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DE FRIDA KAHLO
Suzanne Ferrières-Pestureau
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2013 | pages 55 à 68
ISBN 9782749238777
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Suzanne Ferrières-Pestureau
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Suzanne Ferrières-Pestureau, psychanalyste, chercheur associé à l’université Paris-Diderot, Sorbonne Paris Cité
(EA 3522), membre de Traversées freudiennes, Paris.
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satisfaction des premiers temps du petit d’homme. Il ajoute en 1920, dans « Au-
delà du principe de plaisir », que l’effraction, pour la douleur, se produit sur une
petite étendue, alors que pour le traumatisme elle se produit sur une grande
étendue. L’afflux d’excitation provoqué par la douleur va entraîner une tension
interne telle qu’elle menace l’intégrité de l’appareil psychique. Cette douleur
désorganisatrice, proche de la pulsion de mort, apparaît comme un reste que ni
le principe de plaisir ni même le masochisme ne peuvent jamais tout à fait
prendre en charge. Source d’excitation qui agit comme une excitation pulsion-
nelle constante, la douleur ressemble à une pulsion, « une pseudo-pulsion »
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(Freud, 1915) en tant qu’excitation agissant de façon continue. Il manque en
effet à la douleur des caractéristiques essentielles pour équivaloir à une pulsion à
part entière. Notamment, elle n’est pas sujette à refoulement, se présentant
toujours comme d’origine externe par rapport à la psyché. Elle ne peut faire
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« Je devais avoir 6 ans lorsque je vécus intensément une amitié imaginaire avec une
petite fille […] à peu près de mon âge. Sur la verrière de celle qui était alors ma
chambre, qui donnait sur la rue Allende, sur un des premiers carreaux. Je faisais de la
“buée”. Et d’un doigt, je dessinais une porte (suit un dessin de la fenêtre de sa
chambre) […].
Par cette “porte” je m’échappais en rêve, avec une grande joie et urgence, je traversais
toute l’étendue visible qui me séparait d’une laiterie qui s’appelait “Pinzon”… Par le
“o” de Pinzón, j’entrais et descendais intempestivement à l’intérieur de la terre, où
“mon amie imaginaire” m’attendait toujours » (Herrera, 1983).
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La création de cette « amie imaginaire », au moment où la petite Frida se voit
confrontée à une perte d’autonomie et à un sentiment de solitude, voire de rejet,
du fait de son handicap, est un mécanisme de défense contre une blessure narcis-
sique risquant de mettre le moi de l’enfant en péril. Ce dédoublement entre une
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et ressortit par le vagin.
L’impression de silence et de lenteur décrite par Frida au moment de l’accident
témoigne d’un état de sidération psychique provoqué par la violence de l’effraction
traumatique qui ne trouve pas de représentation psychique pour l’accueillir. L’effroi
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où elle est hospitalisée après l’accident, lorsqu’elle se retrouve seule le soir après les
visites. Allongée sur le dos, doublement emprisonnée dans un plâtre et enchâssée
dans une sorte de boîte qui ressemble à un sarcophage, elle a des visions de chair
nue baignée de rouge et d’or, accompagnées d’exclamations, « la bailarina ! »,
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modèle de l’effraction traumatique. Le passage de l’une à l’autre se fait par le biais
de la représentation dont l’activité est mise en branle par la douleur physique. Ce
passage de la douleur corporelle à la douleur psychique correspond, selon Freud, à
la transformation de l’investissement narcissique en investissement d’objet.
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À compter de cet accident, dont elle se remet relativement vite – trois mois
plus tard en effet, elle recommence à travailler et à se déplacer dans Mexico –, la
douleur ne la quittera plus, ni la lutte qu’elle va engager sans relâche contre elle
dans l’alternance des rires et des larmes dont attestent sa correspondance et les
dessins qui l’accompagnent.
Un an après l’accident, elle doit subir une nouvelle opération de la colonne
vertébrale à la suite d’une rechute due probablement aux séquelles de la première
intervention. Immobilisée sur son lit, contrainte de renoncer aux études de méde-
cine auxquelles elle se destinait, presque par hasard, elle se tourne vers une occupa-
tion qui va changer sa vie ainsi qu’elle le raconte :
« Comme j’étais jeune, cette mésaventure ne présenta pas sur le moment de caractère
tragique : je sentais en moi suffisamment d’énergie pour faire n’importe quoi à la
place des études de médecine. Et sans y faire trop attention, je me mis à peindre »
(Herrera, 1983).
Frida avait certes du goût pour l’art, ayant suivi l’enseignement de Fernandez
et bénéficié des cours obligatoires de dessin et de modelage sur argile enseignés à la
Préparatoria, mais on ignore si elle caressait des ambitions artistiques, et bien
qu’ayant, selon le témoignage d’anciens camarades de cette époque, une « nature
d’artiste », rien ne permet d’affirmer que la peinture fut pour elle une vocation.
Parmi les diverses versions données par Frida dans sa biographie, aucune n’atteste
d’une détermination précoce pour l’activité de peindre. L’ennui ressenti sur son lit
d’hôpital l’aurait poussée à faire quelque chose :
« J’ai volé (sic) à mon père de la peinture à l’huile et ma mère m’a commandé un
chevalet spécial car je ne pouvais pas me lever [elle veut dire “me redresser”], et j’ai
commencé à peindre », écrit-elle à un ami (Herrera, 1983).
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L’anecdote des couleurs « volées » au père a retenu mon attention car elle fait
écho à d’autres témoignages plus ou moins romancés qui m’amènent à postuler une
identification à un trait paternel phallique symbolisé par la boîte de couleurs à
l’huile, les pinceaux et la palette gardés par le père dans un coin de son atelier, et
qu’elle « reluquait » (sic) depuis sa plus tendre enfance sans savoir pourquoi, dira-
t-elle. Frida se décrit en effet comme la préférée du père, celle qu’il considère
comme la plus intelligente de ses six filles, celle qui lui ressemble le plus.
Guillermo Kahlo, qui souffrit toute sa vie de crises d’épilepsie, était comme sa
fille un être à la sensibilité exacerbée. Photographe reconnu et réputé pour ses
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portraits, et ses aquarelles, il emmène très tôt la petite Frida dans ses déplacements
et dans l’atelier où il développe ses clichés. Lorsque l’enfant contracte sa première
maladie à l’âge de 6 ans, les liens entre le père et la fille se resserrent autour d’une
même expérience de la maladie et de la solitude. Frida rapporte que les crises de
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femme nue, le visage recouvert d’un linceul, les jambes écartées face au spectateur,
accouche d’un enfant dont seule la tête est sortie. Deux interprétations sont attri-
buées à Frida à propos de cette toile : « C’est comme ça que j’ai imaginé ma nais-
sance » et « celle qui a accouché d’elle-même ». Cette toile suggère que sa venue au
monde a été une sorte de mort pour sa mère, mort qui dans ce moment d’indiffé-
renciation originaire serait aussi sa propre mort dont elle se serait extirpée par la
création d’un fantasme d’auto-engendrement. Ce fantasme d’auto-engendrement
serait pour E. Bizouard (1995) à l’origine de l’impulsion créatrice chez certains
créateurs. Les nombreux autoportraits peints par Frida Kahlo pourraient dans cette
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perspective être envisagés comme une tentative de s’arracher à un risque de désor-
ganisation mortifère liée à une angoisse de mort. L’autoportrait servirait ainsi de
support à une relation d’objet narcissique et contribuerait à restaurer un sentiment
d’identité mis en péril par la violence des traumatismes successifs.
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La deuxième toile, datée de 1937, Ma nourrice et moi, est l’une des œuvres
majeures de Frida, c’est aussi le tableau qu’elle préférait. À l’arrière-plan du tableau,
un ciel nuageux d’où perlent des gouttelettes laiteuses, sur lequel se détache la
silhouette immense de la nourrice indienne, à la peau sombre, dont le visage est
couvert d’un masque funéraire de pierre, noir, précolombien (de Teotihuacán). Elle
tient entre ses bras un corps d’enfant ayant le visage de Frida adulte. Aucune marque
de connivence, aucun geste affectueux, aucun partage de regards ne vient accompa-
gner l’offrande d’un sein gauche gonflé de canaux lactifères d’où coulent des gouttes
de lait qui tombent sans effleurer la bouche fermée de la femme-enfant.
À partir de ces deux toiles, où la mère et la nourrice apparaissent soit mortes,
soit déprimées, mais toujours indifférentes à l’égard de l’enfant, je ferai l’hypothèse
que la perte du regard maternel a entraîné chez la petite fille un surinvestissement
de la fonction visuelle (Lanouzière, 1991, 2001). Ce surinvestissement mis au
service de la détection d’indices de survie se traduira dans la vie et dans son activité
de peintre par une « passion » pour les couleurs vives et pour les matières brillantes,
alliées à des qualités tactiles, comme le velours rouge dans son premier autoportrait
de 1926, Autoportrait à la robe de velours, ou les tissus soyeux des robes qu’elle porte
dans ses autoportraits ainsi que dans la vie.
Le surinvestissement de ces indices participe à la mise en scène érotisée d’un
corps dont la destinée est de porter un désir, de susciter une admiration. Cette
passion des couleurs trouve dans la filiation maternelle un renforcement identifica-
toire, attesté par l’éclat et la variété des costumes mexicains et indiens qui colorent
les autoportraits de l’artiste. Antonio Calderon, le père de sa mère, était en effet
d’origine indienne et exerçait, comme Guillermo Kahlo, le père de Frida, la profes-
sion de photographe. Cette stratégie désirante mise en œuvre dans le chatoiement
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des toilettes ressortit des défenses féminines hystériques normales et participe d’une
lutte pour sortir de l’invisibilité à laquelle, enfant, elle s’est sentie assignée par le
manque de regard maternel. En se dotant des attributs phalliques, « arrachés » au
père, et par le recours à la mascarade, ce jeu du caché/montré dont elle avait le
secret, Frida cherche à attirer et à provoquer le regard des autres pour se voir.
Cette hystérisation prend appui pour Frida sur la constitution d’un œdipe
précoce venant pallier le manque de regard maternel par déplacement de la libido
narcissique sur le père. Ce déplacement sur le père et sur ses attributs colorés corres-
pond à un temps visuel fondamental pour Frida dans son devenir de peintre, car il
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va lui ouvrir l’accès au complexe d’Œdipe et au complexe de castration, dont l’an-
goisse contient, rassemble et reprend toutes les angoisses dépressives et les affects
primitifs engendrés par les défaillances maternelles.
Le recours au père, doté d’un attribut phallique qui vient symboliser le
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père – une rencontre faite dans un contexte à la fois festif et empreint d’une
certaine violence, dont elle nous livre l’histoire dans son journal : « Un soir lors
d’une fête donnée par Tina, Diego tira sur un phonographe et je me suis mise à
m’intéresser beaucoup à lui malgré la peur qu’il m’inspirait » (Herrera, 1983).
Une rencontre antérieure, racontée cette fois par Diego dans son autobiogra-
phie, vient confirmer cette hypothèse. Alors qu’il était occupé à peindre une fresque,
grimpé sur un échafaudage, « on entendit quelqu’un hurler en essayant d’enfoncer
le porte de l’amphithéâtre. Elle s’ouvrit à toute volée et une gamine qui ne semblait
pas avoir plus de 10 ou 12 ans fit irruption dans la salle. […] Elle avait une dignité
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étrange et un aplomb inhabituels, et un feu étrange brûlait dans son regard. […] Elle
me regardait droit dans les yeux : “Cela vous ennuierait-il d’une quelconque manière
si je vous regardais travailler ?” demanda-t-elle » (Herrera, 1983).
Ces deux anecdotes nous permettent de repérer un trait commun au père et au
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et renouer ainsi avec ce moment spécifique jubilatoire baptisé stade du miroir par
Lacan. Selon l’auteur, la cause de cette jubilation tient au plaisir qu’a l’enfant de
contempler une image anticipée de son unité, à un moment où il ne maîtrise pas
encore physiologiquement cette unité.
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Pour Frida, outre le fait que cette image anticipée de son unité est restée
problématique du fait de la défaillance du regard maternel, la réalité de ce corps
meurtri aperçu dans le miroir la confronte au retour d’une image du corps anté-
rieure à celle vue dans le miroir. Cette image du corps d’avant le stade du miroir,
construite à partir de liens somato-psychiques préverbaux proches du fonctionne-
ment psychotique, renvoie à des affects primaires en quête de formes dont certaines
toiles nous donnent à voir les métamorphoses. L’angoisse libérée par la déliaison
pulsionnelle consécutive à la douleur, redoublée par la vision traumatique d’un
corps handicapé, va animer le geste créateur en quête de constructions figuratives
visant à retrouver un vu apte à tirer à lui une partie de ces affects générés par un
vécu traumatique indicible mais figurable sur la toile du peintre.
Plusieurs toiles illustrent cette quête de figuration d’un vécu traumatique irre-
présentable. Je n’en retiendrai qu’une, inspirée par la douleur folle ressentie par
Frida à la découverte de la liaison de Diego avec sa sœur Cristina : une toile peinte
en 1935 intitulée Quelques petites piqûres.
Un acte abominable vient d’être commis. La victime, baignant dans son sang,
totalement nue, gît sur le drap bleu d’un lit situé au centre d’une pièce vide, au-
dessus duquel flotte une banderole tenue par deux oiseaux portant l’inscription
« quelques petites piqûres ». Elle porte une chaussure noire à talon au pied droit,
sur lequel tombe un bas qui a glissé, et une jarretière. À ses côtés, un homme écla-
boussé de sang se tient debout, les yeux fermés, la main droite posée sur l’arme du
crime et la main gauche dans la poche de son pantalon. Le message est assez clair
pour nous autoriser à voir dans ce spectacle sanglant la figuration d’un vécu
d’abandon et de trahison assimilable à un meurtre.
Dans cette perspective, le geste de peindre pourrait être envisagé comme un
geste de survie, où il s’agirait de figurer au-dehors des éprouvés corporels sensori-
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affectifs liés au retour quasi hallucinatoire d’une image archaïque du corps ayant
laissé des traces ineffaçables. Cette exigence de figuration, face aux angoisses de
morcellement ou de castration réactivées par la réalité du corps, serait assimilable à
un contre-investissement de la douleur visant à sauvegarder coûte que coûte une
cohésion narcissique menacée par les effets déliants de la douleur. Cette cohésion
se fera par le travail d’élaboration picturale et la mise en œuvre des processus secon-
daires que l’acte de peindre implique.
Le début de l’activité créatrice de Frida est marqué par la solitude et la douleur,
mais aussi par une énergie débordante mobilisée par cette douleur pour en
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surmonter l’épreuve. Allongée sur son lit, elle commence à peindre des portraits de
camarades, de membres de sa famille et d’elle-même dès 1926 – portraits très
influencés par la peinture italienne de la Renaissance (Botticelli), mais dont très vite
elle se dégage pour affirmer un style plus personnel, encouragée à partir de 1928
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justifié, mais derrière lequel peut s’entendre une douleur qui deviendra le moteur
de son activité créatrice. Cette douleur physique mais aussi morale est celle de la
perte d’un objet investi narcissiquement, qu’il s’agisse de la perte d’intégrité de son
corps handicapé à la suite de l’accident ou de la perte d’un objet d’amour vécu
comme une partie de soi.
Ce premier autoportrait est paradigmatique de l’ensemble de l’œuvre de Frida,
notamment des soixante-dix autoportraits qui jalonnent sa vie, dont le dernier sera
exécuté peu de temps avant sa mort : tous portent le témoignage d’une lutte inces-
sante contre la douleur, pour s’en arracher en figurant l’invisible d’un vécu ayant
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gardé la force primordiale du rêve. Frida peint ses autoportraits, animée par la force
de l’intensité douloureuse en quête de forme, fût-ce au prix de déformations, pour
se voir telle qu’elle ne se connaît pas. L’artiste, ainsi que l’écrit Paul Klee (1998), ne
fait que « recueillir ce qui monte des profondeurs pour le transmettre plus loin ».
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Diego qui l’a beaucoup trompée, et derrière eux à l’image d’une mère nourricière
vécue comme mortifère par son impuissance à sauver son enfant de la douleur et
de la mort. Paradoxalement, l’image de la mère de l’artiste n’est à ma connaissance
jamais représentée dans les toiles de Frida, où, oserai-je dire, elle brille par son
absence.
La compulsion de répétition liée à une douleur qui n’est pas refoulable
alimente le processus de création en contraignant le créateur à faire avec ce qui
vient par la voie de cette douleur, avec cette néo-genèse d’une énergie qui pousse à
la sublimation. Le geste créateur est motivé par un agir inconscient cherchant à se
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réaliser sous la forme de toutes les présentations déformées qui se frayent un
chemin entre les exigences du monde et celles de la censure, pour figurer, dans des
symboles unificateurs, l’invisible d’un corps menacé d’éclatement sous la violence
de la douleur.
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Toutes les toiles peintes par Frida, et notamment ses autoportraits, témoignent
de cette lutte incessante entre un désir impétueux de vivre qui peut prendre la
forme d’un défi et les forces de destruction qui la taraudent et dont elle triomphera
jusqu’à son dernier jour, ainsi qu’en atteste ce « Viva la vida » inscrit pour l’éternité
sur sa dernière nature morte, en 1954, l’année même de sa mort.