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Premier chapitre : La situation

linguistique au Maroc

I- La diversité linguistique au Maroc


Le Maroc, comme tous les autres pays du Maghreb Arabe, réjouit d’une
diversité linguistique très importante. Cette diversité se manifeste essentiellement
dans la coexistence de plusieurs langues sur son marché linguistique. Parmi ces
langues, hors les langues locales, celles qui sont liées historiquement soit aux
conquêtes espagnoles envahissant le pays soit au Protectorat français ou imposée
par la mondialisation.
Notre travail dans ce volet consiste, dans un premier temps, à étudier la
situation des langues existant dans le champ linguistique marocain. Et pour ce
faire, nous allons bien sûr mettre l’accent sur leurs différents usages et fonctions.
Puis, dans un deuxième temps, nous nous procéderons au traitement de quelques
phénomènes dus au fait de contact de ces langues.
1- Les langues étrangères :

Au Maroc, les langues étrangères sont plutôt considérées comme le fruit de la


période coloniale. Ainsi, ces langues ont été imposées et n’ont pas été choisies. Et
c’est à cet égard que TAOUFIK MAJDI, professeur à la faculté pluridisciplinaire
de Khouribga, écrit :
« On ne choisit pas d’être anglophone ou francophone : on l’est de fait.
On reçoit l’anglais ou le français en héritage d’une histoire coloniale
vieille déjà de plus d’un siècle. »1
Nous distinguons par conséquent trois langues étrangères : le Français, l’Anglais
et l’Espagnol.

1.1- Le français :

Etant donné que le français est un dispositif de domination française. Il est


envisagé à l’époque du Protectorat français comme une langue officielle.

1
TAOUFIK MAJDI, Le paysage linguistique marocain, Introduction, 2009, p.76
Aujourd’hui, il jouit d’une valeur socialement prestigieuse et se trouve privilégier,
entre autres, par son statut de facto en tant que première langue étrangère. Or, son
intégration dans le système éducatif marocain, sous le sigle FLE, a néanmoins
pour but de faire apprendre aux écoliers marocains les différentes techniques de
communication et d’expression nécessaires. La langue de Molière est, en outre,
une langue active et fonctionnelle, c’est-à-dire : « elle se présente dans plusieurs
contextes : la presse, la radio, la télé et s’impose dans plusieurs domaines
l’économie, la banque... »2

1.2- L’anglais :

L’anglais est une langue de facto qui vient de grimper graduellement sur
l’échelle des statuts des langues étrangères au Maroc de sorte qu’elle est
couronnée de niveau de la deuxième langue étrangère. Son existence dans le
paysage linguistique marocain ne remonte jamais ni à aucune histoire coloniale ni
à un passé commun entre les anglophones et les marocains.
BOUKOUS a utilisé la notion de l’anglophonie pour définir la langue anglaise
et son statut. Pour lui :
« L’anglophonie {XE "anglophonie"} constitue la face linguistique {XE
"linguistique"} et culturelle de la domination impériale américaine à l’ère
de la globalisation {XE "globalisation" }.»3
Il s’ensuit que la langue de Shakespeare entre aujourd’hui en compétition avec
celle de Molière. Mais cette concurrence entre eux sera couronnée ultérieurement
par l’approbation de la langue anglaise comme la première langue étrangère du
fait de son importance surtout son utilisation estimable partout dans le monde.
Dans un entretien de presse, Moha Ennaji affirme que la langue anglaise devient
une langue universelle, voire une fenêtre qui s’ouvre sur le monde :
« En tant que première langue internationale, et en tant que langue qui n’a
pas de connotations coloniales ni postcoloniales, la langue anglaise offre des
opportunités importantes en matière de sciences, d’ouverture au monde,

2
Mohamed El-Halfaoui, La Langue Française Au Maroc Un Statut De Facto Et Non De Jure, Université
Mohamed Ben Abdallah – Fez (Maroc)
3
BOUKOUS Ahmed, Revitalisation de la langue amazighe défis, enjeux et stratégies, Institut Royal de la
Culture Amazighe, Maroc, 2012, p37
d’ascension sociale et de développement professionnel. C’est la langue
étrangère qui ouvre les horizons les plus vastes en matière de connaissances,
de recherches, de visibilité et d’échanges avec le reste du monde. »4
C’est ainsi que l’anglais s’impose, au Maroc, peu à peu dans divers domaines
notamment scientifiques et technologiques à l’échelle nationale comme dans le
système éducatif. Dans ce propos, BOUKOUS affirme :
« En effet, l’anglais s’affirme dans un certain nombre de champs
stratégiques, notamment ceux de l’éducation { XE "éducation" } , des médias{
5
XE "médias" } et de la culture des loisirs. »
1.3- L’espagnol :

A l’instar du français, la présence de la langue espagnole dans l’environnement


linguistique marocain est due principalement au siècle de colonie espagnole au
Maroc et dont la conséquence est la signature d’un traité de Protectorat le 27
novembre 1912. En effet, ce traité a motivé l’implantation de la langue espagnole
aussi bien au Nord qu’au Sud du pays, notamment les zones de (Tanger, Tétouan,
El Hoceima, Nador / Sidi Ifni Oued Eddahab, Saquiet El Hamra). Mais après
l’indépendance, l’espagnol ne garde qu’une faible présence et ceci est uniquement
dans les régions du Nord en vue de leur voisinage géographique.

Même si la langue de Cervantès est jugée marginale, elle est toujours présente
dans les mass médias et la vie économique marocaine. C’est dans ce contexte que
Boukous déclare que :

« L’espagnol a vu ses positions rétrograder en tant que langue de travail


dans l’enseignement, l’administration, les médias, la vie économique et
culturelle. »6

De point de vue commun, les linguistes et chercheurs marocains ont classé


l’espagnol après l’anglais au statut de la troisième langue étrangère du pays.

4
Propos recueillis par Noureddine Nassiri, « L’anglais au Maroc: Trois questions à l’enseignant-
chercheur Moha Ennaji » , 28 décembre 2022
5
BOUKOUS Ahmed, op.cit, p 38
6
BOUKOUS Ahmed, « Le champ langagier : diversité et stratification », Asinag 1,2008, p.28.
Loin de toute connotation négative, les langues étrangères constituent alors un
Gift pour le Maroc et les marocains. Toutefois, l’utilisation de ces ressources
linguistiques est institutionnalisée en vue de leur fonction linguistique.

2- L’usage et la fonction linguistique des langues étrangères :

L’usage des langues étrangères par des locuteurs marocains se fait d’une
manière inégale. Les usagers du français, par exemple, sont plus nombreux (35%)
en raison de son statut de la première langue étrangère. Il est fréquemment parlé
au Maroc et se trouve utiliser partout : aux écoles, aux médias, aux moyens de
transport, etc. C’est une langue comprise, lue, parlée et écrite. Bref, le français est
une langue institutionnalisée malgré sa perception ambigüe et opaque.
En ce qui concerne l’anglais, ses usagers sont jusqu’à présent peu nombreux
(12%) que les utilisateurs du français. Mais, le nombre de ses utilisateurs est
susceptible d’augmenter parce que la plupart des marocains préfèrent,
aujourd’hui, l’apprendre que d’apprendre le français. A cet égard, le360, un
journal de presse électronique marocain, mentionne dans un rapport réalisé que
« 40% des marocains préfèrent apprendre l’anglais, contre seulement 10% le
français »7
Quant à l’espagnol, ses utilisateurs au Maroc sont vraiment quasi inexistants.
C’est une langue en déclin. La petite communauté linguistique qui la préserve et
l’utilise est centrée surtout au Nord du pays. Une étude menée et présentée à
l’Institut Cervantès de Casablanca par David Fernández Vítores estime que le
nombre des usagers de l’espagnol au Maroc est faible. Cette faiblesse a été
confirmée aussi par une étude jugée « crédible» de l’Institut Royal des Etudes
stratégiques publiée en 2011 soulignant que « 4,6% de Marocains «comprennent»
l’Espagnol, mais le pourcentage est beaucoup plus faible quant à son usage. »8
Au-delà de leurs usages, les langues étrangères remplissent une fonction
linguistique centrale. Cette fonction dont il est alors question-là est celle de
communication. Par conséquent, Une grande partie des marocains utilisent donc
ces langues pour finalité de communiquer avec des interlocuteurs de diverses

7
Le journal le360, le 26/04/2021
8
El Hadji Mamadou Gueye, La langue espagnole en déclin au Maroc, Publié le
17/02/2015,Yabiladi.com
nationalités et surtout ceux dont ces langues sont maternelles et/ou officielles. Et
cela souvent attesté dans les domaines du tourisme et de la politique.
L’article 5 de la Constitution Marocaine de 2011 stipule que les marocains
doivent apprendre les langues étrangères pour des besoins communicatives,
intégratives et culturelles :
« De même, il veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle
nationale et à l’apprentissage et la maitrise des langues étrangères les plus
utilisées dans le monde, en tant qu'outils de communication, d'intégration et
d'interaction avec la société du savoir, et d'ouverture sur les différentes
cultures et sur les civilisations contemporaines.»9
En vertu de ce paragraphe du présent article, nous constatons que l’apprentissage
des langues étrangères au Maroc constitue une grande importance sous prétexte
que leurs utilisations dans diverses situations de communication nécessitent une
maîtrise très parfaite.
Pour déduire, ce volet a permis d’une part, une transition réelle entre divers
statuts des langues étrangères et leurs différents usages et fonctions d’autre part.
Alors, si ces langues dont l’une dite neutre et l’autre appelée de l’autre sont
étrangères, quelles langues officielles possédons-nous en tant que Marocains ?

3- Les langues officielles :

Une langue officielle est, selon le dictionnaire de didactique du français :


« une langue adoptée par un Etat(ou un groupe d’Etats), généralement au
nom de sa constitution, une langue officielle est une langue institutionnelle :
administration, justice, éducation, secteurs législatif et commercial, etc. Un
même Etat peut se doter de deux langues officielles. »10
Ainsi, le Maroc fait partie des pays qui disposent de deux langues officielles :
l’arabe et l’amazigh. L’article 5 de la constitution marocaine stipule que :
« L'arabe demeure la langue officielle de l'Etat. L'Etat œuvre à la protection
et au développement de la langue arabe, ainsi qu'à la promotion de son

9
La constitution Marocaine, Article 5, 2011
10
Jean-Pierre CUQ, Dictionnaire de didactique du Français: langue étrangère et seconde, CLE
International, Paris, 2003, P.152.
utilisation. De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l'Etat, en
tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception. »11
Mais l’officialisation de ces langues ne date pas de la promulgation de la
constitution d’aujourd’hui mais de la première constitution établie par l’Etat
marocain en 1962. Davantage, le préambule de la constitution marocaine révisée
en 1996 soulignait que :
« Le Royaume du Maroc, Etat musulman souverain, dont la langue officielle
est l’arabe, constitue une partie du grand Maghreb arabe »12
Il s’avère important de dire aussi que l’officialisation de ces deux langues
dépend principalement de l’existence d’une tradition d’écriture, d’une littérature
mais aussi d’un statut institutionnel. Employés uniquement dans les domaines
formels tels que l’éducation et la religion, les langues officielles permettent de
réduire les formes locales que quelques utilisateurs considèrent consciemment ou
inconsciemment que ce sont des langues.
En dépit de son officialisation, l’arabe mentionné dans les constitutions
marocaines reste ambigu, notamment les linguistes marocains soulignent
l’existence d’une divergence dénominations de la langue arabe. L’ambigüité de
cette dernière est principalement liée à la présence des deux aspects : l’arabe
dialectal ou la darija et l’arabe dit standard.
En ce qui concerne l’arabe dialectal, il est excellemment considéré comme une
langue des échanges langagiers oraux alors que l’arabe standard est
spécifiquement consacré à la rédaction des documents officiels. Dans la même
optique, Laila Messaoudi écrit dans un article publié en 2013 dans la revue
"Langage et société" :
« Il est important de relever la diglossie séculaire qui caractérise le
dédoublement de la langue arabe en, d’un côté, une variété savante, l’arabe
standard (désormais AS) et d’un autre côté, en une variété « ordinaire », orale,
non codifiée par écrit, utilisée dans les échanges langagiers spontanés que
nous désignons par arabe dialectal marocain (désormais ADM) ou darija. »13
3.1- L’arabe standard

11
La constitution marocaine, Article 5, 2011.
12
La constitution marocaine révisée, préambule, 1996.
13
Laila Messaoudi, Dynamique langagière au Maroc, Présentation, in langage et société, 2013, P.7
L’arabe standard fait, en fait, partie des pratiques langagières écrites des
marocains. Il est communément défini comme une variante de la langue arabe.
C’est une langue dont le vocabulaire est fixe par l’établissement des dictionnaires
en favorisant la création terminologique et en respectant les règles du bon usage.
Appelée parfois Fusha, l’arabe standard trouve son inclination dans plusieurs
secteurs de la vie sociale des marocains, nous citons à titre indicatif et non
exhaustif la presse et la religion. Par son caractère scripturaire et son usage dans
des contextes formels, une bonne partie de la population marocaine illettrée
n’arrive plus à l’utiliser.

Personne ne nie alors que l’arabe standard n’est pas une langue maternelle ni
une langue véhiculaire, mais les marocains l’apprennent, le comprennent et
l’utilisent surtout dans la rédaction des documents officiels. Alors, il existe deux
formes de l’arabe standard : l’arabe moderne et l’arabe classique. Pourtant, la
forme classique, ancienne de l’arabe jouit d’un statut prestigieux dans les
communautés arabophones néanmoins c’est la langue du « Livre Sacré », le Coran
et de Révélation. De son éloquence et sa sacralité, les chercheurs lui attribuent le
qualificatif « liturgique ». Il permet, par conséquent, d’allier « une conscience
linguistique avec une conscience religieuse. »14

Concernant la forme moderne, il s’agit d’al-ʿarabiyya al-fuṣḥā al-ḥadīṯa, dite


aussi mu‘a:sira dont l’objet principal est la réformation de l’arabe standard
classique. Bien entendu, cette réforme est également réalisée par la mise en place
de nouvelles structures morphosyntaxiques et la création de néologismes. Louis-
Jean Calvet a parlé de la transformation des langues(1987). Ajoutons que Ali
FALLOUS, professeur à la faculté des lettres-Meknès, note que :

« L’arabe médian ou "moderne" (A.M) : s’il se rapproche le plus de l’arabe


littéral, il reste considérablement influencé, aussi bien sur le plan lexical que
grammatical, par les langues et les parlers avec lesquels il constitue la
mosaïque linguistique au Maroc. »15.

14
TAOUFIK MAJDI, op.cit, p.78.
15
ALI FALLOUS, Le Maroc, pays multilingue : L’arabe au pluriel, in Centre National De
Documentation n 031788, 2005, p.74.
L’arabe standard est, selon la conception de FALLOUS, un code à deux formes
dont les domaines d’utilisation sont différents. Pour montrer cela, il compte sur le
tableau récapitulatif suivant :
Religion École Ouvrages Presse Littérature
D.U. scientifiques
A.L.
L’arabe + + - - +
classique
L’arabe - - + + -
moderne
Figure 1: principaux domaines d'utilisation de l'arabe standard.
Nous remarquons alors que les domaines d’utilisation de l’arabe standard
classique sont plus nombreux que ceux d’utilisation de l’arabe moderne.
Quant aux fonctions de cette langue (l’arabe standard), Boukous les résume dans
ce paragraphe :
« L’arabe standard remplit les fonctions de langue des institutions religieuses
et publiques. C’est donc à la fois la langue du champ du sacré, représenté par
l’enseignement religieux et les pratiques liturgiques, et celle du domaine
séculier, car c’est aussi la langue dominante dans le champ politique ; en effet,
l’arabe standard est employé dans les cérémonies officielles et les institutions
politiques et administratives, en particulier lors des sessions parlementaires et
dans les administrations publiques. C’est également la langue du pouvoir
symbolique, i.e., c’est le code de la culture savante, celle des élites. »16
Cette pluralité fonctionnelle de l’arabe standard fait de celle-ci ce que WIET et
MIQUEL ont appelé le « moule universel » et un code commun à tous les Arabes
du monde. De cette façon, l’A.S est par conséquent un code qui permet aux
écrivains de puiser leurs différentes idées.

3.2- L’amazighe
Historiquement, l’amazighe est une langue très ancienne. Sa présence en
Afrique remonte au Nouvel Empire égyptien. Depuis plus de 20000 ans, la

16
Hicham KHIRA, Diversité linguistique au Maroc : Réalité, attitudes et représentations, p.20, in
Boukous, 2005, p. 83.
population native du Maroc était des amazighs. Mais après l’entrée des Idrissides
au pays, et cela pendant les conquêtes arabes, la politique d’arabisation
commence. Les amazighes qui habitent alors dans les plaines ont été vraiment
arabisés tandis que ceux qui vivaient dans les montagnes ont heureusement su
préserver leur code linguistique. Boukous, le père de la linguistique amazighe,
désigne cette langue par « une strate d’autochtophonie ».
D’ailleurs, l’amazighe souffre depuis longtemps de la marginalisation des
institutions marocaines. Mais, l’émergence d’une conscience revendiquant les
droits linguistiques et culturels de cette langue a plus ou moins contribué à la
promotion progressive de celle-ci. L’amazighe doit donc attendre jusqu’à la
promulgation de la constitution de 2011 pour tirer son officialisation. Cela
s’inscrit donc dans le cadre d’une politique linguistique adoptée par l’État
marocain pour la mise en valeur de cette langue périphérique considérée comme
un patrimoine commun à tous les marocains. Dans ce sens, l’article 5 de la
constitution indique :
« De même, l’amazighe constitue une langue officielle de l'Etat, en tant que
patrimoine commun à tous les Marocains sans exception.»17
Malgré son statut disons officiel, les amazighophones ne cessent pas de se
plaindre de la marginalisation de la langue et de la culture amazighes et parfois, ils
critiquent sa sous-estimation. Or, l’amazighe est constituée de trois dialectes :
L’amazigh, le tachelhit et le Tarifit.
Bien entendu, nous allons nous détailler dans les particularités et les usages de
chacun de ces dialectes plus tard, notamment dans le chapitre traitant le
phénomène de la dialectologie.
4- Le processus de l’arabisation au Maroc :

« L’arabisation en tant que processus de


recouvrement de l’identité culturelle nationale est
conçue par tous, intellectuels, organisations
politiques, syndicales et culturelles, comme une
décision politique dont la finalité est d’enrayer la

17
La constitution marocaine, article 5, 2011.
présence de la francophonie jugée envahissante
dans les secteurs de l’enseignement, de
l’administration, de la formation des cadres et de
l’économie.»
(Boukous, 2012, p.28)
Le processus d’arabisation a vu le jour aux pays du Maghreb Arabe depuis la
deuxième moitié du XXème siècle. Ses principales finalités sont l’unification des
nations et la réalisation d’une indépendance linguistique. Dans le but de créer une
identité nationale propre au pays, le Maroc entame une politique linguistique
visant la promotion de l’utilisation de la langue arabe partout, surtout dans les
domaines les plus vivants dans son territoire. En effet, ce processus est à la fois
utile et dangereux. Utile parce qu’elle contribue de plus ou moins à
l’enrichissement et à l’hétérogénéité linguistiques du pays. Et dangereux car ce
processus fait de la langue "autochtone" (l’amazighe) une langue en danger. Suite
aux finalités citées, Boukous ajoute que :
« L’arabisation en tant que politique linguistique vise à imposer comme seule
langue de travail l’arabe standard dans toutes les institutions publiques et à lui
faire occuper tous les domaines de la communication sociale en monopolisant
les usages oraux et écrits. »18
Il s’avère nécessaire de dire que les premières tentatives de l’arabisation au
Maroc ont été réalisées en 1957. Ces tentatives portaient, à l’époque, sur
l’arabisation d’un cours préparatoire lors de la rentrée scolaire. En fait,
aujourd’hui les cours scientifiques à l’école marocains ont été arabisés surtout
dans les trois cycles (primaire, lycée collégial et lycée qualifiant). Mais, à vrai dire
que les autorités marocaines ont, jusqu’à ce jour, échoué d’arabiser les cours de
sciences donnés dans les établissements universitaires ou supérieurs, et cela
demeure difficile, voire impossible en raison de correspondance de ces cours au
système d’enseignement mondial.
II- Quelques phénomènes linguistiques liés au contact des langues au Maroc

18
BOUKOUS Ahmed, op.cit, 2012, p26
Puisque le paysage linguistique marocain étudié a connu une coexistence de
plusieurs langues sur le plan national, le contact des unes avec les autres peut en
conséquence donner naissance à de nombreux phénomènes linguistiques. Nous
pouvons citer à titre d’exemple le bilinguisme, l’interférence, l’emprunt
linguistique, et d’autres.

1- Le bilinguisme

D’une manière générale, le bilinguisme est un phénomène linguistique


résultant du fait du contact des langues « c’est de ce contact que naît le
bilinguisme »19. Les sociolinguistes ont donné plusieurs acceptions à ce
phénomène. Pour certains, le bilinguisme est la capacité qu’a un individu
d’utiliser simultanément deux langues différentes. Nous pouvons évoquer dans ce
contexte la conception de J. Dubois, pour lui :
« Le bilinguisme est la situation linguistique dans laquelle les sujets parlants
sont conduits à utiliser alternativement, selon les milieux ou les situations,
deux langues différentes.».20
Alors que d’autres le considèrent comme la coexistence de deux variétés
linguistiques au sein d’un même individu ou société. Dans cette optique, la
définition donnée par Jean-Pierre CUQ au bilinguisme semble intéressante. Il écrit
cependant que le bilinguisme est :
« La coexistence au sein d’une même personne ou société de deux variétés
linguistiques »21.
A ces acceptions s’ajoute celle de Mackey qui a repris le concept du
bilinguisme comme une alternance de deux ou plusieurs langues chez le même
individu. Selon cette perspective, le bilinguisme correspond respectivement au
plurilinguisme. En fait, la description de telle ou telle situation de bilinguisme doit
être, comme le montre Fishman, en fonction de présence ou d’absence du terme
diglossie. Fishman fait pourtant lier le phénomène du bilinguisme à la
psycholinguistique.

19
William MACKEY, Bilinguisme et contact des langues, Klincksieck, Paris, 1976, p.372.
20
Jean DUBOIS, Dictionnaire de linguistique, Librairie Larousse, Paris, 1973, P.65
21
Jean-Pierre CUQ, op.cit, p. 36
La plupart des définitions données au terme bilinguisme ont communément
mentionné l’usage alternatif de deux codes linguistiques ; l’un est maternel alors
que l’autre appelé étranger.
Le sociolinguiste marocain, Ahmed Boukous, a aussi contribué à l’étude de ce
phénomène en proposant quatre formes de bilinguisme. La première est le
bilinguisme symétrique qui se réalise notamment lorsque le sujet parlant possède
une maîtrise égale des deux langues qu’il parle simultanément. La seconde, il
s’agit du bilinguisme asymétrique. Cette forme consiste en une maîtrise inégale
des deux langues. Quant à la troisième forme que Boukous appelle le bilinguisme
d’intellection et d’expression, On en parle lorsque les deux langues apprises sont à
la fois comprises et performées. La dernière forme, c’est le bilinguisme
d’intellection. Il se distingue par la compréhension d’une des langues sans être
parlée.
2- L’interférence
Considérée comme une caractéristique individuelle, la notion d’interférence est
définie comme étant une utilisation involontaire des éléments d’une langue quand
on parle ou on écrit une autre langue. En fait, ce phénomène se distingue des
autres par son caractère inconscient. Autrement dit, l’interférence est un processus
qui permet, de temps en temps, à un sujet bilingue d’utiliser inconsciemment des
éléments de la langue (A) lorsqu’il parle la langue (B).
En effet, l’influence de la langue étrangère sur la langue maternelle peut
affecter plusieurs composantes linguistiques.
D’ailleurs, il existe différents types d’interférences. Ces interférences sont au
nombre de quatre : morphologique, phonologique, syntaxique et lexicale. Il y a de
l’interférence morphologique quand un sujet parlant une langue donnée utilise un
trait morphologique caractérisant sa langue maternelle. Par exemple, un marocain
pourra donner au mot français phénomène le genre féminin du mot arabe
correspondant à "‫" ظاهرة‬.
Pour l’interférence phonologique, elle consiste en l’utilisation des traits
phonétique d’une langue lorsqu’on parle une autre. Ainsi, à l’école marocaine par
exemple, les écoliers peuvent remplacer involontairement les traits phonologiques
de la langue (B) par ceux existant dans la langue (A) comme la voyelle « u » qui
n’existe pas en langue arabe. Elle est souvent remplacée par « i » ou « y ». Un
apprenant débutant peut prononcer donc inutile « initile » ou « yonitile ».
Quant à l’interférence syntaxique, elle se réalise surtout lorsqu’un sujet bilingue
organise les unités d’une phrase dans la langue(L2) selon les structures
grammaticales de la langue (L1). On peut par exemple dire « je suis cassé ma
jambe » au lieu de dire « je me suis cassé la jambe ».
L’interférence lexicale est fondamentale tant qu’elle est considérée comme une
introduction des formes étrangères dans le discours d’un locuteur bilingue. Elle
permet, en plus, de réduire, voire d’éliminer les emprunts intégrés.
3 - L’emprunt:

La distinction que nous pouvons établir entre l’interférence et l’emprunt


linguistique c’est que le premier est individuel tandis que le second a un caractère
collectif. Relatif au domaine de l’aménagement linguistique et considéré comme
un phénomène sociolinguistique fondamental, l’emprunt linguistique est en
principe une intégration des unités linguistiques d’une langue étrangère lorsqu’on
parle notre langue native. En plus de son lexique hérité de ses racines, l’emprunt
permet à un sujet parlant d’enrichir le vocabulaire de sa langue maternelle.
Surtout, les traits linguistiques empruntés ne constituent pas une dette : ils n’ont
pas à être rendus. Pourtant, la langue qui n’accepte pas de nouveaux mots est
souvent accusée et considérée comme une victime.
Conformément à ces informations, les unités empruntées peuvent être adaptées,
voire intégrées selon leur graphie ou leur phonie. C’est pourquoi, on parle des
emprunts lexicaux, phonétiques et syntaxiques.
Les premiers, c’est-à-dire les emprunts lexicaux sont « les très fréquents et les
plus significatifs »22. Ce genre d’emprunt repose en fait sur l’intégration complète
de lexèmes d’une langue étrangère (empruntée) dans le système linguistique oral
et/ou écrit de la langue première (emprunteuse). Il est question-là de l’intégration
que Pierre GUIRAUD dénomme emprunt du nom et de la chose. Ces mots
empruntés, considérés tantôt nécessaires tantôt superflus, sont appelés des
néologismes.

22
J.P. CUQ, op.cit. , p. 81
Les emprunts phonétiques sont l’ensemble des phonèmes ou de traits
phonétiques de la langue A empruntés à la langue B. Ces traits phonétiques se
caractérisent essentiellement par la même prononciation qu’ils ont ceux-ci par
rapport à eux-mêmes dans la langue empruntée. D’une manière très précise, il y a
une assimilation à la phonétique du trait ou de l’unité linguistique étrangère.
Les emprunts syntaxiques désignent la construction syntaxique des phrases de
la langue A selon les structures de celles-ci (phrases) dans la langue B. Cela veut
dire donc que l’emprunt syntaxique correspond plus ou moins au calque
d’expression. Ainsi, dire par exemple en français « Quelle heure est-elle ? » est
une structure syntaxique empruntée à celle de l’anglais « What time is it ? »
Conclusion :
Il est clair donc que le paysage linguistique marocain reflète un brassage de
langues étrangères et officielles. Cette pluralité de ressources langagières fait de la
population marocaine une population multilingue. L’interaction, voire le contact
entre ces différentes langues a donné lieu à plusieurs phénomènes
sociolinguistiques parmi lesquels nous avons traité: le bilinguisme, l’interférence
et l’emprunt linguistique. A cela s’ajoute la politique linguistique d’arabisation
que le Maroc a entamée au lendemain de son indépendance pour créer son identité
et promouvoir l’utilisation de la langue arabe. Nous nous interrogerons alors
comment cette diversité linguistique dont jouit le Maroc aboutira à la création de
dialectes?
Deuxième chapitre : Dialectologie et langues
nationales au Maroc
« Il n'y a pas d'histoire de la langue
sans une dialectologie et surtout sans
une géographie linguistique complète et
bien établie. »23

Introduction
Posons d’emblée que les études faites sur le paysage linguistique marocain ont
démontré la présence d’une diversité et une hétérogénéité indispensables dans les
systèmes linguistiques en usage. Cette multiplicité codique n’est donc qu’une
donnée féconde pour celui qui mène ses recherches en sociolinguistique. Mais au fil
du temps, une langue nationale, voire un système homogène d’un pays quelconque
peut être soumis à des changements néanmoins dans l’espace. Ces changements
affectent complétement ou partiellement les configurations des langues notamment
sur le plan diachronique.
La première constatation linguistique faite au langage des marocains détermine
l’existence, outre que les langues officielles, de deux langues vernaculaires, à savoir
l’amazighe et l’arabe dialectal appelé couramment la darija. Ces langues
vernaculaires, elles-mêmes, se subdivisent, selon les régions, en dialectes ou
parlers.
De même, les travaux relevant de la dialectologie ont été contribués autant à la
répartition des faits linguistiques qu’à la définition des monographies qui décrivent
d’une manière ou d’une autre les traits spécifiques d’un dialecte compte tenu que ce
dernier est identifié au sein d’un code linguistique plus ample.
Le premier volet de ce présent chapitre sera nécessairement axé sur une
réflexion méthodologique menée sur les premières études dialectologiques et dont
la première étape sera la définition de la notion dialectologie en évoquant certains
précurseurs et fondateurs du concept. Tandis que la seconde étape, elle consistera
bien entendu à établir une différence pertinente et entre langue, dialecte et patois.

23
Antoine Meillet,{Bull, de la Soc. de Ling. de Paris, t. XXX, 1929, p. 200), in (Avant-Propos,
SEVER POP, LA DIALECTOLOGIE Aperçu historique et méthodes d'enquêtes linguistiques,
ÉDITIONS j. DUCULOT, 1950).
Le second volet a, en fait, pour intention, sinon pour objectif de présenter, sous
un angle peut-être inhabituel, l’aspect géolectal marocain afin de montrer combien
l’étude des faits dialectaux recèle de perspectives pour le langage local.

I- Dialectologie et ses notions connexes :

1- Qu’est- ce que la dialectologie ?

Tous les ouvrages et documents consultés attestent que la notion de


dialectologie est née en Allemagne, pendant la deuxième moitié du 19ème siècle,
des recherches des néogrammairiens qui avaient tendance à établir les lois
phonétiques. George WENKER, pionnier allemand de la cartographie
linguistique, est le premier précurseur qui utilise, d’une façon systématique, le
concept de dialectologie. Mais l’établissement définitif du concept se fait grâce
aux travaux du linguiste Suisse Jules GILLIERON.
La dialectologie est une notion qui se réduit parfois à la géolinguistique. Elle
désigne une branche de la linguistique qui s’occupe de l’étude comparative des
systèmes linguistiques, voire des dialectes. Compte tenu que ceux-ci se
diversifient notamment dans l’espace. Dans cette même optique, la dialectologie
est, pour J. DUBOIT, envisagée comme:
« La discipline qui s’est donné pour tâche de décrire comparativement les
différents systèmes ou dialectes dans lesquels une langue se diversifie dans
l’espace et d’établir leurs limites. Le mot s’emploie aussi pour la
description de parlers pris isolément, sans référence aux parlers voisins ou
de même famille. »24
Nous pouvons retenir à partir de cette définition, sur laquelle nous comptons
beaucoup pour comprendre et faire comprendre la notion en question, que la
dialectologie est généralement reposée sur deux composantes essentielles : la
description et la comparaison des dialectes.
L’aboutissement des recherches linguistiques à la description et comparaison des
dialectes a particulièrement pour fonction soit de développer une théorie
linguistique ou pour acquérir de donnés nouvelles et, de temps en temps, les deux
à la fois.

24
Jean DUBOIS, op.cit. p.150
Etant aussi un phénomène linguistique fondé surtout sur l’observation et
étroitement lié à la variation linguistique, la dialectologie consiste donc à
enregistrer les différents dialectes en vue de les comparer. Mais, en fait, leur
enregistrement demeure difficile néanmoins :
« Lorsque le dialectologue ne se contente pas de faire un simple travail de
lexicographe, mais veut donner des détails sur la biologie du langage, c'est-
à-dire sur la marche de l'esprit sous les mots qui sont en quelque sorte son
vêtement. »25
L’aspect dialectologique dans le monde maghrébin et surtout au sein de la
société marocaine atteste la présence de deux grands systèmes linguistiques qui
sont en usage dans la communication quotidienne des marocains : l’arabe dialectal
et le berbère. Ces deux idiomes varient en effet selon la société, l’espace et le
temps.

2- L’apport des atlas linguistiques à la discipline

L’initiative d’étudier les faits dialectaux des régions de la France a été prise par
le fondateur de la géographie linguistique Jules Gilliéron et son collaborateur et
co-auteur Edmond Edmond. Ce dialectologue picard a un impact considérable sur
cette étude menée en France et dont le résultat est la publication d’un ouvrage
intitulé l’Atlas Linguistique en France. Au Maroc, on atteste que la première carte
linguistique a été réalisée par Mouliéras en 1888. Ce dernier a noté les données
recueillies sur les différents dialectes parlés au Maroc dans des fiches représentées
sous forme de cartes que chacune d’entre elles représente des informations sur un
dialecte précis avec une description minutieuse dans le but de mettre en évidence
les différences et similitudes existant entre ces dialectes . Certes, l’atlas
linguistique du Maroc de Mouliéras constitue aujourd’hui une source d’inspiration
précieuse pour les linguistes marocains qu’étrangers.
L’Atlas linguistique est donc un modèle de recherche en linguistique qui
consiste fondamentalement à enregistrer, sur des cartes géographiques, les
phénomènes linguistiques recueillis au niveau des dialectes et parlers dans

25
SEVER POP, Avant-Propos, LA DIALECTOLOGIE Aperçu historique et méthodes d'enquêtes
linguistiques, ÉDITIONS j. DUCULOT, 1950, p.11.
différentes régions d’une communauté linguistique, à travers des questionnaires
préalablement établis et/ou des enquêtes systématiquement réalisées sur le terrain,
dans le but d’enrichir les études dialectologiques d’un pays ou d’une région.
Puisqu’ils portent sur la réalisation des cartes linguistiques, les atlas
linguistiques jouent un rôle central en dialectologie. Leur importance incarne dans
la collection des données quantitatives et qualitatives qui permettent au
dialectologue de faire une étude globale des faits linguistiques d’une région
donnée. André Goosse résume le rôle des atlas linguistiques dans le
développement et enrichissement des études dialectologiques dans ce paragraphe :
« L’atlas donne une vue systématique couvrant l’ensemble du territoire et
plus synthétique et plus parlante que ne le ferait un dictionnaire. Plus
parlante pour le linguiste qui cherche à préciser où passe la frontière entre
les dialectes ou qui s’efforce d’établir l’histoire des mots sans les isoler les
uns des autres, car les mots ne vivent pas chacun à part comme si les autres
n’existaient pas et les cartes portent des traces des concurrences et des
substitutions. Parlante aussi pour celui qui est attaché à sa région et à son
propre passé. »26
3- La différence entre langue, dialecte et patois :
a- Langue :
On entend par langue, un système de communication établi, avec consensus,
entre les membres d’une même communauté linguistique. Une langue est donc
soumise à des règles grammaticales, phonétiques et sémantiques.
Etant une partie essentielle de la linguistique, Ferdinand De SAUSSURE
considère la langue comme le produit d’une convention sociale :
« C’est à la fois un produit social de la faculté du langage et un ensemble
de conventions nécessaires, adoptées par le corps social pour permettre
l’exercice de cette faculté chez les individus. »27
Il existe deux grands aspects de la langue. Ces aspects sont différents mais
parfois complémentaires. Le premier est abstrait et quand même systématique. Il

26
André Goosse, Histoire cavalière de la dialectologie Wallonne (dans La Revue générale, mai
1998, p. 72).
27
Ferdinand De SAUSSURE, Cours De Linguistique Général, Arbre d’Or, Genève, 2005, p.15
relève de la considération d’une langue comme un idiome. Tandis que le second
est social de fait que la langue représente la culture d’une société donnée.
Pour mener des recherches bien maitrisées, les linguistes distinguent au
préalable entre les langues vivantes et les langues mortes. Les langues vivantes
sont bien entendu celles usitées actuellement dans les interactions des individus
alors que les langues mortes sont des langues d’autrefois et dont les usagers ont
cessé de les utiliser définitivement ni à l’oral ni à l’écrit.
b- Dialecte :
Si la langue est envisagée comme un code linguistique plus ample et pourtant
commun à un ou plusieurs groupes d’individus, un dialecte ne pourrait être qu’une
forme ou une variété d’une langue officielle d’un pays. Cette variété peut être
sociale ou régionale.
En effet, un dialecte est comme une langue, il a une syntaxe, un lexique et une
phonétique.
En parlant de la notion de dialecte, J.P. CUQ précise :
« On appelle dialecte une variété régionale ou sociale d’une langue
donnée. Chaque dialecte présente des caractéristiques phonétiques,
lexicales et morphosyntaxiques propres par rapport à la langue officielle du
pays où il est implanté. »28
En réalité, les deux codes linguistiques de l’oralité marocaine puisent leurs
origines dans les langues officielles du pays. Par exemple, l’arabe marocain (la
darija), puise, selon les statistiques, à peu près de 70% des mots dans l’arabe
classique tandis que le reste est emprunté au français et à l’amazighe. Cette
dernière peut, de son côté, empruntée quelques mots à l’arabe classique et au
français. Mais la quasi-totalité des mots, circulant, de celle-ci y sont autochtones
et propres.
Les dialectes marocains sont ainsi distribués sur les régions du royaume. Pour
l’amazighe, on compte l’existence de trois dialectes qui sont le Tamazight, le
Tachelhit et le Tarifit. Pour ceux de l’arabe marocain, les linguistes marocains,
qui s’intéressent à l’étude de la langue arabe, ont distingué trois variétés de l’arabe
marocain : le parler citadin, bédouin et montagnard.

28
Jean-Pierre CUQ, op.cit., p. 69
c- Patois :
Le terme patois est étymologiquement lié à une origine latine du fait qu’il est
dérivé du mot "patriensis". Le terme patois désigne très souvent une variété
dialectale employée par un groupe d’individus vivant dans une aire réduite et
précise généralement rurale.
Dans une perspective purement dialectologique, les patois correspondent à des
unités linguistiques dérivées essentiellement d’un dialecte régional comme ils
peuvent être aussi le résultat des changements subis par une langue officielle.
Dubois soutient cette perspective en éclaircissant :
« Les patois dérivent d’un dialecte régional ou de changements subis par
la langue officielle ; ils sont contaminés par cette dernière au point de ne
conserver que des systèmes partiels qu’on emploie dans un contexte socio-
culturel déterminé (paysans parlant à des paysans de la vie rurale, par
exemple). »29
Bien qu’il soit un système de communication des paysans dans le monde rural,
les patois, explique Nodier, possèdent une grammaire, une terminologie et une
syntaxe.
Voilà ce que Nodier écrit sur le statut du patois :
« Le patois a une grammaire aussi régulière, une terminologie aussi
homogène, une syntaxe aussi arrêtée que le pur grec d’Isocrate et le pur
latin de Cicéron.»30
Nous comprenons bien que le patois représente un parler local étroitement lié
au monde rural et dont les règles de grammaires et de syntaxe y sont
indispensables.
II- La catégorisation des langues nationales :
Notre enjeu majeur dans cet axe réside dans l’étude classificatoire de la
pluralité dialectale faisant partie des langues vernaculaires marocaines. Nous nous
traiterons, dans un premier temps, la question de la dialectologie amazighe, et
nous nous pencherons, dans un deuxième temps, sur l’étude des différents parlers
de l’arabe marocain. Tandis que le troisième volet sera consacré au parler de la

29
J. DUBOIS, op.cit., p.365
30
Charles NODIER in LA DIALECTOLOGIE : Aperçu historique et méthodes d'enquêtes
linguistiques, ÉDITIONS j. DUCULOT, 1950, p.28.
population méridionale, le Hassanya, et sa relation avec les autres dialectes du
royaume.
1- L’amazighe :
1.1- Les données démolinguistiques de l’amazighe :
Les spécialistes en langue et littérature amazighes constatent la présence de trois
grands dialectes couvrant des zones différentes de l’étendue marocaine. A priori,
les études de l’atlas linguistique dans la dialectologie amazighe définissent trois
grandes régions berbérophones. La répartition des dialectes amazighs sur ces
régions montre, selon les cartes linguistiques élaborées, l’usage le plus large du
Tachelhit dans la région de Souss, le Tamazight au centre du Maroc et le Tarifit
au nord. La totalité de la population amazighophone sur le territoire marocain est
donc estimée par le Haut Commissariat au Plan dans 27%.
1.1.a- Le Tachelhit :
Le Tachelhit constitue le parler d’une bonne population amazighophone avec un
pourcentage de 15%. A ce niveau-là, les données montrées dans le rapport du
Recensement Général de la Population et de l’Habitat 2014 publié par le Haut
Commissariat au Plan à Rabat, le 13 octobre 2015 précise que :
« La pratique de langue Tachelhit est prépondérante dans les régions de
Souss-Massa avec 70% de la population, Guelmim-Oued Noun avec 52,5%,
Draa-Tafilalet avec 29,7% et Marrakech-Safi avec 27,6%. »31.
1.1.b- Le Tamazight :
Il est tellement considéré comme le parler propre aux communautés du Moyen
et Haut Atlas. Ces utilisateurs ne dépassent pas, selon les statistiques du (HCP),
7,6% de la population amazighe. Il s’agit alors d’une petite proportion de
l’ensemble de cette population. Ses locuteurs se répartissent ainsi sur ces quelques
régions :
« Pour ce qui est du Tamazight, il est plus utilisé dans les régions de Draa
Tafilalet avec 48,8%, Béni Mellal-Khénifra avec 29,9% et Fès-Meknès avec
13,5%. »32

31
Ahmed LAHLIMI ALAMI, Haut Commissariat au Plan à Rabat, le 13 octobre 2015, p. 6.
32
Ahmed LAHLIMI ALAMI, ibid.
À la différence de Tachelhit, le Tamazight possède ses propres caractéristiques
et ses particularités et pourtant son utilisation varie selon les communautés de la
région, mais plutôt selon les individus.
1.1.c- Le Tarifit (le rifain) :
D’une manière générale, le Tarifit, comme les autres dialectes précédents,
constitue une variante de l’amazighe en tant qu’une langue chamito-sémitique. Il
y a uniquement à peu près de 9% de ses utilisateurs au Maroc. Ceux-ci (ses
utilisateurs) se concentrent essentiellement dans les régions orientale et nordique.
Le rapport du HCP estime le nombre d’utilisateurs du dialecte rifain en se
basant sur les données du Recensement Général de la population marocaine :
« Le Tarifit, quant à lui, concerne davantage les régions de l’Oriental avec
38,4% et de Tanger-Tétouan avec 8,2%. ».33
En dépit de leur source fiable, les données fournies dans le rapport du HCP
sur l’utilisation de l’amazighe et ses dialectes ont subis une critique diatribe de la
part du linguiste amazigh et président de l’IRCAM Ahmed Boukous. De ce fait, il
a remis en question, dans une tribune publiée en 2015, les statistiques fournies de
ledit HCP sur l’utilisation de l’amazighe au Maroc en affirmant que les chiffres
étaient certainement surestimés.
Le grand intérêt que Boukous donne à la langue amazighe lui permet de
collecter des données disons réelles sur l’utilisation de l’amazighe. En parlant des
données démolinguistiques de cette population, Boukous conclut que le nombre
d’utilisateurs de l’amazighe atteint dans sa totalité 28% jusqu’en 2012, date de
publication de son livre (Revitalisation de la langue amazighe), et dont la bonne
partie, précise-t-il, se trouve plutôt au milieu rural. Sur ce, Boukous se sent
provoqué par les chiffres du recensement sur le nombre d’utilisateurs de cette
langue en disant qu’il devrait logiquement être supérieur à celui que nous avons il
y a 10 ans. Insisté, Boukous affirme qu’il est impossible que les chiffres donnent
une proportion de 26,7% en 2014 contre 28% il y a 10 ans (Boukous, IRCAM,
2015).

33
Ahmed LAHLIMI ALAMI, ibid.
2- L’arabe marocain (A.M) ou la darija :
Bien que l’arabe classique soit la langue officielle du Maroc, l’arabe marocain
constitue la langue maternelle de la quasi-totalité de la population marocaine. Cela
est justifié bien évidemment par les chiffres du HCP indiquant que :
« La quasi-totalité de la population parle en premier lieu le dialecte arabe
«Darija» avec 89,8% (96% en milieu urbain et 80,2% en milieu). »34
En effet, l’A.M est communément considéré comme un code de communication
plus homogène que l’arabe classique et une variante spécifique de l’arabe
dialectal. Propre à la société marocaine, la darija possède, entre autres, des
caractéristiques grammaticales, phonétiques et lexicales.
Des auteurs qui se penchent, tout récemment encore, à l’étude de la
dialectologie arabe ont distingué entre l’arabe dialectal et l’arabe marocain. Le
premier englobe l’ensemble de dialectes usités dans les pays du Moyen-Orient et
l’Afrique du Nord et possédant des traits communs, mais présente des variations
régionales et locales indispensables. Le second c’est-à-dire l’A.M, quant à lui, est
particulièrement parlé au Maroc.
En ce qui concerne l’arabe marocain, les linguistes marocains et étrangers se
sont ingéniés à dénombrer ce qu’ils appellent les dialectes régionaux. On en
compte communément trois parlers : le citadin, le bédouin et le montagnard.
2.1.a-Les parlers arabes citadins :
Le parler citadin est dénommé consensuellement le [ḥaḍari]. Ce dialecte est
généralement utilisé dans les grandes villes du royaume mais surtout dans les
zones urbaines et métropolitaines comme Casablanca, Rabat et Marrakech... En
effet, ce dialecte est, en principe, a évolué à partir de l’arabe classique et influencé
par les langues étrangères au fil du temps. Il fait cependant partie des parlers pré-
hilaliens et se caractérise particulièrement d’une prononciation et d’un rythme
typiquement lent.
2.1.b-Les parlers arabes bédouins :
Indiqué aussi par le qualificatif « ʕrobi », le parler bédouin est historiquement
lié au groupe des dialectes arabes hilaliens. Contrairement au parler citadin, le
bédouin est spécifiquement parlé souvent dans des plaines néanmoins par des

34
Ahmed LAHLIMI ALAMI, op.cit., p.6

23
communautés et tribus nomades qui vivent justement dans les zones et régions
désertiques tout comme, par exemple, dans certaines provinces du sud du Maroc.
Il faut également préciser que le bédouin marocain partage quelques traits
avec les autres dialectes arabes. Mais certes, il possède des traits distinctifs qui le
caractérisent des autres notamment des consonnes emphatiques dont le but est
d’accentuer les syllabes. On ne peut pas donc nier que le bédouin marocain est
aussi influencé par d’autres langues telles le berbère, le hassani et de l’arabe
classique, des langues amplement parlées en Afrique de l’Ouest.
Ibn Khaldoun a établi une distinction phonétique entre le parler citadin et
bédouin surtout au niveau de « la réalisation du phonème « qaf »; une dominante
« gaf » (q>g) est indice de parler ʕrobi, tandis que les réalisations/q/ ou /'/
évoquent un parler pré-hilalien. »35
2.1.c-Les parlers arabes montagnards :
L’intérêt porté par les chercheurs marocains au parler arabe montagnard reflète
son importance au niveau des études dialectales. Mêmes les travaux d’André
Basset réalisés sur l’étude des dialectes arabes marocains dans les années 1920
marquent un point de départ pour le développement d’une conception
méthodologique valable pour étudier la diversité dialectale au Maroc.
Appelé [ǧǝbli], le parler montagnard relève de dialecte arabe utilisé par des
sujets parlants dans des communautés montagneuses du Maroc. Il se distingue,
par ailleurs, des autres dialectes parlés dans les villes et les plaines du royaume
par un rythme très lent en raison de l’influence de la langue amazighe au point que
ses locuteurs sont considérés par les autres comme des amazighophones.
Ayant des particularités phonétiques, le dialecte arabe montagnard peut être
varié considérablement d’une communauté linguistique à une autre en fonction de
l’environnement naturel et de l’histoire culturelle de chaque région montagneuse.
3- La représentation géolinguistique de l’amazighe et de l’arabe marocain :

35
Simon LEVY, Parlers Arabes Pré-Hilaliens Traits Et Tendances, in LANGUES ET
LITERATURES, VOL XVI 1998, p.185

24
Figure 2: Aires géolectes
4- Le Hassanya ou dialecte de nomades :
Fait partie de la famille des langues arabes, le hassani est un dialecte marocain
parlé spécialement dans les provinces sahariennes et agglomérations limitrophes
avec la Mauritanie.
Le parler sahraoui compte, selon les données publiées dans le site « TAFRA »,
environ de 320000 locuteurs, c’est presque 1% de l’ensemble de la population
marocaine. Toutefois, le contact avec l’amazighe du sud y influence.

25
À l’instar des autres parlers arabes, le hassani vernaculaire se caractérise
également par des spécificités lexicales et grammaticales qui reflètent l’héritage
culturel de la population. Ainsi, le lexique utilisé par les hassaniophones est très
particulier et lié fondamentalement à la vie dans le désert, mais plutôt aux tribus
nomades spécifiques dans l’élevage des chameaux.
Ce parler est également mentionné dans la constitution marocaine ce qui lui
donne un statut de jure :
« L'Etat œuvre à la préservation du Hassani, en tant que partie intégrante
de l’identité culturelle marocaine unie, ainsi qu'à la protection des parlers
et des expressions culturelles pratiques au Maroc.»36
Conclusion :
Il semble que cette étude met en lumière les faits dialectaux relevant
essentiellement de l’atlas linguistique du Maroc mais particulièrement de la
répartition des aires géolectales sur le territoire du royaume. En outre, elle nous
permet de mieux en mieux montrer la richesse linguistique et la diversité
dialectale de la société marocaine.
Il est à noter que l’étude des langues vernaculaires est aboutie au développement
d’une distinction claire entre les dialectes ainsi qu’entre les variétés d’un même
dialecte. Cette distinction se manifeste autant sur le plan phonétique que sur le
plan grammatical et lexical. En effet, les variétés du dialecte arabe sont, en dépit
de leurs traits distinctifs différents, intercompréhensibles alors que celles du
dialecte amazigh reflètent l’inverse ; ses locuteurs se réfèrent souvent à un code
étranger (l’arabe dialectal ou le français) pour se communiquer.

36
La constitution marocaine, op.cit.

26
La partie II : Etude de la variation linguistique au Maroc

Chapitre I : La variation linguistique au Maroc


« Ce que j’entends montrer, c’est que cette structure
mêlée, faite de conditionnements phonétiques inégaux, de
fréquences d’usage qui varient avec l’âge, la région et le
groupe social, telle que nous l’avons vus sur Martha’s
Vineyard, est le changement linguistique sous la forme la
plus simple encore digne de ce nom. »
(Labov, 1976, p.71)
Introduction :

Les dichotomies fondatrices du Cours de Linguistique Générale ont une


influence décisive dans l’émergence de la langue ainsi que sur la prise en compte
du phénomène de la variation linguistique. En effet, la distinction établie par
Saussure entre langue/parole présente le premier concept comme une structure
abstraite de signes liée principalement à une communauté bien déterminée. Tandis
que le second est concret mais dont la réalisation est individuelle. De ce fait, la
langue est vue comme une entité homogène alors que la parole est perçue comme
une manifestation individuelle de cette entité. En résumant les caractères de la
langue, Saussure conclut « Tandis que le langage est hétérogène, la langue ainsi
délimitée, est de nature homogène ». 37
Cependant, ces notions d’hétérogénéité et d’homogénéité mentionnées dans
cette définition, qui a en effet pour finalité de caractériser la langue du langage,
constituent profondément une distinction entre ce qui est individuel et ce qui est
collectif. Elles reflètent, davantage, une source majeure de variation linguistique
néanmoins le concept l’homogénéité implique une cohérence ou unicité
linguistique alors que l’hétérogénéité implique une diversité et liée intimement à
la parole.
En revanche, la question de l’hétérogénéité linguistique demeure une notion
véritablement centrale dans l’étude de l’aspect de langue par rapport à son usage
intrinsèque ou/et extrinsèque. Elle est, de ce fait, prise en compte et forgée par les

37
Ferdinand De Saussure, Cours de Linguistique Générale, Arbre d’Or, Genève, 2005, p.21.

27
sociolinguistes modernes dans le but de construire une conception claire sur les
différences probables dans l’utilisation de la langue par des sujets parlants faisant
partie d’une même communauté linguistique. Ainsi, le sociolinguiste américain
William Labov explique que l’hétérogénéité est un moyen linguistique nécessaire
dont dispose le locuteur pour satisfaire les demandes linguistiques de la vie
quotidienne:
« Heterogeneity is an integral part of the linguistic economy of the
community, necessary to satisfy the linguistic demands of everyday life. »38

En effet, vu que nous travaillons sur les dichotomies saussuriennes, il est


important d’évoquer l’opposition diachronie/synchronie suggérée par le père de la
linguistique moderne pour étudier le langage humain. La notion de diachronie a
été proposée pour étudier les changements de la langue au fil du temps. À la
différence de la diachronie, la synchronie a pour but de l’étudier dans un moment
donné de l’histoire.
Trois questions définissent notre travail dans cette section. Quelle définition
attribuons-nous au phénomène de la variation linguistique? Quelles sont ses
grands types ? Et quels sont les facteurs fondamentaux qui sont contribués dans la
diversité linguistique ?
I- La variation linguistique :
1- La variation linguistique : essai de définition
Pour définir la variation linguistique, Françoise Gadet a choisi de distinguer
préalablement trois concepts clés qui sont superficiellement similaires mais
profondément différents. Ces concepts sont la variété, variation et changement.
D’après Gadet :
« Les sociolinguistes la saisissent en parlant de variétés pour désigner
différentes façons de parler, de variation pour les phénomènes diversifiés en
synchronie, et de changement pour la dynamique en diachronie ; et ce, à la

38
William Labov,Building on empirical fondation. Perspectives on Historical Linguistics, 1982.
Pages 6 et 12 in (Thèse de Gabriela VIANA DOS SANTOS Représentations et schémas
sociolinguistiques en langue étrangère : l'exemple d'apprenants sinophones et anglophones du
FLE).

28
fois pour les productions d’un individu, d’un groupe ou d’une
communauté.»39
La question de variation linguistique est alors au cœur des préoccupations des
linguistes que des sociolinguistes et constitue un objet de recherche à part entière.
Ces linguistes cherchent à décrire et à expliquer le phénomène de variation et à en
comprendre les enjeux et les mécanismes. La variation est, par conséquent, un
phénomène linguistique qui se donne pour objet l’étude des différences
langagières existant entre les manifestations d’une même langue. Ces différences
peuvent être phonétiques, lexicales ou morphosyntaxiques.

D’ailleurs, il existe plusieurs conceptions qui sont illustrées dans ce cadre telle
que la conception de William Labov. Celui-ci est, d’abord, considéré comme le
fondateur du courant variationniste. Pour lui, la variation linguistique n’est que la
manifestation de l’hétérogénéité sociale et linguistique dans la langue. Pour
marquer cette hétérogénéité ou ce changement linguistique, sur le plan phonétique
que sur le plan syntaxique, Labov illustre cet exemple :
« Il est courant qu’une langue dise « la même chose » de plusieurs
façons. Certains mot, comme voiture et automobile, ont, semble-t-il, le
même référent ; d’autres se prononcent de deux façons, tels working et
warkin’ (travaillant). Il existe des options syntaxiques : « C’est facile pour
vous de parler » ou « Pour vous, c’est facile de parler ». Dans chaque cas,
il faut décider de la place à assigner à cette variation au sein de la structure
linguistique. »40
D’ailleurs, pour traiter ce phénomène de variation linguistique, Labov fait
recours à une méthode d’investigation rigoureuse basée sur l’enquête du terrain et
l’analyse statistique. La méthode adoptée consiste à étudier les différentes
dimensions de la variation en fonction des facteurs sociolinguistiques comme la
région géographique, la stratification sociale, l’âge, le sexe... Quant à la méthode
statistique appliquée, Labov analyse les données recueillies à partir des
questionnaires, des entretiens et des enregistrements en vue de déterminer la

39
Françoise Gadet, La variation sociale en français, Editions Ophrys, Paris, 2007, p.13
40
William Labov, Sociolinguistique, Les éditions de Minuit, Paris, 1976, p. 263.

29
significativité des corrélations possibles entre les variations linguistiques et les
variables sociolinguistiques.
Au bout du compte, nous soulignons cette importance de l’étude de la variation
linguistique pour mieux comprendre les usages du langage et les différences entre
les groupes sociaux. Dans cette section suivante, nous allons aborder cinq types
importants de la variation linguistique : la variation diatopique, la variation
diachronique, la variation diastratique, la variation diaphasique et la variation
diagénique
2- Les typologies de la variation linguistique :
2.1- La variation diatopique :
La variation diatopique est considérée comme l’une des formes de la variation
linguistique qui renvoie précisément aux différentes réalisations d’une langue ou
d’un dialecte selon les régions qui constituent la géographie d’un pays. La
variation diatopique relève donc de la variation spatiale d’une langue. Cette
langue peut être variée d’une région à une autre ou d’une communauté à une
autre. Dans ce contexte, M.L. Moreau marque que :
« La variation diatopique joue sur l'axe géographique ; la différenciation
d'une langue suivant les régions relève de cette variation. Pour désigner les
usages qui en résultent, on parle de régiolectes, de topolectes ou de
géolectes.»41
Cette variation se manifeste idéalement non seulement par des différenciations
lexicales et phonétiques mais aussi syntaxiques et sémantiques.
Au Maroc, les locuteurs amazighophones peuvent, selon la région, utiliser
différentes lexies pour désigner la même chose. Par exemple, au Sud on utilise
« agayu », au centre « ixf » et au Rif « aṭṭaṣṣ » pour désigner « la tête ». Avec ces
différenciations d’usage, le mot tête est alors marqué comme une variable par
rapport à ses différentes réalisations selon les dialectes régionaux de l’amazighe.
Les variations diatopiques sont appelées régiolectes.
2.2- La variation diachronique :
En traitant ce type de variation, la première remarque que l’on puisse faire est
que la notion de diachronie fait d’abord partie de l’opposition (diachronie/

41
Marie-Louise Moreau, sociolinguistique concepts de base, Mardaga, 1997, p.284.

30
synchronie) établie par Saussure pour étudier l’évolution de la langue par rapport
au temps. La variation diachronique doit être alors conçue comme le changement
de la même langue dans le temps au fil de l’histoire. Pour Moreau:
« La variation diachronique est liée au temps ; elle permet de contraster les
traits selon qu'ils sont perçus comme plus ou moins anciens ou récents.»42
Toutes les langues du monde sont cependant soumises à cette variation.
Au Maroc, l’arabe marocain est, par exemple, soumis aux changements
temporels. Néanmoins son contact avec d’autres langues qui ont influencé, à
travers l’histoire, ses caractéristiques phonétiques, lexicales et
morphosyntaxiques.
Les variations diachroniques sont appelées chronolectes.
2.3- La variation diastratique :
Labov, en traitant l’usage de la langue dans son contexte social, a constaté la
présence de différences dans l’usage de l’anglais entre les classes sociales. Ces
différences sont liées dans un premier temps aux différences phonétiques entre les
bourgeois et les ouvriers. Labov écrit à ce propos :
« Les différents groupes ont dû réagir de façons différentes.»43
Ce constat relatif à la stratification sociale lui permet idéalement de mettre en
corrélation les variations linguistiques et les variables sociolinguistiques. De son
côté, Moreau illustre que :
« La variation diastratique explique les différences entre les usages
pratiquées par les diverses classes sociales. Il est question en ce cas de
sociolectes.»44
Il est donc juste de dire qu’au Maroc, les locuteurs utilisent, au sein d’un même
groupe social, le même dialecte de l’arabe marocain différemment. Cela veut
cependant dire que les bourgeois de ce groupe emploient un sociolecte tandis que
les paysans du même groupe utilisent un autre. Cette différenciation peut toucher
les formules syntaxiques, certains phonèmes et lexèmes.
Au centre de Casablanca, par exemple, les locuteurs ont tendance à prononcer
le phonème [t] comme [č] écrit en Arabe Phonétique International [ ] alors que

42
Ibid.
43
Labov, op.cit, p. 87.
44
Marie-Louise Moreau, op.cit, p.284

31
dans ses bidonvilles, les paysans le prononcent simplement [t]. Nous pouvons dire
en fin du compte que l’affriquée prépalatale sourde [ ] est la caractéristique
phonétique des locuteurs du centre.
Les variations diastratiques sont appelées sociolectes.
2.4- La variation diaphasique :
L’étude des dialectes mis en fonctionnement au sein de la société américaine
consiste bel et bien un exemple à suivre pour étudier la variation diaphasique dans
toutes les langues vivantes du monde. Ce type de variation a été introduit
indirectement par Labov dans son livre intitulé «Sociolinguistique» sous notion de
variation stylistique. En effet, ce fondateur de la linguistique variationniste a
consacré plus de 45 pages de son livre à la description et à l’interprétation de cette
variation. D’après Labov, la variation diaphasique correspond aux changements
de styles d’un sujet parlant en fonction des situations de discours. Par exemple, un
locuteur peut utiliser le langage formel dans un contexte professionnel comme il
peut utiliser le langage informel avec ses amis dans la rue ou en famille. Il s’ensuit
que ce changement se fait également selon les tranches d’âges.
Moreau, quant à lui, a été au courant. Elle précise qu’il est question de la
variation diaphasique lorsque le locuteur emploie différemment son langage en
fonction de la situation de discours. Elle constate que :
« On parle de variation diaphasique lorsqu'on observe une différenciation
des usages selon les situations de discours ; ainsi la production langagière
est-elle influencée par le caractère plus ou moins formel du contexte
d'énonciation et se coule-t-elle en des registres ou des styles différents.»45
Prenons, à titre indicatif et non pas exhaustif, l’exemple du changement de style
d’un sujet, donné par Labov lors d’une interview. L’observation de ses différentes
façons de parler permet à Labov de constater :
« Le changement de style entre1) et 2), puis entre 2) et 3), est tout à fait
évident, même en orthographe conventionnelle. Les transformations
touchant la prosodie et les variables phonologiques vont dans le même sens
que les modifications du lexique, de la syntaxe et du contenu général. »46

45
Marie-Louise Moreau, op.cit., p.284 .
46
William Labov, op.cit., p. 148.

32
Ce ne sont pas uniquement les américains qui entrainent des changements
stylistiques dans leurs dialectes, mais aussi les marocains. On passe d’un style à
un autre ou/et d’un registre à un autre selon la situation de discours. Un locuteur
arabophone peut dire [ġadi nsafr] alors que dans une autre situation il peut
dire [s’usafiru] qui signifie en français « je voyagerai ».
Les variations diaphasiques sont appelées idiolectes.
2.5- La variation diagénique :

Les changements linguistiques et les modifications du langage ne dépendent


pas uniquement de l’espace et du temps, mais aussi du groupe social, du style et
du sexe. La variation liée au sexe est donc appelée la variation diagénique. Il est
donc question de cette variation lorsqu’on observe des changements du langage
entre les hommes et les femmes. Intimement liée à la stratification sociale, elle se
manifeste, chez Labov, dans les différenciations de prononciation, du lexique et
des tournures syntaxiques entre les hommes et les femmes d’une même
communauté linguistique.
Pour démontrer ce type de changement, Labov a comparé entre le discours des
hommes et celui des femmes. Il remarque des changements entre eux pour (eh) et
(oh) à New York et dans d’autres communautés de la société américaine. Il
conclut alors :
« Réciproquement, les femmes de New York et de Philadelphie utilisent de
plus grandes étendues de l’espace phonologique que les hommes, avec plus
d’étirement et d’arrondissement des lèvres pour les voyelles, plus de friction
par la lame de la langue et plus de palatalisation pour les consonnes.»47
Toutes ses études spectrographiques lui permettent de montrer clairement ces
différenciations sexuelles de la parole.
Cette variation est fréquemment présente dans les langues nationales du Maroc.
L’observation des usages de l’arabe marocain entre les hommes et les femmes
nous permet également d’illustrer un exemple de variation diagénique sur le plan
lexical. En arabe marocain, l’item [nsiba] est utilisé par les hommes pour désigner
« la belle-mère », alors que les femmes utilisent le terme [ḥma:ti] pour désigner la
même chose.

47
William Labov, op.cit., p.407.

33
Les variations diagéniques sont appelées sexolectes.
Nous étudierons plus en détail au chapitre suivant les différents types de
variations linguistiques au Maroc avec la mise en rapport de celles-ci avec les
grands facteurs qui les influencent.
3- Les différents facteurs de la variation linguistique au Maroc :
3.1-Facteurs géographiques :
La plupart des études linguistiques menées pour l’observation de la variabilité
des langues du monde ont confirmé les différenciations linguistiques à différentes
échelles ; la langue varie cependant d’un continent à un autre, d’un pays à un
autre, d’une région à une autre, ou même d’un quartier à un autre. Ce changement
de la langue dépend principalement de l’isolement, de la distance ou des
conditions environnementales.
Quant à l’observation des langues vernaculaires au Maroc, les dialectes en usage
sont différents en fonction de leurs positions géographiques. En d’autres termes,
les dialectes des régions côtières se diffèrent de ceux des régions frontalières et
des régions montagneuses. Les dialectes des premières (régions côtières) peuvent
être influencés par des langues étrangères en raison du contact historique par
exemple le vernaculaire de Tanger. Pour les dialectes des régions frontalières, ils
peuvent avoir des similaires à ceux des pays voisins comme l’arabe dialectal au
Maroc et en Algérie. En ce qui concerne les dialectes des régions montagneuses,
ils sont distincts par rapport aux dialectes des plaines et ceux des côtières en
raison de l’isolement géographique. Et cela est observé partout et surtout en
matière de la phonétique, du lexique et de la morphosyntaxe.
3.2-Facteurs culturels :
La variation de la langue ne lie pas seulement à la position géographique qui
distingue les dialectes les uns des autres, mais aussi de la culture. Celle-ci peut
aussi influencer le changement
Linguistique à travers les traditions, les coutumes et les valeurs sociales. Les
normes sociales et les pratiques associées à un groupe social donné peuvent
également affecter le langage en usage.
La dimension culturelle joue un rôle très important dans la variation
linguistique au Maroc. Les traits culturels distinctifs des régions, qui le

34
constituent, peuvent contribuer à la prise en compte de leur variabilité
linguistique. Ces traits culturels sont souvent des marqueurs d’identité, du moins,
des aspects identitaires distinctifs d’une agglomération. Dans ce sens, la nouvelle
Constitution souligne la diversité culturelle intrinsèque du Maroc. Autrement dit,
la multiplicité de pratiques et de traditions qu’il abrite peuvent nous renseigner
non seulement sur la coexistence de plusieurs cultures et de parlers différents,
mais aussi sur les manières dont les communautés en contact vivent cette diversité
et ce pluralisme.
3.3- Facteurs historiques :
Une langue ou un dialecte mis en usage dans région donnée est exposée aux
changements. Les chercheurs en linguistique ont constaté qu’au fil du temps les
langues du monde varient aussi en fonction des faits historiques qu’elles
subissent. Cette influence historique touche certains aspects de la langue tels que
la phonétique et la morphosyntaxe.
Certains faits historiques ont réellement un impact considérable sur la
variation des langues utilisées au Maroc. Les invasions et les migrations des
différentes cultures telles que les Phéniciens, les Carthaginois et les Arabes ont
introduit des langues et dialectes diversifiés dans le pays. Ajoutons que l’influence
de la colonisation française a conduit bon gré mal gré à l’utilisation de la langue
française dans les domaines de l’éducation, de l’administration et du commerce.
Sans oublier, dans ce sens, l’intégration de certaines nomenclatures étrangères
dans la communication orale des marocains qui est principalement due au contact
de différentes langues durant la période coloniale.
3.4- Facteurs sociaux :
En dehors de la géographie et de la diachronie, le contexte social est considéré
comme un facteur indispensable de la variation linguistique. L’existence de la
variation sociale est essentiellement liée aux différentes variables notamment la
stratification sociale, le sexe et l’âge. Il est bien confirmé à partir des études
sociolinguistiques que les individus d’un groupe social ne parlent pas de la même
manière ; chacun utilise la langue selon les fins des situations de discours.
Ainsi, au Maroc, nous constatons très souvent cette grande variation du langage
entre les femmes et les hommes, entre les jeunes et les personnes âgées et entre les

35
pauvres et les riches. Le constateur du lexique et des expressions utilisées par les
jeunes aujourd’hui sera sans doute conscient de cette variation. Autrement dit, ils
disposent d’une nouvelle terminologie pour désigner les nouveaux concepts et de
divers mots ou expressions qu’ils prennent des langues qu’ils rencontrent à
l’école. La même chose pour les tournures employées par des pauvres, elles sont
plutôt humbles que celles employées par des riches habituellement jugées
prestigieuses. En outre, la variation diagénique de la langue est présente. Une
certaine différenciation est également observée dans l’usage d’une langue entre
les hommes et les femmes. Les hommes peuvent utiliser des mots ou tournures
très fréquentes que les femmes ou vice-versa. Cette différence est relativement
liée aux modes de vie différents.
Il est empiriquement confirmé que les femmes sont beaucoup plus utiles dans
les enquêtes linguistiques et leur parler est plus conservateur que les hommes. Ce
caractère est dû, en principe, au fait que les femmes ont, d’habitude, pour tâche de
rester à la maison pour s’occuper de l’éducation et la socialisation des enfants.
4- La variation libre :

Cette variation prend en compte les différentes manières de parler utilisées par
un locuteur selon les situations de discours. Il s’agit, dans ce cas, d’un phénomène
linguistique qui distingue et oppose les locuteurs au sein de la société.
Parallèlement à cette conception, Pierre Encrevé marque dans le livre
"Sociolinguistique" de W. Labov que :

« Du langage, tout ce qui différencie, distingue, oppose des locuteurs, tout


ce qui divise la communauté linguistique, est renvoyé à l’enfer du fait
individuel : la « variation libre ». »48
Un élève, par exemple, peut changer la manière de parler. Sa manière de parler
en classe, devant son professeur, est différente de la manière de parler à la maison
ou avec ses amis dans la rue. Le changement de style et du registre dépend alors
de la situation de communication.

48
Pierre Encrevé in William Labov, Sociolinguistque, Les éditions de Minuit, Paris, 1976, p.11.

36
Le style et le registre sont brièvement deux manières de parler qui peuvent
marquer les différences dans le langage d’individu. Il peut les utiliser
simultanément ou isolément en fonction de la situation de discours.
Conclusion :
Il est donc évident que la variation linguistique est un phénomène complexe qui
peut influencer toutes les langues du monde. Cette influence peut prendre
différentes formes et elle se manifeste sur divers aspects du langage notamment la
phonétique, le vocabulaire et la morphosyntaxe. Les changements que le langage
humain entraine ont contribués à l’évolution des langues et à la diversification des
manières de parler entre les régions et le genre des locuteurs. Les changements
relatifs à la diachronie sont appelés chronolectes alors que ceux qui sont relatifs
au style sont appelés idiolectes. Cette diversité, elle-même, est liée à plusieurs
facteurs tels que les facteurs sociaux, historiques, culturels et géographiques.

37
Chapitre II : Etude de cas
Introduction :
Cette section sera consacrée à l’étude de la variation de l’amazighe et de la
darija marocaines. Pour ce faire, nous avons pensé au classement de celles-ci ;
nous commencerons par l’amazighe et nous finirons par l’arabe dialectal en
établissant, pour chacune de ces langues, son tableau de symboles de
translitération phonétique adopté sur le plan international pour permettre aux
locuteurs non-arabophones ou/et non- amazighophones d’y accéder. Ensuite, nous
compterons étudier les énoncés qui montrent des variables liées aux différents
facteurs de variation selon les composantes de la linguistique suivantes : les
réalisations et changements phonétiques, lexicales et morphosyntaxiques. En
effet, les enregistrements secrets que nous avons réalisés et l’écoute active que
nous avons prêtée à certains locuteurs de différentes régions nous sont utiles dans
le processus de l’étude du phénomène en question. Aussi, la visualisation de
quelques vidéos partagées sur Youtube et réseaux sociaux réalisées dans l’objectif
soit d’enseigner un dialecte tel que le « Tarifit » ou de montrer les différences
entre les dialectes de l’amazighe, nous permettent de collecter des données que
nous considérons ici comme un échantillon important pour analyser les variables
régionales de l’amazighe, objet d’étude de cette section. Et pour aboutir à cette
analyse, nous adopterons une méthodologie d’analyse comparative et descriptive.
I- Les variations de la langue amazighe :
1- Tableau du système graphique de l’amazighe et les caractères
correspondants :

38
39
Inventaire des phonèmes de l’amazighe standard :
L’IRCAM a proposé un système graphique commun à tous les dialectes de
l’amazighe. Celui-ci comporte 27 consonnes, 2 semi-consonnes et 4 voyelles. En
effet, ces phonèmes ont été illustrés en Tifinagh mais nous avons pensé de les
transcrire en caractères latins :
 27 consonnes dont : les labiales (f, b, m), les dentales (t, d, ṭ, ḍ, n, r, ṛ, l), les
alvéolaires (s, z, ṣ, ẓ), les palatales (c, j), les vélaires (k, g), les labiovélaires
(gʷ, kʷ), les uvulaires (q, x, ɣ), les pharyngales (ḥ, ԑ) et la laryngale (h) ;
 2 semi-consonnes : y et w ;
 4 voyelles : trois voyelles pleines (a, i, u) et la voyelle neutre (ou schwa) "e"
qui a un statut assez particulier en phonologie amazighe.
2- Quelques variations de l’amazighe :
Les dialectes de l’amazighe standard présentent des particularités
linguistiques observées notamment au niveau phonétique, morphosyntaxique et
lexical.
2.1- Les variétés phonétiques :
Les divergences que présentent les parlers de l’amazighe sur ce plan sont très
importantes. Cette divergence en termes de prononciation caractérise le système
consonantique et vocalique de l’amazighe d’autres langues. Cette variété est
tellement subtile et largement observée entre les locuteurs amazighophones de
différentes régions.

2.1.1- La palatalisation dans quelques parlers amazighs :

La palatalisation est un phénomène phonologique qui consiste à transformer une


consonne ou un son palatal qui est produit en rapprochant la langue du palais.
Dans certains dialectes amazighs, des consonnes comme [t, d, s, z, k, g] peuvent
subir cette palatalisation surtout en présence de voyelles palatales ou des semi-
voyelles [j] et [i].
Nous remarquons fréquemment des consonnes palatalisées néanmoins dans les
parlers amazighs du Rif. Prenons, à titre d’exemple, le son [t] qui se palatalise en
[dʒ] comme le montre l’exemple rifain suivant :
(1) [wi kǝḏ tuɣa ṯajjiḏ iaḍnaṭ.] (en Tarifit désormais TAR)

40
-En français : “Avec qui tu as été hier ?”
(2) [tǝtčit nǝɣd urtā] (en Tamazight désormais TAM)
- En français : “Tu as mangé ou pas ?”
La géminé [j] du mot [ṯajjiḏ] se réalise alors après la palatalisation comme une
affriquée dentale sonore [dʒ] et le [t] de la séquence [tš] a été phonétiquement
influencé et devient une affriquée prépalatale sourde [ ].
2.1.2-La spirantisation dans quelques parlers amazighs :

La spirantisation fait référence à la transformation d’une consonne occlusive


sonore, telle que [d, g et b] en un son fricatif soufflé. Généralement, ce trait
phonétique fréquent se produit notamment en fin de syllabe et plus précisément
devant une voyelle non emphatique.
Ainsi, le son [b] peut être spirantisé en [β] dans certains dialectes de l’amazighe
marocaine.
(1) [ikka abrid] en français “il a pris la route.”
(2) [yuzn tabrat] en français “il a envoyé la lettre.”
Dans ces deux énoncés, la consonne labiale [b] est spirantisée et se transforme en
un son fricatif soufflé [β].

2.1.3- La réalisation phonétique de [l] en [r] :

Dans les dialectes du sud et du centre, la distinction phonétique entre [l] et [r]
est maintenue. Dans ces dialectes et certains parlers du nord, les liquides [l] et [r]
ne sont pas interchangeables, mais ils se prononcent de manière distincte. Pour
étudier la transformation phonétique de [l] en [r], nous proposons les énoncés de
base suivants :
(1) [cḥal ayga wa?] (en TAM) [cḥar yatagg wa?] (en TAR)
- En français : “Combien ça coûte ? ”
(2) [atili-t g taddart.] (en TACH) [atiri-ḏ ḏi taddarṯ.] (en TAR)
- En français : “Tu seras dans la maison ? ”
Cependant, les énoncés que nous avons illustrés ci-haut montrent que les
locuteurs rifains ont tendance à remplacer la latérale [l] par la vibrante apicale [r].
Il s’avère important de noter que dans certains parlers du nord, le [r] est
définitivement disparu et remplacé par la voyelle longue [ā] comme chez les

41
amazighophones du Nador qui prononcent ce dernier [nǝd ā]. La même chose
dans quelques régions de l’Atlas central, mais cette fois-ci la latérale [l] se
transforme en une palatale [j]. Le mot [alīm] « la paille » devient [ajīm].

D’ailleurs, il faut mentionner que la réalisation phonétique de ces liquides


s’inversent et s’opposent l’un l’autre dans d’autres contextes. Par exemple, un
lexème de Tachelhit comme [irifi] se prononce dans certaines régions de l’atlas
central comme chez la communauté d’Ait Soukhman [ilifi] ainsi que dans les
régions d’Azrou. Le [r] original dans le dialecte Tachelhit est donc substitué par
[l].

2.1.4- La réalisation phonétique de [k], [y] et [š] :


La réalisation de ces consonnes est peut-être différente. Leurs différentes
réalisations peuvent être liées au phénomène de la spirantisation. Dans le mot
français “soleil”, ces variations apparaissent clairement. Au sud, les locuteurs
l’appellent [tafukt], au centre, la majorité des amazighophones disent [tafuyt].
Mais au nord, le [k] du sud et le [y] du centre sont substitués par [š] et on
prononce [tafušt]. En revanche, le [š] réalisé dans ce mot est considéré dans les
parlers du nord comme une variante de [k] du sud et n’a rien à voir avec le [š]
original de Tarifit.
(1) [akal nǝk] (en TACH) [ašl nǝš] (en TAR)
- En français : “Ta terre. ”
Le [š] original du nord et du sud est prononcé [tʃ] au centre. Tenons l’exemple
suivant :
(2) [šiǧ u šiǧ] (en TAR) [tšiǧ ur tšiǧ] (en TAM)
- En français : “J'ai mangé sans avoir mangé.”
Le premier énoncé met en évidence le changement de la vélaire occlusive [k]
qui dépend de l’accent des sujets parlants le Tachelhit et le Tamazight par la
constrictive palatale[š] dans les régions parlant le Tarifit dans le nord. Tandis que
le second montre la variation de la consonne originale du nord [š] par [tš] dans
certains parlers du centre notamment dans les régions d’Azilal et quelques
agglomérations du sud-est (Tinghir, Boumalne Dades).

42
Une telle distinction peut être établie dans la réalisation de l’occlusive sourde
/k/entre le Tachelhit et le Tamazight du centre. Ce phonème est en fait se réalise à
différents degrés. Au sud, il est fortement prononcé tandis qu’au centre ce
phonème se prononce d’une manière légère. La prononciation de cette consonne
d’une telle manière surtout dans les régions de l’atlas central consiste une
particularité phonétique régionale qui est, peut-être, due à l’isolement et aux
conditions environnementales.

2.1.5- La transformation de la séquence [sk] en [š] :

Il est attesté que la rencontre de certaines consonnes dans un dialecte donné peut
se manifester autrement dans un autre. Et c’est le cas des dialectes de l’amazighe.
Au Maroc, le contact direct, dans le même mot, de la [s] et [k] dans l’un des
dialectes de l’amazighe peut entrainer des changements phonétiques dans l’autre.
Observons ces exemples :

(1) [bbi askarn nǝk at xatǝrn] [ḥaf ašar nǝš qaḏ imqranǝn]
(en TAM) (en TAR)
- En français : “Coupe tes ongles, ils sont si grands !”

Dans le Tarifit, la rencontre de la constrictive[s] avec l’occlusive [k] de


Tamazight est réalisée[š]. Cela est fait par l’affaiblissement de la première en [h],
de sorte que la séquence [sk] devient [š] en Tarifit. Mais ce changement
phonétique n’est pas systématique ; il dépend du parler de chaque locuteur.

2.1.6- La transformation de la séquence [lt] en [č] :

Cette transformation phonétique n’est ni systématique ni commun à tous les


dialectes de l’amazighe. Elle se réalise lorsqu’il y a une rencontre directe entre [l]
et [t] dans un mot appartenant au dialecte de sud-ouest (Tachelhit). Le
changement de ces deux consonnes par [č] se réalise dans quelques parlers rifains.
La production du son [č] en Tarifit est considérée donc comme une variation
phonétique géolectale de [lt].
(1) [dix ɣilad dar ultma] (en TACH) [nǝš traḥaɣ laxu ɣawčma] (en TAR)
- En français : “ je vais maintenant chez ma sœur.”

43
(2) [ idda unilti] (en TAM) [yuyur uniči] (en TAR)
- En français : “ Le berger est parti.”
(3) [ijmaԑ lfqih d taqbilt] (en TAM) [imun lfqi ag ṯaqbič] (en TAR)
- En français : “ Le fqih a rencontré les gens de la tribu.”
Ces énoncés montrent clairement la variation phonétique de la séquence [lt]
qui fait partie de certains parlers de l’amazighe. Cette séquence est remarquée
surtout dans quelques régions du sud-ouest et du sud-est. Elle se transforme ainsi
en [č] dans d’autres parlers comme ceux du nord où certains locuteurs rifains la
substituent dans plusieurs contextes et différentes situations de discours.
La variété des usages phonétiques dans la langue amazighe provient donc de
différents phénomènes tels que la palatalisation et la spirantisation dont les
comportements sont le changement de certaines consonnes par d’autres selon les
régions de réalisation mais également de la transformation de quelques séquences
phonétiques en un seul phonème selon les zones d’application des dialectes.
En effet, le système consonantique est le plus influencé par le phénomène de la
variation linguistique vu que le nombre des changements qui lui est survenue par
rapport au système vocalique. Ces changements sont liés non seulement à
l’isolement et aux conditions environnementales mais aussi aux facteurs
socioculturels et individuels.
2.2- Les variétés morphosyntaxiques :
La question de la variation linguistique de l’amazighe n’affecte pas seulement
la composante phonétique mais elle va au-delà de ceci pour influencer aussi les
composantes morphologique et syntaxique. Même si les linguistes généralistes et
certains berbérisants pensent que la syntaxe est une composante invariable,
l’ouverture sur les différents dialectes de l’amazighe met en lumière quelques
aspects de la variation morphosyntaxique. Ses variétés morphosyntaxiques
peuvent être intradialectales et interdialectales et se manifeste sur divers plans.
2.2.1- L’ordre des constituants de phrases :
En général, l’ordre de la construction syntaxique des phrases dans la langue
amazighe est assez flexible et peut varier en fonction de l’importance accordée à
certains éléments dans la phrase.

44
L’ordre canonique des éléments en langue amazighe est universellement
précisé comme suit (verbe + sujet + objet). Cet ordre est respecté en Tamazight et
en Tachelhit.
(1) [idda bba s suq] (en TAM)
[ifta baba s suq] (en TACH)
Est allé mon père au souk (en FR)
(2) [aritstta moḥmad aɣrum]
[aristta moḥmad aɣrum]
Mange Mohamed le pain.
Nous observons que la construction des phrases en Tamazight et en Tachelhit se
fait selon l’ordre qu’on a révélé (VSO).
, mais en Tarifit

45

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