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ISSN
1180-3479 (print)
1916-0976 (digital)
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LE DEUIL
DANS LA
LITTÉRATURE
Résumé
Plusieurs écrivains se sont servis de leur
plume pour engager un travail de deuil
à la suite du décès d’un proche. Parmi
ceux-ci des auteurs très connus, tels que
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre et
d’autres qui le sont moins mais dont l’écrit
présente un intérêt non négligeable :
Anne Philipe ou Michel Ragon. Dans la
mesure où la démarche de ces écrivains,
réalisée avec leur sensibilité propre et une
certaine liberté d’expression, retrace le
vécu avec la personne disparue, ces écrits du deuil qui aide à s’éloigner d’elle tout en
constituent des autobiographies. Celles-ci Hélène Reboul, mesurant ce qui a été vécu avec elle. Les
sous le terme de Mémoires contribuent professeure émérite et fondatrice de l’enseignement
en gérontologie à l’Université de Lyon II. écrivains ont eu recours à ce procédé ; ainsi
également à faire le deuil des décennies
la littérature nous fournit-elle un certain
passées. Parallèlement, l’auteur de l’ar-
ticle s’engage dans une démarche simi- On dit de tout roman qu’il est plus ou nombre d’exemples qui ne sont pas dénués
laire grâce au choix des ouvrages et à moins autobiographique ; on pourrait élar- d’intérêt. Cependant, il paraît nécessaire de
l’intérieur de ceux-ci des circonstances gir cette idée reçue à un certain nombre distinguer des ouvrages écrits par des
relatées. d’écrits autres. C’est ce que je ferai ici. Peut- femmes et d’autres écrits par des hommes,
être qu’en avançant dans la vie on serait chaque sexe manifestant sa sensibilité
Mots clés : deuil – littérature – mémoires –
plus tenté par cette démarche. N’est-ce pas différemment sans parler de la personna-
autobiographie.
déjà engager une forme de deuil ? lité propre. L’écriture donne aussi une
certaine liberté.
Abstract
A number of authors have used their pen
LE DEUIL
to help their grieving after the loss of Je suis de la génération qui a vu le deuil LA LITTÉRATURE
someone close. Among these are some dans sa dimension sociale : le port d’habits Cette dimension m’intéresse tout parti-
well-known authors like Simone de noirs indiquant la perte d’un proche et pour culièrement parce que j’en ai fait un usage
Beauvoir and Jean-Paul Sartre; there are ce faire la pancarte située à la vitrine du abondant dans le cadre de mon enseigne-
still others who, while less well-known, teinturier « Deuil en 24 heures ». ment universitaire. Cela est survenu à partir
their writings are not without interest: Habitant à proximité d’une entreprise de du moment où l’université française a
Anne Philipe or Michel Ragon. Insofar as pompes funèbres, enfant j’admirais la livrée accueilli en son sein des professionnels pour
their efforts to trace, with their unique noire dont étaient revêtus les chevaux tirant se former alors qu’ils ne détenaient pas de
sensibilities and literary licence, life bereft
un corbillard noir décoré de plumeaux situés diplômes supérieurs, ni parfois le bacca-
of a close one, these writings constitute
autobiographies. These writings, often aux quatre coins. Quotidiennement, je les lauréat ; cela survenait après mai 1968
known as Memoirs, can help with our voyais défiler au sortir de la morgue de l’éta- et de manière plus concrète avec la Loi
mourning of previous decades. The blissement hospitalier Cochin à Paris. de 1971 sur la formation continue et
author engages in this process not only Dire que pour autant la mort n’était pas l’éducation permanente. Face à leur désir
through her selection of texts but also redoutée ; ces signes visibles remplaçaient- d’apprendre, il ne convenait pas, à mon
through her selection of events told ils la parole ? Ce qui est certain, c’est qu’il sens, de les décourager notamment avec des
through these texts. ne serait jamais venu à l’esprit de qui que ouvrages théoriques auxquels ils n’avaient
Keywords: grieving – literature – ce soit à cette époque d’engager, du fait de pas recours habituellement et aussi fallait-
memoirs – autobiographies. cette circonstance, une thérapie. Les deuils il faire le pari que par ce biais ils s’adon-
pathologiques pouvaient faire florès ! neraient plus facilement à la lecture.
La chambre du mort restait le plus Dans le cadre de mon enseignement de
souvent en l’état ; c’était une manière de gérontologie psychologique et sociale, du
maintenir sa présence sans y toucher ; cela D.U.G.S. (Diplôme d’université de géron-
se pratique encore de nos jours… On n’en tologie sociale créé en 1975), j’ai proposé
parlait pas et c’était ainsi malgré tout ne que chaque étudiant au cours de la première
pas oublier le défunt. On remarquera que année lise cinq romans traitant du vieillis-
quel que soit le sexe de la personne morte sement, de la vieillesse et de la mort. En
la dimension neutre devient normale ! outre, je demandais de faire des investiga-
Écrire à propos de la mort d’une per- tions sur l’auteur et sur les circonstances
sonne proche favorise le travail psychique qui l’avaient conduit à écrire cet ouvrage.