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L'ENVIRONNEMENT ?
Gilles Rotillon
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La fiscalité environnementale
outil de protection de
l’environnement ?
Gilles Rotillon, professeur à l’université Paris X. Il est l’auteur de l’Economie des
ressources naturelles, La Découverte, collection « Repères »
agent prend une décision, et ceux que cette décision implique pour la société. En ne
tenant pas compte de certains de ces coûts, le bien-être général est réduit par rapport
à la situation où ils auraient été pris en considération. Ainsi, le calcul de la rentabilité
d’une exploitation forestière négligeant les fonctions régulatrices du climat et du ré-
gime hydrique de la forêt, sa valeur patrimoniale et le réservoir de biodiversité qu’elle
constitue, surestimerait cette rentabilité, et conduirait à la surexploitation de la forêt.
La forme de fiscalité suggérée par Pigou se donne pour objectif de corriger le signal
prix perçu par les agents, afin qu’ils modifient leurs comportements en conséquence.
La taxe les incite à arbitrer entre son paiement avec maintien de l’externalité (par
exemple les dommages causés par la pollution) ou sa réduction (en diminuant cette
même pollution par des investissements adéquats). En théorie, et pour reprendre le
cas de la pollution, le taux de taxe doit égaler le coût marginal de réduction de la pol-
lution et le coût marginal des dommages. Bien entendu, la mise en œuvre pratique est
délicate, et suppose la connaissance d’informations sur les technologies de dépollution
et sur les dommages, qui sont loin d’être toujours disponibles. Aussi adopte-t-on une
approche dite de second rang, due à Baumol (1972). Cette approche se déroule en
deux étapes : dans un premier temps (celui de la « politique ») on choisit un niveau
de pollution à atteindre, puis, dans un second temps (celui de l’économie), on choisit
l’instrument qui permet d’atteindre cet objectif à un coût minimum. La taxe, en égali-
sant les coûts marginaux de dépollution, a justement cette propriété de minimisation
des coûts. Tel est donc le « premier dividende » d’une fiscalité environnementale : la
réduction des dégradations environnementales grâce à la modification des compor-
tements de production et/ou de consommation. Cet effet incitatif de la fiscalité est
général. Aucun impôt n’est neutre. Chacun induit ceux qui y sont assujettis à en tenir
compte d’une manière ou d’une autre pour leur prise de décision. Il s’y ajoute en
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outre un second effet de redistribution entre les entreprises et les ménages et entre les
ménages riches et les ménages pauvres.
ou prou des deux catégories), les marchés sont incapables d’allouer efficacement les
biens et services sur la base des seuls prix relatifs. Cette situation semble justifier
l’intervention publique, mais celle-ci se faisant en information imparfaite, rien ne ga-
rantit qu’elle puisse corriger les défaillances du marché. Elle crée donc à son tour des
distorsions dans l’allocation des ressources, et un impôt procurera un « double divi-
dende » dès que les distorsions qu’il engendre sont d’un coût social* total inférieur à
celles d’un autre impôt à recettes équivalentes.
En Europe, le débat s’est focalisé sur l’arbitrage entre les charges sociales pesant sur
le travail (en particulier peu qualifié) et générateur de chômage [ Yannick L’Horty,
dividende » les plus rentables, et il n’y a pas lieu d’en faire un débat spécifique entre
les deux formes de fiscalité. Dans l’état actuel des choses, l’existence d’un « double
dividende » environnemental est encore l’objet de controverses. En Allemagne, au
Danemark et au Royaume-Uni, des réformes de la fiscalité inspirée par le principe du
double dividende ont été mises en place sans qu’il soit encore possible de juger de la
réalité de ce mécanisme. La fiscalité pour quoi faire ? La vraie question, c’est celle de
la définition d’un bien comme « bien tutélaire », c’est-à-dire un « bien dont la pro-
duction et la consommation sont jugées utiles à la collectivité, et qui voient leur offre
aidée par la puissance publique ». L’horizon de la fiscalité est éminemment politique.
Il se pourrait bien que la distinction entre la fiscalité incitative (dont ferait partie la
fiscalité environnementale) et la fiscalité pourvoyeuse de recettes ne soit qu’un effet
d’optique propre à la lunette économique. Car avant de financer un budget, encore
faut-il définir ce qu’il faut financer. Et avant de modifier les comportements généra-
teurs d’externalités négatives (ou d’encourager ceux qui créent des externalités posi-
tives), encore faut-il décider que c’est nécessaire, autrement dit que l’environnement
soit préservé dans un état jugé désirable. Dans les deux cas, cela revient à se mettre
d’accord sur les biens publics qui sont jugés indispensables dans nos sociétés. Mais
comment réaliser cet accord ? Le concept de « bien tutélaire » repose sur l’idée d’un
Etat sinon omniscient, du moins mieux informé que les agents économiques sur les
externalités produites par certains biens. C’est sans doute quelquefois le cas, mais
c’est aussi négliger les lobbies, la corruption ou la préoccupation à court terme des
hommes politiques de se faire élire et/ou réélire. Pour autant, dans une société où
les intérêts des différents groupes sociaux sont souvent contradictoires (et on ne voit
pas comment il pourrait en être autrement, du moins dans les sociétés modernes), la
définition des biens devant être fournis à la collectivité avec l’aide des pouvoirs publics
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ne peut se faire qu’au travers d’un large débat démocratique et d’un arbitrage en fin
de compte politique.
le meilleur usage possible. Mais il faut alors renoncer à la tradition française de la re-
cette affectée, qui réutilise le produit de la taxe dans le secteur où elle a été perçue, ce
qui réduit son caractère incitatif et ne permet pas les redistributions nécessaires.
Ainsi, nous sommes aujourd’hui dans la situation paradoxale où la protection de
l’environnement est affirmée par tous comme un enjeu de société, quand cette même
société se refuse à utiliser un des outils les mieux adaptés pour atteindre à moindre
coût cet objectif.
Bibliographie
Conseil des impôts (2005), Fiscalité et Environnement, XXIIIe rapport au Président de la République.
Pigou A. (1920), The Economics of Welfare, Macmillan.