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On sai t l'intt!ret pont! par Nerval au livre et~ l'imprimcric : dès 1827.
on le voit rédiger Je fragmem de son Faust l dans lequel le héros est
présenté avant tout comme l'inventeur de l'imprimerie; bien des années
plus rard, en 1851, le dramaturge reviendra au sujet pour un • dcame-
légende ~ grand spectade •, consacré certe fois à un autre des inventeurs
présumés de l'imprimerie, Laurcnt Costcr, ce sera L 1magi~r tk Harkm 2_
A ce m~me Laurent Coster, Nerval dédic un sonnet dont sculle premier
vets nous est connu, vers cité en 1850 dans L~s Faux Saulnim, anti-roman
dom le fil conducteur n'est autre que le livre dans tous ses états ; on y
rencomre J par exemple une controverse avec un correcteur de
I'Imprime.rie nationale au sujet des origines de l'imprimerie auxquelles
Nerval a consacré quelques lignes dans un artide peu auparavant. Certe
meme année 1850, il écrit pour la Rtvu~ tks D~ux Montks • Les
Confìdences de Nicolas •, ouvrage relaram la vie d'un écrivain qui le
làscine en particulier parce qu'il imprime lui-mcme ses ceuvres, Restif de
IO. Rapproche=m déji ~t, en ce qui concerne El DmJkhaM, por Jacques S<d>acher
dans son &lirion de Bug-]argal pour la colleaion des CEul!ffl trJmplnn de Vicror
HUJO. Roben Lalfont (• Bouquins •), Roman, l, 1985.
Il. L '&ok J11 Jltmthanrnntnt, Gallimard (• Bibl. des ld~es •), 1992, p. 399.
12. Voir Nicole Felby, &lrAt et wiJitturs, Promodis, 1987.
claircmcnt lisible sur l'origina!, et l'on pcuc supposer que la double
signacu re du r 57r• est due à une intervention du prote). L4 signaturc?
c'est ks signatures qu'il aurair fallu dire: il n'y en a quasimcm pas deux
identiques, et il faut bi e n avouer qu' eli es ne correspondent guère à
ceUes que nous connaissons par ailleurs che:z: Nerval, mais cdles-ci so ne
pour la plupart très postérieures aux années 1820. U faur insister ici rur
le caractère hypochétique de ce qui va sujvre ; seule une analyse
graphologique appuyée sur les recueils manuscrits des années 1824-
1826 pourrait apporcer une amorce de certitude 13. On ne pcut manquer
toutcfois d'ctrc frappé par la profusion ornementale qw cacactérise ces
dilférentes signatures, sorte de jeu qui s'apparente aux fanraisics
graphiques des recueils manuscrics dont nous connaissons des
reproductions publiées : ainsi Ics pages de ti tre reproduites pages 7 et 9 du
Catalogue par Éric Buffetaud de l'exposirion organisée à la
Bibliothèque historique de la Ville de Paris en 1996. Le jeune Gérard
semble avoir éré friand de ces jeux d'écriture : e n 1829, le manuscrit de
Han d'/siantk, mélodrame adapré d'un roman de Hugo (encore !), est
calligraphié avec dilférenrs rypes d'écriture, selon qu'il s'agir du
dialogue, des chansons, des noms dcs personnages ou des indkarions
scéniques. Nous nous rencontrons ici avec le remarquable artide de
nocre ami Lieven D'hulsr 14, artide qui devrait servir de base à une
recherchc approfondie sur les graphies nervaliennes : L. D'hulsc note
que les plaqueues manuscrites antérieures à 1826 • rémoignem d'un
atrachement à une présenration calligraphiée de poèmes, enrichie de
lenrines et de culs-de-lampe, créant ainsi une zone commune enrre
langage et image. Cene z,one investi t sunout Ics ritres, qui en reçoivenr
avanc rouc une fonction ornememale •, et, plus loin, remarque que
Nerval fancasme • à loisir sur le nom propre. Bien des lemes modulem
à loisir la signature de ce dernier dessinée ou accompagnée d\m
dessin • 15. L'ornememacion presque délirante de la signacure dépasse
13. Voir l~ f•e-similt hors-rexre. ~ric BufTeraud, grand connaweur des manu.scrits
nervalieru, qui a bien voulu ~xaminer avec nous ~s signarures, condur à un~
arrriburion quasi eeruine.
14. • Des ~~ enrre l'c!crirur~ et la poésie chcz Nerval •, dans Estudi.os m""'''" tklprofoDr
}IlM IN K«lt, Leuvcn Universiry Press. 1998, p. 835-843.
15. /bill, p. 837-838 et 840.
de loin ce que font d'aurres r:ypographes sur le mème manuscrit 16 et
peut erre imerprétéc comme l'amorcc de cc que fera Nerval ultérieuremenr.
Comme le remarque Yv~ Bonnefoy, la divcrsité d~ signatu.te$ peut roe
regardéc comme expérimenralc, à l'image d'un jeunc hornme qui checche
50n identité d'adulte.
Les passages composés par « Gérard • se siruent dans l.a seconde
moitié du roman ; Ics chapitres XXVIJJ à LI, où il inrervient, 60nt ceux
où le narrareur est prisonnier et où paraissent le rerour de ceux qu' o n
croyait mons, la vengeance et le trépas du roi déuòné, ainsi que l~
romances du Contrabandista et du Dtsdichado. • Gérard • a également
composé la préfacc (signarure sue le r 3r•), mais Hugo précise qu'elle a
été écrite en janvier 1826, soit à la fin de l'impression ; la conuibution
de • Gérard • à la composirion se situerait donc en janvier 1826. On peut
relever quelques colncidences : Bug-]argal parait chez Urbain Cane! à la
fin de janvier (Bib/iographit dt la Franet du l« février) ; c'est à ce m eme
Urbain Cane! que Balz.ac s'est associé en avril 1825 pour publier une
édition d~ classiques français. Bicn que cette édition ne 60Ìt pas
imprimée par Lachcvardière, Nerval a-r-il eu l'occasion de renconrrer
Balzac alors ? Un Balzac qui va justement acquérir, qudques mois plus
tard, un fonds d' imprimerie et s'installer rue Vìsconti, non loin de
l'imprimerie Lachevardière, située ruc du Colombier. Auue co'incidence,
autre quescion : en marge du manuscri r de Bug-]argal, la signarure
Gautitr apparait six fois. Gérard aurair-il enrrainé Il l'imprimerie son
jeune camarade de coUège, ou inversement ? Théophile a 14 ans en
1825, c'est l'age des apprenris; la signature Gautitr se renconrre dans la
prcmière moicié du texre : Ics deux jeunes gens auraient-ils inauguré une
collaboration par alternance qu 'ils reprendroot plus card pour Ics
feuilletons de La Pmst ? Questions sans réponse : oo ne sait pas grand-
chose de ce que fait Nerval durant l'hiver 1825-1826; théoriquemem, il
est en rhétorique au collège Charlemagne, assidu ? on peut en douter, il
quitte officiellemem le collège le l er avril 1826 ... serait-cc: à la suite
d'absences répétées dues à la fréquentation de l'imprimerie ? Une chosc
16. Il f2u1 remarqucr au p:wage que rous les rypographes signem de leur parronyme ;
si • Guud • esr le futur NeiV2!, il utilise, ici comme ailleurs. son pn!nom comme
pseudonyme ainsi qu'il le fera encore fort longtemps. Ajoutons à ce sujer que
Ro~u esrle plus souvent pour lui Jean·Jacques et Rt:stif, Nicolas.
est cenai ne : avam cer hiver 1825·1826, il rassemble des poèmes manus·
crits ; apr~s. illes fair imprimer.
Cc:s qudques remarques incireraicnt à authcntifìer Ics signatures du
manuscrit de Bug-}argal, mais l'on rcncontre encore une objection
notable : on ne trouve a priori aucun rapport entre Nerval et l'imprimeur
L.achevardière et l'o n ne voi t pas bien comment ils ont pu entrer en
contact. Alexandre Lachevardière est un imprimeur peu connu ; tout au
plus peut-on trouver son nom mentionn~ une fois dans 11/urions pn-duer.
Nous n'avons pu d~uvrir aucune ~rude, pas le moindre artide sue cc
personnage, alors qu'il a fair preuve d'un grand esprit d 'entreprise en
s'associanr au lanccment de deux périodiques qui, chacun dans leur
domaine sont parmi Ics plus importants du demi-siède, uGlob~ en 1824,
le Magasin pittomqut en 1833. La raison en est peut-erre la brièveté de sa
carrière. Son père, Auguste Lachevardière ( 1770-1828) est mieux connu
que lui : jacobin, il F.ùr carrière sous le Directoire, le Consulat et l'Empire ;
secrétaire général du Ministère de la Policc, consul à Palerme, puis à
Hambourg où il est accus~ de malversations. On le retrouve en France,
enrichi, parmi Ics amis dc Saint-Simon cn 1820 ; cn 1823, il caurionnc
l'achar par so n fìls de l'imprimerie Cellot pour 400 000 F (Baluc avait
acquis la sicnnc pour 60000 F). Le Dictionnair~ biographiq~ du mo1111t·
ment ouvrin-français conserve la trace d'un autre Lachevardière, Anastase,
poursuivi en 1830 pour panicipation aux manifestations d'opposi cio n aux
presses rnécaniques, puis arret~ en 1842 comme organisateur de grève; on
oe sait si c'est un parem de notre imprirneur.
Alexandre Lachevardi~rc est peur-~tre né en 1795, il meurt,
cornme Nerval, en 1855 ; le journal des Dlbats annonce sa mort le
6 mai et lui consacre une brève notice nécrologique le 14, précisant
que, ourre u Globe et le Magasin pittoresq~. Alexandre Lachevardière
avair publié le Trlsor dt: numismatique et de g/yptique et panicipc! à la
création de l'Encyclopldit pittoresque, deveoue ultc!rieurement
l' Encycloptdit nouveUe. Les Archi ves nationales cooservenr sur lui un
peci t dossier : son brevet à'imprimeur de décembre 1823, et quelques
rappons de police ; voici un extrait, assez savoureux de l' un d'enne
eu x, da t~ du l c• décembre 1823 :
[...) brevet qu'il ctoit mériter par son dbouemcnt à la famille dcs
Bourbons et au gouvernemem. la mauon à la t!te dc laqudlc il dairc se
piacer est connue pour n'avoir jamais imprimé d'éttit qui ait été en
opposirion avec les principcs du gouvernement et le pttitionnairc suivu
la route qui lui a étt rracte par M. Cellot.
21./bid., 944.
22. Voir à ce sujet norre Estbltiqur tk Ntrval, Sedes. 1997, p. 40-49.
retournera d' aiUeurs au coll~ge à la rentrée pour so n année de philosophie.
La vérifìcation de notre hypothèse pourrait conduire aussi à modifier
notre point de vue sur la rencontre Nervai-Hugo que l'on piace
d'ordinaire apr~ la traduction de Faust, voire en 182923 pour l'adaprarion
de Han d1slantk tentée par le jeune et déjà célèbre traducteur. rl ne serait
pas impossible que Gérard ait rencontré le chef dc file des jeunes
Romanciques à propos d es épreuves de Bug-fargaL, c'est à dire trois ans
plus tòt ; pas impossible non plus que cette expérience de rypographe ai t
eu une influence dédsive sur la curiosité du jeune homme envets le Faust
er déclenché son désir de le traduire.
II semble difficile d'aUer plus loin dans l'immédiat er il reste à
souhaiter que d' autres chercheurs découvrent de nouvcaux éléments qui
rransformeraienr norre hypothèse en cerritude.
Jacques BONY
23. Ulric Guninguer renconuc G~rard chez Hugo le 27 juin 1829, mais son t~moign"&e
n'indique en rien depuù quand le jew1e hornme fr~uenctit le Cénadc.