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LA LANGUE FRANÇAISE EN ALGÉRIE : ÉTAT DES LIEUX

20/12/2016 T. T 6 COMMENTAIRES

INTRODUCTION

De nombreuses civilisations ont occupé le territoire algérien à travers


l’histoire. Plusieurs peuples s’y sont succédés afin de coloniser ce pays
habité par des populations berbères (Taleb-Ibrahimi, 1995, Morsly,
1988). La conséquence de ces conquêtes se traduit par une co-présence
sur le territoire algérien de plusieurs langues qui sont l’arabe moderne ou
standard, l’arabe algérien, le berbère et le français (Asselah-Rehal, 2001).
Ces langues n’ont pas toutes le même statut sur le territoire algérien. Si
l’arabe et le berbère [1] (Tamazight) sont considérés comme des langues
nationales et officielles, le français, lui, est catégorisé comme langue
étrangère. En ce qui concerne les autres dialectes régionaux, ceux-ci sont
minorés (Taleb-Ibrahimi, 1995). Cependant, il a été remarqué que la
langue la plus utilisée et la plus répandue dans l’environnement
sociolinguistique algérien demeure la langue française. Plusieurs
chercheurs parmi lesquels (Dourari et Taleb-Ibrahimi) s’accordent sur le
fait que le français en Algérie joue un rôle très important. Et cela dans de
nombreux domaines comme l’économie et l’éducation. Nous allons au
cours de cet article dresser un état des lieux de l’ancrage de la langue
française en Algérie. Pour cela, nous allons, d’abord, revenir sur la raison
de la présence du français en Algérie. Puis, nous allons aborder ses
champs d’application et la promotion dont il bénéficie actuellement. Et
pour finir, nous nous pencherons sur la façon dont les deux groupes
sociaux arabophone et francophone se représentent cette langue.
 Bref historique de la genèse de la langue française en Algérie.
L’Algérie est un pays francophone du fait de son passé colonial.
L’histoire qui lie l’Algérie à la France remonte à plusieurs années.
L’Algérie a été une colonie française pendant 172 ans. Rappelons que la
France a débarqué en Algérie à la moitié du XIX ème siècle. Suite à un
problème entre les deux gouvernements français et algérien, la France a
décidé de conquérir l’Algérie. A partir de cette époque, l’Algérie devient
un département français, donc une partie intégrante du territoire
hexagonal. Mais, ne pouvant supporter le système auquel la France les a
soumis, les Algériens ont décidé d’entrer en guerre contre la France
(Ageron, 2005). Il est resté de cette période, entre autres, un héritage
culturel dont la langue française fait partie.
1. La langue française durant la période coloniale :
Avant la colonisation française, la seule langue écrite en Algérie était
l’arabe classique, diffusée avec l’islam. Mais, lors de la colonisation
française (1830-1962), le français a été introduit en tant que langue
officielle par les autorités françaises dans l’administration algérienne.
Toutefois, l’implantation de la langue française dans les institutions
étatiques algérienne s’est effectuée par étapes (Quefélec, 2002). Durant la
première étape (1883-1922), les populations autochtones s’attachant à la
culture arabo-musulmane ont refusé de fréquenter les écoles françaises.
Mais, ces populations autochtones qui étaient hostiles à l’enseignement
du français ont fini par l’accepter et même par le revendiquer du fait de
la place qu’il occupait à ce moment-là. En effet, durant la période de
(1922-1962), le français représentait une clé pour accéder à certains
postes dans l’administration. A cette époque, le français était enseigné
aux Algériens en tant que langue maternelle, avec les mêmes
programmes, les mêmes méthodes que celles qui étaient appliquées en
France pour les petits Français (Colonna, 1967).
1. La langue française après la période coloniale
Au lendemain de l’indépendance, le principal objectif des autorités
algériennes sur le plan linguistique était de redonner à l’arabe la place
qu’il avait perdue. Ainsi, elles ont procédé à la politique de l’arabisation
[1]. Il s’agit d’une politique qui vise à rendre à la langue arabe tous ses
droits et à la proclamer langue nationale et officielle (Grandguillaume,
1983). Pour ce qui est du français, il se voit conférer le statut de langue
étrangère ou seconde. De ce fait, une série de réformes organisant son
apprentissage ont été mises en place. Mais, depuis la décision de l’état
d’arabiser le système éducatif la place du français s’est réduite dans les
écoles. Nous pouvons dire qu’à chaque réforme, la place de cette langue
se rétrécit comme la peau de chagrin de Balzac. Son volume horaire
hebdomadaire ne cesse de changer, il est passé de 15 heures par semaine
à 11 heures durant les trois années du deuxième palier (primaire) et de 9
heures par semaine durant les trois années du troisième palier (collège)
(Taleb Ibrahimi, 1995).
[1] La politique d’arabisation s’inscrit dans la démarche de
réappropriation de l’identité arabo-musulmane à laquelle les Algérien
doivent, selon les autorités politiques de l’Algérie indépendante,
s’identifier (Zénati, 2004). C’est la raison pour laquelle, le premier
président Ahmed Ben Bella a prononcé en 1963 le discours suivant ;
« Nous sommes des Arabes, des Arabes, dixmillions d’Arabes […] Il n’y
a d’avenir dans ce pays que dans l’arabisme »
 Les champs d’application du français en Algérie
En Algérie, le français est utilisé dans plusieurs sphères. Nous pouvons
dire en rejoignant l’avis de Sebaa Rebah (2002) que le français s’est
beaucoup plus implanté à l’ère actuelle que durant la période coloniale.
Un grand nombre d’institutions administratives, notamment celles des
secteurs économiques et bancaires continuent à fonctionner en langue
française. Le français est aussi omniprésent dans le quotidien des
Algériens. Les termes français sont abondants dans le lexique des
Algériens. Concernant les moyens de communication, la plupart d’entre
eux utilisent le français.

1- Le français dans le domaine professionnel

Le français représente la langue de travail dans plusieurs secteurs en


Algérie. Dans une étude menée dans la ville de Mostaganem [1], il a été
montré que l’arabe et le français sont les deux langues de communication
et de fonctionnement au sein de la banque « le travail technique
(comptabilité, analyse financière, gestion, etc) se fait en français. Les
documents, formulaires et fiches sont en arabe et en
français » (Bellatreche, 2009). Cette même étude indique que le français
est la langue qu’utilisent la majorité des employés dans leur travail qu’ils
soient nationaux ou étrangers. D’autres études menées dans le milieu
professionnel en Algérie notamment celles de (Sebaa, 2002 ; K. Taleb-
Ibrahimi, 1995) ont montré que même après l’indépendance, le français
est la langue utilisée en concurrence avec l’arabe dans différentes
situations de communication au sein des administrations.
Enfin, il est plus facile de trouver un travail en Algérie en ayant une
maîtrise en français plutôt qu’en arabe. Les secteurs du travail en Algérie
privilégient les personnes qui parlent la langue française. En effet, divers
domaines de travail en Algérie emploient le français comme langue de
travail, avec parfois l’arabe classique et l’arabe dialectale.

[1] Mostaganem est une wilaya en Algérie. C’est une ville portuaire de la
Méditerranée. Elle est située au nord-ouest de l’Algérie
2- Le français dans l’enseignement supérieur et le monde de la recherche
Dans l’enseignement supérieur algérien, le français est la langue la plus
répandue. De nombreuses filières assurent leur enseignement en langue
française (médecine, pharmacie, chirurgie dentaire, architecture, école
vétérinaire, polytechnique, etc.). (Ferhani, 2006) Ainsi, le français garde
son statut de langue d’enseignement à l’université. Il demeure malgré la
politique d’arabisation langue véhiculaire des savoirs, même après
l’indépendance. Le constat établi à ce propos par Achouche reste
d’actualité : « malgré l’indépendance et les actions d’arabisation qui
s’en sont suivies, les positions du français n’ont pas été ébranlées, loin
de là, son étude ayant même quantitativement progressé du fait de sa
place dans l’actuel système éducatif algérien »(Achouche, 1981).
3- Le français dans les pratiques linguistiques des Algériens

Dans les pratiques linguistiques des locuteurs algériens, la langue


française est toujours présente. Néanmoins, ces pratiques sont différentes
d’un milieu social à un autre et se manifestent sous des formes diverses
formes. Nous trouvons dans ces milieux des emprunts directs et des
emprunts intégrés. Il faut mentionner que comme le souligne
(Benhamla ,2009) il ne s’agit pas nécessairement d’emprunts de
nécessité. Souvent, le signe emprunté garde son référent original.

 Des emprunts directs : l’unité lexicale empruntée à la langue française


ne subit aucune transformation.
 Normal Ex : Normal de (faire)
 Surtout Ex : surtout (n’oublie pas)
 Voiture Ex :(Elle est dans) la voiture
Remarque : il faut préciser que les mots ou expressions entre parenthèses
sont prononcés par les Algériens sont prononcés en langue locale.
 Des emprunts intégrés : l’unité lexicale empruntée subit des
modifications morphosyntaxiques, et phonétiques afin de s’adapter à la
langue arabe ou berbère.
1. Gendarme /dažadarmi/
2. Le cinéma /әssinima/
 Alternance codique : un usage alternatif de deux ou plusieurs langues
dans le même énoncé ou le même discours (Gumperz, 1982). En
Algérie, nous percevons cela à travers l’introduction dans des énoncés
en française des mots en kabyle ou en arabe.
1. Berbère/ français : Je ne pense pas que je vais rester /go
khamagui/ traduction (dans cette maison).
2. Arabe/français : j’ai profité de le mettre 3 fêtes puisk /smanet 3alih
šwija[1]/ traduction (j’ai légèrement grossi).
 Néologisme : Un mot nouveau ou récemment apparu dans une langue.
Les Algériens créent de nouveaux mots en adjoignant au morphème
arabe ou kabyle un suffixe français. Il faut préciser que ce procédé
donne un mot inexistant en langue française
1. Hitt Ce néologisme est créé sur la base de « Hit » (le mur) et du le
suffixe «iste »
2. Dégoût dégoutage. Ce néologisme est créé sur la base de « dégoût » et
du suffixe « age »
3. Taxis Ce néologisme est créé sur la base « Taxis » de et du suffixe «
eur ».
[1] Les exemples cités sont transcrits en alphabet phonétique international
(API).
4- Le français dans les médias

Dans l’environnement médiatique algérien, le français est très présent.


D’après certains chercheurs tels (Dourari, 2003). Les tirages des journaux
francophone ne sont pas très différents de ceux qui ont eu lieu au
moment de l’Algérie-française. Autrement dit, les journaux francophones
maintiennent leur position dans le marché médiatique algérien. Ils ont
toujours leurs fidèles lecteurs. D’ailleurs, la capitale algérienne possède à
elle seule six journaux francophones, El-Moujahid, Alger-républicain,
Liberté, Alger-soir, Le Matin, El-watan (Asselah-Rahal, 2001).

D’autre part, la chaîne III de la radio algérienne émet des programmes en


français. De son côté la télévision algérienne d’état projette presque
chaque soir des films en français et même des débats en langue française,
sans oublier le phénomène de la parabole qui a accentué l’intérêt des
algériens pour le français (Asselah-Rahal, 2001).

5- Le français dans l’environnement des Algériens

De nombreuses enseignes, panneaux publicitaires sont écrits


exclusivement en français et cela depuis même la loi de généralisation de
la langue arabe. De même pour le nom des rues, plusieurs rues en Algérie
portent les noms des personnalités françaises.

Exemples :

1. Les enseignes des magasins : cafétéria, boulangerie, imprimerie,


papeterie, vente en gros, coiffeur.
2. Les noms des rues : Saint-Jean, Saint Cloud, Gambetta, le Square, la
Corniche, la Place Polygone.
3. Les panneaux publicitaires : Ifri, l’eau, la vie. Dixan, plus de savon
pour plus d’efficacité.
6- Les types de francophones en Algérie
Selon Rehal Safia, la réalité sociolinguistique algérienne a permis
d’identifier 3 types de francophones :

1. Les vrais francophones : ce sont les personnes qui parlent le français


dans la vie de tous les jours et qui communiquent en français avec leur
entourage.
2. Les francophones occasionnels : ce sont des individus qui utilisent le
français dans des situations bien spécifiques (formelles ou informelles)
mais dans cette catégorie, il y a un usage alternatif du français et de
l’arabe (dialectal).
3. Les francophones passifs : ce sont les locuteurs qui comprennent le
français mais qui le parlent pas.
 La promotion de la langue française dans l’Algérie contemporaine
La valeur du français en Algérie ne cesse de s’accroitre. De nombreux
jeunes manifestent le désir de l’apprendre. Ainsi, les centres culturels
français que le gouvernement a fermés juste après l’indépendance ont ré-
ouvert. Les jeunes algériens fréquentent massivement ces centres dans
lesquels ils ont l’opportunité de suivre des programmes en français.
D’autres parts, de nombreuses écoles privées ont vu le jour. Ces écoles
proposent des formations en langue française et arabe. En ce qui
concerne le secteur universitaire, certains étudiants se voient dans
l’obligation de prendre des cours de français afin de combler leurs
lacunes, des lacunes qu’ils ont accumulées durant leur scolarité avant
l’obtention du baccalauréat.

 Le français au niveau des représentations


Le terme “représentation” a été étudié dans plusieurs disciplines en
sciences humaines (sciences du langage, sociologie, psychologie,
anthropologie, épistémologie, philosophie,…). Les représentations
linguistiques sont perçues à travers les mythes, les valeurs et les
stéréotypes que le locuteur développe sur certaines langues ou variétés
linguistiques (Jodelet, 2003). En Algérie, les représentations sur la langue
française diffèrent d’un groupe social à un autre.

 Groupe social francophone


Ce groupe se représente le français comme une langue de modernité, de
technologie et de promotion sociale. La pratique du français permet selon
ce groupe d’avoir l’image de quelqu’un de cultivé, et d’être valorisé sur
le plan social. L’élite francophone se représente aussi le français comme
étant une langue qui va lui permettre de s’ouvrir sur la culture occidentale
et de nouer des relations avec l’occident. Ainsi, elle pense que le français
doit être enseigné aux enfants dès l’école primaire. Ceci permettra aux
enfants algériens, d’après cette catégorie de disposer non seulement de
deux langues dans leur répertoire langagier, mais aussi de ne pas être
confronté à un problème de langue dans le cas où ils décident de faire
leurs études dans les filières où le français est langue véhiculaire des
savoirs (Benrabah, 1999).

 Groupe social arabophone


La catégorie d’individu qui rejette la langue française en Algérie avance
l’argument suivant : le français est la langue de l’ennemi et du
colonisateur. Donc, pour ne pas avoir de liens avec le colonisateur, il ne
faut pas laisser répandre sa langue. De plus, l’arabe est une langue sacrée.
C’est la langue du coran et de la religion musulmane. Il faut qu’elle soit
promue, et utilisée dans toutes les institutions étatiques. C’est la raison
pour laquelle ce groupe pense que les élèves algériens doivent apprendre
la langue arabe dès leur jeune âge (Abou, 1995).
CONCLUSION

A la lumière de ce que nous avons vu, nous constatons que le français est
présent dans tous les domaines en Algérie. De plus, elle jouit d’un statut
privilégié, son importance s’accroit davantage auprès de nombreuses
couches sociales. De ce fait, le français ne peut pas être considéré comme
une langue étrangère. Son statut doit, donc, être revu afin de redéfinir la
méthodologie adéquate pour l’enseigner.

Le fait que l’Algérie compte un grand nombre de francophone est un


atout pour ce pays. Il serait donc important d’adopter une attitude de
tolérance à l’égard de l’OIF.

Dans le cadre des réformes sur l’école, l’enseignement bilingue du


français et de l’arabe avec des volumes horaires similaires serait une
bonne initiative à adopter. Ceci afin de doter les étudiants d’outils
linguistique leur permettant de réussir dans leur parcours universitaire.
Un parcours, où rappelons le, la langue française domine.

BIBLIOGRAPHIE

ABOU, Sélim, L’identité culturelle, Paris, Anthropos. (1995).


Achouche, M. La situation sociolinguistique en Algérie: langues et
migration. Centre de didactique des langues et des lettres de Grenoble,
1981.
Ageron, Charles-Robert.« L’opinion française devant la guerre
d’Algérie ». Histoire du Maghreb, 2005, 471-94
Asselah-Rahal, Safia. « Le français en Algérie, Mythe ou
réalité? » communication proposée lors du IXème sommet de la
francophonie,” Ethique et nouvelles technologies: l’appropriation des
savoirs en question», les 25 (2001): 8-21.
Bellatreche, Haouari. « L’usage de la langue française en Algérie, cas
d’étude: le secteur bancaire ». Synergie Algérie 8 (2009): 107-13.
Benhamla, Zoubeida. L’enseignement du français en Algérie: d’une
situation linguistique de fait aux querelles de statut. 2009. Thèse de
doctorat. Paris 3.
Colonna, Fanny. Instituteurs algériens: 1883-1939. Vol. 36. Les Presses
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Ferhani, Fatiha Fatma. Algérie, l’enseignement du français à la lumière
de la réforme. Le français aujourd’hui, 2006, no 3, p. 11-18.
Ibrahimi, Khaoula Taleb. Les Algériens et leur (s) langue (s): éléments
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Queffélec, Ambroise. Le français en Algérie: lexique et dynamique des
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Sebaa, Rabeh. L’arabisation dans les Sciences Sociales: Le cas
Algérien. Paris: l’Harmattan, 1996.
Zenati, Jamel. « L’Algérie à l’épreuve de ses langues et de ses identités :
histoire d’un échec répété ». Mots. Les langages du politique, no 74 (1
mars 2004): 137-45

Consulé le 21/11/2019
Revue : art, langage, apprentissage.

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