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Coopération militaire et policière

en Françafrique
De l’héritage colonial au partenariat public-privé

Avec les études de cas


du Cameroun, du Togo et de RDC Mars 2018
La coopération militaire et policière en Afrique :
de l’héritage colonial au partenariat public-privé

Rapport de l’association Survie, coordonné par Thomas Borrel


Montreuil, mars 2018 (version mise à jour et complétée. Première version : novembre 2017).
Couverture : forces de l’ordre au Togo, octobre 2017. Crédit photo Kodjo Kodjo

Créée il y a plus de 30 ans, l’association Survie décrypte


l’actualité franco-africaine et se mobilise contre la Françafrique,
qu’elle a fait connaître. Elle compte plus de 1300 adhérent.e.s et
une vingtaine de groupes locaux partout en France.

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Sommaire

Résumé.............................................................................................................5

Introduction......................................................................................................7

Une continuité historique depuis 1960..........................................................9


Organiser des armées et des polices, structurer des dépendances........................9
L’héritage des missions militaires de coopération..........................................................9
Coopération policière et concurrence des réseaux......................................................10

1998 : une réforme en trompe-l’œil.........................................................................11


Rénovation des accords, maintien des pratiques...................................................14
Les « continuum » pour continuer...........................................................................18
De 2008 à 2017, une continuité dans la théorisation...................................................18
Sécurité & développement : le renouveau du dogme de la « stabilité ».......................19

La coopération policière et militaire aujourd’hui : un cadre officiellement


transparent, une réalité opaque....................................................................23
Coopérations structurelle et opérationnelle, les deux mamelles de la complicité. .23
La France continue de « conseiller » les plus hautes autorités françafricaines............25
Coopération opérationnelle : conserver l’amitié des « frères d’armes ».......................28

Matériel de répression : derrière le podium des ventes, les vieilles habitudes......31


Un régime complexe d’autorisation des fournitures de matériel...................................32
Un contrôle parlementaire très parcellaire...................................................................33

Effets d’aubaine pour les prestations privées............................................35


Prestations et diversification des sources de financement.....................................35
Baisse du budget de la DCSD.....................................................................................35
Maintenir l’influence.....................................................................................................36
De la réserve parlementaire aux financements d’entreprises.......................................37

Sous l’institutionnel, le privé....................................................................................38


CIVI.POL Conseil, petite sœur de la Sofremi...............................................................38
Défense Conseil International, l’autre DCI...................................................................40
Expertise France, nouvelle émanation du « savoir-faire » français..............................41
Les sociétés privées en embuscade............................................................................43

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Exemples d’actualité : Togo, Cameroun, République Démocratique du
Congo..............................................................................................................45
Au Cameroun, une nouvelle répression sanglante sans conséquence sur la
coopération militaire et policière française..............................................................45
Présence sur des lieux de torture................................................................................45
Explosion de la « crise anglophone »..........................................................................46
Répression féroce........................................................................................................49
L’absence de condamnation diplomatique française....................................................50
Coopération maintenue et « partenaires » décorés.....................................................51
Guerre larvée et langue de bois...................................................................................52

Au Togo, l’inutile hypocrisie de la « gestion démocratique des foules » à la


française..................................................................................................................53
Une armée face à son peuple......................................................................................54
Fourniture de matériels................................................................................................56
Hélicoptères d’attaque.................................................................................................59

En République Démocratique du Congo, opacité et rôle du privé..........................61


La rue conteste Kabila.................................................................................................61
Condamnations internationales...................................................................................62
Double langage de la France.......................................................................................62
Coopération opaque et privatisée................................................................................63
Le secteur privé a bon dos...........................................................................................65

Conclusion et revendications.......................................................................69

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Résumé

Ce rapport, initialement préparé à l’occasion du voyage d’Emmanuel


Macron au Burkina Faso (où il se rendait pour prononcer le 28 novembre
2017 son discours de politique africaine), entend mettre en lumière un
aspect institutionnel trop méconnu de la Françafrique : la coopération
militaire et policière française avec des régimes autocratiques.
Le rapport souligne tout d’abord la continuité de cette coopération mili-
taire et policière, en dépit de réformes et d’évolutions institutionnelles.
Aujourd’hui, l’argument du double continuum, entre sécurité et défense
d’une part et entre sécurité et développement d’autre part, vient justifier
une pratique indéfendable : le maintien d’un appui, à forte portée symbo-
lique, à des armées ou polices coupables de graves violations des droits
humains. Une approche « technique », qui voudrait former ces forces de
l’ordre à réprimer moins brutalement, ne peut pas apporter de solution à
un problème politique : les régimes en question sont illégitimes et ne
devraient pas être soutenus.
Ce rapport insiste en outre sur le grave manque de transparence qui
entoure la coopération militaire et policière française : absence d'informa-
tion exhaustive sur les conseillers mis à disposition pays par pays, et à
quel poste ; et opacité complète sur les fournitures de matériels dits « de
sécurité », c’est-à-dire utilisés par les appareils répressifs de ces régimes.
Ce rapport met également en lumière une tendance inquiétante : la mon-
tée en puissance d'opérateurs parapublics ou privés pour mener les projets
de coopération militaire ou policière, en lien avec les autorités françaises ;
mais également une diversification des sources de financement de la
Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) qui va de
fonds relevant de la réserve parlementaire à des financements privés d'en-
treprises. C’est cette tendance que le titre du rapport entend dénoncer, en
évoquant un "partenariat public-privé".
Enfin, le rapport revient sur les cas récents de répression féroce au Came-
roun, au Togo et en République Démocratique du Congo (RDC), pour
montrer que l'absence de condamnation française claire des violations des
droits humains par les forces de l'ordre est d’autant plus inacceptable que

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la présence de conseillers français sur place permet au ministère de l’Eu-
rope et des Affaires Étrangères d'avoir toutes les informations en temps
réel. En ne suspendant pas immédiatement sa coopération militaire et
policière, le gouvernement français refuse ainsi de se désolidariser d’un
appareil répressif brutal. Au Cameroun, l’Ambassadeur de France, lui-
même militaire, a même remis des décorations françaises à des représen-
tants des forces de l’ordre camerounaises à l’occasion des commémora-
tions du 11 novembre, soit juste après qu’elles aient tué entre 40 et
100 personnes lors de la répression des manifestations dans les régions
anglophones. Au Togo, des matériels produits par des entreprises fran-
çaises ont été utilisés lors de la répression récente. Le gouvernement
d’Édouard Philippe pourrait même valider la vente au forces armées togo-
laises d'hélicoptères d'attaque de l'armée française, qui avait été bloquée
par le gouvernement précédent en arguant qu'ils pourraient être utilisés
contre des civils. Et en RDC, le Quai d’Orsay a fini par justifier le main-
tien de sa coopération policière et militaire en évoquant une « adapta-
tion » de son dispositif et en se défendant d’avoir du personnel à des
postes opérationnels ou impliqué directement dans la répression des mani-
festations – des arguments fallacieux auquel ce rapport répond.
Les revendications de l’association Survie, présentées en conclusion,
portent notamment sur la transparence sur la coopération militaire et poli-
cière et sur son arrêt immédiat avec des régimes dictatoriaux.

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Introduction

Depuis les indépendances africaines, fort aussi bien que leurs prédéces-
la France a mis en place et main- seurs. Les autorités françaises n’ont
tenu, malgré différentes adaptations, jusqu’à présent fait aucune distinc-
une coopération militaire et poli- tion entre un régime plus démocra-
cière avec des régimes criminels, au tique et une dictature militaire ou
nom d’un prétendu renforcement de policière, témoignant d’une volonté
l’état de droit. Pourtant, même de maintenir un canal d’influence
après des décennies d’un tel « ren- privilégié, qui prime largement sur
forcement », certains des régimes les « valeurs » dont se targuent les
bénéficiaires comptent parmi les gouvernements et parlements suc-
dictatures les plus brutales du conti- cessifs. Même en 2015 et 2016,
nent africain. alors que les forces de l’ordre ont
tué des manifestants au Congo-Braz-
La réforme de la coopération de
zaville, au Tchad, à Djibouti et au
1998 n’y a pas mis fin, pas que le
Gabon2, ces exactions et les
salutaire – mais bien éphémère –
demandes d’enquête indépendante
scandale provoqué par les propos
qui ont suivi n’ont que trop peu été
de Michèle Alliot-Marie à l’Assem-
l’occasion d’évoquer la permanence
blée nationale en janvier 2011 au
de ce soutien français.
sujet de la Tunisie 1. Celle-ci n’avait
fait qu’évoquer une pratique cou- Juste avant son élection, le candi-
rante, depuis cinq décennies, dat Emmanuel Macron déclarait être
consistant à proposer « le savoir- « très attaché à la stabilité des
faire français » à l’appareil répressif États, même quand nous sommes
d’une dictature amie de la France. face à des dirigeants qui ne
Cela lui coûta son portefeuille défendent pas nos valeurs ou
ministériel, mais ne changea rien à peuvent être critiqués. »3 Plus
la coopération militaire et policière 2 « Élections en Françafrique : Congo, Djibouti,
Tchad, Gabon - La coopération militaire française
française, dont Nicolas Sarkozy et au service des dictatures », rapport de
François Hollande s’accommodèrent l’association Survie, 4 avril 2016
3 « Présidentielle française : à quoi ressemblerait la
1 « Tunisie : les propos "effrayants" d'Alliot-Marie politique africaine d’Emmanuel Macron ? »,
suscitent la polémique », Le Monde, 13 janvier interview par Marwane Ben Yahmed, Jeune
2011 Afrique, 5 mai 2017

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récemment, critiqué pour avoir reçu Ce rapport, après avoir rappelé la
à l’Élysée le dictateur égyptien Al- continuité historique dans laquelle
Sissi, il défendait cette relation en elle s’inscrit, présente l’architecture
rappelant « le contexte » du pays. institutionnelle de la coopération
Comme toujours, le mélange des policière et militaire, pour souligner
causes et des symptômes permet de le manque de transparence et de
justifier à bon compte un soutien à contrôle parlementaire de ces pra-
des régimes criminels : depuis tiques. Il souligne en outre une
l’élection d’Emmanuel Macron, le évolution vers une forme de « par-
Cameroun anglophone et le Togo se tenariat public-privé », une pléiade
sont à nouveau embrasés, battant d’acteurs privés se ruant sur les
en brèche l’argument de la « stabi- marchés Sécurité-Défense qu’ouvre
lité », comme hier en Tunisie ou le réseau diplomatique français, et
au Burkina Faso – même si les des- la recherche tous azimuts de nou-
potes togolais et camerounais sont veaux financements ouvrant une
encore en place. La répression san- voie royale aux entreprises prêtes à
glante qui a été opposée pour seule payer des prestations à des acteurs
réponse à ces mouvements popu- publics dont le budget a connu
laires, par des régimes qui bénéfi- quelques coups de rabot successifs.
cient largement de la coopération Enfin, pour éclairer la dimension
militaire et policière française, ne criminelle de ce type de coopéra-
semble pas avoir ému le nouveau tion, le rapport revient sur la
locataire de l’Elysée, et encore répression récente au Cameroun et
moins son ministre Jean-Yves Le au Togo et détaille ce qu’on sait –
Drian, passé des armées aux et ce qu’on n’arrive pas à savoir –
Affaires étrangères… dont dépen- de la coopération militaire et poli-
dent aujourd’hui les conseillers cière avec ces régimes, puisque
français en poste au sein d’authen- celle-ci n’a pas été suspendue et
tiques dictatures. n’a fait l’objet d’aucune déclaration
publique.

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Une continuité historique depuis 1960
Organiser des armées et des polices, structurer des dépendances

A l’indépendance de chacune4 de Mission militaire de coopération


ses colonies5, la France a tissé des (MMC) était officiellement rattachée
liens étroits avec la nouvelle admi- au ministère de la Coopération mais
nistration, la police et les forces avait dans la pratique un lien étroit
armées – toutes issues des institu- avec la cellule Afrique de l’Elysée.
tions coloniales. L’objectif officielle- Hors « champ », la coopération
ment vertueux de cette « coopéra- militaire dépendait officiellement de
tion », auxquels ont pu adhérer la sous-direction de l’Assistance
sincèrement certains des coopérants, militaire du ministère des Affaires
était d’aider les nouvelles institu- étrangères – qui était de fait large-
tions à se construire ou à se renfor- ment marginalisée. Lors de la
cer : il s’est avéré être le paravent réforme de la coopération et de la
utile d’une politique permettant de disparition du ministère éponyme,
garder la main sur les ressources et fin 1998, ces deux institutions ont
les orientations des nouveaux Etats. été remplacées par une structure
La structuration et la prise en main unique relevant de la Direction
des appareils répressifs des régimes générale des Affaires politiques et
instaurés sous le contrôle effectif de de sécurité du ministère des Affaires
l’Elysée releva de la même logique. étrangères, la Direction de la
Coopération Militaire et de Défense
L’héritage des missions militaires
(DCMD)6. Dix ans plus tard, celle-ci
de coopération
a finalement été transformée en
Créée lors des indépendances pour Direction de la Coopération de
les pays dits « du champ », c’est-à- Sécurité et de Défense (DCSD) 7 pour
dire l’ancien pré carré colonial, la coordonner l’ensemble de la coopé-
4 A l’exception de la Guinée Conakry, où le « oui » ration policière et militaire « struc-
à l’indépendance obtenu par referendum a turelle », c’est-à-dire menant une
entraîné le départ brutal des militaires et autres
fonctionnaires français (dans un objectif action de long terme sur les institu-
« punitif » : la désorganisation de l’administration
locale, en réponse à la volonté émancipatrice du 6 Décret n° 98-1124 du 10 décembre 1998 portant
peuple guinéen, alors stimulée par Sékou Touré). organisation de l'administration centrale du
5 C’est également le cas au Cameroun francophone ministère des affaires étrangères
et au Togo, même si ces anciennes colonies 7 Décret n° 2009-291 du 16 mars 2009 portant
allemandes étaient administrées par la France en organisation de l'administration centrale du
vertu d’une tutelle de l’ONU. ministère des affaires étrangères et européennes

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tions des pays concernés. Jusqu’à internationales (DRI, qui intégra des
mars 2009, la coopération policière compétences liées à la construction
et celle de la gendarmerie rele- européenne), elle-même transformée
vaient d’instances de pilotage dis- en 2003 en Sous-direction de la
tinctes. coopération internationale (SDCI) de
la DGGN, qui relevait du ministère
Coopération policière et
de la Défense. Cela n’a pas empê-
concurrence des réseaux
ché la gendarmerie d’intégrer à
Créé en 1960 par Jacques Foccart partir de 2002 le réseau des Atta-
et Michel Debré8, le Service de chés de Sécurité Intérieure des
sécurité de la Communauté devint ambassades française, à l’époque
en 1961 le Service de coopération coordonné par le SCTIP10. La tutelle
technique internationale de police ministérielle distincte fut supprimée
(SCTIP), rattaché au ministère de lors du rattachement de la gendar-
l’Intérieur qui pilota la coopération merie au ministère de l’Intérieur,
policière pendant 48 ans. Relevant en 2009, au moment où l’ensemble
quant à elle du ministère de la des programmes de coopération
Défense, la gendarmerie française a « structurelle » en matière d’armée
pris à partir des années 1980 une et de police furent confiés à la
place croissante en matière de DCSD.
coopération, et entretenu « des
liens particulièrement étroits avec
les forces de police à statut mili-
taire homologue »9 comme les gen-
darmeries d’Afrique francophone.
En 1985 est créé le Bureau de la
coopération et des relations exté-
rieures de la gendarmerie (BUCO-
REG), dédié à la l’assistance tech-
nique avec les pays disposant d’une
force de type « gendarmerie »,
sous la houlette du Directeur géné-
ral de la gendarmerie nationale
française (DGGN). Ce Bureau devint
en 1992 la Division des relations
8 F.X. Verschave, Noir Silence, Les Arènes, 2000
9 Y. Chevrel et O. Masseret, « La gendarmerie,
acteur paradoxal de la "sécurité intérieure-
extérieure" », Revue internationale et stratégique,
vol. 59, no. 3, 2005 (pp. 57-70), p.61. 10 Y. Chevrel et O. Masseret, op. cit.

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Mais parallèlement au pilotage par (DCI) du ministère de l’Intérieur,
la DCSD de la coopération « struc- également créée en 2009.
turelle », des actions plus ponc-
En dépit des changements interve-
tuelles – de coopération dite « opé-
nus dans l’architecture institution-
rationnelle » – sont toujours
nelle, cette coopération militaire et
menées par des unités militaires
policière est donc marquée par une
(forces conventionnelles ou forces
profonde continuité, même si la
spéciales), relevant des états-majors
réforme de la coopération de 1998
des armées, ou par la police ou la
est censée avoir mis fin à des pra-
gendarmerie, relevant de la Direc-
tiques devenues emblématiques de
tion de la coopération internationale
la Françafrique.

1998 : une réforme en trompe-l’œil

La réforme de la coopération de çais de la contre-offensive par l’ar-


1998 a profondément modifié l’ar- mée tchadienne11.
chitecture institutionnelle de la
Il est certes indéniable que le
coopération militaire, pas les mau-
nombre de coopérants militaires à
vaises habitudes. Officiellement, elle
considérablement baissé suite à
a été l’occasion de renoncer à la
cette réforme. Comme le notait
coopération « de substitution », qui
récemment la chercheuse de l’IFRI
consiste à placer des coopérants
Aline Leboeuf, « alors qu’il y a
français en position de commande-
quelques années, 300 coopérants
ment direct au sein des états-majors
militaires travaillaient en Côte
des armées africaines, pour se limi-
d’Ivoire, ayant tous des fonctions
ter à une coopération dite « de
de substitution, ils ne sont plus
partenariat », limitée à du conseil…
qu’une dizaine de conseillers »12.
et donc à une forte influence sur la
En 2014, les députés Yves Fromion
prise de décision. Cela n’a
et Gwendal Rouillard faisaient un
d’ailleurs pas empêché, lors de l’of-
constat similaire pour un autre pays
fensive rebelle sur N’Djamena en
central dans le dispositif militaire
février 2008, de revenir momenta-
français en Afrique : « la France
nément à une pratique de comman-
11 Lire à ce sujet R. Granvaud, Que fait l’armée
dement direct par des officiers fran- française en Afrique, Agone, 2009 (notamment
pp.316-317)
12 A. Leboeuf/IFRI, « Coopérer avec les armées
africaines », Focus stratégique, n° 76, octobre
2017, p.42

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entretenait il y a une vingtaine sein de l’armée du pays « bénéfi-
d’années 200 coopérants militaires ciaire », sous uniforme local, conti-
au Tchad, qui assuraient jusqu’à nue néanmoins de brouiller les
l’instruction élémentaire des recrues cartes, et la position officiellement
; aujourd’hui, cette présence a pu technique de conseiller prend néces-
être réduite à un effectif de 14 sairement une dimension politique
coopérants, chargés de fonctions dès lors qu’elle permet d’influencer
d’expertise dans des domaines que les plus hautes autorités du pays,
l’armée nationale tchadienne a surtout lorsque le régime est de
identifiés comme recelant encore facto aux mains de militaires
des marges de progression. »13 Mais (Tchad, Congo, Togo,
pour l’amiral Marin Gillier, à Mauritanie…). Le même Marin Gil-
l’époque à la tête de la DCSD et lier résumait d’ailleurs ainsi, fin
auditionné par ces mêmes députés, 2013, la coopération structurelle
le changement allait bien plus loin : menée sous sa responsabilité : « La
« la Françafrique, c’était de la DCSD travaille beaucoup sur le
coopération de substitution, qui conseil aux hautes autorités, en
arrangeait tout le monde ; la mettant des coopérants auprès de
logique a totalement changé »14. chefs d’État, de ministres ou de
Dans la pratique, cela reste à nuan- chefs d’état-major d’armées et fait
cer. de la formation soit des élites soit
de formateurs qui formeront ensuite
Si la fonction formelle de comman-
eux-mêmes le personnel de leur
dement a disparu, la présence au
pays. »15

13 Yves Fromion et Gwendal Rouillard, Rapport


d’information sur l’évolution du dispositif
militaire français en Afrique et sur le suivi des
opérations en cours, Commission de la Défense
nationale et des forces armées de l’Assemblée 15 Olivier Fourt, « Quelle coopération militaire
Nationale, 9 juillet 2014, p.149 française vers l’Afrique? », RFI, 1er décembre
14 Yves Fromion et Gwendal Rouillard, op.cit., p.147 2013

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L’amiral Marin Gillier, patron de la DCSD, reçu par le dictateur burkinabè Blaise Compaoré
le 15 janvier 2014 – soit quelques mois avant le renversement de ce dernier par la rue.
Dans leur rapport d’information de – de bénéficier d’un accès
juillet 2014 sur l’évolution du dis- privilégié à la connaissance des
positif militaire français en Afrique, pays concernés, tant pour ce
Yves Fromion et Gwendal Rouillard qui concerne leurs dirigeants
se sont même félicités que des civils et militaires que pour ce
qui est des caractéristiques de
conseillers militaires français soient
ces théâtres, et de « capitaliser
toujours mis à disposition des plus
» ainsi une connaissance de
hautes autorités politiques et mili- l’Afrique »16
taires africaines, et que cela offrait
à la fois une opportunité d’in- Comme avant 1998 avec la Mission
fluence et une source d’informa- militaire de coopération ou le
tions : SCTIP, lorsque des médias ou des
« Ce dispositif (...) permet à la ONG accusent l’armée ou la police
France : d’une dictature d’avoir violé les
– d’apporter aux États droits de manifestants ou d’oppo-
concernés un appui d’autant sants (comme très récemment au
plus efficace que les coopérants Cameroun et au Togo), la DCSD est
sont insérés directement dans déjà parfaitement informée de la
les cabinets, états-majors et réalité de la situation sur place –
services où ils sont affectés, tout comme ses autorités politiques
sous l’uniforme du pays hôte ;
de tutelle, qui ont donc la capacité
– de conserver ainsi des leviers
d’agir en connaissance de cause.
d’influence à un coût très
modéré ; 16 Yves Fromion et Gwendal Rouillard, op.cit.,
p.148. Au passage, l’évocation de « cabinets »
renvoie bien à des autorités politiques civiles.

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Rénovation des accords, maintien des pratiques

En France, le débat public sur la Sénégal n’avaient été signés


coopération militaire a souvent été qu’en 1974. Le Tchad, le
réduit aux seuls accords de défense Congo-B, le Niger et le Bénin
ou d’assistance militaire. La « réno- (ex Dahomey) avaient signé
vation » d’une partie de ces lors de leur indépendance des
accords, à partir de 2009, a ainsi accords similaires, mais qui
été l’occasion de dresser un écran furent dénoncés ensuite17. Le
de prétendue modernité sur des nom des nouveaux accords
pratiques pourtant toujours très évoque désormais un « parte-
opaques. nariat de défense » (Cameroun,
Centrafrique, Côte d’Ivoire,
Aujourd’hui, de « nouveaux »
Comores, Gabon, Togo), un
accords fixent un cadre à la coopé-
« partenariat en matière de
ration militaire française avec diffé-
coopération militaire » (Séné-
rents pays clés de l’aire d’influence
gal) ou encore une « coopéra-
de la France en Afrique :
tion en matière de défense »
• les anciens « accords de (Djibouti) et ne contiennent
défense » ont été révisés sous plus de clause d'assistance de
Nicolas Sarkozy : nombre défense (sauf Djibouti) ni de
d’entre eux comprenaient des clauses secrètes. Mais le cadre
clauses secrètes sur le maintien qu’ils fixent est relativement
de l'ordre contre un approvi- large, stipulant notamment
sionnement préférentiel en qu’est ainsi autorisée « toute
matières stratégiques, et justi- autre activité convenue d’un
fiaient une possible opération commun accord entre les Par-
militaire française contre une ties en fonction de leurs inté-
agression extérieure… voire rêts communs. »
une menace interne au pays
telle qu’une rébellion ou un
mouvement populaire. Ceux
signés avec la Centrafrique, les
Comores, la Côte d’Ivoire, Dji-
bouti, le Gabon et le Togo
dataient de l’indépendance de 17 Jean-François Guilhaudis, « Les accords de
"défense" de deuxième génération, entre la France
chacun de ces pays, tandis que et divers pays africains (Inf.8/1-7) », PSEI,
ceux avec le Cameroun et le Numéro 4, Chronique sécurité et insécurité
internationale en 2016.

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même logique, la Mauritanie et
le Burkina Faso, qui font partie
de la zone géographique offi-
ciellement couverte par Bar-
khane, pourraient voire
devraient être concernés par
des accords similaires.
• les accords d'assistance mili-
taire technique, qui ne per-
mettent pas officiellement une
opération des forces armées
• les accords liés à l’opération françaises, mais qui fixent un
Barkhane, déployée sur cinq cadre juridique pour la coopé-
pays du Sahel : le Mali, suite à ration militaire : formation,
l’opération Serval et avant le audits, conseils, cessions gra-
déclenchement de Barkhane, a tuites de matériel militaire, etc.
ainsi signé en juillet 2014 un Ils ont été signés parfois en
« traité de coopération en complément des accords de
matière de défense »18. Selon défense, parfois à leur place
des sources parlementaires ou quand ceux-ci furent renégociés
de presse, le Tchad pourrait (Tchad, Niger…). Selon le
signer prochainement19 un juriste Jean-François Guilhau-
accord similaire, ou même dis,« la France avait des
l’avoir signé avant le Mali, de accords de ce type avec une
même que le Niger20. Selon la liste beaucoup plus longue de
pays : Algérie, Bénin, Burundi,
18 Décret n° 2016-1565 du 21 novembre 2016
portant publication du traité de coopération en Libye, Madagascar, Mali,
matière de défense entre la République française
et la République du Mali, signé à Bamako le 16
Maroc, Maurice, Mauritanie,
juillet 2014 Niger, Rwanda, Seychelles,
19 Dans son rapport sur le projet de loi autorisant la
ratification du traité de coopération en matière de Tchad, Tunisie, Zaïre. »21
défense entre la République française et la
République du Mali, déposé le 3 février 2016 au et entre la France et le Tchad d’autre part. Le
nom de la commission des affaires étrangères, de prochain le sera le 20 janvier prochain au Mali.
la défense et des forces armées du Sénat, Claude "Ces accords nous permettent d’intervenir de
Nougein indique que « la signature d'un nouvel manière autonome, tout en informant les autorités
accord de défense du même type est envisagée des pays concernés », indique une source au
avec le Tchad ». ministère de la Défense, sans donner plus de
20 Le journaliste spécialisé Défense Olivier Four détails. » (RFI, « Infographie : la France
écrivait en janvier 2014 que les accords avec le «réarticule» son dispositif militaire au Sahel »,
Tchad et le Niger avaient précédé celui du Mali : 8 janvier 2014)
« Deux accords ont été signés discrètement en 21 Jean-François Guilhaudis, « Les accords de
décembre entre la France et le Niger d’une part, "défense" de deuxième génération, entre la France

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• les accords sur le statut des support d’un accord formel et
forces, ou SOFA (Status of maintenus ensuite dans la
forces Agreements), qui défi- durée. Le pays phare est cer-
nissent le statut des forces à tainement à cet égard le
l’étranger, et notamment le Tchad. S’il ne figure pas sur la
statut hiérarchique, fiscal et liste de nos partenaires de
juridique des militaires déta- défense en Afrique, il s’agit
chés. d’un pays où la France est
intervenue presque constam-
Différents types d'accords peuvent
ment depuis l’indépendance,
parfois être réunis dans le même
avec des opérations lourdes
texte. Ils sont en outre complétés
(…) La présence française en
par des « arrangements administra-
Afrique tient en partie à des
tifs » plus souples et moins contrô-
accords qui ne sont pas juridi-
lés22.
quement repérés. »
Suite au malaise (hélas pas un scan-
Le travail parlementaire préalable à
dale) provoqué par l’intervention
la loi autorisant la ratification de
militaire française pour sauver une
ces 8 traités (Cameroun, Centra-
nouvelle fois Idriss Déby en février
frique, Comores, Côte d’Ivoire, Dji-
2008, le président Nicolas Sarkozy
bouti, Gabon, Sénégal, Togo) a été
avait prétendu jouer la carte de la
l’occasion de collecter et de publier
transparence en annonçant que les
des informations pays par pays :
accords de défense allaient être
nombre de coopérants militaires
renégociés et publiés. Cela a effecti-
(mais pas la liste des autorités poli-
vement été le cas, entre 2009 et
tiques ou militaires auprès des-
2011, en focalisant notamment le
quelles ils étaient détachés), mon-
débat sur les bases militaires fran-
tant annuel agrégé des coûts23…
çaises et leur évolution. Mais
Depuis, aucune information exhaus-
comme le rappelle Jean-François
tive n’a été publiée.
Guilhaudis :
Quant aux accords d'assistance et
« Le dispositif pré-positionné
de coopération militaire technique,
se compose aussi de pré-posi-
tionnements "de fait", c'est-à- 23 Voir par exemple le rapport fait par le député
dire réalisés ad hoc sans le Michel Terrot, le 5 avril 2011, au nom de la
Commission des affaires étrangères sur les projets
et divers pays africains (Inf.8/1-7) », op. cit. de loi autorisant l’approbation des accords
22 Voir le rapport d’information de Bernard instituant un partenariat de défense entre la France
Cazeneuve sur la réforme de la coopération et le Cameroun, entre la France et le Togo, et entre
militaire, commission de la Défense nationale et la France et la Centrafrique
des Forces armées de l’Assemblée nationale, (http://www.assemblee-
novembre 2001 (notamment pp.111-113) nationale.fr/13/rapports/r3310.asp)

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 16


ils n’ont pas été rediscutés dans le pays « bénéficiaire », qui échap-
cadre parlementaire. pent à tout contrôle parlementaire
et à tout débat public : on apprend
Surtout, quelque soit le type d’ac-
parfois la signature de l’une d’elles,
cord, il s’agit d’un cadre général,
au détour d’un article de presse24
régulièrement complété par des
ou d’une communication officielle25,
conventions entre la France et le
mais sans disposer d’information
exhaustive.

Extrait du site internet de l’ambassade de France à Brazzaville : signature d’une


« convention de coopération bilatérale entre la France et le Congo relative à l’action
de la gendarmerie nationale », le 24 juin 2015, par l’ambassadeur de France Jean-
Pierre Vidon et le ministre à la présidence de la République chargé de la Défense
Nationale, Charles Richard Mondjo. Quatre mois plus tard, le dictateur Denis
Sassou Nguesso, en photo au mur, faisait modifier la Constitution, et la
gendarmerie tirait à balles réelles sur la foule de manifestants qui s’y opposaient.

24 Voir par exemple « Coopération militaire : le


Congo et la France signent deux nouvelles
conventions », ADIAC-Congo, 24 janvier 2015,
cf. infra.
25 Voir par exemple « Signature de la convention de
gendarmerie », dernière modification 16/07/2015,
site internet de l’ambassade de France au Congo
(consulté en novembre 2017), cf. infra.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 17


Les « continuum » pour continuer

De 2008 à 2017, une continuité sation de cette « guerre » structure


dans la théorisation de plus en plus l’architecture orga-
En 2008, le Livre blanc de la nisationnelle et le fonctionnement
Défense affirme que « la distinction des armées, de la gendarmerie et
entre sécurité intérieure et sécurité de la police, tant en France que
extérieure n’est plus pertinente ». dans certains pays dans lesquels
Celui de 2013 enfonce le clou, en l’influence de la coopération fran-
évoquant « la continuité qui existe çaise est la plus forte.
entre sécurité intérieure et sécurité La revue stratégique de défense et
extérieure ». Comprenez : il ne faut de sécurité nationale publiée en
plus distinguer le rôle de octobre 2017 vient consacrer offi-
« défense » d’une armée et celui ciellement la théorie de ce « conti-
de « sécurité intérieure » d’une nuum sécurité-défense », revendi-
force de police, car la menace qué depuis plusieurs années dans le
serait de plus en plus diffuse. Entre microcosme militaire et diploma-
temps, l’armée française s’est large- tique. Les attentats menés ces der-
ment déployée au Sahel, d’abord à nières années sont évoqués pour
l’occasion de l’opération Sabre, qui justifier a posteriori la pertinence
désigne l’installation de forces spé- de cette grille de lecture, qui serait
ciales dans l’arc sahélien26, puis de nouvelle en cela qu’elle tiendrait
l’opération Serval au Mali – qui compte de la nature « non-conven-
sera bientôt suivie de Barkhane, sur tionnelle » de la menace28 et de sa
cinq pays. En quelques années, la continuité entre les théâtres d’opé-
classe politique française s’est ran- rations extérieures où intervient
gée derrière l’idée absurde d’une notre armée et la société française
« guerre contre le terrorisme », a que notre police a pour mission
l’instar de celle que l’administration officielle de protéger. La Revue
Bush a voulu mener de par le stratégique 2017 affirme ainsi que
monde, avec les résultats qu’on « ceux du 13 novembre, exécutés
connaît. Largement dénoncée tant par des commandos équipés et
par des associations et syndicats
que par des chercheurs27, la théori- 28 Cette « nouvelle » grille de lecture a évidemment
une parenté évidente avec la « guerre contre-
26 Voir « Cinq guerres pour un empire : révolutionnaire » théorisée au sein de l’armée
L’interventionnisme militaire français en française après la débâcle de l’Indochine, et visant
Afrique », rapport de l’association Survie, janvier à traquer par tous les moyens un « ennemi
2017 intérieur » sur le territoire métropolitain et dans
27 Par exemple Yvan Guichaoua ou Denia Chebli les colonies.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 18


entraînés, marquent une rupture tée du fondamentalisme islamique.
dans la nature même de cette C’est d’ailleurs ce que Nicolas Sar-
menace et justifient la continuité kozy, alors président de la Répu-
entre les notions de sécurité et de blique, avait reconnu dans deux
défense. » interventions inspirées du renverse-
ment de Moubarak en Egypte et de
En gommant progressivement toute
Ben Ali en Tunisie.
frontière entre les fonctions de
« défense » (ou donc d’attaque à Dans une allocution télévisée, le 27
l’extérieur) d’une armée et celles de février 201129, il reconnaissait :
« sécurité intérieure » d’une force « Ces régimes, tous les États occi-
de police, l’hystérie du continuum dentaux et tous les gouvernements
sécurité-défense amène à ne plus français qui se sont succédé depuis
interroger les différences entre ces la fin des colonies ont entretenu
deux missions. Les théoriciens avec eux des relations économiques,
parlent de policiarisation des opéra- diplomatiques et politiques, malgré
tions militaires et de militarisation leur caractère autoritaire parce
des opérations de police : si en qu’ils apparaissaient aux yeux de
France, on trouve encore des tous comme des remparts contre
détracteurs de l’opération Sentinelle l’extrémisme religieux, le fonda-
pour critiquer un mélange des mentalisme et le terrorisme. » Le
genres, dans bien des pays on parle 31 août 2011, dans son discours de
indifféremment de « forces de sécu- clôture de la XIXème Conférence des
rité » sans s’interroger sur l’origine Ambassadeurs30, Nicolas Sarkozy
ou le sens de ce glissement séman- affirmait franchement : « Pendant
tique. des années, notre diplomatie — et
j’en prends ma part — a été orga-
nisée autour du mot "stabilité". Et
Sécurité & développement : autour du mot "stabilité", la France
le renouveau du dogme de la a eu des rapports avec des régimes
« stabilité » qui n’étaient pas des exemples de
Pendant des décennies, la politique démocratie. Le réveil des peuples
étrangère française a été marquée, arabes, leur aspiration à la liberté
notamment en Afrique et au permet de s’appuyer sur cette aspi-
Moyen-Orient, par le dogme de la
« stabilité » : tout était bon pour 29 Discours complet sur http://discours.vie-
publique.fr/notices/117000524.html (consulté en
contrer le « péril communiste » novembre 2017)
30 Discours complet sur
puis, après la fin de la Guerre https://lb.ambafrance.org/XIXeme-conference-
froide, pour faire barrage à la mon- des-ambassadeurs (consulté en novembre 2017)

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 19


ration pour couper définitivement « humanitaire-développement »33,
avec cette stabilité qui nous mettait au sein duquel les acteurs de l’hu-
en permanence en contradiction manitaire et du développement
entre les valeurs que nous devions cherchent à se positionner et à se
défendre et la réalité que nous coordonner, notamment lorsqu’ils
devions assumer. Aujourd’hui, il y s’évertuent à alimenter le moins
a une opportunité de faire concilier possible les conflits armés par leur
la réalité et les valeurs. » Les actes intervention au profit des popula-
n’ont évidemment pas suivi, et ce tions victimes. Mais en partant du
prétexte de la lutte contre le terro- principe – simplissime – que la
risme continue d’être brandie, à sécurité des citoyens d’un pays est
l’instar d’un Emmanuel Macron jus- nécessaire pour que ce dernier se
tifiant le « contexte » égyptien développe, et que le renforcement
pour ne pas évoquer les droits des institutions auquel renvoie entre
humains lors de la réception du autres le concept flou de « dévelop-
dictateur Al-Sissi, cinq mois après pement » améliorera à son tour
son arrivée à l’Elysée31. cette sécurité, l’idée d’un autre
continuum a à son tour émergé.
Mais la théorie du continuum, ou
Cela a des implications sur les
plutôt des continuum, permet aux
acteurs de terrain, comme le résu-
idéologues de la coopération mili-
mait en 2006 la chercheuse Aline
taire et policière française de recy-
Leboeuf : « Deux champs d’action
cler de façon encore plus perni-
jusque-là strictement séparés, celui
cieuse ce dogme de la stabilité, en
du développement et de la sécurité
ventant la cohérence de la politique
sont de plus en plus amenés à
française entre les continuum
interagir/travailler ensemble sans
« sécurité-défense » et « sécurité-
que cette "coopération" voire "com-
développement »32.
pétition" soit encore suffisamment
S’est d’abord imposée, au début des routinière/normée pour que la
années 2000, l’idée d’un continuum répartition des rôles aille de soi. »34
Onze ans plus tard, on constate, à
31 « Macron "ne donne pas de leçons" sur les droits
de l'homme au président égyptien Al-Sissi », l’instar de l’agence de coopération
France Info, 24 octobre 2017. technique internationale Expertise
32 Voir par exemple la page de présentation de la
Direction de la coopération de sécurité et de
défense (DCSD) sur le site internet du ministère 33 Harmer, A. et J. Macrae (2004), “Beyond the
de l’Europe et des Affaires étrangères : continuum. The changing role of aid policy in
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique- protracted crises”, HPG Research Report, ODI,
etrangere-de-la-france/defense-et- n°18.
securite/cooperation-de-securite-et-de-defense/la- 34 Aline Leboeuf, « Sécurité et développement :
direction-de-la-cooperation-de-securite-et-de- acteurs et consensus », Afrique contemporaine,
defense/ (consulté en novembre 2017) vol. 218, no. 2, 2006, pp. 69-83.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 20


France, « une évolution de la com- même argument pour tenter de
munauté internationale et des comptabiliser officiellement comme
bailleurs de l’aide au développe- aide publique au développement
ment, de plus en plus ouverts à une partie des coûts liés aux opéra-
l’idée de financer les acteurs du tions extérieures36). Ainsi, en « opé-
secteur de la sécurité, y compris les rant au cœur des continuum
forces armées des pays tiers quand "défense-sécurité" et "sécurité-déve-
la sécurité apparaît comme un élé- loppement" », comme l’explique
ment indispensable au développe- l’actuel patron de la DCSD37, les
ment. »35 coopérants policiers et militaires
français prétendent aider les dicta-
Et au passage, soutenir les « forces
tures à s’améliorer de l’intérieur,
de sécurité » d’un pays africain,
pour le plus grand bien de leur
fut-il une féroce dictature, passe
population.
désormais pour une contribution au
développement de la part des auto-
rités françaises (qui utilisent le

36 Voir Raphaël Granvaud, « Aide militaire au


35 « Continuum sécurité-développement, nouveau développement », Billets d’Afrique n°247, juin
défi de la coopération internationale », Expertise 2015
France, présentation du « Rendez-vous de 37 « entretien avec le général de corps d’armée
l'Expertise » du 11 octobre 2017, Didier Brousse, à la tête de la Direction de la
https://www.expertisefrance.fr/actualite? coopération de sécurité et de défense (DCSD) »,
id=628078 (consulté en novembre 2017) Cols Bleus, 15 septembre 2017

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 21


Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 22
La coopération policière et militaire
aujourd’hui : un cadre officiellement
transparent, une réalité opaque
Coopérations structurelle et opérationnelle, les deux mamelles de la
complicité

Dans le prolongement des recom- comme un air de déjà-vu. Par


mandations du Livre blanc de la exemple, pour ne remonter que
Défense de 2008, l’architecture de vingt ans en arrière, le gouverne-
coopération policière et militaire est ment Jospin avait défini en 1997,
articulée selon deux approches : parmi les six axes stratégiques de
sa politique de développement
• la coopération « structurelle »,
sur trois ans, « le parachèvement
qui relève depuis 2009 de la
de l'Etat de droit »39. Ce qui a
Direction de la Coopération de
pu changer, ce sont les priorités
Sécurité et de Défense (DCSD),
géographiques, puisque pour la
rattachée au ministère des
DCSD ce sont désormais : « pre-
Affaires étrangères mais pilotée
mière priorité : la bande sahélo-
en lien étroit avec les ministères
saharienne avec la Mauritanie,
de la Défense et de l’Intérieur.
le Sénégal, le Mali, le Burkina
Elle a pour objectif, selon l’an-
cien directeur de la DCSD Marin Faso, Niger et le Tchad ; 2e prio-
Gillier, « de mettre en place, de rité : l'Afrique francophone bor-
renforcer et de pérenniser les dant le golfe de Guinée ; 3e prio-
capacités régaliennes des pays rité : Djibouti, l'Afrique non
partenaires, afin de les aider à francophone, la RCA. »40 Sans
faire face aux menaces et à pré- 39 « Rapport Général n° 85 Tome III Annexe 2 -
projet de loi de finances pour 1998 - affaires
venir les crises et, plus générale- étrangères et coopération : coopération ». Rapport
ment, afin d’accroître leur stabi- de M. Michel Charasse, sénateur, pour la
Commission des finances du contrôle budgétaire
lité »38. Officiellement, un noble et des comptes économiques de la nation.
objectif, donc... mais qui a 40 Christian Cambon et Leila Aïchi,« Budget 2017 -
Action extérieure de l'État : action de la France en
38 Audition du DCSD par la Commission de la Europe et dans le monde ( avis - première
Défense nationale et des forces armées de lecture ) », Avis n° 142 (2016-2017) fait au nom
l’Assemblée nationale, 5 février 2014. de la commission des affaires étrangères, de la

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 23


surprise, la priorité sectorielle est Les Attachés de défense des ambas-
la « lutte contre le terrorisme ». sades dirigent l’une des 88 missions
Viennent ensuite la sécurité mari- de défense existant dans le réseau
time (lutte contre la piraterie) et diplomatique français (dont une
« l'architecture africaine de paix trentaine en Afrique), et couvrant
et de sécurité » avec notamment 166 pays. Cette mission vise, selon
le G5 Sahel. le ministère des Armées, « à la
préservation, au développement et
• la coopération « opération-
à la promotion des intérêts français
nelle », qui inclut la participa-
du domaine de la défense, tant
tion à des opérations conjointes
auprès des autorités locales que des
et les formations spécifiquement
représentations des pays tiers ou
dédiées à la préparation des
organisations agissant locale-
engagements en opérations. Elle 42
ment » . Elle coordonne notam-
relève de l’état-major des armées
ment la coopération militaire et les
pour le volet « défense » et de
relations en matière d’armement.
la Direction de la coopération
internationale (DCI), du ministère Moins connus bien que déployés
de l’Intérieur pour ce qui « dans 93 ambassades et couvrant
concerne la police et la gendar- 157 pays »43, les 280 policiers et
merie (rattachée à ce ministère gendarmes du réseau des Attachés
depuis 2009). de Sécurité Intérieure (ASI) des
ambassades, sont selon l’expression
Sur le terrain, comme l’expliquait le
de l’ancien ministre Bernard Caze-
patron de la DCSD en 2014, mais
neuve « le visage du Ministère de
cela est valable pour la coopération
l’intérieur à l’étranger »44. Ils sont
opérationnelle également, « [les]
surtout les courroies de transmission
échanges avec les coopérants tran-
de la DCI et de la DCSD, en sus de
sitent, selon le projet, soit par l’at-
taché de défense, soit par l’attaché 42 « Le réseau diplomatique de défense »,
http://www.defense.gouv.fr/dgris/action-
de sécurité intérieure, et les internationale/le-reseau-diplomatique-de-
grandes décisions sont prises en defense/le-reseau-diplomatique-de-defense
(consulté en novembre 2017)
accord avec les chefs de poste que 43 « Attachés de Sécurité Intérieure : un réseau
sont les ambassadeurs. »41 unique de coopération policière internationale »,
communiqué du ministère de l’Intérieur, 6
septembre 2016 (consulté en novembre 2017)
44 Intervention de Bernard Cazeneuve au 26ème
colloque des Attachés de Sécurité Intérieure,
défense et des forces armées, déposé le 24 https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-
novembre 2016, p.33 ministre-de-l-interieur/Archives-Bernard-
41 Audition du DCSD par la Commission de la Cazeneuve-avril-2014-decembre-
Défense nationale et des forces armées de 2016/Interventions-du-ministre/26eme-colloque-
l’Assemblée nationale, 5 février 2014. des-Attaches-de-Securite-interieure

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 24


remplir des fonctions de renseigne- nale (ENVR), et de moins en moins
ment. La DCSD ne se limitant pas par l’accueil de stagiaires africains
au volet militaire, l’une de ses mis- dans les centres de formation mili-
sions est en effet dédiée à la taire en France. Selon les députés
« coopération de sécurité inté- Y. Fromion et G. Rouillart, « cette
rieure », qui vise officiellement le formule permet à la France de
« rétablissement de l’Etat de droit : conserver un levier d’influence
Cette démarche vise à améliorer les appréciable et à moindre coût, à
capacités effectives des forces de l’heure où elle n’a plus les moyens
sécurité des pays partenaires par de former en masse les officiers
une coopération structurelle (forma- africains dans ses propres
47
tion en France comme l’étranger, écoles. »
conseil en organisation et en ges-
tion) et logistique (aide en matériels
spécifiques et entretien). L’objectif La France continue de
est de favoriser la progression de « conseiller » les plus hautes
l’Etat de droit. »45 C’est par autorités françafricaines
exemple ainsi que la France forme, Comme le rappelle la chercheuse
y compris sur des crédits d’aide au Aline Leboeuf dans une note
développement relevant du Fonds récente de l’IFRI, la coopération
de Solidarité Prioritaire (FSP), les militaire passe toujours par la mise
services de police et de gendarmerie à disposition de coopérants et de
du Tchad46… une dictature où la conseillers techniques ou opération-
France prétend aider à la progres- nels :
sion de l’État de droit depuis l’in-
« La différence entre ces trois
dépendance, tout en soutenant les
catégories est parfois difficile à
despotes successifs.
établir sauf dans le cas fran-
Sur le plan militaire, la formation çais, puisque les conseillers
relevant de la coopération structu- techniques et opérationnels
relle passe de plus en plus par les sont déployés par l’État-major
Ecoles Nationales à Vocation Régio- des armées, directement ou via
45 Page « Missions et partenaires » de la DCSD sur les Forces françaises en Afrique
le site internet France Diplomatie (consultée en (Gabon, Djibouti, Côte d’Ivoire
novembre 2017)
46 Survie, « Élections en Françafrique : Congo, et Sénégal) pour des forma-
Djibouti, Tchad, Gabon - La coopération militaire tions courtes axées sur des
française au service des dictatures », op.cit.
La DCSD communiquait sur l’une de ces savoir-faire opérationnels
formations le 6 novembre 2017 sur Twitter :
https://twitter.com/CoopSecuDefense/status/92756
(conseillers techniques) ou dans
8845736378369 47 Y. Fromion et G. Rouillard, op.cit., p.152

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 25


le cadre de détachements explique d’ailleurs toujours que
d’instruction opérationnelle « l’audit et le conseil forment un
(DIO) aux côtés des armées, élément de plus en plus représenta-
sur le terrain (conseillers opé- tif de l’action de la DCSD dans le
rationnels). A contrario, les monde. Il se concrétise par l’affec-
coopérants sont déployés par la tation ponctuelle ou prolongée de
direction de la coopération de coopérants militaires, gendarmes ou
sécurité et de défense (DCSD) policiers auprès de hautes autorités
et peuvent notamment servir (primature, ministère de la Défense,
de conseiller auprès d’un état-major, ministère de l’Inté-
ministre de la Défense, d’un rieur...). »50
chef d’état-major ou d’une
Que leur action relève d’une coopé-
école de formation. »48
ration ponctuelle ou d’un travail de
Début 2014, policiers et militaires long terme s’inscrivant dans la
confondus, la DCSD avait selon son « réforme du secteur de la sécu-
patron « envoyé, dans vingt-trois rité » (RSS)51, les coopérants poli-
pays africains, soixante conseillers ciers et militaires français sont de
auprès des plus hautes autorités fait toujours présents au côté des
politiques et militaires »49. Un autorités hiérarchiques les plus éle-
retour en arrière, par rapport à la vées, donc les plus responsables de
réforme de 1998, lors de laquelle la répression sanglante que ces der-
tous les postes de coopération nières ordonnent ou laissent com-
auprès des autorités politiques mettre. Ces coopérants ont donc
(chefs d’État, Premiers ministres) non seulement un accès à une
avaient en principe été supprimés, information de premier ordre sur
pour ne conserver que des les exactions commises par les
conseillers auprès des hautes autori- appareils répressifs au sein desquels
tés militaires (à l’exception des ils sont placés, mais leur propre
postes au sein des gardes préto- responsabilité juridique mériterait,
riennes, eux aussi supprimés). Le
50 Page de présentation des « Missions et
site internet du MEAE français partenaires » de la DCSD du site internet du
MEAE (consulté en novembre 2017)
48 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.26 51 Initiées à la fin des années 1990, au moment où la
49 Audition de l’amiral Marin Gillier par la coopération de substitution a été officiellement
Commission de la défense nationale et des forces supprimée, les réformes du secteur de la sécurité
armées de l’Assemblée nationale, 5 février 2014. cherchent à s’inscrire dans une logique globale :
Deux mois plus tôt, il avait également évoqué « elles ne concernent pas seulement l’armée, mais
dans la presse le conseil aux autorité « le conseil aussi la police, la gendarmerie, la justice, les
aux hautes autorités, en mettant des coopérants douanes, etc. (…) Elles ne visent pas seulement à
auprès de chefs d’Etat, de ministres » (voir « Les renforcer l’efficacité, mais aussi la gouvernance
nouveaux habits de la vieille coopération du secteur de sécurité » (A. Leboeuf/IFRI, op.
militaire », Billets d’Afrique n°231, janvier 2014) cit., p.47)

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 26


au titre de la complicité, d’être étu- humain, logistique et pédago-
diée. gique de la France à travers par-
ticulièrement l’emploi du Lieute-
Ainsi, lors du mouvement populaire
nant-colonel Eric Misserey en
visant à s’opposer au pseudo-refe-
qualité de conseiller du Comman-
rendum de modification constitu-
dant de la Gendarmerie »54.
tionnelle au Congo Brazzaville, en
octobre 2015, l’armée est interve- Cette proximité entre conseillers
nue et la police et la gendarmerie militaires et policiers français et
ont tiré à balles réelles, faisant des autorités africaines est fréquemment
dizaines de morts. Quelques mois honorée de remises de décorations
plus tôt, en vertu de l’accord de nationales par des dictatures aux
coopération militaire signé en 1974 coopérants envoyés par Paris, en
entre le Congo et la France et tou- quelque sorte pour bons et loyaux
jours en vigueur52, les deux pays services. La diplomatie française
ont signé des conventions à mettre s’en vante même parfois :
en perspective de cette violente
« le colonel Bertrand de Reboul,
répression :
attaché de défense auprès de
• l’une, signée en janvier 2015, l’ambassade de France, a été
concernait notamment la forma- élevé par le président de la
tion, l’entraînement et l’organisa- République du Congo au grade
tion du commandement opéra- d’officier dans l’ordre du Mérite
tionnel des Forces armées congo- congolais.
laises53 ; A ses côtés, six coopérants mili-
taires français ont été distin-
• une autre, à peine quatre mois
gués. Le commandant Coursin a
avant que la gendarmerie congo-
été fait chevalier dans l’Ordre
laise tire à balles réelles sur la
du Mérite congolais, les cinq
foule, concernait justement la
autres coopérants ayant été
« coopération bilatérale entre la
nommés échelons or dans
France et le Congo relative à
l’Ordre de la Fraternité d’armes.
l’action de la gendarmerie natio-
nale » et formalisait « le soutien 54 « Signature de la convention de gendarmerie »,
dernière modification 16/07/2015, site internet de
52 « Accord de coopération technique en matière de l’ambassade de France au Congo (consulté en
formation de cadres et d’équipement de l’armée novembre 2017). Interrogé à ce sujet par le
populaire nationale entre la République française journal en ligne The Dissident (2/11/15) le Quai
et la République populaire du Congo », signé en d’Orsay n’avait « pas souhaité donné les raisons
1974 et entré en vigueur en 1981. qui justifiaient de maintenir ces accords militaires
53 « Coopération militaire : le Congo et la France avec le Congo, estimant que "les autorités
signent deux nouvelles conventions », ADIAC- françaises se sont [déjà] exprimées sur ce
Congo, 24 janvier 2015 scrutin" »

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 27


La cérémonie de remise des fut nommé ambassadeur au Burkina
décorations par le Ministre Faso de 2010 à 2013. Mais c’est
congolais de la Défense natio- également le cas de son successeur
nale s’est tenue le lundi 22 à Ouagadougou, Gilles Thibault,
juillet [2013], au Cercle Mess officier d’active dans l’armée de
des officiers, en présence de terre de 1980 à 1999, qui a quitté
l’Ambassadeur de France au l’ambassade de France au Burkina
Congo, M. Jean-François Valette, Faso pour celle au Cameroun en
du chef d’état-major des Forces 2016. On peut également citer l’of-
armées congolaises, le général ficier Gilles Huberson, bombardé
de division Guy Blanchard Okoï, ambassadeur au Mali pendant l’opé-
et des officiers généraux du haut ration Serval, en 2013, et désormais
commandement. »55 en poste en Côte d’Ivoire...

Cette proximité entre militaires


Coopération opérationnelle :
français et africains se traduit
conserver l’amitié des « frères
d’ailleurs dans les représentations
d’armes »
diplomatiques : en Afrique franco-
phone, des militaires sont fréquem- Mais l’amitié et la proximité entre
ment nommés ambassadeurs de « frères d’armes » s’entretiennent
France et peuvent ainsi assurer dans aussi à l’occasion de formations et
leurs fonctions diplomatiques un d’opérations plus ponctuelles, qui
rôle de VRP de l'armée française et relèvent de la coopération « opéra-
pour le moins fluidifier les relations tionnelle ». Sont ainsi régulièrement
de coopération militaire. Récem- mobilisées, pour des formations
ment, c’est notamment le cas du courtes ou des exercices conjoints,
général Emmanuel Beth, qui après les troupes françaises préposition-
avoir été à la tête de la Direction nées en Afrique : Éléments français
de la coopération de sécurité et de au Sénégal (EFS, 350 militaires),
défense de 2009 à 2010 (date de sa Éléments français au Gabon (EFG,
transformation effective en DCSD), 350 militaires), Forces françaises en
Côte d’Ivoire (FFCI, 950 militaires),
55 « Le Congo récompense sept militaires français »,
site internet de l’ambassade de France au Congo Forces françaises à Djibouti (FFDJ,
Brazzaville, 2 août 2013 (consulté en novembre 1450 militaires). Les EFS ont ainsi
2017), https://cg.ambafrance.org/Le-Congo-
recompense-sept formé en 2016 10 000 militaires de
Il est vrai qu’en sens inverse, la France n’hésite 16 pays africains (mais principale-
pas à remettre la Légion d’honneur à des
sécurocrates « amis » : dans le cas du Congo, le ment issus des pays du G5 Sahel :
général de division Guy Blanchard Okoï avait Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso et
ainsi été décoré en 2011.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 28


Mauritanie)56, tandis que les EFG Quant aux exercices menés en com-
revendiquent de former chaque mun entre des militaires français et
année 8 400 « militaires des pays de pays africains, ils entretiennent
partenaires de la communauté éco- « l’habitude du travail conjoint sur
nomique des États d’Afrique cen- le terrain »58 et permettent d’amé-
trale (CEEAC) durant leur mise en liorer l’interopérabilité entre
condition avant engagement dans armées. Cela contribue certes à ren-
des opérations intérieures ou exté- forcer l’efficacité d’une future
rieures », en dispensant par action commune, mais renforce éga-
exemple début 2017 une « forma- lement une interpénétration des
tion à l’exercice de l’autorité au armées, enjeu d’influence et de
profit de cadres de l’armée natio- maintien de la position française
nale tchadienne »57. auprès des régimes en place.

Extrait du site internet du ministère de la Défense/des Armées sur la formation au tir de combat
de militaires camerounais par un détachement d’instruction opérationnelle des Eléments français
au Gabon (EFG), en mars 2015.
56 Blog du journaliste spécialisé Défense Jean-Marc
Tanguy, « Aux EFS, Parly mesure la coopération
régionale », 14 novembre 2017
57 « EFG : participer à la formation des officiers
tchadiens », ministère de la Défense, 13 avril 2017
(http://www.defense.gouv.fr/ema/forces-
prepositionnees/gabon/actualites/efg-participer-a-
la-formation-des-officiers-tchadiens ) 58 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.28

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 29


Mais la coopération opérationnelle camp génocidaire au Rwanda, les
prend aussi la forme de participa- Détachements d'assistance militaire
tion à des combats au côté voire au et d'instruction (DAMI) ont depuis
sein des armées africaines parte- disparu, mais des détachements
naires. On parle alors pudiquement d’instruction opérationnelle (DIO) et
de « conseillers opérationnels », des Détachements de liaison et
pour désigner des « militaires déta- d’assistance opérationnelle (DLAO)
chés auprès d’une unité de combat continuent d’être dépêchés auprès
ou d’un État-major opératif ou tac- des armées partenaires62. Officielle-
tique pour soutenir ces forces »59, ment, il ne s’agit toujours pas de
comme on l’a vu lors de la pre- commander directement des soldats
mière opération menée par la nou- africains : tout est dans la nuance,
velle force du G5 Sahel, où 180 puisque comme l’admet l’IFRI, cet
Français ont accompagné 750 sol- appui « peut également se position-
dats burkinabè, nigériens et ner au niveau des états-majors pour
60
maliens . Un soutien qui se maté- les renforcer et servir de liaison
rialise par une « coopération entre avec les autres acteurs occidentaux
frères d’armes, sur le front »61, sans ou même entre acteurs africains.
porter le même uniforme (contraire- On pense ici notamment à l’état-
ment aux coopérants militaires rele- major de la force multinationale
vant de la DCSD. Impliqués entre mixte (FMM) contre Boko
63
autres dans le soutien français au Haram » .

59 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.13


60 Claude Angéli, « Mauvaise pub pour la "force 62 Voir par exemple Laurent Lagneau, « La France
africaine"chère à Macron », Le Canard enchaîné, renforce son soutien militaire au Niger », blog
15 novembre 2017 Zone militaire, 26 février 2017
61 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.47 63 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.51

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 30


Matériel de répression :
derrière le podium des ventes, les vieilles habitudes

La coopération militaire et policière tielle au Togo, la France et l’Union


peut également passer par de la européenne avaient ainsi co-financé
fourniture directe d’équipements – à hauteur de 500 000 € l’achat
ou une politique de prêts destinée à d’équipement sécuritaire pour la
faciliter l’acquisition de matériel. police et la gendarmerie togo-
laises66.
Charles Pasqua avait profité de son
retour au ministère de l'Intérieur, Concernant les fournitures de maté-
de 1993 à 1995, pour rendre éli- riel militaire, la percée de la Chine
gibles les achats d’armes et d’équi- peut inquiéter les industriels fran-
pements des forces de sécurité inté- çais, même si l’Afrique n’est pas, à
rieure aux crédits du Fonds d'aide l’exception de l’Egypte, un eldorado
et de coopération (FAC)64 : l’achat de l’industrie de l’armement trico-
de ces matériels répressifs, souvent lore : « entre 2011 et 2015 le prin-
d’occasion (à partir des stocks fran- cipal pays exportateur a été la Rus-
çais), a dès lors pu être comptabi- sie (34 %), suivi par la Chine
lisé en aide publique au développe- (13 %), la France (13 %) et les
ment, au nom du renforcement de États-Unis (11 %) »67. Les exporta-
l’État de droit65. Le FAC n’existe tions d’armes françaises vers les
plus depuis 1999, mais la fourniture pays d’Afrique subsaharienne repré-
de certains matériels de police peut sentent un montant assez faible :
encore être financée par l’aide 282 millions d’euros sur un total de
publique au développement, au titre 24 milliards d’armes livrées sur la
de la « sécurisation des cycles élec- période 2012-2016. Les montants
toraux » : en 2010, à la veille de vers l’Afrique du Nord sont plus
la mascarade d’élection présiden- significatifs (900 millions), mais
principalement en raison des livrai-
64 Créé à la veille des indépendances africaines et sons au Maroc qui représentent à
géré par la Caisse centrale de coopération
économique (CCCE), qui deviendra la Caisse de elles seules 655 millions sur cette
développement en 1992, les subventions du FAC période (l’Algérie s’approvisionne
étaient destinées à financer les pays « du champ »,
sous forme d’aide liée (c’est-à-dire conditionnée à plutôt auprès de la Russie). Cela
l’octroi du marché à des entreprises françaises).
Ce fonds lié au ministère de la Coopération sera
inclut un satellite de renseignement
remplacé, lors de la réforme de la coopération de militaire Airbus-Thales qui a été
1998, par le Fonds de solidarité prioritaire (FSP),
dédié aux pays de pays de la zone de solidarité
prioritaire (ZSP). 66 La Lettre du Continent, 7/01/2010
65 F.-X. Verschave, La Françafrique, Stock, 1998. 67 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.30

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 31


également vendu à d’autres régimes Les exportations d’armes de guerre
policiers : Emirats arabes unis et relèvent de la commission intermi-
Egypte68. nistérielle sur l’étude des exporta-
tions de matériel de guerre
Les cessions gratuites de matériel
(CIEEMG), qui réunit le ministère
militaire, même usagé, sont moins
de l’Europe et des Affaires étran-
importantes que par le passé, « car
gères (MEAE), le ministère des
ses parcs d’équipements sont
Armées, le ministère de l’Economie
aujourd’hui beaucoup plus réduits
et des Finances et les services du
qu’au temps de la création de
Premier Ministre. C’est ce dernier
RECAMP en 1997, quand elle pou-
qui arbitre, sur avis de la Commis-
vait se défaire d’importants stocks
sion – même si le Président de la
dans le cadre de la professionnali-
République est souvent associé pour
sation des armées [françaises] »69.
les gros contrats. Selon le ministère
Mais même moins nombreuses ou des Armées, l’avis de la CIEEMG
pour des volumes financiers faibles, tient compte « notamment des
ces livraisons de matériel répressif conséquences de l’exportation en
restent scandaleuses dès lors qu’il question pour la paix et la sécurité
s’agit de dictatures – qui plus est régionales, de la situation intérieure
au titre de la « coopération ». Or, du pays de destination finale et de
les régimes actuels d’autorisation et ses pratiques en matière de respect
surtout le manque de transparence des droits de l’homme, du risque
sur ces transferts de matériel sont de détournement au profit d’utilisa-
propices au maintien des vieilles teurs finaux non autorisés »70. Il ne
pratiques de soutien des régimes s’agit toutefois pas uniquement de
autocratiques « amis de la matériel létal : les blindés légers
France ». (de type véhicules avant blindés,
Un régime complexe VAB) en font par exemple partie,
d’autorisation des fournitures de de même que certaines pièces et
matériel composants spécifiquement réalisés
pour le matériel militaire (par
Il existe quatre régimes distincts de
exemple les pneus résistant du point
contrôle des fournitures d’arme-
de vue balistique). Il existe au
ments ou d’équipements répressifs
selon les types de matériel. 70 « Contrôle des exportations de matériels de guerre
et assimilés : le dispositif français », site internet
du ministère des Armées (consulté en novembre
2017), http://www.defense.gouv.fr/dgris/enjeux-
68 Tony Fortin, Observatoire des Armements, transverses/lutte-contre-la-proliferation/controle-
communication personnelle. des-exportations-de-materiels-de-guerre-et-
69 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.30 assimiles-le-dispositif-francais

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 32


niveau européen une liste commune nier d’arrêter et torturer des oppo-
des équipements militaires71, régu- sants74.
lièrement mise à jour par le Conseil
L’exportation d’explosifs relève
de l’UE, mais la liste française de
d’une autorisation d’exportation de
biens militaires soumise à ce type
poudres et substances explosives
d’autorisation inclut aussi d’autres
(AEPE), délivrée par le ministère de
matériels : elle est fixée par arrêté
tutelle des douanes – actuellement
du ministère des Armées72.
le ministère de l’Action et des
Certains matériels ne sont pas spéci- Comptes publics. Elle implique éga-
fiquement militaires et relèvent des lement une consultation interminis-
biens à double usage (civil et térielle (MEAE, ministère de l’Inté-
militaire). C’est alors le Service des rieur, ministère la Défense, minis-
biens à double usage (SBDU) du tère de l’Economie).
ministère de l’Économie et des
Il existe enfin un régime spécifique
Finances qui doit délivrer l’autorisa-
pour l’exportation des armes à feu
tion, sur avis de la Commission
et munitions à usage dit
interministérielle des biens à double
« civil », pour lesquelles une auto-
usage (CIBDU) présidée par le
risation du ministère de tutelle des
MEAE lorsqu’il s’agit de « dossiers
Douanes est requis, après avis du
sensibles »73. C’est par exemple le
ministère de l’Intérieur, du minis-
cas de certains matériels de sur-
tère de la Défense et du MEAE.
veillance électronique et d’intercep-
tion massive des communications Un contrôle parlementaire très
vendus par la firme française Ame- parcellaire
sys, sous Sarkozy, au régime Depuis 2000, le ministère de la
Kadhafi, qui ont permis à ce der- Défense (ou des Armées) doit four-
nit chaque année un rapport au
Parlement sur les exportations
d'armes. Cela fait suite à des années
71 « équipements couverts par la position commune
2008/944/PESC du Conseil définissant des règles de mobilisation de la société civile,
communes régissant le contrôle des exportations mais reste largement insuffisant.
de technologie et d’équipements militaires »,
consultable sur www.grip.org Remis le 1er juin de l’année sui-
72 Arrêté du 27 juin 2012, modifié, relatif à la liste
des matériels de guerre et matériels assimilés vante, donc a posteriori75, il ne
soumis à une autorisation préalable d'exportation
et des produits liés à la défense soumis à une 74 « Savoir-faire français (suite) », Billets d’Afrique
autorisation préalable de transfert, n°270, septembre 2017.
73 « Mini-guide sur le contrôle des exportations 75 A contrario, des associations comme
d’armements », DICoD, juin 2016, l’Observatoire des Armements demandent la mise
http://www.ixarm.com/IMG/pdf/fiches_guide_CT en place d’une commission parlementaire qui
RL_export_armt_31_05_2016_en_p_a_p_HD.pdf examinerait les exportations d’armes françaises en

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 33


donne aucune information sur les annuel rendu par la France au
quantités et la dénomination précise secrétariat du Traité sur le contrôle
du matériel faisant l’objet d’un des armes (TCA, entré en vigueur à
contrat, ni même le nom du fabri- Noël 2014). Ces rapports
cant. Seuls figurent le montant glo- contiennent des détails qui ne
bal des contrats par destination et figurent pas dans le rapport au Par-
le nombre de licences délivrées : il lement, comme la quantité de
est donc impossible de faire de matériel livré, mais ils se limitent
quelconques vérifications. Concer- pour le premier au référencement
nant les transferts d’armements au de l’armement lourd (hélicoptères,
titre de la coopération, le rapport artillerie, blindés, avions de
au Parlement indique seulement le chasse…) et pour le second à l’ar-
nombre de cessions gratuites et le mement lourd et aux armes légères.
nombre et le montant global des Les transferts de pièces, de compo-
cessions onéreuses de matériels par sants et de biens à double usage
le ministère français de la Défense. n’y figurent pas.
Il faudrait là encore la mention des
Il n’existe en revanche aucun outil
quantités et des caractéristiques pré- de transparence sur le matériel de
cises du matériel livré. police et de sécurité intérieure, ni
D’autres sources d’information sur les biens à double usage ou les
existent, comme le rapport envoyé explosifs.
chaque année au registre des
Nations Unies sur les armes conven-
tionnelles, et désormais le rapport

continu, pour ne pas que cette politique soit du


seul ressort de l’exécutif. D’autres pays ont mis en
place une telle commission comme le Royaume-
Uni et la Suède.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 34


Effets d’aubaine
pour les prestations privées
Prestations et diversification des sources de financement

Baisse du budget de la DCSD gendarmes, 48 policiers, 9 experts


de la sécurité civile et 63 agents en
Le budget et les effectifs de la
administration centrale : militaires,
DCSD n’ont évidemment plus rien à
diplomates, policiers, spécialistes de
voir avec les grandes heures des
la sécurité civile. »77 Ces coopérants
missions militaires de coopération
étaient 263 dans le monde en 2016,
d’il y a 30 ou 40 ans.
dont 208 en Afrique subsaharienne,
Selon les rapporteurs de la Commis- contre 334 en 2007, dont 266 en
sion des affaires étrangères, de la Afrique subsaharienne. Soit, en 10
défense et des forces armées du ans, une « diminution du nombre
Sénat concernant le projet de loi de de coopérants militaires (...) de plus
finances 2017, le budget de la de 20 % »78. Comme le relève la
coopération « de défense et de chercheuse de l’IFRI Aline Leboeuf,
sécurité » a diminué de plus de 40 ce nombre « diminue quasiment
% en une dizaine d'années, entre tous les ans depuis la fin des
2007 et 2016. Le budget de la années 1990. Toutefois, le nombre
DCSD a cependant connu une de coopérants techniques et opéra-
hausse exceptionnelle de 38 % entre tionnels reste à calculer, même si
2016 et 2017, pour atteindre 101,60 on sait que les éléments français
millions d'euros76. déployés au Sénégal avec pour mis-
En termes d’effectifs, comme l’ex- sion première la coopération mili-
pliquait son patron, l’amiral Marin taire sont au nombre de 350 »79.
Gillier, en février 2014, la DCSD En termes de formation des armées
regroupait alors « environ 400 per- africaines alliées, la coopération
sonnes : 229 coopérants militaires opérationnelle compte en effet
sont déployés dans le monde entier, autant sinon plus que la coopéra-
mais principalement en Afrique – tion structurelle menée par la
qui représente à peu près 80 % des 77 Audition du DCSD par la Commission de la
efforts de la DCSD ; s’y ajoutent 41 Défense nationale et des forces armées, 5 février
2014.
78 Avis de Christian Cambon et Leila Aïchi, op.cit.
76 Avis de Christian Cambon et Leila Aïchi, op.cit. 79 A. Leboeuf/IFRI, op.cit.,, p.26

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 35


DCSD. Selon l’IFRI, « la France Pentagone dispose d’une base de
forme ainsi environ 30 000 mili- drones à Niamey, et en construit
taires africains par an. En 2012, une autre à Agadez au prix de
elle en a ainsi formé 17 000 par la 100 millions de dollars. En tout, le
coopération opérationnelle et 14 département américain de la défense
500 par la DCSD, y compris au sein disposerait aujourd’hui, en Afrique,
des Écoles nationales à vocation de près de 6 000 hommes, dont
régionale (ENVR) »80. 1 300 bérets verts présents dans
huit pays au moins (République
démocratique du Congo, Éthiopie,
Maintenir l’influence Somalie, Ouganda, Soudan, Rwanda,
Bien qu’elle cherche à maintenir Kenya et Niger) et d’une dizaine de
son influence en Afrique franco- bases de drones dans sept pays au
phone et à l’étendre au-delà, la moins (Niger, Djibouti, Somalie,
France ne peut évidemment pas Kenya, Tunisie, Tchad et Came-
concurrencer les États-Unis, qui ont roun). Et ce dispositif pourrait être
participé à l’entraînement de plus renforcé pour faire face à la dégra-
de 40 000 militaires en Afrique sub- dation de la situation. »83
saharienne en 2015, de façon bila- La « concurrence » avec d’autres
térale ou à l’occasion d’exercice pays comme le Royaume Uni et
conjoints avec plusieurs pays81, et l’Allemagne semble plus anecdo-
avaient prévu de consacrer en 2017 tique. En revanche, Israël se posi-
2,5 milliards de dollars à la coopé- tionne selon un officier cité par
ration militaire et policière en l’IFRI sur une politique de
Afrique, structurelle et opération- « niches » (renseignement, garde
nelle (dont 1,31 milliard pour la rapprochée, drones), et la Chine,
seule Égypte)82. Outre les soldats comme dans le domaine écono-
affectés à la protection des ambas- mique, gagne en poids sur le conti-
sades, les forces spéciales améri- nent africain mais sans menacer la
caines ont en effet largement déve- prédominance française dans son
loppé des programmes de formation pré carré. La coopération chinoise
et une activité intense de renseigne- est en effet « très solide avec cer-
ment : « Près de 800 bérets verts tains alliés historiques (Zimbabwe,
sont ainsi présents au Niger, où le Angola, Tanzanie, Ghana, Gabon,
80 A. Leboeuf/IFRI, op.cit.,, p.21 etc.) et semble particulièrement
81 Selon l’IFRI, « l’exercice FLINTLOCK a ainsi
mobilisé en 2017 environ 2 000 personnes de 20
pays pendant trois semaines », A. Leboeuf/IFRI, 83 René Backmann, « Après les défaites de l’Etat
op.cit., p.29 islamique : les djihadistes au Sahel ont déjà
82 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., op.cit. changé de stratégie », Mediapart, 4/11/17

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 36


étroite avec le Nigeria, le Soudan, Elle répond ainsi à des appels
l’Ouganda et la Zambie. Elle se d’offres de l’Union européenne,
développe depuis peu auprès de directement en son nom ou via
nouveaux partenaires comme Dji- d’autres opérateurs (voir partie sui-
bouti (…) La Chine s’est imposée vante), mais cherche également à
dans l’ensemble comme un parte- attirer de « nouveaux finance-
naire alternatif, permettant à cer- ments », comme l’expliquaient sans
tains pays de se fournir en armes s’en formaliser les sénateurs lors du
(en drones notamment) et en for- vote du budget 2017 :
mations lorsque les États occiden-
• des fondations et des instituts
taux prenaient leurs distances ou
• des universités et des collectivi-
imposaient des embargos, comme
tés locales (régions, grandes
ce fut le cas à l’encontre du Zim-
villes…)
babwe, de la Guinée équatoriale et
• la réserve parlementaire (en
récemment au Burundi. »84 La pré-
sence de conseillers militaires chi- 2016, 35 000 € ont ainsi servi
nois semble d’ailleurs limitée « soit à de la coopération « sécurité-
à des détachements dans des écoles défense » au Sahel)
de formation africaines soit à des • « un pacte de coopération
questions de formation à l’usage et [pour] favoriser les finance-
à la maintenance d’équipements ments privés des entreprises »86
fournis »85. Ce dernier point, qui fleure bon le
conflit d’intérêts et la main-mise
De la réserve parlementaire aux croissante des lobbys privés sur ce
financements d’entreprises secteur lucratif, n’est pas détaillé :
sur cet aspect également, la trans-
Face aux réductions budgétaires,
parence n’est pas de mise...
qui impactent également la coopéra-
tion opérationnelle et auxquelles
s’adaptent l’état-major et la Direc-
tion de la coopération internationale
(DCI) du ministère de l’Intérieur, la
DCSD cherche littéralement à racler
les fonds de tiroirs publics et même
privés.

84 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.19


85 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.21 86 Avis de Christian Cambon et Leila Aïchi, op.cit.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 37


Sous l’institutionnel, le privé

Comme le rappelait l'amiral Marin gendarmerie couvrant l'intégralité


Gillier lors de son audition à l’As- du spectre des compétences du
semblée en 2014, la coopération ministère français de l'Intérieur 89
française s'appuie en partie sur des (« gestion démocratique des
structures publiques ou parapu- foules », « formation des groupes
bliques, chacune émanant d'un d'intervention », formation de
ministère français distinct. Ainsi, le police scientifique, de l'air, mari-
ministère de l'Intérieure est lié à time etc.90) CIVI.POL organise par
CIVI.POL Conseil (CIVI.POL), celui ailleurs les salons « Milipol », foire
de la Défense à Défense Conseil annuelle dédiée à la sécurité inté-
International (DCI) et le ministère rieure des États. La société annonce
de l'économie à Expertise France. un volume d'affaires de 20,7 mil-
Les deux premières sont des sociétés lions d'euros en 201591 et un effectif
anonymes alors que la dernière est d'environ 300 personnes, dont une
un établissement public à caractère quarantaine de permanents au siège
industriel et commercial (EPIC)87. parisien, les autres agissant en tant
que consultants. Le capital de la
CIVI.POL Conseil, société est ouvert à des investis-
petite sœur de la Sofremi seurs privés, principalement engagés
dans les secteurs de la défense et
En 2001, soit un an après que
de la sécurité comme AIRBUS DS
l’État a vendu ses parts dans la sul-
SLC, Défense Conseil International,
fureuse Sofremi, emportée dans un
Safran Identity Security, Thales
scandale de détournements de
fonds88, le ministère de l’Intérieur
89 L'offre de CIVI.POL s'est élargie depuis 2016,
crée CIVI.POL Conseil. Cette société avec le rachat de Transtec, société belge de
« intervient régulièrement dans le conseil aux États et aux organisations
internationales dans des domaines proches de
cadre de projets internationaux de CIVI.POL mais aussi « l'éducation, la formation
grande envergure pour des missions professionnelle, le développement socio-
économique, l’aide humanitaire et la résilience,
d’audit, de conseil, d’assistance l’assistance aux États fragiles en situation de
technique et de formation » concer- conflit/post-conflit, l’appui aux investissements
privés et aux partenariats publics/privés. »
nant des questions de police et de http://www.civipol.fr/fr/node/2774
90 http://civipol.fr/fr/que-faisons-nous/nos-
87 Décret n° 2014-1656 du 29 décembre 2014 relatif prestations/formation
à l'Agence française d'expertise technique 91 http://www.civipol.net/fr/chiffres-cles ( à noter
internationale. que le site société.com mentionne pour sa part un
88 « Affaire Sofremi: un an ferme pour Pierre Pasqua chiffre d'affaires d'environ 8,5 millions d'euros
et Pierre Falcone », Libération - AFP, 29 mai (https://www.societe.com/societe/civi-pol-conseil-
2009 434914164.html )

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 38


à Pierre de Bousquet de Florian,
ancien chef de la Direction de la
sécurité du territoire (DST) de 2002
à 2007 et récemment nommé res-
ponsable du nouveau Centre natio-
nal du contre-terrorisme, structure
ad hoc créée par Emmanuel Macron
lors de son arrivée au pouvoir.
CIVI.POL sert de prestataire pour
des États, des entreprises ou organi-
sations internationales, notamment
la Commission européenne. Elle a
ainsi été choisie pour piloter le pro-
jet européen « Appui à la coopéra-
tion régionale des pays du G5 Sahel
et au Collège sahélien de sécu-
rité », financé sur le fonds fidu-
ciaire d’urgence pour l’Afrique et
qui a débuté en octobre 2016.
Matériel exposé au salon Milipol 2011 CIVI.POL se retrouve chef de file
(photo sous licence CC GlamOliver) d'un « consortium européen » qui
comprend la GIZ (coopération mul-
tilatérale allemande), la FIIAPP
International92... Indicateur que la
(opérateur espagnol), la CTB
structure est d'une certaine impor-
(Coopération Technique Belge) et...
tance, ses deux derniers PDG sont
la Direction de la Coopération
des pontes du monde du renseigne-
Internationale (DCI) du ministère
ment. Le poste est actuellement
français de l’Intérieur94 ! Où com-
occupé par Yann Jounot, précédem-
ment la maison mère en vient à
ment coordinateur national du ren-
travailler main dans la main avec
seignement, organe censé mieux
ce qu’on pourrait apparenter à sa
faire travailler entre eux les ser-
filiale... Dans tous les cas, ce sont
vices93. Il a succédé en juillet 2017
bien les mêmes savoir-faire qui sont
92 https://www.societe.com/societe/civi-pol-conseil-
434914164.html On notera aussi la présence mis en œuvre. On le voit actuelle-
plutôt surprenante d'Allianz France, filiale de ment au Togo, dont les forces de
l'assureur allemand Allianz...
93 Que sont : la Direction générale de la sécurité nationale du renseignement et des enquêtes
extérieure (DGSE), la Direction générale de la douanières (DNRED), ainsi que la cellule Tracfin
sécurité intérieure (DGSI), la Direction du du ministère de l'Économie.
renseignement militaire (DRM), la Direction 94 http://civipol.fr/fr/node/2813

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 39


police ont pourtant bénéficié en de quatre frégates et deux
2009 d'un « renforcement des capa- pétroliers ravitailleurs
cités des responsables de la sécurité • Airco, qui visait à former au
publique et la mise en place d'une sein de l'armée de l'Air française
structure de maintien de l'ordre les pilotes étrangers utilisant le
pérenne, équipée et formée aux Mirage 2000 à partir de 1984 ;
pratiques démocratiques de main- • « Armement Services, créé en
tien de l'ordre95. » 1990 pour accompagner les
contrats d’exportation de
l’industrie française, qui
deviendra DESCO.
Défense Conseil International,
l’autre DCI Constituée en société anonyme,
Défense Conseil International, à ne comme CIVI .POL, DCI est en partie
pas confondre avec la Direction de détenue par des capitaux privés97 :
la Coopération Internationale du • État français : 49,9%
ministère français de l’Intérieur, est
• SOFEMA : 30%
issue de la fusion en 2000 de
• DCI : 10%
quatre entités ad hoc créées au fil
des ans pour accompagner de for- • Eurotradia International : 10%
mation les ventes de matériels mili- • Divers, 0,1%
taires français à l'étranger, notam-
ment aux pétromonarchies du La SOFEMA est une société fran-
96
Golf : çaise spécialisée dans la vente de
matériels militaires d'occasion. Elle
• la Compagnie française d'assis-
est détenue majoritairement par les
tance spécialisée (COFRA),
grands noms de l'industrie française
constituée en 1972, en lien avec
de défense : Renaud Truck Defense
la vente à l’Arabie Saoudite de
(filiale de Volvo), Airbus, Safran,
300 chars AMX-30 ;
Naval Group (ex-DCNS), Thalès,
• la Société Navale Française de
Nexter Dassaut Aviation... Eurotra-
Formation et de Conseil dia International est quant à elle
(NAVFCO), créée en 1980 pour une société spécialisée dans « l'ac-
former les équipages saoudiens compagnement d'entreprises dans
leurs projets de développement à
95 http://civipol.fr/references? l'international98. » Elle est détenue
field_zonegeo_tid=All&field_pays_tid=All&field
_domaine_tid=All&field_activite_tid=102&field_ 97 https://www.groupedci.fr/key-figures/
annee_value[value][year]=&body_value= 98 http://www.eurotradia.fr/qui-sommes-
96 https://www.groupedci.fr/dci-and-itshistory/ nous/presentation-actionnariat/#s2

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 40


par Total, Airbus, Thales, MDBA, Expertise France, nouvelle
Dassaut Aviation, Safran. On émanation du « savoir-faire »
retrouve ici nombre d'entreprises français
déjà présentes chez CIVI.POL...
Dernier né du système français de
La présence de DCI est peu mar- coopération, l'Agence française d'ex-
quée en Afrique, continent dont la pertise technique international
plupart des pays n'ont pas les (Expertise France) voit le jour en
moyens d'acheter du matériel mili- janvier 2015 suite au rassemblement
taire sophistiqué. Néanmoins, la de six structures françaises s'occu-
société est active en Afrique du pant de coopération internationale :
Nord, notamment en Libye sous Expertise France International, Ade-
Kadhafi et en Égypte. Entre 2007 et tef, GIP Esther, GIP International,
2009, DCI a remis en état de GIP SPSI et ADECRI. Organisme
marche des avions de chasse Mirage public à caractère industriel et com-
F1 et a assuré la formation des mercial, Expertise France est placé
pilotes. RFI avait raconté en 2011 sous l'autorité du délégué intermi-
que ces appareils étaient venus se nistériel à la coopération technique
poser à Malte lors du soulèvement internationale. Ses domaines d'inter-
populaire, leur pilote refusant de ventions sont variés : lutter contre
bombarder des civils99. Plus récem- le dérèglement climatique et soute-
ment, DCI a accompagné la vente à nir le développement urbain
l’Égypte par la France de deux bâti- durable ; renforcer la gouvernance
ments de projection et de comman- démocratique (sic), économique et
dement (initialement prévus pour la financière ; renforcer les systèmes
Russie) et d'une frégate multi-mis- de santé, la protection sociale, l’em-
sions en étant chargée de la forma- ploi et l’éducation ; contribuer à la
tion des équipages100. stabilisation des pays fragiles et à la
sécurité. Contre toute attente, c'est
ce dernier volet qui occupe princi-
palement cette agence, qui y
consacre environ un tiers de ses
activités101.
Le domaine semble particulièrement
réussir à Expertise France. L'Union
99 « Les mirages libyens arrivés à Malte remis en
état par des sociétés françaises », RFI, 22 février européenne vient de lui confier la
2011 mise en œuvre d'une aide de 50
100 https://www.groupedci.fr/2016/10/18/le-groupe-
dci-contribue-la-formation-des-premiers-
equipages-des-navires-egyptiens-fremm-et-bpc/ 101 Rapport annuel 2016 d’Expertise France, p.2

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 41


millions d'euros pour appuyer la dans le centre du Mali, en coordi-
force G5 Sahel102, vaste programme nation avec les missions euro-
portée par la France visant à créer péennes EUCAP et EUTM106 ». Pour
une force conjointe entre le Mali, le le coup, les Français chassent en
Burkina Faso, le Niger, la Maurita- meute : CIVI.POL est partenaire du
nie et le Tchad afin de lutter contre projet. C'est aussi le cas en Répu-
les groupes armés djihadistes103. blique Démocratique du Congo où,
Expertise France, qui surfe sur la pour le compte de l'Union euro-
vague du « continuum sécurité-dé- péenne, grande pourvoyeuse de
veloppement », voyage ainsi dans fonds pour la coopération française,
les bagages des opérations exté- Expertise France participe au volet
rieures de l'armée française. défense du Programme d’appui à la
réforme du secteur de la sécurité,
On retrouve cette agence en Centra-
dont le but est d'assister le minis-
frique104, dans le cadre d'un projet
tère de la Défense au niveau admi-
européen (3,7 millions d'euros) de
nistratif et réglementaire. A ses
« relèvement et de stabilisation » à
côtés, on retrouve la crème du sys-
Bria et Berbérati, sur un projet
tème français de coopération :
visant « à appuyer le redéploiement
CIVI.POL, la DCSD, Transtec (filiale
des autorités locales, le renforce-
de CIVI.POL) ainsi que de Sovereign
ment de la concertation, de la jus-
Global107, une société militaire pri-
tice et des médias, ainsi que la
vée dirigée par des Français. Car un
relance socio-économique. »105 Au
panorama complet des structures de
Mali, l'agence française a décroché
coopération militaire et policière
en janvier 2017 un contrat de 29
doit intégrer les officines privées,
millions d'euros de l'Union euro-
qui sont généralement constituées
péenne « pour appuyer les autorités
d'anciens officiers français. Encore
maliennes dans le rétablissement de
un continuum...
la sécurité et de l’Etat de droit

102 https://www.expertisefrance.fr/actualite?
id=627362
103 Ce découpage régional correspond à la zone
d'action officielle de l'opération française
Barkhane. Pour plus d'information voir : Survie,
janvier 2017, Cinq guerres pour un empire.
104 La France est intervenue à partir de décembre
2013 en Centrafrique dans le cadre de l'opération
Sangaris. Pour plus d'information, voir : Yanis
Thomas, 2016, Centrafrique : un destin volé. 106 https://www.expertisefrance.fr/fiche-projet?
Histoire d'une domination française, id=404281
Agone/Survie. 107 http://www.so-global.com/fr/communiques-de-
105 https://www.expertisefrance.fr/fiche-projet? presse/conseiller-la-reforme-de-la-defense-
id=232648 republique-democratique-du-congo/

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 42


Les sociétés privées Erys cherche à se positionner sur le
en embuscade créneau de la formation des forces
Profitant de la multiplication des spéciales des pays de la zone sahé-
zones de crises, un certain nombre lienne, l'armée française ne pouvant
d'entreprises françaises se sont posi- répondre à toutes les sollicita-
tionnées sur le juteux marché de la tions111. D'autres se positionnent sur
formation et de l'assistance tech- la formation des officiers supérieurs,
nique aux armées étrangères. La comme la société Themiis (pour
société Sovereign Global Solution « The Management Institute for
par exemple, dirigée par Jérôme International Security »), active en
Paolini, un ex-conseiller de François République Démocratique du Congo
Fillon et de Bruno Pardigon, une et en Côte d'Ivoire112, fondée par
barbouze très implantée à Djibouti Camille Roux et le général Jules
dans la sécurité maritime, assure un Rouby, ancien représentant de
service de formation des Casques l'état-major français auprès de
bleus, ainsi que leur équipement. La l'OTAN et de l'UE.
société annonce avoir formé plus de Bien qu'agissant de façon autonome,
3700 Casques Bleus, déployés au ces différentes initiatives contri-
Mali, au Darfour, en Centrafrique buent à créer une coopération mili-
ou en Côte d'Ivoire108. Ces presta- taire et policière s'appuyant sur les
tions ont été effectuées auprès de la savoir-faire et les doctrines fran-
crème des pays françafricains : çaises. En cela, elles sont un vec-
Mauritanie, Tchad, Djibouti, Côte teur non négligeable de l'influence
d'Ivoire, Gabon, Congo-Brazza- de la France à l'étranger. D'autant
109
ville . En plus de la formation, plus que les formateurs sont généra-
Sovereign Global s'occupe aussi lement d'anciens policiers ou mili-
d'équiper les forces. La SOFEMA lui taires français, qui trouvent là un
a livré des véhicules pour les débouché pour valoriser leur expé-
troupes mauritaniennes déployées rience des guerres « made in
notamment au sein de la MINUSCA France ».
en Centrafrique110. De la même
façon, la société militaire privée

108 http://www.so-
global.com/fr/peacebuilding/peacekeeping/
109 Une activité qui n'est pas sans risque...financier.
Jérôme Paolini assume ainsi avoir « 20 millions
d'impayés, de la part, principalement, de deux
pays: le Congo Brazzaville et le Gabon. » (Blog 111 « A Dakar, Erys Group dévoile ses ambitions »,
Lignes de Défense, 14/09/2016). Blog de Jean-Marc Tanguy, 13/11/2017
110 Communiqué de la Sofema, 25/09/2015 112 http://themiis-institute.com/

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 43


Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 44
Exemples d’actualité : Togo, Cameroun,
République Démocratique du Congo
Au Cameroun, une nouvelle répression sanglante sans conséquence
sur la coopération militaire et policière française

Présence sur des lieux de torture d’hommes et de jeunes garçons por-


tés disparus, arrêtés et détenus arbi-
En juillet 2017, un rapport d’Am-
trairement (notamment sur la base
nesty International113 pointait la pré-
du Bataillon d’intervention rapide
sence avérée de militaires étrangers
(BIR) à Salak, à l’extrême-nord du
dans certains des sites où sont déte-
pays), torturés dans le but d’obtenir
nus et torturés par l’armée came-
des aveux, mais aussi pour instau-
rounaise des prisonniers soupçonnés
rer un climat de terreur et faire des
de faire partie ou d’avoir apporté
exemples. Les chercheurs d’Amnesty
leur soutien au groupe armé Boko
International ont également montré,
Haram. Comme l’expliquait la cher-
témoignages et documents à l’ap-
cheuse d’Amnesty Ilaria Allegrozzi,
pui, que des militaires américains
« ce ne sont pas des combattants
étaient présents de façon régulière
arrêtés les armes à la main, mais
sur la base de Salak ; ils ont en
ce sont pour l’essentiel des per-
outre constaté par eux-mêmes la
sonnes qui ont eu la malchance de
présence de militaires français sur
se trouver au mauvais endroit au
cette base lors de l’une de leurs
mauvais moment, interpellées sans
visites, en mai 2015.
mandat officiel, ciblées parce
qu’elles sont originaires du nord du Interrogée par l’ONG, l’ambassade
Cameroun, musulmanes, d’ethnie des États-Unis a répondu en des
Kanouri, réfugiées ou faisant des termes assez vagues et assuré
affaires au Nigeria »114. L’ONG a qu’aucune assistance ne sera appor-
ainsi recensé plus d’une centaine tée à des unités impliquées dans les
113 « Chambres de torture secrètes au Cameroun : violations des droits humains. Début
violations des droits humains et crimes de guerre août 2017, le Pentagone a même,
dans la lutte contre Boko Haram », rapport
d’Amnesty International, juillet 2017. pour la forme, annoncé une enquête
114 Cyril Bensimon, « Cameroun : Amnesty
International dénonce la banalisation de la
visant à déterminer si le comman-
torture dans la lutte contre Boko Haram », Le dement d’Africom, le commande-
Monde, 20 juillet 2017

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 45


ment qui chapeaute les opérations n’a en effet rien négocié des reven-
militaires américaines en Afrique, dications sur le retour au fédéra-
était au courant de ces pratiques. lisme, souhaité par la majorité des
La loi américaine interdit en prin- anglophones, voire l’indépendance
cipe au département de la Défense exigée par la partie la plus radicale
de soutenir une armée étrangère d’entre eux. Trois semaines plus
coupable de telles exactions. L’am- tard, un nouvel appel à descendre
bassade de France, également inter- dans la rue a été très largement
pellée, n’a tout simplement pas suivi. Selon une note publiée fin
répondu à Amnesty concernant la octobre par International Crisis
présence de militaires français lors Group115, « l’ampleur des manifes-
cette visite à Salak en mai 2015. tations du 22 septembre, les plus
Les autorités françaises n’ont rien massives au Cameroun depuis celles
annoncé et la coopération militaire de février 2008, semble avoir sur-
se poursuit. pris les autorités qui avaient jus-
qu’à présent sous-estimé le mécon-
tentement anglophone et le poids
Explosion de la « crise de la mouvance sécessionniste.
anglophone » C’est probablement ce qui a poussé
Voilà plus d’un an que le malaise le gouvernement à déployer un
des provinces anglophones du nouveau renfort de 1 000 soldats et
Cameroun s’exprime obstinément et à imposer un état d’urgence ainsi
témoigne de la profondeur et de la qu’une loi martiale de fait (arresta-
gravité du problème politique vécu tion de civils par les militaires,
par leurs populations. Depuis les jugements dans les tribunaux mili-
premières manifestations en octobre taires). »
2016, le régime de Paul Biya, vieil Le dimanche 1er octobre 2017 était
autocrate au pouvoir depuis 35 ans, annoncé comme date de la procla-
a répondu seulement par la répres- mation de l’indépendance de l’Am-
sion : manifestations interdites, bazonie, nom du nouvel État voulu
arrestations arbitraires, coupure par les sécessionnistes. Les autorités
d’internet pendant plus de trois dépêchèrent des centaines de mili-
mois pour empêcher toute médiati- taires dans les deux régions anglo-
sation et « punir » les populations phone, le Nord-Ouest et le Sud-
rebelles… Début septembre, la libé- Ouest, et organisèrent un véritable
ration de quelques-uns des leaders
115 International Crisis Group (ICG), « Cameroun :
détenus arbitrairement n’a pas suffi l’aggravation de la crise anglophone requiert des
à éteindre l’incendie. Le pouvoir mesures fortes », Briefing 130 / Africa, 19 octobre
2017

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 46


blocus du 29 septembre au Le décret pris par le Préfet de la
3 octobre : « couvre-feu, interdic- Manyu, département du Sud-Ouest
tion de manifester, interdiction de particulièrement mobilisé, annonçait
se réunir à plus de quatre, ferme- même que toute personne se trou-
ture des frontières terrestres et vant dans la rue le dimanche 1er
maritimes des régions, renforts octobre sans y être expressément
militaires, interdiction de circuler autorisée serait considérée comme
d’un département à l’autre, inter- « terroriste » (cf. page suivante).
diction de circuler à moto, coupure Un chef d’inculpation qui, au
des réseaux sociaux, puis d’Internet Cameroun, vaut depuis 2014 la
et de l’électricité. Le 1er octobre, il peine de mort.
était aussi interdit de sortir des
maisons. »116

116 Ibid.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 47


Communiqué de l’administrateur civil principal du département de la Manyu, Région du Sud-
Ouest, instaurant un couvre-feu total à partir du samedi 30 septembre 2017 et annonçant que les
contrevenants seront considérés et traités comme des terroristes.

En dépit de ces mesures et du main et scandant « no violence »)


déploiement militaire digne d’un pour proclamer l’indépendance de
contexte de guerre civile, la popula- l’Ambazonie. » (ICG, 19/10)
tion est sortie : « Le 1er octobre,
des dizaines de milliers de per-
sonnes ont entrepris de marcher
pacifiquement (arbres de la paix en

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 48


Répression féroce fiables au Sud-Ouest et Nord-Ouest
et dont bon nombre présentent des
La coupure d’internet, ordonnée par
impacts de balles et sont dépourvus
le gouvernement et docilement mise
de documents d’identité. Crisis
en œuvre par la filiale camerou-
Group a également reçu plusieurs
naise du groupe Orange (dont 23 %
témoignages, y compris d’un poli-
du capital est indirectement détenu
cier et d’un militaire, sur de nom-
par l’État français) et son concur-
breux corps emportés par des mili-
rent sud-africain MTN, a produit
taires ».
l’effet recherché. Le black-out
numérique était quasi total et il En un an, depuis la répression des
était extrêmement difficile, à dis- premières mobilisations contre la
tance, de savoir ce qu’il se passait : « marginalisation » des anglo-
une répression féroce, mais à huis phones en octobre 2016, il y a ainsi
clos. Puis les bilans, forcément pro- eu au moins 55 personnes tuées et
visoires et partiels, ont commencé à plusieurs centaines de blessées, aux-
circuler. Si le premier décompte de quelles s’ajoutent des centaines
17 morts minimum s’est largement d’arrestations : plus de 500 pour la
imposé dans les médias français, il seule journée du 1er octobre selon
est en fait complètement obsolète et Amnesty International117.
largement sous-estimé. Le Réseau
Dans une déclaration publiée le
des droits de l’homme en Afrique
6 octobre, les évêques du diocèse
centrale (REDHAC) affirme qu’au
de Bamenda, dans le Nord-Ouest,
moins 100 manifestants ont été
ont condamné « la barbarie et
tués, et a publié une liste nomina-
l’usage irresponsable d’armes à feu
tive pour 30 d’entre eux. ICG, qui
contre les civils non armés par les
a recueilli des témoignages de fonc-
Forces de défense et de sécurité,
tionnaires anglophones affirmant la
même en réaction à des provoca-
même chose, reste plus prudente.
tions ». Ils ont ainsi témoigné des
L’organisation affirme avoir établi
attaques contre leurs fidèles à la
un « bilan minimal de 40 morts en
sortie de la messe, ensuite « pour-
se fondant sur une dizaine de
chassés dans leurs maisons, certains
vidéos des violences contre-véri-
arrêtés, d’autres mutilés, tandis que
fiées, sur une liste nominative de
d’autres encore – dont des adoles-
30 victimes établie par le REDHAC
cents sans défense et des personnes
et des entretiens avec les familles
117 « Cameroun. Des détenus «entassés comme des
de ces victimes, et enfin par le sardines» dans les prisons à la suite des
décompte de nombreux corps manifestations dans les régions anglophones »,
communiqué d’Amnesty International,
découverts à des endroits identi- 13 octobre 2017

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 49


âgées – ont été tués par des tirs, des corps de victimes ont été
notamment depuis des hélico- « emportés on ne sait où ».
ptères ». Ils affirment en outre que

Un déchaînement de violence
des « forces de sécurité » camerounaises

ICG estime que la répression a fait au moins 40 morts et plus de 100


blessés parmi les manifestants : « Ce lourd bilan est dû aux tirs à balles
réelles et à l’usage excessif des gaz lacrymogènes, y compris dans les
maisons ou contre des fidèles sortant des églises. Les forces de défense
et de sécurité ont arrêté des centaines de personnes sans mandat, y
compris à leur domicile, et infligé des tortures et des traitements
inhumains et dégradants. Des abus sexuels, des destructions de propriété
et des pillages dans les maisons par des militaires et policiers, et des
tirs sur les manifestants à Kumba, Bamenda et près de Buea par des
hélicoptères ont été signalés par une dizaine d’habitants, des élus
locaux, des hauts fonctionnaires, la presse, des organisations de droits
de l’homme et les évêques catholiques des deux régions. Les villages des
chefs de file sécessionnistes tels que Ewele, Akwaya, Eyumodjock et
Ekona ont été pris pour cible par les forces de défense et de sécurité,
obligeant des milliers de jeunes hommes à s’enfuir en brousse par peur
d’être tués ou d’être arrêtés et torturés. (...)
L’ancien magistrat à la Cour suprême, Ayah Paul Abine, déclare sur sa
page Facebook avoir échappé à un assassinat à son domicile à Akwaya,
qui aurait aussi été pillé par des militaires. Les violences, arrestations et
pillages par les militaires et policiers se sont poursuivis toute la semaine
suivante, notamment dans le département de Manyu. Le maire adjoint
de Ndu, suspecté de sécessionnisme, aurait été tué à son domicile par
des militaires, le 2 octobre. » (ICG, 19/10/2017)

L’absence de condamnation les libertés d’expression et de mani-


diplomatique française festation pacifique des citoyens »,
Le 4 octobre, le Royaume-Uni et les et appelé au respect des droits des
Etats-Unis ont réagi. Le départe- Camerounais, notamment en ce qui
ment d’Etat états-unien a condamné concerne l’accès à internet. Le
« l’usage de la force par le gouver- ministre britannique des Affaires
nement camerounais, pour réprimer africaines a quant à lui appelé à

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 50


« s’assurer que les actes des forces Coopération maintenue et
de maintien de l’ordre sont propor- « partenaires » décorés
tionnés, qu’ils respectent de Mais prétendre être « attentif » à
manière stricte les droits de la situation chez un tel « parte-
l’Homme, et qu’ils soient dans l’in- naire » que le Cameroun relève
térêt des populations et de la pré- d’une ironie scandaleuse, puisque la
servation de leurs biens. » France observe cette violence depuis
En France, les déclarations creuses l’intérieur même de l’appareil
du porte-parole du Quai d’Orsay répressif, du fait de sa coopération
lors des points presse du ministère policière et militaire. Notre ambas-
de l’Europe et des Affaires étran- sade sur place se vante sur son site
gères (MEAE) sont restées bien en- internet119 que « le Cameroun en
deçà de ce service minimum. Ques- tant que puissance avérée dans la
tionné successivement les lundi 2, sous-région dispos[ait en 2010] de
mardi 3 et jeudi 5 octobre 2017 sur la plus importante mission de
« la manière du gouvernement coopération avec 24 coopérants ».
camerounais de gérer la crise », il Avant l’ouverture d’un front de
s’est contenté à chaque fois de ren- "lutte contre le terrorisme" à l’Ex-
voyer dos à dos des manifestants trême-Nord, au titre duquel cette
désarmés et une armée en partie coopération a pu s’intensifier, le
équipée et formée par la coopéra- député Michel Terrot (Les Républi-
tion française : « Comme nous cains) écrivait dans un rapport fait
l'avons déjà indiqué, la France est au nom de la commission des
attentive à la situation au Came- Affaires étrangères120 que la France
roun, pays ami et partenaire. Nous « entretient avec le Cameroun une
sommes préoccupés par les inci- coopération de défense importante,
dents survenus durant le week-end d’un montant de 3,95 millions
et appelons l'ensemble des acteurs à d’euros en 2011 […]. L’aide se tra-
la retenue et au rejet de la vio- duit notamment par la mise à dis-
lence. Nous encourageons le règle- position de 17 coopérants perma-
ment des tensions actuelles par le nents,pour l’essentiel basés à
dialogue, en vue de répondre, de Yaoundé et par l’attribution d’une
manière pacifique et concertée, aux aide logistique directe de près de
préoccupations de toutes les parties, 300 000 euros. […] Le budget total
dans le respect de l'unité et de l'in- des actions de formation de défense
tégrité du pays. »118
119 https://cm.ambafrance.org/Contact-de-la-Mission-
de (consulté en novembre 2017)
118 Extrait du point de presse du 5 octobre 2017 120 Rapport du député Michel Terrot, op.cit.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 51


menées au Cameroun est de 754 grand nombre est arrivé par la
000 euros. [Sans compter] la pré- route. Mais certaines personnes tra-
sence d’un conseiller auprès du versent la forêt, d’autres le fleuve.
ministre de la défense et des hautes C’est donc très difficile de les enre-
autorités militaires ». gistrer sur nos bases de don-
nées »121. Parmi ces réfugiés,
Aujourd’hui, aucune information
47 leaders anglophones ont été
publique n’est communiquée sur
arrêtés et extradés vers le Came-
cette coopération… Mais celle-ci n’a
roun en janvier, entraînant une
pas été suspendue. Le lien avec la
condamnation du Haut Commissa-
hiérarchie policière et militaire ne
riat aux Réfugiés des Nations-Unis,
semble pas s’être distendu. Le
qui considère que « leur retour
11 novembre 2017, à l’occasion de
forcé est en violation du principe
la commémoration de l’armistice
de non-refoulement qui constitue la
organisée à la résidence de France,
pierre angulaire du droit internatio-
à Yaoundé, l’ambassadeur français a
nal relatif aux réfugiés »122.
invité le Secrétaire d’Etat à la
Défense chargé de la Gendarmerie Interrogé en point de presse les 2
nationale camerounaise, et neuf et 14 février 2018, le ministère des
membres des forces armées et de la Affaires étrangères s’est contenté
gendarmerie du Cameroun ont reçu d’ânonner des vœux pieux, en ren-
des médailles de l’Ordre national voyant dos à dos les anglophones et
du mérite français et la médaille de l’État : « Nous réitérons notre
la défense nationale française. appel à l’arrêt des violences et
appelons l’ensemble des acteurs à
Guerre larvée et langue de bois
la retenue. Seul le dialogue permet-
A partir de novembre 2017, la tra de répondre, de manière paci-
« crise » s’est enlisée dans une fique et concertée, aux préoccupa-
guerre larvée, marquée par des tions de toutes les parties, dans le
attentats sporadiques contre les respect de l’unité et de l’intégrité
forces de l’ordre, lesquelles se du pays »123. En attendant, la
vengent régulièrement sur la popu- coopération militaire et policière
lation. Des dizaines de milliers de française se poursuit… sans retenue.
Camerounais anglophones ont fui au
Nigéria voisin, comme l’expliquait 121 « Nigeria: crise humanitaire liée aux afflux de
un fonctionnaire nigérian au micro réfugiés camerounais », RFI, 25 janvier 2018.
122 « Le HCR condamne les retours forcés de
de RFI en janvier 2018 : « Nous demandeurs d’asile camerounais au Nigéria »,
avons recensé près de communiqué du 1er février 2018.
123 Extrait du point de presse du Quai d’Orsay
33 000 migrants camerounais. Un (14 février 2018)

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 52


Au Togo, l’inutile hypocrisie
de la « gestion démocratique des foules » à la française

En 2011, année d’un rapport parle- Luc Devinaz, qui voulait « savoir
mentaire préalable à la ratification quelles conditions la France met
française du nouvel accord de par- désormais à sa coopération avec les
tenariat de défense avec le régime gouvernements qui ne respectent
de Faure Gnassingbé, ce petit pays pas les valeurs de la démocratie et
se situait « au 3e rang de nos par- des droits de l'Homme »126. La
tenaires, avec 3,6 millions d’eu- ministre chargée des affaires euro-
ros »124, et accueillait 14 de nos péennes, Nathalie Loiseau, a ainsi
coopérants militaires. Un an aupara- expliqué en séance :
vant, l’un d’eux avait provoqué le
« La France déploie au Togo 12
buzz malgré lui : se ventant d’être
coopérants dans le domaine de
le conseiller du chef d’état-major de
la défense et de la sécurité inté-
l’armée de terre du Togo, il avait
rieure. Pour la défense, leurs
été filmé en train de menacer un
missions comprennent l'organisa-
journaliste qui l’avait pris en photo
tion de l'action de l'État en mer,
à proximité d’une manifestation et
la préparation des déploiements
d’ordonner aux gendarmes togolais
des forces armées togolaises dans
de « le foutre en taule » s’il refu-
les opérations de maintien de la
sait d’effacer le cliché125. Depuis,
paix, notamment au Mali, où
aucune information n’avait été
servent 1 200 soldats togolais,
divulguée par l’ambassade ou le
l'accompagnement des forces
MEAE. Comme s’il n’y avait pas
armées dans leur restructuration
d’intérêt à communiquer sur la
et la formation des officiers,
coopération visant à « renforcer les
sous-officiers et médecins mili-
institutions » de la dictature quin-
taires.
quagénaire de la famille Eyadema.
En matière de sécurité intérieure
Pour avoir une petite mise à jour,
et de protection civile, notre
il a fallu attendre la réponse du
priorité est la lutte contre le tra-
gouvernement, le 13 février 2018, à
fic de drogue, la criminalité et
une question posée un mois plus tôt
la fraude documentaire. Nous
par le sénateur du Rhône Gilbert-
soutenons la gendarmerie mari-
124 Rapport du député Michel Terrot, op.cit.
125 Voir Thomas Noirot, « Coopération sécuritaire 126 Question orale n° 0174S de M. Gilbert-Luc
avec un régime criminel », Billets d’Afrique Devinaz, publiée dans le JO Sénat du 18/01/2018
n°245, avril 2015 - page 147

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 53


time pour lutter contre la pirate- Une armée face à son peuple
rie. Nous apportons une aide à
Faure Gnassingbé, propulsé à la tête
la formation des sapeurs-pom-
du pays en 2005 à la mort de son
piers. »127
despote de père, qui cumulait déjà
Cette réponse, qui insiste sur le rôle 38 ans de règne, ne semble pas dis-
supposément « bénéfique » de la posé à lâcher le fauteuil présidentiel
présence des coopérants français, – il n’en est après tout qu’à son
élude un aspect central du pro- troisième quinquennat. La Constitu-
blème : à la suite d’un épisode de tion, amendée fin 2002 par son
répression brutale et de violations père puis à l’occasion de cette
multiples des droits humains, com- « transition » tout en violence qui
ment comprendre que la France avait, selon l’ONU, entraîné la mort
maintienne sa coopération ? Même de 500 personnes et l’exode de
La Lettre du Continent, bimensuel 40 000 réfugiés, lui permet de se
habituellement peu enclin à souli- représenter indéfiniment, et d’être
gner les exactions des régimes afri- élu tout de suite puisque l’élection
cains « amis » de la France, s’est n’a qu’un seul tour. Face à la
amusée que la ministre ait ainsi contestation de l’opposition, qui
« escamot[é] le contexte de répres- réclame depuis des années un
sion en cours » avant de rappeler : retour à la Constitution de 1992
« Le discours à l'égard du Togo n'a (qui instaurait une limitation à deux
pas toujours été aussi timoré. En mandats présidentiels de cinq ans et
février 1993, la France avait décidé une élection à deux tours), le pou-
de suspendre sa coopération et son voir a voulu faire le coup désormais
aide avec ce pays après la répres- habituel en Françafrique129 : une
sion d'une manifestation pacifique modification de la Constitution cen-
de l'opposition. »128 sée impliquée la remise à zéro des
compteurs.
L’opposition, épuisée par des
années de contestation sans résultats
et de plus en plus accusée de
davantage se soucier de son propre
agenda que de l’intérêt des Togo-
lais, est sortie de sa torpeur en
127 Réponse du Ministère auprès du ministre de
l'Europe et des affaires étrangères, chargé des
affaires européennes, publiée dans le JO Sénat du 129 Blaise Compaoré avait fait le coup au Burkina
14/02/2018 - page 1426 Faso en 2002, Sassou Nguesso l’a fait en 2015 au
128 « Paris loin de l'Afrique réelle », La Lettre du Congo Brazzaville – à chaque fois avec le soutien
Continent n°771, 21 février 2018. français

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 54


juillet, avec l’irruption d’un nou- toute manifestation les jours ouvrés,
veau venu. Tikpi Atchadam, qui a au prétexte de ne pas perturber
créé en 2014 le Parti national pan- l’ordre public. Pour briser le mou-
africain, a réussi à mobiliser les vement, qui entend bien mettre fin
Togolais sans querelle de leadership au règne de la famille Gnassingbé,
avec l’opposition traditionnelle, qui le pouvoir a eu recours à des
s’est jointe au mouvement, et en milices organisées pour l’occasion :
dépassant le clivage Nord-Sud régu- des civils, armés de bâtons et
lièrement instrumentalisé par le d’armes blanches, déposés par des
pouvoir, issu du Nord alors que le pick-up dans différents endroits
chef de file de l’opposition depuis stratégiques des grandes villes pour
des années vient du Sud. La aller attaquer les opposants jusque
réponse violente du pouvoir (au dans leurs maisons. Cette fois,
moins deux morts et des dizaines internet n’a pas été coupé et des
de blessés) lors de la première preuves en image de cette brutalité
grosse manifestation, le 19 août ont envahi les réseaux sociaux.
2017, n’a pas émoussé la détermi-
En deux mois, les militants du col-
nation des Togolais : le mot d’ordre
lectif #TogoDebout ont recensé au
de retour à la Constitution de 1992
moins 21 morts (auxquels s’ajoutent
a rapidement laissé place à celui du
des dizaines de blessés), 573 per-
départ pur et simple de Faure Gnas-
sonnes arbitrairement arrêtées (par-
singbé. Début septembre, de nou-
fois jugées sans avocat) dont
velles manifestations ont été organi-
120 étaient encore en prison début
sées, à la veille de la présentation
novembre et un millier de per-
aux parlementaires de la réforme
sonnes déplacées.
constitutionnelle proposée par le
pouvoir – et dont l’examen a fina- La diplomatie française, qui avait
lement été reporté suite aux mani- déjà mollement déclaré le 12 sep-
festations. tembre qu’elle avait « suivi avec
attention les événements des der-
Les 18 et 19 octobre 2017, alors
nières semaines au Togo » et
que de nouvelles manifestations
qu’elle appelait « à un esprit de
étaient très violemment réprimées
responsabilité et de consensus », a
et que, deux jours auparavant, l’ar-
utilisé dans son point presse du 18
restation d’un imam proche de
octobre sa formule éculée consistant
Tikpi Atchadam avait mis le feu à
à renvoyer dos à dos le régime et
la rue dans le nord du pays, tout
les manifestants : « La France suit
rassemblement était interdit, l’État
avec préoccupation la situation au
ayant récemment décidé d’interdire

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 55


Togo. Nous condamnons fermement En juillet 2005, suite à la terrible
les violences récentes qui ont fait répression qui avait accompagné
plusieurs victimes, notamment à l’arrivée au pouvoir de Faure Gnas-
Lomé et Sokodé. Nous appelons les singbé, Amnesty International écri-
parties à l'apaisement et à entamer vait, dans son rapport « Togo,
un dialogue. » Mais lors du point l'Histoire va-t-elle se répéter ? » :
presse du 25 octobre, nos diplo-
« De même qu’il est indispen-
mates ont admis être « préoccupés
sable de mettre en cause les
par les rapports sur la présence
[forces armées togolaises] et les
d’hommes en civil aux côtés des
milices directement responsables
forces de l’ordre, pouvant s’appa-
des très nombreuses atteintes aux
renter à des milices », en appelant
droits humains commises dans le
notamment « à l’ouverture d’un
pays depuis des années, il est
dialogue immédiat qui doit mener
également important de réfléchir
aux réformes politiques attendues,
sur le rôle joué par certains pays
en particulier la révision de la
étrangers, notamment la France,
constitution prévoyant la limitation
qui fournissent une assistance
à deux mandats présidentiels et
militaire au Togo.
l’instauration d’un scrutin présiden-
tiel à deux tours. » Mais la France La France maintient une coopéra-
a beau soutenir « le dialogue entre tion militaire avec le Togo depuis
les différentes parties », elle n’en des décennies et celle-ci a conti-
continue pas moins d’équiper, de nué après la décision prise par
former et de conseiller l’appareil l’Union européenne en 1993 de
répressif de Faure Gnassingbé. suspendre sa coopération. (...)
Par ailleurs, Amnesty Internatio-
Fourniture de matériels nal a fait analyser des balles en
caoutchouc ainsi qu’une grenade
Le soutien français au régime est
lacrymogène utilisées à Lomé lors
documenté, à intervalle irrégulier,
de la répression d’avril. Il en res-
par quelques informations dans la
sort que ces matériels sont de
presse spécialisée ou les rapports
fabrication française.
d’ONG. Mais en dépit des graves et
Amnesty International estime que
récurrentes violations des droits
la France doit s’assurer que les
humains par le pouvoir togolais, la
matériels de sécurité et de police
France n’a jamais suspendu son
qu’elle fournit et la formation
soutien ou annoncé un arrêt des
qu’elle dispense ne sont pas utili-
fournitures de matériels.
sés pour commettre des violations

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 56


des droits fondamentaux. L’orga- quement se répéter. L’association-
nisation (...) est opposée aux Survie s’est procuré des clichés de
transferts d’équipements ou de certains matériels collectés dans les
compétences dans les domaines rues de Lomé lors de la terrible
militaire, de sécurité et de police répression d’octobre 2017.
lorsque l’on peut raisonnablement
Bien que ne portant pas de sigle ou
estimer qu’ils serviront à com-
marque, une cartouche lacrymogène
mettre des violations des droits
utilisée dans le quartier d’Agoè, à
de l’homme, comme des mauvais
la sortie de Lomé, ressemble exacte-
traitements, des actes de tortures,
ment au matériel fourni par l’entre-
et des exécutions extrajudi-
prise française Nobel Sport aux
ciaires. »
forces de l’ordre françaises.
L’histoire semble en effet dramati-

Photographie (DR) d’une cartouche lacrymogène utilisée en octobre 2017 dans le quartier
d’Agoè, à Lomé (gauche), qui ne mentionne pas de marque ;
et photographie d’une cartouche Nobel Sécurité utilisée par les forces de l’ordre françaises à
Toulouse en novembre 2014 (droite).

Comme l’explique l’entreprise Nobel qu'étrangères. » Impossible de


Sport sur son site internet130, sa démontrer avec une complète certi-
division « Sécurité » « équipe les tude que cette entreprise a bien
forces de Police, de Gendarmerie, fourni ce matériel aux autorités
et de l'Armée en France et à togolaises : le manque de transpa-
l'étranger. Tous les produits de rence sur ce type de livraison
Nobel Sport Sécurité ont été déve- empêche de le savoir.
loppés en partenariat avec les
Il est en de même pour une car-
forces de l'ordre tant françaises
touche de balles en plastique non
utilisée, tombée d’un véhicule dans
130 http://www.nobelsport.fr/ (consulté en novembre
2017) le même quartier : cartouche de

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 57


Gomm-Cogne « made in France ».

Photographies (DR) d’une cartouche calibre 12 de chevrotine à balles en plastique tombée sans
être utilisée dans le quartier d’Agoè, à Lomé ; on lit les inscriptions « AP » (de « SAPL »),
« 12/67 » et « bucks » (de « rubber bucks »)

SAPL, qui commercialise des SAPL France, dans l’Orne. Ils sont
Chevrotine Caoutchouc 12/67131, est exportés dans le monde entier.
une société française discrète, mais (…) En partenariat avec les ser-
elle se présente sur un site d’armu- vices du Ministère de l’Intérieur,
rerie spécialisé132 : SAPL propose des stages de for-
mations aux violences urbaines à
« Fondée par l’inventeur de la
destination des agents des forces
Carplas et de la balle de caou-
de l’ordre étrangers qui sou-
tchouc, la Société d’Application
haitent apprendre du modèle
des Procédés Lefebvre (SAPL)
français en la matière. »
fabrique, depuis 1983, du maté-
Comme en 2005, des matériels four-
riel pour le maintien de
nis par des entreprises françaises
l’ordre et des armes de
ont été utilisés contre la population
défense.
togolaise : bien qu’il s’agisse ici de
Tous les produits SAPL sont
matériels « non létaux » ou
conçus, fabriqués, testés en
« sublétaux », cette répression a
131 Voir https://www.meyson.fr/armurerie-arme-
defense-gomm-cogne-chevrotine-set-de- été meurtrière, et les autorités fran-
chevrotine-caoutchouc-cal-12/67mm-x5-/-sapl- çaises n’ont pas réagi – alors même
sapl,fr,4,Z49511CL.cfm
132 https://www.armurerie-francaise.com/sapl.html qu’elles sont vraisemblablement
(consulté en novembre 2017)

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 58


impliquées dans la mise en place de taire détaché de l’opération Bar-
programmes de formation à l’utili- khane étaient présents à Lomé » se
sation de ces matériels. vante l’ambassade de France au
Togo au sujet de « cette action de
Depuis, la diplomatie française est
coopération franco-togolaise (...) en
restée muette sur ses liens avec le
vue de la délivrance du brevet de
Togo – à l’exception de la réponse
parachutisme militaire togolais aux
de la ministre Nathalie Loizeau au
élèves officiers de l’Ecole de For-
sénateur Gilbert-Luc Devinaz le
mation des Officiers des Forces
13 février 2018, qui s’est contentée
Armées Togolaises (EFOFAT) et aux
d’affirmer que « La France a
nouvelles recrues du Régiment
condamné publiquement ces vio-
parachutiste commando ».134
lences et, loin de renvoyer dos à
dos les uns et les autres, a appelé
le gouvernement du Togo à autori-
Hélicoptères d’attaque
ser les rassemblements pacifiques
sur l'ensemble du territoire »133. Au-delà du matériel sublétal, le
gouvernement n’a pas renoncé – ou
Un « dialogue » a été initié entre
pas publiquement – à fournir à
le pouvoir togolais et les partis
l’armée togolaise du matériel de
d’opposition, qui ont compris que
guerre qui pourrait être utilisé
le régime de Faure Gnassingbé reste
contre les opposants. En effet, en
soutenu par ses alliés : bien que
mai 2017, le journal Jeune Afrique
conscients que les précédents « dia-
faisait état du projet de céder au
logues » et « concertations » n’ont
Togo, via une société française de
abouti à rien de concret (l’Accord
services spécialisée dans l'armement,
Politique Global de 2006 n’étant
cinq hélicoptères d'attaque de type
par exemple pas respecté), ils
Gazelle de l’armée française. Dans
cherchent à obtenir le départ du
le cadre de ce contrat, une forma-
jeune dictateur, du moins à la fin
tion serait aussi dispensée en France
de son mandat, en 2020. Pendant
à une quinzaine de pilotes et de
ce temps, au lieu de chercher à iso-
mécaniciens135. Officiellement, ces
ler et fragiliser le régime, la coopé-
hélicoptères doivent être utilisés
ration française se poursuit, lourde
afin de « mieux sécuriser d’ici à
de symboles : « Du 4 au 10 mars
2020 les frontières terrestres et
2018, un détachement d’instruction
maritimes du Togo et pouvoir
opérationnel des Éléments Français
du Sénégal avec un aéronef mili- 134 Site internet de l’ambassade de France à Lomé,
9 mars 2018.
133 « Paris loin de l'Afrique réelle », La Lettre du 135 « Togo : vers l’achat de cinq hélicoptères
Continent n°771, 21 février 2018. d’attaque français ? », Jeune Afrique, 11 mai 2017

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 59


réagir très vite à une attaque terro- de Matignon, la CIEEMG : « La
riste ou à un acte de piraterie ». Le décision d’exportation de ce type
même journal expliquait peu après de matériels est prise en France
que M. Jean-Marc Ayrault, alors sous la responsabilité du Premier
ministre des Affaires étrangères et ministre »139. Certes, mais lorsque
du Développement international, Jeune Afrique avait révélé le blo-
semblait s’opposer à cette vente de cage de Jean-Marc Ayrault quelques
crainte que ces matériels ne soient mois plus tôt, la CIEEMG s’était
utilisés contre des civils ou des apparemment déjà prononcée sur le
opposants, à l’instar de ce qui sujet. L’affaire a été reprise dans le
s’était déjà passé avec des hélico- Canard enchaîné du 22 novembre
ptères de fabrication française en 2017140, mais sans entraîner de
février 2008 à Douala (lors démenti de la part des autorités. La
d’émeutes faisant suite à l’annonce confirmation éventuelle ne pourra
de la modification constitutionnelle donc être obtenue que lorsque la
par le vieux dictateur Paul Biya) ou cession aura été effectuée : soit via
fin août 2016 au QG de campagne un article de presse, soit en décryp-
présidentielle de l’opposant Jean tant le rapport au Parlement sur les
Ping à Libreville136. Mais début ventes d’armes de l’année 2017.
octobre, le site spécialisé janes.com Celui-ci ne sera publié que courant
révélait que le gouvernement 2018, avec des chiffres agrégés : en
d’Edouard Philippe, dans lequel l’absence de détails sur les maté-
Jean-Yves Le Drian avait remplacé riels cédés, il sera peut-être impos-
Jean-Marc Ayrault au Quai d’Orsay, sible de savoir si oui ou non la
souhaitait désormais faire aboutir France a livré ces hélicoptères.
rapidement le dossier137, une infor-
Ainsi va la relation France-Togo : à
mation reprise le 7 novembre 2017
chaque vague de répression, la
dans une dépêche Ecofin138. Inter-
diplomatie se dit attentive à la
rogé le lendemain en point de
situation, tandis que les coopérants
presse, le Quai d’Orsay renvoyait
militaires et policiers restent sur
vers l’avis de la commission inter-
place et que la fourniture de maté-
ministérielle relevant de l’autorité
riel se poursuit.
136 « Défense : quel responsable français cherchait à
freiner la vente d’hélicoptères d’attaque au
Togo ? », Jeune Afrique, 26 mai 2017
137 Erwan de Cherisey, « Togolese Gazelle
procurement set to move forward », Jane’s 360, 4
octobre 2017 139 Extrait du point de presse du 8 novembre 2017
138 « La France pourrait enfin approuver la vente au 140 Jean-François Julliard, « Mugabe, "professeur de
Togo de 5 hélicoptères d’attaque de type violence" brutalisé », Le Canard enchaîné, 22
Gazelle », Agence Ecofin, 7 novembre 2017 novembre 2017

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 60


En République Démocratique du Congo, opacité et rôle du privé

En République démocratique du du pays, dans un black out organisé


Congo (RDC), Joseph Kabila se par une nouvelle coupure d’inter-
cramponne à son fauteuil présiden- net.
tiel depuis la fin de son mandat en
Cette contestation portée par
décembre 2016, en violation de la
l’Eglise catholique a fait tache
Constitution congolaise. Les accords
d’huile : les responsables religieux
initiés fin 2016 par l’Eglise catho-
protestants puis musulmans ont cri-
lique, dits de la « Saint Sylvestre »
tiqué ouvertement le pouvoir à par-
n’ont pas été respectés. Aucune des
tir de la mi-janvier.
concertations engagées durant l’an-
née 2017 entre l’opposition et le Le dimanche 21 janvier 2018, une
régime de Kabila n’a abouti. De nouvelle journée de mobilisation a
fait, toutes les institutions à man- eu lieu. Dans une centaine de
dats électifs en RDC sont désormais paroisses de la capitale, mais aussi
illégitimes : non seulement le Pré- dans les principales villes du pays,
sident de la République, mais égale- la répression a été sanglante : au
ment les sénateurs et les députés. moins 6 morts, 49 blessés et une
centaine d’arrestations, selon un
La rue conteste Kabila bilan – forcément diplomatique –
Depuis fin décembre 2017, le de l’ONU. Les forces de sécurité ont
Comité Laïc de Coordination, même lancé des grenades lacrymo-
proche de l’Eglise catholique, a gènes dans une maternité où
appelé les fidèles à manifester quelques manifestants s’étaient réfu-
chaque mois. Des marches non vio- giés.
lentes ont été organisées au sortir Une nouvelle journée de contesta-
des messes. La manifestation du tion a été organisée le dimanche
31 décembre 2017 a été réprimée 25 février à travers le pays. Malgré
violemment par les services de les efforts du pouvoir (le Premier
sécurité de l’Etat, notamment la ministre Bruno Tshibala a même été
Police nationale congolaise (PNC) et vu par des journalistes de l’AFP en
les Forces armées de RDC (FARDC) train de distribuer des billets de
qui ont tiré à balles réelles sur des 100 $ aux habitants de certains
manifestants, entraînant la mort de quartiers de Kinshasa !), la partici-
plusieurs personnes et des centaines pation a été massive : plus de trois
de blessés. Des arrestations ont millions de personnes selon les
aussi eu lieu dans différentes villes

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 61


organisateurs. La répression brutale En Europe, la Belgique a décidé, en
de ces marches s’est soldée, selon janvier 2018, face aux violations
un bilan provisoire du Comité Laïc des droits de l’homme par l’Etat
de Coordination, par trois morts et congolais, de suspendre son pro-
plusieurs blessés dans le pays. Et un gramme bilatéral de coopération
nourrisson est resté plusieurs jours avec la RDC : « le nouveau pro-
entre la vie et la mort après de gramme bilatéral de coopération
nouveaux tirs de grenades lacrymo- avec les autorités congolaises ne
gènes dans une maternité141. pourra être conclu qu’après l’orga-
nisation d’élections crédibles, sur
base des principes de bonne gou-
Condamnations internationales vernance ». Dans une résolution du
Dans un rapport au Conseil de 18 janvier 2018 sur la RDC, le Par-
sécurité daté du 5 janvier, António lement européen a pour sa part prié
Guterres, Secrétaire général de « l’Union européenne et ses États
l’ONU, a dénoncé l’absence d’avan- membres de donner la priorité au
cées concernant la « décrispation respect des droits de l’homme ».
du climat politique » prévue par Dans une tribune collective, onze
l’Accord de la Saint Sylvestre. Il s’y organisations chrétiennes euro-
« inquiète du fait qu’aucun progrès péennes ont appelé l’UE et ses Etats
véritable n’ait été accompli dans ce membres à aller plus loin en termes
domaine, 107 prisonniers politiques de sanctions ciblées, pour « s’enga-
étant toujours en détention et les ger fermement pour la transition
acteurs politiques et les personnali- démocratique » en RDC142.
tés de la société civile continuent Double langage de la France
d’être harcelés. » La MONUSCO
Certains continuent à manier la
(force onusienne en RDC), quant à
langue de bois, tel le Conseil per-
elle, malgré la présence de plus de
manent de l’Organisation internatio-
18 000 hommes en RDC, ne semble
nale de la Francophonie (CPF). Cet
pas remplir sa mission de protection
outil de rayonnement linguistique et
de la population. Simple spectatrice
politique de la France a lancé, le
des violences sur le terrain, elle est
25 janvier 2018, un appel à une
parfois même absente, comme lors
concertation des partenaires interna-
des manifestations du 31 décembre
tionaux afin de « recréer une dyna-
2017.
mique porteuse d’espoir, notam-
141 « Répression en RDC : un nourrisson entre la vie 142 « RD-Congo : Il est temps pour l’Union
et la mort après avoir inhalé du gaz européenne de s’engager fermement pour la
lacrymogène », Jeune Afrique, 27 février 2018. transition démocratique », La Croix, 23/02/18

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 62


ment en faveur de la tenue d’élec- régime Kabila en appliquant régu-
tions crédibles et apaisées confor- lièrement un ordre illégal : couper
mément au calendrier électoral en l’internet les jours de manifesta-
vigueur », alors qu’il est avéré que tions, pour empêcher – ou en réa-
le calendrier électoral est régulière- lité retarder – la diffusion de pho-
ment bafoué par le gouvernement tos et vidéos témoignant de l’am-
congolais. Le ministère des Affaires pleur de la mobilisation et de la
Etrangères français n’est pas en répression. Le groupe, qui se vante
reste : dans son point de presse du d’être devenu en 2016 « leader
14 février 2018, il déclarait que sur l’Internet Mobile avec 41,6 %
« la France est attachée à la tenue de part de marché, loin devant son
effective des élections conformé- concurrent AIRTEL à 32,7 % »144,
ment au calendrier électoral publié est mathématiquement le premier
le 5 novembre 2017, dans le res- responsable de l’isolement des
pect de la constitution congolaise et manifestants de RDC à chaque
de l’esprit de consensus qui avait grande mobilisation mensuelle.
prévalu lors de la signature de l’ac-
Coopération opaque et privatisée
cord politique du 31 décembre
2016. Elle juge également essen- Surtout, l’État français maintient sa
tielle la mise en œuvre des mesures coopération militaire et policière
de "décrispation politique" pour avec la RDC : du fait du manque
réunir les conditions d’élections de transparence en la matière, on
crédibles et apaisées. » ignore en réalité le nombre de
coopérants militaires et policiers
Mais dans le même temps, la
français dépêchés au sein de l’appa-
France est accusée d’avoir freiné
reil répressif congolais. Le site
voire bloqué certaines sanctions de
internet de l'ambassade de France
l’Union européenne, entraînant un
en RDC est encore plus avare en
déchaînement de colère dans les
informations que la moyenne : la
organisations de la société civile et
page sur la coopération militaire est
sur les réseaux sociaux143. L’État
complètement vide145 et celle sur les
français, actionnaire à plus de 23 %
« actions de coopération », qui
du groupe Orange, ne semble pas
donnait jusqu’en février 2018
non plus s’émouvoir que ce fleuron
quelques informations datant de
de la téléphonie et l’internet
2011 (évoquant notamment « la
mobiles se rende complice du
144 « Les activités d'Orange République démocratique
143 « RDC : la France confrontée à une campagne du Congo », Orange.com, 4/5/17
hostile sur les réseaux sociaux », Joan Tilouine, 145 https://cd.ambafrance.org/-Cooperation-
Le Monde, 19/01/18. militaire- , consultée le 13 mars 2018

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 63


formation de deux bataillons de activités liées, de près ou de
500 hommes chacun, et l’équipe- loin, au maintien de l’ordre. »148
ment en matériel de protection, en
Cette réponse illustre à plusieurs
armement non létal et en véhicules,
égards l’opacité et la complicité
en prévision des élections natio-
politique qui caractérisent la coopé-
nales [de 2011] »), a disparu du
ration policière et militaire fran-
site internet début mars146. Quelques
çaise : aucune information précise
jours auparavant, le ministère des
n’est donnée sur le nombre de
Affaires étrangères français avait été
coopérants et les postes occupés ; le
publiquement interrogé sur la
gouvernement demande en quelque
coopération policière et militaire
sorte de lui « faire confiance » et
avec ce pays, en écho à une inter-
estime qu’une « adaptation » et
pellation publique du président
une « réorientation » du dispositif
Emmanuel Macron par Survie,
sont suffisantes ; la non-implication
l’ACAT France, l’Observatoire des
directe des coopérants français dans
Armements et la campagne « Tour-
des activités opérationnelles (norma-
nons la Page »147. Le Quai d’Orsay
lement déjà garantie depuis la
s’était alors justifié en expliquant
réforme de 1998) est brandie
notamment :
comme une justification du main-
« La coopération de sécurité et tien de cette coopération. Ainsi, les
de défense conduite par la autorités françaises éludent à la fois
France en RDC a connu une l’enjeu démocratique de la transpa-
diminution ces dernières années rence sur cette politique et la
et a été adaptée au regard de dimension symbolique du maintien
l’évolution de la situation inté- d’un tel soutien à un dictateur défié
rieure. Elle a été réorientée vers par la rue.
l’aide à la formation des cadres
Concernant les possibles fournitures
de l’armée congolaise, en dehors
de matériels à la RDC, le Quai
de toute activité opérationnelle.
d’Orsay avait poursuivi :
Dans le domaine de la sécurité
intérieure, aucun coopérant « La France exerce un contrôle
français n’intervient dans des rigoureux sur les exportations
d’armement. Les autorisations de
licence sont délivrées sous la
146 La page indique désormais « erreur 404, il n’y a
pas d’article à cette adresse », responsabilité du Premier
https://cd.ambafrance.org/Actions-de-cooperation, ministre après avis de la Com-
consultée en février 2018 puis le 13 mars 2018.
147 « Monsieur Macron, entendez enfin l’appel des
démocrates congolais », lettre ouverte parue dans 148 Extrait du point de presse du Quai d’Orsay du
Le Monde Afrique, 24/02/18. 28/02/18.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 64


mission interministérielle pour biens à double usage, voire armes à
l’étude des exportations de feu et munitions à usage
matériels de guerre (CIEEMG). « civil »… ou aucun de ces régimes
La délivrance des autorisations pour certains matériels « de sécu-
se fait dans le strict respect des rité » qui font partie de l’équipe-
obligations internationales de la ment de policiers anti-émeutes
France. » déployés lors des manifestations).
Enfin, le symbole politique d’une
Là encore, la réponse officielle du
diminution ou d’un arrêt discret des
gouvernement permet de rappeler
livraisons de matériels de répression
une double hypocrisie : actuelle-
est, comme pour « l’adaptation »
ment, les seules informations
du nombre de coopérants et des
publiques – dans le rapport annuel
postes qu’ils occupent, sans com-
au Parlement sur les ventes d’armes
mune mesure avec le signal attendu
– concerne les fournitures relevant
par les démocrates congolais : ces
des catégories de « matériel de
derniers attendent que les alliés du
guerre » et elles sont fournies de
régime Kabila le « lâchent » publi-
façon agrégée, sans détails. Les
quement, et complètement.
observateurs en sont donc réduits à
constater que « selon les informa-
tions fournies par le gouvernement
Le secteur privé a bon dos
au Parlement français, le nombre
de licences d'exportations d'arme- L’angle mort de la « réponse » du
ments français autorisés par Paris a Quai d’Orsay concerne l’interven-
diminué drastiquement depuis tion d’un acteur privé, que la
149
2015 » … sans savoir de quels diplomatie et l’armée françaises
matériels « de guerre » il est ques- peuvent appuyer au nom de la
tion. Surtout, les matériels utilisés « diplomatie économique » et du
par les forces de l’ordre ne relèvent « rayonnement » de la France, et
pour la plupart pas du régime d’au- qui bénéficie de toutes manières de
torisation sur avis de la CIEEMG (à l’aura et de la réputation d’anciens
l’exception peut-être d’armements gradés de l’armée française, recy-
de guerre utilisés par les FARDC clés en formateurs « made in
lors de la répression), mais plutôt France ».
des trois autres régimes d’exporta- L’institut Themiis, une « école de
tion (selon les matériels : explosifs, formation de haut-gradés désireux
de passer dans le privé » selon la
149 « Répression des marches en RDC: l'UE et la
France répondent aux ONG », Sonia Rolley, RFI,
28/02/18

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 65


lettre spécialisée Intelligence la sécurité (PROGRESS) signé en
150
Online , a été créée selon Jeune mai 2015 entre le Gouvernement de
Afrique151 au sein de la société bri- la République démocratique du
tannique Sovereign Global Solutions Congo (RDC) et la Délégation de
Ltd (SGS), fondée en 2012 à l’Union européenne en RDC (DUE)
Londres par des Français152. L’insti- pour un montant de 25 millions
tut, basé à Paris, a été « fondé par d’euros et une durée de 6 ans (mai
la commandante de réserve Camille 2021). »154 Surtout, comme la
Roux et par Gilles Rouby, l’ancien société s’en vante sur son site inter-
représentant militaire permanent de net155, elle a « à son actif la créa-
la France auprès de l’Otan »153. Son tion et l’encadrement académique
vice-président en charge du déve- d’une Ecole supérieure d’adminis-
loppement est Peer de Jong, ancien tration militaire (ESAM) », cette
chef de corps du 3e régiment d'in- fois « à la demande des autorités
fanterie de marine, qui était pro- de la République démocratique du
priétaire d’une des deux entités du Congo ». Themiis a en effet mis sur
groupe SGS lors de sa création, la pied un programme à l’attention de
société française Strike Global Ser- la haute hiérarchie militaire et
vices. civile, en partenariat avec le Col-
lège des Hautes Etudes de Stratégie
En novembre 2016, le général de
et de Défense (CHESD) de Kinshasa,
division Jean Baillaud, ancien n°2
présenté par le chef d'état-major
de la mission des Nations unies en
général de l'armée congolaise
RDC (la Monusco), a rejoint The-
comme « le plus haut établissement
miis. Son carnet d’adresses a-t-il été
de formation des officiers généraux
utile pour se positionner sur les
et colonels des FARDC »156. Comme
appels d’offres européens ? Tou-
l’explique le journaliste spécialisé
jours est-il que « fin 2017, THE-
Défense Philippe Chapleau, « le
MIIS s’est vu confier l’évaluation
trio Camille Roux, Gilles Rouby et
du volet Défense du Programme
Peer de Jong pilote la formation
d’appui à la réforme du secteur de
académique mais les trois fran-
150 « Sovereign au bord de la rupture », Intelligence çais rappellent que "l'initiative est
Online n° 766 du 14/09/2016. congolaise sur fonds congolais",
151 « Côte d’Ivoire : un ex-officier de la Monusco à
l’école de sécurité privée Themiis », Jeune
Afrique, 9/11/16 154 http://www.themiis-institute.com/missions-ue/
152 « Une entreprise privée au secours de la (consulté le 14 mars 2018)
souveraineté des États », Jean Guisnel, Le Point, 155 Ibid.
01/06/12 156 Philippe Chapleau, « Themiis s'inscrit dans la
153 « Côte d’Ivoire : un ex-officier de la Monusco à durée à Kinshasa, au profit du Collège des Hautes
l’école de sécurité privée Themiis », Jeune Etudes de Stratégie et de Défense », blog Lignes
Afrique, article cité de défense, 01/08/17

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 66


qu'elle est "accompagnée par The- laquelle évoluent plusieurs « frères
miis en synchronisation avec la d’armes » de gradés toujours en
coopération francaise et en partena- poste dans l’armée française, se
riat avec les acteurs.internationaux sont poursuivis début 2018, sans
qui agissent localement: Monusco émouvoir le Quai d’Orsay.
(dont le commandant était présent
Cet appui discret, par le biais d’of-
à la cerémonie), UNICEF, UE, CICR
ficines privées, est perçu – à raison
etc". »157
– comme l’affirmation d’un soutien
En l’absence de rupture ferme et au pouvoir en place, tant auprès
publique de la part de la diplomatie des manifestants que des barons du
tricolore, il y a tout lieu de penser régime. Le ministre de la Défense
que cette « synchronisation avec la congolais se vantait d’ailleurs il y a
coopération française », vantée quelques mois d’une coopération
quelques mois avant la répression militaire « très étroite » avec la
meurtrière des manifestations mas- France158. Encore une fois, le dis-
sives contre le régime, se poursuit. cours officiel français, qui évoque
Les formations et l’encadrement une « adaptation » du dispositif, se
prodigués par Themiis, au sein de heurte à la réalité des faits.

158 « Coopération militaire RDC – Belgique : les


157 Ibid. raisons de la rupture », Jeune Afrique, 14/4/17

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 67


Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 68
Conclusion et revendications

Dans sa récente note publiée par reusement, les exceptions sont


l’IFRI, la chercheuse Aline Leboeuf rares161, et la règle est plutôt au
affirmait qu’on « ne peut reprocher maintien, discret et efficace, de
aux différents programmes de cette coopération : cela envoie un
coopération militaire les échecs et signal clair aux opposants et mani-
déviances des armées africaines, festants sur place, qui savent bien
qu’ils n’auraient jusqu’ici pas réussi mieux que les Français que des
à transformer positivement et en militaires et policiers conseillent
profondeur »159. Ce type d’argument leurs bourreaux. C’est le signal du
obère régulièrement la réflexion sur maintien du soutien français à des
le soutien à des régimes criminels : dictatures africaines « amies », en
tout en prétendant œuvrer à un dépit des annonces régulières sur la
chimérique renforcement de l’État fin de la Françafrique, et quelques
de droit, les coopérants français soient les violations des droits
n’auraient aucune responsabilité humains sur place. Les autorités
lorsque l’armée ou la police au sein françaises se maintiennent ainsi
desquelles ils coopèrent commettent régulièrement du mauvais côté de
un massacre. Si tel était le cas, l’Histoire.
pourquoi le ministre des Affaires
Pour que le débat sur cette coopé-
étrangère Laurent Fabius aurait-il
ration militaire et policière puisse
annoncé que la France avait sus-
avoir lieu, encore faudrait-il qu’elle
pendu « sans attendre » sa coopé-
soit mieux connue. Aujourd’hui, le
ration de sécurité et de défense
manque d’informations est criant :
avec le Burundi, en janvier
160
on ignore combien de conseillers
2016 ? En fonction des exactions,
sont détachés au sein des forces de
et surtout en fonction des intérêts
l’ordre ou auprès des autorités au
en jeu, les autorités françaises ont
Togo, du Cameroun ou de RDC, et
ainsi montré qu’elles pouvaient
encore plus les postes qu’ils
prendre une telle décision. Malheu-
161 Récemment, on peut également citer l’annonce
par François Hollande du gel de toute coopération
159 A. Leboeuf/IFRI, op.cit., p.57 (pas uniquement policière et militaire) avec le
160 Burundi - Réponse de M. Laurent Fabius, ministre Burkina Faso en septembre 2015, au moment où
des affaires étrangères et du développement les putschistes du Régiment de Sécurité
international, à une question – Sénat (Paris, 12 Présidentielle allaient être mis en déroute par le
janvier 2016) reste de l’armée, sous la pression de la rue.

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 69


peuvent occuper. On apprend par- par une ambassade ou dans un
fois quelques chiffres à l’occasion article de presse locale, l’emploi de
d’un rapport parlementaire ou matériel français par la police d’une
d’une question au gouvernement de dictature grâce à quelques photos…
la part d’un sénateur ou député, la
Ce manque de transparence et de
nomination d’un nouveau conseiller
contrôle n’est plus acceptable.
lors d’une communication publique

L’association Survie demande donc a minima :

• l'arrêt de toute coopération • l’amélioration de la transpa-


militaire et policière avec des rence sur les ventes d’armes :
régimes dictatoriaux ; le rapport annuel au Parlement
doit évoluer pour indiquer pré-
• l'instauration d'une obligation
cisément les types d'armements
réglementaire pour la Direction
et pièces fournis plutôt que des
de la Coopération de Sécurité et
volumes de contrats agrégés par
de Défense (DCSD) de rendre
grandes catégories de
publique toute information en
matériels ;
sa possession sur des violations
des droits humains par des • l’abandon de pratiques héritées
forces armées ou de police avec du passé telles que le port de
lesquelles elle coopère ; l’uniforme local par les coopé-
rants militaires français et la
• la mise en place d’un méca-
remise (à des militaires des
nisme d’information publique
pays hôtes) ou l’acceptation
sur les fournitures de matériels
(par les militaires français) de
dits de « sécurité et défense »
décorations honorifiques liées à
(à l’instar du rapport annuel au
cette coopération.
Parlement sur les ventes
d’armes) et sur la mise à dispo-
sition, pays par pays et poste
par poste, de conseillers mili-
taires ou policiers (gendarmerie
incluse) ;

Coopération militaire et policière en Françafrique – Mars 2018 70


L’ASSOCIATION SURVIE
A BESOIN DE VOTRE SOUTIEN

Créée il y a plus de 30 ans, l’association Survie décrypte


l’actualité franco-africaine et se mobilise contre la Françafrique,
qu’elle a fait connaître.

Elle compte plus de 1300 adhérent.e.s et une vingtaine de


groupes locaux partout en France.

L’association :
• se mobilise contre le soutien multiforme de l’État français à des
dictatures africaines,
• agit en informant les citoyen-ne-s français-es, en interpellant les
élu.e.s, et en saisissant la justice sur des cas de soutien français aux
crimes perpétrés par ces régimes,
• réclame des changements institutionnels pour empêcher la
perpétuation de ces pratiques.

« Soutenez l’association Survie »


Adhérez, faites un don, rejoignez-nous !

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