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1223–1232, 2000
Histoire des sciences/History of sciences
DOSSIER
Mission ressources et compétences technologiques, CNRS Meudon-Bellevue, place Aristide-Briand,
92190 Meudon, France
Courriel : francoise.perrier@wanadoo.fr
Résumé. Cet article décrit une modélisation de management de projets scientifiques. Nous définis-
sons d’abord les notions clé de ce modèle : projet, management et projet scientifique. Nous
définissons le projet comme un système complexe ouvert sur l’environnement. Cette notion
de système complexe est essentielle car elle nous met au cœur du paradoxe du projet : nous
allons tenter de modéliser le projet scientifique tout en sachant qu’un système complexe ne
peut être exactement représenté par un modèle. Cela va nous conduire à être extrêmement
prudents. Nous décrivons le système projet comme un ensemble de trois systèmes qui vont
évoluer au cours de la vie du projet : le système à réaliser, plus compliqué que complexe,
qui va se transformer en un système réalisé fournissant les fonctions correspondant aux
besoins des utilisateurs, le système réalisant, complexe, qui comprend toute l’organisation
permettant la réalisation et le système des acteurs, fortement complexe, qui met en place,
organise et réalise le projet. L’ensemble de ces systèmes sera modélisé. La modélisation
sera toujours temporaire. Elle sera valide seulement jusqu’au prochain jalon au cours du-
quel seront comparées les réalisations avec les prédictions du modèle. L’étude et l’analyse
des écarts permettront de modifier les données pour de nouveaux modèles. Ainsi, par ap-
proximations successives, on tendra asymptotiquement vers la réalité souhaitée, sans jamais
l’atteindre vraiment, mais en respectant une approximation préalablement définie. Dans ce
modèle, nous donnons une importance primordiale au système des acteurs. Un projet est,
avant tout, une aventure humaine. Le système des acteurs doit être défini avec soin et géré
dans le respect des personnes. Un projet est un travail d’équipe dont on doit apprendre à
construire ensemble la motivation, la coopération et la dynamique. 2000 Académie des
sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
Abstract. We describe in this paper a new approach for the management of scientific projects. This
approach is the result of a long reflexion carried out within the MQDP (Methodology and
Quality in the Project Development) group of INSU-CNRS, and continued with Guy Serra.
Our reflexion was initiated with the study of the so-called ‘North-American Paradigm’
which was, initially considered as the only relevant management model. Through our active
participation in several astrophysical projects we realized that this model could not be
applied to our laboratories without major modifications. Therefore, step-by-step, we have
constructed our own methodology, using to the fullest human potential resources existing
in our research field, their habits and skills. We have also participated in various working
groups in industrial and scientific organisms for the benefits of CNRS. The management
model presented here is based on a systemic and complex approach. This approach lets
us describe the multiple aspects of a scientific project specially taking into account the
S1296-2147(00)01135-5/FLA
2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. 1223
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human dimension. The project system model includes three major interconnected systems,
immersed within an influencing and influenced environment: the ‘System to be Realized’
which defines scientific and technical tasks leading to the scientific goals, the ‘Realizing
System’ which describes procedures, processes and organization, and the ‘Actors’ System’
which implements and boosts all the processes. Each one exists only through a series of
successive models, elaborated at predefined dates of the project called ‘key-points’. These
systems evolve with time and under often-unpredictable circumstances and the models have
to take it into account. At these key-points, each model is compared to reality and the
difference between the predicted and realized tasks is evaluated in order to define the data
for the next model. This model can be applied to any kind of projects. 2000 Académie des
sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
1.1. Le projet
Qu’est-ce qu’un projet ? Depuis que l’homme a un début d’organisation sociale, il a probablement conçu
et réalisé des projets. Nous avons, dans le passé, de multiples exemples de grands projets qui ont été des
réussites, pyramides, cathédrales. . . Il est donc, a priori, bien surprenant qu’une notion aussi ancienne ait
dû être redéfinie dans le monde industriel de la deuxième moitié du vingtième siècle.
Après la seconde guerre mondiale, il y a eu simultanément l’émergence de nouveaux besoins et
l’explosion de nouvelles technologies, qui ont nécessité de développer de très grands projets dans des
domaines comme le nucléaire, le militaire, le spatial et les grands chantiers de développement. Ces projets,
de plus en plus ambitieux, se déroulaient dans un contexte nouveau après la coupure de la guerre. La
notion de projet devenait essentielle dans le travail des entreprises. Elle se distinguait et même quelquefois
s’opposait à l’organisation traditionnelle du travail. Pour cela, le concept de projet a été systématisé en un
objectif à réaliser dans un temps fini avec des ressources données et l’on a commencé à le gérer comme une
entité particulière et bien définie dans l’ensemble des activités de l’entrepris. Les contraintes temporelles
et financières associées à une production de masse ont également montré qu’il n’était plus possible de se
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contenter de contrôles a posteriori pour assurer la fiabilité des produits. Celle-ci ne pouvait être atteinte
qu’en intégrant une démarche de qualité à l’ensemble des processus du projet : étude, développement,
utilisation. . .
Ce sont ces exigences qui ont amené à systématiser la notion de management de projet.
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des entreprises, des services ou ce qui sera notre préoccupation ici, des projets. Nous emploierons ce mot
car il associe simultanément les aspects d’organisation, de gestion et de conduite. Ces concepts, à la fois
statiques et dynamiques, ne se retrouvent dans aucun autre mot français.
Les premières règles de management de projets modernes se sont élaborées dans les années soixante.
En effet, les États-Unis avec la NASA et le Département de la Défense se sont alors lancés dans une
grande opération de standardisation et ont défini ce qu’on a appelé « le Paradigme Nord-Américain » de
management de projet. Ce paradigme a marqué le développement de la méthodologie jusqu’aux années 90.
Il a été diffusé dans le monde entier et appliqué plus ou moins exactement et avec plus ou moins de bonheur
par les grosses structures étatiques et industrielles européennes. C’est une méthodologie fondée sur une
culture technicienne, sur les modes de fonctionnement et sur le centralisme des grandes entreprises dans
cette période d’expansion. Elle est basée sur la définition, en début de projet d’un modèle très complet qui
définit un développement linéaire strict, ponctué par des revues de contrôle. Il exige une très importante
documentation et l’utilisation d’outils standardisés. C’est une méthode lourde, rigide et onéreuse, mais
elle a introduit une rigueur dans le développement des projets et une rationalisation des différentes tâches
nécessaires. Elle a été le point de départ d’une réflexion qui, depuis vingt ans, se développe en parallèle
dans les entreprises et dans les universités du monde entier.
Le management de projets gagne petit à petit du terrain et devient incontournable. Il n’est plus
aujourd’hui l’application d’une règle générale qu’on utilise comme une recette mais : « une anticipation
en vue de faciliter les adaptations à un environnement sans cesse mouvant » (J.-P. Boutinet [1]). Il a
évolué en se fondant sur une réflexion conceptuelle élaborée et en intégrant la réalité du projet et de
son environnement. Il prend surtout en compte la dimension humaine, en s’appuyant notamment sur
l’expérience amassée par les acteurs du projet.
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– l’information multiplie les possibilités avec la rapidité et la complexité de ses systèmes de reproduction
et de diffusion et le volume des informations accessibles ;
– la mondialisation des collaborations et l’accroissement du nombre de participants est maintenant une
composante incontournable dans l’organisation et la gestion des projets ; cette évolution est d’ailleurs
directement la conséquence de la complexité du contexte programmatique des projets ;
– et enfin, la complexité du monde du travail croît et les repères fluctuent. Les esprits ont évolué,
l’organisation traditionnelle du travail en hiérarchie descendante n’est plus vraiment acceptée. On
demande maintenant un travail plus motivant et les responsables doivent savoir déléguer leurs
responsabilités au sein des équipes. Ils doivent organiser le travail différemment, gérer la dynamique
des équipes transversales, coopérantes, communiquant efficacement entre elles.
Avec toutes ces évolutions, les projets scientifiques ont pu devenir plus ambitieux, mais ils ont en même
temps, crû en volume, en prix et en complexité.
Paul Valéry [3] a écrit dans ses cahiers : « on ne raisonne qu’à travers des modèles ». En effet, le modèle
est un outil qui a pour fonction de donner une représentation compréhensible d’un processus. Son objectif
est de simplifier et de schématiser, il n’aboutit donc toujours qu’à une représentation partielle et partiale de
la réalité. Attention donc à ne pas confondre la réalité avec son modèle : « la carte n’est pas le territoire ».
Cette notion de modélisation apparaît comme fondamentale car elle permet de donner du projet, des
représentations qui sont autant de points de vue qui nous permettent de raisonner.
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naissent de l’organisation du tout et peuvent rétroagir sur les parties » (E. Morin et J.L. Le Moigne [5]).
C’est le cas des projets qui subissent de multiples aléas, rendant leur développement difficile à prévoir
précisément. On parle aussi de systèmes compliqués ; dans ce cas, la connaissance du système global à
partir de ses éléments est possible. Ces deux catégories de systèmes ne s’opposent pas et, dans un projet, on
a souvent une combinaison des deux. Pour illustrer ces notions, on peut donner comme exemple le coeur
humain. Dans sa fonction vitale, lorsqu’on prend en compte les interactions qu’il a avec le reste du corps,
c’est un système complexe, inerte pendant une dissection, c’est un système compliqué. Le compliqué et le
complexe sont tous deux essentiels pour connaître le système coeur.
J.-L. Le Moigne [4] dit aussi : « un système complexe est par définition un système que l’on tient pour
irréductible à un modèle fini, aussi compliqué, stochastique, sophistiqué que soit ce modèle, quels que
soient sa taille, le nombre de ses composants, l’intensité de leurs interactions ». Ces définitions nous mettent
immédiatement face à l’un des grands paradoxes du management de projet : le projet est un objet complexe
et nous voulons en faire un modèle. Nous avons un besoin impératif de ce modèle pour guider notre
développement, or aucun modèle ne peut représenter exactement la réalité d’un système complexe. Cette
contradiction a été la cause la plus importante de l’échec du paradigme Nord-Américain. La complexité du
projet n’était pas reconnue et celui-ci était abusivement réduit à un modèle linéaire et défini une fois pour
toutes, en début de développement. Le management prévu était donc un carcan rigide dans lequel le projet
devait se mouler. C’était impossible, soit le carcan craquait, soit le projet était irrémédiablement déformé
ou réduit. Soit encore, et c’était souvent le cas, le carcan n’était pas réellement utilisé et l’on retombait alors
dans un arbitraire intuitif qui répondait mal aux exigences des projets modernes.
Le projet a deux causes essentielles de complexité. La première est le temps, créateur d’évolution donc
d’imprévisible. L’état du projet n’est jamais identique à ce qu’il était l’instant d’avant. En évoluant, le projet
modifie son environnement et l’évolution de cet environnement l’influence à son tour. La deuxième cause,
ce sont les acteurs : un projet est avant tout une úœuvre humaine et nous savons bien, depuis les études
sur l’organisation scientifique du travail, que le travail prescrit (modèle) n’est jamais identique au travail
effectué (réalité).
Alors, que faire ? Nous ne pouvons pas créer un modèle exact d’un système complexe mais, contrairement
aux gens qui appliquaient le paradigme nord-américain, nous reconnaissons le caractère complexe du projet
et nous allons en tenir compte. Nous allons créer des successions de modèles que nous savons imparfaits
et donc différents de la réalité souhaitèe. Ces modèles auront une validité très courte car nous allons
régulièrement les confronter à la réalité. Ces confrontations vont jouer le rôle de boucles de rétroaction
et nous permettre, à des instants bien définis du projet, de faire évoluer chacun des modèles et de nous
rapprocher ainsi de la réalité, sans jamais cependant prétendre la prévoir avec une exactitude absolue.
À la fin de la série de modèles, le système réalisé tendra asymptotiquement vers l’objectif, à l’intérieur
des marges autorisées.
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à réaliser pourra être complexe mais il sera le plus généralement compliqué, par contre, système réalisant
et système des acteurs seront toujours fortement complexes.
Le système projet prendra corps à travers la succession de modèles que l’on va construire et projeter sur
l’avenir.
La modélisation du développement du projet est créée à la fin d’une période très importante qui est la
phase d’émergence du projet scientifique.
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Le système à réaliser n’existe qu’à travers la succession des modèles construits et projetés sur l’avenir
qui va conduire à un système réalisé bien réel qui donnera les résultats scientifiques. Quand la première
modélisation du système à réaliser est créée, nous constatons immédiatement qu’elle est insuffisante. On
ne peut réduire la modélisation du projet à la stricte construction d’un modèle de système à réaliser, il faut
encore prévoir toute l’organisation qui permettra cette réalisation.
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Le système réalisant a pour objectif la mise en place de procédures et processus dont l’activation
permettra au système projet de se dérouler en vue de sa réalisation.
Ce système comprend les processus d’activités, de contrôles, d’organisation, de gestion temporelle,
financière et administrative, de traçabilité, d’information, de documentation et de communication, de
qualification, d’exploitation et de fin de vie. Ces processus seront explicités dans un plan de management
qui sera applicable immédiatement. On y définira notamment les fonctions de responsabilité dont le
projet a besoin (responsable scientifique, responsable technique, ingénieur système, responsable qualité,
responsables de sous-systèmes. . . ), ainsi que les activités scientifiques, de recherche et développement,
techniques, organisationnelles et administratives qui devront être effectuées. La planification du projet fait
partie du système réalisant. C’est une partie éminemment dynamique qui subit directement les aléas du
temps. Son rôle essentiel est de définir à travers l’enchaînement des tâches, le chemin critique, qui est la
somme des activités qui rendent la durée du projet incompressible.
La visibilité que l’on va avoir du projet pendant son développement va fort souvent se faire seulement
à travers des documents. L’installation d’un système documentaire adéquat va être un travail essentiel du
système réalisant. Il devra permettre de comprendre clairement les activités à effectuer et aussi de garder
la traçabilité de celles qui ont été effectuées. L’organisation de la documentation pose souvent problème
aux équipes projet. Elle demande, en début du développement, un travail de réflexion que l’on ne prend pas
toujours le temps d’effectuer. Les responsables doivent veiller à l’adéquation des moyens nécessaires au
système réalisant avec les impératifs du développement du projet. En particulier, ce sont eux qui assurent
les relations avec les donneurs d’ordre et défendent les intérêts du projet. Ce sont eux aussi qui gèrent
l’ensemble des moyens confiés au système des acteurs.
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2.4.4. L’environnement
Enfin, n’oublions pas l’importance de l’environnement. Un projet dépend de son environnement ; en se
développant il le modifie et il est en retour modifié par lui.
Le projet scientifique est incontestablement lié à un contexte complexe et mouvant : les institutions
qui définissent la politique et fournissent les moyens, les structures qui ont la responsabilité des acteurs,
le contexte scientifique de la thématique qui intervient surtout dans la phase d’émergence et dans celle
d’exploitation, le contexte technique très souvent en évolution rapide et enfin le contexte plus lointain
mais quelquefois très influent du politique et du social. Enfin le projet est souvent en interaction avec
d’autres projets parce que lui-même sous-projet d’un projet plus vaste. Une des difficultés du management
de projets scientifiques est de comprendre et de prendre en compte les influences de cet environnement
complexe et multidimensionnel sur la structuration, le développement et l’exploitation des projets. Cet
environnement peut, en effet, devenir facteur de déstabilisation, nuire au déroulement du projet, voire
même l’arrêter. Réciproquement, l’évolution du projet va agir sur l’environnement. Dans tous les cas, un
projet réussi va apporter de nouvelles connaissances à la communauté scientifique. Il apportera sûrement
aussi aux différents participants un nouveau savoir–faire et des connaissances techniques, parfois aussi
organisationnelles et administratives. Le management du projet devrait aussi induire une réflexion sur
l’organisation du travail et le management dans les équipes et dans les laboratoires.
Les acteurs de l’équipe projet doivent souvent changer leurs habitudes de travail, s’adapter à des règles
différentes, s’ouvrir à des collaborations nouvelles ; ils vont changer eux aussi.
L’achévement d’un projet doit comprendre un travail de critique positive sur le développement du projet.
Ce travail permettra la constitution d’un « retour d’expérience » qui sera utile pour les participants du projet,
pour les responsables, pour la fin de vie du projet, pour les instances et les développements futurs.
2.4.5. Les découpages du projet
Comme nous l’avons dit précédemment, nous allons faire évoluer les différents modèles en les
confrontant régulièrement à la réalité. Pour organiser ces confrontations, nous allons définir des « jalons »
répartis sur l’ensemble du temps de développement.
Le système projet se déroule pendant une durée plus ou moins longue mais toujours fixée à l’avance.
L’une des premières préoccupations pour construire le système réalisant est de déterminer les étapes clé du
projet et de s’en servir comme jalons temporels. Le système projet est, nous l’avons dit composé d’éléments
hétérogénes couplés par des interactions fortes, il ne va donc pas se développer uniformément.
Le système à réaliser va être découpé en différents éléments : les sous-systèmes. Le découpage en sous-
systèmes est spécifique à chaque projet. Il peut être fait en fonction des différents résultats scientifiques à
obtenir, des techniques utilisées ou des sous-produits à fabriquer. Il peut encore dépendre de la localisation
des compétences nécessaires ou de raisons géographiques, administratives, politiques. . . Dans tous les cas
ce découpage est délicat et ne satisfait jamais tout le monde. Les interfaces entre les sous-systèmes doivent
être clairement définies et construites avec beaucoup d’attention.
Les sous-systèmes vont être réalisés à des vitesses différentes selon leur priorité scientifique, leur degré
de difficulté ou d’innovation, les techniques utilisées, les moyens nécessaires et les équipes concernées. Ils
vont avoir une relative autonomie dans leur développement et vont arriver aux états prévus à des moments
différents, cependant définis strictement en fonction des nécessités du système projet. Le projet porte en
lui une exigence de globalité, mais doit en même temps préserver les spécificités de chaque sous-système.
Les jalons doivent être définis en tenant compte de ce paradoxe. En plus des jalons définis au niveau du
système projet, on doit aussi prévoir des jalons au niveau des sous-systèmes. Il ne faut d’ailleurs pas hésiter
à rajouter des jalons en cours de développement si le besoin s’en fait sentir.
2.4.6. Les jalons
Les jalons ont un rôle essentiel dans le management du projet. D’eux dépendent toute la dynamique et la
souplesse de ce management qui permettra au projet de répondre au mieux aux besoins. Certaines dates de
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HI-TECH ASTROPHYSICS Le management des projets scientifiques
jalon sont imposées par les donneurs d’ordre, d’autres peuvent être définies pour des raisons scientifiques
ou encore pour des raisons techniques ou autres. On associera ces dates, qui correspondent à l’atteinte d’un
objectif partiel ou d’un état du projet, à des « jalons » ou « points clé ».
Le jalon est le point de passage où l’on va faire évoluer les modèles. A chaque jalon, on définira « une
modélisation générale » des activités prévues pendant toute la suite du développement du système projet
permettant de le mener à terme et « une modélisation détaillée » comportant tous les modèles permettant de
réaliser l’état que devront avoir atteint, au prochain jalon, les différents sous-systèmes et le système projet.
Les données d’entrée des modèles sont définies après avoir fait le bilan du travail déjà effectué pour
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arriver à ce jalon. Tout écart entre travail prévu et travail réalisé peut avoir des conséquences qui vont aller
en s’amplifiant avec le temps. Il est donc nécessaire de les identifier rapidement et d’étudier l’ensemble des
conséquences que l’on peut prévoir dans les différents domaines touchant au projet. Ce travail sur les écarts
est essentiel. Il doit être fait pour toutes les activités du projet avec tous les acteurs nécessaires, scientifiques,
techniques, administratifs et politiques. Les compètences permettant la mise en èvidence des ècarts et leur
analyse doivent être réunies. L’identification d’un écart peut conduire à modifier, pour les modèles suivants,
la stratégie préalablement mise en place. Elle peut aussi conduire à modifier la réalisation, les objectifs
intermédiaires, à condition de rester dans des marges définies comme acceptables, voir même l’objectif
final, ce qui peut entraîner une redéfinition des moyens existentiels du projet. Tout cela n’est pas facile mais
doit cependant être fait car de cette remise en cause et de ces évolutions dépendront la qualité du résultat
final. C’est un travail important qui se fait au cours de revues organisées aux points-clé du projet et des
sous-projets.
3. Conclusion
Nous avons décrit ci-dessus les grandes lignes de notre modèle théorique général de management de
projet sans entrer dans le détail des procédures qui devront être mises en place. Celles-ci doivent être
adaptées au pragmatisme de chaque projet, en s’appuyant sur les principes de base intangibles énoncés
dans le modèle et en gardant une indispensable rigueur.
Partant du modèle général proposé par l’industrie et les grands organismes, nous avons donc construit
pas à pas notre propre méthodologie, Au début, dans les groupes de réflexion extérieurs au CNRS, auxquels
nous participions, nous étions considérés comme des originaux, des contestataires pas très sérieux. Mais,
peu à peu cette attitude a changé. Beaucoup d’entreprises sont devenues critiques vis-à-vis du management
qu’on leur proposait et en ont cherché de nouvelles formes, moins rigides, moins onéreuses, plus adaptées
et même adaptables. On a commencé à nous écouter plus sérieusement et à rechercher notre participation.
Maintenant, notre démarche, bien que liée aux projets scientifiques, est en accord avec celles qui se
développent dans d’autres domaines. Notre modèle est apprécié et nous participons souvent à des travaux
sur le management des projets dans des domaines extérieurs au scientifique.
Dans le domaine scientifique, nous nous sommes fait connaître en diffusant nos idées auprès de certains
de nos collègues, grâce, en particulier, à la formation permanente du CNRS, et en la nourrissant des
échanges que nous avions avec eux, mais il y a encore beaucoup à faire car cette méthodologie n’est pas
encore assez connue dans l’ensemble de la communauté. Il n’est pas facile de convaincre nos collègues
de prendre du temps pour se pencher sur cette notion de management de projet. Comme je pense l’avoir
montré dans cet article, ce n’est pas un sujet simple que l’on peut assimiler à l’application d’un ensemble
de recettes définies une fois pour toutes. Le management de projet exige à la fois une réflexion théorique et
l’étude très précise de la réalité du projet et de son environnement.
De plus, le management de projets n’est pas une discipline confortable. Le projet scientifique a toujours
un objectif ambitieux or il se réalise dans environnement temporel et financier contraignant. Cet objectif est
aussi un objectif risqué car on travaille souvent aux limites des connaissances, tant au niveau des résultats
scientifiques que des méthodes techniques. De plus, nous l’avons dit plus haut, les décisions sont prises
alors que l’on a pas tous les éléments pour juger de leur validité, cela augmente encore le risque.
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Le management lui-même n’est pas sans danger. Créer un modèle prend du temps, pendant ce temps le
projet et son environnement sont déjà un peu modifiés et le modèle mis en place n’est déjà plus tout à fait
valable. Il faut donc le faire évoluer en lui réinjectant des données plus exactes, mais cela va prendre du
temps ! . . . et on a l’impression d’une course sans fin. La démarche du management demande de faire un
aller et retour incessant entre les intérêts scientifiques et les nécessités techniques, entre l’imaginaire de la
prévision et la réalité du concret, entre le détail des sous-projets et la globalité du projet, entre la qualité
des réalisations et les moyens disponibles. De plus, l’équipe projet doit être gérée avec tous les efforts que
demandent la construction d’un objectif commun et d’un esprit de coopération. Ceux-ci ne sont pas toujours
en parfaite adéquation ni avec les motivations individuelles ni avec celles des divers laboratoires, services et
entreprises qui participent au projet. Tant de paradoxes et de complexité peuvent conduire à se demander si
il est possible de dominer vraiment ces incertitudes, ces contradictions, ce désordre et si cela vaut la peine
de se mobiliser sur un sujet aussi mouvant.
La réponse induite par cet article est, bien sûr, que cette démarche est non seulement utile pour les
scientifiques, mais qu’elle devient une nécessité absolue. On va de plus en plus vers des réalisations
d’envergure, des collaborations nombreuses et internationales avec des laboratoires et avec le secteur
industriel et même sur les moyens et petits projets, les exigences de développement augmentent. Les équipes
scientifiques sont de plus en plus confrontées à des problèmes de démarche qualité, de normalisation, de
certification. . . On doit pouvoir garantir les méthodes, les procédures et les modes opératoires utilisés. Enfin
les exigences de la société pèsent plus aujourd’hui sur les activités scientifiques et l’exigence de résultats
s’accroît, dans un contexte de réduction budgétaire.
La démarche intuitive n’est plus adéquate, la soumission à des règles extérieures n’est pas opératoire, les
scientifiques ne peuvent plus, dans le contexte de la science et de la société actuelles faire l’impasse sur le
management de projet. « Ce travail sur les méthodologies doit être conçu et pensé à l’intérieur du CNRS
comme un véritable travail de recherche » (R. Gispert, MQDP [6]).
Les projets scientifiques et le management des projets évoluent. Il ne peut être question de leur appliquer
notre modèle comme une méthodologie figée. Il doit, au contraire, être constamment critiqué et enrichi par
la communauté. « Vu ses implications, la réflexion sur le management des projets scientifiques ne peut être
qu’une œuvre collective » (G. Serra, MQDP [7]). Puisse cet article être une petite pierre à sa construction.
Remerciements. Cet article doit beaucoup aux activités du groupe MQDP (Méthodologie et Qualité de Développe-
ment de Projets) de l’INSU (Institut National des Sciences de l’Univers) de 1992 à 1999 et en particulier à Guy Serra
avec qui j’ai mené pendant ces années ce travail de recherche et de réflexion.
Références bibliographiques
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