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Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2012–Bordeaux 4-6 juillet 2012

LE RISQUE CHUTE DE BLOCS : MISE EN SÉCURITÉ D’UNE


CARRIÈRE – TRAJECTOGRAPHIES 2D ET 3D

SAFETY OF A QUARY IN REGARD TO ROCK’S FALL - 2D AND 3D


TRAJECTOGRAPHIES

Jérôme GUITTARD, Didier VIRELY

CETE SO / Laboratoire régional des Ponts et chaussées / Unité Sécurisation


Dimensionnement et Valorisation de la Roche, Toulouse, France

RÉSUMÉ — L’article présente la mise en sécurité d’une carrière suite à un incident


ayant entraîné des dégâts sur des habitations. Ce travail a été réalisé à partir de
simulations trajectographiques. Un contexte topographique et géologique simple
ainsi que la possibilité d’exploiter des trajectoires fraîches nous ont permis d’effectuer
un travail de comparaison de deux logiciels de trajectographies : Propag (2D) et
Pir3D (3D). Une réflexion générale sur les deux logiciels, les paramètres pris en
compte et leurs influences, a été menée.

ABSTRACT — This paper presents the securing of a quarry following an incident


which resulted in damage to homes. This work was carried out using simulations
trajectories. A simple topographical and geological context and the possibility of
exploiting fresh paths allowed us to perform a comparative study of two rock fall
softwares : Propag (2D) and Pir3D (3D). A general discussion on the two
programs, the considered parameters and their influences, has been conducted.

1. Introduction
Lors de l’exploitation d’une carrière des Pyrénées-atlantiques, un bloc s’est propagé
en dehors de son périmètre, a causé des dégâts matériels et a mis en péril la vie des
habitants, ce qui a entraîné une interruption partielle de l’exploitation (Guittard et
Virely, 2010). La figure 1 présente les dégâts causés aux habitations.

Figure 1 . Photographies de deux des trois blocs ayant atteint le pied de versant

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L’objectif du projet confié au Laboratoire régional des Ponts et chaussées de


Toulouse était de connaître les raisons pour lesquelles un bloc avait franchi le piège
à cailloux existant et de proposer des mesures correctives afin de pouvoir poursuivre
l’exploitation en toute sécurité. À cette fin, deux outils de trajectographies ont été
utilisés : Propag (2D - déterministe) et Pir3D (3D – déterministe ou probabiliste).

2. Présentation du site
2.1. Données topographiques

La prospection a permis de définir la géologie, le point de départ du bloc, les points


d’impact dans le piège à cailloux pré-existant ainsi que les points d’impact dans le
versant boisé. La modélisation topographique (Fargier, 2011) a été faite à partir d’un
plan de l’exploitation (points et polylignes 3D à l’échelle 1/500) et de la vectorisation
des courbes de niveaux de la carte IGN à l’échelle 1/25000 (polylignes 2D), pour la
base du versant. La triangulation a été menée à l’aide du module dédié de Pir3D.
La modélisation géologique a été conduite à partir des données de terrain.

2.2. Contexte géologique

La carrière est ouverte dans les premiers contreforts de la zone nord pyrénéenne, ici
constituée de calcaires du Crétacé. Les terrains y sont plissés selon des axes de
directions dominantes Est-Ouest. Nous nous trouvons ici dans le flanc nord de l’aire
anticlinale des Genies. Le Castet Mauhèit culmine à 781 mètres d’altitude ; il est
individualisé par deux accidents tectoniques qui se traduisent par deux talwegs
profonds. Cette configuration, entre deux failles, a fortement tectonisée le massif qui
présente une pseudo-schistosité par endroit. De plus, des fentes de cisaillement sont
visibles à l’affleurement. La figure 2 monte le flanc ouest du Castet, sur lequel les
blocs se sont propagés, qui présente une végétation arbustive abondante.

Figure 2 . Extrait GoogleEarth avec drapage de la carte géologique du BRGM à


l’échelle 1/50 000 (n6 - Calcaires subrécifaux à Toucasia)

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Les calcaires sub-récifaux, que l’on y rencontre au sommet Le Castet (point 781 m ;
Figure 2), forment la base de l’ensemble Aptien-Albien des chaînons Nord-
pyrénéens. Ce sont des calcaires massifs gris bleutés cristallins, en gros bancs, à
Rudistes (bivalves marins) et à polypiers (coraux).

3. Etude de l’événement par rétro-analyse et proposition de sécurisation


3.1. Contraintes de l’exploitant

La limite d’exploitation de la carrière se situe au droit d’un merlon de terre d’une


hauteur de 1,5 à 2,0 mètres, sécurisant la bordure aval du piège existant (Figure 3),
le carrier n’est pas propriétaire du versant. L’exploitation en « dent creuse » du
Castet Mauhèit ne doit pas descendre en dessous de la cote actuelle du piège à
cailloux. Dans ce contexte le choix est fait de recalibrer le dispositif de piège existant
plutôt que d’investir dans des dispositifs de parade passive.

3.2. Constat de l’incident

La figure 3 montre la trajectoire suivie par la masse rocheuse mise en branle lors de
l’exploitation et le dispositif de protection existant. Après dislocation dans le versant,
trois blocs distincts sont allés jusqu’en pied de versant, deux d’entre eux ont percuté
des bâtiments. On peut constater que la piste, à l’origine en concassé, a été
compactée au cours du temps par la circulation des engins venant purger le piège.
Cette observation se traduit dans les modèles par une prise en compte du fond de
fosse comme du « rocher sain », donc avec des coefficients de restitution importants.
Il s’agit d’une composante importante pour la compréhension de l’incident.

Figure 3 . Photographies de la trajectoire du bloc dans le dispositif existant (à


gauche) et dans le versant boisé (à droite).

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3.3. Paramètres d’entrée du modèle

Le logiciel utilisé pour le dimensionnement d’un nouveau piège à cailloux, Propag


version 3.0, analyse la propagation des éboulements rocheux. La trajectoire du bloc
est modélisée comme une succession de vols libres et d’impacts avec le sol dans un
environnement 2D. Les simulations de trajectoires des blocs avec ce logiciel
permettent d’obtenir les limites d’atteinte ainsi que les paramètres cinématiques des
trajectoires utiles pour le dimensionnement des ouvrages de protection.
Une simulation a été conduite avec les paramètres d’entrée présentés dans la figure
4 (Fargier, 2011). Le bloc franchit bien le merlon de sécurité après avoir rebondi deux
fois dans le piège à cailloux, pour un coefficient de forme dynamique minimal de 1,2.
Cette valeur (1,2) est « faible », elle s’appuie sur la typologie des blocs éboulés qui
sont plutôt de formes ovoïdes.
La trajectoire réelle, figure 4, nous permet de valider les hypothèses de calcul : point
de départ, volume de référence des blocs, vitesse initiale, angle de départ, nature
des terrains (coefficient de rebonds) et coefficient de forme. Le dispositif de sécurité
proposé sera tout de même testé pour des coefficients de forme allant jusqu’à 1,4,
afin de s’assurer également de la mise en sécurité contre les chutes de blocs de
forme « tabulaire » observés dans cette exploitation de calcaires.

Figure 4 . Modélisation de la trajectoire 2D

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3.4. Dimensionnement de la fosse

A l’issue de l’étude, la fosse a été redimensionnée pour toute l’exploitation (figure 5).
La zone d’étude a été découpée en 6 secteurs distincts dont les géométries sont
homogènes : les pentes, les hauteurs et les orientations de talus et la largeur de la
plate-forme existante. Rappelons que le piège à cailloux existant n’est qu’une simple
plate-forme de largeur variable comprise entre 12 et 20 mètres selon les secteurs,
bordée côté aval par un merlon de sécurité. Les différentes simulations montrent
qu’une fosse de 3 mètres de profondeur sur une largeur maximale de 14 mètres est
efficace jusqu’à des coefficients de forme de 1,4.

Figure 5 . Coupe schématique de la fosse retenue

4. Modélisation de l’événement à l’aide d’un logiciel de trajectographie 3D


L'avantage du site est qu'il s'agit d'une géométrie simple. La pente y est régulière et
la surface du talus homogène (rocher sain). Ce contexte est idéal pour comparer les
résultats fournis par les logiciels de simulations disponibles et les confronter avec la
réalité de terrain.

4.1. Objectif

Le logiciel Pir3D permet de définir des trajectoires de blocs en trois dimensions


avec une approche déterministe ou probabiliste. Notre étude de cas a permis une
comparaison des deux applications. La figure 6 montre les trajectoires résultantes de

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Pir3D avec les mêmes paramètres de départ que Propag (blocs de 10m3, lancé à
1m/s à l’horizontale sur du rocher sain).

Figure 6 . Trajectoires résultantes de Pir3D et validation du dimensionnement de la


fosse (secteur de l’incident)

4.2. Simulations comparées

Les paramètres d’entrée du modèle sont les mêmes. En ce qui concerne les
coefficients de restitution, nous avons utilisé les valeurs par défaut proposées dans
les deux applications, celles-ci apparaissent dans le Tableau 1.

Tableau 1 . Coefficients de restitution par défaut pour de la roche saine dans les
deux logiciels

Coefficients de restitution Propag Pir3D


Normal 0,20 0,55
Glissement ou tangentiel 0,80 0,90
Roulement ou rotation 0,92 0,60

La trajectoire la plus défavorable, telle qu’elle ressort des lancés effectués par
Pir3D a été comparée à celle obtenue avec Propag sur un profil en long établi « à
dire d’expert » (dans le logiciel Propag le profil en long 2D du terrain, en abscisses
curvilignes, est une donnée d’entrée ; l’opérateur choisi celui qui lui semble le plus
pénalisant).

Les profils de trajectoires sélectionnés par les deux méthodes sont semblables pour
les secteurs 1 et 2 (hauteurs maximales de rebonds voisines à 20 cm près), alors
que ce n'est pas le cas pour les autres secteurs. Pour les profils 3 et 4 nous avons
donc importé les trajectoires les plus défavorables de Pir3D dans Propag et
effectué les mêmes lancés. Le tableau 2 montre les différences de hauteurs de
rebonds observées.

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Tableau 2 . Hauteur maximale des rebonds à l’intérieur de la fosse sur les 4 premiers
secteurs homogènes

Zones Propag (trajectoire à dire d’expert) Pir3D (trajectoire la plus défavorable)


1 0,9 m 0,8 m
2 1,1 m 1,3 m
3 2,6 m 3,1 m
4 2,1 m 2,8 m

Par ailleurs, la comparaison des résultats fournis par les deux logiciels indique des
distances d'arrêt similaires. Propag, donne des valeurs d'énergie plus élevées que
Pir3D. Ces résultats s’expliquent par la petite valeur du coefficient de restitution
normal utilisé par Propag (Rn = 0,20 - roche saine) par rapport à un grand
coefficient tangentiel alors que la valeur du coefficient de restitution normal de
Pir3D est plus élevé (Rn = 0,55 pour la roche saine). Avec Propag, les rebonds
sont donc plus plats, plus longs et avec plus d'énergie.

5. Conclusion
Un travail de comparaison de ces deux approches a pu être mené car le site d’étude
s’y prête particulièrement : une géométrie et une géologie simple et bien connue.
Sans aucune modification du paramétrage par défaut de Pir3D, la trajectoire de
l'éboulement qui a eu lieu en fin 2010 est similaire à celle de la simulation, à savoir :
le nombre de rebonds sur la terrasse et l’impact sur la maison. Il s'agit d'un résultat
satisfaisant mais qui demandera à être comparé avec d’autres évènements déjà
survenus.
Les distances d'arrêt fournies par Propag et par l'approche probabiliste de Pir3D
sont semblables, les deux semblent être efficaces pour la cartographie des risques.
En ce qui concerne le réalisme de Pir3D, deux types de variables probabilistes sont
disponibles pour représenter les paramètres physiques des sols, la distribution
normale semble être la plus favorable, en particulier en termes de propagation, que
la distribution uniforme (toute valeur possède la même probabilité de tirage).
Néanmoins, ce choix de réparation ne vaut pas s’il n'y a pas d'événements antérieurs
pour le justifier. Précisons qu’en ce qui concerne les paramètres initiaux des blocs
(position, masse, conditions de départ) seule la distribution uniforme est disponible.
Les tableaux 3 et 4 ci-après présentent les avantages et inconvénients des deux
méthodes utilisées dans ce travail.

Tableau 3 . Avantages et inconvénients des modèles 2D et 3D

2D 3D
Facile d’utilisation (peu de paramètres Bonne visualisation des propagations, met
 variables) en évidence des trajectoires complexes
Sélection à dire d’expert de la trajectoire Requiert un modèle numérique de terrain
 en abscisse curviligne et un ajustement des paramètres précis

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Tableau 4 . Avantages et inconvénients des modèles déterministe et probabiliste

Déterministe Probabiliste
 Facile d’utilisation Les incertitudes sont intégrées
 Toujours le même résultat Le résultat peut être très défavorable

Cette étude souligne que Propag produit des rebonds plats et longs. Il est donc
approprié pour la cartographie des risques, basée sur les distances maximales
d’atteintes. Parallèlement, il demeure l’outil dimensionnant pour la réalisation de
parades (fosse, merlon, écran,…). Il propose une trajectoire « enveloppe » du bloc
qui définit les limites d’atteinte ainsi que les paramètres cinématiques : vitesse en
tout point, hauteur de vol, extension maximale, angle et vitesse (i et r) pour chaque
impact. Une solution pour améliorer son utilisation pourrait consister à appliquer un
coefficient de sécurité pour la conception des ouvrages de protection.

L’application Pir3D est utile pour définir des couloirs de propagation de blocs et des
probabilités d’atteinte même si une réflexion sur les multiples paramètres d’entrée
reste à mener. Enfin, en trois dimensions, l’ouvrage de protection demeure encore
difficilement modélisable et les hauteurs de rebonds sont parfois approximatives.

Remerciements
Les auteurs remercient Lauriane FARGIER pour le travail de Master effectué au sein
du Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées de Toulouse.

Références bibliographiques
Guittard J., Virely D. (2 décembre 2010). Rapport géotechnique « Carrière d’ASSON Mise en sécurité
contre les chutes de blocs », N° 20-64-109-2010/20-122-2-335

Fargier F. (septembre 2011). Master Thesis « Rockfall Trajectory-Simulation Software: From Theory
to Application » - University of Natural Ressources and Life Sciences, Vienna, N°0941259

Carte géologique au 1/50 000 : Feuille Lourdes, XVI-46, BRGM.

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