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EL GOUSAIRI, La construction institutionnelle de la littérature en classe de français: quelques prolégomènes ...

LA CONSTRUCTION INSTITUTIONNELLE DE LA
LITTÉRATURE EN CLASSE DE FRANÇAIS :
QUELQUES PROLÉGOMÈNES À UNE ANALYSE
DIDACTIQUE DE L’OBJET

Anass EL GOUSAIRI

Université Mohammed V, Maroc

anasselgousairi@gmail.com

Article reçu le 8 mai 2017 | révisé depuis le 10 mai 2017 | accepté le 23 juin 2017

RÉSUMÉ. Suite à la Réforme générale du système d’éducation et de formation au


Maroc, engagée depuis déjà deux décennies et relayée récemment par la Vision
Stratégique 2015-2030, l’enseignement du français, en tant que « première langue
étrangère » selon les discours officiels, a fait l’objet d’une reconfiguration didactique
majeure, à savoir la réintroduction de la littérature dans les programmes du lycée dès l’an
2002, après une longue éclipse au profit des « Documents authentiques ». Or, malgré ce
renouveau, la conception esthétisante et formelle de l’objet « littérature », qui a encore la
vie dure en classe de français, ne permet pas de saisir le statut épistémologique et les
enjeux réels de son usage didactique. Dans cet article, nous examinerons dans une
démarche interprétative la littérature comme construit institutionnel par l’observation et
l’analyse du texte officiel afférent à cette construction, et ce afin d’expliciter les effets et les
dérives de la transposition didactique de l’objet en contexte scolaire.

Mots-clés : didactique du français, interculturalité, langue-culture, littérature, texte officiel,


transposition didactique

ABSTRACT. Further to the general Reform of Morocco’s education and training


system, which has been engaged for already two decades and that was relayed recently
by the Strategic Vision 2015-2030, teaching French, frequently referred to as the "first
foreign language" according to official statements, has known an important didactic
reconfiguration: literature was introduced in high school programs after being
abandoned and replaced by “Authentic Documents” over the last few years. Nonetheless,
the aesthetic and formal conception of literature doesn’t allow to understand the real
stakes behind the use of literary texts in French class. In this article, we will examine
particularly the institutional construction of literature by interpretating some data
collected from the official text related to the teaching of/by literature. This study aims to
explain the effects and the limits of the didactical transposition of literature as an object at
school.

Keywords: didactics of French, interculturality, language-culture, literature, official text,


didactical transposition

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INTRODUCTION davantage orale que scripturale, c’est-à-dire


L’enseignement du français au Maroc : qui faisaient prévaloir la langue parlée en
un champ en pleine ébullition tant que norme, objet et horizon de la
Suite à la Réforme générale du didactique du français, en cultivant l’idée du
système marocain d’éducation et de « français fonctionnel », la revalorisation du
formation, engagée depuis déjà deux texte littéraire à la fois comme moyen et fin
décennies et relayée récemment par la Vision d’apprentissage a conduit considérablement
Stratégique 2015-2030, l’enseignement du à remettre en question l’hypothèse d’une
français, «première langue étrangère» selon langue sans culture et donc à mettre en
le Ministère de l’Education nationale (1999), avant, au-delà des modèles linguistiques et
a fait l’objet d’une reconfiguration didactique utilitaristes déjà institués, la dimension
majeure, à savoir la réintroduction de la (inter-)culturelle de l’apprentissage,
littérature dans les programmes du lycée dès longtemps neutralisée ou reléguée au rang
l’an 2002, après une longue éclipse au profit du superflu.
des « Documents authentiques », et ce en
rupture explicite avec les Instructions Statut épistémologique et enjeux
Officielles de 1987 et les Recommandations didactiques de la littérature
Pédagogiques de 1994. D’emblée, l’intérêt pour la littérature
En effet, dans une conjoncture globale tient à l’inscription de plus en plus marquée
marquée par la restructuration de tout le de la didactique du français dans le champ
système, le réaménagement des curricula et des sciences humaines et sociales centrées
l’actualisation des contenus, et après tant d’ores et déjà sur la notion fondatrice de
d’années de discours alarmistes sur le niveau « sujet » (Bertucci, 2007). Sur fond du
de l’enseignement du français au Maroc, la renouveau même du champ épistémologique
prise en compte de la littérature comme objet contemporain, la rupture avec le paradigme
didactique s’est appuyée sur quelques positiviste de la « disjonction » et, en
fondamentaux de réflexion concernant contrepartie, la prise en compte de celui de la
l’ouverture culturelle au et du français par le « complexité » (Morin, 1990) se sont
texte littéraire, l’interaction entre patrimoine traduites, sur les plans didactique et
national et valeurs universelles, l’éducation à pédagogique, par la valorisation de nombre
la citoyenneté, à l’esprit de dialogue, à la d’approches en lecture et en écriture,
liberté d’expression et à l’exercice de la impliquant des articulations significatives
démocratie (Voir Ministère de l’Education entre la question de l’objet (à des fins de
nationale, 1999; 2007). rationalisation) et celle du sujet (à des fins de
Sans doute ces présupposés entrent-ils subjectivation). Ces articulations se jouent,
en résonance avec le nouveau modèle semble-t-il, sur un double registre : non
éducatif qui tend à redessiner la vocation seulement elles soulignent l’expérience
même de l’école contemporaine et dont les objective et objectivante des apprenants face
enjeux sont multiples : redonner du sens aux au savoir, mais elles mettent en valeur aussi
savoirs scolaires, y démocratiser l’accès, les leur expérience subjective et « culturante »
orienter vers des pratiques autonomes et des (Demougin, 2005).
situations réelles de transfert De là découle l’hypothèse
d’apprentissage, les articuler autour des fondamentale que la littérature, en tant que
notions de « compétence » et de « laboratoire langagier » (Peytard, 1988) et
« performance », et surmonter la culture embrayeur générateur d’imaginaire et de
scolaire de l’échec, à l’origine de l’exclusion pensée (Chabanne et Dufays, 2011), se situe
sociale. dans l’entre-deux à la fois comme «
Au terme d’une période didactique signifiant » et « signifié », « forme » et « sens
dominée par les approches structuro- », « poétique » et « humanités », autant de
globales et audiovisuelles (SGAV) et les paramètres indissociables du texte littéraire
approches communicatives, qui imposaient et de ses « pouvoirs » réels (Compagnon,
la perception de la langue comme réalité 2007). Ce qui impliquerait une rupture plus
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ou moins explicite avec la « scissiparité » Obstacles à la transposition didactique


institutionnalisée entre les multiples facettes de la littérature en classe de français
du rapport au texte littéraire. Ainsi, deux Tous ces éléments de réflexion ont
possibles ont été envisagés : donné certes toute pertinence à la
l’appropriation subjective des œuvres réintroduction de la littérature au lycée
(conçue à la fois comme adhésion
marocain. Néanmoins, il semble qu’un grand
affective et comme prise de distance,
décalage existe entre les présupposés
esthétique notamment), et le
décentrement par rapport à l’époque fondateurs de l’enseignement par et de la
actuelle (par la connaissance de littérature, les conceptions réelles de l’objet et
l’expérience humaine que représente, au sa « configuration didactique » (Halté, 1992)
niveau individuel ou collectif, la création plus ou moins paradoxale en classe de
littéraire) (Daunay, 2007, p.165) français. D’où l’intérêt d’interroger le
Oscillant entre « l’ordre esthético- processus de « transposition didactique »
culturel » et « l’ordre cognitivo-langagier », (Chevallard, 1985) de la littérature en classe
ces deux finalités sont pour le moins non de français.
exclusives, évolutives et plurielles en ce Sans pour autant nous livrer à un
qu’elles s’appuient sur de multiples exposé théorique du concept et de ses usages
conceptions de l’objet. Dans cette même spécifiques en didactique du français, nous
perspective, Reuter (1996) en vient à nous proposons de caractériser ce processus
souligner quatre objectifs qui puissent être à l’œuvre dans le texte officiel Ministère de
éventuellement assignés à l’enseignement l’Education nationale (2007), qui fixe, à
par et de la littérature : l’heure actuelle, les programmes relatifs au
cours de français au lycée. Nous tiendrons
• Développer les compétences en
compte précisément du « travail qui, d’un
lecture-écriture
• Construire la littérature comme objet
objet de savoir, fait un objet
de connaissance d’enseignement », c’est-à-dire du « passage
• Développer des compétences d’un contenu de savoir précis à une version
méthodologiques didactique de cet objet de savoir »
• Aider les élèves à se construire en (Chevallard, 1985, p.39).
tant que personnes Ce faisant, nous resserrerons la focale
(p.16-21) sur un premier niveau de transposition
C’est cette complexité qui démontre didactique, à savoir l’étude épistémologique
l’intérêt proprement didactique des pratiques des écarts entre les savoirs de référence (ceux
de lecture et d’écriture littéraires, dans la relevant de la linguistique et des études
mesure où s’y conjuguent la transmission de littéraires, en l’occurrence) et leurs
l’objet en termes de savoirs ou de savoir-faire « transformations adaptatives » en contenus
(l’enseignement de la littérature) et la d’enseignement, telles que celles-ci se
construction du sujet en termes de formation donnent à voir dans le discours
identitaire irréductible à la simple « noosphérique » (Reuter, Cohen-Azria,
transmission (l’enseignement par la Daunay, Delcambre et Lahanier-Reuter, 2007,
littérature) : au regard de ces finalités, l’élève p.143-146).
se constitue par sa relation épistémique au En d’autres termes, l’objet de notre
savoir, mais aussi par son histoire réflexion est davantage l’objet en lui-même
personnelle, son rapport à soi, au monde et que ses pratiques (d’enseignement et
aux autres, ses représentations, ses d’apprentissage) réelles et effectives en
expériences vécues, son inconscient et son situation d’interaction didactique. Nous
imaginaire (Eco, 1985 ; Ricoeur, 1986 ; Séoud, posons alors ici l’objet « littérature » comme
1997 ; Mazauric, Fourtanier et Langlade, un construit institutionnel dont il faudrait
2011 ; Langlade, 2007 ; Delcambre, 2007 ; interroger à la fois le statut et les enjeux dans
Chabanne et Dufays, 2011). l’espace des prescriptions.
Autant qu’on puisse en juger, le souci
de faire de la littérature à la fois un objet et
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un outil de formation est perceptible dans tant que telle, selon une « conception
l’usage prépondérant des deux termes étriquée qui la coupe du monde dans lequel
d’ouverture et de dialogue dans le texte on vit » (Todorov, 2007, p.17).
officiel, mais il est contrebalancé par une C’est là une crise qu’on constate
conception réductrice de l’enseignement souvent, mais dont on n’interroge jamais les
littéraire qui, en raison de l’absence d’un signes symptomatiques :
discours institutionnel fondé et argumenté • La réduction des valeurs à des « canons »
sur le statut épistémologique et les enjeux ou contenus moralisateurs ;
didactiques de la littérature, contribue à • La centration sur les objets de savoir
pérenniser les modèles existants et les (l’objet-langue ou l’objet-texte) plutôt que
habitudes de travail antérieures. sur les sujets lecteurs-scripteurs;
A la suite de El-Hermassi (2008), on • La conception esthétisante et
peut risquer l’hypothèse que : autoréférentielle de la littérature et le
Les questions liées à l’enseignement des bannissement des stratégies subjectives
langues et de la littérature telles que la d’accès au sens;
délimitation des savoirs culturels ou • La tendance généralisée à
l’utilité de l’enseignement de la
l’applicationnisme par l’adoption de
littérature, qui impliquent des
modèles théoriques ou méthodologiques
interrogations philosophiques sur la
place que doit occuper l’individu dans étrangers, sans une recherche préalable
son environnement social, économique et d’adaptabilité, sans réflexion
politique, sont soigneusement passées contextualisée sur le cadre didactique lui–
sous silence. (p.2) même et abstraction faite de l’évolution
Le fait est que, sur fond de la réelle du vaste champ des études
philosophie de l’utilitarisme dont le système littéraires.
a du mal à se défaire malgré toutes les Tous ces signes justifient les difficultés,
réformes et les contre-réformes passées ou d’une part, à modifier le rapport au savoir et
présentes, le regard porté sur l’objet les modes de pensée et de construction des
« littérature » reste ancré dans des compétences et, d’autre part, à ériger l’école
perspectives plutôt pédagogiques que en lieu de culture, malgré la réintégration de
didactiques, tant que l’intérêt est accordé la littérature aux programmes du français.
davantage à la modélisation des pratiques Tout semble se jouer pour l’essentiel dans les
d’enseignement et d’apprentissage et à représentations de la littérature comme objet
l’usage contrôlé de concepts et de méthodes didactique. Faute d’être clairement
préconçus que sur la constitution didactique identifiées dans leurs fondements et leurs
d’une véritable épistémologie contextualisée effets, ces représentations, qui
de l’objet « littérature » en classe de langue, surdéterminent particulièrement la
la littérature étant « renvoyée à une fonction transposition didactique de l’objet, risquent
exclusivement instrumentale et de dévier la réflexion didactique de ses
patrimoniale » ( El-Hermassi, 2008, p.8). véritables enjeux.
Le resserrement sur la littérature Aussi paraît-il judicieux de tirer au
comme objet de savoir, plutôt que comme clair ces représentations à l’œuvre dans le
expérience de soi et du monde, est alors tel texte officiel. Au vu de l’étendue du champ
que sa transposition didactique s’est et de la complexité du processus
effectuée sur le mode de la simplicité par la d’élaboration des objets référés ou référables
standardisation ou l’uniformisation, à à la littérature, voire des modes de sélection,
l’échelle nationale, du programme des de structuration interne, d’organisation de
œuvres littéraires, de leur mode d’approche celle-ci à l’intérieur du cours de français,
(en lecture et en écriture), des théories nous nous limiterons à deux séries de
littéraires ou scientifiques de référence et des questions qui sont particulièrement
compétences, et ce comme gage de intéressantes pour aborder l’objet :
rationalité. Ainsi désincarnée et « réduite à • Quelle est la nature du discours
l’absurde », la littérature est enseignée en anthropologique qui sous-tend la

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construction institutionnelle de l’objet description impliquerait de recourir à de


« littérature » et selon quelle finalités ce multiples sources et d’en coder
discours envisage-t-il la transposition quantitativement les articulations
didactique de l’objet en classe de systématiques, afin de constituer un corpus
français ? assez large et plus ou moins exhaustif.
• Qu’est-ce qui s’enseigne ou s’apprend Dans le cadre précis de notre réflexion,
sous le signe de littérature en tant qu’objet la collecte des données et leur traitement ont
didactique ? De quels cadres théorique et donné lieu, par induction, à des catégories
méthodologique l’objet tire-t-il d’analyse construites à partir du texte officiel
précisément sa légitimité ? Comment ces lui-même et renvoyant de façon plus ou
cadres spécifient-ils, au sens large, la moins explicite à l’objet « littérature » au
relation de la discipline français aux cœur des contenus d’enseignement et
espaces théoriques de référence ? d’apprentissage.
C’est à ces interrogations que nous Au regard de l’analyse de contenu,
souhaitons réfléchir en avançant nombre nous tenons compte des exigences de
d’éléments d’analyse et en soumettant à la « représentativité », de « pertinence » par
discussion quelques propositions inhérentes rapport à l’objet de réflexion,
au discours officiel sur la littérature. d’« homogénéité » (Bardin, 2001), le principe
d’ « exhaustivité » ne pouvant pas être
adopté ici en raison de l’articulation de
MÉTHODE l’enseignement et de l’apprentissage du
Compte tenu de la nature théorique ou français au lycée autour d’un seul texte
spéculative de cet article (Van der Maren, officiel ainsi que de la non prise en compte
1996) et de son objectif majeur, à savoir des recherches universitaires effectives sur
l’explicitation épistémologique de la place de l’objet.
l’enseignement par et de la littérature en A contrario, le choix du texte officiel du
classe de français à travers le texte officiel Ministère de l’Education nationale (2007)
fondateur de cet enseignement, notre comme objet d’analyse est pertinent en
démarche est essentiellement qualitative et regard de la problématique soulevée par cet
interprétative (Dufays, 2001). Notre point de article. Il est représentatif en ce qu’il
vue est résolument didactique, c’est-à-dire constitue une matrice institutionnelle pour le
qu’il s’appuie sur le paradigme plutôt cours de français au lycée. La règle
interprétatif que descriptif de l’« analyse de d’homogénéité est d’autant plus satisfaite,
contenu » et qu’il se centre par là sur l’objet étant donné que le texte retenu correspond à
lui-même et les finalités qui lui sont une instance discursive d’élaboration et de
assignées. Comme le souligne Richard diffusion de pistes de réflexion à la fois
(2006), « l’analyse de contenu » peut être explicites et implicites sur l’enseignement et
définie comme : l’apprentissage du français qui puissent faire
un ensemble de techniques d’analyse des l’objet d’une analyse de contenu.
textes utilisant des procédures Sur fond de cette méthode et des
systématiques et objectives de questions qui en découlent, nous avons
description permettant le traitement parcouru le texte pour relever, en les
méthodique du contenu implicite et
validant, les énoncés liés à l’objet d’analyse.
explicite des textes en vue d’en classer et
Suite à cette opération de tri, de pré-analyse
d’en interpréter, par inférence, les
éléments constitutifs (p. 184) et de formulation des objectifs pour l’analyse
Or nous nous limiterons dans cet proprement dite, nous avons construit de
article à la dimension inférentielle de ce type façon empirique deux catégories d’analyse,
d’analyse, c’est-à-dire à l’interprétation et la lesquelles sont induites, à la lumière du
recherche de significations : dégager des cadrage théorique de notre réflexion, par la
données recueillies des éléments synthèse effectuée des données collectées, de
d’interprétation de la construction la mise en relation des notions ou concepts
institutionnelle de l’objet « littérature », car la recueillis et de l’interprétation des idées ou

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unités de sens retenues, organisées sous vision d’ensemble. Pour les besoins de la
forme de tableaux illustratifs, (voir ci- démonstration, ces catégories s’articulent
dessous), et ce afin de mesurer la complexité autour de quelques maîtres-mots :
de l’objet de réflexion et d’en dégager une

Tableau 1. L’enseignement par la littérature

Valeurs Citoyen autonome

Philosophie Droits de l’homme

Assimilation Civilisation
humaine

Nation Constantes
civilisationnelles et
culturelles
Ouverture sur le
monde Acteur

Langue française Œuvre littéraire


Image
Construction du
sens
Subjectivité
Thèmes
transversaux

Formation Affermissement de
intellectuelle la personnalité

Tableau 2. L’enseignement de la littérature

Récit Cadre spatio-


temporel

Figures de style
Eléments de fiction
Choix narratifs,
dramaturgiques et
esthétiques
Réseaux de
personnages Jeux du langage

Structure formelle Registres littéraires

Progression Schéma actantiel


dramatique

Registres littéraires Schéma narratif

Langage théâtral Formes du comique

Ecrit d’invention

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Lecture méthodique Ecrit d’invention


ou analytique
Réécriture
Indices textuels et
discursifs
Commentaire
Pastiche

Procédés de Point de vue


caractérisation
Auteur
Discours
Texte littéraire
Procédés d’écriture

RÉSULTATS ET DISCUSSION objectivant, impersonnel et distancié aux


L’enseignement par la littérature : un altérités linguistique et culturelle.
discours anthropologique diffus Sous l’influence des théories
On retrouve ici naturellement, au cognitives, constructivistes et
regard du renouveau significatif du cours de interactionnistes de l’apprentissage, le
français au lycée, les questions primordiales discours institutionnel s’est chargé
que pose la réflexion sur les raisons d’être du d’allusions plus ou moins explicites à l’utilité
retour de la littérature aux programmes (« à de la littérature moins comme agencement de
quoi sert la littérature ? Pourquoi lui formes que comme espace où se croise la
attribuer une telle importance ?»), la langue et sa culture et où émerge
dimension existentielle du texte littéraire et l’interculturalité dans sa complexité, encore
l’aspect formateur de la langue, inséparables que l’usage n’en est pas « authentique » au
de la question de la littérarité (« qu’est-ce que même titre que les documents qui fondaient
la littérature ? ») qui concerne, entre autres, le les approches tombées en désuétude.
choix des textes et leur ancrage à la fois L’enjeu étant de rétablir la question du
national (la littérature maghrébine sens et de la subjectivité au cœur de l’école,
d’expression française) et universel (la la littérature est vite devenue un objet
littérature française classique). didactique, au point d’être assimilée au
Au niveau du texte officiel du français discipline scolaire qui tend de plus en
Ministère de l’Education nationale (2007), plus à privilégier des pratiques mettant en
l’enseignement du français a abandonné la œuvre des valeurs esthétiques ou culturelles
pédagogie par objectifs, jugée réductrice, et jouant ainsi un double rôle d’éducation et
disjonctive et fragmentaire, au profit de d’instruction par des lectures-écritures
l’approche par compétences (avec pour toile « actualisantes » abordant la société
de fond l’hypothèse, devenue vite un horizon d’aujourd’hui à partir des « textes d’hier »
presque insurmontable en classe de français, (Citton, 2007). Subséquemment, les
que l’élève est acteur de son propre programmes du français, pour le moins ceux
apprentissage). Ce faisant, il s’est articulé du lycée, semblent soucieux de concilier de
systématiquement autour de nouveaux objets façon implicite le principe de la diversité et
d’apprentissage favorisant une double entrée de la dispersion contemporaine des valeurs,
par compétences et par valeurs (p.4). L’idée et la nécessité de les transmettre sous des
sous-jacente est qu’avec le texte littéraire formes scolaires nettement identifiables.
peuvent être envisagés les phénomènes de Il est vrai que la dimension
subjectivation et d’appropriation personnelle apologétique de l’usage de la littérature en
de tout usage de la langue, au-delà de toutes classe de français est perceptiblement
les « mythologies » liées au « sujet claironnée dans le texte officiel, mais les
épistémique » concerné par le seul rapport modalités même de sa présence didactique

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sont paradoxalement peu problématisées. En d’un vision toujours utilitariste, fonctionnelle


témoigne l’absence de toute définition et instrumentale de la langue.
explicite de la lecture, de l’écriture ou encore, Alors, comment expliquer d’emblée
corollairement, du statut épistémologique l’état de figement des savoirs en littérature ?
même de la littérature. La multiplicité des A quoi peut-on attribuer ce contraste flagrant
fonctions inhérentes à l’enseignement par et entre des pratiques de lecture-écriture
de la littérature n’est d’autant plus, à aucun socialement évolutives et diverses et des
moment, élaborée et les objectifs « cognitivo- activités de lecture-écriture scolairement
linguisiques » et « esthético-culturels » ne « gelées » et unifiées ? Sans doute, en
sont pas reliés les uns aux autres, au point détournant l’altérité linguistique et culturelle
que leur formulation semble relever de de ses fonctions dialogiques et en la
l’ordre de l’évidence absolue qui neutralise le réduisant à de simples référents « in
discours épistémologique lui-même. abstentia » (Bel-Lakhdar, 2008), soit des
Tout aussi paradoxale est la définition structures formelles et des contenus
même de la littérarité qui se profile derrière thématiques préconstruits, le discours
les formules théoriques et méthodologiques anthropologique sur la littérature est-il plus
du texte officiel du Ministère de l’éducation ou moins paradoxal. Ancré dans l’histoire de
nationale (2007). Pris effectivement entre la pensée et inscrit dans la lutte factice entre
l’historicisation et la formalisation, l’objet le « soi-même » et l’ « autre-étranger », ce
demeure flou et les hiérarchisations qui lui discours tend, selon des perspectives
sont afférentes ne sont pas pensées en tant spécifiques, à considérer la substance ou la
que telles, systématisées et explicitement teneur des textes littéraires comme trop
formulées à des fins d’opérationnalisation ou éloignée des représentations des élèves et
de didactisation interne et organisée dans la pouvant entraver potentiellement leur
classe. Tout au plus consacre-t-on quelques maîtrise de la langue. La littérature
pages à l’évocation du corpus des œuvres véhiculerait des codes moraux susceptibles
littéraires, des progressions didactiques y de dénaturer l’identité nationale (El-
afférentes, des compétences globales ou Hermassi, 2008, p.3). Pour se protéger contre
spécifiques et des pratiques de lecture et les effets prétendument « corrupteurs » de la
d’écriture qui, purement formelles et littérature, les corpus sont standardisés, sans
largement évacuées de tout enjeu personnel, que l’exigence d’adaptation des textes aux
paraissent comme de simples illustrations sujets et aux contextes ne soit prise en
considération :

Tableau 3. Les œuvres littéraires structurant la discipline française au lycée à l’échelle nationale
Tronc Première Deuxième
Commun année du année du
baccalauréat baccalauréat
La Ficelle ou La Boite à Il était une fois
Aux Champs- Merveilles un vieux couple
Guy de d’Ahmed heureux de
Maupassant , Sefrioui, Mohammed
Khair-Eddine,
La Vénus d’Ille Le Dernier Jour Candide ou
de Prosper d’un Condamné l’Optimisme de
Mérimée ou le de Victor Voltaire
Chevalier Hugo
Double de Le Père Goriot
Théophile Antigone de de Honoré de
Gautier Jean Anouilh Balzac

Le Bourgeois
Gentilhomme
de Molière
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Il en appert que le choix des œuvres synchroniquement sclérosée et réduite à des


intégrales participe d’une attention portée, auteurs, des écoles, des mouvements et des
d’une part, au patrimoine national dans la genres qui prennent forme dans des traits ou
mesure où un corpus est essentiellement des prédicats préfixés : il y a « tragique »
défini comme porteur de valeurs (sociales, opposé à « comique », « roman à thèse »
culturelles et morales) dans lesquelles se opposé à « roman réaliste », « réalisme »
reconnaîtrait l’élève de par son appartenance opposé au « romantisme », « Balzac » opposé
à la « Nation », et, d’autre part, au à « Victor Hugo », etc. Barthes (1984, p.50)
patrimoine universel, français en déjà constaté que l’histoire littéraire, telle
l’occurrence, de par son appartenance à la qu’elle se présente généralement dans les
civilisation humaine. programmes, s’énonce en termes de
Or, de part et d’autre, la littérature est « paradigmatique» ou de « liste
réduite à une image socialement, oppositionnelle» et c’est d’autant plus vrai
politiquement et moralement acceptable du que, par exemple, dans le programme du
passé, expurgée de tout ce qui brouillerait Tronc Commun (i.e. la première année du
l’identité nationale. Cette image institue et lycée), la nouvelle réaliste s’opposerait
légitime une littérature « panthéonisée » et radicalement à la nouvelle fantastique,
valorisée par la culture dite « générale », chacune étant dotée d’une structure
abstraite faite des productions élémentaire propre, et ce paradigme
contemporaines fécondes qui, a contrario, archétypique « réalisme-fantastique » paraît
correspondent à des aires culturelles aussi comme vérité absolue que l’élève est censé
bien diverses qu’ambivalentes. identifier en lecture et reproduire à l’écrit.
Cette censure s’exerce Le traitement réducteur de l’histoire
particulièrement à travers le choix de textes- littéraire -par des entrées par mouvements,
modèles (représentatifs d’un certain rapport auteurs et genres-en est un exemple parlant,
à soi et à autrui), mais aussi au moyen de dans la mesure où le culturel et l’interculturel
l’approche formaliste et structuraliste de ces y sont réduits à des manifestations
textes qui, radicalement fermée à patrimoniales simplistes et absolutisées,
l’intertextualité, participe à la fois d’un repli enseignées en tant que telles. Là se joue une
sur l’identité culturelle nationale et d’une conception étroite de l’histoire littéraire, en
ouverture implicitement contrôlée sur la diachronie et en synchronie, comme corpus
langue-culture. La littérature enseignée de textes fédérés autour de genres ou de
renvoie donc à « une représentation de la types textuels, eux-mêmes « déhistoricisés »
littérature à la fois refermée sur elle-même et car détournés des luttes humaines et sociales
tournée quasi-exclusivement vers le passé » ou des ruptures idéologiques et culturelles
(Langlade, 2002). qui les ont constitués au fil du temps. Du
Par ailleurs, bien qu’ils soient puisés même coup, les siècles littéraires sont
dans des siècles différents, les textes relèvent fortement individués :
d’une histoire littéraire diachroniquement et

Tableau 4. Les auteurs des œuvres littéraires au programme du lycée

le XVIIIe le XIXe siècle le XXe siècle


siècle
Voltaire Honoré de Jean Anouilh
Balzac Ahmed
Victor Hugo Sefrioui
Théophile Mohammed
Gautier Khair-Eddine
Prosper
Mérimée
Guy de
Maupassant

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Il ne s’agit là que d’un faux-semblant de neutralisation du sujet et de son éviction du


complexité, puisqu’à l’intérieur même de processus d’enseignement-apprentissage.
chaque siècle l’œuvre est présentée comme A ce propos, il semble que le texte
une production contingente, abstraite et officiel du Ministère de l’éducation nationale
artificielle, n’entretenant aucun rapport, fût-il (2007) tente, par le biais des savoirs savants,
esthétique, avec les autres œuvres. Et, du surtout de la linguistique textuelle (genres et
point de vue de la méthode, c’est la lecture types textuels), et à travers l’œuvre intégrale
méthodique qui constitue effectivement un comme support, d’imposer des références à
garde-fou face à toute lecture subjective du des usages reconnus de la langue, c’est-à-dire
texte du moment que la communication légitimés littérairement. Néanmoins, les
s’établit vite et directement avec la voix de objets d’enseignement formulés, énoncés,
l’auteur, par le biais d’une démarche qui ne mis ensemble comme des entités
fait que ressasser ce que le texte semblerait « fossilisées » dont les contours sont indécis
déjà dire. et dont les articulations ne sont que
Au surplus, en continuant à asseoir systématiques.
l’illusion de la clôture des textes, la On ne s’étonnerait pas que
configuration des œuvres littéraires choisies l’enseignement littéraire soit construit sur
à l’intérieur des modules d’apprentissage des bases structuralistes et formalistes, et que
empêche de les voir comme productions l’exclusivité soit donnée plutôt à la logique
imbriquées et étroitement liées les unes aux autoréférentielle de la littérature qu’à ses
autres, dans une perspective enjeux existentiels comme réflexion sur la
d’intertextualité. condition humaine. Picard (1986) a déjà
La littérature se résume enfin à des constaté (certes dans un autre contexte, mais
catégories textuelles ou, pour reprendre le propos s’applique aussi au contexte
l’expression de Hamon (1982), à des marocain) que « pour bon nombre d’élèves et
« discours contraints » dont il faut déceler et d’étudiants, une dénégation craintive leur
maîtriser les marquages formels permettant interdit d’envisager qu’un texte puisse
commodément de classer les œuvres et les déterminer autre chose qu’un décodage
auteurs sans égard à des questions d’ordre rationalisant plus ou moins compliqué »
anthropologique, ce qui induit a fortiori la (p.96).
construction de « la fiction d’un discours Les enseignants contribuent à
littéraire homogène, une fois gommées les transmettre cette dénégation : les études
différences linguistiques, typographiques, littéraires, considérées comme initiation à la
contextuelles, etc., comme s’ils étaient des rhétorique et à la poétique, à travers ce qu’il
fragments de la littérature» (Daunay, 2007, convient d’appeler « lecture méthodique »,
p.144). « lecture analytique » et « écriture
d’invention », ont pour but de faire connaître
L’enseignement de la littérature : une les outils dont elles se servent posés comme
approche essentialiste des textes fin en soi et comme pouvant être imités et
La centration sur les savoirs et les réutilisés en tant que tels, et de faire
savoir-faire peut être attribuée à trois découvrir les discours sur littérature que la
préoccupations jugées nécessaires, d’un point littérature elle-même, tant et si bien qu’ « on
de vue institutionnel, et auxquelles répond n’apprend pas de quoi parlent les œuvres
systématiquement la construction de l’objet mais de quoi parlent les critiques» (Todorov,
« littérature » en contexte scolaire : la 2007, p.17). En guise d’illustration de notre
nécessaire sélection des contenus, la propos, il suffit de survoler la rubrique
nécessaire « essentialisation » des savoirs « Progressions » du texte officiel, celle
comme garde-fou face à l’évolution des relative en particulier à l’une des œuvres
pratiques et leur nécessaire mise à distance et prescrites au programme du lycée, à savoir
neutralité. Ces trois préoccupations, quoique Le Dernier Jour d’un Condamné de Victor
légitimes, participent assurément de la Hugo :

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Tableau 5. Progression de la première année du cycle du baccalauréat (p. 26)

Réception de l’écrit Production de l’écrit Production de l’oral Langue


et Travaux Encadrés

• Les caractéristiques • Elaboration d’un • Elaboration de • La phrase


discursives du récit plan de rédaction, dossier sur le complexe
argumentatif d’une thème de la peine • Les niveaux de
- L’énonciation introduction, de mort langue
- Le portrait d’une conclusion • Les registres : le
- La chronologie • Réécriture tragique, le
dans le récit • Production pathétique, le
- L’alternance d’écrits satirique, le
description/narr argumentés polémique
ation (monologues, • Les procédés
dialogues, linguistiques de
• Les procédés réflexion autour l’argumentation
d’écriture : d’une (les stratégies
- Les figures de thématique, etc ) argumentatives)
style - Résumé de
- Le schéma de texte
l’argumentati - Compte
on rendu de
- Les niveaux lecture
de langue
- Le
plaidoyer/le
réquisitoire
• Thèmes: la peine de
mort, les droits de
l’homme, le respect
de la dignité
humaine...
- La poésie
engagée

A première vue, les items constitutifs de cette motivations » (Ministère de l’Education


progression didactique ignorent la portée nationale, 2007, p.9)
éthique ou existentielle de la littérature. En Cette approche autoréférentielle du
reposant sur les postulats structuralistes ou texte relève d’un jeu d’identification-relevé
formalistes de la fermeture du texte et de d’éléments textuels constituant une sorte de
l’immanence de l’analyse, ils participent grille de compréhension préconstruite,
d’une approche objectivant, désincarnée et édictée à l’élève, applicable à toute œuvre et
« éloignée de tout investissement personnel, représentant une forme de sujétion à un sens
de toute leçon de vie » (Langlade, 2002, p.4- jugé inhérent au texte et donné comme a
5). Celle-ci consiste essentiellement à priori. Dans cette perspective, « l’étude
« étudier l’œuvre pour comprendre les d’œuvres intégrales permet d’articuler les
principes sous-jacents qui en régissent la analyses fragmentées (un extrait dont on
composition et dégager le sens d’un texte par justifie le choix) et les visions d’ensemble
une étude détaillée des techniques d’écriture (éléments de fiction, réseaux de personnages,
et s’intéresser aux effets que produisent ces étude de l’espace et du temps ; construction
techniques sur le lecteur », à « sonder sa et progression dramatique, thèmes
genèse » et à « interroger les personnages et dominants, choix narratifs, dramaturgiques
leur psychologie pour comprendre leurs et esthétiques…) » (p.9-10). La compétence
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de lecture est essentiellement une le mode de la simplification, de la


« compétence d’analyse (…) des techniques « déhistoricisation », du figement et de
d’écriture de leurs effets sur le lecteur » l’occultation de la transversalité ainsi que de
(p.10). Ces techniques sont érigées en objets la complexité constitutive des acquis de la
de connaissance et en concepts fondateurs de narratologie. C’est pour cette raison que
l’analyse littéraire et elles ne permettent pas, l’intégration de ces éléments n’a pas
une fois posées comme finalité, de transformé les fonctionnements didactiques
s’approprier ce dont parlent les œuvres elles- et pédagogiques. Bien au contraire, elle a
mêmes, de se construire en tant que sujet enraciné l’idée illusoire que plus les contenus
dans et par le monde qu’elles évoquent, de sont « scientifiques », meilleurs sont
« de se construire [enfin], dans la langue, une l’enseignement et l’apprentissage.
nouvelle médiation au monde » (Demougin, Il en appert que la critique littéraire est
2005, p.3) détournée de sa valeur heuristique comme
Par voie de conséquence, on ne lit les moyen de découverte des textes, la critique
œuvres que pour maîtriser une « méthode de littéraire. Aussi est-elle posée comme un
lecture », en procédant à la chasse aux ensemble d’outils de prescription,
moyens et aux techniques d’écriture. Pas plus d’uniformisation et de normalisation, qui
qu’on n’écrit pour se construire soi-même permettent de rationaliser le rapport au texte,
par l’acte d’écrire comme « mode de penser de le « banaliser », de le modéliser, de le faire
[permettant] d’interroger le monde et d’y sortir de l’ordre de l’imprescriptible et de le
jouer un rôle actif, plus actif parfois, et plus réduire à une posture « méta ». Enfin,
efficace que la parole même (Bucheton, 1996, l’étiquetage tient lieu de compétence : il s’agit
p.32). La compétence d’écriture, elle, semble moins de se servir des formes pour mieux
se réduire à sa composante linguistique lire et écrire que d’apprendre à les identifier,
comme « résumé », « pastiche » ou à les reconnaître et à les repérer dans les
« réécriture » des textes lus, ces trois textes.
exercices d’écriture étant d’ailleurs les seuls à
être mis en relief comme « activités de
production écrite » (Ministère de l’Education CONCLUSION
nationale, 2007, p.12). Il est évident qu’au Il est opportun de souligner, en
regard de cette conception étriquée de concluant cet article, quel caractère spéculatif
l’écriture, la priorité est accordée à un des propositions avancées et leur teneur
enseignement transversal de techniques critique permettent de sortir des implicites et
d’expression et à la fixation des savoirs ou de mettre au jour le statut et les enjeux de la
savoir-faire dans la mesure où, pourtant littérature en classe de français. Or, s’il est
contraire à toute modélisation, l’écriture se vrai que la transposition didactique de
trouve réduite à des canevas préfigurés. Le l’objet, par le recours aux sciences du langage
fait est qu’u niveau de l’approche des récits, et aux études littéraires, s’avère primordiale
nombre de concepts narratologiques ont été et nécessaire, il n’en est pas moins qu’elle
récupérés par simple applicationnisme, et ce devrait s’accompagner de réflexions
au prix de systématisations et d’équivoques : « contextualisées » (Blanchet, Moore et
le schéma quinaire de la narration comme Asselah-Rahal, 2008) sur les finalités de
modèle pour la rédaction (état initial ; l’enseignement de et par le texte littéraire
élément perturbateur ; péripéties; dans le contexte national, sous peine de
dénouement ; état final), l’analyse des cantonner le processus dans sa seule
personnages selon le modèle du schéma dimension instrumentale et patrimoniale,
actantiel, la notion de personnage et ses calquant les pratiques scolaires sur des
enjeux psychologiques, les concept de point savoirs de référence et un système de valeurs
de vue, de focalisation, d’auteur et de constitués.
narrateur, entre autres, érigés en outils A fortiori, le simple usage foisonnant
d’analyse. Dans cette perspective, la question des notions vagues de « littérature », de
de la transposition didactique est résolue sur « culture », de « valeur » ou de « sujet » dans
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le texte institutionnel, aux côtés des modèles culture, les aider à se construire dans et par
linguistiques ou culturels constitués, n’en l’altérité linguistico-culturelle, libérer leur
fonde pas automatiquement l’utilité parole de l’emprise des carcans idéologiques
didactique. Mais, au-delà des pratiques et des canevas techniques, développer leurs
courantes, des discours abstraits et des postures de lecteurs-scripteurs autonomes, et
déclarations d’intention, et sans rentrer dans ce en les amenant à comprendre que la
les débats houleux sur ce qui fait la littérature est avant tout affaire de sens et de
« littérarité » de la littérature, l’enjeu est signifiance, au-delà des formes sémiotiques,
avant tout épistémologique : plus que des textuelles et discursives, et de leurs simples
objets, des techniques et des moyens, ce dont effets esthétiques, et que ses ancrages sont
le contexte de l’enseignement du français au nécessairement personnelles, voire
Maroc a le plus grand besoin, c’est d’un existentielles.
horizon éducatif au centre duquel la place de
la littérature soit établie et explicitée à la fois
dans sa spécificité et sa complexité. REMERCIEMENTS
A titre programmatique, on conçoit Nous remercions particulièrement
bien alors que la valorisation de la littérature toute personne ayant pris part à la lecture, à
comme objet didactique et la mise à profit de l’amélioration et à la publication éventuelle
ses vertus formatrices ne puissent s’effectuer du présent article.
sans un travail préalable à entreprendre aux
niveaux de la réélaboration des programmes,
de la redéfinition des finalités éducatives, du RÉFÉRENCES
choix des corpus littéraires, de leurs modes Bardin, L. (2001). L’analyse de contenu. Paris :
d’approche et de l’impact de l’interculturel Presses Universitaires de France.
sur la formation à l’enseignement du Barthes, R. (1984). Le Bruissement de la langue,
français, lequel travail permettrait de Essais critiques IV. Paris : Seuil.
remettre en question les représentations Bel-Lakhdar, A. (2008). L’impact de
restrictives de la littérature à l’œuvre dans l’inteculturel sur la formation, Tréma,
son enseignement, qui continuent à entraver 30, 49-64.
les évolutions nécessaires et souhaitées. Bertucci, M. (2007). La notion de sujet. Le
Sur fond de cet enjeu épistémologique, français aujourd'hui, 157, 11-18.
nous pensons in fine que la prise en compte Blanchet P., Moore D. & Asselah-Rahal S.,
didactique du texte littéraire suppose des (2008). Perspectives pour une didactique
postures et des stratégies pédagogiques des langues contextualisée. Paris :
tournées moins vers la transmission de Editions des archives contemporaines /
contenus de savoir que vers l’élargissement AUF.
permanent des lectures-écritures subjectives Bucheton, D. (1996). Interactions : co-
et des démarches interprétatives singulières construction du sujet et des savoirs. Le
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être présents de fait et par essence dans les Pourquoi les études littéraires.
textes littéraires, l’enjeu est de réaffirmer la Amsterdam : Éditions Amsterdam.
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réinvestir de la finalité qui est la sienne : faire faire ? Leçon inaugurale au Collège de
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qu’ils adoptent face à la langue et à sa

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