Vous êtes sur la page 1sur 9

Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 8, n° 2, décembre 2022.

Plurilinguisme et intégration linguistique au Maroc

Mehdi HAIDAR
Faculté des sciences de l’éducation - Rabat

Résumé–Cette contribution tente de répondre à une série d’interrogations portant


essentiellement sur le rôle de la maitrise des langues des pays d’accueil pour l’intégration
linguistique des migrants. L’objectif de cette étude est de comprendre à quel point les langues
peuvent être vectrice d’intégration sociale. La pluralité des langues et la diversité linguistique
pourrait constituer un écueil face à l’intégration linguistique des migrants freinant ainsi leur
inclusion sociale. Dans un pays comme le Maroc, où les langues occupent des fonctions
spécifiques, la gestion du plurilinguisme est primordiale. Les dispositifs d’accueil pour
l’intégration linguistique des migrants pourraient être mieux pensés en donnant la priorité à des
variétés linguistiques spécifiques et en tenant compte des tâches qu’assure chaque catégorie de
migrants dans la société.
Mots-clés -Plurilinguisme, intégration linguistique, diversité des langues, politique linguistique
Title–Plurilingualism and Linguistic Integration in Morocco
Abstract –This contribution attempts to answer a series of questions relating essentially to the
role of the mastery of the languages of the host countries for the linguistic integration of
migrants. The objective of this study is to understand to what extent languages can be a vector
of social integration. The plurality of languages and linguistic diversity could constitute a pitfall
in the face of the linguistic integration of migrants, thus hampering their social inclusion. In a
country like Morocco, where languages occupy specific functions, the management of
plurilingualism is essential. Reception systems for the linguistic integration of migrants could
thus be better designed by giving priority to specific linguistic varieties and considering the
tasks performed by each category of migrant in society.
Keywords – Plurilingualism, Linguistic Integration, Language Diversity, Language Policy

Introduction
Après le déploiement de la politique nationale d’intégration et d’asile1 (dorénavant
PNIA) voulue par les autorités marocaines, la situation des migrants a connu une amélioration
significative tant sur le plan du droit qu’au niveau social. La loi 26-14 sur l’asile a été
promulguée en vue de remplacer la loi 02-03 jugée peu respectueuse des droits humains. Le
chemin reste néanmoins encore long pour que s’établissent l’égalité des droits et la justice
sociale pour les migrants au Maroc. Le communautarisme gagne du terrain dans les différentes
villes abritant les migrants et les objectifs ambitieux fixés par la PNIA pour l’intégration et
l’inclusion sociale sont aujourd’hui difficilement réalisables. Parmi les écueils à l’intégration

1
La politique nationale d’intégration et d’asile a été mise en place en 2013 afin de garantir les mêmes droits dont
jouissent les Marocains aux migrants.

77
Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 8, n° 2, décembre 2022.

demeure la question linguistique. Les langues en présence sur le territoire marocain font parfois
obstacle à une insertion professionnelle et par conséquent à une intégration sociale.

En raison de sa particularité multiculturelle, le Maroc reste un pays connu pour sa pluralité


linguistique. Plusieurs variétés linguistiques se côtoient ayant chacune des fonctions
spécifiques. Cette diglossie fait en sorte que les migrants (qu’ils soient francophones,
anglophones, lusophones, arabophones en plus de leurs premières langues de socialisation) sont
confrontés à la nécessité d’apprendre plusieurs langues pour travailler et pour cohabiter d’abord
avec les Marocains et ensuite avec les autres migrants. Cette situation particulière a poussé les
pouvoirs publics, la société civile et les organisations non gouvernementales à mettre sur pied
plusieurs dispositifs pour l’enseignement-apprentissage des langues, destinés principalement
aux migrants. Le projet Qantara2 constitue un exemple de ces dispositifs pilotes visant à
expérimenter des programmes d’enseignement du français, de l’arabe standard et de l’arabe
dialectal à différentes catégories de migrants. Quels contenus linguistiques enseigner aux
migrants et pour répondre à quels besoins ? De prime abord, la question paraît simple, mais elle
cache en vérité beaucoup de complications en raison de la complexité du paysage linguistique
marocain et des multiples défaillances dont souffre le système éducatif. Il est vrai que l’école
marocaine connait beaucoup de déboires depuis des décennies et les réformes successives n’ont
véritablement rien changé au constat. De là, se pose la question du rôle que peuvent jouer les
langues dans l’insertion professionnelle des migrants et dans l’intégration des enfants-migrants
au sein de l’école publique au Maroc et les contenus linguistiques mis en place pour permettre
à ces enfants de s’assoir sur les bancs des écoles à l’instar des petits Marocains.

Paysage linguistique marocain : Statuts et foncions.

On assiste au Maroc à une forme de diglossie très particulière dans laquelle chaque langue
occupe une fonction spécifique dans différentes sphères socio-économiques.

L’amazighe, langue la plus anciennement parlée au Maroc, est constituée de trois variétés
distinctes : le tachlehit, le tamazight et le tarifit. Chaque variété est parlée dans une aire
géographique identifiable. Des isoglosses ont déjà été définis et c’est ainsi que l’on attribue le
tarifit à la région du Rif, le tachelhit au Moyen et au Haut Atlas et le tamazight à la région du
Souss. Bien que cette langue ait été reconnue langue officielle dans la refonte de la constitution
de 2011, elle reste peu présente dans l’espace public et demeure cantonnée dans la sphère
privée. On retrouve la langue amazighe dans les enseignes des administrations publiques, mais
elle reste peu utilisée dans les faits. Une frange de la société marocaine ne parle pas et ne
comprend pas l’amazigh. Elle est la langue de première socialisation des Amazighs et la langue
de communication au sein de ces communautés. Elle est davantage parlée dans le monde rural.
L’usage de la langue amazighe tend à être généralisé au Maroc, l’Etat marocain entreprend
plusieurs démarches afin de faire de l’amazigh une langue utilisée dans tous les secteurs et par
toute la population.

2
Le projet Qantara a été initié par la fondation Caritas et les pouvoirs publics afin de mettre en place des classes
pilotes pour l’enseignement des langues aux migrants.

78
Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 8, n° 2, décembre 2022.

L’arabe standard est une langue qui s’est émancipée avec l’islamisation du Maroc et les
invasions arabes pendant les XIème et XIIème siècles. Langue du Coran, elle est devenue
aujourd’hui la langue des institutions publiques et du domaine religieux. Depuis la politique
d’arabisation, elle est langue de scolarisation jusqu’à ce que les pouvoirs publics décident en
2018 de rendre obligatoire l’enseignement des sciences en langue française3. Essentiellement
écrite, elle n’est pratiquement pas parlée par les Marocains puisque le rôle de langue véhiculaire
est principalement dévolu à l’arabe dialectal marocain (ADM). Absent des textes de lois et non
reconnu par l’État, l’arabe dialectal est majoritairement issu de l’arabe standard et emprunte la
phonologie de l’amazigh. C’est une langue essentiellement orale4 qui commence à gagner du
terrain dans l’espace médiatique et dans d’autres domaines.

En effet, la darija a gagné du terrain sur plusieurs plans : de l’éducatif au religieux, du


privé au public, de l’artistique au culturel, du politique au virtuel. En bref, la darija est
beaucoup plus visible qu’elle ne l’était avant. C’est « l’hebdomadaire
francophone Telquel et son numéro 34 de 2002 intitulé “Darija notre langue nationale”
qui a lancé sur la place publique le débat de façon relativement spectaculaire »5

Elle reste toutefois exclue de la sphère éducative en raison de son caractère oral et de sa
grammaire non standardisée6. L’ADM reste la langue de communication par excellence au
Maroc. Quelle que soit la région, la darija est langue véhiculaire et pourra donc être utilisée
pour interagir avec différents interlocuteurs dans les différentes situations de la vie courante.
Elle reste toutefois peu avantagée dans certains domaines dans lesquels le français s’impose.

Utilisée massivement depuis le Protectorat en 1912, la langue française a en réalité intégré le


territoire marocain depuis le XIXème siècle, et ce principalement dans les communautés juives.
Elle était l’une des langues de scolarisation dans les écoles hébraïques. Depuis l’indépendance
du Maroc en 1956, le français est resté une langue dominante dans le paysage linguistique
marocain en raison de la politique voulue à l’époque et qui consistait à ne pas rompre totalement
les liens entre la France et Maroc. De plus, les principaux cadres opérant au Maroc était français
et ont longtemps continué à occuper leurs fonctions jusqu’à la vague de marocanisation qui
s’est faite pendant les années 1960 et 1970. La langue française a d’ailleurs été la langue de
scolarisation au Maroc jusqu’au début des années 1980 lorsque la politique d’arabisation a été
appliquée ; l’enseignement des mathématiques, les sciences et d’autres matières a commencé à
être dispensé en arabe standard. Toutefois, dans le supérieur scientifique, le français est toujours

3
L’échec des réformes successives dans l’éducation est en partie lié aux langues d’enseignement. Dans le cycle
primaire et secondaire, les matières scientifiques sont enseignées en arabe, tandis qu’à l’université ces mêmes
matières et disciplines dans les facultés des sciences sont dispensés en langue française. Cette fracture
linguistique a poussé les autorités à réagir et à introduire l’enseignement des sciences en français à partir du
collège.
4
Depuis le début des années 2000, quelques journaux ont commencé à publier leurs textes en darija, on constate
aussi l’émergence d’une forme de poésie en ADM : le zajal.
5
ZIAMARI, Karima ; DE RUITER, Jan Jaap. Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions
linguistiques In : Le Maroc au présent : D'une époque à l'autre, une société en mutation [en ligne]. Casablanca :
Centre Jacques-Berque, 2015 (généré le 11 décembre 2022). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/cjb/1068>. ISBN : 9791092046304. DOI : https://doi.org/10.4000/books.cjb.1068.
6
Plusieurs tentatives de standardisation ont été réalisées par plusieurs équipes de chercheurs notamment à
l’université Chouaib Doukkali à El Jadida.

79
Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 8, n° 2, décembre 2022.

la langue d’enseignement ; ce qui n’est pas sans conséquence. Habitués à suivre les cours en
arabe standard, les étudiants nouvellement inscrits dans les universités sont confrontés aux
cours magistraux dispensés en langue française. Cette fracture linguistique (Messaoudi 2016)
ne fait qu’accroitre l’abandon scolaire.

Dans la sphère publique, la langue française est très présente, notamment dans la presse écrite
et télévisée. La signalétique urbaine publique et privée est souvent bilingue (arabe – français)7
et certains documents juridiques (dont les contrats de vente) sont rédigés en langue française.
Le français demeure la langue des affaires, des finances et des technologies. Elle est cependant
concurrencée par l’anglais qui s’introduit progressivement dans les différentes sphères de
l’activité humaine. Les entretiens de recrutement pour les cadres d’entreprises se passent en
français et en anglais, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années.

La complexité de la situation sociolinguistique au Maroc réside principalement dans cette


répartition fonctionnelle. La cohabitation de ces langues reste parfois concurrentielle à l’image
de cette dualité entre le français et l’anglais qui s’accroit progressivement ou celle entre le
français et l’arabe standard bien plus ancienne et qui attise les tensions les plus vives au sein de
l’opinion publique. Ajoutons à cela l’arabe dialectal langue véhiculaire non reconnue et
l’amazighe langue officielle, mais qui de facto ne l’est pas vraiment.

Pour mieux synthétiser cette brève description du paysage linguistique marocain, il convient
d’utiliser le modèle gravitationnel de SWANN (Messaoudi 2011) qui permet une description
de l’usage des langues dans une aire géographique donnée. Le modèle en question compare les
langues à des planètes formant une galaxie et gravitant les unes autour des autres en fonction
de l’importance accordée à chaque langue dans les domaines de l’activité humaine (économie,
sciences et techniques, religion, sphère publique et privée, etc.).

Dans le modèle gravitationnel, SWANN distingue quatre grandes catégories de langues, les
premières ; appelées hypercentrales, sont les variétés les plus considérées au sein de la société
et qui jouissent d’un fort capital symbolique. Elles sont dominantes dans les secteurs les plus
importants et sont généralement des langues très utilisées dans les contextes professionnels par
la population active. Les langues supercentrales représentent la deuxième catégorie et renvoient
aux langues qui sont suffisamment parlés au sein de la communauté, elles restent néanmoins
moins importantes que les variétés hypercentrales. Les langues centrales quant à elles arrivent
en troisième position et font référence aux langues qui arrivent à tirer leur épingle du jeu dans
certains domaines, c’est le cas de l’anglais qui commence à s’imposer comme la langue de la
recherche et des sciences et techniques. Enfin les langues périphériques renvoient aux idiomes
les moins parlées et qui n’ont pas une réelle visibilité dans la sphère publique.

La position des langues ne sera pas forcément la même pour les Marocains et pour les migrants
d’origine subsaharienne puisque les pratiques sociales de référence ne sont pas similaires. Les

7
Haidar, Mehdi, « Migrations et politique linguistique au Maroc », in Jean-Michel Benayoun, Élisabeth
Navarro, Kogh Pascal Somé, Jean-Philippe Zouogbo, (dirs) Voix africaines, voies émergentes. Langues
développement et dynamiques interculturelles, édition des archives contemporaines, 2022.

80
Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 8, n° 2, décembre 2022.

migrants ont des besoins en langue spécifiques et évolutifs en fonction de leurs situation sociale
et de la région dans laquelle ils résident ce qui n’est pas forcément le cas des Marocains.

Position des langues au Maroc Position des langues pour les migrants
résidants au Maroc

Langue Langue
hypercentrale hypercentrale
Arabe standard, Français, ADM
français (Darija)

Langues
Langues supercentrales
supercentrales Poular / Wolof
ADM (Darija)

Langues
centrales
Langues Langues
centrales communaut
Anglais aires

Langues
Langues périphériques
périphériques Arabe standard,
Amazigh amazigh
8 9

C’est dans cet environnement linguistique pluriel que doivent évoluer les migrants qui, même
s’ils parlent le français, le portugais ou l’anglais, sont contraints d’apprendre l’arabe dialectal
pour mieux interagir avec les Marocains et évoluer au sein de la société. Leurs besoins
linguistiques ne seront donc pas en adéquation avec ceux des Marocains en raison du milieu
dans lequel ils vivent, des communautés qu’ils côtoient et de la nécessité de s’intégrer dans la
société marocaine.

Méthodologie

Les données qui ont servi pour la rédaction de cet article ont été principalement collectées
auprès d’une population migrante installée dans la ville de Rabat. Une seule technique
d’enquête a été majoritairement employée afin d’obtenir les informations nécessaires pour

8
L’amazigh pourra être considérée comme langue supercentrales uniquement dans les régions amazighophones
(région du Sous, du Moyen Atlas et dans le Rif)
9
Les langues africaines comme le Poular issues de la famille Niger Congo couvrent une aire linguistique
relativement vaste et sont très utilisées par des migrants d’origines différentes, elles permettent la
communication entre nationalités et ethnies différentes.

81
Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 8, n° 2, décembre 2022.

traiter la problématique. L’enquête a consisté en la réalisation d’une série d’observations


participantes. A travers des questions, l’objectif était de sonder un échantillon de la population
afin d’identifier leurs besoins sociolangagiers. Les critères pour l’échantillonnage ont été
déterminés à partir des éléments du contextes de l’enquête et de la nature de la problématique.
L’enquête a porté sur une population adulte qui réside au Maroc depuis au moins trois années
et qui exerce une activité lui permettant de subvenir à ces besoins, ce critère est déterminant
parce qu’il indique que la personne est active et qu’elle est en contact avec les autochtones. Les
quartiers de Rabat ciblés sont Douar Al Hajja, Douar Koura, Bab Lhad, L’océan, Diour Jamaa
et Yakoub Al Mansour. Ils ont été choisis parce que ce sont des quartiers populaires dans
lesquels résident les migrants. Les regroupements sont de trois types : en fonction des
nationalités, ethnolinguistique, exemple la communauté peule (Sénégal, Gambie, Guinée, Mali,
Guinée Bissau...) et les regroupements ethnico-religieux, exemple : la communauté nigériane
(Ibos catholiques, Yorubas musulmans...).

Les langues vectrices d’intégration sociale.

Il est important de se poser une première question relative aux rôles que peuvent jouer une ou
plusieurs langues pour l’intégration des populations migrantes. On a généralement tendance à
sous-estimer le pouvoir des langues, pourtant elles contribuent largement à la réussite. Parler
les langues étrangères ouvre des perspectives d’emploi très prometteuses. Pour les migrants
installés au Maroc, l’apprentissage des langues n’est pas un luxe, c’est une nécessité. Les
langues apprises leur permettront de survivre dans un environnement qui ne ressemble pas au
leur. En effet, une communauté se caractérise par un ensemble de spécificités qui font sa
particularité. La langue parlée au sein de cette communauté est la clé pour y accéder, et
prétendre faire partie de cette communauté. Parler la même langue et considérer de la même
façon les normes d’usages de cette langue constituerait un passeport pour s’intégrer au sein de
cette même communauté. C’est le principe même de l’intégration qui selon Durkheim10 signifie
le « processus par lequel l’individu prend place dans une société, par lequel il se socialise.
Ce processus équivaut à apprendre les normes et valeurs qui régissent le corps social, cet
apprentissage se faisant notamment par le truchement de la famille, l’école ou les groupes de
pairs ».

L’insertion et l’intégration par le travail : pour un plurilinguisme fonctionnel

Adami dans son article « Aspects sociolangagiers pour l’acquisition des langues étrangères en
milieu social »11 distingue quatre voix pour l’intégration. Pour les adultes, le travail et les
relations transactionnelles constituent des substrats pour l’acquisition des langues en milieu
naturel. Les migrants adultes arrivés au Maroc se spécialisent généralement dans les métiers
manuels, ils opèrent dans les domaines du Bâtiment travaux public, dans les services, la

10
DURKHEIM Émile, Éducation et sociologie, Paris PUF, [1922], 1975 ; William Thomas, Florian Znaniecki,
The Polish Peasant in Europe and America, New York, Dover, 1958.
11
ADAMI, Hervé. Aspects sociolangagiers de l’acquisition d’une langue étrangère en milieu social In : Les
migrants face aux langues des pays d'accueil : Acquisition en milieu naturel et formation [en ligne]. Villeneuve
d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2012 (généré le 08 décembre 2022).

82
Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 8, n° 2, décembre 2022.

mécanique automobile, etc. Le contact permanent avec les clients, des collègues et une
hiérarchie marocaine fait que la maitrise de la langue devient une obligation.

Quelle(s) langue(s) utiliser dans le contexte professionnel ?

Si le français occupe une place importante dans les secteurs économiques majeures au Maroc,
il n’en est pas de même dans d’autres domaines et surtout à certains niveaux. La plupart des
travailleurs au Maroc ne parlent pas (ou très peu) le français et communiquent en utilisant la
langue véhiculaire au Maroc qui n’est autre que l’arabe dialectal. Cette situation sera amenée à
changer en fonction de la position au sein de la hiérarchie dans les entreprises. Si les travailleurs
manuels sont pour la plupart non francophones, les cadres moyens et hauts cadres le sont
parfaitement puisque les cours, tout au long de leurs cursus universitaires, ont été dispensés en
langue française. Il s’avère donc nécessaire de prendre en considération le choix des langues
que chaque migrant devra utiliser dans les différents contextes de son travail. La position au
sein de l’entreprise n’est d’ailleurs pas le seul critère pour le choix des langues, la nature du
travail et le rapport que devront avoir les migrants avec leurs collègues, les clients ou encore
les fournisseurs déterminera non seulement le choix de la langue à apprendre, mais aussi les
particularités linguistiques que chaque migrant sera amené à maitriser.

L’enseignement des langues dépendra aussi de la nature du code enseigné. Favoriser l’écrit
dans des situations de communication qui nécessite beaucoup plus la compétence orale ne ferait
que ralentir l’intégration du migrant-adulte dans l’environnement dans lequel il évolue. Certes,
pour interagir avec les collègues au travail (principalement via le courrier électronique) ou
encore pour envoyer des correspondances à des organismes privés ou publics un migrant, tout
comme n’importe quel autre citoyen, cherchera à écrire. Toutefois, il nous faudra admettre que
la priorité pour un migrant adulte est d’abord de se trouver une place dans la société d’accueil,
c’est une urgence à laquelle devront faire face les migrants et les pouvoirs publics du pays
d’accueil. Cette intégration ne pourra pas se faire en très peu de temps en favorisant l’écrit. Ce
sont les interactions sociales qui sont vectrices d’intégration, elles motivent les contacts entre
les individus et favorisent les échanges. De plus, dans les situations de travail, l’usage du code
oral est beaucoup plus présent que l’écrit, cela est davantage perçu chez les travailleurs manuels
où le code écrit est quais-absent. Il paraît donc important de favoriser pour ce qui est des
migrants-adultes, dans un premier temps, la pratique de l’oral en classe et d’identifier les
objectifs communicatifs oraux. Cela vaut principalement pour l’arabe dialectal marocain qui
est une langue beaucoup plus orale qu’écrite. Les choses commencent quelque peu à changer
avec l’utilisation massive des réseaux sociaux où l’arabe dialectal s’écrit plus qu’il ne se parle.
Réfléchir à la maitrise de l’écrit pourrait se faire à moyen terme et de façon progressive, car la
compétence scripturale nécessite d’abord la maitrise d’un caractère arabe que certains migrants
adultes subsahariens ne connaissent pas.

Les pratiques sociales de références peuvent ainsi être un point de repère pour les concepteurs
de méthodes ou encore pour les didacticiens afin de mettre sur pied des contenus destinés à ce
type de public. Identifier l’agir social de chaque catégorie de migrants permettra d’établir un
inventaire des tâches communicatives et ainsi mieux penser l’élaboration des contenus de cours.

83
Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 8, n° 2, décembre 2022.

Toute la difficulté réside donc dans la sélection des actes de langage qui détermineront
l’évolution de l’acteur social-migrant dans un environnement multilingue comme le Maroc. Il
est donc important de donner la priorité à la langue de travail car elle est un puissant vecteur
d’intégration. Travailler permet à chaque individu de sortir de sa communauté, d’entrer en
contact avec l’autre et de se diluer dans la société d’accueil. C’est en travaillant que les individus
communiquent avec leurs pairs, pratiquent et acquièrent une langue nouvelle.

Un premier travail consiste à faciliter l’accès au monde du travail à travers la langue. Faire en
sorte que chaque migrant puisse utiliser la langue comme moyen d’insertion dans le monde
professionnel.

Insertion scolaire des enfants-migrants : Pour une école inclusive et plurilingue.

La même question pourrait être posée dans le contexte éducatif formel. Un enfant-migrant
nouvellement arrivé dans le territoire marocain devra nécessairement trouver une place dans
une école marocaine. A l’instar de ses parents qui devront s’intégrer via le travail, les enfants-
migrants devront le faire via l’école. Bernstein12 affirmait d’ailleurs il y a plus de cinquante ans
que la famille et l’école sont les principaux vecteurs de socialisation. Or, au Maroc, les langues
de scolarisation ne sont pas toujours parlées par les populations migrantes. C’est le cas des
enfants migrants inscrits dans le cycle primaire au sein duquel les matières sont essentiellement
dispensées en arabe standard, langue très peu parlée en Afrique subsaharienne. Il est vrai que
beaucoup de migrants et d’enfants migrants sont musulmans et ont déjà psalmodié le Coran
dans les mosquées et les écoles coraniques, mais l’usage de cette langue est resté liturgique et
loin d’être spontané. L’apprentissage de la langue de scolarisation qu’est l’arabe standard pour
les enfants-migrants est une nécessité et une priorité. Ces enfants-migrants confrontés à l’échec
en raison d’une langue de l’école incomprise tomberont ipso facto dans l’abandon scolaire et
verront leurs chances de s’intégrer dans la société marocaine considérablement diminuer. De
plus, la parenté linguistique qui existe entre l’arabe standard et l’arabe dialectal pourrait aussi
servir à initier les enfants-migrants à la darija langue véhiculaire au Maroc. Le rôle de l’arabe
standard pourrait ainsi être double ; il servirait à faire des enfants migrants des écoliers
marocains et permettrait l’acquisition d’une autre langue qui ne fera que rendre leur intégration
plus facile.

La question des dispositifs d’accueil devrait ainsi être pensée en tenant compte du contexte
sociolinguistique et du rôle qu’assure chaque langue dans la société. Au Maroc, la répartition
fonctionnelle des variétés linguistiques fait en sorte que les migrants désirant s’installer
durablement sont dans l’obligation d’apprendre plusieurs langues. La darija, langue véhiculaire
au Maroc est nécessaire pour pouvoir communiquer avec les autochtones, le français langue
des affaires, des sciences et des élites est parlée dans différents secteurs et par plusieurs
catégories sociales et enfin l’arabe standard, langue de scolarisation dans le cycle primaire, doit
être apprise par les enfant-migrants afin qu’ils puissent poursuivre leurs études dans les écoles
marocaines. La diversité des langues paraît de prime abord comme une entrave à l’inclusion
sociale des migrants, toutefois, si les dispositifs mis en place sont pensés en tenant compte de

12
Basil Bernstein, Langage et classes sociales : codes socio-linguistiques et contrôle social / traduit par Jean-
Claude Chamboredon. Paris : Éd. de Minuit, 1975.

84
Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 8, n° 2, décembre 2022.

la diversité linguistique et de la position sociolinguistique des variétés, la pluralité des langues


constituera davantage un vecteur pour l’intégration.

Références

ADAMI, Hervé (2012) Aspects sociolangagiers de l’acquisition d’une langue étrangère en


milieu social In : Les migrants face aux langues des pays d'accueil : Acquisition en milieu
naturel et formation [en ligne]. Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion,
(généré le 08 décembre 2022). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/septentrion/14071>. ISBN : 9782757419137. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.septentrion.14071.
BERNSTEIN Basil (1975).Langage et classes sociales : codes socio-linguistiques et contrôle
social / traduit par Jean-Claude Chamboredon. Paris : Éd. de Minuit,
DURKHEIM Émile, Éducation et sociologie, Paris PUF, (1975) [1922],; William Thomas,
Florian Znaniecki, The Polish Peasant in Europe and America, New York, Dover, 1958.
HAIDAR, Mehdi, « Migrations et politique linguistique au Maroc », in Jean-Michel Benayoun,
Élisabeth Navarro, Kogh Pascal Somé, Jean-Philippe Zouogbo, (dirs) (2022) Voix africaines,
voies émergentes. Langues développement et dynamiques interculturelles, Paris, édition des
archives contemporaines
MESSAOUDI Leila (2011) « Le modèle gravitationnel des langues : quelles perspectives au
Maroc ? » in : revue Al-Madrassa Al maghribiyya, Rabat, publication du Conseil supérieur de
l’enseignement, n°3
MESSAOUDI Leila (2016) La fracture linguistique dans l’enseignement scientifique au
Maroc : quelles remédiations ? Revue Langues, cultures et sociétés, Vol 2, N° 1
(http://revues.imist.ma/?journal=LCS)
ZIAMARI, Karima et JAN JAAP De Ruiter. (2015), « Les langues au Maroc : réalités,
changements et évolutions linguistiques ». In Le Maroc au présent : D’une époque à l’autre,
une société en mutation, édité par Assia Boutaleb, Baudouin Dupret, Jean-Noël Ferrié, et
Zakaria Rhani, 441‑62.

85

Vous aimerez peut-être aussi