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LA FISCALITÉ ENVIRONNEMENTALE OUTIL DE PROTECTION DE

L'ENVIRONNEMENT ?
Gilles Rotillon

La Découverte | « Regards croisés sur l'économie »

2007/1 n° 1 | pages 108 à 113


ISSN 1956-7413
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2007-1-page-108.htm
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108 Regards Croisés sur l’Economie

La fiscalité environnementale
outil de protection de
l’environnement ?
Gilles Rotillon, professeur à l’université Paris X. Il est l’auteur de l’Economie des
ressources naturelles, La Découverte, collection « Repères »

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L’OCDE définit la fiscalité environnementale comme l’ensemble
des taxes, impôts et redevances dont l’assiette* est constituée par un
polluant, ou par un produit ou service qui détériore l’environnement
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ou prélève des ressources naturelles. Cette fiscalité environnemen-


tale est relativement nouvelle, même si des taxes anciennes com-
me la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) peuvent
aujourd’hui être rétrospectivement classées sous cette dénomi-
nation. Elle est née de la prise de conscience par l’opinion et les
pouvoirs publics de la nécessité de mettre en œuvre des politiques
de protection de l’environnement. Cette prise de conscience s’est
progressivement développée depuis une trentaine d’années face à
l’évidence de plus en plus grande des dégradations environnemen-
tales causées par nos modes de consommation et de production.
Des catastrophes industrielles comme Tchernobyl, Seveso, Bhopal,
ou AZF, des marées noires comme celles de l’Amoco Cadiz, du
Prestige ou de l’Exxon Valdez, des « pollutions globales » comme
la réduction de la couche d’ozone ou le changement climatique, le
stress hydrique, sont, pour n’en citer que quelques-uns, des signes
des impacts humains sur notre environnement.

Comment limiter les dégradations environne-


mentales ?

La « boîte à outils » de l’économiste contenait, depuis la publication


par Arthur C. Pigou en 1920 d’Economics of Welfare, un des moyens de
traiter ces problèmes. En proposant d’internaliser les coûts externes,
Pigou fournissait la base théorique sur laquelle pouvait se construire
une fiscalité environnementale efficace. Au cœur de sa proposition,
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il y a la notion d’externalité*. Il y a externalité quand l’effet de l’action d’un agent
économique sur un autre s’exerce en dehors de tout marché. L’externalité provient
généralement d’une divergence d’appréciation entre les coûts sur la base desquels un
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agent prend une décision, et ceux que cette décision implique pour la société. En ne
tenant pas compte de certains de ces coûts, le bien-être général est réduit par rapport
à la situation où ils auraient été pris en considération. Ainsi, le calcul de la rentabilité
d’une exploitation forestière négligeant les fonctions régulatrices du climat et du ré-
gime hydrique de la forêt, sa valeur patrimoniale et le réservoir de biodiversité qu’elle
constitue, surestimerait cette rentabilité, et conduirait à la surexploitation de la forêt.
La forme de fiscalité suggérée par Pigou se donne pour objectif de corriger le signal
prix perçu par les agents, afin qu’ils modifient leurs comportements en conséquence.
La taxe les incite à arbitrer entre son paiement avec maintien de l’externalité (par
exemple les dommages causés par la pollution) ou sa réduction (en diminuant cette
même pollution par des investissements adéquats). En théorie, et pour reprendre le
cas de la pollution, le taux de taxe doit égaler le coût marginal de réduction de la pol-
lution et le coût marginal des dommages. Bien entendu, la mise en œuvre pratique est
délicate, et suppose la connaissance d’informations sur les technologies de dépollution
et sur les dommages, qui sont loin d’être toujours disponibles. Aussi adopte-t-on une
approche dite de second rang, due à Baumol (1972). Cette approche se déroule en
deux étapes : dans un premier temps (celui de la « politique ») on choisit un niveau
de pollution à atteindre, puis, dans un second temps (celui de l’économie), on choisit
l’instrument qui permet d’atteindre cet objectif à un coût minimum. La taxe, en égali-
sant les coûts marginaux de dépollution, a justement cette propriété de minimisation
des coûts. Tel est donc le « premier dividende » d’une fiscalité environnementale : la
réduction des dégradations environnementales grâce à la modification des compor-
tements de production et/ou de consommation. Cet effet incitatif de la fiscalité est
général. Aucun impôt n’est neutre. Chacun induit ceux qui y sont assujettis à en tenir
compte d’une manière ou d’une autre pour leur prise de décision. Il s’y ajoute en
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outre un second effet de redistribution entre les entreprises et les ménages et entre les
ménages riches et les ménages pauvres.

La fiscalité environnementale en France

Le champ de la fiscalité environnementale peut se diviser en quatre catégories.


1) Les taxes proprement dites, qui sont des prélèvements obligatoires sans contrepar-
tie et dont l’assiette est un produit polluant. C’est le cas par exemple de la taxe sur
les activités polluantes (TGAP), basée sur les émissions vers l’air ou les pesticides et

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de la TIPP. 2) Les redevances qui couvrent des coûts pour services environnemen-
taux, principalement dans les domaines de l’eau et des déchets. 3) Les mesures dites
positives comme les crédits d’impôt qui cherchent en particulier à orienter les choix
d’investissements dans un sens plus favorable à l’environnement. 4) Les incitations fis-
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cales (exonérations, déductions, baisses de taux) qui cherchent également à orienter


les comportements en faveur de l’environnement. Les recettes tirées de cette fiscalité
sont de l’ordre de 48 milliards d'euros selon le rapport du Conseil des impôts de
2005, dont 40 milliards d’euros pour la TIPP et les taxes sur l’eau et les déchets. Elles
représentaient en 2002 (dernière année disponible) 2% du PIB pour une moyenne de
2,6 % dans l’Europe à 15. Dans le total des prélèvements obligatoires (y compris les
prélèvements sociaux), ces recettes représentent pour la France en 2002, 4,5 % du
total, avec une tendance en baisse depuis 1995.

Les deux objectifs de la fiscalité

Il faut toutefois bien distinguer deux formes de fiscalité : la fiscalité environnemen-


tale et celle des fiscalistes. La première, dont l’objectif est la réduction des dégra-
dations environnementales, diffère de la seconde qui consiste à fournir à l’Etat des
recettes stables et prévisibles, acceptées par ceux qui y sont assujettis, ou du moins
n’induisant pas de profonds changements de comportements. D’où l’idée, connue
déjà de Ricardo, de taxer en priorité les biens à faible élasticité-prix. Il n’en reste
pas moins que les deux effets mentionnés ci-dessus sont aussi toujours présents dans
un impôt à visée fiscale, et que ces effets peuvent s’ajouter ou se retrancher à ceux
d’un impôt « écologique ». C’est pourquoi les deux objectifs de financement des
dépenses publiques et de réduction des externalités environnementales négatives ne
sont pas nécessairement contradictoires. C’est de ce constat que découle l’idée
d’un « deuxième dividende » qui serait associé à un impôt environnemental. En
réalité, il s’agit simplement d’un effet d’équilibre général. On sait qu’en présence
d’externalités et/ou de biens publics* (et les biens environnementaux relèvent peu
Quelle fiscalité pour quels objectifs ? 111

ou prou des deux catégories), les marchés sont incapables d’allouer efficacement les
biens et services sur la base des seuls prix relatifs. Cette situation semble justifier
l’intervention publique, mais celle-ci se faisant en information imparfaite, rien ne ga-
rantit qu’elle puisse corriger les défaillances du marché. Elle crée donc à son tour des
distorsions dans l’allocation des ressources, et un impôt procurera un « double divi-
dende » dès que les distorsions qu’il engendre sont d’un coût social* total inférieur à
celles d’un autre impôt à recettes équivalentes.
En Europe, le débat s’est focalisé sur l’arbitrage entre les charges sociales pesant sur
le travail (en particulier peu qualifié) et générateur de chômage [ Yannick L’Horty,

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« Fiscalité des bas salaires : la révolution silencieuse » ] et une écotaxe sur l’énergie. En
affectant les recettes de cette écotaxe à la diminution de la fiscalité sur le travail,
on réduirait, à charge fiscale égale, le chômage. Mais en fait, c’est tout l’ensemble
du système fiscal qu’il s’agirait d’examiner pour rechercher les niches* à « double
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dividende » les plus rentables, et il n’y a pas lieu d’en faire un débat spécifique entre
les deux formes de fiscalité. Dans l’état actuel des choses, l’existence d’un « double
dividende » environnemental est encore l’objet de controverses. En Allemagne, au
Danemark et au Royaume-Uni, des réformes de la fiscalité inspirée par le principe du
double dividende ont été mises en place sans qu’il soit encore possible de juger de la
réalité de ce mécanisme. La fiscalité pour quoi faire ? La vraie question, c’est celle de
la définition d’un bien comme « bien tutélaire », c’est-à-dire un « bien dont la pro-
duction et la consommation sont jugées utiles à la collectivité, et qui voient leur offre
aidée par la puissance publique ». L’horizon de la fiscalité est éminemment politique.
Il se pourrait bien que la distinction entre la fiscalité incitative (dont ferait partie la
fiscalité environnementale) et la fiscalité pourvoyeuse de recettes ne soit qu’un effet
d’optique propre à la lunette économique. Car avant de financer un budget, encore
faut-il définir ce qu’il faut financer. Et avant de modifier les comportements généra-
teurs d’externalités négatives (ou d’encourager ceux qui créent des externalités posi-
tives), encore faut-il décider que c’est nécessaire, autrement dit que l’environnement
soit préservé dans un état jugé désirable. Dans les deux cas, cela revient à se mettre
d’accord sur les biens publics qui sont jugés indispensables dans nos sociétés. Mais
comment réaliser cet accord ? Le concept de « bien tutélaire » repose sur l’idée d’un
Etat sinon omniscient, du moins mieux informé que les agents économiques sur les
externalités produites par certains biens. C’est sans doute quelquefois le cas, mais
c’est aussi négliger les lobbies, la corruption ou la préoccupation à court terme des
hommes politiques de se faire élire et/ou réélire. Pour autant, dans une société où
les intérêts des différents groupes sociaux sont souvent contradictoires (et on ne voit
pas comment il pourrait en être autrement, du moins dans les sociétés modernes), la
définition des biens devant être fournis à la collectivité avec l’aide des pouvoirs publics
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ne peut se faire qu’au travers d’un large débat démocratique et d’un arbitrage en fin
de compte politique.

La sous-utilisation de la fiscalité environnementale

De ce point de vue, si l’environnement est aujourd’hui un enjeu de société, s’il n’a


jamais été autant présent dans les discours, si le développement durable, quelle que
soit la manière dont on le définisse, envahit les justifications des politiques publiques
et des choix privés des grands groupes industriels, il faut bien constater que la modi-

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fication des comportements qui engendrent les dégradations environnementales sont
encore bien timides, et que l’utilisation de la fiscalité environnementale à cette fin
est encore peu développée. Comme le note en 2005 le vingt-troisième rapport au
Président de la République du Conseil des impôts « Fiscalité et Environnement », bien
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qu’utilisant une définition large de l’environnement qui l’amène à inclure près de 50


taxes ou redevances dans le périmètre de la fiscalité environnementale, « les mesures
fiscales inspirées directement de préoccupations environnementales n’ont qu’un effet
limité, qu’il s’agisse des diverses composantes de la taxe sur les activités polluantes
(TGAP) ou des mesures fiscales dérogatoires ». On sait pourtant bien que cet outil est
efficace, comme le montre par exemple la taxation du tabac qui a sensiblement réduit
le nombre des fumeurs. Comme le montre aussi, a contrario le différentiel de taxation
favorable au gazole, qui a progressivement conduit à une modification du parc auto-
mobile où la part des voitures utilisant ce carburant a sensiblement augmentée. Mais
l’arbitrage mentionné plus haut semble encore aujourd’hui se faire au détriment de
l’environnement, dont la dégradation n’est finalement pas considérée comme insup-
portable par la majorité. Pour ne prendre que l’exemple de la France, les transports
(et les rejets de gaz à effet de serre qui les accompagnent) ou la pollution des nappes
phréatiques par les nitrates d’origine agricole continuent à engendrer de fortes ex-
ternalités négatives, sans que les taxations nécessaires au changement des comporte-
ments ne se mettent en place.
L’opinion publique semble majoritairement opposée à une forte fiscalité environne-
mentale, et ce même à pression fiscale constante. En particulier, l’instauration d’une
taxe supplémentaire sur les carburants est aujourd’hui hors de portée, alors même
que la régulation des émissions de gaz à effet de serre dans les transports est au point
mort, et que l’essence a baissé en prix réel dans les 25 dernières années. C’est qu’une
taxe est souvent perçue uniquement par son côté négatif, ponctionnant les revenus des
assujettis et rarement par son côté positif, celui des recettes qu’elle fournit et qui bien
utilisées peuvent faciliter les transitions. Dans ce but, il faudrait que ces recettes
soient versées intégralement au budget général de l’Etat, à charge pour lui d’en faire
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le meilleur usage possible. Mais il faut alors renoncer à la tradition française de la re-
cette affectée, qui réutilise le produit de la taxe dans le secteur où elle a été perçue, ce
qui réduit son caractère incitatif et ne permet pas les redistributions nécessaires.
Ainsi, nous sommes aujourd’hui dans la situation paradoxale où la protection de
l’environnement est affirmée par tous comme un enjeu de société, quand cette même
société se refuse à utiliser un des outils les mieux adaptés pour atteindre à moindre
coût cet objectif.

Bibliographie

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Baumol W. (1972), « On taxation and the control of externalities », American Economic Review, vol. 62,
pp. 307-322.
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Conseil des impôts (2005), Fiscalité et Environnement, XXIIIe rapport au Président de la République.
Pigou A. (1920), The Economics of Welfare, Macmillan.

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