vrai, c'est vrai, c'est vrai ? Moi je dis jamais ? c'est vrai,
parce que, en un certain sens ça ne se pose plus à ce niveau. Mais c'était comme une manière dont
tu te réconfortais en me disant ? ah et puis c'est pas comme tu dis, c'est comme je dis ?. Voire !
Voilà moi ce que je répondrais : c'est que ... (interruption suite) ... Et tu as dit ? C'est vrai, c'est vrai...
? - ce qui montrait que tu tenais à cette idée. Alors si tu tiens à cette idée, moi j'ai, je veux dire, je fais
deux réponses à la fois, mais ces réponses, je tiens à l'une comme à l'autre. Et la première hélas, a
l'air insolente, mais elle l'est pas du tout.

C'est que, à un certain niveau, quand on dit quelque chose que l'on pense justement, plus ce
qu'on dit répond à ce qu'on pense, moins on peut invoquer une vérité quelconque, puisqu'on en est
pas sûr, et c'est même une seule chose c'est lorsqu'on a perdu les certitudes qu'on peut dire quelque
chose, donc c'est pour ça que... alors je dirais si quelqu'un me dit comme toi, mais ce n'est que ma
première réponse, si quelqu'un me dit : « ah bien non, pour moi, je n'arrive pas à penser qu'une ligne
de fuite, par exemple, soit essentiellement vitale et créatrice, j'arrive pas à le croire, je le sens pas
comme ça », je dirais tout au plus qu'elle a deux têtes : vie et mort, et que tout se décide à ce
moment-là, mais qu'il y a aucune raison de privilégier le pôle vital sur le pôle mortuaire. Là, ma
réponse ce serait, bon, bien, d'accord, vas dans cette direction, c'est la tienne, je ne peux rien dire, je
peux rien dire. Tout en moi s'offusque à cette idée, mais je ne peux rien dire. Il n'y a pas lieu
d'essayer de montrer que c'est moi qui a raison si quelqu'un sent autrement que moi.
Le "Je sens" ? je veux dire, il y a un "Je sens" ? philosophique. Le "Je sens " ? c'est pas
seulement J'ai l'impression, c'est qu'il y a un "Je sens" philosophique qui est comme une espèce de
fond des concepts. Ça veut dire "Bon, bien, ce concept, il ne te plaît pas, même vitalement, une fois
dit que les concepts ont une vie.
Mais en même temps, ma seconde raison, c'est presque - alors c'est pas un désir de convaincre
qui que ce soit, c'est un désir, du coup - je me dis au moins que ça serve à quelque chose si y a
quelqu'un qui n'est pas d'accord. Qu'est-ce que je répondrais, pour moi-même ? Pour moi-même, je
répondrais ceci avec beaucoup de gémissements, parce que au point où on en est, si vous voulez,
c'est vraiment les affects. On est pas au niveau simplement des concepts, on est en plein dans un
domaine particulier que j'essayais un peu de faire pressentir à propos de Leibnitz, à savoir des
affects du concept.

Il n'y a pas des concepts qui soient neutres ou innocents. Un concept est chargé de puissance
affective. Or moi quand j'entends l'idée que la mort puisse être un processus, c'est tout mon cœur,
tous mes affects qui saignent. Car, et c'est pour ça que j'exclue que mort et vie aient le même statut
sur les lignes de fuites, et je ne parlerai jamais par exemple d'un caractère bipolaire, qui serait vie et
mort. Parce que la mort c'est le contraire d'un processus, là il faudrait définir processus mieux que je
ne l'ai fait, mais je m'en tiens juste à des résonances affectives exprès.
Pour moi la mort, c'est l'interruption d'un processus. C'est pour ça que, jamais je ne comprendrai
les phénomènes de mort ou de préparation de mort dans un processus en tant que tel. C'est même
pour ça que pour moi, processus et vie, processus et ligne vitale, ne font strictement qu'un.
Et ce que j'appelle ligne de fuite, c'est ce processus en tant que ligne de création vitale. Si on me
dit là-dessus, il a nécessairement pour corrélat la mort, ça peut se comprendre de deux façons

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tellement ça devient compliqué. Or les deux façons peuvent presque théoriquement se rapprocher
l'une de l'autre à l'infini, affectivement, elles s'opposent absolument.

Et je dis que dans ce cas-là, les affects ont plus d'importance encore que les concepts. À savoir,
si je dis : la mort est inséparable de ce processus défini comme ligne vitale, je peux le comprendre
sous la forme : la mort ferait partie du processus, ce que, en moi, je refuse de, par goût, pas par...
tout s'offense à cette idée, tout s'offense en moi, et c'est même une idée qui me fait horreur. Ou bien
je comprends tout autre chose, à savoir : mais on a jamais gagné, et chaque instant cette ligne vitale
risque d'être interrompue et le, non pas le processus, mais sa coupure radicale, c'est précisément la
mort. Or ça, en effet, je ne peux pas le garantir, qu'elle ne sera pas interrompue par la mort. Ce que
je peux demander, ce qui est tout à fait différent, c'est que tout soit mis en œuvre pour qu'elle ne soit
pas interrompue par une mort volontaire. C'est-à-dire, j'appelle mort volontaire, sous quelque forme
que ce soit, un culte de la mort. Et par culte de la mort, j'entends aussi bien le fascisme. On
reconnaît le fasciste au cri, encore une fois : Vive la mort !. Toute personne qui dit Vive la mort ! est
un fasciste.

Donc, ce culte de la mort peut être représenté par le fasciste, mais peut être représenté au besoin
par de toutes autres choses, à savoir, une certaine complaisance suicidaire, un certain narcissisme
suicidaire, par les entreprises suicidaires. Toutes les entreprises suicidaires font partie et impliquent
une espèce de champs de mort, de culte de la mort.

Alors au point où on en est, j'essayerais même pas de te dire...

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Deleuze
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Anti-OEdipe et autres
réflexions - Mai/juin
1980 - (4 heures)

- 27/05/80 - 3
Marielle Burkhalter

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Gilles Deleuze - Vincennes cours 27/05/80 - 3 Transcription : Frédéric Astier

Plage 3 : 37'45

... déjà la mort a choisi et que dans cette voie, on a déjà choisi la mort.

Parce que, qui c'est, les types qui se réclament de l'apathie ? ils se réclament de l'apathie par
exemple, - ou bien c'est le Sage, le Sage ancien. Ou bien dans l'époque moderne, ce fut Sade et le
sadisme. C'est pas du tout pour dire : "ce que tu dis est sadique", ça, ça m'est égal, mais pour dire :
tu ne peux pas donner à la mort sa part au niveau du processus, sans que, à ce moment-là, tu
l'enfournes tout entier dans la mort. Alors j'y vois pas d'inconvénient - je vois d'inconvénient à rien - je
dis à ce moment-là : sers toi d'une autre notion que celle de processus. Parce que le processus,
vous comprenez, et là je voudrais dire que si j'avais à justifier la notion théoriquement, ça renvoie
aussi là, à toute une thèse, mais une thèse très pratique à laquelle je crois, qui était dans
L'anti-Œdipe.

À savoir que le désir, en tant que émission de processus, en tant que fabrication de création de
processus, que le désir n'a strictement rien à voir avec rien de négatif, avec le manque, avec
quoique ce soit, que le désir ne manque de rien. Et c'est précisément en ce sens que le désir est
processus.

Or, si on me flanque de la mort, dans l'idée de processus - encore une fois, le processus, il poursuit
son accomplissement - La mort, elle est toujours interruption du processus.

La mort ne peut pas faire partie du processus, il n'y a pas de processus de la mort. Voilà, je le dis
avec passion, non pas du tout pour dire : "j'ai raison", pour dire, ça me paraît contradictoire la mort et
le processus.

G.D. : d'accord alors... Je voudrais dire, oui, justement au niveau des affects - en un sens, c'est très
utile, parce que là, si vous voulez, j'insiste sur : la philosophie, je proposais comme définition : la
philosophie c'est la création de concepts. Mais encore une fois il faudrait bien étudier trois notions
qui forment une espèce de constellation :
concept,
affect
et percept.

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Parce qu'il y a des philosophes qui ont essayé de poser le problème de la philosophie au niveau des
percepts. Par exemple beaucoup de philosophes américains : en disant : "la philosophie mais c'est
quelque chose qui procède par percepts" - et qui à la limite - changent la perception. Et puis il y a
des philosophes - par exemple un philosophe comme Nietzsche, et ça Klossowski a très très bien vu
ça dans Nietzsche, - à quel point Nietzsche, il procède moins par concepts. Les concepts c'est une
grande réaction contre les concepts. Il procède essentiellement par mobilisation d'affects. Et l'affect
reçoit chez Nietzsche un statut philosophique très très, très subtil, très curieux, c'est un discours par
affects, c'est un "pathos" comme on dit, c'est pas un "logos".

Alors, à ce niveau, moi, je peux dire que, pour moi, alors, en quoi je disais la dernière fois,
comment est-ce possible aujourd'hui d'être spinoziste, d'être leibnitzien ? Si je pose la même
question à propos de Spinoza, je dirais qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui être spinoziste ? Il n' a
pas de réponse universelle.

Mais je me sens, je me sens vraiment spinoziste, en 1980 - alors je peux répondre à la question,
uniquement pour mon compte : qu'est-ce que ça veut dire pour moi me sentir spinoziste ?

Et bien ça veut dire être prêt à admirer, à signer si je le pouvais, la phrase : "la mort vient toujours
du dehors". La mort vient toujours du dehors. La mort vient toujours de dehors, c'est-à-dire la mort
n'est pas un processus. Et quelque que soit la beauté des pages, qui d'une manière ou d'une autre,
peuvent se ramener à un champ de mort ou à une exaltation de la mort - je ne peux dire qu'une
chose, c'est que pour ma part, j'en dénie la beauté. C'est-à-dire je dis, quelqu'en soit la beauté, parce
que pour moi, c'est des offenses à quoi ? C'est des offenses à la pensée, c'est des offenses à la vie,
ça va de soi, mais c'est des offenses à la pensée, c'est des offenses à tout vécu.

Et le culte de la mort, moi ça me paraît vraiment la chose.... sous quelque forme qu'elle soit. Alors
elle a son aspect psychanalytique de la mort, il a son aspect fasciste, il a son aspect psychotique,
tout ça. Je peux pas vous dire, je dis pas que ça n'existe pas, je dis même pas que je l'ai pas en moi
comme tout le monde.

Je dis c'est ça l'ennemi.

Parce que notre problème, c'est pas simplement être d'accord au niveau du vrai et du faux, c'est
même pas savoir ce qui est vrai ou faux, notre problème à tous. C'est savoir quelle est notre
répartition de nos alliés et de nos ennemis. Et ça ferait aussi partie d'une schizo-analyse. La
schizo-analyse encore une fois, ça ne demande pas : "qu'est-ce que c'est tes rapports avec ton père
et ta mère ?". Ca demande : "quels sont tes alliés, quels sont tes ennemis" ?

Alors si quelqu'un me dit : "et bien moi la mort est mon amie", je dis d'accord, d'accord, je le regarde
comme une erreur de la nature, je le regarde comme un monstre. Et je sais, je sais que pour moi :"
nulle beauté ne peut passer par ce chemin-là". Pourquoi alors ? je veux juste terminer avant de ce
point. Pourquoi est-ce que je tiens à tellement à ce que : "ligne de vie, ligne de fuite égal vie, égal
processus, et que tout ça exclut la mort, la mort n'étant qu'une interruption".

Je dirais, mais y a pas que de la mort que je dirais ça.


Je dirais également ça du plaisir si vous voulez. Le plaisir pour moi, c'est bien, le plaisir, alors

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vous voyez là, je dirais c'est formidable le plaisir, il en faut même, c'est bien, ça fait plaisir le plaisir,
c'est bien, c'est bien, il en faut. Mais qu'est-ce qu'il y a de moche dans le plaisir, qu'est-ce qu'il y a de
minable dans le plaisir ? C'est que par nature, ça interrompt un processus. C'est curieux que dans
les problèmes de désir - si vous voulez, il y a un cas qui me paraît très frappant - c'est comment
dans les civilisations différentes, - c'est très curieux ce qui se passe dans toutes sortes de
civilisations. Dans toutes sortes de civilisations, vous avez, vous avez une idée curieuse. Et cette
idée curieuse, elle apparaît toujours dans des groupes un peu isolés, un peu en marge. C'est
comment ne pas ? .. c'est l'idée que le désir est finalement un processus continu. C'est l'émission, en
effet, il poursuit son accomplissement. C'est la continuité. Le processus, il est continu.

Donc le processus n'a qu'un ennemi, c'est ce qui vient l'interrompre. Ce qui vient l'interrompre,
c'est quoi ? Je disais c'est la mort. Mais il y a des formes de "petites morts", ça peut être quoi aussi ?
ça peut être le plaisir. En même temps il y a des interruptions nécessaires : "les petites morts", elles
sont absolument nécessaires. La mort, elle est inévitable, donc le processus serait interrompu. Ça va
de soi, il sera interrompu. Je dis :" tout ce qui interrompt le processus est extérieur au processus". Je
ne dis pas que "ça peut ne pas venir". Ça viendra nécessairement. Et d'une certaine manière il est
bon que ça vienne, peut-être qu'il est bon qu'on meurt, peut-être qu'il bon qu'on ait du plaisir,
d'accord, d'accord.

Mais encore une fois ce que je nie, c'est que : "ce qui vient interrompre le processus puisse faire
partie du processus lui-même en tant qu'il s'accomplit". Or je dis le plaisir, il interrompt le processus.
Je fais allusion à quoi ? Là encore je reviens à mon exemple parce que c'est du passé qui me
revient, puisque je m'étais occupé de Masoch et du masochisme à un moment.

Le masochisme, je suis frappé par ceci : c'est que, tantôt on nous dit,
c'est des gens qui cherchent la souffrance, c'est ce que l'on pourrait appeler l'interprétation
grossière du masochisme, des gens qui cherchent la douleur, qui aiment la douleur, voilà. Aimer la
douleur, c'est un drôle de truc, c'est à la lettre une proposition qui est un non sens.

Ou bien on nous dit : non, c'est pas qu'ils aiment la douleur, c'est qu'ils cherchent comme tout le
monde le plaisir,
mais ils ne peuvent obtenir le plaisir que par des voies particulièrement détournées. Pourquoi ?
Parce qu'on les suppose frappés et sujets à une telle angoisse, qu'ils ne peuvent obtenir le plaisir,
que si ils ont d'abord déchargé l'angoisse. Comment décharger l'angoisse ? En se faisant infliger un
châtiment. Et c'est seulement le châtiment reçu qui les rendra capables comme tout le monde,
d'éprouver le plaisir.

Vous voyez, c'est en gros deux interprétations différentes du masochisme. L'une et l'autre me
paraissent fausses. Parce que moi j'ai le sentiment que ce n'est pas ça le masochisme. Et j'ai des
raisons historiques pour moi.

Je me dis, le masochiste, c'est pas du tout quelqu'un qui, ni cherche la douleur, ni cherche le
plaisir par des moyens obliques ou détournés. Son affaire, elle est tout à fait ailleurs. Le masochiste,
c'est quelqu'un qui à sa manière, seulement d'une manière perverse, - or la perversité moi je trouve
que c'est pas... mais on fait ce qu'on peut, hein ! - c'est quelqu'un qui d'une manière perverse - qui va
sans doute le conduire à une impasse, à une drôle d'impasse - vit très étroitement que le désir est un

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processus continu, et donc a horreur, a une horreur affective, a horreur de tout ce qui pourrait venir
interrompre le processus. Dès lors, le plaisir qui est un mode d'interruption - qui est le mode
d'interruption "agréable" du processus - le plaisir, le masochiste ne cesse pas de le repousser. Au
profit de quoi ? Au profit, à la lettre, d'un véritable "champ d'immanence", champ d'immanence du
désir, où le désir doit ne pas cesser de se reproduire lui-même. Donc c'est pas du tout la souffrance
qu'il cherche. La souffrance, il la reçoit en lui, il la reçoit en plus comme le meilleur moyen de
repousser le plaisir. Il la reçoit en plus comme - alors, la sale histoire - qui découle de sa tentative,
mais qui ne fait pas partie de cette tentative. Et voilà pourquoi le masochisme recueille, quand il se
met à délirer l'histoire, pique deux points. Il pique le problème de l'amour courtois. Or l'amour
courtois, c'était quoi ? C'est là une époque historique, pourquoi à telle époque ? pourquoi dans telle
civilisation ? l'amour courtois qui me semble avoir été un phénomène ayant une très très grande
importance, l'amour courtois se propose quoi ? Il se propose une drôle de chose. Il se propose
d'éliminer ce qu'on appelle aujourd'hui, et la Loi, et le Bien, et le Plaisir. Au profit de quoi ? Au profit
d'une permanence et d'une subsistance du désir, et d'un désir arrivé à un plan où le désir ne manque
de rien et se reproduit lui-même. Construire pour le désir une espèce de champ d'immanence. Et ce
champ d'immanence aura comme formule la formule de l'amour courtois : "tout est permis, tout est
permis sauf l'orgasme". Curieux. Le masochisme en tirera beaucoup. Et il n'y a pas de masochiste
qui ne renouvelle à sa façon, et qui ne reprenne à sa manière les formes d'amour dit courtois. Avec
tout le thème de l'amour courtois, à savoir "l'épreuve". L'épreuve qui est vraiment sur le mode d'une
épreuve extraordinairement sensuelle, puisque réellement :"tout est permis".

Tout est permis à condition que ça ne mène pas à l'orgasme. Pourquoi qu'ils ne veulent pas de
l'orgasme ? Pas parce que c'est fautif. Parce que ce serait l'interruption du désir, et qu'ils parient en
droit - j'insiste sur "en droit" - la continuation du désir à l'infini. Et pourquoi ? Parce que la
continuation du désir à l'infini, c'est la construction d'un champ d'immanence. Vous me direz, mais en
fait il y a toujours interruption ! bien sûr, bien sûr il y a toujours interruption. Il s'agit de considérer que
les interruptions ne sont que des accidents de "fait", et qu'elles n'interrompent pas le "droit" du désir.

Le désir n'étant pas à ce moment-là quelque chose qui manque de quoi que ce soit, mais ne faisant
qu'un avec la construction d'un champ d'immanence.

Et dans une tout autre civilisation, dans un tout autre monde, vous trouvez en Orient, la même
chose. Dans des formes célèbres de sexualité chinoise, où précisément là aussi, l'orgasme est
conjuré. Est affirmé l'espèce de droit d'un désir à construire un plan d'immanence, un champ
d'immanence, tel que rien en droit ne vient interrompre le processus du désir.

Alors en ce sens je dirais, vous comprenez, ce qui interrompt le processus, ça peut être mille
choses. Ca peut être des choses agréables, par exemple ça peut être le plaisir. Tout ça c'est des
faits. La mort c'est un fait. Le plaisir c'est un fait. Mais le processus lui, c'est pas simplement un fait
parce que c'est un acte. Or, en ce sens, c'est en ce sens, que pas plus, je ne pourrais pas plus faire
de la mort une composante du processus, que je ne peux faire du plaisir une composante du
processus.

Je dirais c'est tout à fait autre chose, le processus, c'est quel mot ? ça n'est ni plaisir ni mort, c'est la
vie, c'est vie. Vie, c'est pas forcément plaisir, c'est pas forcément mort, c'est pas forcément ... Non, la
vie, elle a une spécificité qui est celle du processus même. Qu'est-ce que je veux dire par là enfin ?

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Je prends deux exemples parce que ça concernait par exemple le travail que l'on faisait l'année
dernière. J'ai essayé de montrer ce que c'était par exemple que, une ligne de fuite en peinture.
J'arrivais à peu près à la définition du processus, à ce moment-là. Je prenais comme exemple, on
avait vu, je prenais comme devise, deux devises : la ligne de certains artistes très classiques, qui
répond à la formule, à une formule célèbre : "Il ne peignait pas les choses, il peignait entre les
choses". La ligne qui passe entre les choses. Non plus la ligne qui cerne quelque chose, mais la
ligne qui passe entre les choses.

Je prenais un autre extrême chez un artiste récent : la ligne dite de Pollock, Pollock. Et que ce qu'il y
avait d'extraordinaire de cette ligne ? c'est que, d'une certaine manière, elle récusait aussi bien
l'abstrait que le représentatif. Parce que qu'est-ce qu'il y a de commun entre l'abstrait et le
représentatif ? C'est que d'une certaine manière, la ligne y est encore une ligne au moins virtuelle de
mort.

Qu'est-ce que j'appelle "ligne de mort" là ? C'est une ligne qui détermine un contour. Alors peu
importe, la vraie différence, elle est pas entre abstrait et représentatif, elle est entre ligne qui ferme
un contour et ligne qui procède autrement, qui procède autrement. Parce qu'une ligne qui ferme un
contour, elle peut déterminer une figure concrète, elle peut déterminer aussi une figure abstraite.
Que ce soit de l'abstrait ou que ce soit du représentatif, pas de différence, vous avez toujours la ligne
qui fait contour. La ligne de Pollock, pourquoi est-ce que, ce n'est pas le seul, pourquoi est-ce qu'elle
ne ni abstraite ni concrète ? Parce qu'elle ne forme pas contour.

Comme on disait à propos d'autres peintres, elle passe "entre" les choses. Elle va pas d'un point à
un autre, c'est au contraire un point qui va d'une ligne à une autre, ou d'un segment de ligne à un
autre segment de ligne, etc. Je dis de cela : c'est une ligne de vie, bon, en effet.

Ou bien, l'année dernière, on s'est beaucoup interrogé sur l'idée d'une matière-mouvement. Et la
matière-mouvement pour moi, c'est la même chose que la vie.

Et on avait essayé de montrer, surtout alors là ça se complique beaucoup, je voudrais juste terminer
là-dessus, c'est que précisément, dans cette perspective de la ligne de fuite qui ne fait qu'un avec le
processus ou avec la vie - faut surtout pas - de même que on ne confondait pas une telle ligne avec
l'échéance même inévitable de la mort, avec les interruptions accidentelles du plaisir. Là, il ne fallait
pas confondre avec les déterminations de l'organisme.

Une ligne de vie c'est pas du tout une ligne organique. Il y a même vie que lorsque la vie a
conquis son caractère non organique. Et la ligne de vie, c'est quelque chose qui passe entre les
organismes, parce que dans les organismes, ça s'enroule, et la ligne de vie quand elle s‘enroule
dans un organisme, quand elle se met à tourbillonner dans un organisme, elle devient à ce
moment-là recherche du plaisir, ou même, fréquentation avec la mort.

Mais la vie en tant qu'elle passe à travers les organismes, cette matière-mouvement, finalement,
j'avais essayé de la trouver dans quoi ? La meilleure approximation de cette vie non organique, je
l'avais trouvée dans la métallurgie primitive. Vous vous rappelez, c'était précisément cette
matière-mouvement qui faisait l'affaire du métallurgiste itinérant, à savoir le métallurgiste, c'était celui

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qui suivait le processus de la matière-mouvement, qui était complètement indexé sur le processus de
la matière-mouvement. Et que cette matière-mouvement soit sonore - voyez le rôle encore une fois,
on l'avait vu, du métallique en musique. Que ce processus soit vital - ça n'empêche pas qu'il est non
organique.

Alors, je dirais presque c'est au nom de tout ça, que je me fais de ce que j'appelle le processus,
une idée complètement positive, si et complètement affirmative, et quels que soient les dangers que
rencontre le processus, même si il tombe dans ces dangers, je peux dire : ces dangers ne faisaient
pas partie de ses composantes intérieures. Ces dangers, qu'on les appelle plaisir, qu'on les appelle
mort, qu'on les appelle les droits de l'organique, ou les contraintes de l'organique, etc., ça n'en fait
pas partie, pour moi. Pour moi, mais je ne tiens pas du tout encore une fois à convaincre qui que ce
soit. Je dis juste, si vous tenez tellement à faire de la mort une instance et non pas une
conséquence, si vous tenez à faire de la mort une instance, et bien il vaut mieux à ce moment-là, ne
pas employer le terme de processus. Vaut mieux vous découvrir structuraliste, c'est toujours possible
et permis, parce qu'il y a une place dans une structure pour la mort, dans un processus, à mon avis,
à moins qu'on emploie les mots en dépit du bon sens, dans un processus, il n'y a pas de place pour
la mort comme composante intérieure du processus.

Oui ? (Interventions d'auditeurs) c'était un conseil ...

(inaudible)le privilège accordée à la ligne de vie..moi j'appellerais ça la jouissance par rapport alors
ce n'est peut être pas la même mort ?

GD : qu'est ce c'est les deux sortes de mort ? Non, non Que c'est une disparition ?

j'ai peur que la différence ne soit pas là. Kierkegaard : "être pour le spirituel", c'est une proposition
sur laquelle tout le monde pourrait s'entendre. ce n'est pas là que Kierkegaard a une originalité.
L'originalité de Kierkegaard mais moi je ne me sentirais pas kierkegardien. La discussion n'a plus
d'objet. En en sens c'est affaire de goùt à condition de considérer que le goût est philosophique, ce
n'est pas la philosophie qui est affaire de goût, c'est le goût qui est affaire de philosophie. La vraie
originalité de Kierkegaard c'est pas du tout affaire de spirituel : pour lui le spirituel est liè à une
certaine conception trés dure, trés affirmée, trés absolue de la transcendance, je suppose que vous
seriez d'accord. Tandis que moi je me sens tellement spinoziste, je me sens tellement croyant dans
l'immanence, que Kierkegaard ne fait pas partie de mon panthéon à moi !

ça implique une gymnastique bizarre, oui !

ça devient votre affaire, ce que vous faites de Kierkegaard mais en effet, si vous supprimez de
Kierkegaard la conception de la transcendance j'ai peur que cela fasse un Kierkegaard qui pourrait
être aussi bien taoïste, masochiste, toutes choses qu'il n'était pas ..

j'ai peur qu'au point où l'on est, il y a pas lieu de .., on peut concevoir que l'on a fait un long bout de
chemin ensemble, il y a un moment où l'on se sépare il faut que vous alliez ce chemin avec
Kierkegaard mais ne le defigurez pas trop !

C'est ça le processus ... il n'y a que les modes finis qui meurent ... alors il a un truc formidable. Il dit

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s'il y avait un ordre. La réponse de Spinoza sur la mort, elle me paraît merveilleuse, et puis tellement
vraie alors. Il dit : vous comprenez il n'y a pas de mort naturelle ! Il n'y a pas de mort naturelle, vous
pouvez croire que vous mourez naturellement, c'est même une affaire là, c'est d'après les critères
sociaux, on dit : il y a mort naturelle ou pas naturelle ? Il dit métaphysiquement - et j'aime beaucoup
les déclarations du médecin actuel, il me semble, je soupçonne qu'il est spinoziste - Schwartzenberg,
Schwartzenberg, toutes les déclarations sur, vous savez le médecin qui défend l'euthanasie, et qui
s'indigne, qui est le seul à s'indigner sur les phénomènes de survie actuels et leur signification
politique. Par exemple, il s'indigne contre la survie imposée à Tito, qui en effet, du point de vue
médical, un scandale quoi, une espèce de prodigieux scandale.

Or Schwartzenberg, il dit : "vous comprenez la mort, c'est pas un problème en tant que médecin ", il
dit, : ça c'est pas un problème médical, c'est un problème métaphysique. Alors il explique pourquoi
très bien, pour lui c'est un problème métaphysique. Parce qu'il dit : c'est toujours possible
actuellement dans l'acquis de la médecine, c'est toujours possible de faire fonctionner - mais à la
lettre - des organes morcelés. Avec un système de tubes, on peut toujours continuer à faire battre un
cœur, faire je ne sais pas quoi, irriguer un cerveau, etc., et puis vous appellerez ça Tito. Bon,
d'accord. Le premier scandale, seulement on a pas protesté parce qu'on était, mais on avait tort : ça
été la survie de Franco, qui a été la première chose scandaleuse dans ce domaine, vous comprenez.
La nécessité de maintenir, d'une part, on pourrait trouver que c'était pas trop tôt que Franco meurt,
mais c'est pas la question.

Ce contre quoi il y a lieu de protester là, médicalement, dans la médecine moderne, c'est cette
manière de maintenir la vie, d'une espèce de - qu'est-ce qu'on peut dire de - de masque quoi, de
panoplie, c'est l'uniforme de Tito, ça n'a plus rien à voir avec un vivant. C'est, on mettrait son
chapeau et son pantalon là sur un mannequin, bon, on dirait c'est Tito, bien là, ce serait moins grave.
Mais maintenir avec quelqu'un qui a pensé, qui a été, etc., au-delà de son être et de sa pensée, c'est
quelque chose d'abominable et d'atroce. Quand ça arrive en vertu d'un processus naturel, par
exemple ce qu'a longtemps été la paralysie générale - pensez à Nietzsche qui a vécu des années,
des années, des années, comme une loque quoi bon, comme une véritable loque. La paralysie
générale a longtemps été, jusqu'à ce que l'on guérisse et que l'on traite la syphilis, la paralysie
générale a été une chose catastrophique, aussi importante que la lèpre au Moyen âge, ou que la
peste. La paralysie générale qui vous maintenait en vie pendant des années, des années, à l'état de
pure loque, et bien la paralysie générale réussissait ce que, d'un coup, et par un processus dit
naturel, ce que la médecine arrive à faire aujourd'hui artificiellement.

Or, je dis, oui, l'idée de Spinoza sur la mort, elle est tellement concrète, elle est très bien. Enfin on
peut dire : Je suis pas d'accord ! Lui, ça le dégoûte, l'idée d'une mort qui vient du dedans, vous me
direz ? Il n'a qu'à s'y faire ! non, il ne s'y fait pas. Il dit : "Il n'y a aucune raison de croire à ça ! Il dit :
Non la mort, ce n'est pas ça ! Et il lance une espèce de théorie, il la lance surtout dans les Lettres. Il
y a des lettres prodigieuses de Spinoza, qui font partie du plus beau de son œuvre, c'est les lettres à
un petit gars qui l'embêtait tout le temps, il y avait un type, un marchand de grains, un jeune
marchand de grains qui l'embêtait, parce qu'il voulait convertir Spinoza au catholicisme. Et il était très
traître, il était très sournois, et Spinoza, il se méfiait un peu, il était embêté, il n'osait pas ne pas
répondre en disant : ça va être encore des ennuis, tout ça. Il y a une correspondance splendide, c'est
les Lettres à Blyenbergh. Et dans les Lettres à Blyengergh, il dit tout sur la mort, tout ce qu'il pense.
Et là il faut faire confiance à Spinoza, il vivait comme ça. Il dit : "Bien oui pour moi la mort, en effet,

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c'est très curieux, mais, moi je ne conçois que de mort qu'arrivant du dehors, le type de la mort, bien
c'est toujours l'accident d'autobus", c'est ça, toujours un truc qui vous passe dessus quoi ! Et il fait
une théorie, il dit : Elle ne peut pas venir du dedans ! Pourquoi ? C'est bien parce que c'est tout le
problème : y a t-il un instinct de mort ? tout ça. Il dit : mais c'est, mais c'est odieux ! exactement
comme je crois là, être un petit disciple de Spinoza en disant :

Tout en moi s'offense lorsque je vois des formes qui se rattachent à un culte de la mort
quelconque. Parce que c'est ça encore une fois le fascisme, c'est ça la tyrannie, et Spinoza le liait au
problème politique. Il disait qu'une tyrannie - c'est très fortement dit dans le Traité politique, dans le
Traité politique - il dit très fort que "le tyran n'a qu'une possibilité : c'est ériger une espèce de culte de
la mort ". Affliger ? dit-il, affliger les gens, les affecter de passions tristes, les faire communier dans
des passions tristes.

Et alors pourquoi que la mort, elle vient toujours du dehors ? Il dit : "Bien c'est très simple, c'est très
simple.

il dit : Vous comprenez, il y a un ordre de la nature. Seulement ce qui se passe n'est jamais
conforme à l'ordre de la nature parce qu'il y a plusieurs niveaux. Il y a un ordre de la nature du point
de vue de la nature. Mais si moi, qui suis dans son langage - chacun de nous est, ce que Spinoza
appelle, un "mode fini", une modification - chacun de nous est une modification, une modification
marquée de finitude, un mode fini. Et bien, les modes finis se rencontrent les uns les autres, suivant
un ordre qui ne leur est pas forcément favorable à chacune. L'ordre des rencontres entre modes finis
est toujours conforme à la nature.

Si bien que la nature, elle, elle ne meurt jamais. Mais un mode fini qui en rencontre un autre, ça
peut être une bonne rencontre ou une mauvaise rencontre. Je peux toujours rencontrer un mode qui
ne convient pas avec ma nature ; je peux rencontrer, même c'est beaucoup plus fréquent, rencontrer
un mode qui convient avec ma nature : c'est une fête, c'est une joie ! c'est ça ce que Spinoza
appellera : amour, amour. Mais je passe mon temps à rencontrer des modes qui ne conviennent pas
avec ma nature. À la limite, je meurs. Si le mode que je rencontre et qui ne convient pas avec ma
nature est beaucoup plus puissant que moi c'est-à-dire que ma propre nature, à ce moment-là, tout
ce qui me constitue, tout ce qui me compose est bouleversé, et je meurs.

Alors ça donne une interprétation extraordinaire qui est une des choses les plus joyeuses dans
tout Spinoza, là où Spinoza se déchaîne, c'est son interprétation du pêché. Il n'aime pas beaucoup
toutes ces notions-là, de pêché, de culpabilité, il déteste tout ça, de remords, il y voit le culte de la
mort.

Alors il dit : c'est tout simple, vous comprenez, l'histoire d'Adam : on nous trompe, en fait c'est
exactement un cas d'empoisonnement. La pomme était un poison pour le premier homme.
C'est-à-dire, la pomme était un mode, un mode fini, qui ne convenait pas avec le mode fini qu'était
Adam. Adam mange la pomme : c'est absolument du type : un animal qui s'empoisonne. Il meurt,
c'est une mort spirituelle, mais en ce cas-là il perd le paradis, tout ce que vous voulez, mais la mort
c'est toujours de ce type, c'est toujours du type : intoxication-empoisonnement. Je ne meurs que par
empoisonnement-intoxication, c'est-à-dire par mauvaise rencontre.

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D'où la définition splendide de Spinoza lorsque, là il change tout, il garde le mot très classique de
raison. Je voudrais terminer sur ceci, toujours cet appel à vous méfier de la manière dont un
philosophe peut employer des concepts qui paraissent très traditionnels, et en fait les renouveler.
Quand il dit : "Il faut vivre raisonnablement", il veut dire quelque chose de très précis. Il se fait un clin
d'œil à lui-même. Parce que lorsqu'il définit sérieusement la raison, il définit la raison de la manière
suivante : "L'art d'organiser les bonnes rencontres",c'est-à-dire l'artde me tenir à l'écart, vis-à-vis des
rencontres avec des choses qui détruiraientmanature, et au contraire l'art de provoquer les bonnes
rencontres, avec des choses qui confortent, qui augmentent ma nature ou ma puissance. Si bien qu'il
fait toute une théorie de la raison subordonnée à une composition des puissances. Et c'est ça qui ne
trompera pas Nietzsche lorsque Nietzsche dans "La volonté de puissance", reconnaîtra que le seul
qui l'a précédé c'était Spinoza. La raison devient un calcul des puissances, un art d'éviter les
mauvaises rencontres, de provoquer les bonnes rencontres.

Alors vous voyez, ça devient très très concret, parce que notre vie, notre morale, bien, on en est
là tous, tous. Alors en philosophie, bon, en philosophie il y a ces rencontres prodigieuses, qu'est-ce
que rencontrer un grand philosophe pourtant mort depuis des siècles ? Alors là, il vient de vous dire
que lui, il a une rencontre avec Kierkegaard bon, très bien, très bien.

Du moment que vous avez de bonnes rencontres, ne pensez pas aux mauvaises rencontres que
vous faites, protégez vous des mauvaises en faisant de bonnes rencontres. Cherchez ce qui vous
convient quoi ! Mais chercher ce qui vous convient, c'est une platitude. C'est moins une platitude
quand ça prend l'expression de concept philosophique et d'affect correspondant, à savoir, ce qui me
convient, c'est quoi ? Ce sera par exemple cette composition de puissance : faire en sorte que
précisément la rencontre, la mauvaise rencontre soit perpétuellement conjurée. Je dirais presque,
c'est une certaine manière à nouveau de dire : Faites passer la ligne de vie, tracez la ligne de fuite,
etc., etc. ? Fuyez à plusieurs ? je disais : Sachez qui sont vos alliés !

tout est bon là, du moment que les trouvez, vos alliés. Une seule chose est mauvaise si vous les
trouvez dans la mort. Parce que la mort, elle a pas de philosophe, elle a pas de philosophie. Pas du
tout, pas du tout. Mais je ne devrais pas dire ça.

Voilà, alors la prochaine fois, si ça vous va, on continue sur le même ... (fin de la séance)

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

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Marielle Burkhalter

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TRANSCRIPTION : Binak KALLUDRA CD 7B - cours du 19 janvier 1982

Plaies de visages complètement distendus avec le fait qu'il va mourir et qu'il meure dans une espèce
de fou rire. Euh, c'est une très belle image pour le journal, euh ! Bon, mais vous voyez que là il
faudrait voir dans quel genre. je me sens plus solide lorsque je dis : "oui, le western, son affaire c'est
vraiment d'avoir inventé, avoir apporté le ciel au cinéma ou en avoir apporté les ciels au cinéma,
même si en suite on s'est servi des ciels dans d'autres sites".

Mais, ce cinéma français au contraire, - ce que je résumais tout à l'heure sous la forme de conflit du
métier et de la passion - vous voyez que c'est pas ça, c'est pas ça. C'est bien plutôt la confrontation
de deux types d'images, de deux types d'images - perception. Encore une fois les images liquides
qui effectuent le système objectif total de l'universelle interaction est le système subjectif terrestre.
Les images solides, terrestres, qui effectuent le système de la variation limitée par rapport à un
centre d'immobilité. Et c'est pour achever cette - juste cette indication sur le cinéma français - je
cherchais l'exemple qui résume tout ce que je viens de dire, c'est évident : je me serve là d'une
analyse qui me semble excellente qui a été faite par Jean Pierre Bamberger, concernant « L'Atalante
» de VIGO.
Et « L'Atalante » de VIGO semble vraiment réunir à l'état le plus pur, la confrontation et la
compénétration -évidemment c'est pas, c'est pas un dualisme - il faut chacun fois que le système
terrestre sort des eaux que, les eaux reconquièrent se reconquièrent sur le système terrestre - il y
avait perpétuellement intercommunication entre les deux - mais si vous prenez « L'Atalante »
qu'est-ce que vous y apprenez ? Vous y apprenez que la terre est le lieu - mais alors là c'est pas mal
de parler vraiment à la lettre d'une espèce d'érratisme de ce cinéma français - vous y apprenez que
la terre et le lieu depuis l'injustice parce que c'est lieu du partiel, de l'imparfait, et que c'est
fondamentalement le lieu du déséquilibre. Il faut toujours rattraper son équilibre et c'est la descente
la plus longue de « L'Atalante ». Et vous y apprenez qu'à la frontière de la terre et des eaux, peut
encore régner le système de la terre par certains aspects, et c'est la cabine. La cabine encombrée, la
cabine de la péniche encombrée d'objets cassés, d'objets à moitié-objets, d'objets qui marchent plus
etc. C'est les objets partiels de la solidité, c'est les objets qui nous rattachent au passé, c'est les
objets souvenirs etc. Mais la cabine elle est aussi autre chose : elle est déjà le lieu maritime, le lieu
aquatique où se définit quoi ? où se définit une nouvelle démarche, un nouvel équilibre de cet
équilibre instable, fondamental qui est l'équilibre de la justice, qui est l'équilibre de la vérité, la vérité
c'est celle du reflet, la vérité elle est sur l'eau. Et la démarche sur la péniche qui s'oppose à la
démarche sur terre, et sur tout ce qui se passe sur la péniche et c'est l'avertissement mille fois lancé
: L'eau est lieu de la vérité et la preuve c'est que dans l'eau tu verras le visage de l'aimé(e). Cette
fois-ci il s'agit plus d'un conflit de l'amour et du mépris, au contraire. l'amour est bien passé non pas

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du coté de ce qui nous subjective mais de ce qui nous amène à l'universelle interaction, c'est à dire à
la vérité. Et une fois le personnage va plongé sa tête dans le seau pour voir le visage de l'aimé(e). Et
c'est pas VIGO, c'était déjà EPSTEIN, qui faisait surimpression de visage de femmes sur l'eau, où là
la surimpression prenait un sentiment très grand et très fondé, et là en effet dans le sourire plonge sa
tête pour regarder le visage de la femme aimée. Une seconde fois, il cherchera la femme aimée
dans l'eau quand ils sont tombés.

Bon, tout ça je dirais que « L'Atalante » est vraiment le condensé - le condensé très génial - de la
confrontation des deux systèmes, des deux systèmes perceptifs en tant que chacun de ces
systèmes s'incarne, s'effectue, l'un dans l'ensemble des images liquides de l'universelle interaction,
l'autre dans le système subjectif de la variation limitée terrestre. (Il parle tout bas) Euh ? Vous
comprenez euh ?
Alors, finalement c'est ça si vous voulez, l'aspect documentaire : pourquoi tant de péniches,
pourquoi bah ? Pourquoi ? Pour cette raison, pour cette raison qui appartient vraiment à ce qui est le
plus essentiel dans la distribution du problème de l'image perception au cinéma.

Euh ! Oui, et bien il faut que j' aille au secrétariat eu.. deux minutes, mais je vous demande eu.. de
réfléchir à ça euh ! Mais je reviens tout de suite euh ! Vous dispersez pas parce que comme il faut
que on partage une heure hein ! Et on est très pressés aujourd'hui alors vous restez bien sages là,
vous bougez pas, oui parce que je voulais écrire un courrier.

Euh.. vous voyez euh ? Petite remarque : on a progressé un petit peu parce que tout à l'heure,
quand j'en restais au niveau de la définition nominale là, des deux pôles de la perception : c'est dans
"l'ensemble de l'image- mouvement", c'est dans l'ensemble de l'image-mouvement qu'on arrivait à
distinguer les deux éléments ou les deux pôles, objectif et subjectif. Maintenant vous pouvez me dire
c'est pas un grand gain. Maintenant on a changé de point de vue grâce à la définition réelle des deux
pôles - on distingue les deux pôles comme deux sortes d'image en perpétuelle relation, en
perpétuelle communication. Alors où ça nous entraînera ? Parce qu'au fond on a d'autant plus gagné
- il faut tout prévoir pour l'avenir puisque qu'on a pas fini - que liquide et solide, c'est pas seulement
deux systèmes perceptifs. C'est deux états, deux états de la matière. Et après tout, il nous faudra
bien de la physique simple : comment les physiciens distinguent les.. oh ! Oh ! Eu.. non non, c'est
c'est la fumée, c'est pour les mêmes raisons que vous, vous fumez trop hein ? Vous savez, c'est pas
bien oui. C'est pas bien du tout (rires d'étudiants). Eh par contre, c'est votre santé .. (Il rit suivi des
étudiants).

Ces deux états de la matière ; voyez comment les physiciens définissent "l'état liquide" et
comment ils définissent "l'état solide". Faudrait vous rappeler ce que vous avez appris à l'école parce
que c'est pas difficile tout ça c'est.., mais enfin pour le moment on en dit pas plus. Bon je crois qu'on
a beaucoup fait euh ? Il y a une convention ici quant vous en pouvez plus vous me faites arrêter et
puis moi j'arrête là.

Alors sur ce point, donc comme on a fait un écart dans l'analyse, est-qu'il y a des compléments, des
interventions des compléments ? Est-ce que vous voyez des lignes de recherche qu'on pourrait
inscrire dans eu.. eu.. des lignes de recherche qu'on pourrait inscrire dans.. à ce niveau là ! Non ?
Vous devriez comme même, je sais pas ! Enfin si ça peut vous venir d'ici la prochaine fois alors
convention aussi, quand vous pensez à lignes de recherche à coté de laquelle je suis passé moi,

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c'est ça qui m'aiderait beaucoup c'est que vous vouliez soit aller voir ceci, soit aller voir cela. Donc
encore une fois les objections ça m'est égal, mais non ça m'est douloureux et j'en en tiens jamais le
moindre compte, mais les.. les lignes de recherche que j'ai oublié ou que vous pouvez ajouter là, ça
m'intéresse énormément même si doit changer des choses, alors là ça peut être des lignes de
recherche comportant des objections, là c'est bien, c'est.. voilà ! Bon bah personne ne m'aide c'est
eu.. non, voilà.

Et bien alors passons à la suite. Oui je passe à la suite ou vous en avez assez ! Encore un tout
petit peu bien je sais pas, bon alors (en chuchotant - c'est gentil) Bien, bien ça va être à nouveau une
direction différente, puisque que je parlaisEt lors que je proposais comme formule facile "vertovisme
modéré" pour le cinéma français, euh.. encore une fois ça ne voulait pas dite que Vertov c'est mieux
! Euh.. ça, je vous rappelle vraiment parce que - en un sens on sait bien que « L'Atalante » c'est pas
un film absolument réussi « Boudu » aussi, il y a pas à faire des..- mais, je viens d'essayer de
montrer explicitement comment dans le cinéma français - que ce soit un exemple de GREMILLON,
un exemple de VIGO, il y avait d'autres exemples possibles, eu..- c'est un système de variables qui
se trouvent effectuées là par, encore une fois dans la pensée très simple, un système de variables
cinématographiques qui est effectué par la ligne de partage de la terre et des eaux courantes. Bon
alors, ce serait idiot de dire c'est mieux ou c'est moins bien que autre chose. - on est à la recherche
d'un troisième niveau.

Donc ce que je cherche maintenant, c'est un troisième niveau d'analyse de l'image perception.
Donc modéré, "vertonisme modéré" ça voulait pas dire du tout allant moins loin, c'était une voie
moyenne, mais dans cette voie moyenne on pouvait aller aussi loin que le plus loin.

Alors troisième niveau ce serait quoi, et bien ce serait la recherche cette fois-ci d'une définition
non plus ni nominale ni réelle, qu'est ce qui reste ? D'une véritable définition qu'on pourrait appeler
"génétique", génétique de l'image-perception et des pôles de l'image-perception.

Et je dis et bien revenons, revenons un peu puis que cette homme sent bien avoir eu cette haute, ce
cinéaste sent bien avoir eu une influence décisive sur le cinéma. Revenons un peu à la tentative et
aux tentatives de Tziga VERTOV. Car après tout - sauf par GODARD - ces tentatives ont été
souvent maltraitées ou mal comprises. Sauf par GODARD et sauf je dois dire un excellent article
dans le volume collectif des éditions Klinsieck Cinéma, sauf par quelqu'un je ne sais pas qui c'est -
mais ça semble être un spécialiste Annette MICHELSON. Oh c'est pas ! (Une étudiante intervient)
Ah bon, ah bon, c'est dans le volume de Klinsieck excellent.. ah bon, (deux fois) excellent article sur
Vertov. Mais là je citerai cet article quant j'en aurais besoin, là je commence par des choses très
simples. VERTOV immédiatement, et un peu tout le temps, invoque quoi ? Il invoque le réel tel qu'il
est ! La caméra capable de nous livrer le réel tel qu'il est. Que ça peut vouloir dire ça :"la camera va
nous livrer le réel tel qu'il est" ! Bon, et en même temps VERTOV fait partie de ces cinéastes
soviétiques qui ne cessent de dire - bien qu'ils le comprennent les uns et les autres, d'une manière
tout à fait différente et parfois opposée - l'essentiel ou un des essentiels du cinéma, c'est le montage.
Bien plus avec VERTOV, le montage réellement se croit tout permis. Déjà dès ce niveau là, les
premiers doutes, si nous n'étions pas déjà très armés pour comprendre ce que veut dire VERTOV,
les premiers doutes nous saisiraient :
Premier doute sur : qu'est ce que bien vouloir dire au niveau des images : "le réel tel qu'il est" !
Deuxième doute, comment est-ce qu'on peut dire à la fois : on va atteindre le réel tel qu'il est et

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vive le montage ! Comme dit Jean MITRY parfois - je veux pas dire du mal de MITRY mais là dans
ce cas il se.. il se surpasse, c'est à dire manifestement c'est.. eu c'est pas ça que l'intéresserait il
comprendrait vraiment pas c'est.. c'est un point que alors il faut le prendre comme exemple. Euh.. je
l'ai pris là d'un texte de MITRY : « on ne peut défendre, on ne peut défendre le montage créateur et
soutenir dans le même temps l'intégrité du réel ». Vous voyez : c'est difficile comme idée. Bon, nous,
on en sait juste assez pour savoir qu'il n'y a pas de problèmes. Alors je veux dire c'est.. c'est.. c'est
fascinant c'est comme toute les choses - quant on fait un peu de philosophie c'est empoisonnant. Ou
bien faut en faire beaucoup parce que.. mais si on en fait qu'un peu ça - ça fait naître toutes sortes ..
ça ça fait naître que de faux problèmes. Alors bon faire oui, non j'ai tort de dire ça fait naître.. oh je
ne sais plus.

Mais nous on n'a pas ce problème parce que - dire à la fois : "vive le montage" et dire :"voilà le
réel tel qu'il est" - ça va de soi que c'est parfaitement cohérent, il y a aucun problème. Pourquoi !
Pourquoi il n'y a aucun problème ?

Qu'est ce qui nous dit VERTOV dès la période, si vous voulez que on appelle communément d'après
le titre de film de VERTOV « La période du ciné œil ». Bien Vertov ne cesse pas de se réclamer de
l'universelle "interaction". Bon ça nous intéresse beaucoup du film. L'universelle interaction.
Simplement, bizarrement on n'y reconnaîtra pas les images liquides dont on vient de parler ou du
moins très rarement, il y en a.. il y en a, mais ce sera pas ça son problème. C'était le problème des
autres, bon c'est pas.. c'est pas son problème, et justement ça va nous lancer puisque c'est un
nouvel élément. Encore, a-il en commun avec ce qu'on vient de voir, l'appel perpétuel avec
l'universelle interaction qui va jusqu'à ce stade là : VERTOV, nous disons :" il s'agit de connecter un
point de l'univers à un autre point quelconque

- on ne peut pas mieux définir l'universelle interaction - connexion d'un point de l'univers à un autre
point quelconque". Le temps étant aboli, la négation du temps. Négation du temps, de quel temps ?
Est-ce que c'est pas pour saisir le temps que il y a cette connexion d'un point de l'univers à un autre
? Retenons juste un certain temps étant aboli. Donc, ce thème là il apparaît constamment il nous est
tellement précieux alors que j'insiste beaucoup là dessus."

En quoi ça nous sert ? C'est que voilà : "le réel tel qu‘il est" ça veut dire quoi ? Selon une
définition tout à fait rigoureuse, je peux dire j'appelle ou bien mieux encore, VERTOV appelle "réel tel
qu'il est", non pas quelque chose derrière les images mais l'ensemble des images en tant qu'elles
sont saisies dans le système de leur perpétuelle interaction, c'est à dire dans un système où elles
varient chacune pour elles mêmes et les unes par rapport aux autres. Si vous me dites : ah non c'est
pas ça le réel ! je vous dis d'accord c'est pas ça le réel pour vous bien, trouvez un autre mot, aucune
importance. On voit en tout cas pourquoi VERTOV emploie l'expression du réel. C'est que ça va
s'opposer à quoi ? Ca va s'opposer à une vision qui sera dite "subjective". La vision qui sera dite
subjective c'est précisément la vision où les variations se font par rapport à un point de vue
déterminé et immobilisé. Or.. le point de vue déterminé-immobilisé c'est quoi ? Je disais c'est la
vision terrestre solide, d'accord c'est la vision terrestre solide tout à l‘heure, ça veut dire quoi ça ? Ca
veut dire c'est l'œil humain. L'œil humain.

Et BERGSON à coup sùr n'avait pas tort - je vais pas tout mélanger là, je cite c'est pas une
citation de Bergson - lors qu'il nous rappelait que : l'œil humain paie, a payé sa capacité réceptive,

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de quoi ? D'une relative immobilisation. C'est un œil immobilisé qui bouge vaguement au fond de son
orbite mais c'est pas grand chose eu.., eh.. comme il disait très bien : "le vivant paie ses organes des
sens d'une immobilisation de certains lieux" - précisément les surfaces de réception sensorielle. Mon
oreille qui bouge pas, mon nez qui bouge à peine, mon œil qui bascule tout juste, il y a et mes mains
au bout de mes petits bras je ne sais pas, tous mes sens paient leur capacité réceptive d'une relative
immobilisation. Et c'est pour ça que - comprenez il n'y a plus de problème pour on tient bien ça - Ce
point de départ du ciné œil de VERTOV est le thème lancinant de VERTOV :" La caméra ne vous
apporte pas un œil amélioré", la caméra ne vous apporte pas un œil amélioré, évidemment ça
n'améliore pas votre œil, c'est un autre œil. Je disais c'est une perception non humaine. Bien dès le
début je vais pas oublier un aspect de VERTOV, c'est que ce sera la "perception non humaine" ou
l'œil non humain de la "conscience révolutionnaire". C'est à dire qu'il y a un problème que j'ai laissé
de coté puisque ça ferait appel à des images qui ne sont plus les images-mouvements et qu'on
rencontrera qu'à la fin de l'année ou une autre année ou jamais, à savoir : le problème du sujet
d'énonciation dans le cinéma, mais le sujet d'énonciation n‘a rien à voir avec le sujet "percevant".
Mais on peut pas oublier, on peut pas dire un mot sur VERTOV sans oublier que tout son cinéma est
commnoté par l'idée d'énonciation révolutionnaire fondamentale à laquelle correspond ce nouvel œil-
qui n'est en rien un œil humain amélioré, qui est d'une autre nature.

Et vous voyez pourquoi il est d'une autre nature, c'est l'œil de la perception totale. C'est l'œil de la
perception totale, c'est à dire c'est l'œil de la perception de l'universelle variation où les choses
mêmes, c'est à dire : où les images variant en elles- mêmes les unes par rapport aux autres "sont"
les vraies perceptions. Au lieu que je saisisse une image, ce sont les images dans leur interaction
qui saisissent toutes les actions qu'elles reçoivent, toutes les réactions qu'elles exécutent. Pour une
fois c'est le système qu'on a vu, avec le système total de l'interaction, de l'interaction universelle.

Bien. Alors, une telle conception du réel se concilie absolument avec bien plus - qu'elle est besoin
du tri complémentaire que.. que le montage se permet tout, tout est permis au montage. Où est le
problème ? Mais il faut être idiot pour voir un problème et une opposition avec.- il faut être idiot
provisoirement - car MITRY est loin d'être idiot, eh.. Il faut être aveuglé - il faut être aveuglé un
instant - puisque il va de soi que, comme voulez vous, mettre des images en situation d'être
objectives au sens que nous venons de voir - c'est à dire d'être prises dans le système de
l'universelle interaction : où chaque image varie en elle-même et les unes par rapport aux autres -
sinon par des opérations de travail sur l'image qui définissent le montage. Bien plus je dirais
qu'est-ce que eu.. VERTOV est en train d'inventer ! Il est en train d'inventer le montage qui sort
directement non pas sur le rapport entre les images mais qui porte déjà sur l'image en elle-même. Il
fera faire porter le montage sur l'image elle-même et non plus sur des rapports d'images. Pour ça
que EISENSTEIN il va être fasciné par cette histoire. Tantôt il va dire tout ça c'est des clowneries et
du formalisme forcément, clowneries, formalisme, esthétisme - pire injure pour VERTOV. Eh.. bon
tantôt en douce il va dire qu'est-ce que... qu'est-ce qu'il est en train de faire VERTOV ? Qu'est-ce
que.. qu'est-ce qu'il dirait ? Il agit comme un grand créateur. Qu'est-ce qui peut se rendre de ça ?
Qu'est-ce que.. est-ce que il peut assimiler quelque chose ?
Mais vous voyez que dans ce problème du montage on cesse pas de varier et voilà que, et je
n'est pas encore et je ne peux pas encore expliquer ce que ça veut dire au juste - le montage tant à
porter sur chaque image elle-même et non pas simplement sur les rapports entre images. Mais ça ne
devra devenir clair il me semble que petit à petit. En tout cas aucune, aucune contradiction entre les
deux thèmes : le réel en lui-même, même entre l'ensemble des trois thèmes suivants :

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le réel en lui-même,
la construction découverte d'un œil non humain
et l'universel montage, puisque c'est les trois aspects de l'universelle interaction.

En quoi est-ce que - alors je continue ma parenthèse - en quoi est-ce que c'est au service de
l'énonciation de la conscience révolutionnaire ? et pourquoi la conscience caméra va être - La
conscience révolutionnaire ? la conscience caméra sera forcément conscience révolutionnaire parce
que l'universelle interaction ne peut être prise en charge que par le processus de la révolution, par
opposition au processus de la dramatisation, au processus de la passion, au processus de l'histoire
individuelle. Bon, tout ça s'enchaîne merveilleusement, ça fait un ensemble très très cohérent, bien.
Voilà, voilà le premier point de notre nouvelle analyse.

Nous nous lassons pas de revenir à l'universelle interaction. Cela nous a permit de définir le
documentaire et VERTOV commence par de véritables documentaires qui se présentent comme
tels. Mais vous voyez que chaque fois, chaque fois que "documentaire" est vraiment une catégorie
cinématographique - si l'on essaye d'en faire une telle catégorie, il y a pas de problème - Le
documentaire c'est vraiment : "l'image rapportée au système de l'universelle variation et l'universelle
interaction". Or, à la même époque, c'est à dire tout ça se passe vers - le grand film de euh..
VERTOV euh.. on verra tout à l'heure puisque on en ai pas là, ce sera 1900 je me souviens plus
d'ailleurs je crois 1929 « L'homme à la caméra » - c'est une année très riche pour le cinéma. Je cite :
1928 : IVENS « Le pont d'acier », 1929 du même IVENS « La pluie », 1927 « L'allemand Ruthman »,
« Berlin, symphonie d'une ville », qu'est-ce qu'il y a en commun ? et 1929 je crois bien « L'homme à
la caméra » de VERTOV qui représente comme un stade ultime de sa recherche - provisoirement
ultime. Qu'est-ce qu'il y a en commun ? Voilà comment un critique décrit les films de : IVENS -
BALAZE : "La pluie que nous montre Ivens, ce n'est pas une pluie déterminée qu'un jour est tombée
quelque part - aucune représentation d'espace ou de temps ne relie ces impressions entre elles.
L'auteur a merveilleusement vu et capté dans les images la façon dont l'étang silencieux se couvre
de chair de poule sous les premières gouttes d'une légère averse, donc une goutte de pluie ou sur
une vitre en cherchant son chemin ou encore comment la vie de la cité se reflète sur l'asphalte
mouillé. Ce sont mille impressions, pourtant toutes ces seules impressions ont bien une signification
pour nous. Ce que de telles images veulent représenter ce n'est pas un état de fait, mais une
impression optique déterminée. L'image même est la réalité que nous vivons. En d'autre terme avec
la pluie - là on revient alors aux images mouillées, aux images liquides, - déjà IVENS atteignait à sa
manière ce système de "l'universelle interaction". Et même lorsqu'il s'agit d'un objet unique comme «
Le pont d'acier » que IVENS nous montre dans un montage rapide de sept cent plans, l'objet pour
ainsi dire se pulvérise dans ces images, précisément la possibilité de montrer en sept cent plans,
des impressions visuelles aussi totalement différentes, retire à ce pont de Rotterdam son évidence
d'objet concret à finalité pratique". Tien c'est curieux, c'est très équivoque la dernière phrase de
BALAZE, il dit : Un tel pont, avec la multiplication de points de vue sur le pont, avec l'universelle
interaction de chaque élément par rapport aux autres, tout ça : c'est un pont qui ne peut plus servir à
rien. Et je dis : c'est très équivoque par ce qu'il a l'air de le regretter.
Comprenez, l'objet qui sert à quelque chose - si j'en reviens à tout à l'heure - c'est l'objet solide,
c'est l'objet solide de la terre. En effet l'objet intégral ne peut servir à rien. Là aussi BERGSON nous
l'a appris - et à quel point et de quelle manière très précise : la perception quand elle se sert d'un
objet : qu'est-ce que c'est ? C'est l'objet lui-même, moins tout ce qui nous intéresse pas. Le service,
l'utilité c'est la chose - c'est complètement la chose - moins tout ce qui n'intéresse pas l'action, tout

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ce qui n'intéresse pas notre action. Une image totale ou une image intégrale par définition on ne s'en
sert pas.
Comme dira BALAZE avec le même regret, mais il devrait au contraire s'en réjouir, dans le Berlin
de Rothman on ne peut pas s'y reconnaître, c'est pas comme le plan d'une ville. Là, le pont, on ne
peut plus s'en servir. En effet, si le pont est réintégré dans le système de l'image totale, de
l'universelle interaction, on ne peut plus s'en servir, on ne peut se servir que des choses qui
renvoient un profil par rapport à un centre privilégié. C'est la définition de l'outil, c'est la définition de
l'usage. Donc on ne s'en servira pas. En revanche est-ce que ça veut dire que c'est de la
contemplation ? Non. C'est l'universelle action, c'est l'univers.

Bon très bien. Alors tout ça avant, ça revient toujours à dire : on voit bien en quoi ce n'est pas une
amélioration de l'œil humain - il s'agit à la lettre de construire une autre perception. Et que ce soit
IVENS, que ce soit Rotman, et que ce soit VERTOV avec ses moyens c'est...c'est la construction
d'une autre perception, cette perception totale, cette perception de l'universelle interaction. Bien.

Alors, comment on va faire ? Qu'est-ce que c'est que cette "autre" perception ? Là, je crois que,
pour une fois je fais un rapprochement avec quelque chose de complètement différent mais qui n'est
pas du tout forcé. Surtout ça, ça me paraît très très "cézanien". Chez CEZANNE apparaît - sans
doute, il dit quelque chose que tous les peintres ont toujours pensé - mais chez CEZANNE apparaît
un thème qui est vraiment signé par lui, à savoir l'œil du peintre, c'est pas un oeil humain. Et
pourquoi c'est pas un oeil humain, l'œil du peintre ? L'œil du peintre c'est pas un oeil humain parce
que, c'est l'œil d'avant l'homme. Rendre au monde sa virginité. Là je cite de mémoire : "rendre au
monde sa virginité" - tout ce thème de CEZANNE vous le trouvez dans les entretiens, dans les
conversations avec Gérôme GASQUET. "Rendre au monde sa virginité", le monde d'avant l'homme.
Nous ne sommes plus innocents, nous ne sommes plus innocents, c'est à dire, nous sommes des
êtres faits de terre et de solides. Nous ne voyons pas les couleurs, l'œil humain n'est pas fait pour
voir les couleurs, il est fait pour voir des moyennes, des objets - moyenne etc. des solides. Le monde
d'avant l'homme c'est pas le monde tel qu'il est sans l'homme, c'est sans doute le monde dans lequel
l'homme surgit comme dans une sorte d'acte de naissance, de double naissance et du monde et de
l'homme et du rapport de l'homme et du monde.

Qu'est ce que c'est que ça ? C'est ça l'autre perception. Percevoir c'est notre tâche en tant
qu'homme de percevoir le monde d'avant l'homme ; ça se complique - bon. Un cinéaste américain
très très récent, et ça s'inscrit vraiment dans ce que je suis en train de dire - par ce que ça, ça se
retrouve dans le cinéma le plus récent, dans le genre cinéma indépendant ou expérimental ou peu
importe eh.. EuH.. BRACKHAGE , Stan BRACKHAGE, voilà comment il définit Stan BRACKHAGE -
c'est rudement bien défini - le projet d'un film , si je vous avais dit c'est signé Cézanne, vous m'auriez
dit : "oui", ceux qui connaissent un peu - "Combien de couleurs, combien de couleurs existent dans
un champ couvert d'herbe, combien de couleurs existent dans un champ couvert d'herbe - pour le
bébé en train de ramper, inconscient du vert ? Merveille ça, je veux dire, c'est mal traduit mais c'est
c'est rudement bien dit et pensé. C'est ça le monde d'avant l'homme. Nous, notre œil, bon, quoi -
notre gros oeil immobile, c'est quoi ? c'est ah ça, c'est du vert, d'accord. Avec beaucoup de
raffinement, on distingue des verts, toute une liste de verts, bon. BRACKHAGE il nous propose
l'épreuve suivante comme un rêve : Combien de couleurs existent dans un champ d'herbe pour un
bébé en train de ramper, inconscient du vert ? Sans doute qu'alors, peut-être qu'il ne distinguera pas
plus de vert que nous ne sommes capables d'en distinguer, ce sera sûrement pas avec le même

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rapport ! Et sous quelle forme ce sera, qu'est-ce que c'est ça ? Voilà bon , que BRAKHAGE en fait
un court-métrage de ça. Tiens, ça nous introduit l'image couleur, holala, il aurait fallu, est-ce qu'il
faudra, ? non ,il faudra en parler plus tard, ça alors, l'image couleur, bon.. vous sentez déjà que ça
va.., c'est d'un autre domaine. On ne peut même pas la ramener à l'image-perception et puis on ne
peut pas la ramener à l'image- mouvement. Dans toutes nos - il y a quelque chose qui se passe là..
heu...il faut ouvrir la.. heu ...ça c'est pas normal.. - .. on ne peut pas tout faire mais on met de côté à
l'image couleur, tien on n'y avait même pas pensé, enfin moi.. il faudra. Bien...- ah, mais ça s'emballe
là, voilà, voilà, voilà voilà bon..

Bien, euh tout ça pour juste faire sentir, et si le machin de BRACKHAGE, qu'est ce qui ? qu'est ce
que c'est cette histoire de bébé qui rentre dans le champ d'herbe, c'est passionnant ? Mais qu'est
cequec'estlevrai représentantdu bébé dansle champ d'herbe, c'estl'œil camera. Il s'agit pas de
redevenir un bébé, c'est pas ça, c'est vraiment construire cette autre perception, c'est construire
cette perception non-humaine. Combien il y a de verts dans le champ pour le bébé ? ça veut dire,
bon, atteindre au système de l'universelle interaction du vert. L'universelle interaction du vert, ça. Et
vous ferez des séries d'universelles interactions , vous pourrez faire la série de l'universelle
interaction du rouge etc. Et comprenez que, le montage vous en avez besoin là, et que ce sera avec
du montage que vous ferez ça, c'est pas en suivant un baiser. Donc, vive BRACKHAGE pour
ce..pour cette tentative extraordinaire.

Bon, alors on précise un peu ce que veut dire cette perception d'avant l'homme ! La camera va
nous donner la perception d'avant l'homme ou la perception du monde sans les hommes.
Comprenez que ça se pose partout, je pense - là je mélange les choses exprès, je mélange pour
vous le donner, parce que si vous ne comprenez pas bien tel exemple, vous comprendrez peut-être
mieux avec tel autre exemple qui vous conviendrait mieux.. l'histoire Marguerite DURAS là,
"AGATHA" eu.. c'est un tout autre problème, bon, mais qu'est-ce que c'est ces images plan-fixe de
cette plage ? de cette plage de Trouville là - avec ces espèces de mouvements très, très
décomposés, très - qu'est-ce que c'est...ou..- complètement désert, pendant que la voix dévide une
histoire dramatique. C'est un peu, c'est un peu, là ça appartient .. c'est sa faute, ça appartient un peu
à la formule française, à la vieille formule française .., mais cette fois-ci au lieu de l'image aquatique
de l'eau courante, il y a l'image fixe du monde "d'avant les hommes" et les images d'AGATHA , c'est
le monde "d'avant les hommes" pendant que la voix dévide l'histoire de l'inceste frère - sœur, qui est
humaine, trop humaine, l'histoire d'inceste. Mais il y a une espèce de tension du monde d'avant les
hommes, à moins qu'elle n'ait pensé - ce qui ne serait pas étonnant, tout est possible - que l'inceste
soit vraiment la véritable origine de l'homme, et que c'est en même temps que le monde "d'avant les
hommes" et que l'homme naît dans le monde "d'avant des hommes" par une sorte d'inceste..
(propos inaudibles) .

Bon voilà, alors qu'est ce qui va se passer ? Il y a un thème qui - je reviens en arrière - il y a un
thème qui à cette époque vers 1927-1930, tourmente un certain nombre d'hommes de cinéma et qui
est vraiment la perception d'avant les hommes ou la perception en absence des hommes. La ville
quand il n'y a personne. Vous voyez on tourne autour du même truc. Et voilà que Vertov voulait faire
un "Moscou qui dort".
Et voilà que Rotman dans l'admirable « Berlin symphonie d'une ville » commençait par des
images de rues absolument désertes et puis introduisait dans la rue déserte un "chant", un chant
d'avant les hommes, et puis petit à petit il y avait la naissance des hommes dans la ville. Bon.

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Et puis, voilà que René CLAIR avait fait "Paris qui dort". Et « Paris qui dort » c'était quoi ? Et puis
tout ça c'est c'est un thème qui les.. qui je crois les a obsédé. C'est formidable, je veux dire c'est vrai
tout ce qu'on dit, toutes les platitudes qu'on dit sur ce moment du Cinéma où vraiment ils avaient
l'impression que tout était à créer - ça a été formidable. La joie, imaginez la jubilation de...d'un type
comme RENOIR ou comme GREMILLON vraiment, devant l'eau courante, et qu'est-ce qu'ils allaient
en faire au Cinéma. Euh...la jubilation d'EISENSTEIN devant une fête foraine bon Dieu, ça c'est du
Cinéma. Ou bien lorsqu'il détient la vie la vie "d'avant les hommes", qu'est-ce que.. bon, ça va
devenir un concept au Cinéma. Et bien sûr, alors René CLAIR il en fait un vague scénario, bon un
petit scénario : « Le rayon du savant fou », « Le rayon du savant fou », une espèce de petit truc
science-fiction quoi. Le rayon du savant fou qui immobilise tout, bon alors.. Vous voyez qu'on est
entrain de tourner, je veux dire, est-ce que l'immobilisation n'appartient pas au système de
l'universelle variation et de l'universelle interaction ; sans doute si. Sous quelle forme, il va falloir le
voir. Voilà que l'image est immobilisée. Bon, tout s'immobilise. L'image mouvement est frappée
d'immobilisation. Là on va faire un rude progrès, au point qu'il va falloir s'arrêter, parce qu'on va trop
vite.

L'image mouvement est frappée d'immobilisation. Au profit de quoi ? Surgit une image immobile,
bon, qui fige tout et qui va faire quoi ? ça ne va pas rester comme ça ! A partir de l'image
immobilisée, à partir de l'image figée, reprise du mouvement, mais le mouvement ou bien s'inversa,
ou bien ralentit, ou bien précipité ou bien autre chose encore. Sentez : on se trouve devant un
second procédé beaucoup plus complexe. J'appelle premier procédé tel qu'on vient de le voir - parce
que ça va être aussi un procédé VERTOV. VERTOV a été très très frappé par le « Paris qui dort »
de René CLAIR. Il disait : "mais bon dieu c'est ça , c'est ça que je voulais faire", là dessus il s'en
servira dans « L'homme à la camera ». Bon, très important ça, on n'est pas sorti de l'histoire
VERTOV dans tout ça.

Je veux dire premier procédé : introduire l'image dans le système de l'universelle interaction. Ca
veut dire quoi techniquement ? Ca veut dire se permettre tout. Je veux dire démultiplication de
l'image, mise en oblique. Je prends une liste dans un texte de Vertov : "ralenti, accéléré, inversion,
démultiplication, oblique - j'insiste sur "oblique", parce que, les "images obliques", on aura à revenir
là dessus, on retrouvera ce thème - micro prises de vue, angles insolites et extraordinaires... Je dis
que tout ça, c'est la méthode du "pont d'acier" de IVENS aussi. Tout ça est combiné, c'est-à-dire
faire danser, multiplier tellement les points de vue, et c'est forcé.
Si je définis l'image subjective par un point de vue comme "immobilisé", un point de vue privilégié,
je dirais en même temps car il y a perpétuellement interaction entre les pôles d'images - je dirais que
plus le point de vue subjectif est mobilisé - devient mobile - plus il tend à se déverser dans le
système objectif. Si vous mettez l'image subjective en complet mouvement du point de vue de son
centre de référence, elle va tendre à verser dans le système objectif de l'universelle interaction.

Donc, à ce premier niveau vous avez déjà tout un système de procédés qui impliquent le montage,
et qui opère sur l'image-mouvement (propos inaudible) ...l'oeil non humain on a dégagé. Le thème de
la ville qui dort ou de l'immobilisation de l'image, comme second procédé, second procédé en effet,
en apparence très différent - on va voir comment tout ça se regroupe. Vous extrayez, vous fixez une
image, vous prolongez une image immobile, et vous réembrayez avec mouvement inversé,
mouvement ralenti, mouvement précipité etc., mouvement surimprimé au besoin. Qu'est ce que ça
fait ? René CLAIR disait très bien : recherche d'une espèce de décharge électrique que va produire

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cette immobilisation suivie de...un nouveau type de mouvement. Bon. Qu'est-ce qu'il faut dire ? Alors
là c'est.. les conséquences sont tellement importantes. Voyez que dans le premier procédé , on en
était encore à image-mouvement. Tout le travail se faisait sur l'image-mouvement , même les
immobilisations, même tout ça . C'est pour ça que c'est le premier procédé - je dirais , c'est à la limite
le procédé de ce que VERTOV appelait le "ciné œil". Le procédé de « L'homme à la camera » il va
être plus complexe. Ca va être le procédé de quoi, extraire de l'image mouvement...quoi ? Quelque
chose qui est de l'ordre du photogramme. L'image immobilisée ce ne sera plus l'image mouvement,
ce sera le photogramme. Ah bon, c'est un le photogramme. Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Et bien,
tout le monde sait : une image-mouvement c'est une image moyenne, au Cinéma, c'est une image
moyenne. Bon, tant de photogrammes par seconde. Extraire le photogramme, ça c'est quelque
chose de relativement nouveau pour nous. Ca s'enchaîne.
Cette fois-ci il ne s'agit plus de multiplier les points de vues de telle manière que l'image
mouvement entre dans le système de l'universelle interaction. Il s'agit d'extraire de l'image
mouvement le photogramme pour que quoi ? Pour que quelque chose se produise, à savoir que
déjà, il y a un travail sur le photogramme. Quel sera ce travail ? Et bien la possibilité de produire la
décharge électrique, c'est-à-dire de réenchaîner avec mouvements inversés, mouvements accélérés,
mouvements ralentis, mouvements surimprimés etc. D'où l'importance. A ce moment là ce qui
compte c'est quoi ? Ce n'est plus le mouvement, c'est l'intervalle entre les mouvements. Pourquoi ?
Tout simple, parce que l'intervalle entre les mouvements c'est précisément le point singulier qui
dépend du photogramme, alors que le mouvement dépendait de l'image moyenne. L'intervalle entre
les mouvements, c'est le point singulier où le mouvement est capable de s'inverser, de s'accélérer,
de ralentir, de se sur imprimer, etc. Alors, voyez les progrès qu'on a fait ! Vous vous rappelez du
vieux thème bergsonien : « vous ne reconstruirez pas le mouvement avec des positions dans
l'espace » et pourquoi ? Parce que le mouvement se fait toujours dans l'intervalle.

En d'autres termes, dans notre point de départ - c'est pour mesurer tout le chemin qu'on a
accompli, il n'y a pas du tout de contradictions - dans notre point de départ, c'est le mouvement qui
était un intervalle entre positions dans l'espace.

Maintenant, nous ne disons plus ça, et la théorie de l'intervalle de VERTOV, théorie vraiment
fondamentale pour le Cinéma nous dit quoi ? Nous dit : "le réel tel qu'il est, il est dans l'intervalle
entre mouvements." Est-ce que ça se contredit ? Pas du tout, même il faut passer par la première
proposition pour arriver à l'autre. De toute manière, la théorie du mouvement et de son dépassement
est une théorie des intervalles. Simplement,
dans un cas le mouvement lui-même est un intervalle entre positions - c'est l'image moyenne
mouvement -
dans l'autre cas c'est le réel tel qu'il est, c'est un intervalle entre mouvements - c'est l'extraction
du photogramme et le point singulier.

Peut-être que ça se complique, que je ne suis plus assez clair, mais enfin ça ne fait rien. C'est-à-dire
- ce qui commence à poindre si vous voulez, c'est pour nous une conclusion très importante - On
était partis au tout début de.- tout à fait au début de l'année - on était partis d'une vieille critique
adressée au Cinéma, à savoir : "le Cinéma est incapable de reconstituer le mouvement, il ne donne
qu'une illusion de mouvement, il ne donne pas le mouvement réel". Et je disais toutes les critiques du
Cinéma à ses débuts a été fondé sur ces critiques, sur ça. L'image mouvement cinématographique
est une illusion, sous-entendu : par rapport au réel qui échappe au Cinéma. Maintenant, qu'est-ce

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qui se passe ? Quel progrès on a fait ? On n'a dit rien du tout, c'est pas ça, heu...les procédés, oui,
par lesquels le Cinéma construit l'image mouvement sont artificiels, mais l'image mouvement qui est
ainsi constituée, c'est du mouvement parfaitement réel. Mais maintenant, qu'est-ce qu'on est amené
à dire ? Maintenant on est amené à dire, attention - oui, retour à la première thèse, oui - l'image
mouvement du Cinéma est une illusion. Et bien-sûr c'était vrai, c'était une illusion, de tous temps
c'est une illusion. Mais attention, c'est quoi ? C'est pas du tout une illusion par rapport à un réel qui
échapperait au Cinéma, c'est une illusion par rapport à la réalité du Cinéma même. Car le Cinéma
c'est l'image-mouvement en tant que cette image-mouvement ne cesse de se dépasser vers quelque
chose d'autre, vers un autre type d'image. Il faut qu'il y ait l'image-mouvement, il faut que ça passe
par l'image-mouvement, mais il faut en même temps que l'image-mouvement ne soit posée que pour
être dépassée vers quelque chose d'autre, qui est quoi ? Triple dépassement :
dépassement de l'image mouvement qui est une moyenne vers le photogramme, donc
dépassement de l'image moyenne vers le photogramme.
deuxième point : dépassement du mouvement vers l'intervalle entre mouvements.
troisièmement : dépassement de la camera même et de la table de montage ordinaire - j'appelle
table de montage ordinaire, le montage en tant qu'il porte sur le rapport entre images, vers un
montage qui porte sur l'image même : travail du photogramme - avec la détermination du point
singulier ou le mouvement va subir toutes les manipulations. Qu'est-ce que ça va faire ça ? Si
j'essayais - je le dirais mieux la prochaine fois, parce qu'il est temps de finir là, autant terminer par de
l'obscur, hein ! Qu'est-ce que ce serait ça ? Le photogramme, mais c'est vraiment, eh, alors du coup,
je dirais c'est l'image...qu'est-ce que c'est ? Par rapport à l'image mouvement qui est une moyenne,
tant de photogrammes par seconde, et puis le photogramme, quel rapport ? Je dirais aussi bien,
est-ce que c'est une métaphore ou plus qu'une métaphore ? Je dirais aussi bien : le photogramme
c'est l'image moléculaire. C'est l'image moléculaire du Cinéma, c'est l'image cinématographique
moléculaire. L'image moyenne c'est l'image dite molaire, c'est une moyenne, bon.

L'autre perception à la recherche de laquelle je suis l'autre perception, est-ce que ce n'est pas la
perception moléculaire que la camera nous livre enfin une perception moléculaire ? Qu'est-ce que
c'est une perception moléculaire ? Qu'est-ce que ce serait ? Bon, c'est la perception ? Non plus.
Image moyenne-mouvement, mais quoi ? Photogramme intervalle. C'est abstrait, on n'arrive pas à
bien saisir "intervalle", alors cherchons un mot plus dynamique qui veut, qui - pourtant c'est
exactement la même chose qu'intervalle. Et bien, "photogramme clignotement". Photogramme
clignotement, ah bon, ah quel drôle de Cinéma c'est ? Et bah c'est bien connu ça. Photogramme
clignotement, par différence avec image moyenne-mouvement, c'est quoi ? C'est ce qu'on appelle,
bon, toute une partie, toute une partie du Cinéma dit expérimental. Bon, est-ce que ça veut dire que
c'est ça le vrai Cinéma ? Non, c'est pas du tout ça dans mon esprit. J'indique une direction. Bon,
qu'est-ce que c'est que cette méthode montage-clignotant ? Le rapport photogramme/clignotement,
se découvre derrière le rapport image-moyenne/mouvement. Bien, qu'est-ce que c'est ? Un peu
comme des "états moléculaires" se découvrent derrière les "moyennes molaires", derrière les grands
ensembles, vers une perception moléculaire. Ca veut dire quoi ? Les physiciens nous disent - enfin
les physiciens vraiment de vulgarisation, mais il faudrait pousser, il faudrait voir ce qu'il disent à un
niveau pas de vulgarisation, tellement c'est beau, c'est très important - eh, elle n'est pas arrêtée cette
montre ? Quelle heure il est ? Un dernier effort, euh, vous allez comprendre. L'état solide, qu'est-ce
que c'est ? Vous allez tout comprendre, des images ! L'état solide c'est quoi ? C'est pas compliqué
l'état solide. Il y a un état solide lorsque les molécules ne sont pas libres de se déplacer. Hein, vous
me suivez ? Supposez que les molécules ne soient pas libres de se déplacer, pourquoi ? A cause de

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l'action des autres molécules. En d'autres termes, elles sont maintenues dans un petit domaine.
Elles sont confinées dans un petit domaine par l'action des autres molécules. Là je fais vraiment de
la physique de bas niveau, hein. Et dans cet état elles sont animées de vibrations rapides autour
d'une position moyenne dont elles s'écartent peu. Voilà la formule de l'état solide. Voyez ? Les
molécules de la table, elles ne sont pas libres de se déplacer. Donc, elles sont maintenues dans
leurs petits domaines, chaque molécule est maintenue dans son...par la pression des autres
molécules. Elles sont confinées dans ce petit domaine, elles sont animées de vibrations, parce
qu'elles font partie de l'univers. Elles font partie de l'univers machinique, elles sont animées de
petites vibrations autour d'une position moyenne dont elles s'écartent peu. L'état liquide, qu'est-ce
qui se passe ? On sait bien que : quel moyen pour défaire les solides ? Bon, défaire les solides, dans
le cas de certains solides, il faut les plonger dans l'eau. Mais il y'en a qui résistent, hélas, alors il faut
les chauffer, il faut les chauffer. Bon. L'état liquide en effet c'est quoi ? C'est tout à fait autre chose.
Dans les liquides, les molécules se définissent par ceci : qu'elles ont conquis un degré
supplémentaire de liberté. Le solide : c'est le degré le plus bas de liberté des molécules. Je dirais
que le solide est dès lors objet d'une perception molaire. ça veut dire on perçoit des ensembles
solides. Des molécules sont comprimées, disposent d'un petit espace de euh... elles s'écartent peu
d'une position moyenne. Le solide c'est un objet moyen, c'est une moyenne. Tout comme l'image
mouvement. Dans le liquide les molécules elles ont un degré de liberté supplémentaire, c'est à dire
elles se déplacent. Les molécules se déplacent, elles restent en contact en se déplaçant - ce qui se
passe pas du tout dans un solide - elles restent en contact en se déplaçant et glissent les unes entre
les autres. C'est ça la définition toujours de vulgarisation de l'état liquide.

Troisième étape : l'état gazeux, troisième degré de liberté des molécules. Ah alors là c'est quoi ?
Chaque molécule acquiert et conquiert à l'état gazeux. Elle acquiert et conquiert ce qu'on appelle, ce
que le physicien appelle un "libre parcours moyen", qui varie d'après les gaz évidemment, qui varie
aussi bien d'après la pression, enfin qui varie d'après mille choses euh..., rappelez vous vos
souvenirs de physique euh...Et qu'est-ce qu'on appelle le libre parcours moyen d'une molécule ?
C'est la distance moyenne parcourue par une molécule entre deux chocs successifs. Exemple
fameux, le mouvement brownien Bon, tout ça c'est le plus élémentaire de ce qu'on appelle, reportez
vous si vous avez des petits frères et des petites sœurs, au chapitre de leur livre de physique « La
théorie cinétique des gazs » où vous trouverez tout ça très bien expliqué. Nous pourquoi que nous
concerne ça pourquoi ça fait notre.. notre thème, la finale pour aujourd'hui, c'est que.. de quoi on a
parlé depuis le début ? De trois étapes de la perception :
la perception solide,
la perception liquide,
et nous sommes sur le point de découvrir une étrange perception gazeuse.

Et si il est vrai qu'à une certaine direction parfaite en elle-même, le système total objectif de
l'universelle interaction se trouvait effectuait par les images liquides telles qu'on les a vues comme
esquissées dans le cinéma français d'entre les deux guerres, tout le travail de l'extraction du
photographe, du travail sur le photographe, du cinéma dit clignotant ou le couple "photogramme
clignotement", tant à dépasser - non pas se passer de, ça on verra la prochaine fois - mais tant à
dépasser le couple image moyenne-mouvement, ça nous donnait une espèce de cinéma gazeux.
Est-ce que ce cinéma gazeux, c'est.. c'est là aussi, est-ce que j'emploie ça par métaphore ? Non à la
lettre, il se réclamera de l'état des gaz, tout comme RENOIR, eUh.... EPSTEIN, GREMILLON
pouvaient se réclamait de l'état de l'eau courante. Ce sera la longue conquête, longue longue

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conquête d'une perception moléculaire. Le nouvel œil ce serait entre autre - on est loin d'avoir fini -
surtout je ne veux pas dire que l'issue du cinéma c'est les tentatives de cinéma expérimental. Mais
chose admirable, un des grands du cinéma expérimental américain qui s'appel LANDOW, nous
présente un film dans.. - je vous parlerai mieux la prochaine fois comme ça on en est là c'est bien.
Comment suivant les techniques - on verra quelles techniques pour ce cinéma gazeux - mais
comment on commence par nous montrer sur l'écran une jeune femme qui nage - pas par hasard
comme même qui nage, j'espère c'est pas par hasard qu'il parle d'une image liquide. Cette jeune
femme qui nage gracieusement et qui chaque fois qu'apparaît sur l'écran euh.. nous fait un petit
bonjour euh. Il y a travail sur le photogramme, extraction du photogramme travail sur le
photogramme, avec coexistence - là dessus division de l'écran, il y a des rangs et sur eu..
coexistence, la même jeune femme à des moments différents au même mouvement - c'est la
technique fameuse dont on parlera la prochaine fois, la technique de la boucle, qui réapparaît sur
l'écran - chaque fois elle nous fait un petit bonjour comme ça - pas au même moment il y a des
décalages, des intervalles, des tout ça bon. Et puis un truc, grand truc de clignotement etc. Procédé
qui est cher au cinéma indépendant, au cinéma expérimental américain, refilmage : pour obtenir quoi
? Procédé du refilmage qui permet d'obtenir une texture granulaire. Le grain est une espèce de
texture vraiment moléculaire et qui a comme corrélat une suppression de la profondeur - l'univers
vraiment en espace plat et technique de brûlage du photogramme. Brûlage de photogramme - il faut
prendre ça à la lettre - brûler une photogramme pourquoi ? On l'a vu : "libérer les molécules". A ce
moment là un jeu de couleurs extraordinaires, des images couleurs très très curieuses vont venir
occuper l'écran. Tout ça va devenir une espèce de matière en fusion très ... bon, et c'est très
ennuyeux on un sens. Encore une fois je ne veux surtout pas dire c'est ça le cinéma. Je veux dire ça
c'est une direction - on verra ce que ça devient ce que.. ce que on peut en tirer mais je dis là c'est
textuellement, textuellement, si je prends l'histoire de ce film à la fois indépendant, expérimental,
abstrait tout ce que vous voulez euh.., j'ai dit l'auteur ? Oui. Landow euh.. L a n d o w, euh... qui est
un grand du cinéma américain. Euh.. si je prend euh.. cette exemple, voyez typiquement le passage
d'une perception liquide ou d'une référence à une perception liquide - la nageuse - à une perception
gazeuse impliquant y comprit le brûlage du photogramme. Bon tout ça c'est vers une perception
moléculaire. Est-ce qu'on peut acquérir ? Est-ce que la caméra nous donne cette perception
moléculaire ? Quel avantage ? Qu'est-ce que c'est cette œil "non humain" ? Qu'est-ce qu'on va faire
avec cette œil non humain etc., toutes sortes de questions euh.. toute sorte de questions brûlantes
que nous reportons à la prochaine fois. Réfléchissez à tout ça, moi j'aurais besoin que la prochaine
fois vous interveniez, sous forme de direction de recherche.

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

4- 01/12/81 - 1
Marielle Burkhalter

4- 01/12/81 - 1 Page 1/20


Deleuze - cinéma cours 4 du 01/12/81 - 1 transcription : Farida MAZAR

Je vais commencer par une très rapide récapitulation de la première partie qui est actuellement
finie. Cette première partie, cette chose étant faite, je souhaite de tout mon cœur que certains d'entre
vous parlent, notamment sur les graves doutes, sur les doutes que j'ai exprimés, la sévère
auto-critique que j'ai faite la semaine dernière et puis il faudra que j'aille au secrétariat pour des
histoires d'UV et enfin, nous aborderons, donc il faudrait que ce soit assez vite, la seconde partie de
notre travail. Je disais, pour moi en tout cas c'est nécessaire - pour moi-même, si ça ne l'est pas
pour vous - c'est vraiment marquer les points où nous en sommes.

Je disais, nous avons achevé une première partie, et cette première partie, on pourrait lui donnait un
titre pour fixer les choses, elle était centrée sur quelque chose comme : trois thèses, trois thèses de
Bergson sur le mouvement, trois thèses bergsoniennes sur le mouvement. Et après tout, dans l'idéal,
ce n'est pas moi qui donnerais des leçons évidemment - mais dans l'idéal, si je devais donner un titre
à l'ensemble de ce que l'on fait cette année, il faudrait appeler ça quelque chose comme : "leçon
bergsonienne sur le cinéma". Alors, ces trois thèses de Bergson sur le mouvement, je voudrais les
récapituler en marquant, d'une part : au niveau de chacune le contenu de la thèse mais aussi -
puisque tout cela est lié d'après les règles qu'on s'était données - mais aussi, le problème qui en
découle pour nous, quand à une réflexion vague sur "Cinéma et Philosophie".

Donc, je commence très en ordre - ensuite, mais à chaque fois j'ai une telle envie d'ordre au début,
et cette envie, je ne sais pas ce qu'elle devient au fur et à mesure.

Voilà, 1ère thèse : la 1ère thèse de Bergson, c'est la plus connue, c'est celle que tout le monde
connaît un peu quoi. Si je l'exprime, je dirais : "les coupes immobiles ne nous donnent pas le
mouvement, elles nous permettent seulement de le reproduire ou de le percevoir dans des
conditions artificielles qui sont celles du cinéma". Au niveau de cette thèse : critique bergsonienne du
cinéma et du principe même du cinéma quand au mouvement. Quel est le problème pour nous au
niveau de cette thèse qui est la plus connue de Bergson ? A savoir l'impossibilité de reconstituer
vraiment le mouvement par des coupes immobiles.

- Le problème pour nous, je le résume, nous l'avons vu, donc je ne reviens pas sur ces points, je
donne des résultats. Le problème pour nous, c'est que de toute évidence, et je ne dis pas que c'est
contre Bergson - là on parle en notre nom. Je dis : c'est bien possible tout ça, pas une objection, pas
du tout d'objection, rien à dire, mais c'est bien possible tout ça pas, cela n'empêche pas qu'on ne
peut pas conclure - et je ne dis pas que Bergson le fasse, il nous laisse dans le vide à cette égard, il

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ne peut pas tout faire - on ne peut pas conclure de l'artificialité de la condition à l'artificialité du
conditionné. Ce n'est pas légitime, ce n'est pas parce que des conditions de productions sont
artificielles que la production ou le produit est lui-même artificiel. Je ne peux pas logiquement
conclure de l'un à l'autre. Si bien que, on pourrait dire : mais d'accord ! Les conditions de la
reproduction du mouvement par le cinéma sont complètement artificielles. Cela ne veut pas dire que
la perception cinématographique du mouvement soit artificielle ; pas du tout ; pas forcément.

Bien plus, ma question est celle-ci : est-ce que en vertu de ces conditions artificielles de la
production du mouvement, le cinéma au contraire, n'est pas en situation de dégager une perception
pure du mouvement ou ce qui revient au même, je me justifierai après - une perception du
mouvement pur ? En effet, perception du pur mouvement ou perception pure du mouvement qui ne
nous serait pas donnée dans la perception naturelle. Pourquoi ? Parce que la perception naturelle
implique fondamentalement une perception impure du mouvement, c'est à dire une perception mixte.
Je dirais que ce 1er problème, pour nous correspondant à la première thèse bergsonienne, est le
problème de la perception du mouvement au cinéma.

En quoi la perception du mouvement au cinéma se distingue t-elle en nature de la perception dite


naturelle, voila 1ère thèse et 1er problème. 2ème thèse Bergsonienne : ce serait celle-ci, on pourrait
l'énoncer ainsi : elle tient compte de la 1ere, elle s'enchaîne avec la 1ère - elle consisterait à nous
dire : encore il y a t-il deux manières de reproduire le mouvement - la 1ère thèse ne les distinguait
pas - avec des coupes immobiles ?

1ère manière : on le reproduit en fonction d'instants privilégiés, c'est-à-dire, en fonction de formes


en train de s'incarner ; en fonction de formes saisies dans le mouvement de leur incarnation, de leur
actualisation.

- 2ème manière de reproduire le mouvement : on le reproduit avec des "instantanés", c'est-à-dire


des instants non privilégiés, des instants quelconques, instants quelconques qui se définissent
comment ? Par leur équidistance. Je ne reviens pas sur tout ça, je récapitule ce qui m'est nécessaire
pour la suite.

Bergson nous dit que la 1ère manière, la 1ère reproduction du mouvement est le propre de la
science et de la métaphysique antique ; et que la science et la métaphysique antique en tirent l'idée
que le temps est second par rapport à l'éternité.

- La seconde manière, au contraire, définit la science moderne et elle appelle, bien plus, elle aurait
pû et elle aurait dû susciter une nouvelle métaphysique - celle que Bergson prétend faire . Vous
voyez dés lors que c'est très très ambiguïe (la situation étant un compliment ici)

C'est vrai qu'au niveau de la 1ère thèse, il y a une critique Bergsonienne du cinéma ; c'est vrai, et il
ne revient pas là dessus ; mais au niveau de la seconde thèse qui représente un niveau plus
profond, c'est infiniment plus complexe, car la production cinématographique du mouvement se
faisant, non pas en fonction d'instants privilégiés, mais en fonction d'instants quelconques,
c'est-à-dire d'une mécanisme des images des coupes équidistantes, il y a une libération du temps, le
temps est pris comme variable indépendant - ce qui est le fait fondamental de la science moderne -
est à ce moment là, il y a toutes les chances d'une nouvelle métaphysique. J'en dégage le problème,

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pour nous, de cette seconde thèse : c'est que, j'ai essayé de le montrer : "le cinéma ne peut se
définir que comme la reproduction du mouvement seconde manière". Et c'est là, la vraie rupture, la
véritable nouveauté du cinéma. Tant que vous pouvez avoir des appareils de projection, tant que ces
appareils de projection sont fondés sur le premier mode de reproduction du mouvement, c'est-à-dire
en fonction d'instants privilégiés, et non pas d'instants quelconques équidistants, vous avez tout ce
que vous voulez, vous n'avez rien même que vous puissiez appeler : pressentiment du cinéma. Il
peut y avoir des choses qui y ressemblent, oui, mais qui y ressemblent tellement grossièrement.

C'est la reproduction seconde manière qui définit exclusivement le cinéma. Problème pour nous :
c'est qu'à ce moment là, il faut que nous prenions à la lettre l'hypothèse bergsonienne. Non
seulement, est-ce que le cinéma - à ce moment là - n'appelle pas une nouvelle métaphysique, mais
est-ce que d'une certaine manière, il ne se présente pas de la manière la plus innocente comme
cette nouvelle métaphysique ? Si bien qu'il ne faudrait même pas parler de - et encore une fois ce
n'est pas la médiocrité de la production courante qui est une objection, ce n'est pas ça ma question -
la métaphysique, cela peut être de la bonne métaphysique et cela peut être de la très mauvaise
métaphysique ; Mais bon ou mauvais, est-ce qu'il n'y a pas indissolublement lié au cinéma, l'idée que
le cinéma est bien quelque chose de l'ordre d'une nouvelle métaphysique c'est-à-dire la
métaphysique de l'homme moderne, par opposition, par différence, avec la métaphysique antique ?

Si bien encore une fois qu'il ne faut pas dire, cinéma et métaphysique, il faudrait dire : le cinéma en
tant que métaphysique, sous quelle forme et quel genre de métaphysique. Je crois que c'est
"L'herbier" qui proposait un mot comme ça, il proposait un mot : cinémétagraphe au lieu de
cinématographe. Il disait à un moment - je crois, il faudrait vérifier, je crois cela m'est resté dans la
tête - il parlait du cinémétagraphe, est-ce qu'il ne voulait pas dire quelque chose comme ça ? Le
cinéma en tant que métaphysique moderne, qui correspond à quoi, qui correspond à cette
découverte de la science moderne, la reproduction mécanique du mouvement c'est à dire
reproduction du mouvement en fonction d'instants quelconques en fonction des instants, équidistants
et non plus comme avant, en fonction des formes en train de s'incarner, c'est-à-dire en fonction des
instants privilégiés.

Ce second problème, je dirais que c'est le problème de la pensée par rapport au cinéma, alors
que le 1er problème, c'était le problème de la perception par rapport au cinéma,

3ème thèse bergsonienne sur le mouvement : là, c'est encore un niveau plus complexe, et elle
consiste à nous dire : s'il est vrai que les instants sont des coupes immobiles du mouvement, le
mouvement dans l'espace, lui, est une coupe mobile de la durée. C'est-à-dire - je n'ai plus à justifier
ces équivalences puisqu'on y a passé des heures - c'est-à-dire, expriment un changement dans un
Tout.

Si les instants sont des coupes immobiles du mouvement, le mouvement dans l'espace de son
coté, est une coupe mobile de la durée, c'est-à-dire exprime un changement dans un Tout.

Le problème correspondant pour nous consiste en quoi ? Dans la tentative que nous avons faite de
forger ou d'appuyer le concept de perspective temporelle, par différence avec la perspective spatiale,
est de considérer la perspective temporelle comme propre à l'image-cinéma. Il en est sorti - et ça j'y
tiens parce que c'est un de nos acquis, que l'on peut toujours remettre en question, mais qu'on avait

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achevé la dernière fois - il en est sorti une analyse de l'image cinéma, ou image mouvement, pour le
moment, distinguant trois niveaux ou trois aspects de cette image.

1er aspect : Les objets instantanés présentés par l'image - Ce que Pasolini appelle les cinêmes,
par quoi nous avons défini le concept cinématographique de cadrage.

2ème aspect : le mouvement relatif est complexe entre ces objets, par quoi nous avons défini : le
plan, le plan temporel.

3ème aspect : le Tout - c'est-à-dire l'Idée - auquel le mouvement rapporte les objets puisque le
mouvement exprime un changement dans un Tout. Le Tout idéel, elle, à laquelle le mouvement
relatif rapporte l'ensemble des objets.

Ce qui nous avait permis de définir au moins un aspect d'un, du troisième grand concept
cinématographique, à savoir le montage. Comment le plan, c'est-à-dire, comment le mouvement
relatif entre des objets cadrés, va-t-il rapporter ces objets à un Tout ? Et l'on distinguait des types de
montage : montage dialectique, montage quantitatif, montage intensif, suivant les manières dont le
mouvement dans l'espace pouvait exprimé un changement dans le Tout. Ces 3 aspects de l'image
cinéma : les objets, le mouvement entre les objets, le Tout auquel le mouvement rapporte les objets.
Ces trois aspects de l'image étaient perpétuellement en circulation les uns avec les autres. En effet,
la durée du Tout se subdivisait en sous-durée correspondant aux objets, de même que les objets se
réunissaient dans le Tout par l'intermédiaire du mouvement, par l'intermédiaire du plan temporel,
c'est-à-dire du mouvement relatif.

Si bien que je dirais pour finir ce point, oui, il y a comme un syllogisme cinématographique, avec
ces trois termes. Le moyen terme étant effectivement comme le plan, c'est-à-dire le mouvement
relatif ; la perspective temporelle ou la coupe mobile, le mouvement relatif qui rapporte les objets au
Tout et qui divise le Tout conformément aux objets donc là, se fait par l'intermédiaire du moyen
terme le mouvement relatif, toute une espèce de riche communication. Nous en sommes là -
qu'est-ce qui se passe ? Je peux dire que nous avons essayé de définir - il nous a fallu tout ce temps
- pour essayer de définir, ce que nous appelions l'image-mouvement ou l'image-cinéma ; et en
profiter pour définir des concepts de cinéma liés à l'image-mouvement. Un point c'est tout. Je veux
dire - on est tellement loin d'en avoir fini avec l'image-mouvement que - en quoi elle consiste, de quoi
est-elle faite ? Comment opère t-elle ? Nous avons bien en gros, une définition pour le moment de
l'image-mouvement mais, et rien de plus, rien d'autre. Je signale que tous les textes sur lesquels je
me suis appuyé de Bergson, de la partie bergsonienniene de nos premières analyses, en effet,
portaient sur quoi ? Avant tout, " l'Evolution Créatrice", chapitres 1 et 4 ; accessoirement, je ne l'ai
pas cité, mais vous trouverez toutes sortes de textes confirmant ces thèmes de l'évolution créatrice
», "la pensée et le mouvement" et accessoirement aussi, des textes du livre précédent « l'évolution
créatrice », à savoir « matière et mémoire », dans le dernier chapitre de « Matière et Mémoire » et
dans les conclusions de « matière et mémoire » - vous remarquerez que je n'ai même pas encore
abordé ce que pourtant j'avais annoncé comme un sujet de notre travail cette année - à savoir, je n'ai
pas abordé de front « Matière et Mémoire ».

Et en effet si pour clôre, pour résumer cette récapitulation, si maintenant nous nous trouvons
devant la tâche, et bien, même si nous gardons l'ensemble des définitions précédentes concernant

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l'image-mouvement, maintenant ce qu'il faut faire, c'est une analyse de l'image-mouvement. Du
coup, nous avons un abord direct avec « Matière et Mémoire ». Si bien que « Matière et Mémoire » a
beau être avant « L'évolution Créatrice », il se peut très bien que certaines directions de « Matière et
Mémoire » - qui ne seront pas reprise par après - aillent plus loin que les livres ultérieurs, que «
L'évolution Créatrice ».

Si j'essaie de résumer l'ensemble de la thèse de "Matière et Mémoire", en effet il y a là quelque


chose, qui pour l'avenir puisque on a fini une 1ère partie je lance donc la seconde partie de notre
travail qui, pour l'avenir va être très important pour nous. Et là, je voudrais presque procéder même
par des formules abruptes, vous ne pouvez pas les remplir encore, sauf ceux qui connaissent déjà
Bergson, mais il faut que vous les gardiez comme des petits "phares", comme des petites lumières
là, ça prendra forme plus tard. Si j'essaie de résumer vraiment l'ensemble de « matière et mémoire »,
je dirais voilà, imaginez un livre qui nous raconte ceci : c'est une histoire.

Il y a deux sortes d'images ; nous appelons les unes : images-mouvements et nous appelons les
autres : images-souvenirs. Ce sont donc deux espèces d'images. D'un certain point de vue, ces deux
espèces d'images diffèrent en nature ; d'un autre point de vue, on passe d'une espèce à l'autre par
degrés insensibles. C'est curieux ; il faudrait évidemment que cela vous paraisse très très intéressant
car ce n'est pas des choses tellement courantes tout ça. Je fais intervenir ça maintenant, mais c'est
pour des raisons précises ; voilà que l'on apprend d'un coup - rien ne le nous laisse prévoir encore -
que l'image-mouvement que l'on a passé de longues heures à essayer de définir, ce n'est que : "une
espèce d'image".

Comment elles se distinguent alors les deux espèces d'images ? Si j'en reste vraiment à des gros
signaux, eh bien ! , Supposez que les images mouvement soient en quelque sorte "pelliculaires" ;
ces sont des surfaces, ce sont en effet des plans, plans très spéciaux, puisque ce sont des plans
temporels. On l'a vu, ça c'est acquis, on s'y repère un peu, mais cela ne les empêche pas d'être des
surfaces. Les autres images, c'est les images-volume. Ce qui est intéressant ce n'est pas tellement
le mot « souvenir », quoi qu'on verra à quel point cela peut l'être intéressant, puisque c'est
directement nous brancher sur la question du Temps. Les perspectives temporelles déjà nous
branchaient sur cette question du Temps. Les images souvenirs, elles seraient volumineuses ; alors
que les images mouvement sont superficielles - sans jugement de valeurs, car »le superficiel », c'est
aussi beau que « le volumineux ». Bon mais, cela veut dire quoi ? Alors il y aurait deux sortes
d'images ; donc on n'a pas fini ; on est déjà en train de patauger dans une espèce d'image et on
apprend déjà qu'il va, y en avoir une autre après, et que sans doute, toute la solution, s'il y a une
solution, ça viendra du rapport entre les deux espèces. Mais pour le moment, un pressentiment
doit-nous courir. Oh bon ! On a déjà montré, on a bien montré qu'il y avait une présence des images
mouvements au cinéma ;

bien plus, est venu en nous le soupçon, est ce que ce n'est pas le cinéma qui invente les
images-mouvements ? Est-ce que ce n'est pas pour lui, en lui que l'image mouvement se déchaîne
ou que l'image se découvre image-mouvement ; mais alors on peut toujours continuer dans nos
pressentiments confus : Oh là là, est ce qu'il n'y aurait pas aussi au cinéma un autre type d'images ?
Est-ce qu'il n'y aurait pas des images volume ? alors nous laissons du coté la préface de « matière et
mémoire » puisque les préfaces dans les livres de philosophie sont toujours très difficiles - et c'est
vrai que la préface est une chose en philosophie en tout cas qu'il faut lire après et pas avant - Si

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nous attaquons « Matière et Mémoire » par le 1er chapitre, j'essaie de faire la même chose pour le
1er chapitre, c'est-à-dire de le résumer d'une manière très grossière, sans qu'on puisse encore
comprendre ce que ça veut dire : Dans le 1er chapitre de « Matière et Mémoire », je dirais Bergson
s'occupe exclusivement du 1er type d'images, l'image mouvement ; Ah bon, ça, ça nous convient ;
ça nous convient puisque c'est ce qu'il nous faut, nous en sommes là. Donc joie, on va commencer
par le premier chapitre.

Et si j'essaye de résumer la thèse générale, Bergson nous dit et là, c'est bien une analyse de
l'image-mouvement, nous nous donnons encore une fois, nous avons le droit maintenant de nous
donner, supposée la définition de l'image-mouvement puisqu'on y a passé trois séances. Si j'essaie
de résumer cette analyse de l'image-mouvement telle qu'elle apparaît au 1er chapitre de « Matière et
Mémoire » est extrêmement simple ; Et ça fixe déjà des points de terminologie fondamentaux.
Bergson nous propose - il ne dit pas exactement ces mots sous cette forme mais vous verrez, la
chose y est - tout le 1er chapitre porte là-dessus, il y a trois espèces, trois types d'images
mouvement. Ça se divise bien ; l'image se divise en deux : l'image mouvement et l'image souvenirs
on laisse de coté image souvenirs, on ne pourra pas aborder ça avant longtemps.

Et l'image-mouvement, se devise en trois. Et ces images-mouvement, Bergson les appelle : les


unes sont des images-perception, les autres sont des images-action, les autres sont des
images-affection. L'image-mouvement comprendrait trois types d'images très distinctes - mêmes si
elles sont très liées aussi. Je vous demande de pressentir juste aussi la richesse d'une telle
distinction si elle se révélait fondée à la suite d'une analyse qui nous reste à faire ; les échos déjà
que cela a avec l'image-mouvement au cinéma. Et- ce qu'en effet l'image-mouvement au cinéma ne
mêle pas étroitement suivant un rythme qui est le rythme du cinéma ; des images qu'on pourra
appeler des images-perception, des images qu'on pourra appeler des images-action, des images
qu'on pourra appeler des images-affection. Bon, c'est possible, on verra. Nous en sommes là, ça
nous précipite donc dans la seconde partie de notre travail. Si la première partie c'était les thèses sur
le mouvement d'où sortait la définition de l'image-mouvement, notre seconde partie, ce sera :
l'analyse de l'image-mouvement, et les espèces d'image-mouvement.

En fonction des trois séances précédentes et du début de celle-ci, là dessous, c'est à vous de dire
quant au point où on est - si vous avez des remarques à faire, c'est-à-dire soit des choses qui
m'aident, soit votre avis sur tout ça.

Question de l'assistance : inaudible : je commence à comprendre pourquoi on peut parler de cinéma

Comtesse Je voudrais poser une question à propos du dernier cours quand tu as abordé pour la 1er
fois, la question du rapport du mouvement non plus avec une forme comme dans la tradition
philosophique classique, Aristote par exemple - une forme qui informerait une matière qui
s'actualiserait dans cette forme qui suppose que soit le concept de matière est une matière
extérieure - comme par exemple le matériau d'un sculpteur - soit une matière intérieure au sens par
exemple où il y a progression vers une forme divine chez Aristote, mais un autre concept de matière
que tu n'avais à mon avis, presque jamais jusqu'ici dégagé et qui est justement lié à une "chute"
puisque le mouvement à ce moment là tombe dans une matière qui est obscure, qui est cryptique,
qui est terrifiante etc..., qui est marécageuse ou étouffante et qu'on trouve dans les films
expressionnistes allemands ; et puis en même temps qu'il y a cette "chute" du mouvement dans une

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intensité égale zéro qui distribue le régime de l'âme sensible ou insensible - en même temps, il y a
un autre mouvement que tu as esquissé, qui est le mouvement corrélatif de cette chute : Le
mouvement de l'élévation vers le divin. Donc une matière obscure et le divin. Alors la question qui se
pose c'est lorsque l'on pense justement ce rapport de la chute et de l'élévation, est-ce que, on en
reste pas dans une image-mouvement, et ce qui reposerait la question de l'image mouvement au
cinéma - dans quelque chose qui ne serait pas tout a fait un régime de mort ou un régime de vie
mais un régime en quelque sorte le pont entre les deux et qui serait aussi important que les deux
extrêmes, puisque ça serait un régime où rien ne serait tout à fait en mouvement, sauf en
mouvement relatif, et où rien ne serait tout à fait ou entièrement arrêté, dans un arrêt absolu qui
serait justement la question du rapport de l'image-mouvement avec un régime de maladie.
Autrement dit un régime où justement il se définirait comme cette espèce d'alternative, ou
d'oscillation, justification que tu as dite, à savoir chute et élévation entre la vie ou la mort, ou la vie et
la vie : vie organique, vie divine ; est-ce qu'il n'y aurait pas justement lié à l'image-mouvement.ce
régime de maladie, s'il est vrai justement et là on peut se référer à beaucoup de choses ou à
beaucoup de textes lorsque Blanchot interroge le rapport de l'œuvre d'art avec la maladie - s'il est
vrai que le régime de la maladie c'est l'impossibilité de penser comme le dit Blanchot, l'abîme,
l'absolu étranger, l'inconnu, le neutre ou le dehors autrement dit ; c'est à dire l'impossibilité ; le
régime de maladie comme impossibilité fondamentale de penser la mort en tant que telle, c'est à dire
l'impossibilité de penser une affirmation de vie qui à la fois ne nierait ni n'affirmerait la mort mais la
penserait. Autrement dit un régime de maladie qui renouvellerait même, si on pensait ce régime, le
concept même qui reste dans le discours que tu as tenu un concept, maladif le concept même de
matière cryptique, obscure, nocturne, dans la mesure où justement avec un tel concept de matière,
on reste étranger à soi, c'est-à-dire "malade" au sens par exemple où Nietzsche dans la «
généalogie de la morale » disait : "nous restons nécessairement - en tant qu'il définissait ce régime
de maladie - étrangers à nous même, nous ne pouvons faire autrement que de nous prendre pour
autre chose que ce que nous sommes ; chacun est à soi-même le plus lointain. Autrement dit, dans
ce régime de maladie comme même pas médiation, même pas intermédiaire mais "milieu" entre
deux mouvements, est-ce que justement la question ne se pose pas du rapport de ce régime de
maladie avec l'image-mouvement ; et un régime de maladie qui poserait même d'une autre façon le
problème que tu as abordé au début concernant la question du mouvement chez Bergson avec le
paradoxe de Zenon, parce que le paradoxe de Zénon, tu l'as repris de la façon dont Bergson le
percevait or le paradoxe de Zénon c'est plutôt un défi que lançait justement Zénon. e n'est pas la
question par exemple de : est-ce qu'il y a du mouvement ou est ce qu'on trouve le mouvement en
marchant ? Ce qui est très facile, c'est la question non pas du mouvement, mais de l'immobilité dont
parler Zénon. Non pas est-ce que Achille va rejoindre la tortue ? Et d'employer cette petite historiette
ou ce petit récit de l'espace divisible parce que là tout le monde sait que ça reste au niveau du récit.
La question que posait Zénon qui appartient précisément au régime de la maladie, ce n'est pas la
question de rejoindre ou non quelque chose : Achille rejoint la tortue, la flèche rejoint la cible ; c'est la
question de l'impossibilité de commencer un mouvement ; autrement dit la question de l'absence du
mouvement ; autrement dit la question de l'immobilité, autrement dit la question du régime de
maladie. Question justement que les philosophes de l'époque classique ont chercher à résoudre :
Platon, Aristote etc.... Et que seul peut être - peut être - Nietzsche justement dans le « Zarathoustra
» a abordé d'une autre façon, a relevé le défi de Zénon et reposant ailleurs, d'une autre façon le
régime de maladie, c'est-à-dire lorsque Zarathoustra - il y a le bondissement de Zarathoustra
vis-à-vis de la femme Œdipe et le bondissement de Zarathoustra est un mouvement de
bondissement mais le mouvement il s'arrête, il s'interrompe, il se fige lorsque Zarathoustra "se voit"

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dans l'œil cyclopéen, dans l'œil terrifiant de la fin de vie, et à ce moment là il est pétrifié, il entre dans
cette pétrification qui insiste sans cesse dans le texte de Nietzsche lorsqu'il parle de la nuit glacée,
de l'instant éternel de pétrification et, à ce moment là la vie Elle-même dans le régime de maladie où
se trouve Zarathoustra, peut poser la question à Zarathoustra dans le texte à savoir : "tu ne m'aimes
pas et de loin autant que tu le dis".

Autre intervenant :
Alors moi, ce qui m'a étonné à travers toi, c'est l'insistance à parler de la chute. Je ne dis ça ne va
pas ; Deleuze il parle de la chute, de la mort, du marécage. Même Bergson en parlait. Il oublie une
seul chose, et ça je l'ai noté. Lautreamont, Il dit, il faut savoir arracher des beautés littéraires
(littéraires ou autre chose) jusque dans le sein de la mort, mais ces beautés n'interviennent pas à la
mort ; et ça c'est important. Il part toujours du régime de maladie, mais il oublie l'autre versant, qui
est aussi important.

Réponse de Deleuze : Eh bien ! Je voudrais dire juste comment je réagis à ce que vient de dire
Comtesse, c'est parfait, ça me contenterait profondément parce que c'est le type même des
prolongements dont je souhaiterais, dont il est sur que beaucoup d'entre vous le font - lui il nous dit
les prolongements personnels qu'a eu tout cela. Sur ces prolongements personnels - alors, je ne
prétends pas du tout faire la moindre objection, les prolongements personnels c'est sacré par nature
- Je prétends juste dire mon point de vue sur en gros le thème que Comtésse a esquissé. Quelque
chose m'intéresse beaucoup parce qu'il - si j'ai bien suivi - il nous disait quelque chose comme
finalement les mouvements sont nécessairement des mouvements qualifiés et pas seulement
qualifiés au sens physique, ce seront des mouvements qualifiés au sens métaphysique. Car lui, et
pour des raisons que je connais bien, qui sont ses intérêts philosophiques à lui - il insiste sur, dans
ce qu'il vient de dire sur santé- maladie et comment le mouvement expressionniste ne peut pas être
saisi indépendamment d'une certaine évaluation de la maladie et même d'un rapport pensé avec la
mort. Je me dis oui, évidemment il a raison. D'autres pourraient dire à propos de - tout dépend ce
qu'il choisit comme film, c'est très juste, ça va très bien avec certains films. Avec d'autres, on dirait
c'est bien plutôt une espèce de vastes règlements de compte et de reprise du problème du bien et
du mal. Les expressionnistes allemands au cinéma ont eu une espèce de manière, de véritable
"innocence" pour recommencer à zéro le problème du bien et du mal. Alors vraiment, alors là, si on
essaye de dire en quoi des hommes du cinéma sont naturellement des métaphysiciens, il suffit de
penser à ses manières de poser par exemple Lang son problème du bien et du mal. Bon, Comtesse,
il est sensible à quelque chose qui serait plus Murnau (ou bien d'autres encore) qui est un problème
de maladie, un problème santé-maladie. Il a complètement raison. Je fais deux remarques juste,
toujours dans mon souci d'ordre. Moi lorsque j'ai introduit - et ça il faut que vous en teniez compte
toujours - lorsque j'ai introduit par exemple ce thème de l'expressionnisme la dernière fois, c'était
comme exemple de montage parmi trois sortes de montage.

Déjà, certains d'entre vous ont bien voulu avoir des réactions intéressantes. Une de ces réactions
consistant à me dire : oui d'accord, mais finalement le vrai montage et la vraie force du montage, elle
est au niveau du montage intensif, c'est-à-dire dans le troisième type de montage ; et les autres
montages ne sont vraiment du cinéma que lorsqu'ils recueillent quelque chose de l'intensité.

Bon ; mais pour moi le montage expressionniste, je le définissais uniquement par ceci, à savoir :
étant donné la question, comment un mouvement relatif dans l'espace peut-il exprimer un

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changement dans un Tout ? Ce qui était notre problème, la réponse expressionniste ce sera : Et
bien, le mouvement relatif dans l'espace peut se rapporter et rapporter les objets à un Tout,
c'est-à-dire à un changement dans le tout, sous quelle condition ? Sous la condition qu'on dégage
une intensité du mouvement.

Bon c'est à partir de là que Comtesse enchaîne sur la question de la matière, de la chute dans la
matière, de la santé et de la maladie. Je dis qu'il a complètement raison et que c'est ça la
métaphysique de l'expressionnisme ; Et que ma question ce serait ceci : est-ce que c'est bien,
comme dit Comtesse, au niveau de l'image-mouvement que déjà l'ensemble de ces problèmes - que
je ne prétendais pas poser - peut être posé ? Ou est-ce qu'il faudra, pour arriver à leur pleine
position, faire intervenir déjà la seconde nature de l'image dont je vous ai proposé de remettre
l'analyse à beaucoup plus tard, à savoir l'image-volume.

Au point que la métaphysique comme cinéma, ne se jouera pas simplement au niveau de


l'image-mouvement ; mais évidement dans le rapport du volume et du mouvement ; et que c'est
seulement là que pour compte, je pourrais rejoindre des thèmes comme celui de Comtesse là
c'est-à-dire la question de la pensée, la question de la maladie, la question de tout ça ; mais sur tout
ce que tu dis, moi tout me va, tout me parait parfait. Pour moi, je ne pourrais arriver là où tu en es,
que dans assez longtemps, en vertu de ce problème qui me soucie de : Est-ce qu'il y a bien deux
types d'images, etc...et comment est -ce qu'on passe de l'un à l'autre, et en quoi est -ce que ce serait
ça le tout du cinéma, mais sinon parfait, parfait. Comtesse Dans la mesure où des cinéastes comme
Pasolini, Marguerite Duras ou bien Godard ont posé la question du cinéma comme question de
l'absence de mouvement, dans l'image-mouvement elle-même. Deleuze Complètement.Mais ça,
l'absence de mouvement au cinéma, je crois qu'on est en train de s'armer pour comprendre tout à
fait, ça ne nous fera pas grande difficulté ça. Même là, ce serait une objection bénigne, qui n'en fait
pas une objection que nous dire l'absence de mouvement qu'est-ce que vous en faites ? Ça c'est
une question facile.

Suite à l'idée qui a été introduite ce matin de l'image-volume, je me demande si ce n'est pas aussi
une question prématurée. Oh oui ! Sûrement, mais on peut lancer comme ça une question qui
prendra son sens plus tard ; vous avez raison, oui c'était prématuré. Moi je disais une chose très très
simple, quand en effet ce qu'on appelle un producteur idéal, je conçois assez la possibilité de
quelqu'un qui dise : Oui j'ai l'idée d'un film : je ne le fais pas. Ce n'est pas à moi de le faire ! Mais le
producteur, c'est quelqu'un qui peut avoir l'idée d'un film, et ça fait un moment que j'avais besoin de
cet exemple puisque c'était un moment où on essayait de dire ce que c'est qu'une idée au cinéma.
oui avoir l'idée d'un film, c'est possible. D'ou la situation effet Hollywood, où des producteurs
pouvaient avoir des idées de films et là dessus prendre traiter les metteurs en scène comme des
espèces de domestique : Allez, tu vas réaliser ça, allez fais -le ! Et puis s'il ne le faisait pas bien ou
s'il faisait une autre idée, s'il essayait une autre idée ; Ah non tu arrêtes ! On prend un autre metteur
en scène. Ce n'était pas du tout pour défendre ce régime si dur que je disais ça, mais c'était pour, en
fonction de mes trois aspects de l'image-mouvement, marquer en quel sens ces trois aspects,
c'est-à-dire les objets, le mouvement et le Tout - comment ces trois aspects étaient perpétuellement
inséparables et pourtant on pouvait être effectués par des fonctions différentes. Fonction cadreur
décorateur, fonction metteur en scène, fonction producteur ou bien ça pouvait être réuni dans le
même personnage ; tout comme tout ça c'est des différences d'accents vous comprenez.

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C'est bien entendu que les trois montages que j'essayais de distinguer, les trois types de montage,
ils pénètrent tout le temps mais il y a un accent émis particulièrement tantôt sur la quantité de
mouvement, tantôt sur l'intensité de mouvement tantôt sur l'opposition de mouvement, tout ça. IL y a
des metteurs en scène qui attachent plus ou moins d'importance au cadrage, d'autres plus ou moins
d'importance au plan et au découpage, d'autres plus ou moins d'importance au montage, tout ça.
C'est comme des pôles, ce n'est pas des choses séparées. Alors voila, nous allons commencer
notre seconde partie sur cette histoire de l'analyse de l'image-mouvement. il faut que j'aille au
secrétariat.. reposez vous !

Question de l'assistance :
Il me semble que l'œil n'est qu'un écart, qui porte comme une prolongation du corps vers l'image,
au point tel que je m'étais dit finalement si vous prenez les trois aspects de l'image-mouvement, le
dernier aspect, l'affection, je me dis que voilà : quand on est dans l'affection d'une
image-mouvement, l'image mouvement devient aussitôt une image volume, c'est-à-dire le volume de
mon corps.
Réponse : Je vais vous dire, c'est un excellent exemple parce que c'est un peu ce que je souhaite
dans mes rêves. Vous avez tous les droits. Alors dans la mesure où vous avez tous les droits, à
partir du point où on en est, une fois dit que vous écoutez très bien, vous devancez, vous prolongez,
vous avez parfaitement le droit. Alors, bien, vous venez de dire quelque chose où vous prolongez
complètement. Moi je fais une besogne un peu bizarre : Je dis oh ! Bon, d'accord, si vous voulez, ci
c'est ça votre direction ; moi loin, loin de moi l'idée de - et puis je ne pourrai pas même si je le
voulais, je ne pourrai pas vous empêcher d'aller dans une direction - mais si je reprends chaque mot
de ce que vous venez de dire, je dis, et vous le savez sans doute autant que moi - ce n'est pas la
question est -ce que moi je suis d'accord ou pas, je ne serai pas d'accord, sur aucun point, mais c'est
secondaire ça - de ce que vous avez dit, c'est intéressant que ce soit. Je dis : ce que vous venez de
dire est une série de formulation absolument étrangères et bien plus, dirigées contre Bergson . Si je
schématise en termes pédants, en termes savants, vous êtes un bon phénoménologue et vous êtes
un déplorable bergsonien. Car Bergson à cet égard va tellement loin et c'est ça qui me reste, que je
voudrais essayer de montrer aujourd'hui - c'est que la proposition selon laquelle l'image mouvement
présuppose un œil auquel elle renvoie est une proposition pour Bergson absolument vide de sens ;
pour une raison très simple, c'est qu'il vous dira : "mais l'œil, qu'est-ce que c'est ? C'est une
image-mouvement". Alors si l'œil c'est une image mouvement parmi les autres, l'image-mouvement
ne me renvoie évidemment pas à l'œil. En revanche, un phénoménologue dira ça et mon problème,
ça l'introduit très bien, c'est ce que Bergson n'a pas, une immense avance par rapport à la
phénoménologie.

Evidemment, ça c'est des questions, à ce niveau alors ça devient des questions d'attirance pas de
goût. On ne peut pas dire n'importe quoi mais vous verrez vous-même. Je ne prétends pas vous
rendre bergsonien ; mais en tout cas, je prétends dire à ce qu'il vient de formuler très bien, que c'est
une thèse phénoménologique qui n'a rien avoir avec les thèses bergsoniennes .. Entre autre c'est un
point de vue qui justement ne répond absolument à rien chez Bergson, c'est même ça qui rend
Bergson tellement insolite. D'où, encore faut y voir et pour ça je dois et je ne cesse de m'excuser à
nouveau, je dois commencer par une courte séquence de l'histoire de la psychologie. Pour que vous
compreniez le problème.

Pour une fois notre problème c'est devenu analyse de l'image mouvement. Et je dis - il est bien

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connu, et on nous le dit dans tout les manuels et tout le monde le sait, et si on ne le sait pas ce n'est
pas grave - que, il y a eu longtemps une psychologie dite classique et que cette psychologie
classique a buté sur une espèce de crise. C'est qu'on crée tout d'un coup des conceptions qui vont,
qui durent un certain temps et puis qui connaissent un point de crise ; c'est-à-dire qui remontrent une
difficulté qui jusque là pouvait être diluée et qui dans des conditions données, quelles conditions ?
C'est curieux - ne peuvent plus être esquivées. Et contrairement à ce qu'on dit alors, à ce qu'on dit
souvent, je ne crois pas que la psychologie classique ait rencontré son écueil sur les problèmes de
l'associationnisme. Ça n'a aucune importance ce que je dis, c'est pour ceux, vous voyez là, on est
dans une salle où les gens sont très différents ; il y en a qui font de la philosophie, d'autres pas. Ça
n'a aucune importance si vous ne comprenez pas tel moment, vous recomprendrez après, aucune
importance. Mais je dis, ce n'est pas l'associationnisme qui a liquidé la psychologie dite classique.
C'est quoi ? C'est que les psychologues du 19ème finissaient par ne plus pouvoir esquiver un
problème. Problème effarant pour eux, que je pourrai résumer sous forme d'un quoi ? L'image et le
mouvement. Qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qu'on va faire ? Ce n'est donc pas l'associationnisme
qui été leur écueil, c'est les rapports de l'image et du mouvement. Pourquoi ? Parce que finalement
toute cette psychologie tendait vers une distribution du monde en deux ; deux parties, et deux parties
tellement hétérogènes qu'établir une soudure devenaient comme impossible.
D'une part, dans ma conscience il y avait des images - c'est comme si je faisais une ébauche si
vous voulez, de la situation de cette psychologie et ça voulait dire quoi ? Ça voulait dire des
représentations qualifiées, et plus profondément des états qualitatifs inétendues. Une image était
une donnée qualitative inétendue de la conscience. Elle était dans la conscience. Et d'autre part, il y
avait dans le monde quoi ? Dans le monde il y avait des mouvements ; et des mouvements c'était
des configurations et distributions variables quantitatives et étendues. Voilà, sentez que la crise
n'était pas loin. La crise n'était pas loin, mais comment elle va se produire la crise ? Peut -être que la
crise va devenir inévitable ; que jusque là il pouvait colmater les difficultés ? La crise devient de plus
en plus urgente quand quoi ? Quand l'analyse du mouvement et la reproduction cinématographique
s'affirment dans le monde. Peut-être que ça a été ça, un des points de crise de la psychologie
classique. On ne sait pas, faudrait voir. L'introduction en psychologie expérimentale de films, tout ça.
Ils se sont trouvés dans une situation incroyable. Comment faire ? Ça marche comme ça des choses
de la théorie. Comment faire ? Est-ce qu'on peut maintenir l'idée qui est dans la conscience des
images : état qualitatif inétendu et dans le monde des mouvements ? Qu'est-ce qui faisait difficulté
de toute manière, dans les deux sens ? Si je dis, eh bien vous comprenez c'est pas difficile, dans
votre conscience il y a des images qui sont des états qualitatifs inétendus, et puis dans le monde il y
a des mouvements qui sont des états quantitatifs étendus. Si je dis ça, d'accord, mais qu'est ce qui
se passe, même dans la perception ? Un organe des sens reçoit un ébranlement, c'est du
mouvement, d'accord. Et tout d'un coup ça se transforme en image. J'ai une perception, tout d'un
coup, mais quand ? Où ? Comment ? Comment est-ce qu'avec du mouvement dans l'espace, vous
allez faire une image inétendue qualitative ? Comment ça peut surgir ça ? Tout ça, ça fait de rudes
problèmes, Dans l'autre sens, vous avez toutes les difficultés concernant dans l'autre sens c'est quoi
? L'autre sens c'est la volonté et l'acte volontaire. Vous êtes censés avoir une image dans la
conscience, et puis vous faites des mouvements. C'est un acte volontaire. Mais comment une image
dans votre conscience a donné du mouvement dans l'espace ? Quel rapport il peut y avoir entre
deux natures aussi irréductibles, aussi hétérogènes que des images définies comme état qualitatif et
inétendu et des mouvements définis comme état quantitatif étendu ? Si dans l'acte volontaire l'image
donne lieu à un mouvement de votre corps, par exemple vous voulez éteindre la lumière, vous faites
un mouvement. Complexe alors. Comment expliquez ça ? sinon parce que déjà l'image, elle n'est

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pas seulement dans votre conscience, il faut bien aussi qu'elle soit dans les muscles de votre bras.
Qu'est-ce que c'est alors une image dans les muscles de mon bras ? Il y aurait des petites
consciences ? Oui pourquoi pas ; on peut le dire. Il y a des auteurs qui on écrit des pages
admirables sur ces petites consciences organiques ; mille petites consciences dans mes muscles,
mais sous - muscles, mes nerfs, mes tendons ; mais c'est bizarre ces consciences hein ! ; c'est
curieux. Et inversement dans l'autre sens, un mouvement vous ébranle et puis ça donne une image
dans votre conscience. Comment ça peut se faire sinon parce que votre conscience elle-même, elle
est parcourue de mouvements. Bon de tous les côtés c'est une situation de crise : vous voyez si je
résume cette situation de crise qui a mon avis a donné un coup fatal à cette psychologie du 19ème
siècle encore une fois, ce n'est pas à mon avis le problème de l'association des idées et de
l'inexactitude d'un compte rendu de la vie psychique à partir de l'association, c'est en fonction du
rapport devenu impossible entre les images et les mouvements quand je définis les images comme
des états qualitatifs dans ma conscience et les mouvements comme des états quantitatifs dans le
monde. Et comment s'est fait, dans cette situation de crise comme s'est fait ? Comment se sont
faites les tentatives pour sortir de la crise ? Les tentatives pour sortir de la crise c'est bien connu, se
sont faites de deux manières, c'est-à-dire sous deux coup de génie successifs, mais inconciliables.
Le premier, ce fut Bergson. Ce fut Bergson et pas seulement lui. En Angleterre et en Amérique, en
même temps, d'autres auteurs dont William James en Amérique et Whitehead, le grand Whitehead
en Angleterre Mais Bergson ayant eu - ce n'est pas parce que qu'il est français Bergson que je dis
ça, mais Bergson a eu une importance particulière - donc je retiens le premier coup, la première
rupture, la première fondation d'une nouvelle psychologie par Bergson. Le second coup, mais en fait
ce fût contemporain, ce fût un courant qui a son origine en Allemagne, et qui a été, (là je dis des
choses très rudimentaires, je peux grouper, faire des grands groupements) qui a été tenu par à la
fois ce qu'on a appelé la GUESHTALT théorie, la théorie de la forme ou de la structure, encore une
fois, c'est contemporains de Bergson les premiers qui élaborent cette théorie. Et contemporain aussi,
la phénoménologie.

Alors ma 1ère question, et ça je voudrais juste à la fois pas traîner là-dessus parce que c'est juste
une impression, je voudrais partir de, je dis c'est inconciliable. La nouvelle psychologie que propose
la phénoménologie et la nouvelle psychologie que proposa Bergson, ce n'est pas conciliable.
Pourquoi ce n'est pas conciliable, en quoi ce n'est pas conciliable ? Je voudrais là aussi, puisque je
lance aujourd'hui beaucoup de formules qui ne pourront être justifiées que plus tard, la formule de la
phénoménologie pour sortir de la crise, ça été quoi ? Elle est célèbre, tout le monde la connaît, tout
le monde la répète, tout le monde à un moment l'a répétée ; on ne disait que ça, on la chantait, ça se
chante sur toute les voix : « toute conscience est conscience de quelque chose » Il faut mettre
l'accent sur le « de ». Si vous ne mettiez pas l'accent sur le « de », vous n'étiez pas
phénoménologue. Toute conscience et conscience de quelque chose. Et Sartre lançait son article
célèbre et très beau sur « la conscience n'est pas un estomac dans lequel il y a aurait quelque
chose, la conscience est ouverture au monde, la conscience est conscience de quelque chose ».
Vous voyez ce que ça voulait dire. La conscience est visée de quelque chose hors d'elle, elle ne
contient pas des images en elle. Toute conscience est conscience de quelque chose. Si je le
rapporte à mon cas particulier du mouvement, la crise de la psychologie classique, image et
mouvement comment concilier ça, comment les mettre en rapport, alors que la psychologie
classique s'interdisait d'une certaine manière de trouver une mise en rapport - je dirais, ce n'est pas
difficile vous comprenez - »toute conscience est conscience de quelque chose » ça veut dire aussi,
ça ne veut pas dire seulement ceci : "toute image est image de mouvement". Toute conscience est

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conscience de quelque chose toute image est image de mouvement, ça voudrait dire quoi ? Ça veut
dire, l'image c'est pas quelque chose dans la conscience, c'est un type de conscience qui dans des
conditions données vise le mouvement. En termes savants, les phénoménologues disaient : "toute
conscience est intentionnalité". Ce qui veut dire, toute conscience est conscience de quelque chose
située hors d'elle, elle vise quelque chose dans le monde.

Donc l'image c'est en fait un mode de conscience et pas quelque chose dans la conscience, c'est
une attitude de conscience, c'est une visée ; et le mouvement dans le monde c'est ce que vise cette
conscience. Toute conscience est conscience de quelque chose. Pour Bergson, non ! Si on essaye
de dégager une formule rivale, qu'est ce qu'un bergsonien dira ? Il ne dira jamais « toute conscience
est conscience de quelque chose » pour lui, là aussi je recommence - ça serait une expression vide
de sens. Il va falloir s'expliquer un peu sur ça. Ce qui pour l'un est vide de sens, alors que pour
l'autre c'est plein de sens - qu'est-ce que ça veut dire quand à la philosophie ça. Et c'est évident que
pour Bergson « toute conscience est conscience de quelque chose », et pourtant c'est évident que
entre Bergson et Husserl, entre Bergson et la phénoménologie il y a avait un point d'accord
fondamental. Ce point d'accord fondamental, c'est quoi ? C'est : "nous ne percevons pas les choses
dans notre conscience, nous percevons les choses là où elles sont, c'est-à-dire dans le monde".
Formule de Bergson, très belle formule de Bergson, à cet égard il n'arrête pas de lancer ce thème : «
nous nous plaçons pour percevoir, nous nous plaçons d'emblée dans les choses ». On ne peut pas
mieux dire, il n'y a pas des petites images dans la conscience. Sur ce point, phénoménologie et
Bergson sont complètement d'accord. Il n'y a pas d'images dans la conscience. Il n'y a pas des états
qualitatifs qui seraient dans la conscience et des états quantitatifs qui seraient dans le monde. C'est
pas comme ça que ça se passe.

Nous nous plaçons d'emblée parmi les choses et dans les choses. Bien plus, il allait jusqu'à dire ce
que pourrait signer un phénoménologue : "nous percevons les choses là où elles sont". Si je perçois
l'un d'entre vous, eh bien je ne perçois pas l'image de celui là dans ma conscience, je le perçois là
où il est ! Ma conscience sort d'elle-même. Donc sur ce point, il y a accord absolu entre les
phénoménologues et Bergson ; et c'est le seul point. Car encore une fois bizarrement, jamais
Bergson ne pouvait dire : « toute conscience est conscience de quelque chose » et qu'est-ce qu'il
dirait lui Bergson.. « toute conscience et conscience de quelque chose » On a fini par s'y habituer
parce que même quand on a pas entendu la formule, l'inconscient travaille, on a entendu, on est
formé par elle. Mais comme Bergson a été si fort oublié, hélas, et si fort maltraité par les
phénoménologues qui ont réglé leurs comptes avec lui, car toutes ces choses sont terribles et sont
des combats inexpiables, eh bien, eh bien Bergson n'aurait jamais fait ça ; Si on cherche quelque
chose qu'il aurait pû dire : il aurait dit exactement ceci : "toute conscience "est" quelque chose". Ah !
Quelqu'un qui arrive et qui nous dit : « toute conscience est quelque chose » Alors on lui dit, un
phénoménologue dit quoi, qu'est-ce que tu veux dire ? Tu dis de quelque chose ? « Non, non, non,
pas de quelque chose ! Si vous me mettez un « de quelque chose », tout est faux. Je suis perdu. Ça
ne veut plus rien dire ». Pour Bergson, si je perçois les choses là où elles sont, c'est parce que toute
conscience "est quelque chose", précisément la chose que je perçois. Pour un phénoménologue, si
je perçois les choses là où elles sont, c'est parce que « toute conscience est conscience de quelque
chose », c'est-à-dire vise la chose dont elle est conscience. L'abîme est immense. Je ne l'ai pas
encore expliqué cet abîme. Donc j'ai un soupçon ; il faut quand même que je fasse une courte
parenthèse sur ceci : quelle est la situation de cette discipline, à savoir la philosophie où donc il y a
comme on dit des avis tellement partagés ; Comment expliquer que Bergson n'a pas connu les

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phénoménologues ? Peut être est ce qu'il a lu un peu de Husserl, on ne sait pas très bien mais je
pense qu'il en a lu ; mais ça n'a pas dû l'intéresser fort. En revanche les phénoménologues, parce
qu'il venait après, beaucoup sont venus après Bergson ils connaissaient bien Bergson. Ils lui ont
réglé son compte d'une manière très, très, c'est de bonne guerre vous savez. Ils lui devaient comme
même pas mal, alors bon, mais il y a une raison plus noble.

J'entends bien que la philosophie n'a jamais été affaire de goût. Que bien plus, la philosophie a peu
de chose avoir avec une succession de doctrines qui varieraient. Et pourtant, c'est très vrai que les
philosophes sont très peu d'accord. Mais qu'est-ce que ça veut dire ça ? Moi je crois, je crois très fort
à la philosophie comme, vraiment comme discipline rigoureuse, c'est-à-dire comme science. Il suffit
simplement de se dire bon, dans la science, ou bien de faire une image ridicule de la science, dans
la science réelle, comment ça se passe les choses ?

lorsque j'ai introduit, et ça il faut que vous en teniez compte toujours, lorsque j'ai introduit par
exemple ce thème de l'expressionnisme la dernière fois, c'était comme exemple de montage parmi
trois sortes de montage.

Déjà, certains d'entre vous ont bien voulu avoir des réactions intéressantes. Une de ces réactions
consistant à me dire : oui d'accord, mais finalement le vrai montage et la vraie force du montage elle
est au niveau du montage intensif, c'est-à-dire dans le troisième type de montage ; et les autres
montages ne sont vraiment du cinéma que lorsqu'ils recueillent quelque chose de l'intensité. Bon ;
mais pour moi le montage expressionniste, je le définissais uniquement par ceci, à savoir : étant
donné la question, comment un mouvement relatif dans l'espace peut-il exprimer un changement
dans un tout ? Ce qui était notre problème, la réponse expressionniste ce sera : est bien, le
mouvement relatif dans l'espace peut se rapporter et rapporter les objets à un tout, c'est-à-dire a un
changement dans le tout, sous quelle condition ? Sous la condition qu'on dégage une intensité du
mouvement.

Bon c'est à partir de là que Comtesse enchaîne sur la question de la matière, de la chute dans la
matière de la santé et de la maladie. Je dis qu'il a complètement raison et que c'est ça la
métaphysique de l'expressionnisme ; et que ma question ce serait ceci : est -ce que c'est bien,
comme dit Contès, au niveau de l'image mouvement que déjà l'ensemble de ces problèmes, que je
ne prétendais pas poser, peut être posé, ou est-ce qu'il faudra pour arriver à leur pleine position faire
intervenir déjà la seconde nature de l'image dont je vous ai proposé de remettre l'analyse à
beaucoup plus tard, à savoir l'image volume. Au point que la métaphysique comme cinéma, ne se
jouera pas simplement au niveau de l'image mouvement ; mais évidement dans le rapport du volume
et du mouvement ; et que c'est seulement là que pour compte je pourrais rejoindre des thèmes
comme celui de Contès là c'est-à-dire la question de la pensée, la question de la maladie, la
question de tout ça ; mais sur tout ce que tu dis, moi tout me va, tout me parait parfait. Pour moi je
ne pourrais arriver là où tu en es que dans assez longtemps, en vertu de ce problème qui me soucie
de : Est-ce qu'il y a bien deux types d'images, etc...et comment est -ce qu'on passe de l'un à l'autre,
et en quoi est -ce que ce serait ça le tout du cinéma, mais sinon parfait, parfait. Dans la mesure où
des cinéastes comme Pasolini, Marguerite Duras ou bien Godard ont posé la question du cinéma
comme question de l'absence de mouvement, dans l'image mouvement elle-même.

Deleuze Complètement. Mais ça, l'absence de mouvement au cinéma, je crois qu'on est en train de

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s'armer pour comprendre tout à fait, ça ne nous fera pas grande difficulté ça. Même là, ce serait une
objection bénigne, qui n'en fait pas une objection que nous dire l'absence de mouvement qu'est-ce
que vous en faites ? Ça c'est une question facile.

Suite à l'idée qui a été introduite ce matin de l'image volume, je me demande si ce n'est pas aussi
une question prématurée Oh oui ! , Sûrement, mais on peut lancer comme ça une question qui
prendra son sens plus tard ; vous avez raison, oui c'était prématuré.

Moi je disais une chose très très simple, quand en effet ce qu'on appelle un producteur idéal, je
conçois assez la possibilité de quelqu'un qui dise : Oui j'ai l'idée d'un film : je ne le fais pas. Ce n'est
pas à moi de le faire ! Mais le producteur, c'est quelqu'un qui peut avoir l'idée d'un film, et ça fait un
moment que j'avais besoin de cet exemple puisque c'était un moment où on essayait de dire ce que
c'est qu'une idée au cinéma. oui avoir l'idée d'un film, c'est possible. D'ou la situation effet Hollywood,
où des producteurs pouvaient avoir des idées de films et là dessus prendre traiter les metteurs en
scène comme des espèces de domestique : Allez, tu vas réaliser ça, allez fais - le ! Et puis s'il ne le
faisait pas bien ou s'il faisait une autre idée, s'il essaye une autre idée ; Ah non tu arrêtes ! On prend
un autre metteur en scène.

Ce n'était pas du tout pour défendre ce régime si dur que je disais ça, mais c'était pour, en
fonction de mes trois aspects de l'image mouvement marquer en quel sens ces trois aspects,
c'est-à-dire les objets, le mouvement et le tout, comment ces trois aspects étaient perpétuellement
inséparables et pourtant on pouvait être effectués par des fonctions différentes. Fonction cadreur
décorateur, fonction metteur en scène, fonction producteur ou bien ça pouvait être réuni dans le
même personnage ; tout comme tout ça c'est des différences d'accents vous comprenez. C'est bien
entendu que les trois montages que j'essayais de distinguer, les trois types de montage, ils pénètrent
tout le temps mais il y a un accent émis particulièrement tantôt sur la quantité de mouvement, tantôt
sur l'intensité de mouvement tantôt sur l'opposition de mouvement, tout ça. IL y a des metteurs en
scène qui attachent plus ou moins d'importance au cadrage, d'autres plus ou moins d'importance au
plan et au découpage, d'autres plus ou moins d'importance au montage, tout ça. C'est comme des
pôles, ce n'estpasdes choses séparées. Alorsvoila, nousallonscommencer notre secondepartiesur
cette histoire de l'analyse de l'image-mouvement.

Question de l'assistance :
Il me semble que l'œil n'est qu'un écart, qui porte comme une prolongation du corps vers l'image
au point tel que je m'étais dit finalement si vous prenez les trois aspects de l'image mouvement, le
dernier aspect, l'affection, je me dis que voilà, quand on est dans l'affection d'un humain au
mouvement, l'image mouvement devient aussitôt une image volume, c'est-à-dire le volume de mon
corps.

Réponse de Gilles Deleuze Je vais vous dire, c'est un excellent exemple parce que c'est un peu
ce que je souhaite dans mes rêves. Vous avez tous les droits. Alors dans la mesure où vous avez
tous les droits, à partir du point où on en est une fois dit que vous écoutez très bien, vous devancez,
vous prolongez, vous avez parfaitement le droit. Alors, bien, vous venez de dire quelque chose où
vous prolongez complètement. Moi je fais une besogne un peu bizarre Je dis oh ! Bon, d'accord, si
vous voulez, csi c'est ça votre direction ; moi loin, loin de moi l'idée de - et puis je ne pourrai pas
même si je le voulais - je ne pourrai pas vous empêcher d'aller dans une direction. Mais si je

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reprends chaque mot de ce que vous venez de dire : je dis, et vous le savez sans doute autant que
moi, ce n'est pas la question est - ce que moi je suis d'accord ou pas, je ne serai pas d'accord, sur
aucun point, mais c'est secondaire ça ; de ce que vous avez dit, c'est intéressant que ce soit. Je dis :
ce que vous venez de dire est une série de formulation absolument étrangères et bien plus, dirigées
contre Bergson . Si je schématise en termes pédants, en termes savants, vous êtes un bon
phénoménologue et vous êtes un déplorable bergsonien. Car Bergson à cet égard va tellement loin
que si c'est ça qui me reste, que je voudrais essayer de montrer aujourd'hui, c'est que la proposition
selon laquelle l'image mouvement présuppose un œil auquel elle renvoie est une proposition pour
Bergson absolument vide de sens ; pour une raison très simple, c'est qu'il vous dira : mais l'œil,
qu'est-ce que c'est ? C'est une image mouvement.

Alors si l'œil c'est une image mouvement parmi les autres, l'image mouvement ne me renvoie
évidemment pas à l'œil. En revanche, un phénoménologue dira ça et mon problème, ça l'introduit
très bien, c'est ce que Bergson n'a pas, une immense avance par rapport à la phénoménologie.
Evidemment, ça c'est des questions, à un niveau alors ça devient des questions d'attirance pas de
goût. On ne peut pas dire n'importe quoi mais vous verrez vous-même. Je ne prétends pas vous
rendre bergsoniens ; mais en tout cas, je prétends dire à ce qu'il vient de formuler très bien que c'est
une thèse phénoménologique qui n'a rien avoir avec les thèses bergsoniennes c'est un point de vue
qui justement ne répond absolument à rien chez Bergson, c'est même ça qui rend Bergson tellement
insolite. D'où, encore faut y voir et pour ça je dois et je ne cesse de m'excuser à nouveau, je dois
commencer par une courte séquence de l'histoire de la psychologie. Pour que vous compreniez le
problème.

Pour une fois notre problème c'est devenu analyse de l'image mouvement. Et je dis, il est bien
connu, et on nous le dit dans tout les manuels et tout le monde le sait, et si on ne le sait pas ce n'est
pas grave, que, il y a eu longtemps une psychologie dite classique et que cette psychologie
classique a buté sur une espèce de crise. C'est qu'on crée tout d'un coup des conceptions qui vont,
qui durent un certain temps et puis qui connaissent un point de crise ; c'est-à-dire qui remontrent une
difficulté qui jusque là pouvait être diluée et qui dans des conditions données, quelles conditions ?
C'est curieux, ne peuvent plus être esquivées. Et contrairement à ce qu'on dit alors, à ce qu'on dit
souvent, je ne crois pas que la psychologie classique ait rencontré son écueil sur les problèmes de
l'associationnisme. Ça n'a aucune importance ce que je dis, c'est pour ceux, vous voyez là, on est
dans une salle où les gens sont très différents ; il y en a qui font de la philosophie, d'autres pas. Ça
n'a aucune importance si vous ne comprenez pas tel moment, vous recomprendrez après, aucune
importance. Mais je dis, ce n'est pas l'associationnisme qui a liquidé la psychologie classique.

C'est quoi ? C'est que les psychologues du 19ème finissaient par ne plus pouvoir esquiver un
problème. Problème effarant pour eux que je pourrai résumer sous forme d'un quoi ? L'image et le
mouvement. Qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qu'on va faire ? Ce n'est donc pas l'associationnisme
qui été leur écueil, c'est : les rapports de l'image et du mouvement. Pourquoi ? Parce que finalement
toute cette psychologie tendait vers une distribution du monde en deux ; deux parties, et deux parties
tellement hétérogènes qu'établir une soudure devenaient comme impossible. D'une part, dans ma
conscience il y avait des images (c'est comme si je faisais une ébauche si vous voulez de la situation
de cette psychologie) et ça voulait dire quoi ? Ça voulait dire des représentations qualifiées, et plus
profondément des états qualitatifs inétendues. Une image était une donnée qualitative inétendue de
la conscience. Elle était dans la conscience. Et d'autre part, il y avait dans le monde quoi ?

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Dans le monde il y avait des mouvements ; et des mouvements c'était des configurations et
distributions variables quantitatives et étendues. Voilà, sentez que la crise n'était pas loin. La crise
n'était pas loin, mais comment elle va se produire la crise ? Peut -être que la crise va devenir
inévitable ; que jusque là il pouvait colmater les difficultés ? La crise devient de plus en plus urgente
quand quoi ? Quand l'analyse du mouvement et la reproduction cinématographique s'affirment dans
le monde ? Peut-être que ça a été ça un des points de crise de la psychologie classique. On ne sait
pas, faudrait voir. L'introduction en psychologie expérimentale de films, tout ça. Ils se sont trouvés
dans une situation incroyable. Comment faire ? Ça marche comme ça des choses de la théorie.
Comment faire ? Est-ce qu'on peut maintenir l'idée qui est dans la conscience des images : état
qualitatif inétendu et dans le monde des mouvements ? Qu'est-ce qui faisait difficulté de toute
manière, dans les deux sens ? Si je dis, eh bien vous comprenez c'est pas difficile, dans votre
conscience il y a des images qui sont des états qualitatifs inétendus, et puis dans le monde il y a des
mouvements qui sont des états quantitatifs étendus. Si je dis ça, d'accord mais qu'est ce qui se
passe, même dans la perception ? Un organe d'essence reçoit un ébranlement, c'est du mouvement,
d'accord. Et tout d'un coup ça se transforme en image. J'ai une perception, tout d'un coup, mais
quand ? Où ? Comment ? Comment est-ce qu'avec du mouvement dans l'espace, vous allez faire
une image et inétendu qualitative ? Comment ça peut surgir ça ? Tout ça, ça fait de rudes
problèmes, Dans l'autre sens, vous avez toutes les difficultés concernant dans l'autre sens c'est quoi
? L'autre sens c'est la volonté et l'acte volontaire. Vous êtes censés avoir une image dans la
conscience, et puis vous faites des mouvements. C'est un acte volontaire.

Mais comment qu'une image dans votre conscience a donné du mouvement dans l'espace ? Quel
rapport il peut y avoir entre deux natures aussi irréductibles, aussi hétérogènes que des images
définies comme état qualitatif inétendu et des mouvements définis comme état quantitatif étendu ? Si
dans l'acte volontaire l'image donne lieu à un mouvement de votre corps, par exemple vous voulez
éteindre la lumière, vous faites un mouvement. Complexe alors. Comment expliquez ça, sinon parce
que déjà l'image, elle n'est pas seulement dans votre conscience, il faut bien aussi qu'elle soit dans
les muscles de votre bras. Qu'est-ce que c'est alors une image dans les muscles de mon bras ? Il y
aurait des petites consciences ? Oui pourquoi pas ; on peut le dire. Il y a des auteurs qui on écrit des
pages admirables sur ces petites consciences organiques ; mille petites consciences dans mes
muscles, mais sous - muscles, mes nerfs, mes tendons ; mais c'est bizarre ces consciences hein ! ;
c'est curieux. Et inversement dans l'autre sens, un mouvement vous ébranle et puis ça donne une
image dans votre conscience.
Comment ça peut ce faire sinon parce que votre conscience elle-même, elle est parcourue de
mouvements. Bon de tous les côtés c'est une situation de crise vous voyez si je résume cette
situation de crise qui a mon avis a donné un coup fatal à cette psychologie du 19ème siècle encore
une fois, ce n'est pas à mon avis le problème de l'association des idées et de l'inexactitude d'un
compte rendu de la vie psychique à partir de l'association, c'est en fonction du rapport devenu
impossible entre les images et les mouvements quand je définis les images comme des états
qualitatifs dans ma conscience et les mouvements comme des états quantitatifs dans le monde. Et
comment c'est fait, dans cette situation de crise comme c'est fait ? Comment se sont faites les
tentatives pour sortir de la crise ? Les tentatives pour sortir de la crise c'est bien connu se sont faites
de deux manières, c'est-à-dire sous deux coup de génie successifs, mais inconciliables.

Le premier, ce fut Bergson. Ce fut Bergson et pas seulement lui. En Angleterre et en Amérique,
en même temps, d'autres auteurs dont William James en Amérique et Whitehed, le grand Whitehead

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en Angleterre Mais Bergson ayant eu, ce n'est pas parce que qu'il est français Bergson que je dis ça,
mais Bergson a eu une importance particulière que je retiens le premier coup, la première rupture, la
première fondation d'une nouvelle psychologie par Bergson. Le second coup, mais en fait ce fût
contemporain, ce fût un courant qui a son origine en Allemagne est qui a été, (là je dis des choses
très rudimentaires, je peux grouper, faire des grands groupements) qui a été tenu par à la fois ce
qu'on a appelé la GUESHTALTE théorie, la théorie de la forme ou de la structure, encore une fois
ces contemporains de Bergson les premiers qui élaborent cette théorie. Et contemporain aussi, la
phénoménologie. Alors ma 1ère question, et ça je voudrais juste à la fois pas traîner là-dessus parce
que c'est juste une impression, je voudrais partir de, je dis c'est inconciliable. La nouvelle
psychologie que propose la phénoménologie et la nouvelle psychologie que proposa Bergson, c'est
pas conciliable.

Pourquoi ce n'est pas conciliable, en quoi ce n'est pas conciliable ? Je voudrais là aussi, puisque
je lance aujourd'hui beaucoup de formules qui ne pourront être justifiées que plus tard, la formule de
la phénoménologie pour sortir de la crise, ça été quoi ? Elle est célèbre, tout le monde la connaît,
tout le monde la répète, tout le monde à un moment l'a répétée ; on ne disait que ça, on la chantait,
ça se chante sur toute les voix : « toute conscience est conscience de quelque chose » Il faut mettre
l'accent sur le « de ». Si vous ne mettiez pas l'accent sur le « de », vous n'étiez pas
phénoménologue. Toute conscience et conscience de quelque chose. Et Sartre lançait son article
célèbre et très beau sur « la conscience n'est pas un estomac dans lequel il y a aurait quelque
chose, la conscience est ouverture au monde, la conscience est conscience de quelque chose ».
Vous voyez ce que ça voulait dire. La conscience est visée de quelque chose hors d'elle, elle ne
contient pas des images en elle. Toute conscience est conscience de quelque chose. Si je le
rapporte à mon cas particulier du mouvement, la crise de la psychologie classique, image et
mouvement comment concilier ça, comment les mettre en rapport, « alors que la psychologie
classique s'interdisait d'une certaine manière de trouver une mise en rapport ; je dirais, ce n'est pas
difficile vous comprenez, »toute conscience est conscience de quelque chose » ça veut dire aussi,ça
ne veut pas dire seulement ceci :toute image est image de mouvement.

Toute conscience est conscience de quelque chose toute image est image de mouvement, ça
voudrait dire quoi ? Ça veut dire, l'image c'est pas quelque chose dans la conscience, c'est un type
de conscience ; qui dans des conditions données vise le mouvement. En termes savants, les
phénoménologues disaient toute conscience est intentionnalité. Ce qui veut dire, toute conscience
est conscience de quelque chose située hors d'elle, elle vise quelque chose dans le monde. Donc
l'image c'est en fait un mode de conscience et pas quelque chose dans la conscience, c'est une
attitude de conscience, c'est une visée ; et le mouvement dans le monde c'est ce que vise cette
conscience. Toute conscience est conscience de quelque chose. Pour Bergson, non ! Si on essaye
de dégager une formule rivale, qu'est ce qu'un bergsonien dira ? Il ne dira jamais « toute conscience
est conscience de quelque chose » pour lui, là aussi je recommence, ça serait une expression vide
de sens. Il va falloir s'expliquer un peu sur ça. Ce qui pour l'un est vide de sens, alors que pour
l'autre c'est plein de sens, qu'est-ce que ça veut dire quand à la philosophie ça et c'est évident que
pour Bergson « toute conscience est conscience de quelque chose », et pourtant c'est évident que
entre Bergson et Husserl, entre Bergson et la phénoménologie il y a avait un point d'accord
fondamental. Ce point d'accord fondamental, c'est quoi ? C'est : nous ne percevons pas les choses
dans notre conscience, nous percevons les choses là où elles sont ; c'est-à-dire dans le monde.
Formule de Bergson, très belle formule de Bergson, à cet égard il n'arrête pas de lancer ce thème : «

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nous nous plaçons pour percevoir, nous nous plaçons d'emblée dans les choses ». On ne peut pas
mieux dire, il n'y a pas des petites images dans la conscience.

Sur ce point, phénoménologie et Bergson sont complètement d'accords. Il n'y a pas d'images
dans la conscience. Il n'y a pas des états qualitatifs qui seraient dans la conscience et des états
quantitatifs qui seraient dans le monde. C'est pas comme ça que ça se passe. Nous nous plaçons
d'emblée parmi les choses et dans les choses. Bien plus, il allait jusqu'à dire ce que pourrait signer
un phénoménologue : nous percevons les choses là où elles sont. Si je perçois l'un d'entre vous, eh
bien je ne perçois pas l'image de celui là dans ma conscience, je le perçois là où il est ! Ma
conscience sort d'elle-même. Donc sur ce point, il y a accord absolu entre les phénoménologues et
Bergson ; et c'est le seul point. Car encore une fois bizarrement, jamais Bergson ne pouvait dire «
toute conscience est conscience de quelque chose » et qu'est-ce qu'il dirait lui Bergson, « toute
conscience et conscience de quelque chose » On a fini par s'y habituer parce que même quand on a
pas entendu la formule, l'inconscient travaille, on a entendu, on est formé par elle.

Mais comme Bergson a été si fort oublié, hélas, et si fort maltraité par les phénoménologues qui
ont réglé leurs comptes avec lui, car toutes ces choses sont terribles et sont des combats
inexpiables, eh bien, eh bien Bergson n'aurait jamais fait ça ; Si on, cherche quelque chose qu'il
aurait pû dire, il aurait dit exactement ceci : toute conscience est quelque chose. Ah ! Quelqu'un qui
arrive et qui nous dit : « toute conscience est quelque chose » Alors on lui dit, un phénoménologue
dit quoi, qu'est-ce que tu veux dire ? Tu dis de quelque chose ? « Non, non, non, pas de quelque
chose ! Si vous me mettez un « de quelque chose », tout est faux. Je suis perdu. Ça ne veux plus
rien dire ». Pour Bergson, si je perçois les choses là où elles sont, c'est parce que toute conscience
est quelque chose, précisément la chose que je perçois. Pour un phénoménologue, si je perçois les
choses là où elles sont, c'est parce que « toute conscience est conscience de quelque chose »,
c'est-à-dire vise la chose dont elle est conscience. L'abîme est immense. Je ne l'ai pas encore
expliqué cela tout de même. Donc j'ai un soupçon ; il faut quand même que je fasse une courte
parenthèse sur ceci : quelle est la situation de cette discipline, à savoir la philosophie où donc il y a
comme on dit des avis tellement partagés ; Comment expliquer que Bergson n'a pas connu les
phénoménologues ? Peut être s'il a lu un peu de Husserl, on ne sait pas très bien mais je pense qu'il
en a lu ; mais ça n'a pas dû l'intéresser fort. En revanche les phénoménologues, parce qu'il venait
après, beaucoup sont venus après Bergson ils connaissaient bien Bergson. Ils lui ont réglé son
compte d'une manière très, très, c'est de bonne guerre vous savez. Ils lui devaient comme même
pas mal, alors bon, mais il y a une raison plus noble.

J'entends bien que la philosophie n'a jamais été affaire de goût. Que bien plus, la philosophie a peu
de chose avoir avec une succession de doctrines qui varieraient. Et pourtant, c'est très vrai que les
philosophes sont très peu d'accord. Mais qu'est-ce que ça veut dire ça ? Moi je crois, je crois très fort
à la philosophie comme, vraiment comme discipline rigoureuse, c'est-à-dire comme science. Il suffit
simplement de se dire bon, dans la science, ou bien de faire une image ridicule de la science, dans
la science réelle, comment ça se passe les choses ?

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 01/12/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 01/12/81 - 2 Page 1/11


transcription : Mohammed Salah

Deleuze / Cours du 01 /12/ 1981. 502 / 4B .

faut voir, par exemple, quand Kant en tant que philosophe, ou quand Leibnitz critique Descartes ou
lorsque Kant critique Descartes, il faut pas croire que ce soit une question de goût, chacun pour
placer sa théorie, non quand même pas. C'est que Kant estime, par exemple, avoir découvert une
manière de poser le problème de la connaissance dont Descartes n'avait pas idée ; et par rapport à
cette nouvelle position du problème de la connaissance, les solutions cartésiennes ne fonctionnent
plus. A ce moment là, en effet il ya "discussion", parce que vous pouvez avoir un cartésien, un
disciple de Descartes, qui dit "attention !" : moi je vais construire un tel problème de telle manière,
que tenant compte des acquis récents, les solutions de Descartes doivent ètre réactualisées. Donc,
comprenez, il peut très bien y avoir des "polémiques" en philosophie, elles ne dépendent absolument
ni de l'humeur, ni du goùt, mais elles ont une rigueur scientifique égale à ce qui se passe dans les
sciences les plus pures, en mathématiques, en physique, etc. ; Et vous ne pouvez jamais juger d'une
théorie philosophique si vous la séparez du cadre des problèmes qu'elle pose, et elle ne résoud que
les problèmes qu'elle pose. Changer la nature d'un problème, vous ne pouvez pas rester dans le
cadre de telle théorie.

Alors, qu'est-ce-que ça veut dire, etre bergsonien par exemple aujourd'hui, ou être platonicien
aujourd'hui ? C'est considérer qu'il ya dans Platon, Bergson, ou dans n'importe qui, des conditions de
problèmes qui se révèlent encore, aujourd'hui, bien posées. Dès lors, des solutions de type
platoniciennes sont possibles. Mais donc, tout ceci c'était une remarque pour dire : ce qui se joue
dans les discussions entre philosophies, est infiniment plus important que des disputes théoriques -
c'est pas des disputes théoriques, Je dirais, à la lettre, si vous m'avez compris : ce sont des
discussions "problématiques", à savoir concernant les problèmes, leurs conditions et leurs positions.

Et c'est pour ça que je voudrais dire, si je prends deux formules - je reviens à ma question : La
formule phénoménologique : "toute conscience est conscience de quelque chose", et la formule
bergsonienne "toute conscience est quelque chose", avant mème d'avoir - encore une fois, il n'est
pas dans Bergson, mais vous verrez en lisant Bergson, je ne fais que résumer une thèse évidente de
Bergson.
Voilà ma question : s'il y a une telle différence - avant mème que nous ayons compris la formule
bergsonienne - s'il y a une telle différence que nous sentons - que nous pressentons entre les deux
formules, c'est évidemment qu'il ne pose pas le problème dans les mèmes conditions. Alors là, si
j'essaye de dire : "quelles conditions du problème, pour l'un comme pour l'autre" - là dessus je n'est

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mème pas ..., je ne prétendrais mème pas vous dire qui a raison. J'aurais prétendu faire mon métier,
à savoir vous mettre en état de voir ce que "vous", ce qui vous convient "vous", peut être ce qui vous
conviendra vous, ce sera encore une autre position de problème, à ce moment là vous la ferez et à
ce moment là vous serez un "bon" ou un "grand" philosophe. Bien, mais jamais une idée sans
détermination du problème auquel l'idée correspond. Jamais, sinon c'est du bavardage, sinon c'est
de l'opinion, et l'opinion c'est intéressant mais très moderément intéressant. Toute phrase qui se
trouve, qui peut s'énoncer sous la forme logique, "moi je trouve que", est philosophiquement nulle .

Alors, vous voyez, le soupçon que j'ai c'est ceci - et comme je vous cache pas ma préférence - c'est
que Bergson est très très en avance, l'air de rien sur la phénoménologie. Et que le problème qu'il
pose est finalement beaucoup plus englobant, beaucoup plus subtil que celui de la phénoménologie.
Aussi je vais allez très vite sur la phénoménologie, pour dire ne serait-ce que par ingratitude,
sournoiserie et je suppose que... Je dis, comme-mème, il s'agit de quel problème dans le fond ?
"Toute conscience est conscience de quelque chose, toute image est image de mouvement". Au
contraire, Bergson :" toute conscience est quelque chose, c'est-à-dire, toute image est mouvement".
Vous voyez ? il ya pas besoin de dire toute image est mouvement, toute image est déjà mouvement.

Bon, quel est l'enjeu, quel est le problème là-dans ? C'est évident qu'il s'agit toujours d'un
problème de la reproduction du mouvement. Et pour une raison simple, c'est que la question de la
reproduction du mouvement et la question de la perception du mouvement, ne font strictement qu'un
- j'ai essayé de le montrer dans nos premières scéances. Donc, je ne reviens pas là-dessus .

Or je demande : quel est le modèle de la reproduction du mouvement pour la phénoménologie ?


Pas difficile : le modèle de la reproduction du mouvement pour la phénoménologie : ils se donnent la
"perception" dans les conditions dites naturelles, et leur tâche précise c'est faire une description,
c'est-à-dire, une phénoménologie au sens exact du mot de cette perception naturelle. Mais la
perception naturelle reproduit le mouvement, comme le reste, il s'agit toujours d'une reproduction.
Ma question c'est simplement : si la phénoménologie prétend etre une description de la
perception naturelle du mouvement, à quel type de reproduction du mouvement se refère t-elle ?

En douce, implicitement, nous la tenons puis-je dire, car ... il se réfère à quoi ? Prenons les textes.
Je prends le cas de Merleau-Ponty, il a fait un livre célèbre, un des plus beaux livres de la
phénoménologie, intitulé : "Phénoménologie de la perception". Quand il s'agit de la perception du
mouvement, il se réfère à deux choses fondamentales, deux grands concepts pour expliquer la
perception naturelle du mouvement. C'est selon Merleau Ponty, le concept d'ancrage :" nous
sommes ancrés quelque part". C'est une version de ce que les phénoménologues appellent "être
dans le monde", ou "être au monde", nous sommes ancrés - l'ancrage . Et d'autre part - mais les
deux vont ensemble - la meilleure forme, "la meilleure forme" qui est une notion qui va parcourir
toute la phénoménologie et qui est empruntée à la Geschtalt Theorie, mais entre phénoménologie et
Geschtalt les communications étaient nombreuses.

Qu'est-ce que ça veut dire ?

Je prends un texte, - là j'ai pas le temps de commenter parce on y sera encore .... Dans l'édition ...,
voyez 322, 323 : "la pierre vole dans l'air" - voilà un exemple - que veulent dire ces mots sinon que
notre regard installé et ancré dans le jardin - Vous voyez, vous êtes dans votre jardin, et il y a a une

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pierre qui passe, vous dites : ouh là là... Que veulent dire ces mots sinon que notre regard installé et
ancré dans le jardin est sollicité par la pierre ; et pour ainsi dire, tire sur ses ancres. C'est bien dit,
c'est une belle phrase. Or, la relation du mobile à son fond passe par notre corps - à quel point vous
étiez phénoménologue, hein ? - mon regard est ancré, pas seulement mon regard, mon corps est
ancré dans le jardin, la pierre traverse le champ. Et je dis que c'est la pierre qui se meut. Qu'est-ce
que ça veut dire ?

Compte tenu de cette organisation du champ perceptif par l'ancrage, appréhender la pierre comme
en mouvement c'est la meilleure forme. Comme disaient les geschtaltistes, c'est la seule forme
"prégnante" en fonction de l'organisation du champ total. Et Merleau-Ponty continue : Qu'est-ce au
juste que l'ancrage ? et comment constitue-t-il un fond en repos ? Le fait : tout ancrage
accompagne..., suppose un fond en repos. Qu'est-ce au juste que l'ancrage ? et comment
constitue-t-il un fond en repos ?" Ce n'est pas une perception explicite. En effet, ça va être une
condition la perception, ce n'est pas une perception explicite. Les points d'ancrage lorsque nous
nous fixons sur eux, ne sont pas des objets. Le clocher ne se met en mouvement que lorsque je
laisse le ciel en vision marginale. Il est essentiel au prétendu repère du mouvement de n'être pas
posé dans une connaissance actuelle et d'être toujours "déjà là", etc., etc. "Les cas de perception
ambigues où nous pouvons à notre gré choisir notre ancrage, sont ceux où notre perception est
artificiellement coupée de son contexte", etc.,etc. il faudrait lire toute la page, je vous y renvoie pages
322-324.

Ce que je veux en tirer c'est une chose très très simple, et même si je me trompe ça n'a aucune
importance - c'est comme pour mon amusement pas pour le vôtre. Je me disais bon, mais les
phénoménologues - justice à Bergson, vengeance de Bergson, l'heure arrive.. Bon, je remarque leur
obstination à revenir quand il s'agit de la perception du mouvement à un type de mouvement
particulier : le mouvement stroboscopique. J'ai pas le temps de développer là, c'est pour ceux qui
savent déjà. J'ai vu dans beaucoup d'histoires, et beaucoup dans l'histoire du cinéma que, le
mouvement stroboscopique était considéré comme une base de la perception cinémtographique du
mouvement. J'ai des soupçons absolus là-dessus, ça me parait pas du tout aller de soi..., mais ça
me parait absolument faux. Peu importe. Je remarque le modèle du mouvement émis par les
phénoménologues est emprunté au mouvement dit stroboscopique et pas au mouvement
cinématographique. Je remarque que Sartre dans l'imaginaire, commence par une série d'exemples,
d'images, qui couvrent beaucoup de choses. Puisqu'il y a des images-photos, il y a des
images-théatre, il y a des images-marc de café, il y a des images-rêverie, il n' y a rien sur
l'image-cinéma. Curieux ! Qu'est-ce que je veux dire, où je veux en venir ? Que dans le problème de
la reproduction du mouvement - que quelque soit, je ne vais pas dire des choses trop simples, que
c'est pas bien tout ça je veux dire quelque soit la nouveauté de la phénoménologie, la manière dont
ils posent la question de la reproduction du mouvement, donc de la perception, nous renvoie à la
première manière, c'est-à-dire, la manière pré-cinématographique. Ils sont d'avant le cinéma.

Voilà la vérité abominable que je vais vous révèler aujourd'hui : la phénoménologie est d'un âge
avant le cinéma. C'est terrible, parce qu'ils ont cru etre absolument dans..., c'est terrible... C'est pas
possible une chose comme ça. Eh ben, si ! parce que je dis, c'est la reproduction du mouvement
"première manière". Vous vous rappellez si vous avez suivi, ce que c'est que la première manière,
reproduction du mouvement : c'est reconstituer le mouvement à partir de quoi ? à partir d'instants
privilégiés, c'est-à-dire, de formes en train de s'incarner. Reconstituer le mouvement non pas à partir

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d'intantanés, mais à partir d'instants priviligiés de formes en train de s'incarner, ça renvoie à quoi ?

Dans l'antiquité, ça renvoyait à des formes en elles-mèmes intelligibles. Là, je pèse bien mes mots.
Ca renvoyait à des formes essentielles ou intelligibles, éternelles, tout ce que vous voulez. Ca
renvoyait donc à des coordonnées intellectuelles.

La phénoménologie rompt avec ça, elle rompt radicalement avec ça, mais comment ? Avec cette
vision ancienne mais en gardant tout. Car j'entends bien que pour elle les coordonnées ne seront
plus des coordonnées intellectuelles, se seront des ancrages existentiels. D'accord, ça sera des
ancrages existentiels, mais je ne dis pas que ça soit la mème chose. Les formes en train de
s'incarner ne seront plus des formes intelligibles, se seront des formes immanentes au champ
perceptif, c'est-à-dire, des geschtaltons. D'accord, la différence est immense, elle n'est pas assez
grande pour rompre avec quelque chose de commun entre la vision la plus ancienne et la vision
phénoménologique, à savoir : "on reproduit le mouvement avec et en fonction de coordonnées et de
formes'. On a changé le statut des coordonnées pour en faire des ancrages existentiels, on a changé
le statut des formes pour en faire des formes immanentes ou sensibles renvoyant à l'organisation
d'un champ perceptif pur qui ne renvoie plus à rien d'intelligible ; On a fait tout ça, on continue à
reconstituer le mouvement à l'ancienne manière avec des coordonnées et des formes. Dès lors, c'est
forcé : toute conscience est conscience de mouvement.

Je dirais, oui, la phénoménologie c'est vraiment avant le cinéma. Et en effet, qu'est-ce qu'ils veulent
? ça s'explique tout simplement, je veux dire ce n'est pas parce qu'ils ignorent le cinéma. Ca
s'explique tout seul, comprenez-moi, parce que en vertu de ce qu'ils veulent. Ce qu'ils veulent, et
c'est ça leur problème, ce qu'ils veulent : c'est une description pure de la perception naturelle. Quand
j'ajoute" pure" à "description", je veux dire : il ne s'agit pas de prendre sa plume, etc., description
pure implique une certaine méthode que Husserl a formalisé quand il a parlé de la méthode
phénoménologique, que j'ai pas le temps d'expliquer tout ça, et puis ce n'est vraiment pas mon sujet.
Mais c'est ça qu'ils veulent :" une description pure de la perception naturelle".

Bon voilà, fini pour la Phénoménologie. Je suggère - ne me le faites pas dire, parce que ça serait
trop léger, entendez tout ce que je viens de dire comme une question. Mais après tout : est-ce que la
phénoménologie n'en resterait pas à un monde très antérieur au cinéma ? Il tient pas compte - alors
aprés il a beau nous parler nous parler du cinéma, alors il ne nous parle pas jamais du cinéma, mais
il nous parle du mouvement troboscopique - Husserl alors, il n'avait jamais été au cinéma ; Bergson
n'on plus, pas beaucoup, mais... le Dimanche, de temps en temps, mais ...il avait beaucoup mieux
compris le cinéma. C'est très bizare, à mon avis Bergson est coincé, il est coincé entre sa
condamnation de principe du cinéma : à savoir c'est pas du "vrai" mouvement, et son appel à une
nouvelle métaphysique où il prétend très fort que le cinéma est la plus belle contribution à cette
nouvelle métaphysique. Il a saisi quelque chose, il me semble, que les autres avaient pas saisi. Et
qu'est-ce qu'il a saisi ? Lui en effet, il nous lance et c'est tout le premier chapitre de "Matière et
Mémoire" - il le dit pas, il le dit pas je doit le reconnaitre, mais ça fait rien. Ce qu'il dit formellement,
ce qu'il va se lancer dans le premier chapitre de "Matière et Mémoire" dans un tout autre mode de
production de mouvement. Pour lui, il en reste là : la science moderne a dégagé le temps comme
variable indépendance, c'est-à-dire : l'analyse du mouvement se fait non plus en fonction d'instants
privilégiés, c'est-à-dire avec des formes et des coordonnées mais en fonction de l'instant
quelconque, c'est-à-dire, avec des instants equidistants. Il faut trouver la métaphysique de cette

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science là. Bon, s'il en est là, lui il est pleinement - lui ça ne l'interesse plus du tout une reconstitution
du mouvement mème avec des formes proprement sensibles et des coordonnées existentielles. Ca
ne l'interesse pas de tout, c'est pas son problème car son problème ne peut pas être comme celui de
la phénoménologie, décrire purement une description naturelle du mouvement. Son problème va être
quoi ? quelque chose de beaucoup plus insolite - je l'exprime comme ça, ça va s'éclairer petit à petit,
j'espère - déduire une perception du mouvement pur, et encore une fois la perception naturelle n'est
absolument pas une perception du mouvement pur, la perception du mouvement pur, on est encore
à sa recherche.

Et l'idée de Bergson c'est exactement : est-ce que : à partir - vous voyez bien que là le problème se
ramifie - à partir de l'image-mouvement telle nous l'avons définie, gràce à Bergson, est-ce que je
peux en déduire une perception pure du mouvement ? C'est un problème complètement différent.
dans un cas : comment decrire une perception naturelle du mouvement ?
dans l'autre cas, comment déduire une perception pure du mouvement ? Je dirais, au premier
problème répond la formule : "toute conscience est conscience de quelque chose". Et si c'est le
premier problème qui vous interesse, vous vous trouverez phénoménologues avant d'avoir compris
pourquoi. Si jamais un jour le second problème vous intéresse, vous risquez bien de vous retrouver
bergsonien sur ce point, ce qui engagera pas votre ligne et votre avenir. Et en tout cas, vous
cesserez de dire :" ah Bergson ou Husserl se contredisent". Car ils se contredisent absolument pas ;
en un sens moins grave, en un sens bien pire : ils ne posent pas le mème problème. Savoir quel est
le meilleur problème là alors ? c'est votre affaire, l'affaire de chacun. Et de ces deux problèmes,
lequel vous plaît le plus ? Vous allez me dire les deux, ou certains de bonne volonté, les deux.
Impossible, car ces problèmes empiètent tellement l'un sur l'autre que dans le premier cas, le second
problème va devenir une conséquence lointaine du premier ; et dans le second cas c'est juste le
contraire. Vous ne pouvez pas choisir les deux. D'où nous sommes renvoyé alors et enfin, nous
sommes en mesure, après juste cette suggestion : "peut être que" Bergson, là je viens justifier ce ..
peut être que Bergson est beaucoup en avance et que c'est le seul à avoir posé un problème de la
perception du mouvement parfaitement adéquat à l'image cinématographique. Vous me direz, il n'y a
pas de quoi en faire... Ben si, peut être, peut être que la pensée du cinéma dès lors, a encore plus à
attendre de Bergson que nous le pensions, que nous croyons. Tout ça c'est pas grave de toute
manière.

D'où, oublions tout ça, c'était des présupposés, des espèces d'introductions et reprenons. Alors,
comment il va faire ? Admettons : de l'image-mouvement il veut déduire la perception pure du
mouvement - la perception pure du mouvement n'étant pas la perception naturelle. A ce moment là,
oui ! le cinéma a quelque chose à faire avec Bergson ; les autres, ils peuvent se contenter du
mouvement stroboscopique.

Ouf vous êtes fatigués ? je continue - si vous l'êtes, je vois vos traits qui se tirent . aussi n'en ai je
plus pour longtemps..

" Toute conscience est quelque chose, toute image est mouvement". Pour comprendre une
proposition, il faut se mettre dans un état supposé par cette proposition. Là aussi, je bute sur ce fait -
ça étonnera pas quelqu'un qui est en train de regarder du cinéma - en revanche ça étonnera
beauoup quelqu'un d'autre. Un phénoménologue, ça l'étonnera beaucoup, "toute image est
mouvement", "toute conscience est quelque chose". Je réponds parce que la prochaine fois en se

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souviendra plus, je réponds à toi, parce que là c'est formidable, mais que personne ne croit que je
fasse une critique facile de la phénoménologie, et que pour te contrarier, c'est pas de tout dans ...,
c'est juste pour essayer de situer des problèmes.

Les phénoménologues sont tellement - c'est pour rire que je dis ça - en retard, qu'ils ont gardé
complètement une métaphore qui est la métaphore de l'oeil. Je dis la métaphore de l'oeil, c'est quoi ?
C'est l'idée qui il y a un sujet, qui a une lumière, ou qui balade une lumière, et que la lumière va de la
conscience aux choses. La conscience, serait de la lumière qui, d'une manière ou d'une autre, se
poserait sur quelque chose, telle chose, ah tiens je regarderai ça,... Vous voyez, l'idée de la
conscience-lumière, les choses dans l'obscurité et le faisceau de la conscience, vous avez donc tous
ses termes dans la métaphore, je dis pas que ce soit une théorie, j'essaye de dégager un appareil
métaphorique. La conscience-lumière ; l'objet dans l'ombre ou dans l'obscurité ; l'acte de conscience
comme pinceau-lumière qui passe d'une chose à l'autre.

Si vous voulez évaluer la nouveauté de Bergson - et à mon avis c'est vraiment le seul à avoir
présenté les choses comme ça - Lui, il dit, eh ben non, c'est juste le contraire ! eh bien : la lumière
elle est dans les choses ; c'est les choses qui sont de la lumière, c'est des choses qui sont lumière,
petite lumière..., petite lumière truc..., petite lumière..., petite lumière partout ! Comme il dit, une
formule splendide de Bergson :"si photo il y a, la photo est déjà tirée dans les choses", si photo il y a
- il y a peu de si belle formule... Simplement qu'est-ce qu'il manque ? c'est l'écran noir. La photo, elle
est tirée dans les choses mais elle est translucide, ce qui manque à la lumière-chose, c'est
précisement l'obscurité.

Vous voyez, c'est le renversement total de la position classique du problème. Et les écrans noirs
c'est nous, c'est-à-dire, nous ce que nous amenons c'est l'obscurité, et c'est seulement grâce à
l'obscurité que nous pouvons dire : "ah oui...nous percevons les choses". S'il n' y avait pas l'écran
noir, on les percevrait pas. Renversement complet, c'est les choses qui sont lumière et c'est nous
l'obscurité, c'est pas nous la lumière et les choses qui sont dans l'obscurité. Si la photo, elle est tirée
dans les choses, seulement elle est translucide. Pour que la photo prenne il faut un écran noir,
c'est-à-dire, il faut qu'on arrive ; mais la photo elle est dans les choses. Bon, c'est très curieux ça, je
dirais alors pour achever ma comparaison avec la phénoménologie : la phénoménologie en reste
absolument à l'appareil métaphorique classique. il change parce qu'il fait tout descendre au niveau
d'un description du vécu, au niveau d'une description du sensible et de l'existant mais il en reste
absolument au niveau de la lumière-conscience. C'est Bergson qui fait le renversement absolu.

Peut être est-ce que vous sentez déjà ? on approche un petit peu de... on tient pas du tout, mais on
approche un petit peu de : "toute conscience est pas de tout conscience de quelque chose", ça c'est
la conception de la conscience lumière : "mais toute conscience est quelque chose". La lumière c'est
pas vous, il n' y a jamais eu une négation du sujet à ce niveau tel que Bergson ...tel qu'on la voit
dans le Bergsonisme.
"Un monde sans sujet", enfin la philosophie nous livrait un monde sans sujet.

Quel auteur, quel penseur ! Bon, mais qu'est-ce que ça voulait dire ? Reprenons plus calme, il ne
faut pas s'emporter dans tout ça, reprenons plus calme vraiment.

"L'image est mouvement" ; voyez, j'essaye de cerner à partir de cette espèce de lumière de la

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formule : "toute conscience est quelque chose", faire le tour, puis bon... on descend d'un cran .
L'image est mouvement, qu'est-ce qu'il veut dire ? C'est quand mème déjà très nouveau, et pour qui
? encore une fois, je reprends ma question - pour qui l'image l'image est elle mouvement ? qui est-ce
qui sait qu'il a raison Bergson, et dans quel cas nous le savons ? En effet, une image, c'est quand
même drôle ... je reviens, je fais mes allées et venues. Dans la psychologie classique, on nous parle
de l'imagination c'est des images quoi ? ou encore Sartre dans l'Imaginaire. "Mon ami Pierre, je
regarde la photo de mon ami Pièrre, alors à travers la photo je vise mon ami Pièrre et je le vise en
tant qu'absent, je ne dis pas que ça soit mauvais tout ça, j'ai pas de tout ...,la nouveauté était
radicale mais sur d'autres points. Alors là, j'ai été malhonnète car j'ai pas dis - je n'ai pas chercher la
nouveauté du problème de la phénoménologie. Et alors, vous comprenez, la photo de mon ami
Pièrre, d'accord, ça bouge pas, mais qui de nous ne sait qu'une image, c'est pas une image si ça...,
c'est peut-être une apparence de souvenir, c'est peut être "je sais pas quoi" mais si ça bouge pas
c'est pas de l'image. Bachelard est absolument Bergsonien lorsque, dans sa tentative de refaire une
théorie de l'imagination poétique, il va commencer par dire : "mais une l'imagination ne peut pas se
définir comme une faculté de former des images, parce que l'image ne commence qu'à partir du
moment où ça se déforme".

Il n'y a d'image que si quelque chose bouge et change, voilà une espèce de certitude toute
simple, c'est pas de la philosophie dire ça, vous pouvez me parler bien sûr - à la lettre, vous pouvez
me dire : mais la photo c'est une image, il ya des images immobiles, vous pouvez me dire tout ça.
D'accord, oui vous avez raison, mais vous m'ôterez pas un petite conviction : s'il n'y a pas une qui
bouge, qui change, il n'y a pas d'image de tout. L'image ça bouge et ça change, qu'est-ce que ça
veut dire ça ? C'est d'une évidence aussi simple, ça veut dire quelque chose, à quoi il en est réduit
Bergson ?. Vous verrez, dans la lettre du premier chapitre, il est assez embété, parce que avec sa
petite certitude : "l'image ça bouge et ça change et sinon c'est pas de l'image". Il est embété parce
qu'il se dit, il prévoit l'objection : "mais de quel point de vue tu parles ? cette question stupide, d'où tu
parles ? de quel point de vue ? Il dit : en effet, c'est pas de la philosophie et ce n'est pas de la
science non plus ça. Il s'en tire comme toujours les philosophes quand ils sont embétés, qu'ils savent
pas bien dire de quel point de vue ils parlent, ils disent c'est le sens commun. Mais le sens commun,
il a bon dos, vous sentez que le sens commun il n'a pas grand-chose à faire la-dedans. Parce qu'il
ne veut pas dire - moi je crois que c'est en vertu de sa situation de coinçage. Il se serait pas coincé
le grand Bergson, il aurait pas été géné de dire : "je parle de tel point de vue", je parle du point de
vue de l'image-cinéma. Eh ben, d'une certaine manière, toute l'imagination a été révélée par le
cinéma, parce que avant le cinéma, les poètes c'était la mème chose. Une image pour eux ça
changeait, ça bougeait, et c'est à partir de là comme dit Bachelard qu'il ya une image poétique. Si ça
change pas, si ça bouge pas, une image qui n'est pas prise dans un voyage, qui ne comporte pas
voyage, qui n'est pas l'image d'un voyage, qui n'est pas un voyage-image, c'est pas une image. C'est
rien, c'est un résidu d'image ; d'accord, la photo de mon ami Pierre c'est un résidu . Bien, alors, toute
image - vous sentez, il s'agit pas de dire : l'image représente un mouvement, en se retrouverait dans
la mème bouillie que la psychologie classique : il y aurait des représentations dans la conscience
mais quel rapport il y aurait entre la représentation et le représenté ? la représentation serait dans
ma conscience, le représenté serait dans le monde ; l'image serait l'image d'un mouvement, ça irait
pas ça. Aussi Bergson reprend avec sa tranquille certitude : "l'image est mouvement". Ah bon,
l'image est mouvement et peut être que le corollaire, on va voir, ça se complique. Et le mouvement, il
est image ? "oui", dit Bergson : l'image est mouvement et mouvement est image. Ah, tiens : l'image
est mouvement et le mouvement est image, et qu'est-ce que c'est cette identité alors ? Il y a le

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coeur, il y a le coeur de nous tous. Oh Bergson ! faites nous comprendre cette identité de l'image et
du mouvement. Il n'y a aucune raison qu'il nous réponde, mais s'il consent à nous répondre, il nous
dira - et ça doit vous éclairer complètement - il nous dira : eh ben "oui", l'identité de l'image et du
mouvement est précisemment ce que vous avez toujours appelé, de tout temps, "la matière".

Matière = image = mouvement, oh, mon Dieu ! Matière = image = mouvement, dès le début du
premier chapitre de Matière et mémoire, nous enseigne cette évidence cinématographique, mais qui,
hors du cinéma, est un paradoxe fondamental. C'est une espèce de paradoxe incroyable, or comme
il se réfère pas au cinéma - coincé comme il est - ça devient très bizarre ce premier chapitre. Et
qu'est-ce qu'il veut dire lorsqu'il dit : matière= image = mouvement ? Prenons au le plus simple avant
de prendre "matière" qui s'introduit dans le troisième terme identiques aux deux autres, image =
mouvement.
Il veut dire ceci une image, ce n'est pas seulement qu'elle subisse une action d'autres images ; ce
n'est pas seulement qu'elle réagisse aux autres images. Une image est strictement identique aux
actions qu'elle subit d'autres images et aux réactions qu'elle opère sur d'autres images. En
d'autrestermes,l'ensemble des images et l'ensemble des actionset des réactions des choses les
unessurlesautres,sontstrictementla mème chose. Il faut se laisser aller, ne demandez pas trop tout
de suite des justifications rationnelles, il faut, votre tàche se serait presque : essayer de trouver la
caverne où tout ça est vrai, le monde où c'est vrai.

Q'est-ce que ça veut dire ? ça veut dire qu'une image a - si vous voulez - pour partie élémentaire...,
qu'est-ce que ça serait une partie d'une image ? une image a pour partie élémentaire les actions
qu'elles subit de la part d'autres images et les réactions qu'elle opère sur d'autres images.

En d'autres termes, une image c'est un ensemble d'actions et de réactions. Dès lors, il y a
évidemment aucune différence entre image et mouvement. L'image dans sa nature la plus profonde
c'est cela : c'est ce "quelque chose qui subit une action", ce quelque chose "qui exerce une réaction".
Si bien que le "Tout" des images ou plutôt l'ensemble des images - puisque j'aimerai garder en toute
rigueur le mot Tout pour tout à fait autre chose sui vant nos séances précédentes - c'est l'ensemble
des actions et des réactions qui constituent l'univers. Conséquence immédiate - mème si vous le
comprenez comme ça - comprenez-le comme ça, axiomatiquement. Je veux dire Bergson a
parfaitement le droit de se donner ce sens du mot image - avant que vous l'ayez compris vous
l'acceptez comme une définition formelle, mème si vous ne comprenez pas encore pourquoi.
Conséquence immédiate de cette identité de l'ensemble des images avec l'ensemble des actions et
réactions qui composent le monde, à savoir une image peut etre perçue, et on sait mème pas ce
qu'est-ce que c'est qu'une image qui est perçue. Pas forcément, une image peut très bien ne pas
etre perçue, en d'autres termes, ces images définies comme l'ensemble des actions et de réactions
constitutives de l'univers, sont des images "en soit" qui ne cessent d'agir les unes sur les autres, et
de réagir les unes sur les autres - là c'est très important ce que Bergson ajoute - sur toutes leurs
faces, ou si vous preferez cela revient au même - dans toutes leurs parties élémentaires. Un monde
d'images en soi qui ne cesse d'agir et de réagir sur toutes ses faces et dans toutes ses parties
élémentaires, voilà ce qu'est l'image-mouvement. Peu importe, dites-moi là-dessus,
l'image-mouvement n'existe pas en ce sens. Si vous aviez le mauvais coeur de dire ça, ce serait
terrible mais bon, je pose pas la question : est-ce que ça existe ? je dis voilà ce que Bergson appelle
l'image-mouvement et dans toute l'analyse d'image-mouvement va dépendre. Vous allez me dire, on
va bien rencontrer le problème, est-ce que ça existe ? oui, on va le rencontrer, mais pas cette fois.

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Bon, alors comprenez déjà...

Mais l'oeil, je reprends ma remarque de tout à l'heure, l'oeil c'est quoi ? d'accord l'oeil, bon, c'est une
image, c'est une image-mouvement. Il se définit comment cette image-mouvement ? Les excitations,
comme toutes les images-mouvement, il reçoit des excitations d'aussi loin qu'elles viennent, d'aussi
loin. Et il y a des réactions - d'après ce que je vois,par exemple, je lève le bras Je vois une pierre qui
m'arrive sur la tète, je fais...,c'est une réaction. Ben, l'oeil c'est un système action-réaction,
c'est-à-dire, c'est une image, une image-mouvement, d'accord dit Bergson. Le cerveau c'est une
image-mouvement, vous, votre personnalité, c'est une image-mouvement, qu'est-ce que vous avez ?
vous êtes des images-mouvement, tout.

S'il y a des choses différentes dans le monde, c'est qu'il y a des types des images-mouvement
différentes, c'est là qu'on arrive à notre problème. Mais, vous comme moi comme le caillou comme
l'oeil, etc., alors comment vous voulez que l'oeil conditionne quoi que ce soit ? mais l'image, elle n'a
pas attendu l'oeil, puisque l'oeil, c'est une image parmi d'autres. Mon cerveau, il contient pas des
images - ça ça fait beaucoup rire Bergson, dire que mon cerveau contient des images exactement
c'est comme cela fera tellement rire Sartre, l'idée que la conscience puisse contenir quelque chose.
Vous vous rendez compte : dire que le cerveau contient des images. Mais..., c'est une image, c'est
une image-mouvement, il reçoit des vibrations, il envoie des vibrations. D'accord, entre les deux,
quelque chose se passe, c'est ça le propre d'une image : elle convertit une image-mouvement, une
image-mouvement, c'est un convertisseur ; ça convertit une action, des ébranlements. Vous me direz
mais il faut quelque chose qui agisse. Non, ce quelque chose c'est une image, une image c'est...,
ben oui, le monde il est fait d'ébranlements et de vibrations, d'accord, tout le monde le sait ça. On dit
non, il est fait d'atomes. Non, il n'est pas fait d'atomes, seuls les atomes peuvent se définir par les
vibrations et les ondes et tout ça. Et les actions qu'ils subissent et les réactions qu'ils opèrent ? tout
est image-mouvement, il n'y a que des images-mouvement en soi. Et vous êtes une
image-mouvement parmi les autres ; Bien plus, chacun de nous en a plusieures
images-mouvements, mais ça va pas loin, on pèse pas lourd. On est une petite image-mouvement
parmi une infinité d'images-mouvements.

Voilà, alors les images-mouvements n'ont absolument pas besoin ni de mon corps ni de mon oeil,
puisque mon corps, mon oeil, mon cerveau, ma conscience, tout ce que j'appelle tout ça, c'est une
image-mouvement un point c'est tout. Là-dessus, dans ce monde universel d'images-mouvements,
c'est-à-dire, d'actions et de réactions, comment Bergson peut il nous annoncer que quelque chose
va se distinguer ? Bien plus, si j'allais jusqu'au bout du Bergsonnisme, pour en finir, je dirais les
vraies perceptions c'est pas moi qui les aies. Qui est-ce qui perçoit à ce niveau si j'en reste à ce
stade ? ce qui perçoit c'est les images-mouvements. Percevoir ça veut dire quoi ? percevoir ça veut
dire qu'une chose : ça veut dire subir une action et renvoyer une réaction, c'est ça percevoir. Les
choses perçoivent en elles-mèmes, elles-mèmes et les autres choses, les choses sont des
"perceptions". Dire que c'est des images-mouvements, dire que c'est des perceptions c'est la mème
chose, comprenez, car ça serait un contresens catastrophique : Il ya un philosophe dans le temps
qui a dit ètre c'est d'etre perçu, il s'appelait Berckeley. Ca n'a aucun rapport Bergson avec Berckeley,
car Berckeley voulait dire les choses sont nos états de conscience. Bergson veut dire juste le
contraire, c'est les choses en elles-mèmes qui sont des perceptions. Le grand philosophe Whitehead
lui disait quelque chose de...,il avait un mot qui me semble encore meilleur que perception. Il disait :
"les choses sont des préhensions". Qu'est-ce qu'une chose préhende ? une chose préhende,

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l'ensemble des actions qui s'exercent sur elles-mèmes.

Bon, il n'y a mème plus de problème de perception pure, la perception pure c'est pas la perception
de quelque chose, c'est la chose elle-mème. C'est dans les choses qu'il y a la perception. Le
problème de la déduction c'est : comment moi, image spéciale, comment moi qui fut qu'une image
parmi les autres, je perçois et je m'attribue de la perception ? Nous vivons dans un monde de
préhensions, ce n'est pas nous qui préhendons les choses, c'est nous qui sommes la préhension
parmi l'infinité des autres préhensions. et ben ecoutez, vous êtes fatigués..

ah complètement là tu as complètemenet raison une seconde s'il vous plait

de la sémiotique j'en parlerai de

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

3- 24/11/81 - 1
Marielle Burkhalter

3- 24/11/81 - 1 Page 1/15


Deleuze - Cinéma cours 3 du 24/11/81 -1

transcription : Marc Ledannois

Intervenant 1 : - La métaphysique de la durée apparaît comme possible sinon nécessaire avec la


prise en compte de la psyché moderne comme science du mouvement, donc on part de ce préalable
(section science du mouvement, métaphysique de la durée) mais il me semble que dans les deux
cas ; on débouche sur (disons) l'intemporalité ou la neutralisation du temps. Dans le cas non limitatif
de la durée, la conception du Tout ouvert nous entraîne dans un sens d'une embrassade sublime à
la kantienne si tu veux, dans l'infinité du temps et de l'autre côté par rapport à la science du
mouvement, ce que tu as appelé (disons) le temps enregistré nous entraîne encore une fois dans le
centre ou dans le lit, que tu as caractérisé par M-E du système ou encore une fois, il me semble, il y
a neutralisation du temps. J'en veux pour preuve (si tu veux), l'impossibilité de traiter dans un cas
comme dans l'autre de la question de l'évènement. On a parlé de l'instant, on a parlé de plusieurs
vecteurs, disons entités de cet ordre, mais pas de l'événement. A mon avis, l'événement semble être
un monstre à la fois pour la métaphysique de la durée comme pour la science du mouvement.
J'évoque cette question parce que Y Vigné et a ce que tu as évoqué aussi : le statut, disons ambigü
du cinéma : science ou art et aussi par rapport à la question de la réalité du cinéma que j'imagine va
être posé, en d'autres termes une fois que tu auras traité de ce cas, je vais pas plus loin parce que
on ne peut pas tout appeler (si tu veux) les conséquences de ça, que tu développes à propos du
cinéma, mais je ne sais pas si c'est juste mais je voudrais avoir ton avis sur cette question.

Deleuze : - Bien, c'est une question, il me semble très intéressante et ça recoupe en partie les soucis
que je me fais, qui sont très nombreux, mais cette question, je dirais à la fois qu'elle porte
effectivement sur ce que nous faisons et qu'elle préjuge un peu de tout ce qui devrait se passer cette
année. Parce que si je traduis - et tu n'as pas tort sous forme d'une espèce d'objection immédiate -
et cette objection ça revient à dire : aussi bien du côté de l'instantanéité de l'image, que du côté de la
durée prétendument reconstituée :
Est-ce qu'il y a vraiment position d'un temps réel et notamment critère d'un temps réel ?
Est ce qu'il y a une véritable compréhension de ce qu'il convient d'appeler une instance très
bizarre qu'il faut appeler l'événement ? Je dirais presque - je peux dire d'avance oui, moi je crois que
oui mais faudrait encore, tu vois je suis incapable de le dire en quelques phrases. C'est le sujet de
l'année - alors que tu aies des doutes, à mon avis c'est de très bons doutes - oui ça on en est
presque là... et est ce que c'est du temps réel ?
Qu'est ce que cette métaphysique de la durée ?
Est ce que son ouverture, est ce que l'ouverture dans ce qu'elle se réclame ne nous conduit pas à

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une nouvelle fermeture ?
Est ce que l'événement ne continue pas à lui échapper ?

Tout ça, c'est des questions il me semble parfaites à l'état où on est. Mais dans l'état où on est, je
crois qu'il est très prématuré de déjà répondre oui ou non. Mais sur la formulation de tout ça, je me
présente. Si je prends tout ce que je viens de dire comme des questions que tu te poses et si tu me
demandes mon avis sur ces questions, je dis c'est de très bonnes questions. Faut te les poser, c'est
pas dit que c'est toi qui les résoudras - c'est toi qui les pose.

Intervenant 2 :- Moi, c'est des questions beaucoup plus banales et un peu plus compréhensibles, je
ne sais pas si tu as bien compris tout ce qu'il voulait dire.

Deleuze :- si, c'était très clair, oui, mais non t'es pas bête. Bref

intervenant 2 :- Il y a deux points qui m'intéressent, le premier point, l'effet du langage

Deleuze : - Le ?

Intervenant 2 : - Le langage, y a t'il un langage au cinéma ? voir Pasolini, il exprime le langage la


réalité par la réalité, Pasolini dit un tas de choses, il dit, La réalité par la réalité, l'ambiguïté et de
même le langage ou pas de langage.... et deuxième point, c'est pour ça que je suis hégélien ?

Deleuze : - Qu'est ce que tu es ?

Intervenant 2 : - Je suis hégélien (rires) Deleuze :- Mais non tu dis ça pour me contrarier, t'es pas
hégélien du tout (rires)

intervenant 2 : - s'insurgeant, Alors oui, nécessités, contraires (rires), alors oui, composition théâtre
cinématographique déjà différence de nature, de taille il le dit, en tant que marxiste ...
cinématographique, ... il a écrit

Deleuze : - Il le dit, est ce qu'il y croit ? (rires). Il avait intérêt à le dire.

intervenant 2 : - Pasolini dit un tas d'autres choses, il y a cette belle phrase de K il parle de
l'efficacité, légende vis à vis de Bergson. Le cinéma, c'est la plénitude comme chez Bergson et
pourtant aussi le manque de réalité au cinéma dramaturgie du néant et en plus la plénitude, est ce
que l'on peut ajouter quelque chose au Tout, la dernière fois vous avez parlé, est ce que l'on peut
ajouter quelque chose au Tout.

Deleuze : - Une fois dit là, je te coupe, parce que la réponse m'apparaît immédiate cette fois ci, une
fois dit et si on arrive à définir le Tout d'une manière aussi bizarre, originale que Bergson, à savoir le
Tout c'est l'Ouvert. La question : "est ce que l'on peut ajouter quelque chose au Tout ?" est une
question vide.

Intervenant 2 : - Je ne vous pose pas des questions qui sont des pièges, hein (rires) où sont les
pièges ?

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Deleuze : - Alors quant à l'autre chose que tu as dite, on me l'a déjà demandé, on a déjà souligné ce
point, à savoir qu'il ne suffisait pas quand même que je me marre quand je parle de linguistique
appliquée au cinéma pour

Intervenant 2 : - mais bon.....

Deleuze : - pour régler le problème, en effet cela va de soi - alors je dis juste là que je réclame une
fois de plus toute votre patience c'est que le problème de « le cinéma est-il un langage ? » tout ça, je
pourrais l'aborder que bien plus tard. Donc je dis - je ne cache pas non plus, ma seule impression -
c'est que le cinéma n'a rien avoir avec un langage au sens des linguistes - d'ailleurs tous le disent
finalement - et donc ce problème ne m'apparaît pas urgent du tout.

En tout cas les concepts cinématographiques ou les grandes catégories au cinéma n'ont aucun
besoin, même y compris quant au caractère sonore de l'image - mais vous remarquerez pour le
moment que je m'occupe et je ne suppose que des images visuelles - j'ai pas dit un mot sur ce que
seraient des images sonores - tout ça, ça c'est parce que j'ai besoin de prendre les problèmes à part.

Alors eh bien, je suis content moi, de ces premières interventions parce qu'aujourd'hui j'aurai
particulièrement besoin de vous à un certain moment car si je ne fais pas une récapitulation mais si
je m'interroge sur les deux séances précédentes, c'est la troisième aujourd'hui, je dois commencer
par, mais très brièvement parce qu'il faut pas trop, je voudrais commencer par une sorte
d'autocritique. Quelque chose se passe, moi, dont je suis très profondément mécontent, alors..

Internvenant 3 : - moi aussi

Deleuze : - ah toi aussi ?

intervenant 3 : - Ben oui (rires)

Deleuze : - Comme le mécontentement porte sur moi, évidemment et non pas sur vous, je le dis
parce que j'aurai besoin tout à l'heure que vous voyez. Ce mécontentement. Je crois d'une manière
très simple et toute modeste que je suis complètement en train - mais tout peut s'arranger mais je
suis en train de rater ce que je me proposais. Je vous rappelle une chose que ce que je me
proposais - je recommence pas - mais c'était un peu compliqué mais très simple en fait. A savoir
c'était la possibilité de - suivant un public assez divers qui est le vôtre - c'était la possibilité de vous
apprendre à la fois quelque chose sur Bergson, en essayant de vous montrer que c'est quand même
un philosophe très, très prodigieux quand même.

Alors là, Bergson valant pour lui-même et puis aussi de poser un certain problème sur l'image et le
cinéma, et que ça valait pour soi même aussi. Et puis que pourtant les deux se rapportent l'un à,
l'autre mais à une condition. Il fallait que les concepts que j'essayais de tirer ou d'extraire comme
concept cinématographique, que d'autre part les concepts bergsoniens que j'essaie d'extraire, soient
vraiment comme "extraits" chacun de leur territoire.

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Or au lieu de ça, j'ai le sentiment alors très, très pénible que je vous parle de Bergson et puis que
j'applique ce que je dis concernant Bergson au cinéma. Or autant quant aux concepts et quant à la
philosophie, tout mouvement d'extraction - extraire un concept - est un mouvement indispensable et
nécessaire - autant l'application définit le travail médiocre ou le travail raté. Si j'applique un concept
venu d'un point à l'autre domaine (de toute façon) c'est raté. Bon, ce qui me mécontente - c'est que
je frôle au lieu de faire le surgissement de concepts que j'espérais - je fais de la plate application de
concepts ou je risque de tomber là dedans. Alors ce sera à voir si ça continue, ben, il faudra, je vous
dirai tout à l'heure si ce que je souhaite, que vous corrigiez cet aspect. Alors, bon je me dis parfois
pour me consoler, c'est pas de la faute du cinéma, que le cinéma c'est une matière tellement
inconsistante que je finalement - ah si j'ose dire, ça va pas loin, que y' a pas de matière - seulement
là, ce serait accuser le cinéma et pas moi, alors c'est gênant. La seule chose que j'y gagne à ce
cours de cette année, c'est que maintenant, quand je vais au cinéma, je me dis, j'ai bien travaillé : je
vais au travail. Finalement, je continue à y retourner, ça fait rien.

Je suis très abattu aujourd'hui. C'est ça qui augmente l'intensité de mon autocritique, et parce que
j'ai vu un film dimanche, pour aller au travail (rires), dont j'attendais beaucoup, c'est : « Tendre est la
nuit » Or, « Tendre est la nuit » est un des plus beaux romans du monde. C'est un roman auquel on
ne devrait pas pouvoir toucher si on a pas une espèce de génie ou une compréhension de ce roman.
Et voilà que j'ai vu un film qui a été une honte, alors je me dis, tout ça.. Bon, mais enfin à d'autres
moments, je me dis, c'est pas la faute du cinéma, c'est ma faute à moi. Or, c'est pour ça que
j'éprouve le besoin - pas de recommencer ce que j'ai fait la dernière fois - mais de revenir sur
certains points et de développer ce que j'avais pas développé.

Et je commence tout de suite là, plein d'entrain, et puis j'aurai besoin de vous, je vous dirai. Je
voudrais donc finir aujourd'hui là cette première tranche qu'on avait commencé deux fois. Cette
première tranche qui se présentait comme une étude des grandes thèses bergsoniennes sur le
mouvement. Eh bien, vous vous rappelez que la dernière fois je partais d'une première formule : à
savoir, dans l'image mouvement - puisqu'on est en train toujours, tous au premier pan, c'est une
recherche de la définition - de ce qu'on pourrait appeler image-mouvement avec un petit trait d'union,
et je disais, dans l'image-mouvement, il se trouve que le mouvement de translation exprime la durée,
est censé exprimer la durée, c'est à dire un changement dans un Tout !

Si vous, comprenez bien et là je reviens pas sur tout ce que j'ai dit, je me le donne pour acquis mais
si vous comprenez bien cette formule telle que j'ai essayé de la développer la dernière fois, je dis
que c'est un concept cinématographique très important : en découle comme immédiatement, ce
serait celui - et il a été forgé ou il a été avancé par un grand cinéaste, à savoir Epstein - c'est celui de
perspective temporelle.

A savoir l'image cinéma n'opère pas malgré les apparences avec deux simples perspectives
spatiales, il nous donne des perspectives temporelles. C'est curieux cette notion de perspective
temporelle. Epstein, pour essayer de fonder son concept de perspective temporelle, cite un texte
d'un peintre mais d'un peintre qui a été particulièrement mêlé au cinéma. A savoir Fernand Léger ;
Fernand Léger a travaillé avec l'Herbier, il a fait des décors pour l'Herbier, et voilà ce que dit Léger :
« Toutes les surfaces se divisent, se tronquent, se décomposent, se brisent, comme on imagine
qu'elles font dans l'œil à mille facettes de l'insecte. C'est une géométrie descriptive ou projective
mais au lieu, mais au lieu de subir la perspective ce peintre - ajoutez cet homme de cinéma - la

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forme, entre en elle, l'analyse et la dénoue, illusion par illusion, à la perspective du dehors, il
substitue ainsi une perspective du dedans, une perspective multiple, chatoyante, onduleuse, variable
et contractile comme un cheveu hydromètre. Elle n'est pas la même à ; droite qu'à gauche, ni en
haut qu'en bas. C'est dire - c'est très important par exemple pour le décor expressionniste, voilà ce
qu'il dit là. - c'est dire que les fractions que le peintre - ajoutons : et l'homme de cinéma - présentent
de la réalité ne sont pas toutes au même dénominateur de distance et de relief, ni de lumière. » Bon,
il nous donne d'une manière très littéraire, le texte est beau.. C'est un beau texte, il nous donne un
sentiment de ce qu'il appelle "perspective temporelle", la perspective interne ou perspective active et
en effet quelle est la différence ? je me dis prenons quelques exemples très, rapides, hein, une fois
dit que je me trompe toujours dans mes exemples mais vous me corrigerez vous-même. Prenons
des grands plans, des grands plans dans l'histoire du cinéma.

Premier grand plan de King Vidor : La foule. Image de la cité, espèce d'image d'ensemble de la
cité, image d'un gratte ciel dans la cité, image d'un étage du gratte ciel, d'un bureau dans l'étage et
d'un petit homme dans le bureau (ça fait partie des grandes images qui ouvrent des films classiques)

Deuxième exemple, c'est une image je dirai typiquement, c'est ça l'image- mouvement. Deuxième
exemple, le dernier homme de Murnau : la fameuse image du début aussi, caméra dans l'ascenseur
descendant, caméra et enchaîné par caméra sur bicyclette qui traverse le hall de l'hôtel et qui arrive
dans la rue.. cartes deviennent visibles et puis nous entrons dans la foule et nous mêlons aux
manifestants. Titre, voir à celui qui est plus près de moi, voir un manifestant ou deux manifestants
particuliers (là aussi splendide image profonde)

Je dis, ces trois exemples ce sont des perspectives temporelles, en quoi, eh bien pas seulement
des perspectives spatiales, c'est perspectives temporelles, là où le concept il semble prendre une
consistance parce que en effet c'est très différent de la perception naturelle, Poudovkine nous dit
c'est comme si, c'est comme si je m'installai sur le toit et puis je me mêlai aux manifestants. Ce
(comme si) indique que c'est une référence à la perception naturelle et en même temps que nous ne
sommes pas dans un cadre de perception naturelle. Je prépare là quelque chose qui me reste
encore à faire : en quoi la perception de cinéma est complètement différente de la perception
naturelle, on peut déjà saisir un petit point de départ.

Dans la perception naturelle, vous avez à chacun de ses stades j'ose dire ce qu'on pouvait
appeler - et après tout les phénoménologues ont parlé comme ça, - vous avez à chaque fois un
ancrage : je suis en haut de l'immeuble et je vois l'ensemble de la manifestation, je suis au premier
étage et je lis les pancartes, je suis dans la foule et je vois les manifestants à côté de moi. Vous avez
chaque fois un ancrage et entre deux ancrages vous avez un mouvement déterminé particulier, un
mouvement qualifié.

Dans la perception de cinéma, vous n'avez pas ça et lorsque vous dites : la caméra a d'abord été
mise en haut et puis s'est arrêtée au premier étage et puis s'est mise dans la foule. C'est absolument
- c'est pas que ça soit faux, c'est qu'à ce moment là vous traitez la caméra comme un œil c'est à dire
vous préjugez déjà de ce qui est complètement en question - à savoir l'identité de la perception
cinématographique et de la perception naturelle. Même si elle s'est arrêtée en fait, c'est pas ça
qu'elle nous donne. Ce qu'elle nous donne c'est la continuité et l'hétérogénéité d'un seul et même

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mouvement. Un seul mouvement a conquis continuité et hétérogénéité, à quelles conditions ?
Bizarrement, à condition de, comme diraient ou comme devraient dire les phénoménologues, à
condition de rompre avec tout ancrage. De se désancrer, d'une certaine manière l'image
cinématographique comme mouvement cinématographique est déterritorialisée. Par-là, le
mouvement acquiert continuité et hétérogénéité - il me semble si je reviens à un exemple dont on a
très vite parlé la dernière fois - c'est bien c'est ça que d'une certaine manière nous montre Wenders,
Wenders nous montre si vous voulez, des ancrages différents séparés par quoi ? un moyen de
transport qualifié. Par exemple l'autocar succède à l'avion, l'auto à l'autocar, la marche dans la ville à
l'auto, etc.... Vous avez une série de "stages" - je dirai ça : c'est le contenu de l'image chez Wenders
- Tous les moyens de transport mis au service du mouvement, et ça : c'est le jeu de la perception
naturelle. Et ce que Wenders fait, si vous voulez, c'est ça le contenu de l'image mais au niveau de
l'image ce n'est plus ça, au niveau de l'image au contraire : vous avez le correlat cinématographique
: à savoir un mouvement posé comme "un" qui a conquis pour soi, continuité et hétérogénéité et qui
vaut - et c'est bien ça l'idée de Wenders - et qui comme tel, comme mouvement cinématographique
vaut, et pour l'avion, et pour l'auto et pour la marche et pour etc. précisément par ce qu'il est, et
parce qu'il a conquis l'hétérogénéité.

Alors peut être que là on comprend mieux, je dirai : c'est ça une perspective temporelle. Alors que
dans la perception naturelle, vous allez d'une perspective spatiale à une autre perspective spatiale.
Dans l'image cinématographique, vous élaborez une perspective temporelle.

Bon, c'est pas important, je veux dire c'est pas très important de comprendre ou pas comprendre,
d'être d'accord ou pas d'accord, c'est juste, je dis, c'est juste la possibilité d'ancrer le concept et de
lui donner plus de consistance que Epstein qui en parle encore d'une manière très littéraire, il me
semble.

Or dire encore une fois l'image-mouvement c'est une perspective temporelle et non pas une
perspective spatiale, alors que finalement les Arts, les autres arts - sauf peut être la musique - ils
nous donnent que des perspectives spatiales. Dire parler de perspectives temporelles, c'est
uniquement dire - et c'est pas dire autre chose que - le mouvement dans l'espace est dans de telles
conditions que maintenant il exprime la durée c'est à dire un changement dans un Tout.

Bon, ceci je voulais l'ajouter à ce qu'on avait vu la dernière fois et j'ajoute encore autre chose :
Vous vous rappelez que la dernière fois et c'était tout l'objet de notre séance précédente, j'avais
essayé de montrer comment il fallait nécessairement passer d'une formule à une autre : il fallait
nécéssairement passer de la première formule : "le mouvement dans l'espace exprime de la durée"
c'est à dire un changement dans le Tout, à une autre formule plus complexe mais qui est la même,
qui est plus simplement la même, plus simplement formulée..

Et que la même formule développée c'était : "le mouvement dans l'espace s'établit entre des choses
- c'est le mouvement relatif - s'établit entre des choses et rapporte ces choses, et consiste en ceci :
qu'il rapporte ces choses à un Tout, lequel Tout va dès lors se diviser dans les choses en même
temps que les choses se réunissent dans ce Tout" - si bien qu'on avait comme trois niveaux de
l'image, de l'image- mouvement, trois niveaux communiquant perpétuellement l'un avec l'autre, l'un
avec les autres, donc le mouvement dans l'espace s'établit entre des choses de telle manière qu'il
rapporte ces choses à un Tout, lequel Tout se divise dans les choses en même temps que les

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choses se réunissent dans ce Tout.

C'était donc ma formule développée de la perspective temporelle et on en tirait donc comme trois
niveaux à distinguer de l'image-mouvement. Ces trois niveaux, je pourrai les appeler là de noms
différents, j'essaie de fixer la terminologie que je vous proposerai. Ces trois niveaux, je pouvais les,
l'appeler
le premier : contenu de l'image ;
le deuxième : l'image ;
le troisième : l'idée ou bien je pouvais les appeler, je vous rappelle, en termes plus techniques,
le premier : le cadre ;
le deuxième : le plan ;
le troisième : le montage et je vous rappelle juste les définitions

( vous voulez bien fermer la porte ?.. vous voulez bien allumer la lumière ?)

et je rappelle juste les définitions auxquelles on était arrivé parce qu'on en aura besoin toute l'année
compte tenu de vos interventions à venir tout à l'heure. Je disais le cadre ou le contenu de l'image
c'est quoi ? c'est exactement la détermination des choses en tant qu'elles forment et doivent former
un système artificiellement clos. Vous sentez déjà que ces choses, c'est celles qui vont appartenir au
plan. Le plan ou l'image c'est quoi ? C'est la détermination d'un mouvement complexe et relatif qui
saisit ces choses en Un. Il saisit ces choses en Un en tant que même s'il est supporté
particulièrement par une chose, il s'établit entre l'ensemble des choses du cadre. Donc c'est la
détermination du mouvement en tant qu'il saisit les choses en Un, inutile de dire qu'il s'agit non pas
du plan spatial mais du plan temporel. Enfin, le montage c'est la détermination du rapport du
mouvement ou du plan avec le Tout qui l'exprime. Pourquoi est ce que cette détermination du plan
ou du mouvement avec le Tout que le plan ou le mouvement exprime, implique nécessairement
d'autres plans ? on a vu pour telles raisons immédiates : parce que le Tout n'est jamais donné.

C'est parce que le Tout n'est pas donné, y compris n'est pas donné dans un plan alors que le
mouvement, lui est donné. C'est parce que le Tout n'est pas donné et que bien plus, en un sens, il
n'a pas d'existence, en dehors des plans qui l'exprime, c'est pour cela que ce Tout on pourra
l'appeler l'Idée avec un grand I. Et en effet, Eisenstein l'appelait l'Idée ou parfois, mot étrange mais
que, heu, on aura à commenter, il l'appelait "l'image synthétique", pour la distinguer des images
plans, pour le distinguer des images plans. Ou bien Pasolini l'appelle : "continuité cinématographique
idéelle" ou "plan séquence idéal" qui n'existe que dans les plans réels.

A partir de là, donc si vous m'accordiez donc ces trois concepts, je crois que nous restait un certain
nombre de problèmes que j'avais commencé.

Et le premier problème c'est que en effet on voyait bien le rapport entre cadrage, découpage,
heu, montage, cadrage découpage des plans c'est à dire détermination des plans et puis le montage
c'est à dire le rapport des plans avec le Tout ! Mais encore une fois ces opérations techniques
étaient absolument fondées presque dans "l'être même du cinéma" et je disais bon, eh ben, heu, si
on appelle "montage" cette opération qui consiste à rapporter le plan mouvement,
l'image-mouvement au Tout qu'elle exprime, qu'elle est censée exprimer - puisque dans tout son être
le mouvement consiste à rapporter les choses, les objets, consiste à rapporter les objets en même

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temps que les objets se réunissent dans etc... - donc c'est évident qu'on peut déjà concevoir bien
des manières : comment un mouvement dans l'espace va t'il exprimer un Tout ?

Et je disais : c'est un aspect du problème du montage - encore une fois j'insiste beaucoup là dessus
parce que sinon vous me feriez dire des graves insuffisances et même des bêtises - je dis pas du
tout : c'est le problème du montage, je dis : un des aspects des problèmes du montage et à cet
égard je crois que je disais, historiquement il me semble qu'il y a eu trois grandes réponses c'est à
dire trois grandes réponses, ça sera trois grandes manières de concevoir concrètement le rapport du
mouvement dans l'espace c'est à dire de l'image-mouvement ou du plan avec le Tout c'est à dire
avec l'Idée.

Car le problème devient celui-ci : comment, comment une image-mouvement peut-elle donner
une idée ? Et s'il y a un rapport ou s'il y a une première position du problème cinéma-pensée puisse
se préciser c'est bien ici. Car enfin dans les autres arts, l'image-mouvement, on sait toujours pas.
Dans le cinéma, il semble que il y a une espèce de spécificité : l'image- mouvement est censée
susciter l'Idée. Mais quelle Idée et comment elle suscite l'Idée ? Or je disais il me semble que là, le
montage a quelque chose à nous dire parce que il y a eu trois très grandes manières de concevoir
comment des mouvements dans l'espace peuvent renvoyer à une Idée c'est à dire finalement à un
changement dans le Tout !

Ça revient au même de dire - comprenez mes équivalences - dire : comment l'image-mouvement


peut-elle susciter l'Idée ? ou dire : comment l'image- mouvement peut-elle exprimer un changement
dans le Tout ? - c'est pas difficile de montrer que c'est pareil - et je disais : "eh ben oui, il y a une
première conception - appelons là pour les derniers hégéliens (rires)- appelons là le "montage
dialectique" et après tout, tous les soviétiques à ce moment là se sont réclamés d'un montage
dialectique quelles que soient leurs oppositions profondes, ce qui déjà pose des problèmes
évidemment.

Mais qu'est ce que c'est un montage dialectique ? là , il faut que les réponses soient relativement
concrètes, hein, soient très concrètes. Et je vous disais mais je n'avais pas du tout insisté là-dessus,
je vous disais : eh ben oui, c'est pas difficile, heu, un montage dialectique c'est un montage tel que la
réponse qui nous est proposée est exactement celle ci à savoir : c'est l'opposition des mouvements
dans l'espace, c'est l'opposition des mouvements dans l'espace qui va rapporter l'ensemble du
mouvement à un Tout c'est à dire à une Idée. Pourquoi est ce qu'on appellera ça dialectique ? Parce
qu'il est connu que dans la dialectique les choses n'avancent que par opposition c'est à dire quelque
chose de nouveau et ce quelque chose de nouveau - alors appelons là de ce point de vue, quitte à
tout le temps changer de point de vue - appelons le l'Idée.

Vous vous rappelez, j'essayais de montrer que le Tout était inséparable d'un changement dans le
Tout ? c'est à dire que le Tout est toujours identique au changement qui se produit en lui. Que le
changement qui se produit en lui, c'était toujours la production d'un quelque chose de nouveau, la
production de quelque chose de nouveau, c'est aussi bien l'Idée dans notre tête.. Bon, on dira : eh
ben oui dans la dialectique, la production du nouveau ça passe par l'opposition du mouvement.

Donc là, la réponse est très très précise : c'est par l'opposition des mouvements dans l'espace
que le mouvement dans l'espace va exprimer l'Idée. Et c'est la réponse très rigoureuse si vous

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voulez à notre problème - comme quoi notre problème est bien fondé, il me semble à cet égard -
C'est la réponse très rigoureuse de - je peux pas dire de Eisenstein en général - mais de certains
textes bien connus et de certains textes principaux de Eisenstein, en effet, je fais allusion à quels
textes ? les textes où il commente lui-même le cuirassé Potemkine et montre l'importance de
l'opposition et que les images mouvements du cuirassé sont fondamentalement construites sur de
grandes oppositions dynamiques du mouvement, et que c'est ça qui produit le "quelque chose de
nouveau" !

Le "quelque chose de nouveau" étant quoi ? étant aussi bien du point de vue de l'évènement, la
révolution qui arrive, - que du point de vue de la tête du spectateur, l'idée qui émerge. Et que c'est là
que le cinéma est effectivement efficace ou agissant. Et ces grandes oppositions, c'est par exemple
dans la fameuse scène du grand escalier, c'est l'opposition perpétuelle et perpétuellement multipliée,
réfléchie, tout ça - qui va donner toute une théorie de l'opposition du mouvement chez Eisenstein -
entre les mouvements vers le haut et les mouvements vers le bas où Eisenstein montre suivant quel
rythme, un mouvement vers le haut est suivi par un mouvement vers le bas, tout ça étant très
diversifié, très et que cela constitue le rythme cinématographique : par exemple, la foule qui monte
l'escalier, les bottesdes soldats qui descendent l'escalier, lafoule qui

remonte, heu,je ne sais plus quoi, quelqu'un qui descend encore, la mère, la femme seule, la femme
solitaire qui va remonter etc... jusqu'à la célèbre descente de la voiture d'enfant.

Donc reportez vous à ces textes là - on en a en effet l'idée de ce qu'est d'une manière très simple un
montage qu'on peut appeler dialectique - mais ce qui m'intéresse c'est que Eisenstein ne dit pas que
ça. Parce qu'on comprendrait mal à ce niveau - ça serait propre à tous les soviétiques, on peut dire
Poudovkine aussi ça se réclame davantage - eh bien ils étaient bien forcés, c'est pour ça que je dis
heu, qu'est ce qu'ils croyaient au juste de ça, Vertov se réclame d'un montage dialectique pourtant
Vertov et Eisenstein c'est pas la même chose alors heu qu'est ce qui se passe ? Je dirai le propre
d'Eisenstein si j'essaie de le dire c'est, il ne cache pas finalement bizarrement c'est curieux, il est
presque plus platonicien, c'est un dialecticien Eisenstein, oui, mais il est plus platonicien que
hégélien, seulement il pouvait pas le dire, en fait. Pourquoi il est plus platonicien ? Parce que
l'opposition du mouvement comme condition pour créer quelque chose de nouveau, c'est à dire
comme condition pour que le moment exprime l'Idée, exprime le changement dans le tout - ça existe
bien mais c'est ce que Eisenstein appelle "le pathétique".

C'est le pathétique et le pathétique c'est l'un des pôles du montage dialectique mais ce n'est qu'un
des pôles et en effet le pathos, c'est, nous dit Eisenstein : c'est le choc, c'est l'opposition des deux
forces, c'est la collision. Il nous dit très bien : le montage est une collision et pas une juxtaposition.
Bon, tout ça, ça va bien on comprend - mais justement, ce que jamais un dialecticien n'aurait fait,
jamais, il faut qu'il établisse sa dialectique c'est à dire l'élément pathétique - déjà bizarre pour un
dialecticien : réduire la position du mouvement à l'élément pathétique - une fois dit, qu'il y a un autre
élément, eh ben cet élément pathétique de l'opposition du mouvement, renvoie à quoi ? il renvoie à
un autre élément plus profond selon Eisenstein, un élément supposé qu'il appelle "l'élément
organique". L'élément organique : c'est dire que Eisenstein subordonne l'opposition du mouvement
au mouvement organique en quel sens ? eh ben, l'opposition du mouvement est quelque chose qui
survient, oui, qui survient au mouvement organique. Ca devient important ça, cette idée d'un
mouvement organique, qu'est ce que c'est le mouvement organique ? Suivant Eisenstein on va voir

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que c'est très important pour distinguer ce courant, ce type de montage d'autres types de montage.

Mais le mouvement organique dit Eisenstein, c'est un mouvement qui exprime la croissance, c'est
un mouvement qui exprime la croissance et qui comme tel est subordonné à des lois
mathématiques. J'ai jamais vu un dialecticien parler d'une subordination du mouvement à des lois
mathématiques - c'est tout ce que vous voulez mais ce n'est pas un dialecticien ça - peut-être
infiniment mieux, peut-être autre chose mais c'est pas un dialecticien qui peut dire une chose comme
ça. Et qu'est ce que c'est que le mouvement en tant qu'il exprime la croissance et qu'il a donc, et qu'il
obéit donc à une loi mathématique ? C'est la spirale, la spirale logarithmique : elle est pas encore
dialectique, la spirale. C'est la spirale, et Eisenstein insiste énormément sur l'importance même au
niveau pratique de sa constitution des images du film, le thème de la spirale intervient partout. Que
les images s'organisent en une spirale logarithmique. Ah tiens une spirale logarithmique, oui c'est
très curieux ! Car qu'est ce que c'est que la loi mathématique de la spirale logarithmique ? là,
Eisenstein ne se connaît plus d'aise, il dit : c'est la section d'or - ce qui est bizarre pour un
dialecticien, de plus en plus bizarre. C'est la section d'or. Ah qu'est ce que c'est "la section d'or" ?

La section d'or sous sa forme la plus simple, vous - là je vais très vite parce que, vous le savez
déjà ou bien vous regarderez dans le dictionnaire c'est ou bien vous lirez les livres de Mathilde Adika
et qui a beaucoup travaillé sur la section d'or et sa présence dans les arts - et Eisenstein lui-même
explique que en effet, la section d'or qui selon lui a régie l'architecture, la peinture, c'est aussi une loi
fondamentale du cinéma. Ah bon, mais alors qu'est ce que c'est très vite la section d'or ? Eh ben la
section d'or c'est ceci lorsque vous vous donnez une ligne hein ? Vous donnez une ligne, vous la
divisez en deux parties inégales, lorsque la plus petite partie est à la plus grande partie ce que la
plus grande partie est au Tout, vous avez la section d'or. Pourquoi est ce que c'est l'harmonie
organique ça, en effet, la plus petite partie - je redis - votre ligne est divisée de telle manière que la
plus petite partie est à la plus grande ce que la plus grande est au Tout. et c'est une loi des rapports
partie/Tout qui doit déjà nous intéresser et qui va définir le mouvement organique. Bon, je précise
pas mais Eisenstein le montre très bien, en quoi - là j'ai pris mon exemple le plus simple au niveau
de la plus simple ligne droite - mais en quoi la spirale logarithmique est l'expression même de la
section d'or. Bon, la spirale logarithmique est l'expression même de la section d'or, en d'autres
termes la section d'or est la loi de la croissance et l'on invoque les coquilles d'escargot et l'on
invoque là toutes les spirales de la nature pour retrouver cette section d'or.

Voilà le domaine du mouvement organique. Je vous demande : pourquoi il a besoin de la section


d'or ? là je fais rapidement une parenthèse parce que ça renvoie à quelque chose que tu m'avais
posé la dernière fois : c'est évident, c'est évident, c'est évident, rappelez vous ce que j'essayais de
montrer : bien sûr au cinéma, vous pouvez toujours faire des images centrées sur des instants
privilégiés et des moments de crise - oui ça vous pouvez - ça n'empêche pas que ça sera du cinéma
c'est à dire que vous n'obtiendrez pas ces moments de crise et ces instants privilégiés - comme on
les obtenait dans les autres arts, par exemple dans la tragédie. Dans la tragédie vous fixiez des
instants privilégiés directement en fonction de formes considérées pour elles-mêmes. je disais
depuis le début : il n'y a cinéma que lorsque la reconstitution du mouvement se fait, non à partir de
formes privilégiées ou d'instants de crise mais lorsque, la reconstitution du mouvement se fait à partir
d'images équidistantes c'est à dire à partir d'images quelconques.

Et si vous n'avez pas ça, vous avez tout ce que vous voulez dans le genre ombre chinoise, vous

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n'avez pas de cinéma. C'est l'équidistance de l'image c'est à dire le fait que le mouvement soit
rapporté à l'instant quelconque, donc à des instants équidistants qui définit le cinéma. Bon, voyez
bien qu'avec son thème du mouvement organique et pourquoi il a besoin de substructure organique
sous le pathétique, parce que c'est la loi du mouvement organique qui lui donne "son équidistance à
lui" Eisenstein, - son équidistance à lui très particulière - ça va être l'équidistance des parties
déterminées pour la section d'or. Dans le cas le plus simple : que la plus petite partie soit, non, oui,
heu, que la plus petite partie soit à la plus grande ce que la plus grande est au Tout - voilà une
équidistance - que vous pouvez exprimer en effet sous une qualité de type analogique, sous une
relation d'analogie de la section d'or. Il a besoin de cette équidistance et vous voyez pourquoi, alors
je dirai : il calcule l'équidistance de telle manière qu'elle coïncide avec les instants privilégiés. Mais la
manière dont Eisenstein parle restituer dans le cinéma les instants de crise, n'est pas du tout un
retour pré-cinématographique, c'est avec les ressources du cinéma c'est à dire en fonction de
l'équidistance des images qu'il va se faire coup de génie : retrouver d'une manière proprement
cinématographique l'idée pré-cinématographique des instants de crise. oui c'est bien, ça, c'est bien -
et c'est pour ça que, il ne pouvait pas être dialecticien : La dialectique elle ne peut intervenir qu'en
second sur fond d'organique. Elle peut intervenir qu'en second c'est bien forcé parce que elle va
intervenir comment ?

c'est lorsque vous disposez déjà de votre spirale organique et seulement à ce moment là que
vous pouvez constater que les vecteurs de cette spirale, s'organisent sous une seconde loi qui n'est
plus la loi de la croissance. Mais qui est la loi de l'opposition du mouvement et en effet, dans votre
spirale, vous avez des vecteurs opposés et l'image spiraline va se développer sous forme de ces
vecteurs opposés c'est à dire sous forme de l'opposition de mouvement. A ce moment là, la
dialectique - mais seulement à ce moment là - la dialectique apparaît : c'est une dialectique qui joue
et qui ne fait que développer une loi profonde qui est la loi de l'organique - Eisenstein traître à la
dialectique.

Alors, évidemment, heu, le Parti s'en doutait - alors, heu, bon, c'est de la longue histoire du cinéma
pseudo-dialectique et les soviétiques - mais enfin on peut appeler ça montage dialectique au sens où
la réponse de ce type de montage, la réponse d'Eisenstein au moins, sera exactement celle-ci : oui !
le mouvement dans l'espace peut exprimer l'Idée avec un grand I, c'est à dire peut exprimer un
changement dans le Tout, sous quelles formes et à quelles conditions ? A condition que le
mouvement dans l'espace se fasse, s'organise, en opposition de mouvement, en mouvement
dialectiquement opposé, sous la condition générale du mouvement organique. D'où les deux pôles
de l'image selon Eisenstein : l'image organique et pathétique et l'image de cinéma doit être les deux.
Elle doit être organique et pathétique.

Voilà donc la première réponse que j'appellerai réponse dialectique et qui donne donc, et qui
inspire, comprenez que c'est bien une certaine manière de monter les plans. Ohhh, ouais, alors
deuxième, deuxième grande manière : j'en vois une autre qui est très intéressante parce que -
encore une fois bon, moi je vois pas d'inconvénient à ce qu'il y ait des génies nationaux comme il y a
des génies individuels - c'est cette fois-ci non plus le montage soviétique, avec son apparence - mais
là, c'est à vous de choisir : sa réalité, ou son apparence dialectique, hein, heu, hégélien à la russe
quoi. Eh, ouais, alors, heu, l'autre type de montage, c'est le montage à la française, à la belle
époque. Et en effet c'est complètement différent il faut voir, alors, heu, et en même temps c'est
complètement mélangé, heu, bon, comprenez que concrètement je reste un peu, il faut que j'accuse

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les différences. Il va de soi que chacun récupère ce que l'autre met en principe, ça se communique
toutes ses formes de montage, hein, j'essaie juste de faire une typologie abstraite.

Et le montage à la française, eh ben, oui je dis à la française parce qu'il y a quelque chose de
cartésien. Dans leur grande folie restant, c'est pas un reproche après tout, tous les autres étaient de
faux hégéliens (rires) les autres qui ont, cela c'est de faux cartésiens, parce que ils ont un thème je
crois vraiment les français de cette époque, ils ont un grand thème qui va dominer leur conception du
montage : à savoir la plus grande quantité de mouvement. Voyez que leur réponse à eux : ça ne va
pas être : opposons les mouvements pour que le mouvement dans l'espace exprime le Tout c'est à
dire l'Idée, ça va être : "le maximum de quantité de mouvements pour que le mouvement exprime
l'Idée ou le changement dans le Tout". C'est une réponse également rigoureuse, c'est une réponse
merveilleuse. La plus grande quantité de mouvement c'est pas que ce soit des foules accélérées,
hein, ils aiment bien pourtant l'accéléré, les français. Pour tout, ils se servent énormément
d'accéléré, tous ou du ralenti, tous, c'est des artistes de l'accéléré et du ralenti. Pourquoi le ralenti
aussi ? je dis, c'est pas parce qu'ils sont pas obsédés par la quantité de mouvement, c'est aussi bien
: s'éloigner du maximum la quantité de mouvement c'est à dire atteindre au minimum que
s'approcher du maximum. Mais quand même dans la loi du rythme, c'est plutôt tendre et ce sera ça
eux, leur moment de crise c'est à dire l'instant de crise ou l'instant privilégié reconstitué par le cinéma
à sa manière et par ces moyens cinématographiques - si j'en reviens à l'Idée que je disais tout à
l'heure pour Eisenstein (rires)

Deleuze : Ah, il y a longtemps qu'il faisait ça ?

Elève : Non

Deleuze : Ah, alors bon, ouais, Du point de vue du rythme, c'est pour ça que les français vont être
des, des artisans du rythme, des artistes du rythme cinématographique fantastiques car il va y avoir
au moins trois variantes, le niveau du montage français que, oui, dans le cadre intervient
évidemment, il y a perpétuellement dans l'image-mouvement et ses trois dimensions, cadre, le plan,
le montage Vous avez perpétuellement communication et passage de l'un à l'autre ben oui, il y a la
quantité de mouvement relative, la largeur du cadre, la durée du plan. Et plus vous allez mettre de
quantité de mouvement d'après la loi, on pourrait presque appeler ça "la loi Gance". Plus vous allez
mettre de quantité de mouvement dans un cadre suffisamment large ou de plus en plus large, plus le
plan doit paraître court et il sera court. Et ça donne quel grand truc chez Gance ? Ça donne les tas
de choses dont Gance s'est toujours réclamé comme étant l'inventeur même si ça existait avant lui,
mais avoir donné une consistance telle que, avec lui ça prenait toute nouvelle signification et ces
quatre choses c'est :

premièrement ou après dans l'ordre du temps, le montage accéléré qui ne peut se comprendre
que du problème en effet de capter le maximum de quantité de mouvement, le montage accéléré,

deuxièmement la mobilité fantastique de la caméra,

troisièmement les surimpressions qui multiplient la quantité de mouvement, qui donnent une
espèce de volume de la quantité de mouvement sur image plane
et enfin le triple écran et plus tard la polyvision. Le triple écran et la polyvision, qui sont - et

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comprenez que ces quatre éléments techniques, très très différents les uns de l'autre, les uns des
autres - trouvent une parfaite homogénéité, du point de vue qui nous occupe, à savoir ce montage
que j'appellerai un montage quantitatif.

Et sans doute, à partir de là, ils sont très différents mais c'est pas étonnant que je vous dise,
finalement tous ce quoi disent que notre maître c'est Gance, Mais à partir de là, que ce soit l'herbier,
que ce soit Epstein, que ce soit bien plus tard Grémillon, il reste ce problème. Il reste ce problème
par exemple, le, ce film là que j'ai vu, qu'on a redonné, attendez il y a pas longtemps dont je, auquel
je faisais allusion la dernière fois, « Maldonne » de Grémillon, un film muet de Grémillon où il y a
cette splendide farandole. Or j'ai vu sur les papiers explicatifs que, en plus c'était une des première
fois, paraît-il que un cinéaste avait je, avait fermé le décor, c'est à dire avait filmé un décor clos. En
décor fermé. Or c'est très différent là, j'insiste c'est très différent par exemple, heu, de certaines
grandes scènes de Gance au contraire, mais tout dépend des cas, tout dépend de l'évaluation, il y a
une espèce d'acte créateur, chaque choix, pourquoi il fait sa, sa grande farandole en décor fermé,
évidemment parce que il s'agit pour lui, alors là, il a une caméra sur rail, sur fil hein, le mouvement
est sur fil en haut, il fait monter sa farandole en haut, il faut que la farandole ferme, heu, frôle le toit,
heu, qu'elle grimpe tout l'escalier, qu'elle redescende, tout ça c'est des images splendides mais dont
je peux dire : "elles sont signées". Elles sont signées comme on dit en école française en peinture, à
tel moment, elles sont signées école française. C'est vraiment arrivé à un moment de l'image par
l'intermédiaire d'autres images, arrivé à un moment de l'image, où vous capterez le maximum de
quantité de mouvement dans un espace déterminé, dans ce cas précis, un espace clos.

Et je disais bon, ben, très bien prenez les grandes scènes : l'Herbier ; « l'Eldorado », la scène
splendide, la grande scène de la danse. Epstein, je sais plus quoi mais vous le savez tous : la
grande fête foraine. Grémillon, la farandole de « Maldonne », bon Gance j'en ai assez parlé hein. Et
qu'est ce que ça veut dire ? qu'est ce qu'ils attendent de cette quantité de mouvement ? en quoi ils
sont cartésiens ? Ben, c'est pas difficile, c'est que eux - c'est donc, leurs réponses ce serait : c'est en
poussant le mouvement jusqu'à capter le maximum de quantité de mouvement dans un espace
variable : c'est ainsi que le mouvement exprimera l'Idée c'est à dire le Tout et le changement dans le
Tout. Là, la réponse, elle est très rigoureuse aussi : le Tout c'est plus une idée dialectique à ce
moment là ils y sont très étrangers, c'est du quoi, c'est je disais, montage quantitatif, certains l'ont
appelé aussi bien montage lyrique, c'est une Idée lyrique : à savoir c'est l'Idée comme rythme et à la
limite, ils disent tous : "l'Idée comme état d'âme". Je dirai cette fois que les deux pôles du montage -
ou même à la limite les deux pôles de l'image-mouvement - ce n'est plus organique pathétique,
comme dans le cas, comme dans le cas Eisenstein - mais ce serait cinétique lyrique, cinétique c'est
la capture du maximum de quantité de mouvement, lyrique c'est l'Idée déterminée comme état
d'âme, comme correspondant. Comme le quelque chose de nouveau correspondant au maximum de
la quantité de mouvement.

D'où la grande idée de Gance, ce n'est pas qu'il reprend à cet égard, qui va jusqu'à dire : c'est
vraiment l'âme qui est le vêtement du corps et pas le corps qui est le vêtement de l'âme. Il faut
mettre les états d'âme devant les personnages. Or ça ne peut se faire précisément que par cette
technique de la quantité de mouvement. Bon, bon, bon, alors qu'est ce qu'il peut rester ? ben je
disais juste et là j'en avais pas du tout parlé la dernière fois, je disais juste : eh ben, il y a une
troisième grande école de ce point de vue là, école de montage. Une troisième grande conception du
montage et cette troisième grande conception du montage, elle pas plus dialectique que les autres,

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tout ça c'est pas sérieux, c'est pas raisonnable et pourtant elle est allemande, c'est l'école allemande
et l'école allemande - ils ont une de ces idées alors, ils ont une de ces idées formidables et qui est
une réponse, je voudrais beaucoup insister sur le caractère très concret des réponses qu'on est en
train d'examiner. Encore une fois c'est vraiment de la pratique quelqu'un qui vous dit, si vous voulez :
c'est abstrait, c'est de la théorie lorsque je dis : ah oui, le mouvement , le mouvement dans l'espace
va exprimer l'Idée, c'est à dire un changement dans le Tout. Cela dit, ben faut le faire, comment le
faire ? Les réponses vraiment concrètes, c'est si on vous dit : eh bien si tu opposes les mouvements
- évidemment, pas, pas, il suffit pas de faire rencontrer deux boules de billard - mais si tu opposes
les mouvements d'une certaine manière conformément à des rythmes, à ce moment là l'ensemble du
mouvement évoquera l'Idée - vous pouvez dire ça me plait pas, vous pouvez pas dire que c'est une
réponse abstraite. C'est bien une recette - une recette pas du tout au sens où il suffisait d'appliquer
ça pour faire un truc génial - mais au sens où si c'est fait avec génie, ça marche. De même la
réponse française, la réponse Gance, pensez ça a tellement marché que ça a donné une icône du
cinéma français.

Et il me reste à voir cette troisième réponse où les âmes tendres, les âmes sentimentales pour
lesquelles les âmes sentimentales ont forcément une préférence, une petite préférence. Cette
réponse allemande, ou bien les âmes dures peut-être je sais pas, je sais pas, non, les âmes tendres
de préférence (rires) Cette fois-ci, c'est une idée très très bizarre et là je voudrais qu'elle soit aussi
concrète que les autres. Supposez que quelqu'un se dise : oh mais, si il s'agit de faire que des
mouvements dans l'espace expriment un Tout c'est à dire un changement dans le Tout, il y a des
gens qui disent : ben non, ça ne me convient pas, opposer les mouvements, non ça me convient
pas, c'est pas mon truc.

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

5- 05/01/82 - 1
Marielle Burkhalter

5- 05/01/82 - 1 Page 1/13


Transcription : Maryline Cuney. Deleuze : Cours du 05/01/1982.

Une fois de plus par ma faute - si bien que j'avais donné un rendez-vous que j'ai appris ensuite que
je ne pouvais pas tenir - il y en a parmi vous qui ont dû venir, tout ça était lamentable et une fois de
plus, c'est ma faute, ce dernier trimestre c'était la catastrophe. Enfin, alors je n'ai même plus le cœur
de m'excuser auprès de ceux qui sont venus parce que j'ai été absurde. Moi j'ai cru que les
vacances universitaires étaient les mêmes que les vacances scolaires donc que mardi marchait
toujours enfin bref tout ça, ça a été confusion, confusion euh donc il faut que je rattrape un peu du
temps perdu.

Vous vous rappelez sûrement ayant eu le temps de réflèchir à tout ça où j'en étais, à savoir
j'abordais dans la perspective de notre travail d'ensemble, j'abordais le premier chapitre de Matière
et mémoire, c'est-à-dire la lettre de ce premier chapitre avec une idée très simple encore une fois
que le texte de ce chapitre est extraordinaire à la fois en soi et par rapport à l'œuvre de Bergson. Si
vous le prenez comme texte en lui-même ou si vous le prenez comme un texte appartenant au
Bergsonisme - mais à ce moment-là on s'aperçoit qu'il a même dans le Bergsonisme une situation
unique et que c'est un texte quand même très curieux. Et la dernière fois - il y a donc très longtemps
- c'est parti comme une introduction de ce premier chapitre où je vous disais : bien oui c'est très
simple, supposons que la psychologie à la fin du XIXe°siècle se soit trouvée vraiment dans une
difficulté, une crise tout comme on parle de crise de la Physique à tel moment ou crise des
Mathématiques à tel moment.

Et cette crise de la Psychologie, c'était quoi ? Je le rappelle en un mot, c'est qu'il ne pouvait plus
tenir dans la situation suivante c'est-à-dire une distribution des choses telle qu'on nous proposait qu'il
y eût des images dans la conscience et des mouvements dans les corps. Et qu'en effet, cette espèce
de monde fracturé en images dans la conscience et en mouvements dans les corps soulevait
tellement de difficultés. Mais pourquoi ça soulevait des difficultés à la fin du XIXe°siècle et pas avant
? Et au début du XXe° siècle surtout et pas avant ?

Là je faisais une hypothèse ; est ce que c'est par hasard que ça coïncide précisément avec le
début du Cinéma ? Je ne dis pas que c'était le facteur fondamental, mais est ce que le Cinéma aurait
pas été - même inconsciemment chez les philosophes qui allaient peu au cinéma à ce moment-là -
est ce que ça n'aurait pas été, une espèce de trouble, rendant de plus en plus impossible une
séparation de l'image en tant qu'elle renverrait à une conscience et d'un mouvement en tant qu'il
renverrait à des corps ?

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Si bien, que je dis, au début du XXe°siècle, les deux grandes réactions contre cette psychologie
classique qui s'était enlisée dans la dualité de l'image dans la conscience et du mouvement dans le
corps, les deux réactions se dessinent :
l'une qui donnera le courant phénoménologique
et l'autre qui donnera Bergson, le Bergsonisme.

Et ma question, c'était une espèce d'entreprise de réparation puisque après tout - la


phénoménologie a traité si durement Bergson ne serait ce que pour se démarquer de lui - et puis
sans doute parce que ce n'était pas tout à fait le même problème. Mais la question que je posais
c'était : ce qu'il y a de commun entre la phénoménologie et Bergson c'est ce dépassement de la
dualité image/mouvement : image dans la conscience, mouvement dans le corps. Ils ont ça en
commun, donc ils veulent sortir vraiment la psychologie d'une ornière dont elle ne pouvait pas sortir
jusque-là. Mais si ce but leur est commun ; ils le réalisent, ils l'effectuent de manière complètement
différente. Et je disais si l'on accepte que le secret de la phénoménologie est contenu dans la
formule stéréotypée bien connue : "Toute conscience est conscience de quelque chose » parquoi ils
pensaient précisément surmonter la dualité de la conscience et du corps. De la conscience et des
choses.

Le procédé bergsonien en un sens peut-être, va encore plus loin, en tout cas il est différent,
puisque la formule stéréotypée du bergsonisme, si on l'inventait, ce serait pas du tout : « Toute
conscience est conscience de quelque chose », mais si l'on cherchait la formule qui correspond au
chapitre premier de Matière et Mémoire, ce serait : "Toute conscience, non pas est conscience de
quelque chose mais, toute conscience "est" quelque chose »

Et je disais bien c'est ça qu'il faut voir : la différence entre ces deux formules et là aussi j'avais une
nouvelle hypothèse comme marginale, concernant le cinéma. À savoir est ce que d'une certaine
manière - quant à certains points précis, tout ce que je dis n'est pas absolu - ce n'est pas Bergson
qui est très en avance sur la Phénoménologie ?

Parce que j'essayais de dire dans toute sa théorie de la perception, la Phénoménologie malgré tout,
conserve des positions pré-cinématographiques. Tandis que très bizarrement Bergson qui opère
dans l'évolution créatrice libre postérieure, une condamnation si globale et si rapide du cinéma. Il
développe peut-être dans le chapitre premier de "Matière et Mémoire" un univers, un étrange univers
qu'on pourrait appeler "cinématographique" et qui est beaucoup plus proche d'une conception
cinématographique du mouvement que la conception phénoménologique du mouvement.

Or maintenant entrons dans ce premier chapitre, avec ce qu'il a de très très bizarre. Bon je vous
le raconte comme ça, je vous le raconte - vous avez eu le temps de le lire, bon, encore une fois c'est
un texte très très difficile, quand on dit Bergson est un auteur facile, ce n'est évidemment pas vrai ,
c'est très difficile, ce texte.

Mais voilà que ce texte nous lance immédiatement, de plein fouet, bien entendu il n'y a pas de
dualité entre l'image et le mouvement, comme si l'image était dans la conscience et le mouvement
dans les choses parce qu'il n'y a finalement pas ni conscience ni chose. Qu'est ce qu'il y a ? il y a
uniquement des images-mouvements. C'est en elle-même que l'image est mouvement, c'est en
lui-même que le mouvement est image. La véritable unité de l'expérience c'est l'image-mouvement

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avec un trait d'union.

C'est déjà très nouveau dans quelle atmosphère on se trouve ? Tiens il y a des image-mouvements
? Et il n'y a que des image-mouvements ? À ce niveau, on verra ensuite comment ça... Mais on n'est
que dans le premier chapitre et, dans le premier chapitre, il n'y a que les image-mouvements. Un
univers d'image-mouvements ! C'est même trop dire un univers d'image-mouvements , les
image-mouvements c'est l'univers.
L'ensemble illimité des image-mouvements : c'est ça l'univers. Qu'est ce qu'il veut dire ? Dans
quelle atmosphère on est déjà ? Il se demandera, Bergson se demandera, il se dira : Mais de quel
point de vue je parle ? C'est un chapitre très inspiré... Bon, un univers illimité
d'image-mouvements...Ça veut dire quoi ? Ça veut dire quoi le mouvement est image et l'image est
mouvement ? Ca veut dire que l'image fondamentalement, elle agit et réagit.
L'image, c'est ce qui agit et réagit. C'est-à-dire l'image, c'est ce qui agit sur d'autres images et ce
qui réagit à l'action d'autres images. L'image subit des actions d'autres images, et exerce des
réactions sur les autres images, non qu'est ce que je dis (je suis bête... )
L'image subit des actions venues des autres images et elle réagit. Elle réagit,
l'image-mouvement, nous dit Bergson, pourquoi c'est une image ? Pourquoi ce mot « image » ?
C'est très simple, il n'y a même pas à l'expliquer, il faut - toute compréhension est un peu affective, il
y a toutes sortes de choses déjà très affectives là-dedans.

L'image, c'est ce qui apparaît. En d'autres termes, Bergson, il n'éprouve pas de réel besoin de
définir l'image. Ça va se faire à mesure qu'on avance : on appelle image ce qui apparaît. La
philosophie a toujours dit ce qui apparaît c'est le phénomène. Le phénomène, l'image, c'est cela qui
apparaît en tant que ça apparaît. Bergson nous dit donc, ce qui apparaît est en mouvement, en un
sens c'est très très classique. Ce qui ne va pas être classique c'est ce qu ‘il en tire, il va prendre au
sérieux cette idée.

Si ce qui apparaît est en mouvement, il n'y a que des image-mouvements. Il n'y a que des
image-mouvements ; cela veut dire non seulement que l'image agit et réagit, elle agit sur d'autres
images et les autres images réagissent sur elle, mais elle agit et réagit, dit Bergson - là je prends de
ces termes parce qu'ils sont très utiles quand vous les retrouverez dans le chapitre - dans toutes ses
parties élémentaires, ses parties élémentaires qui sont elles-même des images ou des mouvements
à votre choix. Elle réagit dans toutes ses parties élémentaires ou comme dit Bergson : « sous toutes
ses faces ».

Chaque image agit et réagit dans toutes ses parties et sous toutes ses faces, qui sont elles-même
des images. Ça veut dire quoi ? Comprenez, il essaye de nous dire - mais ce n'est pas facile à
exprimer tout ça - il essaye de nous dire : ne considérez pas que l'image est un support d'action et
de réaction mais l'image est en elle-même, dans toutes ses parties et sous toutes ses faces ou si
vous préférez : Action et Réaction c'est des images.

En d'autres termes l'image, c'est quoi ? c'est l'ébranlement, c'est la vibration. Dès lors c'est
évident que l'image c'est le mouvement. L'expression qui n'est pas dans le texte de Bergson mais qui
est tout le temps suggérée par le texte, l'expression « image-mouvement » est alors de ce point de
vue - mais qu'est ce que c'est ce point de vue ? encore une fois tout à fait fondé - Bergson veut nous
dire à cet égard : il n'y a ni chose, ni conscience, il y a des image-mouvements et c'est ça l'univers !

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En d'autres termes, il y a un en-soi de l'image. Une image, elle n'a aucun besoin d'être aperçue. Il y a
des images qui sont aperçues, oui, et il y en a d'autres qui ne sont pas aperçues. Un mouvement, il
peut très bien ne pas être vu par quelqu'un, c'est une image-mouvement.

C'est un ébranlement, une vibration qui répond à la définition même de l'image mouvement à
savoir : une image-mouvement c'est : ce qui est composé dans toutes ses parties et sous toutes ses
faces par des actions-réactions. Il n'y a que du mouvement, c'est dire :" il n'y a que des images".

Alors, bien oui, à la lettre il n'y a ni chose ni conscience. Voyez à quel point c'est très distinct : la
phénoménologie gardera encore les catégories des choses et de conscience, en en bouleversant le
rapport, chez Bergson à ce niveau, au début du premier chapitre, il n'y a plus ni chose ni conscience.
Il n'y a que des image-mouvements en perpétuelles variations les unes par rapport aux autres.
Pourquoi en perpétuelles variations les unes par rapport aux autres ? C'est le monde des
image-mouvements puisque toute image en tant qu'image exerce des actions, subit des actions et
exerce elle-même des actions - puisque ses parties en tant qu'images sont des actions et
réactions...Etc.

Si bien qu'il y a ni chose ni conscience pourquoi ? parce que ce qu'on appelle les choses, ben oui
c ‘est très bien les choses, c'est quoi ? c'est des images, c'est des ébranlements, c'est des
vibrations. La table qu'est ce que c'est ? C'est un système d'ébranlements, de vibrations. D'accord,
très bien. J'introduis là quelque chose qui peut éclairer certains textes de Bergson, parce que, on
aura à y revenir beaucoup dans le cinéma. Une molécule ? bon c'est une image une molécule, très
bien dirait Bergson ; c'est une image, mais justement c'est une image puisqu'elle est strictement
identique à ces mouvements.

Je veux dire quand les physiciens nous parlent de trois états de la matière :
état gazeux,
état liquide,
état solide. Ca ça nous intéressera beaucoup pour l'image cinématographique. Mais c'est quoi ?
Et bien ça se définit avant tout par des mouvements moléculaires de types différents, les molécules
n'ont pas le même mouvement dans ce qu'on appelle l'état solide, l'état liquide,, dans l'état gazeux.
Mais c'est toujours de l'image mouvement, il n'y a pas de chose, il y a des image-mouvements,
c'est-à-dire des vibrations et ébranlements soumis à des lois sans doute, bien sûr il y a des lois.

La loi c'est le rapport d'une action et d'une réaction. Ces lois peuvent êtres extraordinairement
complexes mais c'est quand même des lois. Les lois de l'état liquide, c'est pas les mêmes que les
lois de l'état gazeux ou les lois de l'état solide. Et pas plus qu'il n'y a de choses, il n'y a pas de
conscience. Pourquoi ?

Ce qu'on appelle des choses c'est par exemple la chose solide bien c'est une image-mouvement
d'un certain type. Je peux dire c'est lorsque le mouvement des molécules est confiné par l'action des
autres molécules dans un espace restreint, de telle manière que la vibration oscille dans une
position, autour d'une position moyenne.
Au contraire dans un état gazeux il y a un libre parcours des molécules déjà par rapport aux
autres mais tout ça c'est des types de vibrations différents, d'ébranlements différents. Et pas plus
qu'il n'y a de chose, il n'y a pas de conscience. Ma conscience c'est quoi ? C'est une image, ma

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conscience c'est une image-mouvement, une image parmi les autres. Mon corps ? ben d'accord mon
corps très bien c'est une image-mouvement parmi les autres, mon cerveau c'est une
image-mouvement parmi les autres. Aucun privilège, aucun privilège d'une conscience, aucun
privilège d'une chose. Rien. Tout est image-mouvement et se distingue par les types de mouvements
et par les lois qui règlent, qui réglementent le rapport des actions et des réactions dans cet univers.

Donc je viens juste de suggérer cette identité ; image = mouvement. Bergson , c'est ça le thème
général, si vous voulez, du premier chapitre, Bergson y ajoute quelque chose de plus important, à
savoir ; non seulement image = mouvement mais image égale mouvement = matière. A mon avis
c'est pas facile, d'une certaine manière cela va de soi tout ça et d'une autre manière c'est très
difficile. Si vous voulez, il y a deux lectures, on se laisse aller : c'est complètement convaincant, on
s'y prend, on réfléchit : c'est toujours convaincant mais il faut trouver les raisons. Je crois que pour
comprendre la triple identité il faut la...Il faut procéder en cascade. Il faut d'abord montrer comme je
viens d'essayer de faire, l'identité première « image-mouvement » et l'identité de la matière découle
de l'identité « image-mouvement ».

C'est parce que l'image est égale au mouvement que la matière est égale à l'image mouvement.

En effet ce qu'on appellera matière c'est cet univers des image-mouvements en tant qu'elles sont en
actions et réactions les unes par rapport aux autres. Ce qui veut dire quoi ? Et pourquoi la matière et
l'image se concilient si bien ? C'est que par définition la matière c'est ce qui n'a pas de virtualité.
Dans la matière il n'y a jamais rien de caché, nous dit Bergson. Ça paraît curieux à première vue et
puis dès qu'on voit ce qu'il dit, c'est tellement évident, tellement évident. Il n'y a rien de caché dans la
matière. Attention : il y a mille choses que nous ne voyons pas. Ça pour ne pas voir ce qu'il y a dans
la matière, on ne le voit pas. Il faut des instruments de plus en plus complexes, de plus en plus
savants, n'est ce pas ? Pour voir quelque chose dans la matière, bon oui, c'est très vrai ça.

Mais il y a une chose que je sais comme « a priori » comme indépendamment de l'expérience selon
Bergson : c'est que si dans la matière il peut y avoir beaucoup plus que ce que je vois, il n'y a pas
autre chose que ce que je vois. C'est en ce sens qu'elle n'a pas de virtualité. À savoir dans la matière
il n'y a et il ne peut y avoir que du mouvement. Alors bien sûr, il y a des mouvements que je ne vois
pas, c'est une reprise du thème précédent,il y a des images que je ne perçois pas ; c'en n'est pas
moins des images, tel qu'il a défini l'image.
L'image n'est nullement en référence à la conscience pour la simple raison que la conscience est
une image parmi les autres.

Bon vous voyez, dans l'ordre, dans une espèce d'ordre des raisons, il faudrait dire : je commence
par montrer l'égalité de l'image et du mouvement et c'est de cette égalité de l'image et du
mouvement - que je conclus et que je suis en droit de conclure - l'égalité de la matière avec
l'image-mouvement. Or, nous voilà donc avec notre triple identité. Aujourd'hui je ferai des arrêts pour
que vous réagissiez parce que j'ai commencé par le thème général, je vais ajouter quelque chose
dans l'espoir de faire mieux comprendre ce point de vue bergsonien.

Cette triple identité « image mouvement matière » c'est comme, on dirait, l'univers infini d'une, d'une
universelle variation ; perpétuellement ces actions et réactions. Encore une fois c'est ça que je
voudrais que vous compreniez - qui est tout simple - c'est que c'est pas l'image qui agit sur d'autres

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images mais c'est l'image dans toutes ses parties et sous toutes ses faces qui est en elle même
action et réaction c'est-à-dire vibration et ébranlement. Si vous comprenez ça, il me semble que la
question que je posais tout à l'heure trouve une justification.

À savoir de quel point de vue est ce que Bergson peut découvrir cet univers de l'image-mouvement ?
Que vous pouvez traiter à la fois comme la chose qui va le plus de soi et le monde le plus bizarre
qu'on puisse imaginer ? Une espèce de clapotement d'images-mouvements. Bon, il se le demande
lui, dans ces textes du chapitre premier, vous verrez, il se le demande. Il dit : Mais c'est quel point de
vue ça ? Et il dit ; eh bien finalement c'est le point de vue du sens commun. En effet le sens commun
ne croit pas en une dualité de la conscience et des choses. Le sens commun sait bien que nous
saisissons comme il dit : plus que des représentations et moins que des choses. Le sens commun il
s'installe dans un monde intermédiaire à des choses qui nous seraient opaques et à des
représentations qui nous seraient intérieures.

Alors il dit, cet univers de l'image-mouvement, dans lequel nous sommes pris, dont nous faisons
partie, finalement c'est le point de vue du sens commun. Il me semble évidemment non : non c'est
pas du tout le point de vue du sens commun. En revanche ce qu'il me paraît évident, et donc je
redouble ma question, qui est pour le moment encore une question encore marginale : Est ce que
c'est pas singulièrement un univers, un monde de cinéma, qu'il nous décrit là ? Cet univers de
l'image-mouvement ? C'est pas le point de vue. Est ce que c'est le point de vue du sens commun ?
Est ce que ce n'est pas plutôt le point de vue de la caméra ? Enfin ça, cette question elle pourra
prendre un sens que plus tard... Ce que je veux dire c'est donc, univers infini d'universelles
variations, c'est ça l'ensemble des images-mouvements.

Dès lors je pose une question : Est ce que je pourrais définir cet univers comme une espèce de
mécanisme ? Ou par une espèce de mécanisme ? Action et réaction. Il est bien vrai qu'il a avec le
mécanisme un rapport étroit à savoir : il n'y a pas de finalité dans cet univers. Cet univers est comme
il est, tel qu'il se produit et tel qu'il apparaît. Il n'a ni raison ni but. Pourquoi telles images plutôt que
d'autres ? Ben c'est comme ça ; c'est comme ça. Bien plus pour Bergson la question n'a pas de
sens. Il consacrera de longues pages à montrer pourquoi ceci plutôt qu'autre chose et à la limite
pourquoi quelque chose plutôt que rien. Questions qui ont beaucoup agitée la Métaphysique.
Pourquoi selon lui, ce sont des questions dénuées de sens.

Donc cet univers semble bien être une espèce d'univers qu'on pourrait appeler mécanique. Et en fait
pas du tout. Pourquoi est ce que à la lettre et rigoureusement, ça ne peut pas être un univers
mécanique ? Cet univers de l'image, des images-mouvements. C'est que si l'on prend au sérieux le
concept de mécanisme, je crois qu'il répond à trois critères ; dont Bergson a très bien parlé
lui-même.
Premier critère : instauration de systèmes clos, de systèmes artificiellement fermés. Une relation
mécanique implique un système clos auquelle elle se réfère et dans lequel il se déroule.
Deuxième caractère d'un système mécanique : il implique des coupes immobiles du mouvement.
Opérer des coupes immobiles dans le mouvement, à savoir : l'état du système à l'instant petit « t ».
Troisièment : Il implique des actions de contact qui dirigent le processus tel qu'il se passe dans le
système clos.

Or on a vu précédemment dans nos recherches précédentes, on a vu que chez Bergson, il y avait

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toute une théorie des systèmes clos. On l'a vu suffisamment pour que je puisse déjà conclure assez
rapidement : quelle que soit l'importance des systèmes clos chez Bergson, l'univers des
images-mouvements n'est pas un système clos. C'est donc sa première différence avec un système
mécanique. Pas du tout un système clos, c'est un univers ouvert. Là vous voyez je parle pour ceux
qui se souviennent des notions qu'on a déjà dégagées ; et pourtant il ne faut pas le confondre avec
ce que Bergson dans « L'Evolution créatrice » appelait le « Tout », le Tout ouvert au sens de la
durée. Voilà qui maintenant nous avons trois notions à distinguer ;
les systèmes artificiellement clos, pour lequel je proposais de garder le mot « ensemble ». Un
ensemble est un système artificiellement clos.
Deuxième point : le Tout ou chaque Tout qui est fondamentalement de l'ordre de la durée. Mais
maintenant nous avons une troisième notion qu'il ne faut confondre ni avec la précédente ni avec la
précédente. Pour celle-là j'aimerais réserver le mot de « univers ».
L'univers ça désignerait l'ensemble des images-mouvements en tant qu'elles agissent les unes
sur les autres et réagissent les unes aux autres.

Donc cet univers des images-mouvements - je dis juste - n'est pas de type mécaniste puisqu'il ne
s'inscrit pas dans des systèmes clos.
Deuxième point, il ne procède pas par coupe immobile du mouvement. En effet il procède par
mouvements et si comme nous l'avons vu précédemment aussi ; le mouvement à son tour est la
coupe de quelque chose, on ne doit pas confondre la coupe immobile du mouvement avec le
mouvement lui-même comme coupe de la durée. Or dans l'univers des images-mouvements, les
seules coupes sont les mouvements eux-mêmes à savoir les facettes de l'image, les faces de
l'image. C'est donc une seconde différence avec un système mécaniste.
Troisième différence : l'univers des images-mouvements exclut de loin les actions de contact ou
déborde de loin les actions de contact. En quoi les actions subies par une image s'étend aussi loin et
à distance aussi grande qu'on voudra d'après quoi ? D'après les vibrations correspondantes.

Et c'est très curieux là, je tiens à le signaler là ,c'est pour le détail du texte, que Bergson qui a
tellement critiqué : "les coupes que l'on opère sur le mouvement". On s'attendrait à ce que très
souvent il prenne comme exemple, de ces "coupes immobiles opérées sur le mouvement", qu'il
prenne comme exemple : l'atome. L'atome ce serait typiquement une coupe immobile opérée sur le
mouvement. Or jamais : or jamais il n'invoque l'atome quand il parle des coupes immobiles. Pourquoi
? C'est qu'il a une conception très très très - et il ne met jamais en question l'atome dans sa critique.
C'est que l'atome pour lui, il s'en fait une conception très riche.

À savoir l'atome, il est toujours inséparable d'un flux, l'atome il est toujours inséparable d'une onde,
d'une onde d'action qu'il reçoit et d'une onde de réaction qu'il émet. Jamais Bergson n'a conçu
l'atome comme une coupe immobile. Il conçoit l'atome comme il faut le concevoir, à savoir : comme
corpuscule en relation fondamentale avec des ondes, en relation fondamentale avec des ondes, en
relation inséparable avec des ondes ou comme un centre inséparable de lignes de force. En ce
sens, l'atome pour lui est fondamentalement pas du tout une coupe opérée sur le mouvement mais
est bien une image-mouvement.

Donc voilà que pour ces trois raisons, je dis : l'univers des images-mouvements mérite le nom
d'univers parce qu'il ne se réduit pas à un système mécanique. Et pourtant il exclut toute finalité, il
exclut toute finalité. Il exclut tout but bien plus il exclut toute raison, d'où la nécessité de trouver un

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terme qui distinguerait bien la spécificité de cet univers d'images mouvements. C'est pourquoi là
encore une fois, le mot « machinique » me paraît nécessaire, pas du tout pour employer un mot
barbare mais parce qu'on a besoin d'un terme qui rende compte de cette spécificité de l'univers des
images-mouvements. Je dirais c'est un univers qui n'est pas un univers mécaniste, qui n'est pas un
univers mécanique, c'est un univers machinique. C'est l'univers machinique des
images-mouvements. Quel est l'avantage de « machinique » ici ? C'est que c'est par lui que nous
pouvons englober la triple identité ; image mouvement matière.

L'univers à ce moment-là, je pourrais le définir plus précisément comme étant l'agencement


machinique des images-mouvements. Toujours ma question marginale me poursuit : Est-ce-que
c'est pas ça le cinéma ou une partie du cinéma ? Est ce que le cinéma dans une définition très
générale - partielle d'ailleurs, très partielle, je dis pas du tout qu'il n'y ait que ça - est ce que l'on ne
pourrait pas dire : oui c'est l'agencement machinique des images-mouvements ?

Qu'est ce qu'il y a d'étonnant ? qu'est ce qu'il y a d'étonnant dans ce premier thème ? Moi ce qui me
paraît très étonnant dans ce premier thème, voilà c'est là que je voudrais finir ce premier point, ce
qu'il me paraît tout à fait étonnant dans ce premier thème : c'est que jamais à ma connaissance on
avait montré que l'image était à la fois matérielle et dynamique. Si à un autre niveau, si vous voulez,
lorsqu'il s'occupe de l'imagination, Bachelard retrouvera à sa manière par d'autres moyens - à savoir
l'idée que l'imagination est dans son essence matérielle et dynamique. C'est affirmé avec une force
extraordinaire par le premier chapitre. L'image c'est la réalité matérielle et dynamique. Et qu'est ce
qu'il y a d'extraordinaire, alors ? Si vous lisez tous les textes de Bergson avant Matière et Mémoire,
si vous lisez la plupart, tous les textes en gros de Bergson après Matière et Mémoire, vous vous
retrouvez, vous vous retrouvez dans un terrain bien connu qui est le bergsonisme. Et si j'essaye de
définir le bergsonisme, ça revient à dire : bon ben c'est très simple, en apparence c'est très simple,
d'un côté vous avez l'espace de l'autre côté vous avez le vrai mouvement et la durée. Le premier
chapitre de matière et Mémoire fait une avancée formidable parce qu'il nous dit ou semble nous dire
tout à fait autre chose.

Il nous dit le vrai mouvement c'est la matière. Et la matière-mouvement c'est l'image. Il n'y a
absolument pas de question de durée, plus question de durée. Et il nous introduit dans un univers
très spécial, que j'appelle par commodité : l'agencement machinique ou l'univers machinique des
images-mouvements. Et ce premier chapitre forme alors une telle avancée dans le bergsonisme que
la question pour ceux qui ont lu les livres d'avant et d'après, c'est : comment une pointe aussi
extraordinairement avancée va pouvoir se concilier avec les livres précédents et avec les livres
suivants ? Mais là, uniquement dans le premier chapitre de Matière et mémoire on assiste à une
redistribution des dogmes à partir de cette découverte d'un univers matériel des
images-mouvements. Au point que vous comprenez, le problème de l'étendue il ne se pose même
plus. Quand je dis par exemple l'image est mouvement sous toutes ses faces, on dira mais combien
a-t-elle de faces ? combien il y a de dimensions, tout ça.... ? La question ne se pose absolument
pas. Pourquoi ? Il y a une raison simple, c'est que l'étendue il n'en est pas question là-dedans, c'est
l'étendue qui est dans la matière et pas la matière dans l'étendue. Ce qui compte c'est la triple
identité : image = mouvement = matière.

Cette triple identité définit ce qu'on peut appeler désormais l'univers matériel ou l'agencement
machinique des images-mouvements. L'univers machinique des images-mouvements. Alors si bien

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plus tard, on se dit, ah eh bien peut-être que le cinéma, ah oui c'est ça...c'est l'agencement des
images-mouvements. Et est ce qu'il y a d'autres choses ? Qu'est ce que c'est un tel agencement,
etc... ? Peut-être qu'à ce moment-là on aura besoin d'une tout autre manière de reconvoquer
Bergson, de se resservir de Bergson. Voilà donc le premier point qui est, je le dis bien, le thème
général, car - c'est comme un roman, c'est des romans tout ça, c'est beau comme des romans, c'est
plus beau que des romans - car dans cet univers - là, dans cet univers machinique des
images-mouvements qui agissent et réagissent les unes sur les autres, en perpétuelles vibrations,
en perpétuels ébranlements, c'est des vibrations : c'est ça l'image.

Voilà que quelque chose va se passer... Et que, ce que je viens de décrire ce n'était que le thème
général du premier chapitre. Mais que dans ce monde va surgir quelque chose d'extraordinaire et ça
; ça va être donc notre deuxième thème. Qu'est ce qui dans le premier chapitre, une fois défini
l'univers des images-mouvements ou l'agencement matériel, l'univers matériel des
images-mouvements ou l'agencement machinique des images-mouvements...Qu'est ce qui va bien
pouvoir surgir dans cet univers ?

Qu'est ce qui peut se passer dans cet univers ? Sinon perpétuellement des images qui clapotent.
Vous voyez l'angoisse alors, qu'est ce qui peut se passer là-dedans ? Tout ça, ça ne vaut que si on
avance, que si ça nous fait avancer c'est-à-dire si quelque chose arrive dans cet univers (quelle
heure est-il ?) onze heure vingt-...Eh bien il faudrait que je passe au secrétariat tout à l'heure encore)
Alors voilà. Je fais un court arrêt, vous réagissez, parce que ce qui m'importe ce n'est pas, ni
objection ni quoi que ce soit parce que vos objections, elles ne vaudront que plus tard si vous en
avez...

Ce qui m'importe c'est : Est ce que ce point est suffisamment...Essayez de vous mettre dans cet
état, - alors il faudrait beaucoup cligner les yeux, c'est un état presque d'endormissement, cet
univers d'images mouvements...Encore une fois je suggère : est ce que ce n'est pas ça quand vous
vous apprêtez à voir du cinéma. ?..Et vous vous dites bien n'oubliez pas : vous n'êtes pas extérieurs
à cet univers mais vous vous êtes une petite image-mouvement, vous recevez des actions, vous
renvoyez des réactions. Vous êtes une image parmi les images. Et si vous voulez dire : « attention
non, je suis une image spéciale » pour le moment absolument pas. Il va peut-être se passer quelque
chose qui va faire de vous des images très spéciales. Mais pour le moment pas du tout. Vous êtes
un clapotement parmi les autres quoi, vous êtes une vibration, vous êtes des vibrations parmi les
autres et chacun ne vibre pas de la même façon.

Quel bel univers ! Oui, un coup d'œil, une vibration, un coup d'œil quoi, c'est une image, c'est un
mouvement, c'est une image-mouvement ! Bon, bien voilà, est ce que c'est assez clair ? Ou est ce
que je dois reprendre des points ? Il faut que ça soit clair, pas d'une clarté de ...Il faut que ça soit
clair bien-sûr d'une clarté de l'intelligence mais également d'une clarté de sentiment.

« Je peux poser une question ? »

Deleuze : Oui, mais vous je redoute parce que vos questions elles sont toujours difficiles : déjà
trop...Mais posez la, oui ?

(QUESTION INAUDIBLE)

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Cet univers des images-mouvements, cet univers machinique d'images mouvements, comment va
naître une perception ? Pour le moment il n'y a pas de perception ou ce qui revient au même : tout
est perception. On verra en quel sens. Mais pour le moment je n'ai pas introduit la catégorie de
perception, j'ai introduit uniquement dans ce premier thème les catégories de : :image, mouvement,
matière.

(DEUXIÈME QUESTION INAUDIBLE)

Eh bien c'est la situation qu'on peut supposer, à coup sûr ce n'est pas notre situation, mais encore
une fois je n'ai pas introduit notre situation, mais ce que vous dites c'est la situation de l'univers. Des
images, des images-mouvements qui agissent réagissent voilà, il y a communication, oui, au sens de
transmission d'action et de réactions. Mais c'est tout ; c'est un univers absolument aveugle.
Comment va naître communication, perception, etc.... ? Ça c'est justement, ça va être le second
thème.

Comtesse : Par exemple quand tu parles de l'imagination dynamique chez Bachelard. Comment tu
expliques qu'en même temps Bachelard parle d'imagination dynamique dans la « poétique de la
rêverie » par exemple il dit explicitement que l'image, l'imagination dynamique a essentiellement
pour fonction de revenir à la permanence de l'enfance immobile qui est hors de l'histoire ; Comment
accorder le dynamisme de l'imagination avec la permanence et l'immobilité ?)

G Deleuze : Écoute, ça c'est une question trop riche, parce que, ou bien ça concerne la pensée de
Bachelard, alors je précise bien : Bachelard à mon avis n'est pas un penseur bergsonien. Ce que je
voulais dire c'est qu'à un certain niveau de sa théorie de l'imagination il emprunte, parce qu'il a
besoin, et il le dit volontiers lui-même, il a besoin de cette espèce d'intuition bergsonienne : du
rapport de l'image avec matière et dynamisme. Et ça, il le reprend tout à fait à son compte. Alors les
développements ensuite de Bachelard, ils n'ont rien à voir avec ça. Et à mon avis ça ne serait pas du
tout notre sujet. Si la question que tu poses est une question très générale ; à savoir l'immobilité, je
dirais juste qu'il est facile de concevoir, par exemple que l'immobilité ne soit pas un état intelligible
par lui-même, suffisant par lui-même mais que l'immobilité soit par exemple, un mouvement
interrompu... la nécessité de penser l'immobilité en termes de mouvement et pas l'inverse me paraît
très important, par exemple, le cinéma nous en donnera mille exemples : un gros plan immobile, est
ce que c'est une objection à l'idée que l'image de cinéma soit une image-mouvement ? Là c'est des
choses qui à la fois comme vont de soi et sont très intéressantes qu'on a pas encore abordées, mais
c'est trop évident que si lorsque j'ai dit à un moment : l'image de cinéma c'est l'image-mouvement,
vous m'aviez dit : « ah ben qu'est ce que tu fais d'un gros plan immobile ? » Je ne crois pas que ça
aurait été une très grande difficulté, une objection sérieuse. Alors là juste ce que tu dis de très
intéressant, c'était en effet : une théorie de l'image-mouvement implique une conception de
l'immobilité ou de, ce qui est mieux, de l'immobilisation. Car l'immobilisation c'est vraiment le
mouvement, par rapport à l'immobilité. Ça on aura tout à fait à le rencontrer.

question de Comtesse : il y a une permanence de l'immobilité. Rhyzome tout le dynamisme

tu poses un problème interessant mais à mon avis tu dirais cela de Bergson ausssi.. je retiens cette
question... Alors je dis vite avant de disparaître dans le secrétariat un court moment.

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Deuxième thème ça va être : Qu'est ce qui se passe là-dedans ? Qu'est ce qui peut se passer ?
Mais comprenez les règles du jeu, c'est-à-dire les règles du plus sérieux, c'est-à-dire les règles du
concept que Bergson s'est imposé.

Il nous a dit la matière ne contient rien de plus que ce qu'elle nous donne...Il n'y a rien de caché
dans la matière. À la question : qu'est ce qui peut se passer dans l'univers matériel des
images-mouvements ou dans l'agencement machinique des images-mouvements ? À cette question
il est complètement exclu de faire appel à quelque chose qui ne serait pas du mouvement. Il ne s'agit
pas de réintroduire en douce dans cet univers une nouvelle catégorie qui permettrait d'en sortir
quelque chose comme on sort un lapin d'un chapeau. Donc c'est uniquement avec les données de
cet univers des images-mouvements qu'en tant qu'elles agissent et réagissent les unes sur les
autres, quelque chose va se passer. C'est ça qui est bon. C'est le suspense, quoi.

Qu'est ce qui va se passer ? Et bien je vous le dis : le temps que vous réfléchissiez quand je vais y
aller là-bas au secrétariat...Je vous dis : il va se passer ceci qui à l'air de rien : CERTAINES
IMAGES, dans cet univers d'images-mouvements, voilà certaines images présentent un phénomène
de retard.

Bergson n'introduit rien de plus que le retard. Retard ça veut dire quoi ? Tout simple : le retard ça
veut dire qu' au niveau de certaines images, l'action subie ne se prolonge pas immédiatement en
réaction exécutée, entre l'action subie et la réaction exécutée : il y a un intervalle. Vous voyez c'est
prodigieux ça parce que la seule chose qu'il se donne et qu'il va nous demander de lui accorder c'est
l'INTERVALLE DE MOUVEMENT. Mais c'est pas sa faute, c'est comme ça, il dit : « Bien oui, dans
mon univers d'images-mouvements il y a des intervalles », c'est-à-dire il y a certaines images ; c'est
des riens, à la lettre, c'est des riens. Entre une image, il y a des images constituées de telle sorte
qu'entre l'action quelles subissent et la réaction qu'elles exécutent, il y a un laps de temps, il y a un
intervalle. Là je ne vais pas tout mélanger, mais rappelez vous les belles pages de Vertov quant au
cinéma : ce qui compte c'est pas le mouvement, c'est l'intervalle entre les mouvements... aussi le
cinéma va être plein du problème de l'intervalle.

Qu'est ce qui se passe entre deux mouvements ? Et bien à première vue cette question, elle ne se
posait pas ! Il y a jamais entre deux mouvements dans la mesure où une action subie se prolonge en
réaction exécutée. Et c'est là, c'est la loi de la nature, dans la plus grande partie de ces parties...
Dans le plus grand nombre de ces parties. Une action subie se prolonge immédiatement en action,
en réaction exécutée. C'est même ce qu'on appellera, même au niveau animal, c'est ce qu'on
appellera la loi du circuit réflexe. Et dans ce qu'on appelle un acte réflexe, il y a le prolongement
d'une excitation reçue c'est-à-dire d'une action subie et d'une action exécutée.

Mais voilà nous dit Bergson que, il y a certaines images qui n'ont pas d'âme, vous voyez leur
supériorité ce n'est pas d'avoir une âme, c'est pas d'avoir une conscience...Elles restent
complètement dans le domaine des images-mouvements. Simplement comme si, l'action subie et la
réaction exécutée étaient distendues. Qu'est ce qu'il y a entre les deux ? Pour le moment : rien, un
intervalle, un trou. Bon vous me direz c'est pas grand-chose ça alors... Et bien on va voir ca que ça
donne si on s'accorde des images d'un tel type. Et est ce qu'il y a des images d'un tel type ?
C'est-à-dire des images qui se définiront uniquement au niveau du mouvement, retard du

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mouvement.

(Je reviens tout de suite./

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 24/11/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 24/11/81 - 2 Page 1/22


GILLES DELEUZE : Cinéma Cours 3 du 24/11/1981 - 2 transcription : Claire Pano

...intensif du mouvement dans l'espace alors là oui...peut-être que le mouvement dans l'espace
exprimerait un Tout. Exprimerait un Tout, c'est-à-dire exprimerait une idée. Supposez qu'il soit dit ça
ou qu'il y ait des gens qui se soient dit ça. C'est pas clair mais enfin on sent, ça peut être une ....on
peut toujours essayer mais qu'est-ce que c'est ? Un facteur intensif d'un mouvement extensif ? Vous
me direz il y a un facteur extensif du mouvement tout simple, c'est l'accélération. C'est la vitesse et
l'accelération. Ça ne va pas, ça ne va pas, ça se serait plutôt pour l'école française. Ça serait plutôt
pour le montage accéléré parce que la vitesse et l'accélération, elle présuppose le mouvement, donc
ça va pas. Il faudrait inventer un facteur intensif qui soit correspondant à l'image cinématographique
qui soit vraiment le facteur intensif du mouvement dans l'espace c'est-à-dire la tension, la tension du
mouvement. La réponse peut-être qu'on va pouvoir seulement comprendre la, la...Je vous demande
toujours énormément de patience là.

Supposez que la réponse....On essaie de préssentir avant de comprendre, supposez que, ces gens
se disent - Eh ben oui, après tout le facteur intensif ou la tension propre au mouvement dans
l'espace, c'est la lumière. Quelle drôle d'idée. Il ne faut pas se demander si c'est exact du point de
vue de la science physique parce que il faudra se le demander seulement après c'est peut-être exact
ou bien il y a peut-être quelque chose d'exact là-dedans, du point de vue de la physique elle-même.
Le facteur intensif du mouvement, ce serait la lumière. Alors qu'est-ce qu'on ferait ? La lumière ça
voudrait dire quoi ? ça voudrait pas dire la lumière en général, c'est trop vague. Il faudrait dire : Le
facteur intensif du mouvement c'est l'infinité des états de l'intensité lumineuse.

Ça deviendrait déjà plus clair car là, l'infini des états de l'intensité lumineuse, on voit bien que c'est
du mouvement. Ben, ce serait ça le mouvement intensif ou l'élément intensif de tout mouvement. Et
c'est ça qu'il faudrait dégager du mouvement pour rapporter le mouvement au Tout qui l'exprime. Ah
c'est ça ! et pourquoi ? Alors reculons, cherchons toujours dans nos préssentiments parce que
pourquoi est-ce que... ? Pourquoi est-ce que un facteur intensif rapporterait le mouvement dans
l'espace à un Tout ou à l'unité ? Pourquoi ?

Qu'est-ce que ça veut dire un facteur intensif ? Qu'est-ce que ça veut dire une intensité ?
Une intensité, la définition est très simple, elle a été donnée par le grand philosophe Kant : "Une
intensité c'est une grandeur appréhendée dans l'instant". Voyez que dire ça, ça suffit à distinguer
quantité intensive et quantité extensive. En effet une quantité extensive, c'est une grandeur
appréhendée successivement. Vous dites : elle a tant de parties. Une quantité intensive, vous dites
par exemple : Il fait chaud, il fait froid, il fait 30°. Il est clair que 30 °, c'est pas la somme de 30 fois un

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degré. Non, une longueur de 30 centimètres, c'est la somme de 30 fois un centimètre. 30 degrés,
c'est pas 30 fois un degré. Bon c'est des choses évidentes.

Vous dites donc, le paradoxe de la quantité intensive c'est une grandeur appréhendée dans l'instant.
Bon c'est déjà très intéressant du point de vue des concepts : Vous êtes en train de vous former un
concept d'intensité. Essayons de préciser grandeur appréhendée dans l'instant ça veut dire quoi ?
Alors qu'est-ce que c'est ça ? Qui dit grandeur, dit : multiplicité... Dit pluralité, bien une quantité
intensive, je dirais c'est une quantité, c'est une grandeur dont la pluralité ou telle que la pluralité
contenue dans cette grandeur - lorsque vous dites il fait 30 ° degré par exemple - la pluralité
contenue dans cette grandeur ne peut être représentée que par sa distance indivisible à zéro. La
pluralité contenue dans cette grandeur ne peut-être représentée que par sa distance indivisible,
c'est-à-dire son rapprochement dans l'instant avec zéro. C'est ça une quantité intensive.

En d'autres termes une quantité intensive implique une chute, ne serait-ce qu'une chute idéale. En
effet 30 ° ne passe pas... la pluralité contenue dans 30 ° ne passe pas par une succession où j'irai de
un, deux, trois, quatre, jusqu'à 30, ça ce serait traiter la quantité intensive comme une quantité
extensive. Et qu'est-ce qui fait ça ? Ce qui fait ça c'est le thermomètre, oui. Mais le thermomètre a
pour fonction de substituer une quantité extensive... à savoir la hauteur du mercure à la quantité
intensive, la châleur. Donc l'évaluation de 30 ° ne se fait pas à l'état pur, par le thermomètre -
c'est-à-dire par tous les intermédiaires qui ramènent la quantité intensive à une quantité extensive -
mais se fait par... la distance traitée comme indécomposable entre la quantité intensive considérée
et zéro, c'est-à-dire par la chute. Bon ça veut dire quoi, ça ?
L'intensité renvoie à une chute...de la chose qu'elle caractérise en intensité. C'est fondamental,
cette idée d'une chute, de l'intensité inséparable d'une chute, d'une descente. Et alors quoi, bon, j'ai
l'air de m'éloigner mais pas du tout. Le point zéro c'est quoi ? Je disais...C'est la négation
ouais...c'est la négation de l'intensité. Et c'est quoi alors le terme de cette chute ? On dira que le
facteur intensif est inséparable de sa distance, sa distance à l'état zéro de la matière. Et ce qui le
définit, c'est-à-dire sa distance à l'état zéro de la matière comme distance indécomposable lui
appartient. Il est inséparable d'elle. C'est-à-dire, il est inséparable de cette chute virtuelle.

En d'autres termes, si je dégage ...Comprenez, on progresse beaucoup. Si je dégage euh l'état


intensif ou la tension correspondant au mouvement, j'ai fais un pas dans les deux autres solutions,
que j'avais pas : A savoir, j'ai introduit une nécessité de ne pas séparer le mouvement d'une matière.
J'ai introduit la nécessité de ne pas séparer le mouvant, d'une matière nue.

Et après tout les autres ils s'occupaient beaucoup du mouvant mais pas beaucoup de la matière nue.
Et là, il y a une espèce de choix pratique c'est-à-dire, ils rattrapaient la matière nue bien sûr il la
rattrapait. Mais ils la rattrapaient secondairement, ce qui les intéressait d'abord, c'était le mouvant. Et
maintenant voilà que, arrive cette troisième espèce d'hommes de cinéma qui vont s'intéresser
énormément à la matière nue et à sa possibilité d'être nue ou pas. Or ils ne pouvaient dégager la
matière nue dans son caractère essentiel de liaison avec le mouvement. Ils ne pouvaient faire cela
que... à l'abri ou grâce à l'hypothèse d'un facteur intensif du mouvement.

Or et qu'est-ce que c'est que cette distance indécomposable qui relie le facteur intensif du
mouvement à la matière nue comme égale zéro. Comme degré égal zéro. Sentez ce qu'on est en
train de ...reconstituer, c'est... vous devez déjà avoir deviner. Eh ben, ça va s'exprimer au plus

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simple, on va voir que, perpétuellement il faut corriger ce que je dis. Ça va s'exprimer au plus simple
sous la forme : "Le mouvement est le processus par lequel quelque chose ne cesse pas de se
défaire". Le mouvement est inséparable d'une chute dans la matière. Le mouvement - alors il faudrait
sous-entendre "quand vous l'avez rapporté à son facteur intensif est strictement inséparable d'une
chute dans la matière". Et si cette chute est indéfinie ou infinie, qu'est-ce que ça peut faire ? Le
mouvement ne fait qu'un - quand on en dégage le facteur intensif - ne fait qu'un avec un processus
de décomposition possible. Processus de décomposition possible ça veut dire quoi ça ?
A savoir que, le mouvement vous allez le rapporter à ce qui se passe dans le plus obscur de la
matière. Ce qui se passe de plus obscur dans la matière... Le mouvement rapporté par l'intensité à
ce qui se passe de plus obscur dans la matière. Qu'est-ce que ça peut-être ça ? Concrêtement, on le
voit bien : les pièces enfumées, les marais pestilentiels, là où la matière s'agite, est à son niveau
zéro mais clapote à ce niveau. Et toute intensité rapportera le mouvement dans l'espace, à ce fond
marécageux. Oh et les fumées sortiront de ce fond. Et qu'est-ce que ce sera ça ? Le mouvement
rapporté à ce fond de la matière....à ce fond ténébreux de la matière. Ah le mouvement... à ce
moment je dirais que j'en ai dégagé le facteur intensif du mouvement. Et qu'est-ce que c'est ce fond
? Comment est-ce qu'on pourrait, ce fond abominable ? Ce fond qui n'a pas de nom, nommons le,
alors. C'est le contraire de la lumière, d'accord, bon, c'est le contraire de la lumière. C'est l'ombre,
c'est l'ombre absolue, c'est les ténèbres. Ah bon oui, puisqu'en effet, si le lumineux c'était l'état
intensif du mouvement, la chute du mouvement dans cette matière qui lui est irrémédiablement liée,
ça va être les ténèbres. Ah alors voilà les marais vaguement éclairés. Des espèces de lueurs qui
sont faites pour mourir. Ça clapote oui. Qu'est-ce que c'est alors ? Ce mouvement là, qui...se repère
à cette état clapotant de la matière à ce degré zéro. C'est bien connu...Qu'est-ce que c'est cette
décomposition ? Cette euh, je dirai eh oui, c'est très vivant tout ça. Mais c'est une vie
essentiellement non-organique. C'est la vie non-organique des choses. Les choses ont une vie. Oui,
ah ! vous croyez que pour vivre, il faut avoir un organisme ? pas du tout. Mais pas du tout alors.
L'organisme, c'est l'ennemi de la vie. L'organisme c'est ce qui conjure ce qui il y a de terrible dans la
vie.
Ce qui vit, c'est les choses parce qu'elles ne sont pas asservies à l'organisme.

Ah bon ce qui vit c'est les choses, alors il y a une vie non-organique ? Oui la vie est
fondamentalement non-organique. Admirez l'opposition avec Eisenstein. Eisenstein nous disait : le
montage et la mise en scène de l'opposition des forces. Cela ne peut se faire que sur fond de la
représentation organique de l'image organique. Et l'image-mouvement du cinéma c'est ...la vie
organique de la spirale et voilà que ces obscurs allemands surgissent et disent : Pas du tout.
L'élément de la vie, le premier élément, le premier élément de l'image-mouvement, ça va être la vie
non-organique des choses. Et tout le décor expressionniste y arrive. Une vie non-organique qui soit
la vie des choses en tant que choses. Les choses vivent, oui, les choses vivent. Sous quelle forme ?
Sous la forme du marais, sous la forme du marécage. Les maisons elles-mêmes sont des marais.
Les maisons sont des chemins. Les maisons, la ville est un marais, tout est un marais. Il y a une vie
non-organique des choses. Les vivants, les organismes sont des accidents de la vie. Quelle idée,
quelle idée ! Et on dirait quel pessimisme ! Quel pessimisme, quel désespoir. Si l'intensité ne
s'évalue qu'à sa chute. Si la chute est la chute dans le marais. C'est-à-dire dans cet état de la
matière égal zéro. Si tout mouvement doit exprimer la vie non-organique des choses comme ce qui
fait notre terreur même, c'est pas un monde joyeux, hein ?

Et vous allez voir à quel point c'est corrigé tout ça. Et en effet c'est tout un aspect de

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l'expressionnisme et après tout, l'esthéticien qui a baptisé, qui a trouvé le nom "expressionnisme",
c'est un concept tellement confus et flou que je voudrais essayer de lui donner un peu de
consistance. Il y a mille manières moi je prends un aspect, je prends l'aspect qui m'intéresse hein.
Vous, vous pouvez avoir très bien d'autres aspects. Je dirai le premier aspect de l'expressionnisme -
comme j'ai trouvé dans les deux autres cas, deux pôles, Vous sentez que pour l'expressionnisme
allemand je suis en train de chercher aussi deux pôles pour que ce soit plus clair.

Je dirai le premier pôle de l'image expressionniste ou du montage expressioniste, ça va être la vie


non-organique des choses. Et encore une fois, la vie non-organique des choses renvoie au facteur
intensif du mouvement dans l'espace en tant que ce facteur intensif, n'existe que par sa relation
indécomposable avec un état de la matière égale zéro. C'est pas difficile tout ça, ça s'enchaîne très
bien. Ah oui bon, ah ben ça c'est très connu tout ça. C'est très connu et je et dans VÖHRINGER
l'esthéticien qui invente le mot expressionnisme et qui va l'appliquer tour à tour à toutes sortes de
choses mais qui va finir par l'appliquer au cinéma. Comment il le définit lui le baptiseur ? il faut bien
puisque c'est lui qui invente, qui se sert du mot. Et ben c'est très curieux, dans tous les textes de
VÖHRINGER, il y a quelque chose qu'il ne perd pas de vue enfin dans les plus beaux textes. Il nous
dit « La ligne expressionniste c'est la ligne qui exprime une vie non organique ». C'est à la fois du
non organique et pourtant c'est du vivant. Et il oppose la ligne expressionniste ou non organique, la
ligne vitale non organique, il l'oppose à la ligne organique de l'harmonie classique.

Quel hommage à EISENSTEIN, l'harmonie classique. C'est le grand classique du cinéma


EISENSTEIN. Et comment il définit la ligne non-organique ? La ligne organique ce sera le cercle ou
la spirale. Et la ligne non organique ? Ah celle-là elle est violente, dit VOHRINGER, c'est la ligne
violente. Qu'est-ce que c'est que la ligne violente ? C'est la ligne qui ne cesse pas de changer de
direction ou bien la ligne qui se perd en elle-même comme dans un marais. Il dit pas ça, il dit
presque ça, hein il dit « comme dans du sable » c'est pareil, du sable mouillé quoi. La ligne qui ne
cesse pas de changer de direction c'est ce qu'il appelait et la première forme d'art expressionnisme,
selon VÖHRINGER, c'est l'art gothique. C'est l'art gothique avec sa ligne perpétuellement brisée, qui
ne cesse de changer de direction. Qui s'oppose perpétuellement à un obstacle pour reprendre force
en changeant de direction. Ça, c'est une ligne qu'aucun organisme ne peut faire et qui est pourtant la
ligne de la vie elle-même en tant qu'elle déborde tout organisme.
Donc à la ligne organique de l'art dit classique, VÖHRINGER oppose la ligne non organique,
également vitale pourtant, de l'art dit gothique - par là, ce sera l'expressionnisme.

Cette ligne se brise et ne cesse de changer de direction ou se perd en elle-même. C'est le


mouvement même de l'intensité. Bon alors, bien, est-ce que c'est étonnant que dès lors, le
mouvement dans l'espace tel que l'expressionnisme allemand va le concevoir, est
fondamentalement un mouvement - où paraît être pour le moment, tout va être corrigé, on va voir ...
paraît ëtre un mouvement de la décomposition.
L'âme va se décomposer, l'âme intensive va se confondre avec le mouvement d'une
décomposition qui la ramène à une matière marécageuse.

Mon dieu quel malheur ! et ça va être la promenade dans le marais et ça va être ces décors
étouffants et ça va être ces décors étouffants, pas parce que fermés suivant une courbe organique,
mais parce que perpétuellement brisés et changeant de direction. Le cabinet CALIGARI, CALIGARI
avec ses décors extraordinaires qui sont des décors de plein cinéma et qui introduisent précisément,

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c'est où il n'y a plus aucune ligne droite, une ligne droite, ça c'est une ligne organique.

La diagonale. Ah la diagonale, c'est louche, c'est ce qui passe entre les deux. De la diagonale à la
ligne brisée, il y a des rapports très intimes. La diagonale qui renvoie à une contre diagonale. Oh
mais c'est plus du tout l'opposition de mouvements ça. C'est les intensités, c'est les facteurs intensifs
qui font pencher la droite. On peut toujours traduire en opposition de mouvements, à ce moment là
on perd l'originalité de l'expressionnisme.

C'est pas du tout une pensée de l'opposition, c'est une pensée de l'intensité et c'est très très
différent, hein. Ils ont choisi autre chose, une autre direction et c'est comme dans un tableau de
SOUTINE où la ville devient folle. La ville devient folle puisqu'il n'y a plus de verticale ni d'horizontale.
Il y a des diagonales avec une diagonale qui évoque la contre diagonale.
Toutes les choses ont l'air ivres, toutes les choses sont marécageuses et l'âme et l'âme trouve
son miroir dans les choses c'est-à-dire son intensité en tant qu'âme du mouvement, est inséparable
de la matière nue et cette âme du mouvement, cette âme intensive du mouvement ne peut être
saisie que dans le mouvement qui la rapporte à la matière nue, c'est- à-dire aux marécages, aux
clapotis. Et là tout l'expressionnisme y passe, je ne dis pas qu'ils se réduisent à ça. Mais que ce soit
AURORE de MURNAU, LOULOU de PABST, NOSFERATU de MURNAU ou alors car je crois qu'à
certains égards, il est très profondément expressionniste, LA SYMPHONIE NUPTIALE, LES
RAPACES de STROHEIM. En quoi est-ce de l'expressionnisme ? Je peux toujours le dire si je
donne un critère d'après lequel pour moi, c'est bien de l'expressionnisme.
Pour précisément cette raison, que le mouvement dans l'espace exprime fondamentalement un
processus de décomposition qui dépend de l'intensité même du facteur intensif dégagé dans le
mouvement.

Seulement , seulement tout le monde sait immédiatement que je ne viens de parler que d'une moitié.
Alors en effet à pessimisme à pessimisme, tragédie à tragédie oui, tout cela est affreux, quel monde,
quelle angoisse ! Mais euh, mais non, c'est pas ça. Ça peut être ça, ça peut être ça par exemple
"LES RAPACES". Il y a rien que le mouvement de décomposition. C'est un chef-d'œuvre mais vous
voyez que là, le mouvement dans l'espace, c'est bien une réponse concrête à :"comment le
mouvement dans l'espace exprime le Tout" ? Ben évidemment, qu'il exprime le tout. Evidemment
qu'il exprime le tout. Il exprime le changement dans le tout. Il fait que ça grâce à cette méthode. C'est
une méthode formidable. Si je le traduis en recette de cuisine : dégager le facteur intensif
évidemment ça implique tout le jeu de la lumière et des ténèbres. C'est pour ça que le cinéma
expressionniste va être fondé là-dessus.
Dégagez le facteur intensif, c'est-à-dire le facteur lumineux du mouvement. Saisissez-le comme
intensif. Donc dans son rapport avec la matière nue, avec la matière nue qui elle, est le degré zéro
det l'obscurité. Tout le mouvement va être qualifié comme mouvement de décomposition.
C'est-à-dire comme le mouvement de la chute d'une âme. Comment perdre son âme c'est la leçon
de ce premier aspect de cet expressionnisme et tout y passe toute la mythologie que vous voulez sur
la perte de l'âme, là trouve toute sa justification concrête et pratique. Seulement voilà, voilà que ce
n'était qu'un aspect car toutes les choses ne peuvent pas si mal finir. Ce n'était qu'un aspect. C'était
qu'un aspect parce que.. parce que sauf dans quelques cas - on peut se contenter de cet aspect. Ça
peut faire des choses admirables, formidables encore une fois, il n'y a pas besoin d'autre chose.

Un processus de décomposition parfait, c'est un chef-d'œuvre mais je crois que ça se passe jamais

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comme ça. Il n'y a jamais d'œuvre désespérées vous savez hein. Euh L'art même implique tellement
un appel à la vie, ne serait-ce qu'à la vie non organique et c'est quand même de la vie, il n'y a pas
d'œuvre de mort. Parfois il y a l'air d'en avoir, mais les œuvres de mort, c'est toujours ....On sait ce
que c'est ça vaut rien, ça vaut rien c'est de tristes et pauvres œuvres. Ça n'existe pas. Alors je veux
pas dire il faut un message d'espoir, j'ai pas besoin de mettre un message d'espoir. Bien que aussi
ça peut se passer comme ça, un message d'espoir, ben oui il faut le dire toujours dans une œuvre,
allez y les gars, c'est bien tout ça. Euh sinon, ça vaut pas la peine hein, ça vaut pas la peine parce
que finalement si c'est pour pleurer comme on ne pleure jamais si vous voulez que sur soi-même, ça
donne le pire, ça donne des petites œuvres narcissiques de dégoutation quoi, pas la peine.

Mais je dis c'est pas la peine de ....un message d'espoir encore que souvent ça convienne dans une
œuvre. Il n'y a pas de grande œuvre, à mon avis qui ne contiennent ce formidable message d'espoir.
Et parfois qui le contiennent d'autant moins que il est pas explicitement dit, mais il est mieux que ça,
il est formulé. Il est là, il est comme gravé à travers les lignes. Et alors j'ai l'air de contrebalancer
mais vous vous corrigez, tout ça, ça ne fait qu'un - car dans beaucoup de ces films, c'est quoi ? ça
peut prendre l'air même d'un espoir purement ironique.

A la fin de LOULOU, de PABST, il y a l'Armée du Salut. L'Armée du Salut, les images très belles qui
terminent le film : l'armée du salut, le chant de l'Armée du Salut le salut de l'âme. C'était plus beau
dans l'opéra. Dans l'opéra après la mort de Loulou, il n'y a pas l'Armée du salut, il y a quelque chose
qui est splendide, il y a l'ami de Loulou, qui lance, qui lance son chant merveilleux qui est un chant
merveilleux qui s'élève vers le haut - ne fait rien d'autre que porter l'âme de Loulou au ciel
exactement comme l'Armée du Salut, assure le salut de l'âme de Loulou - comme une remontée de
l'âme. Ah tiens une remontée de l'âme ! oh oui. Dans la SYMPHONIE NUPTIALE de STROHEIM, il y
a une séquence qui passe à juste titre pour une des plus belles séquences admirables chez cet
auteur dur, fourbe et cynique. Et qui est une des plus belles parmi les plus belles images d'amour
que le cinéma ait jamais fait. Qui est, pour ceux qui se rappellent SYMPHONIE NUPTIALE, qui est le
prince Nicolas - je ne sais plus s'il est prince d'ailleurs enfin peu importe - qui entraîne la pauvre
petite prolétaire dans le jardin des pommiers où il y a une charrette abandonnée, il s'abrite sous la
charrette il y a les pommiers. C'est curieux ça, ça c'est vraîment comme une séquence
impressionniste. Et on dit très souvent que l'expressionnisme et l'impressionnisme se réconcilient
que très tardivement, que ça s'arrangeait pas. J'en suis pas sur. Moi j'ai le sentiment que
l'impressionnisme c'est, c'est une séquence de l'expressionnisme - c'est très curieux, que les
communications étaient constantes. Là il y a une scène impressionniste, tellement impressionniste
que, ça paraît, comme à la limite presque comme un Renoir d'avance, hein. Euh c'est vraîment un
tableau impressionniste, la scène que STROHEIM a faite.

Dans l'Aurore de MURNAU, ah les marais ils y sont, les lacs obscurs ils y sont. La chute de l'âme
elle y est, attirée par une mauvaise femme dans les marais. L'homme, l'homme, l'âme de l'homme
médite d'assassiner son épouse. Sa jeune épouse. Et il y a le marais, une première traversée dans
le lac. Le jeune mari se rend compte de l'horreur de son projet et ils arrivent dans la ville, il y a la
reconquête de leur amour - passage purement impressionniste tout en vascillements, tout en petite
lueur, tout en touches. Puis il y a le retour à travers le lac noir, il y a l'accident etc...Il y a à nouveau la
scène de chute.

Qu'est-ce que je veux dire ? VÖHRINGER le disait très bien finalement mais en même temps pas

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bien, voilà. Il disait ceci VÖHRINGER, il disait : ben oui, la nature, la vie non-organique, c'est le
premier aspect de l'expressionnisme. Ce monde est maudit, ce monde est maudit et les lois de ce
monde, sont les lois de la décomposition. Mais l'autre aspect de l'expressionnisme, l'aspect corrélatif
: c'est que l'âme garde un rapport, non pas avec la nature. C'est foutu, la Nature c'est la chute. Mais
comme il est corrélatif - c'est pas une correction, c'est vraîment le corrélat - l'âme est en rapport avec
le divin. L'âme est en rapport avec le divin et reste en rapport avec le divin. Et VÖHRINGER disait
l'expressionnisme c'est - en dehors de l'art baroque qui l'a précédé - la seule forme d'art qui
considérait que l'affaire de l'art n'était pas avec le sensible, mais était avec le spirituel pur.

Pas mal même si on trouve ça rigolo, cette idée bizarre. L'art en rapport avec le spirituel pur. On peut
dire que c'est une idée forte qui a du marquer une époque. En effet tout le monde vivait sauf l'idée de
la vie organique. Et le présupposé de la vie organique c'est évidemment ou de la représentation
organique c'est : L'art est en rapport fondamentalement avec le sensible et ne peut passer que par le
sensible. Mais ceux qui nous disent :" je garde le sensible parce que c'est la matière comme
décomposition et parce que c'est le corrélat du rapport de l'âme avec le divin". Ça c'est
complètement un changement une redistribution dans tous les éléments de l'art. Alors, qu'est-ce que
je veux dire ? Qu'est-ce que je veux dire ? Et ben l'expressionnisme est fait de ces deux
mouvements. Quelque chose se fait à travers quelque chose qui se défait. Vous me direz c'est
vraîment une platitude ça quelque chose se fait à travers quelque chose qui se défait. C'est que à ce
moment là, vous me le dites pas parce que vous seriez vraîment bêtes. Je veux dire, si quelqu'un vit
cette idée là, quelque chose se fait à travers quelque chose qui se défait. S'il le vit avec assez
d'intensité, il a son œuvre. Il a son œuvre parce que montrer quelque chose comme ça, c'est pas
une idée dans la tête. C'est pas quelque chose comme ça, c'est pas une formule toute faite. S'il s'agit
de mobiliser les éléments qui vont le montrer qui vont faire une œuvre avec ça. C'est par là que vit le
cinéma.
C'est en effet d'une certaine manière le cinéma c'est une métaphysique, oui. Euh et c'est pas
parce que c'est nul que...qu' il y a des films nuls parce que il y a des philosophies nulles aussi, il y a
la littérature nulle. Le cinéma ça va pas plus mal. Je dis ça pour me remonter, ça va pas plus mal
qu'autre chose. C'est comme le reste, c'est pas pire. Ça se voit plus oui, parce que il y a des
affiches, oui, mais c'est pas pire.

Alors bon quelque chose se fait à travers ce qui se fait et se défait. Si bien que de deux manières,
vous pouvez avoir un pôle un peu pessimiste, un peu :
à savoir ce qui se défait est comme premier et ce qui se fait n'est qu'une petite compensation à ce
qui se défait
ou bien une tendance vraîment mettons optimiste à savoir, l'essentiel c'est ce qui se fait,
c'est-à-dire ce rapport de l'âme avec le divin. Voyez je retrouve des termes bergsonniens, se défaire,
se faire. C'est ça l'éclosion du nouveau, c'est ça l'Idée : Le rapport de l'âme avec ce qui se fait. L'âme
en tant qu'elle se fait dans un rapport avec le divin. Bon et alors, de ce côté un peu optimiste,
c'est ce qui se défait qui n'est plus que l'interruption provisoire de ce qui se fait. De toutes
manières vous irez de la lumière aux ténèbres et des ténèbres à la lumière par tous les états
lumineux. Par la série infinie des états lumineux car c'est ce facteur intensif qui rapportera votre
mouvement dans l'espace au Tout et le Tout c'est quoi ? C'est la coexistence de la matière mue qui
ne cesse de se défaire. Et de l'âme divine mouvante qui ne cesse de se faire. Si bien que
l'expressionnisme allemand c'est l'identité de deux pôles, tout comme j'avais trouvé deux pôles pour
le montage russe. Deux pôles pour le montage français, pour l'harmonie des choses. Deux pôles

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pour le montage euh euh et pour le problème et pour la solution expressionniste de...notre problème,
je dirai c'est à la fois et irrémédiablement lié, la vie non organique des choses et la vie non
psychologique de l'esprit.

Et qu'est-ce que c'est que l'acteur expressionniste ? C'est pas difficile, à ce moment là. Qu'est-ce
que c'est "jouer" à la manière expressionniste ? C'est pas donner des signes là comme ça, c'est très
précis. C'est une technique d'acteur. Jouer à la manière expressionniste, c'est deux choses, c'est
deux choses.
C'est faire que l'expression ne soit plus organique, que l'expression excède l'organisme d'où les
gestes en effet, les gestes eux mêmes brisés, perpétuellement brisés de l'acteur expressionniste.
Les expressions du visage complètement marécageuses, le rôle de la lumière dans le jeu
expressionniste etc...
Et en même temps c'est-à-dire un jeu qui ne serait ni organique, ni psychologique.

Si bien que, les deux pôles alors du problème expressionniste ce serait le non-organique et le
spirituel et la corrélation des deux c'est-à-dire la vie non-organique des choses. Et la vie
non-psychologique de l'âme. Est-ce que vous êtes fatigué ou vous êtes pas fatigués ?

Etudiant 1 « Oh non pas du tout ». Etudiant 2 - « ça dépend pour qui »

Je termine alors, je vais terminer vite hein euh, mais j'aurais bien voulu est-ce que vous... ?

Etudiante 3 « Moi je voudrais parler » . Tu voudrais parler alors très bien, alors on va parler hein
et puis s'il y a le temps si vous êtes pas trop fatigués j'ajouterai un petit quelque chose ou j'ajouterai
pas, voilà.

Alors oui, donc une fois dit que mon souci est réel que mon auto-critique n'est pas du tout euh
coquetterie, là vraîment, c'est pas euh s'il y a quelque chose moi qui me contente pas dans tout ça.
Euh ! Vous pourriez peut-être m'aider, dire euh pas du tout m'encourager pas me dire aussi : ça va,
ça parce que ...non, euh et puis euh vous-mêmes, si vous avez à intervenir euh ...quoi ?

Etudiante 4 ....inaudible ...ça ne paraît pas comme l'application de vos textes à une ...

Gilles Deleuze -« Non aujourd'hui ça ne le faisait pas. C'est curieux, ça ne le faisait pas. Peut-être
que ça va mieux que c'est ouais, ouais, »

Etudiante 5 : - Moi, J'ai eu cette impression aussi, euh la dernière fois ...

Etudiante 6 (inaudible).

Etudiante 5 : - Je ne sais pas, peut être que ça va mieux cette fois. Moi, il me reste toujours quelque
chose de très confus enfin qui se rapprocherait de ce que tu dis. C'est-à-dire en quelque sorte j'ai
l'impression que euh, ce dont parle Bergson, euh ça pourrait s'appliquer effectivement au cinéma.
Mais pas du tout au cinéma dont tu as parlé enfin les trois catégories de cinéma dont tu as parlé
aujourd'hui. C'est-à-dire que, effectivement je verrai dans BERGSON, un certain rapport avec le
cinéma mais qui s'appliquerait pour moi, à euh certaines catégories de cinéastes extrêmement

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récents. Je citerai en particulier GODARD, RESNAIS et Chantal ACKERMAN. Et d'une certaine
manière, il me semble que euh, le cinéma dont tu as parlé aujourd'hui en rapport avec BERGSON
pour moi se rattache euh à cette querelle dont parlait BERSON et dont il essaye de se défaire
c'est-à-dire entre les idéalistes et les matérialistes. C'est-à-dire que, il reste dans ces écoles de
cinéma, c'est-à-dire le cinéma allemand, le cinéma russe et le cinéma français, euh quelque chose
de cette dialectique que BERGSON essayait d'éviter, bon c'est-à-dire quand il part d'un premier
chapitre de Matière et Mémoire, bon : Est-ce que le monde extérieur existe en dehors de nous ?
Est-ce que nous existons enfin bon toute cette dialectique là et ce qu'il me semble c'est que le
cinéma effectivement.. est tout à fait en rapport avec cette durée que BERGSON essaye de
déterminer mais à partir du moment où il introduit dans le cinéma, un élément extérieur et en
l'occurrence bon, par exemple pour RESNAIS et pour GODARD, ça serait pour moi un certain usage
de la voix. Par exemple dans le dernier film de GODARD un certain usage de la musique,
c'est-à-dire bon le personnage est dans une pièce on a l'impression qu'il n'entend la musique que
dans sa tête quand il sort la musique continue bon et il fait sans arrêt un jeu avec trois genres de
musiques qui donnent une certaine durée du temps mais qu'on peut retrouver par exemple, chez des
compositeurs comme HAYDN. Enfin bon je sais pas voilà, c'est tout. »

Gilles DELEUZE « Ouais là je réponds tout de suite parce que je mesure, je me demande si une des
choses qui font que ça va pas. Est-ce que c'est pas en effet une ambiguïté dont je suis hélas
responsable par le choix du sujet que j'ai fait, car ce que tu viens de dire, je conçois très bien que ce
serait possible de le faire mais en t'écoutant je me disais : Mon Dieu, c'est ça entre autre que je ne
voulais pas faire. Je veux dire pas que ce ne soit pas légitime mais ce point m'intéresserait pour moi.
Enfin m'intéresserait si c'était pas quelqu'un d'autre.

Etudiante 5 : Je ne dis pas que ça m'intéresse.

Gilles DELEUZE - Mais ce que tu dis un peu c'est...Eh ben quitte à faire ce que je me proposais de
faire, pourquoi ne pas avoir plutôt cherché des auteurs de films et des films que l'on pourrait d'une
manière ou d'une autre dire en effet avoir un certain rapport avec BERGSON ? Et là ceux que tu
cites, tu as bien choisi tes citations. Mais ça je ne le veux absolûment pas.

Etudiante 5 - Non mais...

Gilles DELEUZE : - Il y a deux choses que je redoutais avant de commencer, ce que je redoutais
avant de commencer, ce à quoi je tenais je me disais je vais gagner sur tous les tableaux, c'est-à
dire mais en tout honneur, je me disais encore une fois, il faut que je donne à ceux qui ne
connaissent pas BERSON et à ceux qui ne sont pas philosophes ou qui viennent pour des raisons
de philosophie, une certaine connaissance de BERGSON. Et ça j'y tiens énormément, si bien que si
ça continuait à ne pas aller je sacrifierais tout cet aspect, je retiendrais plus que l'aspect
commentaire de BERGSON et, ce que je voulais en plus, c'était alors presque pour mon compte et
avec vous, essayer de former des concepts cinématographiques presque en oubliant que c'était
BERGSON qui nous les fournissait ou qui nous aidait à les fournir et il me fallait que ces concepts, ils
vaillent... Je m'intéressais pas à ce moment là à telle tendance dans le cinéma mais vaillent pour le
cinéma en général, indépendamment de tel film, indépendamment des films. Et ça, si je rate ça c'est
que j'aurais mal réussi, c'est que j'aurais raté.

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Etudiante 5 Non mais...

Gilles DELEUZE - Et d'autre part, je ne voulais pas que ces concepts de cinéma soient une
application de BERGSON, c'est-à-dire de concepts forgés pour d'autres causes, au cinéma. Alors en
effet, ce que tu dis, on aurait pu le faire.

Etudiante 5 : - Non mais....attends moi je voudrais te préciser une chose, c'est que je ne préfèrerais
pas que tu parles de BERGSON par rapport à GODARD ou à RESNAIS ou à des gens...Je veux
dire, en effet m'intéresse beaucoup plus que tu parles de BERGSON, bon et que que tu essayes de
parler du cinéma et de voir quels concepts on pourrait en tirer. Je veux dire c'est j'ai parlé de
GODARD ou de BERGSON comme ça, c'est que..c'est pour parler de quelque chose qui
confusément jusqu'à présent semblait me manquer qui est que, dans BERGSON, je trouve cette
chose dont tu as parlé et qui est l'existence de trois mouvements, enfin de trois niveaux qui doivent
obligatoirement exister pour que quelque chose se passe et que pour le moment la chose qui me
met sans arrêt en décalage c'est que dans le cinéma dont tu as parlé, je ne vois que deux
mouvements.

Gilles DELEUZE - Ah bon ?

Etudiante 5 : - Ah oui c'est ça.

Gilles DELEUZE : « Ah bon ? Michaël....

Etudiante 5 : - Bon, je veux dire, là je suis un petit peu embêtée parce que je ne sais pas si il faut
que que je parle, que je m'informe de caractères plus techniques du cinéma là je suis un petit peu
embêtée mais c'est ce que je ressens et c'est pour ça que je parlais de GODARD, de RESNAIS et
de gens comme ça qui à mon avis avaient fait intervenir dans le cinéma quelque chose d'autre que le
cinéma, qui était soit une certaine manière de se servir de la musique, soit une certaine manière de
se servir de la voix.

Gilles DELEUZE « Ouais, c'est pas autre chose que le cinéma.

Etudiante 5 - Oui, non... c'est pas autre chose.

Gilles DELEUZE « - Ouais....je vois ce que tu veux dire, ouais, ouais »

Etudiante 5 : - par moments j'ai l'impression qu'il y en a trois et par moments j'ai l'impression qu'il n'y
en a que deux. Ce qui me fait penser à chaque fois à ce problème que BERGSON essayait de
résoudre c'est-à-dire bon sortir de des deux dialectiques auxquelles il est affronté, c'est-à-dire les
idéalistes et les matérialistes ...

Gilles DELEUEZE : Ouais

Etudiante 5 ...à propos du problème de la perception. C'est simplement ça. Mais bon effectivement je
préfère ton choix, de toute manière.

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Gilles DELEUZE « - Ouais, ouais ouais ouais »

Gilles DELEUZE « C'est bien parce que en effet on nage dans l'ambiguïté

Autre étudiant (inaudible)

Gilles DELEUZE Quoi ? C'est ?

Autre étudiant (inaudible)

Etudiante 5 : - C'est transparent justement

Gilles DELEUZE - Oui, ah oui ça pour causer euh oui....Bon vous avez encore un peu de courage ?
Ou pas, on peut arrêter là hein. Vous réfléchissez ici à notre triste situation. Ah un petit mot....Ouais
Bon...Bon ben alors je termine sur ça fera une terminaison toute ...après tout pour redoubler les
ambiguïtés. De ce que je viens, de ce que...des trois niveaux de l'image de mouvement....que j'ai
essayé de dégager - encore une fois c'est pas difficile, c'est des mouvements coexistants et
communicants.

Déterminer les objets qui entrent dans le plan, c'est ce qu'on appelle le cadrage.
Déterminer, deuxièmement, déterminer le plan comme le mouvement relatif, un : Qui réunit ses
objets, c'est ce qu'on appelle un plan temporel ou une perspective temporelle. Et enfin déterminer
leur rapport du plan entre parenthèses avec d'autres plans avec, déterminer le rapport du plan par
l'intermédiaire d'autres plans avec l'idée ou le tout, c'est le montage.

Je me dis, ces trois catégories j'ai pas l'impression qu'on les définisse, ça c'est, c'est ma seule joie,
c'est peut-être alors des définitions très insuffisantes mais j'ai pas l'impression qu'on les définisse
aussi clairement d'habitude. C'est très clair là il me semble là hein euh eh ben, on peut en tirer là
comme juste une conséquence pour finir aujourd'hui une contribution à la question importante.

Et Ben l'auteur d'un film c'est qui ? Eliminons tout de suite un des .... Bon, la réponse est que, en
général l'auteur du film, c'est le metteur en scène. De dire quoi ? C'est que en effet, un metteur en
scène, c'est pas quelqu'un qui est étranger ni au cadrage, ni au découpage, ni au montage. Un
metteur en scène qui saurait pas ce que signifie monter et qui laisserait le monteur faire le travail si
des metteurs en scène célèbres même pour qui le montage n'est pourtant pas si vous voulez
l'essentiel de l'essentiel comme STROHEIM par exemple considère que, un film qu'ils n'ont pas
monté cesse d'être un film de... euh, ça il répond bien à la question, c'est évident que le metteur en
scène n'est l'auteur du film que si c'est lui qui a déterminé les cadres et si c'est lui qui a déterminé le
montage. Bon, cette réponse elle est simple. Mais elle revient à dire l'auteur du film, c'est à la fois
celui qui constitue les systèmes artificiels d'objets entrant dans le cadre et là c'est évident, que, je
fais guère de différences à ce niveau même si dans la pratique on en fait entre le décorateur et le
cadreur.

Euh c'est un mérite de plus, là unifier ces deux fonctions, le décorateur et le cadreur est celui qui
choisit les objets strictement même si c'est plusieurs personnes ou si c'est une équipe doivent ne
faire qu'un c'est-à-dire là vraîment à un niveau de l'image. Le metteur en scène, c'est-à-dire

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l'organisateur du découpage et des plans lui aussi son niveau avec lequel il communique
concrêtement, et puis il y a qui a l'idée du tout, alors évidemment, le metteur en scène il est l'auteur
total du film, si c'est lui qui a déterminé directement ou indirectement cadrage, découpage et l'idée
du tout.

Mais est-ce qu'il y a des cas, car il n'y a pas une réponse universelle à Qui est l'auteur ? C'est très
variable. Là j'ai mes variables ah ben oui, celui qui remplit toutes ces variables est l'auteur du film.
S'il y a deux types qui remplissent les variables, eh ben ça existe le travail à deux ou le travail à
petitaine à ce moment là, c'est le groupe qui est l'auteur du film. Si, bon, s'il y a une rencontre
parfaite entre décorateur et un metteur en scène, ça s'est vu dans l'expressionnisme allemand. Ben il
faut dire, il y a deux auteurs du film c'est pas compliqué et il y a des cas relativement compliqués car
chacun peut-être le traître de l'autre.

Ah bon, la trahison dans la création, il y a toujours de la trahison. Et je me dis, qui est-ce qui a ?
Alors si on essaye de fixer l'idée du tout qui n'existe pas au cinématographe, qui n'existe pas
filmiquement, qui n'existe que comme l'exprimé comme un des plans, des plans manqués.

L'idée du tout, qui c'est qui l'a ? Et alors, en quel sens est-il aussi l'auteur du film ? Je me dis toujours
dans l'idéal, je peux définir donc le cadreur, le décorateur, le choisisseur d'objets. Le régisseur idéal
par mon premier niveau de l'image, le metteur en scène idéal par mon second niveau est l'idée du
tout qui sait qu'il a. Je dirais dans l'idéal, celui qui est chargé de l'idée du tout, c'est le producteur.
Alors bien sûr il faut que le metteur en scène soit aussi producteur. Ou bien alors qu'ils s'entendent
admirablement avec le producteur. Des producteurs comme ça, bon disons-le tout de suite, il n'y en
a plus. Mais euh, problème historique très intéressant, problème historique très intéressant. Il y a en
a eu ou est-ce qu'il y en a eu ? Là je ne sais pas assez mais reportez-vous aux histoires du cinéma,
je ne sais pas Jean MITRI, il parle peut-être de ça. Euh les grands producteurs d'Hollywood, en quel
sens ? Est-ce que ça arrivait ? Le type, le producteur qui pouvait se définir ainsi, j'ai l'idée d'un film à
faire. Bien sûr, c'est pas moi qui peux le faire. Et à ce moment là, le metteur en scène devenant
vraîment comme l'exécutant du producteur. Je crois que c'est souvent arrivé, que c'est beaucoup
arrivé ça. Et inversement alors...j'ai l'idée du tout mais je ne suis pas metteur en scène. Alors bon ça
peut avoir des inconvénients même des choses monstrueuses comme, le metteur en scène qu'on
change comme un chien, à la belle époque d'Hollywood, hein. Euh oh non entre eux ça va pas. T'es
en train de trahir mon idée. Est-ce que le producteur a complètement tort si c'est lui qui a eu l'idée.

Et encore une fois l'idée du film, on lui a donné un certain sens, là. Alors moi, comme je connais rien
à toute cette situation, je me dis quand même dans nos concepts, on peut déjà situer ce producteur
idéal et constater que sans doute le producteur marécageux dont on entend parler de temps en
temps et ben c'est un emploi à l'idéal. Mais et on voit bien pourquoi le cinéma indépendamment
même des questions d'argent comporte des producteurs. Les producteurs c'est quand même des
types qui, dans l'idéal, encore une fois, ont des idées. Ils ont l'idée d'un film à faire. Qui sait qui va
pouvoir le faire ? Bon. Alors je tombe sur un texte des cahiers du cinéma qui fait ma joie et ma ...Et
je me dis ah bon, alors je me suis renseigné. Il paraît que c'est un producteur. C'est un type qui
s'appelle TOSCAN du PLANTIER. C'est un producteur ...

Etudiante 5 (inaudible) Gilles DELEUZE « Hein ? Cahiers du cinéma numéro 325, juin 81. Et alors, je
ne sais pas si c'est mensonge ou vérité dans ce texte, mais c'est un très très beau texte. C'est un

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texte très très beau. Il est clair que euh TOSCAN du PLANTIER en tant que producteur joue un peu,
euh, je suppose. Là je dis tout ce que je dis c'est euh sous ma responsabilité, joue un peu euh le
grand producteur d'Hollywood, tel BALMER. Il essaie de subjuguer....inaudible...que bon. Et il dit et
c'est ça qui m'intéresse. C'est là-dessus que je voudrais finir. Il nous raconte l'histoire suivante dans
cette interview des cahiers très très intéressante. Et je pense que les cahiers l'ont publié à cause de
ça, ça leur a jchais pas, enfin euh, il dit voilà, récemment j'ai eu deux idées. Notez bien tous les
mots, c'est très important. Récemment, j'ai eu deux idées de film à faire. Alors on a exclu la réponse.
La réponse euh, la réponse insolente, l'interruption insolente eh ben pourquoi que tu les a pas faites
pauvre type. Ce serait idiot, ce serait idiot, en tant que producteur, il a des idées de tout, un tout un
tout c'est-à-dire du cinéma et il cherche quelqu'un pour en faire un film. Bon il dit j'ai eu deux idées,
elles étaient bonnes mes deux idées. Et je me suis dit, qui sait qui va pouvoir les réaliser ? Et dans
les deux cas, j'ai cru. Il ajoute, il se donne beaucoup. Il a l'air très coquet, je ne sais pas bien qui c'est
mais il a l'air très coquet. Il dit eh ben, je me méfiais quand même un peu. Et j'avais rien de mieux
comme metteur en scène alors j'ai pris des metteurs en scène, je leur ai dit mon idée et je les ai
chargés. Donc ça me paraît très vieille technique Hollywood hein. Encore une fois peut être que c'est
pas vrai mais ça nous est égal, je développe un exemple idéal.

Et il dit mes deux idées ça fait ceci : Première idée : Montrer comment dans un milieu pire qu'hostile
mais absolûment indifférent euh pire qu'hostile vous avez vu mais indifférent à cela qui va se passer,
je pense à COURTOIS là l'évènement, quelque chose va se passer d'incroyable à savoir un petit
groupe de femmes que rien ne prédestine à cela va s'emparer d'une espèce de parole. Va prendre la
parole et d'une certaine manière imposer sa parole dans un milieu qui vraîment a pas l'habitude, à
aucun égard. Et il dit, et c'était ça mon idée du film, LES SŒURS BRONTË. C'est deux films récents
hein, les SŒURS BRONTË.

C'était ça son idée, c'est-à-dire là, on voit bien, c'est à la lettre l'idée d'un tout, c'est-à-dire l'idée d'un
changement dans un tout ou la production dans quelque chose de nouveau, ça marche très bien
avec nos concepts. Trois filles, trois filles que rien ne prédestinât, vont prendre la parole et l'imposer
dans des conditions où l'Angleterre à ce moment là, est vraîment pas favorable à une pareille chose.
C'est comme ça qu'il voit son idée de film. Et d'un.

Deuxième idée de film qu'il a, il dit eh ben voilà. Il dit et là il devient de plus en plus coquet, il dit moi
je me sens toujours une femme. J'ai un devenir-femme très profond qu'il dit. On l'a tous , il a tort de
s'atttribuer ça on l'a tous, vous comprenez, j'ai un devenir femme très profond alors je suis très
sensible à la situation de la femme, moi. Là-dessus, il serait de la situation de la femme un peu rétro,
un peu ....pas terrible. Il dit, moi j'avais une idée, une seconde idée. Faire un film sur, mais vous vous
rapporterez au texte, faire un film sur ...en gros je résume mais vous vous reporterez au texte faire
un film sur la femme et la valeur marchande.

La femme et la valeur marchande. C'est-à-dire là, on voit son idée, les femmes c'est comme le
cinéma, c'est tellement pris dans l'argent, tellement pris dans un système d'argent. Est-ce que c'est
vrai encore ? Non, non, je dirai, non TOSCAN du PLANTIER, c'est pas vrai. Mais ça l'a été,
surement, c'est pris dans un tel récit, c'est comme la peinture quoi. C'est pourri tout ça. Alors
pardonnez moi c'est un lapsus, je veux dire pour la peinture, tellement pris dans de l'argent que c'est
fini, c'est ....fini c'est l'argent est corrompu, parce que il y a un marché de la peinture jamais, le
marché n'a envahi un art comme la peinture. La musique elle est pas envahie par le marché, sauf

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hélas certaine...du moins la musique euh... et pas à ce point La littérature, elle n'est pas envahie par
le marché. C'est pas grave ce qui se passe avec le marché pour la littérature. Mais là, la peinture
c'est vraiment envahi, déterminé, dominé par le marché. Eh ben, les femmes c'est comme la
peinture selon, suivant TOSCAN du PLANTIER, c'est comme la peinture, c'est-à-dire, la
confrontation à la valeur marchande et consciente. Il faut qu'une femme fasse de l'argent voilà, ou
qu'elle en suscite, qu'elle fasse tourner de l'argent qu'elle fasse circuler de l'argent, voilà sa triste
condition.

Bon il disait j'avais cette idée et c'est comme ça que je voulais reprendre car c'aurait pas été une
idée suffisante euh merde j'ai oublié le nom euh LA DAME AUX CAMELIAS. C'est comme ça dans
...c'est bien une idée...là on peut pas lutter. Si c'est vrai ce qu'il dit il a bien eu une idée. Car
considérez LA DAME AUX CAMELIAS sujet très classique, jusqu'à maintenant, ça a pas été
considéré comme cela. Considérez la dame aux Camélias comme renvoyant à l'idée de la
confrontation de la femme avec perpétuellement de la valeur marchande. A savoir il dit et il dit très
bien, et il dit et ben oui, son père la viole. Pour lui, c'est sa version LA DAME AUX CAMELIAS. Son
père la viole mais ça lui rapporte de l'argent. Là-dessus il la distribue aux hommes. Il la vend, ça lui
re-rapporte de l'argent. Les hommes eux, ils vont se la passer tout ça ; avec des affaires qui en
même temps se font en même temps. Tout ça ça rapporte encore de l'argent. Elle a la phtisie, c'est
quoi pour elle la phtisie ? Elle c'est trop vraîment il dit spirituellement TOSCAN du PLANTIER, c'est
une maladie du travail.

C'est la maladie du travail. Bon et puis elle-même elle a beaucoup d'argent et là-dessus Qu'est-ce
qui se passe ? Un petit gars, Alexandre DUMAS fils qui tombe vaguement amoureux d'elle et qui fait
quoi ? Qu'est-ce qu'il va faire ? Une pièce, une pièce qui va rapporter de l'argent. La pauvre elle en
crève. Tout l'argent qui tourne autour d'elle, qu'elle suscite etc... Donc c'est la femme et la valeur
marchande. La femme qui n'echappe pas à une valeur marchande. C'est une idée, c'est vrai, LES
SŒURS BRONTË et LA DAME AUX CAMELIAS. Et voilà qu'il dit mon Dieu qu'est-ce qu'il s'est
passé ? Je vais choisir mes metteurs en scène. Je leur dis : Voilà l'idée. Voilà le tout. Et moi j'y vois
rien de choquant là, c'est toujours dans mon problème Qui est l'auteur du film ? Et qu'est-ce qu'ils
font dans le dos ? En effet, j'ai vu l'un des deux films, et c'est vrai ça ce qu'il dit, c'est moins sur que il
eut l'idée aussi purement qu' il le prétend mais surement après tout, non non, il y a toute raison de lui
faire confiance. Il dit ben vous ne savez pas ce qu'il m'a fait le metteur en scène des SŒURS
BRONTË ? Il m'a transformé ça en histoire de trois soeurs qui ne pensent qu'à une chose : La
castration du frère. Il dit quand même j'étais effaré. Alors est-ce que c'est vrai j'ai pas vu le film alors
je vais pas.... Etudiante 7 « oui c'est vrai » Gilles DELEUZE « Euh alors vous voyez, l'idée du tout, le
tout c'était quoi ? Tel que le producteur idéal le concevait. C'était trois femmes vont à l'extérieur,
rompent les barrières, prennent la parole. Bon on peut dire, c'est une mauvaise idée, on peut dire
tout ce que vous voulez, c'est une idée. Au contraire, trois femmes se ressèrent autour du frère et le
castrent. Je peux dire c'est une autre idée : Tout à fait autrement orienté et si c'est ça en effet, bon,
on peut dire une fois de plus c'est pour la, oui enfin la psychanalyse a frappé.

Etudiante 5 « Elles prennent la parole contre l'homme euh... »

Gille DELEUZE « La DAME AUX CAMELIAS, je l'ai vu, là, c'est absolument vrai ce qu'il dit. Le tout a
été complètement trahi car ce qu'on voit et ce qui est suggéré constamment et montré dans les
images, c'est que la phtisie n'est pas du tout une maladie du travail, mais que c'est une maladie

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psychosomatique. Maladie psychosomatique qui vient de ceci, de la culpabilité que, la pauvre fille
éprouve des relations coupables qu'elle a avec son père. Donc Là à nouveau la psychanalyse a
frappé une seconde fois. C'est-à-dire à transformer une bonne idée filmique en lamentable idée
psychanalytique. Alors dans un tel cas vous voyez que, en raison de nos critères on peut la poser en
effet la question Qui est l'auteur du film ? avec à la fois une réponse relativement constante et les
variations correspondant à cette réponse.

Je dis : Est l'auteur du film, celui qui conçoit l'idée, une fois données mes trois instances, celui qui
conçoit l'idée et qui détermine les mouvements, c'est-à-dire les mouvements temporels c'est-à-dire
les blancs qui vont exprimer l'idée et qui opèrent le cadrage des objets dans lequel une idée se
(inaudible) 1 : 02 : 54 ? Mais n'est pas exclu du tout que il y ait soit rencontre entre plusieurs
personnes, le cadreur décorateur régisseur que je mettrai encore une fois dans un bloc, le metteur
en scène, le producteur. Le producteur idéal, les trois peuvent être réunis dans la même personne.
Je dirai le producteur idéal, c'est celui qui conçois l'idée, c'est-à-dire le tout, qui n'a d'existence que
conçu. Le metteur en scène, c'est le grand agenceur des plans. Le cadreur-décorateur-régisseur,
c'est celui qui détermine pour chaque plan les objets qui entrent. Quand les trois personnes font un, il
n'y a pas de problèmes à qui est l'auteur du film. Et je crois qu'il y a un problème possible par
exemple entre « Producteur » et « Metteur en scène ».

Dans les cas privilégiés idéaux comme celui que je viens de citer avec toutes les trahisons que vous
voulez ...parce que parfois, la trahisons, se fait dans le sens inverse. Evidemment le producteur qui a
une idée de merde quoi qui a une idée vraîment nulle, mauvaise et il suffit d'un metteur en scène
génial pour engrosser l'idée. Alors c'est à ce niveau qu'on se poserait la question : Qui est l'auteur du
film ? La prochaine fois nous continuerons et je vous demanderai instamment de penser à mes
soucis et au besoin vous direz ce que vous avez à dire là-dessus.

Etudiante 7 Moravia raconte cette histoire

Gilles DELEUZE oui oui, du producteur, oui mais là c'est un producteur oui, en effet.

me reste toujours quelque chose de très confus en fait qui se rapprocherait de ce que tu
dis.C'est-à-dire en quelque sorte j'ai l'impression que euh, ce dont parle Bergson euh ça pourrait
s'appliquer effectivement au cinéma. Mais pas du tout au cinéma dont tu as parlé les trois catégories
de cinéma dont tu as parlé aujourd'hui. C'est-à-dire que effectivement je verrai dans BERGSON, un
certain rapport avec le cinéma mais qui s'appliquerait pour moi, à euh certaines catégories de
cinéastes extrêmement récents. Je citerai en particulier GODARD, RESNAIS et Chantal
ACKERMAN. Et d'une certaine manière, il me semble que euh, le cinéma dont tu as parlé
aujourd'hui en rapport avec BERGSON pour moi se rattache à ce dont parlait BERGSON et dont il
essaye de se défaire entre les idéalistes et les matérialistes. C'est-à-dire que, il reste dans ses
écoles de cinéma. Il y a le cinéma allemand, le cinéma russe et le cinéma français. Quelque chose
de cette dialectique que BERGSON essayait d'éviter euh, bon quand il part d'un premier chapitre de
Matière et Mémoire, bon est-ce que le monde extérieur existe en dehors de nous euh. Est-ce que
nous existons enfin toute cette dialectique là et ce qu'il me semble c'est que le cinéma effectivement
euh est tout à fait en rapport avec cette durée que BERGSON essaye de déterminer mais à partir du
moment où il introduit dans le cinéma un élément extérieur et en l'occurrence pour par exemple pour
RESNAIS et pour GODARD, ça serait pour moi un certain usage de la voix. Par exemple dans le

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dernier film de GODARD un certain usage de la musique, c'est-à-dire le personnage et dans une
pièce on a l'impression qu'il n'entend la musique que dans sa tête quand il sort la musique continue
et il fait sans arrêt un jeu avec trois genres de musiques qui donne une certaine durée du temps
mais qu'on peut retrouver par exemple chez des compositeurs comme HAYDN. Enfin bon je sais pas
voilà, c'est tout. Gilles DELEUZE « Enfin, là je réponds tout de suite parce que je mesure, je me
demande si une des choses qui....ça va pas est-ce que c'est pas une ambiguité dont je suis hélas
responsable par le choix du sujet que j'ai fait car ce que tu viens de dire, je conçois très bien que ce
serait possible de le faire mais en t'écoutant je me dis, c'est justement ce que je ne voulais pas faire.
Je veux dire pas que ce ne soit pas légitime mais ce point m'intéresserait pour moi. Je crois que ça
m'intéresserait si c'était quelqu'un d'autre. Etudiante 4 : Je ne dis pas que ça m'intéresse Gilles
DELEUZE mais ce que tu dis un peu c'est quitte à faire ce que je me proposais de faire, pourquoi ne
pas avoir plutôt cherché des auteurs de films et des films que l'on pourrait d'une manière ou d'une
autre dire en effet avoir un certain rapport avec BERGSON et là ceux que tu cites, tu as bien choisi
tes citations. Mais ça je ne le veux absolûment pas. Il y a deux choses que je redoutais avant de
commencer, ce que je redoutais avant de commencer, ce à quoi je me disais je me disais : Je vais
gagner sur tout les tableaux, c'est-à dire mais en tout honneur, je me disais encore une fois, il faut
que je donne à ceux qui ne sont pas BERSON et à ceux qui ne sont pas philosophes ou qui viennent
pour des raisons de philosophies, une certaine connaissance de BERGSON et ça j'y tiens
énormément si bien que je me dis que si ça continue à ne pas aller, je sacrifierai tout à cet aspect,
l'aspect commentaire de BERGSON et ce que je voulais en plus, c'était alors presque pour mon
compte et avec vous, essayer de former des concepts cinématographiques presque en oubliant que
c'était BERGSON qui nous les fournissait ou qui nous les aidait à les fournir et il fallait que ces
concepts, ils valent à telle tendance dans le cinéma mais pour le cinéma en général. Un
indépendamment de tel film, indépendamment des films. Et ça, si je rate ça c'est que j'ai mal réussi,
c'est que j'aurai raté. Et d'autrepart,je ne voulais pas que ces concepts de cinéma soient une
applicationde BERGSON, c'est-à-dire de concepts forgés pour d'autres causes au cinéma. Alors en
effet, ce que tu dis, on aurait pu le faire.

Etudiante 4 Non mais....attends je ne préfèrerais pas que tu parle de BERGSON par rapport à
GODARD ou des gens...Je veux dire, en effet m'intéresse beaucoup plus que tu parles de
BERGSON et que bon que tu essaye de parler du cinéma et de voir quels concepts on pourrait en
tirer. Je veux dire c'est j'ai parlé de GODARD ou de BERGSON comme ça, c'est que..C'est pour
parler de quelque chose qui confusément jusqu'à présent semblait me manquer qui est que, dans
BERSON, je trouve cette chose dont tu as parlé et qui est l'existence de trois mouvements, enfin de
trois niveaux qui doivent obligatoirement exister pour que quelque chose se passe et que pour le
moment la chose qui me met sans arrêt en décalage c'est que dans le cinéma dont tu as parlé, je ne
vois que deux mouvements. Ah oui c'est ça.

Gilles DELEUZE : « Ah bon ? Michaël....

Etudiante 4 Comment vous dire là je suis un petit peu embêtée parce que je ne sais pas si il faut que
je m'informe de caractères plus techniques du cinéma là je suis un petit peu embêté mais c'est ce
que je ressens et c'est pour ça que je parlais de GODARD, de RESNAIS et de gens comme ça qui à
mon avis avaient fait intervenir dans le cinéma quelque chose d'autre que le cinéma qui était soit une
certaine manière de se servir de la musique, soit une certaine manière de se servir de la voix.

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Gilles DELEUZE « Ouais, c'est pas autre chose que le cinéma. Mais que oui, non, c'est pas autre
chose

Gilles DELEUZE « - Ouais.... »

Etudiante 4 : - par moments j'ai l'impression qu'il y en a trois et par moments j'ai l'impression qu'il n'y
en a que deux. Ce qui me fait penser à chaque fois à ce problème que BERGSON essayait de
résoudre c'est-à-dire sortir euh sortir bon des deux dialectiques auquel il est affronté, c'est-à-dire les
idéalistes et les matérialistes à propos du problème de la perception. C'est simplement ça. Mais bon
effectivement je préfère ton choix de toute manière.

Gilles DELEUZE « - Ouais, ouais ouais ouais »

Gilles DELEUZE « C'est bien parce que en effet on nage dans l'ambiguïté..

Autre étudiant (inaudible)

Gilles DELEUZE oui, ça pour causer oui....Vous réflechissez à notre triste situation. Ah un petit mot.
Bon ben alors je termine sur bon ben alors ça fera une terminaison après tout pour redoubler les
ambiguïtés. De ce que je viens, des trois niveaux de l'imagerie ....que j'ai essayé de dégager encore
une fois c'est pas difficile, c'est des mouvements coexistants et communicants.

Déterminer les objets qui entrent dans le plan, c'est ce qu'on appelle le cadrage.
Deuxièmement, déterminer le plan comme le mouvement relatif, un qui réunit ses objets, c'est ce
qu'on appelle un plan temporel ou une perspective temporelle.
Et enfin déterminer leur rapport du plan entre parenthèse avec d'autres plans avec, déterminer le
rapport du plan par l'intermédiaire d'autres plans avec l'idée ou le Tout c'est le montage.

Je me dis, ces trois catégories j'ai pas l'impression qu'on les définisse, c'est, c'est ma seule joie, c'est
peut-être ma définition très insuffisante mais j'ai pas l'impression qu'on les décrive aussi clairement
d'habitude. C'est très clair là le euh eh ben, on peut en tirer juste comme conséquence pour finir
aujourd'hui une contribution à la question importante : l'auteur d'un film c'est qui ? Eliminons tout de
suite un détail ....Bon, la réponse est que, en général l'auteur du film, c'est le metteur en scène. De
dire quoi ?
C'est que en effet, un metteur en scène, c'est pas quelqu'un qui est étranger ni au cadrage, ni au
découpage, ni au montage. Un metteur en scène qui saurait pas ce que signifie monter et qui
laisserait le monteur faire le travail - si des metteurs en scène célèbres même pour qui le montage
l'essentiel de l'essentiel, comme STROHEIM par exemple considèrent que, un film qu'ils n'ont pas
monté, cesse d'être un film d'eux, ça il répond bien à la question, c'est évident que le metteur en
scène n'est l'auteur du film que si c'est lui qui a déterminé les cadres et si c'est lui qui a déterminé le
montage.

Bon cette réponse elle est simple. Mais elle revient à dire, l'auteur du film c'est à la fois celui qui
constitue les systèmes artificiels d'objets entrant dans le cadre et là, c'est évident que je fais guère
de différence à ce niveau, même si dans la pratique, on en fait entre le décorateur et le cadreur. Euh
c'est un mérite de plus, là unifier ces deux fonctions, le décorateur et le cadreur et celui qui choisit

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les objets strictement - même si c'est plusieurs personnes ou si c'est une équipe - doit même ne fait
qu'un c'est-à-dire vraîment à un niveau de l'image.

Le metteur en scène, c'est-à-dire l'organisateur du découpage et des plans lui aussi son niveau avec
lequel il communique concrêtement, et puis il y a qui a l'idée du Tout, alors évidemment, le metteur
en scène il est l'auteur total du film, si c'est lui qui a déterminé directement ou indirectement :
cadrage, découpage et l'idée du Tout. Mais est-ce qu'il y a des cas, car il n'y a pas de réponses
universelles : à qui est l'auteur ?

C'est très variable. Là j'ai mes variables ah ben oui, celui qui remplit toutes ces variables est l'auteur
du film. S'il y a deux types qui remplissent les variables, eh ben ça existe le travail à deux ou le
travail à petit n à ce moment là, c'est le groupe qui est l'auteur du film. S'il y a une rencontre parfaite
entre un metteur en scène, ben il faut dire, il y a deux auteurs du film c'est pas compliqué et il y a des
cas relativement compliqués car chacun peut-être le traître de l'autre. Ah bon, la trahison dans la
création, il y a toujours de la trahison. Et je me dis, qui est-ce qui a ? Alors si on essaye, l'idée du
Tout qui n'existe pas au cinématographe, qui n'existe pas filmiquement, qui n'existe que comme
l'exprimé comme l'un des plans, des plans manqués. L'idée du tout, qui c'est qui l'a ? Et alors, en
quel sens est-il ainsi obtenu ? Je me dis toujours dans l'idéal, je peux découvrir le cadreur,
décorateur, régisseur idéal par mon premier niveau de l'image, le metteur en scène idéal par mon
premier niveau et l'idée du Tout qui sait qu'il l'a ?

Je dirai que dans l'idéal, celui qui est chargé du Tout, c'est le producteur. Alors bien sûr il faut que le
metteur en scène soit aussi producteur. Ou bien alors qu'il s'entende admirablement avec le
producteur. Des producteurs comme ça, bon disons-le tout de suite, il n'y en a plus. Mais euh,
problème historique très intéressant, il y a en a eu ou est-ce qu'il y en a eu, je sais pas assez
reportez-vous aux histoires du cinéma, je ne sais pas Jean MITRY, il parle peut-être de ça. Euh les
grands producteurs d'Hollywood, en quel sens ? Est-ce que ça arrivait ? Le producteur qui pouvait se
définir ainsi :" j'ai l'idée d'un film à faire". Bien sûr, c'est pas moi qui peut le faire. Et à ce moment là,
le metteur en scène devenant comme l'exécutant du producteur. Je crois que c'est souvent arrivé,
c'est beaucoup arrivé et inversement alors j'ai l'idée du Tout mais je ne suis pas metteur en scène.
Bon ça peut avoir des inconvénients même des choses monstrueuses comme le metteur en scène
qu'on change comme un chien, à la belle époque d'Hollywood, hein. Euh oh non entre eux ça va
pas. T'es en train de trahir mon idée. Est-ce que le metteur en scène c'est lui qui a complètement tort
si c'est lui qui a eu l'idée. Et encore une fois l'idée du film, on lui a donné un certain sens, là alors
moi, comme je connais rien à toute cette situation, je me dis quand même dans nos concepts, on
peut déjà situer ce producteur idéal et constater que sans doute le producteur marécageux dont on
entend parler de temps en temps c'est un manquement à l'idéal. Et on voit bien pourquoi le cinéma
indépendamment des questions d'argent comporte des producteurs. Les producteurs c'est encore
une fois des types qui dans l'idéal ont des idées. Ils ont l'idée d'un film à faire. Qui sait qui va pouvoir
le faire ? Alors je tombe sur un texte des cahiers du cinéma qui fait ma joie et ma ...euh et je me dis
ah bon, alors je me suis renseigné. Il paraît que c'est un producteur. C'est un type qui s'appelle
TOSCAN du PLANTIER. C'est un producteur ...

Etudiante 4 (inaudible)

Gilles DELEUZE « Cahiers du cinéma numéro 325, juin 81. Et alors, je ne sais pas si c'est

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mensonge ou vérité dans ce texte, mais c'est un très très beau texte. C'est un texte très très beau. Il
est clair que TOSCAN DUPLANTIER en tant que producteur joue un peu, je suppose. Là je dis tout
ce que je dis c'est sous ma responsabilité, joue un peu le grand producteur d'Hollywood, tel
BALMER. Il essaie de subjuguer. Et il dit et c'est ça qui m'intéresse. C'est là-dessus que je voudrais
finir. Il nous raconte l'histoire suivante dans cette interview des cahiers très très intéressante. Et je
pense que les cahiers l'ont publié à cause de ça, ça leur a.. je sais pas, enfin euh, il dit : "voilà,
récemment j'ai eu deux idées". retenez bien tous les mots, c'est très important. Récemment, j'ai eu
deux idées de film à faire. Alors on a exclu la réponse. La réponse euh, la réponse insolente,
l'interruption insolente : "eh bien pourquoi tu les a pas faites, pauvre type ! Ce serait idiot, ce serait
idiot, en tant que producteur, il a des idées de Tout, un Tout c'est-à-dire du cinéma et il cherche
quelqu'un pour en faire un film. Bon il dit j'ai eu deux idées, elles étaient bonnes, mes deux idées. Et
je me suis dit, qui sait qui va pouvoir les réaliser et dans les deux cas, j'ai cru. Il ajoute il se donne
beaucoup. Il a l'air très coquet, je ne sais pas qui c'est mais il a l'air très coquet. Il dit : "eh ben, je me
méfiais quand même un peu ! Mais j'avais rien de mieux comme metteur en scène alors j'ai pris des
metteurs en scène, je leur ai dit mon idée et je les ai chargés". Donc ça me paraît très vieille
technique Hollywood hein. Au fond peut-être que c'est pas vrai mais ça nous est égal, je vais donc
un exemple ici idéal. Et il dit mes deux idées ça fait ceci.
Première idée : Montrer comment dans un milieu pire qu'hostile, mais absolument indifférent euh
pire qu'hostile vous indifférent à cela qui va se passer, je pense à toi là, " évènement", quelque
chose va se passer d'incroyable à savoir un petit groupe de femmes que rien ne prédestine à cela va
s'emparer d'une espèce de parole. Va prendre la parole et d'une certaine manière imposer sa parole
dans un milieu qui vraîment n'a pas l'habitude, à aucun égard. Et il dit, et c'était ça mon idée du film,
"les sœurs Bronté". C'est deux films récents, "les sœurs Bronté". C'était ça son idée, on voit bien,
c'est à la lettre, l'idée d'un Tout, c'est-à-dire l'idée d'un changement dans un Tout ou la production
d'un quelque chose de nouveau, ça marche pas bien avec nos concepts. Trois filles, trois filles que
rien ne prédestine, vont prendre la parole et l'imposer dans des conditions où l'Angleterre à ce
moment là n'est vraîment pas favorable à une pareille chose, c'est comme ça qu'il voit son idée de
film.

deuxième idée de film qu'il a, il dit : eh ben voilà. Il dit et là il devient de plus en plus coquet, il dit
moi je me sens toujours une femme. J'ai un devenir-femme très profond - on l'a tous, il a tort de
s'atttribuer ça on l'a tous - il dit j'ai un devenir femme très profond alors je suis très sensible à la
situation de la femme. Là-dessus, il serait de la situation de la femme un peu rétro, un peu ....pas
terrible. Il dit, moi j'avais une idée, une seconde idée. Faire un film sur, en gros je résume mais vous
vous rapporterez au texte - faire un film sur la femme et la valeur marchande. La femme et la valeur
marchande. C'est-à-dire là, on voit son idée, les femmes c'est comme le cinéma, c'est tellement pris
dans l'argent, tellement pris dans un système d'argent. Est-ce que c'est vrai encore ? Non, non, je
dirai, non TOSCAN du PLANTIER, c'est pas vrai ! Mais ça l'a été, surement - c'est pris dans un tel
récit, c'est comme la peinture quoi. C'est pourri tout ça. Alors pardonnez moi c'est un lapsus, je veux
dire pour la peinture - tellement pris dans de l'argent que c'est fini, c'est ....fini - l'argent a corrompu -
parce que il y a un marché de la peinture jamais, le marché n'a envahi un art comme la peinture. La
musique elle est pas envahie par le marché - sauf hélas du moins la musique et pas à ce point la
littérature. La littérature elle est pas envahie par le marché. C'est pas grave ce qui se passe avec le
marché. Mais la peinture c'est vraiment envahi, déterminé par le marché. Eh ben, les femmes c'est
comme la peinture suivant TOSCAN du PLANTIER, c'est comme la peinture, c'est-à-dire, la
confrontation à la valeur marchande et consciente.

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Il faut qu'une femme fasse de l'argent ou qu'elle en suscite, qu'elle fasse tourner de l'argent, qu'elle
fasse circuler l'argent, voilà sa triste condition. Bon il disait j'avais cette idée et c'est comme ça que je
voulais reprendre car c'aurait pas été une idée suffisante euh merde j'ai oublié le nom euh "La Dame
aux Camélias". C'est comme ça dans ...c'est bien une idée...là on peut pas lutter. Si c'est vrai ce qu'il
dit il a bien eu une idée.

Car considérez la dame aux Camélias, sujet très classique, jusqu'à maintenant, ça n'a pas été
considéré comme cela. Considérez la dame aux Camélias comme renvoyant à l'idée de la
confrontation de la femme avec perpétuellement de la valeur marchande. A savoir il dit et il dit très
bien, et il dit ben oui : son père la viole. Pour lui, c'est sa version de "La Dame aux Camélias". Son
père la viole mais ça lui rapporte de l'argent. Là-dessus il la distribue aux hommes. Il la vend, ça lui
re-rapporte de l'argent. Les hommes eux, ils vont se la passer, tout ça - avec des affaires qui en
même temps.. se font en même temps. Tout ça ça rapporte encore de l'argent. Elle a la phtisie, c'est
quoi pour elle la phtisie ? Elle, c'est trop vraîment il dit spitrituellement Toscan du plantier, c'est une
maladie du travail. C'est une maladie du travail. Bon et puis elle-même elle a beaucoup d'argent et
là-dessus qu'est-ce qui se passe ? Un petit gars, Alexandre DUMAS fils qui tombe vaguement
amoureux d'elle et qui fait quoi ? Qu'est-ce qu'il va faire ? Une pièce, une pièce qui va rapporter de
l'argent. La pauvre elle en crève. Tout l'argent qui tourne autour d'elle, qu'elle suscite. Donc c'est la
femme et la valeur marchande. La femme qui n'echappe pas à une valeur marchande.

C'est une idée, si ce qu'il dit est vrai il a eu deux idées : les sœurs Bronté et La Dame aux Camélias.
Et voilà qu'il dit mon Dieu qu'est-ce qu'il s'est passé. Je vais choisir mes metteurs en scène. Je leur
dis : Voilà l'idée. Voilà le Tout. Moi j'y vois rien de choquant là,
c'est toujours dans mon problème qui est l'auteur du film. Et qu'est-ce qu'ils font dans le dos ? En
effet, j'ai vu l'un des deux films, et c'est vrai ça ce qu'il dit, c'est moins sur qu' il eut l'idée comme il le
prétend mais surement après tout, non non, il y a toute raison de lui faire confiance. Il dit ben vous
ne savez pas ce qu'il m'a fait le metteur en scène des Sœurs Brontë ? Il m'a transformé ça en
histoire de trois heures qui ne pensent qu'à une chose : La castration du frère. Il dit quand même
j'étais effaré. Alors est-ce que c'est vrai j'ai pas vu le film alors je veux pas....

Etudiante 4 « oui c'est vrai »

Gilles DELEUZE « Euh vous voyez, l'idée du Tout, le Tout c'était quoi ? Tel que le producteur idéal le
concevait. C'était trois femmes vont à l'extérieur, rompent les barrières, prennent la parole. Bon on
peut dire, c'est une mauvaise idée, on peut dire tout ce que vous voulez, c'est une idée. Au contraire,
trois femmes se ressèrent autour du frère et le castrent. Je peux dire c'est une autre idée : tout à fait
autrement orientée et si c'est ça en effet, bon une fois de plus : la psychanalyse a frappé. Etudiante 4
« Oui la femme contre l'homme euh... »

Gille DELEUZE « La Dame aux Camélias, je l'ai vu, là, c'est absolument vrai ce qu'il dit. Le Tout a
été complètement trahi car ce qu'on voit et qui a été suggéré constamment et montré dans les
images, c'est que la phtisie n'est pas du tout une maladie du travail, mais que c'est une maladie
psychosomatique. Maladie psychosomatique qui vient de ceci : qui vient de la culpabilité que la
pauvre fille éprouve des relations coupables qu'elle a avec son père. Là à nouveau la psychanalyse
a frappé une seconde fois. C'est-à-dire à transformer une bonne idée filmique en lamentable idée

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psychanalytique. Alors dans un tel cas vous voyez que, en raison de nos critères, on peut en effet
poser la question : qui est l'auteur du film ? avec à la fois une réponse relativement constante et les
variations correspondant à cette réponse.

Je dis : Est l'auteur du film, celui qui conçoit l'idée - une fois données mes trois instances - celui qui
conçoit l'idée et qui détermine les mouvements c'est-à-dire les mouvements temporels c'est-à-dire
les blancs qui vont exprimer l'idée et qui opèrent le cadrage des objets dans lequel une idée se
réalisera ? Mais n'est pas exclu du tout que il y ait soit rencontre entre plusieurs personnes, le
cadreur décorateur régisseur que je mettrai encore une fois dans un bloc, le metteur en scène, le
producteur. Le producteur idéal, les trois peuvent être réunis dans la même personne, je dirai le
producteur idéal, c'est celui qui conçoit l'idée, c'est-à-dire le Tout, qui n'a d'existence que conçu.
Le metteur en scène, c'est le grand agenceur des plans.
Le cadreur-décorateur-régisseur, c'est celui qui détermine pour chaque plan, les objets qui y
entrent.

Quand les trois personnes font un, il n'y a pas de problème quel est l'auteur du film. Et je crois qu'il y
a un problème possible par exemple entre producteur et metteur en scène. Dans les cas privilégiés
idéaux comme celui que je viens de citer, avec toutes les trahisons que vous voulez parce que
parfois la trahison se fait dans le sens inverse. Evidemment le producteur qui a une idée de merde
quoi, qui a une idée vraîment nulle, mauvaise et il suffit d'un metteur en scène génial pour engrosser
l'idée. Alors c'est à ce niveau qu'on se poserait la question : Qui est l'auteur du film ? La prochaine
fois nous continuerons et je vous demanderaiinstamment de penser à mes soucis et au besoin vous
direz ce que vous avez à dire là-dessus.

Etudiante : Moravia raconte cette histoire du producteur. Gilles DELEUZE oui oui, mais là c'est ...

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 5/05/81 - 3
Marielle Burkhalter

- 5/05/81 - 3 Page 1/9


transcription : Sandra Tomassi Cours du 05/05/81 17C

« D'autre part, on ne prend pas l'avion pour rien, il y a toutes ces motivations analogiques. Quels
rapports de dépendance sont inscrit là dedans, quels rapports de dépendance renversés ? Mais
chez nous dans notre langage codé, conventionnel, dans notre langage, je dirais, ou plutôt Bateson
dirait que
le langage désigne des états de choses par convention et on en induit des fonctions analogiques.
Tandis que dans le langage analogique, c'est presque l'inverse ;
le langage exprime directement des relations analogiques de dépendance et on en déduit les
états de choses. Seulement voilà, et je veux juste dire ceci et c'est pour ça que j'invoquais les
dauphins. Les dauphins ont un langage et personne n'y comprend rien. Bateson dit que si personne
n'y comprend rien c'est que il y a bien de chance qu'il n'y ait pas grand chose à comprendre dans
leur langage sinon un truc très bizarre. Supposez l'opération vraiment folle suivante, on se
demanderait qui est capable de la faire.

J'ai pour le moment mes deux langages :

Langage analogique des relations


Langage codé des états de choses

Supposez que j'ai une idée un peu folle : coder des relations analogiques en tant que telles. Coder
des fonctions "mu". C'est du langage qui reste analogique mais qui passe par un code. C'est très
bizarre un langage comme ça, un code greffé sur des flux analogiques. A première vue, c'est
impossible, ça s'oppose. Pourtant c'est un peu ce que faisait l'ordinateur tout à l'heure. L'ordinateur
avec un code binaire, il codait quelque chose à reproduire, un dessin à reproduire et il vous
produisait le dessin. Là, supposez des relations de dépendance, des fonctions "mu", etc., qui vont
être comme telles codées. Codé, on a vu ce que ça pouvait vouloir dire, codé. Ca peut vouloir dire
d'être pris dans un système de choix binaires. Mais enfin pourquoi est-ce qu'un langage analogique
se ferait coder ? Quelle nécessité il y aurait de coder un langage analogique ? C'est-à-dire, greffer du
code sur de l'analogie. Un seul cas, dit Bateson, celui des grands mammifères qui ont abandonné la
terre et qui sont allés dans l'eau. Pourquoi ? Car les grands mammifères ont un fort langage
analogique. Les mammifères sont ceux qui ont poussé le plus loin le langage analogique sur la terre.
Quand ils vont dans l'eau, ils sont fichus. Pourquoi ? Parce que ils n'ont pas comme les poissons, la
possibilité d'un langage analogique qui leur serait propre. Qui serait propre au milieu marin et ils
n'ont plus les moyens d'exercer le langage analogique de la terre.

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En effet, le langage analogique de la terre implique une très bonne distinction de la tête et du corps,
implique des poils, implique des mouvements expressifs, toutes choses que les exigences de l'eau
non seulement limitent, mais bien plus, même s'ils l'avaient, le message ne serait pas reçu, puisque
les conditions de visibilité sous l'eau sont telles que le langage analogique terrestre ne marche pas.
Bien plus, tout le corps se met en etc., empêchant les expressions analogiques. Alors il dit : on croit
que les dauphins ont un langage mystérieux, pas du tout, on croit que les dauphins ont un langage
conventionnel et il prévient les militaires américains qu'ils vont aller vers de graves déceptions. Mais
a-t-il raison, ça j'en sais rien. Il dit non, ce n'est pas ça. Simplement, le paradoxe des dauphins, c'est
que les conditions maritimes auxquelles ils ont du s'adapter, fait qu'ils ont dû coder l'analogique en
tant que tel. Ils n'ont pas fait un langage digital, ils n'ont pas fait un langage de codes, ils ont du
coder le langage analogique. Alors, ça fait très bizarre, ça. Il dit : il est sûr lui personnellement que si
on arrive à décrypter un peu le langage des dauphins, on n'y trouvera pas un langage linguistique.
Que l'on trouvera, dans ce langage, qu'un contenu proprement analogique exprimant simplement les
rapports de dépendance et n'exprimant rien sur des états de choses. C'est son affaire de dire ça !
Mais pourquoi, moi je me suis mit à raconter cette thèse de Bateson sur le langage des dauphins ?
Ce en présence de quoi il nous met, vous voyez, c'est quelque chose qui m'intéresse beaucoup : la
possibilité de greffer un code binaire sur du pur langage analogique. Donc cela nous permet de
surmonter un peu la dualité d'où on était parti. Et qu'est ce que je veux dire, vous l'avez deviné ce
que je veux dire.

Ce que je veux dire, c'est imaginez un peu maintenant la formule à laquelle j'arriverai, elle perd de
son côté trop facile. J'ai comme une espèce de sentiment qu'un peintre abstrait, c'est exactement
comme un dauphin, c'est des dauphins, c'est des peintres dauphins. Ils sont abstraits à cause de ça,
leur véritable opération, c'est : inventer un code pour toute une matière et un contenu proprement
analogique. Alors ils greffent un code sur la matière picturale et ce code est entièrement pictural, par
là ils réussissent quelque chose de génial. En d'autres termes ce ne sont pas des abstraits ; ce sont
vraiment des mammifères marins. C'est l'équivalent, c'est exactement le même problème que celui
des dauphins, il me semble. Mais enfin peu importe. Il suffit d'avancer un peu, là on est comme
coincé parce que : d'accord sur tout ce qu'il dit ; même relations, bon... Le langage analogique, on ne
le définit plus par : la similitude mais on le définit par : les relations de dépendance. Est-ce que ça
nous va ? Est-ce que ça nous ouvre quelque chose ? Peut être mais pas tel quel ? Pour moi, il
faudrait encore une transformation. Mais quelle transformation ? Comment s'expriment les relations
de dépendance ? Qu'est ce que c'est que l'expression des relations de dépendance ? On en est là,
c'est-à-dire : je réclame une troisième détermination du langage analogique. Encore une autre. Parce
que relation de dépendance, c'est à la rigueur le contenu de ce langage. Mais quand le langage
analogique a une forme qui lui est propre, qu'est ce que c'est que cette forme ? Supposons que ce
soit la peinture. Qu'est ce que s'est ? Il faut une forme. Comment s'expriment les relations de
dépendance ? Ce serait ça, alors, le définition du langage analogique. Nous le tenons, on le tient.
Suspense.

Qu'est ce que tu voulais dire Anne ?

Anne Querrien : « Cela me fais penser au passage de « Mille Plateaux », ou vous parlez des
corps
Deleuze : « Oui d'accord, moi aussi sauf que ça, c'est encore plus compliqué. Comme déjà on est
dans du compliqué, alors ça ne va pas s'arranger. »

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Anne Querrien : « Et puis ça me fait penser à autre chose, au langage opératif des maçons des
cathédrales etc., parce que précisément par exemple, il y a une étude qui à été faite par un type qui
s'appelle Scobeltzine, ou il expliquait la sculpture roman et gothique et montrait qu'il y avait tout un
code sur les chapiteaux qui exprimait justement directement les relations de dépendance dans les
positions, dans la manière de (inaudible)
Deleuze : A ça c'est intéressant ! Oui ?
Anne : Ca s'appelle « L'art féodal et son enjeu social » de Scobeltzine, c'est un architecte, dans la
collection bibliothèque des sciences humaines chez Gallimard, et alors il montre que ce n'est qu'une
expression des relation de dépendance dans la sculpture et que l'on peut interpréter tout l'art
gothique de cette manière. »
Deleuze : « Formidable ça ! Vous entendez ce qu'elle dit ou pas ? Tu veux pas te relever et redire
très vite parce que ça peut intéresser. »
Anne : « Il y a un architecte qui s'appelle Scobeltzine qui a écrit un bouquin qui s'appelle « L'art
féodal et son enjeu social » et qui dit que toute la sculpture et l'architecture des cathédrales, c'est
l'expression des relations de dépendance social à travers un code à la fois architectural sur les
voûtes ou enfin la manière de les montrer et le code de la sculpture dans les chapiteaux
essentiellement. Il explique très en détail les chapiteaux et les formes, toutes cette ligne gothique. »
Deleuze : Il faut lire ce livre, faut que je le lise.
Anne : « Oui, oui, ça vaut le coup ! »
Deleuze : « Tu me feras une petite note avec le nom, parce que je ne l'ai pas pris toute à l'heure.
»
Anne : « Je dois avoir des notes chez moi »
Deleuze : « Tu me les passes, ça m'évitera de le lire. » Auditoire : Rire
Deleuze : « Ca, c'est très important. Vous voyez, il y a plein de choses comme ça auquel je ne
pense pas. Vous pouvez...

Bon alors, Qu'est ce que c'est ?


A la limite, je dirais : même a égalité, à savoir, c'est de la voix. Prenons l'exemple sonore, le
langage analogique dépasse la voix d'accord, déborde la voix, mais il y a aussi dans la voix du
langage analogique. Or, précisément les linguistes, d'une certaine manière, et pour donner tout de
suite la réponse, les linguistes, ils ne nous ont pas caché quelque chose de très curieux. Ce qu'ils ne
nous ont pas caché, c'est que le langage, dit langage de convention selon eux, était fait de ce qu'ils
appellent des traits distinctifs. Bien plus que ce qu'ils appellent des traits distinctifs internes et que les
traits distinctifs internes, c'est quoi, c‘est précisément les rapports binaires entre phonèmes. Un
rapport phonologique. Voyez un rapport binaire entre phonèmes serait un trait distinctif interne du
langage. Mais ils ont toujours dit qu'il y avait d'autres traits linguistiques.
Qu'est ce que c'est que ces traits linguistiques ? C'est les tons, les intonations, les accents, ou
pour être plus précis,
c'est la hauteur de la voix,
l'intensité de la voix
et la durée. Hauteur, intensité et durée qui va déterminer trois espèces d'accents. Qu'est ce que
c'est que ça ? Est-ce que je peux dire : ce qui se distingue de l'articulation... Simplement qu'est ce
qu'ils font les linguistes ? C'est ça qui me trouble et en effet ces traits non internes. Ou même à la
limite, ces traits non distinctifs. Ils les reconnaissent. Par exemple, Jacobson, définit comme ça ce
qu'il appelle la poétique dans son rapport avec la linguistique. Mais ce qui me parait très curieux,
c'est que malgré tout, ils reconnaissent la spécificité de cette région, mais ils essayent complètement

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de la coder. Ils essayent complètement de la coder, c'est-à-dire : ils y appliquent leurs règles
binaires. C'est très net chez Jacobson. Moi, je pars au contraire, dans cette recherche de : "ce que
c'est que le langage analogique et quel serait son concept", je pars au contraire de la nécessité de
ne pas appliquer des règles de code, c'est à dire de ne pas binariser ce domaine des traits dit «
prosodiques », ou dit « poïétiques ». Or qu'est ce que c'est alors ? Je dirais aussi bien, c'est la voix
non articulée, la voix non articulée a une hauteur, une intensité, une durée et elle a des accents. Les
accents et les articulations, là encore grand problème quant à la musique Mais heureusement on ne
s'occupe pas de la musique Egalement, quel est le rôle du code dans la musique ? Quel est le rôle
du non articulé. Qu'est ce qui s'oppose au code musicale dans la musique elle-même ? Ce serait un
problème. Tout le monde le sait ce qui s'oppose finalement aux codes dans la musique. Mais peut
importe on va le voir tout à l'heure. Bien, alors c'est quoi ça, c'est la matière de quoi tous ce domaine
de l'analogique ? Et bien, il y a un terme commode mais qui ne va pas nous arranger parce que pour
trouver un concept de ce terme, ça va être difficile : c'est la modulation. C'est la modulation de quelle
manière ? Je ne dis pas qu'il y a une opposition simple, quoi qu'à certains égards il y ait une
opposition simple entre l'articulation et la modulation. Je veux dire que la modulation, c'est les
valeurs d'une voix non articulée. Je peux partir de là. Ceci dit, il y a tout, et cela ça nous arrange, il y
a tous les mélanges que vous voulez entre moduler et articuler. Entre modulation et articulation.
Mais maintenant que l'on a une hypothèse, comprenez l'importance, là je m'étends pour que vous
voyiez de quoi il est question dans tout cela.
Je dis, le langage analogique se définirait par la modulation, je dirais chaque fois qu'il y a
modulation, il y a langage analogique et dés lors il y a diagramme. Voila. En d'autres termes le
diagramme, c'est un modulateur. Voyez que cela répond bien à mes exigences : le diagramme et le
langage analogique sont définis indépendamment de toutes références à la similitude. A moins
évidement à vous de surveiller, il ne faudra pas que l'on réintroduisent les données de similitude
dans la modulation.
Le langage analogique, c'est de la modulation.
Le langage digital ou de code, c'est de l'articulation. Toutes sortes de combinaisons sont
possibles, si bien que vous pouvez articuler du flux de modulation. Vous pouvez articuler du
modulatoire. A ce moment là, vous greffer un code, et cela peut être très important ; Peut être qu'il
faut passer par un code pour donner à l'analogie tout son développement. Ca se complique, en quoi
cette hypothèse peut nous aider sur la peinture ?

Appliquons bêtement puisque la peinture c'est bien un langage analogique et peut être le plus haut
des langages analogiques connus jusqu'à aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que peindre, c'est moduler.
C'est moduler, peindre, mais c'est moduler quoi ? Attention moduler, on module quelque chose en
fonction d'autre chose. Précisons, qu'est ce qui va intervenir dans ce concept de moduler. Dans un
cas très simple on module quelque chose en fonction, qu'on appellera porteur, ou medium, onde
porteuse ou medium. On module un medium en fonction de quoi ? En fonction d'un signal. Et là,
vous êtes aussi savant que moi là dessus, c'est la télé, c'est tout ce que vous voulez et on vit là
dedans. On vit dans des entreprises de modulation.
On module un porteur ou un medium en fonction d'un signal. D'un signal à transporter. La
modulation n'est pas un transport de similitude. Qu'est ce qu'elle est ? on ne le sait toujours pas. On
ne le sait pas encore. Dans le cas de la peinture, est-ce que je peux appliquer cette première
définition très large de telle manière que ce ne soit pas une application, de telle manière que ce soit
évident que c'est un définition de la peinture. Quel est le signal ? Le signal je dirai, alors là gardons
les catégories les plus éculées. Plus elles seront éculées, mieux ce sera.

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Le signal, c'est le modèle. Cas plus complexe, le signal serai plutôt ce que l'on a appelé avec
Cézanne, le motif. Et qui n'est pas la même chose que le modèle. Mais peut importe. Ou bien le
modèle ou bien en un sens plus particulier, c'est le motif. Ou bien, je dirais - ça s'opposera pas tout
ça-
c'est la surface de la toile, elle est le signal aussi, le modèle est signal mais la surface de la toile
est signal aussi. Elle aussi, c'est le signal. Tout dépend, s'en doute, du point de vue où je me place, il
y a toutes sortes de rapports. Qu'est ce que je module sur la toile ? Peindre, c'est moduler. Je ne
vois que deux choses qui font appel à la modulation.
Ou bien je module la lumière,
ou bien je module la couleur,
ou bien je module les deux. En effet, la lumière et la couleur sont véritablement, les ondes
porteuses de la peinture. Si bien qu'encore une fois et j'avais insisté la dessus la dernière fois, je ne
suis pas du tout sûr que l'on puisse définir la peinture même par la ligne et la couleur.

Alors, je dirais peindre, c'est moduler la lumière ou la couleur, la lumière et la couleur, en fonction
de la surface plane et, ce qui ne s'oppose pas, en fonction du motif ou du modèle, qui joue le rôle de
signal. Mais voyez à l'issue de la modulation, qu'est ce qu'il y a ? La figure sur ma toile. Que ce soit
la ligne de Pollock - sans figure en fait - que ce soit la figure abstraite de Kandinsky, ou que ce soit la
figure figurale de Cézanne ou Van Gogh : A l'issue de la modulation j'ai ça. Ce que je peux appeler
la ressemblance avec un grand « R », seulement, je l'ai produit avec des moyens non ressemblant,
d'où le thème du peintre : "j'arriverais à une ressemblance plus profonde que celle de l'appareil
photographique". "J'arriverais à une ressemblance plus profonde que toutes ressemblances".
Puisque je l'ai produite par des moyens tous différents et ces moyens tous différents, c'est la
modulation de la lumière et de la couleur. Donc dans toutes les définitions infinies de la peinture
depuis : « C'est un ensemble de couleurs assemblées sur une surface plate, ou bien c'est creusé la
surface, ou bien c'est ceci, c'est cela, on a enfin le mérite dans joindre une de plus, ce qui,
évidement, n'est pas grand chose mais on a au moins un problème précis.
En quoi la lumière et la couleur sont elles objets de modulations ? Qu'est-ce que c'est qu'une
modulation sur surface plane de la lumière et de la couleur ? Qu'est ce que c'est que ça ? Si j'arrive
à dire qu'est ce que moduler la lumière, qu'est ce que moduler la couleur. Voilà.

Donc là, on est en pleine exigence de définir un concept de modulation, qui à la fois se distingue
strictement du concept d'articulation et d'autre part, en même temps ne fasse aucun appel à la
similitude et au rapport de similitude.
Et je pourrais dire, le diagramme, il est matrice de modulation. Le diagramme, il est modulateur,
exactement comme, le code est matrice d'articulation. Et avec aucune impossibilité de se lancer
dans l'entreprise bizarre, si ça fait gagner quelque chose au diagramme, si ça fait gagner quelque
chose au langage analogique, si ça fait gagner quelque chose à la modulation, passer par une phase
de code. Il se peut très bien que la modulation gagne beaucoup en passant par une phase de code.
En d'autres termes, il se peut très bien que la peinture abstraite fasse faire à la peinture un progrès -
mais alors à toute la peinture - un progrès fondamental. Du double point de vue, de la modulation de
la couleur, c'est-à-dire du point de vue paradoxal, pas du point de vue de l'invention d'un code, mais
du point de vue du progrès d'un langage analogique. Du point de vue de la modulation de la couleur
et du point de vue de la modulation de la lumière. Qu'est ce que ça voudrait dire moduler la couleur,
moduler la lumière ?

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Deleuze : Quelle heure il est ? » Voix off : « moins vingt, moins le quart »
Deleuze : « Vous êtes fatigués, non ! » Auditoire : « Non »

« Alors, je précise juste, pour en finir, on repart là à nouveau à zéro. Moduler, moduler, moduler !
Moduler pas articuler, moduler pas articuler. Or, qu'est ce qui nous dit pour la formation d'un
concept. -Là, j'essaye de tirer à droite à gauche pour ce que je peux - Je voudrais invoquer deux
sortes de données, des données littéraires et des données technologiques. Données littéraires, c'est
tout simple, il y a un grand texte. Un très grand texte qui a déjà était commenté de mille points de
vue, mais là je voudrais le commenter de ce point de vue.
C'est le texte de Rousseau sur l'origine des langues. Le texte de Rousseau sur l'origine des
langues, il a quelque chose à nous dire sur ce problème. Pourquoi ? Parce que dans ce texte très
extraordinaire, Rousseau a une idée fondamentale, qui est que le langage ne peut pas avoir pour
origine l'articulation. L'articulation ne peut être que comme une seconde étape du langage. Ou du
moins j'exagère : tout langage est articulé pour Rousseau. Mais l'articulation ne peut être qu'une
seconde étape de la voix. Avant le langage articulé, il y a la voix et qu'est ce que c'est que la voix ?
c'est la voix mélodique, dit Rousseau. Et la voix mélodique, comment elle est définie par Rousseau ?
Elle est définie, par Rousseau, d'une manière très stricte. C'est la voix qui comporte des accents.
Pas seulement la voix qui comporte des accents, parce que des accents, on pourrait dire que toute
langue en a, mais en fait pour Rousseau les langues n'ont plus d'accents. Elles en ont plus ou moins
mais le secret de l'accent c'est des langues disparues.

Les grecs avaient encore une langue à accent, l'anglais peut être encore maintenant un peu, c'est
bizarre mais ce n'est pas Rousseau qui le dit. Mais enfin. Pourquoi il veut dire que nos langues n'ont
plus d'accents ? Elles ont bien des accents, oui, mais elles n'ont plus "l'accent", dit-il, quand il n'y a
des accents, il n'y a plus l'accent. Il veut dire que les différences d'accents, de son point de vue,
doivent correspondre à des différences de tons. Or chez nous les accents ne correspondent pas à
des différences de tons. Les différences d'accents ne correspondent pas à des différences de
tonalités. Alors, bon, en fait nos accents sont tellement dégradés et voyez ce qu'il veut dire. Pourquoi
est-ce que les accents sont tellement dégradés dans nos langues ? Pourquoi est-ce que notre
langue a cessée d'être mélodique ? alors que le vrai langage est mélodique. Et bien, elles ont cessé
d'être mélodique en même temps qu'elles devenaient des langues articulées. Et pourquoi elles sont
devenues des langues articulées ? L'idée de Rousseau elle est belle mais elle est très bizarre. Il dit
elles sont devenues des langues articulées, là où elles ne sont pas nées les langues, parce que à
son avis elles sont nées dans le midi, les langues. C'est là qu'il y a les conditions d'une naissance du
langage. Les langues sont d'abord méridionales.

Mais ça n'empêche pas qu'elles gagnent le Nord. Ce qui articule c'est les durs hommes du nord.
Pourquoi les durs hommes du nord articulent ? Parce que c'est les hommes de l'industrie. Bien plus,
il dit formellement - vous parcourerez, j'espère, c'est un essai très court sur l'origine des langues - il
va jusqu'à dire formellement plusieurs fois : « l'articulation est par nature conventionnelle ».
L'articulation, c'est de la convention. On s'accorde, on s'accorde mais qu'est ce que ça voudrait dire
en termes modernes, les articulations, elles sont déterminées par des choix. Faire des choix, c'est le
domaine des choix binaires, absolument.
Donc l'articulation, c'est du conventionnel. L'homme du Nord, avec ses besoins d'industrie, il est
forcé d'articuler parce qu'il ne sait plus dire "aimez moi", dit Rousseau, il ne sait plus dire" aimez moi,
il ne sait plus dire "aidez moi" et pour lui la preuve d'amour c'est l'aider. C'est l'aider dans un travail.

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Alors la langue du travail, la langue de l'industrie, c'est une langue fortement articulée. Bon, c'est une
langue fortement articulée. Qu'est ce qui, alors il y a quand même des données inarticulées, dit
Rousseau et c'est quand même très très beau ce texte. Il y a toujours des sons inarticulés chez les
hommes du Nord. Ils articulent, ils articulent c'est vraiment un langage articulatoire. Mais ils gardent
des sons inarticulés seulement ça devient des cris effrayants. Qu'est ce qu'il a dans la tête ? Vous
voyez, il y a un doublet : Lorsque l'articulation devient maîtresse du langage, le son inarticulé devient
alors un paroxysme, une espèce de paroxysme. ça devient un son effrayant. Qu'est ce qu'il a dans la
tête ? La triste situation de l'opéra de Rameau. Et en musique, qu'est ce qu'il y a d'équivalent, quel
est le code musical, l'articulation. L'articulation, c'est ce dont Rameau disait, c'est "la matrice de
toutes musiques". Mais qu'est ce que c'était pour Rameau la matrice de toutes musiques, c'était
"l'harmoni"e.
C'était l'harmonie. Avec ses coupes verticales opérées sur les lignes mélodiques et ses
déterminations des accords. Et là, Rousseau reprend - la composition est très savante, de son essai
- reprend tout ce thème, en disant, l'harmonie en musique c'est exactement ce qu'est l'articulation
dans le langage. C'est la part du conventionnel. Seule la mélodie est naturelle L'harmonie, c'est la
convention, vous faites une musique de pure convention. Et alors cette musique de convention a
tellement rompu avec la mélodie que ce qu'il y a d'inarticulé de non harmonique, va passer dans quoi
? Des cris affreux. Et c'est tout le rapport de la voix et de la musique qui a ce moment là pour
Rousseau, est fondamentalement dénaturé. La voix retombe en cris affreux en même temps que le
flot mélodique passe sous la dépendance de l'accord harmonique de pure convention. Si bien que
dans sa lutte contre Rameau il y oppose une musique purement mélodique avec très peu
d'harmonie, où la voix est inarticulée mais renonce à tous cris effrayants, et la voix plaisante de la
mélodie pure. D'où la triple voix, le point et le contre point, etc. Mais sans aucune soumission à
l'exigence d'harmonie. La mélodie contre l'harmonie va définir quoi ? La modulation de la voix qui va
définir positivement la voix non articulée. Tandis que du point de vue de l'harmonie la voix non
articulée ne peut plus être définie que négativement sous forme des cris affreux.

Alors qu'est ce que dirait aujourd'hui un Rousseau actuel, par rapport, par exemple à l'opéra italien,
l'opéra wagnérien. C'est évident qu'il est très injuste parce que évident, mais enfin j'essaye de
restituer son schéma. Vous voyez son idée : Il y a comme deux étapes fondamentales du langage.
Une première étape, c'est son idée, le langage ne pouvait pas mettre de l'intérêt, l'idée elle est très
curieuse, le langage il ne pouvait absolument pas naître de l'intérêt ou du besoin. Là, il s'oppose à
tout le 18ème siècle, pour ça. Une seconde, pardon. Oui, quoi ?

Anne Querrien : Il y a un autre texte extraordinaire, c'est celui de [inaudible] L'homme descend
des grenouilles et découvre son sexe c'est-à-dire l'organisme fondamental

Deleuze : Ouais, mais là ça m'arrange pas contrairement à l'exemple de tout à l'heure, c'est de la
pure similitude sonore. C'est un jeu de similitudes

Anne Querrien : Après il recrée tout petit à petit, si tu veux

Deleuze : Ouais, mais là contrairement à ton texte précédent, il faut forcer pour amener Brisset.
J'ai l'impression que Brisset c'est un tout autre problème. On va revenir à l'intérêt pourquoi il dit que
l'intérêt et le besoin et même l'industrie à la limite le geste suffirait Un pur langage gestuel suffirait.
Cela ça m'intéresse beaucoup Pourquoi, parce que le langage gestuel c'est quoi, c'est un langage de

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similitude. Il n'y a qu'à mimer les trucs.

Si je fais (...), tout le monde comprend que je veux dire tirer sur la corde. ? Rire. Langage gestuel, là
un militaire, il te sort son épée et puis il la tend vers une direction, le cavalier le plus crétin sent qu'il
faut aller par là. Rire. Un langage des gestes suffit, oui...
Intervention : Il y a un texte de Marcel Jouss, où il expose ce problème, qui fait remonter le
langage au geste justement, en disant que la parole a été crée parce que l'homme n'était paresseux
et qu'il ne voulait pas utiliser tout son corps, pour pouvoir exprimer...
Deleuze : Un texte de qui ? Intervenante : De Marcel Jouss. C'est un anthropologue
Deleuze : Il ne faut pas se référer à Marcel Jouss parce que c'est une thèse courante au 18ème.
Thèse tout à fait classique, le langage qui à son origine dans le travail et dans les gestes du travail.
Et c'est ça que Rousseau dit.
Intervenante : Il va un petit peu plus loin que ça, quand même...
Deleuze : J'espère
Intervenante : Parce que il analyse la fonction des [incompris] c'est-à-dire la capacité de l'homme
à reproduire les interactions extérieures.
Deleuze : Ouais, bon ça, ça pourrait être intéressant s'il y a une dimension analogique dans ce
qu'il appelle les interactions. Mais enfin, c'est un autre sujet.
Intervenante : il y a aussi...
Deleuze : Ouais
Intervenante : Il y a aussi l'analyse du langage et en particulier les fonctions rythmo-mélodiques
Deleuze : Ouais, sûrement ça (Rire), il y a tout ça. Rire. Alors vous comprenez pourquoi, en effet,
son idée est très simple à Rousseau. C'est que le langage ne peut avoir qu'une origine, c'est la
passion.
C'est la passion. Alors, en effet, ça va nous mettre dans un espèce d'élément, qui est presque
déjà esthétique. Parce que c'est tout ce que certains critiques d'art appellent le moment pathique,
pathos par opposition au logos. On pourrait dire le logos c'est le code, mais il y a un élément qui est
l'élément pathique de la passion. Alors la passion, on se rend compte que c'est par là que le langage
a une origine méridionale. On se rencontre autour de la fontaine, les jeunes gens et les jeunes filles,
dit Rousseau. Alors, ils se mettent à danser, etc. C'est l'origine de la modulation. Vous voyez cette
espèce de schéma de Rousseau, alors. Exclusion du langage du geste, parce que le langage
dugeste, c'est de l'analogie commune, il opère par similitudes.

Deuxième étape, modulation de la voix. Ca, oui, c'est la seconde analogie, c'est la grande
analogie esthétique. Elle ne se définit plus par la similitude mais par la modulation. La voix
mélodique. Troisièmement, le langage déborde vers le nord, les peuples du Nord s'en emparent et
en fonction du développement de l'industrie introduisent dans le langage et soumettent tout le
langage mélodique aux lois de l'articulation, en même temps que la musique sera soumise aux lois
de l'harmonie. C'est bien comme thème. Alors ce que j'en retiens, c'est et j'en suis là presque : cette
modulation, Rousseau pour son compte va la définir par "la mélodie". Bon, qu'est ce que ça va être
cette voix mélodique ?

Ouf ! Bon, à la prochaine fois. Voix off : Ouais

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

15- 20/04/82 - 1
Marielle Burkhalter

15- 20/04/82 - 1 Page 1/12


transcription : Yann girard

20/04/82 - 1

15 A cours du 20/04/82 - 1

Donc je voudrais faire ce serait la dernière fois, cette confrontation je vais la faire en prenant deux
exemples :
Premier exemple ; je dirais, qu'est ce que la dégradation d'un personnage au cinéma, pourquoi ça
m'intéresse ? Parce que c'est très intéressant comment un art représente la décomposition, la
dégradation ? C'est pas gai comme sujet ça ne veut dire du tout que je suis pessimiste, c'est des
phénomènes qui peuvent intervenir. Là je voudrais faire une épreuve de la différence entre
expressionnisme, naturalisme et réalisme, au niveau de ce cas de la dégradation d'un personnage.

et puis deuxième exemple clé, je voudrais considérer un problème que j'ai presque pas abordé
même lorsque je parlais du gros plan, j'ai abordé très furtivement mais que l'on va avoir à aborder de
plus en plus, qui est le problème de l'acteur et du jeu et donc je voudrais me demander très
rapidement : comment joue un acteur expressionniste ? comment joue un acteur naturaliste ?
comment joue un acteur réaliste ? Il va trop de soi que ce n'est pas une liste exhaustive des modes
de jeu de l'acteur, il n'y a pas de liste exhaustive des modes de l'acteur, et en plus je ne peux même
dire que ces trois cas soient particulièrement intéressants, il me semble que ce qui est intéressant
dans le jeu de l'acteur ou dans les problèmes de l'acteur, c'est des choses qu'on pourra saisir que
plus tard, donc sans doute jamais puisque l'année sera finie. Je dis très vite pour la dégradation, la
dégradation expressionniste, comment je la connais ? C'est comme une histoire d'un tableau.

Qu'est ce que c'est une dégradation expressionniste ? Il faudrait dire en fait : c'est pas une
dégradation, c'est vraiment et là j'avais abordé ça mais je regroupe là parce que je le souhaite : c'est
une espèce de chute. Les grands expressionnistes, ils ont reproduit la dégradation des personnages,
comme étant une chute, chute dans quoi ? chute dans des ténèbres de plus en plus intenses,
comme si le personnage était attiré, aspiré, par une sorte de trou noir.
Une chute, bon, alors cette chute elle se fait comment ? elle se fait notamment par quelque chose
qui concerne aussi le jeu de l'acteur, la fameuse utilisation de la diagonale, le corps s'inscrit dans
l'acteur expressionniste une des choses que l'acteur expressionniste a su introduire non seulement
au théâtre mais pleinement au cinéma sans doute plus au cinéma encore qu'au théâtre : c'est habiter
la diagonale avec tout son corps,
soit la diagonale arrière de Nosferatu qui meurt qui meurt au petit matin

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soit la diagonale avant du dernier des hommes au moment de son désespoir, espèce d'utilisation
très riche, très belle de la diagonale, car comme ils disent : "la diagonale est la véritable ligne de
l'intensité", mais de l'intensité de quoi ? Intensité de la chute. Bon, donc à la limite c'est pas une
dégradation qui a dans l'expressionnisme, ça ne deviendra une dégradation que lorsque quoi ? Que
lorsque l'expressionnisme sortira de ces espaces quelconques, de ces espaces ténébreux enfumés
pour conquérir un certain réalisme social, alors à ce moment là il gardera toute sortes de données et
de déterminations expressionnistes mais les faisant jouer dans un espace temps déterminé, dans un
milieu déterminé, alors la chute expressionniste pourra prendre l'aspect d'une dégradation et ça sera
le cas de "Loulou" de Past, du "dernier des homme" de Murnau qui sont les grandes dégradations
expressionnistes. Au point que si vous voulez là je dit les choses très, très rapidement si vous vous
rappelez l'opposition que j'avais établie entre ce que j'appelle l'abstraction lyrique de Stenberg et
l'expressionnisme, opposition qui a été vraiment très violente - l'objection que vous aviez sûrement
dans l'esprit, que vous aviez la gentillesse de ne pas me faire - c'est "l'Ange bleu", "l'Ange bleu" qui
parait être un film presque expressionniste, et qui précisément raconte la longue histoire d'une
dégradation. Or je dirais que dans "l'Ange bleu" là je dirai très vite parce que c'est un point tout à fait
de detail que dans "l'Ange bleu" , en effet Stenberg peut non pas du tout faire un film expressionniste
parce qu'à mon avis ce n'est pas ça du tout, mais mimer ou rivaliser avec une espèce
d'expressionnisme, rivaliser avec ses moyens propres : à savoir l'aventure de la lumière et non pas
l'aventure du clair-obscur, rivaliser avec l'expressionnisme précisément parce que l'expressionnisme
de son coté est sorti des espaces quelconques enfumés et que alors là peut se faire une
confrontation où la dégradation du professeur dans "l'Ange bleu"- que ça préserve tous les
professeurs ça - que la dégradation du pauvre professeur dans l"Ange bleu" qui est là est
typiquement présentée comme la chute dans un trou, dans un trou noir, c'est la dégradation
expressionniste.

La dégradation naturaliste, elle est tout autre : si vous prenez les grandes dégradations Stroheim,
la dégradation fameuse des "Rapaces" ou la dégradation "Folies de femme" qui me parait en un
sens plus, parce qu'elle est plus suptile mais plus importante même, de la dégradation du héros de
"folies de femme" que celle du couple des "Rapaces", mais enfin c'est une dégradation très
différente Je vous rappelle très brièvement la formule, je reprends pas toute ces analyses : cette
fois-ci c'est la pente de la pulsion ; très différente du thème. là je crois c'est comme des métaphores
pour nous guider, c'est pas du tout ça, ce n'est plus : chute dans un trou noir, c'est plus le navire qui
coule là, cette position diagonale qui exprime comme le bateau qui coule, qui sombre, qui est happé,
c'est pas ça : c'est la déclinaison, la plus grande pente de la pulsion. C'est ce qu'on a vu quand on a
analysé le naturalisme, c'est ce phénomène de l'entropie du monde originaire, l'entropie du monde
originaire ou la pulsion suit une pente, une pente irrésistible qui va conduire le héros de "folies de
femme" de la séduction d'une femme de monde par exemple à la tentative de viol de la petite débile.
Et tout ça la dessus mort et son cadavre jeté aux ordures, la pente de pulsion : chaque fois elle aura
arraché un morceau, car la pulsion c'est une drôle de chose car elle est double, c'est ça l'horreur de
la pulsion et du cinéma de la pulsion ; c'est que l'horreur de la pulsion c'est que : à chaque
fois,comment dire : elle prend ce qu'elle trouve et en même temps elle ne prend que ce qu'elle trouve
et en même temps elle choisit un morceau, elle prend ce qu'elle trouve et elle choisit un morceau,
c'est comme les deux tensions contradictoires de la pulsion : quoique je trouve je m'en contenterai
ah oui ! mais de quoi que je me contente : j'élirai un morceau, j'arracherai un morceau, le mien ! c'est
terrible la pulsion alors c'est ça l'espèce de dégradation car je trouverai de plus en plus bas, il faudra
que je fouille de plus en plus bas. C'est ça la pente irrésistible et je prendrai des morceaux de plus

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en plus avariés, une espèce de plus grande pente.

la dégradation naturaliste il me semble est très, très différente conceptuellement et visuellement par
les images très très différentes de la dégradation expressionnisme.
et enfin - est ce que c'est une dégradation américaine ? bein vous sentez bien les américains,
non, non pour eux une dégradation expressionniste ou une dégradation naturaliste pour eux c'est
des trucs à la limite, je me dis ils comprendraient pas, ils comprennent parce que ils sont très cultivés
mais c'est pas leur truc, leur truc : ils se disent c'est des choses européennes et pas étonnant que
Stroheim coupure du son ...dont une grande partie sont des alcooliques. En effet le manifeste de la
dégradation à l'américaine - et je dirai ça c'est la dégradation "réaliste" - c'est la dégradation réaliste
et c'est une troisième formule alors ce qui serait gai, c'est inépuisable tout ça il faut allez vite parce
que on pourrait prolonger, c'est pas du tout exhaustif aussi mes trois dégradations il y en a bien
d'autres : il y a les dégradations symbolistes, il ya les dégradations.. et puis il y a peut être la plus
belle enfin on verra, on verra mais rien n'est exhaustif de ce que je dis bein, vous pouvez
vous-même prolonger ces tentatives de classification,
alors alors comprenez "dégradation réaliste" je dis bien oui, il y a un grand manifeste de la
dégradation réaliste à l'américaine, c'est Fitzgerald c'est Fitzgerald et la fameuse nouvelle : "La
fêlure" et je rappelle que "La fêlure" commence par : "toute vie bien entendue est un processus de
décomposition". Alors je dis bien sur le texte de Fitzgerald est d'une beauté universelle mais je dis en
quoi en même temps c'est un grand texte américain. Et quelle tristesse que Fitzgerald ait jamais
jamais rencontré un grand homme de cinéma puisque les films tirés de Fitzgerald sont vraiment, sont
vraiment des films américains pas bons, mais ça tant pis hein, car les films de la dégradation à
l'américaine qui feraient écho à Fitzgerald, c'est pas dans les adaptations de Fitzgerald qu'il faut les
chercher c'est dans quoi ? je suppose c'est pas de très très grands films quand même c'est dans «
lost week end » dégradation alcoolique, le film de Billy Wilder et un peu dans Milos Forman : "le vol
au dessus du nid de coucou"
je viens de dire quelque chose qui m'intéresse : Milos Forman vous voyez pourquoi ? Ceux qui
font le cinéma américain par excellence et on va chercher pourquoi parce que tout ça c'est reposant,
c'est des recherches faciles. Pourquoi est ce que c'est des immigrés de période récente ? pourquoi
le cinéma américain par excellence et Kazan et toute la suite de Kazan hein ?Pourquoi c'est eux qui
ont lancé, pourquoi c'est eux le vrai réalisme au cinéma américain ? peut être que c'est eux qui font
la loi du rêve américain

Bon mais la dégradation à l'américaine c'est quoi ? la dégradation du type SAS'. le S prime étant
bien pire qu'avant ou bien même le néant, plus rien. C'est que ça traverse le cinéma américain,
généralement quand même avec dégradation, j'aurais aussi bien pu dire "les saluts" et j'aurais pu
dire : il y a le salut expressionniste, le salut naturaliste mais c'etait moins amusant alors bon. Parce
que dans le rêve américain : il y a le type tout le temps, le type qui craque mais il craque d'une
manière américaine, il craque pas comme nous c'est pas pareil. C'est pas la dégradation de la
pulsion et c'est pas la dégradation il craque comment ? trop fatigués, ils en ont trop fait, ils en ont
trop fait pourquoi ? pour monter les habitus nécessaires et là il n'y a plus de raisons ils n'en peuvent
plus. Fatigue, fatigue quelle fatigue ! ça vaut plus la peine. Ils monteront plus l'habitus tant pis ou
alors il y a d'autres possibilités - Mais on réserve les autres possibilités - Ils ont tout fait, ils ont fait ce
qu'ils pouvait. Bien oui, ils sont indignes de l'Amérique, ils sont indignes de l'Amérique mais
l'Amérique en demandait trop. l'Amérique leur disait : qu'elle que soit la situation tu trouveras
l'habitus et tu seras milliardaire et tu cesseras d'être milliardaire et tu remonteras l'échelle et tu

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descendras l'échelle ect.. Et puis il vient un jour où ils en peuvent plus. Ils restent au même degré de
l'échelle. Alors il disent : laissez moi tranquille, laissez moi tranquille laissez moi tranquille avec un
peu de whisky et puis voilà.

Qu'est ce que ça veut dire ça ? quand Fitzgerald fait ce manifeste merveilleux sous le titre "La
fêlure", qu'est ce qu'il dit ? Qu'est ce que c'est la dégradation telle qu'il l'a peint ? la dégradation telle
qu'il l'a peint c'est voilà : la situation change, elle ne cesse pas de changer donc il y a
perpétuellement des changements de la situation. Lui, il fixe un changement qu'il le concerne, la
montée du cinéma, un changement ! "je me demandais pas ce que c'était la littérature, j'écrivais,
c'était mon affaire" et puis là comme cinéma est arrivé alors il fallait que je prenne de nouveaux
habitus. Qu'est ce que c'est les nouveaux habitus qu'il fallait qu'il prenne ? qu'il devienne scénariste.
Il a essayé d'accord, bon il s'est fait traité comme un chien par le producteur, par les producteurs. Ça
été l'aventure de beaucoup y compris de Faulkner, ils y sont tous passés, c'est la méthode
américaine quelque chose change la situation et bien on cherche l'habitus, on cherche la réponse, la
réponse juste à la situation. Seulement tout ça c'est très fatiguant et à mesure que se font les grands
changements de la situation, il y a un processus souterrain nous dit Fitzgerald beaucoup plus
perceptible c'est mille petites fêlures, mille petites fêlures, des micro fêlures qui font notre fatigue. Et
bien un moment, ces fêlures s'additionnent quand les fêlures s'additionnent et bien en ce moment se
fait le craquement on n'en peut plus, on sait qu'on est devenu incapable de monter de nouveaux
habitus. l'espèce de spirale de la degradation réaliste, on peut plus monter de nouveaux habitus.

Alors qu'est ce qu'il nous reste, qu'est ce qu'il nous reste ? deux solutions américaines : les deux
solutions de la dégradation. J'exclue la troisième, la troisième c'est remonter la pente, ça c'est le
salut. les films américains, le réalisme américain aiment beaucoup nous présenter le processus de
dégradation même dans le western. Constatez à quel point le western a présenté des très beaux
processus de dégradation : l'ancien chérif alcoolique, une de plus grandes figures de la degradation
dans le western c'est "Rio bravo" de Hawks : il y a l'ancien shérif alcoolique qui, comble de la
dégradation, pour boire son petit whisky, est interdit du saloon et pour boire son petit whisky doit
s'agenouiller devant le crachoir. Dans Fitzgerald y a des images tout a fait de cette nature. Mais voila
les américains aiment bien ne pas désespérer leur peuple et voilà généralement le héros remonte la
pente, même "lost week end" hélas il sera sauvé alors qu'il devait pas être sauvé. C'est pas juste,
l'alcoolique au bout de sa grande spirale de la dégradation, sera sauvé. Mais je dis si on exclue cette
solution qui en est une et pas plus, comme ça si on exclue cette solution, qu'est ce qu'il reste ? je dis
et bein c'est foutu. Dans le film de Forman, il y a la commune degradation du chef indien qui est une
espèce de western en milieu psychiatrique. C'est même l'intérêt de ce film : il y a la double
dégradation du chef indien et du blanc à laquelle le blanc va échapper par la mort puisque le chef
indien le tue par pitié. Il y a là une espèce de spirale de dégradation très forte, ce qui fait précisément
l'intérêt du film mais ça n'est intéressant, la dégradation à l'américaine que précisément parce que
c'est pas "une" situation qui vous rend incapable, c'est l'évolution continuelle et le changement
perpétuel des données de la situation c'est-à-dire la spirale qui vous use de plus en plus, qui introduit
des micros-fêlures - je dis pas ça parce que ça va être très important pour le jeu de l'acteur réaliste -
qui introduit en vous des micros fêlures : voyez de quels types d'acteurs je veux parler, évidemment
des acteurs de "l'Actor's studio. Introduire dans le type, tout un ensemble de micro-fêlures et c'est de
l'ensemble de ces micros-fêlures que tout d'un coup va résulter la dégradation. Ah non j'en peux plus
je renonce ! Ou alors si c'est pas la renonce qui conduit à la mort : ça sera quoi ? ça sera ce que
Fitzgerald disait : "la seule issue : un véritable acte de rupture" et finalement plus rien ne compte et

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c'est différent de l'autre : "redevenir comme tout le monde", y perdre tout, à commencer par même
perdre le respect de soi même, perdre le respect de soi même pour redevenir comme tout le monde
et comme dit Fitzgerald qui termine son texte d'une manière si belle et si émouvante : "si vous me
jetez un os à sucer, je lècherai la main" Redevenir comme tout le monde c'est ça, faire la grande
rupture et faire la grande rupture "redevenir comme tout le monde" ou bien se lancer dans une
tentative, se lancer dans une espèce "d'acte pour rien" sans issue, survivre. Et là encore je prends
des exemples dans le western. Le western, ce qu'on appelle précisément le néo western ou le sur
western, on verra s'il a raison de faire ces distinctions, nous présente tout le temps le cow-boy vieilli,
fatigué, il en peut plus, il en peut plus. C'est fini tout ça. La loi de l'ouest. Oui d'accord c'était dans le
temps mais il n'y croit plus, il en veut plus, trop fatigué, qu'on le laisse tranquille. On le laisse pas
tranquille, bon !je vous ferai l'acte de survie. Voyez ou bien qu'on me laisse tranquille avec mon
whisky ou bien vous m'embêtez encore, d'accord, de toute manière j'ai perdu, j'ai perdu mais je me
conduirai comme tout le monde, "je lècherai l'os que vous voulez", je sais que c'est perdu mais j'y
vais. Et un des auteurs, je crois très important du néo western, à savoir Peckinpah est celui qui a
poussé plus loin ce terme de la dégradation non seulement dans tous ses films mais dans ses séries
télévisées, notamment dans une grande série qui s'appelait "les perdants" où il décrit son héros, son
type de héros tout a fait, il nous donne la formule de la dégradation à l'américaine. "Ils n'ont aucune
façade", ils ne croient plus à rien. "Ils ne leur restent plus aucune illusion, aussi représentent -ils
l'aventure désintéressée. C'est ça la rupture, une aventure désintéressée, ou bien on s'écroule dans
l'alcool ou bien on fait une aventure de survivance : "ils représentent l'aventure désintéressée, celle
dont on tire aucun profit sinon la pure satisfaction de vivre encore" - elle est belle cette phrase -
"sinon la pure satisfaction de vivre encore".

Bon voila, ça c'est la formule de dégradation réaliste. Voyez elle est complètement différente de
la degradation expressionniste et de la dégradation naturaliste. Et du coup, j'enchaîne tout droit
transposons :
seconde épreuve : comment est ce qu'on pourrait définir le jeu de l'acteur réaliste du types SAS
dans la forme SAS ou SAS prime par différence avec l'acteur.
ah non j'ajoute quelque chose - je fais très vite une parenthèse : je suis tellement loin d'avoir
épuisé les formes de dégradation possibles que même et avant tout du point de vue du cinéma,
pensez, qu'est ce qu'il faudra dire s'il s'agissait de ce sujet là, j'ai même pas commencé car où
mettra t'on une race de grands auteurs qui découvrent un autre type de dégradation qui n'est ni la
chute ni la pente ni la micro-fêlure c'est-à-dire la perte d'habitus, à savoir et là vous voyez tout de
suite à qui je pense - il y a tout un cinéma de la dégradation pas uniquement de la dégradation mais
où la dégradation est un thème fondamental - et où la dégradation est uniquement et simplement "le
temps". Mais la degradation "temps" ça c'est une autre figure et alors sentez pourquoi je vais si
progressivement, on a même pas les moyens de la traiter actuellement. On aura le moyen de la
traiter cet autre type de la dégradation que lorsqu'on en sera à l'image-temps mais pour le moment
on est encore à patauger avec l'image-mouvement.

Quand on abordera l'image-temps - si ça nous arrive un jour - quand on abordera l'image-temps


alors là on rencontrera à nouveau de grands auteurs de cinéma qui se heurtent à un type de
dégradation qui n'a rien avoir avec ces trois là. Qui est une dégradation qu'est qu'il faudrait l'appeler
? Est ce qu'il faut l'appeler idéaliste ? parce que c'est la degradation du temps lui même par le
temps, la degradation-temps ou lui trouver un autre nom, il faudra bien .., on trouvera, on trouvera
dans l'avenir. Mais à qui on pense immédiatement ? à Visconti et quand je disais Visconti, il a bien

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essayé d'affronter, d'atteindre parce que ça l'amusait quelque part ou que ça l'a intéressé un moment
notamment après la guerre, il a bien essayé d'approcher le phénomène des pulsions seulement
Visconti, il est encore une fois tellement aristocrate qu'il a jamais pu approcher la réalité de pulsions
qui exige une vulgarité du type, une vulgarité géniale du type Stroheim ou du type même Bunuel.
Visconti ne pouvait pas, il ne pouvait pas parce que son affaire était ailleurs. Ce qui dégrade, ce qui
dégrade pour Visconti, c'est pas des pulsions, c'est le temps et rien que le temps et c'est la seule
existence du temps qui déjà est une dégradation avec toujours la contre partie : quel est le salut
alors ? le salut aussi c'est le temps et pas étonnant que jusqu'à la fin de sa vie, il ait pensé à mettre
en scène et sans doute c'était un des deux seuls à pouvoir le faire, "la recherche du temps perdu", la
dégradation il y a bien une dégradation, il y a bien des phénomènes locaux d'une dégradation
pulsion chez PROUST, par exemple "Charlus" est l'exemple même d'une dégradation pulsion
fantastique où il y a la pente de pulsion, où il choisit de moins en moins, il arrache toujours des
morceaux de plus en plus, de plus en plus avariés. "Charlus", je crois est dans "la recherche du
temps perdu", c'est un personnage naturaliste, c'est le grand personnage naturaliste mais l'ensemble
de "la recherche du temps perdu", c'est pas ça du tout, "l'ensemble de la recherche du temps perdu",
un des aspect du temps - et ça engagerait toute une analyse de l'image-temps - un des aspects du
temps, c'est le temps comme dégradation par lui-même. Le temps en tant que temps comme
dégradation c'est en tant que tel qu'il est processus de degradation et ça ce que je crois, c'est ce que
Visconti a vécu dans tout son cinéma. Pourquoi ? parce que il y a une structure du temps qu'il
faudrait analyser assez profondément - c'est pas hélas encore notre objet. Il y a une structure, c'est
en vertu de sa structure même, c'est en vertu de la structure du temps que quelque chose nous ait
nécessairement donné lorsque c'est trop tard.
Si bien que le problème du temps chez Visconti ce serait, pour une partie du problème du temps
chez Visconti, ça serait pourquoi ? Et quel est ce temps qui est d'une nature telle qu'il nous donne
nécessairement quelque chose au moment ou c'est trop tard ? Alors a ce moment la en effet, on
comprend que la saisie du temps ou une saisie d'un aspect du temps ne fasse qu'un avec le
processus de la degradation. Donc c'est-à-dire y en aura beaucoup d'autre alors même chose.
Quelle différence entre le jeu d'acteur expressionniste très vite, je voudrais dire et le jeu d'acteur
naturaliste ,le jeux d'acteur réaliste Vous permettez, il faut que j'aille au secrétariat.

c'est fermé ? c'est ouvert ?

J'ose à peine me risquer dans un problème aussi, aussi réellement compliqué que le problème de
l'acteur mais il y a des problèmes de l'acteur, c'est évident là et il y a des problèmes de l'acteur où il
n'y a des problèmes pour l'acteur que dans la mesure ou il est bien entendu que un acteur ne
représente pas une fiction, ne représente pas un personnage fictif. Je veux dire que là dessus la
question : est ce que l'acteur s'identifie ou ne s'identifie pas à son rôle ? est une question à la fois
dénuée de sens et qui n'a strictement aucun, aucune espèce d'intérêt. Puisque l'acteur commence à
partir du moment où y a un autre problème et où il est dans autre élément. Là c'est pas pour dire du
mal entre autre, par exemple des thèmes de Brecht sur la distanciation puisque je crois qu'au
contraire, les thèmes de Brecht sur la distanciation comportent et répondent à un problème qui n'a
strictement rien à voir avec un acteur, avec la supposition d'un acteur jouant un rôle.
C'est à partir du moment ou l'acteur est défini comme quelqu'un qui fait autre chose que jouer un
rôle, qu'il y a un problème de l'acteur. Alors bon qu'est ce qui fait puisque il ne joue pas de rôle ? et
je suppose que tout acteur se vit comme faisant un autre métier que jouer un rôle. Jouer un rôle est
une notion il me semble, absolument dénuée de sens. Aucun grand acteur et même je suppose

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même les mauvais - si peut être que les mauvais c'est ceux qui jouent un rôle - alors qu'est ce qu'ils
font ? Qu'est ce qu'ils font ? puisque.. encore une fois, c'est important parce ça déborde en un sens
le problème de l'acteur puisque ce que l'acteur fait c'est bien ce que le spectateur éprouve, bon, bein
je dirais, je reprend mes catégories de Pierce, qui me sert beaucoup : Priméité, secondéité, tiercéité,
je dirais presque bon - et là encore ça ne va pas être exhaustif, il y a des acteurs de la priméité, et
encore une fois raison de plus pour recommencer mon refrain éternel - je dis pas que c'est moins
bien que les autres, je dis pas que les acteurs de la secondéité vont être mieux que les acteurs de la
priméité, ni que les acteurs de la tiercéité, s'il y en a. Mais vous vous rappelez donc :
la priméité selon Pierce, c'était l'affection pure, l'affect, qui ne rapportait qu'à soi ou un espace
quelconque.
la secondéité c'était les qualités puissances c'est-à-dire les affects en tant qu'actualisés dans les
milieux .
la tiercéité, c'est-à-dire c'était les duels d'où l'expression secondéité, et la tiercéité c'était nous
disait Pierce, c'était là où il y avait du mental - Alors bien sûr il y avait déjà du mental dans l'affectif -
bon c'est qu'il prenait le mental en un sens très spécial. Alors moi ça me plait là comme ça, parce
que ça me sert, c'est pas que ça me plaise je dit : essayons de voir si ça marche. Il y aurait des
acteurs de la priméité, des acteurs de la secondéité, des acteurs de la tiercéité, et puis sûrement
l'avenir nous est ouvert, peut être qu'on découvrira encore toutes sortes d'autres types d'acteur. Mais
au moins je dis et je crois là tenir à la fois un tout petit quelque chose et que c'est pas très fort, disant
mais l'acteur expressionniste, ce fut typiquement un acteur de la priméité. Pourquoi ? Et dans son
domaine il est strictement indépassable, car il se définit comment ? Il ne joue pas de rôle, qu'est ce
qui fait lui ? Il exprime des affects, les affects n'étant pas des états d'âme, les affects étant quoi ? les
affects je vous le rappelle dans nos analyses précédentes, étant des entités, des entités intensives,
qui prennent, qui s'emparent de quelqu'un ou ne s'en emparent pas - ce sont des puissances aux
qualités extrinsèques que l'acteur va exprimer, donc il ne joue pas un rôle, il exprime des affects en
ce sens et c'est le fameux jeu intensif de l'acteur expressionniste. en ce sens, c'est un acteur de la
priméité dans le sens que je dit acteur de la priméité puisque il conçoit essentiellement sa fonction
comme expression des affects en tant qu'entités. Et on comprend du coup que le trait fondamental
de l'acteur expressionniste dans toutes ses méthodes que ce soit ce que les grands expressionnistes
ont rappelé constamment : le processus d'intensification puisque c'est seulement en jouant des
intensités, intensité du geste, intensité du sonore, intensité du corps qu'ils vont capter, les entités, les
affects qu'ils doivent exprimer. exemple : cette utilisation de la diagonale qui est typiquement l'acte
d'un acteur expressionniste, or là je veux allez très vite je vous rappelle que dès lors, ce jeu de la
priméité en fait, a deux pôles qu'on avait vu pour l'expressionnisme : à savoir l'acteur doit participer
par son expression des affects, doit participer a ces deux pôles : ce que j'appelais la vie non
organique des choses et la vie non psychologique de l'esprit. Et la vie non organique des choses il
va l'exprimer fondamentalement par toute une géométrie de la ligne brisée, dans ses gestes et par
sa participation active au décor, aux lignes brisées du décor, le décor lui même comportant des
diagonales, des contre diagonales etc.. vous voyez un peu comme dans un tableau de SOUTINE. je
dirais en effet Soutine me semble un très grand peintre expressionniste, précisément par sa
construction perpétuelle diagonale contre diagonale et les visages qui sont précisément des
expressions d'affects à l'état pur.

Bon et puis l'autre pôle alors la participation là du geste brisé aux lignes brisées du décor, très très
important. Alors vous trouvez ça par exemple, vous trouvez ça poser par Fritz Lang
danssapériodeallemande.Trèsbien, très bien. l'autre pôle : c'est le pôle de lumière, le halo lumineux,

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qui va exprimer la vie non psychologique de l'esprit
soit sous la forme du grand visage mélancolique qui réfléchit la vie non organique des choses.
C'est le masque du démon.
Soit sous la forme du salut, de la remontée expressionniste lorsqu'un être est sauvé. Par exemple
: l'admirable montée de lumière de la femme lorsque Nosferatu meurt, qui s'oppose à la diagonale de
Nosferatu mourant qui nous donne là les deux pôles du jeu expressionniste. Mais en tout cas, je
dirais en ce sens, oui jamais la vie non psychologique de l'esprit, vie non organique des choses : ça
dit très bien leurs rapports avec le décor, leurs rapports, la cassure de leurs gestes, l'espèce de
désarticulation. Il y a un thème perpétuel : que l'acteur devienne une marionnette, vous le trouverez
partout ce thème, que l'acteur devient une espèce de marionnette d'accord ! d'accord ! mais il veut
rien dire encore par lui-même. Tous les grands acteurs ont fait ça, seulement il y a une manière
expressionniste de le comprendre etc.. il y a mille manières de comprendre le thème de "l'acteur
marionnette". Il faut se méfier il faut pas croire que telle ou telle formule qualifie déjà un mode
d'acteur. Il y a une marionnette expressionniste d'un type très très différent, à geste saccadé qui
indique toujours la ligne brisée, qui saute les transitions car ce qu'il s'agit c'est d'exprimer l'affect
dans son intensité et avec les deux pôles : participation à la vie non organique des choses et l'acteur
comme être de lumière qui s'élève à la vie non psychologique de l'esprit . Bon, ce qui est très...
l'acteur naturaliste, je saute parce que il faudrait dire, il faudrait reprendre, je signale juste pour ceux
que ça intéresserait, le grand, celui qui a imposé un jeu naturaliste au théâtre, c'est quelqu'un de
célèbre qui s'appelait ANTOINE, or ANTOINE - voyez l'histoire du cinéma de Sadoul - a eu
beaucoup d'importance au cinéma. Il a fait des tentatives de cinéma, mais je crois que c'est pas du
côté d'ANTOINE qu'il faut chercher le jeu naturaliste de l'acteur, c'est beaucoup plus du côté, il y a
de grands mystère dans la manière dont Stroheim jouait, c'est beaucoup plus dans le jeu Stroheim,
cette fois ci, il faudrait considérer Stroheim comme acteur, comme acteur et comme acteur
naturaliste. A ce moment là moi, je dirais très vite, un acteur naturaliste vous le reconnaissez
précisément à cette histoire des pulsions c'est un acteur qui point, c'est un acteur qui dans... très
intéressant aussi la manière dont Stroheim a joué dans un film qu'il a influencé sans l'avoir fait, à
savoir il a jouer dans la "danse de mort", de STRINBERG, une adaptation de Strinsberd, et le film et
très, très marqué, c'est un film de Craven qui très très marqué par Stroheim qui pourtant n'était
qu'acteur là dedans. Or c'est très curieux cette manière de jouer : il s'agit de jouer dans un milieu
déterminé, mais en même temps - là j'arrive même pas à bien le dire - en même temps, d'habiter,
d'occuper ce milieu déterminé comme si en même temps, j'allais dire à la manière d'une bête. Mais
c'est pas ça, c'est un peu ça, à la manière d'une bête, ça peut être une bête noble, c'est pas
forcément une bête vile, pensez par exemple au jeu dans "la grande illusion" de Stroheim, ça peut
être une bête de noblesse, ça peut être tout ce que vous voulez. Mais il s'agit toujours d'évoquer
dans le milieu déterminé, dans un jeu réaliste, de faire mettre le monde originaire dont ce milieu est
censé dépendre. C'est-à-dire arriver à ce type de violence ou c'est vraiment la violence des origines
qui se joue dans un salon bourgeois ou dans une principauté etc.... là il y a une formule du jeu
naturaliste qui est très très curieuse : la violence des pulsions. C'est ce que je disais sur cette pente.
enfin ce qui m'intéresse, c'est donc l'autre type de jeux qu'on peut bien appeler, "jeu réaliste" car il
a tellement marqué le cinéma. Et j'ai dit pourquoi, il me semble, il a tellement marqué le cinéma
américain. Il a marqué d'autant plus le cinéma américain qu'il a fait précisément l'école par laquelle la
plupart des acteurs américains sont passés. La fameuse école dite du système ou l'actor's studio. Or
en quoi ça c'est un jeu ? je dirais l'actor's studio c'est tout simple : c'est la formule magique du
cinéma américain. Alors, encore une fois ça vaut pas mieux, il faut se dire actuellement et
heureusement, il faut bien que ça change les choses, actuellement j'ai l'impression que ça arrive au

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bout, parce que pour des raisons qui sont celles aussi de évolution du cinéma américain mais ça a
fait et ça continue de faire ce qu'il faut bien appeler chaque année le film américain par excellence.
Chaque année sort un film à grand succès de grande qualité qui est le film américain de l'année et
qui consiste toujours à confronter dans le schéma S.A.A prime, à confronter un ou des personnages
à l'exigence américaine : S.A.S prime c'est-à-dire : seras tu capable oh personnage a vocation je
parle au personnage sera tu capable oh personnage ! en fonction des variations de la situation que
l'image va montrer, de monter les habitus par lesquels tu répondras à la situation et tu sauras la
transformer ?

Or si c'est ça la täche de l'acteur, il joue pas de rôle non plus. Mais il y avait quelqu'un qui dans le
temps - c'est bien connu ce que je dit pour ceux qui ne savent pas là je fais un très rapide résumé -
un très grand inventeur qui se réclamait précisément d'un naturalisme, réalisme mais enfin c'était du
réalisme c'était pas du naturalisme : c'était Stanislasky. Stanislasky avait beaucoup d'importance et
puis il fut introduit ou ses méthodes, ce qu'on appelait "le système", fut introduit en Amérique. Cette
institution particulière qui était l'actor's studio - avec Strasberg qui vient de mourir - et KAZAN.
Kazan, beau cas d'emigré de fraiche date comme FORMAN aussi. C'est eux qui font le film
américain par excellence. Forcément ! à la fois c'est dans l'inspiration américaine qu'ils trouvent la
grande formule S.A.S prime et c'est leur propre invention de la formule S.A.S prime et leurs propres
découvertes de la formule qui les pousse en Amérique.
Alors bon, dans tout le cinéma de Kazan, c'est ça à quelque prix que se soit, je, c'est-à-dire mon
héros va être capable de monter l'habitus qu'il faut pour la situation. Et S prime ça sera quoi ? S
Prime ça sera tantôt l'Amérique telle qu'on la rêve : América, América de Kazan. A la fin le petit grec
arrive et peut embrasser le quai, il peut embrasser le quai de New York et c'est bien indiqué que
c'est comme un rêve, une espèce d'image onirique : "enfin New York", "enfin la statue de la liberté".
S prime : il partait de l'empire turc, le pauvre petit grec,S, une série d'actions où à chaque fois il
monte l'habitus pour surmonter les difficultés donc il se montre digne d'arriver en Amérique. Digne
digne, à quel prix ? parfois ça frôle la lâcheté, parfois ça frôle le gigolo - je trouve pas le mot enfin, le
fait de vivre d'une femme - tantôt ça frôle l'assassinat, tantôt ça frôle la délation. Tiens Kazan, il a eu
des affaires avec ça ! Il s'y connaît mais il garde quelque chose de pur dans son cœur, car malgré
tout, c'était l'habitus nécessité par la situation. Et c'est ça qui nous fait le film américain par
excellence, "América, América". Bon d'accord il n'a pas cessé de parler de son cas, Kazan, dans
tous ses films, bon. C'est ça la grande formule S prime. Ou bien alors si c'est pas S prime, si S prime
n'est pas l'Amérique de nos rêves, ça sera l'Amerique telle qu'elle a déçue les migrants mais là aussi
il faut s'y faire, il faut faire avec, faut monter l'habitus qui va faire comprendre au héros que
l'Amérique c'est ça aussi et que ça reste quand même le plus beau des pays. Bon alors, alors
"América, América" ça se refait, je dis bien tous les ans chaque fois par un type de très grand talent.
C'est le film américain, le dernier : "c'est "Georgia", c'est Penn, il a fait son "América, América".
Très bien une fois de plus, c'est la douzième fois. Chaque fois on nous dit que c'est nouveau, que
c'est formidable. C'est le film Américain de l'année et qui répond toujours typiquement à la formule S
A S et qui est signé actor's studio. Alors qu'est ce que c'est l'acteur de l'actor's studio ? moi je
l'imagine comme ceci - vous comprenez, j'y connais rien dans le film, c'est parfait - mais je l'imagine
comme ceci : que c'est un acteur, c'est donc l'acteur de la secondéité : milieu /action/, milieu/
réponse, milieu / comportement et le comportement est censé apporter une modification. ça implique
quoi ? ça implique deux moments : ça implique que - alors l'acteur, il ne joue pas un rôle -
premier moment, il faut qu'il intériorise les données de la situation, il faut qu'il intériorise la
situation, les données de la situation. Sous quelle forme ? sous forme de micro-mouvements, au

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besoin à peine perceptibles, toute une méthode de micro-mouvements - Stanislasky s'intéressait pas
tellement à la gymnastique du corps - en revanche, des micros mouvements des mains, des micros
mouvements de figure. Ceux qui n'aiment pas les acteurs de l'Actor's studio, les reconnaissent à
quoi ? Le reproche qu'on leur fait c'est : "mais enfin qu'ils se tiennent tranquilles". ils arrêtent pas, ils
arrêtent pas. C'est pas qu'ils bougent tout le temps mais même quand ils sont immobiles, ils arrêtent
pas. Hitchcock détestait Newman pour ça, il dit Newman : "il y a pas moyen de le faire tenir
tranquille". Enfin, "on n'obtient pas de lui un regard neutre". Il sait pas, il est tout le temps en train
d'intérioriser les données de la situation, des micros tics ,des... bon. Quant ils sont admirablement
dirigés c'est génial, que ce soit Brant ou Newman. Quant ils sont très fort dirigés quand ils ont
..quand ils ont metteur en scène médiocre à ce moment là évidemment c'est terriblement tic, le tic
cet espèce d'intériorisation des données de la situation.

Vous voyez, il est pas question pour l'acteur Staniflasky ou Strasberg, il n'est pas du tout question
de s'identifier au personnage, il s'agit d'une opération tout à fait différente, c'est pour ça que l'acteur
de l'actor's Studio, il ne joue pas plus qu'un autre acteur. Jamais les acteurs ne jouent un rôle. Ce
qu'il a fait c'est autre chose, c'est : il identifie les données de la situation à certains éléments qui
existent en lui - ça doit être ça l'intériorisation des données - il s'agit d'identifier les éléments de la
situation à des éléments préexistants qui existent en lui et c'est par cette méthode : intériorisation par
micro mouvements. C'est un procédé jusqu'à que plus que quoi ? ces micro mouvements ont un but
: c'est susciter ce que Staniflasky appelait déjà, une "expérience émotionnelle" et ce que Strasberg,
influencé par la psychanalyse, ce que Strasberg va pousser beaucoup plus loin que Staniflasky et ça
va même être son point le plus original, je crois, à savoir une expérience émotionnelle réelle qui a
été vécue par l'acteur dans son propre passé. Et qui doit être en liaison directe ou indirecte avec la
situation, avec la situation donnée, avec la situation théâtrale ou cinématographique. Au point que
par exemple, bon il s'agit de jouer une scène d'ivresse, il s'agit alors, l'acteur va intérioriser par toutes
sortes de micro mouvements les éléments de cette situation, jusqu'à ce qu'il atteigne en lui un
noyau, d'une expérience passée analogue. Alors ça peut être l'acteur lui même en tant que non plus
acteur, mais en tant que personne humaine. Il a été réellement ivre. Mais il se peut très bien qu'il ait
jamais été ivre si c'est un bon américain. Alors bon, ça fait rien, il procédera à une expérience
émotionnelle analogue par exemple : une fièvre où il a eu la bouche sèche et les jambes
flageolantes et il s'agit de réactualiser cette émotion personnellement vécue .il faut insistait beaucoup
Strasberg, il faut surtout que ce ne soit pas une expérience récente. A ce moment là. Il s'agit pas
d'un mine. Il s'agit d'atteindre ce noyau émotionnel, c'est par là, c'est une opération qui est
relativement proche de certains conceptions de psychanalyse. Et s'il y arrive pas à ce moment là,
Strasberg dit : c'est qu'il y a des raisons. Pourquoi il n'y arrive pas ? pourquoi il n'arrive pas à
intérioriser une telle situation ? Et c'est pour ça qu'il concevait sa tâche comme moins formation
d'acteur que répondre aux difficultés d'un acteur, répondre au problème que se pose un acteur. Et
c'est pour cela tous les acteurs continuent à aller voir Strasberg en lui disant, bon : "j'y arrive pas, il y
a quelque chose qui ne va pas". Donc ils n'arrivaient pas, en d'autres termes à susciter l'expérience
émotionnelle, la mémoire. C'est le mot exact de Stanislasky et de Straberg : c'est la mémoire
émotionnelle.

Donc tout ça c'est le premier mouvement de l'actor's studio. C'est cette intériorisation de la
situation.
Et puis deuxième mouvement : alors une fois que la situation est intériorisée, a rejoint le noyau
émotionnel propre à l'acteur - voyez qu'il ne joue pas, il fait bien autre chose - C'est des choses trés

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positives, on peut définir ce qu'il fait indépendamment de toute référence à un jeu, un jeu de rôle.
Une fois qu'il a fait cette intériorisation, il est en mesure de faire l'acte. l'acte quoi ? l'acte
cinématographique ou théâtral, à savoir acte qu'il doit avoir toute la fraîcheur d'un acte effectivement
fait, bien qu'on sache que c'est un acte fictif. En effet l'acteur ne tue pas réellement sa victime. S'il se
lave les dents, il ne se lave pas réellement les dents. Même s'il se lave réellement les dents, c'est
fictivement c'est-à-dire c'est pas au moment où il en a besoin. Il s'agit de l'acte reproduit par l'acteur
suivant les exigences du scénario et la fraîcheur d'un acte réel. Réponse de Strasberg ou déjà de
Staniflasky, il aura ... :

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Deleuze
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La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 26/05/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 26/05/81 - 2 Page 1/15


Gilles Deleuze - la peinture

cours du 26/05/81- 2

De manière dont le problème de l'organisme et le problème de la couleur, je ne dis pas se


confondent pour toujours, mais ça se percutent l'un l'autre l'autre, c'est un problème intense.
Le problème de la couleur c'est : comment manier la couleur sans produire une espèce de
grisaille, de boue terreuse ?
Le problème de l'organisme, c'est : comment "rendre l'organisme" sans tomber dans exactement
la même boue terreuse ?
En effet pourquoi est-ce que l'organisme pose ce problème ? Hélas surtout l'organisme occidental
! Et bien, en d'autres termes nous sommes pâles et pire que pâles : nous sommes pâles et rouges et
si vous mélangez tout ça, ça fait du terreux ; c'est terrible ! Pourquoi ? eh ben oui il y a un texte que
j'aime beaucoup dans Goethe dans le "traité des couleurs". Il ne fait qu' enregistré, ce n'est pas une
opinion paradoxale chez lui. Il ne fait qu'enregistré un problème pictural , il dit : "plus un être est
noble", est ce que je l‘ai noté ? oui, je l'ai, je crois, je préfère la lire parce que sinon vous allez croire
que je l'invente, voilà ! je la relis pour être sûr et oui : " plus un être est noble et plus tout ce qui est
de nature matérielle en lui, est élaboré" . Qu'est-ce que ça veut dire ça ? et déjà - je coupe pour
commenter - "plus un être est noble et plus tout ce qui est en lui de nature matérielle est élaboré, ça
veut dire : est organisé, c'est à dire plus un être est noble, plus il s'élève dans l'échelle animale, plus
il représente un organisme, un organisme différencié. "plus un être est noble et plus tout ce qui est
en lui de nature matérielle en lui est élaboré, plus son enveloppe externe est en rapport essentiel
avec l'intérieur".

Je dis, je tenais à la lire pour que vous voyez bien que j'invente pas - évidemment ! j'aurais pu .. c'est
page 207, de la traduction française du "traité des couleurs", parce que pourquoi qu'il dit ça ? Plus
son enveloppe, plus un être est parfait, en effet, plus il y a des rapports dits typologiques entre
l'enveloppe extérieure et l'intérieure et les différenciations internes. Ah ! bien ! ah bon que c'est bon
comme ça ! Un être complexe dans l'échelle organique. Bon ! qu'est-ce qu'il vient de dire là ! mais
relisons ! "plus son enveloppe externe est en rapport essentiel avec l'intérieur" : c'est exactement
l'histoire du moule intérieur de Buffon. Plus un être est noble dans l'échelle animale, c'est-à-dire
complexe, moins vous pourrez le reproduire et moins il pourra se reproduire par moule extérieur,
plus il aura besoin d'un moule intérieur pour se reproduire et moins on y voit de couleurs
élémentaires isolables. Ah bon ! "moins on y voit de couleurs élémentaires isolables" : voilà le
problème de l'organisme dans sa révolution. Les peintres qui connaissent bien ce problème, c'est ce
qu'ils appelleront le problème d‘un mot qui très bizarrement raisonne avec le christianisme dans la

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peinture occidentale : ce qu'ils appelleront le "problème de la chair".

Comment rendre la chair ? Pour un coloriste c'est le problème des problèmes. Pourquoi ? parce
que vous risquez à chaque instant, vous frôlez à chaque instant le danger suprême : faire du terreux
! de la couleur terreuse ! et la peinture occidentale va être, là vous voyez ! J'entame des choses qui
ne deviendront très claires que plus tard. La peinture occidentale a été pénétrée par cette tâche !
comment sortir de terreux ? Et sans doute, il a fallut chaque fois recommencer la même tentative.
Prenez les peintres ! Prenez nos peintres occidentaux ! C'est fascinant ! c'est comme si chacun
devait recommencer, cette espèce de longue tentative.

C'est ce que j'appellais, c'est le danger du diagramme. Quand je disais il y a deux dangers du
diagramme, le diagramme il oscille entre un "danger brouillage" au lieu d'un diagramme, vous avez
plus qu'une bouillie, un brouillage.
Et l'autre danger au lieu d'un diagramme vous avez un "pur code" or un code, or un diagramme,
un diagramme effectif, un diagramme fécond n'est ni une opération brouillage, ni une opération de
codage. Mais là ! on tombe en plein dans le danger de brouillage.

Comment empêcher que les couleurs se brouillent quand elles restituent l'organisme ? et je dis ;
prenez les peintres. C'est très frappant ! même sur une courte séquence. Je recommence ! je
recommence mon histoire, mais tout se passe comme si un destin faisait que les peintres devaient
d'abord patauger dons les couleurs noirâtres, et en même temps je retire. Vous nuancez, vous
corrigez de vous-même. Il y en a qui restent, mais qui précisément ne pataugent plus. On fait du noir
quelque chose de tellement extraordinaire que le noir est devenu une couleur. Bon ! ça ce serait des
cas très spéciaux ! ils ne pataugent pas, mais comment se fait-il que beaucoup d'entre eux passent
par cette expérience ou on sent que vraiment leur raison ! Leur raison est en question ou leur raison
vacille. Mais cette expérience qui chez les peintres tourne parfois très très mal, : au moment où ils
découvrent et où ils conquièrent ce qu'ils cherchaient tout le temps, à savoir la couleur ! et au
moment où nous spectateurs ! comme des idiots, une fois de plus, il l'a trouvé. Ça va bien ! ça va
bien ! c'est formidable ! il a trouvé la vie. c'est à ce moment là qu'il se tue ! c'est bizarre comme
même ! et je ne veux pas dire que ces suicides soient exclusivement picturaux, mais en tous cas,
ces suicides sont aussi picturaux et ne sont pas des suicides de nature psychanalytique. Alors qu'est
ce qui s'est passé ?

Je cite au hasard, mais les plus grands coloristes du XVIIe siècle, encore une fois, VAN GOGH il
patauge dans ses histoires de craies et de fusains, mais pendant des années, des années. Et sur la
mode : oh ! la couleur ! Ou non non pas ça ! pas ça ! pour plus tard, c'est toujours pour plus tard,
dans toute la correspondance de Van Gogh, c'est fascinant ! ses appels à son frère :" Allez envoyez
moi la craie, de la craie." La couleur ? non non la couleur ! et quand il commence dans la couleur,
c'est du terreux, comme par hasard ! Pour ceux qui connaissent VAN GOGH, vous voyez ce que je
veux dire, c'est de la pomme de terre, le terreux à l'état pur ! Et qu'est-ce qui va se passer pour qu'il y
ait cette conquête fantastique de la couleur ? Il arrache la couleur au fond terreux de toutes couleurs
! qu'est-ce qui se passe ? On se dirait il est sauvé ? c'est à ce moment là qu'il se tue

L'exposition toute récente à laquelle je vous supplie d'aller : Nicolas De Staêl, au Grand Palais.
Vous entrez et bien comme toujours ! vous entrez ! Bon ! qu'est-ce que vous voyez ? je ne dis pas
que les premiers tableaux ne soient pas admirables ! ils sont admirables ! admirables ! C'est une

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espèce de science de couleurs brunâtres ! noirâtres ! avec arabesques. Ensuite qu'est-ce qu'il se
passe ? Vous voyez d'admirables toiles où se dégage à la fois quelque chose absolument nouveau !
Des vraiment - des teintes qu'il faut bien appeler, on verra tout à l'heure si le mot est justifié : des
teintes pâles ! Extraordinaires ! Tout un jeu extraordinaire, tout un régime pâle de la couleur ! Toutes
les couleurs y sont mais c'est un régime pâle de la couleur. Vous arrivez ! vous passez à une autre
salle : conquête de la couleur, une conquête effarante de la couleur ! Alors, on a presque de la peine
à ne pas finaliser ! à ne pas se dire, et ben oui ! c'est ça qu'il cherchait tout le temps !. Je ne sais pas
mais qu'est-ce qui se passe aussi ? On a envie de dire et les toiles qui sont tellement joyeuses,
pensez, vous verrez les petites toiles des footballeurs par exemple sont des choses fantastiques ou
bien d'autres.

Qu'est-ce qui se passe ? Là aussi c'est à ce moment là qu'il se tue, et qu'est ce qui peut se passer ?
alors J'arrive pas à comprendre ! vraiment ! c'est le cas de dire ; on cite souvent une phrase qui
donne froid dans le dos, de Lacan disant : Et ben oui ! c'est quand ça va mieux que l'on se tue !
Avant... Et y voyant comme une espèce de signe, que oui ça allait mieux !

- Et ben, dans ce cas de l'expérience picturale, c'est ! oui ! c'est quand ça va tellement mieux sur la
toile que le type craque. Alors ! Mais cette histoire, Cézanne, c'est la même histoire, il faudrait à
chaque fois montrer que - je regrette presque les diapositifs, vous comprenez - les violets et la
période violette d' étrangleurs. Ces toiles si bizarres, sur la scène d'étranglement ! tout ça c'est violet.
Et la conquête de la couleur à part ça !
Manet ! quand il vient à l'impressionnisme ! mais il sort, il sort des teintes précisement dites qu'on
appelle précisément en peinture, les teintes terreuses. Bon ! Qu'est-ce que c'est que ça ? bon. Mais
ma parenthèse s'est développée, je veux juste dire ! reprenons le texte de Goethe : le problème,
c'est que, plus un organisme est élaboré et le plus élaboré des organismes, pour toute la théorie et la
pratique de la peinture de la Renaissance, c'est l'organisme humain ! Plus l'organisme est élaboré,
plus il a besoin d'un moule intérieur c'est-à-dire on y verra de moins en moins et on y verra pas de
couleurs élémentaires isolables . D'accord ! d'où le problème comment peindre la chair ! si
précisement la chair n'est pas faite et ne doit pas être faite de couleurs élémentaires isolables.

Ca devient très intéressant ! comment ils ont fait ? Ce serait une manière encore une fois de poser le
problème de la couleur ! car on mélange ! on mélange, bon, d'accord ! on mélange ! Mais comment
faire pour que le mélange ne soit pas simplement terreux ? et ne donne pas un ensemble
parfaitement terne ! Or, dans les mammifères, le texte de Goethe est très intéressant, parce qu'il dit :
il y a que un cas ou le mammifère a au contraire des couleurs très brillantes, en effet, des couleurs
élémentaires isolées. C'est dans les organismes inférieurs ! les poissons, oui ! présentent des
couleurs élémentaires isolables. ça ! oui ! les oiseaux présentent des couleurs élémentaires isolables
! Goethe est bien embêté parce qu'il y a un mammifère, il y a plus, un mammifère supérieur qui
présente d'admirables couleurs élémentaires, isolées. Mais il s'en tire en disant il y a qu'un ! c'est le
singe ! Or le singe est peut être un mammifère complexe ! mais c'est comme de la caricature de
mammifère. C'est la caricature de l'homme, il n'est pas noble dit- il !. Et en effet c'est le problème des
drilles. Les drilles présentent les admirables couleurs ! que vous leur connaissez. Voyez ! c'est rouge
! c'est bleu ! à l'état pur ! Admirables couleurs ! Bon ! Vous voyez ! voyez ! A la fois, sur le nez ! Et
sur les fesses. C'est prodigieux ! Quoi ! admirables bêtes Mais que Goethe condamne précisément
parce qu'ils présentent ces couleurs élémentaires isolables. Il va jusqu'à dire que la vache c'est
mieux qu'un drille ! il ne sait même plus ce qu'il dit tellement il croit à la supériorité de l'homme blanc

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occidental parce que précisément la vache, c'est du tout terne quoi ! par rapport aux drilles, par
rapport aux poissons, par rapport aux oiseaux.

Bon, mais, voilà le problème de l'organisme du point de vue de la couleur. Et c'est finalement une
manière encore une fois de traiter les couleurs. Bien ! Mais alors ? ce que je voulais dire, c'est : on
définit la représentation classique grecque ou de la Renaissance, comme une représentation
organique. Voyez ce que ça veut dire ? ça ne veut pas dire seulement que l'objet en est l'organisme !
Ça veut dire que le sujet, c'est à dire le spectateur, trouve dans la représentation classique, un
exercice conjugué de ses facultés.

Ce qui est organique et Venringuer le dit très bien, et ça évite un contresens : ça ne veut pas dire
seulement, l'objet de préeduction du peintre est l'organisme humain. ça veut dire quelque soit l'objet
de peintre, le spectateur devant une telle œuvre, sentira un exercice harmonieux de ses facultés
distinctes, à commencer par le tact et l'œil et l'œil renverra au tact et le tact renverra à l'oeil, sous la
forme d'espaces tactiles-optiques ou de cette modulation rythmique.

Voyez ! donc j'ai pour le moment deux espaces signaux et deux types de modulation. Je vais très
vite sur le troisième et enfin, on pourra arriver à .. Le troisième ? j'en ai un peu parlé, j'aurai pu en
parler beaucoup plus longtemps, si mais enfin tant pis.

Cette fois-ci, c'est voilà que nait un espace purement ou a prétention, à vecteur optique. Et un des
grands intérêts de livres de Wolflin , "Principes fondamentaux de l'histoire de l'art ". C'est d'être
centré sur le passage de la peinture 16ème à la peinture du 17siècle, et precédé oui, par une
analyse des grands exemples. Il manque la conversion d'espace. Elle tend lui-même un disciple
lointain, mais un disciple de Riegel, Wolflin, donne la loi de sa thèse qui est le passage de XVIe
siècle au XVIIe siècle est typiquement le passage dans l'espace tactile-optique, à un espace optique
pur. Et j'avais le sentiment qu'on pouvait dire exactement la même chose ! ça veut pas dire que ce
soit la même chose ! mais que à ce niveau de généralités bien fondées. On pouvait dire exactement
la même chose pour le passage de l'art grecque à l'art byzantin. Que là aussi , c'était très
precèdèment avec d' autres matériaux, avec d'autres problèmes, avec d'autres techniques, tout ce
que vous voulez ! compte tenu de toutes les différences, que de l'art grec à l'art byzantin, passés
aussi par un espace tactile-optique à un espace optique pur. Et cet espace optique pur, comment on
va le définir ? et ben par opposition, par grande opposition très ferme avec l'espace tactyle-optique .
À savoir ! tout comme dans l'espace grec, les plans sont bien distingués, mais cette fois d'une
certaine manière tout vient du fond !
il y a primat de l'arrière-plan, tout vient du fond. La forme surgit du fond ! du fond ! Il faut dire
qu'on sait pas là où il commence ni là où il finit ? Dès lors, On ne sait pas non plus où commence la
forme ni où elle finit ! Pourquoi ? Parce que cet espace du fond c'était un espace, ou bien dans
lequel il y a la lumière. Pensez par exemple à beaucoup de tableaux de Vermeer ou l'avant-plan est
dans l'ombre et la lumière vient du fond, ou bien ! le fond est extrêmement sombre, mais la lumière
des autres plans jaillit de ce fond sombre !De toute manière c'est des variantes, il y a une infinie de
variantes. Il y a toujours comme un primat, la forme va surgir du fond, elle ne se détermine plus sur
l'avant plan, elle est comme poussée par le fond ! c'est une manifestation. C'est une épiphanie ! je
dirais à la limite, ce n'est plus comme chez les Grecs, ce n'est plus l'essence qui entre en rapport
avec la manifestation, c‘est la manifestation qui "fait essence" dans une espèce d'épiphanie qui est
l'épiphanie byzantine. Est là alors pas ( c'est bien ça ? , et la alors ?, et la alors ?) c'est le moment et

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c'est seulement le moment où dire, oui, La lumière est devenue indépendante, en d'autres termes,
c'est la forme qui dépend de la lumière, la lumière ne dépend plus de la forme .

- Si la forme c'est de la lumière ?

- qui a dit ça ? pour me contrarier ?

je dirais si la forme c'est la lumière, il me semble, il me semble que ça n'a pas de beaucoup de
sens, parce que il faut bien que l'un soit obtenu par l'autre techniquement, on peut dire que dans le
résultat, la forme c‘est la lumière mais là, on peut le dire que de tout et n'importe quoi !

mais non ce n'est pas n'importe quoi si on parle des couleurs ?

d'accord ! les couleurs ! je n'ai pas parlé encore des couleurs !

- la substance est toujours obscure, c'est inconnaissable, par conséquence, la forme comme
l'opposé logique de la substance, comme couleur, nécéssairement c'est la lumiere !

-c'est vrai c'est très juste.

- voilà Monsieur !.

-He !He ! merci ! He !He ! merci !

-EH Ben, voilà

Alors la et ben voici ! alors, il faut que je me remette ! il faut que je me remette.

Si on regarde au tableau !

oh ils sont restés !, non ! ce n'est pas les mêmes.


Si !
oui ! ce n'est pas les miens ! je n'ai pas fait ! Ah oui !

Oh mon dieu !
A comme la substance qui est définie comme un inconnaissable, c'est un obscur, c'est une ombre
. À la substance s'oppose la forme qui est son émanation je l'appelle : petite loi. Et on place lumière
en petite a, par opposition à ombre, on a ainsi une sorte de carré logique, qui permet de dire que un
est à deux, ce que trois est à quatre, c'est-à-dire que la substance est au nombre, ce que La forme
est a la lumière, d'où l'on tire une égalité, forme=lumière, mais on peut faire tout autrement . Et on
peut dire, ce que j'avais mis en b, de la substance, est la lumière, que la forme est à la substance, ce
que le reflet est à la lumière et on arrive à une autre égalité par la même loi, qui un est à deux, ce
que trois est à quatre, on a alors deux fois égal le reflet. Alors, tout ce qu'on pourrait dire ce que le
grand A est post Kantien, et que le grand B est - preKantien . ... Spinoza, saint Thomas etc, toute
substance est assimilable à une lumière. Mais c'est très artificiel, ça ne veut rien dire.

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bon, et ben voilà, alors ?
Qu'est-ce que tu as ? Ah ! je sens qu'il va y avoir quelque chose encore ! non ? Allons ? Allons
non, il ne faut pas alors ! Alors ! Ah ! vas-y !

intervention : la peinture présence du XVIIe siècle est-ce qu'on peut dire de la peinture....un
rapprochement, est ce qu'on peut considérer..la pensée stoïcienne. un effort Grec... ?

Deleuze : oui et non et n'y a pas lieu de penser que l'Égypte reste une référence telle que tout se
situe par rapport à elle. A cet égard, mais dans ce que tu dis, il y a bien, il me semble, un parallèle
qui notamment a été très bien marqué par un des meilleurs critiques de la peinture byzantine, qui est
Georges Dutuy, Dutuy a beaucoup souligné les ressemblances entre les textes néo Alexandrins qui
dépendaient eux mêmes de textes stoïciens, c'est-à-dire d'une tradition stoïcienne néo Platonisme
d'une part, et d'autre part l'entreprise byzantine. Si vous voulez ! ce serait à un niveau trés trés précis
! à savoir avec le stoïcisme commence, en effet et sous des influences orientales, une conception
radicalement nouvelle de la limite. On l'avait vu. On l'avait vu, il me semble dans la première moitié
de l'année, à propos de SPINOZA, que la limite, la limite grecque, elle est vraiment définie par le
contour, avec toutes les complexités du contour. C'est une notion trés trés compliquée surtout
qu'encore une fois chez les Grecs, ce n'est plus exactement le contour géométrique, c'est vraiment
un contour organique même, même pour les figures géométriques. Mais avec les stoïciens, il y a une
conception de la limite complètement, qui rompt avec le contour . C'est ainsi comme une espèce de
fait.

Si vous prenez les textes stoïciens, ils sont d'autant plus intéressants quand ils font irruption
vraiment dans le monde Grec, que c'est très bien résumé par un texte d'un vieux, d'un ancien
stoïcien qui dit : "Eh ben ! oui ! la limite ça n'est pas le contour géométrique, la limite, c'est beaucoup
plutôt, dit il, la zone où une puissance s'exerce c'est-à-dire, toute cette zone où elle s'exerce, elle
s'exerce plus etc." c'est quoi cette zone ? Il dit : le modèle de limite ce n'est pas le sculpteur qui nous
le donne au sens d'un contour ou même d'un modelé . Ce qu'il nous le donne c'est le germe de la
plante, en d'autres termes le germe "il est" . C'est un changement radical de verbe être. "Je suis
jusqu'où j'exerce ma puissance" Donc je ne suis plus dans le contour de ma limite, ma limite a cessé
d'être un contour, ma seule limite c'est lorsque ma puissance ne s'exerce plus. Alors, là il y a
quelque chose de fondamental qui est la découverte de la lumière. Parce que il s'agit pas de tout de
forcer les textes. C'est tous les textes de Plotin sur la lumière. C'est en même temps que Plotin
découvre une lumière purement optique. Il fait dire à la lumière, Plotin fait dire explicitement à la
lumière : "où est-ce que je commence ? Où est-ce que je finis" ? c'est la négation du contour ! au
profit d'une limite qui sera précisément définie dans la peinture par le clair-obscur et qui implique cet
espace, cet étalement d'un espace optique, qui est complètement différent de l'espace tactile-optique
des Grecs.

Ou bien, je prends un autre exemple, que Wolflin analyse très très bien, il compare là aussi,
reprenons l' exemple des nus, deux nus cette fois mais pas du tout du point de vue de la couleur. Il
dit un nu Renaissance, un nu par exemple de Dürer ! c'est quoi ? C'est comment ? Là ! vous y
trouvez vraiment la ligne, ce que j'appelais la ligne collective ou la ligne organique, à savoir la limite
du corps est vraiment tracée par une ligne courbe, à la limite une courbe continue, même si elle est
interrompue à tel moment, elle se continue virtuellement. Une courbe complexe continue. C'est ça
qui va définir le contour ? Et le corps, ainsi limité, ainsi limité par la ligne organique, se détache du

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fond. Mais de toute évidence, il ne jaillit pas du fond et il n'a pas l'intention de jaillir du fond. Si vous
prenez un nu du Rembrandt, là même matériellement, vous voyez quelque chose de tout à fait
nouveau qui sera très important pour toute l'histoire de la peinture - je dirais la même chose des
portraits, si vous prenez un portrait 16eme siècle ou si vous prenez un portrait du XVIIe.

Si vous prenez un nu Rembrandt., c'est évident, vous voyez qu'il est composé pas du tout par
une ligne courbe, il y a bien un contour. Vous me direz oui il, y a encore un contour, on verra que ce
contour justement nouvelle manière, ne peut plus être déterminant. Ce n'est plus de tout l'auto
determination de la forme. Pourquoi qu'est qui vous le montre ? ce n'est plus du tout une courbe
même complexe et virtuellement continue. C'est une succession, c'est une succession très très fine
de traits plats, c'est une succession de traits plats qui vont avoir au point même ... ( ah oui ! je vois !
ça fait, ça fait rien ! parce que vous introduisez les nuances ) pendant longtemps il y a des
Rembrandt qui fonctionnent avec des courbes, je ne parle pas, à chaque fois que je dis Rembrandt,
il ne s'agit pas d'une formule que Rembrandt applique, mettons certains Rembrandt, qui nous
feraient l'impression d'être particulièrement représentatifs d'une peinture XVIIe ème.

- Alors ! cet espèce de trait plat ou de ligne brisée, elle n'a plus du tout la même fonction, elle fait
plus du tout contour ! elle indique la manière, - elle indique presque tout et alors tout, au contraire,
est redistribué en fonction de l'arrière plan - elle indique la manière dont le corps, dont le corps jaillit
du fond dans une espèce de structure perpendiculaire du tableau, Et alors dans ce cas, il y a quand
même contour parce qu'il y a traits plats continus et encore une fois ce n'est plus des traits courbes,
c'est vraiment une succession de traits plats qui changent à chaque fois de direction. Eh la ! ça fait
vraiment jaillir le corps du fond ! Ce n'est plus le corps qui est sur le fond, il jaillit du fond et si vous
prenez des exemples de portraits, c'est encore plus net, à la Renaissance, l'importance du contour,
la ligne du nez, la ligne des yeux, la ligne de la bouche ; tout ça, forment vraiment les traits de
contour .

Dans un portrait XVIIe, vous êtes frappés par ceci : tout comme je disais tout à l'heure, le contour
est transformé en une succession de traits plats, dans certains Rembrandt par exemple, dans
beaucoup des portraits de XVIIe, vous êtes bien incapables de restaurer une ligne du contour du
visage et des lignes qui seraient encore des lignes modulaires, au sens où j'employais le mot
"module", tout à l'heure ! cette fois-ci au contraire, tout le portrait et il prend une vie intense à ce
moment là ! c'est évident ! tout le portrait est organisé par des traits, des traits discontinus prélevés
sur la masse.

Vous voyez ! je dirais : la double formule du portrait ou du corps, au XVIIe siècle, c'est d'une part,
le contour curviligne remplacé par une succession de traits plats changeants de direction.
Et les lignes modulaires intérieures au visage remplacées par des traits discontinus prélevés sur
la masse, qui indiquent alors, évidemment ces traits discontinus prélevés sur la masse, qui indiquent
typiquement le jeux des ombres et des lumières. Si bien qu' en effet dans cet espace, tout est
orienté, tout est réorienté en fonction de ceux-ci la forme doit surgir du fond, surgissant du fond, elle
ne peut plus définir par un contour comme il dit Wolflin , par une clarté absolue. Elle ne peut être
définie qu'en termes de clarté relative. Traits discontinus prélevés sur la masse de visage, trait plat
qui fait surgir la forme du fond . Et c'est un espace où en effet, c'est si vous voulez un espace des
valeurs, c'est un espace de valeur. C'est un espace de clair obscur. Et c'est un espace où en effet, la
lumière a cessé de dépendre de la forme.

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Alors, ça et ça seulement c'est-à-dire aussi bien cet espace de Byzance, que cet espace - c'est
hallucinant, la manière, c'est même le caractère hallucinatoire de ces figures - que ces figures
jaillissent précisement du fond, et que ce fond contienne aussi bien la blancheur de la lumière
éclatante, que aussi bien l'obscurité des noirs.

Et tout surgit de là. C'est vraiment ce qui est conquis, ce qui est conquis pour l'art, à ce moment là
c'est vraiment une structure perpendiculaire. Tout comme je vous le disais au 17siècle, voyez : le
thème de la rencontre, comment les personnages se rencontrent ? autant au 16siècle, deux
personnages qui se rencontrent - et c'est en plein dans le cœur d'un problème du 16ème siècle
concernant la ligne collective - deux personnages qui se rencontrent, se rencontrent à l'avant plan et
tout l'art - et enfin un de ces aspects de l'art de 16eme, c'est la beauté et de ses avant plans. parce
que ces avant plans ne sont pas plats. Encore une fois c'est toujours l'exemple de Raphaél qui me
vient à l'esprit, comme étant un des peintres qui a poussé les plus loin l'espèce du tension, les effets
de tension de l'avant plan Ah ! mais, ils se rencontrent évidemment sur l'avant plan parce que c'est
l'avant plan qui distribue les formes. Et c'est sur l'avant plan qu'elles se déterminent, d'où la ligne
collective est vraiment la ligne d'avant plan. Si sinueuse qu'elle soit, si complexe qu'ellesoit !
Aucontrairela rencontre du XVIIe siècle s'organisetout autrement :les personnages accèdent à
l'avant plan mais à partir du fond. Et chacun a sa manière d'appartenir au fond. Et quand ils arrivent,
deux par exemple, sur le même avant plan, ils n'y arrivent pas de mêmefaçon, il n'y arrivent pas de
même façon ! Parce qu'ils ne jaillissent pas du fond de même façon. S'ils se rencontrent à l'avant
plan, c'est parce que leur manière de jaillir, s'est harmonisée, et l'avant plan lui-même reste troué !
crevé ! par la structure perpendiculaire de leur jaillissement depuis l' arrière- fond et là, à cet égard,
un des peintres qui va le plus loin dans cet espèce de structure perpendiculaire, c'est Rubens il me
semble !

Alors je dirais pour clôre, j'aurais du rester beaucoup plus longtemps sur tout ça ! mais il suffit que
m'accordiez le principe. Je dirais pour cet espace optique or c'est un troisième type de modulation.
La transmission d'un espace optique pur, renvoie à une modulation de troisième type. Qui sera quoi
? On le tient maintenant : modulation de la lumière.

Modulation de la lumière, et vous voyez bien que dans les autres cas,
lorsque la modulation égyptienne je la définissais par le moule "cristallin".
La modulation grecque, je la définissais par le "module", par le "module rythmique" ! Je ne voulais
pas dire évidemment, que dans l'art grec, il n'y a pas de lumière etc. Elle n'accède pas encore à l'état
de facteur indépendant du point de vue de la modulation opérée. Mais elle est déjà là. Elle est déjà
obtenue. Elle est produite par la modulation opérée. Si bien qu'au point où on est, je crois qu'on bute
sur le dernier problème qui nous reste et que je voudrais juste commencer là aujourd'hui, et qui fera
notre objet la prochaine fois.

Ce problème c'est bon, voilà : on se trouve dans trois espaces et trois types de modulation. Et
bien et c'est un fait, que je n'ai pas eu beaucoup l'occasion de parler de la couleur. Il faut bien que je
m'explique pourquoi je n'ai pas eu l'occasion. Parce que, alors Il y aurait un premier schéma rapide,
mais qui pourra nous servir, évidemment faux, mais qui pourrait nous servir pour organiser nos
recherches. C'est-à-dire qu'après tout, une modulation de la couleur, c'est très différent, non
seulement d'une modulation de la ligne mais également non moins différent d'une modulation de la

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lumière. Donc, dans ce sens il y a peut être lieu, il y a peut être lieu de réserver la place. C'est pour
ça qu' on n'en n'aurait pas parler avant, il y a peut-être un lieu de réserver la place, d'un espace
signal coloré, qui renverrait à un type de modulation qui lui serait propre.

Vous voyez cette hypothèse, ça consisterait à dire, bien sûr même si on m'explique que les
mêmes peintres sont de grands luministes et de grands coloristes, ça se peut, ce n'est même pas
sûr. On dit beaucoup que c'est souvent pas les mêmes. Ce n'est pas les mêmes problèmes, en effet,
alors un peintre peut affronter deux problèmes, mais il se peut très bien que son problème
fondamental ce soit la lumière, pas la couleur, et qu'il n'atteigne au problème de la couleur que dans
le mesure où ça concerne et où ça touche la lumière, l'inverse est possible aussi. Donc, ma première
hypothèse, ça serait que..

Monsieur excusez moi.. (inaudible)

Tout est possible ! tout ! c'est vrai ! j'exclue rien là ! Tout est possible ! toutes les solutions sont
possibles. Ma première hypothèse, c'est uniquement peut être qu' il nous faut la définition d'un
espace signal, propre à la couleur, auquel correspondrait un type de modulation très particulier,
distinct de tout celles qu'on a vues, y compris la modulation de la lumière.

Qu'est-ce que voudrait dire moduler la couleur ? et à quel espace cette modulation renverrait ?
vous voyez ! ça c'est : première hypothèse, j'essaie d'appuyer cette hypothèse . Eh bien dans
l'histoire de la peinture occidentale , il y a eu des moments de grand colorisme, c'est à dire où le
problème de la couleur était vraiment le problème fondamental. Si je m'en tiens, comme j'ai fait des
prélèvements, je m'en tiens à une époque célèbre : L'impressionnisme. Ce sont fondamentalement
et ils se présentent fondamentalement comme des coloristes. Bon ! En quoi ça pose d'autres
problèmes que les problèmes de la lumière ? Bien plus parfois ils ont des formules un peu
emportées, un peu simplistes mais justement comme celles nous employons, qui servent de grands
points de repère. Van Gogh disant par exemple - Van Gogh se réclamant de Delacroix, dont il
prétend que c'est le premier grand coloriste moderne et disant : "ce que Rembrand est à la lumière,
Delacroix l'est à la couleur.

Bon ! Formule simple. Il la dit comme ça dans une lettre. Est-ce que c'est vrai ? Est ce n'est pas vrai
? Peu importe ! point de repère. Ça veut dire quoi au juste ? ça suggère fort que à la limite il y a un
espace de la couleur qui n'est pas le même que l'espace de la lumière et une modulation de la
couleur qui n'est pas le même que la modulation de la lumière. Bien plus qu'est-ce que ça veut dire ?
Enfin, alors, compte tenu de tout. Compte tenu de tout, je veux dire quoi ? Je veux dire qu'il va trop
de soi que les luministes ce qu'on pourrait appeler des peintres luministes, atteignent à la couleur,
mais ils y atteignent par l'intermédiaire de la lumière. Il va de soi que les coloristes atteignent à la
lumière, mais ils atteignent à la lumière par l'intermédiaire de la couleur, et par la couleur. Voilà un
texte sur Cézanne qui me parait trés trés curieux, c'est un texte de contemporains de Cézanne, ils
disent : "c'est par l'opposition ( je lis lentement parce que il n'y a rien d'extraordinaire ), c'est par
l'opposition des tons chaud et froids - on l'a vu n'est-ce pas ? le chaud et le froid comme
détermination de la couleur en tant que couleur - "c'est par l'opposition des tons chauds et froids ,
c'est-à-dire le jaune chaud et le bleu froid, c'est par l'opposition des tons chauds et froids que les
couleurs, dont dispose le peintre, c'est-à-dire Cézanne, sans qualité lumineuse par elle-même, sans
qualité lumineuse (non je lis mal) sans qualité lumineuse absolue en elle-même, sans qualité

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lumineuse absolue en elle même, arrive à représenter la lumière et l'ombre ".

C'est un texte qui m'intéresse parce que au point où on en est, comme définition la peinture de
Cézanne du moins à la fin, ça me paraît une très juste définition : atteindre la lumière et à tous les
rapports de lumières et d'ombres, par les rapports de couleur. Par des rapports de couleur sans se
donner une qualité lumineuse des couleurs qui leur appartiendrait en elle-même. Bien plus alors !
Cézanne va nous faire avancer un peu, car plus il va Cézanne, plus il découvre sa méthode
coloriste, et plus il l'appelle "modulation". Il y a des textes admirables de Cézanne : moduler !
moduler les couleurs ! Il va jusqu'à dire - ce qui nous arrange tout à fait - il ne faut pas dire modeler,
à plus forte raison, il ne faut pas dire mouler, Il ne faut dire ni mouler, ni modeler et il faudrait dire
moduler. Pour nous c'est excellent, puisque on a été amené précisément à dire même le moule, le
modelé, le module, etc. On a été amené à les prendre comme des cas de modulation. Le vrai
mystère de l'opération c'est la modulation.

Piste 2 : On traite le même sujet, ou le même motif, par deux procédés tout à fait différents. Le
premier cas, c'est un double tableau, c'est à dire deux exemplaires du même motif, sous le titre,
"paysan assis". Paysan assis, l'un en l'huile, l'autre en aquarelle.

Deuxième exemple, là hélas, les deux titres sont différents. C'est le portrait d'une dame en
jaquette, manifestement c'est la même, c'est la même dame. Le portrait d'une dame en jaquette. Les
deux étant à huile. Si vous lisez ce texte de Gowing à cet endroit là, il me semble qu'il montre, il
donne une évidence très forte à ceci : le procédé n'est pas le même ! pourquoi ? Parce que le
premier paysan assis, celui qui est traité à l'huile, est tout entier traité par modulation de la lumière :
ton local, couleur locale, modulation de la lumière et clair-obscur. L'aquarelle, elle, est traitée d'une
toute autre manière. Bon alors sentez ! elle est traitée d'une manière coloriste, on tient notre truc, sur
"moduler la lumière, moduler la couleur". Qu'est-ce que ça veut dire au juste ? Si vous comprenez,
même confusément, ce qu'on vient de voir sur moduler la lumière, tout ce jeu de clair-obscur et de
jaillissement à partir du fond. Moduler la couleur ! qu'est-ce que ça vous dit pas ? on découvre dans
le paysan assis, deuxième manière aquarelle, une chose très très curieuse ! c'est que le modelé va
être obtenu par une juxtaposition de taches colorées. Quelles seront ces tâches colorées ? Bien
entendu, là ! Ces exemples ne sont pas restrictifs ! Gowing va montrer ensuite que ça envahit toute
l'œuvre de Cézanne . Qu'est-ce que c'est ces tâches colorées de dimensions assez petites ? ça doit
vous dire quelque chose ? C'est peut-être, un moment essentiel des coloristes : déjà dimension
assez petites des taches colorées. Bon ! Gowing s'efforce de montrer qu' il y a bien la une méthode,
une méthode étonnante ! Qui consiste à substituer et au contour, au contour tactile, et au modelé
optique, par clair-obscur, une troisième chose : c'est précisément ce que Cézanne appellera,
moduler la couleur. Une modulation de la couleur, ou par la couleur, va remplacer le contour
tactilo-optique c'est à dire, la ligne collective, et va remplacer aussi le modelé clair obscur : il s'agit
d'une succession, d'une juxtaposition de tâches, de proche en proche, dans l'ordre du spectre. Je
m'avance un peu, je veux juste fixer ça ! Parce que c'est seulement la semaine prochaine, que
j'expliquerai en détail, ces espèces de séquences cézanniennes, très très curieuses, très curieuses
qui vont être, qui vont être une espèce de révolution dans la couleur . Oui ! Il va de proche en
proche, par l'ordre de spectre et c'est à la limite, une tâche de telle couleur ! On verra qu'est-ce que
ça veut dire en fonction précisément de notre schéma de la dernière fois là, une tâche de telle
couleur ! une tâche de telle couleur ! Jusqu'à un point culminant et la série redescend : une double
série progressive et régressive, autour du fameux point culminant de Cézanne. Et c'est ça qui va

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opérer, cet espèce de nouveau modelé, qui n'est plus un modelé, qui est vraiment une modulation
par la couleur. Même chose pour la dame en jaquette or c'est très curieux ! Pourquoi c'est important
que le paysan assis, ce soit dans la version aquarelle qu'il trouve ? il semble bien, quoi ce soit, au
niveau de l'aquarelle que Cézanne a commencé à trouvé son truc, cette méthode coloriste nouvelle !

Et que il l'étend à l'huile ensuite. Et là-dessus, dans le cas de la dame en jaquette, vous avez une
version ! Là ! les moindres reproductions même les reproductions en noir sont fascinantes à cet
égard ! L'article de Gowing comporte des reproductions en noir, tout à fait fascinantes : parce que il y
a une version, qui est très nette là ! vraiment : modulation de la lumière, clair-obscur et la couleur est
réduite au ton local, à la couleur locale, influencée simplement par la lumière ou modifiée par la
lumière, et l'autre version de la dame en jaquette est absolument différente. Vous avez l'impression
que c'est complètement un autre style, même que ce soit le même peintre, c'est à la limite ! Là ! c'est
une modulation à la couleur où vous retrouvez : la séquence des taches juxtaposées jusqu'un point
culminant, et puis la série regressive. Donc je dis juste, même quand c'est les mêmes, il me paraît de
plus évident que la modulation de la couleur et la modulation de la lumière ne sont pas du tout la
même chose.

Mais et alors ?
Deuxième remarque ! dés lors on risquerait d'en conclure que la modulation de la couleur a
elle-même son espace, voyez ! Son espace signe ! C'est que ... Donc, il va falloir que nous
définissions, à la fois, et cette modulation et l'espace signal qu'elle transmet ou qu'elle reproduit. Et
on pourrait le faire, on sera amenés à le faire, par exemple, en prenant comme exemple, après
précisément le 17 eme siècle, en prenant le 19eme siècle . On pouvait faire même une séquence
coloriste, qui va être très déterminante pour la peinture, à savoir- et on retrouverait le problème :
comment peindre un corps ? Qui commencerait avec Delacroix , et là ! je dis tout de suite, parce
qu'on retrouverai ce problème - et un procédé, qui est celui Delacroix , qui était peut-être, déjà, celui
de Turner, d'ailleurs ! Et qui s'appellera, dès l'époque, un procédé de hachures. Bon !Bon ! En
simplifiant - avec les mêmes corrections que vous apportez - tout commence dans cette séquence,
tout commencerait par les hachures de Delacroix.

Non, tout à l'heure. ,je t'en supplie, tout à l'heure sinon je suis perdu.

Deuxième temps : et après tout, j'emprunte ça à un livre tout à fait bon, alors s'il vous tombe sous
la main, lisez le ! Il y a un post impressionniste, un néo- impressionniste qui est très connu, qui
s'appelle Paul Signac, Signac qui a écrit un livre "d'Eugène Delacroix au néo- impressionnistes" , et
c'est très bon ! Il développe lui, cette séquence là : tout commence par les hachures de Delacroix.
Voyez en quoi c'est une réponse à la question : comment peindre le corps ? c'est une réponse
formidable ! parce qu'en effet, Delacroix maintient tout l'héritage qu'il a des couleurs terreuses,
seulement il va hacher les couleurs terreuses de tons pur, il va faire ses fameuses hachures !
Exemple typique, allez y ! Exemple typique là ! La décoration de Saint Sulpice où les corps, où les
corps avec les teintes terreuses ou les teintes rabattues sont hachés de vert ou de rose juxtaposés,
enfin avec un petit, enfin une hachure verte, une hachure rose. Il y a ce procédé des hachures qui,
dès le moment Delacroix se fera injurié pour ça, ou bien, au contraire très admiré, acclamé parce
qu'on a l'impression qu'il sort ! Il sort la couleur d'un fond, d'une espèce de fond bourbeux. Or, ce
procédé des hachures, je dirais pas qu'il soit le seul, est très significatif parce qu'il aura sa

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descendance. Ensuite et c'est pas par hasard,, que les impressionnistes vont découvrir Delacroix
comme leur grand homme . Qu ‘est ce que se passe ensuite ? Vous avez la formation de séquences
de tâches colorées, à une toute autre échelle que Delacroix, pourquoi ? Parce que pour arriver à ces
séquences de teintes colorées, de petites unités colorées, il fallait quoi ? il fallait vraiment rompre
avec ce que Delacroix avait gardé, avec les couleurs terreuses ! Ou même avec les couleurs
rabattues ! On verra mieux tout ça ! Mais je lance déjà ça, ça sera autant de fait ! Et leur unité a eux
? ce n'est plus la hachure ! Mais ça en descend tout droit ! Comme dit très bien Signac c'est la
fameuse "virgule impressionniste". Ils peignent, par petites virgules. C'est la virgule impressionniste .
La hachure de Delacroix est devenue virgule impressionniste parce qu'elle peut se déployer pour
elle-même.

Et la virgule c'est un très drôle de truc si on y réfléchit ! Parce qu'au moment du premier
impressionnisme, elle est très ambigüe, cette fameuse virgule, ensuite chez Van Gogh va engendrer,
alors ça, on ne peut même plus l'appeler une virgule, va être transformée par Van Gogh à un point !
mais il l'emprunte comme espèce de procédé pictural, il l'emprunte aux impressionnistes, Van Gogh.
Eh, c'est, Ils peuvent faire ça - je ne sais plus, ce que je voulais dire - ils peuvent faire ça parce que
précisément ils sont libérés du problème du terreux ! De la couleur terreuse et des couleurs
rabattues. Ils ont supprimé de leur palette, c'est forcé ! Ils ont fait quelque chose de formidable ! une
soustraction ! une restriction de palette intense, une restriction de palette intense, parce que c'est à
ce prix-là qu'il font surgir la couleur sous une forme qui nous reste à déterminer. Et notamment ils
auront supprimé toutes les couleurs dites terreuses, ils ont supprimé la plupart des terres, des
couleurs dites terres et ils se serviront pas, ils condamnent les couleurs rabattues. seulement
SIGNAC lui - qui se prétend et il a raison - se présente comme un post-impressionniste c'est-à-dire
du troisième moment, au-delà de Delacroix, au delà des impressionnistes, il dit : "oui, mais il y a un
truc qui ne va pas, qui ne va pas, leur virgule est encore très bizarre, parce que à votre choix : elle
est figurative, où elle est déjà abstraite ? elle est figurative parce qu' elle est formidable pour faire ce
dont les impressionnistes comptent tant : faire des brins d'herbe et qu'est-ce qu'ils ont appris ? Ce
qu'ils ont appris et notamment ce qu'ils ont appris des Anglais, des peintres anglais, c'est qu'on
faisait pas de l'herbe en faisant, en étalant du vert et même en le dégradant c'est-à-dire même en
jouant sur les valeurs ; qu'on faisait de l'herbe avec des petites touches de vert, de tons, de teintes
différentes, et que c'est ça qui faisait de l'herbe ! Voyez, on a tellement dépassé la ligne collective. Il
s'agit plus de la ligne collective d'un ensemble qui serait l'ensemble d'herbe. On a tellement pénétrer
dans l'herbe, dans l'intériorité de l'herbe, mais voilà que cette petite virgule, d'une certaine manière,
elle est encore figurative, mais en même temps complètement abstraite ! Elle va très bien pour faire
des feuilles, pour faire de l'herbe mais elle est déjà bien autre chose. Et alors ! comme dit SIGNAC,
très curieusement, c'est quand même très curieux cette histoire, parce que ces impressionnistes, ils
ont, ils ont absolument récusé, ils ont supprimé le terreux.
Donc , on peut dire et c'est bien l'idée impressionniste de fond : comment arracher, comment
arracher le vif ? comment arracher les tons vifs au mélange, au mélange terreux, à la couleur
terreuse, au grand mélange à la grisaille ?

Mais dans le schéma de Signac - c'est très scolaire ce schéma mais comme je le trouve trés gai et
très philosophique, je le cite :
premier temps, Delacroix, il garde les couleurs terreuses et il en extrait le vif et il les porte
jusqu'au vif par le procédé des hachures.
Deuxième temps : les impressionnistes, eux ils ont supprimé les couleurs terreuses, ils peuvent

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donc développer le vif, sous forme de brèves séquences de tons différents. Mais dit Signac : ce n'est
pas de chance, parce que ils se servent de ce moyen prodigieux pour reconstituer du terreux. Mais il
dit : c'est pour ça que c'est très bizarre, ils font le chemin inverse de Delacroix, Delacroix, lui, il partait
de terreux et il l'exaltait par son précédé de hachures, il le vivifiait. Les autres, ils font l'inverse, ils ont
supprimé le terreux, ils ont un procédé de tons vifs, immédiats séquences de tons vifs mais pour
reconstituer l'impression d'ensemble de terreux ou de rabattu. Et c'est, et Dieu sait que c'est beau,
alors que Signac a l'air de dire que c'est dommage ! nous, notre oeil s'en réjoui : les deux grands
exemples, en effet, de l'extrême de l'expressionnisme à cet égard, c'est les cathédrales, les
"cathédrales" de Monet, en effet où la grisaille de la pierre est reconstituée par le procédé des petites
touches de tons purs et" les boulevards" de Pissaro, les boulevards de Pissaro, - ceux qui ont été à
l'exposition récente de Pissaro, vous avez vu ces toiles de la fin de Pissaro les boulevards - où son
objet explicite, c'est comment redonner le sens de la boue des rues d'une ville comme Paris, avec
des tons vifs ?. Et c'est formidable.

Mais Signac,il n'est pas content, pourquoi ? Parce qu'il dit, il fallait pas se servir de ce colorisme pur,
c'est a dire, de ce dégagement, de cette extraction, des séquences de tons purs, pour redonner une
impression de terreux et de rabattu. Qu'est-ce qu'il fallait ? Arrive, le plus grand selon Signac à
savoir, c'est curieux, Qu'il ne parle pas de Cézanne dans tout ça. Mais évidemment, il a l'intérêt :
c'est un ami immédiat, Signac est un ami immédiat de Seurat. Qu'est-ce que fait Seurat ? lui et ben !
Il n' y a plus de virgule, c'est devenu le fameux "petit point". Et la peinture dite pointilliste.

Voyez, de la hachure à la virgule au petit point, là vous avez vu une succession du colorisme ; ou
alors là, la succession des petits points - mais c'était déjà dans Cézanne, pas de la même manière,
c'était pas par des petits points chez Cézanne. Mais où la pure séquence de tons purs, dans l'ordre
de spectre, avec un point culminant, va précisément définir vraiment, cette modulation de la couleur.
En même temps ce n'est qu'une séquence parce qu'à la même époque, tant ce monde de la peinture
est riche, voyez ! J'essaierai en vain, dans cette séquence, de placer Gauguin et Van gogh, surtout
Gauguin pour qui le pointillisme et Seurat parait vraiment comique et sans intérêt et donne à la
couleur, un tout autre.. c'est comme si dans ma séquence, il fallait que je tienne compte
éventuellement d'une branche, d'une différenciation, dans la direction Van Gogh - Gauguin.

Bon, mais je veux en venir à quels problèmes ? C' est que je peux toujours isoler ainsi un
problème de pur colorisme, cela n'empêche pas que la couleur, elle a toujours appartenu, même à
mes mondes précédents, à mes espaces précédents. Je veux dire : non seulement, dans
l'espace-signal des égyptiens, dans l'espace-signal des grecs, évidemment dans l'espace-signal de
la lumière, à savoir : Byzance a une gamme coloriste, en même temps qu'une gamme lumineuse. Et
il faut dire de Byzance, là je pense que je l'avais déjà dit, la dernière fois : Byzance invente le
colorisme, en même temps qu'il invente le luminisme. Et c'est, surement pas par les mêmes moyens
: si bien que Byzance, il fait déjà une double modulation, modulation de la couleur et voyez en quoi la
mosaïque permet, mais non seulement une modulation de la lumière, mais permet une modulation
de la couleur fantastique. ça veut dire : au lieu des petites tâches, et bein c'est les petits, c'est les
petits ...s ,c'est formidable ça, comme une possibilité. Et au XVIIe siècle , il y a tout un régime de la
couleur, non moins qu'un régime de la lumière. Si bien que mon problème serait double, il faut que le
plus rapidement possible la prochaine fois, nous revenions en arrière, sur la question précise :
quelles sont les régimes de couleurs correspondant, par exemple à l'espace Renaissance et à
l'espace optique XVIIe ? Voyez ! Ou quelles sont les régimes de couleur correspondant à l'art grec et

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à l'art byzantin ? Puisqu'il y a déjà régime de couleur, je peux juste maintenir - c'est par là, que ça
reste un peu cohérent, l'ensemble - je peux jute maintenir que la modulation ne se fait pas
principalement par la couleur et encore, c'est faux pour Byzance et je crois qu'il y a une double
modulation, mais c'est vrai qu'au XVIIe siècle, en peinture XVIIe siècle, la modulation principale
n'était pas celle de la couleur, ça reste celle de la lumière .

Donc il faut que d'une part on fasse ça, les régimes de la couleur et d'autre part - les deux ne
s'excluent plus - que nous définissions, un espace coloriste propre auquel correspondrait la
modulation de la couleur à l'état pur, même s'il y a déjà des régimes de la couleur avant cet espace
coloriste propre. Voyez ! Bon ! Alors, je vous donne pour finir enfin parce que je voudrais que vous
l'ayez présent à l'esprit, juste quelque chose dont j'aurai besoin la prochaine fois, sur les caractères
simples des couleurs. Ceux qui s'y interessent, je vous demande juste de noter pour y réfléchir un
peu, c'est des questions de terminologie, puisqu'il y a un grand effort pour essayer d'unifier la
terminologie au niveau des couleurs . Il y aurait quatre caractères simples des couleurs à savoir,
deux qui dépendent du facteur, dit « facteur luminance ». Deux caractères qui dépendent du
facteur luminance de la couleur, et ces deux caractères
c'est clair /foncé. Deux caractères qui dépendent du facteur dit de pureté de la couleur ».
Et c' est saturé/lavé . Ce qu'il vous donne quand vous combinez deux à deux - ce que je veux
juste que vous reteniez, pour que vous fassiez vous-même votre tableau, à cet egard sinon, on
comprend pas la terminologie. Clair saturé, clair foncé et saturé lavé, s'opposent ! clair ! qu'est-ce
que je disais, clair, - - premier cas,
clair saturé ! c'est ce qu'on appelle : un ton vif.
Clair lavé : c'est ce qu'on appelle un ton pâle .
Foncé saturé : c'est ce qu'on appelle un ton profond.
Foncé lavé : c'est ce qu'on appelle un ton rabattu. Voilà ! Vous pouvez faire votre tableau là !
avec des flèches tout ça ... Mais j'ai besoin de ces quatre notions parce que pour moi, mon
hypothèse ce serait : ' il y a vraiment comme, il n'y a pas seulement, quatre régimes de la couleur :
un régime pale ,
un régime vif,
un régime rabattu et un régime, et de chacun de ces régimes toutes les couleurs peuvent sortir,
on peut toujours rattraper l'un à partir d'un régime.

Oui ! quoi ? (Anne Querrien : inaudible)

La luminance, ce n'est pas la même chose que la luminosité ! ce n'est pas la même chose ! de toute
manière ! il y aura des franges on pourra pas isoler .

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

1- 02/12/80 - 1
Marielle Burkhalter

1- 02/12/80 - 1 Page 1/12


Université de VINCENNES À Saint Denis 02/12/1980 - 1
Gilles Deleuze
Spinoza

Des vitesses de la pensée -

...que j'avais comme esquissé et qui était un problème comme ça : ce problème des vitesses de la
pensée et de l'importance de ces vitesses chez Spinoza du point de vue de Spinoza lui même. Et je
disais après tout, l'intuition intellectuelle - ce que Spinoza présentera comme l'intuition du troisième
genre de connaissance, - c'est bien une espèce de pensée comme éclair. C'est bien une pensée à
vitesse absolue. C'est à dire qui va à la fois le plus profond et qui embrasse, qui a une amplitude
maximum et qui procède comme en un éclair. Il y a un assez beau livre de Romain Roland qui
s'appelle « L'éclair de Spinoza ». Très bien écrit Or je disais, quand vous lirez "L'Ethique" ou quand
vous la relirez, il faut que vous soyez sensible ou au moins que vous pensiez à cette question que je
pose uniquement, à savoir qu'il semble bien, comme je disais la dernière fois, que le livre Cinq
procède autrement. C'est à dire que dans le dernier livre de l'Ethique et surtout à partir d'un certain
moment que Spinoza signale lui-même, le moment où il prétend entrer dans le troisième genre de
connaissance, les démonstrations n'ont plus du tout le même schéma que dans les autres livres
parce que dans les autres livres, les démonstrations étaient et se développaient sous le second
ordre de connaissance.

Mais quand il accède au troisième genre ou à une exposition d'après le troisième genre de
connaissance, le mode démonstratif change. Les démonstrations subissent des contractions. Il y a
de toutes sortes, il y a des pans de démonstration qui, à mon avis, ont disparu. Tout est contracté.
Tout va à toute allure. Bon, c'est possible. Mais ça, ce n'est qu'une différence de vitesses entre le
livre Cinq et les autres. La vitesse absolue du troisième genre, c'est à dire du livre Cinq, par
différence aux vitesses relatives des quatre premiers livres.

Je disais aussi autre chose la dernière fois. Si je m'installe dans le domaine des vitesses relatives de
la pensée, une pensée qui va plus ou moins vite. Je m'explique : vous comprenez ce problème. j'y
tiens parce que c'est une espèce de problème pratique. Je ne veux pas dire qu'il faille mettre peu de
temps à la pensée. Bien sûr la pensée est une chose qui prend extraordinairement de temps. Ca
prend beaucoup de temps. Je veux parler des vitesses et des lenteurs produites par la pensée. Tout
comme un corps a des effets de vitesse et de lenteur suivant les mouvements qu'il entreprend. Et il y
a des moments où il est bon pour le corps d'être lent. Il y a même des moments où il est bon pour le
corps d'être immobile. C'est pas des rapports de valeur. Et peut-être que la vitesse absolue et une

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immobilité absolue, ça se rejoint absolument. S'il est vrai que la philosophie de Spinoza procède
comme et par un étalement sur une espèce de plan fixe. Si il y a bien cette espèce de plan fixe
spinoziste où toute sa philosophie s'inscrit. C'est évident que à la limite l'immobilité absolue et la
vitesse absolue ne font plus qu'un. Mais dans le domaine du relatif des quatre premiers livres, parfois
il faut que la pensée produise de la lenteur, la lenteur de son propre développement et parfois, il faut
qu'elle aille plus vite, la vitesse relative de son développement relatif à tel ou tel concept, à tel ou tel
thème.

Or je disais, si vous regardez l'ensemble alors des quatre premiers livres, il me semble à nouveau, je
fais - je faisais une autre hypothèse sur laquelle je ne veux pas trop m'étendre - qui est que, dans
l'Ethique, il y a cette chose insolite que Spinoza appelle des "scolies", à côté, en plus des
propositions démonstrations, corollaires. Il écrit des scolies, c'est à dire des espèces
d'accompagnement des démonstrations. Et je disais, si vous les lisez même à haute voix - il y a pas
de raison de traiter un philosophe plus mal qu'on ne traite un poète ... - si vous le lisez à haute voix,
vous serez immédiatement sensibles à ceci : c'est que les scolies n'ont pas la même tonalité, n'ont
pas le même timbre que l'ensemble des propositions et démonstrations. Et que là le timbre se fait,
comment dirais-je, pathos, passion. Et que Spinoza y révèle des espèces d'agressivité, de violence
auxquelles un philosophe aussi sobre, aussi sage, aussi réservé, ne nous avait pas forcément
habitués. Et que il y a une vitesse des scolies qui est vraiment une vitesse de l'affect. Par différence
avec la lenteur relative des démonstrations qui est une lenteur du concept. Comme si dans les
scolies des affects étaient projetés, alors que dans les démonstrations des concepts sont
développés. Donc ce ton passionnel pratique - peut-être qu'un des secrets de l'Ethique est dans les
scolies - et j'opposais à ce moment-là une espèce de chaîne continue des propositions et
démonstrations, continuité qui est celle du concept, à la discontinuité des scolies qui opère comme
une espèce de ligne brisée et qui est la discontinuité des affects. Bon, supposons ... Tout ça, c'est à
vous de - c'est des impressions de lecture. Comprenez que si j'insiste là-dessus c'est peut-être que
la forme après tout est tellement adéquate au contenu même de la philosophie que la manière dont
Spinoza procède formellement a déjà quelque chose à nous dire sur les concepts du spinozisme.

Et enfin, je fais toujours dans cet ordre des vitesses et des lenteurs relatives, une dernière remarque.
C'est que si je prends uniquement l'ordre des démonstrations dans leur développement progressif,
l'ordre des démonstrations, il n'y a pas une vitesse relative uniforme. Tantôt ça s'étire et ça se
développe. Tantôt ça se contracte et ça s'enveloppe plus ou moins. Il y a donc, dans la succession
des démonstrations des quatre premiers livres, non seulement la grande différence de rythme entre
les démonstrations et les scolies, mais des différences de rythme dans le courant des
démonstrations successives. Elles ne vont pas à la même allure. Et là, je voudrais alors retrouver en
plein - c'est par là que c'est pas seulement des remarques formelles - retrouver en plein, pour finir
avec ces remarques sur la vitesse, retrouver en plein le problème de ... Hé ben, presque, le
problème de l'ontologie. Sous quelle forme ?

Je prends le début de l'Ethique. Comment est-ce qu'on peut commencer dans une ontologie ? Dans
une ontologie, du point de vue de l'immanence où, à la lettre, l'Etre est partout, partout où il y a de
l'Etre. Les existants, les étants sont dans l'Etre, c'est ce qui nous a paru définir l'ontologie dans nos
trucs précédents. Par quoi et comment peut-on commencer ? Ce problème du commencement de la
philosophie qui a traîné dans toute l'histoire de la philosophie et qui semble avoir reçu des réponses
très différentes. Par quoi commencer ? D'une certaine manière, là comme ailleurs, suivant l'idée

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toute faite où on se dit que les philosophes ne sont pas d'accord entre eux, chaque philosophe
semble avoir sa réponse. C'est évident que Hegel a une certaine idée sur par quoi et comment
commencer en philosophie, Kant en a une autre, Feuerbach en a une autre et prend à partie Hegel à
propos de ça. Ben si l'on applique ce problème à Spinoza, lui, comment il commence ? Par quoi il
commence ? On semblerait avoir une réponse imposée. Dans une ontologie on ne peut commencer
que par l'Etre. Oui, peut-être. Et pourtant ... Et pourtant, Spinoza - le fait est - ne commence pas par
l'Etre. Ca devient important pour nous, ça sera un problème. Comment se fait-il que dans une
ontologie pure, dans une ontologie radicale, on ne commence pas par là où l'on se serait attendu
que le commencement se fasse, à savoir par l'Etre en tant qu'Etre ? On a vu que Spinoza
déterminait l'Etre en tant qu'Etre comme substance absolument infinie et que c'est ça qu'il appelle
Dieu. Or, le fait est que Spinoza ne commence pas par la substance absolument infinie, il ne
commence pas par Dieu. Et pourtant, c'est comme un proverbe tout fait, hein, de dire que Spinoza
commence par Dieu. Il y a même une formule toute faite pour distinguer Descartes et Spinoza : «
Descartes commence par le moi, Spinoza commence par Dieu. » Hé bien c'est pas vrai.

C'est pas vrai. Du moins ce n'est vrai que d'un livre de Spinoza et c'est un livre qui, à la lettre, n'est
pas de lui. En effet, Spinoza dans sa jeunesse faisait déjà, suivant la méthode que je vous ai dite - la
méthode des collégiants, - faisait des espèces de cours privés à des groupes de types. Et ces cours,
on les a. On les a sous forme de notes d'auditeurs. Pas exclu que Spinoza ai rédigé certaines de ces
notes. Très obscur. L'étude du manuscrit est très, très compliquée et a toute une histoire. Enfin,
l'ensemble de ces notes existe sous le titre de « Le cours traité ». Le cours traité. Or dans "Le cours
traité", le chapitre Un est ainsi intitulé : « Que Dieu est ». Je peux dire, à la lettre, "Le cours traité"
commence par Dieu. Mais ensuite, pas du tout, ensuite pas du tout ... Et là ça pose un problème.
Parce que l'on dit très souvent que l'éthique commence par Dieu et en effet, le "livre Un" est intitulé «
De Deo. » De Dieu, au sujet de Dieu. Mais si vous regardez en détail - tout ceci étant des invites
pour que vous fassiez très attention à la lettre du texte - si vous regardez en détail, vous verrez que
Dieu dans le livre Un, au niveau des définitions n'est atteint qu'à la définition Six - donc il a fallu cinq
définitions - et au niveau des démonstrations n'est atteint que vers Neuf, Dix, propositions Neuf et
Dix. Il a donc fallu cinq définitions préalables et il a fallu huit propositions/démonstrations préalables.
Je peux en conclure que, en gros, l'Ethique commence par Dieu, littéralement, à la lettre, elle ne
commence pas par Dieu. Et en effet, elle commence par quoi ? Elle commence par le statut des
éléments constituants de la substance, à savoir, les attributs.

Mais bien mieux. Avant l'Ethique, Spinoza avait écrit un livre, « Le traité de la réforme de
l'entendement. » Dans ce traité, - ce traité, il ne l'a pas achevé. Pour des raisons mystérieuses dont
on pourra parler plus tard, mais enfin là peu importe, il ne l'a pas achevé. Or je lis parce que j'y
attache beaucoup d'importance vous allez voir, parce que je voudrais soulever certains problèmes
de traduction très rapidement : paragraphe 46 : je lis la traduction - la meilleure traduction du traité
de la réforme c'est la traduction de Colleret aux éditions Vrin mais ceux qui ont la Pleîade, vous vous
contentez de ce que vous trouvez, c'est pas grave. paragraphe 46 - dans toutes les éditions le
numérotage des paragraphes est le même - "si par hasard quelqu'un demande pourquoi moi même,
puisque la vérité se manifeste par elle même, je n'ai pas tout d'abord et avant tout exposer dans
l'ordre dû, les vérités de la nature, je lui réponds" - et là dessus une série de trois petits points
indiquant une lacune - "je lui réponds et en même temps je l'exhorte de ne pas rejeter comme
fausses les choses que je viens d'exposer à cause de paradoxes qui peut être se trouvent ça et là"..
Comprenez je dis : c'est quand même marrant, les éditeurs ils ne sont pas genés et ils ont raison de

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ne pas être génés - quand quelque chose ne leur convient pas, ils flanquent une lacune. Là il y a
l'indication d'une lacune qui n'est pas du tout dans le manuscrit. et c'est très bizarre ! est ce que vous
sentez ce que je veux dire ? Supposez un éditeur qui soit persuadé que Spinoza, même
nerveusement persuadé - que Spinoza "doit" commencer par L'Etre, c'est à dire par la substance
absolument infinie c'est à dire par Dieu, il rencontre des textes où Spinoza dit le contraire : qu'il ne va
pas commencer par Dieu, l'éditeur à ce moment se trouve devant plusieurs possibilités :
ou bien dire que c'est un moment de la pensée de Spinoza qui n'est pas encore au point c'est à
dire que Spinoza n'a pas atteint sa véritable pensée.
ou bien conjecturer une lacune dans le texte qui changerait le sens de la phrase.
ou bien troisième possibilité, en un sens c'est la meilleure, trafiquer à peine la traduction Dans ce
texte 46 - et je voudrais juste m'étendre sur ce point car cela fait partie de la critique interne des
textes, dans ce paragraphe 46, Spinoza nous dit formellement : " il y a bien un ordre dû c'est l'ordre
qui commence par Dieu mais je ne peux pas le suivre dés le début. C'est une pensée claire : "il y a
un ordre dû, un ordre nécessaire c'est celui qui va de la substance aux modes, c'est celui qui va de
Dieu aux choses mais cet ordre nécessaire je ne peux pas le suivre dés le début" : c'est une pensée
très claire ! on est tellement persuadés que Spinoza doit le suivre dés le début que quand on
rencontre un texte qui ne colle pas, on présuppose une lacune, ça va pas, c'est pas bien. paragraphe
49, je lis - là les éditeurs n'ont pas oser corriger je lis : « Dès le début donc - fin du pargraphe 49 -
dès le début donc il nous faudra veiller principalement à ce que nous arrivions le plus rapidement
possible - quanto ocius - à ce que nous arrivions le plus rapidement possible à la connaissance de
l'Etre. » Alors mon cœur bondit de joie vous comprenez. Il le dit formellement. Il s'agit d'arriver le plus
rapidement possible, le plus vite possible à la position de l'Etre et à la connaissance de l'Etre. Mais
pas dès le début. L'ontologie aura un début : comme l'Etre est partout, il faut précisément que
l'ontologie ait un début distinct de l'Etre lui-même. Si bien que vous comprenez que ça devient un
problème technique pour moi. Parce que ... ce début ça ne peut pas être quelque chose de plus que
l'Etre, de supérieur à l'Etre. Il y a pas. Le grand Un supérieur à l'Etre ça n'existe pas du point d'une
ontologie, on l'a vu les autres fois. Qu'est-ce que ça va être ce mystérieux début ?

Je continue mon recensement du traité. Paragraphe 49, Non, ça je viens de le faire. Paragraphe 75.
Non, il y a rien. Ah oui ! « Pour nous, au contraire, si nous procédons de la façon aussi peu abstraite
que possible et si nous commençons aussi tôt que faire se peut - en latin, aussi tôt que faire se peut
... quam primum fieri potest ... aussi tôt que faire se peut - si nous commençons aussi tôt que faire se
peut par les premiers éléments, par les premiers éléments, c'est à dire par la source et l'origine de la
nature. » Voyez ! Nous commençons par les premiers éléments, c'est à dire par la source et l'origine
de la nature, la substance absolument infinie avec tous les attributs, mais nous ne commençons par
là que "aussitôt que faire se peut". Bon ... Il y a bien... On y arrivera le plus vite possible. C'est l'ordre
de la vitesse relative.
Et enfin parce que c'est le plus beau tas, paragraphe 99 où là, la traduction est trafiquée, ce qui
est il me semble, le pire ! Voilà ce que dit le texte traduit par Colleret et les traducteurs là, suivent
Colleret, je cite colleret parce était un homme très prodigieux d'une science immense - je lis la
traduction de Colleret "Pour que toutes nos perceptions soient ordonnées et unifiées il faut que aussi
rapidement que faire se peut" - on le retrouve - "il faut faire aussi rapidement que faire se peut" et
Coilleret traduit : "- la raison l'exige - nous recherchions s'il y a un Etre et aussi quel Il est". Voyez la
traduction Ciolleret donne : "il faut que aussi vite que possible - la raison l'exige - nous recherchions
s'il y a un Etre, en d'autres termes il fait porter "la raison l'exige" sur la nécéssité de rechercher s'il y
a un Etre. C'est bizarre pour un homme qui savait le latin admirablement car le texte ne dit pas ça du

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tout. je traduis le texte en mauvais français mais mot à mot : "il faut que, il est requis que aussi vite
que possible et que la raison l'exige. Voyez c'est pas grand chose mais c'est énorme ça change tout.
En latin : "quam primum fieri potest et ratio postulat" : aussi vite qu'il est possible et que la raison
l'exige, en d'autres termes c'est la raison qui exige que nous ne commencions pas par l'Etre mais
que nous y arrivions le plus vite possible. Or pourquoi ça m'importe ça. C'est qu'alors cette question
d'accord. Il y a une vitesse relative. Aussi vite que possible c'est les dix premières démonstrations de
l'Ethique, du livre Un. Il va aussi vite que possible. C'est ça la vitesse relative de la pensée. La raison
exige qu'il y ait un rythme de la pensée. Vous ne commencerez pas par l'Etre, vous commencerez
par ce qui vous donne accès à l'Etre. Mais qu'est-ce qui peut me donner accès à l'Etre ? Alors c'est
quelque chose qui "n'est pas". C'est pas l'Un. On a vu que ça pouvait pas être l'Un. C'est quoi ? C'est
un problème. C'est un problème. Je dirai ma conclusion : si c'est vrai que Spinoza c'est un
philosophe pour qui la pensée est tellement productrice de vitesses et de lenteurs et prise elle-même
dans un système de vitesses et de lenteurs. C'est bizarre ça. Encore une fois, ça va beaucoup plus
loin que de nous dire : « La pensée prend du temps. » La pensée prend du temps, Descartes l'aurait
dit, je l'ai rappelé la dernière fois, Descartes l'aurait dit. Mais la pensée produit des vitesses et des
lenteurs et elle-même est inséparable des vitesses et des lenteurs qu'elle produit.
Il y a une vitesse du concept, il y a une lenteur du concept. Qu'est-ce que c'est que ça ? Hé ben,
bon. De quoi dit-on « vite » ou « lent » d'habitude. C'est très libre ce que je dis là. C'est pour vous
donner envie d'aller voir cet auteur. Je sais pas si je réussis, peut-être que j'obtiens le contraire.
Donc je fais pas encore du commentaire lettre à lettre. J'en fais parfois comme je viens d'en faire
mais .. Vous me comprenez ... De quoi est-ce qu'on dit « Ca va vite, ça va pas vite », « Ca se
ralentit, ça se précipite, ça s'accélère » ? On dit ça des corps. On dit ça des corps. Et je vous ai dit
déjà, quitte à ne le commenter que plus tard, que Spinoza se fait une conception très extraordinaire
des corps c'est à dire une conception vraiment cinétique. En effet, il définit le corps, chaque corps, et
bien plus, il en fait dépendre l'individualité du corps. L'individualité du corps, pour lui, de chaque
corps, c'est un rapport de vitesses et de lenteurs entre éléments. Et j'insistais : entre éléments non
formés. Pourquoi ? Puisque l'individualité d'un corps c'est sa forme, et s'il nous dit la forme du corps -
il emploiera lui-même le mot forme en ce sens - la forme du corps, c'est un rapport de vitesses et de
lenteurs entre ses éléments, il faut que les éléments n'aient pas de forme, sinon la définition n'aurait
aucun sens. Donc il faut que ce soient des éléments matériels non formés, qui n'ont pas de forme
par eux-mêmes. Ce sera leur rapport de vitesses ou de lenteurs qui constituera la forme du corps.
Mais en eux-mêmes, ces éléments entre lesquels s'établissent les rapports de vitesse et de lenteur
sont sans forme, non formés. Non formés et informels. Qu'est-ce que je peux vouloir dire, on remet à
plus tard. Mais pour lui c'est ça un corps.

Et je vous disais une table, Hé ben c'est ça. Bon, pensez à la physique. La physique nous dira
système de molécules en mouvement les unes par rapport aux autres, système d'atomes. C'est le
bureau d'Edington, le bureau du physicien. Bon. Or il a cette vision. Encore une fois, c'est pas du
tout qu'il précède la physique atomique ou électronique. C'est pas ça. C'est pas ça ! C'est que, en
tant que philosophe, il a un concept du corps tel que La philosophie produit à ce moment là une
détermination du corps que la physique avec de tout autres moyens retrouvera ou produira pour son
propre compte. Ca arrive tout le temps ces trucs là. Et donc, c'est très curieux. Car ça me fait penser
à des textes particulièrement beaux de Spinoza. Vous trouverez par exemple au début du livre du
livre Trois de l'Ethique. Spinoza lance vraiment des choses qui ressemblent - L'année dernière
j'avais essayé de trouver ou d'indiquer - pas de trouver, j'avais pas trouvé - un certain rapport entre
les concepts d'un philosophe et des espèces de cris - de cris de base, des espèces de cris - de cris

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de la pensée. Hé ben, il y a comme ça, de temps en temps, il y a des cris qui sortent de Spinoza.
C'est d'autant plus intéressant que encore une fois ce philosophe qui passe pour une image de
sérénité, curieux, quand est-ce qu'il se met à crier ? Il crie beaucoup justement dans les Scolies. Ou
bien dans les introductions à un livre. Il crie pas dans les démonstrations. La démonstration c'est pas
un endroit ou un lieu où on peut crier.
Et qu'est-ce que c'est les cris de Spinoza ? J'en cite un. Il dit : il parle du petit bébé, du
somnambule et de l'ivrogne ... Voilà, voilà ... Ah ! Le petit bébé, le somnambule. Le petit bébé à
quatre pattes. Le somnambule qui se lève la nuit en dormant et qui va m'assassiner. Et puis l'ivrogne
qui se lance dans un grand discours. Bon. Et il dit - parfois il est très comique, vous savez, il a
l'humour juif, Spinoza. - Il dit : « Oh ! Finalement, on ne sait pas ce que peut le corps. » On ne sait
pas ce que peut le corps. Il faut dans votre lecture, quand vous tomberez sur ce genre de phrase
chez Spinoza, il ne faut pas passer comme si .. D'abord il faut beaucoup rire, c'est des moments
comiques. Il n'y a pas de raison que la philosophie n'ait pas son comique à elle. "On ne sait pas ce
que peut le corps". Voyez ... un bébé là qui rampe. Voyez un alcoolique qui vous parle, qui est
complètement ivre. Et puis vous voyez un somnambule qui passe là. Oh oui ! C'est vrai, on ne sait
pas "ce que peut le corps". Après tout, ça prépare singulièrement à un autre cri qui retentira
longtemps après et qui sera comme la même chose en plus contracté lorsque Nietsche lance : «
L'étonnant c'est le corps. » Ce qui veut dire quoi ? Ce qui est une réaction de certains philosophes
qui disent : écoutez, arrêtez avec l'âme, avec la conscience, etc. Vous devriez plutôt essayer de voir
un peu d'abord "ce que peut le corps". Qu'est-ce que ... Vous ne savez même pas ce que c'est le
corps et vous venez nous parler de l'âme. Alors non, il faut passer là. Bon qu'est-ce qu'il veut dire là
? L'étonnant c'est le corps, dira l'autre. Et Spinoza dit déjà littéralement : "vous ne savez pas encore
ce que peut un corps". Ils ont bien une idée pour dire ça. C'est curieux ils nous proposent un
"modèle" du corps, evidemment c'est d'une grande méchanceté pour les autres philosophes qui
encore une fois n'ont pas cessé de parler de la conscience et de l'âme. Eux ils disent et aprés ça.. -
quand on traite Spinoza de matérialiste, qu'on dit c'est du matérialiste ! - bien sûr ce n'est pas à la
lettre, il cesse pas lui aussi de parler de l'âme mais comment il en parle de l'âme ? il en parle d'une
drôle de façon et ça se comprend très bien

sur l'âme et ses rapports sur le corps il a une doctrine qui sera connue sous le nom - le mot n'est pas
de lui - qui sera connue sous le nom de parrallelisme. Or le parrallélisme c'est quoi ? je dis c'est
curieux parce que le mot il ne vient pas de lui, il vient de Leibnitz qui s'en sert dans un tout autre
contexte et pourtant ce mot même conviendrait très bien à Spinoza. revenons à sa proposition
ontologique de base, c'est l'Etre - elle comporte plusieurs articulations
c'est premièrement : "l'Etre est substance mais substance absolument infinie ayant, possédant -
là je laisse un mot très vague - tous les attributs". "Substance absolue possédant tous les attributs
infinis". Il se trouve pour des raisons que l'on verra plus tard que "nous", qui ne sommes pas la
substance absolue, nous ne connaissons que deux attributs, nous n'avons connaissance que de
deux attributs :
l'étendue
et la pensée et en effet ce sont des attributs de Dieu. Il y a beaucoup de "pourquoi" là dedans
mais ce n'est pas ce que je traite pour le moment, on verra plus tard. Pourquoi l'étendue et la pensée
sont-ils des attributs de Dieu ? Je vous en informe comme ça mais ce n'est pas ce que je traite
aujourd'hui. Ca n'empêche pas que la substance absolue a une infinité d'attributs, elle n'en a pas
que deux, elle, nous n'en connaissons que deux, mais elle, elle en a une infinité. Nous, qu'est ce que
nous sommes ? nous ne sommes pas substance. Pourquoi ? là on va retomber en plein dans un

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problème que j'ai déjà essayer d'agiter la dernière fois. Si nous aussi nous étions substance, la
substance se dirait en deux sens au moins, elle se dirait en plusieurs sens : elle se dirait
en un premier sens : Dieu, la substance infinie.
elle se dirait en un second sens : Moi, être fini. En effet au premier sens : Dieu, la substance ce
serait quelque chose comme ce qui existe par soi même. Mais si j'étais une substance, ce serait en
un sens très différent puisque je n'existe pas par moi même etant une créature finie, étant un être
fini, j'existe supposons par Dieu, je n'existe pas par moi même. Donc je ne suis pas substance au
même sens que Dieu est substance.
troisième sens : si mon corps lui même est "substance" c'est encore en un autre sens, puisque le
corps est divisible tandis que l'âme n'est censée pas l'être. etc.. En d'autres termes, comprenez : si je
suis substance, c'est tout simple : je ne suis substance que dans un sens du mot substance dès lors
le mot "substance" à plusieurs sens, en d'autres termes, le mot substance est "équivoque". Il est
forcément équivoque. Substance se dira par "analogie". Si vous vous rappelez les notions que j'ai
essayé vaguement de définir les autres fois, substance se dira par analogie puisque l'analogie c'est
le statut du concept en tant qu'il a plusieurs sens : c'est l'équivocité. Substance sera un mot
équivoque ayant plusieurs sens. Ces sens auront des rapports d'analogie. "De même que Dieu n'a
besoin que de soi pour exister" - premier sens de substance - "moi, être fini je n'ai besoin que de
Dieu pour exister" - deuxième sens - il y a analogie entre les sens et à ce moment là substance est
un mot équivoque. Voyez et en effet Descartes le dit explicitement : Descartes reste au moins
thomiste quelque soit les ruptures de Descartes avec Saint Thomas - il reste absolument thomiste
sur un point fondamental à savoir : l'être n'est pas univoque. En d'autres termes il y a plusieurs sens
du mot substance et comme dit Descartes qui reprend là le vocabulaire du moyen âge, la substance
se dit par analogie. Voyez ce que ces termes mystérieux veulent dire en fait cela veut dire des
choses très rigoureuses.

On a vu et je ne reviens pas là dessus que, au contraire Spinoza developpe, déploie le plan fixe de
l'univocité de l'être, de l'être univoque. Si l'être est substance c'est la substance absolument infinie et
il n'y a rien d'autre que cette substance, cette substance est la seule ! en d'autres termes univocité
de la substance. Pas d'autres substances que l'être absolument infini c'est à dire pas d'autre
substance que l'être en tant qu'être. L'être en tant qu'être est substance ce qui implique
immédiatement que rien d'autre ne soit substance. Rien d'autre ? qu'est ce qu'il y a d'autre que l'être
? On l'a vu les dernières fois et c'est peut être ça le point de départ de l'ontologie qu'on cherchait.
Donc on va peut être avoir une réponse possible à notre question ! Qu'est ce qu'il d'autre que l'être,
que l'être en tant qu'être du point de vue d'une ontologie même ? On l'a vu depuis le début ; ce qu'il y
a d'autre que l'être en tant qu'être, du point de vue de l'ontologie même c'est ce dont l'être se dit c'est
à dire l'étant, l'existant. l'être se dit de ce qui "est", de l'étant, de l'existant. Voyez la conséquence
immédiate ce qui est : l'étant n'est pas substance. Evidemment c'est scandaleux d'un certain point de
vue, scandaleux pour Descartes, pour toute la pensée chrétienne, pour toute la pensée de la
création. Alors c'est quoi ? on n'a même plus le choix ! ce qui "est" n'est ni substance ni attribut
puisque la substance c'est l'être, les attributs c'est les éléments de l'être.
Tous les attributs sont égaux : il n'y aura pas de supériorité d'un attribut sur un autre. Et en effet
vous voyez bien que Spinoza creuse au maximum son opposition à toute une tradition philosophique
c'est la tradition de l'Un supérieur à l'être. Ce qu'il va faire - je crois que c'est une
caractéristiquedeSpinozalaphilosophiela plus anti-hiérarchique qu'on n'ait jamaisfait.Il y a peu de
philosophes qui d'une manière ou d'une autre, mais ou bien explicitement dit ou bien suggèré, au
moins mais en général explicitement dit, que l'âme valait mieux que le corps, que la pensée valait

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mieux que l'étendue et tout ça, fait partie des niveaux de l'être à partir de l'un. C'est inséparable la
différence hiérarchique, est inséparable des théories ou des conceptions de l'émanation, de la cause
emanative. je dois vous rappeler, les effets sortent de la cause, il a un ordre hiérarchique de la cause
à l'effet.
L'Un est supérieur à l'être,
l'être à son tour, est supérieur à l'âme,
l'âme est supérieure au corps. C'est une descente. Le monde de Spinoza est très curieux, en
effet. C'est vraiment le monde le plus anti-hiérarchique qu'ait jamais produit la philosophie ! En effet,
s'il y a univocité de l'être, si c'est l'un qui dépend de l'être et pas l'être qui dépend de l'un, qui découle
de l'être, s'il n'y a que l'être et ce dont l'être se dit et si ce dont l'être se dit, est dans l'être, si l'être
comprend ce dont elle se dit, le contient du point de vue de l'immanence, d'une certaine manière qu'il
faudra arriver à déterminer, tous les êtres sont égaux. Simplement, je laisse en blanc, tous les êtres
sont égaux, en tant que quoi ? De quel point de vue ? En tant que quoi ? Qu'est ce que cela veut dire
alors, une pierre et un sage, un cochon et un philosophe ça se vaut ? Il suffit de dire en tant que
quoi. Bien sûr, ça se vaut. En tant qu'existence, ça se vaut ; ça se vaut. Et là, Spinoza ne renoncera
jamais à ça. Il le dira formellement, le sage et le dément, il y a bien un point de vue, "un en tant que",
où l'on voit de toute évidence que l'un n'est pas supérieur à l'autre. Très curieux, très étonnant, ça,
ce truc là ! J'essaierai de l'expliquer, là, je ne prétends pas de l'expliquer encore, hein ! Alors, bon,
l'être, l'être univoque, c'est forcément un être égal. Celles-là pas forcément que tous les étants se
valent mais que l'être, l'être se dit également de tous les étants, l'être se dit également de tout ce qui
est, que ce soit un caillot ou un philosophe, hein ! De toute manière, l'être n'a qu'un seul sens. Une
belle idée, hein ! Mais il ne suffit pas d'avoir l'idée. Il faut construire le paysage où elle fonctionne
l'idée, et ça, il sait le faire, Spinoza !
Et l'être univoque, c'est forcément un être égaré. Jamais on a poussé plus loin, la critique de toute
hiérarchie. L'étendue est comme la pensée, c'est un attribut de la substance et vous ne pouvez pas
dire qu'un attribut est supérieur à l'autre : égalité parfaite de tous les attributs.

Alors, simplement, s'il y a égalité parfaite, qu'est ce qu'il faut dire ? Qu'est c'est le parallélisme ?
Nous sommes des modes, hein ! Nous sommes des modes, nous ne sommes pas des substances,
c'est-à-dire nous sommes des manières d'être, nous sommes modes, ça veut dire manières d'être,
nous sommes des manières d'être, nous sommes des modes, en d'autres termes, l'être se dit, de
quoi ? Il se dit de l'étant, mais qu'est ce que l'étant ? L'étant, c'est la manière d'être, vous êtes des
manières d'être, c'est bien ça ! Vous n'êtes pas des personnes, vous êtes des manières d'être, vous
êtes des modes. Est-ce que ça veut dire comme Leibniz fait semblant de le croire, comme beaucoup
de commentateurs ont dit que finalement Spinoza ne croyait pas à l'individualité, au contraire, je
crois qu'il y a peu d'auteurs qui ont autant cru et saisi l'individualité, mais on a l'individualité d'une
manière d'être. Et vous vallez ce que vaut votre manière d'être. Oh ! Comme c'est rigolo tout ça !
Alors, je suis une manière d'être ? Bein oui, je suis une manière d'être. Ça veut dire une manière de
l'être, un mode de l'être. Une manière d'être, c'est un mode de l'être. Je ne suis pas une substance.
Vous comprenez, une substance, c'est une personne. Eh bien, non, je ne suis pas une substance. Je
suis une manière d'être. C'est peut-être bien mieux... ! On ne sait pas ! Alors forcément, je suis dans
l'être puisque je suis une manière d'être. Forcément, il y a l'immanence, il y a immanence de toutes
les manières à l'être. Il est en train de faire une pensée, mais on se dit à la fois, mais évidemment,
en fin on se dit, si vous avez le goût de ça on se dit, bien évidemment, il a raison mais c'est tout
biscornu, cette histoire ; C'est tout étonnant ! Il nous introduit dans un truc tout à fait bizarre !
Essayez de penser un instant comme ça ; il faut que vous le répétiez beaucoup. Non, non, je ne suis

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pas une substance ; je suis une manière d'être. Hein... ouais, Tiens ! Ah bon ! Une manière de quoi ?
Bein ouais, une manière de l'être. Tiens... ! Alors ça dure une manière d'être, ça a une personnalité,
une individualité ? Ça ne peut être pas de personnalité, ça une très forte individualité, une manière
de l'être, une manière d'être. Alors, ça engage à quoi ? Eh bein, ça veut dire que je suis dedans. Je
suis dans quoi ? Je suis dans l'être dont je suis la manière. Et l'autre ? L'autre aussi, il est dans l'être
dont il est la manière. Mais alors, si on se tape dessus, c'est deux manières d'être qui se battent ?
Oui, c'est deux manières d'être qui se battent.
Pourquoi ? Sans doute qu'elles ne sont pas compatibles.
Pour quoi ? Peut-être qu'il y a une incompatibilité de la vitesse et de la lenteur. Tiens !
Pour quoi je ramène de la vitesse et des lenteurs ? Parce que manière d'être ou manière de l'être,
mode d'être... C'est ça... ! C'est ça... ! C'est un rapport de vitesse et de lenteur ; c'est des rapports de
vitesse et de lenteur sur le plan fixe de la substance absolument infinie.

Bon, alors, si c'est d'une manière d'être, d'accord, on avance un peu, là, et je ne suis rien d'autre ! Je
suis un rapport de vitesse et de lenteur entre les molécules qui me composent. Quel monde ! Je
pensais qu'évidemment, tout croyant, tout chrétien, bondissait quand il lisait du Spinoza, il se disait
mais c'est quoi ça ? Même tout juif, je ne sais pas... tout homme de religion... lui, il continuait... il s'en
faisait pas ! Il continuait... Alors donc, quelle manière de l'être, d'être, je suis, si je suis une manière
d'être ? On va dire, ce n'est pas compliqué ! Voilà, vous comprenez... J'ai un corps et une âme ; là, il
semble dire... il semble retomber en plus, sur le pied de tout le monde... J'ai un corps et une âme ;
enfin, on s'y trouvera enfin, il dit quelque chose comme tout le monde, ça ne va pas durer longtemps.
Il dit c'est très vrai ça, J'ai un corps et une âme et même Je n'ai que ça ! Et là, d'un certain côté, c'est
embêtant. C'est embêtant puisqu'il y a une infinité d'attributs de la substance absolue ; et moi, j'ai
simplement un corps et une âme ; et en effet qu'est ce c'est un corps ?
Un corps, c'est un mode de l'étendue ;
une âme, c'est un mode de la pensée. Peut être ici, il y a déjà, une réponse ou une première
réponse à la question pour quoi de tous les attributs de la substance absolue je n'en connais que
deux ? Ça, c'est un fait. C'est le fait de ma limitation. Je suis ainsi fait. Vous me direz : si t'es fait tu
es une substance. Non, je suis fait comme une manière. Eh bein, je suis fait à la manière suivante :
Corps et âme, c'est à dire je suis à la fois un mode de l'étendue par mon corps et un mode de la
pensée par mon âme, c'est à dire mon âme, c'est une manière de penser ; mon corps, c'est une
manière d'étendre, d'être étendu. Alors, dans les attributs que je ne connais pas, dont je ne peux
même pas dire le nom, puisqu'il y en a une infinité ; il y a d'autres manières d'être ; Là, il y a tout le
domaine d'une large science fiction spinoziste : qu'est ce qui se passe dans les autres attributs qu'on
ne connaît pas ? mais d'accord, il est très discret là-dessus. Il dit en dehors de ça, on ne peut rien
dire. Il y a un fait de la limitation de la connaissance. Je n'en connais que deux attributs, parce que,
moi-même, je suis un mode de l'étendue et de la pensée, un point, c'est tout. Mais les attributs sont
strictement égaux. C'est par-là, vous voyez que à peine il a dit, comme tout le monde : j'ai un corps
et une âme, il a déjà dit autre chose que tout le monde : je suis le double mode des deux attributs
que je connais.
Je suis un corps,
je suis une âme mais tous les attributs sont égaux, aucune supériorité d'un attribut sur un autre.
Donc, jamais on ne pourra dire mon corps, c'est moins bien que mon âme ; Non. Bien plus, c'est
strictement pareil, c'est la même manière d'être. Mon corps et mon âme sont la même manière
d'être. Pourquoi ? Là, je vais trop vite mais je vais préciser... là, vous pouvez avoir en un éclair, la
vision de pensée la plus profonde, une des pensées la plus profonde de Spinoza à savoir que... oui,

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comment se distinguent mon corps et mon âme ? Ils se distinguent par l'attribut qu'ils impliquent :
le corps est le mode de l'étendue,
l'âme est mode de la pensée ; c'est ça, la distinction de l'âme et du corps. Ils se distinguent par
l'attribut qu'ils impliquent. Ce sont deux modes, deux manières d'être d'attributs différents mais les
attributs sont strictement égaux, si bien qu'au moment même où je dis j'ai une âme et j'ai un corps
qui se distinguent par l'attribut auxquels ils renvoient, je dis aussi bien je suis un.
Pourquoi je suis un ? Parce que je suis un par la substance unique, puisque, tous les attributs
égaux sont les attributs d'une seule et même substance absolument infinie. Donc, je suis deux
modes de deux attributs, corps : mode de l'étendue, âme : mode de la pensée mais je suis une seule
et même modification de la substance. Je suis une seule et même modification de la substance qui
s'exprime dans deux attributs, dans l'attribut étendue comme corps, dans l'attribut pensée comme
âme. Je suis deux par les attributs que j'implique, je suis un par la substance qui m'enveloppe.
En d'autres termes, Je suis une modification de la substance, en tant qu'exprimée, c'est-à-dire
une manière d'être, une manière d'être de l'être... Je suis une modification de la substance,
c'est-à-dire, une manière d'être de l'être en tant que cette modification est exprimée comme corps
dans l'attribut étendue et exprimé comme âme dans l'attribut pensée ; si bien que l'âme et le corps,
c'est la même chose. C'est une seule et même chose, non pas une substance, c'est une seule et
même manière ou modification rapportée à deux attributs distincts qui donc apparaît comme corps et
est corps dans l'attribut étendue et âme dans l'attribut pensée. Quelle curieuse vision ! Alors ça
supprime tout privilège possible de l'âme sur le corps ou inversement, et là, en un sens, c'est la
première fois que l'on peut comprendre en quoi une éthique, ce n'est pas la même chose qu'une
morale. Ce n'est pas du tout la même chose qu'une morale, forcément, pour une raison très simple, il
y a quelque chose qui appartient fondamentalement à la morale ; c'est l'idée d'une raison inverse,
une règle inverse dans le rapport de l'âme et le corps.
Forcément, puisque la morale, elle est inséparable d'une espèce de hiérarchie, ne serait ce que
la hiérarchie des valeurs. Il faut que quelque chose... il n'y pas de morale si quelque chose ne vaut
pas mieux qu'autre chose. Il n'y a pas de morale de "tout se vaut" ; il n'y a pas la morale de "tout est
égal". Bizarrement, je dirais, il y a une éthique de tout est égal. Et là, on le verra bien après. Il dit il
n'y a pas la morale de "tout se vaut", de "tout est égal". Il faut une hiérarchie des valeurs pour la
morale. Et l'expression la plus simple de la hiérarchie des valeurs, c'est...l'espèce de tension, de
rapport inversement proportionnel, à savoir, si c'est le corps qui agit, c'est l'âme qui pâtit et si l'âme
agit, c'est le corps qui pâtit. L'un agit sur l'autre et l'un pâtit quand l'autre agit si bien que l'effort du
sage, c'est faire obéir le corps. Ça va tellement loin ça que c'est presque un axiome de toutes les
morales de l'époque, au 17ème siècle ; par exemple Descartes, il écrit un gros livre qui s'appelle "Le
traité des passions" et Le traité des passions commence par l'affirmation suivante : quand le corps
agit, c'est l'âme qui a une passion, qui pâtit ; quand l'âme agit, c'est le corps qui a une passion, qui
pâtit. Vous comprenez qu'au point où on en est du point de vue de Spinoza, c'est inintelligible, cette
proposition. Si je suis une manière d'être qui s'exprime également comme manière de l'étendue et
comme manière de la pensée, c'est-à-dire comme corps et comme âme, ou bien mon corps et mon
âme pâtissent également ou bien ils agissent également. Jamais on a mieux soudé le destin de
l'homme au corps. Si mon corps est rapide, avec toute nuance de la rapidité puisque ça peut être
une rapidité purement intérieure, ça peut être... c'est une rapidité, on a vu, c'est une rapidité
moléculaire, c'est une vitesse moléculaire, si mon corps est rapide mon âme est rapide, si mon corps
est lent, mon âme est lente ; et peut-être il est bon, tantôt que mon âme soit lente, tantôt rapide mais
en tout cas l'un ira avec l'autre. Mon âme ne sera pas rapide ou lente sans que mon corps soit aussi
rapide ou lent. En d'autres termes vous avez toujours les deux à la fois ! Jamais ! Jamais ! Vous ne

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pouvez jamais jouer votre âme sur votre corps et votre corps sur votre âme ! Jamais ! L'un et l'autre
sont la même manière exprimée dans deux attributs. Donc renoncer à parier sur l'un contre l'autre !
Ce n'est pas la peine d'essayer ! En fin... Ça ne marchera jamais comme ça ! Alors j'en reviens à
ceci : d'où vient ce cri : "l'étonnant c'est le corps" qui a bien l'air de démentir le parallélisme ; vous
voyez pourquoi ça s'appelle le parallélisme ! En effet deux modes d'attributs différents, corps de
l'étendue, âme dans la pensée, les attributs sont strictement indépendants et égaux donc parallèles
et c'est la même modification qui s'exprime dans un mode ou dans l'autre ; Bon, alors comment
est-ce qu'il peut nous dire l'étonnant c'est le corps... qui semble ériger un modèle du corps... ? "Vous
ne savez même pas ce que peut un corps" ! Qu'est ce qui peut... vous ne savez même pas ça ! On
ne sait pas ! En effet, les choses prodigieuses qu'un bébé, un alcoolique ou un somnambule peuvent
faire quand leur raison est assoupie, quand leur conscience est endormie... vous ne savez même
pas ce que peut un corps ! Ça ne va pas ! ... avec tout ce qui précède ! Si, ça va évidement très bien
! Il est en train de nous dire, vous voyez, quelque chose de très important, il est en train de nous dire
: le corps dépasse la connaissance que vous croyez en avoir. Votre corps dépasse infiniment la
connaissance que vous croyez en avoir... évidemment, puisque vous ne savez même pas que le
corps est une manière d'être de l'étendue... et qu'à titre de manière d'être de l'étendue, il est
constitué par toutes sortes de rapports de vitesses et de lenteurs transformables les uns dans les
autres et vous ne savez rien de tout ça, on ne sait rien de tout ça, dit-il.

On peut le dire encore aujourd'hui qu'on ne sait rien de tout ça. On fait des progrès... c'est curieux, je
suis frappé que la biologie actuelle va tellement dans un certain spinozisme mais ça, on verra, on
verra plus tard. Eh bein, eh bein, eh bein... Il dit : votre corps dépasse la connaissance que vous en
avez et de même - c'est ça qu'il faut ajouter- et de même - essayons puisqu'il y a le parallélisme,
puisque le corps et l'âme c'est la même chose et bien - de même votre âme dépasse infiniment la
conscience que vous en avez ; tout ça, c'est dirigé tout droit contre Descartes, évidemment. De
même que votre corps, il fallait passer par le corps pour comprendre ce qu'il va dire, d'où la phrase :
"l'étonnant, c'est le corps qui"... "on ne sait même pas ce que peut un corps", vous voyez, ce qu'il
veut dire complètement c'est : "de même que votre corps dépasse la conscience que vous en avez,
votre âme et votre pensée dépassent la conscience que vous en avez", si bien que la tâche de la
philosophie comme éthique, ça sera quoi ? Ça sera accéder à cette connaissance de l'âme et à cette
conscience du corps... non ! Zut alors ! ... à cette connaissance du corps et à cette conscience de
l'âme qui dépassent la connaissance dite naturelle que nous avons de notre corps et la conscience
naturelle que nous ayons de notre âme. Il faudra aller jusqu'à découvrir cette inconscience de la
pensée et cette inconnue du corps et les deux ne font qu'un. L'inconnue du corps...

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

8- 26/01/82 - 1
Marielle Burkhalter

8- 26/01/82 - 1 Page 1/14


Gilles Deleuze - Cinéma cours 8 du 26/01/82 - 1 transcription : Hamida Benane

Il faudrait finir aujourd'hui l'image-perception puisque nous avons tant à faire. Or heureusement
nous avons progressé dans cette analyse de l'image-perception car nous n'en sommes plus à
distinguer ou à opposer ou à jouer de deux pôles de la perception dont l'un pourrait être appeler pôle
objectif et l'autre pourrait être appeler pôle subjectif .

nous n'en sommes plutôt à quoi maintenant ? nous n'en sommes à - grâce à l'image-perception -
essayer de dégager comme un élément génétique. Elément génétique de quoi ?, un élément
génétique qui serait l'élément génétique de l'image-mouvement ou qui serait un élément génétique
de l'image-mouvement, il faut toujours nuancer, il faut toujours nuancer de vous même. Et cet
élément donc, distingué grâce à l'image-perception, grâce à notre analyse de l'image-perception
distinguer un élément génétique de l'image-mouvement qui serait au même temps une autre
perception.

Une autre perception, c'est à dire une autre manière de percevoir ou ce que j'essaie d'appeler,
tout sommairement, mais vous aussi, introduisez toutes les nuances que vous voulez, une
perception non humaine ou un œil non humain. Et en effet ça serait assez normal que la même
instance soit élément génétique de la perception, élément génétique de la perception du mouvement
et perception non humaine ou œil non humain.

Or à cet égard, l'évolution, ou les progrès de « Vertov », que j'avais essayé de montrer à la fin de la
dernière séance, les progrès de « Vertov » sont évidemment pour l'histoire du cinéma quelque chose
de très important. Car, Vertov , partait, on l'a vu, dans toute sa tentative d'actualité de documentaire,
« Vertov » partait d'un traitement libre, d'un traitement original de l'image-mouvement. Mais si libre et
si original que soit son traitement de l'image-mouvement, nous avions vu en quel sens son œuvre
plus tardive," l'homme à la caméra", débordait cette première tentative. Et la débordait en quel sens
? eh bien dans le sens d'une double opération et c'est cette double opération que, il me semble, qui
est très bien analyser par Annette Nickelson dans le texte que j'invoquais à savoir au édition
Klincksick le livre collectif « cinéma théorie de lecture » où il y a un article d' Annette Nickelson sur «
Vertov ».

Cette double opération, si j'essaie de la résumer, en vous renvoyant à cet article, consisterait en ceci
:d'une part, extraire de l'image-moyenne-mouvement, un ou plusieurs photogrammes. Et par là
s'élever à un couple du type photogramme/ intervalle où déjà, où déjà, photogramme/clignotement et
c'est évidemment ce couple photogramme/intervalle, photogramme/intervalle de mouvement, ou

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photogramme/clignotement dont vous sentez bien, en effet nous pourrons le considérer comme
l'élément génétique de l'image moyenne de l'image-mouvement.

Et au même temps, comme nous donnant une autre perception comme constituant l'œil caméra c'est
à dire un œil non humain. Et au même temps, envers de l'opération, ça ne vaut que si l'on réinjecte
le couple photogramme/intervalle ou photogramme/clignotement, si on le réinjecte dans l'image-
mouvement, soit pour changer la nature du mouvement c'est à dire, l'inverser, l'accélérer etc.., etc... ;
soit pour obtenir une alternance entre les deux, alternance que l'on pourra précipiter de plus en plus.
Exemple concret : pris dans "l'homme à la caméra", présentation d'une série de photogrammes et
c'est seulement ensuite, par exemple : photogramme de paysanne ou photogramme d'enfants, de
tête d'enfants, et c'est seulement ensuite qu'on les reconnaîtra dans des images-mouvement de type
traditionnel. Il ne fait pas grand chose, on va voir, c'est peut être beaucoup, c'est peut être quelque
chose d'intéressant qui se passe dans le cinéma à ce moment là.

Ou bien autre procédé, présentation d'une image normale, d'une image moyenne mouvement, une
course cycliste et re filmage en présentant la même image-mouvement, re filmer dans les conditions,
le mouvement se déroule alors sur écran. Procédé du re filmage , et comparaison alors alternance
de plus en plus précipitée entre les deux situations. La course cycliste présentée dans les conditions
ordinaires de l'image-mouvement, la même course cycliste représentée dans les conditions du re
filmage et passage de l'un à l'autre de plus en plus précipité, de plus en plus rapide.

Comme j'ai dit, l'importance, vous voyez cette tendance, en effet qu'il s'agit bien de dégager un
élément génétique à l'intérieur du cinéma, un élément génétique du point de vue du cinéma, un
élément génétique de l'image-mouvement et par la même de nous convier à une autre perception.

On comprend que là il y a une espèce d'opération où en effet, perpétuellement, le nouveau


couple photogramme/intervalle soit extrait de l'image moyenne mouvement mais à condition d'être
aussi perpétuellement réinjecté dans l'image-mouvement, quitte à changer à la lettre, les allures de
l'image-mouvement moyenne. Si bien c'est une espèce d'ensemble très curieux et peut être que
l'importance de ces tentatives de « Vertov » ne pouvait apparaître que maintenant, peut être que l'on
est plus sensible à l'importance de ce type de tentatives, pourquoi ? parce que on est sensibilisé par
tout ce qui c'est passer après, à savoir par le cinéma américain dit indépendant ou dit expérimental.

Et dans le même texte de « Klincksick », cinéma théorie lecture, il y a un article également très bon
d'un critique américain qui s'appelle « Sitney » sur ce qu'il appelle le « cinéma structurel » en
américain.

Et je dégage juste , je vous renvoie à cet article, je dégage juste trois procédés, ou trois directions de
ce cinéma dit "structurel".

1ère direction : extraire le photogramme ou une série de photogrammes. Donc substituer à


l'image moyenne mouvement du type 24 images seconde, extraire un photogramme ou une série de
photogramme et tantôt prolonger le photogramme, tantôt le répéter avec intervalle, ce qu'on
appellera et là le terme aura de l'importance, on va voir pourquoi tout à l'heure, "procédé de la
boucle" ; et si vous prenez en effet une boucle constituée avec une série de photogramme avec
intervalle. les possibilités de jouer avec le décalage, font que le procédé peut se compliquer à

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l'extrême dans cette première direction c'est à dire que vous pouvait même obtenir à la limite des
surimpressions, des superpositions de la série , de votre série de photogramme à des moments
différents. Par exemple une surimpression de la fin de la série sur un autre moment ; donc le
procédé de la boucle là vous permet des phénomènes d'échos mais des phénomènes de
surimpressions.

2ème direction : non plus substituer à l ‘image moyenne, la série de photogrammes prise dans les
opérations de boucle mais substituer à l'image-mouvement, le clignotement comme une espèce de
vibration de la matière.

Or là je ne sais pas les nuances entre les deux mots, en américain, deux mots semble employés «
blink » et « flik » un des premier films à clignotement, en effet, c'est « Mac-Larein » je ne sais plus la
date mais , « Mac-Larein », qui fait un film expérimental très beau avec procédés de clignotement et
ce film s'appèle « blinkety blank », blank, c'est le vide je crois, c'est ça, c'est un vide mais un vide
spécial non ? c'est une espèce de vide zen, je crois hein ? à la lettre le vide clignotant « blinkity ». et
puis, un autre qui s'appelle « Tony Conrad », « Tony Conrad » qui fait un film qui s'appelle « l'œil du
comte Flicker Stein », l'œil du comte Flicker Stein, c'est à dire l'œil du comte clignotant voilà, ça serai
la seconde direction.

3ème direction : substituer à l'espace de la perception un espace aplati, granuleux sans


profondeur, un espace granuleux, un espace granulaire, obtenu comment ? obtenu par un procédé
très simple par une série de re filmage par un ré enregistrement, un ré enregistrement des images
projetées sur écran, bon !

Comprenez que ces trois, - je dégage de bien, il y a toutes sortes de procédés, je dégage comme
particulièrement important dans le cinéma dit expérimental ou là au sens... de... comment il s'appelle
? de « Sitney », le film structurel. Ces trois procédés ils animent tant de films expérimentaux
américains nous permettent, peut être, de mieux comprendre ce qui dans l'homme à la caméra de «
Vertov » était à la fois annonciateur, et n' était là comme une espèce de procédé encore isolant car il
s'agit de quoi ? Alors, j'empreinte à « Sitney » le.. à la fille de « Sitney » le, une espèce de
description d'un film qui me plait beaucoup, vous savez que tout ça c'est entrain d'être re-projeté hein
? il faudrait y aller les grands du cinéma structurel américain ils repassent ou du moins ils devrait
repasser à Beaubourg , mais il y a la grève à Beaubourg, alors ils étaient programmés, mais j'ai vu
qu' il y a d'autres endroits où on les projette en ce moment, alors si le cœur vous en dit, ...il y a
notamment un des plus grands du cinéma structurel on en parlera mais plus tard il s'appelle «
Mickael Snow » , or j'ai vu qu'on redonnait du « Mickael Snow » ....ah bon ! ah bon ! ceux qu'il n'ont
pas vu, allez y tout ça deviendra limpide. Or j'extrais le compte rendu donc d'un film Bardo folie's « B.
A. R. D. O. », Bardo folie's , film de « Landow », « L. A. N. D. O. W. » aussi un des grands homme
du cinéma structurel voilà ce que nous dit « Sitney », c'est comme une espèce de résumé de tout ce
que je viens de dire mal mais un résumé concret, : le film commence , le film commence avec une
image imprimée en boucle, bon prenez que l'image c'est un photogramme, le film commence avec
une image imprimée en boucle d'une femme flottant avec une bouée et qui nous salut à chaque
reprise de la boucle.

Voilà ça c'est le premier temps. Je disais, je vous en parler très vite la dernière fois, je disais, comme
même ce n'est pas par hasard que tout ça peut être considéré que c'est un clin d'œil que ça

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commence par une image aquatique, car on va assister dans le film, il me semble au passage
singulier d'une image aquatique à une image typiquement gazeuse. Le film commence avec une
image imprimée en boucle d'une femme flottant avec une bouée et qui nous salut à chaque reprise
de la boucle ; après dix minutes environ, évidemment ça commence à bien faire, après dix minutes
environ - entre parenthèses il existe aussi une version plus courte, allez voir la version plus courte -
la même boucle apparaît deux fois, la même boucle apparaît deux fois à l'intérieur - voyez là ce n'est
pas un phénomène de sur impression c'est un phénomène de juxtaposition - La même boucle
apparaît deux fois à l'intérieur de deux cercles sur fond noir. Puis un instant apparaissent trois
cercles, l'image du film dans les cercles commence à brûler, c'est à dire brûlage du photogramme.
On enregistre le brûlage du photogramme hein ..l'image du film dans les cercles commence à brûler
c'est une étape fondamentale, provoquant l'expansion d'une moisissure bouillonnante à dominante
orange. Et ça c'est vraiment le passage de l'état liquide de l'image à l'état gazeux ...hein, là je
n'invente pas c'est en toute lettre quoi, c'est pour ça que « Landow » est le plus grand hein ? bon, ou
j'en suis ? .

L'image du film dans les cercles commence à brûler provoquant l'expansion d'une moisissure
bouillonnante à dominante orange. L'écran entier est empli par le photogramme en feu qui se
désintègre au ralenti en un flou extrêmement granuleux évidemment le re filmage assure déjà
l'espace granulaire, tout y est dans ce film hein ? Bardo folie's. Hein, hein, un autre photogramme
brûle, il se sent plus, il va tout brûler, un autre photogramme brûle, tout l'écran palpite de celluloïde
fondante. Ah ! c'est beau ça, cet effet a été probablement obtenu par plusieurs séries de re filmage
sur écran. Le résultat est que c'est l'écran lui même qui semble palpiter et se consume. La tension
de la boucle désynchronisée est maintenue tout au long de ce fragment où la pellicule elle même
semble mourir.

Après un long moment, ça c'est le dernier moment, ah, vous voyez, après un long moment, qu'est ce
qui ce passe ?, l'écran se divise en bulles d'air dans l'eau, l'écran se divise en bulles d'air dans l'eau,
filmé à travers un microscope avec des filtres colorés, une couleur différente de chaque coté de
l'écran. Par les changements de distance focale, les bulles perdent leurs formes et se dissolvent
l'une dans l'autre et les quatre filtres colorés se mélangent. A la fin, quarante minutes environ après
la première boucle, l'écran devient blanc : fin du film.

Bon alors c'est ça alors, si nous accordez ce qu'on a vu la dernière fois à la fin et ce je viens de dire
maintenant, il s'agit de quoi ? il s'agit vraiment de construire avec le cinéma ce qu'on pouvait appeler
quoi ? une perception moléculaire, l'élément génétique de l'image-mouvement sera lui même saisi
dans une perception moléculaire comme une espèce d'équivalent d'une micro perception où de ce
j'appelais, par opposition aux images liquides, une perception gazeuse pourquoi perception gazeuse
ou perception moléculaire ? c'est la même chose je l'ai dit, je doit dire c'est pas une métaphore ça
évidemment c'est la même chose puisque encore une fois un état gazeux c'est l'état où les
molécules disposent d'un libre parcours, d'un libre parcours moyen par différence avec l'état liquide
et avec l'état solide.

Or un tel procédé l'atteint d'une perception moléculaire, tout ça avec les procédés : la boucle,
l'espace granulaire, vous voyez, le photogramme qui serait vraiment , le photogramme traité comme
molécule cinématographique, le procédé de la boucle, l'espace granulaire tout ça, et bien, c'est à
mettre en comparaison avec d'autres choses qui se passaient dans d'autres arts. je veux dire, à la

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fois et en peinture et en musique, en peinture même il fallait peut être remonter un peu en arrière,
mais pas tellement, pour trouver un fameux "espace granulaire" dont certains américains ce
réclament à savoir l'espace pointillistes de « Seurat » du type de cinéma structurel qui connaissent
très bien « Seurat » et qui pensent par leur procédé de re filmage obtenir une espèce d'espace à
grain ou bien ce qui ce passe aussi en musique à la même époque, à savoir un procédé musical qui
est celui des boucles avec possibilité de servir des intervalles et de jouer des intervalles de telle
manière que l'on puisse obtenir des sur impressions, des superpositions de deux moments différents
de la série et tout à l'heure quand j'aurai fini avec ça, si « Richard Pinhas » veut bien dire quelques
mots sur les procédés des boucles chez un musicien comme « Fripe » aujourd'hui, vous verrez qu'il
y a une espèce d'analogie entre le procédé des boucles sonores et le procédé des boucles
cinématographique.

Or, je dirai c'est donc cette perception moléculaire qui nous donne, à la fois, l'élément génétique de
l'image-mouvement et ce qu'on appelait l'œil non humain, la perception non humaine et à son tour de
même que, tout à l'heure, on pouvait dire, peut être, c'est grâce à toutes les tentatives du cinéma
structurel américain, que l'on est plus sensible à ce qui avait d' extraordinaire dans la tentative de «
Vertov », l'homme à la caméra, est ce qu'il ne faudrait dire encore quelque chose de plus ? à savoir
que ce qui nous rendait maintenant, ce qui nous sensibilise à ces tentatives du cinéma structurel
américain c'est l'avènement d'un nouveau type d'image, l'image vidéo. Et pour une raison simple là
je ne veux pas du tout développer, peut être que si « Richard Pinhas » donnera des indications là
dessus.

Si on définit très grossièrement l'image vidéo comme étant non plus comme une image analogique
mais une image codée, comme une espèce d'image digitale et non plus analogique, la première
chose qui définit, qui caractérise l'image vidéo c'est que elle joue sur un nombre de paramètres
infiniment plus grands que l'image ( coupure de son) en somme les procédés de l'image vidéo serait
une confirmation là dans la même lignée, mais enfin comme l'image vidéo, on la retrouvera plus tard,
je m'arrête tout de suite là, car tout ça après tout c'est en rapport, c'est en rapport aussi bien avec
des choses qui se faisaient en peinture sur les espaces granulaires. C'est pas sûr, je veux dire hein !
comme espèce d'initiateur si vous voulez au même titre que « Vertov », d'une initiation prodigieuse
mais l'étape actuelle, l'étape actuelle, dont certains, pas tous, dans leurs tentatives pour reconstituer
les espaces granulaires, granuleux c'est très, très fantastique, on en a parlé, un peu, l'année
dernière, notamment ceux qui peignent à l'envers ou ceux qui peignent sur des matières spéciales
comme de la tarlatane, là il y a constitution de l'espace granulaire très intéressant.

Bon ! ce que je disais c'est pas, pas seulement en rapport avec ce qui se passe dans les autres arts
c'est évidemment en rapport avec quoi ? avec des mouvements de l'esprit si l'on peut dire, c'est très
difficile à dissocier en droit, je ne dit pas en fait, ça, ça compte pas si ils sont drogués ou ils ne sont
pas drogués, ça n'a pas beaucoup d'intérêt mais c'est très difficile à dissocier en droit de certaines
expériences liées à la drogue et où, où les plus belles expériences liées au bouddhisme, au
bouddhisme Zen.

Pourquoi ? C'est pas difficile, c'est pas difficile, là il faudrait reprendre de ce point de vu le film de «
Michaux » mais enfin dans le cinéma dit "structurel américain", les expériences de drogue ont été
actives dans ce type de cinéma, eh bien pourquoi ? pourquoi cela ? c'est que la drogue ou le Zen, il
vaut mieux le Zen, une fois, mais la philosophie suffisait déjà, c'est vraiment l'accession à une

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perception moléculaire en quel sens ? je prend le, qui serait au même temps perception moléculaire
qui est au même temps l'élément génétique de la perception.

Je prend le livre classique, le livre pour tout, ce livre qui m'intéresse beaucoup, qui a eu tant de
succès à un moment, le livre de « Castaneda », les livres de « Castaneda » sur son initiation aux
hallucinogènes par le sorcier indien, par le bon sorcier. Bon que ce que j'en retiens ? j'en retiens ce
qui m'intéresse c'est exactement la même chose, la leçon, la leçon du grand Sorcier c'est quoi ?

Premièrement tu n'auras rien fait, vous allez voir, première grande proposition tu n'auras rien fait
si tu n'est pas arrivé à stopper le monde, ah ! stopper le monde tiens ! il faut que je stoppe le monde
bon, eh ! bien d'accord, qu'est ce que ça veut dire stopper le monde ? Vous le sentez, extraire de
l'image-moyenne-mouvement le photogramme mais c'est pas ça qui veut dire, on d'autres choses
maintenant alors qu'est ce que ça veut dire "stopper le monde" d'après l'indien grand sorcier ça veut
dire accéder au ne pas faire, "accéder au ne pas faire", tiens, tiens, il faut briser le faire il faut
s'empêcher de faire, dans certains cas on a pas de peine, brisons le faire, brisons le faire, accédons
au note en faire. Faire, F. A. I. R .E.

Arrêtons, arrêtons stoppons le monde bon, le "ne pas faire", qu'est ce que c'est ? le faire c'est
l'image subjective rappelez-vous des choses qu'on a vu avec Bergson, le rapport action réaction,
perception subjective, "c'est la perception qui consiste à saisir l'action virtuelle de la chose sur moi et
mon action possible sur la chose". La perception subjective c'est le « faire », arrêter le faire c'est quoi
? c'est accéder à une autre type de perception bon, stopper le monde bon, bien voilà, premier thème.

Deuxième thème : si vous êtes arrivés dans votre perception, un peu, à stopper le monde vous
c'est bien une espèce d'effort pour dépasser l'image-mouvement mais pourquoi faire ? on va voir
pourquoi note en faire plutôt ; eh bien le premier phénomène qui vous est donné comme une
splendide récompense déjà c'est l'agrandissement, l'insensé agrandissement des choses. A la lettre
les choses deviennent des gros plans, à la lettre les choses s'agrandissent hé oui ! vous regardez un
visage, non pas sous l'expérience de la drogue qui est toujours misérable mais dans l'illumination du
zen, ça je l'apprend, une dimension colossale. Quel intérêt ? quel intérêt ? si ça vous arrive pas c'est
que vous n'avez pas pris assez, quel intérêt ?

prodigieux d'intérêt c'est que à ce moment la chose est trouée, plus est grande plus elle est trouée ;
vous n'accéderez à la perception moléculaire que si qui vous atteignez au "trou" dans chaque chose.
Tiens l'image vidéo, facile de la trouer, l'image vidéo, tout ça ça fait une espèce d'ensemble, il faut
que la chose et vous saisissiez la chose comme Castaneda dit : "saisir les choses en fonction d'une
trame", la trame de chaque chose ; la chose est trouée quand vous avez stoppé le monde, la chose
a grandi, révèle ses trous et les analyses de Castaneda qui sont belles même littérairement, c'est la
perception de l'eau, perception moléculaire de l'eau, perception moléculaire de l'air, perception
moléculaire du mouvement , et chaque fois perception moléculaire ça veut dire avoir stoppé le
monde, obtenir cet agrandissement de l'image et saisir les trous dans l'image.

L' eau, elle n'est pas trouée comme l'air tant que vous ne savez pas comment une chose est trouée,
un visage n'est pas troué comme l'autre visage tant que vous ne savez pas comment la chose est
trouée. qu'est ce que c'est que ça ? Je dit, c'est exactement le thème des l'intervalles de mouvement,

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saisir dans un mouvement les intervalles, dans un mouvement qui vous paraît continu à la
perception ordinaire ; eh ! bien, non ! saisir les intervalles ; c'est pas rien saisir les intervalles dans un
gallop d'un cheval ; quel sagesse ! c'est seulement si vous avez su stopper le monde que vous
saisirez les trous dans le monde et encore une fois chaque chose a sa manière d'être trouée, il n y a
pas deux choses qui sont trouées de la même manière ; bon, c'est l'intervalle ça, et par là vous
obtenez typiquement un monde clignotant , ça clignote de part tout sur des rythmes différents, c'est
la vibration de la matière.

Et troisièmement, troisièmement, par ces trous vous faites passer, ça c'est l'opération la plus
mystérieuse, à la rigueur on comprend les deux premières, la troisième, il faut un peu de magie quoi
!, c'est ou alors il faut être arrivé au stade zen ou alors il faut être dans un état que tout le monde
redoute.

Dernière étape, par ces trous, vous allez faire passer les lignes de forces, lignes de forces qui sont
parfois des lignes de lumières et qui strassent dans cet univers stoppé et sur ces lignes de force vont
se produire les mouvements accelerés, c'est le fameux montage hyper rapide du cinéma structurel.
Tout s'enchaîne, je veux dire ces trois aspects là et c'est sur ces lignes de force qui passent par les
trous des choses que l'initié dans Castaneda voit le sorcier danser, c'est à dire faire des bonds, faire
des bonds à une vitesse qui dépasse toute vitesse concevable, c'est à dire sauter du haut de la
montagne à un arbre et puis sauter de l'arbre, à la montagne etc. etc.. une sorte de prodigieux..

...(aboiement d'un chien ),ah !ah !, je le reconnaîs celui là , je le reconnaîs ah ! ah ! qui excite le chien
? qui a fait du mal à ce chien ?

Eh ben vous voyez c'est, vous voyez, bon ces trois aspects, on peut les présenter dans trois
étapes de l'expérience zen ou l'expérience hallucinogène et trois étapes aussi de cette image
photogramme de ce couple photogramme/ intervalle tel de ..qui constitue l'élément génétique de la
perception et nous donne au même temps une autre perception, une perception dite non humaine.

Alors, bon, je dis : j'en est presque fini de cette histoire de l'image-perception, et je dit juste est ce
que ça veut dire je rappelle mon avertissement ?, là je vous supplie vraiment de me prendre au
sérieux, est ce que ça veut dire que ce cinéma structurel qui est en avance sur les autres formes,
qu'on a vu précédemment, dans cette longue analyse de l'image-perception ? encore une fois non ;
même je dirai ce qu'on appelle le cinéma structurel une forme d'avant garde, je dirais bien et je l'ai
déjà dit dix fois le propre de l'avant garde c'est sans doute il faut que ça existe, il faut le faire, il faut le
faire, ben oui, il faut que des gens qui se dévouent, c'est évident , mais qui est plus créateur ?, je
veux dire le propre de l'avant garde c'est d'être sans issue, c'est d'être sans issue, c'est à dire de
recevoir ses issues d'autres choses, ça veut dire que tout ça, ça ne vaut toute cette conquête d'une
perception moléculaire et d'une hein !, et d'un élément génétique, Il me semble que ça ne vaut que
pour au tant que c'est réinjecté dans soit : dans un cinéma à histoires et narrations, soit même et les
frontières tellement floues qu' il n y a pas tellement lieu d'attacher beaucoup d'importance à ces
catégories soit en tout cas dans l'image-mouvement et que si vous le réinjecter pas, si vous n'avez
pas le génie pour opérer la ré injection, c'est du cinéma expérimental se stériliser sur lui même, au
point qu'il faudrait dire : qui est le plus fort qui est le plus génial, qui est le plus ?....celui qui se lance
dans la voie expérimentale ou celui qui réinjecte les données expérimentales dans
l'image-mouvement ?

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Et là je prends deux exem, trois exemples, bon, « Antonioni » , « Antonioni », qu'est ce qui ce passe
dans ce cinéma où il est bien connu où c'est même des fort moments affectifs, beaucoup plus que
les mouvements, compte ce que Antonioni lui même présente comme son problème, les intervalles
entre mouvements.

Deuxième exemple, qu'est ce qui ce passe lorsque, c'est un exemple que l'on m'a donné la
dernière fois, parce que je n'ai pas vu ce film, qu'est ce qui ce passe lorsque « Bergman » éprouve le
besoin de brûler un photogramme et de re filmer, de faire brûler un photogramme de visage dans
"personna" ?

Troisième exemple, qu'est ce qui ce passe dans la fameuse promenade à vélo de « Sauve qui
peut" de"Godard » .

Bon, je donne trois exemples : qui est créateur ? des expérimentaux, qui sont de grands cinéastes
au besoin, ou les autres grands cinéastes qui réinjectent, je veux dire où est le maximum d'invention
?. Il n y a aucun lieu de distribuer là, mais il ne faut pas dire simplement l'un vient après l'autre, les
uns utilisent ce que les autres ont troués. C'est pas ça, il y a une espèce de direction, il y a comme
des lignes différenciées dans la création et dans l'invention où je dirais un intervalle d'Antonioni c'est
évidemment aussi important qu'un intervalle expérimental de « Landow », de la même manière, le
photogramme qui brûle chez « Bergman » c'est aussi important que "bardo folie's". Bon, c'est chacun
de nous, voilà.

Si bien que, compte tenu de ceci, et là parce que je suis fidèle, j'ai beaucoup de soucis que vous
sentiez exactement à quel point on en est : avant de, je résume simplement ce que j'estime être nos
acquis, après tout, on en fait pas tellement d'acquis, donc, ce que j'estime être nos acquis
correspondant à cette nouvelle partie qui vient de se terminer, à savoir l'image-perception comme
étant un des cas de l'image-mouvement, vous vous rappelez, en effet que l'image mouvement avait
trois cas, d'après notre analyse :

l'image-perception,
l'image-action,
l'image-affection.

Je viens de terminer l'analyse du premier cas, l'image-perception. Je voudrais résumer nos acquis
sous forme de neuf remarques.

L'image perception c'est donc le premier type de l'image-mouvement dans les conditions que nous
avons vu précédemment.

Première remarque : ce qui nous a permis d'organiser une analyse, ce n'était pas nécessaire
mais ça c'est trouvé comme cela pour nous, ce qui nous a permis d'organiser une analyse de
l'image- perception, c'est la distinction de deux pôles de la perception, l'un nous l'appelions, par
convention objectif, nous avions des raisons de l'appeler "objectif" et c'était le régime de l'universelle
variation, l'universelle interaction des images c'est à dire : toutes les images varient à la fois pour
elles mêmes et les unes par rapport au autres. Dés lors, pour moi, on supprimait le faux problème

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ridicule de : "une perception objective devrait se priver du montage ! pas du tout, pas du tout, si on
comprend ce que veut dire objectif, c'est à dire : le lieu de l'universelle variation, l'universelle
interaction, c'est évidentça. D' autre part nous appelions pôle subjectif lavariation de toutes les
images par rapportàuneimageprivilégiée,soit celle de mon corps, soit celle du corps d'un personnage
eh, voilà. C'était notre point de départ, c'était notre première remarque.

Deuxième remarque : l'idée ainsi définie, l'objectif, subjectif, on ne cesse pas de passer d'un pôle
à l'une à l'autre. Nous avons vu, en un
sensnouscroisionslà,essayevraimentderésumerlesacquis,enunsensàce niveau, nous croisions le
problème champs contre champs.

Troisième remarque on pourrait poser le principe suivant : que plus le centre de référence
subjectif , puisque l'image subjective c'est l'image rapportée à un centre de référence, c'est les
images qui varient par rapport à un centre, plus le centre de référence subjective sera lui même
mobile, plus en passera du pôle subjectif au pôle objectif.

Exemple, les images merveilleuses là de variétés de « Dupond » où le centre référence subjectif est
un acrobate en mouvement et où la vision de l'enfant du cirque, du point de vue d'un tel centre de
référence dynamique en mouvement, passe déjà d'un régime de l'universel variation, c'est à dire un
pôle objectif.

Quatrième remarque : dans ces passages perpétuels, du pôle objectif au subjectif et du subjectif
à l'objectif, c'est comme s'il mettait une forme spécifique de l'image-perception au cinéma. Cette
forme spécifique de l'image au cinéma c'est la mi-subjective tel que l'a baptise « Jean Mitry » ou la
demi, la semi subjective, l'image semi subjective ainsi nommée par « Mitry », et en effet, le statut de
la mi-subjective ; nous convie à dégager une espèce de nature de la caméra définie comme : « être
avec ». L'être avec de la caméra, cet être avec qui consiste en quoi ? qui s'effectue par exemple
dans le travelling d'un circuit fermé lorsque la caméra ne se contente plus d'être avec, de suivre un
personnage mais de se déplacer parmi les personnages.

Cinquième remarque : si l'on essaye de donner un véritable statut, un statut conceptuel, à cette
mi-subjective, mais il faudra bondir sur une occasion qui est au même temps, il me semble, une des
tentatives théoriques exceptionnelles dans l'effort pour penser le cinéma, à savoir la tentative de «
Pasolini », tentative théorique exceptionnelle dans la mesure où elle culmine avec un concept, je
vais essayé d'analyser le plus près que je pouvais, cette fois-ci, "la subjective indirecte libre". L'image
subjective indirecte libre, qui renvoie à des procédés techniques précis, qui alors ne sont plus la
caméra qui se déplace parmi les personnages, les procédés techniques que « Pasolini » définit
comme le zoom - on a pas encore parlé parce que ça je veux le garder pour plus tard - mais ça fait
rien, le dédoublement de la perception et le plan immobile ou cadrage obsédant. Et qui selon, «
Pasolini » définit bien une direction du cinéma, par exemple du cinéma italien pas seulement mais du
cinéma italien après le néoréalisme et qui aurait ses exemples privilégiés chez « Antonioni », chez «
Bertolucci », et chez « Pasolini » lui même.

Sixième remarque : à ce stade de l'analyse là où « Pasolini » nous porte, si vous voulez, avec
cette nouvelle notion, surgit quelque chose de décisif déjà pour .., à savoir que l'image moyenne
mouvement du cinéma, dans laquelle nous nous étions installés depuis le début, l'image moyenne

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mouvement tend à se différencier d'après deux directions :

Première direction, la perception subjective à des personnages en mouvement, perception


subjective des personnages en mouvement qui sortent et entrent du cadre immobile.
Deuxième direction, conscience de soi objective du cinéma par lui même. Sous la forme du cadre
obsédant.

Le danger s'il y avait un danger théorique, c'est que cette conscience de soi du cinéma, se présente
encore, si vous voulez - d'un point de vue théorique je parle pas d'un progrès pratique - se présente
encore comme une conscience idéaliste ou comme une conscience esthétique pure.

Septième remarque, la conscience fixe du cinéma par lui même, doit être celle du pôle objectif,
c'est à dire, celle de l'universelle variation, ou de l'universelle interaction, c'est à dire, -si vous voulez
c'est tout simple par rapport à la précédente remarque, elle ne doit pas être elle même simplement,
une composante de la perception - elle doit être elle même un objet de perception, c'est en ce sens
que nous avions trouvé, dans une certaine direction du cinéma, la coexistence de deux objets de
perception, si l'on peut dire : l'objet liquide comme à la fois objectif et véridique, l'objet solide comme
subjectif et partiel, et dans cette coexistence de deux régimes de la perception, perception liquide, et
perception solide, déjà commençait à naitre ce qui nous occupait, ce qui commençait à nous
occuper, c'est à dire la possibilité d'une perception moléculaire, à ce moment là, la conscience
cinéma, la lettre idéalement, la conscience cinéma, c'était "l'eau qui coule", et il nous avait semblé
que ça définissait toute un école française entre les deux guerres, c'est dire a quel point je ne
progresse pas d'après l'histoire.

Huitième point de remarque, un pas de plus , il fallait que les deux pôles dont nous étions partis,
ne soient plus simplement deux objets polaires de la perception comme l'objet liquide et l'objet
solide, il fallait que ça soit comme deux formes de perception, bien plus, deux formes dont l'une
jouerait le rôle d'élément génétique par rapport à l'autre, c'est à dire que l'une joue le rôle, vraiment,
de "micro-perception" , de perception moléculaire, et ça il nous a semblé que c'était la direction qui
était ébauchée par « Vertov », qui était reprise par le cinéma structurel, et ou cette fois
l'image-mouvement se trouve dépasser vers le couple photogramme/intervalle.

Neuvième et dernière remarque, et voilà que, une fois de plus nous ne pouvons pas nous
empêcher lorsque nous résumons nos acquis de faire comme s'il y avait là une espèce de
progression, il va de soit que là encore il n'y a aucune progression et que les grands arts créateurs
se font au besoin, si vous prenez mes huit niveaux, se font lorsque, un niveau plus évolué est
réinjecté dans un niveau précédent, si bien que ce qui compte c'est l'ensemble du schéma, sans
qu'une direction vaille mieux que l'autre, et que l'ensemble du schéma consiste à nous dire quoi ?
que l'image-perception est parcourue par une espèce d'histoire, euh, c'est pas l'Histoire !, par une
espèce d'histoire qui la pousse à mettre en question la notion d'image-mouvement.

L'image-perception commence par être un type, du point de vue de notre analyse, l'image-perception
commence par être un type d'image-mouvement. mais elle ne se développe et elle ne développe ses
pôles, qu'en tendant à dépasser l'image-mouvement vers autre chose , vers un autre type d'image,
et cela de deux façons, c'est notre dernière remarque :

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Première façon : ce n'est plus le mouvement qui est un intervalle entre des positions dans
l'espace, c'est maintenant au contraire, l'intervalle entre mouvements qui va nous élever à une
réalité.

Deuxième acquis : ce n'est plus le mouvement cinématographique qui est plus au moins illusoire
par rapport au mouvement réel, mais c'est le mouvement réel et sa transcription cinématographique
qui sont illusoires par rapport à un réel-cinéma, que d'actifs ! que de gains !. Qu'est ce qui nous reste
? vous voyez ce qui nous reste, c'est simple, il va falloir faire la même chose à condition que ça ne
soit pas décalqué ! le rêve ce serait arriver à image-affection et image-action, et si on arrive à faire
ça, on aura épuiser l'image-mouvement. Bien plus, on ne l'aura pas épuisé, c'est elle qui nous aura
conduit à un autre type d'images, car les autres types d'images que l' image-mouvement il y en a dix,
il y en a cent, il y en a tant et tant, si bien qu'on en a jusqu'à la fin de notre vie quoi ! parfait, de la
mienne peut être, peut être, et pas tant que parfait ! voilà, alors, nous allons bientôt commencer un
nouveau type d'image, après un très court petit repos, de vous, mais je voudrais si Richard Pinhas »
se sent ..mais si tu te sens entrain pour lire ce que je..., mais si tu te sens pas en train... et bah ! tant
pis ! tu te lèves hein ! si tu veux bien parce que on entend très mal, ou alors, tu viens là, comme tu
l'entends.

L'intervention de « Richard Pinhas » n'est pas audible. " je prends un exemple trés simple..quatre
paramètres...produire le timbre à partir du moment ou on va calquer.. ; variations possibles de
l'intensité et de la durée paramètres beaucoup plus fins : la lumière , la profondeur

Deleuze : D'ailleurs en musique je pense, tout d'un coup que le premier à avoir invoqué une espèce
d'état gazeux, ou du moins un état chimique c'est « Vareze », c'est « Vareze » qui est tellement à la,
à l'origine de...

puis l'intervention de Richard Pinhas qui est toujours d'une qualité médiocre.

Deleuze : Il manque absolument des instruments techniques qu'il faut pour sa musique,

C'est ça, c'est ça ! Indépendamment c'est grotesque toutes ces rapprochements, mais c'est parce
que je ne peux pas m' en empêcher tout en pensant que c'est grotesque , et il me semble un peu la
même situation que celle de « Vertov » au cinéma, c'est avoir l' idée de.. et pourtant c'est pas des
œuvres, on peut pas dire que « Vareze », son œuvre manque de quelque chose ! et prouve en effet,
qu'une certaine manière, il fait quelque chose , qui ne pourrait être entendue que lorsqu'on disposera
d'instruments du type synthétiseurs qui n'existe pas encore au moment où il le fait et à la lettre je
crois qu'il a plus de cas, il y a beaucoup de cas comme ça je crois qu'il y a beaucoup de cas comme
ça ! euh. ! je crois qu'on pouvait aimer, admirer « Vareze » de son vivant de.. est ce qu'on pouvait
l'entendre pleinement ? sûrement ! il y a des gens qui l'ont entendu pleinement, qui l'ont compris très,
très vite ! Mais pour nous, ça me paraît évident que pour la moyenne des auditeurs, on peut
comprendre, ou entendre, vraiment entendre « Vareze » que une fois le synthétiseur existe. C'est
très, très curieux ça ! tu veux pas.. ça t'embête de euh...d'essayer de dire en très peu si ça peut se
dire assez clairement, le procédé, parce que ça permettrait, ça aiderait peut être, tout le monde ! le
procédé des boucles et des superpositions de « Fripe ».

(intervention de Richard Pinhas)

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J'ai entendu ah ! personne ici n'a entendu « Fripe » quand il est venu à Paris, ça fait très, très.., a
mon avis c'était très, très beau !

(intervention de : R. P)

Deleuze Formé, c'est bien pensé finalement, nous avons notre thème, former des trames, finalement
le procédés de la boucle c'est la formation de trames, former des trames adéquates et qui varient
d'après chaque paire ou chaque chose .

(intervention de : R.P)

Oui c'est l'aspect conscient qu'on se fixe ! c'est l'aspect "stopper le monde" ça !

(intervention de : R.P.)

Oui, oui, c'est lumineux tout ça, eh bien voilà vous êtes reposés ? oui, alors on continue, donc on
engage une nouvelle partie, vous ne voulez pas vous reposez vous ? hein, autant en finir hein, vous
fumez trop, il faut arrêter hein, ...on ne se voie plus, les yeux piquent... on va attraper le rhume, bon
ça y est ? Eh bien maintenant, et la prochaine fois nous allons être occupés, vous voulez pas fermer
la porte ? parce que ça m'angoisse les portes ouvertes. Nous allons être occupés maintenant par la
seconde espèce d'image : l'image-affection. Et voilà, j'ai envie tout de suite de dire comme ça une
espèce de formule qui pourrait nous servir de repère, bien qu'à la lettre on ne puisse pas du tout
comprendre où elle va nous mener, ce que j'ai envie de dire c'est - le fait que j'en ai envie ça doit être
signe de quelque chose alors que pour l'image-perception, il nous a fallut très longtemps pour avoir
une formule qui dessinait les choses - là j'ai envie tout de suite une espèce de formule, on l'a tout de
suite, elle est très simple, c'est tout simple, on a l'impression que le secret, moi j'ai l'impression que
le secret il est là, à savoir l'image- affection c'est le gros plan et le gros plan c'est le visage, un point
voilà, et puis salut.

L'image-affection c'est le gros plan, et le gros plan c'est le visage, alors je me répète ça, je me répète
ça, évidemment il y a tout de suite, toute sortes de problèmes. La formule elle me paraît pleinement
satisfaisante pour moi, j'ai presque envie de ne rien dire d'autre et puis on sent bien qu'il y a toute
sorte de choses à savoir qu'il y a des objections possibles, elles sont tellement évidentes que bon,
mais justement, toute les objections possibles, j'ai l'impression, pour moi, que la formule elle tient
comme même avec toute les objections ; alors ça fait mystère et puis du coup cette formule qui
paraît si simple, on s'aperçoit aussi qu'elle doit être plus compliquée, je dit d'abord toutes sortes
d'objections :

objection immédiate, eh ! ben quoi, qu'est ce que ça veut dire tout ça, déjà il y a toutes sortes de
gros plan qu'ils n'ont pas de visage, bon d'accord, il y a toutes sortes de gros plan mais aussi qu'est
ce que ça veut dire le gros plan, c'est le visage. Ça implique que je ne voudrais par la formule qu'elle
me donnerait pas le même contentement si je disais un gros plan de visage, c'est pas le gros plan
qui est gros plan de visage, c'est le gros plan qui est visage.

Ah ! bon, alors la formule peut être qu'elle est fausse, mais ce n'est pas ça mais je veux juste dire

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que sa simplicité est fausse, elle, elle risque de nous entraîner dans des voies qui ne vont pas, qui
vont moins de soi qu'elle en a l'air. bon, car notre problème c'est quoi ? ce qui nous remontait dans
l'image-perception dans notre analyse précédente de l'image-perception, c'est que on était arrivé à
un critère pour mener cette analyse, le critère pour mener l'analyse nous l'avons eu des que nous
avons pu distinguer deux pôles de l'image-perception.

Quitte à ce que notre analyse nous fasse prendre ces pôles dans des sens progressifs qui variaient
d'après une progression ; évidemment, comprenez les conditions du problème : pas question de dire
"eh ! ben, dans l'image-affection il y a deux pôles, un pôle objectif et un pôle subjectif", si ça valait
pour l'image-perception ça ne vaut pas pour l'autre. Il va nous falloir une toute autre ligne directrice
d'analyse, or, cette ligne directrice, moi j'en reviens à ça je suis tellement content, je me répète :
l'image c'est pas qu'elle soit une bonne formule mais je sens que en elle qu'elle est en vrai non plus,
mais je sens en elle réside une vérité. "L'image-affection c'est le gros plan, et le gros plan c'est le
visage" . Eh ! bien, un petit texte de « Eisenstein », qui a été traduit, un très petit texte qui a été
traduit dans les Cahiers du Cinéma dit quelque chose qui est très intrigant, très intéressant il me
semble, il dit : prenons les trois grands types de plans
plan d'ensemble,
plan moyen,
gros plan.

Il faut bien voir que ce n'est pas simplement trois sortes d'images, dans un film, mais c'est trois
manières dont il faut considérer n'importe quel film, trois manières coexistantes dont il faut
considérer n'importe quel film, -et il dit le plan d'ensemble, il y a une manière dans, quelque soit le
film que vous voyez, propose « Eisenstein », comme manière de voir les films - il faut que vous le
voyez comme s'il a été fait uniquement de plan d'ensemble et puis au même temps il faut que vous
le voyez comme s'il a été fait uniquement de plan moyen, et puis il faut que vous le voyez comme si
il a été fait uniquement de gros plans , il dit c'est forcé parce que, le plan d'ensemble c'est ce qui
renvoie au Tout du film, et quand vous voyez un film vous devez être sensible au Tout, et puis le
plan moyen c'est ce qui renvoie à quelque chose comme l'action ou l'intrigue ou l'histoire et quand
vous voyez un film il faut que vous soyez sensible à l'action, et le gros plan c'est le détail et quand
vous voyez un film il faut que vous soyez sensible au détail. Bon nous, on dirait un peu autre chose
mais ça revient au même. On dirait, eh ben oui !
le plan d'ensemble c'est l'image-perception,
le plan moyen c'est l'image-action,
le gros plan c'est l'image-affection. Et quand vous voyez un film il faut que vous le voyez comme
simultanément fait exclusivement....

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Deleuze
-- Menu - La peinture et la question des concepts - Mars à Juin 1981 - cours 14 à 21 - (18 heures) --

La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

- 2/06/81 - 2
Marielle Burkhalter

- 2/06/81 - 2 Page 1/12


21 B Cours du 02/06/81 - 2 transcription : Emray Ilaf

Une autre formule. C'est quoi ? La formule Caravage c'est quoi ? Encore une fois je dirai que la
formule Caravage c'est foncé, saturé ou lavé. Foncé, à la fois saturé et lavé, tantôt foncé, saturé d'un
certain point de vue et lavé d'un autre point de vue. C'est donc un régime que j'appellerai d'après
notre terminologie un régime profond et rabattu, par opposition au régime pâle de la Renaissance.

Le régime Rubens là : fond coloré clair sur lequel vous posez les couleurs, c'est l'autre aspect du
luminisme. Cette fois-ci la lumière ne s'arrache pas au fond obscur ou ne vient pas fouiller un fond
obscur, la lumière est à l'arrière plan et c'est un truc formidable. Y a pas de lumière d'arrière plan, ni
dans la tendance Caravage. Il y a pas un fond, la lumière est toujours localisée et ou bien s'arrache
du fond sombre, ou bien fouille le fond sombre comme dans la vocation de Saint-Mathieu. Mais une
lumière illocalisée qui baigne l'arrière plan et l'avant plan est en contraire obscur : ça c'est la vraie
formule du classique. Inutile de dire que par exemple chez Vermeer vous avez ça très fréquemment,
l'arrière plan clair et l'ombre de l'avant plan.

C'est une formule extraordinaire, mais vous l'avez aussi chez un peintre qui est trés différent vous
l'avez chez Rubens qui est très différent.

Quel régime c'est ? C'est déjà un régime clair vif, non pardon un régime clair saturé c'est-à-dire un
régime vif. Tout ce que je veux dire avant qu'on prenne une récréation : je conclue : vous voyez qu'il
y a des régimes de couleurs qui renvoient aux espaces qu'on a précédemment étudiés, et
notamment j'ai repris deux espaces :
l'espace tactile optique de le Renaissance avec modulation par la ligne, modulation par la ligne
collective ça entraîne ou ça a pour corrélat un régime pâle de la couleur. Mais la couleur suppose cet
espace et cette modulation.

Au XVIIème siècle : espace optique, modulation de la lumière ou par la lumière, là encore vous
avez un régime de la couleur, mais vous avez plusieurs régimes de la couleur : soit le régime type
Caravage, soit le régime type Rubens. Si différents qu'ils soient, ils servent le luminisme.

Ce sont bien des régimes consistant de la couleur mais au service d'un espace optique et d'une
modulation de la lumière.

Qu'est ce qu'on veut dire qu'on dit que c'est le XIX siècle qui dans la peinture occidentale est
vraiment l'avènement du collorisme ? Ce qu'on veut dire, à mon avis c'est trés simple ce n'est pas

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que les autres aient jamais manqué de tous les problèmes de la couleur, ils les avaient.
Pourquoi au XIXème siècle le problème de la couleur se pose d'une nouvelle manière ? Parce
que le régime de la couleur est en train de changer, en fonction des critères qu'on a vu, en rapport
avec les critères précédents. Et en même temps Il ne fait pas que changer la couleur, il se trouve
que les peintres à ce moment là sans doute ont besoin ce dont les autres n'avaient pas besoin.
C'est-à-dire que les couleurs ne soient pas seulement un régime qu'on invente et réinvente, ce qui
implique déjà un collorisme magistral. Mais qu'en plus ce soit la couleur qui détermine un nouveau
type d'espace, qui n'est plus ni l'espace tactile- optique, ni l'espace optique de la lumière. Mais qui
est vraiment un espace propre à la couleur. Et une modulation propre à la couleur. Si bien que je
précise : toutes les histoires de couleur là, les couleurs complémentaires, les oppositions diamétrales
entre complémentaires, on a parfois l'impression, on se dit : bon qu'est-ce ça veut dire tout ça ?

Auparavant ça avait une grande importance, aujourd'hui ça n'en a plus guère. Au XIXème la loi dite
du contraste simultané c'est-à-dire le rapport des complémentaires et l'opposition diamétrale entre
couleurs complémentaires c'est vraiment la donnée royale de la couleur. Aujourd'hui, encore une fois
j'ai l'impression que les peintres ce n'est pas leur problème. Ca culmine finalement avec Seurat. Je
ne veux pas dire que Seurat ce soit dépassé mais que même quand les peintres empruntent quelque
chose à Seurat, ils négligent tout à fait ce problème qui est tellement présent chez Seurat, du
contraste. Ce n'est plus leur problème, et c'est la même chose en philosophie, en musique, et on ne
peut pas dire que les œuvres qui ont répondu à tel problème soient le moins du monde dépassées
mais ça explique pourquoi on les regarde d'un nouvel œil. IL y a un décentrage qui se fait, quelque
chose qui était tellement important pour un peintre a cessé de l'être pour nous du point de vue de la
pratique si bien que notre observation du tableau va valoriser des choses qui étaient en sourdine.
C'est toute une histoire à l'intérieur du tableau. Les peintres ne s'occupent pas de ça, ils ont
découvert des choses encore plus complexes du point de vue de la couleur que forcément ils ne
contentent pas de cette loi supérieure.

Et avant ? les rapports entre complémentaires on les connaissait : c'est déjà dans Vinci, c'est déjà
dans la Renaissance. Ils savent ça pratiquement, ils savent ça d'une certaine manière optiquement.
Au XVIIème siècle vous avez chez Rembrandt tous les jeux des complémentaires que vous voulez.
Lorque que Rembrandt fait le fond sombre que vous trouvez trés souvent chez Rembrandt, où la
lumière s'arrache, vous avez un rouge vif d'avant plan et puis vous avez la résonnance en sourdine
dans l'arrière plan, dans le fond sombre un vert, un verdâtre. C'est déjà extrémement savant cette
raisonnance là du rouge vif et du verdâtre du fond et je pense à un tableau précis qui est "le bain de
Suzanne". Tout ça ils le savent. Qu'est ce qui nous fait dire : ah ! ça éclate au 17ème ! C'est que ils
le savent pas mais d'une certaine manière au 17ème, ils n'en ont pas tellement usage, ils le savent
sur le mode d'un "ca va de soi" . ça va de soi puisque les rapports entre complémentaires peuvent se
déployer au XVIIème siècle mais à partir d'un traitement du fond qui est d'une tout autre nature, par
exemple : le traitement Caravage. Au contraire ces mêmes problèmes de complémentaires font
devenir fondamentales si le traitement du fond fait qu'elles passent au premier plan.

Pour le luminisme du XVIIème c'est le cas.

Le collorisme du XIXème, Xavier de L'anglais dit ça peut aller que de pire en pire ils savent très bien
peindre mais ils ne savent plus préparer ; ils vont plus vite, le travail de la vitesse. Préparer c'est
l'histoire du support. Y en a qui ne préparent plus du tout. On ne pouvait pas aller en extérieur avant

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la couleur en tube. Avant y avait la couleur préparée en pot, pour chaque teinte trois pot, teinte vive,
sombre, clair. Et puis avait de la couleur en pâte et pour mettre les accents. Succession dans le
travail. Préparation du fond épais, travail en pleine pate couleur en pot distribution lumière et enfin
mettre accents. Caractéristique des techniques du XIXème : le travail du support est moins
important. Yen a qui travaille directement sur la toile. Couleur sur couleur. Chez Signac il n'y a pas
de fond. Manet utilise le plâtre cru, pas travaillé. Ce qui a en effet un caractère très curieux c'est que
a ce moment là c'est un plâtre très absorbant. En d'autre termes, ça revient au même du point de vu
rapide.

L'avènement du collorisme au 19ieme, il me semble, c'est que ce sont des peintres qui vont travailler
couleur sur couleur. Ils ne passent plus par la médiation d'une matrice blanche, ni par d'une matrice
extérieur blanche, ni par une médiation d'une matrice intérieur des couleurs d'une matrice sombre.
Pour ça c'est formidable, ça veut dire que la couleur arrive à l'existence pour elle-même. Elle arrive à
l'existence pour elle-même à une condition, c'est que ces peintres soient capables de constituer un
espace colloristique et une modulation propre a la couleur. Un espace colloristique qu'est ce que ça
veut dire ? Ca veut dire que ça ne passera plus par la lumière, la lumière dérivera de la couleur, la
ligne dérivera de la couleur, etc....

Donc là tout est de plus en plus reculé, ont peut faire une échelle des temps qui recule de plus en
plus. Vous avez les trois temps calme de la Renaissance : fond blanc, ébauche, position des
couleurs en fond. Vous avez au 17ieme siècle et déjà avec Le Titien une précipitation : fond qui
devient épais donc qui tend à se colorer. Travaillant pleine pâte, l'ébauche est courcircuité. Et enfin
triomphe de la couleur avec les accents du Titien.

Au 17ime siècle vous avez donc cette espèce de recul dans le temps où les choses se précipitent.
Au 19ieme, si j'essayai de tout résumer ce problème du collorisme au 19ieme, et bien la couleur
c'est les accents, y a plus que les accents. On va faire tout un monde avec ce qui pour les autres
était les derniers accents. La hachure Delacroix où il présente encore le fond Caravage. Mais tout
est contracté directement sur ce fond il va faire ses hachures qui arrachent la couleur au fond. Et
puis la virgule impressionniste, l accent impressionniste où il est un peu comme on dit dans une
musique : c'est les accents qui comptent. Il découvre que dans la couleur c'est les accents qui
comptent. Dès lors ce n'est pas par hasard que c'est la petite virgule, que l'unité devient l'unité de cet
espace, devient ou la hachure de Delacroix, ou la virgule impressionniste, ou le petit point de Seurat.

Alors la question de L'anglais, elle est juste mais quand même, il dit qu'il y a qu'un type qui s'en sort
de tout ça, c'est-à-dire chez qui ça ne craquelle pas c'est Seurat. C'est-à-dire son traitement du fond,
sont utilisation, son petit point, etcetera, fait que ça ne craque pas, ça tien bon. Vous voyez c'est
toujours cette réclamation de la durée. Le mot de Cézanne « je veux donner de la durée à l
impressionnisme », l'impression d'une peinture qui dure ou qui ne dure pas. Très important ça pour
un peintre. C'est une espèce de question de temps on verra pourquoi le temps s'introduit la. Une
peinture qui mord sur le temps. Si ça craquèle en effet, L'anglais n'a tout à fait tord, si ça craquèle au
bout de 20ans c'est embêtant quand même on ne sait pas bien encore comment se tiendront les
couleurs, les couleurs pétroles acryliques, etc...On ne sait pas. Faut attendre mais c'est bien inscrit
dans le tableau pour qu'on ne puisse pas dire d'avance. C'est bien inscrit dans le tableau : est-ce
que ça dur, le poids, le temps etc... Y a une manière du tableau d'être au temps, d'être dans le

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temps, d'avoir un poids le temps... Alors l'idée de Cézanne de faire de l impressionnisme quelque
chose de durable et de solide ça concernait des problèmes techniques. Tout comme tout les
problèmes de restauration, alors il est épatant L' anglais dit qu'il y a que quelques beaux Delacroix
c'est ceux qui ont été restauré par quelqu'un d autre que Delacroix, alors là c'est pas mal dit parce
que c'était des ouvriers qui savaient y faire.

Avec le 19ieme siècle c'est encore un nouveau régime de la couleur en effet : c'est un régime que j
appellerai, aussi, vif. Mais pourquoi est-ce qu'il ne se confond pas avec le régime vif du 17ieme ? Il
est complètement différent puisque le régime vif du 17ieme est implique précisément ce glacier sur
fond clair, tandis qu'eux ils procèdent avec une peinture d'axe. Y a plus de glacier, plus encore : y a
pas de fond.

Le fond tend à disparaître ou a être neutralisé. Alors accède vraiment la couleur peau elle-même qui
dès lors va déployer pour eux - même les rapports propres des couleurs. Avant tout les rapports
principaux, les rapports princiers des complémentaires, d'où la possibilité de la modulation de la
couleur. Et d'une modulation propre a la couleur alors qu'avant les régimes de la couleur étaient les
plus savants du monde, étaient aussi savant mais étaient au service encore une fois d'espace d'une
autre sorte et finalement au service d'espace incolore. Soit l'espace tactile optique soit l espace
optique de la lumière et dès lors au service d'une modulation qui se définissait autrement, soit
modulation de la ligne collective, soit modulation de la lumière. Tandis que là on accède à l'ouverture
d'un espace par la couleur, et de couleur, un espace propre a la couleur.

Espace dont l'unité sera les accents. A la limite que ce n'est plus ni l'ébauche ni même le travail en
pleine pâte, une peinture d'accent c'est autre chose encore. Et alors on se trouve devant ce
problème d'un régime de la couleur dans l'histoire occidentale, qui développe un espace qui ne peut
être défini en termes de couleur, et une modulation qui ne peut être défini qu'en termes de couleur.
Donc il ne nous reste que très peu de chose : c'est de voir en quoi consiste cette modulation.

Un élève : « Le problème ou la variation qui intervient de ce problème justement du fond et des


couleurs, de la lumière et des couleur ; la variation qui intervient dans la peinture américaine
contemporaine, en particulier chez le peintre Sam Francis : il y a le fond blanc et les couleurs
serrées, un peu comme chez Delacroix, des raies qui passent sur ce fond blanc, et la particularité,
contrairement à Goethe, le noir et le blanc sont les matrices du triangle chromatique seulement
connotent la lumière et l'ombre. C'est que tandis que chez Sam Francis la variation où le blanc n'est
pas du tout ni l'ombre ni la lumière. Le blanc est il dit : « la couleur de toute les couleurs, la couleur
primitive » et il appelait ça la couleur de l'éblouissement. Le peintre peint la naissance du regard du
peintre sur la toile. C'est-à-dire que par rapport au blanc comme couleur de l'éblouissement,
détournement, la lumière devient noire. Ou bien l'ombre passe dans la lumière, ou la lumière retient l
ombre. Et ça fait voler en éclat le triangle chromatique. La couleur, le blanc comme à la fois blanc et
noir. Et à ce moment là par rapport aux couleurs, les espèces de bandes comme ça chromatique
qu'il fait passé dans les tableaux, c'est tout a fait curieux ...Ce n'ai pas une couleur qui est en
quelques sorte posé sur un fond blanc, ni même s arracherai a un fond blanc : c'est des couleurs qui
surgissent a partir de la blancheur, éblouissement, détournement, .... Elles surgissent tout en ayant
l'air de disparaître : c'est la simultanéité. Dans le plan, c'est une sorte de simultanéité, ni présence, ni
absence, c est la simultanéité du surgissement. C'est la disparition par rapport à un événement,
l'événement de l'éblouissement qui peut être en même temps un événement pour le peintre. Donc la

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il y a une variation spectaculaire par rapport a la coupe idéale d'histoire de la peinture ou du régime
de couleur. »

Tu as très bien dit. C'est juste ce que je voulais dire alors je vais très vite pour vous indiquer les
directions et en finir. Les exigences de ce nouveau régime de couleur, régime encore une fois vif : à
savoir le déploiement d'un espace correspondant et d'une modulation correspondante.

A l'intérieur de l impressionisme forcement vous avez une peinture d'axe. Ce qui passe vraiment, ce
qui devient fondamentale c'est les rapports de couleur comme déterminant un nouvel espace.
Pourquoi c'est fondamental encore une fois les rapports de couleur. Ils ne jouaient pas à l'état pure,
je veux juste dire ils ne pouvaient pas jouer a l'état pure à cause de cette longue histoire du fond a
travers la Renaissance et le 17ieme siècle, tandis ce que là ils accèdent a un libre jeu : autant dire
que ce qui va atténuer une couleur ou ce qui va renforcer une couleur c'est une autre couleur. Ca
n'est plus du tout médiatisé par une matrice ou par un fond. De quelque manière qu'on conçoit la
matrice et le fond. Mais aussi bien à la renaissance qu'au 17ieme siècle il y a cette médiation par la
matrice ou par le fond. Il n'y a plus besoin même si le fond subsiste, le fond n'assure plus la fonction.

C'est les couleurs qui règlent leurs comptes les unes avec les autres et qui se déploient pour
elles-mêmes, constituant un espace. Donc c'est forcé que ça commence par une peinture à petite
unité. Ca me parait forcé que ça commence par une petite unité de type impressionniste parce
qu'encore une fois la petite unité picturale, la virgule ou le point, c'est exactement ce qui va
remplacer l'ébauche et ce qui va remplacer le travail en pleine pâte. Ca va être vraiment la
constitution ponctuelle de cette espace. Ponctuel non pas qu'il se passe de point en point mais plutôt
que l'espace est alors conçu comme un réseau, un type de relation de point.

Car les rapports de la couleur avec la couleur qui accèdent maintenant au premier plan ils sont
double et théoriquement on peut toujours dire ça s'arrange très bien, pratiquement si vous êtes
peintre vous êtes amené à privilégier l'un ou l'autre. Vous privilégiez nécessairement l'un ou l'autre
vous vous rappelez que les rapports fondamentaux couleur peuvent être rappelé soit sur le mode
des oppositions diamétrale, c'est le rapport des complémentaires. Par exemple rouge/vert qui définit
un diamètre sur le cercle. Donc rapport de couleur sous forme d'opposition diamétrale c'est le
rapport des complémentaires, c'est le contraste simultané ou bien rapport périphérique effectué par
les cordes d'une couleur a une autre en sautant l'intermédiaire ou même sans sauter l'intermédiaire.
Donc il y a des rapports périphériques de proche en proche et des rapports diamétraux d'opposition.
Les impressionnistes, soit avec leurs virgules, soit avec leur petit point, ils sont bien forcés, de toute
manière, ils se servent des deux C'est pour ça que dans tous les thèmes des impressionnistes, ils se
réfèrent à deux lois de la couleur :la loi des contrastes et la loi des analogues.

La loi des contrastes désignent les oppositions diamétrales entre complémentaires, la loi des
analogues désigne les cordes ou le cheminement périphérique sur le cercle chromatique. Donc loi
de contraste et loi d'analogie, par ,exemple chez Cézanne mais vous trouvez ça constamment chez
tout les impressionnistes, vous trouvez constamment les référence aux deux lois sacrées. Pourquoi
ils ne peuvent pas faire l'un sans l'autre et bien ils ne peuvent pas nier que par exemple les
complémentaires, même si vous procéder peripheriquement vous atteignez à des complémentaires
en faisant tout le cercle. Or les complémentaires sont des points singuliers sur le cercle périphérique

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que vous parcourez péripheriquement. Donc le cheminement périphérique passera bien par et
entrainera bien le jeu des complémentaire, le jeu des contraste.

Mais inversement, le contraste entre deux complémentaires. Le contraste justement ça implique


qu'on ne les juxtapose pas. Si vous superposez deux complémentaires vous avez de la grisaille.
L'opposition implique que les deux complémentaires, par exemple votre rouge et votre vert, tant
qu'on les traitait par grande unité picturale, par surface, soit bien distincte, sinon elle pourrait ne pas
s'opposer. Elles ne sont pas juxtaposé parce que y a un problème de dégradé l'une vers l'autre, sur
l'autre. Quand on opère comme l impressionnisme et on a vu pourquoi ils opéraient comme ça avec
de petite unité colorante. Quand c'est de petites unité colorante et non plus des temps, vous
procéder par exemple par petit point ou virgule, à la rigueur vous pouvez juxtaposer, presque
juxtaposer deux taches, une rouge une verte. Vous ne pouvez pas juxtaposer deux points puisque la
juxtaposition de petite unité : c'est précisément la définition du mélange optique par distinction avec
le mélange chimique. C'est à dire c'est l œil qui fait le mélange. Si vous juxtaposez des petits points
rouges et des petits points verts, l'œil fait en mélange optique il fait une grisaille. Donc vous avez une
nécessité si vous marqué un petit point rouge et un petit point vert, il doit être a une certaine distance
pour que vous opériez une dégradation du rouge sur le vert et la dégradation du vert sur le rouge.
Cette dégradation elle peut se faire en clair/foncé mais elle peut se faire évidement en couleur. Il y a
une dégradation tonale dans l'ordre du spectre non moins qu'une dégradation en clair/foncé.

Donc je dis que si vous privilégiez les contrastes, les oppositions diamétrales, vous êtes quand
même forcement amené à introduire des cheminements périphérique de la couleur. Si vous
privilégiez des cheminements périphériques vous êtes forcement quand même amenez à rencontrer
les grand contrastes, les oppositions diamétrales. C'est ça qui va définir l'espace coloriste... vous
avez un choix pratique très curieux. Vous avez des peintres pour qui vraiment tout est organisé en
fonction des oppositions diamétrales. Chez les impressionnistes et encore dans le
néo-impressionnisme Seurat ne cesse pas de le dire : ce qui compte finalement c'est les rapports de
complémentaires. C'est les rapports de complémentaires et le cheminement périphérique
n'interviendra que pour dégrader une complémentaire sur l'autre. Et ça c'est en effet la méthode du
pointillisme.

Vous avez les autres qui finalement ont une grosse préférence pour l'analogie, pour le cheminement
périphérique, c'est-à-dire pour les rapports de proche en proche à la périphérie du cercle. Les
proches ont pourtant des discontinuités variables suivant les cordes que vous choisissez et ça me
parait très intéressant.

Je vois vraiment un extrême c'est Pissarro, Pissarro lui vraiment c'est un peintre, je ne dit pas du tout
qu'il n y a pas de contraste, qu'il n y a pas de complémentaire chez lui, je dis ce n'est pas ça ne
l'intéresse pas. Ce qui l'intéresse lui c'est de faire de son monde la couleur de proche en proche, en
d'autre termes ce qui l'intéresse c'est pas l opposition, c'est les passages. Ce n'est pas les
oppositions de ton, c'est les passages de ton en ton.

Alors c'est très curieux alors là on peut se trouver dans des impasses on trouve d'autre choses....
Pissarro qui est le plus bienveillant des peintres, il est vieux, il a appris plein de choses aux autres, il
a une position très respecté dans le groupe. Le vieux Pissarro. Il est très digne, épatant. Il admire
beaucoup ce que font... c'est tellement rare dans la nature humaine que des types vieux admirent ce

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que font les plus jeunes qu'il faut saluer ce cas. Pissarro il est épaté par Seurat Il trouve que Seurat
un jeune homme, il trouve que c'est une merveille que ce que fait Seurat. Et voila qu'il se met aux
petits points Seurat. Et en même temps il est mal a l'aise ce vieux peintre avec le talent qu'il avait, il
dit a qu' il a raison il a vu quelque chose : il a vu le lien nécessaire entre la petite unité donc le point,
la limite et ce monde de la couleur que nous cherchons tous. Il se met au petit point puisqu'il a en
commun la conquête de cet espace de la couleur, mais il se sent jamais à l'aise. Il y a les fameux
tableaux pointillistes de Pissarro. Il applique une méthode mais c est pas lui qui a crée cette
méthode, ça va pas y a quelque chose qui le gène, mais ce qui le gène il me semble c'est très
simple. La méthode des petits points était une méthode excellente pour construire un espace de la
couleur fondé d'une manière privilégié sur l'opposition, sur les oppositions diamétrales. Seurat lui ce
qui l‘intéresse c'est l'autre aspect du cercle chromatique, le cheminement périphérique de ton proche
a ton proche.

Le petit point se justifie mal le petit point perd même sa nécessité, y a une espèce de gratuité du
petit point. Tout comme les peintres qui faisait du petit point morne, du petit point pas vif, du petit
point pas coloré, comme Henri Martin qui prenait sa méthode mais qui faisait des petits points
incolores et il vendait beaucoup contrairement à Seurat.

Pissarro n'était quand même pas ce niveau mais lui il se servait de la méthode par une espèce
d'amour pour Seurat : y a quelque chose à en prendre pour moi. Mais non la méthode ne lui
convenait pas tellement parce que son problème c'était le passage de ton à ton.

Dans Cézanne ça devient quelque chose d'inexplicable. Cézanne qui alors fait tout cet espace
coloriste bien au-delà d'une espèce de perfection absolue. Je vous ai signalé la dernière fois la
coexistence chez lui de méthode luministe, le traitement du même sujet par méthode luministe
clair/obscure, ton local quand à la couleur, dégradation du ton locale par ombre par clair/foncé... Et
puis l'autre méthode que vraiment il est le premier à manier, le premier à rendre systématique. Quoi
qu'elle soit variable dans chaque tableau. Il consiste en ceci, supprimer tous les problèmes de
lumière, ne se donner aucune lumière, ne se donner aucune ligne, mais faire du modelé par la
couleur. Le modelé par la couleur ça va être prendre, établir, une séquence. Seulement il n'emploi
jamais deux fois la même séquence des tons, des tons de proche en proche dans l'ordre du spectre.
Séquence autour d'un point culminant. Les deux aspects se combinent parce que le point culminant
il aura des rapports de complémentaire avec un autre point situé ailleurs dans le tableau. Mais tout le
volume de la chose, tout le volume couleur sera rendu par cette séquence de petite tache puisqu' il
n'emploi pas des points lui mais c est des taches asse réduite. Séquence de tache dans l ordre du
spectre de proche en proche.

Cézanne d'une certaine manière me parait plus proche de Pissarro. C'est Cézanne qui lance : c'est
le passage d'un ton à un autre. Ce qu'il s'interdit c'est de remplir un terme de sa série avec un
mélange, il faut qu'à chaque fois il trouve le ton juste. Alors il y a une espèce de recherche des
passages et lorsque Cézanne écume contre Gauguin et dit : « Gauguin il ma tout prit, il ma tout prit
mais seulement il n'a rien compris ». Il est complètement injuste là parce que Gauguin ne lui a pas
prit tellement et il a très bien compris. Il dit que Gauguin n'a pas compris les problèmes principaux du
passage, passage d'un ton à un autre dans l'ordre du spectre.

Cet espace de couleur constitué par petite unité picturale avec un problème qui se remue dans ce

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premier temps, à savoir comment faire coexister les deux voies de cette espace. La voie
périphérique, la voie diamétrale et avec chaque peintre comment ça se fait tout ça ? Cette histoire
des séquences colorées de Cézanne ou bien cette espace à petite unité. Cette espace colloristique
à petite unité c'est déjà un micro espace quoi picturalement par rapport aux écoles précédentes. Ce
micro espace coloriste, c'est une drôle de chose : c'est le triomphe du vif. Le vif alors est obtenu par
ces séquences dont une toute autre manière que le régime vif du 17ieme. C'est deux régimes
complètement différents. Vous vous rappelez que dans mes histoires de diagrammes, je disais que
ce qu'il y a d'embêtant dans le diagramme c'est qu'il ne se laisse pas docilé entre deux pôles. Un
pôle code, et il peut y avoir des greffes de codes, il faut même qu'il y en a, et un pole brouillage, pur,
on le voit très bien dans cette histoire de la couleur tel que j essai de vous le proposer. Le pôle
brouillage voir un exemplaire : les fonds sombres de Caravage.

Du point de vue du diagramme vers l'autre pôle, il s'en faut d'un rien que ce soit un code. Et à la
limite devant certaines déclarations de Seurat ou même devant certain tableau de Seurat on se
demande ce qu'il introduit. Un véritable code. Code picturale à petit point. Et chez Cézanne même
chez lui les séquences de proche en proche dans l'ordre du spectre c'est comme l'équivalent d'un
code de la couleur propre à lui avec ses deux lois principales avec ses deux formules principales,
l'opposition diamétrale et le passage du proche en proche. Qu'est ce qui se passe après ? Cette
espace colloristique il est formidable c'est parfait une chose disparaît quand elle a produit les œuvres
qu'elle devait produire, quand elle est saturé par les propres œuvres qui l'en sortent ; Elle peut
disparaître et mourir et on passe à autre chose. D'aborder les problèmes d espaces. Il y avait deux
problèmes avec les petites unités et leur premier temps.

Premier problème. Que faire ? Vous aviez des progressions de point en point, de petite unité en
petite unité des espace de progression, mais est-ce que ça n'allait pas détruire l'architecture d'un
sens du tableau ? Les petites taches, les petits points : comment sauver la structure ? Et c'est vrai
comment sauver la structure perpendiculaire à la séquence coloré ? Ou aux oppositions diamétrales
? Chez Cézanne ça ne va pas de soi, il y a tout un jeu de diagonale chez lui ou la ligne est
reconvoqué. Une ligne Cézanne pour sauver la structure ou pour la réintroduire dans son champ
coloré, dans l'espace comme champs coloré. Jusqu'a parler d'une architecturevirtuel

chez Cézanne en prenant des exemples même si les lignes sont pas tracé même une espèce de
structure de plan perpendiculaire doivent s'affirmer sinon le tableau devient sans vertèbres Cézanne
réussi a quoi ? Y a plus de code, ce n'est plus un code de la couleur. Premier problème donc :
comment sauver la structure ?

Deuxième problème : les petites unités elles compromettent aussi quelque chose à savoir la forme
spécifique. La forme singulière de l'objet qui est éclaté en fonction de cette poussière de petiteunité.
C'est un problème très vif chez Cézanne dans sa théorie du point culminant. Pour sauver l'espèce de
volume singulier de l'objet. Il semble ce qui vont rompre avec l impressionnisme vont fonder l'espace
de une sorte d expressionisme c'est-à-dire Van Gogh et Cézanne. C'est la qu'ils s'accrochent. Leur
problème c'est vraiment l'impressionnisme nous a tout donné. Cézanne est un grand homme il
n'aime pas Seurat. Il trouve que les points de Seurat, ses virgulesà lui
peuvents'arranger,maisGauguin est plus impitoyable. Il a fait une chanson sur Seurat, dont le refrain
est : un petit point, deux petits points, trois petits points. Je rêve de trouver quelqu'un qui pousse la
même chanson très gai. Il détestait tout ça.

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Ils veulent sauver deux choses qui nécessitent un nouvel espace et un nouvel emploi de la couleur.
Ca va faire jaillir de l'impressionnisme. Sauver l'architecture, c'est-à-dire réintroduire les forces.
Reconstituer le volume singulier de la chose en elle-même. Comment ils vont faire ? La solution est
très intéressante mais qui va être l'éclatement de l'impressionnisme en continu avec le néo-
impressionnisme de Signac. Mais Vang Gogh déjà, mais a plus forte raison Gauguin, vont dans une
autre direction.... Qu'est-ce qu'ils vont faire ? Ils vont retrouver, restaurer l'architecture. Mais quoi ?
C'est la structure. C'est-à-dire élever la couleur. Il s'agit pas de revenir à une architecture de type
italien renaissance, parce qu'à ce moment ils appelaient ça la composition du tableau, il ne s'agit pas
de ça. Ils ne peuvent pas revenir en arrière, il faut qu'ils reviennent et réinventent une architecture
avec de la couleur et par la couleur. Comment ils vont faire ?

C'est la première direction, restaurer l'architecture par la couleur avec la couleur. Il redécouvre
quelque chose qui avant existait déjà mais dans un contexte absolument nouveau : ils vont découvrir
la couleur structure. Ils sont étonnamment moderne, c'est-à-dire l'exemple de Sam Francis, mais qui
se sert vraiment d'une couleur structure, c'est une espèce de conquête d'une peinture moderne plus
que l'impressionnisme. L'expression la plus simple de la structure c'est le retour de l'aplat c'est-à-dire
la couleur posée à plat, une couleur monochromique posée a plat sur la toile et ça na rien à voir avec
un retour à la Renaissance. C'est l'utilisation de la couleur structure alors qu'à la renaissance la
structure est assurée par d'autres choses, par un cas, type de ligne collectif, ça n'a rien a voir. Ça va
entrainer toute sorte de choses. L'aplat monochrome veut dire, et si en même temps Van Gogh et
Gauguin se lancent là dedans. Cézanne dit Gauguin na rien compris au problème du passage. Ce
n'est pas son problème à Gauguin, on en peut ne pas demander aux gens tout. En revanche
Cézanne ne comprend rien au problème de Gauguin c'est l'air de la couleur et de la structure. L'aplat
monochrome c'est la forme la plus simple de structure, elle est uniforme.

En quoi c'est une structure, un aplat ? Parce que commence à se dessiner quelque chose dont on
n'est pas sorti. La peinture américaine s'y est enfoncée. C'est une espèce de couple structure/bande.
La couleur devient structure on le voit bien quand vous mettez en couple la structure, l'aplat et une
bande à ruban, là il y a quelque chose qui se passe de proprement coloristique ; exemple : Sam
Francis l'un des plus grands peintres américain qui a été dans cette direction ...

Il dit à juste titre un expressionniste abstrait, vous faites un aplat monochrome et vous allez introduire
dans un espace de structure complexe, des secteurs soit d'une autre couleur, par exemple un aplat
rouge et avec un secteur violet. Et vous pouvez avoir un aplat en plusieurs secteurs ou bien
simplement vous tendez a travers votre aplat un ruban d'une autre couleur alors tout un jeu se
passe. Il est monochrome vous pouvez introduire dans votre aplat des nuances de clair et foncé.
Mais l'intérêt c'est que l'aplat est monochrome, et que n'y interviennent que des différences non pas
de valeur, c'est-à-dire de clair/foncé, mais des différences de saturation qui jouent au niveau du
voisinage du ruban ou loin du ruban. Y aura des rapports de voisinage entre l'aplat et le ruban qui le
traverse. Je dirais l'aplat et le ruban qui le traversent ou le sectionnent, y a toute les figures que vous
voulez, une section rectangulaire dans l'aplat un ruban qui le traverse complètement de haut en bas
ou bien de droite a gauche, de gauche a droite , etc. , et suivant la couleur de l'aplat et son rapport
avec la couleur du ruban, quel type de saturation ?

Si vous avez compris ses structures complexes de type structure/ruban de type aplat/ruban vous

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voulez revenir a un type de pure monochrome c'est-à-dire un pur aplat. Vous comprenez qu'il fait
structure , que les différentes saturations peuvent introduire déjà en lui toute une armature, une
structure, c'est-à-dire peuvent fonctionner comme des sections non localisé ou des ruban non
localisés, c'est une première chose. Vous avez donc un déploiement de la couleur structure, qu'est
ce que ça change ? Les rapports de complémentaires on s'en tape, c'est plus simple, parce que
vous êtes revenu à une peinture de grande surface et actuellement il y a une tendance de retour à la
grande unité. Est ce que vous allez dire ce qui va déterminer votre choix de la section de l'aplat c'est
les rapports de complémentaires ? Non c'est fini ! Y a plus rien à en tirer, c'est j'insiste si vous
réfléchissez, c'est la même chose pour moi en philosophie, partout, il y a des trucs qui n'ont rien
perdu de leur fraicheur à condition qu'on ne les répète pas, sinon c'est du ressassement. Il faut aller
ailleurs pour au moins, si Cézanne a fait ce qu'il a fait ça c'est pour que des gens ne refasse pas du
Cézanne. C'est la même chose en littérature partout. Ce n'est pas des rapports de complémentaires
mais des différences de saturation entre teintes.

Allusion à un texte génial qui est venu après Goethe de Schopenhauer il avait corrigé la théorie dans
un essai de jeunesse. Il l'avait corrigé d'une manière très intéressante, il avait introduit l'idée d'un
espace propre aux couleurs et d'un poids propre aux couleurs. C'était très curieux car il n'y a aucun
raison pour que le cercle chromatique soit divisé. Son astuce diabolique c'était de proposer la
division suivante : diviser abstraitement le cercle en trois, le cercle chromatique en trois, en effet il y
a trois complémentaires. Trois relations :
rouge/vert,
bleu/orange, etc.... Vous divisez votre cercle en trois parties égales, chaque deux couleurs,
chaque groupe de deux complémentaire occupe un tiers du cercle mais à l'intérieur de chaque tiers
de cercle, le rapport entre une complémentaire et l'autre complémentaire d'une couleur à sa
complémentaire n'est pas d'égalité.

Par exemple bleu/rouge serait sur le mode 2/2 le tiers de cercle est divisé en 2 mais le rapport
bleu/orangé lui, n'est pas d'égalité. Je me souviens plus des chiffres : du type 2/3 et 1/3 Chaque
groupe de complémentaires a son espace de répartition. Je trouve que c'est très important parce que
ça c'est déjà une espèce de structuration propre à la couleur, il y a une espèce de quantité
spatialisante de la couleur il ajoutait des considérations nouvelles sur le poids par rapport à toutes
les considérations des coloristes américains sur une espèce de poids des couleurs.

Un théoricien de la couleur moderne, qui s'appelle ALBERS tire de tout ça une chose qui me paraît
très concrète. C'est ce qu'il appelle les études de quantité, soit que la quantité spécialisant de la
couleur soit la quantité pondérable, le poids de la couleur. Il termine en disant : "les études de
quantité nous conduisent à penser que indépendamment des règles d'harmonie toute couleur, va ou
travaille, avec n‘importe quelle autre couleur, si leur quantité sont appropriées". je crois que c'est ça
la peinture moderne. Tant que vous n'introduisiez que les oppositions diamétrales ou les rapports de
proche en proche. Là il y avait d'une certaine manière des lois.

L'impressionnisme a su découvrir ces lois, les développer et les étaler, il en a tiré le maximum. Là
dessous il y avait encore qui vombrissait, il y avait un monde sans loi, et le monde sans loi c'est
lorsque vous introduisez de nouveaux coefficients de la couleur, l'énergie spatiale par exemple ou
l'énergie pondérale. Tout va avec tout, si vous mettez des coefficients convenables ! J'aime bien
cette phrase parce que c'est vraiment une phrase de peintre, toute couleur indépendamment des

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règles d'harmonie, toute couleur va ou travaille avec n'importe quelle autre couleur : c'est ça le
collorisme. Il y a un texte de VanGogh que je trouve épatant. Cézanne, pour lui penser ça entraine
beaucoup de choses pratiques, un changement dans l'ordre des valeurs.

C'est le moment où Gauguin et Van Gogh disent qu'il y a qu'une chose de vraie dans la peinture,
c'est ça qui est l'essentiel : c'est le portrait. Faut faire un portrait moderne. C'est un renversement des
valeurs par rapport à la hiérarchie cézannienne il ne l'a jamais cacher c'est : des paysages, nature
morte et le portrait ne venait que tout à fait. Finalement c'est bien à condition qu'on le traite comme
une nature morte ou un paysage, c'est pourquoi ses portraits sont très nature morte. Il y a un
renersement : retour au portrait C'est fondé dans l'histoire de l'évolution de la couleur, il y a
forcement un retour au portrait parce que ce n'est plus les oppositions diamétrales qui comptent,
losque vous avez dégagé la couleur structure, la couleur est en rapport avec quoi ? Les aplats c'est
les tons vifs, c'est le régime vif.

Un rapport non avec des complémentaires ou des proches en proches, mais les ton rompus. Les
tons rompus sont deux complémentaires mélangées, ça vous donne de la grisaille. C'est lorsque,
c'est un mélange de deux complémentaires avec dominance de lune. Un bleu rompu c'est un
mélange bleu/orange avec dominance de bleu, on rompt le ton. Le même ton est repris deux fois.
Comme ton vif et ton rompu c'est une manière de dépasser les oppositions diamétrales et les
cheminements de proche en proche. A partir de Gauguin, Van Gogh ça engendre le retour au
portrait pas nécessairement mais d'une manière commode mais le ton rompu c'est excellent pour
faire la chair, la formule Gauguin et il y avait van ... aussi, le grand portrait moderne sur aplat. L'aplat
représente un ton vif, la chair, les figues, représente le ton rompu. Qu'on représente quelqu'un ou
pas ça na pas d'importance. Parce que le même jeu, ton vif/ ton rompu est l'extraordinaire liberté que
ça donne et les limitations des oppositions diamétrales. Et la limitation du chemin de proche en
proche ont conquis un nouvel espace de la couleur qui serait l'énergie spécialisant et pondérable.
Presque le poids du ton rompu et la spécialité du ton vif, l'idée du ton vif.

Ton rompu ton vif, répétition du ton vif par le ton rompu devient la formule coloriste Van Gogh,
Gauguin. On peut supprimer ce qu'on veut, la formule, etc. On reste avec deux couleurs dont les
problèmes ne sont plus réglés par les complémentaires ou quoi que ce soit. Gauguin dit être
coloriste - oui, contre Cézanne - mais coloriste arbitraire c'est-à-dire avoir conquis l'espace ou les
rapports entre couleurs ne sont plus limitées ni par le contraste ni par le proche. Ca crée des
distances d'espace infini.

On reste toujours avec vos deux éléments de la couleur moderne à savoir la couleur structure et la
couleur force ! Encore une fois, si je prends des formules scolaires, la couleur structure qui culmine
avec la monochromie de l'aplat est la structure de l'aplat ruban ou aplat section ; et d'autre part le ton
rompu qui culmine avec la chair et les chairs. Le jeu des couleurs force et couleur structure
définissent l'espace coloriste et forme la nouvel modulation. Cézanne pensait que dans cette
direction on supprimait la modulation. On connaît une toute autre modulation qui sera à la base
définie par la répétition du ton vif par le ton rompu. Et ce sera cette espèce de modulation.

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

6- 12/01/82 - 1
Marielle Burkhalter

6- 12/01/82 - 1 Page 1/13


cours 6 - 12/01/82 - 1

la dernière fois, j'ai essayé de rattraper du temps mais ça a consisté en ceci : j'ai commenté ou j'ai
prétendu commenté le premier chapitre de "Matière et mémoire". C'est donc fini pour nous ça.

La question c'est : qu'est ce qui va en sortir pour nous c'est-à-dire quelle aide, quel apport va être
pour nous ce premier chapitre de" Matière et Mémoire" ? Et si je résume la direction des apports que
nous avions retenus dans ce texte si étrange, je dis voila bon :

Bergson nous mettait en présence d'un univers "matériel" des images-mouvements et l'on entrait
véritablement dans cet univers images-mouvements qui se présentait comme un monde
d'universelles interactions des images les unes sur les autres et il montrait comment dans cet univers
d'images-mouvements étaient distribués, au hasard, des centres d'indéterminations.

N'oubliez pas le pari que faisait Bergson dans ce premier chapitre : "il n'introduirait rien qui ne fut
"matière" c'est-à-dire "mouvement". Il n'introduirait surtout pas quelque chose d'une autre nature et
en effet il gagnait son pari dès le moment où les centres d'indétermination n'impliquaient rien qui ne
fut "matière et mouvement". Les centres d'indéterminations se définissaient simplement par l'écart,
l'intervalle entre une action subie, une réaction exécutée. Les centres d'indéterminations étaient dès
lors, complètement compris eux même en termes d'image-mouvement.

Il y avait centre d'indétermination lorsque au lieu qu'une action subie se prolongeant


immédiatement en réaction exécutée, il y avait un intervalle entre l'action subie et la réaction
exécutée. Reste que dès qu'il se donnait les centres d'indéterminations au sein de l'univers matériel
des images-mouvements. : trois types d'images en découlaient. Je reviens pas là dessus puisque
j'essaye de résumer notre acquit au point que l'on pouvait dire : les images-mouvements, l'univers
des images-mouvements lorsque on les rapporte à un centre d'indétermination sous cette condition,
à condition qu'on les rapporte à un centre d'indétermination, va nous donner trois types d'images ;
donc ce sont trois types d'images-mouvements : les images- mouvements rapportées au centre
d'indétermination donnent trois types d'images
des images-perception
des images-action
des images-affections c'est en ce sens que le centre d'indétermination sera dès lors et pourra être
défini comme un sujet en un triple sens c'est-à-dire
quelque chose qui perçoit une image, une image qui perçoit d'autres images
un sujet qui agit,

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un sujet qui est affecté. Sujet ne désignant toujours rien d'autre qu'une image-mouvement qui
présente un écart entre le mouvement reçu et le mouvement exécuté, qui présente un intervalle,
bien. Dès lors on a toutes sortes de problèmes pour nous : qu'est-ce que ça va être ? maintenant on
reprend comme notre autonomie. Et on se dit bien le moment déjà venu de fixer une sorte de
pressentiment, notre pressentiment c'est que bien entendu et on le savait depuis le début,
l'image-mouvement ce n'est qu'un type d'image. Il en a bien d'autres, on ne sait pas encore quelles
autres, toutefois on commence à avoir un indice.

Car on a fixé la dernière fois cette notion de univers matériel d'images-mouvements ou plus
précisément d'agencement machinique d'images-mouvements. Et on disait ben oui, le cinéma sous
un de ses aspects c'est un agencement machinique humain bien plus on pourrait dire c'est
l'agencement machinique des images-mouvements. Mais et la je fais appel à ceux qui ont suivi ce
qu'on fait ici depuis beaucoup d'années parce que c'est un thème que je ne voudrais pas reprendre -
il nous est arrivé dans d'autres années d'essayer d'analyser ce concept d'agencement et on arrivait à
dire : "oui, tout agencement est double, il a comme deux faces" Si l'on analyse bien ce qu'est un
agencement, on voit qu'il n'est indissolublement sur une de ses faces :
agencement machinique de choses - ici agencement machinique d'images-mouvements -
et sur un autre face il est agencement d'énonciations.

En d'autres termes si vous voulez il a un "contenu" et une "expression" : le contenu de l'agencement


c'est l'aspect machinique renvoyant aux images-mouvements et il a un autre aspect : agencement
d'énonciations et tout agencement est double en ce sens. Quel rapport il y aura entre les énoncés de
l'agencement et le contenu de l'agencement ? - ici les images-mouvement, on ne le sait pas. Tout ce
que je veux dire c'est que nous ne tenons qu'une moitié de l'agencement cinéma, et il est bien
évident qu'un agencement machinique d'images-mouvement se double d'un certain type, d'une
certaine forme d'énonciation.

Qu'est-ce que c'est, les énoncés qu'on pourra appeler cinématographiques ? Est-ce que je peux
dire que dans la "Naissance d'une nation", dans le "Cuirassé Potemkine" etc. etc. il y a un certain
style d'énoncés qui ne vaut pas et qui ne se définit pas seulement par son contenu mais qui se
définit comme "énoncés de cinéma" ? Pourquoi est ce que j'introduis déjà cela, pour bien marquer
que de toute manière, tout ce que nous disons sur l'image-mouvement ne concerne qu'une partie de
l'agencement. Encore une fois il y a bien d'autres images, au point que lorsque je me réfère alors à
l'aspect "énonciation" de tout agencement pour faire pressentir l'existence de ces autres images, ça
veut dire : est ce qu'il y aura des images-énoncés ? est-ce qu'il faudra par exemple donner un statut
particulier aux images-sons ? l'image-son est-ce que c'est quelque chose qui diffère en nature de
l'image-mouvement ? et de quelle manière ?

Tout ceci pour dire déjà au point où nous en sommes, au moment même où nous sommes de plus
en plus en train de nous enfoncer dans l'image-mouvement pour essayer d'en sortir quelque chose,
nous savons aussi qu'il y a un au delà de l'image-mouvement et qu'on n'a pas fini notre affaire. il faut
tout faire cette année, quoi sinon ça va plus. Alors Bon ! L'idéal ce se serait quoi ? ce serait que ce
soit notre analyse de l'image-mouvement qui nous amène à dépasser l'image-mouvement pour tous
les autres types d'images. Est ce que c'est possible ? est ce que c'est l'image-mouvement elle même
qui nous forcera à découvrir qu'il y a d'autres types d'images qui font partie de l'agencement
"cinéma" ? ce serait parfait ça, comme ce serait parfait, c'est ce qui arrivera.

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Mais non seulement il n'y a pas un "au delà" de l'image-mouvement, c'est à dire autre chose que des
images-mouvement mais je reviens au point où nous en sommes précisément, il y a un en-deça de
l'image-mouvement

Je veux dire : non seulement il y a d'autres types que l'image-mouvement mais l'image-mouvement
elle même dans certaines conditions nous livre trois types d'images-mouvement. Et c'est à ça que je
reviens : ces trois types d'images qui ne dépassent pas l'image-mouvement - on n'en ai pas encore
là, hélas - mais qui sont comme les espèces de l'image-mouvement sous une certaine condition, à
savoir que les images-mouvement soient rapportées à un centre d'intermination.

Lorque les images-mouvement sont rapportées à un tel centre d'intermination qui pourtant en fait
parti, alors elles livrent tantôt des images-perception, tantôt des images-action, tantôt des
images-affection qui font partie de l'image-mouvement. Dés lors notre tâche est comme double :
pour plus tard la recherche pleine de pressentiment d'autres types d'images que
l'image-mouvement,
Mais immédiatement l'analyse precise, aussi précise que l'on pourra, l'analyse des trois types
d'images-mouvement à savoir :
les images-perception
les images-action
les images-affection En quel sens ? qu'est ce que ça veut dire ça ?

c'est notre objet immédiat : analyse des trois types d'images-mouvement. Essayons avec tout ce
que nous a apporté Bergson. je dirais d'abord un premier point : un film, je peux le présenter toujours
partiellement, ne me dites pas c'est pas seulement ça puisque nous nous réduisons très
provisoiremernt à la considération de l'image-mouvement

De ce point de vue restreint, je peux dire un film c'est quoi ? un film c'est un mélange en certaine
proportion des trois types d'images. c'est un mélange d'images-perception, d'images-affection et
d'images-action. supposons une séquence puérile, rudimentaire - bien plus cette séquence a des
invraisemblances - il faudra se demander ce qu'il y d'invraisemblable dans cette séquence que je
propose comme ça comme exemple vraiment rudimentaire.

Première sorte d'image : un cow-boy vu de face, il regarde et puis on voit ce qu'il regarde : il
regarde l'horizon dans un paysage western. Je dirais : c'est une image-perception ; Tout ceci encore
une fois ça suppose tout ce qu'on a vu la dernière fois. Manifestement il cherche quelque chose. Il
est inquiet, il cherche comme dirait Bergson "ce qui l'intéresse" et il passe sur ce qui ne l'intéresse
pas. Qu'est ce qui l'interesse : est ce qu'il y a des indiens ?

premier type d'image je dirais, bon, en termes techniques mais je risque beaucoup de me
tromper, c'est juste pour essayer de fixer les concepts : vous pouvez avoir là une série : champ,
contre champ et panoramique : image perception

Deuxième sorte d'image qui s'enchaîne - on est encore dans l'image perception - il faut que ça
s'enchaîne, que chaque image ait une racine dans l'autre, on est encore dans l'image-perception
mais tout se passe comme si l'horizon s'incurvait. On a vu l'importance de - comment dire, quel est le

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substantif ? en fin vous voyez - de cette courbure prise par le monde de la perception. C'est là que
l'image perception va donner l'image-action. Car lorsque le monde prend cette courbure, qu'est ce
qu'il se passe ? les choses et les êtres du monde s'organisent suivant des rapports de distance et
des profondeurs qui définissent à la fois simultanément l'action virtuelle des choses sur moi et
l'action possible de moi sur les choses. c'est la naissance de l'action : cet univers s'incurve et en effet
les indiens sont apparus au sommet de la colline ou de la montagne. un indien, deux indiens et voilà
que immédiatement on est déjà dans l'image-action, apparemment dans l'image-action : les indiens
descendent, ils se groupent, ils descendent au galop, voilà, bon, et les cows boys, ils arrangent leur
chariot : image-action techniquement cela peut être un travelling. Bon

troisième sorte d'image : le cow-boy reçoit une flêche dans l'oeil - gros plan du visage douloureux
: image-affection. Je dis : il y a des invraisemblances dans cette séquence mais lesquelles ?
lesquelles ? Je dis : supposons qu'un film du point de vue qui nous occupe c'est à dire du point de
vue de l'image-mouvement, soit composé, soit vraiment constitué de ce mélange des trois sortes
d'image et des passages d'une image à l'autre. Déjà comprenez que pratiquement, et aprés tout
l'idéal c'est si nos concepts répondent bien à des problèmes pratiques que vous rencontrez dans
tous les films il n'y a pas un ordre déterminé ; dans quel cas, est ce que par exemple,
l'image-affection doit précéder l'image-perception ? dans quel cas au contraire c'est
l'image-perception qui doit être première ? On sait pas. Cas où l'image-affection précède
l'image-perception : visage horrifiés mais vous savez pas quelle est la chose qui fait horreur ; vous
voyez d'abord le visage horrifié et puis c'est après que vous allez voir l'horreur, que vous allez
percevoir l'horreur. Dans d'autres cas c'est pas bon, dans d'autres cas manifestement l'émotion du
spectateur est beaucoup plus grande si on voit d'abord si il y a l'image-perception d'abord parce
qu'on se dit dans ce cas c'est l'image perception avant, comprenez que - ce que je veux dire c'est
une chose extrêmement simple - on est en train de tenir un second sens pour nous, dans la
progression puisque encore une fois ce que je vous propose c'est une recherche trés trés
progressive - on tient un second sens du mot montage.

Car certains d'entre vous avaient été étonnés au tout début de l'année quand on avait parlé du
montage à quel point, le point de vue dont j'en parlais, était restreint - ils m'avaient dit : "il n'y a pas
que ça dans le montage", c'est évident il n'y a pas que ça dans le montage ; C'est qu'au premier
trimestre la manière dont nous avons considéré l'opération du montage consistait à le saisir sous un
de ses aspects : rapport des images-mouvement à un Tout d'une autre nature qu'elles sont censées
exprimer rapport des images-mouvement avec un Tout, ce Tout n'étant pas du mouvement mais
étant de l'ordre de la durée et c'est uniquement de ce point de vue que j'avais essayé de distinguer
des types de montage.

je dis au point où nous en sommes maintenant nous rencontrons une seconde détermination du
montage : ce que l'on pourrait appeler montage du point de vue qui nous occupe là, c'est la
détermination dans un film précis du rapport et des proportions entre les trois types d'images. Non
plus rapport de l'image-mouvement avec un Tout d'un autre ordre mais rapport des trois types
d''images entre elles c'est à dire rapport et proportion des images-action, des images-perception et
des images-affection dans un film, Bien.

Ceci n'empêche pas que - et c'est mon second point - beaucoup de films présentent une
prédominance d'un certain type d'images sur les deux autres. Et après tout, une fois dit que Bergson

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la dernière fois nous a donné les définitions théoriques conceptuelles des trois types d'images,
maintenant il faut juste exercer une espèce de pacte pour les reconnaître et c'est pas difficile de les
reconnaître au passage même quand il y a des images composites même quand il y a des images
qui mélangent les genres, des images composantes secondaires et c'est pour ça que dèjà bien
longtemps avant les vacances, je vous avais proposé trois exemples d'images types : je vous les
rappelle en vous demandant de réflêchir là dessus.

Image-perception : je disais, prenons l'exemple d'un film de Lubitch que j'ai pas vu qui est cité par
Mitry et qui est décrit par Mitry exactement comme ceci et que me parait si belle que et puis j'en
aurai besoin tout à l'heure : c'est le film :"l'homme que j'ai tué". Cela commençait comme ceci
mouvement de caméra saississant une foule de dos à hauteur de la taille, la caméra continue, bouge
et s'arrête à un endroit : cet endroit c'est le dos d'un unijambiste. elle glisse et elle s'insère dans une
espèce d'intervalle, intervalle entre la jambe subsistante et la béquille, voyez ! Dans cet intervalle, à
travers cet intervalle,"On, mais qui est "On" ? pour le moment c'est "on", on voit quoi ? on voit un
défilé militaire et on apprend du coup que ce que cette foule regardait, vue de dos, cette foule
regardait un défilé militaire. Et puis la caméra découvre quoi ? autre plan, plan suivant : la caméra
découvre un cul de jatte. voyez le défilé militaire a lieu après la guerre : il y a donc un unijambiste qui
a perdu sa jambe à la guerre et puis il y en un qui en a perdu les deux. Il y a un cul de jatte qui vend
des petits articles de mercerie, des lacets et en même temps qu'il vend des lacets, il a cette espèce
de fascination de ce qui se passe, du défilé militaire et il regarde ; or lui est en situation d'effectuer la
perception que Lubitch avait laissée dans le vide sous la forme d'un"on". Qui était ce "On"
extraordinaire qui saisissait le défilé militaire à travers, entre - de ce point de vue extraordinaire -
entre la béquille de l'unijambiste et la jambe valide ? Voilà que l'image perception qui jusque là était
dans l'air et apparaissait dès lors, comme un effet esthétique de cinéma, se trouve effectuée.
effectuée par quoi ? l'unijambiste est dans une situation telle que, vendant ses petits lacets, il est
exactement à hauteur voulue pour voir le défilé militaire à travers l'intervalle de l'unijambiste.

Je dis ces deux plans qui sont surement splendides, je dis ces deux plans définissent
l'image-perception et même toute une aventure de l'image-perception, je dis : toute une aventure de
l'image-perception puisqu'elle commence par être posée sans être effectuée et ensuite elle est
effectuée par le cul de jatte qui nous est montré que dans le second plan. Je dirais c'est une
image-perception, voilà.

Deuxième exemple que je vous proposais : une image-action ; voyez, cela correspond à ma
séquence western de tout à l'heure mais cette fois ci : au lieu de saisir leur mélange je donne trois
exemples comme purs. Exemples purs d'images-action : je disais cette fois et peut être que ce n'est
pas par hasard peut être que Lubitch a été un très grand artiste des images-perception, mais peut
être que celui dont je parle maintenant à savoir Fritz Lang a été un des plus grands artistes de
l'image-action Et je vous donnais comme deuxième exemple cette fois-ci de l'image-action : le début
du docteur Mabuse qu'est ce qu'il y a ? une action qui se décompose en un ensemble d'images, à
savoir : attaque d'un courrier dans le train :
premier ensemble d'images : un courrier est attaqué dans le train et volé, dépossédé d'un
document.
deuxième sorte d'images : le vol est porté dans une auto, est mis dans une auto, il y a une auto
qui part, qui démarre : Voyez il y a déjà un système : train, vol dans le train, transport par auto.
troisième sorte d'image : un type de la bande monte à un poteau télégraphique - non

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téléphonique, je ne sais plus, vous corrigez vous mêmes les inexactitudes - il monte à un poteau là,
et il téléphone à -
quatrième image - Mabuse qui attend le coup de téléphone.

Là vous avez des segments d'actions - des segments d'actions avec déjà quelque chose qui sera
portée à un paroxysme par Wenders bien plus tard c'est à dire de nos jours - avec l'idée
fondamentale qui n'est pas une idée théorique, qui est vraiment une pratique de cinéma à savoir que
la caméra assure la conversion et prend sur soi la conversion des mouvements hétérogènes : elle
homogénéise pas du tout les mouvements, elle prend sur soi et c'est l'appareil qui convertit les
mouvements. Train, dans la séquence de Lang, train, auto, téléphone. Si vous pensez aux grandes
séquences de Wenders avec mouvement de conversion à la lettre,"des changements" qui impliquent
précisément des intervalles aussi. Tout à l'heure j'invoquais un intervalle perceptif, la jambe qui
manque de l'unijambiste, là maintenant j'invoque des intervalles entre actions, entre segments
d'actions dans une action composée.

je dirais que, que.. les premières images du premier Mabuse nous donnent comme "à l'état presque
pur" - il y a jamais d'images pures - tout comme tout à l'heure j'avais un cas "presque pur"
d'image-perception là j'ai un cas "presque pur" d'image-action. et je disais :

Troisième exemple : une image affection : je cherche les exemples les plus simples et qui
surgissent dés le début du film puisque l'image de Lubitch elle est, d'aprés Mitry, dés le début de
"L'homme que j'ai tué", Mabuse c'est dès le début du premier Mabuse et là, dès le début il suffit de
voir "la Passion de Jeanne d'arc" pour voir un film où domine l'image-affection.

Et déjà on en sait juste assez si vous rappelez nos acquis bergsonniens pour ne pas être étonnés
que l'image-affection ait comme lieu privilégié, "le gros plan", "le visage" tout comme l'image-action
peut comporter des travellings : l'image-affection comportera forcement des gros plans.

Voila mes trois types d'images donc là c'est pour faire passer au concret tout ce que Bergson nous a
dit pas du tout parce que ce que nous a dit Bergson l'autre fois était abstrait mais c'était du concret
philosophique la on le fait passer au concret comment dire on essaye de le faire passer au concret
cinématographique. Or je dis non plus je ne dis plus comme tout à l'heure tout film est un mélange
des trois types d'images-mouvements de
l'image perception
l'image action
l'image affection on se dit autre chose évidement ça ne se contredit pas je met l'accent sur autre
chose à savoir :on peut distinguer différents genres de film d'après la dominante de l'une des images
sur les deux autres et si j'essaye de placer les genres, tout ca c'est objet de remaniment. On verra
bien en avançant ce je dis evidemment c'est toujours provisoire il n'y a pas tellement de problème un
film où domine l'image affection c'est quoi ? ça serait ce qu'on appellerait d'après Pariscope c'est ce
qu'on appellerait "un drame psychologique", un film où domine l'image-action c'est ce qu'on
appellerait un policier. Pourquoi j'insiste là dessus parce que c'est sans doute le film policier qui a
apporté l'idée de segment d'action et d'un minutage dans les segments d'action. C'est la découverte
de Lang qui ensuite aura toutes sortes de continuation, de renouvellement tout ça ; l'image-action
c'est vraiment le film policier, c'est là que vous trouvez une dominante d'images-actions.

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Est-ce qu'il y a un cas, alors est ce qu'il y a un genre aussi gros que ce que je suis en train de définir
où ce qui domine c'est les images-perceptions ? là j'ai juste une idée là dessus : moi je pense qu'il y
a bien un genre où domine l'image-perception et qui finalement a inventé le film à dominance
d'image perception et que c'est : le western Et que dans le western précisément, il y a très peu
d'images-affection et très peu d'images- actions c'est pour cela que mon exemple de tout à l'heure
où j'invoquais une séquence tirée d'un faux western était pleine d'invraisemblances, l'action dans le
western elle beaucoup trop stéréotypée, elle a pas du tout les inventions et.. vraiment les inventions
des segments d'actions dans le film policier. Si je pense par exemple à....en effet tous les films
fondés sur le minutage du hold-up, à chaque fois l'action se définit bien conformément au thème
bergsonien par l'émergence d'un quelque chose de nouveau, par exemple dans un film célèbre de
Jules Dassin, le moment où le parapluie est utilisé pour recevoir les gravats dans le minutage du
hold-up, dans "Asphalte Jungle" où le minutage aussi à chaque fois qui introduit quelque chose de
nouveau et en effet la nécessité de parer à de l'inattendu et c'est ça le lieu des images-actions, le
policier. C'est une logique de l'action. Le western c'est pas du tout son problème. Le western c'est
vraiment le genre qui à fondé et aussi développé à l'état le plus par l'image perception et
l'enchainement des images perceptions les unes avec les autres. Pourquoi ? Il y a un texte de Bazin
"sur pourquoi le western ?" et qu'est ce qui fait l'excellence du western comme genre
cinématographique et la réponse immédiate de Bazin elle m'a parut curieuse. Elle consiste à dire
c'est pas la forme, faut pas chercher dans la forme du western parce que tout ce qui est de la forme
de la forme du western à la rigueur on pourrait le retrouver ailleurs dans un autre contexte que celui
du western. Il dit en effet ce qui appartient au western c'est les vastes étendues c'est la confrontation
des rochers etc. etc. c'est la ligne du ciel et de la terre ouais tous ça. Le paysage western le
panoramique western mais il dit c'est pas ça ! et si l'on essaye de comprendre vraiment l'excellence
du western, il faut invoquer quelque chose du contenu à savoir : le western a vraiment introduit et
créer une mythologie propre au cinéma. J'ai pas l'impression que ce soit absolument vrai ça. Ca fait
rien ça importe pas. Je préfère les remarques où Bazin dit dans le western vous trouverez très très
rarement des gros plans bien plus le héros du western il est essentiellement impassible.

Et Bazin a de belles pages par exemple sur un western célèbre « cet homme à abattre » sur
l'impassibilité et là du visage. Pas de gros plans, pas de gros plans pas d'images affection même
quand le cow boy est amoureux c'est exactement de la même manière qu'il regarde l'être aimé qu'il
regarde son troupeau toujours le regard à l'horizon c'est-à-dire c'est vraiment un regard perceptif. Et
introduire des images affections c'est pas du tout bon peut-être on verra on verra quel problème ça
pose mais alors pourquoi dire vous voyez je dirais pas comme Bazin il me semble que c'est
secondaire que le western introduise une mythologie propre au cinéma. Je n'en suis même pas sûr
parce qu'il me semble qu'on pourrait dire du policier qu'on pourrait le dire de milles choses. En
revanche ce qu'on peut dire que du western c'est quelque chose qui tient à sa forme mais pas à sa
forme objective. Bazin a évidemment raison de dire : à la rigueur les paysages de western, vous
pouvez trouver l'équivalent ailleurs. Mais ce que vous ne trouverez pas l'équivalent ailleurs c'est la
constitution de films fondés sur les images-perceptions.

Quel est le problème du western ? C'est essentiellement des personnages pour qui il est vital de
percevoir, pas d'agir et s'il y a une mythologie du western c'est ça. S'il y a une mythologie du western
je crois que ce soit le bien et le mal ; le bien et le mal c'est la métaphysique du cinéma vous le
trouvez partout. Mais ce qui est propre au western c'est : si tu ne perçois pas tu ne survis pas. Ce
qu'il s'agit de voir là, c'est vraiment l'image-perception dans tous ses sens. Depuis tout percevoir

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jusqu'à retenir ce qui m'intéresse au sens Bergsonien, la perception subjective c'est-à-dire percevoir
tout sauf ce qui ne m'intéresse pas y compris percevoir ce qui se passe dans mon dos. Qu'est ce
que c'est qu'un duel à la western ? les deux types qui s'avancent l'un vers l'autre tout ça !
Comprenez du point de vue action C'est zéro ; c'est pas des images-actions c'est des
images-perceptions et toutes leurs beautés viennent de l'image-perception. C'est des
images-perceptions ce qui veut dire quoi ? Ce qui veut dire quoi ?

Ce qui est en jeu dans ces images ce qui leur donne une charge dramatique intense : qui c'est qui va
percevoir le premier des deux ? à savoir la règle du jeu étant : il faut que l'un ait tiré son revolver
pour que l'autre déjà ait envoyé la balle. C'est une action de perception et avec les indiens il s'agit de
les voir les indiens ha... c'est pas rien de voir un indien.

Là dans ces rochers dans ces montagnes tous ça c'est ça l'objet du western c'est un développement
de l'image perception comme en effet aucun genre ne le rendait possible. Et pourquoi ? Il y a un livre
que j'aime beaucoup d'un américain sur le roman américain. C'est un livre de Leslie Fidler je crois
qu'il a enseigné ici Leslie Fidler enfin je sais pas je crois ouais.... qui s'appelle « le retour du peau
rouge » et Leslie Fidler part d'une idée très très juste concernant la littérature américaine. Il dit bah
oui en gros en gros je schématise, il dit les américains c'est des gens qui n'ont pas d'histoires biens
connues mais en revanche ce qui à remplacé l'histoire chez eux c'est la géographie. Ils ont une
géographie et il dit « on parle toujours du western mais en fait il y a quatre grandes directions et leurs
littérature est traversé par ces quatre grandes directions et si vous pensez aux auteurs américains
que vous aimez vous pouvez le distribuer dans cette direction. Il y a dit-il : un ce qu'il faudrait appeler
un Northern et un soutier et puis ya un Eastern simplement ces directions sont qualitatives la
direction Eastern est bien connue c'est la direction de l'américain qui va chercher non pas ces
racines mais qui va renouer un contact très étrange avec la vieille Europe. C'est ça qu'ils font à
l'Est.... Alors ça c'est Henry James toute une partie de Fitzgerald évidemment les grands auteurs
américains ils participent à plusieurs directions chez Fitzgerald il y a une direction au Sud. Il y a une
direction au Sud et une Est c'est-à-dire le retour en Europe à l'américaine d'Henry James à
Fitzgérald vous trouvez

Le nord c'est plus compliqué c'est la montée vers l'industrialisation des grands romanciers, ils sont
très très connus.... le Sud... bon vous avez Faulkner, bien d'autres, une partie de Fitzgerald et la
grande confrontation, la confrontation avec le Noir. Il reste l'Ouest : là vous avez quoi ? Fidler le dit
très bien et oui c'est la confrontation cette fois si, c'est d'une part la confrontation avec un sens tout à
fait nouveau des limites ou des frontières, et en même temps les deux étant complètement liées, la
confrontation avec l'indien.

Ah bon la confrontation avec l'indien et puis un sens nouveau des frontières,voila ce qui est
découvert dans le western ! ça veut dire quoi ? ça veut dire que la frontière c'est plus quelque chose
qui sépare ceci et cela, c'est quelque chose qu'on cesse pas de déplacer . La frontière elle est vécue
comme perpétuellement déplaçable. Rappelez vous les belles pages de Marx sur le capitalisme et
les deux aspects du capitalisme : il s'oppose toujours des limites d'une part et d'autre part il ne cesse
pas de repousser ses limites pour s'en opposer d'autres.

Les deux aspects du capitalisme on pourrait aussi bien dire c'est : l'esclavage et l'évacuation. Il ne
cesse pas de s'opposer des limites à l'interieur desquelles il va établir le système de la domination et

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de l'exploitation. Mais ces limites aussi d'un ordre ordre, d'une autre main il ne cesse pas de les
repousser, il fait le vide pour une nouvelle organisation. Cette fois ci il ne s'agit plus de faire des
esclaves, il s'agit de vider des terres, vider des terres de leurs habitants. Pourquoi aujourd'hui -
parenthèse - y a-t-il des héritiers des peaux rouges ? et c'est les palestiniens. Très curieux. Les
palestiniens cessent pas dire - ils ont très bien saisis ça - s'il y avait un nouveau western se serait
Arafat - c'est très curieux il ne cesse pas de dire : oui, nous les peaux rouges, on est les peaux
rouges modernes. Il dit c'est en effet il ne s'agit pas de dire que les palestiniens sont des esclaves il
s'agit de les vider, il s'agit de les évacuer de leurs terres. alors ça c'est un mouvement très différent.
Pourquoi ? En quoi c'est très lier au western tout ça ? Cette limite etc.

je dis que cette limite perpétuellement déplacée et ce rapport avec l'indien vont vraiment se
confondre, vont être les constituants d'un monde perceptif à la limite pure, pourquoi ? Fidler analyse
une figure du roman américain qui hélas n'a pas eu il me semble dans le cinéma assez il a eu
quelques non par application mais quelques exemples déjà. C'est l'union que fait l'américain blanc,
l'union que fait un héros américain blanc soit avec un noir soit avec un indien, une espèce d'amitié
étrange qui va les emporter dans une aventure ; une espèce d'aventure qui sera à moitié une espèce
d'expiation du coté de l'américain blanc, qui sera découverte du coté soit du noir soit de l'indien et en
effet du coté du southern ou du coté du western vous avez cette espèce de confrontation avec le noir
et avec l'indien.

Et sur quel base se fait la confrontation entre les deux. Dans les deux cas elle se fait de manière très
différente et là je veux juste lire parce que ça me va trop, c'est pour vous persuader qu'il le dit bien -
page 162. Voila ce que nous dit Findler, hélas il ne développe pas assez parce qu'il y aurait
beaucoup à développer : "lorsque dans le mythe » dans le mythe américain - l'idée de Findler là
l'idée n'est pas bonne c'est que cette espèce d'union, union homosexuel entre l'américain avec soit
un noir au sud, soit un indien à l'ouest et voilà la différence entre les deux lignes, la ligne du Sud et la
ligne de l'Est :"Lorsque dans le mythe le compagnon de couleur que recherche l'américain blanc est
noir plutôt qu'indien, on a tendance à interpréter l'histoire comme une tentavive qu'il fait pour étendre
le champ de sa sexualité recouvrer une libido perdue", en d'autres termes c'est l'affaire du désir.
"Lorsque au contraire le compagnon est indien le mythe s'interprète plutôt comme un essai pour faire
une brèche dans notre monde et étendre le champ de notre conscience. Le noir représente dans le
mythe, une sexualité qui fascine, une passion étrangère mais l'indien traduit une perception
étrangère". D'où par parenthèse le rapport de l'indien avec la drogue qui n'est pas du tout, qui ne se
retrouve pas du tout dans le rapport du noir. Le noir représentant dans le mythe, un désir qui fascine,
une libido qui fascine, une passion étrangère mais l'indien traduit une perception étrangère, la
perception d'un monde étrange autre. Si bien que tout western comme confrontation du cow boy et
de l'indien ne pourra se développer qu'en images au moins à tendance perceptive pure c'est-à-dire
dans le sens. Aussi bien du point de vue du paysage, que du point de vue des personnes, des héros
mis en cause, ce sera un monde de la perception. Donc tout ceci j'essayais de dire çà et ça me
prenait du temps mais tant pis.

Pour dire vous voyez, il y a pas seulement : je ne peux pas dire seulement : tout film est un mélange
des trois types d'images mais tout film a aussi une dominante. Si bien que je ne peux plus dire
simplement : le montage défini comme de ce point de vue limité à nouveau, mais vous voyez c'est un
autre point de vue que nous avions au premier trimestre, le montage défini comme détermination du
rapport entre les trois types d'images, va donner lieu tout comme j'avais essayé de distinguer au

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premier trimestre trois sortes de montage ça pourrait êtres 3 comme 4 ,5 ça n'a pas d'importance.
Trois types de montage par rapport au Tout.

j'avais distingué :
le montage d'opposition,
le montage dialectique,
le montage quantitatif
et le montage intensif.

et bah la, on trouverait en effet trois types de montages assez différents

il faudrait parler d'un montage perspectif lorsque domine dans le film les images perceptions ;

un montage actif qui est d'un tout autre type qui serait par exemple le montage Fritz Lang - et
encore une fois je dis pas que ça épuise la question ni du montage en général ni du montage de
Lang c'est un aspect - Le montage actif lorsqu'il s'agit au contraire de mettre en rapport des
segments d'actions complexes et dans le cas de Lang en effet il assure son montage actif par
l'insertion d'une pendule qui marque les heures entre chaque segment de l'action.

Et puis un montage affectif dont c'est évident la passion de Jeanne D'arc serait l'exemple
classique, l'exemple immortel. Car en effet il ne suffit pas de dire l'image-affection c'est le gros plan,
il s'agit de savoir, une fois dit que c'est un film à dominante de gros plans - ce qui est normal si c'est
un film à dominante d'images-affection - il s'agit de savoir comment vous montez là, tous ces gros
plans. Car il y a assez peu, comme tout le monde l'a remarqué, il y a assez peu d'images isolées du
visage de Jeanne D'arc. Les gros plans de Dreyer dans "la passion de Jeanne D'arc" prennent par
exemple le visage de Jeanne D'arc et puis un autre visage celui d'un juge coupé ou de biais, à partir
de là vous avez tous les problèmes de montage mais d'un type particulier de montage. Dès que vous
avez à faire intervenir un gros plan dans un montage, vous avez un certain problème du modèle du
montage affectif, à plus forte raison quand il s'agit de faire un montage de gros plans les uns par
rapport aux autres et sans doute est ce une prouesse fantastique le montage de gros plans, bon tout
ça, voilà.

Alors c'est bien, parce que on a fini un nouveau pan de ce qu'on avait à faire, c'est ce groupe qu'on a
fini maintenant où j'ai quand même rattrapé maintenant, j'ai été trop vite mais tant pis - on a rattrapé
un peu du retard que l'on avait pris : à savoir ce nouveau pan que nous avons fait c'est :
commentaire du chapitre 1 de "Matière et Mémoire" et conséquence pour les trois types d'images
cinématographiques.

Donc les trois cas de l'image-mouvement sont


image-perception
image-action
image-affection. Dès lors notre plan, notre devoir hélas, est tracé pour assez longtemps mais au
point que se sera si longtemps qu'il faudra faire des coupures. Mais dans l'absolu on serait forcé
avant d'en finir avec l'image-mouvement car on est pressé d'en finir avec l'image-mouvement, ce qui
m'intéresse vraiment maintenant c'est : qu'est ce que ça va être les autres images ? et pourtant il
faut rester encore il faut patauger dans cette histoire d'image-mouvement alors on est d'un coté

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attiré, dans l'autre retenu, c'est une bonne situation, c'est une situation riche affectivement ou bien y
en a marre de tout et puis voilà. Mais notre plan immédiat : c'est analyse détaillée de
l'image-perception, analyse détaillée de l'image- action, analyse détaillée de l'image-affection. Je
voudrais faire l'analyse détaillée de l'image-perception au cinéma Et puis si on voit que c'est trop
long - et bah je donnerais juste je ne sais pas de très courtes indications sur les deux autres images
enfin on pourra concevoir de passer - à moins qu'on travaille ça sur deux ans je ne sais pas oh
écouter c'est trop difficile - moi je m'attendais à en avoir pour un semestre - et puis tout ça : fallait
pas toucher au cinéma Non moi j'en suis désespéré de tout ça c'est trop difficile.

Bon alors voila image-perception. C'est donc un nouveau thème qu'on abordera. Qu'est ce que c'est
que l'image-perception au cinéma ? Et je dis tout de suite parce que là, ça va être difficile parfois, je
dis tout de suite que je voudrais envisager comme trois étages parce que c'est confus. C'est très
difficile je dirais qu'à un premier étage nous allons voir un premier niveau, nous allons voir qu'il peut
y avoir deux pôles - je cherchais des mots mais c'est juste pour diviser notre recherche - que nous
allons d'abord distinguer deux pôles de l'image-perception et on va s'apercevoir que - c'est bien oh
oui c'est bien mais c'est pas encore suffisant - et à chaque fois il y aura sans doute des cinéastes qui
et je veux pas dire que les uns sont meilleurs que les autres je suis bien incapable c'est tellement
beau tout ça donc Et puis on va distinguer un second niveau ou il n'y aura non plus deux pôles de
l'image-perception mais deux systèmes de perception Et puis on va s'apercevoir que ça va pas
encore, ou que ça pourrait être autre chose encore et là on distinguera non pas deux système ou
deux pôles mais deux "états" de perception je dis ça uniquement comme points de repères.

Donc ce que je commence immédiatement : c'est les deux pôles de l'image-perception. En quel sens
peut on dire qu'il y a deux pôles d'image perception ? Là Bergson nous a donné une indication au
moins c'est quoi - c'est qu'en effet il y a deux pôles de perception puisque il y a des perceptions
choses et des perceptions qui sont celles que j'ai des choses. Les choses elles même sont des
perceptions, en quel sens ? Pas du tout au sens où je dirais que les choses sont mes perceptions
mais parce que les choses en-soi du point de vue de l'image-mouvement, sont des perceptions
totales et que les perceptions que moi j'ai d'une chose, ce sont les perceptions partielles. Bon, mais
ça c'est déjà bien compliqué ; la chose est une œuvre disons alors beaucoup plus simplement on va
partir d'une tentative là, où il faut que vous consentiez à m'accorder tout, quitte à ce qu'après, vous
me le repreniez.

Il faut partir de quelque chose de beaucoup plus simple sur les deux pôles de l'image : qu'est ce
que ce serait une image objective et qu'est ce que serait une image subjective ? Et là il ne faut pas
être bien exigeant, faudrait se contenter d'une définition très étroitement nominale. Une définition
nominale c'est à dire extrinsèque, par opposition à ce qu'on appelle en logique des définitions réelles
qui sont des définitions intrinsèques, intérieures à la chose définie. La définition purement
extrinsèque qu'est ce que je dirais ? une image subjective c'est quoi ? C'est l'image d'un ensemble
tel qu'il est vu du point de vue de quelqu'un qui fait partie de cet ensemble. Voila je me donne ça
comme définition de l'image-subjective, voyez ce que je veux dire pour m'épargner des discussions
qui n'en finiraient plus, je vais pas dire : "l'image objective c'est une image sans point de vue". Est ce
que ça existe une image sans point de vue ? on sait pas à quelles conditions ? C'est déjà trop pour
nous.

Donc il faut qu'on parle de quelque chose de beaucoup plus modeste, je dis de toute manière :

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image objective ou subjective, elles renvoient à un point de vue supposons, mais je dirais que
l'image est subjective lorsque c'est l'image d'un ensemble qui renvoie au point de vue de quelqu'un
qui appartient à cet ensemble. Je dirais de ce quelqu'un qu'il appartient à cet ensemble qu'il perçoit.
Là aussi comprenez bien à quel niveau du problème on en est. Je m'interdis de faire intervenir en
tous cas directement, des facteurs subjectifs du type : le rêve, le souvenir, l'hallucination. Cela serait
trop facile. Si je faisais c'est, que le mot "sujet" à beaucoup de sens si je fais intervenir directement
des facteurs de rêves, d'hallucinations, de souvenirs, j'en suis plus dans les conditions de mon
étude, je ne m'occupe plus des images-perceptions comme telles, je m'occupe de tout à fait autre
chose, je m'occupe d'images-rêves, d'images-souvenirs dont je sais pas du tout quel est le rapport
avec l'image- perception.

Donc là quand j'emploie "subjective" ça peut pas renvoyer à des images de rêves ni de souvenirs, du
point de vue qui m'intéresse, il s'agit du cadre étroitement défini précédemment de l'image-
perception, si je fais intervenir du rêve, de l'hallucination ou n'importe quoi ce sera simplement sous
la forme de facteur agissant sur la perception. Mais je considère pas, j'en suis pas du tout là à un
moment où je pourrais considérer le problème de l'image ou le problème de l'image souvenir au
cinéma ; c'est pour ça que je dis bien j'appelle pour le moment de manière purement nominale,
j'appelle image subjective, l'image d'un ensemble tel qu'il est vu par quelqu'un qui appartient ou qui
fait partie de cet ensemble. Des images subjectives comme ça on en connaît au cinéma, bien plus
elles sont marquées d'une espèce de splendeur et elles ont commencées très vite dans le cinéma.

Là aussi je cite des exemples.


Premier exemple : perception subjective avec cette fois ci, compte tenu de ce que je viens de dire
: un facteur actif, puisque tout réagit là, il y a un facteur actif qui agit indirectement sur la perception.
Je cite deux cas :
la danse ou la fête vu par quelqu'un qui y participe. Voyez que le facteur actif est fort : par
exemple la fête foraine vu quelqu'un qui est sur le manège, ça peut donner des perceptions
subjectives c'est-à-dire des images-perceptions splendides
ou bien la danse, la salle de danse avec tous les danseurs vu par un danseur. Merveille ! l'un
c'est un exemple célèbre de Epstein, l'autre c'est un exemple célèbre de L'Herbier.

voilà premier exemple : je dirais perception subjective avec facteur actif. J'en donne un troisième
parce qu'il est aussi tellement beau et c'est un grand classique : un film lié à l'expressionisme
allemand, à savoir un film de Dupont "Variétés" célèbre image où toute la salle du cirque est vue par
l'acrobate au trapèze en plein mouvement. Prodigieuse image où là , la perception subjective est
inséparable d'un très fort facteur dynamique actif puisque le sujet qui appartient à l'ensemble cirque
est lui même en mouvement tout comme le danseur était lui même en mouvement et l'image de
Dupont, les images de "Variétés" sont splendides...

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 09/12/80 - 2
Marielle Burkhalter

- 09/12/80 - 2 Page 1/13


Deleuze 09/12/80 501/2B

transcription : Christina Roski -

..
deuxième proposition. La loi de la nature n'est pas très sociale, elle est dans la meilleure société
possible. C'est la vie conforme à l'essence dans la meilleure société possible.
Troisième proposition. Ce qui est premier, ce sont les "devoirs" sur les droits car les "devoirs"
c'est les conditions sous lesquelles vous réalisez l'essence.
Quatrième proposition. Dès lors, il y a compétence de quelqu'un de supérieur. Que ce soit
l'Eglise, que ce soit le Prince ou que ce soit le Sage. Question ?

La compétence du sage, ah, si. Il me semble qu'elle en découle enfin nécessairement, pas
mathématiquement, mais nécessairement ; elle en découle d'une certaine manière. Car si tu dis, je
définis une chose par l'essence et j'en tirerai les conditions sous lesquelles, l'essence doit être
réalisée, cela renvoie à un savoir. Il y a un savoir des essences. Donc l'homme qui sait les essences
sera apte en même temps à nous dire comment nous conduire dans la vie. Ce conduire dans la vie
sera justiciable d'un savoir au nom de quoi je pourrais dire :" c'est bien ou c'est mal". Il y aura donc
un homme de bien de quelque manière qui soit déterminé, comme homme de dieux ou comme
homme de la sagesse qui aura une compétence. Il me semble que c'est impliqué.

Retenez ces quatre propositions. Je dis : imaginez une espèce de coup de tonnerre. On va voir
que c'est beaucoup plus compliqué, tout ça. Imaginez un type qui arrive là et qui dit : "Non, non, mais
en un sens c'est juste le contraire". Seulement l'esprit de contradiction ça marche jamais, ça veut
dire il faut avoir les raisons. Il faut avoir des raisons mêmes secrètes, il faut avoir les plus
importantes raisons pour renverser une théorie. Si vous renversez une théorie pour le plaisir vous ne
pouvez même pas. Une théorie ne serait jamais renversée pour le plaisir et par plaisir. Une théorie
c'est un corps, elle aussi, elle a son pouvoir de résistance, elle a tout ça. Supposons, je vais corriger
tout à l'heure, un jour quelqu'un arrive et va faire scandale dans le domaine de la pensée. Et c'est là
que je reviens à mon avertissement de tout à l'heure : ce qu'on l'on traite aujourd'hui comme des
lieux communs, dépassés sur le droit naturel, et sans doute ont gardés et avaient une espèce de
force révolutionnaire possible, énorme. Ce quelqu'un c'était un anglais qui s'appelait Hobbes. Il avait
très mauvaise réputation. Il précède Spinoza. Spinoza l'a beaucoup lu.

Et voilà presque, je fais un tableau proposition par proposition, voilà ce que nous dit Hobbes sur
ce problème du droit naturel, il fait un coup de force très étonnant. Première proposition de Hobbes,

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je résume tout ça mais presque c'est mon métier, j'ai le triste rôle de vous raconter ça, je vous
raconte l' histoire. C'est une histoire quoi. Hobbes arrive et dit : "Ben non, la première proposition ce
n'est pas ça." Il ne dit même pas : "Ce n'est pas ça" Il n'a pas besoin de dire ça lui aussi c'est affaire
de coquetterie. Il développe sa théorie. On s'aperçoit que ce n'est pas comme disaient les autres.
Alors qu'est-ce qu'il nous dit ? Il dit : " Vous comprenez, les choses, elles, ne se définissent pas par
une "essence", elle se définissent par une "puissance".

Donc, le droit naturel c'est non pas ce qui est conforme à l'essence de la chose, c'est tout ce que
"peut" la chose. Et dans le droit de quelque chose, animal ou homme, tout ce qu'il peut (c'est une
proposition très bizarre) mais dans son droit "de tout ce qu'il peut". C'est à ce moment que
commencent les grandes propositions du type "le gros poisson mange les petits, C'est son droit de
nature". Vous comprenez, quand on lit ça : "le gros poisson mange"si je fais juste tantôt, je dis qu'il
n'y a pas besoin de culture et je pense vraiment cet égard : il n'y a aucun besoin de culture. Puis
tantôt je dis il en faut. Bien sur, ce que vous tombez sur une proposition de ce type, vous voyez
qu'elle est signée "Hobbes". I "Il est dans le droit naturel que les gros poissons mangent les petits".
Je dis, vous risquez de passer à coté, vous risquez de vous dire : "A bon, c'est vrai ce qu'il dit, mais
en fait il n'y pas de quoi faire une histoire, oui, les grands poissons mangent les petits, alors c'est ça
que vous appelez le droit naturel, d'accord." Mais en fait à ce moment là, vous ne pourriez rien
comprendre. Mais c'est un peu comme ça partout, si vous voulez.
C'est comme ça dans la peinture ou si vous voyez un tableau, si c'est le premier tableau que vous
voyez ce n'est pas la même type d'émotion parce qu'enfin vous risquez de passer à côté. Je vous dis
pourquoi. Parce qu'en disant „il est dans le droit naturel du gros poisson de manger les petits",
Hobbes lance une espèce de provocation qui est énorme. Enorme ! Puisque jusque-là ce que l'on
appelle droit naturel était ce qui était conforme à l'essence et donc l'ensemble des actions qui étaient
permises au nom de l'essence. Qui étaient permises, alors vous me direz : "Oui permis, mais permis,
là, prend un tout autre sens !" Hobbes nous annonce :"est permis tout ce qu'on peut". Tout ce que
vous pouvez est permis. Donc si vous êtes un poisson encore plus gros et que vous mangiez les
hommes, c'est permis, c'est votre droit naturel. Quand même, c'est simple, c'est une idée simple
mais qui est relativement bouleversante. Dans ce cas-là il faut attendre. On se dit : "Mais pour dire
un truc comme ça où est-ce qu'il veut en venir ? " Il nous dit : il est dans le droit naturel. Il appelle
droit naturel ça ! Jamais personne n'avait appelé "droit naturel" - tout le monde savait de tout le
temps que les gros poissons mangeaient les petits. Jamais personne n'avait appelé ça droit naturel !
Pourquoi ? Pour une raison simple, on réservait le mot droit naturel pour tout à fait autre chose.
L'action morale conforme à l'essence. Hobbes arrive et dit : "Votre droit naturel c'est toute votre
puissance. Droit naturel = puissance. " Donc ce que vous pouvez c'est votre droit naturel. Si vous
pouvez tuer votre voisin c'est votre droit naturel. Curiosité du droit. Attendons, on va voir les autres
propositions. Donc, " est dans mon droit naturel tout ce que je peux".

Deuxième proposition : elle en découle. Dès lors, l'état de nature se distingue de l'état social et,
théoriquement, le précède. Pourquoi ? Parce que Hobbes s'empresse de dire : "Mais bien sûr, dans
l'état social il y a des interdits, il y a des défenses. Il y a des choses que je peux faire, par exemple
tuer mon voisin s'il ne s'y 'attend pas." Je pourrais le faire ça mais c'est défendu. D'accord c'est
défendu - ça veut dire que ce n'est pas du droit naturel, c'est du droit social. C'est dans votre droit
naturel mais ce n'est pas dans votre droit social.
En d'autres termes, le droit naturel, qui est identique à la puissance, est nécessairement et
renvoie à un état qui n'est pas l'état social. D'où, à ce moment-là, la promotion de l'idée :" un état de

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nature distinct de l'état social". Dans l'état de nature, tout est permis de ce que je peux. La loi
naturelle : ce qui n'est rien de défendu de ce que je fais. Donc l'état de nature précède l'état social.

Déjà au niveau de cette seconde proposition :"l'état de nature précède l'état social", là aussi on ne
comprend plus rien, nous parce qu'on qualifiait tout ça en disant : mais est-ce qu'il y a un état de
nature ? Ils ont cru qu'il y avait un état de nature, ceux qui disaient ça. Rien du tout, ils ne croient rien
à cet égard. Ils disent que la logique, le concept d'état de nature c'est forcément antérieur, celui d'un
état antérieur à l'état social. Ils ne disent pas que cet état existait. Si le droit de nature c'est tout ce
qui est dans la puissance d'un être, on définira l'état de nature comme précisément la zone de cette
puissance. C'est son droit naturel. C'est donc distinct de l'état social puisque l'état social comporte et
se définit par des défenses portant sur quelque chose que "je peux". Et en plus, si on me le défend ,
c'est que "je le peux". C'est à ça que vous reconnaissez une défense sociale.

Donc l'état de nature est premier par rapport à l'état social du point de vue conceptuel. Ce qui est
très important, ce qui veut dire quoi ? Ce qui veut dire : "personne ne naît social". Social d'accord,
peut-être qu'on le devient et le problème de la politique ça va être : "comment faire pour que les
hommes deviennent sociaux" ? Mais personne ne naît social. Là il deviennent très fort quoi. Ca ne
veut pas dire qu'il y a un état de nature avant l'état social comme on leur fait dire. Ca veut dire que
personne ne naît social. Vous ne pouvez penser la société que comme un produit d'un devenir. Et le
droit c'est l'opération du "devenir social". Et de la même manière personne ne naît "raisonnable".
C'est pour ça que ces auteurs s'opposent tellement à un thème chrétien. A quoi le christianisme
tenait également ? A savoir le thème qui est connu dans le christianisme sous le nom de la tradition
"adamique". La tradition adamique c'est la tradition selon laquelle Adam était parfait avant le péché.
Le premier homme était parfait et le péché lui a fait perdre la perfection. Cette tradition adamique,
elle est philosophiquement importante.

Voyez pourquoi. Le droit naturel chrétien tel que je l'ai défini précédemment se concilie très bien
avec la tradition adamique. Adam, avant le péché, c'est l'homme conforme à l'Essence. Il est
raisonnable et c'est le péché, c'est à dire les aventures de l'existence qui lui font perdre l'Essence,
qui lui font perdre sa perfection première. C'est conforme à la théorie de droit naturel classique.
Tandis que personne ne naît social, personne ne naît raisonnable. Pas vrai. Raisonnable c'est
comme social, c'est un devenir.

Et le problème de l'éthique ce sera peut-être comment faire pour que l'homme devienne
raisonnable. Mais non pas du tout. Comment faire pour qu'une naissance de l'homme, qui serait
raisonnable, se réalise. C'est très différent suivant que posez la question comme ceci ou comme
cela, vous allez dans des directions très, très différentes. Donc je dis, la seconde proposition de
Hobbes ça sera : l'état de nature est pré sociable, c'est-à-dire l'homme ne naît pas social. Il le
devient.

Troisième proposition : si ce qui est premier s'enchaîne, très bien. Si ce qui est premier par
rapport à l'état de nature, ou si ce qui est premier c'est l'état de nature ou si ce qui est premier c'est
le droit, c'est pareil. Je suis dans l'état de nature : "tout ce que je peux c'est mon droit". Dès lors, ce
qui est premier c'est le droit. Dès lors, les devoirs ne seront que des obligations secondes, tendant à
limiter les droits pour le devenir social de l'homme. D'accord, il faudra limiter les droits pour que
l'homme devienne social. Très bien, mais ce qui est premier c'est le droit. Le devoir est relatif au droit

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alors que dans la théorie du droit naturel classique c'était juste le contraire, le droit , vous vous
rappelez, était relatif au devoir. Ce qui était premier c'était l'officium.

Quatrième proposition, et qui pratiquement et sans doute la plus importante. Et politiquement. Si


mon droit c'est ma puissance, si les droits sont premiers par rapport aux devoirs, il en découle
quelque chose. Si les devoirs c'est seulement l'opération par lesquelles les droits sont amenés à se
limiter pour que les hommes deviennent sociaux. Encore une fois, il y a beaucoup des questions qui
sont mises entre parenthèses. Pourquoi est-ce qu'ils doivent devenir sociaux ? Est-ce que c'est
intéressant pour eux de devenir sociaux ? Toute sorte de questions qui ne se posaient pas du tout
du point de vue de droit naturel. Il le dit, Hobbes. Il le dit très bien et Spinoza reprendra tout ça. Il le
dit admirablement. Mais du point de vue du droit naturel l'homme le plus raisonnable du monde et le
fou le plus complet se valent strictement. Pourquoi il y a une identité, une égalité absolue du sage et
du fou ? C'est une drôle d'idée . C'est un monde trés baroque, c'est purement classique, c'est bizarre
quoi. Et pourquoi ? Du point de vue du droit naturel, oui, puisque du point de vue du droit naturel
c'est : mon droit = ma puissance. Et le fou est celui qui fait ce qui est dans sa puissance, exactement
comme l'homme raisonnable est celui qui fait ce qui est dans la sienne. Il y en a sûrement. Ils ne
disent pas des idioties, ils ne disent pas qu'il n'y a aucune différence entre raisonnable et fou. Ils
disent : il n'y a aucune différence entre raisonnable et fou du point de vue du droit naturel. Pourquoi ?
Parce que chacun fait tout ce qu'il peut. Le fou comme le raisonnable, ils ne font rien d'autre que
faire ce qu'ils peuvent.

L'identité du droit et de la puissance assure l'identité, l'égalité de tous les êtres sur l'échelle
quantitative. On peut dire tout simplement bon, ils n'ont pas la même puissance. D'accord. Ils font
pourtant tout ce qui est dans leur puissance. L'un comme l'autre. L'insensé en tant qu'insensé, le
sage en tant que sage. Bien sûr il y aura une différence entre le raisonnable et le fou mais dans l'état
civil, dans l'état social. Pas du point de vue du droit naturel. D'où un écroulement fondamental. Tout
ce qu'ils sont en train de miner, de saper c'est le principe de la compétence du sage ou de la
compétence de quelqu'un de supérieur. Et ça c'est très important politiquement. Personne n'est
compétent pour moi.

Voilà la grande idée qui va animer l'Ethique comme l'anti-système du jugement. D'une certaine
manière :" personne ne peut rien pour moi, personne ne peut être compétent pour moi". Qu'est-ce
que ça veut dire ? Il y a à la fois quelque chose de senti. Il faut tout mettre dans cette phrase ;"
personne n'est compétent pour moi". Bien sûr il y a des vengeances. On a tellement voulu juger à
ma place. Il y a aussi une découverte émerveillée, ah c'est formidable. Mais personne ne peut savoir
pourquoi. Est-ce que c'est complètement vrai, je ne sais pas. Je crois, d'une certaine manière ce
n'est peut-être pas tout à fait vrai. Peut-être il y a des compétences, mais sentez enfin ce qui pouvait
y avoir d'étrange dans ces propositions.

NOn ne pas ouvrir c'est fermé à clef

C'est quand même très important cette histoire, parce que vous apprendrez dans les manuels qu'à
partir d'un certain moment il y a eu (et il y a eu bien avant) mais qu'il y avait eu des théories célèbres
sous le nom de théorie du contrat social. Les théories du contrat social c'est... (INTERRUPTION) il
faut que tu te sentes méchante s'il revient en sang, evidemment tout ce qui se passe là c'est une
illustration de la question des modes d'existence... cette histoire du contrat social

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On nous dit : voilà, c'est des gens qui ont pensé pourquoi, comment, on ne sait pas très bien,
mais ils ont pensé que l'instauration de la société ne pouvait avoir qu'un principe, celui du
"consentement". Et on dit : c'est bien dépassé tout ça, parce qu'on enfin, on n'a pas consenti à être
dans la société. Ce n'est pas vrai ça. Ca ne s'est pas passé comme ça. Est-ce que c'est ça la
question ? Evidemment non, ce n'est pas ça la question. En effet, toute cette théorie nouvelle du
droit naturel, droit naturel = puissance, ce qui premier c'est le droit, ce n'est pas le devoir, aboutit à
quelque chose : " il n'y a pas du compétent du sage, personne n'est compétent pour moi-même. Dès
lors, si la société se forme ça ne peut être d'une manière ou d'une autre que par le consentement de
ceux qui y participent et pas parce que le sage me dirait la meilleure manière de réaliser l'Essence.
Evidemment, la substitution d'un principe de consentement au principe de compétence, a pour toute
la politique une importance fondamentale. Donc vous voyez, ce que j'ai essayé de faire c'est juste un
tableau d'opposition, quatre propositions contre quatre propositions.
Et je dis simplement que dans les propositions de la théorie de droit naturel classique, Cicéron, St
Thomas, vous avez le développement juridique d'une vision morale du monde et dans l'autre cas, la
conception qui trouve son point de départ avec Hobbes : vous avez le développement de tous les
germes d'une conception juridique de l'éthique. "Les êtres se définissent par leur puissance". Si j'ai
fait cette longue parenthèse c'est pour montrer que la formule :"les êtres se définissent par leur
puissance et non pas par une essence'"avait des conséquences juridiques, politiques que juste on
est en train de pressentir. C'est tout. Or j'ajoute juste aussi pour en avoir fini avec ce thème que
Spinoza reprend toute cette conception de droit naturel de Hobbes. Il changera des choses, il
changera des choses relativement importantes, il n'aura pas la même conception politique que celle
de Hobbes mais sur ce point même du droit naturel, il déclare lui-même s'en tenir, être disciple de
Hobbes.

Et pourquoi voyez la dans Hobbes il a trouvé la confirmation juridique d'une idée qu'il s'était formé
d'autre part, lui Spinoza, à savoir une étonnante confirmation selon laquelle l'essence des choses
n'était rien d'autre que leur puissance. Et c'est ça qui l'intéresse dans toute l'idée du droit naturel.
J'ajoute pour être tout à fait honnête historiquement que, évidemment, jamais ça ne surgit comme ça
d'un coup. Il serait possible de chercher déjà dans l'antiquité un courant mais un courant très partiel,
très timide où se formerait déjà dans l'antiquité une conception, comme ça, "du droit naturel =
puissance". Mais elle sera etoufffée, vous la trouvez chez certains sophistes, chez certains
philosophes appelés cyniques. Mais son explosion moderne ce sera bien avec Hobbes et avec
Spinoza.

Voilà, je dis juste donc, que j'ai même pas expliqué. Pour le moment, J'ai précisé ce que pouvait
bien vouloir dire : "les existences se distinguent d'un point de vue quantitatif". Ca veut dire
exactement : les existants ne se définissent pas par une Essence mais par la Puissance et ils ont
plus ou moins puissance. Et leur droit ça sera la puissance de chacun. Le droit de chacun ça sera la
puissance de chacun. Ils ont plus ou moins de puissance. Il y a donc une échelle quantitative des
êtres du point de vue de la puissance. Il faudrait maintenant passer à la seconde chose, à savoir : la
polarité qualitative des modes d'existence et voir si l'un découle de l'autre. L'ensemble nous
donnerait une vision cohérente ou un début d'une vision cohérente de ce qu'on appelle une Ethique.

Alors vous voyez du coup pourquoi vous n'êtes pas des êtres du point de vue de Spinoza. Vous
êtes des manières d'Etre. Ca se comprend. Si chacun se définit par :"ce qu'il peut", c'est quand
même très curieux. Vous ne vous définissez pas par une essence ou plutôt votre essence est

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identique à ce que vous pouvez, c'est-à-dire vous êtes un degré sur une échelle de puissance. Si
vous êtes un dégré, si chacun de nous est un degré sur un échelle de puissance vous me direz :"
mais il y en a qui valent mieux ou pas mieux " ? On laisse ça à coté. Ca va devenir très compliqué.
On ne sait pas pour le moment. Mais si c'est comme ça, vous n'avez pas d'Essence ou vous n'avez
qu'une Essence identique à votre puissance, c'est-à-dire vous êtes un degré sur cette échelle.

Dès lors vous êtes en effet des manière d'Etre. La manière d'Etre, ce sera précisément cette
espèce d'existence, d'existence quantifiée d'après la puissance, d'après le degré de puissance qui la
définit. Vous êtes des quantificateurs. Vous n'êtes pas des quantités ou alors vous êtes des
quantités très spéciales. Chacun de nous c'est une quantité, mais de quel type ? C'est une vision du
monde très très curieuse, très nouvelle : voir les gens comme des quantités, comme des paquets de
puissance mais il faut le vivre. il faut le vivre si ça vous dit. D'où l'autre question mais en même
temps ces mêmes auteurs, par exemple, Spinoza ne va pas cesser de nous dire : "il y a en gros
deux modes d'existence". Et quoi que vous fassiez vous êtes bien amenés à choisir entre les deux
modes d'existence. Vous existez de telle manière, que vous existez tantôt sur tel mode tantôt sur tel
autre, et l'éthique ça va être l'exposé de ces modes d'existence. Là ce n'est plus l'échelle quantitative
de la puissance, c'est la polarité entre des modes d'existence distincts. Comment est-ce qu'il part de
la première idée à la seconde ? Et qu'est-ce qu'il veut nous dire avec la seconde : il y a des modes
d'existence qui se distinguent comme des pôles de l'existence ?

PAUSE - je vous demande ceci comme ça... vous pourriez ceux qui sont dans le fond, ouvrir les
fenêtres comme ça et puis on se repose cinq minuteset je termine aprés

Autre chose à dire encore .Comtesse rappelle ce que certains d'entre-vous savent que chez
Spinoza il y a une notion fondamentale que Spinoza présente comme une tendance à persévérer
dans l'être. Chaque chose tend à persévérer dans l'être. Et quand il s'explique sur persévérer tantôt il
faut dire les variations de la formule, c'est tantôt : " tendance à conserver, tantôt tendance à
persévérer, et c'est tantôt à persévérer dans l'être, et parfois dans son être". Donc, en tout cas il y a
un ensemble, là, qui fait que : qu'est-ce que ça veut dire :" tendre à persévérer dans l'être" ? Alors là
je dis : tel que la question est posée, je dis on la met de côté parce que je n'ai pas les moyens de
répondre en fonction de ce que j'ai dit aujourd'hui ; je n'ai pas les moyens de répondre à cette
question. Une fois dit, je veux juste dire : ça n'est absolument pas un effort pour conserver la
puissance. Ca ne peut pas être ça. Puisque, encore un fois, la puissance n'est jamais objet. C'est
"par puissance" que je fais ou que je subis. Rappelez-vous la formule mystérieuse de Nietzsche : "Et
c'est même par puissance que je subis. " C'est par puissance que j'agis mais c'est aussi par
puissance que je subis. Puisque la puissance est l'ensemble de ce que je peux aussi bien en action
qu'en passion. Alors donc je peux juste, c'est le contraire d'une réponse que je fais à cette question,
je peux juste dire : "d'accord il y a cette formule chez Spinoza", ce sera pour nous et c'est déjà pour
nous un problème de savoir ce qu'il peut bien vouloir dire avec son histoire de :" conserver dans
l'être ou dans son être". Donc je n'ai pas répondu du tout.

Alors je passe à l'histoire des modes d'existence. Non plus distinction quantitative entre les"
étant" du point de vue de la puissance, entre les "existants" du point de vue de la puissance, mais
polarité qualitative entre les modes d'existence, deux au moins. Comment est-ce que ça peut se faire
? Et en effet, je vous disais l'Ethique, elle, ne cesse pas de nous dire ça. L'Ethique, elle, ne cesse
pas de procéder, c'est par commodité, deux modes d'existence. Elle ne cesse pas de nous dire :

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c'est des gens qui vous disent en gros, vous avez le choix entre des modes d'existence et
notamment entre deux pôles. Et quoi que vous fassiez, vous verrez, vous êtes sous un de ces pôles
ou sous l'autre. Quand vous faites quelque chose. Faire quelque chose ou subir quelque chose c'est
exister d'une certaine façon. Donc vous ne demandez pas qu'est-ce que ça vaut, vous demandez
quel mode d'existence ça implique. C'est ce que Nietzsche aussi disait avec son histoire d'éternel
retour. Il disait : pas difficile de savoir si quelque chose est bien ou pas bien, pas tellement
compliquée cette question, ce n'est pas une affaire de morale. faites l'épreuve suivante ne serait-ce
que dans votre tête : est-ce que vous vous voyez le faire une infinité de fois ? C'est un bon critère.
Voyez, c'est un critère du mode d'existence.

Ce que je fais, ce que je dis, est-ce que je pourrais en faire un mode d'existence ? Si je ne peux
pas ce n'est pas bien, c'est moche, c'est mal, c'est mauvais. Si je peux alors oui. Voyons je ne trouve
pas, c'est pas de la morale en quel sens ? Je dis à l'alcoolique par exemple. Je lui dis : „Tu veux
boire. Si tu bois, bois de telle manière qu'à chaque fois que tu bois tu serais prêt à reboire et reboire
une infinité des fois. Bien sur à ton rythme. A ce moment-là au moins, sois d'accord avec toi même.
Les gens font beaucoup moins chier quand ils sont d'accord avec eux-mêmes. Ce qu'il faut redouter
avant tout dans la vie c'est les gens qui ne sont pas d'accord avec eux-mêmes. Ca, Spinoza le dit
admirablement. Le venin de la névrose, c'est ça. La propagation de la névrose, je te propage mon
mal, c'est avant tout, ceux qui ne sont pas d'accord avec eux-mêmes, c'est terrible. Ce sont des
vampires. Tandis que l'alcoolique qui boit sur le mode perpétuel de ; : "Ah c'est la dernière fois, c'est
le dernier verre. Une seule fois !" C'est un mauvais mode d'existence. Si vous faites quelque chose,
faites le comme si vous deviez le faire des millions de fois. Si vous n'arrivez pas à le faire comme ça,
faites autre chose. Alors vous comprenez, ça capte tout. C'est Nietzsche qui le dit ç, pas moi. Toute
objection s'adresse à Nietzsche. Ca peut marcher tout ça ce n'est pas pour qu'on discute que je dis
ça. Ceux que ça peut touche, ça peut toucher. Ce n'est pas affaire de vérités tout ça, c'est affaire de
pratique de vivre. Il y a des gens qui vivent comme ça.

Mais en fait Spinoza, qu'est-ce qu'il veut nous dire ? c'est très curieux. Je dirais que tout le livre 4
de l'Ethique développe avant l'idée des modes d'existence polaire. Et à quoi vous le reconnaissez
chez Spinoza, je dis des choses pour le moment extrêmement simples, à quoi vous le reconnaissez
? Vous le reconnaissez à un certain ton de Spinoza lorsqu'il parle de temps en temps, le" fort" dit-il
en latin, "l'homme fort" ou bien "l'homme libre" et tantôt au contraire il parle de "l'esclave" ou de
"l'impuissant". Là vous reconnaissez un style qui appartient vraiment à l'Ethique. Il ne parle pas du
"méchant" et de "l'homme du bien". Le méchant et l'homme du bien c'est l'homme rapporté aux
valeurs en fonction de son essence. Mais la manière dont Spinoza parle, vous sentez que c'est un
autre ton. C'est comme un instrument de musique, il faut sentir le ton des gens. C'est un autre ton. Il
vous dit, voilà ce que fait l'homme fort, voilà à quoi vous reconnaissez un homme fort et libre. Est-ce
que ça veut dire un type costaud ? Evidemment non. On sent bien que l'homme fort peut être très
peu fort de certain point de vue. Il peut être malade, il peut être tout ce que vous voulez. Donc,
qu'est-ce que c'est ce truc de l'homme fort ? C'est un mode de vie, un certain mode d'existence et ça
s'oppose aux modes d'existence de ce qu'il appelle "l'esclave" ou "l'impuissant".

Qu'est-ce que ça veut dire ? Ce style de vie ? Ce style de vie, vivre à l'esclave ? Vivre en
impuissant ? Et puis un autre type de vie quoi - qu'est-ce que ça veut dire ? Encore une fois cette
polarité de mode sous la forme et sous les deux pôles, "le fort ou le puissant" et "l'impuissant ou
l'esclave", ça doit nous dire quelque chose. Continuons à aller dans la nuit, et regardons dans le

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texte ce que Spinoza appelle "l'esclave ou l'impuissant". On s'aperçoit que ce qu'il appelle "l'esclave
ou l'impuissant", je ne crois pas forcer les textes lorsque je dis : les ressemblances avec Nietzsche
sont fondamentales. Parce que Nietzsche lui aussi frappe à autre chose que distinguer ces deux
modes d'existence polaire. Il les répartit à peu près de la même manière. Car on s'aperçoit avec
stupeur que ce que Spinoza appelle" l'impuissant",unmode d'existence c'est quoi ? Les impuissants
ce sont les esclaves. Bon, mais les esclaves ça veut dire quoi ? Les esclaves de condition sociale.
Alors Spinoza en aurait contre les esclaves ? On sent que non, c'est un mode de vie. Il y a donc
des gens qui ne sont pas du tout socialement esclaves, mais ils vivent comme des esclaves.
L'esclavage comme mode de vie et non pas comme statut social. Donc, il y a des esclaves. Mais du
même côté des impuissants ou des esclaves, il met qui ? Ca va devenir plus important pour nous :
les tyrans ! Et bizarrement, parce quelà il y aura pleins d'histoires : les prêtres. Le tyran, le prêtre,
l'esclave, Nietzsche ne dira pas plus. Dans ses textes les plus violents, Nietzsche fera aussi la trinité.
Le tyran, le prêtre, l'esclave. Bizarre ça que ce soit déjà tellement à la lettre dans Spinoza.

Et qu'est-ce qu'il y a de commun entre tyran qui a le pouvoir, un esclave qui n'a pas le pouvoir et
un prêtre qui ne semble avoir d'autre pouvoir que spirituel. Qu'est-ce qu'il y a de commun ? Et en
quoi sont ils "impuissants" puisqu'au contraire ça semble être au moins pour le tyran et le prêtre des
hommes de pouvoir. L'un le pouvoir politique, l'autre le pouvoir spirituel. On sent qu'il y a bien un
point commun et quand on lit Spinoza de texte en texte on est confirmé sur ce point commun. C'est
presque une devinette. Qu'est-ce que, pour Spinoza, il y a de commun entreun tyran qui a le pouvoir
politique, un esclave et un prêtre qui exerce un pouvoir spirituel ? Est ce quelque chose de commun
ce qui va faire dire à Spinoza : "Mais ce sont des impuissants" ? Ce que d'une certaine manière
voilà, ils ont besoin d'attrister la vie. C'est vieille cette idée. Nietzsche aussi dira tout à fait des trucs
comme ça. Ils ont besoin de faire régner la tristesse. Spinoza pense comme ça, il le sent. Il le sent
très profondément. Ils ont besoin de faire régner la tristesse parce que le pouvoir qu'ils ont, ne peut
être fondé que sur la tristesse.

Et Spinoza fait un portrait très trés étrange du tyran. En expliquant que le tyran c'est quelqu'un qui
a besoin avant tout de la tristesse de ses sujets. Parce qu'il n'y a pas de terreur qui n'ait une espèce
de tristesse collective comme base. Le prêtre peut-être, pour de toutes autres raisons, a besoin de la
tristesse de l'homme sur sa propre condition. Et quand il rie, ce n'est pas plus rassurant. Parce que
le tyran peut rire et les conseillers, les favoris du tyran rigolent aussi. C'est un mauvais rire - pourquoi
c'est un mauvais rire ? Ce n'est pas un mauvais rire par sa qualité, Spinoza ne dirait pas ça. C'est un
rire qui précisément, n'a pour objet que la tristesse et la communication de la tristesse. Qu'est-ce que
ça veut dire ? Le prêtre, selon Spinoza, il a besoin essentiellement d'une action par le remords.
Introduire le remords. C'est une culture de la tristesse. Quelques soient les fins, ça m'est égal. Il ne
juge que ça. Cultiver la tristesse. Le tyran, pour son pouvoir politique, a besoin de cultiver la
tristesse, le prêtre a besoin de cultiver la tristesse tel que le voit Spinoza qui a l'expérience du prêtre
juif, du prêtre protestant et du prêtre catholique.

Or Nietzsche, lance une grande phrase : il dit "Je suis le premier à faire une psychologie du
prêtre", dit-il dans des pages très comiques et introduire ce sujet-là en philosophie. Il définira
précisément l'opération du prêtre par ce qu'il appellera lui "la mauvaise conscience", c'est-à-dire
cette même culture de la tristesse. Il dira c'est attrister la vie. Il s'agit toujours d'attrister la vie quelque
part. Et en effet pourquoi ? parce qu'il s'agit de juger la vie. Or vous ne jugerez pas la vie, vous ne la
soumettrez pas au jugement. La vie n'est pas jugeable. La vie n'est pas objet de jugement. La seule

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manière par laquelle vous le puissiez la faire passer en jugement, c'est d'abord lui inoculer la
tristesse. A ce moment-là, elle devient jugeable. Et bien sûr on rie, je veux dire le tyran peut rire, le
prêtre rie mais, dit Spinoza, dans une page que je trouve très belle : "Son rire c'est celui de la satire.
" Et le rire de la satire c'est un mauvais rire, pourquoi, parce que c'est un rire qui communique la
tristesse.

On peut se moquer de la nature, le rire de la satire c'est lorsque je me moque des hommes. Je
fais de l'ironie. Une espèce d'ironie grinçante. La satire c'est une autre manière de dire la nature
humaine est misérable. Ah vous voyez quelle misère la nature humaine ? C'est la proposition du
jugement moral. Quelle misère la nature humaine ! Ca peut être l'objet d'un prêche ou l'objet d'une
satire. Et Spinoza dans des textes très beaux dit :" justement ce que j'appelle une éthique c'est le
contraire de la satire". Et pourtant il y a des pages très comiques dans l'éthique de Spinoza. Mais ce
n'est pas du tout du même rire. Quand Spinoza rie, c'est sur le mode :" regardez celui-là, de quoi il
est capable". Ca peut être une vilenie atroce. Spinoza aurait plutôt une impression "Bon alors ça, il
fallait le faire, allez jusque là." Ce n'est jamais un rire de satire. Ah vous voyez comme notre nature
est misérable - ce n'est pas le rire de l'ironie. C'est un type de rire complètement différent. Je dirais
c'est beaucoup plus l'humour juif, c'est très spinoziste ça. "ça j'aurai jamais cru que cela pouvait se
faire".. C'est une espèce de rire très particulier. En un sens, Spinoza est un des auteurs les plus gais
du monde. Mais en effet, je crois que ce qu'il déteste, c'est tout ce que la religion a conçu comme
satire de la nature humaine. Puisque le tyran et l'homme de la religion font de la satire. C'est-à-dire,
ils dénoncent avant tout la nature humaine comme misérable. Puisqu'il s'agit de la faire passer au
jugement.
Et dès lors il y a une complicité, et c'est ça l'intuition de Spinoza, il y a une complicité du tyran, de
l'esclave et du prêtre. Pourquoi ? parce que l'esclave c'est celui qui vraiment se sent d'autant mieux
que tout va mal. Plus que ça va mal plus il est content. C'est ça la mode d'existence de l'esclave.
L'esclave c'est celui quelle que soit la situation, il faut toujours qu'il voit le côté moche. C'est ça, les
esclaves. Tu as vu ça ? Ca peut être un tableau, ça peut être une scène dans la rue, l' esclave, vous
le reconnaissez parfois, ils ont du génie. C'est le bouffon en même temps. L'esclave est le bouffon.
Là aussi Dostoïevski dit des choses bien profondes sur l'unité de l'esclave et du bouffon. Et les
tyrans sont tyranniques ces types-là. Ils vous accrochent, ils ne vous lâchent pas, ils ne cessent pas
de vous mettre le nez dans une merde quelconque. Ils ne sont pas contents sinon. Il faut toujours
qu'ils abaissent les trucs. Ce n'est pas que les trucs sont forcément hauts, mais c'est toujours trop
haut. Il faut toujours qu'ils découvrent une petite ignominie sous l'ignominie. Ils deviennent roses de
joie. Plus c'est degueulasse mieux que c'est. Ils ne vivent que comme ça. Ca c'est l'esclave, c'est
aussi le tyran, et c'est aussi l'homme du remords. Et c'est aussi l'homme de la satire. C'est tout ça. Et
c'est à ça que Spinoza oppose la conception d'un homme fort et puissant, dont le rire même n'est
pas le même. C'est une espèce de rire très très bienveillant, le rire de l'homme dit libre est fort. Il dit
"Bon si c'est ça que tu veux faire, vas-y c'est rigolo. " C'est le contraire de la satire. C'est le rire
éthique.

[Question posée : n'est pas audible.]

Si, il y a bien cette espèce de tonalité. Tonalité de deux modes d'existence. Ce qu'il nous faut
maintenant c'est précisément dans la voie-là qu'on vient de nous proposer ou dans d'autres voies.
Qu'est-ce que ça recouvre cette tonalité de deux modes d'existence dans une éthique ? Et donc je
reviens à la question, ce qui serait bon pour moi ce serait de trouver un lien entre la première

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question que j'ai traité jusqu'à maintenant et cette seconde question à laquelle j'arrive : sur la tonalité
des deux modes d'existence. Or je crois en effet, quelque chose nous fait passer très
rigoureusement de la première à la seconde question. Car dans la perspective de la première
question, je viens d'essayer de montrer que toute l'essence était en acte. Qu'à la lettre la puissance
n'était pas "en puissance", que toute puissance était "en acte". Qu'il y avait strictement identité de la
puissance et de l'acte, c'est-à-dire identité de la puissance avec ce que la chose "fait" ou "subit". Fait
et subit. Il faut revenir à ça. Ca doit être ça notre point de départ pour comprendre le lien des deux
aspects.
S'il est vrai que toute puissance est en acte, ça veut dire à chaque instant elle est effectuée.
Jamais vous en aurez un instant où ma puissance aura quelque chose d'ineffectuée. En d'autres
termes vous n'aurez jamais le droit de dire :"il y avait en moi quelque chose de mieux de ce que j'ai
fait ou de ce que j'ai subit". A chaque instant tout est en acte. A chaque instant ma puissance est
effectuée. Elle est effectuée par quoi ? Si toute puissance est en acte - vous voyez je fais une série
de notions d'identité, de concepts - Je dis puissance = acte pour Spinoza. Dès lors, toute puissance,
à chaque instant, est effectuée. D'où la question, qu'est-ce que ce qui est effectue à chaque instant
La puissance ? Là il y a une question de terminologie de Spinoza très importante. Spinoza appellera
"affect", ce qui effectue la puissance. Le concept de puissance chez Spinoza sera en corrélation
avec le concept d'affect. L'affect, ça se définit exactement comme ceci :" ce qui à un moment donné
remplit ma puissance, effectue ma puissance". Donc vous voyez, dire que ma puissance est
effectuée c'est dire qu'elle est effectuée par des affects. Ca veut dire, à chaque instant des affects
remplissent ma puissance. Ma puissance est une capacité qui n'existe jamais indépendamment des
affects qu'il effectue. On va arréter parce que ça va être trop difficile
Donc tant que je restais au concept de puissance je pouvais vous dire qu'une chose : A la
rigueur, je ne comprends pas comment, mais les existences se distinguent quantitativement parce
que la puissance est une quantité d'un certain type. Donc, ils ont plus ou moins de puissance. Mais,
deuxièmement, je vois que la puissance est une notion qui n'a de sens qu'en corrélation avec celle
d'affect. Puisque la puissance est ce qui est effectuée et c'est l'affect qui effectue la puissance. Cette
fois-ci, sans doute, ce sera du point de vue des affects qui effectuent ma puissance que je pourrais
distinguer les modes d'existence. Si bien que deux idées deviendraient très très cohérentes : dire à
la fois, il n'y a qu'une distinction quantitative selon la puissance entre les existants et dire il y a une
polarité qualitative entre deux modes d'existence, la première proposition renverrait à la puissance
acte, la seconde proposition renverrait à ce qui fait de la puissance un acte c'est-à-dire ce qui
effectue la puissance, c'est-à-dire l'affect.
Il y aurait comme deux pôles de l'affect, d'après lesquels on distingue les deux modes
d'existence. Mais l'affect, à chaque moment, remplit ma puissance et l'effectue. Qu'est-ce que ça
veut dire ça, l'affect, à chaque moment, remplit ma puissance et l'effectue ? Là Spinoza insiste
beaucoup sur les choses, il tient énormément à la vérité littérale de ça. Un aveugle alors, ce n'est
pas quelqu'un qui a une vue potentielle. Là aussi il n'y a rien qui soit en puissance et non effectué.
Tout est toujours complètement effectué. Ou bien il n'a pas de vue du tout, c'est-à-dire il n'a pas la
puissance de voir. Ou bien il a gardé des sensations lumineuses très vagues et très floues. Et c'est
les affects qui effectuent sa puissance telle qu'elle est. Il y a toujours effectuation de la puissance.
Simplement voilà, ça n'empêche pas. Donc vous comprenez bien cette idée de l'affect. L'affect c'est
qu'il va remplir ma puissance. Je peux, je me définis par un pouvoir, une puissance. Les affects, c'est
à chaque moment ce qui remplit ma puissance.

Alors, l'affect ce sera quoi ? Ca peut être des perceptions. Par exemple des perceptions

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lumineuses, des perceptions visuelles. Des perceptions auditives. C'est des affects. Ca peut être des
sentiments, ce sont des affects aussi. L'espoir, le chagrin, l'amour, la haine, la tristesse, la joie, c'est
des affects. Les pensées sont des affects. Ca effectue ma puissance aussi. Donc je m'effectue sous
tous les modes, perceptions, sentiments, concepts, etc. Ca, ce sont des remplissements, des
effectuations de puissance. Alors peut-on dire est-ce que cela veut dire que les affects ont deux
pôles ? Là Spinoza essaie d'expliquer quelque chose que je veux esquisser là puisqu'on le reprendra
la prochaine fois, ça serait trop difficile d'en parler maintenant. Il dit : en gros, il y a deux pôles de
l'existence. Les deux pôles c'est la tristesse et la joie. Ce sont les deux affects de base. Il fait toute
une théorie des passions, où la tristesse et la joie sont les deux affects de base. C'est-à-dire tous les
autres affects dérivent de la tristesse et de la joie.

Comment se distinguent ces deux affects de tristesse et de joie ? Vous comprenez, c'est juste là
ça devient un petit peu difficile. Alors il faut la vivre. Quand c'est difficile à penser il faut essayer de le
vivre. Il nous dit, tous les deux, les tristesses comme les joies effectuent ma puissance, c'est-à-dire
remplissent mon pouvoir. Ca l'effectue et ça l'effectue nécessairement. Au moment où j'ai compris
l'affect il n'est pas question que ma puissance puisse être effectuée d'une autre façon. L'affect qui
vient, lui, c'est lui qui remplit ma puissance. C'est un fait, c'est comme ça. Vous ne pourrez pas dire,
quelque chose d'autre aurait pu arriver. Non, c'est ça qui remplit votre puissance. Votre puissance,
elle, est toujours remplie mais par des affects variables. Je suppose que ce soit une tristesse qui
vous remplisse, qui remplisse votre puissance. Qu'est-ce qui se passe ? Voilà l'idée très curieuse de
Spinoza. La tristesse, elle remplit ma puissance mais la remplit de telle manière que cette puissance
diminue. Ca, il faut comprendre. Ne cherchez pas une contradiction. Il y a des manières. Je vais
procéder par ordre : Ma puissance est supposée être une certaine quantité, quantité de puissance.
Deuxième proposition. Elle est toujours remplie.
Troisième proposition. Elle peut être remplie par des tristesses ou des joies. Ce sont les deux
affects de base.
Quatrième proposition. Quand elle est remplie par la tristesse, elle est complètement effectuée
mais elle est effectuée de manière à diminuer. Quand elle est remplie par des joies, elle est
effectuée de manière à augmenter. Pourquoi ça ? On le verra la prochaine fois, pourquoi il dit tout
ça.

J'essaie de dire ce qu'il dit pour le moment ou ce qu'il me semble bien qu'il le dit. On sent qu'il y a
quelque chose qui ne va pas. Mais si on comprenait ce qui ne va pas, on comprendrait en même
temps quelque chose d'étonnant. Il nous dit à chaque instant ma puissance est tout ce qu'elle peut
être, elle est toujours effectuée, mais elle était effectuée par des affects dont les uns la diminuent et
les autres l'augmentent. Cherchez bien, il n'y a pas de contradiction. Il y a plutôt un étonnant
mouvement de pensée parce que là aussi c'est bien. Quand je disais tout concept philosophique a
plusieurs épaisseurs, a plusieurs niveaux, jugez-le à un niveau, vous ne l'aurez pas épuisé il y a un
autre niveau. Au premier niveau, je dirais Spinoza nous dit : "il faut bien procéder du plus simple au
plus compliqué. Dans tous les arts, on fait comme ça, et dans toutes les sciences, on fait comme ça".
Spinoza, à un premier niveau, nous dit : "Je définis les choses, les êtres etc. par une quantité de
puissance." Il ne veut pas en dire trop, il ne veut pas s'expliquer complètement. Et le lecteur
comprend tout seul que cette quantité de puissance c'est comme une quantité absolue pour chacun.
Deuxièmement, il dit que ce qui remplit la puissance à chaque instant ce sont des affects, ou de
tristesse ou de joie.
Troisièmement, or les affects de tristesse effectuent ma puissance de telle manière que ma

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puissance est diminuée, les affects de joie effectuent la puissance de telle manière que la puissance
est augmentée.

Qu'est-ce qu'il est en train de nous dire ? C'est comme s'il parlait, écoutez bien, il parle par ma
bouche. Il vous dit : "J'avais bien être forcé de faire dans la première proposition comme si la
puissance était une quantité fixe mais en fait et c'est déjà par là que la puissance est une quantité
très bizarre, la puissance n'existe que comme rapport entre des quantités. La puissance en
elle-même n'est pas une quantité, c'est le passage d'une quantité à l'autre. Je dirais à la lettre, là
j'invente un mot parce que j'en ai besoin, c'est une quantité transitive. C'est une quantité de passage.

Dès lors, si la puissance est une quantité de passage, c'est-à-dire c'est moins une quantité qu'un
rapport entre quantités, Il est bien forcé que ma puissance soit nécessairement effectuée mais que
quand elle est nécessairement effectuée, elle ne peut être effectuée que dans un sens ou dans
l'autre, c'est-à-dire de telle manière qu'en tant que passage elle soit passage à une plus grande
puissance ou passage à une puissance diminuée. C'est beau ça. C'est bien. Là il vit quelque chose
de très profond concernant ce qu'il faut appeler puissance. Donc, être une manière d'être c'est
précisément être un passage. Être un mode, une manière d'être c'est ça. La puissance n'est jamais
une quantité absolue, c'est un rapport différentiel. C'est un rapport entre quantité de telle manière
que l'effectuation va toujours dans un sens ou dans l'autre. Dès lors, vous aurez deux pôles de
l'existence, deux modes d'existence. Exister sur le mode ou je remplis ma puissance ; j'effectue ma
puissance dans de telles conditions que cette puissance diminue et l'autre mode d'existence, exister
sur un mode ou j'effectue ma puissance de telle manière que cette puissance augmente. Vous
réfléchissez, ça reste très abstrait, j'essayerai d'être plus concret la prochaine fois. Vous
réfléchissez, que ça tourne dans votre tête...

FIN

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Deleuze
-- Menu - La peinture et la question des concepts - Mars à Juin 1981 - cours 14 à 21 - (18 heures) --

La peinture et la
question des concepts
- Mars à Juin 1981 -
cours 14 à 21 - (18
heures)

20- 26/05/81 - 1
Marielle Burkhalter

20- 26/05/81 - 1 Page 1/9


transcription : Danièle Maatouk

DELEUZE 26/05/81 - 20A

Alors je rappelle, mais nous n'avons plus que aujourd'hui et la prochaine fois, et qu'il faudrait arriver
dès aujourd'hui au problème de la couleur, enfin, et puis la prochaine fois ne parler que de ça et
terminer là dessus. Alors avant je voudrais bien que vous ayez très présent à l'esprit le problème
général que l'on essaie de traiter.

Je rappelle ce plan général : Il s'agit de considérer la peinture comme l'acte par lequel (peu
importe le mot ), par lequel on transmet ou on reproduit un espace-signal sur la toile.

Et en effet, on ne peint jamais quelque chose, on peint, un peintre il peint toujours un espace. Il peint
l'espace-temps mais un espace. Alors transmettre ou reproduire un espace-signal sur la toile, ça se
fait comment ? C'est grâce à une espèce d'analyse, grâce à un essai d'analyse logique qu'on a fait
précédemment, notre réponse était : ça se fait par analogie. Ça se fait par analogie ?

mais qu'est-ce que veut dire analogie ? A l'issue de notre analyse, on avait pu conclure, on avait au
moins une hypothèse ferme, à savoir, l'analogie ne signifie en aucune manière la similitude ou la
ressemblance, elle signifie une opération très particulière qui a plusieurs formes, elle-même qui a
plusieurs types, qui a des types très différents et qu'il faut nommer modulations.

Donc, c'est en modulant quelque chose. Et on a essayé d'analyser ce concept de modulation. C'est
en modulant quelque chose = x qui est très variable, qui peut être très variable, c'est en modulant
quelque chose que le peintre transmet l'espace-signal.

D'où l'importance pour nous, vous vous rappelez, de considérer arbitrairement - parce qu'il ne
s'agissait pas même de prétendre à une histoire totale - de considérer certains espaces-signes,
certains espaces-signaux, et les types de modulations correspondants.

Et le premier espace-signal que nous avions considéré, c' était l'espace égyptien. C'est un
espace, vraiment, où la forme et le fond sont appréhendés sur le même plan. Ceci est une définition
de l'espace.
En corrélation directe nous demandions quel était le type de modulation apte à transmettre cet
espace, soit sur une surface, soit sur une surface à peine approfondie du type bas-relief. Et notre
réponse était très simple, si vous vous rappelez, c'est pour ça que quand même que tout ce qu'on a

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fait, forme une espèce de tout. Vous vous rappelez notre réponse, c'est que c'était bien un type de
modulation, un type de modulation qu'il fallait ou que l'on pouvait essayer de préciser sous la forme
du moule, une modulation moule ; ce moule étant défini comme le contour géométrique cristallin.

Voilà. Puis on a vu qu'un autre type d'espace en son terme, il a dû se passer bien des choses entre
les deux. Mais à plus forte raison, pour les autres exemples qu'on prendra, c'est vraiment des
coupes que l'on propose, c'est pas une succession ordonnée ni totale.

On a vu que, qu'est-ce qu'on a vu ? On a vu cet événement, cet événement qui marque sans doute
une espèce de surgissement du monde grec ou de l'espace grec, et que là, ce surgissement, on
pourrait le définir précisément par un événement très considérable, à savoir, la distinction des plans.

Le plan du fond et le plan de la forme se distinguent et se séparent, et entre les deux, bien-sûr,
qu'est-ce qui se passe ? Une nouvelle forme de la lumière.

Et il nous semblerait encore une fois, avec cet auteur que j'évoquais, Maldinais, il me semblait tout à
fait faux de dire que le monde grec c'était le monde de la lumière, ce n'est pas le monde de la
lumière, à la limite, le monde égyptien serait beaucoup plus le monde de la lumière. Tout comme,
remarquez, et là peut alors, c'est ce qu'on trouve à propos de la peinture, doit nous servir ailleurs
pour la philosophie. C'est pas le monde de la lumière, le monde grec. De même, on le définit parfois
philosophiquement comme étant le monde des essences, c'est pas vrai. Ce serait beaucoup plus le
monde égyptien qui serait le monde des essences, où, en effet, la figure individuelle cernée par le
contour, par le contour cristallin géométrique, définit l'essence stable et séparée. Séparée de quoi ?
Séparée du monde des phénomènes, séparée des accidents, séparé du devenir.

Mais les grecs sont beaucoup plus proches de nous. C'est très curieux, ce que l'on attribue aux
grecs, il me semble que ce qu'on devrait dire des égyptiens. Il faudrait faire, c'est pas grave, une
espèce de reculage. Il faudrait reculer tout ça d'un cran car ce qui est frappant, c'est que déjà avec
les grecs, l'essence n'est pas séparable, n'est plus séparable de sa manifestation dans le monde des
phénomènes. Et de même, sans dire que c'est la même chose, et de même, la lumière est
subordonnée à la forme. La lumière est subordonnée à la forme, l'essence n'est plus conçue comme
l'entité stable et séparée, elle est inséparable des phénomènes. On pourrait dire une chose simple,
l'essence n'est plus essentielle, elle est devenue organique. C'est évidemment vrai d'Aristote, mais
c'est déjà vrai de Platon.
Et sur tout le monde grec, pour moi, retentit ce que Platon fait dire à "l'égyptien". Lorsque
l'égyptien dans le texte de Platon dit « vous autres grecs, vous n'êtes que des enfants », c'est-à-dire
à la lettre : vous avez perdu le secret des essences stables isolées, séparées des essences
individuelles stables isolées. Vous avez perdu en un sens le secret de la lumière, c'est-à-dire de cet
espace où forme et fond sont sur le même plan. Et c'est pour ça que les grecs inventent la
philosophie. Car, la philosophie si elle a un sens, c'est très mauvais pour toute compréhension
même confuse de la philosophie, de l‘allier le moins du monde à la sagesse. Car, dans philosophie il
y a bien philo et sophia, et sophia c'est la sagesse.

Mais philo ça veut dire quoi ? Ça veut dire justement que le philosophe n'est plus un sage. Le
sage c'est l'égyptien. Le philo-sophe, celui qui est réduit à ne plus être que l'ami de la sagesse, avec
toute la complexité de : Qu'est-ce que ça veut bien dire philo en grec ? Sentez quelle chute du

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sophos jusqu'au philo-sophos. L'ami de la sagesse ? Mais qu'est-ce que ça peut vouloir dire l'ami de
la sagesse ? C'est-à-dire, il ne prétend même plus être un sage. Traduisez : vous autres grecs, vous
ne serez jamais que des enfants, ça veut dire aussi bien : vous autres grecs, vous ne serez jamais
que des philoï, vous n'êtes plus des sages, vous êtes des philosophes. Qu'est-ce ça veut dire ? Vous
n'atteignez plus aux essences, aux essences stables et séparées, vous n'atteignez qu'aux essences
en tant qu'elles s'incarnent déjà dans les phénomènes, dans le devenir, etc. Et que d'une certaine
manière elles sont soumises au rythme du devenir. Alors, bon, c'est vraiment un changement, c'est
un changement d'espace, d'éléments, c'est un changement de temps, un changement de toute la
conception de l'art. L'essence devenue organique, c'est-à-dire, l'essence saisie au moment où elle
s'incarne dans le flux des phénomènes . Et toute la théorie, si j'insiste là, si je fais cette parenthèse
philosophique, c'est pour ceux qui définissent le monde platonicien comme le monde des idées avec
un grand « i », des idées séparées, ça ne tient pas debout une seconde. Car, c'est bien vrai qu'il y a
chez Platon cet aspect, les idées séparées du sensible, mais c'est un hommage à une vieille tradition
qui lui échappe et dont il sait bien qu'elle lui échappe. Mais son problème à lui, Platon, c'est pas du
tout le monde des essences séparées, des idées séparées, au contraire, c'est le monde de la
participation, à savoir, les idées participent au flux du sensible ou le flux du sensible participe aux
idées. Donc, c'est le monde des essences devenues organiques.

Or cet espace, j'avais commencé à le définir la dernière fois, et je cherchais du point de vue de
mon souci de la peinture, deux espèces de koréla entre la sculpture et la peinture grecque, et ça
c'est pas encore une fois des successions chronologiques, et quelque chose qui en a été repris dans
la peinture dite classique du 16e siècle, comme s'il y avait un système d'écho entre cet espace du
monde grec d'une part, et l'espace et le monde de la Renaissance. Et je disais, cet espace grec et
cet espace Renaissance va se définir par la distinction des plans. Ce qui suffit pour le distinguer de
l'espace. égyptien ça va être donc un espace qui fait signe, un espace signal qui procède tout à fait
autrement.

Mais, il ne suffit pas de dire que les plans sont distincts, ça ne définirait pas suffisament l'espace
grec, ça ne le distinguerait pas des espaces ultérieurs, ça ne le distinguerait pas de l'espace
byzantin, ça ne le distinguerait pas de l'espace 20e siècle, ou, je ne sais pas quoi, ou du 19e en tout
cas. Il faut ajouter, oui, que c'est un espace où les plans se sont distingués, donc, où la forme et le
fond ne sont pas sur le même plan, mais c'est aussi un espace où il y a un primat déterminant de
l'avant plan. C'est l'avant plan qui est déterminant. Pourquoi ? Parce que l'avant plan reçoit la forme.
Et bien sûr on pourra toujours trouver des exceptions de la peinture de la Renaissance ou dans l'art
grec. Je dis juste, est-ce que c'est par hasard lorsque vous trouvez une exception dans l'art grec ?
(mais à mon avis vous devez trouver des exceptions tardives), est-ce que c'est un hasard où vous
pouvez déjà là, dire et que vous avez le sentiment immédiat que c'est la gestation d'un nouveau
monde qui ne sera plus le monde grec, et que c'est la préparation de ce qui va éclater, de ce qui va
surgir avec Bysance, à savoir par exemple, autour de l'art alexandrin ? Je dis en tout cas, si vous ne
prenez pas tout ce que je dis aujourd'hui mais surtout la prochaine fois, il faut y mettre des nuances.
Je n'ai pas le temps de mettre des nuances, ça ne veut pas dire toujours, dans tous les cas, mais en
règle générale, vous avez cet espace comme un Haut grec et à la Renaissance qui est vraiment un
espace où les plans sont distincts avec primat de l'avant-plan, et cet avant-plan peut être
extraordinairement complexe. Je vous citais, les avant-plans courbes, par exemple, chez Raphaël,
admirable avant-plan où il y a une courbure de l'avant-plan.

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Mais l'avant-plan, c'est le lien où se détermine la forme, et la forme se détermine à l'avant-plan, sur
l'avant-plan. Dès lors, sentez par rapport à l'Egypte, il va y avoir quelque chose de fondamental, un
changement, par exemple, dans le statut du contour. Ça en découle tout droit. Si vous vous donnez
un espace, un espace donc, cette fois-ci non plus planimètrique mais un espace volume, c'est le
cube grec, le cube grec contre la pyramide égyptienne. Si vous donnez un espace volume déterminé
par l'avant-plan vous donnez en même temps le primat de la forme. La forme se détermine à
l'avant-plan, et vous changez le statut du contour, vous vous rappelez que une chose très
merveilleuse chez les égyptiens, mais tout est merveilleux, tous ces espaces sont des merveilles,
indépassable chacun. Vous vous rappelez que, parmi les merveilles de l'espace égyptien, il y avait
ceci : l'indépendance du contour.

Le contour prenait une autonomie par rapport à la forme et par rapport au fond, c'est par là que
c'était le contour cristallin. C'est un contour géométrique cristallin. Et en effet, il prenait
nécessairement une indépendance puisque le contour c'était ce qui rapportait la forme au fond et le
fond à la forme sur un seul et même plan. Alors, il y avait toute nécessité, ce n'était pas comme ça,
ce n'était pas une chose de plus, il appartenait à cet espace de donner une autonomie sur le plan au
contour, le contour donc était géométrique cristallin. Au contraire, on saute dans l'espace grec,
distinction des plans avec primat de l'avant plan où c'est d'abord la forme, et alors le contour, ça
devient quoi ? Ça devient l'autodétermination de la forme au premier plan, à l'avant plan, sur l'avant
plan.
Le contour dépend directement de la forme. Qu'est-ce que c'est ça le contour dépend directement
de la forme ? Et toutes ces notions s'engendrent les unes à partir des autres, c'est ça qu'on appellera
le contour organique. Quand le contour dépend de la forme, a perdu son indépendance égyptienne,
il est devenu le contour organique. Et l'essence, dès lors, est elle-même essence organique. Bon, ça
veut dire quoi ça l'essence est devenue, le contour est devenu contour organique ? Ça n'est plus
l'essence séparée, isolée, isolée par le contour autonome des égyptiens. Dès lors, ça n'est même
plus l'essence individuelle.

Qu'est-ce qu'il invente l'art grec ? Il invente quelque chose comme, je ne sais pas quoi, le groupe,
l'harmonie du groupe. Qu'est-ce qu'invente la peinture de la Renaissance ? Je disais la dernière fois,
parce que j'avais besoin, il y avait un mot un peu spécial, je disais : il invente la ligne collective. (Ça
ne se réduit pas à ça encore une fois, vous corrigez à chaque fois). La ligne collective, à savoir, et
c'est ça le contour organique, qu'un troupeau de moutons ait une ligne, c'est une découverte
formidable ça. Comprenez, à la limite on pourrait dire que non, en égyptien ça ne marchera pas
comme ça forcément, puisque sa ligne géométrique cristalline. Non, il faut que la ligne soit organique
pour que le troupeau ait une ligne. A ce moment là, on entre dans tout un domaine qui est celui du
rythme, parce que dans quel rapport sera la ligne collective du troupeau de montons, et un autre
type de ligne collective, la ligne collective d'un nuage. Dans quelle résonnance ces deux lignes
sont-elles ? Les lignes collectives vont entrer dans des rapports harmoniques. L'essence chez les
grecs ça n'est plus l'essence individuelle, ça n'est plus l'essence séparée. Voyez tout s'enchaîne. Je
voudrais que vous saisissiez que tout s'enchaîne. L'essence séparée ça n'est plus l'essence
individuelle du groupe. La ligne est devenue organique, elle est deveue collective, mais vous me
direz mais il y a plein de, par exemple dans la statuaire grecque, de bonshommes tous seuls ou de
dames toutes seules, oui, oui, il y a plein de...ça ne me gêne pas, avant que l'objection soit faite,
Dieu merci, ça montre que nous avons raison, nous avons la réponse à l'objection. Donc, il n'y a pas
d'objection, jamais, car, bien-sûr, qu'est-ce c'est que cette figure isolée, apparement isolée ? Ce sont

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des organismes. Et aussi bien, qu'est-ce que c'est, quand il y a un organisme seul, qu'est-ce que
c'est ? C'est une ligne collective. Pourquoi c'est une ligne collective ? Quand on parle de la belle
individualité grecque , si vous voulez, c'est par exemple, tous les textes de Shopenhauer. Non, c'est
pas ça je crois. Tout ce qu'il dit s'avère encore une fois plus pour les égyptiens que les grecs. Ce
qu'il dit ça vaut pour le fond égyptien qui reste vivant chez les grecs. Mais dans la mesure où les
grecs parlent pour leur compte, ils nous disent d'autres choses. Ils nous disent d'autres choses, et je
reviens à ma question, un organisme c'est ça qui découle, le monde grec ce n'est pas celui de
l'essence, c'est celui de l'organon.

Je dis ça en grec, parce qu'il y a une série de textes célèbres d'Aristote regroupés sous ce titre
L'Organon. Tout comme chez Aristote la forme, il y a bien des formes séparées, dernier hommage
au monde égyptien, mais en tout cas dans le monde dit sublimaire pour mot, or l'espace grec c'est
l'espace sublimaire. Dans le monde sublimaire, les formes sont strictement inséparables de matière,
d'une matière quelconque qu'elles informent, et toute la hiérarchie du monde aristotélicien, ce sera
les types de formes en corrélation avec les types de matière informée. Ça ce n'est pas vraiment
grec, c'est égyptien.

Alors, oui, je reviens toujours, organisme, un organisme, bien sûr c'est une unité. Je ne veux pas dire
du tout que ça soit le monde de la dispersion, mais c'est un monde pour lequel, il n'y a plus d'unité
isolée ; toute unité est une unité d'une diversité. L'unité y est très forte, mais c'est toujours l'un d'un
divers, le monde grec. C'est toujours une unité, il n'y a jamais d'unité absolue. On a beau parler
encore une fois de l'un, avec un grand « U », l'Un chez Platon. L'Un chez Platon c'est finalement la
pure transcendance, c'est-à-dire c'est l'hommage au monde égyptien.

Mais les grecs eux, ils saisissent leur faisceau, leur faisceau spatial saisi, une espèce de région
intermédiaire entre l'impur et séparé, et la multiplicité pure. Ils saisissent tous les degrés de l'Un, tous
ces degrés, tous ces degrés variables, toute cette gradation dans laquelle l'Un ou la forme
s'enfoncent de plus en plus dans une matière où toutes ces élévations par lesquelles la matière tend
de plus en plus vers la forme. Alors quand il faut un organisme, c'est une unité, d'accord, mais c'est
une unité de parties différenciées. Et du point de vue, là je dis vraiment des choses extrêmement
rudimentaires, très simples, mais si je reprends des épreuves simples, vous prenez une toile typique
Renaissance et toile typique 17e siècle. La manière dont vous distinguez immédiatement, même de
sentiments, de sentiments confus, que ces peintures n'appartiennent pas exactement au même
monde, c'est-à-dire au même espace.
On peut prendre toute sortes de choses, un nu de femme, un nu, c'est bien évident que dans les
nus de la Renaissance, ou dans les sculptures grecques, vous trouvez la même chose, à savoir
l'organisme affirmé comme unité d'une multiplicité distincte, et que les parties organiques sont bien
sûr prises dans un système d'écho, mais sont fermement distinctes. Si vous prenez, le plus beau,
une Vénus quand vous serez rentrés chez vous, prenez ou essayez de prendre, de considérer une
Vénus du Titien et une Vénus de Vélasquez. Le traitement du nu là est évident. Le volume du corps
n'est pas du tout rendu de la même manière. C'est même ça qui est beau. Dans le cas du Titien,
c'est très net à quel point l'organique est vraiment l'unité d'une multiplicité de parties différenciées.

On verra qu'au 17è siècle, entre autre avec Velasquez, ça se produit de toute une autre manière.
Le corps a cessé d'être un organisme, il est bien autre chose. Donc, je dirais même lorsqu'il y a
représentation d'un individu seul, c'est un individu organique c'est-à-dire c'est l'unité d'une

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multiplicité. Donc c'est bien encore une ligne collective. C'est simplement une ligne collective à forte
unité, tandis qu'un troupeau de moutons, c'est une ligne collective à moins forte unité. C'est pas par
hasard que les philosophes correspondants sont des philosophes qui passent leur temps à faire une
hiérarchie des degrés d'unité. Seulement, par exemple, ce qui est très intéressant à se demander ce
qu'on trouvera encore dans la philosophie de Leibnitz, qu'est-ce que c'est que la hiérarchie des
degrés d'unité, c'est-à-dire, en quoi est-ce qu'un tas de cailloux ou un fagot de branches de bois, un
troupeau de mouton, ou une armée, une colonie animale, un organisme, une conscience, etc,
représentent des degrés d'unité de plus en plus forts sur une échelle hiérarchique ?

Alors si c'est ça l'espace grec, et si c'est ça - mais c'est très sommaire ce que je dis à partir de là, on
compliquera après- vous remarquez que je n'introduis pas encore la couleur, je ne peux pas, mais ça
va venir. Je dis juste que bien que ce soit un espace de la lumière, c'est un espace à forte lumière, et
où la lumière est subordonnée à la forme. Elle est complètement subordonnée aux exigences de la
forme. En d'autres termes, c'est un espace, comme on dit très bien, c'est un espace tactile-optique,
c'est pas du tout un espace optique, c'est un espace tactile-optique. Vous vous rappelez que
l'espace égyptien, en effet, je ne reviens pas là dessus, on l'avait défini en suivant cet auteur
autrichien Redel ( ou Ridel), on l'avait défini comme un espace aptique, et que l'œil y avait une
fonction bizarre que j'ai essayé de définir, l'oeil avait une fonction aptique. L'espace que d'après tout
ce qu'on vient de voir, il n'est pas aptique, il est tactile-optique. Qu'est-ce que ça veut dire tactile ?
Qu'est-ce qui renvoie au tact ? C'est précisément que tous les effets optiques sont d'une certaine
manière subordonnés à l'intégrité de la forme. Et que l'intégrité de la forme est tactile sous la forme
de quoi ? Du contour organique.
En d'autres termes, c'est un espace optique à référent tactile. La lumière, oui, mais qu'elle ne
compromette pas la clarté de la forme. Et la clarté de la forme qu'est-ce qu'elle est ? C'est une clarté
tactile. C'est ce que Wolfline a dans son livre là, que je citais beaucoup la dernière fois, appelle la
clarté absolue. Même dans les ombres, le contour gardera ses droites, car le contour est tactile,
tandis que les ombres sont optiques. Et encore, dans les tableaux de la Renaissance vous voyez
cette chose merveilleuse qui vient non pas de leur maladresse, qui vient, au contraire, d'un coup
d'adresse étonnant, que le contour, c'est-à-dire l'allusion tactile, subsiste, intègre à travers le jeu des
ombres.

C'est donc un espace très curieux cet espace optique à référent tactile, presque il faudrait dire, à
double référent tactile. Sur un certain plan je dirais presque, (enfin je n'ai pas le temps, je dirais que
tout ça c'est à vous de voir), il me semble que la référence tactile est double ; c'est, en effet,
subordination de la lumière à la forme, ou ce qui revient au même, auto-détermination de la forme
par un contour organique qui est nécessairement tactile. Mais je dis, c'est une double référence
pourquoi ? Parce que tout se passe comme si sur le plan du réel l'œil dominait. C'est un espace
optique, mais il se fait confirmer les choses par le tact. C'est comme si la main suivait l'œil et
confirmait le contour à travers le jeu des ombres. Mais sur le plan l'idéal c'est presque l'inverse. C'est
l'œil qui renvoie à un tact idéal. Pourquoi ? Parce qu'il y a d'optique dans ce monde, dans ce monde
grec, va être réglé par quoi ? On voit très bien ce qui, c'est la même chose que ce qui règle la ligne,
cette ligne collective.

Alors, alors, alors, qu'est-ce que je voulais dire ? Oui, nombre et mesure, je reviens à ma stèle là,
les deux femmes côte à côte, une même mesure avec les deux plans latéraux. Mais votre œil,
supposons que votre œil commence par le bas, vous allez voir à l'intérieur de cette mesure, à

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mesure que votre œil monte, les temps varier. Pourquoi les temps varient et passent par des seuils,
ces seuils qui sont marqués par quoi ? Pas difficile, les temps forts. A savoir les reliefs lumineux. Je
peux dire c'est la même chose, les temps forts d'un rythme, les reliefs lumineux d'une sculpture,
pourquoi, et les reliefs lumineux c'est l'avant-plan. C'est ce qui surgit à la l'avant-plan. Cette fois-ci je
ne parle plus des plans latéraux, je parle de l'avant-plan, du plan d'un point de vue frontal. Voyez, les
reliefs lumineux affleurent à l'avant-plan. C'est eux qui définissent les temps forts d'une sculpture. Et
les ombres, c'est les temps précisément dits où les grecs ont toute une théorie là dessus. A la fois de
musique et de sculpture, c'est les temps faibles du rythme. Les ombres marquent -ils ont des mots
pour ça en plus- merveille, c'est les temps faibles, les temps faibles du second plan de l'arrière-plan.
C'est un espace rythmé par les temps forts de l'avant-plan et les temps faibles de l'arrière-plan.

Si vous voulez comprendre ce que va apporter Bysance là dedans, et quelle révolution va faire
Bysance, il faut... or votre œil, il le fait tout seul quand vous voyez une sculpture grecque. Alors...
bien, et je dis l'œil, de bas en haut, il recueille bien la variation des temps, pas seulement entre
temps forts et temps faibles, mais c'est les temps forts de l'avant-plan qui varient. Avec des seuils
marqués par quoi ? Les genoux, marqués par les articulations organiques. Les genoux, l'aine, la
taille, le haut des épaule, le visage. Et encore, ça se subdivise beaucoup. Si bien qu'à l'intérieur de la
même mesure, vous avez une double variation : variation des temps forts sur l'avant-plan de bas en
haut, variation des temps faibles, variation correspondante des temps faibles à l'arrière plan.
Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Je résume, j'essaie de résumer cet espace tactile-optique.

Je reprends ma question parce que celle-là il ne faut jamais la perdre de vue, sinon on
n'avancerait pas. Vous vous rappelez que pour tout espace signal, je dois trouver, ou je m'étais
vaguement engagé à trouver un principe de modulation, bah oui, c'est plus du tout la modulation
égyptienne par moule géométrique cristallin, c'est un second grand type de modulation, qui va être la
modulation de la ligne, ou plus précisément la modulation par ce qu'on a appelé, (là je vous renvoie
j'ai plus le temps de recommencer), la modulation par moule intérieur. La modulation rythmique par
moule intérieur, vous rappelez cette notion que j'ai empruntée à Buffon parce qu'elle me paraissait
très éclairante, par moule intérieur, cette espèce de notion très bizarre formée par Buffon, mais qui
me paraît riche dans d'autres domaines de ceux auxquels Buffon l'appliquait, quoique Buffon, il y a
bien une raison pour nous en servir, puisque Buffon s'en servait et formait cette notion paradoxale de
moule intérieur, pour nous faire comprendre la reproduction de l'organisme.
C'est une modulation par moule intérieur, et le moule intérieur c'est quoi ? C'est l'unité d'une
mesure dont les temps sont variables, en d'autres termes, c'est un module, dont je dirais - mais la
formule telle quelle n'a aucun sens- mais là, je m'en sers pour résumer cet ensemble, je dirais que
l'espace grec, lui, est modulé tout autrement que l'espace égyptien. Il est modulé par module,
c'est-à-dire par moule intérieur. Donc, ça c'est le moyen de transmettre, si vous voulez, ou de
reproduire l'espace tactile-optique. C'est le grand monde organique, et quand un critique d'art
comme Verinder définit le monde classique, le monde grec, il dit que c'est le monde de la
représentation organique, et quand il s'explique sur ce qu'il entend par la présentation organique,
bien sûr, on a tendance à comprendre, oui c'est un art qui a choisi avant tout comme objet
l'organisme. Il a choisi comme objet l'organisme, alors je peux faire une parenthèse si elle ne vous
trouble pas, c'est très important ça, il a choisi comme objet l'organisme sûrement, c'est vrai, c'est
vrai.
Il faudra de longues histoires là, pour que la peinture cesse d'être organique, et puis elle ne l'a
pas toujours été, mais c'est vraiment, mais ça suffit pas de dire ça. J'ouvre une parenthèse pourquoi

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que c'était très compliqué là, cette histoire, la peinture élit comme objet l'organisme. Si je fais une
timide avancée sur ce qui nous reste à faire, et ça va poser un problème énorme du point de vue des
couleurs, parce que, où est le problème du point de vue des couleurs ? Comment traduire, comment
reproduire picturalement les couleurs de l'organisme ? Affreux problème. Affreux problème
européen, typiquement un problème européen ça. C'est important, pourquoi ? C'est les peintres ce
sont très...je crois avant c'était différent, mais notamment avec les nus de Michel-Ange, avec
l'avènement de nu dans la peinture, qu'est-ce qui s'est passé ? Un problème technique effarant. On
verra comment il sera résolu, mais, on pourrait dire, c'est une manière d'exprimer le problème total
de la peinture. Une manière, mais tout y est. Comment reproduire les couleurs d'un corps, d'un corps
organique ? C'est difficile. Sans quoi, pourquoi, parce que quelque soit la méthode que vous
employez dans l'occident, vu la nature de l'organisme occidental

[interrompu au bout 46 minutes 38 ]

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

13- 16 /03/82 - 1
Marielle Burkhalter

13- 16 /03/82 - 1 Page 1/11


DELEUZE / Cinema - cours du 16/03/1982 - 1

transcription / Lucie Dubus

un moi absolu - est ce qu'il y a un rapport avec la catégorie...

Gilles Deleuze : C'est de qui ? La rigueur de la question m'inquiète... Voilà ce qui se passe. Je
voudrais que vous sentiez vous-même ces choses. En effet, supposez que je dise - et comme je l'ai
dit, supposez que je re-dise - nous groupons dans la catégorie de "priméité' un certain nombre
d'états qui n'ont en commun que d'être sans relation avec un " moi ", et d'être sans assignation
spatio-temporelle. Ç'est comme un premier groupe, à charge pour moi de dire : ah oui, tout n'est pas
comme ça ! Il y a aussi, on l'a vu, de la secondéité, et de la tierceité. Je ne précise pas s'il y a , à
supposé qu'il y ait bien :
première remarque qu'on peut me faire : est ce que de tels états existent ? Je dirais presque, là,
non pas affaire de goût, mais affaire de goûts philosophique. Est ce que de tels états existent,
qu'est-ce que ça veut dire ? ça peut vouloir dire : est-ce que de tels états se présentent à l'état pur ?
Parmi nous, je suppose, certains diront : priméité : aucun sens. Ça voudra dire que, finalement, je
n'ai pas à m'en servir, moi, tel que je vois les choses. Je n'ai pas à m'en servir. Réaction très
légitime. Seconde réaction possible : ha oui, la priméité ça me dit quelque chose ! Et en effet, dans
votre expérience, vous vous dites : ah oui j'ai connu des états de ce type. Des états que je vivais
comme sans relation avec moi, et sans relation avec un espace-temps déterminé.

Ou bien, troisième réaction possible : oui, je vois bien ce qu'il veut dire, mais ce n'est pas des
états purs ça, c'est à la rigueur : un pôle de certaines expériences. Ce qui voudrait dire : ce que tu
appelles priméité ça n'existe jamais à l'état pur, c'est un pôle abstrait de l'expérience que tu as le
droit de dégager. Mais il est entendu que tous les états concrets ont un aspect de priméité, mais ont
aussi d'autres aspects.

Alors, c'est pour ça que, dans les questions que vous me posez, c'est sans aucune provocation que
j'ai presque envie de répondre : c'est vraiment celui qui pose la question qui seul a les moyens d'y
répondre. mais je prends l'exemple de la question que tu viens de me poser Dans ce qu'on a défini
vaguement comme priméité on peut aussi avoir des états différents.

A supposer que ça existe, de tels états, quelles structures d'expériences les présentent ? et là c'est
très varié puisque, la dernière fois, on a vu que ça pouvait être l'expérience de l'endormissement,
mais ça pouvait être aussi certaines expériences du délire, des expériences de type

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schizophrénique, et ça pouvait être encore certaines expériences mystiques. Et il ne s'agissait pas
du tout, pour nous, de dire : tout ça c'était la même chose. C'était simplement un aspect de
l'expérience qui se découvrait aussi bien dans certaines expériences d'endormissement, que dans
certaines expériences de processus schizophréniques, que dans certaines expériences mystiques.

Là-dessus tu me dis : oui, mais l'expérience mystique ne se réduit pas à ça, car il y a des aspects
de l'expérience mystique ou intervient la référence à un " moi ".

Je dirais que je n'en suis pas bien sûr. Je crois que lorsque le moi intervient dans un processus
d'expérience mystique, ce n'est plus sous l'espèce de l'expérience mystique, mais qu'il y a eu un
glissement de l'expérience mystique à ce qu'on pourrait appeler le "domaine de la foi". Ce qui n'est
pas tout à fait la même chose.

Mais, même si toi tu me répondais : si,si, ça fait partie de l'expérience mystique, je dirais : très bien,
c'est que l'expérience mystique a bien un pôle de priméité, mais que intervient aussi, dans
l'expérience mystique, des aspects de secondéité.

ça c'est une manière de dire que tu refère mais que j'ai pas la réponse - c'est toi qui l'a De toute
manière, je n'ai jamais dit : l'expérience mystique c'est ceci ! Tout ce que j'ai dit c'est que certains
aspects d'après le récit par les mystiques de leur expérience, certains aspects insistent sur
:l'impossibilité de rapporter l'expérience mystique à un moi et de rapporter l'expérience mystique à
des coordonnées spatio-temporelles. C'est tout. Maintenant, que dans l'expérience mystique il y ait
d'autres éléments, peut être ? très bien. Notamment, je dirais, moi, qu'il y a sûrement un élément,
pour parler comme Peirce, un élément de Tercéité. C'est à dire qu'il y a une forme de pensée dans
l'expérience mystique, mais c'est normal tout ça. Il ne faut pas du tout que vous les fermiez ces
catégories. Il faut que vous laissiez une chose : ben finalement peut-être que tout expérience à son
aspect priméité, secondéité, tiercéité. Simplement on peut dire que telle expérience met l'accent , ou
présente un moment où la priméité est presque pure, etc...

Question : inaudible l'image- affection, c'est la primeité on pourrait imaginer l'univers des pour traiter
de cette typologie de la spirale.. étant donné que tu as dis ....

Gilles : Comme vous êtes sévère avec moi ! Je répondrais ceci : c'est vrai en toute rigueur. Si j'avais
voulu, par coquetterie, m'en tenir à Bergson comme unique fil conducteur, je n'avais en effet aucun
besoin de faire ma référence à Maine de Biran, et ma référence à Peirce. Je remarque juste que, si
Bergson remplaçait si facilement Maine de Biran, c'est parce qu'il connaissait très bien Maine de
Biran. Donc je maintiens que, est ce que j'ai tenu ? je maintiens que finalement, notre seul
conducteur effectif, ça a été Bergson, pourquoi ? Pour lancer la distinction de nos trois images, les
images-perception, les images-affection, images-action. Mais, vous l'avez senti - j'ai pas besoin de le
dire - Bergson, il y a un certain temps qu'on l'a quitté. Tout ce qu'on a vu, tout ce qu'on a dit, il ne le
dit pas. Il ne faut pas dire qu'il le dise. Il nous a donc servi et c'est ça, il faut à la fois ne pas faire dire
à un grand philosophe ce qu'il n'a pas dit, et il faut à la fois se servir pleinement, il faut considérer ce
qu'il a dit comme objet d'un usage possible, il faut s'en servir.

Pourquoi est-ce que j'ai éprouvé le besoin de faire un détour ? je le dis parce que en même
temps c'est honteux et c'est très respectable, je me dis : tiens c'est une bonne occasion pour leur

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apprendre quelque chose. Ils ne doivent plus connaître Maine de Biran et ils ne doivent pas encore
connaître Peirce. Donc c'est le moment où jamais. C'est pleinement justifié si, même à deux ou trois
d'entre vous, j'ai donné envie de lire Peirce ou de lire Maine de Biran. Mais j'en avais quand même
besoin autrement.

Les catégories de Peirce, par exemple : priméité, secondéité,tiercéité, il me semble, vont nous
permettre de relancer. Et que là, en effet, ça déborde Bergson, ça ne le contredit pas, c'est un tout
autre genre de problème. Est-ce que j'ai oublié Bergson, depuis le temps ? Car au premier trimestre
on avait passé deux fois différentes des séances à commenter uniquement le premier chapitre de
"Matière et Mémoire".

J'oublie pas du tout et si le temps nous est donné, après Pâques, nous commenterons les second et
troisième chapitre de Matière et Mémoire, si bien que, pour la fin de l'année j'aimerais avoir tout fini
de Matière et Mémoire.

Mais si là j'introduis secondéité et tiercéité, priméité, c'est bien parce que d'une certaine manière ça
va relancer les trois types d'images qu'on avait extrait de Bergson, et ça va peut-être nous permettre
de pousser l'analyse de l'image-action plus loin - non pas que Bergson lui-même - mais plus loin que
Bergson nous en donne les moyens. Voilà, du coup il faut y aller..

Intervention Comtesse : le rapport de Bergson à la mystique : nous croyons constater que là est la
vérité.chez Bergson il y a un lien

il y a dans la mystique une expérience qui diffère de la simple foi.. la vérité de la maladie. la maladie
implique une foi mystique dans la mort si la Mort n'était pas l'objet d'une telle foi. quelqu'un ne
comprenait pas le rapport entre le synsigne l'exemple du film d'Alfred Hitchcock Marny exemple de la
théorie de Pierce la compulsion à voler de l'argent le qualisigne : la couleur rouge qui envahit tout
l'écran la mère et la petite fille Gilles deleuze : quel est le rôle du rouge dans la troisième image ? le
marin a brutalisé et la mère et la fille l'ont tué la médiation du rouge Gilles : trés bon exemple, tu me
le donnes ?

Gilles : Ca nous emmène à la suite. On est déjà dans l'élément de l'image- action. Vous vous
rappelez, en un mot, la priméité, si je reprends les termes de Peirce,
la priméité c'est l'affectif, mais pas en n'importe quel sens de affect, au sens de
"qualité-puissance".
La secondéité c'est l'action, la relation effort-résistance,
et la tiercéité, en très gros, c'est le mental.

Ce découpage du monde, ce découpage des images en trois, ça nous a paru assez bizarre. Si on
estimait en avoir fini avec l'image-affection, donc on entrait tout naturellement dans l'image-action.

Or l'image-action c'est la secondéité. C'est à dire, non seulement c'est ce qui vient en decond, ça
c'est assez peu important, ce déroulement logique, mais c'est "ce qui en soi-même est deux", par
opposition à la qualité-puissance qui en elle-même est une et ne renvoie qu'à elle-même. C'est ce
qui en soi-même est deux. Essayons de préciser donc de quoi va être faite l'image-action. Il faut la
prendre au sens large. Je suggère - et c'est conforme aux analyses de Peirce qui portent sur de tout

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autre thème - que en fait il ya deux formes de secondéités. Il y a deux secondéités. On n'en fini pas
avec ce deux. Il y a deux secondéités. Mettons qu'il y ait comme une secondéité primaire, c'est à dire
une secondéité - il faut prendre tout ça à la lettre - qui serait encore tres proche de la priméité. Elle
ne serait plus de la priméité, mais en elle-même, en tant que secondéité ce serait une secondéité
primaire. C'est quoi une secondéité primaire ? On l'a vu, c'est lorsque une - ou plusieurs -
qualité-puissance s'effectue ou s'actualise dans un état de chose. Ça répond à la notion de Peirce :
le synsigne. La qualité-puissance en elle même, c'était un qualisigne, lorsque la qualité-puissance
est actualisée dans un état de chose, on a un synsigne.

Il y a déjà secondéité puisque vous avez "qualité-puissance" d'une part, état de chose qui actualise
d'autre part. C'est une secondéité primaire. L'ensemble, donc vous l'appelez synsigne. Exemple : le
qualisigne c'était le pluvieux ou la pluie, le synsigne c'est : ce jour pluvieux, cette journée pluvieuse.
Cette fois ci la qualité-puissance " le pluvieux " est actualisée dans un état de chose déterminé : ce
jour, ici et maintenant. Donc c'est l'actualisation dans un espace-temps déterminé. Vous voyez que
ça suffit déjà à distinguer du domaine de l'affection, on avait vu le rôle des espaces quelconques.
Là, avec les images-action l'espace ne sera plus quelconque, ce sera un espace ici-maintenant,
c'est à dire un espace défini par ses coordonnées spatio-temporelles. J'espère que c'est très clair.
C'est donc le premier aspect de l'image-action.

On pourra l'appeler - au choix - et on va voir pourquoi : un monde, un milieu, une situation. Au choix,
peut-être pas, peut-être qu'il va y avoir des nuances entre monde, milieu et situation. Mais c'est le
premier aspect de l'image Et puis, je dis, il y a une secondéité seconde. On pourrait l'appeler, cette
fois-ci secondéité vraie, car vous sentez que la première secondéité est encore très proche, qu'il y a
des transitions insensibles entre la priméité et la première secondéité. La vraie secondéité elle
apparaît, cette fois-ci, non plus au niveau du monde actuel, de l'état de chose déterminé, de la
situation, mais elle apparaît au niveau de l'action pure et simple. La situation d'une manière ou d'une
autre se trouve engendrer une action qui va réagir sur la situation. La situation ou le milieu va
engendrer, va susciter une action qui va réagir sur le milieu, donc l'action, soit sous son aspect
effort-resistance, soit sous son aspect action-réaction, implique toujours " deux ". L'action, qu'est-ce
que c'est que l'action ? C'est le duel. L'action implique au moins le rapport entre deux forces :
effort-résistance, action-réaction, que ces forces soient réparties entre deux personnes, entre une
personne et une chose, toutes sortes de combinaisons sont possibles, mais on acceptera -très
grossièrement- pour le début de notre analyse, la formule : l'action c'est le duel. Et c'est ça la vraie
secondéité. Vous vous rappelez lorsque le signe, selon Peirce, lorsque le signe est du type duel ,
action-réaction, effort-résistance, par exemple mon effort est le signe de la résistance que j'affronte,
ou inversement la résistance que j'affronte est le signe de mon action. Ces signes de duel, ou
interme, un terme existant, un existant actuel devient signe d'un autre existant actuel, c'est ce que
Peirce appelait, dans la table qu'on avait vu la dernière fois, un indice. Je veux dire deux choses
contradictoires à la fois, ce qui me paraît très important c'est que l'on fixe notre terminologie, parce
que les termes là c'est de véritables concepts, et en même temps que vous ne les durcissiez pas,
que vous sentiez que on passe des uns aux autres d'une manière très très nuancée. Si j'essaie de
résumer je dirais que, l'image-action commence, d'une part, lorsque le callisigne devient synsigne et,
d'autre part, lorsque l'icône devient indice. Les images-affection c'étaient des callisigne et des icônes
. Le callisigne c'était la qualité-puissance exposée dans un espace quelconque, l'icône c'était la
qualitée-puissance exprimée par un visage. Vous voyez que l'image-action suppose que l'on a quitté
ce domaine des images-affection, on n'est plus dans le domaine des callisignes on est dans le

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domaines des synsignes, à savoir qualités-puissances actualisées dans un état de chose déterminé,
et on n'est plus dans le domaine des icônes, on est dans le domaine des indices, c'est à dire des
actions qui procèdent par duels. Dans mon souci de tenir toujours comme deux pôles uniquement
pour mener mon analyse, et autre souci complémentaire que ces deux pôles ne soient pas
décalqués sur les deux pôles des autres types d'images, là est-ce qu'on est pas en train de trouver
nos deux pôles de l'image-action, ce qu'on pourrait appeler en très gros : la situation ou le synsigne,
l'action, le duel ou l'indice, d'autre part. Et toute l'image-action se déroulerait, non pas dans un ordre
fixe, mais d'un pôle à l'autre ou de l'autre pôle à l'un. Car après tout il en faut du chemin. Là tout de
suite quelque chose nous frappe. D'une situation à une action, qu'est-ce qu'il va falloir faire pour
pouvoir passer légitimement de l'une à l'autre ? ou d'une action à une situation, au niveau de l'image,
au niveau de l'image cinéma. C'est tout un mode de récit, c'est toute une histoire qui est en jeu, c'est
toute une logique cinématographique. Quels intermédiaires faudra-t-il ? Je dis : la situation suscite
une action et l'action réagit sur la situation. Bon. Mais à quel prix. Comment est-ce qu'on passe de la
situation au duel. L'action-duel, vous la trouvez partout dans l'image-action au cinéma, vous la
trouvez partout. Si je cherche parmi les genres :
le western, pas besoin de commenter ;
le film historique, dès qu'il y a une bataille, avec toutes sortes de problèmes, parce que, après
tout, où est ce qu'il est le vrai duel. Ce qu'il y a de bien avec l'image-action au cinéma, on verra
pourquoi, on ne sait jamais où il est le vrai duel. Il n'est jamais ou on le croit. C'est comme un
emboîtement de duels les uns dans les autres. Pourquoi est-ce qu'il y a nécessairement un
emboîtement de duels les uns dans les autres ? Ha, je croyais que le duel se passait entre un tel et
un tel, tel et tel personnage du récit, et pas du tout, il se passe entre un troisième et un quatrième, ou
entre le second et le troisième. Il n'est jamais où je crois, le duel. Mais si il y a cet emboîtement de
duels, c'est que ça ne va pas du tout de soi, le passage de la situation qui exige une action - pour
être résolue, le passage de la situation à l'action.

Et quel est, au juste, l'élément de l'action, l'action qui va résoudre la situation ou réagir sur la
situation ? Si vous voulez il y a tout un système d'approximations qui vont faire les joies au cinéma,
c'est à dire la découverte d'un récit, la découverte d'une histoire . Où, pour passer de la situation au
duel, il faut beaucoup beaucoup d'intermédiaires, et pour que le duel rejaillisse sur la situation...sauf
dans certains cas...je ne connais qu'un cas, à vrai dire. Il est si beau et il est si drôle. Mais
précisément, imaginez un film où on se proposerait de montrer une transformation immédiate de la
situation en duel. Pour parler barbare, un film où on se proposerait de montrer immédiatement la
transformation brutale d'un synsigne en indice. Si ça arrivait, tout le monde rirait. C'est dire. Ça ne
pourrait être que dans un genre précis, le burlesque, qu'on montrerait ça. Ce n'est pas facile. Je ne
connais qu'un cas. Quand je vais le raconter, forcement il n'y aura pas de quoi rire.

Il y a un film de WC Fields, qui est une merveille, qui est son grand film shakespearien. Je ne me
souviens ni du titre en anglais ni du titre en français. Là il donne tout son talent. Quel acteur il aurait
été du théatre shakespearien. Quel Falstaff il aurait joué, Fields ! Il est dans sa cabane, dans sa
cabane dans le nord. Personne se rappelle comment ça s'appelle ? Il a son bonnet de fourrure
formidable. Il a reçu son fils, ils se disent au revoir. Il va traire l'élan. Il ouvre rythmiquement la porte,
et il dit d'une voix shakespearienne pure : " il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors " ! Il
reçoit immédiatement deux boules de neige dans la gueule ! Vous voyez en quoi c'est du burlesque.
"Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors", en effet on voit le vent la glace, la neige, etc. et en
effet - c'est une image de situation. Et à peine il a dit ça, il reçoit les deux boules de neige, comme si

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quelqu'un les lui avait envoyé. C'est la transmutation immédiate de la situation en duel. Quand on
voit l'image, pas quand je le raconte, on est saisi d'un rire...Parce que il y a précisément eu cette
transformation immédiate, cette transformation sur place. C'est très compliqué. Et sans doute, les
très grands metteurs en scène se reconnaîtront à certain styles, dans un cinéma d'action, où
prévalent les images-action, ils se reconnaîtront à la manière dont ils combinent ces deux pôles, le
pôle synsigne et le pôle indice, la première secondéité et la seconde secondéité.

Je vous rappelle donc : l'image-action oscille d'un pôle à l'autre,


le premier pôle c'est, encore une fois, les qualités-puissances c'est à dire les affects en tant
qu'actualisés dans des états de chose déterminés,
le second pôle c'est les actions qui, sous forme de duels, vont naître de l'état de chose et réagir
sur l'état de chose.

Voilà. A moins qu'on ait été trop vite. On revient un peu en arrière. Les qualités-puissances
s'actualisent dans un état de chose. C'est ça qu'on pourrait appeler un milieu : un milieu est fait de
qualités-puissance actualisées. Et ça va se développer en actions -réactions.

Est-ce qu'on a pas été trop vite ? Supposons ! Des auteurs de génie peuvent essayer de saisir
l'actualisation, puisqu'on est bien dans le domaine de l'image-action, c'est à dire le processus
d'actualisation, les auteurs de génie peuvent peut-être se dire : on va prendre les choses avant, ça
ne suffit pas. Là on pourrait comme jouer à un jeu radiophonique, je ne vais pas citer les auteurs
auxquels je pense. On va faire un anti-jeu radiophonique, parce que si vous les trouvez vous aurez
perdu parce que ma description aura été si juste, c'est moi qui gagnerais et si vous ne les trouvez
pas, vous gagnerez parce que c'est que ma description aura été fausse, mon idée aura été
fausse...Je ne dis pas quels auteurs.

Alors voilà. Ils disent : avant que les qualités-puissance s'actualisent dans des milieux, dans des
espaces-temps déterminés, ils s'actualisent dans "des mondes".
Dans des mondes ! Dans des mondes , ça veut dire quoi ? Comme dans des naissances de
mondes. Pour qu'il y ait actualisation, il faut bien qu'un monde naisse. Il faut que le cinéma, sous son
aspect image-action, nous fasse comme assister à la naissance d'un monde. En d'autres termes,
c'est eux qui parlent, on vous montrera des états de choses parfaitement déterminés. On vous
montrera des milieux soit fictifs soit réels, peu importe. On vous montrera des montagnes, on vous
montrera des casinos. On vous montrera des principeautés fictives, on vous montrer des pièces
d'appartement, etc... etc. Mais vous verrez que par notre art, vous ne les saisirez pas seulement,
vous les saisirez bien comme ça, comme des espaces-temps déterminés, mais vous les saisirez
comme des naissances de mondes. C'est à la fois des milieux complètement déterminés et des
mondes qui naissent sous nos yeux. Ces milieux déterminés valent pour un monde originaire. Ils
diront que le monde ne cesse pas de naître, que le monde ne cesse pas de naître à chaque instant
de son histoire, et c'est au cinéma de montrer cet aspect par lequel le monde ne cesse pas de naître.

En d'autres termes, tout milieu déterminé est comme doublé par un monde originaire qui va
prendre sa place. Et originaire ça ne veut pas dire le monde de la nature "avant", c'est ici et
maintenant que les milieux, si vous savez les saisir avec suffisamment de profondeur, valent pour
des mondes originaires. Ça à l'air curieux, ça. Et je dirais que ça c'est l'ambition fondamentale de ce

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qu'on pourrait appeler, quoi ? Si l'image-action, à laquelle je me précipitais tout à l'heure,
situation-action, et puis je me suis aperçu que j'allais trop vite. Si situation-action, le schéma de ces
deux secondéité, donnons lui son nom : c'est le réalisme.

Milieu-action, réaction sur le milieu, c'est le réalisme. Si on essaie de fonder un concept de


réalisme, c'est ça le réalisme : lorsque les milieux font place à des mondes originaires. Lorsque les
états de chose déterminés laissent échapper un monde originaire qui valent pour eux, ici et
maintenant, qu'est-ce que c'est, ça ? Vous sentez bien qu'il y a quelque chose par quoi le réalisme
est dépassé, on dirait - c'est à ça qu'on reconnaît ces hommes de cinéma-, on dirait que le monde
même ne commence qu'avec le film, qu'avec les images qu'il montre. Chez les réalistes ce n'est pas
comme ça. Chez les réalistes, les images qu'ils montrent renvoient à un monde précédent, c'est à
dire que le film est censé être pris dans le courant de quelque chose qui le déborde.

Là pas du tout. Avec le film on assiste à la naissance d'un monde. Rien ne précède et rien ne suivra.
Rien ne précède et rien ne suivra, qu'est-ce que c'est , ça ? C'est l'ambition qui dépasse le réalisme,
encore une fois, qui lui fait du prélèvement.
Mais reconstituer le monde originaire ça a toujours été l'ambition, mais l'ambition secrète et
profonde, de ce qu'on appelle le naturalisme. Et le naturalisme, évidemment, ça ne veut pas dire le
monde de la nature, ça veut dire des espaces-temps déterminés, mais par différence avec le
réalisme ce sont des espaces-temps déterminés auxquels on arrache la valeur de mondes
originaires. Et dans la littérature l'inventeur de ça, il me semble, l'incroyable inventeur de ça ce fut
Zola. Ce fut Zola, d'où la construction très bizarre, la construction par quoi il se signalait, ce fut sa
force et sa faiblesse, sa construction littéraire très très curieuse où il prend un sujet et il l'épuise.
C'est l'anti-Balzac, si vous voulez. En un sens Balzac est très en avance sur Zola. Ça a un côté
assez retardataire, la méthode Zola, et en même temps, si on remet dans son projet... vous voyez,
sa nouveauté, il procède par pans. Si il vous fait un roman sur l'argent, le sujet doit être épuisé. Si il
vous fait un roman sur l'alcoolisme, pareil. Ce sont des espèces de fresques dont chacune est
censée épuiser son objet. Ce n'est pas du tout le système d'un roman à l'autre où il y a toutes sortes
de renvois, de jonctions, etc.. ; cette méthode qui consiste vraiment à aller jusqu'au bout d'un monde.
C'est ça le naturalisme, et ça ne se comprend que si vous saisissez, dans le naturalisme, cette
chose essentielle, très belle qui est que , pour eux , tous les milieux qu'ils nous présentent sont des
états de chose parfaitement déterminés , historiquement et géographiquement, mais qui sont en
même temps présentés comme des mondes originaires. Et c'est en tant que mondes originaires
qu'ils les prennent au début et les mènent à leur fin. Ces mondes originaires auront un
commencement absolu et une fin radicale.

Si bien que vous aurez comme une double épaisseur : une action se passera dans un milieu
historiquement déterminé, mais en même temps c'est bien autre chose, quelque chose de plus
profond, qui se déroulera dans le monde originaire qui correspond à ce milieu déterminé. c'est à
chaque instant de l'histoire que vous pouvez découvrir le monde originaire qui correspond aux
milieux dérivés.

Le naturalisme ce n'est pas du tout il me semble, comme on le dit simplement : une description des
milieux déterminés le plus exactement possible C'est l'élévation des milieux historiques déterminés,
des milieux historico-déterminés, c'est l'élévation des états de chose à la forme d'un monde
originaire qui a son début t sa fin. C'est ça le premier point

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deuxième point : Ils auront pas de peine à nous montrer que quel soit le milieu considéré, il est resté
à la lettre le plus "naturel" qui soit : c'est à dire le plus naturel en quel sens ? C'est le monde de la
cruauté bestiale, de la cruauté animale, ou de la sainteté primitive, de l'âme la plus délicate, de l'âme
originelle, et que, dans tout milieu déterminé dans l'histoire et dans la géographie, il suffit que vous
grattiez pour trouver le monde originaire qui vous livrera les plus incroyables animaux préhistoriques,
mais qui ne seront plus préhistoriques, où les personnes les plus célestes, mais qui ne seront pas
célestes. C'est une drôle d'opération le naturalisme.

Vous voyez, la première actualisation, dans l'image-action, elle ne se fait même pas dans le
complexe milieu-situation-action, elle se fait dans cette instauration, cette exhibition de mondes
supposés primordiaux, supposés imaginaires. Quoi ? pas tout de suite

Deuxième point : de quoi s'est fait, un monde originaire ? De quoi s'est fait ? Quelle est la
secondéité ? Quelle secondéité va s'exercer ? Quels duels ? De même que ce n'étaient pas des
milieux-situation, ce n'étaient pas encore des milieux-situation, c'était des mondes originaires, des
mondes primordiaux. Sous l'action la plus rigoureuse et la plus précise vous allez découvrir quelque
chose, de la même manière que dans le milieu le plus déterminé historiquement et
géographiquement, vous découvriez le monde originaire, là, sous l'action la plus rigoureuse et la plus
implacable, vous allez découvrir une autre secondéité, une secondéité originaire. Et ça va être quoi
la secondéité originaire ?

Ce sera - et c'est bien une secondéité - ce sera l'accouplement de ce qui va fonder toute action
selon le naturalisme, à savoir l'accouplement de la pulsion et de son objet. Les mondes originaires
sont fait de pulsions et d'objets de la pulsion sous la forme d'une secondéité parce que les objets et
les pulsions sont séparés. La pulsion et la recherche aveugle, obstinée, de son objet, ou d'un
quelque chose qui sera son objet, et l'objet est à la recherche de sa pulsion. Et ça pourra être la
sauvagerie la plus pure, pourquoi ? Parce que " objet " est un mauvais mot. La pulsion ne choisit pas
un objet, elle arrache, elle découpe, elle capture, elle déchire son objet. Elle ne déchire pas son objet
par sadisme, elle déchire son objet pour le constituer, pourquoi ? Parce qu'il est bien connu, et ce
n'est pas par hasard que là, ces auteurs auront quand même subi une influence certaine de la
psychanalyse.

L'objet de la pulsion c'est ce que la psychanalyse a su appeler, avec Mélanie Klein, "l'objet
partiel".

L'objet partiel, ce qu'il y a de décevant dans l'expression "objet partiel", c'est qu'on a l'impression que
c'est un type d'objet, mais ce n'est pas un type d'objet, l'objet partiel, c'est un objet réduitàcetétat. Ila
fallu arracher quelque chose à l'objet complet. En d'autres termes il faut trouver un autre mot qu'objet
partiel. Alors mettons un " ejet " ou un " dejet ", impliquant l'action d'arracher. Il doit être conquis sur
l'état de chose. La pulsion doit conquérir. En d'autres termes la pulsion n'a jamais pour objet un objet
global, il faut qu'elle conquiert sur l'état de chose, des morceaux. Car le véritable objet de la pulsion
c'est le morceau. Et le monde originel c'est précisément le monde où se confrontent les pulsions et
les morceaux d'objets, les morceaux qui vont servir d'objets à la pulsion. Et ces morceaux peuvent
être quoi ? Autant qu'il y a de pulsions. Et ces pulsions peuvent être quoi ? Autant qu'il y a de
morceaux. Tout ce qui est en morceaux suscite une pulsion, même si c'est artificiel. On est au-delà

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de la différence artifice/nature puisque même dans le monde le plus artificiel, il y a quelque chose
d'originel qui se joue. Si bien que tout ce qui est morceau est objet de pulsion.
Pulsion sexuelle avec des morceaux de corps.
Pulsion d'argent avec les piéces,
pulsions de faim, pulsion alimentaire, excellent pour les "morceaux".

Et peut-être bien d'autres encore. Là, la notion de monde originaire se précise. Lorsque l'état de
chose est terminé, si historique qu'il soit, si artificiel qu'il soit, laisse dégager cette seule et unique
histoire : l'histoire des pulsions et de leurs objets. Si bien que à ce niveau de l'image-action, quel
sera le type de signe qui répondra à " monde originaire" en tant qu'il se développe en pulsion-objet ?

Qu'est-ce que la forme, le signe de cette secondéite là ?


c'est ce qu'il faudra appeler le symptôme et ce cinéma sera un cinéma de symptômes

Et aprés tout les metteurs en scène qui se sont élevés jusqu'à ce cinéma auront droit - s'ils le veulent
- à dire comme Nietzche disait : "Nous autres, médecins de la civilisation" "Nous autres, medecins de
la civilisation, cette phrase qu'il appliquait aux philosophes : un petit nombre de grands metteurs est
apte à se l'approprier : "Nous sommes médecins de la civilisation" voulant dire quelquechose de très
précis, à savoir : dans le milieu le plus historique et le plus déterminé, nous diagnostiquons le
"monde originaire" que recèle ce milieu historique et déterminé, cet état de chose. Car nous
diagnostiquons les pulsions, les objets de pulsion, les noces entre les pulsions et les objets, tels
qu'ils se déroulent dans ce monde.

3ème remarque : dès lors, je dis : ce monde originaire défini par l'aventure des pulsions et de
leurs objets, c'est une origine radicale, c'est un commencement absolu et c'est en même temps une
fin absolue.

Ce qui les intéressent c'est donc que ce monde - ce n'est pas les intermédiaires qui les intèressent -
précisément un "réaliste" il s'intèresse aux intermédiaires, à ce qu'il ya entre les deux, il ne
s'interesse pas ni au début et ni à la fin - eux, ils ne s'interessent qu'au début et à la fin parce que
c'est la même chose "c'est dans le même mouvement que ce monde éclos et qu'il est déjà fini". C'est
comme si l'idée naturaliste c'est de faire précisément des mondes avortés, pour les naturalistes ce
que Dieu a réussit, c'est des mondes avortés, on peut supposer dans une mythologie, il y a des
mythologies comme ça : Dieu avant de créer le monde, il essaie, il a des ratés. Il fait plein de ratés
qui ne marchent pas alors Il les jette avant de créer notre monde. Eux ils disent : ben non on est
toujours à la période des ratés. On a toutes sortes de mondes originaires, tous ratés Ils vont se
définir par quoi ?

Le Temps, le vrai temps, c'est cette identité du début et de la fin. la seule chose qui compte c'est :
le commencement du monde originaire et dés lors aussi bien, sa fin absolue, sa fin radicale Pourquoi
il va vers une fin radicale ? c'est que ces mondes originaires sont des système clos, abominablement
clos - les personnages sont radicalement et à jamais enfermés dans ces mondes primordiaux, a
jamais ? méfions nous , peut être qu'on va trop vite... tant mieux, on rectifiera. Pourquoi ils vont vers
une fin radicale ? parce qu'il suivent la pente des pulsions et de leurs objets. Et le monde originaire,
ce n'est rien d'autre que la pente commune des pulsions et de leurs objets.

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Qu'est c'est la pente commune des pulsions et de leurs objets ? D'une part c'est la mort et là surgit la
plus étrange pulsion de mort comme recueil de toutes les pulsions Et oui, la psychanalyse est bien
passée par là ! mais c'est beaucoup plus vivant, au besoin ils en dépendent pas. Qu'est ce que c'est
la pente des objets là ou tous les objets se réunissent formant humus qui ne fait qu'un avec l'humus
du début de monde et l'humus de fin du monde ? c'est le depôt d'ordure, c'est l'universel dechet Et
lorsque la pulsion en sera à fouiller dans les ordures, on saura que le monde originaire est arrivé à
sa fin et que sa fin, elle était là dès le début.

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 09/03/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 09/03/82 - 2 Page 1/18


Cours 12 du 9/03/82 Deleuze Cinéma Transcription : Nicolas Lehnebach

(...) telle qu'elle apparaît dans l'exemple privilégié : "force résistance", ou "effort résistance", deux
termes. Et il faut dire de la secondéité deux choses, c'est que, elle est dite secondéité parce que elle
vient après la priméité, mais aussi parce qu'en elle même, elle consiste en « deux ».

Là où il y a image-action, ou là où, je dirais aussi bien, là où il y a sentiment de réalité, il y a «


deux ». Vous me direz on n'a pas beaucoup avancé, bon. Cherchons alors, cherchons, qu'est-ce qui
pourrait nous arranger ?
Trois temporalitées chez Pierce
PIERCE lui, il va faire tout un système... supposons qu'on ait fini avec MAINE DE BRIAN, j'en n'ai
pas dit lourd sur MAINE DE BRIAN mais juste ce qu'il fallait. Supposons qu'on fasse tout un syst...
que euh, maintenant, on envisage le système de PIERCE. PIERCE va distribuer l'ensemble de ce
qui apparaît, l'ensemble des phénomènes sous trois catégories. Et les trois grandes catégories de
PIERCE, très insolites à première vue mais peut-être qu'on est un peu mieux armé pour les
comprendre c'est :

Priméité, secondéité, tiercéité.

Il dit : "tout ce qui apparaît", et il appelle cela : des "catégories phénoménologiques". Ou comme il
emploie des mots de plus en plus compliqués, il adore les créations de mots, c'est son droit, des
"catégories phanéroscopiques", mais le phanérum en grec c'est la même chose que le phénoménum
donc euh... catégories phénoménologiques disons. Et tout ce qui apparaît donc va être ou bien
phénomène de priméité ou phénomène de secondéité ou phénomène de tiercéité.

Bien... alors, cherchons un peu... qu'est que mais qu'est-ce que ça peut nous faire tout ça ? pourquoi
? quand même, j'essaie pas de gagner du temps, ça serait une idée abominable tout ça... alors,
pourquoi raconter tout ça ? C'est comme au hasard, EISENSTEIN ne peut pas être euh...
soupçonner d'avoir lu MAINE DE BRIAN, bien qu'il ait lu beaucoup.

EISENSTEIN

Dans un curieux texte euh... d'un livre d'EISENSTEIN La non-indifférente nature, dont on aura à
parler par la suite, La non-indifférente nature, EISENSTEIN nous dit à peu près la chose suivante :
(quoi ?)...
nous dit à peu près la chose suivante. Il dit, il y a de très curieux états par lesquels on passe. Ce

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sont de pures affections... et ces états de pures affections, c'est comme si on ne peut les saisir que
dans la mesure, ça peut être très simple, mais c'est comme si ils nous mettaient hors de
nous-mêmes. Rupture de la relation avec un moi. Et il dit c'est ça, alors il retrouve un concept qui lui
est propre, tiens ça va j'espère nous intéresser, il dit c'est ça, c'est ça que j'appelle l'extase ou le
fond du pathétique.

L'extase, elle est du type, non pas du tout « je vois ceci », mais « il y a ». L'extase c'est jamais, et il
cite et il va jusqu'à citer des textes pathologiques et des textes mystiques, tout nous va. MAINE DE
BRIAN aussi faisait allusion à des textes mystiques.
Le mystique, il commence pas par dire « je vois Dieu », ce qui serait d'ailleurs une proposition
insupportable à son orgueil, à son humilité plutôt. Il dit pas « je vois Dieu » ou « je vois le Christ », il
dit « il y a la déïté ». C'est-à-dire il ne voit rien du tout, il éprouve un affecte, il éprouve un affecte pur,
sans relation avec le moi, sans relation avec l'espace et le temps.

Et voilà qu'EISENSTEIN nous dit c'est ça que j'appelle le pathétique. Une fois dit que, et même
l'extrême du pathétique, une fois dit que la pathétique c'est en effet le mouvement d'être hors de soi.

Et il nous dit, s'il y a une chose au monde qui est supra-historique, c'est ça. C'est ça qui est
supra-historique, et, voyez que ce monde du pathétique va couvrir beaucoup de choses puisque il va
terminer son texte en donnant comme exemple la faim. Il dit : i n'y a pas plusieurs manières d'avoir
faim d'après les époques. La faim c'est exactement ce que MAINE DE BIRAN appellerait une
affection impersonnelle. Sentiment de la faim qui n'est même plus considéré sous la forme d'un « j'ai
faim », mais sous la forme de « il y a de l'affamé ». Pur affect impersonnel qui n'est même plus
localisé dans l'espace et dans le temps... et qui en effet...
Et, EISENSTEIN - alors ça m'intéresse parce que c'est trés curieux - EISENSTEIN fait ses
catégories et propose un ensemble de catégories où vous avez d'un côté la sphère du pathétique fait
d'affections simples sur le mode du « il y a » sentiment absolu, sentiment absolu d'entité. On
retrouverait là toutes les entités dont j'ai essayé de parler la dernière fois, supra-historiques, hors de
l'espace et du temps, qu'il va distinguer du monde historique ou du monde de l'action qui lui, est un
monde à coordonnées spatio-temporelles avec des individus relatifs à une époque ou déterminés
par une époque etc., mais voyez ces deux sphères qui correspondent exactement à la priméité et à
la secondéité. Et puis alors bon euh... ce serait intéressant ce texte de le voir de très près.
Alors il dit, EISENSTEIN s'en prend très violemment à la religion parce que il dit voilà, voilà le tort de
la religion. La mystique, c'est rien parce que les mystiques ils sont très exacts. Ils disent, il y a de la
déïté mettons, présence d'une qualité puissance. Eh ben oui ça c'est très bien dit EISENSTEIN. Mais
l'opération de l'église, d'après EISENSTEIN, c'est précisément de rapporter ces états d'affections
simples à des coordonnées spatio-temporelles, à tout un mécanisme de causes, à des "moi", et dire
c'est la preuve de l'existence de Dieu etc, etc. Alors il dit, là y a une opération qui défigure
complètement le pathétique.

Voyez c'est très correspondant là... euh je dirais c'est bien au niveau de l'histoire, c'est la même
histoire que je raconte sans du tout, je cherche pas un rapprochement arbitraire de texte. Ça me
paraît très très étonnant que il y ait cette correspondance. Et si je venais à en chercher une autre de
correspondance...

GODARD

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Je me dis, bon, c'est curieux, y a un thème qui a toujours obsédé GODARD. Et là aussi GODARD, il
est comme EISENSTEIN euh... c'est quelqu'un qui lit beaucoup, beaucoup, beaucoup hein, il a
beaucoup lu mais ça m'étonnerait, je sais pas pourquoi, je sais pas pourquoi, ça m'étonnerait qu'il ait
lu PIERCE. Or, beaucoup d'entre vous savent avec quelle persistance à travers toutes ces
différentes époques, si l'on peut dire, Godard a utilisé et manié un thème qui peut être résumé sous
la forme, un thème qui concerne étroitement sa conception des images au cinéma et qui peut être
ramené à la forme : 1,2,3...

1,2,3.

Et, je dis à travers les époques parce que à travers les époques, ça a prit des sens assez différents,
mais, à ma connaissance c'est toujours revenu dans la pensée de GODARD comme un thème
obsessionnel comme une espèce de clé pour comprendre l'image-cinéma.

Et le thème du 1, 2, 3 il apparaît je crois que une de ses premières apparitions très euh... explicite,
c'est à propos de Deux ou trois choses que je sais d'ellec'est ça ? Deux ou trois choses que je sais
d'elle, (c'est ça !) oui...
mais ensuite pendant sa période Vertov, là, le 1, 2, 3 bon ressurgit, reprend un autre sens, dans Ici
ailleurs, il prend, à mon avis un autre sens, dans les émissions télé, il va ressurgir alors à fond le 1,
2, 3 en prenant encore un autre sens. Et évidemment c'est pas parce qu'il dit 1, 2, 3 qu'il est hégélien
ou qu'il est marxiste hein, non, je veux dire les hégéliens ils disent, ils disent 1, 2, 3 mais euh, mais
ce serait offensant pour HEGEL et pour les autres de penser que ça suffit à définir un hégélien. Y a
des gens qui disent 1, 2, 3 et qui sont pas du tout hégélien, tout dépend comment on conçoit le 1, 2,
3, alors, bon ben... GODARD il dit 1, 2, 3 et il pense nous apporter un message vraiment très
profond sur la nature de l'image au cinéma, bien. Je me dis, ça... on va finir bien par la rencontrer
cette histoire, on en tient le début.

Y aurait des images de priméité, des images de secondéité et PIERCE nous dit des images de
tiercéité.

On commence à se débrouiller dans les deux premiers types d'images : priméité, secondéité. Mais
enfin, on se débrouille encore assez mal.

PIERCE

D'où, prenons maintenant PIERCE. Ce que je voudrais que vous sentiez c'est à quel point on va
avoir besoin de PIERCE. Voilà comment il nous définit priméité, secondéité, etc. C'est pas difficile
tout ça, hein, ça va, vous... c'est ennuyeux mais c'est pas difficile.

Intervention : "C'est pas du tout ennuyeux !"

« La priméité est le mode d'être de ce qui est tel qu'il est ».

Alors hein, il pèse ses mots hein... c'est, c'est un genre de penseur qui pèse chaque mot hein, « La
priméité est le mode d'être de ce qui est tel qu'il est positivement et sans référence à quoi que ce soit

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d'autre ». Là, on comprend pourquoi ça s'appelle priméité, c'est ce qui est « un ». Seulement
qu'est-ce qui est « un » ?
Bien ce qui est « un » c'est ce qui est tel qu'il est positivement et sans référence à quoi que ce soit
d'autre. Un exemple, vous me direz, donnons-le tout de suite.
Je dis : le rouge.
Le rouge, tout le monde me comprend. Bon, je dis « le rouge ». Ce mot renvoie à quelque chose qui
est tel qu'il est le « rouge », positivement et sans référence à quoi que ce soit d'autre.

« La secondéité est le mode d'être »...

Intervention : « mais quand on dit le rouge c'est... » inaudible

Deleuze : quand on dit le « rouge » parce qu'il y a un mot et qu'un mot, c'est manifestement de la
tiercéité, mais ce que désigne le mot...
essayez par abstraction, vous me direz ah... oh ça pose des tas de problèmes, vous allez voir ce
qu'il dit hein, vous allez voir ce qu'il dit.
Oui, ça euh, votre remarque est très juste, ça va de soi que, si vous tenez compte du mot le « rouge
» mais je pourrais m'en passer, je pourrais faire sans, euh... vous suiviez mon doigt mais y a mon
doigt qui lui introduit un rapport mais c'est parce que j'essaie de parler, de vous parler c'est donc de
la secondéité au moins. Mais, si je suis dans le rouge là moi, j'ai, j'ai un phosphène rouge au
moment de m'endormir ça arrive, une lueur rouge, le rouge je le dis à personne, voilà, il y a, il y a le
rouge, y a le rouge dans mon œil mais je le dis pas, je dis rien, y a le rouge. Ben, c'est une qualité
telle qu'elle est, positivement et sans référence à quoi que ce soit d'autre. Vous me direz « si c'est en
référence à ton œil », non c'est pas en référence à mon œil, ça le sera si j'introduis d'où vient ce
rouge, si je pose une question de la cause. Mais là, pas du tout, je suis absolument comme une
vache avec euh ah...euh, une vache qui se dit « ah ! y a du vert ». Hein... elle se dit pas « y a de
l'herbe », « y a de l'herbe » ce serait de la secondéité hein. Là y a du vert...une vache qui mangerait
pas quoi, parce que manger c'est de l'action, voilà bon.

« La secondéité est le mode d'être de ce qui est tel qu'il est par rapport à un second. »

Vous direz ça va de soi, ça va pas de soi du tout tout ça. « La secondéité est le mode d'être de ce
qui est tel qu'il est par rapport à un second mais sans considération d'un troisième quel qu'il soit. »
Sentez tout ce qui est réel, tout ce que vous éprouvez comme réel est de la secondéité.
Force-résistance, action-réaction. La secondéité c'est toutes les formes de duels. Partout où il y a
duel, il y a secondéité. Et tous les phénomènes qui ressortissent d'un duel quelconque...
action-réaction, force-résistance et bien d'autres euh... eh bien d'autres encore renvoient à la
catégorie de secondéité. La tiercéité, alors ça qui n'avait pas d'équivalent chez Maine DE BIRAN, du
moins dans mon analyse hein.

« La tiercéité est le mode d'être de ce qui est tel qu'il est en mettant en relation réciproque un
second et un troisième. »

C'est-à-dire, il y a tiercéité chaque fois qu'il y a médiation... chaque fois qu'il y a médiation... ou
disons le mot peut-être, chaque fois qu'il y a loi ou possibilité de loi. Chaque fois qu'il y a loi ou
possibilité de loi, est-ce que j'en n'ai pas trop dit parce que dans le, dans le duel euh, dans la

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secondéité...

Coupure

Exemple de tiercéité
... de l'eau bouillante, je veux de l'eau bouillante, bon, je la mets sur le gaz, je la fais bouillir, j'attends.
Voilà, je prends cet exemple pour distribuer à la PIERCE les trois catégories. Supposez qu'elle ait
bouillie et puis je plonge mon doigt dedans alors qu'elle est bouillante. Euh... je pousse un hurlement,
la douleur est si grande que c'est même plus une douleur locale, c'est vraiment : "il y a du bouillant",
affection pure. Je sais même plus où j'en suis, j'ai giclé hors de l'espace et du temps, sous la
douleur, euh affection pure oh lala, euh... c'est même plus moi qui ai mal, le monde a mal, bon, voilà.

Je dis c'est la priméité.


Y a bien une loi d'après laquelle l'eau bout, cette loi, vous constatez que c'est une médiation. C'est
une médiation entre l'eau et la chaleur telle que la chaleur doit être à cent degrés pour que l'eau
bout. Cent degrés est ici la médiation légale. Je dirais, c'est le nombre de la tiercéité. Vous avez trois
termes. Un terme, un second terme, une médiation qui rapporte un à deux. C'est très simple ce qu'il
dit mais mais ça me paraît trés...c'est... les philosophes anglais ils procèdent toujours comme ça. Ils
sont dans des trucs absolument simples qu'ils découpent d'une manière tellement tordue, tellement
bizarre que on a l'impression qu'ils vous parlent d'une autre planète... et c'est avec ça qu'ils
construisent leurs concepts. C'est très très curieux, y a que les anglais qui savent faire ces
coups-là... bon alors ça c'est la tiercéité.
Mais moi quand je veux faire bouillir de l'eau, qu'est-ce que c'est ? Ben, c'est un rapport
force-résistance. Vous me direz y a une loi. Bien sûr y a une loi mais la loi, elle porte pas du tout sur
le fait que je veuille faire bouillir de l'eau. La loi c'est quoi ? c'est l'énoncé de la possibilité de porter,
et je dis bien, de la possibilité de porter l'eau à l'ébullition. Une loi est toujours comme on dit en terme
savant hypothético-déductive. Elle est hypothétique et elle s'exprime sous la forme : si tu portes l'eau
à cent degrés, elle entrera en ébullition. D'accord si je porte l'eau à cent degrés, elle entre en
ébullition, c'est le domaine de la tiercéité. Bon mais, quand je veux faire bouillir de l'eau, c'est pas au
nom de la loi, c'est au nom de quoi ?
C'est au nom d'un phénomène de secondéité, à savoir : moi, le but que je me propose. Et ça se fait
dans un monde de la secondéité, à savoir mon effort : il a fallu que je remplisse la casserole, que je
la porte, que je la mette sur le gaz... et, la résistance. La résistance à mon effort c'est quoi, là...
comme disait BERGSON dans une autre occasion : faut bien attendre que le sucre fonde, faut bien
attendre que l'eau bout... c'est la forme d'inertie et de résistance qui s'oppose à mon effort. Lorsque
vous voulez faire bouillir de l'eau, vous êtes dans le monde de la secondéité, bien que la loi au nom
de laquelle l'eau bout fasse partie de la tiercéité.
Vous comprenez ?
Ça doit être très très concret ça doit changer même votre manière vous comprenez, vous...l'idéal
c'est que vous ne fassiez plus jamais bouillir de l'eau de la même façon... euh, pas de la même
manière que les choses se sont distribuées. Ça c'est le monde signé PIERCE. C'est un monde très
curieux, très attirant, très...

Bon alors bien sûr les actions et réactions répondent à des lois. Oui, elles répondent à des lois,
mais pas en tant qu'actuelle, pas dans leurs réalités. Elles répondent à des lois dans ce qui les rend
possible, or ce qui les rend possible, c'est des phénomènes de tiercéité. Mais en elles mêmes

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c'est de la pure... c'est de la pure secondéité... l'actualité même est pure secondéité.
D'accord ?...

Alors, là-dessus, si vous comprenez vaguement cette première différence, priméité, secondéité,
tiercéité.

Il va, dans certains textes - parce que, on va comprendre qu'en fait c'est bien plus compliqué que ça
- dans certains textes, il va dire, eh ben, en gros, à la priméité, à la secondéité, à la tiercéité
correspondent trois sortes de signes.
Moi je dirais pour mon compte, et la différence il me semble est très très mince, correspondent trois
sortes d'images.

Y a des images de priméité, et comment qu'on va les appeler les images de priméité ? au plus
simple. Je dis bien ce n'est pas l'état final de la pensée de PIERCE, hein, mais il passe par là. On va
les appeler des icônes.
C'est des icônes.
Un icône, qu'est-ce que c'est en effet, c'est un signe qui fait signe en fonction de ce qu'il est.
Uniquement de ce qu'il est. C'est un signe de priméité. C'est un signe qui fait signe en fonction de ce
qu'il est. Nous appelons ça une icône... j'ai dit un icône ? pardon euh... nous appelons ça : une
icône...

Bon... Signe de secondéité... c'est un signe qui fait signe en fonction d'autre chose d'existant,
d'autre chose d'actuel. C'est un signe actuel qui fait signe en fonction d'autre chose d'actuel.
Il faut qu'il y ait deux.
Un tel signe nous l'appellerons : un indice.
Par exemple : pas de fumée sans feu. La fumée fait signe en rapport avec quelque chose d'autre qui
est actuel même si ça m'est pas donné... faut qu'il y ait du feu, je vois de la fumée, y a pas de fumée
sans feu, bon... la fumée est l'indice d'un feu.
L'indice ça sera le signe de la secondéité.
Action-réaction, je dirais un baromètre... tiens on pourra faire le code de la route comme ça d'ailleurs,
on pourrait, vous allez voir... enfin, il faut pas compliquer. _ Ben y a des signes de secondéité, des
signes de priméité et y a des signes de tiercéité... enfin euh...

Un signe de tiercéité, c'est ce qu'il appellera : des symboles.


Un symbole c'est un signe qui unit deux choses par une médiation.

C'est le monde de la signification car... selon lui, selon Pierce, il n'y a pas de médiation qui unisse
deux choses indépendamment d'une signification.

C'est la signification qui est de la médiation même... bon, peu importe, tout ça ce serait compliqué.
Voilà, je dis... maintenant... ça peut préciser notre vocabulaire... un tout petit peu.

Je dirais les images affections sont des icônes...


ça va bien, tout ce qu'on a vu sur le gros plan tout ça, voilà et euh... je sous-entends que il nous
apporte autre chose que des mots là, ça doit nous faire faire des progrès.

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Et les signes de l'image-action sont des indices.

Et je dis : 1, 2. Bon... et quand je dirai 1, 2 maintenant ça voudra dire : je mets là un icône et puis je
mets là un indice... puisque je vous le rappelle que 2 c'est pas seulement ce qui vient après 1, 2 c'est
ce qui en soi même et par soi même est 2... et si 2 vient après 1 c'est parce que 1 est en soi-même 1
priméité et que 2 est en soi-même 2 secondéité.
Alors je dis bon, je dis 1 et puis je dis 2 et puis si j'ose je dis 3 mais est-ce que je tombe ou est-ce
que je tombe pas quand je dis 3 si y a quelque chose dans le cinéma qui soit de la tiercéité.

Ce sera pas rien. Qu'est-ce que veut dire GODARD lorsqu'il dit : 1,2 et puis 3.
Sans le savoir, sans le vouloir, peut-être est-il le plus pur disciple de PIERCE.

Mais enfin, on n'en est quand même pas là, on tient juste : image de priméité ou icône... ou
image-affection, quoi.
Image-action égale indice ou image de secondéité.

Ah bon, est-ce qu'on peut développer un peu déjà... euh, ou bien alors il faut que j'en finisse avec
PIERCE...
ouais, oui oui, parce que sinon la prochaine fois on n'en pourra plus.

Donc seulement, reprenons, faut pas se lasser, tant que, tant que y aura quelque chose d'un peu
obscur.

La priméité, telle que la définit PIERCE c'est en fait très, très compliqué. C'est tellement compliqué à
comprendre par l'esprit que il faut bien... faut, faut essayer de sentir ce qu'il veut dire. Lui-même moi
j'ai l'impression que lui-même par moment il, il peut pas s'exprimer. Y a bien en effet, c'est pas, c'est
pas étonnant, dans la priméité y a quelque chose d'ineffable. Dès que vous vous servez de mots, on
est déjà dans la tiercéité alors...

À la rigueur avec la tiercéité on peut pressentir ce qu'est la, la secondéité mais, arriver jusqu'à la
priméité pure c'est pas facile hein. Mais il essaie, alors il se crée un langage. Il essaie et une de ses
formules les plus satisfaisantes c'est, il dit : « la priméité c'est ce qu'il y a de conscience immédiate et
instantanée dans toute conscience ».
Seulement méfiez-vous, aucune conscience n'est immédiate et instantanée. Il n'y a pas de
conscience immédiate et instantanée qui soit donnée en fait.
Pour une raison simple.
Il n'y a pas de conscience immédiate et instantanée qui soit donnée en fait pour la simple raison que,
le fait, c'est le domaine de la secondéité.

Il n'y a de fait que comme relation entre deux choses.

Donc, la formule elle devient très, très bizarre la formule qu'il emploie, c'est pour ça que il faut que
vous la reteniez à la lettre ou que vous l'oubliez complètement.

« Ce qu'il y a de conscience immédiate et instantanée dans toute conscience est, tandis qu'aucune
conscience n'est immédiate et instantanée ».

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D'accord, c'est pas contradictoire... aucune conscience n'est immédiate et instantanée mais il y a
une conscience immédiate et instantanée dans toutes conscience. Simplement faut rudement gratter
pour la dégager. Et alors qu'est-ce que c'est, cette conscience immédiate et instantanée qui est
présente dans toute conscience ?

Prenons un exemple, il le prend lui-même.


« Le rouge »
et c'est l'exemple qu'il prend, « le rouge », comme affection pure. La petite fille à l'école c'était, tout à
l'heure, c'était « le jaune ». Ça pourrait être la faim, ça pourrait être la faim, car je commence par un
des plus beaux textes de, de Pierce, quand il veut essayer de nous faire vaguement comprendre ce
que c'est la priméité, il donne une liste d'exemple qui fait rêver... euh... - où c'est... si je le trouve plus
ça sera catastrophique... évidemment j'ai perdu la page... Ah voilà !

Parmi, ça vous donnera un exemple de son style, parmi les phanérums, c'est-à-dire parmi les
phénomènes, parmi les phanérums il y a certaines qualités sensibles comme :

la valeur du magenta,
l'odeur de l'essence de rose
le son d'un sifflet de locomotive
le goût de la quinine
la qualité de l'émotion éprouvée en contemplant une belle démonstration mathématique
la qualité du sentiment d'amour, etc...

Il nous dit tout ça c'est des qualités et


les qualités c'est la priméité.

Comprenez c'est déjà énorme. Ça peut pas être actuel. C'est vrai que, l'actualité c'est toujours le
rapport d'une action et d'une réaction, c'est toujours le rapport force-résistance. Donc la priméité
selon PIERCE ce sera les qualités pures ou les pures puissances. Il emploie lui-même le mot :
potentialité.
Ce sont des qualités ou potentialités...

Ah bon, c'est des qualités ou potentialités, comme ça nous va...


Qu'est-ce qu'on rêve et qu'est-ce qu'on pouvait rêver de mieux ?
Un philosophe qui a tout trouvé alors sur cette nature, euh, de l'image-affection telle qu'on l'a
cherché. Et ça peut être le sifflet des wagons de locomotive, de la locomotive, ça peut être la
quinine, ça peut être l'amour, ça peut être la faim, la soif... ça recouvre à peu près les affections
pures et les affections impersonnelles de MAINE DE BIRAN. Mais vous me direz, mais comment
c'est pas actuel ?qu'est-ce que ça veut dire...

reprenons l'exemple, « le rouge ».


Vous pouvez percevoir du rouge, c'est un mode de conscience, perception de rouge, là il est actuel,
vous êtes dans la secondéité. Lorsque vous percevez un objet rouge, vous êtes en pleine
secondéité. Sujet percevant-objet perçu, action-réaction, effort-résistance, tout ce que vous voudrez
vous êtes dans la secondéité, vous êtes dans la relation.

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La tiercéité c'est la médiation, la secondéité c'est euh la relation.

Bon... lorsque vous pouvez vous souvenir du rouge... « Ah ! je me rappelle, il avait mis son bel habit
rouge », je dis hier, « Ah oui, elle avait mis sa belle jupe rouge... ». Voyez, je fais mes exemples de
plus en plus tentant pour que vous... pour que vous suiviez mieux, ah ! oui elle avait sa jupe rouge...
Bon...
Je peux imaginer du rouge, là je verrai du rouge, je dis ah oui ça je fais un... je vais faire un tableau,
je dis là oui je vois du... je verrai du rouge bon... je peux faire tout ça.

La priméité n'est dans aucun de ses modes de conscience. Ce n'est ni du rouge perçu, ni du rouge
imaginé, ni du rouge souvenu.

C'est quoi ? C'est ce qu'il y a de, je recommence, c'est ce qu'il y a d'immédiate et d'instantanée dans
tous ces modes de conscience. Ah qu'est-ce que c'est ça alors qu'est-ce qu' y a de...d'immédiate et
d'instantanée dans tous ces modes de conscience, perception, imagination, mémoire, lesquelles ne
sont pas, eux-mêmes, immédiates et instantanées. Mais c'est formidable comme idée, je crois que
c'est un statut du sensible que PIERCE impose là qui est fantastique.
Il dit, ben oui, c'est pas difficile, il dit, alors là il prend un ton plus, qui se met, c'est de la grande
philosophie délire... et plus qui va loin plus euh... plus il prend des exemples familiers. Il dit y a des
gens très bizarres, ils pensent que quand un objet est dans le noir...que quand un objet rouge est
dans le noir il cesse d'être rouge. Il dit c'est quand même une drôle d'idée, il dit ah ben oui si ils
vivent comme ça eux alors ils sont pas bons pour mes catégories.
Parce que, bien sûr quand un objet est dans le noir il cesse d'être actuellement rouge... ça d'accord.
En effet, il y a plus de secondéité, dans le noir, y a plus de secondéité.
Mais... le rouge il cesse pas, il cesse pas du tout.
Pourquoi ?
Supposez que je dis « Oh... elle n'est pas en rouge », « Tiens, elle n'est pas en rouge »
Ma conscience du rouge comme conscience immédiate et instantanée n'est pas moins positive dans
la formule « Elle n'est pas en rouge » que dans la formule « Oh, elle a mis sa belle robe rouge ».
Le rouge qui n'est pas actuel qui n'est pas actualisé n'est pas moins rouge que le rouge qui est prit
dans une actualité, c'est-à-dire dans une secondéité. Et dans la mesure où le rouge est une priméité,
il n'a rien à faire avec la question : Est-il ou non actualisé ?.

Intervention inaudible d'un auditeur

Ah ben c'est très bien, tu es ? hein ? eh ben très bien alors... tu vois tout va bien, tout va bien...
d'accord... très bien, parfait, tout va bien... tout comme tu dis...

(Bruit) La porte s'ouvre

Deleuze : - Au revoir...
Oui, vous voyez cette histoire de... est-ce que vous sentez quelque chose ? Il faudrait que vous
sentiez quelque chose, oui.
Je dis : Ce n'est pas rouge.
Eh ben, le « Ce n'est pas rouge » est une présentation immédiate du rouge égale à celle de la

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proposition « C'est rouge ».
Dès lors c'est forcé que le rouge comme pure qualité soit une potentialité soit une qualité puissance.
Et y a un autre philosophe anglais, moi, qui me fascine dont je voulais parler tout à l'heure, puis j'ai
renoncé à en parler parce que déjà que je suis en retard sur tout euh... mais auquel j'ai fait plusieurs
fois allusion ; qui est WHITEHEAD.
WHITEHEAD, il s'entendait très mal avec PIERCE, ils se méprisaient tous les deux euh... les Anglais
ils sont très... c'est comme ça, c'est la vie hein, mais Pierce il trouvait que RUSSEL et WHITEHEAD
c'était vraiment pas grand-chose et puis RUSSEL et WHITEHEAD ils le lui rendaient bien hein euh...
du coup euh bon mais ça fait rien...

WHITEHEAD

C'est quand même étonnant, WHITEHEAD, qui pour moi est un très, très grand philosophe autant
que PIERCE, développe toute une thèse sur ce qu'il appelle les objets éternels.

Et il fait la distinction des objets éternels et des préhensions.

Et il dit l'objet éternel, l'objet éternel c'est une pure virtualité, une potentialité.
Il devient actuel quand quoi ? quand il se réalise dans une préhension...
C'est-à-dire dans un acte de perception si vous voulez, dans un acte d'appropriation, de perception
mettons.

Il dit alors qu'est-ce que c'est l'objet éternel en lui-même ? Y en a de toutes sortes
commechezPIERCEmaisunesorted'objetséternels,c'estlesqualités,lesqualitéspures,« lerouge »,

etjemesouviensd'unepagetrès belle de WHITEHEAD sur le bleu comme objet éternel.

Alors la secondéîté, c'est lorsque la potentialité s'actualise dans un état de choses.

Voyez qu'on est en train de dessiner notre image-action.

L'image affection, c'est la qualité puissance en elle-même.


C'est-à-dire, suivant cette formule merveilleuse - j'imagine pas de plus belle formule - encore une fois
que ceci : « ce qu'il y a de conscience immédiate et instantanée dans toute conscience. »
Dans toute conscience qui elle n'est pas immédiate et instantanée.

Alors ça c'est, bon, mes images d'affection, les icônes.

Je demandais qu'est-ce qu'y a d'autre que les deux types d'icônes, pour moi je distinguerais deux
types d'icônes : les icônes d'expression et les icônes, euh... ça serait bien ça alors... euh... Je dirais :

y a des icônes d'expression


et des icônes d'exposition,
conformément à mes deux types d'images-affection.

Et qu'est-ce qui peut arriver d'autre à une qualité-puissance que l'exposition ou l'expression ?

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C'est la priméité.
Exposition ou expression, c'est la priméité .

Eh ben, il peut arriver qu'une chose à une icône :


passer à l'actualité.
La qualité-puissance s'actualise dans un état de choses déterminés dans un espace-temps
déterminé, dans un état de choses individué. À ce moment-là, l'icône n'est plus icône, à ce
moment-là, l'icône est devenu indice.
Indice de quoi ?
Indice de l'état de choses.
Vous avez une image-action. Vous avez déjà une image-action.

Tiercéité, pour le moment, je laisse de côté. Est-ce qu'il y a des images de tiercéité ? Pour le
moment, on a vu :
La tiercéité, c'est ce qui met en jeu le futur.
Là, si je fais ceci, j'obtiendrais ceci par l'intermédiaire d'une médiation ou d'une loi.
Médiation, loi ou signification.
Bon eh ben, finissons-en avec PIERCE.

Seulement voilà, vous avez vos trois machins : priméité, secondéité, tiercéité.

Là, où ça se complique, il peut pas en rester là parce que il est euh c'est trop bien parti, c'est
beaucoup trop bien parti. Qu'est-ce qui va tout compliquer ?

Là, je vais vite parce que vraiment je voudrais avoir fini ça aujourd'hui.

Non, j'essaie pas d'expliquer pourquoi ce problème vient. Surgit la notion de signe, puisque, en effet
y a des signes de priméité, des signes de secondéité, des signes de tiercéité. Et voilà que Pierce va
s'apercevoir que ce qu'on appelle un signe a lui-même trois aspects. Non seulement y a :
des signes de priméité : icônes
des signes de secondéité : indices
signes de tiercéité : symboles
mais, tout signe quel qu'il soit, a lui-même trois aspects.

Premier aspect, mettons - je simplifie beaucoup - mettons, le signe en lui-même. Le signe en


lui-même. Il l'appelle d'un nom barbare : le représentamen. Peu importe. Le signe en lui-même.

Deuxième aspect : le signe par rapport à un objet dont il tient lieu.


En effet, un signe c'est quelque chose qui tient lieu d'autre chose. « Tenir lieu » est l'expression plus
vague pour exprimer l'opération du signe. Donc, y a le signe en lui-même, deuxième aspect, y a le
signe par rapport à l'objet dont il tient lieu, et

troisièmement, y a le signe par rapport à ce qu'il appelle l'interprétant. Et là c'est une notion
aussi très complexe.
L'objet c'est quoi ?
L'objet c'est pas forcément un objet réel. Vous pouvez avoir signe d'un objet qui n'existe pas. Et en

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plus, vous pouvez avoir signe désignant un objet qui ne peut pas exister. Donc, c'est pas forcément
l'objet réel. Et l'interprétant, surtout ce n'est pas celui qui interprète le signe.

Ce que PIERCE appelle « l'interprétant, c'est d'autres signes qui forment avec le premier signe une
série d'après laquelle la signification du signe va être complétée, développée ou déterminée. »

L'interprétant, je répète c'est, un ensemble de signes ou une série de signes liés au premier signe
de telle manière qu'ils en développent, complètent ou déterminent la signification, la signification du
premier signe.

Exemple tout simple : je dis le mot "grenade" euh, bien plus, il dira dans une formule très très
abstraite, très très obscure PIERCE : finalement l'interprétant c'est l'habitude.

Y a pas de philosophes anglais qui un moment quelconque ne ramènent l'habitude. Pour eux, ça
tient lieu de... C'est le meilleur concept pour eux. Mais ils se font une conception de l'habitude qui est
alors, à la lettre vraiment pas croyable, très très curieuse, très belle. Ça de toutes traditions chez les
anglais quand vous rencontrez le thème "habitude," je crois qu'il faudrait le traduire plus euh, ceux
qui ont fait du latin je dis uniquement pour ceux qui euh... c'est beaucoup plus proche de ce que les
latins appelaient "habitus", c'est-à-dire le mode d'être, mode d'être.

Exemple du troisième aspect du signe


Eh ben, je dis le mot "grenade",je dis le mot "grenade". "Grenade" ah bon, bien, c'est un signe, c'est
un signe le mot "grenade".
Mais, signe de quoi ? Première série d'interprétants :
"ville", "Espagne".
Je dirais : "ville", "Espagne" sont les interprétants de "grenade" de ce point de vue là.
Je dis : "dégoupiller", boum boum".
C'est autre chose.
C'est une autre série d'interprétants, à ce moment là, c'est que "grenade" n'était pas signe de la ville
d'Espagne, "grenade" était signe de l'arme de guerre.
Y aurait une troisième série : "grenade", "arbre", "grenade", est-ce un arbre ou une plante ? oui, euh
c'est un arbre euh... "fruit" etc. Bon, vous pouvez toujours comme ça constituer des séries
d'interprétants.
Voilà c'est ça le troisième aspect du signe.

Introduction au tableau de Pierce

Bien, alors, pour en finir parce que je vous sens épuisés, on va avoir un tableau très, très curieux, on
va avoir un tableau. Là, j'ai pas le temps de sauter au tableau mais il faut que vous voyiez.
Si j'avais une feuille de papier, je mettrais en horizontal.
Là ! vous voyez, vous suivez mon doigt.
Je diviserais trois colonnes mais je me réserverais à gauche quelque chose hein, et je ferais trois
colonnes à partir du milieu de la page.
Priméité : première colonne
Secondéité : seconde colonne
Tiercéité : troisième colonne.

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Et puis, verticale, dans la marge, je mettrais mes trois aspects du signe :
signe en lui-même
signe par rapport à son objet
signe par rapport à son interprétant

Calculons rapidement, ça va me donner combien de signes ? Combien de signes de base ?

Neuf.

Et je vous donne la liste parce qu'elle est trop charmante euh et elle sert à tout, vous comprenez, et
puis après on va pouvoir combiner mais on s'arrêtera là.

Premier aspect du signe : le signe en lui-même.


Alors, dans la colonne Priméité ça sera les qualisignes.
Q.U.A.L.I.S.I.G.N.E. etc.
Qualisigne.
Qu'est-ce que ça veut dire un qualisigne ?
C'est lorsque c'est une qualité qui fait signe.
C'est une qualité qui fait signe.

Signe de secondéité, c'est ce qu'il appelle un sin signe. S.I.N. plus loin Signe. Un sin signe.
Pourquoi ?
Le sin signe, c'est un signe qui fonctionne dans un état de choses, dans un état de choses singulier.
C'est le préfixe de singulier qu'il a pris.
Lui, dit singulier moi je préfèrerais dire individué puisque je me suis servi de singularité pour au
contraire la priméité mais ça compte pas ça.
C'est-à-dire dans ce cas là le sin signe, cette fois ci, c'est bien un signe mais cette fois c'est une
existence qui est signe. Ça n'est plus une qualité ou potentialité qui est signe c'est une existence
qui est signe.

Signe de tiercéité, ce qu'il appelle un légisigne.


Légisigne.
Cette fois, c'est une loi qui est signe.

Par rapport à l'objet :

signe de priméité : icône.


En effet, une icône sera définie comme ceci :
« C'est un signe qui renvoie à l'objet par des qualités qui lui sont propres à lui, signe ».
C'est un signe qui renvoie à l'objet par des qualités qui lui sont propres. Par exemple : la
ressemblance.

Une icône est ressemblante, or sa ressemblance est une qualité qui lui est propre.

Du côté de la

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secondéité : indice.
Que cette fois maintenant en sens plus précis PIERCE va définir : c'est un signe qui renvoie à l'objet
parce qu'il est affecté par cet objet.

Signe de tiercéité : symbole.


Cette fois-ci, c'est un signe qui renvoie à l'objet en vertu d'une loi ou d'une habitude.

Enfin, par rapport à l'interprétant.

Signe de priméité, ce qu'il appelle le rhème.


R.H.E.M.E.
C'est un signe qui dit-il pour son interprétant est signe de possibilité, et c'est l'équivalent en logique
formelle de ce qu'on appelle un terme.

Signe de secondéité ce qu'il appelle le dicisigne.


D.I.C.I.Signe.
Le dicisigne qui répond à ce qu'on appelle en logique formelle une proposition. Cette fois-ci, c'est
un signe qui pour son interprétant est signe d'existence réelle.

Signe de tiercéité, ce qu'il appelle un argument.


Argument. Et euh, et voilà et cette fois ci c'est un signe de loi, et, ça correspond, à ce qu'on appelle
en logique formelle, un raisonnement.

Bon. si ça vous amuse, c'est un exercice pratique. Voyez bien que vous pouvez combiner vos neuf
types de signe. Vous aurez tout compris de Pierce lorsque sans vous reporter à ses propres
tableaux à lui il se lance dans des tableaux, toute sa vie il va remanier son tableau, il va en ajouter
d'ailleurs ça va devenir de plus en plus dément.
Mais, déjà avec vos neuf signes, il y a des combinaisons permises et des combinaisons pas
permises.

Un exemple, je prends un exemple : est-ce que je peux parler d'un qualisigne indiciel ?
Et ça vous ouvre une logique, une drôle de logique formelle, ça vous ouvre une logique formelle d'un
type très nouveau qui va être tout un aspect de ce qu'il appelle une sémiotique.
Est-ce que vous pouvez parler d'un symbole rhématique ? Un symbole rhématique, est-ce que vous
pouvez en parler ? Sentez que, dans les combinaisons il y a des incompossibilités, y a des
incompatibilités et y a des compatibilités. Oui ?...

Intervention : question inaudible

...un qualisigne ? un qualisigne.


Eh ben. c'est un signe qui fait signe.
Euh non, pardon !...

Rire

...C'est une qualité qui fait signe.

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Du rouge, vous prenez comme signe du rouge.
Lorsque une qualité est prise comme signe, je dirais presque : un aspect du feu rouge. Quand je
parlais du code de la route, ça serait très intéressant de prendre les différents signes du code de la
route et de voir dans quelles catégories de PIERCE.
Le rouge-vert. Là, ce sont de pures qualités qui font signe. Ce ne sont pas seulement des
qualisignes. parce que en fait c'est aussi des indices etc. Mais, si vous dites : je ne retiens du feu
rouge et du feu vert que cet aspect abstrait séparé des autres, le rouge est signe, le vert est signe,
vous avez un qualisigne...

Intervention : question inaudible

...Quoi ! un cri.
Je préférerais un cri, un cri. Un cri c'est un indice d'abord, une onomatopée, à mon avis oui, vous
auriez raison, une onomatopée c'est une icône.
Euh, c'est pas un qualisigne c'est une icône puisque une onomatopée ça renvoie au second aspect
du signe.
Quel rapport avec un objet ?
Parce que sinon vous distinguez pas une onomatopée d'un bruit. Si vous me dites un bruit qui fait
signe,
oui c'est un qualisigne...

Intervention : question inaudible

...Un signe par définition c'est : un quelque chose qui renvoie à quelque chose d'autre et qui a des
interprétants qui se développent dans d'autres signes hein.
Tout signe réunit ces trois aspects, mais c'est une abstraction légitime que dire : je vais commencer
par considérer le signe en lui-même en tant qu'il est lui-même quelque chose, et puis je vais le
considérer en tant qu'il renvoie à quelque chose, et puis je vais le considérer en tant qu'il a des
interprétants.
Il est bien entendu que tout signe... si bien que y a pas des qualisignes qui ne soient que des
qualisignes. ou peut-être que si, mais des cas extraordinaires. Par exemple, j'imagine un qualisigne
qui n'est que qualisigne, ben j'dirais c'est en effet ; je m'endors et j'ai ce qu'on appelle une lueur
entoptique. Remarquez que si j'ai une lueur rouge dans l'œil, et que je me dis ou lala, j'ai une artère
qui vient de craquer...

Rire

...c'est plus un qualisigne ça, plus du tout un qualisigne, mais une lueur entoptique c'est proche d'un
qualisigne. Vous aurez jamais un exemple pur, vous aurez une prévalence de ceci ou de cela.

Alors. euh. j'ai presque fini. Qu'est-ce qu'on retient de tout ça ? Pourquoi j'ai, pourquoi j'ai raconté
tout ça ?
Eh ben, vous comprenez, parce que là du coup ça nous lance.
On avait besoin d'un relancement et que enfin la philosophie nous relance. vous savez.
Pourquoi ?
Parce que je tiens encore une fois le moment où je peux faire commencer abstraitement comme ça

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l'image-action, c'est-à-dire, le troisième type d'image.
Je sais où elle commence, et puis, je sais aussi qu'on va avoir de rudes problèmes.

Je dirais, l'image-action, c'est pas difficile, elle commence à partir du moment, là je pèse mes
mots, quand on passe des qualisignes aux sin signes.
Car, je reprends alors mon vocabulaire, pour plus de commodités.
J'appellerai sin signe, moi pour mon compte, j'appellerai sinsigne les qualités puissantes en tant
qu'effectuées dans un état de choses individué. C'est-à-dire : en tant qu'effectuées dans un
espace-temps déterminé.
À ce moment là il y a quoi ?
Il y a : monde actuel où pour le moment on peut traiter tout ça comme euh... équivalent mais on
verra que peut-être pas, ou milieu, ou situation.

Monde actuel, milieu ou situation se définit comment, eh ben, c'est l'effectuation de qualités
puissantes dans des états de choses.
Et, l'image-action, elle va de quoi ?
Elle va de la situation à l'action, elle va du milieu au comportement. Est-ce que j'en dis pas trop,
pourquoi pas l'inverse ? j'en sais rien elle opère et elle balaie tout le domaine de la secondéité.
Bien eh ben mais ce domaine il va être immense, rendez-vous compte, rendez-vous compte à quel
point il va être immense.

Intervention : Question inaudible

Le sinsigne oh lala c'est , c'est un état de choses ou un espace-temps déterminé en tant qu'il
actualise des qualités puissances.
C'est ça ?
Alors euh, ça va être un programme immense, c'est pour ça que l'image-action, mais peut-être pas
plus que, l'image-action vous comprenez ? il va falloir, on se trouve devant quoi qu'est-ce que ça va
être les milieux, les mondes ? et puis, comment les actions vont-elles sortir des situations de milieux
et mondes ?
On pourrait presque alors prendre une première formule. Qu'est-ce qu'y a ?
Première formule de l'image-action au cinéma. S situation tiré A action tiré S prime (S-A-S')...

Coupure

... actualisé dans un état de choses déterminé.


L'action c'est quoi ?
Cherchons, cherchons vite là, euh, pendant qu'on est poussé par PIERCE.
Je dirais l'action c'est le duel.
L'action c'est toujours la relation, relation euh. action-réaction, force-résistance.
C'est le duel.
Bon, j'ai donc situation, qui est un sin signe, action qui est un duel, réaction sur la situation qui est
modifiée par le duel.
C'est intéressant ça, pourquoi c'est intéressant ?
Je suppose mais là on en reparlera on verra ça, c'est pour euh avant de m'écrouler c'est...

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y a une loi, y a une loi qui avait été dégagée, il faudrait l'appeler la loi de BAZIN par hommage à
André BAZIN. Qu'est-ce que c'est la loi de BAZIN ?
C'est dans des articles qui avaient eu beaucoup de retentissement et qui avaient comme thème
"montage interdit".
Y a des cas où le montage est interdit. Et on verra la prochaine fois les textes de BAZIN là-dessus.
Ben ça me parais pas difficile le cas où le montage est interdit et le cas où le montage est permis ou
bien même euh recommandé.

Le montage est complètement nécessaire à toute présentation de monde, milieu et situation,


au cinéma dans l'image action.

Le montage est strictement interdit et doit être prohibé lorsque l'action qui sort de la situation
se resserre au maximum en un duel.

Car là il faut bien que vous ayez un seul plan qui réunit les deux termes de l'action.
Mais, l'action-duel réagit sur la situation S-A-S'.
Et pourquoi pas l'inverse ?
Pourquoi qu'on n'aurait pas un type d'image-action euh inverse, juste le contraire ?
A-S-A', Action-Situation-Autre Action.
Est-ce que c'est les mêmes types d'images-actions ?
Est-ce que c'est les mêmes auteurs, est-ce que c'est les mêmes génies dans le cinéma, qui ont
particulièrement réussi le chemin S-A-S' et ceux qui ont réussi le chemin A-S-A' ?
Est-ce que... est-ce que les genres sont liés à un des deux chemins ?
Je veux dire est-ce que le western appartient à tel côté ? est-ce que le burlesque, le burlesque
américain.
Hein, tout ça ?
ça va être de grands grands problèmes. Donc, on tient juste ceci, l'image-action va être l'image qui
de toutes les manières, saisit dans un ensemble les situations et les duels.

C'est-à-dire, la situation étant l'effectuation de la qualité-puissance dans un état de choses.

et le chemin par lequel la situation se développe est le duel.

Voilà bon.
Donc, on pourra commencer l'image-action la semaine prochaine.

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 23/03/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 23/03/82 - 2 Page 1/10


Transcription : PANO Claire G. Deleuze- Cinéma - cours du 23/03/82- 2

...Scarface de Hawks et sans doute le plus grand des ces films noirs de motif S A S, on verra je
commenterai tout à l'heure, "M le maudit" de Lang et enfin le grand film historique soit récent soit
antique et archaïque : Griffith récent, "naissance d'une nation" avec période archaïque "Intolérance"
et les grands films historiques de Cécil B de Mille. Bon voilà.

Si j'en ai besoin de ça, c'est pour l'avenir ; j'ai juste noté ça, on va essayer de se débrouiller là
dedans. parce que mon problème maintenant c'est bien.. ça c'est juste des exemples d'application
de ce que j'appelais "la grande forme" de récits. Ce qu'il nous reste à voir pour en finir avec cette
"grande forme" c'est :

quels seraient les lois ? est ce qu'on peut dégager des espèces de shèmes de lois très générales
de la "grande forme" ? et bien oui, on peut en dégager je voudrais proposer quatre lois de la "grande
forme" A quoi, vous reconnaissez nécessairement la "grande forme". Quatre lois : Vous voyez il y en
a beaucoup hein.. Bon je m'en vais...je m'en vais au secrétariat..j'en ai pour 5 min, je vous
rapporterai la date des vacances.. Je vais porter vos U.V avec Bernard Casse

D'abord une très mauvaise nouvelle à vous annoncer : les vacances, hélas on ne peut même plus
travailler, ont lieu du vendredi 26 mars au soir au mercredi 14 avril au matin ... ah c'est le sale coup,
quoi ?. . (rires d'étudiants) ça fait trop ah oui

Bon, je disais quoi ? on se retrouve le 20, oui c'est ça le 20 je sais qu'il y en a qui sont contents, mais
pas moi.. Alors voilà et si on dégageait quand même des lois mais des schêmes très généraux de
cette grande forme SAS, SAS'

je dirais 1ère grande loi - il ne faut pas prendre ça pour des lois, faut pas prendre ça pour des lois
hein - première grande potentialité. On pourrait appeller cela : La loi du montage d'action. Car en
effet depuis le début, on a vu et on a considéré le montage sous des aspects très très différents les
uns des autres, j'ai bien dit les premières fois où je parlais de montage, je ne parle du montage que
d'un certain point de vue pas là qu'il y a quelque chose qui s'impose en effet par quoi ?

Le point de vue qui m'intéresse ici, sur le montage, c'est le montage en tant qu'il est montage
d'action.

Et qu'est-ce qu'il faudrait appeler le montage d'action ? Ben voilà : dans la formule SAS où je vais

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d'un milieu situation à l'action duelle qui réagit sur la situation. Il faut bien que du milieu émanent
comment dire plusieurs lignes. Il faut bien que dans le milieu soient formés, soient constitués des
foyers qui eux-même vont agir sur le personnage, c'est-à-dire il faut bien que s'exercent sur le
personnage des actions concourantes pourquoi ? Parce que il y a une inadéquation fondamentale
entre le personnage pris dans le milieu et le milieu avec toute sa puissance. Il faut donc qu'il y ait un
ensemble d'actions convergentes sur le personnage. Pour quoi ? pour déterminer la situation. Pour
déterminer la situation dans laquelle le personnage est pris. Il faut donc qu'il y ait des séries
concourantes qui vont toutes contribuer à la description de la situation et aussi à la résolution de la
situation par le duel, par l'action du personnage soit que ces lignes d'action qui s'exercent sur le
personnage soient hostiles au personnage, soit qu'elle lui soient favorables. Soit qu'elles lui soient de
toutes manières hostiles soit de toutes manières favorables. Vous avez de toute manière dans votre
image SAS, le milieu périphérique, des foyers distribués dans ce milieu et des lignes de force qui
s'exercent sur le personnage. Dans l'exemple que j'ai pris "le vent", il y a un foyer, le vent et le vent
dans la prairie qui s'exerce sur la pauvre jeune fille, un autre foyer : rudesse du mode de vie des
habitants de la prairie, un autre foyer et c'est ça qui va déterminer sa situation.
Donc le montage là ce sera le rapport respectif du point de vue des images entre ces influences,
ces déterminations concourantes et monter : ça va vouloir dire sous quel rythme et sous quelle forme
est-ce que vous allez passer à telle série déterminée, telle autre série déterminée. Quel rapport
est-ce que deux séries s'exerçant sur le personnage à partir des foyers distribués dans le milieu,
sous quelle forme ?

Alors par exemple, je reprends l'exemple du "vent" et ben vous avez des images qui vont marquer
que ...l'héroïne ne peut pas supporter le vent . Ça c'est un foyer périphérique, le vent. Mais elle ne
peut pas supporter non plus le mode de vie cette fois-ci : des images d'intérieur où elle ne supporte
pas le père et la mère du cow-boy. Bon sur quel rythme vous passez de l'un à l'autre ?

C'est ce qu'on appellera un montage d'action et quels rapports vont avoir ces images
concourantes ? Est-ce que ça va être des rythmes d'opposition ? Opposition, C'est possible par
exemple dans le montage Eisenstein les rythmes d'opposition sont très fréquents. Mais c'est pas la
seule chose, les actions souvent sont concourantes et ne s'opposent pas . Si bien qu'il va y avoir des
inventions de montage dans la forme du montage d'action, des inventions très importantes et s'il est
vrai comme disent les histoires du cinéma que c'est Griffith qui donne une importance ou qui, d'une
certaine manière invente le montage d'action notamment dans « naissance d'une nation », ça
n'empêche pas que, il ne détermine pas une forme du montage d'action définitive et ça chaque
grand cinéaste, surtout en cette période, en cette période ancienne, a su inventer ses formes de
montage d'action. Si bien que je prends un cas très précis, ces formes de montage d'action, c'est ce
qu'on appelle le montage alterné. Tantôt vous foncez dans un foyer de série, tantôt dans l'autre
série, mais dans quel rapport ? Je voudrais juste indiquer là comme exemple de cette loi du montage
d'action où il faut bien que dans l'image-action vous ayez ce montage puisque vous voyez
exactement à quel niveau je le prends.

Le montage d'action, intervient précisément pour ventiler, distribuer et rapporter les unes aux
autres, les différentes séries d'influences qui, à partir du milieu, s'exercent sur le personnage. Bon,
eh bien je prends l'exemple de M.LE MAUDIT comme étant un exemple génial de montage d'action
et qui a eu une nouveauté qui a eu une influence sur le cinéma fondamentale. Si je fais très vite : le
commentaire de M.LE MAUDIT, le film de Fritz Lang : De ce point de vue. C'est bien une forme SAS

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pure, plutôt SAS (prime). C'est une forme SAS prime, ça commence par quoi ? par quoi ? Enoncé de
la situation : (bruit de camion qui freine)ça va être génant... .... Euh ça va être SAS PRIME
c'est-à-dire énoncé de la situation d'abord : à savoir un meurtrier est dans la ville, un assassin
d'enfant, un assassin de petite fille, pas d'enfant de petite fille, un assassin de petite fille est dans la
ville. Bon ça c'est vraîment l'exposé de la situation mais il est très, c'est vraiment là, le synsigne. Il
est vraîment très rapide et tout de suite et maintenant vous avez donc un état de choses : c'est l'état
de choses. Là-dessus dans ce milieu etat de choses, deux foyers, sont tout de suite déterminés :
deux foyers , Le foyer des criminels : le foyer de la pègre, foyer de pègre, foyer de la police. De ces
deux foyers émanent deux actions s'exerçant sur le personnage = x on ne connaît pas : "qui c'est" ?
Deux foyers d'où émanent deux actions, deux influences. D'une part la police cherche le criminel et
dès le début, la pègre a décidé aussi de chercher le criminel pourquoi ? Parce qu'il nuit et on va voir
ce que ça veut dire - je crois que ça a un sens très profond du point de vue du cinéma - parce-que
M.LE MAUDIT, l'assassin des petites filles nuit aux bonnes affaires de la pègre.

Tous disent, depuis les mendiants jusqu'aux criminels, il disent : « c'est pas un des nôtres , c'est pas
un des nôtres celui-là nous on est des hommes d'affaire, nous on est dans la société, c'est-à-dire on
est bien dans le milieu, on est dans la société. Il nous nuit beaucoup, il faut le trouver, on a plus la
paix parce que la police elle surveille tout, on n'a plus la paix donc et se dessine une - ce qu'il faut
bien appeler - une double pince vers le personnage = x. Les mendiants cherchent à l'extérieur
délégués par la pègre, cherchent dans les rues avec tout un système qui est le leur et la police, elle
remonte des filières et cherche dans les maisons, cherche à l'intérieur.

Vous avez une double-pince là qui se dessine et qui va traquer. Et là le montage formidable de
Lang à ce point - c'est d'ailleurs tout le monde l'a remarqué c'est et là je dis rien d'original - c'est
d'avoir fait un montage alterné d'un type tout à fait nouveau, je crois, faisant appel, non plus du tout à
des oppositions mais à un système de rimes, de complémentarités. Exemple, exemple bien connu :
Les policiers se réunissent et le commissaire dit une phrase, on saute à la réunion de la pègre où la
question que posait le commissaire, c'est quelqu'un de la pègre dans la réunion de la pègre qui la
reprend ou qui y répond tout un système de rythmes euh de rimes par lequel vous passez d'une des
séries à l'autre série et les deux séries vont concourir .

Elles vont concourir pour quoi ? je peux pas le dire encore. Mais grossièrement je peux juste dire
: Elles vont coucourir vers quoi ? Vers le sommet du film qui va être l'action duelle. Le criminel traqué
est découvert. Il est découvert et il est pris par les mendiants et il va être jugé par l'incroyable tribunal
de la pègre. Et là il y a un rapport de duel qui vient. Le rapport de duel, il était déjà là tout le temps je
dis bien, mais culmine au moment où il se trouve devant le tribunal. Bon et puis, situation modifiée
qui fera la fin du film mais à peine modifiée.
Est-ce que c'est SAS prime ou est-ce que c'est SAS ? C'est SAS prime, si l'on considère que la
pègre a retrouvé sa liberté d'action . La police tient le criminel. Bon c'est fini ils peuvent reprendre
leurs affaires. Mais c'est du SAS c'est-à-dire du très peu modifié dans la mesure où le dernier mot du
film c'est la mère, qui, au tout début a eu sa petite fille assassinée qui dit, qui dit d'un ton crâne,
quelque chose comme : « Ca recommencera maintenant il va falloir les surveiller les enfants ». Vous
voyez il y a une oscillation. Est-ce que c'est SAS ? ou est-ce que c'est SAS prime ?

Voilà ma première loi, Mais j'insiste sur ceci que dans chaque cas de montage d'action il faut
évidemment dans des études de type structurale, voir comment opère le montage c'est-à-dire :

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est-ce que c'est sous forme d'opposition, est-ce que c'est sous forme de écho et de rime ? Et il y a
bien d'autres formes et chaque grand cinéaste a sa logique de montage d'action.

2ème loi, c'est ce que j'appelais la dernière loi de BAZIN, en hommage à André BAZIN ou loi du
montage interdit. Car je dis juste c'est dans l'édition définitive en un volume de "Qu'est-ce que le
cinéma" ? C'est page 59-61 où Bazin a un très bon texte où il dit en gros et bien voilà, je vous le lis
pas parce que j'ai pas le temps, je vous lis que des petits bouts il dit, voilà , voilà la loi qu'il propose.
Voyez il dit bien une loi, hein : « On pourrait poser en loi esthétique le principe suivant : quant
l'essentiel d'un évènement est dépendant d'une présence simultanée de deux ou plusieurs facteurs
de l'action, quant l'essentiel d'un évènement est dépendant d'une présence simultanée de deux ou
plusieurs facteurs de l'action, le montage est interdit . Qu'est-ce qu'il veut dire de simple ? il veut dire
: même une chose du type champ-contre-champ, nous laisse une impression de gène. Pas du tout,
voilà ce qu'il veut dire pas du tout qu'il y a des moments où il faut filmer en simultanéité et en un seul
plan. Il veut dire, dans une action, il y a toujours un moment et c'est ça qu'on pourrait appeler le
"sommet de l'action" où vous ne pouvez plus procéder même par champ/contre-champ où il vous
faut la simultanéïté sur un plan. Il dit comme exemple = bon, c'est pas difficile, il donne deux
exemples dont l'un va pour nous va de soi, « NANOUK » , la chasse aux phoques : Il y a le phoque
dans son trou, Nanouk qui a fait le trou dans la glace, heu, il tire sur le phoque, le phoque résiste etc.
bon. C'est un cas de duel. Il peut faire plein d'images comme la séquence dure longtemps, tantôt
NANOUK, tantôt le phoque. Oui très bien, parfait, c'est des espèces de champ/contre champ
mettons. Mais, il faut bien que - au moins une fois, sinon ça marchera pas - il faut bien que, au moins
une fois vous ayez une seule fois vous ayez un seul plan réunissant Nanouk et le phoque.

Autre exemple qu'il donne "le cirque" de Charlot, Il y a un moment où charlot entre dans la cage aux
lions. Il se trouve devant le lion. Là l'exemple est encore plus net, Bazin a raison : si vous filmez ça
en champ/contre-champ une image pour le lion, une image pour Charlot, ça n'a aucun sens c'est un
non sens. Ce qui est intéressant dans l'article de Bazin, c'est que Bazin montre dans des films
pourtant très bons certains cas où de tels non-sens se produisent, alors qu'on voit pas très bien
pourquoi et on voit pas pourquoi le type a pas fait son plan unique, son plan de simultanéïté. Et alors
je dis vous lirez ces pages qui sont bonnes de Bazin. Je dis juste quant à nous, on comprend
presque très bien la loi de Bazin elle nous convient tout à fait pourquoi ? parce que moi je dirais
simplement tant que l'action dépend, tant qu'une action dépend du milieu et des foyers qui sont
dispersés dans le milieu, le montage est - sinon obligatoire car vous pouvez avoir des plans
d'ensemble - mais si les foyers sont à longue distance le montage s'impose. Mais dans la même
action, dans une action quelconque, le moment du duel, le moment pur du duel : montage interdit.
Tous les préliminaires au duel peuvent être en champ, contre-champ ou en montage. Il y aura
toujours dans le duel, un moment qui sera l'essence du duel où là, vous ne devez plus faire de
montage.

En même temps il faut une exception à la loi, un cas mais là, je ne peux pas l'expliquer pour le
moment, l'exception glorieuse, sublime splendide ! à la loi de Bazin c'est le plan où un duel ne passe
plus par la simultanéïté des éléments de l'action, c'est-à-dire effort - résistance vous comprenez si le
duel c'est bien, le rapport effort résistance, action réaction, là vous ne pouvez plus faire de
montages. Il faut que vous ayez le tout dans une image dans un.plan. Je dis sauf exception : les
duels, les duels de Laurel et Hardy et c'est le génie du duel de Laurel et Hardy d'avoir échappé à ce
qui semble être cette loi inévitable. Mais pourquoi ? et comment ? Nous le verrons dans l'avenir.

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Troisième loi que j'appelle par commodité, loi de l'écart, loi de l'écart. Ben je dirais, ben oui, vous
comprenez, c'est tout facile : si vous prenez la formule SAS, la situation elle-même renvoyant à un
milieu très vaste, l'action en duel renvoyant à un personnage individué mais vous avez un très grand
écart, vous avez un très grand écart entre la situation qui implique tout un milieu dérivé, on l'a vu , et
le pauvre personnage qui se trouve en proie à cette situation dans le milieu, perdu dans le milieu
dérivé et c'est pour ça que, je tenais au mot : "Grande forme", la "grande forme" implique la grande
forme de récit implique ce grand écart, par exemple entre l'immense prairie parcourue par le vent et
la pauvre jeune fille qui débarque là-dedans. En d'autres termes, il est impossible de transformer
immédiatement la situation en action. Le grand écart indique que entre la situation et, la riposte, le
comportement du personnage, il y aura beaucoup d'intermédiaires, il y aura beaucoup de médiations
et c'est forcé. On l'a vu déjà avec la première loi puisque il faudra des séries d'influences
concourantes pour constituer dans le milieu, la situation dans laquelle le personnage se débat. Donc
"grande forme" implique bien ce grand écart.

Sauf dans un cas là aussi, il y avait une exception à la loi du grand écart comme par hasard, c'est
aussi dans le burlesque, c'est l'exemple que je donnais de Feands. La boule de neige, il ouvre sa
porte ah...il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors !.. et il reçoit la boule de neige en pleine
figure et là il y a une transformation immédiate du milieu en duel. Mais pourquoi que, malgré mon
récit même au cinéma ça nous fait rire ? Tout comme les duels de Laurel et Hardy nous font rire.
Précisément parce que c'est des exceptions à ces lois, encore faut-il trouver les techniques qui
fondent ces exceptions. Bon, mais sinon je dirais de la grande forme qu'elle opère avec de grands
moyens, par définition. Elle opère avec de grands moyens, qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce que
ça veut dire qu'elle coûte cher ? Il faut garder tout les sens, oui ça coûte cher, le cinéma SAS, coûte
cher en apparence, on verra oui pourquoi ? parce-qu'il faut de grands moyens : qu'ils soient en
studio ou en extérieur, il faut de grands moyens pour partir des situations, pour partir des milieux,
constituer les situations, déterminer les duels qui vont réagir etc... Il faut combler, il faut multiplier les
médiations, c'est une forme à grand moyen donc grand moyen ça veut pas dire seulement qu'ils
coutent cher, ça veut dire aussi qui mobilisent aussi beaucoup de médiation. En d'autres termes, il y
aura, voilà la loi de l'écart telle que je voudrais la proposer dans la formule SAS, il y a
nécessairement un maximum de différence entre la situation et l'action duelle et en même temps, ce
maximum de différence doit être comblé par un maximum de médiation. Qu'est-ce que c'est que ces
médiations ? Ces médiations c'est d'abord,
les actions concourantes, les actions concourantes dont nous avons parlé dans la première loi
et deuxièmement deuxièmement c'est le rapport des personnages avec un ou des groupes. Les
groupes qui sont à la fois constitutants de la situation dans laquelle est le personnage, qui sont en
même temps des alliés ou des ennemis du personnage, vont être un type de médiation très
importante.
Troisièmement, l'emboîtement des duels qui vont combler la différence entre la situation et le duel
exemplaire. En d'autres termes un duel ne vient jamais seul un duel en cache toujours un autre dans
la forme SAS.

D'où 4ème et dernière loi, ce qu'on pourrait appeler la loi du duel, à savoir : chaque fois qu'un
duel est donné dans la forme SAS et vous en trouvez partout dans les films historiques : les duels de
la bataille, dans les films noirs : les duels de gangsters toujours, vous trouvez partout des duels,
dans le western, le duel est fondamental. Bon la loi du duel, c'est à la lettre : "un duel en cache

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toujours un autre" et la question qui nous est posée à nous spectateurs, même s'il n'y a pas de
réponse et souvent il y a une réponse c'est : Et finalement dans tout ça, quel est le vrai duel ? C'est
ça qui remplit l'écart, c'est une des manières dont le grand écart va être rempli, je croyais que le duel
il était là mais .. oh non, il n'est pas là, il est ailleurs. C'est pas seulement les foyers là, il n'y a pas
seulement des foyers dans le milieu des foyers périphériques d'où sortent les actions concourantes
sur le personnage, c'est au niveau du duel même qui engage le personnage que un duel en cache
un autre et que ça se déplace, que ça se déplace de manière à combler de plus en plus le cadre
entier de la situation et à la limite du milieu. Je prend des exemples simples : Western : Vous avez
un duel évident, bon le shérif cherche un bandit , ça c'est un duel évident. Ah mais, tout d'un coup, je
me dis mais, ils sont deux à le chercher il a un copain ou quelqu'un qui est avec lui C'est une figure
courante du western, ils sont deux à le chercher. Il a un copain ou quelqu'un qui est avec lui, ah mais
est-ce que le vrai duel, il va pas être là ? entre les deux poursuivants ? pas du tout entre le
poursuivant et le poursuivi mais entre les deux poursuivants parfois ça éclate. Quant à eux deux ils
ont liquidé le ou les bandits. Ils règlent leurs comptes l'un avec l'autre. On se dit à bon, ah bien le vrai
duel il n'etait pas là. Il y en a encore un, le duel en cache un autre. Ou bien, ils aiment la même
femme. Ah ils aiment la même femme, curieux ça, alors c'est un trio. Non c'est pas un trio, c'est deux
duels. On verra à quel point c'est important. On a trop vite tendance à prendre pour un trio, deux
duels. Et le duel il est avec qui ? c'est les deux qui aiment la même femme qui sont en duel ? ou bien
à eux deux réunis, ils sont en duel avec la femme ? C'est qu'elle était très maltraitée dans le cinéma
américain la femme, hein. Ou dans le burlesque alors ça, les duels, les duels du burlesque ils sont
avec la femme, elle arrête pas de faire des gaffes terrible cette mysoginie du cinéma américain. La
mysoginie que nous condamnons tous. Mais c'est comme ça alors la loi du duel c'est vraîment : ne
croyez jamais que vous avez déterminé le duel.

Je reprend pour en finir avec ça, l'exemple de M.le Maudit. Le duel on sait elle est là la forme de
duel. Mais ce que je veux dire c'est que dans la formule SAS. Ce qu'il y a de formidable dans le duel
c'est que c'est une forme vide. C'est une forme vide je veux dire qui est remplie de manière très
variable et un film riche, c'est un film précisément qui dans la forme duel, mais qui successivement
ou simultanément, toutes sortes de duels différent. Vous voyez par exemple le grand western à la
Ford . Bon je prends un exemple de grand western Ford. "L'homme qui a tué Liberty Valence", le
duel il est entre qui et qui ? A première vue il est entre Liberty Valence et le juriste, l'homme de loi
l'homme du livre, qui n'a comme force que le livre. Là-dessus arrive le cow-boy qui aurait beaucoup
de raisons de s'allier avec Liberty Valence mais un petit rien fait que ça nous posera des problèmes,
fait que, il s'allie avec l'homme de la loi . Que finalement vous connaissez la merveilleuse histoire :
L'homme de la loi croit que c'est lui.qui a tué Liberty Valence. En fait c'est le cow-boy qui l'a tué pour
lui. Bon mais le vrai duel, il se déplace. Il est entre l'homme de la Loi et l'homme qui ne sait pas lire
et la femme elle ne s'y est pas trompée. L'homme qui ne sait pas lire, le vieux cow boy. Il a compris
qu'il n'aurait pas la femme quand la femme s'est approchée de l'homme de loi et lui a dit « apprend
moi à écrire ». A bon, il y a donc trois duels, là. Chaque fois qu'on croît saisir le duel, il se déplace.
Ça c'est une loi fondamentale, il me semble de la forme SAS et je dis dans M.le Maudit. Alors là
aussi, ne prenez jamais pour, - voyez pourquoi je dis ça je voudrais déjà préserver l'avenir. Ce que je
veux dire si je reprend les termes de PIERCE : ne prenez jamais, ne confondez jamais une pluralité
de duels, c'est-à-dire une pluralité de secondeïté, ne le confondez pas avec de la tierceïté . Si vous
multipliez les duels, vous ne sortez pas de la secondeïté, vous ne sortez pas du duel. Vous faites
une tierceïté apparente. Il y aura tellement de problème pour l'image-cinéma. Comment conquérir
une vraie tierceÏté ? C'est parce que évidemment il ne suffit pas de multiplier les duels. Mais ça fait

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une fausse tierceïté. Quand même fausse tierceïté, c'est quand même très important ces duels
emboîtés ou déplacés les uns par rapport aux autres.

Alors M. Le Maudit qu'est-ce que vous voulez, duels, il mène deux duels simultanément et il a aussi
peur, presque plus peur quand il comprend le truc il a bien plus peur des mendiants que de la police.
Bon, donc, duel : M.le Maudit avec les mendiants. Duel : M.le Maudit avec la police. Ce qui n'exclut
pas des duels entre par exemple, du côté de la pègre, les mendiants et les criminels. Du côté de la
police entre le commissaire et d'autres et son chef et le ministre etc... Vous avez toutes sortes de
duels à emboîter. C'est ça qui va remplir la "grande forme". Et finalement le vrai duel, qu'est-ce qu'il
est ? Et ben il est charmant pour nous, le vrai duel. On voit bien, il est pas dit dans le film forcément
et finalement peut-être que toujours dans le vrai duel, c'est ce que le film a pas à dire, c'est à nous
suivant nos goûts, suivant la manière dont on aime le film. Là, je vois un vrai duel qui lui est toujours
à la fin, un duel cinématographique. Je veux dire dans le vrai duel extérieur au film mais qui est le fin
fond du duel, que nous présente le cinéma c'est toujours une manière dont le metteur en scène règle
ses comptes. Il règle ses comptes Oui, c'est son duel à lui . Alors en effet quand on dit que il y a des
grands auteurs de westerns qui en ont profité pour lancer une contre-attaque contre le Mac-cartysme
. C'est très vrai ça, ça c'est le duel il est pas ...il est dans le film d'une certaine manière, il est
extérieur au film et pourtant le film l'impose. Le vrai duel, c'était le duel du metteur en scène contre le
Mac-carthisme. Bon, c'est ça à travers un western, c'est son affaire. Très bien euh mais prenons
alors le cas de M.le Maudit, je veux dire que, dans le vrai duel extérieur au film vous avez toujours un
secret bon pour l'histoire du cinéma car, si je reprends M.le Maudit. M.le Maudit a joué, qui est Peter
Lorre, cet acteur formidable, mais qui en sait lourd, qui appartient à toute la tradition allemande. Euh,
il a joué très très sobre. Il a joué en cinéma d'action, en auteur, en acteur d'action : vous voyez
d'après notre classification. C'est injuste qu'il y ait des cinémas qui s'appellent action Lafayette,
action République, il faudrait des affections à Lafayette, les affections République pas de raisons que
le cinéma il ait pas forcément d'action . Mais alors bon là Peter Lorre a joué jusque là en acteur
d'action, très sobre en plus et pas n'importe lequel, il y a beaaucoup d'école d'acteur d'action mais il
a joué à sa manière. Quant il est pris par les mendiants, il y a la séance du tribunal de la pègre où là
il se trouve devant des mendiants et il y a un pseudo avocat et il y a la grande scène du faux tribunal
et il montre une terreur et de toute évidence, Peter Lorre se met à jouer en acteur expressionniste.
Sa terreur n'est plus du tout une terreur du type émotion rapportée à l'action, à un moment de
l'action. C'est la terreur expressionniste à l'état pur. Bon avec tous les tics expressionnistes que vous
voulez, admirables d'ailleurs, c'est pas du tout un jeu médiocre. Mais on est frappé par le
changement de style du jeu d'acteur. C'est évident que LANG l'a voulu, là c'est très différent. Or
qu'est-ce qu'il dit dans sa gesticulation expressionniste et dans sa mimique expressionniste ? Il dit
écoutez, vous ne pouvez pas me condamner vous ne pouvez pas me tuer, moi, parce-que ce que je
fais, mes crimes, je ne peux pas faire autrement, je ne peux pas faire autrement, en d'autres termes,
"je suis poussé par une pulsion". Or LANG s'en fout parce que c'est pas son affaire de distinguer
puisque nous nous l'avons fait parce que c'était notre affaire un cinéma de pulsion et un cinéma
expressionniste. Un cinéma de pure qualité de puissance. On peut considérer que pour lui c'est la
même chose, donc c'est de la même manière. C'est la même chose parce que c'est pas son
problème. De toute manière, ce qu'il assigne à Peter Lorre au moment du jugement par la pègre,
c'est un jeu expressionniste et Peter Lorre se réclame d'une pulsion irrésistible à tuer : mettons que
ce soit un monde expressionniste, nous on sait que c'est plus compliqué que ça mais peu importe. Et
la pègre lui répond. Elle dit tu vois pas que tu viens de te condamner ? Tu vois pas que c'est
justement pour ça qu'on ne peut pas te supporter ? Parce-que nous, nous, nous sommes des

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hommes d'affaire. Nous nous ne tuons pas par pulsion, nous tuons quand nous tuons, par intérêt
bien compris. En d'autres termes LANG est déjà dans le cinéma américain. Il est déjà dans le film
noir américain. "Nous tuons nous par intérêt bien compris". C'est-à-dire les pulsions, nous on en a
rien à en faire, nous ce qui nous importe c'est le système de l'action. En d'autres termes, je conclus
très vite, le vrai duel, hors du film et pourtant imposé par le film, c'est que c'est dans ce film là, que
Lang rompt expressément avec son passé expressionniste et va passer de son cinéma - je ne dis
pas que ça ne s'étaitpasfaitdéjàavant mais c'est là la grande déclaration de rupture - et va passer
d'un cinéma de l'expression c'est-à-dire d'un cinéma de l'affect ou de la pulsion puisqu'il confond les
deux choses lui et il n'a aucune raison de les distinguer, là encore une fois, c'est pas son affaire et va
passer d'un cinéma de l'affect ou de la pulsion à un cinéma de l'action et donc M.le Maudit doit être
condamné au sens où il est le porteur de l'affect expressionniste donc le vrai duel là vous voyez. Le
vrai duel est comme sorti du film et s'inscrit dans une véritable histoire du cinéma. Si bien que peut
être il y aurait une possibilité de faire une histoire du cinéma en considérant pour chaque grand
réalisateur, pour chaque grand metteur en scène quel était le vrai duel qui le poursuivait lui à travers
les duels qu'il présentait comme les duels affrontés par « ses personnages.

Et bien écoutez, écoutez, ça veut dire : quelque chose de plus sérieux va se passer mais il pense
que c'est plus sérieux, il a tort . Si bien que le livre célèbre de Kracauer, « de Caligari à Hitler », C'est
quoi, ça veut pas dire qu'il y a continuité de Caligari à Hitler, ça veut dire au contraire la grande
rupture, ça veut dire la grande rupture celle là même que fait LANG, lorsque il s'aperçoit que l'heure
est venue de substituer à un cinéma des affects, un cinéma de l'action et de l'organisation de l'action.
C'est-à-dire l'organisation froide du crime, par opposition au crime pulsionnel et c'est le même
devenir que vous pouvez trouver dans la série des Mabuse où à l'expressionniste des premiers, du
premier Mabuse va succéder de plus en plus le crime comme organisation froide délibérée de «
Caligary à Hitler ».

Bon mais voilà, alors finissons-en vite parce-que vous n'en pouvez plus, euh voyez et c'est
harmonieux, ça se termine bien. J'ai pas grand-chose à dire de plus, pour le moment, sur cette
formule de la "grande forme" SAS, car on sent bien, je ne l'ai pas encore vraîment définie encore et
sans doute je pourrais la définir qu'en comparaison avec une autre formule.

Car, il est entendu que dans le cinéma, l'image-action nous présente des comportements. Bon
d'accord. Mais il y a deux manières de présenter des comportements. On a vu qu'une première
manière et c'est pas par hasard qu'on l'appelait la "grande forme", c'était SAS prime. Supposez qu'on
fasse l'inverse. On reste dans le domaine du comportement, c'est un autre pôle du comportement :
cette fois-ci ce sera A S A prime. Qu'est-ce que ça veut dire A S A prime ? On partira d'une action ou
d'un comportement. La situation S ne sera définie que dans la mesure où l'action la suggère ou en
montre une partie et l'action, une action ne pourra pas faire plus que suggérer une situation ou en
montrer une petite partie. Et cette partie montrée donnera une nouvelle action A prime qui a son tour
suggèrera ou dévoilera une partie, une nouvelle partie d'une situation. C'est toujours avec des
éllipses et cette fois-ci, cette figure sera l'art de l'éllipse en comparaison avec une autre formule car il
est entendu que dans le cinéma l'image-action nous présente des comportements. Bon d'accord,
mais il y a deux manières de présenter les comportements.

On a vu qu'une première manière et c'est pas par hasard qu'on l'appelait la "grande forme", c'était
SAS prime. Supposez qu'on fasse l'inverse, on reste dans le domaine du comportement, c'est un

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autre pôle du comportement, cette fois-ci ça sera A S A prime, qu'est-ce que ça veut dire A S A
prime ? On partira d'une action ou d'un comportement. La situation S, ne sera définie que dans la
mesure où l'action la suggère ou en montre une partie et l'action, une action ne pourra pas faire plus
que suggérer une action ou en montrer une petite partie et cette partie montrée donnera une
nouvelle action, A prime qui à son tour suggèrera ou dévoilera une partie, une nouvelle partie d'une
situation. C'est toujours avec des éllipses et cette fois-ci, cette figure sera l'art de l'éllipse.

rupture, ça veut dire la grande rupturecellelà même que fait LANG, lorsque il s'aperçoit que l'heure
est venue de substituer à un cinéma des affects, un cinéma de l'action et de l'organisation de l'action.
C'est-à-dire l'organisation froide du crime, par opposition au crime pulsionnel et c'est le même
devenir que vous pouvez trouver dans la série des Mabuses où à l'expressionniste des premiers, du
premier Mabuse va succéder de plus en plus le crime comme organisation froide délibérée de «
Caligary à Hitler ».

Bon mais voilà, alors finissons-en vite parce-que vous n'en pouvez plus euh voyez et c'est
harmonieux, ça se termine bien. J'ai pas grand-chose à dire de plus, pour le moment, sur cette
formule de la grande forme SAS, car on sent bien, je ne l'ai pas encore vraîment définie encore et
sans doute je pourrais la définir qu'en comparaison avec une autre formule.
Car, il est entendu que dans le cinéma, l'image-action nous présente des comportements. Bon
d'accord. Mais il y a deux manières de présenter des comportements. On a vu qu'une première
manière et c'est pas par hasard qu'on l'appelait la grande forme, c'était SAS prime. Supposez qu'on
fasse l'inverse. On reste dans le domaine du comportement, c'est un autre pôle du comportement,
cette fois-ci ce sera A S A prime. Qu'est-ce que ça veut dire A S A prime ? On partira d'une action ou
d'un comportement. La situation S ne sera définie que dans la mesure où l'action la suggère ou en
montre une partie et l'action, une action ne pourra pas faire plus que suggérer une situation ou en
montrer une petite partie. Et cette partie montrée donnera une nouvelle action A prime qui a son tour
suggèrera ou dévoilera une partie, une nouvelle partie d'une situation. C'est toujours avec des
éllipses et cette fois-ci, cette figure sera l'art de l'éllipse en comparaison avec une autre formule car il
est entendu que dans le cinéma l'image-action nous présente des comportements. Bon d'accord,
mais il y a deux manières de présenter les comportements.

On a vu qu'une première manière et c'est pas par hasard qu'on l'appelait la grande forme, c'était
SAS prime. Supposez qu'on fasse l'inverse, on reste dans le domaine du comportement, c'est un
autre pôle du comportement, cette fois-ci ça sera A S A prime, qu'est-ce que ça veut dire A S A
prime ? On partira d'une action ou d'un comportement. La situation S, ne sera définie que dans la
mesure où l'action la suggère ou en montre une partie et l'action, une action ne pourra pas faire plus
que suggérer une action ou en montrer une petite partie et cette partie montrée donnera une
nouvelle action, A prime qui à son tour suggèrera ou dévoilera une partie, une nouvelle partie d'une
situation. C'est toujours avec des éllipses et cette fois-ci, cette figure sera l'art de l'éllipse

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

3- 16/12/80 -1
Marielle Burkhalter

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transcription :LEDANNOIS Marc

DELEUZE 16/12/80 501/3A

...C'est toujours intéressant. Déjà d'après la question que tu m'avais posé la dernière fois. Tu as
tendance toi à mettre l'accent très vite sur une notion authentiquement spinoziste, celle de" tendance
à persévérer dans l'être". Je dis ça parce que c'est intéressant pour toute lecture, dont vous,
quelqu'un qui lit vous comprenez c'est forcément quelqu'un qui met des accents sur tel et tel point.
C'est comme en musique les accents ne sont pas donnés dans un texte. Alors voilà Comtesse qui
déjà la dernière fois il me disait : "bon c'est très joli tout ça mais le conatus, c'est à dire ce que l'on
traduit par le conatus, ce que Spinoza appelle en latin le conatus, c'est-à-dire ce que l'on traduit
d'habitude par la "tendance à persévérer dans l'être", qu'est ce que tu en fais" ? Et moi je répondais :

ben. écoute il faut me pardonner, pour le moment je ne peux pas l'introduire parce que dans ma
lecture je met des accents sur d'autres notions, spinozistes et "la tendance à persévérer dans l'être"
finalement, ça allait déjà de soi d'après ce que je disais, je la conclurais. Quelque importance que je
lui donne, je la conclurais d'autres notions qui sont pour moi, les notions essentielles, mais je ne dis
pas du tout que j'ai raison, celle de puissance et d'affect. Aujourd'hui, tu reviens un peu au même
thème. Ce qui revient et ce qui me paraît très intéressant, ce qui est une manière de me dire. Eh
bien, moi je ne lis pas exactement même si on est d'accord sur l'ensemble. Tu me dis en gros : moi
je ne lis pas exactement Spinoza comme toi, parce que moi je mettrais l'accent immédiatement sur la
tendance à persévérer dans l'être.

Alors vous comprenez à ce niveau moi je trouve, il n'y a même pas lieu à une discussion. Ce qui
m'intéresse beaucoup, ce que dit Comtesse, ce n'est pas du tout une lecture contradictoire. Lui il
vous proposerait évidemment une autre lecture, c'est à dire différemment accentuée. Quant au
problème précis que tu viens de poser. Ton premier - ce que tu annonçais comme un premier
problème que tu me posais - sur cette histoire homme raisonnable, homme dément, moi je
répondrais au point où j'en suis là exactement ceci :
Qu'est ce qui distingue le dément et l'homme raisonnable selon Spinoza ? Et inversement et en
même temps dans la même question : il y a qu'est ce qui ne les distingue pas ? De quel point de vue
est-ce qu'ils ont à être distingués ? Je dirais, pour moi, pour ma lecture en tout cas, la réponse de
Spinoza est extrêmement rigoureuse, quitte à ce qu'on ne la comprenne que plus tard. Si je résume
la réponse de Spinoza il me semble que ce résumé serait ceci : d'un certain point de vue il n'y a
aucune raison de faire une différence entre l'homme raisonnable et le dément. D'un autre point de
vue il y a une raison de faire une différence.

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Premièrement, du point de vue de la puissance. J'introduis toujours pas tendance à persévérer
dans l'être. Sans doute que cette notion elle me plait moins que les autres, je sais pas, on choisit pas
peut-être. Du point de vue de la puissance, il n'y a aucune raison d'introduire une différence entre
l'homme raisonnable et l'homme dément. Qu'est ce que ça veut dire ? Est ce que ça veut dire qu'ils
ont la même puissance ? Non, ça ne veut pas dire qu'ils ont la même puissance. Mais ça veut dire
que chacun autant, pour autant qu'il est en lui réalise, effectue sa puissance. C'est à dire pour parler
comme Spinoza et Comtesse à la fois, c'est à dire chacun au temps qu'il est en lui, s'efforce de
persévérer dans son être.

Donc du point de vue de la puissance en tant que chacun d'après le droit naturel, s'efforce de
persévérer dans son être c'est à dire, effectue sa puissance. Voyez, je suis jamais toujours entre
parenthèses (effort là) Ce n'est pas qu'il s'efforce de persévérer c'est parce qu'il essaie. De toute
manière il persévère dans son être autant qu'il est en lui. C'est pour ça que je n'aime pas bien le
conatus d'effort qui ne traduit pas il me semble la pensée de Spinoza en fait. Car ce qu'il appelle un
effort pour persévérer dans l'être c'est le fait que j'effectue ma puissance à chaque moment, autant
qu'il est en moi. En fait ce n'est pas un effort, il me semble pas - peu importe. Mais du point de vue
de la puissance donc, je peux dire chacun se vaut, non pas du tout parce que chacun aurait la même
puissance, en effet la puissance du dément n'est pas la même que la puissance de l'homme
raisonnable mais ce qu'il y a de commun entre les deux c'est que quelque soit la puissance chacun
effectue la sienne.
Donc de ce point de vue je ne dirais pas l'homme raisonnable vaut mieux que le dément. Je ne
peux pas, j'ai aucun moyen de le dire. Chacun a une puissance, chacun effectue cette puissance
autant qu'il est en lui.
C'est le droit naturel, c'est le monde de la nature. De ce point de vue je ne pourrais pas faire une
différence, je ne pourrais établir aucune différence de qualité entre l'homme raisonnable et le fou.
Mais deuxième point, d'un autre point de vue je sais bien que l'homme raisonnable est meilleur entre
guillemets que le fou. Meilleur ça veut dire quoi ? Ça veut dire sans doute plus puissant au sens
spinoziste du mot.

Donc d'un certain point de vue, d'un autre point de vue, de ce second point de vue, je dois faire et
je fais une différence entre l'homme raisonnable et le fou. Bon, quel est cet autre point de vue ?
D'après ce que j'ai fait la dernière fois, ce que j'ai essayé d'expliquer la dernière fois ma réponse
selon Spinoza, ce serait exactement ceci : du point de la puissance vous n'avez aucune raison de
distinguer le raisonnable et le fou. Mais de l'autre point de vue, celui des affects vous distinguez le
raisonnable et le fou. D'où vient cet autre point de vue, vous vous rappelez ? La puissance est
toujours en acte, elle est toujours effectuée, d'accord. Mais qu'est ce qui l'effectue ? Les affects. Les
affects sont les effectuations de la puissance. C'est à dire ce que j'éprouve en actions, en passions,
c'est cela qui effectue ma puissance à chaque moment, à chaque instant. Eh bien, si l'homme
raisonnable et le fou se distinguent ce n'est pas par la puissance. Chacun réalise sa puissance, donc
ce n'est pas par la puissance. C'est par les affects, les affects de l'homme raisonnable ne sont pas
les mêmes que les affects du fou. D'où tout le problème de la raison sera converti par Spinoza en un
cas spécial du problème plus général des affects. La raison désigne un certain type d'affects. Et ça
c'est très nouveau, une telle conception de la raison c'est très nouveau. Dire la raison, elle ne vas
pas se définir par des idées, bien sûr elle se définira aussi par des idées, elle ne se définira pas
théoriquement mais il y a une raison pratique qui consiste en un certain type d'affects, en une

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certaine manière d'être affecté. Ça pose un problème très pratique de la raison.
Qu'est ce que ça veut dire être raisonnable à ce moment là ? Forcément c'est un ensemble
d'affects la raison pour la simple raison que c'est précisément les formes sous lesquelles la
puissance s'effectue dans telles et telles conditions. Donc, à la question que vient de poser
Comtesse, vous voyez ma réponse serait relativement stricte en effet : quelle différence y-a t'il entre
l'homme raisonnable et le fou ? D'un certain point de vue aucune, d'un point de vue de la puissance,
d'un autre point de vue, énorme : du point de vue des affects qui effectuent la puissance.

Deuxième question si tu le veux bien.

Comtesse : Pour résumer... Est ce que l'on peut dire que Spinoza est un disciple de Hobbes parce
qu'il définit le droit naturel comme une puissance en acte. Parce que pour Spinoza le pacte
fonctionnel qui institue l'état social implique que cet état social justement n'est bon que s'il consolide
ou augmente ma puissance propre comme l'expression de la puissance de la vie divine. Autrement
dit c'est dire que pour Spinoza le droit civil, le droit de ce qu'il appelle "la souveraine puissance de la
nation". Eh bien le droit civil c'est ce qui prolonge d'une certaine façon, c'est ce qui contourne ce qui
poursuit le droit naturel or justement pour Hobbes même si l'état de nature, de guerre, des loups
devient la menace de la société de l'Etat, il reste que L'état, le Léviathan est ce qui dessaisit du droit
naturel les individus possessifs ou dévorateurs. Or pour Spinoza justement la souveraine puissance
de la nation continue la puissance naturelle. Il n'y a pas de déni de puissance. Là il y a un problème
de différence entre Spinoza et Hobbes et la monarchie libérale, la monarchie de Kant, et Spinoza qui
n'assurerait ni la souveraineté ni la liberté. Donc le deuxième point c'est que peut-être Spinoza n'est
pas un disciple simple de Hobbes parce que pour lui il n'y a pas de discontinuité, de rupture mais un
prolongement entre droit naturel et droit civil.

Ma réponse serait celle-ci. Là aussi ça met en jeu des manières de lire, vous comprenez ? Tu
marques une différence entre Spinoza et Hobbes et tu as complètement raison de la marquer et tu la
marques très exactement. La différence si je la résume est celle-ci : c'est que pour l'un comme pour
l'autre Spinoza et Hobbes en essence est sortir de l'état de nature par un contrat. Mais dans le cas
de Hobbes il s'agit bien d'un contrat par lequel je renonce à mon droit de nature. Je précise
immédiatement parce que c'est plus compliqué quand même que tu me l'as dit - si c'est vrai que je
renonce à mon état de nature, à mon droit naturel, en revanche le souverain lui ne renonce pas au
sien. Donc le droit de nature est conservé aussi par.

Comtesse : II est menacé

D'accord.... Il est conservé mais d'une autre manière que chez Spinoza. Pour Spinoza au
contraire dans le contrat je ne renonce pas à mon droit de nature. Et il y a la formule célèbre de
Spinoza dans une lettre : « je conserve le droit de nature même dans l'état civil ». Et cette formule
célèbre de Spinoza "je conserve l'état de nature même dans l'état civil " signifie clairement pour tout
lecteur de l'époque, sur ce point je romps avec Hobbes, qui lui d'une certaine manière conservait
aussi le droit naturel dans l'état civil mais seulement au profit du souverain, encore ce que je dis est
trop vite, peu importe. Ça n'empêche pas que je disais, Spinoza en gros est disciple de Hobbes. Oui,
pourquoi ? Parce que sur deux points généraux mais fondamentaux, il suit entièrement ce qu'on peut
appeler la révolution hobbessienne. Et je crois que la philosophie politique de Spinoza aurait été
impossible sans l'espèce de coup de force que Hobbes avait introduit dans la philosophie politique.

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Et quel est ce coup de force, ce double coup de force j'ai essayé de le dire qu'elle était la nouveauté
prodigieuse, très très importante de Hobbes.
C'est première nouveauté : avoir conçu l'état de nature et le droit naturel d'une manière qui
rompait entièrement avec la tradition cicéronienne. Or sur ce point Spinoza entérine entièrement la
révolution de Hobbes.
Deuxième point dès lors : avoir substitué l'idée d'un pacte de consentement comme fondement de
l'état civil, avoir substitué l'idée d'un pacte de consentement à la relation de compétence telle qu'elle
était dans la philosophie de Platon à St Thomas.

Or sur ces deux points fondamentaux, l'état civil ne peut renvoyer qu'à un pacte de consentement et
pas une relation de compétence où il y aurait une supériorité du sage. Et toute la conception d'autre
part de l'état de nature et du droit naturel comme puissance et effectuation de la puissance. Ces
deux points fondamentaux appartiennent à Hobbes.
C'est en fonction de ces deux points fondamentaux je dirais : la différence évidente que
Comtesse vient de signaler entre Spinoza et Hobbes suppose et ne peut s'inscrire que dans une
ressemblance préalable. Ressemblance par laquelle Spinoza suit les deux principes fondamentaux
de Hobbes. Ça devient ensuite un règlement de comptes entre eux à l'intérieur de ces nouveaux
présupposés introduits dans la philosophie politique par Hobbes.
Et enfin pour répondre complètement quand tu parles de la conception politique de Spinoza, moi
je crois on sera amené à en parler du point de vue toujours sur les recherches que l'on fait cette
année sur l'ontologie.

En quel sens est ce que l'ontologie peut comporter ou doit comporter une philosophie politique ? Il
faut pas oublier quant aux histoires, quand tu as fait allusion à la monarchie libérale, n'oubliez pas
qu'il y a tout un parcours politique de Spinoza, je le dis très vite là comme je n'en ai pas encore parlé,
un parcours politique très très fascinant. Parce qu'on ne peut pas même lire un livre de philosophie
politique de Spinoza sans comprendre quel problème politique il pose et quel problème politique il
vit. Parce que les Pays-Bas à l'époque de Spinoza ça n'est pas simple la situation politique. Tous les
livres politiques de Spinoza sont très branchés sur cette situation, si vous voulez ce n'est pas par
hasard que Spinoza fait deux livres de philosophie politique.
L'un, le Traité Théologico-Politique,
l'autre le Traité Politique et que entre les deux il s'est passé assez de choses pour que Spinoza
ait évolué. Qu'est ce qui s'est passé ? c'est que les Pays-Bas déjà à cette époque là ont été déchirés
entre deux tendances. Il y avait la tendance de la maison d'Orange et puis il y avait la tendance
libérale des frères de Witt. Or les frères de Witt dans des conditions très obscures qu'on verra, l'ont
emporté à un moment. La maison d'Orange ce n'était pas rien, ça mettait quand même enjeu toute
une politique extérieure, les rapports avec l'Espagne, la guerre, la guerre ou la paix. Les frères de
Witt étaient fondamentalement pacifistes, ça mettait en jeu la structure économique. La maison
d'Orange appuyait les grandes compagnies, les frères de Witt étaient très hostiles aux grandes
compagnies. Tout ça, ça brassait tout quoi, cette opposition maison d'Orange / frères de Witt. Or les
frères de Witt ont été liquidés. C'est à dire assassinés. Assassinat des frères de Witt dans des
conditions extrêmement pénibles. Spinoza ressentit ça comme le dernier moment où il ne pourrait
plus écrire parce qu'il pouvait y passer lui aussi. Tout ça n'était pas simple, mais l'assassinat des
frères de Witt lui a porté un coup surtout qu'il semble bien que l'entourage des frères de Witt
protégeait Spinoza. Or le ton, la différence de ton politique entre le Traité Théologico-Politique et le
Traité Politique s'explique parce qu'entre les deux il y a eu l'assassinat.

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Et que Spinoza ne croit plus tellement à ce qu'il se disait avant au moment du Traité
Théologico-Politique, oui, une monarchie libérale ça peut se faire. Son problème politique finalement,
il faut essayer de comprendre, il ne faut pas faire de la satire là aussi, il faut comprendre c'est à dire
faire de l'éthique en politique et comprendre quoi ? Comprendre pourquoi est ce que les gens
vraiment se battent pour leur esclavage. Ils ont l'air d'être tellement contents d'être esclaves qu'ils
sont prêts à tout pour rester esclaves. et ça ça le fascine Comment expliquer un pareil truc que les
gens ne se révoltent pas ? En même temps, révolte, révolution vous ne trouverez jamais ça chez
Spinoza. Mais pourquoi ? Là on dit des choses très bêtes, en même temps il faisait des dessins. On
a une reproduction d'un dessin de lui très curieux. La vie de Spinoza c'est une chose obscure. Où il
s'était dessiné lui-même le soir comme ça quand il avait bien travaillé, il s'était dessiné lui-même
sous une forme d'un révolutionnaire napolitain qui était connu à l'époque et il avait mis sa propre
tête. Oui il s'était dessiné en révolutionnaire, c'est bizarre.

Mais en même temps pourquoi est-ce qu'il ne parle jamais de révolte, de révolution ? Est-ce
parce qu'il est modéré Spinoza ? Sans doute il est modéré, quoi qu'il y ait cette histoire du dessin
révolutionnaire qui est bizarre, mais à ce moment là, même les extrémistes hésitaient à parler de
révolution. Même les gauchistes de l'époque. Et les collégiens, tous ces types qui étaient contre
l'Eglise, tous ces catholiques étaient assez, ce qu'on appellerait aujourd'hui les catholiques d'extrême
gauche, c'était très curieux. C'est des milieux très bizarres mais pourquoi les gens ne parlent pas de
révolution ? Contrairement à ce qu'on dit, il y a une bêtise qu'on dit même dans les manuels
d'histoire tout le temps, qu'il n'y a pas eu de révolution anglaise. Tout le monde sait qu'il y avait
parfaitement une révolution anglaise. Une formidable révolution anglaise, c'est la révolution de
Cromwell. Et que la révolution de Cromwell a été le cas où tout est à la limite extrêmement pur. Ç'a
été la révolution trahie aussitôt faite.

Quand on fait semblant aujourd'hui de découvrir le problème de la révolution trahie, il faut pas
charier. Tout le 17éme siècle est plein de réflexions là dessus, comment est-ce que une révolution
peut ne pas être trahie ? Non, il faut pas croire que c'est un nouveau problème de 1975, avec les
droits de l'homme, ou avec la découverte qu'il y a un goulag en Russie. La révolution, elle a toujours
été pensée par les révolutionnaires à partir de ceci : Comment ça se fait que ce truc là soit
constamment trahi ? Or l'exemple moderne, l'exemple récent, contemporain de Spinoza c'est la
révolution de Cromwell qui a été le plus fantastique traître à la révolution que lui même, Cromwell,
avait imposée. Et si vous prenez là je dis un peu n'importe quoi mais c'est pour vous faire sentir que
ce problème est très très présent chez les gens, si vous prenez, alors bien après ce qu'on appelle le
romantisme anglais. Le romantisme anglais qui est un mouvement non seulement poétique,
fantastique et littéraire mais qui est un mouvement politique intense. Tout le romantisme anglais est
centré sur le thème de la révolution trahie.
Comment vivre encore alors que la révolution est trahie et semble avoir comme destination d'être
trahie ? Et le modèle qui obsède les grands romantiques anglais c'est le cas plus ancien, puisque du
temps, c'est toujours Cromwell. Et pour les révolutionnaires anglais, l'image à la fois fascinante et
abjecte. Qu'est ce que ce type a fait, si vous voulez, Cromwell est vécu, là je crois que j'exagère à
peine, à cette époque comme Staline aujourd'hui. Et qu'est ce qui se passe ? Si Spinoza parle
jamais de la révolution c'est parce qu'il ne parle pas de révolution. Personne n'en parle. Pas du tout
parce qu'ils n'ont pas d'équivalent dans la tête. C'est je crois pour une toute autre raison parce que le
mot absolument, ils n'excluent pas du tout des actions violentes. Ils appellent pas ça révolution parce

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que la révolution c'est Cromwell. Enfin il y a de ça, j'exagère,peut être il y a de ça.

Or au moment du Traité Théologico-Politique Spinoza croit encore dans les chances d'une
monarchie libérale, en gros. Là ce que vient de dire Comtesse à la fin de sa seconde intervention
c'est vrai du Traité Théologico-Politique à mon avis. Ça ne l'est plus du traité politique. Les frères de
Witt ont été assassinés, là dessus il n'y a plus de compromis possible, Spinoza sait bien que, il
renonce à publier l'Ethique, Spinoza sait que c'est foutu. Et finalement à ce moment là Spinoza,
semble t'il, tendrait beaucoup plus à penser aux chances - sous quelles formes concrètes - d'une
démocratie. Et le thème de la démocratie apparaît beaucoup plus dans le Traité Politique que dans
le Traité Théologico-Politique qui en restait à la perspective d'une monarchie libérale. Mais une
démocratie ça serait quoi au niveau des Pays-Bas ? C'est justement ce qui a été liquidé. Les
chances d'une démocratie c'est ce qui a été liquidé avec l'assassinat des frères de Witt. Alors c'est
pas facile et comme par symbole comme on dit Spinoza meurt quand il en est dans le Traité
Politique au chapitre démocratie. On ne saura pas ce qu'il aurait dit dans ce chapitre.

Voilà si vous voulez la remarque de Comtesse me paraît tout à fait juste sur la différence Hobbes
/ Spinoza ; je maintiens pourtant pour les raisons que je viens de dire qu'avant cette différence et en
un sens plus profond cette différence, Spinoza peut bien être traité ou appelé sur un point précis de
Hobbes puisqu'il dérive de cette révolution de Hobbes dans la philosophie politique. Troisième
question ?

Comtesse : .. .Hobbes n'aurait jamais pu faire la distinction entre le maître et l'esclave, il n'aurait
jamais pu dire que une des lignes de salut possible passe par le fils éternel ou le Dieu c'est-à-dire le
Christ en tant qu 'esprit et modèle à imiter, à mon avis c'est un autre climat de violence, de très
grandes guerres...

Mais tu sais pourquoi Spinoza peut le dire et pas Hobbes ? Parce que Spinoza est juif et Hobbes
n'est pas juif. Je veux dire toutes les pages très très étranges de Spinoza sur le Christ où il fait et où
il trace le portrait d'un Christ à la lettre devenu indépendant de l'Eglise, de l'Eglise chrétienne, de
l'Eglise catholique, toute cette opération ne pouvait être menée que par un juif lui même excommunié
par les juifs. La situation de Spinoza lui permettait une chose comme ça. Hobbes, il n'aurait pas pu. Il
aurait tenté ça, là il passait en procès. Alors reste ce que tu dis de beaucoup plus important, que la
violence en effet, la violence des textes de Hobbes et l'espèce au contraire de, je ne dirais pas que
c'est une douceur chez Spinoza. Je n'ai pas du tout l'impression que c'était un homme doux, mais
l'espèce de..qu'est ce que c'est ce contraire, ce n'est pas que ça manque de violence, c'est une
violence très froide, je ne pourrais pas définir la violence de Spinoza, enfin pas maintenant. Mais tu
as raison sur la différence complète, si on reprend l'idée de Nietzsche que les philosophies
expriment comme des tempéraments ou des instincts du philosophe, qu'est ce qu'un instinct du
philosophe ? C'est évident qu'ils n'ont pas le même tempérament Hobbes et Spinoza. C'est évident
qu'ils n'ont pas le même tempérament. Mais arriver à définir quel tempérament était celui de
Spinoza, c'est un peu notre objet avec l'histoire des modes d'existence. En tout cas je suis d'accord
sur cette troisième remarque, ce n'est pas le même style, c'est un autre monde, oui c'est vrai.

Comtesse .. .Le problème d'interroger la fonction politique de Spinoza, est ce qu'il y a un rapport
entre l'Ethique et.. ? Il n'y a pas toujours un rapport nécessaire entre les penseurs de l'être même si
Spinoza met en cause, la pensée du désir.

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Oui, complètement mais ça nous appartient.

Comtesse : Dans l'histoire de la philosophie, si il y a toujours un rapport nécessaire entre les


penseurs de l'être, même dit Spinoza s'il n'y a pas un rapport nécessaire entre toute pensée de l'être
et le plan d'organisation de l'Etat. Est-ce que tous penseurs de l'être n'est pas amené à un certain
moment à penser comme le fait Spinoza dans le chapitre 4 et 5 est amené justement à fabriquer à
certain moment de sa pensée ontologique un plan d'organisation de l'Etat. Donc de se référer d'une
certaine façon au modèle d'Etat.

Moi je dirais un peu autre chose qu'il y a un rapport fondamental entre l'ontologie et un certain
style ou un certain type de politique, ça oui, on est d'accord. En quoi consiste ce rapport on le sait
pas encore, on le rencontrera cette année. Je suppose que ce rapport est fondamental. Mais en quoi
consiste une philosophie politique qui se place dans une perspective ontologique. Est-ce qu'elle se
définit par le problème de l'Etat ? Je ne dirais : pas spécialement puisque les autres aussi, une
philosophie de l'Un passera aussi par le problème de l'Etat. La vrai différence elle me paraîtrait
ailleurs entre les ontologies pures et les philosophies de l'Un. J'ai essayé de montrer toutes les
autres fois d'un point de vue théorique uniquement. Les philosophies de l'Un sont des philosophies
qui impliquent fondamentalement une hiérarchie des existants. D'où le principe de compétence, d'où
le principe des émanations, le sage pratiquement est plus compétent que le non sage. Du point de
vue des émanations : de l'Un émane l'être, de l'être émane autre chose etc. Les hiérarchies des
Néo- Platoniciens. Le problème de l'Etat ils le rencontreront quand ils le rencontrent au niveau de ce
problème : l'institution d'une hiérarchie politique. Il y a et pensez à la tradition néo-platonicienne, le
mot "hiérarchie" intervient tout le temps. Il y a une hiérarchie céleste, il y a une hiérarchie terrestre et
tout ce que les néo-platoniciens appellent les hypostases sont précisément les termes dans une
hiérarchie, dans l'instauration d'une hiérarchie.

Ce qui me paraît frappant dans une ontologie pure c'est à quel point elle répudie la hiérarchie. Et
en effet, s'il n'y a pas d'Un supérieur à l'être, si l'être se dit de tout ce qui est en un seul et même
sens, c'est ça au point où nous sommes, c'est ça qui m'a paru être la proposition ontologique clé.
Il n'y a pas d'unité supérieure à l'être. Et dès lors l'être se dit de tout ce dont il se dit c'est à dire se
dit de tout ce qui est, se dit de tout "étant "en un seul et même sens. C'est le monde de l'immanence.
Ce monde de l'immanence ontologique est un monde essentiellement anti-hiérarchique au point que,
bien sûr il faut tout corriger, chaque fois que je dis une phrase j'ai envie de la corriger, bien sûr ces
philosophes de l'ontologie nous diront : mais évidemment il faut une hiérarchie pratique. L'ontologie
n'aboutit pas à des formules qui seraient celles du nihilisme ou du non-être du type "tout se vaut". Et
pourtant d'un certain égard "tout se vaut" du point de vue d'une ontologie, c'est à dire du point de vue
de l'être. Tout étant effectue son être autant qu'il est en lui, un point c'est tout. C'est la pensée anti
hiérarchique absolue. C'est une espèce d'anarchie. Il y a une anarchie des étants dans l'être. Si vous
voulez, l'intuition passe de l'ontologie. Tous les êtres se valent. C'est une espèce de cri, oui après
tout, la pierre, l'insensé, le raisonnable, l'animal, d'un certain point de vue, du point de vue de l'être ils
se valent. Chacun "est" autant qu'il est en lui. Et l'être se dit en un seul et même sens de la pierre, de
l'homme, du fou, du raisonnable etc.

C'est une très belle idée, on voit pas ce qui leur fait dire ça mais c'est une très belle idée, ça implique
même sa cruauté ça, sa sauvagerie. C'est une espèce de manque très sauvage. Bon Là dessus

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évidemment ils rencontrent le problème politique. Mais la manière dont ils aborderont le problème
politique dépend précisément de cette espèce d'intuition de l'être égal, de l'être anti-hiérarchique. Et
la manière dont ils pensent l'Etat, ce n'est plus le rapport de quelqu'un qui commande et d'autres qui
obéissent. Et là, alors en effet, je retrouve la remarque précédente de Comtesse. Chez Hobbes le
rapport politique c'est le rapport de quelqu'un qui commande et de quelqu'un qui obéit, ça c'est le
rapport politique pur. Du point de vue d'une ontologie ce n'est pas ça. Alors là Spinoza ne serait pas
du tout à la manière de Hobbes.

Le problème d'une ontologie c'est dès lors en fonction de ceci, l'être se dit de tout ce qui est, c'est
comment être libre. C'est à dire comment effectuer sa puissance dans les meilleures conditions. Et
l'Etat, bien plus, l'Etat civil c'est à dire la société toute entière, est pensée comme ceci : l'ensemble
des conditions sous lesquelles l'homme peut effectuer sa puissance de la meilleure façon. Donc ce
n'est pas du tout un rapport d'obéissance. L'obéissance viendra en plus, ils ne sont pas idiots. Il
savent que là dedans il y a de l'obéissance. Mais l'obéissance devra être justifiée par ceci : qu'elle
s'inscrit dans un système où la société ne peut signifier qu'une chose : le meilleur moyen pour
l'homme d'effectuer sa puissance, l'obéissance est seconde par rapport à cette exigence là. tandis
que dans une phuilosophie de l'Un, l'obéissance est évidemment première. Elle est évidemment
première, c'est à dire le rapport politique c'est le rapport d'obéissance, ce n'est pas le rapport de
l'effectuation de puissance.

Un étudiant : ...

Ce n'est pas évident. Ça dépend de ce que tu as dans la tête. Au sens politique du mot
aristocratie, l'aristocratie désigne un certain type de régime. Un certain type de régime ou un groupe
d'êtres qui se nomment eux mêmes aristocrates commandent aux autres. Donc, un type de régime
qu'on peut distinguer de la monarchie, de la démocratie etc. Ce régime il a existé, il y a eu des
aristocraties dans les cités grecques, dans certaines cités grecques. Il y a eu des aristocraties dans
certaines cités italiennes, ça existe un régime dit aristocratique. Si tu penses à d'autres sens du mot
aristocrate, d'autres emplois du terme aristocrate par exemple celle que Nietzsche fait dans certains
contextes concernant l'aristocratie, il veut dire à ce moment là quelque chose de complètement
différent. C'est ce que tu avais dans la tête ? Le même étudiant : oui Oui, je n'ose même pas aborder
la question de Nietzsche parce que politiquement ça devient tellement compliqué, tellement différent
et de Hobbes et de Spinoza. Quoi ?

Un autre élève :

Oui, le problème d'une ontologie, à ce niveau on le retrouvera en effet chez Nietzsche. C'est que,
qu'est-ce qui est égal ? Ce qui est égal c'est très simple : c'est que chaque être quel qu'il soit, de
toute manière effectue tout aussi qu'il peut de sa puissance. Ça ça rend tous les êtres égaux. Les
puissances ne sont pas égales. La puissance par exemple de la pierre et la puissance d'un animal
c'est pas la même. Mais chacun s'efforce de "persévérer dans son être" c'est-à-dire effectue sa
puissance. Or de e point de vue tout se vaut, tous les êtres se valent. Il sont tous dans l'être et l'être
est égal. L'être se dit également de tout ce qui est, alors tout ce qui est n'est pas égal c'est à dire n'a
pas la même puissance. Mais l'être qui se dit de tout ce qui est, lui est égal. Là dessus ça n'empêche
pas qu'il y a des différences entre les êtres. Du point de vue des différences entre les êtres peut se
rétablir toute une idée de l'aristocratie. Ça oui, à savoir il y en a de meilleurs. C'est un peu ce qu'on

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avait vu.

Je veux dire toute la dernière fois si j'essaie de résumer, comprenez où on était la dernière fois.
Avant que j'aborde un nouveau thème. La dernière fois on posait un problème très précis.

Puisque notre but de toute l'année c'est l'ontologie. Donc il faudrait ne pas le perdre de vue. Le
problème c'est ceci que j'ai traité finalement jusqu'à maintenant. Quel est le statut non pas de l'être,
mais de l'étant ? C'est à dire quel est le statut de l'étant ou de l'existant du point de vue de
l'ontologie. La dernière fois j'ai essayé de dire que le statut de l'existant chez Spinoza, ce statut de
l'existant constituant le corrélat de l'ontologie à savoir constituant une éthique. Vous voyez l'éthique
c'est le statut de l'existant ou de l'étant, l'ontologie c'est le statut de l'être. Or l'être se dit l'étant ou
l'existant. Eh bien ma réponse était double. Le statut de l'étant dans l'ontologie de Spinoza il est
double. D'une part, distinction quantitative entre les "étants". De quel point de vue ? Quelle quantité ?
Quantité de puissance. Les étants sont chacun des degrés de puissances.
Donc distinction quantitative entre les étants du point de vue de la puissance. D'autre part et en
même temps, distinction qualitative entre les modes d'existence. De quel point de vue ?
Du point de vue des affects qui effectuent la puissance. Et ce que j'avais essayé de montrer c'est
que ces deux conceptions,
celle de la distinction quantitative entre existants. Et l'autre point de vue,
celui de l'opposition qualitative entre modes d'existences, loin de se contredire s'imbriquaient l'un
dans l'autre tout le temps. C'est ça je crois si vous n'avez pas compris ça c'est ennuyeux, si vous
avez compris ça vous avez tout compris.

Donc ça finissait si vous voulez cette première rubrique, finalement dans ce premier trimestre on
aura fiât une première grande rubrique.
L'ontologie, qu'est ce que ça veut dire l'ontologie et comment ça se distingue de philosophies qui
ne sont pas des ontologies.
Deuxième grande rubrique, quel est le statut de l'étant du point de vue d'une ontologie pure
comme celle de Spinoza ? Voilà, si vous êtes prêts je passe à une troisième rubrique.

Un élève : quantité, différence

Si, vous le comprenez parfaitement d'après ce que vous venez de dire, j'espère en tout cas car
vous dites, par exemple, vous dites du point de vue d'une pensée de la hiérarchie ce qui est premier
c'est la différence et on va de la différence à l'identité. J'ajoute juste de quel type de différence
s'agit-il ? Réponse : c'est toujours une différence entre l'être et quelque chose de supérieur à l'être.
Puisque ça va être une différence de jugement. La hiérarchie, elle implique une différence dans le
jugement. Donc le jugement se fait au nom d'une supériorité de l'Un sur l'être. On peut juger de l'être
parce qu'il y a précisément une instance supérieure à l'être. Donc la hiérarchie est inscrite dès cette
différence puisque la hiérarchie son fondement même c'est la transcendance de l'Un sur l'être.
D'accord, et ce que vous appelez différence c'est exactement cette transcendance de l'Un sur l'être.
Quand vous invoquez Platon, la différence n'est première chez Platon qu'en un sens très précis, à
savoir l'Un est plus que l'être. Donc c'est une différence hiérarchique. Quand vous dites en revanche
l'ontologie elle va de l'identité ce n'est pas exactement ça, en tout cas elle va de l'être aux étants.
C'est à dire elle va du même ou de l'être à ce qui est et seul ce qui est diffère, elle va donc de l'être
aux différences. Ce n'est pas une différence hiérarchique. Tous les êtres sont également dans l'être.

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Au Moyen Age on verra tout ça de plus près. Il y a une école très très importante. Vous savez ces
écoles du Moyen Age on ne peut pas les liquider en disant c'était la grande époque de la
scholastique. Il y a une école qui a reçue le nom de l'école de Chartres. Et l'école de Chartres ils
dépendent, ils sont très proches de Dunn Scott dont je vous ai déjà un petit peu parlé. Et il insiste
énormément sur le terme latin égalité. L'être égal. Ils disent tout le temps que l'être il est
fondamentalement égal. Ça ne veut pas dire que les existants et les étants soient égaux, non. Mais
l'être est égal pour tous. Il signifie d'une certaine manière tous les étants sont dans l'être C'est là que
ensuite quelque soit la différence à laquelle vous atteindrez, puisqu'il y a une différence, il y a une
non- différence de l'être et il y a des différences entre les étants, ces différences sont pas conçues
de manière hiérarchique. Ou alors ça sera conçu de manière hiérarchique très très secondairement,
pour rattraper, pour concilier les choses. Mais dans l'intuition première la différence n'est pas
hiérarchique. Alors que dans les philosophies de l'Un elle est fondamentalement hiérarchique. La
différence entre les étants, elle est quantitative et qualitative à la fois. Différence quantitative des
puissances, différence qualitative des modes d'existences. Mais elle n'est pas hiérarchique.

Alors bien sûr ils parlent souvent comme s'il y avait une hiérarchie. Ils diront très bien, ils diront
"évidemment l'homme raisonnable vaut mieux que l'homme méchant". Il vaut mieux dans quel sens
et pourquoi ? Ce n'est pas pour des raisons de hiérarchie. C'est pour des raisons de puissance et
d'effectuation de puissance. Alors on verra tout ça. Justement progressivement je veux passer à une
troisième rubrique qui s'enchaîne avec la seconde et qui reviendrait à dire bon si l'éthique je l'ai
définie comme deux coordonnées. La distinction quantitative de point de vue de la puissance,
l'opposition qualitative du point de vue des modes d'existences. Et j'ai essayé de montrer la dernière
fois comment on passait perpétuellement de l'un à l'autre.

Je voudrais commencer un troisième titre qui est de ce même point de point de vue de l'éthique,
alors quelle est la situation et comment se pose le problème du mal. Car encore une fois on a vu que
ce problème se posait d'une manière aiguë. Pourquoi ? Parce que je vous rappelle que j'ai
commenté et je ne vais pas revenir sur ce point, je le rappelle juste en quel sens la philosophie
classique de tout temps, vraiment de tout temps avait érigé cette proposition paradoxe en sachant
bien que c'était un para doxe à savoir le mal n'est rien. Et justement le mal n'est rien, je vous disais,
comprenez qu'on peut lire comme ça et se dire, bon c'est une manière de parler. Mais bizarrement
ce n'est pas une manière de parler c'est au moins deux manières de parler possibles et qui ne se
concilient pas du tout. Car lorsque je dis le mal n'est rien vous savez, je ne reviens pas sur le
commentaire que j'ai fait de la formule. Mais lorsque je dis ça, le mal n'est rien, je peux vouloir dire
une première chose.
Je peux vouloir dire le mal n'est rien parce que tout est bien. Si je dis tout est bien, comment ça
s'écrit tout est bien ? ça s'écrit tout est Bien. Si vous l'écrivez comme ça avec un grand B, vous
pouvez commenter la formule mot à mot. Ça veut dire il y a l'être : Bien, l'Un est supérieur à l'être et
la supériorité de l'Un sur l'être fait que l'être se retourne vers l'Un comme étant le Bien. En d'autres
termes, le mal n'est rien veut dire forcément le mal n'est rien puisque c'est le bien supérieur à l'être
qui est cause de l'être. En d'autres termes, le bien fait être. Le bien comme raison d'être, le bien c'est
l'Un comme raison d'être. L'Un est supérieur à l'être. Tout est Bien ça veut dire c'est le Bien qui fait
être ce qui est.

Elève 4 : C'est platonicien

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C'est exactement, je suis en train de commenter Platon. Donc ça marche. Si tu m'avais dit que ça
n'est pas platonicien j'aurais été inquiet parce que...

Elève 4 : (.. .vous employez le mot étant...) pas audible

Oui, j'ai très bien défini. Brièvement, mais très bien. J'ai dis : ce n'est pas l'être c'est ce qui est.
Non, ce n'était pas en un sens... mais Heidegger il n'a jamais dit autre chose. Attends un peu. Vous
comprenez donc, le mal n'est rien ça veut dire, seul le Bien fait être et corrélat fait agir. C'était
l'argument de Platon, on l'a vu, le méchant n'est pas méchant volontairement puisque ce que le
méchant veut c'est le bien. C'est un bien quelconque. Bon, je peux dire le mal n'est rien. Au sens de
seul le bien fait être et fait agir, donc le mal n'est rien. Dans un ontologie pure où il n'y a pas d'Un
supérieur à l'être : Je dis le mal n'est rien, finalement il n'y a pas de mal il y a de l'être. D'accord mais
ça m'engage à quelque chose de tout à fait nouveau. Si le mal n'est rien c'est parce que le bien n'est
rien non plus. Vous voyez c'est donc pour des raisons tout à fait opposées que je peux dire dans les
deux cas le mal n'est rien.
Dans un cas je dis le mal n'est rien parce que seul le fait être et fait agir.
Dans l'autre cas je dis le mal n'est rien parce que le bien non plus. Parce qu'il n'y a que de l'être.

Or on avait vu que là aussi cette négation du bien comme du mal n'empêchait pas Spinoza de faire
une éthique. Comment est-ce que je peux faire une éthique s'il n'y a ni bien ni mal ? A partir de la
même formule, à la même époque si vous prenez le mal n'est rien, signé Leibnitz et signé Spinoza,
ils disent, tous les deux emploient la formule "le mal n'est rien". Mais elle a deux sens absolument
opposés chez Leibnitz qui lui dérive de Platon et chez Spinoza qui fait une ontologie pure. Alors ça
se complique.

D'où mon problème quel est le statut du mal du point de vue de l'éthique, c'est à dire de tous ces
statuts des étants, des existants. Surtout qu'il va y avoir un problème très important là comme
pratique on va entrer vraiment dans les points où l'éthique est vraiment une pratique. Or je dis à cet
égard qu'on dispose et je vous en avais prévenus que je voudrais bien que vous le lisiez ou relisiez
d'un texte de Spinoza exceptionnel. Ce texte de Spinoza exceptionnel est un échange de 8 lettres, 4
pour chacun. Ce n'est pas très long. Un échange vde 8 lettres avec un jeune homme qui s'appelle
Blyenberg. Un jeune homme des Pays-Bas, un jeune homme de là bas qui écrit à Spinoza, Spinoza
ne le connaît pas. Tout est important. Car il y a des mystères dans cette correspondance
immédiatement. L'Objet de cette correspondance est uniquement le mal. Ou Blyenberg, le jeune
Blyenberg dit à Spinoza : "expliquez vous un peu sur le mal". Chose très curieuse, les
commentateurs là aussi, lisez le texte, c'est vous qui décidez. Beaucoup des commentateurs par
exemple les éditeurs de la Pléiade décident que Blyenberg est un idiot. Qu'il est idiot, stupide et
confus. Moi je lis ces lettres et je n'ai pas du tout cette impression. J'ai l'impression que Blyenberg
est un drôle de type mais pas du tout stupide et confus. D'abord une chose me donne d'avance
raison : 4 lettres pour Spinoza c'est beaucoup. Spinoza il n'aime pas beaucoup écrire des lettres ou
alors il écrit à des amis surs. Il n'aime surtout pas écrire à des étrangers. Il se dit toujours, qu'est ce
qu'il va me tomber dessus ? Donc il écrit très peu. D'autre part Spinoza déteste l'insolence. Il n'aime
pas qu'on soit insolent, qu'on soit mal élevé, il n'aime pas ça c'est son affaire. Or dès sa seconde
lettre Blyenberg commence à ricaner, à faire des sommations, à dire à Spinoza : expliquez vous, je
vous somme de... alors quoi ? Inventer des conséquences grotesques du spinozisme, enfin très

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désagréable.

Un chieur quoi, mais pas du tout un idiot. Agaçant, très agaçant. Or je remarque aussi que Spinoza
n'aime pas du tout les gens agaçants. Les gens agaçants qui l'embêtent et à qui il faut répondre. Il
n'a pas le temps, d'abord c'est tout simple il n'aime pas ça. Et Spinoza le remarque dès sa seconde
lettre à lui, Spinoza devient très sec et lui dit : ça va Blyenberg, qu'est ce que tu crois ? tu me lâches,
tu vas me lâcher mais là je dis qu'il y a quelque chose d'extraordinaire c'est qu'il continue la
correspondance. Or à ma connaissance ça s'est jamais vu chez Spinoza. Il a reçu beaucoup de
lettres et on a des lettres d'injures contre Spinoza. Spinoza il ne répond pas. Mais qu'est-ce qui se
passe. Si le type était idiot, Spinoza ne lui répondrait pas. Et pourquoi Spinoza supporte un ton qu'il
n'aime pas du tout, lui, Spinoza supporte tout ça, j'ai bien une réponse. Il consent à répondre à
Blyenberg. J'ai bien une réponse : Blyenberg est le seul qui ait pris Spinoza sur un problème précis
où Spinoza ne s'était jamais expliqué ailleurs. A savoir le problème du mal. Et que ce sujet fascine
Spinoza. Dès lors il accepte tout ce qu'il y a de désagréable chez Blyenberg, tout ce qu'il y a de
genre petit con, il accepte. Il répondra parce qu'il veut pour lui-même mettre au point cette histoire du
mal. Et il va répondre et il passera par dessus les insolences de Blyenberg parce qu'il sent qu'il est
quand même très intelligent. Et en effet Blyenberg ne lâche pas. Et le coup prodigieux de Blyenberg
qui a voulu faire un hommage malgré tout, c'est que Blyenberg force Spinoza à dire des choses que
lui Spinoza n'aurait jamais dites et des choses très très imprudentes. On verra dans le texte, des
choses très très curieuses, des déclarations d'espèce de paradoxe sur le mal qu'on s'étonne de
trouver sous la plume de Spinoza. Or ça c'est grâce à Blienberg. Or mon interprétation ça serait
uniquement que Spinoza accepte cette correspondance parce que c'est un cas unique où il voit
l'occasion de s'expliquer sur ce problème du mal. Ce qui confirmerait cela c'est que comment
Spinoza arrête la correspondance ? Tout d'un coup Blyenberg perd les pédales. D'abord il fait une
imprudence, il va voir Spinoza. Spinoza déjà ne supporte pas bien des lettres mais les visites... donc
du coup, Spinoza il voit un petit moment Blyenberg et puis ça va, salut. Et là dessus Blyenberg écrit
à Spinoza et rompt le pacte implicite qu'il y avait entre eux. C'est à dire il se mit à lui poser des
questions dans tous les sens sur l'éthique. Il sort du problème du mal. Alors Spinoza lui renvoie une
lettre immédiate. Non, au contraire il tarde à répondre à cette dernière lettre de Blyenberg. C'est la
dernière lettre de Blyenberg. C'est une lettre de grande sécheresse, en disant : non pas d'autres
questions, tu avais droit à une question, tu sors de la question on finit. Je ne veux plus te voir, je ne
veux plus te lire, lâches moi ! Il a accepté d'être traité d'une manière dont il n'aime pas être traité le
temps des 8 lettres. Le temps de s'expliquer sur ce problème du mal.

Bon, je dis ce problème du mal est bien au cœur de l'Éthique. Et pourtant il n'est pas traité dans
l'Ethique. C'est dans cette correspondance avec Blyenberg qu'il est traité explicitement. Je crois que
c'est ce problème qui peut nous faire faire un grand bond. Quant à l'autre question qui reste
fondamentalement qui est le rapport de l'existant et l'être. C'est pour ça repartir à partir de ce
problème du mal très doucement.

Et je dis Blyenberg dès sa première lettre, Blyenberg fonce et dit à Spinoza : "expliquez moi ce qui
veut dire : Dieu a défendu à Adam de manger la pomme, le fruit et pourtant Adam l'a fait". C'est à
dire Dieu a interdit quelque chose, l'homme, l'existant a passé outre à cette interdiction. Comment ça
se passe dans votre système à vous ? Dans votre ontologie. Et déjà à ce moment Blyenberg connaît
très mal Spinoza, il connaît pas l'Ethique. Forcément, qui n'était pas un texte biblique. Donc il ne
s'adresse même pas à Spinoza en tant que Spinoza, il s'adresse beaucoup plus à Spinoza.

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Deleuze
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heures)

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Marielle Burkhalter

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DELEUZE - CINÉMA COURS 15 DU 20/04/82 - 2

d'invention de spontanéité, il y deux circonstances. Je pense à un texte de Bergson qui évidemment


n'a rien à voir. Mais justement servons nous de tout. Bergson explique : dans la vie il y a deux
processus qui ou bien se divisent ou bien s'enchaînent l'un l'autre. Il dit : la vie c'est une double
opération successive.
Première opération vous emmagasinez de l'énergie . Q'est ce qui fait ça ? Notamment c'est le
rôle de la plante. La plante, elle emmagasine de l'énergie, pour marquer qu'elle n'est pas mobile, elle
est immobile. Elle a sacrifié la mobilité précisément pour emmagasiner de l'énergie. Bon, mais on
peut dire qu'elle est parcourue de tous les micro mouvements qui accompagnent l'emmagasinement
de l'énergie, micro mouvements sur place.
Et puis second processus dit Bergson qui s'enchaîne avec le premier : ayant emmagasiné de
l'énergie, la vie est processus continu d'emmagasinement de l'énergie. Et en second lieu : décharge
discontinue d'actes explosifs. Ca c'est le côté animal.

Dans les grands embranchements de la vie, la plante s'est chargée d'emmagasiner l'énergie, l'animal
se charge de faire exploser en actions discontinues. Mais du point vue de la vie, c'est un
enchaînement. La vie est un processus indissociable par lequel, un vivant emmagasine de l'énergie
et s'en sert pour faire éclater des actions discontinues, pour faire détonner l'explosif. On
emmagasine l'explosif, on fait détonner en actions discontinues, d'ou l'espèce de jeu qui frôle
l'hystérie, parfois, de l'Actor's Studio. Ces lentes périodes, là vous reconnaissez les acteurs de
l'Actor's Studio tout le temps . C'est ce que j'appelais le jeu réaliste et c'est comprenez la formule
S-A-S-prime , c'est la formule S A S', c'est la formule du cinéma Américain par excellence.

Premier temps, de S à avant A, de S à moins A, si vous voulez, non à presque A,


:emmagasinement de l'énergie pour arriver jusqu'au noyau émotionnel vide. Du moins non, jusqu'au
noyau mémoriel, pour arriver jusqu'au "noyau affectif mémoriel".
Deuxième chose, décharge violente de l'explosif. Or c'est la formule - c'est pour ça que je n'en
parlerai pas plus, c'est la formule des grands films de Kazan - et c'est la formule des acteurs formés
par Kazan et Strasberg . Si vous pensez aux jeux de James Dean qui a eu tellement d'importance,
au jeu Brando, au jeu Newman, et un certain nombre de très grandes actrices américaines qui jouent
sur un certain mode hystérique. Et en même temps ce qui nous annonce que évidemment l'acteur
n'est pas réduit à ça, c'est que la nouvelle génération des acteurs américains, c'est plus ça du tout
donc on a de l'avenir devant nous. C'est plus ça du tout. Tout comme à ma connaissance vous
trouverez guère - je ne sais même pas s'il y a des acteurs français qui.. sinon de très très mauvais
alors - qui joue si.. il y a une actrice française qui est assez Actors Studio et elle justement, comme

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j'ai de l'admiration pour elle, je peux la citer : c'est Delphine Seyrig. Delphine Seyrig, elle a un certain
jeu Actor's Studio très très curieux, ce perpétuel emmagasinement, emmagasinement d'énergie avec
des actes explosifs par exemple "Murielle" est un beau.. . Elle joue ça. Mais enfin se n'est pas
tellement évident pour elle. Mais il me semble ! il me semble ! Alors je reviens, au film de Arthur
Penn, "Georgia", parce que je suppose que certains d'entre vous, l'ont vu.
Typiquement, en quoi c'est un film Actors Studio, c'est-à-dire un film descendance Kazan ? Pas
difficile prenez les grandes scènes : comment ils font ? Le jeune homme pauvre fils d'emmigré
récent, arrive dans la famille du milliardaire, il veut épouser la fille. Bon qu'est ce qui se passe ?
Déjeuner de famille glacé, atmosphère glacée, la tension monte. À ce moment-là vous voyez que
chacun des convives à sa manière intériorise. La tension monte, ça veut dire et il y a tout un système
de micro mouvements d'attente. Le père qui regarde son prétendu, son gendre à venir, tout ça. La
fille qui a le nez dans son assiette. On a l'impression qu'ils ont beau être immobiles, ça n'arrêtent pas
! Là ça donne raison à Hitchcock, impossible d'obtenir d'eux une pause neutre. Tout, ils feront tout
sauf ils ne pourront jamais jouer la neutralité. Alors des espèces de ruminants. C'est vraiment la
rumination, c'est la grande rumination, c'est l'emmagasinement d'énergie . Et puis, ça ça répond à la
situation avec l'intériorisation correspondante.
Et puis le père lâche une phrase-action :" la phrase-action c'est : « Je n'ai pas l'habitude de me
laisser prendre un bien, quelque chose qui m'appartient ». La fille, elle baisse le nez un peu plus
dans son potage. Bon elle n'a pas l'habitude. Et après ce n'est pas seulement l'acteur qui l'apprend,
on peut concevoir qu'il l'apprenne, il est censé l'apprendre mais le spectateur il apprend quoi ? vous
pouvez pas ceux qui n'ont pas vu Georgia - mais au point où ça vient de l'histoire, il apprend quelque
chose de fondamental qui est déjà S prime. La phrase a été une action explosive du père. Une
phrase peut être une action au cinéma. C'est un comportement, une phrase, c'est quoi ?. que n'est
pas normal tout ça . S c'était : le père a de la répugnance à marier sa fille parce que le garçon n'est
pas de son niveau social. Après la phrase, il y a "S prime", à savoir : le père en fait, a une relation
d'inceste avec sa fille. Vous avez la structure S A S prime, en plein. Alors intériorisation, alors qu'est
ce que ça veut dire ça ? comment il joue, le père qui joue son rôle merveilleusement - Actor's Studio
pur, merveilleux, Bon, Il est là, absolument glacé, il emmagasine, il emmagasine la tension. C'est un
grand acteur, il la fait passer, cela agit sur le spectateur, ça marche. Il emmagasine la tension. Bon
et puis il lâche sa phrase comme un coup de poing sur le gendre. Le gendre va répondre, ça va être
le duel. La situation en sort modifiée, tout le monde a compris : ce n'est pas un père qui veut bien
marier sa fille. C'est un père qui veut la garder parce qu'il est amoureux de sa fille. Et qu'il y a une
relation incestueuse effective. Le mariage arrive. La typique image qui pourrait signée Kazan : il y a
la fête. Il y a la garden party, il y a la fête. Le père est à nouveau en situation de "intériorisation de la
situation" : énorme vitre, énorme glace transparente mais sombre à l'extérieur derrière laquelle le
père est tout droit et regarde d'en haut la fête. Son visage exprime tout ce que vous voulez par
micros mouvements, espèce de haine, de dégoût, de réflexion en même temps sur :" qu'est ce que
je vais faire", tout ça. Tout y passe. En effet il ne tient pas pas tranquille. On a beau le flanquer là
comme un piquet, il se tient comme un piquet. Impossible d'obtenir qu'il se tienne tranquille.
Impossible, vous n'obtiendrez jamais ça d'un acteur de l'Actor's studio.

Et puis, bon , puis il y a une petite note bien, qui fait d'ailleurs jolie dans l'image. Personne ne voit le
père. Il y a juste un petit gosse qui passe et qui se dit : « C'est bizarre cette silhouette ». Alors, on
voit ce petit gosse qui regarde la silhouette de père qui est comme un piquet. Et puis un lent, long
emmagasinement. Puis se passe : le père sort, il tue sa fille à coup de revolver. On peut pas mieux
parler d'acte explosif et il tire sur son gendre. Tout ça, il est passé à l'assassinat.

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Et là vous avez typiquement la formule aussi S A S prime. Or ça c'est vraiment le jeu, je dirai
l'actor's studio, c'est le jeu aussi bien au théâtre qu'au cinéma, ça a été le jeu Américain par
excellence c'est à dire : c'était le jeu de la secondeité. Vous voyez perpétuellement les duels, les
situations l'intériorisation des situations, le duel, la situation modifiée. Et on recommence : la situation
modifiée, re duel etc. Et ça fait les films de Kazan, c'est-à-dire les films encore une fois américains
par excellence. Et c'est aussi la structure des films de Forman. Et je dis ce n'est pas par hasard que
finalement c'est l'épreuve, c'est la pierre de touche du type qui arrive en Amérique. Il me semble que
dans l'histoire des grands auteurs qui ont habité en Amérique : Et bien, "ça tourne bien si tu te plies à
cette forme là", ça été ruineux, en un sens ça a donné des choses géniales mais ç'a été ruineux,
c'était : "si tu te plies à cette forme, on t'accepte, on te prend". Un immigré qui veut émigrer doit
rivaliser dans cette forme, Forman il y passe. Voilà c'est beau mais c'est triste. Mais enfin l'avenir est
à nous parce que encore une fois, le cinéma Américain est en train d'évoluer comme tous les
cinémas. Et j'ai l'impression que la génération actuelle des acteurs Américains sont très très
différents .

Alors il avait encore un dernier problème vous comprenez, dans mon histoire et dans mon épreuve.
C'est bon, On a pas beaucoup défini. Autant on se sent surs maintenant des catégories
cinématographiques de primeîté et de secondeite.
La tiercéité on a vu un peu ce que c'était pour Pierce. Mais là, je ne peux pas m'en servir moi.
Parce que ce qu'il nous dit il me semble que c'est une analyse - pardon de dire ça vous le mettez
entre les guillemets - Analyse trop faible de tierceité. Tout ce qu'il nous dit sur la loi, etc. je retiens
juste de Pierce que la tierceite, on ne l'obtient pas en multipliant les duels. C'est à dire c'est pas en
faisant plusieurs duels qu'on obtient un troisième. il nous dit juste - et je ne retiens que ça de lui
La tiercéîté c'est le mental. Mais qu'est ce que c'est le mental ? Ca, ça sera notre tâche. Il n'y pas
à attendre de Pierce une analyse à cet égard.

Je dis juste que pour que notre problème reste ouvert : il y aura evidemment des acteurs de la
tierceîté. Il y en a eu peut être avant et que c'est notamment, notamment un des problèmes que
l'acteur d'aujourd'hui affronte. Et que non seulement le cinéma américain en a peut être assez, il a
peut être épuisé... Non pas que ça vaille mieux. Ce n'est pas une question de mieux. C'est une
question de changement et de mutation.
Et qu'actuellement vraiment le problème du cinéma on verra de mille façons : "c'est comment
introduire la tiercéité ou le mental pur dans l'image cinématographique".

Et que de très grands acteurs y compris les acteurs de tous les pays mais aussi des acteurs
français, depuis très longtemps ont déjà fait un jeu que l'on pourrait qualifié que jeu de la "tiercéité."
Et que là on abordera peut être un domaine qui pour moi me passionne beaucoup. Et où le thème de
l'acteur qui - pas plus que les autre ne joue de rôle - et que là le thème de l'acteur marionnette ou
comme dit un grand théoricien de théâtre, l'acteur sur-Marionnette, hyper Marionnette, la "sur
marionnette". Et tout le thème de "mort à l'acteur" mais "mort à l'acteur" ça ne veut rien dire, ça ne
veut rien dire pour une raison simple parce qu'il n'y en a pas d'acteur. Dés qu'un acteur est bon ce
n'est plus un acteur. On l'a vu si on définit "Mort à l'acteur" ça veut dire, mort à celui qui joue un rôle,
qui prétend représenté un personnage fictif. Encore une fois à ma connaissance il n'y a jamais un
acteur "grand" ayant conscience de son métier qui se soit assigné cette tâche. Bon "mort à l'acteur"
ça ne veut rien dire puisque les acteurs qu'il faut mettre à mort, n'ont jamais existé. Encore une fois
sauf les acteurs tout faits, oui sinon tout acteur conscient de ces problèmes, fait autre chose. Non,

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voyez le jeu de la tierceite. Alors pour essayez de fixer des choses qui vont de soi : Là c'est
uniquement au niveau des questions et ça va réagir sur l'ensemble du cinéma correspondant.
Les fameuses choses dont qu'on nous parle tout le temps .on a peut-être des tas : la distanciation
de Brecht. On n'est pas encore à nous demander s'il a eu de l'influence dont le cinéma. Peut-être,
peut-être pas je ne sais pas. Mais bon voilà ,est ce que ce n'est pas une manière d'introduire la
tiércéité dans l'image ? Est-ce que ce n'est pas l'introduction du mental dans l'image ? Une des
manière une des manières parce que bon, ça en serait une, gardons ça pour l'avenir .
Mais quelqu'un qui nous touche de très près de cinéma français pour sa conception très bizarre
de l'acteur à savoir Bresson. Qu'est-ce que c'est Bresson et un acteur Bresson ? Lui, il ne veut pas
dire marionnette parce que c'est un homme qui ne veut blesser personne pourtant ce n'est pas
pourtant blessant. Et il dit ce n'est pas un acteur, c'est un modèle. Un modèle, mais après tout un
modèle c'est exactement ce que les sculpteurs identifient à une marionnette. Bon, c'était un modèle.
Le modèle de Bresson. Qu'est-ce que c'est ça ? qu'est-ce que c'est que cette manière de jouer qu'on
reconnaît. Bon je pense à beaucoup, à d'autres acteurs qui sont vraiment des acteurs du mental, des
acteurs de la tiercéité. Est-ce que ça veut dire qu'ils font semblant de penser. Évidemment non. Ce
n'est pas comme ça qu'on est un acteur de tiercéité. Ce n'est pas en prenant des airs de penseur.
C'est bien autre chose. Qu'est ce que sera comme technique ? Qu'est ce veut dire comme problème
de l'acteur ? Alors si vous mettez ensemble et puis il y en a toutes sortes je me dis.. La générations
des acteurs modernes. La génération des acteurs qui ont une trentaine d'années, J'ai l'impression
que parmi eux, il y a beaucoup des acteurs qui sont vraiment qui - on verra pourquoi après le cinéma
Nouvelle Vague, il y en a une très curieuse conception de l'acteur. On verra ça, l'acteur Nouvelle
Vague. L'acteur Bresson, L'acteur Nouvelle Vague, on cherchera d'autres choses encore.

Je dis - je ne dis pas tout pour le moment. Vous voyez là aussi tout comme tout à heure pour la
dégradation, il nous restait un vaste pan : l'image-temps. Et si à l'issue de ce court exposé sur le
problème de l'acteur, il nous reste un très vaste temps, un très vaste programme à faire sur cette fois
çi, l'image-pensée .
Qu'est ce que c'est la tiercéité dans ... ? Or voilà, Bon c'est ce que je voulais ajouter sur cette ...
mais dans le désir d'aller de plus en plus vite car vous en pouvez encore un petit peu ?

Je dis : bien, vous comprenez ce n'est pas difficile : On vient de finir un pôle de l'image-action. La
seule chose à laquelle on s'accroche, c'est que pour chacun de nos types d'images on dégage deux
pôles à condition que ce ne soit pas un décalque.
On a eu deux pôles de l'image-affection - c'est pour des besoins de clarté, en fait cela pourrait
être quatre pôles... .
on a eu deux pôles de l'images-affection , deux pôles de l'image-perception . Il me faut un autre
pôle de l'image-action heureusement heureusement il s'impose. s'il me le fallait à tout prix mais il
impose tellement. C'est quoi ? J'ai qu'à prendre le contraire de ce que je viens de dire et puis voir si
ça existe même, comme ça vous pouvez même me devancer. je dis le second pôle image action ça
serait ce qu'il faudrait appeler : "la petite forme". C'est la petite forme.
Bon alors il aurait une petite forme de l'image-action . Et il y aurait une formule ? Et ben oui il y
aurait une formule, ça serait, on l'a vu la dernière fois, on a vu je crois, on avait juste commencé ça .
ca serait A S A prime, A S A prime . En effet c'est très différent quand même. Dèja, je peux me dire
et garder pour l'avenir : est ce que les deux se mélangent ? Est ce que les deux peuvent se
mélanger : la petite et la grande forme, sûrement . Peut être que c'est des auteurs très spéciaux qui
ont su faire le mélange de la grande et la petite forme. Sinon il y a des auteurs qui sont spécialistes

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de la grande forme et d'autres spécialistes de la petite, une fois dit que la petite n'est moins grande
comme la grande. Ou bien il a des auteurs qui tantôt - de grands auteurs, qui tantôt font un film de
grande forme et tantôt un film : petite forme. Parce que ils aiment bien varier les combinaisons. Et
peut être parce que la petite forme comme son nom l'indique comme elle était souvent moins chère
que la grande forme. Elle revient moins chère. Mais ce n'est pas une loi. Il y a des petites formes très
très chères. Très coûteuses. Il y a des petites formes super production. Mais enfin c'est plus facile de
faire la petite forme quand on n'a pas d'argent . Mais qu'est ce que c'est ça ? A S A prime ? Voyez ça
renverse puisque au lieu de partir de la situation et par un processus assez complexe qui implique si
vous vous rappelez ce qu'on a vu la dernière fois, des montages d'action parallèles, toute une série
duelle et une réaction sur la situation. Toutes choses ce qui sont très coûteuses du point de vue des
décors, du montage et l'ensemble de la mise en scène. Là vous avez : vous partez d'une action et
vous ne posez la situation que dans la mesure de ce que cette action en montre. Et ce qui vous est
ainsi montré de la situation induit une nouvelle action. En d'autres termes la petite forme à quelle
caractéristique fondamentale ? l'ellipse. Tout à l'heure pour reprendre mes termes techniques
empruntés à Pierce dans la grande forme, on allait si vous rappelez du synsigne à l'indice c'est à dire
du milieu au duel . Là on fait juste le contraire. On va de l'indice à la situation en ellipse, laquelle
situation en ellipse va nous précipiter en A prime c'est à dire une nouvelle action ou comme pour tout
à l'heure la répétition de la même : vous aurez A S A dont beaucoup de procédés comiques dans le
burlesque par exemple vous avez très souvent une formule A S A. Mais A S A c'est aussi A S A
prime car la répétition elle a toujours une nouvelle puissance constant une tarte à la crème ou un
procède repris et magnifie génialement par Laurel et Hardy mais peu importe. Voilà donc mon point
de départ. Je dirais que la figure de cette formule là ce n'est plus, ce n'est plus la spirale. C'est
l'ellipse. En même temps, j'ai l'air de jouer sur les mots. Mais ce n'est qu'une apparence car je viens
d'employer successivement ellipse en deux sens tout à fait différents. J'ai commencé par dire :
il y a ellipse parce que vous ne connaissez de la situation que ce que l'action de vous en a
montré.
Et là , j'employais ellipse au sens rhétorique de quelque chose qui manque. l'ellipse c'est un
manque, etymologiquement. Et maintenant quand je dis : la figure de cette formule là c'est l'ellipse,
Je glisse l'air de rien, donc ce serait inadmissible si je ne m'expliquais pas là dessus, à un autre sens
de mot ellipse : figure géométrique. Pourquoi le même mot ? ce n'est pas par hasard ellipse une
figure géométrique dérive bien de même mot : manque. A savoir ellipse figure géométrique est un
manque. Manque par rapport à quoi ? ça renvoie à la théorie des coniques : l'ellipse étant un
manque, l'hyperbole étant un excès par rapport au cercle. Ce à quoi je m'engage ? ce n'est pas à ça,
ça n'a pas d'intérêt pour nous. Ce à quoi je m'engage c'est à dire qu'on laisse de côté pour le
moment - c'est montrer comment au niveau de cette image cinématographique A S A prime, les deux
sont nécessairement liés c'est à dire une forme elliptique de la succession d'images au sens
géométrique et des ellipses dans cette même succession au sens rhétorique et comment l'un
entraine l'autre.

Voyez bon, alors bon, j'étais parti pour S A S prime, J'étais parti d'un exemple que je voulais
comme typique, exemplaire et j'avais pris "le Vent" de Shostrom qui semblait représenté la structure
S A S prime à l'état tout à fait pur mais on a vu qu'il y a confirmation - je vous rappelle que "Le Vent"
c'est le premier film que Shostrom fait en arrivant en Amérique - Confirmation de cette attirance du
cinéma américain à l'égard S A S prime . Mais, mais, mais je veux un exemple semblable et les
exemples semblables que A S A prime, Dieu merci il est donné par toutes les histoires du cinéma. Et
c'est un film célèbre à savoir "l'opinion publique". "L'opinion publique" de Charlie Chaplin. Le film

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muet où Charlot ne jouait pas et qu'il a mis en scène. Qu'il a mis en scène sans doute irrité par les
gens qui disaient qu'il n'avait rien à faire avec la cinéma. Qu'il se servait du cinéma mais que - et là il
fait ses espèces d'épreuves de metteurs en scène et là je crois - c'est pas qu'il invente on peut
trouver des précédents - mais il impose une formule qui pour l'époque, à l'époque de l'opinion
publique est fondamentalement nouvelle quand même. Il y avait eu des comédies avant des
comédies de Cécil B de Mille de ce type. Mais qui va avoir une importance extraordinaire et sur les
grands metteur en scènes, une très grande importance, ce film de Chaplin "l'opinion publique". Et qui
est célèbre et pourquoi ? C'est pour vous faire sentir ce que c'est A S A prime. Exemple, exemple,
ces exemples sont très célèbres et trainent encore une fois dans toutes les histoires du cinéma.
Donc je les récapitule pour que vous suiviez bien .

Un train arrive mais on ne pas voit pas le train. Quand je disais que la petite forme est moins
chère, évidement c'est moins cher. En plus Chaplin pouvait pas se procurer le type de train qu'il lui
fallait. On ne voit pas le train. Qu'est ce qu'on voit ? Le train arrive sur le quai d'une gare, on ne voit
que l'ombre c'est à dire l'action du train. L'action de train, l'effet du train, l'ombre du train qui glisse
sur le quai et - image admirable - qui glisse sur - c'est à dire la répartition des l'ombres et lumières
qui représente le train - qui glisse sur le visage de l'héroïne qui attend sur le quai. Bon vous voyez
c'est déjà une structure A S. Cette fois ci c'est l'action de train sur le quai sur le visage de l'héroïne
que j'infère une situation A le train arrive. Et elle attend quelqu'un .

Deuxième exemple : (voyez c'est une très forte ellipse.) Deuxième exemple : un homme vient
chez Marie, elle s'appelle Marie l'héroïne. Un homme vient chez Marie. Et il va chercher un mouchoir
dans la commode. C'est des exemples cités par Chaplin lui même Chaplin qui avait fait le tableau de
ce qu'il voulait vraiment faire de nouveau à l'époque. Il va chercher un mouchoir dans la commode :
Tout le monde comprend : c'est lui l'amant. Forte ellipse : c'est d'une action trés simple que la
situation est inférée. Vous avez la structure A S

autre cas plus complexe mais de même type. Marie cherche devant son ancien amoureux une
robe, et en cherchant la robe dans l'armoire, dans la commode, dans une commode. Elle laisse
tomber de la commode un faux col. L'amoureux comprend tout. L'amoureux est au premier plan,
Marie il regarde Marie avec amour. Et elle cherche sa robe, elle dans l'arrière plan. Et le faux col
d'homme tombe et il comprend tout. Il comprend qu'elle a un amant. Là aussi A S typique. Bon, le
film est .. un critique à l'époque emploie l'expression qui me semble très très bonne : "Le film
procède comme une mosaïque de détails", mosaïque de détails c'est à dire que c'est vraiment A S A
prime. Elle est bonne et en même temps elle n'est pas bonne. Elle est bonne, elle est pas bonne
pourquoi ? Je dirai que j'emploierai des termes de mathématiques, quitte à me justifier seulement la
semaine prochaine. Termes mathématiques je dirais que la formule S A S prime - La grande forme -
est une formule globale et définit une image globale ou un traitement global de l'image-action. Et je
dirai que la formule A S A prime est une formule "locale" et consiste en un traitement local de
l'image-action. Globale, locale étant des termes que les mathématiciens emploient volontiers dans la
théorie dite des fonctions. Qu'est ce que ça veut dire ? ça veut dire - pourquoi je préfère ces mots ? il
ne faut s'y tromper "mosaïque de détails"- ce n'est pas tout à fait bon parce qu'on aurait l'air de croire
que la formule A S A prime elle va d'une partie à une autre partie tandis que la formule S A S prime
elle va du Tout aux parties. ça serait une compréhension très insuffisante. ça ne serait pas pas faux
pourtant. Mais ce serait une compréhension pas suffisante car je crois que dans les deux formules il
y a une formation de totalité . Mais par deux procèdes tout à fait différents . Donc la seconde formule

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aussi, la formule locale il aura bien constitution d'un Tout mais par deux procèdés tout à fait
différents de la totalité S A S prime . Pour essayer d'être encore plus clair, je voudrais terminer là
dessous. Je prends un autrecas. Cherchons ensuite alors qui sont les grands auteurs ? Les grands
auteurs dans le cinéma dans le cinéma muet . Après ,il y a je prends un exemple : Lubitsch,
Lubitsch, il n'a jamais caché sa dette fondamentale à l'égard de l'opinion publique . Ce qu'on appelle
la touche Lubitsch. Cette célèbre "touche Lubitsch". Elle consiste en quoi ? Précisément dans un
maniement particulièrement malin, particulièrement tendu, particulièrement poussé de la formule A S
A prime : ne laissez voir d'une situation que ce qu'en exprime une action en train de se faire. Et les
grands effets de Lubitsch viennent de là. Son art de ce qu'on appelle du sous entendu c'est à dire
son art de l'ellipse . Autre exemple, alors : est ce que ça veut dire que c'est des auteurs ça de la
petite forme ?.Peut être, on verra, ça sera un problème.

Autre exemple que je veux donner pour que vous y réfléchissez d'ici la semaine dernière
prochaine : J'allais dire ...
Poudovkine "Tempête sur l'Asie" . Il y a une déclaration de Poudovkine qui me frappe beaucoup,
de ce grand cinéaste Soviétique. Il dit : « ce qui a été déterminant pour moi, j'ai su que j'allais faire ce
film lorsque s'est imposer à moi l'image suivante ». Ecoutez bien : on voit un officier Anglais - c'est
intéressant puisqu'il avait bien l'idée du scénario, de tout ce qu'il voulait dire mais ça ne prenait pas -
ce qui lui fait prendre et lui fait se dire : "je le tiens mon film". C'est la petite chose suivante : il
imagine un officier anglais , on imagine même que se puisse être un gros plan même de bottes dont
les bottes sont très bien cirées et qui marche sur un trottoir très sale, et qui marche comme un
officier Anglais soucieux de ses bottes doit faire. C'est à dire en évitant bien les flaques en faisant
très attention pour que ses bottes restent immaculées. Plan d'après : le même, supposant le même
gros plan de bottes. Mais il traîne les pieds et il marche dans les flaques, tout ça, et ses bottes sont
immondes. Et Poudovkine dit ce qui s'est passé entre les deux ? Qu'est ce que s'est passé ? J'ai
typiquement la situation A S point d'interrogation A prime. La réponse de Poudoskine c'est que
l'officier Anglais, entre temps a commis une action si contraire à l'honneur à l'honneur d'un officier
conscient que ses bottes et la propreté de ses bottes ne l'intéresse pas, puisque son âme est salie .
Structure pure : A S A prime, Est ce qu'à partir d'exemples aussi minuscules, je pourrais arriver à
l'idée qu'il y a des genres qui répondent particulièrement à la "petite forme" ? Je dirai oui pour en être
là et j'en resterai.. Oui je pourrais. Il y avait un documentaire Flaherty de la "grande forme", c'est le
pôle Flaherty on a vu milieu, situation, action, situation je les développais c'est la dernière fois . Je ne
reviens pas là dessous. Contre Flaherty. C'est très vite dessiner ce qu'on a appelé "l'école Anglaise"
avant guerre. L'école Anglaise d'avant la guerre avec comme grand théoricien Grisson qui elle
élaborait un documentaire de type A S A prime. J'expliquerai un tout petit peu. Je fais mes
oppositions point par point.

Deuxième cas, on avait vu le film "psycho-social". S'y oppose une petite forme, grande forme le
film psyco-social.
Petite forme s'y opposerait le film de moeurs : type "l'opinion publique". C'est très différent. On
avait vu "grande forme", le film historique. Petite forme - les Allemands ont un mot pour designer ça :
"Le film à costumes", il me paraît très différent du film historique. Est ce un hasard si le grand homme
du "film à costumes" du cinéma Allemand se fut dans le cinéma muet Allemand, ce fut avant d'arriver
en Amérique, ce fut Lubitsch .
Grande forme : on avait vu le film noir du type Scarface
petite forme forcément : le film policier . Le film policier même super-production, c'est forcement

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un film "petite forme". Comment vous voulez autrement par opposition au film noir. Le
filmdegangstersc'est forcement un film de grande forme, Le film policier c'est forcément un film
"petite forme" puisque vous allez de l'indice, vous allez de l'indice à la situation.
Et enfin, western : "grande forme". Est ce serait le cas de Ford ?
néo western : "petite forme". Mais faisons attention ça nous fait tout un programme. Est ce que on
peut identifier ça à la distinction classique contre western épique d'une part, et d'autre part western
tragique ou romanesque ? Peut être, peut être pas du tout peut être que les deux ne coïncident pas.
Peut être il va falloir reprendre la question du Western du point de vue de l'image- action pour voir ce
que c'est la "grande forme" et la "petite forme". Si bien que au point où j'en suis voyez les possibilités
qu'un auteur - par exemple je prends un cas comme Hawks : Il fait tout le temps alterner comme
pour se reposer. Il fait alterner les films de "grande forme" à des films de "petite forme". Les plus
grands des auteurs à mon avis, ils arrivent à réunir alors en un ensemble original la "grande" et la
"petite forme". Mais des grands auteurs aussi se retrouvent sont avant tout spécialistes de la "grande
forme". Et d'autres spécialistes de la "petite forme", ça va nous compliquer là nos affaires .

Mais le problème où nous en sommes et que j'aborderai directement la prochaine fois : C'est
comment opposer et quelles distinctions faire entre des lois de la "petite forme" qu'on n'a pas vues
du tout encore et les lois de la "grande forme" telles qu'on les a déjà vues.

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Deleuze
-- Menu - CINEMA : une classification des signes et du temps Nov.1982/Juin.1983 - cours 22 à 44 - (56 heures) --

CINEMA : une
classification des
signes et du temps
Nov.1982/Juin.1983 -
cours 22 à 44 - (56
heures)

22- 02/11/82 - 1
Marielle Burkhalter

22- 02/11/82 - 1 Page 1/9


Deleuze - Cinéma cours 22 du 02/11/83 - 1 transcription : Victor Manifacier

..qui ne concerne pas notre travail mais qui concerne essentiellement nous tous : tout le monde est
au courant de l'affaire René Scherer : je trouve cela abominable parce que n'importe qui est à la
merci de la délation d'un pauvre type. Cette affaire est d'ayant plus inquiètante que le bruit court - je
ne dis pas que ce soit sûr - que le ministère pour des raisons qui sont les siennes et qui ne
m'apparaissent pas pures - que le ministère suspende René Scherer. A mon avis dans l'état actuel
de l'instruction - Scherer a tout fait raison de dire que toute cette histoire lui nuit beaucoup - en
revanche dans l'état de l'instruction ça m'apparait evident que les choses vont tourner court, quelque
soit le mal qui a été fait à Scherer. En revanche si le ministère pour des questions peu avouables,
suspendait Scherer, là il y aurait un pas franchi, au moment même où l'instruction et l'inculpation.
s'écroule. A ce moment là il faudrait vraiment que tous nous agissions, je ne sais pas trés bien
comment, mais au maximum de ce que nous pouvons. Grève j'exclue - en tout cas pour mon compte
- les grèves sont tellement vides de tout sens - le département de philosophie ferait grève - je ne vois
absolument pas ce que cela peut signifier et qui cela peut géner sauf nous mêmes. En revanche
circulent dejà des petitions appuyant Scherer cela me parait la moindre des choses quoique les
petitions n'aillent pas trés loin. En revanche je crois que ces petitions portées au ministère avec
exigence de rendez vous, auraient beaucoup plus d'importance si arrivait cette chose effarante,
d'une suspension Je crois qu'il faudrait qu'on s'y mette tous que d'abord tout le département, tous les
étudiants signent, ensuite on voit si on l'étend à l'ensemble de paris8 et que à ce moment qu'il y ait
des démarches trés, trés vives auprés du ministère. C'est une chose insupportable qui se passe qui
est du même type.. C'est pas du tout - Je dirais pour employer les termes juste de gauche et droite -
c'est pas du tout de la même manière que la gauche dénonce des scandales ou que la droite
dénonce des scandales ou de pseudo scandales, il y a des opérations de la droite qui remontent
déjà bien avant guerre, qui généralement consistent à deshonorer les gens ; c'est trés trés curieux
çà, c'est des opérations que j'arrive pas à analyser... comment ils font des espèces d'encerclement
où ils lancent un truc, sans aucune preuve puis ça marche, finalement ça marche. Il y a une
opération là, trés curieuse. je dis ça parce que c'est une chose qui doit être présente à notre esprit
tant que cette affaire ne sera pas reglée. Mais j'insiste sur l'importance dés maintenant, que l'on soit
tous préts à faire vraiment un grand mouvement surtout s'il arrivait qu'il soit suspendu mais j'espère
vivement que ceux qui au ministère souhaite une telle suspension ne l'emporteront pas. Voilà pour le
premier point quelqu'un a des renseignements sur ce point ?

Voilà.
Second point : Ce que nous allons faire cette année et là mon sort en dépend étroitement je veux
dire même quand à cette salle. Je vous dit trés franchement ce que je voudrais faire cette année. Si

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je résume tout : Je voudrais vraiment me répéter. Je voudrais refaire ce que j'ai déjà fait. Mais il faut
que je m'explique là-dessus un petit peu. Je voudrais faire de la philosophie à la manière des
vaches. De la rumination. Mais des exercices de rumination, ce n'est pas du yoga. La rumination je
trouve que c'est ..Il n'y a qu'un auteur qui a su faire de la rumination, et il était grand parmi les
grands, c'est Nietzsche. C'est pour ça que Nietzsche avait comme animal sacré, la vache. Il disait
que les vaches étaient les vaches du ciel, or la rumination, pour lui ça consistait à lancer un
aphorisme et à le lire deux fois. Moi ce n'est pas au niveau d'aphorisme, parce que ce n'est pas mon
truc l'aphorisme, c'est au niveau de la nécessité de ruminer quelque chose. Pourquoi je dis ça ?
C'est nécessaire pour ma clarté à moi.Je dis : Je veux complètement, mais vraiment me répéter, et
reprendre en me répétant.

Il se trouve que l'année dernière, et c'est la moindre des choses, c'est pourquoi j'éprouve le besoin
de me justifier auprès de vous, c'est la moindre des choses, que depuis tant d'années je change de
sujet chaque année. Et c'est comme - même pas un point d'honneur, c'est la condition de tout
professeur. Il change de sujet chaque année. Et quand on nous reproche d'avoir trop de vacances, si
on veut changer de sujet ça exige beaucoup beaucoup de préparation. C'est ce que j'ai fait jusqu'à
maintenant. Et l'année dernière je suis tombé sur un truc auquel moi je ne croyais pas. J'ai parlé
beaucoup de cinéma, mais ce que j'avais dans la tête ce n'était pas le cinéma, pourtant j'en ai
beaucoup parlé. Ce que j'avais dans la tête c'était une classification des signes, tous les signes du
monde.

Et plus j'avançais, plus je me disais - vous supprimez tout ce qu'il y a d'orgueilleux dans ce que je
dis, c'est pour aller plus vite - plus j'avançais dans cette classification de tous les signes et plus je me
disais : je tiens quelque chose. Et plus j'avais l'impresson de tenir quelquechose. Et comme j'étais en
même temps préoccupé par le cinéma que je découvrais, j'allais trop vite, je lâchais des trucs, je ne
développais pas, il y avait des trucs que je laissais tomber.

Tout ça. Et finalement c'était ça qui m'intéressait, moi ! Alors que ceux qui étaient là, ce qui les
intéressait c'était plutôt ce que j'essaie de dire sur le cinéma. A la fin de l'année dernière je me suis
trouvé devant l'impression d'avoir frôlé quelque chose d'important pour moi, et de ne pas l'avoir,
d'être un peu passé à côté. Et pourtant je me dis, toujours me parlant à moi-même, que si j'y arrive, à
cette classification des signes, évidemment ça ne va pas changer le monde, mais moi ça va me
changer parce que ça me fera tellement plaisir. C'est ça ce que je veux. Ce que je veux cette année
c'est vraiment reprendre, et reprendre sur un rythme très différent des autres années. Quand je
réfléchis à mon destin des autres années - là je fais une espèce de confession devant vous, vous me
la pardonnez - Je me dis : qu'est-ce que je fais depuis dix ans ? Depuis dix ans je fais le clown ! je
fais le clown et vous le savez bien, c'est pour ça que vous venez très très nombreux. Je ne dis pas
que vous venez pour rigoler, non évidemment, si vous venez c'est que ça vous intéresse, mais c'est
du spectacle. C'est du spectacle.

D'ailleurs il y a une preuve : je parle devant des magnétophones. Je parle devant la moitié
d'humains, et devant la moitié de magnétophones, parfois ils se dédoublent : la moitié d'humains et
la moitié de magnétophones, parfois il n'y a plus d'humains et un magnétophone. C'est du spectacle
!

Alors en effet c'est bien, il y en a qui viennent voir la tête que j'ai, je regarde la tête qu'ils ont, tout ça.

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Et puis je parle sans arrêt, sans arrêt, mettons deux heures, deux heures et demi, et moi je suis
crevé après, vous vous êtes complètement abrutis. C'est du niveau de Sylvie Vartan. Je ne dis pas
que ce soit mal. Pour moi ça a été formidable toutes ces années, vraiment très très bien. J'étais
content, vous étiez contents, en gros on était tous très contents, on trouvait des trucs, et moi j'ai
toujours pensé qu'un cours ça impliquait une collaboration entre ceux qui écoutent et celui qui parle -
et que cette collaboration ça ne passait pas forcément par la discussion, même ça passait très
rarement par la discussion. Les types à qui sert quelque chose qu'ils écoutent c'est généralement, ça
leur sert six mois après, et à leur manière, dans un tout autre contexte. Ils le prennent, ils le
transforment, et tout ça aussi c'est des merveilles.

Ce que je n'ai jamais pu obtenir c'est des réactions, j'ai pu obtenir des objections, ça elles me sont
toujours douloureuses et insupportables, mais des réactions - ça c'est mon rève - où un type me dise
: Ah, tu oublies telle direction où on pourrait aller voir ! ça c'était toujours un peu dans ma tête, un
rêve ? comment obtenir ça ?

Alors vous comprenez que ce que je voudrais cette année quand je dis que je vais me répéter, oui je
vais me répéter complètement. Donc ce sera une toute nouvelle manière que je n'ai encore jamais
faite, j'ai toujours rêvé de la faire et je n'ai jamais pu. Pourquoi ? Parce qu'il y avait trop de monde et
qu'on ne peut faire ça que dans un groupe relativement restreint ou l'idéal serait qu'il y ait la moitié
de nouveaux et la moitié d'anciens, ayant déjà assister. Je vous explique tout de suite pour que
chacun de vous puisse juger ensuite. J'ai fais certaines choses l'année dernière, je ne les
reprendrais pas toutes, je ne les reprendrais pas de la même façon, mais je ferai des divisions
beaucoup plus strictes. Je dirai le thème d'aujourd'hui, et certains jours ce sera deux thèmes, trois
thèmes, et vous le sentirez, ce sera une progression très très lente, et à la fin de chaque thème je
voudrais que certains d'entre vous, un groupe ou un seul d'entre vous juge du thème. Qu'on me dise
: ça ça va, ou ça ça ne va pas, à charge pour moi de dire si ça ne va pas que ça sera mis au point
dans un thème suivant, à venir. Je les numéroterais mes thèmes, ce sera comme des espèces de
rubriques, et puis on verra, on corrigera sur place.

C'est pour ça que je me suis mis là, près du tableau, je ferai beaucoup de petits dessins, de faire des
schémas, alors vous vous pourrez corriger les schémas, alors vous vous pourrez corriger les
schémas, ce sera épatant, vous viendrez du fond et on corrigera mes schémas. A ce moment là je
serai furieux évidemment, mais c'est peut être lui qui aura raison. Mais on saura de quoi on parle, ce
sera des thèmes très précis, il ne s'agira pas de parler autour, il ne s'agira pas de parler d'autre
chose, vous accepterez mon autorité uniquement pour dire : on parle de ceci et non pas de cela. Il
faudra pas me dire : et pourquoi que tu ne parles pas d'autre chose, on ne parle d'autre chose parce
que c'est comme ça, voilà tout. Mais en revanche vous me les corrigerez, vous me prolongerez.

Bien. C'est ça que je voudrais faire. Alors évidemment ceux qui ne supportent pas- j'insiste là-dessus
ce sera du ressassement, et même les meilleurs d'entre vous, je ne veux pas dire les meilleurs, mais
ceux qui me sont le plus favorables se diront parfois : zut, pourquoi est ce qu'il revient là-dessus ?
Croyez moi, ce ne sera pas pour gagner du temps, parce que même si vous vous n'en sentez pas la
nécessité, moi je la sentirais pour moi-même. Parce que ce n'est pas pareil, quand quelqu'un parle
l'auditeur peut très bien croire que ça va de soi. Très bizarrement, dans mon expérience, mais
inversement aussi, quand vous croyez que quelque chose va de soi, pour moi, au contraire, ça fait
problème, il y a quelque chose que j'essaie de cacher, qui n'est pas au point du tout.

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Et inversement, quand vous vous avez le sentiment que ça ne va pas de soi, que là il y a quelque
chose où je passe trop vite, pour moi c'est que ça va tellement de soi et que c'est tellement facile,
alors c'est par là que un dialogue peut s'engager qui n'est pas sur le mode classique. C'est que c'est
ni vous ni moi qui avons raison, vous comprenez ? Ce n'est pas moi qui ai raison quand je dit : ceci
pour moi va de soi, et ceci ne va pas de soi ! Et pour vous c'est l'inverse. Mais ça veut dire quelque
chose de très important, ça. De toutes manières des gens ne peuvent s'écouter, les uns ne peuvent
écouter quelqu'un - c'est là la seule égalité de celui qui parle et de ceux qui écoutent - les gens ne
peuvent s'écouter les uns les autres, que s'ils ont un minimum d'entente implicite, c'est à dire une
manière commune de poser les problèmes. Si on ne pose pas les problèmes de la même manière,
ce n'est pas la peine de s'écouter, c'est comme si l'un parlait chinois et l'autre anglais, sans savoir
les langues.

C'est pour ça que je n'ai jamais considéré qu'un étudiant avait tort s'il ne venait pas m'écouter. On ne
peut venir m'écouter que si on a, par soi-même, par un mystère qui est l'affinité, une certaine
manière commune de poser les problèmes. Il se peut très bien que au bout de deux fois, vous vous
disiez : mais de quoi il nous parle ce type là ? Si vous avez ce sentiment, ça ne veut rien dire ni
contre moi ni contre vous. Ca veut dire, pour employer un mot compliqué, que vos problématiques à
vous ne passent pas par les miennes.

Quand on dit que les philosophes ne sont jamais d'accord, c'est une chose qui m'a toujours frappée
parce que je crois que la philosophie, beaucoup plus que les sciences, est une discipline de la
cohérence absolue. Quand on dit que deux philosophes ne sont pas d'accord, ce n'est jamais parce
qu'ils donnent deux réponses différentes à une même question, c'est parce que ils ne posent pas le
même problème. Seulement comme on ne peut jamais dire le problème qu'on pose - je ne peux pas
à la fois résoudre quelque chose, et dire le problème que je suis en train de résoudre. C'est deux
activités différentes. Donc le problème c'est toujours l'implicite. J'aurais beau dire, en gros, voilà quel
est le problème, il faudra toujours que vous sentiez quelque chose au-delà, et ce "sentir quelque
chose au-delà" c'est ça qui fait que des gens s'entendent ou ne s'entendent pas. Donc si on n'a pas
une manière un peu commune de poser les problèmes, alors rien.

Ça implique quoi cette espèce de rumination, de ressassement sur ma classification des signes ? Je
veux en arriver finalement ce à quoi j'étais arrivé à la fin de l'année dernière , c'est ça que je veux
traiter cette année : les signes et le temps. Si j'avais à mettre une phrase, cette année je voudrais
commenter l'expression qui peut arriver : " l'heure arrive ", ou " le temps est venu ". L'heure arrive, le
temps est venu ! Zarathoustra se termine sur quelque chose comme ça. L'heure arrive ou le temps
est venu, dit Zarathoustra. Parfait. Il en est arrivé à ce point extrême où le signe et le temps se sont
comme...

Qu'est ce que c'est le rapport du signe et du temps ? Est-ce qu'il y a des signes du temps ? Est ce
qu'il y a des signes spéciaux ? Est-ce que c'est l'être du signe d'avoir un rapport tel avec le temps ?
Enfin peut importe. J'ai donc besoin de reprendre mes points, de mes petits machins à moi, j'ai donc
besoin d'une entente avec vous. Vous pourrez me dire- vous avez tous les droits- là tu exagères,
c'est trop long, on a très bien compris. Mais sur la masse de ce qu'on a fait l'année dernière, dont
j'étais tellement content - pas pour moi - dont je trouvais qu'il y avait vraiment quelque chose, sur
cette masse, j'ai absolument besoin, j'ai un besoin personnel de reprendre, de me calmer, de voir si

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ça me mène quelque part, et je suis sûr que ça me mêne quelque part.

Beaucoup d'entre vous savent, ce qu'on appelle en chimie, un tableau de Mendeleiv. Ce que je veux
c'est une classification des signes sous forme d'un tableau de Mendeleiv, où au besoin j'obtiendrais
des cases vides. Je dirais : il n'y a pas de signe, là, comment ça se fait ? Il devrait y en avoir un. Et
du coup, on l'inventerait le signe à venir. Ca serait bien parce que du coup, on pourrait faire du
cinéma sur ces signes, sur ces signes encore inconnus. Enfin non, on ne pourrait pas les connaître
beaucoup, mais on dirait : il en faut un là ! on ne le trouve pas. On ne sait pas lequel ! A ce moment
là peut-être l'un d'entre vous trouverait. J'ai besoin de ça.

Alors je reviens à la question qui m'était justement posée par quelqu'un tout à l'heure. Qu'est-ce qui
se passe ? J'ai donc besoin d'un groupe restreint. Alors vous me direz : les autres ? Moi je veux,
cette année, je ne l'ai jamais demandé les autres années, sauf pour rire, je l'ai demandé mais je n'y
croyais pas, cette année j'y crois. J'exclue, ça va de soi, j'exclue de faire ce qu'on appelle un
séminaire fermé - parce que ça me paraît honteux, c'est le contraire de ce qu'est Paris 8 - ce n'est
pas ça ce que je veux. Ce que je veux c'est un petit groupe, un tout petit groupe qui tienne dans
cette salle. Si vous avez compris mon programme cette année, je ne peux pas l'exécuter dans
d'autres conditions. Si vous êtes comme l'année dernière 150 ou 200 dans cette salle, dont
beaucoup viennent - et c'est bien - dont beaucoup viennent à la fois pour le spectacle, et dans l'idée
que ce qu'ils ont à prendre dans ce qu'on fait, ils le prendront à leur heure, toutes choses que je
trouve encore une fois parfaites, et comme ils voudront et quand ils voudront. Ça m'a toujours paru
parfait, ça. Mais cette année je cherche une autre formule.

Ce que je demande c'est la formation d'un petit groupe qui accepte à la fois les conditions que je suis
en train de proposer, revenir, ressasser et perfectionner, perfectionner avec moi ce qu'on a fait. ça
implique un petit groupe, au maximum cette salle, tout le monde étant assis. Alors ce n'est pas
difficile, les autres ? Pendant plus de dix ans j'ai fait des cours pour tout le monde, accordez moi
cette année d'en faire un qui ne soit pas pour tout le monde. Alors les autres ? Il n'y a pas de
problème, le département de philosophie a beau être frappé, il y a beaucoup de cours. Il n'y a
aucune raison que vous vous tapiez tous les cours. Vous vous repartissez et vous trouverez des
cours qui vous conviennent mieux.

Si vous refusez mes conditions, il n'est pas question que je les applique autoritairement,
évidemment, je ne peux les appliquer que sournoisement...Donc si vous n'acceptez pas ces
conditions, qu'est-ce qu'il me restera à faire ? Mon projet auquel je tiens comme à ma vie, ma vie
spirituelle - pas comme à ma vie tout court, mais c'est la meilleure, ma vie mentale - ce projet auquel
je tiens énormément, je serais évidemment forcé d'y renoncer. Si vous restez très nombreux, c'est à
nouveau la clownerie. Je veux dire la clownerie en tout bien tout honneur. A nouveau je dois faire le
clown, à nouveau je dois faire mon numéro.

A ce moment là, pour me venger, je vous parlerai de Descartes et de Kant, et puis je vous ferai des
interrogations écrites. Vous l'aurez voulu ! vous aurez voulu un grand cours, et ceux qui ne sauront
pas par cœur le cogito chez Kant, je leur refuse l'uv, mais je le ferez. Et on ira en amphithéâtre, on
en mourra tous, on deviendra jaunes, aveugles, tout ça, voilà, mais je ferez ce que vous voulez. Est
ce que je me suis expliqué clairement ? Est ce qu'il y a des questions ?

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Intervention : complexe et peu audible. Protestations

Gilles : Ecoute moi. Il est vrai que parler à beaucoup de sens, mais pour moi, parler ne peut avoir
qu'un sens. Parler ça peut vouloir dire que chacun s'exprime. C'est le contraire de la philosophie. Il y
a un très beau texte de Platon, dans un dialogue avec Socrate où Socrate dit : c'est curieux ce qui se
passe, il y a des sujets sur lesquels personne n'ose parler, à moins d'être compétent. Par exemple
sur la fabrication des chaussures, ou sur la métallurgie. Et puis il y a une masse de sujets où tout le
monde se croit capable d'avoir un avis. C'est un bon thème socratique, ça. Et, hélas, cette masse de
sujets sur quoi tout le monde croit pouvoir avoir un avis et qui, dès lors sont agités particulièrement
avant ou après dîner, ou pendant le dîner : qu'est-ce que tu penses de ça, quel est ton avis ? - ça
couvre précisément ce qu'on appelle philosophie. Si bien que la philosophie, c'est la matière où tout
le monde a une opinion.

Savoir si Dieu existe ? Ça on peut toujours en parler au moment du fromage. Savoir si Dieu existe.
Chacun à un avis sur une question comme ça, chacun à son truc à dire. En revanche sur la
fabrication des chaussures ?...Là on est beaucoup plus prudent parce que on a peur de dire des
bêtises. Mais voilà que sur Dieu, on a aucune peur de dire des bêtises ; c'est quand même curieux.
Là, Socrate a saisi, à l'aurore de la philosophie, il a saisi quelque chose qui était parfait. Pourquoi ?
Si on comprenait ça, on comprendrait tout.
La philosophie qu'est-ce que c'est ? La philosophie c'est quelque chose qui vous dit d'abord : tu
ne t'exprimeras pas. Tu ne t'exprimeras pas. L'année dernière je parlais de ces appels qui étaient le
seul vilain côté de 1968 : exprime toi, exprime toi, prends la parole. Alors que on ne se rend pas
compte, encore un fois, que les forces les plus démoniaques, les forces sociales les plus
diaboliques, sont les forces qui sollicitent, qui nous sollicitent de nous exprimer. C'est ça les forces
dangereuses.

Considérez la télé, elle ne nous dit pas : tais-toi, elle nous dit tout le temps : quel est ton avis ? quel
est votre avis ? quel est votre avis la-dessus, quel est votre avis sur l'immortalité de l'âme ? sur le
génie de Pivot, sur la popularité de Maurois, etc.. Et puis il faut vous exprimer. On va aménager votre
quartier, il va y avoir un cahier des charges, il y a tout ça. Je dis que c'est un danger, un danger
immense.

Il faut arriver à résister à ces forces qui nous forcent à parler quand on a rien à dire. C'est
fondamental. Aussi toute parole qui consiste à dire son avis sur quelque chose est l'anti-philosophie
même, puisque les grecs avaient un mot très bon pour ça, c'est ce qu'ils appelaient la doxa et qu'ils
opposaient au savoir, avant même de savoir si le savoir c'était quelque chose d'existant : est-ce qu'il
y a du savoir ?
En tout cas on sait que la philosophie n'est pas l'affrontement des opinions. Donc parler ce n'est
pas moi disant par exemple : moi, voilà ce que je pense, et vous me disant : ha bien non je ne pense
pas comme ça. Dans la mesure où vous êtes philosophe, vous refusez de participer à toute
conversation de ce type, à moins qu'elle ne porte sur l'insignifiant. Alors là sur l'insignifiant c'est
tellement gai de dire : ha ! tu as bonne mine aujourd'hui ! Non je n'ai pas bonne mine je ne me sens
pas bien. Ça c'est la doxa, c'est le règne de l'opinion, et c'est aussi l'amitié. L'amitié se forme au
niveau de la doxa.

Faire de la philosophie c'est autre chose, faire de la philosophie c'est constituer des concepts et

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ça ne veut dire que ça. A mon avis c'est une démarche de création, les concepts n'existent pas tout
fait, ce n'est pas des petites étoiles dans le ciel qu'il s'agit de découvrir. Les concepts, c'est l'objet
d'une création, et encore une fois, dans la philosophie il y autant de création que dans la littérature
ou dans la musique, simplement il s'agit de créer des concept.

Concepts qui répondent à quoi ? quand est-ce qu'un concept est nécessaire ? quand est-ce qu'il
est bien fait ou mal fait ? Il ne suffit pas qu'il soit non contradictoire, d'où une notion comme celle de
consistance. Il faut qu'un concept soit consistant. Mais qu'est-ce que c'est que la consistance d'un
concept ? Quand vous parlez des grands philosophes vous pouvez numéroté le concepts qu'ils ont
crée.

Quand je dis " cogito ", ce n'est pas une proposition éternelle, ça n'existait pas, c'est un concept
propositionnel qui a été crée, à la lettre, par un philosophe nommé Descartes. Bon il a fait quelque
chose.

Si vous prenez le concept de " Idée ", c'est un concept très bizarre, extraordinaire, ce n'est pas
affaire d'opinion. C'est par là que la philosophie implique un savoir. C'est comme en mathématiques,
si vous ne savez pas ce que c'est que le Cogito, si vous ne savez pas ce que c'est qu'une Idée, vous
pouvez vous intéresser à la philosophie, vous ne faites pas exactement de la philosophie. Tout ça.
Bien.

L'année dernière j'avais parlé d'un concept qui est signé Bergson, qui est le concept de " durée ".
Alors qu'est ce que vous voulez faire ? Si quelqu'un dit : moi je ne suis pas d'accord ! c'est comme si
quelqu'un dit : je ne suis pas d'accord avec Matisse ! D'accord, tu n'es pas d'accord avec Matisse,
bon ça gêne qui ? ça veut dire quoi, même ? C'est un non-sens. A moins qu'on me dise : j'ai un autre
concept, j'ai crée un autre concept qui rend celui là inefficace ou inconsistant. Alors là oui ! Mais à ce
moment là ce n'est pas "je ne suis pas d'accord", c'est autre chose.

Donc parler ce n'est pas du tout dire son avis sur quelque chose.

En revanche pour répondre à la question, quand je dis ce que je voudrais vraiment cette année c'est
que vous parliez, ça veut dire ceci : si c'est vous qui venez et que c'est moi qui parle, alors c'est bien.
Vous votre tâche ça consiste à dire soit au nom de votre pensée, soit au nom d'un sentiment à vous,
il y a des sentiments de pensée, la pensée elle est multiple. Ça ne veut pas dire : mon avis. Ça veut
dire : oui, dans ton truc j'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui ne va pas, qui est déséquilibré, ou
alors vous me dites : ça éveille en moi, ce que tu dis, ça éveille en moi ceci, auquel moi je n'aurais
pas du tout pensé. Et si on met les deux en rapport, qu'est-ce qui se passe ? Ou bien alors vous
m'apportez un exemple, vous me direz que je vous réduis à des choses mineures. Pas du tout ! Une
petite correction ça peut tout changer. C'est pour ça que si on prend "parler" en ce sens vous avez
parfaitement la possibilité de parler. C'est arrivé plusieurs fois l'année dernière, que quelqu'un parle
et balance quelque chose à laquelle je n'avais pas pensé, moi et qui ensuite, entraînait pour moi des
changements très importants. Voilà ce que je voulais dire. Voilà ce que je voulais dire dans l'espoir
que vous acceptiez ces conditions.

Discussions.

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Prenons un exemple, un philosophe très difficile qu'on peut considérer comme le philosophe par
excellence : Spinoza. Spinoza ! Il y a un système éminemment conceptuel de Spinoza. En quoi
est-ce un grand philosophe ? C'est que ce système de purs concepts est en même temps la vie la
plus étrange qui soit. C'est comme un animal, c'est un système vivant.

Deuxième état : il y a des opinions spinozistes, c'est à dire qu'il y a des gens qui diront : comme dit
Spinoza, on a retenu, Spinoza c'est panthéiste, Dieu est partout et tout est en Dieu, ils diront au
besoin : comme dit Spinoza, dieu est partout. J'appelle ça opinion. Et puis il y a autre chose encore :
on dira que le spinozisme a entretenu ou engendré des courants d'opinion. Et il y a un autre stade. Il
y a autre chose aussi. Il y a par exemple des écrivains ou des artistes, ou des gens comme vous et
moi, supposons, pas philosophes. Ils peuvent pourtant avoir lu Spinoza. Ils en ont reçu un coup,
comme si ce qu'ils avaient à faire eux, ou ce qu'ils avaient à penser, eux, était en résonance avec ce
type qui a vécu au 17eme siècle, et ça les frappe. Ils ne sont pas philosophes. Ils ne se proposent
pas de faire un commentaire de Spinoza. Ce ne sont pas des profs, ils ne vont pas expliquer ce que
dit Spinoza, ils ont beaucoup mieux à faire. A la faveur de cette rencontre voilà que quelque chose
de prodigieux se produit. Que cette rencontre les anime pour leur propre travail ou pour leur propre
vie, Un écrivain et tout d'un coup il va écrire des pages dont on se dit : mon Dieu, c'est du Spinoza.
Non pas que Spinoza aurait pu les écrire, je pense ça peut être Laurence, ça peut être Miller, ils ont
une certaine connaissance de Spinoza, ils ont une connaissance "artiste", mais sans doute Spinoza
les a frappé jusqu'au plus profond d'eux-mêmes. Et pourtant ils n'ont rien à faire avec la philosophie.

En revanche ils ont à faire avec Spinoza pour ce qu'ils veulent faire, eux. C'est curieux ça. Et ça
peut être des non-écrivains, je sors de tout ce qui est écrivain, artistes, ça peut être des gens dans
leur vie. Ils ont lu ça, Il y a quelque chose qui les frappe. Comme on dit, pour simplifier, ils ne sont
plus exactement tout à fait comme avant. Pourquoi ? Pas qu'ils aient fait de la philosophie, mais ils
ont compris dans la philosophie - comme ça peut nous arriver en voyant des œuvres d'art, quand on
a quelquechose faire avec tel artiste, quelque chose qui nous frappe - ça vous frappe assez quand
même pour orienter soit votre vie, soit vos activités. Il y a quelque chose qui est passée, qui est
passée de vous à lui.

Alors je dirais là le concept philosophique n'est pas seulement source d'opinion quelconque, il est
source de transmission très particulière - ou entre un concept philosophique, une ligne picturale, un
bloc sonore musical - s'établissent des correspondances, des correspondances extrémement
curieuses, qu'à mon avis il ne faut même pas théoriser, que je préférerais appeler "l'affectif en
général" , le domaine de l'affect ou de l'affectivité, et où ça peut sauter d'une oeuvre philosophique,
c'est à dire d'un concept, à une ligne, à un ensemble de sons. Là c'est des moments privilégiés.
C'est les moments privilégiés de l'esprit.

Voilà alors écoutez, Je vais commencer. Et comme je l'ai dit...je vais essayer essayer au moins. Si
on est pas plus que ça, ça va. Si on est plus c'est foutu ! Je commence par un point trés précis :
c'était cette histoire dont j'étais parti l'année dernière ..

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 11/05/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 11/05/82 - 2 Page 1/10


Deleuze - cinéma
transcription : Mazar farida « 18 B 11/05/82

Voilà, Je commence par une première remarque : célèbre image néoréaliste, alors au sens de,
Bazin puisque Bazin en tirait énormément partie ; célèbre image néoréaliste dont « Umberto D » - de
De Sica ; la fameuse séquence de la petite bonne ; pur néoréalisme en effet. Elle se lève le matin,
c'est vraiment banalité quotidienne à l'état pur. Vous voyez les événements qui s'enchainent même
pas au hasard d'après une espèce d' habitude, événements qui n'appartiennent pas à la petite bonne
qui est là comme ça ; elle se lève le matin, elle se traine, elle se traine dans la cuisine, il fait froid ;
elle voit des fourmis, elle les noie, elle prend le moulin à café, elle le cale entre ses cuisses, elle tend
la jambe, la pauvre fille pour fermer la porte et assise il y a cette fameuse tension de la jambe
etc....et elle pleure ; et Bazin a consacré de très bonnes pages à la beauté de cette scéne et en quoi
c'était une image néoréaliste. Et voyez-vous pourquoi, parce qu'en effet, tout le rythme de l'image,
tous les caractères formels de l'image s'identifient à la forme de la réalité au lieu de se contenter de
filmer un contenu supposé réel. Tant dans la durée, que, dans le rythme, que dans le temps,
pendant tout ce que, vous voulez, tout est ...Et alors là , je me dis moi, bon, qu'est-ce qui se passe ?

- Rencontre, Zavattini nous disait que le néoréalisme, c'est l'art des rencontres, et c'est pour ça qu'il
y a tellement de tendresse dans le néoréalisme. Il tenait beaucoup à cette tendresse ? où est la
rencontre là ? Si on trouve la rencontre, on est sauvé dans "Paîsa" il y avait des rencontres ; un
américain, un italien ou une italienne, ça se rencontraient tout le temps. Où est la rencontre ? il y
aura des rencontres dans Umberto D, la pauvre petite bonne et le pauvre vieux, ils se croiseront, il y
aura une rencontre, partout des rencontres. Zavattini a raison, pas de néoréalisme sans un art des
rencontres ; et là, qu'est-ce qui s'est rencontré ? il ya rencontre et rencontre ; quelle est la plus
profonde des rencontres ? j'ai rencontré que la petite bonne était enceinte, vous me dirait bon
enceinte, enceinte c'est très bien très bien , je veux dire c'est ce qu'on appelle une situation motrice
;le cinéma il nous a montré beaucoup d'images de femme enceintes.

- Qu'est- ce qu'il y a de nouveau dans la scène de la petite bonne ? elle est là, épuisée, épuisée dès
le matin, sans espoir, elle sait que, elle sera fille mère et qu'elle n'a aucun espoir, fini de.. elle ne sait
pas comment elle peut mener à jour ce gosse ; il n'y a que le malheur partout. Elle fait son boulot
quotidien ; et dans cette longue séquence elle est complètement avachie comme ça, elle regarde le
sol, elle tend le pied pour fermer la porte, et dans toute cette purée molle, dégoutante, tout ça, qu'est
ce qui ! ! ! Son regard a rencontré son ventre, elle pleure. Son regard a rencontré son ventre ; elle
pleure.
C'est pas une situation motrice ça ; il y a aura des situations motrices ; là-dessus, elle peut très

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bien je suppose, elle sort et elle essaie de se procurer l'argent pour voir un médecin ; quitte à
avorter. Ce n'est pas vrai dans le film. Je dirais, ça c'est une situation motrice à l'américaine ou bien
elle, je dirais mieux appelons les choses par leur non : c'est une situation sensori motrice ou bien,
elle va voir le voisin, le vieux Umberto elle lui dit : « Ah mon pauvre monsieur, si vous saviez le
malheur qui m'arrive, c'est un vieux monsieur ; peut-être qu' il comprendra, situation motrice ;
situation sensorimotrice ; elle a dans le cœur de cette séquence ;il ne s'agit pas de ça ; alors de quoi
il s'agit ?il ne s'agit pas de ça du tout. Il s'agit de ...et là épuisée, fatiguée, elle sait qu'elle est
enceinte ; elle le sait. Son regard tout d'un coup passe à la lettre par son ventre tout d'un coup elle
voit son ventre et elle pleure. C'est une image néoréaliste pourquoi ? parce que là alors je sens que
je tiens mon truc ; faux ou vrai j'ai l'impression de tenir quelque chose, je dis : ce n'est pas une
situation sensori motrice, c'est une situation optique pure. Une situation optique pure, ça ne veut pas
dire du tout quelque chose dont se désintéresse.

Ça veut presque dire le contraire. Elle a vu, elle a vu ce qu'elle n'avait peut être jamais vu, jusque là.
Elle savait qu'elle était enceinte, elle sentait qu'elle était enceinte, elle n'avait pas "vu" ; et en voyant,
et quand son regard croise son ventre, elle voit l'intolérable. Et cet intolérable, ce n'est même pas un
événement qui est le sien, ça ne veut pas dire que cet événement ne lui appartient pas. Il ne lui
appartient pas cet événement. On lui a flanqué cet enfant ; et elle voit l'intolérable dans cette
rencontre de l'œil et du ventre, situation optique pure. Bon, si c'était vrai, mais seulement il ne suffit
pas, j'ai l'air de forcer énormément cette image. Si c'était vrai, quel cas on ferait ? Est ce qu'on
pourrait dire alors tout ça, tout ce qu'on a dit précédemment n'était que un acheminement vers l'idée
que ce que ce cinéma a inventé, c'est des images optiques sonores pures. C'est à dire, ils ont rompu
avec les images sensorimotrices et ils ont découvert tout un domaine jusque là - on ne peut pas dire
qu'il était recouvert par l'histoire, l'intrigue, le scénario, c'est à dire, ils ont fait surgir les situations
optiquo-sonores à l'état pur. Ils ont fait surgir la situation optique pure. Bon, évidement il faudrait que
ce soit confirmé. Confirmé, ça va l'être évidemment ; ça va l'être je vais vous dire pourquoi. Il faut
que j'aille au secrétariat....

on ne peut pas s'y tromper, c'est que bon ou mauvais, on tient là, on tient un concept. Simplement,
ce concept, c'est là-dessus que je veux insister, que pour ce qui en est de la philosophie. Je crois
vraiment que l'activité qui consiste à faire de la philosophie, ça n'est ni proche, ça n'a rien à voir
évidement avec une activité qui consisterait à chercher la vérité ; la verité, ça ne veut absolument
rien dire ; rien rien rien. En revanche, que la philosophie, ça consiste en une tâche très très précise,
aussi pratique que faire de la menuiserie, c'est faire des concepts, faire de la philosophie et puis faire
des concepts ça ne préexiste pas ça n'existe pas tout fait.
Alors quand vous faites de la philosophie, il y a un moment où vous pouvez cheminer longtemps ;
alors à ce moment là vous dites « je cherche ». Quand est -ce que vous dites « j'ai trouvé ! Vous
dites « j'ai trouvé » quand vous tenez un concept et que vous avez le sentiment, il y a un sentiment
du concept. Quand vous dites : « Ah tiens ! Là il y a un concept » Ce concept, il a bien fallu qu'il vous
attende pour exister.
Les philosophes, ils passent leur temps à ça, ils inventent des concepts ; ils ne les inventent pas
sans nécessité, sans bon, alors voilà que je me dis, mais en même temps, il y a toujours les
déceptions possibles, très souvent il y a des illusions, on se dit là, tiens, je tiens un concept ! Et puis
rien du tout ; nous on tient au mieux une métaphore, un truc de rien du tout. Alors ça se peut, ça se
peut que cela nous arrive ici pour vous, il y en a qui peut-être ne seront pas de mon sentiment, moi
je me dis : Ah bon, voilà, je sens, on tient un concept situation optique pure. Qu'est-ce que ça peut

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être ça ? Alors moi j'aimerais bien que la conversation ou la critique, elle ne peut s'exercer qu'à ce
niveau. Vous ne pouvez pas me dire « tu as tort », c'est-à-dire « tu te trompes ». Vous pouvez me
dire : ce serait l'hypothèse abominable ça ; « non, ce n'est pas un concept », et en effet, pour le
moment je n'ai pas montré en quoi c'était un concept. Tout ce que je tiens, alors je m'y raccroche
comme à une espèce de bouée, comme à une espèce de truc qui me persuade que c'est peut-être
un concept ; je dis la formule et je la répète jusqu'à ce que je ne la comprenne plus qu'à peine. Il n'y
a plus de situation sensorimotrice, mais il n'y a que des situations optiques et sonores pures. Alors
bien confirmons encore ; parce que c'est seulement si on a beaucoup de confirmations qu'on dira :
"oui ça doit être un concept". Et je me suis appuyé uniquement sur cette scène si émouvante
d'Umberto D

. Je saute bien à autre chose, parce que après tout, beaucoup de critiques de cinéma à propos du
néo réalisme ont très bien su montré que il y avait une très curieuse utilisation de l'enfant dans le néo
réalisme. Il y a bien des films où l'enfant joue un grand rôle ; on n'a pas attendu les néoréalistes
italiens, mais on nous dit qu'avec le néoréalisme italien, l'enfant a une fonction et une présence très
spéciale. Déjà dans "Rome ville ouverte" dans "Paîsa" et enfin dans De SICA ; que ça soit Sciuscia,
le voleur de bicyclette qui fait sa longue balade dans la ville avec son petit garçon, « Allemagne
année zéro », et on se dit : des enfants comme ça, on ne les a pas vus jusque là. C'est pas par
exemple des petits américains, ce n'est pas l'enfant américain de l'image-action. Ce n'est pas ça,
pourquoi, qu'est ce qu'il a, qu'est ce qu'ils ont ces enfants très particuliers ? Est-ce qu'ils vont
chercher l'enfant parce que l'enfant comme on dit : a un regard innocent ? rien du tout, rien du tout,
ce n'est pas ça, ce n'est pas des regards innocents, c'est même des enfants très blasés, très vieillis
avant l'âge, c'est des enfants de guerre quoi, c'est le pauvre petit gars. Ils ne sont pas innocents,
c'est quoi alors ? C'est que la situation de l'enfant c'est à la lettre, quelqu'un, de cet enfant là en tout
cas, c'est quelqu'un qui est condamné à en voir beaucoup plus qu'il ne peut faire. Terrible une
situation d'enfant. Il fera beaucoup, il va chaparder, il va voler, mais l'enfant du néoréalisme italien,
c'est un enfant qui voit - inoubliable regard à des enfants de Sciuscia - Regard du petit garçon qui
accompagne son papa dans « Le voleur de bicyclette » et en effet, il est en situation de voir et pas
beaucoup de faire. Lui enfant, il ne peut pas grand-chose. Comme on dit : la situation le dépasse.
Les enfants de Buñuel ne sont pas du tout de ce type. L'enfant néoréaliste ça me parait très très
frappant, il voit, il voit quoi ? Il voit, je reprends la même formule parce qu'elle me servira, il voit
l'intolérable ; il ne cesse pas d'être en situation de voir l'intolérable. Il peut faire bien sûr, il fait des
petites choses, mais il ne peut pas faire beaucoup ; en d'autres termes, la situation de l'enfant
effectue ou l'état de l'enfant effectue une situation optique sonore presque pure. Voilà, petite
confirmation.

Troisième confirmation, le néoréalisme s'affirme de toute évidence là où les premiers critiques


annonçaient qu'il n'existait plus ; c'est-à-dire, le néo réalisme italien ne s'affirme pas uniquement
avec « Rome ville ouverte » et "Paîsa" et le "voleur de bicyclette " et "Umberto D" mais s'affirme à
l'état le plus pur. Je dis s'affirme a l'état le plus pur, parce que c'est seulement là que va apparaitre
l'essentiel ; avant c'était recouvert. Je crois qu'avant, les situations optiques pures et sonores pures,
étaient déjà là mais encore recouvertes par la ballade, par ceci, par cela. Mais avec la grande
quadrilogie de Rossellini, là où beaucoup de critiques italiens on dit : "ça n'est plus du néoréalisme" -
merveille c'était parce que le néo réalisme avait su dégager grâce à Rossellini et à lui seulement à
mon avis, avait su dégager le plus pur et le plus essentiel de ce qui appartenait à la tentative
néoréaliste, c'est-à-dire une exposition des situations optiques et sonores à l'état pur. Et je dis, c'est

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dans la grande quadrilogie de Rossellini « Allemagne année zéro, » « Stromboli » , « Europe 51 », «
voyage en Italie ». Et la structure des films, de ces quatre films manifeste l'exposition de la situation
optique sonore à l'état pur. Alors comment ça se manifeste ? C'est très curieux que pour "Allemagne
année zéro", les italiens aient dit, Rossellini ou que certains italiens aient dit Rossellini il a fini d'être
néoréaliste et il a eu bien tort parce que il a prit un sujet, L'Allemagne qu'il ne connait pas, lui ce qu'il
connait, ce qui lui appartient, c'est l'Italie.

Il me semble que dans une telle réaction, il y a alors tout un ensemble de contre sens puisque
précisément, l'Italie de Rossellini, présentait une Italie qui n'appartenait plus a personne ; et que
ensuite dans "Allemagne année zéro", la visite de l'Allemagne par un enfant qui finalement sera
conduit à la mort est vraiment la première fois où le néoréalisme se dégage a l'état pur. Ce qui était
encore recouvert dans les autres films de Rossellini, là surgit : c'est ça le néoréalisme ; à savoir, un
enfant qui se trouve en Allemagne dans une situation uniquement optique et sonore.
Et « Stromboli », ce sera quoi ? La personne, l'héroïne se trouve sur l'île, et elle y est comme une
étrangère. Etrangère sur l'île hostile rude parmi les pêcheurs. Il n'y a plus rien de sensorimoteur pour
elle. Elle est condamnée à une situation optique et sonore pure ; et un marin veut lui faire toucher la
pieuvre ; elle a une répulsion, ça ne fait pas partie de son monde tactile ou moteur, elle. Et plus tard
après l'admirable séquence du thon, de la pêche au thon, un marin voudra lui faire toucher un thon ;
elle le touchera très très timidement. Et Rossellini qui n'en veut pas généralement aux critiques, qui
laisse les critiques dire n'importe quoi, ne s'emporte qu'une fois quand un critique parisien qui avait
cru que la séquence admirable de la pêche au thon était empruntée à un documentaire dont
Rossellini s'était servi. Et Rossellini a eu une réaction intéressante parce qu'il a donné a tout le
monde une grande leçon, il a dit « les critiques, moi ça m'est égal, s'il disent c'est bon, c'est mauvais,
ils estiment que c'est leur métier de juger, alors qu'ils le fassent, très bien ; mais un critique qui ne se
renseigne même pas, c'est à dire il ne dit pas la séquence du thon est belle ou elle n'est pas belle, et
que la séquence du thon elle vient d'un documentaire.
Alors que dit Rossellini, c'est ce que j'ai mis, je ne sais pas combien d'heures et d'amour, à filmer.
Alors, il n'avait qu'à se renseigner, vous voyez qu'ils ne se renseignent pas beaucoup les critiques ;
ils parlent, ils parlent comme ça. Alors là, il n'était quand même pas content, et qu'est ce qui est
essentiel là dedans ? c'est d'une part la beauté de la séquence en elle-même, mais que l'étrangère
sur l'île est évidemment en situation optique pure ; Et est-ce que cela veut dire qu'elle est là comme
ça, comme un touriste ? Peut-être que vous avez sentir que quelque chose est en train de se
dessiner de plus profond. Elle serait comme un touriste si elle saisit ces images réalité, ces images «
faits » comme dirait Bazin, si elle l'est saisit comme des clichés ; ce serait possible mais non ! Cette
pêche au thon qui ne lui appartient pas, la bouleverse d'un bout à l'autre, pourquoi ? Quelque chose
de trop fort pour elle. Ça la bouleverse. Elle est dans une situation optique pure, c'est par cette
situation optique pure qu'elle sort de cliché. Le cliché, c'est le touriste qui est en situation
sensorimotrice. Ah ! Ça changerait tout, ça. Le touriste, le pauvre con là, c'est celui qui arrive là sur
le quai, il voit les thons arriver, il dit « je peux toucher hein ? Oh le pauvre thon ! ! » Voilà, il n'a rien
compris. La femme terrifiée, la femme terifiée regarde la pêche au thon, les thons, elle est en
situation purement optique et sonore avec un langage qu'elle ne comprend pas, ce patois, avec des
gestes qu'elle ne comprend pas, la violence de ces marins, et on essaie de lui faire toucher, un marin
qui se marre essaie de lui faire toucher, elle pose un doigt, elle est bouleversée. Elle est
bouleversée. Le cliché s'était l'image prise dans une perception sensorimotrice et sentez que là les
deux sont unis tant du point de vue des acteurs du film que du point de vue de spectateurs. La
situation optique pure a coupé toute perception sensorimotrice, d'abord dans le personnage du film

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et par là même aussi dans le spectateur du film. C'est au moment où je suis en situation optique pure
que j'aperçois, que je sors de l'image-cliché pour saisir quelque chose d'intolérable ; Pourquoi ? un
excès, quelque chose de trop puissant dans la vie, quoi, quoi qu'est ce que c'est ? Où quelque chose
de trop misérable, quelque chose de trop terrible.

Bien, donc on avance un petit peu. La situation optique pure bien loin d'être l'œil du voyageur où
du touriste, est l'œil de quelqu'un de bouleversé qui voit un intolérable. En ce sens, on peut dire c'est
l'œil de l'enfant, oui c'est l'œil de l'enfant mais d'un drôle d'enfant, ou l'œil de l'immigré, d'accord,
c'est l'œil du pauvre travailleur immigré oui, situation optique sonore pure. Vous remarquerez que
j'emploie situation sonore au sens de précisément pas langage, des sons. Les cris des marins
pendant la pêche, enfin c'est une séquence admirable. Et quand le volcan éclate et qu'elle se sauve
terrifiée, tout le village se regroupe, ils ont l'habitude eux, eux ils sont sensori-moteur et voilà que le
personnage, la femme se met à courir, elle se met à courir de son côté, on dira sensori moteur, bien
elle aussi elle est sensori-motrice ; elle a une perception motrice. Elle court, d'accord, mais c'est
secondaire, il faut bien les faire marcher un peu de temps en temps, mais ce n'est pas ça. Elle court,
et elle court jusqu'à a ce qu'elle arrive à un petit mur elle toute seule, et elle lance sa grande phrase,
sa grande phrase qui est quelque chose comme : « je suis finie , j'ai peur, mon Dieu c'est trop beau,
c'est trop violent ». J'ai fini, j'ai peur, Le mur l'arrête « je suis finie, j'ai peur », situation optique pure.
Ce n'était sensori-moteur qu'en apparence. Chez les habitants de l'île, c'est sensorimoteur, mais eux
ils ne sont pas bouleversés, ils vivent là dedans depuis tant de générations, elle, elle est
bouleversée. Plus jamais elle ne sera la même comme on dit. Il a suffit qu'elle entre, et qu'elle arrive
à se mettre dans la situation optique et sonore pure pour être pour être bouleversée à jamais.

Troisième exemple, « Europe 51 » là c'est encore plus net. L'héroïne vient de perdre son gosse.
Tiens l'enfant mort, toujours le thème si fréquent et, qu'est-ce qu'elle fait ? Elle parcourt avec son
mari, et elle voit, et c'est une bourgeoise qui voit ; or quand on est bourgeois, c'est à dire quand on
n'est pas dans le coup de ce qu'on voit, elle voit quoi ? Elle voit par exemple une usine, elle voit les
pauvres types qui travaillent dans l'usine, comme il dit, les pauvres immigrés, tout ça. Elle dit « Mais
ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, qui sont ces gens ? qui sont ces gens ? qui a-t-on
enfermé là dedans ? qui a t-on enfermé là dedans qui sont ces gens ? Et à son mari, qui est un
touriste sensorimoteur, son mari lui tape dans le dos, et dis « tu ne vas pas embêter longtemps
comme ça. » Elle dit "non mais, tu ne comprends pas, tu ne comprends pas" et elle, elle va jusqu'au
bout de la situation optique et son mari la fera interner. Bon qu'est ce qu'elle a vu ? Elle pouvait voir
un cliché d'accord, elle a vu autre chose qu'un cliché. Quand est-ce qu'elle est sortie du cliché ? Elle
est sortie du cliché quand elle a rompu avec la perception sensorimotrice et qu'elle a accédé a une
perception optique sonore pure. A ce moment là quelque chose l'a traversée ; comme un son trop
violent, comme un rayon visuel trop fort et ce qu'elle a vu c'est l'intolérable, l'insupportable.
En d'autres termes, dans les quatre œuvres où beaucoup de critiques ont vu la rupture de
Rossellini avec le néoréalisme, il n y avait rien d'autre, me semble t-il, que le dégagement le plus pur
de ce qui faisait l'essence du néoréalisme à savoir, l'exposition des situations optiques et sonore à
l'état pur. Et si Rossellini est la grande pointe de cela, c'est-à-dire si c'est présent, il me semble dans
tout le néo réalisme italien, mais recouvert par, précisément c'est pour ça que j'avais besoin de tant
de précautions. Comprenez qu'en effet ce concept de situation sonore optique pure groupe
effectivement tous mes caractères précédents. S'il n'y a plus sensation sensorimotrice, vous n'aurez
plus centrage sur une action. Vous aurez une perception d'événements qui n'appartiennent pas à
ceux à qui ils arrivent exactement comme je vous le disais la dernière fois dans un accident, dans un

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accident qui arrive, vous êtes en auto, l'accident est là, vous le voyez venir : vous êtes en situation
optique sonore pure. Cette mort arrive, qui ne vous appartient pas et qui pourtant est là votre. D'une
certaine manière, vous vous en sortirez, si vous en sortez, vous ne serez plus tout à fait le même, en
tout cas pour deux, trois heures, vous arrêterez vos conneries, etc. ...quelque chose ce sera passé.
C'est le contraire de la situation de spectateur, la situation optique sonore pure. Question de
Comtesse : Comment est il possible, puisque tu parles de Rossellini, comment est il possible, de
soutenir ce que tu racontes au début à savoir s'il y a une différenciation ou même une opposition
entre une création de concept et une indifférence à une vérité qui soit disant ne nous intéresserait
pas, alors que justement par cette culture, Rossellini n'a fait qu'accentuer à travers son processus
cinématographique ou artistique le souci même de la vérité.

Deleuze : Oui, oui, oui, je retire ce que j'ai dit sur la vérité qui ne faisait d'ailleurs pas partie de mon
sujet. Là je parlais en mon compte, je ne parlais pas au compte de Rossellini. Pour Rossellini tu as
tout à fait raison.

Alors, je dis la nouvelle vague, vous voyez tous mes caractères précédents y compris l'idée du
complot international, de tout ce qui nous dépasse de l'évènement qui nous dépasse, du cliché, de la
présence en nous et hors de nous du cliché, et le problème qu'en effet vous pouvez toujours appeler
le problème de la vérité, que vous pouvez appeler autrement, à savoir : est-ce qu'on pourra sortir du
cliché, est-ce qu'on pourra produire des images qui ne sont pas des clichés ? Réponse : oui, les
images optiques et sonores pures, au sens où on essayé de.. et je dis, qu'est-ce que ça a été que la
nouvelle vague ? et en quoi est -ce que par exemple là les meilleurs de la nouvelle Vague française
ont vraiment pris le mouvement là où l'avait porté Rossellini ? Il va de soi, et là je vais très vite parce
qu'il y a trop de choses à faire encore, il va trop de soi que si je reprends mes deux exemples
fondamentaux, Godard et Rivette , qu'est-ce qu'ils font ? moi je crois que leur admiration pour
Rossellini ils ne l'ont jamais cachée, c'est ça qu'ils ont pris chez lui c'est-à-dire un cinéma qui allait
atteindre, qui allait se présenter comme une lutte active contre les clichés, dès lors comme une
réflexion d'un type nouveau sur l'image ; lutte active contre les clichés menée à partir de quoi ?
comment dégager des clichés, un type d'image tout à fait différent, c'est-à dire, le cliché étant
toujours sensorimoteur, comment dégager des situation optiques pures et des situations sonores
pures ? - Et je prends l'exemple, bon je cite comme ça le "je ne sais pas quoi faire" à ce moment là
prend évidemment une valeur symbolique, je veux dire "je ne sais pas quoi faire", ça veut dire non,
fini le sensorimoteur, fini la perception sensorimotrice. Et bien des choses, si j'ajoute un film, comme
« Made in U.S.A », c'est presque là l'exemple typique. « Anna Karina » à la lettre, elle ne fait rien ;
elle montre des images sur aplat de couleurs vives, bleues ou rouges images parfois insoutenables
qui renvoient à l'idée d'un complot international. Bon, on nous met dans une situation optique et
sonore pure, d'où va sortir la vision d'un quelque chose d'intolérable. Rivalisme, d'un bout à l'autre ce
sera ça . Il n'y a plus de situation sensorimotrice, vous n'aurez que des situations optiques pures et
ces situations optiques pures, comprenez alors très bizarrement mais là ça reste un peu à expliquer ;
c'est elles qui vont coïncider avec ces lieux désaffectés, ces espaces quelconques, ces lieux
indéterminés. Si bien que de rebondissement en rebondissement, on a déjà deux problèmes
:Pourquoi la situation sonore optique est elle sensée nous sortir du cliché ? Pourquoi d'autre part
s'effectue t-elle dans des lieux quelconques, dans des espaces quelconques, les espaces inachevés,
les espaces de construction et de destruction, les espaces périphériques, les espaces de poutrelles,
les espaces de terrain vague. Pourquoi tout ça ?
Et s'ajoute un tout autre, alors en quoi est-ce que Tati participe tellement tellement de ce

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mouvement ? On n'a plus le temps, mais ça me parait tellement évident qu'il me semble : Tati est le
premier auteur de cinéma à avoir fait un comique qui soit fait uniquement, qui ne soit absolument pas
sensorimoteur sauf dans son 1er film de « la Balade du facteur » mais justement c'est une balade et
je reviens toujours au thème, ce qu'il a d'embêtant dans le texte de la balade c'est que il est là, il est
déjà au service des situations optiques pures, voyez dans Rivette par exemple « le Pont du nord »
Comment commence le Pont du nord, la ballade de la mutante, la balade de la fille autour des lions,
dans un lieu périphérique, et c'est une situation optique pure. Elle a encore une espèce de
mobylette, elle est une mobylette, c'est encore un peu moteur, mais à force de regarder, d'être en
situation optique, elle casse sa mobylette. A ce moment là, qu'est-ce qui se passe ? qu'est-ce qui va
prendre le relais : une succession au nom du complot international, une succession de situations
optiques pures. La transition étant uniquement faite par la double déambulation de la fille et de "Bulle
OGIER". Vous avez dans « le pont du nord » un exemple typique ; il faudrait le commenter
longuement, presque séquence par séquence. Vous avez un film sonore optique à l'état pur. Et
quand je dis Tati, donc à part « la ballade du facteur », à part "jour de fête" vous trouverez un
comique qui repose uniquement sur des situations optiques et des situations sonores à l'état pur.
Voila ce que je voulais dire pour commencer, mais alors, si encore une fois - remarquez tout ça est
relativement cohérent - car, je dis bien j'ai commencé, si je regroupe, j'ai commencé par définir une
limite de l'image- action par quatre caractères et il m'a semblé que ces quatre caractères
convergeaient vers quelque chose qui dès lors débordait l'image-action ; et peut être même
débordait l'image-mouvement tout cours.

Et maintenant je peux dire c'est l'image sonore optique à l'état pur en tant qu'elle nous fait voir
quelque chose, oui je reviens là-dessus ou de trop violent ou de terrible, et en tant qu'elle s'effectue
dans un lieu quelconque, dans un espace quelconque. Si bien que tous les thèmes qu'on a cherché
à analyser cette année, commencent à se resserrer. Car voila maintenant, alors on se trouve dans
un état où l'on ne peut plus, maintenant il s'agit de passer au concept. Finalement, ce que je viens de
faire c'est uniquement me donner toutes sortes de raisons pour me dire et bien oui, après tout,
situation sonore optique c'est non seulement quelque chose qui existe bien au cinéma mais c'est
quelquechose qui est bien l'objet d'un concept. En quoi consiste ce concept ?

Ça on ne le sait pas encore. Donc ce qui nous reste à faire, c'est le developement. Je procéderai
aussi par caractères et je dirais juste aujourd'hui pour en finir, bien c'est pas compliqué, le premier
caractère : il faut prendre à la lettre : il n'y a plus de perceptions sensorimotrices A la limite, bien sûr,
il en restera dans le film. Qu'est ce que cela veut dire "il n'y a plus de perception sensorimotrice" ? ça
veut dire la perception visuelle auditive ne se prolonge plus naturellement en mouvement. Dans l'état
normal, dans notre vie, ça n'arrête pas, nos perceptions se prolongent naturellement en mouvement.
Le premier chapitre de « Matière et Mémoire » tel que nous l'avons commenté, expliquait
comment par l'intermédiaire du cerveau la perception était sensorimotrice, c'est-à-dire, les
perceptions que nous recevions se prolongeaient en mouvement ; Alorsallons-y :supposonsqu'à la
suite d'une grave maladie, ça ne se fasse plus, supposons qu'à la suite d'une grande maladie il y ait
coupure : nos perceptions ne se prolongent plus en mouvement. Est-ce que ça arrive cette grave
maladie ? oui, oui, ça arrive ; c'est des cas qu'on nommera ou bien aphasie ou bien apraxie et
Bergson en parle beaucoup et Bergson analyse ces cas là.
On peut ne pas aller au pire ; la perception sera purement optique sonore, elle ne se prolonge
plus en mouvement. Mettons les choses moins graves : elle se prolonge en mouvement, mais en
mouvement qui ne colle pas à la perception. Une espèce de maladresse, comme si le prolongement

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hésitait ne se faisait pas. La perception optique sonore ne se prolonge plus qu'en mouvements
inadaptés frappés d'une étrange maladresse, d'un gauchissement : il tombe à côté, le geste tombe à
côté tout le temps ; le type se cogne, il passe à travers, il se butte, il se cogne, ça ne va pas. Tout se
passe comme si le prolongement naturel de la perception en mouvement était compromis. Qu'est-ce
que c'est ça, les gestes faux : se mettent à proliférer les gestes faux ; se mettent à proliférer les
détails qui font faux.

Dans le réalisme, ce qui importe, c'est le détail qui fait vrai. Dans le néoréalisme, ce qui compte
c'est le détail qui fait faux. Qu'est-ce que veut dire ça ? après tout, ce n'est pas moi qui l'ai dit. Le
culte du détail qui fait faux comme preuve de la vraie réalité, par opposition à la pseudo réalité du
réalisme. Robbe-Grillet n'a pas cessé d'insister la dessus. Or s'il est vrai que Dos Passos a eu sur le
cinéma italien une influence déterminante, en revanche ce qu'on a appellé le Nouveau Roman a eu
sur la nouvelle vague une influence déterminante ; et je ne dis pas spécialement Robbe-Grillet en
aura parlé, puisque il a fait une intrusion importante dans le cinéma, et ce n'est pas par hasard, mais
entre le Nouveau Roman et le cinéma se sont liées des alliances très diverses. Et sur quoi, si j'en
reste à ce premier caractère pour en finir avec tout ça : c'est il devient relativement important que
d'une certaine manière l'acteur joue faux.

Je prends un texte de Robbe-Grillet très clair. "Dans le réalisme nouveau, il parle pour, il parle
pour son roman, qu'on appelait à ce moment là, ce nouveau roman qu'on appelait « l'école du regard
» ; et en effet, les premiers romans de Robbe-Grillet, situation optique sonore à l'état pur Il faisait en
littérature ce que nous venons de voir que les autres faisaient en cinéma ; et il insistait là-dessus.
"Ne croyez pas", et s'il renonçait, s'il s'opposait dès le début à l'expression "école du regard" qui
pourtant semblait tellement convenir au Nouveau Roman, c'était pour une raison très précise, il disait
: "ne croyez surtout pas que ce soit le point de vue d'un spectateur". L'image sonore optique pure,
c'est tout ce que vous voulez, sauf l'œil d'un spectateur. Ce n'est pas non plus l'œil d'un acteur.
Quelle était la nouvelle race d'hommes, qu'est-ce que c'étaient ces étranges hommes de la "ballade"
? Ces hommes à qui n'appartenait pas l'évènement qui leur arrivait. Qu'est ce que c'était tout ça, qui
faisait à la fois, et le nouveau roman et la nouvelle vague ?

Et donc Robbe-Grillet disait « dans ce réalisme nouveau, il n'est donc plus question de vérisme »
; "le petit détail qui fait vrai ne retient plus l'attention du romancier dans le spectacle du monde ni en
littérature. Ce qui le frappe, le romancier, et que l'on retrouve après bien des avatars dans ce qu'il
écrit, ce serait davantage au contraire le petit détail qui fait faux". "Ainsi déjà dans le journal de
Kafka, lorsque celui-ci note les choses vues pendant la journée au cours de quelque promenade -
thème de la ballade, de la promenade - il ne retient guère que des fragments non seulement sans
importance, on pourrait le dire du néoréalisme, mais encore qui lui sont apparus coupés de leur
signification, donc de leur vraisemblance depuis la pierre abandonnée sans que l'on sache pourquoi
au milieu d'une rue, jusqu'au geste bizarre d'un passant, geste inachevé, maladroit, ne paraissant
répandre à aucune fonction ou intention précise". "Des objets partiels ou détachés de leur usage,
des instants immobilisés, des paroles séparées de leur contexte, ou bien des conversations
entremêlées, tout ce qui sonne un peu faux, jouent comme si leurs gestes étaient retenus par du
coton. Ils se courent après, ils se tirent des coups de révolvers, chaque geste est faux tellement ils
tirent avec maladresse ; on n'a jamais vu des gangsters aussi maladroits". Est-ce que ce n'est pas
comme ça dans la vie ? Là alors, saisissez la différence avec le réalisme américain.

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Et on a fini par - grâce à la Nouvelle Vague et grâce au néoréalisme italien - être habitué à un tout
nouveaux types de scènes au cinéma qui est, lorsque dans une bagarre l'extraordinaire maladresse
des gens - on sortait des bagarres d'Hollywood où ça ne traine pas, les coups sont fantastiques,
c'est comme on dit de vrais cascadeurs - Et là on voit des types qui se sont mis à s'agripper
lentement, maladroitement, n'arrivant pas, se donnant un coup toujours jamais où il faut, Pan ! c'est
à dire une vraie bagarre comme on en voit dans la rue, quoi. Les gens ils ne se battent pas comme à
Hollywood - si j'essaie de le battre, je vais rater immédiatement mon coup de poing, je vais lui taper
dans l'œil, lui il va me prendre comme ça, on ne va plus savoir où on en est - enfin c'est des espèces
de bagarres qui se font vraiment comme dans, on dirait comme dans la semoule, quoi.

Et bien cet espèce d'art de jouer faux que vous trouverez à un très haut degré déjà chez Truffaut,
que vous trouvez chez Godard, que vous trouverez aussi finalement chez tous, chez Tati, le détail
qui fait faux, la page de Robbe- Grillet elle convient sans changer un mot, elle convient à Tati. Il y a
un américain qui fait ça formidable pour le son, c'est Cassavetes ; les dialogues de Cassavetes,
alors là c'est du grand grand détail qui sonne faux . C'est comme dans nos conversations : écoutez
deux personnes parler si vous vous mettez en situation sonore de les écouter, ça sonne
abominablement faux. C'est comme dans nos conversations écouter deux personnes parler. Si vous
mettez en situation sonore de les écouter, ça sonne abominablement faux. Une conversation de
café, les types sont à moitié saouls, « alors je vais dire un petit peu...tu... » C'est à chaque instant le
truc qui sonne faux. Un de ceux qui ont attaché énormément d'importance à ça aussi c'est Eustache,
la puissance du faux ; « la maman et la putain » c'est une réflexion du point de vue
cinématographique très approfondie sur « qu'est-ce que la puissance du faux » ? Et sur le thème de
« comment sortir du sein même du cliché le plus abominable », quelque chose qui sera du pur
sonore optique.

Bien, je dis donc là, c'est uniquement mon premier caractère pour définir le concept de situation
sonore optique c'est : tout se passe comme si le prolongement naturel de la perception en
mouvement avait été coupé

J'en suis donc pour la prochaine fois à ceci, comprenez bien - très joli ça, mais c'est encore tout
négatif - si le prolongement de la perception en mouvement a été coupé, alors qu'est-ce qui se passe
pour la perception ? Ça ne peut plus être la même perception que quand le prolongement en
mouvement se fait. Qu'est ce qui va se passer ?

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 02/12/80 - 2
Marielle Burkhalter

- 02/12/80 - 2 Page 1/12


transcription : Christina Rosky Deleuze 02/12/80

501/1B

Et l'inconnu du corps et l'inconscient de la pensée. Vous êtes une manière, vous êtes une manière
d'être. Ca veut dire, vous êtes un ensemble de rapports de vitesse et de lenteur entre molécules
pensantes, vous êtes un ensemble de rapports de vitesse et de lenteur entre molécules étendues. Et
tout ça c'est l'inconnu du corps et c'est l'inconscient de la pensée. Alors bon, comment il va s'en tirer
lui ?

D'où je peux passer à un second problème. A oui, parce qu' il s'impose mon second problème,
c'est évidemment, il s'enchaîne. C'est mais après tout pourquoi il appelle ça éthique et pas ontologie
? Son grand livre pourquoi il l'appelle "Éthique" au lieu de l'appeler "Ontologie" ? Il devrait l'appeler
ontologie ! Non, il devrait l'appeller l'Éthique, il a sûrement bien fait. Il savait ce qu'il faisait, quoi. Il
avait une raison pour appeler ça "Ethique". Donc, si vous voulez, ça va être le même problème. Je
vous soulage, on répart à zero. On a fini là tout un pan les deux dernières fois et là, on vient de finir
tout un premier pan sur l'Ontologie, Passe un second pan, pourquoi est-ce que cette Ontologie
Spinoza l'appelle-t-il éthique ? Bon, et là aussi vous sentez qu'on va tomber en plein dans le
problème : est-ce qu'une éthique est la même chose qu'une morale ? Est-ce que ça revient au même
? Si ça revient pas au même d'une certaine manière, est-ce que l'Éthique ce ne serait pas la seule
manière dont l'Ontologie a quelque chose à nous dire sur comment vivre, que faire ?

Tandis que la morale c'est pas ça. La morale, peut-être, ça implique toujours mais il faudrait voir
pourquoi. Peut-être est-ce que la morale ça implique toujours la position de quelquechose de
superieur à l'être. Peut-être qu'une morale c'est indissociable de la position de l'Un superieur à l'être.
Au point que si on croit, ou si on fait de l'ontologie, l'être en tant que être ou l'Un loin d'être superieur
à l'être est au contraire un dérivé de l'être. Il ne peut plus avoir exactement de morale. Mais en quoi
? Voilà, je voudrais commencer par une histoire qui n'est pas difficile mais je voudrais la considérer
rapidement pour elle- même. Toute la morale, il me semble, toute la morale du XVIIe siècle - Non je
dirais de Platon au XVIIe. Qu'est-ce qui a pu se passer après ? On verra tout ça, mes formules, vous
les corrigez de vous- même. Depuis longtemps, la morale consistait, d'une certaine manière, à nous
dire quoi ? Eh bien, le mal n'est rien ! Le mal n'est rien. Et pourquoi c'était ça la morale ? On nous ne
disait pas, avant tout : fais le bien. On nous disait d'abord : le mal n'est rien. Curieux ! Qu'est-ce que
c'est cet optimisme ? Est-ce que c'est de l'optimisme ? Quoi alors ? Voilà que les philosophes étaient
des espèces d'optimistes béats pour dire : le mal n'est rien ? Qu'est-ce qu'ils voulaient dire - il y avait
tous les malheurs du monde ? Et voilà, ces types qui continuaient à dire le mal n'est rien. Je voudrais

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donc réfléchir là. Vous voyez, on repart à zéro.

Qu'est-ce qu'ils voulaient dire tous ces gens qui disaient "le mal n'est rien" ? Depuis Socrate qui
passe son temps à dire ça. Alors que oui, le malheur était là. Le mal il a toujours eu deux formes.
Le malheur
et la méchanceté. Le mal du malheureux et le mal du méchant. Ca manquait pas dès les grecs,
des méchants et des malheureux. Et en plus, qu'est-ce qui fait qu'il y a du mal à première vue ? C'est
que les méchants et les malheureux c'est pas les mêmes. Tiens, si les méchants et les malheureux
c'étaient les mêmes, en effet le mal ne serait rien, il se détruirait lui-même. Le scandale c'est que les
méchants ne soient pas forcément malheureux et les malheureux pas forcément méchants. Ca
arrive de temps en temps mais pas assez souvent. En d'autres termes, si les méchants étaient
malheureux et les malheureux méchants, le mal se détruirait, il y aurait une auto-suppression du mal.
C'est formidable ça.

Il y a un auteur qui a beaucoup joué de ça tardivement. Il a dit : non, vous ne pouvez pas faire
autrement, la loi du monde c'est que les méchants soient heureux en tant que méchants et que les
malheureux soient innocents. Il a dit : et c'est ça le mal. Et perdu dans cette vision il écrit où ? c'est le
marquis de Sade. D'où les deux grandes titres, n'est-ce pas, de deux grands romans de de Sade
c'est "Les malheurs de la vertu" et "Les prosperités du vice". Il n'y aurait pas de problème du mal s'il
n'y avait pas une irréductibilité entre le méchant par lui-même heureux et l'innocent, par lui-même,
malheureux. Car c'est sa vertu qui ne cesse de rendre Juliette (c'est Juliette la gentille ?), qui ne
cesse de rendre Juliette malheureuse. (C'est Justine, non c'est la méchante Justine.) Ce n'est pas
par hasard que Socrate lui, déjà dans les dialogues platoniciens, ne cesse de se lancer dans une
série de propositions qui à première vue, nous paraissent débiles et qui consistent à dire : dans le
fond des choses, le méchant est fondamentalement malheureux et le vertueux est
fondamentalement heureux. Bien sûr, ça ne se voit pas. Ca ne se voit pas mais il dit : "je vais vous le
démontrer". Il va le démontrer. Je précise pourquoi je fais cette longue parenthèse, alors aussi un
peu débile : c'est pour vous faire sentir que d'une certaine manière il ne faut pas prendre les gens
pour des crétins. Ce serait ça mon appel. Et que quand les philosophes très sérieux disent : "le mal
n'est rien, seul le méchant est malheureux", ils ont peut-être une idée très bizarre derrière la tête et
une idée telle qu'ils sont ravis si on leur dit : "mais t'es un rêveur !" Peut-être qu'on se trompe sur leur
entreprise. Peut-être au moment même où ils disent ça ils sont très singulièrement diaboliques.
Parce qu'on ne peut pas penser que Socrate croit à son truc. Il ne croit pas comme ça. Il ne croit pas
que les méchants sont malheureux en tant que méchants. Il sait bien que ça ne se passe pas
comme ça.
Donc, ma question c'est - c'est pour ça que je dis si on ne prend pas Socrate pour un idiot - on va
se dire mais pourquoi il nous dit ça ? Dans quelle entreprise il est pour nous dire ça ? Alors que
manifestement ce n'est pas comme ça. Il ne faut s'imaginer Socrate tellement perdu dans les idées
et dans les nuages qu'il croit que les méchants sont malheureux. La cité grecque abonde de
méchants très heureux. Alors est-ce qu'il veut dire qu'ils seront punis après ? Oui, il le dit comme ça.
Il le dit splendidement, comme ça il invente même des mythes. Mais non, c'est pas ça. Qu'est-ce qu'il
veut ? Qu'est-ce qu'il cherche ? Vous sentez déjà ?

C'est une espèce de cri : "alors le mal n'est rien". Mais il lance une espèce de provocation telle
que le sort de la philosophie est en jeu là-dedans. A la lettre, je dirais : ils font les idiots. Faire l'idiot.
Faire l'idiot ça a toujours été une fonction de la philosophie. L'idiot en quel sens ? En un sens qui va

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vraiment du Moyen-âge. où le thème de l'idiot est constant aux Russes, je veux dire à Dostoievski,
un successeur de Dostoievski qui est mort il n'y a pas très longtemps, à savoir Chestov. Ca ne forme
pas pourtant une tradition, Chestov ne se reconnaît pas dans Descartes. MaisJ'essaie de marquer
très vite cette tradition, Je la répère pas au début, (si quelqu'un avait des idées là dessus, ce serait
très bien même au hasard des lectures, il y a sûrement des travaux faits mais je n'ai pas eu le
temps.) Je répère au hasard Nicolas de Cuses, un philosophe très, très important, il était Cardinal en
plus. Nicolas de Cuses est un homme très très important de la Renaissance. Un très grand
philosophe. Le Cardinal de Cuses lance le thème de l'idiot. Et ça a quel sens ? Ca a un sens très
simple. C'est l'idée que le philosophe c'est celui qui ne dispose d'aucun savoir et qui n'a qu'une
faculté, la raison naturelle. L'idiot c'est l'homme de la raison naturelle. Il n'a rien qu'une espèce de
raison naturelle, de lumière naturelle. Voyez par opposition à la lumière du savoir et aussi par
opposition à la lumière revélée. L'idiot c'est l'homme de la lumière naturelle. Ca commence donc à
être Nicolas de Cuses. Descartes écrira un petit texte qui est d'ailleurs peu connu mais qui est dans
les oeuvres complètes où il y a l'idiot dans le titre et qui est un exposé du cogito.

Et en effet, lorsque Descartes lance sa grande formule "je pense donc je suis", en quoi c'est la
formule de l'idiot ? Elle est presentée par Descartes comme la formule de l'idiot parce que c'est
l'homme réduit à la raison naturelle. Et en effet qu'est-ce que Descartes nous dit à la lettre ? Il nous
dit : "moi, je ne peux même pas dire l'homme est un animal raisonnable." Il le dit textuellement, je
n'interprète pas. Il nous dit : "Je ne peux même pas dire l'homme est un animal raisonnable, comme
Aristote le disait, parce que pour pouvoir dire l'homme est un animal raisonnable, il faudrait d'abord
savoir ce que veut dire "animal' et ce que veut dire "raisonable". En d'autres termes la formule
"animal raisonnable" a des présupposés explicites qu'il faudrait dégager. Or je suis incapable de le
faire." Et Descartes ajoute : "je dis, je pense donc je suis." Ah bon ? Le contradicteur serait tout prêt
à dire : "eh bien dis, t'es pas gêné toi parce que quand tu dis "je pense donc je suis", il faut savoir ce
que veut dire penser, ce que veut dire être". Je pense, je suis. Ce que veut dire : je. Là Descartes
devient très très curieux, mais ce sont les meilleures pages de Descartes, il me semble. Il devient
très subtil. Il dit : "non, ce n'est pas pareil du tout." Voilà pourquoi ce n'est pas pareil : c'est que dans
le cas : 'animal raisonnable il y a des présupposés explicites. A savoir, vous n'êtes pas forcé de
savoir ce que veut dire : animal et raisonnable. Tandis que lorsque je dis "Je pense donc je suis",
prétend Descartes, c'est tout à fait différent. Il y a bien des présupposés mais là ils sont implicites. A
savoir, vous ne pouvez pas penser sans savoir ce que veut dire penser. Vous ne pouvez pas "être"
sans savoir au moins confusément ce que veut dire penser, vous ne pouvez pas "être" sans savoir
au moins confusément ce que veut dire être. Vous le sentez d'un sentiment qui serait le sentiment de
la pensée. En d'autres termes, animal raisonnable renvoie à des présupposés explicites de l'ordre du
concept ; "je pense donc je suis" ne renvoie qu'à des présupposés implicites de l'ordre du sentiment.
Du sentiment intérieur

C'est très très curieux son intérêt d'autant plus que la linguistique moderne retrouve cette distinction
des présupposés explicites et des présupposés implicites. Ils sont cartésiens sans le savoir, c'est
très très curieux. Il y a un linguiste qui s'appelle Ducrot aujourd'hui qui fait toute une théorie à partir
de la distinction des présupposés explicites et des présupposés implicites. Peu importe, voyez l'Idiot,
c'est l'homme des présupposés implicites. C'est ça : la raison comme fonction naturelle. La raison
naturelle. Vous ne pouvez pas penser sans savoir ce que veut dire penser, même confusément.
Donc vous n'avez pas à vous expliquer. Descartes disait : je n'ai pas à expliquer ce que veut dire "je
pense donc je suis" chacun l'expérimente en lui-même. Tandis que ce que veut dire : "animal

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raisonnable", ça c'est écrit dans les livres. L'idiot s'oppose à l'homme des livres. L'homme de la
raison naturelle s'oppose à l'homme de la raison savante.
Si bien que le cogito sera l'enoncé de l'Idiot. Donc, ce thème de l'Idiot est très fondé dans une
tradition chrétienne, philosophique qui est la tradition de la raison naturelle. Alors par quel biais ?
puis il a continué dans tout l'Occident. Il appartient bien à la tradition occidentale. Par quel biais est
ce qu'il émigre en Russie pour être poussé au paroxysme ? Et pour prendre une nouvelle allure. Une
nouvelle allure évidemment favorisée par l'orthodoxie russe, par le christianisme russe. Là donc j'ai
toutes sortes de maillons qui me manquent sur la comparaison entre le thème de l'idiot russe
puisque l'idiot est une figure fondamentale de la littérature russe, pas seulement chez Dostoievski. Et
là aussi, d'une certaine manière, le personnage de Dostoievski, que Dostoievski appellera "l'Idiot",
précisement lui, il est beaucoup plus dramatique que l'idiot de Descartes bien sûr, sa maladie etc.
Mais il a gardé quelque chose de ça. La puissance de la raison naturelle réduite à soi. Tellement
réduite à soi qu'elle est malade. Et pourtant elle a gardé des éclairs. Le prince, l'idiot il ne sait rien.
Mais c'est l'homme des présupposés implicites. Il comprend tout. Cette figure de l'idiot continue à
dire :"je pense donc je suis" au moment même ou il est comme fou ou bien distrait, ou bien un peu
débile. Mais déjà Descartes acceptait de passer pour le débile. Qu'est-ce qu'ils ont ces philosophes
à vouloir être le débile ? C'est très curieux comme entreprise déjà. Ils opposent cette débilité
philosophique à la philosophie. Puisque Descartes, il oppose ça à Aristote. Il dit : "Non non, moi je ne
suis pas l'homme du savoir, moi je ne sais rien" etc. Socrate le disait déjà : "je ne sais rien, je suis
l'idiot et que l'idiot de service". Pourquoi ? Qu'est-ce qu'ils ont à la tête ?

Bon alors, qu'est-ce qu'il veut ? Je recommence, qu'est-ce qu'il veut Socrate quand il dit : "Ah, vous
savez... mais si regardez bien, il n'y a que le méchant qui soit malheureux." Il pose un espèce de
paradoxe, de l'auto-suppression du mal. Il faut voir si les méchants sont malheureux, il n'y a plus de
mal. Mais pourquoi il n'y aurait pas de mal ou plus de mal ? Le mal n'est rien ! Ca veut dire quoi ?
Voilà, ça veut dire : vous vous croyez malin, vous. Vous parlez du mal, mais vous ne pouvez pas
penser le mal. Si les philosophes voulaient dire ça, ça serait intéressant. Pourquoi un philosophe
aurait besoin de dire ça : vous ne pouvez pas penser le mal ? Et je vais vous montrer que vous ne
pouvez pas penser le mal. Le mal n'est rien, ça ne voudrait pas dire que le mal n'est rien ; ça
voudrait dire le mal n'est rien du point de vue de la pensée. Vous ne pouvez pas le penser. C'est un
néant. Autant essayer de penser le néant. Dans les textes de Socrate, ou plutôt de Platon, le thème
:"le mal n'est rien" parcourt deux niveaux. Un niveau grandiose objectif et un niveau subjectif. Le mal
n'est rien objectivement, ça veut dire quoi ? Ca veut dire : tout mal se ramène à une privation et la
privation se ramène à une négation.

Donc "le mal ce n'est rien", c'est une pure négation. Le mal n'est pas. En effet il n'y a pas d'être
du négatif. Voilà c'est très simple. C'est très simple et très difficile en même temps. Cette réduction,
vous comprenez, du mal ou de la contradiction, si vous voulez, à la privation et de la privation à la
simple négation. Supposons qu'il fasse ça, il developpe sa thèse. Et subjectivement le mal n'est rien,
ça veut dire quoi ? Subjectivement, ça veut dire - Et là Socrate developpe tout son talent, il dit :
"Ecoutez je vais vous le montrer par le dialogue." Il fait venir un méchant. Il lui dit : "Tu veux
assassiner, non ?" L'autre dit : "Oui, oui je veux assassiner. Je veux tuer tout le monde." „Ah", dit
Socrate, "tu veux tuer tout le monde. Mais pourquoi tu veux tuer tout le monde ?" Alors le méchant
dit : "Parce que ça me fait plaisir. Comme ça, Socrate, ça me fait plaisir." "Mais le plaisir, dis-moi,
c'est un bien ou c'est un mal ?" Alors le méchant dit : "Evidemment c'est un bien, ça fait du bien." Et
Socrate dit : "Mais tu te contredis ! Parce que ce que tu veux, ce n'est pas tuer tout le monde. Tuer

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tout le monde, c'est un moyen. Ce que tu veux c'est ton plaisir. Il se trouve que ton plaisir c'est de
tuer tout le monde. Mais ce que tu veux c'est ton plaisir. Et tu m'as dit toi-même, le plaisir est un
bien, donc tu veux le bien. Simplement tu te trompes sur la nature du bien." Alors le méchant dit :
"Socrate, on ne peut pas parler avec toi !" Voyez c'est extrêmement simple.

Le méchant, subjectivement, c'est quelqu'un qui se trompe. Et ça va être très important pour nous
cette formule, "le méchant". D'où la formule de Socrate :" Nul n'est méchant volontairement." Ce qui
veut dire par définition : toute volonté est volonté d'un bien. Simplement il y en a qui se trompent sur
la nature du bien donc ils ne sont pas méchants volontairement. Ils cherchent le bien. Il dit : "Je
cherche "mon" bien." Mais Socrate dit : "T'as raison. Il faut chercher ton bien. Evidemment c'est ton
bien. Alors toi, c'est assassiner, très bien, mais c'est toujours un bien, ton bien. Alors tu ne peux pas
chercher le mal." Alors le méchant devient fou. Socrate espère qu'il va par là même se détruire
lui-même. Cela marche à un certain niveau. Donc, vous voyez qu'est-ce que j'en retire ?

C'est que cette philosophie-là, qui nous dit : le mal n'est rien, qui nous le dit sur deux modes, sur
deux registres ;
objectivement le mal est pure négation, il n'y a pas d'être du négatif. Et qui nous le dit
subjectivement :
vous ne pourrez pas vouloir le mal parce que c'est contradictoire. Vous ne pouvez vouloir qu'un
bien. Nul n'est méchant volontairement. Qu'est-ce qu'ils font ? Ils pataugent déjà dans quoi ces
philosophes ? Non pas pataugent, ils sont déjà dans quel élément ? Ils sont dans l'élément du
jugement.
En effet, le méchant c'est celui qui juge mal. Toute la philosophie va être apportée au système du
jugement. C'est peut-être ça que la philosophie a inventé d'abord. Même si ça va être ruineux,
catastrophique, je ne sais pas là. Je ne fais aucun jugement de valeur. Je crois que la philosophie
est née avec un système de jugement.
Et l'homme méchant c'est celui qui juge mal. Et le philosophe il est peut-être idiot mais il est bon
parce qu'il prétend juger bien. Supposons (j'en suis loin encore d'arriver à dire ce que je voudrais
vous faire sentir, il faut tellement de mots pour arriver à un petit sentiment minuscule),
bon qu'est-ce que ça veut dire que la philosophie serait et se confondrait avec la constitution d'un
système du jugement ? ça été peut-être pour le meilleur et pour le pire. C'est peut-être ça que,
ensuite, certains philosophes ont essayé de secouer, et d'y échapper à la philosophie comme
système de jugement. Un jugement sans sanction. La philosophie n'a jamais fait mal à personne,
mais c'est vrai que les philosophes n'ont pas cesser de juger. Qu'est-ce qui les autorisait ? Sans
doute, c'était eux qui avaient inventé le système du jugement. Ils avaient fait du jugement un
système. Pourquoi et comment ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Lá je vous dis presque le fond parce
que ce sont des choses extrêmement simples. Mais je suis tellement mécontent, je suis tellement
peu satisfait de ce que l'on dit généralement sur l'origine de la philsophie et y compris les héllenistes,
les heideggeriens etc, que j'essaie de me débrouiller là pour mon compte.

Voilà ce que je voudrais dire : il me semble que la philosophie, elle a toujours commencé en
prenant une forme très curieuse qu'elle n'abandonnera jamais, à savoir le paradoxe. Le philosophe
est un type qui arrive en un sens c'est un bon à rien, c'est vrai : imaginer, dans la cité grecque, le
philosophe : il se ballade sur la place publique, il est toujours prêt, il est toujours prêt à causer. "Ah
bon", Socrate qui commence : "où tu vas ?" "Qu'est-ce qui t'arrives ?" et puis la conversation
s'engage. Mais ce n'est pas n'importe quelle conversation : on appellera la conversation

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philosophique celle où surgit le paradoxe qui désigne une certaine puissance. Une certaine
puissance ou une certaine impuissance ? Et qu'est-ce que c'est le paradoxe au niveau le plus simple
? Vraiment, là je dis des choses rudimentaires, je ne me demande pas ce qu'est le paradoxe, je
cherche un petit fil conducteur.

Et je crois que le paradoxe au niveau le plus simple ça consiste à vous dire : "il y a quelque chose
qui "est" et en même temps vous ne pouvez pas le penser". Débrouillez-vous avec ça. X est, et
pourtant merveille admirez ça : C'est impensable.
En termes techniques je dirais : le paradoxe, c'est une proposition qui consiste à poser
l'impensabilité d'un "étant". Ce serait une bonne définition du paradoxe. ça le philosophe ne le dit pas
: ce n'est pas. Il faut être là, les commentateurs sont vraiment lamentables. Je prends un exemple,
un exemple en apparence différent de ce dont je parle mais c'est la même chose. Par exemple, il y a
un paradoxe fameux d'un des premiers philosophes qui s'appelle philosophe, bien plus il est
considéré comme l'inventeur de la dialectique, c'est Zenon. Il y a deux Zenon, il y a Zenon le stoïcien
et Zenon d'Élée. Je parle de Zenon d'ÉLée, disciple de Parmenide celui qui disait : "l'Etre est." Voilà,
donc le fondateur de l'ontologie. Zenon fait de fameux paradoxes qui concernent le mouvement. Et il
explique qu'Achille par exemple ne peut pas rattrapper la tortue. Il explique que la flèche ne peut pas
atteindre la cible. En d'autres termes, Zenon est un idiot. C'est ça être un idiot. Il explique donc : la
flèche ne peut pas attraper la cible, ne peut pas joindre la cible, ni Achille rattraper la tortue. Vous
vous rappellez comment il fait pour l'expliquer : il divise le parcours d'Achille ou le parcours de la
flèche en deux. La seconde moitié, il la divise en deux etc. etc. à l'infini. Et il y aura toujours une
distance si petite qu'elle soit, entre la flèche et la cible. De même, Achille fait un bond et il couvre la
moitié de sa différence avec la tortue, il faudra qu'il couvre encore la moitié de ce qui reste, la moité
du reste du reste, à l'infini : il ne rattrapera jamais la tortue. Vous me direz, ah bon, quand même
Zenon a une forte culture mathématique grecque. C'est très intéressant. C'est très intéressant parce
que ça fait intervenir ce que les Grecs avaient monté comme méthode d'exhaustion c'est à dire de
l'analyse de l'infiniment petit. C'est moins pitrerie qu'il ne semblerait mais en quoi c'est de la
philosophie ça ? Vous comprenez, Zenon n'est pas idiot. Socrate non plus. Il est idiot d'une autre
manière. Mais pas à la manière dont on penserait parce qu'il sait bien que les choses bougent. Il sait
bien qu'Achille ratrappe la tortue. Il sait bien que la flèche touche la cible. Il sait tout ça. De même
Socrate sait bien qu'il y a des méchants

Donc ce qu'ils veulent nous dire c'est tout à fait autre chose : le mal ou le mouvement sont des
étants. Seulement le probème c'est comment penser l'étant ? Ce que Zenon tente de montrer c'est
que le mouvement en tant que mouvement est impensable. Ce n'est pas que le mouvement en tant
que mouvement "n'est pas" comme le font dire beaucoup de commentateurs. C'est idiot ça. C'est
que le mouvement en tant que mouvement ne peut pas ëtre pensé. Ce que Socrate veut montrer
c'est que le mal en tant que mal ne peut pas être pensé. Bon voilà ça devient plus intérressant, c'est
ça un paradoxe.

Un paradoxe énonce l'impensabilité d'un étant. Mais pourquoi est-ce que ça leur donne un plaisir
intense, ces paradoxes ? Ils sont ravis. Plus on leur dit :" Mais tu es débile de dire ça : le mouvement
n'existe pas, qu'est-ce que tu veux dire ?". Ils disent :"Ah bon, comme tu peux toi. alors comment tu
te débrouilles de mon paradoxe ?" D'où la réputation que les philosophes ont toujours eu d'être des
bavards. Ce ne sont pas des bavards, ce sont des hommes les plus silencieux du monde puisqu'ils
pensent que finalement à la limite l'étant est fondamentalement impensable. Ca peut être consolant

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parce que si l'étant est impensable ce n'est peut-ëtre pas que l'être est pensable lui, mais penser
l'être ce n'est pas facile. Et ça serait ça la philosophie alors. Mais peu importe, voilà. Pourquoi ils
disent ça ? Pourquoi ils sont tellement contents ? A première vue ce n'est pas un triomphe pour la
pensée, ce n'est pas une victoire pour la pensée. Loin de là. Elle ne peut pas penser le mouvement,
elle ne peut pas penser le mal, elle ne peut rien penser.

Qu'est-ce qu'elle peut penser alors, la pensée ?


Elle va penser "l'être est" : Parmenide.
Seule la justice est juste. Les hommes justes sont justes qu'en second, ce qui est vraiment et
totalement juste, c'est la justice. La justice est juste, on peut faire des lithanies.
La vertu est vertueuse,
la sagesse est sage. C'est ce que Socrate fait dans une série de dialogues éblouissants mais qui
exaspère tout le monde. On discute très longtemps pour arriver à la révélation : la justice est juste et
il n'y a que la justice qui est juste. Il n'y a que l'être qui "est". On a envie de dire : il ne fallait quand
même pas 40 pages, mais si, il fallait 40 pages. Parce qu'il fallait 40 pages puisque et cest
inséparable de ceci, : l'étant est impensable. Qu'est-ce qui est pensable ? La pure idéalité, l'idée.
Mais enfin c'est parfaitement brillant, pourquoi est-ce que les philosophes se rejouissent, moins ils
arrivent à penser l'étant, plus ils sont contents, plus ils rigolent à leur manière. Ils embêtent tout le
monde et puis ils expliquent qu'on ne peut rien penser, on ne peut pas penser le mouvement, on ne
peut pas penser l'être, non, on ne peut pas penser le mal, on ne peut penser le devenir, on ne peut
pas penser tout ce qui fait objet de paradoxe. Et ils arrivent en disant : oui, on peut penser : "la
justice est juste,l'être est".etc.. Qu'est-ce qu'ils ont en train de faire ? comprenez ! Ils accomplissent
vraiment le destin de la philosophie dans son surgissement il me semble originel, à savoir constituer
un système de jugement.

Il s'agit de juger tout ce qui est. Et la possiblité de juger tout ce qui est c'est quoi ? C'est, à la
limite, s'élever à la position de quelque chose qui est au-delà de l'être. On jugera ce qui est et on
jugera l'être lui-même en fonction de quelque chose qui est au-dessus de l'être. On retombe sur l'Un
au dessus de l'être. En d'autres termes l'idée de fond de toute cette philosophie, c'est seul le Bien
avec un grand B - et c'est par là qu'elle a cette apparence optimiste. - Seul "le Bien fait être et fait
agir". Seul le Bien fait être objectivement et fait agir subjectivement. Donc le Bien est au-dessus de
l'être. Le Bien c'est l'Un. Dès lors on peut juger tout ce qui est. Il s'aggissait moins de décréter le
mouvement, le devenir impensable que de les soumettre au système du jugement. En fonction de
critères qui eux ne deviennent pas, qui sont les critères du Bien, qui ne sont pas en mouvement etc.
Donc le Bien est à la fois raison d'être et raison d'agir. En latin ça deviendra le Bien comme : "ratio
esandi et ratio agendi." Le Mal n'est rien forcément. Et c'est ça qu'ils veulent dire, le Mal n'est rien
forcément. Puisque seul le Bien fait être et fait agir. Le Bien est au-dessus de l'être. C'est la condition
du système de jugement. Alors finalement, si vous voulez, ce n'est pas au nom d'un optimisme niais,
c'est au nom d'une logique, d'un logos poussé à l'extrême.

La puissance du paradoxe c'est le logos. Ce n'est pas le philosophe qui est optimiste, c'est la
logique qui l'est. Elle ne peut pas penser le Mal, elle ne peut pas penser le mouvement, elle ne peut
pas penser le devenir. C'est bien plus tard, bien plus tard que la logique va faire un mouvement
considérable sur soi-même pour essayer de penser le mal, le mouvement et le devenir. Et la
réconciliation du mal, du mouvement et du devenir avec la logique et avec la puissance de la logique
marquera un tournant pour la philosophie.

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Faudrait la fermer cette porte. Qu'est ce que j'ai fais de ma montre ? Quelle heure il est ? midi et
quart ça marquera une date très importante.. En gros on peut dire que la réconciliation de la logique
avec l'êtant comme tel, avec le mal, le devenir, le mouvement, ce sera quoi ? Ceseralegrand
romantisme allemand. Ce sera Hegel. A ce moment-là la logique trouvera le moyen d'accorder un
être au négatif. Il y a un être du négatif. Ce sera la réconciliation du logique si vous voulez, et du
tragique. Jusque-là la logique avait été incurablement optimiste et au service du bien. Bon, voilà ce
que je voudraisdire et je voudrais terminer vite parce que vous en avez assez. Voilà ce que je
voudrais dire enfin : J'ai eu l'air d'abandonner complètement Spinoza. Le moment ou jamais d'y
revenir c'est ceci. Je vais vous dire, comment il s'insère là-dedans ? j'ai l'air de faire une histoire de la
philosophie qui s'en va par tous les bouts. Et c'est très curieux parce que Spinoza ne cesse pas de
nous dire comme tout le monde à l'époque : le mal n'est rien. Il cesse pas. Tout le temps, il nous dit
le mal n'est rien. Objectivement et subjectivement.
Objectivement parce que l'opposition se ramène à la privation et la privation se ramène à la
négation. Il n'y pas d'être du négatif. - Subjectivement parce que le méchant c'est une erreur, la
méchanceté c'est une erreur, le méchant c'est quelqu'un qui se trompe. Donc il n'arrête pas de nous
dire ça. Bien plus, le problème du mal, il le traite pour lui-même dans un texte passionnant dont j'ai
parlé la dernière fois, à savoir son échange des lettres avec Blyenberg et qui porte uniquement sur la
question du mal. A la première lecture alors on se dit : "Oui, il dit ce que nous disait déjà des siècles
avant Socrate, ce que beaucoup d'autres ont dit, c'est le système de jugement, c'est cette logique qui
se refuse, qui ne peut pas penser le mal. C'est le fameux paradoxe-là du logos. Et puis, quand on lit
en même temps qu'on lit on a une toute autre impression en même temps.

C'est que Spinoza, sous des mots qui ont été mille fois dits, nous dit complètement autre chose.
Toute à fait autre chose. Qu'est-ce qu'il nous dit ?
Voilà ce qu'il nous dit : le mal n'est rien ! Et jusque-là, ça va très bien. Jusque-là ça peut être
signé, c'est comme dans les pétitions, vous savez ? Vous pouvez signer la première phrase et puis
vient la seconde phrase, alors là, je ne peut plus signer, non. Et bien, c'est la même chose dans
l'histoire que je vous raconte. Le mal n'est rien, ça renvoie à qui ? Si on fait un concours. Alors on
peut faire un concours. Qui peut dire ça ? Socrate ! Descartes ! Leibnitz ! Spinoza ! D'accord, à partir
de là la phrase bifurque. Le mal n'est rien ? c'est une proposition qui n'est pas complète encore. Si
on vous dit le mal n'est rien, il faut surtout être prudent, vous attendez, vous attendez - la phrase
n'est pas finie. Tel quel c'est un non-sens. Puisque le mal ne peut être rien pour des raisons les plus
opposées. Vous exigez des flèches de bifurcation et les uns prennent la première bifurcation :
le mal n'est rien parce que seul le bien "fait être" et "fait agir". ça c'est la voie : le bien c'est à dire
l'Un au-dessus de l'être. Le bien fait être, c'est à dire l'être dérive du bien, l'Un est plus que l'être.

on va y retourner, hein ? ? oui

Parce que le mal n'est rien, parce que seul le bien "fait être" et raison d'être et raison d'agir, c'est
aussi signé Platon, c'est signé Leibnitz, qui bien plus, lui renouvelle complètement la formule :"le
bien fait être et fait agir", lui donne une interprétation très très curieuse, très, belle. Mais enfin elle est
complètement dans cette première bifurcation. Et puis il y a un certain nombre des philosophes qui
disent : "bien sûr, le mal n'est rien". Voyez, je ne suis pas limitatif parce qu'il y a en plus ceux qui
disent : "Si, le mal est quelque chose." Il y a un être du négatif. Donc il y a beaucoup de variété. Mais
je m'intéresse à la seconde bifurcation. Une race des philosophes étranges nous disent quoi ? Ils

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nous disent : "Oui, oui, d'accord le mal n'est rien." Ils ajoutent très vite, pour ne pas trop se faire
entendre, ils ajoutent : "parce que le bien non plus." (rires) En d'autres termes, le mal n'est rien, bien
sûr puisqu'il n'y a ni bien ni mal. ça rebondit. Qu'est-ce qu'ils veulent dire ? C'est des fous complets.
Il n'y a pas de bien ni de mal ? Alors quoi, assassiner les gens - on peut y aller... n'importe quoi ! il
n'y a pas de bien ni de mal. C'est l'égalité de l'être, quoi ? Bon, d'accord ! Est-ce qu'on peut faire
n'importe quoi ? Ah non, ils disent on ne peut pas faire n'importe quoi. On leur répond : "Tais toi, ça
revient au même." Non, ça ne revient pas au même, ce ne sont pas les mêmes choses que moi je
vais défendre et que les autres vont défendre. Ce ne sont pas les mêmes choses. Et là ça devient
plus intéressant. Mais défendre pourquoi ? Ca veut dire quoi défendre ? C'est un système de
jugement. Ah, d'accord, j'ai dit un mot de trop, ce n'est pas défendre qu'il faut dire. Alors c'est quoi ?
On va voir, c'est complètement différent. Le mal n'est rien qui signifie ni bien ni mal. Donc Spinoza se
sert, il est très sournois Spinoza, vous voyez dans sa loyauté philosophique, dans sa grandeur. Il
parle comme tout le monde pour dire quelque chose de complètement différent : le mal n'est rien,
oui, mais moi je suis l'homme qui vous annonce qu'il n'y a ni bien ni mal et c'est pour ça que le mal
n'est rien. Et là encore, longtemps après ce sera repris par quelqu'un qui intitule un de ses livres
principaux : "Par delà le bien et le mal". Et celui qui intitule ce livre principal : "Par delà le bien et le
mal" est si mal compris, tout comme Spinoza, qu'il éprouve le besoin d'écrire un autre livre principal
intitulé :"La généalogie de la morale", où il montre que la morale est une chose selon lui immonde
mais qu'on a quand même mal compris son précédent livre : "Par delà le bien et le mal". Et il lance
cette formule qui pourrait, je vous jure à la lettre, qui pourrait être signée par Spinoza, qui répond à la
lettre du "spinozisme" qui est : par delà le bien et le mal, comprenez : qu'il n'y ait ni bien ni mal, qu'il
n'y ait pas plus de bien qu'il y a de mal, cela du moins ne veut pas dire par delà le bon et le mauvais.
Ca veut dire, d'accord : il n'y a ni bien ni mal, mais il y a du bon et du mauvais. Il vaut mieux, si c'est
pour dire ça, donnez-moi toujours le minimum toujours de confiance, peut-être que c'est énorme
comme différence. L'éthique, il n'y a ni bien ni mal, il y a du bon et du mauvais,

voilà exactement la soudure entre l'éthique et l'ontologie. Il n'a ni bien ni mal, ça veut dire le bien
n'est pas supérieur à l'être. Il n'y a que de l'être, bien et mal sont des mots denués de sens. Il n'y en
a pas moins du bon et du mauvais alors que la morale est l'art du bien et du mal et leur distinction ou
leur opposition est du triomphe de l'un sur l'autre, l'éthique est l'art du bon et du mauvais et leur
distinction dans la mesure où la distinction ne recoupe pas à celle du bien et du mal.

Donc l'éthique est directement branchée sur l'ontologie, bien plus, je dirais qu'elle l'accompagne tout
le temps mais elle en est le point de départ nécessaire. Ce début qui faisait qu'on ne pouvait pas
s'installer immédiatement dans l'être, c'est que seul le débrouillage du bon et du mauvais peut nous
porter jusqu'à l'être le plus vite possible.
L'éthique est la vitesse qui nous conduit le plus vite possible à l'ontologie. C'est-à-dire à la vie
dans l'être. D'où l'importance du problème. Bon Alors, ce qu'il faut commenter c'est : le bon et le
mauvais comme introduction à l'ontologie. À savoir : qu'est-ce que la différence éthique du bon et du
mauvais par distinction de la différence morale du bien et du mal ? Là ça me paraît très simple,
c'est-à-dire que je voudrais juste achever ce point, lancer juste ce point et remettre la suite parce
qu'il faut que j'aille voter.. Je voudrais juste lancer l'analyse, pour que vous y pensiez, pensez y vous
parce que je voudrais dire dans quel sens je veux développer maintenant. Pour moi, il y a deux
différences. Il y a deux différences fondamentales entre la morale et l'éthique. C'est-à-dire entre l'art
du bon et du mauvais et la discipline du bien et du mal. Je crois que le bon et le mauvais impliquent
deux choses qui ne sont pas du tout, qui sont même inintelligibles pour la morale. Le bon et le

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mauvais impliquent d'abord l'idée qu'il y a entre les étants, c'est-à-dire les existants, une distinction
quantitative.
Le bon et le mauvais c'est l'idée d'une distinction quantitative entre les étants, entre les existants.
Ce qui revient au même, quantitative, mais quelle quantité, quelle quantité bizarre ? L'éthique est
fondamentalement quantitative.
Et ma seconde idée c'est que le bon et le mauvais désignent une opposition entre une opposition
qualitative entre des modes d'existence. Distinction quantitative entre les étants, opposition
qualitative entre des modes d'existence. Qu'est-ce que ça veut dire ? Du point de vue de l'éthique, le
mauvais, je dirais c'est quoi ? Je voudrais juste vous faire sentir en finisant des choses très
concrètes pas du tout mises au point philosophiquement. On nous disait tout à l'heure, du point de
vue de la morale, le méchant c'est quelqu'un qui se trompe, c'est-à-dire qui juge mal. Il se trompe sur
la nature du bien. Il juge mal, il fait un faux jugement. Du point de vue de l'éthique je crois que le
mauvais, ce que l'on appelle le mauvais c'est aussi du faux. Mais voilà ce n'est pas du tout la même
conception du faux. Parce que dans le cas précédent, le faux c'était une détermination du jugement
et en effet un jugement est faux lorsqu'il prend ce qui n'est pas pour être pour ce qui est. Cette table
n'est pas rouge, je dis : "la table est rouge", je le prends pour l'inverse. Ca c'est le faux comme
qualification du jugement. Est-ce qu'il n'y a pas un autre sens du mot faux ? Et en un sens c'est très
compliqué parce que tous les sens se mélangent. Je dis par exemple : "Tiens on me rend une pièce
d'or - et je dis : voyez le premier sens du mot faux : "Faux désigne quoi ? L'inadéquation de la chose
et de l'idée dans le jugement. Je dirais : un jugement est faux quand il n'y a pas adéquation de l'idée
de la chose et le faux a été très souvent dans toutes les philosophies de jugement, a été défini
comme ça : le vrai c'est l'adéquation de l'idée et de la chose, le faux c'est l'inadéquation de l'idée et
de la chose.
Je dis il y a un tout autre sens du mot faux. Qui précisément ne concerne plus le jugement. On
me donne une pièce d'or et je la touche, je la mords comme dans les films, je la mords, elle se plie
ou bien je prends ma petite bouteille d'acide et je dis, elle est fausse. Cette pièce est fausse. C'est
du toc. Vous me direz c'est lié au jugement. Ca veut dire, cette pièce a une telle apparence qu'elle va
susciter en moi le jugement :"c'est de l'or" alors que ce n'en est pas. Mais ce que je viens de dire à
l'instant c'est la façon dont le système du jugement interprète la fausseté de la pièce. Car pour que la
pièce d'or fausse suscite un jugement d'après laquelle elle serait vraie, donc pour que faux signifie ici
une adéquation de l'objet et de l'idée, il faut qu'il y ait eu un faux préalable : c'est en elle- même que
la pièce d'or est fausse. Ce n'est pas simplement par rapport au jugement, elle ne suscite un
jugement erroné que parce qu'elle se tient fausse en elle-même. Elle est fausse.

Faux n'est plus la qualification d'un jugement sur la chose, c'est une manière d'être de la chose.
Je ne prétend rien dire de philosophique, je prétend indiquer, vraiment c'est du sentiment ce que je
dis : "je dis de quelqu'un mais ce type là il est faux ce n'est pas du vrai". Curieux, vous me direz que
c'est encore du jugement. Bizarre parce que c'est une espèce de jugement de goût. Je pèse la
chose, je dis : ça, ça va pas ! j'ai parfois cette impression devant un mensonge, je sens quelque
chose va pas là-dedans. Pensez aux pages prodigeuses de Proust, la manière dont il évalue un
mensonge d'Albertine, quelque chose qui cloche. C'est bizarre, qu'est-ce qu'elle vient de dire ? Il ne
se rappelle même plus ce qu'elle a dit. Il y a un rien qui fait qu'il se dit : "Mais elle est en train de
mentir, c'est abominable. Qu'est-ce qu'elle raconte ?" Il ne peut pas l'assigner. Alors, on peut dire
toujours c'est du domaine du jugement ou du préjugement. Sentez que ça peut se dire, oui un
philosophe du jugement ramènera ça au jugement, c'est-à-dire au rapport de l'idée et de la chose.
Mais je dis c'est autre chose aussi. C'est en elle même que la chose est vraie ou fausse. Vrai ne

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designe plus, vrai et faux ne désignent plus un rapport de l'idée de la chose mais vraie et fausse
désignent une manière d'être de la chose. Une manière d'être de la chose en elle-même. C'est
complètement différent. Pourquoi on risque de confondre les deux ?
Le vrai et le faux comme qualification du jugement sur la chose
et le vrai et le faux comme qualification de la manière d'être de la chose. On risque de les
confondre forcément. Je dirais que le second sens de vrai et faux c'est le sens le plus profond, il me
semble. Le vrai et faux comme manière d'être de la chose. La manière de la chose est à l'être. Elle
peut être vraiment ou faussement. Ca nous intéresse pour "l'éthique". Etre vrai à l'être. Ce n'est pas
juger vrai, ça. C'est vraiment un mode d'existence. Etre vrai à l'être. Très compliqué. Ou être faux à
l'être. Je dirais ça c'est le sens ou vrai et du faux, ça veut dire authentique et inauthentique.

L'authentique ça vient d'un mot grec compliqué, c'est vraiment : celui qui se tient en lui-même de
manière à être vraiment à l'être. Bon, j'ai comme ça l'impression, devant des existences : elles ne
sont pas authentiques. ça veut pas dire avoir une personnalité, encore une fois, c'est une manière
d'être l'authentique et l'inauthentique. Par exemple, sentir que quelqu'un se force. Vous me direz
sentir c'est un jugement. Non on va essayer de dire un peu plus que ça. Ce n'est pas un jugement,
c'est exactement comme vous soupesez une lettre. Vous faites sauter dans votre main une pièce :
trop legère, trop lourde, quoi ? Peut-être qu'on rejoint le thème de la vitesse et de la lenteur. Tiens, il
a parlé trop vite. Il ment sûrement. Ou bien il traîne, il cherche ce qu'il veut dire. Ca va pas, ça va pas
: trop lent, là. Ca ne marche pas aujourd'hui : il ne va pas bien. Qu'est-ce que cette évaluation ?
C'est comme si on pesait le poids des choses. Ce n'est pas juger ça. Ce n'est pas confronter l'idée et
la chose. C'est peser la chose en elle-même. C'est quoi ?

Je dirais c'est quelque chose qui est le contraire du système du jugement. C'est une espèce de
monde d'épreuves. D'épreuve quoi ? reprenons le modèle du corps : "l'étonnant c'est le corps". Ce
sont des épreuves comme physico-chimiques. Et on n'éprouve pas quelqu'un, c'est le quelqu'un qui
ne cesse pas de se mettre à l'épreuve : il rate sa vitesse, il rate ses lenteurs. C'est inauthentique. Au
contraire, vous savez, les jours où tout est malheur pour nous, dès le moment où on se lève on se
cogne, on se cogne, on tombe, on glisse, on se fait engueuler partout ; alors on devient de plus en
plus méchant soi-même. On est toujours en discordance. L'être en discordance c'est une manière
d'être nos jours de malheur, rien ne marche. Ca a commencé dès le matin, oh là là, quand est-ce
que ça va finir ? quelle journée ! C'est les journées de l'inauthentique. Chaque fois que je vais trop
vite, je me cogne, chaque fois que je vais lentement, je glisse, Il n'y rien à faire. Vaut mieux se
recoucher, mais en me couchant je ne sais pas ce qui se passe. C'est affreux aussi. Rien ne va,
c'est la longue plainte, la longue plainte de l'inauthentique. Oh là là, je suis malheureux. Rien ne va,
bon. Comme la pièce d'or : vous lui foutez la goutte d'acide, ah ! C'est l'épreuve ! Ce n'est pas un
jugement, c'est l'épreuve. Qu'est-ce que peut la pièce d'or ? On ne sait pas ce que "peut le corps".
Qu'est-ce quelle peut la pièce d'or qu'on vient de me remettre ? Elle supporte l'épreuve de l'acide, si
elle est de l'or authentique, elle supporte.
Voyez, l'épreuve physico-chimique s'oppose au jugement moral. Et je dirais vous reconnaissez -
finalement ceux qui pensent dans ce sens, on les a toujours appelés les immoralistes - Ils font
passer une distinction entre authentique et inauthentique. Ca ne recouvre pas du tout la distinction
du bien et du mal. Pas du tout. C'est une toute autre distinction. C'est très différent. Et vous les
reconnaissez à quoi ces auteurs ?

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 27/01/81 - 1
Marielle Burkhalter

- 27/01/81 - 1 Page 1/7


transcription : Christina Roski Deleuze 27/01/81 (1)

A 11h30, faites-moi signe, il faut que j'aille au sécrétariat.

Donc on aura une recréation à 11h30. N'oubliez pas de me donner vos fiches si ça vous
intéresse.

Voilà ce que je voudrais faire aujourd'hui, et je voudrais que vous compreniez que, aujourd'hui, on
aurait en quelque sorte un double objet, on aurait un double but. Je veux dire avancer dans le
problème où j'en étais la dernière fois à savoir, une fois dit que, selon Spinoza, nous partons, nous
naissons, nous sommes comme lancés, soumis à des conditions d'existence qui font que tout
indique que finalement on ne peut pas s'en tirer quoi. On est soumis à des espèces de rencontre
avec des corps extérieurs donc il y a très peu de chance que beaucoup nous conviennent. Il y a au
contraire toutes les chances que sur le nombre des corps extérieurs agissant sur nous constamment,
assez constamment, se fassent des rencontres avec des corps qui nous ne conviennent pas,
c'est-à-dire qui décomposent nos rapports.

Donc comment s'en tirer finalement non seulement du point de vue de la connaissance puisque
on est dans des conditions d'aveuglement absolu, de choc de corps, des rencontres avec des corps
imprévisibles.
Donc non seulement du point de vue de la connaissance mais du point de vue de la vie tout court
et pour Spinoza ce n'est pas pareil. La connaissance c'est vraiment un mode de vie.
Comment faire pour que très vite, un corps agressif, un corps empoisonnant ne nous décompose
pas, ne nous détruise pas.

Ca c'est le problème commun de la connaissance et de la vie. Vous voyez déjà Spinoza a sa petite
note à lui parmi les philosophes du 17eme siècle. C'est que comme tous, comme tous les
philosophes du 17eme siècle, Spinoza dira très bien que, bien sûr, nous avons en puissance, nous
avons potentiellement des idées vraies, des idées adéquates, des idées claires et distinctes. Et sans
doute tous les philosophes du 17ième lorsqu'ils disaient que nous avions des idées vraies, que ce
n'était par là que nous étions des êtres raisonnables. Il savait bien que ce n'était pas donné tout seul,
tout fait. Ils savaient bien qu'il fallait un effort très singulier qu'ils appelaient méthode pour arriver à
conquérir ce que nous avions déjà, à savoir les idées dites innées. Ces idées vraies qu'on appelait
des idées innées c'étaient en fait des idées qui devaient être conquises à l'issue d'une certaine
méthode et d'une certaine sagesse.

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Ca n'empêche pas que, je crois, Spinoza met un accent particulièrement fort sur ceci : peut-être bien
que les idées vraies sont des idées innées, ca n'empêche pas que dès notre naissance tout nous en
séparent. Si bien que la conquête de ce qui est inné prend chez Spinoza une allure vraiment qui
mobilise tous le mode de vie. Donc c'est ce point là, mais j'ai dit un double but aujourd'hui. Parce
qu'en même temps je ne voudrais presque pas du tout affirmer mais m'interroger sur ceci : quelles
sont les possibilités de Spinoza, que nous donne Spinoza quant à un problème moderne ou
redevenu très vivant dans certaines philosophies modernes. Et on verra en quoi les deux sont liés.
C'est-à-dire que vous le sentiez vous-même ce que j'ai precisé, faire un commentaire relativement
strict de Spinoza quant au premier aspect de la question mais quant au second presque plutôt voir à
quoi Spinoza peut nous servir quant à un problème qui nous paraît à nous un problème moderne.

Qu'est-ce que c'est ce problème moderne à partir duquel je vousdrais aussi donc interroger le
texte de Spinoza. Ce problème moderne c'est ce qu'on peut appeler, qui est revenu si fort
aujourd'hui : la sémiologie et par sémiologie on entend en gros la théorie des signes. Et pourquoi
alors penser d'avance que Spinoza a peut-être quelque chose à nous dire au projet d'une sémiologie
générale ? Ce projet moderne d'une sémiologie est venu évidemment d'un courant très important qui
est la philosophie dite anglo-saxonne, mais particulièrement un très grand philosophe anglais - qui
hélas est très peu traduit en France et qui s'appelle Peirce. Peirce qui est vraiment un philosophe
très bizarre, très profond, vous ne trouvez qu'un livre traduit en francais aux Éditions du Seuil sous le
titre "écrits sur les signes". Et en effet à la même époque que Saussure, Peirce fait une théorie qu'il
nomme lui-même une sémiologie. Pourquoi je dis à la même époque que Saussure ? Parce que
c'est très important, ne serait-ce que pour la différence de base. C'est que Saussure avait un
principe très simple. Je ne dis pas qu'il ne le complique pas, il le complique beaucoup. Mais le
principe très simple de Saussure c'est à peu près : les signes c'est avant tout une entité
conventionnelle.
Les signes c'est une entité conventionnelle. Ca lui permettait de distinguer, je ne dit pas du tout
que c'était sa thèse seulement, c'est une espèce de point de départ qui lui permet de situer à
Saussure, sa sémiologie. Ca veut dire, le signe a avec ce qu'il signifie, un rapport conventionnel. Un
rapport d'institution et non pas un rapport naturel. C'est-à-dire, un rapport naturel ca serait quoi ? Ca
serait un rapport de ressemblance, un rapport de continuité. Mais la c'est un rapport purement
conventionnel. Je décide par convention que tel mot renvoie à telle chose. Vous voyez c'est le
principe fameux de l'arbitraire du signe. Encore une fois, je ne dis pas que ce soit ça la théorie de
Saussure, je dis que c'est ça le point de départ de Saussure pour distinguer le domaine du signe et
d'autres domaines. Donc, nature conventionnelle du signe. Ce qui m'intéresse déjà c'est lorsque
Peirce à la même époque lance sa grande sémiologie, il ne se contente pas du tout de ce caractère
conventionnel pour même délimiter en gros le champs des signes, le domaine des signes. Et en effet
il y a une remarque, qui a frappé ensuite beaucoup de linguistes, qui me paraît très importante pour
lancer notre problème. C'est ceci : quand vous avez un mot, par exemple ; "boeuf". Que le mot boeuf
désigne la chose avec des cornes et qui rumine et qui beugle. Ca, c'est un pur rapport de
convention. Evidemment on pourrait y chercher une onomatopée, ce serait un rapport naturel, si on
élimine l'onomatopée, ça n'irait pas avec "vache" : vache il n'y a pas d'onomatopée, c'est même
impossible à trouver ? Vache désigne cette chose.. Est-ce que c'est vrai ? Beaucoup de linguistes
ont quand même signalé ceci : c'est que si vous prenez le mot il a un double rapport. Vous allez
comprendre toute à l'heure pourquoi je fais ce détour. Si vous prenez un mot il a un double rapport.
Un double rapport avec quoi ? Il a un rapport avec la chose désignée, avec un désigné. Le mot
vache désigne la vache. Ce rapport, peut-être que je peux - peut-être, admettons ou on en est dans

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les prémisses très simples. Je peux dire ce n'est pas un rapport conventionnel. Et en effet dans une
autre langue ‚vache' ne se dit pas "vache". Bon, d'accord. Mais un mot n'est pas seulment en rapport
avec son désigné. Un mot, comme on dit, il a un ou des signifiés. Qu'est-ce que c'est ? Imaginez une
langue,car il y en a, qui ait deux mots pour désigner boeuf vivant et boeuf mort. Ce n'est pas le
même mot. Boeuf vivant et boeuf mort. Le désigné c'est le même, boeuf vivant ou mort. Mais il y a
deux signifíés, il y a deux mots. En d'autres termes, vous comprenez, c'est tout simple : même si l'on
dit qu' entre un mot et son désigné, il y a un rapport conventionnel, ca ne veut pas dire
necessairement qu'il y a un rapport conventionnel entre le mot et son signifié. Pourquoi ? Parce que
les divisions du signifié, elles ne préexistent pas à la division des mots. Le signifé se divise suivant
les mêmes lois que les mots eux-mêmes. On dira qu'il y a isomorphie. En terme technique on parlera
d'une isomorphie du signe et du signifié. Ca dépasse ça le rapport conventionnel. En d'autres termes
même pour les signes conventionnels il est douteux qu'on puisse definir leurs rapports constituant
comme des rapports conventionnels. Pourquoi je dis ça ? Admettons que "conventionnel" c'est une
assez mauvaise approximation de la nature du signe. Comment est-ce qu'on définira la nature du
signe ? C'est là que j'interroge Spinoza comme ça. Pour voir si l'on peut tirer des conséquences. Je
fais comme si le problème était extérieur à Spinoza pour le moment. On va voir que peut-être il ne
l'est pas. Faisons comme si le problème était tout à fait extérieur à Spinoza. Et on se dit quand
même il y a des textes de Spinoza, alors essayons de les extraire de leur contexte. Qu'est-ce que
dirait Spinoza ? Eh bien, au fur et à mesure ou bien au hasard des textes, il me semble qu'il dirait
trois choses. D'abord, ça va se compliquer, il dirait trois choses et vous verrez que le caractère
conventionnel n'est qu'une conséquence de ces choses et non pas du tout la détermination
principale du signe.

Je vois une première sorte de texte de Spinoza où il insiste sur la variabilité du signe. Peut être
que les conventions en découlent. Mais Il nous dit : les signes, c'est bizarre, chacun réclame les
siens. A quelle sorte de texte précis je fais allusion ? Au texte de Spinoza précisement où là on
s'apercoit du coup que je ne lui colle pas sur le dos un problème qui serait forcé. Remarquez que ce
serait, d'une certaine manière légitime, interroger un philosophe du 17ième sur un problème même
s'il a quelque chose à nous dire là-dessus. Si ça n'est pas pour lui reprocher de ne pas avoir vu le
problème, si au contraire pour se dire : il a vu quelque chose. Mais c'est même plus que j'ai fait
puisque je suis sûr au moins que dès que je commence à dire variabilité du signe, que Spinoza, il a
pleinement rencontré le problème par quelle voie ? Par la voie du problème de l'écriture, c'est-à-dire
des Saintes Ecritures ; le problème est de l'interprétation de l'Ecriture, à savoir l'interprétation de
l'Ancien Testament. Et que, après tout, s'il consacre tout un livre ou du moins la majeure partie de
tout un gros livre, un des seuls qu'il ait publié de son vivant : le Traité Theologico-politique, à cette
question de l'interprétation de l'ancien testament, là le problème que je lui colle en effet n'est plus un
problème forcé, car comment voulez-vous qu'il ne rencontre pas fondamentalement le problème des
signes ?

Et en effet on peut dire que d'une certaine manière le Traité théologico-politique est un livre d'une
nouveauté, même actuellement. D'un point de vue d'une critique biblique, il reste un livre d'une
nouveauté étonnante parce que je crois qu'il a une méthode que finalement personne n'a repris sauf
peut-être encore une fois, d'où le lien que je fais, sauf certains, de ceux qu'on appelle les positivistes
anglais actuellement. Mais il a le génie en plus je crois. Mais après tout je fais là un cour circuit
historique. Peirce, il sort d'où ? Toute sa théorie des signes, il se réclame de qui quand il la fait ? Il se
réclame du Moyen Age. Et le Moyen Age en effet develope dans tous les sens des théories des

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signes extraordinaires. Or que là il y est un point commun car Spinoza est très au courant sur les
théories des signes du Moyen Age. Qu'il est donc un lieu commun entre la sémiologie actuelle et
certains problèmes spinozistes, ça ne doit plus nous étonner.

Or je dis le premier caractère donc que Spinoza fixe pour les signes, c'est le contraire d'une fixité
à savoir : sa variabilité fondamentale. Je dis : chacun réclame un signe. Et les signes de l'un diffèrent
des signes de l'autre. Ce qui est signe pour vous, n'est pas signe pour moi. C'est déjà par là que le
domaine du signe - vous voyez - se distinguera très grossièrement. C'est des choses très simples
dont il faut partir, se distinguera du nombre des droits de la nature. Les lois de la nature ne varient
pas pour chacun, les signes varient pour chacun, suivant le tempérament de chacun. Qu'est-ce que
ca veut dire ? Qui c'est : Je réclame un signe ? et nous tous nous réclamons constamment des
signes. Mais qu'est-ce que c'est que la situation [ ] Dans la vie quotidienne, on ne cesse pas de
réclamer un signe : "dis-moi que tu m'aimes", c'est fais-moi signe', quoi. Oh la la ! tu ne m'aimes pas,
pourquoi tu me regardes comme ça ? Qu'est-ce que je t'ai fait ? C'est ça la vie des signes. "T'as l'air
de mauvaise humeur." "Mais non" dit l'autre. "Si, si, t'as l'air de mauvaise humeur." "Non, je te jure."
"Si, si, t'as l'air de mauvaise humeur." Etc. etc. et c'est parti. On est dans le domaine de cette
variabilité fondamentale des signes : "Mais non je ne t'ai pas fait signe." Si, tu m'as fait signe." "Ah,
est-ce que je t'ai fait signe ?"Arrète ! Trés bien Qui sait ? qui recueille cette situation ? C'est une
dimension de notre expérience quotidienne. On vit comme ca, c'est pourquoi on a des vies si
mauvaises. Et c'est là que Spinoza va nous tirer.

Alors, vous comprenez, si cette situation est répandue dans nos vies ! Mais on ne s'aperçoit même
plus qu'on passe notre temps, qu'on est comme des enfants. Ce sont les enfants qui réclament tout
le temps des signes. Eux-même sont condamnés aux signes, ils font des signes, quand ils ont faim
ils se mettent à pleurer ; tout ça c'est vraiment un monde de signes. Qu'est-ce que veut dire le bébé
? Il est content, il n'est pas content ? De cette vie on n'est pas sorti. On en sort jamais. Quand on est
amoureux c'est pareil ; Dieu, fais-moi signe. Peut-être que c'est un des fondements de notre
croyance. Peut-être que dans notre croyance religieuse quand nous en avons, nous contractons,
nous réunissons tous ces moments éparpillés des signes que nous réclamons à droite et à gauche
et puis, en une fois, on réclame un bon gros signe qui nous ferait vraiment signe : "Dieu, envoie-moi
un signe."

Et en fait l'homme du signe c'est le prophète. Et c'est comme ça que Spinoza définit le prophète.
Le prophète juif c'est l'homme du signe. C'est l'homme du signe sous quelle forme ? Voyez, on est
tous des prophètes juifs dans notre vie. Le prophète juif il ne fait qu'élever à une puissance
supérieure ce que nous vivons tous, à savoir cette réclamation du signe. Lui, il l'a élévée à une telle
puissance que tout seul, face à face avec Dieu mais détournant sa face de Dieu il dit : "Lance-moi un
signe." Et le rapport de Dieu et du prophète passe par le signe.

Or Spinoza, dans un chapitre splendide, disait dans le Traité Théologico-politique, même si vous ne
lisez que ça, lisez le chapitre sur le prophétisme. Pour ceux qui s'intéressent à la question, la
bibliographie n'est pas longue parce que, bien sûr il y a beaucoup de livres très beaux sur le
prophétisme et surtout sur le prophétisme juif, mais si vous voulez prendre une connaissance à la
fois très précise des problèmes de prophétisme juif et ne pas consacrer votre vie à cette question, il
y a deux livres fondamentaux à ma connaissance : Le Traité Théologico-politique de Spinoza, il y a
deux ou trois chapitres sur le prophétisme qui sont une merveille et d'autre part un livre d'un penseur

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juif francais, très très beau qui s'appelle Néher et le livre s'appelle "L'essence du prophétisme".

Bon alors je reviens : le prophète réclame un signe, le prophète a avec Dieu un rapport des signes.
Or chaque prophète réclame un signe particulier qui forcément lui est adapté. Vous voyez, ça c'est
comme le premier caractère du signe, je ne vais pas loin, mais ça me permet de grouper au moins
des situations concrètes. C'est dans cette voie sémiologique on évitera de définir le signe par la
nature conventionnelle du signe, car ce n'est pas un caractère pertinent. Caractère conventionnel,
quand il y a convention ça va découler d'autres caractères.

Le premier caractère qu'on va retenir c'est la variabilité du signe par opposition à la constance de
la loi naturelle. Ce n'est pas compliqué. Deuxième caractère si je cherche dans le traité de Spinoza.
Donc j'ai situé au niveau de la variabilité les textes principaux, c'est ce qu'il dit sur la prophétisme.

- Deuxième caractère : ce serait l'associativité. L'associativité du signe. C'est-à-dire le signe et là


aussi, c'est d'une simplicité, c'est ça que j'aimerais bien que vous sentiez, faire de la philosphie et de
la très grande philosophie comme Spinoza fait, c'est au besoin parfois dire des choses
extraordinairement compliquées et parfois donner une lumière absolument nouvelle à des choses
vraiment enfantines, quoi. Dire les signes c'est variable. Ca ne va pas loin en apparence mais si ça
vous permet de grouper toutes sortes de choses, déjà ça va très loin là. Le deuxième caractère
également très rudimentaire c'est l'associabilité du signe. Ca veut dire quoi ? C'est que le signe est
un élément qui est toujours pris dans des chaînes d'association. Voyez alors, dès lors ce second
caractère est un peu plus profond que le précédent. Pourquoi il est un peu plus profond que le
précédent ? Parce que c'est sans doute le fait que le signe soit toujours pris, soit inséparable de
chaînes associatives qui va expliquer qu'il est fondamentalement variable. Car, forcément, si le signe
est inséparable des chaînes associatives dans lesquelles il entre, il variera avec la nature de la
chaîne. Et c'est là, c'est à ce second niveau que Spinoza situe le langage. Ce serait même très, très
curieux comme définition du langage qu'on pourrait extraire de Spinoza. Il ne définirait pas le
langage comme système de signes conventionnels, encore une fois, même pas comme système de
signes. Il définirait plus précisement : le langage c'est non pas le signe mais la chaîne associative
dans laquelle entre le signe. Ce qu'il faut appeler le langage ça serait l'ensemble des chaînes
associatives où entrent les signes. Spinoza nous dit à nouveau des choses enfantines. Il y a une
association entre le mot et la chose. Par exemple entre le mot pomme et le fruit. Il prend lui même
l'exemple de la pomme Entre le mot et le fruit il y a une assocation. Peu importe que cette
association soit conventionnelle ou pas. Dans ce cas c'est une association conventionnelle d'accord
mais c'est une association. Mais ce qui compte c'est que il ne faut pas l'isoler justement cette
associaton. Parce que ce qui compte, si vous isolez l'association entre le mot et la chose désignée,
vous ne voyez pas le tissu, le réseau d'associations plus profondes entre la chose désignée par un
mot d'une part et d'autre part d'autres choses. Or vous ne pouvez penser le langage, jamais vous ne
pouvez pas le penser au niveau d'un mot isolé, le langage. Vous ne pouvez pas penser le langage
au niveau du rapport. Et là ça irait assez loin cette remarque. Vous ne pouvez pas penser le langage
au niveau d'un mot isolé et la chose désignée par ce mot. Vous ne pouvez pas penser le langage au
niveau du rapport entre les mots en tant qu'il renvoie à des rapports entre des choses.

- Et à ce moment-là il y aura isomorphisme entre les rapports entre les choses - il y a peut-être, si
vous voulez, rapport conventionnel entre les mots et les choses, mais il y a isomorophisme entre les
rapports entre les mots et les rapports entre les choses. Oui, ça c'est parfait comme formule. Enfin je

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veux dire, c'est clair. C'est pour ça que "conventionnel" ce n'est pas intéressant pour définir le signe.
De toute manière vous avez un isomorphisme si vous prenez les rapports entre les mots et les
rapports entre les choses. Or justement ces chaînes associatives qui unissent les choses comme
nous unissons les mots, c'est quoi ? On voit bien en quoi ils sont variables. Elles sont variables
pourquoi ? Exemple de Spinoza dans le Livre Deux de L'Ethique et c'est un très beau texte qui paraît
très simple mais il faut se méfier sur le langage. Il dit : un paysan entend le mot cheval. Le mot
cheval il est déjà pris dans une série associative avec d'autres mots et ces rapports des mots sont
isomorphiques, isomorphes aux rapports de choses, à savoir : le paysan qui entend le mot cheval
pense, selon Spinoza. Il pense champ, labour. On est dans un domaine extrêmement simple,
rudimentaire mais encore une fois il me semble que déjà la thèse est très interessante. Quand vous
donnez des exemples en philosphie il faut qu'ils soient toujours puérils, sinon ça ne marche pas.
Mais si c'est un soldat ? Lui, il ne pense pas à un champ, labour, quand il entend le mot cheval, il
pense à revue, guerre, mettre sa cuirasse etc. C'est donc, à la limite ce n'est pas le même mot
puisqu'il est pris dans un cas, et dans l'autre il est pris dans deux chaînes associatives complètement
différentes. Donc le signe c'est ce qui est inséparable de l'associativité. Vous voyez, s'il est variable
c'est précisément parce qu'il est inséparable de l'associativité. Donc je dirais le second caractère du
signe c'est : l'associativité.

Vous voyez, on a avancé je dirais plus précisément maintenant : conventionnel, n'est que... un
caractère abstrait dérivé du signe.

Les vrais caractères réels du signe c'est :


Premièrement variabilité,
deuxièmement associativité

et troisièmement c'est quoi ? Le paysan : cheval, série associative, labour, champ, cheval, labour,
champ. Qu'est-ce qui peut briser la chaîne associative ? Labour, champ, si Dieu le veut, il y a
toujours un "si Dieu le veut". Il y a toujours tellement un "si Dieu le veut" que ce n'était pas par
hasard que tout à l'heure je passais de la variabilité quotidienne à la variabilité prophétique. Lorsque
je disais : "nous vivons d'une telle manière que nous ne cessons pas de nous réclamer les uns aux
autres des signes', nous apprenons assez vite que nos signes à nous ils sont toujours à
recommencer alors on voudrait un signe qui nous rassure. Ce signe personne au monde ne peut
nous le donner sauf le créateur du monde. Donc de ce signe éparpillé on passait à un signe divin, le
prophète, la situation du prophète. Là, au niveau de l'associativité on trouve la même chose presque
: Cheval, labour, champ, ah oui si Dieu le veut, c'est à dire s'il ne pleut pas demain, je peux labourer.
Non je sais pas on lavoure quand il pleut ? Ca marche pour la récolte et le guerrier : "Ah, je monte
sur mon cheval pour gagner la bataille mais si Dieu le veut. Comme une chaîne associative est à l'air
libre, elle peut toujours être interrompue par sa propre garantie. Donc je réclame un recours, je
réclame un signe des signes...

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Deleuze
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CINEMA /
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heures)

- 23/02/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 23/02/82 - 2 Page 1/10


COURS 10 du 23 FEVRIER 1982 - 2 transcription : Carine BAUDRY

(...) comme si acteur était le rôle des rôles. Et c'est ça que Bergman, d'après une terminologie
philosophique tout à fait classique - ou psychologie tout à fait classique - appelle : « la persona ». «
La persona » c'est le rôle social, ou du moins c'est un aspect de « la persona ». Dans tous les films
de Bergson il y a le ... Dans tous les films de Bergman, il y a comme prémice du film, pour une raison
ou pour un autre - le rôle social s'écroule.

Deuxième écroulement plus intéressant, plus important, mais comprenez bien le premier ne
vaudrait rien si - c'est ça que je voudrais si ça consistait à dire : "sous les rôles sociaux il y aurait
votre véritable individualité". Soyez vous même mais c'est peut être vrai tout ça mais enfin ! c'est ni
trés nouveau, ni trés passionnant !

Bizarrement pour Bergman, le caractère "individuant" du visage et le caractère "socialisant" du rôle


sont strictement corrélatifs. Si vous faites fondre l'un, si vous défaites l'un, vous défaites l'autre aussi.
On se dit : je ne sais pas si il a raison mais philosophiquement c'est beaucoup plus intéressant. Et ça
renvoie à quel aspect de Bergman ? En même temps que les rôles sociaux tombent, qu'est-ce qui
tombent ? Les individuations et vous vous retrouvez devant d'étranges visages, dédoublés ou
détriplés. Là on retombe dans les clins d'oeils, quels clins d'œil ? Est-ce qu'ils se ressemblent ? Oui
et non, oui, peut-être qu'ils se ressemblent les visages de Bergman. Je cite : j'avais fait une petite
liste c'est pour.. :
les deux femmes de "Persona",
les 2 femmes de "Face à Face",
les 2 sœurs de "Silence",
les 2 soeurs et la servante de "Cris et Chuchotement"s. C'est ce dont je me rappelle un peu, cela
fait toute une série, là.

je dis les facteurs individuants tombent : il y a l'image célèbre de Persona, et puis les anecdotesde
Persona où où Bergman décide... est ce qu'il se moque du monde ou est-ce que c'est sérieux ?
aprés tout les ressemblances... Il dit que ce qui le frappe c'est la ressemblance entre les deux
actrices qui jouent le rôle dans le film : de l'actrice qui a abandonné son rôle, son rôle social, sa «
persona » et l'infirmière. Il dit : les deux se ressemblent,- on lui dit ; "pas tellement" puis il dit que ça
dépend du point de vue, il n'y tient pas fondamentalement à l'idée qu'elles se ressemblent car
évidemment c'est un piège - il faut se méfier de la déclaration des gens. La déclaration des gens à la
fois elles nous aident énormémént et à chaque il peut y avoir un piège, un petit piège Ce n'est pas
intéressant qu'elles se ressemblent. elles se ressemblent elles ou pas ? Comme vous voudrez, ce

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qui est intéressant c'est quelles sont à un niveau où elles n'ont plus - ça peut être un signe commode
qu'elles se ressemblent un peu - Pour le spectateur c'est un signe commode. Et pourquoi en tant que
sœurs, elles ne se ressembleraient pas ? Mais ce n'est pas ça qui le plus intéressant. Ce qui est
intéressant c'est que plus profondément et en même temps elles se ressemblent, oui ! c'est vrai et
elles sont à ce niveau où elles n'ont plus ni a se ressembler ni a ne pas se ressembler. Pourquoi ?
Parce que ce sont les critères d'individuation qui ont fichu le camp, qui n'existent plus, donc on est
hors de la question de ressemblance ou pas. Et ça c'est mieux ! Vous n'avez pas pu abandonné
votre rôle social, sans avoir perdu votre individuation même - pas du tout que les deux soient la
même chose mais les deux sont en corrélation stricte.

D'où la fameuse image du visage de « persona » où une partie du visage de l'actrice et une autre
partie du visage de l'infirmière vont composer - et c'est autre chose qu'une image composite - en un
gros plan, un visage. Un visage qui quoi ? qui n'est pas le produit de leur ressemblance, qui est le
niveau de tout visage, niveau du visage quelconque lorqu'il a perdu sa socialisation et son
individuation. C'est un visage qui n'est plus individué.

Mais c'est toujours un visage de femme, un au sens de quoi, un au sens de un non au sens d'un
'article indéfini, oui c'est un visage. et ce n'est pas une individuation de personne C'est en même
temps qu'il n'y a plus d'individuation. Dans "Cris et Chuchotements" qui est un film de Bergman trés
beau là où il y a le trio : les deux sœurs et la servante qui a une espèce de visage lunaire, il n'y a pas
forcément composition de deux visages, elle toute seule, elle a un visage complètement lavé, et qui
a abdiqué tout rôle social et toute nature individuée.

Il nous reste le troisième point qui en découle : dés lors s'écroule aussi la communication, il n'y a
plus rien à communiquer. Et là le moment est venu pour nous de rompre trés vite avec les platitudes
c'est des platitudes insupportables sur le drame de la communication, il n'y a pas de drame de
l'incommunication. L'incommunication, c'est la fête. Aussi bien pour Antonioni que pour Bergman,
tout ce qu'on raconte sur l'incommunication cela fait pleurer, il ne faut même pas en tenir compte. Ce
qui est évident c'est que la fonction de communication s'est écroulée puisque il Il n'y a pas rien à
communiquer et ça se montre comment ? Le visage en gros plan est frappé de mutité, mutité de
l'héroïne de "Persona" , mutité de la servante de "Cris et Chuchotements", etc... ce qu'on appelle
l'incommunicabilité dans le monde Bergmanien, bien loin d'être un terme pour Bergman, c'est
comme un préliminaire de départ, ça va trop de soi.

Si vous lancez la question « Oh visage, Oh qu'es-tu visage ? » si vous vous apercevez que les
conditions même pour comprendre la question c'est que le visage renonce à sa triple fonction. Il n'y
pas à pleurer sur la, la non-individualité, la non-communication, la non-socialité. Au contraire il y a de
quoi s'égayer puisque vont commencer les choses sérieuses : le visage apparaît dans sa nudité,
dans sa nudité même et quand le visage apparait dans sa nudité. Alors ce serait ça le gros plan :
faire apparaître la nudité du visage. On s'aperçoit que la nudité du visage, elle est plus grande, plus
intense, plus forte même que celle de tout corps possible. Ce qui peut accéder à la nudité dans une
aventure dramatique c'est le visage. Les corps : rien du tout. La nudité des corps c'est pas grave, je
veux dire : les corps tous nus ils n'abandonnent rien d'eux-mêmes et sont en quête de l'apparence
mais les visages nus s'abandonnent réellement eux -mêmes.

Les visages tout nus c'est vraiment notre réelle nudité.

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La question de l'érotisme du gros plan, elle est pas difficile, par exemple le rapport du gros plan et du
baiser. Comment ça s'explique l'érotisme du visage ? Pourquoi c'est plus érotique qu'à priori la scène
porno la plus typique ? Quelqu'un l'a compris, qui pourtant est loin de notre domaine c'est Hitchcock,
dans ses scènes de baisers, ce qui l'intéresse ce n'est pas l'image-affection. Une réponse facile à
ceci serait de dire : le visage vaut pour le corps, c'est l'objet partiel. On nous a assez répété que le
gros plan c'était une espèce d'objet partiel cinématographique. Est-ce que l'érotisme du gros plan
Est-ce que ça vaut de ce que le visage vaut pour le corps ? Dans un gros plan, le visage devient nu,
cela est vrai, même sans le baiser sauf pour Hitchcock. Il lui en faut mais pour des raisons très
simples, c'est que lui c un tel système d'image perfection et action que les gros plan ne peuvent
intervenir que dans les plans de baisers. Le cinéma d'Hitchcock étant dans nos catégories en trois
types d'images :
image perception
image affection
image action,

Il ne s'intéresse pas intensément à l'image affection. Le jeu d'acteur qu'il veut est une neutralisation
de l'image affection, et cela est donc un prodigieux cinéma d'images-perception et d'action. Donc les
rares images affection qu'il se permet ce sont les fameux gros plans de baisers qui représentent
l'érotisation du visage. Quelqu'un comme Bergman n'a pas besoin de passer par le baiser, c'est le
visage dans sa nudité Ce n'est pas un visage qui vaut pour le corps, non, car la manière dt le visage
est nu n'a rien à voir avec un corps qui est nu. Qu'est-ce qui surgit ? Le visage comme étant la figure
la moins humaine du corps, du monde. Le gros plan c'est le visage dans sa nudité, arraché à son
humanité, devenu inhumain. On est là en avance sur tout ce thème traité au cinéma, ce dernier,
finalement traite le visage comme un paysage. Oui et non... Il y a une très belle page de Bazin sur la
passion de Jeanne d'arc, il atteint à une sorte d'inhumanité du visage et c'est par là que c'est du
cinéma et il ajoute les visages traités comme paysages. Dans notre ordre à nous, on est déjà un peu
plus loin, le visage-paysage peut être mais ce n'est pas n'importe quel paysage. Car ça ne vaut que
pour les paysages qui ont perdu leur individuation, leur sociabilité, leur socialité et leur
communications donc finalement ce qui fonde l'identité du visage et du paysage est quelque chose
de plus profond. C'est cette nudité du visage inhumain ou du paysage non-humain. Pourquoi ça ne
serait pas pareil ? En d'autres termes, le visage en gros plan exprime bien quelque chose, mais ce
n'est ni un rôle social ni un état d'âme. Et c'est sûr que l'acteur au cinéma n'exprime pas d'états
d'âmes. Ni état d'âme soumis à une loi d'individuation, ni rôle social soumis à une loi de socialisation,
non. Ça n'empêche pas que ces visages en gros plan soient parfaitement signés. On ne confond pas
un gros plan de Marlène Dietrich et de Greta Garbo. Cela n'a plus rien à voir avec l'individuation, ce
visage dans sa nudité, il y a encore des distinctions, d'où notre question :

Qu'Est-ce que c'est ce visage qui a fait fondre sa triple apparence ?, on a une raison simple. Ce
visage qui a défait sa triple apparence, c'est un visage qui ne peut être défini dans sa nudité ou son
inhumanité même, que sous la forme suivante : il exprime un affect ou des affects et s'il se distingue
- ce n'est pas au nom d'une distinction des individus - mais au nom d'un autre type de distinction,
celle des affects. Et si les affects se distinguent, ce n'est pas du tout comme des personnes.

Voilà, que le visage en lui-même ou du moins tel que le gros plan le présente, peut être défini
comme ceci : c'est l'expression d'un affect.

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Vous me direz du coup : on croyait avoir avancé et pas du tout. Si ! Et cela doit nous donner juste
déjà un tout léger vertige : c'est la masse de choses qui ne pourront plus nous servir à définir ce
qu'est un affect puisqu'il faudra que nous arrivions

Si j'ai défini le visage-gros plan comme expression d'un affect « pur » je ne peux donc plus définir
l'affect, ni par des états d'âmes individués, ni par des signes et rôles sociaux. Je dirais qu'un affect
est toujours singulier mais jamais individué, ni du général ni de l'individuel. Donc ajoutons pour le
moment que le visage dans sa nudité, dans son inhumanité c'est l'expression d'un affect « pur »,
c'est-à-dire une essence singulière, n'ayant rien à voir avec une personne ou un individu. Est ce
qu'on avance Ce visage qui exprime un affect c'est quoi ?

Finissons en avec cette histoire d'objet partiel : quand on nous dit :"un gros plan, c'est un objet partiel

Et le cinéma, là il a toute les possibilités pour nous faire valoir des objets partiels, pour séparer des
parties du Tout. Dans un texte de Jakobson qui commence par : « Par ce"pro toto" : la partie pour le
Tout, métonymie=métonymie=cinéma. »

C'est intéressant pour nous, notamment dans le casle meilleur dans le cas du visage, c'est pas du
tout un parti pris pour la personne car celle-ci a fondu dans le gros plan. Alors généralement, il y a
beaucoup de critiques qui tiennent à l'idée du gros plan comme une métonymie, c'est-à-dire comme
un objet partiel, une partie prise pour le Tout. Simplement il me semble qu'il y a deux manières de le
faire, les uns disent :"oui le gros plan est un objet partiel dés lors, le problème c'est d'injecter cet
objet partiel dans la continuité filmique. En tant qu'objet partiel, il introduit une rupture, on ira même
jusqu'à parler même d'une espèce de castration, il introduit une coupure. Et la question c'est :
comment le concilier avec la continuité filmique ?

Les autres diront : rien du tout : Le gros plan est bien objet partiel, il témoigne pour ce qui est le plus
profond dans le cinéma, c'est-à-dire une discontinuité filmique. Mais si fort, qu'ils s'opposent l'un et
l'autre etils sont d'accord sur le thème gros plan et de l'objet partiel. Mais nous avons une autre idée,
ça n'est pas un objet partiel, le gros plan. C'est quoi donc alors un gros plan ? C'est l'expression
d'une essence singulière, l'expression d'un affect « pur », donc c'est une entité. Qu'Est-ce que c'est
une entité ? C'est quelque chose qui - à la lettre n'existe pas. Le visage serait donc un néant, mais
on peut modérer. Mais comment on peut parler de quelque chose qui n'existe pas ? Je peux aussi
bien dire : un fantôme. C'est une entité, c'est un fantôme C'est quelque chose qui n'existe pas, oui,
en dehors de ce qu'il exprime.

Une entité c'est un exprimé qui n'existe pas hors de son expression.
L'exprimé c'est l'affect « pur », l'expression c'est le visage. L'affect « pur » c'est donc une entité,
mais dés lors l'expression aussi en est. Ou encore on peut dire que c'est l'ensemble «
exprimé-expression » qui est une entité c'est à dire un fantôme. Le gros plan présente le visage et
l'affect « pur » indissolublement comme les deux parties d'une entité simple ou les deux éléments
d'un fantôme.

Ah bon si c'est ça ! On se repose..

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L'effet du gros plan ce n'est absolument pas de séparer un objet du Tout, une partie du Tout, ni
d'opérer une coupure, ce n'est pas ça du tout, l'effet du gros plan.

Il faut avoir une théorie déjà derrière la tête.. Qu'Est-ce que c'est alors l'effet d'un gros plan de visage
sur vous, immédiatement ? Cette image spéciale, gros plan est arrachée pas à un Tout dont elle
serait une partie, elle est arrachée à toutes coordonnées spatio-temporelles. C'est par là qu'elle
exprime une essence. entez que tout ça, ça se lie. l' effet du gros-plan c'est quoi ? Ce qui vous est
montré n'est plus ni dans l'espace, ni dans le temps mais ce n'est pas dans l'éternité non plus pour
autant. Peut-être qu'entre l'espace et le temps et l'éternité il y a tellement d'autres choses. L'image
gros plan, c'est une image qui s'est séparée de toutes coordonnées, qui est extraite de toutes
coordonnées spatio-temporelles. Un point c'est tout ! c'est le seul moyen d'obtenir de telles images
On ne peut donc pas dire que dans un gros plan vous êtes tout prés, sauf grossièrement. Vous êtes
ni prés, ni loin. C'est-ce qui vous est présenté qui ne se réfère plus à des coordonnées
spatio-temporelles. C'est en ce sens que je disais : C'est une pure présentation d'affect, pourquoi ?
Car c'est peut-être parce que l'affect c'est pareil : l'affect « pur » c'est-ce qui ne se raccorde plus à
aucune coordonnée spatio-temporelle mais qui n'est pas éternel pour ça. C'est, ce qui est hors de
l'espace et du temps. Il y a quelqu'un qui l'a vu ça, je trouve les pages belles - c'est un critique dont
je vous ai déjà parlé, et qui est important, qui est Balazs.

Dans deux livres, (mais apparemment qui seraient deux versions d'un même livre) : « Le Cinéma »
paru chez Fayot, P.57 de « Le Cinéma » : « L'expression d'un visage isolé est un tout intelligible par
lui-même. Nous n'avons rien à y ajouter par la pensée ni pour ce qui est de l'espace et du temps.
Lorsqu'un visage, que nous venons de voir au milieu d'une foule est détaché de son environnement,
mis en relief, c'est comme si nous étions soudain face à face avec lui ou encore si nous l'avons vu
précedemment dans un grande pièce, nous ne penserons plus à celle-ci lorsque nous scruterons ce
visage en gros plan. Car l'expression d'un visage et la signification de cette expression ( Je dirais : le
visage comme expression et l'exprimé du visage c'est à dire l'affect ) - n'ont aucun rapport ou liaison
avec l'espace. Face à un visage isolé nous ne percevons pas l'espace. Notre sensation de l'espace
est abolie. Une dimension d'un autre ordre s'ouvre à nous celle de la physionomie. (il s'est juste
trompé, il voulait dire une dimension d'un autre ordre s'ouvre à nous celle de l'affect « pur). »

Dans « Esprits du cinéma », P.130 : « Si un visage isolé et agrandi nous fait face, nous ne pensons
plus à quelque lieu que se soit ni à aucun environnement, même si nous venons de le voir au milieu
d'une foule nous sommes à présent brusquement seul avec lui, en tête à tête. Nous savons peut-être
que ce visage est dans un lieu déterminé mais ce lieu nous ne l'ajoutons pas par la pensée car ce
visage devient expression et signification, même sans y ajouter par la pensée une relation spatiale.
Le précipice au-dessus duquel quelqu'un se penche, "explique" peut-être son expression de frayeur
mais ne la "crée "pas car l'expression existe même sans justification. (Là, il s'agit bien de l'affect.)
Face au visage nous ne nous trouvons pas dans l'espace. »

Donc je dirais, la fonction du gros plan ça n'est pas d'agrandir une partie mais pas non plus
inversement diminuer l'espace, rétrécir l'espace et c'est absolument pas faire valoir un objet partiel.
C'est extraire la chose, c'est-à-dire l'image de toute coordonnée spatio-temporelle. Qu'Est-ce qu'un
gros plan raté ? Il faut encore le faire, facile à dire mais pas si facile à faire. C'est lorsqu'il y a les
amarres qui tiennent, les coordonnées spatio-temporelles subsistent. Vous avez beau faire Je pense

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à un petit texte très amusant, qui m'a mis dans la joie, un texte d' Eisenstein qui a été publié dans «
les cahiers du cinéma » où il dit : « Il y a un gros plan dans "Intolérance" de Griffith. Un gros plan
obsessionnel de berceau, qui est censé être quoi ? Et puis il dit dans un film de Dovchenko, il y a
aussi un gros plan de femme nue, et les deux c'est raté. Pourquoi selon lui, sont-ils ratés ? Car dans
les deux, cela ne fonctionne pas, le berceau par exemple, reste vraiment lié au fait qu'il y a un bébé
qui est né. Alors que toute l'intention de Griffith c'était d'en faire toute l'expression de l'origine du
temps, le berceau du temps.

Et l'autre non plus ne marche pas, on l'a vu précédemment nue dans la cuisine entourée de tous
ces ustensiles. Donc ce sont des images qui même en gros plan n'ont pas réuussi à rompre leurs
amarres. » Cela n'a donc pas marché. Alors on en revient toujours là,

voilà que le visage-entité est bien l'expression d'un « pur » affect ou d'une essence singulière ou
encore l'ensemble de deux éléments. Mais ce n'est pas une distinction réelle car l'exprimé n'existe
pas hors de l'expression. Mais je ne les confonds pas. Je ne confonds pas la frayeur-affect « pur » et
le visage effrayé et pourtant la distinction n'est pas réelle. La cause de la frayeur est bien distincte du
visage effrayé mais la frayeur elle-même n'est pas réellement distincte du visage effrayé. Et pourtant
il y a une distinction. A savoir que la frayeur, c'est l'exprimé et que le visage effrayé c'est l'expression
: c'est ça que j'appelle le fantôme ou l'entité. C'est justifié puisque, maintenant je pourrai dire :
On appelle fantôme ou entité, toute chose ou être - je dis pas existence puisque ça n'existe pas -
en tant qu'abstraite de toute coordonnée spatio-temporelle, c'est cela un fantôme. On vit dans les
fantômes. Alors pourquoi avoir attaché tellement d'importance à l'image-affection au cinéma ? Les
fantômes ce sont des visages, il n'y en a pas d'autres. Qu'Est-ce que ça veut dire « on vit dans les
fantômes » ? Ce n'est pas du tout des choses archaïques, les fantômes. Il y a un texte de Kafka qui
m'a frappé : Les lettres à Milena, où il parle pour son compte, le monde tel qu'il le voit et on sent
tellement que ça lui tient à cœur.

C'est donc plus une anecdote qu'une idée car il vivait comme ça. Cela me fascine, les anecdotes de
vie et leurs résonances sur des formes d'art quand il s'agit d'un trés grand artiste. C'Est-ce que
Nietzsche appelait les anecdotes dans la vie d'un penseur, ... Empédocle et son Volcan, Empédocle
se jette dans le volcan. C'est un fait divers de la pensée. Pourtant il se jete vraiment ! C'est quelque
chose de formidable, Kant faisait cela durant ses promenades. C'est curieux ce phénomène, le fait
divers Kafka. Il vivait comme si le monde était double et le monde moderne. Il disait : « il y a deux
sortes de chose dans le monde : il y a tout ce qui nous aide dans l'espace et dans le temps. Il y a, à
la fois l'espace et le temps comme obstacles - il faut vous rappeler ça pour l'avenir - et tout ce qui
constitue cette première lignée ceux-ci comme obstacles et le moyen de les surmonter. Il disait c'est
quoi ça ? et bien c'est toute une série animée par les moyens de locomotion - alors il citait les
moyens de locomotion modernes : la voiture, le train, le paquebot ou encore l'avion. » Voilà vous
avez votre série.

Mais il disait aussi « Faites attention, il y a une autre série ! Notre monde moderne aurait gagné son
entreprise de dominer la nature si , il n'y avait pas : non moins moderne, non moins technologique, il
y a une autre lignée : les PTT, le téléphone, la photo...il aurait ajouté après le cinéma, la télé, etc... Il
disait ::"c'est comme si la lignée technologique de l'espace et du temps ne pouvait pas progressée
sans susciter son opposé. Et en quoi sont-ils opposés ? Ce sont comme les moyens qui vous
épargnent toute confrontation avec l'espace et le temps, on prend en charge le mouvement, quelque

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chose d'autre prend en charge le mouvement. Qu'et ce que c'est que ça ? C'est la lignée qui nourrit
et fait naître les fantômes, et notre technologie n'avance pas sans susciter, sans produire autant de
fantômes qu'elle produit de perfectionnement technique. Pourquoi qu'une lettre, qu'un coup de
téléphone serait un fantôme ? Comme il dit à Milena : « Même avant que la lettre soit partie, les
fantômes ont bu le baiser que je t'envoyais. » J'espère qu'il ne le dit pas encore mieux car c'est d'une
beauté.

Hors dans son esprit pervers, qu'est-ce qu'il faisait Kafka ? Un humour tellement diabolique, il avait
lui, déjà fait son choix et il savait que son choix ferait son malheur et qu'il irait jusqu'à la mort. Son
état de santé de santé extrêmement fragile l'empêchait d'affronter les chemins de fer, les voitures et
les avions. Il avait choisi la ligne technologique des fantômes. Il se rachetait, bougeait pour voir sa
fiancée, non rien du tout. Mais en revanche il lui envoyait lettre sur lettre, la précédente
décommandant la précédente, non... la suivante, bref tout cela dans un mélange. Et bien sûr dans
son raisonnement, il n'avait pas écrit une lettre que les fantômes l'avaient déjà bu, il fallait en faire
une autre. Et son rêve, il disait il avait uen fiancée qui était spécialiste des « parlaphones,
papophones, parlophones »... je ne sais plus.. C'est la production technologique des fantômes

Vous voyez ces deux lignées...

Voilà, le texte, voilà, « Lettres à Milena », aux Editions Gallimard, P.260 : « Je n'ai pour ainsi dire
jamais été trompé par des hommes, par des lettres, toujours. Et cette fois, ce n'est pas par celles des
autres mais par les miennes. Il y a là, en ce qui me concerne, un désagrément personnel sur lequel
je ne veux pas m'étendre. Mais c'est aussi un malheur général. La grande facilité d'écrire des lettres
doit avoir introduit dans le monde du point de vue purement théorique, une terrible dislocation des
âmes, c'est-à-dire une double perte, de la fonction individuante et de la fonction sociale. C'est un
commerce avec des fantômes, non seulement du destinataire mais encore avec le sien propre. Le
fantôme croit sous la main qui écrit, dans la lettre qu'elle rédige, à plus forte raison dans une suite de
lettres où l'une corrobore l'autre et peut l'appeler à témoin. Comment a pu naître l'idée que des
lettres donneraient aux hommes le moyen de communiquer ? On peut penser à un être lointain, on
peut saisir un être proche - c'est la série de l'espace-temps.

Là, on est dans l'espace et le temps. Écrire des lettres, en revanche c'est se mettre nu devant les
fantômes (c'est l'essence du gros-plan), ils attendent ce geste avidement. Les baisers écrits ne
parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route. C'est grâce à cette copieuse
nourriture qu'ils se multiplient si fabuleusement. L'humanité le sent et lutte contre le péril, elle a
cherché à éliminer le plus qu'elle pouvait, le fantomatique entre les hommes à obtenir entre eux des
relations naturelles, à restaurer la paix des âmes en inventant le chemin de fer, l'auto, l'aéroplane,
mais ça ne sert plus de rien. Ces inventions étaient faites une fois la chute déclenchée. L'adversaire,
c'est à dire les fantômes est tellement plus calme et tellement plus fort après la poste il a inventé la
télégraphie, la téléphone sans fil, les esprits ne mourront pas de faim mais nous, nous périrons. »
Une drôle de situation ! Je voudrais en finir avec deux remarques. J'ai dit, il y a un cinéaste qui a très
bien compris cela : si vous vivez, vous pouvez très bien ne pas vivre comme ça, on a toujors le
choix. Votre découpage de concepts cela peut être tout à fait autre chose que ces deux lignes Lui
dans la technologie la pus moderne, il distinguera : la ligne des cordonnées spatio-temporelles
l'espace-temps (avion, train...) et la ligne des fantômes (ligne également technologique). Il est le
premier à dire cela, que l'un va avec l'autre. Mais il y a une tension entre les deux. La première ligne

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est la conquête de l'espace-temps et des conquêtes de l‘espace-temps, la deuxième est celle des
affects « purs », des entités, la ligne des fantômes.

Wenders est kafkaïen - le texte est issu d'une belle rencontre, mais son cinéma n'est pas une
atmosphère Kafka, non, c'est toiut à fait autre chose. Tout le cinéma de Wenders est basé sur la
coexistence et les interférences entre deux lignes. D'une part, la ligne des moyens de locomotion et
leur conversion ... : C'est présent dans tous ses films sans exception.

En corrélation - et tout le problème c'est comment l'un reagit sur l'autre - la ligne des petites
machines à fantômes et les voyages dans l'espace et le temps vont emprunter tous les moyens de
locomotion et c'est par là qu'il une idée de cinéma tout à fait formidable. Tout comme Bergman disait
« mon problème à moi ce sont les gros plans de visages », lui son problème ça me paraît être ça,
l'histoire de ces deux lignées et leurs rapports.

Dans "Au fil du temps", c'est évident, le voyage auto, camion ... des deux types, l'étrange visite aux
machines à imprimer, au cinéma ambulant, etc...se confrontent avec l'autre ligne, les fantômes, il
faut traverser ces fantômes en même temps qu'on traverse l'espace et le temps. Il l'a fait une fois
mais pas deux de cette manière de traiter ce sujet mais cependant, comme d'une certaine façon
obsessionnelle.il le garde toujours,

Si je prends "Alice dans les villes", c'est à l'état le plus pur, les changements de moyens de
transports, leur conversion l'un dans l'autre. Bien plus encore, pour faire dormir la petite fille, il lui
raconte une histoire - souvent c'est important le dialogue, il dépasse la situation d'où toute son
importance : « un petit garçon joue avec sa maman mais il se perd et il commence par rencontrer
une grenouille, il la suit. Premier moyen de locomotion. Puis il arrive à une rivière et il y a un poisson,
il décide de le suivre (changement de transport), il arrive à un pont où il y a un cheval : immobile, il
se met en mouvement donc il suit le cheval. Il a changé de moyen de transport encore. Puis il arrive
sur une route il voit un camion, il monte dans le camion. Il dit à la petite fille que c'est rudement bien
là où il est car il peut tripoter, il y a la radio, etc...et le camion arrive à la mer et on ne saura plus. Et
pendant tout ce temps lui, qu'est-ce qu'il a fait, le petit d‘Alice ? Pendant toute la durée du film, il a
pris des polaroïds, en même temps qu'il changeait de moyen de transport. Avion, bateau, métro
aerien, tout y passe Ce sont les grandes conversions de mouvement propres à Wenders. Il prenait
donc tout le temps des polaroïds ce qui agaçait quelque peu la petite fille. Et tout le film est composé
avec de extinctions d'images jusqu'à un certain moment, exactementsur le thème ; le négatif de
polaroïd, de même que sur le polaroïd en couleur vous voyez l'image se former. Tout le début d'Alice
est prodigieux car on a l'impression d'un caractère très insolite des images, mais là c'est au
contraire, des images qui s'éteignent comme pour marquer que c'est comme des polaroïds. Et
quand, ils arrivent avec Alice, à Amsterdam, elle se tourne vers lui et lui dit : « Tu ne fais plus de
polaroïds », et là le style du film a changé.

Ce qui a de Kafkaïen chez Wenders, non une atmosphère générale, c'est cette manière de vivre
les deux lignées. Et la confrontation des deux lignées, alors même dans "L'ami américain", là aussi
dans toute la conversion des moyens de transports, comment se fait le rapport étrange des deux ?
Là aussi il y a abandon et des individuations et du rôle social. La communication, elle passe par quoi
? L'échange de petits objets optiques, des petits cadeaux qui se font, tout l'art des fantômes.

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(Intervention : « Dans « Le rendez-vous d'Anna », elle traverse la capitale, passe d'hôtel à un autre.
Puis rentre chez elle et écoute ses messages. » Deleuze : Oui, en effet, dans « Le rendez-vous
d'Anna » d'Akermann.

Ce que dit Kafka, c'est que finalement la ligne technologique pure, moyen de locomotion qui permet
de vaincre l'espace et le temps, est vaincue d'avance par la ligne des fantômes. Elle sera noyée pour
les fantômes, on périra, on n'aura plus aucun contact avec le réel. Fini tout ça , c'est déjà fait. Il n'y
aura plus comme chez Wenders, ce sens étonnant de (l‘espace ?...), ces interférences entre les
deux lignées (machine fantomatique et espace-temps), il n'y aura plus bi interférence ni concurrence,
tout sera rabattu sur une seule et même lignée, entre machine fantomatique et machine
espace-temps : les machines à fantômes, les lettres. Le caractère fantomatique des lettres
apparaîtra de manière très... Je cite, l'importance des lettres précisemment dans le cinéma de
Bergman, dans le livre de Denis (Marion sur Bergman, il cite deux cas, non, P.37, voilà : « Dans "les
communiants" c'est un pasteur qui reçoit de sa maîtresse, une lettre traçant le bilan de leurs
rapports. Il y aurait dit Marion, l'auteur deux manières de filmer cette séquence
1) on voit la femme écrire la lettre, Ou alors :
2) on voit l'homme en train de lire cette lettre.

Bergman invente lui, une troisième méthode :


3) pendant que le pasteur lit la lettre, la femme en premier plan, en dit les phrases sans les écrire.
trés interessant Dans Sonate d'automne, le texte d'une lettre est présentée de manière encore plus
artificielle, il est réparti entre celle qui l'écrit, son mari qui en prend connaissance et la destinataire
qui ne l'a pas encore reçue. On voit bien là, il n'y a plus de lutte, interférence entre les deux lignées
technologiques, les fantômes ont déjà gagné, la ligne des fantômes a déjà gagné

et il dira : « Je ne peux faire que des gros plans, les rares trains que je mettrai, les rares moyens de
communication que je mettrai, seront rendus suffisamment indéterminés pour qu'ils soient soumis à
des affects « purs », ce sera un monde où n'existera plus ni perception ni action, car de tels
fantômes habitant un tel monde ne pourront percevoir et agir que par leurs affects". Les affects
feront/seront les actions et les perceptions de ces fantômes qui peuplent un tel monde." Je ne veux
pas dire que le cinéma de Bergman va plus loin que celui de Wenders mais que Bergman a
complètement décalé le problème.

Alors voilà, pour le moment nous en sommes à ce rapport fantomatique entre le visage et l'affect
mais, sans avoir fait encore l'analyse des affects « purs », de cette ligne des fantômes. Oui, une
seconde, oui.

(Intervention ...)

A mon avis, je dirais écoute, il ne faut pas, j'essaierai d'en parler un petit peu la prochaine fois, tu me
le rappelles, hein ? Le masque n'a aucun privilège, car le masque c'est une notion ambiguë, je veux
dire qu'un visage démasqué peut être beaucoup plus masque lui même qu'un visage avec un
masque, alors ce que je dirais, alors ça, tu y penses la prochaine fois.

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

2- 09/12/80 - 1
Marielle Burkhalter

2- 09/12/80 - 1 Page 1/6


DELEUZE - SPINOZA transcription : Lucie Fossiez
cours 2 du 09/12/1980 - 1

j'en suis donc autour de ce point qui est : Spinoza fait une tentative qui est sûrement une des
tentatives les plus audacieuses en ce sens qui vont le plus loin, à savoir le projet d'une ontologie
pure. Mais ma question c'est toujours : comment ça se fait que cette ontologie pure, il l'appelle une
Éthique ? il ne l'appelle pas ontologie, il l'appelle éthique. Et on a commencé - et je voudrais que
cette question on la garde un peu comme une question qui nous revient tout le temps.

Alors il n'y a pas de réponse définitive. Ce serait plutôt par l'accumulation de traits que s'imposerait
petit à petit : ah oui c'était très bien qu'il appelle ça une Éthique.

On a vu l'atmosphère générale de ce lien entre une Ontologie et une Ethique avec le soupçon qu'une
éthique c'est quelque chose qui n'a rien à voir avec une morale. Et pourquoi est ce qu'on a un
soupçon du lien, qui fait que cette Ontologie pure prend le nom d'Éthique ? On l'a vu. C'est que
l'Ontologie pure de Spinoza se présente comme la position unique absolument infinie. Dès lors, les
étants, cette substance unique absolument infinie, c'est l'être. L'être en tant qu'être. les étants dès
lors ne seront pas des êtres, ce seront quoi ? ce seront ce que Spinoza appelle des modes, des
modes de la substance absolument infinie. Et un mode c'est quoi ? C'est pas un être, c'est une
manière d'être. Les étants, les existants ne sont pas des êtres, il n'y a comme être que la substance
absolument infinie. Dès lors, nous qui sommes des étants, nous qui sommes des existants, nous ne
serons pas des êtres, nous serons des manières d'être de cette substance. Et si je me demande
quel est le premier sens le plus immédiat du mot éthique, en quoi c'est déjà autre chose que de la
morale ? et bien je dirais l'éthique nous est plus connue aujourd'hui sous un autre nom, qui a pris un
developpement et qui a eu un certain succés : c'est le mot éthologie.

Lorsqu'on parle d'une éthologie à propos des animaux, ou même d'une ethologie à propos de
l'homme, il s'agit de quoi ? L'éthologie au sens le plus rudimentaire c'est une science pratique, de
quoi ? Une science pratique des manières d'être.
Alors je dirais : la manière d'être c'est précisément le statut des étants, des existants, du point de
vue d'une ontologie pure. En quoi c'est déjà différent d'une morale ? Vous prenez tout ça dans une
atmosphère de rêve éveillé, on attache pas une importance fondamental à chaque proposition. On
essaie de composer unes espèce de paysage qui serait le paysage de l'ontologie. On est des
manières d'être dans l'être, c'est ça l'objet d'une éthique, c'est à dire d'une éthologie. Dans une
morale, au contraire, il s'agit de quoi ? Il s'agit de deux choses qui sont fondamentalement soudées.
Il s'agit

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de l'essence
et des valeurs. Une morale nous rappelle, comme ça, c'est une impression, c'est une opération
qui nous rappelle à l'essence, c'est à dire à notre essence, et qui nous y rappelle par les valeurs.
Vous voyez bien que ce n'est pas le point de vue de l'être. Je ne crois pas qu'une morale puisse se
faire du point de vue d'une ontologie. Pourquoi ? Parce que la morale ça implique toujours quelque
chose de supérieur à l'être ; ce qu'il y a de supérieur à l'être c'est quelque chose qui joue le rôle de
l'Un, du bien, c'est l'Un supérieur à l'être. En effet, la morale c'est l'entreprise de juger non seulement
tout ce qui est, mais l'être lui-même. Or on ne peut juger de l'être que au nom d'une instance
supérieure à l'être. Lorsqu'un grand auteur a dit : "la valeur n'attend pas le nombre des années" il
disait d'une cetaine manière : la valeur prévède l'être, ne riez pas c'est une plaisanterie, alors je
retire... En quoi est-ce que, dans une morale, il s'agit de l'essence et des valeurs ? Ce qui est en
question dans une morale c'est notre essence. Qu'est-ce que c'est notre essence ? Dans une morale
il s'agit toujours de réaliser l'essence. Ca implique que l'essence est dans un état où elle n'est pas
nécessairement réalisée, ça implique que nous ayons une essence. Nous aurions une essence en
tant qu'homme. Ce n'est pas évident qu'il y ait une essence de l'homme. Mais c'est très nécessaire à
la morale de parler et de nous donner des ordres au nom d'une essence. Si on nous donne des
ordres eu nom d'une essence, c'est que cette essence n'est pas réalisée par elle-même. On dira
qu'elle est "en puissance" dans l'homme cette essence.

Qu'est-ce que c'est que l'essence de l'homme en puissance dans l'homme, du point de vue d'une
morale ? C'est bien connu, l'essence de l'homme c'est d'être "animal raisonnable". la définition
classique dans Aristote : L'homme est un animal raisonnable. L'essence, c'est ce que la chose est,
animal raisonnable c'est l'essence de l'homme. Mais l'homme a beau avoir pour essence animal
raisonnable, il n'est pas tant raisonnable que çà, il ne cesse pas de se conduire de manière
déraisonnable. Comment ça se fait ? C'est que l'essence de l'homme, en tant que telle, n'est pas
nécessairement réalisée. Pourquoi ? Parce que l'homme n'est pas raison pure, alors il y a des
accidents, il ne cesse pas d'être détourné. Toute le conception classique de l'homme consiste à le
convier à rejoindre son essence parce que cette essence est comme une potentialité, qui n'est pas
nécessairement réalisée, et la morale c'est le processus de la réalisation de l'essence humaine. Or,
comment peut-elle se réaliser cette essence qui n'est qu'en puissance ? Par la morale. Dire qu'elle
est à réaliser par la morale c'est dire qu'elle doit être prise pour fin. L'essence de l'homme doit être
prise pour fin par l'homme existant. Donc, se conduire de manière raisonnable, c'est à dire faire
passer l'essence à l'acte, c'est ça la tâche de la morale.

Or l'essence prise comme fin, c'est ça la valeur. Voyez que la vision morale du monde est faite
d'essence. L'essence n'est qu'en puissance, il faut réaliser l'essence, cela se fera dans la mesure où
l'essence est prise pour fin, et les valeurs assurent la réalisation de l'essence. C'est cet ensemble
que je dirais moral. Dans un monde éthique, essayons de convertir, il n'y a plus rien de tout cela.

Qu'est-ce qu'ils nous diront dans une Ethique ? On ne va rien retrouver. C'est un autre paysage.
Spinoza parle très souvent de l'essence, mais pour lui, l'essence c'est jamais l'essence de l'homme.
L'essence c'est toujours une détermination singulière. Il y a l'essence de celui-ci, de celui-là, il n'y a
pas d'essence de l'homme. Il dira lui-même que les essences générales ou les essences abstraites
du type l'essence de l'homme, c'est des idées confuses. Il n'y a pas d'idée générale dans une
Ethique. Il y a vous, celui-ci, celui-là, il y a des singularités. Le mot essence risque fort de changer de
sens.

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Lorsqu'il parle d'essence, ce qui l'intéresse ce n'est pas l'essence, ce qui l'intéresse c'est l'existence
et l'existant. En d'autres termes, ce qui est ne peut être mis en rapport avec l'être qu'au niveau de
l'existence, et pas au niveau de l'essence. A ce niveau, il y a déjà un existentialisme chez Spinoza. Il
ne s'agit donc pas d'une essence de l'homme, chez Spinoza, ce n'est pas la question d'une essence
de l'homme qui ne serait qu'en puissance et que la morale se chargerait de réaliser, il s'agit de tout à
fait autre chose. Vous reconnaissez une éthique à ce que celui qui vous parle de l'éthique vous dit de
deux choses l'une. Il s'intéresse aux existants dans leur singularité. Tantôt, il va vous dire qu'entre
les existants il y a une distinction, une différence quantitative d'existence ; les existants peuvent être
considérés sur une espèce d'échelle quantitative d'après laquelle ils sont plus ou moins ... Plus ou
moins quoi ? On va voir. Pas du tout une essence commune à plusieurs choses, mais une distinction
quantitative de plus et de moins entre existants, là c'est de l'Ethique.

D'autre part, le même discours d'une éthique se poursuit en disant qu'il y a aussi une opposition
qualitative entre modes d'existence. Les deux critères de l'éthique, en d'autres termes, la distinction
quantitative des existants, et l'opposition qualitative des modes d'existence, la polarisation qualitative
des modes d'existence, vont être les deux manières dont les existants sont dans l'être. Ca va être les
liens de l'Ethique avec l'Ontologie. Les existants ou les étants sont dans l'être de deux points de vue
simultanés, du point de vue d'une opposition qualitative des modes d'existence, et du point de vue
d'une échelle quantitative des existants. C'est complètement le monde de l'immanence. Pourquoi ?
C'est le monde de l'immanence parce que, vous voyez à quel point c'est différent du monde des
valeurs morales telles que je viens de les définir, les valeurs morales étant précisément cette espèce
de tension entre l'essence à réaliser et la réalisation de l'essence. Je dirais que la valeur c'est
exactement l'essence prise comme fin. Ca, c'est le monde moral. L'achèvement du monde moral, on
peut dire que c'est Kant, c'est là en effet qu'une essence humaine supposée se prend pour fin, dans
une espèce d'acte pur. L'Ethique, ce n'est pas ça du tout, c'est comme deux mondes absolument
différents. Qu'est-ce que Spinoza peut avoir à dire aux autres. Rien. Il s'agirait de montrer tout ça
concrètement.

Dans une morale, vous avez toujours l'opération suivante : vous faites quelque chose, vous dites
quelque chose, vous le jugez vous-même. C'est le système du jugement. La morale, c'est le système
du jugement. Du double jugement, vous vous jugez vous-même et vous êtes jugé. Ceux qui ont le
goût de la morale, c'est eux qui ont le goût du jugement. Juger, ça implique toujours une instance
supérieure à l'être, ça implique toujours quelque chose de supérieur à une ontologie. Ca implique
toujours l'un plus que l'être, le Bien qui fait être et qui fait agir, c'est le Bien supérieur à l'être, c'est
l'un. La valeur exprime cette instance supérieure à l'être. Donc, les valeurs sont l'élément
fondamental du système du jugement. Donc, vous vous référez toujours à cette instance supérieure
à l'être pour juger. Dans une éthique, c'est complètement différent, vous ne jugez pas. D'une certaine
manière, vous dites : quoique vous fassiez, vous n'aurez jamais que ce que vous méritez. Quelqu'un
dit ou fait quelque chose, vous ne rapportez pas ça à des valeurs. Vous vous demandez comment
est-ce que c'est possible, ça ? Comment est-ce possible de manière interne ? En d'autres termes,
vous rapportez la chose ou le dire au mode d'existence qu'il implique, qu'il enveloppe en lui-même.
Comment il faut être pour dire ça ? Quelle manière d'être ça implique ? Vous cherchez les modes
d'existence enveloppés, et non pas les valeurs transcendantes. C'est l'opération de l'immanence. (...)

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Le point de vue d'une éthique c'est : de quoi es-tu capable, qu'est-ce que tu peux ? D'où, retour à
cette espèce de cri de Spinoza : qu'est-ce que peut un corps ? On ne sait jamais d'avance ce que
peut un corps. On ne sait jamais comment s'organisent et comment les modes d'existence sont
enveloppés dans quelqu'un. Spinoza explique très bien tel ou tel corps, ce n'est jamais un corps
quelconque, c'est qu'est-ce que tu peux, toi. Mon hypothèse, c'est que le discours de l'éthique a
deux caractères : elle nous dit que les étants ont une distinction quantitative de plus et de moins, et
d'autre part, elle nous dit aussi que les modes d'existence ont une polarité qualitative, en gros, il y a
deux grands modes d'existence.

Qu'est-ce que c'est ?


Quand on nous suggère que, entre vous et moi, entre deux personnes, entre une personne et un
animal, entre un animal et une chose, il n'y a éthiquement, c'est à dire ontologiquement, qu'une
distinction quantitative, de quelle quantité s'agit-il ? - Quand on nous suggère que ce qui fait le plus
profond de nos singularités, c'est quelque chose de quantitatif, qu'est-ce que ça peut bien vouloir
dire ? Fichte et Schelling ont développé une théorie de l'individuation très intéressante qu'on résume
sous le nom de l'individuation quantitative. Si les choses s'individuent quantitativement, on comprend
vaguement. Quelle quantité ? Il s'agit de définir les gens, les choses, les animaux, n'importe quoi par
ce que chacun peut.

Les gens, les choses, les animaux se distinguent par ce qu'ils peuvent, c'est à dire qu'ils ne
peuvent pas la même chose. Qu'est-ce que c'est ce que je peux ? Jamais un moraliste ne définirait
l'homme par ce qu'il peut, un moraliste définit l'homme par ce qu'il est, par ce qu'il est en droit. Donc,
un moraliste définit l'homme par animal raisonnable. C'est l'essence. Spinoza ne définit jamais
l'homme comme un animal raisonnable, il définit l'homme par ce qu'il peut, corps et âme. Si je dis
que "raisonnable" ce n'est pas l'essence de l'homme, mais c'est quelque chose que l'homme peut,
ça change tellement que déraisonnable aussi c'est quelque chose que l'homme peut.

Etre fou aussi ça fait partie du pouvoir de l'homme. Au niveau d'un animal, on voit bien le
problème. Si vous prenez ce qu'on appelle l'histoire naturelle, elle a sa fondation dans Aristote. Elle
définit l'animal par ce que l'animal est. Dans son ambition fondamentale, il s'agit de dire qu'est-ce
que l'animal est. Qu'est-ce qu'un vertébré, qu'est-ce qu'un poisson, et l'histoire naturelle d'Aristote
est pleine de cette recherche de l'essence. Dans ce qu'on appelle les classifications animales, on
définira l'animal avant tout, chaque fois que c'est possible, par son essence, c'est à dire par ce qu'il
est. Imaginez ces types qui arrivent et qui procèdent tout à fait autrement : ils s'intéressent à ce que
la chose ou ce que l'animal peut. Ils vont faire une espèce de registre des pouvoirs de l'animal.
Celui-là peut voler, celui-ci mange de l'herbe, tel autre mange de la viande. Le régime alimentaire,
vous sentez qu'il s'agit des modes d'existence. Une chose inanimée aussi, qu'est-ce qu'elle peut, le
diamant qu'est-ce qu'il peut ? C'est à dire de quelles épreuves est-il capable ? Qu'est-ce qu'il
supporte ? Qu'est-ce qu'il fait ? Un chameau ça peut ne pas boire pendant longtemps. C'est une
passion du chameau.
On définit les choses par ce qu'elles peuvent, ça ouvre des expérimentations. C'est toute une
exploration des choses, ça n'a rien à voir avec l'essence. Il faut voir les gens comme des petits
paquets de pouvoir. Je fais comme une espèce de description de ce que peuvent les gens.

Du point de vue d'une éthique, tous les existants, tous les étants sont rapportés à une échelle
quantitative qui est celle de la puissance. Ils ont plus ou moins de puissance.

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Cette quantité différenciable, c'est la puissance. Le discours éthique ne cessera pas de nous
parler, non pas des essences, il ne croit pas aux essences, il ne nous parle que de la puissance, à
savoir les actions et passions dont quelque chose est capable. Non pas ce que la chose est, mais ce
qu'elle est capable de supporter et capable de faire. Et s'il n'y a pas d'essence générale, c'est que, à
ce niveau de la puissance tout est singulier. On ne sait pas d'avance alors que l'essence nous dit ce
qu'est un ensemble de choses. L'éthique ne nous dit rien, ne peut pas savoir. Un poisson ne peut
pas ce que le poisson voisin peut. Il y aura donc une différenciation infinie de la quantité de
puissance d'après les existants. Les choses reçoivent une distinction quantitative parce qu'elles sont
rapportées à l'échelle de la puissance.

Lorsque, bien après Spinoza, Nietzsche lancera le concept de volonté de puissance, je ne dis pas
qu'il veuille dire que cela, mais il veut dire, avant tout, cela. Et on ne peut rien comprendre chez
Nietzsche si l'on croit que c'est l'opération par laquelle chacun de nous tendrait vers la puissance. La
puissance ce n'est pas ce que je veux, par définition, c'est ce que j'ai. J'ai telle ou telle puissance et
c'est cela qui me situe dans l'échelle quantitative des êtres. Faire de puissance l'objet de la volonté
c'est un contresens, c'est juste le contraire. C'est d'après la puissance que j'ai que je veux ceci ou
cela. Volonté de puissance ça veut dire que vous définirez les choses, les hommes, les animaux
d'après la puissance effective qu'ils ont. Encore une fois, c'est la question : qu'est-ce que peut un
corps ?

C'est très différent de la question morale : qu'est-ce que tu dois en vertu de ton essence, c'est
qu'est-ce que tu peux, toi, en vertu de ta puissance. Voilà donc que la puissance constitue l'échelle
quantitative des êtres. C'est la quantité de puissance qui distingue un existant d'un autre existant.
Spinoza dit très souvent que l'essence c'est la puissance. Comprenez le coup philosophique qu'il est
en train de faire.

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 26/01/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 26/01/82 - 2 Page 1/11


Cours de Deleuze du 26/01/82 - 2 Cinéma - cours n° 8 B

Transcription : Nicolas Lehnebach

Eh bien maintenant et la prochaine fois, nous allons être occupés - vous voulez pas fermer la porte ?
parce que ça m'angoisse les portes ouvertes - nous allons être occupés maintenant par la seconde
espèce d'image : l'image-affection.

Et voilà, j'ai envie tout de suite de dire comme ça une espèce de formule qui pourrait nous servir de
repère bien qu'à la lettre on ne puisse pas - je crois - comprendre où elle va nous mener. Ce que j'ai
envie de dire c'est... j'en ai envie déjà, le fait que j'en ai envie ça doit être signe de quelque chose.
Alors que pour l'image-perception, il nous a fallu très longtemps pour avoir une formule qui dessinait
les choses. Là j'ai envie tout de suite - je me dis : la formule on l'a tout de suite. Et elle est très
simple, c'est tout simple. On a l'impression que le secret, moi j'ai l'impression que le secret il est là.

À savoir : une image-affection c'est le gros plan et le gros plan c'est le visage.

L'image-affection c'est le gros plan et le gros plan c'est le visage, bon. Alors je me répète ça, je me
répète ça, bon. Et évidemment, y a tout de suite euh... toutes sortes de problèmes. La formule elle
me paraît pleinement satisfaisante pour moi, j'ai presque envie de rien dire d'autre. Et puis, on sent
bien qu'il y a toutes sortes de choses. À savoir qu'il y a des objections possibles - alors certainement
évidentes que bon... - mais justement toutes les objections possibles j'ai l'impression pour moi que la
formule elle tient quand même avec toutes les objections.

Alors ça fait mystère... Et puis du coup, cette formule qui paraît si simple, on s'aperçoit aussi que
elle doit être plus compliquée. Je dis d'abord « toutes sortes d'objections » : objection immédiate...
ben quoi qu'est-ce que ça veut dire tout ça : déjà il y a toutes sortes de gros plans qui sont pas de
visages. Bon d'accord y a toutes sortes de gros plans... mais aussi, qu'est-ce que ça veut dire « le
gros plan c'est le visage » ? Ça implique que je ne voudrais pas de la formule, qu'elle me donnerait
pas le même contentement que si je disais : un gros plan de visage. C'est pas le gros plan qui est
gros plan de visage c'est le gros plan qui est visage.

Alors bon la formule peut-être qu'elle est fausse... mais c'est pas ça, je veux juste dire : sa simplicité
est fausse, elle. Elle risque de nous entraîner dans des voies qui vont moins de soit qu'elle n'en a
l'air. Bon, car... notre problème c'est quoi ? Si vous remontez dans l'image-perception dans notre
analyse précédente de l'image perception, c'est que, on était arrivé à un critère pour mener cette

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analyse. Le critère pour mener l'analyse nous l'avons eu dès que nous avons pu distinguer deux
pôles de l'image-perception.

Quitte à ce que notre analyse nous fasse prendre des pôles dans des sens progressifs qui variaient
d'après une progression. Évidemment, comprenez les conditions du problème. Pas question de dire :
« Ah ben dans l'image-affection il y a deux pôles, un pôle objectif et un pôle subjectif ». Si ça valait
pour l'image-perception ça vaut pas pour l'autre. Il va nous falloir une tout autre ligne directrice
d'analyse.
Alors cette ligne directrice moi je reviens à ça, je suis tellement content euh... je me répète, c'est
pas que ce soit une bonne formule mais je sens que en elle - qu'elle est pas vraie non plus - mais je
sens que en elle réside une vérité. L'image-affection c'est le gros plan et le gros plan c'est le visage.

Bien... Un petit texte de Eisenstein qui a été traduit en très petit texte qui a été traduit dans les
cahiers du cinéma dit quelque chose qui est très intrigant, très intéressant il me semble. Il dit :
prenons les trois grands types de plans : plan d'ensemble, plan moyen, gros plan. Faut bien voir que
c'est pas simplement trois sortes d'images dans un film, mais c'est trois manières dont il fat
considérer n'importe quel film... trois manières coexistantes dont il faut considérer n'importe quel film.

Et il dit « le plan d'ensemble », il y a une manière dont quel que soit le film que vous voyez -
propose Eisenstein comme manière de voir les films - il faut que vous le voyiez comme s'il était fait
uniquement de plans d'ensembles, et puis en même temps, il faut que vous le voyiez comme s'il était
fait uniquement de plans moyens, et puis il faut que vous le voyiez comme s'il était fait uniquement
de gros plans. Et puis il dit : c'est forcé parce que le plan d'ensemble c'est ce qui renvoie au Tout du
film... et, quand vous voyez un film vous devez être sensible au Tout. Et puis, le plan moyen, c'est ce
qui renvoie à quelque chose comme l'action ou l'intrigue, ou l'histoire. Et quand vous voyez un film il
faut que vous soyez sensible à l'action.
Et le gros plan c'est le détail... quand vous voyez un film il faut que vous soyez sensible au détail.
Bon. Nous on dirait un peu autre chose mais ça reviendrait un peu au même. On dirait - ben oui
le plan d'ensemble c'est l'image-perception,
le plan moyen c'est l'image-action,
le gros plan c'est l'image-affection.

Et puis, il a succédé à un ton de critique de cinéma plus avisé de ton un peu : "on nous la fait pas
nous hein ? on nous la fait pas quand même faut pas exagérer". Comme si on avait honte de ce
lyrisme des premiers hommes de cinéma où là y a une vision plus critique du gros plan parfois
inspiré de la psychanalyse qui suppose ou qui suggère : peut-être le gros plan n'est pas sans rapport
avec la castration.

Et puis alors on se trouve devant un déchaînement, bon les gros plans, ah bon on sait même plus à
qui penser tellement chaque grand homme de cinéma les a assigné les siens. Et puis bien plus,
alors qu'avant on n'éprouvait aucun besoin de parler des acteurs, c'est quand même difficile là, il
faudra envisager, il faudra bien parler d'acteur parfois, comme si un gros plan était co-signé par celui
qui prête son visage par l'auteur du film. Bon, c'est le couple, par exemple : Marlène Dietrich -
Sternberg. Et les grands couples, c'est au niveau des gros plans que se fait les grands couples
metteurs en scène - acteurs ou actrices. Bien, alors, c'est un seul - vous comprenez - c'est un seul

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bruit, seulement il faut en sortir et puis, mon problème c'est à partir d'une telle formule aussi
discutable qu'elle soit, l'image-affection c'est le gros plan et le gros plan c'est le visage, est-ce que
nous allons pouvoir en extraire une méthode d'analyse de l'image-affection ?

D'où premier point... voilà, faut que je ne me donne rien, faut que... il faut pas que vous puissiez
me reprocher de m'être tout donné dans la formule alors je pars d'un exemple de gros plan qui
précisément n'est pas un gros plan de visage. Un gros plan qui intervient tout le temps dans l'histoire
du cinéma, un gros plan de pendule. En quoi est-ce un gros plan ? Bon, parce que c'est vu en gros,
parce que c'est vu de près comme on dit, parce que c'est vu de tout près bon d'accord... mais c'est
pas ça. En quoi c'est un gros plan ? Par exemple : gros plan de pendule qu'on vous montre plusieurs
fois. Ces gros plans de pendule ils existent depuis longtemps dans le cinéma, je cite deux types de
gros plans de pendule : les Griffith, y en a beaucoup des gros plans de pendules, les gros plan Lang,
y a aussi chez Lang beaucoup de gros plans de pendules, puis beaucoup d'autres. Bien, qu'est-ce
que c'est un gros plan de pendule ? Je dis pas « qu'est-ce que c'est qu'une pendule ? », « qu'est-ce
que c'est qu'une pendule qui peut être en gros plan ? ». Je dis « qu'est-ce que c'est une pendule en
tant que gros plan ? ». Ben il me semble que c'est une chose, du coup on est sauvé... c'est deux
choses. D'une part il y a des aiguilles dont au besoin, nous évaluons la seconde... que tantôt nous
évaluons à l'heure, tantôt à la seconde. Je dirais de ces aiguilles que elles ne valent en gros plan
que comme susceptibles de bouger. Elles ont un mouvement virtuel, puisque le gros plan peut sans
doute, les montrant bouger, les montrer bougeant - pardon - mais peut aussi les monter fixes, même
quand elles sont fixes elle ont un mouvement virtuel. Bien plus elle peuvent avoir un mouvement
minuscule, puis ça saute d'une minute.

Le film d'horreur dont nous avons beaucoup à parler parce que enfin... il a à dire quelque chose
quant au gros plan. Eh bien... le film d'horreur a beaucoup joué de l'« instant infinitésimal » avant
l'heure fatale, avant minuit. Bon, je dirais que dans le gros plan pendule, les aiguilles sont
inséparables d'un mouvement virtuel ou d'un micro-mouvement possible. Et même quand on nous
montre d'abord un gros plan « onze heure du soir » et puis le gros plan « minuit », notre émotion liée
au gros plan... vient que, dans chaque lecture, nous animons l'aiguille d'un mouvement - là
pardonnez-moi c'est pour... j'ai peut-être enfin retrouvé le même schéma - d'un mouvement que l'on
pourra appeler à la limite un mouvement virtuel ou un mouvement moléculaire.

Je remarque juste que ce mouvement moléculaire ou ce mouvement virtuel ne serait rien dans le
gros plan s'il n'entrait dans une série intensive au moins possible, même si elle ne nous est pas
montrée... une série dans laquelle l'intensité croît. Je dirais donc des micro-mouvements en tant
qu'ils entrent dans une série intensive virtuelle... au moins virtuelle. Voilà le premier aspect du gros
plan de pendule.

Deuxième aspect du gros plan de pendule co-existant avec le premier. C'est une surface
réceptrice immobile, c'est une plaque réceptive... Surface réceptrice immobile, plaque réceptive, ou
si vous une unité réfléchissante et réfléchie. Unité réfléchissante et réfléchie représentée par le
cadran et le verre. Et en quoi c'est complémentaire ? et bien évidemment c'est l'unité des
micro-mouvements. En d'autres termes, c'est l'unité qualitative de la série intensive représentée de
l'autre côté. Voilà... eh ben formidable on l'a, je veux dire... on l'a notre euh... nos pôles. Et ce qui me
rassure c'est qu'on les a pas du tout décalqués sur les deux pôles de l'image-perception. Là on vient
de trouver à nouveau deux pôles du gros plan qui sont pas du tout décalqués de l'image précédente,

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l'image-perception, et qui valent par eux-mêmes. Les deux pôles du gros plan c'est :
micro-mouvements pris dans une série intensive d'une part ;
d'autre part : unité réfléchissante et réfléchie qualitative.

Qu'est-ce qu'un visage ? Un visage c'est la complémentarité d'une unité réfléchissante et réfléchie et
d'un micro-mouvement, et de micro-mouvement qui déterminent une intensité... c'est ça un visage.
Ah bon, c'est ça un visage ? ben oui c'est évident que c'est ça un visage.

On appellera « surface de visagéification » l'unité réfléchissante et réfléchie ; on appellera « trait


de visagéité » les micro-mouvements qui entrent dans les séries intensives. Et l'on dira que le visage
est le produit d'une opération de visagéification par laquelle l'unité réfléchissante et réfléchie
subsume, s'empare des traits qui sont dès lors des traits de visagéité - des traits intensifs qui
deviennent alors traits de visagéite. Et c'est ça un visage : Unité qualitative / Série intensive. Bon...
Vous me direz c'est ça un visage mais c'est bien autre chose... et c'est ça un gros plan. Et un gros
plan c'est quoi ? Un gros plan opère.

Un gros plan n'est pas nécessairement un gros plan de visage mais un gros plan est forcément un
visage. [...] c'est pas forcément un gros plan de visage d'accord mais c'est un visage : un gros plan
opère la visagéification de ce qu'il présente. Le gros plan de la pendule opère la visagéification de la
pendule. Ce qui veut dire quoi ? ce qui veut dire une chose très très simple : il extrait de la pendule
les deux aspects corrélatifs et complémentaires de la série intensive des micro-mouvements et de
l'unité qualitative réfléchissante. Et que ce soit ça les deux aspects du visage, c'est évident car
qu'est-ce que fait un visage ? Ce que fait un visage c'est deux choses... mais il peut faire que ça.
Un visage ressent, et un visage "pense à". Un visage ressent, ça veut dire quoi ? Ça veut dire : il
désire, ou bien - ce qui revient au même - il aime et il hait. Il aime ou il hait... ou bien les deux à la
fois comme on nous le dit souvent... C'est-à-dire : il passe par une série intensive qui décroît et qui
croît.
Et il pense à... il pense à quelque chose. Et ça c'est plus le pôle désir, c'est ce qu'on pourrait
appeler le pôle admiration. Il admire... Pourquoi que je dis ça ? Peut-être qu'on comprendra plus tard
mais les Anglais ont un mot qui nous convient là, les Français l'ont pas hélas. Je le dis avec mon
accent le meilleur : I wonder. « I wonder » c'est « j'admire » mais c'est aussi « je pense à ». Du côté
du visage comme unité qualitative réfléchissante et réfléchie je dirais c'est aussi bien « j'admire »
que « je pense à ». Bon... de l'autre côté, c'est je désir, j'aime ou je hais. Je parcours une série
intensive : je croîs et je décrois. Le visage a donc deux composantes qui sont celles du gros plan. Il a
d'une part une composante qu'on pourrait appeler de contenu... non, non ce serait pas bien.
Il a une première qu'on appellera : trait de visagéité. Les traits de visagéité ce sont les
mouvements sur place, les mouvements virtuels qui parcourent un visage en constituant une série
intensive.
D'autre part, il a un contour. C'est une véritable pendule quoi, dans les deux sens, il a un contour
sous lequel il est unité réfléchissante et réfléchie. Je rentre chez moi le soir épuisé... ou bien une
femme rentre chez - non, euh - le mari rentre chez lui le soir épuisé d'un long travail. Alors, sa femme
lui dit... Non, non... Il regarde sa femme, il ouvre la porte - voilà, c'est du cinéma - il traîne des pieds,
il ouvre la porte, sa femme le regarde et il lui dit, hargneux : « A quoi tu penses ? », et elle, elle lui
répond : « Qu'est-ce que t'as ? » - voyez c'est... d'un pôle à l'autre... À quoi tu penses ? c'est le
visage communicant et réfléchi, c'est-à-dire, qu'est-ce que c'est cette qualité qu'il a sur le visage ?
Quelle qualité émane de ton visage ? Et l'autre répond : qu'est-ce qui te prend ?, qu'est-ce que t'as ?

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qu'elle est cette étrange série intensive que tu parcours en montant et en descendant ? À partir d'un
si bon début la scène de ménage s'engage. [...] des gros plans, tout en gros plan. Ça existait déjà en
peinture, ces deux aspects du visage.

En peinture existaient si fort ces deux aspects du visage que je lis ou même relis car, pour de
toutes autres raisons, on l'avait trouvé, on en avait eu besoin l'année dernière, un texte de Wolfflin
sur l'évolution du portrait du XVIème au XVIIème siècle. Portrait XVIème et portrait XVIIème. Et là
encore, on n'y met aucun progrès. Choisissons un portrait du type Dürer ou encore Holbein. Il établit
- ça c'est le premier type de portrait - il établit sa forme à l'aide d'un tracé très sûr et catégorique. Le
contour du visage progresse - vous voyez c'est le visage contour - le contour du visage progresse
des tempes au menton en un mouvement continu et rythmé au moyen d'une ligne régulièrement
accentuée Le nez, la bouche, le bord des paupières sont dessinés d'un seul trait enveloppant, d'une
ligne continue enveloppante. La toque - chapeau - appartient à ce même système de pure silhouette.
Pour la barbe même, l'artiste a su trouver une expression homogène, tantôt modelée qui est fait au
frottis, il ressortit absolument au principe de la forme palpable. C'est donc la ligne continue qui fait
contour et qui en ce sens renvoie au tact non moins qu'à l'œil. C'est le visage contour ou c'est le
visage qualitatif, unité réfléchissante et réfléchie.

Autre type de portrait. En parfait contraste avec cette figure, voici une tête de Lievens
contemporain de Rembrandt. Là, toute l'expression qui est refusée au contour a son siège à
l'intérieur de la forme. Deux yeux sombres au regard vif, un léger tressaillement des lèvres, de-ci
de-là, une ligne qui étincelle pour disparaître ensuite. On chercherait en vain les longs traits du
dessin linéaire. Quelques fragments de ligne indiquent la forme de la bouche, un petit nombre de
traits dispersés celles des yeux et des sourcils. Là, c'est le visage ramené du côté de son autre pôle :
les traits de visagéité. Le portrait sera constitué de trais de visagéité discontinus et non plus d'une
ligne enveloppante qui fait contour. Quelques fragments de ligne indiquent la forme de la bouche, un
petit nombre de traits dispersés, celles des yeux et des sourcils, souvent le dessin s'interrompt tout à
fait. Les ombres qui figure le modelé n'ont plus de valeur objective. Dans le traitement du contour de
la joue et du menton il semble que tout soit fait pour empêcher que la forme devienne silhouette,
c'est-à-dire qu'elle puisse être déchiffrée à l'aide de lignes.

Donc la peinture nous le confirmait déjà, les deux aspects corrélatifs du visage c'est les traits de
visagéités dispersés de manière à constituer une échelle intensive d'une part, d'autre part, la ligne
contour qui fait du visage une unité qualitative. Chaque fois qu'une chose sera réduite à ces deux
pôles de telle manière que les deux pôles co-existent et renvoient l'un à l'autre vous pouvez dire « il
y a eu visagéification de la chose » et vous verrez avec vos stupeurs, étonnements, que vous vous
trouvez devant un gros plan.
D'où vous pouvez dire déjà : le gros plan c'est le visage, et il n'y a pas de gros plan de visage,
mais il y a pas d'autre visage que le gros plan. Et quand le gros plan s'empare d'une chose qui n'est
pas le visage, c'est pour visagéifier la chose. C'est ce que Eisenstein certainement a compris d'une
manière obscure lorsqu'il commence un texte célèbre et admirable en disant : le vrai inventeur du
gros plan c'est Dickens. Lorsque Dickens commence un texte célèbre par : c'est la bouilloire qui a
commencé, c'est la bouilloire qui a commencé... Il y a en effet un gros plan et Eisenstein l'a sorti. [...]
tout le monde y reconnaît un gros plan de quoi - c'est un gros plan Griffith. C'est un gros plan Griffith
mais, nous pouvons ajouter, qu'est-ce que fait le gros plan et en quoi c'est un gros plan ? C'est une
visagéification de la bouilloire et c'est par là que c'est un gros plan. Bien, prenons une séquence de

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gros plan, plutôt une séquence comportant des gros plans... tout ça c'est... sentez, on cherche notre
chose... on n'a pas vraiment commencé encore, on amasse des confirmations, on amasse des
données, des matériaux. Toujours sur ces deux pôles du visage. Voyez je commence à... c'est pour
ça j'insiste énormément sur c'est pas un décalque des deux pôles précédents de l'image-perception.

On est en train de trouver deux pôles propres à, au visage, c'est à dire à ce qui se révèlera - mais
j'ai pas encore expliqué - à ce qui se révèlera être l'image-affection. Et tout ça c'est compliqué, il faut
aller très doucement - il faut pas, si vous êtes fatigués vous me faites un signe et j'arrête tout de
suite... Je pense à une longue séquence - parce que parfois je suis forcé de citer des films que j'ai
pas vus mais je crois que c'est les meilleurs quand... parfois c'est des films que j'ai vus mais ça
change rien - c'est « Loulou » de Pabst. La splendide fin où Loulou rencontre Jack l'éventreur et va y
périr. Le script de Loulou de Pabst a paru en anglais. Avec le dictionnaire j'ai bien lu, et voilà ce que
donne la fin, j'introduis juste des divisions puisque le découpage n'est pas indiqué.

Voyez, c'est la rencontre Loulou, ils se sont rencontrés en bas mais je prends le moment où Jack
l'éventreur et dans la chambre, dans la chambre sordide de la pauvre Loulou. C'est une scène
étonnante de détente, avec des gros plans de visage. Ils sont détendus, ils s'admirent l'un l'autre, ils
s'étonnent, ils jouent... et le mot anglais « wonder » apparaît. Et ils jouent, elle joue, Loulou joue, [...]
de ses poches, elle lui demande de l'argent mais il en a pas, et ça fait rien, c'est un grand moment
de douceur comme si Loulou avait recouvré toute sa jeunesse, toute sa fraîcheur. Bon, elle fouille
dans les poches de Jack l'éventreur et elle tire un petit brin de gui que vient de lui donner une femme
de l'armée du salut et elle tapote sur le brin de gui, elle le dispose sur la table tout ça... et les visages
sont heureux et détendus.
Voilà, bien, premier temps... Je dirais c'est le premier pôle du visage. Loulou et même très
mutine, elle pense à quelque chose, elle tapote le gui. Elle parle du premier « wonder » :
s'émerveiller ; au second « wonder », : avoir une pensée. Scène charmante - mon Dieu, pourquoi ça
n'est pas resté comme ça ? car tout ça devait mal finir.
Deuxième moment : elle a allumé sa bougie sur la table là, et il voit le couteau qui brille, il voit le
couteau à pain qui brille. Bon nous nous arrêtons sur ce second mouvement car nous connaissons
dans l'histoire du cinéma un certain nombre de gros plan de visage - je dirais plutôt maintenant «
gros plan (trait d'union) visage » nous connaissons un certain nombre de gros plans-visage qui sont
célèbres parce qu'ils ont été particulièrement audacieux. C'est la succession d'un gros plan de
visage et de l'image après, ce à quoi pensait le visage. Et au tout début ça a fait jeter des cris
littéralement - racontent les histoires du cinéma - parce que comme association c'était dur
visuellement. Un gros plan de visage et puis après l'enchaînement se faisait avec les images
suivantes c'était simplement que, dans les images suivantes on voit ce à quoi le visage pensait.

Et ça c'est un grand truc de Griffith. Dans un exemple célèbre, Griffith fait un gros plan de visage de
jeune femme qui pense à quelque chose - voyez c'est toujours le pôle « penser à quelque chose » -
et puis l'image d'après : son mari, dans un tout autre lieu. Traduction : elle pense à son mari. Fritz
Lang a aussi utilisé ce procédé : gros plan de visage et enchaîné avec ce à quoi le visage pensait.
Bon ça, on met ça de côté. Pourquoi je le [...] maintenant ? Maintenant, on a le même procédé mais
beaucoup plus logique. On commence par faire un gros plan de ce à quoi le personnage va penser :
le gros plan du couteau et, visage de Jack l'éventreur qui montre déjà une terreur. Voyez, on
commence par montrer l'objet de sa pensée et on montre le gros plan-visage après.

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Ça ça arrive très très souvent au cinéma. Y a un très beau cas que j'aime beaucoup dans l'histoire
du cinéma c'est - je ne dis pas que j'aime ce film, je dis que j'aime beaucoup ce moment - c'est «
L'assassin habite au 21 » de Clouzot, où y a la chanteuse, elle chante. Et tout en chantant, y a un
gros plan tout d'un coup : trois roses, trois fleurs. Et puis - je sais plus, je me rappelle plus - trois
bougies. Tout ça succession, j'espère, de gros plan - faudrait revoir le film mais ça doit être... en tout
cas y en a certains qui sont des gros plans - trois fleurs. Un groupe de trois personnes qui l'écoute.
Mais succession de gros plans. Puis après on revient à elle, et, visage : elle a tout compris. Là on va
de la chose qu'elle saisie et qu'elle pense à son visage en tant qu'elle pense et qu'est-ce qu'elle
pense là dans « L'assassin habite au 21 » ? Elle comprend tout, à savoir, elle comprend que
l'assassin qui est recherché n'est pas une seule personne mais trois personnes... trois personnes à
la fois. Donc c'est le même procédé.

Voyez vous pouvez faire donc les deux procédés dans le visage-pensée : visage, et enchaîner avec
: "ce à quoi il pense" ; ou au contraire, l'objet est saisi comme : "ce à quoi il pense", et : visage après.
Mais donc, à cette charnière : couteau à pain, qui s'impose à Jack l'éventreur. Il saisit le couteau à
pain, c'est sa pensée, et il bascule dans l'autre pôle du visage. Il bascule dans l'autre pôle du
visage-gros plan car, troisième moment, à partir de cette terreur initiale - quand il saisit le couteau à
pain - il est bien dit dans le script que son visage va parcourir tous les degrés de la terreur jusqu'à un
paroxysme. Finie la tranquillité, la sérénité du visage-pensée, du visage-amusement, du
visage-admiration, du visage-étonnement de tout à l'heure. Il est entré dans la terrible série intensive
des traits de visage-unité.

En effet, là on voit bien ce que c'est un trait de visage-unité. C'est tous les traits du visage qui
échappent à la belle organisation qualitative du visage pensant. La bouche fout le camp, la bouche
s'étire, les yeux s'exorbitent, comme si les traits qui tout à l'heure composaient le visage calme
prennent une autonomie. Mais à quel prix ils prennent une autonomie ? C'est d'entrer dans une série
intensive qui va faire éclater le visage Dabs une panique de la terreur folle. Tout ceci ça nous servira
beaucoup pour le cinéma d'épouvante. Bon, jusqu'à quel moment ? Le script dit très bien : jusqu'au
moment où il se résigne. Denier moment, quatrième moment de cette séquence - du point de vue qui
nous occupe c'est-à-dire des gros plans - il se résigne, il sait qu'il ne pourra pas lutter. Il accepte, il
accepte quoi ? il accepte la pensée. Il revient à la pensée sous forme de résignation. Eh ben oui,
l'affaire est faite : je vais la tuer. Et à ce moment-là, il commet une détente. Il commet une détente, il
est revenu à l'organisation du visage, cette fois-ci non plus sous la forme du visage innocent qui
admire mais sous la forme du visage qui reçoit son destin, c'est-à-dire, il a - le visage - a changé de
qualité, mais il est revenu au stade qualitatif du visage. Et, il s'empare du couteau [et je vous dis pas
comment ça se termine parce que c'est trop triste].

Bien, voilà que on s'est donné du matériau pour justifier quoi ? Pour justifier le visage, ce qu'est le
visage, en quoi le visage c'est le gros plan... voilà on a un peu avancé. Mais on n'a pas du tout
justifié le début de la formule : l'image-affection c'est le gros plan et c'est donc le visage. Je vous
propose que ce soit notre dernier effort pour aujourd'hui parce qu'on a beaucoup fait. Déjà - j'ajoute
quand même pour maintenir mes acquis - c'est vrai, les grands act... notamment les grandes actrices
de gros plans, et les grands metteurs en scène de gros plan, qu'est-ce qu'ils savent faire qui n'est
pas rien ? C'est le seul moment où il y a une collaboration entre l'acteur et le metteur en scène.
Sinon [...] mais le gros le gros plan c'est pas rien, et ça ça ne vaut évidemment que pour le cinéma,
ce que je dis. Qu'est-ce qui sait faire un grand metteur en scène de gros plan ?.. et c'est pas facile. Il

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prend un gros plan et il va montrer, tantôt dans un ordre tantôt dans un autre ordre, le visage qui
d'abord pense à quelque chose et qui ensuite ressent quelque chose... ou l'inverse.

Pour ceux qui ont revu récemment ce film très beau « Pandora », y a un gros plan, c'est vrai qu'il
faut que - on peut pas parler du gros plan en disant gros plan Sternberg ou gros plan untel sans
ajouter le nom de l'actrice. Dans le très beau « Pandora » qui est de Levin, il y a un gros plan « Ava
Gardner », qui est une grande spécialiste du gros plan. Et quand vous voyez ce gros plan, c'est très
formidable parce que elle commence par se mettre dans les bras de l'homme qu'elle aime, le
hollandais volant. Et à ce moment-là elle penche son visage [...] et y a un gros plan du visage d'Ava
Gardner et il suffit que vous voyiez ce visage pour dire : c'est l'unité réfléchissante qui exprime une
seule qualité : l'amour. Et le contour du visage d'une pureté, d'une beauté, enfin très beau. Et puis,
tout d'un coup un air comme... parfois c'est vraiment un rien, un petit jeu des lèvres et des yeux. Et
vous ne pouvez pas ne pas vous dire : tiens, elle pense à quelque chose. C'est passé d'un plan à
l'autre. C'est pas le même type de visage... ça peut être dans le même gros plan... c'est pas le même
type de visage, y a eu une réorganisation. Un petit bout de la lèvre qui a filé, qui a filé hors de
l'organisation qualitative, elle [...] en effet : à quoi elle pense ? Elle pense à ceci que il n'y a plus de
problème pour elle et qu'elle va donner sa vie pour le rachat de l'âme du hollandais volant... ça c'est
une pensée.

Bon, vous avez des gros plans à dominante : le visage pense à quelque chose. Vous avez des gros
plans à dominante : le visage traverse une série intensive. Bien plus, dans la fameuse histoire où
Eisenstein à écrit - encore une fois - des pages splendides mais a tout embrouillé, est-ce qu'on
pourrait pas dire que au début du grand cinéma, ça a été les deux grands pôles : le pôle Griffith et le
pôle Eisenstein.

Si l'on se demande quel est l'apportdeGriffithquandil impose le gros plan au cinéma. La réponse elle
est simple : c'est lui qui fait les plus beaux visages-contours, tellementvisages-contours que ils sont
entourés d'un cache, très souvent. Dans le gros plan de Griffith, y a un cache au milieu duquel il y a
le visage tout le reste est en noir, un cache circulaire. On ne peut pas mieux indiquer le visage
comme - souligner le visage comme - contour. Quitte à ce que dans les images suivantes on
découvre ce que ce visage perçoit ou ce à quoi ce visage pense. Je dirais qu'avec Griffith se forme
le gros plan-visage comme unité qualitative réfléchissante et réfléchie. Et qu'est-ce que peut réfléchir
un visage de plus beau - même si c'est du tragique - je vais vous le dire, ce qui réfléchit c'est le blanc
ou la glace. J'en dis trop déjà, ça fait rien. Gros plan de Liliane Gish et Griffith avec les cils givrés.
C'est Eisenstein qui dit : Griffith il a compris que l'aspect glacé d'un visage pouvait aussi bien
renvoyer à la qualité physique d'un monde qu'à la qualité morale d'une atmosphère, que le visage
puisse exprimer la glace pour le meilleur et pour le pire, qu'il exprime le blanc - le blanc de la glace
ou le blanc de l'amour. Bon mais ce serait ça le pôle Griffith. Eisenstein, quel est son apport
fantastique ? Qu'est-ce qu'il a vraiment inventé ? On essaiera de dire la prochaine fois dans quel
sens il a inventé ça. Mais la série intensive des visages, chacun ne valant plus que par un trait de
visagéité, il va tendre vers un paroxysme dément. Dans les monstres, dans le cinéma d'épouvante
[oui, peu importe]. Est-ce que y a pas un pôle Griffith et un pôle Eisenstein là au début du cinéma ?
où le visage est compris par Eisenstein sous la forme des traits de visagéité qui entrent dans une
série intensive par Griffith etc.

Et pourtant bien sûr on amènera l'immense nécessaire la prochaine fois quand...mais voyez, ce qui

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m'occupe, la dernière chose qui m'occupe c'est bon, je trouve ça très bien mais l'affection... Qu'est
ce que l'affection ? Je me la suis donnée, je l'ai présupposé depuis le début. Pourquoi que c'est ça
aussi l'affection ? Ce que je viens de justifier c'est en gros j'ai amassé du matériau pour justifier
l'identité : visage et gros plan. Mais mon identité elle était pas double, elle était triple. Pourquoi que
c'est aussi ça l'affection ? Il faudrait y arriver avec la même certitude, avec la même... Bien, ben
qu'est-ce que c'est qu'une affection ?

Cherchons alors enfin sur le visage, les philosophes ben c'est pas leur problème, si ça peut être leur
problème mais enfin c'est pas leur problème principal mais en revanche sur le gros plan, alors c'est
pas du tout leur problème, mais enfin l'affection ça c'est leur problème. Alors peut-être qu'ils ont
quelque chose à nous dire les philosophes sur l'affection... c'est des spécialistes. Et l'affection c'est
quoi ? Si vous n'avez pas tout perdu de Bergson et si vous aimé, peut-être que vous vous rappelez
la définition que Bergson proposait de l'affection - et c'est ma première tentative pour amasser du
matériau de ce côté-là. Il nous disait une affection, c'est pas difficile, et il lançait sa formule splendide
: c'est une tendance motrice sur un nerf sensible. Et je l'avais déjà fait prévoir, quelle plus belle et
quelle meilleure définition du visage que celle-ci ? Si vous voulez une vraie définition du visage c'est
pas celle que je viens d'essayer de donner parce que celle que je viens d'essayer de donner je crois
qu'elle est vraie mais elle n'est pas belle. En revanche Bergson il dit la même chose, c'est la même
chose après tout. On va voir que c'est la même chose. Une tendance motrice sur un nerf sensible
c'est ça une [...]. Qu'est-ce qui veut dire ? Il dit c'est ça une affection. Il veut dire, dans ces images
très particulières - on a vu, je fais un tour très rapide en arrière - dans ces images très particulières
où il y a pas réactions et actions qui s'enchaînent immédiatement mais y a un phénomène de retard -
vous vous rappelez ? - eh ben, ces images très particulières ou ces corps très particuliers ils se sont
fabriqué des organes des sens.

C'est-à-dire au lieu de réagir avec tout leur organisme, au lieu de saisir les excitations avec tous
leurs organismes et de réagir avec tout leur organisme, ils ont délégué certaines parties de leur
organisme à la réception. C'est un gros avantage, ils se sont fait des organes des sens au lieu de
réagir en gros. Ils se sont fait des yeux, un nez, une bouche, à travers une longue histoire qui est
celle de l'évolution. Ça avait un gros avantage ça, spécialiser certaines parties du corps à la
réception des excitations... mais quel inconvénient ! L'inconvénient, c'est que dès lors, ils
immobilisaient certaines régions s'ils déléguèrent la réception des excitations. Ils immobilisaient...
c'est terrible ça pour un vivant - à moins qu'il ne soit une plante - d'immobiliser des régions
organiques. Et l'affection c'est quoi ? L'avantage c'était que ça leur permettait de percevoir à
distance, de ne pas attendre le contact, grâce à ces organes des sens.

La définition de Bergson si on la découpe maintenant, on retrouve nos deux aspects du visage.


Les traits de visagéité qui renvoient à une série intensive sur place ou à des micro-mouvements,
c'est la tendance motrice et ses mouvements virtuels.
La surface nerveuse immobilisée, la plaque réceptrice, c'est le visage communiqué réfléchissant
et réfléchi. Si bien que la définition de Bergson est indissolublement une définition de l'affection puis
nous pouvons ajouter maintenant, il ne savait qu'il était en train de définir le visage mieux qu'on ne
l'avait jamais défini. Ah bon, car après tout, rebondissement, c'est quand même pas par hasard que
nos organes des sens, sauf nos mains qui sont tellement visagéifiables - celles-ci par parenthèse
font tellement l'objet de gros plan - c'est pas par hasard que nos organes des sens sont localisés sur
ce qu'on appelle le visage. Bon, les organes des sens sont localisés sir le visage... et qu'est-ce que

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ça a à voir avec l'affection ?

C'est que, notre visage, menteur ou pas, exprime les affections que nous avons ou que nous
feignons d'avoir. Et c'est encore le moyen le plus commode pour exprimer les affections, soit
involontairement, soit volontairement. Et pourquoi est-ce que le visage exprime des affections ? Et
pourquoi est-ce une fonction du visage d'être l'expression des affections ? Là nous laissons Bergson
car il y a tant de philosophes qui ne demandent qu'à nous faire [...], et nous sautons un grand texte
de philosophie : « Le traité des passions » de Descartes. Car dans « Le traité des passions » il y a
certains articles - il est divisé en articles - pourquoi il y a un lien entre les passions et le visage. Des
remarques ? Question inaudible

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Deleuze
-- Menu - CINEMA : une classification des signes et du temps Nov.1982/Juin.1983 - cours 22 à 44 - (56 heures) --

CINEMA : une
classification des
signes et du temps
Nov.1982/Juin.1983 -
cours 22 à 44 - (56
heures)

- 23/11/82 - 2
Marielle Burkhalter

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transcription : Marie Lacire cours du 23/11/82 - 2

Et puis avez les gaz. Un gaz c'est quoi, c'est un corps où les molécules ont non seulement un
parcours mais un libre parcours. Qu'est-ce qu'on appelle "libre parcours" ? On appelle libre parcours
la distance parcourue par une molécule - vous voyez que là c'est gagné, il y a quelque chose de
gagné - la distance parcourue par une molécule entre deux chocs, avec une autre molécule. La
distance moyenne parcourue par une molécule entre deux chocs définit le libre parcours de chaque
molécule. Un corps gazeux. Ce libre parcours est variable - c'est bien connu - avec la "pression".
Qu'est-ce qui se passe - dernier point à comprendre - qu'est-ce qui se passe quand un corps solide
est chauffé ? je retrouve mon thème de la chaleur. Quand il est chauffé jusqu'à fusion, il perd son
état solide. C'est-à-dire ses molécules ne sont plus astreintes par le contact à n'avoir chacune que
une très faible variation par rapport à une position moyenne constante, et elles tendent à l'état
gazeux où chaque molécule a un libre parcours. Bon, alors, d'une certaine manière il suffit que ça
chauffe. En même temps d'une certaine manière la vie n'est plus possible, hein c'est, bon, très bien.
Voilà ce que je voulais dire.

Vous vous rappelez l'année dernière, à propos du cinéma, on avait étudié précisément la question
d'une perception solide, d'une perception liquide, notamment du rôle de la perception liquide dans
l'école de cinéma française, dans l'école française d'avant-guerre, et puis d'une perception "gazeuse"
dans le cinéma expérimental, avec toutes leurs histoires de photogrammes, de photogrammes qui
brûlent, de boucle, de clignotement, de vibration-clignotement, etc etc, et ça nous paraissait
l'approche cinématographique d'une perception gazeuse. Et ça nous paraissait explicitement voulu
par certains représentants du cinéma expérimental. Retrouvons ça ici.

Finalement sur mon plan d'immanence, je crois bien que j'atteins comme une espèce d'universelle
variation, c'est comme une espèce d'état gazeux de la matière qui implique une très grande chaleur
du plan. Cette chaleur, elle viendra d'où ? ça il va falloir y répondre. Ça il faudra. Bon alors essayons
d'égayer ça. Je dis un monde sans axe, sans droite ni gauche, sans corps solide. Voyez à la limite,
un plan d'immanence est obtenu, à la limite / coupure .. ; qui réagissent les uns sur les autres.
Pourtant même est-ce que ça nous est étranger ? Non, qu'est-ce que vous voulez que, à quoi la
pensée peut-elle s'exercer, à quoi l'art peut-elle s'exercer, sinon d'une certaine manière à créer le
monde d'avant l'homme. Ou ce qui revient au même, à créer le monde d'après l'homme. À quoi ça
sert la philosophie de l'art, etc ? Bien sûr, ça a à nous parler de l'homme, mais ça a aussi à nous
parler du non- humain, c'est-à-dire d'un avant l'homme, d'un après l'homme, qui est sûrement pas le
même que celui de la science. Et aujourd'hui qu'est-ce qui se passe ? Je dirais que aujourd'hui, le
plan d'immanence sans axe, sans corps solide, sans droite ni gauche, etc, le monde des

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images-mouvement, le monde des images-mouvement à l'état pur, d'une certaine manière, on est
habituellement à sa poursuite. On arrête pas de... Sa poursuite pourquoi ? Ce serait une question,
savoir pourquoi ? est-ce que, peut-être qu'on a le sentiment qu'on comprendrait bien des choses si
on y atteignait. Et que beaucoup de choses se passent là, qui vont dans ce sens. Essayons de
définir alors, bon on discute pas, est-ce que c'est un bon concept ou pas ? Modernité, moi je dirais
modernité, oh bah c'est comme tout hein, y a du bon et du mauvais, faut pas s'en faire hein. Alors
essayons, on peut la définir "la modernité", notre modernité à nous, qui nous est chère. Comment la
définir, on peut la définir de bien des façons, mais on peut en retenir certaines, du moins celles qui
nous conviennent en ce moment. Modernité, moi je dis - vous voyez, on a l'air d'être sorti de
BERGSON, mais en fait on l'est pas, vous le comprenez - je me dis, si j'essayais de définir la
modernité, je dirais y a deux choses qui me paraissent frappantes entre mille autres. D'une part,
c'est que, on n'a plus, on n'a plus, et c'est très grave ça, c'est un instant très grave. C'est, l'axe
vertical est en train de s'effondrer. C'est embêtant ça. Ou bien c'est très gai. Tout dépend ce que
vous en ferez hein. Mais on voit bien que ça commence, on vit une époque très bizarre parce que
l'axe vertical commence à fondre.

Or on peut dire toujours - là vous savez on a toujours tendance à un peu faire, faire du vaste
panorama - on peut dire que le monde a très longtemps vécu en remettant toutes sortes de choses
en question, mais on remettait pas en question l'axe vertical.
L'axe vertical, c'était quoi ? C'était la posture de l'homme en tant qu'être debout. Or, or, est-ce
que c'est pas en train de disparaître depuis longtemps ? Est-ce que c'est pas en train de disparaître
et de mille manières toutes très intéressantes, les unes infâmes et abjectes, les autres splendides, et
puis parfois très mêlées, les deux très mêlées ? Bon je dis même pas lesquelles me paraissent
abjectes et lesquelles me paraissent splendides. Mais enfin y a un nombre de plus en plus
considérable de gens qui vivent couchés. Ça veut dire quoi ça, "vivre couché" ? Et il faudrait voir les
maladies modernes. Très intéressant, quel rapport elles ont avec l'abandon d'une stature verticale.
On peut pas dire, est-ce que c'était bien la stature verticale ? En tout cas bientôt on va en essayer
d'autres. Qu'est-ce qu'on nous montre tout le temps avec les histoires de voyage transspacial ? Bon,
on nous montre que essentiellement, essentiellement des bonshommes qui n'ont plus d'axe vertical -
absolument fini ça, c'est joli d'ailleurs, c'est bien ces êtres sans axe vertical. Ils ont perdu l'axe
vertical. Bon je dirais technologiquement, c'est constant cette mise en question de l'axe vertical qui
était la posture de l'homme sur la terre.

L'homme comme roi de la terre. Eh oui. Bon mais, ajoutons alors il faut qu'il y ait des échos ailleurs.
En art, en art c'est très intéressant, mais l'axe vertical, il est en train d'en prendre un coup énorme,
dans tous les sens et plus c'est incohérent, plus ça m'intéresse, je veux dire plus c'est indépendant.
Voilà que j'ai été frappé par un domaine auquel je ne connais rien donc j'en parle d'autant plus
gaiement, alors que sûrement parmi vous y en a qui connaissent et je voudrais que, dans notre
prochaine séance,ben ceux qui connaîtraient dans ce domaine veuillent bien en parler. J'ai vu a la
télé parce que pour une fois ils ont fait des émissions là-dessus des histoires de moderne dance. Et
quelque chose me frappe. Alors je suis à la recherche depuis d'une représentante qui me paraît
magnifique de cette modern dance qui s'appelle Brigitte Marbin ? ? ? Je veux savoir à tout prix qui
est Brigitte Marbin qui est une chorégraphe de cette tendance. Et dans la modern dance, le peu que
j'ai vu, là comme ça, je me dis c'est très très curieux quand même, j'exagère hein, je simplifie, mais
c'est une des tendances, je dis pas que c'est ça la modern dance. Quand ils se tiennent debout, il
faut qu'ils fassent groupe. Ils ont tendance à former une espèce de conglomérat. Très curieux hein. À

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s'appuyer les uns sur les autres, avec des effets rhytmiques très très très grands. C'est à ce
moment-là des rythmes de groupe qui les animent comme si, ils tenaient si mal debout que, s'ils sont
pas appuyés, ils vont s'écrouler. Et c'est ce qui se passe. Et là-dessus une souplesse, une
rhytmique, une liberté de mouvement fantastique, purement horizontale. Couchés par terre. Bon.
Même dans des trucs alors plus connus comme Béjart, on voit les éléments de ça. On les voit
beaucoup plus assagis, beaucoup plus...Mais c'est évident dans le ballet moderne, la perte, la perte
de la référence de l'axe vertical, du privilège de l'axe vertical.

Tout autre exemple que je prends comme ça, tout autre exemple : la peinture. La peinture. Encore
au XIXème siècle, il y a quelque chose qui est très important, c'est comme on dit de la peinture de
chevalet. Et la peinture alors ça se met sur quoi alors quand elle était pas peinture de chevalet.
Supposons que c'était la fresque. La fresque, ça consiste à peindre un mur. La fresque est
inséparable du mur. Alors bien sûr c'est plat. Y a une planitude. Peut-être qu'y a toujours eu une
planitude de la peinture, elle a été assumée de manière très différente dans l'histoire de la peinture.
Bon, ça n'empêche pas que par rapport à cette planitude de la peinture, l'axe vertical gardait son
privilège. Quelque chose a commencé lorsque évidemment, des gens ont dit, par exemple : oh
Picasso on peut le retourner, c'est pas... Ce qui est absolument faux de Picasso mais ça fait rien.
Les crétins ont toujours raison. Je pense qu'ils ont pas raison pour ce qu'ils disent mais ils ont raison
pour autre chose. C'est évident. Il se trouve que c'était faux pour Picasso parce que dans tout le
cubisme, y a encore, peut-être pas d'ailleurs, peut-être que j'ai tort de dire ça, mais on pourrait dire
qu'il y a encore. référence en revanche, peut-être que dans certains tableaux de Duchamp, y a plus
cette référence à l'axe vertical. Mais enfin peu importe, on pourrait discuter à quel moment, dans
quelles première s grandes œuvres. Moi ça me paraît évident que, par exemple, dans la peinture
américaine moderne, la référence à l'axe vertical est mise de plus en plus en question, au point que
le moment arrivera vite où les tableaux perdront leur référence apparente à l'axe vertical, c'est-à-dire
le fait même qu'on les mette sur les murs. Le fait même de mettre un tableau sur un mur implique
encore une référence à l'axe vertical. Bon, ça tendra à disparaître parce que je peux pas dire que,
très important le moment où la peinture a cessé d'être peinture de chevalet. Mais déjà au moment où
elle était peinture de chevalet il y a des lettres merveilleuses aussi bien de Cézanne que de Van
Gogh, quand ils font de la peinture de chevalet, quand ils disent dans quel état ils doivent se mettre
pour saisir, par exemple un soleil couchant, ils doivent se coucher par terre. Van Gogh a des lettres
fantastiques sur la manière dont il rentre le soir. Après alors, qu'il passe pour complètement fou dans
son village, c'est évident, dans des positions, il doit planter son chevalet, l'enfoncer de plus en plus,
l'axe vertical déjà. Déjà les post impressionnistes peuvent plus, peuvent plus sentir un axe vertical ,
ce serait peut être déjà ;; alors on sait pas.

Bien, mais en tout cas, si je pense à un peintre comme Pollock, est-ce qu'il y a un axe vertical qui a
encore le moindre sens chez lui. Certains disent que oui. Ils veulent que, en tout cas, tout le monde
est d'accord sur un point : que il y aurait bien eu une révolution vers 1950, en peinture, qui a été la
révolution américaine, mais qui consiste moins dans ce qu'on dit d'habitude, mais y a un critique
américain qui l'a très bien vu quand il dit, vers 1950, cette révolution qui n'est peut-être qu'une prise
de conscience de ce que Pollock avait préparé, c'est la révolution de Rauschenberg. Et la révolution
Rauschenberg c'est l'abandon délibéré et volontaire de l'axe vertical. Bon, mais avant la littérature,
est-ce qu'elle est en retard ? La littérature ça faisait quand même des années et des années que
Beckett nous avait lancé un certain nombre de personnages et que ces personnages avaient
essentiellement et littérairement affaire avec l'axe vertical. Et la question, comment abandonner l'axe

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vertical ? comment cesser d'être debout ? et l'on traduisait ça toujours - et à la fois c'est crétin et
c'est pas crétin - les choses elles sont tellement ambiguës vous savez on traduisait ça 'ah le
désespoir de Beckett, ah etc etc !' Oui c'est pas faux quoique Beckett soit sûrement un des auteurs
les plus drôles, c'est un des auteurs les plus drôles et en même temps c'est un auteur très gai, c'est
un auteur, ça s'oppose même. Il a un sens fondamental du comique et en même temps il nous
raconte des choses qui sont plutôt des histoires de déchets, de... bon d'accord. Mais qu'est-ce qui
est important là-dedans ? Un personnage de Beckett, son problème c'est quoi ? On en parlait avec
"FILM" quand, dans notre première séance, quand, c'est quoi ? C'est le type, il marche encore
Buster Keaton il marche encore le long de son mur " danns "FILM" de BECKETT. Et puis il arrive
dans sa chambre, il ferme tout, ne plus être perçu,ne plus agir etc, il se met dans l'instrument sacré
de Beckett dans toute son œuvre : la perceuse. Il se met dans la perceuse, mais comme dit Beckett
souvent, il y a qu'une position encore meilleure qu'être assis, c'est être couché. Y a qu'une position
meilleure, on parle pas d'être debout. Ça être assis, ça vaut mieux qu'être debout, c'est le principe
Beckettien, être assis ça vaut mieux qu'être debout, mais être couché, alors ça vaut mieux que être
assis. Pourtant, pourtant, y a une loi, il y a une loi du monde inhumain, c'est la loi du mouvement. Il
faut te mouvoir. Et un célèbre héros de Beckett, dans une des plus belles pages de Beckett, dit :
"malgré les ordres - je cite pas hélas exactement - "malgré les ordres, l'ordre de se mouvoir, se
mouvoir à tout prix, malgré les ordres, je m'écroulais le visage sur un tas de feuilles mortes et me
frappant le front, je me dis" - ça c'est toujours adorable quand les personnages de Beckett se parlent
à eux-mêmes, il faut s'attendre au mieux, c'est-à-dire au pire - "je me dis, mais tu as oublié la
reptation. Il a oublié la reptation où il va se mettre n'est-ce pas à ramper d'une manière très très
bizarre. Pourquoi, qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est ?

Ce qu'on peut dire comme un déchet, rebus d'humanité, c'est aussi bien une conquête fantastique,
conquête du monde sans verticalité. Si on le lit comme un rebus, un déchet, qu'est-ce qui se passe ?
À ce moment-là, l'idéal et Beckett le dit :.Y a tellement de niveaux de lecture chez un grand auteur.
C'est comment être immobile, pas comment arriver à être immobile. Et en effet. Mais si on le lit de
l'autre manière, ce que l'on prenait par rapport à notre monde à nous comme production de déchets,
en fait d'un autre point de vue est conquête. Conquête d'un monde sans verticalité, conquête d'un
monde qui a perdu cet axe privilégié et qui donc va nous offrir d'autres choses. À ce moment-là, la
question c'est plus celle de l'immobilité, c'est rejoindre, comment rejoindre le plan d'immanence,
comment rejoindre "l'universel clapotement", comment rejoindre la vibration universelle, comment
rejoindre l'universelle variation des images-mouvement qui varient non pas par rapport à une image
privilégiée qui serait douée de verticalité - ça c'est fini - mais qui varient toutes les unes par rapport
aux autres sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties.

Bon. Et dans le cinéma, même chose. Même chose. Un des plus grands du cinéma expérimental
dont on a parlé l'année dernière, Michael Snow, qu'est-ce qu'il fait ? Bon, il fait un film comme
"Région Centrale" qui est un chef d'œuvre. On le redonne périodiquement, ceux qui l'ont pas vu, ont
pas... Qu'est-ce qu'il fait ? Il invente un appareil très très coûteux, qui a coûté très très cher, qui
consiste à rendre la caméra indépendante du mouvement de l'homme. Plus de problème ? C'est cet
appareil qui va faire tourner la caméra, qui lui donne un système de rotation dans toutes les
directions et en tous les sens. Et un système continu, de mouvement continu. Ça ne s'arrête jamais.
Et ces mouvements sont commandés alors par des ondes sonores, d'où l'importance du son qui est
fondamental mais je passe là-dessus parce que ces ondes sonores, moi voilà je le dis tout de suite,
ça m'arrangerait beaucoup plus, mais ça aurait été possible si ça avait été des ondes lumineuses.

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Mais ça fait rien, ça aurait pu. Lui c'est des ondes sonores, je veux pas introduire là-dedans le
problème des images sonores, quoique ce serait, ce serait possible. Et qu'est-ce que ça donne ? Il le
dit lui-même. Ça donne - et à son avis le résultat n'est pas encore parfait, on peut lui faire confiance,
il y arrivera - ça donne essentiellement , non pas essentiellement, entre autres, ça donne d'abord un
mouvement continu où toutes les images varient les unes par rapport aux autres sur toutes leurs
faces et dans toutes leurs parties. Ça donne destruction radicale de tout axe de référence privilégié,
d'axe vertical. On peut dire que le cinéma était encore tenu par un axe vertical et vous savez ce que
c'est l'axe vertical au cinéma, qui est comme le témoin de la stature de l'homme. C'est finalement le
défilé de la succession des images sur le film. Le premier à avoir mis en question - faudrait voir - le
premier à avoir mis en question l'axe vertical, c'est celui qui a mis cette verticalité de la succession
des images sur le film, à savoir séquence, séquence. Séquence quand il disait, il faut pas, il faut
dépasser la succession verticale des images. Et là j'invente pas, il emploie dans tous ses textes
l'expression "succession verticale". Il faut dépasser la succession verticale des images au profit de
quoi, au profit d'un "simultanéisme" - et là je cite des mots exacts, je cite pas un texte exact mais je
cite des mots qui sont tous de lui - « un simultanéisme composé de mouvement de mouvement ». Et
c'est ça qu'il appellera polyvision. Bon, je veux pas dire que GANCE c'est le précurseur de Snow. Je
dis que chez GANSE y avait déjà une confiance dans le cinéma pour mettre en question une
verticalité qui est la verticalité de la succession des images sur le film. Chez Snow, c'est alors, ça
prend une tout autre, c'est vraiment : atteindre à l'universelle variation où vous n'avez plus d'axe de
référence. En d'autres termes, comme dit Snow dans la "Région centrale", il n'y a plus ni haut ni bas.
Il n'y a plus ni haut ni bas. Voilà, voilà le point essentiel, voilà le point important.

Bon. Ça se serait le premier caractère de la modernité, je dirais, vous voyez, c'est d'une certaine
manière, ça répondrait à la question : comment nous qui sommes encore hommes - et j'espère qu'on
le restera - donc je veux pas dire du tout que ce serait dommage, mais comment en tant qu'hommes,
est-ce que nous pouvons quand même nous installer sur un tel plan, qui au premier abord, dans tout
ce que je viens de dire, nous refusait, nous expulsait d'avance ? Ben, on a des moyens d'en
approcher, on a des moyens même de fabriquer de tels plans. Et on voit que des arts différents
travaillent dans tous ces sens, et si j'essayais de dire un deuxième caractère de la modernité... Je
dirais, bon bah... Y a quelqu'un qui l'avait très bien dit, j'ai honte de mes sources, c'était un
"futurologue". Il avait dit dans un article du "Monde Dimanche", qui pourtant est... Mais c'était une
interview très très intelligente. Alors je lui rends hommage et je sais plus son nom donc... Mais il
disait quelque chose comme ça, je me souviens pas absolument, il disait quand même :" nos
rapports avec le mouvement sont complètement en train de changer. Il disait, voyez le sport, voyez
les sports qui marchent aujourd'hui". Y a les vieux sports et y a les nouveaux sports. Les sports qui
marchent aujourd'hui - alors je le traduis dans mon langage, ça doit coïncider avec ce qu'il dit,
espérons - il s'agissait finalement de propulsion. Vous faisiez de la propulsion dans les vieux sports,
ou de la production d'énergie. C'est-à-dire vous faisiez de l'action au sens de "action humaine".
L'action humaine c'est quoi, BERGSON la définira très bien l'action humaine. Il dira :" il y a action
humaine lorsque, un mouvement n'est plus considéré comme tel, mais il est considéré par rapport à
un résultat à obtenir, ou par rapport à un dessein à réaliser". C'est-à-dire lorsque - là je joue sur les
mots - c'est que au mouvement s'est substitué le dessein du mouvement. Y a action humaine. Hein,
vous voyez à peu près ce que ça veut dire. Il dit, tandis que, dans la matière c'est bien évident que le
mouvement de la matière, il se propose aucun résultat et il n'a pas d'intention. C'est notre plan
d'immanence : variation universelle de toutes les images les unes par rapport aux autres sur toutes
leurs faces et dans toutes leurs parties et ça arrête pas. Hein. Alors ça, c'était le sport vieille manière.

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On faisait de l'action humaine, de la production d'énergie, on propulsait, on propulsait soi de son
propre corps. Y avait un système d'ailleurs de... L'image c'était encore la vieille image du levier ou
bien du tremplin. Alors on voit bien un système de propulsion qui produit de l'énergie, tout ça.

Dans les sports actuellement, qui plaisent vraiment, actuellement hein, y a plus ça ou alors c'est
toujours, y a bien évidemment ça demeure les sports que j'appelle vieux, le vélo, le football, le
lancement du poids, tout ça c'est des sports de propulsion... Mais c'est plus ça, on sent que les
sports modernes c'est plus ça. Il s'agit plus de produire de l'énergie, il s'agit de quoi ? Il s'agit de se
placer sur un faisceau énergétique. Vous voyez à quoi je fais allusion, une série de sports dont je
sais même pas le nom... Et vous savez peut-être vous. Il s'agit de se flanquer sur un faisceau
énergétique. Il s'agit pas de produire de l'énergie, il s'agit de quoi ? Au lieu de la production de
l'énergie, c'est de, exactement ce que les physiciens appellent de l'oscillation à faible amplitude.
C'est plus du tout de la mécanique. Les sports anciens ont un type mécanique, corps solide. Avec
une frontière pour la nage.

Mais les sports actuels, deltaplane - tiens, je trouve un nom - aquaplane, y en a d'autres, surf. Plein
d'autres, y en a plein d'autres que je ne me rappelle pas. Tous ces sports-là. Il s'agit alors, vous
risquez beaucoup, c'est pas sans risque non plus, vous risquez de rater votre mise en place sur le
faisceau. Tout à fait différent, il s'agit plus de l'origine et de la destination d'un mouvement. Voyez la
vieille boxe, hein. Y a une origine et une destination du mouvement, il faut même cacher l'origine
pour que le mouvement arrive bien. Mais on voit bien là, tout y est, levier, production d'énergie, appui
sur un pied, c'est un sport de type mécanique. Je veux pas dire que ce soit mal les sports
mécaniques, ils sont grandioses, mais c'est de la mécanique. C'est pas de l'énergétique. Tandis que
les sports modernes, ils sont beaucoup plus de type ondulatoire. On n'a pas fini de rigoler dans cette
voie.

Or, je dis juste - là vous pouvez sûrement compléter beaucoup mieux que moi pour certains d'entre
vous- et je dis, est-ce que mes deux caractères ils sont pas très liés ? là, j'ai pas besoin d'essayer de
chercher, je sens qu'ils sont liés donc, on cherchera, vous chercherez de votre côté, et moi je
chercherai : à savoir l'abandon du centre vertical et l'abandon du monde solide. Des mouvements
mécaniques, tout ça c'est absolument lié. Se placer sur un faisceau énergétique. Y a plus du tout,
plus du tout de privilège de la verticalité. Au contraire, c'est les positions, c'est les positions
antiverticales. Vous me direz que l'abandon de la verticalité, elle a commencé déjà au niveau des
sports mécaniques, c'est vrai. C'est vrai. Je me rappelle y a très longtemps ... on a pas le temps, ça
m'intéressait beaucoup, j'avais fait sur des séries, pourtant je savais pas mais j'avais repéré des
trucs sur l'évolution des techniques dans certains sports, notamment dans le saut à la haie, et
comment au début du saut à la haie, ils sautaient comme ça (il dessine qqch au tableau). Ils
affirmaient l'obstacle. Ils marquaient l'obstacle. Ils allaient déjà très vite. Et puis s'est fait de plus en
plus, cette fois-ci de profil, une position comme ça, complètement couché sur la haie. Du coup, au
lieu de reconnaître et d'affirmer l'obstacle de manière mécanique, on le nie. Ça n'est plus que une
foulée un peu plus longue. Là y avait déjà comme une espèce de remise en question de la
verticalité. Faudrait voir aussi comment on joue au tennis il y a quarante ans, tout ça. Faudrait faire
des études sur cette évolution des styles, mais ça a dû être fait par les sportifs, je suppose. On
verrait que peut-être y a eu... En tout cas, les deux sont liés : l'abandon, la tendance à l'abandon -
c'est pour ça que je disais deux caractères entre autres d'une modernité possible -
l'abandon, l'abandon de l'axe de verticalité

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et l'abandon du modèle solide mécanique au profit des faisceaux énergétiques.

Si je dis ça, c'est une manière par laquelle, je dis mais tout ça, c'est une espèce de manière de
s'approcher de, de vivre, ce que j'appelais le "plan d'immanence", à savoir le système des
images-mouvement. Et le système des images-mouvement, c'est, c'est encore une fois un ensemble
quelconque d'images en tant qu'elles ne cessent de varier les unes par rapport aux autres... sur
toutes leurs faces et dans toutes leurs dimensions. À partir de là, si vous m'avez compris, vous vous
rappelez et c'est là-dessus que je voudrais aller très vite, on s'aperçoit que voilà, non, si vous m'avez
compris, il faut repasser par ce point que j'avais complètement négligé : c'est de quel droit appeler ça
image ?

Parce que quand même c'est bizarre. Il exagère BERGSON. Alors là, on revient à BERGSON. Tout
ce que j'ai fait, c'était montrer uniquement de par mes développements que je me sentais
bergsonien, que cette notion de plan d'immanence, j'aimais l'appeler comme ça parce que ce que
disait BERGSON, ça me convenait moi, je trouvais ça bien, je trouvais ça très bien. je trouvais que
ça allait. Alors je me dis, mais pourquoi et comment est-ce qu'il peut appeler ça image. Car image
habituellement ça veut dire qu'il y a quelqu'un qui regarde. Or là ce plan d'immanence, cet ensemble
infini d'images, c'est pour personne. À la lettre, il n'y a encore personne qui ne fasse partie du plan.
Et tous les yeux que vous voudrez seront sur ce plan, mais uniquement en tant qu'ils subissent des
actions et exercent des réactions. Ce seront des images parmi les autres.

Alors cet ensemble d'images, il est image pour qui ? C'est ça notamment dans BERGSON qui
scandalisait SARTRE, en disant - mais SARTRE s'y trompait pas, il sentait bien que c'était là la
nouveauté de BERGSON et c'était ça que SARTRE ne voulait pas, parce que SARTRE lui ça ne lui
convenait pas, tout ça, toute cette histoire, ça lui convenait absolument pas. SARTRE ce qui lui
convenait - je vais pas dire que c'était moins bien - c'était toute conscience est conscience de
quelque chose. Toute conscience est conscience de quelque chose et vous me ferez pas sortir de là,
ce qui implique inversement, toute chose est le corrélat d'une conscience et on me ferait pas sortir
de là. Or là, rendez-vous compte, ce monde bergsonien, monde d'images que BERGSON ose
appeler images, monde que nous appelons : "monde des images-mouvement" pour notre compte,
qui n'est image pour aucune conscience, y a pas de conscience, y en a pas. À ce niveau,il n' y en a
pas. Alors quoi, alors quoi ? Pourquoi il est pas arbitraire comme ça ? Eh ben je vais vous dire, je
vais vous dire pourquoi il appelle ça image. Parce que d'une certaine manière il faut bien qu'il ait pas
le choix. Il appelle ça image parce que et il précisera finalement : oui c'est des images mais c'est des
images en soi. C'est des images en soi, c'est-à-dire c'est pas des images pour quelqu'un. Ça devient
de plus en plus obscur : qu'est-ce que ça peut être qu'un monde d'images en soi ?

Alors que pour tout le monde jusqu'à BERGSON, l'image a toujours renvoyé à un œil. Ben lui, c'est
l'œil qui est une image comme les autres. Alors les images peuvent pas renvoyer à un œil. C'est une
merveille ce truc. Je crois, la seule réponse qu'il aurait, ce serait - mais il la cache, il est pas forcé de
la dire, il a tellement de choses à dire, comment, il peut pas répondre à tout hein - si on la cherche
bien, il semble que c'est voilà, la seule réponse c'est que :
c'est parce que ce monde est pure lumière. Et que ce monde c'est finalement moins du
mouvement que de la lumière. En d'autres termes, ce plan d'immanence tel qu'il vient de le définir
est uniquement fait de lignes de lumière. Ah, c'est intéressant - enfin je sais pas si vous trouvez ça
intéressant - mais, du coup on comprend. Sij'airaison,si c'est bien ça qu'il veut nous dire, "ce monde

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est un monde de pures lignes de lumière", en quoi ça permet le mot image ? N'allons pas trop vite.
Ça nous rapproche d'une réponse.
Vous comprenez, si c'est de la lumière pure, est-ce qu'y a grand inconvénient à dire : les lignes
de lumière, appelons ça images ? Si c'est uniquement des lignes de lumière, on appelle ça images,
pourquoi, pour marquer quoi ? Pour marquer que c'est pas des choses.

C'est encore le meilleur mot pour indiquer intention,c'est pas des choses. Et en effet on l'a vu, les
choses c'est le solide, c'est le rigide. Or, y a pas de choses sur le plan d'immanence. Il n'y aura des
choses que bien plus tard et on verra sous quelle influence. Les choses pourront se former sur ce
plan, mais pour le moment, elles peuvent pas, y a pas de choses ... Il est midi ? Oui, on va arrêter
bientôt parce que j'en peux plus... (Rires)...

Lumière, on avance un petit peu, ligne de lumière, en v'là une drôle de notion. Ligne de lumière. Ce
plan, alors ne serait fait : y aurait pas de choses, y aurait rien, faudrait même aller plus loin,il n' y
aurait pas d'état gazeux, ce serait pas des états gazeux qui seraient sur mon plan d'immanence. Il
serait rien d'autre que parcouru par des lignes de lumière. Évidemment il n'y aurait pas de solide. Le
solide c'est quoi, c'est un ensemble de lignes rigides. Bon, c'est un ensemble de lignes rigides.
Est-ce que ça devrait dire quelque chose à certains d'entre vous ? Je fais pas le moindre reproche à
ceux auxquels ça ne dit rien. Je dis lignes rigides, lignes de lumière. Qu'est-ce que c'est que cette
histoire ?

Cette histoire, c'est une histoire qui est très très présente du temps de BERGSON et qui a passé ses
lettres chez nous de notre temps, à savoir, c'est l'histoire de la relativité restreinte. C'est l'histoire de
EINSTEIN. C'est l'histoire de EINSTEIN. Car une des manières, une des manières, une des
manières grossières d'exprimer la nouveauté de la théorie de la relativité chez EINSTEIN, ça
consiste en quoi ? À dire quelque chose comme ceci - et EINSTEIN parlait parfois comme ceci - à
dire quelque chose comme ceci : "à supposer que l'on distingue dans le monde deux sortes de
lignes, les unes lumineuses - lignes d'un rayon lumineux qui revient sur lui-même - les unes
lumineuses, les autres géométriques ou rigides, la vieille physique nous disait que c'est l'invariance
des lignes géométriques qui garantit les équations de lignes de lumière. La théorie de la relativité
opère le renversement absolu qui va avoir des conséquences énormes en physique, à savoir que les
lignes rigides ne sont que des apparences, les lignes géométriques ne sont que des apparences et
leur invariance découle d'un nouveau type d'équation entre lignes de lumière". C'est donc ce que la
relativité restreinte fait - peu importe que vous sachiez, c'est juste ce point dont j'ai besoin - entre
autres choses, entre autres choses, je dis pas que ça se ramène à ça, c'est un renversement
fondamental du rapport conçu entre lignes lumineuses, lignes de lumière et lignes rigides ou
géométriques.

Et c'est comme ça que BERGSON le présentera. Dans un chapitre du livre qu'il écrit sur ses rapports
avec la théorie de la relativité, sur ses rapports avec EINSTEIN - ce livre étant "Durée et
simultanéité" - et dans "Durée et simultanéité", BERGSON dira, une des grandes nouveautés de la
théorie de la relativité c'est d'avoir renversé le rapport entre lignes rigides, lignes lumineuses, ou
comme il dit, d'une manière encore plus belle, figures géométriques, figures de lumière. En d'autres
termes c'est un monde de lumière. Qu'est-ce que ça veut dire ça ? C'est le rêve de BERGSON.
Rappelez-vous, je l'ai dit l'année dernière ça. BERGSON il est scandalisé par ceci, par une chose...

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Midi 5 très bien .. Il est scandalisé par une chose et, ou il trouve pas bien une chose. Il dit c'est
quand même curieux, la science elle a complètement changé, elle a beaucoup changé. Mais la
philosophie elle, elle a pas changé. On continue à faire de la philosophie comme sous Platon. Et
c'est pas mal, ça veut pas dire que Platon soit dépassable ou qu'il faut plus lire Platon. Au contraire il
faut lire Platon. Mais il faut lire Platon d'autant plus qu'on fait autre chose. Car ce n'est pas normal
d'être dans un monde où la philosophie se raccroche à Platon alors que, en revanche notre science
n'est plus du tout la science de l'Antiquité. Et il faut, disait-il, que la philosophie fasse pour son
compte une évolution analogue à celle que la science a fait pour son compte. Bon, ça voulait dire
quoi ? Eh bah, qu'elle transforme ses problèmes. Alors elle l'a bien fait d'une certaine manière mais
en renonçant à elle-même, quand elle s'est fait épistémologie. À ce moment-là, elle s'est dit, bon on
va réfléchir sur la science ! À ce moment-là, y a plus de philosophie c'est foutu.

Ce que Bergson voulait dire, c'était tout à fait autre chose." Être capable de faire une philosophie qui
soit à la science moderne ce que la philosophie des anciens était à la science antique". Et ça, les
anciens l'ont réussi. Donc nous, pourquoi qu'on réussit pas ? et pourquoi que... BERGSON pensait
pouvoir le faire ? Si bien que, je crois que BERGSON est incompréhensible sans une idée qui était
son secret à lui que, il réussirait à faire la philosophie correspondant à la science moderne, à la
science du Xxème siècle. Ce qui était aussi à la même époque l'idée de WHITEHEAD. Après tout, il
y a de quoi se consoler puisque y a beaucoup de ressemblances entre ceux qui se sont proposés ce
but. Et avant tout pour eux, l'homme qui était en train de bouleverser la science à leur époque c'était
EINSTEIN. Si bien que le grand thème de BERGSON c'était de montrer que la théorie de la relativité
ne nous donne pas une vraie philosophie et qu'il faut trouver la philosophie qui correspond vraiment
à la théorie de la relativité.

D'où la polémique, qu'on a pas du tout comprise, entre BERGSON et EINSTEIN, où BERGSON écrit
ce livre "Durée et simultanéité" dont il interdira la republication. Et on a cru qu'il interdisait la
republication parce qu'il estimait de lui-même s'être trompé scientifiquement. Mais je crois que c'est
tout à fait faux. BERGSON avait une très très forte culture mathématique qui le rendait en tout cas
capable de ne pas dire de bêtises en mathématiques et en physique. Donc qu'il ait compris la théorie
de relativité, ça allait de soi. En revanche son livre n'a pas du tout été compris. Parce que les gens
ont cru que BERGSON prétendait discuter les résultats de la relativité de EISTEIN. BERGSON,
n'étant pas fou, se serait jamais permis une chose comme ça, aurait jamais cru qu'il était capable de
discuter les résultats de la théorie de la..., chose qui d'autre part n'a strictement aucun sens. Ce que
BERGSON se proposait, c'était de montrer que EINSTEIN en revanche était bien incapable de
fournir la philosophie qui correspondait à la relativité et que lui BERGSON pouvait le faire. D'où son
attaque contre EINSTEIN qui porte essentiellement contre l'idée d'EINSTEIN que il y aurait une
pluralité de temps appartenant aux différents systèmes. C'est ça qui l'intéresse. Mais comme son
livre a pas du tout été compris et que BERGSON il désirait pas tellement s'expliquer, il s'est dit bon
bah ça a raté, il a interdit la republication, si bien que le livre..., mais il a été réédité enfin aujourd'hui
malgré les vœux express de BERGSON dans son testament. Donc vous pouvez le trouver
heureusement.

Mais vous voyez pourquoi j'introduis ça. C'est que toute cette histoire du plan d'immanence, du
système d'image-mouvement, ça ne vaut, je crois, que avec cette perspective de la relativité. Ça ne
vaut que si vous comprenez enfin que, ce monde d'image-mouvement en perpétuelle variation c'est
quoi ? C'est les lignes de lumière.

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C'est les lignes de lumière qui constituent l'univers matériel.
Et c'est ça qui constitue l'univers matériel des lignes de lumière.
Dès lors l'ensemble des lignes de lumière, on les appellera images.

Pourquoi ? Parce que ce ne sont pas des choses rigides, parce que ce ne sont pas des choses.
Alors image, pour qui ? Pure lumière. La lumière est à elle-même. Bon, ce sont des images en soi.
Ah ! ce sont des images en soi, la lumière est à elle-même, qu'est-ce que ça veut dire ça ? Voyez
comment mon premier thème prépare déjà mon second thème que j'aurais hâte d'aborder du coup
sur la lumière et l'ombre. Qu'est-ce que c'est cette pure lumière ? Eh bah oui le plan d'immanence,
c'est un espace quelconque traversé et occupé par les lignes de lumière, « lumière qui se
propageant toujours » - là je cite BERGSON, « lumière qui se propageant toujours - nous dit "Matière
et mémoire" - ne peut pas être révélée »,
lumière qui se propageant toujours ne peut pas être révélée », formidable. C'est bizarre ça,
qu'est-ce qu'il veut dire ? C'est l'état de la diffusion de la lumière. Qu'est-ce qui révèle la lumière ?
BERGSON le dira. Quand est-ce que la lumière se réfléchit ? Là alors elle se révèle, quand elle est
forcée de se réfléchir. Elle est forcée de se réfléchir sur un corps solide, par exemple. Elle est forcée
de se réfléchir quand elle est "arrêtée". Dans le plan d'immanence, sur le plan d'immanence,
BERGSON nous dit « la photo est tirée dans les choses ». En d'autres termes, la chose entre
guillemets - on a vu que c'est un mauvais emploi du mot mais il faut bien parler - la photo est tirée
dans les choses. C'est-à-dire les choses sont lumineuses en elles-mêmes. Les choses sont
phosphorescentes.
C'est l'identité de la chose et de la lumière, que signifie image.

En d'autres termes il renverse complètement le rapport conscience / chose. En quel sens ? Pour tout
le monde, strictement tout le monde avant BERGSON, la conscience est une lumière qui vient
arracher les choses aux ténèbres, y compris pour la phénoménologie, y compris pour SARTRE. Le
coup de génie de BERGSON, c'est - à ma connaissance c'est le seul, et là c'est de PLATON à
SARTRE. Pour PLATON la lumière est du côté de la conscience. La conscience est l'image de la
lumière. L'esprit est du côté de la lumière, etc. BERGSON tente un renversement qui me semble
vraiment un renversement inouï, à savoir c'est la matière qui est lumière et c'est par là que
EINSTEIN est passé par là évidemment, c'est la matière qui est lumière, c'est-à-dire ce sont les
choses qui sont lumineuses, ce sont les choses, il n'y a pas d'autres choses que les figures de
lumière, et ce que la conscience apporte, c'est le contraire de la lumière : c'est l'écran noir. C'est la
zone d'obscurité sans laquelle la lumière ne pourrait pas se révéler, ne serait jamais révélée. C'est
un renversement énorme, il me semble, dans l'histoire de la pensée.

Donc j'ai répondu à la question, si vous voulez, on reprendra là la prochaine fois, parce que là moi
j'en peux plus. En quel sens et pourquoi appeler ce monde ensemble d'image-mouvement ? Ma
réponse est uniquement en fonction - ou c'est avant tout, on verra la semaine prochaine si vous avez
des remarques à faire - en fonction de la nature lumineuse et exclusivement lumineuse de ce qui se
passe sur ce plan d'immanence. Ce plan d'immanence en tant que tel ne comprend pas d'écran noir.
Il ne comprend que de la lumière qui se propage. La photo est tirée dans les choses, seulement
comme y a pas d'écran noir, elle est translucide, elle est même transparente.
Ce sont des images en soi, des images pour personne, ce sont des figures de lumière qui
constituent l'univers.

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Voilà bon, la suite à la prochaine fois

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 10/03/81 - 3
Marielle Burkhalter

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GILLES DELEUZE - Spinoza - Cours du 10/03/81- 3 transcription : Malekahmadi Fatemeh

Du coup, alors, je n'ai même plus besoin ; C'est un hasard. Chacun opère avec ce qu'il sait. Je me
dis : ha, ce n'est pas tellement étonnant que Spinoza, Qu'est-ce que c'est, le clin d'œil du point de
vue du savoir ?
On a commencé avec notre cœur en disant : oui, ça ne peut être que ça : Il y a une distinction
des degrés qui ne se confond pas avec la distinction des figures. La lumière a des degrés, et la
distinction des degrés de lumière ne se confond pas avec la distinction des figures dans la lumière.
Vous me direz que tout ça, c'est enfantin ; mais ce n'est pas enfantin quand on essaie d'en faire des
concepts philosophiques. Oui, c'est enfantin, et ça ne l'est pas. C'est bien.

Alors, qu'est-ce que c'est cette histoire, il y a des distinctions intrinsèques ! Bon, essayons de
progresser, d'un point de vue de terminologie. Il faut faire du groupement terminologique.
Mon mur blanc, le blanc du mur blanc, je l'appellerais : qualité.
La détermination des figures sur le mur blanc, je l'appellerais : grandeur ou longueur. Je dirais
pourquoi j'emploie ce mot en apparence bizarre de "longueur". Grandeur ou longueur ou quantité
extensive.

La quantité extensive, c'est, en effet, la quantité qui est composée de parties. Vous vous-rappelez
le mode existant, moi existant, ça se définit précisément par l'infinité de parties qui m'appartiennent.
Qu'est-ce qu'il y a d'autre que de la qualité, le blanc, et la quantité extensive, grandeur ou longueur ?
il y a les degrés. Il y a les degrés qui sont quoi ? qu'on appelle, en général, les quantités "intensives",
et qui en fait sont aussi différentes de la qualité que de la quantité intensive.
Ce sont des degrés ou intensités.

Or, voilà qu'un philosophe du Moyen âge qui a beaucoup de génie - c'est là, que je fais appel juste à
un tout petit peu de savoir.- il s'appelle Duns Scott, il fait appel au mur blanc, - C'est le même
exemple. Est-ce que Spinoza a lu Duns Scott [cela n'a] aucun intérêt, parce que je ne suis pas sûr
du tout que ce soit Duns Scott qui invente cet exemple. C'est un exemple qui traîne dans tout le
Moyen âge, dans tout un groupe de théories du Moyen âge. Le mur blanc, ouais, il disait : La qualité,
le blanc, a une infinité de modes intrinsèques. Il écrivait en latin : modus intrinsecus. Et Duns Scott,
là, lui, innove, invente une théorie des modes intrinsèques.
Une qualité a une infinité de modes intrinsèques.
Modus intrinsecus, qu'est-ce que c'est ça ?

Et il disait : le blanc a une infinité de modes intrinsèques, c'est les intensités du blanc. Comprenez :

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blanc égal lumière dans l'exemple. Une infinité d'intensités lumineuses. Il ajoutait ceci, et remarquez
qu'il prenait des responsabilités, parce que, là, ça devient nouveau, vous me direz, dire : il y a une
intensité, il y a une infinité d'intensités de lumière, bon bien. Mais qu'est-ce qu'il en tire et pourquoi il
dit ça ? Quels comptes il règle, et avec qui ? Ça devient important. Comprenez que l'exemple est
typique parce que quand il dit blanc ou qualité, il veut dire aussi bien : forme ;

En d'autres termes, on est en pleine discussion autour de la philosophie d'Aristote, et il nous dit :
Une forme a des modes intrinsèques. Ha ! S'il veut dire : une forme a des modes intrinsèques, ça ne
va pas de soi, du coup. Pourquoi ? Parce qu'il va de soi que toutes sortes d'auteurs, toutes sortes de
théologiens considéraient qu'une forme était invariable en elle-même, et que seuls variaient les
existants dans lesquels la forme s'effectuait. Duns Scott nous dit : là, où les autres distinguaient deux
termes, il faut en distinguer trois : ce dans quoi la forme s'effectue, c'est des modes extrinsèques.
Donc, il faut distinguer la forme, les modes extrinsèques, mais, il y a autre chose. Une forme a aussi
une espèce de, comme ils disent au Moyen Age, a une espèce de latitude, une latitude de la forme,
elle a des degrés ; degrés intrinsèques de la forme. Bon. C'est les intensités, donc, des quantités
intensives, qu'est-ce qui les distingue ?

Comment un degré se distingue-t-il d'un autre degré ? Là, j'insiste là-dessus parce que la théorie
des quantités intensives, c'est comme la conception du calcul différentiel dont je parle ; elle est
déterminante dans tout le moyen Age. Bien plus, elle est liée à des problèmes de théologie, il y a
toute une théorie des intensités, au niveau de la théologie. S'il y a une unité de la physique, de la
métaphysique au Moyen Age, elle est très centrée, comprenez, ça rend beaucoup plus intéressant la
théologie au Moyen Age, il y a tout un problème, comme la trinité, à savoir trois personnes pour une
seule et même substance, ce qui encombre le mystère de la trinité. On dit toujours : ils se battent
comme ça, c'est des questions théologiques. Rien du tout, ce n'est pas des questions théologiques,
ça engage tout parce que c'est en même temps qu'ils font une physique des intensités, au Moyen
Age, qu'ils font une élucidation des mystères théologiques, la sainte trinité, qu'ils font une
métaphysique des formes, tout ça, ça déborde beaucoup la spécificité de la théologie.

Sous quelle forme se distinguent trois personnes dans la sainte trinité ? C'est évident que là, il y a
une espèce de problème de l'individuation qui est très très important. Il faut que les trois personnes
soient, en quelque sorte, pas du tout des substances différentes, il faut que ce soit des modes
intrinsèques. Donc, ils se distingueront comment ? Est-ce qu'on n'est pas, là, lancé dans une espèce
de théologie de l'intensité ? Lorsque aujourd'hui, Klossowski, dans sa littérature, retrouve une
espèce de lien très très étrange entre des thèmes théologiques dont se dit, mais enfin d'où ça vient
tout ça, et une conception très nietzschéenne des intensités, il faudrait voir ; comme Klossowski est
un homme extrêmement savant et érudit, il faut voir quel lien il fait entre ces problèmes du Moyen
Age et des questions actuelles ou des questions nietzschéennes. C'est évident qu'au Moyen Age
toute la théorie des intensités, elle est à la fois physique, théologique, métaphysique. Sous quelle
forme ? Encore une fois, il y a des distinctions de degrés qui sont des distinctions intrinsèques,
intérieurs à la qualité.

Alors, qu'est ce qui distingue quantité intensive et figure ou quantité extensive ? C'est qu'une
quantité extensive, elle est composée de parties homogènes ; Elle répond assez bien à la formule de
l'infinie actuelle, première couche de l'individualité : avoir une infinité, avoir un ensemble infini,
parties extensives ; Tandis qu'une intensité, qu'est-ce qui la définit ? A ce moment là, une quantité

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extensive, remarquez, là, il y a un point déjà important, c'est que vous ne pouvez la penser que, sous
quelle forme ? Vous ne pouvez la penser, dans l'étendue, que sous l'espèce de la durée. Vous ne
pouvez penser une quantité extensive dans l'espace que sous l'espèce de la durée.

Qu'est ce que cela veut dire ? Ça veut dire que quantité extensive est le résultat d'une synthèse
et cette synthèse est une synthèse du temps. En effet, quand je dis une ligne, je repère suivant de la
durée, une synthèse des parties des segments dans laquelle je construis la ligne, ne serait-ce que
dans la perception. Je regarde la longueur de la table, je commence par un bout, je progresse et il y
a un moment où je m'arrête. La quantité extensive est constituée par une synthèse des parties
homogènes dans le temps. Et c'est en vertu de cette synthèse dans le temps que je peux mesurer la
grandeur extensive et dire elle a tant de mètres.

Tandis qu'est ce qu'une quantité intensive, qu'est ce que vous pouvez dire d'une quantité
intensive ? Une quantité intensive, vous pouvez dire quelque chose et là, devient très fascinant ; Ce
n'est pas qu'il lui manque quelque chose, on a tendance à interpréter comme s'il lui manquait
quelque chose, eh bien pas du tout ! Il ne lui manque rien. Vous pouvez dire qu'une quantité
intensive qui est plus grande qu'un autre mais vous ne pouvez pas dire de combien. Vous pouvez
dire d'une chaleur est plus grande qu'une autre chaleur, vous pouvez dire d'une chaleur qui est plus
grand qu'une tiédeur. De combien, vous ne pouvez pas. Bien sûr, vous pouvez avec un instrument
spécial qui, en fait, est très complexe qu'on appelle un thermomètre un thermomètre comme cela a a
été mille fois dit, consiste à mesurer une quantité extensive. Et vous ne pouvez pas dire de combien
une chaleur est plus grande qu'un autre qu'à condition d'avoir correspondre aux quantités intensives
un système de quantité extensive. Sinon, si vous en restez aux quantités intensives, comme disait
spirituellement Diderot, en additionnant deux segments vous faites bien une ligne mais en
additionnant deux boules de neige, vous ne faite pas une chaleur.

Bon, en d'autres termes, c'est des grandeurs non additives. Qu'est ce que ça veut dire des
grandeurs non additives ? Ça veut dire qu'elles ne sont pas composées de parties homogènes.
Pourtant, elles sont multiples. Une chaleur c'est une multiplicité. D'accord, c'est une multiplicité.
Quelle type de multiplicité ? C'est une multiplicité non extensive. Ça veut dire quoi une multiplicité
non extensive ? C'est-à-dire c'est une multiplicité dont la multiplicité est appréhendée dans l'instant.
C'est dans l'instant que vous appréhendez la chaleur comme chaleur. C'est bizarre ça ! Une
multiplicité dont vous appréhendez la multiplicité dans l'instant.
Dans d'autres termes, ce n'est pas une synthèse du temps, c'est une synthèse de l'instant. Qu'est
ce que cela veut dire ? Ça veut dire les quantités intensives sont des longueurs mais ce n'est pas
des grandeurs ou si vous préférez, c'est des quantités mais ce n'est pas des grandeurs. Au début du
XXème siècle, le grand logicien des relations, comme par hasard, Husserl, dans un livre qui restera
définitif qui s'appelle "Des principes mathematiques', fera toute une théorie pour distinguer ce qu'il
appelle les longueurs et les distances. Les longueurs, c'est le statut des quantités extensives et
distance, c'est entre autre et non pas seulement, c'est le statut des quantités intensives.

La distance se définit par quoi ? Par sa proximité ou son éloignement du zéro dans l'instant. Mais,
ce n'est plus, du tout, la synthèse de successions dans le temps. C'est une synthèse de
l'instantanéité. Pour l'instant, il faut une synthèse ; précisément, qui est la synthèse intensive. Vous
appréhendez dans l'instant la chaleur comme chaude ou la chaleur comme plus chaude que telle
autre chaleur. Telle chaleur peut être plus chaude que telle autre chaleur. dites, ah, c'est encore plus

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chaud ou ça serait chaud. Ce n'est pas que la chaleur moindre sera une partie de la chaleur plus
grande. Vous avez deux distances dont vous pouvez dire l'une est plus grande que l'autre mais vous
ne pouvez pas dire de combien. Est-ce que quelque chose vous manque ? Non, rien ne vous
manque pourtant. On dira aussi bien, terminologiquement, c'est des grandeurs ordonnées mais non
pas mesurées. C'est des grandeurs ordonnables, sous forme du plus et du moins et non pas
mesurables. Sous forme de mesurable, ça signifie constituées de parties extensives.

Bon, qu'est-ce que c'est une essence singulière ? Alors, là, est-ce qu'on ne peut pas récupérer
quelque chose de l'idée de Guéroult sur la vibration ? Qu'est qu'une essence singulière ? Une
essence singulière, dans notre réponse, chez Spinoza, ça serait un degré. Ce serait un degré de
l'attribut. L'attribut c'est la qualité. L'essence singulière, ça serait, tel degré.

Donc, il y aurait des intensités, comme l'attribut c'est l'étendue, il y aurait des intensités d'étendue.
Qu'est ce que serait ça ? Les degrés, c'est des puissances. L'étendue sous telle puissance, sous
telle autre puissance, il y aurait une distinction des degrés, des modes intrinsèques, distinctions
intérieures à l'attribut qui ne se réduit pas et qui doit être très distinguées de l'autre distinction, la
distinction entre les modes d'existence.

Donc, l'essence de Pierre et l'essence de Paul se distinguerait comme deux degrés, comme deux
quantités intensives, comme deux puissances, tandis que l'existence de Pierre et l'existence de
Paule se distingue, au contraire, de toute autre manière, sous la forme de la distinction extrinsèque
entre les parties qui appartiennent à l'un sous tel rapport et les parties qui appartiennent à l'autre
sous tel rapport.

Alors, tout devient lumineux. Parce que les quantités intensives, distances indivisibles, distances
dont je peux dire l'une est plus grande mais je ne peux pas dire de combien. Je peux dire l'une est
plus puissante que l'autre. C'est des rapports de puissance. Ces quantités intensives s'expriment,
qui, elles, se définissent, uniquement, par leur distance à zéro ; vous voyez, au lieu d'être en rapport
avec des parties extensives qui forment une synthèse du temps, elles sont en rapport
instantanément, avec le degré zéro en fonction du quel on dit telle distance est plus grande que telle
autre. Et chacune est en rapport avec zéro. Elle est en rapport avec des actes. Et sa multiplicité c'est
son rapport indivisible à zéro. S'il en était ainsi, s'il y a ainsi des distances, je peux dire chaque
essence est une distance, c'est-à-dire, une puissance. Dès lors, c'est complètement normal que si
les essences sont des quantités intensives, elles s'expriment dans des rapports différentiels, puisque
la quantité intensive est inséparable d'une définition par rapport à zéro.

Et que le rapport différentiel, c'est précisément ça. Tout devient lumineux ! (Interruption du cours car
Deleuze dit : je vais au secrétariat, vous pensez à tout ça, j'aimerait bien que vous lisiez un peu, que
vous voyiez, réfléchissez et puis je reviens).

Reprise par la question moitié enregistrée : « ... et le pôle ou la face éternelle de l'essence . »

Deleuze : oui, ça, je ne l'ai pas dit encore. Oui, oui, ça, c'est la question de l'éternité. En quel sens
nous sommes éternels ? Oui, Ça, il faudrait que je le dise. Oui...ah, c'est vrai, ça. tout d'un coup ce
point me lasse !, éternité et bien, je vais le dire. Bon, est-ce qu'il y a des remarques ? Je suis sur qu'il
y en a. Je suis sur. Oui ! Parles fort ! Ou si tu te lèves, c'est mieux parce que, ça t'ennuie, on va... je

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traduirais si j'arrive à entendre. Parce qu'ici, je ne sais pas si vous avez remarquez mais l'acoustique
de cette salle est déplorable. Ils l'ont fait exprès ! (Rires.) Vas-y, oui, ah, la porte..., la porte... (La
deuxième question est inaudible. Mais on entend Deleuze :)

Deleuze : ....comme une pulsation, oui, ...tout à fait, oui, par rapport à ... ? Oui, c'est vrai. Oui, oui,
(fin de l'intervention de l'étudiant)

La réponse de Deleuze : oui, c'est-à-dire, ce qu'il dit, en effet, ce qui peut intéresser ceux qui
s'intéressent à tous ces problèmes, c'est que, sur l'état des questions équivalentes, si vous voulez à
ce dont on a parlé chez Leibniz, en effet, le même Guéroult a fait un livre très très précis qui
s'appelle "dynamique et métaphysique chez Leibniz", où vous trouvez tout un état de ces théories de
la force au XVIIème siècle, dans la seconde moitié de XVIIème siècle. Oui, Tout à fait, oui. (Pendant
la ré-intervention inaudible de l'étudiant, on entend Deleuze lui demander : comme n'étant pas ?
Comme étant de la réalité... ; Oui, mais la thermodynamique, cela, je ne sais pas si on peut
introduire quoi que ce soit. )

Deleuze reprend Moi, ce à quoi je tiens, je dis ça comme ça, c'est que dans tout ce que j'ai fait avec
des allusions soit de la physique, soit de la géométrie, soit des mathématiques, je m'en tiens
strictement à l'état de la physique et des mathématiques de la seconde moitié du XVIIème siècle.
Impossible d'introduire des notions de thermodynamiques, là, même si elles peuvent servir, parce
que c'est des chemins de sciences qui n'ont pas de correspondances, il me semble, au XVIIème.
Mais, en tout cas, la comparaison avec Leibniz, au niveau et grâce au livre de Guéroult, oui, ça
s'impose. Oui.

Mais, ce que je voudrais savoir c'est si, en gros j'ai presque terminé, c'est cette conception spinoziste
de l'individualité. Vous comprenez, on débouche, en effet, j'aurais fini avec ça sur, bon, compte tenu
cette conception de l'individualité, quel est le rapport de l'individu avec la substance unique chez
Spinoza. C'est ça qu'il nous reste à voir. Mais, je voudrais que cette conception de l'individualité soit
pour vous, enfin pour ceux qui s'intéressent à tout ça, soit très concert, ce soit..

En d'autres termes, que vous vous viviez comme ça, quoi ! Car vous êtes, on est tous des petites
quantités intensives, des modes intrinsèques quoi, des petits clignotements, quoi ! Oui, est-ce qu'il y
a des remarques là-dessus ?

Etudiant : A propos, à propos de l'état de la réflexion dans la second moitié de XVIIème siècle, je
voudrais que vous nous disiez quelque chose à propos du rapport entre l'état de la réflexion sur la
génération et surtout l'exigence de la singularité des essences. Et je voudrais placer le problème
dans ce contexte : la seconde moitié de XVIIème siècle, c'était l'époque où les théories
préformationnistes ont pris un essor considérable par rapport à la biogenèse, par rapport aux
théories biogenèsistes. Dans ces théories biogenèsistes, on imaginait que l'homme s'est constitué
par attention des parties et pour les préformationnistes que l'homme préexistait. Et, là, il y avait
plusieurs manières de présenter la préformation ; et l'une de ces façons, c'était la théorie de
l'emboîtement qui prétendait, qui était soutenu jusqu'à assez tard, particulierment par Malebranche,
qui prétendait que l'homme, c'est-à-dire ; Que soit dans l'œuf, soit dans les spermatozoïdes de
l'homme, tous les hommes, jusqu'à la fin des siècles, étaient présents depuis Adam. Est-ce que
j'étais clair ?

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Deleuze : très clair ! Oui, très clair !

Etudiant : je veux dire ma question...très franche quoi. (Inaudible).

Deleuze : Oui, et vous souhaitez quoi ?

Etudiant : je voudrais voir le rapport entre cette vision qui ( )dans la sensibilité de l'époque et
l'exigence de la singularité de l'essence dont vous avez parlez.

Deleuze : ouais, ouais, ouais ! Je cherche un joint, quoi ! (rires) Je vous dirais très rapidement, enfin,
ceci, Il me semble : dans ce qu'on appelle le pré..., le pré..., le préformationnisme, comme il vient de
le dire, il y a une certaine idée de l'emboîtement, à savoir que le vivant est emboîté dans le germe,
hein ! emboîté dans quel sens ? Il est comme enveloppé dans le germe ; Donc, que le germe se
développe ; En d'autres termes, le vivant est déjà là, et se fait un mécanisme qui est, à la lettre, un
mécanisme du développement ou d'explication des parties enveloppées se déroulant ; Non, c'est
vrai, d'abord, où cette formule, la genèse, si vous voulez, ne fait qu'un avec un développement. La
genèse ou l'évolution d'un vivant ne fait qu'un avec le développement de quelque chose qui est
enveloppé dans le germe. Cela peut se concevoir, d'abord, au niveau de l'organisme adulte et du
germe.

L'organisme adulte est comme enveloppé dans le germe et l'évolution, ça consiste, ensuite, en ceci
que les parties enveloppées se développent. Ça implique comme une espèce de développement par
mise en extériorité, à savoir des parties qui sont enveloppées, les unes dans les autres, se
développent. Un peu, vous voyez, comme les papiers japonais, là, comme les petits jardins qu'on
plonge dans l'eau et qui se développent. Ils se déplient ; l'évolution comme le dépliement. Et lorsque
vous tenez une tel, il ne s'agit pas de savoir si c'est vrai ou faux, encore une fois, ça n'a aucun
intérêt. Il s'agit d'évaluer ce concept de l'enveloppement, l'enveloppement du vivant. Alors, lorsque
vous tenez un tel concept, vous devez, évidement, vous ne pouvez pas le maintenir au niveau de
l'organisme adulte-germe. Il faut aussi l'établir au niveau de l'espèce.

Vous ne pouvez pas l'arrêter au niveau de l'individu. Il faut qu'il valle au niveau de l'espèce.
C'est-à-dire, la première, ce n'est pas seulement le germe de mouche qui contient toutes les parties
de la mouche qui se développeront à partir du germe, mais, c'est la première mouche qui contient
toutes les mouches. Ah ! ça devient plus intéressant, déjà. Il y a là, une vision de l'évolution de
l'espèce, telle que la mouche primitive qui contient toutes les mouches à venir. Donc, toute évolution
est conçue sous le mode d'enveloppement-développement ou en terme logique, implication-
explication. Parce qu'implication, c'est envelopper, explication, c'est développer.

Alors, à première vue, ç'apparaît très sobre comme idée, cela apparaît bizarre ; en effet, comme il
vient de le dire, il y a des textes de Malebranche, très beaux, très... même très comiques, très
puissants, sur cette première mouche qui contient infini des mouches. J'insiste là-dessus, c'est que,
à quel point, il ne s'agit pas de considérer cette théorie à la lumière de la biologie actuelle et de dire,
ah ! ben, non, ça ne va pas ! c'est comme dans les manuels, vous voyez, on dit, à ce moment là, ils
croyaient à la préformation. C'est ça la préformation.

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Mais, ensuite dans le courant de XVIII ème et puis dans le IXX ème siècle, on y a substitué tout un
autre concept : l'épigenèse. Et l'épigenèse, c'est, au contraire, l'idée, que le développement opère
par formations nouvelles ; que le développement va d'un indifférencié à des différentiations et que
les différentiations ne sont pas pré-inscrites. C'est, en gros, le point de vue de l'épigenèse, par
opposition au point de vue de la préformation.

Quand on en reste à une espèce du manuel qui va vite, on a l'impression, vraiment, que les gens de
XXII ème siècle qui croyaient à la préformation étaient débiles, quoi ! Qu'est ce que c'est cette
histoire de la mouche primitive qui contient toutes les mouches à venir ! Qu'est ce que cela veut dire
? Au point, c'est tellement débile, la manière dont on nous le présente qu'il faut leur faire confiance
que, quand même, ça devait vouloir dire autre chose pour eux. Et peut être que vous auriez des
éléments, là, je ne voudrais pas et puis, je n'ai pas préparé, il faudrait de textes très précis, donc je
m'en tiens à des choses très simples, mais d'après ce qu'on vient de me dire aujourd'hui, vous auriez
quand même des pressentiments possibles sur le sérieux, sur le véritable sens du point de vue
préformationniste. Parce qu'il est évident que c'est inséparable d'une notion de l'infini actuel, là,
aussi. Lorsqu'ils disent, lorsqu'ils parlent de ces infinités de mouches qui sont contenues dans la
mouche originelle, c'est évident que ça ne se comprend qu'à partir d'un infini actuel appliqué au
vivant.

Tandis qu'évidement, une théorie comme celle de l'épigenèse ne peut apparaître ; si vous voulez,
c'est ça qui m'intéresse, aussi bien en science qu'en philosophie, il ne faut pas croire qu'une théorie
peut apparaître à n'importe quel moment ; une théorie ne peut paraître en règle générale que
lorsqu'il y a déjà le système symbolique qui la rend possible. Si vous demandez pourquoi le calcul
différentiel n'apparaît pas comme tel dans l'antiquité grecque, ce n'est pas parce qu'il manque de
génies, évidement. ce n'est pas le manque du génie nécessaire ; C'est parce que les mathématiques
ne disposent pas de systèmes symboliques qui rendent possible l'apparition et l'exercice du calcul
différentiel. Et c'est évident pour toutes les sciences et pour toutes les découvertes en science
qu'elles ne surviennent que quand elles sont possibles et ce n'est pas tellement difficile d'assigner,
dans une découverte, ce qui la rende possible à tel ou tel moment. Ça ne veut pas dire qu'elle
surgira, nécessairement, mais encore faut-il qu'elle soit possible. Moi, je crois que s'il faudrait,
précisément, appeler un système symbolique, dans le domaine des sciences ou dans le domaine de
philosophie, c'est cet ensemble de condition de possibilités linguistiques, ce sont des formes
d'expression qui rendent possible l'énoncé, tel ou tel type d'énoncé.

Alors, il va de soi que l'épigenèse, je dirais, à savoir l'idée que l'évolution du vivant n'est pas une
explication, n'est pas un développement, mais se fait par étapes non comprises dans l'étape
précédente, c'est-à-dire, se fait par différentiation et non pas par développement. Je veux dire, avec
l'épigenèse, c'est, à la lettre, une négation du concept de développement ; on substitue, le concept
de, si vous voulez, de formation, de différentiation au concept de développement. Or, pour substituer
un concept de différentiation à un concept de développement au niveau de l'organisme, il a fallu
l'écroulement de l'infini actuel. L'infini actuel était un système symbolique au XVIIème siècle qui
rendait comme nécessaire et qui imposait la théorie de la préformation.

Si bien que se demander : est ce que c'est vrai ou c'est faux la préformation ? il me semble que c'est
un problème qui n'a strictement aucun sens. Une théorie est vraie ou fausse en fonction de tel ou tel
système symbolique. Alors, la question rebondit. Est-ce que le système symbolique de l'infini actuel

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est vrai ou faux ? La question n'a aucun sens.Ce qui a un sens c'est qu'est ce qui a conduit à
abandonner ce système, là ? Or, ce qui conduit à abandonner ce n'est jamais des raisons négatives.
Ce n'est, jamais, pour des raisons pour des raisons propres au système qu'on abandonne ; qu'on
abandonne un système ! C'est toujours pour des raisons positives, c'est-à-dire, par pression,
précipitation exercée par le système naissant, par l'autre système. Ce n‘est pas au niveau des faits
que l'on peut poser la question. L'évolution du vivant était assimilable à développement de quelque
chose d'enveloppée ou à une différentiation. Ce n‘est pas au niveau des faits. C'est évident ! C'est
au niveau du système symbolique. Et il y a un système pour le vivant, tout comme il y a des
systèmes symboliques en mathématiques.

A savoir, si vous pensez, le vivant dans un contexte de l'infini actuel, ce qui était absolument le cas,
pour, à la fois, l'histoire naturelle et la théologie qui faisaient cause commune au XVII ème siècle -
alors, à ce moment là, l'évolution du vivant est du type développement -explication et les notions de
l'épigenèse et de différentiation sont strictement dénuées de tous sens.

Pour qu'arrive un jour, un concept équivalant à celui de différenciation, il faut, non seulement, le
travail du XVIII ème siècle,qui n'y arrivera pas , il faut, très précisément, la révolution romantique, il
faut la révolution romantique, à savoir, l'accent mis sur la synthèse du temps et sur une synthèse du
temps créative. Alors, un systeme symbolique où le temps est créateur, à ce moment là, un concept
comme épigenèse, de...apparition de quelque chose de nouveau par différentiation devient possible.
Il nous faut une toute autre conception, une nouvelle conception du temps.

Inversement, quand vous pensez en terme d'infini actuel et que vous êtes dans un point de vue
préformationniste, ça consistera à nous dire simplement, il y a une grosse mouche primitive qui
contient toutes les mouches à venir. Pour une raison très simple, c'est que, comme je viens de le
dire, les parties enveloppées, c'est des parties infiniment petites. Pour eux, le germe, c'est, si vous
voulez, la sommation des parties organiques d'un animal, mais, à l'état de quantités évanescentes.
Vous trouvez, exactement, le thème de l'infini actuel et de l'infiniment petit. Si bien qu'ils ne veulent
pas dire du tout, même quand ils s'expriment comme ça, c'est pour rigoler, ils s'expriment comme ça
! ils ne veulent pas il y a une mouche Primitive, une grosse mouche qui contient toutes les mouches
à venir ; ils disent même, exactement, le contraire.

Ils disent : il y a une mouche infiniment petite, la mouche infiniment petite, c'est simplement
l'ensemble de rapports différentiel entre les parties évanouisssantes, les parties infiniment petites de
la mouche et les mouches réelles ne s ont que l'effectuation de ces rapports. Evidement ! Ce n'est
plus du tout une métaphore de ressemblance. On ne peut pas dire qu'il y a une mouche qui contient
toutes les mouches !

C'est une théorie de l'infini actuel appliquée à la matière vivante. Alors, là, ça devient très très
intéressant ! Au point que...iln'y a jamaisopposition deux par deux d'une théorie. Les phénomènes
dits de différenciation, ils s'en rendront compte très bien.

Eux, ils diraient, mais la différenciation animale,c'est tout simple : c'est qu'un même rapport, un
rapport biologique peut s'effectuer dans des ensembles différents tout en restant le même, il y aura
une différenciation à partir de là. Donc, quand les théories scientifiques, moi c'est ça qui me frappe,
quand les théories scientifiques paraissent, complètement, dépassées, elles ne paraissent

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dépassées que dans la mesure où on ne tient pas compte des systèmes symboliques auxquels elles
renvoient ; et si vous ne tenez pas compte des systèmes symboliques, en effet, elles deviennent
complètement puériles.

Encore une fois, le préformationnisme, si je le présente comme dans les manuels de l'histoire de la
biologie, sous forme de gens qui croyaient que le vivant adulte était contenu dans le germe, ça n'a
aucun sens, ça ne veut rien dire ! Ce n'est pas ça qu'ils veulent dire ! Ils disent tout à fait autre
chose, quoi ! Ils disent, exactement, si vous voulez, si vous arrivez, si vous arrivez à des derniers
corpuscules, eh, bien, ces corpuscules, que vous avez traités comme des quantités infiniment
petites, c'est-à-dire des parties organiques infiniment petites, ces corpuscules ont des rapports, des
rapports de type différentiel et les vivants que vous voyez, ne sont que l'effectuation de ces rapports.

C'est ça le préformationnisme. A ce moment là, c'est irréfutable. C'est irréfutable en fonction de


système symbolique dont ça dispose. Bon, voilà, bon. (Deleuze dit oui à une question :)

G. Comtesse : J'ai une question en rapport avec le texte de Spinoza... parce que Spinoza ne parle
pas, simplement, d'un ensemble d'infini actuel d'éléments infiniment petit avec des rapports, il pose
une très curieuse identité, il pose la question, justement, du rapport de la physique et de la
métaphysique. Parce qu'il pose l'identité de l'élément infiniment petit avec la partie. Or, poser une
telle identité c'est nécessairement passer du cercle d'ensemble d'éléments infinis actuels à un autre
cercle qui est la partie totalité, unité. Alors, en quoi, justement, un élément est -il différent ou
identique à la partie, à une totalité, à une unité ? De même, Spinoza parle d'une essence singulière,
en tant que puissance, et pour quoi l'essence précède l'existence ? Pourquoi admet-il que cette
essence comme puissance singulière, est dans une autre identité avec l'être réel ? Est-ce qu'on peut
dire que l'être réel compose, si on admet ces mots de partie, d' unité, de totalité, de l'être ? est-ce
qu'on n'est pas déjà dans un langage métaphysique qui empêche que, justement, d'affirmer que le
pur réel, le pur physique ou l'absence complet d'idéal, possible.

Deleuze : je comprends la question. Alors, moi, je répondrais, évidemment, si tu la pose, c'est que
t'as une réponse à toi. Alors, on va voir si c'est la même. Moi, je dirais ceci : il y a une chose qui ne
me convient pas dans la manière dont tu poses ta question. Parce qu'il me semble que tu la poses
en tant que tu es du IXX ème siècle, encore plus, du XXème. Pour des hommes comme Spinoza,
Descartes, Leibniz, et particulierment, je dirais pour Spinoza, il y a, sûrement des distinctions entre
sciences, métaphysique et bien plus toutes sortes de domaines : physique, biologie, mathématiques
etc. Il y a des distinctions, mais encore une fois, il n'y a jamais de conflits. Il n'y a jamais de conflits.
C'est comme des domaines d'être qui se renvoient les uns aux autres. L'idée qu'il puise y avoir un
conflit, par exemple, entre la science et la métaphysique, tout ça, c'est une idée qui me paraît,
trouver, justement, son intelligibilité que dans le travail de sape de XVIIIème siècle. Et au XVIIème,
c'est des types qui vivent, c'est ce que j'ai essayé de dire, qui vivent un système d'équilibre. ce n'est
même pas qu'ils soient à la fois, mathématiciens, physiciens, métaphysiciens, c'est que...ce n'est
même pas, non plus, que ça soit la même chose, tout ça.

C'est que, ça se complète tellement, en vertu, justement, de leur système symbolique. Alors, je
reprends tes termes, en quel sens j'essaie de répondre à ta question, plus directement ? Je dirais
unité, totalité, partie, tout, chez Spinoza, qu'est-ce que c'est que cette (Interruption de la bande) J'ai
un premier champ : partie, partie égale corps les plus simples, éléments extrinsèques, c'est-à-dire,

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éléments qui reçoivent leur détermination du dehors. Eléments sans intériorité.
Une partie, ça sera un élément sans intériorité, qui reçoit son mouvement du dehors. Donc, voilà
tout un sens de "partie". "Tout", qu'est ce que ça veut dire, à ce même niveau ? Tout, ça vaudra dire
tout ensemble infini constitué par ses parties. Et, encore une fois, ces parties n'existent que par
ensemble infini. Le mot tout, aura, lui-même un sen précis. L'unité, eh, ben, sera l'unité d'un
ensemble infini qui sous un certain rapport contient, comprend toutes ses parties.

Donc, j'aurais un premier sens de toutes ces notions. Maintenant, je passe aux essences, non plus,
aux parties extensives qui composent mon existence, mais aux essences singulières, vous, moi, etc.
au-delà de l'existence. Les pures essences. je constate que tout, unité, partie, etc. prennent un autre
sens.

Quel autre sens ? Et là, je n'invente pas. Je prends deux textes de Spinoza. Il nous dit :" les corps
les plus simples sont les parties d'un corps composé". Et il nous dit, d'autre part, deuxième texte,
"chaque essence est une partie de la puissance divine". Bon, C'est évident ! Avant même que je
comprenne pour quoi, je saisis que le mot partie n'a pas du tout le même sens. Lorsque Spinoza
nous dit les corps les plus simples sont les parties des corps composés, lorsqu'il nous dit ça - partie
veut dire partie extensive déterminée du dehors, déterminée du dehors à quoi ? Déterminée du
dehors à entrer sous tel ou tel rapport qui correspond à telle essence.

C'est des parties extensives, on a vu leur statut. Lorsqu'il nous dit chaque essence est une partie de
la puissance, je n'ai pas besoin, et je ne force en rien le texte, la puissance c'est quoi ? ce n'est pas
une quantité extensive, c'est une quantité intensive.
Partie, voudra dire "part intensive" ; une partie intensive, c'est-à-dire, part voudra dire, ici, un
degré. Degré de puissance.

Et la phrase devient intelligible : chaque essence singulière est un degré de puissance. On ne peut
pas dire plus simple. Chaque essence singulière est un degré de puissance. Mais, les corps simples,
eux, qui sont des parties des corps composés, ce n'est pas, du tout, les degrés de corps composé,
ce sont les parties ultimes, c'est-à-dire des éléments infiniment petits qui composent, en extension,
un corps composé.

Donc, je ne dirais pas qu'il y a un sens, par exemple, si je prends les termes partie/tout, je ne dirais
pas qu'il y a un sens physique ou scientifique de partie/tout et un sens métaphysique de partie/tout ;
Je crois qu'en effet, il faut beaucoup plus là, sérier des concepts qui sont, dont chacun est
irréductiblement, physico-mathématico-métaphysqiue. Simplement, il y a la partie au sens de partie
extensive et il y a, à la fois, une physique, une mathématique et une métaphysique des parties
extensives.

Et puis, il y a tout autre sens du mot partie, partie intensive, qui lui-même, a une physique et une
métaphysique des parties intensives. Voilà dans quel sens je répondrais à ta question, si j'y ai
répondu. Et toi ?

Comtesse : (inaudible)

Deleuze : Mais, là, là, tu deviens dramatique ! Parce que ce n'est pas avec moi que tu rompts, c'est

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avec Spinoza. C'est avec Spinoza. C'est Spinoza que tu ne veux pas ! Ce n'est pas ma faute, là !
Comtesse : (inaudible) donc, il y a dans cette phrase, il y a ce langage là, encore ! il y a
nécessairement des intensités, il y a une certaine intensité du réel qui doivent être nécessairement.
Vous pouvez trouver lesquels.

Deleuze : oui, oh ! Je te pressens. Je te pressens. Mais là, on est bien d'accord sur ceci. Tu es en
train de me dire, voilà, pour quoi Spinoza ne me convient pas parce que, malgré tout, il subordonne
tout le domaine des intensités à un certain point de vue de l'être et de l'unité. Et comme ça, il perd
des intensités, je ne sais pas bien lesquelles c'est, mais je suis sur qu'il les perd. Alors, ça, ça me
dépasse. Moi, je ne suis pas quelqu'un comme représentant de Spinoza ! Alors...

Comtesse : Par exemple, dans, il y avait deux livres de, deux livres au moins, de quelqu'un, un
philosophe français qui a posé, directement le problème et, bien sur très peu attendu en France, le
rapport, les relations, le rapport entre les termes et les relations, c'est jean Wahl " le traité de
métaphysique" et un autre livre qui s'appelle : "Vers la fin de l'ontologie". Eh, bien, il semblait tout à
fait remarquable que dans ces deux livres, il cherchait à travers toute une analyse, pas seulement de
Spinoza mais de l'ensemble de l'histoire de la philosophie, à découvrir ou affirmer un réel qui soit,
justement, délesté de tout ce langage.

Deleuze : Je ne dirais pas ça !

Comtesse : Ce langage métaphysique, il affirmait, à chaque fois, quelque soit le point où il allait dans
sa pensée ou la limite de sa pensée, il y avait quelque chose d'en deçà et au-delà des termes, des
relations et des parties et que, justement, Deleuze : ouais ! ouais... ! ouais.. ! Etudiant : vous ne
pouvez pas, finalement, affirmer, ici, qui soit un reste ou un réel, une puissance singulière réelle qui
soit encore captive de la métaphysique, ne serait ce que de ce langage là. Nécessairement

Deleuze : mais, là, tu me....

Etudiant : donc le problème des rapports entre les fragments, les éléments et les parties.

Deleuze : A ça, je voudrais dire deux choses : c'est que, évidemment, tu me donnes un poignard
dans le cœur ! Parce que tout revient à dire : bon, bien, d'accord, mais, Spinoza n'est pas le dernier
mot de tout ! Ça j'en suis )( ! Mais dans la mesure où, je faisais, avec votre plein accord à tous, un
cours sur Spinoza plutôt que sur autre chose, je ne m'occupais pas d'autres choses ! Si donc, à la
fin, tu arrives et tu me dis : Oui, mais, enfin ! Spinoza, ce n'est pas si fameux que ça ! Il y a mieux !
Moi, je ne poserais pas la question comme ça ! Je ne me demanderais pas s'il y a mieux ! et c'est
pour ça que je corrige, je corrige, quand même, quelque chose par rapport à ce que tu dis, c'est très
vrai ce que tu viens de dire sur Jean Wahl, mais, justement, si je souhaite avoir apporté quelque
chose à ce semestre, c'est, je ne suis pas sûr d'avoir raison, c'est, d'abord, avoir redressé une idée
toute faite sur le XVIIème siècle, parce que, Wahl y compris, pense qu'une théorie des relations
indépendantes de leur terme, c'est un acquis de la philosophie assez tardive. Et notamment, il
reproche et je me rappelle des textes de Wahl très très formels, à toutes les philosophies de
XVIIème siècle d'en être restées à un point de vue dit "substantialiste" où les relations sont
comprises à partir de leurs termes.

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Si bien que pour Wahl, et ça se comprend mieux, dès lors, une logique des relations, telle que Wahl
la souhaite, une logique qu'il emprunte aux anglais et aux américains, une logique des relations ne
peut se faire que sur la destruction de l'ontologie du type XVIIème siècle.

Moi, ce que j'ai essayé de montrer, c'était que sûrement, il avait raison, c'est son point de vue, ça,
c'est très bien. Mais que c'était un sens un peu plus compliqué que ça ! Car s'il y a une première
étape d'une théorie des relations indépendantes de leurs termes, c'est bien dans cette seconde
moitié de XVIIème siècle. Et que bizarrement, l'ontologie pour eux, loin de les empêcher de dégager
ce domaine des relations, est au contraire, un levier et un foyer très puissant pour arriver à une
conception des relations plus profondes - et que ce n'est pas par hasard que dans la perspective de
cette ontologie, on est arrivé à toute une conception de l'infiniment petit ou de l'infini actuel.

Alors, si j'avais à discuter un point, uniquement historique de Wahl, c'est que je ne crois pas que la
théorie des relations, au sens où tu la réclames, ait son point de départ, si tu veux, avec la critique
de l'ontologie. Moi, j'ai le sentiment que par exemple, chez Spinoza, encore une fois, chez qui il y a
une conception de l'être qui est irréductible, mais vraiment irréductible à tout "étant", aussi bien à la
substance qu'au mode, cette espèce de déploiement de l'être, lui permet précisément de faire
quelque chose de très, alors là, de très très fantastique qui est le déploiement d'un système de
relations qui ne se réduit pas du tout à leurs termes. Alors, oui, mais là, c'est un peu, si tu veux,
là-dessus, toi, ton exigence, ça consiste à dire, si je la traduis le plus fermement et le plus
modestement que je peux, c'est : Bon, d'accord, mais il faudrait arriver à faire, à la fois, une théorie
des relations et une théorie des intensités qui n'impliquerait pas d'ontologie.

Oui, alors, tu dis qu'est ce serait, ces intensités libérées, ces intensités libérées de tout point de vue
de l'être ? oui, ça revient presque à dire que toi, t'as envie d'aller dans cette direction, là, mais je
veux dire, là, très bien, très bien mais je n'y vois, là, aucune raison pour dénoncer dans Spinoza une
insuffisance quelconque.

Moi, ce qui m'intéresserait plutôt, c'est, indépendamment de la question : Est-ce que vous vous
sentez spinoziste ou pas ? Quel effet ça vous fait une pensée qui a ce mode dans lequel... je veux
dire...je sollicite plus votre émotion que votre rapport avec cette pensée.

Finalement, j'espère, ce que vient dire Comtesse, c'est que Dieu merci, Spinoza, il n'a, sûrement,
pas tout dit. Sinon ça s'arrêterait. Il n'y que Hegel pour pouvoir avoir tout dit. (rires). Mais, vous
comprenez, on ne dit pas tout quand on n'est pas, oui, en Allemagne. (rires).

Alors, Spinoza, il n'a pas tout dit. Mais, il est très éloquent. Un œuvre d'art ! A condition de traiter les
œuvres d'art comme quelque chose de vital. Qu'est ce que c'est, en effet ? Eh, bien, à quoi, c'est
vraiment une pensée de la vie ? Je l'ai rapproché des autres du XVIIème siècle mais en même
temps ce qui me reste à dire la prochaine fois, ce qui me reste à dire la prochaine fois, c'est deux
choses. C'est répondre à la question de Richard sur, bon, l'éternité, comment, déjà, il prétend,
Spinoza prétend et qu'est ce que c'est ce point de vue de l'tre, c'est à dire répondre aussi un peu
aussi à Comtesse ;

Qu'est ce que c'est ce point de vue de l'être que Spinoza estime absolument présent d'un bout à
l'autre de sa théorie ?

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Oui, voilà. Et bien, on verra ça la prochaine fois.

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 16/03/82 - 2
Marielle Burkhalter

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transcription : Yaelle Tannau cours 13 du 16/03/82 - 2

Vive le naturalisme. Quelle merveille. C'est comme le monde d'Empédocle quand il est mené par
la discorde : des yeux sans front, des mains sans bras, tous les objets partiels qui se réunissent et
qui clapotent. Qui forment une espèce de marécage.

Voyez à quel point ce n'est plus du tout l'expressionnisme. C'est le monde des pulsions et de
leurs objets. Ce n'est plus du tout le monde des affects que là je veux pas - je ne développe pas. Bon
! Il y a donc cette pente commune qui va du monde originel dans son commencement absolu à sa fin
radicale. avec quand même, c'est trop triste tout ça. A moins que...c'est comme l'entropie du monde
originaire. A moins que le monde clos, le monde originaire dans sa clôture, dans sa pente, dans son
entropie, ne soit quelque part ouvert sur l'Ouvert. Ou "entrouvert". A moins que ne se produise une
remontée d'entropie. Une "neguentropie". Qu'est-ce qui amènerait cette remontée d'entropie ? Est-ce
qu'il y a un salut ? Dieu que les naturalistes sont loin de la mystique. Mais ils n'ont pas cessé de
poser le problème de la foi.

Est-ce qu'il y a un salut ? pas au sens général, mais une fois dit que c'est eux qui ont inventé ce
problème, des mondes originaires, vases clos dans lesquels ils découvraient sous les états de
choses déterminés, dès lors ils ne pouvaient pas ne pas rencontrer le problème de : est-ce qu'on va
s'en sortir ? Et qui nous en sortira ? Quelle foi ? Et ils oscillaient entre plusieurs réponses, sans
doute. Peut-être une foi de type religieuse, c'est à dire toute religion abdiquée. Extraire de la religion
une foi, c'était une réponse possible. Ou bien alors peut-être l'amour. Mais quel amour il faudrait
pour remonter cette entropie, pour ouvrir ces mondes clos ? Ou bien le socialisme révolutionnaire. Et
après tout c'était déja toutes les directions de Zola. Comment sortir de ces mondes originaires : par
l'amour, par le socialisme, par un équivalent de la foi. Est-ce que c'est possible ?

Voilà en trois moments le tableau que je voulais faire : A mon avis il n'y a que deux types, qui, dans
le cinéma, aient construit d'un bout à l'autre ce monde des pulsions et des objets, et fait voir les
mondes originaires sous les états de choses déterminées : c'est evidemment Stroheim et Bunuel.

Et c'est ça, le cinéma d'action de Stroheim et de Bunuel.

On va le voir, la question est trés juste. - Je vais essayer de montrer en quoi tout ce que j'ai dit sortait
bien du cinéma de Stroheim et du cinéma de Bunuel. Mais en d'autres termes, je dirais presque, que
c'est du cinéma d'avant l'action, pas du cinéma d'action. C'est pas du réalisme, c'est du naturalisme.
Et c'est très très différent. C'est ce monde des pulsions et de leurs objets. Et filmer des pulsions et

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leurs objets, à ma connaissance, le cinéma américain quelque soit sa puissance - rappellez vous
Marey, je ne dis pas que c'est mieux - n'a jamais rien compris à ce problème. Si bien que Stroheim
et Bunuel ne pouvaient pas être intégrés dans le cinéma américain, même quand ils étaient à
Hollywood, ou quand ils y allaient.

Or, le vrai truc du cinéma américain, en simplifiant beaucoup, ça a été le cinéma d'action. Ils ne
croient pas à des idées de mondes originaires, forcément, l'idée des mondes originaires c'est une
idée tellement européenne, découvrir des mondes originaires sous les états de choses déterminées,
c'est pas du tout une idée d'américain, c'est une idée de vieil allemand ou d'espagnol un peu tordu,
quoi. Oui c'est très curieux. Or à ma connaissance il n'y a qu'eux qui ont saisi ça.

Question : - Et Ferreri il est dans quoi ?

- Ah, Ferreri c'est un cas. Peut-être que Ferreri serait dans cette lignée. Ce serait interessant de voir
Ferreri sous cet aspect. Il y a des films, je vois tout de suite à quoi vous pensez, ouais c'est même
trés bien

il faut que je courre au secrétariat.. ne partez pas, vous aussi ?

GD ; Faut fermer la porte si vous voulez bien, ça y est ? Alors ? elle m'agace cette porte... je hais les
portes...

Alors je voudrais dire très vite ce que c'est que ce "naturalisme". Si vous m'avez compris, tout le
monde sait que chez Bunuel par exemple, la question de son "surréalisme" est une question très
difficile à poser. Je veux dire à cet égard une chose très très simple : l'équivoque du rapport
Bunuel\surréalisme s'explique très facilement. C'est que ce qui est surréel pour Bunuel, c'est
précisément la découverte et la construction de ces mondes originaires. Et cela avait assez peu de
choses à voir, Breton ne s'y est pas trompé (quand à l'étrangeté des rapports Bunuel\Breton), il
sentait bien que Bunuel n'était pas des leurs. A la lettre le premier surréalisme, c'est précisément le
naturalisme, si l'on définit le naturalisme par cette construction et cette découverte des mondes
originaires interieurs aux états de choses historico-géographiques. Alors... merde ! merde ! vous
voulez bien la fermer c'te porte ? Je me sens tres bunuellien, il faut que ce soit fermé tout ça, c'est
l'ennemi, je ne crois pas quele salut ne vienne du dehors, il ne peut arriver rien que du mauvais...

- Alors, qu'est-ce que vous retrouvez de commun, entre Stroheim et Bunuel, même dans leur
manière de filmer ? Vous avez un premier thème qui est fondamental qui est celui des mondes clos.
Même qui, quand ils sont ouverts sur la nature, ça peut être des exterieurs. Mais, les grandes
clôtures, même de paysages exterieurs, chez l'un comme chez l'autre, c'est des grands moments.
Les montagnes de Stroheim, ce n'est pas rien. Les exterieurs de Bunuel, filmés de telle manière que
cela constitue précisément des vases clos. Ces mondes clos qui sont précisément des mondes
originaires, c'est à dire, où va se déchaîner l'histoire des pulsions et de leurs objets.

- Deuxième point : Toutes les actions sont rapportées. En effet, c'est la première forme de violence
au cinéma. On verra dans notre analyse de l'image-action toutes formes de violences. Mais cette
première violence est la violence naturaliste. Première au sens logique où on en est dans notre
analyse. C'est la violence des pulsions et de leurs objets. De ces objets arrachés et de ces pulsions

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qui arrachent. C'est le monde des prédateurs. J'arrache. Et les actions ne sont là que "pour quelque
chose", qui est l'action originaire, c'est à dire l'acte de la pulsion. C'est pas des actions, il n'y a pas
d'actions dans ce cinéma là. C'est des actes pulsionnels. Qui impliquent au besoin la plus grande
ruse, la ruse, cela fait partie de la pulsion, etc. Mais ce n'est pas encore l'image-action au sens du
cinéma américain.

Ensuite la double pente de la dégradation, où la pulsion et l'objet se précipitent vers quoi ? vers la
fin du monde. Fin du monde qui chez les deux, par exemple réunis dans la même image, l'image
célèbre de "Folies de Femme" : le cadavre jeté dans le dépôt d'ordures, c'est à dire la finalité
commune de la pulsion et de l'objet. Et l'image non moins célèbre à la fin de Los Olvidados : le
cadavre du gosse jeté par le dépôt d'ordures. Et, chez l'un comme chez l'autre, l'affirmation que
toujours il s'agit d'un monde originaire, ça pourra être chez Stroheim une principauté d'opérette. Ca
pourra être une opérette du type "La Veuve Joyeuse". Ca pourra être n'importe quoi. Ca pourra être
le casino, dans "Folies de Femme", etc.

Ce monde clos est découvert et posé comme le monde originaire, le monde des origines, c'est à dire
le monde qui se définit comme symptôme par les pulsions et par les objets arrachés.

- D'où, chez l'un comme chez l'autre aussi, un type tout à fait nouveau du gros plan. Cette fois et
cette fois seulement, le gros plan : c'est bien l'objet partiel. Chez l'un comme chez l'autre, les
chaussures comme objets de la pulsion sexuelle. Ou la jambe qui manque. L'infirmité. Mais, voyez,
je ne reviens pas sur ce que j'ai dit quand je disais à propos de l'image-affection :" mais jamais le
gros plan ne constitue quelque chose en objet partiel". Son opération est tout à fait différente. Là je
trouve en effet un autre type de gros plan, mais je n'ai pas à me corriger, car ce n'est pas le gros
plan qui constitue la chose en objet partiel, c'est parce que la chose est en elle même objet partiel en
tant qu'elle est objet de la pulsion, que dès lors elle devient l'affaire d'un gros plan. D'où gros plan de
chaussures, d'où gros plan de jambes qui manquent, d'où gros plan d'infirmité, etc.
La pente commune, c'est finalement la manière dont la pulsion prend un monde originaire, vous
avez beau l'extraire d'un milieu, il traverse plusieurs milieux, c'est même une de ces différences avec
ce qu'on verra tout à l'heure sur le milieu. Il comprend différents milieux, il est orienté comment ? Il a
deux coordonnées.
Un monde originaire il est déja orienté dans sa distribution des pulsions en riches\pauvres par les
classes qui sont une notion dérivée. Mais la brutalité du riche et du pauvre et le bon et le mauvais.
Riches\pauvres, bons et mauvais vont quadriller le monde des pulsions et de leurs objets.

Chez Bunuel comme chez Stroheim alors, la manière dont la pulsion alimentaire, la faim, est
fondamentalement filmée, surtout Bunuel, cela va de soi. Les correspondances entre les deux
m'apparaissent si grandes, dans un commun naturalisme. Mais chacun sait en même temps que ces
deux auteurs sont extraordinairement différents. Ce qu'ils ont en commun, je peux le dire aussi :
vous savez que Stroheim, d'une manière pathétique, dès qu'il n'a plus pu faire de films, il mourait
tellement de ne pas pouvoir faire de films, qu'il faisait des pseudo-romans.

Et ces romans sont des scénarios de ce qu'il aurait voulu faire. Ces romans sont des romans
lamentables, si on veut poser la différence entre romans, c'est très mauvais, mais comme scénarios
c'est sublime. Il a écrit beaucoup à cet égard, ce sont de purs scénarios, admirables. Il y en a un,
"Poto Poto", qui est très insolite. On a une idée de comment aurait tourné l'oeuvre de Stroheim.

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"Poto Poto", c'est son grand film africain. Or vous savez peut-être que un des films de Stroheim,
"Queen Kelly", qui a été interrompu, comportait un épisode africain. L'héroine Kelly allait en Afrique,
et il devait se passer des choses abominables. Et "Poto Poto", c'est la suite, c'est le grand film
africain. Où la jeune femme se vend, elle vend son corps, mais d'une manière très curieuse : à la
roulette. C'est le monde des riches, ça. Elle vend son corps à la roulette, c'est à dire qu'il y a des
hommes qui mettent des mises, et celui qui met la plus grosse mise a le droit de jouer à la roulette
avec elle. C'est une scène tyique Stroheim, ça. On imagine ce qu'il en fait au cinéma. Alors bon, il y
a une espèce de brute alcoolique, un colonial de l'endroit, qui met une grosse mise, donc il gagne le
droit de jouer à la roulette avec elle, et c'est : ou bien elle gagne et elle prend l'argent de la mise, ou
bien elle perd et elle se donne à lui. Evidemment elle perd. Et il va l'emmener dans un marais putride
où il a installé son système d'exploitation et d'asservissement. C'est un tyran.

Et voila que, et là c'est de plus en plus du pur Stroheim, voila qu'à peine arrivée, elle est lancée dans
le marécage de "Poto Poto", et qu'il lance le cri : "Maintenant vous avez reçu le baptême, vous voila
nommée citoyen d'honneur de Poto Poto, le cloaque du monde, sur l'équateur. Quel est donc celui
qui a dit : "un degré de latitude ou de longitude en plus ou en moins change entièrement le code de
la morale et des lois." C'est une espèce de Montaigne ou de Pascal qui a du dire cela. Ca, je dirais
en terme de cinéma, c'est le cinéma des milieux-actions. Mais dans le cinéma des pulsions-objets
c'est pas ça. C'est pas ça la Loi. "Eh bien ici, il n'en est pas comme ça. C'est pas un degré de
latitude ou de longitude en plus ou en moins qui change, parce que, eh bien ici, la latitude est zéro."
C'est le monde originaire. "La latitude est zéro ! Nous, de Poto Poto, nous n'avons pas de lois, pas
de morale, pas d'étiquette mondaine. Ici, pas de traditions, pas de précédent. Ici chacun agit selon
l'impulsion du moment et fait ce que Poto Poto le pousse à faire. Poto Poto est notre seule loi, notre
chef tout puissant, roi empereur, mogul, juge suprême. Il est sans merci, il n'accepte aucune
circonstance atténuante." Eh bien c'est la latitude zéro, c'est le monde originaire. Voila.

Mais vous sentez que malgré tout ces rapprochements, c'est un rapprochement très formel, c'est
que on va tout à l'heure revenir au cas en effet que quelqu'un vient de citer parce que cela me paraît
passionnant, ça. Est ce que cela ne serait pas quelque chose de l'entreprise en effet très insolite
dans le cinéma actuel de Ferreri ? est que ce ne serait pas lui qui aurait compris quelque chose de
ce cinéma très curieux, très violent. c'est la première grande violence cinématographique ça. C'est le
premier monde de la violence.

Je voudrais juste marquer les différences. Qu'est-ce qui fait que, dans cette communauté de
styles, dans ce naturalisme commun, le naturalisme Stroheim n'est pas le même que celui de Bunuel
? Ce n'est pas la même chose. Ce n'est pas le même monde. Moi je disais, j'insistais sur ceci. Je
commençais avec Zola. Et Je disais : "Ben oui, vous comprenez, chez Zola c'est bien du
naturalisme. Mais l'histoire du mouvement naturaliste, si je pousse un peu ma comparaison, elle
m'apparaît très interèssante. Parce que, un disciple de Zola s'appelait Huysmans. Et avec
Huysmans, il s'est passé quelque chose. Il a fait une espèce de manifeste. En disant : "Eh bien Zola
y'en a marre parce que c'est trop restreint, c'est trop réduit. Finalement on nous parle de quoi dans le
naturalisme à la Zola ? Eh ben oui on épuise, comme je viens de le dire on épuise chaque chose a
un livre pour mais pourquoi ? Pour les pulsions les plus matérielles, les plus animales. Alors oui, un
livre ou un film sur la sexualité, un film sur l'avarice, un film sur la faim ou sur l'aliment, il dit : "mais
cela ne va pas loin tout ça". Il dit ce qu'il faudrait découvrir, et c'est à ce moment là que Huysmans
forme un projet très bizarre, il dit :"Mais il faut comprendre qu'il y a un naturalisme de l'âme. Il n'y a

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pas seulement un naturalisme du corps, il y a un naturalisme de l'âme. Bien plus, il y a un
naturalisme du plus artificiel. Il faut aller encore plus loin, ajoute-t-il, il y a un naturalisme du spirituel,
et pour comprendre cela, dit-il, il faudrait avoir la foi et moi je ne l'ai pas encore". Heureusement il
l'aura bientôt. Oui, il est aussi las. Il dit : "Mais y'en a marre, y'a pas que des document sociaux, ou
des documents psychologiques, il y a des documents d'âmes". Et il prétend renouveler le
naturalisme par cet espèce de truc : faire un naturalisme de l'âme. Soit sous la forme des vies
artificielles, il dit : "oui finalement le héros naturaliste, c'est pas fameux parce que cela se réduit ou
bien à la bête brute, à l'homme dominé par ses pulsions les plus matérielles, ou bien à l'homme
quelconque, et ca glisse dans le réalisme". La bête humaine ou bien l'individu quelconque.

coupure

Et alors il raconte comment deux des Esseintes, qui souffrent de toutes les maladies, névrosées
jusqu'au bout, organisent une vie de pur artifice. Et, dans le courant du livre, ça glisse tout le temps
comme thème : finalement, l'artifice est encore décevant, car ce qui est encore plus beau que
l'artifice, c'est le surnaturel. Et le surnaturel, il n'y a que la foi qui puisse nous le donner.

Vous voyez ce glissement de l'homme de la perversion à l'homme de la foi. Qui va constituer un très
étrange nouveau naturalisme. Ou on le dirait presque a un point ou le naturalisme et le
surnaturalisme ne se distinguent plus. Je dirais presque, là je simplifie beaucoup trop, mais entre
Stroheim et Bunuel, il y a quelque chose de semblable à cette différence entre Zola et Huysmans.

Car qu'est-ce que c'est finalement la grande différence ? C'est que Bunuel - vous corrigez de
vous mêmes - ne cesse pas d'interroger la possibilité qu'existent des pulsions du bien. Ou des
pulsions de la foi. La foi comme pulsion. A partir de la, le problème est double. La foi ou le bien
comme pulsion. La première réponse de Bunuel, mais c'est pas un retour au naturalisme Zola, c'est
bien un autre élément. L'élément a changé. La première réponse de Bunuel, c'est : "Eh bien oui, il y
a des pulsions de la foi, et bien plus il y a des pulsions vers le Bien. Seulement elles ne valent pas
mieux que les autres". Elles sont aussi dégoûtantes que les autres.

Tout cela c'est le thême des rapports de Bunuel avec le catholicisme, c'est très curieux. Mais je crois
qu'au moins on est un peu armés en ce moment pour essayer de comprendre. Mais oui il y a des
saints. Mais oui, la sainteté existe, mais vous savez cela ne vaut pas cher, tout ça. Aussi bestiale
que la Bête. Aussi pulsion objet partiel. Dans "Mazarin", rappelez-vous ce qui est dit au prêtre : "Toi
et moi - et c'est evidemment la voix du démon - toi et moi nous sommes pareils. La seule différence
c'est que toi tu est du côté du Bien et moi du côté du Mal, et c'est justement pour ça que tous les
deux nous sommes inutiles".

Ca aussi c'est une espèce de phrase clé. "Tous les deux nous sommes inutiles." Si vous vous
rappelez "Viridiana", l'homme du Bien ou l'homme de la foi comme radicalement inutiles.

C'est un univers clos non moins qu'un autre, bien plus. Ca fait partie du monde originaire clos.
Vous aurez les hommes du Bien, vous aurez les hommes du Mal, vous aurez les pauvres, vous
aurez les riches, les deux ne se correspondant pas. Vous aurez ces quatre catégories, mais l'inutilité
radicale de tout cela, le Bien comme le Mal... mais c'est des parasites. Ce monde originaire n'a
comme habitants que des parasites. Pauvres, riches, hommes du mal, hommes du bien, c'est des

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parasites, c'est des prédateurs.

Bon. Alors tous ces thèmes ils étaient aussi chez Stroheim. Mais je veux dire, chez Bunuel, cela va
devenir le thème fondamental.
Et, deuxième niveau : et pourtant. Et pourtant, est-ce qu'il n'y a pas un salut ? Ce que j'appelle la
remontée de l'entropie. Il y a des déclarations très curieuses de Stroheim, ou il fait semblant d'être
un pur chrétien. Mais il aimait tellement faire des déclarations pour étonner, evidemment : il dit "Oh
mais c'est très important le christiannisme, moi le christiannisme traverse toute mon oeuvre." Cela ne
me paraît pas évident. Mais chez Bunuel c'est évident. Et en effet c'est très lié à : est-ce qu'il y a un
salut ? A partir de ces mondes originaires clos, est-ce qu'on peut remonter la pente de la pulsion et
de son objet ? Chez Stoheim, je laisse complêtement la question ouverte, parce que là, encore une
fois, cette oeuvre a été trop vite interrompue. Je signale juste que, dans les projets de scénarios,
quand il a dû interrompre, d'une part on lui a coupé toutes ses fins, le plus souvent, puisque Queen
Kelly, du moins reprise par le scénario Poto Poto, est une histoire d'amour pur. Où à la fin les deux
héros sortent mais dans quel état du marécage où ils étaient attachés l'un à l'autre pendant que les
eaux montaient et que les crocodiles arrivaient, ça aurait fait de ces images, le marécage suivant
Stroheim n'aurait pas du tout été un marecage expressioniste, cela aurait été un marécage
naturaliste très très curieux, comme le type "dépôt d'ordures", c'est ça qui le fascine : le dépôt. Le
dépôt et le cadavre. Mais, justement, les deux amants qui sont attachés l'un contre l'autre pendant
que le crocodile arrive et que les eaux montent, formidable ! ils sont sauvés à temps, et c'est l'amour
qui les a sauvé. Bon. Il y a la fameuse scène dans Stroheim de le remontée de l'entropie, la scène
des pommiers en fleurs et de l'amour pur dans... "Symphonie Nuptiale".

Mais laissons ouvert. On ne sait pas, on ne sait pas ce qu'aurait fait Stroheim. Ce que je dis, c'est
que, dans le cas Bunuel, il ya bien un ordre. Cette indication que, par un moyen quelconque,
pourquoi ? Par un moyen quelconque peut-être, peut-être... Alors chez lui c'est bien toujours tourné
autour de deux Pôles. La révolution ou l'amour. Transformer le monde, changer la vie, enfin tous ces
trucs fameux, je n'ai pas besoin de développer cela. Il me semble que ce que j'ai besoin de
développer, c'est la nouveauté. La formule "Stroheim", elle est finalement connue. Pas sa manière
de filmer, mais dégradation, avec un grand X, est-ce qu'on peut remonter la dégradation ? c'est
connu. Ce qui est prodigieux c'est la manière dont il sait filmer une d'égradation.

Quand on dit c'est un cinéaste du temps, je dis c'est vrai et c'est faux. C'est vrai comme on dit dans
toutes les histoires du cinéma qu'il est le premier à avoir introduit vraiment la "durée" dans le cinéma,
mais on dit toujours cela à propos des "Rapaces". Moi je dis que c'est bien un cinéaste du temps,
mais où le problème du temps ne peut pas intervenir comme tel. Donc c'est pas tout à fait vrai, ce
n'est pas un cinéaste du temps à proprement parler. Un cinéaste du temps, y'en a pas tellement,
c'est un drôle de problème, mais il y a une raison très simple pour laquelle le problème du temps ne
peut pas être l'objet vraiment du cinéma de Stroheim, c'est que précisément le temps est
subordonné à la pente des pulsions et de leurs objets. Et le temps ne peut intervenir que "en
fonction" de ce thème majeur du cinéma de Stroheim. Il ne peut pas passer à l'avant plan, il ne peut
pas être traité directement comme tel. Il ne peut être traité que en fonction des pulsions. Tandis que,
prenez un autre type, qui a raté, lui, la fonction des pulsions. Il aurait bien voulu mais il était trop
élégant, trop aristocrate. Et lui c'est juste l'inverse. C'est parce que lui son problème c'est le temps,
qu'il n'a jamais pu arriver au problème des pulsions. Si fort qu'il ait essayé. C'est Visconti. Il était
beaucoup trop aristocratique pour arriver à ce monde de violence. Mais enfin peu importe.

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Chez Bunuel, il y une formule absolument nouvelle. Qui est que : on se trouve plus devant
dégradation, remontée éventuelle de la pente - qui seraient un peu les termes de Stroheim. Parce
qu'il a trouvé quelque chose de cinématographiquement signé Bunuel : c'est que pour lui : voila : la
dégradation c'est quoi ? Il tourne autour d'un truc : la dégradation c'est la répétition. C'est le premier
sans doute à avoir fait de la répétition une puissance cinématographique. C'est la répétition,
pourquoi ? Parce que tout se dégrade par le répétition. La répétition c'est la vie, et c'est la
dégradation de la vie. Toujours se lever, toujours se coucher, chaque jour se nourrir, comment
voulez-vous que cela tourne bien, tout ça ? Comme disait Comtesse tout à l'heure ou plutôt comme
disait Lacan, si il n'y avait pas la mort, comment pourriez-vous vivre ? Vous ne supporteriez pas la
vie. Or si il fallait que ça dure comme cela, la répétition, c'est la dégradation même. Ce qui va se
produire dans l'univers clos de Bunuel, c'est le processus de répétition. C'est ça se qui se passe
dans le monde originaire. Le monde originaire est livré à un processus d'auto-répétition qui ne fait
qu'un avec sa dégradation même.

Mais est-ce que c'est vrai ? Et qu'est-ce qui pourrait nous sauver de la répétition ? La réponse est
simple, et après tout elle a été donnée, tiens, et cela va nous permettre de retrouver des
philosophes. Qu'est-ce qui peut nous sauver de la répétition : rien, sauf la répétition ? Ah donc, il y
deux répétitions. Sûrement il y en a mille, entre autres il y en a deux. Et il y aurait la répétition qui
sauve, et il y a la répétition qui tue. Il y a la répétition qui sauve de la dégradation, et il y a la
répétition qui ne fait qu'un avec la dégradation et qui remonte la pente de la dégradation. Et qui a dit
ça ?

Je vois un premier auteur qui l'a dit sur le mode "burlesque", ou je ne sais pas, burlesque est un
mauvais mot, un auteur que les surréalistes connaissaient très bien, et cela ne me paraît pas exclu
que Bunuel l'ait connu bien que, à ma connaissance il ne fasse pas de référence à cet auteur - c'est
.. croyez pas que je fasse semblant de trainer mais j'ai un trou - l'auteur d'Impressions d'Afrique ?

c'est Roussel. Que les surréalistes aimaient beaucoup. Et Roussel racontait souvent d'étranges
histoires comme celle-ci, et si vous écoutez bien l'histoire, vous allez voir tout de suite que c'est du
Bunuel : Quelques cadavres, chacun enfermé dans une vitrine, sont condamnés à répéter un
évênement fondamental de leur vie. Et un grand savant, cadavre dans sa vitrine, ne cesse de
répéter l'évênement fondamental de sa vie, à savoir la mort de sa fille par assassinat. L'enfer
répétition, c'est un thème très connu, Strindberg, aussi...mais vous allez voir où Bunuel décolle.

Et puis ce grand savant, cadavre qui ne cesse de répéter l'assassinat de sa fille dans une espèce de
somnambulisme absolu, la mauvaise répétition, invente un instrument incroyable pour l'époque.
Maintenant, Roussel toujours en avance aurait inventé autre chose. Il invente un synthétiseur, où il
emprunte la voix d'une cantatrice. Il trafique tellement cette voix que, il reconstitue la voix la plus
naturelle, la plus authentique de sa fille. Et c'est quand il a retrouvé, par le synthétiseur magique, la
voix pure, de sa fille, qu'il est délivré de la mauvaise répétition. Et d'une certaine manière, sa fille lui
est rendue. Il est guéri. Il revient des morts. Belle histoire. Le même Roussel abonde de ces trucs qui
consistent à opposer deux répétitions.
La répétition qui enchaîne et la répétition qui libère. Qui sauve. Et il les distribue. Mais vous
sentez bien que ce n'est pas de cela qu'il s'agit en fait, il les distribue, l'artiste a tous les droits, pour
s'y reconnaître, il y a la répétition imparfaite, et la répétition absolument parfaite. On sent qu'il s'agit

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d'autre chose. C'est pas la perfection de la répétition en tant que répétition qui est salvateur. Mais
c'est une manière symbolique d'exprimer les deux répétitions que de dire que l'une comprend de
petites inexactitudes, et l'autre est parfaite et absolument exacte. Tout le monde sent encore une fois
qu'il s'agit d'autre chose, dans ces deux répétitions.

Un autre auteur, que je ne sait pas si Bunuel connaissait peut-être, et qui a eu une grande
importance pour la philosophie, s'appelait Kierkegaard. Et le grand Kierkegaard écrivit un livre intitulé
"La répétition". et dans ce livre il développe l'idée suivante. Il y a une mauvaise répétition, un
répétiton démoniaque et qui tue.
Et il l'appelle la répétition esthétique. et c'est une répétition qui nous enchaîne. Cela peut être la
répétition de l'habitude, ou c'est pire encore : c'est la répétition de Dom Juan. C'est la répétition
esthétique de celui qui cherche à revivre le passé. C'est la répétition tournée vers le passé. "Je veux
reconstituer l'instant ou je fus heureux". "Je veux que ma fiancée me soit rendue". Mais qui peut me
la rendre ? N'a-t-elle pas vieillie et moi aussi.

Vous voyez cette recherche à travers le temps. Ressuciter le passé. Et puis et puis, ils ont beau faire
l'artiste, c'est la répétition bourgeoise. Mais dans ce monde bourgeois surgissent d'étranges hommes
que vous ne reconnaissez d'abord à rien. Ils ont l'air comme tout le monde. Seulement voilà, leur vrai
nom c'est Job. Ou Salomon. ou Kierkegaard lui même. Qui pleurait une fiancée perdue, qui ne
cessait pas de pleurer des fiancées perdues.

Et qui se trouvait devant ce problème : comment échapper à la répétition ? Et il découvrait ceci :


quelle est l'opération de la foi ? Elle consiste en ceci, et ça c'est une foi dénuée de religion, qu'est-ce
que c'est la pointe de la foi quand elle ne dépend plus, quand elle crève le plafond religieux ? que je
renonce à tout - non pas pour que - et dans la même opération qui est celle que Kierkegaard appelle
un saut : tout me sera rendu.
Que je renonce à tout et tout me sera rendu. Bien plus, au décuple. Il faut que je renonce à ma
fiancée pour que ma fiancée me soit rendue sous quelle espèce ? Sous l'espèce de
lafidélitéabsolue.Oh bien sûr elle ne me sera pas rendu corps et chair. Comment serait-ce possible ?
D'ailleurs elle a épousé quelqu'un, c'était le cas de Kierkegaard. Elle me sera rendue "mieux" que
"corps et chair". Elle me sera rendue dans la fidélité absolue que j'aurais pour elle. C'est en même
temps que je renonce à elle et que j'obtiens la vraie répétition, la répétition qui sauve.

Là on comprend mieux. La symbolique c'était : répétition inexacte, imparfaite, répétition parfaite et


exacte, mais plus profondément, c'est répétition esthétique, répétition de la foi. Par la foi. Or c'est ça,
chez Bunuel, ce qui fonctionne cinématographiquement. Pour ce qui est de saisir le mouvement de
la dégradation, et des petites remontées d'entropie, ça c'est Stroheim qui sait le faire. Il est vraiment
du côté de Zola je crois, c'est un espéce d'immense Zola cinématographique.

Mais ce au service de quoi, Bunuel met la caméra, c'est le processus de la répétiton et l'éventualité
d'une répétition qui sauve - c'est à dire qui ouvre le monde originaire clos. Et comment cela se voit
ça ?

Deux cas fondamentaux. Le "Charme Discret de la Bourgeoisie", c'est le type-même de la


répétition qui enchaîne. Et en effet dans celle-ci il faut répéter, pourquoi ? Quelle est la loi de la
répétition qui enchaîne ? Roussel la donnait déjà finalement. C'est pour cela qu'on ne peut pas

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exclure une influence à travers les genres, Roussel sur Bunuel. A savoir c'est que l'évênement se
défait tout seul avant même de se produire. On n'y arrive pas. Et "Le Charme Discret de la
Bourgeoisie", c'est le récit de huit déjeuners ratés qui n'arrivent pas à se faire. C'est à dire qui se
défont avant de se faire. C'est la répétition qui enchaîne. Et chaque fois avec une raison différente,
une motivation différente. Mais c'est cette série répétitive a huit termes qui va constituer la structure
du "Le Charme Discret dela Bourgeoisie". Mais le film encore plus connu à cet égard, c'est "L'Ange
Exterminateur".

Et "L'Ange Exterminateur", si je le résume très vite, avant d'en finir, c'est : des gens, des bourgeois -
toujours le thème de la répétition liée à la bourgeoisie - se trouvent réunis dans une pièce, là ou ils
sont réunis normalement, mondainement. Et les mêmes scènes - dés le début - sont filmées
plusieurs fois avec des variantes. Robbe Grillet a repris ce procédé mais lui je crois, dans un tout
autre contexte que ce problème des pulsions et de leurs objets ? Faut eviter les rapprochements
purement formels parce que les problèmes de Robbe Grillet sont tellement autres Lui c'est plutôt des
problèmes de temps, c'est pas des problèmes de pulsions et d'objets, c'est des problèmesde
fantasme, c'est très différent.

Au début de ce film, L'Ange Exterminateur, deux personnes sont présentées l'une à l'autre. Une fois
c'est filmé de telle manière qu'ils se détournent immédiatement, c'est comme si ils ne se
connaissaient pas, comme si ils étaient plutot antipathiques l'un à l'autre, et la seconde fois ils sont
filmés comme étant de vieux amis qui se retrouvent. Et dans mon souvenir il y a même un troisième
fois où ils sont encore filmés. De même le maître de maison une fois porte un toast dans
l'indifférence générale avec brouhaha, avec tout le monde qui parle, une seconde fois porte un toast
dans l'attention générale. Et tout le temps c'est comme ça. Vous avez cet espèce de répétition qui
répéte par inexactitudes. Et puis vous savez ce qui se passe - ils vont se trouver sans comprendre
pourquoi dans l'impossibilité de sortir de la pièce. Ils vont être condamnés à une espèce de
répétition. C'est le monde originaire clos. Pourtant il n'y a pas de barrières, personne ne les force, il y
a une pulsion. Pulsion qui est leur enracinement dans ce monde originaire. Il a suffit de dégager le
monde originaire correspondant à l'état de choses pour que dès lors ils ne puissent pas en sortir,
qu'il y ait une pulsion d'enracinement.

Ils vont jouer leur histoire avec chaque fois La main du mort dans celle de l'ange exterminateur, cette
espèce de répétition obsédante, etc. et puis il y a une étrange jeune femme, la Walkyrie. Qui a un
rôle trés curieux, Qui semble être la fille de Dieu. C'est elle qui a déterminé la première claustration
c'est à dire la répétition mauvaise, au moment où elle jetait un briquet dans la vitre. Qui était comme
le départ du monde originaire. C'était le signal du départ du développement du monde originaire. Et
puis elle se donne ou elle ne se donne pas au maître de maison qui semble bien être Dieu le père et
elle même être la fille de Dieu, entre autres. Enfin on ne sait pas très bien parce qu'il semble en
même temps que ce Dieu- le-père soit impuissant, enfin c'est la moindre des choses, puisque, c'est
des pulsions.

Et ils sont libérés. Le monde clos s'est ouvert. Il s'est ouvert par une répétition de type spécial qui
était le rapport de la Walkyrie et du maître de maison. Et vous avez absolument le thème
Kierkegaardien ou le thème de Roussel, celui de la répétition qui sauve. Sauf que, elle sauve et elle
sauve pas ? Là dessus tous contents ils se retrouvent tous dans une cathédrale, avec beaucoup plus
de monde, pour chanter un Tdeum en faveur de la répétition qui sauve. Pas de chance. Ils ont

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confondus la foi et la religion. Ce Tedeum est une catastrophe puisqu'ils se retrouvent tous plus
nombreux que la première fois dans la cathédrale, et ils ne peuvent pas en sortir. Ca va
recommencer. C'est à dire, que la répétition mauvaise s'est introduite dans la cathédrale, pendant
qu'il y a la rumeur des troubles sociaux et de la révolution à l'exterieur. Donc la répétition qui sauve a
raté, mais il y a l'autre posibilité que le monde s'ouvre par la révolution tout ça.

Enfin dans un grand grand Bunuel : "La Voie Lactée". Là vous retrouvez tout son thème. Mais
bien sûr il y a des pulsions de la foi, il y a tout ce que vous voulez. Seulement encore une fois,
premièrement les pulsions de la foi, c'est aussi dégoutant que les pulsions de la pure matière, de
la pure bestialité.
Et d'autre part, même dans la mesure ou cela n'est pas, tout ça, ça ne fait que des inutiles et des
parasites.
Et d'autre part, le personnage du christ, lui, est-ce que ce n'est pas la répétition qui sauve ? Et là
les commentateurs de "La Voie Lactée", (livre de Maurice Drouzy : Luis Bunuel, Architecte du Rêve),
montrent très bien comment techniquement, chaque fois qu'il y a la répétition mauvaise, c'est
vraiment la caméra, que ce soit dans les interieurs, ou dans des exterieurs, qui contitue le monde
comme un vase clos. Même à l'exterieur, opèrent des prisons, avec des colonnes, avec des jeux très
très savants de décors, ou des jeux très savants de caméras.

Et au contraire, dans les passages du christ, où on ne voit jamais le ciel, notamment, même dans
les exterieurs, et là c'est le monde ouvert. Possibilité d'une répétition qui sauve sous quelle forme ?
c'est un christ qui est aussi bien la foi sans religion que la révolution sans quoi ? C'est ça le surréel
pour lui. C'est pas quelque chose qui s'oppose au réel, c'est quelque chose qui se passe dans le
monde originaire correspondant au monde réel. C'est en passant par le monde originaire que l'on
saura si l'on est condamnés, ou si le monde fermé peut être ouvert. Seulement voila, à la fin, doute
de Bunuel, Comme Drouzy le montre très bien, à la fin, et c'est la seule fois, sur les images finales,
le christ lui même est filmé en vase clos. Comme si il nous avait ouvert la possibilité de la répétition
qui sauve, mais il nous rappelait que tout cela - il ne faut pas aller si vite - et pan ! voilà le christ qui
réintègre son monde originaire où il est comme les autres, un parasite.

Alors vous voyez ce qu'il se passe enfin, je voudrais que la prochaine fois - en effet votre remarque
m'intéresse de plus en plus - possibilité que si vous me suivez dans cette description du premier
niveau de l'image-action à savoir : mondes originaires comme forme de secondeïté renvoyant à la
secondeïté pulsion/objet et toute cette aventure. En effet quand je dis c'est arrivé deux fois et puis
c'est tout dans le cinéma, votre remarque : "c'est peut être ça en effet le problème de Ferreri"
notamment dans un film du début de Ferreri ou il y a deux types qui ne cessent pas de souffler sur
un ballon, ça se serait très curieux comment il s'appelle ce film ? Epatant - on verra je demande que
la prochaine fois surtout ceux qui connaissent Ferreri, on parle de Ferreri...

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Deleuze
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Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

- 10/03/81 - 2
Marielle Burkhalter

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Cours 11 du 10/03/81- 2 transcription : Fatemeh Malekahmadi

Mais les fractions, dans leur irréductibilité aux nombres entiers, ne sont pas des nombres, c'est des
complexes de nombres entiers. C'est des complexes de nombres entiers.

Bon. Donc, déjà, la fraction fait surgir une sorte d'indépendance du rapport par rapport à ses termes.
Dans cette question très importante d'une logique des rapports, tout le point de départ d'une logique
des rapports, c'est évidemment : en quel sens y a t-il une consistance du rapport indépendamment
de ses termes ? Le nombre fractionnaire me donnerait, déjà, comme une espèce de première
approximation, mais, ça n'empêche pas que dans le rapport fractionnaire, les termes doivent être
encore spécifiés.

Les termes doivent être spécifiés, c'est-à-dire que vous pouvez toujours écrire, par exemple, 2 sur
3, mais le rapport est entre deux termes : 2 et 3. Il est irréductible à ces termes puisque lui-même
n'est pas un nombre mais un complexe de nombres ; mais les termes doivent être spécifiés, les
termes doivent être donnés. Dans une fraction, le rapport est comme indépendant de ses termes, oui
! Mais les termes doivent être donnés. Un pas de plus.

Quand je tiens un rapport algébrique du type x / y, cette fois-ci, je n'ai pas des termes donnés, j'ai
deux variables. J'ai des variables.
Vous voyez que tout se passe comme si le rapport avait acquis un degré d'indépendance
supérieur par rapport à ses termes. Je n'ai plus besoin d'assigner une valeur déterminée. Dans un
rapport fractionnaire, je ne peux pas échapper à ceci : je dois assigner une valeur déterminée aux
termes du rapport.
Dans un rapport algébrique je n'ai même plus besoin d'assigner une valeur déterminée aux
termes du rapport. Les termes du rapport sont des variables. Mais ça n'empêche pas qu'il faut
encore que mes variables aient une valeur déterminable. En d'autres termes, x et y peuvent avoir
toutes sortes de valeurs singulières, mais ils doivent en avoir une.
Vous voyez, dans le rapport fractionnaire, je ne peux avoir qu'une valeur singulière ou des
valeurs singulières équivalentes.
Dans un rapport algébrique, je n'ai plus besoin d'une valeur singulière ; ça n'empêche pas que
mes termes continuent à avoir une valeur, comment dirais-je, spécifiable, et le rapport est bien
indépendant de toute valeur particulière de la variable, mais, il n'est pas indépendant d'une valeur
déterminable de la variable. Ce qu'il y a de très nouveau avec le rapport différentiel, c'est qu'on fait
comme un troisième pas. Lorsque je dis dy/dx, vous vous rappelez ce qu'on a vu : dy par rapport à y
égal zéro ; c'est une quantité infiniment petite. Dx par rapport à x égal zéro ; donc, je peux écrire, et

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ils écrivent constamment au dix-septième siècle, sous cette forme : dy / dx = 0 / 0. Or, le rapport 0
sur 0 n'est pas égal à 0.

En d'autres termes, quand les termes s'évanouissent, le rapport subsiste. Cette fois-ci, les termes
entre lesquels le rapport s'établit ne sont ni déterminés ni même déterminables.
Seul est déterminé le rapport entre ses termes. C'est là, que la logique va faire un bond, mais, un
bond fondamental. Est découvert un domaine, sous cette forme du calcul différentiel, est découvert
un domaine où les relations ne dépendent plus de leurs termes : les termes sont réduits à des
termes évanescents, à des quantités évanescentes, et le rapport entre ces quantités évanescentes
n'est pas égal à 0. Au point que j'écrirais, là, je rends tout très sommaire : dy / dx = z. Qu'est-ce que
ça veut dire "= z" ? Ça veut dire, bien sûr, que le rapport différentiel dy / dx qui se fait entre quantités
évanescentes de y et quantités évanescentes de x, ne nous dit strictement rien sur x et y, mais nous
dit quelque chose sur z. Par exemple, appliqué au cercle, le rapport différentiel dy / dx nous dit
quelque chose sur une tangente dite "tangente trigonométrique".

Pour en rester au plus simple, il n'y a besoin de rien comprendre, je peux donc écrire dy / dx = z.
Qu'est-ce que ça veut dire, ça ? Voyez que le rapport, tel qu'il subsiste lorsque ses termes
s'évanouissent, va renvoyer à un troisième terme, z. C'est intéressant ; ça devrait être très
intéressant : c'est à partir de là qu'une logique des relations est possible. Qu'est-ce que ça veut dire,
ça ? On dira de z que c'est la limite du rapport différentiel. En d'autres termes le rapport différentiel
tend vers une limite. Lorsque les termes du rapport s'évanouissent, x et y, et deviennent dy et dx,
lorsque les termes du rapport s'évanouissent, le rapport subsiste parce qu'il tend vers une limite : z.
Lorsque le rapport s'établit entre termes infiniment petits, il ne s'annule pas en même temps que ses
termes, il tend vers une limite. C'est la base du calcul différentiel tel qu'il est compris ou interprété au
XVIIème siècle.

Dès lors vous comprenez, évidemment, pourquoi cette interprétation du calcul différentiel ne fait
qu'un avec la compréhension d'un infini actuel, c'est à dire avec l'idée de quantités infiniment petites
de termes évanescents. Dès lors, moi, ma réponse à la question : mais qu'est ce que c'est, au juste,
ce dont Spinoza nous parle lorsqu'il parle de rapports de mouvement et de repos, de proportions de
mouvement et de repos, et dit : des infiniment petits, une collection infinie d'infiniment petits
appartiennent à tel individu sous tel rapport de mouvement et de repos, qu'est-ce que c'est ce
rapport ? Je ne pourrais pas dire, comme Guéroult, que c'est une vibration qui assimile l'individu à un
pendule, c'est un rapport différentiel.
C'est un rapport différentiel tel qu'il se dégage dans les ensembles infinis, dans les ensembles
infinis d'infiniment petits.

Et en effet, si vous reprenez la lettre de Spinoza dont je me suis beaucoup servi sur le sang et les
deux composantes du sang, le chyle et la lymphe, ça revient à nous dire quoi ? Ça revient à nous
dire qu'il y a des corpuscules de chyle, ou bien plus, le chyle c'est un ensemble infini de corps très
simples. La lymphe, c'est un autre ensemble infini de corps très simples. Qu'est-ce qui distingue les
deux ensembles infinis ? C'est le rapport différentiel. Vous avez, cette fois-ci, un dy / dx qui est : les
parties infiniment petites de chyle sur les parties infiniment petites de lymphe, et ce rapport
différentiel tend vers une limite, à savoir le sang, à savoir, le chyle et la lymphe composent le sang.

Bon, si c'était ça, on pourrait dire pourquoi les ensembles infinis se distinguent ?C'est que les

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ensembles infinis de corps très simples n'existent pas indépendamment de rapports différentiels
qu'ils effectuent. Donc, c'est, par abstraction, que j'ai commencé par parler d'eux. Mais, ils existent
forcément, ils existent, forcément, sous tel ou tel rapport variable ; ils ne peuvent pas exister
indépendamment d'un rapport, puisque la notion même de terme infiniment petit ou de quantité
évanescente ne peut pas se définir indépendamment d'un rapport différentiel. Encore une fois, dx, ça
n'a aucun sens, par rapport à x et dy, ça n'a aucun sens par rapport à y, seul a un sens le rapport dx
/ dy (dx/dy). C'est dire que les infiniment petits n'existent pas indépendamment du rapport
différentiel.

Bon. Dès lors qu'est-ce qui me permet de distinguer un ensemble infini d'un autre ensemble infini
? Je dirais que les ensembles infinis ont des puissances différentes et ce qui apparaît de toute
évidence dans cette pensée de l'infini actuel, c'est l'idée de puissance d'un ensemble. Alors, je ne
veux pas dire du tout... Comprenez-moi, je ne veux pas dire du tout, ça serait abominable de vouloir
me faire dire qu'ils ont prévu des choses qui concernent très étroitement la théorie des ensembles
dans les mathématiques du début du XXème siècle, je ne veux pas dire ça du tout.

Je veux dire que dans leur conception, qui s'oppose absolument aux mathématiques modernes, qui
est complètement différente, qui n'a rien à voir avec les mathématiques modernes, dans leur
conception de l'infiniment petit et du calcul différentiel interprété dans la perspective de l'infiniment
petit, ils dégagent nécessairement, et ça ce n'est pas propre à Leibniz, c'est vrai aussi de Spinoza,
c'est vrai aussi de Malebranche, tous ces philosophes de la seconde moitié du XVIIème siècle,
dégagent l‘idée des ensembles infinis qui se distinguent, non pas par leurs nombres, un ensemble
infini par définition, il ne peut pas se distinguer d'une autre ensemble infini par le nombre de ses
parties ; puisque tout ensemble infini excède tout nombre assignable de parties ; donc, du point de
vue du nombre des parties, il ne peut pas y en avoir un qui ait un plus grand nombre de parties qu'un
autre.

Tous ces ensembles sont infinis. Donc sous quel aspect se distinguent-ils ? Pourquoi est ce que je
peux dire : tel ensemble infini et non pas tel autre ? Je peux le dire, c'est tout simple : parce que les
ensembles infinis se définissant comme infinis sous tels ou tels rapports différentiels.
En d'autres termes, les rapports différentiels pourront être considérés comme la puissance d'un
ensemble infini. Dès lors, un ensemble infini pourra être à une plus haute puissance qu'un autre
ensemble infini. Ce n'est pas qu'il y aura plus de parties, évidement non, mais c'est que le rapport
différentiel sous lequel l'infinité, l'ensemble infini de parties lui appartiennent, sera d'une plus haute
puissance que le rapport sous lequel un ensemble infini appartient à un autre individu. Donc, il me
semble que du point de vue même d'une théorie de l'infinie, cette idée de la puissance distincte des
puissances infinies est fondamentale. Si on supprime ça, toute idée d'un infini actuel n'a aucun sens.

C'est pour ça que, avec les réserves que j'ai dites tout à l'heure, pour mon compte, la réponse que je
donnerais à : qu'est-ce que ce rapport de mouvement et de repos que Spinoza comme
caractéristique de l'individu ? c'est-à-dire comme définition de la seconde couche de l'individu, je
dirais que, non, ce n'est pas exactement une manière de vibrer, peut-être qu'on pourrait réunir les
deux points de vue, je n'en sais rien, mais, c'est un rapport différentiel et c'est le rapport différentiel
qui définit la puissance.

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Dès lors, vous comprenez la situation, si vous vous-rappelez que les infiniment petits reçoivent,
constamment, des influences du dehors, ils passent leur temps à être en rapport avec les autres
collections d'infiniment petits. Supposez qu'une collection d'infiniment petits soit déterminée du
dehors à prendre un autre rapport que celui sous lequel elle m'appartient ; Qu'est-ce que ça veut dire
? Ça veut dire : je meurs ! Ça veut dire : je meurs !

En effet, l'ensemble infini qui m'appartenait sous tel rapport qui me caractérise, sous mon rapport
caractéristique, cet ensemble infini va prendre un autre rapport sous l'influence de causes
extérieures. Reprenez l'exemple du poison qui décompose le sang : sous l'action de l'arsenic, les
particules infiniment petites qui composent mon sang, qui composent mon sang sous tel rapport,
vont être déterminées à entrer sous un autre rapport. Dès lors, cet ensemble infini va entrer dans la
composition d'un autre corps, ce ne sera plus le mien : je meurs ! Vous comprenez ? Bon. Si c'était
vrai out ça, si c'était vrai ? Il nous manque encore quelque chose, parce que ce rapport, il vient d'où
ce rapport ? Vous voyez que j'ai progressé, mais il me faut mes trois couches. Je ne peux pas m'en
tirer autrement. Il me faut mes trois couches parce que je ne peux pas m'en tirer autrement.

Je commence par dire : je suis composé d'une infinité de parties évanescentes et infiniment
petites. Bon. Mais attention, ces parties m'appartiennent, elles me composent sous un certain
rapport qui me caractérise. Mais, ce rapport qui me caractérise, ce rapport différentiel ou bien plus,
cette sommation, pas une addition, mais, cette espèce d'intégration de rapports différentiels,
puisqu'en fait il y a une infinité de rapports différentiels qui me composent : mon sang, mes os, ma
chair, tout ça renvoie à toutes sortes de systèmes de rapports différentiels.
Ces rapports différentiels qui me composent, c'est-à-dire qui font que les collections infinies qui
me composent m'appartiennent effectivement à moi, et pas à un autre, tant que ça dure, puisque ça
risque toujours de ne plus durer, si mes parties sont déterminées à entrer sous d'autres rapports,
elles désertent mon rapport. Ah, elles désertent mon rapport. Encore une fois : je meurs ! Mais ça va
engager beaucoup de choses. Qu'est-ce que ça veut dire mourir, à ce moment là ? Ça veut dire que
je n'ai plus de parties. C'est embêtant. Bien.
Mais ce rapport qui me caractérise, et qui fait que les parties qui effectuent le rapport
m'appartiennent dès lors qu'elles effectuent le rapport ; tant qu'elles effectuent le rapport différentiel,
elles m'appartiennent à moi, ce rapport différentiel, est-ce que c'est le dernier mot de l'individu ?
Evidemment non, il faut bien en rendre compte à son tour. Qu'est-ce qu'il va exprimer, il dépend de
quoi ? Qu'est-ce qui fait que...Il n'a pas sa propre raison, ce rapport différentiel.

Qu'est-ce qui fait que, moi, je sois caractérisé par tel rapport ou tel ensemble de rapports ?

Dernière couche de l'individu, réponse de Spinoza : c'est que, les rapports caractéristiques qui
me constituent, c'est-à-dire qui font que les ensembles infinis qui vérifient ces rapports, qui effectuent
ces rapports qui m'appartiennent, les rapports caractéristiques expriment quelque chose. Ils
expriment quelque chose qui est mon essence singulière. Là, Spinoza le dit très ferme : les rapports
de mouvement et de repos ne font qu'exprimer une essence singulière. Ça veut dire qu'aucun de
nous n'a les mêmes rapports, bien entendu, mais ce n'est pas le rapport qui a le dernier mot. C'est
quoi ? Est-ce que, là, on ne pourra pas rejoindre quelque chose de l'hypothèse de Guéroult ?

Dernière question : il y a donc une dernière couche de l'individu, ˆ savoir, l'individu est une
essence singulière. Vous voyez dès lors quelle formule je peux donner de l'individu : chaque individu

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est une essence singulière, laquelle essence singulière s'exprime dans des rapports caractéristiques
de types rapports différentiels, et sous ces rapports différentiels des collections infinies d'infiniment
petits appartiennent à l'individu.

D'où une dernière question : qu'est-ce que c'est, cette essence singulière ? Est-ce que là, on ne
pourra pas trouver, à ce niveau, si bien qu'il faudrait, juste, dire que Guéroult, à la rigueur, s'est
trompé de niveau, à ce niveau quelque chose d'équivalent à l'idée de vibration ? Qu'est-ce que c'est
une essence singulière ?
Attention, pour que vous compreniez la question, il faut presque consentir à pousser les
conditions d'une telle question. Je ne suis plus dans le domaine de l'existence. Qu'est-ce que c'est,
l'existence ? Qu'est-ce que ça veut dire, pour moi, exister ? On va voir que c'est assez compliqué
chez Spinoza, parce qu'il donne une détermination très rigoureuse de ce qu'il appelle exister.

Mais si on commence par le plus simple, je dirais : exister c'est avoir une infinité de parties
extensives, de parties extrinsèques, avoir une infinité de parties extrinsèques infiniment petites, qui
m'appartiennent sous un certain rapport. Tant que j'ai, en effet, des parties extensives qui
m'appartiennent sous un certain rapport, des parties infiniment petites qui m'appartiennent, je peux
dire : j'existe. Quand je meurs, encore une fois, là, il faut bien cerner les concepts spinozistes, quand
je meurs, qu'est-ce qui se passe ? Mourir ça veut dire ça, exactement ceci, ça veut dire : les parties
qui m'appartiennent cessent de m'appartenir. Pourquoi ? On a vu qu'elles ne m'appartiennent que
dans la mesure où elles effectuent un rapport, rapport qui me caractérise. Je meurs lorsque les
parties qui m'appartiennent ou qui m'appartenaient sont déterminées à rentrer sous un autre rapport
qui caractérise un autre corps : je nourrirais les vers ! "Je nourrirais les vers", cela veut dire : les
parties qui me composent entrent sous un autre rapport : je suis mangé par les vers. Mes
corpuscules, à moi, qui passent sous le rapport des vers. Bon ! Ça peut arriver ; Ou bien les
corpuscules qui me composent, précisément, elles effectuent un autre rapport conforme au rapport
de l'arsenic : on m'a empoisonné ! Ah, Bon. Voyez qu'en un sens c'est très grave, pour Spinoza,
mais c'est pas bien grave, pour Spinoza.

Parce que, enfin, je peux dire que la mort, elle concerne quoi ? On peut dire d'avance, avant de
savoir ce que c'est que ce qu'il appelle une essence, la mort concerne essentiellement une
dimension fondamentale de l'individu, mais une seule dimension, à savoir l'appartenance des parties
à une essence. Mais, elle ne concerne ni le rapport sous lequel les parties m'appartiennent, ni
l'essence. Pourquoi ? Vous avez vu que le rapport caractéristique, le rapport différentiel, ou les
rapports différentiels qui me caractérisent, ils sont indépendants en eux-mêmes, ils sont
indépendants des termes puisque les termes sont infiniment petits, et que le rapport, lui, au
contraire, a une valeur finie : dy /dx = z. Bon, alors, c'est bien vrai que mon rapport ou mes rapports
cessent d'être effectués quand je meurs, il n'y a plus de parties qui effectuent. Pourquoi ? Parce que
les parties se sont mises à effectuer d'autres rapports. Bien.

Mais, premièrement, il y a une vérité éternelle du rapport, en d'autres termes il y a une


consistance du rapport même quand il n'est pas effectué par des parties actuelles, il y a une actualité
du rapport, même quand il cesse d'être effectué. Ce qui disparaît avec la mort, c'est l'effectuation du
rapport, ce n'est pas le rapport lui-même.
Vous me direz : qu'est-ce qu'un rapport non effectué ? Je réclame cette logique de la relation telle
qu'elle me parait naître au du dix-septième siècle, à savoir, il a effectivement montré dans quelles

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conditions un rapport avait une consistance alors que ses termes étaient évanescents. Il y a une
vérité du rapport indépendamment des termes qui effectuent le rapport, et d'autre part, il y a une
réalité de l'essence qui s'exprime dans ce rapport ; il y a une réalité de l'essence indépendamment
de savoir si des parties actuellement données effectuent le rapport conforme à l'essence.

En d'autres termes, et le rapport et l'essence seront dit "éternels" ou du moins, avoir une espèce
d'éternité ; espèce d'éternité ne veut pas dire, du tout, une éternité métaphorique ; C'est un type
d'éternité très précis, à savoir : espèce d'éternité chez Spinoza ça a toujours signifié ce qui est
éternel en vertu de sa cause et non pas en vertu de soi-même ;

Donc l'essence singulière et les rapports caractéristiques dans lesquels cette essence s'exprime sont
éternels, tandis que ce qui est transitoire, et ce qui définit mon existence, c'est uniquement, le temps
durant lequel des parties extensives infiniment petites m'appartiennent, c'est à dire effectuent le
rapport. Mais, alors, voilà, donc, qu'il faut dire que mon essence existe quand moi je n'existe pas
encore ou quand je n'existe plus. En d'autres termes, il y a une existence de l'essence qui ne se
confond pas avec l'existence de l'individu dont l'essence est l'essence.

Il y a une existence de l'essence singulière qui ne se confond pas avec l'existence de l'individu
dont l'essence est l'essence. C'est très important parce que vous voyez où tend Spinoza, et tout son
système est fondé, avant tout, là-dessus : c'est un système dans lequel tout ce qui est réel. Jamais,
jamais n'est porté aussi loin une telle négation de la catégorie de possibilité.
Les essences ne sont pas des possibles. Il n'y a rien de possible, tout ce qui est réel. En d'autres
termes, les essences ne définissent pas des possibilités d'existence, les essences sont elles-mêmes
des existences.

Là, il va beaucoup plus loin que les autres au XVIIème siècle, là, je pense à Leibniz. Chez Leibniz,
vous avez une idée d'après laquelle les essences c'est des possibilités logiques. Par exemple, il y a
une essence d'Adam, il y a une essence de Pierre, il y a une essence de Paul, et c'est des possibles.
Tant que Pierre, Paul, etc., n'existent pas, on ne peut définir l'essence que comme un possible, que
comme quelque chose de possible. Simplement, Leibniz sera forcé, dès lors, de rendre compte de
ceci : comment est-ce que le possible peu rendre compte, peut intégrer en soi la possibilité d'exister,
comme s'il fallait grever la catégorie de possible d'une espèce de tendance à l'existence ? Et, en
effet, Leibniz développe une théorie très très curieuse, avec un mot qui est commun à Leibniz et à
Spinoza, le mot de conatus : tendance ; Mais qui, justement, vont prendre chez Spinoza et chez
Leibniz deux sens absolument différents.
Chez Leibniz, les essences singulières sont des possibles, simplement ce sont des possibles
spéciaux parce qu'ils tendent de toutes leurs forces à l'existence. Il faut introduire dans la catégorie
logique de possibilité, une tendance à l'existence.
Spinoza, je ne dis pas que c'est mieux, à votre choix, c'est vraiment une caractéristique de la
pensée de Spinoza, pour lui, c'est la notion même de possible : il ne veut pas enrichir la notion de
possible en la greffant d'une tendance à l'existence, ce qu'il veut c'est la destruction radicale de la
catégorie de possible.

Il n'y a que du réel. En d'autres termes, l‘essence ce n'est pas une possibilité logique, l'essence
c'est une réalité physique. C'est une réalité physique, qu'est-ce que ça peut vouloir dire ? En d'autres
termes, l'essence de Paul, une fois que Paul est mort, et bien elle reste une réalité physique. C'est

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un être réel. Donc il faudrait les distinguer comme deux être réels : l'être de l'existence et l'être de
l'essence de Paul. Bien plus, il faudrait distinguer comme deux existences : l'existence de Paul et
l'existence de l'essence de Paul. L'existence de l'essence de Paul, elle est éternelle, alors que
l'existence de Paul, elle est transitoire, mortelle, etc. Voyez, au point où on en est, si c'est bien ça, un
thème très important de Spinoza, c'est, mais qu'est-ce que ça va être cette réalité physique de
l'essence ?

Les essences ne peuvent pas être des possibilités logiques, si c'était des possibilités logiques,
elles ne seraient rien : Elles doivent être des réalités physiques. Mais, attention, ces réalités
physiques ne se confondent pas avec la réalité physique de l'existence. Qu'est-ce que la réalité
physique de l'essence ? Spinoza se trouve prit dans un problème qui est très très compliqué, mais
tellement bien, là. Je voudrais que ce soit limpide tout ça, je ne sais pas comment faire.

(Deleuze demande l'heure ; On lui répond qu'il est onze heures et trente cinq. Deleuze demande
qu'on lui prévient lorsqu'il est midi ).

Voilà, voilà, Spinoza nous dit, tout à l'heure, je dirais quand et où, il nous dit ça ; il nous dit, dans un
très joli texte, il nous dit : imaginez un mur blanc. Un mur tout blanc. Il n'y a rien dessus.

Puis vous arrivez avec un crayon, vous faites un bonhomme, et puis à côté vous dessinez un autre
bonhomme. Voilà que vos deux bonhommes existent. Ils existent en tant que quoi ? Ils existent en
tant que vous les avez tracé. Deux figures existent sur le mur blanc. Ces deux figures vous pouvez
les appeler Pierre et Paul. Tant que rien n'est tracé sur le mur blanc, est-ce que quelque chose
existe qui serait distinct du mur blanc ? Réponse de Spinoza, là, très curieuse : Non, a proprement
parler, rien n'existe ! Sur le mur blanc rien n'existe tant que vous n'avez pas tracé les figures. Vous
me direz que ce n'est pas compliqué, ça. Ce n'est pas compliqué. C'est un bien joli exemple parce
que j'en aurai besoin toute la prochaine fois.

A partir de maintenant, je n'ai plus qu'à commenter ce texte de Spinoza. Or, où se trouve ce texte ?
Ce texte se trouve dans l'œuvre de jeunesse de Spinoza, l'œuvre qu'il n'a pas écrit lui-même, c'est
des notes d'auditeur, connu sous le titre de "Court traité". Le Court traité. Vous voyez pourquoi cet
exemple est important.

Le mur blanc, c'est quelque chose d'équivalent à ce que Spinoza appelle l'attribut. L'attribut,
l'étendue. La question revient à dire : mais qu'est-ce qu'il y a dans l'étendue ? Dans l'étendue il y a
l'étendue, le mur blanc égal mur blanc, étendue égal étendue ! Mais vous pouvez dire : des corps
existe dans l'étendue. Oui, des corps existent dans l'étendue. D'accord. Qu'est-ce que c'est que
l'existence des corps dans l'étendue ? L'existence des corps dans l'étendue, c'est lorsque
effectivement ces corps sont tracés. Qu'est-ce que ça veut dire, effectivement tracé ? On a vu sa
réponse, la réponse très stricte de Spinoza : c'est lorsqu'une infinité de parties infiniment petites est
déterminée à appartenir au corps. Le corps est tracé. Il y a une figure. Ce que Spinoza appellera
mode de l'attribut, c'est une telle figure. Donc, les corps sont dans l'étendue exactement comme les
figures tracées sur le mur blanc, et je peux distinguer une figure d'une autre figure, en disant
précisément : telles parties appartiennent à telle figure, attention, telle autre partie, il peut y avoir des
franges communes, mais qu'est-ce que ça peut faire, ça ? Ça veut dire qu'il y aura un rapport
commun entre les deux corps, oui, ça c'est possible, mais je distinguerais les corps existants. En

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dehors de ça, est-ce que je peux distinguer quelque chose ? Il se trouve que le texte du Court traité,
de jeunesse de Spinoza, semble dire : finalement c'est impossible de distinguer quelque chose en
dehors des modes existants, en dehors des figures. Si vous n'avez pas tracé de figure, vous ne
pouvez pas distinguer quelque chose sur le mur blanc. Le mur blanc est uniformément blanc.

Pardon de m'appesantir, c'est vraiment, parce que c'est un moment essentiel dans la pensée de
Spinoza. Et pourtant, déjà dans le Court traité, il nous dit : "Les essences sont singulières,
c'est-à-dire il y a une essence de Pierre et de Paul qui ne se confond pas avec Pierre et Paul
existants". Or, si les essences sont singulières, il faut bien distinguer quelque chose sur le mur blanc
sans que les figures soient nécessairement tracées. Bien plus, si je saute à son oeuvre définitive,
"l'Ethique", je vois que dans le Livre II, proposition 7, 8 etc. Spinoza retrouve ce problème. Il dit, très
bizarrement : les modes existent dans l'attribut comme de deux façons ; ils existent d'une part en tant
qu'ils sont compris ou contenus dans l'attribut et d'autre part en tant qu'on dit qu'ils durent. Deux
existences : existence durante, existence immanente. Là, je prends la lettre du texte. Les modes
existent de deux manières, à savoir : les modes existants existent en tant qu'ils sont dits durer, et les
essences de modes existent en tant qu'elles sont contenues dan l'attribut.

Bien. ça se complique parce que les essences de mode sont, encore une fois, et là c'est confirmé
par tous les textes de l'Ethique, sont des essences singulières, c'est-à-dire que l'une ne se confond
pas avec l'essence de l'autre, l'une ne se confond pas avec l'autre, bon ! Très bien.

Mais alors, comment est-ce qu'elles se distinguent dans l'attribut, les unes des autres. Spinoza
affirme qu'elles se distinguent, et puis là il nous abandonne. Est-ce qu'il nous abandonne vraiment,
ce n'est pas possible ! Une chose comme ça ce n'est pas imaginable. Il ne nous dit pas ; d'accord. Il
donne un exemple, il nous donne un exemple géométrique, précisément, qui revient à dire : est-ce
qu'une figure a un certain mode d'existence alors qu'elle n'est pas tracée ? Et ce qu'une figure existe
dans l'étendue alors qu'elle n'est pas tracée en extension ? Tout le texte semble dire : oui, et tout le
texte semble dire : complétez de vous-même. Et c'est normal, peut-être qu'il nous donne tous les
éléments de réponse. A compléter de nous-mêmes. Alors, bon, Il faut ! On n'a pas le choix ! Ou bien
on renonce à être spinoziste. Ce n'est pas mal non plus. Ou bien, il faut bien compléter de soi-même.
Comment est-ce qu'on pourrait compléter de nous-mêmes ? C'est pour ça que je plaide comme je le
disais au début de l'année, on complète de soi-même, d'une part avec son cœur, d'autre part avec
ce qu'on sait.

Le mur blanc ! Pourquoi parle t-il du mur blanc ? Qu'est-ce que c'est cette histoire de mur blanc ?
Après tout, les exemples en philosophie, c'estunpeu aussi comme des clins d'œil. Vous me direz :
alors que faire si on ne comprend pas le clin d'œil ? Pas grave. Pas grave du tout ! On passe à côté
de mille choses. On fait avec ce qu'on a, on fait avec ce qu'on sait. Mur Blanc. Mais après tout,
j'essaie de compléter avec mon cœur avant de compléter avec du savoir.

Faisons appel à notre cœur. Je tiens d'un côté mon mur blanc, d'un autre côté mes dessins sur le
mur blanc. J'ai dessiné sur le mur. Et ma question est ceci : est-ce que je peux distinguer sur le mur
blanc des choses indépendamment de figures dessinées, est-ce que je peux faire des distinctions
qui ne soient pas des distinctions entre figures ? Là, c'est comme un exercice pratique, il n'y a besoin
de rien savoir.

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Simplement, je dis : vous lirez bien Spinoza, si vous arrivez à ce problème ou à un problème
équivalent. Il faut le lire suffisamment littéralement pour vous dire : eh, bien oui, c'est ça le problème
qu'il nous pose, et sa besogne à lui -ce pour cela qu'il ne va pas plus loin- c'est de poser si
précisément le problème que -c'est même un cadeau qu'il nous fait dans sa générosité infinie- c'est
poser tellement bien le problème, il nous le fait poser si précisément qu'évidemment, on se dise, la
réponse c'est celle-ci, et on aura l'impression d'avoir trouvé la réponse. Il n'y a que les grands
auteurs qui vous donnent cette impression. Vous savez ! Ils s'arrêtent juste quand tout est fini, mais
non, il y a un tout petit bout qu'ils n'ont pas dit. On est forcé de le trouver et on se dit : qu'est-ce que
je suis bien, qu'est-ce que je suis fort, j'ai trouvé ;

car au moment où je viens de poser la question comme ceci : est-ce quelque chose peut se
distinguer sur le mur blanc, indépendamment des figures dessinées ? C'est évident que j'ai la
réponse, déjà. Et que nous répondons tous en cœur, nous répondons : eh bien, oui, il y a un autre
mode de distinction. Il y a un autre mode de distinction ; qui est quoi ? C'est que le blanc a des
degrés. Et je peux faire varier les degrés du blanc. Un degré de blanc se distingue d'un autre degré
de blanc d'une toute autre façon qu'une figure sur le mur blanc se distingue d'une autre figure sur le
mur blanc.

En d'autres termes le blanc a, dirait-on en latin, on utilise toutes les langues pour essayer de
mieux comprendre, même les langues qu'on ne connaît pas, quoi ! (rires), le blanc a des distinctions
de gradus, il y a des degrés, et les degrés ne se confondent pas avec des figures. Vous direz : tel
degré de blanc, au sens de tel degré de lumière. Un degré de lumière, un degré de blanc, ce n'est
pas une figure. Et pourtant deux degrés se distinguent, deux degrés ne se distinguent pas comme
deux figures dans l'espace. Je dirais des figures qu'elles se distinguent extrinsèquement, compte
tenu de leurs parties communes. Je dirais des degrés que c'est un tout autre type de distinction, qu'il
y a une distinction intrinsèque. Qu'est-ce que c'est ?

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

20- 25/05/82 -1
Marielle Burkhalter

20- 25/05/82 -1 Page 1/11


Gilles deleuze : cours du 25/05/82 - 1 transcription : LI-TING HUNG

Deuxièmement : La semaine prochaine, je ne sais pas ou nous pourrons nous voir car cette salle
sera prise, je crois pour réfection et adaptation au cinéma à laquelle elle appartient. Donc je vais
essayer de me renseigner si j'ai une salle tout à l'heure à la recréation et puis si je le sais pas, je
mettrais un papier sur la porte la semaine prochaine là où je serai. Alors ça sera peut être une petite
salle mais comme la prochaine fois ça sera la dernière fois, vous viendrez peu nombreux si bien
qu'une petite salle suffira. IL faut que je finisse parce que le cinéma ... Dans l'enchaînement je crois
que George Comtesse souhaite faire une intervention.

G. Comtesse :Je voudrais intervenir sur les quatre contraintes....concernant le nouveau roman, les
quatre propositions sur le nouveau roman et la correspondance possible mais aussi problématique
avec le cinéma.

Les quatre propositions étant les suivantes à savoir :


Premièrement : Le regard optique : c'était un regard qui donnait à voir l'intolérable
Deuxièmement : Il y a une description optique d'un élément isolé qui finit par donner cet élément.
Troisièmement : Il y aurait chez Robbe-Grillet une subjectivité totale qui serait le thème de son
écriture.
Quatrièmement, mais ça c'est un point que je n'aborderai pas - concernant les négations
singulières chez Robbe-Grillet dans son rapport avec occasionnellement, le recoupement avec les
tranformations sociales.

J'aborderai plutôt les trois premiers points, et ceci en rapport essentiellement, beaucoup moins avec
les textes théoriques de Robbe-Grillet mais avec justement l'écriture de Robbe-Grillet dans les
quatre premiers nouveaux romans de Robbe-Grillet. Parce que, il ne me semble pas qu'il y ait une
coïncidence totale entre ce que ce que Robbe-Grillet appelle la subjectivité totale et puis ce qu'il
écrit. Par exemple jadis quelqu'un comme Ricardou faisait remarquer très justement qu'il y avait un
décalage entre le fait de fiction chez Robbe-Grillet et le fait théorique. Il me semble que quelqu'un qui
a analysé les romans de Robbe-Grillet comme Bruce Morissette est quelqu'un qui a laissé justement
ce thème de la subjectivité totale chez Robbe-Grillet et qui a fait apparaître au contraire dans le texte
de Robbe-Grillet, ce qu'il appelle un je, un je néant. Et le jeu néant, c'est complètement diffèrent et
ça c'est un premier point - d'une subjectivité totale. Parce que ce "je néant" ça n'est pas rempli ni par
une substance antécédente qu'il exprimerait ni par un être qui serait l'origine d'une création possible.
Le "je néant" c'est, au contraire, un je qui est vide et de l'être et de la substance et de la subjectivité
et du temps. Par exemple, le problème qui était soulevé concernant le problème du temps, la

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conclusion auquelle aboutie justement Bruce Morissette dans l'analyse des romans de Robbe-Grillet
c'est qu'il dit qu'il y a une "structure temporelle impossible" c'est à dire qu'il y a peut être une autre
temporalité mais ça n'appartient pas du tout à la structure temporelle traditionnelle qui est une
temporalité de la répétition et c'est ce ne cesse d'affirmer Robbe-Grillet. Ça c'est un premier point.

Deuxièmement : Le je néant dont il est question et qui défait la subjectivité totale justement, c'est
le croisement de deux choses : C'est le croisement d'un regard mais qui n'est pas d'emblée le regard
optique. C'est plutôt chez Robbe-Grillet une sorte de regard de l'immobilité et du poids du silence et
le "je néant"

G. Deleuze :on s'entend plus !

Comtesse - c'est le croisement à la fois du regard de l'immobilité et de la voix narrative du silence.


C'est à dire c'est un regard qui isole bien les éléments fragmentaires mais au fur et à mesure que les
regards isolent cet élément, la voix elle même, la voix narrative, la voix qui ressasse cet élément, ne
cesse en même temps, justement, de les gommer, de les intégrer et finalement de les dissoudre.

Autrement dit, il ne s'agit jamais pour le regard optique chez Robbe-Grillet et même dans une sorte
de précision extrême de la description topographique, géométrique, architecturale - il ne s'agit jamais
pour le regard optique de donner à voir quelque chose ou de donner à voir, par exemple,
l'intolérable, parce que d'une certaine façon c'est le regard optique qui est lui même l'intolérable pour
justement, le romancier.

Et que le regard optique ne donne pas à voir quelque chose, c'est pas un regard qui signifie l'espace
par le "je", qui signifie même le "je" par l'espace parce que la voix narrative c'est une voix qui ne
cesse de vider, justement, ce dont le regard semblait se remplir.

Donc il n'y a pas chez Robbe-Grillet, contrairement à ce qu'auraient pu dire certains


commentateurs littéraires, de promotion de l'espace et pas d'avantage d'expression romanesque de
l'espace, mais un "vide" de l'espace aussi bien qu'un "vide" du temps. Autrement dit, loin que la
description optique donne à voir, elle s'avère bien plutôt, dans le Nouveau Roman de Robbe-Grillet
en tout cas une illusion optique sans avenir. Sans avenir car justement le regard optique ne cesse de
mépriser illusoirement. Et c'est ça qui contribue son illusion, sa maitrise illusoire, le regard optique ne
cesse de mépriser le regard fasciné, le regard ébloui de l'immobilité silencieuse qui apparaît par
exemple dans le film de Robbe-Grillet par le personnage, le protagoniste avec son "" momifié,
cadavérique dès le début du film ou bien dans "la nuit dernière à Marienbad" lorsque le "" rencontre
le grall et lui dit : "vous avez peur, vous restez figée, fermée, absente".

Autrement dit, c'est par rapport à cette immobilité, le " je" dont il est question. Il n'est pas mobile par
rapport à un espace immobile. Ou bien il n'est pas immobile par rapport à un espace mobile car
justement cette immobilité, est le ressort de "l'illusion du mouvement dans l'espace". Le mouvement,
autrement dit, qui ne cesse de conjurer l'immobilité ou le piétinement de la réclusion. C'est pourquoi,
par exemple, dans les Gommes, dans le premier texte de Robbe-Grillet, la marche volontaire, la
marche assurée de Balard dans la ville qui est une marche circulaire dans l'espace, ça veut dire qu'il
ne cesse de retourner au point de départ et ceci parce que cette marche - et c'est ça l'illusion du
mouvement dans l'espace - parce que cette marche a voulu s'arracher violemment et initialement à

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l'immobilité du regard pour effectuer justement un déplacement mobile dans l'espace immobile
d'alignement ou d'enfilade des maisons de briques. Par exemple le texte de Robbe-Grillet, il est très
ironique là dessus, il écrit : « c'est bien lui qui s'avance, c'est à son propre corps qu'appartient le
mouvement, non à la toile de fond que déplacerait un machiniste, c'est volontairement qu'il marche
vers un avenir inévitable et parfait. Plus il multiplie son assurance... ».
C est intéressant ça, cette citation, c'est quoi ?
C'est la situation des Gommes, sur la marche
C est dans les Gommes ?
Oui dans les Gommes, la marche de Balard dans la ville
T'as la page ? - Comtesse : Ha non, pas la page ! C'est à son propre corps qu'appartient le
mouvement, hors justement, c'est ça l'action dégradée de puissance du faux. C'est une puissance du
faux extrêmement humoristique puisque il fait semblant, que c'est à lui ce mouvement, c'est à lui que
ça appartient. Il a une marche assurée, hors il revient précisément à son point de départ et c'est ça
justement le problème, de l'illusion du mouvement dans l'espace chez Robbe-Grillet. Autrement dit
l'espace, il est dans les romans de Robbe-Grillet
soit le recours vain pour conjurer l'immobilité, par exemple "les Gommes",
soit qu'il y ait une sorte d'évaluation de la distance spatiale déconcertante qui rend, justement, le
désir impossible. Par exemple Kafka la scène du café dans le voyeur. Aussi justement, dans le
Nouveau Roman en particulier celui de Robbe-Grillet de plus en plus le protagoniste, qui semblait au
début marcher, dans "le voyeur", dans "les Gommes", etc. De plus en plus le protagoniste plutôt que
le personnage on pourrait même dire le non fonctionnel, à la limite. Et bien il rejoint l'immobilité, par
exemple le jaloux qui écrit derrière ses lamelles ou bien l'enfermé de l'espace contigüe dans la
chambre . « Je suis seul ici, à l'abri, dehors il pleut » Le fameux texte de "dans le labyrinthe")
Autrement dit, il y a une immobilité chez Robbe-Grillet que donne à ressentir ses romans et qui défait
deux choses : Premièrement : et l'illusion optique, l'illusion du regard optique Deuxièmement :
l'illusion d'un mouvement dans l'espace pour rejoindre soit la répétition d'un regard fasciné, ébloui,
qui est peut être, même, lui même un montage, ou un virage qui opère peut être également lui
même, par un montage, par virage ou par saut, la répétition donc d'un regard ébloui ou fasciné, qui
semble, ce regard, avoir un objet. Je dis qui "semble avoir un objet", et ça c'est la première phrase
de commencement romanesque de " la liaison des rendez vous" qui est vraiment admirable en ce
sens là, qui, écrit Robbe-Grillet :" la ferme des femmes a toujours occupé, sans doute, dans mes
rêves, une grande place". Autrement dit le regard fasciné ou ébloui qui, "sans doute", dit il, ça
semble avoir un objet. Autrement dit l'ambiguïté du « sans doute » fait intervenir à la fois l'incertitude
humoristique du "semblant d'objet" dans la certitude ironique, justement, d'un objet possible.

Je terminerai en disant, que finalement, l'espace décrit chez Robbe-Grillet ou l'espace imaginaire,
l'espace du fantasme, l'espace composé avec des brides d'espace perçus par exemple, ou un
télescopage ou un vieillissement de l'espace perçu, une sur imposition de l'espace perçu ; et bien,
soit l'espace décrit soit l'espace imaginaire ou fantasme, ne cesse de - à la fois de déformer et de
différer l'espace romanesque comme espace labyrinthique de la répétition qu'il cherchera à effectuer
avec Alain Resnais dans "la nuit dernière a Marienbad" l'espace labyrinthique de la répétition c'est à
dire la répétition du regard fasciné et ébloui de l'immobilité silencieuse, de sorte que l'espace du
protagoniste - auquel on reste très souvent lorsque l'on parle des romans de Robbe-Grillet - et bien
ne coïncide pas forcement, justement, avec l'espace romanesque du romancier. Il y a un décalage
qui n'est certainement pas du tout une coïncidence. Toutefois on peut dire : si la répétition se répète
dans tout espace et dans tout espace qui ne cesse d'excéder ou de déborder l'espace labyrinthique

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romanesque, cet espace labyrinthique lui même, il diffère de l'espace même de la répétition. C'est à
dire l'espace du "je" du langage comme espace d'une différence qui fait qu'il y a quelque chose
comme le regard qui se répète. Autrement dire il y a l'espace de langage ou un espace de jeu de
langage qui amène, et je terminerai par une citation de Bruce Morissette qui dit dans une analyse qui
me parait assez admirable du roman de Robbe-Grillet, qui dit que finalement :" il n'y à même plus ni
de "je néant", ni même de "il".... au sens, par exemple ou Kafka réintroduire le « il » et le « on »
contre Joyce ou Proust. Il n'y a même plus de je néant ou de « il » mais il y a simplement le je et le «
il » qui finissent par disparaître, et se confondent, justement, dans un texte, dans le texte qui
cherche, justement, une coïncidence avec l'espace le "je" du langage".

....Dans les émissions, c'est un troisième Robbe Grillet

Gilles Deleuze : La, c'est ton intervention je trouve très intéressante. Une question juste tu as fais
allusion à des films en même temps. Mais la, dans ce que tu viens dire en centrant sur les romans
de Robbe-Grillet selon toi, tu le dirais tel quel du cinéma aussi ? §Ha non ! ! ! §Non ? Comtesse :
Non car il y de nombreux textes de Robbe-Grillet où il marque le décalage où il ne dit absolument
pas pareil. On décrit un roman et c'est absolument pas pareil, quand je travaille avec Resnais ou que
je fais d'immortel homme qui ment, etc. Et, par exemple il insiste sur ceci, dans ses romans, "les
protagonistes sont des gens absolument muets et séparés. Et la voix de l'écrivain n'est absolument
pas une voix parlante" . Par exemple l'image n'est absolument pas la même chose non plus bien sûr
il y a peut-être dans l'espace de l'écrivain, il y a peut-être une correspondance possible. Au niveau
de l'opération méme, soit scripturale, soit l'opération de tournage ou filmique, il ya différence.

Gilles Deleuze : D'accord. Je crois que l une des bases que - je sors de ce que vient de dire
comtesse. Une de base de tout ça, pas pour expliquer Robbe-Grillet, mais c'est un film que j'ai très
envie voir mais qui est je crois assez difficile à voir, c'est le film de Becket. Il y en a parmi vous qui
ont vu le film de Becket ? Le film avec Bester Keaton ? Tu l'as vu ?. Là je sens qu'il y a ..il y a une
source qui serait très très importante. Ça doit être possible de le voir ce film. Il dure pas très
longtemps, non ?

Gilles Deleuze -
Bon et bien alors voilà progressons ; il faut à tout prix arriver à la fin. Si bien que ce que je vous
présente, en fait, c'est un programme qui devrait être rempli à votre bonne volonté, de manière
différente pour chacun.

Mais si j'éprouve le besoin de revenir à notre tout début, c'est parce que, en effet, notre espèce de
cercle là est en train de se boucler. Et il est en train de se boucler de deux manières, suivant deux
voies. Et on se trouve actuellement, acheminé à la fois le long de ces deux voies. Ou on devrait
cheminer suivant ces deux voies. 19' Vous voulez fermer la porte ?

Depuis le début, quand on s'est proposé de faire une espèce de classification de


l'image-mouvement et de ses différents cas, on avait un pressentiment. C'était que
l'image-mouvement n'était pas le seul type d'image cinématographique. Bien plus, on tenait notre
hypothèse bergsonienne.

C'est ça que j'appelle la première voie. Notre hypothèse bergsonienne c'était :

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"l'image-mouvement est la coupe ou la perspective temporelle. De quoi ? D'une durée". Disons alors,
essayons : "L'image-mouvement est la coupe ou la perspective temporelle d'une image-temps".
D'une image-temps ! Seulement, bon, maintenant que l'on a un peu bouclé notre analyse de
l'image-mouvement, on se trouve en effet - et si il y a plusieurs voies c'est parce que il y a sûrement
plusieurs manières - dont l'image-mouvement nous expulse d'elle même et nous fait tendre vers
cette autre image.

C'est même pas que ce soit une image immobile, elle pourrait être immobile cette autre image,
mais pas nécessairement. Ce qui compte ce n'est pas qu'elle soit le contraire de l'image-mouvement,
ce qui compte c'est qu'elle soit d'une autre nature de toutes les façons. C'est à dire qu'elle ne se
laisse pas rendre compte en termes d'image-mouvement. Et en effet si l'image-mouvement est la
coupe d'une image-temps plus profonde, il faudra dire de cette image-temps par exemple elle est le
véritable volume, que elle est "volumineuse". Non seulement, donc, qu'elle a une profondeur, mais
qu'elle est temporelle, l'image-temps !

Mais qu'est ce que ça veut dire « image-temps » ? Cela implique pour nous encore une fois," le
temps ne peut dégager de soi-même une image, que si il ne s'en tient pas à la forme de la
succession qui au contraire renvoie tout à fait à une succession d'images-mouvement". C'est à dire à
une forme de la succession, même si cette forme de la succession comporte des accélérations, des
ralentis, des déplacements, des flash back, etc.

Alors cette image-temps qui serait en rapport avec l'image-mouvement mais de telle manière que
l'image-mouvement en quelque sorte serait une pancarte pour la designer et qu'il faudrait passer de
l'image-mouvement à cette image-temps plus profonde, si nous savons que nous ne pouvons pas la
réduire à une succession d'images. Ça veut dire pour nous que d'une certaine manière elle est bien
"image" elle même, c'est pas une succession d'images.

Mais qu'est ce que ça veut dire "elle est image pour elle-même" ? Je reprends la formule :
"l'image-mouvement est la coupe ou la perspective temporelle d'une durée". On avait vu ce que ça
voulait dire selon BERGSON. Cette durée, c'est ce qui change à chaque instant. C'est ce qui ne
cesse pas de changer et varier, c'est à dire c'est une totalité, mais le propre de la totalité c'est d'être
Ouvert. Cette conception qui nous avait parue très intéressante du Tout Ouvert. Et en effet
l'image-temps, après tout, est ce que ça ne serait pas le Tout du film ? Ou ce que EISENSTEIN, dès
le début, ne cessait pas d'appeler l'Idée, l'Idée avec un grand I.
Il y aurait des idées cinématographiques, c'est à dire, ces images qui sont d'une autre nature que
l' image-mouvement, ce seraient les idées cinématographiques. On irait donc de l'image-mouvement
à l'Idée. Mais je dis, l'Idée ce n'est pas la succession des images, soit, l'Idée c'est l'image-temps,
soit, ou le Tout comme totalité ouverte. Tout ça, ça va encore. Bon, mais le Tout, bien, c'est le Tout.
Si vous voulez, cet autre type d'image que je cherche, type autre que l'image-mouvement, je dis à la
fois : C'est le Tout ? Oui c'est le Tout. C'est le Tout du film, là, suivant EISENSTEIN. C'est ça qu'on
appellera l'Idée.

D'accord, mais alors ce n'est pas une image particulière, ce n'est pas un type d'image si c'est le Tout
? Et bien si, aussi ! Et pour le moment on suit. On est bien forcé de suivre tant bien que mal. Il faudra
arranger. Il faut maintenir les deux.
Hé oui, c'est le Tout du film.

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Et pourtant c'est un certain type d'image. Comment résoudre ça ? C'est un certain type d'image
ça veut dire : c'est un type d'image à côté d'autres types. C'est un type d image distincte du type
image-mouvement et à la lettre à côté des images-mouvement. Oui, c'est ça, c'est un type d'image à
côté des images-mouvement. Et en même temps, je maintiens, c'est le Tout des images du film. Est
ce que c'est tellement gênant pour nous ? Peut être pas.

Faut pas se hâter et dire : on est dans une contradiction. Je pense à un auteur dans un tout autre
domaine, un auteur de littérature : PROUST. PROUST dans un des derniers tomes, dans la dernière
partie, « le temps retrouvé » passe de longues et longues pages à dire : à la fois dans mon livre " la
Recherche". Il y a un Tout...". il y a un Tout ! Et c'est vrai c'est un Tout ! Seulement c'est un Tout très
spécial parce qu'il est lui même une partie à côté des autres parties. Bon alors....c'est un Tout très
spécial d'autant plus spécial qu'après tout un Tout, à première vue, ça n'a pas de parties lui même,
puisqu'il est le Tout des parties Ça n'a pas de parties lui même et ça ne l'empêche pas d'avoir des
"aspects". C'est un Tout sous tel ou tel aspect. Et non seulement c'est un Tout sous tel ou tel aspect
mais, en même temps, il faut dire aussi qu'il est une partie à côté des autres parties.

Bon, alors cherchons. On a vu une première direction, là, dans cette voie. Lorsque que j'invoquais
mais il ne faut pas s'y fixer trop, lorsque je disais, j'invoquais très vite la profondeur de champ. C'est
un type d'images. Bien. C'est un type d'images à côté d'autres images. Chez WELLS par exemple
les images à profondeur de champ sont à côté d' images-mouvement sans profondeur de champ.

Et pourtant d'une certaine manière c'est vrai aussi que ces images à profondeur de champ ont une
certaine vocation de totalisation ouverte, sont des Tout ouverts sous tel ou tel aspect. Et il est vrai
enfin que ces images à profondeur de champ nous ont parus très bizarrement, avoir deux fonctions
par quoi elles sont fondamentalement des images-temps. C'est à dire qu'elles ne se contentent pas
d'introduire le volume dans l'image mais elles introduisent une quatrième dimension -qu'est le temps
sous la double forme du temps : le temps contraction - on l'a vu - et la forme qui parait presque le
contraire, à savoir la nappe ou le circuit. Le temps nappe ou circuit. Et il m'avait semblé que ça
correspondait, mais tout à fait, aux deux formes principales de la mémoire Bergsonienne :
la mémoire contraction
et la mémoire nappe ou circuit.

Mais quand je dis il ne faut pas s'attacher trop à la profondeur de champ parce que dire : « la
profondeur de champ : c'est ça l'image-temps » non, non, non ! Ça peut être ça, mais il n'y a pas
besoin de cette technique là. Bien plus. Il y a de très grands cinéastes qui ont à faire avec le Temps
et qui n'utilisent jamais ou presque jamais la profondeur de champ. Citons par exemple FELLINI.
Chez « VISCONTI » son appréhension fondamentale du temps et de la temporalité
cinématographique, est indépendant de la profondeur de champ.

Tout ça donc...il ne faut pas dire pour avoir une image-temps il faut passer par la profondeur de
champs. Non. On peut. On peut se servir de la profondeur de champ pour obtenir
soit des opérations de contraction du temps, qui livrent le temps, là, sous sa forme de contraction,

soit des opérations de nappages ou de circuits. Bon, c'est possible mais ce n'est pas nécessaire.
Tout est ouvert. Simplement, il s'agit de quoi alors ?

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Lorsque vous voyez, je pose dans cette première voie, à ce premier niveau : Un rapport que je peux
présenter aussi bien comme étant le rapport image-mouvement / image-temps, que je peux
présenter aussi comme étant image-mouvement - Idée avec un grand « i » c'est à dire : Tout.

Il s'agit de quoi finalement ? Il s'agit de ce qui a été pour nous le problème ultime. Et c'est bien de
l'aborder à la fin, tout à fait à la fin de l'année comme le problème qui était le nôtre depuis le début. A
savoir il s'agit de - évidement, et c'est pour ça que je m'étais lancé dans ce sujet - il s'agit du rapport
de l'image cinématographique avec la pensée.

Et il s'agit de la question : Est ce que le cinéaste est capable - même en droit, je ne cherche pas :
est ce qu'il a réussi ? - est ce qu'il est en droit de nous apporter une nouvelle façon de penser, c'est à
dire, est ce qu'il est en droit, à la fois, de nous présenter, en tant que Cinéma, la pensée d'une
nouvelle manière, et du même coup - c'est inséparable - de nous faire penser d'une nouvelle
manière ?

Est ce qu'il y a un rapport spécifique de l'image-cinéma avec la Pensée ?

Alors ça c'était en effet notre problème. Et vous sentez que si je découvre un lien nécessaire entre
une image-mouvement et soit, je peux dire maintenant, soit l'image-temps, soit l'Idée
cinématographique avec un grand « i » qui est à la fois un Tout du film mais aussi un type d'image à
côté des autres. Si je trouve ça, j'aurai réglé, pour moi en tout en cas, la question de ce qu'il est en
est d'un rapport image cinématographique / Pensée.

Et je pense là, à un texte qui m'avait beaucoup frappé d ALEXANDRE ASTRUC, là aussi à propos
de la profondeur de champ, mais il faut évidement l'affecter de relativité. Là, tout ce que je viens de
dire c'est pour dire finalement la profondeur de champ c'est une astuce technique très importante. Il
faut pas s'en servir évidement, s'en servir arbitrairement ça n'a pas de sens. Seuls ont droit de s'en
servir ceux qui ont quelque chose à en tirer, de cette technique là. Mais si on ne se sert pas de cette
technique là il y en a pleins d'autres. De toute manière rien ne se réduit à un problème technique.
Mais je pense à ce texte d'ALEXANDRE ASTRUC, quand il disait les images à profondeur de champ
tel qu'elles apparaissent chez JEAN RENOIR par exemple avant ‘'Wells'' et puis telles qu'elles seront
portées par Wells à un certain niveau magistral. Et bien ces images ont beaucoup changé, dit-il,
quant à la fonction de la Pensée au cinéma. Et là j'aime bien ce texte car il reste très mystérieux, il
ne développe pas beaucoup,
il dit : ‘'Avant, finalement le rapport de l'image avec la Pensée si l'image-cinéma agissait sur la
Pensée c'était sous la forme de la métaphore.''

Et en effet, les premiers types de cinéma - je pense au texte de EPSTEIN quand il pose la question
quel est le rapport entre le cinéma et la pensée ? - il tourne toujours autour de l'idée que ce rapport
c'est que : le cinéma lance une pensée extrêmement puissante de type métaphorique.

Et Astruc dit : ‘'Avec la profondeur de champ, la pensée cesse de fonctionner comme métaphore par
rapport au cinéma et elle devient - et là ça devient assez mystérieux mais le texte est très beau - elle
devient "théorème". Elle devient théorème, on passe d'un statut de la Pensée à ... et qu'est ce qu'il
veut dire ? On ne sait pas très bien parce qu'il explique, il dit voila : "l'impression que donne la
profondeur de champ c'est quoi " ? C'est comme si, dit il, et il parle là de certaines images à

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profondeur de champ de RENOIR - "c'est comme si la caméra s'enfonçait comme un chasse neige".
"C'est comme si la caméra s'enfonçait comme un chasse neige et dès lors, des deux côtés, à droite
et à gauche, chassait quelque chose". Oui, "chassait" ce qui a cessé de valoir dans l'image, une
espèce d'avancée temporelle - vous voyez c'est ça qui est déjà très intéressant - une espèce
d'avancée temporelle ou progressivement, à mesure que l'on croirait que la caméra s'enfonce. Elle
chasse à droite et à gauche sur les deux bords de l'écran. Il y a une image bien postérieure au texte
d'Astruc mais que je trouve très belle dans le film de Fassbinder .....le film ..."Lily Marlene". C'est ça ?
Ça s'appelle comme ça ? ...Lily Marlene.

Pour ceux qui l'ont vu je dis vite pour que vous compreniez, c'est une illustration même de ce que
Alexandre Astruc appelle l'opération "chasse neige". Il y a une bagarre qui éclate dans le fond du
café, il y a des gens qui se battent. Et là, il y a une profondeur de champ, ils se battent vraiment au
fond et il y a grande profondeur de champ. Et il y a des gens comme effarouchés, les clients qui ont
peur, les clients du café qui ont peur de cette bagarre. Et ils s'enfuient, par rapport au spectateur, ils
s'enfuient par le devant. Par le premier plan, par l'avant plan. Voyez, si bien qu'on a l'impression que
on est exactement dans la situation de quelqu'un qui entrerait dans le café et qui est repoussé par
les types qui en sortent, apeurés, pendant que la bagarre se déroule dans le fond. Et là il y a une
très très belle image, une image typique pour manuel de profondeur de champ où on voit très bien,
comment la caméra fait office de chasse neige, on croirait que c'est elle qui élimine les comparses
devenus inutiles et les types qui fuient, qui fuient en avant plan. Très belle image "chasse neige".

Alors ce serait ça l'espèce de voie "théorématique" au lieu de la voie "métaphorique". Si bien qu'a la
limite, on pourrait dire : les images-mouvements si il y avait que des images-mouvement, est ce
qu'on ne serait pas ramené par exemple, à ce sur quoi insistait l'école française de Gansdk de
Epstein, etc. C'est à dire fondamentalement "une pensée métaphore".

Alors que là, peut être, quand on dégage un autre type d'image que l'image-mouvement apparaît
quelque chose de diffèrent, c'est à dire la possibilité d'une pensée...bon pour le moment prenons les
termes d'Astruc, "d'une pensée théorématique". Mais qu'est ce que ça voudrait dire une pensée
théorématique au cinéma ? Est ce que c'est par hasard que il y a une film célèbre de PASOLINI :
"théorème" ? Qu'est ce que ca veut dire ce film ? C'est un drôle de film !

Deuxième voie qui va nous conduire au même résultat : Je viens de montrer que
l'image-mouvement en tant que telle et parce qu'elle est une coupe ou une perspective temporelle,
nous renvoyait à un autre type d'image. Je dis notre deuxième voie, ce serait celle sur laquelle on a
tant insisté les dernières fois, et je la résume ici, c'est cette fois ci comme une mise entre
parenthèses, une mise en question de l'image-mouvement qui à plus forte raison va nous ouvrir sur
un autre type d'image. Sur l'autre type d'image.

Je dis cette fois c'est la mise en question de l'image-mouvementquinous ouvre directement. La


première voie, je dirais, ce serait une voie indirecte.Là, la mise en question de l'image-mouvement et
particulièrement de l'image-action parmi les images-mouvement,

la mise en question de l'image-action nous met directement en rapport avec une image d'un autre
type que je peux appeler image-temps, image-pensée ou idée cinématographique.

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Et c'est une autre voix et on a vu que d'une certaine manière, c'était une voix empruntée par
certaines tendances du cinéma contemporain. C'est à dire, je rappelle, puisque là on est resté
longtemps la dessus, aussi bien le néo-réalismeitalien que la nouvelle vague française, que l'école
américaine dite de New York. Et que ça nous intéressait beaucoup puisque cette fois ci, c'était
comme une suspension del'image sensori-motrice. Suspension de l'image sensori-motrice au profit
dequelque chose qui se dégage et qui serait une image "sensorielle", entre guillemets," pure". Image
sensorielle pure, c'est à dire ce que j'appelais l'image optique ou l'image sonore pure.

C'est cette image sensorielle pure, détachée ou du moins déphasée de sa motricité normale qui
se met en rapport avec l'autre type d'image. Aïe ! Si bien qu'à ce niveau cet autre type, j'attends
maintenant, puisque, si vous reprenez notre hypothèse, qu'elle soit bonne ou mauvaise on en est
plus là - s'il est vrai que l'image optique pure - c'est à dire ce que j'appelle maintenant, il n'y a pas de
raison de donner un tel privilège à l'optique, ça va aussi pour le sonore, à partir du moment ou il y a
synchrone - ça vaut aussi ce que n'avait pas le néo-réalisme italien entre parenthèses - il y a donc eu
des progrès techniques là aussi mais ça nous est égal. Si l'image sensorielle pure a coupé - je dis
coupé par commodité, vous mettez les nuances - a coupé son prolongement moteur classique,
traditionnel, dès lors elle est de nature à nous mettre directement en rapport avec l'autre type
d'images - toujours - que nous sommes en train de chercher et que nous appelons image-temps,
image pensée et qui est à la fois, encore une fois, un type d'image particulier et en même temps le
Tout des images du film.

Le Tout sous tel ou tel aspect. Et c'est bien parce que c'est toujours le Tout du film sous tel ou tel
aspect que je pourrais dire c'est à la fois le Tout. Mais attention, c'est aussi un type d image spécial à
coté des autres. Et qu'est ce que ça voudra dire ? Et bien ça voudrait dire et bien j'en suis là et c'est
la que commence le nouveau de ce que j'ai à dire. Et bien oui ! Il faut, puisque nos images optiques,
sonores, sensorielles pures ne sont plus en rapport avec la motricité traditionnelle. Motricité
traditionnelle, c'est l'image-action, telle qu'on l'a vu, l'image-action dans les formes SAS ou ASA.
Puisque l'image sensorielle dite pure n'est plus en rapport avec l'image-mouvement, elle entre en
rapport ou elle va pouvoir, ça va être sa puissance, d'entrer en rapport et de nous faire entrer en
rapport avec l'autre type d'image. Bon, c'est à dire encore une fois, avec le Tout. Mais ce Tout c'est
aussi une partie. J'appellerais ça, c'est ce Tout, ces Tout, ces aspects de Tout, qui sont aussi une
partie à côté des autres, c'est à dire, encore une fois, cet autre type d'image que l'image-mouvement.
Vous me permettez de l'appeler « mode ».

Pourquoi ce mot de « mode » ? Parce que « mode » est là un terme commode pour designer le
terme "ultime" de cet autre type d'image dont on a vu que ce terme ultime, c'était la Pensée. Je dirais
qu'il y a autant de modes de la pensée qu'il y a d'aspects du Tout ou d'images particulières d'un
autre type que l'image-mouvement. Donc, le rôle - c'est abstrait mais je crois que cet abstrait-là vous
permet peut être mieux de suivre ce que je vais avoir à dire - Je dis juste que les images sensorielles
pures ne trouvent plus leur prolongement dans la motricité de l'image-action, mais vont maintenant
se prolonger dans des modes qui seront donc, des images-pensées. Mais peut-être qu'il y aura
beaucoup de modes, mais ils auront en commun ces modes d'être des modes de la pensée.

D'où ma question, avec quoi, l'image sensorielle pure - dont j'ai fait l'hypothèse dont j'ai essayé de
fonder l'hypothèse toutes les séances précédentes - avec quoi, avec quels modes principaux,
l'image sensorielle pure est-elle en rapport ?

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Et bien, je crois que jusqu'à maintenant, et ma liste n'est évidement pas exhaustive, elle est en
rapport avec quatre grands modes. Elle est en rapport avec quatre grands modes. Et là, je résume
ce qui nous reste à faire, mais ça pourrait nous prendre un trimestre, ça nous prendra juste ces deux
fois là, et puis adieu.

Quatre grandes modes. Mais encore une fois, il y en a cinq, six, petit « n » et puis on attend un
nouveau cinéaste qui en trouvera d'autres. Moi je fais un recensement comme ça. Et déjà dans un
mode je groupe des gens tellement différents.

Je dirais que le premier mode je l'appelle par commodité "mode imaginaire" et il renvoie à un
certain type d'image que j'aimerai appeler dans la classification des signes qu'on résumera la
prochaine fois, j'appellerai ça des scènes. Des scènes ! Comme une scènes de théâtre, des scènes.

Donc le premier grand mode ça serait le mode imaginaire et si je veux.....

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Deleuze
-- Menu - Spinoza - Déc.1980/Mars.1981 - cours 1 à 13 - (30 heures) --

Spinoza -
Déc.1980/Mars.1981 -
cours 1 à 13 - (30
heures)

12- 17/03/81 - 1
Marielle Burkhalter

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transcription Yaëlle Tannau Cours 12 du 17/03/81 - 1

Vous voulez pas fermer la porte ? Vous voulez pas fermer les fenêtres ? Ben si, on entend rien.

Ce doit être notre dernière séance sur Spinoza, à moins que vous n'ayez des questions. En tout cas,
il faudrait qu'aujourd'hui ce qui vous soucie, si des choses vous soucient, vous me le disiez, vous
interveniez le plus possible. Et alors, je voudrais aujourd'hui qu'on fasse deux choses : - Que l'on
termine, non pas la conception spinoziste de l'individualité, parce que là il me semble que l'on est
resté assez longtemps sur cette conception, mais que l'on en tire les conséquences concernant un
point, une formule, une formule assez célèbre de Spinoza, qui est la suivante : "Nous expérimentons,
nous sentons et nous expérimentons - il ne dit pas : nous pensons, cest des mots très chargés :
sentir et expérimenter - que nous sommes éternels." Qu'est-ce que c'est que cette célèbre éternité
spinoziste ? Bon.

- Et puis enfin, il nous est tout à fait nécessaire de tirer des conséquences sur ce qui devait être le
thème implicite de toutes ces séances, à savoir, eh bien quel rapport finalement entre un ontologie et
une éthique ? une fois dit que ce rapport, il intéresse la philosophie pour elle même, mais le fait est
que ce rapport, il n'a été fondé et développé que par Spinoza. Au point que quelqu'un qui viendrait
nous dire : "Eh bien moi, mon projet, ce serait de faire une éthique qui serait comme le correlat d'une
ontologie, c'est à dire d'une théorie de l'être", et bien on pourrait l'arrêter et dire très bien, on peut
dire dans cette voie des choses très très nouvelles, mais c'est une voie qui est spinoziste, c'est une
voie signée "Spinoza".

Bon. Vous vous rappelez, et je fais ce rappel pas du tout pour revenir sur ces points, mais pour les
estimer acquis, vous vous rappelez les trois dimensions de l'individualité.

Première dimension : J'ai une infinité de parties extensives - bien plus, si vous vous rappelez plus
précisément - j'ai une infinité d'ensembles infinis de parties extensives ou extérieures les unes aux
autres. Je suis composé à l'infini.

Deuxième dimension : Ces ensembles infinis de parties extensives extérieures les unes aux
autres, m'appartiennent, mais elles m'apppartiennent sous des rapports caractéristiques. Rapports
de mouvement et de repos, dont la dernière fois j'ai essayé de dire quelle était la nature.

Troisième dimension : Ces rapports caractéristiques ne font qu'exprimer un degré de puissance


qui constitue mon essence, mon essence à moi, c'est à dire une essence singulière.

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Donc les trois dimensions,
c'est les parties extensives exterieures les unes aux autres qui m'appartiennent,
les rapports sous lesquels ces parties m'appartiennent,
et l'essence comme degré, gradus ou modus, l'essence singulière qui s'exprime dans ces
rapports.

Or, Spinoza ne le dit jamais, parce qu'il n'a pas besoin de le dire. Mais nous, lecteurs, on est bien
forcés de constater une curieuse harmonie entre quoi et quoi ? Entre ces trois dimensions de
l'individualité, et ce qu'il appelle à une tout autre occasion, les trois genres de connaissances.

Vous vous rappelez les trois genres de connaissances, en effet ? Et vous allez voir le strict
parallélisme entre les trois dimensions de l'individualité comme telle et les trois genres de
connaissances. Mais qu'il y ait un tel parallélisme entre les deux, doit déjà nous amener à certaines
conclusions. Je veux dire, ce n'est pas une chose qu'il ait besoin de dire - j'insiste parce que je
voudrais aussi que vous en tiriez des règles pour la lecture de tout philosophe - il ne va pas dire
"remarquez", ce n'est pas à lui d'expliquer. Encore une fois moi j'insiste beaucoup, on ne peut pas
faire deux choses à la fois. On ne peut pas à la fois dire quelque chose et expliquer ce qu'on dit.
C'est pour ca que les choses c'est très difficiles. C'est pas Spinoza qui a expliqué ce que dit Spinoza,
Spinoza il a à faire mieux, il a à dire quelque chose. Alors expliquer ce que dit Spinoza ça va pas
mal, mais enfin ça va pas loin, ça ne peut pas aller très loin. C'est pour cela que l'histoire de la
philosophie doit être extrêmement modeste, quoi. Alors il ne va pas nous dire, remarquez hein, vous
voyez bien que mes trois genres de connaissances et puis les trois dimensions de l'individu, ça se
correspond, c'est pas à lui de le dire. Mais nous, dans notre tâche modeste, c'est bien à nous de le
dire. Et en effet en quel sens ça se correspond ?

Vous vous rappelez que le premier genre de connaissance, c'est l'ensemble des idées inadéquates.
C'est à dire des affections passives et des affects passions qui découlent des idées inadéquates.
C'est l'ensemble des signes, idées confuses, inadéquates, et les passions, les affects qui découlent
de ces affections. Il faut vous rappeler tout ça parce que, ça c'est de l'acquis des dernières fois. Or,
sous quelles conditions, qu'est-ce qui fait que, à partir du moment où nous existons, nous sommes
non seulement voués à des idées inadéquates et à des passions, mais nous sommes comme
condamnés ? Et même à première vue, comdamnés à n'avoir que des idées inadéquates et des
affects passifs ou des passions. Qu'est-ce qui fait notre triste situation ? Comprenez que c'est bien
évident - je ne voudrais pas pousser trop en détail là, je voudrais juste que vous sentiez, préssentiez
- c'est avant tout en tant que nous avons des parties extensives.

- En tant que nous avons des parties extensives nous sommes condamnés aux idées inadéquates.
Pourquoi ? Parce que, quel est le régime des parties extensives ? Encore une fois elles sont
extérieures les unes aux autres. Elles vont par infinités. Les deux à la fois. Les corps les plus
simples, qui sont les parties ultimes, vous vous rappelez, les corps les plus simples ils n'ont pas
d'intériorité. Ils sont toujours déterminés du dehors. Ca veut dire quoi ? Par choc. Par choc d'une
autre partie. Sous quelles formes, est-ce qu'elle se rencontrent avec choc ? Sous la forme la plus
simple, à savoir que constamment elles ne cessent pas de changer de rapport. Puisque c'est
toujours sous un rapport que les parties m'appartiennent ou ne m'appartiennent pas. Des parties de
mon corps quittent mon corps, là prennent un autre rapport, le rapport de l'arsenic, le rapport de

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n'importe quoi, le rapport du moustique quand il pique, le rapport... Moi je ne cesse pas d'intégrer
des parties sous mes rapports, quand je mange par exemple, eh bien quand je mange il y a des
parties extensives que je m'approprie, ça veut dire quoi s'approprier des parties ? S'approprier des
parties ca veut dire, faire qu'elles quittent le rapport précédent qu'elles effectuaient pour prendre un
nouveau rapport, ce nouveau rapport étant un de mes rapports à moi. A savoir avec de la viande je
fais de la chair à moi. Quelle horreur ! Enfin il faut bien vivre, cela ne cesse pas d'être comme ca,
des chocs et des appropriations de parties, des transformations de rapports, des compositions à
l'infini, etc. Bon.

Or ce régime des parties extérieures les unes aux autres qui ne cessent de réagir, en même temps
que les ensembles infinis dans lesquels elles entrent ne cessent de varier.
C'est précisément ce régime de l'idée inadéquate, des perceptions confuses, et des affects
passifs, et des affects-passions qui en découlent.

En d'autres termes c'est parce que je suis composé d'un ensemble, d'une infinité d'ensembles infinis
de parties extensives, extérieures les unes aux autres, que je ne cesse pas d'avoir des perceptions
des choses extérieures, des perceptions de moi même, des perceptions de moi même dans mes
rapports avec les choses extérieures, des perceptions des choses extérieures en rapport avec moi
même, et c'est tout ca qui constitue le monde des signes. Lorsque je dis : à ça c'est bon, à ça c'est
mauvais, qu'est-ce que c'est que ces signes du bon et du mauvais ? Ces signes inadéquats
signifient simplement : "ah ben oui, je rencontre à l'extérieur des parties qui conviennent avec mes
propres parties sous leurs rapports". Mauvais, je rencontre, je fais des rencontres exterieures
également, avec des parties qui ne me conviennent pas, sous le rapport sous lequel elles sont.

Vous voyez donc que tout ce domaine des ensembles infinis de parties extérieures les unes aux
autres correspond exactement au premier genre de connaissance.
C'est parce que je suis composé d'une infinité de parties extrinsèques que j'ai des perceptions
inadéquates. Si bien que tout le premier genre de connaissance correspond à cette première
dimension de l'individualité. or on a vu précisément que le problème des genres de connaissances
était très bien lancé par la question spinoziste, à savoir : eh bien en sens on croirait que nous
sommes condamnés à l'inadéquat, au premier genre. Dès lors comment expliquer la chance que
nous avons de sortir de ce monde confus, de ce monde inadéquat, de ce premier genre de
connaissance ?

La réponse de Spinoza c"est que : oui, il y a un second genre de connaissance. Mais comment
est-ce qu'il le définit, le second genre de connaissance ? Dans "l'Ethique", c'est très frappant.
La connaissance du second genre, c'est la connaissance des rapports. De leur composition et de
leur décomposition. On ne peut pas dire mieux que le second genre de connaissance correspond à
la seconde dimension de l'individualité. Puisqu'en effet des parties extrinsèques, elles sont non
seulement extrinsèques, les unes par rapport aux autres mais elles sont extrinsèques radicalement,
absolument extrinsèques. Qu'est-ce que ca veut donc dire que des parties extrinsèques
m'appartiennent ? On l'a vu mille fois. Ca ne veut dire qu'une chose chez Spinoza, à savoir que ces
parties sont déterminées toujours du dehors, à entrer sous tel ou tel rapport. Sous tel ou tel rapport
qui me caractérise, moi. Et encore une fois qu'est-ce que ca veut dire mourir ? Mourir, cela ne veut
dire qu'une chose, c'est que les parties qui m'appartenaient sous tel ou tel rapport sont déterminées
du dehors à entrer sous un autre rapport qui ne me caractérise pas. Mais qui caractérise autre

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chose.

Le premier genre de connaissance c'est donc : la connaissance des effets de rencontres ou des
effets d'actions et d'interactions, des parties extrinsèques les unes sur les autres. Oui, on ne peut
pas le définir mieux, c'est très clair là, très clair. Les effets définis par, les effets causés par le choc
ou la rencontre des parties extérieures, les unes avec les autres, définit tout le premier genre de
connaissance. En effet, ma perception naturelle, c'est un effet. Des chocs et heurts entre parties
extérieures qu'il compose et parties exterieures qui composent d'autres formes.

Mais le second genre de connaissance c'est un tout autre genre de connaissance. C'est la
connaissance des rapports qu'il compose et des rapports qui composent les autres choses. Voyez,
c'est plus les effets des rencontres entre parties, c'est la connaissance des rapports. A savoir la
manière dont mes rapports caractéristiques se composent avec d'autres et dont mes rapports
caractéristiques et d'autres rapports se décomposent. Or là c'est une connaissance adéquate. Et en
effet, elle ne peut être qu'adéquate cette connaissance. Tandis que la connaissance qui se contentait
de recueillir pourquoi, puisque c'est une connaissance qui s'élève à la compréhension des causes.
En effet, un rapport quelconque est une raison. Un rapport quelconque, c'est la raison sous laquelle
une infinité de parties extensives appartiennent à tel corps plutôt qu'à tel autre.

Dès lors le second genre de connaissance - simplement j'insiste sur ceci, c'est que c'est pas du tout
une connaissance abstraite, comme j'ai essayé de le dire. Si vous en faites une connaissance
abstraite c'est tout Spinoza qui s'écroule. Alors evidemment le tort des commentaires c'est qu'on
cherche toujours, on dit toujours ah ben oui, c'est les mathématiques, mais non c'est pas les
mathématiques. Ca n'a rien à voir avec les mathématiques, simplement les mathématiques sont un
cas particulier. Les mathématiques peuvent êtres définis en effet comme une théorie des rapports.
Alors là d'accord, oui les mathématiques c'est une section du second genre de connaissance. C'est
une théorie des rapports et des proportions. Voyez Euclide. Bon, c'est une théorie des rapports et
des proportions à ce moment là, les mathématiques font partie du second genre.

Mais penser que le second genre soit un type de connaissance mathématique, c'est une bêtise
abominable puisqu'à ce moment là, tout Spinoza devient abstrait. On ne règle pas sa vie sur les
mathématiques, faut pas exagérer. Tandis qu'il s'agit bien là de problèmes de vie. C'est pour ça que
je vous rappelle, je prenais comme exemple, parce que cela me paraît infiniment plus spinoziste que
la géométrie ou les mathématiques ou même la théorie Euclidienne des proportions, je prenais
comme exemple : Ben oui, qu'est que ça veut dire : la connaissance adéquate du second genre c'est
au niveau de apprendre à nager quoi "Ah je sais nager". Personne ne peut nier que savoir nager
c'est une conquête d'existence, c'est fondamental, vous comprenez moi je conquiers un élément, ca
va pas de soi, conquérir un élément. C'est nager, c'est voler, voila tout ça c'est formidable. Bon
qu'est-ce que ca veut dire ? Ben c'est tout simple, pas savoir nager c'est quoi ? c'est vraiment être à
la merci de la rencontre avec une vague. Alors vous avez l'ensemble infini des molécules d'eau qui
composent la vague, ça compose une vague et je dis c'est une vague parce que, ces corps les plus
simples que j'appelle molécules - en fait c'est pas les plus simples - il faudrait aller encore plus loin
que les molécules d'eau. Les molécules d'eau elles appartiennent déjà à un corps, le corps
aquatique, le corps de l'océan, le corps etc, ou le corps de l'étang, de tel étang.

Bien alors c'est quoi la connaissance du premier genre ? Eh bien allez, j'y vais, je me lance, je

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suis dans le premier genre de connaissance. Je me lance, je barbote, comme on dit. Qu'est-ce que
ca veut dire barboter ? Barboter c'est tout simple, ça indique bien, on voit bien que c'est des rapports
extrinsèques. Tantôt la vague me gifle, et tantôt elle m'emporte. Ca c'est des effets de choc. C'est
des effets de choc, à savoir, je ne connais rien aux rapports qui se composent ou qui se
décomposent, je reçoit les effets de parties extrinsèques. Les parties qui m'appartiennent à moi, sont
secouées, recoivent un effet de choc des parties qui appartiennent à la vague. Et alors tantôt je
rigole et tantôt je pleurniche, suivant que la vague me fait rire ou m'assomme, je suis dans les
affects-passion. "Ah maman la vague m'a battu". Bon. "Ah maman la vague m'a battu", cri que nous
ne cesseront pas d'avoir tant que nous seront dans le premier genre de connaissance, puisqu'on ne
cessera pas de dire : "Ah, la table m'a fait du mal" et ça revient exactement au même de dire : l'autre
m'a fait du mal. Pas du tout parce que la table est inanimée, Spinoza il est tellement plus malin que
ce qu'on a pu dire après. C'est pas parce que la table est inanimée qu'on doit pas dire "elle m'a fait
du mal". C'est aussi bête de dire "Pierre m'a fait du mal" que de dire "la pierre m'a fait du mal". Ou la
vague m'a fait du mal. C'est du même niveau, c'est le premier genre, ça. Bien. Vous me suivez ?

Alors, au contraire je sais nager, ça veut pas dire forcément que j'ai une connaissance
mathématique ou physique, scientifique du mouvement de la vague, ça veut dire que j'ai un savoir
faire. Un savoir faire étonnant, c'est à dire qui une espèce de sens du rythme. La rythmicité.
Qu'est-ce que ça veut dire le rythme ? Ca veut dire que mes rapports caractéristiques je sais les
composer directement avec les rapports de la vague. ça se passe plus entre la vague et moi, c'est à
dire ça se passe plus entre les parties extensives, les parties mouillées de la vague, et les parties de
mon corps, ça se passe entre les rapports. Les rapports qui composent la vague, bon, les rapports
qui composent mon corps, et mon habileté, lorsque je sais nager, à présenter mon corps sous des
rapports qui se composent directement avec les rapports de la vague. Alors c'est : Je plonge au bon
moment, je ressort au bon moment, j'évite la vague qui approche ou au contraire je m'en sers, etc.
Tout cet art de la composition des rapports.

Et je disais c'est la même chose, je cherche des exemples précisément qui ne sont pas
mahématiques, puisque, encore une fois les mathématiques ce n'est qu'un secteur de ça. Il faudrait
dire, les mathématiques, c'est la théorie formelle du second genre de connaissance et pas le second
genre de connaissance. je dis c'est la même chose au niveau des amours. Ben oui, les vagues ou
les amours c'est pareil. Dans un amour du premier genre, bon, vous êtes perpetuellement dans ce
régime des rencontres entre parties extrinsèques. Dans ce qu'on appelle un "grand amour", "La
Dame aux Camélias", qu'est-ce que c'est beau ! eh ben, là, vous avez une composition de rapports.
"La Dame aux Camélias" c'est le premier genre de connaissance, mais dans le second genre, là
vous avez une composition des rapports les uns avec les autres. Vous n'êtes plus au régime des
idées inadéquates : à savoir l'effet d'une partie sur les miennes. L'effet d'une partie exterieure ou
l'effet d'un corps exterieur sur le mien. Là vous atteignez un domaine beaucoup plus profond qui est :
la composition des rapports caractéristiques d'un corps avec les rapports caractéristiques d'un autre
corps. Et cette espèce de souplesse ou de rythme qui fait qu'on peut vous présenter votre corps et
dès lors votre âme aussi, vous présenter votre âme ou votre corps sous le rapport qui se compose le
plus directement avec le rapport de l'autre. Vous sentez bien que c'est un étrange bonheur. Eh bien
voila, c'est le second genre de connaissance.

Et le troisième genre de connaissance, et pourquoi est-ce qu'il y a un troisième genre de


connaissance ? Parce que les rapports, ben c'est pas les essences, Spinoza nous dit. Le troisième

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genre de connaissance ou la connaissance intuitive, c'est quoi ? ça dépasse les rapports et leur
composition et leur décomposition. C'est la connaissance des essences. Ca va plus loin que les
rapports, puisque ça atteint l'essence qui s'exprime dans les rapports, l'essence dont les rapports
dépendent. En effet si des rapports sont les miens, si des rapports me caractérisent, c'est parce
qu'ils expriment mon essence. Et mon essence c'est quoi ? c'est un degré de puissance. Ben la
connaissance du troisième genre c'est la connaissance, que ce degré de puissance prend de soi
même et prend des autres degrés de puissance. Cette fois-ci c'est une connaissance des essences
singulières. Le deuxième, et à plus forte raison le troisième genre de connaissance, sont
parfaitement adéquats.

Donc vous voyez bien qu'il y a une correspondance entre genres de connaissances et dimensions
de l'individualité, qui veut dire quoi, finalement, cette coincidence ?
Cela veut dire que les genres de connaissances sont plus que des genres de connaissances, ce
sont des modes d'existence. Ce sont des manières de vivre.

Mais pourquoi est-ce que c'est des manières de vivre ? Ca devient difficile parce qu'enfin, tout
individu est composé des trois dimensions à la fois. C'est là qu'on va trouver comme un dernier
problème.

Vous, moi, n'importe qui, n'importe quel individu a les trois dimensions à la fois. Alors qu'est-ce qu'on
peut faire pour s'en tirer ? Chaque individu a les trois dimensions à la fois, d'accord. Voilà
exactement le problème : chaque individu a les trois dimensions à la fois, et pourtant il y a des
individus qui ne sortiront jamais du premier genre de connaissance. Ils n'arriveront pas à s'élever au
deuxième ou au troisième. Ils n'arriveront jamais à former ce que Spinoza appelle une "notion
commune", une notion commune étant précisément je vous le rappelle "l'idée d'un rapport". L'idée
d'un rapport caractéristique. A plus forte raison, ils n'auront jamais une connaissance de leur
essence singulière, ni des autres essences singulières. Comment expliquer ça ? C'est pas du tout
automatique, chaque individu a les trois dimensions, mais attention, il n'a pas par là même les trois
genres de connaissance, il peut très bien en rester au premier. Comment expliquer ce dernier point ?

Prenons la question autrement. Quand est-ce qu'il y a des oppositions ? Par exemple, on peut se
haïr, il arrive qu'on se haïsse. La haine, cette espèce d'opposition d'un mode existant d'un individu à
un autre individu, c'est quoi ? Comment expliquer la haine ? Voila un premier texte de Spinoza :
"livre IV" de "L'Ethique", l'axiome qui est au début du livre IV. Il va nous gêner beaucoup en
apparence, cet axiome. Et Spinoza il ne s'explique pas beaucoup là-dessus.

Axiome : "Il n'est aucune chose singulière - c'est à dire aucun individu - Il n'est aucune chose
singulière dans la nature, qu'il n'y en ait une autre plus puissante et plus forte." Jusque là ça va. Il n'y
a pas de dernière puissance. Parce que la dernière puissance c'est la nature toute entière. Donc il
n'y a pas de dernière puissance dans la nature. Une chose étant donnée, elle se définit par un degré
de puissance. Et bien il y a toujours un degré de puissance supérieur. On a vu qu'il y avait une
infinité de degrés de puissance. L'infini étant toujours en acte, chez Spinoza, est toujours donné
actuellement, est toujours donné en acte, un degré de puissance plus grand que le plus grand degré
de puissance que je puisse concevoir. Donc jusque là ce ne serait pas gênant, cet axiome. Mais il
ajoute : "Il n'est aucune chose singulière dans la nature qu'il n'y en ait une autre plus puissante et

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plus forte, mais, étant donnée une chose quelconque, il y en a une autre, plus puissante qui peut
détruire la première." Là ça doit nous gêner ce texte. Pourquoi ? Parce que la seconde phrase
apporte une précision inattendue.

La première phrase nous dit : "Une chose étant donnée, elle se définit par sa puissance". Mais un
degré de puissance étant donné, c'est à dire une chose dans son essence, le degré de puissance
c'est l'essence d'une chose, bien, il y en a toujours une plus puissante. D'accord, ca va ça. On
comprend.

Seconde phrase, il ajoute, attention : "Par la chose plus puissante, la première chose peut
toujours être détruite". C'est très embêtant ça. Pourquoi ? Du coup on se dit : Ah ben j'ai rien
compris, qu'est-ce qui va se passer ? Il a l'air de nous dire qu'une essence peut être détruite par
l'essence plus puissante. Alors à ce moment là il n'y a plus de troisième genre de connaissance. Il
n'y a même plus de second genre de connaissance. Parce que une destruction, c'est quoi ? C'est
evidemment l'effet d'une essence sur une autre. Si une essence peut être détruite par l'essence plus
puissante, par l'essence de degré supérieur, c'est la catastrophe, tout le spinozisme s'écroule. On
est ramené aux effets, on est ramené au premier genre. Il ne peut plus y avoir de connaissance des
essences. comment est-ce qu'il y aurait une connaissance adéquate des essences, si les essences
sont dans des rapports tels que l'une détruit l'autre ?

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

14- 23/03/82 - 1
Marielle Burkhalter

14- 23/03/82 - 1 Page 1/12


Gilles Deleuze - Cinéma - cours 14 du 23/03/82 - 1 transcription : Eugène Bitende NTOTILA

Nous sommes en vacances. Mais je voudrais savoir ah hé KASH, tu viens me voir quand j'irai au
secrétariat. Tu viens avec moi hein ? Tu me suis quand j'irai au secrétariat hein ! Ha ! Et ce qu'il faut
savoir, c'est quand est-ce qu'on rentre. Réponse des étudiants : le 13 avril. C'est un mardi ? Ho ho
ho, vous êtes sûrs hein ! On rentre mardi.

Voilà ! Alors, on rentre le...On rentre le 20 ? (Réponse d'une étudiante : le 13). Oui, pour vous bien
avant. Mais... Mais ce n'est pas le 13. Le 13 c'est un... C'est le mardi de Pâques, le 13... Non, je vais
me renseigner au secrétariat tout à l'heure. Toi, tu parles sur l'école maternelle oui ? (Rire des
étudiants). Est ce que c'est la même chose ! Peut-être d'ailleurs. Bon !alors, on ne sait pas quand on
rentre, mais on sait quand on part hein !

He bien alors, continuons à progresser à toute allure. Voilà ! Vous voyez où nous en sommes. Nous
avons déjà... Nous avons déjà entamé l'analyse de l'image-action.

Et, nous avons vu la dernière fois, uniquement un premier niveau de l'image-action. Et sans doute,
tout ce que je peux dire pour résumer, c'est que ce niveau, il est extrêmement profond. Non pas,
certes, par l'analyse que nous en avons faite, mais par sa situation. C'est comme une espèce de
niveau qu'on pourrait appeler (oui), un niveau de fond, de fond d'où sort l'action. Ou un niveau (mais
le mot n'est pas bon), un niveau archéologique, puisqu'il consiste en quoi ? On l'a vu, il s'agit bien de
présenter dans l'image des états de choses parfaitement déterminés, ce qui est la condition de
l'image-action, on a vu ça, des états de choses actuels et déterminés.

Mais ce niveau le plus profond consiste à extraire des états de choses historico-géographiques, ici
et maintenant, des milieux précis.
Extraire de ces milieux comme des mondes originaires où se débattent pour constituer l'action, où
se débattent les pulsions et les objets. Et je disais, ce cinéma ou ces images, ces images-actions, de
pulsions et d'objets qui s'épousent suivant la plus grande pente, au sein d'un monde originaire
qu'elles décrivent , qu'elles sont censées décrire, de deux manières très différentes et j'ai essayé
d'expliquer en quoi c'était deux manières différentes, de deux manières différentes - c'est un cinéma
assez prodigieux que tout le monde connaît plus ou moins à savoir - c'est l'entreprise de Stroheim et
c'est l'entreprise de Bunuel. Bon ! Et, quelqu'un, quelqu'un ici avait fait une remarque, car j'avais dit,
un peu imprudemment, mais quand même que c'était quand même les deux grands hommes de
cinéma.

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Et que, en effet, affrontée par l'image, cette espèce d'aventure de la pulsion et de son objet, en
même temps qu'on extrait dès lors - les deux opérations vont ensemble -, en même temps qu'on
extrait des milieux déterminés, autant de mondes originaires : monde de la faim, monde de la
sexualité, monde de l'argent, etc., etc., monde des pulsions. Hé bien, cette opération, elle avait été
comme réussie, elle avait été comme réussie, fondamentalement réussie deux fois, sous les deux
formes différentes, du naturalisme (à la) Stroheim et du naturalisme ou surnaturalisme (à la) Bunuel.
Et en effet, ce niveau le plus profond de l'image-action, nous l'avions qualifié pour plus de
commodité, nous avions dit, c'est le naturalisme.

Or, quelqu'un faisait remarquer que, après tout, il y avait peut-être quand-même une descendance
du cinéma. Et on pourrait penser à certaines formes du cinéma, du néo-cinéma de terreur. Par
exemple encore une fois, chez un auteur qui n'est pas... qui n'est pas médiocre, chez Bava, il y a
des... il y a des reprises d'une espèce de cinéma de pulsion très fort, mais c'est quand-même
secondaire. Et quelqu'un, la dernière fois me disait : mais, il faudrait voir parce que quand même...
Mais, je crois qu'elle n'est pas là aujourd'hui. Enfin, je ne la vois pas. Si ! Si ! Si ! Et, il faudrait voir si
chez un cinéaste qui, je crois que ce n'est pas...ce n'est pas l'offenser que de dire qu'il n'a pas le
génie de Bunuel ou de Stroheim, mais, qui est quand même important, chez Ferreri, « si chez Ferreri
actuellement il n y a pas une espèce de reprise de ce projet sans qu'il imite du tout ni Stroheim ni
Bunuel... ».

Et moi, je réagis à cette remarque avant que, si vous le vouliez bien, vous ne disiez quelque chose
vous. Je réagis en effet, si vous prenez un film relativement récent de Ferreri comme Rêve de singe
- c'est ça ? Ça s'appelle Rêve de singe ? - Comme Rêve de singe (ha), il y a quelque chose quand
même dans ce film, moi, il m'avait assez frappé. Et d'après...d'après votre remarque, je me disais en
effet, c'est bien ça, car si vous voulez, si j'essaie d'extraire la formule, mais c'est bien autre chose
que la formule, vous corrigez de vous-mêmes. Si j'essaie d'extraire une espèce de structure de Rêve
de singe, c'est quoi ? Il y a un état de choses historico-géographique, parfaitement déterminés, il y a
vraiment un milieu. Mais en même temps, comme de ce milieu déterminé, est extrait la puissance
d'un monde originaire. Et c'est les images très insolites de l'énorme cadavre de King Kong, occupant
le terrain vague d'un grand ensemble...dans mon souvenir. Là, vous avez bien c'est... C'est là, c'est
un procédé, à la limite un peu surréaliste qui permet cette extraction du monde originaire. Mais donc,
vous avez le monde originaire dont on ne peut même pas dire que, il double l'état de choses
déterminé. Non, ce n'est pas...ce n'est pas...il ne vient pas là en doublure. Il est comme extrait, il est
immanent. C'est le monde originaire qui est au fond de cet état de choses là. Et, sur fond là de
l'immense cadavre de King Kong occupant, encore une fois, le champ vague d'un grand ensemble,
qu'est-ce qui se passe ?

Il va y avoir l'aventure d'une pulsion, avec tout ce qu'il y a de violent dans une pulsion. Pulsion
paradoxale puisqu'il s'agit de la pulsion maternelle chez un homme. Pulsion maternelle chez un
homme qui va prendre pour objet quoi ? Un petit singe. Et cette histoire un peu grotesque comme
ça, va en effet faire une espèce... et va emprunter le principe - alors toujours de la plus grande pente
- où la pulsion et son objet s'épousent dans une espèce de pente qui leur est commune ou suivant
une pente qui leur est commune. Et en effet, il me semble que "Rêve de singe" répond assez à cette
formule de la violence, de la pulsion et de son objet. Voilà en quel sens, moi, je prendrais - mais
vous avez sans doute des choses à ajouter à cet égard. .(Intervient alors une question).

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(En réponse à la question :) Oui, mais, on est tous d'accord sur ceci... (Hé), pardon de vous
interrompre. On est tous d'accord sur ceci : nos goûts ou nos...nos goûts (He), n'entrent pas en ligne
de compte. (La question continue). . Mais ça ne fait rien ! Que ça ne vous blesse pas (hein !), ça fait
rien puisque on cherche des concepts. Alors qu'est-ce que ça peut faire que ça vous plaise ou pas ?
Est-ce que vous avez la même réaction un peu de dégout avec Stroheim ? (réponse de l'étudiante :
non). Là ça vous va ? Hein ! Vous voyez comme c'est curieux hein ! Curieux. Hé oui, mais oui, mais
c'est bien toujours comme ça hein ! Alors, je ne veux pas dire que ce soit insignifiant ce domaine.
Ça, ça me va. Cette forme de cinéma, ça me va. Telle autre, mais d'un autre point de vue, ça n'a pas
d'importance quant à nous. J'insiste beaucoup que dans tout ce qu'on fait là, il n'y a aucun jugement
de valeur, c'est-à-dire la seule chose et le seul jugement de valeur c'est que... tout ce que, tous les
exemples que je donne sont des exemples que je suppose, moi, avoir une certaine importance quant
au cinéma. Donc, encore une fois, en effet Ferreri n'est pas... Alors, si vous voulez, moi je crois que
je vous proposerai l'idée que ce qui vous dégoute, ce n'est pas spécialement cette violence de la
pulsion et de son objet. C'est que chez Ferreri, il y a bien quelque chose qui grince, c'est-à-dire, il y a
quelque chose quand même de construit. Il ya quelque chose de construit et qu'on sent construit,
alors que...alors que chez Stroheim ou même chez Bunuel aussi parfois, pas dans le mauvais
Bunuel, il y a très...là c'est très construit. Mais dans le bon Bunuel ou partout chez Stroheim, c'est
absolument pas construit. Il ya cette lutte rude de la pulsion et de son objet. Je vous disais ça vous
dégoute, et ça parce que vous êtes...n'y voyez aucune ironie, c'est que vous êtes trop, vous êtes
comme Visconti. Vous aimez Visconti ? (Réponse de l'étudiante).

Alors ! C'est bien ce que je disais la dernière fois. Prenez un type comme Visconti, moi je crois que
ça va toujours travailler, Visconti : arriver à faire un cinéma de la pulsion et de l'objet. Aussi la
nourriture chez Visconti est très très important. Très important tout ça. Mais, bien plus, je me
souviens d'un texte, alors, on est dans le dialogue, et c'est très important le dialogue pour nous. He
bien !, un moment du débat où le curé explique le monde des riches. Il dit : le monde des riches,
vous savez, très bizarre ! Là le curé est complètement abruti, tout d'un coup, parle à des gens du
peuple, qui est l'esclave du... eh baron, là, je ne sais plus, du... c'est le baron, mais bon enfin, enfin
l'esclave du guépard. (He) Son curé personnel, et qui se met à parler à des gens du peuple. Il dit :
"vous ne comprenez pas les riches, vous les co... (et ça c'est du vrai Visconti). Alors, vous ne
comprenez pas les riches parce que, ils ne vivent pas dans un monde que le seigneur a créé. Ils ne
vivent pas dans un monde créé par Dieu. Ils vivent dans un monde qu'ils ont créé eux-mêmes. Si
bien que ce qui est très important pour vous, pour eux, n'a aucune importance. Et ce qui vous parait
insignifiant, est au contraire pour eux, question de vie ou de mort.

En effet, c'est une période agitée socialement, mais le guépard qui..., il sait bien que tout ça, ça n'a
aucune importance pour le monde des riches, aucune importance. En revanche, importance
fondamentale, faire son pique-nique, un pique-nique en effet admirable, image pur Visconti, Le
pique-nique est formidable, bon, et le monde des riches, voyez là, il y a (hé)...

*** *** ***

(Eh) Stroheim, il avait droit à avoir des prétentions à l'aristocratie, personne ne le prenait au sérieux.
De toute façon, il n'était pas un aristocrate Stroheim. Il n'était pas vulgaire, mais personne ne vo...
(He), c'était un violent, c'était un violent. Visconti lui, il sera empêché toujours de réaliser ses rêves
de faire un cinéma des pulsions. Et il le fera, et ce film là est quand-même beaucoup plus

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aristocratique. Il fera un cinéma du temps. Tandis que chez Stroheim, et c'est ça qui indique le
cinéma des pulsions. C'est pour cela qu'il ne réalisera jamais un cinéma des pulsions, tandis que
Stroheim, lui, il le fait. Et moi, je crois, je vous le disais, je crois que c'est faux de le citer toujours
comme s'il n'était pas toujours dans l'histoire du cinéma. Stroheim va être quand même un grand
cinéaste du temps. Chez lui, si le temps était violence, le temps était violence, mais ce n'est pas
toujours vrai, et quand il y a une violence du temps, c'est parce que le temps est subordonné aux
pulsions. Le temps c'est le déroulement de la pulsion. Mais lui, ce n'est pas du tout un cinéaste qui
appréhende les phénomènes du temps, ou le temps comme phénomène pur. Ça c'est un cinéaste,...
c'est, c'est un type...c'est un type de cinéaste très très très spécial, qui se refugie derrière les images
de temps. Et encore une fois, il croit que ça vaut mieux. He. Bon. Mais, vous voyez donc qu'on n'a
ajouté juste que le seul cas Ferreri dans la descendance possible...bon. Voilà, premier niveau
terminé.

Et nous entrons maintenant dans un second niveau d'image-action. Et ce second niveau, je


précise tout de suite, que c'est sans doute là, non pas du tout que ça s'identifie, non pas du tout que
ce cinéma là couvre le second niveau. On verra qu'il y a mille autres exemples de ce second niveau.
C'est là qu'on trouvera ce qu'on peut appeler, je ne sais pas, le cinéma américain par excellence, à
ce second niveau de l'image-action. Et vous comprenez que si je le présente comme un second
niveau, c'est que, il ne s'agit plus de pulsions et d'objets. Il ne s'agit plus de mondes originaires. Il ne
s'agit plus de symptômes au sens qu'aussi bien Stroheim que bunuel pouvaient se dire de véritables
"médecins de la civilisation".

Mais, il va s'agir de quoi ? Alors, on retombe dans un domaine - vous sentez que tout va changer.
Par exemple, si l'on découvre une violence dans ce cinéma, de second...dans ce second niveau, ce
sera une forme de violence tout à fait différente de la violence que l'on vient de voir chez Stroheim ou
chez Bunuel. Donc, il va falloir changer toutes nos catégories pour trouver de nouvelles catégories
pour analyser ce second niveau.

En effet, ce second niveau, comment le présenter ? En un sens, il a l'air assez simple. Hé ben, il part
d'un état de choses déterminé. Vous voyez ! Il ne s'installe plus dans le monde originaire découvert à
travers et dans les états de choses. Lui, il prend l'état de choses déterminé pour ce qu'il est,
c'est-à-dire, pour la manière dont il se présente, pour la manière dont il apparaît. Et cet état de
choses déterminé a des coordonnées spatio-temporelles. Il consiste en quoi cet état de choses
déterminé ? Alors, on revient à des choses qu'on a dé... qu'on connaît déjà, donc, relativement
simples. Et ben, nous savons ce que c'est un état de choses déterminé à coordonnées
spatio-temporelles : c'est les qualités-puissances qu'on a analysées précédemment.
Les qualités-puissances saisies en tant qu'elles sont actualisées. L'état de choses, c'est
l'actualisation des qualités-puissances, et les qualités-puissances en tant qu'elles sont actualisées
dans un état de choses constituent quoi ? Un milieu. Ils constituent un milieu.

Or, la nature peut être un tel milieu et à ce titre, avoir une grande puissance. Ça n'empêche pas que
le milieu est toujours un monde dérivé. Ce n'est pas un monde originaire. Et la puissance que la
nature peut avoir dans ce milieu, c'est la puissance dérivée de la nature. Si les qualités-puissances
en elles-mêmes nous les nommions, en nous servant de la terminologie de Peirce, des callisignes,
les qualités-puissances effectuées et actualisées dans un état de choses constituant un milieu, nous
les appelons, conformément au vocabulaire de Peirce, nous les appelons des synsignes.

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Je dirai, nous ne sommes plus dans le monde du naturalisme - je vous dis ça pour essayer de fixer
des concepts -, nous sommes dans ce qu'il faudrait bien appeler un monde du réalisme dont le
premier aspect c'est le milieu comme monde dérivé. Mais, ce milieu comme monde dérivé, en même
temps, il forme par rapport à un personnage ou à des personnages, il forme une situation.
En d'autres termes, le milieu c'est un ensemble de circonstances ambiantes et influentes, influant
sur un personnage par rapport auquel il se manifeste comme situation. Et le personnage lui-même,
le personnage lui-même, il ne se définit plus par des pulsions. De même que nous ne sommes plus
dans les mondes originaires, le personnage n'est plus mené par les pulsions. Finalement, dans le
naturalisme, on a vu, les vrais personnages, c'était les pulsions elles-mêmes.

Là, nous avons au contraire un personnage d'un tout autre type dans le réalisme. Il va se définir
comment ? Il va se définir par ceci que, en tant que personnage, il réagit. Il réagit à la situation ou il
agit sur le milieu. En d'autres termes, il va se définir par son comportement, par sa manière d'être, en
entendant par comportement, l'ensemble des actions qui réagissent sur la situation ou sur le milieu.
Ce comportement, pourquoi ça ne se sent pas tout de suite ? J'ai l'air là, de vouloir raffiner à tout
prix. J'ai besoin d'un nom technique. Mais, on ne comprendra la nécessité de ce nom technique que
plus tard.

Donc, nous pouvons l'appeler, en empruntant un terme latin, « habitus ». L' « habitus » c'est quoi en
effet ? C'est vraiment d'où est dérivée, notre habitude. Mais en fait, l'habitude n'est que un cas
particulier de l' « habitus », et c'est pour ça que j'ai besoin d'un nom plus barbare, plus barbare du
latin... (He), alors, « Habitus » c'est quoi ? C'est la manière d'être en tant qu'elle réagit sur une
situation ou sur un milieu. C'est le comportement. Et nous ne sommes plus..., là on voit bien que
nous ne sommes plus dans le monde originaire des pulsions. C'est que la pulsion n'apparaît plus
comme telle. Elle ne va plus apparaître que sous des formes dérivées elles-mêmes. De même que le
milieu est un monde dérivé, la pulsion ne va apparaître elle-même dans le personnage que sous une
forme dérivée, à savoir, soit sous la forme d'émotion, soit sous la forme de mobile, mobile et émotion
étant simplement les pulsions en tant que rapportées à des comportements, étant les pulsions en
tant que traitées comme simples variables du comportement, comme simples variables de l'« habitus
».

Je dirai donc, ce cinéma, cette image-action, elle est très simple. Vous y reconnaissez... C'est
peut-être un peu plus clair maintenant. On va passer à des exemples qui vont rendre ça lumineux
bien sur, vous y reconnaissez peut-être une formule que j'avais lancée d'avance, que j'avais
proposée d'avance, à savoir, c'est la formule de l'image-action qu'on pourrait symboliser par SAS'.
SAS' : S : milieu - situation. S c'est le milieu en tant qu'il s'organise en situation par rapport à un
personnage ou à de personnages ; A c'est le comportement ou l'action ou l' « habitus » (ça s'écrit
avec « h » habitus hein !). C'est l'action. Mais l'action réagit sur la situation et sur le milieu ; S' c'est la
situation modifiée. C'est ça le second niveau de l'image-action. Si l'image-action, conformément à la
terminologie que nous empruntons à Peirce, c'est le domaine de la secondéité sous la forme très
sommaire due (au fait que) dans toute action il y a deux, nous voyons que ce niveau de
l'image-action présente deux secondéités.

Première secondéité, et c'est ça qui va constituer l'ensemble de l'image-action. Première


secondéité, c'est celle du synsigne ou du milieu lui-même en tant que monde dérivé. En quoi est-ce

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de la secondéité ? En ceci : des qualités-puissances s'actualisent dans un état de choses. Il y a là
deux termes : les qualités-puissances et l'état de choses qui l'actualise. Ces deux termes sont quand
même assez difficiles à distinguer, si bien que je dirai que ça c'est une secondéité introductive.

Deuxième secondéité : le personnage agit. Et en agissant, en se comportant, réagit sur la


situation. Là nous avons une véritable secondéité. Sous quelle forme ? Action - modification de la
situation. Ou plus profondément, cette seconde secondéité c'est quoi ? C'est, de fait on l'a vu et, on
l'a vu et c'est pour ça que l'analyse de Peirce nous sert. On l'a vu : toute action implique réaction,
tout effort implique résistance. Et le comportement ne peut être conçu finalement que sous quelle
forme ? Sous la forme d'un duel. Et c'est ça la vraie secondéité de l'image-action. Il s'agira
nécessairement d'un duel. Soit duel avec le milieu, soit duel avec un élément du milieu, soit duel
avec quelqu'un d'autre.

Déjà, nous pouvons être inquiets ou bien satisfaits, mais nous pressentons que la forme du duel
couvre toute forme de choses, et que vous le retrouverez chaque fois qu'il y a comportement.
Chaque fois qu'il y a comportement, un duel est inscrit dans le comportement. Il va ventiler les
émotions et les mobiles du comportement. Or, ça toujours conformément au vocabulaire de Peirce,
c'est le domaine non plus du synsigne, mais le domaine de l'indice. Quand deux éléments sont dans
un rapport d'action et de réaction, l'un est l'indice de l'autre. La résistance est l'indice de l'effort, et
l'effort est l'indice de la résistance. Je dirai donc, les deux secondéités de l'image-action dans ce
sens réaliste, c'est celle du synsigne et celle de l'indice.

Si je résume, je dirai :
première secondéité de l'image-action : le milieu lance un défi. Le milieu lance un défi à un ou
plusieurs personnages. Et par là même, le milieu en tant qu'il lance un défi à un ou plusieurs
personnages, il constitue une "situation", situation de ces personnages.
Deuxième secondéité : le personnage réagit et c'est le rapport effort - résistance, ou si vous
préférez, c'est l'indice du duel. C'est l'indice du duel. Et, c'est bien forcé, et c'est conforme à son
génie que le cinéma, nous présente un certain nombre de ses œuvres sous cette forme de ce
schéma SAS. En effet, son génie est de considérer des situations et des actions. Comme on dit ou
comme le disait, dans son livre sur le roman américain, où elle comparait beaucoup le roman
américain et le cinéma, Claude Edmonde Manni ben oui, au cinéma on ne saisit pas les émotions
indépendamment des comportements ! En tout cas Soit d'une certaine manière elle se trompait. En
tout cas, le cinéma dont elle parlait, comme vous sentez déjà que, il va occuper beaucoup le cinéma
américain, toute une forme de cinéma va de la situation au comportement, du milieu-situation au
comportement réaction, c'est-à-dire, on va du synsigne à l'indice. On va du milieu au duel. Ce sera
un cinéma du comportement qui répond à quelle formule ? Eh bien, on vient de le voir, SAS' qu'on
peut faire varier. On peut dire il y a deux extrémités, parce que, il y aura deux films. Ça c'est la
formule développée SAS' : situation de départ - action sous forme de duel - situation modifiée.

Mais, vous pouvez avoir une formule courte SA : situation de départ - action qui réagit sur la
situation et fin du film. On ne vous montre même pas en quoi la situation est modifiée. Il n'y a pas
besoin, parce que cela va tellement de soi. Ou bien alors une forme, une forme qui peut arriver, mais
évidemment en sent que ce n'est pas forcément les films les plus gais SAS. A la fin, ça recommence.
Ça n'a rien changé. Ici, ce qui est important, parce que, entre S' de la fin et le S de la fin, vous
pouvez avoir des variations minuscules. Ça peut être un S' tellement voisin du S de départ et

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pourtant un peu différent. Je vois des films. La situation est à peine modifiée en pire ou en bien. On
verra tout ça tout à l'heure, mais c'est vous dire que déjà cette formule n'est pas du tout une formule
figée.

Et pour que ce soit plus compréhensible, cherchons toujours à...à forcer, car je voudrais que vous
reteniez cette année, ceux qui suivent au moins ceci que des efforts pour fixer une terminologie font
pleinement partie du travail. Et encore une fois, chaque fois que l'on n'a pas de mots à notre
disposition, il faut arriver à en créer un. Chaque fois qu'un mot est en notre disposition, il faut s'en
servir et en faire une catégorie. Je me dis, cette forme de action, d'image-action, ou si vous préférez,
là à ce niveau, ça revient au même degré de récit cinématographique. Comment l'appeler SAS' ?
Pour des raisons qui nous échappent encore, je vais l'appeler, en empruntant ce terme à un auteur
qui l'a appliqué à propos de "M. le maudit" de Lang : la grande forme. Grande forme, sous entendue,
la grande forme de récit. Oui, ça nous engage déjà dans l'avenir, parce que, si ce terme est justifié,
grande forme, pour désigner l'image-action qui procède par SAS', ça nous laisse déjà prévoir que, on
ne va peut-être pas s'arrêter là, qu'il y aura un troisième niveau au moins, et que le troisième niveau
sera celui de "la petite forme". La petite forme, bon (He). Mais pourquoi alors on sera forcé de
justifier grand et petit, hein ! Mais on va tout doucement.

Et alors donnons, pour que ce soit simple, un exemple qui regroupe tout ce que je viens de dire. Un
exemple de cinéma grande forme SAS'. Il s'agit, car le nom est difficile à prononcer, d'un film de
1927 intitulé "Le vent", d'un grand suédois Sjöström (intermède sur le nom). "Le vent" de 1927 de
l'auteur que je viens de...d'indiquer, eh bien ça s'écrit, si ça s'écrit dans mon souvenir, eh bien je n'ai
pas noté : Sjöström, trés important puisque ça doit nous intéresser, fait partie de grands, de ce qu'on
souvent appellé (là il y a une équivoque, il y a une ambiguïté du cinéma de grands), de ce qu'on a
appelé...de ce qu'on appelle tantôt l'impressionnisme suédois, tantôt l'expressionnisme suédois. Je
préfère l'expressionnisme suédois que l'on qualifie aussi dans beaucoup d'histoires du cinéma par la
magie blanche par opposition à la magie noire de l'expressionnisme allemand. Et, en effet, ceci nous
ferait sentir ce que c'est l'expressionnisme suédois. Ça n'a rien à voir avec l'expressionnisme
allemand, même s'il y a eu des mélanges.

Car, voilà (hé), je résume. Ce n'est même pas le scénario. Voilà ce que nous présente Le vent. Le
vent est un film tardif, n'est-ce pas ? Puisque, il a déjà émigré, l'auteur susnommé, il a déjà émigré
en Amérique. Mais, il fait là un film comme il en faisait, il avait fait par exemple en Suède un film
admirable, un grand classique qui s'appelle Les Proscrits, qui était tout à fait sur le même type. Et je
prends Le vent parce que c'est à l'état tellement pur de la formule SAS'. C'est ceci : c'est dans les
grandes plaines d'Amérique, que je ne sais plus (He) dans quelle région de l'Amérique. Je n'ai pas
noté, ça fait rien, voyez vos histoires du cinéma. Peu importe. Dans les grandes plaines d'Amérique,
battues par le vent, le vent souffle. Je commente : le vent souffle. D'accord. Mais ça n'est plus le vent
comme callisigne, ça n'est pas le vent comme qualité-puissance. C'est le vent en tant qu'actualisé
dans une prairie américaine. Dans un monde de prairies américaines, avec des cowboys et tout ça,
avec du sable, avec... C'est vraiment un état de choses déterminé. Le vent là est saisi comme
actualisé. Et ce monde est rude, c'est-à-dire la situation est dure pour ceux qui habitent ce milieu,
violents et...et rudes cowboys, marchands de bestiaux. C'est un monde très violent, très dur. C'est
un monde de l'ouest, le vent dans la prairie. Bon ! Je dirai, le vent c'est le synsigne. Et là-dessus,
dans ce monde violent et dur, arrive une jeune orpheline qui, elle, vient du sud, là où il n'y a pas de
vent, et elle est accueillie... elle est accueillie. C'est une lointaine famille, elle n'a plus personne et

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elle est accueillie avec violence et brutalité. Elle est accueillie par le jeune cowboy très brutal et par
les parents du jeune cowboy, terribles les parents, terribles. Le vent. Et elle ne peut pas se faire vent.
Elle ne peut pas se faire au cowboy non plus, mais elle ne peut pas se... non plus. En d'autres
termes, elle n'a pas l'« habitus », une fille du sud, et elle souffre infiniment. Elle se fait rudoyer de
partout, partout, partout.

Bon, là-dessus, elle ne peut pas résister ! Elle est forcée d'épouser le cowboy. Mais par une espèce
de dignité, voyez la naissance d'un... Bon, j'introduis là une notion un peu nouvelle :un premier duel.
La situation pour jeune fille dans le vent, dans la prairie, n'ayant pas l'« habitus »...situation produit
un duel. Duel. Premier duel, avec le jeune cowboy qui l'épouse quasiment de force, et elle réagit
dans le duel. La pauvre elle, est bien incapable, pour le moment, de réagir sur le milieu, on va voir.
Mais, elle fait ce qu'elle peut, elle réagit, elle se refuse à lui. Et le duel est incertain. C'est un très très
beau film. Je fais l'idiot, mais, un très très beau film, admirable. Le duel est incertain, parce que, il
l'aime avec ses manières très rudes. Parfois des hommes très rudes et très grossiers conçoivent un
amour très pur. Hé ben, c'est le cas. Ce rude cowboy l'aime vraiment. Il ne sait pas l'exprimer, mais
enfin, c'est comme ça, ça arrive. Alors, elle se refuse à lui. Donc ils sont comme ça, dans cet état de
duel.

Il y a le marchand de bestiaux qui arrive un jour, quand le cowboy n'est pas là. Il y a des scènes
sublimes, admirables tentatives de viol, qui font partie de grandes images de cinéma. Le viol dans le
cinéma c'est très curieux... dans ... Pour ceux qui ont vu ce film, rappelez-vous les images
fantastiques de viol dans "Eldorado" de l'herbier hein ! Mais c'est un autre type d'images chez
l'herbier. Mais là, ça fait partie de très très grandes images de cinéma. Bon, et elle...On ne sait pas
très bien si le viol a eu lieu ou pas. Moi, jepensequ'iln'a pas eu lieu. Et, pour des raisons finalement
discutables. Et, elle le tue, elle le tue. Hé bien, moment aigü où le duel. Voyez ! Le duel s'est déjà
déplacé (He !). Premier duel avec le cowboy mari, issue incertaine ; deuxième duel avec le
marchand de bestiaux, là, issue radicale, elle le tue ; troisième duel : ou cette fois-ci, le duel se
déplace. Ça va être le premier duel de la fille avec le milieu. Splendides images là, de toute beauté,
où elle essaie de l'enterrer. Ce n'est pas bien d'enterrer quelqu'un quand il y a du vent. Et dans un
terrain sableux ... Terrible ça, vous comprenez ? Bien sur qu'elle l'enterre, mais le vent qui souffle le
déterre. Une merveille du cinéma. Le vent qui souffle déterre ce type là. La pauvre, elle ne sait plus
que faire ? Elle court, elle enterre et le vent défait tout ça..., elle fait tout ça, il y a un vent qui fait ça.
Ça ne va pas. Et, heureusement, le rude cowboy rentre. et lui dit tout. A nouveau, le duel déplacé.
Mais là, remarque particulièrement importante, le moment où le duel a été réellement un
affrontement avec le milieu. Bon ! Et le mari comprend tout. Il lui dit : tu as bien fait, tu as bien fait, un
salaud ce type là, tu as bien fait.

Et là elle commence à comprendre que le cowboy l'aime vraiment. Elle va aimer le cowboy :
résolution du premier duel. Alors, le cowboy, il enterre bien parce que lui il est fort, lui il connaît le
vent, donc il a l'« habitus », il enterre bien le type. Et, image finale. Là aussi très très beau, très très
belles images où elle sort, moi je.., elle sort, elle sort dans la prairie. Qu'est-ce qui s'est passé ? La
situation est modifiée. Elle est réconciliée avec le vent, elle est réconciliée avec le vent. Et on voit
des images admirables, elle qui se tient dans le vent, où le vent est devenu une puissance, une
qualité-puissance amie. ...Jo...ce film. Très beau film.

Je dis, là je n'ai pas besoin de commenter. Vous reconnaissez pleinement la structure SAS'.

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Simplement, cet exemple me sert à indiquer que A n'est pas un terme simple, puisque dans la
rubrique A, vous allez mettre tous les duels successifs, soit entre personnages, soit par personnage
avec le milieu, tous les comportements qui peuvent se mettre sous la forme effort-résistance, ou tous
les indices qui tendent à avoir et à opérer une réaction sur le milieu et à la situation, et sur la
situation imposée par le milieu.

Bon, alors, je dis et je voudrais que vous compreniez pourquoi je fais ça. Les genres soit les genres
au cinéma, c'est très peu important. En tout cas, je ne crois pas, mais ça je pourrai le dire que au
troisième semestre, ou dans un an, dans deux ans, dans trois ans, mais je ne crois pas du tout à
l'idée de code appliqué au cinéma. Et les genres là j'en ai besoin ! Parce que je me dis, si on a
découvert une formule d'images-actions sous la forme SAS', montrons au moins comment ça
traverse tous les genres, mais ça ne les épuise pas. Donc, je dirai en quoi ça traverse des genres
très différents, cette formule SAS'. Qu'est-ce que je pourrai mettre sous cette formule SAS' dans le
cinéma classique le plus connu ?

J'y mettrai d'abord une grande école documentaire : Flaherty. Et là, je dis juste quelques mots. Vous
sentez que tout ça, ça n'a d'intérêt que si dans l'avenir et quand on découvrira d'autres formules
d'images-actions, à ce moment là, on pourra comparer à l'intérieur même d'un même genre, ce qui
répond à telle formule et ce qui répond à telle autre formule. C'est pour ça que j'en ai besoin là de
mon petit tableau actuel. Flaherty, moi, je crois que dans le cinéma c'est exactement donc il est
mieux qu'un disciple, c'est le correspondant de ce que dans l'histoire et la philosophie de l'histoire a
fait un écrivain, un anglais qui s'appelait Toynbee. Et Toynbee avait une idée assez simple, mais
riche et bien, qui est très belle, sur les civilisations. Il ne cesse d'expliquer ceci : eh bien vous
comprenez, le milieu lance un défi à l'homme. C'est la théorie du défi chez Toynbee. Il tenait
beaucoup à cette notion de défi. Le milieu lance un défi à l'homme. Seulement, il y a trois cas, ou il y
a deux cas. Il y a deux grands cas :

premier cas : le milieu lance un défi à l'homme, mais l'homme... mais ce défi est assez modéré,
c'est-à-dire le milieu a assez de ressources, pour que l'homme réagisse sur le milieu, c'est-à-dire
triomphe du défi, et n'y mette pas toutes ses forces, ait un reste de force, justement pour créer un
nouveau milieu, c'est-à-dire que la réaction au milieu ne soit pas suffisamment épuisante pour que
l'homme ne puisse pas recréer le milieu. Alors ça, cette situation où le défi n'est pas épuisant et où
l'homme, en réagissant au milieu, recrée un autre milieu qui lui convient, c'est les grandes
civilisations évolutives.

Mais, le deuxième cas réunit les deux autres figures : ou bien le milieu est si favorable, si
accueillant. Il fait si beau et tout est là, que l'homme n'est convié à aucun duel par le milieu. Le milieu
ne lance pas de véritable défi. L'homme n'entre donc pas dans une relation de duel avec le milieu. Il
n'a pas besoin de réagir. C'est trop beau, c'est le paradis. Mais il n'y en a pas beaucoup comme ça,
des iles, certaines iles... vous voyez ! Ou bien, le défi est tellement fort, tellement violent que toutes
les forces de l'homme sont investies dans l'entreprise de survivre. Donc sa seule réaction se réduit à
survivre. Il ne peut pas modifier le milieu. Le milieu est tellement dur. Le défi que lui impose le milieu
est tellement fort que l'homme ne peut que subsister, survivre dans un tel milieu. Et Toynbee donne
des exemples : les nomades du désert et les esquimaux de la glace. Et c'est des civilisations au
besoin admirables, d'accord, mais, c'est des civilisations bloquées, puisque ça ne peut être que des
civilisations de survivance.

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Vous me direz c'est simple, c'est un peu simple comme schéma tout ça. S'il vous arrive de lire
Toynbee, vous allez dire : c'est assez puissant, c'est un historien lyrique ce qui se passe, c'est une
vision de civilisation. A partir de là, c'est... c'est des idées qui nous conviennent très bien. Le défi que
lance le milieu est le duel que l'homme entretient avec le milieu. Or, si je prends Flaherty, qu'est-ce
qu'on voit ? SAS' ou SAS dans le cas d'une civilisation bloquante, dans le cas d'une civilisation non
évolutive parce que l'homme ne peut qu'y survivre, vous aurez typiquement SAS. Vous n'aurez pas
SAS'. L'on ne peut pas véritablement modifier le milieu ! Il ne peut que s'en tirer dans ce milieu là. Il
ne peut que s'accrocher au milieu. Sans doute a-t-il des raisons de s'accrocher au milieu. Mais ça ne
peut pas être une civilisation dite progressiste, progressive. Le milieu est trop dur. Or le premier très
grand documentaire de Flaherty, il est bien célèbre, c'est Nanouk. Et, que Nanouk réponde à cette
structure SAS. A quel point sc'est visible puisque les premières images de Nanouk sont les images
d'ensemble du paysage avec la côte, les glaces, la brume et les images suivantes, ça va être les
duels de Nanouk, et vous avez absolument ces duels, qui n'ont qu'un objet : que finalement Nanouk
et sa famille survivent. Bien sûr, il y a des moments de joie, il ya des moments...bien sûr je résume
trop, mais... Mais c'est vraiment la structure dure SAS que Flaherty sait manier et vous devinez la
splendeur des images qu'il peut y avoir dans cette structure tout comme dans Le vent le mauvais
récit que j'en faisais, pouvait bien laisser pressentir la beauté de ces images et de cette structure de
récit, Nanouk est un cas célèbre de documentaire puisqu'il a une impotance fondamentale dans
l'histoire du cinéma. Donc il y a, je dirai alors en termes techniques, l'exposé du synsigne, du
milieu-situation dans les premières images, puis on passe aux duels, à savoir :

Premier duel : Nanouk construit son igloo. Là, il y a vraiment un duel avec le milieu et pas avec le
milieu en général. Et puis, il y a les fameuses séquences qui font tant parler, et à juste titre dans les
histoires du cinéma : le duel avec le phoque dans les glaces. Le trou dans la glace et la pêche aux
phoques, qui vraiment est un duel à l'état pur, puisque vous avez la catégorie indicielle de l'action et
de la réaction, de l'effort et de la résistance. Nanouk qui tire un peu, le phoque qui tire, etc., tous les
gestes de Nanouk, en réponse à la défense du phoque, etc. qui sont des images sublimes. Et puis,
vous avez la grande chasse, vous avez etc., vous avez toutes sortes de duels et qui indiquent
comment... comment quoi ? Comment la famille Nanouk survit dans ce milieu qui lance un défi
surhumain, qui lance un défi incomparable. Si bien que je vois que ça va trop de soi (avec) une
grande cohérence, lorsqu'ensuite Flaherty fait Moana, qui, lui répond à l'autre cas de milieu stagnant,
c'est-à-dire un milieu tellement favorable des iles, que la situation est stagnante.

Là, le milieu ne lance aucun défi. Bon, le milieu ne lance aucun défi, les choses, intéressantes, et
c'est toute la structure de Moana. Là aussi, il a la structure réduite du type SAS. A ce moment là, il
faut que l'homme s'impose un défi, sinon il ne survivrait même pas comme l'impose le milieu. Il faut
qu'il s'impose un défi. Et ça, Flaherty le montre admirablement. C'est presque là du coup...c'est
presque nietchéen d'ailleurs les images. Il va s'imposer l'épreuve de la douleur, ce qui v a faire le
grand moment de Moana. C'est comme si l'homme prenait la place de la nature, lorsque la nature ne
lance pas à l'homme un défi suffisant. Vous voyez ! C'est une conception très lyrique de la
civilisation. Et ça va être l'épreuve sous forme de duel, l'épreuve du tatouage. Un tatouage
particulièrement douloureux, qui va être le signe sous lequel l'habitant de l'ile devient véritablement
un homme, c'est-à-dire qu'il faut substituer quelque chose, une épreuve, à l'absence de défi lancé
par la nature.

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Mais donc là, vous avez aussi cette structure SAS ...où le duel prend une autre forme, puisqu'il prend
la figure de tatouage. Peut-être est ce que vous comprenez dès lors, pourquoi Flaherty dans toute
son œuvre allait susciter cette espèce d'opposition. Et là encore, il ne s'agit pas de dire les autres
avaient raison ou Flaherty. Mais comment Flaherty allait être traité d'auteur d'une espèce de
robinsonnade, ou bien d'idéalisme, de chantre de civilisations en train de disparaître sans s'occuper
des raisons pour lesquelles elles disparaissaient ? Et pourquoi ceux qui travaillaient avec Flaherty
allaient susciter une école de documentaires tout à fait différente et comprise d'une autre manière ?
« Tout à fait différente ou comprise d'une autre manière » ça veut dire quoi ? Mais oui, c'est tout
simple ! Elle emprunterait une toute forme de récit, sans doute elle ne serait pas du type SAS. Elle
serait d'un autre type, elle emprunterait une autre forme. Laquelle ? On ne peut pas le dire pour le
moment hein !
Donc on tient, premier pôle là : le documentaire.

Deuxième genre (je vais très vite) : le film social. L'exemple typique : "La foule" de Vidor qui est
aussi un classique (1928), ce qui est tout à fait la formule SAS, alors là c'est un SAS très dur.
Situation du pauvre type avec le grand panoramique sur la ville, et puis, on va chercher dans la ville
le building où travaille le type, dans le mouvement de la caméra continu, et puis l'étage où il est, et
puis le bureau, la pièce, et puis le bureau dans la pièce, etc. Vous avez donc un passage de S au
personnage, de la situation d'ensemble au personnage très très fort, du milieu au personnage, et
puis toute la vie médiocre du pauvre type. Et puis donc, dans le premier mouvement de SA, il a été
pris à partir de la foule et individué, et puis dans tout le reste il va se reconfondre avec la foule, puis
ça se termine par une séance au cirque, où le type rigole, prend un moment de détente. Mais, ça se
confond avec le rire collectif de tous les gens. Vous avez une pure structure SAS.

Je dirai aussi structure SAS, le premier western...le premier western, c'est-à-dire leur...

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 04/05/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 04/05/82 - 2 Page 1/12


cours 17 - Deleuze - Cinéma du 04/05/82 - 2 transcription : Anouk Colombani

Fondamental, la balade dans la ville, la balade urbaine. Ou là alors l'aspect non formateur est
infiniment souligné et ça implique un espace qui est l'espace de la balade ; et que vous pouvez
trouver (très, très) réalisé de manière très différente. Et je cite, là heureusement, je cite un film, que
je n'ai pas vu. Parce que je crois qu'il n'a pas été distribué en France. Donc je parle sur fiche. Mais il
me passionne, c'est un film de Lumet. Lumet, école de New York. Un film de Lumet, et en effet
Lumet est célèbre, pourquoi ? Pas seulement pour ses rapports avec le théâtre et avec l'Actor's
Studio, mais pour sa rupture avec l'Actor's studio. Et pour un certain cinéma urbain, et les espaces
urbains de Lumet, c'est quoi ? C'est des poutrelles, des entrepôts, un drôle d'espace... presque un
espace quelconque comme on disait là. Mais dans un des premiers Lumet, qui s'appelle "Bye bye
Braverman" (et que donc, je n'ai pas vu). La fiche dit - la fiche que j'ai lu, dit - que c'est quatre
intellectuels juifs qui traversent New York pour aller enterrer un copain. Oui, ça doit vous dire
quelque chose parce que c'est, c'est ...On trouverait ce type de scénarios. Et puis ils traversent les
quartiers et il se passe des choses. Bon, il se passe des choses. J'en ai pas fini avec ce cours
résumé, j'en ai pas fini avec Bye Bye Braverman, parce qu'il y a une scène qui me semble
extraordinaire. Quel soulagement de pouvoir parler d'un film sans l'avoir vu. Une très, très belle
scène dont je ne pourrai parler que tout à l'heure. Donc "Bye Bye Braverman" exemple typique.

Deuxième exemple : vous le connaissez tous, "Taxi Driver" de Scorsese.

Troisième exemple : un certain nombre de films de Cassavetes. Notamment "Gloria", "leBal des
vauriens", "la balade des Sans Espoirs".

Quatrième exemple : beaucoup de films de Woody Allen, au point que, d'une certaine manière,
Woody Allen, ce serait la version burlesque du film - ballade. Chacun ayant son style, chacun
ayant...

Mais bon, assez d'exemples, comment la définir la balade, alors ? Qu'est ce que ça veut dire ? Des
événements, des événements qui s'enchainent comme au hasard. C'est quand même trop vague.
On reste dans le vague aujourd'hui. C'est que d'accord, d'accord, pas trop dans le vague. C'est pas
possible tout ça. Eh bas, voilà ce que ça veut dire : Il arrive plein de choses à ces gens en balade.
Mais ce qui leur arrive - et sentez que c'est un style de vie très particulier - ce qui leur arrive ne leur
appartient pas. Les événements surgissent, les situations se forment. Je ne peux même pas dire
qu'ils y soient indifférents. Parfois ils y sont vaguement indifférents. Vaguement. Comme s'ils étaient,
seulement, à moitié concernés. C'est tout nouveau ! Vous rendez vous compte, par rapport au jeu,

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vous sentez tout de suite une nouvelle génération d'acteurs. S'il s'agit de trouver les acteurs
capables de jouer les événements en tant qu'ils n'appartiennent pas à celui à qui ils arrivent, il vous
faut d'autres techniques que l'Actor's Studio. Et pourtant ça peut découler de l'Actor's Studio. Enfin,
l'agitation de l'Actor Studio, le type qui arrête pas, qui arrête pas d'intérioriser la situation, c'est-à-dire
de faire sien l'événement, ça va plus marcher.

Un autre style d'acteur va naitre. Le type qui, à la lettre, l'événement se pose sur lui, mais lui
appartient pas vraiment, même si c'est sa mort ! Et on peut pas dire qu'il soit indifférent. Il agira, il
réagira. En ce sens, il reste un bon américain. Parfois il réagira avec une extrême violence. Et en
même temps, ça ne le concerne qu'à moitié. L'événement ne s'implante pas en lui -même, même si
c'est sa mort, même si c'est sa souffrance. L'événement ne lui appartient pas ! Or, ça c'était le
second grand caractère du récit de Dos Passos. Les gens devenaient milliardaires, perdaient leur
fortune (d'accord !), c'est pas que ça les touchait pas, on peut pas dire ça, mais ça les touchait sur
un mode perpétuellement de l'amorti. Ils voyaient leur mort arriver. C'était comme dans un accident
de voiture, où on la voit. (Dieu que j'aurai besoin de ça pour dégager ce à quoi je veux arriver.) Vous
savez, on la voit, on la voit arriver. C'est même comme ça qu'on s'en sort. Mais on la voit, elle est là,
puis bon, mais ça me concerne pas. Dans tous les accidents de voiture, vous savez, il y a ce
moment où le temps s'étire. On le voit, on est calme. C'est après qu'on tremblote. On est tout calme,
on voit. Bon c'est tout, ça m'appartient pas. Je sais que cet événement va me coûter la vie, ça ne
m'appartient pas. Cet événement me donne la fortune, oh oui, d'accord, ça ne m'appartient pas.

Qu'est ce que c'est que cette manière pour parler concret ? Revenons à Altman. "California Split", s'il
y a avait un thème principal, ce serait le jeu et les joueurs. Il n'y a pas d'événement principal, vous
allez d'autant mieux comprendre pourquoi. Les joueurs gagnent, perdent, ils agissent, ils sont qu'à
moitié concernés. Et à la fin de "California Split", il y a un des personnages, que je ne peux pas dire
principal, parce qu'il est vraiment pas principal. Altman s'intéresse aussi bien à ce qu'il y a dans la
profondeur de champs, c'est-à-dire la foule et pas du tout aux deux joueurs. Mais l'un des deux
joueurs a fait un gros gain et termine, et ça me parait très symbolique, ça fait partie des phrases
symboles qui éclairent un film, le joueur dit : « et le pire, le pire c'est que ça me fait pas beaucoup
d'effet. ». Pourtant il se comportera comme la tradition le veut. Il dira au besoin : « oh bon, j'ai gagné
» ou il dira : « oh j'ai perdu ». C'est des personnages qui ne cessent de vouloir se débarrasser de
l'événement. Voilà ! L'événement ne leur appartient jamais. L''événement se pose sur eux, les choisit
un moment, et puis c'est un événement suivant qui va les choisir à son tour. Alors ils vont perdre leur
fortune, et chez Dos Passos c'est absolument comme ça. C'est absolument comme ça. C'est cette
impression que l'événement n'arrive qu'étonnamment amorti. Alors je dis ça c'est très, très important
pour le cinéma, aussi bien du point de vue de la création, de la mise en scène que du point de vue
du jeu des acteurs. Oui c'est une nouvelle race d'acteurs, c'est un nouveau type de mise en scène.
Je prends le cas Cassavetes parce que c'est là presque...ou bien le cas...le cas "Taxi Driver" -
Scorsese, vous pouvez l'appliquer là, ce chauffeur de taxi, qui fait sa ballade, sa balade de taxi. Il
voit la ville perpétuellement à hauteur d'homme.

C'est plus cette fois-ci les grattes-ciel et les contre-plongées, c'est la ville horizontale, c'est la ville
couchée, c'est pas la ville debout. C'est la ville dispersive. C'est la succession des quartiers. C'est
pas la ville collective. Et en même temps tout ce qu'il voit, presqu'à travers son rétroviseur. Des
événements, "tant que ça passe pas dans son taxi" comme dit un chauffeur ; les chauffeurs de taxi,
ils sont très comme ça : « vous pouvez faire tout ce que vous voulez en dehors de mon taxi. », bon,

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« mon taxi, ça c'est chez moi ».Mais tout ce qu'il voit dans les trottoirs, ces événements qui ne lui
appartiennent pas. Et quand lui agit, parce qu'en même temps ça tourne dans sa tête, tous ces
événements qui lui appartiennent pas. C'est des actions qui lui appartiennent à peine. Il fait le
simulacre : tuer quelqu'un. Jusqu'au moment où il va vraiment passer à la tuerie. Il fait la grande
tuerie. Elle lui appartient pas plus. La veille, il voulait se suicider. Son suicide ne lui appartient pas
plus que ses assassinats. Et à la suite de sa tuerie, il va devenir héros national ; héros national, quoi
? Pendant deux jours. Oui on va parler de lui trois jours, deux jours, civilisation comme on dit,
civilisation de l'image. Et puis il aura comme souvenirs ces machins, l'événement ne lui a jamais
appartenu.

Et c'est d'une autre manière avec son style à lui que chez Cassavetes, ça apparaît aussi ça, ce type
d'homme. Ce type du film-balade, à savoir l'événement qui n'appartient pas à celui à qui il arrive.

...(Pardon, il faut que j'aille au secrétariat, vous partez pas, vous ne partez pas, parce que j'en ai pas
pour longtemps, ....

c'est terrible ça, passe moi une cigarette, tu veux bien ? Bruits de la salle. je voudrais une clochetee..
(Alors comme toujours, c'est la base de l'injustice parce que je ne peux m'en prendre qu'à ceux qui
sont là, parce que ça m'est égal qu'ils partent mais comme ils vont revenir, ça, ça m'est pas égal.)...
Ils prennent des petits cafés, alors !

Bon, alors, je dis si l'on essayait de former un concept de fait divers. Je crois qu'il y aurait trois
déterminations (ce serait bien pour une dissertation de bachot, ça ferait trois parties). Je disais le fait
divers
c'est d'abord une série d'événement prélevé dans une réalité dispersive. C'est le premier
caractère. Deuxième caractère, c'est l'événement (merci beaucoup) ;
deuxième caractère, c'est l'événement en train de se faire (voilà ben voilà, et y en que deux, c'est
pas gai ça) l'événement en train de se faire et sentez que c'est lié et
troisième caractère : l'événement qui n'appartient pas ou qui n'appartient qu'à moitié à celui à qui
il arrive. Or pourquoi ça m'intéresse, non seulement la manière dont on passe comme naturellement
d'un de ces sens à l'autre, mais pourquoi ça m'intéresse du point de vue du cinéma. .

Car je prends l'exemple, alors très vite que... Je prends l'exemple de cet auteur Cassavetes. (bon) Y
a bien toute une partie de son œuvre, lui aussi c'est Actor's studio et puis rupture avec l'Actor's
studio. Lui aussi, ça part par un certain nombre de films, dont le plus célèbre est "Shadows" (c'est
comme ça que ça se prononce ?) "Shadows", qui est particulièrement célèbre, et qui prétend être ...
Quoi ? Du cinéma direct. Non, pas exactement, plus complexe que ça, mais le cinéma direct c'est
tellement complexe, donc on peut dire : tendre vers une sorte de cinéma direct. Ya pourtant un
minimum d'intrigue, (ils me tuent !)...

Ya un minimum d'intrigue. A savoir le thème c'est un noir qui n'a pas l'air d'être noir, et qui a un frère
qui lui est vraiment noir. Une fille qui est leur sœur, qui n'a pas l'air non plus d'être noire. Elle tombe
amoureuse, et réciproquement, d'un blanc. Et Cassavetes insiste beaucoup là-dessus. Ce qui est
important c'est que ça se passe New York, parce que New York c'est la ville où les barrières raciales
sont le moins explicites. Voyez, c'est pas du préexistant. Ville libérale, ville libérale entre toutes. Mais
suggère Cassavetes, les micro-barrières, les barrières qui se font sur le moment, quitte à se défaire

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à un autre moment, sont d'autant plus frappantes. Et tout un racisme gagne en latence ce qu'il a
perdu en expression directe et en institution. Et donc, dans "Shadows", il va y avoir la grande scène,
lorsque tout le monde est réuni, mais vous allez voir que cette réunion est précisément sur le mode
de la réalité dispersive et que le blanc amoureux s'aperçoit à voir le frère vraiment noir, de la fille qu'il
aime, que la fille est elle-même une noire. Alors va jouer là tout un truc où, Cassavetes qui a pris
pourtant des acteurs professionnels dit, suivant sa technique à lui, qu'il laisse aux acteurs le
maximum d'improvisions à partir de ce canevas. L'événement en train de se faire !

Mais ma question c'est : pourquoi est ce que, dans une autre partie de son œuvre, Cassavetes
passe à une autre structure ? A savoir cette fois ci, ce n'est plus l'événement en train de se faire ;
c'est l'événement qui typiquement n'appartient pas à celui à qui il arrive. "Gloria". "Gloria", le scénario
est exemplaire. La mafia liquide toute une famille. Toute une famille portoricaine dans mon souvenir.
Et n'est sauvé de cette famille qu'un petit garçon que les parents ont eu le temps de chasser de
l'appartement et de confier à une voisine d'immeuble. Et la voisine d'immeuble se trouve dans une
situation impossible, les petits garçons, elle a rien à en faire, elle aime pas ça. Elle aime pas les
enfants et elle a ce gosse qui s'accroche à elle. Là c'est typique, vous comprenez, je cite cet
exemple, parce que l'événement ne lui appartient pas. Elle est dans une situation qui ne lui
appartient pas. Ça appartient pas non plus au gosse. La situation ne leur appartient pas. Elle va être
entrainée, il y a des actions, c'est dire elle est pas du tout passive, mais elle n'est qu'à moitié
concernée. Et bien qu'elle soit à moitié concernée, elle va jouer du revolver. Elle va assassiner plein
de gens. Et y aura un type d'image qui dans "Gloria" m'a énormément frappé. L'image : elle est
poursuivie par les gens de la mafia qui veulent liquider le petit gosse et donc elle est elle-même
condamnée. Elle a été..., elle est l'ancienne maitresse d'un type de la mafia. Tout ça c'est des
situations, si vous voulez, qui n'ont rien perdu de leur intensité. L'acteur lui-même est très actif, elle
se ballade dans la ville. Elle fait la ballade puisque il faut qu'elle fuie. Et puis il y a des types
d'images, alors très, très Cassavetes. Elle arrive dans un petit restaurant, où ya personne ; et elle se
fait servir et le temps qu'elle tourne la tête, y a les types de la mafia qui sont à une table, comme si
l'événement était brusquement rempli, l'espace était brusquement rempli par l'événement. Elle est
poussée vers, alors elle s'enfuit, etc. Et ça n'arrête pas. Mais elle est pas concernée. Elle sera
assassinée à la fin. Pas concernée ou concernée à moitié. Encore une fois je ne trouve pas d'autres
formules : l'événement ne lui appartient pas. L'événement concerne sa vie, sa mort, mais ça ne lui
appartient pas.

Dans un autre cas, "Le bal des Vauriens". Il y a un personnage très, très étonnant. Le film
commence, "Le bal des vauriens", dans mon souvenir ça commence comme ceci : y a un type assez
charmant, très charmant, mais c'est un charme très spécial, le charme de l'homme à qui il arrive des
choses qui ne lui appartiennent pas. Ça peut donner un charme. Ça peut donner de pauvres types.
Ça a un coté, oui, le pauvre type. Les héros de Dos Passos, l'insignifiant, mais aussi ça peut donner
des charmes très, très étranges. Et alors là, dans "Le bal des vauriens", bon...il commence par
chercher des filles ; il est, en plus, patron de cabaret. Il réunit trois filles. Mais il les emmène pas,
comme si, il a agit, il s'est donné la peine de réunir les trois filles, mais il a rien à leur dire et il a rien à
faire avec. Ça le concerne qu'à moitié, alors il se met à jouer. Ça le concerne pas non plus. Il perd.
D'accord, il perd. Bon, mais je rends très mal compte de cette impression, vous sentez...C'est une
drôle d'atmosphère. C'est vraiment le film balade. Même balade intérieure, les événements se lient
au hasard. Il perd et il essaie même pas de rembourser. Là aussi ça lui appartient pas tellement. Du
coup, alors, la mafia, à nouveau, lui dit : « bon bah, tu vas tuer quelqu'un pour nous ». Bon, il va tuer

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un pauvre chinois, et tout le film continue comme ça. Très curieux, ce type de personnage.

Qu'est ce qui se passe là dedans ? Alors je fais mes parallèles, parce que ça m'avancera pour...
vous sentez, on chemine quand même vers des résultats que je voudrais beaucoup plus positifs.
Mais je suis pas sûr, encore une fois, que le cinéma américain actuel nous le donne. Faudra changer
d'atmosphère pour dégager les résultats positifs de tout ça.

Euh, je dis quand même en France, à mon avis il y a un type qui a réussi ça. Avec de tout autres
moyens qui a réussi, qui a imployé ausssi ce thème de l'événement qui n'appartient pas à celui à qui
il arrive. Et qui en a tiré un cinéma de très, très grand charme avec un type d'acteur particulier : c'est
Truffaut. Si vous pensez à "Tirer sur le pianiste", très, très typique, moi je vois de très, très grandes
ressemblances entre le cinéma Cassavetes et le cinéma Truffaut. Sans, je suppose, sans influence
directe de l'un sur l'autre. Mais ça me parait très, ceux qui ont vu ou revu "Tirez sur le pianiste", c'est
très sale. Le type et le charme, là de l'acteur, c'est-à-dire d'Aznavour est très de ce type. Type qui est
jamais que à moitié concerné, l'événement se pose sur lui, l'habite un instant puis c'est un autre
événement. On peut pas dire qu'il se laisse aller. Encore une fois, l'héroïne de "Gloria", elle se laisse
pas du tout aller. Elle tire, elle protège l'enfant. Bon, elle veut se débarrasser de l'enfant. Mais d'une
certaine manière, ils ne cessent pas de se débarrasser de l'événement au lieu de le faire leur.

C'est des anti-stoïciens, si je disais..., si je voulais dire quelque chose... Le stoïcisme c'est : « fais
tien l'événement qui t'arrives. » et d'une certaine manière, en un tout autre style, l'Actor's Studio, il
cesse pas, il cesse pas de faire... « Comment faire sien l'événement qui lui arrive ? » ou qui est
censé lui arriver. Là, c'est pas ça. C'est pas ça. C'est très curieux. Chez Truffaut, je vois ça dans
"Tirer sur le pianiste" et dans la trilogie. Dans la trilogie : "Baisers volés", "l'amour conjugal " et le
troisième je sais plus quoi. Et c'est pas par hasard que un acteur alors, si je cite un acteur français,
un acteur du type Jean Pierre Léaud est fondamentalement le personnage de ce film-balade. C'est
notre version à nous de ça. Bon, voilà.

Vous prolongez de vous-même, hein ? J'insiste, j'ai oublié plein de choses dans Lumet. Y en a plein
comme ça de films-balade. Même "Un après midi de chien", la balade elle est rétrécie, si vous vous
rappelez les mouvements de "l'après midi de chien". Etonnant. Etonnant. L'espèce de ballet entre la
grande pièce de la banque et la rue. Il y a tout un film-balade et le pauvre type joué par Pacino, le
pauvre type là, il est même pas concerné. Pourtant il agit. Dieu, qu'il agit, il séquestre. Son copain se
fera tuer et puis la grande balade alors jusqu'à l'aérodrome. Lumet avait déjà réussi ça avec
"Serpico". Il le retrouvera avec "Le prince de New York". Y aurait plein, plein d'exemples de ce type
de films.

D'où troisième caractère.


Mon premier caractère, c'était quant à ce nouveau mode de « récit » : la réalité ou la totalité
dispersive.
Deuxième caractère, qui détruisait SAS. Deuxième caractère c'était le film-ballade, qui cette fois
suppose une rupture de l'autre formule ASA. Puisqu'encore une fois les événements ne s'enchainent
plus suivant une ligne d'univers. Et vous voyez pourquoi ils semblent s'enchainer au hasard. Ils
s'enchainent pas au hasard, en fait. Ils ont "l'air" de s'enchainer au hasard parce que ils ne tiennent
pas, au sens de tenir, ils ne tiennent pas l'individu sur lequel ils se posent. Cette mort me fait mourir
et pourtant c'est pas la mienne. Cette richesse m'arrive et pourtant c'est pas la mienne. Encore une

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fois le fin mot de tout ça, c'est "California Split", « Et dire que ça ne me fait même pas d'effet ». Et
encore une fois, ce n'est pas de l'indifférence, c'est pour ça que j'arrive mal à le dire. C'est pas de
l'indifférence, c'est beaucoup plus de l'appartenance. C'est-à-dire de la non appartenance. Et ça,
c'était pleinement, hein, dans Dos Passos au niveau de la littérature. C'est pour ça que j'ai
l'impression qu'ils retrouvent quelque chose, que c'est l'un de rares cas..., pas un des rares cas.
C'est un cas où la littérature a eu un certain nombre d'années d'avance sur le cinéma.

Bon, troisième caractère qui nous reste à faire. Comment expliquer ? je veux dire il y a quand même
un problème, comment expliquer ces deux aspects, réalité dispersive et mouvement de la balade
sans formation, c'est-à-dire sans appartenance ? Ben là sans doute c'est le plus fort de Dos Passos.
Car, en effet, le danger c'est quoi ? Le danger de la réalité dispersive ou du film-balade, on traverse
une ville avec le patchwork des quartiers, c'est une espèce de dispersion qui fait que simplement on
baptisera "roman" au singulier, plusieurs romans ou plusieurs nouvelles. Dispersive ou pas, il faut
bien qu'il y ait une unité, sinon ça vaut pas la peine. Il faut bien qu'il y ait une unité de la dispersion,
si bien c'est comme si je faisais un recueil de nouvelles. Or la trilogie de Dos Passos n'a rien à voir
avec un recueil de nouvelles. C'est un roman et c'est une nouvelle forme d'unité d'un roman. Je dis
donc : Où est l'unité ? Tant du point de vue de la réalité dispersive que du point de vue de la ballade,
de la ballade sans appartenance ; que du point de vue du rapport entre les deux. C'est là que j'en
viens donc à une technique, à la technique de Dos Passos qui consiste à insérer entre ses chapitres
des actualités, des biographies, des « œil de la caméra ». Et pour lui c'est pas la même chose, car,
je crois et là j'invente rien parce que ça a été très bien montré par justement quelqu'un qui à la
libération était très proche de Sartre, qui est Claude Edmonde Magny et qui avait fait un livre, qui est
resté, qui est resté un livre très important sous le titre "Eloge du roman américain". Où elle insistait
énormément, aux éditions du seuil, où elle insistait énormément sur une comparaison entre roman
américain / cinéma américain. Et elle analyse très bien la fonction de ces éléments bizarres chez
Dos Passos : actualité, biographie, œil de la caméra. On va voir... Je vous lis pour ceux qui
connaissent pas Dos Passos, mais je pense que, voilà, dans "la grosse galette", la première
actualité. Je lis, je lis lentement. Lentement mais vite.

« Yankee doodle, Yankee doodle, cette mélodie. Le colonel House arrive d'Europe. C'est
apparemment un homme très malade. Yankee doodle, cette mélodie. Pour conquérir l'espace et voir
de la distance. Mais le temps n'est il pas venu - il faudrait chaque fois changer de voix - Mais le
temps n'est il pas venu pour les propriétaires de journaux de se joindre à un mouvement d'intérêt
général pour apaiser les esprits inquiets, en leur donnant certes toutes les nouvelles mais sans
insister sur les désastres en vue. Situation inchangée tandis que s'élargit la lutte. Ils ont permis au
cartel gouvernemental de l'acier de fouler au pied les droits démocratiques qu'ils avaient si souvent
affirmés être l'héritage sacré des habitants de ce pays. Yankee doodle cette mélodie, yankee doodle
cette mélodie. Je me lève et je crie : « Hourra ». Les seuls survivants de l'équipage du scooner
Bonato sont emprisonnés à leur arrivée à Philadelphie. Le président qui va mieux travaille dans sa
chambre de malade. USA, j'arrive et je dis : « il serait question de bâillonner la presse. Que nul pays
n'est plus admirable ! Charles Swab, retour d'Europe, a déjeuné à la maison blanche. Il a déclaré
que le pays était prospère mais qu'il pourrait l'être plus. Malheureusement trop de commissions
d'enquêtes se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Que mon pays de la Californie à l'île de
Manhattan. »

Voilà une actualité Dos Passos. Qu'est ce que ça veut dire ça ? Que l'actualité, ce qu'il appellera

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actualité, c'est d'abord entre deux chapitres. Entre deux chapitres qui traitent de personnages. Vous
vous rappelez « il n'y a plus de personnage » ! Voilà les deux acquis pour le moment il n'y a plus de
personnage principal et de personnage secondaire d'une part. D'autre part, les événements qui
surviennent n'appartiennent pas, ou n'appartiennent qu'à moitié, à ceux à qui ils arrivent. Là-dessus :
entre chapitre. Actualité c'est quoi ? C'est une espèce de pot pourri, de fragments d'articles de
journaux, de chansons en cours à l'époque, de chansons à la mode, de petites annonces, de
faire-part. Voilà l'actualité. Les biographies romancées ou pas romancées, les biographies qui
également s'insèrent entre les chapitres, c'est par exemple une biographie de Ford qui surgit tout
d'un coup. Bon, une biographie d'homme ayant eu de l'importance à l'époque ou une biographie d'un
acteur, d'une actrice.

L'œil de la caméra c'est plus complexe. Elle s'insère aussi et c'est quoi ? C'est généralement une
espèce de monologue intérieur, qui n'est pas tenu par le personnage secondaire ou principal dont il
est question, mais qui est tenu par un anonyme dans une foule supposée. Par exemple un
personnage est sur le quai de la gare et attend le train, on sait qu'il attend untel, autre personnage
chez Dos Passos. L'œil de la caméra ce sera le monologue intérieur de quelqu'un qui est sur le quai
de la gare aussi, mais qui connaît absolument pas le personnage, les personnages en question et
qui dévient de son monologue intérieur. Voilà plein de procédés : la biographie, l'œil de la caméra,
l'actualité. Qu'est ce qui l'en attend Dos Passos ? C'est ça qui circule à travers tout le livre. Pourquoi
? Parce que il les fabrique pas au hasard ces actualités ou ces monologues intérieurs-œil de la
caméra. Il les fabrique pas du tout par hasard. Tantôt ça préfigure, tantôt ça devance. Quelque
chose qui ressemble de prés ou de loin à un événement qui va (avec des petits tirets)
ne-pas-appartenir-au-personnage-auquel-il-arrive. Ca devient une technique diabolique. Il me
semble, ça peut... c'est pas du collage, c'est pas du cut up.

A mon avis, c'est une technique très efficace qui est proche à la fois, qui emprunte des éléments de
collage, des éléments de cut up, c'est très, très curieux comme technique et qu'est ce que ça veut
dire ? Qu'est ce ça veut dire ?

. Ben il est temps maintenant de, pourquoi ? voilà pourquoi ? Je dirais que ces trois éléments, eh
ben ils ont bien quelque chose de commun. C'est des clichés. Appelons ça des clichés. C'est des
clichés. Des clichés flottants, des clichés anonymes. Biographie de grands hommes, monologue
intérieur d'une personne anonyme. Clichés, partout des clichés ; partout des clichés et c'est-à-dire
partout des images.
C'est le monde des images-clichés. Le monde conçu comme vaste production de l‘image-cliché.
Et les clichés peuvent être sonores ou optiques. Clichés sonores : des paroles. Clichés optiques :
des images visuelles. Mais bien plus, ils peuvent être intérieurs ou extérieurs. IL y a pas moins de
clichés dans notre tête que sur les murs. Et c'est ce que montre très bien Claude Edmonde Magny. A
savoir : comme elle dit : « les personnages de Dos Passos, ils n'ont pas de for intérieur. » ça veut
dire quoi ? A l'intérieur de, il y a la même chose qu'à l'extérieur, à savoir des clichés et rien que des
clichés. Et quand ils sont amoureux, c'est d'une manière, c'est comme si en eux-mêmes, ils
racontaient de la manière la plus stéréotypée du monde à quelqu'un d'autre les sentiments qu'ils
éprouvent. Car les sentiments qu'ils éprouvent c'est eux-mêmes des clichés. Et quand je dis le cliché
peut être intérieur ou extérieur ; il est en nous, non moins corps de nous, et notre tête elle est pleine
de clichés non moins que. Si bien qu'il faut pas accuser les murs, faut pas accuser les affiches. On
produit les affiches autant que les affiches nous produisent. Clichés et ya que ça. C'est une vision

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plutôt pessimiste, mais on verra qu'est ce qu'on peut en tirer. Tout ça, on nage dans le négatif, dans
tout ça. Clichés partout, clichés qui flottent. Qui se transforment en clichés mentales, qui revient en
clichés physiques.

Tout ça, qu'est ce qui se passe ? Il faut évaluer la parole, il faut évaluer les images au poids. Ce sont
des forces physiques. On dit aux gens : « Parlez ! Parlez ! Allez y parlez ! Exprimez-vous ! » Et
voyez .Voyez . C'est terrible le direct. « Allez, exprimez vous directement ! » Directement. Mais ce
qu'ils ont à dire, - ça je le dis d'autant plus que je le vis, sauf cas exceptionnel, sauf quand j'ai bien
préparé - qu'est ce que vous ou moi, on a à dire ? Sinon précisément les clichés dont on se plaint
qu'on nous les impose quand nous ne parlons pas. Et qu'est ce que nous entendons à la radio ? A la
télévision ? Qu'est ce que nous voyons de jour en jour ? Et plus que c'est direct, plus que c'est
pathétique. On voit des gens, quand on les convie à parler, dire exactement les clichés contre
lesquels ils protestaient quand ils disaient : "on m'empêche de parler". C'est en ça ce que je disais,
mais enfin, si vous pensez au nombre de situations et de forces sociales qui vous forcent à parler
dans la vie. Qui que vous soyez, y compris dans vosrapports d'amour, dans vos rapports les plus
personnels.« Dis moi un petit quelque chose ». On comprend tout de suite qu'il n'est possible que
d'éprouver, que de sentir, que de voir que des clichés qui sont en nous non moins qu'ailleurs.

Très bien, « parlez, parlez qu'est ce que vous pensez ? Qu'est ce que vous pensez de ça ? » Eh
bien je dis : « non, mais écoutez, non, non, non ; arrêtez, c'est pas. Ou bien je vais dire quelque
chose et si je me réveille j'aurais une honte absolue. Je vais dire exactement ce qui me faisait marrer
quand c'est l'autre qui le disait et je me disais « oh quel con ! ». Je vais dire la même chose parce
qu'il n'y a pas deux choses à dire.

Passez à la radio, passez à la télé, vous vous retrouverez crétin. Vous vous retrouverez crétin,
pourquoi ? Mais pour quelque chose qui nous dépasse. Il est évident que direct ou pas direct, vous
ne pourrez dire que ce que vous abominez, quand vous l'entendez et avec effroi, vous vous direz
:"mais c'est moi qui vient de dire ça".

Si bien que la vraie tâche aujourd'hui, c'est précisément arriver à des vacuoles de silence. Arriver à
vraiment rompre avec cette espèce de pression sociale, mais à tous les niveaux, qui nous force à
parler, qui nous force à donner notre avis. C'est comme dans les concours : « donne ton avis, mais
attention, tu gagnes si cet avis coïncide avec l'avis des autres. ». Parfait, c'est la fabrication du cliché
et sa transformation de cliché intérieur en extérieur et d'extérieur en intérieur. C'est ça le système.

Or c'est pas d'hier en un sens. Civilisation de l'image. D'accord on est en train de préciser un peu
cette notion de civilisation de l'image. C'est pas d'hier, je dis. Il ya un livre excellent sur le
romantisme anglais.... De Rosenberg. Il commente Blake. Et déjà dans le romantisme anglais (et
dans le romantisme allemand aussi, y aura ça) y a cette espèce de découverte du cliché. Le monde
des clichés. Dénoncer le monde du cliché et essayer d'en sortir, comment ? c'est ça notre tâche
positive. Les américains, je suis pas sûr, que ce soit leur affaire exactement. Finalement pour des
raisons... mais on verra, on verra la tentative d'en sortir qui va faire précisément un nouveau cinéma.

Mais c'est cette prise de conscience que l'image est fondamentalement cliché intérieur ou extérieur.
C'est de là qu'il faut partir et c'est à ça que le cinéma américain arrive. C'est cette prise de

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conscience fondamentale.

Cliché, tout est cliché. Il faut presque en rester aujourd'hui à cette conclusion très désolante,
puisque l'espoir va nous arriver la prochaine fois. L'espoir va nous arriver. C'est... on sera sauvé.
Mais faut bien passer par cette prise de conscience. Or Blake, cité par Rosenberg. Blake a une
phrase ; j'aurais pu vous dire elle est signée Godard. Euh.. c'est vraiment une phrase. Godard a une
phrase, donc, qui est signée Blake : « il y a un extérieur étalé à l'intérieur et il y a un extérieur... »,
non, pardon : « Il y a un extérieur étalé à l'extérieur et un extérieur étalé à l'intérieur. ». Je veux dire
si vous prenez - c'est une phrase d'un fragment d'un poème qui est "Jérusalem". - il y a un extérieur
étalé à l'extérieur et un extérieur étalé à l'intérieur. C'est exactement le monde du cliché. C'est
exactement, ça, ça me parait convenir, mais mot à mot au roman Dos Passos.

Si bien que qu'est ce qui va faire la communication entre tous ces personnages qui ont très peu
d'interférences les uns avec les autres ? Qu'est ce qui va faire l'unité de la réalité dispersive ? Je
peux répondre maintenant. Pour Dos Passos, c'est : les actualités, les biographies, l'œil de la
caméra. C'est-à-dire l'univers mental et physique du cliché. Et ça va culminer dans quoi ? Finalement
ça va culminer dans la petite chanson. La petite rengaine : Yankee doodle. Yankee doodle qui va
passer. Qui va passer d'un point à un autre. Qui va se répandre là sur tout le monde.

Bref, quoi, une petite ritournelle. Et voilà que la ritournelle intervient au cinéma comme quelque
chose de fondamental. Pourquoi ? Le petit air. Du coup, ça va nous lancer plein de problèmes parce
que, je fais un bond, il y a un autre grand auteur de cinéma qui a su utiliser la ritournelle avec génie.
C'est Fellini. Il est clair que je ne parle pas de cette ritournelle là qui a une toute autre fonction, la
ritournelle Fellini, mais si on était amené [...blanc.... ..excellente scène de Dos Passos. Ça c'est des
morts anonymes. Et voilà que le type se ballade dans la cimetière, se ballade dans le cimetière et
donne aux morts les dernières nouvelles. Il s'est passé ceci. Des nouvelles qui concernent personne.
Ils sont morts. C'est des morts anonymes, pourtant chacun a sa petite case. Il se ballade dans le
cimetière, il dit : « vous savez...euh...les anglais viennent de bombarder les malouines. Oh et puis,
mon voisin, il a fait du bruit hier. » puis il chantonne une petite chanson. Bon. Une actualité. Une
actualité, pour qui ? Pour quoi ? Ça le concerne pas. Ça ne concerne pas les morts. Ça concerne
quoi ? Ça concerne le surgissement et la mobilisation de l'image cliché pour elle-même.

Deuxième exemple : la fin célèbre de "Nashville" de Altman. Après un assassinat affreux, la


réalité dispersive se réunit. Tous les personnages sont là. Ils se réunissent pourquoi ? Alors la
collectivité se reforme. Une chanteuse très lamentable. Une chanteuse ratée entonne une petite
chanson, une ritournelle. Et cette ritournelle va être reprise par des enfants, par une bande d'enfants,
qui n'est pas du tout lié à l'assassinat qui vient de se produire. Et Altman commente, il dit : « ben oui
on peut interpréter ça de manière très différente parce que c'est une coutume en Amérique qui dit,
voyez, quand une catastrophe arrive, on se réunit pour chanter. Ce n'est qu'un au revoir etc. » on se
réunit pour chanter et il dit : « bien sur, c'est ridicule. » c'est ridicule, il dit, mais d'un autre côté, on
pourrait dire c'est héroïque. Et puis c'est très important que ce soit une chanteuse nullarde qui attend
depuis longtemps un grand moment de sa carrière qui ne viendra jamais. Bon, Elle lance ça, c'est
elle qui chante. Puis les enfants reprennent. Et il dit ... Quoi ? Quelqu'un parle au fond. Et un soldat
aussi, ouais, ouais, ouais... la chanson elle s'en va. Le cliché passe ailleurs. La petite chanson. Et il
cite un autre de ses films mais que j'ai pas vu - ça n'a aucune importance - où la chanson a encore
beaucoup plus d'importance, la petite ritournelle. Altman, et c'est quoi ? C'est quoi ? Je sais plus, ça

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a pas d'importance, vous me croyez, il y a un autre film. Euh...Ah. "Un couple parfait". Parce que
dans "Un couple parfait", dit il, les chansons la comblent des ellipses de l'action. Et elles sont
directement en rapport avec tel moment de la vie d'un des personnages. Donc la petite chanson, le
cliché qui passe là devient réellement un "élément" de cette espèce de narration dispersive. Il faut
pas s'en tenir à la petite chanson encore que cet aspect ritournelle ou petite chanson, j'en aurai
besoin particulièrement dans l'avenir. Mais il faut considérer que dans tout ce cinéma, le cliché va
apparaître sous quelle forme ? Eh ben, pas seulement sous la forme de l'image visuelle etc. mais
d'un "pouvoir" ; et que ça va déterminer la présentation du pouvoir. Du pouvoir politique ou plus
profondément du pouvoir social. Sur la ville comme réalité dispersive.

Et la ville comme réalité dispersive ne pourra jamais être saisie qu'à travers le système d'images,
c'est-à-dire de clichés flottants qu'elle produit elle-même. Comme s'il y a avait là une double
dimension de l'image : image de la réalité dispersive et cette image elle même recouverte par les
images clichées qu'elle produit. Ça se voit nettement chez Lumet. Où quoi ? Où tout est quadrillé par
système d'écoute téléphonique, système de la télé, oh le fameux network, système de bandes
magnétiques ; dans "Serpico" et surtout dans "Le prince de New York". Voyez le cliché c'est pas
seulement l'affiche sur le mur, c'est pas seulement l'idée toute faite dans ma tête. C'est aussi tout le
système de contrôle qui va définir précisément et qui va mettre en mouvement tout cet ensemble. Si
bien que mes trois dimensions, mes trois dimensions ont, il me semble une cohérence dans ce
nouveau mode de récit, mais pour le moment c'est une cohérence uniquement négative. Je reprends

réalité dispersive,
ballade sans appartenance,
troisièmement cliché mouvant, mobile, cliché flottant. C'est comme si quoi ? j'arrive à une
première conclusion. C'est comme si l'image, c'est comme si l'image-action était à la lettre poussée à
un point tel, que tout se renverse. La question ce n'est plus comme on en est depuis le début de
notre analyse. La question commence à ne plus être. Il y a des images-perception, il ya des
images-action, il y a des images-affection.
La question tend à devenir, nous ne percevons que des images ; nous ne sentons que des
images ; nous n'agissons, nous ne mouvons que des images. Ces images c'est le cliché, ce que
nous voyons. Telle est l'image. Ce que nous éprouvons c'est des images. Ce que nous mettons en
mouvement c'est des images, bon.

Alors quel va être le problème ? Le problème, ça va être - bon commençons à employer des mots
qui nous sont familiers - c'est juste des images. C'est juste des images. Comment on va faire ? en
d'autres termes, s'il y avait une question positive ce serait... c'est quoi ?

Ce serait : comment arriver à percevoir l'image cliché de telle manière que ce ne soit plus un
cliché ? Comment arriver à sentir affectivement l'image cliché de telle manière que ce ne soit plus un
cliché ? En d'autres termes, est ce qu'on peut extraire de l'image cliché quelque chose qui ne soit
plus un cliché ? Et peut être plus une image. Ou en tout cas, plus une image-mouvement.

Et je dis juste pour en finir, les américains, le cinéma américain actuel est allé très loin, il me semble,
très, très loin dans cette découverte, dans cet espèce de renversement critique du problème de
l'image cinématographique. Mais pour des raisons, qu'il faudra là analyser, il me semble qu'ils en
restent à une espèce de constat du monde des images. La tâche créatrice, ce qui n'est pas rien, ce

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qui fait un cinéma extrêmement beau, extrêmement profond.

J'ai presque envie de dire la direction positive, provisoire, il y aura d'autres directions positives. La
direction positive provisoire que l'on peut saisir très bizarrement, on ne peut la saisir alors que si l'on
saute dans une autre lignée et que l'on va refaire comme si il fallait à nouveau partir pas à zéro mais
reprendre le chemin que nous avions tout à l'heure cour-circuiter, à savoir qu'est ce qui se passait
dans le néo-réalisme ? Qu'est ce qui se passera et qu'est ce qui s'est passé dans la Nouvelle Vague
française ? Est-ce qu'ils sont arrivés à la même découverte que le cinéma américain et à la même
limite de cette découverte ? Certains oui. D'autres... Est-ce que d'autres ont fait une espèce
d'échappée ou sont en train de faire une espèce d'échappée ? Vers quoi ? ben vers une direction
positive puisqu'aujourd'hui on est resté, si loin qu'on est essayé d'aller, on est resté malgré tout dans
des déterminations malgré tout négatives. Donc il faut reprendre l'histoire du néo-réalisme en se
dépendant si quelque chose n'a pas échappé dans les définitions classiques puisqu'il y a une
littérature abondante du néo-réalisme. Et voir s'il y a pas aussi quelque chose dans la nouvelle
vague qui est très particulier, qui est... et qui enfin nous ferait sortir, non seulement de l'image cliché,
mais de l'image-mouvement puisque l'image-mouvement a fini par nous précipiter dans l'image
cliché. Là donc on est pour la première fois à une espèce de grande division de notre sujet. On sent
les possibilités d'enfin sortir de l'image-mouvement, c'est sa faute puisqu'elle nous a amené à cette
espèce d'universalité du cliché flottant. Tant pis pour elle, y en a d'autres, alors je le disais depuis le
début y a d'autres images, c'est elles qui va falloir sentir. Voilà.

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

19- 18/05/82 - 1
Marielle Burkhalter

19- 18/05/82 - 1 Page 1/13


Deleuze Cinéma cours 19 du 18/05/82 - 1 transcription : Andrée Manifacier

J'arriverai juste...à la fin.. surtout, oui, faudrait aller très vite parce que je voudrais qu'on fasse une
dernière séance de récapitulation et surtout de récapitulation de toutes les occasions manquées où
là c'est vous qui parleriez en disant que telles et telles choses qu'on a pas vues, on aurait dû les voir
tout ça.. Alors je continue .. Vous voyez en gros où on en est : J'aurai voulu que ce soit sans qu'on
s'en rendre compte, on est déjà sorti de l'image-action et peut être plus encore... On est sorti de
l'image-action puisque tout ce que l'on a fait depuis plusieurs séances...

- merde ! (une porte qui grince.. ;)

...s'était dégagée cette notion, ce concept "d'images-optiques-sonores pures". Or un cinéma qui se


fonde ou qui produit des images optico-sonores comme pures, c'est ce qui nous a permis de
grouper, quoi ? Tout un ensemble qui comportait et le néoréalisme italien et les deux aspects... Non !
Pitié Pitié Pitié ! ! ! Ah ! Voyez tout ça... quoi .. Oui ! et le néo-réalisme italien et le nouveau cinéma
français avec ses deux branches, avec ce qu'il est convenu de désigner comme ses deux branches,
à savoir : La nouvelle vague d'une part, ce qu'on a appelé, à un moment - je crois ne pas me tromper
- la "rive droite" et puis l'autre tendance, qui était à peu prés simultanée, la tendance Resnais. Et en
effet on aura à voir en quoi, c'est pas la même chose. Mais pour le moment, je cherche le
dénominateur commun de tout ça. La tendance Resnais que l'on appelait, je crois bien, la "Rive
gauche", elle. Puisque la nouvelle vague issue des Cahiers (du cinéma) était rive droite, c'est ça, oui
! Donc le "cinéma rive droite", et le "cinéma rive gauche" et puis ce qu'on a vu sur un nouveau
cinéma américain. Tout ça nous donne tout un ensemble, où réellement on sortait des images
sensori-motrice - qu'elles appartiennent à la forme classique SAS ou à la forme classique ASA - on
sortait des images sensori-motrices pour atteindre à quelque chose, qui pour nous, qu'on commence
à voir se dessiner mais qui restent très insolites dans leur statut : des images optiques pures, des
images sonores pures. Et c'est à ce niveau que peut être se réalisait, ce que depuis longtemps, avait
cherché et peut être avait trouvé....

Je vais faire une crise ! Je sens que j'ai ma crise qui arrive ! Ah ! En voilà d'autres ! Et c'est pas
fini ! D'habitude je le supporte, là je ne supporte pas ... Bien alors ? Cette production de ce types
d'images, je dis d'une certaine manière, cela réalisait un rêve qui était courant .... (je vais amener un
revolver là, hein !). ....et qui existait depuis très très longtemps dans la cinéma et c'était le même rêve
que celui qui se posait aussi pour beaucoup dans la peinture ou dans la littérature qui était :
Comment d'une certaine façon dépasser la dualité entre un cinéma abstrait et un cinéma
narratif-illustratif ? je dis de même comment dépasser la dualité entre une peinture... (bruits de porte

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qui grince) C'est hallucinant ! oui ! Vous voyez comment dépasser tout ça, quoi .. rires

Je pense que notamment dans ce qu'on peut appeler, en très gros, l'école française d'avant la
guerre, c'était un souci tout à fait..très actif chez eux : comment surmonter cette dualité ? Puisque ils
étaient très sensibles à l'existence d'un cinéma abstrait, purement optique, d'autre part existaient et
se montaient les formes de narration aussi bien du type SAS que ASA, et voilà que ce qu'ils
cherchaient, c'était quelque chose d'autre : même au niveau de Gremillon, de l'Herbier : comment
dépasser cette dualité de l'abstrait et du figuratif/illustratif - narratif ? Bon - Ecoutez, j'essaie de me
calmer et puis on va avancer tout doucement.. Ah !
Et je pense que par exemple, si on reprend les textes d'Artaud sur le cinéma, vous voyez
constamment et à mon avis, il ne l'a pas inventé ce thème - mais vous voyez constamment revenir,
comme proposition de base : comment sortir de cette dualité ? Et il nous dit tout le temps : le cinéma
"abstrait", il est purement optique ! Oui ! Mais il ne détermine pas d'affects. Il n'atteint pas aux
véritables affects. Et le cinéma narratif illustratif, il dit : "aucun intérêt". On verra des textes très
curieux d'Artaud - il va jusqu'à dire : comment atteindre à des situations optiques - le mot est chez
Artaud lui-même, quand je l'ai trouvé en relisant du Artaud, j'étais extrêmement content - "comment
atteindre à des situations optiques qui ébranlent l'âme" ? Curieux cette formulation ! Or comme il a
participé à un film ça posera pour nous - et qu'il a rompu justement avec le metteur en scène en
disant qu'on l'avait trahi, tout ça. Qu'est-ce qu'il voulait ? Il ne s'agit pas de dire qu'il pressentait ce
qui allait se passer après, qu'il pressentait le néo-réalisme ou la nouvelle vague, évidemment pas,
mais qu'est-ce qu'il voulait dire pour son compte ? Et comment ça se fait que par des moyens
absolument différents, ça nous soit revenu, c'est à dire des images optiques-sonores qui ébranlent
ou qui sont censées ébranler, comme il dit, l'âme ...

Alors bon, mais ces images optiques, on a vu en quoi elles dépassaient l'image-action. Elles
dépassent l'image-action parce qu'elles rompent avec l'enchaînement des perceptions et des actions
A quel niveau ? Comprenez ! Au double niveau : et du spectateur qui voit l'image, évidemment, mais
avant tout au niveau du personnage puisque ce n'est pas du cinéma abstrait, au niveau du
personnage qu'on voit sur l'écran, le personnage qu'on voit sur l'écran n'est plus en situation
sensori-motrice, ou du moins vous nuancez. Bien sûr il l'est encore un petit peu, mais on a vu, avec
tout le thème de la balade, avec tout le thème de ce personnage qui se promène, qui se trouve dans
des situations, dans des événements qui ne lui appartiennent pas.
On a vu tout ça - que ce personnage était un nouveau type de personnage - exactement comme il
y a eu dans le roman un nouveau type de personnage - et que la seule manière de définir ce
personnage sur l'écran c'était dire : " oui, il est dans un type de situation très particulier, il est dans
une situation optique et sonore pure". Quand je disais Tati, le comique de Tati c'est ça. Le comique
de Tati c'est un comique de l'image optique-sonore. Qu'est ce que fait Tati ? Absolument rien, sauf
une démarche.
En revanche qu'est-ce qui est drôle ? C'est le jeu des images optiques et sonores pour
elles-mêmes avec ce personnage qui déambule. La promenade du personnage parmi des situations
optiques-sonores pures. On est tout à fait sorti du sensori-moteur. Et c'est parce que ce cinéma est
sorti du processus sensori-moteur que je peux dire : on est donc sorti de l'image-action. Comment
est ce que du même coup - je voudrais faire pressentir que bien plus, et plus profondément - on est
aussi sorti de l'image-mouvement ? Et qu'on est en train d'aborder en effet, ce que nous avions
réservé depuis le début, puisque depuis le début de l'année, on s'est occupé de l'image-mouvement
mais en disant tout le temps :" mais attention : ce n'est qu'un type d'image" et nous avons fait nos

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ramifications d'images-mouvement dans tous les sens : image-perception image-action
image-affection Et chaque type d'image se ramifiait, donc on a toutes sortes de catégories, on en 20,
on en 30, tout ce que vous voulez, tout ce qu'il nous fallait. Mais l'image-mouvement qui se ramifiait
ainsi n'était qu'un type d'image. Pourtant les images optiques sonores semblent bien rester des
images-mouvement. Quelque chose bouge. Remarquez que oui et non. Je dis oui et non parce que
est-ce par hasard que le plan fixe ou le plan séquence prend une importance fondamentale dans ce
type de cinéma, en liaison avec les d'images optiques/sonores ? Ca n'empêche pas que dans
beaucoup de cas, il n'y a pas plan fixe, il n'y a pas plan séquence, il y a véritablement mouvement,
mouvement aussi bien de la caméra que mouvement saisi par la caméra. Oui, il y a mouvement,
mais ce qui est important c'est lorsque le mouvement est réduit au jeu des images optiques et
sonores, peut-être est-ce que l'image alors - quoiqu'elle soit affectée de mouvement pour son
compte - mais ce n'est plus du tout le même mouvement que dans le schéma sensori-moteur,
peut-être que alors ces images, optiques et sonores, même en mouvement, entrent
fondamentalement en relation avec un autre type d'images qui, lui, n'est plus l'image-mouvement. Si
bien que je dis bien : "le concept..

Ho, écoutez ! rires ! ! ! Mais quelle heure il est ? Et bien c'est tragique ! C'est tragique ! Ce qu'il y a
de curieux c'est que d'habitude je ne le remarque pas à ce point là.. Vous voyez...je sais plus ce que
vous voyiez- je sens que je souhaiterai que vous voyiez quelque chose..

Alors je dis c'est bien en même temps que cela se passe dans le cinéma et ailleurs. Et en effet
j'insistais sur la rencontre, nous, par exemple, en France entre le Nouveau Cinéma et le Nouveau
Roman. Je prends quatre propositions de base que Robbe-Grillet présente comme les éléments
fondamentaux du Nouveau Roman. Et leur traduction en termes de cinéma se fait immédiatement,
c'est à dire : en quoi la même chose s'est passée dans le cinéma ?

Première proposition : caractère privilégié - ces propositions vous les trouvez dispersées dans son
recueil théorique "Pour un Nouveau roman" Première proposition : caractère privilégié de "l'optique".
Privilège de l'œil. D'où le nom donné, encore une fois, dès le début au nouveau roman : "école du
regard". En fait il faudrait dire que c'est un privilège de l'œil-oreille. Il n'y a pas moins de sonore que
d'optique. Pourquoi est-ce que selon Robbe-Grillet, pourquoi il tient à ce privilège au moins de l'œil ?
Puisque dans les pages auxquelles je pense, il ne parle que de l'optique - Pourquoi ce privilège de
l'œil et à la rigueur de l'oreille ? Il dit parce que c'est le seul.. Il dit que finalement, il faut faire avec ce
qu'on a, il est très nuancé c'est des remarques pratiques et si vous réfléchissez bien, l'œil c'est
l'organe le moins "corrompu". Qu'est ce qu'il veut dire par "corrompu" ?

Je suis dans la situation où j'hésite : J'hésite est ce que je vais avoir une crise de nerf ou est ce
que je ne vais pas l'avoir, est-ce que, faudrait que je me dise, si j'ai une crise de nerf..heu ? Quoi ?
(étudiant - Faut respirer), (Auditeur - Faut respirer), Quoi ? Faut respirer, Mais peut être que je
souhaite l'avoir ma crise (auditeur = Vous riez !) C'est un rictus, c'est même plus ..C'est heu..Oh ben
écoutez.. Quand même, c'est pas dans ma tête aujourd'hui, c'est pas comme ça d'habitude hein ?
(auditeurs = c'est souvent comme ça, il faut demander à graisser la porte... c'est l'orage Autre
auditeur, c'est le bruit de la porte) Oh oh oh oh ben Bon écoutez je vais faire un tour au secrétariat
hein comme j'ai des choses à y faire, je suis navré mais c'est pas ma faute !

Tout à l'heure c'était la semaine dernière...Voilà...

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Je dis oui : Il dit une chose très simple finalement, qu'est-ce qui nous empêche de voir ? Dans ce
premier point il faut que ce soit le plus concret possible. Comment ça se fait que on voit rien ? Vous
comprenez déjà le...en quoi c'est une question ? Comme je cherche des dénominateurs communs
heu : Heu Godard nous dit ça aussi tout le temps. Mais on est dans une situation où on ne voit rien,
on ne voit pas les images. Ils n'en sont pas à nous dire : ce que nous voyons c'est des images ! tout
ça non, c'est pas... Vous êtes devant des images mais vous voyez pas... Et pourquoi on ne voit pas
une image ? Pourquoi on voit pas ce qu'il y a dans une image ? Ben pour toute sorte de raisons.
C'est que à chaque instants, moi je résumerai tout en disant c'est pas difficile : parce que, on vit dans
un monde d'images sensori-motrices.et que extraire des images optiques et sonores pures, ça
suppose déjà toute une production qui est de "l'art", et que les images qui font notre monde, ce sont
des images sensori-motrices. Donc, d'une certaine manière, c'est forcé qu'on ne voit rien, c'est tout
un travail : "extraire des images qui donnent à voir". Nos images elles ne donnent pas à voir. Les
images courantes elles ne donnent pas à voir elles sont vraiment "courantes" au sens exact du mot.
Et pourquoi les images "courantes" sensori-motrices ne nous donnent rien à voir ? Elles nous
donnent rien à voir, et là Robbe-Grillet se fait plus précis : parce que, finalement, dès qu'on regarde
quelque chose, on est assailli par quoi ? On est assailli par : les souvenirs, les associations d'idées,
les métaphores, les significations. Tout ça c'est pas pareil. C'est comme un groupe d'ombres qui
nous empêche de voir. On a dans la tête déjà : déjà voyons, qu'est-ce que ça signifie, à quoi ça
ressemble ? Qu'est-ce que ça nous rappelle ? Et en effet c'est notre triste condition - c'est une
condition très triste, vous savez celle des gens et on est tous de ces gens là si on ne fait pas très
attention ! Ils ne peuvent pas voir quelque chose sans que cela leur rappelle quelque chose. Et toute
cette littérature et toute cette culture de la mémoire, de l'association d'idées, toute cette puérilité,
toutes ces.. Tout ça, tout ça heu, toutes ces métaphores qui nous assaillent dans lesquelles on vit,
tout ça, ça nous détruit absolument ! Et Robbe-Grillet lance donc sa grande attaque contre les
significations, les métaphores etc... Et pense que, l'œil - et c'est par là qu'il va privilégier l'optique -
que l'œil est l'organe malgré tout et compte tenu de tout et relativement le plus apte à secouer
l'appareil des métaphores, des significations, des associations, pour ne voir que ce qu'il voit, c'est à
dire des lignes et des couleurs, mais surtout des lignes. Voilà la première remarque de Robbe-Grillet.

Deuxième remarque mais attention ! Si l'on suppose un œil qui s'est donc extrait des situations
sensori-motrices et de leur cortège : signifiant, associatif, mémoriel etc.. Si on suppose un tel œil,
qu'est-ce qu'il voit cet œil ? Il voit des images. Mais qu'est-ce que c'est "des images" ? Des images
ce ne sont pas des objets, ce sont des descriptions d'objets. Et là il lance cette notion de "description
d'objets" à laquelle il tient beaucoup puisque, selon lui, le nouveau roman, mais aussi le nouveau
cinéma, ne va pas nous faire voir des objets ou des personnes, mais va nous faire voir des
descriptions. Ce qui est optique, c'est la description des personnes et des objets.
Bien plus, n'est pas exclu que dans certaines formes - et c'est peut être là que commencerait l'Art,
pas sûr mais... que dans certaines formes, la description remplace l'objet. Non seulement elle
vaudrait pour l'objet, mais c'est elle qui serait le véritable objet. Elle remplacerait l'objet, elle détruirait
l'objet, elle gommerait l'objet. Et Robbe-Grillet nous dit : oui, dans le roman classique, si vous prenez
une description chez Balzac, vous voyez que elle vise un objet ou une situation. Mais dans le
Nouveau Roman c'est pas comme ça. La description a remplacé l'objet, la description a gommé
l'objet (page 81 de « Pour un Nouveau Roman ») : "la description optique est celle qui opère le plus
aisément la fixation des distances. Le regard s'il veut rester simple regard c'est à dire sans
métaphore ni association d'idées, le regard s'il veut rester simple regard, laisse les choses à leur
place respectivement. Mais il comporte aussi ses risques : se posant à l'improviste sur un détail il

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l'isole, l'extrait voudrait l'emporter en avant, constate son échec s'acharne, ne réussit plus ni à
l'enlever tout à fait, ni à le remettre en place. Pourtant ces risques restent parmi les moindres : il
nous faut opérer avec les moyens du bord"
Et Quels vont être les moyens du bord de la description optique pure ? Page 159 : "Dans l'ancien
roman, la description servait à situer les grandes lignes d'un décor puis à en éclairer quelques
éléments particulièrement révélateurs. Elle prétendait reproduire une réalité préexistante. Maintenant
au contraire elle affirme sa fonction créatrice. Elle faisait voir les choses dans l'ancien roman et voilà
que maintenant, elle semble les détruire comme si son acharnement à en discourir, ne visait qu'à en
brouiller les lignes, à les rendre incompréhensibles, à les faire disparaître totalement" (La porte
grince) Pas tellement fermée, hein ? "Il n'est pas rare en effet dans les romans modernes de
rencontrer une description qui ne part de rien, elle ne donne pas d'abord une vue d'ensemble, elle
paraît naître d'un menu fragment sans importance à partir duquel elle invente des lignes, des plans,
une architecture. Et on a d'autant plus l'impression qu'elle les invente que soudain elle se contredit,
se répète, se reprend, bifurque. Pourtant on commence à entrevoir quelque chose et l'on croit que ce
quelque chose va se préciser mais les lignes du dessin s'accumulent, se surchargent, se nient, se
déplacent. Si bien que l'image est mise en doute à mesure qu'elle se construit".
L'image est mise en doute à mesure qu'elle se construit, par exemple, il y a un film, c'est
l'exemple même de ce procédé : "l'image est mise en doute à mesure qu'elle se construit", par
exemple, il y a un film, ce serait l'exemple même de ce procédé l'image est mise en doute à mesure
qu'elle se construit, ce serait "Les Carabiniers" de Godard... Où là, la technique est très précise : il
n'y a pas d'autre description de cette technique là : "l'image est mise en doute à mesure qu'elle se
construit" Pourtant comment...Quelques paragraphes encore.. ... "Et lorsque la description prend fin,
on s'aperçoit qu'elle n'a rien laissé debout, derrière elle. Elle s'est accomplie dans un double
mouvement de création et de gommage".

Voilà donc le second principe que Robbe-Grillet cherche à dégager : la description optique. Voyez :
1er principe : privilège de l'œil 2eme principe : non pas l'objet optique mais la description optique.
Troisième principe : Pourquoi ? Pourquoi insister tellement sur la description optique qui finit par
gommer l'objet, par remplacer l'objet, par se substituer à l'objet ? C'est parce que - et c'est pour ça
que Robbe-Grillet n'aimait pas du tout l'expression "école du regard", c'est parce qu'il tient
énormément à l'idée que, les images optiques pures ne sont pas du tout des images objectives ou
objectivistes. Bien plus comme il dira, peut alors en exagérant l'autre aspect, comme il dira : le
Nouveau Roman c'est le roman de la subjectivité totale, c'est le roman de la subjectivité totale, d'où,
l'importance de ne pas lier l'image optique pure ou l'image sonore pure, à l'objectivité d'objet, à
l'objectivité de quelque chose. Si l'image optique pure est pure description qui gomme l'objet, il est
évident que elle renvoie à une subjectivité totale. Et en effet, ce qu'on a appelé "La situation optique",
Là, je continue à vouloir dire, il me semble, c'est la troisième, grande idée de Robbe-Grillet dans ses
écrits théoriques. Cette idée du Nouveau Roman comme roman de la subjectivité. C'est très simple à
comprendre. Imaginez-vous encore une fois dans des situations optiques pures. Je disais alors je
prends mon nouvel exemple là dans un cas qu'on a déjà étudié dans le cinéma américain, "Taxi
Driver" de Scorcèse. En quoi le personnage là dans sa balade, il est en balade puisque il est
chauffeur de taxi...Bon En quoi est-il en situation optique pure ? Bien sûr, il est en situation
sensori-motrice par rapport à sa voiture, il la conduit. Mais son attention comme flottante, concernant
la tension, apportant une contribution à la psycho- pathologie, à la pathologie du chauffeur de taxi.
Pourquoi est-ce qu'il délire ? Pourquoi est-ce qu'il fantasme ? Si on a la réponse on comprend
pourquoi ils sont fondamentalement racistes. Pourquoi là il couve une espèce d'énorme délire

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raciste. Finalement Scorcese il a très très bien montré, mais chez nos chauffeurs de taxis à nous, ça
marche aussi très très fort ça. C'est que, ils sont en effet dans une situation assez délirante, hein. Je
veux dire du point de vue maladie professionnelle, maladie professionnelle du chauffeur de taxi, vous
comprenez, il est coincé dans sa petite boîte hein où, là, il est en situation sensori-motrice,
excitation/réaction. Une voiture arrive, il faut l'éviter, il faut la dépasser tout ça, c'est du pur
sensori-moteur Mais simultanément à ça, on voit bien alors comment ça peut être mixte, c'est un très
bon exemple pour nos nuances, pour les nuances qu'on souhaite chaque fois apporter. Bien sûr il a
tout une région de lui même engagée dans le processus sensori-moteur, mais il a tout un bout de
lui-même et ça se mélange bizarrement, qui est en situation optique pure et plus du tout en situation
sensori-motrice, à savoir son attention traînante où ce qui se passe sur le trottoir.
Et ça c'est ce que Scorcese a montré admirablement, c'est par là que c'est un film moderne, le
film de Scorcese, son attention flottante où ce qui se passe sur le trottoir n'est plus du tout saisi en
situation sensori-motrice, à savoir : je vois, j'agis, en fonction de ce que je vois, mais en situation
optique pure : Il passe dans les rues là et puis il voit sur le trottoir un groupe de putains, à côté trois
types qui se battent, à côté un petit enfant qui fouille dans une poubelle, à côté etc..
Et, il est exactement, toute proportion gardée, dans la même situation que la bourgeoise de
Rossellini dans « Europe 51 » qui elle aussi, pour d'autres raisons mais également des raisons de
classe - Si vous voulez la vraie sociologie elle est pas dans ce que représente ce cinéma,
contrairement à ce que croyaient les premiers commentateurs du néo-réalisme, elle est, au contraire,
bien plus profonde dans ce cinéma lui-même car dans la situation de classe de la bourgeoise d' «
Europe 51 », l'usine, l'usine, elle est en situation purement optique et c'est parce qu'elle est en
situation purement optique - vous me direz tout le monde l'est en situation purement optique par
rapport à une usine à moins d'être ouvrier - pas du tout. On passe dix fois devant chez Renault, on
est en situation sensori- motrice, on dit :"oh c'est une usine", qu'est-ce que ce serait une situation
optique ? Qu'est-ce que fait la bourgeoise de Rossellini ? Elle a un pouvoir, elle n'a pas fait d'effort
spécial. Ce n'est pas un effort spécial, elle se trouve là et tout d'un coup, tout d'un coup, elle dit :
"Mais qu'est que c'est que ça ?
Qu'est-ce que c'est que ça ? Qu'est-ce que je vois d'intolérable là-dedans ? Quelle différence
entre ça et une prison ? Qu'est-ce que c'est ? C'est ça la situation optique. C'est par là que on
retrouve déjà le thème qu'on ne cessera de retrouver. La situation optique c'est pas du tout une
situation d'indifférence, c'est une situation qui fondamentalement traverse de part en part et ébranle
l'âme.
Alors bon et le type de « Taxi Driver », bon il fait sa balade, il est en situation optique par rapport
aux rues, par rapport si vous voulez, je dirais il est en situation sensori-motrice par rapport à la
chaussée mais par rapport aux rues et à tout ce qui se passe dans les rues, il est en situation
optique pure. Au besoin même il verra par son rétroviseur. Il voit, là... il défile, c'est un défilé optique
pur et sonore. Et en même temps tourne dans sa tête quoi ? Voyez que les joints, les articulations
sensori-motrices sont donc coupées. Dans une situation optique ce qui est coupé fondamentalement
c'est l'articulation perception-mouvement, perception-action, ça, on l'avait vu à la fin de la dernière
fois, d'où ces gestes mal adaptés etc..Quand on est en situation optique d'où le détail qui fait faux
comme disait... l'importance du détail qui fait faux, l'action maladroite, l'action figée ou l'action qui
survient, moment qui n'est pas le moment convenable etc.
Alors je sais plus quoi déjà, je perds la tête aujourd'hui, ouais - donc par rapport à la chaussée, il
est bien euh dans la situation sensori-motrice ordinaire. Par rapport au trottoir, il est dans une
situation optique pure. Et cette situation optique où les liens perception-action, où les liens
perception-mouvement semblent coupés - on verra ce que ça veut dire ça, c'est ce que j'avais, oui

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j'avais fini là-dessus la dernière fois - semblent coupés, interrompus, permet une espèce d'éclosion
de délire à savoir délire raciste, "oh mais on n'est plus chez nous" "heu, oh, partout regardez oh, oh,
toutes les femmes sont des putains etc, etc », délire si courant dans la cervelle d'un chauffeur de
taxi, mais que vous ne pouvez pas comprendre, il me semble, indépendamment de ceci, c'est que
les situations optiques pures - comment dire ? - appellent des concrétions soit fantasmatiques, soit
délirantes, soit rêveuses. Tout un monde que l'on pourrait qualifier en très gros mais on verra où ça
nous mène ça de « l'imaginaire ». Situation de fantasmes, de délires. D'où le délire final du chauffeur
de taxi, son passage à l'acte à ce moment là ou alors lorsqu'il va se rebrancher sur du
sensori-moteur sous forme de la catastrophe, de la tuerie, en hésitant même toujours avec ce côté
maladresse ou alternative : "Est-ce que je me tue ? Non je vais tuer quelqu'un" etc... Voilà donc le
troisième caractère, c'est bien des images que la subjectivité totale, les images optiques pures se
sont des images investies par une subjectivité totale.

Et enfin, dernier caractère de Robbe-Grillet, c'est lorsque ne serait-ce que pour marquer la
différence des générations il disait : "bien oui, finalement il rendait hommage, il ne faisait pas partie
quand même de ces minables qui expliquaient que Sartre c'était fini et dépassé, mais, avec
beaucoup de nuances... il disait ben oui il y a une différence de génération, il disait qu'il y a une
différence de génération entre Sartre et nous. Mais qu'est-ce qui distingue "La Nausée" du nouveau
roman ? Justement il disait que nous- il ne disait pas que c'était mieux - il disait on a été amenés
nous, à dégager des situations optiques pures. Alors que chez Sartre, il y a une présence du monde,
mais ce n'est pas d'abord une présence optique. Ensuite il n'a pas supprimé toutes les significations,
même si il les a traduites en absurde, ou en nausée, c'est encore un mode de signification. « La
Nausée » l'absurde, Robbe-Grillet dit : "nous on dit le monde n'est même plus absurde » parce que
c'était peut être vrai, c'est fini, pour nous il n'est pas absurde...Ca me fait penser à des remarques de
Altman disant « le monde il n'est pas absurde puisque les personnages sont aussi absurdes que le
monde ». Finalement le problème c'est plus du tout celui de l'absurde. Et aussi, il se démarquait
aussi de Sartre en disant : "nous évidemment on ne croit plus à l'engagement, on ne croit plus à une
littérature de l'engagement ». Voyez en quoi ça forme vraiment le quatrième principe des situations
optiques pures. Pourquoi il croit plus à l'engagement ? Pour mille raisons.
Une littérature engagée, il dit « non c'est pas le problème pour nous », et il dit que l'on appellera
ça de "l'art pour l'art", mais ça n'a pas d'importance, nous on a fini par croire que l'important c'est que
l'art fasse ses mutations propres, on ne croit plus au réalisme socialiste, mais il dit tout ça sans
excès de facilité, sans se moquer trop, on ne croit plus à l'engagement, on pense plutôt que l'art doit
faire ses mutations à lui, et que c'est comme ça ...(inaudible)

Dans cette perspective, la tâche propre de cet art là, je ne dis pas de tout art, il s'agit d'une tentative
précise, la tâche de cet art là c'était de produire des images optiques et sonores. En quoi c'était actif
? Ce n'est pas un engagement ça ? Et pourtant ce n'est pas du tout indifférent, puisque, encore une
fois, cela suppose que nous ne savons même pas ce qu'est une telle image. Nous vivons dans un
monde de clichés. Un publicitaire éhonté va dire « mais produire des images sonores, c'est ça que je
fais, c'est ça mon métier... » Rien du tout ! il produit le contraire, il produit des clichés, c'est à dire le
contraire d'une image, des clichés c'est à dire des excitations visuelles qui vont déclencher un
comportement conforme chez le...percevant-chezle spectateur. À savoir il produit un cliché de boîte
de nouilles. Et le cliché est censé déclencher chez le type « aller acheter cette boîte de nouille ». Et
la dessus, éhonté, le publiciste dit « c'est moi le poète du monde moderne ». Poète mon cul ! C'est le
contraire de toute poésie. Mais ce qui est difficile c'est de dire en quoi c'est le contraire de toute

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poésie. La poésie, au niveau où on la définit, c'est gommer les clichés, supprimer les clichés, rompre
les associations sensori-motrices, faire surgir hors des clichés, des images optiques et sonores
pures qui, au lieu, de déclencher des comportements prévisibles chez les individus, vont ébranler
l'individu dans le fond de son âme.
D'où le thème courant de Godard mais évidement c'est vrai que nous vivons dans un monde de
clichés et que nous ne savons même pas ce que c'est qu'une image parce que nous ne savons pas
voir une image, et nous ne savons pas voir ce qu'il y a dans une image.
D'ou le thème Il ne faut pas un art de l'engagement, il faut un art qui ait sa propre action en
lui-même, c'est-à-dire... qui suscite en nous, quoi ? Qui, produisant des images, à la lettre, inouïes
pour les images sonore, un je sais plus quoi pour les images visuelles, soit tel que, il nous fasse
saisir ce qui est intolérable, et qu'il suscite en nous, pour parler comme Rossellini, l'amour et la pitié.
Vous me direz tout ça c'est passif, ben non, la construction d'un mouvement révolutionnaire, où
participerait une telle production, consistant à produire des images qui nous font voir l'intolérable, et
qui suscitent au fond de nous l'amour et la pitié, et bien il va de soit qu'un tel art peut très bien
participer à une machine révolutionnaire, mais en tous cas, ce n'est pas une littérature ou un cinéma
engagés, c'est un cinéma de la pure image optique sonore.

Voilà donc les quatre caractères de Robbe-Grillet. Je dis ; ils s'appliquent au nouveau roman
mais aussi à l'ensemble nouveau réalisme, nouveau cinéma français et nouveau cinéma américain.
Voilà la question devant laquelle nous sommes. Je voudrais bien la préciser parce que ça va devenir
plus compliqué là. Et comme aujourd'hui c'est mal parti, je sais pas ce qu'il va se passer...

Ce que je considère maintenant comme fait c'est en quoi ces images optiques et sonores sont autre
chose que des images-action. Mais ce qui me soucie encore, c'est leur statut, c'est à dire ces images
optiques et sonores, qu'est-ce qu'elles vont provoquer, qu'est-ce qu'elles vont faire naître en nous ?
Est-ce qu'il y a d'autres types d'images que l'image-mouvement, et qu'est-ce que ce serait ? Des
images d'un autre type, des images qui ne seraient plus des images mouvement. C'est par là que je
disais un statut réel de l'image optique et sonore on est encore loin de l'avoir. Alors qu'est ce que ce
serait ? On tire un grand trait et je dis qu'il faut repartir sur de nouvelles bases, on en a fini
complètement avec l'image-action, bon maintenant, et ça sera notre conclusion jusqu'à la fin, ça
pourrait s'intituler au-delà de l'image-mouvement. Ma question étant encore une fois : Est-ce que les
images optiques et sonores font naître en nous des images et font naître en dehors des images d'un
autre type ? Des images qui ne sont plus des images-mouvement.

Je vous propose alors de revenir à Bergson. Vous vous rappelez le point où on était arrivé très
vite au début de nos séances, concernant Bergson. On disait, il y a une thèse très célèbre de
Bergson qui consiste à dire, les positions dans l'espace sont des coupes instantanées du
mouvement, et le vrai mouvement c'est autre chose qu'une somme de positions dans l'espace. Mais
nous avions vu que cette thèse se dépassait vers une autre thèse beaucoup plus profonde où il nous
disait, non plus du tout, les positions dans l'espace sont des coupes instantanées du mouvement,
mais où il nous disait, beaucoup plus profondément :" le mouvement dans l'espace est une coupe
temporelle du devenir ou de la durée".
Ca voulait dire que, à la lettre, l'image-mouvement n'était qu'une coupe d'une image, quoi ?
Faut-il dire plus profonde ? L'image-mouvement ce serait la coupe temporelle ou la perspective
temporelle sur une image plus profonde, plus volumineuse. Le mouvement de translation, le
mouvement dans l'espace, et ça nous paraissait, ça, tellement différent de ce qu'on fait dire

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d'habitude à Bergson. Et d'une certaine manière tellement intéressant cette idée d'une coupe
temporelle, d'une perspective temporelle et non plus une perspective spatiale. Une coupe temporelle
d'une image plus volumineuse. Et pour son compte, Bergson lui donnait un nom à cette image, il
l'appelait une image-mémoire, ou l'image-souvenir. Et l'image-mouvement n'était donc que la coupe
temporelle d'une image plus profonde, image- mémoire ou image-souvenir. Qu'est-ce que c'était
cette mémoire ? Ce qui me frappe beaucoup c'est que presque chaque fois que Bergson essaie de
définir la mémoire, il la définit non pas d'une mais de deux façons.

Je prends un texte de « Matière et Mémoire ». Je vous demande de me faire un peu confiance là,
vous avez l'impression peut être que je repars sur de toutes autres choses, en fait on va retrouver
notre problème très clair, très vite, mais j'ai complètement besoin de cette apparence de détour.
Voilà un texte du premier chapitre de « Matière et Mémoire » : "la mémoire sous ses deux formes
(donc on apprend que la mémoire a deux forme), en tant qu'elle recouvre d'une nappe de souvenirs
un fond de perceptions immédiates...". Première forme, elle recouvre une perception d'une nappe de
souvenirs. Je dirais ça c'est la mémoire en tant qu'elle actualise un souvenir dans une perception
présente. Elle actualise, des souvenirs, une nappe de souvenirs dans une perception présente. Voilà
le premier aspect de la mémoire.
Je continue "... Et en tant aussi qu'elle contracte une multiplicité de moments". Ca, c'est une autre
mémoire ? Est-ce qu'il y a deux mémoires ? Ou est-ce qu'il y a deux aspects de la même ? C'est très
curieux. La première ça fait pas tellement difficulté à première vue pour nous. Quand on nous dit que
la mémoire c'est ce qui recouvre d'une nappe de souvenirs une perception, on se dit, bon c'est
bizarre, pourquoi est-ce qu'il s'exprime comme ça ? Il emploie une expression très poétique. Qu'est
ce qu'il veut dire ? Mais on s'y repère. C'est, encore une fois, la mémoire en tant qu'elle actualise des
souvenirs dans une perception. Je vois quelqu'un et je me dis « ah oui je l'ai rencontré , c'est celui
que j'ai vu hier à tel endroit ». J'ai donc une petite nappe de souvenirs qui s'actualise dans une
perception, ça c'est la première mémoire. Appelons-là, en gardons le mot de Bergson, on verra si il y
a lieu d'y substituer d'autres mots, la mémoire-nappe.

Puis il nous dit qu'il y a une autre mémoire, celle qui contracte deux moments l'un dans l'autre.
Prenons le cas le plus simple : le moment précédent et le moment actuel. A ce moment là, il y aurait
de la mémoire partout, car ce que j'appelle mon présent c'est une contraction de moments. Cette
contraction est plus ou moins serrée, en effet mon présent varie. Mon présent a une durée variable.
Tantôt j'ai des présents relativement étendus, tantôt j'ai des présents très serrés. Tout dépend de ce
qui se passe. Mais ce que j'appelle mon présent, chaque fois, c'est une contraction d'instants : je
contracte plusieurs instants successifs.
Si on appelle mémoire aussi ce second aspect, il y a donc une mémoire-contraction qui n'est pas
du tout la même chose que la mémoire-nappe. La première actualise une nappe de souvenirs dans
une perception présente. La seconde contracte plusieurs moments dans une perception présente.
C'est pas la même chose.

Ces deux aspects, contraction et nappe, pourquoi est-ce que ça évoque en moi quelque chose
qui concerne le cinéma ? Si j'avais eu le temps il aurait fallu consacrer une séance au problème de la
profondeur de champ. Lorsque, en liaison avec certaines techniques, a été utilisé ou a été obtenu,
un effet de profondeur de champ dans l'image cinématographique, et puis ça a été retrouvé dans des
conditions...Ca a servi longtemps, semble-t-il...A un moment ça servait plus beaucoup, disent les
histoires du cinéma...Et puis il y eu avec de nouveaux moyens techniques la résurrection opérée par

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Orson Wells. Et la découverte de ce qu'on allait appeler un plan-séquence, non plus une séquence
de plan, mais un plan séquence avec profondeur de champ. Toute cette chose est bien connue, si
bien que dans d'autres cas j'aurais passé longtemps, mais là, au point où on en est, il faut aller vite,
vous me l'accordez.
C'est curieux parce que, les grandes images qu'on nous cite toujours comme exemple typiques
de grandes images profondeur de champ, ça été chez Wells les premières, et puis le procédé s'est
tellement généralisé, avec « Citizen Kane », et chez Wyler, avec comme exemple de film célèbre de
lui : « L'insoumise ».

Permettez-moi de vous raconter deux plans séquences profondeur de champ. Dans «


L'insoumise » : voilà un plan séquence, très curieux. La caméra est à raz de terre, au niveau du
plancher, derrière le dos de l'homme, on voit donc l'homme de dos, et il a une canne, il est en
vêtements de soirée, et il sert la canne de toutes ses forces. Et la femme en face, elle on la voit de
face, a une robe très frappante, très compliquée, et regarde l'homme fixement, c'est un plan
séquence assez long, profondeur de champ qui permet, comme on dit, d'embrasser l'ensemble de la
situation, et de l'embrasser en profondeur. En effet comment on aurait pu faire autrement ? On aurait
pu faire par procéder de champ, contrechamp, vous aviez une image pour l'homme et sa canne, et
puis contrechamp la femme et sa robe et on comprenait que tout les deux se regardaient mais on ne
le voyait pas. Là, la profondeur de champ vous donne... Bien plus on le voyait pas, on aurait pu le
voir sans doute, mais le procédé champ contrechamp était ruineux, pourquoi ? Il prenait trop de
temps, dans ce cas précis, c'est pas toujours comme ça.
Là, avec la profondeur de champ vous avez la pleine simultanéité. Vous avez la simultanéité de
l'homme qui manifestement est fou furieux de la manière dont la femme s'est habillée, et essaie de
calmer la crise qui lui monte, il est tout à fait dans la situation dans laquelle j'étais tout à
l'heure...(rire), il en peut plus, il va craquer. Et elle qui le regarde d'un air à la foi un peu craintif et
complètement provocateur. Elle a mis une robe qui la fait remarquer alors qu'elle est déjà dans une
situation délicate, tout ça ça va mal tourner...
Et il y a cette image qui est restée classique, ça passe pour un des très beaux exemples de
profondeur de champ. Comprenez pourquoi je cite ce long exemple, c'est un des très beaux cas
d'images-contraction où là, la profondeur de champ assure la contraction d'un champ et d'un
contrechamp ou de ce qui aurait pu être présenté par d'autres procédés sous forme de deux
moments successifs.
Contaminer les deux moments, s'opère une contraction des deux moments. De même dans une
fameuse profondeur de champ de « Citizen Kane », sa seconde femme vient de faire une tentative
de suicide, et la profondeur de champ nous dit en gros plan le verre qui lui a servi à mettre ses
poison, en plan moyen le lit et femme couchée, et dans le fond Kane, le personnage, qui enfonce la
porte. Dans d'autres procédés vous auriez pu avoir une séquence de plan et non pas un plan
séquence ? C'est-à-dire vous auriez vu du côté de la porte Kane enfoncer la porte, entrer dans la
chambre où il voit sa femme et le verre. Donc une séquence de plan. Là, le plan séquence célèbre
de Wells vous donne une image-contraction. Plusieurs moments sont contractés. La première
fonction de la profondeur de champ, c'est produire des images-contraction.
Vous me direz c'est des images-mouvements, je m'en fous d'accord, c'est pas ça qui m'intéresse.

Ce que j'attribue à la profondeur de champ c'est d'opérer des contractions temporelles qu'on ne
pourrait pas obtenir avec d'autres moyens.

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Mais il faut ajouter immédiatement que la profondeur de champ a aussi l'effet inverse. C'est ben
connu que Wells, d'une certaine manière, est un grand cinéaste de quoi ? Si je continue mes
classification très arbitraires, je dirais qu'il fait partie d'une grande tradition, il fait partie des grands
cinéastes du temps. Y en a pas tellement. Mais comme c'est pas la chose forte des américains le
problème du temps au cinéma...Je crois que s'il y a un américain, mais c'est pas par hasard que
c'est celui là, avec son côté anti-américain. S'il y a un américain qui a atteint à un cinéma du temps,
c'est Wells. Les grands cinéastes du temps, on peut faire une liste, en Amérique, c'est Wells. En
France c'est Resnais, je dis pas qu'ils sont les seuls mais...En Italie c'est Visconti. Au Canada y en a
un qui me paraît prodigieux c'est Pierre Perrault. Mais c'est très spécial les cinéastes qui ont
vraiment comme problème quoi ? L'image-temps. Vous me direz bien sur mais ça peut se concilier
avec l'image-mouvement tout ça. Mais sentez bien qu'on est en train de flairer, de prendre contact
avec un drôle de type d'image. La structure qu'est-ce que c'est ?

Tout comme en musique, il y a des musiciens qui sont des musiciens du temps. Ce qu'ils mettent en
musique c'est le temps. Ce qu'ils rendent sonore, c'est le temps. Mais ils sont pas meilleurs, ils sont
pas plus géniaux que d'autres, en un sens c'est pas plus difficile de rendre le temps sonore que de
rendre l'espace sonore, ou de rendre n'importe quoi sonore. Ca suppose qu'un certain nombre de
cinéastes, et ce même si votre liste varie entre nous, c'est des cinéastes qui vont précisément, et
dont tout le cinéma restera, à la lettre, non saisi si on ne se demande pas quelle structure temporelle
est présente dans les images qu'ils nous font voir. Ils nous font voir le temps. Bon là je dis une
platitude quand je dis que le temps est une obsession de Wells, d'accord...Mais quelle structure de
temps ? Comme le disait Robbe-Grillet, ben le temps de Faulkner ben c'est pas le temps de Proust,
oui d'accord.
Quand est-ce qu'il y a problème de temps ? C'est pas difficile, il y a problème de temps à partir du
moment où le temps est abstrait de la forme de la succession. Je dis qu'un cinéaste ne s'intéresse
pas au temps, si tout ce qui concerne le temps chez lui emprunte et se conforme à la forme de la
succession, et j'entends par forme de la succession, même avec retour en arrière, même avec
flashback, le retour en arrière, le flashback, n'a jamais rien compromis à la forme de la succession.
Les auteurs qui utilisent le flashback tout ça sont des auteurs qui n'ont rien à voir avec le temps
même s'ils ont du géni à d'autres égards.

Avoir affaire le temps c'est bien autre chose. Je dis que c'est évident que la structure du temps
que Visconti nous fait voir, est aussi différente, rend visible, et aussi c'est pas facile vous savez de
rendre visible une structure de temps, à travers, une histoire, à travers des images optiques et
sonores. Encore faut avoir le goût pour ça... là j'air de m'enthousiasmer mais non c'est pas ça que
j'aime le plus. C'est des cas très spéciaux. Par exemple à génie égal, il me semble pas que Godard
ait beaucoup d'affaires avec le temps, en revanche que ce soit un problème de Resnais ça oui.

Bien plus qu'est ce qui a fait la merveille du travaille en commun de Robbe-Grillet et de Resnais ?
C'est que comme dans les grands travails à deux, ils ne se sont jamais compris l'un l'autre. C'est
formidable, avoir fait une œuvre aussi consistante que l'année dernière à Marienbad, en y mettant
chacun des choses absolument pires qu'opposées, absolument différentes, et que ça tienne debout
quand même, c'est le signe d'un travail à deux réussi ça. D'un bout à l'autre ils se sont pas compris,
c'est une merveille...Mais ça on le verra peut être si on a le temps. Le temps Visconti c'est pas le
temps Orson Wells, bon je dis des énormités là, et j'ajoute donc, une première fonction de la
profondeur de champ, remarquez oui bon d'accord Wells c'est déjà un signe pour nous. A force de

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parler à droite à gauche on fini par trouver des petits trucs, Visconti pour nous faire voir le temps n'a
pas besoin de la profondeur de champ, ça l'a jamais beaucoup intéressé, et Fellini qui, à certains
moments, vraiment frôle un cinéma du temps, il a aucun besoin de la profondeur de champ. Je me
dis si la profondeur de champ a un rapport quelconque avec une image-temps, c'est avec une forme
d'image-temps très particulière, qui sera, entre autre, celle de Wells. Mais enfin continuons dans
notre quête un peu aveugle. Je dis s'il est vrai que la profondeur de champ a comme première
fonction : produire des contractions, c'est à dire vous donner des images-contraction, elle a aussi la
fonction en apparence opposée, à savoir produire des nappes.

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Deleuze
-- Menu - CINEMA / image-mouvement - Nov.1981/Juin 1982 - cours 1 à 21 - (41 heures) --

CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

- 18/05/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 18/05/82 - 2 Page 1/12


Cours 19 du 18/05/82 - 2 transcription : Céline Romagnoli

« Et en effet vous vous rappelez à quel point tous les films de Welles ont quelque chose à faire avec
une enquête concernant le passé. Bon. Tout le monde le sait ça. Et que, Citizen Kane est construit
sous quelle forme ? Une série de nappes distinctes concernant le passé d'un homme - le citoyen
Kane - en fonction d'un point aveugle : que signifie Rosebud ? Bon.

Et dans beaucoup de cas, la profondeur de champ va intervenir au niveau - peu importe, c'est très
très secondaire que ce soit des témoignages sur Kane, à savoir les souvenirs de A, les souvenirs de
B, les souvenirs de C, ça c'est le plus superficiel, c'est même pas la structure du film, c'est ce qui est
tout à fait superficiel dans le film. Ce qui compte c'est pas que ce soit les souvenirs de A sur Kane et
puis les souvenirs de B sur Kane et puis les souvenirs de C sur Kane. Ce qui compte c'est que ce
soit le passé de Kane pris à des niveaux de profondeur différents, comme s'il y avait une sonde qui
opérait. A chaque fois est atteinte une nappe, une nappe de souvenirs. Une nappe de souvenirs dont
on va se demander si cette nappe là s'insère, coïncide avec la question, mais voyons, qu'est-ce que
voulait dire, qu'est-ce que c'était Rosebud ? Ah est-ce que cette nappe convient ? non ; est-ce que
cette autre convient ? non. Etc. E t cette fois la profondeur de champ va être une image-nappe et elle
va intervenir là comme le déploiement d'une nappe donnée. Par exemple, profondeur de champ
indiquant les rapports de ... les grandes images de la profondeur de champ c'est la nappe liée à la
petite fête qu'il donne au moment - plutôt que ses collaborateurs font pour lui au moment du succès
du journal. Vous avez là au premier plan les collaborateurs, dans le fond de la profondeur de champ,
les petites danseuses qui dansent, lui au milieu en champ intermédiaire, tout ça, qui correspond à
une nappe du passé de Kane. Et puis vous avez une autre nappe avec la rupture avec les
collaborateurs, tout ça en profondeur de champ.

Je dirai que suivant les cas donc, la même profondeur de champ - et ça se comprend très
facilement que le même moyen technique puisse avoir deux effets très différents - la même et, je ne
vois que ces deux fonctions de la profondeur de champ.
Tantôt elle opère une contraction maximale entre moments successifs, tantôt elle décrit une
nappe de souvenirs aptes ou non, ou non aptes, à s'actualiser dans un présent. Voyez tantôt elle
contracte dans le présent des moments successifs.
Tantôt elle décrit une nappe de souvenirs comme aptes ou comme inaptes à s'actualiser dans le
présent.

En ce sens, je dirai que la profondeur de champ est constitutive d'une forme très particulière
d'image-temps, à savoir,

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l'image-mémoire sous ses deux formes, contraction et nappe,
ou l'image-souvenir sous ses deux formes, contraction et nappe, étant entendu que des souvenirs
peuvent être inconscients. Et je ne vois pas bien à quoi elle servirait d'autre la profondeur de champ.
Et pourtant on sait, on sent bien qu'elle doit servir à de tout à fait autre chose, aussi. Mais en tout cas
c'est déjà dire que, la structure du temps chez Orson Welles - ça ne serait qu'un début parce qu'il
nous faudrait très très longtemps mais comme début on a au moins acquis ça - me paraît avoir
comme deux pôles - c'est une structure bipolaire : contraction, nappe. Contraction de moments,
nappe de souvenirs. Encore une fois vous pouvez concevoir de très grands cinéastes du temps chez
qui vous ne retrouviez absolument pas cette structure. Bon.

Or précisément - j'ai l'air de sauter tout le temps d'un point à un autre mais.. je ne peux pas faire
autrement. Or précisément figurez vous que Bergson, dans le second chapitre de "Matière et
Mémoire" - puisque au tout début nous avions commenté complètement le premier - Bergson dans le
second chapitre de "Matière et Mémoire", lance un thème qui est celui-ci : le passé se survit de deux
façons. Le passé se survit d'une part dans des mécanismes moteurs qui le prolongent - et ça c'est la
mémoire-contraction - et d'autre part dans des images-souvenirs qu'il actualise - qui l'actualisent - et
ça c'est la mémoire-nappe. Si bien que, nous dit Bergson, par voie de conséquence directe, s'il y a
ces deux subsistances du passé dans des mécanismes moteurs qui le prolongent et dans des
images-souvenirs qui l'actualisent, conséquence immédiate : il y aura deux manières de reconnaître
quelque chose ou quelqu'un. Il y a deux modes de reconnaissance.

C'est ça qui faut voir. Le premier mode de reconnaissance - vous allez voir en quoi, à quel point ça
enchaîne avec ce que nous disions précédemment - le premier mode de reconnaissance, Bergson
l'appellera « spontané » ou « sensorimoteur ». Reconnaissance spontanée ou sensorimotrice. Bien.
Alors j'essaie de dire très vite - là il faut que vous vous rappeliez un tout petit peu ce qu'on avait fait
au début, vous vous rappelez peut-être - qu'est-ce qui distinguait le vivant des choses, selon
Bergson ? quand on traitait tout, les vivants, les choses, les hommes, tout était image nous
expliquait-il, il n'y a que des images.

Mais qu'est-ce qui distinguait les images qu'on appelait vivantes des images qu'on appelait
inanimées ? C'est tout simple, c'est qu'une chose elle subit une action elle a une réaction, une feuille
d'arbre et le vent par exemple. Et c'est immédiat. Tandis que les animaux à partir d'un certain stade
et puis nous les hommes, nous surtout on a un cerveau. Et qu'est-ce que ça veut dire un cerveau ?
Ca veut dire uniquement un écart. En un sens c'est du vide un cerveau - tel que le définissait
Bergson. C'est rudement bien comme définition. Un cerveau c'est du vide. Ca veut dire uniquement
que, au lieu que la réaction s'enchaîne immédiatement à l'action, il y a un écart entre l'action subie et
la réaction exécutée. Vous vous rappelez ? Ca ne s'enchaîne pas. Et c'est pour ça que la réaction
peut être nouvelle, et imprévisible. Le cerveau désigne uniquement un écart de temps. Un écart
temporel entre l'action subie et la réaction exécutée. Merveilleuse définition du cerveau. Bon.

- Alors, qu'est-ce que c'est reconnaître ? Je subis une action. Ca veut dire, je reçois une excitation.
Ou j'ai une perception. Puis je réagis, ça veux dire, j'agis en fonction de ma perception.

Et un certain écart se fait entre ma perception et mon action. C'est en ce sens que ma réaction est
ou peut être dite « intelligente ». Cet écart peut être très petit. Mais il y aura quand même écart. Ca
n'empêche pas que plus je prends une habitude, plus l‘écart est petit. Si j'ai vu quelqu'un une fois il y

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a un an, et que je le croise dans la rue, avant de lui dire, bonjour comment ça va, il me faut comme
on dit, le temps de le remettre. Puis parfois je me trompe - je dis :ah bonjour..euh..bien. Voyez. Plus
on prend une habitude plus l'écart est petit. C'est-à-dire que mon action s'enchaîne comme
immédiatement à ma perception. Oui. Pourquoi ? Normalement l'écart cérébral ça sert à quoi alors ?
Jusqu'à maintenant Bergson nous l'a définit en termes uniquement négatifs,
le cerveau encore une fois c'est du vide. C'est le vide entre, c'est l'intervalle entre l'excitation et la
réaction. Mais comme il nous dit, ça n'est du vide que du point de vue de l'image-mouvement. Et en
effet, jusque là on en était resté à l'image-mouvement. Ca n'est du vide que du point de vue du
mouvement. C'est une absence de mouvement ou bien, une molécularisation du mouvement, en
passant par le cerveau - le mouvement reçu - l'excitation reçue se divise en une infinité de
micro-mouvements. Bon.

C'est donc seulement du point de vue du mouvement qu'on pouvait dire, le cerveau c'est un écart.
Car d'un autre point de vue s'il y a un autre point de vue, on se dira, qu'est-ce que c'est, ce qui
profite de l'écart pour venir le remplir ? Qu'est-ce qui vient s'introduire dans cet écart ? Réponse de
Bergson : ce qui vient s'introduire dans cet écart, c'est le souvenir. Le souvenir, c'est-à-dire l'autre
type d'image. Bon.

Dans une reconnaissance, dans un acte de reconnaissance sensorimotrice, qu'est-ce qui se passe
? Prenons un cas : la vache reconnaît de l'herbe. Elle s'y trompe pas, on la lâche dans le pré, elle
reconnaît l'herbe. C'est le cas, c'est un exemple courant de reconnaissance sensorimotrice. Ca veut
dire quoi ? Que la simple perception de ce vert et de cette forme déclenche en elle l'activité motrice
de brouter. D'accord. D'accord. Supposez quand même, si petit qu'il soit, et si maline que soit la
vache, si prête à brouter qu'elle soit, il faut un petit, un petit, un tout petit apprentissage ; le tout petit
veau qui vient d'être sevré il peut rater une touffe hein. Il passe à côté. Bon. Donc je dirai que la
reconnaissance sensorimotrice consiste en ceci, que, en fonction d'une excitation donnée, l'animal
montre des réactions de plus en plus rapides et de mieux en mieux adaptées. C'est-à-dire, la
perception se prolonge de mieux en mieux en action. Vous avez une reconnaissance sensorimotrice.
Bon.

Mais comment ça se fait qu'il puisse y avoir un apprentissage ? C'est-à-dire que l'action puisse se
perfectionner, puisse être de mieux en mieux adaptée ? Et former une riposte de plus en plus rapide
? C'est évidemment parce qu'il y a un poids du passé, il y a apprentissage. Bon. Est-ce que c'est des
souvenirs ? Non. On ne peut pas dire - ou du moins on n'a pas de raison de dire, on le dirait
volontiers s'il y avait nécessité, mais est-ce qu'il y a nécessité de dire que le veau se souvient ?
Est-ce qu'il se souvient de l'herbe qu'il a mangée hier ? Remarquez moi c'est différent, chez nous
c'est différent, parce que quand je récite un poème par cœur, je le récite par cœur mais je peux aussi
me souvenir de telle fois où je l'ai répété. Puisqu'il n'y a pas de raison de penser que le veau se
rappelle telle fois où il a mangé de l'herbe plutôt qu'une autre. En d'autres termes, qu'est-ce qui rend
son action de plus en plus rapide et de mieux en mieux adaptée ? » [interruption de la bande]

« Mécanismes moteurs, mécanismes moteurs qui sont les mêmes que ceux que sollicite la
perception actuelle du brin d'herbe. Si je pouvais faire un schéma au tableau vous voyez ce que ça
donnerait, j'aurais un segment perception ; un écart - l'écart cérébral - ; un segment action ;
s'introduisant dans l'écart, le souvenir - mais le souvenir n'intervient ici que sous sa forme la plus
contractée. C'est-à-dire, il est tellement contracté qu'il se prolonge naturellement en mécanisme

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moteur. Et par là même, va être assuré le renforcement du mécanisme moteur qui sous le poids du
passé et de l'apprentissage va devenir de plus en plus - vous me suivez ? - de plus en plus efficace,
de plus en plus adapté. Je dirai que ça c'est de la reconnaissance sensorimotrice.

- Premier problème, que l'on garde de côté, qu'est-ce qui se passe s'il y a un trouble de cette
reconnaissance là ? Faut tout prévoir. S'il y a un trouble de cette reconnaissance là, qu'est-ce que ce
sera, en quoi consistera le trouble ? Qu'est-ce que ce sera la pathologie de cette reconnaissance là
? La pathologie de cette reconnaissance là c'est si les centres moteurs sont atteints. Si les centres
moteurs sont atteints, qu'est-ce qui va se passer ? Il ne va plus pouvoir reconnaître. Non il ne pourra
plus reconnaître, le type, il ne pourra plus reconnaître. Ah il ne pourra plus reconnaître, mais quoi ? Il
aura perdu les souvenirs ? Non, il n'aura pas perdu les souvenirs... Ah tiens il n'aura pas perdu les
souvenirs ! Comment ça il aura des souvenirs et il ne pourra pas s'en servir ? C'est ça. Il aura des
souvenirs et il ne pourra pas s'en servir, ça veut dire quoi ? Il aura des souvenirs intacts même, et il
ne pourra pas s'en servir ; c'est-à-dire, l'atteinte des centres moteurs l'empêchera de faire la
contraction, de prolonger les souvenirs en mouvements moteurs identiques à ceux que la perception
appelle. Ca se complique.

Essayons d'imaginer un tel cas abominable. Quelqu'un connaît la ville - si ça ne vous rappelle rien
pour le cinéma.. ah c'est à vous de trouver. Quelqu'un connaît la ville. Là je parle d'un cas, d'un cas
pathologique. Quelqu'un connaît tellement bien la ville que sur la carte il peut vous raconter toute la
carte. Et après telle rue il y a telle rue, et la rue.. euh il l'a connaît à fond sa ville. Et telle rue fait un
coude, etc, etc. Bon. Il possède intégralement la carte de sa ville. Seulement voilà, il suffit qu'il sorte,
il ne se reconnaît pas. Il ne se reconnaît pas. Ce sont des cas célèbres qui ont enchantés la
psychiatrie du dix-neuvième siècle. Et bon c'est... ou bien, un crayon, vous parlez à quelqu'un d'un
crayon, il sait très bien ce que c'est, vous lui dites qu'est-ce que c'est un crayon ? Il dit : alors c'est
long, c'est pointu - on jurerait du Robbe-Grillet. C'est en effet dans des déclarations d'aphasiques
que vous trouverez des descriptions tout à fait "nouveau roman". C'est long, c'est pointu, il y a une
mine au bout et ça sert à écrire. Et il vous dira tout ça très bien. Alors on lui passe un crayon, et on
lui dit, tu m'écris quelque chose. Il sait plus. Il sait plus. Bon, en quoi ça nous intéresse ce trouble
fondamental ? C'est un trouble de la reconnaissance sensorimotrice. C'est un trouble typiquement
sensorimoteur. C'est un trouble de la reconnaissance spontanée. Il a gardé la mémoire et la
compréhension de la ville dans tous ses détails. Et il ne sait plus se diriger dans la ville. Bien.

Voyez c'est pas étonnant, si vous avez compris là, ce petit schéma, c'est tout simple. La
reconnaissance sensorimotrice n'implique aucune intervention des souvenirs par eux-mêmes. Elle
n'implique aucune intervention des souvenirs en tant que tels, on est bien d'accord. Elle se fait
uniquement par excitation, action. La reconnaissance consiste en ce que l'action est de mieux en
mieux adaptée à l'excitation. Mais alors comment est-ce que l'action peut se perfectionner ainsi ?
Parce que les souvenirs n'interviennent pas en tant que tels, on est d'accord. Ils n'en sont pas moins
là. Ils sont là. Et ils se contractent, ils se contractent de telle manière qu'ils se prolongent directement
dans les mouvements moteurs, ces mouvements moteurs là même que la perception présente
sollicite. Supposez donc :

je dirai c'est une reconnaissance qui ne se fait pas par souvenir, pourtant les souvenirs sont là,
c'est une reconnaissance qui se fait par contraction du passé dans le présent. C'est une
reconnaissance-contraction, et non pas une reconnaissance-nappe. Si les troubles moteurs qui

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assurent la contraction sont atteints, les souvenirs sont là, mais justement ils ne se prolongent plus
en mécanisme moteur. Dès lors qu'ils ne se prolongent plus dans les mécanismes moteurs que la
perception présente appelle, dès lors, vous ne reconnaissez plus, vous ne reconnaissez plus votre
ville dont vous avez pourtant le souvenir le plus parfait.

Mais il y a un tel choix de troubles que.. on va voir qu'il y a de tout autres troubles si celui là ne vous
va pas. C'est clair ou pas ? Enfin il faut que ce le soit, on n'a plus le temps de rien, si on n'avait pas
perdu tant de temps ce matin... Bon alors vous voyez.. est-ce qu'il vous faut un petit repos ? Bon, je
dis là on en est en plein dans... images-contractions, la contraction se fait plus. Voyez donc que,
Bergson peut nous dire, dans son schéma de la reconnaissance, cette reconnaissance
sensorimotrice c'est tout à fait curieux, encore une fois, elle se fait indépendamment du souvenir, et
pourtant le passé est là.

Mais le passé n'est pas là sous la forme du souvenir, il est là sous la forme d'un passé tellement
contracté qu'il se prolonge en mécanisme moteur. Et si le souvenir intervient c'est uniquement en
tant qu'il est pris dans la contraction. Mais il n'est pas actualisé en tant que souvenir, puisque bien
plus, vous avez la contre épreuve : le malade dont je parle, il actualise complètement son souvenir
de la ville, il évoque parfaitement le souvenir, il a donc un souvenir actuel, un souvenir actualisé. Ca
ne lui sert à rien. Parce qu'il ne peut pas faire la contraction. Bon. Il lui manque cet aspect
fondamental du temps : la contraction des moments. Je dirai que - alors là pour parler comme
Shakespeare, parce qu'il y a une phrase que j'aime tellement dans Shakespeare, c'est : « le temps
sort de ses gonds ». La contraction et la nappe sont les deux gonds du temps, c'est-à-dire ce autour
de quoi il tourne. Si la contraction ne se fait plus il est au moins sorti de l'un de ses premiers gonds.

Passons à l'autre gond. Vous suivez ou vous suivez pas du tout ? Parce que ma question elle est
que... j'ai l'impression que je suis pas assez en forme pour être très clair là aujourd'hui, mais... parce
que si vous ne suivez pas c'est embêtant. Mais enfin ce n'est qu'un mauvais moment à passer, parce
que c'est pas absolument nécessaire pour la suite. Et pourtant si.. enfin.. Bon, deuxième
reconnaissance. Ecoutez, il est midi vingt-cinq, on prend cinq minutes de repos mais je vous en
supplie, soyez gentils, vous ne partez pas, vous restez sous mon œil. Parce que je vous connais
sinon vous allez faire regrincer les portes. On.. juste là on dort, on dort cinq minutes. Non trois
minutes. C'est comme une course parce que si j'arrive pas à la fin de quelque chose là ce sera
impossible à reprendre. Vous ne voudrez pas d'abord, vous n'en pourrez plus... et puis voilà, voilà,
voilà, ils sont sortis, ils sont sortis ! Et pourquoi ? Pour boire, pour manger....

Là-dessus, il nous dit, tout autre sorte de reconnaissance. Vous avez une reconnaissance attentive.
C'est du type quoi ? Vous comprenez j'ai une reconnaissance sensorimotrice, lorsque, il y a mon
crayon sur la table par exemple, et puis je le prends, et je me mets à écrire. Il a bien fallu.. j'ai pas
pris une fourchette ! Ah ah ah. Je ris parce que vous ne semblez pas voir que c'était une intention
très très amusante. J'ai pris mon crayon, il y a eu une reconnaissance sensorimotrice, ça ne s'est
pas fait par souvenir. Les souvenirs étaient bien là, mais mes souvenirs de crayon étaient tellement
contractés que ils se prolongeaient naturellement dans l'acte moteur : écrire, lequel était sollicité par
la situation présente. Donc tout va bien. Là-dessus je me dis, oh là là où est mon crayon, où est mon
crayon ? D'abord, j'espère que... vous faites cette expérience constamment, si vous vous rappelez
pas bien ce que vous cherchez, vous risquez pas de le trouver, tout le temps ça ça nous arrive tout
le temps, je cherche mon crayon et puis je me dis, mais qu'est-ce que je suis en train de chercher ?

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Bah oui il faut que je me rappelle que je cherche mon crayon. Ou bien vous rencontrez quelqu'un
dans la rue, courant, vous vous dites, celui là je l'ai vu quelque part, alors où je l'ai vu ? C'est un tout
autre type de reconnaissance, quand vous arrivez à le reconnaître ou à trouver votre crayon. Là c'est
pas du sensorimoteur, jamais on a vu une vache chercher un crayon dans un pré. Il y a autre chose
je veux dire. Autre chose. Bon.

C'est une reconnaissance que Bergson appellera, en prenant le mot le plus simple, «
reconnaissance attentive ». Mais ce qui est intéressant, c'est quoi ? C'est en quoi elle consiste. La
reconnaissance sensorimotrice, elle consistait en ceci que ma perception présente se prolongeait en
action, laquelle action était d'autant plus parfaite que mon passé se contractait mieux. Cette nouvelle
reconnaissance elle est complètement différente. Ce n'est plus : ma perception se prolonge en action
; mais ... mais.. [la porte grince]
c'est vrai j'oubliais, c'est l'heure où il y en a qui partent, ça va recommencer comme ça... le
problème c'est les nerfs, voilà c'est ça, c'est les nerfs. Alors vous comprenez là cette reconnaissance
attentive c'est plus du tout votre perception qui se prolonge en action... [la porte grince]. Oh, oh,
oooh, ohh, voyez juste que ça finit comme ça commence, c'est-à-dire catastrophe tout ça,
catastrophe. Alors... vous faites tout à fait autre chose. Vous allez, par exemple, vous regardez, vous
regardez, vous avez croisé quelqu'un, vous vous dites, mais qui c'est ? Vous regardez, et au lieu
d'une perception qui se prolonge en action, votre action, votre action est très curieuse, c'est une
action sur place qui consiste à revenir sur l'objet. Vous revenez sur l'objet, vous faites retour à l'objet.
Même si c'est un objet qui n'est pas là : vous faites retour à l'image de l'objet que vous cherchez.
Faites retour - c'est-à-dire, vous formez un petit circuit, un circuit sur place, un circuit minimum.

Ce retour sur l'objet, Bergson va le décrire comment ? Il va le définir comment ? Il va dire, vous
repassez sur les contours. Vous repassez sur les contours, c'est-à-dire, vous appliquez sur l'objet
une description de l'objet. Description. Vous appliquez sur les contours de l'objet une description de
l'objet. Qu'est-ce que veut dire « décrire » là ? Au sens le plus général : souligner au moins certains
traits. Pas forcément tous. Par exemple il y a quelque chose qui vous a frappé chez le type que vous
croisiez, quelque chose dans la nuque. Vous repassez en esprit sur cette nuque. Voyez vous formez
un circuit, constitué par votre perception présente et votre description présente. Les contours de la
chose, et l'acte de repasser par les contours. Circuit minimum. Ca c'est - vous avez rien trouvé
encore - c'est l'appel à quoi ? Là-dessus vous allez, comme dit Bergson, faire un saut, S, A, U, T, un
bond. Un bond sur place dans quoi ? Vous avez de bizarres pressentiments. A tel niveau de votre
passé. A tel niveau de votre passé.

Pardon je prends un exemple pour moi, pour que tout ça soit lumineux. Je rencontre quelqu'un dans
la rue, que j'ai l'impression.. de toute manière il y a longtemps que je ne l'ai pas vu. Et j'essaie, mais
à toute vitesse, à toute vitesse, à toute vitesse cérébrale, enfin dans mon cas très lentement, mais il
y en a très très... Et vous essayez des sauts successifs, et tout à fait hétérogènes. C'est pas un seul
saut et vous pouvez arrêtez. Chacun a sa destination, si vous avez raté il faut recommencer le saut.
Vous vous dites, alors moi dans mon cas je me dis : tiens, première chose, ça c'est pas un type de
Paris, je ne l'ai pas connu à Paris celui là. Non. Vague impression. C'est pas à Paris que je l'ai
connu, non, non ? Je sais pas pourquoi je me dis ça. C'est parce que j'ai passé sur les contours, j'ai
bien repassé sur les contours, bon, ça colle pas - avec quoi ? Avec d'autres contours. Les contours
qui sont dans ma mémoire.. de quoi ? De choses de Paris, de choses, d'articles parisiens, non ?
Comme si les lignes... Non. Alors je me dis, tiens, je me rappelle, j'ai été prof à Lyon. Est-ce que ce

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serait un étudiant de Lyon ? Alors je me dis d'après son âge, puis d'après sa tête.. oh tiens il a bien
une tête de Lyonnais. C'est-y pas à Lyon que je l'ai connu, ce type ? Je fais un saut à quoi ? Je fais
un saut à, et au niveau d'une nappe de souvenirs, ma nappe de souvenirs Lyon. Et plof, je retombe,
quelque chose m'a dit, non. Ca colle pas. J'ai l'impression que ça colle pas. Oh je me dis alors quoi ?
non, ça doit pas être Lyon. Je reviens à mon présent, je repasse encore - s'il n'est pas parti, sinon je
repasse sur mon image que j'ai gardée - oh mais alors c'était peut être à Paris mais dans ma petite
enfance. On aurait été copain de classe alors ? Je me dis... Vous comprenez, je risque d'avoir une
réponse... c'est comme un ordinateur, tel programme, je lance tel programme, programme lycée, ou
petite classe. Alors ça risque de répondre « non », ou ça risque de répondre « oui », et si ça répond
oui, mais alors en quelle classe ? c'était en onzième ? Bon... tout ça. Voyez, je m'installe, je fais des
sauts qui vont me porter... tel niveau de souvenirs, tel autre niveau de souvenirs, tel autre niveau de
souvenirs. Si j'atteins au bon niveau, avant de savoir qui c'est, j'ai le sentiment que c'est bien là que
ça se passe. C'est très curieux là ces espèces d'expériences de.. « ah c'est bien ça », avant de
savoir ce que c'est. Je me dis en effet, c'est un lyonnais, mais oui c'est sûr, ça peut être qu'un
lyonnais ! Alors en effet si j'ai repassé par exemple.. là-dessus, habile, habile comme je peux être, je
lui dis « quelle heure est-il ? », il me répond avec un accent qui ne trompe pas. Je suis bien sur mon
bon niveau, je suis à la bonne nappe de souvenirs. Ca va. Là-dessus, je peux être sûr de moi, je lui
dis, n'est-ce pas à Lyon que nous nous sommes rencontrés ? Mais j'ai déjà fait tout le boulot.

Vous comprenez ? Là qu'est-ce que c'est la figure de la reconnaissance ? Je suis parti du.. je dirai
du circuit le plus contracté. Mais vous voyez, c'est plus du tout la contraction de tout à l'heure. Ce
que j'appelle maintenant le circuit le plus contracté ou le circuit minimum, c'est ce circuit par lequel je
partais des contours, des lignes, et repassais sur les contours. Je repassais et ne cessais pas de
repasser sur les contours, je formais mon circuit minimum de base. A partir de là je sautais - plus
besoin de parler de « nappe », qui est un mot un peu troublant - je sautais dans des circuits de plus
en plus profonds, dans des circuits étagés, et à chaque circuit il y avait toute une région de mon
passé. Jusqu'à ce que je tombe sur le bon circuit. Alors à ce moment là qu'est-ce qui se passait ?
Les souvenirs de ce circuit, qu'est-ce qu'ils faisaient ? Bien vous voyez, ils ne se contractaient plus,
ils s'actualisaient, de telle manière que je m'approprie le souvenir utile. Et qu'est-ce que c'est dans ce
cas le souvenir utile ? Ca n'est plus du tout un souvenir contracté avec d'autres souvenirs, c'est un
souvenir dont les lignes coïncident avec les lignes de la chose que je percevais. La figure, si je fais
cette fois une figure de cette seconde forme de la reconnaissance, je ferais un tout petit rond, qui
serait comme le point commun de cercles de plus en plus larges. Vous voyez, je vais pas le faire,
faudrait le faire au tableau ; je fais un point, qui est le point commun de plusieurs cercles intérieurs
les uns aux autres, de plus en plus larges, vous me suivez ? Tout facile. Ca c'est le schéma de la
reconnaissance attentive. Donc je peux dire maintenant pour plus de commodité, je retrouve mes
deux structures de temps, mes deux structures temporelles : la contraction, la mémoire contraction ;
et la mémoire que je dirai, maintenant je n'ai plus besoin de « nappe », la mémoire circuit.

Une pluralité, je vais chercher le souvenir dont j'ai besoin dans le circuit du passé qui est capable de
me le fournir. Si j'échoue et bien j'échoue, j'ai pas trouvé le souvenir, le souvenir reste inconscient
comme on dit. Si je rate mon saut - surtout que ces circuits, vous comprenez ils ne préexistent pas
tout faits, je me suis donné la partie belle en me donnant un circuit « Lyon », un circuit « petite
enfance », chacun de nous peut faire ça, mais en fait ces circuits c'est des circuits électriques, qui se
créent sur le moment et en fonction des situations, et qui ne sont pas toujours les mêmes pour un
même individu, qui varient énormément. Par exemple je peux avoir un circuit et je peux faire un

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circuit « amour ». Ca c'est particulièrement émouvant, je croise quelqu'un et je me dis : est-ce
quelqu'un que j'ai aimé ? ou détesté, je peux faire un circuit « haine ». Ah celui-là.. Aujourd'hui ca me
convient mieux, c'est plus adapté à mon cas vous voyez.. bon je le croise, alors c'est terrible, ça c'est
terrible après tout il n'y a pas de quoi rire, croiser quelqu'un qu'on a pu aimer et qu'on reconnait mal,
il n'y a pas... oh que mon exemple est triste. Est-ce que ça peut arriver une chose comme ça ? Non
ça ne peut pas arriver.

Alors vous voyez.. Hélas ça arrive. Et bien voilà.. bon, j'ai mes deux schémas. Mais j'avais dit,
trouble, trouble. Trouble. J'avais dit quel était le trouble du premier schéma. En fait j'ai pas deux
figures du temps, j'en ai quatre. Car je reviens à mon premier trouble, trouble de la reconnaissance
sensorimotrice. C'était un drôle de truc ce trouble. Les souvenirs étaient là. Je dirais, tous les circuits
étaient intacts. Notamment, par exemple, dans mon exemple, le circuit de la ville était là. Seulement
les souvenirs ne se contractaient plus dans le présent sensorimoteur. J'étais donc dans la situation
suivante, si j'essaie de décrire le trouble : j'étais dans un présent que je ne reconnaissais pas ; j'étais
à la fois dansunprésent que je ne reconnaissais pas, et dans un passé que je reconnaissais mais
dont je ne pouvais plus me servir. Le passé était conservé, mais il se tenait dans une espèce
d'affrontement, ne pouvant plus se contracter, il se tenait dans un espèce de face à face terrifiant
avec un présent que je ne reconnaissais plus. Vous voyez ? La reconnaissance attentive elle, elle va
avoir un trouble fondamental aussi. Si vous m'avez suivi, supposez que mes cercles - voyez il faut
que vous compreniez là cette figure encore une fois - je pars de mon petit circuit, circuit présent qui
est comme un point. Et à partir de ce point je trace des cercles de plus en plus grands, intérieurs les
uns aux autres, qui ont ce point commun sur leur périphérie. Je peux dire que tous les cercles se
fondent uniquement au niveau de ce point. Sinon ils ont des centres, ils ont des rayons, des
diamètres variables, différents. Vous ne le voyez pas mon dessin ? [Il prend un papier] Un papier, un
papier, vous allez voir, vous allez voir....hélas ! Oh je fais des cercles très émouvants. Voilà. Ils sont
jolis hein ? Tout le monde à compris, bon.

Alors.. qu'est-ce qui peut se passer ? Trouble de la reconnaissance attentive. Qu'est-ce qui se
passe ? Je dirai cette fois c'est, d'une certaine manière, les souvenirs qui ne s'actualisent plus. Dans
le cas précédent, le souvenir était parfaitement actualisé. Les souvenirs ne s'actualisent plus, mais
ça veut dire quoi ? Ca veut dire que je vais bien avoir mes circuits virtuels, j'ai tous mes circuits
virtuels - d'une certaine manière j'en ai pas la possession, mais ils sont là. J'ai tous mes circuits
virtuels, mais ils ne coïncident plus, ils ne coïncident plus dans le point commun de leur périphérie.
Si bien que chacun de ces circuits aura comme un présent à sa périphérie, aura un présent qui sera
le même que celui des autres, c'est-à-dire le présent de maintenant, mais ce ne sera pas le même
présent. Ce présent n'aura pas du tout le même contenu. Terrible maladie, la quelle est pire ?
Laquelle est pire ? Cette fois ci je ne me trouverai plus dans une espèce d'alternative ; dans le
premier cas j'étais dans une alternative, à la lettre que je dirai une alternative indécidable. Dans
l'autre cas, je me trouve dans une confusion indiscernable. Mes circuits virtuels du passé, je ne peux
plus distinguer, les distinguer les uns des autres. Je ne peux plus distinguer les différents niveaux de
mon passé, pas plus que je ne peux distinguer les niveaux de mon passé de mon présent actuel. En
d'autres termes, chacun des circuits a un présent actuel qui ne coïncide pas avec le présent actuel
de l'autre. Et je suis contraint à ce moment là de vivre à la fois tous ces présents actuels.

Bon, écoutez on n'en peut plus, je résume. Mais ça aurait dû faire toute une séance tout ça alors
bon faut pas s'en faire. Je prends un exemple, parce qu'en fait mon objet c'était d'en arriver là pour la

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prochaine fois, être... repartir sur des choses plus saines, plus claires.. Je dis, comprenez il n'y a plus
de problème pour nous. Prenons un exemple.

Je disais, les deux premières structures de temps que je vois se dégager clairement c'est, avec la
profondeur de champ, le temps-contraction, et le temps-nappe ou circuit. Et ça me semblait très bien
correspondre à.. enfin au début, à une introduction, si vous voulez, à ce qui aurait pu être une
introduction au temps chez Welles. Là. Prenez mon premier trouble. Mon premier trouble de
reconnaissance. Un trouble entendons nous, un trouble peut nous révéler quelque chose sur le
temps qui n'est pas lui-même un trouble. Ce qui m'intéresse c'est pas du tout que ce soit un trouble
ou pas, ce qui m'intéresse c'est, est-ce que c'est une autre structure du temps ou pas ? Dans le
premier cas de trouble, trouble de la reconnaissance sensorimotrice, je me trouve dans une drôle de
situation, puisque restent en confrontation radicale, encore une fois un présent dans lequel je ne
m'oriente plus et je ne me reconnais plus, et un souvenir dont je ne me sers plus. Je dirai, je suis
dans la situation d'une rencontre et d'un tête à tête insupportable entre un présent qui n'est plus que
optique, et un souvenir qui n'a plus rien de psychologique.

A mon avis, je le dis très vite, ça ce serait également une introduction - et j'insiste sur introduction -
une introduction possible à l'étude du temps chez Resnais. Et c'est pour le même lieu et les mêmes
personnes la structure de "L'année dernière à Marienbad" - la structure de base, évidemment ça se
complique beaucoup. Et, c'est, alors par un raffinement très très curieux, c'est aussi la structure de
base, mais en fonction de deux lieux différents, qui se tiennent dans cet affrontement, Hiroshima,
Angers, avec des personnes différentes cette fois-ci, mais la même structure temporelle est
appliquée là, et je crois que précisément, parce que les lieux sont différents dans ce cas, dans
"Hiroshima mon amour", le procédé temporel, la structure temporelle gagne en richesse, gagne une
espèce de richesse fantastique. Bon, si vous m'accordiez ça - et encore ce n'est que de très timides
introductions - cherchons l'autre trouble.

- Voyez l'autre trouble c'est que mon présent actuel s'est à la lettre multiplié, volatilisé, en autant de
présents différents et simultanés qu'il y a de circuits virtuels de la mémoire, qu'il y a de circuits
virtuels du passé. Je prends un exemple.
A un niveau du passé, l'enlèvement n'avait pas eu lieu.
A un niveau du passé, l'enlèvement a eu lieu.
A un autre niveau du passé, c'est l'évènement qui était en train d'avoir lieu.

Prenez ces trois circuits. Considérez que ils ne se fondent plus par rapport, qu'ils ne se confondent
plus en un point qui serait un présent "actuel". Chaque circuit vaut pour lui-même virtuellement avec
son présent. Et les trois présent, le présent par rapport auquel l'évènement, l'enlèvement a eu lieu, le
présent par rapport auquel l'enlèvement n'a pas encore eu lieu, le présent de l'enlèvement lui-même,
vont former une espèce de ligne brisée où je ne pourrai plus distinguer ni ce qui est passé, ni ce qui
est présent, ni ce qui est futur. J'aurai constitué un bloc indiscernable. Dans un cas j'étais dans une
alternative indécidable, Angers, Hiroshima ; Hiroshima, Angers. Dans l'autre cas je suis dans un bloc
indécidable - non, indiscernable pardon, dans un bloc indiscernable. L'enlèvement a-t-il eu lieu,
est-ce qu'il va avoir lieu, est-ce qu'il est en train d'avoir lieu ? Est-ce que bien plus, tout ce que je suis
en train de faire pour qu'il n'ait pas lieu, est-ce que c'est pas ça qui fait qu'il a lieu ? Ceux qui
connaissent ont reconnu là dans mon exemple de l'enlèvement un film typique de Robbe-Grillet,
celui qui s'appelait "Le jeu avec le feu".

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Mais je dis pour terminer, la merveille, c'est que, entre Robbe-Grillet et Resnais, quand ils ont
travaillé ensemble, pourquoi est-ce que Robbe-Grillet qui est moins gentil, je trouve, que Resnais -
Resnais il a toujours donné, chaque fois qu'il a travaillé avec quelqu'un il a donné au quelqu'un le
maximum - Robbe-Grillet à propos de Marienbad il dit tout le temps, mon film, mon film, il hésite pas
à dire que Resnais a pas compris, mais je crois que lui il n'a pas compris quelque chose, c'est qu'en
effet Resnais lui a compris tout a fait autre chose. Et que ce qu'a compris Resnais n'était pas moins
intéressant que ce qu'a compris Robbe-Grillet. Car, ce qu'il y a de très curieux dans un film aussi
bizarre que "L'année dernière à Marienbad", c'est que, Robbe-Grillet y voit une structure temporelle
qui n'est pas du tout la même que celle que Robbe-Grillet y voit -euh, que Resnais y voit. C'est pour
ça, on dit très souvent que Resnais, lui, considère que, il y a eu une année dernière à Marienbad.
Tandis que Robbe-Grillet dans des textes célèbres explique qu'il faut être idiot pour croire qu'il y a eu
une année dernière à Marienbad, il n'y a pas eu d'année dernière à Marienbad. Enfin je ne suis pas
sûr que l'idiot ce soit Resnais. Je veux dire, aucun des deux n'est idiot. Mais ça va de soi que
Resnais ne dit pas du tout une bêtise, quand il dit moi, je préfère croire qu'il y a eu une année
dernière à Marienbad. Parce que la conception du temps dans ce film tel qu'on peut le rapporter à
Resnais, implique la confrontation entre un présent qui n'est plus reconnu, et un passé qui ne sert
plus. Donc il faut à tout prix qu'il y ait eu, sinon la structure temporelle s'écroule. Et c'est pas du tout
parce que Resnais est plus, est moins philosophe que Robbe-Grillet, au contraire, le schéma
temporel de Resnais me paraît bien plus complexe comme schéma - puisque là je n'en dis que ce
qui me paraît le tout début - bien plus complexe. Tandis que dans le cas Robbe-Grillet en effet, il ne
peut pas y avoir eu d'année dernière à Marienbad. Pour la simple raison que lui, il prend l'autre
structure temporelle. A savoir, une structure de blocs indiscernables, où les circuits coexistent,
chacun ayant son présent, sans que je puisse distinguer entre les présents. Dès lors il ne peut pas y
avoir eu, puisqu'en effet, c'est du présent, c'est du passé, c'est du futur, la question a perdu tout
sens. Ce qui compte c'est juste la coexistence de tous ces circuits chacun avec un présent. Un
présent où c'est déjà fait, un présent où c'est pas encore fait, un présent où c'est en train de se faire.

Redoublons les difficultés. Parce que il ne suffit pas d'opposer Resnais et Robbe-Grillet, encore une
fois, admirez quelle œuvre... c'est quand même un très grand film ce truc. Et ils l'ont fait à force de
ne pas se comprendre. Et ca ne suffit pas de ne pas se comprendre pour réussir quelque chose.
Mais je dis qu'il y a une manière très spéciale de ne pas se comprendre, qui a ce moment là est
sûrement formidable. Et je dis pour compliquer les choses, mais on pourrait dire les deux structures -
la structure Resnais et la structure Robbe-Grillet - elles coexistent. Si vous privilégiez un petit peu le
personnage de la femme, dans "L'année dernière à Marienbad", c'est évident que c'est Resnais qui a
raison : il y a eu une année dernière à Marienbad. Il y a eu une année dernière à Marienbad ; en
même temps la femme ne se reconnaît pas. Elle ne se reconnaît pas dans le présent et elle ne
reconnaît pas l'homme. Oui c'est évident. Si vous privilégiez l'homme, c'est Robbe-Grillet qui a
raison. Il n'y a pas eu d"année dernière à Marienbad". Alors je fais pas là une synthèse facile, pas du
tout, c'est pas du tout une synthèse. Je dis, ce film est fondé sur deux structures temporelles
extrêmement différentes, dont on peut, il me semble, dont on peut légitimement - enfin avec des
raisons, avec certaines raisons - rapporter l'une à l'apport propre de Resnais, et l'autre à l'apport
propre de Robbe-Grillet.

Or qu'est-ce que je suis en train de.. pour en terminer enfin.. ce que je viens d'essayer d'esquisser -
ça aurait dû être le programme d'une autre année, à savoir le problème des images-temps au

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cinéma. Je pourrais ajouter certaines choses la prochaine fois, mais ce que j'en retiens, c'est que,
vous voyez, je dirai si je résume ma conclusion pour la rattacher à l'ensemble,
ce que j'appelais les images optiques et sonores pures, sont des images qui impliquent ou qui
miment un trouble de la reconnaissance, et qui dès lors, ces images optiques et sonores pures,
peuvent - je ne dis pas que ce soit nécessaire, on verra qu'il y a d'autres cas - peuvent, il peut arriver
que ces images optiques et sonores entrent en relation directe avec des structures temporelles
complexes qui feront l'objet du cinéma, qui feront l'objet d'un film, comme elles peuvent faire l'objet
d'une œuvre musicale, comme elles peuvent faire l'objet d'une œuvre littéraire. A cet égard, le
cinéma n'est absolument pas condamné au procédé sans aucun intérêt du flash-back ou de la
succession ou du retour etc, etc. Donc la prochaine fois on verra ces rapports. »

Comtesse : je peux faire une remarque ? à propos de ce que tu as dit "L'année dernière à
Marienbad", C'est peut être finalement l'important ce n'est pas si l'évènement a eu lieu ou pas. Dans
le film de Robbe grillet et de Resnais l'important c'est de sortir de l'espace labyrinthique du chateau
qui est tenu par le maitre du jeu. Qu'importe si l'évènement a eu lieu ou pas !

Deleuze - « Toi Comtesse, je suis pas contre, tu dis autre chose, tu dis autre chose qui ne concerne
plus le temps, je précise que moi je ne pense pas - en effet je suis comme toi

L'année dernière à Marienbad ce n'est pas un film sur le temps.

Deleuze - « ah d'accord, d'accord, alors...d'accord.. »

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Post-scriptum : AV

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

21- 01/06/82
Marielle Burkhalter

21- 01/06/82 Page 1/14


cours 21 du 01/06/82 - 1 Deleuze - Cinéma transcription : Noè Schur

...comme un élément intérieur à l'ensemble. C'est, j'appellerai ça , permettez-moi d'appeler ça, «


première position ».

« Deuxième position » ; je dis : « je vois un homme ». Mais rien que dans le ton, l'intonation de ma
phrase, j'entends bien que si je vois un homme ça veut dire qu'il y en a d'autres pas loin. C'est le
premier d'une série que je ne vois pas encore. C'est-à-dire, en voyant un homme, j'ai la certitude qu'il
n'est pas tout seul. Parce que, par exemple, si je dis : je sais, supposons, que les loups vont par
groupes. Je dis, quand je vois un loup, ça veut dire : je vois un loup, mais je sais très bien qu'il est le
premier d'une série.

Là, bon. Ça, ce n'est plus un élément pris dans l'ensemble, c'est un élément pris à la bordure de
l'ensemble. Je ne vois pas l'ensemble : l'ensemble m'est annoncé par cet élément de bordure. C'est
une autre position de « un ». Deuxième position de « un ».

« Troisième position de « un » » : je prends une mouche. J'ai un petit carton avec plein de mouches,
mortes. Je prends une mouche, avec une pince, et je vous la montre, et je dis : c'est une mouche, un
exemplaire de mouche ; je l'ai sortie de son ensemble. Troisième position de « un ».

Je dirais ça c'est trois « signifiés d'effet ». Bon. Reportons-les sur tel mouvement. Je vais pouvoir, à
travers mes positions, remplir les intervalles et tracer un mouvement de la pensée qui va être le
signifié de puissance de l'article indéfini « un ».

Et Guillaume va faire une théorie, là je ne donne que le résultat qui va vous paraître très très
décevant, mais ça me paraît quand même une méthode très intéressante : il va dire, l'article indéfini,
c'est le mouvement de l'individuation.

Tandis que l'article défini, « le », c'est le mouvement de la généralisation. Il va faire des graphes, où
chaque fois, ces mouvements, ces mouvements de pensée vont être pris avec les positions sur eux
que marquent les signifiés d'effet.

Le mouvement de pensée, voyez, ça va être : le temps impliqué, si je résume, ou le signifié de


puissance ; et les signifiés d'effet, c'est-à-dire tels que la langue nous les donne, tels qu'une langue
nous les donne, ça va être des positions prises sur ce signifié de puissance qui est procès,
processus, aspect. Si bien que tout va bien. Je veux dire, à ce moment-là dans ces temps impliqués,

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dans ces processus.

Je dirais que les images optiques, si je reviens à mon thème du cinéma, ne sont que des positions
par rapport à ces implications temporels, à ces processus de pensée. Et je peux retrouver l'idée que
c'est toujours à l'état naissant, c'est forcément à l'état naissant, car si je les prends par l'état naissant
ou à l'état finissant, peu importe, je retomberais alors dans le domaine du langage explicite, je
retomberais alors dans le domaine de l'image-mouvement tel que etc.

En tout cas je crois que ça nous permettrait de maintenir que le cinéma n'a rien à voir avec du
langage, ou que, du moins, c'est le statut du rapport du langage avec le pré-linguistique et que c'est
ça qui constitue l'essentiel de ce qui n'est en aucun cas un langage de code. Mais que si, en effet,
que si on tient à dire que c'est un langage, que c'est un langage analogique.

Seulement aujourd'hui, il me semble que les gens ne comprennent même plus tout à fait ce que ça
veut dire qu'un langage analogique, parce qu'ils croient que c'est un langage de mimes, parce qu'ils
croient que c'est un langage où on imite, que c'est un langage imitatif ; alors que le langage
analogique n'a jamais été ça. Bon, voilà tout ce que...

Voyez ça serait donc ces quatre modes :


mode imaginaire,
mode critique,
mode didactique,
mode temporel (du temps impliqué).

Et, ce qu'il faudrait montrer alors à ce moment là, mais ce serait très facile, c'est : à quel point tout ça
est complètement...comment tout se chevauche.

Si bien que là, voilà, le moment est venu, vous voyez, j'ai comme... le moment est venu pour moi
de... une récapitulation et je ne voudrais pas faire un résumé. Je voudrais dire, bon eh ben
essayons, essayons de faire un peu comme... j'avais consacré une séance à Peirce, et à sa
classification des signes si bizarre, et je m'en était servi.

Eh ben, là je voudrais dire : on oublie Peirce, on ne retient de lui qu'une chose qui nous avait parue
excellente et qui nous avait servi beaucoup. La distinction de trois modes d'existence qui recoupent
les signes.

Priméité, ce qui n'a affaire qu'avec soi-même ; - secondéité, là où il y a deux termes, action /
réaction ;
tiercéité, là où il y a une relation réelle entre deux termes, c'est-à-dire là où il y a un tiers.

Et, on avait vu,


priméité, c'était pour nous l'image-affection. Et en effet l'affect n'a rien à faire sauf avec lui-même
(même quand il a une cause, ce n'est pas la question, là je ne reviens pas sur tous ces points)
Deuxièmement, la secondéité qui était l'image-action
troisièmement la tiercéité. C'était une image à la recherche de laquelle on était. Et c'est
uniquement là donc [que] je retiendrais des mots.

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Mais je dis bien pour qu'il n'y ait pas de confusions, je retiendrai des mots de Peirce, mais à mon
avis je ne garderai jamais le sens qu'il donne à ces mots pour lui-même. J'aurai besoin des mots,
mais ça c'est un droit je crois, une fois dit que je préviens, et je leur donnerai un autre sens que je
préciserai.

Si bien que, pour résumer tout ce qu'on a fait, je vous propose juste comme une classification des
signes qu'on aurait obtenus. Et ça fait un rude truc où parfois il y a des mots bizarres, mais.

Alors bon, onze heure et demi, là il faut que je passe au secrétariat... Donc je le fais le plus vite
possible. [discussions de l'auditoire] Ah non après, après tu vas faire dodo...toute la journée, et puis
un petit cinéma ce soir [discussions de l'auditoire]. Il va en mettre plein la tête, moi je sais plus...

Alors vous voyez... voyez voilà... voilà mais ce n'est pas tout à fait, ce n'est pas très au point, voilà la
classification des signes que je voudrais vous proposer pour que vous l'appreniez par cœur pendant
les vacances [rires de l'auditoire]. Mais avec tous les droits pour vous, vous les changez... hein, vous
en mettez un qui était là, vous le mettez là enfin... voilà.

Je dis :
premièrement, et vous allez voir que ça récapitule tout ce qu'on a fait cette année. Premièrement,
dans notre départ bergsonien, et ça j'y tenais beaucoup, image = mouvement = matière. Et c'était
l'image-mouvement. Et, on partait de ça : l'image est mouvement, le mouvement est image.
Évidemment ça veut pas dire grand chose pour ceux qui n'ont pas tout suivi, mais ça ne fait rien
quoi. Donc mon premier niveau, c'est image-mouvement.

Deuxième niveau, question : à quelles conditions et quand l'image devient-elle un signe ?


Réponse toute bergsonienne : c'est quand l'image-mouvement, ou les images-mouvement se
rapportent à un centre d'indétermination ; à un centre d'indétermination défini simplement comme
ceci. Un écart entre une action et une réaction ; c'est-à-dire, un écart entre deux mouvements.

Mais alors si les images-mouvements sont rapportées à des centres d'indétermination, elles
deviennent des signes, et j'appelle signe. Et là ça ne coïncide pas du tout avec Peirce encore une
fois - j'appelle signe pour mon compte, l'image-mouvement en tant qu'elle est rapportée à un centre
d'indétermination.

Troisième niveau...non j'ajoute. On a vu à partir de là que les images-mouvements rapportées à un


centre d'indétermination nous donnaient trois grands types d'images : image-perception,
image-action, image-affection. Voilà. Dès lors il faut nous attendre qu'à ces types d'image
correspondent des signes. C'est normal. Tout va bien jusque là.

Troisième niveau : l'image-perception. Je l'appelle uniquement par, pour fixer, non ça a l'air
d'être...j'ai l'air de faire le clown mais ce n'est pas vrai... je l'appelle « priméité embryonnée ». Parce
que ça m'égaie moi, il n'y a que moi que ça égaie, mais bon... pas tellement quoi.

Priméité embryonnée parce que, pour dire, c'est de là que va naître la priméité, mais ce n'est pas
encore de la priméité. Et pourquoi que ce n'est pas encore de la priméité ou de la secondéité ou de

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la tiercéité ? Pour une raison simple, c'est que, à ce troisième niveau de l'image-perception, on va
assister à la formation, à la détermination des éléments constituants du signe. C'est le signe rapporté
à ses éléments constituants.

Donc il n' y a pas encore ni priméité, ni secondéité, ni tiercéité qui renvoie au signe constitué. C'est le
signe rapporté à ses éléments constituants. Donc j'appelle ça la « pré-priméité », la priméité
embryonnée.

Et je dis, à ce troisième niveau, l'image-perception avait deux pôles, et on est resté très longtemps
là-dessus : pôle objectif, pôle subjectif. Mais là bizarrement, à ce troisième niveau, ça nous donne
bien les deux pôles de la perception, ça ne nous donne pas encore la nature des signes de
l'image-perception.

Pourquoi ? Parce que l'image-perception à proprement parler, ne cesse d'osciller d'un pôle à l'autre.
Du pôle objectif au pôle subjectif et du pôle subjectif au pôle objectif. C'est les rapports de la
perception et de la chose.

Si bien que le premier signe correspondant à l'image-perception, c'est ce qu'on avait appelé l'image
« mi-subjective ». Et telle qu'il nous avait semblé qu'elle avait un statut, un statut très consistant,
c'est-à-dire intermédiaire entre objectif et subjectif. Et là il va y avoir un signe.

Et, ça nous avait paru recevoir un statut très consistant grâce à Pasolini lorsqu'il élabore sa notion
d'« image indirecte libre ». Image indirecte libre qui va rendre compte de l'équilibre et de la nature de
cet équilibre entre la forme et le contenu de l'image.

L'image indirecte libre étant une transposition de ce que, en grammaire, on appelle le « discours
indirect libre ». Et en quoi c'est bien ça au cinéma dans l'image mi-subjective ?

Ben, c'est que en effet vous avez à la fois et compénétrés l'un dans l'autre, un personnage qui voit et
qui agit - image subjective - et une conscience-caméra qui va opérer le cadrage, etc. Et dans les
analyses que Pasolini nous offrait de Antonioni, de Bertolucci, même de Godard à certains égards, il
y avait l'espèce de formation de ces images indirectes libres qui vont être très, très importantes, qui
vont établir l'équilibre de la forme et du contenu de l'image.

Or, ces images indirectes libres me donnent le premier signe de perception que j'appelle en
empruntant le mot à Peirce : « dicisigne », (d-i-c-i-s-i-g-n-e), un dicisigne. Voyez pourquoi le mot me
sert, puisque il s'agit en effet d'une indirecte libre, comme dans le discours indirect libre.

Donc le mot dicisigne est bien fondé bien que, encore une fois, Peirce emploie ce terme, crée ce
terme et l'emploie dans un tout autre sens. Et donc je prends ce mot parce qu'il me paraît nous
servir.

Je dirais le premier signe du domaine image-perception, c'est le dicisigne, c'est-à-dire l'image


indirecte libre ou l'image mi-subjective. Le signe là est rapporté à ses deux éléments : forme et
contenu. Plutôt l'image est rapportée à ses deux éléments : forme et contenu.

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Mais, également, l'image-perception me donne un autre signe que j'appellerais cette fois-ci « figure
». Et on l'a vu (tout ça récapitule, je veux vraiment faire une récapitulation presque de vocabulaire),
on l'a vu, la figure par différence avec l'image cinématographique, c'est, par rapport, par différence
avec l'image-mouvement, c'est le « photogramme-vibration ».

Et j'appellerais figure ce type de signe, surgissement du photogramme et de sa vibration. Donc


l'image-perception me donne deux premiers signes qui sont de la priméité embryonnée, et que
j'appelle dicisigne et figure. Ouf !

Quatrième niveau : l'image-affection. Avec elle, nous l'avons vu, commencent les signes de la
priméité. Et il y a deux signes correspondant aux deux pôles de l'image-affection. Deux signes de
priméité.

Premièrement, l'affect est exprimé par un visage. C'est le gros plan, peut-être pas seulement, mais
c'est exemplairement le gros plan. Et j'appelle ça « icône », en empruntant aussi le mot à Peirce.
Mais en lui donnant un autre sens, puisque pour moi un icône c'est la présentation d'un affect sur un
visage, sur un visage-gros plan.

Et l'autre signe de l'image-affection, l'autre signe de priméité, j'emprunte encore le mot à Peirce, c'est
le « qualisigne » (q-u-a-l-i-s-i-g-n-e). Et le qualisigne c'est cette fois-ci l'affect, non pas en tant
qu'exprimé par un visage-gros plan, mais l'affect en tant qu'exhibé dans ce que nous avons appelé
un lieu quelconque ou un espace quelconque en correspondance avec les, le travail de Pascal
Auger ici.

Lorsque l'affect est présenté, exhibé, non plus sur un visage mais dans un lieu quelconque. La peur
telle qu'elle surgit dans un lieu quelconque. Et on a vu la consistance de cette notion de lieu
quelconque au niveau de l'image cinématographique.

Voilà les deux signes de priméité. Donc j'ai mes, déjà, deux premiers signes :
dicisigne et figure pour la priméité embryonnée,
icône et qualisigne pour la priméité. C'est une table des catégories du signe quoi, j'aime bien moi,
je crois que, ça j'aime bien les tables des catégories ; quand il y en a beaucoup, comprenez.

Là-dessus, on va faire : on n'oublie pas quand-même notre principe d'embryonnage. On ne va pas


sauter tout de suite à la secondéité, qui est l'image-action. On va faire un passage - passage de la
priméité à la secondéité. Ou si vous voulez, cinquième niveau, c'est le passage de la priméité à la
secondéité ou secondéité embryonnée.

Et il va y correspondre deux nouveaux signes, qui n'apparaissent pas dans la classification de


Peirce. Donc j'en prends, j'en laisse, tout ça, on a tous les droits, quoi... du moment que c'est
nécessaire... ça m'est nécessaire, moi... C'est : les fétiches, non, les symptômes et les fétiches.

Et on a vu à quels types d'images-mouvement ça correspondait dans le cinéma. C'était vraiment le


passage de l'image-affection à l'image-action, mais sous une forme particulièrement rude et violente,
à savoir les symptômes, c'étaient les signes à travers lesquels un milieu déterminé, non plus un lieu
quelconque, non plus un espace quelconque. Mais où un milieu déterminé et qualifié renvoyait à un

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monde originaire. C'était le monde des pulsions, et les pulsions étaient des signes, c'est-à-dire des
symptômes du monde originaire.

Ben c'est comme un roman. Et les fétiches étaient les morceaux, les morceaux que les pulsions
arrachent au milieu et dont il fait sa pâture. Et cinématographiquement, ça nous avait paru fonder
une des dimensions de ce qu'il fallait appelé le plus grand cinéma naturaliste, aussi bien chez
Stronheim, le cinéma non réaliste, mais naturaliste. Aussi bien chez Stronheim que chez Buñuel, où
les signes, où les images-signe sont faits de symptômes et de fétiches.

Là-dessus, sixième niveau : signes de la secondéité. Puisque les symptômes et les fétiches
c'étaient les signes de la secondéité embryonnée. Signes de la secondéitié comme telle maintenant ;
sixième niveau. Et nous les avions, c'était les deux grands signes de l'image-action. Le « synsigne »,
expression de Peirce, à savoir. Lorsque les affects et les qualités et les puissances sont considérés
comme actualisés, actualisés directement dans un milieu bien déterminé. Dans un milieu
géographique, historique, social déterminé.

C'était les synsignes ça. Et l'autre type de signe de l'image-action, de la secondéité, c'était les «
indices ». Du point de vue du synsigne on allait de la situation à l'action, c'est ce qu'on avait appelé
la grande forme, du point de vue de l'indice on allait de l'action à la situation, c'était la petite forme. Et
on avait vu qu'y correspondaient des types d'espace tout à fait différents.

Là-dessus, il y a une chose que j'ai dû sauter parce qu'on aurait pas eu le temps, j'aurais pas eu le
temps de finir aujourd'hui, si j'avais dû. C'est, bon, il nous reste encore la tiercéité. Donc je dirais, il
ne nous reste pas seulement la tiercéité, il nous reste le passage d'abord à la tiercéité, de six à sept,
septième niveau : passage à la tiercéité.

La tiercéité c'est le mental, c'est le tiers, c'est la relation. C'est la relation entre deux choses, et c'est
la relation qui ne peut être que pensée. Elle ne peut pas être vue. Elle ne peut être que pensée.
Donc la tierc..., suivant l'expression de Peirce, bon, la tiercéité c'est le mental, d'accord. Mais nous
on va voir ce que ça donne, pour nous.

Eh ben, au septième niveau il me faut une tiercéité embryonnée, qui est encore comme contenue,
retenue par l'image-mouvement, par l'image-action, par le cinéma narratif-illustratif. Et qui pourtant
est déjà comme l'ombre portée par une vraie tiercéité.

Alors si j'avais eu le temps j'aurais dit, eh ben oui, il y a deux sortes de signes là, de la tiercéité
embryonnée. Et les uns je les appelle, j'aurais voulu un autre mot, mais je n'ai pas trouvé, je les
appelle des « marques ». Et les autres je les appelle des « symboles ».

Symbole ça ne fait pas de difficultés, symbole pour moi, ça n'a strictement rien de symbolique,
j'emploie le mot symbole au sens opératoire. A savoir, un symbole c'est le signe d'une relation à
établir ou d'une opération à faire. Donc je donne à symbole un sens très strictement positif. Toute
cette classification prétend être positiviste.

Uniquement signe d'opération à faire ou de relation à établir. On voit bien qu'il y a là une espèce de
tiercéité, si vous avez ça dans des images-mouvement, dans un film d'images-mouvement, dans

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un...

Et les marques, c'est quoi pour moi ? Les marques c'est des images qui forment une série ordinaire
renvoyant à une habitude, à une coutume. Je précise que toutes les théories des signes chez les
Anglais ont éprouvé le besoin de faire une soudure avec la notion fondamentale chez eux «
d'habitude » ou de « coutume ». Donc là on pourrait l'enrichir par des considérations plus
proprement logiques, philosophiques.

Donc les marques c'est des signes, c'est l'état de signe que prend une image-mouvement lorsqu'elle
s'insère dans une chaîne, dans une chaîne ordinaire qui la complète. Par exemple, voyez ce n'est
pas la même chose qu'un indice. Un indice - j'ai une trace de pied. Et je dis : ça c'est l'indice d'un
homme qui est passé par là.

Ce que j'appelle une marque ce n'est pas ça. Ce n'est pas la même chose que l'indice. Ça peut être
le même exemple. Mais c'est une trace de pied en tant que si je vois une trace de pied, je m'attends
à ce qu'il y ait une autre trace de pied, dans la même direction, ça forme une chaîne garantie par ce
que j'appellerais une habitude.

Hein, et je suis... Supposez là-dessus que les traces s'évanouissent, alors que le terrain est resté
tout mouillé... plus de trace ! Je regarde partout, je me dis est-ce qu'il est retourné sur ses pas ? Bon,
alors je... Plus rien, évanouissement.

Je dirais que je tombe là sur (ce n'est pas un nouveau type de signe) sur une aventure des marques,
à savoir, je me trouve devant une image démarquée. J'appellerais image démarquée précisément
une image qui a perdu sa valeur de signe-trace, c'est-à-dire qui rompt l'enchaînement coutumier
avec des autres images, avec des images constituant toutes ensemble une habitude ou une
coutume. L'objet est démarqué.

Voyez : voilà mon cinéma de la tiercéité. Alors si on joue toujours à la question « qui ? » : qui fait ça
? qui dans le cinéma narratif-illustratif, ou dans le cinéma dit « classique » si vous voulez, fait ça ?
J'aurais voulu, si j'avais essayé, si j'avais eu le temps d'essayer de faire une analyse de cette
tiercéité embryonnée, j'aurais dit voilà.

C'est tous les types qui même dans le cinéma d'action et de narration, ont donné une importance
immense au problème des relations. Au point qu'à la limite, leur cinéma d'action a l'air très très...très
classique et même génial au besoin comme cinéma d'action, mais en fait c'est tout à fait autre chose
chez eux.

C'est un cinéma en fait je dirais de symboles, au sens d'opérations à faire. C'est plus des actions.
C'est des opérations qui sont en train de se faire, des équations qui sont en train de s'établir, des
relations qui sont en train de se construire.

Et bizarrement, c'est toujours les mêmes qui manient, c'est toujours les mêmes auteurs qui manient
et des symboles. Je dirais finalement un symbole c'est tout simple, c'est un porteur, c'est un objet
porteur de relations. Vous avez donc là au niveau de ces deux types de signe : des objets
démarqués et des objets porteurs de relations.

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Alors je me dis ça c'est comme une extrémité du cinéma d'action. Du cinéma-image-action. Et ça
encore une fois je n'en ai pas dit un mot, c'est pour ça que je m'étends un tout petit peu. Mais alors
lorsque le cinéma, j'ai dit par exemple l'Actors Studio, ils ont poussé jusqu'au bout ; le cinéma de
l'image-action.

Ouais, ils l'ont poussé tellement jusqu'au bout qu'ils ont fini par déboucher sur autre chose mais qu'ils
ne pouvaient plus dominer. Qu'eux ne pouvaient pas dominer avec leur méthode de cinéma d'action.
Mais ils y ont atteint. Je pense à des thèses de Kazan qui m'intéressent. C'est des textes où il dit,
vous savez, c'est vrai ce qu'on dit de l'acteur, de l'acteur du type Actors Studio : il arrête pas de
bouger, même quand il est immobile, il peut être complètement immobile, il, ça bouge partout, il
arrête pas.

Mais il faut ajouter dit Kazan, il n'y a pas que ça, il faut ajouter qu'il a toujours un objet à tripoter, il y a
toujours un objet. Il ne bouge pas dans le vide. Et Kazan dit : « moi j'aime beaucoup les objets ». Il
fait la liste des objets qui reviennent dans ses films.

Il dit c'est très importants les objets dans un film, ça ça pose des problèmes évidemment liés au
cadrage, liés à tout ça, ça nous permettrai de revoir toutes sortes de questions, très importants parce
que les objets, ça s'échange. Les objets ça s'échange. J'en demande pas plus pour définir le
symbole. L'objet en tant qu'il est objet d'échange. Ça se passe.

Alors il va plus loin, ça se jette, ça s'embrasse, ça s'envoie à la gueule de l'autre. L'objet c'est un
support de relations. C'est un support de, et c'est un signe d'opération. C'est un signe opératoire.
C'est là, il me semble, que l'image-cinéma atteint profondément des symboles. Ces objets qui sont
des supports de relations multiples ou d'opérations ambiguës.

Opérations ambiguës, je veux dire, il y avait des signes dans les vieilles mathématiques et il y en a
toujours, pour désigner que l'opération peut être ou bien une addition ou bien une soustraction.
Voyez, c'est ce qu'on appelait les signes, et c'est ce que Leibniz appelait les signes ambigus. L'objet
porteur...l'objet qui est un signe ambigu.

L'objet, est-ce que c'est un objet d'échange ? Est-ce que c'est un don ? Tout ça c'est des relations
mentales. Donner, échanger, c'est des relations mentales. Bon. Eh ben je dis que finalement le
grand auteur qui a poussé ça, qui a fait un cinéma du symbole opératoire, c'est qui ? C'est pas
Kazan, c'est pas l'Actors Studio, ils l'ont frôlé.

Mais c'est presque l'anti-Kazan, c'est celui qui ne supporte pas l'Actors Studio, c'est Hitchcock, c'est
Hitchcock ça. Hitchcock ça me paraît l'auteur pur de, alors, ce que j'appelle si grossièrement la
tiercéité embryonnée. Pousser l'image-action jusqu'à l'appréhension du mental.

Et en effet si je prends le livre classique, là on n'a plus le temps, si je prends le livre classique de
Rohmer et Chabrol sur Hitchcock, qu'est-ce qu'ils ont montré fondamentalement ? Le rôle des
relations, c'est un anglais, c'est pas pour rien. Ce qu'il fait Hitchcock c'est une logique des relations.
C'est une logique des relations. Avec son grand thème.

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Une logique des relations revue, évidemment, revue ou même pas revue, « vue » par le
christianisme. Car après tout si quelqu'un a posé pour la première le problème de la logique des
relations au Moyen Âge, c'est le christianisme avec les trois Personnes, avec la Sainte Trinité, qui en
effet a fondé logiquement, là je ne dis pas n'importe quoi, a fondé dans la logique du Moyen Âge,
dans la logique médiévale, a fondé toute une logique des relations.

Eh ben Hitchcock, il est bien connu c'est un catholique, catholique extrêmement pratiquant, et son
thème c'est quoi ? C'est bien celui que dégageaient Chabrol et tas d'élèves des Jésuites quoi. C'est,
c'est pas le seul ; c'est pas moi, je n'en suis pas moi. Je suis un produit de l'éducation laïque moi
[rires de l'auditoire].

Mais c'est ça qu'ils n'ont pas cessé de dire : l'échange des culpabilités. L'opération arrivée, ça c'est
pas de l'action, vous comprenez. L'image-action, elle est... L'échange des culpabilités comme
mystère chrétien, comme mystère chrétien analogue à la trinité. C'est çà, qu'il me semble, explique
ce cinéma très curieux qui pousse l'image-action jusqu'à un cinéma tout à fait différent qui est une
image-relation.

Et est-ce que c'est par hasard alors que le même Hitchcock fait précisément un cinéma de l'objet
démarqué, et que c'est là-dessus qu'il va fonder ? C'est les deux aspects complémentaires, le
symbole et l'objet démarqué. L'objet démarqué, c'est chez Hitchcock, constamment l'objet qui saute
de sa chaîne ordinaire, de sa chaîne d'habitude. C'est l'objet qui saute de ses marques.

L'exemple le plus célèbre, c'est dans La mort aux trousses : l'avion. Ah oui, et le type enchaine au
croisement des routes, le type enchaine, ah oui c'est un avion à sulfater, pour sulfater les champs.
Qh oui mais c'est curieux, il n'y a pas de champs.

Alors qu'est-ce qu'il vient foutre cet avion à sulfater. Hein, vous voyez, vous vous rappelez ce plan :
le carrefour des routes, tout, les chemins d'habitude, l'avion dans le lointain, tout va bien, avion à
sulfater, on ne le voit même pas, on ne le remarque même pas, c'est très normal ; tout d'un coup : il
sort de ses marques.

Ah. Mais où qu'ils sont les champs à sulfater ? il y en a pas ! L'objet démarqué va devenir, alors
chargé de suspens. Qu'est-ce qu'il va faire ? Il s'approche de l'homme, il s'approche de l'homme, il
s'approche de l'homme, et l'homme comprend juste à temps qu'il va sulfater tout autre chose.

Bon. Si vous voulez c'est typique, là on aurait pu si on avait eu le temps, on serait resté. Mais donc je
dirais ça c'est vraiment ce passage à la tiercéité, où les actions ne sont plus là que pour faire valoir
des opérations et des relations. Et où les indices ne sont plus là que pour faire valoir des marques et
des démarquages.

Et j'aurais ajouté, si j'avais pu, qu'il y a un autre cas qui me paraît extraordinaire, et c'est pas par
hasard, la tiercéité, c'est on la vu. Priméité, c'est un ; action c'est un, deux ; tiercéité, c'est un, deux,
trois. Ce n'est pas étonnant que la tiercéité embryonnée dans le burlesque, ça été les frères Marx.

Et que ce qui m'aurait intéressé dans une analyse des Marx, ça aurait été de me demander, de me
dire : voyons pourquoi qu'ils sont trois ? Et comment qu'ils fonctionnent ? Puisque c'est vraiment du

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positivisme américain. Je veux dire, les Marx, c'est un comique fonctionnaliste.

Alors on aurait pu dire oui, il y a les comiques de la priméité, un, il y a les comiques de la secondéité,
deux, Laurel et Hardy. Et ça n'avait pas marché, ça n'empêche pas, si les marques sont trois, c'est
pas tout à fait par hasard. C'est pas tout à fait par hasard. Car enfin, il faudrait m'accorder que Harpo
est l'homme de la priméité, et pas seulement, mais qu'il y a un curieux mouvement fonctionnaliste.
C'est l'homme de la priméité, c'est l'homme des affects. Il a porté les affects jusqu'au burlesque,
quoi.

C'est l'homme des affects, mais c'est déjà l'homme des pulsions. Voyez, hein, il est déjà dans une
priméité qui prépare autre chose. C'est l'homme des pulsions sauvages, pulsions sexuelles, pulsions
alimentaires, enfin. C'est l'homme, c'est, il porte à la fois, il exprime dès qu'il joue de la harpe, il est
pur affect. Et dès qu'il voit une femme il est pulsion déchainée, quoi.

Bon. D'accord. Si je passe au troisième, à Groucho. Groucho c'est l'homme de la logique des
relations à l'état pur, ça c'est lui, c'est lui. Alors ça va évidemment se traduire par le non-sens propre
à Groucho Marx, qui va être en effet des non-sens qui appartiennent à une logique des relations. Le
non-sens, une logique du non-sens a toujours été le complément indispensable d'une logique des
relations, depuis Lewis Carroll c'est comme ça.

Ben c'est ça qu'ils ont faitauniveaudu burlesque, à savoir, là, il va y avoir un véritable burlesque des
relations.Et toujours assuré à mon avis par Harpo, par Groucho pardon.

Alors entre les deux là, oh comment il s'appelle, c'est celui, voyez enfin... « Chico » [une auditrice]
Chico ! Chico qu'est-ce qu'il fait lui ? Eh ben c'est très curieux. Il ne cesse pas, il me semble, il a sa
spécificité. Il ne cesse pas de préparer les marques et d'assurer les démarquages et de faire la
médiation. C'est-à-dire la figure ordinaire des marques c'est : Harpo parle à Chico, ils forment groupe
tous les deux, et c'est Chico qui traduit et qui va traduire pour les non-sens de Groucho.

De la même manière Harpo est une réserve d'objets fétiches. En effet, c'est lui la pulsion, il est non
seulement l'affect de la harpe, il est la pulsion déchainée, comme toute pulsion. Il entraîne avec soi
ses objets-morceaux. Et dans ses poches immenses là, il sort tous les morceaux qu'on veut.

Et la tâche de Chico, ça me paraît très souvent, mais enfin je n'ai pas le temps de...Comme lorsqu'il
traduit, les gestes et les sifflements de Harpo, ça va être d'agencer les objets fournis ou des objets.
Sélectionner ces objets, pour constituer des chaînes, pour constituer des chaînes apparemment
d'habitudes, en fait extrêmement originales. Sur lesquelles précisément Groucho va pouvoir
enchainer pour faire valoir ses renversements de relations.

Et au niveau de Chico, il va y avoir une espèce de démarquage des objets que l'autre, que Harpo
fournit en séries, etc. Si bien qu'on aurait là une figure assez complète de cette « tiercéité
enveloppée ». Enfin nous touchons au but. Voyez, bon. Alors ça je dirais, c'est vraiment le moment
où l'image-mouvement trouve sa butée. Elle trouve sa butée. Et on a vu dès lors que, huitième
niveau, qu'est-ce qu'on va avoir ?

Eh ben on retourne au tout premier niveau. L'image-mouvement n'était que la coupe d'une image

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plus profonde, n'était que la perspective d'une image plus profonde. Cette image plus profonde elle
va avoir ses signes, et ça va être elle qui va constituer le domaine de la tiercéité.

Et on a vu comment d'où, premièrement, là je peux dire dans un ordre, je n'ai plus de besoins d'en
faire deux par deux. Dans l'ordre je dirais premièrement l'image-action rencontre son arrêt. C'est quoi
? C'est ce que j'appelle par commodité « opsigne ». l'opsigne, c'est-à-dire l'image optique pure. Ou «
sonsigne », image sonore pure ; c'est-à-dire l'image sensorielle coupée de sa motricité.

Voilà un nouveau type de signe. Et ce nouveau type de signe entre en rapport avec quoi ? On l'a vu,
avec ce que j'appelais des modes, et il y aura autant de signes que de modes. C'est-à-dire, l'opsigne
sera en rapport avec quatre sortes de signe qu'on pourra appeler les signes « noétiques » du
cinéma, c'est-à-dire, les signes de la « pensée-cinéma ».

Et ces quatre signes je les appelle des « scènes » pour le mode, pour le mode imaginaire. J'aimerais
les appeler comme ça parce que je cherchais des mots à tous prix, des « ères », au sens de « ère
géologique » ou « ère historique », des ères (è-r-e-s) pour le mode didactique.

Il me manque un mot... Si je là, alors j'utiliserais peut-être le mot « procès », des procès pour le
mode critique de Godart, en appelant procès tout mode d'extraction de l'image à partir des clichés,
un procès fait aux clichés, des procès. Et enfin des « aspects » pour l'image-temps puisque le mot
aspect serait garanti par l'usage grammatical qu'en fait Guillaume dans sa théorie du temps impliqué.

Si bien que nous aurions deux, dicisigne et figure. Icône et qualisigne, quatre ; symptôme et fétiche,
six ; synsigne et indice, huit ; marque et symbole, dix ; opsigne, onze ; scè..., onze, douze, treize,
quatorze, quinze...al-lala. Je crois Peirce en avait plus.

C'est pas grave parce qu'on pourra faire des sous-... on pourra faire des sous-divisions. C'est quand
même des signes là, il faudra les, il faudrait les diviser encore, alors on aurait comme ça, il faudrait,
et se dire, le mieux, l'idéal de ça, ça sert à quoi ? Une table des catégories, pour moi vous
comprenez, c'est pas comme Kant la conçoit.

Hein, je rêverai d'une table des catégories toute simple qui soit comme le tableau de Mendeleiev en
Chimie, c'est-à-dire où il y ait des cases vides, et où on se dise, ah ben ça très bien, ah ben c'est des
images qui n'existent pas encore. On pourrait déjà leur donner un nom, mais elles existeraient pas,
hein.

Alors, on pourrait comme ça procéder, il faudrait inventer d'autres modes, on se dirait, ah ben oui,
non ça existe pas. Et ça fait rien, ça existera peut-être, ou bien ça existera jamais... Une table des
catégories doit porter sur le réel, le possible, mais même aussi sur l'impossible, sur... Et en effet le...

[coupure]

...moi ce que je souhaitais de vous, pendant toute cette année, c'était que ça éveille pour vous des
voies de recherche qui seraient les vôtres, je veux dire, il ne s'agit pas de... que ça vous serve dans
quelque chose qui est à vous quoi, que... Alors en ce sens ça peut être à tous les niveaux, ça peut

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être au niveau de, que vous, vous auriez traité tel type d'image autrement. Je, si vous acceptez, ou
bien que vous, vous auriez fait une autre classification des images ou des signes de cinéma etc, etc.
Voilà ce que j'aurais souhaité.

Bon, est-ce que quelqu'un veut...

[un auditeur :] « J'ai une question, ce n'est pas une question importante, mais l'année prochaine
est-ce que vous parlerez de la Critique du jugement ? L'année prochaine, l'année prochaine, vous
savez... Au début de l'année vous avez dit, vous avez fait un grand topo, vous nous avez dit il y aura
une partie sur La Critique du jugement de Kant. »

Oui, ça a complètement disparu... Mais l'année prochaine, moi je compte oui... moi je compte, oui je
ferais sûrement un semestre, en tous cas je ferais un semestre d'histoire de la philosophie, sur Kant
ou sur... Kant je l'ai fait quand-même, mais pas sur le, oui je ferais peut-être La Critique du jugement,
oui, oui...

« Et qu'est-ce que vous aviez en tête quand au début vous avez dit on parlera du cinéma de Bergson
tout ça, et après on parlera de La Critique du jugement... ? »

Ce que j'avais en tête, c'était tout simple, c'est des textes admirables de Kant qui consistent à dire
ceci : le beau est une pure question de forme. Alors ça paraît rien ça, c'est d'un, d'accord. Mais, il dit
ça n'empêche pas, si bien qu'on ne peut pas parler de beauté de la nature. Il n'y a pas de beauté de
la nature.

Mais il dit il y a quand-même un problème essentiel, alors c'est ça qui m'intéresse. C'est pas que le
beau soit une question de forme, ça c'est rien. Mais c'est que dans la nature il y a une aptitude à
produire des choses dont la forme nous paraîtra belle. En d'autres termes, d'accord, le beau c'est
une question de forme.

Mais il y a une question, une question très curieuse de la production matérielle et naturelle des
formes pures. Alors c'est cette activité de la nature, que je pensais mettre en rapport avec l'image qui
n'est pas image-mouvement. Parce que évidemment ce que j'ai complètement supprimé dans nos
séances là, c'était la question à laquelle je voulais venir, entre autre c'était : en quoi la perception
cinématographique est-elle une autre perception que notre perception dite naturelle ? Et quels
rapports y a-t-il entre les deux ?

La dernière fois j'ai juste suggéré qu'il faudrait appeler « perception diagrammatique » cette
perception qui saisit les images-cinéma. Mais qu'est-ce que c'est que cette perception
diagrammatique et quels rapports a-t-elle avec la nature elle-même ? Alors c'est dans ce cas là, et
c'est dans cet ensemble-là que Kant m'aurait servi et non plus Bergson.

Mais l'année prochaine, oui, je compte revenir à, de l'histoire de la philosophie toute sévère, surtout
qu'on n'aura pas de salle, alors c'est tout ça quoi... Il n'est pas question quand-même de s'enfermer
dans ce caveau, on deviendrait fou les uns après les autres... Donc je ferais de l'histoire de la
philosophie très, très précise à l'usage de philosophes...

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Mais enfin vous l'êtes tous philosophes, alors ça arrangera rien. Eh bien écoutez voilà, moi j'ai été
quand-même heureux de cette année parce que, ben, je me suis dit, j'ai pris des risques en parlant
cinéma, parce que je partais bas. Mais vous aussi vous avez pris des risques, ce que je veux dire,
vous avez, on a tous pris des risques, et c'était... potentiel...oui...

[un auditeur :] « ...imaginaire, il appelle ça, signifiant imaginaire »

Ah ! Tu parles d'autre chose toi ; oui, oui, d'accord. Eh ben voilà en tout cas, je vous remercie très,
très vivement.

« Alors bonnes vacances, hein... »

Bien sûr, bonnes vacances.

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Deleuze
-- Menu - CINEMA : une classification des signes et du temps Nov.1982/Juin.1983 - cours 22 à 44 - (56 heures) --

CINEMA : une
classification des
signes et du temps
Nov.1982/Juin.1983 -
cours 22 à 44 - (56
heures)

- 02/11/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 02/11/82 - 2 Page 1/8


Gilles Deleuze - Cinéma , cours 22 du 02-11-82 - 2 transcription : Anna Mrozek

Voilà, Ce point, je voudrais le dire trés vite, en le prenant pour lui même. Mon souhait, c'est que vous
lisiez au maximum, ma référence, c'est Bergson : premier chapitre de "Matière et Mémoire", Et c'est
un Bergson qui n'a rien à voir avec le Bergson qu'on a retenu, au niveau de l'opinion, à savoir un
philosophe qui nous parle de la Durée. En effet, là au contraire, il nous parle de la Matière. Et je dirai
solennellement quand je passe à une nouvelle rubrique - j'espère ne pas rester longtemps là dessus.
Dans ma nouvelle formule j'ai pensé à tout, j'ai acheté de la craie. parce qu'il me faut de la craie mais
il n'y en avait plus de blanches. Alors j'ai de la craie de couleur. Vous préferez quoi ?

Pourquoi l'image et le mouvement, c'est la même chose ? Parce que nous nous donnons - tiens,
pourquoi nous nous donnons ? comme ça ! - un ensemble infini d'images que nous définissons
comment ?

Si nous nous donnons un ensemble infini qu'on va appeler images - il faut encore le définir, de telle
manière que l'on comprenne pourquoi le mot "image" est employé.

"Un ensemble infini d'image"s : images parce que ce sont des choses qui ne cessent pas de varier
les unes en fonction des autres, les unes par rapport aux autres, sur toutes leurs faces et dans
toutes leurs parties. En effet, une image étant donnée vous pouvez la diviser, si loin que vous alliez,
vous la divisez en parties, vous pouvez la retourner. Combien elle a de faces ? petit n ! Elle a petit n
faces. Je ne me donne encore aucune dimension de l'espace. Je ne sais pas, je par de ça. Vous me
direz : facile. Non, pas facile. Pourquoi est-ce que je pars de ça ? On ne pourra le comprendre
qu'après.

Je me donne un ensemble à "n" dimensions et à "n" termes, que je définis par un ensemble de
choses, c'est le mot le plus vague : "un ensemble de choses qui varient perpétuellement,
continuellement les unes par rapport aux autres sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties".

Un tel ensemble, je l'appelle Plan. Vous me direz, mais Plan ? plan ça veut dire deux dimensions
? Non ça ne veut pas dire deux dimensions . Je dirais aussi bien, j'avance, je pose des conventions :

je dirais que c'est un plan à "n" dimensions. Bien plus, je dirais à la rigueur qu'il a une dimension -
si vous faites abstraction et vous ne considérez qu'une image - mais il a autant de dimensions que
vous distinguerez d'images.
Le Plan je le définis par : "cet ensemble infini de choses qui varient les unes en fonction des

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autres, sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties".

En d'autres termes ça n'arrête pas de bouger. Je les appelle" images" parce que image c'est là où
coïncident l'être et l'apparaître. Je dirais aussi bien c'est le "Phénomène" ; image ou phénomène je
les prends dans le même sens. C'est ce qui apparaît. Ce qui apparaît sur le plan, c'est cet ensemble
d'images, bien plus c'est le plan lui-même. Si quelqu'un me dit : je ne suis pas d'accord, ça n'a pas
de sens. Si quelqu'un me dit : tu as oublié quelque chose c'est bien, c'est une parole utile. Mais
comme je n'ai encore rien dit...

Donc puisque ces images ne cessent pas de varier les unes par rapport aux autres, je dirais que
c'est des images-mouvement. Elles sont perpétuellement en mouvement, ça n'arrête pas de bouger.
Les variations de ces images s'étendent aussi loin que leurs actions et réactions. C'est un système
d'actions et de réactions. Une image est inséparable de l'action qu'elle exerce sur toutes les autres
images, et des réactions qu'elle a vis à vis de l'action qu'elle subit, c'est à dire elle envoie des actions
sur toutes les autres images, elle subit des actions venant de toutes les autres images. C'est un
système d'actions et de réactions. Bien c'est le premier caractère.

Deuxième caractère : qu'est-ce qui peut se passer sur un tel plan ? Je peux devenir lyrique pour
le décrire, tellement il me plait. Ce que je peux vous dire, essayer de le vivre. Vous pouvez essayer
de le vivre à condition, c'est que vous vous mettiez en lui, sur lui, vous y êtes. En d'autres termes
vous êtes une image sur ce plan. Votre voisin est une autre image sur ce plan. Vous êtes
découpables, ce sont des parties de l'image. Vous avez une face et un dos, vous avez des faces.
Pour le moment vous n'avez aucun privilège. La table est une de ces images aussi. Ça n'arrête pas
de bouger. Vous me direz que vous ne bougez pas, mais ça n'arrête pas de bouger, les choses
bougent en vous, ça n'arrête pas, les actions, les interactions.

C'est donc le plan des images-mouvement.

Supposons, tiens je lui donne un nom : c'est le plan de consistance. Pourquoi ? Comme ça, on va
voir qu'il se passe ensuite des choses. Qu'est ce qui peut se passer ? Je le garde mon plan Passons
à un mode lyrique. Je dirais de ce plan qu'il est l'ensemble de toutes possibilités. Hors de lui il n'y a
rien. Il est l'ensemble de toutes possibilités. Je dirais aussi qu'il est la matière de toute réalité.
Il est l'ensemble de toutes possibilités, c'est à dire tout ce qui est possible est une image sur ce
plan.
Il est la matière de toute réalité, à savoir tout ce qui agit et qui réagit et qui par la même est réel,
est sur ce plan.

C'est en même temps qu'il est l'ensemble de toutes possibilités et la matière de toute réalité. Enfin,
pour autant que la loi, et qu'on appelle loi, le rapport d'une action et d'une réaction, je dis qu'il est la
forme de toute nécessité. Voilà que j'ai comme "chanté" ce plan : ensemble de toutes possibilités,
matière de toutes réalité, forme de toutes nécessités.

Là, alors, pure association d'idées, ça me rappelle quelque chose. Vous ça pourrait vous rappeler
autre chose, moi ça me rappelle quelque chose, uniquement parce que je suis prof de philosophie.
Ça me rappelle quelque chose qui à première vue, n'a rien à voir. je me rappelle : On nous dit qu'il y
a un cas où un même concept désigne l'ensemble du possible, la matière du réel et la forme du

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nécessaire.

Ce concept c'est le concept d'un être, en latin ens, "ce qui est", "ens", le concept d'un être tel que
sa réalité ou son existence découle de sa possibilité et dans la mesure où elle découle de sa
possibilité, en découle nécessairement.

Et cet être tel que son existence découle de sa possibilité et découlant de sa possibilité en
découle nécessairement, c'est quoi ? C'est le concept de Dieu. Et les philosophes latins, ou ceux du
moyen âge l'appelaient : Ens originanum, l'Etre originaire : Dieu. Bon. C'est bien ça. Mon plan
matériel, c'est Dieu, c'est l'être originaire ! C'est bien. C'est bien parce que je n'ai plus besoin de
Dieu, déjà. J'ai besoin d'un écran, je n'ai pas besoin de Dieu, j'ai besoin d'un écran.

Dieu c'est l'écran. C'est à dire que c'est mon plan de consistance. C'est l'Ens originarium, c'est à
dire l'ensemble de toutes possibilités en tant que constituant le Tout de la réalité, et le constituant, le
constitue nécessairement. L'unité du possible, du réel, et du nécessaire.

Voilà. Vous voyez ce plan. Pourquoi est ce que j'ai fait cette addition ? Pour vous faire sentir, par
delà les mots, pour vous faire sentir que ce plan n'était pas une petite chose, mais était une chose
grandiose. Que ce plan, constitué d'images-mouvement, agissant et variant les unes en fonction des
autres, sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties, ce plan était à la lettre "..", c'est à dire il
était Dieu. Alors vous comprenez, si on me dit : est ce que tu crois en Dieu ? je réponds Oui ! Je
crois qu'il y a un ensemble infini d'images variant les unes en fonction des autres, sur toutes leurs
faces et dans toutes leurs parties, et à cet égard je me dis : "tiens je suis un pur spinoziste". Tout ça
est déjà très fatiguant. Alors je me dis : qu'est-ce qui peut se passer sur ce plan ? Du coup je ne
l'appelle plus plan de consistance. Je barre consistance. Je m'étais trompé. Il faut l'appeler plan
d'immanence. Il n'y a rien en dehors de ce plan, ce plan est partout, tout est sur ce plan. Vous, moi,
la salle, le monde !

Il n'y a rien qui n'agisse sur rien, ou plutôt il n'y à rien qui n'agisse ou inter-agisse avec les autres
points. On l'a dit tout le temps, les physiciens l'ont dit, chaque point de l'univers est en interaction.
Bon les molécules, trés bien, ça m'est égal. C'était vous, sur le plan tout à l'heure, mais c'est aussi
bien les molécules. Il n'y a qu'a vous transformer en molécules, en atomes. Je ne fais aucune
différence d'échelle. J'en suis dans l'Être originaire. C'est une merveille ! On est en train de nager
dans un plan d'immanence où les images que vous considérez, ce ne seront, de toutes manières
des images. Vous me direz qu'une image ça se réfère à quelque chose. Pas au point où on en est.
Ce n'est pas une image pour quelqu'un. Comment ce serait une image pour quelqu'un, vous "êtes"
une image !

J'ai défini l'image par le plan, je ne l'ai pas défini par rapport à quelqu'un. Vous êtes une image, et si
vous êtes composé d'atomes, les atomes, c'est des images. Bon, si je prends le système entier des
atomes, je n'ai strictement rien à changer, c'est le même plan d'immanence. Un atome agit sur un
autre atome. C'est deux images qui varient l'une en fonction de l'autre, en toutes leurs parties et sur
toute leurs faces. Et qu'est-ce qu'on appelle un phénomène d'ondulation ?

L'ondulation c'est l'image-mouvement. L'ondulation c'est le véhicule de l'action, de l'interaction


entre deux atomes, deux parties d'atomes, tout ce que vous voulez. Donc que ce soit vous, que ce

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ne soit pas vous, vous changez toutes les échelles, vous n'avez rien à changer de votre plan
d'immanence défini comme être originaire, Ens originaire, c'est à dire le Dieu.

Question : inaudible J'ai fait une imprudence, j'ai été trop vite

Consistance, je m'étais trompé, où ça sera pour plus tard. Je m'étais trompé. C'est immanence, vous
allez voir. Immanence il n'y a pas de contraire, il n'y aura jamais de transcendance, ou si peut-être .
Ha si il va y en avoir. Mais ce sera hors du plan. C'est qu'il n'y a pas qu'un plan, vous comprenez. Il
va y en avoir pour l'année. Donc vous rayer consistance.

C'est uniquement plan d'immanence, c'est Dieu, et nous reconnaissons ce Dieu là, et vous en faites
partie, et même vos atomes. Vos atomes sont des dieux. Pourquoi est-ce que j'appelle ça Dieu ? je
l'ai dit puisque c'est l'unité du possible du réel et du nécessaire, et que, là, si vous avez fait de la
philosophie, tout le monde, n'importe qui, tout philosophe a toujours appelé Dieu :"l'unité du possible,
du réel et du nécessaire", c'est à dire l'être tel que son existence, que sa réalité découle
nécessairement de sa possibilité.
C'est même ce qu'on appelle en philosophie, je ne recule jamais l'occasion de vous apprendre
quelque chose, la preuve ontologique de l'existence de Dieu, qui prend sa date et qui prend sa
formulation parfaite avec le philosophe Descartes au dix-septième siècle.

Maintenant si vous voulez que je fasse une parenthèse et que je vous raconte la preuve ontologique
de l'existence de Dieu, qui est imparable, qui vous fera croire à un autre Dieu, mais ça va me nuire.
Non je ne peux pas le dire parce que si je vous apprend la vraie preuve de l'existence de Dieu, qui
ne peut pas convenir au plan d'immanence, vous allez croire à l'autre Dieu. Or il ne faut pas !

Qu'est-ce qui peut arriver sur ce plan d'immanence ? il n'est rien d'autre que l'ensemble des
images-mouvement en interaction. Plan d'immanence ou écran. Comme disait quelqu'un
spirituellement , c'est l'écran total ! ça ne vous fait pas rire. Les filles savent ce que c'est l'écran total,
mais les garçons...Qu'est-ce qui peut se passer. Là je retombe sur Bergson, mais d'une certaine
manière ça y était déjà dans Bergson, chapitre un de "Matière et Mémoire". Bergson n'emploie pas
ce terme de plan d'immanence, il n'emploie pas le mot, mais peu importe. "Sur ce plan d'immanence,
on doit bien constater qu'il y a certaines images particulières". Attention, quand on fait de la
philosophie on n'a pas le droit de changer les conditions d'un problème. Il nous dit : d'accord, sur ce
plan d'immanence, il y a certaines images particulières. Bon. Il y a une chose dont il n'a pas le droit,
à supposer qu'il y ait des images particulières, il n'aura pas le droit de les définir par d'autres termes
que ceux qu'impliquent le plan d'immanence.

Or plan d'immanence implique uniquement : image, action, réaction. Ça forme un ensemble


puisque les actions et les réactions ne se distinguent pas des images. Les images-mouvement sont
l'ensemble des actions et réactions qu'elles exercent les unes sur les autres. C'est même par là
qu'elles varient continuellement. Donc si je dis qu'il y a des images privilégiées, particulières, je n'ai
pas le droit de dire tout d'un coup qu'elles ont une âme, ou qu'elle ont une conscience. Je ne sais
pas ce que c'est que la conscience. Mon plan d'immanence n'implique pas la conscience. Comment
je vais les définir ?

Bergson les définit d'une manière étonnante. Il nous dit : "ce sont des images qui présentent,

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uniquement entre les actions qu'elles subissent - de la part des autres images" -moi, image, je reçois
des actions, des autres images, et j'ai des réactions sur les autres images. Action réaction. Image
mouvement. Image-mouvement ça veut dire ensembles d'actions et de réactions . Et bien il y a des
images très bizarres parce que, entre l'action qu'elles subissent, qu'elles reçoivent, et la réaction
qu'elles exécutent, il y a quoi ? Justement il n'y a rien ! C'est à dire qu'il y a un intervallel. Il y a un
intervalle !

Dans le cas des autres images vous avez, au contraire, voilà mon image - elle reçoit une action
venue d'une autre image, et elle réagit. Une feuille d'arbre, le vent, le vent est une image. Le vent, la
feuille d'arbre, la feuille d'arbre tombe, arrachée par le vent. Ou bien si elle tient, c'est en fonction
d'une autre image, son pédoncule et elle bouge. La réaction s'enchaîne avec l'action. Là il y a des
images très spéciales. Supposez qu'il y ait des images très spéciales. Elles reçoivent des actions et
la réaction est à retardement. Vous voyez que je n'introduis rien de nouveau. J'introduis uniquement
- et mon plan d'immanence me le permet - je me dis c'est curieux, il y a des intervalleles. J'introduis
un intervalle, c'est à dire, à la lettre rien, entre une action et une réaction.

Il y a des intervalles, il y a certaines images telles que lorsqu'elles reçoivent une action, elles ne
réagissent pas tout de suite. Il faut attendre. Voilà un nouveau concept : intervalle. Le plan
d'immanence ne comprend pas seulement des images en actions et en réactions constantes et
perpétuelles, ils comprend aussi des intervalles entre des actions et des réactions. C'est ces images
spéciales - remarquez que du coup je fais une comparaison, je fais une parenthèse - ce que j'ai
toujours aimé ici c'est la possibilité de parler à toutes sortes de publics simultanément - les uns
laissent tomber lorsque ça ne les concerne plus.

Mais je pense à ceux qui sont philosophes.J'ouvre trés rapidement une parenthèse On a toujours dit
que Sartre, et Sartre lui-même n'a pas cessé d'attaquer trés violemment Bergson. Mais ce qui me
frappe, c'est que ce n'est jamais comme les gens disent, parce que si vous prenez le début de "l'Etre
et le Néant", à mon avis c'est exactement la même chose que le premier chapitre de "Matière et
Mémoire". A un point très étonnant. car sartre qu'est ce qu'il nous dit ? Sauf que je préfère la
présentation bergsonienne à la présentation sartrienne.

Qu'est-ce qu'il nous dit, Sartre, au début de "l'Etre et le Néant", il nous dit au début de ce beau livre,
il y a le monde et ce monde je l'appelle l'en-soi. Là aussi on ne va pas discuter. Avant de savoir si
c'est une bonne idée, il faut attendre, on va voir ce qu'il va en tirer. "Il y a l'en soi". Et il dit : "et dans
ce monde "en soi "qui ne m'a pas attendu pour exister, et qui a attendu personne pour exister dans
ce monde "en soi", il y a des sujets qui naissent. Et là Sartre fait surgir tout son appareil
métaphorique à lui, là les concepts sont toujours en rapport avec des métaphores, des petites bulles
montent à la surface. Les petites bulles vous avez dejà senti, c'est nous, c'est vous, c'est moi, les
petites bulles qui montent dans l'"en soi". Et ces petites bulles ça va être des sujets. Vous, moi, ou
des consciences. Mais il ne se donne pas la conscience, Sartre. Il se donne des petites bulles. Alors
cet "en soi" ça va être une espèce de marais à la Sartre, ce n'est pas un beau plan comme le mien,
un plan bien sec, c'est une espèce de marais où il y a des bulles qui montent. Qu'est-ce que c'est,
ces bulles ? Si il dit : c'est l'homme, tout est fichu. L'homme qu'est-ce que ça veut dire, l'homme quoi
? Il s'agit d'engendrer l'homme conceptuellement. Il emploie une expression parfaite, il dit que ce
sont de petits lacs de non-êtres, de petits lacs de non-être qui viennent s'installer là, sur le plan.

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C'est absolument, sous autre appareil métaphorique, c'est absolument l'histoire de Bergson. Son
plan d'immanence avec des images variables qui agissent et réagissent sur toutes leurs faces et
dans toutes leurs parties, et puis certaines images privilégiées qui se définissent uniquement par
intervalle entre l'action subie et l'a reaction exécutée. Cet intervalle, cet écart, c'est l'équivalent des
petits lacs de non-être. A la lettre, c'est du rien. Il se trouve que ce "rien", il va faire quelque chose.
Qu'est-ce qu'il va faire ? Il va faire trois choses. Je reprends. Là je mets toutes mes petites images,
cette infinités d'images. Et puis, les images particulières, pour simplifier, j'en mets deux. bien J'ai le
droit, encore une fois, de les avoir mis sur mon plan d'immanence puisque rien, je n'introduis que un
écart entre une action et une réaction. Si on me dit d'où il vient cet écart ? je ne sais pas moi, je n'en
sais rien, ne pensons pas à ça pour le moment. Accordez moi cet écart puisque je ne me donne rien
que de l'action et de la réaction. Je n'ai rien introduit en douce.

Très important, la loi de la philosophie et des concepts c'est de s'éviter toute opération de
prestidigitation où on file en-dessous quelque chose qu'on aurait pas le droit de se donner. Je les ai
là, je n'ai introduit qu'un écart, seulement encore une fois, qu'est ce que cet écart introduit de
nouveau ? Selon Bergson il introduit trois choses nouvelles.

Première chose nouvelle. Mon plan ne change pas, il comprend simplement ces images
particulières, il reste le plan d'immanence de toutes les images possibles, mais parmi toutes les
images possibles, sont possibles de telles images. Si elles sont possibles, elles sont réelles, on l'a vu
tout à l'heure en fonction de l'être originaire. Qu'est-ce qui se passe ? Elles vont constituer des
images privilégiées en quel sens ? C'est que, sans doute, toutes les autres images continuent à
varier les unes en fonction des autres, sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties, ça ça
continue, ça ne disparaît pas, ça continue, le monde continue.

Mais en même temps, le plan d'immanence, il va lui arriver des choses. En même temps ça ne
supprime rien de ce que je viens de dire, le plan d'immanence, il continue pareil, mais en plus s'y
joint quelque chose. La première chose qui va s'y joindre, c'est que toutes les autres images
continuent à varier les unes pour les autres, les unes en fonction des autres, mais aussi, en même
temps, elles s'organisent de manière à varier toutes, ou du moins une partie d'entre elles - quitte à
préciser ce que veut dire " une partie d'entre elles "-, une partie d'entre elles vont se mettre à varier
en fonction de l'image privilégiée.

En d'autres termes un second système se joint, n'annule pas, mais un second système se joint au
premier système. D'une part les images continuent à varier les unes par rapport aux autres sur
toutes leurs faces et dans toutes leurs parties, mais d'autre part, en même temps, un certain nombre
de ces images se mettent à varier par rapport à l'image privilégiée et en fonction de l'image
privilégiée. Quelles images ? je dis certaines images se mettent à varier. En effet, il suffira que
l'image privilégiée se déplace, pour que un certain nombre d'images varient en fonction du
déplacement. Voilà que les images n'appartiennent plus seulement à un système où elles varient les
unes par rapport aux autres, elles appartiennent à un autre système en plus où elles varient par
rapport à l'image privilégie définie par intervalle, c'est à dire qui constitue un centre.

Centre en fonction duquel les images qui agissent sur l'image privilégiée, varient. Toutes les
images qui agissent sur cette image privilégiée vont varier en fonction de cette image privilégiée qui,
dès lors, est érigée en centre. Centre de quoi ? Centre de perception. Ça n'annule pas le premier

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système de la variation universelle. Ça joint au système de la variation universelle, un autre système
où elles varient en fonction du centre. Ce centre est défini comment ? Uniquement intervalle entre
action et réaction.

C'est pourquoi Bergson pourra l'appeler "centre d'indétermination". C'est un centre


d'indétermination puisqu'il se définit uniquement en ceci : la réaction ne s'enchaîne plus
immédiatement avec l'action suivie. Dès que vous avez un tel centre d'indétermination, le monde des
images, où un certain nombre d'images s'organisent en tendant certaines faces vers le centre
privilégié. Le centre privilégié sera dit : percevoir. Il perçoit. Et en effet, qu'il perçoit, qu'est-ce que ça
a d'étonnant ? Qu'est-ce que ça voulait dire, il y a intervalle entre l'action et la réaction ? Il y a
intervalle entre l'action subie et la réaction exécutée ? ça voulait dire que cette image est constituée
de manière très spéciale. Elle a condamné certaines de ses parties. Certaines parties de cette image
spéciale ont acquis une immobilité relative. Tout se passe comme si certaines parties de cette image
privilégiée avaient acquis une immobilité relative. Et en même temps, d'autres parties de l'image
privilégiée, ont acquis une force active développée, une possibilité de mouvement développée. C'est
une espèce de compensation.

Au lieu d'avoir action-réaction, vous avez les actions reçues qui sont saisies par des parties de
l'image qui ont acquis une immobilité relative, les réactions exécutées sont exécutées par des parties
de l'image qui ont acquis des degrés de liberté ou de puissance particuliers. C'est compris dans
l'intervalle, c'est l'effet immédiat de l'intervalle. Si vous vous donnez intervalle entre action et
réaction, vous n'avez plus enchaînement direct de l'action subie et de la réaction exécutée, c'est à
dire que l'action subie va être recueillie sur certaines faces de l'image privilégiée, lesquelles faces
sont condamnées à une immobilité relative pour recevoir l'action, pour recevoir l'excitation, et la
réaction exécutée qui se fait attendre, la réaction retardée, va être assurée par d'autres parties de
l'image, qui elles, du coup, disposent de degrés de liberté supérieurs.
Tout ça c'est le phénomène de l'écart.

Qu'est-ce que j'ai, donc ? Si je me donne ces images privilégiées définies par écart entre action et
réaction j'ai déjà deux effets :
Premier effet : les images qui agissent sur cette image privilégiée s'incurvent, en quelque sorte,
c'est à dire se mettent à varier en fonction de l'image privilégiée. On dira que l'image privilégiée
perçoit. Il y a des images-perception. Les images-perception, ce sont les images, en tant que elles
ne varient plus toutes les unes en fonction des autres sur toutes leurs faces et en fonction de leurs
parties, l'image-perception, ce sera les images en tant qu'elles varient par rapport à une image
privilégiée c'est à dire par rapport à un centre d'indétermination.

Voilà que sur mon plan d'immanence, je dispose d'images-perception. L'image-mouvement est
devenue image-perception par rapport au centre d'indétermination.

Ça implique quoi ? Encore une fois le centre d'indétermination est constitué de telle sorte que
certaines de ses parties ont pris une immobilité relative, ce qu'on appellera dans notre langage :
organe des sens. Et c'est par ces parties immobilisées relativement, que l'image privilégiée va
percevoir les excitations...

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Deleuze
-- Menu - CINEMA : une classification des signes et du temps Nov.1982/Juin.1983 - cours 22 à 44 - (56 heures) --

CINEMA : une
classification des
signes et du temps
Nov.1982/Juin.1983 -
cours 22 à 44 - (56
heures)

- 07/12/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 07/12/82 - 2 Page 1/13


Deleuze - cinéma cours 25 du 07/12/1982 - 2 transcription : Marie Hélène Tanné

Et l'ensemble de la qualité et de ce qui l'actualise, nous l'appelons « état de chose »


Enfin troisième caractère de la secondéité. Quand le duel s'exerce dans l'état de chose, qu'est-ce
qui se passe ? Le duel s'exerce toujours dans le cadre d'un état de chose et en tant qu'il s'exerce
dans le cadre d'un état de chose, il modifie cet état de chose, ou il tend à modifier cet état de chose.
Ce troisième caractère de la secondéité, appelons-le - c'est un mot commode, ça lui donne un statut
- expérience. L'expérience ou l'expérimentation vécue. Je ne parle pas d'une expérience scientifique,
mais je parle de mon expérience. Mon expérience, c'est l'ensemble des opérations par lesquelles,
grâce à des duels, c'est-à-dire des affrontements, des actions/réactions, je modifie ou tends à
modifier l'état de chose. Voilà, vous voyez, là, le tableau des catégories s'enrichit. La priméité
comprend la catégorie du réel, cette catégorie du réel s'exprimant simultanément dans, si je résume
tout :
le fait ou le duel,
l'état de chose,
l'expérience.

L'expérience est non moins secondéité que les deux autres traits, puisque l'expérience c'est le
passage de l'état de chose a à l'état de chose a', c'est-à-dire l'état de chose modifié. Donc là aussi
au niveau de l'expérience, il y a aussi fondamentalement "deux" inséparablement. Modifié ou
restauré, ça reviendra au même. Ou vous pouvez concevoir toutes sortes de variantes. Là, cet
exemple doit être lumineux, puisque le reste, ça va être sacrément plus difficile.

Je peux dire que la catégorie du réel, sous son triple aspect - le fait, l'état de chose, l'expérience -,
cette catégorie du réel renvoie, et pose, et nous donne les moyens de résoudre le problème de
l'individuation.

J'ai donc tout un ensemble très complexe, là. Je dis "pour moi" puisque notre tâche, c'est pas
simplement de raconter Pierce, que ça nous fait faire un très grand progrès dans l'analyse de
l'image-action. Et à cet égard alors, pardonnez-moi, toujours entre guillemets, je dis bien : "de mon
point de vue" : strictement aucune objection à faire. On peut tout garder. On a enrichi grâce à Pierce
notre analyse de l'image-action. Et d'un. Il n'y en a plus que deux. Alors maintenant que nous avons
pris l'analyse intermédiaire, la secondéité, qui était le plus facile, qu'est-ce qu'il appelle la priméité ?
Eh ben, la priméité... Lui-même, il nous dit : c'est pas facile à dire. Et alors, c'est tellement... Il se
surpasse, parce que vous trouvez des textes comme ça chez tous les Anglais. Voilà, il nous remonte
le moral. Alors il nous dit : "oh ben, faut pas s'en faire, quoi. On va pas y comprendre grand chose à

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la priméité". Il faut sentir. Il faut que vous sentiez. C'est le fameux appel de tous les philosophes
anglais, c'est l'appel au feeling. Mais chez eux le feeling, c'est un véritable concept et c'est une
véritable méthode philosophique.

Il ne peut être pensé d'une manière articulée, le premier, c'est-à-dire la priméité. Je cite, parce que
ça vous donne une idée du style de Pierce : " Elle ne peut être pensée..." Ou il ne peut être pensé, le
premier de la priméité. " ...il ne peut être pensé d'une manière articulée ". Vous comprenez tout de
suite pourquoi : s'il est articulé, il y a au moins deux. " Et il a déja perdu son innocence
caractéristique, car l'affirmation implique toujours la négation de quelque chose. " Donc de la
secondéité. " Arrêtez d'y penser et il s'est envolé. Ce qu'était le monde pour Adam..." Mais allez donc
savoir... " ... "ce qu'était le monde pour Adam le jour où il ouvrit les yeux sur lui, avant qu'il n'ait établi
de distinction ou n'ait pris conscience de sa propre existence. " Avant qu'il n'ait pris conscience de sa
propre existence " : en effet, je prends conscience de ma propre existence dans quoi, vous le savez
tous, dans l'effort. C'est mon triste destin, le nourrisson qui naît en sait quelque chose. C'est dans
l'effort qu'il prend conscience de sa propre existence et sort de la mère en disant comme les
philosophes allemands : "Moi égale moi". "... sa propre existence...". Alors : "ce qu'était le monde
pour Adam le jour où il ouvrit les yeux sur lui". Mais il est pas né Adam, justement, il est pas né.
"...avant qu'il n'ait établi de distinction ou qu'il n'ait pris conscience de sa propre existence, voilà ce
qu'est le premier de la priméité. Présente immédiate, frais, nouveau...". Là, il peut y aller, il peut
continuer longtemps. "... initial, original, spontanée, libre, vif, conscient et évanescent.
Souvenez-vous seulement que toute description que nous en faisons ne peut être que fausse. " Très
bien. Parfait. Mais tout ça c'est pour rire. Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est ? Page 205, il
parle plus sérieusement mais on a des doutes. Et je lis lentement. Il s'agit de la priméité. Et il nous dit
: " Parmi les faneron... ". Donc parmi les images. " ... il y a certaines qualités sensibles... ". On retient
au fur et à mesure ce que l'on peut comprendre, hein, parce que le texte va être de plus en plus
bizarre. Ah tiens ! Il est en train de suggérer que la priméité, c'est peut-être la qualité. Ah Bon ? On
met ça de côté : est-ce que ce serait pas la qualité ? Mais on va voir, qu'est-ce qu'il va appeler
qualité. " Parmi les faneron, il y a certaines qualités sensibles comme..." On se dit ouf, il va nous
donner des exemples, et on s'attend à : comme le rouge de la rose. ça, ca y irait. Mais il dit pas ça.
"Parmi les faneron, il y a certaines qualités sensibles comme la valeur du magenta,
l'odeur de l'essence de rose... " . On se dit : ah bon, l'odeur de l'essence de rose, bon, là, ça va. "
...le son d'un sifflet de locomotive". Mais on se dit, mais ça va plus,
le son d'un sifflet de locomotive, c'est typiquement de la secondéité, c'est une qualité actualisée
dans un état de chose, la locomotive. "...
le goût de la quinine...". Là aussi, ça paraît de la secondéité. Et alors, il y va. Typiquement
anglais, tout ça, aussi. "... la qualité de l'émotion..." . Il met tout ça dans le même tas, hein. "...
la qualité de l'émotion éprouvée en contemplant une belle démonstration mathématique ". Bon
évidemment... alors, là, comme ça... le rouge de la rose, le son du sifflet de locomotive et la qualité
de l'émotion que je suis sensé éprouver en contemplant une belle démonstration mathématique. "
la qualité du sentiment d'amour... " . Bon, je me dis, bon, sentiment d'amour, pourquoi que ce
serait pas de la secondéité ? Effort/ résistance.... ". Et il ajoute, ça va nous guider peut-être un peu...
Donc on a, comme point de repère : la priméité, ce serait la qualité.

Premier point de repère. Il ajoute : " Je ne veux pas dire la sensation d'exprimer actuellement ses
sentiments, de tels sentiments ". Alors là, on est soulagé. On ne sait pas ce qu'il veut dire mais au
moins on est content qu'il ne veuille pas dire ça. " Je ne veux pas dire la sensation d'exprimer

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actuellement de tels sentiments " . En effet, la sensation d'exprimer actuellement des sentiments,
c'est l'état des qualités actualisées dans un état de chose, et ça appartient à la secondéité. Donc il
est en train de nous dire - et ça nous arrange, ça nous soulage - : il y a des qualités que l'on peut
saisir indépendamment de leur actualisation dans un état de chose. C'est donc pas le son du sifflet
de la locomotive dont il voulait parler. Mais alors pourquoi il a dit " le son du sifflet de la locomotive "
? Ca devient très curieux, c'est de la perversité anglaise. "Je ne veux pas dire la sensation
d'exprimer actuellement ses sentiments, que ce soit directement, dans une sensation, ou même
dans la mémoire ou dans l'imagination ". Lorsque je me dis : je me souviens du goût de la quinine,
ou lorsque j'imagine le goût de la quinine. Ben, c'est pas ça que je veux dire. " Je veux dire les
qualités elles-mêmes..." Ah bon. " Je veux dire les qualités elles-mêmes ". D'accord.
On a confirmation que la secondéité, ce serait le domaine des qualités elles-mêmes, donc
indépendamment de leur actualisation dans un état de chose, dans un milieu, dans un espace.

Là, ça devient plus bizarre. Est-ce que ça existe de pareilles choses ? Et il ajoute : " je veux dire les
qualités elles-mêmes qui en elles-mêmes sont de pures peut-être non nécessairement réalisés " .
Voilà qu'on a un second caractère. Il a enchaîné. Second caractère. " Ce sont des qualités... " :
premier caractère. "... des qualités pures " :
deuxième caractère. " Comme ces qualités sont saisies indépendamment de leur actualisation ou
non..." . Peu importe qu'elles soient actualisées ou non actualisées dans un milieu, dans un
espace-temps, dans des choses ou dans des personnes, ça n'importe pas. " ... ce sont dès lors, non
pas des réalités, mais de pures possibilités " .

Et en effet, il nous dira formellement :


la catégorie de la priméité, c'est la catégorie du possible.
La catégorie de la secondéité, c'était celle du réel.

Et il continue : " En fait, bien qu'un tel sentiment... ", c'est-à-dire la saisie d'une telle qualité, "... bien
qu'un tel sentiment soit conscience immédiate... " . Alors là, suivez bien parce qu'il termine par... ça
s'arrange pas, ce texte très beau. " ... bien qu'un sentiment soit conscience immédiate, c'est-à-dire
soit tout ce qu'il peut y avoir de conscience qui soit immédiatement présent... " . Voyez ! " une telle
saisie de qualité est une conscience immédiate, c'est-à-dire elle est tout ce qu'il peut y avoir de
conscience qui soit immédiatement présent. Cependant, il n'y a pas de conscience en lui, cependant
il n'y a pas de conscience en lui parce qu'il est instantané " . Et il récapitule tout dans une phrase qui
nous reste mystérieuse : " car nous avons déjà vu que le sentiment n'est rien qu'une qualité ; et une
qualité n'est pas consciente, elle est une pure possibilité. "

Pourquoi est-ce qu'une posibilité n'est pas consciente ? Pourquoi est-ce qu'une qualité n'est pas
consciente alors qu'il vient de nous dire que c'est une conscience immédiate ? c'est-à-dire tout ce
qu'il peut y avoir de conscience qui est immédiatement présent ?

Et ben, on a de quoi faire ! Quand on dit que les philosophes anglais, c'est facile ! Non, c'est pas
facile ! Alors ou bien on se dit : c'est pas ce qu'il veut dire. Ou bien on se dit : il essaie de décrire
quelque chose d'ineffable. Ou bien on se dit : relisons le texte, et le texte est absolument rigoureux.

N'empêche que le texte, si incohérent qu'il nous paraisse à première lecture, nous a mis sur la voie :
c'est que, aussi, la priméité allait avoir trois caractères :

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Qualité,
possibilité,
pure conscience immédiate. Bon.

Je commence par le dernier parce que tout va dépendre de ça. Si on comprend ça, moi je crois que
vous comprenez tout. L'année dernière je donnais un exemple que je vais reprendre là, suivant mon
thème des reprises pour aller plus loin, pour essayer... Je donnais un exemple qui m'avait bien plu
parce que ça me faisait comprendre. Alors j'aurais pu en changer mais comme celui-là me semblait
très clair.

Euh... Je dis à ma fiancée..., je lui dis : " Comme tu es belle avec ta robe rouge ! ". Hein, je peux lui
dire ça : " Comme tu es belle avec ta robe rouge ! ". Je dis :
c'est une conscience percevante. Elle entre dans la pièce et je dis : " Comme tu es belle avec ta
robe rouge ! ". Bon.

Elle a une robe noire. C'est mon deuxième exemple... Je la regarde, et je dis : "Oh, comme tu étais
belle en rouge l'année dernière ! ". " Comme tu étais belle en rouge l'année dernière ! " .
C'est une conscience qu'on appellera mémorante. Elle entre dans la pièce, toujours en noir. Je lui
dis : " Tu n'as pas mis ta belle robe rouge ! ". Oooh ! "Tu l'as pas mis, hein ! " .
C'est une conscience que j'appelerai jugeante. C'est un jugement, c'est une proposition. C'est pas
une perception, c'est pas un souvenir. " Tu n'as pas mis... " . Il faut peut-être que je me souvienne
qu'elle en a une mais, tel quel, "Tu n'as pas mis ta belle robe rouge" exprime une proposition. Et un
jugement. Une proposition qui affirme et qui nie quelque chose, plutôt. " Ce que tu as mis n'est pas
ta belle robe rouge", c'est un jugement, c'est une consciente jugeante. Et puis, supposez même,
qu'elle n'aie jamais eu de robe rouge. Et puis je la regarde et je dis : "Oh là là, mais comme tu serais
belle en rouge ! " . " Comme tu serais belle en rouge ! " .
C'est ce qu'on appelera une conscience imageante ou imaginante.

Voilà, à peu près. J'en voie pas d'autres mais en réfléchissant encore bien, on pourrait en trouver.
Qu'est-ce que je peux dire de toutes ces consciences ? C'est des consciences médiates. Vous allez
voir qu'on va tout comprendre de ce que nous disait Pierce. C'est des consciences médiates.
Pourquoi elles sont médiates ?

Elles ont toutes en commun de viser quelque chose à travers autre chose. Je vise le rouge à
travers la robe, soit la robe qu'elle a quand je dis " Comme tu es belle en rouge ", soit la robe qu'elle
n'a plus, soit la robe qu'elle n'a jamais eu, peu importe. Toute conscience, ajoutons réelle, est
médiate, c'est-à-dire appartient à la secondéité.

En effet, elle vise quelque chose à travers autre chose. C'est un exemple typique de secondéité.
Bien. Elle est donc médiate, réelle, et par la même dyadique : soumise au régime de la secondéité.
Maintenant, faisons un effort. Qu'est-ce qu'il y a de commun entre toutes ces consciences médiates,
et réelles ? Qu'est-ce qu'il y a de commun entre toutes ces consciences médiates et réelles ? Ce
qu'il y a de commun à toutes ces consciences médiates et réelles, c'est - il n'y a rien d'autre, dans
tous les exemples que j'ai donné -, c'est la conscience immédiate de rouge.

Mais pas de rouge en général, surtout pas, de ce rouge... Ah, qu'est-ce que je vais dire ? Ce rouge...

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Est-ce que je vais pouvoir dire : ce rouge individuel ? Eh ben, pas de chance, Pierce, il a oublié de
créer un mot. C'est curieux, je comprends pas. Je comprends pas ce qu'il s'est passé : il n'a pas de
mot. Nous, on en a un. Avantage... avantage incontestable. On en a un. Qu'est-ce que c'est, ce
rouge ? Si je dis : c'est un rouge individuel, je me suis perdu d'avance, je me suis philosophiquement
perdu, j'ai plus qu'à arrêter, j'ai plus qu'à m'en aller, c'est la gaffe. Il y a des gaffes philosophiques.
Pourquoi ? Un autre pourrait le dire s'il avait pris une autre terminologie, mais moi, je me suis réservé
"individuation" pour la secondéité. Bon, il faut que je m'y tienne. Il m'a semblé que ce qui était
individuel ou individué, c'était : les états de chose, les choses et les personnes qui entrent dans les
états de chose. J'en sortirai pas. Donc la rose qui a ce rouge est bien une rose individuelle mais ce
rouge n'est pas une qualité générale et pourtant je ne peux pas la dire individuelle. Heureusement,
notre langage a un autre mot qui est autorisé par les sciences : c'est le terme singularité, et l'adjectif
singulier. Je dis autorisé par la science plus que par la logique parce que la logique, pour elle, le
singulier, c'est l'individu comme tel, ce qui ne nous irait pas. C'est l'individu, seul de son espèce, ou
considéré comme seul, c'est-à-dire l'individu comme désigné par un nom propre. Donc ça nous va
pas.

En revanche, je dis les sciences parce que les mathématiques et la physique emploient l'expression
singularité/ singulier. Et, les singularités d'une courbe par exemple ne se confondent absolument pas
avec une individuation. Bien plus, un livre extrêmement intéressant, c'est pas de cela que je parle,
d'un philosophe contemporain, est un livre sur... qui s'appelle Genèse de l'individuation. L'auteur en
est Gilbert Simondon.

Si j'essaie de résumer très brièvement la thèse de Simondon, elle consiste à dire... Il a rien avoir
avec Pierce, il a rien avoir avec nos problèmes, il parle de tout à fait autre chose. Mais il se trouve
que, dans son problème à lui de l'individuation - comment l'individuation est-elle possible ? , sa
réponse est celle-ci : " L'individuation se fait toujours dans un champ pré-individuel qu'elle suppose ".
Les opérations d'individuation se font toujours dans un champ pré-individuel qu'elles supposent. " Ce
champ pré-individuel est un champ que la physique désignera comme potentiel ". Un potentiel. au
sens où la physique parle d'énergies potentielles. "C'est-à-dire ce champ consistera en une
distribution de potentiels dans un champ physique " . Ces potentiels n'ayant rien avoir avec des
corps individuels. C'est de l'énergie potentielle, uniquement potentielle... Bon. " Et ces potentiels
seront les singularités du champ " . Ce seront les points singuliers, les singularités du champ. " Un
champ mathématique ou un champ physique comporte une répartition de singularités " . En tant que
tels, en tant que champs.

Ce qui m'avance énormément puisque vous voyez que là j'ai un triplet de notions qui va me servir
rudement : potentiel, singularité... Non, c'est tout, un doublet :
potentiel,
singularité.

Bon. Ce qui m'aide, si je le met en rapport avec les notions de Pierce. Il nous disait : qualité,
possibilité. Je dis : d'accord. Est-ce que cette possibilité est seulement logique ? Pierce lui-même
emploiera l'expression de potentiel, possibilité ou potentialité, dira-t-il. Bon. Je retiens ça : possibilité
ou potentialité. La potentialité, le potentiel, doué d'un dynamisme qui lui est propre en tant que
possible. C'est un possible dynamique, dynamisé. C'est un possible énergétisé. Donc j'ai : qualité et
potentialité. Et la qualité, c'est pas du tout quelque chose de général. C'est quoi ? Et pourtant, ça

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peut pas être individuel. L'individuel, c'est de la secondéité. D'accord. Les qualités dont il est
question, ce sont des qualités singulières. Elles ont une singularité. C'est ce rouge et pas un autre
rouge. La qualité en elle-même est singulière. En elle-même, ça veut dire indépendamment de l'état
de chose qui l'actualise, l'état de chose qui l'actualise étant lui, individuel et non pas singulier.

On progresse de plus en plus. Je dis : la qualité pure, ce rouge, c'est la conscience immédiate du
rouge, de ce rouge, de cette qualité singulière ; ce rouge, c'est la conscience immédiate de cette
qualité singulière en tant qu'elle est impliquée, enveloppée dans toute conscience réelle de ce rouge,
une fois dit que les consciences réelles de ce rouge ne sont pour leur compte jamais immédiates ni
singulières mais médiates, réelles et individuelles.

En d'autres termes, la conscience immédiate de ce rouge, c'est le point de convergence de toutes


mes consciences réelles : " Comme tu es belle en rouge " - conscience percevante -, " Comme tu
serais belle en rouge " - conscience imageante -, comme tu étais belle en rouge, conscience" Tu n'as
pas mis ta robe rouge " - conscience jugeante. La convergence de toutes ces consciences médiates
qui, pour leur compte sont des consciences médiates et réelles, ce que chacune de ces consciences
enveloppe en elle-même, c'est la pure conscience de rouge.

Et justement les consciences médiates réelles ne peuvent jamais présenter cette pure conscience de
rouge. En d'autres termes, la conscience immédiate de la donnée rouge n'est ni donnée ni
immédiate. Vous me direz : c'est de la pitrerie, pourquoi jouer sur les mots ? C'est pas des jeux de
mots, c'est la rigueur du concept. C'est le moment ou jamais de nous rappeler que Bergson intitulait
son premier livre "Essai sur les données immédiates de la conscience" mais qu'on y apprenait vite, si
on le lisait bien, que les données immédiates de la conscience n'étaient par nature ni immédiatement
données, ni donnables immédiatement.

Et vous comprenez pourquoi ? Ce qui est donné dans mon expérience, c'est de la secondéité, c'est
des consciences réelles, c'est des consciences déjà qualifiées, c'est des consciences où la qualité
est déjà actualisée dans des états de chose. Mais ces consciences réelles, elles enveloppent une
conscience immédiate qui, elle, n'est pas réelle, et qui n'est jamais donnée. Qu'est-ce qu'elle est, elle
est pas réelle ? , vous me direz. Non : c'est l'énergie potentielle de la conscience. Je dirais : elle est
possible. Mais elle se réalise pas. Si elle se réalise, elle change de nature. Si elle se réalise, elle
devient conscience médiate, conscience réelle.

Toutes les consciences réelles présupposent comme n'étant pas données..., toutes les consciences
réelles qui se donnent quelque chose se le donnent médiatement. Et présupposent, enveloppent une
conscience immédiate qui, elle, n'est jamais donnée. Et pourtant, elle est là. Elle est pas donnée, elle
est pas réelle. C'est du pur possible, c'est du potentiel. C'est un potentiel. C'est l'énergie potentielle
de toute conscience. Je dirais donc : ce rouge est une qualité, indépendamment de tout état de
chose qui l'actualise. Etant une qualité, il est une potentialité. Etant une potentialité, il est une
conscience. Les trois notions s'enchaînent absolument.

Je peux alors le coeur léger relire la si belle... Et alors ça nous semble, j'espère que ça va nous
sembler une page splendide. Je peux relire la fin du texte. Mais je relis tout puisque tout nous faisait
difficulté. " Parmi les faneron..." - parmi les images -, "... il y a certaines qualités sensibles comme la
valeur du magenta...". D'accord, la valeur du magenta, laissons-le... "

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l'odeur de l'essence de rose.... D'accord, l'odeur de l'essence de rose mais c'est cette odeur-ci,
que je vais considérer non pas comme actualisée dans l'essence de rose, ce qui serait un état de
chose, mais que je vais considérer dans sa singularité propre, qu'elle existe ou qu'elle n'existe pas,
c'est-à-dire indépendamment de la question de savoir si elle s'actualise ou non. Ce sera la
conscience immédiate de l'essence de rose, telle qu'elle est comprise dans toutes mes consciences
médiates, qui se souviennent, qui perçoivent, qui imaginent, qui jugent de l'odeur de l'essence de
rose. " ...
le goût de la quinine... " , c'est la même chose. C'est cet amer-là, A-M-E-R, cet amer-là qui n'est
pas l'amer de... c'est cet amer-là qui n'est pas l'amer de... euh... Qu'est-ce que c'est qui est dans les
épinards et qui est l'amer ? L'estragon ! Non, l'oseille ! C'est cet amer-là qui n'est pas l'amertume, qui
n'est pas l'amer de l'oseille. Mais cet amer-là, je le considère indépendamment de son actualisation
dans l'oseille, ou indépendamment de son actualisation dans la quinine. C'est cet amer comme
singularité, indépendamment de la question de savoir s'il est actualisé dans l'état de chose oseille ou
dans l'état de chose truc, euh quinine.

Vous comprenez ? Il y a une singularité de la qualité, avant qu'il n'y ait une individuation de l'état de
chose qui actualise la qualité. Bien plus, peut-être qu'il n'y aurait pas d'individuation de l'état de
chose qui actualise la qualité s'il n'y avait pas une singularité de la qualité même.
Les qualités ne sont pas des généralités, ce sont des singularités. Bon. Et il va terminer. Alors, je
continue le texte : " Je ne veux pas dire la sensation d'exprimer actuellement ses sentiments... ".
Evidemment, exprimer actuellement ses sentiments, c'est l'oeuvre des consciences réelles et
médiates. Mais je veux dire les qualités elles-mêmes qui, en elles-mêmes, sont de purs peut-être
non nécessairement réalisés " . C'est-à-dire cet amer-là, qui sera celui de l'oseille quand l'oseille
l'actualise, mais dont j'ai une conscience immédiate sur le mode du pur possible... Vous me direz :
s'il n'y avait pas de l'oseille, t'aurais jamais eu... ! C'est pas du tout la question.

La question n'est pas si cet amer-là, cette qualité pure, existe indépendamment de l'oseille, car si
vous faisiez cette objection, vous n'auriez rien compris puisque cette qualité pure n'existe pas. Elle
est pas de la catégorie de l'existence, elle est de la catégorie du possible. C'est le statut du possible.
Il est en train de montrer que d'où que vienne le possible... C'est pas sa question, d'où vient le
possible. Est-ce que le possible dérive de l'existant, du réel ? Ca c'est une question qui ne nous
intéresse pas : on fait de la logique.
On dit : d'où que vienne le possible, le possible a un statut et une consistance qui n'est pas celle
du réel. Quelle est sa consistance ? Le possible est un potentiel singularisé qui se distingue de toute
réalité individuée.

Et il peut continuer alors. Là, écoutez bien, parce que maintenant, je suppose, vous êtes sensés tout
comprendre. "... bien qu'un sentiment soit conscience immédiate, c'est-à-dire soit tout ce qu'il peut y
avoir de conscience qui soit immédiatement présent...". Ca devient limpide. " cependant il n'y a pas
de conscience en lui, parce qu'il est instantané " . Ce qui veut dire, forcément : il est à la fois
conscience pure et immédiate, mais il y a pas de conscience en lui puisque toute conscience,
sous-entendue réelle, est par nature médiate. Il est seulement " la conscience immédiate telle qu'elle
est enveloppée sans être donnée, comme pur possible ou comme pur potentiel par toute conscience
réelle actuelle ". C'est très beau ce statut du possible. Vous comprenez ?

Essayons d'aller un peu plus loin. Il faut que vous opposiez dès lors potentiel à actuel... Voyez notre

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jeu d'opposition :
la priméité ce sera le possible par différence avec le réel. Mais vous voyez que vous avez de loin
dépassé la définition : le possible, c'est ce qui peut exister, c'est ce qui peut devenir réel. Vous avez
donné une consistance au possible en tant que tel. D'où la possibilité d'une logique trivalente. Il n'y
aura pas seulement le vrai et le faux, il y aura le possible. C'est toute la logique qui saute, là, toute la
logique bivalente qui saute. Mais enfin, ça, ça serait un autre point.

Euh... Eh bien vous avez fait tout ça, alors je dirais quoi ? Qu'est-ce que c'est cette image, cette
image de priméité ? On a pas de gêne, à y reconnaitre, à dire que l'on garde tout, là aussi, aucune
objection à faire à mon avis, au contraire, ça nous fait faire un pas en avant très grand.
C'est l'image affection.

L'affect, c'est précisément cette conscience immédiate, ou cette qualité pure qui peut être aussi bien
qualité d'un amour, c'est-à-dire d'un sentiment,
qualité d'une perception - ce rouge -,
qualité d'une action, mais qualité que je considère indépendamment de son actualisation dans
une perception, de son actualisation dans un sentiment, de son actualisation dans un comportement.
Comportement agressif : eh bien, il y a une qualité de ce comportement, que je peux considérer
indépendamment de son actualisation dans ce comportement même.
Je dirais : cette agressivité-là, cet agressif-là, c'est l'affect.

Dès lors, les choses peuvent avoir des affects autant que les personnes. Evidemment, les choses
peuvent avoir des affects autant que les personnes ; et les actions peuvent avoir des affects autant
que les choses et les personnes, une fois dit que ,
l'affect c'est la qualité qui se rapporte à une action, une perception, un comportement, un
sentiment, tout ce que vous voulez, mais que je considère indépendamment de la perception ou de
l'action qui l'actualise.

Exemple, qui va nous faire avancer, j'espère : je suis terrifié. Cette terreur, cette terreur que
j'éprouve... Pourquoi ? Parce que je suis devant un précipice. Devant un précipice, j'ai peur. Cette
peur singulière, elle est dans ma conscience, à titre de donnée médiate, à titre de conscience
médiate. A travers cette peur, je vise le précipice qui m'attire et me repousse à la fois. Je bats des
bras et je tombe. Et, bon, d'accord. Mais il y a aussi cette terreur comme qualité pure. Cette terreur
comme qualité pure, bien sûr, elle trouve dans le précipice sa cause, mais en tant qu'effet, elle
déborde sa cause. Elle déborde sacause, c'est-à-dire, jenedirais pas elle existe, je dirais elle est un
potentiel ou elle a une singularité qui ne s'explique pas par le précipice.

Bien, ça, c'est un affect de personne. Je dirais donc : la terreur ou le terrifiant estune qualité pure qui
s'actualisera dans une personne terrifiée. Qualité d'action ou qualité de chose, essayons de mêler
les deux pour aller plus vite : il y a ce couteau. C'est une chose, ce couteau. Je le perçois. Je me le
rappeler, je peux l'imaginer, etc. En tant que porteur d'action, il peut faire bien des choses. Il peut
couper du pain, il peut tuer une personne. Qu'est-ce qu'il peut faire encore ? C'est déjà pas mal :
couper du pain ou tuer une personne. Bon. Tout ça, je comprends. Image chose : le couteau. Il est là
sur la table. Image perception. Je le prends. J'hésite. Je me dis : j'y vais, je tue, ou bien non, je
coupe du pain. Je me dis : ça vaut mieux. Ca vaut mieux : je coupe du pain. C'est une action. Mais
que dire de, et est-ce que ça a un sens, le coupant du couteau ? Le coupant du couteau : comment

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et-ce que je pourrais assigner une telle chose ? Parce que le coupant du couteau... Laissez-vous
fasciner par les mots. Quelle drôle de chose c'est, le coupant du couteau. Il y a de quoi rêver. Où
vous allez trouver ça dans la chose ?

Vous me direz : c'est la limite. Justement, la philosophie a pas cessé de traîner la question des
limites : qu'est-ce que c'est qu'une limite ? Qu'est-ce que c'est que la limite de quelque chose ? Bon,
on s'en tirera pas facilement, hein, pour dire ce que c'est que le coupant du couteau. Est-ce que c'est
la même chose que : " ce couteau est bleu " ? " Le couteau est bleu ", ça va. Facile, facile : image
perception. " Le couteau coupe du pain " : d'accord, il faut qu'il est un coupant pour couper du pain.
Tiens, il faut qu'il ait un coupant pour couper du pain. Bon, d'accord. Mais enfin, il coupe du pain,
c'est autre chose. Je sais ce que c'est. Ou il tue quelqu'un, il coupe quelqu'un, il découpe une
personne. C'est de l'image-action. Le coupant du couteau, où vous le percevez ? Vous pouvez
essayer le couteau sur votre doigt. Vous faites de l'image-action, ou de l'image- perception. Vous
faites de l'image complexe : perception/action. Vous faites de l'expérience, dirait Pierce. Mais lorsque
vous dîtes : " le coupant du couteau ". Admirez, ne cessez pas de vous le dire, endormez-vous ce
soir en vous disant : " le coupant du couteau ", ou trouvez d'autres exemples...

D'ailleurs, c'est pas difficile. Si vous comprenez, vous allez avoir plein d'autres exemples, mais là, je
le fais exprès, je ne donne que celui-là. Parce que faudrait pas vous tromper dans les exemples.
Moi, je dirais une chose très simple : le coupant du couteau, c'est une singularité. C'est une
possibilite conçue comme potentialité. Bien sûr, il s'actualise dans un état de chose : le couteau, et
ce que vous allez faire avec le couteau. Mais en tant que coupant du couteau, il est indépendant de
la question de savoir s'il est actualisé ou non. Complètement indépendant. Il y a le coupant du
couteau, indépendamment de l'état de chose où il s'actualise, où il s'actualisera, où il s'est actualisé.

Et cette merveille qu'est le coupant du couteau, c'est l'affect. Et c'est l'affect de quoi ? Là, on est
sorti de Pierce, ça importe pas. Ca importe pas parce que... Si, je dirais, je crois quand même, c'est
grâce à lui, on lui est très fidèle, il me semble. Peut-être pas, tant pis... De toute manière, il est mort.
Euh... le coupant du couteau, c'est quoi ? C'est l'affect du couteau. Les choses ont des affects. Les
personnes ont des affects. Evidemment, les choses ont des affects puisque l'affect, c'est la qualité
considérée indépendamment de son actualisation dans un état de chose. Donc pourquoi que les
choses actualiseraient pas des affects autant que les personnes ?

Voilà que le couteau actualise le coupant du couteau tout comme la fleur actualisait le rouge de cette
fleur. Le rouge de la rose, ce rouge de cette rose, ce rouge singulier de cette rose individuelle était
un affect commun à la rose et à moi. Et puis le coupant du couteau, c'est un affect commun au
couteau et à celui qui s'en servira, c'est-à-dire qui actualisera cet affect pour le faire passer dans le
domaine de la secondéité. Mais en lui-même l'affect n'est pas de la secondéité. Et le coupant du
couteau, auquel on n'a pas fini de rêver, qu'est-ce que vous direz que c'est ? Vous direz que c'est
quelque chose de très bizarre. Et qui appartient à quel ordre ? Qui appartient à l'ordre de ce qu'il faut
bien appeler un ordre de la chose la plus mystèrieuse du monde. Et ça nous fait ajouter encore un
caractère à ce que disait Pierce, et qu'il faut bien appeler les événements. (...)

Alors est-ce qu'il faut dire que ça nous force à découvrir dans l'événement quelque chose d'insolite ?
Le coupant du couteau, c'est, dans l'événement, la part de ce qui n'a jamais fini de se produire et
de ce qui n'a jamais commencé d'arriver. Bon. Pourquoi ? En effet, lorsque je considère dans un

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événement, ce qui commence à arriver, je dis : " je coupe du pain " , " je vais couper du pain ", ou "
je vais te tuer ", " je vais de flanquer un coup de couteau ". Bon. L'événement commence. Lorsque
j'ai coupé le pain, ou que je retire le coup et que je l'essuie, en prenant garde au tranchant du
couteau, qui, lui, n'a jamais commencé ni jamais fini comme pure potentialité... Vous me direz : il a
bien commencé et il a fini, quelqu'un lui a donné du tranchant au couteau. Oui, quelqu'un a donné du
tranchant au couteau. Le remouleur, il s'appelle. Mais qu'est-ce qu'il a fait ? Il a rien fait qu'actualiser
une qualité dans un état de chose. Il a donné du tranchant au couteau. Mais je ne vous parle pas du
couteau, du tranchant tel qu'il est actualisé dans le couteau par l'action du remouleur.

Je vous parle du tranchant du couteau pris en lui-même, en tant que lui, le tranchant du couteau, il
n'a pas commencé avec l'acte de trancher et il n'est pas fini avec le résultat d'avoir trancher. Ah, il
n'a pas commencé avec mon acte de trancher et il n'est pas fini... En effet, je peux aussi bien le
reprendre et retrancher du re-pain ; je peux aussi bien le reprendre si tout va bien et retuer une
re-personne. Entre les deux, entre mes deux meutres, entre mes deux découpages de pain, le
tranchant du couteau aura toujours été là mais n'aura jamais fini et n'aura jamais commencé.

La part éternelle de l'événement. Alors, dans l'événément, il y a une part éternelle ? Ouh la la,
alors, là, on n'est pas sorti... Qu'est-ce que ça peut être la part éternelle de l'événement ? Y aurait-il
deux parts dans l'événement ? Mais alors, à ce moment-là... et pourtant, c'est le même événement.
Oui, c'est le même événement, mais il y a deux parts de l'événement. Oui, c'est le même événement,
et pourtant il y a deux événements. Ah bon ? C'est le même événement et pourtant il y a deux
événements dans tout événement. Ouais. Et là, voilà...

Je lis un texte très connu d'un auteur qui a rien avoir avec Pierce, d'un auteur qui nous parle de la
mort, qui est Blanchot. L'Espace Littéraire, mais c'est dans toute l'oeuvre de Blanchot, ça. L'espace
littéraire, page 161. Et je lis : " La part de l'événement que son accomplissement ne peut pas
réaliser...". Ouh la la, ça m'intéresse. C'est une formule poétique, bon d'accord, mais peut être la
poésie là nous dit de la philosophie, ça s'exclue pas. " La part de l'événement que son
accomplissement ne peut pas réalisé... " Je dirais aussi bien : la part de l'événement ou la part dans
l'événement de ce qui déborde sa propre actualisation. Je pourrais dire ça comme ça, il n'y a pas de
changement. La formule de Blanchot est plus jolie, la mienne est plus conforme à l'état de notre
problème.

La part dans l'événement pour bien marquer que c'est par deux évenements bien qu'à certaines
égards ce soit deux événements, mais c'est pas eux événements non plus... La part dans
l'événement de ce qui se dérobe à l'actualisation. Or dans tout évenement, n'y a-t-il pas cette part de
ce qui déborde l'actualisation ou l'accomplissement ? Et Blanchot pense à la mort avant tout. Et il dit
: il y a deux morts. Simplement sans doute, ces deux morts sont très mélangées. Il y a deux morts, et
il y a une mort qui nous arrive... Pan, allez ! Il y a une mort qui est la mort présente. Et cette mort, en
même temps, c'est la mort instantanée. D'une certaine manière, elle est inassignable. Mais je le dis
mal. En même temps, c'est à elle que je pense, quand ... quand je dis : " Tous les hommes sont
mortels ". C'est elle que j'imagine quand j'imagine que je vais mourir. C'est elle que je perçois quand
je meure. mais même lorsque je la perçois et que je meure effectivement actuellement, est-ce que je
saisis la vraie mort ? Blanchot nous dit : non.

La vraie mort, c'est très bizarre, c'est celle qui n'en finit pas d'arriver. Et n'en cesse pas de finir.

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Pourquoi ? C'est dans la mort la part de ce qui déborde l'actualisation, l'accomplissement. Est-ce
qu'il y a ça ? Moi je crois que c'est dramatiser les choses parce que Blanchot il a une idée qui est
que : il n'y a que la mort qui a ça. Mais encore une fois le couteau à pain a ça. La table a ça. Chacun
de nous a ça. N'importe qui a ça. C'est même ce qui fait la grandeur de chacun, ou sa chance de ne
pas être oublié : la part, la possibilité d'être un événement, chacun de nous.

C'est que, en même temps que quelque chose s'actualise en nous - ça c'est notre part la plus
périssable -, il y a quelque chose qui alors est peut-être beaucoup plus lié à une mort impérissable, à
une mort qui n'en finit pas : cette part de l'événement, qui déborde son actualisation. Bien, bon. C'est
confus. Je fais appel au sentiment. Et comment parler de la priméité sans faire appel au sentiment,
nous disait déjà Pierce ? Je fais appel à des impressions chez vous. Et alors faisons appel encore à
un auteur, qui lui va être plus clair, surtout que je soupçonne fort Blanchot de ne guère le citer mais
de beaucoup le connaître, ne serait-ce que par ses origines catholiques, et l'importance qu'il a eu
pour toute la littérature française à l'époque de Blanchot, et c'est évidemment Péguy.

Et Péguy, dans ce livre étrange, avec son style étrange, sa manière de parler, d'écrire, qui n'est qu'à
lui... Dans le livre sur l'histoire qu'il a intitulé Clio, et où la question c'est : qu'est-ce que l'histoire ?
qu'est-ce que la mémoire ? etc. Et qui se présente comme un discours que Clio en personne,
c'est-à-dire la déesse de l'histoire, ferait à Péguy en personne, un petit discours que Clio lui tiendrait.
Alors Clio lui dit : mon vieux Péguy, voilà, etc. Comment commence le livre ? Il dit avec amour, car si
quelqu'un a eu le sens des grands textes littéraires, c'est bien Péguy... Il dit avec amour : " C'est
prodigieux : Homère a écrit l'Illiade..." . Peu importe que ce soit un peuple, enfin bon... X a écrit
l'Illiade. Appelons-le : Homère. " Ou Victor Hugo a écrit ceci, cela. Et on n'a pas fini de réfléchir et de
méditer là-dessus " . Alors il s'y reprend avec son style à répétition, ça nous convient... " Et Victor
Hugo a écrit Les Burgraves..." . Et Péguy : " Tu n'as pas fini de réfléchir là-dessus " . Péguy : " Tu
n'as pas fini de méditer. Hugo a écrit Les Burgraves ". Et ça s'enchaîne, dans une espèce de série
lithanique qui commence à nous entêter, à nous obséder, comme je le faisais infiniment plus mal.
Non, c'était un autre type de lithanie que je vous proposais, un type de lithanie plus moderne, plus à
l'américaine, où on scanderait tout sous le coupant du couteau, jusqu'à ce qu'on comprenne quelque
chose : le zen.

Alors là, alors on serait sur le coupant du couteau. Et puis ça se terminerait : je vous donnerais un
coup de couteau suivant la technique zen. A tous. C'est formidable. Pensez à ça, pour la prochaine
fois. Un couteau à pain comme ça. Alors, vous me suivez ? Bon. Et, nous dit Péguy : " Il y a un
accomplissement qui n'a jamais fini d'être accompli." C'est pas loin de la formule de Blanchot, hein.
Péguy : "... un accomplissement qui n'a jamais fini d'être accompli. " Blanchot : " la part de
l'événement que son accomplissement ne peut pas réalisé ". Un accomplissement qui n'a jamais fini
d'être accompli, c'est quoi ? Qu'est-ce qui, en revanche.... C'est un évènement. Homère a écrit
l'Illiade. C'est un évenement. Il a eu son actualité. Il n'a pas cessé d'être actuel. Il est éternellement
vrai que l'Illiade a été écrite. Bon. Mais il y a un autre évenement ou une autre part de l'événement.
Cet événement qui s'est accompli ici et maintenant, dans tel état de chose, à tel moment, tel endroit
de l'espace, dans le monde Grec, on peut pas dire mieux : c'est l'état de chose. Mais qu'est-ce qui se
passe pour chaque lecteur, qui lit pour la première fois, pour la première fois, s'empare de l'Illiade et
lit l'Illiade ? Vous me direz : il a ré-accompli dans un autre état de chose. Bien sûr, il écrit pas, c'est
pas lui qui l'a faite. Ca n'empêche pas qu'une lecture est une actualisation. Il a ré-accompli dans un
tout autre état de chose : par exemple, au XXème siècle, etc. Il se dit avec stupeur : ça n'a rien perdu

- 07/12/82 - 2 Page 12/13


de son actualité. S'il aime le texte. Bon, ça fait rien, il fait autre chose. Car, là, cette réactualisation là,
c'est un accomplissement qui n'a jamais fini d'être accompli. Car il faudra bien que ça renvoie à un
autre lecteur, dans je ne sais pas quel état de chose. Et je parlerais exactement, comme Pierce nous
parlait toute à l'heure de la qualité d'un raisonnement mathématique, je parlerais d'une qualité propre
à l'Illiade, indépendamment des actualisations de l'Illiade dans des états de chose quelconques. Et
bien sûr cette qualité propre à l'Illiade n'aurait jamais été concevable si l'Illiade n'avait pas été écrite
effectivement. Il n'en reste pas moins que, une fois écrite, il y a une qualité de l'Illiade qui est une
qualité pure, un pur affect, un pur potentiel, une pure singularité, qui ne se confond avec aucune état
de chose, y compris l'état de chose qui l'a produite.

Et Péguy nous dit dans Clio : " c'est comme s'il y avait deux événements co-existants " .
Sous-entendant : ils n'en font qu'un. " C'est comme s'il y avait deux événements co-existants. Et l'un
est tel que vous passez le long de l'événement " . C'est comme une coordonnée : on refait un petit
shéma. " Vous le longez " , dit-il. En fait, le longer, on peut corriger de nous-mêmes mais ça importe
pas beaucoup : c'est qu'on peut être dans l'état de chose. C'est l'événement - état de chose, vous
pouvez pris dedans. A ce moment-là, c'est lui qui se déplace, c'est lui qui évolue et qui vous
entraîne. Donc vous êtes pas simplement le promeneur face à l'état de chose. Vous êtes
complètement pris dans l'état de chose. Disons pour plus de simplicité, pour pas trop compliquer :
c'est l'axe horizontal d'après lequel vous longez l'événement. Disons simplement que vous le longez
en même temps que lui s'allonge. Ca, c'est le domaine de l'actualisation.

- 07/12/82 - 2 Page 13/13


Deleuze
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CINEMA : une
classification des
signes et du temps
Nov.1982/Juin.1983 -
cours 22 à 44 - (56
heures)

- 07/12/82 - 3
Marielle Burkhalter

- 07/12/82 - 3 Page 1/4


Deleuze - cinéma : 07/12/82 - 3 transcription : Julie Alfonsi

Peirce dirait : "c'est le domaine de la secondéité". Blanchot dirait : "c'est la part de l'évènement qui se
laisse épuiser par son actualisation". Et puis il y a un autre axe, je vais mettre événement ici, il y a un
autre axe, vertical. Et où évidemment Péguy voyait l'exemple typique dans les généalogies, dans les
généalogies à la fois hugolesques, chez Victor Hugo, et surtout de la Bible. "Et Untel engendre Untel
qui engendre Untel qui engendre Untel" : et c'était le secret de la litanie. "Et Untel engendre Untel qui
engendre Untel qui engendre Untel" : c'étaient les générations. On dira que les générations c'est du
côté des états de choses. Non les générations historiques, mais non pas la génération biblique qui
nous met - de quelque génération que nous soyons selon Péguy - voyez que là l'histoire de la foi
revient...mais c'est pas ça qui m'importe. Pourquoi en effet je dirais pas...si j'étais pieux, si j'étais
religieux, si j'étais catholique ou si j'étais chrétien, je dirais - c'est pas difficile : "la trinité c'est la foi,
c'est la foi. La conscience immédiate qui n'est jamais donnée, toujours enveloppée dans toute
conscience médiate, c'est la foi" - très bien. On pourrait l'appeler la croyance.

Bon, moi je suis très prêt à dire "mais oui c'est la foi", simplement la foi ça n'a aucun rapport avec
Dieu, non, y'en a qui voient un rapport avec Dieu, très bien, alors vaut mieux employer un autre mot
que foi parce que ça prête à équivoque. On a dit "conscience immédiate telle qu'elle est comprise",
mais après tout un mot plus court ferait peut être un bon effet, alors on dirait : "ben c'est ça la foi".
Car cette histoire de génération - alors pour un homme religieux, par exemple qui croit à la Bible : "et
Adam a engendré qui a engendré qui a engendré qui a engendré", c'est pas une succession dans le
temps - ça ce serait l'aspect état de choses, puisque c'est au contraire chaque génération, si dérivée,
si lointaine soit-elle, qui est dans un rapport immédiat.

Et c'est ça le sens de la litanie qui est dans un rapport immédiat avec le premier homme - dès lors
avec Jésus. Dans la litanie des générations ça a l'air d'être de la succession temporelle, c'est à dire
une succession d'état de choses, mais pas du tout. C'est l'autre part de l'évènement, à savoir de
quelque génération que vous soyez dans l'ordre du temps, vous êtes dans un rapport immédiat -
avec Adam, avec le Christ, avec le péché, avec la...vous voyez...qu'est-ce que c'est le mot juste
après le Chrit pour nous sauver du péché...non ça...c'est non...le rachat oui y'a un autre mot que le
rachat...la rédemption !

Voilà ! Tiens il faut que ce soit un japonais qui le dise, c'est formidable ça...oh fantastique ça...à la
télé il aurait tout gagné ! (rires)

Bon, vous comprenez, non non non...alors...alors (rires)...est-ce que vous comprenez pourquoi

- 07/12/82 - 3 Page 2/4


Péguy... Alors oui j'ai pas fini, l'autre aspect de l'évènement c'est...je remonte verticalement dans
l'évènement. Et qu'est-ce qu'il nous dit Péguy dans une page splendide ? Qu'est-ce qu'il va nous dire
dans cette remontée verticale qui est représentée par les générations bibliques, où à chaque fois est
affirmé l'immédiat à travers les médiations ? Il nous dit - celle-là je la lis parce que sinon vous croiriez
que j'invente, aïe aïe j'ai pas...si j'lai notée...il nous dit - et là aussi c'est du bon style Péguy. Il dit
voilà, "y'a des choses très curieuses", il dit, je résume le contexte, il dit "y'a des choses qui nous
arrivent", par exemple des évènements extraordinaires, très importants, la guerre, ou...je sais
pas...une sale situation où je me suis mis, ou une très bonne situation qui m'arrive, je tombe
amoureux, je suis plus amoureux - enfin des choses comme ça. Et puis y'a des périodes toutes
plates, rien n'arrive. Et Péguy il dit "c'est quand même bizarre, parce que c'est généralement dans
les périodes où rien n'arrive que se font les vrais changements". Et vous vous réveillez un matin, et
ce qui faisait problème - ça arrive pas tous les jours - , et ce qui faisait problème, fait plus du tout
problème. Et vous vous dites "mais quoi, qu'est-ce qui me prenait à trouver ça important, mais quelle
importance ça a tout ça ?".

En 68, beaucoup de gens ont eu cette conversion collective, ce virement : "mais ça allait pas ma
tête, quoi, qu'est-ce que, je trouvais important ceci cela, mais quelle importance ça avait ?". Oh il se
passait des choses en 68, mais incomparables avec ce qui se passait dans les gens, c'était très
bizarre - alors tantôt c'était le pire, tantôt c'était pas mal. Et tout d'un coup nous sentons que nous ne
sommes plus les mêmes forçats. Rien ne survient, rien ne survient, il n'y a rien eu. Et tout d'un coup
nous sentons que nous ne sommes plus les mêmes forçats. Il n'y a rien eu. Et un problème dont on
ne voyait pas la fin, un problème sans issue, un problème où tout un monde était à heurter, était à
heurter, tout d'un coup n'existe plus, et on se demande de quoi on parlait.

C'est qu'au lieu de recevoir une solution, ordinaire, une solution que l'on trouve, ce problème, cette
difficulté, cette impossibilité, vient de passer par un point de résolution pour ainsi dire physique. Au
lieu de recevoir une solution, c'est à dire d'un état de choses, d'une modification d'un état de choses
dont on a vu qu'elle faisait partie de la secondéité, on aurait modifié l'état de choses pour résoudre le
problème - et ben là c'est pas ça. Au lieu de recevoir une solution ordinaire, une solution que l'on
trouve, ce problème, cette difficulté, cette impossibilité, vient de passer par un point de résolution
pour ainsi dire physique, point. Par un point de crise, point. Et c'est qu'en même temps le monde
entier est passé par un point de crise pour ainsi dire physique, point. Il y a des points critiques de
l'évènement, comme il y a des points critiques de température, des points de fusion, de congélation,
d'ébullition, de condensation, de coagulation, de cristallisation, et même il y a dans l'évènement de
ces états de surfusion, des points de surfusion - tous ces termes qui sont empruntés à la physique -
et même il y a dans l'évènement de ces états de surfusion qui ne se précipitent, qui ne se
cristallisent, qui ne se déterminent que par l'introduction d'un fragment d'un évènement futur.

Et en effet, ça arrive très souvent, une difficulté dans laquelle vous pataugiez depuis des années : il
faudra un évènement futur, qui opère comme un point de surfusion pour la résoudre complètement,
c'est à dire faire qu'à la lettre elle n'existe même plus. Donc vous avez votre axe de l'évènement,
votre axe vertical. Je force pas le texte de Péguy, comment il définit l'axe vertical où vous remontez
dans l'évènement, vous remontez pas le cours des évènements, vous remontez comme à l'intérieur
de l'évènement. Comment il est défini ? Par de pures singularités. En effet qu'est-ce que les
physiciens appellent des singularités ? Les singularités c'est la longue liste que Péguy nous a
donnée : points de fusion, points de cristallisation, points de surfusion, points de coagulation et

- 07/12/82 - 3 Page 3/4


cetera et cetera. Bon, ça c'est la part de l'évènement, l'évènement comme ensemble de singularités,
je dirais aussi bien alors - du coup je mélange tout, l'évènement comme coup de dés.

Qu'est-ce que c'est qu'un coup de dés ? C'est une répartition de singularités, en appelant
singularités les points qui sont sur chaque face du dé. Tout évènement est un coup de dés, dans
quelle face ? - dans cette face. Un coup de dés ben oui, c'est une répartition de singularités.
Remonter dans l'évènement, non pas remonter le cours des évènements : c'est remonter
l'évènement vers, ou c'est découvrir dans l'évènement cette part qui ne se laisse pas épuiser par sa
propre actualisation. C'est à dire c'est découvrir la qualité pure, ou je pourrais dire maintenant aussi
bien la puissance pure, la potentialité. La qualité pure, la puissance pure : c'est un pur potentiel. La
qualité singulière, la puissance singulière qui est à l'oeuvre dans l'évènement. C'est cela l'affect, c'est
cela la priméité. Et en effet, on peut dire la priméité c'est la qualité maintenant ou la potentialité. C'est
la qualité ou la puissance, en tant qu'elle est considérée comme, en tant qu'elle est considérée
indépendamment de son effectuation, de son actualisation dans un état de choses quelconque.

A ce titre, je me résume, c'est "la part de l'évènement qui ne se laisse pas accomplir par son
actualisation". Tout évènement comporte une telle part : tout évènement c'est le même événement,
mais sous un aspect il est priméité, sous l'autre aspect il est secondéité. L'évènement saisi comme
"actualisation de puissance et de qualité dans un état de choses" : c'est son aspect secondéité.
L'évènement saisi dans sa part, "dans la part de lui-même qui déborde toute actualisation" : c'est
l'affect ou la priméité de l'évènement. Si bien que les trois caractères de la priméité, comme on a vu
l'équivoque et la difficulté du terme de conscience, je ne dirai plus en finissant ce que je disais au
début, au lieu de dire
"qualité, possibilité, pure conscience" comme disait Pierce, je dis - mais ça revient strictement au
même :
"qualité pure, potentialité pure, évènement".

Evènement dans sa part - et vous voyez ce que, pourquoi Péguy avait, j'ai oublié de le dire en
passant, avait besoin du concept de internel, c'est à dire cette espèce d'éternité qui n'existe ou qui
n'est possible qu'à l'intérieur du temps : l'internel c'est la coordonnée verticale de l'évènement. C'est
pas hors du temps, c'est dans le temps.

Mais c'est cette part du temps qui ne se laisse pas actualiser, juste une seconde. Donc, à votre
choix, vous direz la priméité c'est "qualité-possibilité-pure-conscience", ou bien vous direz c'est
"qualité-potentialité-évènement". Et on se trouve devant un statut précis de ce qu'on peut appeler
l'image-affection. Je dirais que l'image-affection c'est exactement une image de priméité. Le coupant
du couteau me paraît le meilleur exemple d'une image-affection. Qu'est ce qui nous reste ? Il nous
reste évidemment les images dites de tiercéité - et qu'est-ce que c'est que la tiercéité ? Il nous
restera à dire, ben oui, est-ce que ça nous va, ou est-ce qu'il faut corriger ce shéma ? En tout cas au
point où on en est, moi pour mon compte, vous verrez vous-mêmes, je n'éprouve aucun besoin
d'apporter le moindre changement à priméité et secondéité. Parce que ça correspond exactement à
mes images-affection, et mes images-action.

Post-scriptum : AC

- 07/12/82 - 3 Page 4/4


Deleuze
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CINEMA : une
classification des
signes et du temps
Nov.1982/Juin.1983 -
cours 22 à 44 - (56
heures)

26- 14/12/82 - 1
Marielle Burkhalter

26- 14/12/82 - 1 Page 1/13


Deleuze - cinéma transcription : Hamida Benane cours 26 du 14/12/82 - 1

Si l'on entend même le cinéma, euh .........., vous n'avez pas été sans lire récemment, les
déclarations d'un grand auteur, d'un grand metteur en scène - mais qui est un moins bon penseur
que metteur en scène - et qui déclare, alors c'est la vieille rengaine qui recommence, « le cinéma n'a
plus rien...il n'y a plus de récit, donc le cinéma ne peut que réciter sa propre histoire et prendre pour
objet son histoire." Mais c'était vraiment la première fois que des propositions aussi ehontemment
hégéliennes étaient tenues jusqu'à maintenant, alors tout y était passé ; "la poésie ne peut plus être
que sa propre histoire, et sa propre réflexion ; la philosophie ne peut être que la réflexion de la
philosophie et l'histoire de la philosophie ; .....etc. etc. Mais bizarrement, on l'avait pas dit pour le
cinéma, il a fallut qu'un Allemand le dise, c'est forcé... Mais c'est marrant ce thème, d'abord c'est nul
comme thème, l'idée et toutes ces théories sur le récit, qui n'a plus qu'à se réciter lui même » cette
réflexivité de l'œuvre sur soi c'est d'un fatigant ! ou ce thème de l'œuvre dans l'œuvre, mais ....je
veux dire c'est eh.......c'est impudique ! c'est impudent ! c'est impudent ! Ressasser les trucs comme
ça qui n'ont jamais étaient vrais, c'est très curieux ! Ah le monde n'est pas gai ! alors c'est la
tranquille assurance des gens qui disent des trucs comme ça, en pensant même - ça va tellement
loin - qu'ils arrivent à penser qu'ils disent quelque chose de nouveau, en disant qu'il n ‘y a rien de
nouveau, ça se complique, ils sont fatigants ! au lieu de faire leur boulot, vous comprenez, ce qu'il y
a bien dans la philosophie, c'est qu'elle n'a pas un gramme de plus de réflexion que les autres
disciplines ! c'est ça qui est bien dans la philosophie ! Ou au contraire si on met de la philosophie
partout, à ce moment là, toutes les choses deviennent des processus d'auto-réflexion, et voilà qu'on
va nous dire que le peinture est réflexion sur la peinture, que la musique est réflexion sur la musique,
que le cinéma est réflexion sur le cinéma ; mais on a jamais rien fait avec de la réflexion, surtout pas
de la philosophie ! jamais, jamais ! oui ! triste monde, c'est forcé !

Moi ça m'a toujours paru - j'espère que beaucoup d'entre vous aussi - mais tous les thèmes qui
consistent à nous dire : écrire c'est finalement se demander qu'est ce qu'écrire ? ou comment écrire
? ou est-il possible d'écrire ? écrire c'est la confrontation avec la page blanche, tout ça, ça m'a
toujours paru...je sais pas...vraiment des mauvaises plaisanteries. Je me dis, qu'est ce que...ça va
pas la téte ? ça va pas ! curieux ! c'est la vie ! Il faut tout supporter ! il faut pas avoir l'air de dire que
c'est pas vrai parce que là dessus on se trouverait dans des situations impossibles, il faut dire : « très
bien, allez y ». ça risque pas d'aller loin de toute façon !

Oui, en effet c'était étonnant parce que le cinéma était épargné, et bah, depuis quelques mois, il ne
l'est plus ! au moins comme il a une courte histoire, lui ça ira plus vite ! Bon allez on travaille ! !

26- 14/12/82 - 1 Page 2/13


Comtesse : « à propos d'ailleurs de ce que tu dis la, sur l'Ouvert, il me semble que tu avais essayer
de dire que le seul point d'accord entre BERGSON et HEIDEGGER était justement sur la question
de l'Ouvert ; ça fait problème ça !

Deleuze : cette comparaison ?

Comtesse : Oui, parce que l'essence de la vérité lorsque HEIDEGGER dit que l'important c'est de
laisser être l'étant, c'est à dire la possibilité de s'ouvrir à l'Ouvert ; il ne veut pas dire l'Ouvert comme
Tout, c'est simplement ce que la pensée métaphysique ou philosophique, dés sa différence
originelle, entre l'être et l'étant ; l'essence ou l'apparence et l'apparence, cette différence n'est pas
simplement la différence de l'oubli de l'Ouvert, c'est que l'ouverture à l'Ouvert n'est pas forcément - et
c'est ça qui est impensable pour un philosophe - l'ouverture à l'Ouvert n'est pas n'est pas
immédiatement et forcément l'apparaître de l'être, l'apparaître dans cette différence avec à la fois
l'apparence et l'apparition phénoménale ; parce que ce que justement la pensée métaphysique ou
philosophique avec sa différence originaire entre l'être et l'oubli, ne pense pas l'oubli de ce qu'on
oublie c'est que dans l'Ouvert lui même, l'Ouvert lui même peut se fermer, autrement dit, il y a un
refus, un « je », le « je » du temps, si l'être est le temps, comme dirait HEIDEGGER , l'impensé de
toute la philosophie, que l'être soit le temps , et c'est ça qui forme justement le retournement, l'
équerre ou le tournant et le surmontement même de la métaphysique au delà de son achèvement, et
bien c'est que dans l'être, dans la pensée même de l'être, il y a la pensée d'un "retrait" énigmatique
dans sa distanciation même, c'est à dire, que la production justement de la présence lumineuse hors
du latent, si c'est possible, cet avènement justement de la présence lumineuse, il y dans l'avènement
un étrange dérobement, c'est à dire qu'à la fois, HEIDEGGER pense le « je » énigmatique de "l'être
comme temps", mais aussi poétiquement l'énigme de ce « je », c'est à dire ce latent dont
précisément d'être hors de lui, susciterait l'avènement de l'être comme lumière, c'est pourquoi, il
n'est pas peut être soutenable ou possible d'identifier ou de faire, disons, un pont entre HEIDEGGER
et BERGSON qui malheureusement en reste lui à la métaphysique, et peut être pire que la
métaphysique, c'est à dire, la mystique »

Gilles Deleuze : Je te reconnais, tout ton développement est excellent, la conclusion exprime un goût
que je ...un goût tout philosophique , c'est à dire ça consiste à me dire « comment vas tu oser
reprocher BERGSON que je n'aime pas, à HEIDEGGER que j'admire ? », ça c'est ton affaire ; moi je
répondrais juste deux choses : toute ton analyse est très juste sur HEIDEGGER, mais
première règle, il ne faut pas transformer une grosse remarque en fine remarque, j'appelle grosse
remarque ce que je disais, et qui me paraît rester entièrement valable : à savoir si vous cherchez
dans l'histoire de la philosophie, quels auteurs ont liés profondément d'une manière originale - mais
pas la même, je disais pas la même - mais ont, au moins en commun d'avoir lier les trois notions de
Tout, temps et Ouvert, à ma connaissance je n'en vois que deux : BERGSON et HEIDEGGER - ce
qui me parait suffir à faire une comparaison à un niveau gros. Quant à tout ce que tu as dit sur
HEIDEGGER, c'est absolument juste ; mais ne pas voir que chez BERGSON , avec de tout autres
concepts évidemment, et une tout autre terminologie, il y a fondamentalement dans la durée,
quelque chose, qui au moment même où elle est l'objet de l'intuition, est aussi son "retrait" et le
mouvement par lequel elle se dérobe - ne pas voir ça dans BERGSON, ça veut dire simplement que
tu ne t'intéresses pas du tout à BERGSON - les textes de BERGSON sont tellement formels à savoir
que notre durée psychologique, c'est a dire celle qui nous est révélée, n'est qu'en même temps le
mouvement par lequel les autres durées, qui en fait constituent vraiment la durée comme Tout, à

26- 14/12/82 - 1 Page 3/13


savoir par lequel les autres durées se dérobent, au point que pour atteindre à l'essence de la durée,
il faut dépasser ce qu'il appelle "la condition humaine". Chez BERGSON il n'y a pas la durée qui est
à donner, elle ne cesse pas de se dérober en se donnant la durée, ce que ne m'autorise pourtant à
faire aucun rapprochement BERGSON / HEIDEGGER au delà de ce très gros rapprochement - je
disais et bah oui, c'est quand même curieux, ces deux auteurs très indépendants l'un de l'autre ! Je
sais pas si HEIDEGGER a lu BERGSON, peut être qu'il a lu BERGSON , enfin, ça ne l'a pas
beaucoup marqué, c'est pas sa propre tradition. C'est curieux, parce que HEIDEGGER il est arrivé a
ce lien - il me semble - totalité, ouverture, temporalité, par une certaine tradition que tu dis très bien,
finalement très poétique, poético- philosophique.

BERGSON, à mon avis, y est arrivé très bizarrement, par beaucoup plus par une reflexion sur le
vivant : si le vivant ressemble à une totalité, si le vivant est un Tout, c'est précisèment parce qu' il est
"ouvert" au monde alors que les gens disaient au contraire avant - que si le vivant ressemble à un
Tout c'est parce que il est un microcosme qui reproduit le grand Tout fermé - c'est en inversant, c'est
en tordant la métaphore traditionnelle, c'est par une reflexion sur le vitalisme à mon avis, que
Bergson arrive à sa conception du Tout fondamentalement ouvert. Bon y va ? On continue

Alors vous voyez, j'en suis toujours, mon rêve ça serait d'arriver, il faudrait que j'aille assez vite parce
qu'il faudrait pour les vacances de Noël, en avoir fini avec tous ces problèmes. Forcément on a
trainé.. Après m'être déshonoré la semaine dernière puisque j'ai passé deux heures à dire que
Pearce était un admirable philosophe Anglais et que quelqu'un à la fin m'a signalé gentiment qu'il
était Américain, je me suis senti évidemment, je me suis dit : "jamais plus ils ne me croieront rien de
ce que j'ai dit, après une erreur comme ça, aussi je ne parlerais plus que de penseurs anglo-saxons
et tout ce que je disais sur les mérites de la philosophie anglaise devait évidemment s'entendre des
mérites particuliers de la philosophie anglo-saxonne ou anglo-américaine. Alors ça m'a embêté et
j'étais malheureux Evidemment vous comprenez il est né à Cambridge, moi j'ai mal lu mais
evidemment il y a un Cambridge en Amérique, c'est grotesque tout ça ! Peu importe, non pas peu
importe ! Alors, voyez, on a selon Pearce nos deux premiers types d'images : premiérité, secondarité
; ça, je suppose que c'est devenu très clair, si je fais déjà un petit tableau : je dis premeité, ça
renvoie à ce que nous appelions dans les analyses précédentes : images-affection ; et ça enrichit
beaucoup tout ce que nous pouvions dire sur l'image-affection. Là, il y a une coïncidence, comme
catégorie la premeité, non plus comme modalité, vous savez si j'essaye de situer la modalité au sens
des modalités de jugement, il y a trois modalités du jugement dans la philosophie classique : le
possible, le réel et le nécessaire.
Du point de vue de la modalité, la premeïté c'est le possible.
Du point de vue de ce qu'on peut appeler la quantité, et non plus la modalité ; la premeité on a vu,
la on prenait un peu d'initiative, de distance par rapport à PEIRCE, mais la premeité c'est la
singularité ; et j'ajouterai, du point de vue des actes de l'esprit, la premeité c'est l'expression. Les
caractères de la premeïté c'est, nous l'avons vu :
qualité,
potentialité,
conscience immédiate ; ça correspond tout à fait à notre image-action.
La modalité correspondante c'est le réel,
la quantité correspondante c'est l'individualité,
l'acte correspondant de l'esprit, c'est la position ou l'opposition.

26- 14/12/82 - 1 Page 4/13


Les caractères de la secondéïté c'est :
l'état de chose,
le fait ou le duel
l'expérience ; l'expérience comprise comme la part de l'événement qui s'actualise, ou comme le
passage de l'état de chose à un autre état de chose.

question =

Gilles Deleuze : Non, c'est pas des catégories ça, c'est des points de vues sur les catégories, les
catégories c'est : préméité, secondéité et tiercéité ; les points de vues sur les catégories, c'est :
la modalité - qui nous donne : possible, réel, et on verra pour tiercéïté,
la quantité : individualité et singularité ;
et l'acte de l'esprit qui nous donne : expression, position ou opposition. Et bah, il nous reste
maintenant cette troisième catégorie de PEIRCE, ce troisième type d'image, selon lui, ce troisième
type d'apparaître, qu'il appelle la tiercéïté ; et là, on est bien forcé de laisser quelque chose dans le
vide immédiatement, ceci, si vous vous reportez à notre classification des images, telle que je l'ai
proposé l'an passé à l'exposé de PEIRCE, pour le moment, on voit rien qui lui correspond, vous allez
le comprendre immédiatement - vu la manière dont PEIRCE définit la tiercéité. Je dirais pour lui, il y
en a pas d'autres de toute façon, la tiercéité a pour modalité le nécessaire - c'est encore les trois
modalités du jugement : possible, réel et nécessaire. Elle a pour quantité non plus le singulier ou
l'individuel, mais le général ; la généralité, elle a - on le comprendra pourquoi au fur et à mesure -
pour acte de l'esprit, l'interprétation ou la compréhension ; c'est donc un ensemble très riche. Du
coup quels caractères vont définir la tiercéité ? qu'est ce que c'est ? Là exactement,comme je le
disais,
la secondéÏté c'est ce qui est deux par soi même,
la tierceïté c'est ce qui est trois par soi même, c'est à dire, ce qui renvoie à autre chose c'est un «
un », qui renvoie à un « deux », et ça, ça serait la secondéÏté ; il faut ajouter par l'intermédiaire d'un «
trois », et ça, ça serait une tiercéÏté, bon, c'est ça une tiercéïté !

Seulement, il faut déjà préciser : en quoi cette tiercéïté est ce que c'est un type d'image ? La réponse
de PEIRCE, c'est que la tiercéité c'est tout ce qu'on peut désigner, tout ce qu'on peut entendre sous
le nom de le " mental ». « Les pensées ne sont ni des qualités, ni des faits », dit PEIRCE, vous vous
rappelez, ça veut dire que ce n'est ni de la preméité, ni de la secondéité - une pensée est toujours
une tiercéité.
La tiercéité, je peux dire que c'est une image pensée par différence avec l'image-affection et
l'image- action ; bon on l'a pas encore bien trouvé dans nos catégories à nous, c'est pour ça qu'il va
y a voir besoin de confronter et de mélanger tout ça. C'est le mental ; mais quand est ce qu'il y a
vraiment mental ? Quand est ce qu'il y a vraiment trois ? Et pourquoi dés qu'il y a trois, il y a le
mental ? compliqué ! Et pourquoi pas plus que trois ? Beaucoup de questions nous viennent :
pourquoi est ce qu'il s'arrête ? puisqu'il s'arrête en effet - Il pense que la tiercéïté épuise - pourquoi
pas un quatre, un cinq, un six ? c'est important tout ça.

Tiercéïté, qu'est ce que ça peut être au juste ? je prends un morceau de papier, puis un autre
morceau de papier et je les épingle, ou je mets un trombone, c'est un exemple qu'il prend. A
première vue c'est la constitution d'une tiercéïté, j'ai : un, deux et trois ; c'est toujours de ça que

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partent les anglo-saxons, par deux trucs comme ça, c'est pas difficile, je vois mes deux papiers avec
une épingle ou un trombone, est ce que c'est de la tiercéité ? Non, ça a l'aire d'être une tiercéité,
PEIRCE dira en empruntant le terme à la théorie des coniques en mathématiques, mais peu importe,
il dira : c'est un cas de tiercéïté dégénéré, c'est pas de la tiercéïté ça, et pourquoi ça n'en est pas une
? Parce que vous pouvez très bien retirer la feuille B du trombone, et vous garderez le duo, la dyade
feuille A et trombone, sans que rien n'ait changé dans la feuille A ni dans le trombone, vous auriez
donc pu soustraire un des termes, sans que les deux autres ne se soient affectés, c'est donc de la
fausse tiercéité.

Dans une vraie tiercéïté, vous ne pouvez pas soustraire un terme sans changer tout ; tandis que là,
si je vous montre que c'est de la fausse tiercéïté, c'est que, encore une fois : votre papier A et le
trombone restent tout à fait identiques, bien que vous ayez soustrait et vous ayez oté la feuille B ;
c'est donc une tiercéité dégénérée, c'est pas de la vraie tiercéïté ; et qu'est ce que c'est qu'une
tiercéité dégénérée ? En fait c'est un couple de dyades, un couple de duel, c'est de la secondéïté,
simplement vous considérez deux duels à la fois : vous considérez un premier duel, la feuille A et le
trombone, et un second duel, la feuille B et le trombone. Avec deux duels qui ont un terme commun,
vous pouvez toujours fabriqué un tiercéïté, seulement c'est une fausse tiercéïté ; vous n'obtiendrez
jamais une vraie tiercéîté en multipliant des dyades, c'est à dire en multipliant des couples, les
couples c'est la secondéité. Vous pouvez multiplier des couples, vous ne sortirez pas de la
secondéité, bien plus la secondéité, elle est faite de la multiplication des couples

Autre exemple : A jette l'objet B ; C arrive et ramasse l'objet B. Pouvez vous dire que A a donné B à
C ? Non ! vous avez deux dyades, vous avez deux duels, vous avez deux secondéités :
première secondéité, A jette la chose B,
seconde secondéité, deuxième secondéité, C ramasse B. Vous avez deux couples, deux dyades,
vous n'avez pas une tiercéïté ; vous ne pourrez jamais obtenir une tiercéité - c'est l'idée de PEIRCE-
à partir d'une combinaison de dyades ; ça va nous avancer d'ailleurs, parce que vous sentez que
sans un, deux et trois, on risque immédiatement de lui dire « et bah, une fois de plus vous êtes
hégelien ». L'idée de PEIRCE c'est que HEGEL a bien dit : un, deux, trois, parce qu'il a eu un
pressentiment, mais qu'il n'a pas du tout compris ce que c'était que la tiercéïté, et finalement il n'a
jamais su qu'aligner des couples de dyades, et c'est aussi ce que PEIRCE reproche à la logique, elle
en est restée à la secondéité, la logique. Et lui qui se prétend alors le créateur - et c'est vrai
historiquement - d'une logique triadique, c'est à dire qui n'est plus bipolaire avec les seules valeurs
du vrai et du faux ; mais qui est tripolaire, ce qui constitue en vrai, la logique propre du mental, donc
il y attache énormément d'importance.

Autre exemple pour que vous compreniez bien ; j'ouvre ma fenêtre le matin et je me laisse tomber,
et je pousse un pot de fleurs qui tombe dans la rue, donc A et B :
A je jette le pot de fleur sans regarder ;
B, le pot de fleurs tombe,
l'individu C passe à ce moment là et reçoit le pot de fleurs. Tout comme je disais tout à l'heure :
est ce que je peux dire, j'ai donné l'objet ? lorsque j'ai jeté un objet qu'un autre vient de ramasser et
que je disais non, c'est deux secondéités ! Là est ce que je peux dire : « j'ai tué quelqu'un » ? Sans
doute je me reprocherai cet accident malheureux, mais je n'ai pas tué quelqu'un à proprement parler.
Il y a eu deux dyades : moi et le pot de fleurs qui tombe, l'autre et le pot de fleurs qu'il reçoit .
Deux dyades ayant un point commun ne constituent jamais une tiercéïté ; mais alors qu'est ce qui

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constitue une tiercéïté ? Et vous pouvez aller à l'infini comme ça, des duels, vous pouvez multiplier
les duels, vous n'arriverez jamais à trois.

Bon alors ; en revanche supposons des actes, voilà des actes que l'on peut considérer sous les
expressions suivantes : je tue, Cain tue Abel, je donne, j'échange, ...etc. etc. Alors on peut jouer à
toutes sortes de jeux, d'exercices pratiques. Là, PEIRCE nous dit : « ça c'est des tiercéïtés »,
pourquoi ? pourquoi est ce qu'en effet « je donne » - voyez tout de suite la différence- c'est pas jeter
un objet qu'un autre vient ramasser. « Je tue », c'est pas jeter un pot de fleurs que l'autre reçoit
comme ça, c'est attendre qu'il passe et PAN ! Là c'est une tercéïté : j'ai attendu deux jours pour qu'il
passe et quand il passait - ouf, j'ai atteint la tiercéité. Quel est le caractère ? Remarquez je disais,
dans tous mes exemples précédents c'était des tiercéités dégénérées ; si on recule en arrière, mais
faut pas trop, il y a aussi des secondéÏtés dégénérées. Selon PEIRCE ils poseront problème, ceci
posera un problème lorsqu'on osera une discussion de confrontation avec lui ; selon PEIRCE, il peut
pas y avoir de preméité dégénérée, on comprend pourquoi, parce que ce qui un par par soi même,
n'a pas de dégénérescence ;

Mais exemple de secondéité dégénérée, exemple de vraie secondéité : je dîne chez Pierre, sous
entendu, moi Pierre ou n'importe quoi, mais suivant la page rose du dictionnaire Larousse :« Lucullus
dîne chez Lucullus » ; voilà une secondéité dégénérée, remarquez que dans notre langage il y a
plein de secondéités dégénérées, plein de trucs comme ça. bon, mais peu importe :
je donne, j'échange, je tue, voilà des tiercéïtés ; qu'est ce qu' elles ont de commun ? C'est
curieux,
premier caractère commun ; elles impliquent bien, vous sentez que tous ces actes impliquent bien
du mental. Là, ils renvoient à une loi, ils ont en commun de renvoyer à une loi, et ça va être :

le premier caractère de la tiercéité, l'existence d'une loi, et cette loi peut être physique ou morale,
et de toute manière - à mon avis, là PEIRCE est très intéressant - de toute manière, que la loi soit
physique ou morale, mais c'est particulièrement évident quand elle est morale, l'acte a une
dimension et une détermination symbolique. Le symbole va être un des caractère profond de la
tiercéité, dés qu'il y a symbole, il y a tiercéité ; dès qu'il y a loi, il y a tiercéité. Et en effet le don
s'accompagne toujours d'un symbole qu'il détermine comme don, même lorsque ce symbole est trés
caché, même lorsque le geste du donateur - les ethnologues font des études sur les comportements
de dons à travers les civilisations - à chaque fois on voit la présence d'un symbole dans le
comportement donateur ; de même pour l'échange, de même pour tuer ; tuer qu'est ce que c'est
sans référence à une loi ? Donc dans les tiercéités, c'est à ça que vous les reconnaissez, il y a
toujours référence à une loi, et c'est par là qu'il y a trois, il y a un objet, un autre objet et une loi qui
rapporte l'un à l'autre suivant une règle, sa propre règle.

Il y a tout de suite une objection qui nous vient, il ne faut pas exagérer, mais la secondéité impliquait
déjà des lois ! j'espère qu'elle vous est venue déjà, immédiatement ! vous vous rappelez que la
secondéité, c'était entre autre, les rapports action et réaction, c'est à dire un duel, or il y a une loi ! si
c'était les rapports effort et résistance, il y a une loi, il y a des lois de la résistance, il y a des lois de
l'effort, il y a des lois concernant le rapport d'un action et d'une réaction. Etant donné une chose,
étant donnée une action, calculer la réaction d'une chose dont vous connaissez la nature, tout ça
c'est le domaine des lois. C'est à la fois très facile, évidemment il n'est pas idiot PEIRCE,
évidemment il y a des lois qui règlent les actions et réactions ; mais ce qu'il veut dire c'est tout à fait

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autre chose et c'est très simple :
c'est que jamais une action ou une réaction n‘a pour cause la loi qui la régit. C'est une idée très
simple et c'est de la bonne philosophie des choses auxquelles on ne pense pas d'habitude, mais qui
sont absolument convaincantes : une action et une réaction, un effort et une résistance sont toujours
conformes à des lois, mais elles n'en dérivent pas ; ça revient au même de dire ; une action et une
réaction répondent à une loi, mais elles n'ont pas cette loi comme cause.

En effet, prenons des cas simples : un mouvement animal répond à des lois, et même un
mouvement humain ; ça vaut pour l'animal et l'humain ; et pour l'homme autant que pour l'animal, par
exemple : si je veux lever le bras, et bah ça engage toutes sortes de rapports d'actions et de
réactions entre les innervations, les muscles, les résistances organiques, les tensions organiques
...etc. Tout ça, c'est régit par des lois, mais jamais personne n'a levé le bras, je dirais, en pensant à
tout ça, car si je pensais à tout ça , je ne lèverai jamais le bras ; ce qui veut dire, à plus forte raison
un animal, quand un animal fait un mouvement, c'est conforme à toutes ces lois
physico-physiologiques, mais ce ne sont jamais ces lois physico-physiologiques qui sont la cause
d'une action, et pourquoi c'est tellement évident ? C'est que une loi, elle est comme on le dit, toujours
hypothétique. Si tu fais cela, alors telle chose se produit. Une loi est toujours conditionnelle : si tu
portes de l'eau à cent degrés, alors elle bout ; mais la loi n'a jamais suffit à faire bouillir de l'eau.
C'est pas la loi qui fait bouillir l'eau, la loi c'est la règle à laquelle se conforme l'eau quand elle se met
à bouillir si bien que PEARCE peut nous dire avec la plus grande rigueur : bien sur que le monde de
la secondéÏté est régi par des lois, n'empêche que jamais les lois ne sont considérées dans la
secondéité comme telles ; en revanche, si vous êtes forcé de considérer une loi pour elle même,
vous pouvez dire : « je suis dans le domaine du mental, je suis dans la tiercéité », si bien que le
premier caractère et vous voyez en quoi, PEIRCE peut déjà nous dire que la modalité de la tiercéité,
c'est la généralité.
il y a tiercéité explicitement quand intervient une loi physique ou morale - la présence explicite de
la loi, étant indiquée par ce qu'il appellera « un symbole ». Il dirait aussi bien que la loi,- - et il le dit
désignant la tiercéïté, et bah c'est quoi ? Ce n'est ni l'affection, ni l'action, c'est le sens, ou la
signification.
Le premier caractère de la tiercéité était la loi,
le deuxième caractère est le sens ou la signification. Pourquoi ? Il découle tout droit : la
signification - là j'essaie pas de distinguer le sens de la signification, du point de vue où on en est, on
pourrait multiplier les distinctions - ce qui nous intéresse, c'est que de toute manière, ça fait partie de
la tiercéité, pourquoi ? Parce que la signification c'est toujours un modèle. Selon PEIRCE c'est
toujours un modèle qui dans des conditions différentes, qui sont soit des conditions physique, ou
morales, c'est à dire symboliques au sens étroit, viennent informer des actions et des réactions, et là
il y a une tiercéïté véritable, car si vous retirez le modèle, les actions et les réactions ne sont plus les
mêmes. On va peut être comprendre ça mieux, avec le point qui m'intéresse le plus ;
c'est que le troisiéme caractère par lequel il définit la tiercéité, c'est le relation logique, il dit : « bon
bah voilà, la tiercéité c'est la relation logique, seulement qu'est que c'est que la relation logique ?
Donc il lui donnerait, on trouverait trois caractères propre à la tierséité selon PEIRCE :
la loi,
le sens
et la relation logique.

Si on comprend la relation logique, je crois qu'on comprend très bien les deux autres caractères,

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c'est là le vrai nœud de la tiercéité, et en effet, pourquoi ? Et là, j'ouvre une parenthèse, je ne parle
plus au nom de PEIRCE, je parle au nom de la philosophie tout court, c'est à dire qu'est ce que ça a
été ce problème de la relation, qui l'a torturé depuis le début, et qui a finalement a fait partie d'une
des raisons d'être de la philosophie ? Je dirais que ce qui fait partie d'une des raisons d'être de la
philosophie depuis le début, c'est encore plus que les paradoxes sur le mouvement, c'est les
paradoxes sur la relation ; comment une chose aussi étrange que la relation, peut elle être possible ?
Et que dés le début, c'est comme dirait PEIRCE, l'existence du mental, qui était complètement
engagé là dedans, pourquoi ? Et bah, déjà la philosophie se trouvait devant un drôle de problème, et
là j'irais très vite, je dirais des choses simples et même très simples, pour grouper un certain
problème, donc c'est plus exactement PEIRCE, mais c'est pour y aboutir.

Vous savez, la philosophie, dés Platon, elle se confronte avec un problème qui est celui du
jugement, et les Grecs y vont à fond là, il dit que c'est quand même bizarre le jugement, même le
jugement le plus simple .
Le jugement le plus simple c'est ce qu'on appelle le jugement d'attribution : le ciel est bleu. C'est
curieux ça, comment est ce qu'on peut dire que le ciel est bleu, puisqu'à la lettre c'est dire A est B,
en d'autres termes, à moins de répéter tout le temps : l'être est l'être ; le bleu est bleu, le ciel est le
ciel ; à moi de s'en tenir tout le temps aux principes d'identité, il faut bien reconnaître que tout
jugement d'attribution est une offense aux principes d'identité. En effet, le jugement d'attribution peut
s'écrire sous la forme : A est B ; et Platon dit que c'est difficile, et qu'il va falloir expliquer ça,
comment c'est possible que A soit B ? Mais voilà qu'il y a un autre type de jugement.
Deuxième type de jugement, alorsà peine, on se disait : quel problème allons nous avoir sur le
dos ? puis on apprend qu'il va y avoir un problème pire, et c'est comme ça, c'est toujours comme ça.
Je dis que A est plus petit que B, alors c'est différent ; on sent tout de suite, même sans avoir fait de
philosophie, est ce que ça peut se ramener à un jugement d'attribution ? A est B, je peux dire à la
rigueur : le ciel est bleu, je peux dire à la rigueur ça peut s'expliquer oui, alors il faudrait concevoir
que A soit un être réel, ou le concept d'un être réel, et B le concept d'une propriété ; le jugement
d'attribution, attribue une propriété à un sujet. Comment c'est possible ? c'est déjà une autre affaire,
mais enfin, on s'y retrouve un peu : j'attribue des propriétés à des sujets.

Mais lorsque je me retrouve devant l'autre type de jugement : A est plus petit que B, est ce que être
plus petit que B, peut être assimilé à une propriété d'un sujet A ? C'est embétant, parce que B est
aussi un sujet, ce n'est pas une propriété, c'est aussi un sujet ; alors est ce que je peux dire au
moins que « plus petit que » est une propriété de A ? Et oui, je peux dire que « plus petit que » est
une propriété de

A ; mais je devrais aussi dire à ce moment là, que « plus grand que » est aussi une propriété de A,
parce que plus petit que B, il y a toujours un C, tel que A soit plus grand que C, alors si je traite les
relations comme des attributs, cette fois ci c'est pas simplement le principe d'identité auquel je
manque, c'est le principe de non contradiction, j'attribue des contradictoires au même sujet, je lui
attribue « plus petit » et « plus grand », vous me direz : « mais attention, il est plus petit que B, et
plus grand que C », et alors, qu'est ce que ça change ? Petit A est petit B sont des êtres, je pourrais
dire à la rigueur que le concept de A contient des propriétés , le concept d'un être réel contient des
propriétés, mais est ce que je peux dire que le concept d'un être réel contient d'autres êtres réels ?
Pas possible de dire une chose comme ça, à première vue c'est pas possible, impossible de s'en
tirer.

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L'attribution déjà mettait en question le principe d'identité, la relation met en question le principe
de non contradiction. Et comment Platon va s'en tirer ? Il va dire : c'est pas difficile, et vous ne vous
en sortirez pas, et là dessus Socrate rentre en scène et il n'a pas fini, il dira : « et bah oui », vous ne
pouvez pas échapper à la conclusion suivante : c'est que les relations ne dépendent pas de leurs
termes , que les relations sont des Idées avec un grand « I », et qu'il y a une Idée du petit, et une
Idée du grand, et les Idées sont découvertes par Platon, d'abord à propos du problème des relations.
Il y a une Idée du grand, et une Idée du petit, et simplement, lorsque vous dites : A est plus petit que
B, et plus grand que C, vous voulez dire : le terme A participe à l'idée du grand par rapport au terme
B, et participe à l'idée du petit par rapport à l'autre terme. Platon aura été forcé de faire les relations
des idées pures qui dépassent le monde sensible. C'était bien parti le problème. Tellement, elles
sont irréductibles à des attributs de la chose, vous comprenez ? Donc, vous ne pourrez pas réduire
le jugement : Pierre est plus petit que Paul, au jugement : Pierre a les yeux bleus. Bien plus, lorsque
vous aurez lâcher et découvert le monde des relations, vous vous demanderez alors si tout jugement
n'est pas en fait un jugement de relation ; à savoir, si lorsque vous dites : « Pierre a les yeux bleu »,
c'est pas déjà un jugement de relation, à savoir qu'il n'y aurait même pas du tout de propriétés mais
qu'il y aurait que des relations, c'est encore mieux ! mais enfin, pas la peine de compliquer, on en
reste là.

Un fou au sens philosophique, c'est à dire une espèce d' incroyable génie, qui ne reculait devant
rien, le philosophe sans doute le plus audacieux qui n'est jamais existé dit ! non non, il faut sauver
tout ça ; il faut montrer à n'importe quel prix que le jugement de relation peut se ramener à un
jugement d'attribution, si non, on est perdu, seulement ça va l'entraîner à de drôles de choses. Il va
être forcé de dire : « et bah d'accord », il faut que chaque concept réel, que chaque concept qui
désigne un être réel, et bah il faut qu'il contienne - puisqu‘on ne peut pas s'arrêter - la totalité des
autres concepts, c'est à dire que le concept de A contienne le concept de B, le concept de C, le
concept de D, à l'infini, alors à ce moment là, les relations seront bien intérieures, aux termes, aux
concepts. Si le concept de César, comporte et contient le concept de tous les autres termes, toutes
les relations de césar, non seulement avec ses contemporains, non seulement avec ce qui l'a
précédé ; mais avec nous qui lui sommes postérieurs, toutes les relations imaginables, peuvent être
àramener à des attributions, c'est à dire à des attributs du concept. Ce qui revient à dire, que le
concept de chaque être réel, doit exprimer la totalité du monde, c'est une drôle d'idée ! Il faut le faire,
c'est étonnant, ce philosophe c'était LEIBNIZ. Il va être bien embété, il va être très embété, parce
que ce qu'il vient de dire du concept A, ça prouve aussi que je peux dire que le concept A, contient le
concept B, le concept C, le concept D, à l'infini, si bien que les relations de A avec C, plus petit que
B, plus grand que C, tout ça ce sont des attributs, des concepts, en appelant attributs, toutes les
propriétés qu'il contient.

Mais il doit dire la même chose du concept B, et à son tour doit comprendre tout : C,D,E, y compris
le concept A. D'où le problème c'est quoi ? Le problème c'est qu'on est à nouveau perdus, car il a
réduit la relation à un jugement d'attribution ; mais quelle va être la relation entre les deux jugements
d'attribution suivants ?
A est plus grand que B, dans le concept A ;
et B est plus petit que A dans le concept B. Il aura ramené la relation à une attribution, à condition
de scinder la relation en deux relations, vous comprenez ? C ‘est pour que vous ayez une idée de la
complication de tout ça, alors c'est en effet assez formidable, l'opération de LEIBNIZ ! et alors

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comment mettre d'accord ?

Vous avez une formule : A R1 B où A est le contenant ( R1 c'est la relation), et vous avez une
formule : B R2 A, comment affirmer ? Alors vous avez réduit R1 à un attribut, R2 à un attribut, mais
hélas vous retomber sur : quelle est la relation entre R1 et R2 ? Alors comme c'est un créateur,
chaque fois qu'il se trouve devant une difficulté, il crée un nouveau concept : Il va créer celui
"d'harmonie pre-établie". Il va montrer que dans l'Entendement de Dieu il faut qu'il passe par là.
Dans l'entendement de Dieu il y a une correspondance et une harmonie entre. tout ce qui est dans le
concept A, tout ce qui est dans le concept 2, et pour une bonne raison, c'est que c'est un seul et
unique monde qui se trouve exprimé dans le concept d'êtres réels, et ça va énormément compliquer
les choses.

Voyez donc cette notion de relation, même au niveau d'une relation simple comme « plus petit », «
plus grand », c'est très très difficile. Si bien que je crois que c'est un grand jour dans la philosophie.
Lorsque, et là je pense qu'on peut trouver des prédécesseurs pour l'assigner nettement ; lorsqu'un
nouveau temps, lorsqu'un philosophe anglo-saxon, dont je suis sur qu'il était écossais et qui
s'appelait YUME, est arrivé et a dit comme une évidence : » les relations de toutes natures sont
exterieures à leurs internes » ; et cette proposition est absolument pour moi comme un coup de
tonnerre dans la philosophie ! Les propriétés sont intérieures aux termes dont ils sont les propriétés
auxquels ils s'attribuent, mais les relations sont des extériorités.
Les relations sont extérieures à leurs termes. A est plus petit que B, et bien, "plus petit que " c'est
un tiers, En d'autres termes, les relations ne sont pas contenues dans le concept de la chose ou des
choses, les relations sont C, là dessus commence ce qu'on appellera le principe de l'extériorité des
relations. et la simplicité de YUME, elle consiste a dire, à quoi cela va l'engager, « mais essayer de
prendre le monde tel qu'il est, au lieu de le penser, lui faire des objections, de dire que ça devrait être
comme ceci, ou cela, prenez le comme il est, vous ne savez même pas voir », c'est une des grandes
idées de YUME, « vous ne savez pas voir ». « Prenez le monde comme il est », c'est à dire que «
vous vous trouvez dans un drôle de monde, au lieu tout de suite invoquer des idées avec un grand «
I », ou bien faire des opérations aussi compliquées que celle de LEIBNIZ, habituez vous au monde
ou vous vivez, parce que c'est le vôtre ». Et bah oui, il y a des choses, et puis, il y a par exemple A,
et puis B, et puis il y a des relations, et ces relations c'est des entre deux, c'est pas des choses, c'est
des « entre les choses ». Alors évidemment, s'il ne disait que ça, seulement il se porte fort lui, de
nous fournir et de constituer les concepts, qui vont répondre à ce monde extérieur extraordinaire : «
acceptez l'extériorité ». Jusqu'à maintenant les philosophes n'avaient supporter que l'intériorité,
comprendre c'était intérioriser quelque chose, dans autre chose, on avait compris que si on avait mis
à l'intérieur, à l'intérieur de la tête, à l'intérieur du concept, à l'intérieur du sujet, il fallait une intériorité
quelconque. YUME arrive et dis : « vous ne voyez pas le monde ou vous vivez, qui est un monde de
l'extériorité », et l'extériorité ça ne veut pas dire, comme on dit toujours, l'empirisme, là croyez moi ne
s'est jamais définit par les choses dont la connaissance vient de l'expérience, ou bien : le monde
sensible est premier.

L'empirisme se définit par cette position : « les relations sont extérieures à leurs termes », et si les
relations sont externes à leurs termes, comprenez que l'empirisme à ce moment là, se trouve devant
une formidable tache, qui est inventer une nouvelle logique, il faudra une nouvelle logique, à savoir,
une logique des relations, il faudra rompre avec la logique de l'attribution, qui avait régnée jusque là ;
il faudra faire une logique des relations que PEIRCE suppose tout ça, car il n'est pas sûr qu'une

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logique des relations puisse être dyadique. La logique dyadique, la logique duelle, c'est celle qui
reconnaît deux valeurs de la proposition, le vrai et le faux, et bien peut être que ça ne vaut que pour
la logique de l'attribution .

La logique des relations doit être une logique spécifique, qui commence bizarrement avec YUME
sous la forme de la théorie des probabilités, et qui prend une forme comme définitive avec
RUSSELL,..coupure

..Ou si vous préférez, elle est extérieure au concept de la chose et de l'autre chose. « plus petit que
» n'est pas compris dans le concept de A qui est pourtant plus petit que B, et « plus grand que »
n'est pas compris dans le concept de B, qui est pourtant plus grand que A, c'est une extériorité
radicale. Mais pensez que même au niveau - c'est rien, tout ce que je suis entrain de dire, mais c'est
énorme, si vous comprenez ça, vous comprenez que c'est une tout autre théorie de la pensée, La
täche de la pensée, c'est à la lettre de réfléchir l'extériorité, c'est plus d'intérioriser,c'est une
conception du vrai et du faux complètement différente, c'est un appel à l'extériorité, mais oui le
monde est fait d'extériorité radicale, c'est à dire que c'est un ensemble dont les parties sont
irréductiblement extérieures les une aux autres, c'est à dire dont les parties ne seront pas
totalisables, c'est une monde de pièces et de morceaux. C'est comme dira JAMES : « un manteau
d'Arlequin », c'est du bariolage, et bien, entre deux morceaux il y a des relations, et peut être que les
choses, peut être qu'à la limite, il n'y a pas de terme, il n'y a que des paquets de relations, ce que
vous appelez un terme, c'est un paquet de relations, voilà.

Chacun de vous êtes des paquets de relations, et c'est très bien comme ça. Il sont en train de
dissoudre la substance, les choses...etc. Ils admettent à la rigueur, à votre choix, à un niveau moyen,
on dira : il y a des relations qui sont extérieures à leurs termes, et à un niveau beaucoup plus
profond, on dira : « est ce qu'il y a même des termes ou est ce qu'il y a des paquets de relations
variables ? », c'est possible ! Alors il y a quelque chose d'extraordinaire là dans la relation, on
commence à tenir le paradoxe là. Je dis à la fois : une relation est extérieure à ses termes. En
d'autres termes, une relation est toujours extérieure au concept de l'une et de l'autre chose qu'elle
met en relation. Ce n'est pas difficile à comprendre , A ressemble à B pour changer , et la
ressemblance est une relation. Bon, c'est pas compris dans son concept, c'est pas non plus compris
dans le concept de B, la relation est extérieures à ses termes : vous comprenez ça ? Seulement
vous n'avez compris que la moitié si vous comprenez ça. C'est que au même temps, la relation peut
changer - et ça j'insiste beaucoup là dessus, parce que ça va être mon seul petit apport - je dis ça
pour que vous distinguiez bien les choses et que vous ne mélangiez pas tout ; mais ils le savent dés
le début, tous ces auteurs qui se mettent à réfléchir sur la relation et qu'on appelle des empiristes, ou
des logiciens, au sens de logique des relations.

C'est pas étonnant, j'ai essayé de vous faire comprendre pourquoi il n'y avait pas lieu de s'étonner
que ce soit les empiristes qui aient inventé la logique la plus formelle du monde, à savoir la logique
des relations. Il y a un lien très profond, à première vue c'est bizarre, que ce soit les empiristes qui
tiennent au monde sensible et qui inventent au même temps, "le formalisme" de la logique, qu'on
appellera la logique formelle. C'est forcé, puisque, ce que leur découvre le monde sensible, c'est pas
du tout du sensible, il s'en tapent de ça, ce qui les intéressent, c'est l'extériorité des relations par
rapport à leurs termes, Dés lors vous ne rendrez pas compte des relations en les rapportant à leur
termes, et dés lors, il vous faut une logique absolument nouvelle, et un formalisme complètement

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nouveau pour rendre compte des relations logiques dont la liste est ouverte ; Bon, mais je disais,
d'accord, A ressemble à B, Pierre ressemble à Paul, ça n'est compris ni dans le concept de Pierre, ni
dans le concept de Paul, la ressemblance est une relation, à moins d'être LEIBNIZIEN, là encore si
vous sentez, à ce moment là, vous vous en tirez comme vous pouvez, ça c'est votre affaire. Mais si
vous acceptez d'être dans l'atmosphère ou les relations sont extérieures a leurs termes, on essaye
pas de discuter, on prends ça comme un fait, le fait de l'expérience. Et bah d'accord, la
ressemblance n'est pas contenue dans le concept, n'empêche qu'elle ne peut pas changer, sans que
le concept lui même ne change. ça devient très bizarre, elle n'est pas comprise dans les termes, et
pourtant elle ne peut pas changer, sans que les termes changent. Je veux dire : la relation de
ressemblance, et pour moi c'est très important ce que je vais dire, mais pas forcément pour vous - je
crois qu'on peut pas penser les relations indépendamment d'un devenir au moins virtuel, quelle
qu'elle soit la relation, et que ça à mon avis, les théoriciens de la relation, pourtant si forts qu'ils
soient, ils l'ont pas vu, mais je voudrais insister beaucoup plus sur ce point.

A mon avis une relation est non seulement extérieure à leur termes, mais c'est essentiellement
transitif au sens de transitoire, les relations, "n'abîmez pas les relations, c'est tellement fragile", tapez
sur les attributs ça c'est du solide, mais les relations sont inséparables d'un devenir, je dirai, et j'aurai
besoin de cette idée tout à l'heure, d'un changement possible ou virtuel. Je ne ressemble pas à B,
sans qu'au sein de cette ressemblance, je ne sois hanté, par la possibilité de l'accentuer ou de la
perdre ; il suffira que moi en tant que terme, c'est à dire autant que concept (ça revient au même), je
change par exemple en vieillissant, ou bien, je suis hanté par la possibilité toujours une relation, elle
n'existe pas.. ;.

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Deleuze
-- Menu - CINEMA : une classification des signes et du temps Nov.1982/Juin.1983 - cours 22 à 44 - (56 heures) --

CINEMA : une
classification des
signes et du temps
Nov.1982/Juin.1983 -
cours 22 à 44 - (56
heures)

- 14/12/82 - 2
Marielle Burkhalter

- 14/12/82 - 2 Page 1/13


Gilles Deleuze - Cinéma cours 26 du 14/12/82 - 2 transcription : Pimentel Elen Brandao
Relecture-correction : Emmanuel Péhau

... C'est ce lien de la relation avec le devenir. Je prends la ressemblance parce que - mais ça vaut
pour toutes les relations - parce que ça me frappe beaucoup. On dit - moi j'ai jamais pu le remarquer,
malgré tous mes efforts, mais on dit - on dit que c'est vrai - que un tout nouveau-né ressemble, à sa
naissance, à son père, mère ou quelqu'un, quoi. Et puis que ça s'atténue. Quitte à ce qu'ensuite,
dans la vieillesse, se retrouvent, alors, des ressemblances étonnantes, que - qui, à la lettre, ont été
mises entre parenthèses, oubliées pendant tant - tant d'années. On se dit tout d'un coup : « oh, mais
c'est sa mère tout craché ». Pendant... Comme si la vieillesse restaurait des ressemblances qui
n'avaient été que très, très atténuées. Moi, je crois que c'est pas possible de penser la relation sans
la penser comme en devenir toujours possible.

Bon. Mais on verra à quoi ça me sert, cette remarque. Je dis juste - et je retiens ça - et c'étaient les
deux points fondamentaux de la théorie de Hume - des relations - les deux points, c'étaient :
Premier point : les relations sont extérieures à leur terme.
Deuxième point : et pourtant, une relation ne peut pas changer sans que l'un des deux termes -
ou les deux - ne change.

« A ressemble à B » : relation extérieure à ses termes. « A cesse de ressembler à B » : la relation a


changé. Mais il a fallu que le concept de A change, que A change - ou B. Hein. Or, c'est avec ces
deux machins, là, avec ces deux propositions de base que Hume était amené à essayer de se
débrouiller. Bon...

Alors, essayons, nous, là - je - je sais plus - de... Je donne pas des comptes rendus de théories,
parce qu'on n'en finirait pas, je donne des - comme des prémisses, pour que vous ayez un ensemble
sur ce problème des relations tellement difficile.

Donc je dis : changeons de point. Vous allez voir que tout ça....

Un certain nombre d'auteurs très différents tournent autour d'une idée. C'est que y'a deux sortes de
relations - ou qu'y'a deux sens du mot « relation »...

Je cite - et d'abord, Hume... Tiens, c'est intéressant ça, la manière dont il définit... Au début de son
grand livre Traité de la nature humaine, au chapitre des relations, voilà ce qu'il nous dit : le mot «
relation » - elles sont toujours extérieures à leurs termes, hein, quelque qu'elles soient, ça c'est

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acquis - mais il nous dit, là-dessus : le mot « relation » est communément employé en deux sens
notablement différents. Tantôt il sert à marquer la qualité par où deux idées sont liées entre elles
dans l'imagination et par où l'une introduit l'autre.

Qu'est ce qu'il veut dire ? Ce sera bien connu sous le nom de « association des idées ». A savoir :
l'image de quelque chose qui m'est donné éveille en moi l'image de quelque chose qui n'est pas
donné.

Voilà, c'est ça le premier sens de « relation ». La relation, c'est l'opération par laquelle l'esprit passe
de l'image de quelque chose qui est donné à l'image de quelque chose qui n'est pas donné. Et, vous
remarquerez, il y passe d'après une loi. En effet, il y passe pas n'importe comment.

Je vois une photo, je dis : « c'est la photo de Pierre » et je pense à Pierre, qui actuellement est en
Amérique, ou, euh... etc. Bon. La photo m'est donnée ; je passe de l'image qui m'est donnée à
l'image de quelque chose qui ne m'est pas donné, à savoir l'image de Pierre en Amérique, d'après
une relation qui est la relation de ressemblance : « La photo ressemble à Pierre. » Hein...

Donc, voyez, le premier sens du mot « relation », c'est : le processus par lequel une image donnée
évoque ou conduit à une autre image non donnée.

Eh ben, ces relations, nous dit Hume - il les appelle « naturelles ». Ce sont des relations naturelles.
Elles forment bien une activité, - là, retenez tout ce qu'il dit, parce que c'est important - elles forment
bien une activité, mais, en un sens, ça se fait tout seul. C'est une activité comme « automatique ». Je
passe de la photo de Pierre à la pensée de Pierre, de la perception de la photo à la pensée de
Pierre. Je me dis : « tiens qu'est-ce qu'il fait en ce moment ? » ça c'est tout simple. C'est des
relations naturelles. Elles obéissent à des lois - qui en marquent quoi ? Notamment qui en marquent
les limites.

Je veux dire, ça s'épuise assez vite, hein. ça c'est très, très important, et Hume, il en parle
beaucoup, là. Il dit : la nature humaine, ben, elle se fatigue vite, hein. Il faut que les choses, il faut
que les relations soient très étroites - bien entendu extérieures - très étroites entre les termes pour
que l'idée de l'un introduise l'autre.

Par exemple, si c'est une ressemblance très vague, ça marche pas. Hein... Par exemple, c'est - je
vois une photo de quelqu'un et je me dis : « Oh tiens, ça me rappelle un tableau - un tableau que j'ai
vu, y'a longtemps. Mais quel était ce tableau ? de qui il était ? où je l'ai vu ? » ça marche plus du
tout. ça marche plus... ça peut marcher. J'ai un coup, là. « Ah oui, c'était... je l'ai vu en telle année, à
tel endroit ! Oh, qu'est-ce qu'ils se ressemblent ! » Je vois une femme dans la rue, je me dis : « tiens,
mais je l'ai vue quelque part, mais dans un musée. Ha ! La Joconde, c'est la Joconde ! C'est la
Joconde qui passe... épatant. » Mais le plus souvent je me dis : « Oh, lala, elle me fait penser à...
Celle-là elle sort d'une peinture, mais - qui ? Quoi ? Un flamand, un peintre flamand... (Vous allez
voir pourquoi j'ai besoin de tout cet exemple.) Un peintre flamand, oui, oui, oui, mais lequel ? Celui-là
? Non, non, non, non, ça doit pas être celui-là. Alors c'est qui ? » Puis ça peut venir, ou ça ne vient
pas, mais là c'est pas une relation naturelle. Pourquoi ? Parce que c'est une ressemblance
distendue, lointaine.

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Vous passez facilement, suivant une relation naturelle, de la photo de Pierre à l'idée de Pierre, mais
vous passez pas facilement lorsque les choses n'ont qu'une ressemblance lointaine. Je veux dire :
les relations naturelles ont pour propre de s'épuiser vite, c'est-à-dire de former des séries, étant
entendu des séries courtes. Ah bon, ben... Voilà.

Les relations -je résume - les relations naturelles seraient des relations par lesquelles une idée ou
une image en introduit naturellement une autre, suivant une règle ou une loi, constituant par là une
série d'images qui s'épuise assez rapidement. Tous les termes sont importants. Voilà le domaine des
relations naturelles...

Autre exemple - pour vous rassurer tout de suite -, je dirai quand même pas, euh - naturellement, je
dirai pas, euh, « L'arc de triomphe est plus grand qu'une puce ». Pas de relation naturelle, là-dedans.
En revanche, de quelque chose qui est un peu plus grand qu'une puce, là, j'aurais tendance à dire «
y'a une relation naturelle ». Je dis, par exemple : « ah tiens, qu'est-ce que c'est que ça qui est sur ma
main ? C'est une puce, ça ? Euh... Non, c'est trop grand. Trop grand... Hein ? C'est pas une puce. »
Alors, l'angoisse me prend, je me dis : « qu'est ce que ça peut être ? qu'est- ce que c'est ce truc là ?
» Hein ? Euh... Bon. Là, y'a relation naturelle... Ça empêche pas que je peux comparer l'arc de
triomphe à une puce. Bon. D'accord. Donc il peut y avoir une relation entre l'arc de triomphe et une
puce. D'accord. Ce sera pas une relation naturelle.

Donc, vous voyez, une relation naturelle, c'est donc le processus par lequel une image en introduit
une autre suivant une règle constitutive d'une série brève. On peut pas dire mieux.

Hume continue : mais « relation » se dit en un tout autre sens. Voyez, tantôt il sert à marquer (le mot
« relation » sert à marquer) la qualité par laquelle une idée en introduit une autre (voilà, c'était notre
premier cas, les relations naturelles), tantôt la circonstance - tantôt la relation signifie la circonstance
par laquelle, même lorsque deux idées sont unies arbitrairement dans la fantaisie (exactement l'arc
de triomphe et la puce) - la circonstance par laquelle même lorsque deux idées sont unies
arbitrairement dans la fantaisie (je traduis : même lorsque deux idées n'ont pas de relation naturelle
l'une avec l'autre) - donc, c'est la circonstance par laquelle même lorsque deux idées ou deux
images n'ont pas de relation naturelle, nous pouvons juger bon de les comparer. Y'a une raison pour
laquelle je les compare...

Je prends un exemple. Bon. Je suis là dans une pièce et puis, euh, j'ai besoin d'écrire, et je voudrais
écrire sur une table. Mais y'a pas de table. Bon. Alors, il peut m'arriver une chose : je pense à une
table que j'ai vue dans la pièce à côté. Je vais dans la pièce à côté et je m'installe. Je dirais : relation
naturelle. L'image de la table manquante a évoqué en moi l'image d'une autre table qui lui
ressemble, et qui est à côté. C'est une relation naturelle. Une image en a introduit une autre, dans
une série relativement courte. J'ai pas de table, y'en a pas dans la pièce a coté, ou je veux rester
dans cette pièce, je regarde partout. Y'a pas de relation naturelle, rien qui ressemble à une table.
J'aperçois, verticale, une planche à repasser pliée. Je me dis « merde, voilà je... c'est ce qu'il me
faut... je vais en faire une table. »

Bon, vous me direz, y'a moins de différence qu'entre « arc de triomphe » et « puce ». D'accord...
Mais y'a quand même une grande différence entre une table et une planche à repasser. C'est rare,
c'est pas d'après une relation naturelle que « table » me ferait penser à « planche à repasser ». Ou

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alors il faudrait un intermédiaire. Faudrait un intermédiaire constitutif d'une série courte compacte. A
savoir : je vois ma table ; j'y ai surpris quelqu'un qui ,au lieu d'être à ma table, aurait du repasser.
Alors j'ai une liaison table-planche à repasser, une relation naturelle. Mais là, je suis dans la pièce, je
cherche une table, y'a pas de table, je vois la planche à repasser verticale, je me dis : « ça y est ».
Bon, qu'est ce que j'ai fait ? J'ai pas fait une relation, j'ai pas suivi une relation naturelle. A prendre le
texte de Hume à la lettre, j'ai été en proie à une circonstance particulière, où même lors de l'union - à
savoir mon besoin d'écrire, la circonstance particulière, qui a fait que même lors de l'union arbitraire
de deux idées dans la fantaisie (la table et la planche à repasser, la table horizontale, qui n'était pas
là, et la planche à repasser pliée, verticale), nous pouvons juger bon de les comparer. La relation,
c'est alors la raison de la comparaison entre deux idées, si étrangères soient elles l'une à l'autre.
C'est-à-dire : même si elles n'ont pas de relations naturelles. Et en un sens, je pourrais trouver les
mêmes choses comme exemples de relations naturelles et de relations autres, pas naturelles.

Ces relations pas naturelles, comment est-ce qu'on va les appeler ? Hume les appellera « relations
philosophiques ». Relations philosophiques... Ce qui veut pas dire que c'est un usage que les
philosophes en font, hein, ça veut pas dire qu'elles sont réservées aux philosophes, non, il veut dire
qu'elles sont pas naturelles. Il veut dire peut-être qu'elles sont abstraites, et que les autres sont
concrètes, mais gardons ça pour plus tard. Mais, voyez, concrètes ou abstraites, naturelles ou
philosophiques, elles sont toujours extérieures à leurs termes. ça, ça change pas. Mais y'a quand
même deux types de relations. Je dirais que les relations philosophiques sont des relations, qui,
elles, au lieu de former une série courte déterminée par une loi, qu'est-ce qu'elles font ? Elles
forment un ensemble, en droit illimité, renvoyant à un sens.

Bon... Voilà. Distinction, donc, relations naturelles/relations philosophiques, qui va avoir la plus
grande importance.

Husserl distinguera bien plus tard - qui pourtant a pour Hume un rapport à la fois de fascination, mais
c'est son ennemi... Or Husserl, sans rien dire - mais peut être qu'il ne s'en est pas aperçu -, dans son
premier livre qui s'appelle Philosophie de l'arithmétique, propose une différence entre ce qu'il appelle
les « relations primaires » et les « liens psychiques ». Il définit les relations primaires par des
conjonctions continues, et les liens psychiques par des actes de l'esprit qui constituent un ensemble
indépendamment des conjonctions continues entre leurs parties, entre leurs éléments.

Bon, là j'ai pas le temps de développer, ce serait infini, mais... C'est curieux, voilà que l'anti-Hume
retrouve une distinction qui appartient fondamentalement à Hume. Parce qu'à mon avis - je
développe pas, mais cette distinction de Husserl correspond mot à mot à la distinction de Hume.
Bon.

Et enfin - dernier point -, je retrouve Bergson, sur un nouveau point, dont j'ai jusqu'à maintenant pas
du tout parlé, et qui me parait très extraordinaire. Donc, Bergson va distinguer, dans deux textes, l'un
le chapitre - non, surtout dans un texte sur « l'effort », un article intitulé L'effort intellectuel ou quelque
chose comme ça, dans un recueil d'articles : L'énergie spirituelle. Et il nous dit : « il y a deux
manières dont procède l'esprit ». Et ça, ça me parait très, très important, et vous allez comprendre
pourquoi. Bien.

Voilà : « l'esprit peut procéder de deux façons ». Là, je... On oublie tout, hein, on oublie tout ce qui

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précède. On repart à zéro avec Bergson. J'aimerais vous persuader que, finalement, bien plus que
les contradictions entre philosophes, il y a ces trucs prodigieux qui sont des rencontres. Ils se copient
pas, ils se recopient pas, mais - entre philosophes qui, pourtant, sont d'écoles, si vous voulez - au
sens « réaliste », « idéaliste », « empiriste », tout ce que vous voulez - d'écoles absolument
différentes, mais bien plus que leurs différences, il y a ces prodigieux échos comme ces appels de
l'un à l'autre.

Ecoutez ce que dit Bergson. Il nous dit : ben, vous savez, oui, il y a une manière, il y a une activité
de l'esprit qui finalement, à la limite, se fait sans effort. Il dit, lui, « automatiquement ». Et finalement,
c'est l'association des idées. Et il le définit comme ça, très rapidement, il le caractérise comme ça : «
l'esprit passe d'un objet à un autre sur le même plan horizontal ».

On peut pas mieux dire : ça se fait tout seul, suivant une série. L'esprit - ça se fait tout seul,
automatiquement - l'esprit passe d'un objet à un autre, sous-entendu d'une image d'objet à une autre
image d'objet, l'esprit passe d'un objet à un autre sur un même plan horizontal. Je retiens l'idée «
diversité d'objets »- il y a plusieurs objets. Deuxième point : sur le même plan - horizontal. Troisième
point : constituant une série. Je dirais, c'est le statut des relations naturelles, que, pour mon compte,
j'appelle - c'est vraiment pas un changement important - j'appelle plutôt « concrètes ». Elles sont
extérieures à leurs termes, d'accord, oui. Et puis, nous dit Bergson, y'a une toute autre activité de
l'esprit - bien plus difficile, parce que la tendance de la psychologie, il nous dit, c'est toujours de
ramener à ce schéma le plus facile. Vous voyez, ce schéma le plus facile, si j'en fais le dessin...
C'est ça. C'est ça... Un plan horizontal (c'est pas la même chose que mon ancien plan des
images-mouvement, hein, là, c'est tout à fait autre chose)... Et puis, sur ce plan horizontal, pluralité
de termes... L'esprit passe d'un terme donné à un qui n'était pas donné, qui devient donné, qui, étant
donné, va nous faire passer à un troisième, etc. ... Un, deux, trois, quatre... Bon. C'est simple, ce
schéma où tout est...

Bergson dit : voilà, on vit beaucoup comme ça.

Alors : la photo de Pierre (premier terme qui m'est donné) ; je pense à Pierre ; je pense à l'Amérique,
où est Pierre.

Là, c'était un rapport de ressemblance, là, c'est un rapport de continuité... Je pense à... A vrai dire, je
sais pas. Je sais pas... N'importe quoi, quoi... Vous pouvez - on peut compléter, quoi, c'est... Voilà.

Il y a un tout autre cas, dit Bergson. Qu'est-ce que c'est, ce cas ? Ben, c'est précisément lorsque
l'esprit n'opère plus automatiquement.

ça se complique...

J'entends quelqu'un parler. Voilà le premier cas. J'entends quelqu'un parler... En quoi qu'c'est une
pas activité automatique ? Ben, c'est... Je cherche...

ça peut être : « passe-moi le sel ». Alors, à ce moment là, à la rigueur, j'ai mal entendu, je lui fais
répéter, mais ce serait de ce type-là. Mais j'entends quelqu'un faire un discours. Je me dis - si
j'écoute, je me dis : « mais qu'est-ce qu'il raconte, mais qu'est-ce qu'il veut dire ? » Je cherche ce

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qu'il veut dire. Je cherche ce qu'il veut dire... Ou bien je vois quelqu'un, et - je reprends mon exemple
- il me rappelle quelqu'un, quelque chose - mais quoi ? « où je l'ai vu, celui-là ? oh... je suis sûr de
l'avoir vu, mais où ? » Je cherche cette fois-ci un souvenir.

Remarquez que, en effet, notre tentation, ce serait de ramener ce deuxième cas, dont nous ne
savons pas encore la nature, au premier. Mais ça donnerait quoi ? On va voir tout de suite si ça
marche.

J'ai la perception de quelqu'un. Ce serait ça, mon terme 1. Et elle éveillerait en moi un souvenir :
terme 2. Simplement, y'aurait une espèce de blocage dans la relation naturelle, qui ferait que j'aurais
de la peine à évoquer le souvenir. On peut toujours essayer de dire ça.

Dans mon autre exemple, je me demande « qu'est-ce qu'il veut dire ? ». Ben, ma perception, ce
serait quoi ? La perception sonore des mots. Le 1, ce serait la perception sonore des mots et elle
éveillerait plus ou moins les idées auxquelles les mots sont censés correspondre.

Voyez que dans cette interprétation, je ramène, je réduis mon second cas au premier.

Eh ben, Bergson dit : il suffit de parler de réduction pour sentir que ça marche pas. Que l'effort de
compréhension - ou l'effort d'interprétation - n'est pas de ce type là. ça peut pas marcher. C'est pas
ça...

Je peux le dire. On peut toujours tout dire... On peut dire « mais si, c'est le même cas, y'a qu'un cas,
il n'y a que les relations naturelles... » Ben non, dit Bergson ; il dit : moi j'ai l'impression que c'est pas
comme ça que ça marche. Et pour une raison simple, vous allez voir...

Mettez vous dans la situation de quelqu'un qui cherche - soit un souvenir, soit à comprendre ce que
dit quelqu'un qu'il est en train d'écouter : « mais qu'est-ce qu'il veut dire celui-là ? ». Ou bien,
troisième possibilité, que je préfère, parce qu'elle est peut être plus éclairante : j'écoute un discours
dans une langue qui ne m'est pas totalement inconnue - parce que là y'aurait pas de problème - et
qui en même temps m'est mal connue, et j'essaye de comprendre. Voyez... Ça mélange un peu les
deux exemples précédents parce qu'alors je fais appel à des souvenirs : qu'est-ce que veut dire tel
mot que j'ai cru, etc. ...

Mais qu'est-ce qui caractérise tous ces cas ?

C'est, lorsque quelqu'un - lorsque j'écoute quelqu'un - c'est ça le vrai critère de distinction entre mon
premier cas et le second - lorsque j'écoute quelqu'un parler et que je me dis « qu'est-ce qu'il veut dire
? », j'essaye de saisir le sens, donc. J'essaye de saisir le sens... Mais y'a pas du tout deux termes.
J'ai pas d'abord une perception complète des mots qu'il dit, et puis le sens. Quand je comprends le
sens - le sens - mettons, pour le moment, les idées qui correspondent aux mots -, eh ben, j'ai pas
d'un côté une perception des mots, valant pour elle-même, et qui éveillerait, par relation naturelle, les
idées qui correspondent aux mots. Jamais personne a compris comme ça ! Quand vous essayez de
comprendre - ou quand vous comprenez -ce que je dis, vous faites une opération complètement
différente ! Vous saisissez pas les mots pour eux-mêmes qui vous mèneraient aux idées pour
elles-mêmes. Bien plus ! Bien plus... Que vous compreniez ou que vous ne compreniez pas, vous

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saisissez - là ça change rien - vous saisissez un mot sur quatre. Comme dans la lecture, c'est bien
connu, on lit pas tous les mots. Les mots, c'est comme des poteaux indicateurs. Puis on complète.
Ça dépend, d'après ce qu'on lit... Là, le journal, on le lit vite, c'est-à-dire on prend quelques mots,
comme poteaux indicateurs. Evidemment. Mais on a une perception incomplète. A partir de quoi,
qu'est-ce qui va se passer ?

De même, quand je me dis, en regardant quelqu'un, « mais celui-là, à qui il ressemble ? Où est-ce
que le l'ai vu ? », j'ai pas une perception complète. Par définition. Sous l'angle dans lequel le je le
vois, au contraire, j'ai une perception incomplète, puisque je me dis « merde, où je l'ai vu celui là ? ».
Je voulais uniquement montrer que, de toute évidence, le deuxième cas étant irréductible au premier
- puisque dans le premier cas, au contraire, j'allais d'une image complète à une autre image
complète, qui n'était pas la même. Donc, il semble impossible de réduire le deuxième cas au
premier.

Alors Bergson nous propose pour le deuxième cas un schéma - pas facile, parce que c'est.... Il
l'emploie très souvent, avec des drôles de mots. Il dit : dans le second cas, ce que vous percevez,
que ce soient les mots - les mots que vous percevez très incomplètement, puisqu'encore une fois
vous pouvez pas dire « j'ai compris » parce que vous saisissez chaque mot de - que je dis, : c'est
pas ça comprendre. Et pour comprendre vous attendez pas que j'aie fini ma phrase. C'est même
pour ça que... Et puis à certains moments vous lâchez et à certains moments vous reprenez pied,
c'est comme ça qu'on comprend.

Bon, alors, qu'est-ce qui va se passer ?

De même, quand je cherche la ressemblance, j'ai une perception incomplète, qui me sert de quoi ?
De signal - je disais : oui, à peu près, de signal . Voilà.

A partir de ce qui m'est donné - et qui est un donné incomplet, contrairement à mon premier cas, où
je partais d'une donnée complète - à partir des données incomplètes du second cas, Bergson
emploie tout le temps : « J'opère un saut ».

Voilà. C'est mon plan, là... Voyez, le - mon plan horizontal, il est là. Là, j'ai mon terme, mon terme
incomplet : les mots que vous m'entendez dire, ou bien la perception incomplète que vous avez de
quelqu'un dont vous vous dites « à qui diable peut il ressembler ? ». « Je saute », dit Bergson.

Il saute... Bon. Il saute dans quoi ? Dans l'exemple du souvenir, il nous dit - et l'expression sera très
souvent reprise... C'est très curieux, parce que, Bergson, si vous le connaissez un peu, c'est pas un
type qui saute, hein. Je veux dire, c'est pas son genre. Non, je dis là des bêtises. C'est très curieux,
le mot, c'est pour ça qu'il est important. On s'attendrait à Bergson de tout (sic) sauf à ce qu'il saute.
[Rires] Il glisse, il coule, il explose, c'est ses trucs ça. L'élan vital qui explose ; la durée qui coule,
s'écoule... Bon. Mais sauter, en revanche, quelqu'un comme Kierkegaard, il cesse pas de sauter.
Lui, il saute, c'est son - c'est son activité mentale, c'est le philosophe du saut. Bon. [Rires]

Voilà que Bergson, il se met à sauter. Et il le dira avec insistance, tant dans Matière et mémoire,
chapitre II, que dans L'évolution - que dans cet article de L'énergie spirituelle. Alors, c'est très, très
curieux.

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Et il saute où ?

Dans le cas de la mémoire, il nous dit : « Je m'installe dans une région du passé ». C'est pas un
souvenir, hein, surtout, puisqu'il l'a pas le souvenir. Il le cherche, le souvenir. « Je m'installe dans
une région du passé » - approximative. D'un bond... Alors, comprenez - parce qu'on aura tout ça à
retrouver, quand on parlera du temps. Y'aurait des régions du passé qui précèdent les souvenirs...

« Je m'installe dans une région du passé ». C'est-à-dire : une vague intuition. « Euh ... ah, oui... est
ce que c'était pas ? ... » « est ce que », point d'interrogation ! « Ou bien... de toutes manières, il y a
longtemps... ça, ce type, là, c'était pas récemment que je l'ai vu. Et non seulement c'était pas
récemment, mais c'était pas à Paris. » C'est ça, ce qu'il appelle « j'ai fait un saut » : « je m'installe
dans une région du passé », « j'ai sauté ». Il dit ça, il dit : « je me place d'emblée ». Quand il ne dit
pas « je saute », il dit « je me place d'emblée dans une région du passé ».

Mais alors, voilà que le passé a des régions. Evidemment, vous comprenez ce que ça veut dire et ce
qu'il a derrière la tête : le passé ne détruit pas, le passé conserve. Hein... Le passé est un -
finalement, c'est sa grande idée : le passé est un conservatoire... Euh... Ce à quoi il veut s'opposer
absolument, c'est à l'idée d'une destruction par le temps. Le temps, c'est pas du tout le processus de
la destruction, le temps c'est le processus de la conservation infinie. C'est son idée à lui, il a des
raisons de penser ça. Mais enfin, c'est pas du tout, euh... Les choses disparaissent pas dans le
temps. Au contraire. Au contraire...

Bien... Eyh ben, une région... Y'en aurait d'autres. Plus récentes, par exemple. Plus proches du lieu
où je suis. Mais je fais une espèce de pari, quoi. Je m'installe dans une région du passé - y'en a
au-dessus, tout ça... Et puis - j'attends ? Non : je fouille cette région. Et - ou bien ça rate, ou bien ça
marche.

ça rate - en effet, il se peut que j'aie tapé dans une mauvaise région. Rien ne vient répondre à mon
saut. J'ai sauté, là, dans une région du passé... Rien ne vient. Alors, je peux essayer une autre
région. Je me dis : « ben non, c'est pas ça. » Une autre région...

C'est bien comme ça qu'on fait, c'est une splendide description, il me semble.

Donc, supposons que là je dis : « ah ben oui, ben ... là... sur ce plan... sur ce plan... là, y'a quelque
chose qui répond ». Et, de cette région pure, de cette région du passé pur, qu'est-ce qui va
descendre, alors ? Va descendre, pour s'incarner dans une image, un souvenir...

[Interruption de la bande.]

(...) et l'essence incarnée dans une image-souvenir...

Et alors, je dirai : « ah oui, ce type que je viens de voir, je l'ai vu vers telle année à tel endroit », ou
bien « ben oui, c'était un copain de classe » - si j'ai su m'installer (sauter) au bon niveau du passé,
dans la bonne région du passé...

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C'est étonnant , cette... C'est ça l'interprétation. Il faut que vous sautiez...

Et si on revient à l'autre exemple, alors... La parole que vous essayez de comprendre de quelqu'un...
Ben, là aussi, encore une fois... Les mots que vous entendez, c'est comme des lambeaux incomplets
; c'est donné, mais c'est donné comme des lambeaux incomplets. Et vous, ce que vous faites quand
vous essayez de comprendre - et vous le voyez tout de suite, dès que vous craquez. Dès que vous
craquez, c'est-à-dire : dès que vous commencez à vous endormir, dès que vous lâchez... Vous
retombez dans le premier schéma.

Alors, euh... Je dis : Bergson, euh... Alors ça donne, comme deuxième terme... Oh merde, il en a
déjà parlé ! [rires]

Ou bien vous lâchez complètement, vous faites des associations d'idées. Je dis, euh, « relations »,
alors, vous, vous enchaînez : relations d'amour, relations d'affaires, relations, etc. Bon, à ce
moment-là, vous avez renoncé à comprendre. Vous prenez un repos, une récréation. [rires]

Quand vous essayez vraiment de comprendre, vous partez de mes mots, que vous saisissez comme
des réalités incomplètes - pour vous... Et vous vous installez - vous sautez. Vous faites le saut. Vous
vous placez d'emblée dans une région, qu'on n'appellera plus du passé (mais peut être que ça
revient au même), vous vous installez dans une région du sens.

Et, en effet, quelqu'un entrerait maintenant, hein, dans la salle, supposez. Quelqu'un entre... Il se dit
- ça arrive - « de quoi il parle, celui là ? ». Alors, il écoute un peu. « Est-ce que c'est un cours, euh,
de droit commercial ? » [Rires] Oh oui, ça, il peut tomber sur un exemple de droit que je donnerais. Il
se dit : « ah ben, c'est un cours de droit » Voyez : il s'installe - s'il veut écouter, s'il est... - il s'installe
immédiatement dans une région de sens : « les relations juridiques »... Quoi, les relations juridiques
? Je définirais cette relation de sens par « les relations juridiques tout court », « l'ensemble des
relations juridiques en général ». Et puis, il écoute un peu mieux, et il se dit « oh ben, ça peut pas
être ça quand même ». Quelque chose va pas, c'est-à-dire « je suis pas installé au bon niveau de
sens, ça doit pas être du droit qu'il fait, ce type là. » Alors, il fait des schémas : « est-ce que ça serait
pas des mathématiques ? ». Une autre région. Il se dit : « oh ben, non... » Parce que rien ne
descend de cette région de sens où il s'est installé. Il se dit « qu'est-ce que ça peut être ce truc là ?
»Alors,quoi ? Ben, il y a - les bons jours, il trouve, les mauvais jours, euh... Prenez mon cas
douloureux. Je me mets à déconner, tout à l'heure, sur le fameux auteur anglais. Qu'est ce que j'ai
fait, là, hein ? Quelle, euh... Evidemment, moi, euh, mettons, j'ai confondu deux niveaux très peu ...

[Une étudiante : « T'as mal sauté. »]

J'ai mal sauté, ouais, j'ai mal sauté...

Qu'est-ce que c'est, ne pas comprendre quelqu'un, quelque chose ? C'est mal sauter. C'est rater les
sauts. Vous vous installez dans une région... C'est comme oublier - pas comprendre... Pas du tout
que l'un se ramène à l'autre, mais, de même que le passé avait des régions en soi qui précédaient le
souvenir, et qui rendaient sans doute possible la descente des souvenirs, le sens a des régions en
soi qui précèdent les idées, c'est-à-dire la compréhension, l'interprétation.

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Et si vous ne vous installez pas, si vous ne sautez pas dans la région du sens où votre problème a
sa réponse, vous ne résoudrez jamais rien de ce qui vous intéresse le plus.

Et qu'est ce que les gens font, quand ils, euh... Avoir un problème vécu, c'est même tout à fait pareil.
Problème, s'il est vécu ou pas - y'en a qui ont des solutions, y'en a qui en ont pas, mais, d'où ça vient
l'absence de solution ? Qu'est ce qu'on cesse pas de faire ? On s'installe dans des régions de sens
qui correspondent pas à votre problème. C'est pas là - c'est pas là que vous aviez les éléments de
solution. Pas de veine, ça sera pour une autre fois ! Hein ? C'est vrai, y'a jamais de problème sans
solution. Moi, je suis - il faut être très optimiste, il faut se dire « j'ai pas su trouver la région de sens
où le problème, il aurait trouvé les éléments de sa solution. »

Alors, une discipline aussi admirable que la psychanalyse, qu'est-ce qu'elle fait ?[Rires] C'est très
simple... Elle a trouvé le niveau de sens. [Une étudiante : « Une fois pour toutes. »] Hein ?
Finalement, y'en a qu'un, y'a qu'un niveau de sens pour tous les problèmes. Et elle nous invite à
sauter à ce niveau de sens. Alors, il parait que parfois ça résout le problème, d'autres fois il semble
que ça ne le résolve pas. En tous cas, il est certain que c'est une région qui met très longtemps à
être explorée, puisque les problèmes durent très très longtemps ! Alors, euh... [Rires] C'est pareil,
tout ça, c'est pareil...

Alors, moi je crois plutôt qu'il y a - qu'il y a pas une grille, qu'il y a pas, finalement, une région de sens
de toutes les régions. C'est pas possible. Et que y'a une multiplicité, mais alors...

Faisons maintenant le schéma qui se distingue. Bergson nous dira : tout à l'heure, j'avais un plan
horizontal, avec plusieurs objets différents, et j'allais d'un objet à un autre objet suivant une série
courte. Quelle est la formule de l'autre, là, du saut ? Je dirais cette fois-ci : un ensemble, si vous
préférez, un volume, un volume vertical, ou un même objet - ou il n'y a qu'un seul et même objet, qui
passe par des niveaux ou des régions différentes. Ça s'oppose terme à terme. Un volume vertical qui
comporte une infinité de régions ou de niveaux par lesquels un seul et même objet passe.

En effet, qu'est-ce qu'il veut dire ? Il va de soi que si je prends l'exemple, là, où on est : vous
m'écoutez, vous comprenez, mais, comme on dit, y'en a pas un qui comprend de la même façon
parce que y'en a pas deux qui s'installent exactement dans la même région du sens - dans la même
région de sens. Evidemment. Evidemment...

Alors, si vous avez compris ce second schéma bergsonien, qu'est ce qu'on va retrouver, comme par
magie ? La seconde figure, c'est : un volume vertical où un seul et même objet traverse des zones,
des régions, des niveaux différents. Il suffit que...

Voilà. J'ai retrouvé mon cône...

Voyez, dès lors... Si vous voulez... Hélas, ma figure, elle est de plus en plus confuse, alors je la
refais. On va retrouver exactement la grande figure, donc, à laquelle on était arrivés, mais on la
retrouve, vraiment, à partir d'un tout autre problème. A savoir : vous vous rappelez, j'avais un plan de
coupe vertical où se faisaient tous les mouvements - actions, réactions, etc. Avec des centres
d'indétermination : S... Et puis je disais : y'a quelque chose - alors, on savait pas bien ce que c'était -
qui vient s'insérer en S. Un cône, qui serait le devenir... Et là, ce serait le devenir qui change, et là ce

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serait le plan des images mouvement, et le plan des images-mouvement viendrait toujours s- le cône
viendrait toujours s'insérer à sa pointe dans le plan des images mouvements.

Maintenant, qu'est-ce qu'il se passe ? Alors, mon premier cas, vous le situez au niveau de B. C'est la
manière dont S, à partir d'une chose, à partir d'une image, évoque une autre image. Plan horizontal,
constitution d'une série, par laquelle S passe de A à B, sur le même plan horizontal.

Là, au contraire, j'essaye de comprendre, ou je cherche un souvenir que... Je saute dans le cône...
Je saute dans le cône, mais quoi ? Eh oui, maintenant on peut ajouter : le cône a nécessairement
des niveaux, des régions, qui sont comme des coupes du cône. Et là, Bergson ne conçoit que des
coupes parallèles à la base. Evidemment, nous, dans notre entrain bergsonien, on dira : non, il peut
y avoir des positions telles que il y ait des coupes tout à fait différentes. C'est-à-dire, nous on
tiendrait beaucoup plus compte de la théorie des coniques, où le cône peut être coupé par des
plans, par des coupes qui sont pas seulement parallèles. Donc, ça se compliquerait encore. Pour
une théorie des images, ce serait très important...

Et alors...

Donc, je cherche un souvenir - ou je cherche à comprendre - et je saute dans une région - ou dans
une zone... A la lettre, c'est toute une philosophie des niveaux, c'est toute une philosophie, oui, des
régions d'être, des... Je m'installe. Et c'est là - sans passer d'ailleurs par les autres niveaux : si j'ai
choisi le bon niveau, je repasse pas par les autres niveaux, mais c'est là que soit l'idée (émanant de
la région de sens), soit le souvenir (émanant de la région du passé), va venir s'incarner.

[Une étudiant : « Vous trouvez pas que ça rend vraiment curieux notre plan des relations naturelles ?
ça lui fout un drôle de tremblement ? Surtout si on va des sections... »]

Là ? Ha ben, ça va les foutre en l'air. Ben, évidemment ! ça va... Ou bien... Oh,ça va, ça va... Alors,
comprenez, en effet - il comprend très bien, je crois...

Là c'était le domaine des relations naturelles. Mais dans l'autre cas, chaque région sera quoi ?
Chaque zone de sens, ce sera, à la lettre, un paquet de relations abstraites. Un paquet de relations
abstraites... Des ressemblances sans que je sache qui se ressemble. Ce sera une zone...
L'ensemble des relations juridiques - indépendamment des termes entre lesquelles elles
s'établissent, l'ensemble des comparaisons esthétiques, etc. Tout ça, ce seront des zones.

Elles sont pas préfigurées, elles attendent pas mon saut, c'est plutôt, plutôt... Oui, elles attendent
mon saut, c'est-à-dire : c'est en même temps que je saute que j'opère une coupe dans ce cône et
que je m'installe alors dans tel domaine de relations.

Je dirais : ce sont des relations abstraites. Et ces ensembles de relations abstraites définissent quoi
? Ce qu'on appelle le sens, c'est-à-dire telle zone du sens, ou ce qu'on appellera le passé, telle
région du passé. Si bien que, comme tout à l'heure, j'aurai une distinction entre les relations dites
naturelles ou concrètes d'une part, et d'autre part, les relations abstraites.

Alors ce que je veux dire, c'est... Voilà, c'est tout ce que je veux dire.

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Je reviens à Peirce pour en tirer une conclusion. Moi, à mon avis, vous comprenez, ce qui
empoisonne le problème des relations, c'est que on se rend pas assez compte, encore une fois, que
les relations sont des variables. A savoir que toute relation est inséparable de son changement
possible. Encore une fois, personne ne ressemble à quelqu'un sans risquer de cesser de lui
ressembler. Et inversement il n'y a pas d'absence de ressemblance sans le risque que les deux
termes deviennent ressemblants. En d'autres termes, les relations abstraites sont inséparables d'un
tout qui change et qui ne cesse pas de changer, tandis que les relations concrètes s'établissent entre
des parties distinctes.

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Deleuze
-- Menu - CINEMA : une classification des signes et du temps Nov.1982/Juin.1983 - cours 22 à 44 - (56 heures) --

CINEMA : une
classification des
signes et du temps
Nov.1982/Juin.1983 -
cours 22 à 44 - (56
heures)

- 14/12/82 - 3
Marielle Burkhalter

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cours 26 du 14/12/82 - 3 Deleuze Cinéma transcription : Viara Coleva Georgieva et Clara Guislain -

Les relations naturelles sont,les processus par lesquels je passe d'une partie distincte à une autre
partie distincte. Les relations abstraites sont des ensembles ou des paquets de relations
indépendamment de leur terme, qui expriment, dont chaque zone, chaque région exprime ou est un
aspect d'un tout qui change. Bon ...Et pour moi, c'est ça le sens. Si bien que je peux dire alors, je
reviens à Peirce, vous devez plus en pouvoir mais j'aurais besoin que... oui et puis ça fait rien. Et
ben oui, vous voyez Peirce, c'est très bien, il nous dit : la tiercéité c'est quoi ? La tiercéité c'est quoi ?
C'est la loi. D'accord. C'est la relation. D'accord. C'est les sens. D'accord. Puis, c'est encore une fois,
si je maintiens la distinction relation naturelle /relation philosophique, ou mieux, la distinction :
relation concrète/ relation abstraite : les relations abstraites, c'est les sens. Donc, la tiercéité se
définira. Et en effet, elle n'est ni une expression comme la priméité, ni une position-opposition
comme la secondéité, mais bien une interprétation. Et l'interprétation se fait, je dis juste suivant deux
voies : la constitution, l'interprétation et tantôt, la constitution d'une série brève, ouverte, mais brève,
suivant des relations naturelles. Et tantôt, la constitution d'une figure à niveaux, ou si vous préférez...
heu...on ne peut pas dire d'un ensemble, mais d'un tout. D'un tout à niveaux et à régions : par
lesquels passe un seul et même objet. On dirait là qu'il y a deux types d'interprétations. Et comme dit
Bergson très bien, les deux, ces deux figures, et je dirais la même chose de mes deux types
d'interprétation : elles ne cessent pas de se mélanger, on ne cesse pas de les mélanger l'une a
l'autre. Concrètement, on ne cesse pas mélanger. Voila donc - j'en ai plus pour longtemps- Car je
vous proposerai juste des exercices rapides pour finir.

Et donc, les trois types d'images de Peirce : priméité, secondéité, tiercéité. Et bien... Je vais finir
par deux remarques. Première remarque : On est loin d'avoir fini, puisque là-dessus il va falloir
passer à l'étude des signes. Ca c'est uniquement les types d'images. Mais nous savons et attendons
de Peirce qu'il nous montre comment les images vont devenir des signes. A mon avis, on a tout pour
le comprendre très facilement. Mais je le remets à la prochaine fois. En revanche, je vois tout de
suite ce qui pour nous un drame, une catastrophe. C'est que nous aussi on avait trois types
d'images, hein, nous aussi on avait obtenu trois types d'images. Même qu'on les avait appelées :
image-perception, image-action, image-affection. Et bien la catastrophe c'est que ça ne se
correspond pas, il y a le drame. L'image-affection : elle répond exactement a la priméité,
l'image-action : elle répond exactement à la secondéité, mais sa tiercéité moi j'en ai rien à faire pour
le moment. Et il y a rien chez lui qui réponde à ce que j'essayais de définir comme
l'image-perception... Vous vous rendez compte de drame ? Car enfin la tiercéité , c'est pas
l'image-perception, c'est le mental, c'est la pensée. Ca il est formel, et puis c'est évident ! Il n'a même
pas besoin de le dire. Donc, on va avoir des problèmes d'ajustement...Et puis faut pas ajuster, il va

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falloir essayer de comprendre pourquoi cette différence cruelle. Mais, donc, ça c'est pour la
prochaine fois. Et ça ne peut se faire qu'au moment où on aura comprit ce que c'est que les signes
pour lui et ce que c'est que les signes pour nous. C'est sûrement là qu'il va y avoir une... heu...Bon
tant-pis. C'est pas grave tout ça.

Mais, je voudrais juste finir en rattachant à ce que je faisais l'année dernière sur le cinéma.
Prenons des exercices juste pour confirmer quand même la richesse de ces trois notions, et vous
voyez d'après ce que j'ai dit en quel sens il peut dire, mais Hegel, vous comprenez, il ne supporte
pas Hegel, Peirce. Mais il dit, la dialectique, ça n'a jamais été qu'une trahison, une manière de ne
rien comprendre au 1, 2,3, à la priméité, à la secondéité, à la tiercéité. En effet, la dialectique, c'est
l'opération qui substitue à la secondéité de la secondéité dégénérée, et à la tiercéité de la tiercéité
dégénérée. C'est très curieux, comme manière, il ne supporte pas Hegel. Je ne suis pas sûr, qu'il l'ait
lu d'ailleurs. Mais, ça fait rien, ça n'a pas d'importance. Il a lui même quelque chose à dire, donc ce
n'est pas grave non plus.

Mais mais mais, revenons à nos histoires de cinéma de l'année dernière. Il y a un truc que je
n'avais pas fait à ce moment là parce que je n'y pensais pas. Voila, je dis : si on prenait ces trois
catégories de Peirce comme types d'images et on essaierait de faire des exercices pratiques. Alors,
premier exercice pratique : le burlesque. Le burlesque, l'année dernière je m'étais lancé dans un truc
... j'avais essayé de dire, qu'est ce que c'était pour moi la différence entre un sujet classique, qu'est
ce que c'était pour moi la différence entre Chaplin et Buster Keaton. Mais je pense aux autres. Je
n'avais pas parlé des autres. Et je prends un exercice simple : Qu'est ce qui est « un » ? Qu'est -ce
c'est le burlesque de la priméité ? On peut y aller, on fait comme ça des petits ...Si Peirce vivait
encore, il serait, ho par oui, après ça, après tout ... Mais enfin, bon.

Petit exercice. Le burlesque de la priméité, je dirais, c'est... je sais plus son nom, alors ça... le
fameux burlesque... Landon ? Landon c'est ça. En effet c'est l'affect à l'état pur, l'affect lunaire et
puéril. Et je n'analyse pas. Mais il est fondamentalement « un », c'est la priméité. Je ne tiens pas
compte de Keaton ni de Chaplin, parce qu'ils ne rentrent pas à mon avis dans ces catégories là.
Deux- il suffise que je dise qui c'est, le burlesque du duel, c'est Laurel et Hardy. Seulement, ce qui
est très important, ce que je voudrais...j'ai pris exemple uniquement pour vous faire comprendre ça.
Laurel et Hardy, c'est le burlesque génial de l'image-action ou de la secondéité. Et en effet ils sont
dans des rapports de duel avec tout le monde. Duel avec le monde, duel avec les autres, duel l'un
avec l'autre. Et comme ce sont des burlesques, ils ont découverts le non-sens propre à la
secondéité. Le non-sens propre à la secondéité, c'est développer dans le temps les simultanéités du
duel. Le duel doit être simultané, d'accord. Laurel et Hardy en font la découverte sublime, d'un duel
distribué et distendu dans le temps ; ça veut dire que je te donne un coup de poing dans l'œil alors
que tu ne fais rien, et puis moi à mon tour j'attends et je reçois un grand coup de poing dans l'œil ou
dans le nez etc. C'est des sources comiques de Laurel et Hardy et qui n'existent que chez eux, sauf
chez ceux qui l'ont copié. Mais c'est eux qui ont inventé ça : temporaliser le duel alors que le duel
implique une simultanéité quelconque. Mais, ce qui m'importe plus, c'est un truc que Peirce a très
bien vu : c'est que lorsque il y a un, il y a « un ». Mais lorsqu'il y a deux dans la secondéité, il y a
nécessairement un des deux qui reprend à son compte le « un » de la priméité. Tous les deux, hein,
vous me suivez ? Tous les deux forment la secondéité, c'est-à-dire le duel. Mais l'un des deux va
reprendre au sein de la secondéité la priméité, c'est-à-dire que l'un des deux va être la priméité de la
secondéité- vous ressentez à quel point les schémas de Peirce sont compliqués- et l'autre va être la

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secondéité de la secondéité. Et, c'est évident que la priméité de la secondéité, c'est Laurel. Et c'est
lui le représentant des affects. C'est lui le représentant de toutes les potentialités. Hardy, c'est
l'homme d'action, qui veut agir et qui empêche Laurel d'agir, qui n'y tient pas. Lui c'est la secondéité
de la secondéité. Et va se passer l'aventure, alors là la seconde source de burlesque chez Laurel et
Hardy : c'est que l'homme d'action, qui est vraiment Hardy, ce n'est pas que ce soit un faux homme
d'action, ne cesse pas de rater. Il ne cesse pas de rater parce qu'il est tellement homme d'action que
il a laissé le domaine des qualités à Laurel qui, lui, est le représentant de la priméité. Donc, le gros
Hardy, il ne peut que se heurter à des états de choses dans leur matérialité brute. Alors, il a trouvé le
moyen les surmonter. Et au contraire Laurel qui a gardé les qualités sans les incarner dans des états
de choses, à ce moment là, c'est comme si les états de choses n'existaient pas pour lui. Si bien que
lui, il passe sans même le voir dans un ruisseau et Hardy le suit et, bizarrement, s'écroule. Il a beau
avoir mis ses pieds dans le même endroit, il y a pour lui un gros trou.

Mais, mais, ce qui m'intéresse là dedans c'est que, dans votre jeu de la secondéité il y a
nécessairement une priméité de la secondéité, et une secondéité de la secondéité. Si bien que, si
j'essaie de faire l'analyse, alors pour les Marx, qui sont la tiercéité à l'état pur- à mon avis ils l'ont
même introduit volontairement- ça donne quoi ? Je ne suis pas sûr que Groucho il n'a pas eu peur tu
vois. L'un est aussi rigolo que l'autre. Si je faisais une espèce de schéma, ça a été souvent fait la
répartition des trois... Mais là voila. Faudrait au moins qu'on ait des armes pour essayer de la faire ou
de la refaire. je n'ai pas besoin de dire que Les trois il faut les prendre ensemble. Il faut prendre le
tissu de relations indépendamment même des termes, je dirais c'est la zone de sens des frères Marx
ça. Et puis, les trois termes : Harpo, Chico, Groucho. Il n'y a pas de problèmes pour Harpo, je dirais
qu'il est la priméité de la tiercéité. C'est lui, en effet, qui est à la fois le représentant des affects
célestes, la harpe, et des pulsions infernales comme : voracité, sexualité, destruction etc. Il est l'un
dans l'autre. Mais entre les affects et les pulsions, on verra les différences, c'est vraiment le régime
de la priméité. Bon, alors je trouve que Chico, on ne parle pas assez dans ce cas. Il est très
important, c'est le seul qui soit l'homme d'action. C'est lui qui constamment protège, soit Harpo, soit
l'amoureux de service, C'est celui qui se présente toujours comme le garde de corps .Son piano est
un mode d'action, contrairement à la harpe qui elle, est vraiment un instrument des affects. Et puis
tout son comportement va être quoi ? Il va avoir un rapport privilégié avec Harpo, comme si les deux
premiers types d'images (et ça ça m'importe l'image -affection, l'image-action, Harpo-Chico) avaient
une relation directe, tandis que, pas dans tous mais dans la plupart des Marx, Groucho, il arrive
d'ailleurs. Les deux ils se connaissent déjà, et Groucho, il vient du dehors. Voila, c'est vraiment un
autre domaine Groucho. Et puis s'en suit la danse infernale des trois, ils vont s'arranger, tout ça,
mais enfin, entre Harpo et Chico, qu'est-ce qui se passe de l'un à l'autre ? Si vous consentez à ce
que je suppose, le rôle d'Harpo c'est de fournir vraiment des matières-qualités, des qualités
matérielles. Il n'agit pas Harpo, il assure la fourniture qualitative. De son immense imperméable il
sort des choses que lui, Harpo, ne considère pas comme des objets, mais comme des qualités ou
comme des puissances, des potentialités. Et il les sort, et les sort quand Chico les lui réclame, et
c'est Chico qui va en faire des moyens d'action. Si bien que entre Harpo et Chico vous allez avoir un
double rapport, qui va faire jour à chaque fois et qui va être déjà alors du point de vue de tiercéité. ..
Je veux dire Harpo c'est, pour parler barbare, c'est la priméité de la tiercéité. Chico, c'est la
secondéité de la tiercéité. N'empêche que, tous les deux sont de la tiercéité. Qu'est-ce qui va le
montrer ? Premier schéma de Chico à Harpo : Chico lance un mot avec un accent très savant, tantôt
c'est un accent italien impossible, tantôt c'est un accent yidish... comme dans un que j'ai revu
récemment, un accent très très complexe. ( inaudible) Il y a le grand moment où Chico résume tout

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dans une sorte de bredouillage, et il sort de son imperméable une lampe électrique pour chercher la
lampe électrique de l'autre. Qu'est-que c'est ça de votre point de vue ? On est en plein dans
l'interprétation. L'interprétation qui va de Chico à Harpo, c'est : Chico lance un mot et Harpo doit le
traduire dans l'objet correspondant. Le non-sens c'est quoi ? C'est que c'est toujours l'objet le moins
correspondant. C'est un non-sens au niveau du mot. Et c'est le premier type de non-sens des Marx.
Le non-sens comme lexical, c'est le non-sens au niveau du mot. Mais c'est déjà l'interprétation. Je
dirais que c'est des relations non naturelles, mais au sens des relations naturelles. C'est des
relations naturelles volontairement dégénérées. Dans l'autre sens, de Harpo à Chico, c'est
exactement le chemin inverse, qui est également célèbre. C'est le fameux langage gestuel de Harpo,
et cette fois c'est Chico qui doit interpréter. Ce n'est plus un mot auquel l'autre doit faire correspondre
un objet, mais c'est une mimique à laquelle Chico cette fois doit faire correspondre une proposition.

Deux, second type de non-sens chez les Marx, c'est le non-sens propositionnel, mais le non-sens
propositionnel c'est encore une perversion des relations naturelles. Relations naturelles contenues
dans le langage gestuel. C'est typiquement un ensemble de relations dites graduelles. Mais
Groucho, lui c'est la tiercéité de la tiercéité. Ca ne veut évidemment pas dire qu'il est meilleur que les
autres, non ça, pas de tout, enfin il est peut-être déterminant, et c'est en effet l'homme de foi. Ca se
voit que c'est l'homme du discours, de la parole, mais c'est l'homme du mental. Et de quoi il joue ?
Qu'est-ce qu'il fait ? C'est quel non-sens ? C'est l'homme des relations abstraites. Quelle que soit un
terme et un autre terme, il trouvera la relation. La relation philosophique qui s'établie. En revanche
devant toute relation naturelle, il reste comme ça. Un exemple, dans un film aussi, que j'ai revu
récemment, on lui présente une photo, qui dévoile l'assassin. Il dit : « Mais c'est les yeux de
Monsieur machin ( Deleuze ne se souvient plus du nom), c'est les yeux de Monsieur machin, c'est
son nez, c'est sa bouche mais qui est-ce que ça peut bien être ? » Il est complètement perdu dans la
relation naturelle. En revanche la relation, la relation abstraite, la relation philosophique, alors là, il en
jongle et il devient quoi ? Ce n'est plus le mot comme de Chico à Harpo, ce n'est plus la proposition
comme de Harpo à Chico, de lui à lui et de lui à tous, c'est le maitre de raisonnement, le maitre du
syllogisme. Et tout culmine, donc mépris absolu pour les relations naturelles, constamment appel au
non-sens supérieur, c'est-à-dire au non-sens pur, au non-sens logique, qui culmine dans les
syllogismes ou dans les raisonnements de Groucho. Je vous rappelle, qui ne s'en rappelle pas, c'est
chaque matin lorsqu'il prend le pouls, le pouls de Harpo, il prend pouls et il regarde sa montre et il dit
: « Ou bien cet homme est mort ou bien ma montre est arrêtée » C'est le syllogisme disjonctif. C'est
une merveille ce syllogisme disjonctif. On ne peut pas l'égaler.

Enfin pour finir, on pourrait faire - et l'année dernière j'avais essayé un peu, c'est pour faire des
liens- On prendrait également ces trois catégories, priméité, secondéité, tiercéité, et on envisagerait
les types d'acteurs. On fait une typologie des acteurs. Cette typologie d'acteurs évidemment en
fonction des metteurs en scène qui les font jouer. Je dis pas toujours, pas toujours, je dis qui c'est les
acteurs ? On verrait là beaucoup mieux, et en plus il y a les passages constants. Je le dis très vite,
car on a vu, on a vu des choses là dessus. Ce sont les acteurs de la priméité, qui s'affirment comme
tels, les acteurs de l'affect, de l'expression. Vous savez, les expressionnistes, c'est les grands
acteurs de la priméité. Entre la priméité et le secondéité, il me semble qu'il y a un drôle de truc dont
j'avais essayé de parler l'année dernière. Ce que j'essayais d'appeler le naturalisme, où ce n'est plus
l'image-affection, c'est quelque chose d'un peu plus spécial, c'est l'image- pulsion. L'image-pulsion
ce n'est pas la même chose, mais de toute manière c'est avant l'image-action, si bien qu'on peut les
regrouper. Mais c'est immense. Ce n'est pas la même chose que l'image-affection, image-pulsion.

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C'est un type d'acteur qui vous reconnaissez à... je n'arrive pas à trouver d'autre mot que celui de
violence statique, comme on parle d''electricité statique. Ils entrent dans une pièce, ils ne font rien.
Je ne vois d'équivalent qu'en littérature, dans le Journal de voleur de Genet, une très courte page
hélas trop courte, où Genet décrit la main de l'un de ces petits gars, et il la décrit immobile, au repos.
Et il explique la violence formidable qu'il y a dans cette main au repos, bien plus grande que lorsque
le type s'agite, et fait brutalité. Cette main posée sur la table qui est comme un comprimé de
violence. Vous avez des gens comme ça. Alors chez les acteurs ça fascine... et tous les grands
cinéastes naturalistes ont employé évidemment des acteurs qui étaient un peu doués pour ça. Peu
importe que soit des... souvent c'est des grands acteurs. Je pense à un des plus grands cinéastes de
la pulsion. L'année dernière j'en avais étudié deux qui étaient Stroheim et Buñuel. Bon... Mais
Stroheim en tant qu'acteur. C'est typiquement un acteur naturaliste. Ce que j'appelle l'acteur
naturaliste c'est l'homme de la violence au repos. C'est l'homme de la violence statique. Et il y en a
un qui pour moi les dépasse tous, qui me flanque une peur quand je le vois entrer là, sur un écran.
Sa seule présence, il ne fait rien, il ne dit rien, il regarde, et je m'effondre dans mon fauteuil. C'est
Stanley Baker, qui est l'acteur de Losey. Losey est aussi un des plus grands cinéastes de la pulsion
qui soit. Stanley Baker donne l'impression de brutalité, de violence, de violence absolument
déchainée au moment même où il est comme ça, il ne fait rien. C'est un type de jeu, je ne crois pas
que ce soit simplement leur nature. Les acteurs de Losey, Bogart, qui a mon avis n'était pas doué
pour ça, c'est complètement Losey qui l'a formé à ça, à ce type de violence très particulier.

Il y a beaucoup des femmes parmi les actrices américaines qui ont atteint une espèce de degré
de la crise-pulsion. C'est plus facile peut-être pour une femme que pour un homme. La femme est
plus facilement dans l'imagination, porteuse de pulsions élémentaires. Mais ce n'est pas toutes les
actrices américaines. Moi j'y mettrais Ava Gardner. C'est toutes les actrices qui sont anti-« Actors
studio », c'est les grandes actrices naturalistes, et... j'y mettrais, heu... Ava Gardner, Jennifer Jones
... et pour moi, la dernière de ce genre a été pour moi il me semble Marilyn Monroe, qui
contrairement a ce qu'on dit, il me semble, n'a pas du tout un jeu « actors-studio », un jeu
complètement complètement différent.

Si je continuais comme ça, ça serait ensuite les acteurs réalistes. Ca s'est les acteurs de la
secondéité. L'année dernière j'en ai beaucoup parlé parce que les acteurs réalistes c'est ce qui me
parais... c'est l'acteur américain typique. C'est-à-dire, c'est l'acteur de la secondéité, à savoir : action
du milieu sur lui/ réaction sur le milieu. S'imbiber de l'influence reçue et puis... « lating out », violence
dynamique. C'est une violence complètement différente de la violence naturaliste. Complètement
différente du point de vue du jeu de l'acteur, de la mise en scène aussi. Je ne suis pas très
enthousiaste de l'Actors -studio, alors quand c'est très très bien ça donne Brando, mais comme dit
Hitchcock, ils ne restent pas en place ces types là, il n'y a pas moyen, tantôt ils s'imbibent, tantôt ils
cassent tout, il n'y a pas de moyen qu'ils restent tranquilles, d'avoir un visage neutre. C'est que
j'essayais de vous dire l'année dernière, d'un coté, c'est des acteurs-végétaux, de l'une autre coté
c'est des acteurs-animaux. Ils s'imprègnent de l'atmosphère et puis ils font exploser leur réaction,
leur réaction est une explosion d'un discontinu. Alors c'est toute l'école, c'est tous les types qui sont
passés par l'Actors-studio, vous les connaissez de Brando, à Newman. Ils y sont tous passés. Et ce
n'est pas que l'Actors-studio les ai formé, c'est que à mon avis c'était, c'était la tendance naturelle de
l'acteur américain. Le cinéma américain est profondément un cinéma de la secondéité, un cinéma de
l'image-action. Bon, alors la tiercéité ce serait très compliqué... J'ouvre une parenthèse : peu importe
la qualité de l'acteur, c'est encore une fois tout le monde sait quand il est expliqué par un metteur en

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scène il change. Ce qui veut dire qu'il n' y pas des acteurs qui parlent eux mêmes ont un talent
immense talent mais hélas l'inverse est vrai aussi les acteurs sans aucun talent, sont très bons avec
un grand metteur en scène. Il est beaucoup plus violent quand il ne fait rien avec sa tête, avec sa
manière de se tenir. Il est beaucoup plus violent quand il ne fait rien que quand il se met à tirer des
coups de revolver ou courir, il aurait intérêt à ne rien faire du tout, parce là il a une espèce de
violence, une violence effarante. Vous rendez compte, être entre Stanley Baker et Delon ? Les
acteurs de la tiercéité, ça ce n'est pas rien, il faudrait avoir des idées en ce sens. D'abord ça se
complique parce qu'encore une fois on retrouverait le même thème, il y a une priméité de la tiercéité,
il y a une secondéité de la tiercéité, et puis il y a une tiercéité de la tiercéité. Alors moi je dirais par
exemple, priméité de la tiercéité, ça, c'est les acteurs de Bresson, c'est-à-dire les non-acteurs de
Bresson. Parce que Bresson c'est vraiment l'affect en un sens très spécial, c'est l'affect lyrique, c'est
pas l'affect expressionniste. C'est à dire que c'est la part de l'événement qui ne se laisse pas
effectuer par l'état de choses, c'est la part de l'événement qui déborde sa propre actualisation, c'est
ce qu'on a vu la dernière fois, c'est complètement il me semble, c'est cette dimension de l'événement
vertical. Seulement, c'est pas du tout de l'expressionnisme. Pourquoi ce n'est pas du tout de
l'expressionisme ? C'est une opération tout autre par laquelle la priméité est réfléchie, elle ne cesse
pas d'être réfléchie dans une tiercéité, d'où cette conception très curieuse de l'acteur chez Bresson
qui n'a rien à voir avec la distanciation de Brecht, pas du tout. Et cette manière dont il les fait parler,
qui est précisément la parole de l'acteur et le ton qu'a l'acteur consiste précisément à introduire tout
l'ensemble de la tiercéité et porter les affects à un niveau supérieur, c'est-à-dire encore plus loin de
leur effectuation. C'est très très très compliqué. Et puis toute une série alors, il faudrait chercher
comme ça, on en trouverait plein d'autres... Voila donc exactement d'autres types d'acteurs. Chez les
acteurs récents il y a quelque chose qui s'est passé il me semble. Il faudrait aussi se demander dans
quel cas, pour quel type d'image ai-je besoin d'un non-acteur ou d'acteurs si vous préférez
non-professionnels. Pour quel genre d'image ? Il y a évidemment des types d'images qui ne peuvent
être portées et représentées que par les gens directement concernés. Je veux dire que c'est pas
parce que c'est du cinéma direct, ce sera cinéma direct par ce que c'est ce type d'images là.

Enfin, j'en suis donc exactement à ceci. Qu'est ce que, comment est-ce que Peirce va passer de
ces trois types d'images aux signes et à quels signes ? Et, deuxième question, et nous alors
qu'est-ce que on vient là dedans ? C'est ça qu'il faudrait que je fasse la prochaine fois.

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Deleuze
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CINEMA /
image-mouvement -
Nov.1981/Juin 1982 -
cours 1 à 21 - (41
heures)

16- 27/04/82 - 1
Marielle Burkhalter

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transcription : CHRETIEN - MAFFRE Catherine UFR 1 - ARTS PLASTIQUES Relecture : Emmanuel
Péhau

...meilleures nouvelles de la santé de François Châtelet que on débranche maintenant de son


appareil - un petit peu - de son appareil à respirer, donc les nouvelles sont meilleures... Nous
poursuivons dans notre but qui est d'en finir... d'en finir avec l'image-action.

Et alors, vous vous rapp'lez, vous vous rapp'lez certainement où nous en sommes. Nous avons nos
deux formes d'image-action, l'une qui répondait à la formule SAS' : situation - action - situation
modifiée ou rétablie ou empirée, etc... Si je la résume encore, c'est : de la situation au duel. Je ne
m'explique plus sur ces termes puisqu'on est resté longtemps sur tous ces termes. L'autre forme
d'image-action est du type ASA' : action -situation - action. Cette fois-ci, c'est : de l'indice à la
situation. Cette seconde forme de l'image-action implique que... ne s'ra connu de la situation que c'
qu'en laisse deviner l'action. D'où, c'est bien, ça répond bien à la formule ASA ou ASA'.

Et j' disais, ben, la première, app'lons-là « grande forme » ou bien app'lons-là « spiralique » - j'ai
essayé d' commenter pourquoi il s'agissait bien d'une spirale - ou bien app'lons-là « éthique ». Là je
fais juste une précision : « éthique », pourquoi ? Je l'ai dit la dernière fois : parc' que, en prenant le
mot ethos en son sens étymologique, l'ethos, c'est à fois le séjour ou le lieu du séjour et la manière
d'être, le comportement, l'habitus. Donc la formule SAS est bien une formule qu'on peut appeler «
éthique » au double sens de ethos : situation dans laquelle on séjourne, action, habitus. Mais j'insiste
déjà sur ceci, c'est que : puisque j'emploie là le mot « éthique », i' faut qu' j'en ai vraiment besoin,
alors qu'un autre mot paraîtrait plus commode. Cet autre mot qui paraîtrait plus commode et qui est
souvent employé à propos de cinéma, c'est « épique ». Et par exemple, on nous dit souvent que
l'évolution du western a été de l'épique au tragique, au romanesque. Bon... Si donc, je préfère un
autre mot que « épique », c'est p't-être que pour des raisons que nous n'avons pas vues encore, «
épique » n'est pas pour nous un concept suffisant ou satisfaisant. Donc je dirais pour le moment qu'
la formule SAS désigne la grande forme de l'image-action ou la forme spiralique ou la forme éthique.
Et on a vu en effet que cette forme, finalement, culminait avec c' qu'on peut appeler l'ethos américain
: le film américain par excellence.

La formule ASA' : je peux dire, donc, que elle, elle est la petite forme... qu'elle est elliptique... Et là, je
commente tout d' suite, je vous rappelle aux deux sens du mot « ellipse » : « figure géométrique à
deux foyers » - donc ça s' distingue bien ou ça s'oppose bien à « spiralique » de la grande forme - «
figure géométrique à deux foyers », mais aussi « figure de rhétorique qui indique un manque obj... »
- « un manque dans le récit. » Et voyez pourquoi un manque dans le récit : les deux foyers dans ma

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formule c'est AA' - ASA' - les deux foyers c'est AA' et le manque objectif - donc, j'ai déjà là une forme
elliptique au sens géométrique, mais c'est une forme elliptique aussi au sens rhétorique, cette fois-ci
par référence à « S » compris entre les deux « A », puisque, par nature la situation ne s'ra dévoilée
que dans la m'sure où l'action est que - pour ce que l'action en montre... (coupure) ...

elliptique, elle s'ra quoi ? i' m' faut un concept... Et je m' dis tout d' suite : c'est pas par hasard que,
dans la distribution des genres que j'ai fait, lorsque j' disais : le film historique - bon, en allant très vite
- le grand film historique, c'est bien - la forme spiralique, la grande forme... Mais, c' que les
Allemands appellent le film à costumes - le film à costumes à la Lubitsch, dans ses films dits
historiques - le film à costumes, ça, c'est la p'tite forme. C'est du type ASA'. Et j'avais essayé d'
faire... Le film, par exemple, le film, heu, noir. C'est la... C'est la forme SAS. Mais le film policier, c'est
nécessairement la forme ASA'. Pourquoi ? Puisque, dans l' film policier, par définition, on va d'
l'indice à la situation, et qu'on n' connaît d' la situation que c' que nous en donne l'indice ou les
indices.

Bon, mais j'avais une impression qu' c'était - que, dans ma distribution des genres, finalement, la
p'tite forme renvoyait toujours à quelque chose que l'on peut nommer - du point de vue d'une théorie
des genres en général - de la comédie. De la comédie, c't'à-dire pas forcément du comique, bien que
naisse tout d' suite pour nous la question : est-ce que le comique est pas fondamentalement d' la
petite forme ASA' ? Notamment, sous sa forme cinématographique la plus radicale, à savoir le
burlesque. On aura à se d'mander ça très vite, parce que aujourd'hui, faut aller vite... euh...
Peut-être, peut-être... Mais je dis : il m' faut un concept qui dépasse le comique, là, pour indiquer la
comédie qui peut être une comédie dramatique, une comédie à costumes, une comédie historique.
C'est pour ça que, quitte à former un concept - mais i' m' plaît pas beaucoup, ça, j'aurais préféré un
mot meilleur - on emploiera la notion de « comédique ». Et l'on dira que, la p'tite forme - pour pas
confondre avec comique qui n'est qu'un cas du comédique - et l'on dira que, la petite forme, elle
(ASA), elle est elliptique au double sens de l'ellipse, elle est comédique.

Bon, ça nous sert pas beaucoup tout ça. Et pourtant, maintenant, la tâche que nous avons, c'est...
C'est d' la terminologie. Bon, la terminologie, moi j'aime bien, mais... Il s'agit d' donner, euh, un
caractère concret à la différence entre ces deux formes de l'image-action - grande forme et p'tite
forme - tel que on vient d' les nommer avec plusieurs mots. Or, pour essayer de faire comprendre...
Là, on est dans la même situation. Je m' dis : comment essayer d' faire comprendre ? Eh bien, plus
on oublie d' temps en temps de quoi on parle, mieux c'est. La lumière, elle vient par définition - la
lumière sur un sujet, elle vient toujours d'ailleurs. Alors... euh... Parfois on l' sent même pas, quand
on croit... Mais elle vient toujours d'ailleurs.... Alors je m' dis : cherchons...

Quels s'raient les ordres de données qui nous permettraient d'avancer dans une analyse des deux
formes comparées ? Voyez jusqu'à maint'nant, j'ai... C' que j'ai fait toutes les précédentes fois, c'est :
une analyse de la grande forme. Et puis j'ai commencé la dernière fois une analyse de la p'tite forme.
Mais c' qui m' faut aujourd'hui, c'est, vraiment, mener une espèce d'analyse comparée des deux
formes pour faire surgir vraiment leurs différences, à un niveau plus profond qu' celui de la simple
terminologie. Et je m' dis : bon, ben, je voudrais, moi, utiliser trois sortes de données... et là en
philosophie, moi j' crois que c'est comme dans les sciences, i' y'a des choses qui sont faites, eh ben,
quand quelque chose est fait et bien fait, il faut s'en servir. J' voudrais analyser trois sortes de
données : une donnée - alors on oublie le cinéma, bon, pour cinq minutes - une donnée

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épistémologique, une donnée esthétique et une donnée mathématique.

Alors... euh... Vous vous laissez mener comme avec confiance, j' veux dire : comme ça... Vous vous
d'mandez même pas en quoi ça s'applique, et puis p't-être que ça surgit immédiatement en quoi ça
s'applique à notre recherche sur les formes d'image-action au cinéma.

Je dis : premier type de recherche : épistémologique. Je me réclame d'un article de Canguilhem,


dans un recueil d'articles intitulé « Connaissance de la vie », et l'article porte sur la notion de « milieu
». Notion qu' nous avons déjà rencontrée pour not' compte au niveau de l'image-action, si vous vous
rapp'lez. Or, Canguilhem fait une analyse historique du concept de « milieu » dans les sciences. Et il
nous dit en gros ceci : « milieu », ben, a eu deux sens, deux sens en apparence très très différents.
La question : est-ce qu'on peut passer d' l'un à l'autre ? Premier sens du mot « milieu », lorsque le
mot apparaît. Lorsque l' mot apparaît, dans un emploi qui ensuite deviendra très familier. En fait c'est
tardif. Quand on parle d'un milieu ou du milieu, ça apparaît avec qui ? ça apparaît avec les
encyclopédistes. L'encyclopédie, au XVIII° siècle, consacre un article à « milieu » et marque bien qu'
c'est une notion nouvelle à l'époque. Et c'est une notion de pure mécanique. Et elle dérive de qui ?
(Bien que ce quelqu'un n'employait pas l' mot « milieu ».) Elle dérive - et ceux qui introduisent le mot
« milieu » en ce premier sens vont se réclamer de lui directement - elle dérive de Newton. Et elle
signifie quoi ? Elle signifie c' que Newton appelait, lui, et nommait : un fluide. Un fluide... Mais
qu'est-ce que c'est qu'un fluide pour Newton ? C'est le véhicule d'une action à distance. C'est l'
véhicule d'une action à distance... Par exemple : l'attraction entre deux corps - vous r'connaissez un
thème célèbre chez Newton - l'attraction entre deux corps. Eh bien, le milieu, ce s'ra l'intermédiaire.
Voyez pourquoi il est dit « milieu » : il est bien au milieu. Il est intermédiaire entre deux corps, entre
deux foyers. Et c'est le chemin de l'action d'un corps sur l'autre ou de l'interaction des deux corps. Là
où il n'y a pas action à distance, y'a pas d' milieu. Dès lors, est-ce que c'est tellement étonnant qu'il
faille attendre le 18° siècle et Newton ? Non, c'est pas étonnant, on comprend tout. Pour que la
notion ou pour que un début de notion d' milieu se forme... Prenez Descartes : si vous considérez le
cartésianisme, il n'y a d'action que de contact. Dans une physique où l'action est d' contact, il n'y a
pas d' place pour le concept de milieu. Le concept de milieu émerge à partir du moment où deux
corps exercent l'un par rapport à l'autre une action à distance, de telle manière que le milieu
désignera le véhicule de l'action à distance. Par exemple, la terre : ce s'ra un fluide, un fluide dans
l'quel les deux corps sont plongés et sans l'quel ils ne pourraient pas exercer l'un sur l'autre une
action à distance.

Comprenez, c' que j' dis là, c'est, c'est... Sentez, ça va nous importer beaucoup... Là j'ai pas à forcer
les textes pour dire que, vous vous trouvez déjà en plein dans une forme « elliptique ». Le milieu est
précisément la ligne qui unit les deux foyers. Et c'est en c' sens que tout le 18° siècle prendra le mot
« milieu ». Bien plus, l'action d' contact, par une révolution très importante du point de vue
mécanique, l'action d' contact - comprenez - va être saisie comme un cas particulier d' l' action à
distance. En effet, deux corps en contact s'ront considérés comme deux corps tels que entre eux
deux, il y a une distance infiniment petite. C'est-à-dire l'action d' contact s'ra elle-même... Une fois
que Newton pose la théorie des actions à distance, l'action d' contact peut être traitée comme un cas
particulier de l'action à distance. Sous quelle forme ? Sous la forme d'une différentielle ou d'un
rapport différentiel, rapport différentiel des deux corps en contact. En d'autres termes, entre deux
corps en contact, il y a une distance, donc il y a un milieu, simplement c'est une distance infiniment
p'tite. Bon...

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A la fin du 18° siècle, apparaît un concept très nouveau : il est d'abord désigné par le biologiste - ou
plutôt : par le naturaliste - Lamarck. Il est désigné sous les termes suivants : « les circonstances
ambiantes » ou les « circonstances influentes ». Et cette fois la notion désigne... Cette notion va très
vite être appelée - par quelqu'un de précis, à savoir Auguste Comte, au 19° siècle - va être nommée
le « milieu ». Et là ce n'est plus... Ce n'est plus une notion mécanique - très important d' faire
l'histoire d'une notion de c' point d' vue - ce n'est plus du tout une notion mécanique, c'est une notion
bio-anthropologique. A savoir : l'ensemble des circonstances ambiantes qui s'exercent sur un vivant
considéré comme centre. Voyez, ce n'est plus le milieu qui est au milieu - en un sens le mot a perdu
toute raison d'être - c'est plus le milieu qui est au milieu, au contraire, c'est le vivant qui est dans un
milieu. Le milieu désigne l'ensemble des circonstances ambiantes qui s'exercent sur un vivant. C'est
complètement différent du sens newtonien qui était : « véhicule d'action à distance entre deux corps
». Là c'est une image... D'une part, c'est une image... Au plus simple, c'est une image sphérique :
l'ensemble des circonstance ambiantes. Une fois dit que : le milieu exerce son action sur le vivant -
et Auguste Comte va développer dans son cours de philosophie positive toute cette conception, à
l'époque très très nouvelle, des rapports du vivant et du milieu - mais il est bien entendu aussi que le
vivant réagit au milieu, c'est-à-dire que... On se trouve pleinement... Cette sphère, en fait, la sphère
du milieu, si vous t'nez compte du mouvement centri' - euh - centripète (action sur le vivant au
centre) et du mouvement centrifuge (réaction du vivant sur le milieu, qui se décuple avec l'homme,
puisque l'homme, à mesure que il reçoit l'influence du milieu, construit un milieu artificiel), c'est en
plein l'émergence de la forme SAS'. - Vous m' suivez ? - Alors que la première forme, je dirais, en
fait, c'est une forme absolument spiralique. Y'a une spirale du milieu - dans la m'sure où à la fois il
agit sur le vivant et le vivant réagit sur lui. Je dirais donc que le milieu au sens anthropo-biologique
ou plutôt bio-anthropologique dessine exactement ce qu'on appelait « la grande forme » de
l'image-action, tandis que le milieu mécanique au sens newtonien, naturellement elliptique,
empruntant la forme d'une ellipse, valant pour les corps distants, non moins qu' pour les corps en
contact - ça, j'insiste là-dessus, parc' que j'en aurai beaucoup besoin tout à l'heure - eh bien, c'est la
forme ASA', où A et A' désignent les deux corps distants cette fois-ci et S, le milieu, le véhicule de
l'action d'un corps à l'autre. - Vous comprenez ? Pas d' problème, là ? ça je dis : bon, on l' met d'
côté, c'est un premier acquis pour notre analyse...

Deuxième acquis : à première vue, ça n'a strictement rien à voir. Et en effet, il faut maintenir -
surtout, faut pas faire de mélange. Mais j' dis : deuxième acquis, complètement différent : un acquis,
cette fois-ci, esthétique. Et après tout, et après tout, il est bien connu de ceux qui ont lu un peu de
Eisenstein que Eisenstein aimait beaucoup faire des comparaisons entre le cinéma et la peinture
chinoise. Il consacre des pages très intéressantes... Pourquoi est-ce qu'il aimait tellement ça ? Parce
que la peinture chinoise se présentait sous forme de « peinture-rouleau » et que dans la «
peinture-rouleau », où le rouleau se déplie, il voyait la première forme du déroulement cinéma' - une
espèce de déroulement pré-cinématographique. Mais, pour mon compte, c'est d'un tout autre point d'
vue que je voudrais faire un rapprochement aussi avec la peinture chinoise. Car - et à c't'égard,
beaucoup de spécialistes de la peinture chinoise, euh, ont écrit de très belles choses. Et là
j'emprunte certaines pages à Maldiney. Et Maldiney invoque un traité d' peinture du 6° siècle, de Sie
Ho. Je sais pas comment ça se dit... euh... « S », « I », « E », plus loin « H », « O ». Et ce traité - qui
d'viendra classique - ce traité d' la peinture chinoise au 6e siècle lance deux principes - deux
principes de la peinture...

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Et le premier, c'est : le peintre doit refléter, doit exprimer le souffle vital. Et qu'est-ce que c'est, le
souffle vital ? Le souffle vital, c'est c' qui unit toutes choses, c'est c' que les grecs appelleront la
sympathie universelle. C'est c' qui unit toutes choses du dedans. C'est la respiration. C'est une
espèce de respiration universelle - avec diastole et systole, avec contraction et expansion - qui se
resserre sur toutes choses et élargit toutes choses - et dans lesquelles toutes choses baignent. Et
c'est dans cet élément du souffle vital, de la grande respiration diastole - systole que toutes les
choses et tous les êtres apparaissent. Le souffle vital est comme le fond duquel toutes les choses
surgissent en tant qu'elles se manifestent, en tant qu'elles apparaissent. Et si le peintre ne sait pas
faire passer là, dans sont tableau, quelque chose du souffle vital, ce n'est pas un bon peintre. Bien...
Mais le deuxième principe... C'est donc - je dirais : c'est un espèce d'espace « diffusion ». C'est un
espace qui diffuse à travers les choses et les êtres. J' dirais aussi bien que toute chose et tout être
sont dans ce souffle vital. Ils sont au milieu de ce souffle vital. J'ai pas besoin d'en dire plus, je dirais
: c'est la forme, c'est la grande forme. C'est la grande forme SAS : souffle en contraction - tous les
vivants contractés - souffle en expansion. I' faut qu' ça respire... Respiration cosmique... Formidable.
Bon...

Mais ça suffit pas. Et le deuxième principe du traité d' peinture c'est : le peintre ne doit pas
seulement recueillir et exprimer le souffle vital dans son mouvement spiralique, il doit rechercher
l'ossature. Il doit rechercher l'ossature... Et l'ossature, qu'est-ce que c'est, cette fois ? C'est
l'articulation. C'est la - ou plutôt c'est une - une ligne d'univers, une fibre d'univers... Une fibre
d'univers qui relie deux êtres séparés - ou plusieurs êtres séparés : un poisson et le bord - et tel en' -
et une pierre. Entre un poisson et une pierre au fond d' l'eau, y'a une ligne d'univers qui passe... si
vous n'avez pas l'ossature, si vous n' savez pas tracer les lignes d'univers, les fibres d'univers, vous
n' savez pas peindre. Qu'est-ce que ça veut dire ? La ligne juste. La ligne juste qui relie ou qui va -
relier, c'est déjà trop, relier, ça appartient p't-être au souffle vital, mais enfin, employons
provisoirement le mot - qui va du poisson à la pierre. Bon. Le brochet, par exemple, pour attaquer se
cache dans les herbes : y'a une ligne d'univers brochet - herbe. Trouvez la ligne juste - une fois dit
qu' la ligne juste, c'est pas la ligne droite. Et pourtant, c'est la ligne la plus pure. La ligne droite, c'est
pas la ligne pure, c'est une ligne abstraite. La ligne d'univers, elle est jamais droite, mais elle est
toujours pure. Donc, cette fois-ci, l'ossature, c'est pas du tout un squelette. C'est non moins vivant
que l' souffle vital, c'est : la ligne d'univers qui réunit les êtres séparés. Si bien que c' qui tombe de c'
point de vue là, du point de vue d' l'ossature, du point de vue du second principe de la peinture, ce
n'est plus la réunion en un tout - c'est quoi ? C'est presque le contraire. C'est la séparation en
événements - tous - dont chacun est autonome et décisif. La ligne d'univers, c'est ce qui va d'un
événement autonome et décisif à un autre événement autonome et décisif. Et la peinture doit tracer
les lignes d'univers, c'est-à-dire : doit aller d'« événement décisif autonome » à « autre événements
décisifs autonomes ». Saisir le poisson comme événement décisif autonome, la pierre dans l' fond de
l'eau comme événement décisif autonome, l'herbe près du rivage comme événement décisif
autonome. Et tracer la ligne d'univers...

Et je disais tout à l'heure, dans l' souffle vital, qui réunit toutes choses en un, eh bien, dans le souffle
vital, qu'est-ce qui s' passait ? C'était le mode d'apparaître des choses. Mais lorsque le peintre
chinois trace les lignes de - les lignes d'univers et non plus le grand souffle vital, ce qui compte - et
ça s' contredit pas, c'est deux principes qui s'enchaînent - ce qui compte, c'est beaucoup moins alors
le mode d'apparaître des choses que quelque chose d'également important, de non moins important,
mais qui n' peut apparaître que du second point d' vue, à savoir : le mode de disparaître. Et les

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choses ne se montrent que dans leur « disparaître ». Exactement comme la colline ne s' montre que
lorsque l' soir tombe, ou lorsque la brume - la brume lui tombe dessus, ou que l' brochet ne s' montre
que lorsque il se flanque dans les herbes - auxquelles il communique juste une espèce d'agitation -
agitation de l'herbe qui n'est rien d'autre que la ligne d'univers qui unit l'herbe au brochet et le
brochet à l'herbe. C'est donc dans leur disparaître que les choses vont s' montrer, de ce second
point de vue. Ce n'est plus un espace « diffusion », comme l'espace du souffle vital, c'est un espace
- ou » respiration » - c'est un espace « vecteur ». L'ossature, c'est l' vecteur. C'est la ligne d'univers...

Voilà. Là, j'ai même pas à commenter pour dire : j'appelle SAS (grande forme) le premier principe du
souffle vital, de la respiration, de la respiration cosmique, et j'appelle ASA' (petite forme) la recherche
de l'ossature ou d' la ligne d'univers. A et A' cette fois-ci désignent quoi ? Ils désignent les choses ou
les êtres conçus comme événements dont chacun est autonome et décisif. A et A' : chacun est un
événement autonome décisif, S ne vaut que par rapport à eux et ne s' manifeste que par rapport à
eux, puisque la ligne d'univers est toujours relative à des êtres ou des événements. Elle est la ligne
qui va de l'un à l'autre, la ligne la plus pure qui va de l'un à l'autre et telle que la main doit la tracer
sans trembler, même si i' faut que à un moment elle soit trouée. Ce s'ra une forme parfaitement
elliptique, aux deux sens de « ellipse »...

Ah... Oui... Bon, alors, ça va très bien, ça aussi. Je veux dire : c'est un deuxième acquis.

Troisième acquis : en mathématiques. Là, c' que je vais dire ne suppose aucune connaissance
mathématique - que je n'ai d'ailleurs pas. Ceux qu' ça intéresserait - parce que c'est très intéressant -
peuvent se reporter à un - un rare - un des rares grands livres de philosophie des mathématiques
parus en France, à savoir : Albert Lautman, sur la notion d'existence en mathématiques, Structure et
genèse, qui a paru chez Hermann à l'origine, mais qui, euh, mais qui a été réédité, euh, en 10/18.
Lautman... Est-ce qu'il y a un « n » ou deux « n » ? Un « n », je crois. Albert Lautman :
L.A.U.T.M.A.N., oui, je crois. Et, il y a dans ce livre un chapitre que j' trouve d'une très grande
beauté, qui s'appelle « le local et le global ». Et il s'agit d' montrer que dans toutes sortes de
chapitres des mathématiques modernes, deux approches tantôt s'opposent, tantôt se combinent - y'a
pas d'opposition absolue - tantôt s'opposent, tantôt se combinent... Une approche, euh, locale et une
approche globale. Et qu' ça vaut par exemple pour la théorie des fonctions analytiques. Mais qu' ça
vaut aussi pour toutes sortes d'aspects d' la géométrie, de l'espace géométrique. Et que, ces deux
approches - locale et globale - dominent - et c'est pas seulement les mathématiques modernes -
mais sont un aspect très important dans les différentes méthodes pour lesquelles les mathématiques
modernes - mais, euh, ça s'rait pas difficile de trouver l'équivalent dans les mathématiques
anciennes... euh... Bon...

Qu'est-ce que c'est qu' ces deux approches ? Eh bien, dans l' global - là je retiens vraiment des
notions, euh, pas du tout mathématiques, aussi c'est pour ça que j' vous renvoie au texte même de
Lautman, pour ceux qu' ça intéresse. Ben, le global, la méthode globale consiste, si vous voulez, à
caractériser une fonction pour l'ensemble d'un domaine. Une fonction s'rait caractérisée pour
l'ensemble d'un domaine. Qu'est-ce que ça veut dire ? ça veut dire que la méthode globale cherche
avant tout à définir une totalité. Une totalité, indépendamment des éléments qui la composent. Elle
s'attaque vraiment à une structure de l'ensemble. Et comment elle fait ? Surtout au niveau d'une
fonction analytique qui comporte des singularités, qui comporte des points singuliers... Eh bien, c'est

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une méthode qui va arriver à assigner une place et une fonction à tel et tel élément. Bon. Mais à
quelle(s) condition(s) ? Avant même de connaître la nature de ces éléments, c'est en fonction de la
structure de l'ensemble qu'on pourra assigner une place et une fonction univoques - donc, j'insiste
sur univoque - qu'on pourra assigner une place et une fonction univoques à des éléments dont on n'
connaît pas encore la nature. Si bien qu' la fonction s'ra - comme on dit - appropriée au domaine tout
entier. Au contraire, comment procède la méthode dite « locale » ? La méthode locale porte, non
plus sur la structure de l'ensemble - qu'elle ne peut pas se donner -, elle porte sur un élément d' la
réalité mathématique, un élément d' l'ensemble même infinitésimal - là on rencontre encore la notion
d'infinitésimal dont j' vais avoir besoin tout à l'heure, donc j'insiste... Le local porte sur l'élément
même infinitésimal de la réalité mathématique, puis chemine de proche en proche. Elle chemine de
proche en proche jusqu'à un autre élément. Vous m' direz, c'est pas difficile tout ça : ça revient à dire
que la méthode globale [sic] va de partie à partie, tandis que la méthode globale va du tout à telle
partie. Eh ben non, évidemment non... évidemment non. J'insiste là-dessus : il n'y a pas moins d'
totalité dans le local que dans l' global, c'est simplement qu' la totalité n'y est pas du tout conçue d' la
même façon. Je veux dire : on chemine de proche en proche pour atteindre, à partir de l'élément
infinitésimal, un autre élément. Bien. Mais entre les deux éléments, il va y avoir un système de
r'lations, à la lettre, polyvoques, polyvalentes. Et c'est ce système de r'lations polyvalentes,
polyvoques, entre deux éléments qui vont permettre de déterminer la totalité correspondante.

Et comment on fait ? Ben... Ce... y'a pas besoin d'entrer non plus dans des détails mathématiques...
Par exemple, une fonction s'ra définie au voisinage d'un point. Une fonction s'ra définie au voisinage
d'un point... Ce point vous le prenez comme centre d'un cercle et, à l'intérieur de ce cercle, vous
prenez un nouveau point correspondant à la fonction - à l'intérieur, sinon ça marcherait pas, la
méthode locale - et ce point que vous avez pris à l'intérieur du cercle, qui est un cercle de
convergence - vous prenez un point à l'intérieur du cercle, que vous traitez à son tour comme centre
d'un nouveau cercle. Vous obtenez ainsi des suites de séries convergentes... Qui reviennent à dire
quoi ? Que vous avez fait une succession d'opérations locales et vous avez construit votre espace
dans le courant de cette succession d'opérations locales, de proche en proche. Bon. Et c'est chaque
fois : les relations polyvoques entre deux éléments... Voyez comment ils sont définis, les éléments,
là, maintenant : ils sont définis chacun comme centre d'un cercle, mais, le deuxième élément étant
pris à l'intérieur du premier cercle, vous gagnez vraiment et vous étendez de proche en proche votre
espace. Ce s'ra typiquement un espace amorphe, un espace de raccordement... Un espace de
raccordement, mais pas du tout un espace sans totalité. La totalité, elle vous s'ra donnée - dans l'
système des r'lations entre éléments. Ce s'ra une tout autre conception d' la totalité. Et là, à m'sure
que vous prenez vos cercles et, chaque fois, un point à l'intérieur du cercle précédent, qui va devenir
centre d'un nouveau cercle, en fait, vous écrasez vos cercles, vous aboutissez à une forme
proprement elliptique. Cette méthode - notamment d' la construction d' l'espace de proche en proche
-, c'est une méthode célèbre chez un grand mathématicien qui s'appelle Riemann... Et un espace
riemannien, en c' sens, se présente précisément comme un espace de raccordement, c'est-à-dire un
espace de juxtaposition de morceaux amorphes, dont - j'ai pas besoin de forcer là pour dire : dont
chacun - dont chacun est traité comme un événement autonome décisif. Je dirais qu' la méthode
globale, c'est le SAS en mathématiques, et la méthode locale, c'est le ASA. Bien...

Donc, maint'nant, je peux tout réunir - peu nous importe -, esthétique, mathématiques, etc. Puisque
on n'en est plus là, on peut pleinement revenir au cinéma, c'est-à-dire : il s'agit bien d' deux formes.
Je dis juste : il s'agit bien d' deux formes de l'image-action, que cette action consiste à construire un

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espace mathématique, à faire un tableau - à faire un tableau chinois - ou à faire du cinéma, ça nous
fait plus rien du tout. On tient bien nos deux formes. C'est quand même... euh... Ces exemples, ils
m'ont au moins servi à ceci : justifier tous ces termes (« spiralique », « elliptique ») et i' m' semble
que on a une idée plus concrète de l'affrontement des deux types d'image-action. Avec, du coup,
toutes sortes de pressentiments - là je vais aller très vite, alors je vais très très vite... C'est... euh...
c'est... C'esttout simple... Tout simple... Je dirais, comme ça... Du point de vue, euh... Bon, si on
imaginait des espèces d'exercices pratiques, avec commentaires de films, hein ? Bon...

J' peux dire, euh... Premier cas : les auteurs qui ont bien aimé passer d'une forme à l'autre... Hein...
Comme si c'était un rythme chez eux : un film grande forme - un film petite forme. Y'a beaucoup d'
grands auteurs dont on n' peut même pas dire : ils préfèrent l'une... euh... Toute leur œuvre est
comme scandée par des films « grande forme » et puis des films « petite forme ». Et vous voyez, par
parenthèse, que c' que j'appelle « petite forme », en effet, ça peut comporter l' grand écran. Ça va
trop d' soi. Bon... En principe, c'est moins cher que la « grande forme », j' l'ai dit souvent, mais ça
peut être aussi cher, si vous y tenez, c'est pas... Bon... J' dis : ces auteurs... Moi, je pense à deux
cas : Hawks, il aime bien, c'est... comme si ça les r'posait... Il nous fait un film « grande forme », puis
un film « petite forme ». Bon, pour prendre un domaine voisin dans l'œuvre de Hawks... euh...
Scarface : typiquement un film « grande forme », du type SAS. Et c'est un film de « milieu », au sens
de film noir. Mais L' grand sommeil : typiquement, euh, film « petite forme », avec des ellipses, alors,
avec - avec un rôle de l'ellipse... C'est un film, euh, exemplaire du point de vue des ellipses...

Lang s'ra encore plus intéressant dans ses alternances. Quand je... quand j'essayais d'introduire la
notion, là, de « grande forme », j'avais pris l'exemple qui avait été traité par, euh, Noël Burch, déjà...
Burch, j' sais plus... euh... M le maudit. Et j'avais essayé d' montrer en quoi c'était typiquement un
film « grande forme », de type SAS, avec la situation, le montage parallèle, ou l' montage alterné des
actions, le resserrement sur une double pince, qui va définir le duel de M avec la police et le duel de
M avec les mendiants, et S', avec la question : est-ce que la situation est modifiée après l'arrestation
de M ? est-ce qu'elle est pas modifiée ? En quel sens c'est S' ? en quel sens c'est pas un S' ? etc.
C'était typiquement un film « grande forme »... Mais quand vous pensez à un film extraordinaire
comme... Qu'est-ce que c'est ? C'est en même temps... Formellement... On conçoit que, parfois, ils
inventent des scénarios les auteurs, rien que pour - pas « rien que », mais où les problèmes formels
sont fondamentaux. Y'a un film, euh - je l' dis très vite, pour ceux qui en ont l' souvenir :
L'invraisemblable vérité, qui est comme un condensé, fait avec une espèce d'art éblouissant - un
condensé, une espèce d'exercice follement brillant de la « petite forme » : ASA'. Et en effet, c'est
quoi ? C'est - pour ceux qui se rappellent - c'est quelqu'un qui fabrique de faux indices... ça va tout
entier de : indices... Vous allez voir en quoi c'est vraiment typique des ASA'... Quelqu'un de
particulièrement compliqué fabrique de faux indices qui vont l'accuser d'un crime. En apparence,
c'est pour mettre en question les erreurs judiciaires. - Vous m' suivez ? - Mais, en réalité, c'est lui le
vrai criminel, et toute sa fabrication de faux indices est pour cacher les vrais indices qu'il a laissé.
Vous avez exactement la structure : A : faux indices - S : situation (à savoir : ce que les indices ont
suggéré d' la situation) - A' : les vrais indices qui vont être découverts et qui vont donner une
nouvelle situation. Ça, la structure de L'invraisemblable vérité est une espèce de chef d'œuvre à
c't'égard, c'est vraiment l'exemple, l'exemple même de la petite forme elliptique.

Deuxième type d'exercice pratique : est-ce qu'il y aurait des auteurs à vocation - à vocation
prédominante ? Des auteurs, vraiment, qui n' sont à l'aise que dans la grande forme et des auteurs

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qui n' sont à l'aise que dans la petite forme ? Une fois dit que - comme toujours - que la petite forme
est non moins grande que la grande... Je proposerais, là, deux couples en vous laissant le soin... Un
couple soviétique et un couple japonais. Couple japonais, j'ai pas besoin d' dire, c'est Kurosawa /
Mizoguchi. Ça m'paraît évident que... Mais là, je vais pas développer, en plus, parce qu'on a trop à
faire... euh... L'espace Kurosawa est un espace de souffle, c'est l'espace-respiration. Et Kurosawa,
c'est fondamentalement la grande forme. Même dans des films d'indices... Il a fait un grand film
d'indices, dont je ne sais plus jamais l' nom... j'arrive pas à m' le rappeler, là... le guide, le très beau
film sur le guide... euh... j' sais plus... enfin peu importe. [NdE : Il s'agit de Dersu Uzala, l'aigle de la
taïga.] Mais enfin, c'est la grande forme, c'est... C'est le souffle vital, c'est la respiration. Et même, y a
une espèce de signature Kurosawa, une signature, euh, calligraphique, qui dessine - précisément -
l'équivalent d'une spirale chinoise, quoi... euh... d'une spirale... non, euh... d'une spirale japonaise...
euh... C'est le mouvement qu' vous retrouvez tout le temps chez Kurosawa, à savoir : quelque chose
descend de haut en bas ; un trait de gauche à droite - quelque chose se passe de gauche à droite et
quelque chose se repasse par là même de droite à gauche, si bien que ça fait comme un caractère,
là, qui précisément organise un espace global... Très curieux cette descente de choses, ça
commence par...

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Deleuze
-- Menu - CINEMA : une classification des signes et du temps Nov.1982/Juin.1983 - cours 22 à 44 - (56 heures) --

CINEMA : une
classification des
signes et du temps
Nov.1982/Juin.1983 -
cours 22 à 44 - (56
heures)

- 21/12/82 - 3
Marielle Burkhalter

- 21/12/82 - 3 Page 1/10


cours 27 du 27/12/82 - 3 transcription : Franck Baron

Du coup il a obtenu beaucoup plus de signes. Ca finissait fantastique, manifestement son rêve c'était
de faire une classification à quatre mille, cinq mille euh ...signes ...Euh ... Alors bon, c'est ce que l'on
appelle l'œuvre d'une vie. Mais en même temps il faisait de la logique formelle, il mettait tout ça, il
formalisait tout ça, c'est une œuvre très extraordinaire, bon ... Rideau, parce que nous voilà alors
devant le problème et là ... Euh nous, je veux dire c'est pas que euh ... On peut pas rivaliser avec un
philosophe comme ça, il ne s'agit pas, il s'agit pas du tout de ça. Mais nous ... et c'est pas des
objections ... euh ...

Quand j'essaye de vous le dire tout le temps ... Quand vous lisez quelqu'chose, n'importe quoi ... par
exemple ... Il y a des choses qui vous servent et puis ... vous dîtes ça c'est pour moi et puis y des
choses qui ne sont pas pour moi, bon. Quand vous écoutez, quand vous écoutez un cours, y des
trucs pour vous et des trucs pas pour vous. Euh ... ça fait partie des mystères ça. Pourquoi qu'c'est
pour nous, pourquoi qu'c'est pas nous ...Euh ... personne ne le saura ...Bon, euh ...si, peut-être ...
mais il faudrait bien chercher ... c'est, c'est vraiment là le problème de l'affinité des concepts.

Eh ben euh ... donc moi je ne me permet aucune objection ...quoi c'est apprendre à se taire pour
aller plus vite ... Je me dis juste qu'est-ce qui, qu'est-ce qui me va, qu'est qui me va pas là dedans.
Je l'ai déjà dit la dernière fois, c'est qu'euh ... je précise juste déjà qu'est-ce qui peut m'arriver,
qu'est-ce qui me va pas... Je remarque, et je me dis : et mon Image-perception, et mon
Image-perception, y a pas de place pour elle là dedans...

Ce qui me paraît évident, c'est que pour moi ... encore une fois si vous consentez à ce que ce soit
pas une objection, il en dit trop et il en dit pas assez. D'un côté il en dit trop parce que pour le
moment, moi j'aurais rien à faire de la tiercéité. Evidement c'est gènant parce qu'il dit : « ceux qui ne
comprennent pas la tiercéité, ils comprennent rien ... » mais moi j'en aurais à faire pour autre chose
de la tiercéité. Mais en revanche, j'aurais rudement besoin d'un ... de quelque chose.

Car en effet c'est effarant quand même ... Là j'peux dire il exagère Peirce ... Parce qu'il se donne, lui,
ces trois images, là-haut, priméité, secondéité, tiercéité, il nous dit : « le phanérone ... » c'est-à-dire
l'apparaître « est organisé comme ça, et allez vous faire voir ! » Mais c'est pas bien du tout ça ! D'où
elles viennent ? ... Qu'est-ce qui va rendre compte de cette triple racine du phanérone ... de cette
différenciation du phanérone ? Il ne nous le dit pas ... C'est comme ça parce que c'est comme ça ...
Mais moi j'veux pas ! Je voudrais que soit clairement indiqué, et vous voyez pourquoi ...Y aura
aucune analyse chez lui du phanérone ... Mais nous ... Alors il a le droit ...Mais nous on est forcé

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parce que nous on n'est pas parti du phanérone comme ça ... on est parti d'une longue description
de l'Image-Moument ou de l'Image-Lumière.

C'est-à-dire notre phanérone à nous, on en a fait une très longue description. Donc notre
Image-Mouvement, notre Image-Lumière à nous, elle avait déjà une parfaite consistance. Bien plus :
elle s'étalait sur tout un plan d'immanence ! Vous vous rappelez.

D'où nécessité pour nous de rendre compte de la différenciation des images de priméité, de
secondéité et même de tiercéité. En d'autres termes, il nous faut quelque chose qui rende compte de
cette différenciation. En d'autres termes, une racine de la différenciation. Un, deux, trois. Il nous faut
quelque chose qui ne soit déjà plus l'Image-Mouvement, et qui ne soit pas encore ni de la priméité, ni
de la secondéité, ni de la tiercéité. Quel autre mot voulez-vous lui donner que « zéroité » ? Donc il
faut là une zéroité, qui elle-même aura des signes. Mais alors si on fait ça ... bien plus ... Puis si pour
d'autres raisons on est amené à repousser provisoirement la tiercéité ... qu'est-ce que ce sera un
signe alors, pour nous ... ? Il faudra évidement que ce soit tout à fait autre chose. Je veux dire ceci,

et c'est ma première remarque : il me semble qu'il n'en dit pas assez ... il n'en dit pas assez ... si je
résume ... c'est parce que : il n'y a pas chez lui "d'engendrement", des variétés d'images. Nous il
nous faut un degré zéro qui explique comment et pourquoi l'Image-Mouvement donne lieu a de la
priméité et de la secondéité. En d'autres termes, il nous faut une zone qui rende compte de la
naissance des images spéciales au sein et dans l'univers de l'Image-Mouvement ou de
l'Image-Lumière. Or on a vu ... si vous vous rapportez à ce que l'on a fait au tout début de l'année ...
on l'a vu ça ... Qu'est-ce qui assure le passage ... de l'Image-Mouvement aux images spéciales ? Et
qui donc est à la fois une image spéciale déjà et encore participe au plan de l'Image-Mouvement.
C'était précisement l'Image-Perception.

Et pourquoi l'Image-Perception avait-elle ce privilège ? Là il faut le rappeler sinon ça n'a aucun sens
... L'Image-Perception avait ce privilège parce qu'elle participait à un double système ... elle était
inséparable d'un double système.
Elle participait premièrement : au système des Images-Mouvements qui varient toutes les unes
par rapport aux autres sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties et en ce sens toutes les
images quelles qu'elles fussent, étaient des perceptions en soi. Et l'atome était une perception en ce
sens qu'il était la perception de toutes les actions qu'il subissait et de toutes les actions qu'il opérait
sur ce plan d'immanence des Images-Mouvements. Donc je dis que l'Image-Perception, par un de
ses pôles renvoyait au monde des Images-Mouvements et de leurs variations universelles.

Et d'un autre côté en même temps, l'Image-Mouvement ... l'Image-Perception, la perception,


exprimait par son autre pôle le mouvement ... non, le processus par lequel le système des
Images-Mouvements allait s'organiser autour d'un centre d'indétermination, c'est-à-dire : où toutes
les images allaient varier pour une seule et par rapport à une seule.

Et par rapport à ce second système, je ne disais plus : "toutes les choses sont des perceptions", je
disais : « quelqu'un perçoit quelque chose. » Quelqu'un ... un centre d'indétermination, perçoit
quelque chose. Les images cessaient d'être en soi, les images devenaient ..., le phanérone cessait
d'être en soi ... Il devenait pour quelqu'un, et par rapport à quelqu'un, par rapport à quelqu'un qui
percevait, un sujet percevant.

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Mais l'Image-Perception ... ne cessait pas d'osciller d'un de ses pôles à l'autre. Exemple évident, que
l'année dernière on avait beaucoup analysé à propos du cinéma ... Il suffit que le sujet percevant ...
J'ai donc mes deux systèmes ...
Premier système : toutes les images varient les unes pour les autres ;
deuxième système : les images varient par rapport à une image privilégiée... C'est les deux pôles
de l'Image-Perception ... d'accord ? Mais si le sujet privilégié, si le centre privilégié, si l'image
privilégiée se met à bouger elle-même, plus elle sera mise en mouvement, plus elle tendra à
reconstituer l'universelle variation.

Bon ... très bien ... Alors : l'Image-Perception ne cesse pas d'osciller. C'est pour ça que : je dis qu'elle
est présupposée par la priméité et la secondéité ; qu'elle est autre chose que l'Image-Mouvement, et
pourtant qu'elle n'est pas encore la priméité. Elle va être ce qui rend possible la priméité et la
secondéité. Et en effet : la qualité est qualité et il faudra bien que d'une manière ou d'une autre elle
soit perçue. L'action est action mais il faudra bien que d'une certaine manière qu'elle ne soit pas
seulement agie mais perçue. Donc l'Image-Perception appliquera ... euh ...accompagnera les images
spéciales. Elle sera elle-même une image spéciale. Elle aura un très drôle de rôle : d'un côté elle
plonge dans l'Image-Mouvement pure, d'un autre côté elle est déjà une image spéciale, d'un
troisième côté elle accompagne les autres images toujours spéciales.

C'est pourquoi pour moi s'impose une zéroité qui renvoie à l'Image-Perception. Donc moi j'aurais en
haut, on le verra plus tard : zéroité Image-perception ; priméité Image-affection ; secondéité
Image-action. Je laisse de côté pour le moment le problème de la tiercéité. Mais qu'est-ce que je
viens de dire ? Je viens d'affirmer que dès l'Image-perception, il y avait un caractère à la fois quoi ?
... un caractère génétique. Il faut bien marquer "l'engendrement", la genèse de chaque image
spéciale. Y a donc un aspect génétique. D'un autre côté j'ai remarqué qu'il y avait un aspect
"bipolaire" de l'Image-perception. Elle participe à deux systèmes : système de l'universelle variation ;
système de la variation relative à un centre privilégié, à une image privilégiée.
Bon, pour moi voilà ce que c'est qu'un signe.

Alors on va dire ... bon ... Un signe je dirais ben vous comprenez, un signe : c'est une image
spéciale, une image particulière plutôt, une image particulière qui représente un type d'image.
Voilà. Un signe c'est une image particulière qui représente un type d'image. J'ai donc pour le
moment moi, trois types d'images, je ne tiens toujours pas compte de la tiercéité. J'ai - des
Image-perceptions,
des Image-affections,
des Image-actions.

Je dis un signe c'est une image particulière en tant que elle vaut pour un type d'image. En effet je
dirai à ce moment là : « Ah !...c'est de l'Image-affection, c'est une Image-affection », « Ah ! ... c'est
une Image-action », « Ah ! ... c'est une Image-perception ». C'est donc une image particulière, c'est
essentiel pour moi, qui représente un type d'image... sous quel point de vue ? J'ai pas encore
introduit l'histoire des interprétants ... je me la laisse de côté. J'peux plus, j'peux plus. En revanche
j'ai deux points qui m'intéressent et peut-être beaucoup plus.
Comment une image particulière, de quel point de vue une image particulière peut-elle
représenter un type d'image ? En apparence, de deux points de vue, ou peut-être de quatre, ça

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dépendra, à votre choix, dépend si on résume, si on étend ... De deux points de vue : du point de
vue de la composition bipolaire de chaque type d'image. Donc un signe ce sera dans ce cas : "une
image particulière qui représente la composition bipolaire du type d'image auquel il renvoie".
Evidemment les exemples ... euh...viendront ... les exemples.

Comprenez que ça se complique parce que déjà là en cherchant bien, je peux dire j'aurais au moins
trois signes : j'aurais un signe bipolaire, un signe qui met l'accent sur le pôle A, et un signe qui met
l'accent sur le pôle B. Ca m'en fera trois, trois par case ... y a pas la course aux nombres, ... c'est
très important ça. L'autre aspect ... (blanc sur la cassette audio)

... de ce type ... Là j'en aurais peut-être deux de signes ... parce que pourquoi seulement de la
genèse ? Egalement de l'évanouissement ... ça peut-être l'évanouissement du signe euh... du type
d'image pardon, pas l'évanouissement du signe ... Le signe sera un signe d'évanouissement ou un
signe de genèse du type d'image auquel il renvoie. Parfois, comprenez qu'on ne peut rien décider
d'avance ... ça n'a pas l'air mais c'est très très amusant... Parfois je m'apercevrais que le signe
d'extinction est nécessairement confondu avec le signe de genèse. Parfois, à ma stupeur, le signe
d'extinction sera pas le même que le signe de genèse. Je dirais donc que : par type d'image, j'aurais,
si je prends les choses au plus juste, deux signes : un signe de composition, donc bipolaire ... ... et
un signe de genèse, un signe génétique. En effet, encore une fois, le signe sera une image qui
représentera soit la composition, soit la genèse du type d'image auquel il renvoie.

Donc cette définition n'a rien avoir avec celle de Peirce, et pourtant on va retrouver des signes
communs. Si je vais au plus long au contraire, je dirais il y des cas où je peux concevoir cinq signes
par type d'image. En effet, le signe de composition divise en trois suivant que les deux pôles sont
pris en charge ou l'un plutôt que l'autre. J'aurais donc dans ce cas trois signes de composition. Et
puis le signe de genèse se divisera en deux, éventuellement, signe de genèse et signe d'extinction.
Donc j'aurais au minimum deux signes par type d'image, zéroité, priméité, secondéité ; au maximum
cinq signes par type d'image. Bon ... et alors pourquoi ... pourquoi je laisse de côté, pour le moment
la tiercéité ? C'est pourtant ça l'essentiel ... Alors ... c'est, c'est tragique parce qu'il faut que j'aille au
secrétariat. Vous tenez encore ou vous ne tenez plus ... parce que si vous ne tenez plus c'est pas la
peine de ... C'est je sens qu'il faudrait que je donne un petit exemple euh... ça arrangerait peut-être
tout ... mais euh ...

Vous comprenez ... je donne un exemple pour que ... Bon : je prends moi, la secon ... la priméité.
Que ceux qui au moins étaient là l'année dernière, y comprendront. Et vous comprendrez pourquoi
j'ai besoin des mots de Peirce, pourquoi je ... j'ai le droit d'une certaine manière, de leur donner un
autre sens. Pour moi la priméité, c'est l'Image-affection. Et en effet, l'Image-affection c'est la qualité
ou la puissance considérée en elle-même, indépendamment d'un état de chose, indépendamment
d'un état de chose où elle s'actualiserait. D'accord, ça c'est clair : quand vous prenez une qualité ou
une puissance, quand vous considérez une qualité ou une puissance, indépendamment d'un état de
chose actuel, existant dans lequel cette qualité s'actualise, à ce moment là vous vous trouvez devant
une Image-affection. Je prends un exemple : la frayeur. La frayeur a toujours une cause. Je suis
devant un précipice, je suis effrayé ... bon d'accord, la frayeur a toujours une cause, ça empêche pas
qu'elle existe comme frayeur indépendamment de sa cause, et vous pouvez la considérer
indépendamment de toute cause. En d'autres termes, vous pouvez la considérer, la considérer
indépendamment de tout état de chose actuel. Vous me direz ... « il y a toujours un état de chose

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actuel ... » : d'abord, j'en suis pas sûr, pas tellement évident ... voyez ...vous la considérer comme
pure puissance, pure potentialité, ça on l'a vu avec la priméité chez Peirce ... on sait tout ça. Je dirais
: voilà une image de priméité. Bon ... alors ... bon ... d'accord ...

Voilà, l'analyse que j'avais essayé de faire l'année dernière sur l'Image-affection, me donnait ceci.
Mais une qualité puissance, considérée en elle-même, ça veut dire quoi ? Remarquez là aussi c'est
pas du tout des objections. Peirce il s'en contente puisque ça renvoie à une pure conscience
immédiate qui n'est jamais donnée. Donc il n'a pas besoin d'autre chose. Moi je me disais j'ai besoin
d'autre chose, de le définir purement euh...j'sais pas euh... plus ontologiquement, moins
logiquement. Je disais c'est pas difficile : c'est une qualité, c'est une qualité ou une puissance telle
qu'elle peut être exprimée par un "visage". Elle n'est pas actualisée dans un état de chose, c'est une
qualité puissance en tant qu'exprimée. Bon ... c'est même trop dire : par un visage. C'est une qualité
puissance exprimée et pas actualisée.

Bon, mais qu'est-ce que c'est la variable d'expression ? Faut pas aller très loin dans l'analyse pour
arriver à dire : et bien, la variable d'expression c'est un visage ou un équivalent de visage, quelque
chose qui fait fonction de visage, un pied peut très bien faire fonction de visage, c'est ce que l'on
appellera une visagéification, bon très bien ... ou une proposition, une proposition peut faire fonction
de visage ... une proposition c'est un visage mental. La proposition est un visage en tant qu'elle
exprime. Exprimer n'est que l'une de ses dimensions ... c'est seulement sous cette dimension qu'une
proposition est un équivalent de visage.
Je dirais donc : il y a un premier signe de l'Image-affection, et le premier signe de
l'Image-affection c'est : qualité puissance en tant qu'exprimée ... trois petits points ... en tant
qu'exprimée par un visage ou un équivalent de visage ou une proposition. J'appelle ça une : « Icône
». Donc j'ai besoin du même mot que Peirce, le sens est pourtant très différent.
Pour moi une « icône » sera une qualité ou une puissance en tant qu'exprimée ... sous entendu si
elle est exprimée elle ne peut l'être que par un visage, un équivalent de visage ou une proposition
faisant fonction de visage. Voilà le signe de composition de l'Image-affection.

Ah bon ... ? c'est le signe de composition... en effet, c'est pas du tout génétique. C'est de ça qu'est
composée l'Image-affection, elle est composée par "l'expression". D'où un soupçon ... mais
"l'expression" ou sa variable "l'exprimant" c'est-à-dire le visage, l'équivalent de visage ou la
proposition ... Essayons de chercher un peu est-ce qu'y a pas deux pôles... Oui il y a deux pôles ...
on l'avait vu, là je récapitule quelque chose pour euh...euh ... même j'espère que ceux qui étaient
pas là l'année dernière s'y retrouvent quand même, mais il y a deux pôles.

Et en effet, il y a deux pôles du visage.


Le visage peut être considéré comme un contour, que j'appellerais à ce moment là : contour
visagéifiant, il est essentiellement exprimant parce qu'il est contour ... c'est son contour qui est
expressif. C'est le pôle de la réflexion ... le visage est réflexif ou songeur.
Et puis il a un tout autre pôle ... non pas contour visagéifiant mais ensemble de traits, ensemble
de traits discontinus : un œil qui luit, un nez qui renifle, une bouche qui s'ouvre et l'on saute de l'un à
l'autre. ça je dirais que le visage est pris comme ensemble dynamique, cette fois-ci de : traits de
visagéité, et non pas de contours visagéifiants.

Et en effet, j'avais essayé de montrer l'année dernière comment la peinture avait tout à fait ces deux

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pôles et que l'art du portrait nous présentait tantôt un pôle de contour, une prévalence du contour, du
contour visagéifiant, et tantôt une prévalence des traits prélevés sur la masse, avec des sauts de
l'œil au nez et caetera... et pas du tout la ligne contour, la grande ligne contour que vous trouvez au
XVIème siècle par exemple. Au XVIIème, là le portrait subit une espèce de ... on passe d'un pôle ...
tout se passe comme si on passait d'un pôle à l'autre du visage... moi je simplifie beaucoup.
Formidable pour moi... je pourrais dire déjà : « les Icônes » qui est pour moi le premier signe de
l'Image-affection ... et donc tout va être décalé déjà ... ça va pas être là du tout l'Icône...

ça sera le premier signe de l'Image-affection et je dirais : c'est le signe de composition. Mais à ce


titre, il y a deux sortes d'Icônes : les unes ... je pourrais chercher des mots très compliqués mais pour
pas, pour pas exagérer, les unes nous les appellerons : icônes de contour ; les autres nous les
appellerons : icônes de traits. Bon à charge pour nous ...dans le véritable art des icônes ...Est-ce
qu'il n'y aurait pas des équivalences ? ...Est-ce qu'on trouverait pas des icônes de contour et des
icônes de traits ... L'histoire des cathédrales ... est-ce qu'il ne faudrait pas de ce point de vue,
considérer des choses de sculpture ... et caetera ...

Et puis, et puis, je termine vite cet exemple et puis on s'en tiendra là ... pour que vous alliez plus vite
en vacances ...euh... Et puis c'est pas tout quand même ...c'est pas tout forcement. Parce que je me
dis ... bon : l'icône c'est un signe de composition, mais en effet, ça me dit rien sur la genèse de
l'Image-affection... ça me dit si peu sur la genèse de l'Image-affection, que le visage que ce soit sous
forme d'icône de contour ou icône de traits, c'est une grosse unité... c'est une grosse unité. Ca
procède en gros hein... C'est à peu près ... Y a une histoire idiote au cinéma vous savez... c'est le
fameux effet : coulée de choc, eihn... euh...Y un acteur là qui a la même expression et puis on fait un
montage, et cette expression est censée correspondre, une première fois à une femme, alors elle
devient « le désir » ; deuxième point à un repas, à de la nourriture alors elle devient « la faim » ;
troisième point ... j'sais plus après.

C'est idiot parce que, c'est idiot ... ça ne concerne absolument pas le problème des associations
avec un contexte ... y avait pas besoin de faire cette expérience. Il y a longtemps que tous les
psychologues et que, et que ... euh ...le gens de bon sens ont remarqué que le visage était un
instrument très très peu différencié quant à la l'expression des affections, qu'il dispose de très peu
d'expressions ... Il y a longtemps que... je me rappelle dans les romans de Sartre, il y a toujours une
métaphore ...euh pas une métaphore, une note qui revient ... ça c'était très signé Sartre, rien ne
ressemble plus que de l'envie sexuelle et le besoin de dormir ... pas toujours vrai mais souvent...
souvent ...Le désir sexuel et l'envie de dormir ... Ah oui j'ai inversé tiens...euh... Bien, mais en effet
toujours finalement comme diraient les matérialistes grossiers, dans toute émotion y a quoi ... ? une
décharge d'adrénaline... ça ce sent ... j'peux dire tout au plus que si je considère pas l'état de chose
où c'est, c'est forcé, c'est de la grosse expression, c'est de la composition.

Le visage finalement il n'exprime que des affects composés. Pour arriver à des expressions d'affects
purs il faut des efforts très particuliers, sinon vous exprimez toujours des affects composés. Là on
voit très bien que : l'Image-affection, en tant que signifiée par une icône, c'est-à-dire en tant
qu'exprimée par un visage ou un équivalent de visage, elle trouve seulement un signe de
composition. L'icône n'est qu'un signe de composition relativement grossier. Il pourra tout au plus
accentuer un pôle, accentuer l'autre pôle.

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Mais la genèse de affects ce serait quoi ? La genèse des affects ... y a quelque chose qui est
beaucoup plus fin. Je réclame donc une instance plus fine du visage. Y a quelque chose qui est
beaucoup plus fin dans le visage. Un visage ça peut toujours mentir, ça peut toujours, tout ça, ça
peut toujours, ... y a quelque chose de beaucoup plus différentiel ... Quelque chose qui serait
peut-être la "genèse des affections". L'élément génétique, l'élément différentiel ... c'est quoi ? C'est ...
pour le moment ... c'est certains lieux ou certains types d'espaces où là les affects sont beaucoup
plus fins. Au point que ces espaces sont même des répertoires, sont même des conservatoires
d'affects encore inconnus. On a l'impression que ... on est pénétré par des affects qui viennent d'un
autre monde. Bon le cinéma, et j'en parlais l'année dernière parce que le cinéma il en a beaucoup
joué ...Attention, c'est pas des espaces-temps déterminés, puisque les espaces temps déterminés,
ils font partie de la secondéité, ils font partie de l'Image-action. Non je n'ai pas le droit de me
contredire à point là. Ce ne sont donc pas des espaces temps actualisés ... comment on appellera ça
? ... L'année dernière, c'est l'un d'entre vous qui avait proposé ce mot, qu'on appellerait ça des «
espaces quelconques », ce qui ne veut pas dire des espaces universels en tout temps, en tout lieu.
Ce qui veut dire des espaces qui n'ont pas d'autres fonctions que : exhiber des affects ; exhiber des
qualités ou des puissances pures. Par exemple : l'espace des ombres de l'expressionisme allemand,
voilà un espace quelconque. Autre exemple d'espace quelconque : des espaces dans lesquels on ne
s'oriente pas, c'est-à-dire, c'est pas qu'on ne s'oriente pas, ce sont des espaces dans lesquels les
parties de cet espace ne sont pas orientées les unes par rapport aux autres. C'est des espaces sans
raccord ou au contraire, ça revient au même, où chaque partie est unie à d'autre par une multiplicité
de rapports possibles. Par toute sorte de raccords possibles, où les raccords ne sont pas déterminés
de manière univoque. Ce sont des espaces, donc à la lettre : déconnectés. La connexion d'une
partie à une autre peut se faire de mille façons. En mathématiques, en géométrie on connaît bien ça,
c'est même ce qui apparaît dans la géométrie riemanienne où les voisinages n'ont pas de
coordination univoque et la connexion de deux voisinages peut se faire d'une infinité de manières.

Bon, je dis, la qualité puissance, un premier mode en elle-même, indépendamment de son actualité,
indépendamment de son actualisation, une qualité puissance pure a deux modes ... pas d'existence
... Deux modes d'apparaître. Elle peut apparaître en tant qu'exprimée par un visage ou un équivalent
de visage, on l'a vu ; et elle peut apparaître en tant qu'exhibée par ou dans un espace quelconque.
Je dirais, l'espace quelconque, beaucoup plus fin, c'est la véritable genèse, c'est le véritable élément
génétique des affects. C'est dans les espaces quelconque que les affects naissent, se forment. C'est
ensuite seulement qu'ils seront cueillis par un visage. Vous lâchez un visage dans un espace
quelconque : vous avez un film de terreur. Bon ... alors, bien, ça me donne quoi ? Je dis :
Image-affection, priméité, c'est-à-dire qualité puissance à l'état pur.
Premier signe : signe de composition. Je l'appelle « Icône ».
Deuxième signe : des espaces quelconques qui exhibent, des espaces quelconques qui exhibent
la qualité ou la puissance pure.
C'est ça que j'appelle : « Qualisigne ». Je dirais l'Image-affection a deux signes : l'Icône et le
Qualisigne, au plus court. Au plus long, elle a quatre signes : l'icône de contour, l'icône de traits qui
correspondent aux deux grands pôles du signe de composition. Et du côté des espaces, des
Qualisignes ...

Encore une fois, j'appelle Qualisigne un espace quelconque en tant qu'il ne fait rien d'autre
qu'exhiber une qualité ou une puissance pure. De ce point de vue, il y a deux types d'espaces ...
quelconques : il y a les espaces désorientés ou déconnectés qui se définissent ainsi : pas de

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raccord, ou du moins pas de raccord univoque d'une partie à une autre ; mais y a aussi un autre type
d'espace, l'espace vide ou vidé, un autre type d'espace quelconque, l'espace vide ou vidé.
Je dirais que le premier est un signe de naissance,
le second un signe d'extinction.

Bon, je prends là pour que ce soit très clair, des trucs de cinéma eihn...j'y reviens très vite. Pour mes
quatre signes. Un gros plan visage, on l'avait vu l'année dernière, il a ses deux pôles. Il y a des gros
plans visages qui euh...sont centrés sur le contour, souvent, pas exclusivement, souvent par
exemple chez Griffith : y a le gros plan visage qui est presque exclusivement fondé sur le trait, c'est
beaucoup plus le gros plan Eisenstein. Là je trouve bien mes deux signes, mes deux icônes, le gros
plan étant l'icône cinématographique. Pour les espaces quelconques, c'est très fréquent aussi, et ça
déborde le film de terreur, je citais l'espace d'ombre de l'expressionnisme lorsque l'ombre noie les
contours, noie les tas de choses, et caetera. C'est évident, mais d'une manière plus moderne la
recherche sur les espaces chez les grands auteurs de cinéma est déjà fantastique depuis
longtemps. Je prends les exemples : les espaces déconnectés ou vraiment, précisément c'est tout
ce que l'on appelle par exemple le problème des faux raccords ou pas de raccord du tout... Euh ...
rendre ... minimiser les raccords d'un lieu au lieu voisin, c'est le propre de quoi ? Un des plus grands,
mais un des premiers, c'est Bresson. Espaces déconnectés parce que précisément il veut obtenir
par là des espaces à valeur tactile, qui deviennent des espaces visuellement quelconques, des
espaces complètement déconnectés. Par exemple "Le pickpocket" est un chef-d'œuvre, mais déjà
"Le procès de Jeanne d'Arc" où vous trouvez la cellule qui n'est jamais prise en plan d'ensemble
mais qui est prise, toujours là, en succession d'angles fermés sans connexion ou avec des
connexions équivoques.

Donc je dirais, Bresson est un grand cas. Mais, mais dans tout le cinéma contemporain... c'était une
recherche très très passionnante sur ces espaces déconnectés que vous trouvez par exemple
complètement dans le néo-réalisme italien, pensez à "La forteresse de Païsa", par exemple de
Rosselini, c'est euh... bon ... euh...que vous trouvez complètement dans l'école de New-York au
cinéma, pour moi un des plus grands de l'école de New-York c'est évidement Cassavetes, or
Cassavetes a multiplier les espaces quelconques, alors les espaces déconnectés où on comprend
absolument pas comment un type passe du lieu au lieu même voisin, où y a là un type de faux
raccord, c'est un génie du faux raccord. Bon ... La nouvelle vague française j'en parle pas, les
espaces déconnectés de Godard, alors c'est euh... c'est célèbre tout ça bon ...euh... là y auraient
toutes sortes de recherches qu'on avait esquissés l'année dernière. Mais les espaces vides vous les
trouvez également c'est célèbre, c'est célèbre, y a pas tellement ... deux, y a trois génies ... y a tant
de génies de partout... mais il me vient immédiatement trois noms à l'esprit : les espaces vides de
Straubb ; les espaces vides, moi c'est celui qui m'intéresserait le plus de tous, les espaces vides
d'Antonioni, les plans vides d'Antonioni vous savez lorsque y ... après que les choses se soient
passées ... après que, après l'actualisation, après l'événement, nous flanque l'espace vidé, par
exemple pensez à la fin de "Profession reporter", la caméra reste un moment sur l'espace qui est
complètement vidé. Splendide, splendide, c'est un beau cas d'espace vidé. Et alors, pas du tout
dépotentialisé, mais qui au contraire n'existe plus que par ses potentiels affectifs. Et le, celui que ...
J'aurais du commencer par lui, parce que historiquement il a du être le premier, évidement Ozu, Ozu,
les champs vides de Ozu sont aussi une valeur alors ... une valeur très intense, affective, intense et
où là c'est tellement minutieux, et ses champs vides contrairement à ceux d'Antonioni, sont
volontairement, tellement insignifiants que s'y fait alors vraiment l'élément génétique de l'affection.

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Je résume ceci : vous voyez, et c'est tout ça que je voudrais systématiser à la rentrée. Non
seulement on aurait une tout autre ...c'était pour donner un exemple, pour moi cet exemple on l'aura
... Là j'aurais par exemple dans un tableau d'une toute autre nature - on verra - j'aurai :
Image-affection priméité ; et puis j'aurai en haut, là : signe de composition ce qui me donnerait «
Icône » ici ; et puis là : signe génétique, ce qui me donnerait : « Qualisigne ». Et puis j'aurai mes
deux signes de composition, « Icône de trait » et « icône de contour », et puis j'aurai mes deux euh...
« Qualisignes » : « Qualisigne de déconnexion » et « Qualisigne de vacuité ». Ce serait aussi joli, ce
serait bien, voyez ... Là j'en aurais quatre dans ce cas là ... y aurait des cas où j'en aurais que deux
... parce que surtout il faut pas que ça marche avec une loi, faut que ça change à chaque fois hein ...
alors ça j'ai absolument besoin que pour la rentrée euh... ceux qui n'auront pas été dégouté
complètement euh ... vraiment se rappellent ça ...et surtout se rappellent le tableau de Peirce. Très
bonnes vacances.

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