Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Teacher-researcher
Faculty of Letters and Human Sciences
Cheikh Anta Diop University
Quels sont alors les rôles qu’a pu jouer ou a joués la Francophonie dans ce
processus en tant que concept d’abord, fondement du système éducatif colonial
ensuite et, récemment, partenaire déclaré de la promotion des langues
africaines?
A cette interrogation et celles qui en découlent, cet article tentera d’apporter des
éléments de réponse à la lumière du débat sur la question tel qu’il s’est posé
durant la période coloniale et au lendemain des indépendances.
Mots clés : Afrique occidentale, Francophonie, enseignement, langues locales.
Introduction
Dans cet article, nous allons tenter d’élucider toute ces questions à l’aune
de l’évolution de la Francophonie, des débats linguistes qu’elle a suscités et de
leur impact sur le système éducatif de l’Afrique de l’Ouest dans son ensemble.
Notre démarche s’articule autour du concept de Francophonie dans sa version
originelle et concomitante avec l’établissement du dispositif du système éducatif
colonial en A.O.F en comparaison avec celui de la période postcoloniale. Nous
interrogerons ensuite la Francophonie moderne dans ses vocations face aux
réalités de terrain. L’analyse du nouveau partenariat amorcé par l’O.I.F constitue
les grandes lignes de notre conclusion qui se font sous formes de remarques et
de recommandations issues du terrain. 1Cet article se veut une contribution dans
la réforme de l’école et du système éducatif en Afrique de l’Ouest.
2
L’AOF est fondée politiquement en 1893, mais c’est en 1904 que s’achève son organisation administrative.
3
Nous soulignons.
4
Ce sont des établissements scolaires qui ont été créés par la colonisation française au Sénégal -et plus tard au
Soudan (actuel Mali)- où étaient recrutés de force les fils de chefs et de notables-et sous surveillance - afin de
les former pour servir des auxiliaires coloniaux.
On revint alors à l’enseignement unique en français, exception faite des écoles
chrétiennes et des écoles franco-musulmanes instituées par Faidherbe en 1857 5.
C’est ainsi que fut promulguée en 1928, en accord avec cette disposition, une loi
qui stipulait que le français est la seule langue en usage dans les écoles. Il est
interdit aux maîtres d’utiliser les « idiomes » du pays entre eux et les élèves, en
classe ou en récréation. On instaure le « symbole6 » ou « signal » afin d’humilier
les contrevenants.
5
BOUCHE, Denis, (1974), L’enseignement dans les territoires français de l’Afrique occidentale de 1817 à
1920, thèse de doctorat, Université Paris I.
6
Objet d’infamie qu’un élève surpris à parler à l’école dans une langue africaine devait conserver tant qu’il
n’avait pas lui-même pris en faute un autre élève. Cf. Dictionnaire Francophone (1995)- 3 ème édit, AUPELF-
EDICEF- Coll. Université Francophone de l’U.R.E.F, p.116.
domaine éducatif qu’institutionnel. Ce revers du système d’assimilation
contribuera pour beaucoup à impulser la réflexion sur la question linguistique et
sa gestion institutionnelle en A.O.F. Les intellectuels africains y prirent
activement part. Mais, contrairement à toute attente, ils s’opposent massivement
à un enseignement en langues locales en dépit du déséquilibre sociolinguistique
et culturel entre la situation de la langue française et des langues africaines.
L’argument de multiplicité des langues a été souvent brandi par les élites
africaines qui se sont opposées à un enseignement scolaire en langues africaines.
Il en fut ainsi lorsque Marcel Griaule, célèbre anthropologue français, en fit une
proposition lors d’une discussion sur la question à l’Assemblée de l’Union
française le 20 février 1947. Il était, pour Griaule, important d’inviter le
gouvernement à définir la situation linguistique dans les colonies, à poursuivre
l’étude des langues locales susceptibles d’utilisation à des fins pédagogiques et à
encourager la publication d’ouvrages de conception et d’expression indigène.
C’était une pratique courante dans les territoires africains sous domination
britannique, grâce notamment à l’Inter Territorial Language Committee dans les
années 1930 pour le kiswahili.
C’est justement pour cette raison qu’il a gardé une domination et un grain
d’intolérance entretenu par la certitude de sa domination intrinsèque sur les
langues africaines. L’exploitation de ces mythes est à l’origine de nombreuses
querelles autour de la Francophonie. Cela n’a pas facilité la recherche de
solutions justes, raisonnables et pertinentes pour les questions linguistiques en
Afrique de l’Ouest.
L’hégémonie linguistique limite l’espace linguistique de ces pays dans une seule
composante qui est leur étrangère. Dans une perspective qui lie aussi intimement
8
Conférence à l’occasion de la remise du diplôme de docteur honoris causa, Université de Laval, Québec, le
22 septembre 1966.
langue et politique, sans aucune prospective réformatrice d’ensemble, le statu
quo ne pouvait que devenir intolérable. L’action en matière d’éducation devenait
de plus en plus une exigence et une urgence. Mais, peu de démarches de
standardisation ou d’enrichissement des langues africaines ont été effectuées.
Alors que, selon une idéologie bien ancrée à l’UNESCO, l’enfant apprend
mieux dans sa langue maternelle que dans n’importe quelle autre (UNESCO,
1953). L’obstination des systèmes éducatifs ouest-africains dans le mode
pédagogique traditionnel relevait d’une aberration flagrante en termes
économique, socioculturel et cognitif. C’est ainsi qu’au Niger par exemple,
jusque dans les années 1980, seulement 30 % des élèves en âge de scolarisation
l’étaient effectivement. Et sur ces 30 %, 70 % n’accédaient pas au niveau
secondaire. Le taux de déperdition scolaire dans ce pays d’Afrique occidentale
est encore le taux le plus élevé au monde.
Des facteurs vont concourir à hâter l’intérêt tout nouveau que porte la
Francophonie aux langues africaines. Il s’agit de :
Les autorités françaises vont donc finir par reconnaître qu’avec un statut de
langue de communication de masse, le français prenait le risque de se
transformer dans des dialectes qui seraient incompréhensibles pour un Français.
Pour y remédier, il fallait appuyer et financer une campagne d’alphabétisation
massive dans les langues vernaculaires tout en s’appuyant par ailleurs sur un
corps d’élite d’enseignants au niveau du supérieur pour lui préserver sa francité.
Les financements mobilisés à cet effet bénéficieront à des organisations
intergouvernementales comme la Conférence des Ministres de l’Education des
Etats et gouvernement francophones (CONFEMEN) et l’Agence de Coopération
Culturelle et techniques (A.C.T.T) (Meyer 1965 et Weinstein, 1976).
L’élite dirigeante hésitait et hésite encore à introduire les langues africaines dans
le système scolaire. La fuite en avant a consisté à proposer, comme substituts,
des plans d’alphabétisation des adultes dans ces langues. Force est de constater
que la mise en application, ne serait-ce qu’à moyen terme de certaines
déclarations d’intention, redonnerait à l’école, au système scolaire dans son
ensemble, son rôle de creuset naturel pour la promotion des langues et les
cultures africaines. D’ailleurs, en quelles langues doit se faire le dialogue des
cultures ? Car le respect de la langue entraîne de facto le respect et la promotion
de la culture et non l’inverse. La langue est produite par la culture, mais c’est
aussi son outil d’expression par excellence.
Le fait de procéder par des décrets difficilement appliqués (ou pas du tout
applicables) a été jusqu’ici la pierre d’achoppement entre les différents acteurs
de l’introduction des langues nationales dans le système éducatif. Rappelons
qu’une langue ne se décrète pas. Lui octroyer un statut national sans que l’on ne
sache vraiment que recouvre le terme, ainsi que ses domaines de fonctions, n’en
est pas moins une aporie. Sur d’autres aspects campe encore la problématique de
la graphie et de la segmentation des mots auquel vient, naturellement, se greffer
le manque total, si ce n’est l’absence de supports pédagogiques. Les moyens
financiers font gravement défaut. Au Sénégal, par exemple, à peine 1 % du
budget alloué à l’Education nationale est consacré à la promotion des langues
nationales. Ce n’est guère mieux que dans le reste des pays concernés.
Le partenariat, c’est d’abord et avant tout, une convivialité agissante. Il est tout
au plus question de trouver de nouvelles stratégies pour contrecarrer les
impasses et les obstacles afin de relever les défis de la mondialisation. Pour ce
faire, il faudra élargir le champ de confrontation des idées en Francophonie.
Certes, le français restera à l’école, mais comme composante d’un enseignement
bilingue, modèle d’enseignement qui utilise la langue de l’enfant à côté du
français. On remarque que les enseignants y ont souvent recours. User sans en
abuser, telles sont, d’ailleurs, les consignes constantes des inspectorats
d’académie.
Les parents sont toujours réticents à envoyer leurs enfants dans des écoles dites
« expérimentales », même si la réduction des taux de déperdition scolaire est une
réalité palpable qui donne plus de chance à l’apprenant dans la construction des
compétences de vie en société. Pourquoi cette expérience devrait s’arrêter à
l’enseignement primaire, serait-on tenté de s’interroger ? Le palliatif n’est pas
du tout l’excellence. Il faudra impérativement et non seulement former les
ressources humaines compétentes et suffisantes, mais aussi produire des
manuels et les rendre disponibles, tout en créant un cadre juridique et
institutionnel viable.
Nous gardons de vue que tous les pays qui se sont développés l’ont été à partir
d’une langue locale, un système éducatif général de façon intégrée avec les
langues nationales. Réaliser des recherches empiriques correspondant aux
réalités et aux aspirations des sociétés africaines et s’investir dans le travail de
recherches théoriques en renforçant par leur profit mutuel le dialogue et la
coopération.
Le Niger a été l’un des pionniers de l’introduction des langues nationales dans le
système éducatif. Quarante-cinq ans après, les expériences sont encore dans la
phase pilote. Il faudrait aller au-delà des expérimentations et prendre des
mesures politiques fortes. Pour que notre plumage se rapporte à notre ramage, il
est nécessaire que les résolutions ne soient rien d’autres que des exercices de
recyclage. On peut se référer avec beaucoup d’intérêt à la Suisse qui a quatre
langues nationales sans compter celles apportées par les migrants.
Malheureusement, nous constatons la difficulté de la mise en application de ces
dites résolutions. Chaque pays avance à son rythme. Dans le programme
décennal de développement de l’Education, pour la période 2003-2015, les Etats
n’ont pas engagé les moyens nécessaires pour mener à bien ces politiques
éducatives. Le taux de déperdition interpelle toutes les consciences. C’est une
tendance générale en Afrique de l’Ouest. Le système scolaire doit être le creuset
naturel dans lequel doivent se fondre les langues nationales pour la promotion
des cultures dont elles sont l’expression par excellence.
En définitive, les mutations que traverse l’école révèlent qu’elle ne répond pas
adéquatement à l’attente de la société à qui elle coûte trop d’argent et de
générations perdues alors qu’elle s’oppose à toute réforme d’envergure.
Pourtant, les pratiques multilingues sont une partie intégrale et concrète de la
société. Les Etats doivent s’en inspirer.
11-Conclusion et recommandations
Dans cet article, nous avons tenté d’apporter un éclairage sur les rapports entre
l’approche hégémonique de la Francophonie et l’introduction des langues
africaines dans le système éducatif. Tout système éducatif viable doit avoir
comme objectifs majeurs la lutte contre la déperdition scolaire, un meilleur
accès pour tous et une meilleure réussite du plus grand nombre d’élèves. A
l’issue de notre analyse qui allie à la fois diagnostic et recommandations, se
dégagent un certain nombre d’observations que nous entrecoupons de
commentaires et de motifs de réflexion dans le but de relancer le débat sur le
contenu et la forme à donner au partenariat préconisé par l’O.I.F.
La Francophonie militante est trop liée à l’unilinguisme pour oser fixer les
domaines d’usage des langues en présence. Ce qui conduit souvent à accuser les
langues nationales de responsables de la baisse du niveau du français et par
conséquent de l’enseignement en général.
On a laissé dans l’oubli des problèmes de fond qui ressurgissent et que l’on tente
de résoudre avec les moyens du bord. Il faut d’ores et déjà élaborer des éléments
de réflexion qui doivent permettre une approche plus efficace des problèmes
d’ensemble. Car l’O.I.F est de plus en plus dispersée dans des missions à risque.
Elle s’aventure dans des champs politiques et sociaux en courant le danger de se
brûler les ailes et de soulever des questionnements sur la pertinence de ces
interventions contestées par les Etats africains, surtout lorsqu’il s’agit de
question de souveraineté nationale. Et les langues nationales font aussi partie des
espaces d’exercice de fierté nationale et même sous régionale, pour ne pas dire
continentale. Il est désormais acquis que la coexistence de plusieurs langues à
l’intérieur du même système peut être source d’équilibre, de développement et
non de confrontation. Dans le cadre d’une pédagogie intégrée, que nous
préconisons et défendons (et non une pédagogie convergente ou centralisée), le
français devient une langue de scolarisation et non d’alphabétisation. A terme,
cela consiste à enseigner non plus les langues africaines, mais à enseigner en
langues africaines. Autrement il s’agira moins d’enseigner en français pour
mieux enseigner le français. Car c’est bien dans la première langue que prend le
décodage intellectuel de l’enfant dès le début de sa scolarité.
Dialogue et solidarité sont les deux grands défis que doit relever la
Francophonie. La multipolarité du monde est parallèle, une « re-babélisation »
génératrice de dysharmonie et de dysfonctionnement. La construction de
l’espace doit alors passer par une politique claire et plus ambitieuse en direction
des langues africaines. Certains accusent, avec raison, la Francophonie de néo-
colonialisme linguistique. Mais force est de constater qu’elle n’appartient pas à
la France, mais elle ne peut subsister que si la France a une politique
linguistique appropriée dans les domaines emblématiques des relations et des
organisations internationales afin d’assumer son passé et son avenir pluraliste.
L’école est au cœur du dispositif, nous y insistons. En tant que maître d’ouvrage
de l’architecture du partenariat français/ langues africaines, l’O.I.F devrait se
diriger vers le dialogue et apprendre des leçons du passé en toute humilité.
Les réponses aux besoins de la société devraient s’élaborer au sein de l’école qui
centralise toutes les contradictions socio-économiques et culturelles d’un pays.
BIBLIOGRAPHIE
MENGARA, D., (1998), “Africa, the French language and the Francophonie
World” Francophonie, in Black and White, MIFLC Review 7: 20-34.