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Langage et société

Aux origines de la sociolinguistique la conférence de


sociolinguistique de l'UCLA (1964)
Louis-Jean Calvet

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Calvet Louis-Jean. Aux origines de la sociolinguistique la conférence de sociolinguistique de l'UCLA (1964). In: Langage et
société, n°88, 1999. pp. 25-57;

doi : https://doi.org/10.3406/lsoc.1999.2867

https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1999_num_88_1_2867

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Abstract
CALVET Louis-Jean - The 1964 UCLA Conference at the inception of Sociolinguistics.

"Peripheral" linguistics or "all of linguistics" ? The meeting organized by William Bright in 1964 shows
that sociolinguistics at the time looked like a network of young, mostly California-based linguists,
working or having worked on situations of plurilingualism or diglossia. Some were connected, through
Weinreich, to European linguistics (Martinet, Meillet, Saussure...). The network held together largely
through its opposition to the other one, based on the East Coast (Chomsky), but had neither
institutional backing, theoretical unity, leader or specific intellectual reference. And this theoretical
weakness persists to this day.

Résumé
Linguistique "périphérique" ou "toute la linguistique", la sociolinguistique se manifeste, lors de la
réunion organisée par William Bright en 1964, comme un réseau constitué en majorité par des
linguistes jeunes, travaillant ou ayant travaillé sur des situations de plurilinguisme ou de diglossie,
centrés pour la plupart en Californie. Certains de ses membres sont liés, par l'intermédiaire de
Weinreich, à la linguistique européenne (Martinet, Meillet, Saussure...). Mais il s'agit d'un réseau qui
n'a pas de force institutionnelle, n'est pas théoriquement unifié et ne dispose pas d'un chef de file,
d'une œuvre de référence. Ce réseau est essentiellement soudé par son opposition à un autre réseau,
centré à l'Est des USA, celui de la grammaire generative. Et ce flou théorique de départ perdure
aujourd'hui.
Aux origines de la sociolinguistique

la conférence de sociolinguistique de l'UCLA (1964)

Louis-Jean Calvet

On pourrait faire l'histoire des mots qui ont été lancés dans le
paysage théorique sans être suivis d'effet ou sans être suivis d'effet
immédiat, qui apparaissent longtemps avant la chose, comme diglossie, dont
on sait la longue histoire avant que Ferguson lui donne un contenu
théorique1, ou écologie linguistique lancé par Einar Haugen au début
des années soixante et repris trente ans après par Mûhlhausler, puis
par Mufwene, Bastardas et Calvet. Il en va de même pour le terme
sociolinguistique. Antoine Meillet, qui a souvent défini la langue
comme un "fait social", n'a jamais utilisé les syntagmes
sociolinguistique ou sociologie du langage, se contentant d'affirmer que la
linguistique était pour lui "une science sociale". Selon Konrad Koerner
(1991), c'est un autre français, Raoul de la Grasserie, qui aurait pour la
première fois utilisé la formule sociologie linguistique dans un article de
1909, suivi par Haver Currie en 1952, puis par Pickford et Wallis en
1956. Dans une note (p. 282) de son Theory Groups and the Study of
language in North America, a Social History, Stephen Murray propose
pour sa part d'autres dates et d'autres textes. Le mot sociolinguistics
aurait été forgé dans le titre d'un article de Man in India en 1939 par

1. voir sur ce point Mauro Fernandez, 1995 et 1998.

© Langage et société n° 88 -juin 1999


26 LOUIS-JEAN CALVET

Thomas Hodson puis apparaîtrait dans la deuxième édition de la


Morphology de Nida (1949), chez Haugen (1951) et enfin chez Currie
en 1952. Ajoutons Uriel Weinreich, qui en 1953 utilise une fois
l'adjectif sociolinguistic2 et Marcel Cohen, qui publie en 1956 ses Matériaux
pour une Sociologie du Langage (Paris, Albin Michel) et qui dans la
réédition sans changement de 1971 signale dans son « additif à l'avant-pro-
pos » que le terme sociolinguistics est apparu en anglais et que socio-
linguistique « accessoirement. . . a reçu droit de cité en français. . . ».
Nous aurions donc cette chronologie temporaire, pour ce qui
concerne l'anglais et le français :
Raoul de la Grasserie 1909 (sociologie linguistique), Hodson 1939
(sociolinguistics), Nida 1949 (sociolinguistics), Haugen 1951 (sociolinguistics),
Currie 1952 (sociolinguistics), Weinreich 1953 (sociolinguistic) Pickford 1956
(sociolinguistics), Wallis 1956 (sociolinguistics), Cohen 1956 (sociologie du
langage).

Mais il ne faut pas confondre l'histoire du mot et celle de la chose,


et le fait que sociolinguistics soit utilisé en 1939 ne signifie nullement
que la sociolinguistique était constituée en science. À quel moment la
sociolinguistique commence-t-elle? Et par quelles voies est-elle
apparue? Dans un article publié en 1991, K. Koerner présente l'histoire de
la sociolinguistique comme étant principalement le produit d'une
filiation Whitney-Saussure-Meillet-Martinet-Weinreich-Labov et, de
façon plus large, le produit de trois courants, ceux de la
dialectologie, de la linguistique historique et des études sur le plurilinguisme.
Il trace donc tout d'abord une généalogie :

Pendant ses années à Paris, l'étudiant le plus brillant de Saussure était


Antoine Meillet qui eut à son tour André Martinet comme étudiant, le
mentionne ce fait parce que Martinet écrivit une courte étude de son dialecte
maternel en 1939, qui fut publiée après la seconde guerre mondiale, et aussi
parce que Labov, comme Meillet et Martinet, a également été particulièrement
intéressé par les problèmes du changement linguistique. Plus important
encore, lorsqu'il était professeur à Columbia, à New York, Martinet a eu Uriel
Weinreich comme étudiant, à la fois pour sa maîtrise et pour sa thèse [...].

2. « The sociolinguistic study of language contact. . . » Languages in Contact, p. 99. Mais


le terme n'apparaît pas dans son index où l'on ne trouve que « sociological aspects
of bilingualism ».
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 27

Enfin, il suffit de rappeler que Labov a passé ses diplômes avec Weinreich [. . .]
pour établir une sorte de ligne généalogique de Whitney à Labov. [1991 : 61-62]
Après avoir proposé cette première filiation linéaire, « from
Whitney to Labov », Koerner souligne les rapports entre la
dialectologie et la sociolinguistique ainsi qu'entre la linguistique historique et
la sociolinguistique, citant en particulier l'article de Meillet de 1905,
« Comment les mots changent de sens », et il résume sa pensée par le
schéma suivant (Koerner, 1991 : 65) :

LES SOURCES DE LA SOCIOLINGUISTIQUE

Dialectologie Linguistique historique Études sur le bi-


et le plurilinguisme

Wrede (1902) Meillet (1905) M. Weinreich (1931)


Gauchat (1905) Vendryes (1921) U. Weinreich (1951)
Jaberg (1908) Sommerfelt (1932) Haugen (1953)
Hermann (1929) Martinet (1946(1939}) Ferguson (1959)
McDavid (1946,1948) Weinreich (1953) Friedrich (1961)
Labov (1963)
II est vrai, pour reprendre la première série à l'envers, que Labov
a été l'élève de Weinreich, lui-même élève de Martinet qui fut l'élève
de Meillet qui lui-même fut le collègue et l'ami de Saussure qui a
souvent cité Whitney avec admiration. Mais cet enchaînement de
relations ne fait pas nécessairement une filiation scientifique, ne tient pas
compte des enjeux théoriques, des affinités, des réseaux et il y a en
outre dans cette chaîne quelques maillons faibles. De plus, la filiation
linéaire proposée par Koerner traverse en cours de route une sorte
de "carrefour", une réunion organisée en 1964 à Los Angeles, qui a
donné lieu à la publication du premier livre portant le titre (en
anglais) de sociolinguistique3, et dont je montrerai qu'elle est la
manifestation d'un "réseau" informel dont sortira la sociolinguistique.
C'est donc sur ces deux éléments que je voudrais réfléchir ici.

3. La même année avaient lieu d'autres manifestations du même type, comme la


réunion organisée par le Summer Linguistic Institute à l'Indiania University, et le
numéro spécial de la revue American Anthropologist dirigé par Gumperz et Hymes.
Mais la rencontre de l'UCLA est celle qui aura le plus de retentissement.
28 LOUIS-JEAN CALVET

I. LA FILIATION KOERNER REVISITÉE

Le premier maillon faible dans la filiation proposée par Koerner,


le plus important sans doute, concerne les rapports entre Saussure
et Meillet. En effet les relations, - amicales et suivies lorsque
Saussure était à Paris, puis épistolaires et assez espacées lorsque
Saussure partit pour Genève - entre les deux hommes se situent,
bien entendu, avant la publication posthume du Cours de
Linguistique Générale, alors que Meillet n'est guère renseigné sur
l'état de la réflexion de son ami genevois. Il suffit de lire l'article
nécrologique que Meillet consacre à Saussure pour se rendre
compte qu'il ne sait pas grand chose des ultimes développements
de la pensée de Saussure, et que ce dernier est à ses yeux
essentiellement un comparatiste. La conclusion de l'article, « II avait
produit le plus beau livre de grammaire comparée qu'on ait écrit,
semé des idées et posé de fermes théories, mis sa marque sur de
nombreux élèves, et pourtant il n'avait pas rempli toute sa
destinée »4, est de ce point de vue éclairante. Le « plus beau livre de
grammaire comparée » est bien sûr le Mémoire. Deux ou trois ans
plus tard, lorsqu'il lira le Cours de Linguistique Générale, Meillet sera
au contraire très critique, écrivant en particulier : « en séparant le
changement linguistique des conditions extérieures dont il
dépend, Ferdinand de Saussure le prive de réalité; il le réduit à
une abstraction qui est nécessairement inexplicable »5. La position
de Meillet est toute différente, parfaitement résumée par ce
passage : « Du fait que la langue est un fait social il résulte que la
linguistique est une science sociale, et le seul élément variable auquel
on puisse recourir pour rendre compte du changement
linguistique est le changement social »6. Ce grand comparatiste,
spécialiste des langues indo-européennes, était en effet marqué par le
sociologue Emile Durkheim (1858-1917) et collaborait régulièrement à sa

4. « Ferdinand de Saussure », Annuaire de l'École Pratique des Hautes Études, 1913-1914 :


155 et sv.
5. « Compte rendu du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure », Bulletin
de la société linguistique de Paris, 1916 : 166.
6. Linguistique historique et linguistique générale, 1921 (1965) : 17.
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 29

revue, L'année sociologique. La notion de "fait social", souvent


évoquée dans ses publications, lui est directement empruntée :

Le langage est donc éminemment un fait social. En effet, il entre


exactement dans la définition qu'a proposée Durkheim ; une langue existe
indépendamment de chacun des individus qui la parlent, et, bien qu'elle n'ait
aucune réalité en dehors de la somme de ces individus, elle est cependant,
de par sa généralité, extérieure à chacun d'eux : ce qui le montre, c'est qu'il
ne dépend d'aucun d'eux de la changer et que toute déviation individuelle
de l'usage provoque une réaction [...]. Les caractères d'extériorité à
l'individu et de coercition par lesquels Durkheim définit le fait social
apparaissent donc dans le langage avec la dernière évidence. [1905-1906 repris dans
1921 : 230]

En d'autres termes, la langue n'existe pas sans ses locuteurs, mais


elle est quelque chose de plus que la simple addition de leurs actes de
parole, elle a une certaine autonomie. Si l'on a souvent présenté
Antoine Meillet (1866-1936) comme le disciple de Ferdinand de
Saussure (1857-1913), ses positions étaient donc en fait en
contradiction avec au moins une des dichotomies saussuriennes, celle qui
distinguait entre la synchronie et la diachronie, et avec la dernière
phrase du Cours (« la linguistique a pour unique et véritable objet la
langue envisagée en elle-même et pour elle-même ») qui, même si
elle n'est pas de Saussure et représente plutôt la conclusion des
éditeurs, résume parfaitement son enseignement. Contradiction, parce
que l'affirmation du caractère social de la langue que l'on trouve dans
toute l'œuvre de Meillet implique tout à la fois la convergence d'une
approche interne et d'une approche externe des faits de langue et
d'une approche synchronique et diachronique de ces mêmes faits.
Lorsque Saussure oppose linguistique interne et linguistique
externe, Meillet les associe, lorsque Saussure distingue entre approche
synchronique et approche diachronique, Meillet cherche à expliquer
la structure par l'histoire. Face à la précision avec laquelle Meillet
définissait la notion de fait social, les passages dans lesquels Saussure
déclare que la langue « est la partie sociale du langage » ou que « la
langue est une institution sociale » frappent par leur flou théorique.
Pour lui, le fait que la langue soit une institution sociale est
simplement un principe général, une sorte d'exhortation qu'après lui
30 LOUIS-JEAN CALVET

reprendront bien des linguistes structuralistes, sans jamais se donner


les moyens heuristiques d'assumer cette affirmation : on pose le
caractère social de la langue et l'on passe à autre chose, à une
linguistique formelle, à la langue « en elle-même et pour elle-même ».
Pour Meillet au contraire, cette affirmation devrait avoir des
implications méthodologiques, elle devrait être au centre de la théorie
linguistique : la langue est pour lui à la fois un "fait social" et un
"système où tout se tient", et il tente sans cesse de tenir compte de cette
double détermination. Cela lui est assez facile lorsqu'il étudie le
lexique (qu'il traite des noms de l'homme, du vin, de l'huile, ou de la
religion indo-européenne) ou lorsqu'il se penche sur l'expansion des
langues (par exemple sur l'histoire de la langue latine). Les choses lui
sont, bien sûr, plus malaisées dans le domaine de la phonologie ou de
la syntaxe, mais il demeure que son insistance constante sur ces
points en fait un précurseur.
Si la filiation Saussure-Meillet est donc plus que douteuse, le
second maillon faible dans la chronologie de Koerner est le "maillon
Martinet" : quel rôle André Martinet, élève de Meillet, a-t-il joué dans
l'apparition de la sociolinguistique, en particulier lors de son séjour
américain, au cours duquel il a dirigé la revue Word et la thèse de
Weinreich? Début juin 1998, je lui écrivis pour lui demander son avis
sur cette filiation, qu'il avalisa dans sa réponse (lettre du 5 juin 1998).
Pour lui, Meillet et Vendryes « accordaient une large part au social,
mais cela ne me frappait pas parce que le rapport du social au
linguistique me paraissait évident ». C'est sans doute cette évidence qui
lui fait m'écrire :

"Sociolinguistique" n'apparaît chez moi que dans le titre du chapitre V


des Éléments. Ceci implique, non un rejet, mais, au contraire, ma conviction
que la sociologie est toujours impliquée dès qu'on parle de langue. Dire que
la langue sert en priorité à communiquer veut dire qu'elle est un fait social.

U. Weinreich, poursuit-il, lui « est resté fidèle » jusqu'au moment


où il a subi l'influence de Chomsky, et il m'écrit que Labov, élève de
Weinreich, « s'il avait été mon étudiant, aurait sans doute élargi son
horizon, où le sociologique laisse souvent le linguistique dans
l'ombre ». Tout ceci menait donc Martinet à conclure de la façon
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA ( 1 964) 31

suivante : « En résumé, la filiation esquissée par Koerner n'est pas


mauvaise et je ne la récuse pas ».
Certains points de sa lettre me paraissaient cependant
contestables, et je le lui fis remarquer, insistant en particulier sur les critiques
de Labov à son égard. Celles-ci sont flagrantes en au moins deux
passages :
- Dans la discussion qui suivit sa communication dans la réunion
organisée en 1964 par William Bright à l'UCLA, sur laquelle je vais
revenir, Labov déclarait :

Les forces sociales ne sont pas de lointaines catastrophes qui se heurtent


au développement linguistique comme voudrait nous le faire croire
Martinet - pour lui de telles catastrophes sont des événements rares, comme
l'invasion normande, et leurs conséquences se voient dans des séries
d'oscillations entremêlées, structurelles et internes, à travers les siècles -[...] La
question a été posée, toujours par Martinet, de savoir si de telles causes sont
internes ou externes à la linguistique. Elles sont internes aux systèmes
linguistiques dans le sens qu'elles opèrent chaque fois que deux personnes
parlent ensemble, et correspondent ainsi à la définition des facteurs internes de
Martinet, [in William Bright (ed.) 1966 : 103-1041

- Dans une note de bas de page de Sociolinguistique, Labov est


encore plus clair :

Meillet, contemporain de Saussure, pensait que le XXe siècle verrait


s'élaborer une procédure d'explication historique fondée sur l'examen du
changement linguistique en tant qu'il s'insère dans les transformations sociales
(1921). Mais les disciples de Saussure, tel Martinet (1961), se sont attachés à
rejeter cette conception, insistant sans relâche pour que l'explication
linguistique se limitât aux interrelations des facteurs structuraux internes. Par
là, ils ne faisaient d'ailleurs que suivre l'esprit de l'enseignement saussurien.
[1976 : 259]

C'est-à-dire que, pour Labov, il y aurait deux filiations différentes,


celle qui va de Saussure à Martinet et celle qui va de Meillet à lui-
même. Dans sa réponse (lettre du 18 juin 1998), Martinet m'écrivit,
d'une part, que « dans tout ceci la sociologie est si évidente qu'il est
inutile de répéter le mot à chaque page », ce qui est une reprise de ce
qu'il m'écrivait à propos de Meillet et Vendryes et, surtout :
32 LOUIS-JEAN CALVET

II est évident que Labov m'a lu de façon plus que superficielle; tout ce
qu'il dit de mes rapports avec Saussure est inexact. Je ne suis nullement en
décalage avec Meillet. Je n'ai jamais rejeté les influences externes et
l'interaction sociale. Les jugements de Labov à mon égard sont complètement
faux.

Tout ceci nous montre au moins deux choses :


- Qu'il est difficile de construire l'histoire d'une science en ne se
fondant que sur les témoignages et les souvenirs de ses acteurs, même si
ces documents doivent y être intégrés.
- Que la filiation "maître-élève" ne témoigne pas nécessairement
d'une continuité scientifique. En fait, nous avons ici différents cas de
figure : certains reproduisent simplement l'enseignement de leur
maître, d'autres l'approfondissent et l'améliorent, d'autres enfin le
rejettent, cette continuité /rejet pouvant être admise ou niée.
Chomsky, par exemple, doit beaucoup plus à Harris qu'il ne le laisse
entendre tandis que Martinet, quoi qu'il en dise, ne continue pas
Meillet mais bien plutôt Saussure. En fait, Koerner semble avoir une
conception "administrative" de la filiation scientifique, et il y en a au
moins deux autres : une filiation "objective", celle que l'étude des
textes permet d'établir, et une filiation "élective", choisie et affirmée
(mais que l'étude des textes ne confirme pas nécessairement). Les
deux types se manifestent ici : filiation "élective" entre Saussure et
Whitney, ou entre Labov et Meillet, filiation "objective" entre
Durkheim et Meillet, entre Martinet et Saussure, entre Labov et
Weinreich.
La position de Martinet mérite cependant que nous nous y
arrêtions. Son insistance sur le fait que « le rapport du social au
linguistique (lui) paraissait évident » peut être prise comme une façon
d'éluder le problème, et cette posture est fréquente. Mais peut-être faut-il
la prendre plus au sérieux. Un passage de sa seconde lettre est en
effet intéressant :

Pour Saussure, la synchronie aux échecs n'existe qu'entre les rapports des
pièces entre deux coups. Pour moi elle couvre toute la partie; pour Saussure,
la synchronie c'est la surface du tronc d'arbre coupé avec la sève immobilisée.
Pour moi, c'est la sève qui coule. Pour moi, il n'y a de structure qu'en
mouvement.
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA ( 1 964) 33

Cette métaphore de la sève me semble en effet caractéristique de


sa démarche et illustre bien les propositions de "synchronie
dynamique" qui sont venues de son école. La langue change, le social joue
un rôle dans ce changement (et Martinet a fait quelques incursions
dans le domaine du purisme, de la variation stylistique, qui
témoignent de son intérêt épisodique pour l'aspect social de la langue), mais
sa conception de cet aspect social et de son rôle (si évident que nul
n'est besoin de s'y attarder longuement) est limitative. Sa contribution
à l'analyse du changement linguistique insistera donc sur les facteurs
internes (en particulier dans Économie des changements phonétiques),
laissant de côté le problème central qui pourrait être formulé comme
suit : comment prendre en compte le caractère social de la langue dans la
démarche heuristique de la linguistique ? Sur ce point, Martinet
n'apporte rien, rien de plus en tout cas que Meillet, qui avait fait l'effort de se
rapprocher de la sociologie de son temps. Son insistance sur la langue
comme fait social semble avoir eu un effet paralysant sur son étudiant
Martinet. Incapable de proposer un modèle social de la langue, mais
martelant sans cesse l'idée de sa nature sociale, il a en quelque sorte
légitimé un abandon largement répandu : « la langue est un fait social,
certes, et maintenant passons à autre chose », c'est-à-dire à une analyse
interne qui constitue une négation, ou un oubli, de ce fait social. En
ce sens, Martinet se situe face à Saussure dans un rapport de
continuité, il ne remet pas en cause ses grandes dichotomies, mais il
ajoute à cet héritage une version édulcorée de celui de Meillet. Nous
pourrions donc conclure à une double filière : Whitney-Saussure-Martinet
d'une part, Durkheim-Meillet-(Weinreich)-Labov d'autre part,
Weinreich ne semblant pas jouer un rôle majeur dans le rapport de
Labov à Meillet, ce qui nous montrerait que les influences
intellectuelles ne sont pas nécessairement liées aux rapports maître-élève.
Il n'est cependant pas question, ici, de proposer une histoire de la
sociolinguistique, mais de nous pencher sur ses origines et tout
particulièrement sur un moment qui me paraît important, la réunion
organisée à l'UCLA en 1964 par William Bright7. Nous allons, pour ce

7. Dont les communications ont été publiées en 1966 in W. Bright (éd.), Sociolinguistics,
Paris, Mouton.
34 LOUIS-JEAN CALVET

faire interroger à la fois les acteurs (Bright, Samarin, Hymes, Mathiot,


Gumperz...), qui ont répondu à mes questions, les textes, les
filiations, les relations, et les réseaux.

2. LA REUNION DE 1964 : ANALYSE INTERNE

II y avait, à la réunion de l'UCLA, vingt-six participants (Henrik


Birnbaum, William Bright, Margaret Bryan, Myles Dillon, Charles
Ferguson, John Fisher, Paul Friedrich, Harold Garfinkel, Paul
Garvin, John Gumperz, Einar Haugen, Henry Hoenigswald, Dell
Hymes, Milka Ivic, Pavle Ivic, Gerald Kelley, William Labov,
Howard Law, Madeleine Mathiot, Raven McDavid, Herbert Paper,
Irvine Richarson, José Pedro Rona, William Samarin, Andrée
Sjoberg et Robert Stockwell), dont treize ont présenté une
communication et un, William Bright, a ensuite édité l'ensemble et rédigé
une introduction. Parmi ces vingt-six personnes, certaines sont
aujourd'hui célèbres, d'autres le sont moins, d'autres enfin sont
pratiquement inconnues. Toutes ne sont pas de la même génération et,
pour les quatorze dont j'ai pu reconstituer l'état civil, nous
constatons l'existence d'un groupe central de personnes nées entre 1926 et
1929 (Bright 1928, Friedrichl927, Garfinfkel 1929, Hymes 1927,
Labov 1927, Samarin 1926), d'un autre groupe, moins nombreux,
constitué de personnes dont la date de naissance se rapproche du
début du siècle (Dillon 1900-1972, Haugen 1906-1994, McDavid
1911-1984) et enfin d'un groupe intermédiaire dont les membres
sont nés aux alentours de 1920 : Hoenigswald (né en 1915), Garvin
(1919-1994), Ferguson (1921-1998), Fisher (1922-1985), et Gumperz
(né en 1922). Notons cependant que la date de naissance n'est pas
nécessairement significative : Hymes et Labov ont le même âge mais
le premier est, en 1964, un linguiste déjà connu et souvent cité
tandis que le second, qui a travaillé dix ans comme ingénieur chimiste,
est encore étudiant en linguistique et n'a qu'un an de moins que son
directeur de thèse, Uriel Weinreich.
Comment évaluer l'importance des participants au cours de la
réunion elle-même, le rôle qu'ils y ont joué? Il est bien sûr possible
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 35

d'analyser leurs textes, mais la moitié d'entre eux n'ont pas donné de
communication et ceci ne signifie nullement que leur rôle ait été
mineur. C'est pourquoi, dans un premier temps, nous allons
proposer une série de filtres, en opérant des tris successifs dans cet
ensemble à partir de critères objectifs :
- Ceux qui ont communiqué, ceux qui sont intervenus dans les
discussions à la suite des communications.
- Le nombre de communications après lesquelles ils sont
intervenus et le nombre d'interventions.
- Le fait qu'ils soient ou ne soient pas cités dans la bibliographie
des différentes communications.
Sur les vingt-six participants, certains ont donc présenté une
communication (en gras dans la liste ci-dessous) et d'autres sont
intervenus dans les débats (en italiques dans la liste ci-dessous, le gras
italisé indiquant ceux qui, à la fois, ont communiqué et sont
intervenus). Je réserve un sort particulier à William Bright (en
majuscule ci-dessous) à la fois organisateur, préfacier des actes et intervenant
dans les débats.
Henrik Birnbaum, WILLIAM BRIGHT, Margaret Bryan, Myles
Dillon, Charles Ferguson, John Fisher, Paul Friedrich, Harold
Garkinkel, Paul Garvin, John Gumperz, Einar Haugen, Henry
Hoenigswald, Dell Hymes, Milka Me, Pavle Ivic, Gerald Kelley,
William Labov, Howard Law, Madeleine Mathiot, Raven McDavid,
Herbert Paper, Irvine Richarson, José Pedro Rona, William Samarin,
Andrée Sjoberg et Robert Stockwell.
Nous avons donc autour de William Bright différents ensembles,
celui des communiquants /intervenants (comme Ferguson), celui des
intervenants (comme Birnbaum), un communiquant "silencieux"
(Rona)8, et une "silencieuse" (Bryan), qui constituent des cercles
concentriques : dans le premier cercle les communiquants
/intervenants, dans le second cercle les intervenants non communiquants et
un communiquant non intervenant (Rona) et à l'extérieur une
"silencieuse" (Bryan).

En fait, José Pedro Rona n'était pas à la réunion et sa communication a été présentée
par Madeleine Mathiot.
36 LOUIS-JEAN CALVET

Reste à quantifier les interventions. Le tableau ci-après indique


pour chacun des participants et dans cet ordre le nombre de
communications sur lesquels ils sont intervenus et le nombre total
d'interventions (je ne tiens pas compte dans ces chiffres des interventions
d'un participant dans le débat sur sa propre communication):

TABLEAU 1
communications sur lesquelles nombre total
ils interviennent d'interventions

Henrik Birnbaum 1 4
William Bright 5 7
Margaret Bryan 1 2
Myles Dillon 3 6
Charles Ferguson 6 8
John Fisher 5 10
Paul Friedrich 4 8
Harold Garfinkel 3 5
Paul Garvin 4 4
John Gumperz 6 8
Einar Haugen 6 15
Henry Hoenigswald 3 5
Dell Hymes 4 6
Milkalvic 2 2
Pavle Ivic 6 8
Gerald Kelley 3 4
William Labov 5 6
Howard Law 2 2
Madeleine Mathiot 5 9
Raven McDavid 3 4
Herbert Paper 4 5
Irvine Richarson 1 1
José Pedro Rona
William Samarin 3 3
Andrée Sjoberg 1
Robert Stockwell 2

On voit que le nombre de communications sur lesquelles


interviennent les participants va de 0 (Rona) à 6 (Ferguson, Gumperz,
Haugen) et le nombre d'intervention de 0 à 15.
Du point de vue quantitatif, les principaux intervenants dans les
débats sont donc, dans cet ordre, Haugen, Ferguson, Gumperz,
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA ( 1 964) 37

P. Ivic, Fisher, Bright, Labov, Mathiot, Garvin, Hymes, Friedrich,

Paper.
cercle"Side
nous
onze
comparons
personnescette
réunies
liste autour
de douze
de personnes
Bright, douze
au "premier
avec ce

dernier, nous voyons qu'il y en a huit en commun (Bright, Ferguson,


Fisher, Friedrich, Gumperz, Haugen, Hymes, Labov), cinq qui
n'apparaissent que dans l'ensemble du premier cercle (Hoenigswald, Ivic,
Kelley, Me David, Samarin) et quatre qui ne sont que des
intervenants actifs (Garvin, Ivic, Mathiot, Paper). Mais le fait d'intervenir
beaucoup ne prouve pas que l'on joue un rôle important dans la
réflexion ou dans la conceptualisation : il y a partout des bavards. . .
C'est pourquoi nous allons maintenant utiliser le filtre du système
des citations. Dans la liste ci-dessous, en face du nom des auteurs des
communications et de l'introduction publiées dans les actes de la
rencontre, sont indiqués entre parenthèses les participants qu'ils citent
(lorsqu'ils en citent) dans la bibliographie de leur communication.

William Bright (Ferguson, Garvin, Gumperz, Hymes, Labov)


Charles Ferguson
John Fisher (Garvin)
Paul Friedrich (Hymes)
John Gumperz (Bright, Haugen, Hymes, Labov)
Einar Haugen (Ferguson, Garvin, Gumperz, Hoenigswald)
Henry Hoenigswald (Haugen, Hymes)
Dell Hymes (Garvin /Mathiot)
Gerald Kelley (Friedrich, Gumperz)
William Labov (Garvin /Mathiot)
Raven McDavid
José Pedro Rona (Garvin /Mathiot, Haugen)
William Samarin (Garvin /Mathiot)
Andrée Sjoberg (Garvin)

Si nous essayons de croiser ces données, c'est-à-dire de cerner les


réciprocités dans les citations, il nous faut d'une part exclure deux
noms souvent cités, Garvin et Mathiot, qui n'ont pas présenté de
communication et ne peuvent donc pas entrer dans un rapport de
réciprocité, et d'autre part Ferguson, Fisher, Hymes, Labov, McDavid,
Samarin et Sjoberg qui ne citent aucun des autres communiquants
(mais citent Garvin et Garvin /Mathiot, sur lesquels il nous faudra
revenir).
38 LOUIS-JEAN CALVET

II nous reste donc dans la colonne verticale sept noms (ceux des
communiquants qui citent des communiquants) et huit dans l'axe
horizontal (ceux des communiquants qui sont cités par des
communiquants) (tableau 2) :

TABLEAU 2
Bright Ferguson Friedrich Gumperz Haugen Hoenigswald Hymes Labov
Bright X X X X
Friedrich X
Gumperz X X X X
Haugen X X X
Hoenigswald X X
Kelley X X
Rona X
nombre 1 2 1 3 3 1 4 2
de citations

Le plus cité, Dell Hymes, ne cite aucun des participants (alors que
sa bibliographie est consistante), Gumperz et Haugen, qui le suivent
de près, citent pour leur part respectivement 4 et 3 communiquants,
tandis que Ferguson et Labov, cités deux fois, ne citent personne. Un
noyau central se dégage donc de ce système de citations croisées,
Bright, Gumperz et Haugen, un noyau dont Hymes, Ferguson et
Labov sont absents (ils sont cités mais ne citent pas, constituant donc
un "premier cercle") ainsi que Garvin et Mathiot (ils sont cités mais
ne peuvent pas citer). Les membres du "noyau central" et du
"premier cercle" se trouvent également dans l'intersection du "premier
cercle" et des membres du tableau 2 : Bright, Gumperz, Haugen,
Ferguson, Labov, Hymes, six personnes qui, au vu de ces différents
critères (ils présentent une communication, ils interviennent, ils sont
cités) semblent avoir joué un rôle central dans la réunion de 1964.
S'y ajoutent Mathiot et Gardin, sélectionnés par deux des trois filtres
(ils interviennent, ils sont cités), ce qui nous donne une sorte de
constellation à trois étages :
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA ( 1 964) 39

Bright, Gumperz, Haugen


Ferguson, Labov, Hymes
Mathiot, Garvin
Cet ensemble de noms correspond à une certaine réalité
biographique. Ferguson et Gumperz ont travaillé ensemble en Inde, ont
publié un ouvrage commun, Bright les a connus là-bas, Samarin a
connu Bright en 1955, Fisher, Haugen et Sjôberg le connaissaient
également avant la réunion de l'UCLA, Haugen et Gumperz ont tous
deux travaillé sur la Norvège, Hymes et Gumperz sont collègues à
Berkeley. Dell Hymes a d'ailleurs dans cet ensemble un statut
particulier : il est le plus cité, le plus connu à l'époque (il est par exemple
le seul à apparaître dans l'index du volume de l'encyclopédie de la
Pléiade Le Langage, publié en 1968 sous la direction d'André Martinet)
et son article « The ethnography of speaking » (1962)9, cité quatre fois,
apparaît donc comme une référence commune. Il en va de même
pour l'article de Garvin et Mathiot, « The urbanization of the Guarani
Language » (1960), le plus cité10, et comme nous le verrons plus loin,
pour des ouvrages d'auteurs absents (Sapir, Bloomfield, Jakobson,
Weinreich). Languages in contact d'Uriel Weinreich est cité trois fois.
Mais il n'y a pas, bien sûr, dans les citations, que des participants
à la réunion. On trouvera ci-dessous (voir tableau 3 page suivante)
les auteurs (absents de la réunion) cités par au moins deux
personnes.
On voit que l'auteur le plus cité est Sapir, suivi par Jakobson,
Bloomfield, Garvin /Mathiot et Hymes. En quelles langues les textes
cités sont-ils rédigés? Si nous prenons en compte l'ensemble des
citations, nous avons 129 textes cités en anglais, 10 en allemand, 9 en
espagnol, 7 en français, 4 en russe, 3 en suédois, 2 en norvégien, 1 en
danois et 1 en tchèque. Mais ces chiffres sont trompeurs car les 46
références en des langues autres que l'anglais ne témoignent que
rarement d'un intérêt pour la production théorique en ces langues
mais plutôt de deux choses :

9. in Anthropology and Human Behavior, ed. by Thomas Gladwin and W.C. Sturtevant,
Washington, DC, 1962.
10. in Men and Cultures, selected papers of the fifth international congress of
anthropological and ethnological sciences, ed. by Anthony F.C.Wallace, Philadelphia, 1960.
40 LOUIS-JEAN CALVET

1) Les nécessités du terrain : Ainsi Samarin, qui travaille en


Centrafrique, ancienne colonie française, cite-t-il quatre textes en
français, Haugen qui travaille sur la Norvège cite des textes en
norvégien et en suédois, Friedrich qui travaille sur le russe cite des textes
en russe, etc.
2) La langue maternelle de l'intervenant : ainsi les neuf textes en
espagnol sont-ils cités par José Pedro Rona.
C'est-à-dire que les textes non anglais cités le sont rarement pour
des raisons théoriques mais plutôt pour des raisons de terrains. Par

TABLEAU 3

nombre de "citeurs" de textes langue


de citations
Bloomfield 4 4 3 anglais
Brown /Gilman 2 2 1 anglais
Carroll 2 2 1 anglais
Ferguson 3 2 3 anglais
Fisher 2 2 1 anglais
Garvin 3 3 3 anglais
Garvin / Mathiot 4 4 1 anglais
Garvin / Riesenberg 2 2 1 ' anglais
Gumperz /y 3 3 anglais
Haugen 3 3 3 anglais
Hockett 2 2 anglais
Hymes 4 4 1 anglais
Jakobson 5 2 5 4 anglais
1 russe
Jespersen 2 2 2 anglais
Labov 3 3 anglais
Pike 2 2 2 anglais
Sapir 9 4 9 anglais
Sapir/Swadesh 2 2 2 anglais
Weinreich 3 3 1 anglais
Whorf 3 2 3 anglais
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 41

exemple, l'auteur français le plus cité est André Jacquot (trois


références), pour des descriptions de la situation du sango, et seules trois
références ont un statut plus général et plus théorique, Dominique
Zahan (La dialectique du verbe chez les Bambaras), Antoine Meillet (Les
langues dans l'Europe nouvelle) et Marcel Mauss (discussion d'un texte
de Meillet).

3. UN RÉSEAU?

Les relations qui apparaissent de façon objective dans l'analyse qui


précède sont confirmées par la biographie des participants, mais elles
le sont également par leurs déclarations. J'ai en effet sollicité les
témoignages des principaux participants. Je leur ai demandé de me
donner leurs souvenirs de cette réunion, leur évaluation, et j'ai été
frappé par le fait que, dans leurs réponses, ils évoquaient tous leur
formation et souvent leurs relations, insistant sur l'aspect humain de
l'aventure sociolinguistique.
Ainsi William Bright cite des noms, fait référence à ce que j'appe-
lerai un réseau :

Pour ce qui concerne mes motifs pour organiser la conférence : à partir de


ma formation auprès de deux étudiants éminents de Sapir, de mon travail
de terrain en Inde en 1956-57, de mes rapports avec Gumperz et Ferguson
en Inde, de mes rapports avec des collègues américains comme Hymes et
de la lecture du premier travail de Labov, j'étais devenu très intéressé par
la possibilité d'introduire une dimension sociale dans la linguistique
"structurale" qui dominait alors, et ma propre recherche était fortement orientée
dans cette direction".

11. « As for my motives in organizing the conference : from my training by two


outstanding students of Edward Sapir (M.B.Emeneau and Mary Haas), from my
field work in India in 1956-57, from my interaction with John Gumperz and
Charles Ferguson in India, from my interaction with colleagues in the US such as
Dell Hymes, and from my reading of the early work of William Labov, I'd become
excited about the possibilities of introducing a social dimension to the "structural"
linguistics which then prevailed; and my own research was turning strongly in
that direction ».
42 LOUIS-JEAN CALVET

II en va de même de Dell Hymes qui évoque à la fois les présents :


« Le mélange de personnes était bon pour les États-Unis. Raven
McDavid pour la géographie dialectale de la génération précédente,
Einar Haugen... et Harold Garfinkel »12, et sa propre formation
(« Boas, Sapir, Whorf »), de Madeleine Mathiot qui m'écrit que « c'était
encore un tout petit groupe de gens qui se connaissaient bien », de
William Samarin qui déclare avoir suivi avec Bright les cours de Mary
Haas, et de John Gumperz qui évoque sa formation « en tant
qu'étudiant de Kenneth Pike », les antécédents dialectologiques « des sujets
comme les relations entre frontières dialectales et frontières de
groupes et la littérature concernant l'émergence des langues standards
(e.g. Tourtoulon and Bringuier, Gauchat, Frings et autres) »13.
Si nous revenons à la constellation à trois étages présentée plus
haut, Bright, Gumperz, Haugen
Ferguson, Labov, Hymes
Mathiot, Garvin,
nous voyons donc qu'elle constitue une sorte de "collège
invisible", pour reprendre la formule de Derek de Solla Price14, qui
présente une certaine cohérence générationnelle (Bright, Gumperz,
Ferguson, Labov, Hymes ont sensiblement le même âge) et
géographique (Bright et Mathiot sont à Los Angeles, Gumperz et Hymes
sont à Berkeley, Garvin est également en Californie, seuls Ferguson et
Labov étant dans l'est des USA). Mais ce réseau a une autre
cohérence : la majorité de ses membres a effectué des travaux de terrain
dans des zones plurilingues. Gumperz, Bright et Ferguson ont
rencontré le plurilinguisme en Inde, Mathiot et Garvin s'intéressent au
Paraguay (mais de loin : ils interviewent des Paraguayens vivant aux
USA), Haugen et Gumperz ont étudié la situation très particulière
de la Norvège. Ajoutons à cela des publications conjointes : Ferguson
et Gumperz ont publié en 1960 « Linguistic Diversity in South
Asia »15 (dont, par parenthèses, Paul Friedrich rend immédiatement

12. « The mix of people was a good one for the US. Raven McDavid from the dialect
geography of a generation before, Einar Haugen... and Harold Garfinkel ».
13. « issues such as the relations between dialect boundaries and group boundaries
and of the literature on the rise of standard languages ».
14. Derek J. de Solla Price (1961) - Science since Babylon. New Haven, Yale University Press.
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 43

compte dans Language), Gumperz et Hymes publient en 1964 « The


Ethnography of Communication »16, etc. Il est donc possible
d'analyser ce groupe comme un réseau, mais un réseau auquel il manque
certains facteurs pour pouvoir s'imposer. En particulier, il apparaît
clairement dans les témoignages que j'ai pu recueillir17 que les
différents participants n'avaient pas les mêmes visées scientifiques.
Gumperz est sur ce point très clair :

Plutôt que de mettre l'accent sur la langue ou les langues en contexte


social, pour utiliser les termes de Labov, où la langue est encore le premier
objet d'analyse, nous avons commencé à mettre l'accent sur les
communautés linguistiques et leur répertoire linguistique [...] Rétrospectivement, je me
souviens de m'être trouvé isolé sur le plan théorique de plusieurs des autres
participants qui continuaient à mettre surtout l'accent sur les structures
linguistiques [...] Je me souviens avoir surtout parlé avec Harold Garfinkel18.

Les uns voulaient changer de théorie et de méthode (« mettre


l'accent sur les communautés linguistiques et leurs répertoire », John
Gumperz) tandis que les autres se proposaient d'ajouter un regard
sociologique sur la langue : « la langue considérée dans son
contexte social et /ou sociologique » (Henrik Birnbaum, E-mail du 17
octobre 1998), « l'assemblage de la linguistique formelle et de
l'interprétation sociale » (Samarin) ou encore comme l'écrit William
Bright, (E-mail du 5 octobre 1998)19 : « je m'intéressais aux possibi-

15. IJAL : 26, 3.


16. supplément au n° 66 de American Anthropologist.
17. W. Bright, D. Hymes, H. Birnbaum, J. Gumperz et M. Mathiot m'ont envoyé un ou
plusieurs E-mails, W. Samarin a rédigé en réponse à mes questions un article,
«Sociolinguistics as I see it ».
18. « Rather than focusing on "language or languages in social context" (to use Labov's
term) where language is still the primary object of analysis, we began to focus on
speech communities and their linguistic repertoires ». « In retrospect I recall that I
found myself theoretically isolated from many other participants at that
conference who continued to focus primarily on linguistic structures ». « I remember that I
talked mostly to Harold Garfinkel ». [E-mail du 27 octobre 1998]
19. Respectivement : « language viewed in its societal and /or sociological context »;
« the coupling of formal linguistics with social interpretation » ; « I'd become
excited about the possibilities of introducing a social dimension to the "structural"
linguistics which then prevailed; and my own research was turning strongly in that
direction ».
44 LOUIS-JEAN CALVET

lités d'introduire une dimension sociale à la linguistique


structurale qui dominait alors; et mes propres recherches s'orientaient
nettement dans cette direction ».
Nous avions donc d'un côté une linguistique structurale qui croyait
en la langue et débouchait sur une sociolinguistique conçue comme
une approche annexe des faits de langue, et de l'autre l'émergence ou
la quête d'un autre modèle plutôt fondé sur la communauté
linguistique. Mais cette notion, floue, se prêtant à différentes définitions,
posait problème : les participants de la réunion ne disposaient pas
réellement d'un arsenal théorique commun. Les textes les plus cités
dans leurs communications, « The urbanization of the Guarani
language » de Paul Garvin et Madeleine Mathiot, « The ethnography of
speaking » de Dell Hymes et Languages in contact d'Uriel Weinreich,
ne constituent pas une théorie et témoignent tout au plus d'intérêts
convergents. Il faut ici rappeler que Weinreich, dans le dernier
paragraphe de son livre (Multiple Language Contacts as a Favorable Field of
Study) dressait une liste des recherches possibles dans le domaine du
contact des langues. Il évoquait d'abord les "tourbillons
linguistiques" où, comme dans la péninsule des Balkans, les contacts de
langues fascinent depuis longtemps les chercheurs, citait ensuite le
cas du yiddish, de l'Inde, d'Israël puis en venait aux USA qu'il
qualifiait de « super-Balkans linguistiques très accessibles mais
pratiquement pas étudiés »20. Il évoquait alors les langues indiennes, les
langues de migrants (« des douzaines de langues européennes et
plusieurs langues asiatiques sont représentées par des dizaines de
millions de locuteurs »), les villes par opposition aux réserves indiennes,
les communautés linguistiques, en particulier celle des yiddisho-
phones qui, en passant d'Europe en Amérique, ont changé de diglos-
sie, etc. Or il n'a, dans ce vaste programme, guère été suivi. En
particulier, les communications présentées lors de cette conférence
témoignent à la fois d'une grande diversité des intérêts, d'une très
faible convergence des terrains et des problématiques et d'un net
désintérêt pour la situation américaine. Gumperz évoque la Norvège

20. « these highly accessible but almost unexplored linguistic "super-Balkans"


Languages in contact, p. 114.
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 45

et l'Inde, et traite du changement linguistique, Haugen parle de la


Norvège et de la planification linguistique, Kelley du hindi, Fisher
des langues micronésiennes, Samarin du sango, Friedrich du russe,
Sjoberg des systèmes d'écritures, Rona du guarani et Ferguson des
« national sociolinguistic profile formulas ». Seuls Me David,
Labov et Hymes traitent de thèmes se rapprochant du programme
de Weinreich (différences sociales et dialectales dans des villes
américaines pour le premier, hypercorrection et petite bourgeoisie
à New York city pour le second et « relativité linguistique » avec
exemples amérindiens pour le troisième).
Si les participants de la réunion constituent un groupe ou un
réseau, leur situation est en fait plus défensive qu'offensive, car
ils se sentent menacés par une théorie en pleine ascension, celle
de Noam Chomsky. William Samarin écrit : « Je me serais
simplement considéré à cette époque comme un linguiste, conscient
cependant que ma linguistique était déjà menacée par Chomsky et
sa linguistique transformationnelle-générative »21. John Gumperz
m'explique qu'il voulait se démarquer de ceux qui mettaient
l'accent principalement sur les structures linguistiques, pensant pour
sa part qu'il fallait mettre l'accent sur les communautés
linguistiques et sur leur répertoire. Seul Dell Hymes m'écrit qu'il profite
de sa présence à l'UCLA pour aller écouter une conférence de
Chomsky, ce qui ne l'empêche pas de dire à propos de la réunion :
« C'était une bonne représentation, un bon échantillon des
intérêts pour la langue au delà de la grammaire formelle »22 et de
déclarer dans un autre E-mail (9 février 1999) : « À la même
époque, comme vous le savez peut-être, j'écrivais sur la
"compétence communicative" en réaction à l'usage que Chomsky faisait
de "compétence" »23.

21. « I would have at that time considered myself simply a linguist, aware, however,
that my kind of linguistics was already in danger of being washed away by Noam
Chomsky and his transformational-generative kind of linguistics ».
22. « It was a good representation, good range of interests in language beyond formal
grammar ».
23. « At the same time, as you may know, I was writing about "communicative
competence" in reaction to Chomsky's use of "competence" ».
46 LOUIS-JEAN CALVET

C'est-à-dire que Noam Chomsky, qui n'est bien sûr jamais cité
dans les textes de 1964, et, de façon plus générale la grammaire
generative, planent comme une ombre sur la réunion. C'est contre la
menace d'une linguistique de plus en plus formelle et de moins en
moins "humaine" que ces gens se réunissent, et l'on peut prendre
l'hypothèse que la sociolinguistique est née en partie contre le géné-
rativisme, contre une certaine idée de la linguistique s'éloignant de
plus en plus du contexte social. Les participants de cette autre
aventure présentent les mêmes caractéristiques que celles du "groupe de
Bright" : ils ont sensiblement le même âge (Chomsky est né en 1928,
Katz en 1927, Halle en 1923, Klima en 1931, Fodor en 1935) et ils sont
géographiquement regroupés, à Cambridge. Nous avons donc, au
début des années 1960, deux réseaux antagonistes, l'un centré, à
l'ouest, en Californie, et l'autre centré à l'est, dans le Massachussets.
Mais ces deux réseaux présentent une différence fondamentale : le
premier ne dispose d'aucune stratégie d'implantation tandis que le
second semble planifier soigneusement sa progression impériale. Je
n'évoquerai ici qu'un exemple concret, mais il est significatif. En 1962,
le neuvième congrès international des linguistes se tient à
Cambridge. Morris Halle est le secrétaire du comité exécutif du
congrès et le comité d'organisation est bien sûr entre les mains des
locaux (Locke, Halle, Lunt, Klima. . .). Or, Chomsky, alors âgé de
trente-quatre ans, se voit confier une des cinq conférences plénières (les
quatre autres sont données à des linguistes de la génération
précédente) et, dans les actes du congrès, son texte occupera plus de place
que celui des quatre autres additionnés...24. Plus tard, Morris Halle
suivra avec soin les postes vacants dans les différentes universités
américaines, désignera les candidats parmi les thésards du MIT, tel
un général devant la carte d'un champ de bataille, plaçant ses
poulains à l'Université de San Diego, à celle d'Urbana-Champaign, etc.
Albert Valdman, qui de 1964 à 1969 était directeur du département de
linguistique à l'Université d'Indiana et, à ce titre, suivait ces
« manœuvres », ajoute que « la linguistique G-T a été un mouvement

24. Stephen Murray, (1994) - Theory Groups and the Study of Language in North America.
John Benjamins Publishing Company, Amsterdam /Philadelphia : 239-240.
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 47

intellectuel plus focalisé que les divers courants de la sociolinguis-


tique américaine. Par sa nature, elle se prêtait peut-être mieux à la
prise de pouvoir » (communication personnelle, 5 janvier 1999). On
ne trouve en effet rien de semblable du côté de l'autre réseau. Seul
Uriel Weirtreich (1926-1967) semble avoir une stratégie, mais elle se
résume à la promotion de William Labov : c'est lui qui
systématiquement conseille à ceux qui l'invitent dans des réunions de socio-
linguistique d'inviter plutôt Labov, qui lui obtient des bourses de
recherches, qui arrange pour lui une publication dans Word, etc.25.
Le "groupe de Bright" est en outre confronté à un défi théorique
qu'il n'arrive pas à relever. La linguistique qui a dominé le XXe siècle,
celle qui va de Saussure à Chomsky, c'est-à-dire les structuralismes
européen et américain, avaient en commun le fait d'avoir produit
une abstraction (la langue dans un cas, la compétence dans l'autre)
qui rendait impossible la compréhension des phénomènes de
communication. Dans un cas, on confondait cette communication avec
des codes et dans l'autre avec des machines à produire des phrases.
Or, dans leur majorité, les membres du groupe préconisaient une
approche qui ne mettait en question ni la théorie ni la
méthodologie dominantes et se contentaient d'ajouter une dimension sociale à
la linguistique structurale : il ne s'agissait nullement d'une révision
épistémologique, d'un changement de paradigme. Seul le
témoignage de Gumperz va en sens inverse : « Pour moi la vraie rupture
entre la sociolinguistique des années soixante et ses prédécesseurs
est que nous commencions à mettre systématiquement l'accent sur
ce que nous considérions à l'époque comme les relations entre
structures linguistiques et structures sociales »26. Mais les autres
participants ne contestent pas la linguistique structurale. En témoigne par
exemple le fait que l'on trouve les signatures de Weinreich et de
Fishman dans un ouvrage dirigé par André Martinet27, publié en
1968, et qui constitue un manifeste de la linguistique fonctionnelle

25. idem. p. 377.


26. « For me the real break between 1960d<s sociolinguistics and its predecessors was
that we began to focus systematically on what at the time we saw as the
relationship between linguistic and social structure ».
27. Le langage, Encyclopédie de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1968.
48 LOUIS-JEAN CALVET

orthodoxe. Il n'y a donc pas, à proprement parler, dans le "groupe de


Bright" d'école de pensée, d'analyse commune.
La meilleure façon de montrer cette absence de cohérence
théorique est de s'interroger sur la façon dont ils définissaient le champ
d'études qu'ils inauguraient. Qu'est-ce donc pour eux que la "socio-
linguistique" ? Bright, dans son introduction à l'ouvrage de 1966,
en donne la définition suivante : « La tâche de la sociolinguistique
est donc de montrer la covariance systématique des structures
linguistiques et des structures sociales - et peut-être même de
montrer une relation causale dans un sens ou dans l'autre »28. Et il
poursuit en soulignant que les sociolinguistes s'opposent à la
linguistique générale sur un point, considérant que les langues ne
sont pas homogènes, monolithiques, qu'elles sont soumises à
variation : « L'une des principales tâches de la sociolinguistique est de
montrer qu'une telle variation ou DIVERSITÉ n'est en fait pas
"libre", mais qu'elle est corrélée aux différences sociales
systématiques. En ce sens et plus largement encore, la diversité est
précisément le domaine de la sociolinguistique »29. Mais il s'agit là d'une
définition a posteriori, largement inspirée de Labov. Au cours de la
réunion, les choses étaient moins claires et largement
contradictoires. Dell Hymes par exemple, commentant la communication de
Gumperz, a une formulation très différente. Pour lui, ce qu'il y a
d'important dans le travail de Gumperz c'est qu'il étudie le
répertoire verbal d'une communauté et non pas une langue ou un code,
et il voit dans cette approche les prémisses d'une nouvelle
approche, sociolinguistique ou ethnolinguistique : «
Fondamentalement, il y a vraiment une seconde science linguistique
descriptive sous-jacente à celle dont nous sommes familiers - je l'ai
appelée "ethnographie de la communication" - qui est peut-être la

28. « The sociolinguist's task is then to show the systematic covariance of linguistic
structure and social structure - and perhaps even to show a causal relationship in
one direction or the other ».
29. « One of the major tasks of sociolinguistics is to show that such variation or
diversity is not in fact 'free', but is correlated with systematic social differences. In this
and in still larger ways, linguistic DIVERSITY is precisely the subject matter of
sociolinguistics ».
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 49

sociolinguistique w30. Madeleine Mathiot, comme en écho à ce


passage, m'écrit que selon elle, « l'origine de la sociolinguistique, c'est
la collaboration entre Hymes (qui a une formation d'ethnolinguis-
te) et Gumperz (un sociologue) à Berkeley. J'imagine que Hymes
(qui a toujours écrit et pensé comme un ethnolinguiste) suggéra le
terme de sociolinguistique pour faire plaisir à Gumperz » (E-mail
du 1er février 1999).
De façon un peu paradoxale, Paul Garvin, dans la discussion du
texte de Samarin, utilise pour sa part une formule qui sera maintes
fois reprise avec mépris par les tenants de la linguistique "dure",
traitant la sociolinguistique de "discipline de trait d'union" (hyphenated).
Et il lui assigne deux tâches : « II y a deux situations linguistiques
clairement définies qui peuvent être étudiées dans les termes de cette
discipline de trait d'union. L'une est le problème des langues
standard. . . l'autre le problème des langues véhiculaires »31. Et Ferguson,
le seul qui utilise le terme sociolinguistique dans le titre de sa
communication (« Sociolinguistic profile »), parle d'indices sociolinguis-
tiques ou de classification sociolinguistique, n'utilisant que la forme
adjectivale, sans jamais parler de la sociolinguistique (en anglais,
sodolinguistics). Tout ceci fait un peu velléitaire et, avec le recul que
nous procure le temps, nous pourrions avoir l'impression qu'à de
rares exceptions près ces précurseurs de la sociolinguistique n'y
croient pas, qu'ils veulent simplement saupoudrer de social la
linguistique structurale, étudier la variation, l'émergence des langues
véhiculaires, les situations linguistiques des États, etc., en marge de la
linguistique (ce qui vaudra à la sociolinguistique, à côté du
qualificatif "de trait d'union", celui de "périphérique"). La vérité est sans
doute ailleurs : en fait, ils ne parviennent pas à élaborer un apparat
théorique novateur, ne parviennent pas à se constituer en école, ou en
groupe de pression théorique, et les textes dont nous avons vu qu'ils

30. « Fundamentally there is really a second descriptive linguistic science underlying


the one with which we are more familiar - I've called it 'ethnography of speaking'
- which is perhaps sodolinguistics ».
31. « There are two clearly defined language situations that can be treated only in
terms of this hyphenated discipline. One is the standard language problem (...)The
second is the question of lingua franca ».
50 LOUIS-JEAN CALVET

sont les plus cités, et qu'ils constituent donc leurs références (presque)
communes, Hymes, Garvin/Mathiot et Weinreich, sont eux-mêmes
divergents.
À travers les citations et le thème des communications, on voit
cependant se dégager dans cette réunion trois grandes tendances :
- Une tendance "sociolinguistique urbaine", marquée au départ
par l'article séminal de Garvin/Mathiot, « The urbanization of the
Guarani language ». Leur propos était relativement simple. Partant
de la distinction élaborée par l'école de Prague entre langue standard
et langue populaire et de celle proposée par R. Redfield32 entre
culture populaire et culture urbaine, ils posaient que la standardisation
d'une langue était en rapport direct avec le degré d'urbanisation de
ses locuteurs. Et leur analyse de la situation du Paraguay leur
permettait, pensaient-ils, de montrer que le processus de formation
d'une forme standardisée, le guarani face à l'espagnol, faisait partie
de l'émergence d'une culture urbaine bilingue. Or la ville est, de
différentes façons, très présente dans les communications. William
Labov travaille sur l'hypercorrection dans les classes moyennes à
New York, Gerald Kelley sur le statut du hindi dans les villes de
l'Inde, José Pedro Rona revient sur le statut du guarani, Raven
McDavid étudie les variantes dialectales et sociales dans la société
urbaine américaine.
- Une tendance "ethnographie de la communication", qui se
manifeste dans l'omniprésence de « The ethnography of speaking »
de Dell Hymes, cité par Bright, Hoenigswald, Gumperz, Friedrich,
dans la communication de Hoenigswald sur la "folk-linguistics",
dans celle de Gumperz, et dans celle de Hymes bien sûr. Mais nous
sommes surtout confrontés ici à un problème sémantique, à des
hésitations taxinomiques, ethnography of speaking (Hymes 1962),
ethnography of communication (Gumperz et Hymes 1964), sociolinguistics,
hésitations dont témoigne Hymes lui-même, dans son intervention
déjà citée après la communication de Gumperz, elle-même intitulée
« On the ethnology of linguistic change » : « une seconde science
linguistique descriptive sous-jacente à celle dont nous sommes fami-

32. R. Redfield, The Folk Cultures of Yucatan, Chicago, 1941.


LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 51

liers - je l'ai appelée "ethnographie de la communication" - qui est


peut-être la sociolinguistique ».
- Une tendance "plurilinguisme et politique linguistique", qui
prend nettement sa source dans Languages in contact d'Uriel
Weinreich et dans les travaux de Haugen sur la Norvège, et se
manifeste dans la communication de Haugen, celle de Ferguson, mais
aussi celle de McDavid qui débouche sur le problème de
l'enseignement aux enfants de migrants, ou celle de Rona qui conclut que les
Paraguayens voudraient développer le guarani mais ne savent pas
comment le faire et qu'ils « méritent l'aide et les conseils des savants
du monde entier »33.

Au delà de cette réunion, nous voyons, de façon plus large, que la


naissance de la sociolinguistique est déterminée par quatre types de
facteurs :
1) Le terrain tout d'abord, qui vient battre en brèche l'idée de la
langue comme structure invariante et souligne en même temps
l'importance du plurilinguisme. Les participants de la réunion de 1964,
dans leur majorité, ont travaillé sur des terrains non-nord-américains
(Inde, Norvège, Paraguay...) et sur quelques villes américaines
(Chicago pour McDavid, New York pour Labov). On passe ainsi
lentement de l'informateur, cher depuis longtemps aux phonologues,
ou de l'introspection chère aux générativistes à la communauté
linguistique, quelle que soit sa définition (et il y en a plusieurs. . .).
2) Un intérêt pour le changement linguistique, mis en relation avec
des faits sociaux. Ce thème fait bien sûr immédiatement penser à
Labov, mais il remonte à Meillet dont il faut ici rappeler la critique
de Saussure, déjà citée plus haut : « en séparant le changement
linguistique des conditions extérieures dont il dépend, Ferdinand de
Saussure le prive de réalité; il le réduit à une abstraction qui est
nécessairement inexplicable ».
3) Des préoccupations sociales, en particulier le problème des
déficits linguistiques et de l'enseignement de l'anglais aux enfants des
classes sociales défavorisées (Bernstein), aux Noirs américains

33. « They deserve help and good counsel for this task, from scholars the world over ».
52 LOUIS-JEAN CALVET

(Labov) ou aux enfants de migrants (McDavid). Ce thème restera fort


jusqu'à nos jours, dans le domaine scolaire comme dans celui du
travail (cf. par exemple les recherches en France de Josiane Boutet).
4) Des préoccupations de politique linguistique. En 1964, celles-ci
concernent surtout la typologie du plurilinguisme. Après avoir, en
1959, décrit la diglossie, Ferguson reprend ici un problème déjà
abordé par William Stewart34, celui des formules typologiques, ou de la
mise en équation des situations plurilingues, problème sur lequel
reviendra Stewart en 1968, suivi par Fasolph en 1983 35. C'est ensuite
en Europe que ce thème va être développé, en particulier en France
(à propos de l'Occitanie ou des îles créolophones) et en Espagne (à
propos de la Catalogne, de la Galice ou du Pays Basque).
La sociolinguistique échappera alors à ses initiateurs pour se
centrer plutôt en Europe. En France, par exemple, se manifesteront au
début des années soixante-dix plusieurs courants. Le premier, centré
à Rouen autour de communistes orthodoxes, trouve sa première
expression dans un livre (Marcellesi-Gardin 1974) qui accorde autant
de place à la "linguistique" soviétique (Marr, Reznikov, Staline) qu'à
Labov mais ignore le reste du courant américain et les précurseurs
français : aucune référence dans l'index à Bright, Ferguson, Gumperz
ou Cohen (dont les Matériaux pour une Sociologie du Langage ont
pourtant été republiés en 1971), une référence à Hymes, deux à Meillet,
mais sept à Marcellesi, huit à Dubois, et onze à Marr et à Staline. . . À
Montpellier, autour de Robert Laffont, les "linguistes occitans"
reviennent de façon critique sur le concept de diglossie. De façon plus
large, la recherche européenne se poursuivra dans les directions
inaugurées aux USA, tant pour ce qui concerne la variation (Peter Trudgill
à propos de l'anglais à Norwich, Norbert Dittmar à propos de
l'allemand à Berlin, etc.) que le plurilinguisme (chez les romanistes
allemands, chez les linguistes catalans et occitans, comme Lluis Aracil,
Rafael Ninyoles, Robert Laffont, chez les analystes des situations
post-coloniales comme Robert Phillipson en anglais, Calvet en
français), avec la même dispersion théorique que dans le "groupe de

34. William Stewart, 1962.


35. voir L.-J. Calvet, 1986.
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 53

Bright"36. Trente-cinq ans après cette réunion séminale, les problèmes


semblent être les mêmes : dispersion des intérêts, absence de théorie
unifiante, absence de force institutionnelle. Mais le rôle du politique
apparaît de plus en plus nettement. La façon dont le concept de
diglossie, par exemple, a été revisité et critiqué (par les occitans, les
catalans, les créolophones) est de ce point de vue édifiante : la socio-
linguistique se constitue en Europe comme une science séculière,
consciente des implications sociales et politiques de ses découvertes.

CONCLUSIONS

L'article de Koerner dont nous sommes parti témoignait d'une vision


linéaire et un peu mécaniste de l'histoire de la sociolinguistique.
Nous avons vu que la filiation Whitney-Saussure-Meillet-Martinet-
Weinreich-Labov ne tenait guère, que Meillet n'était pas sur les
mêmes positions que Saussure, que Labov (via Weinreich) ne devait
pas grand-chose à Martinet. Les rapports maître-élève ne sont pas
aussi automatiques et bien souvent un "thésard" s'éloigne dans sa
carrière scientifique des positions de son directeur de thèse. En
revanche, la réunion organisée par William Bright en 1964 révèle
l'indiscutable existence d'un réseau constitué en majorité par des
linguistes jeunes (ils ont en moyenne 37 ans), travaillant ou ayant
travaillé sur des situations de plurilinguisme ou de diglossie, centrés
pour la plupart en Californie. Mais il s'agit en fait d'un réseau lâche,
distendu, qui n'a pas de force institutionnelle (seul Ferguson dirige
une institution importante, le Centre de Linguistique Appliquée,
mais il se trouve à l'autre bout du pays, à Washington). En outre, il
n'est pas théoriquement unifié (ses membres font d'ailleurs
référence, à cette époque, aussi bien à l'ethnographie de la
communication qu'à la sociolinguistique, à l'ethnologie du changement
linguistique voire même, pour Haugen, à l'écologie linguistique), ne dispose
pas d'un chef de file, d'une œuvre de référence : Uriel Weinreich aurait

36. Trois titres publiés la même années (Calvet 1974, Marcellesi-Gardin 1974, Trudgill
1974) témoignent parfaitement de cette dispersion.
54 LOUIS-JEAN CALVET

peut-être pu en être le "leader" mais il meurt en 1967, à 41 ans, et, au


début des années soixante, il a plus tendance à pousser Labov qu'à
participer lui-même à l'aventure de la sociolinguistique naissante.
Le "groupe de Bright" n'a pas la force de l'autre réseau qui
apparaît à la même époque, constitué par des linguistes du même âge,
centré à Cambridge, qui dispose très vite de textes de référence37 et
surtout applique pour sa part une stratégie d'expansion
soigneusement pensée. Dans cette opposition est /ouest, Massachusetts/
Californie, nous avons d'un côté la grammaire generative, organisée
et dogmatique, et de l'autre une nébuleuse, un groupe flou. Dans cet
affrontement, le "groupe de Chomsky" ne pouvait que l'emporter
sur celui de Bright et la sociolinguistique ne pouvait avoir aux USA
qu'un rôle mineur, marginal, elle ne pouvait que rester sur des
positions défensives. Ce qui permettra à Joshua Fishman d'écrire, dans
sa préface à un ouvrage de Glyn Williams : « Après trois décennies,
la sociolinguistique est restée ce qu'elle était : une province de la
linguistique et de l'anthropologie, et une province plutôt provinciale »38.
Mais son jugement n'est pas nécessairement objectif et il est en outre
étroitement américain. La sociolinguistique rebondira en effet, pour
d'autres raisons. Grâce à un outsider d'une part, William Labov, qui
n'était en 1964 qu'un débutant prometteur et qui aura le culot de
poser que la sociolinguistique est la linguistique. On aurait pu penser
que son approche de la communauté linguistique était de nature à
changer bien des choses dans la linguistique, mais il s'enfermera dans
des considérations méthodologiques un peu étroites qui, malgré leur
intérêt, ne lui permettront pas vraiment de proposer un nouveau
paradigme. En Europe d'autre part, où les conditions politiques (la
mort de Franco en Espagne, le mouvement des minorités un peu
partout, l'analyse des situations coloniales, le statut d'une ville comme
Berlin, coupée en deux par le mur) susciteront un foisonnement de

37. Chomsky (1957) Syntactic Structures, (1965) Aspects of the Theory of Syntax; Halle
(1959) The Sound Pattern of Russian; Chomsky et Hall (1968), The sound Patterns of
English.
38. « After three decades, sociolinguistics has remained just as it was : a province of
linguistics and anthropology, and a rather provincial province at that » G. Williams,
1992 : viii.
LA CONFÉRENCE DE SOCIOLINGUISTIQUE DE L'UCLA (1964) 55

textes théoriques qui ne constituent toujours pas une école mais


poursuivent les interrogations lancées en 1964 à l'UCLA sur des
bases plus directement liées au social. La sociolinguistique se cherche
toujours, et elle n'a pas encore trouvé le point de vue lui permettant
de revenir à la grande idée de Meillet : « Du fait que la langue est un
fait social il résulte que la linguistique est une science sociale ».
Certes, mais sur quelles bases théoriques faut-il construire cette
science sociale? Et de quels instruments heuristiques faut-il la doter?
Trente-cinq ans après la réunion de l'UCLA, nous sommes toujours
confrontés à ces questions.

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