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ACTEURS ET PROCESSUS
Communication de
Georges Nzongola-Ntalaja
Directeur du Centre de Gouvernance du PNUD à Oslo
1
INTRODUCTION
Sur le continent africain, la région de l’Afrique centrale est une véritable zone des
turbulences dans ce sens que sept de ses onze pays sont marqués par l’existence ou la
sortie des crises violentes1. Quelles que soient leurs causes majeures, les conflits actuels
en Afrique centrale connaissent de profondes transformations qui affectent aussi bien leur
nature, leurs rationalités et leurs modes d’expression. Sous l’emprise de la mondialisation
capitaliste et de l’échec des tentatives de démocratisation depuis 1990, ces conflits
connaissent aussi l’apparition d’acteurs inédits qui les rendent inextricables et parfois
difficilement repérables. Pour mieux les saisir théoriquement et empiriquement et
élaborer les stratégies les plus appropriées pour leur règlement, il s’avère nécessaire d’en
faire une analyse sociopolitique qui puisse permettre une compréhension plus large de la
dynamique des conflits en Afrique tout entière.
Dans les pages qui suivent, nous essayerons d’appliquer cette méthodologie à la
dynamique des conflits en Afrique centrale, mettant l’accent sur les acteurs et les
processus des conflits violents qui ont déstabilisé ou endeuillent encore cette région de
notre continent. Pour mieux illustrer la dynamique des conflits comme conséquence
inéluctable de la résistance des dirigeants autoritaires au processus de démocratisation
dans une conjoncture de crises économique et politique, deux foyers de conflit sont
examinés. Il s’agit de la crise en République Centrafricaine (RCA), ainsi que de ses
manifestations violentes depuis 1996 jusqu’à ce jour, et de la guerre interafricaine en
République démocratique du Congo, dont les antécédents comprennent l’échec de la
Conférence nationale souveraine (CNS) congolaise et le génocide de 1994 au Rwanda.
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PREMIERE PARTIE : LA CRISE CENTRAFRICAINE2
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de la Garde présidentielle furent ainsi renvoyés à l’armée régulière et remplacés par des
unités originaires du Nord, frontalier du Tchad, et plus particulièrement issues de son
propre groupe ethnique, les Sara.
Un mois plus tard, le 18 mai 1996, une deuxième mutinerie éclatera à Bangui.
Celle-ci est, en toute vraisemblance, liée à l’irrésolution du problème des soldes et à celui
de la discrimination dont les soldats yakoma se sentaient victimes. En effet, une des
causes immédiates de cette mutinerie est le fait que ces derniers aient vu dans la volonté
du Directeur de la Sécurité présidentielle de transférer l'armurerie du Camp Kassaï au
Camp Deroux, à la Présidence, comme une tentative de les éliminer physiquement.
Ainsi, les mutineries étaient-elles perçues d'une manière générale par les uns et les autres
comme une guerre entre les mutins et la Garde présidentielle.
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les finances publiques et d’améliorer le fonctionnement des rouages de l'Etat le mettra
vite en conflit avec les barons du régime Patassé, déterminés à sauvegarder leurs
privilèges. Etant donné l'absence de volonté politique pour s'attaquer aux causes
profondes de la crise et résoudre le noeud du problème, c'est-à-dire, la mauvaise
gouvernance, le pays ne pouvait pas sortir du marasme dans lequel il s'était plongé.
Dans ce contexte, il y avait lieu d'être sceptique quant à l'application des accords
conclus, ainsi qu'au respect éventuel des engagements pris lors des concertations
ultérieures telles que les Etats généraux de la défense nationale (EGDN), dont les travaux
eurent lieu du 19 août au 9 septembre 1996. La tenue de ses assises constituait l'un des
principaux projets du PMC, aux fins de trouver des mesures rectificatives aux faiblesses
des Forces armées centrafricaines (FACA). Cependant, la plupart des recommandations
de cette conférence, celles notamment relatives aux salaires, primes de fonction, services
de santé et éducatifs, ne pouvaient pas être appliquées, même au cas où la volonté
politique ne faisait pas défaut, faute des moyens financiers.
C’était justement le fait que les attentes d'une partie des FACA n'ont pas pu être
satisfaites que celles-ci se soulèvent encore une fois le 15 novembre 1996. Cette
troisième mutinerie a été la plus longue et la plus dramatique. Elle a eu pour
caractéristique principale l'ethnicisation du conflit. Jusqu'alors largement inconnues en
RCA, les tensions ethniques se sont manifestées tant au sein de l'armée que parmi la
population civile: tentative de regroupement des résidents de Bangui suivant les régions
d'origine, recours aux langues ethniques en lieu et place de la langue nationale, le Sango,
et d'autres signes avant-coureurs des troubles ethniques. Une scission est intervenue au
sein de l'armée entre d'un côté les «mutins», sous la direction du capitaine Anicet Saulet,
et les «loyalistes» de l'autre, restés fidèles au pouvoir établi. La ville de Bangui se divisa
en deux zones antagonistes, et le pays s'est trouvé au bord de la guerre civile. Cette
situation a duré jusqu'à la fin de la mutinerie avec la signature, le 25 janvier 1997, d'un
accord préalable à un pacte de réconciliation nationale, dont l'ensemble des dispositions
sont mieux connues aujourd'hui comme les «Accords de Bangui».
Une fois politisée, la grogne des militaires deviendra par la suite un conflit ouvert
sur le partage du pouvoir entre le régime Patassé et l’ensemble de l’opposition politique.
Car les mutineries ne furent qu’une manifestation, quoique brutale, de la crise de l’Etat en
général et de la résistance des détenteurs du pouvoir à la démocratisation en particulier.
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et la création du Comité international de suivi des accords de Bangui (CIS), avec le
général d’armée Amadou Toumani Touré, l’actuel chef d’Etat malien, comme président.
On peut identifier quatre grands volets dans le programme proposé par le Bureau
du PNUD à Bangui en réponse urgente à la crise. Il s'agit, en premier lieu, de l'assistance
aux victimes de la crise, particulièrement les populations déplacées; en deuxième lieu, de
l'appui à l'oeuvre du CIS; en troisième lieu, de la coopération avec le Ministère des Droits
de l'homme, de la promotion de la culture démocratique et de la réconciliation nationale
dans la préparation et la tenue de la Conférence de réconciliation nationale (CRN); et en
quatrième lieu, de l'appui à la formulation d'un programme-cadre de bonne gouvernance.
Cet animateur chevronné de la palabre, que ses proches aussi bien que ses
admirateurs appellent «ATT», a su puiser de la sagesse africaine millénaire des proverbes
riches d'enseignements et d'autres outils de la diplomatie préventive pour calmer les
esprits et orienter les négociations vers un règlement pacifique du conflit. Si le CIS avait
réussi à maintenir la paix à Bangui et à rapprocher les acteurs politiques pour un dialogue
constructif, cela est dû en grande partie aux qualités personnelles exceptionnelles d'ATT.
Voici comment un observateur attentif de la situation politique en RCA a décrit la façon
dont ATT avait réussi à convaincre le groupe des partis politiques de l'opposition radicale
de prendre part aux travaux de la CRN, du 26 février au 5 mars 1998 : « Toumani a été
unanimement reconnu par tous les autres confrères comme un fin psychologue. Le coup
le plus éclatant de sa mission en Centrafrique est d'avoir réussi à organiser au début du
mois de mars dernier la Conférence de Réconciliation nationale. L'atmosphère
paraissait difficile et les points de vue des différents protagonistes impliqués dans la crise
étaient très divergents. Toumani réussit par ce coup de baguette dont lui seul détient le
secret à organiser un forum de la dernière chance pour évaluer l'application des Accords
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de Bangui. Le soupir de soulagement était à peine retenu. Le G11 convaincu de la
bonne volonté du CIS décidera à la dernière minute de sa participation à la Conférence
de Réconciliation nationale»3.
Les thèmes principaux de la CRN sont sortis des fora préparatoires financés par le
PNUD et réunissant les différentes catégories de la société civile, notamment les femmes,
les jeunes, les ONG et les victimes des mutineries. Les travaux ont été organisés autour
du problème de la pauvreté, du diagnostic de la situation politique, de la bonne
gouvernance et des perspectives de développement à long terme. Ces thèmes devraient
définir le cadre général dans lequel les Centrafricains pouvaient se retrouver pour
interroger le passé, faire un diagnostic du présent et préparer l’avenir. Compte tenu d’une
profonde crise de confiance existant entre les acteurs politiques, l’implication des
autorités religieuses du pays dans la dynamique de réconciliation s’est avérée
indispensable. Le pasteur Isaac Zokoué, doyen de la Faculté de théologie évangélique de
Bangui, a présidé les travaux de la CRN. C’est lui qui fut, un an plus tôt, le rapporteur
général du Comité de concertation et de dialogue.
Les travaux de la CRN ont été couronnés par l’adoption, le 5 mars 1998, d’un
Pacte de réconciliation nationale par lequel les signataires s’engageaient à promouvoir la
bonne gouvernance et les droits humains, à utiliser la voie des urnes comme l’unique voie
légale d’accès au pouvoir, à renoncer à la violence, à lutter contre la pauvreté et à s’unir
pour reconstruire le pays. Les signataires lancèrent également un appel pathétique à la
communauté internationale pour une assistance adéquate au ramassage d’armes de guerre
disséminées à travers le territoire national. Contrairement aux accords antérieurs, pour
lesquels un mécanisme de suivi au niveau national n’était pas prévu, le Pacte, de par son
caractère exécutoire, prévoit la mise en place d’un Comité de suivi et d’arbitrage (CSA)
« chargé du contrôle de l’exécution des engagements pris dans le présent Acte et de
l’arbitrage des différends éventuels ». Pour l’opposition, la création du CSA répondait
ainsi à la volonté de « tirer les leçons de l’échec des Etats généraux de la Défense
nationale, du non respect par le Chef de l’Etat du Protocole d’Accord Politique (PAP) du
5 juin 1996, du Programme Minimum Commun (PMC) et des Accords de Bangui du 25
janvier 1997»4.
Malgré le fait que la CRN ait doté d’une force exécutoire toutes les mesures,
recommandations, et résolutions consensuellement adoptées au cours de ses assises ainsi
que toutes les recommandations et résolutions faisant partie des Accords de Bangui, elle
n’est pas à confondre avec les conférences nationales souveraines ayant marqué les
transitions politiques d’autres pays africains, notamment le Bénin et le Mali. La CRN, à
l’instar des manifestations politiques et religieuses qui l’ont marqué ou accompagné, a
servi principalement de fonction symbolique. En tant que point de référence obligé du
processus de réconciliation nationale, elle reste avant tout une réaffirmation de la
solidarité nationale et du devenir commun des Centrafricains. Sur le plan pratique, par
ailleurs, il s’agit plus d’une déclaration d’intentions que d’un programme d’action concret
pour tirer le pays du marasme politique et économique.
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Mais intervenant dans un contexte de manque de confiance entre les acteurs
politiques, le travail du CSA, l’organe de suivi de la CRN, ne pouvait que souffrir. Mis
en place le 11 avril 1998, le bureau du CSA a été contesté par le G11, sur base de
l’argument que la manière dont il a été constitué n’est pas conforme aux textes
réglementaires. Même si tout le monde se mettait d’accord sur la composition du bureau
du CSA, d’aucuns s’interrogeaient comment cet organe pouvait accomplir sa mission
sans moyens d’action adéquats et sans le moindre pouvoir de pénaliser ceux qui violent
les accords conclus ou refusent de respecter les engagements pris.
Si le manque de respect pour les engagements pris est un défaut commun aux
acteurs politiques africains, il est évident que les détenteurs du pouvoir retiennent la
responsabilité majeure dans l’échec des tentatives de résolution et de transformation des
conflits. En RCA, à l’instar d’autres régimes de la région et au vu et su de tout le monde,
le président Patassé et son entourage s’étaient rendus coupables du blocage du processus
de réconciliation nationale depuis les mutineries de 1996-1997. Qu’il s’agisse du partage
du pouvoir, du processus électoral, ou de la restructuration des forces armées, le pouvoir
usait de toutes sortes d’astuces pour rendre vains les gains réalisés par l’opposition dans
les négociations sous la médiation internationale.
Sur le partage du pouvoir, par exemple, il semble que les ministres de l’opposition
et ceux proposés par les ex-mutins ne disposaient pas de moyens adéquats pour exécuter
leurs mandats. Pour commencer, ils se retrouvaient pour la plupart des cas dans les
ministères les moins importants. En outre, ils ne pouvaient nommer qu’un seul
collaborateur, le chef de cabinet, le reste du personnel de cabinet étant composé des gens
réputés fidèles à la majorité présidentielle. Cependant, malgré les menaces de
l’opposition de retirer ses ministres du GADD, ceux-ci restaient souvent au
gouvernement, pour plusieurs raisons, entre autres, le goût du pouvoir, le prestige d’être
ministre, la politique du ventre.
En ce qui concerne les échéances électorales, les décisions prises par les forums
comme la CRN à ce sujet devraient, pour devenir exécutoires, être revêtues d’une
couverture légale en forme des lois adoptées par l’Assemblée nationale ou des décrets
présidentiels. Cette procédure a permis à la majorité présidentielle de constamment
contourner des résolutions prises par consensus dans le but de renforcer sa mainmise sur
le pouvoir d’Etat. Le débat sur le code électoral et la Commission électorale mixte et
indépendante (CEMI) avait tourné justement autour de la mésentente entre le pouvoir et
l’opposition sur les droits des uns et des autres.
Quant à la restructuration des forces armées, le président Patassé était à juste titre
accusé par l’opposition de faire montre de la mauvaise volonté. Suivant les
recommandations des EGDN, il avait signé des décrets pour supprimer deux services
prétoriens, le Centre national de recherches et d'investigations (CNRI) et la Section
d'enquêtes, recherches et documentation (SERD) à la Sécurité présidentielle. Cependant,
au lieu de réduire les effectifs de la Garde présidentielle, le président créa une nouvelle
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garde prétorienne, la Force spéciale pour la défense des institutions républicaines
(FORSDIR), forte de deux bataillons, soit 1500 unités. Pour l'opposition et quelques
milieux de la société civile, l'action du président constituait une violation des Accords de
Bangui.
Il est évident qu'il n'y avait pas de volonté politique pour restructurer les FACA
de façon à dissocier le président de la République de la gestion de sa propre sécurité.
L'idée d'une armée républicaine ne cadre pas avec le caractère patrimonial dominant de
l'Etat en Afrique. En RCA, le CIS avait soumis au président Patassé un plan de
restructuration de l'armée et un autre pour la gendarmerie. Jusqu'au moment de ma
mission en avril 1998, aucune action n'avait été prise à l'endroit de ces deux plans. Entre-
temps, l'armée en tant que système d'organisation de la défense nationale et du maintien
de l'ordre public n'existait que de manière précaire en RCA, à cause du problème de
discipline dû aux mutineries et au manque des moyens.
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Tout au long de la crise politique centrafricaine depuis 1996, le problème épineux
du point de vue de la transformation du conflit est le manque de confiance entre les
acteurs politiques, une des conséquences étant les recours répétés à la médiation
extérieure au lieu de rechercher des solutions durables à l'intérieur du pays. D'autres
problèmes de fond non résolus comprennent la corruption, le népotisme, le manque de
volonté politique pour changer et le non respect des engagements pris. Aussi longtemps
que les détenteurs du pouvoir ne veulent pas le partager, en voyant toute tentative de
corriger des abus comme un affaiblissement de leur contrôle des rouages de l'Etat, il sera
difficile, voire impossible, d'instaurer une gouvernance démocratique et participative et
d’éviter des conflits violents.
La guerre interafricaine dont la RDC est victime depuis 1998 est une des
conséquences majeures de l’échec de la transition démocratique au Congo-Kinshasa.
Dans ce pays, comme dans le reste du continent africain, le processus de démocratisation
amorcé entre 1988 et 1990 visait la transformation de l’Etat postcolonial caractérisé par
un système patrimonial et clientéliste, au sein duquel l’essential des ressources publiques
constituait un domaine privé d’un autocrate et de sa cour, en un Etat de droit en tant
qu’ensemble des institutions fonctionnant d’une façon impartiale dans l’intérêt de toute la
communauté. Au Congo, comme ailleurs, la population revendiquait la fin du parti-Etat,
et son remplacement par un système de démocratie multipartite, celui-ci étant perçu
comme favorable au développement économique et social, dans la mesure où le
gouvernement est censé s’identifier avec les aspirations du peuple, auquel les dirigeants
ont des comptes à rendre.
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et social et en faisant du Congo/Zaïre la risée du monde entier. Si le changement de
l’appellation du pays en 1971 du « Congo » au « Zaïre » marquait la volonté d’effacer
l’équation abusive entre le « Congo » et le « chaos », à son tour le mot « Zaïre » ne
tardera pas d’assumer des connotations péjoratives de corruption endémique, de crise
interminable, d’un Etat en faillite.
Pour sortir le pays du marasme dans lequel le régime Mobutu l’avait plongé, les
forces vives de la nation avaient exigé et obtenu la tenue de la CNS, comme cadre de
concertation politique nationale destiné à établir la vérité sur le passé, promouvoir la
réconciliation nationale et adopter un cadre juridique et institutionnel pour la période de
transition de la dictature à une démocratie pluripartite. Tenue à Kinshasa entre le 7 août
1991 et le 6 décembre 1992, la CNS était le lieu indiqué pour la remise et reprise entre les
forces du statu quo et celles du changement, entre les courtisans d’un régime
patrimonialiste et les forces politiques et sociales favorables à l’instauration d’un Etat de
droit en tant que condition sine qua non du développement humain durable.
Malgré ses faiblesses, ce forum de 2842 délégués représentant toutes les couches
de la population congolaise a légué au pays des acquis appréciables sur le plan politique.
En plus de son caractère éducatif, toutes les séances plénières ayant été transmises en
direct par la radio et la télévision nationales, la CNS représenta une tentative louable de
rétablir la souveraineté de la nation sur l’Etat et de restituer au peuple son droit
démocratique en tant que souverain primaire et, partant, la source du pouvoir d’Etat.
11
Suivant ces principes, la charte de la transition ou la constitution provisoire adoptée par la
CNS reconnaît aux citoyens le droit de résistance contre la dictature ou toute autorité
illégitime et oppressive. Un des soucis majeurs du peuple en conférence était de mettre
fin à l’arbitraire et à l’impunité pour créer un Etat de droit avec des institutions
performantes en vue de réaliser la reconstruction nationale et le développement
économique et social. Malheureusement, compte tenu des erreurs de l’opposition, de la
manipulation savante de celle-ci par Mobutu et de la résistance violente de son régime au
processus de démocratisation, la CNS a échoué par rapport à l’une de ses missions
primaires, à savoir, celle de mettre sur pied une transition ordonnée et non violente vers
la démocratie.
Un des moyens auxquels le régime Mobutu avait fait recours pour torpiller le
processus de démocratisation est l’incitation à la violence par l’intolérance et la haine
basées sur les différences d’identité. Dans nos sociétés contemporaines, marquées par la
diversité sociale et culturelle, les conflits d’identité sont en recrudescence, pour des
raisons multiples, dont l’analyse dépasse le cadre de cette étude. La montée des conflits
identitaires ne semble pas épargner les pays développés du Nord, où les capacités de
gestion effective de la mondialisation existent, mais elle est fort prononcée dans les pays
en développement du Sud, dont les populations sont frappées de plein fouet par la crise
économique et susceptibles à toutes sortes de manipulation politique sur base d’identité.
Le nettoyage ethnique et le génocide sont des manifestations les plus extrêmes des
conflits identitaires et des processus belliqueux pour lesquels tout le poids de l’Etat est
requis lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre de la « solution finale ». Par conséquent, il
s’agit de deux formes extrêmement brutales de guerre ethnique5. Pour le nettoyage
ethnique, celle-ci consiste en un refoulement des personnes appartenant à un groupe
ethnique spécifique d’un territoire où ce groupe est considéré indésirable. Comme
Tadeusz Mazowiecki, le rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme de
l’ONU l’avait bien noté en 1995 par rapport à la politique serbe dans les Balkans, « les
déplacements de populations ne sont pas la conséquence de la guerre mais son but »6.
Tous les moyens nécessaires, y compris le meurtre, la torture, le viol et la destruction de
leurs biens, sont utilisés pour semer la panique et contraindre les populations visées de
s’en aller. Les rescapés de cette catastrophe humaine deviennent des réfugiés ou des
personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.
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rwandais (FPR), mouvement de revendication du droit de retour formé en Ouganda par la
diaspora tutsi et qui comptait également dans ses rangs quelques sympathisants hutu.
Les deux dernières épisodes sont riches d’enseignements en ce qui concerne tant
la construction historique des identités que le nettoyage ethnique. Le refoulement de
1960-1962 était lié à l’opposition des Luba, aussi bien du Katanga que ceux du Kasaï, à
la sécession katangaise. En expulsant les cadres et travailleurs qualifiés kasaïens sous le
prétexte de réserver les richesses de la province la plus riche du Congo aux seuls
« Katangais authentiques », les exécutants africains de ce sale besogne avaient comme
souci majeur de mobiliser les ethnies du Sud-Katanga derrière le mouvement
sécessionniste en leur promettant l’acquisition d’emplois, de maisons et d’autres biens
appartenant aux Kasaïens. Une des ironies de cette épisode est que Godefroid Munongo,
le ministre provincial de l’intérieur et l’architecte principal du nettoyage ethnique, est le
petit fils du roi Msiri, un Nyamwezi de la Tanzanie qui fonda l’Etat de Garenganze vers
1850 à Bunkeya. Par le miracle du fait colonial, un immigré relativement récent, se
sentait plus en droit de vivre au Katanga que les populations luba, qui en sont originaires.
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Le génocide rwandais et ses répercussions au Congo
En droit international, le génocide est défini comme les « actes commis avec
l’intention de détruire, en entier ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou
religieux »7. S’agissant ainsi d’un plan rationnel, les choix qui le guident sont fonction
des réalités historiques qui ne sont pas entièrement contrôlées par les génocidaires eux-
mêmes. Les causes économiques, politiques et sociales du génocide doivent être
examinées pour une meilleure compréhension de cette stratégie meurtrière.
Dans le cas concret du Rwanda en 1994, l’Etat a été sans aucun doute l’instigateur
principal du génocide, qui fut l’œuvre des ténors du « Hutu power », avec les Forces
armées rwandaises (FAR), l’armée de feu le président Juvénal Habyarimana et les
interahamwe ou milices extrémistes hutu, comme exécutants majeurs. Réfractaire aux
Accords d’Arusha et au partage du pouvoir avec la minorité tutsi et l’opposition
démocratique animée par les Hutu modérés, l’entourage du président avait depuis un
certain temps préparé des listes des personnes à éliminer physiquement. Pour ces
idéologues de « Hutu power », l’acte de génocide était un devoir national, pour tous ceux
qui étaient censés être loyaux envers l’Etat hutu8. Ceux qui ne se reconnaissaient pas dans
cette idéologie étaient soit des traîtres (cas des Hutu), soit des apatrides (cas des Tutsi),
car ne répondant pas au critère de citoyenneté consacré. Pire que ça, les Tutsi n’étaient
même pas considérés comme des êtres humains. Ils étaient des « inyenzi » (cancrelats en
Kinyarwanda), ou des insectes qu’on peut anéantir sans pitié. Une telle diabolisation,
voire animalisation, des victimes des guerres ethniques permet aux bourreaux de se
justifier et de refouler tout sentiment de culpabilité pour leurs crimes odieux.
C’est précisément l’initiative du FPR visant la destruction ces camps des réfugiés
et, partant, les bases des génocidaires au Congo, qui portera Laurent-Désiré Kabila au
pouvoir à Kinshasa. Après les déclarations du général Paul Kagamé publiées dans le
Washington Post du 9 juillet 1997 et confirmées dans son entretien avec le professeur
ougandais Mahmood Mamdani, entretien publié à son tour par le Mail & Guardian de
Johannesburg dans son édition du 8 août 1997, le voile a été finalement et définitivement
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levé sur le rôle moteur du Rwanda dans la guerre de sept mois et le renversement du
régime Mobutu. Même si la contribution de l’Angola sur le plan des opérations militaires
d’envergure fut beaucoup plus importante, l’initiative rwandaise reste la clef de voûte de
la marche victorieuse de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo
(AFDL) vers Kinshasa.
Ceux qui refusent de reconnaître cette réalité auront du mal à expliquer comment
une coalition de quatre groupes de rebelles disparates formée le 18 octobre 1996 à
Lemera, soit environ deux semaines après le déclenchement des hostilités par l’armée
rwandaise, puisse se structurer et s’organiser pour mener une campagne militaire
victorieuse en un temps record, d’une part, et pourquoi, d’autre part, un officier militaire
rwandais, James Kabarebe, devait prendre le commandement de la nouvelle armée
nationale, les Forces armées congolaises (FAC). Le fil des événements ne tardera pas à
démontrer que Paul Kagamé et le président ougandais Yoweri Museveni avaient soutenu
l’AFDL pour masquer leurs propres visées expansionnistes. Ayant constaté qu’ils ne
pouvaient pas transformer le président Laurent-Désiré Kabila en une véritable
marionnette, ils se sont décidés de s’en débarrasser. D’où la guerre d’agression et de
pillage déclenchée le 2 août 1998.
Il s’agit là d’un nouveau type de guerre, la « guerre des ressources », dont les
objectifs sont à la fois économiques et politiques, et qui rassemble des acteurs internes et
externes, y compris les réseaux criminels internationaux. Dans une analyse perspicace, le
Monde diplomatique décrit les composantes ainsi que le fonctionnement de ces réseaux
de la manière suivante : « Abandons de souveraineté et mondialisation libérale –
permettant aux capitaux de circuler sans contrôle d’un bout à l’autre de la planète – ont
favorisé l’explosion d’un marché de la finance hors la loi, moteur de l’expansion
capitaliste, et lubrifié par les profits de la grande criminalité. Partenaires associés sur
l’archipel planétaire du blanchiment de l ‘argent sale, gouvernements, mafias,
15
compagnies bancaires et sociétés transnationales prospèrent sur les crises et se livrent
au pillage du bien commun en toute impunité11 ».
RDC
Ouganda
Rwanda
Zimbabwe
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Chine, Emirats Arabes Unis, Etats-Unis, Finlande, France, Hong Kong, Israël,
Kazakhstan, Malaisie, Pays-Bas, Royaume Uni, Suisse. Il y a lieu de mentionner
également plusieurs autres sociétés enregistrées dans les îlots de libre échange des
Caraïbes et des sociétés appartenant aux marchands d’armes notoires tels que Victor
Bout13.
En dépit des protestations des uns et des autres, il est internationalement établi
que dans cette sale guerre interafricaine du Congo, les « alliés » et les « agresseurs » se
retrouvent tous dans le même camp, celui des pilleurs. Si les premiers participent au
partage du gâteau congolais avec l’approbation des autorités congolaises, il n’en reste pas
moins que cette activité soit jugée illégale en droit international car étant effectuée sans
transparence et contraire aux intérêts supérieurs de la nation. Pour les Congolais
impliqués, des présomptions les plus graves pèsent sur eux concernant le bradage du
patrimoine national. Quant aux agresseurs, il est évident que le Rwanda et l’Ouganda
s’adonnent plus au pillage des richesses congolaises qu’à la poursuite de leurs « forces
négatives » respectives au Congo. Directement ou par groupements congolais interposés,
ces deux pays ont purement et simplement annexé de vastes zones du Congo afin d’y
piller systématiquement les ressources naturelles.
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Malheureusement pour le Congo, le coltan et d’autres ressources du sous-sol
congolais sont incontournables pour la technologie de pointe, de la fabrication et
l’entretien des engins aéronautiques et spatiaux aux ordinateurs et à la téléphonie
cellulaire. La classe politique congolaise ayant démontré son incapacité de servir
d’intermédiaire fiable, la conquête du pays, ou tout au moins sa partition par des voisins
capables d’y assurer l’exploitation et l’évacuation vers les marchés du Nord des
ressources stratégiques dont l’industrie a besoin, s’imposait.
CONCLUSIONS
Le dénominateur commun dans les deux cas analysés dans cette étude est la crise
de l’Etat postcolonial, marqué par l’effondrement de son autorité et de ses moyens
d’action, y compris l’appareil administratif et les organes de coercition. La grogne des
fonctionnaires et d’autres catégories sociales dont le bien-être dépend totalement ou en
partie de l’Etat est due à l’échec de ce dernier dans bon nombre de pays africains
d’assurer un paiement régulier des salaires, pensions et bourses d’études. A cet égard, les
mutineries des soldats, une des catégories sociales majeures de la crise centrafricaine,
sont en général des actions syndicales en défense de leurs intérêts corporatistes. Dans les
18
années d’indépendance, les revendications des militaires portaient surtout sur les
promotions, d’autant plus que la plupart des armées avaient gardé en leur sein des
officiers européens. Plus récemment, les mutineries sont souvent provoquées par des
arriérés de solde, qui sont insupportables, surtout dans la mesure où il existe une ou
plusieurs unités d’élite, en l’occurrence la garde présidentielle et d’autres services
prétoriens, qui sont de loin mieux rémunérées et jouissent des meilleures conditions de
travail et de vie matérielle.
En RDC, les causes profondes de la crise actuelle sont de deux ordres : d’une part,
le blocage par la corruption et la violence du processus de démocratisation amorcé en
1990, y compris des actes de sabotage économique et de nettoyage ethnique, résultant
dans la destruction du tissu social et la montée de l’intolérance politique ; et d’autre part,
l’effondrement de l’Etat et de ses forces armées, qui permirent aux Etats lilliputiens
comme le Rwanda et l’Ouganda d’envahir, d’occuper et de piller un pays aux dimensions
continentales.
Dans ces conditions, l’instauration d’une paix durable au Congo exige deux
préalables. En premier lieu, la reconstruction de l’Etat et de l’armée congolais sont
indispensables pour une sortie honorable de la crise. En revanche, cette reconstruction
n’est possible que dans la mesure où la reprise du processus de démocratisation réussisse
à restaurer l’unité et l’intégrité territoriale du Congo et à rassembler les différentes
factions politiques autour d’un projet de transition politique commun qui permette une
solution démocratique et équitable à la crise que traverse le pays depuis treize ans.
19
conformément au droit international, ainsi que de fournir des compensations appropriées
aux victimes de la guerre ou à leurs familles respectives.
1
Il s’agit des pays suivants: Angola, Burundi, Centrafrique, Congo-Brazzzaville, Congo-Kinshasa, Rwanda
et Tchad. Par rapport à la situation qui prévaut ailleurs, le Cameroun, le Gabon, la Guinée Equatoriale et
Sâo-Tomé et Principe sont relativement calmes.
2
Les données sur la crise centrafricaine ont été en grande partie recueillies lors d’une enquête menée par
l’auteur à Bangui entre les 9 et 27 avril 1998, dans le cadre d’une mission d’études multisectorielle du
PNUD entre le 1er avril et le 8 mai 1998 pour évaluer l’impact de ses différentes interventions en
accompagnement du processus de paix et de réconciliation nationale en RCA.
3
Le Citoyen (Bangui), No. 243 du 9 au 10 avril 1998. Le G11 est le collectif des partis d’opposition,
regroupés autour du leader historique de l’opposition démocratique en RCA, le docteur Abel Goumba.
4
L’Eveil, (Bangui), mars-avril 1998.
5
Sur la typologie des conflits, lire mon essai, « Les dimensions politiques de la situation de l’Afrique dans
le système mondial » in Alternatives Sud, Vol. VIII, No. 3, 2001, pp. 89-115, ou in Et si l’Afrique refusait
le marché, Centre Tricontinental, Louvain-la-Neuve, et L’Harmattan, Paris, Budapest et Torino, 2001.
6
Cité par Marc Semo, « Nettoyage ethnique, but de guerre serbe » in Libération, 30 mars 1999.
7
Convention sur le génocide adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa Résolution 260A
(III) du 9 décembre 1948.
8
Lire Philip Gourevitch, We wish to inform you that tomorrow we will be killed with our families : Stories
from Rwanda, Farrar, Strauss et Giroux, New York, 1998, p. 123.
9
International Rescue Committee, Mortality in the Democratic Republic of Congo: Results from a
Nationwide Survey, IRC, New York, avril 2003.
10
« IRC staff members talk about ‘the biggest humanitarian crisis on the planet’ », IRC News, avril 2003.
11
« Dans l’archipel planétaire de la criminalité financière », Le Monde diplomatique, avril 2000, pp. 4-8.
12
Lire Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres
richesses de la République démocratique du Congo, Conseil de Sécurité, Nations Unies, New York, 16
octobre 2002.
13
Voir les annexes I, II et III du Rapport final du Groupe d’experts.
14
Depuis sa création en août 1998, le groupe pro-rwandais a eu cinq dirigeants : Arthur Zahidi Goma,
Ernest Wamba-dia-Wamba, Emile Ilunga, Adolphe Onusumba et Azarias Ruberwa.
15
Lire, à ce sujet, l’excellent article d’Alphonse Maindo Monga Ngonga, « ‘La républiquette de l’Ituri’ en
République démocratique du Congo : un Far West ougandais » in Politique africaine, No. 89, mars 2003,
pp. 181-192.
16
Nzongola-Ntalaja, “Les dimensions politiques de la situation de l’Afrique dans le système mondial,” op.
cit.
20