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Programme détaillé de la première année de

l’Enseignement Secondaire / Document


d’accompagnement :

Lecture critique

Préparé par :
Pierre Maxwell BELLEFLEUR
Fritz-Berg JEANNOT

Mars 2003
Il était temps de penser la réforme de l’enseignement secondaire. Tel qu’il est, ce
niveau d’enseignement n’est plus adapté aux besoins de la société haïtienne actuelle, ni au
suivi de la formation dispensée dans le cadre de l’enseignement fondamental. De même,
celui du français et de la littérature ne pouvait plus attendre, puisqu’il s’est depuis longtemps
révélé dépassé. Ce qui rend toute réforme dans le domaine absolument nécessaire. Le
programme de français élaboré au sein du PAEH, à l’intention de la première année du
nouveau secondaire, semble venir à point nommé. Ses promesses paraissent assez
nombreuses. Dans le présent rapport de synthèse, nous nous proposons de le soumettre à
une analyse critique en vue de dégager ses avantages et limites, pour enfin formuler des
recommandations aux décideurs ; aussi ne pouvons-nous nous dispenser d’une rapide
description de ces documents.

I_ Du programme de français en Première année

Présenté en format à l’italienne, le texte-programme préconise – dans un double état


– une refonte des enseignements de français et de littérature, en réunissant ces derniers en un
seul ensemble : la littérature au service du français. Dès lors, l’histoire littéraire qui cristallisait
la première est reléguée au second plan. Ce programme s’articule autour de trois finalités :

1. « Maîtrise de la langue » ;
2. « Formation d’une culture » ;
3. « Formation du citoyen ».

Ces finalités, elles, s’y formulent en termes de « compétences » (environ 29) à faire acquérir
aux élèves et de « mise en œuvre » de « savoirs requis ». Ainsi, ce programme entend valoriser
les quatre savoirs inhérents à l’enseignement-apprentissage de toute langue (écouter/parler,
lire/écrire), constituer un bagage culturel doublement ouvert (puisque sur le plan ethno-
linguistique, il est à la fois haïtien, français et francophone ; sur le plan disciplinaire, il va de
la littérature et des arts à la civilisation) ; et former ainsi un être créatif, tolérant, capable de
confronter ses points de vue à ceux d’autrui et de se rendre compte de la « relativité du
discours » (PC, 11)1. Bref, ce programme de français s’inscrit dans la nouvelle démarche
pédagogique qui structure celui de la même matière en République française.

D’un autre côté, le Document d’accompagnement au programme détaillé de Français, en 108


pages et dans une certaine conformité au programme, est centré sur la compréhension de
texte et construit à partir de la notion de séquence : « période donnée organisée autour d’un
thème, d’une œuvre, au terme de laquelle l’élève aura acquis un certain nombre de
compétences » (DA, 3). Ce document fait donc sienne une pédagogie par séquence. Les trois
séquences qui le constituent, mettent successivement en évidence le conte et le mythe de la
métamorphose ; la nouvelle abordée sous le thème du quiproquo et le théâtre comique de
Molière, L’Avare. Ces différentes séquences, particulièrement les première et troisième, sont
illustrées en couleurs (DA, 27-28) et en noir et blanc (DA, 81,83), précédées d’une
introduction, qui les présente et les lie audit programme et suivi d’un glossaire explicitant la
plupart des concepts utilisés. Ce document, comme l’ont souligné ses auteurs est une
application du programme de français en première année du secondaire (DA, 3).

II_ Analyse critique

1. Un programme ambitieux et intéressant

Dans ses intentions comme dans sa conceptualisation, le programme de français


présente un intérêt considérable. En voulant poursuivre les trois objectifs signalés plus haut,
il vise à la formation intégrale du jeune haïtien. En effet, en combinant « maîtrise de la
langue », « formation d’une culture » et « formation du citoyen », il tend vers un être instruit
et conscient de sa situation dans son environnement et dans le monde. Ainsi ce programme
divorce avec son prédécesseur qui avait opté pour un enseignement totalement coupé du réel

1
Pour alléger le texte de notes infrapaginales nous avons utilisé les abréviations que voici, suivies de
chiffres indiquant les pages auxquelles nous nous référons : DA pour Documents d’accompagnement au
programme détaillé de français ; PC, Programme cadre pour l’enseignement du français au secondaire ;
PD, Programme détaillé de la première année de l’enseignement secondaire.
de l’apprenant. Dès lors, celui-ci ne serait plus soumis à un apprentissage de textes éloignés
de lui tant par leur intérêt linguistique, culturel que pratique.

Par le « décloisonnement » qu’il préconise, le programme de français résout ce


problème à plus d’un titre. Non seulement cette démarche le place dans une certaine
continuité par rapport à l’enseignement fondamental, mais en outre, elle lui permet de
proposer une matière plus riche aux élèves du Secondaire. En effet, il entend ainsi diminuer
les frontières entre l’oral et l’écrit. Désormais, l’enseignement du français/ littérature n’est
plus seulement une question de lecture et d’écriture. Il prend de plus en plus en charge la
pratique de l’oral et s’appuie également sur bien d’autres écrits que ceux appartenant au
champ littéraire. La panoplie des activités suggérées (d’un côté, exposé, réunion/débat, récit
oralisé et lecture expressive/expression théâtrale ; de l’autre, lectures cursive et analytique,
écriture et prolongement de différents types de textes) devra alors permettre aux apprenants
d’acquérir des savoirs et savoir-faire multiples. L’élève est donc placé en situation de
communication vivante.

De ce fait, le programme opte pour l’élargissement de l’horizon des connaissances en


classe de français. En liant passé et présent, les textes datés seront lus en dialogue avec des
écrits contemporains ; en rapprochant ici et ailleurs, des œuvres d’auteurs haïtiens seront
mises en rapport avec celles d’écrivains français et francophones. Une telle pluralité invite
l’élève à la lecture, à la création mais aussi à l’investissement personnel. En un mot, il répond
à un projet formateur.

Le document d’accompagnement répond, par ailleurs, à certaines projections du


programme. A ce titre, il est tout aussi intéressant pour les raisons suivantes. Il offre aux
enseignants des outils pour mieux l’appliquer. Ses trois séquences constitutives pourront se
révéler très utiles aux enseignants, elles leur permettront d’exploiter des morceaux choisis, de
pratiquer les lectures préconisées et de réaliser les travaux de rédaction requis. Un autre
élément en illustre la valeur : les repères. Ces derniers offrent aux professeurs des définitions
(DA, 43, 52), des notices biographiques (DA, 64), des descriptions de genres (DA, 65, 96)
pour enrichir la préparation de leurs cours. Enfin, le glossaire qui le clôt s’avèrera
indispensable aux utilisateurs potentiels : tous les termes-clé y étant explicités.
2. Une mise en œuvre limitée

Le programme comme son texte d’accompagnement comportent bien des lacunes. En ce


qui a trait à la teneur du programme le mot est peut-être trop fort. Toutefois, il interroge par
son ambition même. Dans un pays où la faiblesse du système éducatif, plus précisément celle
de sa gouvernance, laisse exister plusieurs catégories d’écoles, ne risque-t-on pas d’assister à
son application par les seules « écoles performantes » ? L’Etat serait-il capable de favoriser
son « opérationnalisation » dans les villes de province ou dans les campagnes ? Aurait-il ou se
donnerait-il les moyens nécessaires à une telle mise en œuvre ?

D’autre part, le document d’accompagnement se révèle quelque peu limité. En effet,


il propose une application très partielle du programme. Du point de vue de la « maîtrise de la
langue », il tient surtout compte de la lecture et de l’écriture. D’ailleurs, ses trois séquences
privilégient des activités de compréhension de texte. Il est vrai que le couple écouter/parler
n’est pas totalement absent, néanmoins il n’y a pas assez d’exercices ciblant l’expression
orale. En outre, dans la perspective de la « formation d’une culture », les documents nous
paraissent trop déséquilibrés. Sortir de la partition littérature haïtienne/littérature française
pour tomber dans une prédominance européenne (gréco-romaine, française) ne saurait être
l’alternative. Or, les première et troisième séquences rendent évidente cette suprématie :
quatre extraits des Métamorphoses d’Ovide pour un seul conte haïtien et aucun conte antillais
et africain, la séquence sur le théâtre est construite uniquement sur L’Avare de Molière. Le
vœu de « formation du citoyen » peut en être affecté, car cette prédominance de textes
européens risque d’occulter une part importante de la culture haïtienne et caribéenne. L’école
doit permettre à l’élève de la première année d’intégrer son environnement culturel immédiat
tout en s’ouvrant sur l’extérieur. Cela est d’autant plus important que de nos jours, au sein du
système français, les antillo-guyanais revendiquent avec détermination le droit d’étudier des
textes de leurs compatriotes à l’école. Ils s’engagent même dans l’élaboration d’une
pédagogie appropriée2. Ni enfermement, ni ostracisme, mais pas non plus d’acculturation.

2
En témoigne la publication de revues à caractère pédagogique – telles Mofwaz ou Lettres Caribéennes.
Le document pose également des problèmes d’ordre méthodologique. On en veut
pour preuve la présentation des séances où questionnaires et commentaires précèdent les
textes étudiés, rejetés en annexe. Cela entraîne des difficultés d’utilisation puisque le lecteur
est interrogé et appelé à réaliser des consignes sur des textes qu’il n’a pas encore lus ; pour ne
pas les avoir sous les yeux. Le choix du corpus des séquences est quelquefois réducteur et
peu représentatif. En effet, la représentativité en la matière est de rigueur et doit être
justifiée. De ce point de vue, la séquence sur la nouvelle est assez éclairante ; car le choix de
la notion de quiproquo ne permet pas d’étudier des textes et thèmes cardinaux dudit genre.
Le défaut le plus évident de ce document demeure, dans la perspective d’une prise en
compte de plusieurs genres, l’absence d’une séquence sur la poésie. Cela souligne le
déséquilibre qui le caractérise. Adressé à des enseignants, ce document ne propose pas de
bibliographie. Il se contente de lister des œuvres sélectionnées, pour certaines avec un peu de
légèreté. Hormis les textes étudiés, on ne cite aucun ouvrage pouvant guider l’enseignant
dans son travail ; ce ni après chaque séquence, ni en fin de document. Par ailleurs, le
programme est muni de listes d’œuvres, dont la constitution présente le même inconvénient :
tel recueil de poèmes ou tel roman est présenté comme nouvelle (PD, 77-78).

Enfin la présentation matérielle du document d’accompagnement souffre de


quelques anomalies. Il y manque des passages ; c’est le cas de la quinzième compétence de la
sous-section « lire » (PD, 58-59) et du texte de Damon Knight « Comment servir
l’homme ? » (DA, 50-51). Ces omissions nuisent à la lecture du programme et de son
Document d’accompagnement.

III_ Quelques propositions

Au terme de ce parcours analytique, les limites du programme de français, surtout en


ce qui concerne son document d’accompagnement, nous invitent à faire quelques
recommandations. Incomplets, ces documents doivent être étoffés, rééquilibrés et remaniés.
Tout d’abord, se présentant comme un travail qui fait le tour des genres, il conviendrait
d’ajouter une séquence sur la poésie. Dès lors, il faudra identifier un ou des thèmes,
établir un corpus de textes poétiques puis en proposer des études ; en tenant compte bien
sûr, des exigences et des finalités du programme. A titre d’exemple on pourra construire une
séquence sur le thème de la « Caraïbe ».

En ce qui a trait aux séquences déjà élaborées, il serait judicieux de rééquilibrer ce qui
s’avère nécessaire. Dans le cas du conte (séquence I ; DA, 5-44), on pourrait réduire le
pourcentage d’extraits attribués à Ovide au profit de contes antillais et africains sur le
même thème ou sur d’autres. Quant à la séquence consacrée à la nouvelle, d’autres
thèmes devront être choisis pour constituer un corpus plus représentatif de l’évolution de ce
genre dans les aires haïtienne, française et francophone. Du fait de son importance dans la
littérature nouvellistique, le « fantastique » peut se révéler d’un grand intérêt, à ce
propos.

La séquence, consacrée au théâtre, doit être élargie à d’autres genres


théâtraux (tragi-comédie, des courants théâtraux contemporains), ne serait-ce qu’à
titre optionnel. Là aussi, il faudra de nombreuses recherches pour mieux organiser la
séquence en question. Ce travail peut à la rigueur être renforcé par une sérieuse
recherche iconographique relative aux domaines haïtien et caribéen, dans la
perspective même du décloisonnement préconisé. Dès lors, on s’attachera à réunir gravures,
dessins, tableaux et sculptures qu’on soumettra à l’analyse. Etudes de texte et d’iconographie
en écho enrichiraient davantage l’apprentissage.

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