Vous êtes sur la page 1sur 14

Chapitre 1

INTRODUCTION
Dans la préface de la première édition de son livre Construing Bilingual
Legislation in Canada 1 , publiée en 1981, Michael Beaupré parlait des deux
solitudes touchant la profession juridique et les associait au désenchantement
culturel des Francophones qui avaient le sentiment que leur culture juridique
était laissée de côté en matière d’interprétation des lois bilingues au Canada. Il
était extrêmement pessimiste, mais déterminé à faire [TRADUCTION] « une très
modeste tentative, étant donné l’ampleur du problème, visant à remédier à une
ignorance désespérante et à une indifférence désolante parmi les membres des
secteurs les plus influents de la profession juridique au Canada anglais 2 ».
Dans la deuxième édition, parue cinq ans après, Beaupré apportait une autre
justification au fait d’écrire sur cette question. Son objectif était désormais de
combler un vide laissé dans l’excellent ouvrage de Driedger, The Construction
of Statutes, en ajoutant une première étape à l’« approche contextuelle » mise en
avant par son auteur. Beaupré concluait ainsi : [TRADUCTION] « il existe bien
une approche bilingue à l’interprétation de la loi, qu’on l’appelle “interprétation
croisée” ou bilingual cross-construction 3 ». Cette première étape était nécessaire
en raison du fait que la technique de l’interprétation qui avait évolué devant les
juridictions québécoises et été reprise par la Cour suprême du Canada n’était
bien souvent que l’extension et l’extrapolation logiques des principes
d’interprétation classiques reconnus dans l’ensemble des ressorts canadiens et
qui ne s’étaient pas révélés particulièrement adaptés pour l’interprétation d’une
loi bilingue en contradiction avec elle-même 4 . Selon Beaupré,
[TRADUCTION] « la plupart des principes et règles existants sont soi-disant
applicables à l’univers bilingue, mais ils doivent toujours être réexaminés ou
réévalués, entre autres, à la lumière de la règle impérative de la double autorité
applicable aux lois fédérales 5 ». Néanmoins, lorsque l’on conclut qu’une
interprétation est commune aux versions française et anglaise, celle-ci
[TRADUCTION] « doit être rapportée et confrontée au contexte d’ensemble de la
disposition avant d’être arrêtée 6 ». Beaupré a expliqué que c’était les tribunaux,
et non le législateur, qui avaient [TRADUCTION] « défini une approche bilingue et
biculturelle de l’interprétation des lois de la nation, malgré le silence notable de
la Constitution sur ce point 7 ». Sa propre contribution consistait pour l’essentiel

1
Michael Beaupré, Construing Bilingual Legislation in Canada (Toronto : Butterworths, 1981).
2
Id., p. ix.
3
Michael Beaupré, Interpreting Bilingual Legislation, 2nd ed. (Toronto : Carswell 1986), p. 4.
4
Id., p. 4.
5
Id., p. 4 et 5.
6
Id., p. 5.
7
Id., p. 11.
2 Le droit de l’interprétation bilingue

en [TRADUCTION] « une analyse de l’élaboration de la règle d’égale autorité


entre les versions linguistiques et de son application pour l’interprétation de la
législation canadienne » 8 . En tentant d’être pragmatique, à l’instar de la Cour
suprême du Canada, et en se livrant à des conjectures, il se proposait de soulever
des questions et de suggérer des réformes.
L’intérêt pour l’interprétation bilingue s’est accru avec l’instauration d’un
programme de common law en français à l’Université de Moncton en
1978. Quelques cours de common law en français avaient déjà été dispensés
auparavant à l’Université du Nouveau-Brunswick. La section de common law de
l’Université d’Ottawa avait commencé à proposer des cours en français en 1977
et s’efforçait de mettre au point un programme complet dans les années à venir.
Le défi résidait bien évidemment dans l’élaboration d’une terminologie
permettant d’enseigner la common law en français. Le nouveau personnel
enseignant a très vite découvert, comme l’a fait remarquer Jean-Claude Gémar 9 ,
qu’il existe un langage du droit qui fait partie du langage général, mais qui peut
également être considéré comme un langage vraiment technique. Plus important
encore, ce langage est lié à la culture juridique. La difficulté tenait au fait de
manier deux cultures juridiques et l’enseignement à l’aide de dictionnaires, de
lexiques et de glossaires ne suffisait pas. Les jurilinguistes devaient
accompagner les professeurs de droit. Les avocats et les juges qui interprètent
les instruments bilingues sont confrontés aux mêmes difficultés. L’objet du
présent ouvrage est de leur venir en aide.
Chodkiewick et Gross ont fait observer que « [l]a langue du droit n’est pas
réductible à des nomenclatures de termes (vocabulaires) ou même à des réseaux
conceptuels, comme pourrait le laisser croire la plupart des dictionnaires
juridiques... En effet, ceux-ci recensent essentiellement les “termes” de cette
langue et ces “termes” sont la plupart du temps des noms composés 10 . » Cette
affirmation porte à conclure que le langage du droit est très complexe et se
rapporte davantage à des phrases qu’à des mots. Aucune traduction simple
n’est possible; tout est une question de contexte. La simple lexicologie doit
être écartée. Pierre Lerat explique que la tendance passée des jurilinguistes du
Canada à accentuer la fonction de dénomination des expressions spécialisées a
conduit à l’inadéquation des dictionnaires juridiques. Il tire la conclusion
suivante :
La prise en compte de cooccurences, de collocations et de locutions reste
empirique chez les jurilinguistes faute d’une théorie du figement; le
Juridictionnaire fait une distinction non syntaxique mais relativement opératoire :

8
Id., p. 12.
9
Jean-Claude Gémar, « Langage du droit et (juri)linguistique, états et fonctions de la jurilinguistique »,
dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue et droits /
Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant,
2005) 11.
10
Christine Chodkiewick et Gaston Gross, « La description de la langue du droit au moyen des
classes d’objets » dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre
langue et droits / Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions
Thémis, Bruylant, 2005), p. 23 et 25.
Introduction 3

« le langage juridique privilégie des expressions idiomatiques, formules figées


propres au droit, et des phraséologismes, tournures semi-figées ou usuelles 11 ».
Les avocats et les juges doivent connaître les limites de l’utilisation des
dictionnaires.
Le langage juridique utilise de nombreux termes qui sont employés
couramment dans la langue ordinaire; on peut également avancer que les lois
sont censées être comprises directement par le citoyen. Néanmoins, le
langage juridique est un langage spécialisé. La spécificité culturelle de la
terminologie juridique est d’autre part la source de contraintes importantes;
on doit en particulier avoir constamment à l’esprit la tendance naturelle des
rédacteurs et des traducteurs à traduire en employant des termes de leur
propre système juridique, dans la mesure où ces équivalents existent. Même
les termes familiers ne rendront pas un texte de loi intelligible sans qu’une
explication soit jointe aux termes utilisés si l’on ne prête pas attention aux
systèmes juridiques. L’utilisation de termes couramment employés ne rendra
pas non plus les lois limpides pour la personne qui n’a pas été initiée à
l’interprétation des lois. Le langage du droit est par ailleurs un langage qui
n’est pas uniforme. Il revêt une teinte particulière en fonction de la nature du
texte à interpréter, selon qu’il s’agit d’une loi, d’un ouvrage de doctrine ou
qu’il se rapporte à une transaction privée. L’élaboration d’une méthode
effective d’interprétation juridique suppose avant tout d’avoir connaissance
des difficultés posées par l’élaboration du langage juridique. C’est la raison
pour laquelle le rôle des jurilinguistes est si important. Cela explique
également pourquoi les juristes sont en général mal préparés à l’exercice
d’interprétation.
L’élément fondamental est l’interaction du langage juridique avec
l’application de la loi 12 . Il faut toujours porter une attention toute particulière
au libellé de la disposition à interpréter, en reconnaissant toutefois que
l’interprétation juridique est effectuée la plupart du temps par une personne
unilingue. Pierre-André Côté fait remarquer que l’établissement de versions
multiples d’une loi tend à la rendre accessible à un nombre plus important de
lecteurs dans leur propre langue, mais que cela se fait aux dépens de
l’uniformité dans l’interprétation et l’application de cette même loi 13 . Il
ajoute qu’il faut distinguer ceux qui interprètent effectivement la loi et ceux
qui sont habilités à rendre des interprétations juridiques qui font

11
Pierre Lerat, « Le vocabulaire juridique, entre langue et texte », dans Jean-Claude Gémar et
Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue et droits / Jurilinguistics: Between Law
and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant, 2005), p. 59 et p. 62 à 63.
12
Martin Weston, « Characteristics and Constraints of Producing Bilingual Judgments: The Example
of the European Court of Human Rights », dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.)
Jurilinguistique: entre langue et droits / Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal
et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant, 2005), 48.
13
Pierre-André Côté, « La tension entre l’intelligibilité et l’uniformité dans l’interprétation des lois
plurilingues », dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue
et droits / Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis,
Bruylant, 2005), p. 129.
4 Le droit de l’interprétation bilingue

autorité. L’avocat rend un avis, le juge une décision 14 . On compte cependant


une majorité de juristes unilingues dans les deux catégories. Chaque juriste
unilingue utilisera seulement une version, bien que les deux versions fassent
pareillement autorité. Il ne saurait toutefois y avoir de variation dans les
interprétations, puisqu’il ne peut y avoir qu’une seule intention
législative. L’interprétation uniforme nécessite par conséquent une méthode
d’interprétation bilingue dont nous savons dès le départ qu’elle ne sera pas
entièrement accessible à tous ceux qui doivent interpréter la
loi. Évidemment, les juristes unilingues feront de leur mieux pour analyser
les versions dans les deux langues lorsqu’un problème surgit, mais leur
capacité à identifier les problèmes et à y remédier sera toujours limitée dans
une certaine mesure. L’intelligibilité demeure le principal objectif, même si
la méthode pour y parvenir n’est peut-être pas parfaitement accessible à tous
ceux qui sont amenés à interpréter la loi. Comme le fait remarquer Côté :
Le pluralisme législatif, censé rapprocher la loi du citoyen, peut avoir ainsi l’effet
d’encourager au contraire un certain ésotérisme de la loi dans tous les cas de
divergences entre les versions. Ces divergences restent exceptionnelles dans le cas
des lois bilingues au Canada, mais elles pourraient tendre à devenir fort
nombreuses dans la législation de l’Union européenne rédigée en 20 versions
linguistiques ayant toutes égale autorité 15 .
En fait, la Cour suprême a directement appliqué les concepts d’uniformité et
d’intelligibilité dans l’interprétation des lois lorsqu’il était évident que le sens
commun des deux versions d’une loi n’était pas compatible avec l’intention du
Parlement, révélée suivant les règles usuelles d’interprétation législative 16 et,
dans une affaire au moins, R. c. Daoust 17 , lorsqu’il n’était pas possible de
concilier l’uniformité et l’intelligibilité. Nous reviendrons sur cet arrêt par la
suite 18 .
Comme nous l’avons mentionné précédemment, le langage du droit ne
peut être dissocié de la culture juridique. Dans les années 1960,
l’amélioration des traductions juridiques était censée répondre à l’impératif
d’intelligibilité, mais elle fut considérée par la suite comme insuffisante,
parce que les tribunaux continuèrent à adopter l’approche de la common law
à l’égard de l’interprétation des lois. La corédaction était considérée comme
la solution à ce problème. La corédaction se définit de la manière suivante :
[TRADUCTION] La rédaction proprement dite est suivie d’une révision
systématique des deux textes par des réviseurs afin de garantir leur
concordance et de s’assurer qu’ils sont d’une grande qualité sur le plan
linguistique. Les textes sont ensuite examinés de près par des jurilinguistes,
des spécialistes du langage du droit qui n’ont pas besoin d’être diplômés en
droit. Leur tâche consiste à s’assurer que les deux textes sont équivalents, non

14
Id., p. 131.
15
Id., p. 138.
16
Id., p. 140 et 41. Voir également Doré c. Verdun (Ville), [1997] A.C.S. n° 69, [1997] 2 R.S.C.
862 p. 879 (C.S.C.).
17
[2004] A.C.S. n° 7, [2004] 1 R.S.C. 217 (C.S.C.).
18
Voir Chapitre 2, II.B.1.
Introduction 5

seulement quant à leur sens, mais aussi d’un point de vue culturel. Les
corédacteurs reconnaissent ouvertement que le travail des jurilinguistes
permet d’améliorer la qualité et d’éviter les ambiguïtés 19 .
Les partisans de la corédaction font observer que cette méthode a rehaussé le
statut de la langue minoritaire et réglé certains des inconvénients de la
traduction 20 . Les corédacteurs tiennent compte de la nécessité de rédiger les
lois en ayant une communauté juridique particulière à l’esprit et de l’impératif
de cohérence du droit : la terminologie, les techniques de rédaction juridique
et l’harmonisation avec les instruments internationaux sont des éléments que
l’on considère comme étant tous pertinents. Mais la corédaction pose des
difficultés particulières en ce qui a trait à l’interprétation des lois.
Au Canada, il est particulièrement difficile de concilier les pratiques de
rédaction si l’on veut être parfaitement fidèle au système de droit civil et à celui
de common law. Habituellement, le texte français se fonde sur le contexte et la
déduction, tandis que le texte anglais se suffit à lui-même. Les efforts déployés
pour respecter les deux cultures juridiques ont produit des textes de style très
divers. Sarcevic en donne un exemple révélateur en faisant référence au
paragraphe 10(6) de la Loi sur la sûreté du transport maritime 21 , qui
[TRADUCTION] « enfreint toutes les règles autrefois considérées comme
“sacrées” en matière de traduction juridique22 ». Elle donne l’explication
suivante :
[TRADUCTION] Bref, la forme et le contenu de chaque paragraphe ont été
complètement restructurés, ce qui donne une disposition concise et rédigée de
manière souple en français courant. Formulée en 30 mots dans le texte anglais, la
partie introductive du paragraphe 6 est rendue dans le texte français simplement
comme suit : « Le ministre fait connaître sa décision par écrit dans les cent vingt
jours. » Non seulement le corédacteur français rompt la règle traditionnelle de la
common law de la phrase unique en matière de rédaction, en formulant la
disposition entière en deux phrases, mais il supprime d’autre part l’aménagement
du texte en alinéas, en intégrant le contenu des alinéas a, b et c au corps principal

19
Susan Sarcevic, « The Quest for Legislative Bilingualism and Multiculturalism: Co-drafting
in Canada and Switzerland », dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.)
Jurilinguistique: entre langue et droits / Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal
et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant, 2005), p. 281. Pour un examen détaillé de la
corédaction des lois fédérales, voir : André Labelle, « La corédaction des lois fédérales au
Canada vingt ans après: quelques réflexions », dans Legal Translation, History, Theory/ies
and Practice <http://www.tradulex.org/Actes2000/LABELLE.pdf>, p. 8.
20
Fabienne Bertagnollo et Caroline Laurent, « La corédaction dans l’administration fédérale suisse »,
dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue et droits /
Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant,
2005), 124.
21
L.C. 1994, c. 40.
22
Susan Sarcevic, « The Quest for Legislative Bilingualism and Multiculturalism: Co-drafting
in Canada and Switzerland », dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.)
Jurilinguistique: entre langue et droits / Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal
et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant, 2005), p. 283.
6 Le droit de l’interprétation bilingue

du texte français. Bien que la forme en soit modifiée, le contenu demeure


essentiellement le même 23 .
La lecture conjointe des deux versions devient alors une nouvelle aventure.
Il est cependant difficile de parvenir au bijuridisme à l’aide de cette seule
méthode. L’interprétation doit prendre en compte la finalité du texte
interprété. Autrement, l’intelligibilité et la qualité seront compromises. La
qualité ne se mesure pas uniquement par la clarté, la cohérence, la précision et la
simplicité; elle dépend également de la nécessité d’atteindre effectivement la
communauté juridique appropriée. L’initiative la plus récente pour atteindre cet
objectif réside dans l’adoption des lois dites « d’harmonisation ». France Allard
explique ce qui suit :
La deuxième technique qui cherche à répondre aux particularités des textes
bilingues et bijuridiques est celle de l’« interprétation bijuridique » des textes
législatifs fédéraux. Appliquée plusieurs fois par les tribunaux, elle se fonde sur le
principe de complémentarité, qui a été formellement intégré dans la Loi
d’interprétation fédérale par la Loi d’harmonisation n° 1 du droit fédéral avec le
droit civil 24 , pour répondre aux difficultés que posent le rapport entre le droit
fédéral et les droits provinciaux et la coexistence des traditions de droit civil et de
common law dans le contexte législatif fédéral 25 .
Ce principe du bijuridisme dérivé signifie que les lois fédérales font appel, au
sein d’un même texte de loi, à des notions et concepts différents qui renvoient à
la législation provinciale de manière accessoire à la loi fédérale, chaque concept
étant applicable dans une province ou un territoire particulier. Le contexte
déterminera toujours quel concept doit s’appliquer. Allard conclut de la manière
suivante :

23
Id. Les versions complètes de la disposition en anglais et en français se lisent comme suit :

10 (6) Approval of rules 10 (6) Approbation des règles


Within one hundred and twenty days after the Le ministre fait connaître sa décision par écrit
rules have been submitted, the Minister shall dans les cent vingt jours. En cas d’approbation,
decide whether to approve them and shall notify il peut assortir les règles de sûreté des conditions
the operator of the decision in writing and, if qu’il juge utiles et l’exploitant est tenu, d’une
the Minister approves the rules, part, d’aviser les personnes consultées de leur
(a) the Minister may make the approval approbation et, d’autre part, de mettre en oeuvre
subject to any conditions the Minister les règles de sûreté et leurs conditions jusqu’à
considers appropriate; révocation de l’approbation.
(b) the operator shall notify the persons who
were consulted that the rules have been
approved; and
(c) the operator shall carry out the rules and
any conditions of their approval until the
approval is revoked.
24
L.C. 2001, c. 4.
25
France Allard, « Entre le droit civil et la common law: la propriété en quête de sens », dans Jean-
Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue et droits / Jurilinguistics:
Between Law and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant, 2005), 193,
p. 217 et 218.
Introduction 7

Dans ce contexte global, on doit inclure le fait que le droit fédéral, au même titre
que les différents droits provinciaux, est un système juridique à part entière. À
l’image du vocabulaire qu’il utilise, ne pourrait-on pas affirmer que le droit
fédéral est un droit méta-systémique par la prise en compte, dans son corpus, des
différents systèmes de common law canadiens, du droit civil québécois et des règles
issues du droit autochtone. Cette perspective ne peut qu’influencer notre manière
d’interpréter les règles issues du droit fédéral, dans un contexte de dialogue
constant entre ses différentes composantes 26 .
L’intention des législateurs est toujours la préoccupation centrale de ceux
qui sont chargés d’interpréter les lois. Au vu des difficultés mentionnées
plus haut, on peut faire valoir avec une certaine force que les législateurs,
tout comme les juges et les avocats unilingues, ne se soucient généralement
pas du caractère bilingue des lois et se contentent de faire confiance aux
jurilinguistes à qui revient la tâche d’éviter les incohérences 27 . Cela est
important dans la mesure où l’on interprète les lois en ayant d’abord recours
aux termes effectivement employés dans leur contexte afin de déterminer
l’intention législative 28 , mais qu’en pratique, les législateurs ne travaillent
pas tous à partir de la même version. Il est par conséquent quelque peu
artificiel de dire que l’intention législative ressort de la lecture des deux
versions, puisque la compatibilité de celles-ci découle en fait de
l’intervention des rédacteurs et des jurilinguistes dans le processus législatif,
et non des législateurs eux-mêmes. Un commentateur a fait observer que les
juges en particulier devraient prêter davantage attention au public qui est
visé par la loi et déchiffrer la compréhension que peut en avoir la personne
intéressée à partir d’une simple lecture de celle-ci 29 .
Cependant, comme l’affirme Côté 30 , l’intention apparente révélée au lecteur
ordinaire n’est qu’un objectif intermédiaire. L’intention apparente devrait mener
à l’intention réelle, mais la loi acquiert dans tous les cas un niveau d’autonomie
que l’on ne peut ignorer. Toujours est-il que les tribunaux ne devraient pas
inférer du texte, pris dans son contexte, une intention législative à laquelle un

26
France Allard, « Entre le droit civil et la common law: la propriété en quête de sens », dans Jean-
Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue et droits / Jurilinguistics:
Between Law and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant, 2005), 193,
p. 222 et 223.
27
Jacques Vanderlinden, « D’un paradigme à l’autre: à propos de l’interprétation des textes législatifs
plurilingues », dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue
et droits / Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis,
Bruylant, 2005) 293, p. 301 et 310 à 11.
28
Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd (Montréal, Qué. : Thémis, 1999), p. 275, 276, 278,
288 et 289.
29
Jacques Vanderlinden, « D’un paradigme à l’autre: à propos de l’interprétation des textes législatifs
plurilingues », dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue
et droits / Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis,
Bruylant, 2005), p. 315 et 16. Cela ressemble dans une large mesure au fondement théorique de
la méthode grammaticale d’interprétation décrite par Côté dans Pierre-André Côté, Interprétation
des lois, 3e éd (Montréal, Qué. : Thémis, 1999), p. 287-88; cela est également compatible au
principe du sens ordinaire dont il est question à la p. 261, suivant lequel le Parlement est
présumé employer des mots dans le même sens que le citoyen ordinaire.
30
Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd (Montréal, Qué. : Thémis, 1999), p. 298.
8 Le droit de l’interprétation bilingue

citoyen ne pourrait pas raisonnablement parvenir 31 . Cette solution simple ne


permet pas de régler dans tous les cas le problème posé par l’adoption de deux
versions officielles de la même loi. L’exemple donné par Vanderlinden est assez
révélateur à cet égard 32 . Il explique qu’à Hong Kong, en cas de contradiction
entre deux versions d’une loi, la version anglaise a toujours préséance lorsqu’il
est question d’un concept de common law. C’est la règle suivie en cas de conflit
linguistique. Cette règle s’applique également dans d’autres pays. L’Éthiopie
fournit une autre illustration dans laquelle un rédacteur français a utilisé les
termes « sujet de droit [une personne qui est titulaire d’un droit ou qui est
assujettie à une obligation] », expression qui n’a pas d’équivalent en common
law et qui a finalement été traduite par « subjected to rights [qui fait l’objet de
droits] ». La controverse découlait du fait que la version anglaise laissait
entendre que les citoyens avaient des droits et non des obligations, tandis que la
version française donnait à penser le contraire 33 .
Ceci étant dit, il importe de noter que la traduction est toujours très
importante au Canada parce qu’elle est utilisée pour les jugements et que, dans
le monde de la common law, les jugements font en fait partie du processus
d’élaboration du droit. Il est clair que les juristes du Canada ont constamment
affirmé la nature secondaire des traductions 34 , en acceptant qu’il doive exister
une hiérarchie entre les versions. Toutefois, il n’est pas nécessaire que cela soit
toujours la norme. D’un point de vue formel, les lois étaient traduites, parfois
sans que la version originale ne soit indiquée, mais la règle d’égale autorité
continuait à s’appliquer. Nous verrons que c’est surtout lorsqu’il existe des
versions dans plus de deux langues que les règles applicables au bilinguisme
doivent être modifiées.
Comme nous venons de l’indiquer, si le principe d’égale autorité a été consacré
lorsque les lois étaient simplement traduites, il est difficile de penser qu’il n’est
pas nécessaire d’adopter une approche polysystémique à l’égard des
traductions. On serait tenté de penser, comme Dean Nicholas Kasirer, que « [l]es
textes français et anglais d’un texte juridique veulent rarement dire
exactement la même chose. La vérité juridique, si l’on peut recourir à cette
idée bien naïve pour les fins de la discussion, se situerait plutôt quelque part
entre les versions française et anglaise d’une règle de droit 35 . » Julie Lavoie fait
observer que « la plupart des juristes perçoivent la traduction comme une simple
opération de transfert, et non comme un processus dont la nature même suppose
une manipulation et une transformation, parfois superficielles, parfois profondes, du
texte original 36 ». Rappelons-nous, avec Gémar 37 , que « longtemps restée le

31
Id.
32
Id., p. 307.
33
Id.
34
Michael Beaupré, Interpreting Bilingual Legislation, 2nd ed. (Toronto : Carswell 1986), p. 300.
35
Nicholas Kasirer, Dire ou définir le droit? (1994), 28 R.J.T. 141, p. 162.
36
Judith Lavoie, « Droit et traductologie: convergence et divergence », dans Jean-Claude Gémar et
Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue et droits / Jurilinguistics: Between Law
and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant, 2005) 523, p. 535.
Introduction 9

modeste véhicule d’une pensée (anglaise qui) ne court pas sur les mêmes rails
que le français [...] la traduction juridique s’est successivement transformée en
instrument d’épuration, en outil de francisation [...] et, finalement, en source
d’illustration du français ». Il ne faut pas méconnaître l’importance de la
traduction; elle a bien servi le système juridique en normalisant la terminologie
et en élaborant une version française normalisée de la common law 38 .
On pourrait se demander en quoi le présent ouvrage est nécessaire, vu les
efforts du Parlement pour résoudre les difficultés soulignées en ce qui a trait aux
pratiques passées, l’analyse et les directives de Beaupré et les compléments
apportés à la doctrine par l’ouvrage de Côté, Interprétation des lois 39 , et celui de
Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes 40 . La réponse
tient dans la nécessité de fournir une explication plus complète des
développements mentionnés plus haut et d’essayer d’aider les avocats et les
juges dans la tâche difficile à laquelle ils sont confrontés. L’impératif
d’application uniforme du droit doit être examiné en contexte, en tenant compte
du fait que les juristes ne sont pas tous bilingues et qu’ils ne sont pas tous
informés de la jurisprudence en la matière. Les lois d’harmonisation 41 sont
également récentes et représentent un défi pour ceux qui ne les connaissent pas
ou qui n’en connaissent pas les objectifs. Le recours aux règles de base
applicables à l’interprétation bilingue 42 peut s’avérer insuffisant dans certains
cas.
Deux arrêts récents de la Cour suprême du Canada ont accru la
sensibilisation au problème. Le premier a été rendu dans l’affaire R. c. Mac 43 .
Cet arrêt traite de la définition du terme « adapted » dans la version anglaise de
l’alinéa 369b) du Code criminel 44 : signifiait-il « apte à » ou « modifié »? La
Cour d’appel d’Ontario avait jugé que ce terme avait deux sens aussi valables
l’un que l’autre et que l’ambiguïté devait être résolue en faveur de l’accusé. La
Cour suprême a jugé qu’il n’existait aucune ambiguïté lorsque l’on examinait la
version française. Il n’était nullement besoin d’avoir recours aux règles usuelles
d’interprétation législative. Ce qui est déconcertant, c’est qu’aucun des avocats

37
Jean-Claude Gémar, « Fonctions de la traduction juridique en milieu bilingue et langage du droit
au Canada », dans Jean-Claude Gémar, éd., Langage du droit et traduction: Essais de
jurilinguistique (Québec : Éditeur officiel du Québec, 1982) 121, p. 124 et 125.
38
Donald Poirier, « Les trois fonctions de la traduction dans la création et le développement de la
common law en français », dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique:
entre langue et droits / Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal et Bruxelles :
Éditions Thémis, Bruylant, 2005), p. 557.
39
Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd (Montréal, Qué. : Thémis, 1999), p. 323 à 342.
40
Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. (Toronto : Butterworths,
2002), p. 79 à 92.
41
Loi d'harmonisation n° 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, c. 4; Loi d'harmonisation
n° 2 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2004, c. 25.
42
Michel Bastarache, « Les difficultés relatives à la détermination de l’intention législative dans le
contexte du bijuridisme et du bilinguisme législatif canadien », dans Jean-Claude Gémar et
Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue et droits / Jurilinguistics: Between Law
and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant, 2005) 93, p. 109 à 16.
43
[2002] A.C.S. n° 26, [2002] 1 R.C.S. 856 (C.S.C.).
44
L.R.C. 1985, c. C-46.
10 Le droit de l’interprétation bilingue

ou des juges n’avait tenu compte en l’espèce des règles applicables aux lois
bilingues. Après le prononcé de cet arrêt, la Cour suprême a fait savoir à tous les
avocats qui comparaissaient devant elle qu’ils devaient citer dans tout document
produit les deux versions des dispositions législatives existant en anglais et en
français 45 . Cette mesure était considérée comme un moyen efficace d’attirer
l’attention des avocats sur la nécessité d’examiner les deux versions dans toute
situation où une disposition doit être interprétée. Le deuxième arrêt concerne
l’affaire R. c. Daoust 46 . L’accusé, propriétaire d’un magasin d’articles
d’occasion, était soupçonné d’avoir vendu de la marchandise volée et a été
accusé suivant l’article 462.31 du Code criminel. Alors que la version française
énumère simplement les actes constituant l’actus reus de l’infraction, la version
anglaise énumère ces mêmes actes en y ajoutant l’interdiction d’effectuer toute
autre opération à l’égard des biens ou de leurs produits. Dans cette affaire, il
avait été montré que l’intention du Parlement était exprimée dans la version
anglaise, mais qu’il n’était pas possible de l’appliquer, puisque cela aurait élargi
la portée de la version française à laquelle l’accusé était en droit de se fier. Il
fallait privilégier le sens commun. Cet exemple montre à quel point il est
difficile de se fier aveuglément à un ensemble de règles. Cet arrêt est
incompatible avec la règle voulant que le sens commun soit écarté lorsqu’il n’est
pas conforme à l’intention du Parlement. Cependant, le principe de l’uniformité
commandait un autre résultat. L’uniformité signifie que tous les accusés doivent
être traités de la même manière et avoir un accès égal au droit. En l’espèce, cela
s’est fait toutefois au détriment de l’intelligibilité, étant donné que la version
française ne donnait pas une image conforme de l’infraction. Comme l’a fait
remarquer Côté 47 , une telle situation est inévitable dans certaines circonstances.
La règle d’égale autorité a été élaborée par les tribunaux dès 189148 et confirmée
par la Cour suprême du Canada dans Québec (Procureur général) c. Blaikie 49 .
C’est la seule règle qui soit conforme à la Constitution50 ; elle est d’autre part
essentielle à l’application de la règle du sens commun. Il est évident que le droit qui
régit les langues traduit une position politique et idéologique51 . Au Canada, les droits
linguistiques sont destinés à favoriser l’unité nationale et le respect des minorités52 .
La nécessité d’élaborer des principes d’interprétation respectueux des deux langues

45
Cette mesure fait désormais partie des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156,
art. 25(1)(F)(vii), 42(2)g) et 44(2)b).
46
[2004] A.C.S. n° 7, [2004] 1 R.C.S. 217 (C.S.C.).
47
Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd (Montréal, Qué. : Thémis, 1999), p. 143.
48
Canadian Pacific Railway Co. c. Robinson, [1891] A.C.S. n° 26, 19 R.C.S. 292 (C.S.C.); voir
également R. c. Dubois, [1935] A.C.S. n° 8, [1935] R.C.S. 378 (C.S.C.).
49
[1979] A.C.S. n° 85, [1979] 2 R.C.S. 1016, p. 1022 (C.S.C.).
50
Voir en particulier l’art. 18(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982,
ch. 11 et les art. 56 et 57 de la Loi constitutionnelle de 1982.
51
Anabel Borja Albi, « Legal Language and Linguistic Rights in Twenty-first Century Spain »,
dans Jean-Claude Gémar et Nicholas Kasirer (dir.) Jurilinguistique: entre langue et droits /
Jurilinguistics: Between Law and Language (Montréal et Bruxelles : Éditions Thémis, Bruylant,
2005) 227.
52
Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba, [1985] A.C.S. n° 36, [1985] 1 R.C.S. 721, p. 739 (C.S.C.),
confirmé par [1992] A.C.S. n° 2, [1992] 1 R.C.S. 212, p. 222 (C.S.C.).
Introduction 11

officielles et des deux systèmes juridiques est par conséquent un impératif


constitutionnel. Cela tient au fait que la garantie de conditions minimales permettant
aux minorités de langue officielle de participer pleinement aux affaires publiques est
une composante du principe constitutionnel de protection des minorités 53 . Les règles
d’interprétation applicables à la législation bilingue constituent donc une partie
importante du cadre juridique mis en place pour mettre en œuvre les principes
constitutionnels mentionnés ci-dessus et atteindre les objectifs moraux de la
nation. Elles font partie des moyens qui permettent aux membres de ces minorités de
consolider leur identité et d’affirmer leur dignité en tant que citoyens du Canada.
Dans le Chapitre 2 – Les règles fondamentales d’interprétation applicables aux
lois bilingues au Canada, nous étudions les deux règles fondamentales qui
sous-tendent le modèle d’interprétation bilingue adopté au Canada, à savoir la règle
d’égale autorité et la règle du sens commun. Ces règles fonctionnent ensemble et
donnent corps à l’impératif constitutionnel de l’article 133 de la Loi constitutionnelle
de 1867 54 . Les tribunaux les ont élaborées dans le but de résoudre les contradictions
en prêtant attention au contexte, notamment au regard de la nécessité de tenir compte
des particularités du système de droit civil. Les tribunaux ont commencé à donner un
sens au concept d’égale autorité dans R. c. DuBois 55 , en examinant les termes
« publication » et « adoption ». Le Parlement n’était toutefois pas totalement absent
du débat sur l’égale autorité. Il adopta le paragraphe 8(1) de la Loi sur les langues
officielles56 en 1969. Cet exercice législatif ne s’est pas vraiment révélé utile et
l’article 8 a finalement été remplacé, en 199857 .
Le régime fédéral actuel a été constitutionnalisé avec le paragraphe 18(1) de
la Charte canadienne des droits et libertés. Il fait également partie de la
Constitution du Manitoba. De même, des dispositions constitutionnelles
particulières ou des lois générales régissent la situation au Québec, au Nouveau-
Brunswick et en Ontario depuis juillet 2007. Les quelques lois bilingues
adoptées en Nouvelle-Écosse, en Alberta et en Saskatchewan reposent sur le
principe d’égale autorité. Les lois adoptées par les trois gouvernements
territoriaux existent en anglais et en français, les deux versions faisant
pareillement autorité.
Nous expliquons dans ce chapitre en quoi ce régime est censé résoudre les
divergences entre les versions de langue différente. Il se fonde principalement
sur la règle du sens commun, censée garantir que les deux dispositions
législatives énoncent une même règle. Nous étudions les différentes situations
qui se présentent et l’application de la règle à chaque type de contradiction, en
décrivant l’évolution de la jurisprudence, notamment depuis 1969. Nous
poursuivons ce chapitre par une étude détaillée de R. c. Daoust 58 , un arrêt qui
résume le droit actuel de la législation bilingue et explique ses limites. Plus loin

53
Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] A.C.S. n° 61, [1998] 2 R.C.S. 217 (C.S.C.).
54
(R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3.
55
[1935] A.C.S. n° 8, [1935] R.C.S. 378 (C.S.C.).
56
L.R.C. 1970, c. O-2 (anciennement L.C. 1968-69, c. 54).
57
L.C. 1988, c. 38 (désormais L.R.C. 1988, c. 31 (4e suppl.)).
58
[2004] A.C.S. n° 7, [2004] 1 R.C.S. 217 (C.S.C.).
12 Le droit de l’interprétation bilingue

dans ce chapitre, nous traitons de la qualification en langage ordinaire qui pose


souvent problème aux tribunaux, et nous expliquons en quoi il est plus utile de
s’attacher aux dispositions dans leur ensemble qu’aux termes pris isolément au
cours du processus d’interprétation. La dernière partie du chapitre porte sur le
recours aux règles externes et les situations dans lesquelles celles-ci peuvent
l’emporter sur le sens commun.
Le Chapitre 3 – Les applications spéciales du droit canadien de l’interprétation
bilingue traite des applications spéciales des règles générales de l’interprétation
bilingue, qui supposent quelques adaptations. Il s’agit notamment de l’interprétation
de la Constitution du Canada, l’interprétation des décisions judiciaires bilingues,
l’interprétation de la législation censée s’appliquer d’une manière différente au
système de common law et à celui de droit civil, et l’interprétation de la législation
traduite dans une ou plusieurs langues autochtones du Canada. Cette étude est suivie
d’une brève étude de la traduction de certains textes réglementaires et contrats
particuliers.
On ne dispose toujours pas d’une traduction complète de la Constitution du
Canada approuvée par le Parlement, mais la plupart des difficultés rencontrées
en matière d’interprétation constitutionnelle au sujet de différences entre les
versions linguistiques sont survenues dans le contexte de la Charte canadienne
des droits et libertés. Ce qui est particulièrement intéressant dans ce cadre,
c’est bien entendu le fait que, s’agissant d’un texte en perpétuelle évolution,
l’intention du législateur n’est pas au centre de l’attention. Comme nous le
verrons, les arrêts de la Cour suprême du Canada ne sont pas tous en harmonie
pour ce qui est de l’utilité de la règle du sens commun dans ce domaine.
La traduction de jugements pose certaines difficultés qui ressemblent à celles
qui sont apparues lorsque la loi était simplement traduite. Il faut également tenir
compte de l’incidence d’une annotation indiquant quelle version est la
traduction, bien que chaque version fasse autorité. À cet égard, les tribunaux ont
dû se prononcer sur l’effet de l’obligation de « rapporter » les jugements, par
opposition à celle de les « publier ». Nous abordons ces questions ainsi que
l’étendue de l’obligation de publication dans les deux langues officielles. Nous
nous penchons ensuite sur l’application concrète de la règle du sens commun, en
tenant compte du fait qu’il n’existe pas d’intention législative pour orienter le
tribunal. Un jugement est avant tout l’expression d’un raisonnement
juridique. De ce fait, nous sommes d’avis que les antinomies existant entre deux
termes ne devraient pas jouer un rôle aussi important qu’en matière
d’interprétation législative. Néanmoins, certains jugements créent des règles,
établissent des normes, élaborent le droit. Le raisonnement de chaque jugement
dans son ensemble paraît essentiel.
Ce chapitre analyse également les difficultés particulières visées par
l’adoption des lois d’harmonisation 59 . Puisque le droit fédéral ne constitue pas
un système juridique distinct et complet, il utilise les droits provinciaux comme

59
Loi d'harmonisation n° 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, c. 4; Loi d'harmonisation
n° 2 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2004, c. 25.
Introduction 13

son « réservoir », pour reprendre l’expression du Professeur Brisson 60 . Par


conséquent, une loi fédérale s’applique tant au Québec que dans les ressorts de
common law, en anglais et en français, même s’il est clair que, bien souvent, la
terminologie utilisée en français ne peut décrire les deux réalités juridiques. La
désignation de concepts de droit civil applicables au Québec et de concepts de
common law applicables dans les autres ressorts de compétence se fait au moyen
de « doublets » ou, dans certains cas, d’une « terminologie neutre », ou encore
d’un concept entièrement nouveau. Cette nouvelle technique s’accompagne
d’une modification à la section de la Loi sur les langues officielles 61 relative à
l’interprétation. Les avantages que procure cette mesure d’harmonisation et les
problèmes qu’elle soulève font l’objet d’une étude détaillée qui tient compte de
la nécessité de donner certaines directives aux juges. On y fait remarquer que les
mesures visant à prendre en compte la dualité du système juridique, ainsi que sa
nature bilingue, ont d’autre part conduit à l’existence de dispositions jumelles
d’une loi ou d’un règlement au style différent, situation à laquelle les juges
n’avaient pas été confrontés auparavant et qui peut donner lieu à des difficultés.
Nous traitons également de la présence des langues autochtones dans la
législation de certains territoires et dans plusieurs traités. Nous faisons
mention de la question restée sans réponse de la reconnaissance
constitutionnelle des langues autochtones et nous poursuivons par l’analyse de
règles législatives dans les trois territoires fédéraux. Nous nous arrêtons
d’autre part sur la législation secondaire adoptée par les bandes et sur les
situations particulières dans lesquelles plus de deux langues ont un statut
officiel. Nous terminons cette section par un exposé traitant des accords sur
des revendications territoriales qui renferment parfois des dispositions
relatives aux langues.
Le Chapitre 4 – L’interprétation des normes juridiques internationales
multilingues se préoccupe des normes juridiques internationales multilingues. La
pertinence de cette étude par rapport à l’objet de cet ouvrage tient au fait que les
tribunaux canadiens sont régulièrement appelés à interpréter le droit et les règles à
caractère international. La pratique internationale révèle des principes qui peuvent
s’appliquer au Canada. L’expérience en matière d’instruments et de décisions
judiciaires multilingues est également précieuse.
La première partie de ce chapitre porte sur le droit international en tant que
source de droit au Canada. L’aspect le plus important de cette analyse réside
dans le fait que les traités qui sont incorporés en droit interne au Canada doivent
être interprétés conformément aux règles et aux pratiques internationales et en
tenant compte de leur interprétation par les tribunaux étrangers. Cette analyse
vise aussi les traités qui n’ont pas été mis en œuvre, puisqu’il est possible d’y
faire référence pour les fins de l’analyse contextuelle des lois
canadiennes. Comme le juge LeBel l’a montré dans R. c. Hape 62 , il peut

60
Jean-Maurice Brisson, « L’impact du Code civil du Québec sur le droit fédéral: une
problématique » (1992) 52 R. du B. 345.
61
L.C. 1988, c. 38.
62
[2007] A.C.S. n° 26, [2007] 2 R.C.S. 292 (C.S.C.).
14 Le droit de l’interprétation bilingue

également s’avérer nécessaire d’interpréter les règles qui ne sont pas issues d’un
traité.
L’un des aspects intéressants de cette question provient du fait qu’un traité
unilingue ou multilingue peut avoir été incorporé dans une loi bilingue du
Parlement dans laquelle on a recensé des différences entre les deux versions. Se
pose alors la question de savoir s’il faut néanmoins donner préséance à la langue
dans laquelle est rédigé le traité, en passant outre au principe d’égale autorité, ou
si le recours aux règles internationales régissant l’interprétation des traités doit
être limité aux situations dans lesquelles la loi canadienne est ambiguë et où une
preuve extrinsèque est nécessaire? Dans Ward 63 , le juge Gonthier a laissé
entendre qu’il faut en fait recourir au traité international pour déterminer en
premier lieu si la loi interne contient ou non une telle ambiguïté.
Ce chapitre étudie les principes de droit international pour montrer en quoi ils
diffèrent de ceux qui s’appliquent en règle générale au Canada. Il commence par
un aperçu du contexte du multilinguisme et de ses implications à l’échelon
international. Il convient de noter que les instruments multilingues relèvent de
multiples régimes. La plupart, si ce n’est tous, sont clairement incompatibles avec
la règle du sens commun. Une attention toute particulière est accordée au fait que
les instruments multilingues ont également vocation à s’appliquer à des systèmes
juridiques très différents. Là encore, il est difficile de parler de l’intention
commune des parties : les traités sont le produit de négociations politiques à
l’issue desquelles les signatures sont d’ordinaire apposées sur une seule version.
Nous concluons en disant que les démarches adoptées pour concilier les versions
linguistiques divergentes au Canada et à l’échelle internationale diffèrent
probablement davantage par leur intensité que par leur nature. L’objet et la finalité
sont essentiels dans les deux cas.
Nous abordons ensuite une étude des règles applicables visant à concilier les
divergences entre les décisions des tribunaux internationaux. On note qu’il n’y a
pas d’« objet » ou de « finalité » de la loi ou du traité à rechercher, ni
d’« intention » véritable à dégager. Néanmoins, les principes sous-jacents
s’appliquent.
Tel qu’indiqué plus haut, les règles internationales d’interprétation présentent
un intérêt qui n’est pas uniquement théorique. Elles ont une incidence sur le
droit canadien. Le plus souvent, les instruments et les décisions internationaux
sont multilingues, ce qui signifie qu’il faut tenir compte des différences existant
tant sur le fond que dans le style. Ces règles nous aideront sans aucun doute à
voir nos propres règles sous un nouveau jour.

63
Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] A.C.S. n° 74, [1993] 2 R.C.S. 689 (C.S.C.).

Vous aimerez peut-être aussi