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La langue du droit en contentieux administratif au

Tchad
ABDELKERIM Marcelin
Doctorat Ph.D en Science Politique
Enseignant-Chercheur au CEFOD Business School à N’Djamena
Enseignant Associé aux Universités publique de Doyaba et privée
Saint Charles LWANGA de Sarh au Tchad
marcelinabdelkerim@gmail.com/abdelkerimmarcelin@yahoo.fr

Résumé

La langue du droit au Tchad n’est pas un phénomène nouveau.


L’analphabétisme a failli faire du Tchad un Etat a-bilingue. Les efforts ont
été déployés pour que ses deux langues puissent coexister comme langue
administrative. C’est grâce à la conférence nationale souveraine du 13
janvier 1993 que les débats autour du bilinguisme ont été développés par les
acteurs en présence, cela a permis la constitutionnalisation de l’arabe
classique (littéraire) et le français comme langues officielles de la
République. Mais toute la difficulté réside dans l’effectivité du parler et de
l’écrit de l’arabe au sein de l’administration judiciaire. Le souci de vouloir
rendre bilingue une langue du contentieux administratif pose problème,
puisque qu’il n’existe pas au Tchad le droit administratif arabe, dans les
facultés de droit arabe et à l’école nationale de formation judiciaire, il n’est
enseigné que la langue arabe et non le droit arabe c’est de là que ressort tout
le paradoxe. Cet article vient montrer les difficultés dans l’application et le
respect du bilinguisme dans le système judiciaire et surtout en matière du
contentieux administratif.

Mots-clés : langue, droit, analphabétisme, arabe, république.

Abstract
The language of law in Chad is not a new phenomenon. Illiteracy almost
made Chad an a-bilingual state. Efforts have been made so that its two
languages can coexist as an administrative language. It is thanks to the
sovereign national conference of January 13, 1993 that the debates around
bilingualism were developed by the actors present, this allowed the
13
constitutionalization of classical Arabic (literary) and French as official
languages of the Republic. But the whole difficulty lies in the effectiveness of
speaking and writing Arabic within the judicial administration. The desire to
make a language of administrative litigation bilingual poses a problem, since
there is no Arabic administrative law in Chad, in the faculties of Arabic law
and at the national school of judicial training, it is not taught that the Arabic
language and not Arabic law is where the whole paradox comes from. This
article shows the difficulties in the application and respect of bilingualism in
the judicial system and especially in the area of administrative litigation.

Keywords : language, law, illiteracy, Arabic, republic.

Introduction

La façon dont le droit fait l’usage de la langue est cruciale pour chaque
système juridique. C’est pourquoi les différents aspects de la langue
sont intrinsèquement liés à l’étude du droit, notamment la nature du
langage du droit et par conséquent, la nature du droit lui-même et la
problématique du sens et de son interprétation (Galuskina, 2011 :
146). Les considérations sur le langage du droit venant de la part de la
philosophie du droit se caractérisent par le goût des généralisations
théoriques, applicables à tout langage du droit et orientées sur les
rapports fondamentaux entre le droit et la langue (Mattila, 2006 : 6).
Comme toute discipline spécialisée, le droit possède un langage qui
lui est propre. Un langage qui, entre professionnels, est parfaitement
compréhensible. Cependant, le droit ne s’adresse pas qu’aux
professionnels. Le droit intervient régulièrement dans la vie de
monsieur tout le monde et bien souvent, dans des moments pénibles.
Il est alors primordial que, dans ces moments, monsieur tout le monde
comprenne ce qui se passe dans sa vie afin qu’il puisse prendre les
meilleures décisions, et surtout, en comprendre toutes les implications.
Le problème est que le langage juridique n’est pas nécessairement
adapté aux justiciables (Leal Y Pittia, 2015).
En France, les premières pierres de la linguistique du droit ont été
posées dans l’ouvrage collectif de caractère juridique de 1974 intitulé
Le langage du droit (Moreteau, 2009 : 695), suivi d’une étude de 1975
d’un juriste et d’un linguiste, paru sous le même titre (Sourioux et
Lerat, 1975). L’œuvre fondateur, fondamental pour la discipline,
14
Linguistique juridique de Gérard Cornu, un juriste remarquable à qui
l’analyse linguistique du droit doit tant, est paru en 1990 et
jusqu’aujourd’hui la dernière édition a été publiée en 2005 représente
une somme et une essence de la réflexion française en linguistique du
droit et constitue l’ouvrage de première référence en la matière
(Cornu, 2005 : 10). Le droit est un des domaines les plus culturels,
donc singuliers, qui soient. Il remonte aux sources de la civilisation,
de chaque langue et de la culture qu’elle porte. De plus, le droit est un
phénomène local et il franchit difficilement les frontières nationales.
Le statut juridique du français ne se limite pas aux pays où le français
est langue officielle p.ex. en Europe : en France, au Monaco, au
Luxembourg ou co-officielle p. ex. en Belgique, en Suisse, au Canada,
mais aussi à un certain nombre d’États non souverains p. ex. au
Québec, dans la Communauté française de Belgique ou dans les
cantons suisses de Genève, de Neuchâtel, du Jura et de Vaud (Bauer-
Bernet, 182).
Outre le pluriel « langues » qui renvoie principalement aux travaux sur
le multilinguisme – l’imbroglio linguistico-juridique européen étant à
l’origine de nombreuses études – on remarque aussi la prédominance
du concept de ‘langage’ du droit qui nous semble révélateur d’un état
d’esprit relatif à la langue pratiquée par la communauté juridique : elle
est souvent perçue ou voulue comme un langage, c’est-à-dire une
forme de communication théoriquement non ambigüe dans sa syntaxe
et dans sa sémantique, à l’image des langages formels, des langages
de programmation. Nous opterons toutefois pour le terme de ‘langue’
dans la mesure où la communication juridique, fût-elle écrite ou
parlée, ne se fonde pas sur un langage contrôlé tel ceux développés
dans les industries techniques à des fins de traduction et d’indexation
documentaire (Lebarbe, 2008 : 2).
Le Tchad compte 144 langues locales communément appelées
dialectes auxquelles s'ajoutent les deux langues officielles du pays que
sont le français et l’arabe. La différence qui existe entre une langue et
un dialecte est son caractère officiel. Pour parler des relations entre
l’espace et la langue du droit (c’est-à-dire la langue de spécialité), il
faut définir la notion de langue (Dolata-Zarod, 2010 : 42). Une langue
est un système de signes permettant l'intercompréhension à l'intérieur
d'un groupe humain. Il n'existe aucune limite claire, sur le plan
15
linguistique, entre une langue, un dialecte, un parler, ou un patois : on
parle au contraire d'un continuum linguistique. Ce terme désigne plus
précisément l'existence, au sein d'un groupe linguistique, d'un éventail
de dialectes intercompréhensibles, ayant chacun des différences entre
eux n'empêchant pas l'intercompréhension. Ce qui différencie la
langue du dialecte ou du parler est le degré de reconnaissance officielle
de leur statut, décrétée par l'État ou une autre forme de pouvoir
dominant une Église par exemple. Pour reprendre l'exemple de l'arabe,
c'est le statut social, religieux et intellectuel de l'arabe littéral
véhiculaire qui le différencie des formes vernaculaires (Perret, 1980)
de cette langue.
Le contentieux administratif est l’ensemble des litiges relevant de la
compétence des tribunaux administratifs (Capitan, 1936 : 152).
Fondamentalement « droit du procès », le contentieux administratif
comprend en effet un certain nombre de règles qui semblent en faire
un objet partie intégrante du droit processuel – sans toutefois qu’il se
limite à cela (Kalfleche, 2011 : 159). Que dire, alors, du profane ou de
« l’homme de la rue » qui, lui, souffre du double handicap de n’être a
priori ni un spécialiste des questions langagières ni un expert dans un
champ de spécialité quelconque ? Or, entre toutes les langues de
spécialité possibles médicale, économique, scientifique ou technique,
etc., il est de notoriété publique que celle du droit est une des plus
complexes, que les juristes pratiquent un discours souvent obscur et
tortueux à souhait, et cela dans la plupart des langues véhiculaires, en
Occident tout au moins (Gemar, 1990 : 719). La jurilinguistique est un
domaine assez jeune, toujours en train de se former et à la recherche
de son autonomie. Les racines de ce domaine peuvent être observées
aussi bien dans les sciences juridiques, que dans les sciences du
langage. Par conséquent, elle est interdisciplinaire parce qu’elle puise
dans le droit et dans la linguistique, mais aussi parce qu’elle met en
jeu de différentes disciplines linguistiques. Dans cet état des choses, il
est difficile de situer la jurilinguistique à une place bien précise envers
les autres disciplines juridiques et linguistiques dont elle prend ses
origines (Galuskina, 2011 : 146).
Notre réflexion va s’articuler autour de la langue usuelle du droit en
matière de contentieux administratif au Tchad. Puis que notre
nombreux questionnements quartierzards tout comme scientifique
16
peinent à se situer sur la langue du droit. Tant que l’on privilégie la
langue héritée de la colonisation qu’est la langue d’expresse française
plus que la langue arabo-musulmane assortie de la religion
musulmane, qui d’ailleurs parlée par la majorité des Tchadiens. Une
forme d'arabe, appelé arabe tchadien, sert de langue véhiculaire
surtout dans le Nord du pays et serait parlé par 60 % de la population
dont 10 % comme langue maternelle et 50 % comme langue seconde
ou véhiculaire. Le langage juridique jurisprudentiel est celui dans
lequel on formule les décisions relevant de l'application du droit. Le
langage juridique jurisprudentiel est identifié par le facteur
pragmatique, à savoir comme le discours des organes appliquant les
lois. La différence entre langage légal et langage juridique
jurisprudentiel est liée à l'opposition entre création et application du
droit (Wroblewski, 1988 : 14).
La langue du droit au Tchad pose un sérieux problème quant à son
opérationnalité dans le système judiciaire. Le droit enseigner dans les
Facultés de droit est un droit gréco-romain de la France, comme étant
une colonie française, et le droit arabe dispenser est un droit arabo-
musulman qui a pour base le coran. Pourtant, le coran n’est ni un code
civil ni un code pénal moins encore code administratif. Et donc, ce
qu’on dit du bilinguisme juridique n’est que la traduction de la langue
française en arabe, en d’autres termes nous sommes en présence de ce
qu’il est convenu d’appeler l’interprétariat du plein contentieux
administratif. Si le code civil français de 1958 ou le code pénal
tchadien de 2017 peuvent être traduis en arabe et dispenser dans les
Facultés de droit ou à l’école nationale de formation judiciaire, cela
aurait de sens. Nous allons utiliser la Théorie du signe développée par
Ferdinand de SAUSSURE. La pièce maîtresse de l'édifice saussurien
est la théorie du signe. La théorie du signe opère une rupture par
rapport à la conception naïvement nominaliste qui identifie le langage
à la pensée, le mot à la chose, et ne voit dans la langue qu'une
nomenclature de termes renvoyant à des objets du monde. D'où la
notion de « l'arbitraire du signe » : arbitrarité du lien entre le signifiant
et le signifié, selon Saussure ; arbitrarité du lien entre le signe entier et
la réalité qu'il désigne (De Saussure, 1879).
Il sied de nous poser la question de savoir : comment est né la langue
du contentieux administratif au Tchad ? L’hypothèse qui sous-tend
17
notre étude est celle de présenter l’historique même de la langue
administrative au Tchad avant 1990 et s’attarder sur la prise en compte
de l’arabe comme langue du contentieux administratif depuis 1990.

1. Historique de la langue administrative au Tchad avant 1990

Il s’agit à l’heure actuelle de savoir si elles peuvent être un outil de


justice permettant à ce que les Tchadiens de deux pôles français et
arabe linguistiques de comprendre les décisions prises par les
juridictions. Raison pour laquelle, il convient d’analyser son évolution
dans le droit tchadien et montrer comment la langue française est du
moins privilégiée dans la justice administrative au détriment de
l’arabe.

1.1. Evolution de la langue du droit


Le français, qui a été introduit dans les écoles tchadiennes à partir de
1911 et qui est langue officielle du pays depuis son indépendance, est
la langue de l'administration et de l'éducation ; bien qu'elle ne soit la
langue maternelle que d'une minorité, c'est une langue seconde qui
jouit d'une grande vitalité et qui est la langue véhiculaire du Sud du
pays1. C'est la langue de l'élite, et des Tchadiens aisés, elle est très
présente dans les médias, l'administration et les affaires. La lecture
d’un texte juridique nous met devant un ensemble discursif particulier,
où l’on retrouve des éléments particuliers et spécifiques. Au sein d’une
langue nationale, le langage juridique se singularise par quelques traits
qui le constituent comme langage de spécialité (Cornu, 2005 : 22).
Officiellement, on parle du Tchad, un pays bilingue, avec deux
langues officielles que sont le Français et l’Arabe littéraire. Notre
bilinguisme est-il parlé de manière équitable ? Combien de Tchadiens
parlent et écrivent l’Arabe ?
La Constitution de la République du 04 mai 2018 révisée en 2020 ne
mentionne pas de quelle langue arabe il s'agit : est-ce l'arabe classique
ou l'arabe tchadien ? Rappelons que l'arabe classique et le français ne
sont parlés par pratiquement personne dans ce pays : ce sont deux
langues étrangères. Bien que le texte constitutionnel ne le précise pas,
il s'agit vraisemblablement de l'arabe classique ou littéraire, qui sert

1
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01563335v1/html_references
18
de langue co-officielle avec le français, puisque l'arabe tchadien ne
s'écrit que très rarement. De plus, pour l'élite arabisante, seul l'arabe
coranique ou littéraire mérite le nom de « langue », car l'arabe
dialectal, c'est-à-dire l'arabe tchadien, est perçu par eux comme « un
acte de sabotage ». Néanmoins, beaucoup de Tchadiens arabophones
prônent la prédominance de l'arabe tchadien sur l'arabe littéraire.
Rappelons-le, la présence de deux langues officielles « étrangères »
suscite des débats acrimonieux depuis l'indépendance. Dans la
pratique, le français s'est implanté dans l'Administration aux dépens
de l'arabe. Pour une partie des Tchadiens, l'arabe est intimement
associé à l’islam ; pour d'autres, le français se rapporte à tout ce qui
est étranger à l'islam. Comme à l'époque coloniale, beaucoup de
Tchadiens confondent arabe et islam.
Le discours juridique c’est le discours dans lequel on formule les lois,
ou celui à l’aide duquel on parle des lois. Le langage dans lequel on
formule les lois est le langage légal. Selon Wróblewski on peut
distinguer trois types de langages relevant du discours du droit. Il
s’agit du langage juridique jurisprudentiel, du langage juridique
scientifique et du langage juridique commun. Il n’y a pas de différence
syntaxique entre ces types, mais des différences sémantiques et/ou
pragmatiques. Le langage juridique jurisprudentiel est celui dans
lequel on formule les décisions relevant de l’application du droit. Il est
identifié par le facteur pragmatique, à savoir comme le discours des
organes appliquant les lois. Le langage juridique scientifique est
propre au discours de la science juridique. Le langage juridique
commun est utilisé dans les autres discours concernant le droit, et son
identification reste plus problématique (Wroblewski, 1998 : 13).
L'arabe littéraire est l'autre langue officielle du pays et est également
la langue de l'administration et de l'éducation, bien qu'il ne soit que
rarement utilisé à l'oral, l'arabe dialectal ayant ce rôle2. Dans sa version
révisée du 31 mars 1996, la Constitution du Tchad exprime dans son
article 9, que « les langues officielles sont le français et l’arabe ».
Quelques années plus tard, c’est-à-dire en 2006, une autre loi a été
adoptée. Il s’agit de la Loi N°16, portant l’orientation du système
éducatif tchadien. Cette loi dispose dans son article 5 que : «
L’enseignement et la formation sont dispensés dans les deux langues
2
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01563335v1/html_references
19
officielles que sont le Français et l’Arabe ». Cette loi, faut-il le
préciser, est la dernière concernant le système éducatif tchadien,
mentionnant l’application du français et de l’arabe comme deux
langues du fonctionnement de l’école tchadienne. Dans
l’enseignement supérieur, seulement quelques départements dans les
universités se sont lancés dans l’aventure en faisant de la langue arabe
comme une unité d’enseignement. Mais les dispositions sont-elles
prises pour l’application intégrale de l’arabe littéraire de la maternelle
à l’université au même titre que le français ?
Cette question ne peut être répondue que par négative. Aucune
disposition n’est prise pour que la langue arabe puisse être dispensée
à tous les niveaux de la maternelle à l’Université. Puisque
l’enseignement de l’arabe ne se fait pas à tous les niveaux scolaires, et
il n’est pas aussi dispensé dans tous les établissements publics et
privés du pays. Moins encore dans les Universités. Aucune Université
au Tchad n’est déclarée bilingue, même l’Université Roi Fayçal est
exclusivement arabophone. Cela montre à suffisance que la langue
française est la langue la plus privilégiée au Tchad.

1.2. La langue française, une langue privilégiée dans la justice


administrative au détriment de l’arabe
Le langage juridique s’inscrit à l’intérieur de la langue courante. Il ne
peut vivre sans elle car il en est issu. Le caractère polysémique du
langage juridique vient précisément de la difficulté de tracer
clairement la ligne de démarcation entre langage juridique et langue
courante. Mais, le langage juridique ne dépend pas uniquement de la
langue courante. Il est aussi étroitement lié à un système juridique ou,
dans un sens plus large, à une culture juridique. En ce sens, il est juste
d’affirmer que « la langue et le droit évoluent l’un par l’autre » (Cornu,
2005 : 15). Pour les politiques, il est urgent de faire des Tchadiens des
parfaits bilingues. C’est-à-dire le français académique et l’arabe
littéraire doivent être enseignés à l’école et être parlés dans tout le
dispositif administratif. Dans les faits, ce bilinguisme constitutionnel
a du mal à être appliqué sur toute l’étendue du territoire nationale.
Pourtant, le cadre juridique existe et est consolidé. En 1995, le Décret
95-071/PR/MEN, portant l’institution de l’enseignement bilingue
dans le système éducatif tchadien est pris par le président de la

20
République. La langue arabe peine à s’imposer concrètement sur le
terrain (Békoutou, 2018).
Aujourd’hui, notre ”bilinguisme“ qui n’est parfait, ne se fait
aucunement sentir dans le quotidien. Nos rues portent des écriteaux
d’indication en Français, les plaques d’immatriculation se font
uniquement en Français, notre hymne national, la tchadienne, se
fredonne qu’en langue de Molières sans aucune partition en Arabe
littéraire, or, partout dans le monde, les pays se disant bilingue
adoptent leurs deux langues officielles dans leur hymne national. Les
autorités fournissent l’effort d’intégrer les arabophones dans
l’administration publique pour équilibrer le français et l’arabe. Mais
malgré cela, le français reste dominant dans sa globalité. La quasi
majorité des notes officielles sont d’abord écrites en français et ensuite
traduites en arabe. Mais généralement cette traduction ne respecte pas
l’esprit de la lettre, il y a parfois un déphasage entre les mots en
français et en arabe. Le sens étant construit différemment selon les
langues, un “discours” ne porte pas la même signification pour toutes
les catégories de lecteurs. Nida lui-même nous rappelle que « lorsqu’il
ne s’agit que d’une seule langue, la communication n’est jamais
absolue, car deux personnes ne comprennent jamais les mots d’une
façon identique. À plus forte raison, on ne doit pas s’attendre à une
équivalence parfaite entre deux langues » (Nida et Taber, 1971 : 4).
On reconnaît surtout ce langage aux mots ou plutôt aux termes qu'il
utilise. Le vocabulaire juridique, qui rassemble l'ensemble de ces
termes, est une caractéristique essentielle du langage du droit et une
première difficulté pour le non-initié, c’est-à-dire le non juriste
(Cornu, 2005). Les termes juridiques peuvent avoir - et ont d'ailleurs
le plus souvent - un sens dans la langue courante, mais ce qui les en
distingue, c'est qu'ils ont, du point de vue du droit, un sens spécifique.
Ce sont des termes techniques, peut-on dire, comme on en trouve dans
toutes les sciences techniques, des termes que le non-initié a bien du
mal à comprendre, quand il comprend quelque chose (Penfornis,
2015 : 1). Quid de la prise en compte de l’arabe comme langue du
contentieux administratif depuis 1990 ?
2. La prise en compte de l’arabe comme langue du contentieux
administratif depuis 1990

21
Tout comme la langue française ou la langue anglaise, le langage du
droit est en constante évolution. Il convient d’employer la
terminologie actuelle. L’apparition de nouveaux concepts entraîne la
création de nouveaux termes. Les concepts eux-mêmes acquièrent de
nouveaux contenus. Les réformes législatives modifient la
terminologie en usage. Il faut être à l’affut de ces changements pour
pouvoir mener des recherches efficaces. Certains dictionnaires
permettent de suivre l’évolution de la terminologie (Boutin et al.,
2018 : 2). Nous allons prima facie examiner les débats de la
reconnaissance officielle de l’arabe comme langue de l’administration
judiciaire et secundo facie le bilinguisme, une nouvelle préoccupation
des autorités politiques dans la pratique du contentieux administratif.

2.1. Les débats de la reconnaissance officielle de l’arabe comme


langue de l’administration judiciaire
Le Bilinguisme qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive durant
la conférence nationale souveraine, la refrancisation du langage du
droit lancée de multiples façons (traduction, terminologie, rédaction,
corédaction, etc.) par les pouvoirs publics a permis de rétablir un
certain équilibre (Gemar, 2017 : 647) en l’expression française et la
langue arabe lors des débats autour de la prise en compte de l’arabe
comme deuxième langue officielle à côté de celle française, qui reste
toutefois fragile. Protagonistes en présence lors de ladite conférence,
les partisans du monolinguisme ont voulu que le français soit la seule
langue de la république. Les arguments avancés sont que c’est bien
avant les indépendances que le français a été la langue administrative
et qu’elle était enseignée dans les établissements publics. Tous les
actes officiels de l’Etat sont écrits en français après les indépendances
jusqu’au moment du déroulement de la conférence, car tous les
protagonistes en salle s’expriment en français. Pour les partisans du
bilinguisme, par contre, ont milité pour que l’arabe littéraire soit la
deuxième langue officielle de la République. Puisque la partie
septentrionale du Tchad est en majorité arabophone. Mais le comble
dans tout cela, l’arabe parlé dans la partie nord du Tchad n’est pas
l’arabe littéraire, c’est l’arabe local communément appelé l’arabe
tchadien. Donc s’il est question d’instaurer cette langue, il faut déjà
commencer par enseigner cela de la maternelle à l’Université. Telle a

22
été en 1995, le Décret 95-071/PR/MEN, portant l’institution de
l’enseignement bilingue dans le système éducatif tchadien est pris par
le Président de la République et en 1996 la constitutionnalité de la
langue arabe littéraire. Dans cette lutte, les partisans du bilinguisme
l’ont remporté.
Une autre “injustice” faite aux arabophones, il faut distinguer
arabophones de musulmans, est le fait que notre pays est membre de
l’organisation internationale de la francophonie sans être membre de
la ligue arabe, organisme regroupant les pays ayant l’Arabe en partage.
Notre mouvement qui se veut une tribune pour toutes les sensibilités
de notre pays se pose également des questions sur la nécessité
d’inclure dans ce binôme Français-Arabe, une troisième « langue »
officielle le « Sara », même si celle-ci n’est pas tout à fait une langue
écrite.
Le législateur du 31 mars 1996 a prévu dans la Constitution en son
article 9 : « les langues officielles sont le Français et l'Arabe. La loi
fixe les conditions de promotion et de développement des langues
nationales ». La traduction de l’arabe en langue officielle, enfin, est un
outil pour le législateur-réformateur. S’il a toujours recours à des
modèles juridiques (Soleil, 2014), il a également besoin de traduire
ces derniers. Mettons-nous un instant dans l’esprit et le corps d’un de
ces réformateurs. Mandaté par le pouvoir politique pour rédiger une
nouvelle constitution ou une nouvelle loi, il doit se renseigner sur les
solutions qui ont été prises sur la question avant mais aussi ailleurs.
Très concrètement, on l’imagine à son bureau avec de nombreux
ouvrages et législations. Certains sont dans sa langue maternelle, il les
connaît parfaitement pour les avoir déjà étudiés ou pratiqués ; d’autres
sont au contraire dans des langues qui lui sont étrangères. Dans ce cas,
la traduction lui permet d’élargir son spectre en ne se focalisant pas
seulement sur l’histoire juridique nationale de son pays. Partant, il peut
comparer les modèles et opter pour la solution qui lui semble la plus
adéquate. Plusieurs choix s’offrent à lui. Premièrement, il peut, s’il est
pris par le temps ou s’il admire une solution étrangère, la recopier
purement et simplement. On parle alors de transfert juridique ou
d’imitation servile. Deuxièmement, il peut adapter une solution
étrangère ou passée au temps et au territoire dans lequel il vit. En
reprenant les éléments forts d’une législation et en la combinant avec
23
d’autres, il propose alors un nouveau modèle juridique.
Troisièmement, le réformateur peut déceler les failles d’un système
qui, à l’étranger peut être considéré comme bon mais qui dans le
contexte dans lequel il se trouve est obsolète ou tout simplement
mauvais (Beuvant, 2018 : 22).

2.2. Le bilinguisme, une nouvelle préoccupation des autorités


politiques dans la pratique du contentieux administratif
L’opération traduisante, toutefois, porte sur des textes dont la teneur,
plus ou moins spécialisée, relève d’un domaine. La langue en est le
dénominateur commun, avec tout ce qu’elle comporte d’ambiguïtés,
de lacunes, de limites, qui tiennent à la nature de l’esprit humain. Or,
ces signes, susceptibles de sens différents et de nuances multiples,
restent sujets à interprétation. D’où la difficulté inhérente à la tâche du
traducteur, qui doit saisir le sens du texte de départ dans ses nuances
les plus fines et le reproduire de façon équivalente dans le texte
d’arrivée (Gemar, 2001 : 1). La formation des juges et magistrats
arabophones, une nouveauté pour la juridiction administrative en est
une préoccupation majeure et du moins il existe un paradoxe du
bilinguisme juridique dans la juridiction administrative : juges
arabophones assesseurs des juges francophones.
L’Ecole Nationale de Formation Judiciaire du Tchad a été créée par la
loi 032/PR/2009 et à un caractère administratif ayant une personnalité
juridique et une autonomie de gestion. Elle a pour mission de former
les magistrats, les greffiers, les notaires, les huissiers, bref, le
personnel judiciaire dans son ensemble. Elle a pour premier objectif
de perfectionner la formation, de donner un caractère pratique et le
tout couronné par le bilinguisme. C’est une toute première école qui a
consacré et a mis en pratique le principe constitutionnel du
bilinguisme (article 9 de la constitution de 2018). Elle est effective
depuis le 14 décembre 2011 par décret n°1251/PM/MJ/2011 portant
organisation et fonctionnement de l'École nationale de formation
judiciaire. La création de cette école vient répondre au besoin en
formation du corps judiciaire dont 60 auditeurs : 30 francophones et
30 arabophones à faire leur formation pour une première promotion
de deux ans. En plus des facultés de droits créés dans les Universités
du Tchad notamment les départements de droit et science politique

24
arabe au sein de la Faculté des sciences juridiques et politiques de
l’Université de N’Djamena et la faculté de droit et d’Idriss Déby à
l’Université Roi Fayçal, qui jusqu’à l’heure, forme les juristes
arabophones.
La traduction juridique est un exercice hautement périlleux (Gemar,
2011) et les dictionnaires bilingues ne peuvent être que d'un secours
bien limité. Une traduction facile est souvent dépourvue de sens pour
le juriste d'une culture différente. Le juriste anglais, par exemple, qui
s'engage dans l'étude du droit français, se trouve immanquablement
désorienté. Le langage du droit français n'est pas celui qu'il a appris et
auquel il est habitué. Il rencontre des termes qui expriment souvent
des concepts inconnus du droit anglais et qui sont pour cette raison
difficilement traduisibles. La traduction que l'on tentera de faire n'est
qu'un à peu-près ; il n'existe pas de mots anglais pour traduire des
termes tels que tribunal de grande instance, force majeure, société à
responsabilité limitée. On ne peut davantage traduire en français des
mots anglais tels que agency, bailment, consideration, libel,
misrepresentation, magistrate, nuisance (Penfornis, 2015 : 3).
L’enseignement d’une langue de spécialité – et de la langue juridique
en particulier – ne peut se permettre l’à-peu-près, ni faire l’impasse
sur une réflexion solide dans plusieurs domaines de connaissances,
comme la terminologie et la didactique des langues étrangères. Il ne
peut se limiter, par exemple, à la transmission de connaissances
terminologiques au hasard des textes travaillés lors des cours, mais
doit considérer la richesse de la langue de spécialité considérée, ici
celle du droit, en soulignant la diversité des discours (ici juridiques) et
la variété des structures phraséologiques et, notamment,
collocationnelles (Dechamps, 2015). Dans le langage du droit, le sens
des mots n’est pas seulement lexical, mais encore culturel. La manière
dont le discours juridique est reçu par le public est capitale. La
tendance de se réduire en formule fait partie de cet effet. La loi
s’exprime en formules, et les décisions du juge sont, elles aussi, des
formules (Dolata-Zarod, 2017 : 45). Cette approche montre à
suffisance que le fait déjà de former les juges dans une école
spécialisée, son langage doit aussi répondre aux aspirations culturelles
du droit. Donc la langue arabe et la langue française doivent avoir des
notions ou des termes se rapprochant pour ne pas égarer le public. Par
25
exemple les adverbes utilisés en droit français auront-ils le même sens
qu’en droit arabe qui plus accès sur le coran. Le droit enseigné au
Tchad est un droit gréco-romain.
La dérivation est un procédé interne d’enrichissement du vocabulaire,
dont le français s’est beaucoup servi dans le domaine juridique. La
dérivation impropre se caractérise par la substantivation des participes
présents par exemple l’acceptant, l’ayant cause, le disposant,
l’épargnant, le poursuivant, le renonçant, le saisissant. Dans la
dérivation propre les suffixes les plus productifs en français juridique
sont : - able : aliénable, opposable, - aire : assignataire, attributaire,
- al, e, aux : procédural, successoral ; -(i)el, (i)elle : correctionnel,
juridictionnel, - erie : escroquerie, -eur, eresse : défendeur,
défenderesse (Dolata-Zarod, 2017 : 47), c’est ce qui marque toute la
difficulté à la cohabitation juridique de la langue du contentieux
administratif au Tchad.

Conclusion

La langue du droit au Tchad et surtout en contentieux administratif a


connu une gestation très laborieuse. Il y a deux grands pôles
linguistiques : d’un côté, le nord en majorité arabophone hérité de la
culture arabo-musulmane et de l’autre côté, le sud en majorité
chrétienne qui a plus hérité de la culture française, car la langue
française est plus parlée et comprise au sud qu’au nord du pays. Par
contre, l’arabe local dont parle la plupart des Tchadiens n’est pas
enseigné dans les écoles, elle est exclusivement orale. L’arabe
littéraire est enseigné dans les écoles coraniques et comme étant une
matière dans le primaire, secondaire et les Universités. Dans les
appareils judiciaires, le bilinguisme est une chose nouvelle, car lui-
même pose problème quant à sa compréhension. Tous les termes en
droit français ne peuvent être traduits en arabe et non compris même
par les arabophones. C’est pourquoi l’Etat a institué une direction des
affaires islamiques au sein de la justice pour régler les affaires
concernant les musulmans entre eux.

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