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dizaines de sites biélorusses, de Brest à Hrodna.


Dans les industries d’abord, suivant l’exemple des
Biélorussie: radiographie de la fronde
métallurgistes de l’usine d’État de Zhlobin (est du
gréviste contre Loukachenko pays), qui ont débrayé dès le lendemain de l’élection.
PAR JULIAN COLLING
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 18 AOÛT 2020
Ils ont ensuite été imités par les travailleurs de
l’usine de sucre de Zhabinka. Le géant MTZ (Minsk
Tractor Works) donc, au poids considérable, s’est
massivement mis en grève dès le 14 août. Le
constructeur d’engins miniers et camions BelAZ, lui a
emboîté le pas lundi, tout comme l’usine de potasse
de Soligorsk.
En une semaine, l’embrasement a été impressionnant,
Manifestation dimanche à Minsk contre l'exécutif biélorusse © Sergei Gapon / AFP.
dans un pays où il n’y a pourtant pas réellement de
Dans un pays à l’économie encore très planifiée, le protection du travail ni de droit de grève, une activité
régime est confronté à une menace inédite, peut-être risquée. L’excellent canal Telegram d’information
plus redoutable encore que les manifestations : une Nekhta recense les différents débrayages et compile
cascade de grèves. Décryptage des secteurs mobilisés, de nombreuses vidéos, de travailleurs rejoignant le
alors que se tient, mercredi, un sommet européen. mouvement.
La scène restera comme une des images du Car la vague ne s’est pas arrêtée à l’industrie
soulèvement biélorusse de 2020, à la façon d’un lourde. Des fonctionnaires des transports se sont
Nicolae Ceausescu hué par la foule roumaine en 1989. également montrés solidaires, comme à Minsk avec
Venu chercher le soutien des travailleurs de l’usine des travailleurs du métro ou des trolleybus. Plus
MTZ, grand manufacturier étatique de machines frappante encore : la grève qui a touché la
agricoles, Alexandre Loukachenko a vu lundi 17 août « Silicon Valley » biélorusse, le « Parc des hautes
les salariés se retourner contre lui. « Oukhadi ! technologies », un hub sur lequel repose beaucoup
Oukhadi ! » (Va-t’en !), se sont-ils mis à chanter. d’espoirs de l’économie du pays – la Biélorussie est
Le visage fermé, l’autocrate de Minsk a encaissé, avant désormais un pays en pointe dans la tech.
de finalement quitter la scène par une bravade dont il Des acteurs de la culture se sont également joints au
est coutumier : « Merci à tous ! Et maintenant vous mouvement. Au théâtre Ianka Koupala notamment,
pouvez vous remettre à chanter “va-t’en” ! », non sans des comédiens ont présenté leur démission après
avoir précisé au préalable que seule sa mort pourrait que leur directeur, ancien ministre de la culture,
provoquer de nouvelles élections. a été licencié pour avoir soutenu publiquement
Loukachenko n’avait sans doute pas prévu que la l’opposition. Peut-être plus lourd dans la balance,
vague de contestation qui le fait vaciller depuis sa quelques 300 salariés de la télévision d’État
réélection frauduleuse du 9 août, prendrait une telle biélorusse, d’ordinaire porte-voix du régime, ont aussi
tournure. Comprendre : que sa traditionnelle base annoncé qu’ils se mettaient en grève (« Si nous ne
de soutien, ces travailleurs et ouvriers d’entreprises pouvons plus produire de journalisme honnête, nous
étatiques en régions, le lâcherait. Au moins ne travaillerons plus. »)
partiellement. Or si Alexandre Loukachenko a eu vite fait de balayer
Ainsi aux manifestations massives – le plus grand de son mépris les grévistes, les traitant de « moutons »
rassemblement de l’histoire du pays a eu lieu ou « provocateurs manipulés depuis l’étranger »,
dimanche – s’est greffée, de manière spontanée et il a en réalité de quoi craindre cette contestation
assez surprenante, une cascade de grèves dans des d’un type nouveau pour ce pays d’ordinaire calme et

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besogneux. Car l’économie biélorusse, qui a ralenti et pacte social s’est également effrité. Les salaires n’ont
stagne globalement depuis 2010, est un pur vestige de pas augmenté depuis des années, et les contrats courts
l’époque soviétique. (un an) se multiplient partout.
Encore largement étatique et planifiée, elle repose « En plus d’un sentiment croissant de stagnation
très largement sur la production industrielle lourde économique, Loukachenko a aussi perdu l’estime et le
(le tissu a été conservé), le raffinage du pétrole soutien d’une partie des travailleurs du quotidien avec
venant de Russie, qui représente un tiers des sa proposition de loi de 2017 contre les “parasites” »,
exportations du pays, ou encore l’agriculture. En rappelle également le chercheur de l’Université de
bonus, paradoxalement, un secteur des technologies Londres spécialiste de la la Biélorussie Tadeusz
de l'information florissant. Les entreprises publiques Giczan, en parlant du projet de loi – abandonné –
produisent encore près de 60 % du PIB national et voulant taxer et mettre des amendes aux chômeurs
représentent 50 % des emplois. Plus encore que les de plus de six mois. La gestion calamiteuse de
manifestations, Loukachenko redoute donc une grève l’épidémie de Covid-19 par le satrape de Minsk, au
générale, pas encore décidée malgré de nombreux pouvoir depuis vingt-six ans, a fini d’attiser la soif de
appels, et l’arrêt de l’économie. changement d’une bonne partie de la population, y
compris les fidèles salariés du secteur public.
La détermination semble avoir essaimé. L’idée
d’une grève générale était toujours discutée mardi,
notamment sur le site de MTZ à Minsk. Une
coordination nationale de la grève s’organise et un
canal Telegram « Grève Belarus » vient d’être créé
pour fédérer les différentes initiatives. Le seul syndicat
Manifestation dimanche à Minsk contre l'exécutif biélorusse. © Sergei Gapon / AFP.
indépendant de Biélorussie vient lui de lancer un appel
Le modèle économique imposé par l’ancien au soulèvement général dans les entreprises.
directeur de kolkhoze (ferme) soviétique Alexandre Mais la partie est loin d’être gagnée pour les
Loukachenko a certes, pendant longtemps, été salariés mobilisés et l’opposition. D’abord l’appareil
apprécié de la population, aidé par une forte croissance sécuritaire de Loukachenko semble tenir bon pour
au milieu des années 2000 notamment. Repoussant le l’instant. Surtout, dans les entreprises étatiques, la
choc d’ultra-libéralisation qu’a subi la Russie dans les pression d’en haut a commencé à s’abattre sur les
années 1990, il a ainsi su maintenir son pays loin des grévistes : à l’usine MTZ, la direction a agité lundi le
énormes inégalités des pays émergents, avec à la clé de spectre de licenciements massifs, de coupes dans les
la stabilité sociale et un relatif confort : premier emploi salaires et d’autres mesures disciplinaires.
assuré par l’État pour les jeunes diplômés, taux de
pauvreté à seulement 6 % soit deux fois moins qu’en La possibilité de perdre son emploi, alors que la
Pologne, salaire minimum au alentours de 500 $ soit valeur-travail est fondamentale en Biélorussie, effraye
deux fois plus qu’en Ukraine… désormais de nombreux grévistes. À MTZ, il ne
seraient plus qu’un tiers des salariés à être prêts
Mais depuis 2010, le modèle s’essouffle, sur fond de à continuer la grève (250 grévistes mardi contre
relations économiques plus difficiles avec le grand plus d’un millier auparavant). Le mouvement gréviste
frère russe (80 milliards de dollars de subsides entre va devoir doublement s’armer de courage pour se
2002 et 2015). Comme le rappelait le Financial relancer.
Times, l’écart de PIB par habitant avec la Pologne
voisine s’est par exemple creusé depuis dix ans. Le « Pour l’instant, la grève n’a pas encore touché
le secteur des hydrocarbures, plus crucial pour le
régime que les industries de production, note David

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Teurtrie, chercheur à l’Inalco. Si cela change et si les grèves peuvent se transformer en poids politique
pour l’opposition, alors Loukachenko sera vraiment
menacé. »

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