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Archéologie de la mort en France


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SOUS LA DIRECTION Archéologie de la mort


DE LOLA BONNABEL
en France
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Sommaire

Les auteurs 7 Avant-propos


Lola Bonnabel (L.B.), Inrap
Isabelle Le Goff (I.L.G.), Inrap CHAPITRE I
Bruno Boulestin (B.B.), université de Bordeaux 25 Champ de la discipline : concepts et mise en œuvre
CHAPITRE II
43 Les pratiques funéraires au fil du temps
CHAPITRE III
63 Percevoir le temps des funérailles :
le cas des crémations
MISE EN PERSPECTIVE
83 Les lieux des morts pour les vivants
92 Tableau chronoculturel
Cartographie
CHAPITRE IV
97 Autour du mort
CHAPITRE V
119 Le corps, un témoignage objectif
ISBN 978-2-7071-6651-7 CHAPITRE VI

En application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du Code de la propriété intellectuelle, 139 Déchiffrer l’organisation des sociétés
toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement,
du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation 159 Conclusion
du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).Toute autre forme
de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de
l’éditeur. 163 Bibliographie
© Éditions La Découverte, Paris, 2012. 173 Index
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Chapitre I

Champ de la discipline :
24
concepts et mise en œuvre 25

Bruno Boulestin

Il est paradoxal que malgré l’âge respectable de l’archéo-


logie funéraire, au moins une centaine d’années, la ques-
tion de la définition de son principal objet d’étude, la
sépulture, n’ait été posée qu’il y a peu. Qu’est-ce qu’une
sépulture ? Et, au-delà, qu’est-ce qui est funéraire ? Certes,
nos prédécesseurs du XIXe siècle s’étaient bien interrogés sur
la réalité des sépultures néandertaliennes, mais il s’agissait
uniquement d’un questionnement dicté par des motifs
d’ordre idéologique : il importait surtout d’établir si Néan-
Indien kwakiutl (Colombie-Britannique) dertal était assez humain pour avoir réalisé des sépultures.
fumant le cadavre d’un parent défunt, Cette interrogation mise à part, jusqu’à récemment les
photographié par Edward Sheriff Curtis choses n’étaient guère compliquées, puisque en général la
en 1910. Malgré l’immense variabilité
qui les caractérise, tous les traitements présence d’os humains dans un endroit un minimum struc-
funéraires, aussi étranges qu’ils turé impliquait pour les archéologues sépulture et pratique
puissent nous paraître, ont en commun funéraire. À leur décharge, il faut bien dire que les ethno-
la volonté de rendre hommage au
défunt. Mais tous les traitements des logues et sociologues ne se sont pas plus souciés de définir
morts sont loin d’être funéraires. ce qu’est exactement une sépulture, sans doute parce que
Les archéologues sont ainsi confrontés leur démarche fait que la question ne se pose pas vraiment :
en permanence à la question de savoir
ce qui est une sépulture et ce qui n’en ils décrivent ou analysent les pratiques funéraires parce qu’ils
est pas une. savent que telles elles sont.
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La question de savoir si des dépôts ont tenté d’en donner une définition archéologique, dans le
humains étaient réellement des Dictionnaire de la préhistoire publié sous la direction d’André
sépultures ne s’est pendant longtemps
posée que pour le Paléolithique, Leroi-Gourhan en 1988. Cette première approche a ensuite
en particulier à propos des fait l’objet de plusieurs commentaires et développements qui
Néandertaliens. Pour cette période, ont été synthétisés à l’occasion d’une table ronde qui s’est tenue
il est admis aujourd’hui qu’une partie
d’entre eux sont bien funéraires, mais à Sens en 2006, alors même que la communauté archéologique
d’autres demeurent d’interprétation prenait progressivement conscience que tous les dépôts
difficile, notamment ceux qui ne sont humains ne pouvaient être funéraires. De fait, l’archéologie
pas structurés et où les restes
présentent des modifications qui traite des morts ne peut plus non plus, ou plus seulement,
anthropiques. Ici, une calotte crânienne être qualifiée par ce terme : sans que ni les faits ni le champ de
façonnée en « coupe » de la grotte la discipline n’aient changé, il est devenu trop restrictif. En
du Placard en Charente, datée
du Paléolithique supérieur (Musée affinant les concepts qu’elle mobilise, cette archéologie est
d’archéologie nationale, Saint- devenue une archéologie de la mort, élargissant sa réflexion et
Germain-en-Laye.) offrant un accès à des pratiques sociales qu’elle méconnaissait
auparavant. On tend parallèlement à qualifier globalement ces
pratiques autour de la mort de « mortuaires », terme auquel Tous les dépôts humains sont loin
De l’archéologie funéraire on accorde un sens plus étendu que funéraire. d’être funéraires. Par exemple, encore à
la fin du XVIIe siècle en France, le Code
26
à l’archéologie de la mort noir de Louis XIV, de 1685, stipule
27

Définir ce qui est funéraire conduit à prendre conscience qu’il Funéraire et sépulture : les bases dans son article XIV que les esclaves
y a des pratiques autour de la mort qui ne relèvent pas de ce Intuitivement, chacun a une idée plus ou moins claire de ce non baptisés doivent être enterrés
la nuit dans un champ, donc sans
domaine. Ce point, évident pour un ethnologue ou un socio- qu’est une cérémonie funéraire, sans nécessairement pouvoir sépulture. Ce n’est que récemment que
logue, l’est beaucoup moins pour un archéologue confronté à définir précisément ce qui la caractérise, et chacun est capable ce point a été pris en compte dans
la présence de restes humains dont, a priori, il ignore toute d’en reconnaître une lorsqu’il y assiste ou en lit la description. la réflexion sur les pratiques autour de
la mort en archéologie, ce qui constitue
l’histoire. Réaliser que cette présence ne signe pas nécessaire- Il est moins évident dans certains cas d’identifier une pratique un progrès important.
ment une pratique funéraire et peut ne pas correspondre à une non funéraire mettant en jeu un mort, ou de dire pourquoi
sépulture permet de prendre en considération et d’étudier des elle ne l’est pas. Parce que pour définir A il est nécessaire de
comportements autour du cadavre autrement insoupçonnés, car comprendre ce qu’est non-A, avant de préciser les notions de
identifiés faussement. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas funéraire et de sépulture, il est utile de rappeler quelles peuvent
là d’une simple question de vocabulaire : c’est le sens même de être les principales pratiques autour de la mort qui ne ressor-
la recherche qui est en cause. Prétendre faire de la palethnologie, tissent pas au domaine funéraire.
de l’archéologie funéraire sociale, implique de connaître quelle Extrêmement répandues à travers le monde et à toutes les
pratique on analyse véritablement. Et se tromper sur un terme époques, il y a avant tout deux catégories de pratiques qui
ou lui donner un sens qu’il n’a pas, ce n’est pas seulement se conduisent à ne donner à un mort ni cérémonie funéraire ni
tromper sur la qualification des faits, mais sur les idées qu’il repré- tombe : le rejet ou l’abandon de cadavre et la privation de
sente. Pour donner un exemple, on peut citer la pratique des sépulture. La première catégorie concerne les personnes à qui,
morts d’accompagnement (voir chapitre IV), qualifiée jusqu’à pour une raison ou pour une autre, on estime ne pas avoir à
récemment – et malheureusement parfois encore – de sacrifice. offrir de funérailles ; le corps est alors traité comme un simple
Or, l’anthropologue social Alain Testart l’a bien montré, les deux déchet. Ce sont notamment les gens de rien, les dépendants,
pratiques s’opposent en tout : elles ne relèvent pas de la même en particulier les esclaves, les enfants en bas âge, les sacrifiés,
sphère et traduisent des rapports sociaux différents. pour ne citer que les cas les plus classiques. Parce qu’elle ne
La question de savoir ce qu’est réellement une sépulture a diffère guère du rejet ou de l’abandon, on peut y adjoindre la
vraiment été posée il y a à peine plus de deux décennies en dissimulation de cadavre, cas particulier du criminel qui
France, quand les préhistoriens Jean Leclerc et Jacques Tarrête cherche à éviter que l’on retrouve sa victime. Cette démarche

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Dans la très grande majorité des Complexe d’offrandes no 2 de


sociétés, les condamnés à mort font la pyramide de la Lune à Teotihuacán,
partie des personnes privées de Mexique, daté des Ier-IIe siècles de
sépulture. À Montfaucon, principal notre ère. L’individu sur la droite (2-A)
gibet des rois de France jusqu’à Louis a été sacrifié, au même titre que les
XIII situé au nord-est de Paris, les animaux présents dans le dépôt.
restes des suppliciés étaient ainsi jetés Le rite ne lui était pas destiné, il n’était
sans cérémonie dans le charnier en rien funéraire, et ce n’est donc pas
aménagé dans la base de l’édifice une sépulture, bien que le dépôt soit
(d’après la reconstitution d’Eugène très structuré (fouille Saburo Sugiyama,
Viollet-le-Duc datée de 1856). The Moon Pyramid Project).
Ci-dessous
Au Trou qui Fume à La Rochette, en
Charente, un jeune homme d’environ
25 ans a été enfoui à l’époque
carolingienne sous un ressaut de paroi
dans une faille, les mains liées dans le
dos et sans aucun mobilier. Il s’agit
probablement d’un acte crapuleux qui
a conduit à cacher ou à se débarrasser
d’un cadavre ; en aucun cas ce dépôt
28
ne peut être considéré comme une
29
sépulture (fouille Bruno Boulestin,
université Bordeaux I).

n’a, elle non plus, strictement rien de funéraire et les fosses Dame de Paris de Victor Hugo, Esméralda, jetée dans le char-
creusées dans leur jardin ou dans la forêt par certains crimi- nier de Montfaucon –, parias, hérétiques, traîtres, sacrilèges
nels notoires ne sont pas des sépultures ! Le cas du jeune et bien d’autres encore. Il faut leur rajouter les personnes
homme carolingien inhumé dans la faille d’entrée du Trou privées de funérailles parce que ce sont les circonstances de
qui Fume, à La Rochette en Charente, sans aucun mobilier leur mort, ce que l’on appelle la malemort, et non plus leur
et les mains liées dans le dos, illustre assez vraisemblablement statut qui font d’elles des êtres coupables d’infamie : les plus
un tel fait. À la différence de ces pratiques, qui sont neutres classiques sont les suicidés, mais il y a bien d’autres cas et dans
vis-à-vis du mort, la privation de sépulture, dont Polynice, certaines sociétés ils sont tellement nombreux qu’on se
l’un des fils d’Œdipe, est le symbole le plus classique, rajoute demande si on peut y mourir normalement !
une dimension négative au traitement du cadavre. Elle repose D’autres circonstances, plus rares, peuvent être à l’origine
sur le principe, présent dans nombre de sociétés, que la mort de dépôts humains qui n’ont rien de funéraire, parce que les
n’est pas la destruction complète de l’être et qu’elle n’éteint cadavres n’ont pas été inhumés avec les cérémonies d’usage.
pas la peine. Ainsi, non seulement le « mauvais » défunt est- Ainsi en va-t-il de ceux abandonnés, par obligation cette fois,
il au minimum privé de toute cérémonie funéraire, mais on sur un champ de bataille. Dans le cas des sacrifices de fonda-
peut en plus le couvrir d’infamie (la « sépulture de l’âne » des tion, les sacrifiés ne sont pas jetés, mais ils sont déposés, dans
Carolingiens : on déshonore le mort en l’enterrant comme on des espaces qui peuvent être très structurés. Le complexe
enterrerait un âne), lui faire un procès, comme en Grèce d’offrandes no 2 de la pyramide de la Lune à Teotihuacán
antique, lui jeter quelque malédiction – ce qui constitue une (Mexique, Ier-IIe siècle de notre ère) en donne un fabuleux
véritable inversion du rituel –, comme au Moyen Âge, outra- exemple. Ici non plus, pas de rite funéraire : les cérémonies
ger son cadavre, etc. Nombreuses sont les catégories de sont attachées au culte de la divinité (personne ne qualifierait
personnes concernées par cette pratique, en tout lieu et en de funérailles les cérémonies qui accompagnent le sacrifice d’un
tout temps : ennemis (dont les prisonniers de guerre), morts animal, pourquoi le faire avec l’humain dont le statut
endettés, condamnés – que l’on pense à l’héroïne de Notre- d’offrande n’est pas différent ?). Enfin, si jusque-là ont été

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évoquées des pratiques qui, à un degré plus ou moins élevé, logue, qui fouillerait la sépulture de l’empereur romain Galba,
reflètent des comportements et des rapports sociaux, il est des pourrait reconstituer le parcours de son cadavre tel que nous
événements qui conduisent à ce que la présence de restes le rapporte Suétone dans les Vies des douze Césars ? On peut
humains ne traduise aucun phénomène social : ce sont les acci- donc très bien mettre au jour les restes de personnes qui ont
dents ou autres faits divers. Pour n’en citer qu’un exemple, bénéficié de funérailles régulières, mais sans que ce que l’on
personne encore ne dirait que les pièces d’habitation qui fouille reflète en quoi que ce soit le rite funéraire. Pour expli-
contiennent les corps des morts de Pompéi, ensevelis en 79 de citer ce point, prenons l’exemple d’un archéologue martien
notre ère, sont des sépultures… qui, ne sachant rien de nos coutumes mortuaires, fouillerait
Avant d’aller plus loin, deux remarques s’imposent. La les catacombes parisiennes. S’il en déduisait que jusqu’au XIXe
première est que, encore une fois, les pratiques d’abandon, de siècle les Français pratiquaient des funérailles en plusieurs
rejet, de dissimulation du cadavre ou de privation de sépulture temps, il serait totalement dans l’erreur. Cela pour trois raisons :
sont extrêmement répandues dans la plupart des sociétés non 1/ la constitution des ossuaires n’avait rien à voir avec les
modernes et il est probable que dans certaines d’entre celles pratiques funéraires en usage ; 2/ il ne s’agit même pas d’une
que nous étudions, le nombre de personnes concernées fut non
À Herculanum, en Italie, 270 négligeable. Paradoxalement, en archéologie ces pratiques ne Premier monument élevé dans
personnes ont été découvertes dans sont quasiment jamais évoquées. Sans doute peut-on en partie l’ossuaire municipal (catacombes) de
des abris à bateaux au fond desquels Paris, en 1809 ou 1810, la « lampe
elles s’étaient réfugiées au moment de
imputer cette apparente discordance à une conservation diffé- sépulcrale » servait en réalité à activer 30
l’éruption du Vésuve de l’an 79 de rentielle des restes et il est vrai qu’un corps abandonné à la la circulation d’air dans les galeries 31
notre ère et où elles ont trouvé la mort. surface de la terre a moins de chances de nous parvenir qu’un avant le creusement des puits
Au premier abord, rien ne distingue un de service ; les carriers y entretenaient
dépôt comme celui-ci d’une sépulture
inhumé. Mais il est aussi probable que certains cas soient mal un brasier permanent à cet effet.
multiple. Pourtant, ce n’en est pas une interprétés et qu’il soit conclu à une sépulture là où il n’y en a Le transfert des restes n’étant pas
et il ne traduit même aucune pratique point. Ne pas avoir réfléchi trop longtemps à la notion de programmé dans le rituel funéraire et
sociale. ne donnant pas lieu à des funérailles,
sépulture a conduit à identifier par défaut tout dépôt humain un ossuaire ne peut pas être considéré
comme tel et par là à surinterpréter. La seconde remarque est comme une sépulture.
que, dans tous les cas évoqués, absence de sépulture ne signi-
fie aucunement absence d’inhumation ou, plus largement, de
lieu structuré de dépôt. On perçoit déjà un fait fondamental :
si les dictionnaires fournissent deux principales définitions du
mot sépulture, celle qui désigne le lieu où l’on dépose un mort pratique funéraire, mais de rangement/conservation ; 3/ il est
et celle qui qualifie ce dépôt en tant qu’action, avec une réfé- impossible à partir des ossuaires de remonter aux tombes qui
rence plus ou moins explicite aux cérémonies qui l’accompa- les ont précédés, et bien sûr aux pratiques qui accompagnaient
gnent, c’est la seconde qui donne tout son sens à la première. la mise en terre. Sans doute pourra-t-on trouver cet exemple
Ce qui consacre le lieu en tant que sépulture, ce sont les céré- caricatural. Pourtant, quand il s’agit d’étudier des sociétés sans
monies ; ce qui fait que le lieu n’en est pas une, c’est l’absence écriture, nous ne sommes guère différents de l’archéologue
de cérémonie. Ne pas avoir de sépulture (lieu), ce n’est pas martien…
nécessairement voir son cadavre abandonné sur le sol, c’est ne
pas avoir de funérailles. Funéraire et sépulture : les concepts
Ainsi, dans un certain nombre de cas, un archéologue peut Ayant vu à quoi pouvait correspondre non-A, il est mainte-
exhumer les restes de personnes qui n’ont jamais bénéficié d’un nant possible de définir ce qui caractérise A. Pour ce faire, nous
rite funéraire. Mais il est un autre biais susceptible de fausser pouvons partir de la définition archéologique de sépulture
les interprétations, qui tient à ce que l’état révélé lors de la proposée par J. Leclerc et J. Tarrête : « Lieu où ont été déposés
fouille n’est qu’un état final qui ne dit rien, ou peu de chose, les restes d’un ou plusieurs défunts, et où il subsiste suffisam-
sur l’histoire des corps avant leur dernier dépôt. Quel archéo- ment d’indices pour que l’archéologue puisse déceler dans ce

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À droite dépôt la volonté d’accomplir un geste funéraire ; de manière événements ponctuels séparés par un temps qui lui aussi est
La nécropole chalcolithique de Varna, plus restrictive, structure constituée à l’occasion de ce geste funéraire. Mais même pour nous, veiller un défunt dans une
en Bulgarie, du Ve millénaire avant
notre ère, a livré, à côté de véritables funéraire. » Une sépulture, c’est donc avant tout un lieu défini chapelle ardente est un acte funéraire qui n’appartient pas aux
sépultures, des structures uniquement et il ne peut y avoir de sépulture dans un espace illimité : les funérailles. Reste à définir ce que sont ces dernières. Sur ce
remplies d’objets ou, comme ici (tombe morts incinérés dont les cendres sont dispersées dans la nature point, les dictionnaires, le sens commun et la sociologie se
2), contenant des reconstitutions de
visages en argile. Elles sont n’en ont pas, ni les Tibétains dont les restes sont confiés aux rejoignent, ce qui permet de leur attribuer trois caractéristiques
habituellement qualifiées de vautours. On peut donc très bien avoir des funérailles, mais principales, qu’elles soient uniques, premières ou secondes : 1/
cénotaphes, mais en réalité nous ne pas de sépulture. C’est ensuite un ou des défunts. Ce critère ce sont des cérémonies, qu’elles soient pompeuses ou réduites
connaissons pas leur sens exact
(Musée national d’histoire de Sofia). peut paraître trivial, mais il soulève en réalité deux problèmes. à une extrême simplicité ; 2/ elles accompagnent la gestion
Le premier est théorique : si l’on s’en tient aux définitions, un matérielle des restes du défunt et plus particulièrement leur
cénotaphe n’est pas une sépulture et il n’est en principe pas dépôt, transitoire dans le cadre de doubles funérailles ou défi-
considéré comme tel ni par les auteurs antiques ni par les nitif ; 3/ elles sont destinées à honorer ces restes et, à travers
ethnologues, mais c’est un point qui fait toujours l’objet de eux, la personne du mort. C’est ce dernier point, fondamental,

Relevé du Marae (sanctuaire de plein


air) Ta’ata à Paea (Tahiti, Polynésie
française) daté du XVIIIe siècle.
Une fosse contient un corps incomplet 32
en connexion, d’autres des restes 33
osseux partiellement ou totalement
déconnectés, d’autres encore des os
longs rangés. Sépultures établies dans
le cadre de doubles funérailles ?
Pratiques de conservation ? Reliques ?
En l’absence de source orale ou écrite,
les dépôts secondaires de ce type sont
d’interprétation extrêmement difficile
(fouille Emmanuel Vigneron, Orstom).

Pour entretenir la mémoire des marins discussions. Le second est pratique et tient à l’interprétation qui explique pourquoi toutes les pratiques mortuaires évoquées
disparus en mer, il est d’usage d’ériger de certaines structures archéologiques qui ont tout d’une plus haut ne sont pas funéraires et ne conduisent pas à une
un cénotaphe, individuel ou collectif
(ici dans le cimetière marin de tombe, mais où les restes humains sont absents : ont-ils été sépulture. Qu’il s’agisse d’abandon, de rejet, de dissimulation,
Gruissan dans l’Aude). Ces monuments détruits ou n’en ont-elles jamais contenu ? de privation, de sacrifice, jamais il n’est question de rendre
ne contenant pas de corps et ayant Le dernier critère mis en avant par J. Leclerc et J. Tarrête hommage au mort : abandon, rejet et dissimulation sont
une fonction commémorative, ils ne
devraient en principe pas être qualifiés est « la volonté d’accomplir un geste funéraire ». Il nécessite neutres (on n’honore ni ne déshonore un déchet et le criminel
de sépulture. d’être précisé et c’est en ce sens que la définition proposée peut n’a d’autre souci que le salut de sa propre personne) ; dans la
être considérée comme incomplète. Nous l’avons vu, ne pas privation il s’agit au contraire de mépriser ; quant au sacrifice,
avoir de sépulture c’est ne pas avoir de funérailles. Le terme est la seule honorée dans l’affaire, c’est la divinité à laquelle on
un peu plus précis que « geste funéraire » dans la mesure où sacrifie (être sacrifié peut parfois être honorable, mais le rite
funéraire ne qualifie pas seulement ce qui concerne les funé- ne rend jamais hommage à la victime ; en d’autres termes il ne
railles, mais l’ensemble des pratiques et des cérémonies réali- lui est pas destiné). Enfin, il y a le cas un peu moins évident
sées à l’occasion d’un décès. Cela est particulièrement explicite de l’ossuaire municipal de notre martien. Ici, le transfert des
dans le cas des funérailles doubles : elles ne sont que deux restes exhumés s’est déroulé dans un cadre cérémoniel, des

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Fête générale des morts – cérémonie


des secondes funérailles – chez les
Hurons et les Iroquois telle qu’illustrée
dans l’ouvrage du R.P. J.-F. Lafitau intitulé
Mœurs des sauvages amériquains…
publié en 1724. Les restes des défunts,
dans des états de décomposition
divers, du cadavre presque frais aux os
complètement secs, viennent d’être
exhumés et sont transportés à dos
d’homme pour être réenterrés dans
une grande fosse. Les descriptions
ethnographiques des missionnaires
jésuites, souvent remarquables, sont
par leur ancienneté et leur précision
des documents précieux pour aborder
le problème de la reconnaissance de
doubles funérailles en archéologie.

Doubles funérailles :
34
de l’ethnologie 35
à l’archéologie

respectif), moments qui sont sépa- façon plus générale, par Arnold Van connexion complète, de secon-

D
ans notre société, la mort mettre en parallèle témoins Dans certaines tribus amérindiennes,
est vécue comme instan- rés par un délai de longueur très Gennep (1909), mais il est docu- archéologiques et données ethno- daire dans le cas contraire, ne par exemple les Powhatans de Virginie,
les morts étaient déposés sur des
tanée, mais il en va autre- variable dénommé marge, qui cor- menté depuis le XVIIe siècle chez graphiques. En archéologie, la permet pas de statuer : dépôts échafaudages puis, une fois leurs
ment dans bien des sociétés respond souvent aussi – mais pas les peuples du nord-est de l’Amé- démonstration de funérailles primaire et secondaire peuvent l’un chairs disparues, leurs os étaient
traditionnelles. Elle y dure le temps toujours – au temps de transfor- rique du Nord par les mission- doubles est une véritable gageure et l’autre aussi bien correspondre rassemblés et conservés jusqu’à leur
enfouissement définitif à l’occasion de
nécessaire au défunt pour transi- mation physique du cadavre. Le naires jésuites. Fait remarquable et qui se heurte à de nombreuses à des funérailles simples que secondes funérailles collectives. Ces
ter du monde des vivants à celui premier conduit à un dépôt tran- sans doute unique en archéologie, difficultés. Une réflexion sur ce qui doubles et un dépôt secondaire dépôts ne sont pas considérés comme
des morts et, parallèlement, à ses sitoire du mort, le second à sa l’un d’entre eux, Jean de Brébeuf, pourrait nous permettre de les peut renvoyer à des pratiques qui des sépultures et on leur donne le nom
de « dépôts transitoires ». Ici, un
proches pour traverser la phase de sépulture et l’un et l’autre assiste en 1636 à des secondes reconnaître reste encore à mener sortent du temps funéraire. On ne échafaudage crow, dans le Montana,
deuil, au cours de laquelle ils ont s’accompagnent de funérailles, d’où funérailles chez les Hurons- et constitue probablement l’un des saurait donc assimiler, comme cela photographié par Richard Throssel,
un statut particulier. Ce passage l’appellation « doubles funérailles » Wendats, à Ossossané, dans l’actuel principaux challenges de l’archéo- a longtemps été le cas, sépulture en 1905.
dicte les deux moments majeurs employée pour désigner cette Ontario (Canada), dont il fait une logie de la mort pour les années à primaire à funérailles simples et
du rituel funéraire, l’un corres- pratique. Extrêmement répandu de formidable description, et la sépul- venir. Le problème majeur est que sépulture secondaire à funérailles
pondant à la séparation, l’autre à par le monde, ce rituel a été théo- ture correspondante sera retrou- l’état du cadavre au moment de doubles : en aucun cas ces termes
l’intégration (du mort et des risé à peu près au même moment vée en 1948 puis fouillée, de sorte son dépôt, qualifié de primaire si ne peuvent décrire une pratique.
« deuilleurs » dans leur monde par Robert Hertz (1907) et, de que pour cet événement on peut les éléments du squelette sont en

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Les pièces osseuses les plus prêtres en procession chantant l’office des morts durant le
encombrantes de ce dépôt secondaire, trajet, et il s’agissait bien de leur gestion matérielle. Pourtant,
le crâne et les os des cuisses et des
bras, furent agencées en fagot puis nul n’a jamais considéré, y compris les contemporains des
recouvertes par des os moins faits, que ce fussent des funérailles, pour une raison simple,
volumineux. Sur l’un des côtés de c’est que chacun savait qu’un tel transfert ne s’inscrivait pas
l’amas osseux, la superposition des
pièces osseuses et leur situation en dans le rituel funéraire chrétien. Ce rituel était clos, depuis
équilibre instable évoquent un effet de bien longtemps pour certains, et les cérémonies n’avaient plus
paroi – peut-être celle d’un contenant pour but d’honorer les morts, mais de les commémorer. Ce
–, qui ne résulte pas de la proximité
des bords de la fosse (fouille Thierry qui est au-delà du temps funéraire, ce qui n’est pas programmé
Ducrocq, Inrap). dans le rituel, ne peut par définition donner lieu à des funé-
railles et il n’y a pas plus de funéraire dans les réductions ou
les transferts de restes qu’il n’y en a dans le culte des ancêtres
chez ceux qui le pratiquent. C’est en archéologie tout le
problème pour distinguer, quand des restes ont été transportés,
traitement des autres défunts dif- ce qui peut relever de doubles funérailles avec un dépôt secon-
fère, des interventions ont néan- daire partiel et ce qui peut renvoyer à une idéologie qui n’a rien
Les défunts
moins été effectuées sur les corps de funéraire. En résumé, une sépulture pourrait être définie 36
mésolithiques de avant ensevelissement. Dans le cas ainsi : « Lieu où sont déposés les restes d’un ou de plusieurs 37
La Chaussée-Tirancourt du vieil homme, il convient mieux défunts, ce dépôt étant conçu comme définitif et intervenant
d’envisager une décomposition dans le cadre d’une cérémonie dont la finalité est d’honorer au
passive des chairs en l’absence de moins un des défunts au travers de sa dépouille. »
traces d’une décarnisation (action

L
ocalisés à la confluence de la
Somme et de l’Acon, sur une de détacher la chair des os) réalisée De la théorie à la pratique :
berge peu pentue, les niveaux à l’aide d’outils. Pour deux autres reconnaître une sépulture en archéologie
mésolithiques de La Chaussée- adultes et un enfant âgé d’environ C’est une étape délicate de la réflexion autour des restes
Tirancourt (Somme) ont bénéficié 3 ans, l’usage du feu a été préféré et humains, d’autant plus que la sépulture correspond au seul
d’une fossilisation par des tourbes a conduit à l’obtention d’ossements temps des funérailles définitives qui ne représentent qu’une
liées à une remontée du plan d’eau. majoritairement blancs. Leurs restes fraction peu importante du rituel funéraire et dont nous ne
D’une superficie de 200 mètres car- ossements les plus anciens. Dévo- osseux brûlés et mélangés furent voyons en outre que la partie matérielle qui s’est conservée
rés, la fouille a livré des vestiges de lue à un homme âgé, elle contient ensuite déversés dans une même jusqu’à nous. Mais cette réflexion est indispensable : elle seule
plusieurs phases d’occupations des os transportés probablement fosse, mêlés à des résidus de permet de s’assurer que l’on étudie bien un rite funéraire ou,
datées entre 8000 et 7000 avant dans un contenant puis inhumés combustion, des outils et des élé- au contraire, une autre pratique sociale. Heureusement, dans
notre ère. La densité des artefacts, sans l’ajout d’autres éléments impu- ments de parure. Les intentions bien des cas l’interprétation est évidente, soit du fait du
leur diversité et la présence de trescibles. Le dépôt comprend sépulcrales peu perceptibles laissent contexte (cimetière organisé par exemple), soit que la struc-
plusieurs foyers posent la question l’ensemble du squelette disloqué à planer un doute quant à la vocation ture et son contenu ne laissent place à aucun doute. Mais il en
d’éventuels séjours longs avec un l’exception des petits os (mains, de cette fosse. Il en est de même va parfois bien autrement, quand la structure et les dépôts sont
spectre d’activités étendu (camps pieds, sternum…) et d’un os de la pour le statut des restes osseux du ambigus et que le contexte fait défaut ou n’est pas détermi-
de base ?). Si la présence des cinq jambe. Les extrémités des os des cinquième individu, attribuables à nant. Dans ces cas-là, il y a deux approches possibles, reposant
individus découverts correspond à avant-bras (radius et ulna) déta- une occupation plus récente de sur le fait que dans l’appellation « pratique funéraire » il y a
trois moments distincts, il s’agit à chées par fracturation, n’y figurent quelques siècles, car il n’est repré- « pratique » plus « funéraire ».
chaque fois de dépôts secondaires. pas non plus, ce qui conforte l’hypo- senté que par un fragment de Une pratique, c’est, au sens social du terme, une manière
C’est dans une petite fosse thèse d’un squelette manipulé hors calotte trouvé hors structure. de procéder, un comportement habituel dans telle ou telle
oblongue que furent rassemblés les du lieu d’inhumation définitif. Si le T.D., I.L.G. et F.V. circonstance. Or, qui dit habituel dit nécessairement, au moins

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Sépulture à Auzay, en Vendée, datée du dans une certaine mesure, régularité des faits matériels. Recon- plutôt négative, ce qui doit amener à mettre en doute la
Néolithique récent. Elle fait partie naître une pratique ne peut donc passer que par la mise en sépulture. Sans entrer dans les détails, on portera notam-
d’un groupe de trois sépultures doubles
d’hommes décédés de mort violente. évidence d’une répétitivité, de la position du mort, du mobi- ment attention à l’agencement général des restes et des arte-
Pour cet ensemble unique et lier qui l’accompagne, de l’architecture de la tombe, etc. On facts dans la structure et à l’emplacement du mort en son
exceptionnel, on ne peut pas parler de traduit assez souvent cela en disant que la reconnaissance sein, à l’adéquation contenu / contenant, à la position du
pratique, mais simplement d’acte et
il n’est pas possible d’argumenter d’une pratique funéraire implique la mise en évidence d’une défunt, à la présence ou à l’absence de mobilier associé et à
le caractère funéraire sur la répétitivité norme (au sens d’une règle et non statistique). Ce recours à sa nature, en retenant qu’aucun critère ne peut être consi-
des faits. Qu’il s’agisse de sépultures la notion de norme n’est ni nécessaire ni même souhaitable : déré comme absolu : chacun à une valeur indicative, mais
est d’ailleurs toujours discuté, même si
cela est très probable, les dépôts ne la récurrence des faits relève de l’observation et signe directe- c’est la conjonction de plusieurs allant dans le même sens
montrant aucune orientation négative ment une pratique, tandis que sa traduction en tant que qui apporte présomption forte ou assurance. On peut ainsi
– l’organisation des structures, norme est affaire d’interprétation, d’autant plus difficile qu’en trouver des arguments qui permettent de tirer l’interpréta-
les positions des corps, la présence de
vases vont tous dans le sens d’un réalité nombre d’aspects des pratiques funéraires, même forte- tion dans un sens ou dans l’autre quand celle-ci n’est pas
hommage rendu aux défunts (fouille ment récurrents, peuvent ne pas être normés : comment alors évidente d’emblée. Dans d’autres cas, l’analyse conduit à une
Patrice Birocheau et Jean-Marc Large). faire la part entre ce qui ressortit à la règle et ce qui relève de
l’usage ? Mais la reconnaissance du fait funéraire au travers de Inhumation double dans un silo du
la pratique trouve un certain nombre de limites. D’abord, la second âge du Fer mise au jour
à Pont-sur-Seine dans l’Aube (fouille
mise en évidence de régularités n’est pas suffisante : toute Vincent Desbrosse, Inrap). Malgré leur 38
pratique autour de la mort n’est pas forcément funéraire. Elle grand nombre qui signe 39
n’est pas non plus nécessaire : partout, il y a des façons suffi- vraisemblablement une pratique,
les inhumations en silo de l’âge du Fer
samment inhabituelles, voire uniques, d’enterrer ses morts font partie des dépôts humains dont
pour que l’on ne puisse plus parler de pratiques, mais simple- l’interprétation reste indéterminée.
ment d’actes funéraires (nul doute qu’inhumer un soldat La difficulté qu’il y a à leur trouver des
caractères réguliers et des éléments
inconnu sous un arc de triomphe n’est pas une pratique). dénotant une orientation positive vers
Enfin, une manière de procéder a pu être habituelle sans que les défunts fait que leur nature
nous puissions nous en rendre compte aujourd’hui. Soit funéraire est loin d’être avérée, sans
que l’on puisse formellement la rejeter.
qu’elle était moins répandue qu’une autre ou qu’elle était telle
qu’elle n’a laissé que de rares traces matérielles, nous parais-
sant ainsi, à tort, exceptionnelle. Soit que nous ne sachions
pas en reconnaître la répétitivité si à côté les aspects variables
prédominent. Il ne faut en effet pas oublier que dans la plupart indécidabilité, qu’il faut savoir accepter : il est plus admis-
des sociétés les pratiques funéraires varient en tout ou partie sible de ne rien conclure que de se tromper en voulant dire
en fonction des individus à qui elles sont destinées et des à tout prix.
circonstances de la mort, et qu’en l’absence de dogme ou J. Leclerc le disait fort bien : « Reconnaître une sépulture,
d’idéal fort, les changements d’un groupe à un autre et même ce n’est jamais une simple constatation ; ce ne peut être qu’une
d’un individu à un autre peuvent être importants. Ces interprétation des vestiges. » La palethnologie ne peut
remarques conduisent à envisager le second terme, celui de s’affranchir de cette interprétation et la question de la nature
funéraire. réelle d’un dépôt ambigu doit toujours être posée. Elle néces-
Démontrer archéologiquement qu’un dépôt est funéraire site d’abord de comprendre les idées qui sont liées aux termes
revient donc à rechercher les éléments matériels, intrinsèques funéraire et sépulture que, parce que nous les employons tous
ou contextuels, indiquant que ce dépôt reflète une pratique les jours, nous croyons connaître. Il y a là un principe que l’on
dont le but était d’honorer le mort. Autrement dit, le dépôt peut généraliser : les concepts sociaux sont rarement simples,
doit montrer une orientation positive vers le défunt. À mais il serait illusoire de croire que nous pouvons nous passer
l’inverse, des éléments peuvent indiquer une orientation de les connaître.

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pour la même période. Cette

E
nterrer ses morts en position
assise n’est pas une pratique rareté contraste avec une large
L’énigme d’une extrême rareté : on la répartition, de la Charente aux 40
des Gaulois assis retrouve sur tous les continents et Ardennes et du Calvados à la 41
à pratiquement toutes les époques Suisse, et on les retrouve dans des
depuis le Mésolithique, même si territoires et chez des peuples
elle n’est qu’exceptionnellement dont les pratiques, notamment
Vue en cours de fouille et proposition prédominante. Une série de mortuaires, sont par ailleurs très tion est la même pour tous sur un sacrifiés ou comme des condamnés L’un des Gaulois inhumés assis du
de restitution d’un des trois Gaulois découvertes réalisées au cours des différentes, ce qui suggère un même site. Leur nombre varie d’un mis à mort et exposés. Pour sanctuaire de Saint-Just-en-Chaussée
inhumés assis découverts à Soyaux, en dans l’Oise (fouille François Malrain et
Charente (fouille Isabelle Kerouanton, vingt dernières années et datées du phénomène outrepassant les site à l’autre, de un – mais on ne aucune des trois suppositions les Nathalie Descheyer, Inrap).
Inrap). Parfaitement alignés sur un axe second âge du Fer ne cesse cepen- limites culturelles classiques. Celui- peut affirmer qu’il était seul – à arguments avancés ne sont réelle-
nord-sud et régulièrement espacés de dant d’intriguer. Elle illustre le type ci semble de plus avoir été relati- vingt-deux, généralement de deux ment décisifs et il est difficile d’en
3 mètres, ils faisaient face au soleil
levant. Cette configuration se retrouve de problèmes que peut poser vement bref : les datations au à cinq. Allant souvent par paire ou privilégier ou d’en écarter une,
à l’identique à Acy-Romance, dans l’interprétation de dépôts humains radiocarbone placent pratiquement par trois, ils sont dans ce dernier même si celle du pénal paraît
les Ardennes, un site distant de plus de hors contexte funéraire évident, tous les cas dans le IIe siècle avant cas alignés. Enfin, lorsqu’il peut être moins probable. En définitive, en
500 kilomètres.
même dans le cas où il paraît s’agir notre ère, mais la pratique a pu établi, le contexte des inhumations l’état des données la sagesse invite
d’une pratique réglée. D’abord, ces durer moins du siècle. Ces défunts paraît ou est cultuel ; aucune n’est à considérer que l’interprétation
inhumés assis gaulois sont rares : ont en outre plusieurs points en contexte funéraire avéré. Par est indécidable et l’énigme des
on en dénombre quarante-six (en communs.Tous ont été inhumés en contre, l’hypothèse d’une procé- Gaulois assis reste entière.
excluant les mentions anciennes pleine terre dans des fosses immé- dure complexe de momification
invérifiables et les cas du Mormont diatement comblées, sans parure ni des corps avant inhumation évo-
à La Sarraz, en Suisse, qui ne sont mobilier. À une exception près, ce quée à Acy-Romance (Ardennes)
pas stricto sensu assis), répartis sur ne sont que des adultes et tous est trop faiblement argumentée
six sites en France et deux en ceux dont le sexe a pu être déter- pour être retenue. Ces morts
Suisse. Même en tenant compte miné sont des hommes. Leurs posi- mystérieux sont interprétés tour à
qu’une partie d’entre eux a pu tion et orientation sont variables, tour comme des personnages
disparaître, c’est excessivement mais non aléatoires : toutes les particuliers ou sacralisés inhumés
peu au regard des centaines de possibilités ne sont pas représen- selon un rite funéraire spécial (on
morts que l’on connaît par ailleurs tées et, sauf dans un cas, l’orienta- a parlé de druides), comme des

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