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Revue Linguistique et Référentiels Interculturels, volume 3, n° 1, Juin 2022

ISSN: 2658-9206

ENSEIGNER LA FRANCOPHONIE DANS UNE PERSPECTIVE


INTERCULTURELLE ET D’OUVERTURE SUR L’ESPACE
FRANCOPHONE
-----------
TEACHING THE FRANCOPHONIE FROM AN INTERCULTURAL
PERSPECTIVE AND OPENING UP TO THE FRENCH-SPEAKING
WORLD
Lahoucine AIT SAGH
FLAM, Université Cadi Ayyad, Maroc
Aitsagh.lahoucine@gmail.com

Résumé
Cet article interroge le concept de la francophonie dans sa dimension didactique. Il le
revisite pour proposer des pistes de réflexion pratiques pour les enseignants du français dans
le but d’assurer un enseignement implicite et/ ou explicite de la francophonie, dans une vision
d’ouverture, d’échange et de transfert interculturel entre les différentes aires francophones.
Nous abordons dans ce sens l’apport du numérique, et par la suite l’exploration de la place
accordée à la francophonie dans les programmes d’enseignement du français au secondaire au
Maroc.
Mots clés : Francophonie, enseignement, interculturel, numérique, langue française
Abstract
This article examines the concept of the Francophonie in its didactic dimension. It
revisits it in order to propose didactic paths for teachers of French with the aim of ensuring an
implicit and/or explicit teaching of the Francophonie, in a vision of openness, exchange and
intercultural transfer between the different Francophone areas. In this sense, we question the
contribution of digital technology, and then end with an exploration of the place given to the
Francophonie in the teaching programes of French at secondary level in Morocco.
Key words : Francophonie, teaching, intercultural, digital, French language
1. Introduction
La question de la francophonie est souvent abordée d’un point de vue politique et
idéologique. Elle ne cesse d’être l’objet des débats houleux sur plusieurs thématiques,
notamment les inégalités entre le Nord et le Sud, la question de la mémoire et les rapports
historiques de la colonisation, l’hégémonie culturelle et l’exploitation économique des
richesses, etc. La fixation de la focale sur ces aspects ancre l’espace francophone dans des
rapports conflictuels, emprisonnés et otages d’un passé marqué par des blessures archaïques
aussi bien sur le plan matériel que symbolique. L’ouverture sur d’autres perspectives
permettrait aux générations futures de revisiter un ensemble de postulats, de stéréotypes et de
conceptions. L’entrée didactique, constitue, selon nous, une occasion pour interroger les
spécificités, les liens et les opportunités au sein de l’espace francophone, à travers un
enseignement qui met en valeur la diversité et la richesse des cultures, le vrai capital
symbolique commun entre les pays francophones.
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Cependant, la francophonie ne constitue pas jusqu’à nos jours une discipline


homogène avec des savoirs-savants, savoirs à enseigner et des savoirs bien déterminés. Il est
donc primordial de passer d’abord d’un objet politique et idéologique à un objet didactique,
enseignable, avec des savoirs transposés, des méthodes et des supports didactiques couvrant
tout ou la majorité de l’espace francophone, pour faciliter le travail des enseignants.
Dans cet article, nous tenons à apporter quelques éléments de réponse à la
problématique que nous avons formulée ainsi : Comment peut-on enseigner la francophonie
ou les francophonies dans une perspective interculturelle et d’ouverture sur l’espace
francophone ?
Pour ce faire, nous proposons dans un premier de temps d’interroger l’objet francophonie,
pour passer dans un deuxième temps à présenter quelques pistes didactiques à explorer pour
assurer un enseignement implicite ou explicite de la francophonie en classe de français. Pour
terminer, nous évoquons le cas du Maroc pour voir la place accordée à l’enseignement de la
francophonie au secondaire.
2. A la recherche d’un objet didactique
La francophonie se définit comme l’ensemble des territoires où les populations parlent
la langue française. Elle est également une construction historique née dans un contexte de
colonisation et de duel de concurrence impériale, culturelle et linguistique. De ce fait, elle est
une alternative, une manière de concevoir le monde, qui se déclare universelle et
émancipatrice. Autrement dit, la francophonie est une idéologie1 différente de celle véhiculée
par la langue anglaise.
Cuq (2018) se pose dès lors la question du transfert de la francophonie, d’un objet
idéologique à un objet didactique enseignable. L’enseignant devrait-il s’appuyer seulement
sur l’idéologie ou sur un appareil méthodologique didactique et pédagogique ? Il avoue que la
reconnaissance de la francophonie en tant qu’objet d’enseignement ne pose pas de problème
majeur, puisqu’elle puise ses ressources dans plusieurs disciplines, notamment l’histoire, la
géographie, les sciences politiques, la linguistique, la littérature, l’anthropologie, etc.
Néanmoins, le processus de « la transposition didactique » (Chevallard, 1985) reste
incomplet, dans la mesure où les savoirs-savants produits par les universitaires ou les
spécialistes sont loin de constituer « le noyau d’une discipline ». Cette ambigüité de l’objet
d’étude, la non-précision de la place accordée à la francophonie dans les programmes et les
contenus dans certaines aires géographiques, la laisse toujours ancrée dans la sphère politique.
Tous ces facteurs perturbent l’agir enseignant et le situe naturellement dans la perspective qui
consiste à « ouvrir les curriculums : aux littératures francophones, aux différents patrimoines
nationaux, aux variations linguistiques et culturelles et plus largement à la francophonie »
mais aussi d’en préciser le cadre par l’ « inscription d’une référence explicite à la
francophonie et à ses implications géopolitiques dans tous les programmes de tous les
niveaux/pays » (Op. cit., p, 18). C’est à ce moment que la francophonie devient pour
l’enseignant une attitude pédagogique et une vision large de ce qu’enseigner le français et les
cultures francophones.

1
Ensemble de croyances, des idées caractéristiques d'un groupe ou d'une société à un moment donné.
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Speath (2018 :29), quant à elle, insiste sur l’importance d’enseigner l’histoire de la
Francophonie1, mais elle considère que l’histoire officielle telle qu’elle est relayée par les
instances est un obstacle idéologique et épistémologique à son enseignement parce qu’elle est
figée dans une logique promotionnelle. Il serait alors plus judicieux de l’inscrire dans ce que
Speath appelle « l’historicité » à travers des discours et des textes spécifiques. Egalement,
aborder l’histoire de la Francophonie pourrait se faire à travers le travail sur des productions
culturelles, permettant de déconstruire et de reconstruire des aspects saillants des langues et
des cultures francophones. Cette entrée développe certainement chez l’apprenant des
connaissances théoriques, mais aussi des outils d’analyse et de critique des postulats présentés
par les institutions officielles.
3. Que peut-on enseigner dans la francophonie ?
La francophonie n’est pas un objet simple à enseigner comme la physique ou les
mathématiques, elle est complexe par ses aspects linguistique, culturel et politique. D’où toute
réflexion didactique devrait en tenir compte, ainsi que des paramètres du contexte, puisque
l’enseignement de la francophonie se situe au continuum de l’enseignement du français
langue maternelle, seconde ou étrangère. Dans ce sens, Chnane-Davin (2018 :5) estime que
« En élargissant l’espace de l’enseignement du français, souvent centré sur la culture
française, on passe à un enseignement qui ouvre l’apprenant à d’autres horizons, à des
régions du monde sur les 5 continents grâce à la langue médiatrice entre des
locuteurs francophones pour partager des valeurs, des symboles et des émotions ». Cette
ouverture permettra certainement la remise en question des rapports établis entre les pays
francophones, francophiles, et la place accordée aux francophonies du Nord et celles du Sud.
Il s’agit de cultiver ce dépassement de l’idée égocentrique, ethnocentrique et de glottophagie.
L’auteure propose des exemples d’objectifs d’enseignement adaptés au contexte :

• Sensibiliser et former à la francophonie (linguistique, culturelle, politique) dans le


monde ;
• Prendre conscience de la variabilité de la langue française selon les contextes
socioculturels ;
• S’ouvrir sur la culture des humanités en France et hors de la France ;
• S’ouvrir à l’altérité et aux autres cultures à travers leurs productions d’expression
française (littérature, arts, cinéma, …) ;
• Comprendre les comportements des francophones selon la culture anthropologique.
La mise en place de tels objectifs d’enseignement nécessite des prises de position claires en
matière des curricula, des contenus des manuels et une formation efficace des enseignants aux
enjeux et aux défis de la francophonie. En effet, il ne s’agit pas seulement d’aborder des
savoirs juxtaposés, mais de croiser les regards sur des faits culturels, pour susciter la réflexion
et l’analyse, selon des méthodes et des outils adéquats.
4. Quels savoirs à construire ?
Comme nous l’avons mentionné auparavant, l’enseignement de la francophonie peut
se faire selon plusieurs entrées : linguistique, géographique, culturelle, politique, etc. Chnane-
Davin (2018 :91) propose d’un point de vue linguistique de procéder avec les apprenants par
la recherche et la définition des termes de français, francophonie, Francophonie, francophile,

1
La Francophonie avec F renvoie à aux instances institutionnelles et politiques, alors que francophonie avec f
aux territoires où la langue française est présente. Dans cet article, nous avons opté pour la transcription
« francophonie » pour désigner les deux réalités à la fois territoriale et institutionnelle.
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francité, francisation,… Ce travail permettra d’introduire les apprenants dans les aires
géographiques francophones avec leurs spécificités : statut du français, histoire des rapports,
la question de la francisation et ses moyens, etc. Sur le plan de la Francophonie
institutionnelle, plusieurs ouvrages ont dressé l’état des lieux, le passé, le présent et l’avenir
de la francophonie, engager des réflexions sur ces productions serait plus enrichissant, avec
l’arrêt sur les discours des fondateurs, qui recèlent des idées et des visions de l’espace
francophone. Cela amènera les apprenants à réfléchir sur les différents rapports géopolitiques
entre ses membres.
En matière de supports didactiques audiovisuels, les sites de l’OIF, de l’AUF, de la
chaîne TV5, contiennent des propositions intéressantes sur la diversité et la richesse des
cultures et des langues francophones.
La célébration des événements de promotion de la langue française, notamment la journée
internationale de la francophonie, la journée internationale des professeurs de français, sont
des prétextes pour aborder les enjeux de la Francophonie à l’oral comme à l’écrit. Les
créations des apprenants pourraient susciter des débats en rapport avec des questions
d’actualité.
Au niveau de la culture anthropologique1, les pays francophones témoignent d’une
grande diversité. Aborder cet aspect, dans le cadre d’une approche comparative, permet
d’identifier les caractéristiques des modes de vie, des habitudes, des coutumes, des traditions,
etc. Il s’agit d’établir un retour sur sa propre culture pour saisir les ressemblances et les
différences avec celle de l’Autre. Cette prise de conscience se base essentiellement sur la
déconstruction, la reconstruction des stéréotypes et des préjugés sur sa culture et celle de
l’Autre, dans l’objectif de lutter contre l’ethnocentrisme, et l’ouverture sur l’altérité. Loin du
folklorisme, le travail sous forme d’activités et de tâches problématise le fait culturel afin d’en
assurer la compréhension.
En ce qui concerne le niveau de la culture savante liée surtout à la littérature ou à
l’expression raffinée, le travail consiste à doter les apprenants d’une richesse intellectuelle
universelle. A travers le choix de productions culturelles de plusieurs contextes, les regards se
croisent dans une perspective interculturelle, pour enrichir le capital culturel de l’apprenant.
Dans ce sens, le texte littéraire est considéré comme le lieu de rencontre de l’altérité par
excellence. Il est porteur d’un système de valeurs qu’il met en contact avec celui du lecteur,
comme l’affirme Abdellah-Pretceille (1999 :2) « le texte littéraire, production de
l’imaginaire, représente un genre inépuisable pour l’exercice artificiel de la rencontre avec
l’Autre ; rencontre par procuration certes, mais rencontre tout de même ».
Les productions artistiques orales constituent également une entrée incontournable
pour enseigner la francophonie. En effet, le conte, la chanson, la bande dessinée, le slam, et
d’autres sont des supports pour aborder la variation sociolinguistique et culturelle, les
spécificités de l’oralité et son apport au patrimoine immatériel francophone. Ces supports sont
plus manipulés par les jeunes, cela pourrait les intéresser en salle de cours. Il suffit seulement
que l’enseignant mobilise les approches didactiques et pédagogiques compatibles pour
aborder les éléments sous-jacents évoqués dans ces productions culturelles, traditionnelles
et/ou contemporaines.

1
La culture anthropologique est la culture de tous les jours, ce sont les modes de penser, de vivre qui permettent
de prendre conscience de sa propre culture et de la confronter à celle de l’Autre. Elle est spécifique à chaque
société, à des communautés et à des individus.
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5. Quel apport du numérique ?


Le numérique a envahi presque tous les secteurs de la vie quotidienne (Desmet, 2006).
L’école ne pourra pas être l’exception. Ainsi, l’introduction des nouvelles technologies de
l’information et de la communication est souvent liée à l’innovation pédagogique.
L’enseignement de la francophonie tirera profit de ces outils technologiques, surtout en
matière de supports didactiques numérisés. En effet, les enseignants peuvent exploiter des
documents numériques produits par les institutions francophones1 ou par les différents acteurs
pédagogiques issus des pays francophones. Il est à mentionner que plusieurs instances
internationales2 œuvrent dans ce sens, et proposent des formations, des contenus et des pistes
méthodologiques à mobiliser en classe.
Plusieurs supports numériques sont alors disponibles sur Internet, (audiovisuels,
images, sites, chansons, cartes géographiques, jeux de mots, etc.) Il suffit que l’enseignant
sélectionne le document adéquat et le didactise selon les paramètres de la situation didactique
et de son public cible. L’abondance de ces documents offre à l’enseignant une grande marge
de liberté pour choisir selon ses objectifs didactiques et pédagogiques. Cependant, il serait
préférable de les diversifier, tout en restant dans l’espace francophone, pour appréhender et
interroger leur portée linguistique et culturelle.
Néanmoins, il va sans dire que les effets de la fracture numérique entre le Sud et le
Nord dans l’espace francophone pèsent lourd sur l’accès à internet, aux différentes bases de
données et plateformes dédiées à l’enseignement. Les inégalités se constatent également dans
la numérisation des contenus et la conception des documents didactiques. Par conséquent,
seuls les savoirs relatifs aux cultures des pays francophones « centraux » circulent le plus sur
Internet. Les organisations de la Francophonie devraient encourager les initiatives émanant
des pays du Sud dans ce sens (production des ressources numériques, innovation des pratiques
didactiques et pédagogiques en rapport avec l’enseignement de la francophonie) à travers le
lancement des appels à projets qui favoriseraient l’émergence et la promotion des cultures des
différents pays membres.
6. Quelle place pour la variation linguistique ?
Nous partons du principe que toute langue n’échappe pas à la variation
sociolinguistique. Gadet (2003 :7) précise qu’il s’agit de variétés qui désignent les
«différentes façons de parler, de variation pour les phénomènes diversifiés en synchronie, et
de changement pour la dynamique en diachronie ». Dans l’espace francophone, il est difficile
de parler de la circulation d’une seule variété de français standard liée à la norme, et non à la
France qui, qu’elle aussi, connait plusieurs types de variations linguistiques. Le français en
contact avec d’autres langues nationales donne naissance à d’autres français avec des marques
phonétiques, phonologiques, syntaxiques et lexicales de la culture locale. Ces marques ont
une valeur identitaire et témoignent d’une appropriation de la langue qui n’est plus conçue
comme un objet exogène ou étranger. Au Maroc, par exemple, Benzakour (2012 :120) parle
du français mésolectal, qui « se reconnait à ses accents particuliers, à une rhétorique plus
proche de l’arabe que du français et surtout à l’existence d’un écart lexical important. Il est

1
Nous citons à titre d’exemple, le travail fait dans ce sens par la Fédération Internationale des Professeurs de
Français (FIPF).
https://bop.fipf.org/ https://bop.fipf.org/category/fiches-et-ressources-francophonie/ https://ifprofs.org/
2
Agence universitaire de la francophonie, les associations des professeurs de français, France éducation
international (BELC), etc.
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régulièrement enrichi de néologismes en grande partie intersystémiques, ce qui lui permet de


dénommer les univers référentiels naturels et socioculturels du pays d’adoption ». Entre
variété et variation, le français s’acclimate et s’adapte d’une région à une autre, d’une classe
sociale à une autre, d’une situation de communication à une autre. En classe de français,
l’enseignant est appelé à initier les apprenants à ce phénomène linguistique et
sociolinguistique et non pas de se contenter de la variété du français scolaire, standard et
normative, souvent présente en classe de FLE (Ait Sagh, 2021), qui est liée à un modèle
théorique et idéologique plus qu’aux pratiques langagières réelles.
Dans le même sens, l’enseignant peut se baser sur un corpus extrait des différents
français circulant dans les pays de l’espace francophone, québécois, belge, suisse, africain, et
d’autres pour sensibiliser l’apprenant aux particularités et aux ressemblances linguistiques
relatives à chaque système linguistique. Ce travail permettra aux apprenants de saisir
l’existence d’un noyau commun et d’autres éléments propres à chaque contexte. Ce travail
développera la conscience linguistique, l’ouverture sur d’autres variétés du français et sur les
aires francophones. Cet enseignement non seulement met l’apprenant dans la sécurité
linguistique, mais le rend fier de parler un français ayant des marques de son terroir, et en
même temps ayant des aspects communs avec les autres pays francophones.
7. La francophonie dans les programmes du français au secondaire au Maroc
En nous appuyant sur notre expérience d’enseignant de français au collège, et notre
lecture critique des Orientations Pédagogiques et des manuels de français du secondaire
marocain, nous constatons que le terme francophonie n’est pas vraiment évoqué. Il s’agit plus
dans les documents officiels d’enseignement d’un français à vocation communicationnelle qui
permettra de développer la compétence communicative des apprenants, en y intégrant la
dimension culturelle, à travers l’ouverture sur l’altérité, les valeurs humanistes et universelles,
et les droits de l’Homme. Il est question alors d’un français cloisonné, enfermé entre la force
normative du français standard, et les contraintes de la situation sociolinguistique marocaine
qui n’est pas souvent prise en considération dans l’enseignement/apprentissage du français.
En ce qui concerne les manuels scolaires du français au collège, ils s’inscrivent dans le
même sillage que les Orientations Pédagogiques. Le choix des supports didactiques épargne la
dimension francophone et opte plus pour la culture française. Ainsi, les textes proposés sont
extraits soit des œuvres marocaines ou françaises. La présence des autres espaces
francophones est rare. L’évocation des enjeux liés à la francophonie, au destin commun, aux
questions géopolitiques est quasi-absente. Certainement, nous comprenons que l’objectif de la
politique éducative marocaine est de mettre en place un enseignement/apprentissage d’un
français fonctionnel ancré dans le contexte marocain, mais il ne faut pas perdre de vue que le
Maroc est l’un des membres actifs de l’OIF, avec son histoire, la place accordée au français,
la relation avec les autres pays membres, etc. Pour cela, l’ouverture en éducation sur la
francophonie est une opportunité pour les jeunes, d’autant plus que cet espace francophone
offre des occasions de mobilité estudiantine et professionnelle.
Au lycée, les concepteurs du programme ont opté pour une démarche didactique
appuyée sur l’enseignement/apprentissage du français à travers les œuvres intégrales. Le
choix est orienté selon deux aspects, le premier est générique, puisque le programme accorde
de l’intérêt aux genres littéraires, le conte, la nouvelle, le roman, le théâtre et la poésie. Le
deuxième aspect est en rapport avec la charge civilisationnelle et culturelle des œuvres
programmées. Ainsi, les Orientations Pédagogiques de ce cycle (2007 :2) évoquent
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l’importance de la dimension francophone des textes à étudier, « la séance de lecture peut


aussi avoir comme supports des textes et des poèmes variés, d’auteurs francophones,
notamment marocains, en vue d’élargir les horizons culturels des apprenants et de les
sensibiliser à la diversité linguistique francophone ». Cependant, nous constatons que les
œuvres du programme appartiennent seulement à la littérature marocaine d’expression
française1 et à la littérature française2. L’intégration de la dimension francophone est laissée à
l’initiative du professeur, même si les grandes lignes de la planification séquentielle et
annuelle sont déjà définies dans les documents officiels. Ne serait-il pas bénéfique d’élargir
l’horizon et s’ouvrir sur d’autres œuvres francophones issues de la littérature africaine
subsaharienne, des Outre-mer ou encore canadienne, belge, suisse, etc. Cet élargissement
permettra aux apprenants de sortir de la dichotomie Maroc/France et s’arrêter sur l’étendue et
la richesse de la création culturelle et littéraire dans l’espace francophone.
Il incombe donc aux enseignants de français, s’ils sont conscients et formés de
l’enseignement de la francophonie, de faire preuve d’initiative et d’intégrer la composante
francophonie de manière implicite ou explicite à travers les différentes entrées didactiques et
pédagogiques abordées supra à titre indicatif. En effet, les opérateurs de formation de base et
continue des enseignants, surtout au cycle primaire et secondaire, sont invités à initier les
enseignants aux approches didactiques d’enseignement de la francophonie, en se basant sur
des supports variés pour comprendre le fonctionnement et les enjeux sous-jacents, surtout
linguistiques et culturels à la question de la francophonie.
8. Pour ne pas conclure
Nous pouvons dire que l’enseignement de la francophonie ou des francophonies
nécessite d’une part des prises de position claires des autorités éducatives en ce qui concerne
la place la francophonie dans les programmes, les curricula et même préciser de quelle
francophonie il s’agit. D’autre part, les acteurs pédagogiques ont à fournir des efforts surtout
en matière de création et de production de contenus dans et des différentes zones
géographiques. Cette conception des contenus devrait se faire de manière à valoriser la
diversité et la richesse de tous les pays francophones pour éviter de revivre et de transmettre
seulement la francophonie du Nord et confirmer les rapports hégémoniques dans l’esprit des
générations futures. Le numérique et la numérisation aura un rôle décisif à jouer. S’il est
exploité de manière équitable, il offrira l’accès à des ressources francophones diversifiées
dans l’objectif de s’ouvrir, de confronter, de comprendre les particularités de chaque culture
qui devrait s’inscrire dans un cadre global, dit francophonie.
Bibliographie
Benzakour. F. (2012). Le fançais au Maoc, une variété occultée en quête de légitimité. In
Ponti/ponts, Langues Littératures Civilisations des pays francophones.
Chnane-Davin. F. (2018). Quels savoirs pour enseigner la Francophonie et les francophonies?,
Le Français dans le monde. Recherches et applications, CLE International / Français

1
« La boîte à merveilles» de Sefrioui, et « Il était une fois un vieux couple heureux » de Khaireddine.
2
« La ficelle » ou « Aux champs » de Maupassant, Mérimée : « La vénus d’Ille » de Mérimée ou « Le chevalier
double » de Gautier, « Le bourgeois gentilhomme » de Molière, « Le dernier jour d’un condamné » de Hugo,
« Antigone » d’Anouilh, « Candide » de Voltaire, « le père Goriot » de Balzac.

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dans le monde, Enseigner la Francophonie, enseigner les francophonies. ffhal-


02435996f
Cuq, J-P. (2018).La francophonie peut-elle être un objet didactique ? Le Français dans le
monde. Recherches et applications, CLE International / Français dans le monde,
Enseigner la Francophonie, enseigner les francophonies. ffhal-02435996f

Desmet. P. (2006). L'enseignement/apprentissage des langues à l'ère du numérique : tendances


récentes et défis, p, 119. Revue française de linguistique appliquée, 2006/1 (Vol. XI),
p. 119-138. DOI : 10.3917/rfla.111.0119. URL : https://www.cairn.info/revue-
francaise-de-linguistique-appliquee-2006-1-page-119.htm
Gadet. F. (2003). La variation sociale en français, Paris, Ophrys, Coll. « L’essentiel ».
Martine. A-P. (1999). L’éducation interculturelle, p. 2 Paris : PUF, 1999

Ministère de l’Education Nationale Marocain. (2007). les orientations pédagogiques du cycle


secondaire qualifiant.
Ministère de l’Education Nationale Marocain. (2009). les orientations pédagogiques du cycle
secondaire collégial.
Speath, V. (2018). Pour enseigner l’histoire de la notion de francophonie. Le Français dans le
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Yves Chevallard, Y. (1985). La transposition didactique – Du savoir savant au savoir
enseigné, Grenoble, La pensée sauvage.

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