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Revue Langues, cultures et sociétés, volume 5, n°1, juin 2019

Le bilinguisme juridique en Algérie et son impact


sur la traduction du Droit

Imane BENMOHAMED
Institut de Traduction
Université d’Alger2

Résumé : À l’instar de beaucoup de juristes travaillant sur le droit algérien, nous avons constaté qu’au
moment même où le droit se dit officiellement en arabe, la langue française s’y invite en filigrane ou
en exergue. Le texte de référence reste celui en langue française, malgré l’existence d’une version
arabe dite officielle. Le bilinguisme juridique algérien non officiel est donc une réalité incontournable.
Cette contribution se propose de jeter une lumière sur ce phénomène, en se focalisant sur ses
spécificités, ses origines et surtout son impact sur la traduction juridique, dans son aspect législatif en
particulier.
Mots-clés : Bilinguisme juridique ; traduction ; Droit ; arabe ; français ; Algérie.

Title: Legal bilingualism in Algeria and its impact on legal translation


Abstract : Like many jurists working on Algerian law, we have noted that at the same moment when
the law is officially declared in Arabic, the French language is directly or indirectly involved. The
reference text remains that in French, despite the existence of a so-called official Arabic version.
Unofficial Algerian legal bilingualism is, therefore, an unavoidable reality.
This paper proposes to shed light on this phenomenon, by focusing on its specificities, its origins and
especially, its impact on the legal translation, in its legislative aspect, in particular.
Keywords : legal bilingualism; translation; law; Arabic; French; Algeria.

Introduction

En Algérie, le droit semble avoir réglé la question du bilinguisme : officiellement,


c’est en arabe qu’on rédige les lois, et si version française il y a, ce n’en est qu’une traduction.
Mais «malgré les apparences, la production du droit en Algérie (conception et rédaction des
lois et règlements, jugements et arrêts…) continue souvent d’être marquée par une sorte de
bilinguisme. »1
Le bilinguisme juridique algérien non officiel est donc une réalité incontournable, notamment
en matière de textes législatifs qui existent dans les deux versions. En plus, ces textes sont le
plus souvent conçus et rédigés en français, puis traduits vers l’arabe. Le texte de référence
reste celui en langue française. Mais quelles sont les spécificités du bilinguisme juridique en
Algérie ? Et quel est son impact sur la traduction de la législation algérienne ?
Afin de pouvoir répondre à cette problématique, l’accent sera ainsi principalement mis sur
trois axes : 1. notes sur la situation linguistique en Algérie, 2. le bilinguisme en droit algérien
et 3.son impact sur la traduction juridique.
Cette étude se propose alors de mieux comprendre la situation du bilinguisme juridique dans
ce pays, sa justification et ses effets, à la lumière de l’un des textes juridiques, le texte
législatif, en l’occurrence.

1
Ramdane Babadji (1990), « Désarroi bilingue : notes sur le bilinguisme juridique en Algérie », Droit et société,
n° 15, Paris, L.G.D.J, p. 207.

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1. Notes sur la situation linguistique en Algérie

L’observateur non averti confronté à une situation linguistique semblable à celle de


l’Algérie, peut être surpris par sa richesse et par sa complexité, de par l’existence de plusieurs
variétés linguistiques : l’arabe dit littéral ou littéraire, l’arabe moderne, l’arabe ’’algérien’’
avec ses différentes variantes, les parlers berbères, les langues étrangères, notamment le
français qui a, par rapport à ses concurrents, le plus perduré et influencé les locuteurs.
Le contact entre ces codes a engendré divers phénomènes linguistiques caractérisant les
pratiques langagières algériennes, à l’instar de l’alternance codique, la diglossie, et le
bilinguisme - objet de cette étude.
Durant son occupation de l’Algérie (1830-1962), la politique linguistique de la France était
particulièrement claire : officialiser la langue de Molière dans tous les domaines, en
marginalisant puis en éradiquant l’usage de la langue arabe. La France savait-elle que« la
langue demeure l’instrument le plus sûr de la colonisation »2 ?
C’est ainsi qu’à l’indépendance, l’État algérien a opté pour l’arabe comme langue nationale et
officielle en adoptant l’arabisation comme politique linguistique reflétant « la face culturelle
de l’indépendance », selon l’expression de G. Grandguillaume3. L’arabe standard devrait
donc servir comme langue de travail dans la vie publique en général.
L’arabisation était la seule possibilité pour l’Algérie de remédier aux effets de la colonisation
culturelle et de permettre la réconciliation des Algériens avec eux-mêmes, avec leur culture
musulmane d’expression arabe, sans contradiction avec leur socle identitaire originel. Elle
devrait devenir alors synonyme de parachèvement de l’indépendance et de confirmation de la
souveraineté nationale.
Toutefois, l’indépendance officielle du pays et cette opération intensive d’arabisation n’ont
pas déstabilisé les positions du français : au contraire, son enseignement a même
quantitativement progressé du fait, aussi, de sa place dans l’actuel système éducatif algérien.
En plus, selon des spécialistes, c’est le degré d’utilisation du français dans la société qui,
notamment au début de ce millénaire, est le plus significatif.
Cette langue « étrangère » reste prépondérante dans le monde de l’économie et de
l’administration. Elle occupe en outre une place très influente, sinon hégémonique, dans les
médias, quand bien même ils resteraient majoritairement arabophones.
La réalité linguistique algérienne actuelle révèle en effet que la langue de Molière, considérée
officiellement comme une langue étrangère au même titre que l’anglais, l’allemand ou
l’espagnol, n’a pas perdu beaucoup de son attrait : car non seulement elle est reconnue comme
une chance de distinction ou de promotion sociale, mais elle demeure de surcroît un
instrument de communication, largement utilisé, également en dehors des secteurs
économiques et scientifiques.
En Algérie, on distingue, en effet, deux façades du bilinguisme ambiant : d’une part, le
bilinguisme institutionnalisé dans le système éducatif national, et dans l’appareil étatique où
les deux langues se côtoient (à l’arabe les domaines de souveraineté et au français les secteurs
économiques et techniques). Et d’autre part, le bilinguisme reflété dans la réalité de la
communication des locuteurs algériens. Le français y a laissé son empreinte, non seulement
dans les différents dialectes populaires, mais aussi dans certains usages de l’arabe standard.
Il y a aussi une autre réalité liée à la situation linguistique en Algérie et au bilinguisme
scolaire (arabe-français) : des spécialistes ont constaté ces dernières années que l’école

2
Nabila Jerad (2004), « La politique linguistique dans la Tunisie postcoloniale », in J. Dakhlia (dir.) Trames de
langues. Usages et métissage de l’histoire du Maghreb, Paris, Maisonneuve et Larose, p. 527.
3
Gilbert Grandguillaume (1983), Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Paris, Maisonneuve et
Larose, (collection Islam d’hier et d’aujourd’hui).

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algérienne ne produit pas de bilingues, mais plutôt des « semilingues », qui ne dominent,
souvent, aucune des deux langues. « [Il s’agit] d’un bilinguisme scolaire inégal, dont la
langue française est prédominante comme langue d’enseignement au long du cursus scolaire,
en véhiculant notamment des matières scientifiques et se prolongeant ainsi aux univers
techniques et économiques. Le bilinguisme scolaire inégal donne lieu chez les locuteurs au
semi-linguisme double qui consiste en une maîtrise partielle ou lacunaire des deux langues de
l’école. »4
Par ailleurs, l’Algérie connaît une situation de bilinguisme juridique caractérisée par des
tensions entre l’arabe, revendiqué comme composante de l’identité, et le français, brandi
comme langue de la modernité juridique.

2. Le bilinguisme juridique en Algérie

Nous ne pouvons pas nier que le droit et la justice ont fait partie des domaines où s’est
manifestée relativement tôt la volonté d’arabisation à travers une dizaine de dispositions
produites par le législateur algérien, notamment le Journal Officiel de la République
Algérienne, arabisé à partir du numéro 11 de l’année 1970 (le numéro précédent comportait
un avis aux abonnés les informant que le JORA ne comporterait dorénavant qu’une édition en
langue arabe). Mais la version française est maintenue jusqu’à nos jours. Pourtant, elle n’est
officiellement qu’une traduction de l’original…
Aussi faut-il souligner ici que ce bilinguisme ne semble pas concerner l’ensemble des textes
juridiques. Il est certes omniprésent en matière de règles juridiques (législation), mais
relativement absent en matière judiciaire. Ainsi, la législation algérienne est en grande partie
bilingue : les textes législatifs publiés dans le Journal Officiel (Constitutions, lois, décrets,
etc.) existent en deux versions – française et arabe.
Devant une telle situation, il n’est donc pas étonnant que l’expression du droit en Algérie
continue à se faire dans la plupart du temps en français, qui dit le droit sans aucune valeur
juridique ni aucun statut. En conséquence, la majorité des textes législatifs est conçue et
rédigée en français, puis traduite vers l’arabe. Et en matière d’interprétation, c’est toujours le
texte en langue française qui fait foi. Cela met donc en évidence une rivalité entre les deux
langues en Algérie.
Dans cet esprit, Trescases a mis en évidence la contribution de juristes français dans
l’élaboration de la législation maghrébine : « En pratique, l’élaboration des règles juridiques
se fait toujours en français, avec le concours de juristes français, puis ces règles sont
diffusées en arabe. L’ambiguïté relève du fait que la langue source devient alors la version
traduite. »5
En effet, cette réalité peut s’expliquer par plusieurs facteurs 6 : il y a d’abord l’occupation
française de l’Algérie (1830-1962) et sa politique linguistique promouvant le français et
combattant l’arabe, ce qui a eu un effet direct tant sur la langue véhiculaire des Algériens que
sur la culture juridique locale. Ensuite, nul ne peut négliger, dans un contexte semblable à
celui de l’Algérie l’impact de la langue et de la culture juridique françaises sur la langue arabe
et la culture juridique algérienne. Et même si, après l’indépendance, le français a perdu son
statut de langue officielle, le retour à l’arabisme et l’application de la politique d’arabisation

4
Khaoula Taleb Ibrahimi (1995), Les Algériens et leur(s) langue(s). Eléments pour une approche
sociolinguistique de la société algérienne. Alger, El Hikma, p. 61.
5
Anne Trescases (2012), « La traduction juridique : un art difficile dans les pays du Maghreb ». Le bilinguisme
juridique dans les pays du Maghreb. Colloque international, Perpignan avril 2012, Annales de l’université
d’Alger, p.124.
6
Imane Benmohamed (2016), « Les spécificités de la langue juridique au Maghreb, », Cahiers de traduction,
n°6, Institut de traduction, Alger. p.8.

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n’ont jamais vraiment compromis l’usage du français. Enfin, la politique en Algérie suggère
que c’est uniquement dans la langue française qu’existe le « stock » de notions et de modes de
raisonnement juridiques qui permettent à l’État moderne de dire le droit. Il convient toutefois
de considérer que cela s'ajoute au manque de cadres arabophones capables de concevoir et de
rédiger les textes officiels de l’État contemporain postcolonial. Les juristes algériens tenant le
haut du pavé sont en majorité formés dans la langue de Molière.
De toute évidence, « La profondeur de l’implication du français dans la société maghrébine
était telle que le changement de langue ne se réduisait pas à une opération linguistique, mais
entraînait des conséquences sociales, politiques, culturelles (…). »7

3. L’impact du bilinguisme juridique sur la traduction du droit en Algérie

Dans ce contexte complexe, les retombées du bilinguisme juridique sont évidemment


multiples et importantes. Elles ne sont pas uniquement d’ordre linguistique, mais elles ont
également trait à la loi. Autrement dit, le bilinguisme juridique, tel que conçu en
Algérie,influe aussi bien sur le plan de la législation (acculturation juridique) que sur celui de
la langue (acculturation linguistique).
Le terme « acculturation », rappelons-le, a été utilisé d’abord en anthropologie en 1880 aux
États-Unis, avant d’être repris en France en 1911. Mais depuis, il a connu plusieurs
acceptions, selon les disciplines qui l’ont utilisé. Parmi ses définitions proposées, nous optons
pour celle d’Ahmed El Kaladi, selon laquelle l’acculturation est « un processus dynamique
qui a trait aux phénomènes résultant de la rencontre voulue ou forcée entre des groupes de
cultures différentes. »8
La « rencontre » entre l’Algérie et la France est à la fois forcée (132 ans de colonisation) et,
ultérieurement, plus ou moins voulue (tourisme, coopération dans toutes ses formes, etc.). De
tous les phénomènes découlant de ce contact, nous nous intéressons plus spécialement à ceux
relatifs au droit et à la langue, d’où notre recours aux deux appellations : « acculturation
juridique » et « acculturation linguistique ».
L’« acculturation juridique » est la transformation que subit un système juridique due au
contact d’un autre9. Elle « repose la plupart du temps sur un rapport de force entre les
systèmes de droit concernés »10, qui donne un avantage initial à la société dominante.
En Algérie, cette acculturation est surtout observée dans la reprise de notions et d’institutions
françaises, à l’instar de « crime », « délit », « contravention », « loi organique », « garde à
vue », « droit commun », « éligibilité », « incompatibilité des mandats », « saisine », « conseil
constitutionnel », « collectivités locales », « mandat », « motion de censure », «juridiction »,
«détention préventive »…
Par « acculturation linguistique », nous entendons « les phénomènes linguistiques résultant du
contact de groupes parlant différentes langues »11. Les phénomènes linguistiques nés du
contact, long et violent, des Algériens et des Français ont trait notamment aux interférences
linguistiques. « La langue juridique trahit, dans sa traduction vers l’arabe, des interférences

7
Gilbert Grandguillaume (1983), Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Paris, Maisonneuve et
Larose, p.9.
8
Ahmed El Kaladi (2002), « Acculturation et traduction », in Cultures en contact, Artois Presses Université,
p.155.
9
Michel Alliot (1968), « L’acculturation juridique », Ethnologie générale, Paris, Gallimard, p. 1181.
10
Norbert Rouland (2003), Dictionnaire de la culture juridique, Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), 1ère
édition, Paris, PUF, p.4.
11
Imane Benmohamed (2014), « La traduction juridique en Algérie entre acculturation linguistique et
acculturation juridique ». Le traducteur et son texte : relations dialectiques, difficultés linguistiques et contexte
socioculturel, actes du 1er colloque international (Misr pour les Sciences et la Technologie, Faculté de Langues
et Traduction, les 7 et 8 avril 2013), Égypte, p. 327.

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linguistiques par trop flagrantes et met à nu le recours à un littéralisme pas toujours heureux
et pertinent. La traduction juridique est donc orientée vers la langue de départ. La traduction
littérale et le calque y sont les procédés privilégiés. »12
Pour illustrer ces phénomènes, nous citons, à titre d’exemple, le terme « loi organique »,
traduit en arabe par "‫"قانون عضوي‬. Officiellement, ce n’est qu’en 1996 que l’Algérie a connu
ce terme emprunté au système juridique français. Il a en effet vu le jour, pour la première fois,
dans la Constitution du 28 novembre 1996.
D’après les différentes définitions générales13, spécialisées14 et doctrinales15 du terme français
loi organique, nous pouvons retenir deux traits conceptuels : organisation (des pouvoirs de
l’État) et/ou organe(s) (de l’État). Toutefois, aucun de ces traits n’a été traduit vers la langue
officielle de l’Algérie lors de la formation du terme arabe "‫"قانون عضوي‬.En plus, le traducteur
algérien aurait traduit le sens propre du mot organe, à savoir [partie du corps d’un être vivant
remplissant une fonction déterminée], et non pas son sens figuré [institution chargée de faire
fonctionner une catégorie déterminée de services].
Deux hypothèses pourraient alors expliquer ce choix : soit le traducteur n’a pas pu cerner le
concept d’origine et en extraire les traits pertinents, soit il a bien saisi le concept, mais il n’a
pas réussi à choisir la dénomination adéquate, considérée comme une sorte de représentation
synthétique du concept.
Nous considérons ainsi "‫ "قانون عضوي‬comme un terme opaque, car il ne dit rien du concept,
c’est-à-dire qu’aucun de ses traits constitutifs n’a servi de base au processus de nomination.
Nous pensons en plus que les traits nommés ne sont ni perçus ni compris par les locuteurs.
En revanche, le terme français loi organique est transparent, donnant directement accès à
deux traits conceptuels intégrés dans le processus de nomination : organisation et/ou organes
de l’État.
Aussi avons-nous relevé un autre exemple, discursif cette fois-ci, illustrant clairement une
traduction servile vers la langue arabe. Il s’agit de l’article 65 de la Constitution de 1996 qui
prévoit dans sa version française :
« La loi sanctionne le devoir des parents dans l’éducation et la protection de leurs enfants,
ainsi que le devoir des enfants dans l’aide et l’assistance à leurs parents. »
Il a été traduit en arabe comme suit:
‫ كما يجازي األبـــناء على القيام بواجب اإلحسان إلى‬،‫»يجازي القانون اآلباء على القيام بواجب تربية أبنائهم ورعايــــتهم‬
«.‫آبائهم ومساعدتهم‬
Dans cet exemple, nous nous intéressons plus particulièrement au verbe « sanctionner » qui
veut dire, ici, « Confirmer quelque chose, lui apporter une consécration officielle ou quasi
officielle»16, à savoir ّ‫ نص‬،‫ كرّسه بصفة رسمية أو شبه رسمية‬،‫أ ّكـد شيئا ما وأقــرّه‬. Or, en optant pour
l’équivalent arabe « ‫» يجازي‬, le traducteur de cet article aurait adopté le premier sens de
« sanctionner » : « Prendre une sanction contre quelqu’un ou quelque chose ; réprimer,

12
Imane Benmohamed (2016),« La terminologie traductionnelle juridique: cas des pays du Maghreb »,
L’aménagement lexical et la terminologie traductionnelle : cas des langues de moindre diffusion, Timsal n
Tamazight, n. 7, septembre,Alger.
13
Loi organique : toute loi créant les organes de l’État et fixant leur structure.
14
Loi organique : loi fixant, dans le cadre de la Constitution, les règles relatives aux pouvoirs publics et
soumises pour son adoption à une procédure. Parfois, qui préside à l’organisation des pouvoirs de l’État.
15
Loi organique : loi qui, à la demande explicite du constituant, complète et précise la Constitution. Elle permet
d’alléger la Constitution de dispositions accessoires et de faciliter des adaptations non substantielles de
l’organisation des pouvoirs publics.
- Loi organique : traditionnellement, loi relative à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics. La
Constitution de 1958 (article 46) a défini cette notion jusque-là imprécise : est organique, la loi prévue par la
Constitution, adoptée selon une procédure particulière, et obligatoirement soumise au contrôle du Conseil
constitutionnel. »
16
Le Petit Larousse grand format (2005), Paris, Larousse. p. 957.

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punir.»(Le Petit Larousse, 2005 : 957) « ‫ » عاقب وجازى‬qui n’a rien à avoir avec le contexte en
question.
Ainsi, le bilinguisme juridique en Algérie et le mouvement de traduction du français vers
l’arabe ne sont pas sans inconvénients. Cette situation est à l’origine de plusieurs traductions
calquées, littérales et même fallacieuses. Dans cet esprit, un auteur a relevé 20 fautes dans la
traduction de la Constitution du 23 février 1989 en langue arabe17. Mieux encore, nous avons
réalisé une analyse diachronique – terminologique et discursive – et synchronique de plus de
35 exemples des quatre lois fondamentales algériennes (1963, 1976, 1989 et 1996)18. Cette
recherche a révélé des ambiguïtés, des omissions et des imperfections grammaticales et
syntaxiques marquant la version arabe des quatre Constitutions, au regard d’une perfection
stylistique dans leur version française. Cela pourrait même avoir des risques aussi bien pour la
compréhension de l’énoncé juridique arabe que pour son application.
Or, nul ne peut nier que le recours, voulu ou forcé, à la traduction pour pouvoir dire le droit en
arabe, a aidé à l’enrichissement de cette langue en matière juridique, ainsi qu’à son adaptation
au lexique de l’État contemporain, à savoir l’arabisation de la modernité juridique.
Comme l’écrit Babadji, « Cela n'implique en aucune manière que cette langue[l’arabe]soit
pauvre - bien au contraire - mais force est de constater que, dans tous les domaines liés au
juridisme industriel, elle doit faire un effort d'innovation, d'adaptation, de transposition,
etc. »19.

Conclusion

En effet, la situation linguistique algérienne, qui se résume en un unilinguisme de


façade, cache en réalité un bilinguisme de terrain. Ainsi, le bilinguisme juridique non officiel
– en particulier dans son aspect législatif– est un fait incontournable. Le discours législatif en
Algérie existe en deux versions – arabe et française. En plus, ce discours est conçu et rédigé
en français, puis traduit vers l’arabe, et lorsque l’interprétation est nécessaire, c’est toujours le
texte en langue française qui est sollicité, y compris chez les juristes formés en langue arabe.
Cette situation semble certes contribuer à l’enrichissement de la langue arabe en
matière juridique, mais elle est aussi à l’origine de plusieurs traductions calquées, littérales et
même fallacieuses. En outre, ces traductions sont dans leur majorité imprégnées d’une double
acculturation juridique et linguistique. Cela pourrait aussi comporter des risques aussi bien
pour la compréhension de l’énoncé juridique que pour son application.

Bibliographie

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Afrique », in Aspects, n°1, p. 101-117.
ALLIOT Michel (1968), « L’acculturation juridique »,in Ethnologie générale, Paris,
Gallimard, p. 1180-1236.
BENMOHAMED Imane (2016), « La terminologie traductionnelle juridique: cas des pays du
Maghreb », L’aménagement lexical et la terminologie traductionnelle : cas des langues de
moindre diffusion, in Timsal n Tamazight, n° 7, septembre, Alger. p.175-193.

17
Abdelhafid Ossoukine (1989), Quelques réflexions sur la rédaction de la Constitution, (inédit), Oran, 1989.
Cité par Babadji, op.cit.
18
Imane Benmohamed (2013), La problématique de la traduction du discours législatif en Algérie. Étude
analytique et comparative des constitutions algériennes de l’après-indépendance, thèse de doctorat en
Traduction, Université d’Alger II, Département d’Interprétariat.
19
Ramdane Babadji, op.cit., 193.

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linguistique et acculturation juridique », in Le traducteur et son texte : relations dialectiques,
difficultés linguistiques et contexte socioculturel, actes du 1er colloque international (Misr
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