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Contraste de voisement en parole chuchotée

Yohann Meynadier, Yulia Gaydina

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Yohann Meynadier, Yulia Gaydina. Contraste de voisement en parole chuchotée. XIXè Journées
d’Étude sur la Parole, 2012, Grenoble, France. pp.361-368. �hal-01211217�

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Contraste de voisement en parole chuchotée
Yohann Meynadier & Yulia Gaydina
Laboratoire Parole et Langage, CNRS URM7309 & Université d’Aix-Marseille

yohann.meynadier@lpl-aix.fr, yulia.gaydina@lpl-aix.fr
RÉSUMÉ____________________________________________________________________________________________________________

Ce travail porte sur le contraste phonologique de voisement en parole chuchotée qui se
caractérise par une configuration semi-ouverte des cordes vocales empêchant leur
vibration. En parole modale, outre la vibration des cordes vocales, le contraste entre
consonnes voisées et sourdes est supporté par d’autres corrélats phonétiques : durées des
consonnes et des voyelles, pression intraorale, entre autres. Les analyses acoustiques et
aérodynamiques des consonnes voisées vs sourdes montrent que ces corrélats secondaires
du voisement sont préservés en parole chuchotée, pouvant donner une assise à la
persistance de la perception de ce contraste malgré l’absence de vibration des cordes.
ABSTRACT _________________________________________________________________________________________________________
Voicing contrast in whispered speech
This paper presents analyses on the phonological voicing contrast in whispered speech,
which is characterized by a semi-open configuration of the vocal folds preventing them
from vibrating. In modal speech, in addition to vocal fold vibration, the contrast between
voiced and unvoiced consonants is realized by other phonetic correlates: e.g. consonant
and pre-consonantal vowel durations, intraoral pressure differences. Acoustic and
aerodynamic analyzes show that these voicing correlates are preserved in whispered
speech. These findings seem consistent with those showing that voiced contrast is
maintained in perception despite the absence of vocal fold vibration.
MOTS-CLÉS : phonétique, voisement, voix chuchotée, aérodynamique, durée segmentale
KEYWORDS: phonetics, voicing, whisper, aerodynamics, segmental duration

1 Introduction

Le chuchotement est un mode de phonation naturellement utilisé dans le but de réduire


la perceptibilité de la parole. En phonation modale (voix normale), l’adduction complète
des cordes vocales permet leur mise en vibration pour les segments voisés. En voix
chuchotée, les cordes vocales sont accolées uniquement dans leur partie antérieure,
laissant une ouverture étroite inter-aryténoïdienne pour l’échappement de l’air. Cette
configuration glottique permet l’établissement de turbulences aérodynamiques à l’origine
de la source acoustique bruitée. Outre l’absence de voisement, la voix chuchotée induit
des modifications spectrales importantes comme la perte d’énergie, notamment dans les
basses fréquences (Ito et al. 2004, Jovicic & Saric 2008), l’aplatissement du spectre,
particulièrement des voyelles et des consonnes voisées, l’élévation des formants
vocaliques (Sharifzadeh et al. 2009)… Concernant plus spécifiquement l’absence de
voisement en parole chuchotée, un certain nombre d’études rapporte que tant les
informations tonales et intonatives même en absence de la f0 (Faraco 1984, Nicholson &
Teig 2003, Vercherand 2010), indexiales (sexe du locuteur), segmentales (timbre
vocalique) (Eklund & Traunmüller 1996) que de voisement (Mills 2003, 2009,
Vercherand 2010) sont en bonne partie préservées, même si leur perception est plus
réduite qu’en parole modale. Notre étude s’intéresse aux traits phonétiques susceptibles
de participer au maintien de la perception du trait phonologique de voisement en parole
chuchotée, à savoir sans voisement physiologique et acoustique.
En parole modale, outre la vibration périodique des cordes vocales, d’autres indices
phonétiques du voisement sont communément observés (Catford 1977, Eklund &
Traunmüller 1997, Silbert & de Jong 2008). Par exemple, les voyelles sont plus longues
avant une consonne voisée qu’une sourde (Lehiste 1970). La durée des consonnes
obstruantes est plus importante pour les sourdes que les sonores. Cet écart de durée
consonantique relèverait d’une contrainte aérodynamique liée au différentiel
transglottique de pression (P = Ps – Po, où Po = pression intraorale et Ps = pression
sous-glottique) nécessaire au maintien de la vibration des cordes vocales durant la
production des consonnes voisées (Ohala 1997). En effet, en-deçà de 1 à 2 hPa la
vibration s’arrête faute de flux d’air assez puissant. Cette contrainte joue en défaveur
d’une durée longue des obstruantes voisées, au contraire des sourdes pour lesquelles le
voisement est absent, empêché par une abduction des cordes. D’autre part, cette
contrainte aérodynamique se traduit aussi par une Po plus importante pour les
obstruantes sourdes par rapport aux voisées. En effet, l’adduction glottique réalisée pour
les obstruantes voisées impose une résistance au flux d’air transglottique, réduisant
d’autant la quantité d’air s’accumulant dans la cavité supraglottique en amont de la
constriction (Malécot 1955). Lors du chuchotement, cette contrainte aérodynamique ne
devrait plus jouer du fait de la fuite glottique constante caractéristique de la
configuration phonatoire chuchotée. On s’attendrait donc à ce que les écarts de durée et
de Po (Wiesmer & Longstreth 1980) soient absents.
Les travaux, rapportés par Weismer & Longstreth (1980), sur les gestes laryngés et leurs
conséquences aérodynamiques sont contradictoires s’agissant du contraste voisé-non
voisé en parole chuchotée. Par ailleurs, Weismer & Longstreth (1980) ne mettent pas en
évidence une différence homogène de Po entre /p/ et /b/ chuchotés. Or, les études de
Mills (2003, 2009) sur l’anglais et Vercherand (2010) sur le français montrent qu’en
parole chuchotée la différence de durée entre consonnes voisées et non voisées est
maintenue. De plus dans une étude récente, Mills (2009) mesure précisément par
fibroscopie que l’ouverture glottique est dynamiquement ajustée en fonction de la
propriété de voisement des consonnes en parole chuchotée : les obstruantes sourdes
montrent une ouverture plus importante que les voisées. Ces résultats posent la question
de la raison de l’existence de ces marques corrélatives du voisement en l’absence de
vibration glottique. Dans cette étude, nous avons reproduit et complété ces résultats et
nous discutons de la production et de la perception du trait phonologique [voisé]. Nous
avons menés deux expériences de production en parole chuchotée : l’une sur les indices
temporels du voisement et l’autre sur son corrélat aérodynamique.

2 Expérience 1 : durées segmentales

Cette expérience porte sur l’analyse acoustique de la durée des consonnes voisées vs
sourdes et des voyelles pré-consonantiques en parole modale vs chuchotée.
2.1 Corpus

Enregistrés acoustiquement en chambre sourde, 4 locuteurs français (2 hommes, 2


femmes), non linguistes ou étudiants en linguistique, ont lu à haute voix et à débit
normal, après une brève session d’entraînement, deux listes de mots présentés isolément.
La première liste était composée de 12 logatomes cibles noyés parmi 36 distracteurs.
Chaque locuteur a produit cette liste randomisée 5 fois en 10 sessions de 48 items
alternant la phonation modale et la phonation chuchotée. Les logatomes cibles étaient de
forme VC1VC2V, où V est toujours /e/ et C1 et C2 une consonne obstruante cible toujours
différente parmi les couples voisé-non voisée : /p b/, /t d/, /k g/, /f v/, /s z/, /ʃ ʒ/, par
exemple /epeʒe/ (écrit « épéjé ») ou /edese/ (écrit « édécé »). Les distracteurs
répondaient au même patron mais comportaient au moins une consonne non cible, par
exemple /ekene/ (écrit « équéné ») ou /eleme/ (écrit « élémé »). La liste était équilibrée
en fréquence d’occurrence des consonnes. La seconde liste était composée de 24 verbes
cibles conjugués et mélangés au hasard avec 72 distracteurs de même gabarit
phonologique. Chaque locuteur a répété cette liste en phonation chuchotée et modale de
la même manière que la première. Les mêmes consonnes cibles étaient initiales de
syllabe médiane ou finale de mot. La voyelle pré-consonantique était /e/ dans tous les
cas sauf 4 (/a/). Pour contrôler un minimum la voyelle suivante, les paires de consonnes
voisée-non voisée correspondaient à une paire minimale, par exemple « (il) écoutait » vs
« (il) égouttait » ou « il écoute » vs « il égoutte ». Le sujet ne devait lire que les mots hors
parenthèses, afin de produire des séquences toujours trisyllabiques. Les distracteurs
variaient de la même façon et ont été équilibrés en fonction du nombre de syllabe du
verbe. Le corpus comporte donc 8640 items enregistrés, dont la durée acoustique des
voyelles et des consonnes des 1440 items cibles ont été manuellement mesurées.

2.2 Analyses
L’étiquetage du signal acoustique a été réalisé sous Praat (www.fon.hum.uva.nl/praat).
Afin de garantir une segmentation identique dans les deux modes de phonation, elle a
essentiellement été effectuée à partir du spectrogramme. Le début et la fin des voyelles
sont respectivement localisés au début et à la fin de l’énergie des F2-F3. Deux phases
consonantiques ont été mesurées : tenue et relâchement (Figure 1). Pour les plosives, la
tenue a été étiquetée de la fin de la voyelle précédente jusqu’au début de l’explosion, le
relâchement du début de l’explosion au début de la voyelle suivante, incluant le bruit de
friction et les traces formantiques de la transition CV. Pour les fricatives, la tenue,
présentant un bruit de friction intense de 2000 à 8000 Hz (selon la consonne), a été
séparée de la phase de transition CV (ou relâchement) identifiée par l’apparition de
traces formantiques de la voyelle suivante et une diminution marquée de l’énergie du
bruit de friction. La tenue va de la fin de la voyelle précédente au début des traces
formantiques de la voyelle suivante. Son relâchement court de la fin du bruit intense au
début de F2-F3 de la voyelle qui suit.
Seules les consonnes en syllabe inaccentuée (position non finale de mot) et les voyelles
précédant celles-ci ont été analysées ici. Les analyses statistiques effectuées sont des
ANOVA à mesures répétées : les locuteurs et la lexicalité (mot vs logatome) sont en
facteurs aléatoires ; le mode de phonation (modale vs chuchotée), le voisement (voisé vs
sourd) et le mode d’articulation (plosive vs fricative) en facteurs indépendants.
Figure 1 – Étiquetage acoustique des voyelles et des consonnes des mots [egepe] (à
gauche) et [ezete] (à droite) en voix modale (en bas) et chuchotée (en haut)

2.3 Résultats et discussion


Nous présentons ici les résultats relatifs à l’effet du voisement sur les durées
consonantiques et vocaliques en phonation modale et chuchotée pour les fricatives et les
occlusives, les données relatives aux mots et aux logatomes sont confondues. La
phonation modale constitue la situation de référence à laquelle sont comparées les
observations en parole chuchotée. Comme attendu, en phonation modale les consonnes
sourdes (118 ms) sont en moyenne plus longues que les voisées (78 ms)
[F(1,3)=161,79 ; p=0,00105]. Les fricatives et occlusives sourdes sont plus longues que
les voisées : respectivement 133 vs 81 ms et 102 vs 74 ms en moyenne. De même, en
phonation chuchotée, les consonnes sourdes sont en moyenne plus longues de 31 ms que
les voisées [F(1,3)=56,014 ; p=0,00494] : respectivement, 136 ms vs 99 ms pour les
fricatives et 108 ms vs 82 ms pour les occlusives.
Ainsi, on peut observer le maintien d’une différence importante des durées
consonantiques associée au contraste de voisement en voix chuchotée, malgré une
réduction notable de cet écart pour les fricatives chuchotées (37 vs 52 ms en modal).
Pour les occlusives, cet écart est constant entre les deux modes phonatoires : 28 ms en
modal et 26 ms en chuchoté. On constate par ailleurs que la durée des consonnes
augmente significativement en mode de phonation chuchotée (107 ms) par rapport à
modale (98 ms) [F(1,3)=13,881 ; p=0,03368], ce qui rejoint les autres études et
l’observation générale d’une parole chuchotée souvent plus lente qu’en modale
(Schwartz 1967, Jovicic & Saric 2008, Mills 2003, 2009, Vercherand 2010).
L’analyse plus détaillée de la durée des phases de tenue et de relâchement des consonnes
révèle une différence remarquable. En parole modale, ces deux phases consonantiques
participent significativement à la distinction temporelle entre consonnes sourdes et
voisées. En parole chuchotée, la tenue des occlusives est significativement plus longue
pour les sourdes (84 ms) que les voisées (59 ms) [F(1,3)=55,134 ; p=0,00505]. Cette
différence de 25 ms est renforcée par rapport à la voix modale (18 ms, soit 72 ms pour
les sourdes et 54 ms pour les voisées). La phase de relâchement ne participe pas
significativement au contraste de voisement en chuchoté (24 ms pour les sourdes vs 23
ms pour les sonores), au contraire des occlusives produites en phonation modale
[F(1,3)=13,670 ; p=0,03434]. S’agissant des fricatives, la durée de la tenue est
significativement différente en fonction du voisement en voix chuchotée
[F(1,3)=49,841 ; p=0,00584]. La différence observée est de 36 ms en faveur des
fricatives sourdes (126 vs 90 ms pour les voisées). On remarque cependant une légère
réduction par rapport à la phonation modale, où cet écart compte 41 ms. Comme pour
les occlusives, la phase de relâchement des fricatives ne montrent pas en phonation
chuchotée de différence temporelle significative selon le voisement (10 ms pour les
sourdes vs 9 ms pour les sonores), au contraire de leur réalisation en phonation modale.
Ainsi, on peut supposer que seule la phase de tenue porte des informations temporelles
liées au caractère voisé des consonnes obstruantes en parole chuchotée (Figure 2).

Figure 2 – Durée moyenne (en ms) de la tenue (en bleu) et du relâchement (en rouge)
des consonnes selon le voisement et la phonation
Ces résultats sur la durée des consonnes voisées vs sourdes, d’une part, sont en accord
avec ceux obtenus dans les études précédentes (Mills 2003, 2009, Jovicic & Saric 2008,
Vercherand 2010), et d’autre part, complètent ces connaissances par une observation
plus détaillée des patrons temporels en jeu dans la production du contraste de voisement
en parole chuchotée.
150
120
90
60
Sourde
30
Voisée
0
Fric Occ Fric Occ
modale chuchotée
Figure 3 – Durée moyenne (en ms) des voyelles pré-consonantiques en fonction de la
nature de la consonne suivante en phonation modale et chuchotée
Outre la durée consonantique, en parole modale le voisement est également marqué par
une durée plus importante des voyelles pré-consonantiques devant consonne voisée. Nos
données confirment ce résultat attendu : une voyelle avant une consonne sourde est en
moyenne plus courte (88 ms) que celle précédant une consonne voisée (103 ms)
[F(1,3)=93,103 ; p=0,00236]. Cet écart de 15 ms est similaire à celui observé en parole
chuchotée dans notre corpus [F(1,3)=245,76 ; p=0,00056], soit 16 ms entre les
voyelles avant une consonne sourde et une consonne voisée. Quel que soit le mode
phonatoire ou d’articulation, cet écart reste assez faible (Figure 3), tenant
potentiellement au fait que la voyelle pré-consonantique observée ici n’est pas
tautosyllabique avec la consonne qui suit. L’observation de voyelles suivies d’une
consonne codaïque devrait montrer des différences plus nettes selon le voisement,
comme dans Mills (2003). Reste que ces différences de durée vocalique pré-
consonantique sont préservées en parole chuchotée et pourraient ainsi comme en parole
modale participer au marquage phonétique du contraste de voisement.

3 Expérience 2 : pression intraorale

Cette expérience porte sur l’analyse du pic de pression intraorale (Po) atteint lors la
constriction des obstruantes sourdes et voisées en fonction du mode de phonation.

3.1 Corpus et analyses

8 locuteurs français (6 femmes, 2 hommes) ont lu à haute voix et à débit normal en


chambre sourde une liste randomisée et équilibrée de 72 mots présentés isolément, une
fois en voix modale puis une fois en voix chuchotée. Les mots comportaient les
obstruantes labiales cibles /p b/ ou /f v/ en initiale ou finale de mots monosyllabiques,
composés des voyelles /a ɛ ɔ/ (par exemple, « vache, beige, pomme » ou « chef, rap,
robe » ou en médiane de mots bisyllabiques, en contexte vocalique /a__a ɛ ɔ / (par
exemple, « savate, affaire, rapport »). Chaque contexte a été itéré dans 2 mots différents,
représentant au total 18 occurrences différentes par consonne cible, soit 1152 items
cibles analysés. Le signal acoustique, le débit d’air oral et la Po ont été enregistrés
synchroniquement avec l’aérophonomètre d’EVA (Ghio & Teston 2004). La Po a été
acquise par voie orale via un cathéter dont l’extrémité dépassait juste l’arrière des
incisives. Lors de l’articulation de l’obstruante, ce cathéter pointait dans la cavité orale
fermée par l’occlusion ou la constriction labiale ou labiodentale. La prise de mesure
manuelle de la Po a été réalisée sous Phonédit (www.lpl-aix.fr/~lpldev/phonedit).
Mesuré en hecto Pascal (hPa), le pic de Po a été localisé sur le maximum de la courbe de
Po (son point d’inflexion) atteint lors de la constriction consonantique.
Des ANOVA à mesures répétées portent sur le voisement au regard des modes de
phonation et d’articulation (facteurs indépendants). Les locuteurs, la position syllabique
de la consonne et la nature des voyelles sont en facteur aléatoire.

3.2 Résultats et discussion


Le contraste de voisement est significativement marqué par une Po maximale plus haute
en parole modale. Mais surtout, cela est vrai également en parole chuchotée. Les tests
montrent que seuls le voisement [F(1,7)=138,162 ; p=0,00007] et l’interaction
voisement*phonation [F(1,7)=16,631 ; p=0,0047] sont significatifs. Dans les deux
modes, les obstruantes sourdes (5,42 hPa en modal et 4,91 hPa en chuchoté) montrent
une pression plus importante que les voisées (3,56 en modal et 4,02 en chuchoté).
La différence de Po entre sourdes et voisées réduite de moitié en phonation chuchotée
(0,89 hPa) par rapport à la phonation modale (1,86 hPa) peut s’expliquer. D’une part,
l’intensité sonore, largement soutenue par la pression sous-glottique, est plus faible
d’environ 20 dB en parole chuchotée, ce qui peut entraîner une Po plus basse et/ou
écraser sa dynamique par un effet plafond et/ou planché. D’autre part, la configuration
glottique spécifique au chuchotement propose, par rapport à la configuration modale,
une résistance au flux d’air égressif moindre pour les consonnes voisées chuchotées (plus
ouvertes du fait de la fuite glottique) et peut-être plus grande pour les sourdes (plus
fermées du fait de l’accolement partiel des cordes). Cela aurait pour effet d’abaisser la Po
des obstruantes sourdes et d’augmenter celle des voisées en mode chuchoté. En outre,
l’absence quasi totale de significativité du facteur phonation sur les valeurs de Po (seules
les occlusives voisées montrent un écart de Po significatif [p=0,029] selon la
phonation : 4,28 hPa en chuchoté vs 3,38 en modal) pourrait aller dans le sens d’une Po
relativement variable dans les deux modes, mais malgré tout fortement sous-tendue par
une nécessité de préserver une différence de configuration glottique et/ou de pression
entre consonnes voisées et sourdes, assez robuste dans les deux modes de phonation.
Ainsi, +1 hPa environ distingue les obstruantes sourdes des voisées en parole chuchotée.
Ce résultat est contradictoire avec ceux de Weismer & Longstreth (1980) portant sur le
contraste /p b/ en anglais. Il supporte l’idée que la configuration glottique adoptée lors
du chuchotement n’est pas une position statique et constante, mais que l’ouverture
glottique peut être spécifiquement contrôlée pour véhiculer une information relative au
voisement de la consonne. Ainsi, nos résultats aérodynamiques sur le français confirment
indépendamment ceux obtenus en fibroscopie par Mills (2009) sur l’anglais, qui
constitue l’une des rares mesures (et pas seulement une observation) empiriques directes
de ce phénomène physiologique.

4 Conclusion

Notre étude soutient que la production du contraste de voisement en parole chuchotée


est supportée par des traits phonétiques secondaires produits en parole modale.
La durée intrinsèque des consonnes et la différence de pression intraorale sont en bonne
partie la conséquence phonétique de la contrainte aérodynamique liée au différentiel de
pression transglottique nécessaire à la vibration des cordes vocales (Malécot 1955). Or,
en l’absence de cette contrainte en voix chuchotée, ces différences phonétiques semblent
se maintenir, bien qu’affaiblies. Concernant la constriction glottique distincte entre
obstruantes voisées et sourdes en voix chuchotée, une analyse acoustique de la qualité
du bruit émis à la source glottique et de sa résonance supraglottique est encore à mener
pour déterminer si des informations spectrales du voisement existent en voix chuchotée.
Dès lors, la question de l’implication et de la hiérarchie de ces indices phonétiques dans
la perception du trait [voisé] en phonation chuchotée se pose également. Au regard des
études antérieures effectuées en perception, on peut raisonnablement le supposer. Par
contre à notre connaissance, aucune étude complète n’a encore tenté de déterminer à
quel niveau du traitement perceptif ces indices interviennent.
Enfin, il est à noter que notre étude constitue la première analyse physiologique
indirecte sur le français qui confirme empiriquement l’existence de gestes glottiques
contrastifs associés à l’opposition de voisement des consonnes en parole chuchotée.

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