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Handicap ou compétence
Houaria CHAAL
Université de Chlef
Algérie
Résumé
Cette étude porte sur l'alternance codique (code-switching) qui se présente comme une
modalité discursive inévitable adoptée par les locuteurs algériens que se soit dans le contexte
académique ou social. En fait, c’est un phénomène très courant et observé dans toute
communauté linguistique bilingue ou plurilingue. Cette pratique langagière s'étend d'une
manière horrible et inquiétante dans la société algérienne oǔ existe une variété linguistique. Et
là, la question se pose : pourquoi cette alternance ? Quelle sont les raisons qui motivent les
locuteurs à choisir telle ou telle langue dans leurs échanges verbaux quotidiens ? Comment
peut-on considérer le code-switching : est- il un handicap ou un stimulant ? Et doit-on
apprécier et valoriser ce phénomène langagier ??Alors, le code switching dans le contexte
algérien est vu comme un comportement langagier habituel inévitable pour de divers facteurs,
issu du contact des langues.
Mots clés : l’alternance codique, locuteurs, contexte algérien, pratique langagière
Abstract
This paper spots the light on the code-switching which is viewed as an inevitable
discursive mode adopted by Algerian speakers whether in the academic or social context. In
fact, it is a very common phenomenon observed in any bilingual or multilingual linguistic
community. This linguistic phenomenon extends in a horrible and disturbing way in the
Algerian society where there is a linguistic variety. Therefore, we wonder what are the
reasons motivating speakers to choose a particular language in their daily verbal exchanges?
How can we consider code-switching: is it a handicap or a stimulant? And should we
appreciate and value this linguistic phenomenon ? Consequently, the code switching in the
Algerian context is seen as a usual language behavior which is inevitable for various factors,
resulting from the contact of languages.
1. Introduction
On ne peut plus nier la complexité et la diversité linguistique en Algérie. Cette
diversité est vue comme une ressource communicative dans la vie quotidienne. En fait, la
majorité de la population s’exprime en arabe algérien, avec ses différentes variantes. Une
autre partie s’exprime en berbère divisé lui aussi en quatre branches principales: le kabyle, le
chaoui, le mozabite et le targui. A ces parlers s’ajoute la langue française qui est une langue
étrangère. Alors, l’Algérie, comme un bon nombre de nations dans le monde entier, offre un
panorama assez riche en matière de plurilinguisme, en la permettant d’être une société
diglossique, et aussi bilingue ou plurilingue. Ce contact de langues engendre plusieurs
phénomènes linguistiques (alternance codique, emprunt, interférence...etc.)
Par conséquent, l’alternance codique se manifeste comme une modalité discursive
inévitable adoptée par les locuteurs algériens durant leurs échanges verbaux quotidiens
puisqu’ « il est presque impossible d’éliminer totalement une langue de son répertoire
bilingue, surtout la langue dominante dans l’environnement dans lequel on vit. » (Hélot,
1988)
Le code switching, en fait, a fait l’objet de beaucoup de recherches dans le domaine de la
linguistique qui s’intéresse au bilinguisme de la collectivité, c’est-à-dire, celui de la
communauté linguistique ainsi que cela, de l’individu. Et notre recherche s’inscrit dans le
cadre de savoir les raisons et les motivations qui mènent les Algériens à altérer, à passer d’une
langue à l’autre, en le faisant d’une manière spontanée ou programmée, ou faute de
compétence, s’agit-il d’un code switching ou mélange codique, ou d’un handicap
linguistique !! Cette situation a énormément besoin d’être étudiée et analysée.
1
Lüdi, G. et Py, B. (2003). Etre bilingue. Editions scientifiques européennes, p.15. Bern: Peterlang SA.
2
MACKEY William F., (1976), «Bilinguisme et contact des langues », Initiation à la linguistique, sous la
direction de GUIRAUD P. et REY A., Série B : Problèmes et Méthodes, 5, Klincksiek, Paris, p. 27.
En effet, pour dévoiler cette diversité linguistique en Algérie, on peut parler de l’existence de
deux grandes communautés linguistiques, l’une arabophone (pratiquant les différentes
variantes de l’arabe algérien) et l’autre berbérophone (pratiquant les différentes variétés
berbères). Les sujets parlants dans ces deux communautés ayant pour langue maternelle
l’arabe algérien ou une langue berbère, se trouvent dans l’obligation d’apprendre et
d’employer deux autres langues : l’arabe standard et le français qui sont étudiés à l’école.
Khaoula Taleb Ibrahimi parle du « bilinguisme scolaire » qui résulte du contact de ces deux
langues et qui est « renforcé par l’adoption de ces deux langues comme langue
d’enseignement dans le système. » Ce bilinguisme adopté par l’Etat algérien dès les premières
années qui ont suivi l’indépendance, peut être décrit d’abord par« L’introduction de l’arabe
pour l’enseignement de certaines matières pouvait être appréhendée comme un complément à
la formation en langue française, dont le statut de langue dominante na’ pas été remis en
cause, puisque les matières scientifiques ont continué à être dispensées en français ; l’arabe
n’étant réservé qu’aux matières littéraires. La même entreprise a été menée au niveau de
l’enseignement supérieur touchant les filières littéraires et sciences humaines.3 »
A cette période, nous pouvons parler d’un bilinguisme de haut niveau dans le système
éducatif algérien. Cependant, cette situation n'a pas duré longtemps car la politique
d’arabisation menée par l’Etat algérien a éradiqué toute option de bilinguisme franco-arabe,
en visant une unification linguistique au profit de l’arabe et en faisant du français la première
langue étrangère, enseignée comme une matière au volume horaire réduit et non pas comme
langue d’enseignement.
En effet, les locuteurs algériens sont amenés à utiliser trois ; voire quatre langues
comme c’est le cas des berbérophones.
L’arabe standard est réservé aux situations formelles surtout à l’écrit, car à l’oral il
n’est presque pas utilisé sauf dans le tribunal, la mosquée, la télévision, la radio et aux
établissements scolaires pour les matières littéraires; les matières scientifiques étant
expliquées pratiquement en arabe algérien d’après nos constatations en tant qu’enseignante.
Le sujet parlant algérien ne possède pas les compétences nécessaires ni la spontanéité pour
parler couramment l’arabe standard bien qu’il soit sa première langue de scolarisation.
Le français, quant à lui, est certes, appris à l’école dès la troisième année primaire en
tant que première langue étrangère mais en réalité il n’est pas si étranger pour les locuteurs
3
TEMIM D. « Politique scolaire et linguistique : quelle (s) perspective(s) pour l’Algérie?, dans Le français
aujourd’hui n°154, Former au français dans le Maghreb.
algériens car il est parlé dans des contextes vastes et variés de la vie quotidienne ;
professionnelle ou dans des situations de communication ordinaires par rapport à l’arabe
standard qui n'est jamais parlé dans des situations de communication informelles. Cette
réalité, plus que complexe à laquelle sont confrontés les Algériens, engendre des types de
bilinguismes différents selon les compétences du bilingue dans chaque langue et la manière de
passer d’un code à l’autre. A ce propos S. RAHAL souligne que « Le contact du français et
de l'arabe algérien d'une part et du français et du kabyle d'autre part, donne lieu à des
situations quelques fois très complexes en terme de bilinguisme.»
Alors, de ce panorama des langues résultent des phénomènes naturels et réguliers, comme le
confirme C.B. Yasmina, « la société algérienne étant plurilingue, ce contact des langues se
traduit par des comportements langagiers très particuliers mais tout à fait naturels pour ce
type de société.4 »
4
Yasmina C.B et al .,Le français en Algérie :Lexique et dynamique des langues ,Ed.DUCULOT ,2002,p.112
5
ZONGO, 2004 , p. 14
l’intérieur d’un même échange verbal de passage où le discours appartient à deux systèmes
ou sous-systèmes grammaticaux différents.6 »
Or on ne peut pas dire qu’il s’agit de l’alternance codique lorsque le locuteur maitrise
plus d’une langue et qu’il utilise chacune dans des situations différentes (famille, amis,
travail). C’est ce que d’ailleurs M.L.MOREAU souligne ici « On ne parle pas d’alternance
codique si on constate qu’un locuteur emploie une langue dans ses rapports avec ses
supérieurs, par exemple, et une langue quand il traite avec ses familiers (la liaison langue-
contexte pouvant être décrite en terme de diglossie). Pour qu’il y ait alternance codique, il
faut que les deux codes soient utilisés dans le même contexte7 »
J.Gumperza établit une distinction entre l’alternance codique situationnelle et l’alternance
codique conversationnelle. L’alternance codique situationnelle, est en relation avec le
changement des situations de communication, c’est-à-dire, au changement de locuteur et
d’interlocuteur ainsi que le thème de la discussion. Cependant, l’alternance codique
conversationnelle est produite spontanément et automatiquement, généralement dans des
conversations familières, le locuteur l’emploie tout simplement comme une stratégie de
communication.
6
J.J.Gumpers .,1989 , Sociolinguistique interactionnelle. Une approche interprétative, université de la Reunion,
L’harmattan, p57
7
Ndiassé Thiam.,1997, in Moreau (ed), Sociolinguistique. Concepts de base, Liège, margada, P .33
8
Ndiassé Thiam, opcit, p.32
9
Ibid, p.32
10
Ibid., p.33
Mais ce qui concerne les niveaux du code switching, G.G.Neufeld 11
a observé que le
code switching n’est pas un phénomène unitaire mais comprend plusieurs niveaux distincts: le
niveau phonétique, lexical, sémantique,… qui ne fonctionnent pas simultanément. Pour lui le
stockage mental des deux langues est plus unifié au niveau lexical qu’à d’autres niveaux.
En revanche, le code mixing ou le mélange codique ou parler mixte, qui est propre
surtout à notre société, désigne « tout type d’interaction entre deux ou plusieurs codes
linguistiques différents dans une situation de contact de langues. 12» Les locuteurs mélangent
donc des éléments d’une langue et d’une autre dans une même phrase.
Anciaux explique « Le mélange des langues constitue des productions verbales où les deux
langues ne se succèdent pas, mais où des locuteurs mêlent les éléments et les règles de deux
ou de plusieurs langues dans une même phrase, un même énoncé ou une conversation.
Parfois, on peut repérer à quel niveau se situe le mélange permettant l’attribution de tels
aspects d’un élément à une langue et de tels autres à une autre langue, d’autres fois la
distinction entre les langues est impossible 13. »
On peut ajouter d’autres phénomènes linguistiques qui découlent de ce contact ainsi que
l’interférence linguistique et l’emprunt.
Enfin, on constate que l’alternance codique est une stratégie de communication naturelle
utilisée à orale et qui permet au locuteur de se servir des différentes langues qu’il maitrise
dans des situations diverses quoique certains chercheurs considèrent ces variétés comme des
déviations de la langue.
11
Gardner C., Le code switching en Strasbourg :le français en Alsace, Ed. AGS , Paris,1985,p.49
12
Blanc, 1997 : 207.
13
Anciaux, F. (2013). Alternances et mélanges codiques dans les interactions didactiques aux Antilles et en
Guyane françaises. Habilitation à Diriger des Recherches. CRREF: Centre de recherches et de ressources en
éducation et formation, p.34
3.1. Les raisons de l’alternance codique
Pendant les échanges verbaux, les interlocuteurs ont la tendance de choisir tel ou tel
code, cela explique que le code switching est l’un des choix que peut effectuer le locuteur
bilingue pour établir sa communication. En effet, insérer dans son discours des segments
linguistiques différents est loin d’être une procédure soumise au hasard car le code switching
fait référence à différents phénomènes qu’il est parfois peu aisé de distinguer: «Il ne peut se
produire que lorsque certaines conditions sont réunies: présence d’interlocuteurs bilingues
en relation de familiarité, échange personnel plutôt que transactionnel, et situation
informelle14 »
Alors que Myers Scotton voit que « les motivations de l’alternance restent accidentelles et
idiosyncrasiques, c'est-à-dire dépendantes de l’activité langagière du sujet et donc non
prévisibles linguistiquement il n’ya pas de généralisation théorique possible15 »
Le code switching qui constitue, en fait, une modalité discursive à part entière voire une
stratégie communicative adoptée par le locuteur, doit être étudié selon le principe de
description des pratiques langagières, selon Fishman: «qui parle ? Quelle langue ? À qui ? Et
quand ?». (1965) , en posant la question autrement: «Qui fait du code-switching ? Avec qui ?
Comment ? Quand ? Et dans quelles conditions?»16
Plusieurs éléments sont donc à prendre en considération, entre autres:
La nature des interlocuteurs et le type des relations qui les relient : (relations
familiales, amicales, professionnelles…)
Le choix du sujet.
L’état émotionnel du locuteur.
Mais Coste, Moore et Zarate (2009), proposent d’autres fonctions de l’AC et même du MC
qui découleraient d'un manque de vocabulaire, d'une appartenance à un groupe ou encore
d'une situation sociale ou conversationnelle particulière. Anciaux (2013) rejoint cette idée et
rajoute que ces fonctions répondent à un souci de structurer leur discours, à un manque de
maîtrise de la langue concernée. Il établit finalement qu'elles dépendent des locuteurs et des
normes qu'ils tentent de respecter: [...] l’alternance et le mélange codiques remplissent des
fonctions : compensatoires, identitaires et pragmatiques selon les locuteurs répondant plus ou
moins aux normes sociolinguistiques et communicationnelles des situations d’échanges
verbaux de populations bi-plurilingues en dehors du système scolaire. 17»
Cependant, l'alternance des langues au cours des interactions didactiques peut avoir
une connotation négative et est souvent considérée comme une impureté, un mélange impur,
une «forme d'incapacité ou d'incompétence langagière », « comme une non-maîtrise, voire
comme une trahison des langues du terroir ou comme l’inaptitude à parler la langue
officielle.18 »
Tandis qu’Anciaux expose certains objectifs de l’usage d’alternance et de mélange codiques
par les différents acteurs du système éducatif19 :
Premièrement, les passages d’une langue à une autre peuvent servir l’acquisition de
connaissances et de compétences disciplinaires (liées aux disciplines non
linguistiques).
Deuxièmement, les changements linguistiques sont susceptibles de viser plus
spécifiquement l’acquisition de connaissances et de compétences.
Troisièmement, l’alternance et le mélange codiques pourraient servir plus
particulièrement la communication et la relation pédagogique sans forcément viser
l’acquisition de savoirs scolaires.
17
Anciaux, opcit, p. 43
18
Castellotti, V. (dir.). (2001). D’une langue à d’autres, pratiques et représentations. Collection DYALANG.
Rouen : Presses Universitaires de Rouen./ Causa, M. (2002). L’alternance codique dans l’enseignement d’une
langue étrangère – Stratégies d’enseignement bilingues et transmission de savoirs en langue étrangère.
Bern :Peter Lang.
19
Anciaux, opcit, p.246.
Du point de vue de l'enseignant comme de l'élève, l'AC remplit donc une fonction
didactique et une fonction pédagogique dans les interactions en cours de langues.
Quoiqu’il se dise, l’AC s’impose comme une stratégie discursive inévitable.
20
Khaoula T IBRAHIMI.,Les algériens et leur(s)langue(s),Ed. El Hikma, Alger 1997,p.106
21
Gumperz J .,sociolinguistique interactionnelle. Approche interprétative ,Ed .L’HARMATTAN ,Paris
1983,p.63
Ainsi, Christian BAYLON déclare qu’il est intéressant de penser au code switching
comme un compromis entre les phénomènes qui permettent soit de rapprocher, soit de
s’éloigner linguistiquement de son interlocuteur .Giles a appelé ces deux processus de
rapprochement et d’éloignement ‘‘convergence et divergence linguistique’’. Il a essayé de
montrer que « la recette idéale pour une meilleure entente entre les membres de différents
groupes n’était pas nécessairement la convergence maximale entre leurs deux manières de
parler .Jusqu’à un certain point, un rapprochement linguistique (qui peut être plus ou moins
conscient) du locuteur vers son interlocuteur est ressenti par celui ci comme une
accommodation. 22»
Donc le rapprochement entre le locuteur et son interlocuteur peut ne pas être présenté par
l’utilisation totale de l’un des deux codes, mais par des phénomènes intermédiaires tels que
l’alternance codique.
Si la société elle même est bilingue, chacun des individus qui la composent l’est à un
degré différent « dans chaque interaction, le jeu des compétences relatives des participants
est un facteur important dans le choix de la langue et dans le code switching 23. » En Algérie
par exemple ,où certains individus sont nettement plus à l’aise en français et d’autres en arabe
dialectal (l’algérien) ,une conversation qui débute en français peut très bien passer à l’algérien
quand un des participants a de la difficulté à exprimer quelque chose en français ou bien
lorsqu’il suppose que l’autre préférait parler algérien. Un autre facteur qui nous semble
important est celui lié aux « aspects sémantiques du discours », ce facteur peut concerner les
contraintes sociales et les dénotations /connotations spécifiques aux signifiés des deux
langues.
Autrement dit, le fait que les utilisateurs de l’alternance codique puissent
communiquer effectivement les uns avec les autres est une raison suffisante pour maintenir
que l’alternance codique n’est pas le fait d’un choix au hasard d’éléments linguistiques .C’est
plutôt un phénomène systématique dont le fonctionnement interne est régulier par des règles
sous-jacentes. Plusieurs études ont relevé les caractéristiques syntaxiques de l’alternance
codique. Elles montrent que l’alternance linguistique est régulée par des contraintes
syntaxiques et qu’un ensemble de règles ou de contraintes s’applique à tout discours bilingue,
comme il l’a montré Gumperz « l’alternance codique dans la conversation ,où les items en
question font partie du même acte de parole minimal ,et où les parties du message sont reliés
par des rapports syntaxiques et sémantiques équivalents à ceux qui relient les passages d’une
22
Christian B. Sociolinguistique, Ed .NATHAN ,1991, p157
23
Khaoula T IBRAHIMI.,Les algériens et leur(s)langue(s),Ed. El Hikma ,Alger 1997,p.47
même langue.24 » et pour que l’alternance codique fonctionne dans un discours ,le respect de
ces contraintes est obligatoire c’est-à-dire « si l’alternance est signifiante ,il est évident
qu’elle doit être sujette à certaines formes de régularité linguistique.25»
On cite aussi l’utilisation de l’alternance codique pour objectifs pédagogiques .Elle
était toujours considérée comme négative et son emploi comme très nuisible à la bonne
marche de l’apprentissage chez l’apprenant. Actuellement , les chercheurs sont d’accord pour
la qualifier de tout à fait utile suivant les circonstances .Maria Causa (2002) voit que « la
réalité montre que l’alternance codique employée par l’enseignant est une pratique naturelle
conforme à toute situation de communication de contact de langues. Cette pratique
langagière ne va pas non plus à l’encontre des processus d’apprentissage : elle constitue au
contraire un procédé de facilitation parmi d’autres. L’alternance codique doit donc être
considérée comme une stratégie à part parmi les stratégies d’enseignement. 26»
Et pour confirmer ces différentes perspectives, on a mené une enquête, supportée par
des questionnaires et observations, focalisant particulièrement sur l’AC utilisée dans le cadre
académique et par des interlocuteurs instruits.
24
Gumperz J .,sociolinguistique interactionnelle .Approche interprétative ,Ed .L’HARMATTAN,Paris ,1983,
p.59
25
Ibid, p.86
26
Sabin Ehrhart1. pdf
Q1. Vous considérez-vous comme tri/bilingue ?
Comme on l’a déjà vu au dessus, que la communauté algérienne est distinguée par un
métissage linguistique. Alors, le résultat de 73 % ne parait pas étrange, sachant que être
bilingue exige la maitrise des langues utilisées lors la communication. Tandis que le
pourcentage de 27 % explique que ces enquêtés utilisent deux langues ou plus comme un
mélange codique et ils ne se considèrent pas comme bons bilingues.
Q2. Est-ce que vous avez recours à d’autres langues que l’arabe algérien pendants vos
échanges verbaux ? Quelles sont ces langues ?
Le mélange de langues considéré comme moyen aidant à mieux transmettre un
message dans certaines situations de communication et pouvant lui assurer efficacité et
fiabilité, est reconnu par la majorité des enquêtés.
En effet, 88% de notre public trouvent que le code switching est une stratégie discursive qui
joue un rôle crucial en matière d’intercompréhension, notamment dans les contextes qui
l’exigent. Alors que le résultat de 2% traduit l’incompétence de certaines personnes en
s’exprimant en langue étrangère, sauf l’emploi de quelques mots connus.
La quasi-totalité de notre public a le recours à la langue française pour des facteurs différents,
mais d’autres, surtout les enseignants et les étudiants en langues étrangères utilisent la langue
anglaise et même espagnole.
Q3. Pour quelles raisons avez-vous recours à d’autres langues? Autrement dit, pourquoi
le code switching ?
Le recours au code switching est interprété en termes de compétence linguistique qui
est de 38 % et en termes d’incompétence linguistique par 22 %. D’autres avec un pourcentage
de 29% justifient leurs réponses en citant des facteurs extra-linguistiques, le voyant comme
une habitude, voire une nécessité. Le reste est de 11 % , sans réponse.
Notons qu’à cette question, nous attestons à de multiples réponses expliquant ce phénomène
discursif tant discuté : il pourrait être le résultat de nombreux facteurs : psychiques,
linguistique, sociologique et d’autres.
Enseignant : « On fait appel à une autre langue pour se faire comprendre ».
Etudiante : « Ils le font pour faciliter la compréhension ».
Administrateur: « Peut-être par prétention ».
Fonctionnaire : « L’entourage exige cela ».
Enseignante : « Dans certaines situations de communication on est obligé de remplacer
quelques mots par leurs équivalents dans l’une ou l’autre langue au moment où je me sens
que L1 est incapable de transmettre mon vouloir-dire ».
La majorité des enquêtés affirme le recours à cette stratégie discursive par 68 % pour
dire que le code-switching est devenu inévitable, alors que 32 % refusent de donner une
réponse précise. Cette pratique se diffère du contexte à l’autre, selon la situation de
communication et ses éléments, comme le montre les passages suivants :
Médecin : «Je l’utilise (code-switching) dans le cas où mon interlocuteur l’utilise ».
Enseignante: « Pour moi c’est quand je n’arrive pas à exprimer une idée que requiert une
langue particulière ou plus exactement que je crois pouvoir exprimer plus clairement dans
telle ou telle langue ».
Fonctionnaire : « Cela vient naturellement lorsqu’on est en face d’une personne bilingue ».
Fonctionnaire: « Le code-switching s’impose à nous horriblement, on veut ou pas. »
Enseignant : « Cela dépend du contexte, mais généralement c’est avec mes collègues et ma
famille ».
Etudiant : « Avec les amis, sur Facebook et dans les SMS ».
Conclusion
Enfin, on peut dire que le code-switching (arabe/ français) est considéré comme un
phénomène langagier découlé systématiquement du contact des langues est différemment jugé
par les interlocuteurs. Il se présente, le plus souvent, comme une simple stratégie discursive
qui s’impose naturellement, voire un comportement langagier habituel, un prestige social et
un luxe oral mais parfois et contrairement à cela, il se présente comme un signe de malaise
due des raisons culturelles, idéologiques... En plus, les Algériens ont recours à la langue
française car le français notamment est plus qu’une langue dite "professionnelle" ou de
formation et les représentations qu’ils se font découlent de l’incompatibilité entre le statut
politique et social que requiert cette langue car nul n’ignore que sur le plan politique, le
français est déclaré comme première langue étrangère mais sur le plan social, cette langue a
toute la latitude d’une langue seconde. Son cadre d’usage n’est pas fortement fixé et limité et
son brassage avec l’arabe dialectal constitue souvent une variété linguistique désirée. Cela
démontre que l’AC est un choix personnel exigé par une situation de communication,
prouvant que c’est une approche discursive interactive importante. Elle se manifeste d’une
manière spontanée aussi que programmée dans le but de faire passer un message.
L’Algérien a donc fini par créer sa propre langue, une langue endogène dont le trait
distinctif est le métissage, une langue vivante, riche et en constante évolution selon les
besoins de la communication moderne, il ne se gêne pas de mélanger toutes les langues à sa
disposition pour dire sa pensée librement sans contrainte. Tel est le résultat du contact des
langues en Algérie.
Références
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