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HÉTÉROGÉNÉITÉ

LINGUISTIQUE
ET CULTURELLE
DANS L’ESPACE
INDIAOCÉANIQUE
Permanences et émergences

Sous la direction de
Mylène Eyquem
ISBN : 978-2-8066-4163-2 D/2023/9202/20

© EME ÉDITIONS
10 rue du Poirier
B-1348 Louvain-la-Neuve

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expresse.

www.eme-editions.be
Qu’est-ce qu’une approche
décoloniale peut apporter à
l’analyse des discriminations
glottophobes en France ?
L’exemple de l’analyse de la
réception de la loi Molac relative
à la protection patrimoniale des
langues régionales et à leur
promotion (2021)1

Philippe Blanchet Lunati2


CELTIC-BLM3
Université Rennes 2

1
Je remercie pour leurs relectures attentives mes collègues M. Lebon-
Eyquem, R. Le Coadic et S. Moal.
2
J’ai choisi désormais d’ajouter le nom italien de ma famille maternelle
à mon patronyme / ho scelto ormai di aggiungere il nome italiano
della mia famiglia materna al mio cognome / mi siéu tabla d’aro en
la d’apoundre lou noum italian de ma famiho meiralo à moun noum
d’oustau.
3
Centre d’Étude des Langues, Territoires et Identités Culturelles –
Bretagne et Langue Minoritaires.

29
I. Introduction : poursuivre un travail sur l’hégémonie,
la minoritarisation, la glottophobie
En 2021 a eu lieu un évènement glottopolitique majeur
(Urteaga et Blanchet, 2022) : le vote de l’unique loi de toute la
5e République française centrée, et de façon positive, sur un point-
clé de l’hétérogénéité linguistique de la France, outremers com-
pris, les langues dites « régionales » « de France » (dorénavant
LdRF4). Cette loi dite Molac, du nom du député breton qui en a
été le porteur, concerne « la protection patrimoniale des langues
régionales et leur promotion ». La précédente loi comparable,
beaucoup moins audacieuse, était la loi dite Deixonne « relative à
l’enseignement des langues et dialectes locaux » votée en 1951 et
abrogée en 20005 lors l’intégration de son modeste contenu dans
le Code de l’éducation. Les autres lois centrées sur des questions
linguistiques votées depuis 1945 portaient sur les usages proté-
gés / renforcés / imposés du français (loi Bas-Lauriol de 1975, loi
constitutionnelle de 1992, loi Toubon de 1994).
L’élaboration, la discussion, le vote, la contestation et la ré-
ception de cette loi ont donné lieu à un très important corpus
de discours publics, politiques, institutionnels et médiatiques,
majoritairement opposés aux LdRF. La saisine du Conseil consti-
tutionnel, dans des conditions invraisemblables elles-mêmes
éloquentes et la censure partielle de la loi par cette plus haute
autorité juridique de l’État, les mesures contradictoires qui s’en
sont suivies, ont suscité une partie significative de ce corpus. J’en
prendrai quelques exemples représentatifs ci-dessous.
Un élément central de la méthode que j’utilise pour identifier
des questions sociales ou sociétales qui motivent une question de
recherche sociolinguistique est constitué par le constat de para-
doxes, contradictions, de désaccords, de divergences, de tensions
voire de conflits, à propos d’une question linguistique ou plus lar-
gement sociale dans ses aspects linguistiques. Ce constat ne doit
pas, à mon sens, s’appuyer uniquement sur la visibilité préalable
du problème : d’une part, une apparente convergence peut résul-
4
Ces désignations institutionnelles ont fait l’objet de critiques et de
réticences justifiées, que je partage, sur lesquelles je ne reviendrai pas
ici (Blanchet, à paraitre 1).
5
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000886638/

30
ter d’un effet d’hégémonie qu’une méthode d’enquête appropriée
permet de mettre à jour, et, d’autre part, la façon même dont les
questions sont souvent posées impose un point de vue voire in-
duisent des réponses, ce qui rend indispensable de tester le ren-
versement des questions ou de leurs prémisses6 pour mettre en
lumière ces effets d’induction (Blanchet, 2019). Cette méthode du
renversement s’est avérée pertinente : par exemple, les notions
de « bienveillance linguistique » (Dinvaut et Biichlé, 2020) ou
d’« éducation linguistique démocratique » proposée par le so-
ciolinguiste italien T. de Mauro (Blanchet, 2020) ont permis de
mettre en relief les fonctionnements de ce à quoi elles s’opposent.
Le fil conducteur de mon travail de recherche est de chercher
à comprendre pourquoi et comment est mis en place et mainte-
nu ou modifié, dans une société, un système de hiérarchisation
des ressources linguistiques disponibles ainsi que, de façon cor-
rélée, des personnes et groupes de personnes qui utilisent ces
ressources et entretiennent des rapports d’identification avec
certaines de ces variétés linguistiques. Autrement dit, par quels
moyens et modalités (domination, hégémonie), certaines formes
et ressources linguistiques, parfois identifiées comme des unités
distinctes par au moins une partie du corps social (langues, va-
riété d’une langue), sont minoritarisées ou majoritarisées (sur le
double plan du statut et des pratiques)7, assignées à une échelle
diglossique, et avec elles les personnes et les groupes qui les
emploient.
Les recherches en sociolinguistique et, plus largement en
sciences humaines et sociales, ont beaucoup étudié ces phéno-
mènes du côté de celles et ceux qui en subissent la part négative.
Elles ont produit de nombreux concepts analytiques efficaces
et souvent complémentaires (Francard, 1993 ; Alen Garabato et
Colonna, 2016 ; Torres-Castillo, 2021 ; etc.) : insécurité linguis-
tique, haine de soi, honte, mutisme sélectif, aliénation, satellisa-

6
Par exemple : renverser la question « l’introduction du créole à l’école
est-elle néfaste aux compétences en français ? » en « l’introduction du
français à l’école est-elle néfaste aux compétences en créole ? », ce qui
permet d’identifier sous la première un implicite, la priorité donnée au
français.
7
J’ai proposé cette terminologie qui distingue les suffixes -oré (statut) /
-orisé (taux de pratique), et le suffixe -itarisé qui cumule les deux dans
Blanchet, 2005.

31
tion, diglossie, représentations sociolinguistiques dévalorisantes,
minoration, vulnérabilité, etc. J’ai, pour ma part, notamment utili-
sé le concept d’hégémonie emprunté à Gramsci via J.-B. Marcellesi,
et, outre l’analyse de la minoritarisation (voir ci-dessus), déve-
loppé le concept de glottophobie (Blanchet, 2016a) pour rendre
compte du processus sociopolitique discriminatoire à l’œuvre
dans de telles situations sociolinguistiques. Les travaux portant
sur l’instauration de cet ordre sociolinguistique – et donc social –
inégalitaire, notamment par ceux et celles en tirent privilège, sont
plus rares quoique marquants dans l’histoire de la sociolinguis-
tique : ceux sur la glottophagie des colonialismes linguistiques
(Calvet, 1974) ou sur le marché linguistique (Bourdieu, 1982).
J’ai moi-même intégré dans mon travail sur la glottophobie, d’une
part le rôle des phénomènes d’institutionnalisation de l’inégalité
sociolinguistique (Blanchet, 2018), et, d’autre part, les partis-pris
glottophiles et glottomaniaques qui vont de pair avec la glotto-
phobie (Blanchet, 2014).
Je propose de poursuivre ici l’analyse des modalités et pro-
cessus sociolinguistiques (sociaux et linguistiques) par lesquelles
est élaborée et mise en place la domination ou l’hégémonie de
certains groupes humains sur d’autres, toujours en gardant la
question de la glottophobie, au sens de « traitement différencié
défavorable sous un prétexte linguistique », à la fois comme objet
et comme révélateur d’une organisation sociétale. Afin d’élargir
et peut-être d’approfondir l’analyse et la compréhension, je pro-
pose d’examiner et de comparer les apports potentiels d’une dé-
marche relativement nouvelle (et donc discutée) dans le champ
francophone, celle dite décoloniale. Il me semble justifié de s’en
emparer dans le contexte réunionnais et plus largement indiano-
céanique où nous trouvons, marqué par une histoire coloniale,
par une hétérogénéité linguistique et plus largement humaine
reconnue Ce faisant, je poursuivrai également une démarche
comparative heuristique entre situations sociolinguistiques à la
fois semblables sur certains points et dissemblables sur d’autres,
avec notamment comme situations relevant de la loi Molac, de
l’État français et des LdRF, la Provence et la Bretagne, mes deux
principaux terrains d’investigation, aux côtés de La Réunion et de
Mayotte.

32
II. Exemple de réactions d’État à la loi Molac et à
des textes similaires
La loi Molac institue des possibilités et des obligations de pro-
tection et de promotion des LdRF, notamment dans les actions
culturelles, dans l’enseignement (dont une obligation d’offre gé-
néralisée dans l’horaire normal de tous les élèves à tous niveaux
dans les zones concernées), dans la signalétique territoriale. Elle
modifie la loi Toubon de 1994 relative à l’emploi de la langue
française de sorte que celle-ci ne s’applique pas lorsqu’il s’agit
d’employer et de promouvoir une LDRF. La place élevée d’une loi
dans la hiérarchie des normes juridiques lui permet d’avoir des
effets puissants, pour autant qu’elle soit appliquée. Les chemine-
ments, enjeux, corrélations et conséquences de la loi Molac sont
importants, complexes, multiples et je renvoie pour plus de détail
à l’ouvrage qui en a fait le tour après sa promulgation (Urteaga et
Blanchet, 2022).
Cette loi a été largement votée à l’Assemblée nationale par
247 voix favorables contre 76 voix défavorables et 9 abstentions
(soit 76,5 % des suffrages exprimés) mais contre l’avis défavo-
rable du gouvernement et notamment du ministre de l’Éducation
nationale8. C’est du cabinet de ce ministre que, de façon tout à fait
irrégulière, a été organisée la saisine du Conseil constitutionnel9,
elle-même contestée par une dizaine de parlementaires de la ma-
jorité gouvernementale qui ont déclaré leur signature usurpée.
Le Conseil constitutionnel (C.C.) a malgré tout considéré la sai-
sine recevable et rendu un avis qui valide 9 articles dont celui sur
lequel il était saisi et en invalide 2 autres sur lesquels il n’était pas
saisi : le 4 sur le développement d’un enseignement immersif pu-
blic en LdRF et le 9 sur l’usage à l’état civil de signes diacritiques
inhabituels en français dans l’écriture de prénoms en LdRF. Les
auto-saisines du C.C. sont d’ailleurs rares et contestées en théorie
du Droit (Roussillon, 2002). Cette (auto-)saisine et cette censure

8
L’ensemble des textes et débats du processus législatif est disponible
sur https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/
protection_patrimoniale_langues_regionales
9
https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/loi-molac-sur-les-
langues-regionales-cette-saisine-du-conseil-constitutionnel-qui-
embarrasse-la-majorite-presidentielle-2065747.html

33
partielle ont suscité de nombreuses protestations, dont une inter-
pellation de l’État français par le Haut-Commissaire des Nations-
Unies aux droits de l’Homme10. Le Premier ministre lui-même a
alors commandé un rapport à deux députés sur la question de
l’enseignement immersif en LdRF. Par ailleurs, le président actuel
de la France, davantage encore que ses prédécesseurs, tient un dis-
cours constant sur la question linguistique, affirmant le français
comme langue identitaire nationale (Blanchet, 2022), qui s’ins-
crit dans un discours nationaliste banalisé en France (Le Coadic,
2021). On peut donc considérer que, du ministère de l’Éducation
nationale au C.C. en passant par l’ONU, le chef du gouvernement
et le chef de l’État, il s’agit bel et bien d’une affaire d’État.
Je vais donc m’appuyer sur un extrait de corpus constitué
de décisions du C.C. à propos des LDRF, à commencer par celle
portant sur la loi Molac, et sur la façon dont ces décisions ont été
comprises par les services de l’État.

II.1. La décision du Conseil constitutionnel à


propos de la loi Molac11
En ce qui concerne l’article 4 :
L’article 4 étend les formes dans lesquelles peut être propo-
sé, dans le cadre des programmes de l’enseignement public,
un enseignement facultatif de langue régionale. Il prévoit
que cet enseignement peut être proposé sous la forme d’un
enseignement immersif en langue régionale, sans préjudice
d’une bonne connaissance de la langue française.
16. En vertu des dispositions de l’article 2 de la Constitution,
l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit
public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une
mission de service public. Les particuliers ne peuvent se
prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les

10
Ces interpellations sont récurrentes, la politique linguistique de l’État
français étant perçue comme discriminatoire et attentatoire aux droits
fondamentaux par le HCDH de l’ONU (cf. https://www.corsematin.
com/articles/interview-langue-corse-pour-le-rapporteur-des-
nations-unies-a-lassemblee-aucun-pays-nexige-lusage-exclusif-de-la-
langue-nationale-139880 et https://documents-dds-ny.un.org/doc/
UNDOC/GEN/G08/114/03/PDF/G0811403.pdf?OpenElement1).
11
Décision n° 2021-818 DC du 21 mai 2021 : https://www.conseil-
constitutionnel.fr/decision/2021/2021818DC.htm

34
services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que
le français ni être contraints à un tel usage.
17. Aux termes de l’article 75-1 de la Constitution : « Les lan-
gues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».
18. Si, pour concourir à la protection et à la promotion des
langues régionales, leur enseignement peut être prévu
dans les établissements qui assurent le service public de
l’enseignement ou sont associés à celui-ci, c’est à la condi-
tion de respecter les exigences précitées de l’article 2 de la
Constitution.
19. Or, il résulte notamment des travaux préparatoires de la
loi déférée que l’enseignement immersif d’une langue régio-
nale est une méthode qui ne se borne pas à enseigner cette
langue mais consiste à l’utiliser comme langue principale
d’enseignement et comme langue de communication au sein
de l’établissement.
20. Par conséquent, en prévoyant que l’enseignement d’une
langue régionale peut prendre la forme d’un enseignement
immersif, l’article 4 de la loi déférée méconnaît l’article 2 de
la Constitution. Il est donc contraire à la Constitution.

En ce qui concerne l’article 9 :


21. L’article 9 prévoit que les signes diacritiques des langues
régionales sont autorisés dans les actes de l’état civil.
22. En prévoyant que des mentions des actes de l’état civil
peuvent être rédigées avec des signes diacritiques autres
que ceux employés pour l’écriture de la langue française, ces
dispositions reconnaissent aux particuliers un droit à l’usage
d’une langue autre que le français dans leurs relations avec
les administrations et les services publics. Dès lors, elles
méconnaissent les exigences précitées de l’article 2 de la
Constitution.
23. Par conséquent, l’article 9 de la loi déférée est contraire
à la Constitution.

Le C.C. s’appuie donc sur 2 arguments liés, qu’il fonde sur


l’article 2 de la constitution, modifié en 1992 (« La langue de la
République est le français »), comme il le rappelle de façon répé-
tée dans son commentaire de sa décision12 : « l’usage du français
s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes
de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public » et

12
https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/
bank_mm/decisions/2021818dc/2021818dc_ccc.pdf

35
« les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec
les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage
d’une langue autre que le français ». Cela revient à rendre l’usage
du français obligatoire, voire exclusif, dans toute mission de ser-
vice public (puisque le C.C. n’envisage pas de pratiques bilingues
ou plurilingues hors enseignement), dans toute relation avec les
administrations et les services publics, et à imposer aux parents
pour leurs enfants le choix de prénoms français ou, au moins,
francisés puisqu’écrits à la française. À propos de l’enseignement
immersif dans une autre langue que le français, le C.C. reprend
ici exactement la même argumentation que celle qu’il avait uti-
lisée en 2001 à propos de l’éventuelle intégration des écoles
Diwan (associatives laïques en langue bretonne). À cela s’ajoute
une autre jurisprudence constante du C.C. : si on peut rendre obli-
gatoire l’usage du français, on ne peut rendre obligatoire l’usage
ni même l’apprentissage d’une autre langue. La généralisation
de l’offre de langue régionale prévue à l’article 7 de la loi Molac,
tout comme celle prévue par les statuts particuliers de la Corse
(1991) et de Polynésie (1996) sur lesquels le C.C. a statué, n’est
possible qu’à condition que cet enseignement ne soit pas obliga-
toire. Le C.C. prétend protéger ainsi une « égalité devant la loi ».
Je reviendrai plus bas, au regard des situations sociolinguistiques
effectives, sur les abus, manquements, aveuglements et erreurs
de cette interprétation particulière de l’article 2 de la constitution
actuelle qui est constante de la part du C.C.

II.2. Des durcissements abusifs de la décision


du C.C. par des organismes d’État
Ce qui est frappant, c’est que non seulement une partie
importante de l’appareil d’État et une partie de l’opinion pu-
blique, en partie façonnée par le pouvoir médiatique parisien
(Blanchet 2021 et à paraitre 1 et 2), trouve cette vision des choses
« normale » (c’est le résultat de l’hégémonie de l’idéologie linguis-
tique nationale française) mais surtout que des acteurs institu-
tionnels et des services de l’État vont ensuite amplifier, durcir, la
signification et la portée de cette décision. J’en prendrai ici deux
exemples récents.

36
Le 12 avril 2023, le Recteur de l’académie Strasbourg13 répond
par un courrier à la Fédération Alsace Bilingue qui lui demandait
l’ouverture de classes immersives en alsacien (rendue possible
par une circulaire du ministre de l’Éducation nationale du 4 dé-
cembre 2022 sous réserve que les parents puissent employer le
français avec le personnel de l’établissement pour se conformer
aux prescriptions du C.C.) :
(...) j’ai opté pour la mise en place des parcours immersifs
« Tomy Ungerer » intégrant une faible quantité de français.
Le Directeur général de l’enseignement scolaire a validé cette
modalité, alors même qu’elle déroge à la Constitution, cette
dernière prévoyant un enseignement minimal à hauteur de
50 % de français. Il a été sensible à mes arguments réduisant
la part du français à 25 % de l’horaire d’enseignement, pour
permettre aux enfants alsaciens de bénéficier d’un enseigne-
ment dans les trois langues, allemand, alsacien et français.

Il interprète ici vraisemblablement la décision du C.C. sur l’en-


seignement immersif à propos de la loi Molac. Or, le C.C. n’a jamais
limité l’enseignement dans une autre langue à 50 %, ni explici-
tement, ni implicitement : son argument principal, on l’a vu, est
l’usage d’une autre langue dans les relations entre les usagers du
service public (les parents) et les agents du service public (les per-
sonnels de l’établissement), en plus de l’usage pédagogique géné-
ralisé d’une autre langue. Si cette limite avait été posée par le C.C.,
il apparait en outre tout à fait impossible qu’un haut fonctionnaire
autorise à y déroger et un recteur ne devrait pas pouvoir l’ignorer.
Le Guide pratique sur Le contrat d’engagement républicain
(CER), publié par le gouvernement français en février 202314 a
pour but d’expliquer l’adhésion obligatoire au CER (depuis 2022)
de toute association qui sollicite une subvention publique ou
un agrément administratif pour réaliser ses activités. Ce guide
donne comme exemple de manquement à l’engagement n° 1 :
« Respect des lois de la République (…) l’interdiction de se pré-
valoir de convictions politiques, philosophiques ou religieuses
pour s’affranchir des règles communes régissant ses relations
avec les collectivités publiques (b), le cas d’une “association qui

13
Le recteur est le représentant du ministre de l’Éducation nationale dans
une région éducative (nommée en France « académie ») qu’il dirige.
14
https://www.associations.gouv.fr/le-contrat-d-engagement-
republicain-le-guide-pratique.html

37
déciderait de s’adresser dans une langue autre que le Français,
par exemple une langue régionale, à l’administration”. Or, l’inter-
diction d’utiliser une autre langue que le français n’est pas légale
puisqu’elle contrevient à des traités internationaux ratifiés par
la France dont la force juridique est supérieure à celle des lois,
d’autant que la formulation laisse penser que même un document
bilingue conduirait à un rejet. Il est hautement significatif que ce
soit cet exemple qui soit donné dans ce document et que l’usage
d’une langue “régionale” soit considéré comme relevant d’une
conviction politique ou philosophique et non pas d’une pratique
ordinaire et d’un droit fondamental. En miroir, ce qui est révélé
comme orientation politique ou philosophique, c’est bien l’obli-
gation du français, d’ailleurs écrit dans ce document avec un F
majuscule à la fois fautif (selon la norme orthographique) et sym-
bolique de la place qui lui est donnée.
Autre exemple : le ministère de la Culture a publié début 2023
une étude sur les Langues et usages des langues dans les consom-
mations culturelles en France (Berthomier, et coll., 2023). La toute
première phrase de ce rapport est : “La France est en droit un
pays monolingue” selon l’article 2 de la Constitution, “la langue
de la République est le français” ». Ici aussi, on constate une su-
rinterprétation abusive de la Constitution, et probablement de
décisions du C.C., puisqu’il y a en France toute une série de dispo-
sitions constitutionnelles et légales qui reconnaissent et garan-
tissent en droit, de façon souvent marginale, l’existence et l’usage
d’autres langues que le français, par exemple : divers traités in-
ternationaux ratifiés par la France (voir ci-dessous), l’article 75-1
de la Constitution : « Les langues régionales appartiennent au
patrimoine de la France », les décisions positives du C.C. sur la
loi Molac et les statuts corse et polynésien, l’article 225 du Code
pénal depuis 2016, la loi de 1986 relative à la liberté de commu-
nication, divers articles du Code du travail, du code de l’entrée
et du séjour des étrangers et du droit d’asile, du code de procé-
dure pénale, du code de l’éducation... Les auteurs ne semblent pas
mesurer l’incohérence de leur propos15, pas plus que le recteur
cité plus haut, ce qui est banal sur ce sujet : l’ensemble du droit

15
Un encadré p. 6-10 contredit d’ailleurs cette affirmation. Il n’est pas
impossible que l’ajout de cette phrase initiale leur ait été imposé par
leur ministère.

38
étant incohérent sur la question des langues en France. Le C.C.
lui-même et des tribunaux administratifs ont souvent des argu-
mentations incohérentes, dogmatiques ou absurdes sur les ques-
tions de langues16. Le traitement de la place du français en France
relève la plupart du temps d’un aveuglement idéologique et pas-
sionnel bien davantage que d’une analyse rationnelle.

III. La méthode du renversement de point de vue, du


détour ou de l’écart
Pour échapper à cet enfermement idéologique dans un point
de vue hégémonique, qui menace la rigueur et la rationalité d’une
analyse scientifique comme il menace une analyse juridique, j’ai
donc proposé la méthode du renversement, en complément de la
méthode du détour ou de l’écart qui permet de voir ailleurs ou de
voir depuis ailleurs, en créant de la distance.

III.1. Détours par d’autres États


Il suffit d’observer les pays européens qui entourent la France
(Irlande, Royaume-Uni, Belgique, Luxembourg, Allemagne,
Suisse, Italie, Espagne, Andorre) pour constater que tous, sauf
Andorre17, ont un multilinguisme ou plurilinguisme officiels18,
une reconnaissance effective des droits linguistiques notamment
des personnes ou des groupes dont la langue première est minori-
taire, souvent via des systèmes d’organisation régionalisée quasi
fédérale (Espagne, Italie, Royaume-Uni) ou fédérale (Allemagne,
Belgique, Suisse). Si l’on va voir un peu plus loin, on peut y ajou-

16
Pour un commentaire récent de décisions d’un tribunal administratif
sur l’usage d’une LDRF, voir Blanchet, 2023.
17
Andorre a une seule langue officielle, le catalan, et son usage est
obligatoire dans de nombreuses situations, ce qui s’explique par
le fait qu’il s’agit d’une langue menacée, parlée par une population
minoritaire dans son propre pays, lui-même de taille réduite (https://
www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/andorre.htm).
18
Je n’entrerai pas ici dans ce détail : plurilinguisme = « utilisation de
plusieurs langues par une même personne physique ou morale »,
multilinguisme = « utilisation de langues différentes par différentes
personnes physiques ou morales ».

39
ter les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, le Danemark, l’Autriche, la
République tchèque, la Slovénie, la Croatie, etc. La grande majo-
rité des États d’Europe ont une règlementation et une organisa-
tion qui intègre des formes, différentes, d’usages légaux de plu-
sieurs langues. Il en va de même au niveau mondial, ce à quoi on
peut ajouter que la moitié des États du monde n’ont même pas
de langue officielle déclarée (ce qui n’empêche pas, par laisser-
faire, des situations de dominations sociolinguistiques, d’autant
qu’elles ne relèvent pas uniquement d’une politique étatique et
de ses textes officiels). La politique linguistique de l’État français
apparait ainsi non pas « aller de soi » mais au contraire tout à fait
particulière. Cela conduit à s’interroger sur sa légitimité au-delà
de sa légalité, sur les conceptions et les motivations sous-jacentes
de cette politique.

III.2. Retour sur les pratiques sociolinguistiques


en France
Une explication pourrait être l’absence totale de plurilin-
guisme, bien que cela ne supprime pas la question des droits
linguistiques des personnes qui s’expriment dans des variétés
non standard de la langue officielle (la Norvège par exemple
reconnait deux grandes variétés de norvégien, l’une populaire,
l’autre livresque, comme langues officielles) et bien qu’on ob-
serve que de petits États qui ne déclarent pas de minorités lin-
guistiques reconnaissent pourtant leurs droits a priori, comme le
Liechtenstein. Mais ce n’est évidemment pas le cas de la France.
Au moins un quart des citoyens y a grandi au XXe siècle avec une
autre langue que le français ou de façon bilingue, pour moitié une
LdRF, pour moitié une langue familiale apportée d’ailleurs19, dont
75 reconnues « langues de France » depuis le rapport Cerquiglini
de 199920. Toutes les enquêtes montrent qu’il y a en France, selon
les zones concernées, entre 10 et 30 % des populations qui ont
comme langue première et/ou qui parlent une langue locale, avec

19
Voir https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/
la-dynamique-des-langues-en-france-au-fil-du-xxe-siecle/
20
h t t p s : / / w w w. c u l t u r e . g o u v. f r / T h e m a t i q u e s / L a n g u e -
francaise-et-langues-de-France/Agir-pour-les-langues/
Promouvoir-les-langues-de-France

40
des pointes à plus de 60 %, et au moins 80 % dans les régions
d’outre-mer21, où une partie importante de la population fran-
çaise n’est pas francophone, par exemple en Guyane22. La pro-
portion des personnes qui la comprennent dans chaque zone
est encore plus élevée. Il faut aussi prendre en compte la ou les
langue(s) d’attachement, qu’on parle parfois peu y compris parce
qu’on en a été privé : l’attachement aux langues régionales tourne
entre 60 et 80 % en moyenne dans les zones concernées et il est
bien attesté pour des langues de l’immigration (Billiez, 1985 ;
Eloy, 2003). Il y a par conséquent en France, tous territoires
confondus, une proportion importante de la population, y com-
pris de nationalité française par filiation, dont la première langue
n’est pas le français, à côté d’une partie aujourd’hui majoritaire
dont le français est la langue première. Cela réduit à néant l’argu-
ment du C.C. selon lequel l’obligation d’usage du français garan-
tit l’égalité devant la loi. À l’inverse, cela crée une inégalité entre
les personnes dont la langue première est celle des institutions,
et celles, y compris de nationalité française, pour qui la langue
des institutions est une langue seconde voire une langue peu ou
pas parlée et comprise. On en saisit aussitôt les conséquences en
termes d’accès aux droits, aux services, aux administrations, aux
ressources, à l’éducation, etc. Aussi bien du point de vue éthique
que juridique, il s’agit en fait d’un système institué de discrimina-
tion à base linguistique, que j’ai proposé d’appeler glottophobie
(Blanchet, 2016a).

21
https://www.mintzaira.fr/fileadmin/documents/Enquete_
sociolinguistique/EJ-ren_aurkezpena__FR__01.pdf ; https://www.
bretagne.bzh/app/uploads/Etude-sur-les-langues-de-bretagne.pdf ;
https://www.isula.corsica/assemblea/docs/rapports/2022O2303-
annexe.pdf ; https://www.ofici-occitan.eu/wp-content/
uploads/2020/09/OPLO_Enquete-sociolingusitique-occitan-2020_
Resultats.pdf ; http://portal-lem.com/images/fr/occitan/08_Enquete_
sociolinguistique_occitan_en_Aquitaine_2009.pdf ; http://www.ddl.
cnrs.fr/led-tdr/pageweb/sources/FORA_rapp.pdf ; https://www.
olcalsace.org/fr/observer-et-veiller/le-dialecte-en-chiffres ; https://
books.openedition.org/pupvd/40085
22
https://www.culture.gouv.fr/Media/Thematiques/Langue-francaise-
et-langues-de-France/fichiers/publications_dglflf/Langues-et-cite/
Langues-et-cite-n-28-Les-langues-de-Guyane

41
III.3. Des textes juridiques qui proposent
une orientation inverse à celle du C.C.
En allant observer les textes et pratiques glottopolitiques
dans d’autres États, on identifie des textes internationaux (ONU,
Conseil de l’Europe, Union européenne)23 que je ne citerai pas à
nouveau ici dans le détail (cf. Blanchet, 2018 et 2022), qui pro-
tègent des droits linguistiques considérés comme fondamentaux.
Cela permet de découvrir que la France les a elle aussi ratifiés,
qu’ils s’imposent donc en France tout au sommet de la hiérarchie
des normes juridiques, au-dessus même des lois24, mais que l’État
français ne le fait pas savoir et ne les applique pas. Ses tribunaux
ne les prennent pas en compte, donnant ainsi presque toujours
raison à l’État quand ils sont, rarement, saisis de questions lin-
guistiques. Le C.C, qui est uniquement chargé de vérifier la com-
patibilité avec le texte de la Constitution et non avec les traités
internationaux, ne les prend pas en compte – et d’autant plus
sur la question des langues où ces traités vont radicalement à
l’inverse de ses positions. C’est en fait aux cours administratives
et tout à leur sommet au Conseil d’État que revient la vérification
de l’application des traités (Stirn, 2018), ce qu’elles ne font pas
quand il s’agit de questions linguistiques, comme viennent de le
montrer une fois de plus les décisions des tribunaux administra-

23
Il s’agit notamment de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (ONU, ratifié par la France en 1980), des articles 2.1
et 29.1 de la Convention relative aux Droits de l’Enfant (ONU ratifiés
par la France en 1990), de l’article 14 de la Convention Européenne
de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales
(Conseil de l’Europe, ratifiée intégralement par la France en 1974),
des articles 21 et 22 de la Charte Européenne des Droits Fondamentaux
(Union européenne, devenue contraignante pour tous les états les
membres de l’UE en 2007). Ces textes explicites et contraignants
affirment que les droits linguistiques sont des droits de l’Homme à part
entière. Ils interdisent aux États de poser des conditions linguistiques
à l’accès aux droits et de traiter différemment des individus en fonction
de préférences linguistiques dans l’exercice de toute activité ou de tout
service.
24
https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/
ro l e - e t - p o uvo i r s - d e - l - a s s e m b l e e - n a t i o n a l e / l e s - fo n c t i o n s -
de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/
la-ratification-des-traites

42
tifs à propos de l’usage du corse et du catalan par les assemblées
territoriales concernées (Blanchet, 2023).
J’ai signalé ci-dessus plusieurs textes internes du droit fran-
çais contradictoires avec les décisions du C.C. cités plus haut et
qui, pourtant, n’ont pas été déclarés contraires à la Constitution.
Le Code du travail (art. L-1132-1 et L-1321-6), le Code de l’en-
trée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (art. L-526-1
t L-723-6) et le Code de procédure pénale (art. L-803-5 et D-594)
donnent la possibilité ou l’obligation de fournir des documents
aux personnes non ou peu francophones « dans une langue
qu’elles comprennent » et le droit de s’exprimer dans leur langue.
Ces textes sont pensés pour des personnes étrangères. Par défaut,
tout Français est supposé être francophone, ce qui est faux, on l’a
vu. Mais ce droit a été récemment appliqué par un juge à un pré-
venu réunionnais s’exprimant uniquement en créole25. Le texte
le plus important est aujourd’hui l’article 225 du Code pénal qui
interdit les discriminations. Le 18 novembre 2016, à l’occasion
du vote de la loi « Pour une justice du XXIe siècle » portant notam-
ment adaptation du droit français au droit européen, a été voté
l’ajout suivant : « Constitue une discrimination toute distinction
opérée entre les personnes physiques [ou morales] sur le fonde-
ment (...) de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que
le français ». Cette formulation particulière a été perçue comme
trop floue pour être applicable. Ainsi, sur le site de la Défenseure
des Droits26, instance constitutionnelle chargée de la protection
contre les discriminations en France, ce critère de discrimination
est accompagné de cette mention – et il est le seul à voir ainsi sa
portée mise en doute : « Ce critère peut faire l’objet de plusieurs
interprétations très distinctes. Les tribunaux indiqueront celle
qu’il convient de retenir ». Pourtant, l’intention du législateur,
qui est un argument en droit, est claire dans le texte de présen-
tation devant l’Assemblée nationale : « cet amendement propose
de rajouter aux critères de discrimination le fait de parler une
autre langue que le français, qu’elle soit étrangère ou régionale »
(séance le 3 novembre 2016). On notera au passage que sur le site
25
https://www.zinfos974.com/Ne-comprenant-pas-le-creole-les-juges-
obliges-de-recourir-a-un-interprete_a188134.html
26
https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/institution/competences/
lutte-contre-discriminations, régulièrement consulté depuis 2016, il
n’a toujours pas été modifié en juillet 2023.

43
en question, parmi les « Critères de discrimination issus de textes
internationaux ou européens », la langue ne figure pas alors
qu’elle est présente dans tous ces textes, « oubli » qui a été signalé
plusieurs fois, sans suite. Sur la base de ces constatations, on peut
d’ailleurs considérer que cette instance participe à l’idéologie lin-
guistique étatique au lieu d’en combattre les aspects discrimina-
toires. Toutefois, en 2023, un rapport sur les Antilles publié par
cette instance souligne que l’emploi exclusif du français crée des
« difficultés » (on appréciera l’euphémisme) d’accès aux services
publics et que le créole devrait davantage être intégré dans le sys-
tème éducatif27.
En s’appuyant sur l’ensemble de ces textes on peut affirmer,
en renversant les avis du C.C., les principes généraux suivants :
⎻ Les particuliers ont un droit fondamental à l’usage
d’une langue autre que le français, notamment de leur
langue première, dans leurs relations avec les adminis-
trations et les services publics.
⎻ L’enseignement en français et l’usage du français par les
services publics sont contraires au principe d’égalité dès
lors qu’ils revêtent un caractère exclusif et obligatoire.
⎻ Les textes qui garantissent ou garantiraient la possibi-
lité d’utiliser une autre langue que le français donnent
aux locuteurs de ces autres langues les mêmes droits
que ceux des francophones langue première.
En pratiquant ce renversement, de façon argumentée et fon-
dée y compris sur des textes juridiques, en plus du renouveau du
regard que permet le détour par d’autres États, on met en évidence
la subjectivité, la discutabilité et le dogmatisme de la position du
C.C. en matière de langues. La part du C.C. dans la confirmation
d’une idéologie étatique plutôt que l’affirmation d’une cohérence
juridique n’est pas une découverte, surtout sur la question des

27
Services publics aux Antilles : garantir l’accès aux droits, https://www.
defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_rapport-
antilles_20230317.pdf. Des recherches en cours de M. Lebon-Eyquem
et M. Gardody sur le créole dans les organisations professionnelles
publiques et privées mettent en évidence que le recours au créole
permet de répondre plus efficacement aux demandes de certains
usagers.

44
langues, ce qui lui a déjà valu de nombreuses critiques y compris
par des juristes constitutionnalistes28.
Puisqu’une position inverse s’avère possible et vient ainsi bri-
ser l’hégémonie, il reste à approfondir l’analyse du dogme linguis-
tique de l’État français pour comprendre sur quelles conceptions,
quels préjugés, quelles valeurs, quels projets, il s’appuie de façon
implicite (les fondements d’une position hégémonique doivent
rester implicites puisqu’il s’agir de faire accepter une domina-
tion comme un ordre « naturel, évident, qui va de soi, qui n’a pas
d’alternative »).

IV. L’explication par un colonialisme linguistique


français
J’ai rappelé ci-dessus l’existence et les apports de nombreux
travaux qui ont analysé la mise en place de cette hégémonie so-
ciolinguistique en France. Une piste explicative a été envisagée
mais finalement peu exploitée par certains travaux autour de la
notion de colonialisme, notamment en comparant le processus
qui a eu lieu en France européenne continentale (France EC)29
avec celui qui a eu lieu dans ses colonies d’outre-mer (maghré-
bines, africaines, dans les océans atlantique, indien et pacifique)
et celui, intermédiaire en termes statutaires, des colonies conser-
vées et ensuite absorbées dans le territoire français (les dépar-
tements d’outre-mer depuis 1945 : La Réunion, les Antilles, la
Guyane, Mayotte ; les « collectivités » d’outre-mer à statut spé-
cial : Polynésie, Kanaky / Nouvelle-Calédonie...).

28
Pour une synthèse : https://theconversation.com/le-conseil-
constitutionnel-a-deja-pris-des-decisions-plus-politiques-que-
juridiques-lexemple-des-langues-dites-regionales-203771 The
Conversation, 13 avril 2023.
29
Désignation que je préfère à la notion de « métropole » qui a des
connotations coloniales ou à celle d’« hexagone » créée et diffusée au
XIXe pour renforcer la croyance en une prédestination géométrique des
frontières de la France, incluant l’Alsace-Lorraine et Nice. Elle n’inclut
pas nécessairement la Corse, insulaire, qui a un statut particulier
comme d’autres collectivités d’outre-mer.

45
IV.1. Une continuité coloniale de l’école
française ?
On en trouve des attestations dans des travaux portant sur
l’éducation scolaire instituée par l’État français aux XIXe et XXe
siècles, dont une (voire la) finalité principale a été l’inculcation
de la langue française et, autant que possible, l’éradication des
langues premières des enfants (Puren, 2003), comme action pour
élever les « sauvages » vers la civilisation :
⎻ Le concept de « mission civilisatrice » se forge dans la
représentation d’une unicité de la France, la croyance
d’un lien particulier entre la France et le Monde, donc
dans sa mission universelle « d’éducation » (…) Elle
se matérialise d’abord en métropole par la politique
d’alphabétisation et de scolarisation entreprise, dès
avant la grande loi de 1880, par les républicains, puis
est projetée comme un principe à étendre à l’ensemble
de l’espace colonial conquis ou promis à la conquête »
(Blanchard et Bancel, 2005, §7).
⎻ « L’époque de Jules Ferry, le colonisateur, est aussi celle
de Jules Ferry, l’apôtre de l’école laïque » (Sarrault,
1931 : 148).
⎻ « Nulle contradiction entre le Ferry colonialiste (...) et
le Ferry fondateur de l’école publique » (Biberfeld et
Chambat, 2013 : 15).
⎻ « Si cette région [la Bretagne] a servi de terrain d’expé-
rimentation à la Méthode Carré, celle-ci a ensuite été
étendue à l’ensemble des régions alloglottes de France
puis des colonies » (Puren, 2003 : 43).
Cette continuité apparait explicitement dans les discours poli-
tiques et institutionnels de la période 1860-1930 sur lesquels je
reviendrai plus loin.

IV.2. Colonialisme sociétal et colonialisme


linguistique
On en trouve également des attestations portant plus précisé-
ment sur la politique linguistique « intérieure » de la France (sur

46
son territoire européen) en lien avec sa politique linguistique
« extérieure » dans ses colonies explicitement désignées comme
telles situées hors Europe, et en lien avec sa politique générale.
En 1971, R. Lafont, linguiste et sociolinguiste engagé dans
la défense de l’occitan, publie, sur la base de son analyse des
contestations des vignerons occitans en 1907 et des mineurs
de Decazeville au début des années 1960, un essai programma-
tique intitulé Décoloniser la France. Il s’agit bien, en l’occurrence,
de considérer les régions françaises périphériques comme objets
d’une forme de colonisation. Il élargit ainsi l’analyse proposée
dès 1966 par Michel Rocard, intitulée Décoloniser la province
dans laquelle il affirme « Non seulement la Bretagne, les Vosges,
le Languedoc, mais aussi le Nord et la Lorraine, sont des exemples
peu discutables de situations coloniales par rapport à la puis-
sante métropole parisienne » (Rocard, 1966 : 2). Son analyse est
fondée sur des questions économiques et institutionnelles (sous-
développement économique, décisions prises à Paris)30.
À la même époque, le sociolinguiste L.-J. Calvet propose le
même type d’analyse insistant sur une continuité de la politique
linguistique coloniale de la France :
L’on peut dire que la France a fait ses premières armes de
puissance impérialiste sur son propre territoire. Une fois
encore, ce n’est pas un hasard si la IIIe République est à la
fois, et avec la même bonne conscience, la période de la dic-
tature de la langue française dans l’hexagone et celle de la
colonisation, outre-mer et de la glottophagie qui s’ensuivit
(Calvet, 2002 : 23231).

Traitant de la diffusion du français en Afrique, N. Sorba (2022 :


12) affirme la même continuité :
Les représentations à l’égard des langues endogènes [afri-
caines] dévoilent une récurrence des perceptions négatives
et permettent de nous interroger sur l’héritage idéologique
du monolinguisme français qui a longtemps sévi en France.

30
Il ne mentionne la question des langues régionales qu’une seule fois, à
propos de l’Alsace, p. 21, et considère d’ailleurs, après des précautions
oratoires sur l’unité du pays, contre des velléités séparatistes, que la
France est une « communauté linguistique » sous-entendue « de langue
française » (p. 2).
31
La première occurrence de ce paragraphe se trouve dans Calvet, L.-J.,
1973, « Le colonialisme linguistique en France », Les Temps modernes
n° 324, repris dans son ouvrage de 1974, ici cité en réédition 2002.

47
En 1976, l’historien états-unien E. Weber, spécialiste de la
France moderne, écrivait depuis son regard extérieur :
On peut voir le fameux hexagone comme un empire colonial
qui s’est formé au cours des siècles, un ensemble de terri-
toires conquis, annexés et intégrés dans une unique struc-
ture administrative et politique, nombre de ces territoires
possédant des personnalités régionales très fortement
développées, et certaines d’entre elles des traditions spéci-
fiquement non ou antifrançaises [...]. En 1870, cet ensemble
[...] formait une entité politique appelée France, royaume,
empire ou république, organisée par les conquêtes et par
les décisions administratives ou politiques prises à (ou près
de) Paris. Mais le point de vue moderne de la nation en tant
qu’ensemble de populations unies selon leur propre volonté
et ayant certains attributs en commun (au moins l’histoire)
était difficilement applicable à la France de 1870 (Weber,
1983 : 689).

Le sociologue J. Viard déclare :


La France est un pays dont l’unité a été construite à coups de
cravache (...) Il y a un État central qui a conquis petit à petit
la Bretagne, La Provence, etc. (...) Il y a aucune raison que la
Bretagne et la Côte d’Azur soient dans le même pays. Ils ne
sont pas dans le même monde, il y en a un qui est sur l’Atlan-
tique l’autre sur la Méditerranée. Si vous prenez l’Espagne,
l’Italie, l’Allemagne (...) l’Angleterre, il y a une unité géogra-
phique. La France c’est une unité politique construite par
l’autorité de l’État central (...) on est une société de l’autorité
du centre sur les parties et notamment sur le recul des lan-
gues régionales et des accents. On a tout fait, on tapait sur
les doigts des élèves qui utilisaient l’accent à l’école, on disait
qu’ils parlaient patois quand ils parlaient occitan alors que
c’est une langue magnifique. Et ça, c’est assez récent32.

Étudiant les stéréotypes sur la Bretagne, F. Labbé écrit :


« Franz Fanon dans Peau noire, masques blancs, en 1952, arrivait à
la conclusion que la colonisation avait créé une névrose collective
dont il fallait se débarrasser. Son analyse vaut pour la Bretagne,
au moins jusque dans les années 50 » (2020 : 112). Listant des

32
Jean Viard, Les Matins de France Culture, 22 décembre 2020,
https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/
lantisemitisme-de-laffaire-dreyfus-a-miss-france-en-passant-par-
laffaire-epstein

48
discours méprisants à propos des Bretons, Morvannou (1980)
parle d’un « florilège colonial ».
C. Lagarde a fait une synthèse de ces analyses en termes de
« colonisation intérieure » :
On a volontiers perçu de manière négative et parfois scan-
dalisée la notion de « colonialisme intérieur », née en France
dans les années soixante du siècle dernier, en plein contexte
de décolonisation plus ou moins forcée (...) le processus
historique lent de constitution de la France métropolitaine
aurait connu dans l’empire colonial des formes de domi-
nation similaires (...) La notion, inspirée des textes les plus
aboutis de la lutte anticolonialiste mis en circulation dans
l’espace francophone à cette époque (Fanon, Memmi), a per-
mis (...) de poser un diagnostic clinique, qui vaut aujourd’hui
encore, sur le traitement par la France de ses minorités : les
« visibles », des outre-mers, les « invisibles » ou invisibilisées
de l’Hexagone (Lagarde, 2012 : 38).

IV.3. La notion de colonialisme dans les


revendications régionales
L’idée que le traitement par l’État français des zones initiale-
ment non françaises et non francophones de France européenne
relève d’une forme de colonialisme est également développée
par des revendications régionales. Ainsi, dans les années 1970,
la participation de mouvements de défense de la langue et de la
culture occitanes à la lutte contre le projet d’extension du camp
militaire du Larzac par l’État français conduit à l’emploi de la no-
tion d’« État colonial » par les opposants au projet (abandonné en
1981 suite à l’élection de F. Mitterrand) :

49
L’idée n’est pas rare à cette époque qui suit la grande vague
de décolonisation de la plupart des colonies françaises au
Maghreb, en Afrique, océan Indien, Asie du Sud-Est. Dans son
livre sur la Bretagne, M. Lebesque (1970 : 127) intitule un cha-
pitre « Colonisés, mes frères ». D’autres ouvrages critiquent une
hypercentralisation française proche du colonialisme et plaident
par exemple pour un système fédéral pour éviter les indépendan-
tismes, comme le livre de Jean-Pierre Richardot paru chez Belfond
en 1976 intitulé La France en miettes33. En 1980, une chanson en
provençal intitulée Li Maloun (nom d’un carrelage traditionnel
provençal de forme hexagonale, allusion à l’État français) et trai-
tant de l’invasion touristique de la Provence se termine par le cri :
Sian coulounisa (« nous sommes colonisés »)34. L’idée est beau-
coup moins présente depuis les années 1990 mais réapparait de
temps en temps. En 2013, un Front de Libération Nationale de la
Provence tente quelques attentats devant des banques et laisse
un tract bilingue où on peut lire « Notre terre est devenue la co-
lonie des spéculateurs et des nantis en tout genre, colonisation

33
NB : une confusion est possible avec le livre portant abusivement le
même titre et plaidant pour un écrasement des « ethnorégionalismes »
publié par B. Morel aux éditions du CERF en 2023.
34
Jan-Nouvè e Catarino, album Vuei, éditions SAPEM, 1980. Le texte
(transcription approximative) se trouve sur https://trobasons.viasona.
cat/grop/catarino.jan-nouve-mabelly/vuei/li-maloun

50
encouragée par l’État français »35. Le 26 juillet 2023, un courrier
revendique au nom du Front de Libération de la Bretagne (qui a
cessé ses actions en 1981) des actions menées contre « l’emprise
de l’État colonial français » en Bretagne36.

V. Intérêt et limites d’une approche décoloniale


Une approche en termes de « colonialisme, colonisation, etc. »
est donc attestée tant du côté des analyses scientifiques que du
côté des analyses politiques ou des actions politiques « régio-
nales » en France EC. Pour valider ou invalider cette approche, il
me semble intéressant de mobiliser les nouveaux outils d’analyse
élaborés dans le cadre théorique dit décolonial, dont l’objet est,
précisément, les fondements des situations de type colonial. Si ce
cadre théorique s’avère pertinent pour les situations dites régio-
nales de France EC, on peut alors examiner l’approfondissement
et l’élargissement éventuels de l’analyse des discriminations glot-
tophobes en France qu’elle permettrait.
Cette approche présente un autre intérêt dans le cadre de la
méthode du renversement et du détour que j’utilise, puisqu’il
s’agit d’une « une pratique scientifique contre-hégémonique »
(Paveau, 2023, §4), qui prend pour objet, entre autres, la question
de l’hégémonie dans la construction des connaissances, y com-
pris linguistiques (Léglise, 2022 ; Molina Torres et Padiou, 2022).
Selon Hammouche (2016, §2) : « L’ensemble de ces travaux a
pour objectif de se dégager doublement du “colonial” : sur le re-
gistre épistémologique et sur le plan politique ». Il s’agit bien de
se dégager d’une idéologie hégémonique, imprégnant jusqu’aux
connaissances scientifiques.

35
https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-
azur/2014/11/04/le-front-national-de-liberation-la-provence-flnp-s-
affiche-dans-le-var-585180.html
36
https://www.francetvinfo.fr/societe/justice/une-enquete-ouverte-
apres-la-revendication-par-le-front-de-liberation-de-la-bretagne-d-
une-serie-d-incendies-et-de-degradations_5972828.html

51
V.1. Qu’est qu’une théorie scientifique
décoloniale ?
La construction progressive d’un appareil théorique voire
d’un « paradigme » scientifique dit décolonial est principale-
ment d’origine sud-américaine, plus largement latino-américaine
et caraïbe (Bourguignon et Colin, 2016 : 99 ; Boidin, 2009 : §5 ;
Moulier Boutang et Laugier, 2021 : 5 ; Mathias, 2018 ; Dufoix,
2023). Développé pour analyser l’européocentrisme hégémo-
nique dans la pensée politique et scientifique un peu partout dans
le monde (Léglise, 2022), et par exemple en Amérique latine, cet
appareil est notamment organisé autour du concept de colonia-
lité, proposé par le sociologue péruvien Aníbal Quijano (2000). La
colonialité est définie comme une « matrice épistémique » (c’est-
à-dire comme un cadre au sein duquel des connaissances sont
développées, validées, contraintes) et caractérisée par « un ré-
gime de représentation hiérarchisé et compartimenté du monde
social » (Bourguignon et Colin, 2016 : 103). Cette compartimen-
tation / hiérarchisation opère en divisant les humains en races
(comme constructions idéologiques, cf. Paveau et Telep, 2022),
et/ou en ethnies, et/ou en classes sociales et/ou en genres (et/
ou, on le verra, en langues37) ; elle pose arbitrairement, comme
des évidences, que certaines seraient supérieures à d’autres ; cela
justifierait qu’elles imposent leur pouvoir politique (notamment
par la colonisation), économique (par le capitalisme) et épisté-
mique (par la captation d’une notion – valorisée – de modernité).
L’ensemble construit un « système-monde » (Bourguignon et
Colin, 2017 : 101-102) où la domination voire l’hégémonie (au
sens gramscien) européenne est structurante : cette « colonialité
globale du pouvoir » (Boidin, 2009, §4) s’appuie sur l’imbrication :
⎻ d’une influence coloniale directe (colonisation) ou indi-
recte (colonialisme, autres formes d’impérialisme) sur
la quasi-totalité du monde,

37
La hiérarchisation / compartimentation des variétés linguistiques est,
de fait, le double critère majeur de définition du concept de diglossie
et d’identification d’une situation diglossique (à propos de laquelle
les sociolinguistes emploient plutôt les termes de hiérarchisation des
variétés / répartition de leurs usages).

52
⎻ de l’établissement d’un capitalisme mondial
(globalisation),
⎻ d’une prétention à l’universalisme de ses modes d’or-
ganisation sociétale et de compréhension du monde
(connaissances, valeurs, terminologies).
Dans cet appareil conceptuel, la colonialité est distinguée de la
pratique d’un colonialisme politique. La colonialité est observée
non seulement à travers ses manifestations politiques (les plus
visibles), mais également à travers ses manifestations écono-
miques et ses manifestations les plus transversales et les moins
visibles, les manifestations épistémiques. Elle constitue un prin-
cipe sous-jacent qui agit même lorsqu’il n’y a pas, ou que peu, ou
plus, de colonisation comme domination politique :
Utiliser le terme « décolonial » revient donc à affirmer que
nous avons conscience d’une différence entre domination
politique plus ou moins passée, à savoir : le colonialisme,
et une hégémonie économique et culturelle toujours d’ac-
tualité. De fait, la colonialité peut s’interpréter comme une
incomplétude de la décolonisation (...) cette colonialité n’en
est que plus insidieuse, puisqu’elle a pour corolaire, l’oubli
de la question coloniale et de ses conséquences (Mencé-
Caster et Bertin-Elisabeth, 2018 : §7).

C. Boidin (2009, note 14) nous invite à comprendre cette dif-


férence en d’autres termes :
On comparera avec profit cette distinction avec celle, plus
nuancée, que propose Benoît de l’Estoile (2008) entre « rela-
tions coloniales » et « colonisation ». Relations coloniales :
différentes formes prises par les relations entre l’Europe et
le reste du monde entre le XVe et XXe siècles, que ce soit des
missions religieuses ou scientifiques, etc., marquées par la
domination et la violence mais aussi par des appropriations
mutuelles asymétriques. En ce sens la colonisation ou le
contrôle direct ou indirect d’un territoire en vue de son ex-
ploitation n’est qu’un des modes de « relations coloniales ».

Les « relations coloniales » sont des relations empreintes de


colonialité, ce qui ne signifie pas qu’elles passent concrètement
par une colonisation politique, c’est-à-dire l’appropriation par la
force d’un territoire, de ses habitants et l’exercice coercitif d’un
pouvoir sur eux.

53
V.2. L’intérêt heuristique du concept de
colonialité épistémique pour l’analyse
sociolinguistique
Dans l’objectif d’analyser non seulement les modalités de mise
en place et de maintien d’une hégémonie sociolinguistique mais
aussi les conceptions qui conduisent à sa mise en place et qu’elle
impose, le concept de colonialité épistémique me parait explicatif.
Il s’agit d’identifier un mode de compréhension et donc d’organi-
sation du monde (ce que j’ai aussi appelé une idéologie au sens
gramscien du terme)38 qui conçoit ce monde comme nécessai-
rement « compartimenté et hiérarchisé » pour reprendre la ter-
minologie décoloniale (Mencé-Caster et Bertin-Elisabeth, 2018,
§3) et est imposé y compris dans la hiérarchisation des modes de
compréhension du monde, ce qui permet de disqualifier d’autres
visions du monde depuis d’autres points de vue.
Ce cadre théorique propose en effet « une réflexion sur la
colonialité du pouvoir et du savoir » (Mencé-Caster et Bertin-
Elisabeth, 2018, §3). Plus précisément « Le paradigme décolo-
nial s’intéresse en effet à la géopolitique du pouvoir, du savoir et
de l’être » (Pfefferkorn, 2016 : 7-8)39. La colonialité, parce que
matrice idéologique, ne se limite pas au domaine politique et
économique, « la colonisation touchant tous les domaines : pas
seulement le politique et l’économique, mais aussi la pensée et la
langue, à l’instar de la culture qui est a priori partout » (Mencé-
Caster et Bertin-Elisabeth, 2018, §4). L’analyse des interactions
systémiques entre pouvoir, savoir et identité dans la mise en place
d’une géopolitique contribue, en l’occurrence, à clarifier com-
38
Pour Gramsci, l’idéologie est une conception du monde qui fonctionne
comme une croyance (Cahiers de prison, XVIII-11) mais qui n’est pas
une « illusion », c’est une conviction et le terme n’est pas connoté
négativement chez lui. Cette idéologie porte sur la totalité du monde et
elle est aussi profondément ancrée et difficilement discutable qu’une
croyance (de type religieux), l’hégémonie ayant pour fonction de la
rendre universellement partagée et naturalisée, comme une évidence
incontestable, comme fondement du « sens commun ». En ce sens, il
s’agit d’un phénomène transversal, plus profond et plus résistant qu’une
représentation sociale ordinaire, ou alors c’est un type particulier de
représentation sociale relevant du « noyau dur » de celles-ci (Roussiau
et Bonardi, 2001).
39
Soulignements de Ph.B.L.

54
ment un certain savoir sur le monde (une conception du monde,
une idéologie) dont un savoir sur une certaine identité attribuée à
des humains catégorisés en groupes joue un rôle éventuellement
fondateur, en tout cas déterminant, dans la mise en place d’un
certain système géopolitique.
De nombreux travaux ont montré que « l’esprit colonial im-
prègne profondément les milieux cultivés » aux XIXe et XXe siècles
(j’en montrerai des manifestations plus loin), « y compris dans
les sciences sociales » (Pfefferkorn, 2016 : 7). Blanchard et Bancel
(2005, §10) rappellent « l’extraordinaire légitimité de la colo-
nisation en métropole » aux XIXe et XXe siècles. Non seulement
l’idéologie hégémonique « ordinaire » en Europe est empreinte
de colonialité, mais cette conception du monde concerne égale-
ment pour partie les sciences humaines et sociales (SHS) :
Les relations coloniales de pouvoir ne sont pas circonscrites
aux sphères des dominations économiques, politiques,
juridiques, culturelles ou sociales. Elles concernent au pre-
mier chef le domaine épistémique, c’est-à-dire les modes
de construction et de validation des savoirs académiques,
les modalités de circulation et de diffusion des textes (ce
qui inclut la problématique de la traduction), les bibliogra-
phies reconnues comme telles, les langues qui comptent, les
cloisonnements et décloisonnements disciplinaires (Mencé-
Caster et Bertin-Elisabeth, 2018, §26).

Bien attesté aujourd’hui40, ce phénomène était d’autant plus


marqué au XIXe siècle dans les SHS naissantes en même temps
que s’amplifie de façon massive41 la colonisation du monde par
quelques puissances européennes, dont la France, et la franci-
sation linguistique et culturelle de la France par la centralisa-
tion parisienne. Au cours du XIXe est affirmée une « théorie des
races » directement liée à une certaine conception des langues et
réciproquement, typique de la colonialité, qui alimente le colonia-

40
« Le discours scientifique européen, et plus largement occidental,
suivant ses propres normes et sa vision du monde, s’est de facto imposé
comme “science globale“ » (Léglise, 2022, §2).
41
Les chercheurs américains à l’origine de la théorie décoloniale
insistent beaucoup sur le fait que l’organisation coloniale du monde
sous domination européenne commence dès la fin du XVe siècle avec la
colonisation radicale du continent américain, dont les modalités seront
ensuite étendues au reste du monde.

55
lisme, voire « justifie » la colonisation pour ceux, nombreux, qui
adhèrent à cette idéologie (cf. la position de J. Ferry infra) :
Le « laboratoire de philologie » de Renan42 (…) produit une
partie de l’argumentation raciste à partir du classement
hiérarchique des langues (…) la correspondance entre clas-
sification des langues et classification des races, proposées
par Broca, Renan et Hovelacque, représentant principal de
l’école de linguistique naturaliste (Paveau, 2022, §4 et 6).

La classification raciale a contribué à construire la percep-


tion des colonisés par les colons comme des êtres naturel-
lement inférieurs, ayant des formes rudimentaires d’expres-
sion, voire même sans langage (...) dans le cadre conceptuel
de la modernité, la définition de l’humanité comporte une
dimension langagière. Elle se fonde sur une hiérarchisation
linguistique où sont reconnus comme langues certains sys-
tèmes linguistiques descendant du latin, du grec, de l’hébreu.
Considérées comme supérieures aux autres, elles seraient les
seules capables d’exprimer la connaissance. La conception
moderne du langage lie la langue, la grammaire, la civilité et
l’écriture alphabétisée au savoir et naturalise cette relation,
faisant de ces critères les critères « naturels » d’une langue
« au sens plein » (Molina Torres et Padiou, 2022, §10).

On n’est pas étonné, dès lors, que l’association langues / races


soit affirmée par le principal théoricien de la compartimentation
des humains en « races » distinctes et hiérarchisées : « Les lan-
gues sont, par conséquent, inégales en valeur et en portée, dis-
semblables dans les formes et dans le fond, comme les races (...)
la hiérarchie des langues correspond rigoureusement à la hié-
rarchie des races » (Gobineau, 1884 [1853], 213-214).
La facette linguistique de l’organisation sociopolitique est
ainsi directement : concernée : « la colonialité du langage accom-
pagne la colonialité du pouvoir : c’est l’une des facettes de la dés-
humanisation des sujets coloni(ali)sés », en concluent Molina
Torres et Padiou (2022, §11), faisant écho au travail de Gabriela
Veronelli (2015) sur la « colonialité du langage ».

42
Allusion aux travaux d’E. Renan, professeur d’hébreu au Collège de
France, célèbre théoricien de la nation française, dont la conception de
la hiérarchie des langues a été considérée comme antisémite.

56
V.3. Différences postcolonial / décolonial
Différents travaux dans diverses disciplines, notamment éla-
borés par des chercheur.e.s des anciennes colonies aussi appelées
« pays du Sud », ont proposé diverses analyses, théories et termi-
nologies pour rendre compte de divers aspects de ce phénomène
majeur dans l’histoire du monde – et de ces sociétés – qu’est la co-
lonisation. Deux ensembles d’études ont notamment connu une
grande diffusion : les études postcoloniales, surtout, un peu plus
anciennes et d’origine anglophone, et les études décoloniales,
plus récentes et moins connues, d’origine hispanophone. Il est
utile de clarifier leurs différences pour éviter des malentendus.
Beaucoup de textes relevant de l’approche décoloniale insistent
sur cette différence (Pfefferkorn, 2016 : 8 ; Boidin, 2009 : §6)
alors que, j’y reviendrai plus bas, des rejets dogmatiques violents
les amalgament en France (à cause des connaissances critiques
que construisent ces travaux) : « En France, le courant décolonial
est depuis peu devenu une cible, dans certains discours de repré-
sentantes politiques et d’universitaires. Ces discours, (…) mani-
festent une profonde méconnaissance des études décoloniales,
notamment en les associant pêle-mêle au postcolonialisme et à
l’intersectionnalité » (Molina Torres et Padiou, 2022 : §5). Ainsi,
Le courant décolonial se démarque explicitement des études
postcoloniales (...) la distinction entre colonialité et coloni-
sation vient heurter le mythe de la décolonisation, en sou-
lignant les continuités entre la période coloniale et post-co-
loniale43 (...) Dans le courant décolonial, contrairement aux
études postcoloniales, ce ne sont pas des traces ou des héri-
tages de la colonisation qui imprègnent les rapports de do-
mination contemporains, mais bien la même matrice épisté-
mique de la colonialité (Molina Torres et Padiou, 2022 : §7).

De plus, il y a entre les deux approches une inversion des rap-


ports de causalité :
L’espace de réflexion ouvert par le paradigme décolonial ne
coïncide en effet que très partiellement avec celui du postco-
lonialisme (...) La perspective décoloniale propose en réalité
une inversion de l’ordre causal « intra-moderne » qui régit
43
On distingue souvent post-colonial (avec trait d’union) « après la
période de colonisation politique » de postcolonial (sans trait d’union)
« qui concerne les effets persistants de la colonisation même après la
fin de la colonisation politique ».

57
l’historiographie post-coloniale : la colonialité, loin de n’être
qu’un résidu ou une séquelle d’une violence originelle – le
colonialisme – dont la modernité se serait progressivement
éloignée, constitue en réalité sa matrice épistémique. En
d’autres termes, les imaginaires postcoloniaux que la théorie
« post » tend à appréhender comme les persistances histo-
riques d’un ordre global caduc, constituent, pour la perspec-
tive décoloniale, les manifestations symptomatiques d’une
structure cognitive profonde qui est toujours à l’œuvre dans
la configuration des rapports Nord/Sud (Bourguignon et
Colin, 2017 : 100).

VI. Appliquer le concept de colonialité à des


questions sociolinguistiques en France ?
Le concept de colonialité semble pouvoir permettre de carac-
tériser de façon plus précise ou plus significative l’idéologie so-
ciétale dans laquelle s’inscrivent les orientations glottopolitiques
hégémoniques en France, telles que décrites au début de ce texte
et que je propose de qualifier de glottophobes. Autrement dit, il
pourrait permettre de répondre à la question « quelle est la ma-
trice épistémique générale qui conduit au dogmatisme linguis-
tique observé, aux incohérences des discours tenus à ce propos
(y compris celui de l’appareil d’État et de ses décisions de justice),
à l’organisation sociolinguistique diglossique et glottophobe, mi-
noritarisante, de la société française ? ».

6.1. Appliquer le concept de colonialité à


des questions sociolinguistiques
L’usage de la théorie de la colonialité pour analyser les situa-
tions sociolinguistiques est déjà attesté, on l’a vu ci-dessus, no-
tamment avec le thème de colonialité du langage développé par
G. Veronelli (2015). Q. Boitel (2022 : 89) rappelle, s’appuyant
sur Vigouroux (2017) ou Rosa (2018) que : « Plusieurs travaux
portent ainsi sur la manière dont les personnes non blanches
sont catégorisées comme étant incapables de parler ou maîtri-
sant mal le parler “standard » ». Molina Torres et Padiou (2022)
rappellent « les apports possibles de l’approche décoloniale pour

58
les sciences du langage intéressées par les liens entre langage et
société » (§1), en soulignant que, si « le courant décolonial reste
très peu connu des sciences sociales et sciences du langage fran-
çaises », c’est dans le champ sociolinguistique notamment que
des travaux s’y intéressent : « quelques chercheures en socio-
linguistique et en analyse du discours mobilisent le cadre théo-
rique décolonial » (§6). Certains textes fondateurs de l’analyse
de la colonialité, comme celui de F. Fanon, sont déjà mobilisés
dans diverses analyses sociolinguistiques, par exemple autour du
concept d’auto-odi, « haine de soi » (Blanchet, 2016b). I. Léglise
(2022) prend d’ailleurs la sociolinguistique, surtout anglophone,
comme terrain d’investigation significatif des relations Nord-Sud
dans le champ de la recherche en SHS et de la référence (rare) aux
théories postcoloniales ou décoloniales (§16).
Le « caractère indissociable de la modernité et de la colonia-
lité » posé par cette théorie (Boidin, 2009 : §6) fait directement
écho à l’une des constantes de la matrice discursive française de
disqualification des LdRF, leur assignation arbitraire au passé
(voire à leur disparition supposée acquise ou en voie d’achève-
ment), à un monde rural archaïque ou primitif, à des croyances
et superstitions, à une incapacité à dire la modernité (pour une
synthèse cf. Blanchet, 2021).
Des chercheurs en sociolinguistique de pays dits du Sud s’ap-
puient sur une approche critique de type décolonial44 pour réexa-
miner la question des politiques linguistiques :
The ideology of language diversity as a problem to be solved
or managed reproduces colonial and missionary ideologies
based on the idea of homogeneity as necessary for intelli-
gibility. In this context, the ideas of development and mod-
ernization are interlocked, meaning that “less developed
modern (or modernizing) societies (...) are characterized
by a high degree of arbitrary (…) social and linguistic het-

44
Bien qu’ils emploient le terme postcolonial en anglais, ils précisent
p. 494 : « the impact of colonialism is still so discernible that it may
not be appropriate to refer to any “post” because it creates the false
impression that we have overcome the impact of colonialism » (L’impact
du colonialisme reste si clairement identifiable qu’il n’est peut-être pas
approprié de parler d’un quelconque « post » parce que cela crée la
fausse impression que l’impact du colonialisme a été vaincu).

59
erogeneity” (Neustupný 1974, p. 4345) (Makoni, Severo et
Abdelhay, 2023 : 486).
(trad. par Ph.B.L. : L’idéologie de la diversité linguistique
comme problème à résoudre ou à gérer reproduit les idéo-
logies coloniales et missionnaires basées sur l’idée que
l’homogénéité est nécessaire à l’intercompréhension. Dans
ce contexte, les idées de modernisation et de développe-
ment sont corrélées pour dire que « les sociétés modernes
moins développées (ou en cours de modernisation) (…) sont
caractérisées par une très forte hétérogénéité linguistique et
sociale (…) arbitraire » [réf.])

Dans un entretien avec C. Canut et M. Guellouz (2022) inti-


tulé « Pour une nouvelle ontologie du langage », l’un d’entre eux
et elles, S. Makoni, remet en question la notion même de langue
au sens commun de l’idéologie linguistique hégémonique en
Europe, y compris en linguistique classique, comme l’ont fait
aussi des sociolinguistes francophones issus de « pays du Sud »
et de situations sociolinguistiques marquées par de fortes mino-
ritarisations (Blanchet, Calvet et Robillard, 2007 ; Calvet, 2004)46.

Le concept de colonialité s’avère donc potentiellement perti-


nent pour rendre compte de phénomènes de minoritarisation, de
diglossie, de glottophobie.

VI.2. Un rapport de colonialité aux LdRF


J’ai pointé ci-dessus la correspondance directe entre le
concept de colonialité et celui de diglossie, qu’on peut, de ce point
de vue, considérer comme une déclinaison de la colonialité dans
le domaine sociolinguistique. J’ai également montré que le rap-
port étroit entre colonialité et revendication d’une modernité se
retrouve directement appliqué aux LdRF, renvoyées à un passé
primitif dans un acte performatif d’élimination qui participe à les
disqualifier : c’est ce qu’on appelle en sociolinguistique une mino-
ration statutaire. On en trouve de très nombreux exemples dans

45
Neustupný JV. 1974. Basic types of treatment of language policy. In
Advances in Language Planning, ed. J. Fishman, pp. 37-48. New York :
Mouton.
46
D. de Robillard de Maurice, L.-J. Calvet de Tunisie, Ph. Blanchet de
Provence.

60
les discours publics, comme je l’ai montré (Blanchet, 2021), dont
un exemple significatif est cet article du philosophe médiatique
M. Onfray sur les LdRF qu’il qualifie de « dispositif tribal » dans
un article du Monde paru en 201047 :
il n’existe pas une langue corse, une langue bretonne, mais
des dialectes corses ou bretons, chacun correspondant à
une étroite zone géographique déterminée par le pas d’un
homme avant l’invention du moteur (…) comme une espèce
animale, une langue obéit à des besoins relatifs à une confi-
guration temporelle et géographique ; quand ces besoins
disparaissent, la langue meurt. Vouloir faire vivre une langue
morte sans le biotope linguistique qui la justifie est une en-
treprise thanatophilique. Son équivalent en zoologie consis-
terait à vouloir réintroduire le dinosaure dans le quartier de
la Défense et le ptérodactyle à Saint-Germain-des-Prés...

Le lien entre glottophobie systémique et colonialité idéo-


logique dans la construction de l’État français et de la société
française modernes, à partir du XVIIIe siècle, est clair (Blanchet,
2018) : de nombreuses48 études ont montré qu’il y a, derrière le
fait d’imposer la langue française et de tenter d’éliminer les LdRF,
la croyance en une supériorité du français non seulement sur les
LdRF mais aussi sur l’ensemble des langues du monde, ce qui
« justifierait » de l’« universaliser » pour « civiliser » les popula-
tions qui parlent des langues « inférieures » (ou des non-langues
qu’on disqualifie sous les catégories « dialectes » ou « patois »
– tout comme les indigènes des colonies sont considérés comme
des non-humains renvoyés à l’animalité).

VI.2.1 Des discours explicites


Cette colonialité glottophobe est explicite dans les mots eux-
mêmes des acteurs du rejet des LdRF, d’autant plus frappants
quand ils sont prononcés par des personnes se revendiquant
d’un projet « républicain » de progrès : « le discours républicain
colonial reprend l’essentiel des idées républicaines sur la liberté
et l’égalité (mais remis à un horizon indécidable, lorsque les “sau-
vages » seront, enfin, “civilisés”) » (Blanchard et Bancel, 2005,
§7). On peut rappeler ici les titres explicites de quelques textes
47
http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/10/les-deux-bouts-
de-la-langue-par-michel-onfray_1386278_3232.html
48
Listes et synthèses dans Calvet, 1974 ou Blanchet, 2016a.

61
célèbres au moment où s’élabore le projet politique de l’État-
nation français, comme le Discours sur l’universalité de la langue
française (Rivarol, 1784), le Rapport sur la Nécessité et les Moyens
d’anéantir les Patois et d’universaliser l’Usage de la Langue fran-
çaise (Grégoire, 1794) ou le Rapport du Comité de salut public sur
les idiomes (Barrère, 1794), dont les contenus détaillés sont en-
core plus significatifs. On trouve cette conception hiérarchisante
des langues chez les « philosophes des lumières » qui ont inspiré
la création de la France nouvelle par la Révolution de 1789 et
1794 :
Patois : Langage corrompu tel qu’il se parle presque dans
toutes les provinces : chacune a son patois ; ainsi nous
avons le patois bourguignon, le patois normand, le patois
champenois, le patois gascon, le patois provençal, etc. On ne
parle la langue que dans la capitale (Diderot et d’Alembert,
Encyclopédie, Tome XII, 1765, p. 174).

Cette conception perdure jusqu’à nos jours où le terme, ré-


pandu par l’école à dessein de disqualification, reste très usité, au
point que, dans certaines aires linguistiques romanes, les LdRF
sont majoritairement nommées ainsi même par les gens qui y
sont attachés49 :
Patois : Parler essentiellement oral, pratiqué dans une
localité ou un groupe de localités, principalement rurales.
Système linguistique restreint fonctionnant en un point dé-
terminé ou dans un espace géographique réduit, sans statut
culturel et social stable (...). Langage obscur et inintelligible.
Synonymes : baragouin, charabia, jargon (article Patois du
TLFi50).

Le fait de considérer les populations des parties non fran-


cophones de la France EC parmi les autres populations coloni-
sées, notamment sur la question de la langue, est bien attesté à
l’époque, par exemple :
Nous acceptons comme francophones tous ceux qui sont ou
semblent destinés à rester ou à devenir participants de notre
langue, Bretons et Basques de France, Arabes et Berbères du
Tell dont nous sommes déjà les maîtres. Toutefois nous n’en-
globons pas tous les Belges dans la « francophonie » bien
que l’avenir des Flamingants soit vraisemblablement d’être

49
Voir enquêtes citées au point 3.2.
50
http://atilf.atilf.fr

62
un jour des Franquillons (O. Reclus, 1886, France, Algérie et
colonies. Hachette : 422).
La Bretagne est une colonie comme l’Alsace et les Basques,
plus que la Guadeloupe (J. Michelet, Carnet de voyage en
Bretagne de 1831, inédit).

On a signalé plus haut la continuité directe qu’il y a dans la


politique éducative et coloniale de J. Ferry, que celui-ci énonçait
ainsi dans un discours devant la Chambre des députés en 1885 :
Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont
un droit vis-à-vis des races inférieures… Je répète qu’il y a
pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir
pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.

Ce discours était à l’époque décliné à tous les niveaux du sys-


tème éducatif dans un combat explicite contre les LdRF :
Dût-on nous traiter de Vandale, nous sommes d’avis qu’on
tranche au vif dans cette antique transmission des patois, et
que chaque école soit une colonie de la langue française en
pays conquis (P. Lorain, Tableau de l’instruction primaire en
France, Paris : Hachette, 1837).
Nos écoles primaires doivent être entièrement en français
et ne servir qu’à l’enseignement du français. Laissons aux
parents le soin de transmettre leur langage à leurs enfants
et attendons tranquillement l’œuvre du temps [...] Nous
amènerons insensiblement les populations soumises à notre
domination à s’incliner devant la force des choses et à accep-
ter notre langue et notre civilisation, comme elles ont été
forcées de reconnaitre notre autorité et la force matérielle
de nos armes (I. Carré, inspecteur général de l’instruction
publique, Livre du maître. Méthode pratique de langage lec-
ture, d’écriture, de calcul, etc. plus particulièrement destinée
aux élèves des provinces où l’on ne parle pas français, et qui ar-
rivent en classe ne comprenant ni ne sachant parler la langue,
1898, p. 29)51.

Cette position n’est pas la seule présente entre 1850 et 1950,


période de francisation scolaire des populations précédemment

51
Une 2e version de ce manuel parait l’année suivante sous le titre : Le
premier livre de français pour l’enseignement des indigènes de nos
colonies ainsi qu’aux élèves des contrées de la France qui arrivent en
classe ne comprenant pas, ne sachant pas parler la langue nationale. Sur
la politique linguistique éducative élaborée et pilotée par I. Carré, voir
Boutan, 1998 et Puren 2003.

63
non francophones de France, qui coïncide avec l’expansion colo-
niale extérieure majeure de la France. Elle rencontre l’opposition
de partisans de l’usage des LdRF comme auxiliaires à l’enseigne-
ment du français (par la méthode comparative notamment) et à
l’enseignement en général puisque les enfants arrivent à l’école
sans savoir le français (Cortier et Puren, 2008). Elle rencontre
aussi celle, marginale, des partisans du droit à une éducation
dans la langue première des enfants et qui refusent le statut de
langue « auxiliaire » pour les LdRF (l’un des plus célèbres est F.
Mistral). Mais c’est la position explicitement « coloniale » qui
domine et qui l’emporte dans les textes règlementaires : dès J.
Ferry il est prescrit que la « langue française sera seule en usage
dans l’école » (arrêté de 7 juin 188052), en 1925 la circulaire du
ministre de l’Éducation de Monzie rappelle cette exclusivité et re-
jette explicitement le recours aux LdRF53. La primauté du français
dans l’enseignement figure dans le Code de l’éducation jusqu’à
aujourd’hui (article L-121-3) et le fort rejet des LdRF ainsi que
de l’idée même d’un droit à utiliser une autre langue que le fran-
çais dans de nombreuses situations reste dominant (cf. point 2
ci-dessus).

VI.2.2. Un détour par la « France d’outre-mer »


Le détour par la « France d’outre-mer » et les LdRF qu’on y
parle permet, même si ça peut paraitre contre-intuitif, d’identifier
des similarités (et des différences, j’y reviendrai) avec la France
continentale européenne, dans le traitement de la diversité lin-
guistique, culturelle et historique. Sur le plan sociolinguistique,
la politique de francisation y a été plus récente (consécutive à
la « départementalisation » de 1945) et aujourd’hui atténuée
par rapport à sa brutalité en France EC sous la 3e République,
la France d’OM présente une situation proche de celle de nom-
breuses régions périphériques de France EC un siècle plus tôt :
les LdRF y sont langues premières de la quasi-totalité de la popu-
lation, dont une partie n’est pas francophone, et langues princi-
pales de communication familiale et quotidienne.

52
Texte sur https://education.persee.fr/doc/baip_1254-0714_1880_num_
23_454_65449
53
Texte sur https://www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_1995_ant_5_
2_2076

64
Le géographe J.-C. Gay (2022) rappelle que, au-delà du sens
général initial du terme outre-mer, « dans la seconde moitié du
XIXe siècle, il va désigner les pays sous domination coloniale euro-
péenne ». Le passé explicitement colonial des territoires devenus
depuis 1945 des départements, puis aussi des régions, au même
titre que ces collectivités en « métropole » y apparaissent dans
une continuité masquée sous des changements lexicaux :
En 1934, l’École coloniale est rebaptisée École nationale
de la France d’outre-mer (ENFOM). L’année suivante, le
Musée des colonies, construit pour l’Exposition coloniale de
1931, devient le Musée de la France d’outre-mer. En 1946,
un « ministère de l’outre-mer » se substitue au « ministère
des Colonies ». En 1957, l’Académie des sciences coloniales
devient l’Académie des sciences d’outre-mer.

Mencé-Caster et Bertin-Elisabeth (2018, §9) rappellent que


« les actuelles possessions de la France, même sous forme de
“départements” ou de “collectivités territoriales” sont encore
des restes de cet ancien empire colonial français »54. Leur statut
« d’outre-mer » est défini par rapport au pouvoir central (ce que
J.-C. Gay appelle le « métropocentrisme »), tout comme celui des
collectivités territoriales comparables en France EC :
L’Outre-mer est une « définition exogène », étrangère à ceux
qui en sont originaires. En fait, l’outre-mer est à la France ce
que la province est à Paris. On est Basque, Provençal, Breton
ou Alsacien, mais c’est par un séjour à Paris et/ou en adop-
tant le regard du centre qu’on est un Provincial. D’ailleurs la
péjoration de « province », de plus en plus remplacé par « en
région », démontre la gêne vis-à-vis de ce terme, trop évoca-
teur de la domination de Paris (Gay, 2022).

Or, comme on l’a vu plus haut, les langues autochtones


des territoires inclus dans la France dite d’outre-mer sont
considérées par l’État comme des LdRF, relèvent du même
traitement avec les mêmes types de conséquences55, de la

54
Le cas de Mayotte en est un signe piquant : son appartenance à la
France n’est pas reconnue par l’ONU qui considère cette ile comme
appartenant aux Comores, bien que la France en ait fait un département
français en 2011 (https://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/mayotte-
1994-resolut-ONU.htm). L’ONU appelle aussi à la décolonisation de la
Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie/Kanaky.
55
Dans son article sur Wallis, par exemple, S. Chave-Dartoen (2023)
montre que la francisation par l’école et l’administration transforme

65
même législation, des mêmes décisions qu’en France EC, par
exemple de la part du Conseil constitutionnel. Cela permet
de mieux identifier les caractéristiques fondamentales du
traitement subi par les LdRF et leurs usagers en France EC.

VI.2.3. Un racisme intérieur : exemples anti-Bretons et anti-


Méridionaux
Le concept de colonialité a été conçu à partir de situations
dans lesquelles des populations ont été méprisées, exploitées,
déshumanisées. L’une des principales modalités de cette com-
partimentation-hiérarchisation des personnes qui caractérise la
colonialité, est l’assignation à des catégories appelées « races »,
fondés sur de pseudo-critères biologiques notamment phénoty-
piques (apparence physique). C’est probablement la modalité la
plus choquante, la plus violente dans la gradation des comparti-
mentations stigmatisantes. On doit donc se demander, d’autant
plus après le détour par les « outre-mer » où la majorité des
populations a été racisée pour être discriminée, si un traitement
comparable, même moins violent, a eu lieu concernant des popu-
lations de France EC ayant des LdRF, d’autres cultures, d’autres
histoires, que celle de la France parisienne, alors même que dans
les catégories « raciales » inventées pour discriminer les per-
sonnes, ces populations de France EC sont catégorisées dans la
« race » dominante, dite « blanche ». La réponse est positive : il
est facile de collecter un corpus significatif de propos de type clai-
rement raciste56 proférés par des personnalités publiques (poli-
tiques, médiatiques, intellectuels) à l’encontre des populations
les plus différentes du citoyen français standard dont l’idéal-
type est constitué par les classes moyennes et supérieures pari-
siennes. R. Le Coadic (2013) a ainsi pu montrer que les Bretons
ont été considérés comme des « nègres blancs ». J’en prends ici
deux exemples à propos de deux régions de France EC que j’ai
étudiées, la Bretagne et la Provence (en fait le Midi incluant

radicalement le rapport au monde, le système de connaissances et de


relation : caractère épistémique de la colonialité linguistique.
56
Si le mot race est couramment employé tout au long du XIXe dans un sens
général de « groupe humain » sans connotation biologisante négative,
avant que se répande la théorie de Gobineau, la déconsidération
injurieuse exprimée par ces discours s’inscrit dans ce que nous
appelons racisme aujourd’hui.

66
Provence, Languedoc et Gascogne que les Franchimand57 amalga-
ment souvent). Ces propos sont surtout attestés dans la période
concomitante d’expansion coloniale de la France à l’extérieur de
ses frontières européennes et d’extension autoritaire du centre
parisien sur les « provinces » intérieures, soit entre 1830 et 1930,
avec des exemples plus précoces (période révolutionnaire, cf. ci-
dessus) ou plus tardifs (cf. corpus sur le Midi), sachant que même
atténués ils perdurent jusqu’à aujourd’hui sous la forme de sté-
réotypes négatifs (Le Coadic, 2013 ; Blanchet et Clerc Conan,
2018 ; Gasquet-Cyrus, 2012).
En conclusion d’une vaste synthèse, R. Le Coadic indique
(201 : 13) : « Bretons et Nègres ont souvent été comparés
avec un même mépris au XIXe et au début du XXe siècle ». Voici
quelques exemples de discours racistes français sur la population
bretonne58 :
⎻ [les Bretons] « appartenaient moins à notre belle race
caucasienne qu’au genre des herbivores » (Balzac,
1829)
⎻ « Les Bas-Bretons (...) à peine une place au-dessus de
l’homme sauvage » (Brun, 1831)
⎻ « La nature est atroce, l’homme est atroce, ils semblent
faits pour s’entendre » (Michelet, 1879)
⎻ « Il n’est point de pays, même en Afrique, où l’homme
soit plus superstitieux qu’il ne l’est en Bretagne »
(Cambry, 1836)
⎻ « Il ne semble pas qu’à aucune époque [la race cel-
tique] ait eu d’aptitude pour la vie politique » (E. Renan,
1854)59
⎻ « [le Breton] ce sauvage vénérant sa charrue d’abord, sa
grand-mère ensuite, croyant à la Sainte Vierge, dévot à

57
Terme usité en langues d’oc, dans l’ensemble du Midi sous des formes
différentes, pour désigner les Français non méridionaux, de langue et
culture françaises.
58
Pour un « florilège » plus complet, des sources précises, une synthèse et
une analyse, voir Le Coadic, 2013 ; Bertho, 1980 ; Moal, 2016.
59
Renan était breton, originaire du Trégor, mais l’intégration du stigmate
est un phénomène classique chez les stigmatisés (c’est le « complexe du
colonisé » d’A. Memmi, le « syndrome de Stockholm sociolinguistique »
chez Moal, 2016).

67
l’autel et aussi à la haute pierre mystérieuse debout au
milieu de la lande » (V. Hugo, 1874)
⎻ « C’est le nègre de la France » (Tailhade, 1903)
⎻ « Les principaux traits de la race bretonne sont la mal-
propreté, la superstition et l’ivrognerie » (Busson, 1929)
⎻ « On est frappé de la ressemblance évidente entre les
hommes, le sol et les animaux » (Geniaux, 1912)
En conclusion d’une autre vaste synthèse, C. Piot indique
(2020 : 38) : « De 1870 à 1914, le Midi a donc été l’objet d’un
véritable racisme intérieur, la cible d’un vigoureux discours de
haine. Pour de nombreux intellectuels du XIXe siècle, il existe une
“race méridionale » des êtres à part, lâches et vantards, politique-
ment conquérants, fossoyeurs de la patrie et alliés objectifs des
Sémites ». Voici quelques exemples de discours racistes français
sur les populations méridionales60 :
⎻ « Approchez-vous du Midi et vous croirez vous éloigner
de la morale même : des passions plus vives multiplie-
ront des crimes » (Montesquieu, 1772).
⎻ « Le pays qu’on parcourt est admirable mais les gens y
sont bêtes à outrance » (P. Mérimée, 1835).
⎻ « Le sud enfin aurait bien besoin d’un tyran qui ferait
faire des routes et obligerait les gens à mieux se tenir, à
ressembler un peu plus à des êtres humains » (Stendhal,
Voyage dans le midi de la France, 1838 publié en 1930).
⎻ « Le Sud est juif, musulman (hérétique), le Nord est
chrétien, normé. Le Sud est nomade, provient de l’An-
cien Testament, inachevé. Le Nord est fixe, accompli »
(Michelet, 1840)
⎻ « Notre étourderie vient du Midi et, si la France n’avait
pas entraîné le Languedoc et la Provence dans son cercle
d’activité, nous serions sérieux, actifs, protestants, par-
lementaires » (E. Renan, 1871)
⎻ « Ce ne sont pas du tout des français mais des espagnols,
des italiens. (...) des latins mâtinés d’arabes. Midi race

60
Pour un « florilège » plus complet, des sources précises, une synthèse et
une analyse, voir Liens, 1971 ; Martel, 1994 ; Cabanel et Vallez, 2019 ;
Piot, 2020.

68
de mendiants, de lâches, de fanfarons et d’imbéciles »
(Huysmans, 1884)
⎻ « Comme les Juifs, [les Méridionaux] se sont mêlés à
nous, mais comme les Juifs, on les distingue au premier
coup d’œil. Les Juifs et les Latins ne se ressemblent-ils
pas comme des frères ? (…) Ils ont le même nez crochu
(...) Il faut résolument [les] retrancher de chez nous
comme une excroissance infectieuse (...) le Midi s’étend
maintenant comme un filet, une toile d’araignée mons-
trueuse, sur le pays tout entier ». (Méry, 1892)
⎻ « Zone Sud, peuplée de bâtards méditerranéens, de
Narbonoïdes dégénérés, de nervis, Félibres gâteux,
parasites arabiques que la France aurait eu tout inté-
rêt à jeter par-dessus bord. Au-dessous de la Loire, rien
que pourriture, fainéantise, infect métissage négrifié »
(Céline, 1942)
Comme on le voit, il s’agit des mêmes procédés de déconsi-
dérations que ceux utilisés envers les personnes vivant dans les
colonies extérieures : rejet maximal d’une « étrangeté » allant
jusqu’à sortir les gens de l’espèce humaine pour en faire des ani-
maux, accusations de sauvagerie primitive et superstitieuse, de
stupidité, pauvreté, et autres insultes. Il est frappant que des rap-
prochements voire des fusionnements soient faits avec des po-
pulations par ailleurs explicitement racisées : « nègres / Noirs »,
« Juifs », « Arabes », « Musulmans » : cela confirme qu’on observe
bien le même processus de colonialité envers les Bretons ou les
Méridionaux, considérés comme n’étant pas français, qu’envers
les populations autres que françaises et surtout autres qu’euro-
péennes. Du reste, la plus ancienne attestation du mot racisme
semble remonter à un article de G. Méry en 1894 où il l’emploie
pour inciter à « protéger la race celto-germanique » de la moitié
nord de la France contre la « race » méridionale.

VI.3. Nuances et critiques sur l’approche


décoloniale en France
Bien que l’approche décoloniale comme théorie scientifique
ayant des concepts précis apparaisse au final fondée, solide et
pertinente pour expliquer les fondements idéologiques du traite-

69
ment de l’altérité linguistique, culturelle et historique en France,
il est nécessaire d’envisager les limites de son utilisation en la
contextualisant.

VI.3.1. Différences de degrés et de modalités


La première des précautions à envisager relève de la diffé-
rence des modalités effectives de mise en œuvre de l’idéologie de
colonialité. La colonialité comme matrice idéologique peut être
considérée comme commune à l’ensemble des situations socié-
tales, en l’occurrence sociolinguistiques, où un groupe humain
s’est considéré supérieur à d’autres qu’il a catégorisés et disqua-
lifiés selon ses intérêts et sur lesquels il a exercé un pouvoir arbi-
traire dans divers domaines, par exemple politique, économique,
culturel, éducatif ou linguistique. Mais, précisément parce que la
mise en œuvre de la colonialité a pu toucher à certains domaines
et pas à d’autres, à des degrés variables et avec des modalités
plus ou moins violentes, la colonialité identifiée doit l’être avec
nuance. Ainsi, la mise en œuvre militaire et politique de la colo-
nialité par la colonisation au sens « occuper, exploiter, mettre
en tutelle, rendre dépendants un territoire et une population,
de façon abusive » (TLFi) a pris des formes plus violentes, plus
cyniques et plus graves dans les colonies « extérieures » de la
France. Cette colonisation a souvent été accompagnée de formes
de servage (au Maghreb) et d’esclavage (notamment dans les iles
de plantation, dont La Réunion et Maurice). Dans les colonies
extérieures a été mis en place le tristement célèbre code de l’indi-
génat (en 1881 en Algérie, étendu à toutes les colonies en 1887,
aboli en 1946), qui faisait des « indigènes » des « sujets français »
privés de la quasi-totalité des libertés, des droits politiques et
sociaux, dont bénéficiaient les « citoyens français »61 dits « métro-
politains » (Thénault, 2014). De ce point de vue, les populations
caractérisées, entre autres, par l’usage comme langue première
et collective d’une LdRF, n’ont pas connu les mêmes formes ni les
mêmes duretés coloniales selon qu’elles relevaient des colonies
extérieures ou de la France EC.

61
Le masculin est d’autant plus significatif que les femmes étaient, elles
aussi, privées de certains droits et libertés, même sous le régime de la
citoyenneté.

70
Cela s’explique par la différence de projet de la part de l’État
français : les « sauvages » des régions de France EC ont été
considérés comme « civilisables » (pour reprendre les termes
de Blanchard et Bancel cités ci-dessus) et, sous réserve de leur
assimilation au modèle parisien, plus ou moins traités comme
des citoyens à part entière. Cela a en partie été vrai : bien qu’on
n’ait jamais demandé aux Bretons, aux Catalans, aux Corses ou
aux Provençaux, par exemple, s’ils acceptaient que leur pays his-
torique soit annexé et qu’ils deviennent des Français / Françaises,
ils ont été plutôt traités comme des citoyens ayant grosso modo
les même droits que ceux (et plus tard celles) de « la vraie France,
celle du nord » comme disait Michelet dans son Tableau de la
France en 1875, à l’exception notable de leur pouvoir de déci-
sion locale, des activités économiques62 et de leurs droits linguis-
tiques, éducatifs et culturels63 (ce qui fait beaucoup). À l’inverse,
les « indigènes » des colonies « d’outre-mer » n’ont pas été consi-
dérés comme assimilables donc comme de potentiels citoyens,
d’où notamment leur faible scolarisation et un enseignement
du français limité à une frange de cadres intermédiaires locaux
(Calvet, 2010). Même en Algérie, rare colonie « de peuplement »
dont la France avait fait des départements et qu’elle a cherché à
annexer définitivement, le taux d’enfants « indigènes » scolarisés
est toujours resté faible (Kateb, 2004). Et même dans les colo-
nies insulaires devenues départements en 1946, par exemple à
La Réunion, la scolarisation et son corolaire de diffusion du fran-
çais contre le créole (et pas en plus du créole – même politique
qu’en France EC), n’est développée qu’à partir des années 1960

62
Par exemple, la transformation de la Bretagne en première zone
d’élevage animal intensif pour la France a été décidée à Paris (Lemieux,
2018) et a produit les dommages écologiques et sociaux que l’on sait.
63
Par exemple, je peux témoigner que la vaste littérature en langue
provençale (dont un prix Nobel) n’est pas enseignée dans le système
éducatif français à programme unique centralisé, même en Provence
où elle n’est même pas évoquée ; de même, seule l’histoire française
est enseignée, depuis le haut moyen-âge, l’histoire de la Provence (ou
d’autres régions) n’est pas enseignée alors qu’elle n’est associée à la
France que depuis le XVIe siècle et devenue française qu’en 1789-90
(même chose à Nice devenue française en 1860). Résultat : la plupart
des Provençaux et Provençales ignorent l’histoire spécifique et la
littérature de leur propre pays.

71
(Lucas, 1997 ; Simonin et Wolff, 2002)64. Cela confirme la néces-
sité et la pertinence de la distinction conceptuelle colonialité /
colonisation.

VI.3.2. Préjugés politiques et invectives idéologiques


L’autre précaution importante à envisager, ne serait-ce que
pour réfuter les objections rencontrées, est d’un ordre intellec-
tuellement secondaire mais inévitable dans la perspective de la
circulation des connaissances, surtout en SHS où l’on croise en
permanence divers courants de l’opinion publique. Déjà en 1966,
M. Rocard anticipait dès la page 1 de son rapport le rejet de la
notion de colonisation appliquée à la France EC :
Tout français jugera scandaleux d’utiliser un pareil concept
à l’occasion d’une réflexion sur la situation de nos provinces
dans l’ensemble du pays, provinces qui pour être manifes-
tement sous-développées par rapport à Paris, n’en sont pas
moins parties essentielles d’une République qui respecte les
formes de la démocratie et où les libertés privées sont hono-
rablement assurées. Et pourtant, si le colonialisme est asso-
cié dans les esprits à des images de violence et de guerre, on
conviendra sans peine qu’il s’agit là des phases ultimes de
dominations finissantes. Une domination sûre de sa péren-
nité pratique au contraire un paternalisme bienveillant.

Aujourd’hui, le terme décolonial (rarement) et surtout les


termes apparentés ou dérivés décoloniser, décolonialisme sont
employés par un ensemble de discours politiques et médiatiques
en France depuis 2021, dans un vaste amalgame avec d’autres
notions comme postcolonial, féminisme, intersectionnalité, etc.
pour exprimer une opinion d’opposition radicale à toute forme,
scientifique ou politique ou militante, etc., de remise en question
d’un ordre social inégalitaire et de revendication d’une égalité
universelle notamment en France, supposée avoir déjà établi un
modèle démocratique et égalitaire universel (cf. Dufoix, 2023,
pour un exposé détaillé). Ces désaccords et tensions confirment
l’identification d’un nœud problématique à investiguer par des
recherches en SHS.

64
La politique linguistique éducative de l’État français a été la même aux
Antilles (Abou, 1998 ; Farraudière, 2008) et en Guyane (Farraudière,
1989).

72
On trouvera un exemple de ces discours dans un dossier in-
titulé « Les nouveaux fanatiques » dans le magazine Le Point65,
politiquement dans le camp conservateur dit « de droite » : tout
y est confondu, notamment des actions et revendications de tous
ordres sans aucun lien direct, des notions différentes, ainsi que
certains travaux de recherche scientifique utilisant un cadre théo-
rique décolonial. L’article donne avec ironie une série de titres de
thèses évidemment incompréhensibles une fois détachés de la
thèse et de la spécialité à qui ils s’adressent, comme ce serait le
cas pour toute thèse en physique quantique ou biologie molécu-
laire. Ce n’est donc pas la théorie scientifique elle-même qui est
ainsi remise en question, puisque les auteurs semblent n’en avoir
ni compréhension, ni la plupart du temps, connaissance. Ce sont,
par préjugé, les liens supposés avec des revendications qu’on au-
rait autrefois appelées « gauchistes » et que leurs opposants ap-
pellent désormais « wokistes ». Un Observatoire du décolonialisme
et des idéologies identitaires a été créé en 2021 pour dénoncer cet
ensemble. Il a ensuite changé de nom pour devenir Observatoire
des idéologies identitaires66, abandonnant le terme décolonialisme
(qui, de toute façon, n’est pas la même chose qu’une théorie scien-
tifique décoloniale). La présentation de l’Observatoire67 propose
une définition du terme décolonialisme qui présente les mêmes
confusions que le dossier du Point entre notions, courants et
actions, tous très divers. On est notamment frappé, en tant que
chercheur, par l’incapacité totale ou le refus total de comprendre
ce qu’est une construction sociale, concept pourtant banal et gé-
néralisé en SHS ainsi que d’envisager l’existence d’une idéologie
identitaire et communautaire nationale qui produit une ethnicité
dominante, officielle en France (Geisser, 2005 ; Dhume-Sonzogni,
2015) – cela confirme la naturalisation que produit l’hégémonie
d’une idéologie. L’Observatoire donne d’ailleurs un lexique68, qui,
même en jouant sur l’ironie, confirme ces confusions : le terme dé-
colonial n’y apparait comme entrée que sous : « Décoloniale (écri-
ture) (n. très fém.) : Visibilisation de la langue française libérée
des censures académiques. L’écriture inclusive est prescrite pour

65
Le Point n° 2526 du jeudi 14 janvier 2021, p. 26-34.
66
https://decolonialisme.fr
67
https://decolonialisme.fr/decolonialisme/
68
https://decolonialisme.fr/lexique/

73
lutter contre l’hétéropatriarcat blanc », confusion confirmée par
l’entrée « Écriture inclusive » définie ainsi : « Entreprise salutaire
de décolonisation de l’orthographe ». Or l’idée d’une écriture in-
clusive (en français – ce n’est pas précisé – et qui n’est pas limitée
à la proposition d’usage de formes graphiques mixtes avec point
ou tiret contrairement aux exemples que donne ce lexique), n’a
qu’un rapport très indirect et très lointain avec une théorie déco-
loniale, principalement écrite en espagnol. Le concept-clé de colo-
nialité n’est jamais mentionné dans cet ensemble d’objections.

VI.3.3. Contradictions et complexité des humains et


des sociétés
De plus, la crispation des oppositions procède par dichotomie
exclusive : c’est A ou B, colonial ou « républicain ». Or, comme l’a si
bien montré E. Morin (1990), dans le monde humain et social, les
choses sont complexes, c’est-à-dire tissées de contradictions. Ce
n’est pas parce que l’on montre qu’une des matrices idéologiques
de l’État français, et, avec lui, de la société française en général,
est une colonialité, que cela exclut toute part d’humanisme (au
sens de respect des droits humains) et toute position diverse – et
réciproquement. Les travaux sur le « républicanisme colonial »
(Blanchard et Bancel, 2005 ; Bancel, Blanchard et Vergès, 2003)
ont bien montré ce paradoxe. Une même personne peut conju-
guer deux matrices contradictoires : ainsi le célèbre abbé Grégoire
est-il en même temps considéré comme un des premiers antira-
cistes, abolitioniste de l’esclavage et un colonialiste partisan de la
« régénération » des peuples « dégénérés » comme les Juifs ou les
Africains ou les Français qui ne parlaient pas français (Goldstein
Sepinwall, 2000). Il défendait l’humanité des « Nègres » tout
en écrivant dans son rapport sur l’universalisation de la langue
française : « les nègres de nos colonies, dont vous avez fait des
hommes, ont une espèce d’idiome pauvre comme celui des
Hottentots, comme la langue franque, qui, dans tous les verbes, ne
connaît guère que l’infinitif » ainsi que des choses bien pires en-
core sur les « patois dégénérés » parlés en France. Enfin, on peut
emprunter à une approche de recherche, ou y adhérer, sans pour
autant être en accord avec la totalité des analyses qui y sont pro-
posées ou des positions qui en découlent, d’autant que des débats
traversent toujours une approche scientifique, jamais homogène.

74
D’ailleurs, A. da Silva Mathias rappelle que « Mignolo69 suggère
une double critique dans laquelle avoir une pensée alternative,
en dehors de l’axe central de l’Occident, ne signifie pas s’opposer
radicalement à l’épistémologie des colonisateurs et moins encore
adopter, sans examen rigoureux, les pratiques des peuples coloni-
sés » (Mathias, 2018 : 173).

VI.3.4. Méconnaissance, pertinence et usages du cadre


d’analyse scientifique décolonial
Tout cela confirme qu’on ne parle pas de la même chose et
qu’encore aujourd’hui « la “théorie décoloniale » latino-améri-
caine est encore trop peu connue en France » (Pfefferkorn, 2016 :
8). Si, pour certains, « L’ensemble de ces travaux a pour objectif de
se dégager doublement du “colonial » : sur le registre épistémolo-
gique et sur le plan politique » (Hammouche, 2016 : 87), ça ne si-
gnifie pas que le projet politique précède et instrumentalise tou-
jours un projet scientifique (c’est d’ailleurs un danger qui guette
toute question scientifique depuis tous les camps politiques). Ça
peut (à mon sens ça doit) être l’inverse : quand les SHS identifient,
établissent, et rendent visibles des problèmes humains et so-
ciaux, d’une part, les scientifiques ont le devoir éthique d’alerter
sur ces problèmes et, d’autre part, il est normal que des acteurs
et actrices du monde social s’emparent des connaissances pro-
duites pour tenter d’améliorer la société. Si on met en lumière la
colonialité comme fondement du traitement glottophobe, (inéga-
litaire, discriminatoire, méprisant) que subissent les personnes
qui s’expriment en LdRF70 (ce facteur étant souvent croisé avec
d’autres par exemple leur origine sociale ou leur apparence phy-
sique), et si l’on adhère à une éthique de l’universalité des droits
supposés garantis à la totalité des citoyens et citoyennes au sein
d’un État, et aux humains à l’échelle mondiale, alors il est sou-
haitable et nécessaire que cette connaissance scientifique serve
d’appui à des actions progressistes de transformation sociopoli-
tique. Ça ne la disqualifie pas au plan scientifique ; au contraire,
ça l’exemplifie.

69
Mignolo, 2003.
70
Ou dans d’autres langues autres que le français en France, par exemple
dites « de l’immigration » sujet partiellement différent et lié à celui
examiné ici.

75
VII. Conclusion : perspectives de recherche
La recherche scientifique sur des questions de société a au
moins deux finalités principales : produire de façon méthodique
et rationnelle des connaissances nouvelles et solides, renver-
ser des préjugés, erreurs, croyances, dogmes reposant sur des
ignorances, des passions, des intérêts particuliers, des domina-
tions ou des hégémonies. Les deux finalités, l’une constructive
et l’autre déconstructive, sont souvent liées. « La sociologie doit
détruire une doxa », écrit Pierre Bourdieu (2012 : 201) dans son
cours au Collège de France Sur l’État. De ce point de vue, une re-
cherche est nécessairement hétérodoxe par rapport à l’idéologie
hégémonique (ce que Bourdieu appelle une doxa), qu’elle remet
en question, et elle produit des réactions orthodoxes qui rejettent
la recherche, comme on l’a vu ci-dessus, pour tenter de maintenir
ou de rétablir un ordre qui semblait définitivement incontesté et
qui sert à celles et ceux qui en tirent des privilèges (Pinto, 2020).
L’État est, en France en tout cas, une source majeure de l’ordre
établi, dont la doxa sur les langues et sur les personnes qui les
parlent. Ce que j’ai souhaité poursuivre ici, c’est ce à quoi nous
invite Bourdieu : faire une « histoire génétique » de l’idéologie
d’État qui, entre autres, institutionnalise la langue française et la
glottophobie.

[...] un des effets du pouvoir symbolique associé à l’insti-


tution d’État est précisément la naturalisation, sous forme
de doxa, de présupposés plus ou moins arbitraires qui ont
été à l’origine même de l’État (…) Faire une histoire géné-
tique de l’État (…) est le seul antidote véritable à ce que
j’appelle l’« amnésie de la genèse » qui est inhérente à toute
institutionnalisation réussie (…) Une institution est réussie
lorsqu’elle a réussi à s’imposer [comme allant de soi]. (...)
Une institution réussie, qui est donc capable d’exister à la
fois dans l’objectivité des règlements et dans la subjectivité
de structures mentales accordées à ces règlements, disparaît
en tant qu’institution (…) La pensée génétique, telle que je la
définis, essaie de faire resurgir, en quelque sorte, l’arbitraire
des commencements : elle s’oppose aux usages les plus ordi-
naires de l’histoire ordinaire (Bourdieu, 2012 : 197-198).

76
Nous avons procédé ici à un long réexamen des inégalités glot-
tophobes mises en place et confirmées par l’appareil d’État fran-
çais, à partir de l’exemple de la décision du Conseil constitution-
nel sur la loi Molac, à la lumière de la pertinence éventuelle d’une
approche théorique dite décoloniale, notamment de son concept
de colonialité, pour en analyser la matrice idéologique. Au final
(provisoire) de ce parcours, il semble bien que ce cadre théorique
puisse être mobilisé sur la question des langues dites régionales
de France outre-mer et y compris en France européenne conti-
nentale, et qu’il permette de compléter et d’approfondir l’analyse
de façon convaincante et significative.

Références bibliographiques
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85
Table des matières

30 ans après la première Table Ronde du Moufia .... 5


Mylène Lebon-Eyquem

L’hétérogénéité linguistique et culturelle vue


par le droit français .................................................... 13
Véronique Bertile

Qu’est-ce qu’une approche décoloniale peut


apporter à l’analyse des discriminations
glottophobes en France ?
L’exemple de l’analyse de la réception de la loi
Molac relative à la protection patrimoniale des
langues régionales et à leur promotion (2021) ........ 29
Philippe Blanchet Lunati

La promotion de la démocratie institutionnelle à


Maurice par le biais de l’accès linguistique
en langue créole et l’innovation numérique :
applications et implications ...................................... 87
Arnaud Carpooran

397
« Langue créole et accessibilité judiciaire
réunionnaise » ..........................................................113
Mylène Lebon-Eyquem, Mahëva Permalnaïck

La pluralité linguistique dans le domaine


de la santé à La Réunion : constats
et propositions.......................................................... 135
Audrey Noël

Le dépassement de la « barrière de la langue »


dans le soin en France : analyse de la réponse
institutionnelle et des pratiques de terrain ............ 157
Vanessa Thouroude

L’analyse sociolinguistique des représentations


de La Réunion dans les discours de promotion
touristique et les positionnements identitaires .... 185
Morgane Andry

Pluralité linguistique et langue créole dans


l’environnement graphique mauricien : quelles
permanences, quelles émergences ? ..................... 213
Yannick Bosquet

Approche culturelle et linguistique de la chanson


populaire créole contemporaine à La Réunion ..... 245
Francky Lauret

Le graphocentrisme et son impact sur


les relations entre créole et français ...................... 267
Jean-Philippe Watbled

398
Intervention sociale et changement
de paradigme dans la gestion de la pluralité
linguistique à Madagascar....................................... 319
Dominique Tiana Razafindratsimba

Plurilinguisme réunionnais à l’école : réflexion


sur « le créole à l’école » et présentation
du projet « Des racines bilingues aux Lianes
plurilingues » ............................................................ 339
Fabrice Georger, Laurent Picard

« Apprendre à lire en français à La Réunion :


de l’écrit du français à la langue créole
des élèves » .............................................................. 357
Laurence Daleau-Gauvin

399
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