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Friedrich Merz et a mis le paquet pour l’aider. Mais

cela n’a pas marché. À la place, ils ont Armin Laschet.
Allemagne : la dérive de « Bild », symbole
Mais Laschet, c’est encore la ligne Merkel, ennemie
du malaise des conservateurs de Bild depuis des années », glisse Moritz Tschermak.
PAR THOMAS SCHNEE
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 21 SEPTEMBRE 2021

Pour contrer sa perte d’influence et le positionnement

jugé centriste d’Angela Merkel, le journal allemand
le plus lu a choisi de polariser en adoptant une
ligne ultraconservatrice et antisystème. Ce faisant, il
accentue la profonde division de la CDU, à l’aube de
la bataille pour l’héritage de la chancelière.
Les candidats à la chancellerie Armin Laschet (CDU) et Olaf Scholz (SPD) invités
Berlin (Allemagne).– Le 30 août dernier, Julian de Bild TV, le 22 août. © Michael Kappeler / dpa Picture-Alliance via AFP
Reichelt, rédacteur en chef du quotidien conservateur
L’histoire de Bild a toujours été étroitement liée
Bild, le plus gros tirage de la presse allemande avec 1,2
à l’histoire politique de l’Allemagne d’après-guerre.
million d’exemplaires vendus tous les jours, démarre
Dès sa première parution, le 24 juin 1952, le journal
sa nouvelle émission de télévision en colère. La
a fait fureur. Son titre est court comme un cri. La une
veille, lors du premier débat télévisé de la campagne
fait la part belle aux photos. Le tout est agrémenté
électorale, les mots « migration » et surtout «migration
d’une bonne dose de provocation, d’agressivité et de
et criminalité »n’ont pas été prononcés une seule fois,
mauvaise foi. Sept ans après la défaite nazie, tout cela
s’insurge-t-il, en se demandant comment les candidats
tranche dans un paysage médiatique très contrôlé et
des grands partis, le candidat conservateur compris,
qui renaît timidement.
peuvent être crédibles auprès des citoyens.
Pour Axel Springer, son créateur, Bild est bien sûr
Trois débats plus tard, Bild en est certain : les «
la réponse écrite à l’apparition de la télévision (Bild
politicards » font tout pour éviter le sujet de l’élection
signifie «image » en allemand). Mais c’est aussi un
et préfèrent parler de la protection du climat. « La
instrument de propagande au service de l’Occident
question migratoire est le sujet n° 1 de l’agenda
capitaliste. Le journal suit très officiellement les
politique du journal. Malheureusement pour lui, cette
principes suivants : il est pro-américain, pro-Otan,
thématique arrive loin derrière les trois thèmes qui
pro-israélien, pro-orthodoxie budgétaire, pro-capital,
préoccupent le plus les Allemands. À savoir la
antirusse et antichinois.
transition énergétique, l’emploi et la lutte contre le
Covid », commente Moritz Tschermak, rédacteur en Dès 1953, le quotidien atteint le million d’exemplaires
chef du Bildblog, un site né en 2004 pour dénoncer les vendus. Il passe à 4 millions en 1965 puis à 5 millions
mensonges du quotidien. en 1982. Dans les années 1960, Axel Springer lance
une violente campagne anticommuniste qui vise aussi
La colère de Julian Reichelt n’est pas seulement
les manifestations de 68. La tentative d’assassinat du
provoquée par la difficulté à imposer un thème qui
leader étudiant Rudi Dutschke par un lecteur assidu
a porté le journal pendant de longs mois. Bild doit
de Bild fait du quotidien un symbole de la réaction
aussi gérer le lancement de Bild TV, une chaîne de
conservatrice.
télévision en streaming qui émet en continu depuis le
22 août. Quelques années plus tard, les ouvrages du journaliste
Günter Wallraff et un roman de Heinrich Böll
Il doit enfin faire face à une campagne électorale qui
(L’Honneur perdu de Katharina Blum) discréditent
ne se déroule pas du tout comme prévu. « Le journal
les méthodes d’un journal qui n’hésite pas à déformer
a un problème : il n’a pas de candidat aux élections.
l’information pour créer une « bonne » histoire.
Bild aurait souhaité l’élection du libéral-conservateur

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Pourtant, 20 ans plus tard, Bild joue toujours de son
influence politique et aime à reprendre la phrase de
Gerhard Schröder qui a expliqué un jour que, pour
gouverner, il lui suffisait de lire Bild et de regarder la
télévision.
Le malaise entre Bild et le pouvoir fédéral démarre
avec l’arrivée d’Angela Merkel au pouvoir en 2005.
La discrète héritière politique d’Helmut Kohl n’est
pas vraiment le genre de la maison et son alliance
de longue durée avec les sociaux-démocrates au sein
d’une grande coalition déplaît à la maison mère de
Bild, l’éditeur Axel Springer Verlag (ASV), le plus
gros d’Europe avec 7 milliards d’euros de chiffre
d’affaires.
Entre la chancelière CDU et le groupe, la rupture
semble consommée quand, en 2007, le gouvernement
fédéral vote en faveur d’un salaire minimum sectoriel
dans les services postaux. L’ASV et son chef Mathias
Döpfner ont en effet investi des centaines de millions
dans la société PIN AG qui transporte lettres et paquets
à des prix défiant toute concurrence, et aux salaires très
bas.
En dépit de la campagne de Bild, qui accumule les
unes anti-salaire minimum, le projet gouvernemental
poussé par la société Deutsche Post et les syndicats
passe. Ce qui constitue un échec cuisant pour le groupe
Springer qui se désengage et n’oublie pas.
Par la suite, Bild perd rarement une occasion de
critiquer cette chancelière qui pactise avec la gauche,
soutient l’intégration des étrangers, prête de l’argent
allemand à la Grèce ou décide sans crier gare
d’accélérer la sortie du nucléaire. Entre autres. Mais
pendant longtemps, le journal retient ses attaques à
cause de la popularité persistante d’Angela Merkel.
Dans un pamphlet contre l’esprit de 68, publié en
2007, Kai Diekmann, le rédacteur en chef, laisse
cependant apparaître l’état d’esprit général qui règne
à la tête du journal. « Je décris 1968 comme
une rupture d’époque de la société allemande vers
l'égocentrisme, la paresse, la médiocrité… 1968
détermine nos vies jusque dans les moindres détails :
foi en l’État, systèmes d'approvisionnement crypto-
socialistes, haine de soi, perte d'identité », explique-t-
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il dans les pages de l’hebdomadaire ultraconservateur
suisse Weltwoche, où il stigmatise aussi la perte des
valeurs et des normes : « On a de la compréhension
pour chaque délinquant sexuel, chaque fraudeur
d’asile, chaque dealer africain », critique-t-il.
Le « démon réactionnaire » de Bild, qui a fort à faire
avec la concurrence de réseaux sociaux, eux-mêmes
peu avares en dérives diverses, se réveille en 2018
lorsque Julian Reichelt arrive à la tête de la rédaction
centrale. Il succède à Tanit Koch, qui a accompagné
l’accueil des réfugiés en Allemagne de manière assez
bienveillante pour Angela Merkel et est actuellement
directrice de campagne d’Armin Laschet.
« Rien ne nous a fait autant de tort économiquement en
termes d’audience que notre position claire, humaine
et empathique dans la crise des réfugiés », explique
rapidement le nouveau rédacteur en chef de Bild,
qui pense que la société doit se repolitiser et se
repolariser. Le journal professionnel Kress Pro résume
à sa manière le tournant opéré : « Avec Reichelt, Bild
est revenu à la discipline reine du journalisme de
boulevard : fouiller la merde. »
« Depuis, Bild développe son propre agenda politique,
proche des orientations du chancelier autrichien
Sebastian Kurz, un grand ami de Reichelt, connu pour
sa politique migratoire restrictive et sa coalition avec
l’extrême droite», rappelle Moritz Tschermak.
Parmi les thèmes importants, on retrouve bien sûr les
migrants, la criminalité des étrangers et la nécessité
d’expulser et de fermer les frontières. Vient ensuite
la transition énergétique proposée par les écologistes,
présentée comme chaotique et destructrice d’emplois.
Enfin, en bonne place, figurent aussi la gestion
fédérale de la pandémie et les cercles scientifiques qui
conseillent la chancelière, en premier lieu Christian
Drosten, le virologue le plus connu d’Allemagne.
Bien sûr, les représentants les plus libéraux et les
plus conservateurs de la démocratie chrétienne, tous
disposés à enterrer l’ère Merkel dès que possible, sont
régulièrement présents dans les pages du journal et sur
Bild TV. « Les seuls qui ne sont pas invités sont les
gens de l’AfD, le parti d’extrême droite. Reichelt est
absolument contre », précise l’expert du Bildblog qui
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souligne en même temps la proximité souvent extrême
de l’agenda politique du quotidien avec le programme
de l’AfD.
Pendant cette campagne des élections législatives,
prévues le 26 septembre, Bild a eu d’autant plus
de mal à prendre le leadership de la propagande
conservatrice qu’il ne sait pas sur quel pied danser.
Par ailleurs, son chef a été mis en cause dans une
affaire qui a failli lui coûter sa place : en mars 2021,
l’hebdomadaire Der Spiegel révélait qu’une enquête
pour abus de pouvoir et comportements répréhensibles
envers plusieurs collaboratrices était sur le point d’être
déclenchée contre Julian Reichelt.
Temporairement suspendu de ses fonctions, le
journaliste a finalement été maintenu mais il a perdu
le poste de directeur général du groupe Bild et
une co-rédactrice en chef, Alexandra Würzbach, a
été nommée à ses côtés. Cette affaire semble avoir
nettement calmé les ardeurs de Julian Reichelt, qui a
plutôt fait profil bas pendant l’été.
« Bild a perdu en influence en Allemagne, sauf
auprès des journalistes et des hommes politiques qui
continuent à penser qu’un passage dans ses colonnes,
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Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart.
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tout comme sa lecture, sont incontournables », avance
Moritz Tschermak. Sur ce point, la candidate des Verts
Annalena Baerbock a rompu avec la tradition et a
refusé d’être interviewée dans l’édition dominicale du
journal, qui n’a eu de cesse d’attaquer son parti. Ce à
quoi Bild a rétorqué par une page blanche.
Le tournant politique ultraconservateur de Bild
sur ces trois dernières années n’est bien sûr pas
qu’idéologique. Lors de ses 50 ans, en 2002, le
journal tirait encore à 4 millions d’exemplaires. Début
2021, il n’était plus qu’à 1,2 million. Chiffre auquel
s’ajoutent près de 600 000 abonnés en ligne. Même
si Bild est encore largement rentable, la chute est
impressionnante.
La réussite du projet de Bild TV est donc essentielle
pour ce journal qui, à l’image de la galaxie
conservatrice, est en perte de vitesse. Le vaisseau
amiral du groupe Springer ne manquera pas d’être
au rendez-vous pour la constitution du premier
gouvernement de l’ère post-Merkel, mais aussi lors
des règlements de comptes qui risquent de déchirer le
grand parti conservateur. Quitte à aggraver un peu plus
le malaise de la droite allemande.
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