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Ronveaux, Christophe
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RONVEAUX, CHR. (2014). L’archi-élève lecteur entre tâche, activité et performance
de lecture. In J.-L. Dufays & B. Daunay (Éd.), Didactique du français langue
7
première : quelle place pour le point de vue des élèves ? (pp. 119-138). Bruxelles :
De Boeck.
C H A P I T R E
L’archi-élève
lecteur en progression
entre tâche, activité et
performance de lecture
Christophe RONVEAUX
GRAFE, UNIVERSITÉ de Genève
laires effectuées par les élèves ? Peut-on être assuré que ce qui se perçoit en
exercice est bien l’effet de l’action transformatrice de ces médiations ? Quelle
part du processus psychique de l’élève attribuer à sa réaction à un dispositif ?
Même si les processus psychiques des élèves constituent de fait l’objet réel
de l’enseignement / apprentissage, ils sont, selon Schneuwly, inatteignables.
Les élèves en tant qu’acteurs collectifs suivant leur logique d’action d’apprendre
apparaissent comme définissant les conditions de ce travail qui évolue au fur et à
mesure de sa réalisation. Autrement dit, les acteurs « élèves » ne sont pas observés
du point de vue de leur action d’apprendre ni de leur apprentissage scolaire effec-
tif, mais de celui de leur réaction au dispositif mis en place par l’enseignant.
(Schneuwly & Dolz, 2009, p. 27).
2. Nous reprenons les trois principes de Bain & Canelas-Trévisi (2009, p. 234) : l’analyse est
pilotée par la théorie ; elle doit s’adapter à l’objet observé ; la grille d’analyse est une opération-
nalisation des concepts.
3. Une analyse à priori des deux textes et la confection d’une carte conceptuelle seraient les
bienvenues. Elles sont indispensables pour mesurer la part que prennent les réactifs dans les
tâches. Pour la présente contribution, nous nous en tenons à une présentation succincte des
deux textes et renvoyons le lecteur et la lectrice à des prochains travaux.
4. Une enquête sur ce que Nathalie Denizot (2010) appelle l’« amphitextualité » de la fable de
La Fontaine reste à faire. Celle-ci nous permettrait de dégager les grandes lignes de cette tradi-
tion scolaire à laquelle, peu ou prou, devraient se référer les pratiques de lecture de notre corpus.
5. Merci à Nicole Biagioli pour ses suggestions lexicales très stimulantes auxquelles le format
de cette intervention ne permet pas de rendre hommage.
texte, ou celles des propriétés de l’artéfact textuel. Les réactions des élèves,
notamment leur activité de résumé, seront autant d’actualisations du récit,
nous le verrons, et d’excellents analyseurs de ce qui s’enseigne et s’apprend.
Les séquences s’étendent sur une ou plusieurs périodes administra-
tives. Chaque séquence est précédée d’un entretien ante qui porte sur l’ex-
plicitation du projet de l’enseignant. Les captations terminées, le chercheur
procède à un entretien post qui vise à situer les séquences et leurs contenus
(lecture, argumentation, histoire littéraire) dans la planification annuelle.
C’est à partir des séquences captées et transcrites seulement que nous
menons la présente enquête. Nous focalisons nos analyse et comparaison sur
les leçons de Lovay dans les 3 niveaux d’enseignement6.
D’un côté, les dispositifs et les tâches parient sur des performances à
venir. La prédictibilité n’est pas seulement le produit archétypal des finalités
d’un plan d’étude, elle s’est aussi calculée par l’enseignant-e, sur les presta-
tions passées de ses élèves. De l’autre, l’activité scolaire comprend autant ce
que l’élève a interprété de l’attendu, que ce qu’il réalise effectivement. L’archi-
élève que nous visons à décrire au fil des niveaux est le produit de ces déter-
minations.
7. L’expression de Laurent Jenny (1990) est bien commode pour désigner ce qui relève d’un
rapport du lecteur au dispositif textuel, à la scénographie énonciative et à la langue par laquelle
il construit son émotion esthétique. Ici, cette émotion est liée à la spécificité générique de la
fiction littéraire, en particulier dans sa dimension « intrigante ».
Dans la deuxième phase, les élèves sont invités à rédiger une brève
nouvelle en trois lignes sur le modèle des Nouvelles en 3 lignes de Félix
Fénéon8. Le dispositif prévoit (1) la lecture de quelques nouvelles,
8. Félix Fénéon (1861-1944) doit sa fortune didactique à ses dépêches en 3 lignes. Citons seu-
lement le manuel d’Olivier Dezutter et Thierry Hulhoven, La Nouvelle. Vadémécum du profes-
seur de français (1991), utilisé pour travailler le genre de la nouvelle, et le « livre-outil » de
Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, Lector & Lectrix. Apprendre à comprendre les textes narra-
tifs (2009), utilisé pour travailler les stratégies de lecture.
ANT : « ouais bon / paragraphe »). Le deuxième est lié à la nature même de
l’intrigue et de son énonciation. Le tableau ci-dessous reprend l’ensemble
des réponses formulées à l’oral par les diverses dyades au moment de la mise
en commun.
Ensemble des titres donnés par les élèves, répartis par paragraphe
Le jugement de valeur posé par KAO sur le texte et son auteur renvoie
à la difficulté d’identifier les voix qui se partagent l’énonciation. Relayée par
l’enthousiasme du village, la proposition du chef des avalanches apparait
comme portée par une même voix, univoque. Une univocité confirmée par la
voix du narrateur qui semble, lui aussi, partie prenante du système de valeur
et de croyance porté par les personnages de l’histoire. La régulation de l’en-
seignant porte sur l’étymon de « négresse » et les circonstances historiques
de ses usages (l’esclavage et l’exploitation des êtres humains), ce que l’ensei-
gnant considère à plusieurs reprises comme une digression dont il s’excuse
auprès des élèves. Dans l’extrait qui suit, l’enseignant interrompt sa digression
pour une relance du jugement posé par KAO au début de la promenade infé-
rentielle. 14’30’’ se sont écoulées entre les deux interventions.
2_2_Lov110211, l. 494
Ens : toi tu disais que l’auteur était racisten toi tu as dit que ce n’était peut-être pas
forcément le cas puisqu’il veut peut-être énoncer quelque chosep alors qu’est-ce
qu’il énonce icin
MIC : ben il énonce qu’est-ce que c’est le racisme des textes XXX
6. CONCLUSIONS
Nous posions, en commençant, une question méthodologique. Quel
est l’apport de la construction empirique d’un archi-élève pour la reconstruc-
tion du système didactique ? L’examen complémentaire de la tâche, des
régulations et des activités scolaires fait apparaitre un archi-élève différent
selon que l’on prend le point de vue de l’enseignant au moment de mettre en
œuvre le dispositif et le point de vue de l’élève au moment où celui-ci, dans
le jeu du collectif et de l’individuel, réalise la tâche, l’infléchit, pousse l’ensei-
gnant à préciser son dispositif. La discordance narrative du texte de Lovay
joue une influence déterminante sur la mise en œuvre de dispositifs et sur les
réactions des élèves aux tâches. L’activité de résumé comme outil heuristique
semble faire l’unanimité du primaire au secondaire II, assortie ou non d’un
« projet de communication » (Boudineau, 1996). Elle est un préalable à l’in-
terprétation du texte ou aux activités de productions textuelles. Mais, tandis
que les dispositifs du primaire et du secondaire II jouent sur la discordance
narrative et l’instabilité des interprétations afférentes, le dispositif du secon-
daire I force la convergence en privilégiant une promenade thématique.
Ce jeu de discordance met à l’épreuve les tâches prévues par les
enseignant-e-s, tandis que certaines des activités scolaires effectivement réa-
lisées par les élèves exacerbent les propriétés du texte de Lovay et forcent
les uns et les autres à les pointer comme objets sémiotiques. Posons l’hypo-
thèse, à vérifier dans la comparaison avec les leçons sur La Fontaine, que les
réactions des élèves aux cadres posés par les tâches viennent pour une bonne
part des propriétés du texte.
Le corpus des trois leçons observées est trop court pour répondre à
la question de la progression. Du point de vue des dispositifs, ce qui se voit,
c’est une succession hiérarchisée d’étapes, chacune étant posée comme le
préalable de l’autre : résumer d’abord pour comprendre, interpréter ensuite,
c’est-à-dire établir des liens, puis, pour finir, seulement pour le secondaire II,
identifier la singularité d’une forme. De fait, tous les dispositifs, du primaire
au secondaire, comprennent une dimension centrale d’élucidation. Le jeu des
discordances narratives du texte met tout le monde au pied du même mur,
tandis que les moyens utilisés dépendent des outils de la discipline, répartis,
eux, en niveaux.