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102)
Communication
2e édition

Stéphane Billiet
Coordonné par
Olivier Aïm
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Suivi éditorial : Chloé Schiltz et Yaël Bourcet
Fabrication : Nelly Roushdi
Direction artistique : Élisabeth Hébert
Création graphique de la maquette intérieure : SG Création

© Dunod, 2020
11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
www.dunod.com
&"/ 978-2-10-08169-
Sommaire
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V

Présentation des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI

Introduction La théorie de la communication : repères historiques ....... XIV


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Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente 10

Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias . . . . . . . 13

Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques . . . . . . . . . . . . 37

Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux . . . . . . . . . 59

Partie 2 Quand l’acte de communiquer


devient créateur de valeur 76

Chapitre 4 Communication et contextes économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative . . . . . . . . . . . . . . . . 98

Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social . . . . . . . . . . . . . . 118

III
Sommaire

Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent


à se confondre 134

Chapitre 7 L’anthropologie de la communication. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136

Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

Chapitre 9 Publicité et société ............................................... 174


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Partie 4 Quand la communication se fait plus
relationnelle 200

Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202

Chapitre 11 La communication institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224

Chapitre 12 Des relations publiques aux communications


relationnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284
Index des concepts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
Index des marques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288

IV
Présentation des auteurs

Olivier Aïm est maître de conférences en Sciences de l’information et de la


communication (SIC) au Celsa (Paris-Sorbonne). Ses recherches portent sur
l’histoire et la théorie de la communication, des médias et des formes culturelles.
Il a coordonné cet ouvrage et rédigé l’introduction ainsi que le chapitre « Formes
et enjeux de la communication performative ».
Christophe Alcantara est maître de conférences en SIC à l’Institut du droit de
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l’espace, des territoires, de la culture et de la communication (IDETCOM), au
sein de l’université Toulouse 1 Capitole. Il a organisé le premier colloque scien-
tifique international pluridisciplinaire sur le thème de l’e-réputation en 2013. Il
vient de diriger la publication de l’ouvrage E-réputation ; regards croisés sur une
notion émergente (Gualino Lextenso, 2014) et il anime le blog de veille dédié
à l’e-réputation, www.influenceursduweb.org. Il a rédigé le chapitre « Opinion,
influence et (e-)réputation » de ce manuel.
Nicole D’Almeida est professeur des universités en SIC au sein du Celsa
(Paris-Sorbonne). Spécialisée dans la communication d’entreprise, elle est
l’auteure de nombreux ouvrages de référence sur le sujet : Les Promesses de
la communication (PUF, 2001) et La Société du jugement (Armand Colin,
2007). Elle a co-écrit le chapitre « La communication institutionnelle » de
ce manuel.
Stéphane Billiet dirige We Agency, une agence de conseil en communication
relationnelle. Maître de conférences associé au Celsa (Paris-Sorbonne), il est
administrateur de Syntec Conseil en Relations publics et membre du bureau
de l’ADETEM, association française des professionnels du marketing. Il a
publié Les Relations publiques. Refonder la confiance entre l’entreprise, les
marques et leurs publics (Dunod, 2009). Il a coordonné cet ouvrage et rédigé
le chapitre « Des relations publiques aux communications relationnelles » ainsi
que la conclusion.
Yves Chevalier est professeur des universités en SIC, à l’université de Lille 3
Charles de Gaulle, puis à l’université européenne de Bretagne. Philosophe de
formation, il a consacré sa recherche à l’étude des dispositifs médiatiques et
technologiques dans leurs relations avec la société et ses modes de pensée, à
la constitution et à la circulation des représentations sociales. Il a contribué au
chapitre « Opinion, influence et (e-)réputation » de ce manuel.

VI
Présentation des auteurs

Valérie Croissant est maître de conférences en SIC à l’institut de la Communi-


cation de l’université Lumière Lyon 2. Ses travaux sur les médias et les pratiques
numériques s’inscrivent dans l’équipe de recherche lyonnaise ELICO. Elle est
responsable d’un Master Gestion éditoriale-Communication Internet. Elle a
co-écrit le chapitre « Diversité et complexité des dispositifs médiatiques » de
cet ouvrage.
Gustavo Gomez-Mejia est maître de conférences en SIC au sein de l’IUT de
Tours. Il travaille depuis son doctorat sur les formes d’écriture et d’expression
sur le Web contemporain, en lien avec la question des industries culturelles. Il
a rédigé le chapitre « Influence et recommandation sur le Web social » de cet
ouvrage.
Benoît Heilbrunn est professeur de marketing associé à ESCP Europe et à l’IFM
(Institut français de la mode). Diplômé d’HEC et de l’EHESS, philosophe de
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formation, il s’intéresse à la culture matérielle, la consommation, les marques
et le design. Il a écrit de nombreux ouvrages, notamment La Marque, Le Logo
et Le Packaging dans la collection « Que sais-je ? ». Il est par ailleurs consultant
en stratégie de marque. Il a rédigé le chapitre « Marketing, branding, contenus
de marques » de cet ouvrage.
Valérie Jeanne-Perrier est professeure des universités en sciences de l’informa-
tion et de la communication et directrice de l’école publique de journalisme du
CELSA, école interne de la Faculté des Lettres de Sorbonne Université. Elle
encadre les cursus destinés à former des professionnels des médias avec l’aide
de journalistes en poste ou de pigistes et de chercheurs associés, également
directement impliqués dans des rédactions en télévision, presse, radio et médias
émergents. Ses recherches portent sur les transformations des pratiques et des
identités professionnelles des journalistes liées aux usages de nouveaux médias
et sur l’analyse des interfaces des dispositifs que ceux-ci mobilisent pour exercer
leur métier. Elle anime également un séminaire de recherche portant sur les
mutations des processus de médiations dans le secteur de la mode.
Sylvie Merran-Ifrah travaille depuis 15 ans à développer la communication
et les relations médias pour des grands groupes (Lafarge, Carte Bleue Visa,
DuPont de Nemours, Natixis, Alma Consulting Group) comme pour de petites
structures innovantes. Diplômée du Celsa, elle y enseigne également les relations
presse et publics depuis 2002. Elle a co-écrit le chapitre « La communication
institutionnelle » de cet ouvrage.
Emmanuelle Lallement est anthropologue des mondes contemporains et
développe une approche d’anthropologie de la communication. Professeure des
universités à l’Institut d’Études Européennes de l’Université Paris 8, membre
du Laboratoire Architecture, Ville, Urbanisme, Environnement (LAVUE),
elle mène plus particulièrement des recherches en anthropologie urbaine sur la

VII
Présentation des auteurs

fabrication de la ville par l’événementiel festif, les situations d’échange marchand


et les mobilités dans le cadre de la globalisation.
Elle a notamment publié La ville marchande. Enquête à Barbès (Téraèdre,
2010) et Paris Résidence Secondaire (Belin, 2013) et a dirigé en 2018 le
numéro 38 de la revue Socio-Anthropologie « Eclats de fête ».
Elle est responsable de l’axe « Penser la ville contemporaine » de la Maison des
Sciences de l’Homme Paris-Nord.
Andréa Semprini est professeur en SIC à l’université Lumière Lyon 2. Spécialisé
en sémiotique, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les médias, la marque
et la communication publicitaire. Il a rédigé le chapitre « Publicité et société »
de ce manuel.
William Spano est maître de conférences en SIC à l’Institut de la communication
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de l’université Lumière Lyon 2 et membre du laboratoire ELICO. Ses travaux
portent sur les pratiques journalistiques et les médias spécialisés, notamment
dans la culture. Il a co-écrit le chapitre « Diversité et complexité des dispositifs
médiatiques » de ce manuel.
Jean-François Tétu est ancien professeur à l’IEP et à l’université de Lyon. Spé-
cialiste du journalisme, des médias et de l’analyse de discours, il fut un acteur
important du développement de la discipline des Sciences de l’information et
de la communication. Auteur de nombreux ouvrages et articles dans le champ
général du journalisme et de la communication, il a rédigé le chapitre « Histoire
des théories de la communication et des médias » de cet ouvrage.
Yves Winkin professeur des universités, est directeur du Musée des Arts et
Métiers (Paris). Il a publié aux éditions du Seuil des travaux d’histoire sociale
des sciences sociales américaines (La Nouvelle Communication, 1981 ; Gregory
Bateson : premier état d’un héritage, 1988 ; Erving Goffman : les moments et
leurs Hommes, 1988), ainsi qu’une invitation à la démarche ethnographique
en sciences de la communication (Anthropologie de la communication : de
la théorie au terrain, 2001). Il a contribué au chapitre « L’anthropologie de la
communication » de ce manuel.
Romain Zerbib est enseignant-chercheur HDR à l’ICD Business School et
chercheur associé à la Chaire ESSEC de l’Innovation Managériale et de l’Ex-
cellence Opérationnelle (IMEO). Ses recherches se concentrent sur les dyna-
miques de diffusion et d’adoption des nouveaux dispositifs de gestion au sein
des organisations. Romain ZERBIB est également responsable de l’innovation
pédagogique à l’ICD Business School, rédacteur en chef adjoint de La Revue
des Sciences de Gestion (La RSG) et directeur de la publication de Management
& Data Science (MDS).

VIII
Table des matières
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V

Présentation des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VI


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Introduction La théorie de la communication : repères
historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIV

1 L’année 1948 : la « théorie de l’information » et la « cybernétique » . . . . . . . . . . . . . . . . 3


2 Les années 1960-1980 : « l’interactionnisme » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
3 Les années 1980-1990 : le modèle de la médiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
4 Les années 2000 : le modèle du réseau et du milieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
5 Les années 2010-2020 : vers une « écologie » de la communication . . . . . . . . . . . . . . . . 

Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente 10

Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias . . 13

1 Qu’est-ce que la communication ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14


2 L’invention de l’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
3 La forme du livre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
4 Les sophistes et la rhétorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
5 Les formes de la lecture et ses « révolutions » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
6 L’apparition du livre ou la révolution de l’imprimé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

IX
Table des matières

7 Dirigeants et dirigés : la communication, moyen de domination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

3 questions à Patrice Carré .......................................................... 32

Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques . . . . . . . . 37

1 Les grands dispositifs médiatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38


2 Dispositifs et évolutions des pratiques d’information. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
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Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux .... 59

1 Les genres journalistiques, avant et après les réseaux sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62


2 La production et la consommation des contenus au quotidien sur les réseaux
sociaux, une atomisation des contenus d’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3 La relation entre profils individuels des journalistes et l’identité collective
du média . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

Applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

Partie 2 Quand l’acte de communiquer


devient créateur de valeur 76

Chapitre 4 Communication et contextes économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

1 Qu’est-ce que l’économie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80


2 Les trois grandes théories de la pensée économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
3 Les trois grands systèmes économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

3 questions à Gilles Lipovetsky ....................................................... 87

4 Vers un changement de paradigme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

X
Table des matières

Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative . . . . . . . . . . . . . . . . 98

1 La théorie classique des « énoncés performatifs » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100


2 La postérité d’Austin : détour et retour à la notion de performativité . . . . . . . . . . . . . . 104
3 Le tournant « écranique » de la performativité : inscriptions, performances
et expressivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

3 questions à Jean-Marie Charpentier ................................................. 115

Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social . . . . . . . . . . . . . . 118

1 De la recommandation à la recommandation en ligne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120


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2 La recommandation, un héritage des théories de l’influence personnelle . . . . . . . . . . 122

Partie 3 Quand espace marchand et espace public


tendent à se confondre 134

Chapitre 7 L’anthropologie de la communication. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

1 Faire de l’anthropologie en communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138


2 Une anthropologie de la communication historique et très contemporaine . . . . . . . . 139

3 questions à Yves Winkin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

3 Vers une anthropologie communicationnelle en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

1 Les facteurs de l’essor des marques au milieu du XIXe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154


2 Marque, marché, marketing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
3 Les cinq piliers de l’économie des marques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
4 La marque comme système de signes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
5 Valeurs, récit, codes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
6 Quels enjeux pour les marques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

XI
Table des matières

Chapitre 9 Publicité et société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174

1 Le « Benetton turn », la dissémination sociale de la marque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176

3 questions à Gauthier Boche ........................................................ 180

2 Le « branding turn », une nouvelle inscription socioculturelle pour la publicité . . . . . . 181

3 questions à Nicolas Bordas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186

3 Quel sera le prochain tournant du discours publicitaire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189

8 questions à Daniel Bô . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191

4 Le storytelling, une nouvelle façon de faire de la publicité ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193


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Partie 4 Quand la communication se fait plus
relationnelle 200

Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202

1 L’opinion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
3 questions à Édouard Lecerf . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

2 L’influence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
3 questions à Nicolas Chabot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

3 La réputation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
4 E-réputation et enjeux de société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
3 questions à Fabien Aufrechter ...................................................... 220

Chapitre 11 La communication institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224

1 La communication institutionnelle : produire du sens et organiser une place . . . . . . . 226


2 La communication institutionnelle à la conquête de l’espace public . . . . . . . . . . . . . . . 232
3 Les défis de la communication institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
4 La communication institutionnelle des pouvoirs et des services publics. . . . . . . . . . . . 240
3 questions à Pierre-Alain Douay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

XII
Table des matières

Chapitre 12 Des relations publiques aux communications


relationnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

1 Les relations publiques, prémices des communications relationnelles. . . . . . . . . . . . . . 248


2 Les domaines d’application des communications relationnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254

3 questions à Valérie Perruchot-Garcia ................................................. 257

3 La structuration d’une stratégie de communication relationnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262


4 L’avènement des communications relationnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
Corrigés des applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278
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Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284
Index des concepts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
Index des marques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288

XIII
Avant-propos

Cet ouvrage, destiné aux étudiants qui entament, suivent ou terminent un cursus
d’études en communication, se veut un parcours transversal au cœur des notions
et des concepts essentiels de la communication.
De l’invention de l’écriture à sa réinvention électronique dans des dispositifs
d’information de plus en plus hybrides, l’ouvrage se présente ainsi comme une
lecture historique, économique, sémiotique, technique et bien sûr sociale des
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phénomènes de communication.
Des premiers schémas linéaires de la communication aux modèles beaucoup
plus complexes des réseaux contemporains, l’ouvrage rend compte de manière
progressive et réflexive de l’impact des technologies de l’information et de la
communication – d’Internet à l’ensemble des interfaces et des écrans qui nous
entourent – sur deux composantes essentielles de la communication : l’opinion
et la relation.
Fondé sur le principe de la mise en regard permanente d’une double approche,
à la fois théorique et appliquée, ce livre propose au fil du texte des définitions et
des focus pour illustrer ou préciser les notions, ainsi que des QCM pour vérifier
l’acquisition des connaissances et les mobiliser sur des questions de réflexion.
Le témoignage de professionnels prolonge la parole des enseignants-chercheurs
qui apportent leur contribution à ce manuel pour que l’étudiant, futur profes-
sionnel de la communication, puisse mettre l’histoire et l’actualité des concepts
en perspective avec des situations concrètes et opératoires.
Enfin, cet ouvrage ne veut pas se substituer aux cours que dispensent les en-
seignants et les intervenants professionnels au sein des écoles, des instituts ou
des universités, mais, au contraire, leur faire écho afin de nourrir la curiosité
et l’intérêt des étudiants pour les enjeux et les processus d’information et de
communication.

V
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Introduction
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La théorie de la
communication :
repères
historiques
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Plan
1 L’année 1948 : la « théorie de l’information » et la « cybernétique » 3
2 Les années 1960-1980 : « l’interactionnisme » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
3 Les années 1980-1990 : le modèle de la médiation . . . . . . . . . . . . . . . 6
4 Les années 2000 : le modèle du réseau et du milieu . . . . . . . . . . . . . . 7
5 Les années 2010-2020 : vers une « écologie » de la communication . . . 
Introduction La théorie de la communication : repères historiques

Si l’on accorde au terme « communication » un sens large, on peut considérer


que sa théorie est aussi ancienne que la réflexion sur le langage, sur l’expression
de la pensée, sur le savoir produit et sur les conditions de transmission de ce
savoir. Loin d’être uniquement abstraite, cette réflexion n’a cessé d’identifier
l’importance des supports de diffusion des messages et des connaissances.
« Par quels moyens ? » se posaient déjà la question les auteurs de rhétorique. La
parole, l’écriture, le texte et le livre ont ainsi conduit, au cours des siècles, les
philosophes, les théologiens, les écrivains, mais aussi les maîtres et les ensei-
gnants sur le chemin de cette inévitable réflexivité. Comment les choses se
transmettent-elles, s’enseignent-elles et, au fond, se communiquent-elles ? Voilà
une question aussi vieille que la mise en commun de valeurs puis d’informations
et la mise en relation des individus et des groupes.
Néanmoins, c’est au XIX e siècle que l’avènement des grands médias de masse
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donne à cette réflexivité le cadre d’une réflexion qui va faire l’objet de nombreuses
formalisations. L’époque de la modernité fait, en effet, advenir les questions de
l’information, de la foule, de l’influence, de « la vie spirituelle dans les grandes
villes » (Georg Simmel), puis de la propagande, de la publicité, des relations
publiques. Autant d’éléments qui définissent l’émergence de « l’espace public »
à la fois comme objet et comme sujet d’un questionnement nécessaire pour
comprendre l’évolution des sociétés. Les techniques de la communication, les
médias et ce que l’on appellera ensuite les « technologies de l’information »,
engagent les chercheurs de l’époque dans un souci dès lors « scientifique ».
Du côté des sciences sociales, d’abord, puis des sciences dites « exactes ». L’évolu-
tion des réseaux de diffusion et de transmission des messages à distance produit
une série de théories, non plus seulement langagières, mais « mathématiques »,
au sens que les ingénieurs des « télécommunications » vont donner au terme de
communication : de l’électricité à la cybernétique, en passant par l’informatique,
ce souci « scientifique » des premières sciences de l’information et de la commu-
nication recouvre un mouvement de pensée progressif et plus global que Milad
Doueihi appelle la « conversion numérique ».
Toujours est-il que cette orientation formelle s’est matérialisée, dès la fin des
années 1940, dans la production de schémas et de modèles de la communication.
Si la complexité des relations, des réseaux et des processus de communication
s’est progressivement imposée chez les chercheurs (ce qui a limité le recours à
ces diagrammes), les différents schémas ont scandé les premiers temps de la
recherche en communication et permettent de mieux comprendre l’histoire des
théories afférentes jusqu’aux infléchissements les plus actuels.

2
Introduction La théorie de la communication : repères historiques

1 L’année 1948 :
la « théorie de l’information »
et la « cybernétique »
La première modélisation appartient à la « théorie de l’information » de Claude
Shannon, ingénieur américain en télécommunication.

Source Émetteur Récepteur


Canal Destinataire
d’information (codage) (décodage)

Message Signal émis Signal reçu Message


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Source
de bruit

S Figure 1 La théorie de l’information de Shannon

Ce modèle considère le message à transmettre entre les deux pôles abstraits de


l’émetteur (transmitter, en anglais) et du récepteur (receiver, en anglais) comme
un ensemble de données qui font l’objet d’un calcul mathématique. Avec le temps,
le « signal » ainsi obtenu fera l’objet d’un traitement électrique, informatique,
numérique ou optique. Il reste indépendant du contenu et ne vaut que par sa
mise en forme et en format apte à être « encodée » et « décodée ». Son aspect
linéaire et rectiligne postule un fonctionnement non réciproque de la communi-
cation, celui, descendant, de la « non-réponse » pour reprendre les mots de Jean
Baudrillard, que d’autres chercheurs désigneront par la suite comme le modèle
« télégraphique » (Yves Winkin).
Ce premier schéma est contemporain d’une autre approche fondamentale pour la
discipline : l’approche « cybernétique ». Portée par Norbert Wiener, la modélisation
cybernétique envisage l’ensemble des effets de « rétroaction » (ou « feedback »)
qui « gouvernent » l’interrelation entre les systèmes humains et machiniques.

3
Introduction La théorie de la communication : repères historiques

Émetteur Récepteur

Feedback

S Figure 2 L’approche cybernétique

Définition 1
Norbert Wiener définit la cybernétique (du grec kubernan, qui a donné « gou-
vernement ») comme une science qui étudie les relations entre les hommes et
les machines à travers la double notion de commande et de fonction. Vouée
à une grande fortune théorique (et fictionnelle), la cybernétique étudie les
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liens entre les communications et leurs régulations dans les systèmes naturels
et artificiels. Outre ses reprises théoriques, on trouve trace de cette approche
dans l’ensemble des termes formés sur la base du préfixe « cyber- ».

2 Les années 1960-1980 :


« l’interactionnisme »
Avant que les théories les plus récentes sur le « transhumanisme » et « l’homme
augmenté » (! Définition 2, p. 5) ne reprennent en l’exacerbant cette approche
cybernétique, c’est l’École de Palo Alto qui, dès les années 1960, cherche à adapter
le modèle du feedback de Norbert Wiener à l’ensemble des comportements hu-
mains, saisis comme des codes sociaux et culturels d’interactions. Inscrit dans les
corps communicants, le feedback se trouve ainsi décliné notamment en termes de
parole, de « kinésique » (étude des gestes) et de « proxémique » (étude des distances
corporelles). La conversation, la mise en scène de soi, les « rites d’interaction »
et la politesse font l’objet d’une recherche renouvelée à la faveur de l’étude des
relations et des « métacommunications ». Cette effervescence se résume parfois
en une « axiomatique » des comportements que l’on doit à Paul Watzlawick (l’un
des représentants de l’École de Palo Alto) et dont les cinq formules sont :
1. on ne peut pas ne pas communiquer ;
2. toute communication présente deux aspects : le contenu et la relation, tels
que le second englobe le premier et par suite est une métacommunication1 ;
1 La métacommunication est une communication sur la communication, ce que Watzlawick appelle
la « relation ».

4
Introduction La théorie de la communication : repères historiques

3. la nature d’une relation dépend de la ponctuation des séquences de commu-


nication entre les partenaires ;
4. la communication humaine utilise simultanément deux modes de communi-
cation : digital et analogique ;
5. la communication est soit symétrique, soit complémentaire.

Définition 2
Le transhumanisme est un mouvement intellectuel, culturel et politique
qui promeut l’usage des technologies pour modifier l’être humain avec
l’objectif, selon ses défenseurs, de l’améliorer ou de l’augmenter dans ses
capacités physiques, intellectuelles et même morales. Le terme a été utilisé
pour la première fois par le biologiste américain Julian Huxley (frère du
romancier Aldous Huxley) en 1957 dans un texte où il appelait à croire
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à cette transcendance possible de l’humain pour accéder à un « nouveau
type d’existence ». Le préfixe « trans- » a une double signification, à la fois
comme transcendance de la condition humaine et comme transition d’une
humanité vers une étape ultérieure de notre évolution, le « posthumain ».
Dans le creuset intellectuel que constituait la Californie libertaire des
années 60-70, de nombreux penseurs, scientifiques et écrivains eurent
une influence, consciente ou non, sur le développement des premières
idées transhumanistes : Timothy Leary, Buckminster Fuller, Marshall
McLuhan…

Avec les progrès de la médecine, de la technologie et l’explosion, en parti-


culier, de l’informatique, les rêves des pionniers transhumanistes rencon-
trèrent progressivement la potentialité de leur réalisation. Le philosophe
et futuriste britannique Max More crée en 1988 à Los Angeles la première
revue ouvertement transhumaniste. Les philosophes Nick Bostrom et David
Pearce inaugurent en 1998 la World Transhumanist Association (devenue
Humanity + en 2008). Dans les années 2000, des associations transhu-
manistes voient le jour dans la plupart des pays développés. Cependant,
si le mouvement s’étend géographiquement, ses fondations idéologiques
tendent à se disperser, la vision libertarienne et individualiste originelle
se confrontant à une approche égalitariste et concernée par les questions
sociales. De nombreux courants et variantes voient le jour : post-humanisme,
extropianisme, social-futurisme, techno-progressisme, singularitarianisme…1

1 Cette définition a été rédigée par Edouard Kleinpeter de l’Institut des sciences de la communication,
CNRS – Université Paris Sorbonne – Université Pierre et Marie Curie.

5
Introduction La théorie de la communication : repères historiques

Les opposants au transhumanisme sont nombreux, bien qu’aucun mouvement


structuré n’émerge comme une alternative réelle. Certains argumentent en
faveur d’une nature humaine, censément immuable, donc à préserver, sur
des fondements religieux ou théologiques. Des philosophes s’inquiètent des
effets potentiellement délétères d’une pensée visant à confier à la technolo-
gie la « réalisation » de l’humanité. D’autres voix s’élèvent pour pointer les
inégalités, nécessairement croissantes, qui apparaîtraient entre les humains
« augmentés » et ceux qui, par choix ou par incapacité, ne le seraient pas.

La théorie interactionniste accompagne l’essor de la théorie de la performati-


vité (cf. chapitre 5). À elles deux, ces théories donneront naissance à différents
modèles, dont le « contrat de communication » (Eliséo Véron), et plus largement
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aux courants de la socio-sémiotique et de la sémio-pragmatique.

3 Les années 1980-1990 :


le modèle de la médiation
Dans le sillage de l’interactionnisme, une nouvelle approche se présente au cours
des années 1980-1990, qui met l’accent sur les enjeux symboliques des échanges,
relativement à la diversité des acteurs, des publics et des dispositifs qui les portent.
Ce modèle se tourne du côté des espaces et des matérialités, pour montrer que
rien en communication n’est jamais pensable indépendamment des « dispositifs
de réception » et des « dispositifs de médiation » (Jean Davallon).

Tiers médiateur

Émetteur Récepteur

S Figure 3 Le modèle de la médiation

Après avoir été envisagée de manière linéaire puis réciproque (avec le feedback),
la modélisation de la communication devient ternaire. Le modèle de la média-
tion s’emploie ainsi à prendre en considération les environnements matériels,
les acteurs de la médiation, les visées symboliques et les enjeux économiques en

6
Introduction La théorie de la communication : repères historiques

situation. La mise en avant-plan du rôle du journal, du musée, de l’éditeur, du


passeur, du programmateur, du médiateur, etc., opère le grand « repeuplement »
(Antoine Hennion) des études de la communication.
Comme avec tous les autres modèles, ce principe du repeuplement ne va pas
manquer d’être étendu au fil du temps en fonction des complexités des processus
de communication et des échanges. Un modèle s’impose alors sous le nom de
« sociologie de la traduction » (incarnée notamment par Bruno Latour), ou encore
« théorie de l’acteur-réseau », qui intègre dans la notion de médiateur l’ensemble
des éléments qui, « composites » (Joëlle Le Marec), participent aux processus
d’échange. Que ce soient des objets ou des sujets, l’approche tend – au-delà de la
seule notion d’« acteur » – à prendre en considération l’ensemble des « actants »
intervenant dans la situation de communication.
Là encore, comme nous le verrons dans l’ensemble du manuel, l’émergence des
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réseaux socio-numériques produit une ouverture du modèle à la faveur de la
création de nouvelles médiations et de nouvelles « intermédiations » : le portail,
la curation, l’agrégation, la recherche documentaire, la recommandation, l’algo-
rithme, la plateforme, etc.

4 Les années 2000 :


le modèle du réseau et du milieu
À l’heure des réseaux sociaux, des multiples plateformes, des écrans et des profils
personnels en plein essor, les modèles de la communication deviennent pluriels.
Le « tournant numérique » est lui-même noyé par « l’effet d’interface » (Galloway)
qui se définit de manière générale par un principe dominant de « décentralisation ».
La communication échappe à la linéarité et donc aux schémas simples. On parle
de « délinéarisation », de « démédiation » ou de « désintermédiation ». Éclatée, la
communication consacre, plus que jamais, dans ses discours et ses représentations,
la fin de la verticalité et de l’« irréciprocité » (Jean Baudrillard) des premières
conceptions de la communication.
De son côté, le média n’est plus représenté comme un canal, un médiateur ou un
intermédiaire, mais comme un « milieu » dans lequel les individus se déplacent,
se meuvent, s’échangent des contenus et s’expriment. Les messages sont portés
par des logiques complexes que l’on appelle « intermédiatiques », « multicanales »
ou « transmédiatiques ».
Portée par la notion de « sphère », la théorie de la communication prend pro-
gressivement les traits d’une véritable écologie des relations.

7
Introduction La théorie de la communication : repères historiques

5 Les années 2010-2020 :


vers une « écologie »
de la communication
Si aucun de ces modèles n’a totalement disparu des esprits et des références,
le principe de la linéarité descendante des premiers modèles télé-communi-
cationnels a vécu. La prise en compte des réseaux a favorisé un modèle social
(la société des réseaux) marqué par de nouvelles utopies de la communication :
« interactivité », « transparence », « horizontalité » des échanges et du « peer-
to-peer », « neutralité du Web », « nouvel espace public » de l’Internet, « âge de
l’accès » et de la communication directe. Toutefois, sans être totalement démentie,
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cette « pensée du média » se montre, elle aussi, plus contrastée à mesure que
les questions de la surveillance, de l’algorithmisation, de la vie privée, de la
plateformisation, de l’économie de l’attention, du coût environnemental sont
venues nuancer, depuis lors, les premiers temps de l’« utopie du Web ».
La prise en compte de la complexité des réseaux s’accompagne d’une prise
de conscience de la pluralité des enjeux, des matérialités et des « agencies »
qui composent les couches multiples de l’« étoffe électronique » de nos vies
connectées.
Du point de vue théorique, les modèles laissent la trace de questionnements
qui ne peuvent plus être tranchés par la seule forme apparemment éclatante
d’un schéma unique, mais qui s’additionnent pour produire un même ensemble
d’enjeux et un même ensemble de recherches possibles. Bien entendu, l’expres-
sion de soi, l’opinion, l’influence, la réputation, la valeur, l’échange, mais aussi
le débat ou la dispute, restent des questions vivaces du champ. Mais, au-delà
des modèles, la complexité impose un nouveau paradigme épistémologique,
qui émerge de manière puissante avec le temps : les médias forment non plus
un milieu mais un écosystème traversé par une histoire (et une archéologie
possible) ; les médiations s’inscrivent dans une géologie de leurs acteurs et de
leurs dispositifs ; les opinions, les réputations, les performances, les attentions
sont prises dans un environnement de formats et d’écrans multiples. Si bien
qu’une métaphore ancienne devient heuristique – et en phase avec les enjeux
plus généraux de l’époque –, celle de l’écologie. Gregory Bateson parlait de
l’« écologie de la culture », pendant que McLuhan initiait au même moment
une « écologie des médias ». Plus récemment, c’est Yves Citton qui propose de
parler d’une « écologie de l’attention » pour désigner l’ensemble des « envoûte-
ments médiatiques ».
Le fait est que la communication a tout pour devenir l’objet d’une nouvelle culture,
dans la mesure où les pratiques communicationnelles relèvent de plus en plus

8
Introduction La théorie de la communication : repères historiques

d’une réflexivité tour à tour économique, politique, sociale et environnementale.


Cette réflexivité s’est diffusée à l’échelle des réseaux en s’instituant à l’ensemble
des individus, comme un nouvel ordre des enjeux : celui de la participation, de
l’expressivité, de l’échange et de l’engagement.
Face à l’hégémonie apparente de l’économie des marques et des images, l’étude
de la communication se présente davantage comme une écologie des expressi-
vités, des publics et des échanges, en un mot : des relations.
Nourrie par l’anthropologie, par la sémiologie, par la pragmatique et l’écologie,
la théorie de la communication procède plus que jamais d’une perspective
interdisciplinaire. C’est l’approche que cet ouvrage général entend faire pri-
mer pour comprendre la vitalité des questions de communication et la place
centrale que la communication occupe dans l’ensemble des enjeux de société
les plus actuels.
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9
Partie 1
Quand l’écriture
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s’invente
et se réinvente
L
a communication désigne l’action de communiquer, les moyens et techniques
nécessaires à la diffusion d’un message et l’intention qui motive les parties impliquées
dans le processus.
Mise en signes, en partage, en relation, en tension, la communication n’a cessé d’évoluer
en même temps que se complexifiaient les sociétés humaines. Cette partie met en lumière
l’influence des supports et des contextes de communication sur les modes de pensée et la
manière de faire société.
De l’invention de l’écrit à l’invention de l’écran, le chapitre 1 montrera que l’histoire de la
communication est une affaire de rapports de force, de prise et de reprise de contrôle des
uns sur les autres grâce au pouvoir de la technique.
Le chapitre 2 mettra l’accent sur la mise en scène de l’information et questionnera le rôle
du « milieu » dans lequel la communication s’exerce sur les médias, sur la façon dont un
message circule et est reçu.
Enfin, le chapitre 3 prendra la mesure de la place que les réseaux sociaux tiennent
désormais dans la production et la diffusion de l’information.
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Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias . . . 13

Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques . . . . .36

Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux . . .58
Chapitre 1
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S Tablette contenant des textes administratifs,
Jamdat Nasr, période Uruk III (3100–2900 av. J.-C.) (détail)

L
’invention de l’écriture, sous forme de signes Communiquer semble avoir désigné d’abord
gravés sur des tablettes en pierre, ne marque l’acte de partager (« communiquer à la grâce de
pas le point de départ de la communication à Dieu »), puis l’objet du partage, et enfin, à partir
proprement parler, mais, à coup sûr, une rupture du XVIIIe siècle, le moyen de mettre en commun
décisive dans le développement de la pensée (« les tubes communicants »), si bien que c’est la
humaine. Le progrès technologique – l’invention transmission qui domine tous les usages à partir
de l’imprimerie ou, plus récemment, la révolution du XIX e siècle : les routes, le chemin de fer et le
numérique – ne cessera de faire évoluer les modes téléphone sont des moyens de communication.
de communication. Aujourd’hui, le terme est mêlé Mais cette signification usuelle présente le risque
à tant de phénomènes disparates, de situations de réduire la communication à la seule transmis-
et d’acteurs sociaux qu’il semble bien illusoire sion d’informations alors qu’elle recouvre bien
de vouloir tenter de le définir d’une seule façon. d’autres réalités.
Histoire des théories
de la communication
et des médias
Plan
1 Qu’est-ce que la communication ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
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2 L’invention de l’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
3 La forme du livre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
4 Les sophistes et la rhétorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
5 Les formes de la lecture et ses « révolutions » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
6 L’apparition du livre ou la révolution de l’imprimé . . . . . . . . . . . . . . . 25
7 Dirigeants et dirigés : la communication, moyen de domination . . . 26

Objectifs
¼¼Comprendre la signification sociale de l’écrit.
¼¼Mesurer l’influence du support sur les phénomènes de communication.
¼¼Appréhender le lien communication-démocratie.
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

1 Qu’est-ce que la communication ?


La communication est d’abord un fait de langage, c’est pourquoi elle nous est à
proprement parler « naturelle ». Il n’y a pas de communication sans signe ni sans
système de signes, lesquels sont la trame de nos représentations. C’est en cela
que la communication s’inscrit dans notre culture, qu’elle contribue à façonner.
Cependant, la communication n’est devenue une valeur dans les sociétés occiden-
tales qu’après la Seconde Guerre mondiale, comme une alternative aux idéologies
politiques qui venaient de faire la preuve des barbaries et des catastrophes où
elles avaient entraîné l’humanité, suggèrent Philippe Breton et Serge Proulx1.
La communication, comme rêve ou idéologie d’une société sans victime, s’est
développée dans un contexte d’industrialisation de la culture, puis dans une
société où l’impératif du marché succédait à l’impératif de la production.
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La communication tend ainsi à accompagner toute activité sociale ou politique
dans un projet utopique où elle permettrait de résoudre, ou du moins de dissi-
per, les conflits. Condition de la modernisation à l’aube des Temps Modernes,
la communication est devenue l’instrument d’une mondialisation à laquelle nul
n’échappe.

FOCUS
La communication est polémique par essence
Communiquer, ce n’est pas rayonner librement comme le soleil dans un ciel sans nuage mais lutter
contre d’autres ondes ou d’autres messages, contre le bruit de tous les autres, ce que montre le niveau
sonore des voix des enfants dans une cour de récréation.
Toute communication peut être considérée d’emblée comme polémique car si l’énoncé appartient au
domaine du sens, l’énonciation, elle, est toujours prise dans un rapport de force. Et le vrai ne s’impose
pas par sa seule force de vérité comme la mort de Socrate, qui refusait de se défendre devant ses juges,
nous l’a appris. Le vrai n’est pas vrai en soi, sa force doit être construite. On ne peut comprendre la
communication sans se questionner sur le rôle du « milieu » où la communication s’exerce (on ne parle
pas devant une caméra de télévision comme dans un meeting), sur celui des médias en somme, mais
aussi sur la façon dont un message circule et est reçu, ce que la sociologie de la réception tente d’élucider.

1 Ph. Breton et S. Proulx, L’Explosion de la communication, La Découverte, Paris, 1989.

14
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

2 L’invention de l’écriture
« Au commencement était le Verbe », écrit saint Jean. La question que pose la
communication sociale serait plutôt : quelle est la différence entre une parole
orale et une parole écrite ? Quelle est la signification sociale de l’écrit ? Ou, plus
concrètement, qu’est-ce que l’invention de l’écriture a apporté à la civilisation ?

2.1 Et la parole devient visible


A.-M. Christin s’étonne que « notre culture n’aborde jamais l’écriture que sous
l’angle du phonétisme, comme s’il s’agissait là de son critère exclusif » et remarque
que l’alphabet que nous avons hérité des Grecs a « rompu les liens qui retenaient
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jusqu’alors toutes les écritures à leur support comme à leur complément indis-
pensable » et poursuit : « en se dégageant de l’espace visible et manipulable qui
régissait l’écrit depuis toujours, celui-ci était devenu un instrument de classifi-
cation quasi abstrait et par conséquent d’autant plus fiable1 ». La nouveauté de
l’écrit n’est pas qu’il représente la parole, mais qu’il la rend visible, car on peut
supposer que l’écriture est née d’un métissage entre deux types de communica-
tion : la parole, qui lie le groupe social, et l’image, qui donne accès à l’invisible
et permet une communication entre les hommes et les dieux, magie de l’image
dont l’héritage s’est poursuivi dans la typographie, bien sûr, mais aussi dans la
séduction publicitaire et toutes ses formes sur écran.

2.2 Le temps de la parole dissocié de l’espace


de la graphie
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Une autre façon d’envisager l’écriture est la « raison graphique »2 . Contre


Lévi-Strauss, Jack Goody a montré que la véritable opposition ne se situe pas
entre la pensée sauvage/primitive et la pensée civilisée/moderne, mais entre la
culture avant et après l’écriture qui permet de traiter graphiquement et visuelle-
ment ce qui auparavant ne pouvait être qu’auditif. La véritable rupture est donc
dans l’opposition entre l’espace de la graphie et le temps de la parole. Il n’y a pas
de véritable dichotomie qui permettrait de penser des catégories intermédiaires
comme prélogiques, préscientifiques, magiques et ainsi de suite, il n’y a que des
évolutions ou des transformations : de l’astrologie à l’astronomie, de l’alchimie
à la chimie, etc.

1 A.-M. Christin, Histoire de l’écriture, Flammarion, Paris, 2012, pp. 9-10.


2 Selon le titre d’un ouvrage de Jack Goody, éd. de Minuit, Paris, 1979, à qui on doit aussi La logique
de l’écriture, Armand Colin, Paris, 1986.

15
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

La question est de comprendre comment changent les modes de pensée dans


le temps et l’espace. Or, avec l’écriture à côté de la parole, s’établit un lieu
où l’on peut apprécier sa conformité, ce qui autorise les règles du bien-parler
(la grammaire), les règles du bien-penser (la logique), les modèles du beau
discours (la rhétorique), les textes fixes de la loi, de la prière ou de la poésie.
L’écrit fige ce qui auparavant ne cessait d’être remanié, recréé, et permet que
se développent les règles de la logique et les formes de raisonnement, les
mathématiques (par exemple la signification de « poser » une opération : si on
peut soustraire mentalement, la division, elle, vient de l’écriture), l’histoire
(qui commence par des listes – de faits, de dates, de personnes, de lignées), les
sciences de la Terre et du vivant (les tableaux mettent en ordre des schèmes
classificatoires), etc.
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Jack Goody (1919)
Jack Goody est un spécialiste de l’écriture qui a montré les transformations produites
socialement par l’invention de l’écriture à travers une expérience menée lors de ses
voyages au Ghana. Il retranscrit dans un premier livre des histoires racontées dans
un groupe du Nord Ghana qui ne connaît pas l’écriture. S’il en fait bien une histoire
complète, il remarque que chaque fois qu’un individu en raconte un passage, ce n’est
jamais exactement la même histoire, en fonction du lieu, du moment, des auditeurs,
etc. Lorsqu’il retourne au Ghana avec un magnétophone et enregistre tout ce qu’il
entend, cela fait un livre très différent, La Récitation du Bagré (voir Le mythe du Bagré,
Oxford, 1972) : on est passé d’une histoire (un mythe) à une « récitation », c’est-à-dire
à la communication de ce mythe. ■

2.3 De nouvelles dimensions aux pratiques


sociales
L’écriture n’a pas remplacé la parole, pas plus que la parole ne remplace le geste,
mais l’écriture donne de nouvelles dimensions aux pratiques sociales, à leurs
modes, à leurs codes, et bien entendu à leur mode de gouvernement. L’écriture a
donc eu des effets majeurs sur la politique, l’économie et la religion pour lesquelles
Jack Goody fait des analyses pénétrantes dans La logique de l’écriture. L’écriture
apporte la distance, ce qui permet à l’esprit de s’exercer sur la langue. Quand
l’oral est continu, l’écriture fragmente et permet de réfléchir aux propositions,
elle décontextualise le savoir car l’énoncé écrit est transportable, elle permet la
confrontation, moyen essentiel du progrès de la science, et autorise une appro-
priation personnelle des contenus dans les temps et les références de l’individu.

16
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

La réflexion sur l’écriture permet de penser enfin le poids des supports matériels
des productions symboliques dans une culture livresque, qu’on songe seulement
aux formes de sociabilité que transforment les courriels et les « réseaux sociaux »
contemporains. Elle permet aussi de penser comment notre culture a confié à
l’image ce qui se poursuit de notre « pensée magique », car depuis plus d’un siècle,
nos « industries de l’imaginaire »1 sont massivement audiovisuelles.

3 La forme du livre
De nombreux supports ont porté l’écriture (la pierre, le bois, l’argile, les tissus,
l’écaille, le bronze, les poteries…) mais c’est sous la forme du livre que l’écrit
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s’est le plus communément stocké et transmis.
Même si d’innombrables textes se sont perdus au fil du temps (il ne reste que sept
des soixante-dix tragédies d’Eschyle et seulement dix-sept des quatre-vingt-dix
d’Euripide), le livre a pu se développer grâce à deux supports initiaux :
– le papyrus, d’origine égyptienne, depuis le IIIe millénaire au moins ;
– le parchemin, vers le IIIe siècle av. J.-C., plus solide et plus souple que le papy-
rus, et surtout d’un usage susceptible d’être utilisé partout puisqu’il peut être
fait avec la peau de beaucoup d’animaux.
Outre de nombreuses formes plus ou moins occasionnelles, le livre a pris deux
formes majeures qui imposent deux modes de lecture différents.
■■ Le volumen, rouleau de
papyrus relativement encom-
brant, impose d’être tenu des
deux mains, ce qui interdit
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de prendre des notes. S’il


exige une lecture linéaire qui
exclut les renvois et tout ce
qui s’y rattache, il se prête
en revanche à une lecture
« intensive » (différente de
la lecture « extensive » que
nous pratiquons) et à l’ap-
prentissage « par cœur » © frenta-Fotolia.com
qui subsiste encore dans les
écoles coraniques.

1 Titre de l’ouvrage de Patrice Flichy, PUG, Grenoble, 1980.

17
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

Le codex, fait de feuilles encartées et pliées, peut être écrit des deux côtés
■■

des pages, et, au fur et à mesure de son développement, permet toute une
structuration (pagination, re-
ports, tables, index, etc.) qui
crée un nouveau mode de lec-
ture, dont le développement
numérique comme les liens
hypertextes ne sont que le pro-
longement. Plus maniable, muni
de marges qui autorisent les
scolies et commentaires qui
vont en se multipliant, le codex
remplace progressivement le
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© lefebvre-jonathan-Fotolia.com volumen à partir du IV e siècle
environ.
Ces deux formes d’écrit ont en commun d’être un objet, susceptible de commerce
(depuis les livres des morts égyptiens au IIe millénaire), de collections et de
conservation, notamment dans les bibliothèques privées ou publiques (qui sont
une des ressources et un des agréments des thermes romains), et évidemment
de diffusion, ce qui supplante les recitationes romaines sous l’Empire.
Le livre se distingue donc des écrits privés (documents d’archive) et des supports
monumentaux voués à un autre usage (politique ou religieux), pour devenir, avec
l’image, l’instrument majeur de conservation, de diffusion et de transmission
de la culture.
Il convient aussi de faire une place de choix à l’image, narrative ou symbo-
lique, à qui l’Église chrétienne naissante a donné un nouvel essor, à côté de la
reconnaissance du caractère sacré de l’image de l’empereur romain à partir du
IV e siècle. L’image, à la fois outil de transmission d’un savoir (l’histoire sainte est
ainsi transmise pendant des siècles aux tympans des églises, sur les chapiteaux,
les vitraux et les mosaïques) et sujet de dévotion ou de culte (icônes), fit l’objet
aux VIIIe et IX e siècleS d’un très fort mouvement iconoclaste, né de la réaction
du monothéisme contre les matérialisations du sacré et le polythéisme. Cette
forte querelle théologique aboutit à plus d’un siècle de destruction d’images
et à une rupture culturelle durable à Byzance. À côté de ses développements
cultivés ou sacrés, l’image a continué de faire l’objet d’un engouement populaire
dont témoignent les images médiévales ou les magazines illustrés et les cartes
postales du XIX e siècle.

18
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

4 Les sophistes et la rhétorique


Définition 1
La sophistique est un mouvement de pensée qui, juste avant Socrate, exerça
une immense séduction sur la Grèce. Ambassadeurs écoutés de ce mouve-
ment, les sophistes rédigèrent les accords et les lois des cités et furent des
professeurs très recherchés. En même temps, la sophistique fit scandale
car l’opinion l’assimilait, indûment, aux trois griefs qui conduisirent à la
condamnation et à la mort de Socrate : l’impiété, l’injustice et l’immoralité.
Si nous n’avons conservé que très peu de textes de ces professeurs itinérants
qui étaient aussi des hommes de pouvoir cherchant à former les hommes
à la démocratie, leur héritage fut immense.
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Alors que la philosophie grecque fut une philosophie de l’être, une « ontologie »,
et que la philosophie ionienne visait la connaissance de la nature, les sophistes
provoquent une rupture majeure pour la communication : ils ne cherchent pas à
« parler de » (l’être ou le monde) mais à « parler à » : à un tribunal, à des citoyens,
à des gouvernants. Cela dans deux perspectives ; celle de l’éducation et celle du
pouvoir. Cette double compétence politique et éducative vient de leur maîtrise
du langage :
– la linguistique (morphologie, grammaire, sémantique) ;
– la rhétorique (étude des tropes, des sonorités, de l’opportunité de chaque
élément du discours et de sa composition).
C’est justement ce qui fut reproché à ces pionniers des sciences du langage, à ces
maîtres de la rhétorique, et les disqualifia aux yeux des philosophes de la Grèce
classique par qui nous les connaissons surtout. Car peu de textes subsistent,
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en dehors des citations que font Platon dans le Théètète par l’intermédiaire de
Protagoras et Aristote dans sa Métaphysique (« l’homme est la mesure de toutes
choses : de celles qui sont, qu’elles sont, de celles qui ne sont pas, qu’elles ne sont
pas ») ou dans Gorgias. On sait que Gorgias avait écrit notamment un Traité
du non-être et un Éloge d’Hélène et il reste d’Antiphon un papyrus nommé Sur
la vérité.

Définition 2
La rhétorique (technè rhétorikè) revendique une mission : « chercher pour
chaque sujet ce qui est propre à persuader », pour reprendre les termes
d’Aristote (384-322 av. J.-C.).

19
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

Cet art du discours convaincant et persuasif, du bien-dire (bene dicendi scien-


tia) pour Cicéron (106-43 av. J.-C.) et Quintilien (Ier siècle apr. J.-C.), fournit
à l’orateur une méthode pour emporter rationnellement par la démonstration,
l’adhésion d’un auditoire, mais aussi le séduire, le toucher. La tradition a retenu
sous la forme d’un adage ces trois infinitifs latins docere, placere, movere (ins-
truire, plaire, émouvoir).
Vue comme une technique de manipulation démagogique ou un catalogue plus
ou moins rébarbatif de figures de style, la rhétorique peine à se départir des
nombreux griefs qui ont traversé sa longue histoire. Née avec la démocratie dans
la Grèce antique, amplement systématisée dans le monde romain, elle n’a eu de
cesse d’interroger la parole et ses possibles.
La rhétorique s’inscrit ainsi au cœur d’une triade entre :
– logos (le discours et sa démonstration) ;
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– pathos (les passions et les émotions que l’orateur déclenche sur l’auditoire ;
– ethos (la personnalité et la réputation de l’orateur).
Dans l’Athènes du V e siècle avant J.-C., une cité qui donne, en théorie du moins,
la parole à tous les citoyens, la rhétorique devient un instrument majeur de
pouvoir, selon la célèbre formule de Fénelon : « Chez les Grecs tout dépendait
du peuple, et le peuple dépendait de la parole. »
La maîtrise de la parole publique, souvent apprise
à prix d’or chez les rhéteurs, permet d’arracher
Recherche
des arguments une décision dans une assemblée, de plaider devant
(inventio,
les tribunaux ou encore de chanter la cohésion et
heurésis)
les valeurs de la cité. Aristote a ainsi dévoilé dans
la Rhétorique les trois grands genres répondant
Ordre des
différentes parties aux principaux lieux de discours et aux différents
(dispositio, auditoires : le genre judiciaire (logos dikanikos),
taxis)
qui cherche à convaincre du juste ou de l’injuste
devant des juges ; le genre délibératif (logos sym-
Mise en mots bouleutikos) destiné aux citoyens ou à leur(s) re-
(alocutio,
lexis) présentant(s), qui a pour sujet l’utile ou l’inutile
pour le bien commun ; et enfin le genre démons-
Manière tratif ou épidictique (logos epideiktikos), dévolu à
de mémoriser
(memoria,
l’éloge ou au blâme, dont la pierre angulaire est le
mnémè) beau ou le laid et qui s’adresse à un public, à des
spectateurs.
Mise
Les nombreux traités qui ponctuent l’histoire de
en scène
Figure 1.1 ! (actio, la rhétorique donnent les clés pour la construction
Les étapes hyopokrisis)
du discours en adaptant les principes généraux à
de l’élaboration
la cause et à l’auditoire : depuis la recherche des
de la parole publique

20
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

arguments qui le composent (inventio, heurésis) jusqu’à sa mise en scène (actio,


hypokrisis) et même la manière de le mémoriser (memoria, mnémè), en passant
par l’ordre des différentes parties (dispositio, taxis) et la mise en mots (elocutio,
lexis).
Les lieux communs (loci communes, topoi konoi), partie fondamentale de
l’inventio, constituent une méthode de raisonnement en même temps qu’une
réserve toujours disponible d’arguments types, d’une dimension universelle et
de portée générale. Les « circonstances » du discours attribuées à Quintilien
(quis ? quid ? ubi ? quibus auxiliis ? cur ? quomodo ? quando ?, c’est-à-dire : qui ?
quoi ? où ? avec quels moyens ? pourquoi ? comment ? quand ?) dessinent une
méthode d’analyse des cas oratoires en même temps qu’un instrument d’examen
systématique et empirique d’une situation. À travers ses fondements classiques,
son histoire contrastée et ses renouveaux successifs (notamment avec les travaux
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de Chaïm Perelman au milieu du XXe siècle), la rhétorique, en tant que technique
et pratique, permet d’appréhender les rapports de l’homme avec l’autre, avec son
milieu, avec son temps1.
Ces premiers sophistes ont été condamnés par la philosophie à de multiples égards :
■■ ontologique : le sophiste ne vise pas l’être mais le non-être et l’accident ;
■■ logique : il ne cherche pas la vérité mais l’opinion ;
■■ éthique, pédagogique et politique : il ne vise pas la sagesse et la vertu mais le
pouvoir et l’argent ;
■■ littéraire enfin : son style n’est que boursouflure2 .
Et pourtant, on peut considérer aujourd’hui la sophistique comme le premier
« existentialisme tragique », d’après l’expression de Barbara Cassin, car elle
repose sur la frontière entre le rationnel et l’irrationnel et la situation du sujet.
L’importance politique des sophistes vient de leur recherche du consensus, de
l’accord, de la concorde, qui pour eux procède d’une persuasion, d’un débat.
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La raison, selon la formule de Daniel Bougnoux 3, n’est pas « en nous mais entre
nous ». Car le vrai ne s’impose pas de lui-même, il existe partout, au tribunal, à
l’assemblée ou dans les affaires, des points douteux ou discutables qui exigent
cette persuasion ; et aucune compétence particulière ne peut s’imposer sans le
discours : ni le médecin ni l’architecte ne peuvent convaincre leur patient ou leur
client sans ce savoir-faire qu’est la maîtrise discursive de la relation. La question
n’est pas en effet d’aller de l’erreur à la vérité, ou de l’ignorance à la sagesse,
mais d’un état moins bon à un état meilleur : « le médecin, explique Protagoras,
produit ce passage par les drogues, le sophiste par des discours » (Théètète, 167a).

1 L’ensemble de cette définition a été rédigée par Émeline Seignobos, docteur en sciences de
l’information et de la communication et enseignante à Paris-Sorbonne.
2 B. Cassin, article La sophistique, encyclopédie Universalis.
3 D. Bougnoux, La Communication par la bande, La Découverte, Paris, 1991.

21
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

S’il y a une certaine condamnation des sophistes – surtout faite par Aristote qui,
assimilant curieusement legein et semainein ti (« dire » et « signifier » quelque
chose), leur reproche de parler « pour ne rien dire » –, on peut aujourd’hui
considérer que la sophistique, outre son rôle pionnier en sciences du langage :
■■ a montré le rôle essentiel de la technique dans la communication (il faut des
outils pour penser et des médias pour lier les masses en une communauté) ;
■■ fut la première à étendre le domaine du sens grâce au signifiant et qu’ainsi
la psychanalyse en est l’héritière (voir Le mot d’esprit et ses rapports avec
l’inconscient de Freud) ;
■■ a ouvert la voie aux sciences humaines.
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5 Les formes de la lecture
et ses « révolutions »

5.1 Le livre et le sacré


Jusque vers le XIIe siècle, ce sont les moines qui main-
tiennent la culture. Ils ont besoin de livres : les écritures
saintes, d’abord, mais aussi les livres théologiques. Et
ils ont aussi besoin d’apprendre la langue de ces textes,
d’où la conservation des littératures antiques.
C’est dans le monastère que se produit une transfor-
mation considérable des formes de la lecture. Dans
l’Antiquité, puis pendant quelques siècles encore, la
lecture est « oralisée » : elle ne peut se faire qu’à haute
voix. Il n’existe pas alors de séparation des mots, et
aucun signe de ponctuation : il faut dont « dire » le
mot pour l’identifier, ce qui correspond à un mode de
S Scribe ou Copiste travaillant transmission où la parole et l’écoute sont liées. Or,
à son bureau (miniature du XVe siècle) sans doute au VIIe siècle en Irlande, chez les moines
de saint Patrick, du fait d’une difficulté forte à comprendre ces textes qui ne
relèvent déjà plus de leur langue usuelle, l’habitude se prend de raccourcir les
lignes, puis de séparer les mots par une espace qui permet leur identification
visuelle : la lecture muette est enfin possible, puisque le mot, ayant une identité
graphique, n’a plus besoin d’être prononcé pour être identifié.

22
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

Cette nouvelle pratique se répand rapidement sur le continent et la copie en


silence dans le scriptorium (atelier d’écriture) fait partie de la vie monastique
partout à la fin du XIe siècle.
La transformation est considérable car un lien nouveau s’établit entre lecture
et méditation. La lecture, devenue la voie royale de la méditation religieuse,
développe la dévotion et la spiritualité. Le silence se fait prélude à la contem-
plation et à la connaissance de Dieu. Une nouvelle spiritualité apparaît avec
le développement très rapide au XIV e siècle de livres de prière abondamment
illustrés représentant la Vierge ou les anges montrant du doigt un passage du
livre, les saints lisant avec les lèvres closes.

5.2 Le livre et le profane


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L’effet de la lecture silencieuse est plus lent dans la société laïque (saint Louis
lisait à haute voix et Joinville dicte La vie de saint Louis), mais la séparation des
mots permet aux langues vernaculaires d’être moins phonétiques que le latin, et,
de ce fait, la prononciation peut changer et se distinguer de l’orthographe qui
reste stable (la disparition des voyelles muettes dans la prononciation du français,
par exemple). Cela influence bien entendu la forme de l’écriture manuscrite avec
le développement de l’écriture cursive, plus rapide, et permet enfin la naissance
de symboles d’écriture, comme les guillemets (statut de l’énonciateur), la pa-
renthèse (les a parte) et la ponctuation syntaxique (virgules, deux points, etc.),
qui rendent plus visible l’argumentation. Et cela permet, plus tard, une autre
révolution de la lecture qu’est la lecture « extensive » que Roger Chartier situe
au XVIIIe siècle, liée à la multiplication des livres mais aussi des autres formes
de textes comme les journaux et périodiques, et des lieux où on peut lire sans
acheter comme les cabinets de lecture.
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Roger Chartier (1945)


Professeur au Collège de France depuis 2006, Roger Chartier, grande figure de l’histoire
culturelle contemporaine, a développé des recherches historiques considérables sur
l’auteur, le texte, le livre et les lecteurs.
Plus que l’histoire du livre et de l’édition qu’il a poursuivie avec Henri-Jean Martin, il faut
citer deux pans de son œuvre :
– Les origines culturelles de la Révolution française (1990), ouvrage qui explore, après
Habermas, le public – aristocratique et bourgeois – et l’espace public du XVIIIe siècle
(le public n’est pas le peuple). Il met en lumière l’institutionnalisation du champ littéraire,
l’autonomisation du jugement, l’émergence de l’opinion publique ;
– L’Histoire de la lecture dans le monde occidental (1997), où il développe notamment
les concepts d’appropriation et de compétence du lecteur. ■

23
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

5.3 Le livre, support essentiel au travail


intellectuel
Plus rapide, la lecture est aussi plus flexible, soutenue par des notes dans la marge,
des références, des index alphabétiques, etc. La complexité de l’argumentation
s’accroît, car on n’écrit plus le brouillon sur la cire mais sur des cahiers ou feuilles
de parchemin, ce qui permet de revoir son texte et de faire des renvois. Alors que
le latin scribere ne distinguait pas « l’auteur » et le « scribe », le travail d’écriture
devient plus individuel et personnel.
Les livres deviennent essentiels au travail intellectuel en :
– modifiant le travail en bibliothèque où le silence devient roi ;
– participant à l’accélération de la lecture, ce qui a pour effet d’accroître la
rotation des livres ;
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– conduisant à la lecture silencieuse – avec le livre, on est maître de ce que l’on
lit1 et de ce que l’on pense –, ce qui devient un grand aliment pour les hérésies
et conduira à brûler les livres jugés douteux.

5.4 Le texte numérique


La troisième révolution de la lecture est celle du texte numérique qui fait dispa-
raître la matérialité du texte livresque :
■■ première rupture, la forme à travers laquelle le texte arrive au lecteur dépend
désormais de lui ;
■■ seconde rupture, le contexte est transformé : ce n’est plus la contiguïté phy-
sique des textes qui domine mais l’architecture logique des bases de données
ou de l’hypertexte.
À chacune de ces révolutions liées aux mutations du support se développent de
nouvelles techniques intellectuelles. Ainsi, le livre électronique permet l’inter-
vention du lecteur sur le texte, ce qui produit une sorte de brouillage dans la
séparation entre l’auteur et le lecteur et conduit à des textes nouveaux et à de
nouvelles formes d’appropriation de ce texte. Dans le même temps, les catégo-
ries esthétiques et juridiques du livre changent, le copyright et le droit d’auteur
en sont transformés et l’aspiration à une bibliothèque universelle, ce « bonheur
extravagant » de Borgès dans La bibliothèque de Babel, a cessé d’être un rêve.

1 Ce qui permet l’essor de la littérature érotique.

24
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

6 L’apparition du livre1
ou la révolution de l’imprimé
Le livre imprimé coïncide avec le début d’un gigan-
tesque mouvement des idées. Est-ce l’imprimerie qui
provoque ce mouvement ou l’inverse ? En d’autres
termes, est-ce la technique qui bouleverse l’ordre so-
cial ? Pour l’historien Lucien Febvre, l’innovation a été
soutenue par l’ensemble des mouvements intellectuels
et sociaux de l’époque. Le livre n’est pas, par nature,
un outil de communication : 45 % des incunables
imprimés au XV e siècle sont des livres religieux.
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Mais la mise en mouvement des idées, la Réforme,
d’abord, puis le vaste mouvement humaniste, inversent
la tendance : le livre n’est pas seulement conservé mais
révisé, à commencer par la Bible. C’est la Renaissance
qui fait vraiment du livre le premier outil de com-

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munication à grande échelle2 . Et cet outil devient un
objet commercial de grande diffusion. La plupart des
historiens considèrent que la grande transformation
intellectuelle de la Renaissance fut de faire des idées un
objet de communication, un objet mental : l’intellectuel
n’est plus seulement le commentateur du texte sacré
S Strasbourg, place Gutenberg. Statue de
ou des anciens, il est un écrivain qui forge des idées et
Gutenberg, bronze, David d’Angers, 1839.
provoque le débat religieux, littéraire ou scientifique. Gutenberg, debout près d’une presse d’imprimerie, tient
Premier exemple historique d’une innovation qui gagne un parchemin sur lequel on lit « et la lumière fut »
toute la société en devenant marchandise, l’imprimé permet au débat d’idées
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d’entrer dans un circuit marchand. L’idée ayant une valeur marchande com-
mence à être considérée comme une information. La question de savoir si cela a
modifié les modalités du raisonnement est discutée, mais il est sûr que le livre a
considérablement modifié les techniques et sciences descriptives et le système de
mémorisation et donc d’argumentation. Pour E. Eisenstein, les conséquences en
furent très différentes selon les domaines qu’on envisage.
■■ Du côté de la religion, l’imprimé produit pour la première fois une unité du
culte, mais en permettant la diffusion de la Bible, il suscite le développement
d’un débat interminable sur les origines et produit toute une recherche décalée
de la foi : date de la Création ou du déluge, angélologie, etc.
1 Titre de l’ouvrage d’Henri-Jean Martin avec Lucien Febvre, Albin Michel, Paris, 1958.
2 Entre 1517 et 1520, par exemple, les seules publications de Luther dépassent 300 000 exemplaires.
Invité à se défendre devant un petit cénacle, il s’est trouvé parler au monde entier.

25
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

■■ En matière scientifique, il bouleverse à peu près tout (on dissocie le « comment


va le ciel » du « comment on va au ciel ») et change surtout le contexte d’exer-
cice de la science. Si, en effet, le livre permet d’abord la propagation d’idées
fausses et le retard d’idées neuves, la comparaison des textes disponibles et
leur confrontation avec l’observation directe fait faire des bonds de géant :
c’est à l’œil nu et non à l’aide de lunettes, comme plus tard Galilée, et par sa
seule observation comparée aux textes antérieurs, que Tycho Brahé invente
l’astronomie moderne.
■■ On connaît mieux ses effets sur la littérature contemporaine (traductions des
Italiens, diffusion de Rabelais), la fixation du droit et des textes administratifs
et l’histoire dont cette époque est particulièrement friande.
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7 Dirigeants et dirigés :
la communication,
moyen de domination
La démocratie athénienne était un régime de démocratie directe. Le faible nombre
de citoyens et le mode de désignation (responsabilités tournantes par tirage au
sort) faisaient que les relations entre dirigeants et dirigés étaient directes et
interchangeables : pas d’intermédiaire, pas de fonctionnaire ou de bureaucratie,
pas de mandants à informer de ce que fait le mandataire. Est-ce à dire qu’il
n’y a pas de « communication politique » ? Non, car il y a bien un médiateur, le
héraut, mais surtout une communication qui s’articule à un espace politique qui
n’est pas distinct, comme dans les monarchies qui succèdent à l’Antiquité. La
communication ne peut être manipulatoire car elle repose sur l’identification
totale des émetteurs et des récepteurs. En outre, la communication (les discours
et discussions) se traduit par une décision immédiate, si bien qu’elle n’a pas
l’effet qu’elle acquiert dès que l’espace du pouvoir est séparé de la population
(Versailles en est l’exemple monarchique le plus parlant). Elle a une fonction
de symbiose sociale, c’est pour cela qu’Aristote peut définir l’homme comme
« animal politique » quand il vit dans une cité (la « polis » régule la société et la
violence en assurant les lois).
La communication, pensée alors comme naturelle à l’homme, fait de la constitution
de la cité un processus naturel (et non contractuel comme plus tard chez Hobbes
ou Rousseau), qui n’exclut pas sa visée de discernement du juste et de l’injuste,
de l’avantageux et du favorable, ce qui veut dire que la définition des normes et
valeurs sociales et politiques repose bien sur la communication.

26
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

La communication n’est pas un élément récent du fonctionnement des sociétés.


L’originalité d’Athènes est qu’elle fait coïncider politique et polis, logos et praxis.
D’où le rôle de la rhétorique. Mais l’évolution des sociétés, leurs tailles et leurs
formes conduisent à produire un décalage croissant, dans le temps et l’espace, entre
logos et praxis. Il y faut d’autres outils : ce fut dans l’histoire le cas de l’imprimé à
la Renaissance, puis de la presse à l’âge moderne (outil de construction de l’« es-
pace public ») et c’est aujourd’hui le cas d’Internet dans notre société mondialisée.
À la communication de la cité grecque, qu’on peut dire identitaire, ont succédé
d’autres modèles bien différents. On peut ainsi considérer que le pouvoir
monarchique de l’Ancien Régime repose sur une communication d’exclusion
entre gouvernants et gouvernés, que l’espace public naissant au XVIIIe siècle
repose sur une communication « d’intersection » entre gouvernants et gouvernés
par le truchement d’une élite intellectuelle et que les régimes démocratiques
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reposent sur une communication d’intersection entre gouvernants et gouvernés
par le moyen de la représentation.
La communication se spécifie donc et se distingue de l’exercice du pouvoir poli-
tique (la praxis grecque) au fur et à mesure que la représentation, qui va de pair
avec l’élargissement du nombre de citoyens, devient le mode de fonctionnement
de l’ensemble sociopolitique. On assiste alors à un double mouvement :
■■ celui du développement croissant d’une communication politique, conduite
par le pouvoir pour tenter de corriger les effets de la distance, l’échec politique
étant assimilé à un défaut de communication ;
■■ et celui des médias qui tentent d’organiser l’espace des citoyens, chaque nou-
veau média ayant aussitôt le mérite imaginaire ou mythique d’améliorer ou de
restaurer la démocratie, avec l’étrange nostalgie d’une démocratie « directe »
dont témoigne aujourd’hui l’idée d’une « démocratie électronique », oubliant
qu’à l’époque de Périclès, les citoyens ne sont qu’une minorité.
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À partir des années 1960, Jürgen Habermas montre comment la communication


moderne repose sur une logique de la « publicité » – un espace « public » opposé
tout à la fois à la sphère du pouvoir et à l’espace « privé » – qui a accompagné
la conquête des droits aujourd’hui jugés fondamentaux, lesquels s’opposent au
fonctionnement autocratique du pouvoir. Les multiples « affaires » que connaissent
encore les régimes démocratiques et les interminables instructions de procès qui
s’enlisent montrent cependant que le secret et la raison d’État n’ont pas disparu.
La communication contemporaine souffre aujourd’hui d’un double discrédit lié
à son omniprésence : manipulation du public par la « publicité », manipulation
du citoyen par la communication politique (gouvernement par les sondages,
« éléments de langage », surmédiatisation, etc.). La démocratie de masse génère
une communication, de masse elle aussi, qui en détermine les valeurs communes
et permet la représentation et l’expression des opinions.

27
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

Jürgen Habermas (1929)


Théoricien de l’« espace public » (traduction du terme allemand Öffentlichkeit),
Jürgen Habermas se fait connaître dès 1953 pour sa vive critique de l’Introduction à
la métaphysique de Heidegger parue la même année. Habermas soutient sa thèse à
Marburg : L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive
de la société bourgeoise, publiée en 1962. Traduit en français puis en anglais, le livre
s’impose lentement hors d’Allemagne et le principe de publicité, c’est-à-dire l’exigence
d’un usage critique et public de la raison, devient une référence incontournable. Le
débat public sur lequel se fonde la démocratie délibérative est un principe de légitimité
relayé par l’espace public, d’où le rôle initial de la presse, et il est indispensable à la
vitalité de l’État de droit qui implique une délibération constante et publique.
D’autres ouvrages comme Raison et Légitimité (1973), les Écrits politiques (1990) ou Droit et
Démocratie (1992) expriment la pensée d’Habermas, mais celui qui concerne directement la
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communication et qui est au point de départ de son Éthique de la discussion comme de tous
ses travaux sur la politique délibérative est la Théorie de l’agir communicationnel (1981, trad.
française Fayard, 1987). Fortement inspiré depuis longtemps par la philosophie pragmatique
américaine (Dewey, Mead, Peirce), il associe la raison, l’action et la communication, et
retient d’Austin les « actes de langage » (! chapitre 5, p. 98), surtout les actes illocutoires
qui pour lui sont à la source de l’intercompréhension : « par les concepts complémentaires
de monde vécu et d’agir communicationnel, j’entends donner tout son sérieux à la mise
en situation de la raison. » ■

7.1 Contrôler la communication pour dominer


les masses
Empêcher ou contrôler la communication est le propre des tyrans. La réflexion
sur la domination qui parcourt les siècles montre à quel point elle fut, à partir
du XX e siècle, dominée par l’analyse des productions culturelles.

7.1.1 La notion de servitude volontaire


Dans le Discours de la servitude volontaire, un éblouissant texte de soixante-
douze pages écrit en plein XVIe siècle, Estienne de la Boétie tente d’élucider
l’enchantement qui lie les sujets à un maître. Cherchant à comprendre « comment
s’est enracinée si profondément cette opiniâtre volonté de servir », il répond par
un paradoxe : ce n’est pas le maître qui fait l’esclave, mais l’esclave qui engendre
le maître. Le ressort en est simple : les sujets-esclaves veulent se voir dans un
grand sujet glorieux. La servitude volontaire est en somme, dirait-on après
Freud, une ruse du narcissisme : le tyran tient tout son pouvoir du mimétisme
des sujets sur sa personne.

28
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

7.1.2 La notion de « contrat social »


En 1670, Spinoza énonce le principe d’inaliénabilité de la liberté dans le Traité
théologico-politique. C’est la première théorie politique des temps modernes.
La liberté y est posée comme bonne en soi et devant donc être reconnue par l’État
qui n’a rien à en craindre. Cela invalide a priori toute dictature : « personne ne
peut abandonner sa liberté de juger et de penser ». Spinoza, qui fut excommunié,
attaque de façon frontale les usages de la religion qui est à ses yeux le moyen le
plus sûr de faire faire aux hommes ce qui convient au pouvoir. Selon lui, la religion
ne doit s’occuper que du gouvernement des âmes, ce qui n’est pas exactement la
position de Thomas Hobbes. Si Hobbes réclame que l’Église soit soumise à l’État,
c’est parce que la théorie du « contrat social » donne à l’État, le Léviathan, un
pouvoir absolu. Longtemps avant Rousseau, et fort différemment de lui, Hobbes
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considère que l’état de nature ne conduit qu’à « la guerre de tous contre tous ». Un
contrat social est donc indispensable, par lequel l’individu abandonne une part
de son pouvoir au profit d’une autorité commune qui garantit à tous la préserva-
tion de leurs vies et de leurs biens : ils cèdent donc au souverain leur droit de se
gouverner eux-mêmes.

7.2 Les gazettes, chroniques « people »


plus que médias d’information
La pensée philosophique ne se reflète pas dans les médias de l’époque : les gazettes
de l’Ancien Régime sont l’expression de la société de leur temps, d’un monde
aristocratique où les nouvelles célèbrent le régime monarchique beaucoup plus
qu’elles n’informent les lecteurs. Jusque vers 1770, tout commentaire politique est
interdit. Les gazettes ne traitent que de la politique étrangère, c’est-à-dire de guerres
et de diplomatie : elles donnent à admirer et non à réfléchir. C’est ce qui explique
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que l’analyse et le commentaire se déploient dans le journalisme scientifique ou


littéraire, et que les gens de lettres et les savants deviennent alors les guides de
l’opinion, de plus en plus critiques au cours du siècle qui précède la Révolution.

7.3 Le tournant de la Révolution française


À partir de la Révolution, l’événement entre dans la presse. Les journalistes, à la
fois témoins et acteurs (Les révolutions de Paris et de Brabant de Desmoulins),
se trouvent aussi parfois inquisiteurs (Marat et son Ami du Peuple) ou prédi-
cateurs (Prudhomme, pour ne rien dire du Père Duchesne). Ils deviennent des
guides importants, comme en témoigne, après la parenthèse de la dictature
napoléonienne et la Restauration, la révolution de 1830, gagnée par les journaux.

29
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

La Révolution française a conduit le peuple à déléguer sa souveraineté à une


Assemblée de représentants. Pour que cette nouvelle forme de médiation poli-
tique fonctionne, il fallait qu’une médiatisation nouvelle l’accompagne. D’où la
recherche de multiples formes symboliques de reconnaissance du nouvel ordre
social et de son organisation politique comme les fêtes ou la tentative d’orga-
nisation d’un nouveau culte, celui de la raison. Mais, plus que tout, ce sont les
journaux, comme l’avaient bien compris Mirabeau ou Panckoucke1 , qui se sont
imposés comme le premier relais du débat politique, lequel constituera l’aliment
majeur de la presse au XIX e siècle.

7.4 La montée des masses et l’espace public


7.4.1 Le rôle de la presse selon Tocqueville
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Au début du XIXe siècle, une idée nouvelle se fait jour : l’« individualisme ». Le mot
apparaît en 1825 mais la démocratie américaine en a été le précurseur. C’est ce
que constate Tocqueville dans ses deux tomes de De la démocratie en Amérique
(1835 et 1840). Le constat que « le lien social est rompu » dans la nouvelle société
parce que « ses différents membres deviennent étrangers, indifférents et presque
invisibles les uns aux autres, à cause de leur multitude » conduit Tocqueville à
penser qu’« il n’y qu’un journal qui puisse venir déposer au même moment dans
mille esprits la même pensée ». La presse est pour lui le seul moyen de rétablir
un lien social disparu, de réunir les citoyens, de les « associer » dans le souci des
affaires communes et de poursuivre le changement social fondé sur l’aspiration
des hommes à l’égalité des conditions.

Alexis de Tocqueville (1805-1859)


Il fut un « libéral conservateur », anti-esclavagiste et libre-échangiste d’une grande
célébrité : académicien, vice-président de l’Assemblée en 1848, corédacteur de la
Constitution de 1848, ministre des Affaires étrangères en 1849, finalement emprisonné
en décembre 1851 pour son opposition au coup d’État.
Avant de disparaître de la vie politique pour se consacrer à son grand œuvre, L’Ancien
Régime et la Révolution (1856), il publie en 1835 et 1840 les deux tomes de De la
démocratie en Amérique dont le sixième chapitre du second tome, « De l’association et
des journaux », pourfend les risques que fait peser l’individualisme sur la démocratie. ■

1 Fondateur de la Gazette nationale ou le Moniteur universel, généralement nommé plus simplement


Le Moniteur.

30
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

7.4.2 La peur des masses


La forte concentration dans les villes d’une nouvelle population liée à l’indus-
trialisation produit une peur nouvelle qui assimile les classes « laborieuses » à des
« classes dangereuses »1 , du fait notamment de grands mouvements populaires
du début du XIX e siècle, comme la Commune de Paris. Cette société industrielle
qui conduit à inventer un nouveau gouvernement des hommes (qui donnera plus
tard naissance à l’État-providence) produit aussi une psychologie des foules qui
s’intéresse d’abord à ses pathologies dans une vision manipulatoire de la société.
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S Les Communards font tomber la colonne Vendôme le 16 mai 1871.
Gabriel Tarde2 invite à voir, dans ce changement de société, l’entrée dans « l’ère
des publics », car s’il n’y a qu’une seule foule, on peut appartenir à plusieurs
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« publics » en même temps. Proche de l’analyse de Tarde, celle de Georg Simmel


influencera plus tard directement l’École de Chicago via Robert Ezra Park et
sa thèse sur « la foule et le public » (1903). Cette « ère des masses » marque aussi
le début du développement des « médias de masse » et de tous les courants de
recherche qui s’y intéresseront :
– le courant fonctionnaliste de la Mass Communication Research, initié par
Lazarsfeld ;
– l’École de Francfort depuis Walter Benjamin, Theodor Adorno et Max
Horkheimer jusqu’aux travaux plus récents d’Herbert Marcuse et de Jürgen
Habermas.
1 L. Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses, Plon, Paris, 1958, rééd. Livre de poche,
Paris, 1978.
2 G. Tarde, L’opinion et la foule, Éd. du Sandre, Paris, 2007, Ed. Alcan, Paris, 1901, Première édition.

31
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

7.4.3 La mise en évidence du rôle de l’« espace public »


par Jürgen Habermas
Cette notion constitue un objet essentiel de la réflexion contemporaine sur la
communication. Le point de départ d’Habermas est le célèbre article « Ré-
ponse à la question : qu’est-ce que les Lumières ? », dans lequel Kant distingue
« l’usage public de la raison » de son usage « privé ». Pour Kant, l’usage public de
la raison repose sur la liberté des hommes et ce qui permet de les sortir de leur
« minorité », c’est-à-dire de les éclairer et de les émanciper. C’est le processus
de « publicisation » ou de « publicité » qui est au cœur de la pensée d’Habermas.
Pour lui, c’est cet « usage public de la raison » qui a permis l’émancipation du
joug féodal par l’émergence d’un espace public bourgeois. Mais l’introduction
dans ce dernier des lois du marché engendre une « re-féodalisation » de l’espace
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public, c’est-à-dire une abolition des frontières entre usage public et privé de
la raison. Avec l’introduction des intérêts économiques dans l’espace public au
XIX e siècle, la discussion est « commercialisée » : l’usage public de la raison n’a
plus pour visée l’émancipation mais la consommation et le profit de ceux qui
détournent la sphère publique pour servir des intérêts privés. De ce point de
vue, l’on passe alors de la culture discutée à la culture consommée.

Quelles seraient selon vous les grandes étapes


de l’histoire des TIC ?
3 questions à On peut diviser cette histoire en deux grandes séquences
susceptibles de se scinder en plusieurs temporalités. La
Patrice Carré première époque, qui prend naissance à la fin du siècle des
Directeur des relations Lumières et s’estompe vers 1950-1960, s’appuie sur un
institutionnelles à la direction
des relations avec les collectivités modèle simple. Sur une longue durée, plus de 150 ans, une
locales Orange, président technique est à l’origine d’un réseau lui-même support d’un
du conseil scientifique du Think service, la plupart du temps exploité par un monopole privé
Tank Décider Ensemble.
ou public. Ce dispositif est celui du réseau télégraphique
aérien (réseau Chappe). C’est le cas également de la
télégraphie électrique dont l’invention coïncide avec les
premiers développements des réseaux de chemins de fer.
Outil de la révolution industrielle, le télégraphe électrique
correspond à un besoin : l’accélération du rythme des
échanges. La vitesse accrue de circulation des transports
d’hommes et de marchandises nécessite une rotation plus
rapide de l’information. Elle est également à l’origine de
la naissance des grandes agences de presse. Dès 1866, un
premier câble transatlantique relie l’Europe et l’Amérique.

32
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

Vers 1880, des câbles télégraphiques sillonnent tous les


mers et océans du globe. Une première mondialisation
s’installe et contribue à une considérable réduction de la
dimension espace/temps et à une réelle accélération de
l’histoire. Si avec la télégraphie électrique les dimensions
de la planète s’étaient réduites, avec le téléphone, c’est un
type de réseau entièrement nouveau qui se met en place. Le
téléphone transporte la voix humaine d’un point à l’autre.
Comme le cinéma, la radio et la télévision, il contribue à
l’éclosion de nouveaux imaginaires.
À l’horizon des années 1970, l’innovation technique, sous-
tendue par plusieurs changements technologiques majeurs,
conduit à la croissance explosive de nouveaux services.
Quel est l’impact d’Internet et du mobile ?
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La profonde mutation qu’a connue le dispositif à l’orée
du XXIe siècle trouve son origine dans plusieurs ruptures
technologiques majeures. Elles s’expliquent par l’extension
de l’IP et la généralisation du THD (très haut débit), par
des services mobiles toujours plus nombreux permettant
une accessibilité permanente ainsi que par l’omniprésence
de l’intelligence dans le réseau avec la mise en place
de plateformes informatiques autorisant une réelle
interopérabilité entre les diverses couches de réseaux, enfin,
par la mise au point et la diffusion de terminaux multi-accès
innovants. Ces ruptures ont pour conséquence une profonde
remise en cause du modèle technologique dans lequel nous
évoluions jusqu’à présent. À la fin de 2014, plus de 40 % de
la population mondiale a accès à Internet. Au total, ce sont
environ 3 milliards d’êtres humains qui sont connectés.
Peut-on parler d’un nouvel écosystème ?
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Réseaux sociaux, blogs, « chats », ouverture des données


publiques (open data), big data, cloud computing, smarts
cities, smartgrid, e-administration, e-démocratie… Autant
d’usages nouveaux qui dessinent un nouvel écosystème.
Au bureau, chez soi ou en mobilité, l’usage d’Internet et
des services numériques s’est largement banalisé. Avec la
révolution digitale, ordinateurs, smartphones et tablettes sont
entrés dans notre quotidien comme le firent, il y a quelques
décennies déjà, l’automobile, le téléphone, la télévision
ou la chaîne Hi-Fi. Chacun voit apparaître de nouvelles
pratiques numériques qui portent à adopter de nouveaux
comportements. Comme l’écriture et l’imprimerie jadis, le
numérique permet des pratiques culturelles radicalement
neuves, installe de nouvelles identités et des formes

33
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

renouvelées de sociabilité. Les nouveaux outils du numérique


contribuent à un renouveau des formes traditionnelles de
la citoyenneté et inaugurent de nouvelles solidarités. Une
dynamique du travail en réseau émerge ainsi, qui augmente
les capacités d’agir ensemble et renforce le lien social. Un peu
partout naissent des projets collaboratifs, consistant à mettre
en commun les savoirs, les mémoires et les projets : wiki,
carnets collaboratifs, Web radio, Web TV… Les technologies
de l’information et de la communication participent en effet
à l’élaboration d’une culture de l’implication commune et de
l’innovation au service du collectif. ■
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Les points clés
¼¼La nouveauté de l’écrit n’est pas qu’il représente la parole, mais qu’il la rend
visible et pérenne. Selon Jack Goody, la véritable rupture apportée par
l’écrit se trouve dans l’opposition entre l’espace de la graphie et le temps
de la parole.

¼¼Lorsque la sphère laïque s’approprie l’écrit, ce dernier se transforme en


objet de pensée individuelle, parfois même hérétique, et, à travers les âges,
contribue à faire émerger de nouvelles pratiques sociales et de nouvelles
techniques intellectuelles.

¼¼Lorsque l’imprimé devient une marchandise, le débat d’idées entre dans un


circuit marchand et l’idée, prenant alors une valeur marchande, commence
à être considérée comme une information.

¼¼La troisième révolution de la lecture est provoquée par le texte numérique


qui fait disparaître la matérialisation livresque de l’écrit.

¼¼Les sophistes, qui pratiquent la rhétorique, provoquent une rupture majeure


pour la communication car, contrairement à d’autres philosophes, ils ne
cherchent pas à « parler de » (l’être ou le monde) mais à « parler à » : à un
tribunal, à des citoyens, à des gouvernants.

¼¼La montée de l’individualisme, à partir de la fin du XIX e siècle donne à la


presse et aux médias de masse, un rôle spécifique : rétablir le lien social,
réunir les citoyens et diffuser une même pensée à un grand nombre de
personnes à la fois.

34
Chapitre 1 Histoire des théories de la communication et des médias

APPLICATIONS ! Corrigés p. 278

5 À qui doit-on cette citation : « Il n’y qu’un


QCM journal qui puisse venir déposer au même moment
dans mille esprits la même pensée » ?
Une seule bonne réponse est possible pour chacune a. Jürgen Habermas.
des questions. b. Alexis de Tocqueville.
c. Marshall McLuhan.
1 En France, le premier réseau télégraphique
aérien a été mis au point par : 6 À quel phénomène historique est associée la
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a. Claude Chappe. peur des masses ?
b. Thomas Edison. a. La Révolution française.
c. Samuel Morse. b. La concentration dans les villes d’une nouvelle
population liée à l’industrialisation.
2 De quel siècle date le premier câble trans- c. L’apparition de la presse d’opinion.
atlantique reliant l’Europe et l’Amérique ?
a. xviiie siècle.
b. xixe siècle.
c. xxe siècle.

3 Quel mouvement fait du livre le premier outil


Question
de communication à grande échelle ?
a. La Réforme.
de réflexion
b. La Renaissance.
c. La Révolution française. 7 La « re-féodalisation » de l’espace public
En quoi l’introduction des lois du marché dans l’es-
4 Quel philosophe a défini l’homme comme pace public, au xixe siècle, engendre-t-elle une « re-
« animal politique » quand il vit dans une cité ? féodalisation », selon Jürgen Habermas ?
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a. Platon.
b. Aristote.
c. Kant.

35
Chapitre 2
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La diffusion web brouille ainsi les genres mé-
diatiques. Très finement, François Rollin joue la
confusion jusqu’au bout pour mieux la dénoncer :
à la fin de sa chronique, il se cache le visage, sans
décrire ce geste à l’antenne, afin que les auditeurs
et internautes, en accédant à des informations
différentes, puissent percevoir la distinction des
deux dispositifs. Par cette réaction contre l’image
S Chronique de François Rollin dans le 7/9 à la radio, il dénonce le fait qu’elle n’enrichit pas
de France Inter, le 14 octobre 2014 le dispositif initial, mais au contraire l’appauvrit.
Cette intervention de 2014 paraît aujourd’hui

L
e 14 octobre 2014, sur l’antenne de France anecdotique tant les journalistes et invités des
Inter, les auditeurs ont pu entendre en direct matinales radio sont désormais habitués à la
la remise en question d’un dispositif média- présence des caméras dans les studios.
tique. En effet, l’humoriste, acteur et homme de Elle pose cependant la question des spécificités
radio François Rollin conteste le fait d’être filmé de chaque média, de chaque dispositif et surtout
lors de ses chroniques. Certes, le contrat qu’il a du fait que sur le Web, il y aurait un lissage de ces
signé contenait une autorisation de diffusion sur différences : la presse fait de la Web radio ou du
le Web, conduisant ainsi le journaliste radio qui reportage filmé, la radio peut faire des émissions
peut faire son travail mal coiffé, le regard baissé filmées, la télévision peut produire des dossiers
sur ses notes à subir le dispositif relevant d’un autre écrits… Mais avant de considérer ces formes
média, la télévision. Il s’explique : ne disposant pas médiatiques hybrides, chaque dispositif média-
des moyens de la télévision (maquillage, éclairage, tique s’est construit dans le temps, souvent par
cadrage, décor…), la radio propose aux internautes différenciation avec celui qui précédait. Les dif-
une image médiocre, une sous-télévision qui remet férences entre les médias étaient fondatrices dans
en question la spécificité même de la radio. un secteur économique et discursif concurrentiel.
Diversité
et complexité
des dispositifs
médiatiques
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Plan
1 Les grands dispositifs médiatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
2 Dispositifs et évolutions des pratiques d’information . . . . . . . . . . . . 46

Objectifs
¼¼Comprendre ce qu’est un dispositif médiatique
¼¼Appréhender le rôle d’un dispositif médiatique dans la mise en scène
de l’information
¼¼Mesurer l’importance du « contrat de lecture » dans le rapport aux médias
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

1 Les grands dispositifs


médiatiques
Généralement, on ne prête pas attention au dispositif car, pour que la communi-
cation se déroule dans de bonnes conditions, il doit être discret voire transparent
pour les participants. Pourtant, toute communication entre des individus se
déroule selon des modalités en partie prédéfinies. En cela, le dispositif contri-
bue à la construction d’un cadre de référence qui vise à optimiser les échanges :
– il assigne une place et un rôle à chacun ;
– il définit la forme des énoncés ou même leurs contenus.

FOCUS
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L’apport de Michel Foucault à la notion de dispositif
À la fois objet et concept, le dispositif occupe une place significative
dans de nombreux travaux scientifiques, notamment dans le domaine
des sciences humaines et sociales. Michel Foucault en donne une
définition dans la revue Ornicar, lors d’un entretien publié en 1977 :
■■ un ensemble hétérogène d’éléments et notamment des énoncés
(dits et non-dits) mais également des ressources matérielles et tech-
niques, des pratiques et des comportements ;
■■ le réseau qui assure des liens, des relations entre tous ces éléments
disparates : la nature de ces liens est signifiante car elle renseigne sur
les relations de pouvoir, les rapports de force à l’œuvre entre les différents acteurs ;
■■ ce qui construit une vision du monde et se donne les moyens stratégiques de l’imposer.

Les dispositifs des médias écrits ou audiovisuels


diffèrent grandement dans leur histoire et dans
leurs caractéristiques. Ils évoluent actuellement
de manière ostensible vers des formes d’hybri-
dation, comme l’illustre le phénomène des
mooks (pour « magazine books »), publications
à mi-chemin entre la presse et le livre, ou celui
de la radio filmée sur le Web. En cela, Internet
est un activateur puissant du brouillage des
S Différentes couvertures de dispositifs.
mooks, à la fois magazines conçus
par des journalistes et ouvrages
vendus en librairies.

38
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

1.1 La presse, mise en scène du lisible


Un titre de presse est un espace graphique inscrit dans la longue histoire de l’écrit.
Qu’il soit quotidien, hebdomadaire ou mensuel, il offre d’abord un ensemble
de pages dont le nombre et surtout le format sont précis. Par exemple, à la suite
de L’Express, les magazines français d’information générale et politique ont
progressivement adopté depuis les années 1960 le format « news magazine »
hérité du Time américain.

FOCUS
Time Magazine
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Fondé par Henry R. Luce et Briton Hadden, le premier numéro du Time est publié à New York le
3 mars 1923. Parce que les deux jeunes journalistes ont compris que les lecteurs sont trop occupés pour
avoir encore le temps de lire de longs articles, ils proposent des articles courts et concis organisés par
grands domaines : affaires nationales et internationales, entreprises, éducation, science, médecine,
droit, religion, sport, livres et arts. Ce format est devenu la norme pour la plupart des autres magazines
d’information générale.

Le format est donc un premier niveau d’identification de la presse qui oriente


les choix de maquette, c’est-à-dire d’organisation interne. Mais les pages ne se
présentent pas dans n’importe quel ordre dans un titre de presse. Elles sont
numérotées et divisées selon différentes parties ou sections appelées rubriques.
Ciblant un thème, une activité, un événement, un lieu, etc., les rubriques ré-
pertorient, classent, hiérarchisent l’actualité. Elles distribuent l’éventail des
sujets traités selon un ordre déterminé et quasiment immuable, de manière à
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ne pas perturber les lecteurs dont les usages dépendent de cette régularité. Les
rubriques constituent la colonne vertébrale d’une publication, ce dont témoigne
le sommaire. Elles en forment l’ossature à partir de laquelle sont organisés les
articles, autre élément clé du dispositif du média écrit. De longueur variable
mais toujours présentés sous forme de colonne, les articles sont rangés par
genre : brève, reportage, entretien, portrait… Une page se caractérise par une
mosaïque d’énoncés relevant de registres et de modes de valorisation différents.
Mais un journal ou un magazine n’est pas qu’une affaire de mise en pages ; il est
aussi question de mise en mots :
■■ ce qui attire l’attention en une, ce sont les titres ;
■■ ce qui incite à la lecture, ce sont les textes introductifs des articles appelés
chapôs ;

39
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

■■ ce qui constitue une page intérieure, ce sont des textes mais aussi des illus-
trations, des dessins, des photographies, des schémas…
Le dispositif de la presse se caractérise par une imbrication de pages, de ru-
briques, d’articles, de mots et d’images qui fonctionnent comme des poupées
gigognes dont l’agencement formel n’est jamais neutre. La structuration d’un
titre de presse est le reflet d’une synthèse entre les choix de la rédaction et les
attentes supposées des lecteurs. En décidant d’un titre, d’un emplacement des
articles, d’un régime d’écriture (l’analyse, la critique, le fait apparemment brut),
un titre de presse propose sa vision de l’actualité. Il arrête la marche du monde
pour en proposer une mise en ordre spécifique et se saisit du « réel » pour en
donner une représentation qu’il offre en partage à ses lecteurs1. Autrement dit,
à travers son dispositif, le journal donne un cadre de lecture vecteur de sens.
Néanmoins, même s’il prépare, oriente, prédétermine l’acte de lecture, le dis-
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positif n’est pas seulement contraint. Certes, le regard du lecteur est guidé mais
il peut aussi prendre les « chemins de traverse » qu’implique la lecture tabulaire
(comme pour un « tableau ») de la page : lire d’abord le courrier des lecteurs
plutôt que l’éditorial, s’arrêter sur les dessins humoristiques plutôt que sur des
cartes géographiques, apprécier un article approfondi plutôt qu’une collection
de brèves… Toute lecture est active. Ainsi, en tant que cadre formel et concep-
tuel, le dispositif de la presse permet la rencontre entre les deux partenaires
de la communication. À travers lui, une relation s’instaure, conférant à chacun
une place précise : par exemple, celle du journal qui s’affiche en pédagogue ;
celle du lecteur qui se pose en interlocuteur curieux et vivace. Les membres qui
officient dans le média écrit, comme les journalistes, se situent également dans
cette relation. Aussi, leur activité est-elle définie en fonction de la perception
qu’ils ont de leur titre, de leur rôle et de leur public. Le dispositif est un cadre
commun et relationnel.
S’agissant de l’écrit, la particularité est que cette rencontre se fait à distance, dans
un temps et un lieu distincts. Il n’y a pas de simultanéité entre la diffusion et la
lecture du journal. L’absence de contact « physique » entre l’instance d’émission
et l’instance de réception est même considérée comme la force de l’écrit. Le dis-
positif de la presse écrite suppose de la part du lecteur une capacité à l’analyse,
à la critique, au raisonnement dotant ainsi tout ce qui est du domaine du lisible
d’un certain degré d’intelligibilité, contrairement au dispositif audiovisuel.

1 M. Mouillaud, J.-F. Têtu, Le Journal quotidien, PUL, Lyon, 1989, n° 21, pp. 64-65.

40
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

1.2 La radio, mise en scène de l’audible


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S Un studio RTL, dans les nouveaux locaux à Neuilly-sur-Seine (la radio ayant
déménagé fin 2017 de son site historique rue Bayard qu’elle occupait depuis
cinquante ans). © Photo Serge Surpin

Le dispositif radiophonique n’est pas évident à identifier dans la mesure où il est


immersif. Cependant, les contenus radiophoniques s’organisent eux aussi dans
le temps autour d’une grille de programmes qui n’est pas seulement un outil
pratique d’accès aux contenus pour les auditeurs mais un élément distinctif de
l’identité d’une station de radio.
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La structuration d’une grille de programmes radiophoniques s’organise en synchro-


nisation avec le déroulement d’une journée des auditeurs. Cette grille se caractérise
par la régularité des programmes, qui sont autant de rendez-vous fidèles donnés
aux auditeurs. Seuls des événements exceptionnels, ou bien le renouvellement des
grilles de rentrée, viennent bousculer la cadence des émissions. C’est ce qui explique
qu’on ne consulte pas les programmes radio comme on le fait pour les programmes
télévisés. À l’intérieur de la grille, chaque programme fait l’objet d’une annonce, d’un
générique de début et de fin, pour guider l’auditeur d’une émission à l’autre. Le lien
de l’auditeur aux contenus radiophoniques est construit sur la seule modalité sonore,
mais celle-ci se révèle riche et complexe. Une des premières caractéristiques du son
est qu’il est englobant. Qu’il fasse l’objet d’une écoute dans une pièce ou au casque, il
inclut l’auditeur et construit de fait une sensation de partage du temps et de l’espace
tendant à euphémiser la distance entre le lieu de production et le lieu de réception.

41
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

La mise en son constitue un véritable travail de production, familier aux audi-


teurs qui, en quelques secondes, savent identifier leur station de radio habituelle :
■■ dans les émissions, par la voix des animateurs, le débit de la parole, le rythme
des prises de parole, la gestion des silences ;
■■ dans les fictions, par des bruitages, des réverbérations ou autres éléments qui
construisent des images sonores.
Les voix sont une composante essentielle de la relation des chaînes à leurs pu-
blics. Elles permettent de :
– produire l’identité et la notoriété d’une station ;
– fidéliser les auditeurs, la voix des animateurs faisant alors partie de certains
des moments ou rituels quotidiens des auditeurs, les accompagnant.
C’est la radio, média de masse, qui a produit les premières vedettes de la chanson
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et ainsi amorcé le phénomène de starisation dans le domaine musical.
Le dispositif radiophonique n’exige pas de l’auditeur une totale disponibilité.
Si à ses débuts la radio faisait plutôt l’objet d’une écoute attentive en famille, en
raison de la taille et de l’emplacement du poste de radio mais aussi de l’absence
du média télévisé, très vite, la miniaturisation a permis une écoute individuelle
et mobile. La radio est devenue un média d’accompagnement que l’on peut
pratiquer tout en faisant autre chose : conduire, cuisiner, travailler…
Le développement des appareils mobiles et notamment l’écoute à partir du
téléphone portable ne font qu’accentuer cette dimension. L’auditeur ne dispose
que d’un fil sonore comme lien avec la situation de production à laquelle il doit
faire confiance, sans autres éléments disponibles de vérification. Ainsi, une des
dimensions du dispositif radiophonique est sa capacité à produire des effets de réel.
Exemple 1
La Guerre des Mondes, un effet de réel qui a marqué l’histoire de la radio
L’œuvre littéraire de H. G. Wells qui
a fait l’objet d’une dramatique radio
écrite, lue par Orson Welles et interpré-
tée par la troupe du Mercury Theatre,
est un exemple emblématique de ce
phénomène. La mémoire collective a
retenu que la diffusion d’un épisode,
le 30 octobre 1938, aurait provoqué
une vague de panique chez les nom-
breux auditeurs qui, entendant le (faux)
S Orson Welles au micro du réseau CBS bulletin d’information annonçant une
invasion extraterrestre, auraient fui
dans la précipitation. Même si la véracité et l’ampleur des faits sont discutées, il s’agit
néanmoins d’un exemple parlant de la manière dont le dispositif radiophonique joue
avec les cadres d’interprétation en passant d’un cadre fictionnel à un cadre réel.

42
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

1.3 La télévision, mise en scène du visible


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S Vue générale du plateau de l’émission On n’est pas couché (France 2) à Paris

On réduit souvent le média télévisuel à sa dimension iconique alors qu’il est


fait à parts égales d’images et de sons. Si image et son apparaissent comme des
matériaux à part, avec des propriétés spécifiques, c’est par leur combinaison que
jaillit le sens de ce qui est diffusé. Un documentaire prendra ainsi une signification
différente en fonction des commentaires qui l’accompagnent. À l’inverse, des
déclarations seront interprétées diversement si les illustrations les accréditent
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ou les tournent en dérision.

1.3.1 Les caractéristiques du dispositif télévisuel


Le dispositif télévisuel se caractérise par la combinaison entre l’image et le son,
que celle-ci soit :
■■ redondante : le succès d’un spectacle est illustré à la fois par les visages réjouis
et le son des applaudissements du public ;
■■ complémentaire : des commentaires permettent d’identifier une zone géogra-
phique inconnue des téléspectateurs ;
■■ ou même contradictoire : la signature d’un accord de paix illustrée par des
bombardements aériens.

43
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

L’une des caractéristiques de la télévision est de proposer une gamme de pro-


grammes extrêmement variés, réalisés à l’extérieur des chaînes. Si certains
sont conçus pour une diffusion à la télévision (comme les documentaires, par
exemple), d’autres comme les films de cinéma sont initialement prévus pour une
projection en salle. Les « programmes maisons », c’est-à-dire préparés par les
personnels des chaînes (salariés et intermittents) ou par des entreprises de pro-
duction audiovisuelle extérieures, qui forgent l’image et la notoriété des chaînes
ne constituent qu’une partie seulement des contenus diffusés.

1.3.2 La perception du dispositif télévisuel


Le dispositif télévisuel, comme la radio et contrairement à la presse, ne se perçoit
pas toujours facilement. Autant le lecteur novice d’un journal se saisit d’une
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unité laissant facilement entrevoir son organisation, autant le téléspectateur dé-
couvre un programme nouveau au fur et à mesure de sa diffusion. Même si cette
opération de classification existe nécessairement pour les faiseurs d’émissions,
elle n’est pas accessible d’emblée pour le téléspectateur dont la réception n’est
rythmée et balisée par aucun titre, aucune rubrique, à l’exception des journaux
et magazines d’information.
Pour autant, le dispositif télévisuel est lui aussi fait de choix formels routinisés
parfaitement identifiables par le téléspectateur fidèle qui reconnaît instantané-
ment le décor de l’émission, ses protagonistes et même son organisation générale :
■■ constituant la séquence inaugurale, le générique situe immédiatement le genre
de l’émission qui peut être à caractère informatif ou divertissant, de nature
sportive ou culturelle… La présence d’une musique légère ou grave, d’images
abstraites ou figuratives, du titre de l’émission définit un univers, en donne le
ton et la portée tout en éveillant la curiosité du public ;
■■ le générique est, en principe, suivi par une séquence d’ouverture qui cerne les
intentions de l’émission. Le téléspectateur ne doit plus avoir de doute quant
à sa thématique, sa finalité, l’identité de ses participants. Ces éléments de
clarification sont généralement donnés par le présentateur qui joue un rôle
pivot puisque c’est à travers lui que se déploie la mise en scène de l’émission.
Qu’il s’agisse d’un jeu ou d’un journal télévisé, d’un magazine d’information
ou d’un bulletin météo, le présentateur distribue la parole, lance les repor-
tages, se charge des transitions, souligne parfois avec emphase auprès du
téléspectateur complice un passage croustillant ;
■■ le cœur de l’émission est ensuite constitué d’un continuum de sous-séquences
variant d’un programme à l’autre mais dont l’animateur reste le fil conducteur ;
■■ la clôture consiste à prendre congé et à donner rendez-vous. C’est un « à
suivre » qui cherche à conserver le public jusqu’à la prochaine fois ;

44
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

■■ l’achèvement d’une émission est signifié par le générique de fin. Il reprend


le motif sonore de l’émission, établit la liste de ses contributeurs, apporte des
informations complémentaires (mentions légales, identités des partenaires…)
et sert de transition vers le programme suivant.

1.3.3 La mise en scène du dispositif télévisuel


Chaque programme possède donc son propre déroulé.
■■ Dans le journal d’information, il y a un va-et-vient incessant entre le studio
depuis lequel le présentateur prend la parole et le monde extérieur que l’on
découvre par des reportages ou des enquêtes.
■■ Dans le jeu télévisé, les jingles, applaudissements et éclats de voix rythment
les différentes épreuves auxquelles les candidats sont confrontés.
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■■ Dans le spectacle sportif, le plateau s’efface au profit du terrain de jeu qui laisse
découvrir une suite d’actions magnifiées insistant sur les prouesses techniques
des joueurs, le visage fermé des entraîneurs, la joie des supporters… Le tout
étant ponctué par les expertises des commentateurs peu visibles à l’écran et
pourtant omniprésents, des statistiques de performance en sur-incrustation,
les messages publicitaires diffusés à la mi-temps…
L’adoption d’éléments de mise en scène communs renvoie avant tout aux bords
matériels de l’écran sur lequel apparaît l’image animée. Aussi, le dispositif té-
lévisuel se définit-il notamment par un cadrage, une profondeur de champ, une
échelle de plans, un point de vue dont l’emploi fabrique chaque séquence en
même temps qu’il lui donne sens.
Exemple 2
– Une retransmission sportive filmée en plan d’ensemble renverra au jeu collectif et
aux choix tactiques alors que la même retransmission en plans rapprochés montrant
les joueurs mâchoires serrées évoquera l’exploit individuel de ceux qui sont désormais
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considérés comme des stars ;


– Une caméra embarquée suivant les évolutions d’un membre du personnel politique
dans une campagne électorale insistera sur sa dimension de communicant et de
compétiteur alors que les traditionnelles interviews politiques faisant apparaître des
hommes ou femmes « troncs » conservent un caractère figé, professoral voire cérémoniel
renvoyant à un temps où la télévision était considérée comme la « voix de la France ».

La mise en scène télévisuelle est donc question d’espace, de regard, de corps et


de lieux multiples qui apparaissent et disparaissent du cadre, d’une succession
de plans et donc de montage… Chaque émission se saisit de ces ingrédients pour
composer sa propre mise en scène.
Les ressorts de la mise en scène télévisuelle servent à intégrer le téléspectateur
dans la situation de communication instaurée par le média, un dispositif qui fait

45
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

du téléspectateur le seul interlocuteur, celui à qui l’on adresse les commentaires,


à qui l’on montre les images, pour qui l’on fait parler tel invité. Tout est fait pour
tisser une relation durable, y compris, comme c’est le cas depuis plusieurs années,
en déployant des modes d’interaction censés créer un contact inédit et attendu
(résultat d’un sondage, possibilité d’appeler un numéro surtaxé, messages sur
les réseaux sociaux, etc.).
Si cette interactivité agit comme un trompe-l’œil tant elle est intégrée aux effets
de mise en scène, elle révèle tout de même les efforts du média télévisuel pour
abolir la distance physique et spatiale entre l’instance d’émission et l’instance
de réception. Le fait que la télévision s’invite dans l’espace domestique du télé-
spectateur implique qu’elle donne l’illusion d’une co-présence entre ceux qui
participent à l’événement, ceux qui le commentent et ceux qui le suivent derrière
leur télévision. Cela ne signifie pas, pour autant, que la relation unissant les deux
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partenaires de l’échange soit égalitaire car celui qui s’exprime à l’écran, tantôt
porte-parole et dénonciateur, tantôt pédagogue et arbitre, sera toujours celui
qui délivre des connaissances à un téléspectateur qui découvre, s’émerveille ou
s’émeut grâce à lui. Néanmoins, l’illusion d’un temps et d’un espace partagés
actualise la relation, ce que renforce d’ailleurs le direct. À la télévision, le visible
se présente sans délai, dans l’instant, en s’affranchissant des contraintes maté-
rielles et, souvent aussi, des précautions intellectuelles nécessaires à la mise en
perspective d’une situation politique ou d’une conjoncture économique. Le flot
incessant des images à la télévision se caractérise davantage par le spectacle, le
drame, l’intime et la polémique que par l’analyse et le débat.

2 Dispositifs et évolutions
des pratiques d’information
Les dispositifs médiatiques agissent comme des régulateurs entre l’instance
médiatique et les publics, ils constituent des configurations qui s’appuient sur des
caractéristiques techniques et discursives. Le pluriel est de mise car il existe autant
de dispositifs qu’il y a de médias, chacun proposant à son public un « contrat »,
des modalités singulières d’accéder au sens et d’interagir.

Définition 1
Le contrat de lecture désigne la relation spécifique qui se noue entre un
support médiatique et son public. Cette notion a été forgée par Eliséo
Veron à partir de travaux menés sur la presse féminine française dans les

46
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

années 1980, à une époque où ces magazines, confrontés à une concurrence


accrue, devaient trouver le moyen de se distinguer. Elle insiste sur le fait
que le rapport aux médias se joue autant, sinon plus, dans la façon dont le
contenu est abordé que dans le contenu lui-même. Autrement dit, chacun
choisit telle publication ou telle chaîne de télévision en raison du regard
spécifique que ce média porte sur l’actualité. Ce traitement particulier est
incarné par le dispositif médiatique qui constitue un dispositif d’énonciation
combinant un ensemble de paramètres matériels et symboliques créant les
conditions d’apparition nécessaires aux énoncés et sans lesquels le discours
médiatique entre l’énonciateur et le destinataire ne peut se produire. Le
contrat de lecture insiste donc non pas tant sur le dit que sur les modalités
du dire : les rubriques, les titres, la mise en page des journaux, les grilles de
programmation, la scénographie des émissions audiovisuelles… Le contrat
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de lecture peut aussi apparaître sous des termes voisins s’inspirant plus
ou moins des mêmes fondements théoriques : s’agissant de l’audiovisuel,
François Jost proposera la notion de promesse (1997) alors que Patrick
Charaudeau insistera sur celle de contrat de communication (1997).
D’autres auteurs privilégient le terme de pacte dans la filiation des travaux
de Philippe Lejeune (1996).

Il y a encore quelques années, les modes de production et de consommation des


médias restaient relativement cloisonnés :
– la rédaction d’un journal travaillait à partir de textes et d’images fixes qui
prenaient place sur une surface plane dont la lecture s’effectuait exclusive-
ment sur papier ;
– les émissions de télévision se programmaient en vue d’une diffusion en continu
sur des réseaux hertziens qui n’accueillaient qu’un faible nombre de chaînes
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généralistes ;
– le flux des contenus radiophoniques était écouté à domicile et se poursuivait
tout au plus en voiture.

2.1 Les dispositifs médiatiques hybrides


Si ces pratiques d’hier n’ont pas disparu, elles se sont beaucoup complexifiées,
notamment depuis l’émergence de l’informatique grand public dans les années 1980
et d’Internet dans les années 1990. À présent, les dispositifs médiatiques ont un
caractère profondément hybride :
– la presse écrite se décline sur le Web et offre une actualisation régulière des
contenus, ainsi que des illustrations animées, des interviews filmées, des

47
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

documentaires que les lecteurs peuvent découvrir en exclusivité et parfois


en plusieurs langues ;
– la télévision ne se conçoit et ne se regarde plus selon une diffusion strictement
collective : le poste qui trônait dans le salon est complété par d’autres écrans
plus réduits, ceux des ordinateurs, des tablettes ou des smartphones. Cette
multiplication des appareils invite d’ailleurs les professionnels de la télévision
à concevoir des émissions spécifiques sous forme de « before » ou d’« after »
accessibles uniquement via ces nouveaux terminaux ;
– la radio se consomme aussi « à la demande » et certaines stations ou émissions,
aux audiences parfois plus ou moins confidentielles sur les ondes tradition-
nelles, trouvent une seconde vie grâce aux podcasts ;
– des chaînes de télévision lancent leur propre radio et, inversement, les stations
de radio filment leurs émissions pour les diffuser sur le Web.
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Le dispositif du Web ne fait pas disparaître les précédents dispositifs médiatiques
mais les assimile, les absorbe et les renouvelle. Cette imbrication des dispositifs
que permet Internet a bien sûr de profondes répercussions.
■■ Pour les publics : les habitudes de lecture, d’écoute et de visionnage des mé-
dias sont redéfinies, invitant à prendre la pleine mesure des transformations
culturelles à l’œuvre dans nos sociétés.
■■ Pour les professionnels des médias : les pratiques professionnelles doivent
s’adapter. Qu’ils travaillent dans une publication de presse, une radio ou
une chaîne de télévision, ces professionnels doivent désormais maîtriser des
savoir-faire qui ne sont plus liés aux spécialisations traditionnelles : aujourd’hui,
écrire dans un quotidien implique aussi d’alimenter un site web et de réaliser
des contenus vidéo ayant nécessité, au préalable, l’installation d’un studio
permettant le cas échéant de diffuser des émissions en partenariat avec des
chaînes toute info, par exemple.

48
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

2.2 Le Web, héritage médiatique


et originalité du dispositif
Qu’y a-t-il de commun entre un portail d’information, un site d’e-commerce,
le blog d’un internaute et une plateforme collaborative ? À première vue, pas
grand-chose tant les visées de leurs auteurs, les logiques de production, les modes
de consultation et les motivations de leurs usagers sont variés. Il faut dire que le
Web présente un tel maelström de formes, de contenus, de pratiques qu’il paraît
vain de vouloir en cerner le dispositif général. Pourtant, cette diversité ne doit
pas cacher que le Web réunit d’abord des modes de représentation hérités des
médias écrits et audiovisuels, ce que souligne bien la notion d’« écrit d’écran »1.
Une page web relève du visible puisqu’elle s’affiche dans les limites contraintes
de l’objet technique qui la restitue. Historiquement, l’écran est celui du cinéma
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apparu à la fin du XIX e siècle, puis de la télévision des années 1950 et de l’ordi-
nateur accessible au grand public depuis les années 1980. Aujourd’hui, l’écran
est aussi celui d’un téléphone mobile, d’une tablette ou d’une console de jeux,
illustrant l’évolution d’un support, initialement large et collectif, devenu minia-
ture et individuel.
Qui dit écran dit surface, champ, cadre, plan… Ces termes liés au dispositif té-
lévisuel (mais aussi photographique et cinématographique) valent aussi pour le
Web. Par exemple, au cadre matériel constitué par les bords de l’écran, s’ajoutent
le cadre du navigateur utilisé, celui parfois du site consulté, ainsi que ceux qui
définissent les zones de contenus, comme c’est le cas dans la presse. De ce point
de vue, la composition d’une page web emprunte clairement les principes d’orga-
nisation du média écrit. Il suffit de comparer le « zoning » d’une page web et la
maquette d’un journal pour constater que le web appartient à l’univers du lisible.
Le dispositif Web présente aussi des éléments propres aux interfaces graphiques
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tels qu’une boîte de dialogue, une barre de navigation ou un formulaire de


recherche qui s’ajoutent à l’agencement signifiant des écrits d’écran. De même,
les compléments sonores et vidéo rappellent que, depuis l’origine, le Web se
présente comme un « multi-média ».
Si la notion d’« écrit d’écran » renvoie à la fois à la matérialité de l’objet technique
et au sens obtenu par la combinaison de signes linguistiques, iconiques et so-
nores, elle souligne aussi le fait que les textes (au sens large) affichés sur l’écran
sont des textes pratiqués. En effet, le dispositif Web offre des contenus résultant
d’actions effectuées par l’usager lui-même.
La lecture sur le Web se caractérise donc par un ensemble de contenus affichés
et absents, actuels et virtuels, présents et à venir.

1 Y. Jeanneret et E. Souchier, « Pour une poétique de l’écrit d’écran », Xoana, n° 6, 1999.

49
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

Les « signes passeurs » (Jeanneret et Souchier 1) qui incarnent cette lecture agie
possèdent certes une dimension fonctionnelle (celle du lien) mais aussi symbolique
puisqu’à l’initiative d’effets de sens inédits. Ils donnent par exemple accès à un
entrelacs de textes ou à l’itinéraire mémorisé d’une recherche qui s’avèrent aussi
originaux que signifiants. Leur particularité est qu’ils sont lus en même temps
qu’ils permettent de lire, à l’image du dispositif Web tout entier que l’usager
découvre au fur et à mesure de sa navigation.
Le dispositif du Web évolue néanmoins dans les limites de ce que permettent
de faire les programmes utilisés par les concepteurs de site. Que ceux-ci
utilisent un éditeur de code maniant les langages informatiques du HTML
et du CSS ou des systèmes de gestion de contenu comme les CMS (content
management system), ils définissent un format de site au sein duquel tout ne
peut pas se produire.
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Comme tout dispositif, celui du Web prescrit des usages et rassemble les interlocu-
teurs autant qu’il les tient à distance. Même sur le Web, la relation qui se construit
entre les deux pôles de la communication est loin d’être symétrique. Ainsi, le
dispositif Web reprend et renouvelle les dispositifs des médias traditionnels. Il
s’inspire autant qu’il réinvente les univers du lisible, de l’audible et du visible.
Mais sa singularité ne se limite pas à ce trait pourtant considérable. Elle réside
aussi dans le fait que le Web correspond à un dispositif de communication à la
fois configuré et configurant, c’est-à-dire produit par une ingénierie organisant
les conditions de l’échange et construisant une lecture en actes. Tout dispositif
est à la fois un format et un formant, mais le Web pousse encore plus loin cette
logique en se présentant comme un espace pratiqué.
Depuis les années 2010, on peut constater par exemple une évolution notoire
dans les sites web qui pratiquent désormais le design adaptatif : ils sont conçus
désormais pour s’adapter à toutes les tailles d’écran, notamment ceux des smart-
phones qui constituent une grande partie des consultations. Ainsi les modalités
de consultation des informations impactent la conception des sites web.

1 Ibidem.

50
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

S Le dispositif de la presse en ligne : inspiré des médias traditionnels,


il s’en distingue par sa capacité à proposer une consultation en actes
(20minutes.fr et lemonde.fr).
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2.3 Du Web aux plateformes numériques :
des dispositifs imbriqués
L’évolution des dispositifs médiatiques avec le Web n’est pas la seule évolution
impulsée par l’apparition de l’Internet grand public au milieu des années 1990.
En effet, l’émergence de nouveaux acteurs spécialisés dans l’équipement infor-
matique, l’industrie des logiciels et des systèmes d’exploitation ou le réseautage
social notamment, constitue un phénomène notable tant elle a modifié les
pratiques informationnelles et culturelles. Aujourd’hui, l’accès aux contenus en
ligne passe nécessairement par ces géants du numérique, souvent réunis sous
l’acronyme GAFAM 1 et qualifiés d’infomédiaires.

Définition 2
Initialement, l’infomédiation renvoie aux techniques de recherche assistée
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par ordinateur, en vigueur dans l’univers de la documentation et des bases


de données. Formée à partir des termes informatique et intermédiation,
l’infomédiation désigne l’activité d’un acteur numérique dont la fonction
est de mettre à disposition d’un internaute qui le sollicite, de manière
automatisée et hiérarchisée, un certain nombre de ressources sélectionnées
parmi la quantité de données disséminées sur la toile (comme par exemple
des contenus informationnels et culturels)2 .

1 Cet acronyme emprunte la première lettre de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.
2 G. Guibert, F. Rebillard, F. Rochelandet, Médias, culture et numérique. Approches socioéconomiques,
Paris, Armand Colin, « Cursus », 2016.

51
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

2.3.1 L’infomédiation et le rôle central


des réseaux sociaux
L’infomédiation ne se résume pas à l’activité de ces seules multinationales mais,
par leur domination sur l’économie de l’Internet et du Web, celles-ci en constituent
néanmoins une incarnation exemplaire. Dès que nous souhaitons échanger avec
autrui, nous divertir, écouter de la musique et, bien sûr, nous tenir au courant
de l’actualité, nous sommes amenés à utiliser l’un des services proposés par
ces acteurs qui remplissent une activité d’infomédiation d’une triple manière1 :
– Algorithmique : traditionnellement incarnée par les portes d’accès au Web
qu’ont été les portails dans les années 1990 (AOL, Yahoo) puis, depuis le
début des années 2000, des moteurs de recherche (Google), cette fonction
repose sur la sophistication d’algorithmes2 de programmation constituant
pour l’internaute un moyen de s’orienter parmi les sites web tout en étant
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une parfaite boîte noire ;
– Sociale : apparue avec l’essor du Web dit « participatif », cette activité est prise
en charge par les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) qui assurent, là encore
grâce à la programmation informatique mais aussi la curation humaine3, la
publication et le partage de contenus écrits et audiovisuels sur les pages des
« fans », « suiveurs » ou « amis » (voir chapitre suivant) ;
– Applicationnelle : le développement d’applications est devenu central au fur et
à mesure que de nouveaux appareils mobiles, et en particulier le smartphone
équipé des systèmes d’exploitation Android et iOS, se sont imposés dans les
usages au début des années 2010.
À travers ces trois modalités d’infomédiation, les firmes du numérique imposent
leur propre logique aux acteurs traditionnels de l’information et de la culture.
Leur position de force rend plus ou moins visibles les contenus conçus par les
éditeurs avec lesquels ils entretiennent une relation d’« associés-rivaux »4 , ca-
ractérisée à la fois par une dépendance et une concurrence accrues en matière
économique notamment (un moteur de recherche ou un acteur de réseau social
a recours au même financement publicitaire qu’un média).
Dans un contexte de hausse de la consultation de l’information sur les téléphones
mobiles, les grands acteurs du numérique ont lancé des services spécifiques
consacrés à l’actualité sur smartphone (Snapchat discover, Facebook Instant

1 F. Rebillard, N. Smyrnaios, « Entre coopération et concurrence : les relations entre infomédiaires


et éditeurs de contenus d’actualité », Rapport de recherche pour le Ministère de la Culture et de la
Communication, Appel Champ Presse, 2011.
2 Un algorithme est un ensemble d’opérations intervenant dans un calcul informatique.
3 La curation est définie comme « la récolte, le tri et la conservation des informations » ; V. Lambert,
V. Landaverde, « Twitter, outil de la curation sociale » dans N. Pélissier et G. Gallezot, Twitter, un
monde en tout petit ?, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 53-72.
4 I.-B. Legavre, « Entre conflit et coopération. Les journalistes et les communicants comme “associés-
rivaux” », Communication et Langages, n° 169, 2011, pp. 105-123.

52
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

Articles, Apple News…). Parmi eux, les réseaux sociaux tendent à devenir cen-
traux tant ils sont parvenus à associer la diffusion de l’information aux logiques
de sociabilité connectée. De ce point de vue, le réseau social apparaît comme
un « infomédiaire intégral » en se présentant à la fois comme :
– un espace de médiation reposant sur la mise en relation entre usagers, ri-
valisant avec la mission sociale exercée traditionnellement par les médias
(infomédiation sociale) ;
– un filtre sélectionnant, à travers les pratiques de conversation et d’échange,
les médias à consulter (infomédiation algorithmique) ;
– un passage obligé pour tout média souhaitant être présent sur des terminaux
dont l’usage dépend des applications qui y sont implantés (infomédiation
applicationnelle).
Dès lors, la logique imposée par ces réseaux sociaux oblige les médias à concevoir
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leur offre en fonction du dispositif technologique et symbolique de ces acteurs,
qu’incarne aujourd’hui le modèle de la plateforme numérique.

Définition 3
Selon la définition du Conseil national du numérique, une plateforme
numérique « est un service occupant une fonction d’intermédiaire dans
l’accès aux informations, contenus, services ou biens édités ou fournis
par des tiers1 ». Une plateforme se définit ainsi par le fait qu’elle assure
une activité d’intermédiation par le biais d’un dispositif technique tout en
permettant, assurant et maîtrisant la rencontre entre des producteurs de
contenus et des usagers/consommateurs finaux. De fait, elle ne produit
généralement aucun contenu.
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2.3.2 La complexe imbrication des dispositifs


numériques
Si l’on considère l’évolution des dispositifs médiatiques mais aussi des pratiques
d’informations des individus, il faut alors prendre en compte la manière dont les
réseaux sociaux à travers leurs plateformes numériques se sont imposés dans
nos pratiques médiatiques à partir des smartphones. C’est d’ailleurs pour cette
raison que les médias d’information sont massivement présents sur les réseaux
sociaux (Facebook, Twitter, Snapchat…) qu’ils soient des médias classiques
comme Le Monde, Le Figaro, Radio France, des chaînes de télévision ou des
nouveaux venus comme Brut, Explicit ou Loopsider.

1 Conseil national du numérique, Ambition numérique, Rapport remis au Premier Ministre, juin 2015,
p. 395.

53
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

Ce qui caractérise tous ces médias numé-


riques et qui les différencie d’un site web
d’information plus classique, c’est le fait
que la diffusion de leurs contenus et l’accès
aux publics sont permis par d’autres acteurs
comme des réseaux sociaux.
Du point de vue du dispositif médiatique,
ce rôle des infomédiaires complique l’iden-
tification du statut éditorial du média versus
l’opérateur de plateforme qu’est le réseau
social. Par exemple, lorsque nous lisons un
article du journal Le Monde dans notre
fil d’actualité Facebook, quel dispositif
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médiatique sommes-nous en train de pra-
tiquer ? La prégnance du réseau social
dans la manière dont nous consultons cette
information est manifeste car c’est lui qui
décide des modalités de mise en visibilité :
le moment qui fait apparaître cet article
S La capture d’écran d’un smartphone dans notre fil ; ainsi que des possibilités
depuis l’application Snapchat, 15 janvier d’interagir à partir d’une publication :
2020. Facebook définit les modalités de partage,
de commentaires et de like autour d’une
publication.
Certains auteurs parlent de dilution éditoriale1 ou d’effacement énonciatif 2 pour
qualifier les enjeux des stratégies éditoriales impliquées par cette imbrication
entre les dispositifs des médias et des plateformes. Cette imbrication est certes
éditoriale mais elle est également technique, organisationnelle et économique, et
traduit des rapports de force entre ces acteurs du numérique et de l’information.
La question que l’on peut légitimement poser alors est : qui est le média ? En effet,
les plateformes comme YouTube ou Snapchat imposent les formats, maîtrisent les
modalités de diffusion des contenus, mais aussi les modalités de consultation et
d’interaction. Ce sont eux qui permettent et construisent la rencontre entre des
usagers et une information. Si l’on considère que le dispositif de chaque média
organise l’espace et le temps de l’information (mise en forme et modalités de

1 F. Rebillard et N. Smyrnaïos, « Quelle “plateformisation” de l’information ? Collusion


socioéconomique et dilution éditoriale entre les entreprises médiatiques et les infomédiaires de
l’Internet », tic&société, vol. 13, n° 1-2 | -1, 247-293.
2 V. Croissant, I. Hare et A. Touboul, « De l’édition à l’éditorialisation ? Analyse d’une transformation
des médias d’information à l’ère numérique » in F. Lienard, S. Zlitni, Réseaux Sociaux, Traces
Numériques et Communication Électronique, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2020.

54
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

diffusion des informations), on peut en déduire que dans le cadre de l’actualité


pratiquée par le biais des plateformes numériques, ce sont ces dernières qui
possèdent le dispositif médiatique et moins le média qui produit l’information.
Cette prégnance des réseaux sociaux, sous la forme de plateformes, sur l’in-
formation induit de nouvelles modalités de définition du média lui-même mais
également des publics médiatiques. Les plateformes numériques dans leur
ensemble ont imposé un modèle fondé sur les possibilités d’interaction et de
participation.
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55
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

Les points clés


¼¼En tant que « dispositif » éditorial, le média a une dimension stratégique
prédominante : la mise en ordre de l’information.

¼¼Les médias ont d’abord une définition historique liée à la masse de leur
public ; on parle de « médias de masse » (ou mass media) : il s’agit principa-
lement de la presse, de la radio et de la télévision.

¼¼Avec l’essor du Web, les grands dispositifs traditionnels doivent se redéfinir


et intensifier leur hybridité : les titres de presse sont diffusés en ligne, la
radio est filmée sur son site, la télévision est délinéarisée.

¼¼L’hybridité ne signifie pas toutefois l’uniformisation, et les médias choisissent


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des modèles économiques et éditoriaux variés : présence gratuite ou payante
en ligne, complémentarité des supports (textes, vidéos, extraits sonores,
etc.) ou repli sur un support dominant (comme le support graphique dans
le cas des « mooks »).

¼¼L’influence du modèle numérique impose un modèle « social » de la pra-


tique des médias : la participation, l’interactivité et le commentaire. Les
« réseaux sociaux » prennent une importance croissante dans la diffusion
des informations.

¼¼De nouveaux acteurs de l’information en ligne émergent : ils ne produisent


pas d’informations en tant que tel mais ils trient et filtrent la masse des
informations disponibles, font circuler et acheminent jusqu’au lecteur
connecté les contenus. La plupart de ces nouveaux acteurs de l’information
se définissent alors comme des « infomédiaires ».

¼¼La montée en puissance des infomédiaires conforte certains acteurs et


leurs dispositifs : les réseaux sociaux transforment notre manière de nous
informer et la définition même d’un média d’information.

56
Chapitre 2 Diversité et complexité des dispositifs médiatiques

APPLICATIONS ! Corrigés p. 278

5 Un article du journal Libération qui apparaît


QCM sur mon fil d’actualité sur Facebook relève :
a. exclusivement du dispositif de Facebook.
Une seule bonne réponse est possible pour chacune b. exclusivement du dispositif du journal Libération.
des questions. c. d’une imbrication entre les deux.

1 À quel philosophe est particulièrement associée 6 On nomme « infomédiaires » :


la notion de dispositif médiatique ? a. les acteurs du Web qui permettent un accès organisé
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a. Jacques Derrida. aux informations pour les internautes.
b. Michel Foucault. b. la représentation par une icône des différents médias
c. Bernard-Henri Lévy. sociaux.
2 Qu’est-ce qu’un mook ?
a. Un objet d’édition hybride.
b. Un cours accessible en ligne.

3 Quel média de masse a produit les premières


Questions
vedettes de la chanson ?
a. La télévision.
de réflexion
b. La radio.
c. Le Web. 7 Le blog participatif, un dispositif pas si
simple
4 Qui a adapté pour la radio l’œuvre de H. G. Wells Expliquez en quoi un blog participatif se révèle un
La Guerre des Mondes ? dispositif médiatique plus contraignant qu’il ne le
a. William Faulkner. laisse paraître.
b. Orson Welles.
8
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Journaliste papier, journaliste web…


Pensez-vous que la spécialisation des journalistes par
type de média sera tenable à l’avenir ?

57
Chapitre 3
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S Les médias s’installent sur les réseaux S Un journaliste assure la promotion et
fréquentés par leurs publics : Teen Vogue s’installe l’animation d’un collectif de journalistes travaillant
ainsi sur la plateforme TikTok prisée par les à vérifier les informations douteuses pendant la
adolescents dès 2019. pandémie de Covid19 sur un serveur Discord.

L
es médias ne se contentent plus de fournir Plus généralement, les applications et les plate-
tout ou partie de leurs articles en ligne sur formes configurent des lieux de mise en visibilité
leur propre site web. Ils s’inscrivent dans des informations et des gestes journalistiques liés
l’écosystème plus large des outils « sociaux » de la à la production d’articles, de reportages et de leurs
communication numérique. Ainsi que le montrent échanges de pensées : diffuser, veiller et choisir,
les deux captures d’écran ci-dessus, les articles relayer et commenter. Les plateformes encadrent
deviennent des contenus que reconditionnent et définissent des liens recomposés entre les
les pratiques des journalistes : pratiques à la fois publics et les journalistes, mais également entre
collectives (au nom du journal : capture d’écran 1) les médias et les annonceurs, en se posant en
et individuelles (le journaliste se fait médiateur : intermédiaires incontournables des nouvelles
capture d’écran 2). circulations des productions médiatiques. De nou-
velles relations s’installent actuellement entre les
journalistes et les réseaux sociaux.
Les journalistes et
les médias face aux
réseaux sociaux
Plan
1 Les genres journalistiques, avant et après les réseaux sociaux . . . . 62
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2 La production et la consommation des contenus au quotidien
sur les réseaux sociaux, une atomisation
des contenus d’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3 La relation entre profils individuels des journalistes et l’identité
collective du média . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

Objectifs
¼¼Questionner la fonction traditionnelle des journalistes
¼¼Mesurer la place que les réseaux sociaux tiennent dans la production
et la mise en circulation de l’information
¼¼Comprendre les effets de ce phénomène sur le débat au sein de l’espace
public
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

Entre 2009 et 2010, les journalistes français, comme leurs homologues interna-
tionaux, ont commencé à utiliser les plateformes des réseaux sociaux, à travers
notamment Twitter et Facebook, pour produire et faire circuler des informa-
tions. Dix ans plus tard, dans les médias et dans les écrits des journalistes, ces
outils sont présents partout et régulièrement utilisés. Cependant, au début des
années 2020, cette pratique se déroule avec beaucoup plus de distance et selon
une logique professionnelle consistant principalement à relayer des articles ou à
trouver des sources : une source est une personne, une institution, un organisme
qui va parler aux journalistes pour qu’ils établissent des faits.
En quelques années, après l’euphorie et l’espoir que ces outils ou plateformes
permettent de retendre la confiance entre les professionnels de l’information
et les publics par une supposée activité de « conversation », c’est la méfiance et
la prudence qui prévalent. Les « fausses nouvelles » (expression mobilisée pour
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désigner les pratiques de manipulation et de désinformation), les « trolls » (ceux
qui, sur un réseau social, viennent « pourrir » les échanges par des invectives ou
des discours virulents présents dans les messages) et les commentaires haineux
ont endommagé l’image positive des débuts des plateformes.

Définition 1
Les fausses informations, nombreuses dans le contexte d’élections et
de polémiques, aussi appelées « infox » en France, sont soit des données
volontairement mensongères ou des histoires imprécises venant rendre
flou le déroulement des événements aux yeux des publics.

Malgré ces dérives des contenus et des formes acceptées de débats réglés par des
normes de respect des individus, en vingt ans, les marques telles que Facebook,
Twitter, Instagram, Snapchat ou TikTok ont tout de même trouvé une place
dans l’univers de l’information et de la communication, marqué désormais par
la présence de la prescription des algorithmes.

FOCUS
L’importance des algorithmes
dans la prescription de l’information
L’analyse d’un expert des cultures numériques, Tristan Mendès France,
maître de conférences associé, université Paris-Diderot.
« Les algorithmes ont envahi le Web. La majorité de ce que l’on consomme en ligne aujourd’hui a été
travaillée de près ou de loin par les algorithmes. Que ce soient les sites marchands, les plateformes

60
Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux

sociales, culturelles ou nos moteurs de recherches, ils ordonnent puis suggèrent ce qui est présenté à
l’internaute. Le cas le plus flagrant est celui de YouTube et ses 1,5 milliards d’utilisateurs. On estime
que 70 % du milliard d’heures de vidéos visionnées quotidiennement, sont le résultat d’une recomman-
dation algorithmique.
Prescripteurs, ces algorithmes façonnent de plus en plus le paysage informationnel de ce que les gens
regardent et prescrivent ensuite à leur tour. Avec son lot de dérives inquiétantes comme notamment
la propagation de contenus toxiques comme les « infox », ces fausses informations qui polluent le
paysage médiatique. Le problème de fond réside dans le fait que ces algorithmes sont aveugles à la
qualité du contenu qu’ils mettent en avant. La seule logique qui leur est sous-jacente est commerciale.
L’objectif est de présenter du contenu dit « engageant » (qui sollicite l’attention et engendre une action
soit de prescription ou d’achat) qui gardera l’internaute le plus longtemps en ligne afin de l’exposer à
un maximum de publicités. »
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Elles se sont institutionnalisées et permettent à des médias de continuer
de se faire connaître et de prolonger leurs contrats d’audience et de lecture
auprès de nouveaux publics, parfois plus jeunes, qui en 2020 passent parfois
quotidiennement onze heures à consulter des données de toute nature sur
des écrans !
Ces marques se sont banalisées par l’institutionnalisation des formes minima-
listes du récit qu’elles imposent aux rédactions et aux journalistes. Ces derniers
tentent en retour de se les approprier en proposant des informations mises en
forme selon les gabarits imposées par les plateformes. Le format majeur est
celui de la « story ».

Définition 2
Une « story » est une petite histoire composée de plusieurs plans se tradui-
sant sous la forme d’une image constituée de textes, de dessins accumulés
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en plusieurs strates éditées.

Dans ce contexte, les genres journalistiques, garants d’une relation établie entre
un média et ses publics et stables dans le temps, sont donc à nouveau question-
nés. Schéma de progression des contenus d’un média, anticipé par la rédaction,
par lequel le lecteur ou un auditeur passera le chemin de fer est remplacé par
la conception de « cheminement » à travers un ensemble de supports possibles,
intégrant désormais.
Quelles places sont alors possibles pour le portrait, l’interview, le reportage, la
brève, le direct, l’enquête lorsque la consultation enchaînée d’un post (petite unité
d’information), d’un « live » (flux en direct de contenus), d’un snap (photographie

61
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

prise rapidement et diffusée sur un réseau), d’une boucle animée deviennent


monnaies courantes dans nos manières de nous informer ? Le règne de l’anecdote,
de l’éphémère et de l’instantané est-il devenu le cadre unique de l’exercice du
journalisme ? Les deux parties de ce chapitre moduleront les approches selon
lesquelles le travail des journalistes a été bouleversé par cette vague éditoriale
venue des oligopoles constitués par les plateformes, industries culturelles imposant
souvent leurs logiques économiques et temporelles aux médias à travers le monde.

1 Les genres journalistiques, avant


et après les réseaux sociaux
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1.1 Contextes
Dans ce contexte de montée en puissance de ces petites unités sous formes de
« petits articles » ou de « papiers brefs » prescrits par les plateformes, l’enquête
journalistique continue pourtant de se situer au cœur de la pratique en évoluant
dans ses processus et dans ses mises en forme, tout en étant relayée sur les
réseaux sociaux.
Paradoxalement, des formats traditionnels plus longs, comme ceux du livre,
retrouvent auprès des journalistes une grande attractivité pour rendre compte
d’une enquête, dans une période d’accélération des supports numériques afin
de produire et de faire circuler les informations.
Parfois, les journalistes associent les deux types de pratiques et de formats pour
valoriser leurs enquêtes. Le journaliste David Dufresne a ainsi pu documenter
les violences policières répertoriées par un travail de sollicitation des publics
assistant au cours de l’année 2019 à des situations de confrontations lors des
manifestations des Gilets jaunes avec le hashtag #alloplacebeauvau. Ces tweets
successifs présents sur le profil du journaliste, marqués par ce mot-clé, ont mis
en évidence le nombre élevé de coups et blessures graves sur des personnes
poursuivies ou interpellées par les forces de l’ordre en France ; le journaliste
a ensuite condensé cette enquête en un récit paru en 2020 et intitulé Dernière
sommation. Dans le livre, son double de fiction relate les conditions de cette
enquête réalisée par le moyen des tweets et des images reçues avec des sources
sur le terrain-même des manifestations.
Les entreprises de médias, toujours fragiles économiquement, encouragent
ces productions complémentaires au travail de leurs journalistes. Les articles

62
Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux

côtoient des contenus publicitaires, la fréquentation des publics à la surface des


écrans consultés laissant des traces sous formes de données qui servent de mon-
naie d’échange entre les éditeurs et les annonceurs. Cette donne économique
conduit à la nécessité de produire des titres accrocheurs, voire dans certains
contextes, à produire des contenus erronés ou orientés pour séduire certains
types de publics, alors également confrontés à ces doubles contenus éditoriaux
et publicitaires. Les sites de groupes militants extrêmes sont particulièrement
actifs pour tenter de se constituer des audiences plus larges par le moyen d’in-
formations douteuses ; ils se financent sur le même modèle économique que les
grands médias traditionnels et imitent les pratiques d’écriture des journalistes.
Les annonceurs ne maîtrisent pas toujours la présence de leurs publicités sur ces
sites qui les captent alors. Pour certains organismes critiques et opposés à ces
postures extrêmes, la stratégie éditoriale consiste à acheter des mots-clés du même
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domaine sémantique que ceux proposés par les articles proposés sur ces sites et
à faire s’afficher, avec ces mots-clés identiques, des contenus alternatifs. Le site
français Stop hate money suit cette logique éditoriale. Celle-ci vient s’appuyer
sur la lecture critique du travail de militants, imitant eux-mêmes les pratiques
journalistiques. Le modèle de l’article et de l’argumentation médiatique reste
fort, même s’il est concurrencé de toutes parts.

1.2 Qu’est-ce qu’un genre journalistique ?


Pour établir un lien aux publics et communiquer une information, les journa-
listes mobilisent donc des « modèles » d’écriture et de types de publications.
Ces modèles correspondent à la notion de genre. Le genre, en journalisme,
désigne à la fois un repère formel et un gabarit de « taille » pour structurer la
façon d’écrire et pour offrir une diversité des contenus aux publics. Le terme
d’écriture est ici à prendre au sens le plus large. L’écriture journalistique, dans
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tous les supports existants dans le contexte numérique peut être visuelle ou
textuelle, en mobilisant des images (fixes ou animées, photos ou vidéos) ou des
mots. L’écriture peut aussi articuler ces deux types de codes distincts qui en
forment alors un troisième, rendant insécables les rapports entre la partie texte
et la partie image d’un message informationnel. Les journalistes « écrivent », en
ce sens qu’ils établissent le montage entre les différents éléments donnés à lire
ou à voir. Parfois il s’agit de texte, d’un lien hypertexte à ajouter, d’une image à
ajouter, ou bien encore d’un flux de direct à animer.

1.2.1 Le genre de l’article aujourd’hui


Les genres évoluent régulièrement au cours de l’histoire du développement des
médias, avec des périodes d’émergence, de fixation et de disparition progressives,

63
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

voire de réapparition. L’unité article composée d’un titre, avec une longueur
définie et accompagné d’illustrations, dans cette histoire longue de la presse
moderne née à la fin du XIX e siècle, est le fruit d’une triple évolution qui se fige
progressivement pour ensuite évoluer de nouveau jusqu’à nos jours. Un article
aujourd’hui peut aussi bien contenir quelques milliers de signes ou peut devenir
un reportage long avec plusieurs types de formes qui s’enchâssent. S’entrecroisent,
dans les façons de concevoir les genres dans les rédactions, les influences des
formats, des habitudes d’écriture et des manières de recevoir l’information.
Aujourd’hui, reprendre un tweet dans un article, comme matière à citer ou comme
illustration est acceptable et peut même devenir la source d’une enquête longue
d’une équipe entière de journalistes expérimentés, comme dans cette enquête
du New York Times autour des 11 000 tweets du président américain Trump sur
une période de deux années à partir de 2017.
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Les réseaux sociaux constituent donc un nouvel exemple de cette triple influence
des formes, des processus professionnels et des usages de l’information par les
publics dans l’élaboration de contenus journalistiques. Les pratiques journalis-
tiques sont cadrées par ces contextes éditoriaux mouvants. Ainsi, nous allons
décrire, dans la partie suivante, comment les journalistes et les médias font face
à ce processus d’évolution progressive des manières de structurer l’information.
Nous verrons notamment combien elles sont marquées par une forte « atomisa-
tion » des unités, dans un contexte de constantes mutations des techniques, des
supports et des pratiques de consultation des informations. L’histoire récente
du journal Le Monde et des pratiques de travail de ses journalistes est à ce titre
exemplaire.

1.2.2 Le cas du journal Le Monde


Pour comprendre l’évolution des journaux sur Internet face aux réseaux sociaux
et de leurs différentes propositions d’information, le cas du média Le Monde
peut être observé. Comme beaucoup d’autres médias, notamment imprimés, le
journal Le Monde est désormais présent sur le papier, un site et plusieurs appli-
cations dédiées. Il est donc toujours le fruit d’une vision éditoriale journalistique,
cependant travaillée par les formats imposés par les dispositifs numériques,
comme à travers l’exemple de son édition pour la plateforme sociale Snapchat,
ce dernier se présentant comme un dispositif de messagerie et un contenant
d’informations pour téléphones mobiles.
Le journal Le Monde apparaît sur Internet en 1995, avec au commencement,
un site contenant essentiellement des liens vers des articles du journal imprimé
rédigés par les journalistes. De la même manière, les sites de presse et de médias
internationaux suivent cette recette particulière consistant à se propulser sur des
sites web qui leur permettent, selon une logique de gratuité, de se faire connaître

64
Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux

auprès de nouveaux publics. L’espérance des éditeurs


est à l’époque la suivante : faire du site web un outil
de publicité pour la version papier en s’inspirant des
pages du journal imprimé, comme transposées aux
écrans. À cette première étape de l’intégration du
numérique dans le travail des journalistes, la verticalité
des sites est forte, les liens construisant la hiérarchie
de l’information du haut vers le bas des écrans. En
haut d’un site Internet, les informations les plus impor-
tantes sont inscrites, en bas viennent les informations
secondaires. Les cinq premières années du déploiement
des sites français de presse quotidienne nationale
vont globalement suivre cette idée de mise en forme,
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appelée éditorialisation pour le Web. À cette période,
l’équipement majeur est l’ordinateur personnel, avec
un écran horizontal : les sites de presse suivent alors
la logique imposée par cette disposition particulière.
Les équipes des journalistes ne sont pas dédiées aux
éditions numériques. Quelques personnes sélectionnent
des articles et les transfèrent sur des serveurs dédiés.
La mise en forme est minimale, le journal s’inspire
S Illustration tirée de l’édition du journal
alors de la forme générale des sites web. Le Monde pour la plateforme Snapchat

2 La production et la consommation
des contenus au quotidien sur les
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réseaux sociaux, une atomisation


des contenus d’information
Progressivement, entre 2000 et 2015, les médias choisissent d’évoluer vers
une approche plus autonome : comment faire en sorte que les pages à l’écran
apportent une façon dédiée de consommer l’information ? Il s’agit de formaliser
un ensemble d’activités et d’actions propres aux nouveaux métiers du journalisme
pour collecter, traiter, rédiger, formater et diffuser des données et des nouvelles
auprès de publics.
Les journalistes vont être force de proposition pour intégrer les formes venues
des applications telles que Facebook et Twitter, et plus récemment en provenance

65
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

d’Instagram et de TikToK. Les écrans deviennent, dans ce second temps, des


puzzles informationnels. Chaque zone des écrans accueille une pièce indépendante
s’agrégeant aux autres, afin de constituer une image globale de l’information,
pour un site de presse ou une application pour téléphone mobile. La hiérarchie
de l’information est donnée par la succession des rubriques et des titres. La
consultation des articles n’est possible que dans un second temps, lorsque les
liens hypertextes signalent ces « textes » en puissance par des couleurs rappelant
l’identité éditoriale des sites.
Le sens de l’information est fourni à l’usager par son parcours dans le site et non
plus par la coprésence des articles dans l’aire de la page ou de la double-page.
Le sens et l’énonciation éditoriale sont donc à rechercher dans le collage des
signes et des cases d’information inscrits dans l’espace des écrans, qu’il faut faire
défiler : l’emprise des flux est présente, à charge pour les équipes de journalistes
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d’en nourrir la cadence.
Une exception notable à cette nouvelle logique de la construction du sens est à
trouver dans les versions au format PDF des journaux livrées par abonnement
numérique sur des sites ou des applications « kiosques » : le journal se numérise
entièrement et se donne à voir dans sa forme originelle, la consultation est donc
une sorte de glissade entre les différentes pages. Elle reprend parfois la métaphore
du feuilletage. Dans cette seconde logique, les journalistes n’interviennent plus, la
forme du média auquel ils contribuent leur échappe et est confiée à des program-
mateurs et des designers, chargés de l’aspect final du média et de l’information.
Dans la plupart des cas, les éditeurs de presse vont faire le choix d’adapter leurs
sites aux évolutions des équipements et des pratiques de lecture. Comme les écrans
des mobiles grandissent, certaines pièces du puzzle informationnel constitué
par un site deviennent progressivement indépendantes de cette mosaïque de
formats et de liens hypertextes. Ainsi, avec le développement de la téléphonie
mobile, et à partir des années 2015, les applications dessinent soit une spécialité
thématique soit une fonction, comme marquer un tempo d’information, celui du
matin ou de la seconde partie de journée. Il devient alors impossible de saisir
toute la production du média en une seule lecture.
Reprenons l’exemple du journal Le Monde.

2.1 Évolutions éditoriales du quotidien


Le Monde
Dans le cas précis du quotidien Le Monde, les choix effectués de mise à dispo-
sition des informations dépendent de deux facteurs :
– la succession des dirigeants de la publication ;
– l’évolution des technologies les plus présentes parmi les foyers des usagers.

66
Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux

Le pouvoir éditorial change de mains et les journalistes perdent une part de


leur magistère sur l’énonciation de leurs enquêtes et reportages. Dans le cas
du Monde, les directeurs du journal et les directeurs du site vont se succéder
entre 1995 et 2020. Certains vont parfois expérimenter les deux fonctions,
en étant tout d’abord un temps responsable du site puis ensuite directeur du
journal. À partir de 2020, le site web prend une importance centrale pour la
marque Le Monde, en diffusant des informations sans cesse remises à jour et
des articles soutenus par une mobilisation de l’ensemble des journalistes. Censée
les valoriser, la production de tweets, de posts, de directs sur Facebook, voire
de photos présentes sur les comptes Instagram personnels ou professionnels
des journalistes des rédactions du média, a pour objectif d’assurer une grande
visibilité du nom du journal et de ses contenus dans chaque événement traité
par la marque.
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Cette stratégie semble être payante puisque trois ans plus tard, l’un des direc-
teurs du journal se félicite de la progression globale des audiences de la marque
appartenant à un groupe lui-même possédé par deux actionnaires principaux.
Au-delà de l’imaginaire d’une marque globale d’un média, il s’agit aussi de
faire vivre une entreprise recherchant un équilibre financier, en mobilisant tous
les corps de métiers, dont les journalistes qui ne sont plus nécessairement les
décideurs principaux de l’organisation médiatique.
Le groupe suit le développement des formats portés par les plateformes pour
s’adapter aux évolutions des pratiques et des usages de l’information en ligne.
Parmi ces formats, celui du « direct » connaît un développement fort depuis
2015. À cette époque, des applications permettent de faciliter le streaming
(flux d’information diffusé en direct), sans difficulté de connexion et avec
fluidité. Dans ce cadre, les journalistes utilisent d’abord des applications telles
que Périscope, application rachetée par la plateforme Twitter en 2016. Cette
plateforme va l’intégrer dans les outils directement disponibles pour écrire
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une information.

2.2 L’empire des flux : des lives aux stories


en passant par les tweets
Facebook, plateforme dédiée aux écrits, suit intensivement ce développe-
ment vers l’image, fixe et animée en achetant la plateforme Instagram et en
équipant les outils de sa propre plateforme d’une dimension de « direct », dite
« live ». Il est possible pour un journaliste de démarrer un flux d’informations
audiovisuelles à la suite d’un texte. Il créé une sorte d’impromptu dans le flux
de son profil.

67
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

La plateforme Instagram exige elle aussi des adaptations de la part des usagers
médiatiques ou non : elle reprend comme celles de Twitter et de Facebook
cette symbolique simplificatrice de l’amour inconditionnel porté à des bribes
d’informations. Cependant, elle dessine aussi une partition à part, puisqu’elle
se spécialise sur l’amour partagé de l’image, fixe ou animée.

FOCUS
Instagram : analyse d’un outil
potentiellement journalistique
Pour se distinguer, cette plateforme a choisi pour logo un objectif
stylisé d’un appareil photo, qui semble aussi pouvoir être interprété
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comme un bouton de démarrage d’un appareil technologique. Encore
une fois, la vie en réseaux dépend de cet effet d’engagement et de
cliquage par l’engrenage symbolique, porté par une focalisation sur
un signe unique. Ce symbole incarne une partie d’un système numé-
rique global de mobilisation de chacun et de chacune dans le flux de
son quotidien, qu’il pourra retrouver également disséminé sur chacun
des écrans de sa consommation d’information. Le journal Le Monde
n’échappe pas, comme tous les types d’entreprise médiatique à cette
logique particulière, puisque qu’il est aussi possible de découvrir
certains articles en ligne, via la photographie qui l’illustre, légendée Photographie © V. Jeanne-Perrier
à la manière d’une longue suite de mots indexés, comme on les trouve
sous les photos ordinaires des usagers non-journalistes.

Dans le cas du journal Le Monde, ces impromptus ne sont pas systématiquement


mobilisés, car ils produisent nécessairement une perte d’autorité du contrat de lec-
ture du journal en ligne, qui, lorsqu’il mobilise une marque extérieure pour exister,
se trouve en situation de délégation éditoriale. Le journal est comme « accueilli »
par les cadres de la plateforme qui l’encadre. Comme dans la plupart des médias,
Le Monde et ses équipes éditoriales se trouvent donc à la fois tentés par l’usage
d’un outil lui permettant éventuellement de toucher de plus larges audiences mais
aussi méfiant à l’égard d’un acteur puissant de l’information, devenant à son tour un
médiateur et un connaisseur des usagers valorisant la consommation d’informations.
Il incorpore dans ses énoncés des éléments permettant de se diffuser éga-
lement sur les technologies et les outils mobilisés au quotidien par des
consommateurs devenus très « picoreurs » en matière d’information. En ce
sens, les directs du Monde répondant bien à cette logique de l’information
rapide et à consommer dans l’instant. Ils sont irréguliers, sans calendrier
ni rendez-vous marqués. Ils dépendent de l’actualité retenue par le journal,

68
Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux

via ses journalistes sélectionnant les éléments et les invités animant de tels
« directs ». La maîtrise du cadre de la page reste donc du côté du journal, ayant,
dans le même temps, développé des formats dédiés autour de l’application
Snapchat, application de messagerie sous forme de petites histoires animées.

E N P R AT I Q U E
La « Matinale » du Monde
Le journal Le Monde choisit à ce moment précis de l’année 2017 de prolonger son site initial avec
plusieurs temporalités, correspondant à différentes éditions numériques dédiées à la consultation sur
les téléphones mobiles. Ainsi, La Matinale du Monde est publiée le matin, elle reprend la hiérarchie
des rubriques principales du site. Là encore, et comme sur le site, les titres accrocheurs jouent le rôle
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de signalement des articles présents et sélectionnés pour l’application, gérée en même temps que le
site par une équipe éditoriale dédiée, qui en décide les notifications spéciales s’affichant sur les télé-
phones des abonnés. La notification est une apparition d’un morceau d’information, dont l’accroche
est spécifiquement écrite pour l’écran du mobile. La Matinale, en tant qu’application, n’est pas la seule
« extension » du site du journal car elle est suivie, dans la scansion du rythme de l’information dans la
journée par les contenus du journal collectés pour l’application Snapchat et ensuite diffusés dans le
courant de l’après-midi.
Pour cette édition spécifique, une équipe éditoriale dédiée est formée, avec un rédacteur-en-chef qui
assiste à la conférence de rédaction générale du journal et va ensuite choisir avec son équipe et en accord
avec le directeur de la publication, de dérouler une seule « histoire » majeure, traitée en profondeur
par l’équipe. Le traitement éditorial se présente sous la forme d’une série de cartes animées, avec
du son et des interactions courtes. La consultation de l’information est alors celle d’une information
principale, traitée à la manière du Monde, comme une sorte de « chef d’œuvre quotidien ». Cette
transformation du traitement journalistique de l’information est majeure car le journal ne se présente
plus comme une vision totale d’une journée d’actualité passée au filtre d’une équipe collective, mais
plutôt comme un regard sélectif sur une seule information. Elle devient une forme narrative, plutôt
amusante et souvent traitée de manière décalée, à la manière des « strips » de la presse américaine.
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Dans l’information, un sujet devient central, comme un « héros ». Le récit va suivre un déroulement
linéaire, dans lequel l’information est la résolution d’une intrigue principale autour du héros sélec-
tionné pour l’édition du jour. L’enquête, genre central dans la pratique journalistique, se réduit alors
à son expression la plus simple.

Et en effet, outre la Matinale du journal, qui rejoint la cohorte des applications


du matin, proposant des séries de « cartes » synthétisant un fait ou un événement,
on peut donc consommer de l’information, telle qu’éditée par le journal, sous
forme d’un court récit en bande dessinée en « rouleau » horizontal, reprenant
les canons imposés par la plateforme Snapchat. C’est alors également un autre
acteur montant de la Silicon Valley dont l’application repose en principe sur des
jeux de filtres ludiques apposés sur des photos prises avec un mobile qui émerge.

69
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

Cette technique a d’ailleurs été reprise par la plateforme Facebook, s’éloignant


alors d’une logique médiatique se voulant sérieuse.
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S Ces deux captures d’écran traduisent le montage séquencé autour d’une seule
« story » postée le 11 mars 2020 dans l’entrée Discover de Snapchat pour le journal
Le Monde.

Tous ces titres et entreprises s’intéressent alors aux objets numériques poten-
tiellement supports de leurs contenus. Ils se tournent alors non plus vers des
développeurs d’outils numériques comme des applications mais vers l’entreprise
Google. Cette entreprise déploie à partir de 2017 un outil à interface vocale, le
Google home. Le boîtier, sans écran, est censé faciliter la consommation dans
les foyers, par un outil connecté et guidé par la voix des usagers ordonnant des
« demandes » exécutées par l’outil disposé au centre des foyers. Le Monde ne
communique pas sur un tel projet ; certains médias hésitent à déployer leurs
contenus sur un support encore peu mobilisé par les publics.
Il est pourtant déjà présent pour un autre quotidien, dédié à l’information éco-
nomique, Les Échos. Le flux de l’information est donc guidé, dans ce cas et pour
ce second journal, par le flux de la voix. Elle devient ainsi la nouvelle interface
de commande et de recommandation des contenus. Les données d’usage sont à
nouveau au cœur de la stratégie de déploiement de ces outils : nos commandes

70
Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux

d’articles par la voix sont analysées et remontées vers les rédactions qui peuvent
ainsi essayer de formaliser un contenu plus adapté aux attentes des consommateurs.
Les interfaces sont donc à la fois des outils de proposition et des outils d’analyse
de nos pratiques sociales en ligne. Les journalistes, dans ce cadre, deviennent des
« storyboaders » : ils écrivent des scénarios d’usage de l’information qu’ils condensent.

2.3 Le Tweet, le snap et autre story,


des modèles de discours journalistiques
alternatifs ou de simples valorisations
supplémentaires des informations ?
À l’instar du journal Le Monde, la plupart des médias sont désormais aussi pré-
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sents sur la plateforme Twitter, avec de nombreux comptes, liés à des rubriques,
ou à des comptes de journalistes. Les comptes dédiés sont animés par les chefs
de services et des journalistes spécialistes, pendant que les comptes person-
nels sont directement nourris par les prises de parole écrites des journalistes
eux-mêmes. Après une phase d’essais, les journalistes ont rapidement adopté
l’usage du tweet comme modèle de discours sur leurs pratiques et à propos des
médias pour lesquels ils travaillent ; l’outil est devenu un moyen de valorisation
des contenus d’information. Certains journalistes sont plutôt bavards sur cette
plateforme, pendant que d’autres modèrent leurs usages, en se concentrant sur
une logique de veille thématique liée à leurs domaines d’expertise.
Ainsi, certains journalistes maintiennent une activité de veille autour des thé-
matiques dont ils ont la charge pour le journal. On peut aussi prendre l’exemple
du compte du Décodex du Monde, animé régulièrement par plusieurs rédacteurs
s’étant spécialisés sur la valorisation de la vérification de l’information. Sur cet
espace particulier, ils soulignent toutes les étapes de constitution de la rubrique,
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ils présentent les activités engagées pour produire l’information vérifiée et les
difficultés de son animation. Le compte est suivi mais il est aussi ponctué par
de nombreux retours agressifs, voire insultants pour l’équipe dédiée à ce tra-
vail de vérification des informations : la participation des publics dans le flux
du travail journalistique est de ce fait une incursion pouvant présenter aussi
des risques psychiques pour les journalistes confrontés en permanence à ces
logiques de défiance venus de sources parfois non directement identifiables.
Les tweets ont évolué dans leurs longueurs et leurs possibilités d’insertion de
différents formats d’images ou de vidéos. Ils constituent aussi à leur tour des
petites mosaïques de contenus, orchestrés en amont par les conditions de possibi-
lités d’écriture des tweets pensés par les concepteurs de la plateforme et par son
chef d’entreprise, Jack Dorsey, veillant aussi à ce que l’outil conserve une bonne
image globale. Là aussi, l’entreprise fait face à des accusations de facilitation de

71
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

la diffusion de « fausses informations » qui sont adressées à cette marque, mise en


cause comme les autres plateformes, dans une période nouvelle de défiance par
rapports aux grandes entreprises liées à cette industrie de la mise en format des
« discours de la vie sociale ». Pour y faire face, la plateforme propose des codes
couleurs pour distinguer les informations considérées par elle comme défaillante.

3 La relation entre profils


individuels des journalistes
et l’identité collective du média
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3.1 Les journalistes et les médias tiraillés
entre des dispositifs externes imposés
et des injonctions internes venues
des réseaux sociaux
Comme la plupart des supports médiatiques, le journal Le Monde apparaît sur
Internet en 1995, avec un site qui contient essentiellement des liens vers une
sélection d’articles ; à partir de cette date, les versions du site vont se succéder à
la fois en fonction des évolutions des technologies de mise en ligne et de stockage
des informations et des directions éditoriales du journal. En effet, un site est,
pour un média qui a un passé papier, souvent pensé comme un complément au
quotidien bouclé et diffusé en kiosques.
Après de nombreuses évolutions, les premières pages du site du journal apparaissent
désormais comme dépouillées, centrées sur le texte de l’article. Le modèle de la
page est longtemps resté déterminant pour tous les types d’écrans. Désormais,
l’aire de l’écran est fragmentée. L’article reste l’unité centrale. Il tente de défendre
son autorité et son unité de sens, face aux proliférations de boutons incorporés
dans la page et qui en ponctuent son entourage. À chaque moment, l’internaute
est sollicité pour agir sur l’écran et se projeter vers d’autres contenus, appartenant
le plus souvent au journal. L’internaute reste dans la boucle informationnelle
construite par l’ensemble des journalistes d’un média, signant d’ailleurs régu-
lièrement leurs papiers de leurs identités sur la plateforme Twitter. Le profil se
substitue donc progressivement à la signature collective, l’orchestre du journal
est composé de la présence incarnée de l’ensemble de ces solistes désormais
directement interpellés par des internautes en capacité de les interroger.

72
Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux

Les journalistes créent donc une boucle narrative doublement reliée à l’identité du
journal et à leurs propres « lignes de temps » individuelles. La vie sociale des réseaux
se constitue donc selon une logique circulaire consistant à se faire connaître et à
permettre à l’utilisateur de se sentir dans un contexte d’énonciation familier. Les
boutons simples d’apparence renforcent cette logique de familiarité et de simplicité :
il est difficile d’apporter des nuances ou des contre-arguments quand, à la suite
d’un article ou d’une information, le seul signe activable sous un tweet est un cœur,
signifiant unique de « l’amour » supposé être porté à la donnée ainsi singularisée.

3.2 Vers le renouveau de l’enquête,


un contexte numérique de la pratique
professionnelle des journalistes
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nécessitant des réflexes nouveaux
de protection ?
Depuis quinze ans, les journalistes s’approprient donc les outils d’Internet et des
réseaux sociaux. Leur métier continue d’évoluer autour d’un mot d’ordre circulant
à travers toutes les rédactions des médias : celui d’une injonction à l’ubiquité. Les
responsables des médias demandent en effet à leurs journalistes d’être sur tous les
fronts. Ils doivent être à la fois toujours présents sur les terrains de l’enquête et dans
le même temps, ils doivent s’assurer d’un contact fort avec les publics, à travers les
écrans des sites sur le web (en produisant différents formats) et des réseaux sociaux.
Ces publics deviennent de plus en plus critiques et n’hésitent pas à s’adresser
directement, via ces mêmes réseaux, aux journalistes pour remettre en cause à la
fois leur profession dans son ensemble et les informations produites. Dès lors, la
nécessité de la pédagogie du travail effectué dans l’exercice du métier est encore
davantage accentuée alors que les journalistes sont aussi menacés par des restric-
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tions de leurs accès à des sources ou à certains terrains. Pourtant, ce retour au


terrain est désormais le premier levier de la confiance retissée entre journalistes
et publics. L’enjeu de la confiance est majeur dans le contexte de ces nouvelles
conditions d’exercice d’un métier au cœur des démocraties contemporaines mena-
cées par des pratiques de détournements et de manipulations des informations.
Celles-ci sont ébranlées par la montée en puissance de phénomènes de mani-
pulation et d’influence, portés notamment par la diffusion accrue de fausses
informations via les plateformes telle que Facebook, Twitter et YouTube, qui ont
infiltré le cœur des rédactions médiatiques, marquées par le retour à l’enquête et
par la création de formats innovants : podcasts, longs formats, romans graphiques,
journalisme de données ou encore dit de « factchecking ». Le métier de journaliste
est au final marqué par l’institutionnalisation d’une culture numérique et par leurs

73
Partie 1 Quand l’écriture s’invente et se réinvente

désirs marqués de retrouver du temps pour retourner le plus souvent possible


sur les terrains de l’enquête et du reportage, en prise directe et en immersion
avec les situations concrètes.

Les points clés


¼¼Après une période courte d’apprentissage des réseaux sociaux, les journa-
listes ont peu à peu appris à les utiliser selon des logiques directement liées
à leurs métiers, en mettant à distance des approches plus personnelles des
relations établies avec leurs pairs et leurs publics.
¼¼Parmi les raisons de cette mise à distance se trouve aussi la volonté de lutter
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précisément contre les processus de désinformation et parfois de propagande
qui se sont développés sur l’ensemble des plateformes.
¼¼Ces informations fallacieuses, trompeuses, ont été regroupées sous le
vocable de « fake news » : l’expression désigne des médias jugés « fautifs »
car partiaux dans le traitement des informations.
¼¼L’information est désormais soumise, dans sa diffusion sur les réseaux
sociaux, aux choix éditoriaux, pour les faire apparaître dans les comptes des
utilisateurs, de l’automatisation de leur affichage permise par l’intégration
d’algorithme programmant l’aspect final d’un flux de données.
¼¼Les journalistes ont adapté leurs pratiques d’écriture des informations ;
certains deviennent des spécialistes de formes courtes (en vidéo, en sons ou
en textes) pendant que d’autres explorent de nouveaux formats, plus longs
et renvoyant aux formes sérielles ou documentaires, s’inspirant alors des
feuilletons en vogue dans la presse naissante du XIX e siècle.
¼¼Pour faire face au processus de morcellement de la consommation des
informations, les entreprises de médias ont fait le choix de découper en
applications, sites et éditions papiers indépendantes leurs contenus.
¼¼Les grandes entreprises du numérique constituent des partenaires incon-
tournables pour les entreprises journalistiques qui dépendent de l’accès des
publics à leurs contenus, via les plateformes telles que celles de Facebook,
Twitter, Instagram, TikTok ou encore Snapchat.
¼¼L’exemple de la plateforme Instagram illustre ces logiques d’interdépendance
des médias émergents et des médias plus anciens : beaucoup de journalistes
et de photographes de reportages y « postent » des contenus pour s’y faire
connaître et y présenter une approche plus personnelle de l’information.

74
Chapitre 3 Les journalistes et les médias face aux réseaux sociaux

APPLICATIONS ! Corrigés p. 278

5 Quelle pourrait être la métaphore à employer pour


QCM désigner la manière dont les contenus d’information
sont présentés sur les réseaux sociaux ?
Plusieurs bonnes réponses sont possibles pour cer- a. La métaphore de l’enfilage.
taines questions. b. La métaphore de l’embouteillage.
c. La métaphore du feuilletage.
1 Quel phénomène particulier marque la struc-
turation des informations dans les flux présents 6 Les journalistes sont-ils libres du rythme de
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sur les plateformes des réseaux sociaux ? leurs publications et de leurs productions sur les
a. La présence d’images. réseaux sociaux ?
b. L’importance des textes. a. Oui.
c. L’apparition des informations sous l’effet de la b. Non.
prescription d’algorithmes de sélection. c. Ça dépend.

2 Les formats ont connu en vingt ans une grande 7 Un journal comme Le Monde dédie-t-il des
évolution et présentent des variétés de longueurs et équipes de journalistes à la production d’information
de montage de contenus diverses sur les réseaux. sur les plateformes de réseaux sociaux ?
Lequel de ces formats est le plus populaire aux a. Oui.
cours des années 2018 à 2020 ? b. Non.
a. La brève.
b. Le reportage.
c. La « story ».

3 Dans le contexte de la montée en puissance


des formes brèves, assiste-t-on à l’effondrement
de l’intérêt pour des formats d’information plus Question
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longs, comme ceux du roman ou de l’enquête en


plusieurs épisodes ?
a. Oui.
de réflexion
b. Non.
8 TikTok sur le port du masque pendant la
4 Comment commence l’histoire des journaux pandémie de Covid19 en 2020
sur Internet ? À vous d’endosser le rôle d’un journaliste « story-
a. Les journaux publient dès 1995 des contenus ori- boarder ». Décrivez les 4 séquences (contenus, sons
ginaux, distincts des supports imprimés. associés et types de vidéos) d’un TikTok portant sur
b. Les journaux publient dès 1995 des articles déjà le port du masque pendant la pandémie de Covid, au
présents dans leurs pages imprimées. cours de l’année 2020.

75
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de communiquer
devient créateur
2
Quand l’acte
Partie

de valeur
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A
vec l’avènement de la société industrielle puis de la société de consommation, la
communication a pris une multitude de valeurs : politique, symbolique et marchande.
Sur un marché concurrentiel, gagner les faveurs de l’opinion s’est révélé un enjeu
majeur pour les entreprises et les marques. Dans cette deuxième partie de l’ouvrage, l’accent
est mis sur la mobilisation de la communication comme un puissant moyen d’action.
Le chapitre 4 campera les différents courants de pensée qui sous-tendent les systèmes
économiques et dressera le portrait de quelques grandes figures qui influencent la pensée
économique.
Dans un système libéral, il est utile de questionner la dimension de plus en plus
performative de la communication. Politique, institutionnelle, externe, interne, la
communication ne se contente pas de « faire passer des messages », elle vise à transformer
le réel. Le chapitre 5 pointera l’importance d’agir avec les mots.
Enfin, le chapitre 6 insistera sur l’importance de la recommandation dans les processus
d’influence et montrera que le Web social confirme les théories des chercheurs du siècle
dernier sur l’influence personnelle.

Chapitre 4 Communication et contextes économiques . . . . . . . . . . . . . . . 78

Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative . . .98

Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social . . . . . . . . . 118


Chapitre 4
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© La Dépêche du Midi

L
’opinion se forme sur un fond idéologique fondamental pour intégrer au mieux la manière
qui n’est pas neutre en termes de commu- dont s’articulent les enjeux et les méthodes de
nication des entreprises. Les notions de communication. Quelles sont les grandes théo-
profit, de productivité, de RSE ne peuvent être ries de la pensée économique ? Quels systèmes
appréhendées en communication sans avoir majeurs en découlent ? Quelles dynamiques et
conscience de l’histoire de la pensée économique ruptures imposent un renouvellement des logiciels
et des grands courants qui l’ont structurée. Mettre de gouvernance ?
en perspective de tels facteurs est un préalable
Communication
et contextes
économiques
Plan
1 Qu’est-ce que l’économie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
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2 Les trois grandes théories de la pensée économique . . . . . . . . . . . . . 81
3 Les trois grands systèmes économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
4 Vers un changement de paradigme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

Objectifs
¼¼Connaître les courants fondamentaux de l’histoire économique
¼¼Se forger une culture générale économique
¼¼Articuler les théories économiques aux théories de la communication
¼¼Appréhender la montée en puissance de la communication comme enjeu
économique
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

1 Qu’est-ce que l’économie ?


1.1 Les trois questions fondamentales
de l’économie
Science humaine et sociale par excellence, l’économie s’efforce in fine de répondre
à au moins trois questions majeures. La première étant : pourquoi produire ?
La question peut sembler anodine mais demeure néanmoins ardue dans la mesure
où elle implique de s’interroger sur la nature profonde des besoins à satisfaire.
La deuxième question porte sur l’organisation à mettre en œuvre pour y parvenir,
autrement dit : quel système productif permet de répondre de manière efficiente
auxdits besoins ? La troisième interroge les modalités de répartition des revenus
entre les multiples agents qui ont participé à la production soit par leur travail,
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soit par leur apport en capital. Il s’agit en conséquence d’une problématique à
la fois de justice sociale et d’efficacité économique.

Définition 1
Le terme économie vient des mots grecs nomos (« lois ») et oikos (« mai-
son »). Au sens premier du terme, l’économie est donc l’art de gérer les
biens qui composent une maison. Adam Smith (1723-1790), père de l’éco-
nomie politique, reprendra en quelque sorte cette étymologie en décrivant
l’économie comme étant l’étude des comportements liés à la production,
à la distribution et à la consommation des biens et services.

1.2 Les principes de l’économie


Les sciences économiques font, en résumé, le constat que :
– les ressources sont limitées ;
– il est impossible de combler l’ensemble des besoins matériels.
L’enjeu devient alors d’identifier une organisation efficiente des ressources dans
le but d’atteindre une satisfaction maximale. L’économie, toutefois, n’est pas une
science exacte mais une science humaine et sociale reposant sur des modèles
fondés sur des hypothèses induites par des postulats philosophiques et politiques.
Il n’est pas rare, en conséquence, que plusieurs économistes confrontés à une
problématique identique formulent interprétations et préconisations différentes
sinon contradictoires. Il importe en outre de noter que le comportement humain,
dont dépend amèrement la nature des échanges, est particulièrement difficile à

80
Chapitre 4 Communication et contextes économiques

appréhender, quel que soit le modèle utilisé. Il en résulte une incapacité à prédire
– avec justesse – les réactions individuelles et collectives et, par ricochet, les effets
de tel ou tel modèle théorique sur la réalité. L’économie, néanmoins, progresse,
combinant approches quantitatives, mathématiques et comportementales, elle
intègre de mieux en mieux la variable humaine dans le cadre de ses modèles et
améliore en conséquence ses prévisions.
Les économies du monde entier demeurent toutefois confrontées à des enjeux
majeurs que les modèles en cours, bien qu’améliorés, ne permettent guère de
résoudre, du moins de manière optimale. En effet, l’immense complexité induite
par la crise écologique, la financiarisation de l’économie ou encore l’avènement
des nouvelles technologies de l’information et de la communication remodèlent
en profondeur l’économie mondiale et disqualifient nombre de paradigmes
jusqu’alors considérés comme étant incontournables.
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2 Les trois grandes théories
de la pensée économique
L’histoire de la pensée économique met en avant au moins trois courants majeurs
ayant eux-mêmes donné naissance à de multiples théories et écoles de pensée
qui, aujourd’hui encore, induisent nombre de débats et discussions. Chacun d’eux
offre d’appréhender à sa manière les grands enjeux stratégiques du XXIe siècle.

2.1 L’économie classique


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L’école classique est née en 1776 avec la parution de Recherches sur la nature et les
causes de la richesse des nations, un ouvrage de référence rédigé par l’économiste
écossais Adam Smith. David Ricardo, Thomas Malthus ou encore Jean-Baptiste
Say comptent parmi les principaux contributeurs de ce courant de pensée.
En pleine révolution industrielle, ils analysent les phénomènes économiques
et tentent de déceler les lois universelles qui assurent le fonctionnement de
l’économie capitaliste. Leurs thèmes de prédilection se concentrent sur la
production, la répartition des richesses, la monnaie, le prix ou encore la crois-
sance. Les théories qu’ils développent sont extrêmement variées d’un auteur
à l’autre mais convergent néanmoins sur un point : les marchés s’ajustent et
s’autorégulent naturellement. Les partisans de l’école classique affirment en
effet que les marchés sont gouvernés par un ordre naturel fondé sur deux piliers

81
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

majeurs : la liberté et le droit de la propriété privée. Ils recommandent en


conséquence de laisser faire le marché de sorte qu’il puisse spontanément
trouver le point d’équilibre générateur de stabilité et de prospérité. Toute
intervention directe de l’État (poli-
tique de relance, salaire minimal…)
est ainsi proscrite car elle ne ferait
qu’entraver la bonne marche de l’éco-
nomie sur un marché naturellement
vertueux. La fréquence et l’impact
des crises tendent toutefois à remettre
en doute la rapidité d’ajustement des
marchés, mais également l’existence
d’un système d’équilibre naturel. Le
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marché est-il réellement capable de
s’autoréguler ? Est-il créateur de
prospérité et de stabilité ? L’État
doit-il intervenir ? Voici, au fond, les
Adam Smith ! trois questions majeures que soulève
(1723-1790) la théorie classique.

FOCUS
La main invisible
Le concept dit de la main invisible a été formulé pour la première fois par Adam Smith dans son
ouvrage intitulé Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Il utilise cette expres-
sion pour illustrer le mécanisme de régulation naturel induit par la mise en concurrence des acteurs
pour le contrôle des ressources rares. Il affirme plus particulièrement que l’intérêt individuel constitue
un levier de régulation des comportements économiques à l’échelle nationale. Un pâtissier s’efforce
par exemple de produire les meilleurs gâteaux, d’accueillir aimablement sa clientèle et d’emballer
soigneusement ses produits, non par altruisme, mais pour augmenter ses profits. Or, de tels compor-
tements profitent aux clients de la pâtisserie ainsi qu’à la renommée de la rue commerçante. Adam
Smith affirme en conséquence que la quête d’intérêts individuels, dans une nation respectant liberté et
droit de la propriété privée, constitue le meilleur moyen d’organiser une société. Le concept de main
invisible a significativement façonné le courant classique et continue d’orienter le débat économique
et politique contemporain.

82
Chapitre 4 Communication et contextes économiques

2.2 Le marxisme
Le marxisme est un courant de pensée politique, économique et philosophique
fondé sur les travaux de Karl H. Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-
1893). Il affirme que les entreprises sont contrôlées par une minorité dominante
qui utilise le capital en vue de renforcer sa position sociale au détriment d’une
classe majoritaire mais néanmoins exploitée : le prolétariat. La théorie marxiste
s’inscrit en conséquence dans une logique d’opposition entre classes sociales.
Le raisonnement est schématiquement le suivant : l’enrichissement individuel
implique de vendre un produit dont la valeur d’échange est supérieure à la valeur
intrinsèque. Quelques morceaux de bois valent en effet moins qu’une table ornée
de motifs gravés. Les marxistes observent que le différentiel de valeur résulte
du travail des ouvriers mais que les profits bénéficient prioritairement aux pro-
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priétaires des moyens de production. Il s’agit en conséquence d’une exploitation.
Les marxistes jugent en outre que le capitalisme conduit à un implacable ren-
forcement des inégalités dans la mesure où les profits ainsi engrangés sont
réinvestis dans de nouveaux moyens de production et renforcent ainsi la domi-
nation de la classe capitaliste… On aboutit in fine à d’incontournables crises de
surproduction et de suraccumulation qui rognent méthodiquement la rentabilité
des entreprises et favorisent la
concentration du capital. L’exploitation
et les inégalités sont donc, du point de
vue marxiste, intrinsèques au système
capitaliste. La doctrine marxiste invite
en conséquence les prolétaires à prendre
le contrôle des moyens de production
pour échapper au système d’exploitation.
La chute du mur de Berlin, l’effondre-
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ment de l’URSS ou encore les dictatures


soviétiques ont fortement disqualifié ce
courant de pensée. La critique qu’il
offre du capitalisme demeure toutefois
une des clés d’analyse toujours en
vigueur pour appréhender les injustices " Karl H. Marx
contemporaines et l’hyper-concentration (1818-1883)
du capital.

83
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

2.3 L’économie keynésienne


« Je crois que je suis en train d’écrire un livre
de théorie économique qui devrait révolu-
tionner la manière dont le monde pense les
problèmes économiques, peut-être pas
immédiatement, mais au cours de la pro-
chaine décennie. » Ainsi, s’exprimait John
Maynard Keynes dans une lettre destinée
à George Bernard Shaw alors qu’il rédigeait
la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt
et de la monnaie. L’ouvrage, publié en 1936,
jeta les bases du keynésianisme, une théorie
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économique fondée sur le postulat qu’une
! intervention étatique était indispensable au
John Maynard Keynes soutien de la croissance. Keynes développa
(1883-1946) cette idée en pleine dépression, alors que
la durée et l’ampleur du chômage malme-
naient les fondements de la théorie classique. Il affirmait, à rebours du courant
dominant, qu’il était de la responsabilité des gouvernements de venir corriger
les biais relatifs à la nature intrinsèquement instable des cycles économiques.
Keynes, bien que partisan de l’économie de marché, ne croyait guère en sa
capacité d’autorégulation naturelle. Il préconisait en conséquence un programme
d’investissement massif conjugué à un allégement de la fiscalité pour retourner
la baisse de la demande. Une fois la croissance retrouvée, il recommandait de
réduire les dépenses et d’augmenter les impôts en vue de contenir l’inflation.
Keynes notait que pour réduire le chômage, il suffisait d’embaucher des chômeurs
pour creuser un trou le matin et le reboucher le soir… La logique étant que
les salaires ainsi distribués seraient ensuite réinjectés dans la consommation et
favoriseraient, par effet de chaîne, la reprise économique. Le keynésianisme
influença nombre de politiques nationales d’après-guerre et disparut progressi-
vement au profit du libéralisme, de la mondialisation et de la financiarisation
qui, ensemble, réduisirent significativement le rôle de l’État dans l’économie.
La crise financière de 2008 redonna toutefois quelques couleurs au keynésianisme
compte tenu de la nécessité d’une intervention gouvernementale pour remettre
d’aplomb le système financier international.

84
Chapitre 4 Communication et contextes économiques

FOCUS
Pour les Français, la baisse de la dette
n’est plus une priorité
« Les députés ont voté, vendredi 17 avril, à une très large majorité, une rallonge budgétaire de plusieurs
dizaines de milliards d’euros au budget 2020, portant la prévision du déficit public de la France à 9,1 %
du PIB (soit 185,4 milliards d’euros). À situation exceptionnelle, mesures budgétaires exceptionnelles.
Une telle décision semble renvoyer aux calendes grecques l’orthodoxie budgétaire consistant à s’aligner
sur les critères européens de soutenabilité des finances publiques. Peut-être sont-ce les leçons de la crise
de 2008 qui forcent aujourd’hui les États à réagir de la sorte pour éviter une catastrophe économique
dans leurs espaces nationaux. Car, malgré le programme massif d’intervention de la Banque centrale
européenne, aucun accord n’a été trouvé sur les “coronabonds” ou eurobonds pour mutualiser la dette
au niveau européen. Après avoir semblé absente de la gestion de l’urgence sanitaire elle-même, l’Union
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européenne n’est pas perçue positivement dans ce contexte. Et l’opinion publique française ne s’y trompe
pas puisque seulement 9 % des personnes interrogées dans l’enquête Ipsos-Sopra Steria pour le Cevipof
se déclarent satisfaites de la manière dont l’UE a géré la crise. Cette perception de l’impuissance euro-
péenne peut-elle faciliter ou accélérer une conversion au keynésianisme économique de la France ? »
Source : Martial Foucault et Sylvain Brouard., « Pour les Français, la baisse de la dette
n’est plus une priorité », scienceshumaines.com, 20 avril 2020.

3 Les trois grands systèmes


économiques
La confrontation du capitalisme et du communisme a animé une part significative
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de l’histoire du XXe siècle. Bien que les deux modèles recherchent l’intérêt général,
ils s’appuient sur des fondements diamétralement opposés, dont nombre de pays
– notamment émergents – tentent aujourd’hui de trouver une voie alternative.

3.1 L’économie planifiée


Une économie dite planifiée affirme, à rebours de l’économie libérale, que
les moyens de production doivent être soumis à l’autorité absolue du pouvoir
politique. L’offre et la demande ne jouent en conséquence aucun rôle de régu-
lation ; la production et la distribution des biens et services étant subordonnées
au monopole de l’État… Les régimes soviétiques, fervents défenseurs d’un tel
modèle, planifiaient méticuleusement, via un cycle pluriannuel, ce qu’il convenait

85
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

de produire, comment et dans quelle quantité. Les usines et magasins s’inclinaient


ensuite aux prérogatives de la bureaucratie. Il s’agit toutefois d’un dévoiement
de la théorie marxiste dans la mesure où les ouvriers ne bénéficiaient ici guère
de contrôle sur l’outil de production et que les richesses n’étaient pas équitable-
ment réparties. Nombre d’économistes attribuent par ailleurs l’effondrement
de l’empire soviétique à l’incapacité du système planifié à pouvoir coordonner
efficacement le marché. L’absence d’un système de prix libres, pour ne prendre
que cet exemple, complique déjà ardemment la tâche des planificateurs. Quel
est le meilleur moyen de transporter une tonne de tables d’un point A vers
un point B ? Par avion, bateau, camion ou train ? Un assemblage de plusieurs
moyens de transport ? Ou est-il préférable de produire les tables sur place ? Si
on multiplie cet exemple par les centaines de millions d’arbitrages qu’implique
le fonctionnement d’un marché, on verra qu’en l’absence d’un véritable système
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de prix libres, aucun planificateur étatique ne peut gouverner rationnellement
une structure aussi sophistiquée qu’une économie moderne.

FOCUS
Le coup d’œil d’Isabelle Musnik, fondatrice,
directrice générale, directrice des contenus
et de la rédaction de la revue INfluencia
Plus jamais seuls…
Quelque 26 milliards de dollars : l’économie collaborative est désormais un secteur dynamique, un
modèle de transition et… un choix de société.
Co-voiturer, « louer citoyen », « couch surfer », mais aussi co-travailler, co-entreprendre, cofunding…
Le « co » est à la mode, en France comme ailleurs.
Crise mondiale oblige, l’humain doit doublement s’adapter. D’abord, le consommateur ou le citoyen se
transforme en maker. Il veut toujours donner son point de vue mais, désormais, il demande à partici-
per pour se sentir utile. Ensuite, il veut soit posséder moins mais posséder mieux, soit posséder moins
mais consommer plus. Le XXIe siècle sera en tout cas certainement celui où la possession mutera en
partie en usage.
Mais le phénomène va encore plus loin, il retricote le lien social et s’accompagne d’une volonté d’être
et de vivre ensemble. Et si le « do it yourself » faisait place au « do it with others », à l’idée de coopérer
avec les autres ? De nouvelles pratiques émergent, auxquelles les entreprises se doivent de répondre.
Petit à petit, nous sommes en train de passer de la génération de la participation née au début des
années 2000 à la génération de l’interdépendance, où les notions d’« entraide », de « crowdsourcing »
et de « care » deviennent des tendances lourdes.
INfluencia est une newsletter quotidienne et une revue trimestrielle qui observe partout dans le monde
tout ce qui est en train de bouger et de s’inventer, dans le domaine de la consommation, du marketing,
de la communication et des médias.

86
Chapitre 4 Communication et contextes économiques

Est-ce par provocation que vous qualifiez « d’artiste »


le capitalisme dont la critique récurrente, rappelez-
3 questions à vous, est de « ne faire siens que la rentabilité et le
règne de l’argent » ?
Gilles Accusé de générer de la misère sociale, d’épuiser les
Lipovetsky ressources naturelles et de polluer la planète, le capitalisme
Essayiste et professeur de est aussi le système qui, depuis le milieu du XIXe siècle,
français, agrégé de philosophie, n’a cessé de produire et de diffuser les biens esthétiques
membre du Conseil d’analyse de
la société, professeur d’université à grande échelle. Le capitalisme a même besoin de
émérite, agrégé et docteur ès l’esthétique pour fonctionner, ce qui explique l’intégration
lettres, critique culturel, co-auteur généralisée de l’art, du design et de l’affect dans l’univers
de L’Esthétisation du monde, Vivre
à l’âge du capitalisme artiste consumériste. C’est pour ça que l’univers industriel et
(Gallimard, 2013) commercial a été le principal artisan de la stylisation du
monde moderne et de son expansion démocratique. Le
système capitaliste incorpore de manière systématique la
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dimension créative et imaginaire dans les secteurs de la
consommation.
Pourquoi avoir titré votre ouvrage L’Esthétisation
du monde ? Qu’est-ce que le « capitalisme artiste » ?
L’époque est marquée par cette inflation esthétique : le
design est partout. Les territoires autrefois disjoints de l’art
et de l’industrie, de la mode et de l’art, de l’avant-garde et
du business sont pris dans une dynamique d’hybridation.
Le capitalisme a changé le sens de l’art. Il se l’est approprié
pour assurer son développement, à l’échelle de la planète.
Avec le design, le cinéma, la musique, la publicité… le
capitalisme a créé une nouvelle forme d’art : un art de
consommation de masse, sans aucun idéal d’élévation.
Ce n’est plus « l’art pour l’art » mais un art qui s’exprime
dans les marques, le sport, la mode, le divertissement…
Le capitalisme artiste est ce système qui, s’appuyant sur
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’exploitation commerciale des émotions, combine deux


pôles a priori antinomiques : le rationnel et l’intuitif, le
calcul économique et la sensibilité. Les mondes esthétiques
ne sont plus des mondes à part, mais un secteur créateur
de valeur économique de plus en plus sous-tendu par
des multinationales impliquant des intérêts financiers
considérables.
Le phénomène d’esthétisation du monde peut-
il se poursuivre alors que les préoccupations
environnementales s’expriment de plus en plus
fortement ?
Il y aura hybridation entre logique esthétique et logique
environnementale mais les enjeux écologiques ne mettront

87
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

pas fin à cette dynamique. On n’a jamais autant lancé de


nouveaux produits, publié de livres, produit de films, de
jeux vidéo et de séries TV, consommé de musique et même
créé d’images publicitaires. De la même manière, vont
continuer à se développer le tourisme, la fréquentation
des musées, la consommation de biens culturels et tout
ce qui participe à l’esthétisation du monde. Y compris
l’embellissement de soi-même et de son cadre de vie. Le
capitalisme artiste a créé un consommateur hédoniste-
esthétique à l’affût de sensations et de plaisirs sans cesse
renouvelés. ■

3.2 Le capitalisme libéral


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Le capitalisme libéral est un système économique au sein duquel les agents
(entreprises et individus) ont la liberté de vendre et d’acheter des biens, services
et capitaux dans un cadre dit de concurrence pure et parfaite.

Définition 2
La concurrence pure et parfaite est définie par une structure de marché
parfaite : atomicité de l’offre et de la demande, homogénéité du produit,
liberté d’entrer et de sortir du marché, information parfaite des acteurs
sur le marché, mobilité parfaite des facteurs de production. Une telle
configuration est théorique mais constitue néanmoins la base du raison-
nement libéral.

La doctrine libérale, fondée sur la théorie classique, affirme que l’État ne doit
aucunement intervenir. Un consommateur trouvera par lui-même le meilleur
rapport qualité-prix ; un salarié, le meilleur emploi ; un dirigeant, les meilleurs
investissements… Les libéraux, convaincus des bienfaits de la main invisible,
jugent que la conjonction des décisions individuelles garantit un fonctionnement
optimal du marché, qu’aucune entité centralisée ne saurait égaler. Le rôle de
l’État ne doit en conséquence se cantonner qu’à un statut de gendarme et favo-
riser, via ses pouvoirs régaliens, le droit de la propriété privée, la bonne exécution
des contrats, une infrastructure opérationnelle, la sécurité intérieure et la
défense du territoire nationale, autrement dit, le bon fonctionnement du marché.
La doctrine libérale est par ailleurs favorable à une libre circulation des biens
et services à l’échelle planétaire et défend en conséquence l’ouverture des
frontières nationales. L’idée étant de favoriser une organisation mondiale du
travail articulée autour des avantages comparatifs de chaque nation. David

88
Chapitre 4 Communication et contextes économiques

Ricardo affirme en effet que si chaque pays se spécialise là où il possède la


meilleure productivité par rapport aux autres partenaires, alors il accroîtra
fortement sa richesse nationale. La mondialisation libérale, en offrant une
échelle planétaire au champ des com-
binaisons compétitives, permet ainsi
aux entreprises de maximiser leur
rentabilité économique. Le siège social
est implanté là où la fiscalité est la
plus faible, le système productif là où
les normes sont les moins contrai-
gnantes, les salaires les plus bas, la
main-d’œuvre la mieux formée… On
aboutit in fine à une organisation effi-
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ciente qui induit toutefois de fortes
inégalités ainsi que la prolifération de
monopoles planétaires en mesure de
réagencer les règles du jeu en fonction " David Ricardo
de leurs intérêts. (1772-1823)

FOCUS
Les dangers de la montée des inégalités
au menu du Forum de Davos
Les très riches et les très puissants participants du Forum économique mondial de Davos (Suisse)
devraient pour la première fois se pencher […] sur les dangers que représente l’aggravation des inéga-
lités pour la stabilité mondiale. […] Le Forum commence à écouter les économistes qui alertaient sur
la dangerosité du fossé en train de s’élargir entre les riches et les pauvres, à l’instar de Joseph Stiglitz,
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prix Nobel d’économie en 2001, ou François Bourguignon, ancien chef économiste de la Banque
mondiale (2003-2007). […] Interrogée dans le numéro du lundi 20 janvier [2014] du Financial Times,
Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), invite les « maîtres
du monde » réunis à Davos à s’inquiéter que « dans de trop nombreux pays, les bénéfices de la croissance
ont profité à trop peu de gens, ce qui n’est pas la bonne recette pour la stabilité et la durabilité » de la
croissance mondiale. […] La fortune du 1 % de l’humanité le plus riche s’élève à 110 000 milliards de
dollars (81 126 milliards d’euros), c’est-à-dire autant que celle possédée par les 99 % restants. […] Oxfam
affirme que ces évolutions sont « moralement contestables » et qu’elles permettent aux plus riches de
« biaiser les règles en leur faveur », ce qui ébranle la cohésion sociale et les fondements de la démocratie.
A. Faujas, « Les dangers de la montée des inégalités au menu du Forum de Davos »,
LeMonde.fr, 20 janvier 2014.

89
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

3.3 Le socialisme de marché


Le socialisme de marché est un système économique inspiré des travaux d’un
économiste polonais du nom d’Oskar Lange (1904-1965). La propriété privée
y est inexistante mais les entreprises demeurent néanmoins relativement indé-
pendantes. Une entité centralisée fixe le prix des biens et services de manière
empirique et le marché ajuste ensuite leur valeur en fonction de l’offre et de la
demande en vigueur. Les entreprises ne subissent guère de réglementation par-
ticulière dans la mesure où le marché est ici considéré comme étant un moyen
efficace, sinon optimal, d’organiser la production et la ventilation des ressources
entre les divers agents économiques. Il s’agit à cet égard d’une nuance de taille
avec l’économie dite planifiée qui, quant à elle, n’accorde aucun rôle de gouver-
nance au marché. Le socialisme de marché ressemble donc, à s’y méprendre, au
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capitalisme libéral à ceci près que l’État est ici propriétaire monopolistique du
capital. On aboutit in fine à une cohabitation entre deux modèles à l’instar du
système économique chinois, où les autorités politiques planifient les objectifs
et utilisent le marché pour y parvenir. Reste toutefois à déterminer combien
de temps un État peut réellement maintenir une telle position compte tenu du
poids croissant du marché et du pouvoir qu’il est alors en mesure d’exercer sur
le fonctionnement dudit parti.

FOCUS
La Chine s’engage à laisser un rôle « décisif »
aux marchés
Le Parti communiste chinois (PCC) a décidé d’accroître la place laissée aux marchés pour réguler l’éco-
nomie dans le programme de réformes pour la décennie à venir adopté mardi à l’issue de quatre jours
de réunions à huis clos. […] « La question clé est de clarifier la relation entre le Gouvernement et le
marché, en permettant au marché de jouer un rôle décisif dans l’allocation des ressources et en amélio-
rant le rôle du Gouvernement », déclare le PCC dans son communiqué. […] L’économie chinoise, très
endettée, moins compétitive et en surcapacité industrielle, doit trouver de nouveaux relais de croissance
après trois décennies d’un développement rapide tiré par les exportations, estiment le président Xi
Jinping et le Premier ministre Li Keqiang. […] « Ils ont mis le changement de la relation entre le Gou-
vernement et les marchés tout en haut de leurs priorités. [...] Ils cherchent à rompre avec le contrôle de
l’État, autorisant les marchés à prendre la direction. [...] C’est une philosophie révolutionnaire, à l’aune
chinoise », commente Dong Tao, économiste chez Credit Suisse à Hong Kong.
H.-P. André, « La Chine s’engage à laisser un rôle décisif aux marchés »,
capital.fr, 12 novembre 2013.

90
Chapitre 4 Communication et contextes économiques

4 Vers un changement
de paradigme
L’immense complexité induite par la crise écologique, la financiarisation de l’éco-
nomie ou en encore l’avènement des nouvelles technologies de l’information et
de la communication remodèle en profondeur l’économie mondiale et disqualifie
nombre de paradigmes jusqu’alors considérés comme étant incontournables.

4.1 La crise écologique


Le système actuel, fondé sur une logique de croissance perpétuelle, induit une
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destruction systématique des ressources naturelles. Nous entrons en consé-
quence dans une crise écologique mondiale qui marque la difficulté de concilier
croissance économique et développement durable. Le modèle actuel menace
autrement dit l’équilibre naturel de la planète. Le Programme des Nations unies
pour l’environnement juge, par exemple, que d’ici à 40 ans, quelque 9 milliards
d’êtres humains devraient consommer 140 milliards de tonnes de minerais,
hydrocarbures et autre biomasses (bois, cultures, élevage). Or, une telle consom-
mation provoquerait, à en croire le groupe intergouvernemental sur l’évolution
du climat, une augmentation de la température des océans et de l’atmosphère,
soit un profond déséquilibre de l’écosystème global. Il importe en conséquence
d’inventer de nouvelles modalités de production et de consommation si l’on ne
souhaite pas subir un bouleversement social et géopolitique inédit.
L’enjeu est toutefois particulièrement complexe :
■■ premièrement, le marché est mondial et les instances de gouvernances majo-
ritairement nationales. Un pays seul ne peut en conséquence endiguer le
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

réchauffement climatique. À cela, pourrait s’y ajouter le poids significatif des


industries polluantes qui, par voie de lobbying, compliquent l’application de
normes réellement rigoureuses. Quand bien même une nation opterait pour
une limitation quelconque, cela reviendrait d’abord à s’infliger une contrainte
concurrentielle encline à produire une entorse industrielle ;
■■ secondement, en l’état des moyens techniques actuels, il paraît difficile, sinon
impossible, de produire autant en polluant moins. Or, la démographie mondiale
explose et de nouveaux géants économiques émergent dans la mondialisation.
Face à un tel dilemme, au moins deux visions économiques et politiques s’opposent.
1. La première est favorable à l’établissement d’une structure de gouvernance
planétaire. Le but étant de réguler la mondialisation à l’aune des contingences
propres à un véritable développement durable. Un des chantiers prioritaires

91
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

étant la refonte du calcul de la croissance qui, dans sa forme actuelle, implique


une incontournable destruction des ressources naturelles. Ultime baromètre
de l’économie mondiale, il impose de produire et de consommer indéfini-
ment : un ralentissement éventuel implique une baisse du budget de l’État, un
affaissement des investissements, une chute des prix… donc une récession.
Il apparaît en conséquence ardu, en l’état des normes actuelles, de limiter
l’activité économique et ce, qu’il s’agisse d’une volonté écologique ou non.
2. Quelques experts enfin préconisent un objectif dit de décroissance, arguant que
si le PIB mondial n’a jamais cessé de croître au cours des dernières décennies,
cela n’a pas empêché les inégalités et la destruction des ressources.
L’ensemble de ces visions, non exclusives les unes des autres, ont en commun de
s’appuyer sur une logique interventionniste, transitant via une entité supérieure
pour imposer ses règles au marché.
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Les tenants de l’école néoclassique, autrement dit les libéraux, estiment au
contraire que le marché peut s’autoréguler et endiguer par lui-même la dispa-
rition progressive des ressources naturelles. L’incontournable hausse des prix
des matières premières conduirait les agents à limiter leur consommation et à
opter pour de nouveaux moyens de production. Nombre de libéraux sont ainsi
favorables à une privatisation pure et simple de la nature de sorte à clarifier la
valeur qui est la sienne, indispensable à la régulation des échanges économiques.
La pêche et le tourisme à Hawaï dépendent ardemment, par exemple, des récifs
coralliens. Un rapport international1 juge qu’il génère 360 millions de dollars
par an à l’État d’Hawaï. Une privatisation de la nature permettrait, autrement
dit, de mieux évaluer le coût induit d’une éventuelle destruction et de modifier
le comportement des agents à l’égard des ressources rares. Le développement
de technologies nouvelles enfin, ainsi que les attentes écologiques d’un nombre
croissant de parties prenantes (citoyens, consommateurs, actionnaires, etc.)
favoriseraient de fait l’accélération du mouvement d’ajustement vers une éco-
nomie plus soutenable.
Il est néanmoins probable que l’on assiste à une combinaison des deux approches
(libérales et interventionnistes) dans la mesure où les États joueront vraisem-
blablement un rôle clé dans le financement des innovations visant à limiter,
sinon corriger, les biais consécutifs au système économique actuel. Les acteurs
à l’initiative de tels développements pourront en outre orienter les normes envi-
ronnementales en fonction de leurs intérêts et participer ainsi à une nouvelle
architecture mondiale des marchés.

1 Étude de Pavan Sukhdev sur « L’économie de la biodiversité et des services écosystémiques »


présentée le 20 octobre 2010 à la conférence des Nations unies.

92
Chapitre 4 Communication et contextes économiques

4.2 L’avènement des nouvelles technologies


de l’information et de la communication
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC)
bouleversent en profondeur les économies du XXIe siècle. Informatique, Internet,
cloud, etc. plongent nos économies dans une ère nouvelle en opérant une accélé-
ration historique du processus de globalisation. Nombre d’acteurs s’accordent en
conséquence pour qualifier l’avènement d’une troisième révolution industrielle.
Au même titre que la machine à vapeur transforma notre rapport au temps et à
l’espace, le digital fond ces deux variables et remodèle en profondeur nos modes
de consommation et de production. Il redéfinit les bases d’une économie non plus
fondée sur le matériel mais sur le réseau et la connaissance compte tenu d’une
évaporation progressive des contingences physiques, entraînant de fait la désta-
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bilisation de positions historiques (États, institutions…). Les NTIC induisent en
outre une crise de la gouvernance compte tenu d’un rapport nouveau au temps
et à la hiérarchie. Les réseaux numériques compriment le temps : ils opèrent
une pression à la milliseconde, démultipliée par le pouvoir des internautes, sans
commune mesure avec l’émergence des chaînes d’information en continu (CNN,
BFM TV…). Et la tension monte encore à mesure qu’évolue la combinaison
entre médias classiques et numériques, le tout sous commandement du digital.
Transversales par essence, les NTIC aplanissent les pouvoirs et permettent ainsi
à nombre d’acteurs, même de poids infime, d’interférer dans l’évolution des mar-
chés. Le perfectionnement constant des algorithmes de traitement, d’analyse et
d’interprétation des mégadonnées ouvre enfin la voie à une série de ruptures
vertigineuses, tant sur le plan économique que stratégique, comme en témoigne
entre autres la campagne de ciblage de Barack Obama ou encore la robotisation
des transactions financières à l’échelle planétaire. Sans compter la place centrale
qu’elles occupent dans les avancées nanotechnologiques, biotechnologiques,
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génie-génétiques… On aboutit in fine à une économie globalisée, ultrarapide,


où turbulences et instabilités deviennent la norme. Au point tel que nul ne peut
aujourd’hui prédire ce que les NTIC produiront comme innovation sociale,
technologique et culturelle d’ici cinq ans.

4.3 La financiarisation de l’économie


La financiarisation de l’économie traduit une explosion historique des activités
financières dans le PIB des pays développés. En cause, un recours massif des
États, entreprises et ménages à l’endettement. Les créanciers (banques, fonds
d’investissement…) attendent en contrepartie un rendement maximal. On
aboutit in fine à un système économique qui oriente la majeure partie de ses

93
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

revenus en direction du capital et s’ajuste progressivement à la loi du dividende.


Le démantèlement d’une filière industrielle, la suppression d’un programme de
recherche, une délocalisation peuvent dès lors s’avérer pertinents bien que cela
fragilise une économie à moyen terme. Il découle en conséquence d’une logique
de financiarisation une difficulté structurelle à augmenter les salaires et à pla-
nifier l’avenir : l’immédiat devient la norme et c’est la spéculation qui produit la
valeur. Le risque étant notamment de voir émerger une inflation (immobilier,
par exemple) combinée à une déflation (pouvoir d’achat…) impliquant une
hausse du recours au crédit, soit un renforcement de l’industrie financière dont
les profits se détachent progressivement de l’économie réelle. Une configuration
telle, mêlée aux possibilités techniques que confèrent les NTIC, produit un
rapport de force en défaveur nette des États dont les frontières sont nationales
et le temps démocratique long. On assiste en conséquence à l’émergence d’un
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secteur de plus en plus opaque où les échanges de produits complexes s’opèrent
de gré à gré dans un vaste maillage de paradis fiscaux. Le tout conduisant à une
instabilité historique des marchés internationaux dont dépend notamment la
paix mondiale.

FOCUS
Les produits dérivés dépassent leur niveau d’avant-crise
« Les produits dérivés sont une arme de destruction massive » a coutume de dire l’investisseur et
milliardaire américain Warren Buffett. L’étude publiée mardi 17 décembre [2013] par le cabinet
d’analyse financière indépendant AlphaValue, intitulée « Quelles banques sont des Fukushima en
puissance ? », montre que ce n’est pas près de changer. Celle-ci révèle en effet que la valeur notion-
nelle des dérivés (c’est-à-dire la valeur faciale qui apparaît sur les contrats de ces produits) dépasse
désormais son niveau d’avant la crise des subprimes. Au premier semestre 2013, elle s’élevait en effet
à 693 000 milliards de dollars, contre 684 000 milliards au premier semestre 2008, selon les chiffres
que le cabinet a tirés des rapports de la Banque des règlements internationaux (BRI). L’équivalent de
dix fois le PIB mondial, contre trois fois le PIB mondial il y a quinze ans. « C’est un risque potentiel
énorme, et la crise n’a pas changé les pratiques des banques en la matière », explique Christophe
Nijdam, qui a piloté l’étude.
M. Charrel, « Les produits dérivés dépassent leur niveau d’avant-crise »,
LeMonde.fr, 17 décembre 2013.

94
Chapitre 4 Communication et contextes économiques

4.4 La montée en puissance des enjeux


de communication
Jeremy Rifkin, essayiste américain, affirme que le système capitaliste, miné par les
contradictions et usé par la crise, est littéralement au bord du gouffre. Une reconfi-
guration du modèle portée par Internet, l’innovation et les réseaux sociaux serait
en marche vers un monde nouveau, recentré sur le partage et la collaboration. Une
utopie ? Les firmes se retrouvent en attendant dans un environnement paradoxal,
une sorte d’éclipse entre deux modèles, l’un entièrement commandé par les profits
immédiats, l’autre par des aspirations sociales et responsables. La communication
permet de répondre à cette équation complexe en traitant séparément des aspirations
difficilement compatibles (écologie, finance, etc.). Mais pour combien de temps ?
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Définition 3
Le terme anglophone greenwashing, contraction des mots green (vert) et
brainwashing (lavage de cerveau) est utilisé par les groupes de pression
environnementaux pour désigner les efforts de communication des entre-
prises sur leurs avancées en termes de développement durable, avancées
qui ne s’accompagnent pas de véritables actions pour l’environnement. Le
terme a été employé pour la première fois suite à un article paru dans la
revue Mother Jones au début des années 1990 1.

L’information est accessible par tous, tout le temps, en toutes circonstances,


permettant ainsi une « crucifixion » en règle des comportements contradictoires,
et impliquant de fait une instabilité structurelle des positions concurrentielles.
Une multinationale pétrochimique peut en effet plier face à une poignée d’acti-
vistes qui, par voie de blogs et forums, dénoncent un « greenwashing » entraînant
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effondrement du titre et boycott de la marque.

FOCUS
Le poids de l’opinion sur la performance des entreprises
L’économie, nous l’avons vu, est une science humaine et sociale qui s’appuie sur un ensemble de fonde-
ments philosophiques et politiques, par nature subjectifs. Les économistes sont par ailleurs confrontés
à une difficulté majeure : anticiper avec précision l’évolution des marchés. Or, comme le notait Keynes,

1 Source : Publicitaires Eco-Socio-Innovants.

95
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

« demain, tout simplement, on ne sait pas 1 »… Et le système actuel, fondé sur un vaste maillage de
réseaux complexes, peut difficilement invalider une telle affirmation. Les TIC, la libéralisation et la
mondialisation ont méthodiquement brouillé les grilles de lecture classiques, laissant ainsi place à une
économie incertaine.
Un des effets tangibles, outre l’hyper-turbulence, est le poids de plus en plus prégnant de la société
civile sur la performance des entreprises. Une éventuelle action jugée illégitime peut en effet déclencher
une mobilisation massive et briser en un clin d’œil un cours boursier : le digital démultipliant force et
vitesse de la contestation… Bâtir un lien solide avec les parties prenantes et acquérir une maîtrise aigüe
de la communication apparaît en conséquence vital pour surmonter indemne les multiples secousses
du marché. Et l’enjeu ne vaut pas seulement pour les multinationales. Un petit distributeur favorisant
uniquement les fournisseurs locaux et la nourriture bio, mais qui ne communiquerait pas suffisamment,
pourrait en effet se faire doubler par un concurrent moins responsable, mais également moins coûteux.
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Une communication de qualité, fondée sur les faits, est par conséquent un préalable essentiel pour
affirmer son identité et clarifier ses relations avec les parties prenantes.

1 J.-M. Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, traduction de l’anglais par J. De Largentaye
en 1942, Payot, Paris, 1936.

Les points clés


¼¼L’économie n’est pas une science exacte mais une science humaine et sociale
qui repose sur des modèles fondés sur des hypothèses, elles-mêmes, induites
par des postulats philosophiques et politiques.

¼¼La crise écologique, la financiarisation et l’avènement des NTIC, remodèlent


en profondeur l’économie mondiale et disqualifient nombre de paradigmes
économiques jusqu’alors considérés comme étant incontournables.

¼¼L’évolution des marchés laisse ainsi progressivement place à une économie


de plus en plus volatile et instable.

¼¼Bâtir un lien solide avec les parties prenantes et acquérir une maîtrise
aigüe de la gestion de crise, apparaît en conséquence vital pour surmonter
indemne les multiples secousses du marché.

96
Chapitre 4 Communication et contextes économiques

APPLICATIONS ! Corrigés p. 279

6 Le socialisme de marché est un système où :


QCM a. L’autorité politique planifie les objectifs et utilise
le marché pour y parvenir.
Une seule bonne réponse est possible pour chacune b. Les richesses sont équitablement réparties entre
des questions. les différents agents économiques.
c. L’autorité politique détermine le volume et le prix
1 Le concept de « main invisible » a été formulé de l’offre.
par :
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d. Les citoyens ont le contrôle du capital pour amé-
a. David Ricardo. liorer la performance globale de l’économie.
b. Thomas Robert Malthus.
c. Adam Smith. 7 Que veut prouver la théorie des avantages
d. Jean-Baptiste Say. comparatifs ?
a. Qu’un pays n’a pas intérêt à importer un bien qu’il
2 Pour résorber le chômage, Keynes préconise peut lui-même produire à moindre coût.
de : b. Qu’un pays qui n’est pas plus productif pour au
a. Relancer la consommation. moins un bien n’a aucune possibilité de commercer.
b. Relancer la production. c. Que les échanges ne sont possibles qu’entre pays
c. Favoriser l’épargne. de développement similaire.
d. Dévaluer la monnaie. d. Que si chaque pays se spécialise là où il possède
la meilleure productivité, alors il accroîtra fortement
3 Comment Marx analyse-t-il la valeur ?
sa richesse nationale.
a. À travers le salaire et le profit.
b. En décryptant la lutte des classes.
c. En distinguant valeur d’usage et valeur d’échange.
d. En analysant le phénomène de croissance.

4 Une économie planifiée affirme que les moyens


Question
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de production doivent être soumis :


a. À l’autorité absolue du pouvoir politique.
de réflexion
b. À la discrétion du pouvoir économique.
c. Au monopole de quelques industriels. 8 Nouveau siècle, nouveaux enjeux
d. Au contrôle des citoyens. Selon vous, quels sont les principaux enjeux écono-
miques et stratégiques du xxie siècle ? Quels change-
5 La doctrine libérale est fondée sur :
ments majeurs induisent-ils ?
a. La théorie classique.
b. La théorie keynésienne.
c. La théorie des cycles économiques.
d. La théorie marxiste.

97
Chapitre 5
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S Fin 2017, la SNCF change le nom de son service de réservation
en ligne pour le baptiser « Oui-Sncf » et s’engage dans une logique
de marque avec les offres « Ouigo », « Inoui » et « Ouibus ».

la relation. Les réseaux sociaux accompagnent


ce modèle communicationnel en multipliant les
S Portrait emblème de la campagne
opérations virales d’adhésion par le geste de
de Barack Obama pour l’élection
« liker », de « partager » et de diffuser l’informa-
présidentielle américaine de 2008.
tion, notamment pour la « recommander » (comme
on le verra plus précisément dans le chapitre 6).

Y
« es we can » sur le plan politique ; « Oui- Sous une forme numérisée, il s’agit pour toutes
Sncf » comme nouveau nom de marque les organisations de « faire » « agir/adhérer/croire/
d’une grande entreprise publique, par acheter/… » le public selon les objectifs « commu-
ailleurs plus grand site marchand de France. En nicationnels » traditionnels, mais également de le
recourant à ce petit mot de trois lettres « oui », « faire participer/intervenir/interagir/parler/… »
ces deux exemples différents pointent vers l’un selon des objectifs de plus en plus « sociaux ».
des gestes de communication les plus impor- Cet objectif s’inscrit dans la théorie classique
tants, surtout à l’heure actuelle : l’engagement. de la performativité, selon laquelle « dire, c’est
Or, l’engagement est un « acte de langage ». S’en- faire ». Mais il s’ouvre à de nouveaux champs de
gager, c’est prendre la parole pour dire « oui », de l’expression et de la performance des acteurs
manière individuelle et collective. De manière engagés eux-mêmes. Quel effet les nouveaux
plus générale, l’engagement est devenu la marque médias ont-ils sur la parole performative ? Com-
de confiance qui se noue entre une organisation ment les marques renouvellent-elles leur prise de
et ses publics. Sous forme de signature, charte parole ? Que signifient « dire » et « faire » à l’ère
ou label, l’implication est le mode privilégié de des réseaux sociaux ?
Formes et enjeux
de la communication
performative
Plan
1 La théorie classique des « énoncés performatifs » . . . . . . . . . . . . . . . . 100
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2 La postérité d’Austin : détour et retour de la notion
de performativité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
3 Le second tournant pragmatique : l’écriture et l’essor des écrans. . 107

Objectifs
¼¼Comprendre la notion de performativité
¼¼Appréhender l’usage qui en est fait dans les champs théorique
et professionnel
¼¼Mesurer la part grandissante de la performativité écrite d’une part,
et des performances excessives d’autre part
¼¼Être capable d’analyser les effets produits par les discours
¼¼Appliquer la théorie performative au marketing et aux médias
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

1 La théorie classique
des « énoncés performatifs »
La théorie a une histoire précise et bien connue. D’emblée définie par son inven-
teur John Austin comme un moyen de « faire des choses avec des mots » (How
to do things with words), la performativité renouvelle la pratique ancienne de la
rhétorique (définition de la rhétorique du chapitre 1, p. 19) en lui donnant une
valeur médiatique forte, qui évolue en fonction des nouveaux supports et des
nouvelles approches de la communication.
En ce sens, la performativité est également une théorie des dispositifs média-
tiques et s’inscrit pleinement dans l’évolution des pratiques individuelles et
professionnelles de la communication.
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Définition 1
Voilà précisément la définition première de la performativité : est perfor-
matif un énoncé qui ne se contente pas de décrire l’état du monde, mais
qui cherche à modifier la situation et la réalité qui précèdent sa profération.

La performativité est à la fois une théorie et une représentation opératoire de la


communication. Elle s’applique à la fois aux communications interpersonnelles
et aux communications organisationnelles. C’est pourquoi on la retrouve de
manière transversale dans l’ensemble des domaines pratiques et professionnels :
communication publique, communication politique, communication institution-
nelle, communications externe et interne des entreprises.
Mais ce n’est pas tout. Réinvestie par les nouvelles formes de prise de parole
sur les médias numériques et sur les réseaux sociaux, la performativité semble
trouver un second souffle avec l’essor des supports numériques, favorisant les
logiques d’inscription, d’expression et de performance. De sorte que pour en
définir le champ complet, il convient, dans un premier temps, de retracer l’his-
toire du concept, pour, dans un second temps, en décrire les formes actuelles
d’application.

1.1 Naissance de la pragmatique


Au départ de sa réflexion, Austin s’inscrit dans un champ théorique beaucoup
plus vaste que la communication : la philosophie. Il appartient à l’univer-
sité d’Oxford qui, dès les années 1950, se spécialise dans ce qu’on appelle la

100
Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative

« philosophie analytique » et que l’on décrit traditionnellement de manière


plus simple comme la « philosophie du langage ». Dans un premier temps, cette
branche de l’épistémologie vise deux objectifs fondamentaux.

Définition 2
L’épistémologie est la branche de la philosophie qui s’occupe de l’histoire
des sciences et des modèles scientifiques qui prévalent à une époque don-
née. Par extension, l’épistémologie recouvre l’ensemble des réflexions sur
la manière dont on produit de la connaissance, à la fois d’un point de vue
théorique et méthodologique.

Elle cherche, d’une part, à produire une théorie formelle, logique, c’est-à-dire
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quasi mathématique des langues naturelles. Elle cherche, d’autre part, à articuler
à cela une réflexion « pratique » sur les usages et les significations que les énoncés
prennent dans la réalité des situations parlées. Autrement dit, ses recherches
peuvent se ramasser autour de la question du « langage ordinaire ».
Dans une première approche, la performativité est ainsi directement reliée aux
tours, aux détours et aux retours de ce que l’on appelle depuis la « pragmatique ».

Définition 3
D’origine à la fois européenne et américaine, la pragmatique est la théo-
rie de l’action. Américaine, elle repose avant tout sur le point de vue des
acteurs, c’est-à-dire des institutions, des personnes, des rôles et des objets
qui portent l’action. Européenne, elle suit plutôt une tradition linguis-
tique puis discursive : le fameux rapport entre « les mots et les choses »
dont parlait le philosophe Michel Foucault. La pragmatique moderne et
contemporaine voit le rapprochement et même la fusion entre ces deux
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traditions.

Voilà pourquoi dans un premier temps les tenants de la philosophie analytique


sont philosophes, mathématiciens, logiciens et secondairement linguistes. Deux
figures principales se détachent : Bertrand Russell (1870-1972) et Ludwig Wit-
tgenstein (1889-1951). Si le premier poursuit une réflexion fondamentale sur la
nature du langage, le second peut être considéré comme l’inventeur de la prag-
matique moderne, celle qui envisage les messages effectivement énoncés dans
des situations de communication ordinaire : l’interaction entre deux ouvriers,
l’interaction entre un marchand et un client, etc.

101
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

Ludwig Wittgenstein (1889-1951)


Philosophe intéressé par l’épistémologie et la linguistique, Ludwig Wittgenstein a tout
d’un précurseur. Dans le débat qui oppose les tenants d’une approche logicienne du
langage et ceux qui plaident pour une approche plus sociologique, il adopte une position
de rupture qui consiste à s’intéresser de manière philosophique au « langage ordinaire »
(tel que parlé par les individus dans leurs échanges quotidiens), c’est-à-dire aux formes
quotidiennes d’échanges qui sont observables tous les jours dans nos interactions menées
en contexte réel. En cela, il annonce le « tournant pragmatique » qui gagne l’ensemble
de la linguistique et de la communication autour des années 1950.
Très influent en Europe, il est également bien reconnu aux États-Unis où il fait connaître
les concepts de « jeu de langage » et de « ressemblances de famille ». Il fait partie des
auteurs qui accompagnent Austin dans l’élaboration et la mise en application des
modèles performatifs du discours tant institutionnel que quotidien dans des formes
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de communication aussi bien politiques que personnelles.1 ■

1.2 L’invention de la performativité : Quand


dire c’est faire de John L. Austin (1960)
Inscrite dans la réflexion sur les usages ordinaires du langage, la théorie d’Austin
repose sur la découverte d’un type de verbes qui ont la particularité sociale et
institutionnelle d’accomplir (perform) l’action qu’ils dénotent. Ainsi Austin
propose-t-il, dans un premier temps, de parler de « verbes performatifs », par
opposition aux « verbes constatifs » qui, se contentant de « rendre compte » (de
constater) les choses, ne semblent pas disposer de cette puissance d’action. Par
extension, le théoricien du langage parle d’« énoncés performatifs » avant de
proposer, de manière plus générale, la notion de « performativité ».

1 Pour aller plus loin sur l’histoire de la philosophie du langage et de la pragmatique, on pourra lire
l’excellente bande dessinée Logicomix qui raconte comme un roman l’histoire des futurs pragmaticiens.

102
Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative

FOCUS
Quand dire, c’est faire : le livre
Le projet théorique de J.-L. Austin est d’abord pédagogique et s’inscrit dans
un cadre universitaire. L’ouvrage d’Austin est le fruit de l’édition de douze
conférences qu’il a tenues en 1955 à l’université de Harvard. Notons d’abord
le choix très important du titre original de l’ouvrage : How to do things with
words. Ce choix n’est pas anodin puisqu’il parodie tous les guides très pra-
tiques qui promettent à la ménagère de l’époque de bien entretenir sa maison,
de bien élever ses enfants ou de bien cuisiner. De manière ironique, Austin
apparente sa réflexion universitaire à une série de « recettes » faciles pour
rendre actif, pour ne pas dire « magique », la parole. Pour ce faire, il s’appuie
sur quelques scènes de discours exemplaires.
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Prenons un exemple : le mariage. Voilà comment Austin en décrit la scène
performative :
« L’un de nos exemples était, on s’en souvient, l’énonciation “Oui [je prends cette femme comme épouse
légitime]’’, telle qu’elle est formulée au cours d’une cérémonie de mariage. Ici nous dirions qu’en pro-
nonçant ces paroles, nous faisons une chose (nous nous marions), plutôt que nous ne rendons compte
d’une chose (que nous nous marions). » (Conférence n° 2)
Les verbes qui se contentent de « rendre compte » prennent le nom de « verbes constatifs ».
La définition d’Austin
En généralisant cet exemple, toutes les situations de parole où l’enjeu est de produire un acte et des
effets sur le monde qui reviennent à « dire oui » sont aptes à recevoir le nom de performatif :
« Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidem-
ment), ce n’est ni décrire ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni
affirmer que je le fais : c’est le faire. […] Je propose d’appeler ce type de phrase une phrase performative
ou une énonciation performative ou – par souci de brièveté – un “performatif’’. Ce nom dérive, bien
sûr, du verbe perform, verbe qu’on emploie d’ordinaire avec le substantif « action » : il indique que
produire l’énonciation est exécuter [perform] une action (on ne considère pas, habituellement, cette
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production-là comme ne faisant que dire quelque chose). » (Conférence n° 1)


« Ouvrir une séance, un festival ou une cérémonie », « baptiser un enfant, une œuvre, un bateau ou
un immeuble », « jurer », « décréter », « maudire », etc. sont des actions qui ont, dans cette perspective,
une potentialité à devenir « performatives ». De sorte que l’opposition « linguistique » et philosophique
traditionnelle entre « dire le vrai » et « dire le faux » est neutralisée en faveur d’une nouvelle « valeur »
active du discours, à savoir « réussir » ou « échouer » :
« On remarque toutefois, lorsque l’on les examine de plus près, que ces énonciations ne sont manifes-
tement pas des énonciations susceptibles d’être “vraies’’ ou “fausses’’. Être “vraie’’ ou “fausse’’, c’est
pourtant bien la caractéristique traditionnelle d’une affirmation ? » (Conférence n° 2)
La performativité est alors dépendante d’une série de critères et de contextes qu’Austin appelle les
« conditions de félicité », c’est-à-dire de réussite d’un acte.

103
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

Les « conditions de félicité » (de réussite) du discours


Comme dans un contrat ou dans un « jeu de langage » (Wittgenstein), ces conditions de félicité se rap-
portent à des « procédures » précises qui rappellent les fameuses circonstances de la rhétorique (cf. p. 20) :
■■ « A.1. Il doit exister une procédure, reconnue par convention, dotée par convention d’un certain effet,
et comprenant l’énoncé de certains mots par de certaines personnes dans de certaines circonstances. »
■■ « A.2. Il faut que dans chaque cas les personnes et circonstances particulières soient celles qui
conviennent pour qu’on puisse invoquer la procédure en question. »
■■ « B.1. La procédure doit être exécutée par tous les participants, et correctement. »
■■ « B.2. La procédure doit être exécutée intégralement par tous les participants. » (Conférence n° 3)
Notons ainsi que la performativité est une théorie pratique de la communication qui est très proche
de la notion de contrat. Réussir un acte de langage, c’est remplir les conditions du pacte de communi-
cation qui le sous-tend.
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Il n’est guère étonnant que, dans la suite d’Austin, de nombreux chercheurs en analyse du discours et
en communication parlent de « contrat de communication » pour désigner plus clairement l’ensemble
des conditions qui organisent et encadrent les interactions verbales.

Cette montée en puissance de la notion fait que le projet théorique de la perfor-


mativité est à la fois modeste et ambitieux. Il est modeste dans la mesure où il
décrit, d’abord, des situations d’échange et de parole très ordinaires, très triviales
parfois. Il est ambitieux dans la mesure où il généralise ainsi le cas des énoncés les
plus circonstanciés à l’ensemble des interactions humaines puis à l’ensemble des
communications médiatisées dont l’effet produit consiste en une « modification
concrète du cadre institutionnel et partant de l’état du monde » qui le précède.

2 La postérité d’Austin :
détour et retour à la notion
de performativité
2.1 Les évolutions d’Austin sur sa propre
théorie
Du fait même de cette montée en généralité du modèle institutionnel de départ,
Austin semble lui-même être pris d’un certain vertige dans la suite de ses confé-
rences. À le lire avec attention, il semble même faire un peu machine arrière en
remettant en question le sens de l’action qu’un énoncé – quel qu’il soit – peut avoir :

104
Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative

« Il est temps, après cela, de reprendre le problème à neuf. Il nous faut reconsidérer
d’un point de vue plus général les questions : en quel sens dire une chose, est-ce
la faire ? En quel sens faisons-nous quelque chose en disant quelque chose ? (Et
peut-être aussi, ce qui est un autre cas : en quel sens faisons-nous quelque chose
par le fait de dire quelque chose ?) […] Après tout, « faire quelque chose » est une
expression très vague : lorsque nous formulons une énonciation, quelle qu’elle
soit, ne « faisons »-nous pas « quelque chose » ? » (Conférence n° 7)

2.1.1 De la performativité à la théorie


« perlocutoire »
Se met alors en place ce qu’on pourrait appeler une théorie seconde de la
performativité dans la fin des conférences, qui cherche à dépasser l’opposition
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binaire entre « énoncés constatifs » et « énoncés performatifs » pour proposer
une approche ternaire de l’action dans le discours. Au fond, Austin se met à
considérer que tout énoncé est actif, à un niveau ou un autre, et que ce qu’il faut
dorénavant regarder, c’est l’endroit où les actions opèrent :
« Nous avons reconnu, en premier lieu, l’ensemble de ce que nous faisons en disant
quelque chose, et nous l’avons nommé acte locutoire. Nous entendons par là,
sommairement, la production d’une phrase dotée d’un sens et d’une référence,
ces deux éléments constituant à peu près la signification – au sens traditionnel du
terme. Nous avons avancé, en second lieu, que nous produisons aussi des actes
illocutoires : informer, commander, avertir, entreprendre, etc., c’est-à-dire des
énonciations ayant une valeur conventionnelle. Enfin, nous avons défini les actes
perlocutoires – actes que nous provoquons ou accomplissons par le fait de dire
une chose. Exemples : convaincre, persuader, empêcher, et même surprendre ou
induire en erreur. » (Conférence n° 9)
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2.1.2 Finir par une typologie


Chaque parole est dès lors porteuse d’actes plus ou moins présents, plus ou moins
efficaces et plus ou moins formalisés : une série d’actes locutoires, une série d’actes
illocutoires et une série d’actes (ou d’effets) perlocutoires. En déplaçant à nouveau
le point de vue, Austin finit par identifier non plus des verbes, des énoncés ou des
actes mais des types de discours « actifs ». Il clôt même sa dernière conférence
sur une liste de ces différents discours qualifiables selon l’objectif qu’il vise :
« On peut dire, en résumé, que le “verdictif’’ conduit à porter un jugement,
l’“exercitif’’ à affirmer une influence ou un pouvoir, le “promissif’’ à assumer
une obligation ou à déclarer une intention, le “comportatif’’ à adopter une atti-
tude, l’“expositif’’ à manifester plus clairement ses raisons, ses arguments, bref
à élucider la communication. » (Conférence n° 12)

105
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

2.2 De la performativité à la théorie


des actes de langage
Depuis 1962, Quand dire c’est faire sera lu, commenté et prolongé. Il le sera
d’abord par un quatrième acteur important de la « philosophie du langage » :
John Searle, qui écrit en 1972 un livre ayant précisément pour titre : Les Actes
de langage.

John Searle (1932)


John Searle est le continuateur direct de John L. Austin. Il prend acte de la tripartition
« locutoire, illocutoire et perlocutoire » des discours pour produire sa propre théorie
des « actes de langage ». Le titre original de Searle est Speech Acts. Renouant avec la
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réflexion première des philosophes du langage, et suivant le dernier Austin, il abandonne
la notion de performativité et s’applique à produire une classification des différents
actes de langage. De sa description typologique ressortent cinq « actes de langage »
principaux.
1. Les assertifs : un acte assertif engage le locuteur sur la véracité d’une proposition.
Exemple : informer.
2. Les directifs : un directif correspond à la tentative de la part du locuteur d’obtenir
quelque chose de son destinataire. Exemple : demander.
3. Les promissifs : un promissif engage le locuteur sur le déroulement de l’action.
Exemple : promettre.
4 Les expressifs : cet acte exprime l’état psychologique du locuteur (comme la gratitude,
etc.). Exemple : remercier.
5. Les déclarations : elles modifient un état institutionnel. Exemple : déclarer la guerre.
Très en vogue dans les années 1970 et 1980, cette classification perdra par la suite de
son influence dans la mesure même où, quelque peu abandonnée par les théoriciens
de l’époque, la notion de performativité fera son retour sur le devant de la scène dans
les années 2000 en raison de sa reprise en main par les théoriciens et les praticiens de
la communication. ■

106
Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative

3 Le tournant « écranique »
de la performativité :
inscriptions, performances
et expressivité
Dans le prolongement d’une application sociologique élargie des « actes de
langage », c’est d’abord du côté de l’écriture que s’engage, à la fin des années
2000, une vaste entreprise de relecture et d’extension de la théorie performative.
Effleurée seulement par les premières théories linguistiques, la pragmatique de
l’écriture devient de plus en plus évidente dans le cadre des communications
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actuelles, au point de constituer ce que nous appellerons ici une « performati-
vité scripturale ».

Définition 4
Avec l’émergence des médias personnels et mobiles, on parle de plus en
plus de productions scripturales pour évoquer l’ensemble des supports
et des gestes d’écriture qui vont de l’annotation la plus brève (un SMS et
un clic) jusqu’à la rédaction la plus complète d’un texte (mail ou article),
en passant par toutes les formes intermédiaires d’inscription ou de posts.
En parlant d’énonciation scripturale, on prend ainsi acte de l’évolution de
l’ère de l’écriture traditionnelle à la pluralité des modalités actuelles de
production sur écran.
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3.1 Des actes juridiques aux actes d’écriture


En revenant de manière méthodique sur les écrits d’Austin, l’« anthropologie
de l’écriture » propose à la fois de réviser et d’étendre le champ de « représenta-
tions » de la performativité à toute une série d’actes écrits. Grande spécialiste
de l’histoire de la signature, l’anthropologue Béatrice Fraenkel observe que la
théorie austinienne surdétermine la valeur orale des énoncés et des situations
illocutoires en gommant le fait que nombre d’entre eux relèvent de l’écriture.
En outre, Fraenkel souligne à quel point la théorie d’Austin est liée à un modèle
juridique. Or toute l’histoire de l’application performative du droit désigne et
engage non seulement des paroles, mais aussi des gestes d’écriture, d’inscription
et d’assignation :

107
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

« L’acte écrit est inséré dans un système de chaînes d’écriture, de personnes


habilitées et de signes de validation, l’ensemble de ces éléments forment l’authen-
ticité nécessaire à la performativité. L’authenticité est obtenue par un traitement
spécial du document écrit, en particulier par l’apposition d’un certain nombre de
signes (sceaux, tampons, signatures). C’est ici le support écrit qui sert de base à
la fabrication de l’acte. Ce sont des signes visibles et non oraux qui authentifient
l’énoncé. » (Fraenkel, 2006)
De cette extension du cadre théorique initial, il ressort deux déplacements
principaux :
1. premièrement, la dimension scripturale de la performativité met en jeu de
manière infiniment plus évidente des matérialités, des supports et des média-
tions : objets, médias, technologies ;
2. deuxièmement, la dimension scripturale de la performativité met en jeu une
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pluralité d’acteurs en fonction de situations elles aussi multiples et potentiel-
lement diffractées. Cela conduit Fraenkel à définir la performativité écrite
comme une « performativité distribuée ».
Actuellement en voie de développement, ces redéploiements ont l’avantage
d’ouvrir la notion à des réalités elles-mêmes en redéfinition constante avec
l’évolution des cadres et des dispositifs d’expression, d’information et de com-
munication. Béatrice Fraenkel plaide pour une réévaluation de la temporalité
et de la matérialité performatives au contact des nouvelles technologies. Où se
situe par exemple la performativité de la signature au moment où sur Internet
elle passe d’un état « autographique » à un état dit « électronique » ? Plus géné-
ralement, les nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC) ne conditionnent-elles pas une nouvelle manière de faire des choses
avec des signes ?

3.2 La performativité « de » et « à » l’écran


La perspective ouverte par l’anthropologie et la pragmatique de l’écriture trouve
un champ d’application très riche dans les formes de communication par écran,
sur Internet en général et sur les réseaux socionumériques en particulier.
Les études sémio-pragmatiques des communications individuelles et inter-
individuelles telles qu’elles sont médiatisées par les écrans montrent, en effet, que
les gestes ont retrouvé une importance décisive dans la manipulation des signes.
Que ce soit sur l’interface des ordinateurs, des télévisions ou des smartphones,
l’expression numérique a démultiplié les occasions de s’inscrire, de s’exprimer, de
s’engager par ce que nous appelons les « gestes d’écran » : les liens hypertextuels,
les boutons, les mots-clés notamment relèvent à la fois d’une lecture « cliquée »

108
Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative

et tendent vers une évidence d’opérativité, que l’informatique rassemble parfois


sur les termes d’intuitivité, d’ergonomie ou de (Web)-usabilité ; rappelons ici
que ce terme d’opérativité est l’autre nom auquel Austin pense dans sa première
conférence pour désigner la performativité.

FOCUS
Performativité cliquée, performativité tactile
À l’heure actuelle, dans le champ des médias, des écrans, des réseaux sociaux, la « parole » elle-même
est redéfinie comme une « oralité seconde » selon l’expression du macluhanien Walter Ong : elle est
notamment de plus en plus proche de l’écriture à travers l’émergence de formes hybrides qui s’appellent,
entre autres, le « SMS », le « tweet », le « post » ou le « commentaire ». Voilà pourquoi, dans les pratiques
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personnelle et professionnelle de la communication que nous connaissons, l’actualisation et l’application
les plus récentes et les plus riches portent sur la valeur écrite de la performativité. Le contexte de la
« tactilité » des écrans et des interfaces numériques ne fait qu’amplifier cette valeur communicationnelle
et expressive de la lecture et de l’écriture sur écran.
Pour parler comme Austin, tous les nouveaux usages numériques multiplient les occasions de « dire oui ».

S Ensemble des icônes qui représentent l’acte de « partager » un contenu sur Internet

3.2.1 Des paroles et des actes


Vaut-il mieux continuer à parler, quitte à se perdre dans les arguties inutiles, ou
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convient-il plutôt d’agir coûte que coûte, quitte à fragmenter le lien symbolique
propre au débat public ? Notre époque est obsédée par cette tension communi-
cationnelle. Elle est ainsi tiraillée par cette double postulation de la communi-
cation, apparemment contradictoire : « trop de bla-bla », d’un côté, « pas assez
de dialogues » de l’autre. Cette opposition se trouve elle-même redoublée sur
les écrans par une autre série d’imaginaires de la communication : le « clash »,
le « buzz », la « viralité », qui « font parler » pour ne rien dire, et au-delà pour ne
rien faire, par opposition à l’engagement qui est censé « faire agir » ou « faire
s’éveiller les consciences »…
Comme on le voit, cette série de représentations des enjeux de la communication
renvoie à l’ambivalence des objectifs « factitifs » de la performativité.

109
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

3.2.2 Les enjeux de la « factitivité »

Définition 5
Appartenant au champ de la grammaire, la notion de factitivité renvoie
à l’ensemble des actions que le sujet ne fait pas directement, mais qu’il
« fait faire » à un autre agent. On parle de verbes, de voix ou de processus
« factitifs ». En général, il s’agit de la tournure : Faire + Verbe à l’infinitif.
Exemple : Pierre a fait construire sa maison par Paul. Paul a fait croire à
Pierre qu’il était architecte. Il a fait fructifier son investissement. Cette
publicité fait rêver.
Les formulations factitives permettent de décrire des actions de manière
« indirecte » ou « passive », en insistant sur les effets que les agents (humains
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ou non humains) produisent les uns sur les autres.

Faire est, en français, le verbe performatif par excellence, dans la mesure où il est
apte à représenter toutes les actions possibles et toutes les manières d’impliquer
l’autre : « faire connaître », « faire valoir », « faire savoir », « faire penser » d’un côté,
mais aussi « faire vendre », « faire croire », « faire acheter », « faire voter » de l’autre.
D’où les reprises négatives dans les discours critiques : « faire avaler », « faire
gober », « faire marcher », « (se) faire avoir », etc.
Dans le prolongement de la rhétorique, l’objectif factitif des énoncés performa-
tifs porte sur le récepteur, l’interlocuteur voire la cible des messages. Il s’agit
d’induire, de provoquer ou de modifier des comportements, des représentations
sinon des actes : « faire agir » ou « faire réagir », « faire acheter » ou « faire vendre »,
« faire croire » ou « faire voter ». Communiquer pour faire agir ou réagir rejoint
l’idée même d’un « retour sur investissement » performatif. La logique perfor-
mative s’apparente à une chaîne de valorisation réciproque entre les paroles et
les actes. Rien ne le montrerait mieux que l’enjeu actuel autour des échanges et
des conversations numériques.

3.2.3 Ce que la « participation » veut dire


La dimension factitive peut alors se définir par un effet de feedback : le fait d’agir
en parlant (rhétorique) se déplace progressivement vers l’idée qu’il s’agit de parler
pour agir. Comme si l’opposition était devenue stérile entre l’idée de l’action
pure et de la parole vaine, l’« agir communicationnel » (Jürgen Habermas) a pris
les commandes de l’agir politique au sein de l’« espace public ».
C’est ce que révèle en partie l’objectif contemporain de la « participation », soit ce
nouveau modèle factitif de la concertation, de l’implication, de l’interactivité, de

110
Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative

la sensibilisation et, en un mot, de l’action sur et par les publics. La mobilisation


s’inscrit sur les écrans et les interfaces en de multiples logiques scripturales :
l’inscription, la « conscription », le clic, le like, le commentaire, l’interpellation,
le partage, la signature et le signalement.
À la faveur du branding et du community management, la performativité est elle-
même gagnée par une économie symbolique de l’interactivité généralisée : pour la
marque (commerciale, institutionnelle, politique, médiatique ou même « person-
nelle »), il s’agit de faire parler son public à son propos. Conçu médiatiquement
comme une « communauté », le public devient un acteur hybride du processus de
communication : à la fois hyper-individualisé et hyperconnecté.

FOCUS
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Marketing et performativité 2.01
À l’heure du Web 2.0, la question centrale pour la communication performative d’une marque est
celle de l’implication, de l’engagement conversationnel du consommateur en sa faveur sur les réseaux
sociaux. Aujourd’hui, la compétence performative de la publicité dépasse le cadre stricto sensu de l’acte
de faire acheter. La préoccupation des marques est aussi de faire parler, faire en sorte que l’internaute
devienne par sa parole sur la toile un prescripteur, un médiateur favorable.
Un nouveau contrat relationnel se crée avec le consommateur où il est « avant tout une personne qui
souhaite être entendue et qui valorise plus le lien que le bien ». Ceci est devenu un tel enjeu pour les
marques qu’à partir des années 2000, des agences spécialisées dans le Web 2.0 aux noms évocateurs
(Trendy Buzz, Net Conversations, Blobang) ont vu le jour en France avec pour objectif principal d’ob-
server, d’analyser, de solliciter les conversations sur la toile afin de mettre à contribution la blogosphère
pour créer la notoriété de la marque. Le marketing performatif de la participation est ainsi de trois
ordres pour les marques dont nous allons donner des illustrations :
1. concevoir son site de marque pour créer une « communauté de marque » active et faire le buzz (Web 2.0) ;
2. faire parler les objets via les objets connectés mais aussi récupérer des données des consommateurs
avec le Big Data (Web 3.0) ;
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3. s’introduire dans les réseaux sociaux (Facebook…) pour faire liker.


En ce sens, c’est tout le modèle performatif classique du marketing qui est en train d’évoluer sous nos yeux.
Rappelons que la publicité traditionnelle repose sur une argumentation mécanique, unilatérale et
descendante du « faire faire » (Adam et Bonhomme)2 .

1 Cet encadré a été rédigé avec l’aide de Pauline Escande-Gauquié, maître de conférences au Celsa.
2 J.-M. Adam et M. Bonhomme, L’argumentation publicitaire, Nathan, Paris, 1997.

111
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

PUBLICITÉ CLASSIQUE
Produire Ayant une force Visant l’achat
Action langagière
un message de persuasion d’un produit
Effet perlocutoire
Dimension
Acte locutoire Force illocutoire (Réussite de l’acte
pragmatique
performatif)
Constatif directif Faire croire
Constatif
Performatif Faire faire
Quand dire c’est faire
Quand dire c’est dire Quand dire c’est faire
faire
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Dimension publicitaire Faire dire au produit Pour faire acheter
S Tableau 5.1 La publicité classique

Sur le Web, la force illocutoire du « faire dire au produit » ne suffit plus, elle doit être relayée par une
caution médiatrice du consommateur qu’on pourrait appeler la force interlocutoire (inter : « entre »,
exprimant cet espacement de la relation parlée entre la marque et son consommateur). Cette force inter-
locutoire consiste donc pour la marque à « faire parler sur le produit » pour faire faire. D’un point de vue
communicationnel, le « tournant écranique » s’accompagne d’une redistribution des valeurs et d’une
réorganisation de la chaîne opératoire des paroles.
La constitution du produit en objet de valeur ne passe plus seulement par la valorisation symbolique
de l’objet lui-même (par la publicité) mais aussi par une valorisation symbolique de l’échange.

3.3 Vers une performativité « expressive »


Cela ne va pas sans un nouveau glissement symbolique autour de la parole.
La parole doit « se faire voir » pour être entendue, quitte à redéfinir les places
et les enjeux des discours et des supports qui les médiatisent, c’est-à-dire qui
les rendent « visibles ». Inscrites et transcrites, nos performances consacrent la
valeur de « visibilité » selon laquelle les commentaires, les feedbacks, les tweets,
les like peuvent être « monétisés », comme disent les professionnels du digital,
c’est-à-dire comptabilités et monnayés.

112
Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative

FOCUS
Numérique et « expressivisme » : une rétrospective
entre corpus et concepts
L’expressivisme n’est pas un narcissisme
Entre 1997 et 2003, en étudiant des newsgroups ou des pages
perso ayant trait à la culture ou à l’activisme, il nous est apparu
qu’un tournant « expressiviste » pouvait être caractérisé en
rapport avec le développement du réseau de communication
Internet et de différents services ou expérimentations de l’ex-
pression personnelle et collective. Ce n’était plus seulement
les amateurs qui trouvaient là un terrain de communication de
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leurs passions ordinaires comme on l’a trop surexposé, mais
bien plutôt les curieux, celles et ceux qui « aimaient sans trop
savoir » comme s’en moquaient les encyclopédistes, du fait
de leur ascendance aristocratique au XVIII e siècle (Allard, 1999). Dans un contexte de modernité
tardive, d’individualisation réflexive et de la mise en crise des institutions pourvoyeuses d’identités
toutes faites (Ulrich Beck, Anthony Giddens, Scott Lash, 1994), l’expression en ligne a été investie
d’enjeux identitaires devant une nouvelle « technologie du soi », support d’écriture, de maintien et
de transformation des subjectivités, comme il en a existé depuis l’antiquité notamment suivant les
recherches de Michel Foucault. Il faut toujours souligner la distinction entre le diagnostic psycho-
pathologisant du narcissisme et la notion foucaldienne de la « culture du soi » qui constitue un geste
politique ouvrant à la possibilité de nouvelles formes de subjectivités et refusant le type d’individualité
imposée depuis plusieurs siècles.
Des Hupomnêmata (ὑπομνήματα) aux stories mobiles
Aux sources de ce moi exprimé, le moment romantique renforce ce geste émancipateur de l’ex-
pressivisme constituant les bases d’une individuation nouvelle et émancipatrice en la corrélant à
l’expression d’une intériorité. Charles Taylor, dans sa généalogie des « sources du moi » publiée en
1989, définit ainsi l’individu moderne en fonction de sa singularité, de son originalité et de sa créa-
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tivité. Le talent à l’âge romantique est alors être d’exception tandis que la célébrité commence à
lui faire une certaine ombre à l’aube des premières médiatisations, comme le précise Antoine Litli
dans sa généalogie de la culture people (2014). Si « l’ami Jean-Jacques » (Rousseau) personnifie l’une
des premières célébrités par la publication de ses « rêveries » intérieures, ce sont les youtubeuses
lifestyle qui vivent de leur talent à être elles-mêmes, mettant en scène une authenticité reconnue
par les publics de leur vlog, dans lesquels ces « licornes » bankable font de leur vie quotidienne un
spectacle médié par des écrans.
Vloger sa vie : l’économie symbolique du talent expresssif
« Ce qui m’étonne, c’est le fait que dans notre société l’art est devenu quelque chose qui n’est en rap-
port qu’avec les objets et non pas avec les individus ou avec la vie (…). Mais la vie de tout individu ne

113
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

pourrait-elle pas être une œuvre d’art ? Pourquoi une lampe ou une maison sont-ils des objets d’art
et non pas notre vie ? », s’interrogeait en 1983 Michel Foucault. Cet appel à une « stylistique de
l’existence » peut sembler se concrétiser sans moralité quand les talents numériques deviennent
des marques aux côtés des lampes et des maisons ou quand des fonctionnalités sur des applications
telles que Instagram les couvrent de publicités (Allard, Carah, Shaul : 2015). L’hypothèse de
« l’authenticité réflexive » – empruntée en 2003 au philosophe Alessandro Ferrara – que nous avons
formalisée comme étant la reconnaissance entre pairs de la logique d’individuation expressive,
semble désormais être valorisée par l’intermédiaire de l’économie créative des talents et la culture
de la micro-célébrité.
Écologie de la communication et sobriété numérique : la culture de réparation
À l’heure où l’on promet la 5G pour mieux visionner sans latence et avec outrance des séries en série, se
pose la question des limites planétaires à de telles pratiques numériques énergivores au plan de la nature
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géophysique des pratiques numériques. Si vivre avec des écrans, tels que les smartphones semblables
à des caméras-stylos (Astruc, 1948), a permis à toutes et tous d’exercer une « écrivance » du quotidien
(Allard, 2018) et donner une voix expressive aux sujets mineurs et minorés – des adolescents aux Gilets
jaunes –, celle-ci peut également être mise au service de l’alarme environnementale au profit d’une
sobriété numérique (Shift Project, 2018). Des usages de réparation-recréation et d’agencements low
tech peuvent matérialiser le futur des supports de l’expression d’un soi plus vulnérable au sein d’une
nouvelle écologie de la communication.
Par Laurence Allard, maître de conférences, Sciences de la Communication,
Université Lille/IRCAV-Paris 3

Le succès de la participation est directement lié aux évolutions de l’économie


et plus largement encore de l’écosystème des paroles et de la valorisation des
« évaluations », des « recommandations », des « avis » et de toute une série de prise
de parole sur et par les marques. Circulant sur les écrans des interfaces, des
plateformes et des réseaux, ces prises de parole ont pour nom « contenus ».
La performativité rejoint alors, par l’effet des inscriptions à l’écran, une prag-
matique des « performances » communicationnelles et notamment expressives.
En prenant les noms d’« opérativité », de « factitivité » ou de « personal bran-
ding », l’extension du domaine performatif suit progressivement le chemin d’une
approche « communautaire » et « expressiviste » (voir rubrique Focus ci-dessus)
de notre société des réseaux selon laquelle « dire, c’est faire » et « faire, c’est dire,
lire, écrire, inscrire », mais aussi « se dire, s’exprimer, s’écrire ou se faire voir ».
Le succès de la pratique des selfies, des vlogs et des stories entrerait dans cette
logique de diffusion théorique et pratique de la performance communicationnelle.

114
Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative

Quelle est à l’heure actuelle la place de la


communication au sein des entreprises ?
3 questions à La communication est une question sociale qui a une place
importante dans le monde du travail, même si son rôle est
Jean-Marie parfois insuffisamment pris en compte. Au sein d’ERDF,
Charpentier nous plaidons pour une revalorisation de la place de la
Responsable de l’observation parole dans les métiers. Et c’est là une question avant tout
sociale d’ERDF. Vice-président de communication. Mais d’une communication qui ne peut
de l’AFCI
se réduire à des éléments de langage et un discours de
marque.
Quelle est la définition de la performativité pour
le management ?
L’organisation ne précède pas la communication.
La communication est organisante, et c’est en ce sens que
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la communication en entreprise est réellement performative.
Une nouvelle performativité qui suppose de faire plus de
place à l’autre est à inventer. Y compris pour débattre,
se confronter, se disputer. Dire à l’autre, c’est faire. Voilà la
définition de la performativité idéale.
Il faut distinguer deux pratiques qui ont cours dans les
entreprises : « communiquer le changement » d’une part,
« communiquer pour changer » d’autre part. La vraie
performativité est intransitive « pour changer ». Le fait
de communiquer, de revivifier la parole et le dialogue au
sein de l’entreprise, est la seule manière de produire le
changement.
Communiquer le changement se situe le plus souvent dans
une conception unidirectionnelle de la communication.
La « com » se confond avec une police des discours,
contrôlée et non réciproque.
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Quelles directions doit prendre la communication


performative selon vous ?
Aujourd’hui, dans un univers complexe de services,
on ne peut pas travailler sans échanger. Le travail déplace
les lignes de la communication. Les salariés sont beaucoup
plus « communicants » qu’on ne le pense. On est passé
de la séquentialité de la communication aux aléas,
aux événements : tout cela est plus heurté… On est
loin de Shannon ou de tous les schémas d’ingénieurs.
L’enjeu aujourd’hui est de remettre au centre l’échange
avec ses pairs et avec sa hiérarchie. Une étude menée
par l’agence de communication corporate Meanings
montre que les salariés déplorent l’absence de la parole
du dirigeant. Pas moins de 40 % des salariés n’ont

115
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

pas entendu la parole du dirigeant, c’est-à-dire le son


même de sa voix. Or, la voix implique la présence
de la personne. La performativité, c’est l’autre nom
possible de la présence. ■

Les points clés


¼¼La performativité est une théorie de l’action par la communication. Elle appa-
raît d’abord sous la forme d’une maxime simple signée John L. Austin (1960) :
« quand dire, c’est faire ».

¼¼La performativité renouvelle l’approche traditionnelle de la rhétorique en


lui conférant une dimension institutionnelle, sociale et pragmatique à travers
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la notion d’« actes de langage ».

¼¼La performativité devient une théorie pratique pour la communication.


À travers la mise en place de stratégies de communication, l’enjeu perfor-
matif des acteurs et des professionnels de la communication est de « faire
penser », de « faire croire », de « faire adhérer », de « faire voter », de « faire
acheter », et plus récemment de « faire parler ».

¼¼« Faire parler » est le nouveau régime « factitif » de la communication sur


les réseaux socionumériques qui incitent les internautes à « participer », à
« interagir », à « commenter » et à « converser » sur et avec les marques et les
organisations, qu’elles soient marchandes ou politiques.

¼¼L’enjeu actuel de la performativité est doublement communicationnel pour


les agences de communication : il s’agit de mettre en œuvre des opérations
de communication pour que les consommateurs ou les citoyens « parlent »
de certaines marques, de certains contenus médiatiques ou de certains
événements, afin de mettre en avant ces sujets de « conversation » comme
des objets privilégiés de l’« attention » générale.

¼¼D’origine orale, la performativité prend une dimension fortement scripturale


sur les écrans qui nous entourent : liker, recommander, faire partager sont
devenus des gestes de communication inscrite et des actes de langages écrits
totalement banals et quotidiens chez les internautes.

116
Chapitre 5 Formes et enjeux de la communication performative

APPLICATIONS ! Corrigés p. 279

5 Comment appelle-t-on la performativité qui se


QCM fait sur les écrans ?
a. « Scripturale ».
Une seule bonne réponse est possible pour chacune b. « Scriptale ».
des questions. c. « Lectoriale ».

1 Qui est l’inventeur de la notion de performativité ?


a. Johan Searle.
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b. Ludwig Wittgenstein.
c. John L. Austin. Questions
2 À quelle discipline linguistique la théorie de la
performativité renvoie-t-elle ?
de réflexion
a. La rhétorique.
b. La sémiologie. 6 Les nouveaux visages de la parole efficace
c. La pragmatique. En quoi la performativité comme théorie de la parole
politique est-elle en train d’évoluer avec l’essor des
3 Quelle valeur performative désigne l’« effet » médias ?
produit par l’énonciation d’un acte de langage ?
a. Locutoire. 7 La monétisation factitive des échanges
b. Illocutoire. numériques
c. Perlocutoire. Quels intérêts économiques les marques ont-elles à
devenir l’enjeu d’une conversation numérique ?
4 Par quelle visée communicationnelle la nouvelle
valeur « interlocutoire » se traduit-elle dans le
marketing performatif ?
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a. Faire acheter.
b. Faire parler.
c. Faire vendre.

117
Chapitre 6
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L
« ike, share, comment », tels pourraient l’image de marque de l’individu ou de l’organi-
être les commandements des plateformes sation qui publie sur Internet. Les questions que
du Web social ! Invité en permanence posent ces nouveaux gestes, devenus réflexes,
à aimer, partager ou commenter, l’internaute sont nombreuses : dans quelle mesure peut-on
est en même temps assailli de propositions de considérer que les individus sont devenus actifs
navigation pour lire, voir ou acheter des conte- dans le processus de réputation des marques ?
nus. S’il influence par sa recommandation et ses Dans quelle mesure peut-on considérer que les
commentaires, il est réciproquement influencé plateformes cherchent à influencer le parcours des
dans son parcours et dans ses actes. Organisé internautes ? De manière plus générale, quels sont
autour de « boutons » et de « liens », le geste de les nouveaux territoires et les nouveaux enjeux de
la recommandation redéfinit les contours de l’influence et de la recommandation sur Internet ?
Influence et
recommandation
sur le Web social
Plan
1 De la recommandation à la recommandation en ligne . . . . . . . . . . . . 120
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2 La recommandation, un héritage des théories
de l’influence personnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

Objectifs
¼¼Appréhender les nouveaux enjeux de l’influence sur le Web
¼¼Comprendre la part des mécanismes de partage et de recommandation
dans le principe d’influence
¼¼Décrypter les enjeux stratégiques des plateformes du Web derrière les
incitations à « recommander »
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

1 De la recommandation
à la recommandation en ligne
Les pratiques de recommandation de contenus occupent désormais une place
centrale parmi les actions que les sites web proposent aux internautes. D’emblée,
l’internaute peut se voir invité à « recommander » en un clic les contenus d’un
site pour autrui. Réciproquement, ce même internaute peut se voir proposer
de découvrir de nouveaux contenus lorsqu’une page web les lui présente sous
l’étiquette « recommandé pour vous ».

1.1 Les contenus sont de plus en plus


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recommandables
En ligne, on lit des textes, on écoute des sons, on regarde des images ou des
vidéos… Et on les partage. Les contenus sont de plus en plus « recommandables »
car les sites web qui les contiennent intègrent des boutons afin qu’ils soient
recommandés et diffusés et des rubriques spécialisées pour en recommander
toujours davantage.
Exemple 1
La recommandation sur le site 20minutes.fr
La lecture du site du journal 20 Minutes illustre bien l’ampleur qu’atteignent les
pratiques de recommandation de contenus sur Internet au XXI e siècle. Quel que soit
l’article qu’un lecteur-internaute choisit de consulter sur 20minutes.fr, sa pratique de
lecture et de navigation doit se confronter à une série de recommandations affichées
sur l’écran. Tout autour du texte de l’article, 20 Minutes propose au lecteur-internaute
un ensemble d’invitations, tantôt pour influencer son clic, tantôt pour qu’il soit in-
fluencé par les clics d’autres lecteurs.

120
Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social

– Sur le titre de l’article, 20 Minutes a choisi d’intégrer un


ensemble de boutons dits de « partage ». Ceux-ci illustrent les
logos des principales plateformes (Facebook, Twitter, Pinterest,
LinkedIn) ainsi que les possibilités d’un envoi par mail ou via
Messenger. Autant d’options mises en place pour qu’un lecteur
puisse recommander en un clic la lecture de l’article à d’autres
internautes.
– À la fin de l’article, ce même module de boutons de recom-
mandation s’affiche à nouveau. Toutes ces actions que l’in-
ternaute peut effectuer en un clic sont comptabilisées en
temps réel : l’article a été partagé « 11.3 k » fois. Ces chiffres Classement des « plus partagés »
nourrissent le classement des articles « Les plus partagés ». Une sur 20minutes.fr
page complémentaire du site reprend ce classement
et génère un module qui s’affiche sur le côté droit de
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l’écran : sur Facebook, Twitter, LinkedIn et Messenger,
les partages totalisent « 11, 312 » et valent à l’article
d’occuper la première position.
– Sur le côté droit de la page, le site propose des liens
vers d’autres contenus et sites d’annonceurs (Ireland,
Peugeot), présentés sous l’étiquette « À lire aussi » dans
une rubrique qui porte la mention « Contenus sponso-
risés par Outbrain ».
– Enfin, lorsqu’un article intègre des contenus héber-
gés par d’autres sites ou des lecteurs (audio, vidéo), ces
reproducteurs incorporent dans leur cadre leurs propres
recommandations : ainsi, le lecteur vidéo de 20minutes.
fr affiche systématiquement un écran intercalaire avec la
légende « Découvrez plus de vidéos », inspiré du modèle Recommandations d’un lecteur vidéo et
du player de YouTube, qui propose en fin de visionnage d’Outbrain intégrées à une page du site
une mini-mosaïque de vidéos similaires. 20minutes.fr1
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1.2 La dynamique de recommandation


généralisée à tous les médias en ligne
Partout sur le Net, on cherche à orienter ou à « influencer » la pratique du clic.
Qu’il s’agisse de sites médiatiques, marchands, institutionnels ou personnels, le
fait d’inciter l’internaute à cliquer sur un bouton issu d’un réseau social du type
« partager », « aimer », « recommander » et de l’inviter à poursuivre sa navigation
sur la base de « contenus recommandés », « similaires », « aimés » par un contact

1 Pont effondré à Mirepoix-sur-Tarn : Le poids lourd et son chargement pesaient « plus de 40 tonnes »,
20minutes.fr, 19 novembre 2019.

121
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

ou classés « au top » se banalise. Or, toutes ces recommandations anodines dis-


simulent d’importants enjeux stratégiques pour les industries du Web et leurs
multiples partenaires.

2 La recommandation, un héritage
des théories de l’influence
personnelle
La problématique de la recommandation sur écran trouve ses racines dans les
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travaux des penseurs du XXe siècle qui se sont intéressés aux relations de pouvoir
qu’entretiennent les médias, les groupes sociaux et les individus.

2.1 Le Web actualise la théorie


des deux étages
Que fait-on au juste quand on partage tel contenu du Monde avec son groupe
d’amis sur Facebook ? Qui vous a recommandé d’aller sur ce site ou de consulter
ce contenu plutôt qu’un autre ? Voilà les questions qui, au siècle dernier, auraient
à coup sûr interpellé Paul F. Lazarsfeld et ses collaborateurs Elihu Katz, Bernard
Berelson, Hazel Gaudet et même d’autres théoriciens plus anciens comme Gabriel
Tarde qui ont inspiré ses théories sur l’influence personnelle et le rôle que jouent
les personnes prises dans le flux des communications de masse1.
Le principal modèle théorique légué par Lazarsfeld est celui du two step flow
– affiné en collaboration avec Berelson et Gaudet puis avec Katz – et connu en
français comme le modèle des « deux étages de la communication » ou « double
palier ». Ce modèle rejoint la problématique de la recommandation en ce qu’il
cherche à décrire la formation de décisions d’individus qui sont influencés par
leur consommation de contenus médiatiques mais aussi et surtout par ce que
leurs proches, amis et collègues en pensent.

1 P.-F. Lazarsfeld et E. Katz, Personal Influence, the Part Played by People in the Flow of Mass
Communications, Free Press, New York, 1955. Tr. fr. Influence personnelle : ce que les gens font des
médias, Armand Colin, Paris, 2008.

122
Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social

FOCUS
Les deux étages
Dans un article qui revient sur l’ouvrage Personal influence de 1955, Katz résume ainsi la thèse du
modèle des deux étages, tout en expliquant la métaphore que lui donne son nom : « Les gens acquièrent
leurs convictions de façon très heureuse par l’intermédiaire d’échanges avec d’autres personnes et l’in-
fluence des mass media se révèle moins automatique et moins puissante qu’on ne l’avait supposé […].
Certaines influences transmises par les mass media atteignent d’abord des leaders d’opinion [1er étage]
qui, à leur tour, communiquent ce qu’ils lisent et entendent à leurs semblables [2e étage] sur lesquels
ils exercent de l’influence. »1
1 E. Katz, « Les deux étages de la communication », in F. Balle et J.-C. Padioleau, Sociologie de l’information,
Larousse, Paris, 1973, pp. 285-304.
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2.2 Le Web démultiplie le phénomène
de recommandation
Le modèle de Lazarsfeld et Katz est particulièrement pertinent pour questionner
l’influence du flux de recommandations qui a cours sur le Web.

2.2.1 Le mécanisme de l’influence


L’importance des échanges avec d’autres personnes dans la formation de déci-
sions individuelles trouve une résonance particulière sur les écrans d’un Web
qui se définit avant tout comme un espace « social ».
– Pourquoi les gens choisissent-ils ce qu’ils choisissent sur Internet ? La thèse de
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Lazarsfeld et Katz explique pourquoi prolifère la recommandation en ligne :


l’internaute serait davantage influencé dans ses choix de consommation de
contenus par les conseils de ses amis que par les propositions directes des
médias, marques et institutions.
– En ce sens, tout le génie des plateformes du Web (Facebook, Twitter, LinkedIn,
etc.) tient au fait qu’elles canalisent par écrit ces « influences interpersonnelles »
tant recherchées par les professionnels du marketing et de la communication.
Au fur et à mesure qu’on incorpore leurs modules de recommandation un
peu partout sur le Web, les réseaux sociaux fournissent clé en main non
seulement la métaphore de l’« amitié » entre les internautes, mais aussi les
boutons « j’aime », « partager », « ❤ », « tweeter », « RT », « recommander »
dans l’espoir qu’ils s’influencent les uns aux autres spontanément dans leurs
consommations de contenus.

123
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

2.2.2 Leaders et relais d’opinion


Le vocabulaire de Lazarsfeld et de ses collaborateurs pour conceptualiser l’in-
fluence interpersonnelle garde aujourd’hui toute sa vitalité.
En haut du réseau, le leader d’opinion, celui qui exerce de l’influence sur ses sem-
blables, peut être considéré comme l’ancêtre du blogueur ou twitteur influent, ou
encore de l’influenceur qui est censé orienter les consommations de contenus de
son vaste réseau de contacts ou abonnés. Sous la tutelle de ce leader influent qui
filtre la cascade des messages médiatiques, se trouvent ses « followers ». Derrière
ce mot commun aux textes de Lazarsfeld et Katz et aux écrans de Twitter ou
d’Instagram, il y a l’idée que des individus sont subordonnés ou influencés par
d’autres ; puisqu’ils cherchent les conseils ou les avis (seek advice) d’un leader
qu’ils « suivent » sur Internet, ils seraient prêts à suivre ses recommandations.
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Modèle du two step flow

Média de masse

Leader d’opinion

Individus socialement en contact avec un leader d’opinion

S Parallélismes visuels entre le two step flow et les modélisations graphiques


de Facebook1

1 Université de Twente, « Facebook introduces social graph search », The Next Web, 15 janvier 2013.

124
Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social

2.3 Sur le Web, le two step flow s’apparente


à un multi-step flow
L’efficacité attribuée à l’échange entre amis comme mécanisme de recommandation
en ligne et la possibilité d’imaginer les internautes en position d’influenceurs ou
d’influencés sont deux héritages vivants du modèle du two step flow sur Internet.
Certaines formes de la recommandation sur le Web contemporain semblent
façonnées pour inciter les internautes à participer à cette conception de la
communication. On pourrait traduire le « 1 046 personnes recommandent ça.
Soyez le premier parmi vos amis » de Facebook par « Ce contenu marche parce
que tous ces gens se le recommandent entre eux. Vous aussi, ayez le prestige d’être
le leader d’opinion de votre groupe ». Le penseur français Gabriel Tarde, qui a
fortement influencé Lazarsfeld, y trouverait son compte : à l’écran, on cherche
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à faire croire au potentiel de « contagion1 » de ce qui est recommandé, partant
du principe que les gens s’imitent les uns les autres.
Pour suggérer que l’influence se joue désormais à plus de deux étages, on parle
de « multi-step flow » car l’effet de réseau social fait qu’un internaute influencé
par un leader d’opinion peut toujours devenir l’influenceur d’un autre, celui-ci
pouvant à son tour en influencer un autre et ainsi de suite pour former une chaîne
de « relais prescriptifs »2 et de recommandations.
Avec cette promesse d’une « transmission d’influences » quasi épidémiologique,
diverses industries de la recommandation sur le Web assoient leur emprise éco-
nomique en faisant miroiter à leurs partenaires (marques, médias, institutions,
industries culturelles) l’horizon d’une efficacité maximale lorsqu’il est question
d’orienter les internautes vers certains contenus promus.

2.4 La recommandation plutôt


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que la publicité
Croire au succès de la recommandation sur Internet revient à valider la puissance
des relations entre influenceurs et influencés. Cela explique la valorisation du
bouche-à-oreille, du marketing « viral », de la recherche d’influenceurs et de
buzz au détriment de pratiques promotionnelles et publicitaires plus classiques.

1 Cf. G. Tarde, L’Opinion et la Foule, PUF, Paris, 1989 (1901).


2 T. Stenger, La prescription de l’action collective sur les réseaux socionumériques : double stratégie
d’exploitation de la participation, Hermès, 2011, pp. 127-133.

125
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

FOCUS
Vous avez dit « influenceur » ?
Selon une étude OpinionWay réalisée en octobre 2014
pour la société Mozoo auprès de 1 006 personnes
majeures, 78 % des Français estimaient que la publicité
sur Internet était devenue une nuisance. Ce climat
de méfiance envers des formats jugés trop intrusifs,
explique sans doute le succès que connaissent des
formes plus subtiles de persuasion publicitaire, comme
celle qu’incarnent les « influenceurs ».
La figure de l’influenceur renouvelle l’héritage du
leader d’opinion et le décline selon de multiples ava-
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tars : aux répertoires de blogueurs et twittos influents
s’ajoutent désormais l’influenceur ou l’influenceuse Une « influenceuse » © Shutterstock/Diego Cervo
instagram, le youtubeur ou youtubeuse, etc. Au fil
des plateformes, ces divers influenceurs peuvent proposer leurs services d’intermédiaires-clés auprès
d’une audience fidélisée à toute sorte d’acteurs en quête de rouages promotionnels. Pratiqué aussi bien
par les marques que par les institutions, l’« influencer marketing » devient un poste budgétaire à part
entière, destiné à concrétiser des relations d’influence (sponsoring, partenariats) avec ces créateurs de
contenus des réseaux.
En 2019, les lexicographes du dictionnaire anglais Merriem-Webster ont décidé d’intégrer cette accep-
tion digitale du mot influenceur : « Une personne qui est capable de susciter de l’intérêt pour quelque
chose (comme un produit) en lui consacrant des posts sur les médias sociaux. » Leurs homologues de
l’Oxford English Dictionary notent également une spécialisation du terme « influencer » en fonction
des domaines particuliers d’influence : « microinfluencer » ou « nanoinfluencer » (petites audiences),
« fitfluencer » (sport), « pinfluencer » (sur Pinterest) ou « techfluencer » en sont des variantes attestées
de nos jours.

Dans ce contexte économique et idéologique, les plateformes du Web et leurs


partenaires ont pour enjeu de transformer les internautes en agents promotion-
nels des contenus :
– pour certains, le Web contemporain serait devenu la place de marché d’une
nouvelle « économie de la recommandation » opérée par des géants comme
Facebook, Google ou Twitter dont les vastes audiences pourraient collaborer
dans la production de nombreuses retombées positives en termes d’image ou
de commerce ;
– d’autres proposent de penser le Web comme le lieu d’une « économie de
l’intermédiation »1 . Plus neutre, cette expression insiste sur le fait que les
opérateurs de plateformes assurent avant tout un « rôle d’entremise entre
contenus et internautes »2 .

1 Ph. Bouquillon et J. Matthews, Le Web collaboratif, PUG, Grenoble, 2010, p. 33.


2 F. Rebillard, Le Web 2.0 en perspective : une analyse socio-économique de l’Internet, L’Harmattan,

126
Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social

Les pratiques de recommandation de contenus s’inscrivent dans cette dynamique.


En fonction des logiques des acteurs industriels et des formes standardisées qu’ils
proposent à l’écran, on peut distinguer plusieurs types de recommandations
« aux stratégies parfois diverses mais toutes unies par la volonté de captation
de l’attention »1 , et de ce fait susceptibles de cohabiter dans une même page.

2.4.1 Des recommandations nominatives


Les recommandations nominatives sont celles qui portent un nom propre et
souvent le visage d’un « ami » ou d’un contact au moment de proposer un contenu.
Plutôt que l’envoi d’un lien par e-mail, un bouton publie un lien vers les conte-
nus recommandés auprès des amis : « Aimer », « Partager », « Recommander »
pour Facebook, ou « Twitter » pour Twitter invitent les internautes à montrer
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aux autres ce qu’ils consomment et à maintenir entre eux une atmosphère
positive de « confiance » pour que ce soit le vrai nom qui s’affiche avec le lien 2 .
Comme dans une lettre de recommandation à l’ancienne portant la caution
d’une signature, il est question de connoter à l’écran une certaine authenticité.
La somme de ces cautions individuelles donne lieu aussi à des recommanda-
tions collectives : c’est le cas des contenus « les plus populaires/partagés » ou
qui portent des quantifications (« 9 684 personnes aiment ça »). Dans ce cas, à
la place du nom et du visage, ce sont les chiffres et classements qui jouent un
effet prescripteur.

2.4.2 Des recommandations de contenus internes


Les recommandations de contenus internes sont celles issues d’un algorithme
qui décide quels contenus du site sont recommandés à l’internaute en fonction
des données dont il dispose sur lui et sur d’autres internautes qui auraient un
même profil de consommation.
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Paris, 2007, p. 71.


1 O. Deseilligny, « La recommandation sur le Web : entre héritages formels et logiques comptables »,
Communication & Langages, n° 179, mars 2014, p. 38.
2 É. Candel et G. Gomez-Mejia, « Signes passeurs et signes du Web : le bouton like ou les ressorts
d’un clic » in C. Barats (dir.), Manuel d’analyse du Web en sciences humaines et sociales, Armand
Colin, Paris, 2013, pp. 141-146.

127
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur
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S Quelques recommandations nominatives sur Twitter et Facebook
Exemple 2
À l’écran, un exemple de ce type de recommandation est celui d’Amazon dont l’algorithme
nourrit deux rubriques dans la page de chaque produit : « Les clients ayant consulté [nom
du produit] ont également consulté [nom d’autres produits] » ou encore « Les clients
ayant acheté cet article ont également acheté [nom d’autres articles] ». Il en va de même
pour le choix des vidéos similaires recommandées par YouTube (avec leurs publicités
respectives) après avoir croisé les « historiques » des visionnages des internautes. C’est
aussi en suivant cette logique que le moteur de Facebook va suggérer des amis que « vous
connaissez peut-être » ou rendre certains contenus sponsorisés prioritaires selon le visiteur.

S Recommandations du moteur interne d’Amazon.com

128
Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social

En ce sens, les géants du Web sont de véritables « industries de la recommandation1 ».

2.4.3 Des recommandations de moteurs tiers


Pour les sites qui ne disposent pas en interne d’autant de données de consom-
mateurs que les géants du Web, des prestataires externes proposent comme
solution d’intégrer leurs moteurs de recommandation (recommandation engines).
Des entreprises spécialisées comme Outbrain ou Taboola assurent ainsi une
intermédiation entre audiences et contenus en prenant en charge une rubrique au
sein d’une page web. Dans cette intermédiation également appelée « recomman-
dation as a service », des algorithmes extérieurs à un site décident de ce qui est
recommandable en fonction des préférences de l’internaute collectées à travers
des cookies et autres données qui tracent les consommations de certains types de
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contenus sur différents sites. L’enjeu de cette intermédiation peut-être multiple :
grâce aux services d’un petit moteur et à des titres accrocheurs (dits clickbait ou
putaclic), on peut continuer à exploiter un contenu devenu inactuel, échanger du
trafic ou des « bouffées d’audience »2 avec d’autres sites clients du même prestataire.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

S Recommandations du moteur de Taboola pour les articles du site sportif SoFoot.fr

1 O. Ertzscheid, G. Gallezot, B. Simonnot, « À la recherche de la “mémoire’’ du Web : sédiments,


traces et temporalités des documents en ligne », in C. Barats (dir.), Manuel d’analyse du Web en
sciences humaines et sociales, op. cit., p. 62.
2 P. Froissart, « Buzz, bouffées d’audience et rumeur sur Internet », Médiamorphoses, 2007, n° 21,
pp. 81-87.

129
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur

Définition 1
D’après l’Office québécois de la langue française, un cookie ou « témoin
de connexion » est un élément d’information qui est transmis par le ser-
veur au navigateur lorsque l’internaute visite un site web, et qui peut être
récupéré par ce serveur lors de visites subséquentes. Ces cookies sont
développés dans le but d’adapter dynamiquement le contenu des sites web
aux habitudes de navigation de l’internaute, ce qui leur vaut parfois des
« connotations négatives » (mouchard et espions).

2.5 La recommandation,
indicateur de performance
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Sous ses diverses déclinaisons et hybridations
en ligne, la notion de recommandation connaît
un succès certain parmi les professionnels de la
communication dont l’enjeu est d’atteindre les
internautes et de les engager dans la promotion
de leurs contenus. Les consultants en commu-
nication digitale, les concepteurs de sites, les
stratèges du Web marketing et autres community
managers doivent dès lors réfléchir en amont
à la « recommandabilité » de leurs contenus.
Qu’est-ce qui marche le mieux ? Peut-on anticiper le potentiel de circulation d’un
contenu entre les internautes ? Ces questions sont complexes car elles mobilisent
non seulement une conception schématique de l’influence interpersonnelle
mais aussi une certaine foi dans les formes standardisées d’intermédiation que
proposent les grandes plateformes du Web.
Pour les professionnels du Web, la traduction opérationnelle de cette pensée
stratégique de la « recommandation » conduit à une dépendance accrue vis-à-vis
des internautes et des sites sur lesquels ceux-ci sont inscrits.

2.5.1 L’importance de l’algorithme


D’une part, les professionnels du Web dépendent de l’appropriation par les
internautes des boutons et des rubriques proposés par les sites pour opérer des
recommandations. Il faut donc que les internautes cliquent sur des contenus
pensés pour le périmètre d’action qui leur est proposé. Le message confectionné
incite-t-il à se faire « aimer » ou « partager » ? Par l’intermédiaire de ces clics,
les algorithmes des sites constituent des audiences autour de chaque contenu et

130
Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social

prétendent optimiser la pertinence d’autres contenus liés qui sont recommandés


aux internautes. Outre les données des comptes personnels et les parcours de
navigation, les partages, les likes et les retweets ordinaires participent ainsi à un
processus d’auto-profilage par lequel les internautes apprennent aux algorithmes
à « mieux les connaître », ce qui en termes de communication revient à fournir
soi-même des critères pertinents de ciblage publicitaire.

2.5.2 L’importance des indicateurs de performance


D’autre part, les professionnels du Web sont dépendants des multiples indicateurs
de performance que leur livrent les sites :
■■ Combien d’internautes ont « aimé », « partagé », « recommandé » tel contenu ?
■■ Combien en parlent ?
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■■ Quel contenu marche auprès des
hommes ? des femmes ? de quelle
tranche d’âge ?
■■ Qu’est-ce qui a fait exploser l’au-
dience (comme l’intervention d’un
internaute influent) ?
■■ Combien d’internautes ont été tou-
chés par le contenu ?
■■ Etc.
Cette batterie d’arguments quan-
titatifs, automatiquement livrée au
communicant, lui permet de justifier
l’efficacité supposée de son travail
d’influence à l’aide de diagrammes
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et statistiques préfabriquées. Selon


sa posture idéologique en la matière,
il peut interpréter ces résultats soit
comme la preuve concrète de l’enga-
gement affectif d’une communauté de
fans, soit comme une base statistique
qui pourrait aussi bien être faussée en
payant plus pour des contenus « spon-
sorisés » ou en achetant sur le marché
noir les services de robots-cliqueurs.

131
Partie 2 Quand l’acte de communiquer devient créateur de valeur
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S Mesures de l’influence des contenus sur YouTube et Facebook

Les points clés


¼¼Les pratiques de recommandation de contenus sur le Web revêtent des
enjeux non seulement pour les internautes qui les intègrent à leur routine
de consommation et cercles de sociabilité, mais aussi pour les plateformes
intermédiaires qui les encadrent et pour les communicants qui en font
profession.

¼¼L’internaute, sollicité à plusieurs reprises pour occuper une position de


recommandataire ou de consommateur de contenus recommandés, est stimulé
pour jouer d’autres rôles simultanés que celui de simple « lecteur-visiteur ».

¼¼D’un clic, l’internaute peut aussi bien influencer ses amis, s’ériger en leader
de son groupe, prêter la caution de son nom, consommer les services d’un
site intermédiaire, intégrer une niche d’audience, prospecter des clientèles
potentielles, créer du trafic entre des sites, faire tourner leur stock de contenus,
prendre part à l’optimisation des algorithmes, se rendre lisible comme cible
et contribuer à l’évaluation quantifiée d’une stratégie de communication.

132
Chapitre 6 Influence et recommandation sur le Web social

APPLICATIONS ! Corrigés p. 280

consommation de contenus médiatiques que par leurs


QCM proches, amis et collègues.

Une seule bonne réponse est possible pour chacune 5 Dans la logique « d’économie de la recomman-
des questions. dation », quand les professionnels de la communica-
tion doivent-ils réfléchir à la « recommandabilité »
1 Quel chercheur est à l’origine du modèle du two des contenus ?
step flow ? a. En aval.
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a. Paul Lazarsfeld. b. En amont.
b. Gabriel Tarde.
c. Brian Solis.

2 Sur le Net, les plateformes cherchent à « influencer »


la pratique du clic :
a. Vrai
Questions
b. Faux de réflexion
3 Qu’a mis en lumière le modèle du two step flow ?
a. Le volume du flot d’informations échangées sur le 6 La théorie de l’influence personnelle
Web. à l’heure digitale
b. La manière dont les individus forment leurs déci- En quoi les dynamiques de recommandation, méca-
sions. nismes de contagion en vigueur sur le Web, ren-
voient-elles à la pensée et aux travaux du français
4 Quelle théorie est démontrée par les chercheurs Gabriel Tarde et de l’américain Paul Lazarsfeld ?
à l’origine du modèle du two step flow ?
a. Que les individus sont moins influencés par leur 7 Enjeu de la mesure de performance
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consommation de contenus médiatiques que par leurs Pourquoi est-il si difficile de mesurer l’influence en
proches, amis et collègues. ligne ?
b. Que les individus sont plus influencés par leur

133
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3
à se confondre
public tendent
Quand espace
Partie

marchand
et espace
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L
a deuxième partie de cet ouvrage a permis de voir comment la communication
produisait de la valeur. Cette troisième partie montrera que, portée par la société
industrielle, instrumentalisée par le marché, la communication tend même à
transformer l’espace public en un vaste espace marchand.
Dans le chapitre 8, la communication est étudiée sous l’angle de la marque et du
marketing, des enjeux de différenciation à la production de contenus et au storytelling.
Entre une fascination pour l’inventivité publicitaire et un sentiment de marchandisation
du monde dénoncé par les altermondialistes, la place de la publicité dans la société sera
observée dans ses changements de paradigmes successifs (chapitre 9).
Mais avant cela, le regard anthropologique porté sur la communication dans le chapitre 7
portera à considérer l’entreprise comme un champ social et le marché comme un système
d’échanges et d’interactions dans lesquels des jeux de pouvoir sont à l’œuvre.

Chapitre 7 L’anthropologie de la communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques . . . . . . . . . . . . . . .153

Chapitre 9 Publicité et société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175


Chapitre 7
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P
reuve de la prise médiatique de l’anthro- des phénomènes de communication. Bien plus
pologie classique, les émissions de voyage que l’engouement actuel pour le « savoir anthro-
et de découverte abondent sur nos écrans pologique » qui envahit les univers médiatique,
(exemple ci-dessus, « Rendez-vous en terre incon- communicationnel et professionnel, la méthode
nue », émission diffusée sur France télévisions). et les concepts de cette discipline participent à
Si l’anthropologie et l’ethnologie conservent la compréhension du contemporain et, en cela,
encore aujourd’hui une image de sciences de éclairent ceux qui pensent le monde par la com-
l’homme du lointain, ces disciplines sont, depuis munication tout autant que ceux qui pratiquent
de nombreuses années, étroitement liées à l’étude la communication.
L’anthropologie
de la
communication
Plan
1 Faire de l’anthropologie en communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
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2 Une anthropologie de la communication historique
et très contemporaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
3 Vers une anthropologie communicationnelle en France . . . . . . . . . . 145

Objectifs
¼¼Découvrir l’une des sciences humaines et sociales fondamentales pour
la théorie et l’observation de la communication : l’ethnologie
¼¼Appréhender l’histoire d’une tradition renouvelée de l’analyse
des échanges, des interactions et des relations humaines : l’anthropologie
de la communication
¼¼Maîtriser les enjeux de la méthodologie ethnographique pour analyser
les phénomènes et les processus de communication contemporains
¼¼Savoir appliquer cette approche à des terrains spécifiques : la ville,
le travail et le loisir, le groupe, l’entreprise, la consommation…
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

1 Faire de l’anthropologie
en communication
Claude Lévi-Strauss, à qui l’on doit la distinction française des trois termes qui
définissent la discipline (ethnographie, ethnologie et anthropologie), avait cou-
tume de se les représenter comme une sorte d’édifice à trois étages :
■■ au rez-de-chaussée, l’ethno-
graphie, dont l’étymologie
indique qu’il s’agirait bien
de l’écriture d’un ethnê
(« peuple » en grec), est le pre-
mier niveau de la recherche,
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à savoir l’expérience sur le
terrain, la collecte des don-
nées et la description des faits
observés in situ ;
■■ l’ethnologie, toujours sur la
même racine, ferait monter
d’un étage dans la compré-
hension d’un peuple, puisqu’il
s’agirait ici non plus seulement
de décrire mais d’analyser,
c’est-à-dire de saisir le « pour-
quoi ils font comme ça ? »,
produisant ainsi des inter-
prétations ethnoculturelles ; S Le Nouvel Observateur n° 2269, 2008

■■ enfin, l’anthropologie, située au dernier étage, serait l’aboutissement de la


recherche, ce moment où, après avoir recueilli et analysé des faits issus du
particulier, l’ethnologue, spécialiste de telle culture, telle ethnie, tel groupe,
tel pays, telle région, se transformerait en anthropologue, spécialiste de tout
ce qui est humain. L’anthropologue compare les cultures entre elles pour
livrer quelque chose de leur universalité, ce qui serait commun à l’humanité.
L’anthropologie de la communication signifierait-elle que l’on se situe tou-
jours du côté de l’universel humain ? Certes, la communication est, d’un
point de vue formel, un invariant de l’espèce humaine. Cependant, c’est
précisément sa variabilité selon les cultures, les pays, les groupes voire
les situations sociales que l’anthropologue, toujours homme ou femme de
terrain, cherche à saisir.

138
Chapitre 7 L’anthropologie de la communication

Définition 1
L’ethnographie, méthode d’immersion, d’observation et de dialogue avec
des individus sur le terrain, permet d’appréhender la communication en
acte, d’analyser finement la dynamique interactionnelle tout en prenant
en compte le contexte social dans lequel elle prend sens.

Ethnographie, ethnologie et anthropologie forment donc un ensemble qui dit


la méthode, le cadre d’analyse et l’ambition d’une connaissance du particulier
au service d’une pensée de l’universel.

Définition 2
L’anthropologie de la communication s’intéresse à la communication
en tant que structure dynamique soutenant l’ordre et la créativité dans
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l’interaction sociale. Elle prend en compte la communication sous trois
aspects : l’action, la compréhension, la relation.

2 Une anthropologie
de la communication historique
et très contemporaine
Les liens entre l’anthropologie et la communication sont très anciens, au point
que l’on peut se demander si les deux disciplines ne seraient pas tout simplement
consubstantielles. Faire de l’anthropologie de/dans/par la communication, c’est
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se situer au carrefour de deux disciplines qui ont toutes deux la particularité


d’avoir passé beaucoup de temps à se définir et qui sont toutes deux caractérisées
par leur éclectisme.

2.1 Claude Lévi-Strauss


Dès 1950, le plus célèbre des anthropologues français écrit que l’anthropologie est
la science de la communication. À partir de son analyse des systèmes de parenté
et des règles d’interdiction et de prescription qui les structurent, il établit que
l’échange est la condition première de toute société. Le repérage et l’analyse des
règles de parenté sont pour lui comparables à la mise au jour d’une grammaire,
d’un langage, donc d’un système communicationnel.

139
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Lévi-Strauss parle de « science de la communication » dans son Introduction


à l’œuvre de Marcel Mauss pour dire que « toute culture est une modalité
particulière de la communication (des femmes, des mots, des biens), régie par
des lois inconscientes d’inclusion et d’exclusion ». En ce sens, l’anthropologie
étudie en tant que telle la communication.

2.2 Gregory Bateson


Aux États-Unis, Gregory Bateson, anthropologue et biologiste, publie en 1936
La Cérémonie du naven1 , une vaste étude consacrée aux Iatmuls de Nouvelle-
Guinée et notamment à leur système de parenté. Influencé par la cybernétique
et la théorie des groupes, Bateson, qui est à l’origine de l’école de Palo Alto,
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élargit la question de la communication au cadre dans lequel
elle s’inscrit. Il l’envisage de manière circulaire et introduit
l’idée de « feedback », c’est-à-dire d’un principe de rétroaction
entre l’émetteur et le récepteur. Ainsi, sa théorie générale de
la communication est celle des interactions.
Bateson privilégie une approche systémique de la communi-
cation qui s’intéresse autant aux protagonistes qu’aux cadres
dans lesquels s’inscrit la relation. Si les individus s’influencent
mutuellement, ils sont aussi influencés, chacun et ensemble,
par le milieu ou le système dans lequel ils évoluent. Dans cette
approche systémique, les systèmes eux-mêmes, constamment
en mouvement, sont influencés par les autres systèmes avec
qui ils sont en interaction.
Cette tradition de l’observation de l’ailleurs et de la distance
produit même depuis quelques années une véritable passion
médiatique pour sa mise en spectacle hyper vulgarisée. Le
succès des émissions télévisées portant sur la rencontre avec un autre lointain
procède d’une véritable « médiagénie » ethnologique dans la manière dont nous
nous représentons collectivement ce qu’est la description idéale de la com-
munication avec l’autre. Six millions de téléspectateurs regardent l’émission
Rendez-vous en terre inconnue qui fait l’événement sur France 2 en mettant en
scène une célébrité découvrant un groupe ethnique dans un coin reculé de la
planète. Reste à savoir, comme toujours, l’objectif final d’une telle entreprise
de découverte : les autres ou soi-même ? Comme dans le Miroir d’Hérodote2 , il

1 Éditions de Minuit, 1971.


2 François Hartog, Le Miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, Paris, Gallimard,
1980.

140
Chapitre 7 L’anthropologie de la communication

est légitime de se demander si ce « miroir tendu » n’est pas fait pour que l’on s’y
pense en regardant les autres.

Définition 3
Le concept de médiagénie est proposé par le spécialiste des médias
Philippe Marion pour qualifier la capacité d’un sujet, d’un projet nar-
ratif, voire d’un genre à se réaliser de manière optimale dès lors qu’ils
sont mis en discours ou en images par le partenaire médiatique qui leur
convient le mieux.

Exemple : la presse magazine est le partenaire médiagénique du people. La


transparence trouve sur le Web un espace médiagénique de mise en scène.
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2.3 Yves Winkin
En 1981, Yves Winkin publie La nouvelle communication et formalise alors
une véritable anthropologie de la communication. Dans cet ouvrage devenu
un classique des sciences de la communication, il développe une nouvelle
conception de la communication en introduisant en France les travaux de
l’École de Palo Alto et ceux du sociologue américain de l’interaction Erving
Goffman avec qui il a travaillé à l’université de Pennsylvanie entre 1976 et 1982.
Au modèle « télégraphique » (! Introduction, p. 2), très calqué sur le langage
et la linguistique et qui suppose simplement la transmission de message entre
un émetteur et un récepteur, Winkin substitue la communication de type
« orchestral », c’est-à-dire une communication dans laquelle tous les acteurs
participent et sont impliqués. Comme dans un orchestre, chacun joue sa parti-
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tion et s’accorde avec les autres pour créer un ensemble. Dans cette situation,
tout compte (le verbal comme le non-verbal) pour assurer la communication.
« Communication et information vont devenir quasi interchangeables, ou plutôt
vont devenir les membres de l’ensemble communication de l’information »,
explique-t-il.

141
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

FOCUS
Erving Goffman (1922-1982) selon Yves Winkin
Sa dernière intervention (1982) s’intitule « L’ordre
de l’interaction », comme le dernier chapitre de sa
thèse (1953). C’est dire si Goffman avait de la suite dans
les idées et s’il tenait à cette idée que l’interaction est
une « espèce d’ordre social » : la respecter, c’est respecter
la société tout entière ; la brutaliser, c’est commettre
une offense qui demandera réparation, comme toute
agression. Goffman affinera sa vision de l’articulation
entre ordre de l’interaction et ordre social à l’occasion
de trois longs terrains d’étude.
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– Le premier est celui de sa thèse, entre 1949 et 1951,
dans l’île d’Unst, dans les Shetland.
– Le deuxième se déroule entre 1954 et 1955 dans l’asile
psychiatrique de Sainte-Elizabeth, sur les hauteurs de
Washington.
– Le troisième est plus mystérieux parce que Goffman
n’en a pas tiré de livre, il s’agit d’études par observa-
tion participante, comme joueur et croupier, dans
divers casinos de Las Vegas, Reno et Atlantic City au
début des années 1960 et à la fin des années 1970. On
ne retient trop souvent de Goffman que l’idée d’un monde social décrit comme une « mise en scène ».
Certes, c’est la métaphore qui sous-tend son premier livre, La Présentation de soi (p. 2, 1959), mais il
y en a onze autres qui font de Goffman l’un des sociologues les plus originaux du XX e siècle.

Avec le modèle orchestral, la communication est alors un ensemble complexe


d’éléments en situation d’interactions dont le chercheur doit mettre en évidence
les règles constitutives. Winkin affirme que « la communication est un proces-
sus social sans cesse en acte qui englobe une multitude de manières d’être et
de se comporter dans un contexte donné ». C’est ainsi que la communication
devient une « performance de la culture », ce qu’il faut mettre en œuvre dans
les interactions pour signifier son appartenance à sa société. La communication
est ce à quoi tout le monde participe en « performant » sa culture par ses faits
et gestes. L’approche ethnographique telle que Winkin la pratique pour étudier
des situations de la vie par le biais de processus communicationnels permet de
voir en quoi, dans la mesure où, dans le moindre de nos comportements, il y a
une information sociale pertinente, il y a participation à un système de règles
et de codes.

142
Chapitre 7 L’anthropologie de la communication

Quelle est votre vision de « l’interaction » ?


Ray Birdwhistell n’a jamais voulu enseigner la kinésique
3 questions à – l’étude des gestes – à ses étudiants : « j’y ai perdu trop
d’années de ma vie ». Ce n’est qu’en traduisant la « Scène
Yves Winkin de la Cigarette » en français que j’ai vraiment compris
Professeur des universités pourquoi. C’est juste monstrueusement exigeant pour
en sciences de l’information
et de la communication, il a des résultats, à mes yeux, inversement proportionnels
enseigné à l’université de Liège, aux efforts fournis. D’où mon choix d’une approche
à l’École normale supérieure ethnographique, qui a entraîné une certaine vision de
de Lyon et au Conservatoire
national des arts et métiers l’interaction, proche de celle de Goffman. Il s’agit pour
de Paris. moi d’une chorégraphie de quelques minutes entre
plusieurs corps qui évoluent dans un même cadre spatio-
temporel. Je choisis de ne pas parler d’individus : je veux
d’abord voir des corps, dans toute leur physicalité, des
masses compactes qui se déplacent avec plus ou moins de
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vélocité. Je cherche ainsi à ne pas attribuer d’intentions
aux « acteurs » et encore moins à caractériser socialement
ou moralement les individus qui sont « dans » ces masses
en mouvement. Je veux juste voir une « chorégraphie » :
je pose que ces corps se déplacent en relation les uns
avec les autres, selon une partition que je ne connais
pas mais que je vais peu à peu mettre au jour. En cela, je
m’inspire à la fois du Goffman proche de l’éthologie, celui
qui m’envoyait étudier les séquences interactionnelles
de petits singes au zoo de Philadelphie, et du Goffman
qui écrivait « ainsi donc, non pas les hommes et leurs
moments ; mais plutôt les moments et leurs hommes »
pour terminer son introduction à Rites d’interaction
(1967-1974).
Pouvez-vous décrire ce qu’est pour vous le concept
d’interaction ?
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Les interactions sont des cérémonies par lesquelles


les acteurs sociaux se témoignent mutuellement du
respect. J’adore cette phrase de Goffman : « Point besoin
d’intermédiaires entre de tels dieux : chacun d’eux sait
être son propre prêtre). L’étude des interactions par et
pour elles-mêmes n’a de sens que pour les éthologistes
et les sociolinguistes interactionnistes. Mais dès que
l’on veut travailler en sociologue ou en anthropologue
[de la communication], on doit se demander comment
on va retrouver le chemin de la société et de la culture.
Goffman y parvient en articulant ordre de l’interaction et
ordre social : étudier le fonctionnement des interactions,
c’est se donner le moyen d’entrer dans le social tout
entier.

143
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Diriez-vous que le concept d’interaction suffit à tout


expliquer ?
Pour répondre, je ne peux m’empêcher de citer
Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique,
qui a lu nombre de travaux interactionnistes et
qui en conclut que « la vérité de l’interaction ne réside
jamais tout entière dans l’interaction ». Cette petite phrase
m’a toujours marqué. Un peu comme si elle signifiait la
limite de l’analyse de Goffman. Oui, pour les interactions,
mais pas seulement. Il y a tout le reste. La société ne peut
pas se comprendre que sur la base des interactions entre
ses membres. Goffman répondrait qu’il est d’accord, mais
à chacun de faire son boulot. Lui fait le boulot « d’en
bas », à d’autres de faire le boulot « d’en haut », celui
des structures économiques, sociales, historiques. Je me
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souviens encore de Goffman nous disant que personne
n’avait jamais réussi à faire les deux analyses en même
temps. Soit, mais je continue à penser que cette division
du travail ne doit pas nous donner trop rapidement
bonne conscience. Il faut penser à Bourdieu quand on fait
du Goffman et à Goffman quand on fait du Bourdieu.
En d’autres termes, penser structures quand on travaille
les interactions, et ne pas oublier les interactions quand
on fait dans les structures. C’est ainsi que je m’efforce
de procéder. ■

Le regard anthropologique d’Yves Winkin donne toute sa dimension à la


communication. L’analyse se porte alors sur l’ordre interactionnel qui est « une
des modalités de l’ordre social tout entier » et donc sur la communication quoti-
dienne. C’est à partir d’une observation ethnographique que peut s’appréhender
ce niveau de construction de la réalité qui se joue lors des interactions interper-
sonnelles. Pour saisir la dynamique de l’orchestre que constitue toute situation
de communication, il faut « entrer dans l’orchestre », en faire partie, comme un
ethnographe sur son terrain d’enquête.

144
Chapitre 7 L’anthropologie de la communication

3 Vers une anthropologie


communicationnelle en France
En France, l’engouement pour l’utilisation de la démarche ou des concepts
de l’ethnologie dans les domaines d’application de la communication, notam-
ment le marketing, les études qualitatives, le conseil en communication en
entreprise, autorise à parler désormais d’anthropologie dans l’exercice même
de la communication, par conséquent aussi d’une anthropologie qui se fait
par la communication 1 .
Différents champs d’application possible de l’ethnologie peuvent être identifiés
et explorés de façons théorique, méthodologique et empirique.
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3.1 De l’anthropologie de la communication
à l’anthropologie contemporaine
de la ville
En France, les liens entre sciences de la communication et anthropologie se
sont noués assez tardivement, dans les années 1980 et 1990, à une époque où
l’anthropologie se redéfinissait elle-même autour de la notion de contemporain,
opérait en quelque sorte son « tournant contemporain 2 ». On peut faire l’hypo-
thèse que c’est par les recherches sur les villes et les phénomènes urbains que
ce rapprochement a été fait.
Ce sont d’abord les sociologues de l’École de Chicago qui formalisent cette
approche dans des enquêtes microsociologiques au service d’une étude du
phénomène macrosocial de l’urbanité. Depuis les années 1930, ces chercheurs
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considèrent la ville comme un laboratoire et y multiplient les enquêtes dites de


terrain, développant une analyse de la culture urbaine. Dans les années 1950,
ils étendent leurs objets d’étude à d’autres situations que celles des marges de
la ville, des groupes immigrés, des communautés enclavées pour examiner des
bars, des quartiers. En 1980, Ulf Hannerz publie Explorer la ville, qui sera
traduit en français par Pierre Bourdieu en 1983 (Éditions de Minuit). C’est
à cette époque que se consolide une ethnologie proprement urbaine, avec
notamment Gérard Althabe, Colette Pétonnet et Jacques Gutwirth, qui initient
des enquêtes non seulement sur les banlieues, les prolétaires et les immigrés
mais aussi sur les lieux significatifs du contemporain, lieux de résidence, de

1 Voir Yves Winkin, La communication n’est pas une marchandise. Résister à l’agenda de Bologne,
Éd. Labor/Éd. Espace de Libertés, coll. « Liberté j’écris ton nom », Bruxelles, 2003.
2 Michel Agier, « Le tournant contemporain de l’anthropologie », Socio, 1 | 2013, 77-93.

145
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

loisirs, de consommation, de travail… Ils prennent en compte la matérialité


des espaces, les actions d’individus aux statuts variés, les interactions sociales
dans des situations données, les discours et les représentations qui se déploient
ainsi que les politiques publiques et la communication publique et politique qui
les accompagnent.
Le lien entre l’anthropologie du contemporain en France et l’anthropologie de
la communication américaine est donc certainement urbain du point de vue
de l’objet d’investigation, interactionnel du point de vue épistémologique et
ethnographique du point de vue de la méthode.

FOCUS
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La ville de l’anthropologue
de la communication
Observer la ville en anthropologue de la communication, c’est donc ne pas se limiter aux échanges
conversationnels prenant place dans un contexte urbain. Ce n’est pas non plus se cantonner à l’ana-
lyse des panneaux publicitaires, des affiches publicitaires, de ce qui se présente comme communi-
cationnel dans la ville au sens du champ d’action social que représente la communication dans le
domaine professionnel. C’est envisager la ville, ses différents espaces, les échanges qui s’y déroulent
et le contexte communicationnel ensemble afin de saisir les différentes modalités du « faire ville »
aujourd’hui. La question n’est donc pas de savoir ce qu’est la ville mais de saisir des opérations par
lesquelles des organisations marchandes et des institutions sociales et politiques, des habitants et des
touristes participent à faire de la ville un lieu spécifique de culture, de valeurs, de représentations et
d’imaginaire. En partant d’exemples comme les fêtes urbaines, on peut montrer d’une part comment
les villes produisent des événements urbains dans un objectif de production d’identité locale, d’autre
part comment ces événements participent à la définition d’une urbanité plus générique qui permet de
mettre en comparaison les villes. Politique, communication et événements de rassemblements urbains
sont donc au cœur de l’approche de la ville.

3.2 De l’anthropologie économique


à l’anthropologie de la communication
marchande
L’analyse anthropologique communicationnelle s’intéresse tout particulière-
ment au monde du commerce et de la consommation ainsi qu’aux situations
d’échanges marchands et non marchands qui forment la quotidienneté urbaine.
Les professionnels du marketing utilisent donc fréquemment et depuis longtemps
déjà l’ethnographie. Les instituts d’études ont recours aux méthodes ethnogra-

146
Chapitre 7 L’anthropologie de la communication

phiques – on parle d’ethno-marketing 1 – pour observer, analyser, interpréter


les comportements des consommateurs. Certains cabinets, par exemple, déve-
loppent des techniques visuelles pour « capter » le comportement des individus
et produire des analyses sur les pratiques, les identités, voire les cultures. Cette
spécificité ethnologique de la pratique du terrain, parfois caricaturale, a pour
perspective la recherche de régularités culturelles et l’étude de l’importance du
phénomène ethnique dans la consommation.
Mais, pour reprendre les termes de l’anthropologue français Maurice Godelier,
« un anthropologue peut difficilement accepter de considérer les rapports éco-
nomiques comme un domaine séparé, autonome de l’organisation sociale ».
Au-delà du marketing et de la consommation, l’anthropologie économique se
donne pour ambition de saisir les modes de communication à l’œuvre dans des
secteurs très divers comme le monde de la finance et de la monnaie ou encore
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le monde de l’entreprise2 .

Définition 4
L’anthropologie économique est définie par Francis Dupuy, professeur
à l’université Toulouse Jean-Jaurès, comme le « champ de la discipline
anthropologique qui étudie les dispositifs mis en œuvre par les sociétés
humaines afin de produire et échanger les biens matériels nécessaires à
leur consommation et à leur reproduction en tant que groupes. 3 »

3.3 Une anthropologie de l’entreprise


et de la communication du pouvoir
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« Il faut considérer l’entreprise comme un champ social (un espace de com-


munication) possédant une cohérence : l’investigation ethnologique consiste à
mettre à nu la logique constitutive de cette cohérence, elle édifie des instruments
conceptuels permettant de bâtir l’intelligibilité des échanges qui s’y développent »
affirmait Gérard Althabe dans un ouvrage intitulé Démarches ethnologiques
au présent4 . Gérard Althabe est l’un des premiers ethnologues français à élire
l’entreprise comme terrain d’investigation et à montrer combien ce champ fait
partie des lieux significatifs de la société contemporaine. Un terrain d’enquête

1 Voir les travaux de l’équipe de Dominique Desjeux sur la consommation, notamment sur le site
www.argonautes.fr.
2 Voir Marc Abélès, « L’homo oeconomicus dans son biotope », Finance & Bien commun, 2005,
no 22, pp. 96-98.
3 Francis Dupuy, Anthropologie Économique, Armand Colin, 2e éd., Paris, 2008, p. 9.
4 L’Harmattan, Paris, 1998.

147
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

qui n’est pas neutre car l’activité y est finalisée (la production) et les rapports
sociaux qui s’y jouent sont déterminés par les hiérarchies et les catégories propres
au monde du travail.
L’ethnologie dans l’entreprise a également permis de montrer que le pouvoir
était au cœur de l’analyse ethnologique des organisations. En passant par l’an-
thropologie du politique pour penser les liens entre pouvoir et organisation,
plus particulièrement les modalités d’exercice du pouvoir dans les situations
de travail, l’entreprise devient un des hauts lieux d’observation du politique
comme dynamique des rapports sociaux dans la société, dans lequel la place de
la communication est centrale.
Le travail qu’a mené Nicolas Flamant sur les managers dans une entreprise
aéronautique française est une illustration possible de l’analyse ethnologique du
pouvoir dans l’entreprise. Dans Anthropologie des managers1 , il décrit notam-
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ment une des mises en scène les plus significatives de production du pouvoir
dans l’entreprise : les comités de direction.

FOCUS
L’ethnologie du travail selon Anne Monjaret
L’ethnologie a beaucoup étudié les formes traditionnelles de travail et de rapport au travail : la
culture ouvrière, les représentations symboliques des métiers et des organisations, les « rituels »
en entreprise.
Par exemple, les travaux d’Anne Monjaret, qui développe une anthropologie des espaces de travail1 ,
décrivent et analysent des situations de festivité en entreprise comme la fête de la Sainte-Catherine2
issue du monde des ateliers de couture parisiens. Elle s’intéresse aussi à l’appropriation des bureaux
par les salariés d’entreprises3, aux usages du téléphone 4 , aux temps de travail et de loisirs 5 , aux fêtes et
pots de départ en retraite qui sont autant d’incursions du domaine privé dans l’entreprise.
1 A. Monjaret, « Les bureaux ne sont pas seulement des espaces de travail », Communication & Organisation,
GREC/O, 2002, n° 21, pp. 75-90.
2 A. Monjaret, « La Sainte-Catherine dans la couture, une fête au féminin », Ethnologie française, 1986, n° 4, pp. 361-378.
3 A. Monjaret, « Être bien dans son bureau : jalons pour une réflexion sur les différentes formes d’appropriation
dans l’espace du travail » Éthnologie française, 2006, n° 1, pp. 129-139.
4 A. Monjaret, « Éthnographie des pratiques téléphoniques de “cadres” parisiens », Réseaux, Usages de la téléphonie,
mars-juin 1997, n° 82-83, pp. 101-127.
5 A. Monjaret, « Fêtes et travail dans les organisations professionnelles : quelles relations possibles ? », Varia,
Ethnographiques.org, revue internationale (franco-suisse) en ligne de sciences humaines et sociales, n° 24, juillet 2012.

Le domaine du business ainsi que celui de l’interculturel sont très preneurs de


l’expertise des anthropologues. Aux États-Unis, l’anthropologie dite « applied
anthropology »2 ou « business anthropology » est un outil de management à part
1 PUF, Paris, 2002.
2 Voir le site de la Society for Applied Anthropology : www.sfaa.net.

148
Chapitre 7 L’anthropologie de la communication

entière dans les cabinets de conseil en organisation ainsi que dans les directions
des ressources humaines de grands groupes industriels.

FOCUS
Quand anthropologie et SIC fonctionnent de concert
L’anthropologie de la communication qui étudie la structure dynamique de l’interaction sociale est
devenue un incontournable dans les départements de communication en France et à l’étranger. Des
cours se sont développés dans tous les cursus, des thèses et des ouvrages sont publiés. Aux États-
Unis, les départements d’anthropologie de la communication sont variés, on y parle d’« anthropology
and mass communication », d’« anthropology of media », d’« anthropology of visual communication »,
d’« anthropology of online communities »…
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Mais comment s’y prendre alors en anthropologie de la communication ? L’idée est de considérer
son terrain, son objet, comme étant une situation sociale qui ne se résume pas à l’observation des
pratiques, à la technique de l’entretien, à la sémiologie des objets présents, ni encore à l’analyse de
contenus d’un corpus de discours, rendus ainsi textuels. Elle est, pour l’ethnologue, une situation
profondément communicationnelle. En ethnologie, le savoir se produit dans l’échange lui-même, lors
de la rencontre que permet l’enquête de terrain. Cette enquête donne une place centrale à la posi-
tion de l’observateur, aux effets de sa présence sur la situation étudiée, à tout ce qui est d’ordinaire
glissé dans les coulisses de la recherche, voire rendu invisible et, au final, considéré comme biais,
de rapport à l’objet, de rapport d’« enquêteur » à « enquêté ». Avec ce programme méthodologique
simple mais déterminant, de nombreux terrains s’ouvrent qui, chacun, concourt à l’intelligibilité des
situations de notre présent.
Dans cette perspective, il est alors possible d’établir des entrelacs entre SIC et anthropologie, sans
rigidité disciplinaire, dans le but de participer à ce vaste ensemble que pourraient être les sciences du
contemporain et auquel une anthropologie communicationnelle peut puissamment participer.
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149
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Les points clés


¼¼Ethnographie, ethnologie et anthropologie forment un ensemble qui dit la
méthode, le cadre d’analyse et l’ambition d’une connaissance du particulier
au service d’une pensée de l’universel.

¼¼Dans les années 1980, Yves Winkin formalise une véritable anthropologie
de la communication avec le concept de communication de type « orches-
tral » fondé sur les travaux de l’École de Palo Alto et sur ceux du sociologue
américain de l’interaction Erving Goffman.

¼¼Le regard anthropologique sur la communication permet d’appréhender


avec finesse les enjeux relationnels qui lient les individus au sein de groupes
(le travail, l’entreprise, la ville) ou à l’occasion de regroupements (la fête,
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la consommation, le réseau).

¼¼Les cabinets d’études et de conseil (en management, en marketing ou en


stratégie) adaptent de plus en plus cette approche pour mieux saisir les
enjeux de la communication (politique et marchande) et les usages sociaux
des médias.

150
Chapitre 7 L’anthropologie de la communication

APPLICATIONS ! Corrigés p. 280

b. Une approche « low-cost » des études de terrain


QCM proposée par certains instituts d’études spécialisés.

Une seule bonne réponse est possible pour chacune 6 Quel anthropologue est à l’origine de l’École
des questions. de Palo Alto ?
a. Maurice Godelier.
1 Claude Lévi-Strauss se représentait l’anthro- b. Yves Winkin.
pologie comme une sorte d’édifice à : c. Gregory Bateson.
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a. trois étages.
b. sept étages.
c. dix étages.

2 Pourquoi le modèle de communication proposé


par Yves Winkin est-il qualifié de type « orchestral » ?
Question
a. Parce qu’il apparente la communication à de la
musique.
de réflexion
b. Parce que, dans sa conception de la communication,
tous les acteurs participent et sont impliqués. 7 Le succès public du regard anthropologique
Le musée du quai Branly (musée des arts et des civili-
3 Qu’appelle-t-on l’ethno-marketing ? sations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques)
a. Le développement de produits ethniques par les a ouvert à Paris en juin 2006. Il a accueilli depuis son
professionnels du marketing pour satisfaire les goûts ouverture près de 10 millions de visiteurs.
actuels des consommateurs. Comment expliquez-vous le succès de ce musée qui
b. L’utilisation par les professionnels du marketing annonce être le lieu « où dialoguent les cultures » ?
de l’ethnographie comme méthode pour décrire et
comprendre les comportements des consommateurs.
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4 Qui a écrit l’ouvrage L’anthropologie de la


commu nication ?
a. Claude Lévi-Strauss.
b. Anne Tropolog.
c. Yves Winkin.

5 Qu’est-ce que l’anthropologie économique ?


a. Le champ spécifique de l’anthropologie qui étudie
les dispositifs mis en œuvre par les sociétés humaines
afin de produire et échanger des biens matériels.

151
Chapitre 8
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L
a marque a pour rôle essentiel de distin- formes rudimentaires de signature (qui apparaît
guer, d’authentifier et de protéger l’offre vers le XVIe siècle). On retrouve d’ailleurs fréquem-
d’une organisation dans une économie de ment cette fonction signature de la marque dans
marché. Avant de devenir un atout stratégique et les univers de la mode et du luxe qui regorgent de
concurrentiel, la marque a d’abord été un signe de marques patronymiques (Louis Vuitton, Dior,
reconnaissance dont le rôle initial était d’identifier Armani, Chanel, etc.). Le paradoxe de la marque
l’artisan à l’origine du produit. La marque est un est qu’elle est finalement issue du domaine artisanal
signe anthropologique qui renvoie d’une part à la et qu’elle fleurit à mesure que s’étiole partiellement
culture artisanale (et à la nécessité de distinguer le régime artisanal dans un monde industriel. D’où
des produits relativement équivalents), d’autre le fait que des marques comme Hermès ou Louis
part à la question de la trace et de la signature, Vuitton déploient une rhétorique de l’artisanat
dans la mesure où les premières marques étaient à travers une référence constante au travail de
finalement des ancêtres des monogrammes et des l’artisan et à la figure omniprésente de la main.
Marketing,
branding, contenus
de marques
Plan
1 Les facteurs de l’essor des marques au milieu du XIXe siècle . . . . . . . 154
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2 Marque, marché, marketing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
3 Les cinq piliers de l’économie des marques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
4 La marque comme système de signes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
5 Valeurs, récit, codes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
6 Quels enjeux pour les marques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

Objectifs
¼¼Définir ce qu’est une marque
¼¼Saisir à quoi servent les marques
¼¼Comprendre pourquoi les marques se sont développées jusqu’à devenir
un actif immatériel clé de l’entreprise
¼¼Appréhender les logiques et la culture de marché
¼¼Décoder le fonctionnement des marques en termes de sens, de signes
et de récits
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

1 Les facteurs de l’essor


des marques au milieu
du XIXe siècle
L’économie des marques s’est véritablement mise en place au milieu du XIXe siècle
aux États-Unis pour permettre aux industriels de transformer des marchés de
vrac et de commodités en marchés de produits à plus forte valeur ajoutée.

Définition 1
La marque n’est pas propre au marketing et à l’entreprise moderne. C’est
un signe anthropologique dont la présence est attestée par les archéologues
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depuis l’Antiquité (3000 à 4000 ans avant J.-C.). Presque tous les diction-
naires définissent la marque comme un signe ou symbole qui identifie un
objet et permet de le différencier d’objets concurrents. Cette définition met
l’emphase sur deux fonctions essentielles de toute marque : une fonction
d’identification de la source et une fonction de différenciation. L’étymo-
logie du terme (datant du xiiie siècle) renvoie à la question de la trace, de
l’empreinte, voire du tatouage. Le mot marque viendrait de « merchier »,
faisant référence à l’acte de marquage du bétail au fer rouge en guise
d’appropriation. On retrouve d’ailleurs la même signification dans le mot
anglais brand qui serait une dégénérescence d’un mot nordique brandr
(proche du terme de brandon qui signifiait également ce signe apposé sur
le bétail) et que les Vikings auraient contribué à diffuser en Angleterre.
Marquer, c’est donc laisser une trace, que ce soit sur un objet ou dans
l’esprit des clients. La marque est essentiellement une empreinte, une
trace, et réfléchir à la trace conduit à mieux comprendre une composante
essentielle de la condition humaine affrontée à la gestion de l’absence.
Bien que plus ancienne que le marketing, la marque en signe l’essence à
partir du moment où elle est, comme le rappelle Laufer, « ce signe que
porte le produit et qui le désigne au consommateur comme étant bien ce
qu’il paraît être1 ».

La marque qui existait déjà comme signe d’identification et de différentiation


devient alors un dispositif de médiation sociale permettant de créer une relation
fictionnelle entre les entreprises et leurs clients finaux.

1 R. Laufer, « Marque, marketing et légitimité », in J.-N. Kapferer et J.-C. Thoenig, La Marque,


Mc Graw-Hill, New York, 1989, p. 355.

154
Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques

1.1 Les principaux facteurs du développement


marque/marketing
Plusieurs facteurs expliquent le développement conjoint des marques et du
marketing à partir du milieu du XIX e siècle :
– l’évolution des techniques de production, de transport et du machinisme
qui conduisent à une substitution progressive de la grande industrie aux
artisans ;
– l’apparition des premières lois de protection industrielle qui permettent de
protéger un actif immatériel ;
– la spécialisation de la production qui permet une standardisation des produits ;
– l’essor des grands magasins et du petit commerce en général qui va tendre à
favoriser les dépenses des consommateurs ;
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– le développement d’une économie du libre-service qui impose au produit de
devenir un acteur sur le linéaire ;
– l’essor de la publicité, enfin, qui devient une source de revenus pour les médias
et permet aux industriels de toucher leurs clients sans être dépendants des
commerçants.

1.2 Les objectifs de la marque


Les objectifs de la marque sont :
■■ de réorganiser les relations de pouvoir qui structuraient des marchés de com-
modités sur lesquels les produits étaient vendus en vrac ;
■■ de créer de la valeur ajoutée : un marché sans marque est un marché de com-
modités sur lequel il est difficile pour le fabricant de différencier son produit
de la concurrence ;
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■■ d’être moins dépendant, pour l’indus-


triel, du distributeur et notamment du
grossiste qui peut choisir ses fournis-
seurs, et de reprendre aux commerçants
un peu du pouvoir de cautionner les
produits qu’ils vendent.
La marque signifie donc un déplacement
de la source d’autorité du vendeur vers le
produit et donc la marque. Autrement
dit, la marque permet à l’entreprise de
court-circuiter le vendeur, d’où l’expres- © illustrez-vous-Fotolia.com

155
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

sion de « vendeur silencieux » forgée par Vance Packard dans son ouvrage
séminal The Hidden persuaders1.
La marque présuppose en effet la mise en œuvre de dispositifs
d’intermédiation symbolique par lesquels le produit va pouvoir
prendre la parole et s’adresser au client final. Il s’agit donc de subs-
tituer une médiation symbolique à une médiation humaine, d’où
l’importance des phénomènes d’anthropomorphisation à travers
l’apparition des personnages de marque qui ont pour fonction
de donner vie et identité à la marque dans le but d’accroître son
potentiel de séduction.
Pour imposer leurs marques, les industriels ont vite compris qu’il
était nécessaire :
– d’imprimer un nom sur les produits ;
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– d’attirer l’attention des autres agents sur cette inscription, pour faire en sorte
qu’ils considèrent la marque autant que le produit ;
– d’aller contre les vieilles habitudes des clients consistant à juger la qualité des
produits d’après leur apparence et leur texture davantage que d’après leur
nom.
L’essor de cette idéologie signifiait donc, très concrètement, la capacité à conduire
les personnes à accepter le remplacement de la chose par le signe, et faire
en sorte que « le client achetât des mots en lieu et place des objets »2 . C’est
ainsi que les fabricants fournirent avec la marque et le packaging une réponse
pragmatique à cette question : « ils s’efforcèrent de déplacer la relation linguis-
tique entre le signifié (la marque) et le signifiant (le
produit) vers un troisième terme : […] l’emballage que
l’on acquiert autant pour son contenu que pour son
aspect et pour la marque qui y figure. Le conditionne-
ment permettait l’association irréductible du produit et
de la marque »3. Le packaging permettait en quelque
sorte à travers les « boîtes » et les « bidons » de créer un
écran servant à dissimuler une réalité ancienne (celle
du vrac) mais surtout à projeter une vérité nouvelle en
érigeant la marque comme seule mention de l’origine et
surtout comme seul critère de choix possible. La marque
certifie l’origine des produits, engage la responsabilité
du fabricant, d’où l’assurance d’une certaine constance
de la qualité des produits et le fait que la société de

1 Ouvrage paru en 1957 aux États-Unis et traduit en français sous le titre La persuasion clandestine.
2 F. Cochoy, Une histoire du marketing. Discipliner l’économie de marché, La Découverte, Paris,
1999, p. 36.
3 Ibidem.

156
Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques

consommation s’est érigée sur la puissance des marques, et notamment dans le


contrat de reproductibilité de l’expérience qu’elle augure en créant la fiction que
le produit est infiniment reproductible à l’identique.

FOCUS
Pour le spécialiste des marques Georges Lewi1 , « la marque est un repère mental sur un marché ». Elle
a par conséquent pour le consommateur une double fonction :
1. lui indiquer le « repère sur le marché » : quel produit, quel prix, quel circuit de distribution, quel
niveau de notoriété ? Il s’agit alors pour l’entreprise de bien définir les 4 P du marketing traditionnel.
La première différenciation est transactionnelle ;
2. lui indiquer le « repère mental » : qu’est-ce qui va faire la différence dans son esprit entre une marque
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et une autre qui diffuserait sensiblement les mêmes produits, au même niveau de prix ? Le story-
telling de la marque participe fortement à cette différenciation mentale. La seconde différenciation
est émotionnelle.

1 Mythologue, spécialiste des marques. Auteur de Branding Management (3e édition, Pearson, 2012), de Mythologies
des marques (Pearson, 2009) et de E-branding (Pearson, 2013).

Le produit marqué et emballé déporte, en effet, la fixation, la stabilisation et


la garantie de la qualité vers l’amont, c’est-à-dire vers l’appareil industriel.
Il déporte également vers l’aval le discours de vente, tenu au plus près du
consommateur, grâce, notamment, à la publicité insérée dans les journaux. Et,
de même que le packaging assure l’intégrité du produit, il assure aussi l’inté-
grité du discours sur la marque dans la mesure où le client, lorsqu’il pénètre
dans la boutique, dispose déjà d’une connaissance des marques et des qualités
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des produits sur lesquels elles sont apposées. Il peut alors nommer, demander
voire exiger le produit qu’il souhaite. La connaissance des produits dont jouit
le consommateur ne dépend ainsi plus, en principe, de ce que le marchand
veut bien lui en dire.

157
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

2 Marque, marché, marketing


La marque devient alors un dispositif de médiation marchande permettant de
créer une relation fictionnelle entre les entreprises et leurs clients finaux. C’est
ici qu’intervient le marketing.

Logique PULL

Fabricant Grossiste Détaillant Consommateur

- Produit
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- Nom de marque
- Packaging
- Publicité
- Promotion
Logique PUSH - Personnage Logique PUSH
de marque

S Figure 8.1 Marque et logique marketing push/pull

2.1 La logique « push »


Un marché sans marque, c’est-à-dire un marché de commodité, est régi par une
logique dite « push » par laquelle les fabricants tentent de pousser tant bien que
mal leurs produits le long du canal de distribution.
Le marché est l’enjeu d’un pouvoir entre les différents acteurs et, notamment,
entre les fabricants et les distributeurs. La genèse du marketing est inexora-
blement liée à l’essor de ces intermédiaires hybrides que sont les marques, le
packaging et la publicité.
La marque permet de favoriser de la part du consommateur final la demande
d’un produit spécifique (vs. une commodité, qui est par définition générique)
et de faire pression sur l’ensemble du canal de distribution pour imposer son
produit et reconquérir de la marge.

2.2 La logique « pull »


La marque fait apparaître une logique « pull » qui consiste à tisser une relation
avec l’aval du marché pour faire pression sur l’ensemble de la filière de distribution

158
Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques

afin de référencer les produits de ladite marque. La marque est donc essentielle-
ment un enjeu de pouvoir dans l’objectif de contrôle de la relation marchande.
Avec l’économie des marques, se met en place un système d’intermédiation mar-
chande qui vise à établir une relation avec le consommateur final, caractérisée par :
– l’essor du produit qui remplace la commodité ;
– l’avènement du packaging qui remplace l’emballage papier (qui prévalait dans
une logique de vrac) ;
– l’importance croissante des noms pour identifier les produits et créer de la
redemande ;
– l’apparition des personnages de marque (ces « vendeurs silencieux ») qui visent
à personnifier les produits pour leur donner plus de valeur ;
– la publicité qui remplace graduellement la réclame et qui sert à enrober le
produit d’un imaginaire pour le rendre attractif.
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3 Les cinq piliers de l’économie
des marques
L’essor des marques a permis de structurer le marché mais aussi de déployer
une culture du marché qui repose sur cinq grands principes.

3.1 Une logique de sémantisation


La logique de sémantisation consubstantielle à la société de consommation consiste
à enrober les biens marchands d’un imaginaire permettant de les scénariser afin
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de les rendre désirables et donc consommables. C’est essentiellement à travers


l’opération de code symbolique ou de logique de signes que les biens acquièrent
de la signification. D’où l’importance des marques qui, en attachant des valeurs
aux produits au-delà de leur valeur fonctionnelle, représentent un dispositif
fondamental dans l’élaboration de ce code à travers un processus continu de
signification et de resignification. Fumer pour s’approprier la virilité ou l’aventure,
s’enduire de produits cosmétiques pour revêtir tous les visages de la féminité ou
encore se parfumer pour accroître son potentiel érotique sont autant de mythes
d’une économie essentiellement symbolique des marques. Ce faisant, la société
de consommation s’est fondée sur la perpétuelle remise en cause de la notion
même de besoins, quitte à ce que la différence entre besoins réels et factices
devienne impossible à déterminer, du fait d’une logique de construction sociale
des besoins. En substituant les signes aux biens, le capitalisme a inexorablement

159
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

placé la consommation en rapport avec des processus de signification davantage


que d’usage et de production.
Exemple 1
La force de la marque Marlboro est d’assimiler symboliquement le fumeur à un
cow-boy arpentant les grands espaces américains, lui prodiguant ainsi les valeurs
d’aventure, de liberté et de virilité grâce à un récit, celui de la conquête de l’Ouest,
qui est à la fois un mythe fondateur de la culture américaine et une métaphore de la
capacité ainsi offerte au consommateur de transgresser ses propres limites.

3.2 Une logique de premiumisation


La capacité de sémantisation des biens marchands offre aux marques la possibi-
lité de créer de la survaleur et de générer un premium, autrement appelé prime
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de marque, c’est-à-dire un différentiel de prix que la marque est susceptible
de créer par rapport à des marques concurrentes. L’économie des marques est
donc essentiellement fondée sur une logique de premiumisation qui consiste à
vendre un produit plus cher que le prix de référence des marchés en l’enrobant
d’un imaginaire. L’accouplement de la fonction symbolique et de la fonction de
premiumisation a pour conséquence directe que la marque a pour fonction ultime
de défonctionnaliser un bien marchand en faisant porter le regard sur d’autres
dimensions que les seules fonctionnalités du produit, afin de faire oublier le prix
et aussi paradoxalement le produit lui-même. C’est ainsi que l’on désensibilise
au prix afin de mieux sensibiliser à la marque : c’est la décommodification.
Exemple 2
Swatch ne vend pas des montres, mais des « accessoires de mode qui accessoirement
donnent l’heure ». De même que Nike a littéralement transformé la chaussure de
sport en un accessoire essentiel de la quotidienneté branchée.

3.3 Une logique de segmentation


des marchés et des bénéfices
Comment les marques peuvent-elles revendiquer un « effet premium » si
ce n’est en s’appuyant sur un positionnement fondé sur un bénéfice clair,
différenciant et spécifique ? La réponse apportée par le marketing à cette
question économique est la segmentation des bénéfices d’où dérive le dogme
de la fameuse « USP » (la proposition de vente unique) consistant pour une
marque à ne revendiquer qu’un seul type de bénéfice sur des marchés fortement
concurrentiels. Autrement dit, l’idéologie marketing a pendant longtemps
recommandé aux marques de se spécialiser sur un seul type de bénéfice :
l’hygiène bucco- dentaire pour des marques de dentifrice comme Elmex ou

160
Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques

Fluocaryl vendues en pharmacie, la sociabilité pour Email diamant ou Ultra


Brite, le goût pour les marques enfants ou encore le prix pour la plupart des
marques de distributeurs (MDD). De la sorte, le mécanisme de création de
valeur est historiquement lié à une logique de segmentation des attentes et
donc une typologie des valeurs de consommation.

3.4 Une logique rhétorique fondée


sur principe de non-contradiction
La capacité des marques à défendre une position unique n’est soutenable dans le
contexte culturel occidental qu’à partir du moment où la marque revendique des
choix clairs qui s’appuient sur des principes cohérents. L’idée même de tension ou
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de contradiction possible qui travaillerait le bénéfice de marque est donc écartée
d’emblée, d’où la difficulté récurrente des marques à revendiquer simultanément
le plaisir et la diététique, le confort et le prix bas, etc. La rhétorique des marques
occidentales s’est construite sur des séries d’oppositions fondées sur l’exclusion
de principes a priori antagonistes.

3.5 Une logique d’extension


Les marques bénéficient de leur notoriété, de leur expertise et de leur image
pour élargir leur gamme de produits mais aussi pour pénétrer de nouveaux
univers de produits.
C’est le cas de Coca-
Cola mais aussi de la
marque Bonne Maman,
marque de référence de
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la catégorie des confi-


tures, qui s’est étendue
avec succès dans des
univers comme les bis-
cuits, les desserts au
rayon frais ou encore
les glaces.

© Coca-Cola

161
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Sans parler de la marque BIC qui a conquis avec succès les marchés du stylo,
du rasoir, du briquet, de la planche à voile et du téléphone portable. Cette
stratégie se révéla moins fructueuse lorsque la marque eut l’idée de s’introduire
sur le marché du parfum ou des sous-vêtements. Cet exemple montre qu’une
extension de marque a toutes les chances de fonctionner si trois conditions
sont réunies :
– les clients doivent percevoir un lien (d’expertise ou d’image) entre la marque
mère et le produit issu de l’extension ;
– la marque doit posséder une légitimité suffisante pour se lancer sur ce nou-
veau marché ;
– le produit doit proposer une contribution réelle au marché et ne pas être
qu’un produit existant sur lequel on se contente d’apposer un logo (logique
de badging). Weight Watchers est, par exemple, beaucoup plus légitime sur
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le marché des plats diététiques que Colgate ; Lego n’a pas su apporter une
véritable contribution avec sa gamme de vêtements pour les enfants.
Toujours est-il que le paradigme dominant qui préside à l’économie des marques
est celui du capital des marques (brand equity) qu’il s’agit de développer et
d’enrichir dans une logique essentiellement actionnariale qui se caractérise
notamment par le découplage entre ceux qui gèrent la marque et ceux qui la
détiennent. Ce découplage est souvent dommageable car il induit l’idée que
la marque n’est qu’une « cash machine » destinée avant tout à conforter et
accroître le retour sur investissement des actionnaires. Or la marque, en plus
de créer de la valeur économique, produit de la valeur symbolique, culturelle
et anthropologique.

4 La marque comme système


de signes
Pour asseoir sa triple fonction de sémantisation, de décommodification et de
premiumisation, il faut que la marque se construise comme un dispositif à même
de produire de la signification. En ce sens, la marque participe à l’essor et au
développement de la société de consommation car elle est un dispositif démiur-
gique qui permet d’installer les produits et services échangés dans un univers de
signes et de sens qui outrepasse très largement leur valeur fonctionnelle.
Marquer un produit revient, notamment dans le secteur des biens de consommation
courante, à le projeter dans un univers symbolique en l’associant à un ensemble
de bénéfices tangibles et intangibles mais aussi d’idées, d’émotions et de valeurs.

162
Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques

4.1 La marque, vecteur de sémantisation


La marque est un essentiel vecteur de sémantisation qui enrobe les objets d’une
valeur de signe qui dépasse leur seule valeur d’usage (ce à quoi ils « servent ») et
qui nécessite donc une expérience de déchiffrement de la part du consommateur.
Cette fonction de marquage est d’autant plus importante que, comme l’avait
mis en évidence Roland Barthes, tout objet de consommation est peu ou prou
englué de signification du fait de ce processus de sémantisation qui lui fait perdre
son statut matériel et fonctionnel pour le transformer en instance signifiante.
La consommation induit donc la transformation d’une substance matérielle en
substance signifiante, si bien que pour devenir un objet de consommation, l’objet
doit nécessairement se transmuer en signe, voire en système de signes.
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Roland Barthes (1915-1980)
Critique littéraire et sémiologue français, Roland Barthes est une figure centrale de
la vie intellectuelle de la deuxième partie du XXe siècle. Il est l’un des fondateurs du
structuralisme qu’il applique dans les domaines des études littéraires, de la linguistique
et de la sémiologie. Il propose une méthode d’analyse des discours, des images et des
productions médiatiques comme autant de nouveaux mythes qu’il cherche à déconstruire.
La mythique DS Citroën illustre la couverture de son ouvrage Mythologies publié en
1957. ■

4.2 La fonction d’une marque


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La marque a pour fonction de produire du sens pour rendre désirables des biens
marchands : si les entreprises fabriquent des produits ou proposent des services,
les clients achètent d’abord du sens ! Le postulat fondateur de la sémiotique, la
discipline qui s’intéresse à la production du sens, est que le sens n’existe qu’à
travers des signes d’une part et d’un principe de différentiation d’autre part.
Autrement dit, les signes ne peuvent justement signifier que par différence les
uns par rapport aux autres. Et comme l’a fort bien montré Jean Baudrillard, la
société de consommation renvoie à un système d’objets qui sont un vaste système
de signes qui renvoient l’un à l’autre.

163
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

4.3 L’approche holiste de la marque


Autrefois dominées par une conception de marque-produit (la marque étant liée
à un produit de façon exclusive), les marques se sont graduellement développées
en fédérant des lignes et des gammes complexifiées. La pratique concrète des
entreprises rejoint les réflexions plus académiques des chercheurs pour faire de
la marque un « hypersigne ». À une approche de la marque comme simple signe
rajouté au produit s’est progressivement substituée une approche holiste de la
marque qui vise à la considérer comme une superstructure sémantique et narra-
tive fédérant un ensemble de produits et services de natures souvent disparates.
Cette évolution du statut de la marque a des implications évidentes sur la rela-
tion produit/marque. En effet, dans l’approche produit/marque, la marque était
essentiellement conçue comme un signe ajouté au produit, c’est-à-dire comme
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une simple dimension du produit. Dans une perspective holiste, le rapport pro-
duit/marque s’inverse, puisque c’est le produit qui devient une dimension de
cette instance fédératrice qu’est la marque. C’est en partie ce qui explique que
le produit se soit absenté du champ de la conceptualisation et des recherches
marketing pour laisser place à des travaux sur les marques, l’innovation, etc.
Dans une approche holiste, la marque n’est ainsi plus définie comme un simple
signe (ou symbole) ajouté aux produits pour en garantir l’origine et les différencier
des produits concurrents. Au contraire, c’est le produit qui vient s’insérer dans
ce système identitaire qu’est la marque. Ce changement de statut de la marque
impose en effet le passage d’une analyse de la marque se situant exclusivement
au niveau du signe à une analyse se situant essentiellement au niveau d’un sys-
tème. C’est d’ailleurs ce passage du signe au système qui légitime l’apport de la
sémiotique structurale au concept de marque.

4.4 La marque, un système de signes


En tant que système de signes, la marque se caractérise par un plan d’expression et
un plan du contenu, c’est-à-dire des éléments matériels d’une part et des éléments
immatériels d’autre part. C’est donc un dispositif qui permet d’associer deux univers
a priori disjoints, créant de la sorte une passerelle (fictive et donc fictionnelle) entre
des mondes matériels et immatériels. L’hypothèse est qu’il existe une cohérence
et une forme d’invariance entre ces deux niveaux. En sortant la marque de son
ancrage produit pour proposer une vision résolument holiste, l’idée est d’envisager
l’articulation entre les niveaux constituant une chaîne sémiotique liant le plan du
contenu au plan de l’expression. Concevoir ainsi ce système de signification riche et
complexe permet notamment de distinguer les marques et les simples identifiants
commerciaux (les trademarks) qui n’articulent pas ces dimensions.

164
Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques

E N P R AT I Q U E
Sémiologie et sémiotique : les courants francophones
analysés par Eleni Mouratidou (Maître de conférences
à l’université Paris 13 – LabSic)
Dans un livre posthume, publié par ses disciples et intitulé Cours de linguistique générale, Ferdinand
de Saussure, linguiste suisse, postule l’existence d’une science qui étudie les faits du langage verbal mais
aussi du langage non verbal. Partant du principe que tout langage est un système de signes, Saussure
avance l’hypothèse selon laquelle cette nouvelle science prendrait en charge les signes verbaux et non
verbaux, comme les rituels ou les gestes. Le linguiste genevois nomme cette science sémiologie, du
grec sémêion signifiant « signe », et la définit comme la « science qui étudie la vie des signes au sein de
la vie sociale »1.
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S’inspirant des travaux de Saussure, Roland Barthes postule une sémiologie générale comme une praxis
critique. Son ouvrage, intitulé Mythologies 2 , traite des objets du quotidien tels que le catch, le vin ou la
DS en tant que systèmes mythologiques contemporains et dont la démythification repose sur une analyse
sémiologique. Cette dernière se systématise davantage en 1962 avec le texte Rhétorique de l’image 3 où
Barthes poursuit son programme analytique en s’intéressant à une affiche publicitaire. Avec l’analyse
de la publicité Panzani, Barthes introduit la sémiologie dans des espaces sociaux à valeur commerciale.
Contemporain de Roland Barthes, Algirdas Julien Greimas est un linguiste et sémioticien lituanien
qui a fondé l’École de sémiotique de Paris. Contrairement à la sémiologie saussurienne, la sémiotique
de Greimas s’intéresse aux « systèmes de signification », comme un « ensemble signifiant que l’on soup-
çonne à titre d’hypothèse de posséder une organisation, une articulation interne et autonome ». Suivant
les thèses de Greimas, Jacques Fontanille met en place une sémiotique du discours où sont discutés et
développés les jalons de la sémiotique greimassienne et post-greimassienne. Fontanille théorise, entre
autres, le passage du signe au discours, les instances des discours et l’énonciation.
Jean-Marie Floch est peut-être le premier sémioticien à introduire la sémiotique dans les études mar-
keting et à la mobiliser à des fins de recherche appliquée. Sa démarche revisite le socle immanentiste
de la sémiotique. Soulignant que « les objets de sens – comme on dit – sont les seules réalités dont
s’occupe et veut s’occuper la sémiotique » 4 , Floch les introduit dans une problématique à vocation
communicationnelle. Il souligne que « le contexte dans lequel s’inscrivent ou apparaissent les objets
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de sens – le fameux “contexte de communication’’ – sera pris en considération à partir du moment où


il est lui-même abordé comme un objet de sens, comme un “texte’’ ». Dans une perspective commu-
nicationnelle, la sémiotique reste fidèle à ses fondamentaux théoriques sans pour autant que l’objet
analysé soit déconnecté d’un contexte communicationnel le structurant et déterminant sa forme et son
contenu. Ce contexte communicationnel est lui-même traité comme un objet de sens.
1 F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Payot, Paris, 1916, p. 33.
2 R. Barthes, Mythologies, Seuil, Paris, 1956.
3 R. Barthes, « Rhétorique de l’image », Communications, Seuil, Paris, 1964, pp. 40-51.
4 J.-M. Floch, Sémiotique, marketing et communication. Sous les signes, les stratégies, PUF, Paris, 1990, p. 3.

165
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

En Belgique, le groupe µ publie en 1982 l’ouvrage intitulé Rhétorique générale 1 revisitant la rhétorique
classique et la mettant en relation avec les recherches en linguistique, en sémiotique et en poétique. Le
groupe µ marque un tournant dans la recherche en sémiotique visuelle avec la publication du Traité du
signe visuel. Pour une rhétorique de l’image. Comme son titre l’annonce, il s’agit d’une étude exhaustive
développant les modalités sémiotiques et rhétoriques des signes iconique et plastique en focalisant sur
leurs composantes que sont la forme, la couleur et la texture, dans l’optique de transposer les modalités
rhétoriques du langage verbal dans le langage iconique.

1 Groupe µ, Rhétorique générale, Seuil, Paris, 1982.


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5 Valeurs, récit, codes
Le parcours génératif de la signification issu de la sémiotique greimassienne
présuppose en effet que le sens se produit par enrichissement progressif à partir
d’un noyau constitutif (les valeurs fondamentales) et remonte progressivement à
la surface jusqu’à sa mise en scène discursive à travers des objets et des éléments
figuratifs. Le premier niveau, appelé niveau axiologique, correspond aux valeurs
profondes de la marque. L’axiologie signifie ici que la marque opère un choix
parmi un univers de valeurs qui structurent son marché.
Les principes axiologiques n’ont de sens qu’à partir du moment où ils peuvent
être matérialisés pour advenir au monde sensible et passer d’un niveau abstrait
à un niveau concret et donc préhensible par le consommateur. La procédure
qui permet de transformer ces éléments abstraits en unités signifiantes pour le
consommateur est en fait une mise en récit qui consiste à incarner les valeurs,
la vision et la mission de la marque à travers une histoire qui fait sens pour le
consommateur.

Exemple 3
Ainsi Marlboro ne peut se contenter de parler de façon abstraite de valeurs telles
que l’endurance, la liberté et la solitude si elles ne sont pas incarnées dans un récit,
en l’occurrence celui de la conquête de l’Ouest américain.

L’élaboration d’une marque consiste à considérer trois plans distincts, à savoir :


1. une mise en intrigue visant à mettre à jour les programmes d’actions et de
valeurs de la marque. Il s’agit de définir quels types de projets et de valeurs
l’organisation souhaite articuler. Elle correspond aux valeurs de la marque ;

166
Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques

2. une mise en récit de ces valeurs à travers le choix d’une certaine esthétique, d’un
certain code de communication, d’un certain type d’articulation entre les élé-
ments linguistiques et iconiques du logo. Elle correspond au récit de la marque ;
3. une mise en signes qui correspond au choix des éléments plastiques de la
marque : couleurs, formes, symboles, etc. répondant aux identifiants de la
marque.

Les codes
de marque
(communication,
design)

Le récit de marque
(contrat, compétences,
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bénéfices)

Les principes
(vision, valeurs, savoir-faire)

S Figure 8.2 Les trois niveaux d’une marque

Cette approche a le mérite de distinguer les éléments invariants de la marque qui


fondent son identité profonde des éléments potentiellement évolutifs. Elle permet
notamment de comprendre que l’identité d’une marque n’est pas substantielle
et qu’elle est un processus constamment évolutif qui résulte de l’orchestration
de ces trois niveaux.

5.1 Les principes directifs


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Une marque se caractérise tout d’abord par des principes directifs qui sont impulsés
par le(s) créateur(s), partagés par les officiants de la marque (direction générale,
marketing, communication) et qui orientent l’ensemble des décisions stratégiques
qui la concernent. Les valeurs ne sont donc pas des principes communicationnels
que l’on afficherait par exemple sur un site web, mais sont des principes actifs
implicites qui orientent toute la stratégie de marque.

167
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Exemple 4

© Société BIC

Tous les produits BIC sont universels, ingénieux, bon marché et simplifient la vie des
utilisateurs. Ces valeurs permettent de définir une vision qui correspond au point de
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vue que porte la marque sur son marché, sa manière propre « d’informer le réel » :
– Polaroïd n’est pas tant un appareil photo qu’un « lubrifiant social » ;
– Swatch, se définissant comme « un accessoire de mode qui accessoirement donne
l’heure » a profondément redéfini la conception du marché de l’horlogerie pour ensuite
proposer une idée (et une autre mesure) du temps (en bits) ;
– Apple fut la première marque à s’intéresser à l’utilisateur final en développant un
ordinateur convivial (notamment en 1984 avec le MacIntosh) dont l’utilisation était
largement facilitée par des programmes ergonomiques (les fameuses icônes de bureau
dessinées par Susan Kaïser) et par la souris.

Une grande marque est d’abord celle qui, du fait d’une idée, d’une innovation
ou d’une expertise particulière, est capable de déjouer les attentes à l’égard d’un
univers de produits, de les anticiper en reconfigurant les usages et les croyances
qui lui sont associés. En ce sens, la marque réorganise un ensemble de croyances
et de pratiques dans un univers de produits ou de vie.
Cet engagement recouvre notamment la revendication d’un savoir-faire qui fonde
la légitimité de la marque. Toute marque est en effet créée sur un savoir-faire
spécifique qui fonde sa raison d’être et la rend légitime aux yeux des consom-
mateurs. Cette légitimité est bien souvent ancrée dans un produit icône qui est
le dépositaire d’une manière particulière de bien faire : une certaine façon de
tisser la maille pour Lacoste, un savoir-faire pâtissier créatif hors du commun
pour Pierre Hermé…

5.2 Le récit de marque


La marque doit donner de la concrétude à son système de valeurs en produi-
sant un récit qui consiste à résoudre une intrigue, c’est-à-dire à répondre à un

168
Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques

problème rencontré par le consommateur en lui proposant un objet de désir.


On distinguera à ce titre le récit de marque du simple storytelling qui est un récit
sans intrigue et qui ne sert qu’à contextualiser le récit de marque.
■■ L’intrigue du récit de marque est fondée sur une situation de consommation
problématique, à savoir un décalage entre ce qu’a l’individu et ce qu’il désire.
■■ La promesse de marque, autrement appelée contrat de marque, découle de
cette mise en évidence du problème que rencontre le consommateur dans
une catégorie de produits donnée. Ce problème peut être la saleté du linge,
les kilos superflus, le machisme, la solitude.
Ce n’est qu’à partir du moment où la marque a cerné les dimensions du problème
expérimenté par le consommateur qu’elle peut véritablement mettre en œuvre à
la fois ses compétences, sa vision et ses valeurs à travers le contrat de marque. La
marque Bic s’engage par exemple à simplifier la vie de tous partout et tout le temps
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en proposant des produits simples, astucieux, utiles et bon marché. La notion de
contrat est d’autant plus importante dans le cadre d’une marque-corporate (un nom
d’entreprise qui est transformé en marque en vertu d’une décision stratégique) qui
décide de s’engager derrière ses produits et ses marques. On mesure à l’aune du
contrat à quel point une marque est avant tout une parole adressée à ses publics
(consommateurs, partenaires commerciaux, actionnaires, etc.), verbale mais aussi
non verbale. C’est d’ailleurs cette capacité de la marque à prendre parole qui
autorise à parler d’éthique de marque en ce qui concerne les marques corporate.
La capacité de la marque à communiquer des valeurs (qui sont implicites) dépend de
la force de son récit. Ce récit de marque rend compte d’un problème que la marque
se promet de résoudre pour les clients. En ce sens, la marque répond donc toujours
à un consumer insight qui est la formulation du problème rencontré par le client
dans la catégorie de produits. Ainsi les marques de fast fashion comme Zara ou
H&M s’appuient notamment sur un insight très puissant qu’expérimentent presque
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tous les jours les jeunes femmes devant leur armoire regorgeant de vêtements en
tous genres : « ce matin, j’ai vraiment l’impression que je n’ai rien à me mettre… »

5.3 Les codes de marque


Ce récit, qui permet d’élaborer un contrat de marque, va ensuite s’incarner dans
des éléments figuratifs, également appelés codes de marque, qui sont les éléments
matériels qui lui permettent d’être à la fois reconnaissable et spécifique. Les
identifiants d’une marque renvoient à une sorte de caractère de la marque,
une force de perpétuation qui lui permet de se faire identifier et reconnaître
au cours du temps. Ces identifiants sont d’ailleurs déterminants dans l’éta-
blissement d’un dispositif de protection juridique de la marque car ils sont
les actifs protégeables de la marque.

169
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Les identifiants doivent alternativement jouer sur deux registres : l’impact et le


contenu.
■■ L’impact renvoie à des dimensions telles que la reconnaissance, la mémorisation
et l’attribution. Pour optimiser l’impact d’un identifiant, il doit être simple,
facilement reconnaissable, différenciant et répétitif.
■■ Le contenu correspond à la richesse d’évocation de l’identifiant, à sa capacité
à raconter une histoire. Il dépend de la complexité du signe, car un minimum
de contenu nécessite un minimum de complexité.
On peut envisager plusieurs types d’identifiants, et notamment :
– le nom de marque qui peut être un chiffre (n° 5), un sigle (LU), un acronyme
(RATP), un patronyme (Giorgio Armani), une expression (La Vache qui rit®),
un nom géographique (Evian), un nom évocateur du produit (Schweppes) ou
sans signification (Vivendi, Kering, etc.) ;
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– les éléments caractéristiques du design des produits de la marque (un bruit) : on
reconnaît les automobiles Ferrari et le briquet Zippo à leur bruit, les produits
Chanel et Apple à des éléments stylistiques particuliers ;
– des produits icônes : le sac Kelly d’Hermès, la DS de Citroën, la cocotte-
minute de Seb ;
– un code coloriel : le rouge et blanc de Marlboro, le violet de la marque Whiskas,
etc. ;
– un symbole : la pomme croquée pour Apple, le swoosh de Nike, les arches
dorées de McDonald’s ;
– un personnage qui incarne la marque de façon durable (le Géant vert, le
Bidendum de Michelin, Uncle Ben’s, etc.) ;
– une signature de marque dont la principale fonction est d’incarner la pro-
messe de la marque et de renforcer la valeur ajoutée de la marque signifiée
par le nom de marque : « Just do it » (Nike), « Sense and simplicity » (Philips),
« Creative technology » (Citroën), etc.
Les identifiants d’une marque dépendent bien évidemment de son positionne-
ment, c’est-à-dire de la place précise et distinctive que l’on veut lui faire prendre
dans l’esprit des consommateurs.

6 Quels enjeux pour les marques ?


La logique d’enrichissement de la valeur propre à la décommodification des
marchés suppose de proposer aux clients autre chose que des produits ou des
services et notamment des expériences qui peuvent être esthétiques, éducatives,
divertissantes.

170
Chapitre 8 Marketing, branding, contenus de marques

L’expérientialisation des formes de consommation et des marques induit un


nouveau type de relation entre les marques et leurs clients. Si dans certaines
expériences, le client reste passif, la plupart des expériences de marque octroie
un rôle actif aux clients via des modalités participatives, par exemple l’enfant
qui va confectionner son ours en peluche chez Build a Bear Workshop ou bien
le groupe d’amis qui va élaborer et déguster un repas sur un Barbecue Weber à
la Grill Academy de Weber en compagnie d’un chef. Cette expérientialisation
a pour conséquence un déplacement des frontières entre les sphères de la pro-
duction et de la consommation et l’avènement de la figure du « prosumer » qui
est à la fois producteur et consommateur de son expérience de consommation.
Cette mutation de la société de consommation vers une logique participative
modifie les modes de communication des marques. Tout d’abord, il devient
nécessaire de sortir d’un modèle purement transactionnel dans lequel la marque
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ne s’adresse à ses clients qu’à travers des points de vente ou des messages de
nature publicitaire. Les marques raisonnent désormais en termes de points de
contact qui sont autant d’opportunités de s’adresser à leurs parties prenantes.
Ces points de contact se rangent essentiellement en trois catégories :
1. les points de contact statiques et analogiques (produits, publicité, opérations
promotionnelles) ;
2. les points de contact digitaux et multidirectionnels (les blogs, les démonstrations
produits, le marketing interactif, les médias sociaux et l’utilisation du Web) ;
3. les points de contact humains bidirectionnels (service consommateurs, centre
d’appel, service après-vente).
Il s’agit donc de hiérarchiser les objectifs de chacun de ces types de points de
contact, en vectorisant si possible le discours de marque.
La communication de marque ne peut plus se contenter de recourir à un modèle
classique de type émetteur-récepteur, dans la mesure où la marque s’insère de
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fait dans une logique de co-construction de son identité. Il devient nécessaire


de penser la communication de marque par rapport à une logique dialogique
auprès de parties prenantes qui comprennent, outre les clients, les prescripteurs,
les leaders d’opinion, les médias, les associations de consommateurs, les pouvoirs
publics, etc. De ce fait, les marques ne sont plus de simples dispositifs de com-
munication à visée commerciale mais prennent en charge des problématiques de
société en se préoccupant de sujets comme la santé (Danone, Nestlé), le bonheur
(Club Med, Coca-Cola), etc. Cet élargissement du domaine missionnaire des
marques s’accroît à mesure que les marques développent des stratégies d’ingénierie
culturelle qui leur permettent non seulement de s’immiscer dans des produits
dits culturels (grâce au placement de produits, à l’advergaming, etc.) mais sur-
tout de produire de la culture en créant des référents culturels et en modifiant
de façon souvent radicale nos manières de parler, de sentir, de penser et d’agir.

171
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Les points clés


¼¼Le déploiement des marques est lié à la volonté des industriels de tisser
une relation avec le consommateur final et de reprendre l’avantage dans
l’échange marchand jusque-là dominé par les grossistes.

¼¼La marque a pour fonction de produire du sens et de rendre désirables des


biens marchands.

¼¼La marque signe une origine mais aussi une duplication à l’identique
du produit et tend finalement à labelliser le produit autant que l’expérience
de consommation qui lui est associée.

¼¼En tant que système de signes, la marque se caractérise par des éléments
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matériels et des éléments immatériels.

172
8 Marketing,
ChapitreChapitre 8 Marketing, branding
branding, contenus
, contenus
de marques
de marques

APPLICATIONS ! Corrigés p. 281

6 La marque permet à l’entreprise qui la possède


QCM de :
a. Faire oublier le prix de vente.
Plusieurs bonnes réponses sont possibles pour chacune b. Sécuriser un chiffre d’affaires.
des questions.
7 Si vous deviez choisir une image signifiante, vous
1 Quand les marques sont-elles apparues ? diriez qu’une marque fonctionne plutôt comme :
a. Pendant l’Antiquité. a. Une montagne.
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b. Au Moyen-Âge. b. Un océan.
c. Au xixe siècle. c. Un iceberg.
d. Après la Seconde Guerre mondiale. d. Un bateau.

2 Le mot marque signifie originellement : 8 Quels éléments ne font pas partie du niveau
a. Une trace. immatériel d’une marque ?
b. Un tatouage. a. La vision.
c. Un signe d’ostentation. b. Le logo.
d. Un produit qui coûte cher. c. Les valeurs.
d. La notoriété.
3 Quelles différences y a-t-il entre un produit et
une marque ? 9 Quel(s) élément(s) ne figure(nt) pas dans un récit
a. La marque fait qu’un produit est plus qu’un produit. de marque ?
b. Le produit est ce que l’entreprise fabrique, la a. Le contrat.
marque ce que le client achète. b. Le bénéfice.
c. La marque sert à faire préférer un produit ou un c. Les compétences.
service sur un marché concurrentiel. d. La personnalité de marque.
d. La marque sert à enrober le produit d’une dimen-
sion imaginaire. 10 Une marque est une promesse plutôt :
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a. Fonctionnelle.
4 Les marques ont accru leur importance au b. Émotionnelle.
milieu du XIXe siècle : c. Fonctionnelle et émotionnelle.
a. Pour que les industriels puissent créer une relation d. Ni fonctionnelle, ni émotionnelle.
directe avec leurs consommateurs finaux.
b. Pour que les grossistes renforcent leur pouvoir aux
dépens des fournisseurs.
c. Pour que les détaillants puissent accroître leur
marge.
Question de réflexion
5 La marque Yves Saint-Laurent agit comme une 11 Marketing et branding
signature parce que : Selon Jean Baudrillard, le sociologue de la « société
a. Le logo est manuscrit. de la consommation », nous « ne consommons pas des
b. La marque atteste d’un savoir-faire. produits mais des signes ». Dans quelle mesure cette
c. La marque porte le nom du créateur. formule vous semble-t-elle pertinente pour décrire les
d. La marque est prestigieuse. dernières évolutions du marketing et du branding ?

173
Chapitre 9
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F
aire parler les animaux, faire s’exprimer les narratives, ses formats, ses supports, tout est en
enfants voire les bébés comme dans cette perpétuel mouvement, en permanente réinvention.
publicité pour l’eau minérale Evian, faire De fait, le discours publicitaire est condamné à se
parler les objets ou les produits eux-mêmes : la réinventer : discours persuasif et à visée perfor-
pratique langagière de la publicité est vouée à la mative par excellence, il est obligé d’adhérer aux
« créativité » verbale permanente. Au-delà des valeurs socioculturelles et de consommation de
jeux de mots (à la manière des fameuses publicités son époque et d’adopter les styles, les langages, les
Oasis), des slogans et des signatures de marque, modalités expressives qui sont celles de ses cibles,
la publicité est une pratique rhétorique qui reflète au risque de manquer de pertinence, d’impact ou
les différents discours et les différents langages d’attrait. Mais la publicité est tellement inscrite
d’une société. Elle les met en scène de manière dans le quotidien, tellement omniprésente dans
directe ou indirecte, réaliste ou fictionnelle. Alors l’espace cognitif immédiat qu’il est difficile de
que son discours et ses pratiques donnent sou- l’appréhender dans une perspective historique.
vent l’impression de répéter sans arrêt les mêmes Pourtant, les bébés joufflus des premières affiches
recettes et d’asséner les mêmes rengaines, la publi- publicitaires de la marque Evian ont bel et bien
cité évolue sans cesse : son langage, ses formes dû faire place aux roller babies !
Publicité
et société
Plan
1 Le « Benetton turn », la dissémination sociale de la marque . . . . . . . . . 176
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2 Le « branding turn », une nouvelle inscription socioculturelle
pour la publicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
3 Quel sera le prochain tournant du discours publicitaire ? . . . . . . . . . 189
4 Le storytelling, une nouvelle façon de faire de la publicité ? . . . . . . . . 193

Objectifs
¼¼Comprendre l’immixtion de la publicité dans la sphère sociale
¼¼Maîtriser les codes sémiotiques de la communication publicité
¼¼Appréhender l’évolution actuelle et future de la publicité
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

1 Le « Benetton turn »,
la dissémination sociale
de la marque
La mise en perspective diachronique permet d’interroger l’évolution du discours
publicitaire. Regarder dans le rétroviseur permet, en effet, de mieux comprendre
les transformations en cours et les enjeux très importants auxquels ce discours
est aujourd’hui confronté et le sera bien plus encore demain. Il s’agit bel et
bien d’un changement de paradigme car l’ensemble des éléments constituants
le discours publicitaire – son objet propre, ses modalités expressives, les tech-
nologies qui lui permettent d’exister, ses modalités de diffusion, les attitudes et
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les attentes des publics à qui il s’adresse – connaissent, dans leur ensemble, un
changement profond.

Définition 1
Le paradigme, terme emprunté à la philosophie des sciences, est une
manière de voir les choses, à un moment donné. En l’espèce, c’est l’en-
semble des règles de fonctionnement, des modalités de manifestation et
de circulation d’un discours social ou d’une configuration culturelle d’une
part et, d’autre part, les modalités de réception de ce même discours, le
consensus qui l’entoure et qui tend à considérer ses éléments constitutifs
comme autant de fragments de la « réalité » sociale du moment.

Si la vision du publicitaire Jacques Séguéla a pu marquer son temps, les grandes


affiches du photographe Oliviero Toscani conçues pour la marque Benetton
ont marqué un tournant dans l’expression publicitaire des marques à partir
des années 1990. Devenues des icônes controversées, ces affiches marquent
une étape charnière dans l’histoire de la publicité : le début de la dissémination
sociale de la marque.
Pas d’accroche ni de texte dans l’espace de l’image, juste le logo vert de la
marque, avec sa signature sur fond blanc « United Colors of Benetton », ce qui
permet de mieux faire ressortir les couleurs des préservatifs semblant traverser
l’image comme une envolée d’oiseaux migrateurs. Avec une remarquable éco-
nomie sémiotique, cette affiche de facture très classique et apparemment toute
simple est en réalité parfaitement emblématique d’un véritable tremblement
de terre publicitaire et du passage à une nouvelle phase de la communication
commerciale.

176
Chapitre 9 Publicité et société
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© Benetton Group

1.1 La marque prend la parole dans l’arène


sociale
Si montrer des préservatifs déroulés sur une affiche exposée sur la voie publique
peut paraître assez banal aujourd’hui, au début des années 1990, il s’agit d’un
geste visuel bien moins anodin, porteur d’une forte charge de provocation.
L’épidémie du Sida est à son apogée. Maladie mortelle, elle est alors un lourd
stigma social pour une partie de la société. Dans ce contexte, la marque pose
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un geste communicationnel fort qui souligne à la fois la nécessité de se protéger


et le caractère parfaitement banal, donc socio-culturellement légitime, de cet
acte. À cela, il faut rajouter la dimension ludique de l’expression. Bien que le
sujet évoqué soit intrinsèquement dramatique, le ton de l’affiche est léger et
gai. L’envol de ces préservatifs multicolores, comme un essaim de ballons dans
une foire, permet de dédramatiser un thème sérieux et de lancer un message
optimiste : il ne faut pas succomber à la peur, on peut continuer à profiter de
la vie, il suffit de prendre des précautions. En ce sens, la prise de parole de la
marque s’oppose frontalement à la lourdeur moralisatrice ou dramatisante des
campagnes institutionnelles sur le même thème.

177
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

1.2 La marque se pose comme un acteur


social, à l’échelle mondiale
Au-delà de ses qualités créatives et esthétiques, cette affiche est révolutionnaire
pour trois autres raisons.
■■ L’apparente absence de relation entre, d’une part, le sujet (le Sida) et les produits
(des préservatifs) et, d’autre part, l’activité de la marque Benetton, connue à
l’époque pour ses mailles et ses chandails. En réalité ce lien existe, signifié de
manière elliptique : le point de différenciation de la marque, à cette époque, est la
couleur. Grâce à une technologie innovante de teinture des vêtements finis et non
du fil, Benetton pouvait proposer des vêtements hauts en couleur et fréquemment
renouvelés. La multiplicité des couleurs des préservatifs, conjointement au rappel
de la signature de la marque United Colors of Benetton, renvoie donc à cette
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spécificité de la marque, mais seulement de manière indirecte, presque cryptée.
■■ L’inscription de la marque dans le nouvel horizon de mondialisation éco-
nomique et multiculturelle qui se met en place. À contre-pied des marques
« globales » traditionnelles (comme Coca-Cola ou McDonald’s) qui conçoivent
alors la mondialisation de la consommation comme la généralisation au
reste de la planète du mode de vie et de l’imaginaire américains, Benetton
change de perspective. La signature United Colors of Benetton prend une
nouvelle signification, avec l’évocation à peine voilée de l’ONU (Organisation
des Nations unies) en toile de fond, donc celle d’une mondialisation multi-
polaire, démocratique, pacifique. Le commerce se rapproche du politique et
de l’humanitaire. Un rapprochement qui n’est pas près de disparaître.

© Benetton Group

178
Chapitre 9 Publicité et société

■■ L’entrée du discours publicitaire dans la sphère des débats de société. En


abordant un sujet comme le Sida, qui relève a priori d’autres univers com-
municationnels, comme celui du ministère de la Santé, de la communauté
scientifique ou encore de l’univers médical, et en utilisant une signature qui
reprend celle d’une organisation politique internationale, Benetton préempte
un sujet de société de manière inédite. Associer un problème de santé publique
à une marque commerciale, active dans la mode, peut paraître comme un fait
incongru, voire une pratique indue. Et pourtant, avec cette communication
s’esquisse la dissémination sociale de la marque, son débordement de la sphère
marchande pour investir l’espace public.
Benetton marque un changement énonciatif majeur qui ne cesse de générer des
controverses. Une brèche a été ouverte, élargie depuis par un grand nombre
d’autres marques, bien que rarement de manière si polémique ou si extrême. Dans
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une perspective historique, la communication de Benetton marque une nouvelle
phase de la communication publicitaire, caractérisée par une présence bien plus
importante de celle-ci en dehors de la stricte sphère marchande et par une montée
en généralité de son discours, qui ne se sent plus obligé de s’auto-confiner à la
sphère de la production et de la consommation de produits ou de services. Le
discours publicitaire, après s’être métamorphosé en discours de marque, poursuit
son évolution en brouillant les codes entre sphères commerciale et sociétale.

FOCUS
À la fin des années 1960, Stanley Pollitt introduit le planning stratégique dans l’organigramme de
l’agence anglaise BMP (Boase Massimi Pollit, qui deviendra DDB). Stephen King en fait de même aux
États-Unis au sein de l’agence JWT. Le planning stratégique ne cessera alors de se développer progres-
sivement dans les agences de publicité puis dans toutes les spécialités de la communication : agences
média, agences de design, bureaux de style, agences corporate et relations publics… Les annonceurs
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ont plus récemment introduit la fonction dans leurs directions marketing et leurs services études.
Le planning stratégique répond au besoin de comprendre un consommateur de plus en plus difficile
à décrypter : quand la publicité n’a plus suffi pour obtenir des résultats sur les ventes, il est devenu
nécessaire de planifier la stratégie et de guider la création au plus juste.
La mission du planning stratégique consiste à :
1. analyser les études, observer et décrypter les tendances, développer une solide connaissance des marchés ;
2. enrichir la réflexion des annonceurs quant à l’identité de leurs marques et de leurs produits, en
amont des campagnes de publicité ;
3. collaborer, en aval, avec les commerciaux et les créatifs à l’élaboration des campagnes.
Le planneur stratégique est celui qui, par sa compréhension fine de la marque et du produit, apporte
de la cohérence et de la résonance entre le discours de marque et les individus que la communication
veut toucher. En ayant une idée claire de l’identité du produit (forces, faiblesses) et en comprenant
les individus (aspirations, motivations, freins), il doit trouver le concept, l’idée que les créatifs auront
ensuite la charge de mettre en œuvre.

179
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Quel est le rôle du planneur stratégique,


dans une agence, quelle qu’elle soit ?
3 questions à Son rôle est d’animer la stratégie et d’en diffuser la culture.
Cela consiste à traduire les problématiques business en
Gauthier Boche objectifs marketing puis en brief communication et design.
Directeur de la stratégie Sa mission est cruciale car il doit comprendre l’identité de
et de l’innovation à l’agence
britannique Lothar Bohm la marque, la spécificité du produit et définir ce qu’on va
Associates Ltd en dire et comment. Qui se souvient du deuxième homme
qui a marché sur la lune ? Si vous n’êtes pas le « premier »,
vous n’êtes pas « positionné » ! Pour s’imposer auprès de
consommateurs sursollicités, les marques doivent non
seulement frapper fort mais frapper juste. Marquer les
esprits est de plus en plus difficile, c’est pourquoi on a
besoin de planning stratégique, au niveau des études,
de la stratégie, de la création. Au fond, le planneur, c’est
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le porte-parole de celui qui n’est pas invité à la réunion :
le consommateur face à la marque, le client face aux
créatifs, etc. Il doit être un toboggan pour le client, afin de
l’emmener là où il y a de la valeur pour lui, et un trampoline
pour les créatifs, afin de les conduire sur les chemins de la
création qui serviront au mieux les intérêts de la marque.
Le planneur stratégique est parfois présenté comme
le « penseur » de l’agence. Est-il plus intelligent que
les autres ? Concrètement, quel est son quotidien ?
En étant cynique, on pourrait dire que le planning
stratégique a été créé pour débarrasser les bons
commerciaux de la production des idées. La division du
travail a également atteint les agences à mesure qu’elles se
professionnalisaient. Mais cela ne veut pas dire qu’il est plus
intelligent que les autres. Le planneur n’est pas enfermé
dans une tour d’ivoire, il travaille en équipe, c’est une
fonction très collaborative ! En fait, c’est un intermédiaire,
un « facilitateur », qui aide les différents acteurs impliqués
dans une campagne à se comprendre malgré leurs
différences de points de vue.
Comment voyez-vous évoluer le planning stratégique ?
La fonction est née du besoin de disposer d’outils d’analyse
pour guider la stratégie. Le premier devoir du planneur,
c’est de rendre intelligibles des phénomènes complexes.
Plus la société sera complexe, plus les enjeux et les outils
de la communication seront sophistiqués, plus le planning
stratégique gagnera du terrain1. ■

1 A Master Class in Brand Planning : The Timeless Works of Stephen King, sous la direction de Judie
Lannon et Merry Baskin, John Wiley & Sons, HoboKen, 2007.

180
Chapitre 9 Publicité et société

2 Le « branding turn », une nouvelle


inscription socioculturelle pour
la publicité
Par le style, le ton, le choix des images empruntées aux médias d’information
et à la photo de mode, la communication Benetton est un marqueur historique.
C’est la fin d’un cycle qui a débuté avec les Trente Glorieuses et a connu son
apogée dans les années 1980. L’âge d’or du discours publicitaire en tant que
forme langagière spécifique prend fin dans les années 1990. Jusque-là, le lan-
gage publicitaire classique, avec ses slogans faciles à retenir, ses petites phrases
bien tournées, ses jingles entêtants, avait été fortement novateur, spécifique et
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socialement pertinent, voire légitime. Désormais, le discours publicitaire entre
dans une nouvelle phase : le terme « publicité » est progressivement remplacé
par celui, bien plus générique, de « communication ».

2.1 Crise de la consommation, triomphe


de la publicité

2.1.1 La fin du modèle de consommation issu


de l’après-guerre
Le déclin du discours publicitaire classique n’est que le symptôme de la crise du
modèle de consommation qui le sous-tend. Pendant toute la période de l’après-
guerre et jusqu’à la fin des années 1990, la croissance économique et l’élévation
du niveau de vie ont placé la consommation au centre de la dynamique sociale
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et culturelle. Si le discours publicitaire classique a pu être si novateur et si per-


tinent, c’est en premier lieu parce qu’il a accompagné l’essor de la société de
consommation et qu’il était largement légitime aux yeux d’une vaste majorité de
la population. La publicité, avec ses familles heureuses, ses couples d’amoureux,
ses jeunes cadres dynamiques au volant de leur toute nouvelle berline, corres-
pondait largement à l’ethos de l’époque. Perçue comme un langage de la moder-
nité, elle jouissait d’une véritable centralité socioculturelle. À partir de la fin du
XX e siècle, cette configuration s’essouffle, puis décline rapidement. La croissance
économique de plus en plus incertaine, l’augmentation inexorable du chômage,
le creusement des inégalités sociales et de revenus avec son corollaire, la crise
des classes moyennes, remettent en cause le modèle de consommation issu de
l’après-guerre et donc le discours publicitaire qui l’avait accompagné.

181
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

2.1.2 L’impact du progrès technologique


À ces changements d’ordre socio-économique, il convient d’ajouter un change-
ment d’ordre technologique, qui aura un impact majeur sur l’évolution ultérieure
du discours publicitaire. Le développement d’Internet et, quelques années plus
tard, l’essor fulgurant des réseaux sociaux donneront naissance à une nouvelle
génération de consommateurs qui n’ont pas connu l’optimisme sans faille des
Trente Glorieuses. Par habitude, par nécessité ou par choix, cette génération dis-
pose d’une capacité à décoder les formes du discours publicitaire et possède une
position critique bien plus développée. Avec l’apparition des « consomm’acteurs »,
se développent des formes plus participatives de relation avec les marques. La
perte de spécificité de la communication publicitaire et sa dissolution dans un
environnement communicationnel, à la fois plus large et plus diffus, constitue
le fondement d’un nouveau paradigme.
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2.2 Implosion et reconfiguration
Ces phénomènes, accentués et accélérés par la crise financière de 2008, étaient
déjà en gestation bien avant elle. Depuis une dizaine d’années, un profond chan-
gement du fonctionnement de la discursivité sociale et du langage publicitaire
est à l’œuvre :
■■ d’une part, le discours publicitaire puis la communication publicitaire se
vident progressivement de leur spécificité et tendent à emprunter les codes,
les formes expressives et les contenus d’autres univers communicationnels
(les médias, le sport, les industries culturelles, l’art, le design, l’information,
et même le discours politique) ;
■■ d’autre part, certains éléments propres au discours publicitaire et notamment
sa nature pragmatique, sa vocation efficace, sa dimension performative, sa
visée persuasive et sa perspective ouvertement orientée à la séduction sont
récupérées par d’autres sphères de la communication sociale, comme le discours
politique, le discours institutionnel ou le discours médiatique, confrontées à
une perte de pertinence et de légitimité sociétale.
Une reconfiguration profonde de la discursivité sociale se met en place. Et c’est
paradoxalement au moment où la publicité perd de sa force et de sa spécificité
sémiotique que son héritage communicationnel est récupéré par d’autres compo-
santes majeures de la discursivité sociale et notamment par les réseaux sociaux
qui invitent à gérer les individus comme des marques, avec des stratégies de
personal branding.

182
Chapitre 9 Publicité et société

Définition 2
Le personal branding ou « marketing personnel » consiste à appliquer à une
personne les techniques de communication utilisées par les marques. Le
concept s’est popularisé avec l’explosion des réseaux sociaux sur lesquels,
pour un individu, la gestion cohérente et maîtrisée de son identité, de sa
notoriété et de sa réputation numériques est devenue une préoccupation,
voire un enjeu.

La principale conséquence de cette reconfiguration de l’espace sociodiscursif est


une manière radicalement nouvelle de concevoir les formes communicationnelles
et, in fine, la construction de la valeur d’un produit, d’un service ou d’une marque.
Comme le sociologue Adam Ardvisson l’a montré, les sources de création de valeur
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pour une entité communicationnelle, c’est-à-dire ce qui rend une marque désirable
et permet de lui attribuer également une valeur économique, sont placées de plus
en plus à l’extérieur de la marque elle-même et se trouvent pour large partie en
dehors de son contrôle direct. C’est un changement de paradigme majeur.

2.2.1 Avant le Web 2.0 : un modèle descendant


et unidirectionnel à la performativité presque
entièrement endogène
Dans le modèle traditionnel de construction de la valeur d’une marque, la
communication et la valorisation publicitaire occupent une place bien définie et
leur rôle est clairement établi. La « chaîne de la valeur » suit un parcours descen-
dant et presque entièrement piloté, contrôlé et orienté par l’amont. L’innovation,
la création, les discours sont pour l’essentiel générés au sein de l’entreprise qui :
– conçoit la marque et définit son positionnement ;
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– utilise ensuite différentes formes de communication conçues par des équipes


de professionnels (agences de communication, de design, Webmasters) selon
les directives établies par l’entreprise pour asseoir l’identité de la marque et
propager ses valeurs.
Dans cette configuration, c’est le système lui-même qui génère les conditions et
les règles de son succès, de sa capacité à obtenir un effet concret sur le marché,
à enclencher un comportement concret chez le consommateur. Ses réactions,
son adhésion ou non au projet de la marque, son appréciation ou non de la
communication qui lui est proposée, son attachement à la marque n’arrivent qu’en
fin de parcours, quand on lui présente en quelque sorte un « paquet » presque
entièrement finalisé (le fameux brand mix) qu’il a la possibilité d’accepter ou de
refuser mais presque jamais de modifier et encore moins d’intervenir en amont
dans sa conception ou son développement.

183
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Dans ce modèle, la communication est encore un levier, un dispositif intermé-


diaire, un outil qui, en rapprochant le destinataire du projet de marque, rend
possible la création de valeur, accélère le processus et peut, quand « ça marche »,
démultiplier les effets. Cette valeur se concrétise en la disponibilité du consom-
mateur à choisir une marque plutôt qu’une autre, à payer un prix supérieur, à
accorder sa fidélité et à privilégier les futures propositions de cette marque.

E N P R AT I Q U E
La valeur de la marque comparée à la valeur
d’un appartement
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Du point de vue de l’entreprise, il n’y a pas vraiment de motivation à abandonner spontanément le
modèle descendant et unidirectionnel, qui assure un confortable contrôle sur la chaîne de valeur sémio-
tique et, in fine, sur la valeur financière de la proposition. Mais, face aux changements socioculturels et
socio-économiques qui ont progressivement déplacé vers l’extérieur du périmètre contrôlé par la marque
un nombre croissant d’éléments qui à leur tour vont acquérir un rôle de plus en plus important dans le
processus de création de la valeur, le modèle perd de son efficacité. Pour comprendre ce phénomène, il
suffit de prendre comme exemple la valeur financière d’un appartement. Sa valeur économique (le prix
qu’on peut obtenir en le vendant) est largement déterminée par des facteurs qui échappent totalement
à l’emprise du propriétaire. Celui-ci peut tout au plus effectuer des travaux de rénovation, apporter des
améliorations à son logement (« refait à neuf »), mais ces actions n’auront qu’un impact marginal sur
la valeur du bien, qui est pour l’essentiel déterminée par le cycle économique, par le niveau des taux
d’emprunt, par la fiscalité sur les transactions immobilières, par la valeur perçue du quartier (écoles,
commerces, transports), par la solidité de la demande, par la rareté de l’offre et par d’autres facteurs
d’ordre macrostructurel. Cela peut être tout à fait frustrant pour le propriétaire, car il a la sensation,
à juste titre, qu’il n’a qu’une marge de manœuvre étroite et qu’il est relativement passif par rapport à
une situation et à un environnement qu’il ne contrôle pas.

2.2.2 Depuis le Web 2.0 : un nouveau paradigme


participatif, post-publicitaire, multipolaire
et non hiérarchisé
Le développement fulgurant, en moins de dix ans, des réseaux sociaux, qu’on
peut désormais considérer comme autant de sous-réseaux Internet dédiés et en
accès plus ou moins ouvert, a provoqué le déplacement d’un nombre croissant
d’éléments de génération de valeur à l’extérieur du système contrôlé par l’en-
treprise ou par la marque.
Sous la pression combinée d’un nouveau contexte socioculturel et l’apparition du
Web 2.0 qui agit comme un catalyseur de changement, la chaîne de production
de valeur d’une marque s’en est trouvée fortement modifiée :

184
Chapitre 9 Publicité et société

– la marque doit s’appuyer de plus en plus sur des énonciateurs extérieurs pour
engendrer sa valeur, sa désirabilité et sa cote d’amour. La performativité du
discours de marque, sa capacité pragmatique et son efficacité sont de nature
exogène, de manière croissante. Dans ce nouveau paradigme, se met en place
une sorte de circulation sémiotique extracorporelle qui devient de plus en
plus cruciale pour faire vivre la marque et parfois pour la maintenir en vie,
tout simplement ;

FOCUS
Le recours par les marques à des sources
de légitimité extérieures
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Les marques vont de plus en plus puiser leur énergie sémiotique et leurs logiques de légitimation auprès
de sources qui n’appartiennent pas stricto sensu à l’univers de la consommation : l’univers du spectacle,
des jeux, le monde des célébrités, du sport, de l’art, du design, l’engagement écologique ou humani-
taire… Bref, dans les narrations postmodernes encore capables de produire du sens dans un espace
socioculturel post-consumériste. Les chansons à succès servent de bande son aux films publicitaires,
les célébrités deviennent égéries des marques, les designers signent des produits autrefois totalement
banalisés (Philippe Stark pour la box de Free, Ora-ïto pour une bouteille Heineken), d’anciens hommes
politiques ou des guitaristes mythiques témoignent en faveur de la marque, comme Mikhaïl Gorbatchev
pour Louis Vuitton ou Iggy Pop pour Le Bon Coin. On arrive même, avec les nouvelles technologies
numériques, à ressusciter et à « enrôler » au service des marques des stars disparues depuis longtemps
(Marilyn Monroe pour Dior, Fernandel pour Puget ou encore Steve McQueen pour Tag Heuer).

– c’est la revanche du « hors-média ». Pendant très longtemps, la quasi-totalité


des budgets publicitaires était réservée aux médias de masse. Comme une
sorte de résidu, le hors-média (« below the line », en anglais) désignait l’en-
semble des modalités communicationnelles annexes : les relations publiques,
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l’événementiel, etc. En vingt ans, avec l’avènement d’Internet, cette proportion


s’est pratiquement inversée. Aucune marque ne peut se passer aujourd’hui
du discours collectif et des commentaires qu’elle génère. Ces commentaires
et contributions, loin d’être des phénomènes périphériques ou anecdotiques,
sont désormais les lieux où s’élabore, évolue et se forge la véritable identité
d’une marque. Cette communication discursive sur la marque est devenue
largement plus importante pour la construction de sa valeur que la communi-
cation publicitaire traditionnelle, conçue et produite par la marque elle-même
et diffusée dans les canaux classiques du média et du hors-média.

185
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

En quoi la révolution digitale transforme-t-elle


le rapport entre innovation et communication ?
3 questions à Avant la révolution digitale, la plupart des entreprises
séparaient innovation (pilotée au sein de départements
Nicolas Bordas Recherche et Développement) et communication (pilotée
Vice-président TBWA\Europe par le département Marketing ou Communication).
et Président Being
Worldwide La communication intervenait en aval du processus
d’innovation pour mettre en relation le produit innovant et
les acheteurs potentiels, mais n’avait pas d’influence directe
sur la conception du produit. À l’ère digitale, les entreprises
ont de plus en plus besoin d’intégrer la communication en
amont de leur processus de recherche et développement
car, sur tous les marchés, les produits et services deviennent
de plus en plus communicants avec l’avènement des objets
connectés : les voitures deviennent communicantes au
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point de pouvoir fonctionner sans chauffeur, les maisons
deviennent communicantes et pilotées à distance, votre
compteur d’électricité devient communicant, ainsi que de
très nombreux objets du quotidien, jusqu’à votre brosse à
dents ! Pour concevoir cette nouvelle génération d’objets
connectés, il faut inclure la communication dès le processus
de conception. C’est pourquoi beaucoup d’entreprises
aujourd’hui se réorganisent pour penser leur innovation
dans des Labs qui intègrent compétence technique et
compétence communicationnelle.
Cette évolution des innovations plus communicantes
n’est-elle pas accélérée par le phénomène des big
data ?
Sans aucun doute. Les objets ou services connectés
s’incarnent principalement dans des « apps », des
applications mobiles, dont la particularité est de permettre
non seulement aux internautes de disposer et d’utiliser
le produit ou service en question, mais aussi d’interagir
avec lui. Prenons l’exemple d’une innovation pionnière en
matière d’intégration des big data, l’application Tranquilien,
un service qui permet de connaître en temps réel le taux
d’occupation des trains de banlieue. Il est alimenté à la
fois par des données provenant de la SNCF, mais aussi
par des données provenant des usagers eux-mêmes
qui acceptent de signaler s’il reste des places dans leur
wagon. Par définition, les applications sont des innovations
communicantes conçues par des « Creative Technologists ».
De Google à Airbnb, en passant par Amazon ou Netflix,
l’intégration en temps réel des données clients est au cœur
de l’innovation.

186
Chapitre 9 Publicité et société

Comment les agences s’adaptent-elles à ces nouveaux


besoins de leurs clients ?
D’une part, en mettant l’expertise digitale au cœur des
agences pour intégrer la dimension digitale comme point
de départ, en amont de toute communication. D’autre
part, en accompagnant les entreprises clientes dans leur
processus d’innovation. Chez TBWA, cela se fait au travers
de « workshops » nommés « Disruption Days », du nom
de notre méthode stratégique spécifique, la disruption.
Avant Internet, la plupart des Disruption Days portaient
sur la manière de différencier une marque par rapport aux
concurrents en termes de communication. Aujourd’hui la
plupart d’entre eux portent sur l’innovation et la manière
d’intégrer la communication au cœur de l’innovation. ■
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2.3 La marque devient une expérience
concrète
La montée en puissance des dimensions expérientielles et participatives renouvelle
le paradigme communicationnel des marques contemporaines. De manière com-
plémentaire et en prolongement de la participation virtuelle propre aux réseaux
sociaux et aux plateformes d’échange électroniques, les marques entretiennent
le lien avec leurs publics en multipliant les initiatives concrètes, permettant à ces
publics d’avoir une expérience physique, aussi concrète que possible, de la marque.
Les marques qui disposent de réseaux de vente physiques exploitent leurs points
de vente pour en faire des lieux où la rencontre avec la marque se veut un moment
mémorable, inscrit dans un véritable échange relationnel.
Exemple 1
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Kiko a fait une entrée fracassante dans l’univers ultra-


concurrentiel des cosmétiques. En seulement quatre ans,
cette marque italienne de cosmétiques d’entrée de gamme a
su se hisser au troisième rang du marché français et attirer
une clientèle très jeune (la moitié des clientes ont moins
de 24 ans !). Pas de communication traditionnelle pour cette marque, c’est le point de
vente, à l’esthétique soignée noir et argent, qui est le véritable générateur d’identité de
la marque. Les magasins sont petits, encombrés et avec un fond sonore très présent.
Les jeunes consommatrices s’y entassent avec plaisir, dans une proximité des corps et
dans un jeu de coudes qui contribuent à engendrer une expérience sensorielle intense
et inédite, un hybride improbable, et réussissent entre le décor d’une boutique de luxe
et la fébrilité et l’encombrement d’un souk oriental.

187
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

L’événementiel prend une place plus centrale dans les démarches de communica-
tion. Les marques proposent des situations où les publics peuvent se rencontrer
physiquement et participer à une situation collective, vivre une expérience plutôt
que simplement recevoir une communication. Festivals, réunions, concours,
compétitions, foires, salons, toutes les occasions sont bonnes pour mettre les
consommateurs en contact direct avec la marque et, plus important encore, en
contact entre eux grâce à la médiation de la marque.
Exemple 2
Avec sa boisson énergisante, Red Bull a créé de toutes pièces un nouveau marché. De
nombreux autres acteurs se sont engouffrés dans ce juteux segment, sans pour autant
arriver à remettre en question la position de leader de cette marque. Si Red Bull fait
aussi de la publicité « traditionnelle », notamment en presse, elle consacre la majeure
partie de son budget de communication à des formes plus contemporaines de promo-
tion, comme la distribution d’échantillons, la gestion de la communauté des fans de la
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marque et tout particulièrement sa présence dans l’univers des sports extrêmes.

Outre le sponsoring de sportifs et autres aventuriers (le dernier en date est le Red Bull
Stratos, avec le saut stratosphérique du parachutiste Felix Baumgartner), la marque
organise de très nombreuses rencontres où les consommateurs eux-mêmes sont les
protagonistes des activités proposées : base-jump, plongeons, etc. Ces activités jouent un
rôle clé dans la stratégie de Red Bull et sont emblématiques des nouvelles formes d’inte-
raction et de participation qui caractérisent le paradigme communicationnel actuel : des
moments de rencontre entre la marque et ses fans, mais aussi entre les consommateurs
eux-mêmes ; une façon de rendre concret le lien avec la marque, de produire du conte-
nu (souvent d’ailleurs autoproduit par les participants avec des caméras embarquées)
pour alimenter la communication de la marque, de créer des expériences intenses et de
donner une dimension bien réelle à la communauté virtuelle des fidèles de la marque.

188
Chapitre 9 Publicité et société

3 Quel sera le prochain tournant


du discours publicitaire ?
3.1 Vers des stratégies de communication
souples, adaptables, réactives
Les nouvelles stratégies de communication doivent laisser place à l’imprévu et
prendre en compte presque en temps réel les signaux envoyés par le contexte
communicationnel élargi.
Le Web social contraint les marques à ouvrir leur communication, à accueillir
les avis, les critiques, les contributions. Par le passé, une stratégie de communi-
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cation pouvait être établie à l’avance par la direction de l’entreprise ou par une
agence de communication et emprunter des formes expressives et des canaux
strictement « publicitaires ». Désormais, une stratégie est nécessairement flexible
et évolutive. Si elle reste, certes, impulsée par l’entreprise, elle est tout aussi vite
« reprise en main » par les destinataires et échappe en grande partie au contrôle
de ses maîtres.
Les nouvelles stratégies de communication doivent sortir du périmètre tradi-
tionnel de la marque pour faire sens et rencontrer leurs publics.
La marque a toujours prise sur sa communication : elle reste à l’origine du projet
de marque, elle propose des positionnements, des territoires de communication,
des initiatives, des propositions d’échange. Mais de nouvelles figures profession-
nelles émergent ou prennent plus d’importance, comme le community manager,
le responsable des relations publics, celui de l’événementiel ou du brand content
qui ont pour rôle, précisément, de gérer et d’alimenter ce nouvel environne-
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ment communicationnel. Il est clair que les sources sémiotiques profondes


qui alimentent une partie croissante du projet de la marque et de sa capacité
à « faire sens » pour les publics se situent en dehors du périmètre traditionnel
de la marque, hors de portée de ses stratégies purement publicitaires, dans le
sens classique du terme.

3.2 Quels sont les futurs scénarios


de la communication publicitaire ?
Même si le paradigme communicationnel a radicalement changé, le langage
publicitaire traditionnel perdure. L’inertie de certaines marques est incroyable-
ment forte. En outre, il est tout à fait possible de continuer à communiquer de

189
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

manière traditionnelle en maintenant une présence permanente et insistante,


notamment sur le médium télévisuel grâce à de gros budgets d’achat d’espace.
Toutefois, ne pas faire évoluer le schéma traditionnel présente deux inconvénients :
■■ une efficacité décroissante de l’investissement économique car l’impact de
cette communication est de plus en plus faible et nécessite un « volume de
feu » de plus en plus important ;
■■ une efficacité décroissante en termes d’impact car cette stratégie de commu-
nication ne peut obtenir des résultats que sur des cibles peu exigeantes, peu
connectées, âgées ou en bas âge, toutes les cibles qui par habitude acquise
dans le passé ou par manque d’autonomie personnelle sont encore sensibles
au médium télévisuel.
Dans un environnement post-consumériste et participatif, les marques doivent
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réinventer leurs modes d’existence sémiotique et communicationnel. C’est donc
non seulement la nature du discours publicitaire mais plus largement son éco-
système socioculturel et sémiotique qui sont soumis à une mutation profonde et
aux fortes tensions qui accompagnent souvent ces mutations.

E N P R AT I Q U E
Les 7 piliers du changement de paradigme
de la communication publicitaire
1. La disparition des « communications-signature » qui ont été si caractéristiques du passé. Il est dif-
ficile d’imaginer pour le futur des campagnes de communication comme la saga Marlboro dans les
années 1980 ou la campagne Benetton dans les années 1990.
2. Une réinvention des thèmes et imaginaires publicitaires capables de rester pertinents et attractifs
dans un environnement socioculturel post-consumériste (récits écologique, humanitaire, artistique,
spectaculaire).
3. La poursuite de la dilution du discours publicitaire, avec un mélange de genres, à la fois pour
camoufler le discours publicitaire et « parasiter » les codes et les langages d’autres univers (design,
mode, médias, art).
4. Une fragmentation des outils et des supports de communication, pour profiter de toutes les possi-
bilités offertes par les nouvelles technologies.
5. Une parallèle fragmentation des discours, pour gérer l’atomisation des cibles et de leurs centres
d’intérêt.
6. Des stratégies d’implication des cibles, selon une logique participative, qui leur permet de contri-
buer de manière créative à l’élaboration du langage des marques qui les concernent (logiques du
community management et du brand content).
7. Des stratégies de participation concrètes, où la communication devient (ou redevient) échange,
rencontre, présence physique des consommateurs, de manière complémentaire par rapport aux
formes de participation virtuelle.

190
Chapitre 9 Publicité et société

Le nouveau paradigme communicationnel qui est en train d’émerger ne sera


certainement pas aussi spectaculaire, homogène et socio-culturellement central
qu’a été le paradigme précédent. Celui-ci sera porté par un environnement sémio-
tique à bien des égards encore plus puissant : celui de la communication 2.0 et
des logiques mixtes, issues du morphing du virtuel et du physique. Ce paradigme
sera moins visible car plus fragmenté en termes de cibles et moins spécifique
parce que nourri par un grand nombre de sources d’imaginaire exogènes et
d’autres langages. Mais c’est aussi grâce à ces emprunts et à sa force syncrétique
qu’il pourra se renouveler et trouver sa pertinence dans l’espace socioculturel
contemporain.

Quelle est votre définition du brand content ? En quoi


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est-il utile pour les marques ?
Aujourd’hui, je dirais que le brand content désigne le fait
qu’une marque devienne éditrice de contenu, crée son
écosystème médiatique et occupe l’espace public. Il y a
8 questions à cinq ans, nous disions « le brand content désigne le fait
qu’une marque crée ou édite du contenu. » La question
Daniel Bô n’est plus de savoir s’il faut se mettre au brand content
Président-directeur général mais comment on définit une politique éditoriale. C’est
de QualiQuanti
d’abord un enrichissement de la consommation avec des
conseils d’usage, un surcroît de sens et le développement
de services. Le contenu conduit à une réinvention de la
relation avec toutes les cibles. Les entreprises accèdent au
statut d’agents culturels et animent la sphère publique.
Elles s’approprient des atouts réservés aux médias :
influence, rayonnement, animation, contacts périodiques,
partenariats… Elles créent une bibliothèque de contenus,
mobilisables sur les points de contact. Le contenu peut
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même être monétisé, avoir son propre business model.


Comment voyez-vous l’avenir du brand content ?
Les contenus sont devenus indispensables aux marques qui
veulent exister dans le contexte médiatique actuel. L’enjeu
n’est donc plus de savoir s’il faut faire du contenu mais de
définir une stratégie éditoriale, pérenne, qui exprime la vérité
de la marque. Cependant, le livre polémique Content shock de
Mark Schaeffer alerte sur les risques d’inflation des contenus
gratuits rapportés au temps disponible constant. Résultat, les
entreprises doivent allouer un budget croissant pour émerger.
Comment peut-on résister face au « Content Shock » ?
Il faut d’abord miser sur des contenus de qualité, qui se
distinguent. La spécialisation et le ciblage sont une bonne

191
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

réponse car la compétition est thématique et il y a encore


beaucoup de niches à conquérir. Les contenus isolés
ont peu de chance d’émerger. D’où l’importance d’une
sédimentation progressive de contenus reliés par une même
approche stratégique. Les marques peuvent aussi s’associer
à des médias puissants.
Qu’appelez-vous « brand content stratégique » ?
C’est considérer le brand content comme une action
« stratégique », en phase avec la vocation de la marque
et qui est utile à sa construction à long terme. Au final, le
brand content stratégique revendique le développement
de la marque en tant qu’agent culturel et une utilisation
du contenu comme levier de développement, voire source
de revenus. Le brand content stratégique, c’est l’expression
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éditoriale de la brand culture.
Comment développer une politique de brand content
stratégique ?
Il convient d’observer le paysage éditorial international
du secteur, de comprendre intimement la marque et ses
potentialités, d’identifier un territoire éditorial et culturel
appropriable, fertile, attractif et pertinent, de mobiliser
l’interne, de définir une direction artistique et un calendrier
et d’accepter l’apprentissage ; il s’agit d’expérimenter en
continu en vérifiant que le contenu étonne, intéresse,
stimule pour s’adapter.
Quels sont les défauts du brand content aujourd’hui ?
L’absence de vision stratégique renvoie à :
– des contenus de marque de mauvaise qualité : ligne
éditoriale molle, informations à faible valeur ajoutée… ;
– des opérations (sites génériques interchangeables) qui ne
reflètent pas le point de vue de la marque ;
– des contenus sporadiques non reliés aux autres
manifestations de la marque.
Quelles sont les meilleures stratégies de brand content
selon vous ?
Red Bull, Oasis, Coca-Cola, Evian, Picard, Weight Watchers,
Johnson & Johnson, Axe, E. Leclerc, Leroy Merlin,
Castorama, Macy’s, Quechua, Nespresso, GoPro, PMU, Louis
Vuitton, LVMH, Hermès, Chanel, Boucheron, Benetton,
Michelin, John Deere, IBM, Pantone, AXA, Xerfi, Chipotle,
Honda, Intel…

192
Chapitre 9 Publicité et société

Comment percevez-vous le brand content


à l’international ?
Aux États-Unis, le contenu de marque oscille entre deux
tendances fortes : le content marketing et le branded
entertainment. Chacune de ces expressions correspond à
une posture à l’égard du contenu : le content marketing est
une vision à plus long terme des contenus où ceux-ci sont
inféodés au marketing et produits pour orienter l’action
du consommateur, tandis que le branded entertainment
(films, émissions, jeux, etc.) tend vers des contenus à
forte dimension émotionnelle où la qualité du spectacle
prédomine. Il faut ajouter la montée du native advertising
(publicité indigène) qui exprime plutôt le point de vue des
médias en se focalisant sur l’intégration du contenu dans
son contexte. ■
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4 Le storytelling, une nouvelle
façon de faire de la publicité ? 1

Selon Georges Lewi, mythologue spécialiste des marques, le storytelling est l’art
de raconter avec efficacité l’histoire de la marque.

4.1 Construire l’ennemi


Dans l’un de ses ouvrages2 , le sémioticien et philosophe italien Umberto Eco
explique en quoi le storytelling est essentiel pour une société, voire pour une
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civilisation. Il commence par rapporter une conversation avec un chauffeur de


taxi new-yorkais : l’homme lui demande quel est l’ennemi de l’Italie, affirmant
qu’aucun peuple ne peut vivre sans ennemi. Cet échange initie la réflexion
d’Umberto Eco. L’Italie, n’ayant plus d’ennemi extérieur, se crée des ennemis
intérieurs. Toute identité aurait besoin d’ennemi et, à défaut d’ennemis bien réels,
d’un besoin narratif de les inventer en désignant des boucs émissaires. Umberto
Eco raconte cette incroyable boutade – mais en était-ce bien une ? – attribuée à
Gorbatchev après la chute du mur de Berlin : il aurait dit aux Occidentaux que
leur vie allait être difficile sans ennemi identifié. L’Histoire lui donne raison :
depuis cet événement, nous nous sommes créés de nouvelles représentations

1 La partie 4 de ce chapitre a été rédigée par Georges Lewi.


2 Umberto Eco, Construire l’ennemi, Grasset, Paris, 2014.

193
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

de nos adversaires car la figure de l’ennemi semble ne pas pouvoir être abolie
par les progrès de la civilisation. Le sémioticien ajoute qu’elle doit posséder
toutes les caractéristiques de l’altérité physique, mentale, comportementale :
« les ennemis sont différents de nous, et ils suivent des coutumes qui ne sont
pas les nôtres. »
Tout bon storytelling commence par la définition de l’ennemi, du fléau contre
lequel la marque lutte avec hardiesse pour le bienfait du consommateur, du col-
laborateur (marque-employeur), du citoyen (storytelling politique), du touriste
(marque de territoire) ou de son environnement (personal branding). Optimiste
et humaniste, Umberto Eco ne conseille pas de « tuer » tous ses ennemis. On peut
essayer de les comprendre. Mais ils n’en demeureront pas moins des ennemis.
Ce serait à ce seul prix qu’une identité pourrait se construire.
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Définition 3
Le storytelling est le terme qui synthétise l’ensemble des techniques uti-
lisées pour élaborer et raconter une histoire dans le but de convaincre via
un message structuré. Le storytelling qui consiste à captiver d’abord pour
convaincre ensuite vient de Hollywood, de l’ensemble des techniques issues
de l’expérience des scénaristes. Car l’écriture d’un scénario repose sur des
conventions très précises auxquelles un jeune scénariste doit impérative-
ment se soumettre. Les marques, surtout avec les possibilités narratives,
nombreuses et budgétairement abordables offertes par Internet, se sont
approprié ces techniques venues autant du cinéma que la politique.

4.2 Construire le mythe


Avec d’autres anthropologues et linguistes intrigués par les ressemblances
apparentes entre les mythes du monde entier, Claude Lévi-Strauss arrive à la
conclusion que le mythe consiste en une dichotomie. Selon lui, la pensée humaine
est fondamentalement organisée autour d’oppositions binaires (thèse/antithèse)
et de leur unification (synthèse). Ce mécanisme permet à l’être humain, depuis
toujours, de rendre une issue possible. Le mythe serait donc un stratagème habile
de l’esprit humain qui transforme une opposition binaire inconciliable en une
opposition binaire conciliable, créant ainsi l’illusion ou la croyance qu’une partie
du problème a été résolue.
Cette analyse de Claude Lévi-Strauss permet de définir le storytelling contemporain,
celui de Hollywood, des personnalités politiques et des marques : des événements
passés, rassemblés sous la forme d’une narration, d’une interrogation, d’un pro-
blème à résoudre, d’une opposition conciliable qui a une portée actuelle et future.

194
Chapitre 9 Publicité et société

Il existe trois types d’oppositions fondamentales :


■■ la première consiste en une opposition de nature ou par nature dont, par
exemple, le mythème mort/vivant est représentatif. Ce sont les oppositions
les plus fondamentales ;
■■ il y a ensuite des oppositions d’attitude (les pensées et leurs représentations),
parmi lesquelles le mythème amour/haine a, sans doute, été le plus scénarisé ;
■■ il existe enfin des oppositions de comportement (la façon dont les humains
agissent), dont font partie le mythème rural/urbain qui caractérise l’évolution
des sociétés contemporaines et le mythème espoir/aporie (absence de solution)
qui illustre le caractère tragique de la condition humaine.
Ces mythèmes peuvent se conjuguer pour créer des mythologies, les récits des
marques.
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Oppositions Oppositions Oppositions
d’attitude de nature de comportement
Groupe/Individu Vivant/Mort Fidèle/Infidèle
Vrai/Mensonger Féminin/Masculin Artiste/Artisan
Passion/Raison Jeune/Vieux Rural/Urbain
Interdit/Permis Humain/Divin Spécialiste/Généraliste
Dominant/Dominé Passé/Futur Proche/Lointain
Don/Dû En haut/En bas Éphémère/Durable
Amour/Haine Nature/Culture Espoir/Aporie
Réel/Illusion Pureté/Souillure Respect/Irrespect

S Tableau 8.1 Les 24 couples de mythèmes fondamentaux selon Georges Lewi1

Exemple 3
Storytelling, le match Coca-Cola/Red Bull
Dans la plupart des marchés, il existe des marques en opposition absolue de story-
telling, de « repère mental », alors qu’elles ont souvent un marketing analogue : même
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niveau de prix, même circuit de distribution, même quête de notoriété…


Coca-Cola et Red Bull sont les deux faces opposées du bonheur : le monde de l’en-
fance, de l’innocence, du paradis perdu que l’on tente de retrouver le temps d’une
gorgée face au monde du risque, de la lutte à mort, de l’effort extrême pour tenir sa
« part d’éternité ». Ces deux marques expriment, chacune à sa façon, la fonction de
deux mythèmes opposés composant le fond de la tension humaine : ce qui est permis
et ce qui est interdit, le good boy et le bad boy, le saint et le démon.

1 D’après Georges Lewi, La fabrique de l’ennemi : construire son storytelling, Vuibert, 2014.

195
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Le pharmacien John Pemberton découvre en 1886 à Atlanta une mixture à base


de caramel qui est baptisée Coca-Cola par son comptable, Frank Robinson. Cette
mixture mélangée à de l’eau gazeuse est commercialisée dans la pharmacie Jacobs.
La réussite n’est pas au rendez-vous. En 1888, Asa Griggs Candler acquiert les droits
d’exploitation de la marque Coca-Cola pour un peu plus de deux mille dollars.
Le nouveau patron, Joseph Biedenharn a la brillante idée de mettre en bouteilles le
breuvage. Arrive alors le véritable succès commercial de la boisson. Rendue célèbre
par la publicité, Coca-Cola ne peut plus être seulement commercialisée dans les
pharmacies. Son nouveau propriétaire rachète alors l’exclusivité des droits de mise
en bouteilles et de vente pour un « petit » dollar.
Selon l’étude Interbrand 2013, la marque Coca-Cola est valorisée à 80 milliards de
dollars et vend à travers le monde plus de 600 milliards de bouteilles chaque année
(soit plus de 1,5 milliard chaque jour).
Son secret est… le secret, bien sûr – celui de la recette, prétendument bien gardée –
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mais aussi un engagement doublé d’un storytelling sans concession. Le récit de la
marque réside dans l’optimisme, résumé dans un tweet en 2013 (« Merci à tous ceux
qui ont partagé leurs astuces #Optimisme2014 ! Gardez le sourire et on continue de-
main. ») – et porté avec constance dans les spots publicitaires qui ont fait la marque :
« Coca-Cola, c’est ça », « Always Coca-Cola », etc.
Certains ont acquis la dimension de films mythiques : le cartoon Vaillant Tailleur de
1950, la Pause Coca avec l’ours polaire et la fameuse Happiness Factory (la « fabrique
du bonheur ») en 2011. Là, toute la magie des films d’animation est convoquée pour
fabriquer, conserver, apporter la bouteille (« la femme au fourreau ») à l’appareil au-
tomatique où le garçon va pouvoir l’offrir à sa belle pour une séance de cinéma. La
vie, selon Coca-Cola, serait un conte de fées. Sa saga publicitaire s’inscrit dans les
moments de bonheur qui jalonnent la vie. En famille, avec les enfants, car, à l’instar d’un
film d’animation de chez Disney, il y a un goût de bonheur régressif chez Coca-Cola.
Dans ce mythe du bonheur éternel que la consommation de soda permet d’atteindre,
le film Les Ours a définitivement identifié Coca-Cola à la magie de Noël. Les ours
de Coca-Cola annoncent les cadeaux de Noël. La publicité est accompagnée d’un
film sur le Net de sept minutes produit par Ridley Scott racontant les aventures d’une
famille d’ours polaires.
La marque trouve son incarnation dans la forme originale de la bouteille : « La star,
c’est elle : la bouteille légendaire ! »1 , nous dit le site officiel de la marque.
Le storytelling de Coca-Cola définit, comme dans les premiers films de Disney, son
ennemi. C’est le malheur. Le héros pour le combattre est la marque, sa bouteille et
sa recette magique. Leur mission est d’aider au bonheur des gens, partout, toujours :
« always ».

Que retenir du storytelling de Coca-Cola ? Il s’agit du mythe des mythes de l’huma-


nité : trouver la recette du bonheur, retrouver l’innocence de l’enfance. Coca-Cola
réactive le mythe éternel de l’âge d’or que la marque nous promet de faire revivre
pour nous. L’optimisme est le seul secret bien gardé dans la bouteille aux formes
si féminines.

1 www.coca-cola-france.fr/125-ans-d-histoire.

196
Chapitre 9 Publicité et société

Dietrich Mateschitz fonde Red Bull dans les années 1980. Il crée la formule de
Red Bull Energy Drink et développe le concept marketing original de Red Bull.
La commercialisation débute le 1er avril 1987 dans son Autriche natale. Aujourd’hui,
Red Bull est présent dans plus de 165 pays et, jusqu’à présent, plus de 35 milliards de
canettes de Red Bull ont été consommées1 .
Depuis sa naissance, Red Bull a créé une saga composée de cartoons fondés sur un
schéma narratif simple autour du slogan « Red Bull donne des ailes ». Le premier film
d’animation raconte l’histoire d’un oiseau qui laisse tomber sa fiente sur un passant.
Celui-ci prend sa canette de Red Bull, en boit le contenu et rattrape dans les airs
l’oiseau pour se venger.
De là est née l’idée de s’appuyer sur les sports extrêmes, ceux de l’adolescence plu-
tôt que ceux de l’enfance ou de la famille : Red Bull, c’est d’abord se faire peur ! La
composition elle-même, toujours prétendument secrète, fait frémir : elle inclurait du
sang de taureau (ce qui est démenti par les analyses chimiques).
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La boisson est décriée ; elle a le goût de la transgression. En juillet 2011, Dietrich
Mateschitz expliquait à L’Équipe : « Ce que je veux quand j’investis quelque part,
dans une discipline ou un événement sportif, c’est être responsable de A à Z, du
succès ou de l’échec, le cas échéant. Où est l’intérêt de s’engager dans le foot si c’est
juste pour coller le logo Red Bull sur le maillot des joueurs ? » Red Bull a donc car-
rément racheté le SV Austria Salzburg, désormais Red Bull Salzburg ; les New York
MetroStars, aujourd’hui New York Red Bulls ; le SSV Markranstädt, devenu Red Bull
Leipzig… La même logique a prévalu en Formule 1, la discipline qui représente « le
meilleur retour mondial sur investissement », affirme Dietrich Mateschitz. Sponsor
de l’écurie Sauber pendant dix ans, l’Autrichien s’offre l’écurie Jaguar, fin 2004,
rebaptisée Red Bull Racing.
La devise de la marque pourrait être ainsi résumée par son créateur : « Qui se repose
rouille. » Et il poursuit : « Je ne voulais pas vendre le vingtième jus d’orange ou pro-
poser un soft drink de plus, ces eaux colorées aromatisées qui n’ont aucune fonction
si ce n’est celle d’étancher la soif. Je voulais offrir le premier functional food, une
boisson qui prolonge l’endurance, augmente la concentration, décuple vos capacités,
aiguise vos réactions. Red Bull, c’est plus qu’une boisson. »2
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Que retenir du storytelling de Red Bull ? Le schéma narratif de Red Bull repose
sur l’adage « Qui se repose rouille ». La mission est l’action, jusqu’au bout et au-delà.
L’ennemi est le bonheur tranquille : c’est tout le contraire de Coca-Cola. L’adjuvant
est la sulfureuse formule. Tout est dans l’action ; cela ne se dit pas mais se fait et se
voit. Red Bull est dans la preuve, la preuve d’abord de « posséder le sport extrême »,
à commencer par la Formule 1, mais aussi des événements largement médiatisés
comme le saut de plus de 30 000 mètres d’altitude réalisé par Felix Baumgartner,
une pure folie. Red Bull invente le brand content en étant non seulement le sponsor
mais aussi l’organisateur de ce type d’événements.

1 Source : site official de Red Bull, energydrink-fr.redbull.com.


2 « L’extravagant monsieur Red Bull », LePoint.fr, 1er juillet 2010.

197
Partie 3 Quand espace marchand et espace public tendent à se confondre

Les points clés


¼¼La communication publicitaire tend à devenir un discours de marque. En
cela, elle n’est pas détachée des enjeux sociaux : elle reflète la société et
n’hésite pas à délivrer une parole « sociale » (sur le monde au sens large) et
une parole « sociétale » (sur les débats de société).

¼¼La dimension publique de la publicité est favorisée par l’essor des réseaux
sociaux.

¼¼La prise de parole des marques, de moins en moins verticale, se présente


sous une forme de plus en plus participative et multipolaire.

¼¼En affirmant sa dimension symbolique et culturelle, la communication


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publicitaire se renouvelle sans cesse en investissant l’espace public et en
cherchant à être traversée par lui.

¼¼Le recours au storytelling est l’un des moyens privilégiés pour la communi-
cation publicitaire d’occuper plusieurs espaces médiatiques et de transformer
ainsi la relation sémiotique en « expérience » de marque.

198
Chapitre 9 Publicité et société

APPLICATIONS ! Corrigés p. 281

b. Une logique budgétaire pour obtenir et maintenir


QCM une pression forte.
c. Une logique participative qui permet aux consom-
Une seule bonne réponse est possible pour chacune mateurs de contribuer de manière créative à l’élabo-
des questions. ration du langage des marques qui les concernent.

1 Qu’est-ce qui explique le déclin du discours 5 Qu’est-ce que le « brand content stratégique » ?
publicitaire classique dans les années 1990 ? a. C’est une démarche de création d’un contenu de
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a. La lassitude des consommateurs. marque plus stratégique que créatif.
b. La crise du modèle de consommation qui le sous-tend. b. C’est une démarche de création d’un contenu qui
c. Le manque de créativité des agences de publicité. contribue au développement de la marque en tant
qu’agent culturel.
2 Quel est l’impact de l’apparition des c. C’est une démarche de création d’un contenu par
« consomm’acteurs » sur le discours publicitaire ? le planning stratégique.
a. La montée de la publiphobie.
b. Le développement de formes plus participatives
de relation avec les marques.
c. La hausse des tarifs publicitaires sur le média TV.

3 Où les marques vont-elles de plus en plus


Questions
puiser leur énergie sémiotique et leurs logiques
de légitimation ?
de réflexion
a. Auprès de sources qui n’appartiennent pas stricto
sensu à l’univers de la consommation. 6 Le choc Benetton
b. Dans la qualité intrinsèque des produits et services En quoi la communication publicitaire de Benetton
mis en avant dans la publicité. a-t-elle marqué une charnière historique dans l’histoire
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du discours publicitaire ?
4 Quelle logique semble le mieux répondre au
nouveau paradigme de communication publicitaire ? 7 L’expérience avec la marque
a. Une logique créative pour séduire les consomma- Pourquoi l’événementiel prend-il une place de plus en
teurs. plus centrale dans les démarches de communication ?

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4
communication

relationnelle
Partie

se fait plus
Quand la
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L
a seconde partie du XXe siècle a vu une accélération des pratiques de communication.
Après la barbarie de la Seconde Guerre mondiale, la communication s’est imposée,
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sous l’impulsion de Norbert Wiener et des cybernéticiens du MIT, comme une
idéologie de la conciliation universelle. Instrumentalisée par les gouvernants pour gérer
l’opinion publique et mobilisée par les marques pour séduire les consommateurs, elle a fini
par investir tout l’espace public.
La quatrième et dernière partie de cet ouvrage tentera de dessiner les perspectives
d’évolution de la communication des organisations.
Le chapitre 10 permettra de faire le point sur les notions d’opinion et d’influence et de
confirmer l’importance grandissante de l’e-réputation.
Le chapitre 11 s’intéressera à la communication institutionnelle et au rôle sociétal qu’elle
joue pour les organisations.
Enfin, le chapitre 12 montrera que les approches consistant à appréhender la
communication comme un ensemble de techniques et de procédés dont disposent les
« pouvoirs » pour circonvenir l’opinion laissent place à des formes de communication plus
relationnelles.

Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

Chapitre 11 La communication institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225

Des relations publiques aux communications


Chapitre 12 relationnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .247
Chapitre 10
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D
epuis l’explosion des médias sociaux, la
donne de l’influence a changé. La révo-
lution numérique a fait entrer l’humanité
dans un nouvel âge : les puissants – institutions,
entreprises – ont perdu le monopole de l’in-
fluence au profit, potentiellement, de tout individu
connecté. Hier, les entreprises soignaient leur
image de marque, aujourd’hui, leur réputation
et leur e-réputation sont devenues un enjeu vital.
Individus et organisations doivent gérer l’ensemble
des discours, des signes et notamment des traces
qu’elles produisent et qu’elles laissent dans les
archives des sites web, des réseaux sociaux ou
des plateformes de contenus notamment vidéo.
Comme le montre cette une de Télérama, le
modèle de la réputation est devenu celui de la per-
sistance et de la traçabilité.. Profondément remises
en cause par la démultiplication des canaux et
l’importance des phénomènes d’opinion et de
réputation, les pratiques de communication se
réinventent. Devenue digitale, la communication
pose des questions inédites aux professionnels et
à la société toute entière.
Opinion,
influence,
(e-)réputation
Plan
1 L’opinion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
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2 L’influence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
3 La réputation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
4 E-réputation et enjeux de société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217

Objectifs
¼¼Fixer les notions d’opinion et d’influence
¼¼Comprendre comment ces notions évoluent avec l’explosion des médias
sociaux
¼¼Mesurer l’importance de l’e-réputation dans la communication
des organisations
¼¼Prendre conscience des questions de société soulevées
par l’e-réputation
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

1 L’opinion
1.1 Qu’est-ce que l’opinion ?
L’opinion, depuis Platon, c’est ce qui n’est pas la science : d’un
côté, les « amateurs de spectacle » (République, 476 b), de l’autre,
les amoureux du vrai. Si une opinion peut se révéler « vraie »,
son régime de véridiction, en tant qu’opinion, est d’un tout autre
ordre que celui du savoir ou de la foi : une opinion ne peut être
prouvée comme une vérité scientifique.
Selon Platon (République, 478 a-d), l’opinion est un intermé-
diaire, une médiation (metaxu), qui « saisit ce qui erre entre
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deux choses », un intermédiaire entre connaître et ignorer.

Définition 1
L’opinion, du latin opinio, évoque le jugement personnel :
l’idée qu’on se fait d’une chose, un avis que l’on s’est forgé
sur une question. C’est une conjecture, une croyance, une
S Statue de Platon devant
l’Académie d’Athènes
illusion qui ne relève pas de la connaissance rationnelle.

Gaston Bachelard dit : « L’opinion pense mal ; elle ne pense pas »1 . Or, toute
l’histoire de la pensée tourne autour de cette interrogation, déclinée dans les
grands champs du questionnement anthropologique : comprendre les régimes de
vérité, s’assurer que ce sur quoi on construit un système de savoir peut rendre des
comptes sur sa cohérence. Vrai/faux, croyance/savoir, théorie/praxis, confiance/
doute sont des notions étroitement imbriquées.

Définition 2
Plus complexe encore que l’opinion d’un individu sur une question donnée,
la notion d’opinion publique renvoie à l’ensemble des convictions et des
valeurs, des jugements et des croyances que partagent les individus dans
une société. On l’associe souvent à la doxa grecque.

1 G. Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, Vrin, Paris, 1967, p. 14.

204
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

Peut-on assimiler sondages et opinion publique ?


Les sondages d’opinion nourrissent la vie politique et
3 questions à le discours médiatique. Telle cote de popularité, telle
appréciation de la prestation télévisée d’un homme politique,
Édouard Lecerf telle intention de vote pour une élection à venir sont scrutées,
Directeur général de TNS Sofres analysées – parfois sur-interprétées – à la fois par ceux qui
produisent ces données, par ceux qui les utilisent pour
rythmer des contenus éditoriaux, par ceux qui s’honorent de
« bons » résultats ou préfèrent rejeter l’instrument lorsque
celui-ci indique un malaise, une tension, un rejet.
Mais il ne faut pas confondre l’objet observé et l’instrument
de mesure. Les sondages ne sont pas l’opinion publique.
Ils sont l’outil, parfois incomplet ou imparfait mais utile et
irremplaçable, de mesure et de reflet de l’opinion publique.
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Ils appliquent des méthodes issues de la statistique et de
la sociologie afin, comme le dit Loïc Blondiaux dans son
livre La Fabrique de l’opinion, de transformer un « concept
ambigu » en « construit mesurable ».
Comment se mesure l’opinion publique ?
Les sondages s’appuient sur les techniques de
l’échantillonnage et de la représentativité. On reproduit à
échelle réduite la population dont on souhaite connaître les
opinions, les habitudes, les comportements, les pratiques (la
population française, les jeunes de 18 à 25 ans, les urbains,
etc.). Sur la base des statistiques disponibles (produites par
l’Insee, par exemple), on construit un échantillon, modèle
réduit de cette population. On assure la représentativité de
cet échantillon en lui donnant les mêmes caractéristiques
(quotas) que celles de la population dans son ensemble sur
des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle,
de région, de taille de l’agglomération habitée, etc.
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On « sonde » cet échantillon grâce à un questionnaire


administré selon différents modes : face-à-face, téléphone,
Internet. Le mode de recueil « on line » est aujourd’hui
largement dominant. Compte tenu de la diffusion de plus en
plus large du numérique, les problèmes de représentativité
initiaux des échantillons construits lors des enquêtes réalisées
par Internet ont quasiment disparu ou sont – pour certaines
populations « rares » – strictement contrôlés.
En quoi le digital induit-il de nouveaux enjeux
en termes de mesure de l’opinion ?
L’explosion du digital au cours des dernières années pose
toutefois d’autres questions centrales dans la mesure de
l’opinion publique. Comment par exemple appréhender

205
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

l’expression des opinions, aujourd’hui spontanées et


largement disponibles sur les réseaux sociaux ? Quelle en
est la représentativité ? Quelle en est l’influence ? Comment
combiner dans l’étude de l’opinion publique les opinions
« provoquées » et les opinions « spontanées » ? Mais aussi :
comment les acteurs du monde politique peuvent-ils
s’appuyer sur cette génération spontanée plutôt que de la
subir ? Pourquoi le monde « politique » est-il plus réticent
à laisser les citoyens « entrer dans le jeu » que ne le sont
les entreprises et les marques avec les consommateurs ?
Et comment la démocratie doit-elle s’adapter à ce nouveau
flux continu de « commentaires » et de « contrôles »,
bien plus rapide et permanent que ne le sont les études
d’opinion ? Autant de questions qui concernent donc aussi
bien la construction que la mesure de l’opinion publique. ■
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1.2 Qu’est-ce qui fait la force des opinions ?
Bien que non fondées sur la science et le savoir, les opinions sont utiles aux
individus car elles remplissent deux fonctions :
■■ une fonction psychologique : en laissant croire que l’on sait, sans effort intel-
lectuel, l’opinion rassure, donne du sens – une sorte de sens commun – et
fournit des repères qui guident l’action (« c’est ce que tout le monde pense ! ») ;
■■ une fonction sociale : en se conformant aux préjugés et aux croyances d’un
groupe, l’opinion permet de s’y faire accepter ; c’est un moyen d’intégration
sociale qui peut conduire à préférer adhérer à l’opinion dominante plutôt que
de rechercher la vérité.
L’opinion peut être préférée à la vérité et posée comme vraie pour plusieurs rai-
sons : par habitude ou pour respecter la coutume, à cause du ouï-dire, par paresse
intellectuelle ou par lâcheté, parce qu’elle est partagée par un grand nombre de
personnes ou encore parce que celui qui l’énonce jouit du prestige de l’autorité.

1.3 Comment se fait l’opinion ?


Il n’est pas plus aisé de décrire l’émergence de l’opinion que celle de la vérité.
On peut cependant repérer deux grandes orientations dans les débats autour
de cette question :
■■ d’une part, les tenants des théories dites « accumulatives » qui estiment que
l’opinion se construit sur la base d’une accumulation redondante d’informa-
tions ou de données ;

206
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

■■ d’autre part, les théories qui privilégient les contextes d’émergence et de


cristallisation.
D’intenses débats ont marqué le XXe siècle à propos des effets des médias sur
l’opinion. Depuis la théorie dite des « effets massifs » – immédiats et directs – et
en dépit de nombreuses remises en cause, il semble que persiste dans l’impensé
social l’idée que plus on répète une idée, plus celle-ci s’imprègne dans l’esprit du
public. Comme dans le célèbre morceau de cire des Méditations métaphysiques
de René Descartes, l’esprit du public serait une cire molle dans laquelle les
messages – la publicité et la propagande – viendraient s’imprimer, comme par
effraction, de manière d’autant plus nette que le message est précis. Cette idée
semble profiter de ce que l’on pourrait appeler une prime à l’évidence car on voit
bien le lien entre l’image de l’empreinte et de la pression répétée. La théorie dite
« des effets limités », celle de « l’agenda setting » ou encore celle qui décrit le sujet
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comme un « hyperactif cognitif » ne viendront jamais totalement à bout de l’image
d’un récepteur plutôt passif, porteur plus que sujet des opinions qu’il manifeste.

FOCUS
Les effets des médias sur le public
Au début de l’histoire des médias de masse (radio et télévision au début du XXe siècle, en particulier aux
États-Unis), l’idée s’est spontanément imposée que plus on était exposé à un message, plus celui-ci était
efficace. Le récepteur est, dans ce cas, assimilé à une entité passive qui réagira mécaniquement à des stimuli.
Le Viol des foules par la propagande politique, ouvrage de Serge Tchakhotine publié en 1939 (Gallimard),
est emblématique de cette idée. Rapidement, dès les premiers travaux empiriques sur les effets de la radio
menés par Paul Lazarsfeld et son laboratoire (1944), cette idée cède le pas à ce que l’on a appelé la « théorie
des effets limités » : les destinataires des messages ne sont pas passifs, ils mettent en œuvre des processus
sélectifs d’attention, de mémoire, etc. selon leurs origines, leur âge, leurs situations sociale et professionnelle.
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D’autres théories verront le jour et viendront compléter et nuancer les modèles en présence. C’est bien
entendu le vif intérêt suscité par les résultats éventuels de ces travaux (sondages politiques, publicité,
marketing…) qui explique le foisonnement de ces recherches durant tout le XX e siècle. La théorie de
l’agenda setting, par exemple, est encore discutée aujourd’hui : cette théorie postule que le plus important
dans les médias de masse, ce n’est pas de dire au public ce qu’il doit penser, mais ce à quoi il doit penser.
(McCombs et Shaw1). Il convient donc d’avoir la maîtrise de l’agenda des médias. La psychologie cognitive
va se pencher sur les différents processus cognitifs qui entrent en jeu dans les phénomènes de persuasion.
Elle va ainsi mettre en évidence et modéliser les phases : exposition, attention, compréhension, acceptation…
Elle promeut un sujet « hyperactif cognitif », à l’opposé du modèle cartésien ou antique de la « cire molle ».

1 M. McCombs et D. Shaw, « The Agenda Setting Function of Mass Media », Public Opinion
Quarterly, n° 36, 1972.

207
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

De manière générale, il est admis que les opinions proviennent de sources non
contrôlées, non maîtrisées et non réfléchies : l’expérience quotidienne, les médias,
l’éducation, les passions.
À partir de ce postulat, l’opinion est de plus en plus parasitée par un phénomène
massif : les fake news.

1.4 Le phénomène des fake news


Les fake news ou fausses nouvelles en français sont des actions de désinformation
pour manipuler l’opinion d’un auditoire, d’un groupe social ou d’un pays. La
production et la diffusion de ces fausses nouvelles sont intentionnelles. Elles éma-
nent soit d’une personne, de médias ou d’agences gouvernementales. C’est ainsi
que l’on évoque régulièrement l’implication de l’État russe dans l’organisation et
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la mise en œuvre d’action de désinformation sur les réseaux sociaux américains
afin de manipuler l’opinion lors de la campagne présidentielle américaine en
2016 et l’élection de Donald Trump.
Pourquoi le phénomène des fake news explose au point d’ébranler la vie démo-
cratique et la construction des opinions publiques ? Tout d’abord, les relais
d’opinion sont de plus en plus nombreux et variés avec la croissance continue
des réseaux sociaux que les québécois nomment de façon plus juste les médias
sociaux (Charest, Alcantara, Lavigne, Moumouni, 2016). Ce constat se double
d’une perte d’influence des discours des experts au profit de discours alternatifs
produits par des particuliers. Ces derniers, par leur audience, se substituent aux
experts avec une image d’amateur engagé. L’émergence de la figure de l’amateur
a été mis en évidence dès 2010 : « L’Internet de masse du début du XXIe siècle se
distingue des médias qui se sont développés au siècle précédent pour cette rai-
son essentielle : les amateurs y occupent le devant de la scène. » (Flichy, 2010:7).
Agir sur l’opinion de façon licite par l’expression d’une opinion ou illicite par la
publication de fake news a pour objectif de produire une influence.

2 L’influence
2.1 Qu’est-ce que l’influence ?
Définition 3
L’étymologie renvoie à l’idée d’une action du ciel et des astres exercée
sur les hommes et les choses. Notion complexe, l’influence désigne à la
fois l’ascendant qu’un individu peut avoir sur un autre et le processus par
lequel le premier fait adopter son point de vue au second, sans coercition.

208
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

La psychologie sociale s’intéresse à l’influence en tant que pression sociale exercée


par un individu ou un groupe sur d’autres et dont le résultat est d’imposer des
normes dominantes en matière d’opinion, d’attitude et de comportement. De
nombreuses typologies d’influence ont été mises en lumière par les chercheurs :
le conformisme, l’identification, la soumission à l’autorité…

2.2 De l’influence à l’e-influence


Internet a totalement changé la donne de l’influence. Avec l’explosion du phé-
nomène des blogs dans le début des années 2000, de nouveaux leaders d’opinion
sont apparus : les blogueurs. Certains d’entre eux ont acquis une reconnaissance
et une audience parfois supérieure à celle des journalistes. Ils sont dorénavant
souvent considérés à l’égal de ceux-ci et intégrés aux programmes de relations
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médias des marques. Voilà pourquoi, depuis quelques années déjà, on croise les
« blogueuses stars » aux défilés de la Fashion Week !
Comment définissez-vous l’influence ?
Selon la définition du WOMMA (Word of Mouth Marketing
3 questions à Association), l’influence est « la capacité à changer les
opinions ou comportements d’autres personnes ». Elle
Nicolas Chabot s’exerce traditionnellement à l’intérieur du cercle familial,
Investisseur et VP EMEA amical ou professionnel.
chez Traackr, société
de technologie basée Sommes-nous tous égaux devant l’influence ?
à San Francisco spécialisée
dans le marketing Non ! Depuis longtemps les marques reconnaissent que
d’influence certains individus exercent une influence beaucoup plus
forte que les autres : ce sont par exemple les journalistes,
les leaders d’opinion ou d’autres parties prenantes comme
les chercheurs, les hommes politiques… qui, par leur
fonction, influencent l’image et la notoriété d’une marque
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auprès de son public ou des décisions qui impactent


la vie de l’entreprise. Ces individus sont les principaux
interlocuteurs des activités de relations publics des marques.
En quoi le développement des réseaux sociaux a-t-il
révolutionné le concept d’influence ?
Pour certains, comme P. Sheldrake dans The Business of
Influence, la connaissance des flux d’influence deviendra un
facteur clé de succès des organisations et anticipe la création
de postes de « Chief Influence Officer ». Dans cette évolution,
les « influenceurs » seront les partenaires clés des femmes
et hommes de marketing qui sont en train d’inventer cette
nouvelle pratique. Les enjeux sont formidables et remettent en
cause certains fondements des stratégies de communication
des marques comme l’allocation des budgets médias. ■

209
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

C’est avec l’explosion des réseaux sociaux que le concept d’influence


« on line » a pris une nouvelle dimension : des millions d’individus
peuvent échanger des contenus et opinions sans intermédiaire.
L’influence individuelle dépasse dorénavant le cadre familial ou
amical dans des proportions inimaginables. Cette influence est
multiformat : textes, images, vidéos, sons. Elle est multiréseaux :
le même individu peut être actif sur Twitter, LinkedIn, Facebook,
Pinterest, Instagram, YouTube pour ne citer que les principaux.
La largeur de ce phénomène pose de nouveaux enjeux de commu-
nication : quels sont les influenceurs qui impactent une activité ?
Combien sont-ils ? Comment les trouver ? Quelle activité puis-je et
dois-je développer avec eux ? Pour quels résultats ?
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2.3 Influence et viralité
S Profil d’un influenceur dans sur les réseaux sociaux
le domaine du marketing digital
(source : Traackr) Dans The Tipping Point: How Little Things Can Make a Big Diffe-
rence (2000), Malcom Gladwell émet l’hypothèse que l’influence en
réseau suit le même modèle de croissance qu’une épidémie et postule
le rôle clé joué par quelques individus pour atteindre la masse critique
qui déclenche la viralité d’un contenu.
Pourtant, en 2003, Duncan Watts remet en cause cette théorie en démontrant
que les principales connexions d’un réseau concentrent seulement 5 % des mes-
sages. C’est la densité des liens au sein d’une communauté qui serait le facteur
clé de diffusion d’un contenu.
En fait, les deux approches sont en partie valides. L’étude des réseaux sociaux
confirme que la concentration y est beaucoup plus forte que le traditionnel 20/80.
On estime que 3 % des individus concentrent 90 % de l’impact sur les réseaux
sociaux. Ce sont les « influenceurs ».

3%
Topic

90 % Profile Timing

Influenceurs Impact
S Figure 10.1 L’impact des « influenceurs » S Figure 10.2 Une influence
sur le public relative à chaque moment
et à chaque profil

210
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

Pour autant, ces 3 % sont uniques sur chaque sujet car cette capacité à générer
de l’impact est contextuelle. Ainsi, les 3 % d’influenceurs sur la « voiture élec-
trique » seront différents des 3 % d’influenceurs sur la « course automobile ». Il
n’y a pas d’influenceur universel. Il y a un petit nombre d’influenceurs spécifiques
sur chaque contexte, défini par un sujet, un profil et un moment. Et c’est au sein
de ces communautés bien définies que s’exerce l’influence.
Il faut alors remarquer que le Web est aristocratique, contrairement aux uto-
pies fondatrices d’Internet qui faisaient référence en particulier au caractère
démocratique de celui-ci par la prise en compte de la parole de chacun dans un
environnement transparent. Cela signifie que sur le Web, toutes les opinions ne
se valent pas. Seules comptent celles des plus visibles et des plus influents, qui par
le maillage de leur écosystème web vont pouvoir agir sur la perception des tiers.
Définition 4
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Le marketing d’influence ou marketing influenceur est une nouvelle disci-
pline qui cherche à identifier les influenceurs clés et développer des actions
spécifiques envers eux. Dans leur livre sur le marketing d’influence, Sam
Fiorella et Danny Brown expliquent comment les marques doivent essayer de
cibler les consommateurs tout au long de leur cycle d’achat afin d’influencer
leur décision car, selon une étude Google/TNS/Ogilvy, les avis sur les réseaux
sociaux sont la principale source d’influence des consommateurs en ligne.

2.4 Mesurer l’influence


et identifier ses influenceurs
Brian Solis (AltimeterGroup) propose trois critères pour estimer l’influence :
l’audience (reach) ; l’engagement (resonance) ; et la pertinence (relevance).
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Ces critères permettent d’identifier et de classer les individus dans leur contexte.
Pour autant, de nombreux autres facteurs peuvent être pris en compte pour
identifier les influenceurs : impact sur la communauté, profil, affinité avec la
marque par exemple.
Mesurer l’influence, c’est surtout mesurer l’impact des programmes mis en œuvre.
L’important ici est de ne pas mesurer seulement les signaux générés (nombre de
publications, de mentions) mais l’impact sur les objectifs recherchés (trafic sur
le site web, génération de prospects, ventes, activation de contenu, etc.).

211
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

Exemple 1
Des outils comme Klout, Kred ou Peerindex ont tenté des définir des scores stan-
dards d’influence qui permettent de classer chacun selon son influence. Ils ont été
très critiqués pour leur manque de pertinence contextuelle par des auteurs comme
Sam Fiorella. Plus récemment, des plateformes de nouvelle génération telles que
Traackr, Getlittlebird ou Appinions ont développé des solutions plus spécifiques et
adaptées pour aider les professionnels de la communication à identifier les influen-
ceurs, gérer leur programme d’influence et mesurer leur impact.

E N P R AT I Q U E
Le cas ASOS
ASOS est leader des ventes en ligne dans le secteur de la mode. Avec un milliard d’euros de chiffre
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d’affaires en 2013 et 40 % de croissance, ASOS a développé un modèle unique de communication fondé
sur une connexion émotionnelle très forte avec ses clients et amoureux de la mode.
Le programme
Déjà très présent sur les réseaux sociaux, ASOS a lancé fin 2013 un programme d’influence ambitieux
afin de renforcer sa recommandation de marque auprès de son cœur de cible le plus actif sur les réseaux
sociaux. Le programme #AccessAllASOS met à la disposition de ses membres des opportunités
exclusives autour de la marque qu’ils souhaiteront naturellement partager sur leurs comptes sociaux.
En leur envoyant des cadeaux de bienvenue personnalisés, en les invitant à participer à des concours
de style ou à créer des contenus originaux, ASOS encourage les participants à partager du contenu
positif authentique sur le Web.
Résultat
Avec plus de 7 500 contenus originaux créés en 4 mois par environ 700 membres, le programme a généré
plus de 12 millions d’impressions potentielles. Dans le même temps, les mentions positives spontanées
ont augmenté de 800 %. Le programme, considéré comme un immense succès, a été étendu puis
développé dans les pays où ASOS est présent.

« Une mauvaise réputation est un fardeau, léger à


soulever, lourd à porter, difficile à déposer ».
Hésiode, poète grec du VIIIe siècle av. J.C.

212
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

3 La réputation
3.1 Qu’est-ce que la réputation ?
Évaluation sociale du public envers une personne, un groupe ou une organisation,
la réputation peut se vivre harmonieusement ou être subie, mais elle s’impose.
Contrairement à l’image qui peut être façonnée, la réputation semble posséder
un caractère autonome. La réputation se conjugue exclusivement à la forme
passive : on est réputé.

Définition 5
La notion de réputation est ancienne. Elle est présente depuis que les
hommes vivent en société. C’est la perception, l’appréciation qu’autrui peut
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avoir de quelqu’un ou quelque chose. Cette expression est aussi synonyme
de renommée, c’est-à-dire d’opinion favorable ou défavorable que l’on a
d’un sujet. L’expression englobe à la fois les notions d’honorabilité, de
notoriété et d’opinions associées à un sujet. Sur un plan étymologique, la
référence latine est reputare, qui signifie « faire et refaire les comptes »,
« réfléchir » et « animer ».

Selon Henry Ford : « Les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au
bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes ! » La réputation est, en effet,
une ressource essentielle que l’entreprise doit gérer pour en retirer un avantage
concurrentiel et éviter de perdre la confiance de ses parties prenantes.

3.2 De la réputation à l’e-réputation


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Il semble évident que l’e-réputation est l’expression de la réputation appliquée


dans l’univers digital. Cependant, cette réalité est lourde de conséquences car
le monde numérique possède des caractéristiques singulières : la mémoire du
Web est infaillible. On stocke sur le Web, et on peut donc retrouver la plupart
des informations produites sur un sujet ou par un auteur. De plus, on ne peut
pas ne pas laisser de traces sur le Web (Merzeau, 2009), de sorte que les publi-
cations volontaires et les traces numériques induites par nos pratiques digitales
sont constitutives de la perception par autrui. Telle est la particularité du Web.
On voit donc que l’e-réputation est plurielle car elle concerne les individus,
les entreprises, les organisations (collectivités territoriales, associations…), les
produits et les marques. Elle est également polymorphe car elle est associée à
l’identité numérique, aux enjeux de visibilité en ligne et au cadre juridique défini
par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

213
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

3.3 Les dimensions opérationnelles


de l’e-réputation

3.3.1 L’e-réputation d’une personne


Toute activité numérique génère des traces. Certaines sont visibles, comme la
contribution volontaire d’un internaute sur un réseau social. D’autres traces
donnent l’illusion de ne pas exister ou d’être définitivement invisible. C’est sou-
vent lié au fait que les internautes, par méconnaissance, ne savent pas la quantité
d’informations que l’on peut exploiter à partir de leurs actions sur le Web.
Exemple 2
Il est possible d’identifier l’adresse IP
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d’un ordinateur connecté sur le Web
et, ainsi, d’y associer une personne
(l’abonné) pour, éventuellement, tra-
cer les trajectoires de navigation de
cet internaute.

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De l’identité individuelle à l’identité numérique


Un individu possède plusieurs identités individuelles à la fois : professionnelle,
associative, familiale, etc. L’enjeu de l’identité numérique qui se construit par les
interactions que les acteurs tissent sur le Web tient au fait que les réseaux sociaux
font cohabiter dans un même espace symbolique l’ensemble de ces identités indi-
viduelles. La difficulté réside dans l’enjeu de faire « cohabiter » une somme d’iden-
tités plurielles. Il y a donc une dynamique qui s’opère et qui, sans nécessairement
unifier les identités individuelles dans une identité unique, se doit de créer des
liens, une « forme de cohérence » qui dépasse la simple juxtaposition des identités
individuelles évoquées. C’est l’un des enjeux de l’e-réputation individuelle.

214
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

FOCUS
Un fait divers éclairant : les gérants du Super U
et les chasses en Afrique
Un couple avait publié en 2015 des photos de leur parties de chasse en Afrique sur les réseaux sociaux.
Ce couple de chasseurs de trophées exotiques avait une autre identité, professionnelle celle-là : ils étaient
gérants d’un Super U en France. Des internautes les repèrent comme chasseurs posant devant les animaux
abattus en 2019 et lancent un appel au boycott des Super U dans l’hexagone. Celui-ci devient très vite
viral et le PDG de l’enseigne intervient dans les médias pour se désolidariser des salariés et il annonce
leur départ avec « effet immédiat ». Ce cas est très éclairant sur les enjeux de l’e-réputation où l’on voit que
l’identité personnelle du couple vient télescoper leur identité professionnelle dans une proximité symbo-
lique intenable sur le Web. L’e-réputation des gérants affecte par porosité l’e-réputation de l’entreprise.
Il y a une influence et une contamination dans ce cas précis de l’entreprise et de la marque Super U par
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l’e-réputation des gérants. Les frontières entre l’intérieur et l’extérieur de l’entreprise sont alors ténues.
Pour en savoir plus : https://www.brut.media/fr/news/3-exemples-de-personnes-licenciees-suite-a-une-
publication-sur-les-reseaux-sociaux-5498c5da-431a-40e0-a7a7-141b799150ac

L’internaute est-il acteur de son e-réputation ?


Les activités digitales de l’internaute influencent son e-réputation de façon automati-
sée. Puisque toute activité en ligne produit des traces, celles-ci sont traitées de façon
automatisée par des algorithmes de moteurs de recherche et des réseaux sociaux
pour proposer un cheminement, une hiérarchisation de l’information avec un degré
de pertinence qui est directement lié à l’activité sociale en ligne de l’internaute.
Exemple 3
Facebook dispose d’un algorithme appelé « edgerank » qui va gérer les affichages des
publications d’un individu ou d’une organisation sur les fils d’actualité de ses amis. L’algo-
rithme intègre le degré d’interaction entre le sujet et ses « amis ». L’internaute, du fait de
ses pratiques numériques, va participer à classer et hiérarchiser le contenu d’une requête.
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En ce sens, par son action sur la mise en visibilité, il est un acteur de son e-réputation.

De façon plus volontaire, l’internaute peut gérer sa présence en ligne sur le mode
du personal branding en instrumentalisant et façonnant son e-réputation pour que
toutes ses traces numériques se répondent et s’articulent de manière cohérente.

Définition 6
Le terme personal branding, apparu pour la première fois en 1981 dans le
livre d’Al Ries et Jack Trout The Battle for your Mind, renvoie au concept
de « marque personnelle » selon lequel la réputation d’un individu pourrait
être gérée avec les techniques de communication utilisées pour les marques.
Appliqué au Web social, le personal branding concerne la gestion cohérente
et structurée de l’identité, de la notoriété et de la réputation numériques sur
les différents canaux numériques où l’on peut trouver des traces d’un individu.

215
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

La recherche d’emploi en ligne, par exemple, peut se faire avec des experts en
communication numérique qui vont aider demandeurs d’emploi et jeunes diplômés
à optimiser leur présence sur les réseaux sociaux et à produire un profil riche
sur des réseaux dédiés tels que LinkedIn et Viadeo. Ces descriptions visent à
valoriser la gestion rigoureuse d’un « soi » unique totalement instrumentalisé et
optimisé au service d’un objectif. La réalité est plus complexe. L’expression d’un
soi en ligne passe par des ressorts psychologiques qui dépassent la simple vision
utilitaire. Des percussions frontales des différents profils en ligne peuvent alors
exister au lieu d’une cohabitation paisible et cohérente.

3.3.2 L’e-réputation d’une organisation


Les réseaux sociaux consacrent la communication horizontale par opposition à
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la communication verticale, descendante, propre à toute organisation ayant un
mode de management pyramidal. Dès lors, la communication digitale est à la
fois une menace et une opportunité pour les organisations.
L’e-réputation : un objet de la communication digitale
Pour une organisation, l’e-réputation est une forme de prolongement en ce qu’elle
permet à toutes ses parties prenantes (clients, fournisseurs, salariés, bénévoles,
partenaires, usagers…) d’interagir en permanence sur les réseaux sociaux, de
prolonger ses ramifications et de démultiplier ses publics.
Cette communication en ligne donne aux parties prenantes le pouvoir d’intervenir
sur l’image de l’entreprise et d’influencer l’audience sans nécessairement que
l’organisation l’ait souhaité, ni puisse le maîtriser. C’est parce que l’image d’une
organisation est un actif précieux que l’e-réputation est devenue une composante
essentielle des stratégies de communication.
La confiance des parties prenantes passe par l’e-réputation. Si l’organisation
accepte le principe d’une communication horizontale et intègre dans sa démarche
stratégique le fait d’investir les réseaux sociaux, alors la communication digitale
peut couvrir toutes les formes de communication, tant commerciale qu’institu-
tionnelle, tant dans une perspective de construction que de préservation de la
réputation, en situation de crise. Dans tous les cas, l’avantage des réseaux sociaux
est qu’ils permettent de toucher directement ses publics sans passer par le filtre
ou le biais d’un traitement médiatique.
L’e-réputation : un objet du marketing digital
L’e-réputation est un objet du marketing tout autant que de la communication.
Prévoir, stimuler et co-construire les besoins des consommateurs en termes de
produit et de service passent de plus en plus par les réseaux sociaux : en ce sens,
l’e-réputation est un mode opératoire pour assurer la rencontre entre l’offre et
la demande.

216
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

L’e-réputation peut concerner une marque, un produit ou un service. L’enjeu,


pour le marketing, repose principalement dans la capacité à créer les conditions
d’une relation de confiance avec les internautes afin de les conduire à se livrer,
donner de l’information, partager leurs avis et ainsi créer les conditions de la
production d’une offre adaptée à leurs attentes, non plus supposées mais clai-
rement exprimées par eux-mêmes sur les réseaux sociaux.

4 E-réputation et enjeux de société


Parce que toute activité numérique génère des traces, visibles et invisibles, qui
sont constitutives de l’identité numérique d’un individu, l’e-réputation pose des
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questions de société, comme le droit à l’oubli, la colonisation numérique dont
le RGPD est une réponse juridique apportée par l’union européenne à ces
phénomènes digitaux.

4.1 Le marché de l’e-réputation


Très récent, le marché de l’e-réputation est encore principalement constitué de
professionnels qui proposent des services de « déréférencement », soulignant en
cela la manière dont l’e-réputation est le plus souvent appréhendée : une menace
dont l’internaute et l’organisation doivent se prémunir.
Les services de « déréférencement » proposent de désindexer les conte-
nus incriminés sur le Web et plus particulièrement sur le moteur de
recherche Google qui possède en Europe une position dominante. Dans
les faits, seul Google peut désindexer un contenu de sa propre initiative
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sur son moteur de recherche. Ces professionnels vont donc « noyer » le


Web de contenus positifs avec des tactiques très opérantes pour jouer
avec les algorithmes de Google et placer les contenus négatifs dans les
profondeurs des résultats des principales requêtes associées au sujet.
À côté de ces professionnels – qualifiés souvent à tort de « nettoyeurs du Web » –
apparaissent de nouveaux services associés à l’e-réputation. En France, depuis
2012, des compagnies d’assurances proposent au grand public un nouveau produit
qui consiste à s’assurer contre le risque d’une mauvaise réputation en ligne, à
l’image de Swiss Life. C’est un marqueur supplémentaire de la représentation
collective de l’e-réputation comme un danger potentiel.

217
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

Le marché de l’e-réputation est également constitué de nouveaux métiers.


■■ Le community manager : sa mission consiste à intervenir sur les réseaux
sociaux pour animer et réguler une médiation dans les échanges horizontaux
en ligne ; il intervient le plus souvent de façon nuancée et subtile pour ne pas
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apparaître comme un censeur en ligne.
■■ Le référenceur Web : il prend appui sur une expertise fine des tactiques d’in-
dexation des algorithmes des moteurs de recherche pour mettre en visibilité
par une indexation pertinente le sujet considéré sur les principaux champs
lexicaux associés aux requêtes des internautes.
Enfin, sur un autre plan, le marché des données personnelles s’inscrit dans ce
marché émergent de l’e-réputation :
– selon une étude publiée par le Boston Consulting Group (2013), le marché
des données personnelles aurait représenté 300 milliards de dollars en 2013
en Europe et pourrait atteindre 1 000 milliards de dollars à l’horizon 2020 ;
– selon cette même étude, la monétisation de la traçabilité complète d’un
Européen, c’est-à-dire d’un internaute à fort pouvoir d’achat, est de 600 euros.

4.2 E-réputation et RGPD


Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) est une loi
européenne unique qui s’applique à l’ensemble des pays de l’Union de la même
façon (c’est le sens juridique du terme « règlement »). En France, le RGPD s’ins-
crit dans la continuité de la loi informatique et libertés de 1978 et renforce le
contrôle par les citoyens de l’utilisation des données personnelles les concernant.
Au niveau du citoyen, celui-ci peut, par exemple, solliciter un moteur de recherche
pour déréférencer un contenu (ne plus le rendre visible sur des requêtes du moteur
de recherche). Cela est possible si ce contenu a un impact sur sa vie privée, si le
contenu est obsolète ou relève de fake news ; sans pour autant que cela affecte
le droit d’informer, le droit de la presse…
Au niveau des entreprises, celles-ci sont à présent responsables des données per-
sonnelles qu’elles utilisent : de la collecte, au stockage en passant par l’intégrité

218
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

de celles-ci. De plus, l’entreprise se doit de mettre en place une procédure de


consentement explicite de l’utilisateur qui agit sur son écosystème digital.
On voit donc que le but du RGPD est de créer un environnement favorable à
la confiance entre professionnels et usagers avec un rééquilibrage des pouvoirs
d’action en faveur de l’usager pour qu’il ne subisse pas sans son accord explicite
une forme de colonisation numérique.
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S Le but du RGPD (source : www.cnil.fr)
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S Le RGPD pour les entreprises (source : www.cnil.fr)

219
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

Quel est le lien entre blockchain et réputation ?


La blockchain est avant tout une technologie de
3 questions à stockage et de transmission d’informations transparente,
sécurisée et fonctionnant de manière décentralisée.
Fabien Qualifiées par The Economist en 2015 de « machine
Aufrechter à confiance », les technologies blockchain dessinent
Head of Havas Blockchain, un nouveau paradigme où la confiance n’est plus entre
Havas Paris les mains de tiers (selon le modèle des GAFA ou des
BATX) mais répartie en réseau entre les utilisateurs des
services ou des produits. La réputation ne concerne plus
uniquement l’entreprise mais aussi l’ensemble du réseau
que celle-ci implique.
Ces réseaux s’appuient sur des protocoles dont la valeur est
elle-même mesurable en temps réel. Ceux-ci fonctionnent
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grâce à l’émission de valeurs digitales (crypto-monnaies)
compensant les coûts de l’énergie des ordinateurs sécurisant
les réseaux (minage). La valeur de ces crypto-monnaies
dépend tant de facteurs économiques (offre et demande)
que de facteurs réputationnels. Une simple annonce
négative peut bouleverser le cours d’une crypto-monnaie
et, à l’inverse, une annonce positive vérifiée ou non vérifiée
peut entraîner des « pump » vertigineux. Dans l’écosystème
blockchain, l’entreprise doit donc être en totale maîtrise
de sa réputation offline et online, et cela avec vigilance
et professionnalisme.
Comment la « blockchain economy » réinvente-t-elle
les Relations Publics ?
Les acteurs de l’écosystème blockchain sont divisés en deux
catégories : celle des prestataires se rattachant généralement
à l’économie traditionnelle d’une part, soit des entreprises
tokenisées (autrement dit rattachées à une devise digitale,
qu’il s’agisse d’une crypto-monnaie ou d’un autre type
de valeurs) d’autre part. Dans ce cas, la valeur de ces devises
digitales est liée à deux variables que sont l’offre
et la demande. La réputation, elle aussi, est un facteur
clé sur laquelle elles doivent s’appuyer pour augmenter
leurs valeurs et financer leur développement.
Les Relations Publics ne se limitent donc pas
à la réputation mais deviennent de facto un enjeu
financier. Et cela en capitalisant sur des « publics »
qui sont pour certains strictement technologiques puisque
les écosystèmes blockchain sont structurés avant tout
sur des machines ou des pools de machines qui sécurisent
les transactions.

220
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

Quelles sont les spécificités des campagnes


de communication crypto ?
Les technologies blockchain et la communication
partagent un même terrain de jeu : celui de la confiance
et de la réputation. Et elles se structurent sur des logiques
croisées : celles de communautés et de « gamification »
car les publics visés sont souvent jeunes, digital natives
et internationaux. Les spécificités des campagnes
de communication crypto sont donc internationales
(car 100 % digitales) et particulièrement rapides
dans la mesure où, par exemple, les opérations de levées
de fonds en crypto-monnaies (ICOs) ne durent jamais plus
de 3-4 mois.
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221
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

Les points clés


¼¼L’opinion est un avis, une conjecture, une croyance, une illusion ; contrairement
à une vérité scientifique, elle ne relève pas de la connaissance rationnelle.

¼¼Les sondages ne sont pas l’opinion publique, ils en sont l’instrument de mesure.

¼¼Selon la théorie de l’agenda setting, les médias ne disent pas au public ce


qu’il doit penser mais ce à quoi il doit penser : ils accordent de l’importance
à telle ou telle information en la mettant à l’agenda.

¼¼L’horizontalité des formes de communication sur les réseaux sociaux remet


en cause l’action traditionnellement « descendante » de l’influence.
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¼¼Des outils informatiques existent pour identifier les influenceurs, gérer les
programmes d’influence et en mesurer l’impact.

¼¼Toute activité numérique génère des traces visibles et invisibles.

¼¼Le terme « personal branding » qualifie la démarche d’un individu qui


applique les techniques de communication des marques à la gestion de sa
présence en ligne.

¼¼Les réseaux sociaux permettent de toucher directement les publics sans


passer par le filtre ou le biais d’un média.

¼¼Le RGPD est un règlement européen qui s’applique de la même façon dans
l’UE avec une volonté de créer transparence et confiance dans l’économie
numérique et lutter contre la position dominante des GAFAM.

222
Chapitre 10 Opinion, influence, (e-)réputation

APPLICATIONS ! Corrigés p. 281

4 Pour une entreprise, l’e-réputation est :


QCM a. un enjeu qu’elle peut parfaitement maîtriser si elle
s’en donne les moyens.
Une seule bonne réponse est possible pour chacune b. une menace car elle ne maîtrise pas ce que les
des questions. internautes disent à son sujet.
c. un enjeu stratégique car cette notion affecte de plus
1 La notion de réputation est : en plus le capital symbolique de l’entreprise, à savoir
a. récente car elle est associée au développement du
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son image.
Web 2.0. d. un sujet qui ne la concerne pas si elle n’a pas d’ac-
b. concomitante à la création du Web au début des tivité en ligne.
années 1990.
c. une notion très ancienne qui fait référence princi-
palement à l’honorabilité et la notoriété d’un sujet.
5 Le RGPD :
d. associée au développement des applications a. est un droit nouveau qui va pouvoir s’appliquer sur
mobiles. l’ensemble de la sphère web.
b. est une volonté de développer l’e-commerce.
2 Les fake news sont liées : c. est un projet de règlement européen qui cherche
à consacrer le droit à la vie privée des individus.
a. à la perte d’influence du discours des « experts »
d. est un règlement qui s’applique de la même façon
par rapport aux discours des « amateurs ».
dans l’UE pour créer confiance et transparence dans
b. à l’avènement du Web.
l’univers digital.
c. à l’émergence du Web mobile.
d. à la création du RGPD.

3
Question
L’enjeu de l’e-réputation pour un individu :
a. est de bien faire cohabiter la somme de ses identités
individuelles en ligne.
de réflexion
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b. est de transformer impérativement son identité en


ligne en « marque » personnelle.
c. est de monétiser ses données personnelles collec-
tées. 6 L’e-réputation
d. est de trouver un équilibre pour faire cohabiter en Quels sont les enjeux de l’e-réputation pour l’inter-
ligne la somme de ses identités individuelles visibles. naute ?

223
Chapitre 11
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P
endant que les marques cherchent à s’insti- termes renvoient tantôt à des techniques, tantôt
tutionnaliser comme des repères forts dans à des pratiques, tantôt à des concepts. Quelle que
la vie des consommateurs, les institutions soit la terminologie utilisée, la communication
– ensemble hétérogène d’organisations privées, institutionnelle mobilise des méthodes et des
publiques ou hybrides – adoptent les codes des techniques qui mettent en scène, en sens et en récit
marques et inscrivent leurs prises de parole dans les organisations face à leurs différents publics :
une logique de mise en lien et de mise en visi- collaborateurs, parties prenantes (actionnaires,
bilité. Quitte à « surprendre » comme le montre décideurs publics, etc.), opinion publique…
cet exemple, lorsque de « vénérables » institutions
s’ouvrent au regard des autres et au discours sur soi.
La généralisation de la communication institu-
tionnelle qui supplante la communication publici-
taire marque la prééminence du discours de l’être
(valeurs, rôles et engagements) sur un discours de
l’avoir (possessions matérielles, consommation)
et du faire (compétence technologique).
La communication institutionnelle est com-
plexe. Elle recouvre de nombreux champs et de
multiples pratiques, qui évoluent dans le temps
et surtout dans l’espace professionnel où elle est
exercée. Communication globale, communication
intégrée, communication corporate ou stratégique, S Annonce institutionnelle du musée des Arts
relations publics, relations extérieures… Ces décoratifs (© MAD, Paris/Jean Tholance/Agence
BETC)
La communication
institutionnelle
Plan
1 La communication institutionnelle : produire du sens
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et organiser une place . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226
2 La communication institutionnelle à la conquête de l’espace public 232
3 Les défis de la communication institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
4 La communication institutionnelle des pouvoirs
et des services publics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240

Objectifs
¼¼Comprendre la part « institutionnelle » de la communication dans la vie et
le développement des organisations
¼¼Prendre la mesure du rôle (positif ou négatif) des « parties prenantes »
dans la communication des entreprises et des institutions
¼¼Mesurer l’effet des réseaux sociaux sur la temporalité
de la communication, sur l’éclaircissement ou le brouillage des messages
et sur les enjeux de la réputation
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

1 La communication
institutionnelle : produire
du sens et organiser une place
La communication institutionnelle n’est pas un simple ornement de l’organisation,
elle agit sur elle dans la mesure où elle désigne, nomme et qualifie ses actions
et ses acteurs : en ce sens, elle l’organise.
Crozier et Friedberg estiment que l’organisation est « un construit humain qui
n’a pas de sens en dehors du rapport à ses membres » (1977). Cette définition
met l’accent sur les actes de communication dans les organisations (langages,
discours, pratiques) ainsi que sur les pratiques informationnelles et communica-
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tionnelles qui y coexistent. En ce sens, la communication institutionnelle est une
communication organisante et organisée car elle permet la constitution d’une
organisation, elle lui donne sa cohérence et définit son action.

1.1 Un vocable multiple : les aventures


d’une dénomination
Selon les pays, la communication organisationnelle recouvre des pratiques
professionnelles différentes :
■■ les pays anglo-saxons mettent l’accent sur la volonté des acteurs d’organiser
l’interface entre une organisation et ses publics et utilisent le terme « relations
publiques » ;
■■ au Brésil, on parle de « communication intégrée » pour insister sur le processus
croissant d’imbrication des différentes composantes et inviter à penser la
dynamique entre communication institutionnelle, communication de marché,
communication interne et administrative ;
■■ en France, la notion de « communication de marque » (marque-entreprise,
marque-employeur) gagne du terrain mais de nombreux professionnels refusent
d’appliquer le modèle unique de la relation client et défendent avec force le
vocable de communication relationnelle, voire conversationnelle, voyant la
communication institutionnelle – ou « relations publics » – comme celle qui
construit et anime les relations de l’organisation avec ses publics.

226
Chapitre 11 La communication institutionnelle

1.2 La communication institutionnelle :


une définition opérationnelle
Les organisations ont recours à la communication institutionnelle pour construire
leur visibilité, leur réputation et leur place dans l’espace public, souhaitant donc
aller au-delà de leurs marchés. À travers un travail de mise en signes, de mise en
récit et de mise en relation, elles se donnent à voir et à lire au plus grand nombre
selon un système codifié, cohérent et reconnaissable.

Définition 1
Le terme d’organisation est un terme générique qui recouvre autant des
entreprises que des institutions publiques ainsi que des organismes du secteur
associatif. Il existe des organisations dans tous les secteurs d’activité : sec-
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teur commercial lucratif et concurrentiel intervenant sur les marchés par la
production et commercialisation de biens et de services (grandes, moyennes
et petites entreprises), secteur étatique (ministères, organismes publics) et
administratif (collectivités territoriales, villes, départements, régions), secteur
culturel (musées et théâtres publics ou privés). Toute organisation assemble,
structure et coordonne des moyens (humains, financiers et techniques) en vue
d’atteindre un ensemble d’objectifs qu’il s’agit de faire connaître et partager
avec ses parties prenantes, internes et externes. Le terme désigne également
les associations ou ONG, secteur en fort développement et qui recouvre
des réalités locales, nationales ou internationales (tel le WWF ou Oxfam).

La communication institutionnelle est le plus souvent multi-objectifs, multi-


publics et multi-techniques. Elle agit comme une matrice qui englobe un triptyque
performatif constitué par :
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■■ le discours institutionnel destiné à mettre en avant le rôle de l’entreprise, sa


place et sa responsabilité ;
■■ le discours de la marque, prometteur d’une expérience, voire d’une commu-
nauté régi par une norme relationnelle ;
■■ le discours de l’organisation en tant qu’entité productive, espace de travail et
de relations professionnelles.
Cet ensemble d’informations et de narrations concernant l’organisation propose
un sens, une signification et un but dans lesquels celle-ci informe ses publics, se
présente et se raconte en racontant le monde.
L’avènement des TIC a renforcé et amplifié la société du jugement1, donnant à
l’opinion publique un pouvoir démultiplié. Les réseaux sociaux ajoutent un lieu

1 Nicole D’Almeida, La Société du jugement, Armand Colin, Paris, 2007, p. 225.

227
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

de jugement de premier ordre, conférant aux publics une tribune amplifiée par les
dynamiques conversationnelles. Les organisations doivent donc assurer leur pré-
sence dans les conversations sur les réseaux sociaux et dans les médias. Elles créent
aussi leurs propres médias à destination de leur public interne (intranet, journaux
d’entreprises) et à destination des publics externes (blogs, newsletters, vidéos…).
Le progrès des offres technologiques comme Watson pour Microsoft ou encore
sur Facebook Messenger à partir de 2016 ont bouleversé la donne en instaurant (et
consacrant) le mode conversationnel des organisations avec leurs parties prenantes.
La maîtrise de plus en plus fine (et de plus en plus courante) du langage naturel, des
intelligences artificielles, a permis aux marques et aux institutions d’instaurer de
façon automatisée des conversations, via les chatbots (voire les « cleverbots ») qui
construisent une nouvelle proximité et un rapport au temps inédit, plus spontané,
plus immédiat. D’abord limitées aux informations techniques, les conversations
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deviennent de plus en plus élaborées pour être récréatives ou pédagogiques.
Le besoin relationnel, déjà construit sur et par les réseaux sociaux s’intensifie :
l’institution, sur le modèle de la marque, doit répondre à tous et à toutes, tout
de suite. Une nouvelle expérience « conversationnelle » voit le jour, qui va en
s’intensifiant. Les institutions ont « lâché prise » sur les conversations sociales
des réseaux sociaux et privilégient une relation plus directe, en animant leurs
communautés. Ces conversations, initiées au début via des claviers, sont en
train de migrer vers la voix, accentuant la proximité et l’immédiateté… La
communication institutionnelle est en train de changer son régime de langage,
sa temporalité comme son rapport à ses publics.
L’intensification du mode conversationnel vient grandement renforcer l’approche
anglosaxonne de la communication institutionnelle, retenue par la PRSA (Public
Relations Society of America)1 , qui implique un processus de rétroaction per-
pétuelle entre l’organisation et ses publics. La communication ne peut être uni-
directionnelle, elle est toujours relationnelle, elle est portée, formée, déformée
ou reformée par des conversations.

Définition 2
Le terme de parties prenantes est issu de la pensée économique américaine
(Freeman, 1984). Il désigne l’ensemble des publics internes et externes qui
peuvent être touchés directement ou indirectement par les activités d’une
organisation. Le terme, adapté de l’anglais stakeholders, s’est généralisé
dès lors que sont prises en compte des nouvelles pratiques de gestion des
organisations : engagement envers le bien public et les générations futures ;
considérations environnementales, économiques et sociales ; responsabilité
sociale et développement durable ; transparence, etc.

1 www.prsa.org

228
Chapitre 11 La communication institutionnelle

La communication est un moyen efficace pour améliorer la coordination des


activités, des représentations, des discours et harmoniser les rationalités multi-
ples qui coexistent ou s’opposent au sein des entreprises. Au fil du temps et de
l’élargissement de l’espace public, l’objectif poursuivi devient celui de faciliter
l’action d’une organisation, de la faire connaître et de la faire comprendre sinon
accepter :
■■ vis-à-vis de son public interne pour passer du « faire » au « faire faire », puis
au « faire ensemble » ;
■■ vis-à-vis de ses publics externes en rendant compréhensible voire acceptable
son action dans l’espace public.

1.3 La communication institutionnelle :


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une tension permanente
entre la société et le marché
Selon les moments et les objectifs, la communication institutionnelle oscille
entre deux pôles : le versant social et le versant commercial, suscitant dans les
discours tantôt un ancrage sur les valeurs sociétales (mise en avant d’un rôle
social), tantôt sur l’avantage concurrentiel des produits ou marques (mise en
avant d’un imaginaire de marque).
La communication institutionnelle consiste à produire :
– un ensemble d’informations légales (obligatoires) et volontaires : au volume
d’informations qui ne cesse de se renforcer sous l’impulsion des réglemen-
tations nationales (reporting financier, informations RSE), européennes
et internationales s’ajoutent des informations volontairement données par
l’organisation sur des aspects qui lui semblent importants ;
– un ensemble de productions narratives dans lesquelles peut être repéré un
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mouvement particulier, de contraction ou d’ouverture1.


Selon N. D’Almeida, les « récits de la maisonnée »2 mettent en scène des valeurs
internes puisées dans l’histoire de l’organisation, ils dressent les contours d’une
identité particulière, ils sont destinés à un public principalement interne qu’ils
ont pour mission de souder, ils mettent en scène une communauté en action :
ceci renvoie par exemple aux livres-mémoires d’entreprises.
Les « récits de l’engagement » font appel à des valeurs universelles, renvoyant
à une identité universelle, à l’humanité et au bien commun. C’est par exemple
l’engagement de Danone au service de la santé ou de Monsanto au service de la
réduction de la faim dans le monde.

1 Nicole D’Almeida, Les promesses de la communication, PUF, coll. « Sciences, modernités,


philosophies », 2001-2012, p. 260.
2 Ibid.

229
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

FOCUS
La communication institutionnelle de GRDF
Prendre l’opinion à contre-pied, tel est le parti-pris de GRDF pour modifier la perception que les Français
ont du gaz et se positionner comme un acteur majeur de la transition énergétique. Plutôt qu’un discours
technique ou institutionnel, le distributeur de gaz naturel opte pour des textes directs et des visuels
décalés. La vision et la raison d’être de GRDF sont encapsulés dans un hashtag : #LeGazCestLavenir.
Opportunément lancée en amont du Salon de l’Agriculture de 2018, la campagne mise sur l’humour
pour faire savoir que la France produit du gaz naturel vert, 100 % renouvelable, à partir de déchets
organiques issus de cultures agricoles et de déchets ménagers. Conseillé par son agence Rosapark,
GRDF n’hésite pas à casser les codes de la communication institutionnelle pour mieux faire passer son
message, pas tant auprès des agriculteurs que de ceux qui ont les choix énergétiques entre leurs mains.
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© GRDF, Rosapark

L’entreprise se met en récit et se met en phase avec les attentes de la société. La


communication d’entreprise peut être comprise comme la récitation continue
de ses succès passés, présents ou à venir.
Produits par l’organisation, ces récits construisent de l’unité dans l’éclatement,
du sens dans le bruit et une présence continue dans la discontinuité de l’envi-
ronnement économique secoué par des crises. Ils ont pour fonction d’attirer
l’attention du public pour l’influencer, l’émouvoir, renforcer ou « positionner »
une idée, un concept, un enjeu, un service ou un produit. Ces récits sont pro-
téiformes, ce peut être :
– le récit de la création de soi (particulièrement dans les secteurs high tech où
récit de l’innovation et récit de l’entreprise s’entremêlent) ;
– l’autobiographie ou biographie patronale (entrepreneurs, dirigeants, man-
dataires) ;
– l’esthétique des organisations (identités visuelles, uniformes des collabora-
teurs…) ;

230
Chapitre 11 La communication institutionnelle

– l’architecture des entreprises (architectures extérieures des sièges sociaux et


des fondations – Fondation Louis Vuitton – ainsi que les architectures inté-
rieures – lounges des sièges de Microsoft/Yahoo/Google… – qui mettent en
scène l’expérience du collaborateur et du groupe de travail).

FOCUS
La Fondation Louis Vuitton
Inaugurée à Paris en octobre 2014, elle s’est rapidement imposée comme un haut lieu de la culture
contemporaine. Bernard Arnault s’exprime ainsi sur sa Fondation, réalisée par l’architecte Franck
Gehry : « Quand j’ai parlé [...] aux cadres du groupe LVMH à qui je faisais visiter la Fondation en
avant-première, j’ai souligné que l’immeuble de Frank reflétait trois valeurs de notre groupe : la créativité
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[…] ; la qualité […] et la détermination […]. Cette fondation d’entreprise illustre la proximité historique
de Louis Vuitton avec les artistes [...]. Je voulais surtout que tous les collaborateurs de notre groupe
puissent profiter de cette aventure magnifique, qu’elle leur soit, en quelque sorte, dédiée. Un mécénat
comme celui-là permet de les rassembler autour d’une forme de transcendance, au-delà des produits,
de la profitabilité, des parts de marché, des cours de Bourse… »1
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Iwan Baan for Fondation Louis Vuitton © Iwan Baan 2014 © Gehry partners LLP

1 « Bernard Arnault lève le voile sur sa Fondation », Le Figaro, 20 septembre 2014.

Aujourd’hui, le récit organisationnel tend à migrer vers une perspective marketing


et de marque, réorganisant ainsi les frontières entre marketing et communication.
Cette multiplication des récits qui donne naissance au « marketing de contenu »
ou « brand content » fait osciller la communication institutionnelle de la problé-
matique sociétale à la problématique de marché.

231
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

2 La communication
institutionnelle à la conquête
de l’espace public
Avec la création des premières directions de la communication à partir des
années 1970, la communication devient un nouveau champ d’action pour l’en-
treprise. La communication institutionnelle désigne alors des pratiques dont on
attend la création d’une valeur ajoutée, immatérielle mais puissante : goodwill,
image, réputation, confiance, crédibilité.
La communication institutionnelle répond au besoin des organisations d’inscrire
leur présence dans l’espace public en générant des cadres de confiance : elles
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choisissent les valeurs qui les représentent et les mettent au service de leur action.

2.1 Installer et organiser la confiance


Toute organisation a une dimension instituante : elle résulte d’une action collec-
tive, structure les cadres de l’action, modèle les représentations en présence et
définit des places et des styles de comportement. De même que les institutions
produisent des lois, des règles, des normes et des valeurs, la communication
institutionnelle définit les contours et la tonalité de l’action.
La communication institutionnelle produit une image identifiable et prévisible
dans un contexte de bruit et de concurrence. Instituer la confiance entre l’or-
ganisation et ses parties prenantes est l’une des grandes raisons d’être de la
communication institutionnelle.
Cette confiance instituée et instituante prend plusieurs formes, notamment :
■■ le classement qui oriente les jugements des consommateurs et qui se traduit
par un ensemble de palmarès dont la presse fait régulièrement état (palmarès,
guides, tableaux de produits) et cherchent à être classées (Best place to work,
associations de consommateurs) ;
■■ la certification (des produits, des services et même de l’information livrée),
qui conforte ces jugements ;
■■ l’identification qui vise la continuité et la routinisation des choix par exemple
sous l’effet de labels reconnaissables. Les entreprises, ainsi que les organisa-
tions en générales souscrivent à des normes, des labels et des certifications
qui rendent visible une conformité normée (Afnor), labellisée (Label Rouge)
et certifiée (ISO) ;

232
Chapitre 11 La communication institutionnelle

■■ des institutions de médiation : les entreprises créent des instituts (Danone,


L’Oréal), des laboratoires (Garnier, FNAC), des fondations (Cartier, EDF) ;
■■ la recommandation des usagers pour les usagers dont l’objectif est d’intégrer
l’expérience utilisateur comme effet de preuve de la vérité de la promesse
(Louis Vuitton).
La construction de la confiance procède de l’instauration de points de repère
visibles, de garanties objectivées, attestées et reconnaissables. Pour ce faire, la
communication institutionnelle organise les signes d’un engagement (signature
de chartes, soutien de causes humanitaires et sociales, engagements environne-
mentaux) et manifeste la volonté de l’organisation de tenir sa parole. La commu-
nication institutionnelle peut être comprise comme un système de promesses
voire comme la déclinaison d’une sorte de code de l’honneur : par exemple,
l’honneur de Danone, c’est la santé.
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Les garanties extérieures de la qualité des produits et services de l’entreprise,
de son action et de son engagement irriguent la communication institutionnelle
et ont pour but de rassurer et orienter les publics.
En 2018, dans le sillage de la loi Pacte et sur l’initiative du think tank Terra
Nova, de nouveaux mouvements naissent autour de la contribution positive des
entreprises à la société et au bien commun. L’entreprise contributive prend la
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responsabilité de produire plus d’impacts positifs sur son écosystème que d’ef-
fets négatifs. La communication de l’institution devient la communication de
la contribution, organisée par l’implication, la participation, les initiatives, les
modes partagés de gouvernance et de représentation. Deux événements forts
sont venus marquer cette nouvelle danse entre le « bien » et « l’économique » – le
discours d’Emmanuel Faber, PDG de Danone sur le campus d’HEC en juin 2016
(qui a été une première dans la communication institutionnelle d’un grand patron
du CAC 40), où il déclare notamment : « Sans justice sociale, il n’y aura plus
d’économie, poursuit-il. Les riches, nous, les privilégiés, nous pourrons monter
des murs de plus en plus hauts […] mais rien n’arrêtera ceux qui ont besoin de
partager avec nous. Il n’y aura pas non plus de justice climatique sans justice
sociale. » En évoquant la figure de son frère schizophrène, il invite la sphère

233
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

économique à une dynamique plus inclusive, mettant en place un nouveau récit


de la performance nourri par la contribution sociale et sociétale des entreprises.
Deux ans plus tard, le « Mouvement pour une économie bienveillante » est lancé
par Gonzague de Blignières et Clara Gaymard, qui ont fondé et dirigent la
société d’investissement RAISE. Leur idée : réconcilier le monde de l’économie,
celui de la philanthropie et de la RSE. Le tout en se basant sur le fait que « la
générosité et la bienveillance en faveur de son écosystème permet à l’entreprise
d’être meilleure pour la société et plus performante1 ». Le mouvement a réuni
un mois après son lancement près de 1 500 signatures de personnalités et d’en-
treprises de tous horizons.
Les organisations ont besoin de donner des cadres structurants et crédibles, le plus
souvent distants de l’économique et du strictement commercial en phase avec les
préoccupations de la société. La loi Pacte du 22 mai 2019 est destinée à accom-
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pagner la croissance des entreprises françaises tout en repensant leur place dans
la société. Inspirée par les travaux menés à l’École des Mines et par le rapport
Notat-Senard, elle définit un nouveau type d’entreprises, « les sociétés à mission »,
dont les statuts mentionnent une raison d’être, énoncent un ou plusieurs objectifs
sociaux et environnementaux menés en parallèle de l’activité ainsi que les modalités
de suivi et d’exécution de la mission (point vérifié par un organisme indépendant).
S’opère ainsi un certain rapprochement avec l’Économie sociale et solidaire (ESS)
qui repose sur un équilibre entre économie et responsabilité sociétale. Le secteur
de l’ESS garde cependant sa spécificité par son type d’organisation qui prend la
forme de coopératives, mutuelles, associations ou fondations. Dans le débat suscité
sur le sujet de la mission (auquel le MEDEF était d’abord hostile, préférant une
« responsabilité volontaire ») se remarquent des espoirs (mise en évidence du sens
et du « purpose »), des craintes (green ou social washing) et des ralliements de
grandes entreprises. Un cadre légal est à présent donné à des entreprises qui sou-
haitent s’engager formellement à mettre en œuvre des moyens concrets permettant
d’accomplir la mission inscrite dans les statuts selon des critères précis et exigeants.

2.2 Établir et protéger sa réputation


dans un espace élargi
Comme abordé dans le chapitre précédent, la réputation participe de la logique
de l’honneur au sens où elle est la capacité reconnue à être sujet de sa parole,
à tenir ses engagements et ses promesses. La réputation suppose un travail
développé et orchestré par la communication institutionnelle qui en instaure les
fondements en sélectionnant les attributs distinctifs, les objets d’information et

1 « Entreprises contributives, à mission ou bienveillantes : de quoi parle-t-on ? », Novethic, 04/2018.

234
Chapitre 11 La communication institutionnelle

de diffusion et en en facilitant l’apprentissage et la mémorisation de ces carac-


téristiques par les individus. La mesure de la réputation fait l’objet de nombreux
travaux et publications : les baromètres d’image et de réputation se multiplient
et reposent sur des méthodologies variées, d’inspiration quantitative ou quali-
tative. Les directions de la communication sont aussi de grands consommateurs
et prescripteurs de sondages, permettant de les situer dans leur environnement.

Définition 3
La réputation est un actif immatériel alimenté par la perception que les
publics se font d’une organisation, principalement à partir de son compor-
tement passé, présent et laissant présager ce qu’il sera à l’avenir.

La généralisation de la communication institutionnelle qui supplante la com-


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munication publicitaire marque la prééminence du discours de l’être (valeurs,
rôles et engagements) sur un discours de l’avoir (possessions matérielles) et du
faire (compétence technologique).
Les choix rhétoriques et techniques mobilisés par la communication institu-
tionnelle doivent être en phase avec les sociétés. L’échelle spatiale sur laquelle
interviennent les organisations ne cessant de s’élargir à l’heure de la mondia-
lisation, les communicants opèrent des choix dans le mode d’adresse à leurs
publics : choix globaux et internationaux (stratégie de Coca-Cola ou de L’Oréal
qui interviennent sur tous les continents selon le même registre), interventions
déclinées ou adaptées à des aires culturelles spécifiques. La globalisation des
messages est une tendance lourde, elle anime la dénomination même des orga-
nisations qui adoptent des consonances reconnaissables dans toutes les langues.
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3 Les défis de la communication


institutionnelle
3.1 Face à la montée en puissance du réseau :
une nouvelle articulation du vertical
et de l’horizontal
Avec la recomposition de l’organisation du travail (mobilité, déterritorialisation,
travail à distance, internationalisation, porosité entre vie privée et vie profession-
nelle, émergence du collaboratif…) et la généralisation des TIC qui contiennent

235
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

un fort potentiel de surinformation et d’interactivité, la communication institu-


tionnelle connaît de nouvelles formes et de nouveaux enjeux.
Ces mutations, portées par les technologies de l’information et de la communica-
tion, engendrent des pratiques d’échange qui dépassent largement les frontières
de l’organisation. Il s’agit de repenser l’organisation et son efficacité : l’avènement
de l’entreprise en réseau remodèle les rapports internes/externes et redéfinit les
processus de coordination.
Désormais, la communication institutionnelle se trouve au cœur d’un processus
de rétroaction : les cibles deviennent productrices et plus seulement réceptrices
de messages, le consommateur d’information devient lui-même producteur
d’information, sans passer par le filtre des médias traditionnels. Cette récur-
sivité nouvelle inverse les rapports de force entre citoyens, consommateurs et
organisations/institutions.
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Elle modifie totalement les principes d’action antérieurs qui reposaient sur la
verticalité (logique top-down) et participe d’une verticalité de l’échange qui
se complexifie ainsi (multiplicité des émetteurs, prolifération de messages aux
statuts variés).
Les nouveaux médias contrarient la gestion de l’opinion. « Le dir’com doit
accepter qu’il ne maîtrise plus seul la communication, que les voix ne sont
plus uniquement officielles et que la diffusion de l’information est très accélé-
rée », analyse Stéphane Billiet, président de We agency. Il ajoute : « Passer des
messages, structurer une communication devient complexe lorsqu’il faut faire
vite et qu’en même temps la dimension émotionnelle s’exprime sur les médias
sociaux ! Cette évolution est aussi une opportunité pour la profession : tout le
monde a compris le risque à laisser des messages extérieurs ou hostiles circuler
sans réagir. »

3.2 Face à l’extension de la société


du jugement
La société du jugement (comme dynamique d’opinions croisées) est désormais
armée de plateformes et de forums, son action est démultipliée par la conver-
sation des réseaux sociaux. Cette évolution redéfinit la relation de l’entreprise
avec ses publics et la restructure en profondeur.

3.2.1 Le public interne


Les collaborateurs sont désormais considérés comme des sources puissantes
de crédibilité et donc en un sens comme les ambassadeurs de l’organisation à

236
Chapitre 11 La communication institutionnelle

laquelle ils appartiennent. Le contrat qui lie l’entreprise et ses salariés suppose
de nouvelles manières de collaborer, d’adhérer, de concourir au rayonnement
de l’organisation. Le discours unificateur de la communication institutionnelle,
diffusé autrefois par une source centralisée et souvent unique (le dirigeant
comme seul agent de personnalisation et la direction de la communication),
éclate en de multiples visages sur les réseaux sociaux. L’inscription sociétale
d’une organisation passe également et fortement par des réseaux sociaux tels
Twitter ou Linkedln, ce qui pèse fortement sur les enjeux de réputation. Ce sont
les voix, les textes et les visages des collaborateurs qui nourrissent la diversité
des points de vue émis, leurs discours qui appuient (ou contredisent) l’expertise
et la crédibilité de l’entreprise, leur activité conversationnelle qui assure l’exten-
sion voire la prolifération de la marque dans l’espace public : ils constituent de
nouveaux « leviers sociaux ». Les valeurs de l’entreprise (et leur adéquation avec
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les pratiques) sont mises en discussion, souvent avec véhémence. Le départ de
la CEO du groupe Engie en février 2020 a été accompagné en interne par une
pétition de soutien signée par près de 1 800 collaborateurs.
La communication institutionnelle reste puissance organisatrice, elle fournit
un certain nombre de contenus et de récits partageables mais que les publics
traduisent en jugements concordants, contrastés ou opposés.
Dans cette perspective phatique et polyphonique, la communication institu-
tionnelle se dote d’une nouvelle fonction éditoriale car il s’agit de fournir aux
collaborateurs un contenu riche, optimisé selon leur profil et ce d’une façon
continue : le rythme et le séquencement temporel constituent les conditions de
performance et de pérennité de l’échange avec les publics.

3.2.2 Les publics externes


Les parties prenantes deviennent des soutiens importants, voire des ambassa-
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deurs potentiels. Si les enjeux de notoriété et de réputation restent inchangés,


les processus de communication de l’institution, qu’ils soient instituants ou insti-
tués, connaissent une mutation dans la forme, la scénarisation, l’éditorialisation
des discours et la diffusion des messages. L’appropriation des contenus par les
différentes parties prenantes, le relais et la création des informations sur l’entre-
prise par les internautes, de façon active ou réactive, ouvrent des perspectives
nouvelles et orientent la production de contenu vers plus de participation et de
co-création. Cette invitation à l’adhésion et à la confiance déstabilise le contrôle
de l’organisation sur sa communication et conduit à des révisions permanentes
de stratégies et de modalités d’intervention.

237
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

3.3 Le travail d’unification


et de réconciliation
L’éclatement du principe d’unité de temps, de lieu et d’action qui structurait tra-
ditionnellement les organisations rend d’autant plus nécessaire et délicat le travail
d’unification symbolique que prend en charge la fonction de communication.
Les organisations éclatées sont irriguées par un flux continu d’informations, de
messages et de signes développé dans une perspective d’unité. L’impact direct
voire brutal des changements survenus dans l’environnement, la dictature du
court terme dans un contexte marqué par une incertitude toujours plus forte se
traduisent par la montée en puissance des communications de crise.
Exemple 1
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Starbucks, un mea culpa à 12 millions de dollars
Accusée de racisme après la publication, abondamment relayée sur les réseaux sociaux,
d’une vidéo montrant la police en train d’arrêter deux hommes noirs dans un Starbucks
de Philadelphie alors qu’ils attendaient un ami avant de passer commande, la chaîne
s’est engagée à fermer ses 8 000 cafés sur le sol américain pendant un après-midi, le
temps de sensibiliser ses 175 000 employés aux préjugés racistes et aux discrimina-
tions. Dans un communiqué, le PDG de Starbucks qui a présenté ses « excuses les
plus sincères aux deux hommes qui ont été arrêtés », a déclaré que l’entreprise avait
commencé « une revue complète de ses pratiques ».

Par ailleurs, mettre en évidence du sens dans la chronologie souvent déroutante


des faits et des décisions devient un souci majeur des communicants confrontés à
des contradictions objectives dans les choix qu’il convient de rendre publics : écarts
entre logique financière et logique sociale ou environnementale par exemple.
Réduire la crise de confiance dont les organisations font l’objet est un enjeu
majeur de la communication institutionnelle. Mettre la communication au service

238
Chapitre 11 La communication institutionnelle

de la confiance suppose la construction d’une meilleure visibilité et lisibilité de


l’action. À l’heure du contributif, du participatif et de la co-construction, les
questions de gouvernance, d’équilibre des pouvoirs et de compréhension des
choix, de fiabilité des processus et de certification des produits et des organisa-
tions se posent avec toujours plus d’acuité.

FOCUS
La communication de la responsabilité sociale
des entreprises (RSE)
Face aux attentes des citoyens et à l’évolution de la réglementation (loi Grenelle II), les entreprises
privées et publiques sont tentées ou contraintes de communiquer toujours davantage sur les consé-
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quences sociales et environnementales de leurs activités et sur les engagements pris pour les réduire.
Comment y parvenir sans être taxé de greenwashing ?
Tout d’abord, les entreprises doivent s’engager de manière profonde et pérenne sur des actions d’iden-
tification et de réduction de leurs impacts. Cette démarche se fera en réponse aux préoccupations des
parties prenantes (fournisseurs, clients, ONG, riverains…) et en lien avec la stratégie globale. Mobiliser
et accompagner les salariés, connecter les actions aux produits et aux services proposés sont quelques
clés du succès.
Les sujets RSE sont particulièrement complexes : impacts environnementaux et sociaux multiples
et imbriqués, méthodes et outils scientifiques pointus pour les évaluer, arbitrages indispensables,
multiplicité des labels et des normes, etc. De surcroît, ces sujets sont adressés de manière récente
et peu systématique dans les formations des professionnels du marketing et de la communication.
Il apparaît donc nécessaire de faire monter ces équipes en compétences à travers des formations
dédiées.
En matière de communication externe, les entreprises peuvent mettre en place de véritables plateformes
de communication RSE qui dépassent la simple publication d’un rapport annuel. L’objectif est alors
de porter les résultats, engagements et objectifs sociétaux de l’entreprise à la connaissance des parties
prenantes sous des formes et par des canaux appropriés et variés (print, digital, événementiel…) tout
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au long de l’année.
Sur le fond, la communication sur les engagements RSE doit être sincère et présenter des actions véri-
fiables dont les effets ont été évalués. Il s’agit également de mettre en lumière les obstacles rencontrés
et les incontournables marges de progrès : le public n’attend pas la perfection mais la transparence.
Par ailleurs, il est préférable que la rationalité du discours RSE s’accompagne de mise en relation,
d’émotion et de projection dans un futur soutenable plus souhaitable.
Finalement, comme nous le montrent plusieurs exemples récents (cf. www.com-rse.fr), la commu-
nication sur les enjeux de soutenabilité sait être innovante, créative, mobilisatrice et créatrice de
valeurs.
Mathieu Jahnich, fondateur et gérant de Sircome
(bureau de conseil en stratégie de communication), www.sircome.fr.

239
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

4 La communication
institutionnelle des pouvoirs
et des services publics
La communication publique est la communication institutionnelle des pouvoirs
et des services publics. C’est une communication administrative de service
et d’intérêt général qui se distingue de la communication politique, et plus
encore de la communication électorale dont les périodes et les modalités de
financement sont, en France, strictement encadrées par l’article L. 52-1 du
Code électoral.
Le développement de l’interventionnisme économique et social de l’État-
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providence a conduit les pouvoirs publics à jouer un rôle d’organisateur du vivre
ensemble dans la cité. Les campagnes de communication « comportementales »
régulièrement menées par des ministères, des agences et opérateurs de l’État (ex. :
Pôle emploi, INPES), des entreprises publiques (ex. : La Poste, SNCF, RATP)
font appel à la raison ou au civisme pour promouvoir des conduites individuelles
ou collectives conformes à l’intérêt général : sécurité routière, santé et prévention
(tabac, alcool, drogue, médicament), économies d’énergie et développement
durable, solidarité et Sécurité sociale. La créativité des institutions publiques,
sur tous les supports de communication, n’a rien à envier à celle des entreprises
commerciales.

S Campagne de sensibilisation réalisée pour la Sécurité Routière par l’agence


Lowe Strateus (2008)

240
Chapitre 11 La communication institutionnelle

4.1 Les spécificités de la communication


publique
« À la différence de la communication politique ou commerciale, la commu-
nication publique ne cherche ni à plébisciter ni à séduire » (Jean-Marc Sauvé,
vice-président du Conseil d’État).
Par rapport à la communication externe et interne des organisations privées, la
différence fondamentale tient aux enjeux, aux finalités et à la légitimité spécifique
des institutions publiques qui ont en charge les organisations symbolique, juridique
et pratique de la vie de la cité. La parole « publique » est l’expression d’une auto-
rité « publique » : elle s’énonce au nom de la loi voire – ainsi les jugements des
tribunaux – au nom du peuple français.
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C’est pourquoi la parole d’une institution publique est performative (! chapitre 5),
c’est-à-dire qu’elle réalise une action par le fait même de son énonciation : elle
crée une situation, institue un fait (publication du plan d’urbanisme), officialise
une décision (déclaration d’utilité publique), rend possible une action (mobili-
sation, permis de construire).

Quelles sont les origines de la communication publique ?


La communication publique est aussi ancienne que l’État
3 questions à moderne. Dans un État de droit, la communication publique
prend d’abord la forme de la publicité des lois : l’obligation
Pierre-Alain légale, pour tous les citoyens, de connaître leurs droits et
Douay devoirs conduit à l’obligation pratique, pour les institutions
Administrateur de publiques, de mettre en œuvre tous les moyens adaptés
Communication publique, pour faire connaître et comprendre les lois, règlements
association des responsables
de communication des institutions et arrêtés qui organisent la vie de la cité. En contribuant
publiques à la transparence de l’action publique, elle est une condition
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de la démocratie.
Quelles évolutions notables ?
La communication publique a progressivement évolué vers
une fonction de relation et de dialogue de plus en plus
personnalisés avec les administrés. De ce fait elle ne peut
pas être l’affaire des seuls « communicants » : les exigences
de la gestion des personnels comme de la relation avec
les citoyens et usagers en font nécessairement une fonction
partagée, une fonction managériale à la fois stratégique
et opérationnelle, indispensable à l’efficacité et à
l’adaptation des administrations publiques. Informer
et écouter les administrés, rendre compte aux citoyens,
associer les usagers, motiver les agents, mesurer l’opinion

241
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

publique, dialoguer avec les parties prenantes, impliquer


la société civile, toutes ces actions contribuent
à la pertinence et à la performance de l’action publique
et la modernisation de ses structures. La communication
est constitutive d’une administration attentive, réactive
et innovante.
Quelles perspectives pour la communication publique ?
D’un côté, l’open data : il en va de l’amélioration
de la compétitivité globale du pays par l’ouverture
des données publiques non confidentielles (statistiques
économiques et financières, géographiques,
météorologiques, etc.). Leur mise à disposition constitue
pour les entreprises un gisement précieux d’innovation
et de développement. De l’autre, face à des citoyens
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et des usagers de plus en plus éduqués, exigeants
et connectés, l’enjeu est celui d’une administration
plus proche des gens, notamment au niveau local,
par l’implication des citoyens dans l’élaboration
et la prise de décision publique. Venant compléter
la démocratie représentative de délégation,
la démocratie participative d’implication directe
des parties prenantes est la nouvelle frontière
de la communication publique. ■

4.2 Un principe de publicité de la décision,


une fonction de management
de l’information du citoyen
et d’organisation du débat public
Au titre de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, « La
société a le droit de demander compte à tout agent public de son adminis-
tration » : la communication publique répond d’abord au droit des citoyens/
contribuables d’être informés de la manière dont les gouvernants utilisent
leurs impôts et administrent le territoire. La fonction ancienne et formelle
d’information de service s’adapte en permanence aux nouvelles techniques
de diffusion et de consultation : le Journal Officiel est aujourd’hui numé-
rique ; service-public.fr, legifrance.fr et impot.gouv.fr sont les sites publics
les plus visités.
De la signalétique de chantier à l’inauguration et au lancement d’une ligne
de tramway, de l’annonce à la mise en œuvre de grandes réformes sociétales
(retraites, Sécurité sociale, apprentissage, rythmes scolaires), la communication

242
Chapitre 11 La communication institutionnelle

accompagne la plupart des actions et politiques publiques dans un univers marqué


globalement par un idéal de transparence et de refus du secret.
La communication est devenue une composante de la nouvelle gouvernance
publique : l’organisation, les structures, les missions et le fonctionnement des
administrations et des services publics sont de plus en plus réexaminés à la
lumière des besoins et des attentes des usagers que les outils de la communication
publique (études, enquêtes, sondages d’opinion) permettent de mieux appréhen-
der. La communication publique répond à une exigence démocratique et à un
impératif de bonne gestion publique. Fournisseur d’informations, chef d’orchestre
de débats concernant les enjeux et modalités de déploiement d’infrastructures
marquantes du cadre de vie (cf. le rôle de la Commission nationale de débat
public créée en 1995 et plus récemment déclinée en régions), la communication
publique traduit bien la montée en puissance de pratiques de communication
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dans les organisations relevant d’horizons les plus variés.
Le mot de la fin, qui est un mot d’ouverture, revient au directeur de la com-
munication de l’INSERM, Arnaud Benedetti : « L’avenir de la communication
en tant que pratique professionnelle n’est certainement pas dans la com’ et ses
multiples impasses mais dans la médiation parce que celle-ci suppose, au préa-
lable, la reconnaissance du point de vue des autres. C’est seulement au prix de
cette confrontation sans concession avec le monde réel des sociétés et non avec
le monde rêvé des marchands de com’ que l’on parviendra à libérer la commu-
nication des langues de bois qui trop souvent l’emprisonnent. »

FOCUS
La communication institutionnelle
est un objet vivant de recherche scientifique
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La communication organisationnelle constitue un champ d’étude scientifique qui dépasse les approches
à visée opérationnelle et affirme une posture à la fois critique et analytique, alimentée par des question-
nements et des concepts spécifiques. La création de groupes de recherche au sein de la Société française
des sciences de l’information et de la communication confirme le poids scientifique de ce champ de
recherche marqué par un nombre important de revues, de centres de recherche, de thèses et d’ouvrages.

243
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

Les points clés


¼¼La communication institutionnelle produit un ensemble d’informations et de
récits dont les principaux objectifs sont de faire connaître une organisation,
de faciliter son action et la faire accepter.

¼¼Elle construit les cadres de confiance et établit la réputation de l’organisa-


tion auprès de ses parties prenantes dans un espace public qui ne cesse de
s’élargir et de se complexifier.

¼¼La communication institutionnelle est constituée d’un triptyque performatif :


le discours institutionnel, qui met en avant le rôle de l’organisation, sa place
et sa responsabilité dans la société ; le discours de la marque, prometteur
d’une expérience, voire d’une communauté d’usages ; le discours de l’or-
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ganisation en tant qu’entité productive, espace de travail et de relations
professionnelles.

¼¼Le travail d’explication d’unification et de réconciliation au cœur de la commu-


nication institutionnelle est plus que jamais stratégique et essentiel pour
l’organisation, sa survie et son épanouissement dans la société.

244
Chapitre 11 La communication institutionnelle

APPLICATIONS ! Corrigés p. 282

6 Quelle est la toute première forme de la


QCM communication publique ?
a. La publicité des lois.
Une seule bonne réponse est possible pour chacune b. La publicité pour les entreprises publiques comme
des questions. la SNCF ou EDF.
1 La communication institutionnelle est le plus
souvent :
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a. Multi-objectif, multipublic et multitechnique.
b. Mono-objectif, mono-public et mono-technique. Questions
2 Quel processus entre l’organisation et ses publics
implique la communication institutionnelle selon
de réflexion
la Public Relations Society of America ?
a. Un processus d’émission unilatérale. 7 Risques et opportunités de la pluralité à l’heure
b. Un processus de rétroaction perpétuelle. du numérique
L’avènement des conversations sur les réseaux sociaux
3 Pourquoi la communication institutionnelle suscite l’engagement et l’adhésion des parties prenantes
est-elle dite « communication organisationnelle » ? dans l’entreprise. Cette activité digitale est également
a. Parce qu’elle est stratégiquement organisée. synonyme de moindre maîtrise, voire de perte de
b. Parce qu’elle donne sa cohérence et son sens à une contrôle, de l’organisation sur sa communication.
organisation. Pouvez-vous exposer les bénéfices que les organisations
c. Parce qu’elle se présente sous la forme d’un orga- peuvent retirer de leur présence en ligne, des nouveaux
nigramme. modes conversationnels et les risques auxquels elles
doivent se préparer ?
4 La réputation est un actif de l’entreprise.
8
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a. C’est un actif matériel. Quand la communication de l’organisation/


b. C’est un actif immatériel. institution devient communication de sa
c. C’est un actif ni matériel ni immatériel. contribution, quels nouveaux récits l’organisation
peut-elle mettre en place ?
5 Comment appelle-t-on la communication
institutionnelle des pouvoirs et des services publics ?
a. La communication gouvernementale.
b. La communication politique.
c. La communication publique.

245
Chapitre 12
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L
e 26 septembre 2019, le feu dévaste l’usine leur territoire et le soutien apporté à ses habi-
de produits chimiques Lubrizol située au tants gagne du terrain en France. Pas étonnant !
sud-ouest de la ville de Rouen. L’épais En abolissant les distances spatiales et tempo-
panache de fumée noire qui s’échappe de ce relles, Internet a remis l’accent sur l’importance
site classé « Seveso » laisse présager le pire. Bien des relations qu’une organisation tisse avec ses
que ni morts ni blessés ne soient à déplorer, une parties prenantes. Si, au-delà de la qualité de
série de mesures sont rapidement prises pour ses produits ou de ses services, la performance
la protection de la population : confinement, d’une organisation a toujours été corrélée à la
fermetures d’écoles, entreprises en activité par- manière dont elle s’insère dans son écosystème,
tielle, suspension de la production agricole… c’est encore plus vrai quand tout et tout le monde
Après quelques mois d’une communication jugée ne sont plus qu’à un clic de souris. Tous voisins
inopérante, le PDG affirme que son entreprise dans le village global !
est disposée à financer des indemnisations : « Je
n’ai pas de budget, nous souhaitons être de bons
voisins, nous souhaitons aider. », explique-t-il
aux autorités et aux médias. « Je suis frustré du
fait que nous n’ayons pas encore pu verser des
fonds aux personnes qui en ont le plus besoin.
Je vais essayer de voir comment on peut le faire
plus vite. Il ne s’agit pas d’obligations légales,
mais d’être de bons voisins à Rouen et sur tous
nos sites dans le monde. », précise-t-il.
Proximité, responsabilité, coopération… La
notion de voisinage qui qualifie sur le continent S L’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen en 2019
nord-américain l’insertion des entreprises dans (© Daniel Briot)
Des relations
publiques aux
communications
relationnelles
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Plan
1 Les relations publiques, prémices des communications relationnelles 248
2 Les domaines d’application des communications relationnelles . . . 254
3 La structuration d’une stratégie de communication relationnelle . 262
4 L’avènement des communications relationnelles . . . . . . . . . . . . . . . . 267

Objectifs
¼¼Comprendre les notions d’opinion et de relation
¼¼Mesurer l’importance croissante de la relation dans les démarches
de communication
¼¼Découvrir les fondamentaux des techniques de communication
relationnelle
¼¼Appréhender la communication à la lumière de la relation
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

1 Les relations publiques,


prémices des communications
relationnelles

1.1 L’invention des relations publics


1.1.1 Une profession née aux États-Unis
Certains s’amusent à dater l’invention des relations publics à l’époque où Jules
César fait publier la chronique de ses exploits guerriers dans les Acta Diurna,
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la gazette qui, chaque jour, fait la chronique de la vie quotidienne à Rome.
Si la démarche semble vieille comme le monde, la profession naît aux États-
Unis à la fin du XIX e siècle, en même temps que débute l’aventure industrielle
américaine. Dans un pays démocratique qui voit chaque travailleur comme un
consommateur et un actionnaire en puissance, les firmes comprennent qu’elles
doivent se préoccuper de l’opinion. Pour cela, elles vont rapidement solliciter
les services d’anciens journalistes.
Exemple 1
John D. Rockefeller : le management de la réputation
En janvier 1925, John D. Rockefeller Jr. fait la une de Time Magazine. Avant cela, il
a fait l’objet de vives attaques de presse pour la façon brutale dont lui et sa famille
avaient géré les employés de leurs nombreuses entreprises. Fils de l’homme qui a fon-
dé la compagnie pétrolière Standard Oil (Esso), Rockefeller Jr. est particulièrement
mis en cause lorsqu’en 1914, il brise avec violence la grève des mineurs de charbon
du Colorado. En grève depuis plusieurs mois pour protester contre les bas salaires
et les conditions de travail dangereuses, les mineurs, chassés de leurs maisons qui
appartiennent à l’entreprise, s’installent dans des tentes pour poursuivre leur mouve-
ment. Pour disperser les grévistes, les agents de sécurité tueront quarante personnes
et en blesseront grièvement une centaine. Bien qu’informé, Rockefeller niera avoir
quelque chose à voir avec ce qui sera qualifié de « massacre de Ludlow ». Il refusera
même de répondre aux demandes des mineurs jusqu’à ce qu’Ivy Lee, appelé pour le
conseiller, lui fasse accepter l’idée de rencontrer les mineurs et même de dîner avec
eux. Des photos où l’on voit John D. Rockefeller Jr. danser avec leurs épouses seront
diffusées par voie de presse.
Cette gestion de l’opinion qui s’accompagnera d’arguments plus rationnels sur la
contribution des Rockefeller au dynamisme économique du pays contribuera gran-
dement à reconstruire la réputation de la famille, jusque-là haïe. Le retournement
de l’opinion sera complet lorsque John D. Rockefeller Jr. crée une Fondation pour
la recherche scientifique et laisse, pour la postérité, l’image d’un généreux mécène.

248
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

Après la crise des années 1930, le recours aux professionnels des relations publics
s’intensifie : il faut réanimer l’économie et regagner les faveurs du public. Les
faillites et le chômage ont sérieusement entamé la réputation des entreprises
et de leurs dirigeants. Le « big business » est accusé à la fois par le personnel
licencié et par les épargnants ruinés.

Définition 1
Les relations publics sont la réponse à un besoin sociologique et écono-
mique d’un monde nouveau fondé sur le principe démocratique.

Le principe démocratique combiné à l’économie de marché rend indispensable


de gérer l’opinion. Les gouvernants, après les patrons, recourent eux aussi aux
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relations publics pour faire passer des mesures douloureuses dans une écono-
mie exsangue, puis pour faire accepter l’engagement dans la Seconde Guerre
mondiale et l’effort de guerre que cela implique.
À partir des années 1950, le modèle américain s’impose en Europe et avec lui
les techniques de communication qui ont fait son succès.

FOCUS
Des relations publiques aux relations publics :
les RP bougent le Q !
En 2011, Syndicat du Conseil en Relations Publics, n’a pas hésité
à malmener l’orthographe dans le but de corriger la trompeuse
traduction de l’anglais « public relations ». Rebaptisée « relations
publics », comme on dit « relations investisseurs » ou « relations
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clients », la profession a voulu affirmer plus clairement son objet :


l’installation et la gestion des relations qu’une organisation se doit
d’entretenir, de manière permanente et organisée, avec l’ensemble
de ses publics.

1.1.2 Trois figures fondatrices des relations publics


Les américains Ivy Lee et Edward Bernays sont considérés comme les « pères
fondateurs » des relations publics. De fait, ils ont littéralement posé les grands
principes de la discipline. Pour le meilleur et pour le pire, pourrait-on dire,
puisqu’on retrouve dans leur pensée et leur action ce qui vaut aux relations publics
de toujours plus ou moins sentir le soufre : la volonté d’influencer l’opinion.

249
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

Ivy Lee (1877-1934)


D’abord journaliste, Ivy Lee fonde avec George Parker une agence de relations publics
à New York. Alors qu’il représente les intérêts de la « Pennsylvania Railroad », une
compagnie ferroviaire qu’il rejoindra plus tard pour y créer le département de relations
publics, il convainc son dirigeant de gérer l’annonce d’un grave accident de chemin
de fer de manière inédite. Non seulement Ivy Lee fait distribuer aux médias le premier
communiqué de presse de l’histoire mais il invite journalistes et photographes sur les
lieux de l’accident, allant jusqu’à fournir un train spécial pour s’y rendre.
Si le principe du communiqué de presse est accueilli favorablement, certains journalistes y
voient une tentative de manipulation. En réponse aux mises en cause qui se manifestent
alors qu’il gère une grève de mineurs, Ivy Lee adresse à tous les journaux une « Déclaration
de principes ». Son texte, publié par The New York Times en 1906, guide les professionnels
encore aujourd’hui :
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– « This is not a secret press bureau. All our work is done in the open. We aim to
supply news. »
– « This is not an advertising agency. If you think any of our matter ought properly to
go to your business office, do not use it. »
– « Our matter is accurate. Further details on any subject treated will be supplied
promptly, and any editor will be assisted most carefully in verifying directly any
statement of fact… »
– « In brief, our plan is frankly, and openly, on behalf of business concerns and public
institutions, to supply the press and public of the United States prompt and accurate
information concerning subjects which it is of value and interest to the public to
know about. » ■

Définition 2
« Les relations publics sont une fonction de direction de caractère perma-
nent et organisé, par laquelle une entreprise ou un organisme public ou
privé cherche à obtenir et maintenir la compréhension, la sympathie et le
concours de ceux à qui elle a ou peut avoir à faire. »
En 2011, la Société des Relations Publics d’Amérique (PRSA) a voulu
préciser cette définition de l’Association internationale des Relations
Publics (IPRA) en ajoutant que les Relations Publics sont « un processus
stratégique de communication qui construit des relations mutuellement
bénéficiaires entre les organisations et leurs publics ».

Selon International Public Relations Association.

250
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

Edward Bernays (1891-1995)


Influencé par les travaux de son oncle, Sigmund Freud, sur la psychanalyse et par les idées
de Gustave Le Bon sur la psychologie des foules, Edward Bernays arrive à la conclusion
que « l’ingénierie du consentement » est l’essence même de la démocratie. Selon lui,
pour que le système démocratique fonctionne, il faut qu’une élite intelligente ait le
pouvoir de persuader l’opinion du bien-fondé de ses propositions, sur les plans politique
et économique. Au service des gouvernants comme des magnats américains, il mettra
en place, tout au long de sa vie, des stratégies pour « fabriquer du consentement » et
rendre acceptable et désirable le modèle américain, basé sur la consommation.
Connu pour avoir fait de la cigarette le symbole de la libération de la femme, alors qu’il
travaille pour le compte de Lucky Strike, il prévient les journalistes que des femmes vont
réaliser un exploit à ne pas manquer dans un défilé de suffragettes à New-York. À son
signal, de jolies jeunes femmes sortent chacune une cigarette de dessous leurs jupes et
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l’allument ostensiblement. La photo, choquante pour l’époque, fait le tour des rédactions.
Si cette campagne, « Les torches de la liberté », a pu contribuer au mouvement en
faveur des droits des femmes, elle a surtout servi les intérêts de l’industrie du tabac ! ■

En Europe, c’est la pensée humaniste du français Lucien Matrat qui a marqué


la profession. On lui doit la doctrine européenne des relations publiques, qui
envisage la profession comme une véritable science de la communication, fondée
sur la connaissance des sciences humaines, comme une discipline sociale fon-
dée sur une éthique rigoureuse et, enfin, comme une méthodologie permettant
d’aborder les problèmes que posent la vie et le développement de toute société.

1.2 Le procédé et la finalité des relations


publics
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Pour mener à bien ses projets, a fortiori lorsque ceux-ci ont aussi un impact négatif
sur la société ou sur l’environnement, une entreprise doit s’expliquer et rendre
compte. Parce que son efficacité et, même parfois, sa pérennité en dépend, une
entreprise doit installer et entretenir les meilleures relations possible avec les
différents publics susceptibles d’agir pour ou contre ses intérêts.

251
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

1.2.1 Agir sur l’opinion


L’opinion est par nature évolutive, instable, dépendante des multiples influences
qui s’exercent sans cesse sur elle. Dans un système démocratique qui reconnaît
la liberté d’opinion comme l’un des droits fondamentaux énoncés dans la Décla-
ration universelle des droits de l’homme, chacun peut faire valoir ses points de
vue, ses convictions, ses intérêts.

Définition 3
L’opinion est un jugement personnel que l’on s’est forgé sur une question
ou un sujet. C’est une idée préconçue qui ne relève pas de la connaissance
rationnelle, une conjecture qui, même affirmée avec conviction, n’est pas
nécessairement juste.
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L’opinion publique, appelée généralement « l’opinion », désigne la pensée
dominante d’une société, à un moment donné.

Les médias, longtemps qualifiés de « quatrième pouvoir », agissent sur l’opinion


à la fois comme une loupe grossissante et comme une caisse de résonance.
Cependant, comme les recherches en sciences de l’information et de la commu-
nication l’ont mis en lumière, les médias n’ont qu’un pouvoir d’influence limité.
S’ils mettent à l’agenda (! chapitre 10) ce qui fait l’actualité, induisant de fait un
sens de lecture et une hiérarchie d’importance aux événements, dans les faits,
les relais d’opinion réellement influents sont ceux qui, dans la société, se voient
crédités d’une compétence particulière, dans un domaine particulier.
Le développement d’Internet a fait apparaître de nouveaux relais d’opinion : les
blogueurs et autres influenceurs numériques. Cependant, le mécanisme d’influence
reste celui que Paul Lazarsfeld et Elihu Katz, chercheurs américains, ont mis en
évidence dès les années 1940 avec leurs travaux sur les comportements électoraux.
Certains individus qui ont un niveau d’implication plus élevé que d’autres sur tels
ou tels sujets développent de fait une plus grande expertise, ce qui leur confère
une autorité et conduit leur entourage à les voir comme une source d’information
fiable et désintéressée1 (voir la « théorie des deux étages », ! chapitre 6).

1.2.2 Influencer les influenceurs


Le procédé des relations publics consiste à identifier ceux qui, sur une thématique
donnée et vis-à-vis d’une population donnée, agissent autour d’eux comme des
relais d’opinion.
1 P. Lazarsfeld, B. Berelson, H. Gaudet : The People’s Choice. How the Voter Makes up his Mind
in a Presidential Campaign. 1968 (1944).

252
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

Définition 4
Un relais d’opinion est un individu qui, du fait de sa notoriété, de son
expertise ou de son charisme, exerce une influence sur un grand nombre
d’autres individus.

Élaborer puis donner à ces individus ou à ces groupes des raisons et des moyens
de se mobiliser est la manière dont les relations publics procèdent pour créer et
amplifier les mouvements d’opinion.

1.2.3 Argumenter pour convaincre


La publicité cherche à séduire par la créativité des concepts et à frapper les esprits
par la répétition du message. Les relations publics, elles, doivent convaincre par
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la pertinence de l’argumentation et la bonne utilisation des canaux d’information.
Contrairement à une campagne de publicité dont l’impact dépend de la pression
exercée sur les « cibles » visées, une démarche efficace de relations publics passe
par la propagation d’informations destinées à agir sur les idées, les jugements
et les représentations.
Autre différence, les publicitaires achètent l’espace dont ils ont besoin pour
placer leurs annonces. Pour les professionnels des relations publics, la diffusion
du message dépend de l’intérêt que celui-ci représente pour le public : l’espace
rédactionnel ou l’engagement d’un relais d’opinion ne s’achète pas, il se mérite.
Les notions de « paid, owned, earned media », apparues avec l’explosion des
médias sociaux, permettent de bien comprendre la différence entre publicité
et relations publics.

1.2.4 Installer puis gérer la relation


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Les deux démarches supposent évidemment une stratégie exprimée en termes


d’objectifs, de publics, de messages et de moyens. Mais, à la différence de la
publicité, la relation elle-même est le support des relations publics.
Trois effets cumulatifs sont recherchés :
1. l’effet prescription qui consiste à faire dire par d’autres plutôt que dire soi-même ;
2. l’effet caution qui vise à faire valider ses arguments par des tiers de confiance ;
3. l’effet démultiplication, enfin, dont le but est de permettre la diffusion la plus
large de son message, à travers les médias, traditionnels et sociaux, ainsi que
par le truchement d’autres relais d’opinion.

253
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

2 Les domaines d’application


des communications
relationnelles
2.1 La communication institutionnelle
ou « corporate »
Exemple 2
La communication institutionnelle de Saint-Gobain, expression des valeurs
et de l’engagement du groupe
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En septembre 2019, Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain, annonce
l’engagement de son groupe vers zéro émission nette de carbone d’ici à 2050. Deux
mois plus tard, Saint-Gobain révèle sa plateforme de communication engagée : « Mis-
sion To Earth ». Le dispositif qui comprend, entre autres, un film destiné aux écrans
publicitaires, une série de podcasts et des opérations événementielles, vise à mettre
en lumière l’engagement du groupe, à travers ses matériaux, à résoudre les grands
défis auxquels le monde doit faire face : loger, transporter, prendre soin de près de
10 milliards de personnes en 2050 tout en préservant la planète.

La communication institutionnelle n’a pas vocation à promouvoir les produits


ou les services mais l’institution elle-même : sa stratégie, ses performances, ses
valeurs, ses engagements. Sa finalité consiste à refléter l’identité de l’entreprise,
à valoriser son image et à établir sa réputation auprès de ses différents publics,
internes et externes.
Si la communication corporate a pu passer par des voies publicitaires à partir des
années 1990, ce mode d’expression rencontre désormais la méfiance de publics
en attente de preuves plutôt que de déclarations. Face au rejet des discours

254
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

hyperboliques des entreprises, les stratégies relationnelles sont plus appropriées.


Elles se déploient sur les sites Internet et à travers des éditions mais aussi à travers
les relations médias, l’événementiel ou encore des productions audiovisuelles.

2.2 La communication financière


En interaction avec la communication corporate, la communication financière
s’adresse plus particulièrement aux publics financiers de l’entreprise : analystes
financiers, investisseurs institutionnels, actionnaires, banquiers, ainsi qu’aux
médias spécialisés dans l’économie et la finance.
Obligation légale pour les entreprises cotées, la communication financière est
un enjeu important pour toutes les entreprises qui doivent informer leurs action-
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naires et cherchent à financer leur développement.

2.3 La communication interne


Centrée sur les problématiques de communication liées aux ressources humaines,
la communication interne s’inscrit naturellement dans les enjeux de la communi-
cation corporate. La spécificité du public particulier que sont les collaborateurs
d’une entreprise justifie toutefois une approche et des supports appropriés,
notamment lorsque l’effectif est important. Journal interne, baromètres d’opinion
interne, communication de motivation, conventions, intranet… sont des moyens
privilégiés de cette spécialité de la communication.

Exemple 3
Aujourd’hui, c’est le jour J : l’entreprise X annonce qu’elle doit faire face à un plan de
sauvegarde de l’emploi. Après le comité d’entreprise, l’information est présentée aux
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managers. Beaucoup de questions sont posées. Pendant plusieurs mois, les publics
internes, au premier chef, mais aussi les publics externes de l’entreprise X vont vivre
dans ce « temps de l’incertitude ».

2.3.1 Préparer les messages en amont


En communication interne, dans une période dite sensible, l’accompagnement du
projet passe toujours par la ligne managériale. Tout est donc organisé en amont
de l’annonce pour soutenir et accompagner les managers, surtout ceux qui sont
concernés par la réorganisation et doivent porter le projet devant leurs équipes.
Comment ? En étant partie prenante à l’élaboration du projet.

255
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

2.3.2 Veiller à la cohérence des messages


Dès l’annonce, les barrières entre interne et externe disparaissent. Une coordi-
nation de chaque minute est nécessaire avec les équipes en charge des médias,
pour veiller à la cohérence des messages et surtout laisser la primeur de l’infor-
mation aux salariés concernés, dans le respect du dialogue social. Le plus simple :
une réunion quotidienne de coordination avec les principaux acteurs internes.

2.3.3 Anticiper les prises de parole de sa maison-mère


La difficulté, pour les équipes de communication interne, c’est de continuer
à communiquer sur la vie de l’entreprise : partager son actualité, relayer des
informations du groupe… tout en restant audible et crédible. Savoir anticiper
sur les communications descendantes de sa maison-mère, qui peut, en plein
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plan de sauvegarde de l’emploi, annoncer des résultats financiers florissants…
Pour y remédier : demander de la visibilité sur les prises de paroles importantes
pendant la durée du projet, afin de préparer les messages.

2.3.4 Capter les attentes du corps social interne


L’écoute des parties prenantes internes permet de connaître le moral des troupes,
mais également les attentes et les besoins auxquels il faut rapidement répondre.
Cette écoute peut prendre des formes très diverses : enquêtes en ligne de type
« surveymonkey », panel de salariés, véritables enquêtes quantitatives menées
par un cabinet… Le plus simple : une écoute hebdomadaire administrée via le
Web dès le début du projet, dont la fréquence diminuera au fil de l’avancement
du projet.

2.3.5 Monter un programme formatif


pour les managers
L’accompagnement des managers de proximité est majeur quand ils sont tou-
chés directement par le projet. Quelques outils simples peuvent faciliter cette
démarche : une architecture des messages, claire et précise (« message house »),
des Questions & Réponses mis à jour régulièrement, des fiches pratiques…
Accompagner la mise à disposition de ces outils par une session de formation
à leur bon usage aidera les managers à mieux les utiliser avec leurs équipes.
Au-delà des outils, il est important de laisser de la place – et donc du temps – à
une communication orale de proximité, dont chacun a besoin quand l’environ-
nement se durcit.

256
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

Quel est l’enjeu principal de la communication


interne ?
3 questions à La confiance entre les salariés et les managers,
entre les managers et la direction, entre la direction et sa
Valérie maison-mère, c’est une toile fragile et solide à la fois que
Perruchot-Garcia le communicant interne tisse jour après jour pour créer
Directrice des affaires publiques une histoire commune, quels que soient les difficultés
et de la communication et le contexte.
de Janssen
Quelles sont les plus fortes attentes des collaborateurs
en termes de communication interne ?
Il y a, a fortiori en période de crise, un besoin accru
de pédagogie pour expliquer les enjeux pour l’entreprise,
une exigence plus forte de cohérence entre le discours
et la réalité et une communication plus axée sur l’humain
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qui apporte des réponses aux inquiétudes des salariés.
Quelles sont les qualités du communicant interne ?
Garder les nerfs solides, savoir défendre ses idées, faire
preuve de bon sens : en période sensible comme par temps
calme, le communicant interne doit appréhender le court
terme et garder le cap du moyen/long terme. Un exercice
spatio-temporel pas toujours évident mais qui fait la richesse
du métier ! ■

2.4 La communication des marques


Exemple 4
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S Couverture du dossier de presse de l’opération « Pik the DJ », Haribo Pik


(We Agency)

257
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

Sur un marché concurrentiel, le succès des entreprises passe par la mise en avant
des marques et des produits ou services qu’elles proposent aux consommateurs.
Qu’il s’agisse de faire connaître une innovation, de donner envie ou de rassurer
sur la qualité d’un produit, l’exposition médiatique et le bouche-à-oreille positif
sont déterminants pour soutenir les ventes.
En complément des démarches publicitaires – parfois en substitution, compte
tenu de l’importance des budgets nécessaires ! –, les marques ont recours aux
relations avec les médias, sous une forme événementielle ou par simple envoi
de communiqués et de dossiers de presse aux journalistes. Avec l’explosion des
médias sociaux, les stratégies se déploient nécessairement aussi « on line » à
destination des sites d’information et des influenceurs numériques.

2.5 La communication avec les pouvoirs


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publics et le lobbying
Tant au niveau national qu’à l’échelle de l’Union européenne, la vie des entre-
prises est encadrée par des lois, des normes et des règlements qui autorisent ou
interdisent telle ou telle pratique. C’est pourquoi les entreprises, individuellement
et/ou par le biais de leurs syndicats et associations professionnelles, s’organisent
pour faire entendre leurs intérêts à un public déterminant pour elles : le décideur
public. Ce terme désigne essentiellement ceux qui représentent la puissance
publique : les élus qui préparent et votent la loi et le personnel des administra-
tions qui veille à son application.

Définition 5
Le lobbying est l’action de protection par des groupes de pression, les
lobbies, des intérêts particuliers de telle ou telle organisation face aux
décisions des pouvoirs publics.

L’expression, qui vient du mot anglais lobby, fait référence au hall de l’hôtel
Willard, à Washington, où des représentants de groupes d’intérêt, pensant
y trouver le général Grant devenu président des États-Unis après la guerre
de Sécession, venaient le guetter pour plaider leur cause.

Le lobbying passe par :


■■ la veille réglementaire ;
■■ l’identification des décideurs en charge des sujets qui intéressent les entreprises ;

258
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

■■ la mise en place de programmes de rencontre avec les élus et les services


administratifs compétents ;
■■ la rédaction de dossiers expliquant le point de vue de l’entreprise ou du secteur ;
■■ la rédaction des amendements que les lobbyistes s’efforcent de faire reprendre
par les parlementaires dans leur activité législative.

2.6 La communication de crise


Exemple 5
Octobre 2019, Quentin Guillemain publie
L’omerta alimentaire. On empoisonne nos
enfants ! Ce militant aguerri, qui s’est im-
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posé comme le porte-parole des parents
en colère, redonne une actualité à la crise
Lactalis, deux ans après les faits. Déclen-
chée en décembre 2017 par la publication
du rapport de la Direction Générale de la
Santé suite à l’intoxication de 38 bébés,
cette affaire de lait infantile contaminé à
la salmonelle est caractéristique d’une crise
mal gérée : manque de réactivité, manque
de transparence et manque d’empathie à
l’égard des victimes. L’incapacité de Lactalis
à maîtriser la situation, ponctuée par de
nombreux rebondissements tout au long
de l’année 2018, conduira le ministre de
l’Économie, Bruno Le Maire, à devoir « se
substituer à une entreprise défaillante ».
Disqualifié, Emmanuel Besnier qui, de-
puis dix-huit ans qu’il dirige l’entreprise
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familiale, n’a jamais pris la parole dans les


médias, finira par accorder une interview au
journal Les Échos dans laquelle il reconnaît
les torts de Lactalis et présente ses regrets.
Cette affaire hors-normes aura coûté cher
à Lactalis : 300 millions d’euros cumulés
sur les résultats, selon une estimation du groupe. Car à la perte d’exploitation due
à l’arrêt du site de production où la bactérie a été trouvée s’ajoutent les 12 millions
d’euros de travaux investis dans l’usine, le manque à gagner lié à l’arrêt de la vente des
produits, le remboursement de milliers de boîtes de lait retirées de la vente en vertu
du principe de précaution ainsi que les indemnisations pécuniaires que Lactalis a du
accorder aux 25 familles de bébés atteints de salmonellose. Mal gérée, cette crise qui
a durablement entaché la réputation du groupe laitier, aura révélé l’impréparation
d’un géant au pied d’argile.

259
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

La communication de crise consiste à anticiper et à se préparer à tous les risques


auxquels une organisation peut avoir à faire face. Quelle qu’en soit la nature,
chaque risque doit avoir été identifié et évalué de manière à ce que, quand la crise
survient, l’organisation soit en mesure de la gérer efficacement sur le plan de la
communication vis-à-vis des différents publics concernés : victimes, pouvoirs
publics, médias et, plus largement, opinion publique.
L’exemple de Lactalis montre que ce groupe d’envergure mondiale n’était
pas préparé à gérer une situation de crise touchant à la santé d’enfants en
bas âge. Cette incapacité étant incompréhensible de la part d’un groupe qui
commercialise, entre autres, des produits aussi sensibles que du lait infantile,
l’opinion jugera son comportement d’autant plus inacceptable : en situation
de crise, il ne peut y avoir de dissonance cognitive entre ce qui est attendu et
ce qui est constaté.
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2.6.1 Les caractéristiques de la crise
Dans le cours de leur activité, les organisations connaissent régulièrement des
incidents et des accidents qui sont réglés sans que l’opinion n’en soit informée.
Une entreprise ne se trouve en situation de crise que lorsque l’un de ces pro-
blèmes se trouve porté à la connaissance du public et que sa nature, l’ampleur
de ses conséquences ou la manière dont il est pris en charge suscite un sentiment
de réprobation ou d’hostilité à l’égard de l’entreprise.

Définition 6
Une crise est un événement probable mais pas certain qui…
– se produit de manière soudaine et inattendue ;
– place l’organisation au centre d’une attention critique élevée de la part
de l’opinion ;
– dont la nature, l’ampleur ou la réprobation suscitée conduit à une réso-
nance médiatique qui peut plus ou moins gravement porter atteinte à sa
réputation, voire remettre en cause sa pérennité.

La crise se caractérise par la conjonction de plusieurs phénomènes :


■■ un dysfonctionnement dans les modes opératoires qui entraîne une difficulté
ou cause un préjudice ;
■■ un intérêt de la part des médias qui entraîne une sursollicitation de l’entreprise
et peut conduire à une saturation de sa capacité de communication ;
■■ l’accélération du temps qui oblige à prendre la parole le plus vite possible,
parfois avant même d’avoir tous les éléments de réponse, pour ne pas appa-
raître comme peu impliqué ;

260
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

■■ la nécessité de réduire les zones d’incertitude pour maintenir le maximum


de crédibilité et de légitimité ;
■■ l’extériorisation du contrôle de crise à cause de la mobilisation d’acteurs qu’on
ne maîtrise pas : les victimes, les autorités, les ONG…

2.6.2 L’organisation nécessaire à une gestion efficace


de la communication de crise
Avant la crise :
■■ identification des risques et des situations de crise possibles ;
■■ recensement et mise en forme de l’information utile pour répondre en cas
de mise en cause ;
■■ identification et recensement des publics clés dans la gestion de crise, avec
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leurs coordonnées pour pouvoir entrer rapidement en relation avec eux ;
■■ mise en place des procédures de gestion de la communication en période de
crise ;
■■ constitution d’une cellule de crise ;
■■ préparation des messages adaptés aux différents sujets sensibles qui peuvent
se révéler critiques ;
■■ préparation des porte-parole (media training de crise) ;
■■ préparation de pages web qui pourront être mises en ligne rapidement le cas
échéant.
Pendant la crise :
■■ prendre la parole sans tarder pour éviter que le silence ne soit interprété
comme de la culpabilité ou comme un manque de réactivité – et aussi pour
tenter de donner le la de la communication plutôt que de se trouver en situa-
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tion de se justifier ;
■■ se montrer à l’écoute et jouer la transparence ;
■■ occuper le terrain médiatique, y compris en faisant intervenir des sources
neutres ou alliées (un syndicat professionnel, par exemple).
Après la crise :
■■ faire un retour d’expérience utile pour être plus efficace lors de la prochaine
crise.

261
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

FOCUS
Faut-il encore parler de communication digitale ?
La communication digitale – ou numérique si l’on veut respecter les préconisations de l’Académie fran-
çaise – concerne la stratégie et les actions de communication à mener sur le Web, les médias sociaux
et les terminaux mobiles.
Si toutes les entreprises n’ont pas la même maturité numérique, plus aucune stratégie de communica-
tion ne peut se concevoir sans sa dimension digitale. Non seulement convient-il d’ajouter les comptes
Twitter, LinkedIn ou Facebook à la panoplie des outils de communication, encore faut-il concevoir
et mettre en œuvre des démarches réellement adaptées aux pratiques rendues possibles par Internet.
L’avènement du Web social combiné à la convergence des médias et au développement des usages en
mobilité renforcent la dimension relationnelle de la communication. Plus instantanée, plus interac-
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tive, plus participative, la communication digitale ne doit plus se satisfaire de mettre l’information de
l’entreprise en ligne mais doit proposer à tous les publics qui souhaitent interagir avec elle un espace
d’échange sur tous les supports numériques. Désormais, toute communication est nécessairement
digitale, ou alors elle est incomplète.

3 La structuration d’une stratégie


de communication relationnelle
1. Audit
Quel est l’état
initial ? 2. Fixation des objectifs
Quel est l’état
7. Retour d’expérience désiré ?
Qu’est-ce qui, dans 3. Cartographie des publics
le plan, a été
FIXER Qui sont les publics
le plus efficace ?
LES OBJECTIFS relais et finaux ?
ET
MESURER LA
6. Mesure et évaluation PERFORMANCE 4. Partis pris stratégiques
Est-on arrivé Comment va-t-on s’y
à l’état désiré ? prendre pour atteindre
l’état désiré ?
5. Plan d’action
Quels moyens va-t-on
mobiliser pour atteindre
l’état désiré ?
S Figure 12.1 Structure de planification d’une stratégie de communication
relationnelle

262
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

Une stratégie de communication relationnelle se pilote dans la durée. Seule une


structuration méthodologique et un suivi rigoureux permettent d’en assurer la
pertinence et d’en mesurer la performance.

3.1 Audit : quel est l’état initial ?


Le travail de recherche préalable est indispensable à toute démarche de pla-
nification d’une stratégie de communication relationnelle. C’est la première
étape d’un plan solide car, pour avancer, il faut avant tout comprendre ce qui
caractérise les faits et les causes d’une situation.
L’analyse SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats) est une bonne
manière de conduire la réflexion en termes de forces, de faiblesses, de menaces
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et d’opportunités.
Les questions à se poser sont nombreuses, en voici quelques-unes.
■■ Au plan institutionnel :
– Quels sont les principaux objectifs poursuivis ?
– Quels sont les messages institutionnels actuellement émis ?
– Quelles sont les principales parties prenantes ?
– Comment l’organisation est-elle perçue par ses différentes parties prenantes ?
– Quels sont les principaux sujets sensibles pouvant avoir un impact sur l’or-
ganisation ?
■■ Concernant le marché :
– Quel est l’état du marché ?
– Quelles sont les dynamiques de ce marché ?
– Quel est le positionnement de l’organisation sur le marché ?
– Qui sont les principaux concurrents et comment se situent-ils par rapport à
l’organisation ?
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■■À propos des marques et des produits ou services :


– Quel est le taux de notoriété de la marque ?
– Comment les produits sont-ils perçus par le marché ?
– Quels sont les avantages concurrentiels ?
■■En termes de communication :
– Quelles activités de communication l’organisation déploie-t-elle actuellement ?
– Ces actions sont-elles intégrées ? Quel est le degré de cohérence ?
– Quel est le budget alloué aux activités de communication et comment est-il
alloué ?

263
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

3.2 Fixation des objectifs :


quel est l’état désiré ?
Une image claire de la situation et des objectifs de l’organisation aide à mesurer
la distance entre l’état actuel et l’état désiré.
Un plan efficace doit maintenant traduire cela en objectifs de communication
et envisager avec quels indicateurs de performance ils pourront être mesurés.
Il peut s’agir de :
– gagner en notoriété (combien de points de notoriété, en pourcentage ?) ;
– créer de la préférence (dans quelle proportion ? par rapport à quels concurrents ?) ;
– gagner des parts de marché (dans quelle proportion ?) ;
– attirer de nouveaux talents (quels profils ? combien de CV reçus ?) ;
– etc.
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La classification des objectifs en trois catégories, couramment utilisée en mar-
keting, peut être appliquée aux objectifs de communication :
■■ objectifs cognitifs : faire connaître/développer la notoriété ;
■■ objectifs affectifs : faire aimer/développer le capital sympathie, travailler l’image ;
■■ objectifs conatifs : faire agir/accroître la motivation, réduire les freins au
passage à l’acte.

3.3 Cartographie des publics :


qui sont les publics relais,
qui sont les publics finaux ?
Une fois les objectifs posés, les publics doivent être identifiés et classés en deux
catégories : les publics relais et les publics finaux de la communication.
Les publics d’une stratégie de communication relationnelle sont, non pas seule-
ment le consommateur comme dans une démarche publicitaire, mais l’ensemble
des parties prenantes pouvant jouer un rôle dans le dispositif : les clients, les
administrés, les actionnaires, les investisseurs, les analystes financiers, les col-
laborateurs actuels et futurs, les partenaires sociaux, les institutionnels, les élus
et les administrations, les acteurs du monde associatif…
Les médias sont sans l’ombre d’un doute des publics relais, mais d’autres pres-
cripteurs peuvent être appréhendés comme tels. Par exemple, selon les cas, des
experts, des professionnels de la santé ou des célébrités. On retrouve ici la notion
de relais d’opinion (! Définition 4, p. 25).

264
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

FOCUS
Cibles ou parties prenantes ?
La plupart des entreprises et des marques continuent d’utiliser la « com’ » pour se présenter sous leur
meilleur jour. En optant pour une communication de séduction et de persuasion, elles espèrent pou-
voir passer sous silence les questions qui fâchent. Résultat : sous la pression croissante de l’opinion, la
communication finit par être gérée sur un mode schizophrène, passant alternativement d’un discours
exagérément positif à un discours ultra-défensif.
Cette approche de la communication peut-elle résister encore longtemps à l’épreuve de la transparence,
de l’infobésité et de l’interactivité ? Difficilement ! L’abolition des distances et la redéfinition des espaces
physiques et virtuels impliquent désormais de donner tout son sens à la notion de parties prenantes.
La transparence interdit la dissimulation, l’infobésité rend compliquées la profération de messages et
l’interactivité en permettant la rétroaction systématique, oblige au dialogue. Il faut arrêter de prendre
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pour cible les parties prenantes !

3.4 Partis pris stratégiques : comment va-t-on


s’y prendre pour atteindre l’état désiré ?
C’est à ce stade du plan que se joue la prise de décision stratégique concernant
l’action à mettre en œuvre. Cette étape, qui porte l’intelligence de la stratégie,
intervient avant que ne soient définis les moyens d’action.
Le parti pris stratégique donne un axe à l’action. Il peut s’exprimer de différentes
manières : décider de faire porter la stratégie sur un public spécifique, marteler
un message qui résonnera particulièrement à un moment donné, jouer la pénurie
pour faire monter le désir d’un produit très attendu…
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3.5 Plan d’action : quels moyens va-t-on


mobiliser pour atteindre l’état désiré ?
Le plan d’action, avec les tactiques qui permettront de satisfaire les objectifs
précédemment définis, s’inscrit nécessairement dans la logique du ou des partis
pris stratégiques. De même, les actions planifiées doivent non seulement être
pertinentes au regard des objectifs mais aussi faisables et financièrement réalistes.
Les moyens d’action des communications relationnelles sont trop nombreux
pour être listés. Ils s’expriment de deux façons.

265
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

Formats Contenus
• conférences • sites
• colloques • éditions
• événementiels • serious games
• voyages d’étude • films
• etc. • etc.

S Figure 12.2 La relation se nourrit de contenus et s’événementialise dans des


formats.

Enfin, le plan d’action doit s’accompagner d’une évaluation budgétaire des


moyens proposés.
Toutefois, il ne faut jamais oublier que, dans une démarche de communication
relationnelle, le moyen est au service de la relation, il n’est pas une fin en soi !
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3.6 Mesure et évaluation : est-on arrivé
à l’état désiré ?
Une stratégie de communication relationnelle doit pouvoir se mesurer, comme
toute démarche de communication.
Les indicateurs de performance, idéalement définis lors de la fixation des objec-
tifs, peuvent porter sur deux niveaux de résultats :
■■ d’une part, les résultats directs des actions conduites (une couverture de presse,
un taux de clics, le nombre de participants à un événement…) ;
■■ d’autre part, l’impact de l’action sur les indicateurs de performance de l’orga-
nisation (l’accroissement des ventes, du nombre de candidatures spontanées
reçues ou encore une hausse du cours de la Bourse…).
Pour faciliter la mesure de performance, la profession a développé un référentiel
de la mesure des RP1 , disponible en ligne. Ce document propose un référentiel
d’outils et de méthodes de mesure permettant aisément de rendre compte de la
création de valeur.

3.7 Retour d’expérience : qu’est-ce qui,


dans le plan, a été le plus efficace ?
La boucle d’une stratégie de communication relationnelle est bouclée quand
on rend compte des résultats obtenus et qu’on prend soin d’apprécier l’efficacité
relative des actions du plan.

1 https://www.referentieldelamesure.com

266
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

Définition 7
L’efficience et l’efficacité sont deux notions complémentaires : une
action est efficace lorsque les objectifs sont atteints, elle est efficiente
lorsque les objectifs sont atteints à moindre effort, en l’occurrence, à
moindre coût.

Cette étape, souvent oubliée ou mal préparée, est pourtant utile pour savoir
quelles actions, plus efficientes que d’autres, pourront utilement être reconduites
quand d’autres devront être remplacées par des moyens plus pertinents.
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4 L’avènement
des communications
relationnelles
Exemple 6
Amazon : le danger du risque d’opinion
Vendredi 29 novembre 2019, des militants écolo-
gistes lancent le mouvement « Block Friday » en
riposte au « Black Friday » qui ouvre la période
des achats de Noël. Leur mot d’ordre : #StopA-
mazon. À Paris, Lyon, Lille, les manifestants
médiatisent leur opposition à la surconsommation
que symbolise le géant du commerce en ligne et
à son impact négatif sur l’environnement. « Au-
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jourd’hui Amazon a les émissions de gaz à effet


de serre d’un État », dénonce Jean-François Jul-
liard, directeur de Greenpeace France devant les
grilles d’un entrepôt d’Amazon. « On a besoin plus
que jamais d’actions de désobéissance civile car
Amazon est un symbole d’impunité, notamment
fiscale », estime l’eurodéputée LFI Manon Aubry.

Cet exemple, illustratif du risque que l’opinion fait peser sur les entreprises et
leurs marques, montre aussi que jusqu’à présent, tout particulièrement en France,
l’interface entre la société et le fait économique s’était principalement jouée
sur deux terrains : la consommation et l’emploi. De fait, trois parties prenantes
appréhendées distinctement ont longtemps dessiné l’horizon simpliste de la
communication : les actionnaires, les salariés, les consommateurs. Publié en

267
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de


l’Organisation des Nations unies, le rapport Brundtland a mis à l’agenda la pré-
occupation environnementale et popularisé l’expression « développement durable ».
En même temps, l’expression « parties prenantes » s’imposait progressivement
pour signifier le statut reconnu à ceux que les publicitaires voient encore comme
des cibles. Aujourd’hui, la révolution numérique crée une rupture bien plus
profonde dans les rapports entre les individus et les organisations. Il est temps
de changer le logiciel de la communication.

FOCUS
La Commission Brundtland, créée en 1983 par l’Assemblée générale des Nations
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unies, a procédé à trois ans de consultations avant de publier son rapport, en
1987, sous le titre original Our Common Future.
Ce rapport a posé les bases du Sommet de la Terre de 1992 qui a popularisé
l’expression « développement durable » défini comme « un développement qui
répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations
futures de répondre aux leurs. »

4.1 Gérer l’image et construire la réputation


Accusées de n’avoir de cesse de transformer l’espace public en espace marchand,
les entreprises ne peuvent se contenter de gérer leur image, elles doivent soigner
leur réputation. Dans le sillage du mouvement altermondialiste, José Bové avait
eu beau jeu de démonter le restaurant McDonald’s de Millau pour dénoncer la
marchandisation du monde, en septembre 1999.
Utiliser l’image de la marque pour nuire à l’entreprise avait été une tâche facile.
Regagner la faveur de l’opinion aura été un processus plus exigeant et plus coû-
teux. Pour reprendre la main, McDonald’s a dû beaucoup investir en communi-
cation, notamment publicitaire, mais a surtout dû ajuster son comportement et
faire évoluer ses pratiques : introduire des fruits et des produits laitiers dans son
offre, développer une information nutritionnelle, manifester sa responsabilité
sociale d’entreprise. Cela s’est traduit, notamment, par une démarche organisée
de concertation avec les acteurs des filières agricoles.1

1 Les concertations agricoles McDonald’s : www.mcdoconcertations.com.

268
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

Accusée d’avoir une politique destructrice pour la planète, mise en cause pour
les conditions de travail dans ses centres logistiques, critiquée pour la destruction
d’emploi induite dans les commerces de centre-ville, l’entreprise de Jeff Bezos
pourra-t-elle pérenniser son leadership si sa réputation est toujours plus fragilisée ?

FOCUS
Image et réputation
Les notions d’image et de réputation renvoient toutes deux à des représentations mentales que l’on
se fait d’une entreprise, d’une marque, d’un produit. Cependant, ce sont deux concepts spécifiques et
complémentaires dont l’étymologie latine aide à comprendre la différence.
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■■ Dans le monde antique, l’imago est le portrait de l’ancêtre en cire que les Romains placent dans
l’atrium et portent aux funérailles pour établir la noblesse de leur lignage. Étymologiquement, l’image
fait référence au portrait sublimé d’un mort illustre destiné à positionner socialement une famille.
■■ Le mot « réputation » vient du latin reputatio et signifie « examen » ou « considération » (! chapitre 10).
La réputation, contrairement à l’image façonnée pour impressionner favorablement, est une opinion
formée à partir des qualités ou des vertus réelles ou supposées, éprouvées soi-même ou rapportées
par d’autres, c’est une appréciation à l’épreuve des faits.
L’image se gère dans la représentation qu’une marque s’efforce de donner d’elle-même, notamment
à travers son exposition publicitaire, quand la réputation se construit dans le comportement que l’en-
treprise adopte, dans l’expérience qu’elle fait vivre à ses différents publics. Idéalement, il ne doit pas
y avoir incohérence entre image et réputation.

En plus de continuer à gérer son image de restaurant de la famille, McDonald’s


s’est construit une réputation d’entreprise soucieuse de la santé de ses clients,
désireuse de soutenir l’agriculture française et engagée à réduire ses impacts
sur l’environnement. Ayant su établir sa réputation avec succès, l’entreprise a
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pu regagner et maintenir le niveau d’acceptabilité sociale dont elle avait besoin


pour opérer et se développer.

4.2 Donner son sens intransitif


au verbe « communiquer »
Le verbe communiquer est transitif et intransitif. En pratique, la communication
oscille toujours entre les deux postures que suggère le verbe : d’une part, commu-
niquer un message pour obtenir le consentement et d’autre part, créer les condi-
tions d’un échange plus équilibré pour fabriquer du consensus. Comme Gregory
Bateson, le fondateur de l’École de Palo Alto, l’a mis en évidence, l’échange peut
s’établir sur un mode symétrique ou complémentaire. La relation complémentaire

269
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

qui implique un déséquilibre entre les parties prenantes – l’une prenant l’ascendant
sur l’autre – peut conduire à la frustration, voire au rejet. Parce que la relation
symétrique, a contrario, invite chacun à faire valoir son point de vue, elle favorise
la co-construction. Établir la communication sur un mode symétrique répond aux
aspirations de l’époque pour plus de respect et de participation

Exemple 7
OUI Talk, une plateforme communautaire et participative pour co-construire
l’expérience OUI. sncf
Renommé OUI. sncf en décembre 2017, le site marchand de la SNCF a non seulement
changé d’identité mais aussi de nature. D’un site transactionnel, le numéro 1 du e-com-
merce français est devenu un site relationnel grâce, notamment, à une plateforme
communautaire et participative : OUI Talk. Sur cette plateforme digitale, les clients
peuvent contribuer au développement de nouveaux services grâce à des ateliers virtuels.
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Au-delà de l’écran, les équipes de OUI. sncf organisent environ une fois par mois
des ateliers à Paris et en
régions au cours desquels
les clients membres de la
communauté OUI Talk
sont invités à faire en-
tendre leur point de vue
sur les services et à par-
tager leurs idées sur les
fonctionnalités ou projets
du site et de l’appli.

À mesure qu’augmente la capacité d’interaction des parties prenantes, pour le meil-


leur mais aussi pour le pire, grandit le besoin de fonder la communication sur un
ordre nouveau. Puisque les différents pouvoirs – État, entreprises, marques, ONG,
individus – sont de plus en plus connectés, il est temps de mettre plus d’écoute, de
respect et de coopération dans les démarches de communication. Comme dans cet
exemple, des modalités de communication beaucoup plus efficaces sont possibles.

4.3 Appliquer à la communication le principe


de bon voisinage
La notion de bon voisinage, appliquée à la communication des entreprises et des
institutions, peut donner, de manière simple, concrète et structurante, tout son
sens à l’expression « parties prenantes ». Communiquer à l’âge des réseaux sociaux
a montré le primat de la relation : le voisin (digital) peut être un précieux allié
ou un opposant virulent, selon le comportement adopté à son égard. Plus que
la production et l’émission de supports de communication, les parties prenantes
attendent de la considération, comme des voisins veulent qu’on les respecte.

270
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

Herbert Marshall McLuhan (1911-1980)


Herbert Marshall McLuhan est l’un des fondateurs des études contemporaines sur les
médias. L’idée centrale de son travail peut se résumer par une formule devenue célèbre :
« the medium is the message ». La phrase est extraite de l’ouvrage Understanding
Media: The extensions of man publié en 1964 et qui sera traduit en français en 1968
sous le titre Pour comprendre les médias. Pour McLuhan, la nature du média, c’est-
à-dire le canal de transmission d’un message, est plus importante que le sens ou le
contenu même du message. Il écrit : « [...] en réalité et en pratique, le vrai message,
c’est le médium lui-même, c’est-à-dire, tout simplement, que les effets d’un médium
sur l’individu ou sur la société dépendent du changement d’échelle que produit
chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre
vie. » La thèse de McLuhan est que les innovations technologiques marquent les âges
de développement de l’humanité : « Nous façonnons des outils qui, à leur tour, nous
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façonnent… ». Dans La Galaxie Gutenberg (1962), McLuhan décrit les trois étapes de
développement du processus de communication. Ainsi, au « stade primitif » d’avant
l’invention de l’écriture, l’ouïe est essentiellement sollicitée pour percevoir la parole.
Avec l’invention de l’imprimerie, un deuxième sens est mobilisé : la vue. En entrant dans
la civilisation de l’audiovisuel avec la radio puis la télévision (« la Galaxie Marconi »),
la proximité des sociétés orales est recréée… Qu’aurait dit McLuhan de la révolution
numérique, lui, le philosophe, sociologue, professeur de littérature anglaise et théoricien
de la communication canadien à qui l’on doit le concept de « village global » ? ■

Pour une entreprise, être un bon voisin, c’est adhérer à des principes qui guident
l’action, c’est prendre l’engagement de faire le nécessaire pour occuper une
juste place dans le voisinage. Comment ? Déjà, en laissant de côté la technique
pour penser la communication comme le ferait un voisin à l’égard de ceux qui
l’entourent. Pour une entreprise ou une marque aussi, la vie en société suppose
le respect de certaines règles de « savoir-vivre ». Les qualités du bon voisin sont-
elles transposables à la communication des entreprises et des institutions ? Assez
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facilement si on considère qu’au-delà du respect de la loi, un bon voisin est attentif


aux autres, se soucie de leurs préoccupations, veille à ne pas les gêner et à ne pas
les mettre en danger. Dans son comportement, il est courtois, ouvert, serviable,
s’emploie à éviter les conflits et à les régler de manière juste lorsqu’ils surviennent.
Que le voisinage soit géographique, à l’égard des riverains, ou virtuel dans la rela-
tion que les entreprises et les marques entretiennent, en ligne, avec leurs publics,
la stratégie de communication la plus pertinente aujourd’hui consiste à se mettre
à la place de ses voisins pour prendre conscience de leurs préoccupations, de leurs
attentes et de leurs envies. Qui apprécie d’être en relation avec un voisin bruyant,
vantard, irrespectueux, menaçant, voire dangereux ? C’est pourtant ainsi que les
entreprises et les marques se sont longtemps comportées – et se comportent parfois
encore – dans leur environnement immédiat et dans leur communication publicitaire.

271
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

FOCUS
Tous voisins dans le village global ?
La proximité, l’instantanéité et l’interactivité que permet Internet doivent conduire à privilégier une
communication plus relationnelle qu’instrumentale, moins produite que vécue, ressentie, expérimentée.
Au risque d’être contre-productive, la communication doit désormais chercher à favoriser des relations
d’échange et de coopération entre les parties prenantes, internes et externes, plus qu’à imposer le point
de vue unique de l’émetteur. Elle doit être inclusive et reconnaître que les différents acteurs d’une
organisation partagent une communauté de destin. Si, au siècle dernier, Herbert McLuhan soutenait
que « the medium is the message », on peut dorénavant avancer que « social is the message ».

Exemple 8
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Toute l’équipe organise des ateliers de dégustations de nos chouettes recettes.
Au programme : bar à vaches, bar à cookies, tests produits et une conférence
pour TOUT savoir sur notre drôle d’aventure.
Ne criez pas. Ne paniquez pas. C’est GRATUIT !

En 2005, Michel & Augustin font une entrée remarquée sur le marché des biscuits,
dominé par des géants comme, par exemple, le groupe Mondelēz International (LU,
Vandame, Oreo…). Lorsque les « trublions du goût » lancent leur entreprise et imposent
leur marque, ils ne disposent pas de budget publicitaire équivalent à ceux de leurs
grands concurrents. Ils optent alors pour une démarche de communication relation-

272
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

nelle nourrie d’événements largement médiatisés. Jouant des médias traditionnels


et des médias sociaux, ils parviennent à capter l’attention et à gagner le cœur d’un
public toujours plus nombreux. Sans investissement publicitaire, ils prennent place en
quelques années sur un marché dominé par des marques historiques beaucoup plus
puissantes. Depuis bientôt quinze ans, Michel & Augustin gèrent leur communication
sur le mode du voisinage en recevant chez eux tout au long de l’année.

Pour une entreprise comme pour une marque, gérer des relations de bon voisinage
passe par la rencontre. L’ouverture est la meilleure façon de se faire accepter par
ses voisins – et peut-être même de se faire préférer. Tous ne pourront pas être
rencontrés mais ils en recevront la proposition. Les formats de la communication
relationnelle sont variés. Dans le registre institutionnel, les sessions de parties
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prenantes sont de formidables moments de rencontre où se fabrique le consen-
sus entre « voisins » partageant une même préoccupation ou concernés par un
même enjeu. Le tourisme industriel, les opérations portes ouvertes ou encore
la Fête des Voisins au travail, par exemple, sont des formats de communication
authentiquement relationnels.
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273
Partie 4 Quand la communication se fait plus relationnelle

Les points clés


¼¼La profession des relations publics est née aux États-Unis à la fin du XIXe siècle
en réponse à la nécessité, pour les entreprises et les institutions, de gérer
l’opinion.

¼¼La « Déclaration de principes » d’Ivy Lee, prononcée en 1906, définit les


fondamentaux des relations publics : pas de secret, pas de confusion avec
la publicité, mise à disposition du public d’une information utile et digne
d’intérêt.

¼¼« L’ingénierie du consentement », selon Edward Bernays, est consubstantielle


à la démocratie car un système démocratique a besoin d’être régulé par une
élite éclairée qui a le pouvoir de persuader l’opinion du bien-fondé de ses
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propositions et de ses décisions.

¼¼Les démarches de relations publics tendent à mobiliser trois effets cumulatifs :


l’effet prescription (faire dire par d’autres plutôt que dire soi-même), l’effet
caution (faire valider ses arguments par des tiers de confiance) et l’effet
démultiplication (diffuser son message à travers les médias traditionnels et
sociaux ainsi que par le truchement d’autres relais d’opinion).

¼¼Les communications relationnelles sont, par nature, multi-objectifs, multi-


publics et multi-techniques.

¼¼Plus que toute autre forme de communication, la communication de crise


exige un haut niveau de préparation pour être en mesure de réagir vite et
bien le moment venu.

¼¼Une stratégie de communication relationnelle se pilote dans la durée, sur


la base d’un plan qui permet d’en assurer la pertinence et d’en mesurer la
performance.

¼¼La notion de bon voisinage permet de mettre plus d’écoute, de respect et de


coopération dans les démarches de communication car les parties prenantes
attendent de la considération, comme des voisins veulent qu’on les respecte.

274
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles

APPLICATIONS ! Corrigés p. 282

6 Les médias sont des publics :


QCM a. Relais.
b. Finaux.
Une seule bonne réponse est possible pour chacune
des questions. 7 Les notions d’« image » et de « réputation » sont :
a. Synonymes.
1 En 2011, le syndicat représentatif des agences b. Interchangeables.
françaises de relations publics a souhaité qu’on c. Spécifiques et complémentaires.
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orthographie désormais relations publics plutôt
que relations publiques pour :
a. Attirer l’attention sur l’activité de ses membres.

Questions
b. Rectifier la mauvaise traduction de l’anglais « rela-
tions avec les publics ».

2 L’opinion désigne :
a. L’acquiescement donné à une organisation par ses
de réflexion
parties prenantes.
b. La pensée dominante d’une société, à un moment 8 Proposer une stratégie de relations publics
donné. La marque COG, qui souhaite conquérir le marché
français de la chaussure végane, vous demande conseil.
3 La communication institutionnelle ou Proposez à cette entreprise fondée par un défenseur
« corporate » : de la cause animale une stratégie et un plan d’action
a. A vocation à promouvoir les produits ou les services de relations publics, sachant que cette start-up n’a pas
ainsi que l’institution elle-même. les moyens de financer une campagne de publicité.
b. N’a pas vocation à promouvoir les produits ou les
services mais l’institution elle-même. 9 Rédiger la « Charte du bon voisin »
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de l’entreprise BVE
4 L’origine du mot « lobbying » fait référence au L’entreprise BVE, dont la Charte de valeurs parle
mot anglais lobby, et évoque : notamment d’esprit d’équipe et d’innovation, veut
a. Le hall d’un hôtel. rendre plus concrète et plus opérationnelle sa culture
b. L’action d’appuyer fortement sur quelque chose d’entreprise à travers la rédaction d’une Charte du
pour le faire plier. bon voisin qui définirait son comportement à l’égard
c. Le fait de tirer sur le lobe de l’oreille pour signifier de ses parties prenantes. Proposez-lui la structure
qu’on veut se faire entendre. de cette Charte.

5 En combien de catégories les objectifs de


communication sont-ils généralement classés ?
a. 2.
b. 3.
c. 5.

275
Conclusion
La communication ne peut se retrouver décrite tout entière dans une définition
simple. Transversale par nature, la communication est à la fois une science par-
tagée par plusieurs disciplines, une pratique de transmission et une action de
mise en relation. La communication évoque l’acte de communiquer mais aussi
les moyens techniques de la communication. Verbale et non verbale, elle est le
fait de l’être humain mais aussi de l’animal, de la plante et même de la machine.
Avec l’Internet des objets, elle concerne désormais – et ce n’est qu’un début ! –
les modalités d’échange d’informations homme/machine et potentiellement de
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machine à machine.
Tout aussi complexe, la communication organisationnelle, objet de ce manuel, est
un domaine qui relève à la fois des Sciences de l’Information et de la Commu-
nication, de la Sociologie des organisations, de l’Anthropologie et, bien sûr, des
Sciences de gestion. Car, dans la pratique professionnelle, aucune fonction des
organisations ne peut plus ignorer l’importance des enjeux de communication.
Matière vivante par excellence, la communication est une discipline en perpé-
tuelle évolution : elle se pense dans des contextes de société et se déploie grâce
aux moyens techniques que l’époque met à la disposition des professionnels.
Devenue un enjeu stratégique pour les entreprises et les institutions, elle s’inscrit
dans une pensée théorique (! chapitre 1), dans une histoire, celle des dispositifs
médiatiques (! chapitre 2), dans une pratique en réinvention permanente, celle
des journalistes et des influenceurs digitaux, apparus avec l’explosion des réseaux
et des médias sociaux (! chapitre 3).
La communication n’est pas une pratique hors-sol. Utilisée par les organisations
pour atteindre leurs objectifs stratégiques et pérenniser leurs activités, elle se
situe au point de rencontre, parfois brutal, entre les logiques de marché et les
logiques de société. De fait, les professionnels de la communication ne peuvent
ignorer les modèles économiques qui constituent la toile de fond idéologique
de leur action (! chapitre 4). Ils doivent pouvoir mobiliser la performativité de
la communication (! chapitre 5) et savoir maîtriser les nouveaux canaux de
l’influence (! chapitre 6).
Combinée au marketing, la communication crée de la valeur pour les marques et
participe à les intégrer dans l’espace public (! partie 3). Car même si les pratiques
publicitaires s’adaptent et se réinventent (! chapitre 9), il arrive que le marché
donne l’impression de prendre le pas sur la société. Influencer l’opinion, gérer
l’image et construire la réputation deviennent alors des impératifs (! chapitre10).

276
Conclusion

Convoquée pour recréer l’équilibre indispensable à l’acceptabilité du fait écono-


mique (! chapitres 11 et 12), la communication se fait alors plus relationnelle.
Penser la communication consiste cependant à mettre à distance les grandes pro-
phéties autour des « révolutions » médiatiques et à se méfier des effets de mode.
Face à une discipline qui trouve sa dynamique dans l’instabilité, le chercheur,
l’étudiant tout comme le professionnel, doivent savoir raison garder : porter un
regard critique sur le dernier concept en vogue, résister à l’aveuglement tech-
nologique, ne pas succomber aux discours tout faits. La communication dessine
un champ heureusement ouvert et complexe, qui croise en permanence le temps
court des innovations et le temps long des pratiques et des dispositifs.
Marquée par la révolution numérique, encore récente, l’époque ne donne pas au
praticien le recul dont il aurait besoin pour apprécier la portée des phénomènes
de communication qui émergent et se développent avec une rapidité inédite.
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C’est précisément pourquoi, plus que jamais, il doit faire l’effort de questionner
des notions fondamentales comme la transparence, la proximité, l’interactivité,
l’authenticité… Seule une approche réflexive qui interroge sans cesse les pratiques
et les discours lui permettra d’être toujours juste et pertinent.

277
Partie 4
Corrigés Quand la communication se fait plus relationnelle

CORRIGÉS pas un dispositif médiatique où tout peut se produire. La


Chapitre 1 relation entre l’éditeur du blog et ses contributeurs n’est pas
symétrique car, par la modération a priori et/ou a posteriori,
1 a. 2 b. 3 c. 4 b. 5 a. 6 b. le premier contrôle les publications des seconds, autorisant
la parole de celui-ci mais pas de celui-là.
7 La « re-féodalisation » de l’espace public
Dans la pensée de Jürgen Habermas, l’espace public (ou sphère 8 Journaliste papier, journaliste web
publique) est l’espace démocratique dans lequel prennent place Il est bien entendu difficile d’affirmer avec certitude ce qu’il
les tâches de critique, d’influence et de contrôle assumées en sera des périmètres médiatiques et des délimitations
par les citoyens à l’égard de l’État. N’étant pas composé de exactes des métiers du journalisme. Néanmoins, si l’on en
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sujets de l’État ni d’agents économiques préoccupés par des juge par les tendances qui s’affirment en matière de pra-
affaires d’intérêt individuel mais par un public raisonnant tiques journalistiques, tout porte à croire que les fonctions
de manière libre et éclairée, l’espace public est l’endroit où des journalistes vont poursuivre leur mouvement vers une
peut se générer l’autorité légitime, c’est-à-dire l’articulation plus grande transversalité :
de l’intérêt général authentique. C’est dans cet espace public, – transversalité des supports tout d’abord : face au choix
différent de la sphère du pouvoir et de l’espace « privé », que quasi unanime des titres de presse pour un statut « bi-média »,
peut se former une opinion publique. Mais si le peuple est il devient indispensable pour tout journaliste de manier une
dépolitisé et qu’à la « publicité critique » se substitue une écriture orientée à la fois vers le papier et le numérique ;
publicité « de démonstration et de manipulation », on passe – transversalité des rôles éditoriaux ensuite : que le sup-
de la culture « discutée » à la culture « consommée », de la port soit papier, audiovisuel ou numérique, la présence sur
rhétorique au marketing politique. Lorsque l’opinion publique, le Web est nécessaire pour « amplifier » la résonance des
telle qu’envisagée par Habermas, est neutralisée, le public contenus, ne serait-ce que sous la forme du relais sur les
est alors « vassalisé », soumis au contrôle social exercé par sites web, les blogs, les réseaux sociaux et autres interfaces
l’État et, alors que se développe la société de consommation ou plateformes vidéo ;
à partir de la fin du XIXe SIÈCLE, soumis aux intérêts privés qui – transversalité des contenus enfin : la nature « hybride »
agissent pour progressivement transformer l’espace public des dispositifs médiatiques d’information favorise une com-
en un vaste espace marchand. En ce sens, les lois du marché position « transmédiatique » des contenus qui se complètent
engendrent une re-féodalisation de la société. dans chacun des supports où ils se trouvent.
Ces tendances sont générales et entérinent l’idée que l’avenir
des médias est à la « convergence ». Cela n’induit pas pour
autant la mort des médias (comme on l’annonce trop souvent)
Chapitre 2 et cela n’implique pas l’effacement des « spécialités » ou des
« spécificités » de chacun des supports. Seul le temps nous
1 b. 2 a. 3 b. 4 b. 5 a. 6 a. dira comment cette dialectique de la convergence et de la
spécialité se manifestera dans des gestes journalistiques et
7 Le blog participatif, un dispositif pas si simple éditoriaux particuliers.
Bien que fondé sur une logique de participation et d’inte-
ractivité, un blog est un média qui, en tant que tel, connaît
au moins trois types de contraintes :
– d’abord, les contraintes techniques régies par les interfaces Chapitre 3
d’administration qui imposent des formats et des usages ;
– ensuite, les contraintes légales liées à la responsabilité 1 c. 2 c. 3 b. 4 b. 5 c. 6 c 7 a.
d’éditeur (déclaration à la CNIL, mentions légales, obligation
d’information des lecteurs sur la collecte des données, etc.) ; 8 TikTok sur le port du masque pendant la
– enfin, les contraintes définies par l’éditeur du blog lui- pandémie de Covid19 en 2020
même : contrairement à sa promesse de liberté, un blog n’est Réponse propre à chaque étudiant.

278
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles
Corrigés

Chapitre 4 Chapitre 5
1 c. 2 b. 3 c. 4 a. 5 a. 6 a. 7 d. 1 c. 2 c. 3 c. 4 b. 5 a.

8 Nouveau siècle, nouveaux enjeux 6 Les nouveaux visages de la parole efficace


Notre siècle est confronté à divers défis, néanmoins, deux au L’essor des nouveaux médias et des nouveaux écrans modi-
moins incarnent de manière significative les grands enjeux fient les modalités d’expression et reconfigurent la notion
contemporains : la crise écologique et la financiarisation même de parole. De plus en plus écrite, inscrite, transcrite
de l’économie. sur les écrans, la parole entre dans une phase d’extension de
– La crise écologique tout d’abord car elle marque la ses manifestations, en augmentant sa mise en visibilité. Dès
difficulté de concilier harmonieusement croissance éco- qu’un homme politique est interrogé par un média télévisuel
nomique et développement durable. La surexploitation des par exemple, sa parole est immédiatement transformée en
ressources naturelles, induite par les modalités de calcul de la citations qui défilent en temps réel en bas de l’écran dans le
croissance, génère des externalités négatives de plus en plus cas des chaînes d’information en continu ou sur des écrans
prégnantes qui menacent tangiblement l’équilibre naturel de placés derrière lui dans le cas de certaines émissions poli-
la planète. Il convient en outre de souligner que la démogra- tiques sur des chaînes généralistes.
C’est également le cas dans nos interactions les plus or-
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phie mondiale explose, et qu’en l’absence de changements
majeurs, le tout pourrait entraîner un profond déséquilibre dinaires et les plus quotidiennes : le SMS, le chat, le post,
le like sont devenus des opérations banales d’écriture sur
de l’écosystème global. Il importe en conséquence d’inventer
écran qui donnent à la prise de parole un nouveau « visage
de nouvelles modalités de production et de consommation
médiatique ».
si l’on ne souhaite pas subir un bouleversement social et
De ces modifications modestes et profondes de nos formes et
géopolitique inédit.
de nos formats discursifs, il découle une nouvelle configura-
– La financiarisation de l’économie ensuite, car elle incarne
tion de la performativité et donc une nouvelle définition des
une explosion historique des activités financières dans le
« actes de langage ». L’expression, l’opinion, la mobilisation,
produit intérieur brut des pays dits développés conduisant
l’engagement, mais aussi le dialogue, l’interaction, en un
– par effet de chaîne – à un système qui oriente la majeure
mot l’échange, se trouvent inscrits dans des « situations de
partie de ses revenus en direction du capital, et s’ajuste communication » beaucoup plus variées et complexes. Loin
progressivement à la loi du dividende. Nous pourrions y d’accréditer l’hypothèse d’un appauvrissement, ces formes
ajouter l’émergence d’un secteur de plus en plus opaque, où renouvelées de la performativité offrent des espaces et des
les échanges de produits complexes s’opèrent de gré à gré outils souvent plus subtils pour la relation, dans la mesure où
dans un vaste maillage de paradis fiscaux : le tout conduisant elles ne se substituent pas forcément aux anciennes modalités et
à une instabilité historique des marchés internationaux dont « procédures » de prise de parole, mais viennent les compléter.
dépend notamment… la paix mondiale.
La crise écologique et la financiarisation posent in fine la 7 La monétisation factitive des échanges
même et lancinante question de la gouvernance des marchés, numériques
dans la mesure où les deux problématiques germent sur la Qu’elles soient directement commerciales ou qu’elles re-
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base d’un profond déficit de régulation. Et pour cause, les couvrent des institutions, des associations ou des médias, les
marchés sont planétaires et s’ajustent en temps réel… là où marques incarnent de manière symbolique et sémiotique les
la plupart des modalités de gouvernance sont confinées à organisations. Elles sont au cœur d’enjeux et de stratégies
l’intérieur de frontières nationales, parfois continentales, et de plus en plus sophistiqués, qui s’adaptent eux aussi aux
soumises à la lente temporalité des démocraties. Pourtant, évolutions et aux mutations médiatiques.
les marchés ne peuvent être à la fois pérennes et efficients Elles s’inscrivent, en outre, dans un contexte de plus en plus
sans une véritable autorité à même de garantir le respect des sociétal et culturel (! voir chapitres 8 et 9), ce qui les oblige
contrats, le droit de la propriété privée ou encore une fiscalité à nouer des relations variées avec les consommateurs. Leur
équitable, à l’endroit de tous les agents économiques, pour objectif économique se trouve ainsi d’autant plus associé à
endiguer les effets consécutifs à une mauvaise répartition un objectif relationnel et social, qui les conduit à créer du
du capital. Il convient en conséquence d’imaginer un nou- lien au-delà du simple acte d’achat des produits.
veau modèle de gouvernance démocratique des marchés, Tant et si bien que d’autres actes deviennent essentiels pour
ainsi qu’une approche nouvelle en matière de croissance qu’une marque perdure et suscite l’adhésion : des actes de
et de consommation régie par une implacable exigence en langage qui ne relèvent plus seulement de la dimension
termes de valeurs humanistes et écologiques. Ainsi, lenteur « perlocutoire » (faire agir), mais encore de la dimension
et sobriété pourraient tout à fait incarner les deux axes clés « interlocutoire » (faire parler). En apparaissant sous une
d’un nouveau modèle économique plus apaisé. forme médiatique accessible sur les écrans et notamment

279
Partie 4
Corrigés Quand la communication se fait plus relationnelle

sur les réseaux sociaux, les marques peuvent devenir des 7 Enjeu de la mesure de la performance
interlocuteurs, voire des « amis »… Plusieurs facteurs rendent complexe la prétention à mesurer
Plus utilement encore, elles gagnent à devenir l’objet d’une l’influence en ligne. En premier lieu, on peut évoquer des
« conversation numérique » en créant des événements dis- difficultés d’ordre idéologique relatives à la notion même
cursifs (un buzz, un contenu viral, etc.) et en essayant de d’influence. En quoi le fait de cliquer pour « aimer » ou « par-
constituer des regroupements, des communautés de parole tager » un contenu recommandé revient-il pour l’internaute
autour d’elles. à « se faire influencer » ? Ne tend-on pas vers un clivage
À côté d’une performativité verticale (celle de la communi- trop schématique entre « influenceurs » et « influencés » ?
cation publicitaire traditionnelle, par exemple), les marques En second lieu, on peut s’interroger sur la manière dont les
cherchent à construire des formules performatives toujours professionnels de la communication digitale interprètent les
plus indirectes et apparemment désintéressées, c’est-à-dire indicateurs de performance que les sites du Web contempo-
riches en contenus et en relations. Les professionnels de la rain leur fournissent. Est-ce qu’un nombre de like possède
communication digitale parlent alors d’une « monétisation » la même valeur selon que l’on travaille pour un journal, un
symbolique de la parole, qui repose sur le calcul du nombre musée ou une marque de chocolats ? Cherche-t-on du volume
d’occurrences sur la toile, du nombre de « vues » ou de en chiffres ou des retombées plus qualitatives qui engagent
« clics », c’est-à-dire du nombre de micro-actes de langage davantage les internautes ? En dernier lieu, on peut prendre
qu’une marque a occasionnés. Il s’agit d’occuper l’attention en compte des facteurs plus opaques comme l’existence
des consommateurs, et non plus seulement de viser une
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d’un marché noir de robots-cliqueurs (pour augmenter
rentabilité économique directe. artificiellement les nombres de like, vues, followers) ou les
modifications propres aux sites intermédiaires qui sont en
constante évolution (changements des algorithmes ou des
formes des boutons de Twitter ou Facebook, comptabilisation
Chapitre 6 des « gens qui en parlent », etc.).

1 a. 2 a. 3 b. 4 b. 5 a.

6 La théorie de l’influence personnelle à l’heure


du digital
Chapitre 7
Deux aspects des dynamiques de recommandation en vigueur 1 a. 2 b. 3 b. 4 c. 5 a. 6 c.
sur le Web peuvent renvoyer à la pensée de Gabriel Tarde.
– D’une part, on peut penser aux logiques d’imitation 7 Le succès public du regard anthropologique
sociale qui sont encouragées par les géants industriels du Le musée du quai Branly a été ouvert en 2006 à Paris. Ce
Net : en partant de l’idée selon laquelle les gens s’imitent projet de faire un musée des arts et civilisations d’Asie,
les uns les autres, boutons, noms et visages sont matraqués d’Océanie et des Amériques a été porté par Jacques Chirac
à l’écran pour que chaque internaute consomme certains alors président de la République et passionné d’art dit pri-
contenus comme le font ses semblables. mitif. Le bâtiment a été conçu par l’architecte français Jean
– D’autre part, la métaphore de la « contagion », employée Nouvel, en faisant ainsi un monument à visiter parmi toutes
par Tarde pour décrire des opinions et des sympathies qui les autres œuvres architecturales de la capitale française.
se « répandent » entre les individus, reste proche d’autres L’ambition du musée est de présenter des objets d’art premier,
métaphores utilisées de nos jours pour décrire la démul- c’est-à-dire des objets dont la valeur est à la fois ethnologique
tiplication des recommandations : les contenus sont dits et esthétique. Il s’agit de reconnaître et de réhabiliter les
« viraux » lorsqu’ils circulent dans des conversations de productions des peuples et des cultures non européens en
bouche-à-oreille jusqu’au point d’atteindre une foule qui leur donnant le statut d’œuvre d’art.
les relaie et fait le buzz. Le musée participe à l’image qu’a le grand public de l’an-
De manière plus explicite, l’héritage des travaux de Paul thropologie et de l’ethnologie : un mode de connaissance
Lazarsfeld et ses collaborateurs se fait sentir à l’écran à sur des cultures considérées comme « autres » dans le but
travers des signes qui cherchent à canaliser par écrit des de présenter et comprendre la diversité humaine. Chaque
« influences interpersonnelles ». La position selon laquelle « ethnie » aurait ainsi son mode de vie, ses croyances, ses
les individus seraient davantage influencés par les recom- rituels, son organisation sociale, ses productions matérielles
mandations d’amis, de proches et de collègues que par les et immatérielles ; sa culture. Cela nourrit donc une vision
médias en eux-mêmes peut expliquer l’emploi habile de ethnologique du monde, c’est-à-dire l’idée selon laquelle le
la métaphore de « l’amitié » pour qualifier les contacts sur monde est divisé en différences de type culturel.
les réseaux. De même, l’intérêt pour les figures du leader Cela participe aussi de l’idée que le seul fait d’être non-eu-
d’opinion et du follower sur le Web renvoie à la terminologie ropéen rassemble sous une même catégorie, celle d’art
du modèle des deux étages de la communication. premier, des productions très différentes qui relèvent de

280
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles
Corrigés

pratiques culturelles quotidiennes, voire banales, qui sont


ainsi sorties de leur contexte d’usage et de leur histoire pour Chapitre 9
devenir des objets de musée.
1 b. 2 b. 3 a. 4 c. 5 b.
En terme communicationnel, ce musée favorise donc la
« médiagénie » d’une ethnologie prise dans son sens le plus
6 Le choc Benetton
classique. Ceci a quelque chose de paradoxal dans la mesure
Signées du photographe Oliviero Toscani, les affiches
où, d’une part, il est de moins en moins avéré que les groupes
évoquent des sujets de société sans rapport apparent avec
humains, aussi lointains soient-ils, vivent dans des sortes
les produits sur un ton provocant. La publicité, jusque-là
d’isolats culturels. Et, d’autre part, l’ethnologie connaît de-
centrée sur le produit et la marque, se pose désormais en
puis les années 1980 environ un tournant plus contemporain
acteur culturel et social. Un statut confirmé par la signature
en étudiant non plus seulement les peuples lointains mais
de la marque – United Colors of Benetton – qui l’assimile
aussi les sociétés proches et plus particulièrement les villes,
à une organisation internationale, légitime pour porter un
la politique, le travail, l’économie, la communication…
discours politique à l’échelle de la planète. La communica-
tion publicitaire de Benetton marque l’entrée du discours
publicitaire dans la sphère des débats de société.

Chapitre 8 7 L’expérience avec la marque


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Dans la société post-consumériste, le rapport à la publicité
1 a. 2 ab. 3 abcd. 4 a. 5 bc. 6 a. 7 ?. 8 bc. 9 d. 10 c.
et aux marques a changé de nature. Parce que les médias
sociaux sont désormais les lieux où bat le cœur des marques,
11 Marketing et branding les directions du marketing doivent inscrire leurs stratégies
Jean Baudrillard s’inscrit dans la perspective « situation- dans des logiques de plus en plus participatives. En complé-
niste » de la « société du spectacle », théorie qui envisage ment et en prolongement de l’interactivité permise par le
la transformation des marchandises en « signes » et leur Web, il faut alimenter les conversations par des expériences
consommation en « spectacle ». Si la perspective de Bau- physiques, aussi concrètes que possible, de la marque. Plutôt
drillard est critique, il s’avère que le constat ne cesse de que d’être simplement exposés à un message, les publics
donner des preuves de sa pertinence. Il suffit de penser à la sont invités à rencontrer la marque et à participer entre eux
pratique du « selfie » et des réseaux sociaux, qui manifeste à son initiative, à des événements qui donneront lieu à des
cette tendance des individus-consommateurs à se montrer communications sur les médias sociaux. Les événements sont
en train d’acheter des produits, de les essayer, de les arborer, autant d’occasions de mettre les consommateurs en contact
voire de les consommer… direct avec la marque et, plus important encore, en contact
À un niveau symbolique, l’émergence du « branding » ou plus entre eux grâce à la médiation de la marque.
encore du « brand content » enfonce encore le clou de cette
hypothèse « sémiotique » (Jean Baudrillard parle de « valeur
d’échange-signe » des « objets » consommés). La marque
produit non seulement des biens de consommation, mais
de plus en plus des « contenus » à forte valeur symbolique
Chapitre 10
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ou culturelle. Le champ du luxe est emblématique de ce 1 c. 2 a. 3d. 4c. 5c.


mouvement. Mais la présence de l’ensemble des marques sur
des espaces médiatiques nouveaux, généralement orientés 6 L’e-réputation
vers une communication directe avec sa « communauté » Tout d’abord, il est utile de préciser que l’e-réputation est
de consommateurs, les incite à produire des messages de constituée à la fois des contenus visibles sur le Web (les
nature « médiatique », « sociale » et « culturelle ». La logique contributions de tiers et du sujet) ainsi que de la somme des
de la « connexion », du « partage » et de la « conversation » traces produites par toute activité digitale. L’internaute n’a
numérique cherche à maintenir un lien plus ou moins constant pas nécessairement conscience de la pluralité et de l’étendue
avec son consommateur-public. des informations qu’il produit et que l’on peut qualifier sur
À cet égard, le « personal branding » est à entendre à un sa personne. L’un des mythes fondateurs d’Internet, à savoir
double niveau sémiotique : il implique à la fois que les indivi- la gratuité, est souvent mis en avant par les grands acteurs
dus, connectés, se comportent comme des marques en quête économiques du Web (Google, Facebook, etc.) alors même
de bonne visibilité, et que les marques, de leur côté, mettent que l’internaute est « le produit » de par l’audience digitale
tout en œuvre pour « s’humaniser » et se « personnaliser ». La qualifiée qu’il représente.
nature de l’échange recherché n’est plus seulement commer- Dans un deuxième temps, il faut préciser que l’identité numé-
ciale, mais toujours plus « relationnelle » et donc chargée en rique d’un individu est constituée, entre autres, de la somme
signes de connivence et de communauté de valeurs. des identités personnelles qui le qualifient. Dans un même

281
Partie 4
Corrigés Quand la communication se fait plus relationnelle

espace, en particulier les réseaux sociaux, l’internaute doit


faire « cohabiter » l’ensemble de ses identités individuelles, Chapitre 12
ce qui ne va pas de soi. L’individu doit alors assurer la ges-
tion de son identité numérique pour pouvoir exploiter au 1 b. 2 b. 3 b. 4 a. 5 b. 6 a. 7 c.
mieux le potentiel de mise en relation et de ressources que
propose le Web et en même temps ne pas être pénalisé par
8 Proposer une stratégie de relations publics
un conflit de ses identités personnelles en ligne. Dans les grandes lignes, la recommandation doit être struc-
Dernier point, l’e-réputation d’un individu interroge le turée comme suit.
droit à l’oubli de celui-ci. Alors que l’Europe cherche à – L’analyse du contexte se fonde sur des données clés
consacrer une prééminence de la protection de la vie pri- comme le potentiel du marché, l’état de l’opinion, le contexte
vée des individus, les pays anglo-saxons et les États-Unis réglementaire, etc.
en tête reconnaissent le droit à l’oubli numérique sous la – La cartographie des publics recense les publics qui
contrainte du droit à l’information. Ils vont alors consacrer peuvent avoir une influence décisive : au-delà des consomma-
le droit des individus à disposer des informations nécessaires teurs, cible commerciale, COG doit compter avec l’opinion,
pour contracter librement entre tiers. Il est donc aisé de positive ou négative, de nombreuses parties prenantes : les
percevoir que l’e-réputation d’un individu dépasse le cadre pouvoirs publics, les associations militantes, les associations
de l’image de celui-ci sur le Web pour devenir un véritable protectrices des animaux… et pourquoi pas, d’autres publics
enjeu de société. qu’on pourra actionner comme des « leviers » pour installer
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l’entreprise sur son marché : des célébrités, des influenceurs
ou encore des personnalités reconnues qui s’expriment
dans les médias.
Chapitre 11 – Les objectifs business, une fois précisés (par exemple
prendre 5 % de parts de marché dès la première année,
1 a. 2 b. 3 b. 4 a. 5 c. 6 a. ouvrir 10 boutiques dans les 18 mois…), sont traduits en
objectifs de communication (notoriété, image, réputation)
7 Lâcher-prise : risques et opportunités et exprimés de manière à être évalués : nombre de retombées
La popularisation des usages du Web a considérablement dans les médias, taux de clic sur le site Internet, nombre
modifié le comportement des individus à l’égard des en- d’invitations à parler dans des conférences sur le thème de
treprises. Avec le Web social et l’explosion des médias la bientraitance animale…
sociaux, l’utilité d’Internet ne se limite plus à la recherche – Pour le parti pris stratégique, deux voies peuvent être
d’information. Les entreprises ont bien compris que si leur envisagées compte tenu de l’offre de COG : l’axe « bien-être
présence en ligne comportait des risques qu’il fallait anticiper animal » ou l’axe « mode-tendance ».
et, le cas échéant, savoir gérer, plus nombreux étaient les – Le plan d’actions doit prévoir des moyens pertinents pour
bénéfices à retirer d’une stratégie digitale bien conduite. influer favorablement sur l’opinion des publics identifiés :
– Bénéfices : accroître la visibilité, moderniser l’image, des relations médias et des relations blogueurs, peut-être la
présenter les produits, gérer la relation client en temps réel participation à des événements, ou toute autre forme de prise
et sur de nouveaux canaux, attirer de nouveaux clients, de parole permettant de « mettre à l’agenda » la pertinence du
toucher les jeunes diplômés, recruter… et aussi, répondre choix de chaussures véganes… Au-delà de la pertinence des
aux critiques, faire entendre le point de vue de l’entreprise actions, c’est le budget disponible qui décidera de l’ampleur
en cas de crise. du plan. Le budget permet-il, par exemple, la création d’un
– Risques : au-delà de la perte de la maîtrise absolue de événement de marque pour le grand public ?
la communication, les risques sont liés à l’interactivité – Les indicateurs de performance, décidés en regard des
que permettent les médias sociaux. Ainsi, un manque de objectifs, doivent mesurer l’impact de chaque action pour
réactivité dans la réponse à une interpellation ou une ré- permettre d’apprécier le retour sur investissement : progres-
ponse inadaptée peuvent porter atteinte à l’image ou à la sion de la couverture médiatique, du nombre de blogueurs
réputation d’une entreprise. Cependant, le risque le plus avec lesquels la relation est établie, du nombre de « fans » et
grand est certainement d’être absent de la conversation ou de « followers », nombre de participants aux événements…
dans l’incapacité d’y prendre part pour se faire entendre et – Le budget détaille le coût de chaque action en incluant
empêcher que le fil de la relation ne se rompe. un poste « études » destiné à la mesure de performance.

8 Quand la communication de l’organisation/ 9 Rédiger la Charte du bon voisin d’entreprise


institution devient communication de sa contribution, BVE
quels nouveaux récits l’organisation peut-elle mettre Un bon voisin fait tout son possible pour limiter les nui-
en place ? sances et met tout en œuvre pour agir lorsqu’un problème
Réponse propre à chaque étudiant. survient. Il attend, réciproquement, que ses voisins aient le

282
Chapitre 12 Des relations publiques aux communications relationnelles
Corrigés

désir d’entretenir, comme lui, des relations de respect et de Respect des engagements
collaboration dans la durée. On est en droit d’attendre que chacun se conduise de ma-
nière éthique en toutes circonstances et soit comptable de
Respect de la clientèle
ses actes. Un bon voisin est digne de confiance.
Servir un client, ce n’est pas que livrer une commande, traiter
une demande ou fournir un service, c’est lui faciliter la vie Respect de la planète
Une entreprise doit sans relâche veiller à réduire au maxi-
et l’aider à accomplir sa mission. Les clients sont la raison
mum ses impacts négatifs en agissant sur tous les leviers qui
d’être d’une entreprise, c’est pourquoi leurs souhaits et leurs
permettent de préserver les ressources. Un bon voisin est
besoins sont le focus premier de chaque collaborateur. Un
soucieux des générations futures.
bon voisin est serviable.
Respect du travail des autres
Respect des collègues Un acteur sur le marché doit s’investir activement dans les
Une entreprise doit fonctionner en équipe, à tous niveaux organisations de son secteur professionnel ainsi qu’avec des
et dans chaque situation professionnelle, parce que c’est la ONG dont l’activité fait écho à la sienne. Un bon voisin est
clé du succès. Un bon voisin est coopératif. désireux d’apporter sa pierre à l’édifice.
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285
Index des concepts
A efficacité 267
algorithme 93, 129, 130 épistémologie 101
anthropologie 138, 139 e-réputation 213
économique 146 espace public 27, 28, 32, 232
Öffentlichkeit 28

B
esthétisation du capitalisme 87
ethnographie 138
blockchain 220 ethnologie 138
brand content 191, 231 du travail 148
branding 181 événementiel 188
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expérience (marketing) 187
expressivisme 113
C extension (de la marque) 161
capitalisme 88
captation 127
codes 169
F
communication 181 factitivité 110
de crise 259 fake news 208
concurrence 88 financiarisation 93
confiance 232 format 39, 50
consommateur 171
contrat de communication 6
contrat de communication 47
G
cookie 130 gazette 29
corporate 254 gouvernance 243
crise de la consommation 181 GRDF 230
crypto 221 greenwashing 95
culture livresque 17
cybernétique 3
H
D hybride 47

dispositif 38
disruption 187 I-J
illocutoire 105

E image (et réputation) 269


influence 122, 208
écologie 91 innovation 186
économie 80 institutionnelle 225
classique 81 communication 254
keynésienne 84 interaction 140, 142
planifiée 85 interactionnisme 4
écran 107, 108 interlocutoire 112
écriture 15, 23, 107, 271 interne (communication) 255
effet des médias 207 jugement (société du) 236

286
Index des concepts

L-M pull 158


push 158
livre 25
lobbying 258
main invisible (théorie de la ) 82 R
marché 88, 158, 229 radio 41
marketing 155, 158 récit (de marque) 168
marque 154 recommandation 120
marxisme 83 relationnelle 247
masses 31 communication 262, 267
médiagénie 141 relations publics 251
médiation 6 relations publiques 248
mise en intrigue 166 réputation 235, 268
mondialisation 178 réseau 7, 236
multi-step flow 125 réseaux sociaux 59, 210
mythe 194 responsabilité sociale des entreprises (RSE) 239
mythèmes 195 RGPD 213, 218, 222
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rhétorique 19, 100, 161

O
opinion 95, 252 S
leader 124 scripturale 107
relais 124, 253 segmentation 160
ordinaire (langage) 102 selfies 114
oubli (droit à l’) 218 sémantisation 159
sémiotique (sémiologie) 165

P service public 240


signes 162, 164
packaging 156 social 176, 177, 229
paradigme 176 socialisme de marché 90
parole 15, 22, 107, 115, 116 sondage 205
partage 121 sophistique 19
partager 109 story 61, 70, 71
parties prenantes 228 storytelling 193, 194
performance support 17, 24
des entreprises 95
indicateur 131
performatifs (énoncés) 102
T
performatifs (énoncés) 100 tactile (tactilité) 109
performativité 99, 102, 107, 111 télévision 43
perlocutoires 105 théorie de la communication 13
personal branding 114, 183 théorie des deux étages 122
planning stratégique 179 transhumanisme 5
plateforme 53, 68 Twitter 127
pragmatique 100
premiumisation (de la marque) 160
presse 30, 39 V-W
produit dérivé 94 valeur 77, 166, 184
produit (placement) 171 ville 145
publicité 125 viralité (contagion) 125, 210
public/publics 236, 237 voisin 272
publique (communication) 241 Web 2.0 183, 184

287
Index des marques
20minutes 51 Ferrari 170
Fête des Voisins 273

A Fluocaryl 161
Fondation Louis Vuitton 231
Airbnb 186 France 2 140
Amazon 128, 186 France 2 43
Apple 168, 170 France 24 58
AXA 192 France Inter 36
Axe 192 Free 185

B G
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Benetton 176, 178, 181, 190, 192 Géant vert 170
BIC 162, 168, 169 Giorgio Armani 170
Bonne Maman 161 Google 186
Boucheron 192 GoPro 192
Build a Bear 171

H
C Haribo Pik 257
Castorama 192 Heineken 185
CBS 42 Hermès 152, 170, 192
Chanel 170, 192 H&M 169
Chipotle 192 Honda 192
Citroën 170
Club Med 171
Coca-Cola 161, 171, 178, 192, 195, 235 I
Colgate 162 IBM 192
Instagram 60, 68, 210

D Intel 192

Danone 171, 229, 233


Dior 185 J
Disney 196 John Deere 192
Johnson & Johnson 192

E
E. Leclerc 192 K
Elmex 160 Kering 170
Email Diamant 161 Kiko 187
ERDF 115
Evian 170, 174, 192
L
F Lacoste 168
Lactalis 259
Facebook 123, 125 La Vache qui rit® 156, 170

288
Index des concepts

Le Bon Coin 185


Lego 162 R
Le Monde 51 RATP 170
Leroy Merlin 192 Red Bull 188, 192, 195
L’Express 39 RTL 41
L’Oréal 233
Louis Vuitton 185, 192
LU 170 S
LVMH 192, 231 Saint-Gobain 254
Schweppes 170

M Seb 170
Sécurité routière 240
MacIntosh 168 SNCF 186
Macy’s 192 Starbucks 238
Marlboro 160, 166, 170, 190 Swatch 160, 168
McDonald’s 170, 178 Swiss Life 217
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Michel & Augustin 272
Michelin 170, 192
Mondel z International 272 T
Monsanto 229 Tag Heuer 185
musée des Arts décoratifs 224 TikTok 74, 75
Musée du quai Branly 151 Time 39
Twitter 123

N
Nespresso 192 U
Nestlé 171 Ultra Brite 161
Netflix 186 Uncle Ben’s 170
Nike 160, 170

V
O Vivendi 170
Oasis 174, 192
OUI. sncf 270
W
P Weber 171
Weight Watchers 162, 192
Pantone 192 Whiskas 170
Panzani 165
Philips 170
Picard 192 X-Y
Pierre Hermé 168 Xerfi 192
PMU 192 Yves Saint-Laurent 173
Polaroïd 168
Puget 185
Z
Q Zara 169
Zippo 170
Quechua 192

289

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