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Documento acquistato da () il 2023/09/25.

Politiques linguistiques
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

(Ç)L'Harmattan,2000
ISBN: 2-7475-0147-7
Louis PORCHER
Violette FARO-HANOUN
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Politiques linguistiques

L'Harmattan L 'Harmattan Inc. L'Harmattan Hongrie L'Harmattan Italia


5-7, rue de l'École-Polytechnique 55, rue Saint-Jacques Hargita u. 3 Via Bava, 37
75005 Paris Montréal (Qc) CANADA 1026 Budapest 10214 Torino
France H2Y lK9 HONGRIE ITALIE
Collection Éducation comparée
dirigéepar DominiqueGroux
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La collection éducation comparée est destinée aux enseignants


et futurs enseignants, aux formateurs et aux parents d'élèves, aux
chercheurs et décideurs.
Elle veut montrer l'utilité et les bénéfices que l'on peut attendre
de la démarche comparative dans le domaine éducatif et la
nécessité absolue de mettre en place des échanges au niveau des
écoles, des collèges, des lycées et des universités.

Déjà parus

Dominique Groux, Louis Porcher, Les échanges éducatifs, 2000.


Dominique Groux, Nicole Tutiaux-guillon, Les échanges inter-
nationaux et la comparaison en éducation, 2000.
Martine Mauriras-Bousquet, Education ou barbarie, 2000.
Azzedine Si Moussa, Internet à l'école: usages et enjeux, 2000.
MUL TIDIMENSIONNALITE
D'UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE

Les confusions conceptuelles au sujet des politiques


linguistiques sont littéralement confondantes. Tout le
monde en parle, d'une part à cause de la mode chez les
universitaires, d'autre part pour tenter de répondre aux
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besoins objectifs qui surgissent de partout, s'agissant des


langues, dans le pays. Il y a quelques années, nous nous
comptions sur les doigts de la main, ceux qui parlaient du
sujet ou en écrivaient. J'ai été, de loin, le premier, à ouvrir
un cours à bac plus cinq, intitulé explicitement ainsi.
Désormais vous en trouvez à tous les coins de rue.
En 1993, l'ASDIFLE (Association de didactique du
français langue étrangère) a consacré son colloque annuel
au sujet, malgré l'opposition de sa direction de l'époque,
qui voulait consacrer un énième débat à la syntaxe. Il a
fallu que j'use de mon pouvoir de président fondateur de
l'association pour gagner la partie. Bref, les politiques
linguistiques sont restées longtemps une expression pure
et simple, dont presque personne ne mesurait l'ampleur et,
comme les pouvoirs publics ne s'en préoccupaient absolu-
ment pas et les syndicats encore moins...
Il faut donc répéter que, pour qu'il y ait politique
linguistique, quelle que soit son orientation, il est impératif
de fonder la réflexion sur une définition conceptuelle
préalable, seule susceptible de permettre la conduite ra-
tionnelle d'une action véritable puisque, et c'est un point
fondamental, une politique linguistique est d'abord une
action. Dans aucun domaine de l'action, il ne viendrait à
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l'idée de procéder au hasard, n'importe comment: toute
entreprise s'appuie sur des principes stables qui lui servent
à la fois de régulation et de fondation.
Une politique linguistique, c'est donc l'action menée par
une communauté pour développer au mieux (selon les ob-
jectifs visés, eux-mêmes à définir) la diffusion de la ou des
langue(s) qui y circule(nt). Cette communauté peut être
publique (un Etat, une Région, un département, une ville)
ou privée (une entreprise, une chaîne médiatique, une
association). Le propos, à chaque fois, est d'optimiser les
moyens en vue d'atteindre les objectifs linguistiques que
l'on s'est fixés, non pour eux-mêmes, mais en liaison avec
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l'ensemble de la politique (tout court) de la communauté.


Presque toujours, de manière stupéfiante, les «spécia-
listes» oublient qu'une politique linguistique est d'abord
une politique, c'est-à-dire des modes organisés de con-
duite d'un intérêt collectif. Elle demande donc, d'emblée,
des décisions, et des décisions auxquelles on se tienne,
tout en les adaptant, pragmatiquement, aux évolutions
incessantes du contexte sans perdre de vue les principes
fondamentaux.
Dans ces conditions, bien entendu, une politique linguis-
tique, pas plus qu'une autre, ne saurait fonctionner de
manière automatique: sa définition et son périmétrage
évolutif dépendent de l'action des diverses communautés
avec lesquelles elle entretient des relations. Il y a toujours,
dans le domaine, une interdépendance, c'est-à-dire, fonda-
mentalement, une négociation, même si celle-ci, par
hypothèse, reste interne à la communauté considérée, et,
donc, purement, conceptuelle.
Par exemple la politique linguistique d'un Etat ne saurait
se concevoir sans relation avec celle des régions, et
réciproquement les collectivités territoriales et la collec-
tivité nationale ont nécessairement partie liée; une chose
importante intervient de manière décisive ici: même si les

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partenaires ne le souhaitent pas, ou ne le voient pas, ils
sont partenaires et leur action est interreliée. Il est donc
clair, dans ces conditions, qu'une politique linguistique a
d'autant plus de chances d'être adéquate qu'elle se met en
place consciemment sur ces bases-là. On conduit beau-
coup mieux une action volontariste, puisqu'une politique
linguistique se caractérise par son volontarisme, lorsqu'on
maîtrise pleinement, sur le plan conceptuel, les objectifs
que l'on vise et les moyens les meilleurs à mettre en
œuvre pour atteindre les prémisses. De bons résultats
éventuels atteints par hasard ne constituent nullement une
politique linguistique. Celle-ci est, impérativement, une
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action concertée.
Donc aussi, et c'est essentiel, une action que l'on peut
réfléchir, modifier, ou, comme le disait Bachelard pour la
démarche scientifique ou pour la bonne conduite pédago-
gique, rectifier. On ne rectifie pas une action dont on n'a
pas mesuré le but et les voies qui y conduisent. Une
politique linguistique demande donc à la fois une prise de
conscience et une prise de responsabilité. Elle engage les
acteurs qui la mettent en œuvre et doit être, en perma-
nence, évaluée Gustement pour être adaptée puisqu'elle
porte sur des réalités changeantes et sur des actions
individuelles ).
Si tous ces principes épistémo-méthodologiques ne sont
pas respectés, une politique linguistique existe cependant,
même si on ne le veut pas. Mais, s'apparentant au laisser
faire, elle ne mesure pas ses propres conséquences et
prend sans cesse le risque de foncer dans le mur. Elle
accuse les décisions qui, de toute façon, se prennent, au
lieu de les assumer et de les conduire.
S'il y a politique dans politique linguistique, il y a aussi
linguistique. Or, la restriction de l'adjectif à ce qui touche
la langue proprement dite, comme les milieux des
linguistes spécialisés ont une irrésistible tendance à

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l'établir, pour protéger leur territoire et leurs intérêts, est,
au fur et à mesure de l'internationalisation, une absurdité
croissante. Les langues (y compris maternelles, bien
entendu) englobent nécessairement les cultures. En som-
me, qui dit langue dit obligatoirement culture. Par une
aberration hautement préjudiciable, chaque jour plus péna-
lisante compte tenu de l'évolution du monde, on relègue
politique linguistique à l'aspect rétréci de la langue envi-
sagée par elle-même seule. Au mieux on y intègre, porté
par la tradition, la culture classique.
Celle-ci reste évidemment tout à fait indispensable et
s'inscrit dans le bagage linguistique nécessaire à un
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apprenant. Il importe de résister férocement aux tentatives


renouvelées d'exclusion de la culture classique. A ne pas
le voir on accroît impitoyablement, et, surtout, inéluctable-
ment, les inégalités sociales devant les langues. Les strates
sociales les mieux dotées assurent elles-mêmes la trans-
mission des valeurs culturelles classiques qui accompa-
gnent celle d'une langue.
Mais ceux qui n'ont pas bien choisi leurs parents,
comment peuvent-ils procéder si l'institution scolaire ne
leur fournit pas les nourritures culturelles auxquelles tout
le monde, sans exception, a droit? Le renoncement ram-
pant, dans le système scolaire français, à la culture
classique, pénalise les moins bien dotés familialement et
socialement, les enkyste dans leur marginalité, obère leur
vie d'adultes, et, en plus, les exclut de la compétition
scolaire dans sa plus haute sélection.
Pour mettre l'accent adéquat, il faudrait donc dire
« politique linguistique et culturelle », bien que ce soit, en
large partie, un pléonasme. Or, presque personne ne le fait,
parmi les spécialistes, sauf, significativement, les entrepri-
ses industrielles ou commerciales elles-mêmes, qui se sont
aperçues, à l'usage, que les compétences culturelles

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étaient impérativement nécessaires à la réussite des tran-
sactions commerciales.
Enfin, comme c'est souvent le cas en France, où le
système centralisé, jacobin, collectiviste, triomphe depuis
longtemps, on assiste, de manière désespérante, à une
confiscation de l'expression rigoureuse « politique linguis-
tique» par les milieux de l'enseignement, qui, par igno-
rance et survalorisation de la pédagogie, réduisent « poli-
tique linguistique» à «politique de l'enseignement des
langues », et, dès lors, considèrent l'école comme un
monde en soi, indépendant du monde tout court.
S'agissant des langues étrangères, il y a belle lurette
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pourtant que les carences de l'enseignement scolaire des


langues sont patentes, mises en évidence maintes fois. Un
élève scolairement bon en langue n'est pas, de ce simple
fait, efficace dans l'usage concret de la langue apprise. En
contexte il est souvent incapable d'utiliser ce qu'il a ingur-
gité, preuve péremptoire que le monde de l'école s'est
enfermé sur lui-même, fonctionne de manière autarcique
et considère qu'il n'a pas à armer les élèves pour affronter
la vie réelle, hors de l'école.
Or, une politique linguistique, parce qu'elle est d'abord
définie comme une politique, est inévitablement globale,
l'institution scolaire ne constituant qu'un moyen certes
doué de « l'autonomie relative» chère à Bourdieu, mais,
fondamentalement au service des usagers (ce que sont
devenus les élèves). L'école n'est pas un but, mais une
voie, elle n'incarne même pas la voie, mais seulement (ce
qui est déjà beaucoup) un moyen; si elle n'évolue pas, son
influence s'affaiblira, ira en diminuant au profit d'autres
institutions davantage tournées vers l'efficacité fonction-
nelle.

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1. LES LANGUES COMME INSTRUMENTS DE
COMMUNICATION
Les prestataires de langues ont tous, désormais, et c'est
récent, le sentiment que les orientations majeures d'une
politique linguistique leur sont indispensables, et comme
opérateurs et comme citoyens. Quel parent, par exemple,
ne se soucie pas de la maîtrise par ses rejetons de leur
langue maternelle, et, en même temps ou presque, des
langues étrangères optimales qu'il doit apprendre? Qui,
au moins obscurément, ne se préoccupe du recul du fran-
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çais partout dans le monde?


Presque chaque jour s'entendent les pleurnicheries et les
jérémiades, les protestations ou les colères hautement
proclamées, contre I'hégémonie de l'anglais. Pourtant, un
simple regard objectivant sur l'œkoumène montre à l'évi-
dence que l'anglais est la langue de communication la plus
pratiquée dans le monde, celle qui préside massivement
aux échanges de toute sorte. A quoi sert-il de s'en féliciter
ou de s'en lamenter? Et qui saurait en priver ses enfants,
c'est-à-dire, finalement, les amputer d'une compétence
linguistique aujourd'hui banale?
Sociologiquement, l'anglais constitue la langue que
pratique le plus probablement un inconnu que je rencontre
imprévisiblement quelque part sur la planète. Cet argu-
ment, qui va pourtant de soi, n'est jamais abordé par « les
responsables des langues », mais tout se passe comme si
les usagers, les premiers intéressés donc, connaissaient cet
argument. En tout cas, et c'est ce qui compte, ils se
comportent adéquatement par rapport à lui, en l'appliquant
tout simplement.
Au point que, aujourd'hui, partout, la maîtrise de l'anglais
ne constitue plus un bonus mais un savoir-faire normal,
ordinaire. Au contraire, sa non-maîtrise incarne, partout

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aussi, un handicap, une sorte d'infirmité professionnelle,
sociale, personnelle. Symétriquement, la connaissance du
japonais par exemple, représente une valorisation, un point
fort et distinctif d'un capital langagier (donc un bénéfice
au moins professionnel), et son ignorance ne stigmatise
nullement un handicap.
Le soin apporté à la construction de son propre capital
langagier est devenu un enjeu effectif, non gratuit. Au
moins une grande langue étrangère de communication
mondiale, et une langue, toujours étrangère, plus rare,
forment désormais le capital le plus adéquat, qui, lui aussi,
mérite d'être entretenu et accru « du berceau à la tombe ».
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1.1. Les prestataires obligés


Qu'on le veuille ou non, qu'on le sache ou pas, une
politique linguistique nationale est toujours présente,
même si on l'abandonne à elle-même comme c'est
largement le cas en France. Mais elle est aussi (pas
seulement cependant) constituée d'une diversité qui tient à
la figure elle-même variée de la nation considérée, quelle
que soit celle-ci.

1.1.1. L'Etat
Quelle que soit la forme de celui-ci, central ou fédéral, il
doit expliciter une politique linguistique, c'est-à-dire un
objectif à viser au sujet de sa (ou ses) langue(s) natio-
nale(s), et des langues étrangères présentes sur son sol,
comme de l'exportation de sa (ou ses) langue(s) propres.
Liés à ces objectifs figurent nécessairement les moyens
officiels qu'il préconise pour les atteindre, ceux qu'il met
en place ou impose, ceux qu'il encourage, ceux qu'il
proscrit (et ceux qu'il prescrit oserait-on dire). Enfin, les
modalités d'une évaluation de ces actions décisives

Il
doivent être actionnées par lui. Dans quelles mesures tel
objectif a-t-il été atteint, en quoi s'est-il révélé adéquat ou
à rectifier (ou même à bannir) ?
Quel a été le degré d'adéquation entre les moyens volon-
tairement et explicitement mis en œuvre et les fins
poursuivies? Quel a été le degré d'efficacité et aussi
l'indice de satisfaction des différents partenaires (y com-
pris les usagers) ? Là encore, qu'importe-t-il de rectifier?
Comment, au total, doit-on « raboter» les objectifs et les
moyens de les réaliser, pour être en phase avec la réalité?
On perçoit, ici, une dimension encore inaperçue, que les
tenants du titre (au premier rang desquels les enseignants
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eux-mêmes), ne perçoivent pas ou feignent de ne pas


percevoir. C'est qu'une politique linguistique n'est jamais
immobile. Elle doit à chaque instant, se modifier, être con-
forme à son environnement (qui, désormais, pour tous, est
aussi mondial, mais, encore une fois, pas seulement). Figer
une politique, c'est la tuer, l'enfermer dans un dogme qui
en fait une théologie, un décalogue.
Or, l'inertie propre, chez nous et chez d'autres, à l'ensei-
gnement, joue à plein sur celui des langues. La répartition
géographique de celles-ci change, de même que leur statut,
de même aussi que leur poids géopolitique Gustement) et
leur hiérarchie. La nécrose guette à chaque instant.
Transmettre une politique gravée dans le bronze, c'est une
négation dans les termes, même s'il reste absolument juste
qu'un certain nombre de principes doivent être maintenus.
En effet, les évolutions nécessaires n'obéissent pas à la loi
du n'importe comment, ou du chamboulement permanent.
Elles doivent s'appuyer sur une colonne vertébrale, être
organisées selon une ligne directrice. La rectification c'est
justement le mouvement dans la stabilité. Pour que les
choses bougent, il faut que la permanence existe; pour
que celle-ci subsiste autrement que comme un bloc
interne, il est impératif que des mouvements l'affectent.

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Telle est la dialectique qui, de toute façon, s'instaure.
Mieux vaut donc les vouloir et les conduire.
Un réquisit en découle, auprès des spécialistes de langues
qui se sont arrogés, on se demande bien au nom de quoi, la
compétence adéquate pour parler de politique linguisti-
que: contrairement à une idée fréquemment reçue, le
volontarisme a une portée sur les langues, elles n'échap-
pent pas à ses prises. Il est banal, hélas, d'entendre dire
que les langues évoluent seules, indépendamment des lois
et décisions dont elles se moquent. Elles vivraient leur vie.
Or, il se trouve que c'est faux. L'action concertée, atten-
tive, organisée, extérieure surtout, agit sur la place et le
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rôle des langues elles-mêmes. Lorsque les élus américains


ont dû voter pour désigner une langue nationale, l'anglais
l'a emporté sur l'allemand d'une seule voix, c'est-à-dire
d'extrême justesse. Le phénomène montre suffisamment,
donc, que la partie n'était pas jouée d'avance et que les
deux langues, sur place, étaient à peu près de force égale.
Or, relativement peu de temps après, à l'échelle historique,
que constatons-nous? L'anglais imposé par des voies
politiques, est présent pratiquement dans tout le pays alors
que l'allemand a quasiment disparu. Une transformation
profonde, radicale, imprévisible, probablement irréversi-
ble, a été instaurée par la voix du volontarisme et la pure
évolution des langues n'y a pu mais.
Cela ne signifie nullement qu'il n'existe pas un dévelop-
pement « spontané» des langues. L'articulation des deux
influences représente manifestement la règle générale.
Pour rester aux Etats-Unis d'Amérique, la langue espa-
gnole, pour des raisons bien connues d'émigration proche,
est en pleine montée au point que, dans peu d'années sans
doute, elle sera en mesure de concurrencer l'anglais
comme langue dominante, notamment dans les Etats du
Sud.

13
Cela ne signifie pas nécessairement que les autorités
américaines soient débordées par le phénomène. Au con-
traire tout laisse penser que, le moment venu, et le couteau
sous la gorge (comme de coutume chez les politiciens), les
pouvoirs politiques adopteront une mesure officielle, de
nature législative, qui établira une forme, encore impos-
sible à prévoir, d'équilibre entre l'espagnol et l'anglais. Le
législateur est celui qui tient compte des évolutions qui se
sont opérées sans lui, mais aussi qui contribue à les
encadrer, à leur donner une forme et une portée adéquate.
Pour qu'il y ait nation, donc, il faut qu'il y ait, que se
soi(en)t définie(s) une ou plusieurs langue(s) nationale(s)
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officielle(s), c'est-à-dire rendue(s) officielle(s). Un Etat ne


saurait faire l'économie d'une telle décision, sauf à
menacer l'existence même du pays. Dans le même temps,
une seule langue peut être langue nationale dans plusieurs
pays à la fois: la loi explicite les conditions mêmes de son
statut.
Quelques pays exhibent exemplairement cette situation
d'articulation entre l'école trop proprement linguistique et
la décision politique. Le Québec, par exemple, lutte pied à
pied, dans un contexte peu favorable, pour que le français
conserve toute sa place dans l'Etat. La fameuse « loi 22 »,
il y a un quart de siècle, a été votée et, dès lors, est deve-
nue applicable (et a été appliquée). Elle serait évidemment
restée lettre morte si le dynamisme propre des francopho-
nes, l'importance exactement identitaire de leur sentiment
d'appartenance au français (et d'appartenance du fran-
çais), n'avait pas soutenu le mouvement, incarné sa
nécessité, nourri sa vigueur. Un équilibre été trouvé, qui
non seulement n'élimine pas les luttes, mais contribue à
les alimenter, à les enrichir, à en faire un trésor, une
propriété individuelle et collective.

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1.1.2. Les collectivités territoriales
L'époque contemporaine a vu s'affermir un double
mouvement, qu'il convient d'envisager dans son ensemble
articulé: l'internationalisation et la patrimonialité. Les
langues et cultures localisées, longuement persécutées, ont
retrouvé une forte vitalité, une valeur identitaire que
chacun revendique. Nous voulons tous être de quelque
part, et, en même temps, circuler sur la planète entière. Il
n'y a aucune contradiction, tout au contraire, dans cette
donne, neuve contrairement à ce que les pouvoirs domi-
nants ont cherché à nous inculquer depuis longtemps.
Dès lors, les politiques linguistiques, en conservant leur
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dimension nationale, tendent irrésistiblement à se décen-


traliser. Chaque communauté définit ses propres priorités
dans le domaine, qu'il s'agit simplement de coordonner en
respectant l'identité propre c'est-à-dire la nécessité de
l'inscription dans une nation. D'ailleurs, la naissance nou-
velle d'Etats qui avaient été éradiqués, en apparence, a
proliféré dans la dernière décennie. En outre, même à l'in-
térieur d'une nation sans soubresauts dramatiques,
l'émergence des régions, des pays, des villes, comme
entités singulières, s'accroît chaque jour.
Il y aurait, à cet égard, à réinterpréter les politiques lin-
guistiques dans la lignée historique, où l'on verrait, à coup
sûr, des résurgences de temps longs, d'anciennes frontiè-
res que les esprits rapides ou flapis avaient considérées
comme définitivement caduques. Le patrimoine a recon-
quis ses composantes locales, déterminé la géographie, les
appartenances historiques, culturelles et linguistiques.

- Les régions
En beaucoup de nationalités, les régions ne sont pas de
naissance récente. De très grands pays sont, depuis
longtemps, «décentralisés ». Les «Lander» en Allema-
gne, les régions italiennes, les Etats en Amérique du Nord,

15
les autonomies espagnoles, les comtés britanniques, n'ont
jamais perdu leur existence officielle, sans pour autant
porter préjudice à l'unité nationale. Celle-ci était consti-
tuée de diversités.
En France, la centralisation, depuis Louis XIV, renforcée
puissamment par la Révolution montagnarde, a cherché à
réduire les variétés régionales. Désormais, les Girondins,
pourrait-on dire, ont repris le dessus, et les pouvoirs cen-
traux ont été contraints, au cours du dernier demi-siècle, à
reconnaître les spécificités locales, au point d'accomplir
officiellement la très fameuse décentralisation.
Dès lors, des coopérations interrégionales, de manière in-
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terne aux frontières nationales, mais aussi, de plus en plus


fréquemment et banalement, transfrontalières, se sont ins-
tallées et développées. Selon leur composition, et la façon
dont les habitants, élisant leurs pouvoirs locaux, perçoi-
vent leur ancrage régional, des conventions ont vu le jour
qui mettent en mouvement des relations spécifiques de
tous ordres, caractérisées par des échanges de toute nature.
Les langues n'ont évidemment pas échappé à ce mouve-
ment. Il ne s'agit pas nécessairement, et même rarement,
d'échanges linguistiques eux-mêmes régionalistes, mais
surtout de la pénétration, au sein des régions françaises, de
langues étrangères librement choisies en fonction des
besoins du lieu. Bien entendu, là aussi, des disparités exis-
tent, selon la richesse et les potentialités de la région.
Reste la reconnaissance officielle de ces existences
culturelles et linguistiques minoritaires. La signature, sous
l'actuel gouvernement, de la moitié des articles de la
Charte des langues régionales, et les débats acharnés aux-
quels elle a donné lieu, constitue, à cet égard, un exemple
emblématique. Il est désormais clair que chaque Région,
certes en accord avec l'Etat mais sans que celui-ci outre-
passe le droit de juguler le mouvement, souhaite organiser
sa politique linguistique propre à l'intérieur du champ

16
national auquel elle appartient. Le plus épineux du
problème tient à certaines Régions frontalières (Pays
Basque, Alsace par exemple, mais aussi Bretagne) qui
partagent avec les régions similaires d'autres pays les
mêmes valeurs patrimoniales. Le cas de la Catalogne est
sans doute le plus symbolique en la matière. Nous en
reparlerons.

- Les villes
Elles aussi ont revivifié une existence propre, dont il serait
facile de retrouver un enracinement très lointain, par
exemple dans les foires du Moyen-Age, et dans les
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échanges qui s'opéraient entre ces entités. Désormais,


elles ne se noient ni dans leur Etat d'appartenance, ni
même dans la Région à laquelle elles participent. Elles
revendiquent leur identité singulière et prennent en compte
leurs caractéristiques propres.
Les regroupements déjà existants, et qui vont vers une
expansion inéluctable, marquent le phénomène mieux
qu'un long discours. Nous en avons déjà parlé ailleurs
sous un autre angle! : les conventions qui lient les grands
ports du monde, l'Arc Atlantique qui établit des liaisons
entre toutes les villes situées au bord de l'océan atlantique,
du Nord au Sud, en fournissant quelques exemples parmi
tant d'autres (y compris ceux qui sont en état de gestation,
même imprévisible pour l'instant).
Il va de soi que, au sein de ces connexions fonctionnelles,
dépendant d'une ressemblance géographique ou d'une
communauté quelconque d'intérêts, les sentiments de
parenté qui se dégagent n'évitent pas les langues, et
d'ailleurs ne le cherchent nullement. Chaque ville, comme
entité particulière, organise ses propres échanges, ses
propres communications linguistiques, bref, élabore sa

1 Dominique GROUX et Louis PORCHER, Les échanges éducatifs,


L'Harmattan,2000.
17
propre politique linguistique qui dépasse évidemment de
beaucoup les milieux de l'éducation nationale.

- Les pays
Notion récente, que le gouvernement est en train d'officia-
liser en la définissant, cette réalité encore floue mais qui
correspond manifestement au souci des habitants et à leurs
intérêts, va prendre forme et incarner encore une autre
dimension que celle des régions ou celle des villes, sans
pour autant se substituer à celles-ci ni à l'Etat central. Un
nouvel échelon politique, de proximité, se trouve ainsi
créé, et nul doute qu'il engendrera des composants inédits
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de politiques linguistiques encore inédites.

Au total, donc, il existe de multiples niveaux où se


déterminent des politiques linguistiques, dont l' assemble-
ment, dans sa diversité, compose (ou peut composer) une
politique linguistique nationale. L'uniformisation est
définitivement morte, quoique, chez nous, le Ministère des
Affaires Etrangères, notamment, éprouve, pour le moins,
quelques difficultés à comprendre le phénomène et à
transformer sa conception de l'unité politique.

1.2. Les enjeux différenciés


Trop souvent, de manière désespérante, les spécialistes
universitaires de politique linguistique négligent la
multiplicité des dimensions de toute politique linguistique.
Ils ont une tendance quasiment irrépressible à réduire
celle-ci à un seul de ses aspects, celui de la diffusion de
leur propre langue comme langue étrangère, et, même,
plus gravement, à restreindre cette diffusion à l'enseigne-
ment au sens le plus fermé du terme.
Dans ces conditions, il ne sera que logique, et cela ne
manquera pas d'arriver, que le domaine des politiques

18
linguistiques, à la fois paradoxalement et sans paradoxe,
échappe aux linguistes, comme beaucoup d'autres terri-
toires, qui leur revenaient pourtant, ont été accaparés par
d'autres (celui de la communication, par exemple, ou celui
de leur propre, histoire).
Il faut donc insister fermement sur le fait qu'il y a
plusieurs appartements dans la maison du père « politiques
linguistiques» et qu'aucun d'eux ne saurait échapper, sans
erreur irréparable, à la vigilance de qui s'engage dans une
telle réflexion. Il peut, certes, y avoir des spécialistes sur
ce vaste territoire, mais le minimum de rigueur et de
compétence commande d'en prendre conscience et d' affi-
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cher les bornes de ses préoccupations.

1.2.1. La langue maternelle


Presque tout le monde se conduit comme si celle-ci ne re-
levait pas du champ de la politique linguistique. C'est tout
le contraire, évidemment. Elle s'y situe en plein centre.
Citons, juste pour mémoire parce qu'elle fut piteusement
ratée, la réforme qu'a voulu introduire le gouvernement
Rocard, aux alentours de 1990, notamment à propos de
l'orthographe. Pour un homme politique il s'agit d'un
miroir aux alouettes, d'une tentative d'avance sans issue.
Michel Rocard, en bon ignorant du domaine, avait négligé
les passions qui brûlaient à l'égard de ce phénomène dans
l'esprit des citoyens, et les innombrables lobbies des spé-
cialistes et des pseudo-spécialistes. La situation ne pouvait
aboutir qu'à un blocage. En outre, la France s'était auto-
proclamée détentrice de la langue française, et le bon
Premier ministre avait spontanément oublié, par les restes
encore bien présents de l'époque où la France était toute-
puissante, que d'autres avaient la langue française en
partage.

19
Comme l'a remarquablement dit le linguiste Claude
HAGEGE, «la France n'est nullement propriétaire de la
langue française, elle en est seulement dépositaire »2. La
montagne a, dès lors, accouché d'une souris puisque rien
n'a été changé. Illustration exemplaire, emblématique, de
ce qu'est une politique linguistique qui n'en est pas une,
sans principes d'ensemble, sans objectifs globaux, sans
perspectives méthodologiques, bref sans chair ni colonne
vertébrale.
Il résulte de ce cas rapidement brossé que la langue mater-
nelle doit impérativement faire l'objet d'une politique lin-
guistique explicite, comme en témoigneraient encore les
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affrontements virulents qui ont accompagné la signature


pour la Charte sur les langues régionales. Les Académies,
par exemple, incarnent les lieux les plus propices à un tel
débat. Quelle est la langue de l'Etat? Et en existe-t-il une
qui corresponde à l'identité de celui-ci et à ses besoins, à
la représentation qu'il se fait de lui-même? Ou y en a-t-il
plusieurs? En quelle langue s'incarne le pouvoir
légitime?

1.2.2. Les langues régionales


Elles sont, pour certaines, aussi vieilles que le français, et
ont fait l'objet de multiples attentions, y compris celle de
l'abbé Grégoire au moment de la révolution. Elles se
présentent aujourd'hui sous un jour neuf, qui tient certai-
nement à l'évolution du monde, à la perte des repères
individuels et nationaux, et au désir qui en résulte de
s'inscrire dans une communauté d'appartenance.
On peut dire que la présence d'une diversité de langues
qui ont résisté au pilonnage des pouvoirs politiques et de
leurs relais, constitue, au moins pour une entité nationale,
une richesse qu'il est simplement juste de développer, de
2
Actes des Etats généraux des langues, Paris, 1989.
20
reconnaître, par l'attribution d'une légitimité entière,
d'aider à circuler et à créer. Ce sont, certes, les régions
concernées qui sont à solliciter au premier chef, mais
l'Etat doit aussi apporter sa part assurée, quantifiée,
repérable.
Le sentiment d'appartenance est à multiples faces, a de
nombreuses pellicules: du national au plus local, en
passant par la région (ou parfois les régions), les pays, les
agglomérations, bref l'environnement au sens large. Il y a
des cultures et cette pluralité constitue la culture singulière
(tatouée, tigrée, arlequinée dit Michel SERRES) d'une
personnalité et, plus largement, la couleur d'une nation et
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sa multiplicité une.
Et puis, bien entendu, le grand vent de l'internationalisa-
tion souffle aussi sur les langues régionales, notamment à
travers les médias satellitaires et, aussi, les résurgences de
celles-ci parmi la diaspora de ceux qui ont quitté leur terre.
Les langues régionales se situent désormais dans un
contexte nouveau: elles ne s'exportent sans doute que peu
mais participent à l'enracinement des personnes dans leur
communauté «naturelle» (au sens étymologique de cet
adjectif).

1.2.3. Les langues de l'immigration


En France, l'immigration, comme on sait, ne tient pas une
place plus grande qu'auparavant, mais elle n'obéit plus
aux mêmes comportements. Quoiqu'elle reste massive-
ment dominée elle a tout de même trouvé ses instruments
de défense, y compris parmi les indigènes du pays de rési-
dence. Le maintien actif des langues et cultures d'origine
se développe fortement aujourd'hui, malgré un désenga-
gement de l'Etat sur le plan scolaire (qui repose sur des
analyses erronées mais qui arrange bien les pays rece-
veurs). Cet enseignement reste faible mais extrêmement

21
vivant, et, malgré le désir de plus en plus fréquent d'une
intégration dans la société de réception, le souhait de
développer les pratiques de la langue et de la culture
d'origine est de plus en plus marqué.
Toutes les activités artistiques en témoignent largement,
en particulier celles qui visent un public vaste, et, sans
doute définitivement, visent aussi les indigènes. Elles sont
puissamment relayées par les médias, et, en outre, ceux -ci,
grâce aux satellites, imprègnent de plus en plus la culture
d'accueil: par millions se comptent désormais, par exem-
ple, ceux qui en France, reçoivent aujourd'hui une télé-
vision arabophone qui entretient un lien avec « là-bas ».
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1.2.4. Les langues étrangères


La situation française est paradoxale, et, presque à coup
sûr, profondément dysfonctionnelle. D'une part, nous
sommes le pays d'Europe qui offre officiellement (et,
donc, théoriquement) le menu linguistique le plus ouvert :
vingt langues étrangères ont leur place explicite dans le
système scolaire français. Mais, symétriquement, et c'est
presque un effet mécanique de ce nombre beaucoup trop
grand, chacune de ces langues (mis à part, bien sûr,
l'anglais, l'allemand, l'espagnol, et l'italien) n'est propo-
sée que dans une toute petite quantité de lycées et
collèges.
En apparence donc, chacun peut pratiquer scolairement la
langue qu'il souhaite, mais, dans la réalité, les choix sont,
statistiquement et massivement, contraints. La domination
de l'anglais devient, chaque jour davantage, sans partage.
Une solution est sans doute à esquisser dans l'établisse-
ment d'un véritable plurilinguisme, multilinguisme même,
qui offrirait au plus grand nombre l'accès simplement
communicationnel aux langues étrangères qu'il souhaite.
Cette hypothèse passerait par une transformation radicale

22
du système d'enseignement, de ses modalités comme de
ses prestataires.

1.2.5. Le français comme langue étrangère


Toutes les langues sont, bien entendu, potentiellement, des
langues d'exportation, mais la tradition d'une diffusion
planétaire du français est déjà relativement longue. Une
politique linguistique du français comme langue étrangère
est à inventer, car elle n'a jamais vraiment existé malgré
les prétentions des spécialistes autoproclamés qui, dans
l'ensemble, mènent des actions ponctuelles, au jour le
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jour, sans vision d'ensemble organisée. Ils sont largement


insuffisants, pour ne pas dire incompétents, et en outre, les
politiques professionnels ont abandonné ce terrain à des
soi-disants techniciens qui ne font que diffuser, au gré de
leurs opinions et des aléas du moment, de leur doxa en
somme, des moyens, en hommes, en matériel, et en argent.
Qui est capable, aujourd'hui, de définir ce qu'est la
politique linguistique de diffusion du français hors des
frontières du pays? Personne, parce qu'il n'yen a pas. Les
données elles-mêmes ne possèdent aucune fiabilité à la
surface de la planète. Au sens rigoureux de l'expression,
on ne sait pas ce qu'on fait. L'entreprise est à refondre
totalement en amenuisant autant que possible l'influence
des professionnels officiels de la linguistique qui se sont
appropriés le champ, au détriment de la communication et
au profit d'un raffinement sans mesure (ni intérêt) des spé-
culations ou vaticinations sur la langue.
On a substitué peu à peu le savoir sur une langue avec
l'apprentissage de celle-ci, un peu comme si, au lieu
d'enseigner à conduire une automobile, on multipliait les
spécialistes de la mécanique et du fonctionnement des
moteurs. Dans ces conditions, l'avenir du français comme
langue étrangère resterait particulièrement sombre SI,

23
comme cela devait se produire inéluctablement pour
pallier ces carences, d'autres initiatives ne se substituaient
pas à I'hégémonie des linguistes pour délivrer des savoir-
faire communicationnels qui constituent le seul objectif
d'un étranger apprenant une langue qui n'est pas la
sienne: comprendre et se faire comprendre.
La compréhension est d'ailleurs d'une importance
qualitativement sans commune mesure avec la capacité de
produire des énoncés en langue étrangère. Dans la com-
préhension, en effet, l'impétrant est soumis au rythme de
celui qui lui parle, il ne maîtrise pas sa propre intervention,
il subit un tempo sur lequel il ne peut rien. C'est pourquoi,
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contrairement aux affirmations des linguistes et des


pédagogues, la compréhension d'une langue étrangère n'a
nullement à progresser de pair avec la capacité de la
produire: ce sont deux compétences distinctes.
L'avenir relève probablement d'une multiplication de la
compréhension des langues étrangères. Etre capable de
comprendre la langue de l'autre, même sans pouvoir la
parler, constitue, selon toute vraisemblance, l'unique
source efficace d'une communication plurilingue. Chacun
pourrait ainsi s'exprimer dans son propre idiome et l'autre
serait en même temps un véritable interlocuteur.
L'arrogance typique de I'hexagone sur la supériorité de la
langue française sur toutes les autres et sur le savoir-faire
français meilleur que tous les autres, est ressentie partout
dans le monde et personne n'est disposé à la supporter un
long temps encore. C'est pourquoi l'exportation de notre
langue, comme pure langue sans culture, est en train,
rapidement, de nous échapper.
A cause de la monopolisation, de la confiscation de
l'enseignement des langues par les linguistes (que rien ne
justifie car il y a aussi l'élève, et non seulement la langue,
qu'il y a aussi le professeur et l'étrangeté, et donc la
psychologie, la sociologie, I'anthropologie), la culture, qui

24
est pourtant intrinsèquement liée à la langue, est en train
de prendre son autonomie et de fonctionner pour elle-
même au sein du français langue étrangère. Celui-ci s'en
sert de plus en plus parce que c'est ce que les usagers
demandent: ceux-ci savent qu'il existe beaucoup d'autres
moyens d'apprendre une langue que l'enseignement, mais
qu'acquérir la culture étrangère exige le truchement d'une
transmission formelle.

2. LES POLITIQUES LINGUISTIQUES ESSEN-


TIELLEMENT COMPLEXES
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Pour qu'une politique linguistique soit véritablement


établie, puis conduite (avec les rectifications incessam-
ment requises), elle doit articuler la totalité des dimensions
ci-dessus signalées. Celles-ci sont toutes indispensables,
chacune à sa place et avec des poids différents selon les
moments, les lieux, les situations.

2.1. L'importance des contextes


Il est simplement absurde de restreindre une politique lin-
guistique (qui, du coup, n'en est pas une) à mener les
mêmes démarches partout. Sa fonction, et même sa défini-
tion, exige fondamentalement, comme dimension indis-
pensable, la souplesse et l'adaptation; elle est, par nature
même, d'ordre contextuel. Les problèmes à résoudre ne
sont pas partout les mêmes, et ils varient selon la période3.
Les objectifs, par exemple, changent avec leurs destina-
taires, varient selon leurs prestataires, sont spécifiques par
le temps disponible et le matériel utilisé. On pourrait
évidemment mener la même analyse pour les moyens et
les hommes. Manière de dire aussi que la première étape
3
Louis-Jean CALVET, Les politiques linguistiques, Que sais-je?,
P.U.F, 1996.
25
consiste nécessairement à identifier avec précision un
contexte (qui lui-même se modifie avec les circonstances,
c'est-à-dire, en le formulant autrement, contient celles-ci
dans sa définition). Toute action entreprise doit l'être en
phase avec le milieu au sein duquel elle va se dérouler.
Pense-t-on, à l;aune d'un égalitarisme de façade ou de
préau, que la langue maternelle, par exemple, peut s'ensei-
gner de la même façon dans les lycées d'élite et dans un
lycée dit difficile qui, pourtant, aux yeux de la loi, est
identique au premier? Croit-on qu'il faut suivre les
mêmes démarches pour atteindre, même dans les princi-
pes, les mêmes buts? Imagine-t-on que les besoins en
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langue étrangère sont de nature semblable selon la situa-


tion sociale et familiale des apprenants?
Il ne s'agit nullement de mettre en cause l'égalisation des
chances, qui constitue le fondement même de la démocra-
tie, mais il est absolument impératif de constater que
l'égalité est un leurre, une proclamation de politicien qui
veut coller une rustine sur un trou, ou une affirmation,
visant à intimider les mieux nantis. Tout au contraire, c'est
bien cet horizon qu'une politique linguistique doit viser et
tel est ainsi fixé son socle fondateur, l'impératif catégori-
que qu'elle constitue socialement.

2.2. Les dimensions autres que l'enseignement

2.2.1. L'enseignement lui-même


De même que les linguistes veulent s'approprier
l'apprentissage des langues, alors qu'ils sont qualifiés pour
en définir seulement une composante (l'analyse et le fonc-
tionnement d'une langue) qui n'est qu'une faible partie
(certes sans doute nécessaire, je dis bien sans doute) de
l'objet à traiter, de même les enseignants et spécialistes de
l'éducation (ceux -ci, ces temps-ci, ayant une tendance

26
forte à proliférer avec les couvertures que cherchent à
donner à leurs décisions les politiques, en se réfugiant,
pour l'éducation comme pour le reste, derrière l'avis des
experts dont la désignation même ne convainc nullement
les spécialistes eux-mêmes) considèrent que la définition
d'une politique éducative leur revient de droit et par leur
statut.
La politique linguistique, si elle existait, s'inscrirait en
partie au sein d'une politique éducative, pour ce qui en
elle relève de l'enseignement en tout cas. Il est clair
qu'une politique éducative a existé, sous Jules Ferry no-
tamment, et a duré. Mais il est tout aussi clair qu'elle
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n'existe plus parce que le monde a changé et qu'aucun


gouvernement n'a eu l'envergure (y compris le courage)
d'inventer et de construire une politique éducative adé-
quate à notre temps.
Dès lors une politique linguistique ne saurait prendre place
au sein d'une politique éducative puisque ni l'une ni
l'autre n'existent. Il est même permis de savourer
(tristement certes) la longue appellation du département du
Ministère des Affaires étrangères chargé de l' enseigne-
ment du français à l'étranger: «département de politique
linguistique et éducative ». Aucun risque effectif n'est ici
à courir puisque ce sont de simples mots de circonstance.
Reste que l'enseignement, comme institution, conserve
légitimement une place éminente dans l'élaboration d'une
politique linguistique, et que, pour comprendre les autres
composantes de celle-ci, il faut bien d'abord fixer celui-là.
Par les dysfonctionnements du système éducatif, qui
brinquebale depuis plusieurs décennies, la langue mater-
nelle et les autres langues sont incapables de trouver un
régime simplement satisfaisant. Du coup, ce sont les capi-
taux sociaux, familialement hérités, qui gouvernent la
formation des individus.

27
L'école ne joue plus un rôle essentiel que parce qu'elle
détient le monopole de la délivrance des examens et que
ceux-ci continuent d'incarner, aux yeux de presque tous,
une légitimité sur laquelle on s'appuie faute de mieux.
Soyons honnêt~~, nous, les pédagogues de tous niveaux à
partir de la sixième jusqu'à la dernière année des univer-
sités, notre enseignement n'intéresse en rien nos élèves et
étudiants, il les ennuie mortellement parce que, à leurs
yeux, il n'aborde pas leurs problèmes. Ils visent un seul
but, grâce auquel ils supportent la longueur du parcours:
obtenir l'examen final parce que celui-ci constitue la porte
vers une situation sociale.
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Ils ne se trompent d'ailleurs pas, à cet égard. Toutes les


statistiques montrent, depuis des années, que plus le
diplôme qu'on a acquis est élevé, moins on chôme et
moins longtemps on chôme. Alors, à quoi bon s'impliquer
dans l'enseignement lui-même? Il faut en tirer des béné-
fices et c'est tout. Le phénomène est évidemment moins
net dans les universités de droit (mais cela tient à ce qu'on
y commence la discipline à zéro), de médecine (idem), de
sciences (parce que, en fait, on y reprend tout à zéro et
qu'il s'agit d'un savoir dont les sanctions réelles sont
palpables: en physique, si votre hypothèse est fausse,
l'administration de la preuve le démontre).
Les sciences sociales, qui forment une part considérable
des usagers de l'université, incarnent aussi l'échec et le
délabrement de celle-ci. On y enseigne strictement n'im-
porte quoi et presque uniquement ce qui intéresse
l'enseignant qui, dans l'extrême majorité des cas, ne se
préoccupe nullement du souhait des étudiants, mais
seulement du sien propre parce que ce qui l'intéresse, lui,
c'est la fameuse «recherche », qui est incluse dans
l'appellation officielle des universitaires: enseignant-
chercheur. Chacun préfère se consacrer à la recherche
pour une double raison irrésistible: c'est considéré comme

28
beaucoup plus noble socialement, et c'est, surtout,
beaucoup plus facile, parce qu'il n'y existe aucune sanc-
tion externe.
Pour les langues vivantes, une telle situation est
évidemment çalamiteuse, succédant à celle d'un enseigne-
ment secondaire (et maintenant primaire) qui ne confère
pratiquement aucune compétence de communication.
L'université délivre le savoir, en ce domaine comme dans
les autres, en bûches juxtaposées, sans rime ni raison autre
que celle du confort des enseignants. A la sortie, quelle
qu'elle soit, les étudiants savent beaucoup sur la langue
mais sans aucune organisation et surtout, sans être
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

capables de la pratiquer.
L'université sauve la face parce que ses étudiants, parfois
avec son aide parcimonieuse, sont devenus, génération-
nellement, de grands voyageurs et parcourent au moins
tous les pays circumvoisins de la France, acquérant ainsi
ce que l'institution ne leur a pas donné. Reste que, là
encore, une politique linguistique est inexistante, tout
comme une politique éducative. Cet assez long
développement nous a été nécessaire parce que, pour bien
comprendre la montée en puissance des autres modalités
d'apprentissage, il est bien entendu indispensable d'avoir
élucidé la part du système officiel d'enseignement.

2.2.2. Les médias électroniques


Ceux-ci constituent désormais, et quotidiennement un peu
plus, une source majeure de la maîtrise des langues
étrangères, notamment depuis l'arrivée des télévisions
satellitaires et le développement irrésistible d'internet. Les
deux éléments sont, certes, en train de conquérir peu à peu
une place dans l'enseignement lui-même, avec les Cédé-
roms, mais nous l'étudierons plus attentivement. Le rôle

29
de constituants pédagogiques n'est en effet que la partie
émergée de l'iceberg.
Les télévisions satellitaires arrivent, pour un prix modique,
désormais chez tout un chacun, comme en témoigne
suffisamment le fait que les communautés immigrées en
France, pourtant en grande difficulté économique, sont
massivement abonnées (pour recevoir les émissions
souhaitées en langue d'origine). Ce développement ne va
apparemment pas dans le sens d'une diversification des
compétences linguistiques, mais précisément si parce que
la deuxième génération s'éloigne de la langue maternelle
des parents et trouve en la télévision la langue ordinaire
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

qui les baigne et progressivement les imprègne.


En outre, l'habitude de fréquenter les médias en langue
d'origine, pour une raison de maintien de l'enracinement,
entraîne de manière quasi-mécanique à user des médias en
d'autres langues qui peuplent le bouquet satellitaire
considéré. L'offre de langues étrangères, en somme, est
objectivement plus forte pour ces populations là qu'elle ne
le serait sans la télévision.
Il en va de même pour les autres publics qui ont tous à leur
disposition, désormais, une multitude de chaînes, et les
utilisent largement (souvent pour d'autres motifs que
l'apprentissage des langues, mais, dès lors, celui-ci s'opère
comme par la bande, par assimilation-imprégnation et le
renforcement d'un besoin de comprendre ce que l'on a
l'occasion de regarder).
Le phénomène se reproduit, avec une plus forte
individualisation, à travers les cédéroms qui, aujourd'hui,
prolifèrent, et sont disponibles presque dans n'importe
quelle grande langue de communication. Le choix des
usagers est ici beaucoup plus libre encore que sur la
télévision «de flot» et s'inscrit dans des projets
personnels (souvent générationnels) dont personne d'autre

30
que les impétrants ne saurait élucider le motif (et n'a
d'ailleurs pas à le faire).
Enfin, dernier venu le plus puissant, internet se répand à
une vitesse que personne ne prévoyait bien que la France
reste, parmi les pays développés, le plus lent à la détente,
comme tel a été le cas pour chacun des médias précédents.
Malgré cette relative retenue, dans très peu d'années,
internet sera omniprésent, et, surtout, omnidisponible, ca-
pable de tout, et, d'abord, interactif.
Il portera les langues dans leur complexité, par les
techniques de 1'hypertexte, comme les cédéroms, et les
offrira directement à tous, et, en outre, comme des
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

sollicitations, c'est-à-dire des stimulations de la curiosité.


L'idée, pédagogiquement répétée depuis plus de trente ans
par les plus dynamiques pédagogues, mais qui reste mise
en pratique par une minorité à l'intérieur de l'institution
éducative, de l'autonomie (ou plutôt de l'autonomisation),
trouvera là son meilleur support. Le développement des
centres d'auto-apprentissage, irrésistible, en porte la
preuve.

2.2.3. Les voyages


«La probabilité objective» de voyager, pour parler
comme Bourdieu, est désormais presque totalement établie
et se trouve relayée par la «probabilité subjective» du
déplacement. Chacun, dorénavant, est désireux de mobi-
lité, y aspire, et en rencontre aisément la possibilité, du
plus jeune âge au dernier. Voyages professionnels, y
compris pour «le métier d'élève », et voyages gratuits,
pour le plaisir de la découverte d'autres horizons, touchent
la plus vaste partie de la population.
Or, quoi de plus favorable à l'apprentissage des langues
étrangères en action, c'est-à-dire utilisées pour la commu-
nication effective, peut-on trouver que ce bain linguis-

31
tique, plus efficace que n'importe quelle technique d'en-
seignement. D'une part, une sensibilisation aux langues,
d'autre part une accoutumance à leurs singularités
prosodiques, lexicales, syntaxiques, enfin une acquisition
véritable, sont ainsi mises en place, dans la philosophie
aujourd'hui dominante, et à bon droit, l'aisance et le
naturel, l'absence d'efforts restrictivement académiques.

2.2.4. La chanson et le cinéma


Ceux -ci sont malheureusement ambigus, pour l'instant, car
ils profitent massivement à l'anglais, la fréquentation
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

d'objets culturels de langue anglaise franchissant, dans


chaque cas, la barre de 50 % en France (et il est probable
qu'il en va de même sur l'ensemble de la planète). Il est
légitime d'espérer que, dans l'avenir, une diversification
des langues-supports va s'opérer et que, dans ces condi-
tions, des acquisitions au moins ponctuelles, elles-mêmes
semences d'approfondissement, fleuriront.

2.2.5. L'entreprise
Les besoins de l'internationalisation des activités profes-
sionnelles, sinistrement dénommée, pour l'instant, « mon-
dialisation », s'imposent de plus en plus et renforcent
constamment sa puissance. Les entreprises, d'une manière
générale, ont donc besoin d'opérateurs compétents en une
ou plusieurs langue(s) étrangère(s), et cela sans doute
encore davantage sur le plan culturel qu'au niveau pure-
ment linguistique.
Elles ne peuvent pas se contenter d'attendre, étant donnée
l'urgence qui s'impose à elles, une transformation du sys-
tème scolaire d'apprentissage. Elles développent donc
leurs propres modalités de transmission des langues, et, en
outre, contribuent à la promotion de la langue française, et,

32
plus nettement, à celle de la «francité». En effet, un
produit français, même diffusé en langue étrangère, n'en
porte pas moins la marque de la France. Il en va
exactement de même pour les œuvres culturelles: le
Misanthrope, ,par exemple joué en anglais à San Francisco,
n'en reste pas moins le Misanthrope. Une politique
linguistique doit impérativement intégrer ce phénomène,
cette dimension qui échappe cependant aux prises régle-
mentaires. Pour le moment, le moins qu'on puisse dire est
que tel n'est pas du tout le cas, où l'on voit bien que notre
pays n'est pas doté d'une politique linguistique digne de
ce nom.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

33
Documento acquistato da () il 2023/09/25.
LE FRANCAIS COMME LANGUE
ETRANGERE

L'idée aurait pu en naître, politiquement, aux débuts de la


colonisation. Les pouvoirs de l'époque visaient, en bons
disciples d'Auguste Comte et des Lumières (les deux à la
fois), à considérer les colonies comme des lieux de
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

bénéfices économiques multiples, et, aussi en territoires


auxquels la puissance colonisatrice apportait la raison et
une forme éclairée (la seule) de la compréhension
universelle. Une figure laïque de l'universalité s'imposait
(au sens strict) ainsi, relayant les tentatives d'établisse-
ment forcé d'une universalisation de type religieux.
L'éducation, comme en France, était censée porter ces
valeurs qui devaient prendre place partout. L'idée était
déjà largement contestable, et l'on n'a pas suffisamment
souligné que l'expression coloniale et l'école obligatoire
en France provenaient de la même source politique (Jules
Ferry étant, dans les deux cas, au centre des débats) et se
donnaient le même horizon. On a coutume de dire qu'en
France ce fut une réussite (ce qui resterait à prouver) alors
que, dans les territoires coloniaux, la ségrégation sociale,
de nature éthique et culturelle, tient aussi le haut du pavé.
Les peuples colonisés, en Asie comme en Afrique, furent
d'emblée tenus pour intellectuellement et culturellement
inférieurs, et il n'y eut guère que les virulentes analyses de
Péguy sur Madagascar qui contestèrent cette hégémonie
unique, dogmatique, qui faisait aveuglément litière des
cultures existantes, des savoirs, des modes de pensée, et

35
reléguaient peu à peu les colonisés au rang de bons
sauvages.
L'imposition du système scolaire français fut systémati-
que, même au loin, et l'on reste frappé, aujourd'hui enco-
re, lorsqu'on traverse Alger (la Bouzaréah) ou Saïgon, de
rencontrer des bâtiments qui furent autrefois des Ecoles
Normales Primaires (où étaient formés les instituteurs, et
qui ont été définitivement fermées, en France, en 1991
seulement, remplacées par les IUFM), et qui sont
identiques, exactement identiques, dans l'architecture et
l'organisation de l'espace, aux Ecoles Normales départe-
mentales de la France hexagonale.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

La sélection sociale, dans les pays colonisés, fut féroce,


avec la meilleure bonne conscience. Un nombre minime
d'indigènes fut amené à fréquenter le système scolaire
français pourtant imposé à tous. Les petits Français de
France y furent astreints, y compris dans les colonies, mais
les autres y étaient rares, au terme d'une sélection obscure
qui opérait «à la ressemblance» (comme en France
aujourd'hui ?). Lorsque la colonisation prit fin, il y aura
bientôt un demi-siècle, la quantité d'autochtones scolaires
était minime.
Pour cette toute petite minorité, le français était une
véritable langue étrangère. Ce fut, certes, aussi le cas en
France même, comme le raconte exemplairement Jakez
HELIAS dans Le Cheval d'orgueil, expliquant qu'en
1920, lorsqu'il est entré à l'école primaire en pays
bigouden, breton donc, il n'avait jamais entendu pronon-
cer un mot de français. Le phénomène hexagonal n'eut
cependant pas l'ampleur qu'il connut plus rapidement là-
bas, une grande partie du chemin ayant déjà été franchi
auparavant depuis le dix-huitième siècle.
Et puis l'on n'admettait pas, en France hexagonale, que
l'étrangeté de la langue maternelle atteste une véritable
altérité. On sévissait lorsque le phénomène se manifestait:

36
désormais fameux (et véridique) « il est interdit de cracher
par terre et de parler breton» montrait qu'on était décidé à
imposer à tous la norme du parler et de l'écrit français.
Aux colonies, on renonçait à cette forcerie parce que l'on
considérait que les impétrants étaient utiles à l'économie
en restant analphabètes et qu'il leur faudrait des siècles
pour remonter leur retard vers « la civilisation ».
Que le français y fut langue étrangère fut d'ailleurs
officiellement entériné par la confection de manuels de
langues « destinés aux indigènes», dont on s'étonne que
les spécialistes d'aujourd'hui, si disposés à donner des
leçons et à parler de haut avec une suffisance satisfaite, ne
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

s'y penchent pas plus attentivement et même les négligent


carrément.
La création de l'Alliance française, en 1883, aujourd'hui
présente dans plus de 130 pays, atteste que le mouvement
volontariste de développement du français langue
étrangère et de la culture française, ne se limitait pas aux
territoires officiellement colonisés, c'est-à-dire placés, à
divers niveaux, sous administration de la France. On ne
tenait apparemment guère compte de la langue d'origine
des apprenants, mais l'effort était significatif, sorte d'ex-
pansionnisme linguistique et culturel.
Assez tôt dans le siècle, en 1912, un Bureau spécialisé
dans l'exportation linguistique et culturelle, pourrait-on
dire, fut créé au sein du Ministère des Affaires étrangères,
comptant très peu de personnes, mais dont quelques-unes
étaient marquantes (Claudel par exemple). Puis en 1932
(un an avant la création du British Council, ce qui en dit
long), ce Bureau fut élargi et son action amplifiée, mais
elle restait marquée par sa double dimension dominante:
la diplomatie et la littérature.
Le français, en somme, était la langue de la distinction, au
double sens du pouvoir politique et de la culture classique
(la figure de Claudel est, dans cette perspective, exac-

37
tement emblématique). Les négociations de pays à pays
avaient lieu en français, et, d'autre part, les grands écri-
vains constituaient, par leurs textes mêmes, le modèle de
la langue, l'expression écrite étant jugée alors beaucoup
plus importante que la communication orale. Savoir le
français c'était l'écrire en s'efforçant d'imiter les grands
auteurs.
A cette époque, donc, et sous réserve, à l'évidence, des
appréciations que l'on peut porter sur elle, il y avait bel et
bien une politique linguistique, tant pour la langue
maternelle (présente partout) que pour les langues
régionales. Il est, pareillement, indispensable d'éviter
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l'anachronisme dans le jugement, et de pratique ce que


Bourdieu dénomme remarquablement « la double
historicisation »4, c'est-à-dire le replacement dans le con-
texte de l'époque d'une part, et, d'autre part, l'élucidation
des conditions historiques, évidemment différentes, dans
lesquelles l'historien lui-même travaille. Avec cette dou-
ble réserve, on peut légitimement considérer que le fran-
çais se définit comme une langue dominante, c'est-à-dire à
la fois une langue de pouvoir et la langue par excellence
de la culture (entendue dans son acception classique).
Telle est la situation à l'orée de la deuxième guerre
mondiale.
Dans la période récente, l'arrogance française qui
constitue l'appréciation la plus fréquente portée sur les
modalités de la diffusion mondiale du français, tant
collectivement que pour ce qui touche aux comportements
individuels des acteurs, est manifestement l'héritière de
cette époque passée. «Tout se passe comme si»
(Bourdieu encore) la France considérait qu'elle conservait
un rang suprême, supérieur à toutes les autres approches.
C'est pourquoi, en particulier, les partenariats sont aussi

4
Pierre Bourdieu, L'ontologie politique de Martin Heidegger, Minuit,
1985.
38
difficiles à établir parce que l'ensemble des pays ne
supportent plus et n'admettent pas la très faible capacité
de négociation que manifeste ce que l'on appelle, sans
doute abusivement, la politique culturelle extérieure de la
France.
Personne n'est disposé aujourd'hui à se laisser dicter sa
conduite, et la réciprocité est réclamée par toutes les na-
tions. Le très fameux « modèle français» qui ne possède
littéralement aucun sens parce qu'il considère que, d'un
bout à l'autre de l' œkoumène, il existe une seule manière
de traiter la langue et la culture françaises, et décidé
unilatéralement par la France, a amplement montré sa non-
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pertinence et sa vanité.

1. LA NAISSANCE DU FRANÇAIS LANGUE


ETRANGERE
A la fin de la guerre, en 1945, le général De Gaulle a
perçu, durant les années juste écoulées, que la langue et la
culture étaient des objets dotés d'un poids politique propre
et qu'il fallait les développer comme tels. Renversement
capital, mal compris, mais qui l'amène à créer, aussitôt,
une Direction des Relations Culturelles au sein du Minis-
tère des Affaires étrangères, chargée de conduire cette idée
neuve. On sait qu'aujourd'hui, en hommes et en argent,
cette Direction est devenue la plus lourde du ministère.
Nul n'ignore non plus qu'elle constitue, selon un mot
célèbre mais juste «la plus grande entreprise culturelle
multinationale au monde ». De profondes transformations
des représentations de la langue sont nécessaires, et, en fin
de compte, elles se mettent en place relativement vite,
renforcées aussi par les bouleversements au moins quanti-
tatifs du système d'enseignement en France même.
Lorsque paraît le célèbre MAUGER, en 1953, nouvelle
méthode d'apprentissage du français pour les étrangers,

39
publié sous le patronage de l'Alliance française, et qui va
durer au moins quarante ans, une modification est nette:
une priorité certaine est conférée à la langue orale,
innovation radicale et que les didacticiens contemporains
ont bien tort de ne pas souligner (ni même, souvent,
apercevoir). Pour le reste, il est vrai, peu de changements
sont effectifs. La culture classique y reste dominante, de
même que la langue classique, et la considération de
l'élève comme un simple réceptacle dans lequel le
professeur, seule référence effective, entonne le contenu
grammatical, mor-phosyntaxique, par lequel se définit,
pense-t-on à l'épo-que, la langue française. La seule
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politique linguistique extérieure se réduit alors à répandre


le MA UGER à travers le monde.
Et puis les choses vont s'accélérer brusquement, sans
doute longuement préparées sans que personne ne s'en
rende compte. Le français langue étrangère proprement
dit, non encore baptisé ainsi, se construit et constituera la
colonne vertébrale de la diffusion du français. Il faut
remarquer que les médias sont encore quasi-inexistants,
que les voyages restent extrêmement difficiles et rares,
que l'internationalisation des hommes et des choses n'en
est qu'au tout début de son aurore. Il est donc logique que
la diffusion du français à l'étranger soit confisquée par les
enseignants puisque l'enseignement constitue pratique-
ment l'unique voie possible de l'apprentissage. Il y a là
une pertinence qui, avec le développement des technolo-
gies et des déplacements, finira par être nocive, à partir
des années quatre-vingts, mais qui formait indiscuta-
blement la solution la plus adéquate aux obligations de
l'époque.
L'enseignement est la meilleure voie et, au fil du temps,
les enseignants vont se considérer comme les seuls
propriétaires légitimes du domaine, et, plus gravement du
savoir seul pertinent sur le domaine. Ils ne verront pas les

40
sociétés se transformer, resteront dans leur immobilité de
dogme, et seront inéluctablement dépassés au point qu'ils
sont aujourd'hui hors course et ne fonctionnent plus que
pour eux-mêmes (comme une S.N.C.F qui ne transpor-
terait qu'elle): Ils ont l'impression que leur pouvoir s'est
légitimé, donc renforcé, parce que le champ s'est doté de
spécialistes, de statut universitaire, les didacticiens, qui ne
font que justifier les pratiques existantes désormais
dépourvues de toute pertinence. Les didacticiens eux-
mêmes continuent à prêcher hautement, conformément à
ce qu'ils imaginent être leur rang, mais n'effectuent pas la
tâche à laquelle ils sont destinés: fabriquer du savoir neuf.
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Eux aussi ne parlent qu'à leurs pairs, ont bâti une autarcie
qui ne repose que sur leurs jugements et non sur une
efficacité externe avérée. Bref, ils agissent dans le « flatus
vocis» dénoncé par Bergson, se citent entre eux, s'érigent
en chapelle, et vivotent de leur vie d'aveugles qui ne
savent pas qu'ils le sont et croient inventer la lumière. Au
mieux ils sont inutiles et se partagent, dans des querelles
au couteau, les minuscules prébendes qui leur échoient
encore. Ce sont des usurpateurs qui, pensant régner sur les
enseignants, ne font que mettre au moule ceux qui
comprennent le plus tôt que, loin de chercher une vérité,
une carrière ne se construit qu'en répétant la parole du
maître.
Il en est toujours allé ainsi dans l'université et il n'y a lieu
ni de s'en étonner ni de s'en offusquer. C'est même la
raison pour laquelle François 1er a créé le Collège de
France, la Sorbonne étant alors, de notoriété publique et
depuis longtemps, gangrenée jusqu'à l'os et totalement
inopérante. Il se pourrait bien cependant que, compte tenu
des évolutions du monde, la didactique et l'enseignement
habituel du français langue étrangère soient entrés en
agonie.

41
1.1. Les structures de légitimation
Reste que les débuts du phénomène, aujourd'hui en
déshérence intellectuelle (bien que les éditeurs de
manuels, quelques auteurs, et les universitaires, heureuse-
ment en petit nombre, continuent de dilater leur ego sous
le regard indifférent, même plus goguenard, des décideurs
effectifs), furent prometteurs parce que les problèmes
avaient été pris, dirait Rouletabille, par le bon bout.
S'élabore d'abord, au cours des années cinquante, le
« français fondamental », investigation par entretiens sur
la langue que les Français parlaient et classement des mots
par fréquence d'emploi. On en est, hélas, resté au lexique,
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mais la perspective était juste et pointue. De là, en partie,


naquit la charnière de 1960, où, en deux ans, s'est
constitué l'infrastructure du domaine qui conquit ainsi une
vraie spécificité. Apparition en effet, quasi-simultanée, de
deux centres nationaux voués au français langue étrangère,
le CREDIF (Centre de recherche et d'étude pour la
diffusion du français), à l'Ecole Normale Supérieure de
Saint-Cloud, le BEL (Bureau d'Etudes pour la langue et la
civilisation françaises, rapidement devenu BELC), et
d'une revue entièrement consacrée au champ: Le
Français dans le Monde (en 1961).
Le champ s'est donc doté, à ce moment, des instruments
principaux d'une légitimation (au sens de Bourdieu), et,
par conséquent, une véritable politique linguistique
extérieure s'est trouvée fondée. Ce n'est, certes, qu'une
dimension d'une politique linguistique, mais un commen-
cement s'installe. Il est juste d'y ajouter la contribution de
ce qui devient vite le Centre de Linguistique Appliquée de
Besançon (CLAB), sous la houlette du dynamique
Quémada. Il est juste aussi de mentionner que, dans les
années 1990, le CREDIF et le BELC ont été supprimés,
comme le stage d'un an, établi dans les années soixante,
pour former des enseignants titulaires à aller enseigner

42
hors de France. La revue, elle, existe toujours, malgré des
soubresauts somme toute ordinaires. De ce moment, en
tout cas, date le début d'une professionnalisation du
champ, activement relayée par l'expansion, jamais démen-
tie, de l'Alliance française.

1.2. Le fonctionnement
Des méthodes (manuels d'enseignement et, donc, dans
cette mesure seulement, mais elle est importante, outils
d'apprentissage) ont presque immédiatement vu le jour.
Voix et Images de France, produite par le CREDIF pour
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les adultes sur la base du français fondamental, Bonjour


Line, opérée selon les mêmes principes et par le même
centre, à destination des enfants, Frère Jacques élaboré
par le BELC.
La querelle est alors essentiellement méthodologique,
tiraillée entre l'universalisme (la même méthode pour le
monde entier) et le contrastivisme (une démarche spécifi-
que pour chaque zone planétaire en fonction de ses carac-
téristiques culturelles propres). Le CREDIF établit même
une sorte d'inspection, par ses membres, des enseigne-
ments dispensés dans le monde avec ses propres manuels,
aboutissant ou non à une autorisation officielle d'ensei-
gner selon les méthodes du CREDIF.
Une sorte de labellisation, en somme, signe que le champ
existe bel et bien, avec ses dominants et ses dominés, ses
pre scripteurs et ses prestataires, son orthodoxie et sa hié-
rarchie de contrôle. D'alors naît probablement ce que
Bourdieu a dénommé, dans l'éducation générale en Fran-
ce, la querelle entre « les oblats consacrés du grand sacer-
doce et les petits hérésiarques modernistes» 5.
Une chose est plus frappante en effet: il existe une
manière et une seule, pour l'institution citée, d'enseigner
5
La distinction, Minuit, 1979.
43
adéquatement le français. Toute déviance est bannie,
« contenue en attendant d'être réduite» pour pasticher une
formule célèbre. La didactique naissante se prend pour une
science exacte au moment même où celle-ci érige la
pluralité en nécessité méthodologique pour combattre le
monolithisme dont elle a fait preuve plus d'un siècle.
En somme il s'agit d'une action où existent des prophètes
et pas des partenaires, où une parole tombe d'en haut et
vaut absolument. Trois principes « théoriques» (il
vaudrait mieux dire théoricoïdes) président à cette messe.
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1.2.1. La linguistique structurale


C'est à ce moment, en effet, au fil des années, que
Saussure resurgit comme le saint patron de la linguistique
qui se définit comme celle du système, fondé sur un
ensemble d'oppositions (<<tout phonème, écrit Saussure,
est une entité oppositive et négative », c'est-à-dire ne se
définit pas par soi-même mais par opposition à ceux qui
lui sont différents) ; la réalité ne naît que par la relation.
On sait que ce structuralisme (le nom triomphe à cette
époque) ne touche pas que la linguistique. La sociologie
(dans la lignée de Durkheim, relayée par Bourdieu), la
psychanalyse (elle aussi née au tournant du siècle),
l'anthropologie (développée significativement par Lévi-
Strauss qui, pendant la guerre, aux Etats-Unis a écouté
attentivement le linguiste Jakobson et en conclut péremp-
toirement que la linguistique est la seule science humaine
qui ait conquis sa maturité épistémologique, jouant ainsi
un rôle décisif dans le déferlement du structuralisme dans
tous les secteurs du savoir relevant des «sciences
humaines») suivent la même voie.
Voix et Images de France, première méthode du CREDIF,
repose sur l'affirmation de la pertinence de la linguistique
structurale pour décrire la langue, et, par conséquent, son

44
efficience pour confectionner les matériaux d' enseigne-
ment de celle-ci. Bakhtine, à cette époque, reste complète-
ment inconnu, surveillé de près par les gardes chiourme de
son propre pays.
Chomsky, d'une autre obédience, certes, écrit quelques
années plus tard, dans un texte célèbre, que les enseignants
de langues ne peuvent et ne doivent tirer aucune consé-
quence pédagogique pratique de ses travaux linguistiques,
les didacticiens naissants font la sourde oreille parce qu'ils
ont découvert un créneau et sont sans doute sincèrement
persuadés que la linguistique structurale est, pour l'ensei-
gnement, la clef qui ouvre toutes les serrures.
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De toute manière, ils en ont besoin, pour donner du


sérieux à leur entreprise, faire taire les critiques en
mobilisant un savoir théorique écrasant pour les praticiens
et qu'ils affirment démonstratif. Ils inscriront ainsi dans la
durée, et nous n'en sommes malheureusement pas sortis,
qu'il suffit d'appliquer la linguistique, science du certain,
pour être dans l'efficacité de l'action pédagogique. Il reste
à peine un pas à franchir pour affirmer que la linguistique
(indéfinie) suffit pour fonder et instaurer un enseignement
adéquat.
Vingt ans après, ce sera fait, et les linguistes, universitaires
donc, en panne de clients-étudiants, qui ne s'intéressent
qu'en tout petit nombre à leurs élucubrations, kidnappent
la didactique du français langue étrangère et la transfor-
ment en une simple application mécanique de schémas
linguistiques hâtifs. Même les étudiants qui se destinent au
français langue étrangère et non à la linguistique pour elle-
même, voient bien que pour l'enseignement une telle
formation ne sert presque à rien, mais ils plient l'échine,
parce que, comme tous les étudiants, ils ne cherchent qu'à
obtenir leurs examens, seule clef d'accès social à la
profession, et que ce sont les linguistes qui la délivrent. Il
faut bien en passer par-là et on se hâtera d'oublier ce

45
qu'on a appris lorsque le moment sera venu. En outre, ils
perçoivent bien, comme tout le monde, que les enseignants
universitaires de la linguistique sont radicalement inorga-
nisés, pleins de lacunes pourtant essentielles parce qu'elles
correspondent simplement à ce que l'enseignant préfère.
Les linguistes, mais ils sont loin d'être les seuls, ne se
comportent pas en serviteurs des étudiants. D'ailleurs,
même si seule la didactique leur a donné leur place parmi
les enseignants titulaires de linguistique, ils la répudient
dès qu'ils sont nommés pour se proclamer hautement
linguistes purs et durs et uniquement linguistes. La
hiérarchie des disciplines est une vieille histoire et Bour-
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dieu en a magnifiquement démontré les mécanismes. Elle


ne tromperait néanmoins personne si le champ de la
linguistique française ne se réduisait à sa médiocrité, dont
seuls quelques chercheurs éminents, Calvet, Ducrot, et
Hagège, par exemple, permettent de masquer l'évidence.
Rien d'étonnant alors à ce que la didactique des langues
s'effiloche désormais et file vers son propre anéantisse-
ment. Les linguistes l'auront tuée parce qu'ils se la sont
accaparée et l'ont réduite à leurs acquêts.

1.2.2. La psychologie behavioriste


Dans la perspective du CREDIF, profondément parente de
l'approche clairement dénommée «structuro-globale au-
diovisuelle », il fallait bien tout de même s'intéresser un
peu à l'élève. On sentait bien que décrire simplement la
matière à enseigner, par le truchement de la linguistique
structurale, ne suffisait pas à fonder un apprentissage,
c'est-à-dire, fondamentalement et simplement, une person-
ne humaine qui s'efforce de maîtriser une langue, de l'in-
térioriser, de 1'« incorporer» (Bourdieu) et de l'utiliser
concrètement en la comprenant et en se faisant compren-
dre en elle. La psychologie comble ce trou là comme

46
c'était le cas depuis longtemps déjà dans l'institution
emblématique qui formait les instituteurs (enseignants
eux-mêmes emblématiques à cette époque) : la psychopé-
dagogie, terme puissamment évocateur, était inscrite dans
le langage forcé de la formation professionnelle des maî-
tres d'école.
On leur enseignait la psychologie (celle de Piaget en
général, il aurait pu y avoir de plus mauvais choix), des
bribes plutôt, et on leur disait que leur métier consistait à
appliquer ces principes souverains qui étaient comme des
lois. D'où l'appellation, carpe-lapin, de cette discipline
folklorique. Piaget eu beau, lui aussi, comme Chomsky,
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dire, écrire, et répéter, qu'il n'y avait aucune commune


mesure même entre la psychologie et la pédagogie et que
rien ne permettait de conclure de l'une à l'autre, rien n'y
fit, parce que, là aussi, les intérêts de castes prédominaient
sur celui des élèves.
Par conséquent par le français langue étrangère naissant,
on eut recours à un garant psychologique, qui ne fut même
pas Piaget mais le behaviorisme que les Américains
avaient, disait-on, expérimenté avec succès durant la
récente guerre pour agir en sorte que leurs soldats
apprennent rapidement le contenu de leurs conditions de
survie en Europe, et, donc, en particulier, les langues
vivantes. Pour l'indiquer franchement, avec le recul,
personne n'est allé vérifier quoi que ce soit, et l'on a cru
sur parole quelques textes qui justifiaient que l'on fonçât
dans le brouillard.
Il s'agissait de ne pas solliciter la réflexion de l'apprenant,
et de faire réagir à un stimulus dont on se donnerait les
moyens qu'il soit stable. Le français langue étrangère, en
somme, entrerait comme un réflexe conditionné chez
l'apprenant et s'y trouverait fixé. Là encore, on baptise
pompeusement « expérimentations» ce qui n'était que de
simples essais en classe, sans tenir compte d'aucun des

47
paramètres décisifs, en particulier la qualité propre de
l'enseignant qui mettait les principes en musique.
Alliée à la linguistique, dont elle possédait aussi la rigidité
sans discussion, la psychologie behavioriste composait
une méthodologie d'enseignement qui possédait, sur le
papier, «de la gueule ». En formation des enseignants
notamment, sous la forme des stages qui, à cette époque,
se multiplièrent partout dans le monde, le plus souvent
financés par la France, et pendant lesquels les enseignants
de toute nationalité apprenaient à devenir de purs répéti-
teurs de la méthodologie nouvelle, ce fut comme un vent
de révolution. Une idéologie pédagogique de plus était
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née.

1.2.3. Le support technologique


Pour que cette psychologie extraordinairement rigide pût
fonctionner, au moins dans l'illusion, et qu'il en aille de
même d'une linguistique tout aussi bureaucratique, il
fallait qu'elles puissent s'appuyer sur un élément
réellement stable, qui assurait la tenue ensemble de l' en-
semble. Le magnétophone, invention relativement récente
et effectivement profondément innovatrice (en potentiali-
té) dans le domaine, fit l'affaire, aidé, innovation elle aussi
géniale par sa massification, par les diapositives (ou le
tableau de feutre du BELC, avec ses figurines).
L'incroyable bricolage qui présidait au choix et à
l'organisation des références théoriques, qui paraissent
maintenant extravagantes, tint le coup (c'est-à-dire passa
inaperçu dans sa faiblesse) grâce au support technologique
profondément créatif, renouvelant, sur le plan pédagogi-
que. Le magnétophone possédait en effet deux avantages
décisifs: d'abord il restait d'une stabilité d'humeur quasi-
ment totale et répétait inlassablement le même énoncé sans
changer quoi que ce soit même et surtout dans l'in-
tonation.

48
En second lieu, et c'était, là aussi, capital, grâce à
l'instrument l'élève pouvait s'entendre lui-même, par
conduction aérienne, c'est-à-dire comme l'entendent ses
interlocuteurs dans la réalité, et non pas par conduction
osseuse comme on s'entend soi-même. C'était, cette fois,
véritablement un chamboulement pédagogique sans
mesure, puisque, pour la première fois dans I'histoire de
l'humanité, n'importe quel apprenant se trouvait en
mesure d'entendre sa propre voix, « paroles gelées» de
Rabelais, dans son état de voix perçue de l'extérieur.
Beaucoup, alors, étaient stupéfaits de se découvrir une
voix qu'ils n'avaient jamais soupçonnée et qu'ils n'étaient
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

évidemment pas en mesure d'imaginer. Ce fut, à nos yeux,


le seul apport décisif double du CREDIF, et il ne tenait
qu'au recours à ce que l'on appellerait désormais une
technologie nouvelle. Rien d'étonnant alors que, plus tard,
ce soit à nouveau les technologies qui passent par-dessus
bord cette pédagogie apparemment nouvelle.
Tout se trouvait en place, donc, pour que les enseignants
détiennent seuls cet apprentissage et, la plupart de bonne
foi, ils le confisquèrent et le définirent comme pouvant
être acquis exclusivement par leur truchement. Telle est
encore la situation, tellement les citadelles pédagogiques,
partout, sont solides alors même qu'elles sont complè-
tement vermoulues comme c'est le cas de celle-ci et de ses
innombrables suivantes. Rien de mieux ne pouvait être
entrepris autrefois, pour engendrer un apprentissage, qu'un
enseignement. Nous n'en sommes plus là et le système ne
fait que se survivre et n'exerce qu'une influence
marginale.
De Vive Voix succéda à Voix et Images de France, et fut
un peu plus dans l'air du temps mais ne mettait pas en
question les principes méthodologiques eux-mêmes. Dans
le même temps, les effectifs du CREDIF et du BELC
s'accroissaient avec une rapidité remarquable, atteignant

49
soixante-cinq personnes, pour le premier, au milieu des
années soixante dix, c'est-à-dire quinze ans après. Le
CREDIF était devenue une institution d'envergure
mondiale, et persista tardivement dans une intuition
géniale qu'il ne protégea malheureusement pas, ni ne
poursuivit: sanctionner chaque apprentissage par un
diplôme, dûment estampillé et qui prenait toute sa place
sur le marché des titres. Grâce aux stages, aux méthodes,
aux diplômes, il était connu dans le monde entier, dimen-
sion que se refusèrent à prendre en compte ceux, et en
particulier celui, qui le raya d'un trait de plume en 1996
alors qu'il est vrai, la vieille maison était vermoulue et
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

partait en capilotade.
Par sa suppression, l'Ecole Normale Supérieure de Saint-
Cloud, bientôt transférable à Lyon, redevint ce qu'elle
était devenue, c'est-à-dire une simple usine à fabriquer de
jeunes agrégés, auxquels elle ajouta, comme tout le
monde, l'organisation de colloques multiples. Un temple
de la culture classique immobile, pris en main par un
dinosaure aveugle mais poursuivant tout droit sa course,
retrouvait sa fonction d'antan, de laisser mariner ensemble
les futurs cadres de la nation, connus, comme leur école,
au mieux dans leur ascenseur, et sans aucun écho
international. L'unique solution eût été de rénover totale-
ment le CREDIF, qui en avait bien besoin, de redéfinir la
silhouette d'une institution entièrement neuve mais sur le
même créneau international pour lequel sa réputation était
intacte et sa notoriété beaucoup plus élevée, à l'échelle
planétaire, que celle de sa maison mère.
C'était évidemment trop demander à une technocratie qui,
en ce domaine, ne possède que l'illusion du pouvoir (le
seul objet auquel elle tienne), et ne voit, par définition, pas
plus loin que le bout de son nez et de son pouvoir
microscopique. On rassembla une «conjuration d'infir-

50
mes »6 aurait dit Sartre à propos d'une affaire Nizan
presque aussi sordide, qui se hâtèrent de condamner ce
qu'ils ne connaissaient pas et qui les dépassait de loin en
influence, et le tour fut joué. Je ne pense même pas qu'il y
eut de véritaqles prébendes en cette affaire. On sait que,
pour les universitaires, empêcher le voisin de faire quelque
chose de neuf est vécu avec une jouissance orgastique,
plus forte que celle de faire soi-même. Ce fut le prix et
cela suffit.

2. L'ENTREE DANS LA PERIODE CONTEM-


Documento acquistato da () il 2023/09/25.

PORAINE
En 1971, le Conseil de l'Europe fonda un groupe de
travail, composé d'experts venus de différents pays, pour
établir un «système d'enseignement des langues par
unités capitalisables utilisant divers médias ». C'est, à nos
yeux, avec le recul, la date majeure de l'entrée dans l'ère
nouvelle de ce qu'on s'était mis à appeler, en France,
d'une expression rigoureusement privée de sens, « l'ensei-
gnement / apprentissage» des langues.
C'est l'apprenant qui apprend, et il est le seul dans ce cas,
l'enseignant efficient devant se borner (mais le rôle est
beaucoup plus difficile à tenir que la fonction tradition-
nelle) à aider l'apprenant à tracer son propre chemin.
Accoler enseignement à apprentissage revient donc à
mêler carpe et lapin puisqu'on ne saurait être l'un et
l'autre à la fois, et qu'il faudrait d'abord prouver, au
moins, comme RICHTERICH l'a un jour justement écrit,
que l'enseignement n'empêche pas d'apprendre (ce qui est
loin d'être démontré).
Le recours officiel aux médias, instillé par une instance
internationale de haute réputation, constituait une sorte de
coup de trompette dans le ciel serein de la pédagogie
6 Préface à Aden Arabie de Paul NIZAN, Maspéro, 1961.

51
ronronnante qui se considérait encore comme incarnant la
seule voie possible vers l'apprentissage. Très vite, les
médias furent abandonnés (mise à part une série télévisée
intitulée «follow me» pour l'anglais que, de manière
puissamment significative, Pierre DESGRAUPES, le soi-
disant grand Pierre DESGRAUPES, se hâta d'interrompre
en France lorsqu'il prit la direction d'Antenne 2).
Ce renoncement aux médias en disait long sur la crainte
des pédagogues et sur leur intime conviction, littéralement
obtuse, qu'ils restaient détenteurs de la modernité. Reste
que ce groupe impulsa la mise sur pied, la confection si
l'on veut, d'une série de «Niveaux-Seuil », dont les deux
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

premiers furent l'anglais et le français, descriptions


nouvelles des langues selon les principes d'une
linguistique énonciative et d'une pragmatique.
Dès Jo.rs, l'il1teractivité fondatrice de l'échange enseignant/
apprenants, est beaucoup plus fermement assurée:
l'apprenant est le gestionnaire effectif, actif, l'initiateur de
son propre apprentissage. On le considère comme
fondamentalement autonome, en charge de lui-même, et,
d'ailleurs, Henri HOLEC, le directeur du CRAPEL à
Nancy, fut chargé d'élaborer une étude sur la nécessité
méthodologique impérative de la marche vers l'autonomie
apprenante comme seule garante de la possibilité d'un
apprentissage effectif et valide.
Le soubassement du projet « Conseil de l'Europe» nous
venait du monde anglo-saxon: l'enseignement véritable
devait être « centré sur l'apprenant» (learner centered) et
non pas sur la matière à enseigner. Reprenant, sans le
citer, Stuart Mill (<<pour enseigner les mathématiques à
John, il convient certes de connaître les mathématiques,
mais il est indispensable de connaître John»), la
révolution copernicienne de l'apprentissage des langues
était lancée.

52
Elle exigeait, pour que l'apprenant soit au centre du
dispositif d'apprentissage, que l'on procédât à une
« analyse des besoins» des apprenants, d'abord préalable
à toute élaboration de programme, ensuite poursuivie
régulièrement tout au long de l'enseignement lui-même.
Les besoins se modifient en cours de route, notamment
sous l'influence des résultats déjà atteints. Il convient donc
de procéder à une rectification constante pour garder la
certitude de rester centré sur l'apprenant. René
RICHTERICH7 fut ce maître d'œuvre-là, et Louis
PORCHER élabora ce qu'incarnait la notion de besoins
langagiers en contextes scolaires8.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

Une tendance régressive, en effet, devait être incessam-


ment combattue: celle qui consiste à penser que l' autono-
mie est réservée aux adultes, non soumis aux conditions
scolaires, de même que l'analyse des besoins elle-même
qui serait écrasée sous le poids des programmes du sys-
tème éducatif. Les deux études s'efforçaient de montrer
que non.
La totalité de cette démarche pédagogique visait à doter
l'apprenant d'une véritable «compétence de communi-
cation », et, dès lors, le projet fut considéré comme le
fondement d'une «approche communicative» (terme
devenu quasiment officiel), étant clairement entendu que,
par définition, il y a autant d'approches communicatives
que d'apprenants (ou, à la rigueur, de groupes d'appre-
nants) et qu'on ne saurait employer l'expression qu'au
pluriel ou précédée de l'article indéfini.
Le retentissement de ces analyses extrêmement cohé-
rentes, effectuées en peu d'années, fut immense, en Euro-

7 L'identification des besoins langagiers des adultes apprenant une


langue étrangère, Strasbourg, 1977, Conseil de I'Europe (en français
et en anglais).
8 Les besoins langagiers en contextes scolaires, Strasbourg, 1979,
Conseil de l'Europe (en français et en anglais).
53
pe et dans le monde. Elles transformèrent sans doute la
vision de l'enseignement des langues chez les plus dyna-
miques des enseignants, suscita d'innombrables manuels
(dont les premiers, pour le français langue étrangère,
furent Archipel et Cartes sur table). Depuis, aucun manuel
ne s'aviserait de passer sous silence qu'il s'appuie sur une
« approche communicative ».

2.1. L'universitarisation du français langue étrangère


en France
En 1981 arrive dans notre pays un président de la
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

République socialiste. Avant son élection, les poussées du


français langue étrangère au sein du tissu universitaire
s'étaient multipliés dans plusieurs universités, relayant
parfois, comme à Paris III, une tradition ancienne mais
non nationalement reconnue de formation de «professeur
de français pour l'étranger» qui ne conférait aucun droit à
une quelconque titulature. La situation d'ensemble était
favorable à une nouvelle légitimation.
Dès son entrée rue de Grenelle, le nouveau ministre de
l'Education Nationale, Alain SAVARY, ne comprenant
rien, à juste titre, à cette prolifération anarchique de cursus
officieux (aux yeux de la loi) visant le français langue
étrangère, décide de créer sous la responsabilité politique
de Romain GAIGNARD, son collaborateur le plus proche,
une commission chargée de tirer une photographie du
paysage universitaire dans le domaine et de suggérer des
voies pour y mettre de l'ordre.
Il n'était pas possible, politiquement, de court-circuiter les
instances officielles. C'est pourquoi la Commission fut
présidée par un Inspecteur Général de l'Education
Nationale; ce fut Jean AUBA (d'où le nom de
commission AUBA), alors directeur du CIEP de Sèvres,
donc pleinement engagé dans le monde du français langue

54
étrangère. Jean AUBA se comporta comme un homme de
responsabilité et de culture exemplaires, et eut l'intelligen-
ce extrême de laisser travailler librement dix universitaires
qui l'entouraient, dont Louis PORCHER fut érigé au rang
de pilier principal et nommé conseiller scientifique de
Romain GAIGNARD pour le FLE.
La commission travailla et remit son rapport, établi par
Louis PORCHER, au ministre, en avril 19829. Elle y
proposait trois mesures dont deux seulement furent
acceptées et mises en œuvre: la création d'une Délégation
Générale à l'Enseignement du Français Langue Etrangère
(DENATEFLE) fut refusée; celle d'un cursus universi-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

taire (mention de licence et maîtrise de plein exercice,


d'emblée définies comme diplômes nationaux, ce qui
constituait une vraie révolution) ; celle enfin d'un diplôme
de connaissance du français, réservé aux étrangers donc, et
qui porterait l'estampille officielle de la république fran-
çaise : il serait scindé en deux: le DELF (Diplôme élé-
mentaire de langue française, aujourd'hui diplôme d'étu-
des de langue française), et le DALF (diplôme approfondi
de langue française). Ce double diplôme serait distribué en
dix unités capitalisables dont chacune donnerait lieu à la
délivrance définitive d'un diplôme, propre, partie, en
somme, du diplôme total. Aujourd'hui les candidats à ce
diplôme, partout dans le monde, se comptent en centaine
de milliers, et le nombre de pays engagés, qui ne cesse de
s'accroître, dépasse la centaine.
Les cursus proprement universitaires comportaient évi-
demment de la linguistique (il fallait bien négocier...),
mais aussi de la didactique, de l'anthropologie culturelle
(introduite au forceps par Louis PORCHER, sociologue),
et de la communication. Un stage pédagogique de 150

9 Etudes de Linguistique Appliquée, n° 64, Didier Erudition, « Priorité


FLE », coordonné par Robert GALISSON et Louis PORCHER. L'ar-
ticle de ce dernier porte précisément sur l'ensemble de cette question.
55
heures était officiellement requis pour cette maîtrise. Cette
maîtrise fut d'emblée reconnue comme équivalente en
dignité à n'importe quelle autre maîtrise nationale, et
ouvrit dès la rentrée de 1984. Dès la première année, plus
de trente universitaires demandèrent officiellement au
ministère, par la démarche réglementaire, l'autorisation
(<<habilitation ») de délivrer cette maîtrise. C'est dire à
quel point les besoins ressentis par les étudiants étaient
pressants. Louis PORCHER fut chargé, compte tenu de
ses fonctions au ministère, de traiter chaque demande.
Alain SAVARY ne poursuivait pas seulement le but
d'organiser le chaos, il cherchait aussi à récupérer son
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

pouvoir légitime de formation des enseignants titulaires


envoyés à l'étranger, jusque là à discrétion du Ministère
des Affaires Etrangères. Il y avait une usurpation de
pouvoir que le ministre de l'Education Nationale n'accep-
tait pas. Il entendait bien récupérer ses responsabilités.
Dès 1985, c'est-à-dire au bout d'un an seulement,
l'université Paris III créait le premier DEA (Diplôme
d'Etudes Approfondies) et Doctorat de «Didactique des
langues et des cultures », ce qui n'était que logique. Louis
PORCHER, dans le même temps, tout en participant
pleinement à ce DEA, puisqu'il était en poste à Paris III,
constata que nombre d'étudiants de la maîtrise FLE ne se
destinaient pas à l'enseignement de cette discipline, com-
me c'était évident à ses yeux depuis le début.
Il décida donc de créer un DESS (Diplôme d'Etudes
Supérieurs Spécialisées) de « formation de formateurs (et
non pas d'enseignants) en français langue étrangère »,
situé lui aussi à bac + 5, donc en troisième cycle mais sans
poursuite vers un doctorat. Une orientation vers l'édition,
une vers les médias, une vers les politiques linguistiques,
constituaient l'armature de ce nouveau diplôme.
Celui-ci, dans le domaine, était complètement ignoré.
Personne ne savait ce que c'était. A part quelques-unes,

56
les réactions furent brutales à l'entrée obligatoire de
l'entreprise dans le monde du FLE, aux stages profes-
sionnels et pédagogiques. On tenta tout pour empêcher la
naissance de ce diplôme considéré comme exotique. Mais
le ministère lui conféra 1'habilitation pour quatre ans, et,
dès lors, la partie fut perdue par les opposants. Le DESS
ouvrit en 1985. Il connut aussitôt un succès foudroyant,
pour la raison simple (qui s'imposait d'évidence à quicon-
que ne restait pas enfermé, aveugle, dans le carcan de la
didactique - linguistique appliquée) que les étudiants,
séjournant obligatoirement plusieurs mois dans les entre-
prises, trouvaient beaucoup plus aisément une insertion
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

professionnelle à la sortie de ce cursus.


Aujourd'hui, il y a des DESS de FLE en grand nombre,
montés par ceux-là mêmes qui ricanaient en 1985 à
l'initiative de Louis PORCHER. Ils s'étaient trompés dans
leur analyse, ce qui n'était pas une nouveauté. L'ensemble
de la filière s'est beaucoup développée, partout, et ce n'est
en rien une surprise parce que les étudiants sont fortement
demandeurs et qu'il n'était pas nécessaire d'être grand
clerc pour le comprendre. On peut remarquer, avec un
certain sourire de satisfaction, que ce nouveau cursus à
succès a entraîné normalement la création de très (près de
150) nombreux postes d'enseignants universitaires (maî-
tres de conférences et professeurs) et que la discipline a
pignon sur rue aujourd'hui.
Ceux mêmes qui poussaient les hauts cris et faisaient tout
pour empêcher la réussite de ce cursus occupent mainte-
nant des emplois auxquels ils n'auraient jamais pu
prétendre s'ils avaient été laissés à eux-mêmes et surtout si
on s'était emprisonné dans leur rigidité et leur immobilis-
me. Ce sont des profiteurs, comme il y en a toujours, et les
voir en chair et en os est plutôt amusant, sauf pour les
étudiants et la discipline elle-même, dont ils se servent
plutôt que de la servir. En effet, au bout de quinze ans, on

57
peut constater que les forces du conservatisme, comme
d'habitude, l'ont emporté, parce que la linguistique, qui
perd des étudiants chaque année, a pratiquement confisqué
le FLE qu'elle fait profession de mépriser. Elle conduit les
étudiants, qui s':y ennuient, dans le mur, sauf qu'elle leur
permet, sans le vouloir, de s'expatrier plus aisément. Le
Ministère des Affaires Etrangères, en effet, malgré ses
réticences bureaucratiques prévisibles, s'est trouvé con-
traint, au fil des années, de sélectionner en priorité pour
l'étranger des enseignants de français langue étrangère
parce que les pays eux-mêmes et leurs institutions en ont
immédiatement perçu la pertinence et la fécondité pour
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

leurs propres besoins.


Cette universitarisation s'est sainement accompagnée
d'une décentralisation remarquable, puisque, dorénavant,
les universités de la France entière délivrent ces diplômes.
Le rôle des institutions centrales (BELC et CREDIF) s'en
est trouvé transformé et aucune d'entre elles ne l'a
compris: elles ont donc disparu du paysage, et c'est
dommage parce qu'elles avaient une fonction spécifique à
remplir, qu'elles n'ont pas su inventer au sein de ce
paysage neuf.
Les «sciences du langage », dénomination officielle du
champ linguistique, sont réduites d'un commun accord à
la linguistique au sens restrictif, purement départemental,
du terme. Rien d'étonnant alors à ce que leur étoile ne
brille plus guère. Elles ont échoué, par incompétence et
inertie, à œuvrer vers l'établissement d'une politique
linguistique rigoureuse. Elles resteront sur le bord de ce
chemin-là aussi, de même que la didactique qui a raté tous
les trains. Une politique linguistique et culturelle se
construira inéluctablement, donc sans elles.

58
2.2. Une véritable politique linguistique extérieure?
Le français langue étrangère universitaire, désormais
presque exclusivement linguistique, est en état d'encépha-
logramme plat. Il a éjecté de ses préoccupations les
dimensions culturelles, mise à part la littérature quelque-
fois, transformant les étudiants en prestataires profession-
nels aveuglés et quasiment mono-spécialistes, alors même
que ce que l'époque développe en priorité est une
exigence culturelle accrue qui se trouve, très normalement,
au cœur des échanges aujourd'hui multipliés.
Echanges scolaires d'abord, certes, mais aussi échanges
touristiques pour les adultes (sans cesse plus diversifiés et
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

qui, ne l'oublions surtout pas, placent la France au premier


rang mondial) et échanges professionnels multiples et qui
se multiplient. Dans toutes ces occurrences la compréhen-
sion culturelle mutuelle est beaucoup plus difficile à
atteindre et incomparablement plus importante que la
communication linguistique.
Le relais des enseignants de français langue étrangère est
pris par les structures privées qui, presque par définition,
échappent largement à une politique linguistique. Il est
faux de dire que la langue française s'affaiblit partout dans
le monde: c'est la coopération française qui diminue
parce qu'elle n'intéresse pas les usagers, par son ineffi-
cacité et son conservatisme, et ceux-ci vont voir ailleurs,
apprendre le français par d'autres moyens.
Que devrait donc être une politique linguistique
extérieure?
D'abord une articulation entre langue et culture (celle-ci
étant considérée à la fois comme culture classique et
culture anthropologique).
+ Une ligne directrice de l'enseignement qui soit caracté-
risée par sa souplesse et son non-dogmatisme. C'est aux
autorités nationales qu'il appartient de définir leur(s)
lignes et à nous d'y aider.

59
+ Assurer l'attractivité et la promotion du français, notam-
ment en en montrant l'utilité potentielle.
+ Définir une ligne d'analyse et de comportements effec-
tifs qui ne change pas au gré des vents ou de l'occurrence,
ou des humeurs personnelles.
+ Assurer une rèciprocité, absolument nécessaire, avec les
langues étrangères sur le territoire national. La politique
linguistique touchant le français langue étrangère est parti-
culièrement liée à la politique linguistique des langues
étrangères en France. Cette évidence n'est, en mettant les
choses au mieux, qu'entrevue.
+ Prévoir des prestataires diversifiés selon les différentes
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

couches intéressées par le français (en termes d'âge des


publics, de préoccupations de ceux-ci, de leurs objectifs,
du temps et de l'argent qu'ils peuvent consacrer à cet
apprentissage ).
+ Articuler la politique linguistique extérieure avec les ac-
tions des entreprises françaises qui s'implantent à l'étran-
ger ou avec leurs préoccupations transactionnelles avec les
pays considérés.
+ Que le pouvoir politique établisse les modalités d'une
coopération interministérielle, étant donné l'évidence
selon laquelle tous les secteurs de la société sont
impliqués.
+ Coordonner l'action nationale avec les initiatives territo-
riales, régionales, locales (donc inciter les diverses
régions, différentes, à établir chacune une véritable politi-
que linguistique et culturelle).
+ Former les enseignants, les parents, les élèves, et les
partenaires sociaux, à l'éducation comparée, savoir désor-
mais essentiel au fur et à mesure que l'internationalisation
se développe. On consacrera à ce sujet, ci-dessus, un
développement spécifique car c'est un enjeu essentiel.
+ Se coordonner, surtout, avec l'action des médias, qui
progressivement, si l'on n'y veille, prendront toute la

60
place, alors que le partenariat avec eux relève de l'intérêt
mutuel.
+ Articuler la discussion intemationalisante de l'action et
la démarche d'émergence et de consolidation du patrimoi-
ne identitaire. Unité, en somme, dans la variété, harmoni-
sation dans les singularités.
On est loin de cet ensemble de mesures et de cette
cohérence qui, pourtant ne présentent aucune difficulté
notable. Ce domaine essentiel a été laissé en déshérence
alors qu'il peut constituer une véritable fertilité pour le
pays. Le français langue étrangère s'effrite, il faut
absolument redresser la situation. Regardons, par exemple,
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

du côté de l'Espagne, qui, avec l'aide de l'hispanidad


américaine, certes, se trouve en pleine expansion, et voit
sa langue progresser presque partout.
C'est dès le plus jeune âge que cette politique linguistique
doit être mise en œuvre. Elle constitue une dimension
dorénavant « naturelle» de l'éducation contemporaine, et,
à ce titre, doit imprégner la totalité de l'éducation. La for-
mation des enseignants, à cet égard, est certainement à
revoir largement (cf. ci-dessous) parce que ceux-ci détien-
nent l'une des clefs de l'attitude appelée par l'esprit du
temps. Il ne s'agit nullement d'uniformiser les formations
au plan mondial (entreprise non seulement impossible
mais totalement absurde), mais de faire en sorte que les
enseignants puissent s'articuler d'un pays à l'autre et
soient en mesure de coopérer (d'abord entre enseignants)
pour œuvrer à la fois à l'ouverture des enfants et à la
conscience que ceux-ci prennent de leurs appartenances.
Le volontarisme est ici essentiel, parce que, redisons-le,
l'établissement d'une politique linguistique est d'abord
volontariste.

61
Documento acquistato da () il 2023/09/25.
L'ENSEIGNEMENT

Même si l'Etat français a promulgué peu de lois


linguistiques, ces lois semblent avoir fait consensus auprès
de la population tant les Français sont attachés à leur
langue. Ils en ont même, pour certains, une vision
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

essentialiste qui en fait une sorte de trésor national


inviolable. Ceci suscite d'épiques combats de plumes et de
verbe où les essentialistes conservateurs disputent le
respect de la norme aux modernistes qui insistent sur les
nécessaires évolutions et sur le fait que ce sont les
locuteurs qui font la langue même si ce sont les académies
qui en définissent les contours.
L'école se trouve au centre de tous ces combats. Elle est
jugée laxiste par les uns - «on n'enseigne plus correcte-
ment le français à nos enfants », « nous parlons de plus en
plus mal ». A ce discours de l'autoflagellation culpabili-
sant le citoyen, les autres opposent celui de l'adaptation,
de la souplesse « une langue ça bouge, les publics aussi et
vive les métissages ». En outre, le grand drame de l'école
c'est que comme - par chance dans ce pays - tout le
monde y est passé, tout le monde a son mot à dire (!) à
propos de la langue et de son enseignement, et, bien sûr,
tout le monde a sa potion magique à fournir. Et de se
souvenir de son passage (réussi forcément !) à l'école qui
devrait rester aujourd'hui copie conforme de ce qu'elle
était jadis. L'Etat trouve là un thème consensuel pour
affirmer son pouvoir ou pour, comme l'indiquait Gramsci,
masquer par une loi linguistique des problèmes sociaux,

63
économiques ou politiques bien plus importants. Dans leur
lutte pour le pouvoir les hommes utilisent les langues
comme des bannières et les derniers événements de 1'his-
toire récente européenne confirment cette observation.
On ne peut comprendre la publication d'une loi linguis-
tique si elle n'est pas contextualisée dans le panorama
géopolitique du moment de sa promulgation. C'est ainsi
qu'alors que la France de 1994 se trouve dans un contexte
de cohabitation politique, après que le référendum de
Maastricht sur l'Union européenne et les compétences
conférées par les Etats à Bruxelles a été gagné de justesse
par les partisans du « oui », dans un contexte de mondia-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

lisation annoncée et déjà réelle puisque les accords du Gatt


sur la libre circulation des marchandises viennent d'être
signés, dans une situation économique intérieure préoccu-
pante qui voit poindre les grands conflits sociaux de 1995,
le législateur est invité à se pencher sur la langue française
et les moyens de protéger ses locuteurs.
y avait-il urgence? N'était-ce pas là le moyen de rassurer
un électorat effrayé par l'Union européenne, de resserrer
les rangs autour du partage d'un bien culturel à forte
charge symbolique, de confirmer l'enracinement linguisti-
que et culturel, d'anticiper de futures luttes d'influence
contre le «tout anglais», de se prémunir contre les
ambitions des langues « modimes ID»dont la défense était
prévue par le Conseil de l'Europe?
Vraisemblablement. Il est aussi probable que, dans cer-
tains domaines, tels que la protection du consommateur ou
celle des employés d'entreprises étrangères, le secours de
la loi ait été indispensable. Encore qu'il était plus facile de
protéger le consommateur ou le salarié par une loi
linguistique que de réduire le chômage et la précarité par
une législation sociale et solidaire...

10
« modimes » se dit pour les langues « les moins diffusées, les moins
employées» .
64
L'enseignement de la langue était-il davantage en danger
que par le passé? Probablement pas. Mais nul ne saurait
préparer une loi linguistique sans aborder l'enseignement
de la langue en question. C'est pourquoi l'article II de la
loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la
langue française aborde la question de l'enseignement du
français et des langues étrangères dans le cadre scolaire.
Une première partie rappelle que seul le français est
accepté comme langue des examens, concours et publica-
tions, de thèses et mémoires, un second point se contente
de rappeler un article de la loi d'orientation sur l'éducation
n° 89-186 du 10 juillet 1989 selon lequel: «La maîtrise de
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

la langue française et la connaissance de deux autres


langues font partie des objectifs fondamentaux de
l'enseignement» .
Il y a longtemps que ces objectifs définis comme
fondamentaux sont présents dans le système éducatif
français. Ils en constituent même les fondements avec les
mathématiques puisque « écrire, lire [le français] et comp-
ter» étaient déjà les objectifs de la politique d'instruction
publique de Jules Ferry.
L'étude de la langue maternelle est à l'évidence
indispensable à la formation des élèves en ce sens qu'elle
leur apporte la maîtrise de l'expression orale et écrite,
qu'elle permet d'aborder des savoirs organisés et qu'elle
contribue à leur formation de citoyens appartenant à une
culture commune. Les élèves accèdent aux œuvres litté-
raires dès l'école primaire et leur maîtrise de l'expression,
libre ou organisée, est une nécessité impérative pour leur
permettre une insertion réussie dans le corps social.
Outre l'acquisition de la langue et le travail de compréhen-
sion, d'analyse et d'interprétation des textes progressive-
ment abordés tout au long de la scolarité, l'élève est invité
à en produire de façon autonome, convié pour ce faire à
fréquenter les centres de documentation, à rechercher de

65
l'information dans des dictionnaireset encyclopédies - sur
papier ou numérique -, à acquérir, en quelque sorte, un
comportement autonome.
On peut toutefois s'interroger sur le fait que la loi linguis-
tique se contente de reprendre un article d'une loi
précédente. S'agit-il de rappeler simplement les règles en
usage? S'agit-il d'apporter le rempart de la loi à un sys-
tème qui faillirait à ses tâches fondamentales? Si une loi
linguistique existe, elle a, comme toutes les lois démocra-
tiques, pour but premier d'affirmer une obligation - et
dans ce cas précis une prééminence - et pour but second
d'apporter protection aux plus faibles. Quand l'Etat dit le
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

droit en matière linguistique il s'engage à fournir aux


citoyens - et notamment aux citoyens les plus démunis
culturellement -les moyens de se développer, d'opérer un
pouvoir sur les choses, de s'intégrer harmonieusement
dans le corps social et de se reconnaître dans une identité
partagée. « En langue c'est la loi qui libère et la liberté qui
opprime» écrit, à juste titre, Klinkenberg. Or l'école
n'aurait-elle pas apporté depuis la loi d'éducation de 1989
les réponses adéquates dans le domaine de l'apprentissage
de la langue française et des langues étrangères?
Nous allons observer à travers les mesures en vigueur
depuis 1994 quelles sont les réponses que le système édu-
catif et les systèmes de réinsertion ont apportées à ces
problèmes. Le rapport parlementaire sur l'application de la
loi linguistique du 4 août 1994 nous fournit un panorama
des mesures institutionnelles mises en place depuis la
publication de la loi. Tour à tour seront approchées les
questions relatives à l'enseignement de la langue française
en milieu scolaire et en milieu de réinsertion, aux langues
régionales ainsi que celles propres aux langues de
l'immigration. Après quoi, la question des langues
vivantes étrangères et enfin celle du français langue
étrangère.

66
1. LE FRANÇAIS « LANGUE MATERNELLE »
Depuis 1989, le ministère de l'éducation nationale s'est
mobilisé pour l'amélioration de la maîtrise de la langue
française à tous les niveaux scolaires. Une nouvelle orga-
nisation des enseignements, de nouveaux programmes, des
outils nouveaux et le développement de dispositifs d'ac-
cueil des élèves étrangers ont été mis en place.
Une réflexion spécifique a été engagée en 1997 par le
ministère de l'éducation pour inscrire la compétence en
langue française dans le cadre plus général de la « maîtrise
des langages» concernant la maîtrise de l'écrit, et surtout
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

celle plus accrue de l'oral ainsi que de la lecture de


l'image. L'activation d'un réseau « Maîtrise de la langue»
a été mise en place grâce à un maillage académique et
départemental. Ce réseau est chargé d'identifier les réus-
sites, de les faire connaître, de les valoriser et de participer
à des actions de formation et d'information. Bien. Mais
nous sommes tentés de nous demander pourquoi si tard?
Il est bien entendu impossible que nombre d'enseignants
n'aient pas abordé, depuis longtemps, ces thèmes et que
les expériences réalisées, leurs réussites ou leurs échecs,
n'aient pas été analysées depuis belle lurette afin d'ali-
menter des évolutions à venir.
Mais il n'est pas impossible non plus que certaines
expériences réussies n'aient pas franchi le seuil des éta-
blissements, tant l'Education Nationale a pour habitude de
« normaliser» réussites et échecs. En outre, une réflexion
entreprise si récemment ne saurait porter ses fruits que
dans quelques années compte tenu de la lourdeur des dis-
positifs au sein du système éducatif.
Or, depuis les années soixante-dix, il est question de
maîtrise de la langue française, et notamment de l'oral.
« Laissez-les s'exprimer» conseillait-on alors. Oui, mais
pour dire quoi? Quant à la lecture de l'image, c'est le

67
sujet-phare de ces vingt dernières années qui ont vu les
foyers s'équiper de postes de télévision dans leur quasi-
totalité. La télévision elle-même a pris le parti de travailler
sur la lecture de ses propres images dans certaines chaînes
généralistes, constituant ainsi un précieux fond documen-
taire pour les enseignants. Que l'école s'en préoccupe
seulement en 1997 semble presque un archaïsme de bon
aloi ou un vernis de modernité.
Tant de négligence ou d'aveuglement ne sauraient être le
fait des politiques avisés qui gèrent le système éducatif;
aussi faut-il peut-être s'interroger sur certains des publics
pour lesquels de tels objectifs sont formulés.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

1.1. La maîtrise de la langue dans le premier degré.


Le premier degré (école maternelle et école primaire) est
celui où se fixent les apprentissages fondamentaux et cette
pédagogie «des langages », mais les établissements doi-
vent faire face à des problèmes nouveaux quant aux
publics qu'ils accueillent. L'école maternelle n'est plus
aussi bien adaptée à ses publics que jadis. Elle reçoit, en
effet, simultanément de très jeunes enfants et des enfants
scolarisés, pour des raisons culturelles ou familiales, à un
âge proche de la scolarité obligatoire. Les niveaux de
socialisation sont donc très différents, et une réflexion a
été engagée pour améliorer les conditions d'accueil et
d'intégration de ces jeunes élèves. Les nouvelles mesures,
mises en place par une circulaire pour la rentrée 98, con-
cernent un travail accru sur la langue orale, l'accès à
l'écrit, la structuration de quelques éléments de compré-
hension de l'image ainsi qu'une sensibilisation aux
langues étrangères comme objet de curiosité. Première
reconnaissance du bien fondé de l'apprentissage précoce
des langues étrangères? A l'école primaire où les nou-
veaux programmes ont été mis en place depuis la rentrée

68
1995, ces différents objectifs sont poursuivis. La forma-
tion des maîtres n'a pas été oubliée et des outils
pédagogiques sont proposés y compris via internet. De
plus, un plan de développement des bibliothèques et fonds
documentaires (BCD) a été lancé notamment pour enrichir
ces fonds. Enfin la problématique de la lecture se posant
dès le plus jeune âge, l'observatoire national de la lecture
créé en 1995 poursuit ses enquêtes et ses travaux en
direction non seulement des enfants en difficultés mais
aussi en observant de plus près le rôle des parents.
Au total, une série de mesures déjà prévues dans la loi
d'orientation de l'éducation de 1989. Une politique lin-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

guistique, forcément prospective des événements à venir,


notamment dans le domaine de la démographie, pour la
diversité des publics, ainsi que dans le domaine de
l'aménagement du territoire, pour la mobilité de popula-
tion, (augmentation importante des effectifs dans certains
départements du sud de la France) aurait pu anticiper les
problématiques posées aujourd'hui. Enfin, il est peu fait
cas des parents dans le rôle qu'ils jouent dans la maîtrise
de la langue par leurs enfants. L'exigence faite à l'école de
former, à juste titre, des élèves maîtres de leur langage, ne
pourrait-elle s'accompagner d'une suggestion complémen-
taire faite aux parents de remplir ce rôle dans la sphère
privée? Or un enfant à qui l'on ne parle pas, aura des
difficultés de langage (Bentolila), un enfant avec lequel on
ne lit pas n'aimera pas la lecture. L'école, dans les multi-
ples tâches qui lui sont imparties, ne peut, seule, combler
tous les manques. C'est la raison pour laquelle le travail de
maîtrise des langages se poursuit au collège.

1.2. La maîtrise des langages dans le second degré


Considéré aujourd'hui par bon nombre d'observateurs et
d'utilisateurs comme le lieu de tous les dangers, le collège

69
reste, de l'avis des enseignants surtout, le lieu où la
maîtrise des langages doit être particulièrement préparée.
Qui n'a pas assisté à une sortie des élèves de collège, en
fin de journée, ne peut mesurer combien le décalage
linguistique entre les jeunes et les adultes, - notamment
ceux du système scolaire - peut être considérable parfois.
Mais quelle langue parlent-ils, est-on tenté de se deman-
der? Bien que parfois incompréhensible ce qui se dit à la
sortie des classes fait souvent preuve d'une belle créativité
trop cantonnée cependant à des codes claniques.
Priorité dans le premier degré, la maîtrise de la langue le
reste donc dans le second, des programmes plus souples
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sont proposés aux élèves ainsi qu'une sensibilisation en


classe de cinquième au latin et au grec, ce qui place la
langue française dans une perspective historique tout à fait
importante pour les élèves. C'est ainsi que 26,6% des
élèves de cinquième ont choisi d'étudier le latin en qua-
trième (1997).
Les nouvelles mesures s'accompagnent de nouveaux
moyens pour l'enseignement et de nouveaux programmes.
En ce qui concerne les moyens des enseignements, la
dotation horaire des collèges a été augmentée de deux
manières. D'une part l'horaire de français en 6èmeest passé
à six heures hebdomadaires, d'autre part, les établisse-
ments disposent d'un volant d'heures leur permettant
d'organiser des actions de soutien en petits groupes ou de
consolidation pour les élèves les plus faibles. Ces moyens
supplémentaires sont d'autant plus importants que les
établissements accueillent un public défavorisé.
Quant aux nouveaux programmes de français, ils sont
entrés en vigueur en 1997 pour la classe de sixième et
couvrent à présent l'ensemble des classes de collège. Ils
poursuivent un même objectif: la maîtrise des discours
dans les domaines de l'écrit et de l'oral. Un travail

70
particulier est conseillé sur l'écoute des messages oraux,
de l'attention portée à la parole de l'autre.
Dans le domaine de la lecture, les programmes invitent à
diversifier de façon importante les types de textes. Il est
prévu qu'à l'issue du collège chaque élève devra avoir
fréquenté trente-six œuvres littéraires, « sous une forme ou
sous une autre ». La collaboration des enseignants de
toutes disciplines est sollicitée afin de prendre en compte
la compétence langagière des élèves. De même que pour le
premier degré des outils, (papier, cédéroms, Internet), sont
proposés aux enseignants pour les aider dans leur démar-
che pédagogique. Ainsi «la maîtrise de la langue au
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collège» s'adressant aux professeurs de toutes les discipli-


nes a été mise en place par le Centre national de documen-
tation pédagogique.

1.3. Lefrançais au lycée.


Dans les lycées d'enseignement général et technologique,
le nouveau programme de français destiné aux classes de
seconde est mis en place à la rentrée 2000-2001.
Le programme s'applique à maintenir une cohérence avec
les enseignements de français du collège, et, à ce titre,
l'objectif de la maîtrise des discours est poursuivi; un
deuxième volet consiste à proposer aux élèves un accès
diversifié aux littératures française, francophones et
mondiale, et le troisième volet est tourné, outre I'histoire
littéraire, vers l'oral et la maîtrise de la langue, les formes
diversifiées de lecture et d'écriture et la production de
textes d'invention.

71
1.4. La maîtrise des langages dans l'enseignement
agricole
Dans le domaine des enseignements professionnels, seul
l'enseignement agricole, bénéficie de nouveaux program-
mes de français, la réforme ultérieure de l'enseignement
professionnel n'étant pas achevée.
Dépendant de la Direction générale de l'agriculture et de
la pêche, l'enseignement technique agricole se préoccupe
également de la maîtrise de la langue par ses élèves.
L'évolution des métiers de l'agriculture exige une bonne
connaissance du français. L'accent est donc mis sur la
correction de la langue, sur la capacité à s'exprimer aussi
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bien en contexte scolaire qu'en contexte professionnel. Le


volume horaire de français est identique à celui de la
biologie, matière la plus importante de ces formations.

1.5. Une évaluation à mettre en place


Naturellement, il est encore trop tôt pour tenter d'évaluer
les effets de ces nouvelles mesures. Et seule la tradition-
nelle évaluation à l'entrée de la classe de seconde à la
rentrée 2000-2001 permettra de dégager quelques conclu-
sions pour ce qui concerne les acquis du collège.

1.6. L'apprentissage du français par les élèves étrangers.


Les classes d'accueil
En termes d'apprentissage des langues, la classe d'accueil
pour élèves étrangers est probablement celle où les besoins
de compréhension et le besoin d'expression sont les plus
authentiques. En effet, ces classes accueillent des élèves
dont le français n'est pas la langue maternelle: on y
dispense un enseignement de français langue étrangère
destiné à intégrer le plus rapidement possible les élèves
dans les sections correspondant à leur niveau scolaire.

72
L'originalité du dispositif offert par les classes d'accueil
réside dans le fait que l'urgence de la communication est
totalement ressentie par les élèves. Comprendre et se faire
comprendre le plus vite possible est un véritable enjeu,
d'autant plus qu'ils sont rassemblés avec leurs camarades
francophones dès le début de l'année scolaire pour les
activités sportives ou celles d'arts plastiques. Le souci
d'intégrer, ou plutôt d'être accepté, motive énormément
ces élèves. De plus, l'immersion dans une classe normale
permet à l'élève de mesurer la distance qui le sépare de
l'objectif visé. C'est une forme d'évaluation qui sera utile
pour le futur parcours scolaire de l'élève, s'il en prend
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conSCIence.
Dans les années soixante, alors qu'aucun dispositif
particulier n'existait, il en coûtait environ six mois à un
enfant étranger de huit ans, suffisamment extraverti, pour
parler comme les enfants de son âge.
Aujourd'hui, les élèves qui peuvent séjourner jusqu'à une
année scolaire dans cette classe, la quittent au bout de trois
ou quatre mois, pour ceux qui étaient déjà scolarisés dans
leur pays. Caractérisée par la grande diversité des élèves:
âges divers, hétérogénéité des parcours scolaires, des
cultures en présence, des religions, des situations familia-
les et sociales - certains primo-arrivants sont issus de
familles réfugiées politiques et conservent des séquelles
psychologiques qu'il faut suivre - la classe d'accueil prati-
que d'emblée une pédagogie différenciée et résolument
inspirée du français langue étrangère. Les enseignants ne
réagissent pas en fonction d'une réalité virtuelle, l'objectif
pédagogique et psychopédagogique apparaît immédiate-
ment, et l'évaluation s'effectue en temps réel. (<<J'ai com-
pris, j'agis ou je réponds ». «Je n'ai pas compris et... tout
peut arriver... »). Solidarité et entraide sont quasi naturel-
les et l'utilité sociale d'un tel enseignement est immédia-
tement perçue par les élèves et les parents.

73
Les enseignants qui travaillent dans ces classes ont tous
une formation de français langue étrangère. Leur tâche
n'est pas simple et il leur faut constamment être à l'écoute
des élèves et constamment solliciter leurs collègues pour
qu'ils acceptent d'accueillir relativement rapidement les
élèves dont ils pensent qu'ils pourront suivre les cours de
la classe. La classe d'accueil ne fonctionne réellement
bien que lorsque l'équipe pédagogique est solide et
coopère. Enfin la convivialité et la très forte motivation
des enfants et des professeurs font de la classe d'accueil
un monde un peu à part, un peu protégé, où il fait bon
séjourner.
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Les difficultés existent cependant, avec les élèves arrivant,


à la faveur d'un rapprochement familial, à un âge proche
de la fin de l'obligation scolaire, peu ou parfois pas
scolarisés dans leur propre pays. Ces adolescents, mal
dans leur~ peau et en réel retard scolaire, ne peuvent
séjourner dans la classe d'accueil après l'âge de seize ans.
Ils sont alors accueillis dans des cycles d'insertion
professionnelle par alternance (CIPPA) dont certains ont
une spécificité de français langue étrangère. Les CIPPA
existent dans toutes les académies, mais ce sont celles de
l'lIe de France qui sont les plus sollicitées (plus de 800
demandes déposées en 1997 à l'Académie de Paris).
Cependant bon nombre d'obstacles demeurent en ce qui
concerne les jeunes étrangers en difficulté linguistique,
l'information en direction des familles est parcellaire et
difficile à trouver, les centres d'information et d'orienta-
tion se contentant de composer des listes de demandeurs
sans effectuer une forme de classement selon les compé-
tences linguistiques et scolaires des élèves; les CIPPA
accueillent un public peu identifié; or des priorités exis-
tent. Il faut recevoir en priorité les primo-arrivants de plus
de 16 ans et ceux qui sont issus des classes d'accueil avec
un niveau de français insuffisant mais permettant d'envi-

74
sager une insertion. Enfin, on sait peu de choses sur les
contenus curriculaires mis en place, ni sur la formation des
personnels chargés de ces élèves, car les CIPPA-FLE se
sont créés dans l'urgence et ont employé des personnels
venant d'autres CIPPA, donc sans formation FLE. Enfin
l'accompagnement administratif des jeunes étrangers reste
aléatoire, de nombreux problèmes de permis de séjour et
de papiers se posent pour ceux d'entre eux, qui, sortis des
classes d'accueil, n'en possèdent pas pour entrer dans les
cycles d'apprentissage par alternance.
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1. 7. La maîtrise de la langue française dans les politi-


ques d'insertion et d'intégration
En dehors du Ministère de l'Education Nationale dont
c'est une des missions essentielles, la maîtrise de la langue
française est également prise en compte par d'autres
ministères. En effet, le Ministère chargé de l'Emploi et de
la Solidarité, celui de la Justice et celui de la Défense
interviennent dans le cadre de l'action publique de préven-
tion contre l'illettrisme. Ces actions ne sont pas récentes,
elles datent du début des années quatre-vingts.
Divers programmes sont mis en œuvre par les différents
ministères: une opération Défense-Lecture chez les jeunes
appelés, une action du Ministère de la Justice en direction
des jeunes sous protection judiciaire et des détenus. Ainsi,
le programme « Insertion, Réinsertion et lutte contre l'il-
lettrisme» (IRILL) est destiné aux détenus, aux réfugiés et
aux personnes affectées par l'illettrisme pour un montant
total, en 1998, de 108 780 millions de francs Il. Enfin la
lutte contre l'illettrisme fait l'objet de deux articles dans la
loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions du

Il
Rapport au Parlement sur l'application de la loi du 04 août 1994
relative à l'emploi de la langue française.
75
9 juillet 1998. Cette lutte est devenue une priorité
nationale.
Toutefois, l'appareil législatif est beaucoup trop récent
pour permettre une évaluation des actions entreprises. Un
réel état des lieux s'impose auprès des multiples associa-
tions vouées à cette lutte. Les lourdeurs administratives
qui touchent l'affectation des subventions provoquent des
retards, entravent les actions sur le long terme et les
personnels jouissent d'une faible reconnaissance de leur
engagement. Dans le domaine du français langue étran-
gère, les besoins sont importants mais travailler à ces
tâches est peu apprécié des enseignants qui sont maintenus
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dans une grande précarité de situation alors que ce sont le


plus souvent les méthodes pédagogiques du français
langue étrangère qui se révèlent les plus efficaces dans ces
enseignements. Globalement les actions dans ces domai-
nes sont peu connues et peu valorisées car elles ne sont
pas considérées comme prestigieuses.
Enfin, peut-on considérer que l'ensemble des mesures
destinées à la maîtrise des langages fait partie d'une
politique linguistique explicite? Il ne semble pas que cela
soit le cas. Les réponses du système éducatif, pour
positives qu'elles soient, répondent la plupart du temps à
des situations d'urgence ou de tension - lycéenne,
enseignante ou corps social dans son ensemble. Une
politique linguistique explicite se place dans une pers-
pective temporelle où le temps «long» domine et où
l'urgence ne saurait être qu'exceptionnelle, la politique
linguistique ayant une suffisante souplesse d'adaptation
aux évolutions. De plus, «loi linguistique» ne fait pas
«politique linguistique ». Tout au plus, la loi indique-t-
elle, en matière d'enseignement, les situations «plan-
cher ». Ne pas en tenir compte reviendrait à démissionner
implicitement des responsabilités qui sont celles du
système éducatif.

76
Pour conclure, la modestie s'impose car s'il y a une
relation évidente entre les problèmes socio-économiques
et la maîtrise de la langue, l'acquisition d'une langue
châtiée ne préserve pas toujours pour autant des situations
de précarité et de chômage.

2. LES LANGUES REGIONALES


Si le thème de la défense et la diffusion de la langue
française libère, en France, des passions contradictoires, il
en va de même pour celui des langues régionales.
Présentes sur le territoire français depuis le Moyen Age,
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ces langues quittent la sphère publique après les


Ordonnances de Villers-Côtterets en 1539, qui imposent la
prééminence du français dans les actes publics et notariés,
pour passer à la sphère privée.
Lors de la Révolution française, l'Abbé Grégoire, lance,
en 1794, la première enquête de l'histoire linguistique de
la France afin « d'anéantir les patois et d'universaliser la
langue française ». Cette démarche justifiée aux yeux des
révolutionnaires de la Convention, comme un moyen d'en
finir avec les parlers locaux induisant incompréhension, et
manipulation - notamment par l'Eglise - des masses pay-
sannes illettrées, ne sera pas mise en pratique.
« Anéantir» une langue demande des actions de type
génocidaire et, fort heureusement, les révolutionnaires,
n'en eurent ni le temps, ni les possibilités, trop occupés
qu'ils étaient à réunir les hommes qui constituaient les
armées révolutionnaires destinées à défendre la patrie,
quels que soient d'ailleurs leurs parlers.
C'est de manière beaucoup plus pacifique mais non moins
efficace le XIXème siècle et Jules Ferry qui installent de
façon durable et définitive l'usage de la langue française
par le biais des lois relatives à l'école publique, laïque et
obligatoire. C'est là le premier mouvement de grande

77
ampleur en faveur de la diffusion et de l'apprentissage
massif du français; le second mouvement, n'est qu'une
des conséquences de la première guerre mondiale: le bras-
sage des hommes venus du moindre petit village de France
avec leurs parlers et leurs coutumes, donne au français une
véhicularité peu pratiquée jusqu'alors dans le milieu rural.
Les langues régionales sont alors définitivement canton-
nées, sur leurs territoires, bien définis géographiquement,
dans la sphère privée, et définitivement dévalorisées dans
les représentations sociales au profit du français.
Il faudra attendre le début des années cinquante pour que
le regard porté par le pouvoir politique se modifie un peu,
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car les langues n'ont, bien sûr, pas été «anéanties »,


comme le souhaitaient les révolutionnaires.
Aujourd'hui, on peut dire, au contraire, que ce qui
caractérise d'abord les langues régionales, c'est
précisément que ce sont d'abord des langues « au plein
sens du terme », comme le souligne Hagège,I2 « parfois
même plus riches et plus complexes que les langues dites
langues. Une langue n'étant qu'un patois ou un dialecte
qui a eu la chance d'être promue par un pouvoir politi-
que », ajoute-t-il. De plus, ces langues sont caractérisées
par leur permanence: leur usage même le plus réduit ne
s'est jamais démenti au fil du temps, ce qui leur confère
une épaisseur historique certaine. En outre, on tend à
considérer, de nos jours, que les langues régionales et le
français se soutiennent mutuellement de par leurs origines
communes, leur adaptabilité, leur perméabilité: comme
toute langue, elles subissent des influences extérieures.
C'est ainsi que les discours, relatifs aux langues régionales
ont beaucoup évolué ces vingt dernières années. De
l'indifférence silencieuse, on est passé à la revendication
d'un patrimoine prestigieux qu'il faut dans un premier
temps sauvegarder, dans un second temps promouvoir.
12
HAGEGE Claude, Lefrançais et les siècles, Fayard, 1992.
78
La France, qui à la faveur de l'ouverture européenne, a fini
par adopter le discours du pluralisme linguistique et celui
de la diversité culturelle ne pouvait plus, sous peine de
tiraillements conceptuels acrobatiques, ne pas inclure son
patrimoine linguistique comme faisant précisément partie
intégrante de cette diversité culturelle revendiquée.
Le discours officiel a été relayé par un véritable renouvel-
lement des publics s'intéressant aux langues régionales.
Nous sommes, en effet, passés depuis les années soixante-
dix, de publics se reconnaissant dans des combats politi-
ques régionalistes, à des 'publics manifestant un intérêt
d'ordre culturel. De nos jours, apprennent les langues
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

régionales, non seulement certains descendants des habi-


tants de ces régions, mais avec parfois la distance d'une
génération: ce sont souvent les petits-enfants qui renouent
avec la langue de leurs grands-parents - et cette démarche
constitue un ciment nouveau entre les générations - mais
aussi des habitants d'adoption de ces régions, lesquels,
dans un souci d'intégration, choisissent d'approfondir à
travers l'étude de la langue régionale une approche qui a
d'abord été culturelle et sentimentale.
C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, ces langues
bénéficient d'une image positive dans les représentations,
elles sont sorties de l'enfermement revendicatif, pour s'ou-
vrir à une dimension culturelle accessible à tous, dans un
esprit où être d'une région avec tous ses attributs culturels
et linguistiques n'entre pas en contradiction avec le fait
d'être Français, Européen et Citoyen du monde. Un sonda-
ge CSA Opinion DNA n'indiquait-il pas en 1999 que 70%
de l'ensemble des Français considéraient que la ratification
de la Charte européenne des langues régionales et minori-
taires promue par le Conseil de l'Europe ne représentait
pas une menace pour l'unité de la République?
De fait, si elle est due à des aménagements nouveaux des
conditions de l'apprentissage, cette audience élargie en-

79
vers les langues régionales, est surtout redevable à la
formidable mobilisation des milieux artistiques et culturels
dont les manifestations drainent des milliers de partici-
pants, usagers ou non des langues régionales. (Les Celti-
ques de Lorient ont réuni 500 000 spectateurs l'été 2000).
Cette attitude nouvelle démontre, si besoin était, que
l'intégration passe également par la reconnaissance des
particularismes. Au fond, être né en Normandie, petit-fils
de Polonais, avoir grandi au bord de l'étang de Berre,
chanter en provençal et en français est présenté par le
chanteur Samuel Carpienia, du groupe marseillais «Du-
pain », comme l'exemple même d'une intégration réussie.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

Enfin, inventorier les langues, est devenu une nécessité.


C'est ainsi que les Français découvrirent, avec étonne-
ment, que le patrimoine linguistique de leur pays s'élevait
à soixante-quinze langues13, composées, outre les langues
régionales de l'Hexagone, des langues insulaires des
Territoires français de Polynésie et Mayotte, des créoles à
base lexicale française des Départements d'Outre-mer:
Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion, des créoles à
base lexicale anglo-portugaise de Guyane, des langues
amérindiennes, des langues kanaks de Nouvelle Calédo-
nie, sans oublier les langues de certaines diasporas ayant
un statut reconnu comme « historique» ce qui inclut les
langues de l'immigration. L'histoire coloniale de la Répu-
blique française a conduit certaines populations françaises
du Maghreb à conserver leur langue, berbère ou arabe
dialectal. De quoi donner le tournis à l'observateur lambda
confiné dans l'assurance d'un monolinguisme triomphant!
Du coup le slogan « Francophone, plurilingue », est celui
qui conviendrait le mieux aux habitants de la «Douce

13
Rapport de Bernard CERQUIGLINI, Les langues de la France, août
1999.
80
France »14. Une analyse des étapes franchies dans
l'enseignement des langues et cultures régionales nous
permettra d'observer le chemin parcouru depuis les années
cinquante et d'envisager, surtout, celui qui reste à parcou-
rir. Celle-ci devrait nous permettre de déceler si une
véritable politique linguistique a été mise en place.

2.1. L 'appareil législatif et administratif


En 1951 la loi Deixonne (51-46) autorise «l'enseignement
des langues et dialectes locaux ». (Il s'agit de l'appellation
de l'époque). Cet enseignement est limité à quatre zones:
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breton, basque, catalan, langue occitane. Les instituteurs


sont autorisés à utiliser leurs parlers locaux chaque fois
que ce sera utile pour leur enseignement. On lève avec
cette loi deux tabous. D'une part, l'enseignement à propre-
ment parler de ces langues et, d'autre part, l'enseignement
dans ces langues. De plus ce texte sera le seul texte légis-
latif discuté et voté au parlement. Malgré une multitude de
propositions de lois déposées au fil des années, aucune ne
viendra à discussion. D'où un sentiment d'abandon vécu
par les défenseurs des langues régionales.
Il est intéressant de noter que la loi révèle, en contrepoint,
que nombre d'écoliers étaient plus à l'aise dans leur
langue régionale qu'en français. Est franchi, en outre, le
premier pas qui va de la tolérance vers la reconnaissance.
1974: un décret étend au corse les dispositions de la loi
Deixonne et introduit une épreuve facultative de langue
régionale au Baccalauréat.
1976 : la loi Haby, relative à l'Education, élargit les
possibilités offertes par la loi Deixonne, sans en modifier
la structure.
1981 : un décret inclut le tahitien.
14Chanson de Charles Trenet, reprise par le groupe Beur "Carte de
séjour", à la fin des années 80.
81
1982-1983 : les circulaires Savary, (82-261) et (83-547),
améliorent le dispositif et proposent l'expérimentation du
bilinguisme. La dénomination de ces enseignements s'en-
richit. Il s'agit, alors de « L'enseignement des cultures et
langues régionales, dans le service public de l'Education
nationale» pour la première circulaire, et du «T exte
d'orientation sur l'enseignement des cultures et des lan-
gues régionales », pour la seconde circulaire. Tout en je-
tant les bases de l'action pédagogique à tous les niveaux,
dans un esprit de cohérence et d'efficacité, ces textes, qui
démontrent un intérêt plus évident de la part de l' adminis-
tration centrale de l'éducation nationale fondent l'action
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

de l'Etat en trois directions: l'organisation des enseigne-


ments, le statut de ces enseignements au sein de l'Educa-
tion nationale, et la reconnaissance du choix volontaire des
familles et des élèves en direction de ces langues. Ces
dispositions ignorent, cependant, la formation des maîtres.
1989 : la loi Jospin «D'orientation sur l'éducation» (89-
486) du 10 Juillet 1989, confirme la préoccupation relative
aux langues régionales. Elle indique que «La formation
donnée par l'éducation nationale peut comprendre un
enseignement des langues et cultures régionales»
(appellation en vigueur à ce jour). Elle concerne tous les
niveaux de l'enseignement et propose, pour la première
fois la création progressive de CAPES de basque, de bre-
ton, de corse, d'occitan-langues d'oc, donnant ainsi un
véritable statut aux enseignants et une véritable légitimité
aux langues concernées qui entrent, en quelque sorte, dans
« la cour des grands».
1992 : un décret inclut dans la liste certaines langues
mélanésiennes.
1995 : la circulaire Bayrou (95-086) sur l'enseignement
des langues régionales réaffirme « l'engagement de l'Etat
en faveur de ces langues» ; elle précise le «souci de
veiller à la préservation d'un élément essentiel du patri-

82
moine régional» et «fixe les orientations et dispositifs
officiels visant à améliorer la transmission des langues et
cultures régionales ».
On continue de lire, en contrepoint, que malgré les textes
officiels, les choses ne semblent pas aller de soi et que ces
enseignements nécessitent le rempart de nouveaux textes
pour se concrétiser.
La circulaire invite donc les recteurs à mettre en œuvre des
plans pluriannuels en concertation avec les collectivités
territoriales. Du point de vue de l'organisation adminis-
trative, cha~ue recteur désigne un chargé de mission
d'inspection 5 aux langues régionales qui coordonne, entre
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

autres, le dialogue entre les différents partenaires: la com-


mission académique des langues et cultures régionales, le
service académique d'information et d'orientation (SAlO),
le centre régional de documentation pédagogique (CRDP)
chargé d'élaborer et d'éditer des documents et outils
pédagogiques, les collectivités territoriales. La loi de
décentralisation n° 83-663 du 22 juillet 1983 relative à la
répartition des compétences entre les communes, les
départements, les régions et l'Etat, mentionnant dans son
article 23 le rôle de ces collectivités dans l'organisation
d'activités culturelles complémentaires, cette disposition
implique par conséquent que les collectivités territoriales
soient réellement associées, dans le cadre d'un partenariat,
à la mise en œuvre des politiques menées en faveur des
langues régionales. Enfin, sont concernés les services
déconcentrés des ministères de la Culture et de la
Francophonie.
Une fois encore, l'appareil administratif mis en place par
cette circulaire et le rappel fait à tous les partenaires
potentiels indique qu'il faut beaucoup convaincre et que
beaucoup reste à faire.

15
Aujourd'hui l'administration centrale du ministère de l'Education a
nommé un Inspecteur général chargé des langues régionales.
83
Au total, après vingt-cinq ans de silence, le dispositif
s'organise en une quinzaine d'années. L'enseignement des
langues et cultures régionales s'implante dans trois
réseaux différents, le réseau public, (écoles, collèges,
lycées, universités), le réseau des établissements d'ensei-
gnement privé sous contrat d'association, le réseau des
écoles, collèges et lycées privés organisés sous forme
d'associations culturelles.
Cette organisation reflète-t-elle une politique linguistique
pensée et organisée? Rien n'est moins sûr. On peut obser-
ver que certaines décisions ont été prises sous la pression
d'événements politiques (Tahiti, Nouvelle-Calédonie, Cor-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

se, par exemple) ; on observe également que les créoles,


malgré un degré d'usage élevé aux Antilles, à la Réunion
et en Guyane, sont totalement absents de ces dispositions.

2.2. Les cursus proposés au sein de l'enseignement


public
Ces cursus vont de la simple sensibilisation des élèves à
l'enseignement bilingue.

2.2.1. Le premier degré


A une sensibilisation des élèves à travers diverses activités
de la classe s'ajoutent, suivant les cas, une à trois heures
hebdomadaires. Mais la voie majoritairement choisie est
l'enseignement bilingue. En effet, depuis une vingtaine
d'années se sont mises en place des classes bilingues à
parité. On y enseigne non seulement la langue, mais dans
la langue la moitié des activités scolaires. Cette forme
nouvelle largement plébiscitée par les familles, a ouvert
des perspectives intéressantes pour l'apprentissage préco-
ce des langues vivantes dans l'ensemble du système
éducatif. Les évaluations réalisées ont montré que les

84
résultats obtenus par les élèves étaient excellents car cette
forme d'enseignement contribue au développement intel-
lectuel des élèves et à leur épanouissement. C'est ainsi que
de confidentiel et peu prisé, l'enseignement bilingue des
langues régionales a acquis un statut pédagogique reconnu
et a joué un rôle pionnier dans les méthodes d'enseigne-
ment des langues.

2.2.20 Au collège
Les langues régionales peuvent être choisies en option
facultative à raison d'une heure hebdomadaire de la 6ème
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

à la 3ème, mais elles jouent plutôt le rôle d'une langue


vivante 1bis, avec un horaire de 3h hebdomadaires.
Des sections « langues régionales» ont été créées avec un
enseignement de trois heures hebdomadaires débutant en
6ème et assorties d'une ou plusieurs disciplines en langues
régionales.

2.2.3. Au Lycée
L'enseignement facultatif reste possible. Il s'étale durant
une à trois heures par semaine. Les langues régionales
peuvent en outre être choisies comme langue vivante 2 ou
3, ou en enseignement de spécialité. Le centre national
d'études par correspondance (CNED) organise également
des cours destinés aux lycéens.

2.2.4. L'Enseignement supérieur


La plupart des langues et cultures régionales sont
présentes à l'université. Des cursus complets sont offerts
aux étudiants. Les trois cycles du supérieur sont concer-
nés, selon la liste des diplômes décernés en 1995, on
relève, dans les seuls intitulés, comportant le nom d'une

85
langue régionale, 78 DEUG, 78 licences, 17 maîtrises. A
cela, il faut ajouter les diplômes pour les langues mélané-
siennes et polynésiennes (4 et 5 licences en 1995)16. De
plus, certains IUFM assurent une préparation aux CAPES
dans les zones d'influence de ces langues.

2.3. Les langues concernées

2.3.1. Les langues concernées à l'intérieur de l'Hexa-


gone et proposées au sein du système éducatif sont les
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suivantes:
- L'alsacien-mosellan. Cette formulation situe pré-
cisément l'aire de diffusion de la langue mais ne rend pas
compte des variétés linguistiques. Dans l'Académie de
Strasbourg se trouve plutôt l'alémanique, alors que le fran-
cique recouvre celle de Nancy-Metz. La forme écrite de
toutes les variétés est la langue allemande, qui reçoit, pour
l'occasion, la dénomination d'allemand-régional, ce qui
donne un double statut à cette langue. Régionale et langue
vivante étrangère, avec pour résultat «un gonflement»
des effectifs globaux dans les statistiques nationales
relatives à cette langue, dont l'enseignement est, par
ailleurs en recul.
- Le basque. La zone bascophone correspond au
tiers sud-ouest du département des Pyrénées atlantiques et
se trouve sous la responsabilité de l'Académie de Bor-
deaux. Elle est la prolongation directe de la zone
bascophone de la péninsule ibérique, dans laquelle le
basque est langue officielle au côté du castillan. Le basque
se développe également dans le périmètre urbain de
Bayonne. Une indiscutable politique d'échanges économi-
16
Rapport Bernard Poignant, Les cultures et les langues régionales,
1998.
86
ques et culturels transfrontaliers, très soutenue par les
collectivités locales procure un dynamisme particulier à
l'enseignement de la langue basque.
- Le breton. Parlé et enseigné essentiellement dans
la partie occidentale de la Bretagne, cette langue d'origine
très ancienne est également présente dans des îlots breton-
nants du Pays Gallo. Sous l'autorité de l'Académie de Ren-
nes, cet enseignement reçoit un appui efficace des autori-
tés administratives très engagées dans l'enseignement des
langues vivantes. Le pôle linguistique de l'université de
Rennes est un des premiers de France. L'enseignement du
breton est également présent en Loire atlantique et à Paris.
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- Le catalan. Cette langue occupe la quasi-totalité


du département des Pyrénées orientales. Son enseignement
est placé sous la responsabilité de l'Académie de Montpel-
lier. Comme pour la langue basque, à l'autre bout de la
chaîne des Pyrénées, le catalan a été dopé par la Catalogne
voisine, une des provinces autonomes d'Espagne, qui a
officialisé le catalan et dont le dynamisme économique et
culturel attire de plus en plus de français catalanophones.
- Le corse. Il fut longtemps considéré comme une
forme dialectale de l'italien. Aujourd'hui, le corse est la
seule langue qui bénéficie d'un statut particulier, lié au
statut administratif de l'île. C'est ainsi que l'adjectif « ré-
gional » n'est pas utilisé pour la langue corse. Il n'apparaît
pas dans les textes officiels qui régissent les concours de
recrutement. La dénomination actuelle étant: «langue
corse ». Ce statut particulier est assorti de bénéfices réels
en termes d'offre et de moyens17.

17En réalité, l'appellation" langues régionales", si elle était conce-


vable dans les années cinquante, lors de la loi Deixonne, reste, de nos
jours et à mon sens, discriminante. Ou bien ces langues, qui ont un
statut de langues à part entière du point de vue des linguistes, reçoi-
vent pour appellation leur nom propre, ou bien on leur accole le quali-
ficatif de" régional" qui leur confère une position sous-statutaire
87
- L'occitan. La nomenclature établie par la loi
Deixonne a retenu cette dénomination. Aujourd'hui, elle
se décline en langues d'oc car la région que l'occitan-
langue d'oc couvre est la plus importante de toutes les
régions riches d'une langue régionale. Elle couvre un terri-
toire qui s'étend d'est en ouest des Académies de Nice,
Grenoble, Aix-Marseille, Clermont-Ferrand, Montpellier,
Toulouse, Limoges, Bordeaux et Poitiers. Cette langue
bénéficie du statut de langue officielle au Val d'Aran en
Espagne. A l'extension géographique, s'ajoutent un grand
prestige et une production littéraire importante et recon-
nue; le caractère ancien de cette langue lui confère une
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

épaisseur historique indiscutée puisqu'elle fut pratiquée et


écrite bien avant la langue française. Extrêmement vivace,
elle est aujourd'hui portée par un grand nombre d'artistes
et d'écrivains.
Un certain nombre de parlers ne bénéficient pas de
l'appellation «langues régionales» sur le territoire de
l'hexagone, même s'ils sont enseignés. Il s'agit du fla-
mand occidental implanté dans la frange flamande du nord
de la France, des parlers d'oïl (picard au nord, gallo à
l'ouest et poitevin) articulés sur le français et, enfin du
franco-provençal qui est une variété charnière entre le
français et l'occitan et concerne les académies de Lyon et
Grenoble.

2.3.2. Les langues absentes de la liste mais parlées


dans l'Hexagone
Il s'agit des langues de ressortissants français mais
d'origine étrangère qui, pour des raisons historiques, se
sont installés en France depuis plusieurs générations. Les
langues berbère, arabe dialectal, ou les créoles des

légèrement folklorique impliquant davantage une ethnicité margina-


lisante.
88
Antilles, compte tenu de l'importance de la diaspora
antillaise présente en métropole, ou l'arménien occidental,
ne bénéficient pas de mesures particulières.

2.4. Les effectifs


L'enseignement des langues et cultures régionales est en
augmentation. Toutefois, avec un nombre total, tous
niveaux confondus, de 335 000 pour douze millions d'élè-
ves, les apprenants des langues régionales ne représentent
que 3% des effectifs de l'éducation nationale. Ce qui est,
somme toute, assez peu et n'a vraiment pas de quoi
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effrayer les esprits frileux qui verraient dans l' enseigne-


ment des langues régionales un danger pour le français.
Du point de vue des modalités on constate que 75% des
apprenants optent pour l'enseignement bilingue.
Il est à remarquer que le choix de cet enseignement relève
d'un véritable projet éducatif de la part des familles et des
élèves, ce qui est particulièrement positif, d'une part,
parce que l'on reproche à bien des familles de n'en avoir
aucun, d'autre part, parce que ces choix de première lan-
gue régionale, déplacent celui de l'anglais, alors que l'on
sait que 9 enfants sur laie choisissent comme première
langue. Pour autant, les chiffres recouvrent des réalités
bien différentes. Le basque montre une tendance à la
généralisation, à l'instar du modèle espagnol. Le catalan
est en augmentation stimulé par son voisin de Catalogne.
L'occitan est en forte croissance dans les académies qui le
valorisent. Et l'on mesure ici le poids des administrations
centrales. Les disparités observées reflètent donc une de-
mande sociale inégale dans les différentes régions concer-
nées selon le statut juridique de la langue visée, selon son
statut symbolique, selon sa diffusion à l'extérieur de la
France, selon son prestige culturel et selon l'intérêt et
l'appui qu'elle reçoit des collectivités territoriales.

89
2.5. Les formes
Déjà évoqué plus haut, l'enseignement bilingue est
véritablement la forme la plus originale et la plus
demandée pour l'apprentissage des langues régionales.
Elle relève de deux constats. Le premier concerne les
bienfaits présumés de l'immersion linguistique précoce et
le second de l'importance qu'il y a à apprendre une langue
non seulement pour elle-même mais pour approcher
d'autres apprentissages par le biais de cette langue.
Cette position, défendue, depuis de longues années par les
tenants de l'apprentissage précoce des langues (Porcher et
Groux)18, vient tout récemment d'obtenir droit de cité au
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

sein de l'éducation nationale relativement aux langues vi-


vantes étrangères.
Il n'y a guère de temps que les langues vivantes sont
présentes à l'école primaire en tant qu'enseignement obli-
gatoire, quant aux établissements bilingues ils sont fort
rares (écoles internationales) ou à caractère privé (écoles
actives bilingues où l'on propose la langue anglaise).
Les expériences développées avec les langues régionales
ont démontré combien l'enseignement bilingue était béné-
fique pour les élèves, combien, par ailleurs, la fréquenta-
tion des cultures régionales jouait un rôle d'élargissement
culturel, et combien ces apprentissages permettaient de
rendre une mémoire collective devenue illusoire à force
d'oubli.
Beaucoup, cependant, reste à faire. La diversité des
situations observées nous montre qu'en dépit des mesures
destinées à conforter ces apprentissages, il n'existe pas de
véritable politique linguistique qui adopterait une démar-
che globale mais diversifiée et adaptée. L'offre linguis-
tique semble beaucoup trop liée à des urgences d'ordre
politique. Elle fait trop souvent l'effet de rustine. Les
18
Louis PORCHERet Dominique GROUX,L'apprentissageprécoce
des langues, Que sais-je? PUF, 1998.
90
progrès réalisés relèvent, le plus souvent, d'exigences de la
société civile, beaucoup plus favorable à ces langues que
l'Etat ne semble l'être. La mise en place de ces enseigne-
ments est non seulement le résultat de pressions nationa-
les, mais égal~ment celui de pressions internationales.
A propos de ces dernières, le refus du Président de la
République de modifier les articles de la Constitution rela-
tifs au fait que le français est la langue de la République
(1992), modification nécessaire pour permettre la ratifica-
tion de la Charte européenne des langues régionales et
minoritaires, a relancé et revivifié le débat public sur les
langues régionales. A une large majorité, les Français
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

étaient favorables à la ratification. De fait, la France, pays


champion de l'exception culturelle et du multilinguisme
militant contre l'influence de l'anglais, se trouve dans une
délicate position par rapport à ses partenaires européens.

3. LES LANGUES DE L'IMMIGRATION


Il conviendrait mieux de titrer «Les langues des immi-
grations» car la France est un pays de grande tradition
migratoire. Si l'on s'en tient au vingtième siècle, on s'aper-
çoit que de nombreux étrangers vinrent se fixer sur le
territoire français, réfugiés chassés par des événements
politiques de leur pays, ou immigrés économiques venus
trouver de meilleures conditions d'existence ou recrutés
par la France pour favoriser le développement de l'indus-
trie française et de son économie, en général.
C'est ainsi que Arméniens, Russes blancs, Polonais,
Allemands et Juifs d'Europe centrale fuyant la montée du
nazisme, Espagnols républicains, Italiens échappant au
fascisme et bien d'autres encore, se réfugièrent en France
et devinrent, au fil du temps, citoyens français par natu-
ralisation ou par mariage. Leurs enfants, pour un grand
nombre d'entre eux, conservèrent la langue de leurs pa-

91
rents et constituèrent une catégorie de bilingues naturels,
aujourd'hui parfaitement intégrés.
A la fin des années cinquante, débutèrent des migrations
d'ordre économique: venus du sud de l'Europe, du Maroc,
d'Algérie et de Tunisie, plus tard de Turquie et d'Afrique
transsaharienne, de nombreux travailleurs immigrés parti-
cipèrent à la création de la mosaïque linguistique qui
compose la France. En 1974, à la faveur de la loi sur le
regroupement familial qui permettait aux épouses et à
leurs enfants de rejoindre les travailleurs habitant dans le
pays, une initiative des-tinée à permettre aux enfants de
migrants de conserver un contact avec leur langue et leur
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

culture d'origine fut mise en place (ELCO).


Cette initiative généreuse, et pour une fois digne de tous
les discours entendus sur le thème de l'interculturel, n'était
pas exempte d'un certain cynisme. On espérait bien qu'elle
serait un incitateur favorable au retour des familles dans
leur pays, une fois la crise économique et le chômage
durablement installés. Cette initiative ne se voulait pas le
reflet de la réflexion développée dans d'autres pays, aux
Etats-Unis notamment sur les droits des minorités. L'idée
d'une discrimination positive reste en France exclue,
puisque le discours dominant est celui de la fonction
intégrative de l'Etat.
L'enseignement des langues et cultures d'origines (ELCO)
a été fondé sur la base d'accords bilatéraux passés en 1977
entre la France et certains pays à forte masse migratoire:
l'Algérie, l'Espagne, l'Italie, le Maroc, le Portugal, la
Tunisie et l'ex-Yougoslavie. Une directive de Bruxelles,
en 1977, rendait cette pratique obligatoire. Les enseigne-
ments sont de la responsabilité des pays concernés qui
recrutent, rémunèrent les enseignants et financent les
manuels. Les cours sont dispensés à titre optionnel, à
raison de trois heures par semaine, dans des collèges, des
lycées professionnels, et surtout dans des écoles primaires.

92
Les établissements français sont responsables du
fonctionnement au quotidien. Ils sont choisis sur le mode
du volontariat et nul texte n'oblige un directeur d'école à
accepter un ELCO. Ce qui pose parfois de sérieux
problèmes aux services académiques responsables.
L'évaluation de ces cours se fait conjointement par corps
d'inspection français et représentants des systèmes éduca-
tifs étrangers. En réalité ce qui est surtout évalué, c'est la
conformité du déroulement des ELCO mais non les conte-
nus dispensés. Les effectifs ont diminué régulièrement
depuis dix ans, passant de près de 140 000 élèves à
environ 78 000 en 1996/1997, (à l'exception des élèves
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

marocains qui a été multiplié par trois). En 1997/1998 on


note une légère progression (0,8%).
La situation des ELCO, malgré la légère augmentation des
effectifs, notée en 1998, n'est pas tout à fait claire. D'abord
parce que la liste des pays concernés ne reflète plus
réellement les flux migratoires présents sur le territoire en
cette fin de siècle. Sont absents de la liste, par exemple, les
pays d'Asie: Vietnam, Cambodge, Sri Lanka et surtout
Chine, enfin les différents pays de l'Est de l'Europe et de
l'Europe du Sud (Albanie, Roumanie). La liste des pays
partenaires serait donc à revoir entièrement d'autant que
trois des participants actuels sont membres de l'Union eu-
ropéenne et que leurs langues et cultures respectives sont
largement diffusées au sein du système éducatif. Ensuite
parce que l'idée sous-jacente de préparation des familles
au retour a fait long feu. Bien peu d'entre elles sont ren-
trées au pays et leurs enfants intégrés dans la société fran-
çaise refusent d'entendre parler d'un quelconque retour. De
plus, ces enseignements sont peu acceptés par les acteurs
du système éducatif; non habitués à la gestion diploma-
tique indispensable à ce type d'enseignement, ils souffrent
de pratiques pédagogiques parfois aléatoires et d'un
isolement des enseignants qui ne sont pas du tout intégrés

93
dans les équipes. Par ailleurs, certai~s services diploma-
tiques souhaiteraient que leurs professeurs participent aux
formations réservées aux enseignants français afin de créer
une synergie entre les équipes, alors que d'autres ambas-
sades ne le souhaitent pas car elles préfèrent exercer un
pouvoir de contrôle parfois éloigné de considérations pu-
rement linguistiques et pédagogiques.
Se pose également le problème de l'évaluation de ces
enseignements. Aucune statistique n'est à ce jour disponi-
ble. Les enfants qui suivent cet enseignement non valorisé
par le système officiel rechignent à suivre régulièrement
les cours. En retour, le système n'accorde aucune attention
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

à ces jeunes locuteurs bilingues, dont les performances


scolaires n'ont jamais été évaluées en fonction de ce
bilinguisme.
Enfin, les accords ne prévoient pas la présence d'enfants
français à ces cours. Ceci est dommage, car si Ahmed et
Martin sont copains de classe dans les cours obligatoires,
leur amitié s'en trouverait renforcée quand Martin irait
suivre les cours d'ELCO avec son copain Ahmed. Bref,
l'idée n'est pas nouvelle. Quelques rares écoles19 ont expé-
rimenté la formule en inscrivant ces cours dans le temps
scolaire et en les ouvrant à tous avec un grand succès.
Mais les cas sont rarissimes et au-delà des accords.
Quant aux enfants des nouveaux flux migratoires, ils sont
abandonnés au simple usage privé de leur langue. Leur
culture n'est pas prise en compte à l'école, ce qui renforce
le sentiment de marginalité et favorise les échecs.
Une politique linguistique globale et adaptée devrait pren-
dre en compte l'ensemble de ces populations afin que, dans
un réel souci d'interculturalité, soient facilitées leur inté-
gration à l'école et leur insertion future dans la société
française.

19 Ecole primaire de la rue de Tanger à Paris dans le 19ème


arrondissement, depuis longtemps.
94
4. L'APPRENTISSAGE DES LANGUES VIVANTES
La loi sur l'usage de la langue française du 4 août 1994
rappelle l'obligation faite au système éducatif de favoriser
la connaissance de deux langues étrangères à tous les
élèves de l'enseignement public. La France qui a depuis
fort longtemps adopté cette politique présente en outre une
particularité: c'est le pays de l'Union européenne qui pro-
pose l'offre linguistique la plus large en matière de langues
vivantes étudiées dans le système éducatif. En effet, indé-
pendamment des langues régionales évoquées plus haut
plusieurs langues sont offertes dans le premier degré: l'al-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

lemand, l'anglais, l'arabe littéral, l'espagnol, l'italien, le


portugais, le russe; dans le second degré on comptabilise
une bonne vingtaine de langues si l'on ajoute aux sept
premières, par exemple, le chinois, l'hébreu moderne, le
japonais, le néerlandais et le polonais.
A l'inverse de bon nombre de pays qui ne proposent
qu'une seule langue étrangère dans leurs cursus, la France
pêche presque par excès de choix, d'autant que ces
langues sont très inégalement offertes sur le territoire
national. Bien évidemment, possibilité ne veut nullement
dire réalité et le panorama de l'offre scolaire réelle est tout
autre, ne différant d'ailleurs en rien (ou presque) de celui
des pays voisins.
Depuis la promulgation, en 1989, de la loi d'orientation
pour l'Education, le thème des enseignements précoces
des langues vivantes a fait couler beaucoup d'encre. Fal-
lait-il en effet, proposer aux élèves une « sensibilisation»
aux langues autres que le français, et dans ce cas élargir
l'offre au maximum sans souci de continuité? Fallait-il tout
au contraire, proposer un enseignement d'initiation, et,
dans cette perspective, procéder à des choix rentables pour
les futures études au collège et au lycée?

95
Sur le plan de la théorie des apprentissages, un jeune
enfant était-il assez «mûr» pour apprendre une langue
vivante dès la grande section de la maternelle? Ne ris-
quait-on pas de bloquer la maîtrise du langage et le déve-
loppement cognitif de l'enfant? Bref, on a à peu près tout
écrit sur ce sujet sans parfois faire appel au bon sens et,
surtout, à certaines expériences réalisées tant en France,
qu'à l'étranger.
Ainsi, plusieurs pistes pouvaient être suivies: celle des
enseignements en immersion proposés dans les écoles
internationales ou les écoles privées bilingues, celles mises
en œuvre dans le propre réseau des écoles françaises à
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

l'étranger, celles enfin, existant dans l'enseignement des


langues régionales qui développèrent ces pratiques à
l'école primaire publique. A l'étranger, le Canada est le
pays cité le plus souvent en exemple. On trouve également
la Catalogne, province autonome de l'Espagne qui propose
aussi des expériences d'immersion intéressantes.
La conclusion de tous ces errements est que les écoliers
français sont passés par une multitude d'expériences
linguistiques, sporadiques et peu planifiées. De plus, la
simple constatation des bons résultats des élèves de classes
bilingues aurait dû finir par emporter l'adhésion de tous.

4.1. La généralisation de l'apprentissage des langues


dans le premier degré
Globalement, un enseignement d'initiation aux langues
étrangères est aujourd'hui proposé à l'école élémentaire à
partir du CEl et jusqu'au CE2. Les cours, qui prennent
appui sur des documents audiovisuels, se déroulent à
raison d'un quart d'heure par jour; ils sont dispensés soit
par le maître de la classe, soit par un enseignant du second
degré, soit encore par un intervenant extérieur rémunéré
par la municipalité qui gère l'école. Pour aider les ensei-

96
gnants, le Centre national de documentation pédagogique
(CNDP) a conçu et réalisé la collection «vidéo sans
frontière» en anglais, allemand, espagnol et italien, puis
récemment en portugais et quelques 100 000 exemplaires
en ont été diffusés. Le choix de la langue étrangère est
laissé au vouloir des maîtres selon leurs capacités ou les
opportunités du moment. C'est ainsi, qu'un même élève
peut recevoir une initiation dans une langue une année,
dans une autre l'année suivante ou, parfois, aucune initia-
tion, faute d'enseignant.
Quoi qu'il en soit, le rapport des services statistiques de
l'Education nationale indiquait que pour l'année scolaire
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

1996/19972°, l'initiation avait concerné trois CEl sur qua-


tre, deux CE 2 sur trois, et un CM 1 sur trois, soit environ
1 300 000 élèves et environ 75 000 enseignants. Parmi les
langues choisies, l'anglais représentait 81% des classes
concernées, l'allemand 12%, l'espagnol 5% et l'italien
1,2%. Ces chiffres et le matériel pédagogique choisi mon-
trent bien l'ambition plurilingue des responsables éduca-
tifs. Cependant le fort pourcentage observé à propos de
l'anglais reflète la situation existant depuis longtemps dans
le second degré.
Le ministère de l'Education a décidé de généraliser à la
rentrée 1999, l'enseignement d'une langue vivante étran-
gère à tous les élèves du CM2 puis à tous ceux du CM 1 à
la rentrée 2000. Cette généralisation a fait l'objet de textes
réglementaires qui insistent sur la continuité et la diversifi-
cation de l'enseignement des langues. Ainsi les parents
peuvent-ils aujourd'hui choisir les langues qui sont offertes
en sixième dans les collèges de leur secteur.
L'enseignement donné dans le premier degré se présente
comme un véritable apprentissage, et non plus une simple

20 L'enseignement obligatoire d'une langue vivante à partir du CM 2


puis à partir du CM 1 n'est effectif que depuis 1998 (CM 2) et 1999
(CM 1).
97
initiation. On espère que sera organisée une continuité
avec l'enseignement du collège. Toutes les catégories de
personnels susceptibles de dispenser cet enseignement
sont sollicitées et de nouveaux moyens sont dégagés.
Et c'est là que le bât blesse. D'une part, parce que toutes
les catégories de personnels n'acceptent pas d'intervenir
dans le premier degré, même depuis la création du corps
des « professeurs des écoles », les professeurs nommés en
collège rechignant en général à enseigner à l'école primai-
re, en plus de leur service normal, et d'autre part parce que
la continuité pédagogique est fortement mise à mal à l'en-
trée en sixième où de nombreux enseignants ne tiennent
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

nullement compte des acquis des élèves. Ces acquis qui


sont de type communicatif très motivants pour les élèves,
se voient relégués auprès de pratiques plus classiques,
tournées vers l'étude de la grammaire et des textes.
Parfois, encore, les enseignants du second degré repren-
nent tout à zéro, contraints par le fait qu'ils récupèrent
dans leurs cours des enfants qui ont appris des langues
différentes dans le premier degré. C'est pourquoi l'objectif
du ministère de l'Education qui vise à améliorer la
communication orale des élèves est loin d'être atteint. Il
faudrait en outre, réviser complètement les modalités
d'évaluation des élèves avec un système de notation
favorisant l'oral plus que l'écrit dans les premières classes
avec un rééquilibrage par la suite.
Naturellement l'enseignement précoce des langues est très
positif. Nous sommes tentés de dire «enfin! ». Il faut
donc saluer les initiatives prises. Le recrutement massif
d'assistants de langue natifs, est de nature à fortifier ces
enseignements. Mais aucune évaluation sur le nombre, la
qualité et le rôle de ces assistants de langue n'a été réalisée
à ce jour. Il reste que l'on peut légitimement s'interroger
sur la durée d'apprentissage obligatoire d'une langue
vivante étrangère pendant toute la scolarité; comme nous

98
le verrons plus loin, des solutions nouvelles pourraient être
adoptées..

4.2. Les langues vivantes étrangères étudiées dans le


second degré
A l'heure actuelle les élèves suivent, à partir de la classe de
sixième l'enseignement d'une langue étrangère. Ils peuvent
choisir parmi les langues évoquées plus haut. En classe de
quatrième, les élèves choisissent une deuxième langue
vivante parmi les langues auxquelles s'ajoutent le turc et
les langues régionales.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

En 1996/1997 l'anglais est resté largement dominant à


86,9% des élèves du secteur public et à 92,3% des élèves
du secteur privé. Dans le secteur professionnel, la prépon-
dérance de l'anglais est encore plus marquée. L'allemand,
dont les effectifs diminuent lentement, en dépit de politi-
ques de promotion de cette langue organisées conjointe-
ment par les gouvernements allemand et français, se main-
tient à Il,9 % dans le public et à 6,9% dans le privé. En
seconde langue un élève sur deux choisit l'espagnol. La
LV 3 a vu ses effectifs diminuer avec l'ouverture de
l'option LV renforcée, l'italien restant la langue la plus
choisie par 39% des élèves.21

4.3. La politique linguistique en direction de l'ensei-


gnement des langues vivantes
Les choix sociaux opérés montrent qu'à l'évidence l'anglais
est et restera la langue étrangère dominante. Il faut accep-
ter cette idée et tenter d'imaginer des parcours d'appren-
tissage nouveaux ou différemment ciblés en termes de
contenus. L'allongement de la durée d'étude de la première
21 Source: ministère de l'Education nationale, de la Recherche et de
la Technologie, Direction de la programmation et du développement.
99
langue devrait permettre comme nous le disions ci-dessus
de commencer plus tôt l'apprentissage de la seconde
langue. De plus, dans la perspective de défense du pluri-
linguisme que nous soutenons, il est indispensable de
réviser non seulement les modalités de choix des langues
au lycée mais aussi l'offre.

4.3.1. Les langues vivantes comme outils de parcours


stratégiques
Trop souvent le choix des langues s'opère en fonction de
l'établissement dans lequel on veut voir inscrit son enfant.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

A tel titre que les revirements spectaculaires peuvent


intervenir en cours de scolarité. En analysant les fiches de
vœux déposées par les familles dans différents établisse-
ments (quatre sont en général proposés au choix et selon
les résultats) à l'entrée en classe de seconde, on décèle des
choix qui n'ont absolument rien à voir avec le désir ou le
goût de l'élève pour telle ou telle langue. A Paris, par
exemple, un même élève peut demander le lycée Henri IV
avec dans l'ordre, Allemand, Anglais, grec moderne, puis
le lycée Fénelon avec allemand, anglais, espagnol, ensuite
le lycée Jules Ferry avec allemand, anglais, italien et enfin
le lycée Rabelais avec, anglais, allemand et... sciences
économiques. Ces demandes sont évidemment le reflet
d'une stratégie savante d'évitement social: le jeu consis-
tant à mettre son enfant dans une classe où les autres
appartiennent à une classe sociale un peu plus élevée.
L'objectif linguistique même s'il est mis en avant est en
réalité loin des préoccupations familiales, qui savent par-
faitement que le système ne permet pas à leurs enfants
d'obtenir une compétence réelle et qui complètent par des
petits cours, des séjours linguistiques et des voyages, des
échanges de correspondants, l'enseignement donné par
l'école.

100
Ainsi pourrait-on définir le « ticket gagnant» comme suit:
au collège allemand 1 en sixième, en classe de cinquième
entrée du latin, puis en quatrième anglais 2 et accès à la
section européenne germanophone, enfin grec à l'entrée en
troisième. Au lycée on trouverait: allemand 1, anglais 2,
grec moderne, ou japonais ou chinois. ..
Ce parcours hypersélectif existe et n'est pas un cas d'école.
Il ne reflète en rien une prétendue politique démocratique
de l'éducation. Le problème n'est pas propre à la capitale,
il existe également dans les très grandes villes de province.
Certains provinciaux n'hésitent d'ailleurs pas à prendre
logement dans la capitale pour accéder aux grands établis-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

sements parisiens. A différentes échelles, ce modèle se re-


produit pour l'ensemble des établissements scolaires.

4.3.2. Une offre biaisée


La politique de l'offre développée par les établissements
n'a rien d'angélique. C'est par l'offre linguistique que l'on
se distingue. Ainsi un collège en difficulté essaiera d'offrir
une langue rare ou allemand en LVI afin de drainer les
meilleurs élèves et de les rassembler en une section
d'excellence. A partir de la quatrième, ce collège tentera
de promouvoir une section européenne, et négociera avec
le grand lycée du secteur la présence de cette section
européenne dans cet établissement.
Afin de canaliser une politique d'offre par trop chaotique,
l'administration centrale a conseillé de travailler à l'élabo-
ration de « cartes des langues» aussi bien dans le premier
degré que dans le second. L'idée étant de rationaliser les
moyens. Il n'est pas rare de rencontrer des classes de
terminale avec deux élèves en russe (on comprend aisé-
ment l'investissement que ceci représente en coûts et en
locaux.) La carte des langues doit permettre de concentrer
une offre particulière dans un établissement particulier:

101
par exemple un seul lycée propose le russe dans un secteur
et les élèves se déplacent pour leurs cours de russe.
L'avantage est de rentabiliser les locaux, de réduire les
classes squelettiques et... de mettre des profs de russe au
chômage, car victimes de l'absence d'une véritable planifi-
cation des besoins en ressources humaines dont nous par-
lerons ultérieurement.
Autrement dit, ce sont tous les acteurs impliqués dans le
système qui devraient réviser leurs relations aux langues
vivantes. Celles-ci sont trop souvent utilisées comme des
jokers. Beaucoup de parents considèrent que, si pour
accéder à tel ou tel emploi la connaissance d'une langue
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

vivante est absolument indispensable, le candidat pourra


choisir des cours intensifs, ou un séjour de quelques mois
dans le pays concerné. La réflexion entendue auprès de
certains directeurs des écoles supérieures de commerce
devrait être méditée: certains d'entre eux doivent faire sui-
vre trois semaines d'anglais intensif à leurs étudiants avant
le début des cours. Qu'induit une telle pratique par rapport
à l'enseignement de langues vivantes reçu au collège et au
lycée?

4.3.3. Rôle des lobbies


Enfin le rôle des lobbies d'enseignants est capital. Qu'on
en juge plutôt: on constate que déjà dans le premier degré
l'anglais est la langue majoritairement choisie et offerte,
on sait également que tous les professeurs des écoles ne
dominent pas cette langue même au niveau des cours de
débutants (les plus difficiles soit dit en passant); le re-
cours aux enseignants de collège est donc une des solu-
tions envisagée, mais le refus de ces derniers est quasi
général, puisque, expliquent-ils, leur formation les destine
au collège et au lycée... Combien d'années l'école devra-t-
elle investir en formation des maîtres pour satisfaire la de-

102
mande monolithique qui s'exprime en faveur de l'anglais?
N'est-il pas temps d'envisager d'autres solutions?
Les épreuves de l'oral de LV2 facultative fixées pour le
baccalauréat en donnent une petite idée. Les élèves appor-
tent une liste de textes étudiés préalablement en classe.
Tous les aspects ont été abordés (même parfois les plus
surréalistes qui ne manquent pas d'étonner l'examinateur
lambda) par l'enseignant et en général l'élève les connaît
par cœur du point de vue du lexique, de la grammaire et
des connaissances culturelles qui s'y rapportent. La straté-
gie d'interrogation repose, tout le monde sait cela, sur les
temps de parole des interlocuteurs: plus l'élève parle et
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

occupe le terrain moins l'enseignant a de temps pour


l'interroger et échanger avec lui, compte tenu du nombre
d'élèves qu'il doit faire passer. Un élève qui a compris
cette stratégie a toutes les chances de s'en sortir, et... le
prof pervers qui s'égare à lui poser une question sur le
temps qu'il fait ce jour-là ou sur ses préférences alimen-
taires a toutes les chances de se heurter à un mur d'incom-
préhension pouvant susciter plaintes et réclamations en cas
de note négative...
Que signifie alors la note attribuée lors de cette épreuve?
Une aptitude stratégique? Une compétence linguistique?
Ou la note indispensable au grade de bachelier?

4.4. Envisager des nouvelles formules,

4.4.1. Réflexion sur la durée des apprentissages


L'écueil dont souffre l'enseignement des langues
étrangères est celui de la durée. Celle-ci se compte habi-
tuellement en années: «J'ai fait sept ans d'allemand à
l'école et je ne le parle même pas» est une réflexion que
l'on entend souvent. Avec le recul on se dit que consacrer
sept ans de sa vie à étudier une langue est quasiment

103
l'œuvre d'une vie. Or si l'on réfléchit en terme de masses
horaires indispensables pour atteindre une autonomie en
langue étrangère on s'accorde à penser que 600 heures
constituent une masse communément observée auprès d'un
grand nombre d'apprenants. Ceci représente en données
théoriques 18 heures hebdomadaires pendant 32 semaines
(année scolaire en France).
Ce raisonnement sur la base de masses horaires n'est pas
étranger au système éducatif français puisqu'au moins
deux formules proposées utilisent ce calcul. La première
est la durée de séjour dans une classe d'accueil fondée sur
une année scolaire et sur le service du professeur: 18
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

heures hebdomadaires. Les élèves atteignent donc à l'issue


de l'année le profil de l'autonomie. Nous avons vu que la
plupart du temps ils quittent la classe d'accueil avant.
L'autre exemple est celui des classes bilingues que la
France a contribué à ouvrir à l'étranger dans certains pays
d'Europe de l'Est: des élèves débutants complets en fran-
çais sévèrement sélectionnés dans leur langue maternelle
et en mathématiques et après des tests psychologiques,
reçoivent pendant une année scolaire un enseignement de
français à raison de 20 heures hebdomadaires, avant de
suivre un enseignement bilingue dans plusieurs disciplines
l'année suivante. Des précédents existent donc.
A l'heure actuelle des élèves qui commencent une langue
vivante au CM 1 ont totalisé à l'issue de la 3ème 608
heures. Ils devraient disposer, compte tenu des difficultés
dues à la diversité des élèves et à l'enseignement extensif,
d'une relative compétence de communication. Pourquoi,
dans ce cas ne pas imaginer un apprentissage massif de la
LVI du CM 1 à la fin du collège avec, au lycée, un
enseignement plus culturel de la langue en seconde et plus
spécifique de la langue en fonctions des filières proposées
en première et en terminale, l'horaire de ces enseignements
étant réduit par rapport à celui en vigueur de nos jours?

104
Pourquoi ne pas revaloriser la seconde langue commencée
en quatrième avec un horaire plus important ou un systè-
me de coefficients plus élevé?
De plus l'optique de l'étude approfondie d'une langue est
déjà envisagée en 1ère et en terminale « littéraire» et
« économique et sociale », les élèves qui souhaiteraient se
lancer dans des études linguistiques ne seraient donc pas
désavantagés.

4.4.2. Développement des compétences de


communication par famille de langue
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

La proximité linguistique de certaines langues doit


permettre de les mettre en valeur et de faire acquérir aux
élèves une compétence de communication dite «de
survie» dans ces langues: le français, l'espagnol, l'italien,
le portugais bénéficient de leur origine latine, et les
différences phonologiques ne sont pas de nature à bloquer
la compréhension. En faire prendre conscience aux élèves
et aux enseignants devrait améliorer le capital linguistique
des premiers.

4.4.3. Modification des représentations


Il ne paraît plus pertinent aujourd'hui de présenter
certaines langues dites difficiles réservées aux bons élèves
et certaines langues faciles promises aux cancres. Tout est
le plus souvent question de motivation et d'opportunité. Or
l'allemand, par exemple, souffre aujourd'hui de cette
image de difficulté forgée par les tenants des filières
d'excellence: considéré comme une langue difficile il n'est
plus choisi par les élèves, lesquels en bons usagers de
l'école - parcours obligé vers l'obtention de la certifica-
tion finale - se donnent un maximum de chances en
choisissant une langue présentée comme plus facile.

105
L'allemand gagnerait donc à être présenté comme une
langue de communication accessible à tous dans sa
pratique courante. C'est ce qu'a tenté de faire un fascicule
de promotion destiné à faciliter le choix des familles,
document élaboré conjointement par les gouvernements
allemand et français en 1998

4.4.4. Rentabilisation du bilinguisme


Si le bilinguisme acquis est considéré comme facteur
d'épanouissement des élèves, le bilinguisme natif a fortiori
ne devrait pas l'être non plus si toutefois on le valorise
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

quelle que soit la langue concernée. Notamment en ce qui


concerne les enfants issus de l'immigration, valoriser leur
langue maternelle quand ils la pratiquent est un puissant
facteur d'adaptation et d'intégration. Et nul besoin d'être
polyglotte! Il suffit de valoriser le fait que ces élèves-là
possèdent un bien culturel différent des autres.

4.5. De l'utilité de la prospective en politique


linguistique
La politique de l'offre n'exclut pas la planification. Compte
tenu de la situation actuelle de l'enseignement des langues
étrangères et des conditions de recrutement des
enseignants il est opportun de se demander quels sont les
objectifs réels poursuivis. La formation de bilingues en
vue d'une expatriation sans dommage: cet objectif est de
plus en plus envisagé compte tenu de la mondialisation et
de la mobilité des individus; la formation de profession-
nels censés négocier avec l'étranger et à l'étranger, en
utilisant des discours spécifiques peu envisagés
actuellement par le système; l'ouverture culturelle des
élèves vers d'autres cultures, d'autres langues et leur
distanciation par rapport à eux-mêmes. Tous ces objectifs

106
sont également pertinents mais recouvrent des réalités
cognitives différentes dont le système ne tient pas compte.
L'aspect prospectif d'une politique des langues réside donc
dans la préparation de ces futurs locuteurs d'une part, et
d'autre part dans la formation des ressources humaines
nécessaires, en fonction des besoins qu'une société, un
Etat, privilégient. De fait, les engouements, et les effets de
mode sont dangereux car lorsqu'il s'agit d'investir dans des
ressources humaines, ils hypothèquent parfois des carriè-
res entières. L'exemple des professeurs de russe est à ce
titre pertinent: en 1989, la chute du mur de Berlin éveille
l'intérêt d'un grand nombre de personnes pour mille
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

raisons d'ordre symbolique, idéologique, politique et


économique. La demande de russe dans les établissements
scolaires explose et, par conséquent la formation de pro-
fesseurs suit une courbe ascendante. Mais le soufflé
retombe très vite. Moins de dix ans après, l'effet de mode
étant passé, de moins en moins d'élèves choisissent cette
langue et de nombreux professeurs se retrouvent sous-
employés, le manque de souplesse du statut actuel des
enseignants français ne permettant pas d'adaptation.
Une politique prospective aurait pu, compte tenu, par
exemple, des promesses de développement des échanges
avec le pays mentionné modifier le volume des formations
réalisées.

4.6. Les langues vivantes étrangères et les enseignements


à caractère international
Il existe plusieurs types d'enseignement à caractère
international ou bilingue, exception faite des enseigne-
ments bilingues mis en place pour l'apprentissage de
langues régionales. On trouve les sections internationales,
les sections européennes et les sections à langue LV 1
renforcée dans les régions frontalières.

107
4.6.1. Les sections internationales
Issues d'un accord bilatéral de 1972 entre la France et la
République fédérale allemande avec pour objectif de forti-
fier les relations entre les deux pays, les sections interna-
tionales ont été étendues aux autres langues en 1981.
Elles affichent un objectif d'intégration d'élèves étrangers
dans le système éducatif français et un souci de prépara-
tion au retour dans le pays d'origine. Ces sections n'ont
rien à voir avec les classes d'accueil ou les ELCO précé-
demment évoqués, elles concernent des élèves appartenant
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

à des niveaux socioculturels et économiques élevés et non


ceux de l'immigration économique. Affichant également
des objectifs biculturels, ces sections accueillent égale-
ment certains enfants français. Les exigences linguistiques
et les quotas d'élèves étrangers exigés (50%) limitent le
développement de ces sections. (7900 élèves en 1997).

4.6.2. Les sections bilingues


Ces sections, d'abord franco-allemandes, ont été ouvertes
en 1971. Il en existe actuellement en anglais, allemand,
espagnol, italien, portugais, russe dans une centaine
d'établissements. Elles visent à renforcer, dès la sixième,
l'apprentissage de la langue vivante choisie: à l'horaire
d'enseignement linguistique s'ajoutent deux heures hebdo-
madaires de travaux dirigés. Ainsi que l'enseignement des
disciplines artistiques, de l'éducation physique et sportive
et de la technologie.

4.6.3. Les sections européennes,


Elles ont été crées en 1992 dans les lycées et les collèges.
Ces sections sont les plus répandues, en raison d'exigences

108
plus souples et de l'absence de contraintes de quotas et de
programme. De plus leur implantation est beaucoup plus
diversifiée. Mais elles restent d'abord des sections d'excel-
lence, confirmant, une fois de plus, l'esprit de sélectivité
du système. Selon les textes officiels ces sections
proposent aux élèves l'apprentissage intensif d'une langue
européenne afin de conduire à des compétences linguisti-
ques proches du bilinguisme.
La formule propose un enseignement renforcé la première
année (2 heures de plus que l'horaire officiel), et les élèves
reçoivent la troisième année, l'enseignement dans la
langue de la section de tout ou partie du programme d'une
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

ou plusieurs disciplines. Il existait en 1997 des sections


européennes dans 1143 établissements qui accueillaient
41 000 élèves. La ventilation des langues place l'anglais au
premier rang, (47% des¥'seètions), suivi par l'allemand
(34%), l'espagnol (11%)._~ l~itali_~n(7%). Il existe sur ce
même modèle des sections dites «orientales », où sont
enseignés le chinois, le japonais ou le vietnamien.
Parmi les disciplines d'extension choisies dans les sections
européennes on trouve d'abord l'histoire-géographie;
l'argument qui plaide en faveur de ces matières est d'ordre
technique et non linguistique: dans un établissement, le
cours d'histoire-géographie peut convenir aux élèves de
différentes séries que l'on réunit dans un même cours de
langue. Paradoxalement, du point de vue strictement
linguistique, il apparaît que les discours de l'histoire et de
la géographie sont les plus complexes. En effet, à l'univo-
cité du discours des mathématiques et à l'organisation
même de ce discours - en milieu scolaire - s'opposent une
forte polysémie du discours de l'histoire, l'accumulation de
références, les rappels à l'histoire ancienne, les témoigna-
ges, les implicites relatifs au passé, à l'actualité, les moda-
lités et quantités de nuances, l'idéologie que sous-tend le
moindre discours historique, dont la perception en langue

109
étrangère s'avère particulièrement difficile pour tout
apprenant.
De plus, le recrutement des enseignants des sections euro-
péennes repose sur le volontariat de certains professeurs,
lesquels, forts de l'aval des inspecteurs de leur discipline
et de celui de la langue vivante concernée, se lancent dans
le défi que représente un enseignement en deux langues.
Bien évidemment le système de volontariat a ses limites,
les enseignants ne sont pas récompensés de leur effort.
Tout au plus leur fait-on miroiter la possibilité d'enseigner
dans de « bonnes classes».
Quant aux élèves, leur effort est aussi très modestement
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

reconnu. Comme ils passent de toute façon, les mêmes


épreuves que les autres élèves au bac, seule la mention
« section européenne» est retenue à la condition qu'il
obtiennent une note supérieure ou égale à 14/20. Leur
compétence acquise dans la diversification de leurs
connaissances linguistiques en fonction de la discipline
d'extension, n'est nullement valorisée.
Il semble bien qu'une fois de plus, le système, fidèle à lui-
même, ait trouvé une nouvelle « parade» pour constituer
des filières d'excellence par le biais des langues vivantes.
Une politique linguistique cohérente devrait viser la
formation linguistique des futurs professeurs en leur
permettant une réflexion stratégique sur les discours de
leur discipline. Ceci permettrait ensuite un transfert dans
la langue étrangère choisie et le parcours élitiste « actuel»
pourrait devenir un parcours « obligé» pour tous les
élèves dans un plurilinguisme bien compris.

5. LE FRANÇAIS LANGUE ETRANGERE


La situation du français langue étrangère est en train de
changer de nature dans le panorama linguistique
hexagonal. Pendant que l'on assiste à un réel tassement de

110
l'enseignement du français à l'étranger, il apparaît que
c'est au sein même du système éducatif français que le
FLE commence à trouver une certaine légitimité.
Ainsi, alors que le FLE a acquis droit de cité en tant que
champ disciplinaire à l'université - le nombre de forma-
tions doctorales et professionnalisantes telles que les
DESS est en augmentation constante -, les possibilités
d'insertion professionnelle au sein du système éducatif
restent très aléatoires et soumises aux conditions de
recrutement habituelles.
Pour sa part, le ministère des Affaires étrangères, institu-
tion traditionnellement concernée par le recrutement
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

d'enseignants formés au FLE, n'offre plus les mêmes


perspectives de carrière que naguère. Depuis une dizaine
d'années, rares sont, en effet, les postes d'enseignants
offerts au sein de notre réseau culturel français ou dans
des établissements étrangers. Le MAE leur préfère aujour-
d'hui des agents plus généralistes capables de se situer à
des niveaux d'encadrement et de mener de front la coopé-
ration linguistique et la coopération éducative. D'une part,
parce qu'il table sur le fait - par ailleurs réel - que de
nombreux pays comptent à I'heure actuelle suffisamment
de professeurs nationaux aptes à transmettre notre langue.
D'autre part, parce que la suppression du français dans les
systèmes éducatifs d'un grand nombre de pays en voie de
développement, contraints par les politiques de restrictions
économiques imposées par les bailleurs de fonds interna-
tionaux (Banque mondiale, FMI) qui n'acceptent de finan-
cer qu'une seule langue étrangère dans les pays qu'ils
assistent, a provoqué un véritable reflux dans la politique
développée par ces pays en direction des langues vivantes,
le plus souvent abandonnées à l'initiative privée. En
d'autres termes, si à une certaine époque, se former en
FLE conduisait nécessairement à travailler à l'étranger, via
un recrutement officiel, cela est moins vrai aujourd'hui.

111
Mais paradoxalement, se former en FLE pourrait bien être
une condition nécessaire pour exercer efficacement sur le
territoire national. En effet, la diversité des publics que
l'école accueille aujourd'hui relève dans bien des cas
d'enseignements de type FLE, non seulement auprès des
élèves étrangers qui transitent dans les classes d'accueil ou
les CIPPA mais également dans de nombreuses classes de
collèges et de lycées situés dans des zones défavorisées à
multiculturalité forte.
Au début des années quatre-vingt-dix, certains parmi les
formateurs des IUFM manifestaient cet intérêt nouveau
pour le champ du FLE : quelques références bibliographi-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

ques d'auteurs issus du champ étaient distribuées aux étu-


diants préparant les concours de recrutement. Puis, ce fu-
rent les IUFM eux-mêmes qui engagèrent des enseignants
issus du FLE, notamment pour y enseigner la didactique.
Peu à peu un certain droit de cité se concrétisait au cœur
d'une discipline, celle du français langue maternelle riche
de tout un passé qu'aucune nouveauté, qu'aucune
discipline« folklorique» ne pouvait venir troubler.
Dans le même temps le caisson étanche des recrutements
et mutations habituels de l'éducation nationale commença
à se fissurer: les modalités restaient les mêmes mais on y
introduisit la commode appellation de «poste à profil»
qui permettait d'adapter le recrutement à des besoins
spécifiques, voire même d'opérer en dehors du mouve-
ment national, mais sans introduire pour autant de réels
changements.
Une petite révolution... exploitée à dose homéopathique!
Cependant Le FLE restait peu valorisé par l'ensemble des
acteurs éducatifs, qui l'ignoraient d'ailleurs, n'y voyant
pour la plupart qu'une activité exotique qui avait eu son
heure de gloire... aux colonies sous les cocotiers (!).
L'avantage du «profil» en termes de ressources humai-
nes, c'est qu'il est d'une gestion très souple puisque

112
jetable parce qu'inconnu des cadres institutionnels. Mais
les mutations profondes qui affectent aujourd'hui l'école,
vont peut-être faire plus pour le FLE que ses années
d'expansion aux quatre coins de la planète. Car le réel
problème de. la maîtrise des langages évoqué plus haut,
affecte non seulement les élèves d'origine étrangère mais
également des élèves français à faibles capitaux linguisti-
ques et culturels. Toute une population relève des techni-
ques d'enseignement du français langue étrangère, et
notamment des démarches permettant une maîtrise accrue
de la langue orale.
Aussi, la légitimation définitive du champ, qui ne saurait
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

venir que de la re-création d'un CAPES de lettres moder-


nes, mention FLE, est peut-être en bonne voie. Elle
apparaît comme d'autant plus nécessaire qu'elle appor-
terait la définitive caution institutionnelle exigée pour
toutes les disciplines présentes à l'école. C'est parce que
le FLE aura une utilité reconnue en France même, qu'il
obtiendra peut-être un jour la titularité indispensable à son
existence «en plein jour» dans le système. Dans le cas
contraire, il se maintiendra dans l'ombre d'une précarité
que les étudiants, dûment diplômés, issus de ces
formations universitaires, supportent de plus en plus mal.
D'autant plus que le champ du FLE a fait preuve, à
l'étranger, de capacités d'invention dont les tenants du
français langue maternelle feraient bien de s'inspirer.
C'est du FLE que vient toute la réflexion sur la
transmission des discours des disciplines en langue
étrangère. En effet, cette réflexion a trouvé un début de
réalisation dans les classes bilingues mises en place dans
les pays d'Europe de l'Est et les pays du sud-est asiatique
(Vietnam, Cambodge). Les autorités françaises sont
intervenues de deux manières. D'une part, en équipant ces
établissements en matériel lourd (téléviseurs, antennes
paraboliques, magnétoscopes, ordinateurs), en ouvrant des

113
centres documentaires et en fournissant des manuels et
matériels multimédias. D'autre part, en assurant la
formation des ressources humaines. D'abord celle des pro-
fesseurs de français - le plus souvent anciens professeurs
de russe au chômage et «recyclés en un temps record »,
puis celle des professeurs des disciplines volontaires pour
assurer l'enseignement de leur matière en français.
Ce qui est à relever dans l'expérience des classes
bilingues, c'est l'audace avec laquelle les autorités françai-
ses se sont lancées dans une expérience qu'elles n'auraient
jamais imaginé pouvoir développer en France. Tous les
principes mis en œuvre à l'extérieur sont quasiment icono-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

clastes en France: I'hyper-sélection des élèves, année zéro


permettant d'atteindre l'autonomie linguistique, la forma-
tion accélérée de professeurs, dans la foulée l'obligation
faite de changer de langue d'enseignement (passage du
russe au français, donc d'une langue slave à une langue
latine), et la formation en «français de survie» et au
français de leur discipline des professeurs de mathéma-
tiques, de physique, de chimie, de biologie, d'histoire et
de géographie, la plupart du temps débutants complets!
La moindre de ces réformettes avait de quoi faire sauter
plusieurs ministres en France! Imaginons combien de
professeurs français débutants en polonais ou en hongrois
auraient accepté de tenter semblable aventure? Pourtant la
formule a fonctionné, les élèves, très motivés et poussés
par leurs familles ont obtenu des résultats remarquables.
Quant aux enseignants, la plupart de ceux qui enseignaient
les sciences dures ont quitté l'enseignement pour être
recrutés dans des entreprises ou des laboratoires français
ou de tourisme. Tous métiers plus rémunérateurs que
l'enseignement public! L'investissement français était de
la sorte quasiment réduit à zéro car ceux qui restèrent
n'étaient pas nécessairement les meilleurs.

114
Toutefois, l'expérience a été très positive sur l'enseigne-
ment en français de disciplines scolaires. Toute une réfle-
xion développée sur les discours de ces disciplines est
venue enrichir ce que l'on appelle «les français de
spécialité» qui avaient surtout été enseignés en milieu
étudiant. Ces expériences démontrent enfin qu'il n'existe
pas de politique linguistique extérieure car, loin d'être
analysées, critiquées ou valorisées, elles sont conçues
comme des « coups» destinés à convaincre que la France
occupe le terrain de l'expansion linguistique et culturelle.
Ce modèle de classes bilingues n'existe d'ailleurs pas en
France, ce que ne manquaient pas d'observer nos parte-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

naires étrangers... quand on les envoyait visiter les


sections européennes! On le voit, la notion de réciprocité
à laquelle nos partenaires sont à juste titre attachés est ici
quelque peu malmenée.

6. FRANCOPHONIES
Il convient de mettre le terme au pluriel car on l'aura
compris, la langue française dans le monde est, n'en
déplaise aux essentialistes de tout poil, définitivement
diverse et plurielle. On devrait écrire sans s'émouvoir:
« les langues françaises », ce qui rendrait mieux compte
de ce qui constitue la francophonie réelle. Se situant à la
onzième place des langues parlées dans le monde, le
français est présenté par les agences officielles comme la
seconde langue de communication internationale présente
sur les cinq continents. Mais cette présence ne doit-elle
pas beaucoup aux vicissitudes et au poids d'un passé
historique?
Avec plus de 112 millions de francophones en 1998,
auxquels s'ajoutent quelques 60 millions de francophones
occasionnels, et 80 millions d'élèves qui apprennent le
français on comprend aisément que la majorité des
francophones se trouve hors de France, ce qui confère à la

115
langue une universalité nouvelle puisque riche de tous les
métissages. Et ce sont bien ces francophonies-là qui
séduisent le public hexagonal lors des fêtes et festivals qui
rassemblent justement des artistes et créateurs francopho-
nes venus des quatre coins du monde.
Le ministère de l'éducation nationale ne s'y est d'ailleurs
pas trompé: les nouveaux programmes de lycée pour la
classe de seconde font une large place à l'étude des
littératures francophones et par suite, de la langue dont
elles sont constituées.
Cette francophonie multiple est sans doute l'élément le
plus fécond et riche de promesse pour la « survie» d'un
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

français souvent présenté en péril. Pour autant cette


francophonie-là est mal connue des Français, qui n'en
entendent officiellement parler que lorsque des sommets
du même nom s'ouvrent quelque part dans le monde. C'est
pourquoi des opérations de sensibilisation visant à enrichir
et infléchir ces représentations, en mettant l'accent sur la
diversité et la vitalité du français, sont régulièrement mises
en place.
Une opération telle que «La semaine de la langue
française et de la francophonie », organisée par le
ministère de la culture et le secrétariat d'Etat à la
francophonie depuis 1998, est censée mobiliser toutes les
énergies. Cette semaine s'articule autour d'une journée
mondiale de la francophonie dans le monde. La France a
rejoint ses partenaires du Québec, du Canada, de la
Communauté française de Belgique, de Suisse romande,
qui organisent eux-mêmes aux mêmes dates une semaine
de la langue française. Dans le cadre des animations
réalisées on trouve des cafés littéraires, des lectures-
rencontres francophones, une animation « Couleurs de la
francophonie» avec des expositions, des jeux, des contes
destinés aux enfants, des concerts et des danses... Enfin cet
événement est largement relayé par les médias, notamment

116
Radio France et TV5. Plus largement les festivals de l'été
présentent les cultures francophones dans un certain
nombre de villes et drainent un large public.
Il convient enfin de souligner le rôle important des médias
dans la sensibilisation du grand public aux thèmes de la
francophonie: artistes, écrivains, musiciens sont conti-
nuellement présentés dans des émissions nationales. Des
revues de presse francophones et les émissions de RFO
sont également présentes dans les chaînes publiques,
même si parfois, leurs heures de diffusion sont mal
choisies.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

Interrogations complémentaires:
Comme l'a magnifiquement montré Louis-Jean CALVET
dans un Libération du mois d'août 2000, chaque citoyen
d'aujourd'hui doit disposer de la langue de son «for
intérieur », privée donc, de sa langue de citoyen (tribu-
naux, écoles, institutions publiques) (les deux pouvant ne
faire qu'une seule, évidemment) et d'une langue de
communication intemationale22. Comme l'a montré le
même auteur, une véritable écologie (ou plutôt, pour être
plus proche de sa pensée un authentique écologisme) des
langues doit impérativement être visé.

22
Les politiques linguistiques, Que sais-je? P.D.F., 1996.
117
Documento acquistato da () il 2023/09/25.
CULTURE.. CULTURES

La séparation entre langue et culture, dans l'enseignement,


est calamiteuse. Non que les deux doivent être mélangées
ou confondues, mais parce qu'elles entretiennent des
relations nécessaires au double plan essentiel et
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

fonctionnel. Il ne s'agit nullement non plus de prétendre


que la transmission culturelle doit être l'apanage unique
des enseignants de langues (maternelle et étrangères):
l'ensemble des disciplines dites artistiques et aussi du
sport puisque celui-ci est devenu un phénomène culturel
de plein exercice et une banalisation de l'internationalisa-
tion, est évidemment à solliciter ici.
Il faut en outre admettre, parce que c'est devenu une pure
nécessité de compréhension simple, que l'école ne consti-
tue plus, depuis longtemps, la seule garante de la culture
(tout au contraire peut-être). Le surgissement des médias,
en particulier, a complètement modifié la donne, et ceux-ci
sont des partenaires obligés, dont, en outre, l'ambition est,
par définition, sans limite, et qui n'hésiteront pas à
s'arroger le rôle spécifique de l'école dans l'intériorisation
de la culture, même s'ils ne se sont pas armés pour le
faire23. Un partenariat entre l'institution éducative et ce
que l'on peut désormais appeler l'institution médiatique,
les deux mastodontes de la société, est hautement
souhaitable.

23
Louis PORCHER, Télévision, culture, éducation, Armand Colin,
1994.
119
1. POURQUOI UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE
EST NECESSAIREMENT AUSSI CULTURELLE
D'abord, certainement parce que langue et culture sont la
fois distinctes et inséparables. Ni confusion, ni opacité.

1.1. La culture dans la langue et la langue dans la


culture
Qu'une langue soit lourde des cultures qui la traversent a
été maintes fois ressassé et c'est pourtant exactement
juste. Saussure en a marqué l'existence intrinsèque, par
exemple au moyen de la notion de « valeur ». Qu'il y ait,
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en français, un seul mot pour « mouton» lorsqu'il y en a


deux en anglais, implique nécessairement que des
distinctions culturelles profondes différencient les deux
langues, et, fondamentalement, que toute langue singulière
fonde une vision du monde singulière24.
La culture, dit Bourdieu, c'est «la capacité de faire des
différences» 25 et, en cette acception exceptionnellement
opératoire, la définition vaut aussi, évidemment, pour
l'apprentissage. Apprendre consiste à cesser de confondre,
à distinguer ce que préalablement l'on amalgamait. A ce
titre une langue est l'objet et le moyen d'un apprentissage,
l'objet et le moyen d'une culture. Il est donc de pure
logique que celle-ci soit inscrite dans celle-là.
On peut déplorer, à cet égard, qu'un enseignement
systématique de la construction historique d'une langue
n'existe pas vraiment, sous la forme notamment de
l'étymologie, de la généalogie des mots et de leur origine.
L'abandon, quasi-total, du latin et du grec a été, à ce
propos, une erreur gravissime, alors qu'il fallait les
transformer radicalement: ils doivent être offerts à tous

24
Louis PORCHER, Le sociologique dans le linguistique, Le Français
Dans le Monde, 1976.
25
La distinction, op cit.
120
mais non sous la forme d'un apprentissage approfondi
comme c'est (et ce fut surtout) souvent le cas, mais
comme éclairage de sources fondamentales de la langue
française.
Tournures, fQrmes syntaxiques, lexique surtout, seraient
beaucoup mieux maîtrisés, en langue maternelle, si l'on
expliquait techniquement aux élèves comment sont nées
ces réalités devenues des usages quotidiens et même non
réfléchis. Les sources étymologiques ne sont pas une
curiosité historique de spécialistes, ou de cruciverbistes, ni
un amusement suranné: elles constituent la vie même de
la langue, qui permettraient aux apprenants de maîtriser,
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avec une meilleure certitude et, donc, une sécurité


linguistique beaucoup plus grande, leur propre idiome.
La lutte contre l'insécurité linguistique26 devrait être le
premier objectif d'un enseignement de la langue maternel-
le, surtout pour ceux qui sont, au départ, socialement et
culturellement les moins bien dotés. Sinon, ils restent dans
le mystère, c'est-à-dire dans un dogmatisme qui leur
tombe dessus comme un destin. Ils ne peuvent pas exercer
d'initiatives à l'endroit de leur propre langue, et donc ne
sont pas en mesure de s'approprier celle-ci. Au lieu de la
dominer, ils sont dominés par elle.
Que le mot «avion », par exemple, vienne du latin
« avis », oiseau, il est dommageable, pour leur pouvoir
sur la langue que la plupart des élèves l'ignorent. Que
« diatribes» soit construit à partir du grec diatribaï, dis-
cours, gagnerait à être connu des apprenants parce que le
phénomène leur permettrait de mieux comprendre leur
propre parlure ou écriture. L'étymologie, spécialité répu-
tée morte, est au contraire la marque de la vie évolutive
d'une langue et, si elle est sortie du giron scolaire, c'est
parce que nul didacticien n'a mesuré l'importance de ce

26 William LABOV, Sociolinguistique (traduction française), Minuit,


1976.
121
savoir, en grande partie par pure ignorance, par conserva-
tisme, et par insécurité linguistique (malgré leurs apparen-
ces de légitimeurs). L'enseignement de la langue mater-
nelle est infirme.
Et que dire du non-enseignement des mots qui appartien-
nent désormais pleinement au français, et proviennent
pourtant de langues étrangères? Ils sont innombrables et,
scandaleusement, se trouvent réservés à des travaux d'éru-
dition. Impossible par conséquent, pour un apprenant,
d'accéder véritablement à sa propre langue: celle-ci est
complètement instrumentalisée, on n'en retient que la
« transparence », dirait Recanati, au détriment de « l'énon-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

ciation ». On dépossède donc les locuteurs de leur langue


constitutive, en en gouvernant l'histoire et en transformant
celle-ci en mystère qui s'impose aux apprenants et les
écrase un peu plus encore. Une politique linguistique
rigoureuse de la langue maternelle serait à établir de part
en part parce que la définition de celle-ci, comme langue à
apprendre et langue de l'apprentissage, a été totalement
déformée, pervertie, enkystée mortellement, par les lin-
guistes didacticiens qui ne sont ni l'un ni l'autre.
Aucune nostalgie là-dessous, bien entendu. Il ne s'agit
nullement de réclamer un quelconque retour en arrière; la
situation antérieure était pire encore pour le plus gros des
troupes. On cherche simplement à souligner que les
spécialistes auto-proclamés de la langue, par leur incom-
pétence même, ont emprisonné cette langue dans une sorte
de camisole de force, réductrice, qui fonde l'inégalité
scolaire devant la langue, source de toutes les autres
inégalités, ségrégation du peuple et des élites.
Le mépris pour les sources de la langue est certainement
lié à une ignorance de 1'histoire, à une conception
falsifiée, donc, de ce qu'est une langue et, notamment, une
langue maternelle. Les travaux dits spécialisés ne font que
se répéter, chercher à approfondir ce qui a déjà été

122
ressassé mille fois, mais laissent en jachère les fondements
mêmes de l'appropriation langagière, c'est-à-dire de l'ap-
propriation de soi-même. Les tenants mêmes de l'égalité,
volontiers donneurs de leçons de démocratie, volontiers
péremptoires creusent, sans le savoir, les inégalités qu'ils
dénoncent.

1.2. L'absurdité d'une culture pure


Nous ne nous attarderons pas sur l'existence des cultures
nationales; la culture espagnole n'est pas la culture fran-
çaise, et réciproquement, elles possèdent des communau-
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tés et des différences, des héritages communs et des


héritages singuliers. De même n'insisterons-nous pas sur
les cultures régionales, et même locales, qui existent et
entretiennent les mêmes relations. Pareillement, des cultu-
res plus larges que les nations sont claires: on peut parler
d'une culture européenne et d'une culture américaine,
objets d'un même attachement pour leurs appartenants, à
la fois identiques et profondément distinctes.
L'important gît plutôt dans les rapports qu'elles cultivent
entre elles et qui les amènent à communiquer sans perdre
leurs spécificités. Il est dorénavant banal que des cultures
régionales s'apparient au-delà des frontières, que des
cultures locales s'ouvrent vers l'extérieur, comme en
témoigneraient, par exemple, le festival de jazz de
MARCIAC (Gers), ou celui des chansons anciennes de
PARTHENAY (Deux-Sèvres), qui, aujourd'hui, sont à la
fois fortement enracinés et impliqués internationalement.
Le phénomène des jumelages extrêmement divers entre
nations, entre régions, entre villes ou villages, est fondé
sur des ressemblances qui ne gomment pas les singularités
(qu'on pense, par exemple, au développement vertigineux
du festival des Vieilles Charrues en Bretagne), et qui
allient la modernité et 1'histoire. Des entremêlements, des

123
entrelacements, des mixités et des échanges, des
fécondations mutuelles s'opèrent régulièrement. Les
conséquences proprement linguistiques de ces événements
sont à la fois manifestes et méconnues.

1.2.1. Toute culture est bigarrée


Michel Serres l'a montré exemplairement: toute culture
est un mixte, un résultat, le produit d'accouplements
multiples. Aucune ne saurait revendiquer une pureté
strictement mythique et qui ne repose sur rien. La
bigarrure constitue la nature même d'une culture27 parce
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que, en elle, l'étrangeté, les provenances externes, sont


multiples et ont été assimilées, comme des aliments
hétérogènes sont assimilés pour fabriquer un corps propre,
unique, singulier, à nul autre rigoureusement identique.
Une politique linguistique, dont on a montré qu'elle ne
pouvait pas être indépendante d'une politique culturelle,
doit, par conséquent, se caractériser par la prise en compte
de sa diversité puisque celle-ci entre en pleine force dans
la définition de son unité. Il est hors de question,
évidemment, de renoncer à une quelconque identité, non
confondue avec n'importe quelle autre, mais il est aussi
exclu de contester le métissage (<<le tatouage» selon
Michel Serres) qui forme cette figure singulière.
Egales en dignité, toutes ces cultures entrent en connexion
les unes avec les autres et ces relations engendrent un
enrichissement mutuel et non pas un appauvrissement.
Certes, on ne saurait négliger les inégalités de puissance
entre ces entités, et nul ne s'aviserait de nier qu'à cet
égard, la force des Etats-Unis ne cherche à s'imposer
partout en visant objectivement (sinon subjectivement)
une uniformisation qui est l'antagoniste exact d'une
harmonisation.
27
Michel SERRES, Le tiers instruit, François Bourin, 1991.
124
Mais, justement, il importe de lutter contre ces tentations,
et tentatives, d'hégémonie et de domination. Non seule-
ment au nom des principes d'équité mais parce que les
cultures sont radicalement irréductibles: elles constituent
des modes de vie, des visions du monde, des manières
d'être et de se comporter, qu'il n'appartient à personne de
juger de l'extérieur, et d'essayer d'étouffer. La très
fameuse « exception culturelle» doit devenir la règle, et,
d'ailleurs, on voit bien, ces temps-ci, que le champ
culturel est beaucoup plus vaste et beaucoup plus intime
qu'on le croyait.
Les façons de se nourrir sont intégrées, depuis toujours, à
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chacune des cultures connues, et, même si elles n'étaient


qu'apparemment externes, chacun y est attaché intérieure-
ment comme à une valeur existentielle, et c'est justement
ce qu'elles sont. La dimension eschatologique, même non
ressentie en un instant quelconque donné, d'une pratique,
érige celle-ci, qu'on le veuille ou non qu'on le sache ou
pas, au rang de culture. C'est aussi la raison pour laquelle
on parle de plus en plus de «pratiques culturelles» pour
caractériser un individu ou un groupe soudé par I'histoire
qui a construit les appartenances.
On aperçoit par-là qu'une politique culturelle est
aujourd'hui plus strictement construite, mieux établie,
qu'une politique linguistique. Que celle-ci comporte
nécessairement une dimension culturelle, n'est nullement
contradictoire avec le fait qu'existe une politique
culturelle en soi, intrinsèque, qui, à son tour, pourrait
envelopper une politique linguistique qui ne ferait que
l'accompagner.
En vérité donc, politiques linguistiques et politiques
culturelles englobent des territoires où elles sont en partie
séquentes et en partie séparées. Qu'une langue, pour
l'instant, joue le rôle de «lingua franca» à travers le
monde, avec tous ses pidgins, relève des facilités de

125
communication, mais représente probablement aussi un
risque potentiel d'infiltration culturelle, de facilitation en
tout cas pour les productions anglo-saxonnes, quel que soit
leur objet (culture cultivée ou culture anthropologique).
D'un autre côté, c'est d'abord par ses manifestations
culturelles qu'une langue menacée entreprend de se
défendre et de se protéger. C'est net avec le breton en
France, mais on pourrait prendre beaucoup d'autres
exemples: la vivacité des revendications culturelles
bretonnes qui, par définition, peuvent toucher de manière
plus concrète et plus immédiate non seulement les
indigènes de cette culture, ses appartenants, mais aussi les
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extérieurs dont l'intérêt est sollicité par ce qui est


différent, rencontre un accueil profondément favorable, et
peut entraîner, par la suite, une reviviscence active des
revendications (légitimes) singulières de la langue
bretonne proprement dite.
La langue est donc à la fois la conséquence et
l'enracinement des revendications culturelles, c'est assez
affirmer qu'elle en constitue véritablement la colonne
vertébrale. Culture et langue sont toutes les deux métissées
et leur intrication est exactement indémêlable quoique
chacune possède ses spécificités. Toute culture est un
emboîtement de cultures plus petites (en quantité
d'appartenants) et un ensemble est toujours nécessaire-
ment plus bigarré que celui qu'il emboîte directement.
Manière de construire et de repérer des différences, une
culture, propriété collective, est simultanément un bien
individuel qui contribue à la silhouette incomparable
qu'est une personne singulière. « Classeurs classés par nos
classements »28,les êtres humains sont profilés par leur(s)
culture(s) d'appartenance, ses inculcations et ses appren-
tissages, puis y intègrent, selon leurs catégories propres et
ainsi héritées, les valeurs de référence (d'aspiration si l'on
28
Pierre BOURDIEU, La distinction, op. cit.
126
préfère un terme moins technique) vers lesquelles ils se
sont efforcés d'aller et de contribuer ainsi à la transfor-
mation de leurs habitus originels.
Ce sont en effet nos habitus, «grammaire générative de
nos comportements »29, qui incarnent notre individualité
culturelle en même temps que nos appartenances. Ainsi se
trouve élaboré un effectif « trésor» (au sens étymologique
de ce mot) qui enracine la capacité d'échange et de
partage, fondements communs à une culture.
On ne peut pas changer radicalement, ni éliminer des
habitus; ceux-ci forment le prisme à travers lequel chaque
individu, comme appartenant culturel et comme personne,
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entre en relation avec la réalité.


L'habitus est un filtre, qui trie les messages, par lequel
nous sommes façonnés, identifiés. La culture et les savoirs
que nous acquerrons par après passeront par eux et ne les
supprimeront jamais, même si elle les transforme profon-
dément et ajoute un capital culturel inédit (et, éventuel-
lement, considérable) à celui dont on a hérité justement à
travers les habitus. Il ne sert donc à rien de prétendre faire
l'économie des habitus sociaux qui définissent une appar-
tenance culturelle et imprègnent les individus.
Le. « parachutage -» culturel, ou l' impositio'n, échoue toû-
jours, parce qu'il ne pénètre pas les individus, Rrotég_ésen
l'occurrence par leurs habitus, dont ils n'ont pas cons-
cience, mais qui constituent leur armature de personnes
exposées aux stimulations culturelles externes. On n'ap-
prend qu'à travers ce qu'on est même si l'apprentissage,
en effet, peut contribuer à nous modifier profondément.
Entre ces habitus et les héritages qui leur sont liés (sans
qu'il soit possible de déterminer où se trouve la cause et
où 1'effet), se construisent les capitaux culturels (qui, à
eux tous, figurent notre capital culturel, au singulier) qui
nous confèrent nos caractéristiques propres, et dont les
29
Pierre BOURDIEU, ibidem.
127
capitaux langagiers sont une composante. Chacun possède
le sien personnel, mais, en même temps, celui-ci est
marqué par les appartenances culturelles dont on est
l'indigène, comme la couche sédimentaire fondamentale,
humus premier, sur lesquelles se bâtira notre capital
culturel acquis.
Un capital culturel est donc à la fois hérité et acquis,
organisé dans cet ordre. L'héritage guide l'acquisition,
celle-ci ne saurait s'accomplir sans celui-là ni contre lui.
Par conséquent, une langue étrangère que l'on chercherait
à imposer selon des principes et des normes étrangères à
la culture indigène de l'apprenant, n'a aucune chance
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d'être intériorisée, acquise donc, pour ce dernier.


Fondement théorique de l'affirmation déjà dite que seule
l'apprenant apprend et que c'est lui le seul maître d'œuvre,
même si on ne le veut pas même si on ne le sait pas:
l'autonomie offre la voie unique pour qu'un individu
puisse acquérir des capitaux culturels nouveaux parce
qu'il est toujours guidé par ses habitus propres.

1.2.2. Inéluctabilité de la bigarrure


C'est bien la raison pour laquelle les cultures dictatoriales
ne sont jamais parvenues à s'imposer durablement, dans
quelque pays que ce soit. Les destinataires ont fait le dos
rond, n'ont rien dit dans leur immense majorité, mais ont
attendu en conservant leurs habitus et capitaux culturels
propres, et ont déclenché l'explosion lorsque, souvent
pour des raisons énigmatiques, le rapport de forces s'est
inversé. Pareillement, l'existence de dissidents, de résis-
tants, à un tel pouvoir imposé, s'explique par l'expression
effective de capitaux culturels non conformes, qui provo-
quent la désobéissance par cette non-conformité même,
protégeant donc leur capital culturel hérité pour le retour
duquel ils combattent.

128
C'est dire combien la politique linguistique française, à
l'intérieur comme à l'extérieur, est inadéquate dans la
mesure où elle procède systématiquement dans l'oubli des
destinataires et de ce qu'ils sont. Elle considère les appre-
nants comme des réceptacles neutres, susceptibles d'être
contraints à ingurgiter ce que l'on leur enfourne et, en
même temps, de ne pas réclamer d'autres fournitures.
Or, c'est tout le contraire. Dans la relation entre une
culture maternelle et une culture étrangère, c'est toujours
la première qui conduit l'attelage, c'est à travers elle que
s'élabore la seconde et qu'elle peut atteindre alors sa
véritable fécondité. A l'intérieur d'un système centralisé
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

en outre, comme l'est le système scolaire français, la


langue maternelle elle-même, si elle reste dans un acadé-
misme ancien, senti comme dépassé, se trouve située en
position de langue étrangère. D'où les difficultés récur-
rentes que connaît chez nous l'enseignement de la langue
maternelle.
Il en va de même, de manière plus visible encore, dans le
domaine de la culture; la culture scolaire est le plus
souvent ressentie par ses destinataires comme étrangère à
leur propre vision du monde, y compris sur un plan
strictement générationnel. Rien d'étonnant alors à ce
qu'elle soit récusée, non intégrée, objet de plaisanteries
des destinataires entre eux, qui, au mieux, l'ingurgitent en
se forçant et en visant l'examen qui en est le prix. Après
celui-ci ils se hâtent de tout oublier.
Ce n'est évidemment pas à dire que les élèves ne doivent
pas être confrontés à des réalités culturelles qu'ils n'ap-
prouvent pas d'emblée. Il est stupide de tout leur céder
parce que l'éducation reste «ce que les générations
adultes transmettent à celles qui ne le sont pas encore»
(Durkheim). Simplement la transformation nécessaire des
capitaux culturels ne peut s'accomplir qu'en s'appuyant
sur ceux qui existent d'emblée, reçus par héritage, et par

129
lesquels, méthodologiquement (pédagogiquement), il est
indispensable de passer pour conduire avec succès un
apprentissage nouveau.
Au fond, les habitus et les capitaux culturels façonnés par
une culture d01¥1ée,y compris par l' inculcation et la prime
éducation, sont l'analogue de «la personnalité de base»
mise en évidence, autrefois, par les anthropologues
américains Kardiner, Linton, Margaret Mead, par exem-
ple, portés à la connaissance du public français par le livre
célèbre de Mikel Dufrenne3o, injustement oublié aujour-
d'hui. Chaque culture dote ses membres de traits culturels
fondamentaux, qui les définissent et tracent les chemins le
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long desquels seuls ils pourront cheminer pour se


construire chacun sa personnalité propre.
En somme, et nous retrouverons la même conclusion à
propos de l'interculturel, c'est sur le respect d'une culture
prime, dans ses formes et ses valeurs «incorporés», que
se fonde l'enseignement d'une autre culture, de manière
que celle-ci, d'étrangère qu'elle est par hypothèse au
départ, devienne appropriée (au sens strict), intériorisée,
amalgamée à la culture prime pour se fondre en elle.
Pour qu'une culture soit transmise de façon féconde, en
somme, il faut qu'elle respecte « la personnalité de base »,
les habitus et les capitaux culturels hérités de la culture à
laquelle elle s'adresse. La forcerie est dépourvue de
pertinence et, donc, d'efficacité. Bien entendu, dès lors, se
met en marche un processus dialectique: la culture étran-
gère contribue à enrichir la culture première, elle la met en
mouvement, ne serait-ce que par les comparaisons qu'elle
engendre chez les apprenants.
Le phénomène est particulièrement net pour les langues:
la maîtrise de la langue maternelle interfère puissamment
avec l'enseignement d'une langue étrangère et peut même,
éventuellement, réduire celui-ci à néant, si l'on ne passe
30
Mikel DUFRENNE, La personnalité de base, Paris, PUF, 1958.
130
pas par les capitaux culturels maternels. Mais, symétrique-
ment, la transmission de la langue étrangère intervient
directement dans la maîtrise de la langue maternelle parce
qu'elle aide, et parfois conduit, l'apprenant à réfléchir sur
sa propre langue et à la voir sous un angle nouveau et, en
particulier, celui de son mode de fonctionnement.
Langue maternelle et langue étrangère constituent donc un
couple dont les membres s'enrichissent mutuellement, et
qui accroissent la lucidité de l'apprenant sur chacune
d'entre elles. Elles se présupposent l'une l'autre, en
somme; il en va de même pour les compétences culturel-
les (liées ou non aux compétences linguistiques ), y
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compris à l'intérieur d'une culture nationale.


Deux dangers doivent, à chaque fois, être soigneusement
évités: l'exotisme et la folklorisation. L'exotisme c'est la
conviction que l'étranger est bizarre, non encore abouti,
parce qu'il ne procède pas comme l'indigène. Celui-ci se
juge spontanément supérieur, seulement parce que ses
habitus, en certains domaines, sont différents de ceux du
voisin, alors qu'en réalité, par définition, ils ne sont ni
meilleurs ni pires. Cette tentation est sans cesse récurrente
chez l'apprenant, et doit être rigoureusement combattue
pour que celui-ci introduise, dans son propre jugement sur
lui-même, la distance objectivante grâce à laquelle il se
jugera adéquatement sans pour autant renoncer à ses
propres habitus. Simplement, il doit comprendre que ceux-
ci ne sont qu'un parmi une infinité possibles.
Prendre conscience donc que toute culture (et toute langue
en celle-ci) est arbitraire, cohérente dans l'arbitraire, tissée
de relations et de contradictions, et que la sienne propre
n'échappe pas à la règle et n'en est dotée d'aucune
supériorité sous le simple prétexte qu'elle est la sienne.
Cette lutte est hélas plus que jamais nécessaire, en ces
temps où les haines de l'étranger s'épanouissent à nouveau

131
un peu partout. L'école et les familles doivent conjoindre
leurs efforts pour installer la tolérance.
La folklorisation est, certes, un phénomène connexe, mais
largement différent cependant. C'est le processus par
lequel on réduit une culture (quelle que soit son ampleur
quantitative) à ses stéréotypes (entendus ici, évidemment
comme hétérostéréotypes, c'est-à-dire stéréotypes dans
l'esprit des autres appartenants culturels; les auto-
stéréotypes, vus par soi-même sur soi-même, n'étant pas
absents non plus, certes).
La culture de l'autre est volontiers stéréotypisée pour
réduire celui-ci à une silhouette figée. L'erreur habituelle,
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

et sans cesse renaissante par l'ignorance même des


prestataires, consiste à vouloir supprimer des stéréotypes;
or ils sont impossibles à éradiquer et sont une partie
constitutive d'une culture étrangère, aspect auquel nul
n'échappe. Simplement il faut les dépasser, montrer qu'ils
forment seulement une dimension, en tant que telle
réductrice, de la culture considérée. Celle-ci est toujours
beaucoup plus complexe, composée de multiples aspects
autres, qu'il appartient notamment aux enseignants d'iden-
tifier et transmettre.
Un stéréotype, au total, n'est qu'une connaissance
parcellaire, insuffisante, donc à rectifier, tout en étant
inévitable. Les Portugais mangent de la morue, les Fran-
çais sont des Gaulois, la Grèce et le Panthéon, tels sont
quelques exemples, volontairement microscopiques, de
cette folklorisation. On peut espérer, mais rien ne le laisse
supposer pour l'instant, que la circulation internationale et
les médias contribueront à affaiblir ce phénomène.

132
1.3. L'indéfinité, caractéristique d'une langue et d'une
culture
Ainsi que l'écrit Canetti, deux ~hénomènes nous précèdent
touj ours: « la langue et la loi» 1.
Nous naisson's au sein d'une langue, celle-ci existe avant
nous et forme une sorte de milieu amniotique au sein
duquel nous nous mouvons d'emblée. Elle participe donc
de notre héritage non voulu, avec lequel nous ne pouvons
donc que composer. Elle s'inscrit dans notre individualité
et nous dote d'un profil spécifique qui dresse déjà ce que
sera une dimension de notre silhouette culturelle.
Nous sommes modelés par notre langue natale, qui elle-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

même découpe le monde de manière singulière, et fonde


notre communauté majeure et prime d'appartenance.
Phénomène profondément inconscient, et, ainsi, notre
propre identité distinctive commence nécessairement par
nous échapper. Cette identité attribuée nous est à la fois
identité et altérité (par rapport aux autres langues). Elle
enracine notre relation aux autres comme une relation de
différence.

1.3.1. La lignée linguistique


Bakhtine, le plus clairement, a marqué les caractéristiques
décisives de cette configuration à laquelle nous n'échap-
pons pas, et, en même temps sur laquelle nous pouvons
agir. Dans ce cas comme dans beaucoup d'autres, l'obsta-
cle est aussi un moyen, et réciproquement, comme Kant
l'a bien mis en exergue. Nous sommes à la fois des êtres
humains déterminés linguistiquement et capables d'agir
de manière autonome sur notre langue et par elle.
La notion bakhtinienne-clef, à cet égard, est celle « d'im-
mémorialité ». Les discours que nous tenons plongent tous

31
Leflambeau dans l'oreille (traduction française), Hachette, 1981.
133
dans la profondeur du temps passé, ils prolongent une
parole immémoriale et s'inscrivent dans la continuité de
celle-ci (qui, inclut, évidemment, les ruptures). De même
qu'ils n'ont pas de commencement, nos discours ne
connaissent pas. de fin, et seront continués par d'autres
discours après notre mort. Notre contribution n'est donc
qu'une contribution, une séquence.
Cette lignée immémoriale nous attribue une identité, certes
limitée dans sa période d'activité, mais qui s'enracine de
manière inconnue dans une histoire longue, comme celle
d'une lignée, et intègre en soi un avenir lui aussi inconnu
et dont nous avons conscience. Cette continuité lignagère
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

nous définit, et, en même temps, nous confère une identité


jamais véritablement commencée et jamais finie de ma-
nière assignable. Nous sommes au-delà de notre naissance
et de notre mort.
C'est à travers la langue que l'immémorialité qui nous
constitue s'incarne le plus nettement (on pense là,
irrésistiblement, aux Immémoriaux de Victor SEGALEN),
parce qu'une langue ne naît jamais brusquement, se
transforme continuellement, et ne se termine jamais d'un
coup. Son achèvement réside dans son inachèvement
même. Elle est un fil qui nous traverse, nous identifie,
s'impose à nous qui, pendant un temps indéterminé, nous
imposons à lui.
La définition d'une politique linguistique ne saurait être
effective sans la prise en compte de cette dimension
constitutive. Il faut garder à l'esprit qu'elle peut agir, et,
en même temps, qu'elle représente seulement une transi-
tion, un moment provisoire, et qu'elle aura un avenir qui
nous échappera. Il est donc indispensable, pour elle, de
prendre conscience du passé dont elle est 1'héritière et la
continuité, du présent au sein duquel elle agit et reçoit, et
du futur qui la prolongera.

134
C'est assez dire qu'une politique linguistique fixiste,
dogmatique, est une contradiction intrinsèque. Elle ne doit
pas perdre de vue qu'une action est toujours possible, et
d'ailleurs effective, et que la langue considérée s'en trouve
nécessairement affectée. Une politique linguistique n'est
pas purement sous l'emprise d'une langue qui évoluerait
constamment sans elle ou malgré elle, mais, simultané-
ment, c'est toujours le cas en partie.
Les langues sont faites par les hommes et les font. A quoi
pourrait bien servir une politique linguistique qui
négligerait ces caractéristiques fondamentales, et qui se
considérerait soit comme toute puissante soit comme
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inutile? Or, pour l'instant, telle serait la définition la plus


adéquate de la politique linguistique française: sans objet
déterminé, sans objectifs, au fil de l'eau. Pour cette raison
notamment, on la réduit presque toujours à l'une de ses
dimensions en considérant que celle-ci est l'unique aspect
possible d'une politique linguistique: soit la langue mater-
nelle seule, soit les langues étrangères seules, soit la diffu-
sion hors des frontières de la langue maternelle seule.
Il doit être bien clair, maintenant, qu'une politique linguis-
tique rigoureuse et effective, est composée nécessaire-
ment à partir de tous ces facteurs entrecroisés et de
beaucoup d'autres encore (comme ses relations avec une
politique éducative, une politique médiatique, une politi-
que industrielle et commerciale, une politique de la recher-
che et... et une politique tout court). Il lui faut aussi
assurer à la fois une continuité (fidélité à son identité) et
une transformation (fidélité au monde qui change). C'est
pourquoi elle n'est jamais terminée. Encore faut-il qu'elle
commence.

135
1.3.2. La dimension « carnavalesque »
L'adjectif est évidemment de Bakhtine, qui l'applique
d'abord à la description de l'œuvre de Rabelais, et, à partir
de celle-ci, en étend la signification. Le carnaval c'est à la
fois l'imprévisible, la transgression, le déguisement et le
masque, la joie apparente et le tohu-bohu, les gesticula-
tions, la fête, la rupture avec les travaux et les jours, et
aussi une certaine forme d'égalité par l'échange des rôles
autorisé par la transformation masquée des visages et des
corps.
Si Rabelais constitue l'emblème du carnavalesque, c'est
que tout est présent dans son œuvre et danse ensemble.
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Pluralité des styles d'écriture, multiplicité des registres de


langue, jeux avec les mots, les phrases, les textes, cryptage
de certains passages pour permettre, au moins, une double
lecture, renversements de sens, inépuisabilité des sujets
traités, déformation de la réalité (le gigantisme de Gargan-
tua et de ses parents en est l'exemple à la fois le plus
simple et le plus connu), foisonnement des personnages et
aussi de ce qu'ils symbolisent, balayage de l'ensemble
social.
Toutes ses composantes, et beaucoup d'autres encore,
fonctionnent bien entendu simultanément de manière
séparée (et c'est pourquoi elles sont objectivement repéra-
bles) et entrelacées les unes dans les autres de multiples
manières, comme un immense jeu aux inépuisables combi-
naisons. Les articulations y sont évidemment décisives et
le génie de l'écrivain consiste précisément dans ce tissage
aux couleurs changeantes et aux caractéristiques plurielles.
Rabelais, en cela, est emblématique.
Emblématique à la fois de la langue, de la culture, de
l'époque, et de I'humaine condition. Sa portée universelle
réside précisément dans ce statut spécifique, qui lui fait
entremêler des fils en nombre illimité (à la diligence,
aussi, du lecteur), et, dès lors, hisse le particulier de ce

136
qu'il raconte au rang d'exemplarité «œcuménique »,
transforme chaque homme, d'où qu'il soit, en lecteur
potentiel qui trouvera dans sa lecture un bénéfice propre,
différent de celui de tout un chacun et pourtant partageable
avec lui.
Or, ce côté carnavalesque, selon Bakhtine, Rabelais a su le
saisir, l'inventer en quelque sorte comme on le dit d'un
trésor, mais il est présent partout et non seulement dans la
langue. Celle-ci est bel est bien le prisme à travers lequel
tout passe, le seul sang qui coule véritablement dans le
corps de l'ensemble de I'humanité. Elle est à la fois le
symbole et le véhicule, ce qui traduit le monde et ce qui le
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constitue, ce par quoi les hommes s'expriment et ce par


quoi ils transforment êtres et choses.
Le carnaval est l'exception dans une année, mais c'est lui
l'emblème, le reste des jours n'est que la retombée, le
sommeil du volcan, celui-ci n'étant vraiment lui-même
que lorsqu'il entre en éruption. L'existence est, en réalité,
un carnaval permanent, par la culture et par la langue, le
reste (s'il y en a) n'étant qu'un résidu.
Tout discours linguistique, si banal, soit-il, toute
manifestation culturelle, si ordinaire soit-elle, relèvent du
carnavalesque, portent en elle cette coloration du carnaval,
du chant et du bruit, du rire et de la grimace, du corps et de
l'âme, de l'interdit bravé et de la sanction, du mouvement
et de la contorsion, du brassage et de l'individualité, du
tête-à-queue et du désordre, bref de la liberté et de la Loi,
de l'initiative et de la barrière, de la nudité et du corset, de
l'habitude et de l'irruption, du quotidien et de l'existentiel,
du vivant et du mort, de la mortalité qui est inscrite dans la
vie, comme la naissance.
Cette prolifération, cette eau qui jaillit de tous côtés en
sortant d'un enfermement quelconque, ce discours
multidimensionnel, multiforme, bigarré (encore une fois),
non conforme ni ressemblant et pourtant humain, établi,

137
légiférable (puisque la loi est violée dans le carnaval, il
faut bien qu'elle ait été fixée), une politique linguistique,
dans l'idéal, doit en même temps les permettre et les
respecter, les autoriser et les rendre possibles, les guider et
les laisser s'exprimer.
Comment mieux dire qu'il lui faut allier encadrement et
souplesse, fluidité et objectivation des règles, ordre natio-
nal et liberté? La raison n'est pas le but, c'est la liberté
qui l'est. Une politique linguistique ne saurait évidemment
être elle-même carnavalesque pour s'incarner. Il n'y a pas
que du carnavalesque dans la vie, et pas tout le temps,
mais il représente le sel de celle-ci et son sens.
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1.3.3. Anti et contre


Bakhtine encore établit une distinction fondamentale pour
notre sujet (qui ne le préoccupe pas théoriquement,
cependant, mais dont il vivait concrètement, au quotidien,
la nécessité et l'esclavage que son absence entraînait tôt
ou tard). Il réfléchit attentivement à ce qui sépare et unit
« anti» et « contre », que beaucoup confondent dans les
luttes sociales et dans les combats intellectuels, laissant
ainsi s'établir, à la fois par ignorance et par volonté
délibérée, les divers dogmatismes, c'est-à-dire la privation
du droit de discussion, de l'initiative, de l'autonomie.
Je suis, dit-il en substance, contre les linguistiques du
système (emblématisées par celle de Saussure), contre les
formalistes russes, et contre Freud et la psychanalyse,
parce que je suis en désaccord avec chacune de ces trois
écoles, pour des raisons précises et qui me semblent
fondées. Mais je ne suis nullement «anti », parce que
toutes ont développé des théories et des contributions qui
me semblent riches et dignes d'être sérieusement
discutées. Il est donc faux de dire que je les rejette.

138
Au contraire (!), je les intègre à ma propre préoccupation,
je les prends au sérieux en m'efforçant de les dépasser,
d'englober leurs arguments en les discutant ou en me les
appropriant pour les situer dans ma propre perspective.
Leurs apports me paraissent essentiels mais non
pleinement adéquats et, par conséquent, je les respecte en
les considérant comme des conceptions dignes de l'objet
traité et de son importance.
Une politique linguistique aurait tout intérêt à se
comporter de cette manière, à l'égard des multiples acquis
à propos desquels il est indispensable de réfléchir pour
parvenir à une conceptualisation plus englobante et en
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phase avec le champ envisagé. Telle est, en effet, exem-


plairement, une position justement anti-dogmatique, qui ne
se contente pas de se placer sous le régime de la simple
doxa, mais, véritablement, de la raison. Il s'agit bel et bien
de «rendre raison» (le logon didonai des Grecs) d'une
attitude d'ensemble et de l'action sans cesse rectifiée qu'à
partir d'elle on engage.
Or, on ne peut pas dire qu'il en aille exactement ainsi. La
politique linguistique, si d'aventure elle existe, serait
plutôt de l'ordre de la juxtaposition d'opinions, d'ailleurs
fluctuantes, et du travail au coup par coup. C'est pourquoi
elle ne possède pas de fondements authentiques, solides,
sur lesquels s'appuyer, ni non plus une représentation
adéquate, critérisée, de l'évolution incessamment à l' œu-
vre et de l'avenir à construire. Elle est volontiers anti, elle
est volontiers affirmation et dogmatique, immobiliste,
alors qu'elle devrait être souple, reconnaissable, capable
d'être justifiée par un discours réglé.
Capable aussi, donc, d'être discutée conceptuellement,
ajustée aux réalités pragmatiques (de terrain comme on dit
de manière incroyablement vague) et intellectuelles d'une
géo-politique à la fois conceptuelle et contextualisée. Elle
aurait besoin d'une définition claire et de devenir une

139
option collective partagée, intégrant les discussions, et qui
permette au moins un accord sur les désaccords, c' est-à-
dire une définition qui engage les différents acteurs et
distribue adéquatement les rôles.
Une politique linguistique constitue une œuvre complexe,
comme déjà dit, dont le changement est, certes, perpétuel,
parce que la géopolitique se modifie constamment et que
les partenaires extérieurs eux aussi varient et, de toute
façon, ne se ressemblent pas. D'un autre côté cependant, et
simultanément, il lui faut une colonne vertébrale ferme,
compréhensible, qui évite les chaos et les cahots.
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1.3.4. Le dialogisme
Nous n'insisterons pas sur cet aspect, pourtant décisif, de
l'œuvre de Bakhtine parce qu'il est désormais bien connu
et s'est trouvé, de ce fait, mis à presque toutes les sauces.
Tout discours, toute œuvre, est dialogique, même, pour
faire vite, un monologue. Le dialogisme est au cœur de
tout processus linguistique et/ou culturel. Deux partenaires
au moins sont nécessaires à toute action, même si l'on a
affaire à une création ou à l'entreprise la plus individuelle
ou la plus originale qui soit.
Au commencement, pourrait-on dire, était le dialogue, et il
persiste indéfiniment, traverse toute initiative de nature
linguistique ou culturelle. Pas de locution sans interlo-
cution. Pas d'unité sans pluralité, celle-ci, loin d'affecter
celle-là, contribuant au contraire à la constituer. Une fois
encore, la prise de position de Bakhtine est magnifique-
ment anti-dogmatique (qui permet, entre autres, de com-
prendre les persécutions dont il a été l'objet et le silence
auquel on a voulu le réduire).
Le dialogisme est en nous, même sans nous, mais il peut-
être étouffé par les puissants, c'est-à-dire, exactement,
ceux qui détiennent momentanément le pouvoir. Ceux-ci

140
ne sont pas seulement les puissants politiques, ni les
puissants religieux, même si, tous les deux, ils sont les
plus visibles. La puissance d'extinction, celle de faire taire
la parole alternative, l'initiative autonome, s'exerce à tous
les niveaux, puisque, partout, prolifèrent les petits chefs ou
ceux qui aspirent à le devenir, dont le souci dominant con-
siste à interdire la parole (la couper) qui ne sait pas le
dogme.
Bien entendu, les domaines intellectuels n'échappent pas
plus que les autres à cette dérive calamiteuse, puisqu'ils
impliquent eux aussi des dominants et des dominés. On en
constate quotidiennement la présence, sans cesse renais-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

sante, dans nos propres champs de travail, ou certains, par


la brigue, l'intrigue, les prébendes, et surtout un obscuran-
tisme central, confisquent la parole, exercent sur les mal-
pensants (à leurs yeux) une « potestas » aussi lourde, mais
moins visible, que sur le territoire politique, ou bureau-
cratique, ou institutionnel quelconque.
Ils s'auto-proclament « Fürsprecher », au sens de
Heidegger, porte-parole qui énoncent la juste ligne, celle
qu'il ne faut pas transgresser. Les médiocres surabondent
ici, bien entendu, mais ils n'y sont malheureusement pas
seuls. Ils écrasent sans vergogne leurs semblables, à moins
que ceux-ci n'acceptent de devenir leurs affidés, et d'en-
trer ainsi, à leur tour, dans l'engrenage, empêchent la
diffusion des idées (même pas nécessairement subversives
mais qui affaiblissent leurs empires minuscules).
Le système universitaire français est exemplaire de ces
pratiques, même chez ceux qui font profession d'enseigner
le dialogisme bakhtinien. D'une manière générale, tout
système clanique, tout système cooptatif (puisque, chez
nous, ce sont les pairs qui choisissent les semblables)
aboutit à un pur rapport de forces qui interdit le débat et
sclérose inéluctablement, à terme, l'orthodoxie.

141
Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi se négocie, tel
est le maître mot. Et si tu n'obéis pas, toute parole t'est
proscrite. Le contraire du dialogisme, en somme, la parole
unique comme on dirait aujourd'hui, l'imposition de la
ressemblance. On disait autrefois que toute prise de parole
était aussi une prise de pouvoir, et cela reste, institution-
nellement, vrai. C'est à coup sûr pour cette raison, que,
dans les sciences sociales (qui, contrairement à toutes les
autres disciplines, ne possèdent pas de sanctions extérieu-
res, «concrètes» aurait dit Bachelard), ce sont les
hiérarchies qui tranchent de la validité ou non d'un savoir.
En biologie, si votre démonstration ne fonctionne pas,
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c'est qu'elle a toutes les chances d'être fausse; en scien-


ces sociales, où il n'y a rien qui approche de la notion de
« vérité» (indépendante des rapports de force), c'est à
chacun son opinion, et, par conséquent, les plus conformes
aux idées régnantes, les plus dogmatiques donc, l' empor-
tent inéluctablement; ce sont les hiérarchies dans les
sciences sociales, donc, la force est toujours ce qui l'em-
porte sur la vérité.
On a même trouvé cette parade apparemment sans
réponse: la vérité n'existerait pas, la démonstration
n'aurait pas lieu d'être, épistémologiquement. L'épisté-
mologie des sciences sociales serait fondamentalement
celle du flou, de l'approximatif. On compense cette
proclamation renversante en usant, dans un excès risible,
des expressions « science, scientifique, scientificité ». On
affuble de ces termes les positions défendues par les
dominants, et on accuse celle des dominés de ne pas être
« scientifique », et, dès lors, le jugement paraît être serein,
objectivé (mais il le paraît seulement, bien sûr).
La mise en pratique d'une politique linguistique, c'est-à-
dire d'abord sa définition, ensuite son organisation
bureaucratique nécessaire, enfin ses acteurs et interve-
nants, relève d'une telle analyse et se trouve soumise à des

142
modalités de fonctionnement du même genre. Son point
faible, à tous les niveaux, est l'absence d'un véritable
dialogisme, d'une part avec ses partenaires obligés, quels
qu'ils soient, d'autre part avec elle-même, en son propre
sein, parce qu'elle est, dans un pays centralisé comme le
nôtre, guettée par la tentation du dogmatisme, de
l'autosatisfaction, de l'immobilisme.
Or, sa nature est fondamentalement dynamique, c'est, au
mieux, un système en mouvement, une négociation
permanente qui constitue le fondement même de sa
pertinence. La nôtre, qui s'est toujours exprimée sous
forme d'affrontements, de changements de cap sans véri-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

table raison, d'aléas, qui, bien entendu, n'entraînent que


rarement l'adhésion des participants, est quelque peu
frappée d'une sorte de « maladie infantile ».
Les acteurs ne s'y retrouvent pas, ne s'y sentent par
conséquent pas impliqués, parce que cette politique vient
toujours du haut, est imposée par un pouvoir relativement
anonyme. C'est pourquoi, les collectivités territoriales,
plus proches des besoins réels, des destinataires et des
prestataires, parviennent mieux, pour l'instant, à mettre sur
pied des actions cohérentes. Notre politique linguistique,
si nous gratifions de cette appellation les initiatives effecti-
vement mises sur pied, a trop souvent donné le sentiment
d'être décidée par le commanditaire seul, donc parachutée
sans conscience d'une responsabilité effective.
Le dialogisme n'y a pas droit de cité, et sans lui aucune
machine gérant des «biens symboliques» (Bourdieu)
comme le sont les biens linguistiques et les biens culturels,
ne peut fonctionner. Le dialogue n'est pas ornemental ni la
cerise sur le gâteau. Il se trouve au centre même du
dispositif et peut le nourrir de manière vivante.

143
1.4. L'interculturel
L'option interculturelle s'impose désormais dans la
définition de toute politique linguistique et culturelle, de
toute politique éducative, et même dans toute politique
sociale plus largement. Une fois de plus, pourtant, les
spécialistes français d'éducation et ceux de linguistique,
quand le terme apparut, il y a vingt-cinq ans, ne virent pas
passer le train et ne surent pas analyser correctement la
situation.
L'un des auteurs de ce livre, qui fut l'un des pionniers de
l'interculturel en France, pourrait attester que, pendant des
années, il fut le seul universitaire en France à se battre
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

pour ce concept et qu'il fut attaqué, violemment ou nar-


quoisement, de tous côtés: même de grandes organisa-
tions réputées productrices de concepts en phase avec la
modernité, le soumirent à un véritable interrogatoire de
forme et de ton inquisitoriaux, à l'aide de soi-disant
experts qui contestaient la rigueur du concept et la validité
de sa définition.
Que celui-ci fut un moyen d'action, d'abord, qui ralliait à
l'époque tous les dynamismes, leur importait moins, à eux
qui étaient enfermés dans leurs bureaux, leur cercle qui se
protégeait, et la défense de leurs intérêts, qu'une définition
conceptuelle radicalement pure, dont l'auteur leur fit
remarquer férocement qu'elle n'existait dans aucun des
domaines où ils se montraient assurés et arrogants sur leur
propre expertise et tranchaient de tous et de tout.
Les langues étrangères réagirent moins vite que
l'éducation en elle-même, particulièrement pour ce qui
touche aux enfants migrants, qui, au Conseil de l'Europe
d'abord, dès 1974, créa un groupe de travail chargé
d'étudier «une pédagogie interculturelle », au Ministère
français de l'Education Nationale ensuite, qui, dès 1975,
ouvrit, au sein d'une Ecole Normale Primaire (à Lyon),
formatrice d'instituteurs, un CEFISEM (Centre de

144
Formation et d'Information sur la Scolarisation des
Enfants Migrants), auquel une vingtaine d'autres succé-
dèrent, toujours dans les Ecoles Normales, au cours des
quelques années suivantes. La formation des maîtres était
manifestement le bon angle pour attaquer le problème
éducatif et culturel dont la société française s'avisait alors
(bien des décennies, certes, après sa véritable entrée dans
le système scolaire).
En 1979, le Conseil de l'Europe publia, en deux langues,
un livre légitimant l'enseignement interculturel, en anglais
et en français, aussitôt traduit en allemand, qui établissait
les fondements de l'option interculturelle et ses consé-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

quences. Ce fut l'un des auteurs de ces lignes qui l'écrivit


et, à cette époque encore, il suscitait au mieux le désin-
térêt, au pis les sarcasmes, des spécialistes de l' enseifIe-
ment des langues et, surtout, des linguistes eux-mêmes 2.
Il fallait être aveugle, ou complètement enclos dans une
spécialisation à la fois étroite et rigidifiée, pour ne pas
comprendre qu'une telle option correspondait à ce que
beaucoup d'enseignants européens (au moins) attendaient
depuis plusieurs années pour mieux exercer leur métier.
La Commission de Bruxelles alla elle aussi plus vite que la
France puisque, dès 1977, elle prit une Directive (le terme
est évidemment très important, parce qu'exécutoire pour
les pays membres) enjoignant «l'enseignement de leur
langue et de leur culture d'origine aux enfants de travail-
leurs migrants» trois heures par semaine.
La France appliqua aussitôt cette Directive. Le même
auteur du présent livre était le seul français expert officiel
auprès de Bruxelles, et que personne n'écoutait ici, sauf
les plus dynamiques des destinataires (enseignants, parents
d'élèves, associations, parfois, rarement chefs d' établisse-

32
Louis PORCHER, L'intercultura/isme. Pour une formation des
enseignants en Europe, Editions du Conseil de l'Europe, Strasbourg,
1979.
145
ment et inspecteurs). La Directive de 1977 entraîna donc
l'officialisation des ELCO (Enseignants de Langue et de
Culture d'Origine) qui, dans leur quasi-unanimité, étaient
des ressortissants des pays considérés. Très vite certains
de ceux -ci, avec l'accord du gouvernement français (pas
nécessairement complètement désintéressé), décidèrent de
sélectionner eux-mêmes, parmi leurs enseignants natio-
naux titulaires, ces enseignants d'un nouveau type.
Une marque doit être soulignée: l'expression dit bien
« langue et culture », preuve que nous avions perçu, un
tout petit groupe où il y avait, heureusement, des
décideurs, que l'une et l'autre n'étaient pas dissociables.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

D'ailleurs, dans la foulée, en 1981, le Conseil de l'Europe


créait un «Projet» (groupe d'experts internationaux
travaillant pendant cinq ans) officiellement consacré aux
«Problèmes éducatifs et culturels des enfants de
travailleurs migrants et de leurs familles »33. Il n'y avait
encore qu'un seul universitaire français.
Le monde de la linguistique et de l'éducation, en France,
ne réagissait toujours pas. Les organisations internatio-
nales furent encore les plus promptes, puisque le groupe
d'experts «langues vivantes» du Conseil de l'Europe,
sous la houlette de son président, un Britannique (John
TRIM) désigna officiellement l'un des siens (Louis
PORCHER), qui appartenait justement aux deux groupes,
pour assurer la liaison entre les deux.
Peu à peu, les milieux de la didactique des langues prit
conscience que l'interculturel devait entrer de plein droit
dans la réflexion et les travaux sur l'enseignement des
langues. Le premier à comprendre l'importance, en
France, du phénomène, fut Francis DEBYSER, alors
directeur du BELC, au tout début des années 1980 qui fit
confectionner une brochure intitulée «L'interculturel » et
au sein de laquelle plusieurs spécialistes décrivirent en
33
Président: Louis Porcher
146
quoi et comment, selon eux, l'interculturel devait entrer
dans le champ du français langue étrangère, et, plus
largement donc, dans celui des langues étrangères.
Les choses se sont accélérées alors. Linguistes et spécia-
listes du français langue étrangère avaient trouvé là un
nouveau créneau, et intégrèrent à qui mieux mieux
l'interculturel dans leurs préoccupations à propos des
langues étrangères. Progressivement l'interculturel devint
une sorte de bannière sous laquelle les langues en contact
regroupèrent leurs analyses. Des didacticiens linguistes
qui, jusqu'alors, étaient restés indifférents ou, plus souvent
encore hostiles, se comportèrent comme s'ils avaient été,
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

depuis toujours, à la source de ce combat.


Dans la dernière période enfin, sous la poussée notamment
de la diversification qui s'accroissait constamment dans la
population apprenante du champ éducatif, l'interculturel
est devenu un lieu central des enjeux de politique
éducative, y compris (mais pas seulement) dans le secteur
des langues étrangères. L'anthropologie notamment, et
aussi la sociologie et la psychologie, s'emparèrent du
secteur. Les livres prolifèrent désormais dans ces domai-
nes, les diplômes de troisième cycle intitulés, par exemple
(emblématique) «médiation interculturelle», fleurissent
un peu partout, des thèses furent construites, des
associations spécialisées regroupant des universitaires,
virent le jour.
Bref, l'interculturel est aujourd'hui, un enjeu banal des
sciences sociales, qui ne se préoccupent pas seulement de
langue et de culture. Il paraît d'ailleurs hautement sympto-
matique que l'un des meilleurs spécialistes actuels du
concept, soit Martine ABDALLAH-PRETCEILLE, qui est
devenue professeur des universités en ayant commencé
comme institutrice, et qui, à ce dernier titre, s'est intéres-
sée très vite aux démarches interculturelles dans l'ensei-
gnement par proximité avec le terrain. Significatif aussi

147
est le fait qu'elle ait élaboré une thèse sur le sujet, sous la
direction de Louis Porcher (alors, pour les raisons déjà
dites, le seul directeur de thèse possible, c'est-à-dire sus-
ceptible d'accueillir une thèse sur le sujet).
L'une des manières de se trouver dans le vent, maintenant,
consiste donc à se consacrer, sous des angles divers, à
l'interculturel, dont on discute certes la composition épis-
témologique, comme il est normal, mais dont personne ne
met plus en doute la réalité conceptuelle. Une fois de plus,
linguistes et spécialistes de l'éducation sont restés à la
traîne, pour ce qui touche à la recherche, c'est-à-dire à la
considération de l'interculturel comme objet digne d'in-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

vestigation, et qui, même, au fil du temps, est devenu


distinctif, marque de modernité, symbole d'un enjeu
décisif.
Bien entendu, nul ne rappelle plus les origines de ce sur-
gissement. La plupart les ignore, l'autre partie, largement
universitaire, feint d'avoir oublié pour ne pas être accusée
de n'avoir pas vu venir le train et d'avoir sauté en marche
dans celui-ci. «L'aveuglement spécifique des profes-
sionnels de la lucidité »34 se révèle cruellement ici, et de
manière hautement dommageable. Façon de dire que les
spécialistes ici, une fois de plus, n'ont pas joué leur rôle.

1.4.1. Les composantes de l'interculturel


- Toute société, aujourd'hui, est multiculturelle (et,
en outre, une culture soi-disant pure est une absurdité).
- Toutes les cultures sont équivalentes en dignité.
- Il faut donc installer, diffuser, banaliser, l'inter-
culturel parce que, au sein de celui-ci, l'important est
manifestement inter. Par différence d'avec le simple
multiculturel (qui peut fort bien s'accommoder d'une mi-
34
Pierre BOURDIEU, L'ontologie politique de Martin Heidegger, op.
cit.
148
nimale juxtaposition des cultures), l'interculturel entraîne
les notions d'échanges entre les cultures, de connexions,
d'articulations, de pénétrations mutuelles et réciproques,
bref de circulations, et, par conséquent, de mouvements,
de dynamismes, donc de transformations.
- L'interculturel ne touche pas seulement des
groupes (<<cultures»), mais aussi les individus, les
personnes, qui composent ces groupes35. Il est à la fois
objectivé et vécu, collectif et subjectif. Il traverse les
individualités comme les communautés.
- Dans ces conditions, il exige des fondements de
nature « morale» (pour employer un terme classique). Les
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

conduites qu'il implique nécessairement s'appellent res-


pect, tolérance, croyance en l'enrichissement par apport
mixte36.
- L'interculturel suppose que l'autre soit défini
comme autre, c'est-à-dire à la fois semblable à moi et
différent. Tout être humain est à la fois un alter et un ego,
un alter ego, et le plus difficile à penser, et à vivre
effectivement, est que je suis moi-même pour l'autre un
alter. Il ne s'agit pas uniquement de fusion, mais d'être
accueillant à l'autre dans ses distinctions sans pour autant
renoncer à sa propre subjectivité, dans ses distinctions
aussi37. Bénéficier de l'autre sans s'amputer soi-même, et
sans l'amputer lui-même.
- Le partage constitue évidemment le mot et la
notion pilote et les systèmes éducatifs ont pour l'une de
leurs fonctions de développer une telle attitude et un tel
comportement chez chacun (apprenants, enseignants,
parents) .

35
Martine ABDALLAH-PRETCEILLE et Louis PORCHER, Educa-
tion et communication interculturelle, PUF, 1996.
36
Louis PORCHER et Martine ABDALLAH-PRETCEILLE, Ethique
de la diversité et éducation, PUF, 1998.
37
Jean-Claude FORQUIN, Ecole et culture, De Boeck, 1989.
149
- Il ne s'agit pas d'une pédagogie des différences
(définir l'autre comme uniquement différent de moi), mais
d'une articulation entre celles-ci et les identités. On ne
dissout pas les cultures propres; au contraire on les déve-
loppe en les respectant. Ce que l'on construit à chaque pas,
c'est le rapport constitutif à l'altérité.

1.4.2. Fondements de l'interculturel


Philosophiquement et anthropologiquement, l'interculturel
s'appuie sur des bases potentiellement universalisables,
évidentes depuis le début.
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- Chaque individu est porteur de l'universel.


L'humanité est dans chaque personne humaine (droits de
l'homme).
- Il n'existe pas d'ego solitaire, de sujet isolé. Tout
sujet suppose un autre sujet (cf. le dialogisme ci-dessus). Il
n'y a de subjectivité qu'une intersubjectivité. Dans le
langage de Sartre, hérité de la phénoménologie, le pour-soi
n'existe que pour un pour-autrui, et les deux se construi-
sent ensemble.
- Symétriquement, et non exclusivement, chaque
sujet subit la tentation, ontologique (donc fondatrice), de
transformer l'autre en chose, de lui refuser, en somme, sa
nature (du verbe nascor, naître) de sujet. «L'enfer, c'est
les autres ». L'interculturel mobilise donc toujours un ef-
fort, parce qu'il n'est pas «naturel» mais s'élabore sur
des pesanteurs vécues et surmontées.
- Le pour-autrui, l'intersubjectivité, est constitué
aussi (et pas seulement, comme il va de soi) d'un « autrui
anonyme» (Husserl), c'est-à-dire d'un autre en tant
qu'Autre, que l'on ne connaît pas et qui est, d'emblée, un
sujet (Lévinas).

150
- L'échange constitue le fondement même de
l'existence sociale (et aussi inter-personnelle). Lévi-
Strauss l'a radicalement établi, après MAUSS.
- Il ne s'agit nullement, tout au contraire, de rejeter
ou d'amenuiser, de réduire, l'étrangeté de l'étranger et je
suis toujours moi-même l'étranger de tout autre. Il faut
respecter l'autre comme sujet et, pour cela, il est nécessai-
re de se comporter effectivement comme un sujet38,un je.
- Pas de promiscuité, donc, mais l'application
d'une exigence identique à tous les partenaires. Prise au
sérieux de la diversité, phénomène exactement constitutif
de l'évolution des sociétés d'aujourd'hui.
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1.4.3. Conséquences en terme de politique linguistique


Dans toutes ses dimensions variées (langue maternelle,
langues étrangères, etc.), une politique linguistique n'est
plus en mesure de faire l'impasse sur le phénomène
interculturel. La diversité des cultures (anthropologiques
et personnelles) est entrée dans la citadelle scolaire et n'en
sortira plus. Une première conséquence en est qu'une poli-
tique linguistique se trouve toujours liée à une politique
éducative, mais sans que ni l'une ni l'autre n'englobe
l'autre: l'une et l'autre ne constituent qu'un aspect de
l'autre.
Une deuxième conséquence est l'émergence forte de
partenariats. Le commanditaire, le prestataire, et le
destinataire, qui sont les trois pôles majeurs d'une politi-
que linguistique, sont, par position et par essence, définis
aussi par leurs relations partenariales, avec un rôle majeur
de la négociation, qui ne consiste pas à amener l'autre sur
ses propres idées, mais à élaborer avec lui un «lieu
commun », c'est-à-dire un lieu où chacun trouvera son
38 Claude LEVI-STRAUSS, Histoires de Lynx, Plon, 1993 (en
particulier le chapitre sur Montaigne).
151
propre intérêt (qui, par définition, diffère de celui de
l'autre)39. C'est assez dire qu'une politique linguistique ne
saurait être uniforme, encore moins (si possible)
uniformisante. Elle aussi, comme la culture tout à I'heure,
est, par nature, bigarrée, y compris dans le temps avec, par
hypothèse, un même partenaire. Chacun doit non seule-
ment y trouver bénéfice mais aussi, et avec une égale
importance, y apporter sa pierre. Négocier c'est gérer une
relation.
L'interculturel se situe donc, désormais, au cœur d'une
politique linguistique. Ce que l'on appelle d'habitude la
compétence culturelle ne constitue qu'une dimension de
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l'interculturel, parce que celui-ci, fondamentalement, indi-


que un rapport à l'altérité, une orientation vers l'autre en
tant qu'autre, et implique une réciprocité. Le développe-
ment international de la culture classique française
(comme d'autres) montre que ce mouvement est mainte-
nant enclenché, que celle-ci se diffuse de plus en plus à
travers le monde, et que chacun, qui la fréquente, peut
allier, comme pour toute culture, l'universel et le
particulier.

2. LES UNIVERSELS - SINGULIERS


L'incarnation de cette tendance, qui ne devrait pas
simplement être d'ordre culturel mais englober le
purement linguistique aussi, trouve sa figure
méthodologiquement la plus féconde, pédagogiquement,
dans « les universels - singuliers» comme fil rouge d'une
démarche d'enseignement et d'apprentissage d'une langue
étrangère. Au lieu d'assister à l'extravagante prolifération
de manuels de français langue étrangère à laquelle nous
assistons depuis plus de vingt ans, qui tous se ressemblent
et ne varient que par d'imperceptibles nuances méthodolo-
giques (aboutissant seulement à enrichir les éditeurs et à
39
Louis PORCHER, Champ de signes, Didier, 1987.
152
contribuer à leur action d'immobilisation du domaine et de
stagnation), il serait beaucoup plus fécond de choisir la
colonne vertébrale qui s'impose, celle des universels -
singuliers 40.
Le concept est d'origine philosophique, élaboré par Hegel,
et il a été magistralement illustré par Sartre dans son
immense biographie de Flaubert, où il montrait que
l'écrivain était à la fois porteur et géniteur d'un monde
tout entier, capable de parler à des lecteurs de toutes les
latitudes et de toutes les cultures, et restait en même temps
l'individu singulier « Gustave» (comme le dit Sartre).
Appliqué à notre domaine, qui, jusqu'à plus ample
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informé, relève des sciences sociales et non pas d'une


simple recette de cuisine pédagogique qui illustre la mille
et unième manière de faire la classe, dont aucune ne
saurait être un modèle parce qu'une classe ne ressemble à
aucune autre (et qu'une même classe ne se ressemble
même pas d'une heure à l'autre), un enseignant ne
ressemble pas à un autre, et un élève à un autre, (les leçons
toute faites, apparemment calibrées au millimètre, ne
servent à rien et ne sont que des manières de produire de
l'argent pour plusieurs acteurs sociaux), l'universel -
singulier constitue un véritable concept pivotaI, qui
formerait l'esprit des enseignants et les amènerait à donner
à leur enseignement sa propre couleur unique.
Par les universels - singuliers, enseignants et apprenants
trouveraient leur véritable identité, et non celle de simples
robots-répétiteurs qui ne feraient que ressasser des
schémas tout faits et sans aucune espèce d'utilité pour qui
que ce soit. Tous les manuels sont, certes, des instruments
de facilité, qui détériorent toujours quelque peu
l'enseignement, mais ceux de langues sont, à cet égard, les
plus redoutables (y compris en langue maternelle) comme

40
Louis PORCHER, Manières de classe, Didier Hatier, Alliance
Française, 1988.
153
cela a été fort souvent montré. Ils engagent en effet la
facilité, le ressassement sans réflexion, ne contribuent en
rien à l'utilité de l'élève et, au mieux, assurent à
l'enseignant un certain confort le dispensant du travail
personnel de construction de ses cours dans toutes leurs
dimensions.

2 .1. Approche définitoire des universels - singuliers


Chaque culture (quelle que soit son volume quantitatif) est
affrontée à quelques problèmes identiques et, par
conséquent, de dimension universelle. Toute société, petite
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ou grande a, par exemple, à faire avec la nature, l'eau, le


ciel, ou des sentiments (l'amour, la haine), ou la mort.
Quand Lévi-Strauss dit qu'une culture se reconnaît à la
manière dont elle traite ses morts et aussi la transcendance,
il exprime clairement que ces universels, sont, comme leur
nom l'indique, présents partout, en tout temps et en tout
lieu.
Mais il ne se contente pas d'exprimer l'universalité de ces
préoccupations, il indique aussi le deuxième volet du
phénomène, sa singularité: chaque culture vit, de sa ma-
nière propre, ces phénomènes universels, leur confère
donc leur dimension singulière. Toute société possède ses
propres caractéristiques, cohérences et contradictions en-
semble, et donne sa propre coloration aux universels
qu'elle aborde et traite.
Prenons, comme déjà fait, en quelques éléments l'exemple
de l'eau41 comme thème d'un apprentissage du français
(langue étrangère ou langue maternelle). Il n'est plus utile
de démontrer qu'il s'agit bien d'un universel - singulier.
Aucune société n'ignore l'eau, chacune la vit à sa maniè-
re. Le problème, sans cesse résurgent pédagogiquement
sans que ses termes aient progressé d'un pouce depuis
41
Louis PORCHER, op. cit.
154
plusieurs décennies, chacun se contentant de ressasser ce
qui a déjà été dit sur le sujet, de la motivation des élèves,
c'est-à-dire d'aborder en classe des sujets qui les inté-
ressent et sur lesquels ils possèdent déjà une expérience,
ne se pose plus parce qu'il se trouve d'emblée résolu.

2.2. Composantes pédagogico-culturelles des universels -


singuliers

2.2.1. Ils permettent un travail linguistique largement


différencié
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- De nature lexicale (substantifs, adjectifs, verbes,


locutions figurées, qui mettent en jeu l'eau, sont
incontournables ).
- De nature communicative: l'eau, sous toutes ses
formes (inondations, pêche, plages, etc.) nourrit d'inépui-
sables discussions, échanges, communications de nature
textuelle: les types de texte (pour employer une expres-
sion très en vogue au sein de la linguistique et de la
didactique, mais qui, à vrai dire, telle quelle, ne possède
aucune signification pertinente et n'exerce aucune
fécondité sur aucun apprentissage; elle est cependant
omniprésente chez les soi-disant spécialistes qui ne font
que raffiner, en se situant les uns par rapport aux autres,
des concepts qui n'en sont pas et sont seulement les
composantes d'un jeu sans rime ni raison intellectuelles),
sont présents de manière multiple à propos du thème:
journaux, textes techniques, textes littéraires, etc.
- De nature comparative: puisque chaque société
rencontre le problème de l'eau, chacune possède ses pro-
pres modalités linguistiques de l'aborder, et, par consé-
quent, une véritable pédagogie comparatiste peut être mise
en œuvre linguistiquement.

155
2.2.2. Culturellement, les universels - singuliers, sont
d'une exceptionnelle richesse
De même que, linguistiquement, chaque élève possède sa
propre manière d'aborder l'eau, de même en va-t-il cultu-
rellement.
- L'eau et l'art: dans toutes les pratiques artisti-
ques, la présence de l'eau est multiple. En peinture, en
musique (musique classique, chansons, etc.), en littérature
(poèmes, romans, contes, etc.), l'eau a donné lieu à des
incarnations très nombreuses qui permettent aisément de
regrouper autour d'elle des activités visant la «culture
cultivée ».
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- L'eau et la technologie: les barrages, l'embou-


teillage de l'eau minérale, le transport de l'eau, bien
d'autres dimensions encore permettent de conforter, à
travers la langue, une culture technologique, ou de s'ap-
puyer sur elle.
- L'eau et le commerce.
- L'eau et les loisirs.
- L'eau et les sports de compétition.
- L'eau et la vie politique: les compagnies des
eaux, partout, sont des puissances politiques de première
grandeur (Vivendi et Lyonnaise des eaux, en France cons-
tituent deux pôles majeurs autour desquels tourne, certes,
la vie économique, mais qui se situent au cœur même des
enjeux politiques).
- L'eau et les faits divers (catastrophes naturelles,
noyades ).
- L'eau et la profession: les pêcheurs (à rapprocher
des pêcheurs du dimanche, dans la rubrique « l'eau et les
loisirs» ).
- L'eau et l'entretien: propreté personnelle, hygiè-
ne, entretien des logements, des villes, des lieux publics ou
privés.
- L'eau et le feu (pompiers, etc.).

156
- L'eau et la santé (pollutions, purification, eaux
minérales, sources thermales, thalassothérapies, etc. ...).
- L'eau et l'agriculture (sécheresse, etc. ..).
- L'eau et l'alimentation.
- Les diverses sortes d'eau: puits, torrents, fleuves,
mers, lacs, étangs, rivières, eaux souterraines, etc..
- L'histoire de l'eau (les grands navigateurs, les
combats navals, le creusement des grands canaux, etc. ...)
ou l'eau et l'histoire.
- L'eau et la géographie.
. les îles
. les pays maritimes et ceux qui
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ne le sont pas
. les grands fleuves
. les climats humides et ceux qui
ne le sont pas (moussons, dé-
serts, etc.)
. les régions humides dans un
même pays
. les ports
. les côtes
. les plages
. l'eau et le sable, l'eau et les
rochers, les vagues
. l'eau et les volcans
. les chutes d'eau
. l'internationalisation de l'eau
. l'eau et les animaux
- L'eau et l'anthropologie (mythes, religions, rites,
divinités païennes).

2.2.3. Pédagogie
Il n'est nul besoin d'insister. Aussi bien en langues
maternelles qu'en langues étrangères quelles qu'elles
soient, les universels - singuliers fournissent une matière à
157
la fois inépuisable, proche des usagers, et hautement riche
en ressources formatrices. Il ne nous appartient évidem-
ment pas ici de développer les conséquences techniques de
cette option; elles sont à la fois claires et d'une multipli-
cité indéfinie.
Une politique linguistique, aussi bien dans ses aspects
d'enseignement que dans ses dimensions culturelles
diverses (aussi bien en termes anthropologiques que pour
ce qui touche à la culture cultivée) peut se fonder solide-
ment sur un tel soubassement. Même «les cultures
invisibles », c'est-à-dire celles qui sont pratiquées par les
individus dans leur intimité éventuellement non parta-
gée42,donnent toute leur place aux universels - singuliers
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qui constituent ainsi une sorte de colonne vertébrale d'une


politique linguistique définie.

42
Article de Louis PORCHER in « Culture, Cultures», Le Français
Dans Le Monde, série « Recherches et Applications », Hachette, 1996.
158
LES MEDIAS

Aujourd'hui, depuis plusieurs décennies, mais de manière


chaque jour plus présente au sein de tous les secteurs de la
vie quotidienne, les médias ont imposé leur place dans la
mise en œuvre d'une politique linguistique. Ils en consti-
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tuent un élément impossible à éviter. Ils sont déjà large-


ment plus puissants que les systèmes scolaires, bien qu'ils
n'aient pas les mêmes objectifs. Les systèmes éducatifs
peuvent, certes, se les approprier, pour moderniser et
affermir leurs pratiques, mais, au-delà, les médias exercent
une fonction spécifique qui s'inscrit nécessairement dans
la diffusion des langues et des cultures.

1. LEUR ACCES EST DIRECT ET ATTRACTIF


Pour la radio et la télévision, il n'y a aucun besoin
d'intermédiaires pour qu'un individu quelconque accède à
leur fréquentation, et, en outre, aucun savoir préalable
n'est nécessaire. Le contact est immédiat entre les deux
partenaires, et, par conséquent, l'usager se trouve beau-
coup plus libre de ses comportements et n'a pas l'obli-
gation de passer par une institution pleine de règles et de
contraintes comme l'école. L'autonomie y est donc mieux
garantie mais il lui manque le tuteur, le consultant, l'aide
personnalisée dont l'usager peut ressentir le besoin ou
chercher le recours. Radio et télévision, en outre, possè-
dent cette vertu relativement énigmatique de plaire de
manière quasi-universelle (contrairement à l'école, là

159
encore). Les usagers choisissent massivement (et il ne
serait sans doute même pas exagéré de dire «unanime-
ment») de les intégrer dans leur vie et se trouvent de plein
pied avec eux. En conjuguant la liberté, précédemment
citée, et ce plaisir, ces médias constituent le véhicule
principal de la diffusion des langues et des cultures.

2. ILS ABOLISSENT L'ESPACE ET LE TEMPS


Le phénomène est aujourd'hui bien connu, maintes fois
décrit, mais conserve évidemment toute sa pertinence.
L'ubiquité dont se trouvent dotés les médias classiques
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leur confère leur richesse exactement sans rival. Ils


plongent leurs usagers dans n'importe quel espace et
n'importe quel temps et forment, à cet égard, un outil
d'une fécondité qui, en fin de compte, ne dépend que de
l'usager lui-même.
Ils sont, certes, parcellaires, par définition, mais fonda-
mentalement beaucoup moins que n'importe quel
enseignement, aussi plein de qualités soit-il. La diffusion
pédagogique d'une langue suppose toujours des choix
fortement lacunaires, même essentiellement lacunaires, et,
par conséquent, à cet égard, les critiques constamment
formulées par les pédagogues à l'égard des médias sont,
purement et simplement, nulles et non avenues.
A vrai dire, c'est exactement en cet endroit qu'une
complémentarité entre l'école et ces médias « de flot» est
la plus aisée, la plus féconde, et, à coup sûr la plus
indispensable 43. Chacun des deux partenaires potentiels
possède en effet les capacités qui enrichissent mutuel-
lement, au moins à titre potentiel, la fonction de l'autre.
L'école doit, pour être dans son rôle, établir dans les têtes
les aptitudes au classement, à la hiérarchisation, au

43
Louis PORCHER, Télévision, culture, enseignement, Armand
Colin, 1994.
160
repérage, qui permettent à l'usager de s'approprier
véritablement les messages des médias qui, eux, se
caractérisent à la fois par leur richesse, leur succession
aléatoire, et leur très faible demande de classement.
Or, le pouvoir de classer forme aujourd'hui, plus qu'autre-
fois encore où il était pourtant indispensable, un outillage
intellectuel absolument nécessaire pour dominer le monde
et s'orienter en lui. Sans la maîtrise des catégories de
classement on se trouve presque inévitablement dominé
par les médias, et, donc, dans l'impossibilité d'en tirer
bénéfice. L'équipement intellectuel, fondement de toute
éducation (bien au-delà de toute linguistique, celle-ci y
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

étant au contraire, incluse) ne peut être délivré que systé-


matiquement, c'est-à-dire de manière organisée, ordonnée,
rigoureuse, et, pour cette raison, exige, au moins pour
l'instant, le truchement d'un médiateur humain.
Classer rationnellement, en somme, ne s'apprend pas
spontanément, ni par imprégnation, mais seulement avec
l'aide d'un enseignant, et, aujourd'hui, on ne peut pas dire
que ce rôle soit fréquemment et objectivement rempli par
l'école, dont c'est pourtant la fonction majeure, celle par
laquelle elle a une chance, une seule, de contribuer à l' éga-
lisation des chances, qui lui incombe et dont tout le monde
ne fait que se gargariser et ne change rien à un système
inégalitaire.
On peut légitimement dire, symétriquement, que les mé-
dias dont nous parlons à cet instant sont des fournisseurs
en accès libre de «matières à classer », qui atteignent
l'usager en vrac sans que celui-ci n'ait appris à trier pour
s'orienter en elles. Les médias forment la chair de l'ap-
prentissage mais doit s'y ajouter la structuration pour que
l'apprentissage ait bien lieu.
C'est pourquoi la complémentarité, évidente, s'imposera
un jour ou l'autre, parce qu'elle est une articulation entre
deux infirmités opposées: la prolifération médiatique, qui

161
fait légitimement partie du fonctionnement des médias, et
la rigueur disciplinée de l'école, qui incombe à celle-ci et
qui est, en somme, une mise en ordre permettant à la fois
la construction de l'identité personnelle (intellectuellement
parlant) et le partage mutuellement compréhensible entre
deux partenaires individuels.
Dans le cas d'une politique linguistique qui, là, visible-
ment, s'inscrit à l'intérieur d'une politique éducative,
l'ubiquité, dans le temps et dans l'espace, des médias,
constitue une voie aujourd'hui impossible à contourner.
Encore convient-il que, dans les domaines considérés, la
complémentarité mentionnée ci-dessus soit établie par ses
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

conditions mêmes, c'est-à-dire effectivement mise en


pratique. Faute de quoi les langues continueront à se
diffuser n'importe comment, et le processus aboutira
inéluctablement, comme c'est le cas aujourd'hui, au
creusement des inégalités.

3. LA DIVERSIFICATION CONCRETE
Le «village global» ou planétaire, diagnostiqué par Mc
Luhan alors qu'il n'était pas encore effectif, est désormais
établi. L'irrigation mondiale s'est vertigineusement accrue
au cours de la dernière décennie44, notamment par le
développement des communications satellitaires et la
numérisation. Les radios et les télévisions ont littéralement
proliféré, au point qu'une installation banale permet de
recevoir désormais à peu près deux cents chaînes.

3.1. Les conséquences sur les langues


Nous ne raisonnerons ici, pour la simple vertu de
l'exemple, que sur la télévision. La nouveauté décisive est
que chaque usager reçoit librement presque autant de
44
Nous traiterons d'Internet ultérieurement.
162
chaînes qu'il veut et que beaucoup sont d'origine
étrangère et s'expriment donc dans la langue de leur pays
producteur. Dès lors, le destinataire concret peut être
baigné dans plusieurs langues qui ne sont pas la sienne. En
résulte, et la présence des images constitue à cet égard une
aide considérable à la compréhension, une accoutumance,
forte et douce à la fois, d'abord à la prosodie des langues
étrangères, à leur rythme, à leur couleur sonore, et sans
doute aussi, en partie, à leur lexique.
Les langues étrangères cessent, par conséquent, d'être
radicalement étrangères, extérieures. Elles deviennent
comme une habitude, une rassérénération à leur sujet, et
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

l'usager se trouve ainsi prédisposé à l'approfondissement


de leur connaissance. Il est exposé à d'autres messages
que ceux de sa langue maternelle, est en mesure de
développer sa curiosité pour des pratiques qui, jusqu'alors,
lui étaient fermées.
Symétriquement, bien entendu, le français devient acces-
sible aux quatre coins de la planète. Le développement très
rapide de TV5 en témoigne suffisamment, et l'on peut
noter à ce propos, que les professeurs de français langue
étrangère sont des clients fidèles de cette chaîne. L'inter-
prétation linguistique s'inscrit dorénavant dans l'univers
journalier des téléspectateurs, avec, probablement, un
double phénomène qui peut être simultané.
- La naissance, avec la confiance, d'un désir de
perfectionner sa connaissance d'une langue étrangère.
Beaucoup d'adultes ne veulent pas retourner en classe
pour un nouvel apprentissage, soit parce qu'ils ont gardé
un mauvais souvenir de leur existence d'élèves, soit parce
qu'ils redoutent de se retrouver en position d'être jugés
par d'autres (leurs condisciples et l'enseignant dans une
situation institutionnelle). Les médias sont des partenaires
rêvés, parce que vous les fréquentez sans jugement, qu'ils

163
ne se préoccupent pas de vos lacunes ou de vos ratés, que
vous gérez seul votre exposition médiatique.
En outre, et c'est un avantage littéralement inconnu
mesurable, contrairement à l'enseignement, ils ne parlent
pas leur langue pour des étrangers mais bien pour leur
propre indigénat linguistique. L'usager se trouve donc
bénéficiaire de la « vraie» langue parlée par des natifs à
destination d'autres natifs. «La classe de langue, dit
Bourdieu, est une classe où l'on parle pour ne rien dire» 45,
et c'est vrai. Les interventions dans une classe ne sont pas
sanctionnées par l'expérience, ne répondent pas à des
besoins de communication vraie, mais sont jugées seule-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

ment par le professeur.


Au contraire, la télévision opère dans l'univers de la com-
munication effective, non stigmatisée, et qui ne confond
pas, comme l'école, la correction de la langue avec la
capacité communicative. Chacun commet de multiples
erreurs en parlant, y compris bien sûr dans sa langue
maternelle et cela ne nuit en rien à la compréhension de
l'autre, contrairement à ce que jugent, en classe, les
professeurs. Si, récepteurs des médias, vous ne comprenez
pas, vous n'y pouvez rien, c'est une communication réelle
en temps réel.
- La sensibilisation à d'autres langues que la sienne
et à de nouvelles formes d'apprentissage. Dans l'arrière de
la tête de l'enseignant (et parfois de l'apprenant) il y a
l'idée, absurde, que l'apogée de l'apprentissage consiste à
pratiquer la langue étrangère comme un natif. Mais hormis
le fait qu'aucun natif ne s'exprime oralement sans faute
(mettant fréquemment un sujet au singulier avec un verbe
au pluriel, un substantif masculin avec un adjectif
féminin), presque personne ne vise le but de «pratiquer

45 Entretien avec Louis PORCHER in Le Français Dans le Monde,


septembre - octobre 1986.
164
comme un natif» (à l'exception, sans doute unique, des
traducteurs - interprètes).
Chacun d'entre nous ne souhaite en vérité que deux
compétences, très fortement étrangères au milieu scolaire:
comprendre une langue étrangère, se faire comprendre en
elle. Visée pragmatique donc. La correction est tout à fait
secondaire. C'est vrai pour les besoins professionnels
comme pour les besoins touristiques. L'exactitude, synta-
xique en particulier, n'est bel et bien qu'une réalisation
d'examen et n'a pratiquement aucune existence ailleurs.
Or, dans cette affaire, et contrairement encore à ce que
prétendent beaucoup la compréhension est plus difficile
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

que l'expression et ne doit pas marcher, en classe, du


même pas que cette dernière. En compréhension, en effet,
vous êtes soumis au rythme d'un interlocuteur, à ses
choix, à ses décisions, et vous n'y pouvez rien. Vous êtes
condamné à vous adapter. C'est aussi vrai en langue
maternelle où l'école travaille encore moins le phénomène
pourtant socialement capital46.
L'expression, elle, est beaucoup moins stigmatisée, en
contexte social effectif. Si votre expression n'est pas claire
(comprise), on vous pose une question pour demander une
précision, ou vous faire répéter, bref on utilise mille
possibilités pour saisir ce que vous dites. Il y a une
véritable interlocution d'où finit par jaillir la compréhen-
sion et, donc, le dialogue. Vous êtes, en expression, enfin,
relativement maître du jeu puisque c'est vous qui
choisissez vos tournures, vos manières de dire, votre lexi-
que, votre rythme même.
En compréhension il en va tout autrement. Une preuve
empirique magnifique en est fournie par le fait que, dans
une librairie « grand public », vous trouvez des mètres de
bouquins conçus pour aider à l'expression (manuels

46
Pierre BOURDIEU, Ce que parler veut dire, Fayard, 1982 (recueil
d'articles).
165
d'énoncés tout faits qu'il suffit de répéter, «phrase
books », recueils d'expressions utiles dans diverses
situations, etc.), mais qu'il n'y a aucun outil disponible
pour vous aider à pallier vos éventuelles insuffisances ou
vos ratés de compréhension. Simplement parce que ce
n'est pas possible, par définition même.
Sauf dans quelques situations fortement ritualisées, nul
n'est en mesure d'anticiper sur ce que son interlocuteur va
lui dire. Le champ du possible est indéfini, et un manuel,
manifestement, ne servirait à rien parce qu'il ne pourrait
jamais correspondre à l'instantané, la caractéristique
essentielle de celui-ci étant son imprévisibilité. Contraire-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

ment à nombre d'affirmations pédagogiques, donc, il n'y a


pas de fondement, de lien, dans l'apprentissage, entre
compréhension et expression.
La première, beaucoup plus importante que la deuxième,
la commande en outre en partie. Les élèves, spontanément,
le savent bien, et le commun des mortels aussi. Il suffit
qu'un étranger vous demande une banalité dans sa langue
pour que vous vous en rendiez compte si vous ne connais-
sez pas celle-ci. Non qu'il faille négliger l'expression,
certes, parce qu'elle est très souvent nécessaire, et parce
qu'elle aussi aide à la compréhension. Il faut simplement
établir un ordre chronologique de priorité.
Or, pour la compréhension, les médias constituent le
moyen optimal. L'usager se trouve en effet confronté à la
parole du petit écran et il lui faut se débrouiller seul, aidé
simplement par le contexte visuel et par le degré qu'il a
déjà atteint dans sa capacité à comprendre. Le sujet n'a
pas peur d'être stigmatisé (la compréhension, on le sait,
est toujours plus sévèrement jugée, dans le concret, que
l'expression) parce que la télévision ne sanctionne pas, et
parce qu'il peut s'équiper à sa guise, à son rythme, selon
ses propres lacunes qu'il est le mieux à même de détecter.

166
L'interlocuteur télévisuel possède l'avantage immense de
n'être que virtuel.
Même aujourd'hui, celui qui ne fréquente qu'une
télévision en français se trouve exposé à une sorte de
douche écossaise d'où les langues étrangères ne sont pas
absentes. Il est fréquent en effet que des invités divers qui,
eux, parlent leur langue maternelle, apparaissent sur les
petits écrans et s'expriment en traduction simultanée, qui
est de mieux en mieux conduite, linguistiquement et
technologiquement, et permet au téléspectateur d'entendre
ensemble les deux langues, la française et l'autre. Le
«Nulle part ailleurs» de Canal +, chaque soir, est
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particulièrement fécond à cet égard.


L'autre version du même phénomène, elle aussi de plus en
plus abondante, consiste en le sous-titrage, grâce auquel
(fréquemment sur Arte), on peut à la fois lire la traduction
française et entendre la langue étrangère. Ce télescopage
de l'oral et de l'écrit pourrait devenir une démarche
pédagogique particulièrement féconde (au point que les
éditions Hatier s'y sont essayées, apparemment sans réel
succès, à propos de l'enseignement de 1' anglais).
En somme, un monde potentiellement multilingue peut
désormais parvenir à chaque usager et celui-ci se trouve
par conséquent exposé à une sorte de banalisation des
langues étrangères. Même l'enseignement n'en a pas tiré
encore tous les fruits, c'est un grand progrès pour la
pratique langagière chez nous.

3.2. Les conséquences pour les cultures


C'est évidemment le secteur le plus profondément
bouleversé par le surgissement omniprésent de la
télévision. Les travaux abondent là-dessus et nous n'y
reviendrons pas sauf pour en mentionner quelques-uns,
chemin faisant, susceptibles d'éclairer notre champ de

167
préoccupations. Tous les territoires de la culture ont été
atteints par l'ouragan médiatique, y compris ceux de la
culture cultivée et, du coup, les informations culturelles
ont changé à la fois de nature et de publics.
- Depuis les télévisions satellitaires, notamment, et,
donc, la multiplication des chaînes et l'apparition qui s'ac-
croît sans cesse de chaînes thématiques disponibles à tous,
le petit écran offre une sorte d'encyclopédie en vrac, dont
le téléspectateur n'est pas le maître (contrairement à
l'usager d'une encyclopédie livresque) et qui meuble son
esprit de connaissances disparates entre elles (et non pas
en elles-mêmes comme on le dit souvent). Dès lors les
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cultures individuelles ont tendance, encore plus fortement


que les précédentes, à être « arlequinées » (pour pasticher
Michel Serres).
Des sujets dont on n'aurait pas même eu l'idée auparavant,
sont dégrossis pour vous, mis à votre portée, éclairés. Il
paraît indiscutable, malgré l'avis hautement proclamé des
« spécialistes» de la culture (<<les indigènes de la culture
savante» dont parle Bourdieu47) que la culture indivi-
duelle, en termes de territoire du savoir parcouru, est
beaucoup plus vaste pour le plus grand nombre des
couches sociales, que ce n'était le cas. L'équivalent d'une
nouvelle « culture générale» est aujourd'hui capitalisé.
- Celle-ci est ouverte à tout le monde puisqu'elle
ne s'inscrit plus dans le monde normé de l'école qui a
perdu sa nature d'unique pourvoyeuse en savoirs. Les
médias ne supposent pas de performances, ne fonctionnent
pas selon la notation, et donc, n'exigent aucune hiérarchie.
Chacun y a librement accès, et peu importe (pour la
présente démonstration) ce qu'il y prélève. En outre, nul
ne porte un jugement (sauf en termes banals de
« classements» sociaux: il y a des émissions à regarder

47
Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, La reproduction,
Minuit, 1970.
168
pour être distinctif et d'autres qui ne le méritent pas) sur
l'usage et la consommation télévisuels. L'autodidaxie a
trouvé un nouveau véhicule, bien adapté à ce que l'on
pourrait appeler « l'absorption» de nourritures intellec-
tuelles (à notre avis pas pires que celles de I' école).
Une démocratisation n'est pas construite par ce seul
processus de fréquentation libre et dépourvu de sanction.
Mais ses conditions nécessaires sont remplies, pour la
première fois dans I'histoire. Il suffira que se mette en
place une instance d' « incorporation» (Bourdieu encore),
d'organisation de ces savoirs erratiques, pour que la
démocratisation atteigne son plein effet, et qu'une moda-
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lité véritable d'auto-apprentissage soit mise en place.


L'école serait en principe dévolue à ce rôle, mais elle
dédaigne cette besogne au profit de sa tradition propre,
faite de connaissances compartimentées, elles-mêmes dis-
parates entre elles, et qui, pour certains, ne correspondent
plus à rien, ni à la modernité ni à la formation des esprits.
Pensons à l'exemple remarquable traité par Jacques
Gonnet48 : l'actualité. Elle est en effet inscrite désormais
dans la culture anthropologique quotidienne de tout un
chacun, et nul ne peut pratiquement plus la court-circuiter
parce que les médias, par leur omniprésence, constituent
un sujet de conversation, d'échanges, et le soubassement,
le « sol commun» de jugements qui eux restent personnels
mais portent sur les messages des médias. Si vous ne
pouvez pas participer, socialement, au débat quotidien,
vous vous trouvez, de fait, exclu. Or, l'actualité est
particulièrement complexe et il est extrêmement difficile,
même pour les tenants de la culture cultivée, de s'y
orienter sereinement et avec certitude. Moins votre capital
culturel est volumineux et structurellement diversifié, plus
les obstacles bloquent votre compréhension de l'actualité

48 Jacques GONNET, L'actualité à l'école. Pour des ateliers de


démocratie, Armand Colin, 1995.
169
relayée par les médias. Les écarts, là encore, se creusent si
l'on y veille, et l'école se devrait d'assumer ce nouvel en-
jeu qui consiste à s'orienter dans le maquis de l'actualité.
En outre, celle-ci malgré son clinquant et ses tape à l' œil
(la spectacularisation médiatique), existe réellement et
affecte des personnes et des objets à travers le monde au
point que les échos en parviennent partout sur la planète.
L'actualité, en somme, en partie au moins, existe et nous
concerne. Elle est intégrée dans notre culture et nul n'y
échappe véritablement. C'est une doxa œcuméniquequi se
définit d'une part à travers « l'analogon» (Barthes)49 de
l'image (ce que la caméra montre a bien eu lieu malgré
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

quelques dérives calamiteuses comme Timisoara), c'est-à-


dire ce qui est présenté à tout le monde, et, d'autre part, à
travers les interprétations personnelles que chacun en fait
et qu'il confronte avec ses relations sociales, à mesure du
déroulement de l'actualité.
- L'instantanéité et l'éphémérité caractérisent ce
capital culturel spécifique.
L'oubli y est une matière première, mais, contrairement à
ce que l'on pourrait penser, laisse des traces, même
inconscientes, dans la mémoire nouvelle, construite sur la
base de la communication médiatique, une espèce, en
somme, de culture télévisuelle qui, comme la célèbre
culture d'autrefois, «subsiste quand on a tout oublié ».
L'actualité est un flux sans fin. Même si des horreurs, par
exemple, ne font pas agir les individus, elles les font
réagir, et c'est déjà quelque chose.
L'aide à la mise en ordre, dans tous les cas de figure étu-
diés ici, est devenue nécessaire. Une politique culturelle ne
saurait en faire l'économie, sauf à laisser les écarts se
creuser et à entériner une société duale (et même
davantage). On ne saurait faire, en tout cas, comme si
l'information et la connaissance n'étaient que triées pour
49
Rhétorique de l'image in Communications n° 4, Seuil, 1966.
170
les élites, elles sont, sous une forme sans doute discutable
(mais ni plus ni moins que toute autre forme), disponibles
à tous, saisissables par tous. C'est donc de ceux-ci qu'il
doit être question et non des médias eux-mêmes
seulement.

3.3. Les conséquences sur les personnes


Les médias, Mac Luhan l'avait exactement prévu, ont pour
fonction moins visible mais plus profonde encore, de fa-
çonner sans doute les esprits, de modifier les représen-
tations, et de changer les conceptions même de la culture,
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ou peut-être même sa définition. Ils transforment les


mentalités, au moins superficiellement et lorsque la quoti-
dienneté reste la quotidienneté sans solliciter profondé-
ment « l'esprit ou l'âme» de quelqu'un. Ils induisent des
conduites culturelles radicalement (dans I'histoire) neuves.
* L'instantanéité
On la retrouve ici, dans une autre posture. Les médias
(alliés aux moyens technologiques de déplacement des
personnes: trains, avions, autos) semblent rétrécir le
temps et contraindre tout un chacun, culturellement, à
vivre dans l'urgence et la brièveté. Tout se passe comme si
tout le monde était pressé et ne connaissait plus le temps
de la lenteur dont parle Pierre Sansot après beaucoup
d'autres.
On veut, par exemple, accéder immédiatement à l'infor-
mation, disposer dans l'instant des outils distribuant tout
apprentissage nouveau. On ne veut plus consacrer du
temps à quoi que ce soit. Or, les langues s'inscrivent dans
ce paysage historiquement inédit. Toutes les institutions
spécialisées, et surtout dans tous les pays, constatent le
phénomène: le temps que l'on souhaite consacrer à ap-
prendre une langue est incroyablement court par rapport à
ce qu'il était il y a à peine un quart de siècle.

171
L'investissement temporel dans l'apprentissage des
langues, en somme, se raccourcit et les objectifs en sont
mieux inscrits: d'abord la compréhension et l'expression
orales. Communiquer dans la langue. On ne veut plus
accumuler les connaissances sur la langue, dont on ne voit
pas l'utilité (et qui n'en ont qu'une faible, en effet). Les
enseignants professionnels, là non plus, n'ont pas compris
(ni même, probablement, perçu, le phénomène), persistent
dans leurs rythmes anciens dont ils croient de bonne foi
que ce sont les seuls rythmes possibles et refusent
dogmatiquement d'y réfléchir.
A cet égard aussi, les médias manifestent une supériorité
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

indiscutable parce qu'eux pareillement fonctionnent à la


brièveté, puisqu'ils sont en partie à l'origine du phéno-
mène. Leur usage pour apprendre une langue, dans les
nouvelles perspectives, est de plus en plus développé,
d'autant, comme déjà dit, que le besoin d'apprentissage
autonome (ici autodidaxique) grandit et que les médias
sont considérés comme des instruments banals que l'on
peut employer avec simplicité (comme ce fut le cas des
voitures ).
* Le goût du concret et de l'utile
On sait qu'une des caractéristiques des modes de vie
actuels consiste en la préférence vers tout ce qui est
palpable, tangible, pragmatique. L'apprentissage des
langues évolue dans ce sens, contrairement, une fois de
plus, à l'enseignement. On désire fortement pouvoir se
servir aussitôt de ce que l'on apprend, et c'est pourquoi,
d'ailleurs, contrairement au temps d'autrefois où l'on
fuyait les séances d'évaluation parce qu'elles étaient
reçues comme académiques et sans fondement existentiel,
on réclame aujourd'hui des évaluations fréquentes et très
tôt dans l'apprentissage, à condition qu'elles soient orien-
tées vers l'efficacité (c'est-à-dire le contrôle de l'utilité).

172
De plus en plus, donc, les évaluations valorisées par les
apprenants sont celles qui sont exercées par des natifs de
la langue apprise: dès le début les usagers veulent savoir
où ils en sont, par rapport à leur objectif utilitaire, et le
chemin qui leur reste à parcourir. Les médias, à ce propos,
exercent une forte influence, parmi d'autres facteurs, parce
qu'ils sont beaucoup plus sensoriels qu'intellectuels (Mac
Luhan) et beaucoup plus globaux qu'analytiques (idem).
Ils ont contribué à modifier le sens et les modalités d'un
apprentissage, dans la direction d'une appropriation
immédiate.
* Le développement des auto-apprentissages
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Il ne s'agit pas ici nécessairement d'apprentissages


absolument solitaires, autodidaxiques, mais d'apprentissa-
ges choisis, où l'impétrant veut fixer seul son propre but et
son propre chemin vers celui-ci. C'est pourquoi les centres
institutionnels (parfois à l'intérieur même des centres
traditionnels) se sont installés et multipliés, fondés sur
l'autonomie de l'apprentissage, donc que chaque usager
emploie à sa guise et son rythme.
Il trouve tous les outils qu'il peut souhaiter (manuels,
livres, journaux, médias divers) et aussi l'aide humaine
dont il éprouve le besoin. Mais celle-ci n'intervient qu'à sa
demande: le tuteur (ou conseiller, ou consultant) mais non
un enseignant (qui disposerait, par hypothèse, de la
puissance de décision et de conduite) est là pour l'aider,
s'il le souhaite, à clarifier ses objectifs et à lui indiquer,
dans telle ou telle hypothèse, les divers chemins qu'il peut
suivre et leurs avantages et inconvénients5o.
Pour tout le reste, l'apprenant gère seul son apprentissage
et il peut légitimement se faire qu'il reste seul d'un bout à
l'autre, sans avoir jamais recours au tuteur. Il décide lui-
même où il commence, à quel rythme il vient au centre

50
Marie-José BARBOT et Giovanni CAMA TARRI, Autonomie et
apprentissage, P.U.F., 1999.
173
d'apprentissage et quand il arrête. Il n'est pas du tout bridé
par des instances externes. Il se situe donc dans ce que le
Crapel nomme justement un « apprentissage auto-dirigé ».
De là s'est progressivement installée une pratique désor-
mais courante et qui possède deux versants: soit une
personne commence son apprentissage seule, puis, arrivée
à une certaine étape, éprouve le besoin de le poursuivre ou
de l'asseoir plus formellement, ou plus solidement, par
une inscription dans une institution (classique ou d'auto-
apprentissage), enfin abandonne celle-ci et procède elle-
même au perfectionnement jusqu'à l'objectif qu'elle s'est
fixé. Soit une personne commence son apprentissage en
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

institution, et, à un moment donné, parce que cela corres-


pond mieux à son rythme ou à la démarche qu'elle vise,
continue seule. Instauration d'un régime mixte, donc.
Cette pratique se répand d'autant plus que, sur le plan
professionnel, des requis linguistiques deviennent néces-
saires (pour une promotion, un changement, ou la transfor-
mation des tâches elles-mêmes) et le sujet se trouve
confronté à la nécessité d'apprendre (ou de se perfection-
ner dans) une langue étrangère en disposant d'un temps
limité parce qu'il ne bénéficie pas, pour ce faire, d'un
congé-formation, ou du loisir indispensable.

3.4. La diversification, mot pivotai d'une politique


linguistique
Il est évidemment insensé qu'une politique linguistique ne
prenne pas en compte ces situations nouvelles, extrême-
ment variées selon les individus, et n'instaure pas les
conditions d'une véritable diversification des modalités
possibles d'apprentissage. Chaque personne possède des
objectifs dits sectoriels, qui découlent de son propre
contexte et de ses représentations qui lui sont singulières.
Dès lors, une politique linguistique réduite à l'ensei-

174
gnement institutionnel habituel est devenue complètement
désadaptée. Il lui faut, en outre, intégrer l'apport, difficile
à mesurer, mais indéniable et puissant, des voyages à
l'étranger. Ces immersions momentanées contribuent à
l'intériorisation de la langue considérée, et placent l'impé-
trant dans une situation linguistique qui ne correspond pas
nécessairement aux étapes institutionnelles classiques.
D'ailleurs, l'enseignement officiel a pris le phénomène en
compte en intégrant dans ses propres pratiques «des
classes transplantées» à l'étranger pour une période x.
D'une manière plus générale, les désormais fameux
«séjours linguistiques », accessibles sur le mode privé,
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prolifèrent. Il suffit pour s'en convaincre de visiter le salon


« Expo-langues » chaque année: la surface prise par les
organismes qui proposent ces séjours est beaucoup plus
importante que l'espace imparti aux modalités
traditionnelles d'apprentissage.
Donc, au total, les rythmes, les objectifs, et les démarches
méthodologiques, s'inscrivent désormais au sein d'une
diversité constitutive, linguistiquement et culturellement.
Les usagers ont maintenant compris que «plaie linguis-
tique n'est pas mortelle », que l'on peut toujours y
remédier, mais que, en revanche, les ignorances ou les
méconnaissances culturelles demeurent fortement stigma-
tisées (par les populations indigènes) et, d'autre part,
beaucoup plus complexes que les stricts apprentissages
linguistico-linguistiques.
Preuve supplémentaire, s'il en fallait, qu'une politique
linguistique doit à la fois reposer sur une philosophie
d'ensemble et s'adapter constamment, à l'intérieur de
celle-ci, aux contextes divers et à la transformation inces-
sante de ceux-ci. Pour l'instant nous en sommes très loin
mais la pression est en train de devenir si forte que les
politiques linguistiques finiront bien, de gré ou de force,
par se construire.

175
4. LA REVOLUTION INFORMATIQUE
Nous passerons vite sur les cédéroms parce qu'ils sont
déjà implantés, que même les institutions ont commencé à
les utiliser et que les individus y ont recours presque sans
y penser. Indiquons seulement qu'ils possèdent trois
avantages: leur maniabilité remarquable (et leur faible
encombrement), leur extrême richesse (par l'existence et
la facilité d'accès des hypertextes), et leur nombre de plus
en plus grand correspondant à leur souci (commercial) de
coller au plus près à la diversité de la clientèle potentielle.
Il faudrait probablement y ajouter la sophistication des
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

articulations entre langue et culture et l'incarnation


iconique du contexte considéré qui le rend plus accessible
(au moins dans l'esprit des usagers) que le simple manuel,
et plus « intéressant », c'est-à-dire développant davantage
la motivation et son renouvellement. L'attractivité télévi-
suelle dont nous parlions ci-dessus, s'est transférée intacte
sur les cédéroms.
De même n'insisterons-nous pas, pour d'autres raisons,
sur les téléphones portables, dont la croissance est
proprement hallucinante, parce que, pour l'instant, leur
pertinence (pourtant manifestement indiscutable), sur l' ap-
prentissage des langues et des cultures, reste relativement
énigmatique et encore très mal stabilisée. Leur ubiquité et
leur multifonctionnalité s'inscrivent cependant pleinement
dans une internationalisation de leur usage et nul doute
qu'une politique linguistique ne pourra pas les contourner.
D'une certaine manière, ces deux instrumentations nouvel-
les peuvent être considérées comme des cas particuliers
d'internet qui constitue, à coup sûr, la révolution la plus
profonde qu'il y ait eu dans la gestion de l'information et
du savoir et dans leur appropriation pour tout un chacun.
L'internet dévoile des possibilités bien supérieures à celles
de la télévision (y compris celles de la télévision elle-

176
même). Dans très peu de temps, l'ignorance de son usage
sera une infirmité sociale cardinale, plus forte encore que
la méconnaissance des langues étrangères, bien qu'inter-
net, par définition, pratique toutes les langues.
Il reste cependant dominé par l'anglais, parce que c'est
celui-ci qui t'approvisionne le plus puissamment, et les
écarts se creusent chaque jour à l'égard des autres langues.
Il faut cependant surligner fortement un point, qui n'est
presque jamais mentionné: toutes les langues écrites,
désormais, ont accès à internet, et, par conséquent,
peuvent se manifester concrètement auprès de n'importe
qui. Elles sont, véritablement, ouvertes, et c'est une grande
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

nouveauté parce que, naguère, beaucoup ne restaient


enfermées que sur soi.

4.1. N'importe qui avec n'importe qui


Pourvu que l'on en connaisse l'utilisation technique,
internet est disponible à n'importe qui et celui-ci peut
donc entrer en communication avec n'importe qui. Plus de
frontières, c'est-à-dire une radicalisation forte de l'ubiqui-
té signalée ci-dessus pour les médias « classiques» : l' es-
pace et le temps se trouvent, comme biens d'usage, abolis
ou très fortement amenuisés. Chacun peut dire ce qu'il
veut, il trouve toujours des interlocuteurs, même ceux
qu'il ne prévoit pas, et parfois à l'autre bout du monde.
Pour l'instant, l'instrument informatique contribue massi-
vement à un nouveau développement de la langue écrite
(en lecture et en écriture), et il faut impérativement en
tenir compte. Il est hautement probable que, dans un faible
délai temporel, l'oral et l'écrit se retrouvent à égalité et
que chacun d'eux s'épanouira en fonction des contextes.
La revalorisation d'aujourd'hui que connaît la langue
écrite doit évidemment être prise en compte par une
politique linguistique.

177
4.2. L'interactivité
C'est le deuxième atout maître de la toile, mais il importe
de le placer après le premier parce que, concrètement, il
n'acquiert toute sa valeur que par rapport à celui-ci.
L'interactivité, c'est-à-dire une espèce particulière de
l'interlocution, c'est-à-dire de la communication, du
dialogue (que l'on n'oublie pas Bakhtine) et de l'échange,
fournit l'extraordinaire disponibilité de l'instrument. Les
cédéroms et les portables, cas particuliers de cet ensemble,
sont dotés de cette même caractéristique, méthodologique-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

ment décisive.
L'interactivité, en effet, c'est l'implication directe du sujet
dans son apprentissage, sa possibilité inépuisable
d'intervenir, de rectifier, de s'approprier véritablement le
processus, de déployer son activité propre, et, donc, de
développer librement son initiative. Dans les méthodolo-
gies pédagogiques, ces conditions constituent pratique-
ment l'idéal de l'apprentissage parce qu'elles s'appuient
sur l'intervention du sujet apprenant lui-même.
D'une certaine façon, à cet égard, internet incarne le
média des médias, enferme en lui-même tous les autres.
On comprend qu'une politique linguistique ne l'ait pas
encore pleinement intégré, parce qu'il incarne une nou-
veauté absolument radicale, d'une part, et que, d'autre
part, il se transforme incessamment à une vitesse jusqu'ici
inconnue qui rend extrêmement délicate une prévision
relativement longue (qui est indispensable à une définition
effective d'une politique linguistique).
La seule initiative qu'une politique linguistique, nationale,
régionale, locale, d'entreprise, devrait être en mesure
d'établir, c'est de former adéquatement ses prestataires à
l'usage optimal de cet équipement inédit. De préparer
l'avenir, en somme, en imposant fermement une compé-

178
tence d'usage (de l'informatique en général) à tous ses
acteurs, en sorte qu'ils ne laissent pas passer ce train-là,
qui filera à coup sûr sans eux en les laissant irrémédiable-
ment sur la voie.
Il ne fait pas de doute qu'internet va opérer, par ses deux
qualités mises en évidence, une révolution complète dans
les modalités d'utilisation des langues étrangères, et donc,
aussi, façonner, modeler leurs façons de procéder, et, par
conséquent, favoriser une dualité inédite dans une société,
cette fois entre les générations.
Une communauté sera d'autant plus forte pour user opti-
malement d'internet qu'elle disposera d'avance d'une
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

politique linguistique à la fois claire, déterminée, et simple


(les trois qualités fondamentales d'une politique linguisti-
que efficace et saine à la fois). La disponibilité culturelle
d'internet est illimitée, plus encore (par définition) que sa
disponibilité linguistique, et la première est en train de
donner un coup d'accélérateur à la deuxième, et sans
doute, de simplifier encore les modalités d'appréhension
d'une langue par un usager en fonction de ses besoins
propres.
Dans ces conditions l'institution scolaire court le risque de
se désadapter encore davantage sauf si elle se décide à
intégrer internet dans sa propre instrumentation pédagogi-
que. C'est aussi une raison pour qu'une politique linguisti-
que (et, plus globalement, une politique éducative) antici-
pe la formation de ses prestataires (ici les enseignants
principalement) à l'usage de ce média dont les possibilités
dernières restent inimaginables alors même que ses
performances d'aujourd'hui sont déjà sidérantes.
Pour peu qu'une commande véritablement multisenso-
rielle soit rapidement maîtrisée par internet, celui-ci
constituera véritablement l'athlète complet d'une diffusion
des langues et des cultures, d'un échange à la fois
international et personnel, d'une banque de données à la

179
fois complète et flexible, soumise seulement à la capacité
de circulation, donc d'initiative, de l'usager pour trouver
ce qui lui convient le mieux.
Il est hors de propos, enfin, que cette technologie neuve,
sonne le glas des précédentes. Tel n'a jamais été le cas
dans l'histoire, Mac Luhan l'a montré le premier. Au con-
traire, une technologie inédite revivifie les anciennes en
leur assignant, par déplacement fonctionnel, un autre rôle.
C'est pourquoi, même s'il y a révolution de disponibilité
par internet, le savoir, lui, par exemple, continuera de
s'élaborer lentement, par rationalité et tâtonnements,
même si les données nécessaires sont beaucoup plus
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

immédiatement fournies. Debussy disait qu'« il y a encore


de la belle musique à faire en do majeur ». Tel est le cas
ici aussi, et une telle situation doit susciter plutôt la
motivation qu'un regret nostalgique.

180
L'EDUCATION COMPAREE

Même si l'école n'est plus, et de loin, la seule source


d'apprentissage des langues, et même si elle ne constitue
plus l'instrument unique de la construction et de la
diffusion du savoir, une politique éducative est de plus en
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

plus nécessaire, incluant une politique linguistique


(générique) pour répondre aux besoins à la fois tradition-
nels et émergents de l'éducation de tous. Simplement, les
deux ont à transformer leur rôle, leur place dans la
construction et l'adaptation des savoirs, à redéfinir, en
somme, leur nature et leurs modalités.
A cet égard, il est rigoureux d'affirmer que les nouvelles
fonctions de ces politiques sont doubles: d'une part doter
chacun de l'équipement intellectuel par lequel l'autonomie
est possible et d'autre part contribuer à l'internationalisa-
tion qui progresse en même temps que la volonté
patrimoniale, c'est-à-dire les deux composantes de ce qui
élabore conjointement une identité, dans sa diversité
désormais constitutive, et une flexibilité (capacité
adaptative) qui permet à chaque individu d'être l'acteur de
son histoire plutôt que de la regarder passer.
L'éducation, désormais, s'étend du «berceau à la tombe »,
comme le disent depuis longtemps les Britanniques et, par
conséquent, la pratique des langues étrangères doit
commencer dès le plus jeune âge 51 sans être jamais
terminée. Telle est la nouvelle donne pour le temps d'une
51
Dominique GROUX, L'enseignement précoce des langues,
Chronique sociale, Lyon, 1995.
181
vie. L'espace lui aussi se trouve autrement défini, et la
circulation sans cesse accrue des personnes et des biens, y
compris « symboliques» (Bourdieu), conduit inéluctable-
ment vers un œkoumène qui ne néglige pas les apparte-
nances de proximité.
C'est pourquoi la réflexion éducative appelle aujourd'hui
un accent particulièrement fort mis sur l'éducation com-
parée 52, qui est, sans avoir encore atteint la pleine
conscience ni des politiques, ni des enseignants, ni des
parents, l'alpha et l'omega de toute éducation, quel que
soit l'endroit du monde où l'on se trouve. L'éducation
comparée s'imposera à coup sûr, est en train de s'imposer,
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

à mesure que les échanges se multiplient.

1. UNE DIVERSITE NATIONALE INTERNE


A l'intérieur même d'un pays, les circulations et les
réseaux éducatifs sont appelés à se multiplier. Les
coopérations entre régions, par similitudes et différences,
se trouvent désormais convoquées, précisément par
l'articulation entre l'universalité éducative et les ancrages
culturels locaux. Les montagnes, les mers, les fleuves et
les plaines, les neiges et les profondeurs historiques, sont à
la fois propriétés communes et différenciations patrimo-
niales. Ils appellent une connaissance mutuelle et un
savoir partagé de même qu'une accoutumance culturelle à
l'identité de l'autre, qui, globalement, tend à l'admission
de l'altérité en tant qu'altérité jusqu'au niveau des
individus.
Que la conscience d'une même appartenance nationale
passe par un colbertisme, un jacobinisme, une uniformi-
sation, est aujourd'hui une absurdité. C'est au contraire à
travers la diversité que se cimente l'unité et celle-ci résulte

52 Dominique GROUX et Louis PORCHER, L'éducation comparée,


Nathan, Paris, 1997.
182
d'une adhésion libre à une inculcation et à une éducation
qui mettent en œuvre les universels-singuliers. Une éduca-
tion comparée interne à la nation est donc indispensable.
Il est probable que le problème se pose différemment,
mais avec les mêmes visées, dans certains de nos pays
voisins, où l'unité, historiquement, a été plutôt de type
fédératif, comme en Allemagne, ou sur le mode du
conventionnalisme entre régions comme en Espagne.
C'est un argument supplémentaire, au nom de l'Europe et
de bien au-delà, pour que la France introduise la
circulation éducative en son sein pour atteindre à la fois
une couleur propre, celle du fond de tableau, sur lequel se
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repèrent les bigarrures qui caractérisent les appartenances


lignagèrement héritées.
Les classes transplantées, déjà fortement développées, ne
peuvent que se multiplier, de même que les appariements
entre écoles, ou entre classes, par le biais des médias infor-
matiques. Dans certaines académies, déjà, des réseaux
d'enseignants se sont mis en place, à travers des liaisons
internet qui permettent les échanges et contribuent à faire
cesser l' enfermement traditionnel de l'enseignant seul
dans sa classe. Le mouvement est lancé, il faut l' encou-
rager par tous les moyens, dès la formation initiale des
enseignants.
Toutes sortes d'échanges sont possibles: d'expériences,
de manières de procéder, d'instrumentations pédagogi-
ques, d'interrogations, de pratiques. Pour l'instant, presque
personne ne sait comment procède l'autre: il y a donc
beaucoup à espérer. «Les styles d'enseignement et les
styles d'apprentissage» (Crapel) sont, certes, uniformisés
par les programmes, mais ils possèdent tous leur singula-
rité qui tient, en partie, aux appartenances de proximité.
C'est une espèce nouvelle de la pédagogie interculturelle
qui est en train de naître au sein d'un ensemble national,
fondée justement sur le sol commun (qui permet l' échan-

183
ge, ne l'oublions jamais: sans point fixe, pas de mobilité)
et sur des singularités (qui constituent 1'enrichissement).
Toutes les disciplines se trouvent ici engagées, même si
certaines (histoire, géographie, langues) sont probable-
ment plus favQrables que d'autres à des interactions
fertiles et impossibles autrement.
Il en va de même, évidemment, entre le système scolaire
proprement dit et les autres acteurs, désormais multiples,
de « l'entreprise» éducative: associations diverses, clubs,
partenariats, municipalités, fonctionnaires ayant une tâche
de nature éducative à accomplir. Il est bien entendu
indispensable que, pour cela, finissent par être bannies les
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échelles mentales (et sociales) de hiérarchie des profes-


sions, de la croyance en ce que la méritocratie, mesurée
seulement aux diplômes, entraîne quasi-automatiquement
des métiers supérieurs et d'autres inférieurs. Là se situera
à coup sûr le travail le plus ardu et le plus long. Tout le
syndrome de « la noblesse d'Etat» est fortement implanté
dans notre cultures3.
Il importera aussi, et cela implique le même cheminement,
que les enseignants cessent de se considérer comme les
seuls professionnels qualifiés de l'enseignement, d'où sort
sans erreur la seule vérité de celui-ci. La cité entière est en
train de devenir éducative, et de multiples compétences
nouvelles existent sur ce champ ou sur le bord de celui-ci:
que l'on pense, par exemple, aux éducateurs de toutes
sortes, à certaines professions psychologiques, anthropolo-
giques, sociologiques, qui ne relèvent pas de l'obédience
« Education Nationale », mais ont manifestement quelque
chose à apporter en ce lieu.

53
Pierre BOURDIEU, La noblesse d'Etat, Minuit, 1987.
184
2. LA FRANCOPHONIE
Nous ne prendrons pas ici le terme en son sens strictement
politique, qui se traduit par des sommets réguliers et par
une bureaucratie de plus où se retrouvent des pays dans
lesquels la pratique de la langue française est loin d'être
avérée. Que de tels groupements existent, fort bien. Que
leur pertinence soit assurée pour notre espace de
préoccupation reste à démontrer. Nous restreindrons donc
le terme « francophonie» à son acception plus simple: les
lieux où, officiellement ou concrètement, la langue
française occupe une place assignable.
Compte tenu de l'évolution actuelle du monde et des
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technologies, compte tenu aussi de la «quasi-toute-puis-


sance» de l'anglais sur le plan des communications mon-
diales, ce monde francophone acquiert une signification
spécifique qui crée entre les pays concernés un apparente-
ment certain coloré par des cultures diverses. Dans la
mesure où le plurilinguisme, nous l'avons dit, fournit
probablement, dans l'état actuel des forces et des tendan-
ces, ce vers quoi il est souhaitable de tendre, la francopho-
nie a son rôle à jouer, tout comme l'hispanophonie où
n'importe quel autre regroupement de similitudes.
L'éducation comparée entre pays francophones s'impose
visiblement parce qu'il existe à la fois une communauté
linguistique et une pluralité d'appartenances culturelles.
Que les politiques linguistiques puissent se coordonner
(abolissant ainsi les rivalités longues qui, techniquement
au moins, sont dépourvues de pertinence) contribuerait à
ce que chacune prenne conscience qu'il existe des français
et non pas une langue française unique et strictement
balisée, et qu'aucune de ces langues françaises puisse se
targuer d'une quelconque supériorité.
Le mouvement est, certes, entamé depuis deux décennies,
mais les coopérations restent encore largement à dévelop-
per. Dans le cas propre de la France, le problème se

185
complexifie par l'existence des DOM - TOM, dont cha-
cun possède ses soubassements identitaires et un rapport
spécifique, linguistiquement et culturellement, avec les
créoles, qui, sur le plan pédagogique (et sur les autres
aussi, évidemment), constituent des enjeux identifiables et
bien réels54. Des progrès notables ont été accomplis, mais
des accords, des mises en réseaux, des échanges avec
l'hexagone, doivent être inventés, à la fois semblables et
autres que ceux qui doivent s'enclencher avec les langues
régionales.
Mettre en commun sans que chaque entité francophone
perde son identité, tel est le pari qu'il faut engager, et qui,
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en littérature par exemple ou dans d'autres activités


mettant en jeu la langue, s'est déjà traduit par des actes:
Chamoiseau, Réjan Ducharme, Mimouni, Brel, Barbara,
Césaire, Antonine Maillet, en fournissent quelques exem-
ples parmi des milliers d'autres. Le chemin est ouvert, il
nous appartient à tous de l'approfondir.

3. LA COMPARAISON DES SYSTEMES


EDUCA TIFS
L'uniformisation de ceux-ci n'est ni souhaitable ni possi-
ble, même sur le plan européen (aussi bien au sens de
l'Europe politique que pour la quarantaine des pays
membres de l'Europe). La voie la plus fructueuse consiste
alors à instaurer, sinon une harmonisation (qui prendra du
temps mais permettra réellement de travailler en commun,
chacun selon ses intérêts), du moins des réseaux de
communication, qui passent par une connaissance mu-
tuelle (et, en outre, renforcent celle-ci).

54
Paule FIOUX, L'école à l'île de la Réunion entre les deux guerres,
Karthala, 1999.
186
3.1. L'Union Européenne
Il existe pour l'instant une discrépance frappante entre
l'état économique de cette Union et son état éducatif.
S'agissant de celui-ci, les liens se tissent lentement, mais
les coopératwns fertiles se heurtent à des blocages qui
tiennent à l'histoire des systèmes d'enseignement, aux
options choisies pour instaurer ceux -ci, et aux accents mis
par ce qu'il faut bien appeler les cultures nationales sur
telle ou telle valeur éducative.
Un point est à souligner fortement: dans tous les pays
européens, l'attachement national au système d' enseigne-
ment, même quand il est décentralisé, est tellement
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puissant que, manifestement, il ressortit à l'ordre du


symbolique, du bien patrimonial qui relève largement de
l'irrationnel, de l'affectif, de l'atteinte à l'identité de soi.
Pour cette raison, les groupes d'experts réunis par
Bruxelles, pourtant dotés de la meilleure volonté, ne sont
pas parvenus à se mettre d'accord sur une simple
harmonisation des disciplines, des finalités, des objectifs
mêmes, des manières de procéder.
Imaginons ce qui se passerait en France si un gouverne-
ment entreprenait de s'attaquer sérieusement au baccalau-
réat, ce monument national qui constitue un véritable
«lieu de mémoire». Il est tellement ancré dans les
mentalités, il pèse d'un poids si lourd sur la conscience
(ou l'inconscient) individuelle et collective, il incarne tant
de valeurs non-réfléchies, qu'y toucher ressemblerait à une
sorte de blasphème, de profanation d'une croyance com-
mune immédiate et qui gèle toute analyse.
* Les élèves
Il est donc vain, à vue humaine, de chercher à modifier
profondément le système scolaire français, et, sans doute,
ceux des voisins. C'est par conséquent de communications
plus ouvertes et plus fréquentes entre eux qu'il doit s'agir
si la circulation des personnes (donc aussi des enfants) est

187
amenée à s'accroître. Certes, il existe beaucoup de moyens
de procéder autrement, notamment celui d'ouvrir à l'étran-
ger des établissements scolaires, «exportés» en somme,
comme le fait la France depuis longtemps dans les grandes
villes.
C'est positif, évidemment, parce qu'il y a, dans le lycée
français de Londres, par exemple (ou de Rome, etc.) une
ouverture réservée aux Britanniques eux-mêmes, et que,
par conséquent, l'enseignement, quoiqu'il reste français,
est marqué de « britannicité» et que, en outre, les élèves
hexagonaux, à la sortie des classes, sont plongés dans un
bain linguistique indigène. Il faut reconnaître cependant
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que cette voie n'est pas idéale et que, si la circulation


intro-européenne, dans les années à venir, n'est pas
réservée à l'élite des élites, cette «solution» sera
beaucoup trop onéreuse pour être répandue.
Dans l'enseignement supérieur en revanche, Erasmus,
programme bruxellois de participation des étudiants
membres de l'Union à l'enseignement de leur choix dans
l'un des quatorze autres pays pendant une période de
temps brève, fonctionne mieux parce qu'il est effective-
ment utilisé. Quand on regarde les chiffres cependant, il
reste embryonnaire, et presque nul au niveau des
enseignants. D'autres programmes européens existent, qui
connaissent aussi un succès mitigé.
Dans tous les cas se pose le problème de la langue et c'est
celui-ci qui devrait être résolu en priorité, notamment en
organisant, dans les universités, c'est-à-dire au moment du
choix des orientations étudiantes, des enseignements
intensifs de la langue souhaitée. Tel n'est pas le cas pour
l'instant, mais l'on note, situation rarissime, mais, donc,
possible, et, en tout cas, souhaitable, l'ouverture de
programmes universitaires par exemple sur trois pays,
dont deux années dans deux autres pays que la France.

188
Des frémissements se font sentir, au total, mais le
problème reste quasi-entier, mis à part, dans les enseigne-
ments secondaire et parfois primaire, l'organisation
d'échanges réguliers avec des établissements étrangers
homologues. Mais, là encore, les difficultés financières
sont telles que des discriminations insupportables entre
élèves pourraient apparaître et limiter la tendance.
* Les enseignants
C'est à leur endroit, par conséquent, qu'il convient
d'orienter l'effort, en sachant d'emblée que les Français
sont, en pourcentage, de loin les moins «circulateurs»
d'Europe. Il est inconsidéré, malgré les apparences, de
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chercher à encourager leurs déplacements vers l'étranger


parce que, si même cela se fait, cela prendra des
décennies. Il est plus opportun de rendre obligatoire pour
tous, et dans l'ensemble des pays européens, une forma-
tion à l'éducation comparée, faite par de vrais spécialistes.
Le but en est, et il est maintenant urgent, de faire connaître
par tous les partenaires, les modalités de fonctionnement
des systèmes d'enseignement des autres pays. Il ne s'agit
pas de faire de ces enseignants (ou chefs d'établissement)
des spécialistes d'éducation comparée, mais de traiter, en
un premier temps, les aspects de celle-ci qui leur seraient
utiles dans leur métier. Ils permettraient, même globale-
ment et indépendamment de l'Europe, de donner aux
prestataires français de l'éducation la vertu fondamentale
dont ils ont besoin et dont ils sont, pour l'instant,
complètement dépourvus: la décentration, c'est-à-dire la
capacité de sortir d'eux-mêmes, de se placer à distance de
leurs propres pratiques et d'acquérir ainsi davantage de
lucidité, donc de regard critique, sur eux-mêmes.
Les enseignants français en effet, et ils ne sont
malheureusement pas les seuls, sont profondément
ethnocentriques et croient sincèrement que leur manière
d'enseigner est la meilleure au monde (certains pensent

189
même, tellement ils sont mal formés, qu'elle est la seule
possible). Ils seraient stupéfaits de découvrir qu'ailleurs on
ne procède pas comme chez eux, et que, nonobstant, le
système scolaire considéré est plein de cohérence et atteint
la même efficacité que le leur.
Peut-être, au début, cela ne servirait-il à rien, parce qu'ils
jugeraient les manières de procéder des autres exotiques
ou folkloriques (au sens que nous avons donné précédem-
ment à ces deux mots), mais à la longue, la comparaison
cheminerait dans leur esprit et contribuerait à ouvrir celui-
ci. Et puis un effet d'entraînement s'opérerait par les plus
dynamiques, ceux qui saisiraient d'emblée la philosophie
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de l'entreprise.
Non seulement leur ethnocentrisme serait bousculé par
l'éducation comparée, mais leur sociocentrisme aussi,
c'est-à-dire le mouvement au terme duquel, dans leur
propre société, ils se considèrent comme des profession-
nels de l'enseignement qui n'ont pas à échanger, à ce
sujet, avec ces amateurs que sont, par exemple, les parents
d'élèves. Les enseignants français jugent que l'enseigne-
ment français est leur propriété et qu'il ne relève que de
leur seule appréciation. Par l'éducation comparée ils
apprendraient qu'une telle attitude est loin d'exister par-
tout, et que les pays où les parents d'élèves sont officiel-
lement dotés du pouvoir d'intervenir dans la vie de
l'établissement ne sont pas rares.
Ils s'apercevraient aussi que les programmes, par exemple,
ne sont pas nécessairement fixés par le gouvernement et
que, dans la plupart des cas, ils sont fixés par une autorité
plus proche de la réalité scolaire: la région, ou parfois
même la municipalité, ou parfois même encore l' établisse-
ment lui-même. Bref, ils constateraient que l'enseigne-
ment est un produit culturel, historiquement construit, et
que, chez eux, il n'est, quasiment par définition, ni pire ni
meilleur qu'ailleurs.

190
Si nous avons fait un sort particulier à l'union européenne,
c'est qu'on imagine difficilement que des transformations
harmoni santes n'affectent pas les différents systèmes
scolaires, même s'il est évidemment capital que chaque
pays conserve sa culture identitaire. L'exception cultu-
relle, à laquelle va peut-être s'ajouter, dit-on, l'exception
sportive, est certes capitale, mais elle ne constitue pas un
service comme c'est le cas de l'enseignement (ce que les
enseignants français refusent de voir).
Dans ces conditions, il deviendra vite impossible que des
convergences ne se créent pas, tout en maintenant les
différences qui relèvent de l'identité nationale effective-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

ment vécue ou symbolique (ce qu'un système d'enseigne-


ment est toujours aussi). On peut suggérer, sans grand
risque de se tromper, que les décennies à venir verront se
confronter les points de vue (et, donc, négocier) autour de
questions centrales.
. La définition des programmes: qui les construit,
pourquoi sont-ils imposés alors qu'ils ne sont qu'à
peine contrôlés, en quoi sont-ils utiles, à quoi servent-
ils sinon à une bureaucratie apparemment dirigeante
du système? Sont-ils bien composés? (Non: pour-
quoi, par exemple, placer I'histoire ancienne en début
de cursus secondaire, à un âge où les enfants éprouvent
de grandes difficultés à se décentrer) ? Etc. ...
. Qu'en est-il de l'évaluation? Est-elle nécessaire?
Doit-elle obligatoirement porter sur des contrôles de
connaissances? Implique-t-elle nécessairement les
enseignants seulement? Est-elle rédhibitoire? Surtout,
sur quoi se fondent ses modalités qui, en France, ne
sont rien moins que chancelantes, peu fiables, et
brinquebalantes ?
. Quelles sont les matières présentes et absentes dans les
systèmes scolaires? De quel poids sont celles qui
existent?

191
. Quelles sont les méthodologies d'enseignement 7
Quels objectifs, quelles progressions 7 Quel rôle est
assigné à l'élève dans la construction de son savoir 7
. Quelles sont les représentations de l'enfant ou de
l'adolescent utilisées par la communauté éducative
(parents et enfants) 7
. Comment sont formés les enseignants 7 Comment
participent-ils à la formation continue 7 (en France très
faiblement parce que, en ce domaine, ils restent libres
de leurs initiatives, et, donc, s'immobilisent).
. Quels sont les contrôles hiérarchiques 7
. Quelles sont les places du sport et de la culture
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

artistique 7
. Où se situe la religion et comment se définit la laïcité
si elle est une valeur sociale importante 7
. Comment se déroule l'avancée des élèves dans le
système et quels sont le statut et l'organisation des
examens 7
. Quels sont les manuels scolaires, leur découpage, leur
usage, leurs relations avec les enseignants et avec les
élèves 7
. Sur quels exercices s'appuie-t-on 7 Vise-t-on plutôt
l'initiative de l'élève ou leur aptitude à répéter 7
Cherche-t-on l'accumulation de savoirs ou la socialisa-
tion (comme c'est le cas dans certains pays
scandinaves 7)
. Comment s'opère l'articulation entre le temps scolaire
et le temps libre 7 Se préoccupe-t-on, et dans quelle
mesure (selon quelles modalités) de l'autonomie
apprenante 7 Y a-t-il des relais d'apprentissage hors de
l'école 7

192
3.2. Hors Europe
Les questions précédentes sont inscrites dans la
construction continuée de l'Europe mais elles se posent
pareillement (avec d'autres attendus et d'autres consé-
quences poliljques) sur l'ensemble de la planète. Il est
clair en effet que l'internationalisation ira en s'accentuant
et que, de plus en plus, une connaissance aussi exacte que
possible de ce qui se passe ailleurs sera indispensable à
l'exercice du métier éducatif. Si d'aventure il n'en allait
pas ainsi, les écarts ne manqueraient pas de se creuser
entre les différents pays et l'opacité entre les cultures se
maintiendrait sans la moindre chance d'interculturalité.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

Là réside le danger, précisément. Que les systèmes


d'enseignement, partout, se désadaptent toujours plus de la
réalité et deviennent progressivement des institutions sco-
lastiques qui ne reposent que sur leur propre répétition.
Qu'ils s'enferment sur eux-mêmes au lieu de s'interpéné-
trer et s'enrichir potentiellement de leur manière propre
d'aborder l'éducation en laissant les échanges à la marge.
L'éducation comparée s'inscrit donc au premier rang des
urgences d'une politique éducative où l'on veut éviter la
nécrose que toutes les autorités semblent redouter sans
agir véritablement. Au fond, les sciences de l'éducation,
qui ne fonctionnent nulle part de manière satisfaisante et
demeurent profondément marginalisées par rapport aux
enjeux essentiels des sociétés et des personnes, ne
devraient être désormais qu'une province de l'éducation
comparée qui devient, par l'évolution du monde,
l'instance de guidance au premier rang d'une éducation
adaptée à la fois aux transformations sociales et à la
transmission des héritages identitaires, patrimoniaux,
lignagers.

193
Documento acquistato da () il 2023/09/25.
INTERROGATIONS POUR CONCLURE

Il est à penser que les nouvelles politiques éducatives, qui


verront inéluctablement le jour au forceps, contre les pou-
voirs établis, et probablement dans la violence, s'articu-
leront autour de la place de ce que l'on appelle, d'une
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

expression devenue pleinement adéquate, les nouvelles


technologies. C'est pour cette raison que nous ne les avons
pas ici jointes aux questions posées précédemment sur le
fonctionnement et les options des systèmes scolaires. Elles
occupent désormais une fonction centrale, à l'école
comme dans l'ensemble de la société, dans la recherche de
l'information, le traitement et la gestion de celle-ci, sa
diffusion et l'usage qui en sera fait en termes de réception.
A cet égard, les politiques linguistiques occupent certaine-
ment un créneau à part au sein de ces politiques éducatives
parce que ce sont elles qui mettent en jeu le plus nettement
et de manière probablement la plus radicale, les modalités
de communication dans un groupe social donné et pour un
individu défini. Les langues ont pour double fonction en
effet l'expression et la communication, le dialogisme
s'inscrivant au cœur de ce couple.
L'information sera la donnée majeure des décennies à
venir et elle l'est certainement déjà, en tout cas en termes
de rendement économique où elle est devenue la première
marchandise du marché mondial. Pour l'instant au moins,
et l'on ne voit pas, sauf science-fiction, ce phénomène
s'effacer, cette information est transportée, sinon produite,

195
par le truchement des langues, et son accès est conditionné
par celle-ci.
L'intelligence artificielle est à coup sûr une très mauvaise
expression, pleine de connotations erronées et trompeuses,
lourde de présupposés non élucidés. Il s'agit bien plutôt
des performances de l'informatique (dans toutes ses
acceptions) et de leurs relations avec la condition humai-
ne. Pour l'instant on aboutit seulement à une technologie
de plus en plus sophistiquée mais qui ne fait pas le poids à
côté des rêves des hommes, de leur affectivité fantasmée,
de leurs aspirations à l'imaginaire.
Dans le domaine de la pensée proprement dite, les nou-
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

velles technologies peuvent augmenter la productivité et


donner, par-là, l'impression qu'elles sont en train d'engen-
drer une nouvelle humanité capable de transformer n'im-
porte quelles réalités, même celles qui touchent les vies et
la mort. L'information est conçue le plus souvent, à cet
égard, comme une force technologique sans équivalent,
même humain, et c'est peut-être vrai. Mais c'est tout de
même l'homme qui pilote et qui n'est pas réductible à
l'information qu'il ensemence même si celle-ci, sous
certains aspects, devient plus forte que lui.
C'est pourquoi les politiques linguistiques, non seulement
demeurent indispensables mais sont de plus en plus
urgentes. Les communications sur internet ou sur les
grands réseaux sont beaucoup plus nombreuses à
concerner les rêves et les imaginations, les croyances et les
fantasmes, l'irrationnel et le pulsionnel, que celles qui
traitent des problèmes positivistes, scientistes, ou même
scientifiques et techniques.
On ne le dit jamais, mais tous les spécialistes le savent.
Internet contient en soi-même les moyens de sa propre
subversion. C'est une mince pellicule de l'humanité qui
nourrit des espérances purement technologiques et présage
que 1984 n'était qu'une bluette. L'immense majorité est

196
attachée à ses composants identitaires et partage plus de
questions insolubles que de problèmes susceptibles d'être
traités, et plus d'interrogations que de réponses. S'il n'en
allait pas ainsi, pourrait-on comprendre que ces technolo-
gies aussi sOIPhistiquéesde l'information n'aient pas mis
en place, déja, ou même d'emblée, un langage purement
symbolique, formel, identique pour tous et accessible à
tous?
Fondamentalement, et les technologues fous le savent bien
du fond de leur conscience, «dès qu'il a langue il y a
métaphore », selon l'une des plus célèbres formules fonda-
trices de la linguistique. Même si beaucoup de linguistes
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

professionnels (non pas au sens de ceux qui pratiquent des


langues mais au sens de ceux qui ont fait du langage en
général, à travers une langue particulière [et c'est dans
celle-ci qu'ils s'emprisonnent, raffinent, ratiocinent, com-
me un rat court indéfiniment sur une roue], leur objet
d'étude et ont transformé toute langue en une abstraction,
squelettique et privée de sang) ont seulement inventé, en
France, une science départementale qui n'entraîne aucune
conséquence dans quelque domaine que ce soit et reste
stérile.
Qu'une langue soit d'emblée une métaphore, en revanche,
met en fonctionnement une « œuvre ouverte », imprévisi-
ble par nature, toujours plus riche que toute technologie,
toujours au-delà de l'existant parce que toujours au-delà
d'elle-même. Une langue peut mourir, certes, mais d'au-
tres surgiront sans qu'on puisse les encadrer, les artificia-
liser, les technologiser, et les réduire à une transmission
d'informations.
C'est pourquoi chacun, et chaque appartenance, sont
attachés à leur langue propre parce qu'ils sont inscrits en
elle autant qu'elle est inscrite en eux. Il y va de leur
identité irréductible, de celles qu'ils ne sont pas prêts
d'abandonner parce qu'elle les constitue et que, sans elle,

197
ils disparaîtront complètement. Le réductionnisme de la
science aujourd'hui dominante ne peut exercer sa domina-
tion que sur un monde lui-même réduit et il faut s'opposer
fermement à l'intimidation qui en découle.
Les transports d'information n'épuiseront pas l'humanité
ni même la multiplicité des langues. Celles-ci se
revivifieront inéluctablement, comme le montre suffisam-
ment, chez nous, la résurgence forte des langues
régionales, que tous les pouvoirs officiels (politique,
économique, industriel, informatique) sous-estiment tota-
lement alors qu'elles incarnent emblématiquement l'hu-
manité même de I'homme.
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

Que peut, dès lors, une politique linguistique?


Certainement, en priorité, installer à la fois la rigueur et la
souplesse de sa langue maternelle, en sorte que celle-ci, à
la fois, garde son « génie» et vive, c'est-à-dire se trans-
forme en intégrant les nouveautés, en évoluant spontané-
ment, sans imposition ni frein. Agir de telle manière que
cette langue maternelle soit dominée par tous ses locuteurs
« naturels », ce qui est loin d'être le cas pour l'instant,
sans s'obnubiler, comme on le fait beaucoup trop sur un
illettrisme, qu'il conviendrait d'abord de bien démontrer,
et dont il faudrait surtout cerner les composantes orales
s'il y en a.
En deuxième lieu, il serait nécessaire de développer
puissamment la terminologie en français, activité qui ne se
confond nullement avec la lexicologie, mais vise à créer
des dénominations officielles d'objets. L'enjeu est écono-
miquement (commercialement) considérable, de manière
qu'un produit français soit partout identifié comme tel
(dans l'idéal). Pour l'instant, comme par hasard, les plus
grandes banques de données terminologiques sont anglo-
saxonnes.
En troisième lieu, intégrer beaucoup plus souplement les
apports étrangers qui vont se multiplier pour chaque

198
langue compte tenu de l'accroissement de la circulation
mondiale. Une langue n'est nullement en danger par
l'importation «d'étrangetés» lexicales (qui sont le plus
souvent, certes, d'origine américaine chez nous), Hagège
l'a montré sans ambiguïté55. C'est seulement si la syntaxe
était envahie qu'il faudrait s'inquiéter et ce n'est
nullement le cas pour l'instant.
Etablir, quatrièmement, une véritable politique d'exporta-
tion de notre langue qui, pendant un quart de siècle depuis
1945 a été féconde, inventive, dynamique, mais qui,
depuis, périclite, se dégrade, s'autodétruit parce qu'elle
n'obéit plus à aucun principe et se montre d'autant plus
Documento acquistato da () il 2023/09/25.

arrogante que l'influence mondiale du français s'ame-


nuise. Lutter avec l'anglais, se battre pour être deuxième
langue, c'est-à-dire faire pour la deuxième place exacte-
ment ce que l'on reproche à l'anglais de faire pour la
première est absurde parce qu'une telle attitude traduit la
même tentation hégémonique, en seconde position, que
celle que l'on stigmatise pour la première.
Il faudrait plutôt se battre rigoureusement pour promou-
voir un plurilinguisme beaucoup mieux adapté au monde
contemporain et qui représente les orientations sagement
prises par plusieurs grandes organisations internationales.
Il serait, à cet égard, urgent d'établir des actions coordon-
nées entre plusieurs partenaires nationaux qui, pour l'ins-
tant, au mieux, s'ignorent ou se toisent.

1. L'enseignement
Vers l'étranger il doit être complètement réorganisé parce
qu'il ne correspond plus à rien. Il lui faut réinventer le
partenariat, la réciprocité, la négociation d'égal à égal, au
lieu de traiter les autres en assistés ou en sous-fifres. Il est
55 Claude HAGEGE, Lefrançais et les siècles, op.cit.
199
surtout décisif de promouvoir la langue, c'est-à-dire d'en
montrer l'utilité (d'abord, puisque, dorénavant, les soucis
d'emploi sont partout tels qu'ils priment sur le reste),
l'attractivité, la séduction, et de développer considérable-
ment la formation des enseignants vers l'étranger qui est
pour l'instant à peine menée, n'importe comment, au gré
des humeurs, et sans souci des véritables problèmes que
doivent traiter ces gens là.
La première dimension qui importe ici est celle de la
contextualisation, qui consiste à admettre que l' enseigne-
ment du français ne peut pas être le même sans tous les
pays du monde, sauf, justement, à ne pas respecter la
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culture propre de ceux-ci et, donc, à être contre-productifs.


A cet égard, l'ingénierie éducative, dont quelques-uns se
gargarisent aujourd'hui, n'est qu'un gigantesque bluff, une
forme nouvelle de l'arrogance et de la suffisance dont
nous faisons volontiers montre pour expliquer aux autres
ce qu'ils devraient faire, même malgré eux et sans rien
connaître de leurs vrais problèmes à résoudre. Pour
l'instant il n'y a pas, dans le domaine du français langue
étrangère, les capacités pour conduire une véritable ingé-
nierie, et même dans le secteur plus largement éducatif, le
déficit est identique, sauf sans doute à l'endroit de pays
non encore pleinement développés et que l'on peut traiter
de manière quasiment néo-colonialiste.

2. Les médias
Ils doivent être orientés en deux directions: leur
expansion propre selon leur propre dynamisme, et selon
l'invention constante des nouvelles technologies. Par le
satellite et le numérique, nos médias classiques peuvent
être aisément partout, et s'efforcent eux aussi, tout en
gardant leur couleur nationale, de se contextualiser.
L'engagement financier est pratiquement négligeable.

200
Aujourd'hui seule Radio France Internationale et TV5 le
font de manière correcte, mais elles sont, en maints
endroits, difficilement captables, et, dans ces conditions, la
qualité ne sert à rien si la réception est impossible.
La deuxième direction de développement consiste en
l'articulation entre les médias et l'enseignement, et cela,
impérativement, dans les deux sens: l'enseignement doit
intégrer les médias dans ses pratiques habituelles parce
qu'ils constituent une source exceptionnellement riche de
documents authentiques (à la fois utiles et attractifs,
donc); les médias destinés à l'étranger doivent élaborer
systématiquement des émissions, sur quelques plages
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journalières à orientation éducative (non pédagogique,


certes, puisque la pédagogie n'est pas le métier des
médias, mais linguistiquement et culturellement riches). Il
est nécessaire, à cet égard, que des équipes mixtes
(enseignants et médiateurs) établissent ensemble des
modes de travail commun. Là encore, l'investissement
nécessaire est faible.

3. La culture
Nous prenons ici le mot au sens de «Ministère de la
Culture ». On doit viser à aider au développement interna-
tional de celle-ci, sans souci de la langue. La culture fran-
çaise ou francophone est autonome par rapport à la langue.
Jusqu'à maintenant, en effet, l'analyse sous-jacente ou
explicite a toujours été: diffusons la langue et celle-ci
entraînera la fréquentation de la culture. C'est exactement
l'inverse qu'il faut établir: répandons la culture, dans
n'importe quelle langue, et un goût pour la langue suivra,
avec les énormes pertes qui font partie de tout investisse-
ment dans ce domaine. Canal +, par exemple, installé dans
plusieurs pays étrangers, n'utilise que la langue de ces
pays, et cela explique en grande partie son succès. Il

201
n'empêche que tout le monde sait qu'il s'agit d'une chaîne
française, et, dès lors, elle développe la francophilie56, qui
représente la condition fondamentale de l'aide à l'appari-
tion de « franco-connaisseurs» 57, puis, parmi eux, de fu-
turs francophones. La « francité » est désormais au moins
aussi importante que la langue française, et la culture en
est porteuse.

4. Les entreprises
Celles-ci, elles aussi, contribuent potentiellement à la
francophilie ou, au moins, à la franco-connaissance. Ins-
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tallée à l'étranger, ou en relation avec lui, une entreprise


contribue à exporter la marque «France» (terminologie)
et, donc, à susciter un désir de langue, et participe aussi,
pour ses besoins professionnels sur place, à la diffusion du
français, puisque souvent, elle est contrainte, techni-
quement, d'employer des indigènes francophones pour
exercer certaines fonctions en son sein. L'enseignement du
français en entreprise (qui, certes, se développe un peu)
devrait être une priorité, et de l'autre, le Ministère des
Affaires Etrangères devrait accompagner systématique-
ment les exportations françaises, dans leurs diverses
modalités, par un enseignement du français (langue et
culture ).

5. Les traductions
La France est particulièrement faible en ce domaine. Il
convient de multiplier les traductions, même si un gros
effort est accompli dans cette direction depuis quelques
années. Une œuvre connue en traduction, n'en déplaise

56 Louis Porcher a été le premier à forger et dénommer ce concept,


aujourd'hui devenu banal, in Champs de signes, op. cit.
57Raymond Le Ruyet.

202
aux puristes intégristes (qui, d'ailleurs, pratiquent eux-
mêmes ce qu'ils dénoncent), c'est beaucoup mieux qu'une
œuvre qui reste inconnue par impossibilité de la lire.
Pareillement il est indispensable de développer, d'encou-
rager, la traduction d'œuvres françaises en langues étran-
gères, et, là aussi, un effort a été entrepris. Mais l' en-
semble doit être largement amplifié.

6. L'attention aux langues régionales et aux langues de


l'immigration
Celle-ci devrait aller de soi et donner lieu à une
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organisation systématique et réfléchie alors que, pour le


moment, on fonctionne au coup par coup, selon la puissan-
ce des lobbies et les pressions de l'urgence. C'est la diver-
sité qui, dans chaque cas, doit constituer la colonne verté-
brale de l'action et, surtout, de la philosophie de l'action.
Bien entendu, les mêmes principes que ceux énoncés
précédemment, sont ici aussi d'une pertinence indispensa-
ble: respect de la diversité (et coordination de celle-ci
pour une unité souple), coordination et convergence des
efforts de l'enseignement, des médias, du monde culturel
et de l'entreprise (le décret selon lequel tous les produits
étrangers vendus en France, doivent porter sur leur vignet-
te leur mode d'utilisation en français, même s'ils peuvent,
bien entendu, s'exprimer aussi, lisiblement, en toutes les
autres langues qu'ils veulent, est allé dans la bonne
direction).
Le travail d'une politique linguistique consiste précisé-
ment à organiser cette couverture des efforts, et cette
articulation de la diversité et de l'unité. Ce sont ses deux
fonctions majeures et elles sont absolument indispen-
sables. Autant dire que, à ce sujet, presque tout reste à
construire et à inventer.

203
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TABLE DES MA TIERES

MUL TIDIMENSIONNALITE D'UNE POLITIQUE


LINGUISTIQUE 5
1. LES LANGUESCOMMEINSTRUMENTSDE COMMUNICATION 10
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J.J. Les prestataires obligés Il


1.1.1. L'Etat Il
1.1.2. Les collectivités territoriales 15
1.2. Les enjeux différenciés. 18
1.2.1. La langue maternelle 19
1.2.2. Les langues régionales 20
1.2.3. les langues de l'immigration 21
1.2.4. les langues étrangères 22
1.2.5. Le français comme langue étrangère 23
2. LES POLITIQUESLINGUISTIQUESESSENTIELLEMENTCOMPLEXES25
2.1. L'importance des contextes 25
2.2. Les dimensions autres que l'enseignement 26
2.2.1. L'enseignement lui-même 26
2.2.2. Les médias électroniques 29
2.2.3. Les voyages 31
2.2.4. La chanson et le cinéma 32
2.2.5. L'entreprise 32
LE FRANÇAIS COMME LANGUE ÉTRANGÈRE 35
1. LANAISSANCE DUFRANÇAIS LANGUEÉTRANGÈRE 39
1.1. Les structures de légitimation 42
1.2. Le fonctionnement ... 43
1.2.1. La linguistiquestructurale... 44
1.2.2. La psychologiebehavioriste 46
1.2.3. Le supporttechnologique 48
2. L'ENTRÉEDANSLAPÉRIODECONTEMPORAINE 51
2.1. L 'universitarisation dufrançais langue étrangère
en France 54
2.2. Une véritable politique linguistique extérieure ? 59

205
L ' ENSEIGNEMENT ... 63
1. LE FRANÇAIS« LANGUEMATERNELLE» 67
1.1. La maîtrise de la langue dans le premier degré. 68
1.2. La maîtrise des langages dans le second degré 69
1.3. Lefrançais au lycée. 71
1.4. La maîtrise des langages dans l'enseignement agricole. 72
1.5. Une évaluation à mettre en place. 72
1.6. L'apprentissage du français par les élèves étrangers. Les
classes d'accueil. 72
1.7. La maîtrise de la langue française dans les politiques
d'insertion et d'intégration 75
2. LES LANGUESRÉGIONALES 77
2.1. L 'appareil législatif et administratif 81
2.2. Les cursus proposés au sein de l'enseignement public 84
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2.2.1. Le premier degré. 84


2.2.2 Au collège. 85
2.2.3. Au Lycée. 85
2.2.4. L'Enseignement supérieur. 85
2.3. Les langues concernées 86
2.3.1. Les langues concernées à l'intérieur de l'Hexagone et proposées
au sein du système éducatif sont les suivantes: 86
2.3.2. Les langues absentes de la liste mais parlées
dans l'Hexagone. 88
2.4. Les effectifS ... 89
2.5. Les formes 90
3. LES LANGUESDE L'IMMIGRATION 91
4. L'APPRENTISSAGEDES LANGUESVIVANTES 95
4.1. La généralisation de l'apprentissage des langues dans le
premier degré. 96
4.2. Les langues vivantes étrangères étudiées dans le second
degré. 99
4.3. La politique linguistique en direction de l'enseignement des
langues vivantes. 99
4.3.1. Les langues vivantes comme outils de parcours stratégiques.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1 00

4.3.2. Une offre biaisée. 101


4.3.3. Rôle des lobbies 102
4.4. Envisager des nouvelles formules. 103
4.4.1. Réflexion sur la durée des apprentissages. 103
4.4.2. Développement des compétences de communication par famille
de langue 105
4.4.3. Modification des représentations. 105
4.4.4. Rentabilisation du bilinguisme l06
4.5. De l'utilité de la prospective en politique linguistique. 106

206
4.6. Les langues vivantes étrangères et les enseignements à
caractère international. J 07
4.6.1. Les sections intemationales 108
4.6.2. Les sections bilingues. 108
4.6.3. Les sections européennes. 108
5. LE FRANÇAISLANGUEETRANGÈRE 110
6 . FRANCOPHONIES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 115

CULTURE, CULTURES 119


1. POURQUOI UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE EST NÉCESSAIREMENT
AUSSI CULTURELLE 120
J.J. La culture dans la langue et la langue dans la culture J20
J.2. L'absurdité d'une culture pure J23
1.2.1. Toute culture est bigarrée 124
1.2.2. Inéluctabilité de la bigarrure. 128
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J.3. L'indéfinité, caractéristique d'une langue et d'une


culture J33
1.3.1. La lignée linguistique 133
1.3.2. La dimension « carnavalesque» 136
1.3.3. Anti et contre 138
1.3.4. le dialogisme 140
J.4. L 'interculturel J44
1.4.1. Les composantes de l' interculturel. 148
1.4.2. Fondements de l' interculturel 150
1.4.3. Conséquences en terme de politique linguistique 151
2. LES UNIVERSELS- SINGULIERS 152
2.J. Approche définitoire des universels - singuliers J54
2.2. Composantes pédagogico-culturelles des universels-
singuliers J55
2.2.1. Ils permettent un travail linguistique largement différencié.. 155
2.2.2. Culturellement, les universels - singuliers, sont d'une
exceptionnelle richesse 156
2.2.3. Pédagogie ... 157
LES MÉD lAS 159
1. LEUR ACCÈSESTDIRECTET ATTRACTIF 159
2. ILS ABOLISSENTL'ESPACE ET LE TEMPS 160
3. LA DIVERSIFICATIONCONCRÈTE 162
3.J. Les conséquences sur les langues J62
3.2. Les conséquences pour les cultures J67
3.3. Les conséquences sur les personnes. J7J
3.4. La diversification, mot pivotai d'une politique
linguistique J74
4. LA RÉVOLUTIONINFORMATIQUE 176

207
4. J. N'importe qui avec n'importe qui J 77
4.2. L'interactivité J 78
L' ÉDUC ATI0 N COMPARÉ E .181
1. UNE DIVERSITÉNATIONALEINTERNE 182
2. LA FRANCOPHONIE 185
3. LA COMPARAÎSONDES SYSTÈMESÉDUCATIFS 186
3. J. L'Union Européenne J87
3.2. Hors Europe ... J93
INTERROGA TIONS POUR CONCLURE 195
J. L'enseignement J99
2. Les médias 200
3. La culture 20 J
4. Les entreprises 202
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5. Les traductions 202


6. L'attention aux langues régionales et aux langues de
l'immigration 203

208
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