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Le conflit linguistique en Tunisie par les textes Title : Linguistic conflict in


Tunisia in intellectual production

Preprint · February 2023


DOI: 10.13140/RG.2.2.12984.21766

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Heikel Ben Mustapha


Université de la Manouba
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Le conflit linguistique en Tunisie par les textes
Heikel Ben Mustapha
ATTC, FLAHM, Tunisie

Résumé : Dans les recherches sur le contexte linguistique tunisien, rares sont les
travaux qui ont exploré le conflit linguistique. Et dans le peu de travaux réalisés dans cette
perspective, ce sont les discours épilinguistiques qui ont accaparé l’attention, ce qui a fait que
la production intellectuelle autour des langues demeure occultée. L’objet de cet article est de
revisiter le conflit linguistique du début du 20ème à partir de textes produits dans leur majorité
entre la fin du 19ème et les années trente du 20ème siècle ; car contrairement aux discours
épilinguistiques qui reflètent la part discrète du conflit en nous invitant à interpréter les
données, les discours intellectuels, étant historiquement contextualisés, nous permettent de
mieux cerner le contexte du conflit et ses articulations.
Mots clés : contact des langues, conflit linguistique, Tunisie.
Title : Linguistic conflict in Tunisia in intellectual production
Abstract: Studies of the linguistic context of Tunisia, rarely explored language conflict.
Moreover, the rare studies were centered on attitudes and representations, so that the
intellectual production about languages of the Tunisian repertoire was usually neglected. The
scope of this paper is to review linguistic conflict and its manifestations in textual sources
published between the late 19th century and the three first decades of the 20th century. For,
unlike epilinguistic discourse which reflects the covert dimension of the conflict, intellectual
production, being historically contextualized, enables us to better understanding of the
conflict and its specificities.
Keywords: language contact, language conflict, Tunisia.
0. Introduction :
Il est largement admis, en sociolinguistique, que les contacts de langues, en plus du fait
qu’ils jouent un rôle de premier ordre dans les changements que connait une situation, mettent
en jeu des compétitions voire des conflits, tel que le soutiennent bon nombre de linguistes,
notamment Mufwene (2001), Laroussi (1993 ; 2002), pour n’en citer qu’eux.
Pour le contexte qui nous intéresse, la Tunisie en l’occurrence, les différents contacts
marquants depuis le 7ème siècle, à savoir la conquête musulmane et la colonisation française,
ont donné lieu à des compétitions qui n’ont pas manqué de déboucher sur des tensions et des
conflits. Ces conflits ont souvent pris diverses formes qui vont de l’affrontement des groupes
sociaux en fonction de clivages ethniques (Berbère VS Arabe ; Occidental VS Oriental ;
Musulman VS Chrétien…etc.) et d’intérêts politiques (Accès à l’emploi, pouvoir politique et
économique) au conflit purement linguistique qui, souvent, devient le symbole des différents
autres facteurs de conflit.
Les études sur le conflit linguistique ont été très rares sur le contexte tunisien. Hormis
les travaux de Foued Laroussi qui a été l’un des premiers à souligner la dimension
conflictuelle de la diglossie tunisienne, suivant en cela les thèses de ce qu’il est convenu de
désigner par « diglossie catalane », peu de travaux sont directement consacrés à cet aspect du
contact des langues en terre tunisienne. Les recherches de ce linguistes ont permis de dégager
que la dimension conflictuelle de la diglossie en Tunisie s’articule sur certains phénomènes,
dont le plus documenté est la minoration du parler local qui transparait dans les attitudes et les
représentations des locuteurs, ainsi que dans leurs pratiques qui pourraient être vues, toutes
choses égales par ailleurs, comme étant le reflet de ces affrontements.
Or, un système de bilinguisme/plurilinguisme n’est jamais strictement dépendant de ce
que les linguistes ont l’habitude de désigner par « répertoire linguistique ». Il dépend
également des rapports que ces langues entretiennent entre elles, d’un côté, et des les attitudes

1
et les représentations sociales, de l’autre ; car, en tant que systèmes ouverts, les situations
linguistiques sont toujours dans un équilibre dynamique (Blanchet, 2000) où, d’une part, « les
structures [du système] restent les mêmes bien que les constituants soient changeants », tel
que le pose Morin (1990 :31), et où, en tant que système ouvert, elles évoluent dans une
interaction constante avec l’écosystème, sans pour autant que le rapport qui les unit ne soit un
rapport d’interdépendance, de l’autre.
Dans cette perspective, étant donné que « l’intelligibilité dans le système doit être
retrouvée non seulement dans le système lui-même, mais dans sa relation avec
l’environnement (…) qui lui est à la fois intime et étranger et fait partie de lui-même tout en
lui étant étranger » (Morin, Op.cit : 32), comprendre la réalité linguistique d’un contexte de
contact interlinguistique donné requiert que nous observions, les rapports que les langues
entretiennent entre elles et avec leur environnement social dans son ensemble. Autrement dit,
si l’économie des usages linguistiques trouve en partie son explication dans les constituants
du répertoire verbal, les dynamiques concurrentielles et conflictuelles permettent d’affiner
notre compréhension des solutions que les locuteurs apportent aux problèmes de
communication qu’ils rencontrent dans leur quotidien.
L’objet de cet article n’est pas de s’attarder sur le comportement linguistique des
locuteurs, ni de chercher de démontrer un lien systématique entre les usages et le conflit
linguistique, mais de focaliser l’attention sur les aspects du conflit linguistique dans le
discours intellectuel qui, souvent n’a pas eu l’intérêt qu’il mérite pour ne pas dire qu’il
demeure pratiquement occulté dans la plupart des études. L’intérêt du discours intellectuel est
multiple. D’abord, ce type de production trouve toujours son écho dans la société
contemporaine dans la mesure où, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, nous pourrions y voir les
mêmes manifestations et, de ce point de vue, peut être perçu comme un discours fondateur
reflétant les soucis de la société face à la question linguistique. En plus, la production
intellectuelle nous semble pertinente dans la contextualisation du conflit qui somme toute
permet de le « disséquer ».
Pour des raisons de commodité, nous nous limiterons à l’époque de la fin du 19ème et le
début du 20ème, en explorant des textes publiés principalement dans Al-Hadhira (La capitale)
qui paraissait entre 1888 et 1911, As-Sawab (le jugement droit) paraissant entre 1904 et 1929
et le journal Ennahdha (la Renaissance) paraissant aux années 1930. Néanmoins, cela ne nous
empêchera pas de citer d’autres textes plus récents afin de souligner la continuité du conflit.
Notre démarche s’articulera sur trois moments : à un premier moment, nous
rappellerons brièvement la situation linguistique tunisienne. Enfin, après avoir réexaminé la
notion de conflit linguistique, nous examinerons le contexte dans lequel le contact des langues
tourne au conflit en Tunisie, afin de pointer ces tenants et ses aboutissants.
1. La situation linguistique tunisienne :
Si la Tunisie a pu connaître divers contacts linguistiques et civilisationnels durant son
histoire, de l’expansion phénicienne à la colonisation française, il est important de noter que
les contacts les plus marquants du point de vue linguistique à l’époque moderne sont ceux que
les populations ont connus avec la langue arabe à partir du 7ème siècle et ceux qu’ils auront
depuis le 19ème siècle avec le français, lesquels s’approfondiront avec le fait colonial et se
poursuivront sous diverses formes, notamment à travers le bilinguisme scolaire pour lequel
l’État national optera dès l’indépendance.
Les issues des deux contacts ont été très différentes en ce sens que l’arabe a pu venir à
bout des différentes langues pratiquées sur le territoire de l’Africa Romana, toutes choses
égales par ailleurs, et s’installer comme langue de communication de la majorité des locuteurs
autochtones sous sa forme orale. Au contraire, le français, quoi qu’il jouisse d’une certaine
vitalité en fonction des milieux sociaux, sert largement de langue véhiculaire invoquée dans
des situations jugées plus ou moins formelles.
2
Pour ne pas nous étendre sur les processus ayant conduit à cette situation, nous
pourrions nous contenter de souligner que ce sont largement des processus politiques,
économiques et socioculturels, notamment la dimension conflictuelle du contact qui ont mené
à une configuration où les langues en question sont pratiquées sous diverses formes.
Sur le plan des usages, si certains locuteurs, très peu nombreux du reste pour ne pas dire
une extrême minorité manifestent une pratique séparée des langues à côté des continuums que
nous pouvons déceler dans leurs discours, la majorité écrasante des tunisiens, au même titre
que les autres maghrébins, filent une langue où diverses variétés se combinent de façon très
hétérogène. Les combinaisons mettent parfois en œuvre deux langues uniquement, que ce soit,
le français et l’arabe tunisien pour parler dans ce que Garmadi (1968) désigne par le franco-
arabe, ou l’arabe standard et l’arabe tunisien pour s’exprimer dans ce qu’il est convenu de
désigner par arabe poli/éduqué (Cf. Garmadi, 1968 ; Maamouri, 1973) arabe médian (Chaieb,
1976) ou encore Arabe Littéraire Oral (Meiseles, 1980), et parfois c’est l’ensemble des
langues auxquelles le locuteur a accès (et non pas qu’il pratique) qui sont mobilisées.
Le contexte tunisien contemporain est, du reste, le prolongement d’un conflit enchâssé
entre le français, l’arabe standard et le tunisien ordinaire. Mais avant d’examiner le conflit
dans la production intellectuelle en Tunisie, il nous semble pertinent de se demander à quoi le
terme de conflit linguistique peut référer.
2. Du conflit linguistique :
Si le syntagme « conflit linguistique » semble indiquer un rapport direct entre les
langues et la notion de conflit, force est de constater, d’abord, que le concept de conflit
linguistique ne réfère pas directement à la sphère de la linguistique. D’après Nelde (1987 :34),
il apparait, en effet, dans différentes disciplines sociales afin de décrire certaines contextes
sociaux et interculturels tendus où le conflit manifeste un versant linguistique qui peut être
latent ou patent.
Exploité depuis la fin des années 1940, il apparait dans les études ethnologiques et
sociologiques qui tendent à démontrer que les contacts interethniques ne sont jamais
pacifiques en raison de la compétition naturelle entre les différents groupes sociaux ou
ethniques. Dans ces contextes, même s’il est exagéré de poser que toute différence
sociologique ou ethnique conduit à un conflit, la tension et l’affrontement demeurent
potentiels, dans la mesure où les différences mènent les différents groupes à interroger leur
statut. Il s’agit ainsi d’une tension due à un conflit d’intérêts ou de valeurs qui engagent les
différents groupes dominés à combattre les objectifs du groupe adverse et même à la
neutraliser dans le but de protéger ses propres intérêts (le prestige, l’accès à l’emploi, le
pouvoir …etc.) (Williams, 1947).
De ce point de vue, ce sont des valeurs et des normes comportementales qui s’affrontent
dans un contexte où une seule norme sociale peut être valide. L’étendue d’un conflit dépendra
de l’ensemble des contradictions entre les groupes et de la présence ou non d’éléments
d’équilibre, particulièrement de valeurs médianes. Souvent dans ces contextes, le système de
menaces et de sanctions intègre le conflit au comportement social lui-même.
Dans le domaine des sciences politiques, les chercheurs, suivant en cela les
sociolinguistes, posent que tout contact linguistique génère un conflit qui naît de l’expansion
et de la domination d’un système social dans un contexte de contact linguistique comme c’est
le cas de divers contextes mondiaux. Dans ces situations, un groupe linguistique hégémonique
détient le contrôle de l’administration, de la politique et de l’économie et favorise, par
conséquent, sa langue comme clé d’accès à ces domaines.
Or existe-t-il une théorie du conflit linguistique ?
En réalité, il n’existe pas de théorie du conflit linguistique à proprement parler, car dans
les recherches fondatrices de ce qu’il est convenu d’appeler la linguistique de contact, le mot
et d’un emploi rare, tel que le souligne Nelde (1987 :36). En effet, pour Weinreich (1953) le
3
phénomène le plus important du bilinguisme est sans conteste l’interférence. Chez Fishman
(1972), la question est envisagée à partir de l’aménagement linguistique et ne constitue pas le
cœur de la problématique. Ce n’est, par contre, qu’avec Haugen (1966) que le problème est
pris en compte dans l’explication de l’évolution du contexte linguistique norvégien.
Pour Nelde (ibid), la marginalité de la question et sa découverte tardive n’est pas isolée
de l’histoire des études linguistiques. En effet, la recherche traditionnelle était plus tournée à
des contextes linguistiques généralement « homogènes »- dans la mesure où il s’agit de
communautés géographiques ou des groupes socio-économiques…etc.- qu’à des situations de
sociétés industrielles où le conflit émerge suite à la pression normative qu’exercent les
groupes dominants en exigeant l’accommodation langagière des groupes dominés comme
condition d’intégration sociale suscitant ainsi un mouvement de résistance. Cela est du reste
confirmé par Ferguson (1996 : 66), qui en revisitant la notion de diglossie, explique
In the 1959 paper no direct mention was made of class differences, power differentials, or
social conflict. At the time I wrote and in the kind of writing I was producing, claims of
‘objectivity’ in an attempt to be closer to ‘true science’ prevailed, and linguists were not
accustomed to pointing out the linguistic correlates of power differential communities.
Nevertheless, even with a goal of objectivity or maintaining a distance from local biases and
judgments, certain things should have been mentioned in the 1959 article that were not.
Par ailleurs, l’ambigüité du syntagme « conflit linguistique » rend difficile toute
typologie du conflit, car ainsi que le souligne Nelde (op.cit) après Oksaar (1980) le syntagme
réfère aussi bien à un conflit entre les langues en rapport avec la personnalité de l’individu
bilingue qu’à un conflit au moyen des langues, ce qui implique un processus externe à lui. De
ce point de vue, il s’applique autant à l’individu qu’aux communautés linguistiques, étant
donné que le conflit est l’autre facette du contact des langues (Nelde, op. Cit : 35).
D’ailleurs, jusqu’à la fin des années 70, remarque Nelde (1995), la notion de conflit
linguistique a été intégrée à la méthodologie des études sur le bilinguisme. Par ailleurs, en
dépit des efforts de théorisation, notamment, de la part les linguistes catalans et occitans en
Europe, il n’existe pas une véritable typologie des conflits linguistiques.
La raison en est que le conflit linguistique n’a pas de lien direct avec le contact des
langues et n’oppose pas directement les langues elles-mêmes, mais qu’il émerge de situations
où les facteurs extralinguistiques déteignent sur la sphère de la langue en concentrant parfois
le conflit autour d’une valeur unique : la langue, en l’occurrence. Car, de même que le contact
des langues n’implique pas les langues, mais leurs locuteurs, le conflit linguistique concerne
toujours des groupes linguistiques différents et non des langues différentes.
Aussi, afin d’étudier le conflit linguistique sommes-nous amenés à considérer
empiriquement les points névralgiques sur lesquels s’affrontent différents groupes sociaux ou
ethniques et où la présence de langues différentes conduit à une véritable question
linguistique, ainsi que nous allons le voir dans la production intellectuelle en Tunisie dans le
contexte historique défini.
3. Le conflit dans les textes :
La mise en texte du conflit entre les composantes susmentionnées du répertoire verbal
tunisien intervient dans un contexte où la colonisation tend à marginaliser la langue arabe qui
constitue le point focal de l’identité tunisienne sur le plan à la fois instrumental et symbolique,
et n’est donc pas une donnée première qui permette de dire que tout contact mène
nécessairement au conflit. Car, aux débuts du contact avec la langue française en Tunisie,
force est de constater que le discours intellectuel n’est pas hostile à l’enseignement des
langues étrangères, pilier des réformes entreprises par le ministre Kheireddine (1820-1890).
En effet, dans un texte où il fait l’éloge de l’œuvre du grand vizir de Sadok Bey (1813-
1882), notamment le Collège Sadiki fondé en 1873, Mohamed Snoussi écrit sur les colonnes
du Journal Al-Hadhira (n°10 du 02/10/1988) sur un ton franchement euphorique :

4
Quant à l’intérêt, dans ces écoles, à l’enseignement des langues arabe et française, en plus de
l’enseignement du Coran, de la jurisprudence et de la doctrine, qui y sont enracinés, ses traces
sont évidentes en Tunisie. Le collège Sadiki a fourni parmi ses lauréats des cadres qui sont les
piliers de directions importantes de traduction et d’enseignement (…)1
La même attitude peut être relevée dans un texte anonyme du même Journal (Al-
Hadhira, n° 26, du 22/01/1889) intitulé « les conditions du succès », où l’auteur insiste sur la
nécessité de l’apprentissage des langues étrangères et oppose aux détracteurs des réforme du
ministre Kheireddine un optimisme confiant que traduit clairement ce vers sur lequel il clôt le
texte :
Et si du croissant tu vois l’évolution +++ tu es assuré qu’il deviendra pleine lune 2
De même, Ali Bouchoucha (Al-Hadhira, n°51, du 16/07/1889) loue la politique du
ministre Kheireddine et souligne en les bénissant les efforts qu’il a consentis pour la diffusion
des langues étrangères, notamment au collège Sadiki.
Néanmoins, cet enthousiasme, qui demeure conditionné par le rôle dévolu à la langue
arabe –car une bonne connaissance des langues étrangères doit être parachevée par ne bonne
maîtrise de l’arabe écrit- va vite se dissiper cédant la place à une désillusion patente, qui ne
cessera d’alimenter les débats sur la question linguistique, ainsi qu’à un conflit qui opposera
deux pans de la société tunisienne.
La première facette de conflit oppose les deux langues écrites (le français et l’arabe) qui
entrent en concurrence déloyale dès l’annexion du collège Sadiki à la Direction de
l’Instruction Publique (DIP) en 1883. En effet, la volonté de former des cadres subalternes au
fur et à mesure de l’extension de l’administration amènera la DIP à renforcer l’enseignement
du français au détriment de l’arabe (Cf. Sraieb, 1967) y compris dans la plus tunisienne des
institutions, à savoir le collège Sadiki. En plus, l’exclusion de la langue arabe du marché de
l’emploi a fini par la déposséder de tout poids institutionnel, tel que le souligne ce texte
anonyme publié sur les colonnes du journal As-Sawab (le jugement droit) intitulé « Nous face
à la réforme » (As-Sawab, n°188, du 31/01/1908). En effet, en dépit de l’engagement pris par
le gouvernement tunisien de recruter certains de ses cadres parmi les ressortissants de la
Khaldouniyya3, la promesse n’a pas été. Il écrit non sans ironie :
Certains sages affirment : « les gouvernement tyranniques ne promulguent des lois que pour
servir de preuve contre les gens et non contre eux ». Notre gouvernement, bien que plus proche
de la Choura que de la tyrannie, a adopté dans l’affaire de la Khaldouniya cette même stratégie.
Un décret a, en effet, été promulgué qui stipule que les ouvriers, le personnel de la direction
juridiques et autres administrations publiques, qui remplaceraient le personnel existant,
devaient être recrutés parmi les diplômés de la Khaldouniya. Toutefois ce décret est resté lettre
morte, à l’exception du cas du personnel de l’administration des biens de mainmorte. Quant
aux autres directions, elles n’en comptent aucune trace sauf par mégarde ou par erreur 4.
Cette situation se renforcera, après l’institution, en 1911, du diplôme de fin d’études au
collège Sadiki, par la promulgation d’un décret qui stipulera que les interprètes principaux
seront recrutés parmi les titulaires de ce diplôme et de celui de l’École Supérieure de Langue
et de Littérature Arabes, fréquentée plus par les français que par les Tunisiens. La raison en
est que les diplômés des autres établissements ne répondaient pas aux besoins de
l’administration coloniale.

‫ أ ّما عناية المدارس بتعليم اللسانين العربي و الفرنساوي زيادة على ما تأصل بها من تعليم القرآن العظيم والتوحيد والفقه فإنّ أثرها في‬1
)...( ‫ فقد أنجبت المدرسة الصادقية نجباء قامت بهم إدارات مهمة في الترجمة و التعليم وغيرهما‬.‫ذلك صار غير خفي في البالد التونسية‬
‫ أيقنت أن سيصير بدرا كامال‬+++ ‫ إذا رأيت من الهالل نموه‬2
3
- la Khaldouniyya est une institution scolaire fondée par des personnalités tunisiennes dispensant un
enseignement de type bilingue. (Voir, Bourguiba, 1941, pp 21-25)
‫ وحكومتنا وإن كانتا أقرب إلى‬.‫ إن الحكومات االستبدادية إنّما تضع القوانين لتكون حجة على الناس ال عليها‬:‫ يقول بعض العقالء‬4
‫ فأصدرت أمرا عليا يقضي بأن يكون خلفاء العمال وكذلك متوظفوا اإلدارة‬،‫ فقد تبع ت في مسألة الخلدونية تلك الخطة‬،‫الشورى منها إلى االستبداد‬
،‫ أما غيرها‬.‫ ولكن لم تعمل بهذا األمر إال في خصوص متوظفي إدارة األوقاف‬.‫العدلية وغيرها من اإلدارات األهلية من محصلي شهادة الخلدونية‬
.‫فال أثر لمتخرجي الخلدونية فيها إال عن طريق الصدفة أو الغلط‬
5
Toutefois, malgré cette « faveur » accordée aux élèves de Sadikki « capables par leur
double culture de jouer le rôle d’intermédiaires entre les populations indigènes et les autorités
françaises » (Cf. Sraieb, op. Cit : 115), la majorité des sadikiens demeure exclue du marché de
l’emploi, même après la création de l’Association des Anciens de Sadiki qui se fixait entre
autres objectifs d’assister les diplômés de Sadiki afin qu’ils intègrent la fonction publique. À
en croire le texte d’As-Sawab 188 précédemment cité
(…) la plupart des diplômés de Sadiki n’ont d’autre travail que de se présenter aux portes de
l’administration pour en revenir bredouille le visage maussade ! Ce qui est la situation dont ils
souffraient avant la création de cette association5.
Du point de vue symbolique, la langue arabe a été l’objet d’une minoration franche par
la société colonisatrice et ses intellectuels. Ces acteurs, politiques en fin de compte, imbus de
la supériorité de leur culture ont souvent insisté sur l’inadaptation de la langue arabe aux
exigences du monde moderne aussi bien dans sa forme parlée qu’écrite. Voici, par exemple,
comment Charles Noel (1909 :187), directeur de l’instruction publique alors, juge les deux
variétés d’arabe, après avoir défini ce qu’il considère comme les caractéristiques d’une langue
vivante, dont l’exemple type est le français :
Je n’entends pas, écrit-il, par langue arabe le dialecte parlé en Tunisie et dans toute l’Afrique
du Nord, patois grossier, qu’on parle mais qu’on n’écrit pas, parce qu’il est incapable de
s’élever jusqu’à l’expression des idées générales (…)Quant à l’arabe littéraire, il est consigné
dans le Coran et les ouvrages un peu antérieurs, un peu postérieurs au Coran (…) La
grammaire en est aussi fixée et arrêtée à jamais (…) Quant au vocabulaire, il ne peut pas plus
évoluer que la grammaire. Sans doute, il s’enrichira de termes nouveaux pour désigner des
objets nouveaux (…) Mais détourner un mot de son sens primitif, en l’élargissant ou en le
restreignant(…) ce serait changer quelque chose à la langue. Et le croyant ne doit-il pas
respecter, dans l’immuable tradition, le caractère religieux d’une langue qui seule est la langue
du culte ?
À ces caractères, vous reconnaissez une langue morte, une langue qui ne peut se
renouveler6
Cette déclaration a créé un tollé et la réponse n’a pas tardé à venir sous la forme de
conférences publiques soutenant la thèse adverse selon laquelle la langue arabe est une langue
très riche et dynamique, donc vivante, ou sous forme d’articles journalistiques. Ainsi, pour
discréditer la thèse de Noel, Ben Aissa (As-Sawab 234-235, du 22 et 25 mars 1909) choisira-
t-il de qualifier l’auteur et ceux des Tunisiens qui adhèrent à sa vision d’ignorants et de les
accuser de comploter contre elle en cherchant à couper les liens et les Tunisiens musulmans
Mais, de qui émane tel jugement ? N’est-ce pas le jugement de ceux qui l’ignorent, ceux qui ne
la maîtrisent pas, ceux qui n’ont pas goûté à ses plaisirs, ceux qui n’ont d’autre connaissance à
son sujet que ce que les auteurs occidentaux en disent, lesquels la jugent sans en comprendre
les expressions et sans être capables de la prononcer correctement, ni en avoir une
connaissance approfondie de ses subtilités, ses lettres et sa beauté ? Et cela lorsque ceux-là ne
nourrissent pas d’éventuels desseins visant à éradiquer l’arabe du cœur des enfants arabes, les
générations futures, en l’occurrence7.

Dans la même veine, pointant ce qui a été perçu comme une tentative de remplacer
l’arabe écrit par le dialectal, l’auteur d’un texte intitulé « Pour la langue arabe » (As-Sawab,
275, du 24/02/1911) écrit

‫) أغلب المتخرجين من الصادقية ال شغل لهم غير التردد على أبواب اإلدارات التي يؤوبون منها يعلو وجوههم السواد ! وهي الحالة‬...( 5
.‫التي كانوا يئنون تحت نيرها قبل تأسيس هته الجمعية‬
6
Souligne par nous même.
‫ لم يسمع عنها إال ما قاله كتاب الغربيين الذين‬،‫ أليس من لم يذق لذّتها‬،‫ أليس من ال يحسنها‬،‫ ولكن من حكم عليها؟ أليس من يجهلها‬7
‫يحكمون عليها وهم اليفهمون عباراتها وال يقدرون على النطق بها فضال عن التضلع فيها واالستطالع على أسرارها وآدابها ومحاسنها؟ هذا إذا لم‬
.‫تكن لهم أغراض أخرى يخدمونها ليمحوا العربية من صدور أبناء المسلمين وهم رجال الجيل اآلتي‬
6
Certains de ceux qui n’ont pas de connaissance de la langue arabe et du dialecte populaire ont
zézayé pour dire qu’il est possible de tuer la langue arabe agonisante (d’après leur dire) et de
la remplacer par le dialecte populaire (…)8
En plus de l’argument central invoqué, l’incompétence en langue arabe, il est important
de relever l’emploi dépréciatif du verbe « zézayer » qui dépossède ce qui est dit de sa qualité
de propos et le recours à la thèse du complot par l’emploi du verbe « tuer ». D’ailleurs, plus
loin dans le texte, les auteurs de cette thèse sont qualifiés de « calomniateurs ».
Or, sitôt que cette vision a trouvé écho chez certains Tunisiens, notamment certaines
figures de l’Association des Anciens de Sadiki, le conflit est déplacé au cœur de la société
tunisienne provoquant beaucoup de tension et dans certains cas une violence verbale
caractérisée, motivée par une divergence majeure de points de vue concernant le rôle de
l’arabe dans l’avenir du pays.
Ali Bach Hamba (1876-1918), avocat et président de l’Association des Anciens de
Sadikli n’hésite pas en effet de pointer du doigt le retard accusé par la langue arabe en
affirmant dans un article publié sur les colonnes du journal Le Tunisien (du 11/02/1909)
Tout d’abord, nous sommes obligés de reconnaitre que la langue arabe, en l’état actuel, est
encore loin de s’adapter aux idées scientifiques (…) Certes, l’arabe est une langue au
vocabulaire très riche, aux ressources inépuisables (…) Malheureusement, les peuples qui la
parlent sont aujourd’hui pauvres en idées »
Convaincu de la nécessité d’instruire n français tout en apprenant l’arabe, Bach Hamba
n’hésite pas à remettre en cause ce considéré comme un progrès dans la réhabilitation de la
langue arabe, notamment en Égypte, pays pionnier dans la lutte pour une renaissance arabe :
Certains se laissent leurrer par le progrès réels, écrit-il, mais dont on exagère l’importance,
accomplis en Égypte. Le mouvement égyptien, qui date de plus d’un demi-siècle, n’a donné
aucune œuvre originale. On a beaucoup traduit, beaucoup imité, mais presque rien créé. (…)
Quoi qu’en en dise, le peuple égyptien reste en marge du monde scientifique(…)
Pour l’homme politique tunisien, la conclusion est indiscutable : comme le progrès vient
de l’étranger, des peuples producteurs », « il est donc logique, il est donc naturel que nous
nous adressions à eux directement pour nous initier au progrès scientifique ».
Avant lui, Zaouch (Le Tunisien, du 18/04/1907), dans un texte intitulé « notre progrès »
ne mâche pas ses mots en appelant ouvertement à se défaire de la tradition et à s’adapter au
monde moderne, car il ne sert à rien aux musulmans du 20ème siècle de rester attachés à la
culture de leurs ancêtres, s’ils doivent rester à la marge du progrès scientifique
Cette attitude, fut affrontée par un discours passionnel et même inquisiteur. Les moins
violents dans le camp adverse, se limitent à un discours sociologiquement culpabilisant et
accusent les « Jeunes Tunisiens »9 de manquer au devoir qui leur incombe de servir la langue
arabe. Ce discours est clairement illustré par leur qualification d’ « aveuglés » par Ben
Achour (1956 : 48), ce qui les prive de toute autorité et discrédite leur discours, et également
par le propos de Ben Aissa (article cité), qui tout en reconnaissant le retard de l’arabe,
l’explique par la déloyauté et la nonchalance de cette frange de Tunisiens
Par ailleurs, ses carences, (…) sont le résultat de la nonchalance de gens qui devaient servir sa
cause, mais qui s’entêtent à s’accrocher aux lambeaux de la thèse de l’impuissance, et à barrer
le chemin, pourtant ouvert, de l’extension de l’usage et l’arabisation 10.
L’animosité contre ce groupe est d’autant plus grande que certains de ces membres,
notamment Ali Bach Hamba, n’hésitent pas à plaider l’assimilation.
De même, dans un texte intitulé « La langue arabe » (As-Sawab n°278 et 279, du
23/03/1911 et 31/03/1911), l’auteur critique vivement les réformes revendiquées par les

‫ ثغثغ جماعة ممن ليس لهم خبرة باللغة العربية واللهجة العامية بأنه في اإلمكان قتل اللغة العربية المحتضرة (على زعمهم) وإحالل‬8
)...(‫اللهجة العامية محلّها‬
9
Les Jeunes Tunisiens est un mouvement politique créé par les anciens de Sadiki.
‫ ولكن أبوا إال أن يتشبثوا بأذيال دعوى العجز وغلق‬،‫) قد دخلتها من تقصير أناس كان الوا جب عليهم أن يخدموها‬...( ‫ إن العلل‬10
Souigné par nous-même .‫األبواب المفتوحة وهي التوسع في االستعمال و التعريب‬
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intellectuels bilingues ainsi que l’abandon, par ce groupe, de la pratique de l’arabe, et s’étonne
que ces gens puissent apprécier la vie sans maîtriser la langue des ancêtres. Ses reproches ne
sont pas, d’ailleurs, restreintes à la classe des « enfants des écoles », mais s’étend aux
ressortissants de la Zitouna
(…) les partisans les plus farouches de la réforme sont de ceux qui ont été nourris à la
civilisation européenne et qui, de ce fait, n’ont pas senti la nécessité d’évaluer la pertinence de
ce point de vue. Nous sommes même assuré que certains d’entre eux affectent de parler la
langue arabe dans les assemblées publiques arabes (…) plusse à Dieu que j’eusse connu
comment ils peuvent prendre goût à la vie, alors qu’ils ignorent la langue de leurs ancêtres
et en maîtrisent d’autres ! (…) ces critiques devraient être adressées aux zitouniens qui, bien
qu’ils dépensent leur vie à étudier cette langue, ne se distinguent de la plèbe que par le turban
et autres apparences, lorsqu’ils quittent les bancs de l’école pour la vie active11.
Force est de constater que nous nous situons sur le terrain de la trahison et du complot
tel que l’exprime cette accusation directe lancée dans un texte du journal As-Sawab (n°237,
du 26/04/1909). En évoquant le groupe d’intellectuels formant « les Jeunes Tunisiens »
l’auteur ne fait pas de détour et affirme :
Cette escouade connue, ennemie de la langue arabe, qui cherche la mort de sa nation
par ses propres armes, soit par ignorance du statut de la langue parmi les nations, soit pour
des intérêts personnels. Dieu nous préserve de la trahison et de ses voies (…)12.
Chez les plus radicaux, pour qui hors de l’arabe il n’y a point de salut, le jugement
repose sur un socle plus « religieux » et s’apparente à des fatwas, étant donné que ceux qui
adhèrent aux thèses occidentales hostiles à la langue arabe sont traités de renégats et de
blasphémateurs. Ben Aissa (Art. cité) qualifie par exemple la thèse disant que l’arabe est une
langue morte et incapable d’exprimer la modernité de calomnie et de « délit majeur qui ne se
pardonne pas »13. Si l’accusation, fondée sur la thèse religieuse que l’arabe, langue du texte
sacré, est une langue valable pour toutes les époques, donc parfaite, est maquillée par un
terme juridique (délit), l’accusation de blasphème est jetée directement et sans appel dans un
texte intitulé « Je te plains ô mère des langues ! » (As-Sawab, n°231, du 01/03/1909).
L’auteur qualifie cette thèse reprise par certains tunisiens de « blasphème caractérisé dont
l’auteur ne peut être pardonné »14. La même sentence est attestée dans un éditorial du
Journal « Ennahdha » (la renaissance) intitulé « Les enfants des écoles et la langue arabe »
(Ennahdha, du 06 juillet 1927). Déplorant le désintérêt de cette classe pour la langue arabe et
surtout le fait qu’ils adhèrent à la thèse que la langue arabe est une langue morte, l’auteur
écrit :
(…) nous avons entendu cette formule arrogante plus d’une fois. Et elle a été proférée par
l’un de nos enfants avec force impertinence, non conscient que cette expression est l’un des
plus graves péchés capitaux qui ne se pardonnent pas15
À situer ces propos dans leur référent socioculturel, ils ne sont rien d’autre qu’un appel
à la violence et même au meurtre.
C’est, du reste, dans ce contexte où les intellectuels arabisants préoccupés par
l’exclusion de la langue arabe de l’avenir et du progrès du pays, d’un côté, et par la crainte de
voir la langue arabe, point focal de l’identité religieuse surtout, devenir étrangère aux

‫ بل لدينا اليقين أن البعض‬،‫ )…( أكثر طالب اإلصالح ممن غذتهم المدنية األروبية فلم يكن لهم الداع للنظر في استحسان هذا الرأي‬11
‫) ليت شعري كيف تطيب لهم الحياة وهم ال يحسنون لغة اآلباء واألجداد مع إتقان‬...( ‫منهم يتكلف التكلّم بالعربية عند العموم في االجتماعات العربية‬
‫) هذا االنتقاد يتوجه على الزيتونيين الذين يقطعون أعمارهم في درس هاته اللغة ومعرفة تأويلها ثم إذا خرجوا من دور التعلم إلى دور‬...( .‫غيرها‬
(Sic.) .‫العمل تجد الواحد منهم ال يفترق مع العامي إال بالعمامة واألحوال الظاهرة‬
‫ هاتيك الشرذمة المعلومة عدوة اللغة العربية الباحثة على حتف أمتها بمعاولها إما جهال بمقام اللغة بين األمم أو لحاجة في النفس‬12
Souligné par nous-même(Sic.) .‫ نعوذ باهلل من الخيانة ومنازع الخيانة‬،‫وآمال في الضمير‬
‫ إن هذا إال جناية كبرى ال تغتفر‬13
‫ كفرا صريحا ال يستتاب قائله‬14
‫ غير شاعر أن عبارته تلك من أكبر‬،‫ ونطق بها صاحبها من أبنائنا بمزيد من الوقاحة‬،‫) وقد سمعنا هذه العبارة السمجة غير مرة‬...( 15
‫الكبائر والجرم الذي ال يغتفر‬
8
Tunisiens musulmans, de l’autre, luttent pour maintenir le rôle de la langue arabe, qu’émerge
un conflit d’un autre type, opposant non plus les deux langues de culture que sont le français
et l’arabe, mais l’arabe normé et la variété dialectale pratiquée par l’ensemble de la population
tunisienne.
En effet, soupçonnant l’État colonial aussi bien que les Tunisiens défendant la thèse
assimilationniste de vouloir éradiquer la langue arabe, la langue de la nation, et de chercher à
la remplacer par le français ou par la variété vernaculaire, les intellectuels résistants, bien que
conscients de la nécessité d’apprendre les langues étrangères pour rattraper le retard,
remettent en selle les attitudes minorantes dont les parlers du monde arabe sont l’objet dans
les milieux intellectuels et dans l’ensemble de la société. Dans l’imaginaire linguistique arabe,
les différentes variétés par opposition à l’arabe normatif, langue divine et valable pour toutes
les époques, étant donné le caractère éternel du texte sacré, lui-même incarnation de la norme
de référence, sont considérées comme des langues corrompues. Le corrélat de cette vision
anhistorique est que, mises à l’épreuve de la norme, les vernaculaires représentent non point
le résultat de l’évolution d’une situation, mais une langue différente de l’arabe « originel » et
extrêmement déviante par rapport à sa « source » (Cf. Ibn Khaldoun, 2004). À ce premier
aspect, s’ajoutent des arguments idéologiquement fossilisés tels que l’absence de règles,
l’absence d’écriture, l’incapacité d’exprimer les choses intellectuelles… etc.
Dans cette lutte contre le projet colonial, la langue parlée, langue maternelle des
Tunisiens, est complètement exclue de la sphère identitaire tel que l’illustre ce propos de Ben
Aissa (article cité) où sont renvoyées dos à dos, d’un côté, « notre langue arabe », et « la
langue populaire et le français », de l’autre
Nous croyons que de cette façon seront déçus les vœux des auteurs étrangers malhonnêtes
qui voudraient la mort de l’arabe, qui ne cessent de diffuser des discours fondés sur des
arguments fallacieux et qui continuent à chercher des stratagèmes pour remplacer notre
langue par la langue populaire ou par le français (…)16
Force est de constater que la variété vernaculaire n’est pas considérée comme un
« code- nous » et qu’elle est pratiquement mise sur le même plan que l’est le français, à savoir
un « code-eux », une langue étrangère et même une langue ennemie !!
Le conflit entre l’arabe et le tunisien émergera de nouveau à la marge de la querelle
autour de la question de la littérature nationale. En effet, vers la fin des années 1920 et le
début de la troisième décennie du 20ème siècle, certains littérateurs, notamment Zine El
Abidine Snoussi (1901-1965), Mohamed Bachrouch (1911-1944), Mohamed Hlioui (1907-
1978), appréciant l’idée née en Égypte de créer une littérature nationale qui traduise ses
préoccupations, ses spécificités et son « âme », ou mieux comme disait Elsa à Aragon de
quitter « l’orchestre des tonnerres » et de recourir à des « mots ordinaires » qu’on puisse « se
répéter tout bas en songeant », vont s’inscrire dans cette mouvance et appeler à créer une
littérature tunisienne locale. Pour eux, l’anachronisme de l’arabe écrit, complètement étranger
aux populations, nécessite que la création littéraire soit libérée du joug de tradition qui exclut
tout usage de la langue parlée (voir l’article de Hliwi dans Ennahdha, du 16/08/1930, pp 2-3).
Cet appel va s’attirer les foudres de certains conservateurs, notamment Sahbi Farhat, qui
va fonder son opposition à cette idée sur une accusation typique : le danger de porter atteinte à
l’unité de la nation arabe et le complot contre la langue symbolisant en partie cette union.
Nous avons ainsi deux groupes dont les divergences vont parfois tourner au conflit,
étant donné l’animosité qui caractérise l’attitude adoptée face à cet appel. Si pour les
défenseurs de la littérature nationale, il est important que les écrits soient « énoncés dans des
mots qu’elle (la société) apprécie et dont elle perçoit la signification sans peine ni

‫ و فيما نظن أن بهذا الفعل ستخيب آمال الذين يريدون القضاء عليها لسوء نيتهم وقبح سريرتهم من بعض الكتاب األجنبيين الذين مازالوا ينشرون‬16
souligné par nous-même .)...( ‫فصوال مبنية على أدلة واهية ويفكرون في الحيل يستعملونها ليعوضوا لغتنا بالعامية أو الفرنسية‬
9
apprentissage scolaire »17 (Bachrouch, Ennahdha, du 16/08/1930, p 2) et bien qu’ils déclarent
ouvertement qu’ils n’appellent pas à « bannir la langue arabe et à la remplacer par la langue
populaire »18 ; pour le camp adverse, qui voyait l’essor de la littérature arabe dans la
traduction des œuvres occidentales, cet appel est « un présage de malheur et de division » au
moment où « il faut œuvrer pour la réalisation de l’union arabe » (Ennahdha, numéros du 29,
30, 31 aout et 02 septembre 1930) . Car, « cet appel vise à pousser les Égyptiens à couper tous
les liens avec l’Orient » (Ennahdha, n° du 01/08/1930), et par conséquent il pousse les
Tunisiens à couper les liens avec le monde arabe. Sahbi Farhat (1902-1963), qui selon
Bougamra (1985) serait l’auteur de ces textes, ajoute, pointant du doigt le complot contre
l’arabe, que les colons n’auraient pas fait mieux pour désunir les arabes, car ils se sont suffi de
diviser les populations sur une base ethnique. C’est dire que l’appel était jugé plus
dangereux !
Je jure, martèle-t-il, que si les colonialistes avaient réfléchi à une manière de faire disparaître
la nation arabe, ils n’auraient pas mieux fait. En effet, sitôt qu’ils ont osé diviser certains
royaumes en arabes et en berbères, tel qu’il a été le cas au Maroc et en Algérie, et en
musulmans et chiites (...)19
Du coup, dans ce contexte, pour le moins délétère, cette variété devient l’objet de
qualifications méprisantes indicatrices d’une haine de soi culturellement construite. En effet,
si dans la tradition intellectuelle arabe, la langue parlée est toujours envisagée dans la
perspective de l’écart par rapport à l’arabe de référence, dans le contexte colonial, les
qualificatifs sont d’un autre genre. Ainsi est-elle « une langue vile et basse » et « une langue
comparable à celle des insectes » au « lexique que le bon goût rejette » (cf. As-Sawab, 275, du
24/02/1911) quand elle n’est pas évoquée comme un danger menaçant la langue arabe ou
encore un obstacle devant l’expansion de l’arabe standard moderne (Garmadi, 1962).
Ces conflits entre l’arabe standard et le français, d’une part, et l’arabe normatif et le
tunisien, de l’autre, sont, du reste, encore actuels et se manifestent encore à deux niveaux :
l’écrit et le discours des acteurs politiques. Ce qui attire l’attention dans les écrits
contemporains, c’est que contrairement aux arguments qui caractérisent le discours
intellectuel de défense de l’arabe sous la colonisation qui peuvent se résumer à deux : un
argument religieux et un argument ayant un fondement identitaire, chauvin ; ceux qui sont
avancés depuis la révolution de 2011 sont plutôt d’ordre constitutionnel ou géostratégique
(voir à ce propos l’article de Salem Labiadh sur les colonnes d’Al Arabi Al jadid20 où il
expose le projet de loi linguistique proposé par le bloc démocratique en 2018).
Par ailleurs, parallèlement à la querelle sur la question de la langue littéraire qui a
toujours refait surface dans les milieux littéraires et académiques depuis les années 1930
jusqu’à nos jours, le conflit entre l’arabe standard se joue également dans le milieu associatif.
En 2018, l’Association de Défense de la Langue Arabe a fait du lobbying afin de faire
promulguer une loi afin d’imposer l’emploi de l’arabe normatif dans plusieurs sphères,
moyennant des sanctions financières aux contrevenants, et l’association « Derja » a lancé une
campagne en 2022 pour faire reconnaitre le tunisien comme langue officielle, et créer des

.‫) أن يكون بألفاظ يستسيغها ويتبين معانيها بدون تكلف أو تعلم ومزاولة الدرس‬...( 17
‫) نبذ اللغة العربية واالستعاضة عنها باللغة العامية‬...( 18
‫ ما زادوا على‬،‫ فإنهم والحق يقال‬،‫ وأقسم أن لو فكر االستعماريون في طريقة للقضاء على األمة العربية لما توصلوا إلى أكثر من هذا‬19
(…( ‫ وإلى مسلمين و شيعة‬،‫ كما وقع ذلك في المغرب األقصى والجزائر‬،‫محاولة تقفسيم بعض الممالك إلى عرب وبربر‬
20
https://www.alaraby.co.uk/%D9%84%D8%AD%D9%85%D8%A7%D9%8A%D8%A9-
%D8%A7%D9%84%D9%84%D8%BA%D8%A9-
%D8%A7%D9%84%D8%B9%D8%B1%D8%A8%D9%8A%D8%A9-%D9%81%D9%8A-
%D8%AA%D9%88%D9%86%D8%B3

10
structures d’enseignement en tunisien, après avoir crée un logiciel permettant de transcrire le
tunisien et commencé un travail de normalisation de cette langue depuis, 2017. Si les deux
associations ne s’affrontent pas directement en public, aucun débat n’est possible entre elles,
puisque pour les uns le tunisien est une langue rejetée de l’identité nationale, alors que pour
les autres c’est le cœur même de l’identité du tunisien, conçue comme une identité plurielle
incluant les divers apports culturels que la Tunisie a intégrés. Et le conflit s’est accentué lors
de la dernière décennie à travers la publication de plusieurs œuvres en tunisien ainsi que
l‘établissement de prix encourageant à la création littéraire dans cette langue.
Toutefois, il est important de remarquer que chez tous ceux qui n’écrivent pas en arabe
standard et identifient leur langue au tunisien, au sein du même groupe on ne se représente pas
cet objet langue tunisienne de la même façon : si chez Garmadi (1986), nous sommes face à
un tunisien, tantôt, plus proche du degré zéro du tunisien oral, tantôt face à de l’arabe standard
aux couleurs locales, chez un Tahar Fazaa (2017), on écrit dans une langue proche de ce que
les linguistes désignent par arabe éduqué, ou médian, et chez Mouna Belhadj (2021) c’est
plutôt franchement plurilingue.
Conclusions :
Force est de constater au bout de cette étude que ce qui se dégage du discours
épilinguistique, bien qu’il soit similaire en certain points au discours écrit, ne permet de
déceler que les dimensions discrètes du conflit. Étant souvent décontextualisé par l’enquête, le
discours épilinguistique ne fait pas émerger le conflit, mais permet en effet de dégager des
attitudes et des représentations fossilisées dans la société, à l’exemple des ambivalences dont
les langues sont l’objet, ambivalences que l’ont pourrait observer dans les contextes aussi bien
unilingues que bilingue. Au contraire, les textes, apparaissant dans un contexte historique
particulier, nous renseignent mieux sur les points névralgiques d’un conflit et nous évitent de
ce point de vue de considérer les différentes attitudes dans la perspective d’une querelle entre
les conservateurs et les modernistes (cela n’est qu’en partie vrai) comme cela a souvent été le
cas lorsque les divergences au sujet des langues sont soulevées. De ce point de vue, s’il faut
penser à une méthodologie propre à l’étude du conflit linguistique, il faut certainement
combiner les données textuelles et les données orales.
Mais un contexte de contact des langues est-il nécessairement un contexte conflictuel ?
Rien n’est moins sûr ! Des contextes monolingues peuvent manifester le même type de
tensions. Il suffit de regarder du côté des variations régionales, dans tous les pays où le parler
de la capitale est souvent valorisé et les parlers de l’intérieur minorés ! Du coup, il semble
plus prudent de poser que les contacts des langues aussi bien que les variations sont
génératrices de compétitions comme le pose Mufwene (2001) et que de ce point le conflit est
un scénario parmi d’autres ; car, pour que les langues soient impliquées dans le conflit il est
nécessaire que la compétition prenne une dimension politique ou économique et qu’un groupe
dont les intérêts sont en jeu fasse le projet de combattre celui d’un groupe adverse. Autrement
dit, si les langues peuvent être le reflet d’un conflit, c’est en particulier parce que, dans un
contexte particulier, elles deviennent au centre du conflit, alors que dans la plupart des cas
elles sont naturellement en concurrence. Somme toute, un conflit n’éclate que si une
concurrence déloyale entre les langues est en jeu, et que le groupe lésé en soit conscient. C’est
un peu dans cette perspective, à notre avis, qu’il faut comprendre le conflit qui oppose, au
Maroc et en Algérie et un peu moins en Tunisie, le berbère et l’arabe.
Or, étant donné que les langues sont des systèmes qui sont en constante évolution, quel
type d’évolution peut prendre la langue dans un contexte conflictuel ? Autrement dit, dans un
contexte de compétition « paisible », le changement linguistique peut-il prendre la même
forme que celui qui prend place dans un contexte conflictuel ?

11
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